Les axes thématiques d’ArchAm
Coordinatrice : Chloé Andrieu
Produire et échanger
Dessin : S. Éliès - ArchAm
Unité mixte de recherche 8096
Archéologie des Amériques
CNRS - Université de Paris 1 Panthéon - Sorbonne
2021
Avant - propos
L’Unité mixte de recherche ArchAm « Archéologie des Amériques », sous les tutelles du CNRS et de
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est née il y a 21 ans de la fusion d’équipes mésoaméricanistes
et andinistes. Très vite pourtant, avec un « s » à Amérique, le laboratoire a accueilli des chercheurs et des
doctorants dont les travaux portaient sur l’Amérique centrale, l’Amazonie, les Caraïbes, et sur des régions
plus septentrionales comme l’Arctique et le Subarctique. Depuis 2006 et 2015 respectivement, notre UMR
a établi des conventions avec le Ministère de la Culture et l’INRAP, intégrant notamment des collègues
travaillant en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
Aujourd’hui, ArchAm, seul laboratoire d’archéologie exclusivement consacré au double continent américain, est reconnu au niveau national et international. Il est associé à deux UMIFRE, à des universités et
des institutions de recherche dans les pays hôtes et est doté d’un large réseau de collaborations internationales.
Télétravail, réunions, séminaires et cours en visioconférence, arrêt des missions vers les Amériques et des
évènements scientifiques ont été le quotidien de 2021, une année dont on se souviendra aussi comme
celle du déménagement de nos bureaux vers le Centre Malher, dans le 4e arrondissement de Paris. Alors
que nous étions installés depuis 1998 sur le campus de Nanterre à la Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, devenue MSH Mondes en 2020, notre aménagement au centre Malher nous offre un gain majeur
en espaces de travail, tout en nous rapprochant de notre tutelle universitaire et de nos lieux d’enseignement. Cette nouvelle configuration physique dans le centre de Paris promet de nouvelles synergies avec
nos collègues historiens et archéologues hébergés dans le même centre, alors même que nos collaborations et nos liens avec la MSH Mondes demeurent forts et ininterrompus.
Les chercheurs d’ArchAm structurent leurs travaux en quatre axes transversaux qui sont des espaces de
discussions et d’interactions où nous confrontons nos méthodes, nos contextes et nos résultats sur le
passé d’un double continent aux trajectoires culturelles variées et complexes. Cette brochure, coordonnée
par Chloé Andrieu, est une entrée au cœur des problématiques, des questionnements et des résultats de
l’axe « Produire et Echanger ».
À l’heure où la production et surtout les échanges directs redeviennent progressivement la norme, nous
espérons que vous apprécierez cet aperçu de nos travaux et résultats et qu’ils vous inciteront à nous
rendre visite au centre Malher pour les discuter avec nous.
Bonne lecture
Claire Alix, directrice d’ArchAm
Nicolas Goepfert, directeur adjoint d’ArchAm
Produire et échanger
La diversité des manières de produire et d’échanger reflète, autant qu’elle a façonné les interactions de
chaque société avec son environnement. Sur le continent américain, leur étude permet donc d’approcher
des usages et des représentations du monde propres aux sociétés préhispaniques et pré-contact. Nous
incluons ici l’ensemble des activités qui ont permis aux sociétés de se procurer leurs moyens de subsistance, matériels ou symboliques, qu’il s’agisse de ressources naturelles ou de biens manufacturés. Nous
considérons les techniques comme une expression de rapports sociaux et les témoins privilégiés des
échanges, des emprunts et des innovations. Il s’agit donc d’aborder la spécificité des relations qu’entretenaient les sociétés autochtones avec leurs environnements, et entre elles. De cette manière, l’étude des
techniques de production et des sphères d’échanges nous permet-elle d’approcher, parfois, les systèmes
socio-politiques, mais aussi les mouvements de populations ou encore la diversité et les particularités des
définitions territoriales dans les Amériques.
Nos recherches portent sur des sociétés s’appuyant sur des économies de subsistance variées, qu’il
s’agisse de la chasse, de la pêche et cueillette, de l’élevage ou de l’agriculture, et qui sont organisées
selon des modes différents, sur des territoires divers, sur le temps long : des peuplements anciens de
l’intérieur de l’Alaska (Projet Little Panguingue Creek), à ceux plus récents de la côte alaskienne (Projet Cap
Espenberg), du Centre-Ouest de la Mésoamérique (Projets Uacusecha, Tres Mezquites, Chupicuaro), de
l’aire maya (Projets Naachtun, Raxruha Viejo, Rio Bec), du désert péruvien (Projet Sechura) ou de l’Amazonie (Projet Eden)
1: Désert de Sechura, Pérou. (photo N. Goepfert)
Des territoires variés
L’étude des stratégies d’acquisition des matières premières et de leur distribution permet d’appréhender les
territoires culturels, mais aussi la mobilité des groupes humains et des sociétés.
C’est le cas des premières occupations
préhistoriques de l’Alaska qui se trouvent
dans la région intérieure, loin des sources
d’obsidienne. L’étude de la manière avec
laquelle celle-ci a été échangée et utilisée
(fig.2) contribue à cartographier la mobilité,
l’étendue des territoires et les interactions
entre groupes préhistoriques
(Gómez Coutouly).
Dans l’aire maya, l’étude de la distribution
des maières premières lithiques (fig.3) offre
une approche nouvelle sur la question de
l’étendue de l’aire d’influence des cités,
montrant que les distances géographiques
entre villes influaient moins sur les quantités importées à l’époque classique (250950 apr. J.C.) que les alliances politiques
et les distances sociales entre groupes
(Andrieu).
Les analyses de provenance des obsidiennes dans l’ouest mésoaméricain révèlent des stratégies d’approvisionnement
qui varient dans le temps et dans l’espace
et sont toujours liées à un contexte socio-politique particulier : au Préclassique
récent (400 – 100 av. J.-C.), elles correspondent à des logiques territoriales
et révèlent des frontières géoculturelles
claires, tandis qu’au Postclassique ancien
et moyen (900 – 1450 apr. J.-C.), elles
traduisent les transformations profondes
qui annoncent l’émergence du royaume
tarasque (Darras).
2 : Traces microscopiques de transport sur obsidienne, Chugwater, Alaska.
(photos Y.A. Gomez)
3 : Nucléus prismatiques en obsidienne de Cancuen, Guatemala. (photo C. Andrieu)
Le débitage lamellaire et laminaire à la pression,
un marqueur culturel nord-américain
Les débitages par pression, marqueurs techniques privilégiés, permettent de mettre en évidence les phénomènes de diffusion/migration et les interactions entre groupes humains à travers le temps et l’espace.
On peut ainsi observer une origine du
débitage lamellaire par pression dans l’aire
sud de l’Extrême-Orient entre 30 000 et
25 000 cal BP. Cette technique se diffuse
ensuite vers l’Asie centrale, mais aussi
vers l’Alaska et la Colombie-Britannique,
en passant par la Sibérie. Les données
actuelles montrent donc une progression
du débitage lamellaire par pression depuis
ce foyer d’invention : on retrouve les premiers sites à lamelles en Extrême-Orient
vers 25 000 cal BP, en Sibérie vers 20
000 cal BP, en Alaska vers 14 000 cal BP
(fig.4) et en Colombie-Britannique vers 10
000 cal BP (Gómez Coutouly).
4 : Nucléus à lamelles datant d’il y a 14,000 ans, Swan Point, Alaska.
(image Y.A. Gomez)
Le débitage de lames à la pression perdure
dans certaines de ces régions jusqu’aux
périodes historiques, dans le Nord du
continent. En Mésoamérique, cette technologie se développe en même temps que
les sociétés hiérarchisées, sur obsidienne
uniquement, et dans des conditions sociopolitiques parfois fort différentes. Alors
qu’elle est attestée au 3ème millénaire
av. J.-C. en Mésoamérique centrale, son
introduction est particulièrement tardive
dans l’Ouest mésoaméricain (fig.5) où des
travaux récents confirment son développement vers 900 apr. J.-C. (Darras).
5 : Lames prismatiques en obsidienne du Cerro Varal, Mexique.
(photo : V. Darras)
Reconnaitre la division des tâches
La caractérisation des savoir-faire techniques permet parfois de déterminer les contextes sociaux de production.
L’étude techno-morphologique de la céramique (fig.6) et celle des traces d’usure
sur l’outillage de pierre ou de terre cuite
à Chupicuaro (600 av. J.-C. – 250 apr.
J.-C.) montrent des variabilités inter et
intra-sites qui reflètent des spécialisations
artisanales par village et indiquent que la
fabrication de la poterie s’organisait dans
la sphère domestique (Darras et Hamon).
6 : Outils en terre cuite utilisés pour le façonnage céramique et Tecomate
anthropomorphe de type Trichrome. (photo : V. Darras)
A Cancuen (600-800 apr. J.C.), dans
l’aire maya, on observe des productions
très segmentées entre différents ateliers
impliqués dans la production d’objets en
jade (fig.7) et en pyrite et pour lesquelles
les artisans bénéficiaient de statuts sociaux différents selon les savoir-faire en
jeu (Andrieu).
7 : Bijou d’oreille et perle de jade du site de Cancuen, Guatemala. (photo C. Andrieu)
Une diversité de solutions agricoles et pastorales
L’étude des systèmes agraires met en valeur, quant à elle, la grande inventivité des techniques américaines
d’exploitation des sols. Dans bien des cas, des terres jugées aujourd’hui incultivables ont permis de nourrir
une population considérable pour qui savait les travailler.
En Mesoamérique, les fouilles à Río Bec ont montré que chaque habitat formait une unité de production
agricole présentant une corrélation entre la superficie des parcelles, la taille et le rang de l’habitat. Il reste
néanmoins à déterminer le degré d’autonomie de chaque maisonnée pour tester l’hypothèse de l’autosubsistance, impliquant une production diversifiée, ou celle de la coopération et des échanges, supposant
au contraire une production spécialisée (Lemonnier). Sur le site de Naachtun, l’apport couplé du LiDAR
et des sondages géoarchéologiques a révélé la grande diversité des pratiques agraires, et notamment,
un système complexe de champs surélevés (fig.8) permettant de cultiver dans les zones temporairement
inondées qui implique, à l’inverse de Rio Bec, une organisation centralisée (Nondédéo). Dans les hautes
terres de l’Occident du Mexique, ces mêmes méthodes appliquées aux zones de coulées volcaniques
révèlent que les sociétés tarasques et pré-tarasques avaient su mettre en valeur ces terrains rocailleux,
aujourd’hui pourtant délaissés (Pereira).
8 : Image Lidar de Naachtun, Guatemala, montrant le système de champs surélevés mis en place au Préclassique.
(C.Castanet, Projet Naachtun/PLI Pacunam)
Sur la côte désertique pacifique, les populations préhispaniques (des Mochicas
aux Chimús, 100-1470 apr. J.-C.) ont su
s’adapter à un milieu aride pour y développer une agriculture en milieu désertique, mais aussi l’élevage des camélidés
(fig.9). Nos travaux ont en effet montré que
l’affouragement en maïs des camélidés
domestiques représentait jusqu’à 70% de
leur alimentation, dans un environnement
pourtant a priori peu propice tant à l’élevage de ces animaux, qu’à la culture du
maïs (Goepfert).
9 : Paquet funéraire Lambayeque-Sicán comprenant un crâne et quatre extrémités de
membres de camélidés. (photo S. Vásquez)
En Amazonie, la diversité des solutions
agricoles, allant des champs surélevés
(fig.10), à l’agroforesterie, jusqu’à une architecture complexe de buttes artificielles,
en passant par l’essart, le brûlis, la culture
de décrue, ou encore l’usage de la terra
preta ont permis aux Amérindiens de façonner les territoires amazoniens durant
l’Holocène, autorisant à considérer ce que
certains ont cru être une forêt primaire,
comme l’un des plus grands biomes anthropiques mondiaux (Rostain)
10 : Champs surélevés précolombiens (1000 – 1400 après J.-C.) dans les savanes
inondables du littoral de Guyane française. (photo S. Rostain)
Des interactions et des échanges constants
L’étude des territoires et des échanges permet de percevoir l’étendue des réseaux d’interaction dans lesquels s’inséraient les sites étudiés et leur degré d’intégration régionale ou supra-régionale.
11 : Récipient Totbol Mate Café sobre Crema produit dans le secteur de Rio Azul au
Classique ancien et retrouvé dans les environs de Naachtun. (photo E. Mencos)
12 : Céramique de style Teotihuacan Rojo sobre bayo esgrafiado provenant du site El Mezquital-Los Azules (Guanajuato, Mexique).
(dessin S.Éliès)
13 : Céramique Dos Arroyos Naranja Polícromo découverte en contexte de grottes,
Raxruha, Guatemala. (photo D. Perla)
D’autres marqueurs matériels suggèrent
davantage des échanges de type matrimoniaux et politiques, comme à Naachtun
(Guatemala), au Classique ancien (250600 apr. J.C.) où les liens diplomatiques
avec Tikal apparaissent dans les styles
céramiques (fig.11), ou encore dans certaines pratiques funéraires empruntées à
cette même zone. On observe par ailleurs
au même moment une forte influence de
Teotihuacan, que ce soit dans l’architecture ou les importations. Au Classique
récent (600-800 ap. J.C.), certaines productions céramiques (céramique codex)
et des influences architecturales (Río Bec)
pointent au contraire vers des relations
avec le Nord de l’aire maya, ce que confirment les analyses isotopiques sur individus (Nondédéo).
Sur le site El Mezquital-Los Azules, Guanajuato (Mexique), la nature des matériaux
importés, l’iconographie des types céramiques (fig.12), les techniques architecturales ou encore l’introduction d’habitudes
alimentaires nouvelles dans la région indiquent que ce site était sans doute un relai
sur les voies d’échange liant Teotihuacan
et le Centre Nord du Mexique (Faugère).
D’une autre manière, l’étude techno-stylistique des céramiques (fig.13) déposées en offrandes dans les grottes en Alta
Verapaz (Raxruha, Guatemala) révèle la
complexité des interactions entre Hautes
Terres et Basses Terres maya à l’époque
Classique et met en évidence des zones
de pèlerinages pan-régionales (Andrieu).
La distribution de certains objets, telles
que les figurines céramiques (fig.14) de
Xochitécatl (Tlaxcala), El Palacio (Michoacán) et La Quemada (Zacatecas) témoignent de la diversité des échanges de
représentations figurées à l’Epiclassique et
au Postclassique ancien (600-1250 apr.
J.-C.). Adaptées, adoptées, produites localement ou importées, elles s’inscrivent
dans des stratégies d’affichage mises en
place dans des réseaux communautaires,
régionaux ou suprarégionaux. C’est aussi
le cas des plaques figuratives de pierre
verte, largement diffusées en Mésoamérique à l’Epiclassique et dont la distribution
révèle des réseaux élitaires sur de très longues distances (Testard).
L’étendue des connexions inter-régionales
oblige parfois à repenser nos critères de
définitions des frontières culturelles et leurs
sphères d’échanges respectives. C’est
par exemple le cas des miroirs en pyrite
(fig.15) qui étaient distribués de l’aire maya
jusqu’au Costa Rica au Classique ancien
(Ménager et Andrieu), et du Mexique central jusqu’au Sud-Ouest des Etats-Unis
(Pereira et Lastanopoulos).
Au Pérou, à la Huaca Amarilla, une région
longtemps considérée comme en marge
des grandes traditions culturelles de la
côte nord du Pérou, l’abondance de biens
importés sur de longues distances (vases
en céramique, spondyles (fig.16) et autres
matières premières pour la confection de
colliers et bracelets) montre également
que, loin d’être isolés des courants commerciaux, les habitants du désert de Sechura étaient parfaitement intégrés dans
des réseaux d’échange avec les vallées
septentrionales entre les IXe et XVe siècles
de notre aire (Goepfert).
14 : Figurines épiclassiques de Xochitécatl (Tlaxcala, Mexique). De gauche à droite :
Type importé (Campeche), type adapté (Papaloapan, Golfe), type « local » (Complexe
Coyotlaltelco) (photo J. Testard)
15 : Miroir en schiste présentant des glyphes mayas
découvert à Bagaces, Costa Rica. (Photo M. Ménager)
16 : Collier composé de perles en spondyle
trouvé dans une inhumation du site de
Huaca Amarilla, Pérou. (photo N. Goepfert)
17 : Assiette peinte en incisions (500 avant J.-C. – 400 après J.-C.) de la vallée
amazonienne de l’Upano au pied des Andes équatorienne. (aquarelle S.Rostain)
18 : Propulseur en bois avec crochet en matière
osseuse - culture Birnirk, site Rising Whale
(KTZ-304), Cap Espenberg, nord-ouest Alaska,
AD 1190 -1250. (photo C. Alix)
En haute Amazonie équatorienne, plusieurs sites du piémont andin ont révélé
des marchandises distribuées dans un
circuit de marchés entre les basses et les
hautes terres. Ce sont des ulluques (Ullucus tuberosus) cultivées dans la montagne
et transportées en aval, ou des éclats taillés d’obsidienne de la sierra. Certaines poteries rituelles suggèrent l’usage de coca
provenant vraisemblablement des cimes.
À l’inverse, des récipients de céramique
peints et incisés (fig.17), fabriqués dans
les vallées du piémont, étaient exportés
dès les derniers siècles avant notre ère
vers les grands villages des vallées interandines (Rostain).
Sur le site de Rising Whale au cap Espenberg, en Alaska, l’analyse détaillée d’artefacts en bois et matières osseuses du
11e-12e siècle montre la remarquable similitude entre certaines armes de chasse
ou modes de transport. C’est le cas des
propulseurs birnirk (fig.18) qui sont quasi
identiques sur plusieurs centaines de kilomètres, de la Chukotka au nord-ouest de
l’Alaska. L’extension d’un même type sur
une si vaste zone géographique, mais
aussi d’autres similitudes dans la sélection des matériaux, la mise en forme d’éléments de kayaks et d’umiaks, les types de
tête de harpon ou de projectile attestent
de la circulation de concepts et de savoirs
techniques et suggèrent une population
fortement mobile, évoluant au sein d’un
large réseau de connexions (Alix).
Une archéologie du passé récent et du contemporain
La persistance de certaines pratiques techniques, rituelles, mais aussi de systèmes de représentations
oblige à intégrer les matérialités contemporaines dans notre perspective archéologique, en appréhendant
l’impact colonial et les dynamiques de reconstructions identitaires dans la culture matérielle et les savoirfaire. Cela permet de caractériser les phénomènes de transformations ou de persistances techniques, tout
en offrant des référentiels actualistes importants.
De la même manière, c’est grâce à un travail de longue haleine chez les potières Kichwa de Puyo (fig.19), en Amazonie équatorienne, que nous avons décrit la chaîne
opératoire de leurs céramiques. Les gisements de matières premières (argile, colorant, vernis) ont ainsi été localisés, parfois
à plus de 200 kilomètres du lieu de fabrication. Cette étude a également montré
des échanges ritualisés d’apprenties entre
différents groupes pour la formation de
jeunes potières ou chamanes (Rostain).
19 : Potière Kichwa d’Amazonie équatorienne peignant un vase de céramique avec un
pinceau en cheveux d’enfant. (photo S. Rostain)
L’étude de l’exploitation des coulées andésitiques localisées aux alentours du
village de Turícuaro (Michoacan) pour la
fabrication de pierres de meules (metates)
et de mortiers (molcajetes) par les artisans purépecha actuels (fig.20) a permis
de documenter cette chaîne opératoire,
de reconnaitre les déchets associés et
les outils utilisés pour cette production.
En cartographiant les carrières et les ateliers, nous sommes parvenus à une meilleure compréhension des traces de ces
activités dans le registre archéologique et
avons pu attester de la continuité de ces
pratiques depuis le XV e-XVIe siècle
(Pereira et Hamon).
20 : Fabrication traditionnelle des instruments de mouture en andésite
par un artisan purhépecha du village de Turícuaro, Michoacán, Mexique.
(photo J. López Reyes)
21 : Troupeau de lamas à Tinajones, dans la vallée de Lambayeque, nord du Pérou (photo N. Goepfert)
C’est aussi en observant l’un des derniers
troupeaux de camélidés à basse altitude
au Pérou (fig.21) que nous avons documenté les techniques d’élevage dans un
milieu semblable à celui analysé dans les
établissements préhispaniques côtiers.
Réintroduits il y a une trentaine d’années,
les lamas se sont acclimatés rapidement à
ces conditions particulières. Les éleveurs
ont su adapter leur savoir-faire aux changements d’alimentation, de végétation et
de climat, ce qui leur permet aujourd’hui
de prospérer et d’agrandir leur troupeau
(Goepfert).
Le long du littoral alaskien, dépourvu de
couvert forestier, les savoirs concernant
l’usage et l’exploitation des bois échoués
sur les plages, principale matière première
ligneuse accessible localement, sont
transmis de génération en génération. Un
travail en collaboration avec des sculpteurs contemporains Yupiit du sud-ouest
de l’Alaska affine notre compréhension de
certaines étapes du travail du bois (fig.22),
et permet d’élaborer une grille d’analyse
plus précise pour l’étude du mobilier archéologique des sites arctiques (Alix).
22 : Collecte et transport de la ressource bois flotté sur le Yukon, Alaska, juillet 2007. (photo C. Alix)
En somme
Jusqu’il y a 500 ans, les processus techniques, économiques et sociaux observables dans les Amériques
se sont développés indépendamment du monde occidental et méditerranéen, suivant des rythmes qui ne
sont pas synchrones. Les trajectoires des sociétés américaines depuis les premiers peuplements jusqu’à
la période contemporaine amènent donc à interroger sous un angle nouveau les phénomènes d’innovations techniques et leurs diffusions, les processus de néolithisation, d’émergence des sociétés étatiques,
ou la notion même de complexité sociale. Ces spécificités du continent américain permettent ainsi de
questionner et, à terme, de redéfinir, les bornes chronologiques évolutionnistes encore utilisées dans nos
disciplines.
Pecajchoc, Raxruha, Guatemala. (photo C.Andrieu)
UMR 8096 - Archéologie des Amériques
Centre Malher
9 rue Malher
75004 Paris
Éditeur : Chloé Andrieu
Responsable de l’axe : Chloé Andrieu
Participants : Claire Alix, Chloé Andrieu, Véronique Darras, Brigitte Faugère, Nicolas Goepfert,
Yan Axel Gómez Coutouly, Eva Lemonnier, Philippe Nondédéo, Gregory Pereira, Stephen Rostain, Juliette Testard
Éditeur : UMR 8096 - ArchAm (Archéologies des Amériques)
Crédits photographiques : membres d’ArchAm,
Conception et réalisation graphique : Sylvie Éliès
Cartes : Jean-François Cuenot
Impression :
Quatrième de couverture :
Vallée de la Nénana depuis la rive opposée à Little
Panguingue Creek . (photo Y.A. Gomez)