Academia.eduAcademia.edu

L’étranger en révolution(s)

2022, La Révolution française

La Révolution française Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française 22 | 2022 L'étranger en révolution(s) L’étranger en révolution(s) Paolo Conte, Mathieu Ferradou et Jeanne-Laure Le Quang Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/lrf/5946 DOI : 10.4000/lrf.5946 ISSN : 2105-2557 Éditeur IHMC - Institut d'histoire moderne et contemporaine (UMR 8066) Référence électronique Paolo Conte, Mathieu Ferradou et Jeanne-Laure Le Quang, « L’étranger en révolution(s) », La Révolution française [En ligne], 22 | 2022, mis en ligne le 20 janvier 2022, consulté le 23 janvier 2022. URL : http:// journals.openedition.org/lrf/5946 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lrf.5946 Ce document a été généré automatiquement le 23 janvier 2022. © La Révolution française L’étranger en révolution(s) L’étranger en révolution(s) Paolo Conte, Mathieu Ferradou et Jeanne-Laure Le Quang NOTE DE L’AUTEUR Ce numéro s’inscrit dans une réflexion collective autour du thème de la présence des étrangers dans les processus révolutionnaires initiée lors d’un séminaire de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHMC-IHRF) en décembre 2018, suivi par une journée d’études en octobre 2020 à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Nous tenions à remercier chaleureusement les institutions qui ont permis d’organiser les initiatives qui sont à l’origine de ce numéro thématique : les deux laboratoires qui ont financé la journée d’études, l’IHRF au sein de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (IHMC) et le MéMo, mais aussi les universités de Paris 1, Paris 8 et Paris Nanterre, ainsi, bien sûr, que le comité de rédaction de la revue La Révolution Française. Notre gratitude va également à tous les participants à la journée d’études et aux contributeurs de ce numéro. 1 En 1918, alors que l’Europe était encore plongée dans les horreurs de la déchirure de la Grande Guerre, Albert Mathiez publiait La Révolution et les étrangers, dont le sous-titre avait valeur programmatique : cosmopolitisme et défense nationale 1. L’admirateur de Jaurès et fondateur des Annales révolutionnaires y montrait que, alors même qu’elle était assaillie par toute l’Europe des rois coalisés, la France révolutionnaire ne prit jamais des mesures aussi tranchées, aussi systématiques que celles adoptées dès 1914 par la IIIe République, à savoir l’internement en camps de concentration des ressortissants des pays avec lesquels la France était en guerre, en premier lieu les Allemands. Elle développa au contraire des mesures de contrôle et de répression de manière désordonnée et non sans contradiction. Fin connaisseur des dynamiques à l’œuvre (il était également l’historien de La Conspiration de l’étranger, publiée la même année 2), Mathiez chercha ainsi à proposer une histoire de la tension dialectique entre l’idéal cosmopolite qui animait les révolutionnaires français et les nécessités de la guerre qui rejaillirent sur les étrangers en France. Il voyait dans ce changement d’esprit des temps, ainsi qu’il l’écrit lui-même, la conséquence du remplacement de la lutte des La Révolution française, 22 | 2022 1 L’étranger en révolution(s) classes (intérieure comme extérieure) par la « lutte des races », ainsi qu’il qualifie la Grande Guerre, et le triomphe des nationalismes, mot lui-même directement issu de la Contre-Révolution. 2 Cent ans après, on ne saurait nier que l’urgence de rouvrir ce chantier historiographique s’est imposée à l’heure où le pacte social doit faire face à des défis, tant politiques qu’intellectuels, inédits. Ce numéro voit le jour alors que l’Europe renonce jour après jour à ses principes fondateurs en se crispant sur ses frontières face à la « crise des migrants », subissant ainsi le chantage des régimes dictatoriaux ou autoritaires à ses portes3, alors que le Parlement français a adopté en août 2021 une loi « confortant le respect des principes de la République », surnommée loi « séparatisme ». Il ne s’agit là que de l’aboutissement d’un processus entamé par le gouvernement français depuis une dizaine d’années et visant à ériger en ennemi de la République le supposé ennemi intérieur islamiste (un « étranger », en somme, aux « valeurs de la République »). Ce processus est commencé au moins depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en 2010 et s’est ensuite développé par la proposition de déchéance de nationalité de François Hollande en 2015 et par la campagne présidentielle actuelle, dans laquelle plusieurs mouvements politiques veulent faire de certains Français des figures de l’autre absolu, étranger à la Cité républicaine. La France républicaine, qui n’est pas en guerre, mais n’en est pas moins en état d’urgence, semble donc bien loin des principes fondateurs dans lesquels elle prétend s’inscrire. L’Europe dans son ensemble, ainsi que les États-Unis, semblent avoir oublié les idéaux cosmopolitiques du dix-huitième siècle4, remplacés par ce repli qui n’est pas sans rappeler celui du début du vingtième siècle5. 3 Pour autant, cette réflexion, certes mue par l’urgence du présent, se devait de s’en déprendre et, pour cela, de s’ancrer dans les profonds renouvellements historiographiques dont les questions de l’étranger, de la nation/nationalité, de l’identité, et du cosmopolitisme ont fait l’objet depuis les vingt à trente dernières années. C’est en effet en 1997 que paraît l’ouvrage majeur de Sophie Wahnich, L’Impossible citoyen : l’étranger dans le discours de la Révolution française 6. Dans ce travail fondamental, l’autrice rouvrait le chantier délaissé depuis la parution de l’ouvrage inaugural de Mathiez et interrogeait les discours révolutionnaires pour mettre en évidence l’importance du registre des sentiments et notamment celui de la fraternité – qui reposait sur la (re)connaissance et la réciprocité. Elle a posé ainsi un jalon essentiel de la réflexion sur ce que signifie la nation révolutionnaire, et donc sur la manière dont s’articule la dialectique entre la délimitation de la nation et l’universalisme au cœur de l’idéal révolutionnaire. Quelques années auparavant, en suivant les exilés italiens en France, Anna Maria Rao, avec Esuli. L’emigrazione politica italiana in Francia (1792-1802), avait posé la question de la circulation politique des idées et des hommes, et donc l’imbrication transnationale des révolutionnaires7. 4 Pourtant, dans les années 2000, les travaux des historiens français concernant les étrangers n’ont pas suivi cette route, les considérant davantage sous l’angle du contrôle par l’État ou sous celui des approches juridiques8. C’est outre-Manche, dans le sillage des travaux fondateurs de Benedict Anderson sur la nation comme « communauté imaginée » et sur la transformation des nations souveraines d’avant le nationalisme 9, que la piste initiée par Sophie Wahnich a davantage été suivie, avec les travaux de Mike Rapport. Son livre, Nationality and Citizenship in Revolutionary France : The Treatment of Foreigners 1789-1799, publié en 2000, a repris la question centrale et finalement trop peu La Révolution française, 22 | 2022 2 L’étranger en révolution(s) traitée du lien entre nation et citoyenneté et a mis fin à bien des idées reçues grâce à un travail au plus près des archives, les confrontant aux discours. De là, Mike Rapport apportait deux conclusions décisives. D’une part, les étrangers ont occupé une place centrale dans la Révolution, à la fois dans la définition de la nation politique que la Révolution a tenté de mettre en place, mais également par leurs actions dans le processus révolutionnaire, ce qui les a rendus indispensables dans plusieurs domaines (finances, armée, notamment). D’autre part, la « Terreur » n’a jamais été une retraite face au cosmopolitisme initial de la Révolution, et les étrangers qui furent inquiétés, voire persécutés, le furent pour leurs positions politiques et non parce qu’ils étaient étrangers, malgré la xénophobie ambiante provoquée par le contexte de guerre 10. 5 Le mitan des années 2000 a vu, parallèlement, un renouvellement des approches : l’étranger est alors étudié dans son rapport avec les sociétés dans lesquelles il s’insère, dans une perspective de longue durée11. Dans ce contexte, les travaux d’Anne Simonin ont fait écho avec force aux apports de Sophie Wahnich et de Mike Rapport pour éclairer la notion d’étranger dans la Révolution. Son ouvrage majeur, Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité, 1791-1958, reprend à nouveaux frais la question posée par Mathiez et montre clairement que la ligne de fracture n’était pas la nationalité mais bien le retrait de l’individu de la cité républicaine, qu’il soit un « naturel » ou un « non-naturel », clarifiant ainsi deux notions trop souvent confondues, la nationalité et la naturalité. Cela permet d’en exposer les implications politiques, car, selon cette analyse, l’étranger était bien le contre-révolutionnaire, le brigand, le factieux. De ce fait, l’origine géographique n’avait que peu à voir avec cette définition12. 6 Fort de ces apports historiographiques, ce numéro a pour ambition de s’inscrire dans une perspective large, sinon globale, à tout le moins atlantique et méditerranéenne. Ainsi que Micah Alpaugh l’a récemment souligné13, la question de l’étranger relève d’une histoire intriquée (entangled history), c’est-à-dire que les protagonistes agissent dans des croisements transnationaux continus, éclairant ainsi l’idéal cosmopolite qui les anime de part et d’autre de la Manche ou de l’Atlantique 14. Le présent numéro entend donc porter la focale non seulement sur les espaces, mais aussi sur les hommes et sur leurs réseaux. Il s’agit de voir en quoi le croisement et l’influence entre différents modèles révolutionnaires se font par le biais d’hommes et de femmes qui circulent d’un contexte national à l’autre, qui s’installent définitivement dans un nouveau pays ou bien y demeurent pendant une courte période, et qui peuvent par la suite rentrer dans leur patrie ou bien continuer ailleurs leur voyage15. S’inscrivant résolument dans une approche à la fois sociale et culturelle du politique, les études rassemblées ici ne se limitent donc pas à la manière dont les étrangers ont pu être les réceptacles passifs de politiques à leur encontre, mais visent à mettre en valeur le rôle que ces étrangers jouent dans le processus révolutionnaire du fait de leurs bagages culturels, de leurs activités politiques ou même, tout simplement, du fait de leur présence. Il s’agit également de valoriser l’importance des compétences et des savoirs dans les dynamiques migratoires. Dans une optique d’histoire des mobilités, et sans oublier les persistances des rapports de ces hommes et femmes avec leur pays d’origine, les articles du dossier se focalisent surtout sur l’analyse de l’intégration des étrangers dans ces contextes nouveaux, et sur la façon dont ils s’installent dans les réseaux du pays d’accueil, sur leurs rapports avec ses institutions. La Révolution française, 22 | 2022 3 L’étranger en révolution(s) 7 Dans ce cadre, nous nous proposons d’aborder la présence étrangère en tant que vecteur contribuant à part entière aux luttes et aux redéfinitions politiques de l’époque. De fait, l’interrogation sur la réciprocité dans les contextes révolutionnaires permet de mettre à jour l’importance de la participation de ces étrangers dans la construction d’une Cité nouvelle, par des interactions culturelles continues, ainsi que par le biais de leur engagement individuel. Si ces citoyens sont loin d’avoir seulement subi, de manière passive, leur séjour en terre étrangère, dans le même temps le pays d’accueil ne s’est pas borné simplement à accepter ou refuser ces étrangers. De ce fait, c’est cette vraie réciprocité que nous avons voulu questionner, ces échanges croisés qui font que ces citoyens n’ont pas fait que s’adapter au contexte où il se sont trouvés amenés à agir. D’où le titre de ce numéro, qui se veut un renversement de perspective par rapport à l’ouvrage initial de Mathiez : il ne s’agit plus d’étudier ce que la Révolution fait aux étrangers, mais bien de comprendre ce que les étrangers ont fait aux Révolutions, car, souvent, ils sont imbriqués dans plusieurs d’entre elles. 8 Il nous a fallu tout d’abord prendre en compte la porosité de la notion même d’« étranger », qui peut concerner non seulement des femmes et des hommes ressortissants d’autres contextes nationaux, mais également des individus se trouvant à vivre dans un état d’exclusion de leur société d’appartenance pour des raisons politiques, sociales ou religieuses. Cette complexité du phénomène de l’étrangeté – qui peut donc avoir tant des connotations politiques différentes que des implications sociologiques et psychologiques variées – pousse à adopter une multiplicité d’approches. Ainsi, des études « classiques » (comme des biographies concernant des parcours particuliers) croisent dans ce numéro des réflexions plus générales sur le sentiment d’étrangeté que peuvent ressentir les Français voyageant à l’intérieur des frontières nationales ou bien certains citoyens faisant partie d’une population urbaine particulière. Est également soulignée la dimension cosmopolite (et cosmopolitique) de l’activité de ces étrangers, à savoir leur contribution à cette sorte de toile des révolutions des deux côtés de l’Atlantique comme dans plusieurs pays d’Europe. De plus, l’histoire des mobilités visant à enquêter sur des trajectoires révolutionnaires de groupes nationaux spécifiques s’articule avec l’analyse des mécanismes de contrôle qui sont mis en place par les institutions du pays d’arrivée (notamment la police). Enfin, en proposant un élargissement du point de vue non seulement spatial, mais aussi chronologique, nous entendons réfléchir sur cette présence étrangère bien au-delà de la période de la Convention, qui a concentré jusqu’aujourd’hui le regard historien, en étant attentifs également aux évolutions que connaît le sort des étrangers sous le Directoire et la période napoléonienne. 9 Plusieurs pistes de réflexion collective peuvent être ouvertes. Les diverses contributions questionnent toutes, chacune par un angle d’attaque spécifique, la manière de « se sentir étranger » ou d’être considéré comme étranger pendant la période révolutionnaire (jusqu’à la fin de l’Empire). De fait, l’un des fils rouges du numéro est la question de la perception, de soi et des autres, comme étranger. L’encadrement législatif relativement restreint de la nationalité/de l’extranéité à l’époque révolutionnaire laisse la porte ouverte, dans les faits, à une conception complexe de ce qu’est un étranger, une conception qui dépasse largement cette seule question de la nationalité. Ce qui est en jeu, c’est la question de la construction d’un sentiment d’appartenance nationale, qui conduit à considérer comme « étranger » même des nationaux : le Français venu d’une autre province, mais aussi le paysan peu La Révolution française, 22 | 2022 4 L’étranger en révolution(s) séduit par les idéaux révolutionnaires, ou encore les individus rejetés du corps national parce que considérés comme ennemis (les nobles, les émigrés, etc). Cette « étrangeté à plusieurs degrés » questionne de fait les limites de la citoyenneté. Par ailleurs, dans les moments d’agrandissement du territoire national, les populations des nouveaux territoires annexés sont-ils des Français à part entière, ou demeurent-ils considérés comme des étrangers16 ? 10 Ce sentiment d’appartenance, qui construit le rapport à l’étranger pendant la période, n’est par ailleurs pas figé, mais fluctue selon les circonstances politiques et le contexte extérieur. Ainsi, une réalité concrète (l’extranéité, la nationalité étrangère) pose plus ou moins problème selon les moments : le fait d’être étranger est plus ou moins accepté, vu avec plus ou moins de défiance, et fait ainsi l’objet d’une dangerosité fluctuante. Parfois objets de marques de considération, voire d’attachement, les étrangers sont érigés en symboles du cosmopolitisme révolutionnaire, de son extension au-delà des frontières françaises et, partant, sont accueillis avec hospitalité, ce qui permet leur participation à la construction républicaine. À d’autres moments, ils sont en revanche rejetés : les circonstances exceptionnelles de la guerre tant civile qu’extérieure ont permis l’essor de pratiques de surveillance nouvelles élaborées à l’égard des étrangers à l’époque révolutionnaire. Ces pratiques se prolongent sous l’Empire, tendant à l’enregistrement de plus en plus efficace des étrangers dans des registres ou des fiches, grâce notamment au rôle croissant du passeport 17, ce qui permet de mettre en œuvre des pratiques répressives sous la forme d’arrestations, d’expulsions du territoire ou de mises « hors la loi ». De nombreux décrets contre les étrangers sont ainsi pris entre août 1793 et avril 1794, ciblant souvent spécifiquement les Anglais, dans un contexte de crainte obsessionnelle du « complot de l’étranger » et de l’espionnage anglais. 11 On peut questionner d’autre part la fabrique de l’étrangeté de manière multiscalaire : à l’échelle nationale (celle des autorités et administrations qui encadrent la fabrication des normes et des regards sur certains groupes définis comme étrangers au corps national), mais aussi à l’échelle locale. Pour l’Ancien Régime, Simona Cerutti a ainsi proposé de cesser d’envisager seulement le rôle du souverain et des institutions centrales dans la définition de l’étranger, avançant que c’est à l’échelle locale que se joue la détermination des contours de l’altérité. D’après elle, le terme « étranger » ne désigne pas seulement, ni principalement, un individu distingué par son origine géographique, mais renvoie plutôt à une condition d’extranéité, qui peut n’être que transitoire, et englobe de nombreux marginaux caractérisés par leur « condition d’incertitude » et par la faiblesse de leur appartenance locale 18. De même pour la période révolutionnaire, il faut placer la focale sur la perception de l’étranger par les individus, au ras du sol, par le contact direct avec l’autre, en milieu urbain comme en milieu rural, avec toutes les différences dues à ces espaces particuliers. Selon les moments, ainsi que l’a souligné Sophie Wahnich, c’est l’insertion dans les réseaux locaux qui permet à l’étranger de ne plus l’être, ou au contraire, qui réactive la perception de l’extranéité d’un individu19. En envisageant aussi le comportement réciproque population/étrangers, une typologie se dessine entre accueil, défiance, surveillance et conflits ouverts. 12 Enfin, ce numéro met l’accent sur les circulations des individus en temps de Révolution et le rôle de ces circulations elles-mêmes dans la construction de la définition de l’étranger, et dans les événements des différents pays qu’ils traversent. C’est La Révolution française, 22 | 2022 5 L’étranger en révolution(s) notamment la question du retour qui est soulevée par plusieurs contributeurs : l’individu qui est devenu étranger en quittant son pays ou sa province est-il réintégrable à son retour ou son étrangeté est-elle définitive ? Quels sont les impacts de cette mobilité sur les lieux/sociétés d’origine ? L’articulation entre les idéaux universalistes et cosmopolitiques et l’inscription dans l’échelle locale interrogent alors la possibilité d’une citoyenneté « glocale » qui, en retour, questionne l’idée même de république20. 13 Dans cette tension constante entre cosmopolitisme et patriotisme qui caractérise la Révolution française, nous avons articulé les contributions de ce numéro en trois axes. Dans un premier temps, il nous a paru nécessaire de réfléchir à la fois à la façon dont des citoyens français vivent cette étrangeté et à la manière dont les institutions locales gèrent cette présence de réfugiés d’autres pays. En croisant l’histoire sociale avec l’histoire institutionnelle, il s’agit ainsi d’enquêter sur les répercussions de cette présence étrangère sur la production législative, sur l’administration des passeports et des feuilles de séjours, sur les pratiques de maintien de l’ordre public comme sur les modalités d’hospitalité adoptées par les hôtels et les maisons garnies 21. Ainsi, par l’étude du contexte urbain de Grenoble, Jean-Loup Kastler, dans « Les étrangers et la révolution entre Genève et Grenoble : peut-on faire la révolution sans se sentir étranger ? », analyse ces étrangers « par défaut », mus cependant par le désir de s’intégrer à la vie de leur cité, et formule l’hypothèse d’un « modèle révolutionnaire montagnard », qui n’est pas celui de la Convention, mais qui naît dans le Dauphiné et se caractérise par un patriotisme urbain néo-mercantiliste influencé par des formes de « girondinisme social ». Jeanne-Laure Le Quang, quant à elle, réfléchissant sur la gestion des étrangers par les institutions françaises sous le Consulat et l’Empire, interroge, dans « De l’ennemi au nouveau Français : la gestion des étrangers par la police napoléonienne (1799-1814) », les mesures de haute police mises en place sur les ressortissants de nations ennemies dans un contexte de guerre quasi permanente, où la présence tant des membres de la diplomatie demeurant à Paris que des prisonniers de guerre disséminés sur le territoire génère une concentration de la suspicion policière à l’égard de ces étrangers. Cependant, comme le souligne Gilles Bertrand dans « Quand l’étranger est le Français qui voyage : voyager en temps de révolution (années 1780années 1800) » en enquêtant sur les voyages des Français tant dans l’Hexagone qu’en Italie, l’étranger n’est pas seulement celui qui peut menacer l’ordre institué par sa présence, mais aussi « celui qui, en France même, ne faisait pas partie de la communauté politique définie par les idéaux de la Révolution ». Ainsi, la complexité de ce phénomène renvoie moins à un statut juridique ou politique, qu’au registre des affects : l’étrangeté peut donc être perçue comme un « état d’âme », comme une manière de vivre produisant « des modes d’appréciation de soi qui renvoient à de nouvelles valeurs, moins révolutionnaires ou contre-révolutionnaires que sentimentales ». 14 Éviter de concevoir ces étrangers en révolution comme une masse amorphe et indistincte, pour envisager au contraire des trajectoires individuelles comme collectives – centrées par exemple sur certains groupes nationaux – permet, dans un second axe, de questionner la contribution active et concrète que cette présence a apporté au déroulement d’un événement dont l’impact a été crucial bien au-delà des frontières hexagonales. Cette approche permet aussi d’enquêter sur les conséquences de ce séjour sur l’élaboration de leurs cultures politiques nationales respectives. Une recherche biographique typique de l’histoire des mobilités, comme le travail présenté La Révolution française, 22 | 2022 6 L’étranger en révolution(s) par Paolo Conte sur le parcours politique de l’Italien Giambattista Rotondo (« Un retour malheureux : l’Italien Giambattista Rotondo, ou une « machine ouvrière » dans l’Europe en révolution »), vise à enquêter, par un casus studi particulier jusqu’à présent assez peu connu, sur la profondeur de cette présence étrangère dans la France en révolution, audelà des élites politiques les plus influentes. En même temps, en suivant les différentes trajectoires à travers toute l’Europe de ce personnage singulier, ce travail permet d’aborder la question du retour, et donc de réfléchir sur les répercussions que, grâce aux expériences vécues ailleurs, ces étrangers peuvent entraîner dans la lutte politique de leur pays de provenance. 15 Au-delà des groupes nationaux spécifiques, ces circulations d’« étrangers » peuvent être abordées également sous d’autres points de vue, tels ceux du genre ou de la religion. Par l’étude de la façon dont des femmes de lettres anglaises ont décrit et vécu les événements révolutionnaires lors de leur séjour à Paris, Valentina Altopiedi, avec « Une Révolution pour tous ? Comment des femmes anglaises ont vécu et écrit la Révolution française : le cas de Mary Wollstonecraft et Helen Maria Williams », réfléchit à la construction du récit de la Révolution française au prisme d’un regard qui est en même temps celui de femmes et d’étrangères. Par ce biais, elle souligne l’agentivité de ces femmes qui, comme Mary Wollstonecraft et Helen Maria Williams, ont voyagé, écrit et pris la parole à la fois pour défendre leurs droits au-delà de leur patrie et pour défendre la Révolution française auprès d’un public anglais influencé par la propagande gouvernementale anti-française, ce qui n’allait pas sans contradictions lorsqu’elles devaient adopter un langage « britannique » ou lorsque leurs propres inscriptions dans des réseaux partisans rendaient cette défense plus délicate. Par l’analyse de trois cas de citoyens musulmans agissant dans la France de l’an II dans « Possibles Citoyens : Étrangers originaires du monde musulman et hospitalité révolutionnaire sous la “Terreur” », Ian Coller examine quant à lui comment les étrangers « orientaux » ont à la fois négocié et construit par le combat leur citoyenneté, en suggérant l’hypothèse d’un cosmopolitisme qui ne disparaît pas en 1793, mais qui se reproduit en prenant d’autres formes. De manière plus générale, il invite à « repenser les pratiques et les politiques de terreur par rapport aux étrangers », convaincu que cette hospitalité révolutionnaire ne s’exprime pas simplement de manière verticale et que doivent donc être pris en compte non seulement les discours des élites politiques, mais aussi d’autres modalités de participation politique, comme les délibérations des municipalités ou les fêtes révolutionnaires locales. 16 Enfin, la Révolution française ne se conçoit pas dans un isolat géopolitique : les similarités comme les différences entre pays dans l’appréhension de l’étranger permettent d’apporter un éclairage neuf, tant sur l’histoire de la Révolution française que sur celle des différents contextes nationaux, ainsi que sur les échanges et transferts à l’échelle internationale. Dans le sillage du spatial turn, Mike Rapport, en étudiant les écrits de quatre visiteurs européens à Paris – le Russe Nikolaï Mikhaïlovitch Karamzine, l’Anglaise Helen Maria Williams, le Suisse Jakob Heinrich Meister et l’Allemand Friedrich Johann Meyer – dans « Les visiteurs étrangers et l’espace urbain : un premier pas vers “Une histoire européenne du Paris révolutionnaire” ? », met en évidence le système de représentations spatiales de ces témoins étrangers du Paris révolutionnaire, transformant ainsi les espaces qu’ils visitent en lieux chargés d’affects et de mémoires, éclairant ainsi la manière dont la Révolution s’incarne dans une topographie politique parisienne qui met en scène le changement de l’Ancien Régime vers un nouvel ordre politique. Pour terminer, renversant la perspective du numéro afin de décentrer le La Révolution française, 22 | 2022 7 L’étranger en révolution(s) regard et de questionner cette problématique de la présence étrangère et de sa gestion par les autorités dans un contexte plus large, Anthony Di Lorenzo et Mathieu Ferradou proposent, avec « The Early “Republic of France” as a Cosmopolitan Moment », de comprendre la « Révolution de France » – ainsi que l’écrivait Edmund Burke en lançant la grande offensive contre-révolutionnaire – comme étant intégrée dans une dynamique bien plus large, la déclinaison à l’échelle d’un pays, selon ses modalités propres, d’un processus plus vaste, qui s’articule dans une dimension tant régionale que globale. À travers le prisme du regard que portaient des étrangers issus des pays anglophones, héritiers d’une longue tradition républicaine, ils cherchent à montrer que, avec la Révolution, c’était la France qui n’était plus étrangère à la famille de l’humanité cosmopolitique. L’antiesclavagisme fut un élément central de cette redéfinition et le point nodal qui suscita l’opposition la plus acharnée contre la France, nourrissant l’offensive idéologique qui vit la parenthèse cosmopolitique se refermer vers 1797-1798 pour transformer la République atlantique cosmopolitique en empires – américain, anglais, français – nationalistes. 17 Ce numéro n’a pas vocation à épuiser les possibles, mais représente une étape d’un chantier ouvert et fertile : un chantier qui, certes, est encore largement francocentré, mais qui pourra s’enrichir d’une perspective encore plus comparatiste ou globale. De ces différentes études et approches émerge toutefois une conclusion provisoire : l’étranger en révolution(s) est bien une question politique dont il convient de se saisir à travers une démarche compréhensive embrassant les aspects sociaux et culturels de cette condition d’étranger, qui est redéfinie avec les transformations profondes engendrées par les révolutions. L’opposition binaire entre accueil et rejet des étrangers apparaît alors factice (n’ayant de sens que dans une histoire « par en haut », vue depuis les États et dans une perspective centrée sur l’échelon national) et c’est une tout autre dialectique, plus heuristique, qui émerge lorsque se pose la question : être étranger à quoi ou à qui ? La réponse – pour peu qu’elle croise les échelles nationale, mais aussi locale et régionale, voire globale – tient dans la réciprocité rendue possible par l’existence d’un ordre, voire d’un système international et de la culture politique qui le sous-tend22. La conception révolutionnaire et démocratique d’un cosmopolitisme comme « citoyen du monde » et donc de la fraternité des peuples, ouvre ainsi la possibilité d’être partout chez soi (« where liberty dwells, here is my country », aurait écrit Benjamin Franklin23), c’est-à-dire d’être « citoyen du monde », dans une citoyenneté qui ne serait plus exclusivement réservée aux élites, contrairement à l’Ancien Régime. 18 Le dix-neuvième siècle s’ouvre pourtant comme dans un miroir inversé du projet révolutionnaire, celui des nations définies par le droit du sang et donc, à nouveau, par la naturalité (Code civil napoléonien) et non par la politique, celui du rétablissement de l’esclavage au moment du tournant du racisme scientifique faisant de l’esclave cet étranger à l’humanité (alors que, avec l’abolition de 1794, c’était l’esclavagiste le coupable de « lèse-humanité »24), celui, enfin, du triomphe des logiques impérialolibérales25. Il nous semblait donc – pour reprendre ce qu’Albert Mathiez écrivait il y a un siècle – qu’« essayer de faire revivre le rôle que ces étrangers jouèrent dans le drame de la révolution ne serait peut-être pas sans intérêt, ni sans utilité 26 ». La Révolution française, 22 | 2022 8 L’étranger en révolution(s) NOTES 1. Albert MATHIEZ, La Révolution et les étrangers. Cosmopolitisme et défense nationale, Paris, Renaissance du Livre, 1918. 2. ID., La Conspiration de l’étranger, Paris, A. Colin, 1918. 3. Ainsi dans un éditorial marquant du Monde, en date du 26 février 2016, pouvait-on lire : « les historiens dateront certainement de cette affaire, de ces années 2015-2016, le début de la décomposition de l’Europe. Ils diront que ce fut un beau projet commencé au milieu des années 1950 et qui s’achève avant le premier quart du XXIe siècle ». https://www.lemonde.fr/idees/ article/2016/02/26/crise-des-refugies-l-europe-vit-un-moment-historique_4872353_3232.html 4. Marc BELISSA, Fraternité universelle et intérêt national, 1713-1795. Les cosmopolitiques du droit des gens, Paris, Kimé, 1998 ; Pierre XVIII e SERNA, « Introduction - L’Europe une idée nouvelle à la fin du XVIIIe siècle, siècle ? », La Révolution française [En ligne], Dire et faire l’Europe à la fin du mis en ligne le 14 juin 2011, consulté le 28 décembre 2021 : http://journals.openedition.org/lrf/252 5. Christophe CHARLE, La Crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d’histoire comparée, Paris, Seuil, 2001, p. 210-249. 6. Sophie WAHNICH, L’Impossible citoyen : l’étranger dans le discours de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1997. 7. Anna Maria RAO, Esuli. L’emigrazione politica italiana in Francia (1792-1802), Naples, Guida, 1992. 8. Avec notamment la publication de Marie-Claude DYONNET, Vincent BLANC-CHALÉARD, Caroline DOUKI, Nicole (dir.), Police et migrants : France, 1667-1939, Rennes, PUR, 2001, MILLIOT rassemblant plus particulièrement les contributions de Michel PERTUÉ, « La police des étrangers sous la Révolution française » (p. 63-74) et de Vincent DENIS, « Le contrôle de la mobilité à travers les passeports sous l’Empire » (p. 75-89). Voir également Renaud MORIEUX, « Des règles aux pratiques juridiques : le droit des étrangers en France et en Angleterre pendant la Révolution (1792-1802) », dans Philippe Chassaigne, Jean-Philippe Genêt (dir.), Droit et société en France et en XIIe-XXe Grande-Bretagne, siècles : fonctions, usages et représentations , Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 127-147. 9. Benedict ANDERSON, Imagined communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1983 ; John A. ARMSTRONG, Nations Before Nationalism, Univ. of North Carolina Press, 1992 ; Eric HOBSBAWM, Nations and Nationalism since 1780. Programme, Myth, Reality, Cambridge, CUP, 1990. 10. Mike RAPPORT, Nationality and Citizenship in Revolutionary France: The Treatment of Foreigners 1789-1799, Oxford, OUP, 2000. Voir aussi ID., « “Deux nations malheureusement rivales” : les Français en Grande-Bretagne, les Britanniques en France, et la construction des identités nationales pendant la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, n o 342, 2005, p. 21-46. 11. Marie-Claude BLANC-CHALÉARD, Stéphane DUFOIX, Patrick Moyen Âge à l’an 2000, Paris, Le Manuscrit, 2005 ; Anna Pilar González BERNALD, Manuela MARTINI, WEIL CAIOZZO, Marie-Louise (dir.), L’Étranger en questions du Liliane CRIPS, PELUS-KAPLAN, Florence GAUTHIER, Étrangers et sociétés. Représentations, coexistences, interactions dans la longue durée, Rennes, PUR, 2008. 12. Anne SIMONIN, Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité, 1791-1958, Paris, Grasset, 2008, notamment dans le chapitre IV, « Être non citoyen sous la Terreur. Le collaborateur et l’indigne, deux figures de l’ennemi intérieur », p. 263-360. 13. Micah ALPAUGH, Friends of Freedom. The Rise of Social Movements in the Age of Atlantic Revolutions, Cambridge, CUP, 2021. La Révolution française, 22 | 2022 9 L’étranger en révolution(s) 14. Nous remercions d’ailleurs Micah Alpaugh pour avoir offert, lors de la journée d’études, une contribution tirée de son livre alors en préparation et intitulée « The Universalist Aurora: Cosmopolitan Borrowings and Aspirations in the Early French Revolution, 1789-1792 ». Pour des mises au point récentes sur la manière dont l’histoire globale ou transnationale se transforme en histoire intriquée, voir Maxime KACI, Anna KARLA et Aurélien LIGNEREUX (dir.), L’Âge des révolutions : rebonds transnationaux, AHRF, no 397, 2019-3, et le forum initié par Manuel MARUSHKE et Megan COVO (dir.), The French Revolution as an Imperial Revolution, French Historical Studies, vol. 44, no 33, 2021, ainsi que les réponses qu’il a suscitées : Jennifer NGAIRE HEUER (dir.), Global History, Imperialism and the French Revolution, vol. 13, issue 19, H-France Salon, https://h-france.net/hfrance-salon-volume-13-2021/#1319 Sur les circulations républicaines contribuant à la redéfinition d’un espace européen, méditerranéen et atlantique transnational, voir entre autres Pierre SERNA (dir.), Républiques sœurs. Le Directoire et la Révolution atlantique, Rennes, PUR, 2009 ; Suzanne DESAN, Lynn HUNT, et William Max NELSON (dir.), The French Revolution in Global Perspective, Ithaca, Cornell University Press, 2013 ; Joanna INNES, Mark PHILP (dir.), Re-Imagining Democracy in the Age of Revolutions : America, France, Britain, Ireland, 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; Clément THIBAUD, « Pour une histoire polycentrique des républicanismes atlantiques (années 1770 – années 1880) », Revue d’histoire du XIXe siècle [en ligne], no 56, 2018, DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.5593 15. Gilles BERTRAND et Pierre SERNA (dir.), La République en voyage, 1770-1830, Rennes, PUR, 2013. 16. Aurélien LIGNEREUX, L’Empire des Français, 1799-1815, Paris, Le Seuil, 2012, p. 260-267. Concernant davantage la question de la naturalisation, voir Patrick WEIL, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Gallimard, 2005. 17. Vincent DENIS, Une histoire de l’identité : France, 1715-1815, Seyssel, Champ Vallon, 2008 ; Sébastien LAURENT, Politiques de l’ombre : État, renseignement et surveillance en France, Paris, Fayard, 2009. 18. Simona CERUTTI, Étrangers : étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien régime, Montrouge, Bayard, 2012. Voir aussi Ida SIMON-BAROUH et Pierre-Jean SIMON, Les Étrangers dans la ville : le regard des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 2000. Pour une perspective opposée, voir Peter SAHLINS, Unnaturally French. Foreign Citizens in the Old Regime and After, Ithaca & London, Cornell University Press, 2004. 19. Sophie WAHNICH, L’Impossible citoyen…, op. cit., p. 57-63. 20. René KOEKKOEK, The Citizenship Experiment. Contesting the Limits of Civic Equality and Participation in the Age of Revolutions, Leiden, Boston, Brill, 2020. 21. Sur les structures d’accueil parisiennes, voir Daniel accueil à Paris, fin XVIIe-début XIXe ROCHE (dir.), La ville promise : mobilité et siècle, Paris, Fayard, 2000. Concernant la police des étrangers, voir Marco MERIGGI, Anna Maria RAO (dir.), Stranieri: controllo, accoglienza e integrazione negli Stati italiani (16.-19. secolo), Naples, FedOApress, 2020 ; et, dans une perspective plus internationale, les études réunies par Olivier CAPOROSSI (dir.), Histoire de la police des étrangers : les expériences atlantiques, XIVeXXe siècle, Paris, les Indes savantes, 2015. 22. Marc BÉLISSA, Repenser l’ordre européen (1795-1802). De la société des rois aux droits des nations, Paris, Kimé, 2005 ; Mlada BUKOVANSKY, Legitimacy and Power Politics. The American and French Revolution in International Political Culture, Princeton, Princeton Univ. Press, 2002. 23. Dans une lettre à Benjamin Vaughan datée du 14 mars 1783, selon Henry Louis MENCKEN, A New Dictionary of Quotations on Historical Principles from Ancient and Modern Sources, New York, A. A. Knopf, 1962, p. 682. Toutefois, la lettre est absente des Benjamin Franklin Papers et la citation est ainsi considérée comme apocryphe. Un portrait imprimé par J. Almon à Piccadilly, Londres), et daté du 21 avril 1777, associe déjà Franklin à la locution latine ubi libertas ibi patria. La Révolution française, 22 | 2022 10 L’étranger en révolution(s) 24. Pierre SERNA, « Que s’est-il dit à la Convention les 15, 16 et 17 pluviôse an II ? Ou lorsque la naissance de la citoyenneté universelle provoque l’invention du “crime de lèse-humanité” », La Révolution française, no 7, 2014, URL : https://journals.openedition.org/lrf/1208 Voir aussi les contributions de la troisième partie (« Retour d’un droit colonial réactionnaire sous le Consulat et l’Empire ») dans Frédéric RÉGENT, Jean-François NIORT, Pierre Colonies, la Révolution française, la loi, Rennes, PUR, 2014, p. 149-227 ; Pierre SERNA, SERNA (dir.), Les « Tenir les noirs à l’œil. Hypothèses pour une “iconoirlogie” », AHRF, no 395, 2019, p. 171-191. Pour des perspectives synthétiques récentes, voir les contributions de Frédéric Clément THIBAUD RÉGENT, Cécile VIDAL, et dans Paulin Ismard (dir.), Les Mondes de l’esclavage. Une histoire comparée, Paris, Seuil, 2021. 25. Jennifer PITTS, A Turn to Empire: The Rise of Imperial Liberalism in Britain and France, Princeton, Princeton Univ. Press, 2006. 26. Albert MATHIEZ, La Révolution et les étrangers, op. cit., p. 4. RÉSUMÉS Vecteurs contribuant aux redéfinitions politiques de l’époque révolutionnaire, les femmes et hommes étrangers participent pleinement à la construction d’une cité nouvelle, par des interactions culturelles continues, ainsi que par le biais de leur engagement individuel. Ce numéro interroge ainsi à nouveaux frais le croisement et l’influence entre différents modèles révolutionnaires. Envisager des trajectoires individuelles comme collectives permet de mieux saisir la dialectique à l’œuvre entre la contribution que les étrangers ont apporté au déroulement de la lutte politique nationale et la manière dont les institutions ont géré leur présence, tout en cherchant à décentrer le regard et à questionner cette problématique dans un contexte européen et atlantique. As vectors contributing to the political redefinitions of the revolutionary era, foreign men and women fully participated in the construction of a new city through continuous cultural interactions as well as through their individual commitment. This issue thus takes a fresh look at the intersection between and influence of different revolutionary models. Looking at both individual and collective trajectories allows to better grasp the dialectic at work between the contribution that foreigners made to the unfolding of the national political struggle and the way in which institutions managed their presence, while seeking to broaden the focus of the observation and to tackle this question in a European and Atlantic context. AUTEURS PAOLO CONTE Université de Basilicate MATHIEU FERRADOU TEMOS (UMR 9013) Le Mans Université La Révolution française, 22 | 2022 11 L’étranger en révolution(s) JEANNE-LAURE LE QUANG Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne IHMC-IHRF La Révolution française, 22 | 2022 12