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Rêves, hallucinations et états psychotiques

2015, Chimères

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RÊVES, HALLUCINATIONS ET ÉTATS PSYCHOTIQUES Monique Zerbib Érès | « Chimères » 2015/2 N° 86 | pages 147 à 156 ISSN 0986-6035 ISBN 9782749247663 DOI 10.3917/chime.086.0147 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-chimeres-2015-2-page-147.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Outre l’expérience personnelle des rêves, je suis toujours émerveillée de constater à quel point le rêve est un miroir de la vie psychique et quel outil puissant il représente pour dénouer des impasses psychiques et comprendre ensemble avec l’analysant ce qui cherche à se dire. Le rêve parle au rêveur, s’adresse à lui dans son sommeil et en ce sens, Maurice Dayan se demande dans un livre qui porte ce titre : Le rêve nous pense-t-il ? (PUF, 2004). Il suppose l’existence d’un penser anonyme traversant le sujet, comme une sorte d’altérité qui entrerait en dialogue avec lui. Un patient me disait en parlant de ses rêves que « c’était des signes de lui et que parfois ils étaient gênants ». Et si le moi se contente de ses limites, le « je est un autre » du poète fait entrer en lui l’infini d’une pensée qui s’ignore partiellement. Si le rêve dans la névrose est un produit du refoulement, qu’en est-il de la place et de son rôle dans la psychose ? • Monique Zerbib est psychanalyste psychologue en institution, membre du comité de rédaction de Chimères, auteure d’articles et d’entretiens dans différentes revues et ouvrages collectifs. CHIMÈRES 147 © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Parcours MONIQUE ZERBIB Rêve et Psychose sont deux objets d’étude qui, rassemblés, nous permettront de défendre – si tant est qu’il faille encore le faire – d’une part la psychothérapie analytique des psychoses, d’autre part d’approcher, à partir du phénomène hallucinatoire les différences entre des modes d’activité psychique clivés et ceux qui ne le sont moins ou pas du tout, entre des productions symboliques ou pas. En tant qu’il est une expérience créatrice où présent, passé et avenir se rencontrent et s’entrecroisent, donnant lieu aux associations les plus improbables, le rêve et son travail dans la séance devient une arme puissante contre le clivage si ravageur non seulement dans la psychose mais aussi dans la dépression et la perversion. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) 148 CHIMÈRES 86 La science s’efforce d’ordonner et de classifier, les théories s’efforcent de distinguer les différences entre les structures psychiques et la spécificité de leur fonctionnement et cela est évidemment nécessaire pour y tenter d’y voir clair mais le travail analytique, tout en bénéficiant de ce savoir ne peut que nuancer cette approche et travailler sur une psyché vivante sans avoir peur des rapprochements, des analogies, des points communs. Il est d’usage de dire que l’hallucination du rêve et celle de la vie diurne, celle du psychotique plus précisément, sont différentes mais à considérer ce vocable commun, pourquoi ne pas voir aussi ce qui les rapproche ? Pour cela, nous partirons de la dimension projective de la psychose qui donne à voir le rapport au langage et à l’agir à son point d’origine psychique, tout comme le rêve signe la représentation/figuration dans son intime relation avec la psyché. Dans les deux cas, il s’agit bien sûr d’une production endogène mais si projection il y a, c’est bien parce qu’au moment où elle se produit, le rêveur et/ou l’halluciné se dédouble comme le dit M. Dayan et tous deux voient un spectacle qui leur semble étranger à première vue et qu’ils prennent pour argent comptant. Dans le rêve et dans le symptôme psychotique, s’exprime la nécessité de dire mille choses en même temps d’où cette problématique du sens avec l’énigme de la figuration dans le rêve et l’énigme du comportement et du discours dans la psychose. Volonté inconsciente de tout dire ou impossibilité de dire autrement aux dépens de la compréhension de l’autre et\ou de soi-même, ces productions psychiques sont © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Rêve et Hallucination Rêves, hallucinations et états psychotiques de toute façon pour reprendre l’expression bien connue de Joyce McDougall « le théâtre mental » du sujet. Freud, dans L’interprétation des rêves (1909) défend l’idée que le rêveur hallucine la réalité, désire la transformer et réalise son désir via l’hallucination du rêve. La défense psychotique est une tentative de créer une autre réalité, en s’appuyant sur des bouts de réalité – équivalent des éléments diurnes du rêve – où s’engouffre le traumatique et c’est le cas de l’hallucination. Les voix sont souvent celles de personnes identifiables, elles passent à travers un mur ou viennent de la télévision et lui sont personnellement adressées, elles le traversent et lui disent des choses plus ou moins agréables mais souvent fort désagréables. Le psychotique se heurte au réel, se l’approprie, le travestit et le surinterprète faute de pouvoir se subjectiver lui-même, il devient dès lors « un enfermé du dehors » selon l’expression de Sol Rabinovitch dans un livre intitulé « Les Voix ». © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) On ne peut parler de désir que dans le rêve où celui-ci se fraie généralement un passage à travers la censure et les interdits mais le Je du rêveur, par son propre travail de subjectivation, est susceptible dans sa restitution du rêve, de se reconnaître comme l’auteur de son désir. C’est dans ce retrait total de la réalité, dans le sommeil, que la satisfaction onirique se manifeste. Elle nourrit la psyché mais tout comme le délire qui invente une autre origine, une autre vie. Une patiente qui se prenait pour Yasser Arafat et passait son temps à mettre en scène les autres personnages de la scène palestinienne et de la scène politique en général, se sentait pauvre et vide quand le délire se tarissait, elle s’en excusait alors parce qu’elle n’avait plus rien à me raconter. « L’hallucination exacerbe le fantasme », me disait récemment ce patient psychotique, celui de la télévision. On pourrait dire qu’elle l’incarne et en persécute son auteur sans pitié. L’intensité de la jouissance qu’elle soit sexuelle ou proprement traumatique réactive les représentations visuelles et auditives, brisent le pare-excitation et laissent le sujet pantelant, en morceaux, source d’angoisse massive. CHIMÈRES 149 © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Un patient très envahi par les voix, ne pouvait plus regarder la télévision parce qu’il entendait ces voix lui parler à travers l’écran. Ne sachant que faire de ses soirées et pour leur échapper, il se couchait pratiquement à six heures de l’après – midi et dormait jusqu’à dix heures du matin ! MONIQUE ZERBIB Quand les voix, que le patient est seul à entendre, véhiculent la répétition du traumatisme, le désir est évincé et seule triomphe la jouissance mortifère de cette répétition traumatique. Freud est bien sûr le premier à dire que le rêve est une psychose mais dans le cas du rêveur, cette « psychose nocturne n’a, en général, pas d’incidence sur la motricité ou la motilité. Au contraire « le veilleur est terrassé, les excitations inconscientes soumettent à leur pouvoir le préconscient, dominent par lui nos paroles et nos actes ou s’emparent de la régression hallucinatoire et dirigent l’appareil qui n’était pas fait pour elle au moyen de l’attraction que les perceptions exercent sur la répartition de notre énergie psychique. C’est cet état que nous appelons psychose1 ». © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) 150 CHIMÈRES 86 L’hallucination diurne est une tentative échouée parce que l’objet primaire est toujours présent, collé au sujet, il ne peut être représenté donc remplacé, il s’incarne. Le mot est la chose. La chaîne symbolique est bloquée, un ou plusieurs chaînons sont manquants ou collés alors que cette chaîne, dans le rêve, s’y déploie et par sa capacité de figuration, au travers de ses procédés de condensation, ses figures métonymiques et métaphoriques, la pensée se fraie un passage sur un mode souvent énigmatique, ça va sans dire. Mais si nous poursuivons notre réflexion et nos observations cliniques, nous pouvons dire que les affirmations qui précèdent sont des définitions optimales qui se distinguent par un jeu d’oppositions ; en réalité les rêves peuvent être aussi traumatisants qu’une hallucination, la jouissance tout aussi mortifère. Le sujet, le rêveur est seul face à ses angoisses et ses capacités d’élaboration, la qualité symbolisante dépend de l’état psychique du rêveur, de la résistance de son système de pare – excitation, et de l’histoire de ses affects. Les productions psychiques ne font que révéler l’état des lieux du rêveur à un moment donné de son 1. S. Freud. L’interprétation des Rêves, p. 482 et 483, chap. vii sur la psychologie du rêve. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Le psychotique, dans sa conviction d’avoir réellement perçu l’objet halluciné, peut agir la plupart du temps contre lui-même, se prenant pour un autre ou pour son double. Ce qu’il hallucine s’enracine toujours sur un fragment de la réalité pour former comme le dit Dayan, empruntant le terme à l’aventure surréaliste, une surréalité (les voix entendues à la télé, une personne de son entourage qui le persécute, un objet qui se trouve sur son passage, etc.) Rêves, hallucinations et états psychotiques histoire et sur un problème donné. Le rêve donne la mesure de ce qui est en marche dans la pensée et donc susceptible d’évoluer au cours d’une thérapie même s’il reflète et répète la violence du traumatisme. Face à cette part d’étrangeté en lui, l’auteur du récit du rêve prend conscience qu’il est vivant et qu’il est traversé, habité lui aussi par une pensée qui, paradoxalement, lui offre à la fois la possibilité de se découvrir autre et de s’y reconnaître parce que c’est tout de même « son rêve », et qu’il en est l’auteur et le metteur en scène. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Qu’en est-il alors du récit d’une hallucination, dans le cadre d’une séance ? Si elle ne conduit pas à l’interprétation d’une production symbolique, elle offre la possibilité d’établir des liens entre les voix, les visions et l’histoire du sujet. L’hallucination n’est pas la voie directe de l’inconscient, elle agit sur le préconscient et déforme les perceptions. Elle est révélatrice de l’errance d’un sujet qui ne peut se reconnaître dans son histoire, d’une violence pulsionnelle dont le psychisme ne sait que faire, d’une mémoire figée qui butte sur un réel non symbolisé. M. K, le patient qui ne pouvait regarder la télévision ou entendre les bruits des voisins sans se croire sciemment persécuté, s’étonnait maintes fois des liens qui s’établissaient au cours de nos échanges entre les méchancetés qu’il entendait dans les voix et la cruauté de certains épisodes de son enfance. La voix ne faisait que redonner forme, avec une allure d’inquiétante étrangeté, aux traces traumatiques du passé. Dans le rêve et dans le discours du rêve, quelque chose est en marche, le processus de symbolisation qui fait que l’on peut parler du « monde vivant du rêve » selon la belle expression de Donald Meltzer, contrairement à l’hallucination qui est figée, arrête le temps ou en fait un éternel retour. C’est en passant par le rêve que la fonction de subjectivation et de symbolisation du travail analytique se met en marche dans le CHIMÈRES 151 © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) C’est le travail analytique, via l’analyse de certains de ces récits de rêves, qui tissent un ou plusieurs fils rouges au travers de thèmes et de situations qui lui sont propres, Les interpréter ou pas avec lui, du moins les accueillir, et travailler à partir de ses associations donnera peut-être une chance d’endiguer la violence des représentations et la surinterprétation psychotisante culpabilisante et autodestructrice. La conquête d’un sens arraché à l’inconscient a un évident pouvoir d’apaisement, de retour momentané à un contrôle possible du pulsionnel, sans pour autant en historiciser les contenus. MONIQUE ZERBIB cadre de la séance et ce constat nous invite à nous interroger plus profondément sur la nature des processus en jeu en particulier sur le rapport entre hallucination et perception et sur celui complexe qu’entretiennent la réalité psychique et le traumatisme. C’est peut-être dans ce sillon-là, du comment de la constitution d’une mémoire traumatique que s’offre la possibilité d’une compréhension nouvelle et d’une distanciation possible. Le traumatisme dans le cas de la psychose est massif et incontournable, mais il ne doit pas pour autant empêcher de penser ni de parler. Sa prise en compte nous aide à en comprendre les effets mortifères dans le développement du moi et de la conscience sans bloquer pour autant l’accès possible à la compréhension des processus psychiques inconscients en jeu et ce au cours des nombreux tours et détours qu’empruntent la pensée et le discours du patient. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) 152 CHIMÈRES 86 Une conférence passionnante intitulée « Transitionnel et réflexivité » (publiée dans les Lettres de la SPF n° 21, 2009), René Roussillon remet en cause l’opposition entre hallucination et perception. Celles-ci ne s’excluent pas, elles coexistent et se complètent. Selon sa fiction théorico-clinique, Roussillon affirme que l’enfant hallucine d’abord le sein de la mère. Il y a un préalable à la perception du bon sein qui est de fait créé par l’enfant quand la mère place le sein dans le champ perceptif de l’enfant ; celui-ci peut avoir l’illusion qu’il a créé le sein et qu’il s’auto-satisfait. Et on est, dit Roussillon, à l’orée des premières symbolisations, c’est de la rencontre entre hallucination et perception que s’inscrit la trace psychique qui donnera plus tard naissance au symbole lorsque les deux morceaux de la Tessère se rencontrent. Lorsque l’enfant hallucine la douceur du sein maternel, il est dans l’attente de certaines perceptions en direction de son activité hallucinatoire. Certaines perceptions reviennent de façon excessivement claire, elles sont proches de l’hallucination. C’est le concept winnicottien du trouvé – créé, grâce auquel l’enfant s’approprie le monde, le fait sien, entre dans l’espace de sa créativité. Le bon est conservé à l’intérieur et ça s’inscrit comme trace mnésique. L’enfant sera plus tard capable de remplacer le premier objet par un autre objet. « L’activité symbolique débute ainsi avec le premier objet susceptible de remplacer le sein… mais elle n’est pas encore effective, elle le sera à partir de la perte reconnue, assumée du premier objet et la capacité de le remplacer par un autre » (Anne © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Hallucination et Perception Rêves, hallucinations et états psychotiques Roux, Un plus un égale trois in Revue Française de Psychanalyse « La Naissance Psychique » tome i, p. 154) © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Cette façon de repenser hallucination et perception éclaire la clinique des psychoses, la question des traces mémorielles non intégrées ou non intégrables dans le psychisme et leur rejet au dehors, mettant le symbolique à mal. L’autre est un monde inconnu, étrange, persécuteur et le sujet psychotique n’aura de cesse d’en explorer la subjectivité dans l’espace thérapeutique. Le thérapeute ne peut rester silencieux ou incognito et il lui faut montrer un peu qui il est, ce qu’il pense, ce qu’il est capable d’entendre et de supporter, sous peine de reproduire le trauma de l’objet absent et\ou tout puissant contre lequel aucune destructivité (si utile pour la construction d’un sujet) ne peut s’exercer. Aussi traumatique et répétitive soit-elle, et c’est ce que nous révèle la clinique, l’hallucination est production psychique en quête de sens et les deux productions, hallucination du rêve et hallucination psychotique appellent le même travail de subjectivation et d’appropriation de soi. N. Zalstman rappelait dans une conférence que l’hallucination n’avait pas de destinataire, ce à quoi on peut dire que le rêve dans le sommeil n’en a pas non plus. Ils ne prennent place dans un récit que dans l’après-coup de leur production. Ça me parle dit le psychotique, je suis le destinataire de ces voix, « je » mutilé, écrasé, interdit de penser qui ne peut être que le jouet et la risée des autres, sujet d’opprobre, victime d’une jouissance obscène qui ne peut se sauver qu’en mettant fin à ses jours. Telle est sa logique, non historicisée et le travail analytique, CHIMÈRES 153 © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Mais que se passe-t-il quand la mère ou l’environnement ne répond pas ou ne répond plus, ne s’ajuste plus ou aux attentes de l’enfant, quand l’objet ne renvoie plus aucun écho ? Le bébé est alors dans une illusion négative, en butte à un monde persécuteur avec des hallucinations sans leur complément perceptif réparateur, sans avoir pu intérioriser le bon objet. Le spectre de la psychose est tout proche dans ce processus d’inachèvement psychique, d’inadéquation à une réalité extérieure défaillante, qui laissera le futur sujet psychotique dans une solitude mortifère. La détresse du nourrisson et la désillusion précoce détruisent les arcanes de la psyché. Le psychotique prend le relais de l’infantile, dit Béatrice Ithier dans une conférence donnée au centre Kestemberg en 2008, en invitant l’analyste à accueillir les deux : l’enfant et le psychotique dans la séance. MONIQUE ZERBIB si modeste soit-il, récupère les traces et les affects qui leur sont liés, rétablit certains liens, et dénonce une histoire dévastée par le malheur ; « Voilà dans quelle famille j’ai grandi ! » disait M. K, prenant ainsi à témoin l’analyste du meurtre jusque-là indicible, du meurtre d’âme. Déjouer l’emprise nécessite d’affronter le vide et dans le vide l’analysant n’est plus seul dans sa lutte contre les fantômes ou contre les moulins. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) 154 CHIMÈRES 86 M. K était considéré comme un nul parce qu’il ne pouvait pas garder un travail alors que pour le père et le frère cadet, le travail – et l’argent – était une valeur suprême dans leur vie. M. K avait été élevé comme un bébé et jusqu’à l’âge de 14 ans sa mère lui donnait le bain et le lavait, jusqu’à l’âge de 21 ans elle lui achetait ses vêtements et lui faisait même porter les siens. Après plusieurs années de suivi thérapeutique au cours duquel il a sans cesse évoqué à la fois le parent et le bourreau, les voix ont cessé de le terrasser. Mais le travail ne s’arrête pas là : M. K qui au début de sa thérapie faisait sans cesse des rêves véritablement terrifiants, des rêves de cataclysme cosmique et de fin du monde, des rêves traumatiques, chaotiques, tels des raz de marée ou des tremblements de terre, s’est mis à raconter des rêves d’une autre nature. Ces cauchemars ont laissé la place à des rêves où se répétaient des traumatismes plus personnels, plus individuels qui s’appuyaient sur des scènes qui s’étaient réellement produites, des situations d’humiliation au travail, des scènes de violence dans la fratrie ou à l’école, des scènes qui racontent comment le meurtre d’âme s’est commis. À la différence de l’hallucination, le rêve n’était pas envahissant et ne le conduisait pas au bord du suicide ou d’un passage à l’acte. Dans un troisième temps, les rêves de transgression des interdits œdipiens prennent place et c’est l’inceste qui dit son nom. L’inceste ne se produit pas seulement avec le parent mais aussi, au prix d’une transformation corporelle, l’homme devenant femme et vice versa, avec © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Au fil du travail, certains, sans pour autant cesser de dénoncer les délits psychiques ou physiques qu’ils ont conscience d’avoir subis, finissent par reconnaître une ambivalence dès lors non clivée de leurs sentiments, l’attachement qu’ils ont pour leur bourreau de parent, bourreau souvent intériorisé et éternisé dans les hallucinations. (Violence des paroles et des actes, incitation inconsciente au suicide). Rêves, hallucinations et états psychotiques le frère ou la sœur. Si la jouissance est sans entrave dans le rêve, la conscience de l’interdit et le dégoût ne manquaient pas de se manifester au réveil et dans le récit du rêve provocant inquiétude et malaise. Méconnaissance et identification projective Si le rêve est comme le dit Freud « une psychose nocturne », qui nous renseigne sur notre vie psychique, une nécessaire projection de notre état mental, alors les productions psychotiques dans leur mouvement projectif sont aussi une tentative douloureuse de se trouver. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) Le névrosé n’en est pas mieux loti et n’en aura pas moins à travailler avec ses résistances, entêté finalement à s’en tenir au statu quo dans sa vie et ce, bien sûr, au cours même de son engagement dans l’analyse. La résistance est au cœur de la psyché et selon la constitution psychique et les défenses de chacun, cède ou persiste. Il n’est pas dans notre intention d’annuler les différences et les intensités variables des processus mais de souligner certaines analogies de fonctionnement qui font que l’activité psychique travaille à partir de la méconnaissance de soi qui nous conduit à projeter, à représenter ce qui nous échappe. Le rêve est à la fois une forme primitive et permanente de cette activité, qui rend compte d’un certain travail symbolique accompli, l’hallucination et le délire seraient une tentative d’élaboration qui répète le traumatisme pour l’une, et se crée une autre réalité pour l’autre. Retrouver les deux morceaux de la Tessère nous dit Roussillon pour le symbole qui rassemble hallucination et perception, c’est-à-dire sensation, affect, trace, représentation, rassemblement – recentrement du corps et de la psyché. Dans l’espace du rêve, si cette hallucination nocturne réussit peut-être à satisfaire un désir, du moins à l’entrevoir, le rêve est alors le signe d’une restauration, d’une réparation du tissu psychique. Il serait pour CHIMÈRES 155 © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) IL est difficile de renoncer à ses convictions et, la méconnaissance aidant, « c’est à un refus de guérir que l’on se heurte en définitive, le jour où le malade, poussé dans ses retranchements, nous défie de le guérir malgré lui » dit François Perrier en parlant de la psychothérapie des schizophrènes » p.425 Article de François Perrier intitulé « À propos de la psychothérapie des schizophrènes » (La chaussée d’Antin, chez Albin Michel, Bibliothèque Idées. p. 423-425), MONIQUE ZERBIB le sujet l’équivalent du « trouvé créé » du bébé, l’appropriation d’une réalité à la fois intérieure et extérieure, avec des bouts de conscience et d’inconscience (ou d’insu) que le sujet rêveur interroge et remodèle selon ses désirs et les exigences de la pensée qui le traversent. Le rêve n’est plus considéré seulement comme la satisfaction hallucinée d’un désir mais comme un travail d’investigation et d’élaboration psychique qui fonctionne dans le sens d’une identification. Les hallucinations sont des perceptions traumatiques non partagées, non formulées, des sensations à jamais gravées dans la mémoire, mais une mémoire et une pensée interdites comme le formule Piera Aulagnier dans un article qui porte ce titre éloquent. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) 156 CHIMÈRES 86 Ce rêve, cette « psychose de la nuit », est certes le mode par excellence de l’exploration de l’inconscient, mais défendons aussi l’idée que les productions psychotiques constituent un matériau incontournable de la psychothérapie analytique des psychoses laquelle n’a pas pour prétention la guérison – et de quelle guérison s’agirait-il ? – mais l’espoir de redonner ses droits à la circulation psychique qui rend la vie plus supportable. Le rêve commun à tous, qui loge le désir et la folie, les rend figurables, offrant ainsi une brèche qui permet d’apercevoir les liens qu’ils entretiennent, ce rêve est dans tout traitement analytique, dans la névrose comme dans la psychose, « le paradigme de la séance analytique », (César et Sarà Botella, La Figurabilité Psychique, Delachaux et Niestlé, 2001. L’abord psychanalytique des états psychotiques, bien que de plus en plus désavoué aujourd’hui dans les institutions, est non seulement celui qui permet d’éviter largement violence et contention mais aussi celui qui constitue la seule éthique thérapeutique respectueuse du sujet, dans la cure individuelle comme dans l’accueil collectif. © Érès | Téléchargé le 25/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 18.234.232.56) À ce titre, l’hallucination verbale ou visuelle, comme le rêve, sont des mouvements régrédients de la pensée, des formations psychiques qui envahissent le sujet, appellent un certain travail de liaison qui permet en filigrane d’esquisser et de reconnaître l’histoire d’une vie. Que l’hallucination soit une fausse porte de sortie qui met le sujet en butte à une scène traumatique répétitive et figée, nous n’en avons pas moins d’autres recours que d’en écouter l’inlassable récit, récit de survie, jusqu’au jour où… enfin quelque chose finit par lâcher pour laisser place au rêve.