RÊVES, HALLUCINATIONS ET ÉTATS PSYCHOTIQUES
Monique Zerbib
Érès | « Chimères »
2015/2 N° 86 | pages 147 à 156
ISSN 0986-6035
ISBN 9782749247663
DOI 10.3917/chime.086.0147
Article disponible en ligne à l'adresse :
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MONIQUE ZERBIB
Rêves, hallucinations
et états psychotiques
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J’ai associé au départ les termes de Rêve et Psychose avec une certaine
désinvolture, sans doute celle de l’inconscient qui nous étonne bien
souvent par cette capacité de recentrement pourvu qu’on reconnaisse
les cheminements plus ou moins clandestins de la pensée. Outre
l’expérience personnelle des rêves, je suis toujours émerveillée de
constater à quel point le rêve est un miroir de la vie psychique et quel
outil puissant il représente pour dénouer des impasses psychiques et
comprendre ensemble avec l’analysant ce qui cherche à se dire.
Le rêve parle au rêveur, s’adresse à lui dans son sommeil et en ce sens,
Maurice Dayan se demande dans un livre qui porte ce titre : Le rêve
nous pense-t-il ? (PUF, 2004). Il suppose l’existence d’un penser anonyme traversant le sujet, comme une sorte d’altérité qui entrerait en
dialogue avec lui. Un patient me disait en parlant de ses rêves que
« c’était des signes de lui et que parfois ils étaient gênants ». Et si le
moi se contente de ses limites, le « je est un autre » du poète fait entrer
en lui l’infini d’une pensée qui s’ignore partiellement.
Si le rêve dans la névrose est un produit du refoulement, qu’en est-il
de la place et de son rôle dans la psychose ?
• Monique Zerbib est psychanalyste psychologue en institution, membre du comité
de rédaction de Chimères, auteure d’articles et d’entretiens dans différentes revues et
ouvrages collectifs.
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Parcours
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Rêve et Psychose sont deux objets d’étude qui, rassemblés, nous permettront de défendre – si tant est qu’il faille encore le faire – d’une
part la psychothérapie analytique des psychoses, d’autre part d’approcher, à partir du phénomène hallucinatoire les différences entre des
modes d’activité psychique clivés et ceux qui ne le sont moins ou pas
du tout, entre des productions symboliques ou pas. En tant qu’il est
une expérience créatrice où présent, passé et avenir se rencontrent et
s’entrecroisent, donnant lieu aux associations les plus improbables, le
rêve et son travail dans la séance devient une arme puissante contre le
clivage si ravageur non seulement dans la psychose mais aussi dans la
dépression et la perversion.
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La science s’efforce d’ordonner et de classifier, les théories s’efforcent
de distinguer les différences entre les structures psychiques et la spécificité de leur fonctionnement et cela est évidemment nécessaire pour y
tenter d’y voir clair mais le travail analytique, tout en bénéficiant de ce
savoir ne peut que nuancer cette approche et travailler sur une psyché
vivante sans avoir peur des rapprochements, des analogies, des points
communs. Il est d’usage de dire que l’hallucination du rêve et celle de
la vie diurne, celle du psychotique plus précisément, sont différentes
mais à considérer ce vocable commun, pourquoi ne pas voir aussi ce
qui les rapproche ?
Pour cela, nous partirons de la dimension projective de la psychose
qui donne à voir le rapport au langage et à l’agir à son point d’origine
psychique, tout comme le rêve signe la représentation/figuration dans
son intime relation avec la psyché. Dans les deux cas, il s’agit bien sûr
d’une production endogène mais si projection il y a, c’est bien parce
qu’au moment où elle se produit, le rêveur et/ou l’halluciné se dédouble
comme le dit M. Dayan et tous deux voient un spectacle qui leur semble
étranger à première vue et qu’ils prennent pour argent comptant.
Dans le rêve et dans le symptôme psychotique, s’exprime la nécessité
de dire mille choses en même temps d’où cette problématique du sens
avec l’énigme de la figuration dans le rêve et l’énigme du comportement et du discours dans la psychose. Volonté inconsciente de tout
dire ou impossibilité de dire autrement aux dépens de la compréhension de l’autre et\ou de soi-même, ces productions psychiques sont
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Rêve et Hallucination
Rêves, hallucinations et états psychotiques
de toute façon pour reprendre l’expression bien connue de Joyce
McDougall « le théâtre mental » du sujet.
Freud, dans L’interprétation des rêves (1909) défend l’idée que le rêveur
hallucine la réalité, désire la transformer et réalise son désir via l’hallucination du rêve. La défense psychotique est une tentative de créer
une autre réalité, en s’appuyant sur des bouts de réalité – équivalent
des éléments diurnes du rêve – où s’engouffre le traumatique et c’est
le cas de l’hallucination. Les voix sont souvent celles de personnes
identifiables, elles passent à travers un mur ou viennent de la télévision
et lui sont personnellement adressées, elles le traversent et lui disent
des choses plus ou moins agréables mais souvent fort désagréables. Le
psychotique se heurte au réel, se l’approprie, le travestit et le surinterprète faute de pouvoir se subjectiver lui-même, il devient dès lors « un
enfermé du dehors » selon l’expression de Sol Rabinovitch dans un
livre intitulé « Les Voix ».
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On ne peut parler de désir que dans le rêve où celui-ci se fraie généralement un passage à travers la censure et les interdits mais le Je du
rêveur, par son propre travail de subjectivation, est susceptible dans
sa restitution du rêve, de se reconnaître comme l’auteur de son désir.
C’est dans ce retrait total de la réalité, dans le sommeil, que la satisfaction onirique se manifeste. Elle nourrit la psyché mais tout comme le
délire qui invente une autre origine, une autre vie. Une patiente qui
se prenait pour Yasser Arafat et passait son temps à mettre en scène les
autres personnages de la scène palestinienne et de la scène politique en
général, se sentait pauvre et vide quand le délire se tarissait, elle s’en
excusait alors parce qu’elle n’avait plus rien à me raconter.
« L’hallucination exacerbe le fantasme », me disait récemment ce
patient psychotique, celui de la télévision. On pourrait dire qu’elle
l’incarne et en persécute son auteur sans pitié. L’intensité de la
jouissance qu’elle soit sexuelle ou proprement traumatique réactive
les représentations visuelles et auditives, brisent le pare-excitation et
laissent le sujet pantelant, en morceaux, source d’angoisse massive.
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Un patient très envahi par les voix, ne pouvait plus regarder la télévision parce qu’il entendait ces voix lui parler à travers l’écran. Ne
sachant que faire de ses soirées et pour leur échapper, il se couchait
pratiquement à six heures de l’après – midi et dormait jusqu’à dix
heures du matin !
MONIQUE ZERBIB
Quand les voix, que le patient est seul à entendre, véhiculent la
répétition du traumatisme, le désir est évincé et seule triomphe la
jouissance mortifère de cette répétition traumatique.
Freud est bien sûr le premier à dire que le rêve est une psychose mais
dans le cas du rêveur, cette « psychose nocturne n’a, en général, pas
d’incidence sur la motricité ou la motilité. Au contraire « le veilleur
est terrassé, les excitations inconscientes soumettent à leur pouvoir le
préconscient, dominent par lui nos paroles et nos actes ou s’emparent
de la régression hallucinatoire et dirigent l’appareil qui n’était pas fait
pour elle au moyen de l’attraction que les perceptions exercent sur la
répartition de notre énergie psychique. C’est cet état que nous appelons psychose1 ».
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L’hallucination diurne est une tentative échouée parce que l’objet primaire est toujours présent, collé au sujet, il ne peut être représenté
donc remplacé, il s’incarne. Le mot est la chose. La chaîne symbolique
est bloquée, un ou plusieurs chaînons sont manquants ou collés alors
que cette chaîne, dans le rêve, s’y déploie et par sa capacité de figuration, au travers de ses procédés de condensation, ses figures métonymiques et métaphoriques, la pensée se fraie un passage sur un mode
souvent énigmatique, ça va sans dire.
Mais si nous poursuivons notre réflexion et nos observations cliniques, nous pouvons dire que les affirmations qui précèdent sont des
définitions optimales qui se distinguent par un jeu d’oppositions ; en
réalité les rêves peuvent être aussi traumatisants qu’une hallucination,
la jouissance tout aussi mortifère. Le sujet, le rêveur est seul face à ses
angoisses et ses capacités d’élaboration, la qualité symbolisante dépend
de l’état psychique du rêveur, de la résistance de son système de pare –
excitation, et de l’histoire de ses affects. Les productions psychiques ne
font que révéler l’état des lieux du rêveur à un moment donné de son
1. S. Freud. L’interprétation des Rêves, p. 482 et 483, chap. vii sur la psychologie du rêve.
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Le psychotique, dans sa conviction d’avoir réellement perçu l’objet
halluciné, peut agir la plupart du temps contre lui-même, se prenant
pour un autre ou pour son double. Ce qu’il hallucine s’enracine toujours sur un fragment de la réalité pour former comme le dit Dayan,
empruntant le terme à l’aventure surréaliste, une surréalité (les voix
entendues à la télé, une personne de son entourage qui le persécute,
un objet qui se trouve sur son passage, etc.)
Rêves, hallucinations et états psychotiques
histoire et sur un problème donné. Le rêve donne la mesure de ce qui
est en marche dans la pensée et donc susceptible d’évoluer au cours
d’une thérapie même s’il reflète et répète la violence du traumatisme.
Face à cette part d’étrangeté en lui, l’auteur du récit du rêve prend
conscience qu’il est vivant et qu’il est traversé, habité lui aussi par
une pensée qui, paradoxalement, lui offre à la fois la possibilité de
se découvrir autre et de s’y reconnaître parce que c’est tout de même
« son rêve », et qu’il en est l’auteur et le metteur en scène.
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Qu’en est-il alors du récit d’une hallucination, dans le cadre d’une
séance ? Si elle ne conduit pas à l’interprétation d’une production
symbolique, elle offre la possibilité d’établir des liens entre les voix, les
visions et l’histoire du sujet. L’hallucination n’est pas la voie directe de
l’inconscient, elle agit sur le préconscient et déforme les perceptions.
Elle est révélatrice de l’errance d’un sujet qui ne peut se reconnaître
dans son histoire, d’une violence pulsionnelle dont le psychisme ne
sait que faire, d’une mémoire figée qui butte sur un réel non symbolisé. M. K, le patient qui ne pouvait regarder la télévision ou entendre
les bruits des voisins sans se croire sciemment persécuté, s’étonnait
maintes fois des liens qui s’établissaient au cours de nos échanges entre
les méchancetés qu’il entendait dans les voix et la cruauté de certains
épisodes de son enfance. La voix ne faisait que redonner forme, avec
une allure d’inquiétante étrangeté, aux traces traumatiques du passé.
Dans le rêve et dans le discours du rêve, quelque chose est en marche,
le processus de symbolisation qui fait que l’on peut parler du « monde
vivant du rêve » selon la belle expression de Donald Meltzer, contrairement à l’hallucination qui est figée, arrête le temps ou en fait un
éternel retour.
C’est en passant par le rêve que la fonction de subjectivation et
de symbolisation du travail analytique se met en marche dans le
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C’est le travail analytique, via l’analyse de certains de ces récits de
rêves, qui tissent un ou plusieurs fils rouges au travers de thèmes et
de situations qui lui sont propres, Les interpréter ou pas avec lui, du
moins les accueillir, et travailler à partir de ses associations donnera
peut-être une chance d’endiguer la violence des représentations et la
surinterprétation psychotisante culpabilisante et autodestructrice.
La conquête d’un sens arraché à l’inconscient a un évident pouvoir
d’apaisement, de retour momentané à un contrôle possible du pulsionnel, sans pour autant en historiciser les contenus.
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cadre de la séance et ce constat nous invite à nous interroger plus
profondément sur la nature des processus en jeu en particulier sur le
rapport entre hallucination et perception et sur celui complexe qu’entretiennent la réalité psychique et le traumatisme. C’est peut-être dans
ce sillon-là, du comment de la constitution d’une mémoire traumatique que s’offre la possibilité d’une compréhension nouvelle et d’une
distanciation possible. Le traumatisme dans le cas de la psychose est
massif et incontournable, mais il ne doit pas pour autant empêcher
de penser ni de parler. Sa prise en compte nous aide à en comprendre
les effets mortifères dans le développement du moi et de la conscience
sans bloquer pour autant l’accès possible à la compréhension des processus psychiques inconscients en jeu et ce au cours des nombreux
tours et détours qu’empruntent la pensée et le discours du patient.
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Une conférence passionnante intitulée « Transitionnel et réflexivité »
(publiée dans les Lettres de la SPF n° 21, 2009), René Roussillon remet en cause l’opposition entre hallucination et perception. Celles-ci
ne s’excluent pas, elles coexistent et se complètent. Selon sa fiction
théorico-clinique, Roussillon affirme que l’enfant hallucine d’abord
le sein de la mère. Il y a un préalable à la perception du bon sein qui
est de fait créé par l’enfant quand la mère place le sein dans le champ
perceptif de l’enfant ; celui-ci peut avoir l’illusion qu’il a créé le sein et
qu’il s’auto-satisfait.
Et on est, dit Roussillon, à l’orée des premières symbolisations, c’est
de la rencontre entre hallucination et perception que s’inscrit la trace
psychique qui donnera plus tard naissance au symbole lorsque les
deux morceaux de la Tessère se rencontrent. Lorsque l’enfant hallucine la douceur du sein maternel, il est dans l’attente de certaines
perceptions en direction de son activité hallucinatoire. Certaines perceptions reviennent de façon excessivement claire, elles sont proches
de l’hallucination. C’est le concept winnicottien du trouvé – créé,
grâce auquel l’enfant s’approprie le monde, le fait sien, entre dans
l’espace de sa créativité. Le bon est conservé à l’intérieur et ça s’inscrit
comme trace mnésique. L’enfant sera plus tard capable de remplacer le
premier objet par un autre objet. « L’activité symbolique débute ainsi
avec le premier objet susceptible de remplacer le sein… mais elle n’est
pas encore effective, elle le sera à partir de la perte reconnue, assumée
du premier objet et la capacité de le remplacer par un autre » (Anne
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Hallucination et Perception
Rêves, hallucinations et états psychotiques
Roux, Un plus un égale trois in Revue Française de Psychanalyse « La
Naissance Psychique » tome i, p. 154)
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Cette façon de repenser hallucination et perception éclaire la clinique
des psychoses, la question des traces mémorielles non intégrées ou
non intégrables dans le psychisme et leur rejet au dehors, mettant le
symbolique à mal. L’autre est un monde inconnu, étrange, persécuteur et le sujet psychotique n’aura de cesse d’en explorer la subjectivité
dans l’espace thérapeutique. Le thérapeute ne peut rester silencieux ou
incognito et il lui faut montrer un peu qui il est, ce qu’il pense, ce qu’il
est capable d’entendre et de supporter, sous peine de reproduire le
trauma de l’objet absent et\ou tout puissant contre lequel aucune destructivité (si utile pour la construction d’un sujet) ne peut s’exercer.
Aussi traumatique et répétitive soit-elle, et c’est ce que nous révèle la
clinique, l’hallucination est production psychique en quête de sens
et les deux productions, hallucination du rêve et hallucination psychotique appellent le même travail de subjectivation et d’appropriation de soi.
N. Zalstman rappelait dans une conférence que l’hallucination n’avait
pas de destinataire, ce à quoi on peut dire que le rêve dans le sommeil
n’en a pas non plus. Ils ne prennent place dans un récit que dans
l’après-coup de leur production. Ça me parle dit le psychotique, je
suis le destinataire de ces voix, « je » mutilé, écrasé, interdit de penser
qui ne peut être que le jouet et la risée des autres, sujet d’opprobre, victime d’une jouissance obscène qui ne peut se sauver qu’en mettant fin
à ses jours. Telle est sa logique, non historicisée et le travail analytique,
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Mais que se passe-t-il quand la mère ou l’environnement ne répond
pas ou ne répond plus, ne s’ajuste plus ou aux attentes de l’enfant,
quand l’objet ne renvoie plus aucun écho ? Le bébé est alors dans une
illusion négative, en butte à un monde persécuteur avec des hallucinations sans leur complément perceptif réparateur, sans avoir pu
intérioriser le bon objet. Le spectre de la psychose est tout proche dans
ce processus d’inachèvement psychique, d’inadéquation à une réalité
extérieure défaillante, qui laissera le futur sujet psychotique dans une
solitude mortifère. La détresse du nourrisson et la désillusion précoce
détruisent les arcanes de la psyché. Le psychotique prend le relais de
l’infantile, dit Béatrice Ithier dans une conférence donnée au centre
Kestemberg en 2008, en invitant l’analyste à accueillir les deux : l’enfant et le psychotique dans la séance.
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si modeste soit-il, récupère les traces et les affects qui leur sont liés,
rétablit certains liens, et dénonce une histoire dévastée par le malheur ;
« Voilà dans quelle famille j’ai grandi ! » disait M. K, prenant ainsi à
témoin l’analyste du meurtre jusque-là indicible, du meurtre d’âme.
Déjouer l’emprise nécessite d’affronter le vide et dans le vide l’analysant n’est plus seul dans sa lutte contre les fantômes ou contre les
moulins.
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M. K était considéré comme un nul parce qu’il ne pouvait pas garder
un travail alors que pour le père et le frère cadet, le travail – et l’argent
– était une valeur suprême dans leur vie. M. K avait été élevé comme
un bébé et jusqu’à l’âge de 14 ans sa mère lui donnait le bain et le lavait, jusqu’à l’âge de 21 ans elle lui achetait ses vêtements et lui faisait
même porter les siens. Après plusieurs années de suivi thérapeutique
au cours duquel il a sans cesse évoqué à la fois le parent et le bourreau,
les voix ont cessé de le terrasser.
Mais le travail ne s’arrête pas là : M. K qui au début de sa thérapie
faisait sans cesse des rêves véritablement terrifiants, des rêves de cataclysme cosmique et de fin du monde, des rêves traumatiques, chaotiques, tels des raz de marée ou des tremblements de terre, s’est mis à
raconter des rêves d’une autre nature.
Ces cauchemars ont laissé la place à des rêves où se répétaient des traumatismes plus personnels, plus individuels qui s’appuyaient sur des
scènes qui s’étaient réellement produites, des situations d’humiliation
au travail, des scènes de violence dans la fratrie ou à l’école, des scènes
qui racontent comment le meurtre d’âme s’est commis. À la différence
de l’hallucination, le rêve n’était pas envahissant et ne le conduisait
pas au bord du suicide ou d’un passage à l’acte.
Dans un troisième temps, les rêves de transgression des interdits œdipiens prennent place et c’est l’inceste qui dit son nom. L’inceste ne se
produit pas seulement avec le parent mais aussi, au prix d’une transformation corporelle, l’homme devenant femme et vice versa, avec
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Au fil du travail, certains, sans pour autant cesser de dénoncer les délits
psychiques ou physiques qu’ils ont conscience d’avoir subis, finissent
par reconnaître une ambivalence dès lors non clivée de leurs sentiments, l’attachement qu’ils ont pour leur bourreau de parent, bourreau souvent intériorisé et éternisé dans les hallucinations. (Violence
des paroles et des actes, incitation inconsciente au suicide).
Rêves, hallucinations et états psychotiques
le frère ou la sœur. Si la jouissance est sans entrave dans le rêve, la
conscience de l’interdit et le dégoût ne manquaient pas de se manifester au réveil et dans le récit du rêve provocant inquiétude et malaise.
Méconnaissance et identification projective
Si le rêve est comme le dit Freud « une psychose nocturne », qui nous
renseigne sur notre vie psychique, une nécessaire projection de notre
état mental, alors les productions psychotiques dans leur mouvement
projectif sont aussi une tentative douloureuse de se trouver.
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Le névrosé n’en est pas mieux loti et n’en aura pas moins à travailler
avec ses résistances, entêté finalement à s’en tenir au statu quo dans sa
vie et ce, bien sûr, au cours même de son engagement dans l’analyse.
La résistance est au cœur de la psyché et selon la constitution psychique et les défenses de chacun, cède ou persiste.
Il n’est pas dans notre intention d’annuler les différences et les intensités variables des processus mais de souligner certaines analogies de
fonctionnement qui font que l’activité psychique travaille à partir de
la méconnaissance de soi qui nous conduit à projeter, à représenter ce
qui nous échappe. Le rêve est à la fois une forme primitive et permanente de cette activité, qui rend compte d’un certain travail symbolique accompli, l’hallucination et le délire seraient une tentative d’élaboration qui répète le traumatisme pour l’une, et se crée une autre
réalité pour l’autre.
Retrouver les deux morceaux de la Tessère nous dit Roussillon pour le
symbole qui rassemble hallucination et perception, c’est-à-dire sensation, affect, trace, représentation, rassemblement – recentrement du
corps et de la psyché.
Dans l’espace du rêve, si cette hallucination nocturne réussit peut-être
à satisfaire un désir, du moins à l’entrevoir, le rêve est alors le signe
d’une restauration, d’une réparation du tissu psychique. Il serait pour
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IL est difficile de renoncer à ses convictions et, la méconnaissance
aidant, « c’est à un refus de guérir que l’on se heurte en définitive, le
jour où le malade, poussé dans ses retranchements, nous défie de le
guérir malgré lui » dit François Perrier en parlant de la psychothérapie
des schizophrènes » p.425 Article de François Perrier intitulé « À propos de la psychothérapie des schizophrènes » (La chaussée d’Antin, chez
Albin Michel, Bibliothèque Idées. p. 423-425),
MONIQUE ZERBIB
le sujet l’équivalent du « trouvé créé » du bébé, l’appropriation d’une
réalité à la fois intérieure et extérieure, avec des bouts de conscience
et d’inconscience (ou d’insu) que le sujet rêveur interroge et remodèle
selon ses désirs et les exigences de la pensée qui le traversent. Le rêve
n’est plus considéré seulement comme la satisfaction hallucinée d’un
désir mais comme un travail d’investigation et d’élaboration psychique
qui fonctionne dans le sens d’une identification.
Les hallucinations sont des perceptions traumatiques non partagées,
non formulées, des sensations à jamais gravées dans la mémoire,
mais une mémoire et une pensée interdites comme le formule Piera
Aulagnier dans un article qui porte ce titre éloquent.
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156 CHIMÈRES 86
Ce rêve, cette « psychose de la nuit », est certes le mode par excellence
de l’exploration de l’inconscient, mais défendons aussi l’idée que les
productions psychotiques constituent un matériau incontournable de
la psychothérapie analytique des psychoses laquelle n’a pas pour prétention la guérison – et de quelle guérison s’agirait-il ? – mais l’espoir
de redonner ses droits à la circulation psychique qui rend la vie plus
supportable.
Le rêve commun à tous, qui loge le désir et la folie, les rend figurables,
offrant ainsi une brèche qui permet d’apercevoir les liens qu’ils entretiennent, ce rêve est dans tout traitement analytique, dans la névrose
comme dans la psychose, « le paradigme de la séance analytique »,
(César et Sarà Botella, La Figurabilité Psychique, Delachaux et Niestlé,
2001. L’abord psychanalytique des états psychotiques, bien que de
plus en plus désavoué aujourd’hui dans les institutions, est non seulement celui qui permet d’éviter largement violence et contention mais
aussi celui qui constitue la seule éthique thérapeutique respectueuse
du sujet, dans la cure individuelle comme dans l’accueil collectif.
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À ce titre, l’hallucination verbale ou visuelle, comme le rêve, sont
des mouvements régrédients de la pensée, des formations psychiques
qui envahissent le sujet, appellent un certain travail de liaison qui
permet en filigrane d’esquisser et de reconnaître l’histoire d’une vie.
Que l’hallucination soit une fausse porte de sortie qui met le sujet
en butte à une scène traumatique répétitive et figée, nous n’en avons
pas moins d’autres recours que d’en écouter l’inlassable récit, récit de
survie, jusqu’au jour où… enfin quelque chose finit par lâcher pour
laisser place au rêve.