Academia.eduAcademia.edu

LES DEMEURES DE LA PLEIADE

2021

RESUME Le temps du bâti n'est pas le même que celui de l'écrit, de la poésie. Pourtant l'un et l'autre s'influencent mutuellement. Cet échange est d'autant plus intéressant lorsqu'il concerne une période de transition qui marque le glissement du Gothique Flamboyant à la Renaissance. Aussi, la découverte de décors flamboyants dans le château de Bissy de Pontus de Tyard pose-t-il la question d'une possible influence médiévale sur celui-ci dans le contexte des poètes de la Pléiade.

LES DEMEURES DE LA PLEIADE RESUME Le temps du bâti n’est pas le même que celui de l’écrit, de la poésie. Pourtant l’un et l’autre s’influencent mutuellement. Cet échange est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne une période de transition qui marque le glissement du Gothique Flamboyant à la Renaissance. Aussi, la découverte de décors flamboyants dans le château de Bissy de Pontus de Tyard pose-t-il la question d’une possible influence médiévale sur celui-ci dans le contexte des poètes de la Pléiade. ABSTRACT The time of building is not the same as the one of writing, of poetry. Yet both influence each other. This exchange is all the more interesting when it concerns a period of transition that marks the shift from Flamboyant Gothic to Renaissance. Also, the discovery of flamboyant decorations in the castle of Bissy de Pontus de Tyard raises the question of a possible medieval influence on it in the context of the poets of the Pleiade. Les récentes découvertes de décors flamboyants sur les murs de la salle basse du château de Pontus de Tyard remettent en question certaines analyses précédemment avancées sur l’interprétation de cette demeure. Comment imaginer en effet qu’un tel décor qui parait contemporain de la présence de Pontus à Bissy-sur-Fley puisse avoir été occulté par un mobilier renfermant sa bibliothèque et ne faut-il pas voir dans celui-ci une figuration du Jardin des délices de Jérôme Bosch ou un hortus conclusus médiéval. Toujours est-il que la facture de ces décors s’accorde plus à une conception flamboyante que renaissante. Si l’on ne peut être certain que ces décors aient été contemporains de Pontus de Tyard, la quantité de matière nécessaire pour une datation au carbone 14, d’ailleurs peu fiable, aurait nécessité de dégrader considérablement le substrat, du moins cette hypothèse pose-t-elle question quant aux influences volontaires ou involontaires d’une telle œuvre sur l’écriture de Pontus. On sait l’influence que peuvent avoir les lieux sur la psyché d’un artiste, l’idée même du classement « Maison des Illustre » en est aujourd’hui le marqueur1. Comment donc une œuvre d’une telle liberté d’expression pour l’époque, peut-elle avoir marqué Pontus ? Comment une telle flamboyance a-t-elle pu influencer un esprit tourné vers l’antique ? Ne s’agit-il pas là de ce paradoxe décrit par Ronsard comme le « bon goût à la française » relevé par Pérouse de Montclos durant ses cours à l’Ecole de Chaillot, une rupture dans la continuité ? noblesse de l’idée d’une sorte de retour à la terre caractérisé par « la maison aux champs ». « L’homme de la Renaissance a, le premier, théorisé la vie à la campagne et lui a associé, par le biais de publications imprimées littéraires ou techniques, de sources manuscrites ou iconographiques, des valeurs qu’il a incarnées dans les territoires habités, par le biais de constructions de deux ordres : des demeures anciennes, achetées à des familles de l’aristocratie médiévale ruinées ou décimées par la Guerre de Cent Ans, transformées pour se conformer au nouvel idéal du temps, et des constructions nouvelles, établies sur des domaines issus notamment de démembrements de seigneuries plus anciennes et plus importantes et de recompositions au gré des alliances et héritages. Les deux types de constructions ont cependant un point commun : illustrer la volonté d’opulence discrète mais symbolique du maître des lieux.3 » A cette époque, les traités d’architecture « vantent les mérites de la vie à la campagne » et le Théâtre d’agriculture ou mesnage des champs d’Olivier de Serre paru en 1600, en est sans doute l’apothéose. « Depuis le début des temps, l’homme s’est rendu compte que le fait de créer un lieu signifie exprimer l’essence de l’être. L’univers artificiel dans lequel il vit n’est pas seulement un instrument pratique, ou le résultat d’événements arbitraires, mais il possède une structure et il incarne des significations qui reflètent sa manière de ressentir le milieu naturel et la situation existentielle en général.2 » En d’autres termes et pour prolonger cette citation de Christian Norberg-Schulz sur le genius loci, l’âme humaine contient en elle tous les reflets des lieux de sa vie comme les livres y laissent des traces plus ou moins ténues. Mais plus encore, ces lieux n’auraient-ils pas influencé non seulement Pontus, mais les membres de la Pléiade dans son ensemble ? Il ne faudrait pas pour autant comprendre les poètes de la Pléiade comme des sédentaires invétérés. Ainsi Pontus a-t-il fait ses études à Paris dès 1537, Ronsard étudie-t-il au collège de Navarre de Paris à partir de 1533, collège que fréquenta Jacques Pelletier du Mans dès 1530, Joachim du Bellay après des études de droit à l’université de Poitiers rejoint-il Ronsard au collège Coqueret de Paris en 1547, collège que fréquentait Jean-Antoine de Baïf dès 1543, Jodelle séjourne-t-il à Lyon vers 1550 durant la période où Pontus y fait de fréquents séjours avant de s’établir à Paris et des Autels, fidèle ami et voisin de Pontus étudie-il à Valence pour séjourner ensuite à Romans avant de rencontrer du Bellay à Lyon « en son chemin vers Rome ». Comme les artistes italiens sillonnent l’Europe nos poètes sillonnent la France tout en gardant une attache à leurs provinces natales. Ils sont les témoins des transformations urbaines qui caractérisent la reprise des constructions après la fin de la Guerre de Cent Ans et plus particulièrement celles de Lyon en ce qui concerne Pontus de Tyard. Des typologies de l’habitat moderne commun et nobiliaire se développent, expressions d’une transition entre le médiéval et le renaissant. Il s’agit donc ici de replacer Pontus dans son contexte sociologique et artistique ou du moins d’apporter quelques précisions allant en ce sens. Comme les poètes de la Pléiade étaient très attachés à leur terroir et vivaient pour l’essentiel en province, l’architecture de la Renaissance s’est essentiellement développée en province et plus particulièrement durant le XVIe siècle. A cela deux raisons, d’une part l’itinérance du règne de François Ier qui produisit la profusion des châteaux de la Loire et d’autre part la prédominance, dans la Il est en effet étonnant de constater les similitudes entre la demeure familiale de Pontus à Bissy et celle de la famille de Ronsard. La ressemblance entre le manoir de la Possonière à Couture-sur-Loir, demeure où naquit Pierre de Ronsard en 1524 et le château de Bissy où naquit Pontus en 1521 est assez frappante. Le corps de logis présente une morphologie similaire dans l’un et l’autre cas : corps rectangulaire divisé en deux parties inégales par un refend conduit de cheminée élevé sur deux niveaux, escalier à vis engagé dans la façade sur 1 Le label « Maison des illustres » consacre en effet "les maisons qui conservent et transmettent la mémoire de femmes et d’hommes qui les ont habitées et se sont illustrés dans l’histoire politique, sociale et culturelle de la France ». 2 NORBERG SCHULTZ Christian, Genius Loci Paysage, Ambiance Architecture, Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1981, p 58 3 LE CLECH-CHARTON Sylvie, Les « maisons aux (des) champs » : une utopie sociale de la période moderne », in Chastels et maisons fortes III. Chagny : Centre de Castellologie de Bourgogne, 2010, p. 96 cour formant porche orné d’un gable à fleuron engagé, fenêtres à traverses et meneaux, toiture en bâtière simple et cheminées à manteau saillant ornées de décors sculptés. Mais ce qui est le plus étonnant encore, c’est que, comme pour Bissy en 1550, c’est le père du membre de la Pléiade qui fit construire l’édifice au goût du jour en 1515. Certes, la Possonière présente un décor bien plus antiquisant que le château de Bissy, Loys, le père de Pierre de Ronsard avait participé aux campagnes d’Italie ce qui l’a sans doute influencé dans son programme, mais le type est bien identique, hérité du XIVe siècle. Cette filiation médiévale est encore plus marquée pour du Bellay qui naquit et vécu sa jeunesse dans deux châteaux médiévaux bien que sa famille posséda un manoir du même type que celui de Pontus et Ronsard dans le bourg de Liré. Joachim Du Bellay nait au château de la Turmelière à Liré, dans le Maine-et-Loire en 1522. Cet édifice date du XIIIe siècle et a juste connu quelques modifications au XVe siècle. Loys du Bellay, père de Joachim en fait un aveu de à son suzerain de Champtoceaux en 1521 : « le manoir, hostel de la Turmelière, maison, tours, fossés, pont-levis, grange, pressoir en dehors, garennes, domaine de 32 septées de terre en un tenant, entre le ruisseau du Douet du Lou, les terres du Plessis, la Martinière et le dit ruisseau du Lou 4». Cette description correspond assez au standing des Tyard à Bissy, mais ne semble pas présenter les ébauches d’un aménagement renaissant. C’est que le père de Joachim entreprend des travaux aux goûts du jour sur son autre château médiéval, celui de Gonnord voisin. Jean décédant en 1532, il est probable que Joachim ait suivi les travaux effectués sur celui-ci dans sa jeunesse et ait pu apprécier les transformations de Gonnord comme et Pontus à Bissy. La Possonière est sans conteste la demeure des poètes de la Pléiade la plus marquée par l’esprit de la Renaissance architecturale française. Elle bénéficie de l’élan donné par la construction des châteaux de la Loire et même en est-elle parmi les précurseurs, derrière Gaillon (1507) ou Bury (1511) mais avant Azay-le-Rideau (1518) et sensiblement contemporain de Blois (1515-1518) et de Chambord (commencé en 1519) respectivement à soixante kilomètres et quatrevingt kilomètres de Couture-sur-Loir. Bien que le manoir ait été considérablement modifié au XIXe siècle, certaines travées de baies présentent un décor sculpté utilisant de manière plus ou moins fantaisiste les ordres encadrant les croisées assez typique du goût de cette première Renaissance française. Le gable engagé surmontant le porche d’entrée à la vis de distribution constitue un motif particulièrement flamboyant ici italianisé. Les choux accompagnants le fronton sont remplacés par des volutes et les pinacles ainsi que le fleuron sont remplacés par un empilement en Wikipedia Château de la Turmelière. CONTENSON Marie-Laure de, « La cheminée sculptée du manoir de Louis de Ronsard à la Possonière » In: Bulletin Monumental, Tome 163, n°3, année 2005. pp. 199-209. 4 5 candélabres de motifs de feuilles d’acanthes. De même, la grande cheminée, si elle articule sur son manteau des motifs particulièrement renaissants5, présente-t-elle une frise florale sur lit de flammes, allégorie du nom de la famille, que l’on retrouve sur l’allège de la baie du premier étage sur cour, qui présente toutes les caractéristiques de l’art flamboyant. Contrairement à la Possonière mais vraisemblablement de manière similaire au château de Gonnord pour du Bellay, le château de Bissy n’est pas une construction ex nihilo mais bien la reprise d’un édifice médiéval n’en conservant guère que les fondations, la chapelle, la tour de l’escalier en vis au sud et la tour dite barlongue au nord, toutes deux hors de la composition précédemment décrite. « Pour comprendre la reprise du château de Bissy au milieu du XVIe siècle, il est important de la resituer dans son contexte historique. C’est en effet en 1550 qu’Andrea Palladio construit la Villa Chiericati à Vancimuglio en Italie, c’est cette même année que Pierre Lescot bâtit l’aile Lescot de la Cour Carrée du Louvres et la salle des Cariatides dans ce même édifice et c’est aussi pendant cette période que Philibert Delorme bâtit le château d’Anet. Nous sommes loin, à Bissy, de ces exemples emblématiques de la Renaissance en architecture contemporains des travaux de reprise du château de Bissy.6 » Pourtant Pontus comme son père doivent avoir connaissances des ruines romaines de Fourvière et d’Autun autant que du caractère antiquisant de l’abbaye de Cluny et de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun romanes. Mais ces connaissances ne semblent pas avoir influencé l’architecture comme la modénature du château. « Le vocabulaire décoratif employé au château de Bissy est assez commun pour ce début du XVIe siècle en ce qui concerne les baies qu’elles soient intérieures pour les portes de communications ou extérieures pour les croisées. Le chanfrein, le cavet, le listel et la poire constituée de deux doucines adossées sont des motifs assez courants pour l’époque. De même, la sous-face courbe des marches du grand escalier à vis présente-t-elle un motif très courant pour une période où l’escalier devient un « motif ostentatoire » en contradiction avec le sobre traitement de la sous-face de l’escalier médiéval de la tour sud.7 » Mais si ce vocabulaire marque la transition vers une architecture de la Renaissance, les motifs du gable en accolade de la porte du grand escalier et des cheminées des deux salles du rez-de-cour sont eux très marqués par le style flamboyant. Mais, si nous considérons maintenant l’ajout de la « tour carrée » à l’ouest, quelques années après la reprise générale du logis, de par sa position et sa constitution, ne faut-il pas voir dans l’adossement d’une tour sans dispositif défensif en cet endroit pour 6 PALISSE Fabien, « L’architecture du château », in Les renaissances du château de Pontus de Tyard à Bissy-sur-Fley BERRETTE Céline (dir.), Centre de Castellologie de Bourgogne, Chagny 2021, p. 91 7 PALISSE Fabien, « L’architecture du château », in Les renaissances du château de Pontus de Tyard à Bissy-sur-Fley BERRETTE Céline (dir.), Centre de Castellologie de Bourgogne, Chagny 2021, p. 96-98 le moins incongru, coincé entre les latrines, la vis ancienne et le logis, une volonté d’accorder un sens particulier aux espaces qu’elle contient ? En effet, du deuxième niveau de cette tour on peut directement accéder à la grande salle du logis, à la vis sud et aux latrines agrandies pour l’occasion. Si l’on ajoute à cela le fait que cette pièce possède une cheminée en gypseries au décor Renaissance, les éléments sont ici réunis pour considérer cette pièce comme un exemple de la distribution fonctionnelle à la française dont le premier exemple fut exécuté en 1453 au palais Jacques Cœur de Bourges mais ne trouva sa généralisation qu’au XVIIe siècle. « Les théoriciens français disent de la distribution que c’est un art inconnu des Anciens et créé par les Français. Le texte le plus important à cet égard est le Parallèle des Anciens et de Modernes (16881692) de Charles Perault.8 » Cet ensemble de dispositions nous fait d’ailleurs supposer qu’il puisse s’agir là du cabinet personnel de Pontus. Il est assez paradoxal de constater combien la description des lieux importe peu à Pontus et à son ami et voisin Guillaume des Autels. Ce dernier, « Gentilhomme Charollais » ne décrit pas plus son château de Vernoble, désormais disparu, appartenant à sa famille et situé entre Genouilly et le Puley que le château des Hôtels, l'autre propriété familiale où il a passé une partie de son enfance. Aussi Pontus et des Autels parlent-ils de « mon » et de « ton » Bissy, « superbe Bissy » sans s’appesantir sur les détails concernant soit le château soit le village : Notre grand’ similitude D’affection, & d’étude, Et ton superbe Bissy, Approche si près d’icy, Qu’il peut voir la révérence Que luy fait ma demeurance Et de nature la loy, Qui d’une mesme semence, D’assez proche conséquence A produit & toi & moi9 Aussi des Autels dans son De la ville de Romans reste-til très évasif quant à la description de cette ville où il séjournait alors. Il faut que Pontus reçoive une commande, celle des douze fables destinées à l’inspiration des tableaux du château d’Anet pour Philibert de l’Orme, pour que les dispositions de l’espace organisant les scènes soient quelque peu décrites. Nous sommes là aux antipodes du Premier livre des antiquitez de Rome de Du Bellay10, texte qui dut connaitre un écho chez les architectes du temps notamment parce qu’il est le fruit onirique d’un séjour à Rome et d’un voyage en Italie antique à la source de l’inspiration des écrivains comme des architectes d’alors. 8 MONTCLOS Pérouse de, L’architecture à la française, Editions Picard, Paris 2001, pages 50-51 9 AUTELS Guillaume des, A Pontus de Tyard, façon par dizains, Amoureux repos, Jean Temporal, Lyon, 1553 10 Du Bellay est sans conteste le membre de la Pléiade qui s’est le plus intéressé à l’architecture. Connaissant personnellement de l’Orme, il nous livre des descriptions précises des édifices antiques faisant montre, comme le fait remarquer Yves Pawels dans L’architecture et le livre en France, « d’une connaissance pratique des « Qui voudroit figurer la Romaine grandeur En ses dimensions, il ne luy faudroit guerre A la ligne, & au plomb, au compas, l’équerre Sa longueur & largeur, hautesse & profondeur : Il lui faudroit cerner d’une égale rondeur Tout ce que l’océan de ses longs bras enserre, Soit où l’Astre annuel eschauffe plus la terre, Soit où souffle l’Aquilon sa plus grande froideur. Rome fut tout le monde, & tout le monde est Rome. Et si par mêmes noms mêmes choses on nomme, Comme du nom de Rome on se pourroit passer La nommant par le nom de la terre & et de l’onde : Ainsi le monde on peut sur Rome compasser, Puisque le plan de Rome est la carte du Monde.11 » Pontus et des Autels avaient pourtant rencontré du Bellay à son retour d’Italie dans la ville de Lyon et Pontus cite le « nombre d’or », outil par excellence des architectes de la Renaissance, à propos de l’organisation céleste du temps critique. Si Lyon est alors considérablement bouleversée par les constructions ordinaires nouvelles au XVIe siècle, celles-ci restent encore d’une forme hybride intégrant la rationalité antique dans une continuité gothique aux accents flamboyants caractérisée par la généralisation de la claire-voie médiévale, Paris, où la plupart des poètes de la Pléiade a séjourné, connait une évolution plus lente bien qu’elle soit alors la cité la plus importante d’Europe. La majorité des édifices publics d’importance de Paris reflète en effet plus l’esprit flamboyant comme à Saint-Merry, Saint-Séverin ou Saint-Germain-L’auxerrois, et d’autres présentent un aspect transitoire entre médiéval et Renaissance comme Saint-Eustache. Mais la reconstruction du Louvres engagée par Lescot et la création de la fontaine des Innocents plus encore que la reprise des Tuileries par Philibert de l’Orme allait marquer un tournant de l’architecture faisant directement référence à l’Antique, qui allait influencer tous les autres arts. C’est d’ailleurs ce que Ronsard exprime dans son hommage à Lescot. …Toy, L'Escot, dont le nom jusques aux astres vole, As pareil naturel: car, estant à l'escole, On ne peut le destin de ton esprit forcer, Que tousjours avec l'encre on ne te vist tracer Quelque belle peinture, et jà, fait géométre, Angles, lignes et poincts sur une carte mettre. Puis, arrivant ton âge, au terme de vingt ans, Tes esprits courageux ne furent pas contans Sans doctement conjoindre avecques la peinture L'art de mathématique et de l'architecture, Où tu es tellement avec honneur monté Que le siècle ancien est par toy surmonté. Car bien que tu sois noble et de mœurs et de race, Bien que dès le berceau l'abondance te face, Sans en chercher ailleurs, riche en bien temporel, Si as-tu franchement suivi ton naturel, Et tes premiers régens n'ont jamais peu distraire Ton cœur de ton instinct pour suivre le contraire. bâtiments antiques, et surtout des restitutions et interprétations que les modernes en donnaient » (L’architecture et le livre en France, Classique Garnier, Paris, 2013, p. 20-21). Du Bellay va même jusqu’à pousser très loin le sens du détail et se faire « une cocarde de l’ardoise fine qu’il oppose au marbre italien » dans les Regrets comme le fait remarquer Pérouse de Montclos (L’architecture à la française, Picard, Paris, 1982, p. 50-51). 11 DU BELLAY Joachim, Le premier livre des antiquitez de Rome, De l’imprimerie Federic Morel, Paris, 1562, Page 8 On a beau, d'une perche, appuyer les grans bras D'un arbre qui se plie, il tend tousjours en bas; La nature ne veut en rien estre forcée, Mais suivre le destin duquel elle est poussée. Jadis le roy François, des lettres amateur, De ton divin esprit premier admirateur, T'aima pardessus tout: ce ne fut, en son âge, Peu d'honneur d'estre aymé d'un si grand personnage, Qui soudain cognoissoit le vice et la vertu, Quelque desguisement dont l'homme fust vestu. Henry, qui après lui tint le sceptre de France, Ayant de ta valeur parfaite cognoissance, Honora ton sçavoir, si bien que ce grand roy, Ne vouloit escouter un autre homme que toy, Soit disnant et soupant, et te donna la charge De son Louvre enrichy d'édifice plus large; Ouvrage somptueux, àfin d'estre monstré, Un roy très-magnifique, en t'ayant rencontré. Il me souvient un jour que ce prince, à la table, Parlant de ta vertu comme chose admirable, Disoit que tu avois de toy-mesmes appris, Et que sur tous aussi tu emportois le pris: Comme a faict mon Ronsard, qui à la poésie, Maugré tous ses parens, a mis sa fantaisie. Et pour cela tu fis engraver sur le haut Du Louvre une déesse, à qui jamais ne faut Le vent à joue enflée, au creux d'une trompette, Et la monstras au roy, disant qu'elle estoit faite Exprès pour figurer la force de mes vers, Qui, comme vent, portoient son nom vers l'univers.12 Il n’en va pas de même pour Philibert de l’Orme que Ronsard exècre particulièrement pour sa suffisance : J'ay veu trop de maçons Bastir les Tuileries, Et en trop de façons Faire les momeries.13 Pourtant celui-ci ne se limite-t-il pas à la maîtrise d’œuvre et poursuit-il une œuvre théorique qui dépasse de loin celle de Bullant. L’architecture de Philibert de l’Orme connait trois facettes : un aspect de transition intégrant des caractéristiques gothiques (Hôtel Bullioud rue Juiverie à Lyon, jubé de Saint-Etienne du Mont), un aspect technique (réflexions sur la stéréotomie et la charpente d’assemblage) et un aspect classique d’influence italienne (Château d’Anet, château de Saint-Maur), mais on peut caractériser son travail comme la recherche constante d’un vocabulaire et d’une grammaire française de l’architecture qui se concrétise particulièrement dans son invention d’un ordre françois composé d’une alternance de tambours cannelés et de tambours ornés. On trouve donc chez lui une recherche rhétorique dans l’architecture similaire à celle des protagonistes de la Pléiade dans la littérature : bon goût à la française, influence antique et nouvelle grammaire. Cette quête n’est pas sans RONSARD Pierre de, Œuvres complètes Tome VI Livre II, Librairie A. Franck, Paris 1866, p. 191-193 13 RONSARD Pierre de, Œuvres inédites, Edité par A. Aubry, Paris 1855, p. 129 14 DU BELLAY Joachim, Les Regrets, Isidore Liseux, Paris 1876, p. 106 15 Mathieu de La Gorce, « Pape… pipopu : l’iconoclasme lexicologique de Marnix de Sainte-Aldegonde, protestant et rabelaisien », dans Migrations, exils, errances et écritures, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Sciences humaines et sociales », 20 novembre 2014, p. 219240. 16 Jean Balsamo présente Gabriele Symeoni, Pontus de Tyard et Jacques de Vintimille, trois « lyonnais », comme proches de Philibert 12 approcher de la Défense de la langue française de du Bellay. Celui-ci se porta d’ailleurs à la défense de de l’Orme dans les Regrets : De vostre Dianet - de vostre nom j'appelle Vostre maison d'Anet - la belle architecture, Les marbres animez, la vivante peinture, Qui la font estimer des maisons la plus belle.14 On retrouve, dans La Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay en 1549, la même volonté que chez De l’Orme de magnifier et qualifier la culture française en devenir. Du Bellay prône l'enrichissement de la langue française au moyen de l'imitation des auteurs anciens comme de l’Orme prône un ordre françois à partir de la réalité du terrain et de l’inspiration antique. Selon Mathieu de La Gorce15, « l'ouvrage « n’est pas une entreprise de préservation, mais un manifeste visant avant tout à l’invention de la langue française », considérée par Du Bellay et par les auteurs contemporains comme une langue en devenir, une langue qui n'a pas encore fait ses preuves au regard de celles de la culture antique ». L’ordonnance de 1510, sous Louis XII, imposant le français comme langue juridique puis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 qui impose la langue française comme langue administrative, a sur la littérature un effet comparable aux campagnes d’Italie et aux interventions des artistes italiens en France sur l’évolution des arts et en particulier sur l’architecture. Il n’est pas anodin de rappeler ici que Jean Martin, traducteur et éditeur entre autres de L’architecture ou art de bien bâtir de Vitruve (1547), du Cinquième livre d’architecture de Serlio (1547) et de Hypnérotomachie, ou discours du songe de Polyphile (1546) accompagna Ronsard, du Bellay, du Baïf et Dorat dans les prémices de la Pléiade. Sans doute ne faut-il pas s’étonner de voir Pontus s’associer à Philibert de l’Orme pour la décoration du château d’Anet puisque ceux-ci ont des connaissances lyonnaises communes au premier rang desquelles Jacques de Vintimille16 et Marguerite de Bourg épouse Bullioud dont Pontus a dû fréquenter l’hôtel de la rue Juiverie, mais aussi est-ce parce que de l’Orme tentait, par son architecture d’effectuer une transition entre Gothique flamboyant et Renaissance, entre une tradition française et une aspiration italienne antiquisante et parce qu’il existe une dimension narrative dans l’œuvre de de l’Orme17 qui pourrait notamment prendre son origine dans le Songe de Poliphile comme le fait remarquer Richard Etlin. Pour Isabelle Cirolo18, Ronsard s’inspire d’ailleurs du Songe de Poliphile édité par Jean Martin dans la composition de l’Orme. (BALSAMO Jean, Dire le Paradis d’Anet, les poètes de la génération de 1550 et l’architecture, in BERTAUD Madeleine, Architectes et architecture dans la littérature française, actes de colloque organisé par l’ADIREL, Centre national du livre, Paris 1999, p. 340 17 ETLIN Richard A., Philibert de l’Orme : l’architecte-mage de l’hôtel Bullioud, in LEMERLE Frédérique & PAWELS Yves (dir.), Philibert de l’Orme, un architecte dans l’histoire, Brepols publishers, 2015, p. 97-108 18 CIROLO Isabelle. La pléiade et les arts plastiques. Éléments d'analyse, Les Belles lettres, « L'information littéraire », 2001/4 Vol. 53 | pages 52 à 57 du sonnet XXXIX des Amours de 1552-1553 et des ouvrages de Serlio pour le Temple de Messeigneurs le Connestable, et des Chastillons. Il est intéressant de s’attarder ici sur la volonté de de l’Orme de rendre abordable à toute sortes de personnes (« au profit de tous ouvriers besongnans au compas et à l’esquerre » aurait dit Jean Bullant19) l’art du trait (la stéréotomie) que les Statuts de Ratisbonne de 1459 rendaient officiellement secrets et que Roriczer révélait dans son Büchlein en 1486. Avec tout « l’art de faire du neuf avec du vieux »20, de l’Orme, dans le Premier tome de l’architecture, dépassant Roriczer, explique la difficulté d’enseigner « par le livre et écriture » cet art géométrique tout en se présentant comme le créateur de cette science21. Pontus de Tyard ne pense pas autrement comme le fait remarquer Emmanuel Mère : « Faisant preuve d’une profonde érudition, fortement nourrit des philosophes anciens et des pères de l’Eglise, il ambitionne toujours de porter son savoir à la conscience populaire. Car il considère la langue française apte, à condition qu’on la rehausse de mots choisis et d’un style adapté, à traduire suffisamment les conceptions philosophiques, car il sait «que chacun exprime en sa langue naturelle plus naïvement les imaginations de son esprit, qu’en un langage appris, tant prompt & familier le puisse il avoir.»22 ». Ainsi lorsqu’il propose dans ce même ouvrage, une épure de voûte à lierne et tierceron typiquement flamboyante, ne se contente-t-il pas de concevoir l’appareillage des nervures comme le firent les concepteurs gothiques23 considérant la voûte ellemême comme une sorte de remplissage mais s’applique-t-il à décrire l’appareillage des voûtes comme ouvrage complet de stéréotomie. Nous sommes là dans cette irruption de la science moderne dans l’architecture décrite par Alberto Perez-Gomez24. De l’Orme en humaniste, utilise tous les ressorts de son temps pour sublimer un mode opératoire. « De l’Orme a donc vécu à un moment de l’histoire où les styles gothique et renaissant se chevauchaient, l’un attestant de la longue et riche tradition architecturale française, l’autre de son renouveau prochain25 ». A Anet, le décor est d’ailleurs pensé en termes gothiques comme il l’exprime lui-même : «Vous pouvez encore faire par dessous le pendentif de mêmes sortes de branches, que l'on a fait en la voûte de la mode française, soit en façon d'ogives, liernes, tiercerons, ou autres, voire avec des clefs surpendues, et de plies grande grâce que l'on n'a point encore vu. Ceux qui 19 BULLANT Iehan. Reigle generalle d’architecture, A PARIS, De l'Imprimerie de Hiérosme de Marnef et Guillaume Cauellat, 1568 20 MONTCLOS Pérouse de, Philibert de l’Orme architecte du roi, Mengès, Paris 2000, p. 21 21 MONTCLOS Pérouse de, L’architecture à la française, Editions Picard, Paris 2001, page 86 22 MERE Emmanuel, Pontus de tyard, ou l’univers d’un curieux, Editions Hérode, Nanton 2001 23 En 1560 de l’Orme répare les voûtes de Notre-Dame de Paris 24 PEREZ-GOMEZ Alberto, L’architecture et la crise de la science moderne, Architecture + Recherche/Pierre Mardaga, Liège 1983 25 BOULERICE Dominic, « A la mode Françoise » : les épures de voûtes modernes » de Philibert de l’Orme », in Les temps de la construction, voudront prendre la peine, connaîtront ce que je dis par la voûte sphérique laquelle j'ai fait faire en la chapelle du château d'Anet, avec plusieurs sortes de branches rampantes au contraire l'une de l'autre, et faisant par même moyen leurs compartiments qui sont à plomb et perpendicule dessus le plan et pavé de ladite chapelle, qui fait et montre une même façon et semblable à celle que je propose par la figure subséquente.26 » L’intérêt de De l’Orme pour la construction à son époque marque un intérêt de réforme de la grammaire architecturale. C’est sur le terrain de la technique qu’il a dominé ses contemporains et qu’il rejoint en ce sens les problématiques de la Pléiade. Pour Philibert, la stéréotomie est à la fois sujet et objet de transition : objet parce que héritée du Moyen-Age et sujet parce que moyen d’articulation entre l’ancien et le nouveau comme le prouve son projet de régulation d’un château ancien27. « La stéréotomie est ainsi présentée par De l’Orme comme moyen pour passer du vieux monde gothique au monde moderne régulier. 28» Comme le fait remarquer Caroline Trotot, « les poètes de la Pléiade ont placé leur entrée en poésie sous le signe de la rupture avec leurs prédécesseurs. Ils refusent de se situer dans la continuité d’une tradition poétique française et déclarent inventer la voie d’une nouvelle poésie. Ronsard déclare ainsi dans la préface de son premier recueil, les Odes, qu’il prend « stile apart, sens apart, euvre apart » et qu’il s’achemine par « un sentier inconnu ». La Défense et Illustration de la Langue française place cette démarche dans une perspective historique de revendication nationale. […]Cependant, la « révolution culturelle » à laquelle participent les hommes de la Pléiade se fait paradoxalement, on le sait, par un retour vers l’Antiquité. De fait, la marche de l’histoire tout entière est conçue comme une translatio, un transfert de l’imperium à travers le temps et l’espace. La conscience de l’histoire s’affirme donc, comme en témoignent les nombreux ouvrages de l’époque, qui cherchent à en établir la méthode et à en restituer des épisodes, semblant se défier de la rupture pour l’intégrer à une vision de la continuité. 29 » Poutant, pour Ronsard qui aime le respect de l’ordre des choses, la rupture historique est insupportable. Certes il exprime cette opinion à propos de son rejet de la Réforme mais sa position est théorique. Pour lui, Processus, Acteurs, Matériaux, sous la direction de François Fleury, Editions Picard, Paris 2016, pp 713-723 26 DE L’ORME Philibert, Premier tome de l’architecture, Chez Frédéric Morel, Paris 1568, f°112 27 DE L’ORME Philibert, Premier tome de l’architecture, Chez Frédéric Morel, Paris 1568, f°66-67 28 MONTCLOS Pérouse de, L’architecture à la française, Editions Picard, Paris 2001, p. 93 29 TROTOT Caroline, Les Discours de Ronsard, refus de la rupture historique et invention d’un genre, PRZYCHODNIAK Zbigniew, SNIEDZIEWSKI Piotr (dir.), Fiction de l’histoire. Formes et imaginaires de la rupture, Editions de la société des amis des sciences et lettres de Poznan 2012, p.1920 l’histoire est un modèle moral qui ne supporte pas de discontinuité. Mais l'Evangile sainct du Sauveur Jésus-Christ, M'a fermement gravée une foy dans l'esprit, Que je ne veux changer pour une autre nouvelle, Et deussai-je endurer une mort tres cruelle. De tant de nouveautez je ne suis curieux : Il me plaist d'imiter le train de mes ayeux, Je croy qu'en Paradis ils vivent à leur aise, Encore qu'ils n'ay'nt suivy ny Calvin ny de Besze.30 Il est probable que ce soit la même vision morale qui guide Philibert de l’Orme dans son intégration des valeurs constructives médiévales. C’est justement cette continuité que marque une réflexion sur les demeures de la Pléiade : les hommes peuvent changer mais les pierres demeurent comme le dit Marcel Poëte31. Les Remonstrances au peuple de France de Ronsard sont un appel à la tradition qui dépasse la référence à l’antique et sous-entendent une continuité historique. La tradition comme fait technique est intrinsèque à la construction, à l’architecture. Ainsi Philibert de l’Orme ne fait-il que sublimer l’art de la stéréotomie héritée du Moyen-Age lorsqu’il réalise les trompes de la rue Juiverie. La défense de la religion catholique contre la Réforme par Ronsard s’accompagne de l’adoption du style gothique pour les maisons de Dieu jusqu’au XIXe siècle. Même l’Italie pourtant rétive à la manière tedesco se voit contrainte par cette tradition, en confère les différents projets pour la reprise de la façade de la basilique de San Petronio de Bologne par les plus grands architectes parmi lesquels Peruzzi, Giulio Romano, Vignola,, Tibaldi, Morandi et Rainaldi, depuis le début du XVIe siècle jusqu’au XVIIIe siècle. Comment donc comprendre, dans ce climat de transition architecturale et artistique si ce n’est littéraire, le sens du décor de la salle basse du château de Pontus de Tyard. Faut-il y voir une sorte de métaphore du jardin décrit par Pontus dans les Discours du temps, de l’an et de ses parties, ce « mien jardin, de si commode plant, que le non trop affecté agencement, mais aussi la trop négligente culture, pouvait assez nous donner de plaisir32 » où coule « un petit & clair ruisseau, qui couloit contre le canal, environnant l'isle de mon jardin33 » ou de ce « nouveau jardin, duquel leur montrant l'entrée : Allons (dis-je) prendre l'esbat de l'eau, car l'air de tant douce disposition m'avise des jours Alcyonides, si heureux tant qu'ils durent, de toute calme tranquillité, que la mer est assurée: & plus icy, où, loing de mer, les vents ont moins d'authorité.34 » L’eau renaissante, Alcyonide, ainsi que les îles, repos RONSARD Pierre de, Remonstrance au peuple de France. A Paris, Chez Gabriel Buon,. 1563 31 Marcel POETE, Une vie de cité, Picard, Paris 1924 32 TYARD Pontus de, Discours du temps, de l’an et de ses parties, A Lyon par Jan de Tournes, 1556, pages 3-4 33 TYARD Pontus de, Discours du temps, de l’an et de ses parties, a Paris, par Mamer Patisson Imprimeur du Roy, 1578, page 2 34 TYARD Pontus de, Discours du temps, de l’an et de ses parties, A Lyon par Jan de Tournes, 1556, page 32 35 TYARD Pontus de, Douze fables de fleuves ou fontaines, avec la description pour la peinture et les épigrammes, Chez Jean Richer, Paris, 1586 36 TYARD Pontus de, Les œuvres poétiques de Pontus de Tyard, seigneur de Bissy : Asçavoir trois livres des Erreurs amoureuses. Un livre de vers liriques. 30 du solitaire premier, semblent avoir une grande importance dans l’œuvre de Pontus, comme les fontaines de l’Isle Cythérée ou l’Isle Andros garnie de treilles de vigne dans seconde fable de la Fontaine d’André, qui a force d’ennuyer35, ou encore le fleuve Araxe où « se preuve si la fille est vierge », de la sixième fable, en partie transformé en herbe, mais surtout ce ruisseau décrit par Pontus dans les Erreurs amoureuses36 Ruisseau d’argent, qui de source inconnue Viens escouler ton beau cristal ici, En arrosant aux pieds de mon BISSY Le roc vestu, & la campagne nue : Pour la pensée en mon cœur survenue, Quand près de toy je fondois mon souci, Je te viens rendre éternel grammerci, Couché auprès de ta rive chenue. Un vert esmail d’une ceinture large T’enjaspera & l’une & l’autre marge, Puis j’écriray ce vers sus un Porphire : LOIN, LOIN, PASTEURS, SI PROFANES VOUS ESTES, CAR LES NEUF SEURS, EN FAVEUR DES POETES M’ONT CONSACRE LE MACONNOIS BAPHIRE37 Peut-être faudrait-il considérer cette salle basse du château comme son Isle Andros entourée du fleuve Araxe dont les flots se seraient transformés en une végétation fantastique, un refuge pour l’oubli d’erreurs amoureuses. Malheureusement, une grande partie du décor de Bissy a aujourd’hui disparu et notamment la base du paysage conservé qui aurait pu confirmer ou infirmer la présence de l’eau dans la composition. Mais il est assez tentant de voir dans cette pièce unique, l’allégorie du jardin de Pontus en constituant la paradisiaque île. Nul animal peuplant un hortus conclusus médiéval, nul caractère pastoral pouvant évoquer L’Arcadie de J. Sannazar38, mais plutôt « les jardins qui sentent le sauvage », « le flot de l’eau qui gazouille au rivage. » qu’affectionnent Ronsard39, ou le paysage environnant Bissy, son sien jardin aux accents de « rustiques figulines » de Bernard Palissy d’inspiration médiévale. Sans doute faut-il voir ici une expression figurée de cette « douce violence » défendue par Pontus de Tyard où, comme le dit Jacques Pelletier du Mans : La poésie « est un exercice d’une bien douce folie 40». PALISSE Fabien, Architecte du Patrimoine, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand Plus un recueil des nouvelles œuvres poétiques. Galior du Pré, Paris 1573, page 108 37 Baphire est un toponyme de Buxy dans le dictionnaire topographique de Saône-et-Loire 38 Edité par Jean Martin à Paris en 1544 39 RONSARD Pierre de, Réponse aux injures et calomnies de je ne sais quels prédicateraux et ministraux de Genève, cité par LECUYER Raymond et CADILHAC Paul-Emile (dir.), Demeures inspirées et sites romanesques, Editions SNEP Illustration ; Paris 1949) 40 PELETIER DU MANS Jacques, L’amour des amours, Ian de Tournes, Lyon, 1555