LES DEMEURES DE
LA PLEIADE
RESUME
Le temps du bâti n’est pas le même que celui de l’écrit, de la poésie. Pourtant l’un et l’autre s’influencent
mutuellement. Cet échange est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne une période de transition qui
marque le glissement du Gothique Flamboyant à la Renaissance. Aussi, la découverte de décors
flamboyants dans le château de Bissy de Pontus de Tyard pose-t-il la question d’une possible influence
médiévale sur celui-ci dans le contexte des poètes de la Pléiade.
ABSTRACT
The time of building is not the same as the one of writing, of poetry. Yet both influence each other.
This exchange is all the more interesting when it concerns a period of transition that marks the shift
from Flamboyant Gothic to Renaissance. Also, the discovery of flamboyant decorations in the castle of
Bissy de Pontus de Tyard raises the question of a possible medieval influence on it in the context of the
poets of the Pleiade.
Les récentes découvertes de décors flamboyants sur les
murs de la salle basse du château de Pontus de Tyard
remettent
en
question
certaines
analyses
précédemment avancées sur l’interprétation de cette
demeure. Comment imaginer en effet qu’un tel décor
qui parait contemporain de la présence de Pontus à
Bissy-sur-Fley puisse avoir été occulté par un mobilier
renfermant sa bibliothèque et ne faut-il pas voir dans
celui-ci une figuration du Jardin des délices de Jérôme
Bosch ou un hortus conclusus médiéval. Toujours est-il
que la facture de ces décors s’accorde plus à une
conception flamboyante que renaissante.
Si l’on ne peut être certain que ces décors aient été
contemporains de Pontus de Tyard, la quantité de
matière nécessaire pour une datation au carbone 14,
d’ailleurs peu fiable, aurait nécessité de dégrader
considérablement le substrat, du moins cette
hypothèse pose-t-elle question quant aux influences
volontaires ou involontaires d’une telle œuvre sur
l’écriture de Pontus. On sait l’influence que peuvent
avoir les lieux sur la psyché d’un artiste, l’idée même
du classement « Maison des Illustre » en est
aujourd’hui le marqueur1. Comment donc une œuvre
d’une telle liberté d’expression pour l’époque, peut-elle
avoir marqué Pontus ? Comment une telle
flamboyance a-t-elle pu influencer un esprit tourné
vers l’antique ? Ne s’agit-il pas là de ce paradoxe décrit
par Ronsard comme le « bon goût à la française »
relevé par Pérouse de Montclos durant ses cours à
l’Ecole de Chaillot, une rupture dans la continuité ?
noblesse de l’idée d’une sorte de retour à la terre
caractérisé par « la maison aux champs ». « L’homme
de la Renaissance a, le premier, théorisé la vie à la
campagne et lui a associé, par le biais de publications
imprimées littéraires ou techniques, de sources
manuscrites ou iconographiques, des valeurs qu’il a
incarnées dans les territoires habités, par le biais de
constructions de deux ordres : des demeures
anciennes, achetées à des familles de l’aristocratie
médiévale ruinées ou décimées par la Guerre de Cent
Ans, transformées pour se conformer au nouvel idéal
du temps, et des constructions nouvelles, établies sur
des domaines issus notamment de démembrements de
seigneuries plus anciennes et plus importantes et de
recompositions au gré des alliances et héritages. Les
deux types de constructions ont cependant un point
commun : illustrer la volonté d’opulence discrète mais
symbolique du maître des lieux.3 » A cette époque, les
traités d’architecture « vantent les mérites de la vie à la
campagne » et le Théâtre d’agriculture ou mesnage des champs
d’Olivier de Serre paru en 1600, en est sans doute
l’apothéose.
« Depuis le début des temps, l’homme s’est rendu
compte que le fait de créer un lieu signifie exprimer
l’essence de l’être. L’univers artificiel dans lequel il vit
n’est pas seulement un instrument pratique, ou le
résultat d’événements arbitraires, mais il possède une
structure et il incarne des significations qui reflètent sa
manière de ressentir le milieu naturel et la situation
existentielle en général.2 » En d’autres termes et pour
prolonger cette citation de Christian Norberg-Schulz
sur le genius loci, l’âme humaine contient en elle tous les
reflets des lieux de sa vie comme les livres y laissent
des traces plus ou moins ténues. Mais plus encore, ces
lieux n’auraient-ils pas influencé non seulement
Pontus, mais les membres de la Pléiade dans son
ensemble ?
Il ne faudrait pas pour autant comprendre les poètes
de la Pléiade comme des sédentaires invétérés. Ainsi
Pontus a-t-il fait ses études à Paris dès 1537, Ronsard
étudie-t-il au collège de Navarre de Paris à partir de
1533, collège que fréquenta Jacques Pelletier du Mans
dès 1530, Joachim du Bellay après des études de droit
à l’université de Poitiers rejoint-il Ronsard au collège
Coqueret de Paris en 1547, collège que fréquentait
Jean-Antoine de Baïf dès 1543, Jodelle séjourne-t-il à
Lyon vers 1550 durant la période où Pontus y fait de
fréquents séjours avant de s’établir à Paris et des
Autels, fidèle ami et voisin de Pontus étudie-il à
Valence pour séjourner ensuite à Romans avant de
rencontrer du Bellay à Lyon « en son chemin vers
Rome ». Comme les artistes italiens sillonnent
l’Europe nos poètes sillonnent la France tout en
gardant une attache à leurs provinces natales. Ils sont
les témoins des transformations urbaines qui
caractérisent la reprise des constructions après la fin de
la Guerre de Cent Ans et plus particulièrement celles
de Lyon en ce qui concerne Pontus de Tyard. Des
typologies de l’habitat moderne commun et nobiliaire
se développent, expressions d’une transition entre le
médiéval et le renaissant.
Il s’agit donc ici de replacer Pontus dans son contexte
sociologique et artistique ou du moins d’apporter
quelques précisions allant en ce sens. Comme les
poètes de la Pléiade étaient très attachés à leur terroir
et vivaient pour l’essentiel en province, l’architecture
de la Renaissance s’est essentiellement développée en
province et plus particulièrement durant le XVIe siècle.
A cela deux raisons, d’une part l’itinérance du règne de
François Ier qui produisit la profusion des châteaux de
la Loire et d’autre part la prédominance, dans la
Il est en effet étonnant de constater les similitudes
entre la demeure familiale de Pontus à Bissy et celle de
la famille de Ronsard. La ressemblance entre le manoir
de la Possonière à Couture-sur-Loir, demeure où
naquit Pierre de Ronsard en 1524 et le château de Bissy
où naquit Pontus en 1521 est assez frappante. Le corps
de logis présente une morphologie similaire dans l’un
et l’autre cas : corps rectangulaire divisé en deux parties
inégales par un refend conduit de cheminée élevé sur
deux niveaux, escalier à vis engagé dans la façade sur
1 Le label « Maison des illustres » consacre en effet "les maisons qui
conservent et transmettent la mémoire de femmes et d’hommes qui
les ont habitées et se sont illustrés dans l’histoire politique, sociale et
culturelle de la France ».
2 NORBERG SCHULTZ Christian, Genius Loci Paysage, Ambiance
Architecture, Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1981, p 58
3 LE CLECH-CHARTON Sylvie, Les « maisons aux (des) champs » : une
utopie sociale de la période moderne », in Chastels et maisons fortes III.
Chagny : Centre de Castellologie de Bourgogne, 2010, p. 96
cour formant porche orné d’un gable à fleuron engagé,
fenêtres à traverses et meneaux, toiture en bâtière
simple et cheminées à manteau saillant ornées de
décors sculptés. Mais ce qui est le plus étonnant
encore, c’est que, comme pour Bissy en 1550, c’est le
père du membre de la Pléiade qui fit construire l’édifice
au goût du jour en 1515. Certes, la Possonière présente
un décor bien plus antiquisant que le château de Bissy,
Loys, le père de Pierre de Ronsard avait participé aux
campagnes d’Italie ce qui l’a sans doute influencé dans
son programme, mais le type est bien identique, hérité
du XIVe siècle. Cette filiation médiévale est encore plus
marquée pour du Bellay qui naquit et vécu sa jeunesse
dans deux châteaux médiévaux bien que sa famille
posséda un manoir du même type que celui de Pontus
et Ronsard dans le bourg de Liré.
Joachim Du Bellay nait au château de la Turmelière à
Liré, dans le Maine-et-Loire en 1522. Cet édifice date
du XIIIe siècle et a juste connu quelques modifications
au XVe siècle. Loys du Bellay, père de Joachim en fait
un aveu de à son suzerain de Champtoceaux en 1521 :
« le manoir, hostel de la Turmelière, maison, tours,
fossés, pont-levis, grange, pressoir en dehors,
garennes, domaine de 32 septées de terre en un tenant,
entre le ruisseau du Douet du Lou, les terres du Plessis,
la Martinière et le dit ruisseau du Lou 4». Cette
description correspond assez au standing des Tyard à
Bissy, mais ne semble pas présenter les ébauches d’un
aménagement renaissant. C’est que le père de Joachim
entreprend des travaux aux goûts du jour sur son autre
château médiéval, celui de Gonnord voisin. Jean
décédant en 1532, il est probable que Joachim ait suivi
les travaux effectués sur celui-ci dans sa jeunesse et ait
pu apprécier les transformations de Gonnord comme
et Pontus à Bissy.
La Possonière est sans conteste la demeure des poètes
de la Pléiade la plus marquée par l’esprit de la
Renaissance architecturale française. Elle bénéficie de
l’élan donné par la construction des châteaux de la
Loire et même en est-elle parmi les précurseurs,
derrière Gaillon (1507) ou Bury (1511) mais avant
Azay-le-Rideau (1518) et sensiblement contemporain
de Blois (1515-1518) et de Chambord (commencé en
1519) respectivement à soixante kilomètres et quatrevingt kilomètres de Couture-sur-Loir. Bien que le
manoir ait été considérablement modifié au XIXe siècle,
certaines travées de baies présentent un décor sculpté
utilisant de manière plus ou moins fantaisiste les ordres
encadrant les croisées assez typique du goût de cette
première Renaissance française. Le gable engagé
surmontant le porche d’entrée à la vis de distribution
constitue un motif particulièrement flamboyant ici
italianisé. Les choux accompagnants le fronton sont
remplacés par des volutes et les pinacles ainsi que le
fleuron sont remplacés par un empilement en
Wikipedia Château de la Turmelière.
CONTENSON Marie-Laure de, « La cheminée sculptée du manoir de
Louis de Ronsard à la Possonière » In: Bulletin Monumental, Tome 163,
n°3, année 2005. pp. 199-209.
4
5
candélabres de motifs de feuilles d’acanthes. De même,
la grande cheminée, si elle articule sur son manteau des
motifs particulièrement renaissants5, présente-t-elle
une frise florale sur lit de flammes, allégorie du nom de
la famille, que l’on retrouve sur l’allège de la baie du
premier étage sur cour, qui présente toutes les
caractéristiques de l’art flamboyant.
Contrairement à la Possonière mais vraisemblablement
de manière similaire au château de Gonnord pour du
Bellay, le château de Bissy n’est pas une construction
ex nihilo mais bien la reprise d’un édifice médiéval n’en
conservant guère que les fondations, la chapelle, la tour
de l’escalier en vis au sud et la tour dite barlongue au
nord, toutes deux hors de la composition
précédemment décrite. « Pour comprendre la reprise
du château de Bissy au milieu du XVIe siècle, il est
important de la resituer dans son contexte historique.
C’est en effet en 1550 qu’Andrea Palladio construit la
Villa Chiericati à Vancimuglio en Italie, c’est cette
même année que Pierre Lescot bâtit l’aile Lescot de la
Cour Carrée du Louvres et la salle des Cariatides dans
ce même édifice et c’est aussi pendant cette période
que Philibert Delorme bâtit le château d’Anet. Nous
sommes loin, à Bissy, de ces exemples emblématiques
de la Renaissance en architecture contemporains des
travaux de reprise du château de Bissy.6 »
Pourtant Pontus comme son père doivent avoir
connaissances des ruines romaines de Fourvière et
d’Autun autant que du caractère antiquisant de
l’abbaye de Cluny et de la cathédrale Saint-Lazare
d’Autun romanes. Mais ces connaissances ne semblent
pas avoir influencé l’architecture comme la
modénature du château. « Le vocabulaire décoratif
employé au château de Bissy est assez commun pour
ce début du XVIe siècle en ce qui concerne les baies
qu’elles soient intérieures pour les portes de
communications ou extérieures pour les croisées. Le
chanfrein, le cavet, le listel et la poire constituée de
deux doucines adossées sont des motifs assez courants
pour l’époque. De même, la sous-face courbe des
marches du grand escalier à vis présente-t-elle un motif
très courant pour une période où l’escalier devient un
« motif ostentatoire » en contradiction avec le sobre
traitement de la sous-face de l’escalier médiéval de la
tour sud.7 » Mais si ce vocabulaire marque la transition
vers une architecture de la Renaissance, les motifs du
gable en accolade de la porte du grand escalier et des
cheminées des deux salles du rez-de-cour sont eux très
marqués par le style flamboyant.
Mais, si nous considérons maintenant l’ajout de la
« tour carrée » à l’ouest, quelques années après la
reprise générale du logis, de par sa position et sa
constitution, ne faut-il pas voir dans l’adossement
d’une tour sans dispositif défensif en cet endroit pour
6 PALISSE Fabien, « L’architecture du château », in Les renaissances du
château de Pontus de Tyard à Bissy-sur-Fley BERRETTE Céline (dir.),
Centre de Castellologie de Bourgogne, Chagny 2021, p. 91
7 PALISSE Fabien, « L’architecture du château », in Les renaissances du
château de Pontus de Tyard à Bissy-sur-Fley BERRETTE Céline (dir.),
Centre de Castellologie de Bourgogne, Chagny 2021, p. 96-98
le moins incongru, coincé entre les latrines, la vis
ancienne et le logis, une volonté d’accorder un sens
particulier aux espaces qu’elle contient ? En effet, du
deuxième niveau de cette tour on peut directement
accéder à la grande salle du logis, à la vis sud et aux
latrines agrandies pour l’occasion. Si l’on ajoute à cela
le fait que cette pièce possède une cheminée en
gypseries au décor Renaissance, les éléments sont ici
réunis pour considérer cette pièce comme un exemple
de la distribution fonctionnelle à la française dont le
premier exemple fut exécuté en 1453 au palais Jacques
Cœur de Bourges mais ne trouva sa généralisation
qu’au XVIIe siècle. « Les théoriciens français disent de
la distribution que c’est un art inconnu des Anciens et
créé par les Français. Le texte le plus important à cet
égard est le Parallèle des Anciens et de Modernes (16881692) de Charles Perault.8 » Cet ensemble de
dispositions nous fait d’ailleurs supposer qu’il puisse
s’agir là du cabinet personnel de Pontus.
Il est assez paradoxal de constater combien la
description des lieux importe peu à Pontus et à son ami
et voisin Guillaume des Autels. Ce dernier,
« Gentilhomme Charollais » ne décrit pas plus son
château de Vernoble, désormais disparu, appartenant à
sa famille et situé entre Genouilly et le Puley que le
château des Hôtels, l'autre propriété familiale où il a
passé une partie de son enfance. Aussi Pontus et des
Autels parlent-ils de « mon » et de « ton » Bissy,
« superbe Bissy » sans s’appesantir sur les détails
concernant soit le château soit le village :
Notre grand’ similitude
D’affection, & d’étude,
Et ton superbe Bissy,
Approche si près d’icy,
Qu’il peut voir la révérence
Que luy fait ma demeurance
Et de nature la loy,
Qui d’une mesme semence,
D’assez proche conséquence
A produit & toi & moi9
Aussi des Autels dans son De la ville de Romans reste-til très évasif quant à la description de cette ville où il
séjournait alors. Il faut que Pontus reçoive une
commande, celle des douze fables destinées à
l’inspiration des tableaux du château d’Anet pour
Philibert de l’Orme, pour que les dispositions de
l’espace organisant les scènes soient quelque peu
décrites. Nous sommes là aux antipodes du Premier livre
des antiquitez de Rome de Du Bellay10, texte qui dut
connaitre un écho chez les architectes du temps
notamment parce qu’il est le fruit onirique d’un séjour
à Rome et d’un voyage en Italie antique à la source de
l’inspiration des écrivains comme des architectes
d’alors.
8 MONTCLOS Pérouse de, L’architecture à la française, Editions Picard,
Paris 2001, pages 50-51
9 AUTELS Guillaume des, A Pontus de Tyard, façon par dizains,
Amoureux repos, Jean Temporal, Lyon, 1553
10 Du Bellay est sans conteste le membre de la Pléiade qui s’est le
plus intéressé à l’architecture. Connaissant personnellement de
l’Orme, il nous livre des descriptions précises des édifices antiques
faisant montre, comme le fait remarquer Yves Pawels dans
L’architecture et le livre en France, « d’une connaissance pratique des
« Qui voudroit figurer la Romaine grandeur
En ses dimensions, il ne luy faudroit guerre
A la ligne, & au plomb, au compas, l’équerre
Sa longueur & largeur, hautesse & profondeur :
Il lui faudroit cerner d’une égale rondeur
Tout ce que l’océan de ses longs bras enserre,
Soit où l’Astre annuel eschauffe plus la terre,
Soit où souffle l’Aquilon sa plus grande froideur.
Rome fut tout le monde, & tout le monde est Rome.
Et si par mêmes noms mêmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourroit passer
La nommant par le nom de la terre & et de l’onde :
Ainsi le monde on peut sur Rome compasser,
Puisque le plan de Rome est la carte du Monde.11 »
Pontus et des Autels avaient pourtant rencontré du
Bellay à son retour d’Italie dans la ville de Lyon et
Pontus cite le « nombre d’or », outil par excellence des
architectes de la Renaissance, à propos de
l’organisation céleste du temps critique. Si Lyon est
alors considérablement bouleversée par les
constructions ordinaires nouvelles au XVIe siècle,
celles-ci restent encore d’une forme hybride intégrant
la rationalité antique dans une continuité gothique aux
accents flamboyants caractérisée par la généralisation
de la claire-voie médiévale, Paris, où la plupart des
poètes de la Pléiade a séjourné, connait une évolution
plus lente bien qu’elle soit alors la cité la plus
importante d’Europe. La majorité des édifices publics
d’importance de Paris reflète en effet plus l’esprit
flamboyant comme à Saint-Merry, Saint-Séverin ou
Saint-Germain-L’auxerrois, et d’autres présentent un
aspect transitoire entre médiéval et Renaissance
comme Saint-Eustache. Mais la reconstruction du
Louvres engagée par Lescot et la création de la
fontaine des Innocents plus encore que la reprise des
Tuileries par Philibert de l’Orme allait marquer un
tournant de l’architecture faisant directement référence
à l’Antique, qui allait influencer tous les autres arts.
C’est d’ailleurs ce que Ronsard exprime dans son
hommage à Lescot.
…Toy, L'Escot, dont le nom jusques aux astres vole,
As pareil naturel: car, estant à l'escole,
On ne peut le destin de ton esprit forcer,
Que tousjours avec l'encre on ne te vist tracer
Quelque belle peinture, et jà, fait géométre,
Angles, lignes et poincts sur une carte mettre.
Puis, arrivant ton âge, au terme de vingt ans,
Tes esprits courageux ne furent pas contans
Sans doctement conjoindre avecques la peinture
L'art de mathématique et de l'architecture,
Où tu es tellement avec honneur monté
Que le siècle ancien est par toy surmonté.
Car bien que tu sois noble et de mœurs et de race,
Bien que dès le berceau l'abondance te face,
Sans en chercher ailleurs, riche en bien temporel,
Si as-tu franchement suivi ton naturel,
Et tes premiers régens n'ont jamais peu distraire
Ton cœur de ton instinct pour suivre le contraire.
bâtiments antiques, et surtout des restitutions et interprétations que
les modernes en donnaient » (L’architecture et le livre en France,
Classique Garnier, Paris, 2013, p. 20-21). Du Bellay va même jusqu’à
pousser très loin le sens du détail et se faire « une cocarde de l’ardoise
fine qu’il oppose au marbre italien » dans les Regrets comme le fait
remarquer Pérouse de Montclos (L’architecture à la française, Picard,
Paris, 1982, p. 50-51).
11 DU BELLAY Joachim, Le premier livre des antiquitez de Rome, De
l’imprimerie Federic Morel, Paris, 1562, Page 8
On a beau, d'une perche, appuyer les grans bras
D'un arbre qui se plie, il tend tousjours en bas;
La nature ne veut en rien estre forcée,
Mais suivre le destin duquel elle est poussée.
Jadis le roy François, des lettres amateur,
De ton divin esprit premier admirateur,
T'aima pardessus tout: ce ne fut, en son âge,
Peu d'honneur d'estre aymé d'un si grand personnage,
Qui soudain cognoissoit le vice et la vertu,
Quelque desguisement dont l'homme fust vestu.
Henry, qui après lui tint le sceptre de France,
Ayant de ta valeur parfaite cognoissance,
Honora ton sçavoir, si bien que ce grand roy,
Ne vouloit escouter un autre homme que toy,
Soit disnant et soupant, et te donna la charge
De son Louvre enrichy d'édifice plus large;
Ouvrage somptueux, àfin d'estre monstré,
Un roy très-magnifique, en t'ayant rencontré.
Il me souvient un jour que ce prince, à la table,
Parlant de ta vertu comme chose admirable,
Disoit que tu avois de toy-mesmes appris,
Et que sur tous aussi tu emportois le pris:
Comme a faict mon Ronsard, qui à la poésie,
Maugré tous ses parens, a mis sa fantaisie.
Et pour cela tu fis engraver sur le haut
Du Louvre une déesse, à qui jamais ne faut
Le vent à joue enflée, au creux d'une trompette,
Et la monstras au roy, disant qu'elle estoit faite
Exprès pour figurer la force de mes vers,
Qui, comme vent, portoient son nom vers l'univers.12
Il n’en va pas de même pour Philibert de l’Orme que
Ronsard exècre particulièrement pour sa suffisance :
J'ay veu trop de maçons
Bastir les Tuileries,
Et en trop de façons
Faire les momeries.13
Pourtant celui-ci ne se limite-t-il pas à la maîtrise
d’œuvre et poursuit-il une œuvre théorique qui dépasse
de loin celle de Bullant. L’architecture de Philibert de
l’Orme connait trois facettes : un aspect de transition
intégrant des caractéristiques gothiques (Hôtel
Bullioud rue Juiverie à Lyon, jubé de Saint-Etienne du
Mont), un aspect technique (réflexions sur la
stéréotomie et la charpente d’assemblage) et un aspect
classique d’influence italienne (Château d’Anet,
château de Saint-Maur), mais on peut caractériser son
travail comme la recherche constante d’un vocabulaire
et d’une grammaire française de l’architecture qui se
concrétise particulièrement dans son invention d’un
ordre françois composé d’une alternance de tambours
cannelés et de tambours ornés. On trouve donc chez
lui une recherche rhétorique dans l’architecture
similaire à celle des protagonistes de la Pléiade dans la
littérature : bon goût à la française, influence antique et
nouvelle grammaire. Cette quête n’est pas sans
RONSARD Pierre de, Œuvres complètes Tome VI Livre II,
Librairie A. Franck, Paris 1866, p. 191-193
13 RONSARD Pierre de, Œuvres inédites, Edité par A. Aubry, Paris
1855, p. 129
14 DU BELLAY Joachim, Les Regrets, Isidore Liseux, Paris 1876, p.
106
15 Mathieu de La Gorce, « Pape… pipopu : l’iconoclasme lexicologique de
Marnix de Sainte-Aldegonde, protestant et rabelaisien », dans Migrations,
exils, errances et écritures, Presses universitaires de Paris Nanterre,
coll. « Sciences humaines et sociales », 20 novembre 2014, p. 219240.
16 Jean Balsamo présente Gabriele Symeoni, Pontus de Tyard et
Jacques de Vintimille, trois « lyonnais », comme proches de Philibert
12
approcher de la Défense de la langue française de du Bellay.
Celui-ci se porta d’ailleurs à la défense de de l’Orme
dans les Regrets :
De vostre Dianet - de vostre nom j'appelle
Vostre maison d'Anet - la belle architecture,
Les marbres animez, la vivante peinture,
Qui la font estimer des maisons la plus belle.14
On retrouve, dans La Défense et illustration de la langue
française de Joachim du Bellay en 1549, la même volonté
que chez De l’Orme de magnifier et qualifier la culture
française en devenir. Du Bellay prône l'enrichissement
de la langue française au moyen de l'imitation des
auteurs anciens comme de l’Orme prône un ordre
françois à partir de la réalité du terrain et de
l’inspiration antique. Selon Mathieu de La Gorce15,
« l'ouvrage « n’est pas une entreprise de préservation,
mais un manifeste visant avant tout à l’invention de la
langue française », considérée par Du Bellay et par les
auteurs contemporains comme une langue en devenir,
une langue qui n'a pas encore fait ses preuves au regard
de celles de la culture antique ». L’ordonnance de 1510,
sous Louis XII, imposant le français comme langue
juridique puis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de
1539 qui impose la langue française comme langue
administrative, a sur la littérature un effet comparable
aux campagnes d’Italie et aux interventions des artistes
italiens en France sur l’évolution des arts et en
particulier sur l’architecture. Il n’est pas anodin de
rappeler ici que Jean Martin, traducteur et éditeur entre
autres de L’architecture ou art de bien bâtir de Vitruve
(1547), du Cinquième livre d’architecture de Serlio (1547) et
de Hypnérotomachie, ou discours du songe de Polyphile (1546)
accompagna Ronsard, du Bellay, du Baïf et Dorat dans les
prémices de la Pléiade.
Sans doute ne faut-il pas s’étonner de voir Pontus
s’associer à Philibert de l’Orme pour la décoration du
château d’Anet puisque ceux-ci ont des connaissances
lyonnaises communes au premier rang desquelles
Jacques de Vintimille16 et Marguerite de Bourg épouse
Bullioud dont Pontus a dû fréquenter l’hôtel de la rue
Juiverie, mais aussi est-ce parce que de l’Orme tentait,
par son architecture d’effectuer une transition entre
Gothique flamboyant et Renaissance, entre une
tradition française et une aspiration italienne
antiquisante et parce qu’il existe une dimension
narrative dans l’œuvre de de l’Orme17 qui pourrait
notamment prendre son origine dans le Songe de
Poliphile comme le fait remarquer Richard Etlin. Pour
Isabelle Cirolo18, Ronsard s’inspire d’ailleurs du Songe
de Poliphile édité par Jean Martin dans la composition
de l’Orme. (BALSAMO Jean, Dire le Paradis d’Anet, les poètes de la
génération de 1550 et l’architecture, in BERTAUD Madeleine, Architectes et
architecture dans la littérature française, actes de colloque organisé par
l’ADIREL, Centre national du livre, Paris 1999, p. 340
17 ETLIN Richard A., Philibert de l’Orme : l’architecte-mage de
l’hôtel Bullioud, in LEMERLE Frédérique & PAWELS Yves (dir.),
Philibert de l’Orme, un architecte dans l’histoire, Brepols publishers,
2015, p. 97-108
18 CIROLO Isabelle. La pléiade et les arts plastiques. Éléments d'analyse,
Les Belles lettres, « L'information littéraire », 2001/4 Vol. 53 | pages
52 à 57
du sonnet XXXIX des Amours de 1552-1553 et des
ouvrages de Serlio pour le Temple de Messeigneurs le
Connestable, et des Chastillons.
Il est intéressant de s’attarder ici sur la volonté de de
l’Orme de rendre abordable à toute sortes de
personnes (« au profit de tous ouvriers besongnans au
compas et à l’esquerre » aurait dit Jean Bullant19) l’art
du trait (la stéréotomie) que les Statuts de Ratisbonne de
1459 rendaient officiellement secrets et que Roriczer
révélait dans son Büchlein en 1486. Avec tout « l’art de
faire du neuf avec du vieux »20, de l’Orme, dans le
Premier tome de l’architecture, dépassant Roriczer, explique
la difficulté d’enseigner « par le livre et écriture » cet art
géométrique tout en se présentant comme le créateur
de cette science21. Pontus de Tyard ne pense pas
autrement comme le fait remarquer Emmanuel Mère :
« Faisant preuve d’une profonde érudition, fortement
nourrit des philosophes anciens et des pères de
l’Eglise, il ambitionne toujours de porter son savoir à
la conscience populaire. Car il considère la langue
française apte, à condition qu’on la rehausse de mots
choisis et d’un style adapté, à traduire suffisamment les
conceptions philosophiques, car il sait «que chacun
exprime en sa langue naturelle plus naïvement les
imaginations de son esprit, qu’en un langage appris,
tant prompt & familier le puisse il avoir.»22 ».
Ainsi lorsqu’il propose dans ce même ouvrage, une
épure de voûte à lierne et tierceron typiquement
flamboyante, ne se contente-t-il pas de concevoir
l’appareillage des nervures comme le firent les
concepteurs gothiques23 considérant la voûte ellemême comme une sorte de remplissage mais
s’applique-t-il à décrire l’appareillage des voûtes
comme ouvrage complet de stéréotomie. Nous
sommes là dans cette irruption de la science moderne
dans l’architecture décrite par Alberto Perez-Gomez24.
De l’Orme en humaniste, utilise tous les ressorts de
son temps pour sublimer un mode opératoire. « De
l’Orme a donc vécu à un moment de l’histoire où les
styles gothique et renaissant se chevauchaient, l’un
attestant de la longue et riche tradition architecturale
française, l’autre de son renouveau prochain25 ». A
Anet, le décor est d’ailleurs pensé en termes gothiques
comme il l’exprime lui-même : «Vous pouvez encore
faire par dessous le pendentif de mêmes sortes de
branches, que l'on a fait en la voûte de la mode
française, soit en façon d'ogives, liernes, tiercerons, ou
autres, voire avec des clefs surpendues, et de plies
grande grâce que l'on n'a point encore vu. Ceux qui
19 BULLANT Iehan. Reigle generalle d’architecture, A PARIS, De
l'Imprimerie de Hiérosme de Marnef et Guillaume Cauellat, 1568
20 MONTCLOS Pérouse de, Philibert de l’Orme architecte du roi, Mengès,
Paris 2000, p. 21
21 MONTCLOS Pérouse de, L’architecture à la française, Editions Picard,
Paris 2001, page 86
22 MERE Emmanuel, Pontus de tyard, ou l’univers d’un curieux, Editions
Hérode, Nanton 2001
23 En 1560 de l’Orme répare les voûtes de Notre-Dame de Paris
24 PEREZ-GOMEZ Alberto, L’architecture et la crise de la science moderne,
Architecture + Recherche/Pierre Mardaga, Liège 1983
25 BOULERICE Dominic, « A la mode Françoise » : les épures de voûtes
modernes » de Philibert de l’Orme », in Les temps de la construction,
voudront prendre la peine, connaîtront ce que je dis
par la voûte sphérique laquelle j'ai fait faire en la
chapelle du château d'Anet, avec plusieurs sortes de
branches rampantes au contraire l'une de l'autre, et
faisant par même moyen leurs compartiments qui sont
à plomb et perpendicule dessus le plan et pavé de ladite
chapelle, qui fait et montre une même façon et
semblable à celle que je propose par la figure
subséquente.26 »
L’intérêt de De l’Orme pour la construction à son
époque marque un intérêt de réforme de la grammaire
architecturale. C’est sur le terrain de la technique qu’il
a dominé ses contemporains et qu’il rejoint en ce sens
les problématiques de la Pléiade. Pour Philibert, la
stéréotomie est à la fois sujet et objet de transition :
objet parce que héritée du Moyen-Age et sujet parce
que moyen d’articulation entre l’ancien et le nouveau
comme le prouve son projet de régulation d’un château
ancien27. « La stéréotomie est ainsi présentée par De
l’Orme comme moyen pour passer du vieux monde
gothique au monde moderne régulier. 28»
Comme le fait remarquer Caroline Trotot, « les poètes
de la Pléiade ont placé leur entrée en poésie sous le
signe de la rupture avec leurs prédécesseurs. Ils
refusent de se situer dans la continuité d’une tradition
poétique française et déclarent inventer la voie d’une
nouvelle poésie. Ronsard déclare ainsi dans la préface
de son premier recueil, les Odes, qu’il prend « stile
apart, sens apart, euvre apart » et qu’il s’achemine par
« un sentier inconnu ». La Défense et Illustration de la
Langue française place cette démarche dans une
perspective historique de revendication nationale.
[…]Cependant, la « révolution culturelle » à laquelle
participent les hommes de la Pléiade se fait
paradoxalement, on le sait, par un retour vers
l’Antiquité. De fait, la marche de l’histoire tout entière
est conçue comme une translatio, un transfert de
l’imperium à travers le temps et l’espace. La conscience
de l’histoire s’affirme donc, comme en témoignent les
nombreux ouvrages de l’époque, qui cherchent à en
établir la méthode et à en restituer des épisodes,
semblant se défier de la rupture pour l’intégrer à une
vision de la continuité. 29 »
Poutant, pour Ronsard qui aime le respect de l’ordre
des choses, la rupture historique est insupportable.
Certes il exprime cette opinion à propos de son rejet
de la Réforme mais sa position est théorique. Pour lui,
Processus, Acteurs, Matériaux, sous la direction de François Fleury,
Editions Picard, Paris 2016, pp 713-723
26 DE L’ORME Philibert, Premier tome de l’architecture, Chez
Frédéric Morel, Paris 1568, f°112
27 DE L’ORME Philibert, Premier tome de l’architecture, Chez
Frédéric Morel, Paris 1568, f°66-67
28 MONTCLOS Pérouse de, L’architecture à la française, Editions Picard,
Paris 2001, p. 93
29 TROTOT Caroline, Les Discours de Ronsard, refus de la rupture historique
et invention d’un genre, PRZYCHODNIAK Zbigniew, SNIEDZIEWSKI
Piotr (dir.), Fiction de l’histoire. Formes et imaginaires de la rupture, Editions
de la société des amis des sciences et lettres de Poznan 2012, p.1920
l’histoire est un modèle moral qui ne supporte pas de
discontinuité.
Mais l'Evangile sainct du Sauveur Jésus-Christ,
M'a fermement gravée une foy dans l'esprit,
Que je ne veux changer pour une autre nouvelle,
Et deussai-je endurer une mort tres cruelle.
De tant de nouveautez je ne suis curieux :
Il me plaist d'imiter le train de mes ayeux,
Je croy qu'en Paradis ils vivent à leur aise,
Encore qu'ils n'ay'nt suivy ny Calvin ny de Besze.30
Il est probable que ce soit la même vision morale qui
guide Philibert de l’Orme dans son intégration des
valeurs constructives médiévales. C’est justement cette
continuité que marque une réflexion sur les demeures
de la Pléiade : les hommes peuvent changer mais les
pierres demeurent comme le dit Marcel Poëte31. Les
Remonstrances au peuple de France de Ronsard sont un
appel à la tradition qui dépasse la référence à l’antique
et sous-entendent une continuité historique. La
tradition comme fait technique est intrinsèque à la
construction, à l’architecture. Ainsi Philibert de l’Orme
ne fait-il que sublimer l’art de la stéréotomie héritée du
Moyen-Age lorsqu’il réalise les trompes de la rue
Juiverie. La défense de la religion catholique contre la
Réforme par Ronsard s’accompagne de l’adoption du
style gothique pour les maisons de Dieu jusqu’au XIXe
siècle. Même l’Italie pourtant rétive à la manière tedesco
se voit contrainte par cette tradition, en confère les
différents projets pour la reprise de la façade de la
basilique de San Petronio de Bologne par les plus
grands architectes parmi lesquels Peruzzi, Giulio
Romano, Vignola,, Tibaldi, Morandi et Rainaldi,
depuis le début du XVIe siècle jusqu’au XVIIIe siècle.
Comment donc comprendre, dans ce climat de
transition architecturale et artistique si ce n’est
littéraire, le sens du décor de la salle basse du château
de Pontus de Tyard. Faut-il y voir une sorte de
métaphore du jardin décrit par Pontus dans les Discours
du temps, de l’an et de ses parties, ce « mien jardin, de si
commode plant, que le non trop affecté agencement,
mais aussi la trop négligente culture, pouvait assez
nous donner de plaisir32 » où coule « un petit & clair
ruisseau, qui couloit contre le canal, environnant l'isle
de mon jardin33 » ou de ce « nouveau jardin, duquel
leur montrant l'entrée : Allons (dis-je) prendre l'esbat
de l'eau, car l'air de tant douce disposition m'avise des
jours Alcyonides, si heureux tant qu'ils durent, de toute
calme tranquillité, que la mer est assurée: & plus icy,
où, loing de mer, les vents ont moins d'authorité.34 »
L’eau renaissante, Alcyonide, ainsi que les îles, repos
RONSARD Pierre de, Remonstrance au peuple de France. A Paris, Chez
Gabriel Buon,. 1563
31 Marcel POETE, Une vie de cité, Picard, Paris 1924
32 TYARD Pontus de, Discours du temps, de l’an et de ses parties, A
Lyon par Jan de Tournes, 1556, pages 3-4
33 TYARD Pontus de, Discours du temps, de l’an et de ses parties, a
Paris, par Mamer Patisson Imprimeur du Roy, 1578, page 2
34 TYARD Pontus de, Discours du temps, de l’an et de ses parties, A
Lyon par Jan de Tournes, 1556, page 32
35 TYARD Pontus de, Douze fables de fleuves ou fontaines, avec la description
pour la peinture et les épigrammes, Chez Jean Richer, Paris, 1586
36 TYARD Pontus de, Les œuvres poétiques de Pontus de Tyard, seigneur de
Bissy : Asçavoir trois livres des Erreurs amoureuses. Un livre de vers liriques.
30
du solitaire premier, semblent avoir une grande
importance dans l’œuvre de Pontus, comme les
fontaines de l’Isle Cythérée ou l’Isle Andros garnie de
treilles de vigne dans seconde fable de la Fontaine
d’André, qui a force d’ennuyer35, ou encore le fleuve
Araxe où « se preuve si la fille est vierge », de la sixième
fable, en partie transformé en herbe, mais surtout ce
ruisseau décrit par Pontus dans les Erreurs amoureuses36
Ruisseau d’argent, qui de source inconnue
Viens escouler ton beau cristal ici,
En arrosant aux pieds de mon BISSY
Le roc vestu, & la campagne nue :
Pour la pensée en mon cœur survenue,
Quand près de toy je fondois mon souci,
Je te viens rendre éternel grammerci,
Couché auprès de ta rive chenue.
Un vert esmail d’une ceinture large
T’enjaspera & l’une & l’autre marge,
Puis j’écriray ce vers sus un Porphire :
LOIN, LOIN, PASTEURS, SI PROFANES VOUS ESTES,
CAR LES NEUF SEURS, EN FAVEUR DES POETES
M’ONT CONSACRE LE MACONNOIS BAPHIRE37
Peut-être faudrait-il considérer cette salle basse du
château comme son Isle Andros entourée du fleuve
Araxe dont les flots se seraient transformés en une
végétation fantastique, un refuge pour l’oubli d’erreurs
amoureuses.
Malheureusement, une grande partie du décor de Bissy
a aujourd’hui disparu et notamment la base du paysage
conservé qui aurait pu confirmer ou infirmer la
présence de l’eau dans la composition. Mais il est assez
tentant de voir dans cette pièce unique, l’allégorie du
jardin de Pontus en constituant la paradisiaque île. Nul
animal peuplant un hortus conclusus médiéval, nul
caractère pastoral pouvant évoquer L’Arcadie de J.
Sannazar38, mais plutôt « les jardins qui sentent le
sauvage », « le flot de l’eau qui gazouille au rivage. »
qu’affectionnent Ronsard39, ou le paysage environnant
Bissy, son sien jardin aux accents de « rustiques
figulines » de Bernard Palissy d’inspiration médiévale.
Sans doute faut-il voir ici une expression figurée de
cette « douce violence » défendue par Pontus de Tyard
où, comme le dit Jacques Pelletier du Mans : La poésie
« est un exercice d’une bien douce folie 40».
PALISSE Fabien,
Architecte du Patrimoine, Ecole Nationale Supérieure
d’Architecture de Clermont-Ferrand
Plus un recueil des nouvelles œuvres poétiques. Galior du Pré, Paris 1573,
page 108
37 Baphire est un toponyme de Buxy dans le dictionnaire
topographique de Saône-et-Loire
38 Edité par Jean Martin à Paris en 1544
39 RONSARD Pierre de, Réponse aux injures et calomnies de je ne sais quels
prédicateraux et ministraux de Genève, cité par LECUYER Raymond et
CADILHAC Paul-Emile (dir.), Demeures inspirées et sites romanesques,
Editions SNEP Illustration ; Paris 1949)
40 PELETIER DU MANS Jacques, L’amour des amours, Ian de
Tournes, Lyon, 1555