Les Musiques des jeunes
Pierre Mayol, Éliane Daphy, Jean-Michel Lucas, Régine Boyer, Patrick
Mignon, Norbert Bandier, Jean-Rémi Julien, Mireille Collignon, Gérard
Lavigne, Luc Souvet, et al.
To cite this version:
Pierre Mayol, Éliane Daphy, Jean-Michel Lucas, Régine Boyer, Patrick Mignon, et al.. Les Musiques
des jeunes : Actes de l’université d’été, Rennes, 7-11 juillet 1986. Pierre Mayol et Eliane Daphy.
CENAM, 94 p., 1987. hal-00469298
HAL Id: hal-00469298
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Submitted on 1 Apr 2010
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LES MUSIQUES
DES JEUNES
Actes de l'Université d'été
Rennes, 7·11 lulllet 1986
Avec lesoutien du ministère de la Culture
etde la Communication (Direction de la musique et de ladanse;
Département dela chanson, des musiques traditionnelles et de la pratique amateur;
Direction de l'administration générale etde l'environnement culturel;
Département des études et de la prospective), du ministère de l'Education nationale
(Direction des lycées etcollèges) et de l'Université Rennes II, Haute-Bretagne.
CENAM
CENTRE NATIONAL D'ACTION MUSICALE - 51, rue Vivienne - 75002 Paris - Tél: (1) 42 3338 24
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Contributeur : Eliane Daphy
LES CAHIERS DU CENAM
Numéros disponibles.
1
2
3
4
9
n
14
16
1976 L'île de la vieille musique. 5 F
1976 Galerie sonore. 5 F
1977 Le musibus • 5 F
1977 Festivals et animation. 5 F
1978Tour de France
de la rentrée. 5 F
1979 Le Nord. 5 F
1980Musique ancienne. 5 F
1980 Eveil au monde lyrique
(1 re partie) . 5 F
GUIDES
Musiques à prendre. Guide des pédagogies
musicales. 95 F + 76 F de frais d'envoi.
Maxi-rock, mini-bruits. lieux de répétition
.60 F
Musiques d'en France. Musiques et danses
des régions. 50 F
France, musiques d'ailleurs. 50 F
Guide du musicien amateur et
professionnel • 60 F
Guide de la danse. 60 F
17 1980 Guide du jazz. 5 F
18 1981 Les J.M.F •• 5 F
19 1981 Eveil au monde lyrique
Guide de la musique ancienne. 70 F
21
22
FICHIERS
(2e partie) . 5 F
1981 Musique et handicaps. lOF
1982Jazz et musiques
improvisées. lOF
28 1983 Electroacoustique et facture
instrumentale. 20 F
29 1983 Electroacoustique et
pédagogie. 20 F
30 1983 L'éveil du tout petit. 20 F
32 ·33 1984 Enseigner le jazz. 30 F
35 1984 Le chant choral. 20 F
36 1985 Musique et perspectives de
soins. 25 F
37 1985 L'enfant et la chanson. 25 F
39 1985 Harmonies, fanfares. 25 F
40 1986 Musique et
micro-informatique. 40 F
41 1986Adultes, à vous de jouer. 40 F
42 1986 La musique à l'école. 40 F
43 1986Apprendre à danser. 40 F
Editions bilingues: français-anglais.
Portraits, contacts, adresses pour la diffusion.
Musiciens de jazz en France
.150 F + 76 F de frais d'envoi.
La chanson en France
.180 F + 76 F de frais d'envoi.
ACTES DE COLLOQUE
"Doctor jazz". Les pédagogies du jazz,
Mulhouse 1984.50 F.
Recherche scientifique et facture
instrumentale. 50 F.
"Profession chanteur". Formation à la
chanson, Rennes 85 • 50 F.
Les festivals de musique en France,
Cannes 1986.50 F.
ANNALES MUSIQUE ET DANSE
1985 - Certificat d'aptitude
• 50 F + 77 F de frais d'envoi.
1986 - Certificat d'aptitude, diplôme d'état,
bac F 11 .80 F + 76 F de frais d'envoi.
LIVRES
la musique dont vous êtes le Héros"
CEHAM !Il 51, rue Vivienne 75002 Paris - Tél (1) 42.33.38.24
(Ed. Van De Velde/CENAM).
Textes, images, musiques de l'exposition
• 60 F + 77 F de frais d'envoi.
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Contributeur : Eliane Daphy
CAHIERS
FICHIERS
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45
46
mars La voix. 40 F
Artistes lyriques de france.
juin Les écoles de musique. 40 F
Solistes classiques et formations de
musique de chambre•
47
septembre Jouer en petite formation
• 40 F
décembre La musique en milieu rural
.40 F
ACTES DE COLLOQUE
Les musiques des jeunes. Rennes 1986
.50 F
La chanson: diffusion du spectacle vivant.
Valence 1986 • 50 F
STAGES
1er avril. Stages été. 30 F
15 novembre. Stages 87/88.30 F
GUIDES
Les métiers de la musique. 60 F
Annuaire de la fadure instrumentale. 72 F
Guide pratique de l'orgue et de l'organiste
• 60 F
..... ..,.
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1
Musiques traditionnelles : musiques
professionnelles? MIDEM 1987.50 F
Rapport Techniques et Métiers du son.
Espaces nouveaux/Denis Fortier • 40 F
LIVRES
Les travaux d'Orphée. Philippe Gumplowicz.
(Ed. Aubier). L'histoire de France des harmonies et
des orphéons.
.
Quel enseignement musical pour demain ?
(Collection IPM/CENAM). Volume 1 : questions
fondamentales. • 164 F
..
f
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f
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••,• •••'.'••,'• ••'.,.,'.,'.,•••,• •••••••••••••••••d
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Contributeur : Eliane Daphy
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1
SOMMAIRE
INTRODUCTION
LACULTURE JEUNE: UNE REALITE
Jean-Michel Lucas, maîtrede conférence,
Université de Haute-Bretagne, Rennes Il .
8
PAROLES DE CHERCHEURS
APPROCHES QUANTITATIVES
DES PRATIQUES MUSICALES
Pierre Mayol, chargé d'études ou
Déportement études et prospectives du ministère
de la Cultureet de la Communication ...
12
MUSIQUES DES LYCEENS,
MUSIQUES DES ENSEIGNANTS
Régine Boyer, sociologue, chercheur
à l'Institut national de recherche pédagogique,
Déportementde psychologiede l'éducation
et de la formation
23
LES JEUNESSES DU ROCK
Patrick Mignon, sociologue, Centrede
sociologie desarts,comitéde rédaction
de la revue <Nibrotions» ....
27
LES GROUPES DE ROCK,
LAFAMILLE ET l'ECOLE
Eliane Daphy, ethnologue, Laboratoire
d'anthropologie urbaine (musée de
l'Homme/CNRS),comité de rédaction
de la revue <Nibrotions» ....
34
UNE HISTOIRE ROCK A LYON
Norbert Bandier, enseignant d'économie en
lycée, co-responsable du Groupe de recherche
interdisciplinaire surla musique (GRIM), Lyon ...
39
MUSICOLOGIE EN ATELIERS
LE ROCK DANS LES LYCEES
ET LES COLLEGES
Jean-Rémi Julien, musicologue, professeur
à l'Université Louis-Lumière à Lyon, comitéde
rédaction de la revue <Nibrotions» ....
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Contributeur : Eliane Daphy
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de la musique et de la danse, ministère
de la Culture et de la Communication ...
LA VOIX CHEZ LES ROUING STONES
Mireille Collignon, enseignante d'éducation
musicale, chercheur ...
46
ELEMENTS POUR UNE ANALYSE DU BLUES
ET DU ROCK'N'ROU
Gérard Lavigné, musicien, arrangeur
49
GENESIS ET LA MUSIQUE PROGRESSIVE
Luc Souvet, enseignant d'éducation musicale,
chercheur ...
53
75
Jean-Michel Djian, directeur d'Eurocréation,
I}\gence des initiatives de la jeunesse
en Europe; ancien chargé de mission
au ministère de la Culture (responsable
du programmeinterministériel Jeunesse
et Culture au FIC) ...
75
Martial Gabillard, adjoint au maire de la
ville de Rennes, chargé de I}\ction culturelle...
76
Jean Ader, inspecteur d'académie honoraire,
ancienchargé de mission à la Direction du
développement culturelpour les relations
entre le ministère de la Culture et le ministère
de l'Education nationale ...
RENCONTRES
AVEC LES PROFESSIONNELS
Jack Ros, directeur départemental
LA PRODUCTION
Norbert Bandier, enseignant d'économie en
lycée, co-responsable du Groupe de recherche
interdisciplinaire surla musique (GRIM), Lyon ...
60
LESMEDIAS
63
LA MUSIQUE MISE EN ONDES
66
Bruno Lion, président de Réseau Rock ...
80
LE ROCK EN CLASSE
Mireille Collignon, enseignante d'éducation
84
LE ROLE DES DIRECTIONS REGIONALES
DES AFFAIRES CULTURELLES
Alain Decaux, conseiller
à le Direction régionale desaffaires
LA TECHNIQUE
culturelles (DRAC), Rennes .....
Eliane Dophy, ethnologue, laboratoire
d'anthropologie urbaine (musée de
l'Homme/CNRS), comité de rédaction
de la revue «Vibrations» ...
79
musicale, chercheur .....
Cécile Meadel, historienne, sociologue,
Centre de sociologie de l'innovation
de l'Ecole des Mines de Paris, comité de rédaction
de la revue «Vibrations» ...
de l'Education surveillée, Essone
(ministère de la Justice) ...
EXPERIENCES
Patrick Mignon, sociologue, Centre
de sociologie desarts, comité de rédaction
de la revue«Vibrations» ...
78
86
DES MUSICIENS AU LYCEE
68
Gérard Lavigné, musicien arrangeur ...
88
LE CENTRE D'INFORMATION DU ROCK
Patrick Mignon, sociologue, chercheur à
l'Institut national desarts,comité de rédaction
de la revue«Vibrations» ...
DEBAT: ROCK ETPOLITIQUE
INTRODUCTION HISTORIQUE
Françoise Tétard, historienne, ingénieur
d'études, CNRS, Centre de recherches
interdisciplinaires de Vaucresson (CRIV) .
INTERVENTIONS
Dominique Ponsard, inspecteur chargé
de la chanson, du jazz et desvariétés,
Division de l'action musicale, Direction
90
EPILOGUE
12
REPONDRE AL'ATIENTE DES JEUNES
Anne-Marie Green, sociologue, chargée
de cours à l'Université de Paris, X, Laboratoire
de psychologie de la culture, Paris X...
92
BIBLIOGRAPHIE . . .
95
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Contributeur : Eliane Daphy
AVANT-PROPOS
La première Université d'été sur les musiques des jeunes a eu lieu du 7 au 11 juillet 1986 dans les
locaux de l'Université de Haute-Bretagne (Rennes Il) où l'accueil et l'organisation furent remarquables.
Conçue dans le cadre des développements de l'action culturelle dans les universités et des
enseignements artistiques, ses organisateurs (J.-M. Lucas, assisté de Pierre Mayol, puis de Norbert
Bandier, Gérard Bourgeat, Eliane Daphy, Jean-Rémi Julien et Patrick Mignon) l'ont voulu centrée sur
le rock considérant qu'il est le genre musical le plus (ce qui ne signifie pas le seul) pratiqué par les
'eunes, comme le montrent des chiffres cités plus loin. La passion de quelques-uns, multipliée par
'intérêt de tous et conjuguée à quelques brillantes démonstrations sonores (vidéo, disques,
concerts...) ont permis d'accroître la connaissance d'un genre musical fréquemment entendu ou
écouté,. mais peu connu dans s~ stnemaé.~il
historiques, so.ciologiques, esthéti9ues .ou .seuqi~on cé
Il convient de saluer tout porticulièrement les commentoires chaleureux et érudits de Christophe
Brault.
D'autres Universités d'été, espérons-le, permettront une approche plus concrète et plus diversifiée
des genres musicaux pratiqués par les jeunes (chant choral, pratique instrumentale, etc.). Ce
document est donc un premier essai, assez complet tout de même puisqu'il contient des textes de
chercheurs, des témoignages de professionnels, des compte-rendus d'expériences pédagogiques et
d'ateliers techniques, ainsi que des éléments pourun débat politique et institutionnel.
Les textes ont été corrigés par Eliane Daphy et, pour une bonne partie d'entre eux, réécrits par elle,
surtout lorsqu'il s'agissait de documents enregistrés, tâche délicate, exigeant patience etcompétence.
Le Département des études et de la prospective duministère deJa Culture et de la Communication a
accompagné cette Université d'été dès sa conception, contribuant à son élaboration, son organisation, son animation, ainsi qu'à la réalisation de ce document final. Nous remercions aussi la
Direction de la musique et de la danse et le ministère de l'Education nationale, pour l'aide
importante qu'ils ont accordée à cette expérience.
Pierre Mayol
l
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Contributeur : Eliane Daphy
INTRODUCTION
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Contributeur : Eliane Daphy
INTRODUCTION
LA CULTURE JEUNE:
UNE REALITE
Jean-Michel LUW
maître de conférence
Université de Haute-Bretagne, Rennes Il
l'enseiqnernent de la musique connaît depuis plusieurs
années un développement remarquable, appelé semble-t-il à s'étendre en particulier au sein du système
éducatif. Il n'échappe à personne que les jeunes
manifestent un engouement massif pour les musiques
dites populaires ou de variétés. Impossible dès lors
d'éviter l'interrogation: quelles relations l'enseignement musical entretient-il- peut-il entretenir- doit-il
entretenir avec les pratiques musicales des jeunes
générations?
l'Université d'été sur les musiques des jeunes qui s'est
déroulée à Rennes du 7 au 11 juillet 1986, a sondé les
multiples aspects de cette interrogation: cinq jours de
réflexion et de confrontation, traversés d'exposés sur
l'état le plus récent de la recherche, de témoignages
de professionnels du show-business, d'expériences
menées par les acteurs du système éducatif, de dialogues avec les jeunes artistes, de comptes rendus
d'actions politiques en faveur de la jeunesse... pour
tenter de dégager les lignes de force d'un phénomène
pour le moins complexe.
Il est immédiatement repérable que l'enseignement
musical connaît une dynamique prometteuse; il est
tout aussi évident que les pratiques musicales des
jeunes imprègnent le quotidien de la vie culturelle. Il
est par contre paradoxal que ces univers de sons
vivent chacun dans l'ignorance réciproque de l'autre
et, loin de générer des convergences, ils paraissent
plutôt porter sur la mise à distance.
TROP DE$IUNCE !
Ainsi, la première dimension du problème est bien
celle du silence, silence à la fois injustifiable et trompeur. Injustifiable par nature car la formation des
nouvelles générations ne saurait faillir à sa mission.
l'école, soustoutes ses formes, se donne des ambitions
éducatives et si, à tort ou à raison, on a le sentiment,
l'impression, la conviction que toutes ces musiques,
écoutées aujourd'hui par les jeunes, ne valent que le
plaisir dérisoire d'un instant, il faut alors savoir le dire.
Cette musique de variétés, si puissamment présente
dans la «culture jeune», mérite d'être encensée ou
dénoncée; elle ne peut être annulée par le silence,
d'autant que les médias en amplifiant le phénomène
occultent de fait le débat social et politique sur l'identité culturel des jeunes. Trompeur, car à tout prendre,
le phénomène «musique des jeunes» est loin d'être
interprétable en termes simples. Depuis une trentaine
d'années déjà, les configurations héritées de la musique rock ont suivi des chemins tortueux, contradictoires, diversifiés, et le silence sur cette histoire et ses
ramifications multiples, n'est sans doute pas le signe
d'une stratégie éducative efficace. Complémentairement, refuser à l'école son rôle de formation technique et d'émancipation culturelle... en pratiquant spontanément la musique dans son garage... c'est souvent
s'engager dans une voie étroite, empreinte de déceptions. Si le silence des uns sur les autres est au fond
impossible, il reste à sovoir que dire, sans naïveté ni
faux-semblant. l'Université d'été aura permis, en
dehors de toute polémique et de tout angélisme,
d'indiquer les voies d'accès vers une confrontation
positive.
UNDIALOGUEDIFFICILE
MAISNECUSAIRE
l'on retiendra ainsi une seconde dimension du phénomène: le dialogue des deux univers suppose une
reconnaissance réciproque de leur logique propre. Si
l'école et l'enseignement musical en particulier possèdent leurs exigences de qualité, de hiérarchie et de
méthodes, il faut aussi admettre que les critères de
sélection mis en œuvre ne sont pas les mêmes. Ils n'en
demeurent pas moins qu'ils existent: les musiques des
jeunes savent nommer leurs pères fondateurs, hiérarchiser leurs créateurs; elles contiennent aussi leurs
propres errements, leurs médiocres et leurs simulateurs. De surcroît, elles évoluent dans un bouillonnement de productions symboliques dont la musique
n'est qu'une manifestation parmi d'autres. Ellesportent
plus loin que leurs sonorités en s'investissant le plus
souvent dans le social, l'idéologique, sinon la politi-
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Contributeur : Eliane Daphy
l' @FFICIEl
du R@(K 88
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lis font le rock en France :
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hal-00469298, version 1
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Contributeur : Eliane Daphy
que. Elles formulent ainsi des univers vivants qui ne
sauraient passer pour futiles.
Pour lever le silence et ouvrir le dialogue, il s'impose
d'abord de ne pas iuger trop vite; l'Université d'été
aura surtout permis de saisir les diversités et de
contribuer à invalider les regards simplificateurs. Cette
reconnaisance que l'école et les musiques des jeunes
ont chacune leur logique est un atout appréciable.
Elle fonde le principe simple mais essentielque chacun
joue son propre jeu et que le dialogue, l'ouverture, la
réalisation d'opérations communes imposent au préalable une bonne connaissance des règles de ces jeux
symboliques à partenaires multiples.
Cette perspective que les textes ci-après ne manqueront pas d'évoquer, est à même de déboucher sur de
nouveaux champs de pratiques. C'est tout au moins
l'un des enseignements importants esquissé par cette
Université d'été. Le fait sansdoute le plus nouveau qui
oblige en quelque sorte à rompre le silence, c'est
l'existence d'intermédiaires. Les musiques des jeunes
ne recouvrent plus un ensemble vague de pratiques
individuelles, éclatées et volatiles, un monde impalpable auquel l'éducateur serait confronté sans espoir
d'en saisir la logique. Il apparaît aujourd'hui, traversé
de projets construits et souvent menés à bien, une
multitude d'associations locales, qui structurent la
dynamique des musiques des jeunes, organisent les
expériences de création, de diffusion de formation.
En ce sens, la présence de ces intermédiaires peut
apporter beaucoup aux initiatives et aux projets de
l'école pour dépasser le stade actuel de l'indifférence.
l'intermédiaire a la fonction de régulation qui réduit
les risques d'inadaptation. Il autorise une réflexion
plus opérationnelle et élimine les tentations d'intégration simpliste et les solutions pédagogiques naïves.
Certes, tous ces intermédiaires ne sont pas efficaces
par nature, tous ne défendent pas les mêmes règles
du jeu..., mais leur existence permet d'engager la
discussion, de rechercher les conditions de faisabilité
des projets et d'éviter les initiatives irréalisables.
Ce dialogue entre l'école et les intermédiaires s'est
ouvert pour la première fois lors de cette Université
d'été: il n'ouvre pas toutes les portes mais n'en ferme
aucune. Dès lors, il contribue à renverser l'image et à
faire de ces «musiques de jeunes», terme toujours un
peu dévalorisant, une jeune musique à découvrir.
11 reste beaucoup à faire pour que tous les interlocuteurs se retrouvent et s'associent autour d'actions
communes. Il est même probable que nombre d'expressions rock et nombre de pratiques pédagogiques
auront bien des difficultés à œuvrer ensemble, et sans
doute est-il bon que chacun préserve son identité. Il
demeure que le champ des possibles est loin d'être a
priori fermé, pour le plus grand bien de la musique,
qu'elle soit jeune ou plus âgée.
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Contributeur : Eliane Daphy
PAROLES
DE CHERCHEURS
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Contributeur : Eliane Daphy
PAROLES DE CHERCHEURS
APPROCHES QUANTITATIVES
DES PRATIQUES MUSICALES
---_._--
«C'est lo fièvre de la jeunesse quimaintient
le restedu mande à sa température
normale. Quandla jeunesse se refroidit, le
restedu mande claque des dents»
G. Bernanos
PÎewe MAYOL
chargé d'études au Département des études et de la prospective
ministère de la Culture et de la Communication
Ces pages sont la reprise, largement déployée et complétée, de la fresque sociologique et
économique bien vite brossée lepremier matin de l'Université d'été qui nous a rassemblés quelques,
jours sur les musiques des jeunes. L'énumération des chiffres, oralement fastidieux, a été ici
complètement réécrite, afin de ne pas entamer la patience du ledeur. Dès lors qu'on s'exile des
sondages simplistes dont nous sommes surabondamment abreuvés, de la préférence pour le
camembert aux opinions sur la peine de mort, et qu'on s'affronte aux vraies enquêtes scientifiquement éprouvées, le travail devient réellement compliqué pour le destinateur comme pour le
destinataire. Le premier doit résumer un bon millier de pages en quelques-unes, quant au second.
une fois introduit aux problématiques générales et frotté auxrésultats principaux ousynthétiques, il
conviendrait qu'à son tour ilprÎt son bâton de pélerin et s'enfonçât dans l'épaisseur des chiffres.
Aussi austères qu'elles paraissent prenons ces pages comme une invitation au voyage. Dont ode.
Celte première partie s'appuie pour l'essentiel sur
l'enquête Pratiques culturelles des Français, descrip-
tion socio-démographique, évolution
7973-7987
(Edit. Dalloz, Paris, 1982, 438 p.). Réalisée par le
Service des études et recherches (SER) (7) du ministère
de la Culture, avec le concours de l'Institut ARCmc,
elle porte sur les années 1980-1981 et contient des
éléments de comparaison avec l'enquête similaire
effectuée en 1973 et publiée en 1974. Le questionnaire (élaboré en commun par le SER et ARCme)
contient 131 questions (dont certaines comportait plusieurs dizaines d'items) soumises à 4000 personnes,
dont un cinquième est constitué de jeunes âgés de 15
à 24 ans: soit 800 jeunes. Ces limites d'âges sont
méthodologiquement conventionnelles et l'on a coutume de distinguer habituellement deux groupes: les
15-19 ans, encore fortement scolarisés, et les 20-24
ans, qui affrontent l'étape, bien problématique
aujourd'hui, de <d'entrée dans la vie».
Pour austère qu'elle soit, la lecture de cet ouvrage est
bien utile à qui veut approfondir, chiffres fiables en
main, tel ou tel aspect des pratiques culturelles. Je
conseille de lire d'abord la «méthode de l'enquête. La
deuxième partie contient les «tobleoux des résultats»
selon l'ordre de succession des questions, répartis en
regard de sept critères systématiques: le sexe; l'âge;
la catégorie socio-professionnelle (CSP) de la personne interrogée; celle du chef de ménage; la taille
de l'agglomération de résidence; le diplôme de fin
d'études; enfin, la situation de famille.
Dans le cadre de ces quelques pages qui ne peuvent
qu'être «indicatives», comme le titre l'indique, nous
avons privilégié presque exclusivement le critère de
l'âge. Les mots «jeunes» ou «jeunesse» seront affectés
aux chiffres concernant les 15-24 ans, ovecindicotions éventuelles des subdivisions 15-19, 20-24. Le
mot «populotion» renverra aux chiffres concernant
«l'ensemble de la population française âgée de 15
ans et plus», c'est-ô-dire jusqu'aux plus âgées des
personnes interrogées. Ici ou là, la distinction entre le
groupe «15-24» et «25 et plus» est utilisée' elle sera
alors marquée en toutes lettres,
I.E llAPPOIlTA LA MUSIOUE
Il ressort de celte enquête que les jeunes ont, sur de
nombreux postes,des pratiques culturelles supérieures
à celles des moyennes nationales. Ainsi, l'adolescence
et la jeunesse constituent la période où l'activité de la
lecture est la plus grande: 90% des jeunes ont lu au
moins un livre dons l'année (population: 70%) et ils
lisent en moyenne 22 livres par an (population: 15),
livres scolaires exclus (2). Leur pratique du cinéma est
aussi hautement significative: 90% s'y rendent au
moins une fois par an (population: 50%). Par contre,
ils regardent moins la télévision (jeunes: 50% quofi-
12
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diennement; population: 70% et, respectivement 14
heures et 18 heures en moyenne par semaine). Sauf
pour certaines émissions plus ou moins consacrées
aux musiquesjeunes... (d. infra § 5).
La musique émerge en effet comme une pratique
culturelle prépondérante chez les jeunes. «Sans musique, je meurs»; telle est la réponse, sans détour, d'un
jeune travailleur grenoblois à ses enquêteurs (3).
Cependant, pour la rigueur de l'analyse, il importe de
distinguer trois niveaux dans les pratiques musicales,
selon le degré de participation qu'elles nécessitent.
La pratique instrumentale amateur suppose une implication personnelle, affective et effective: goûts et
prédilections marqués; achat d'instruments, de partitions, d'ouvrages spécialisés (pédagogiques, historiques); exigences de services (formation, informations); astreintes personnelles insérées le plus souvent
dans le temps des loisirs (les «répéfifions»], l'ossistcnce
aux spectacles musicaux relève d'une démarche de
sorties, donc engage des coûts financiers: assistance
à des concerts, des festivals, des rencontres. L'on
distinguera du reste les spectacles «vivants» des spectacles dits «mécaniques» (écoute payante de musiques
enregistrées: juke-box; dancings, «boites»). La
consommation musicale à domicile comprend d'une
port les supports permettant l'écoute libre, auto-enregistrée, ou auto-diffusée, des phonogrammes (disques,
cassettes, bandes) et les postes (de radio, de télévision)
permettant le contact avec les musiques programmées
des différentes chaînes de radio et de télévision (les
réseaux).
U l'UTIQUE INSTRUMENTALE
37% des Français âgés de plus de 15 ans vivent dans
un foyer où l'on possède au moins un instrument de
musique. C'est auprès des jeunes de 15 à 19 ans que
la présence d'un instrument au foyer est la plus
fréquente: 66%. La pratique d'un instrument de musique, au moins «rorernent», touche en moyenne un
individu de la «population» sur cinq (19%). En revanche, un jeune sur deux (48%) a eu un contact avec un
instrument de musique dans les douze mois précédant
ses réponses à l'enquête. Bien entendu, à la question
concernant la pratique «régulière», les pourcentages
des jeunes tombent à 18% pour les 15-19 ans et à
14% pour les 20-24 ans (population: 7%). Lesinstruments les plus fréquemment possédés et utilisés sont
les instruments à vent, puis la guitare. Le taux de
possession d'un instrument à vent est celui qui s'est le
plus élevé depuis 1973 (de 12%; il est passé à 20%),
vraisemblablement en raison du développement de
l'enseignement de la flûte dans les programmes d'initiation à la musique. Anne-Marie Green, dans une
enquête (4) publiée récemment auprès de jeunes
lycéens des LEP note qu'sun peu plus des deux tiers
de ces jeunes possèdent au moins un instrument de
musique» (o.c., p.61). Elle ajoute: «La flûte à bec
arrive en tête (66%), suivie de la guitare sèche (44%)
et de l'harmonica (24 %»>. Les taux de possession des
autres instruments n'excèdent jamais 10%. Les instruments les plus possédés, donc joués, le sont parce que
leur coût est peu élevé, parce qu'ils permettent de
jouer aisément des morceaux de structures simples,
calqués sur les modèles musicaux les plus largement
diffusés par les médias (o.c., p.63-64).
l'enquête du Service des études et recherches du
ministère de la Culture donne les chiffres suivants (5);
pour l'ensemble de la population étudiée:
Possèdent
dans leur foyer'
Au moins un instrument de musique:
Ont utilisé
personnellement
au cours des
12 derniers mois'
1981
1973
1981
1973
36,6
33,1
18,7
15,4
.. un instrument à vent
19,8
12,7
6,9
5
.. une guitare
15,8
12,9
6,6
6
fi
un piano
7,4
8,2
4,1
4,8
fi
un autre instrument à cordes
4,5
4,1
0,8
1,3
9,7
8,6
4,2
4,3
" un autre instrument
(*)
chiffres exprimésen pourcentage
On ne s'étonnera pas qu'ils soient inférieurs à ceux
relevés par A-M. Green: d'abord parce qu'ils portent
sur l'ensemble de la population âgée de 15 ans et
plus; ensuite parce que le décalage des années entre
1981 et 1985 explique que la diffusion des instruments
«légers» et (relativement) "faciles» se soit accentuée
13
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par l'intermédiaire des pédagogies musicales qui,
elles-mêmes, ont vu leur audience s'accroître grâce à
l'action concertée des différents partenaires publics
(école, Culture; Etat, collectivités locales; sensibilisation des ménages à la dimension culturelle de l'éducation des [eunes. Ce dernier facteur mérite d'être
relevé car le chapitre suivant montrera que les ménages dépensent le plus, et de loin, pour la formation
musicale des jeunes).
Généralement, la pratique d'un instrument est fortement corrélée avec l'âge; si 30% des «jeunes» (15-24
ans) pratiquent «souvent» ou «de temps en temps» un
instrument, on ne compte que 15% des personnes de
25 à 39 ans et 2% des personnes âgées de plus de
60 ans. Plus l'agglomération est importante, plus le
taux de possession d'instruments est élevé. Paris intramures, avec 46% de possesseurs, est au sommet de la
pyramide. Enfin, l'appartenance à la catégorie socioprofessionnelle est déterminante: c'est dans le milieu
des cadres et celui des professions libérales qu'on
trouve le plus grand nombre d'amateurs actifs, ainsi
qu'auprès des [eunes étudiants et élèves, dont 40%
annoncent une pratique instrumentale active. «Active»,
le mot est ambigu; il décrit une pratique fréquente en
termes de contacts physiques avec un instrument (ou
avec le chœur), mais qu'on pourrait dire «stagnante»
Très
du point de vue du perfectionnement techniqu~.
concrètement, il s'agit de ces jeunes qui sont capables
de pianoter ou de «qrotter» une guitare avec plus ou
moins de bonheur à l'occasion d'une fête quelconque,
ou pour se divertir
LU SORTIUAUXCONCERTS
les 15-24 ons, toutes catégories sociales et tailles
d'agglomérations confondues, sortent un peu plus
aux concerts que la moyenne générale: 12,5% vont
à des spectacles de variétés (population: 10,5%) ;
10% à des concerts classiques (population: 7,5%);
11 % à des spectacles de ballets (population 5%) ...
C'est une fois encore dans la catégorie des concerts
"pop, rock, folk et jazz» que l'écart est le plus important: 30% (population 10%). De plus, la fréquentation à ce genre de concerts est tout à fait particulière.
l'enquête Pratiques culturelles des François analyse
(pp.1l5 et suivantes) le caractère convivial des sorties
culturelles. Vingt-sept types de sorties sont ainsi retenues: sorties au cinéma, à des manifestations sportives, des spectacles amateurs, folkloriques, de variétés;
au théâtre, au cirque, aux différents genres de concerts,
ete. En face de chacune de ces sorties il est
demandé à toutes les personnes intéressées de répandre si elles sortent: seules/avec des moins de 18 ans
(des mineurs)/avec un, ou des amis/avec d'autres
parents. Remarquons d'abord que sur les 27 sorties,
la mention «avec d'autres parents» vient en première
position (21 fois); preuve, s'il en est, que les sorties à
caractère familial restent très largement prépandérantes (quelques exemples: cinéma, cirque, ballets,
concerts de grande musique, expositions, salons, brocantes, promenades, ete.). Sur les six sorties restantes,
celle qui concerne l'assistance aux concerts «pop,
folk, rock, jazz» est particulièrement éclairante: 95 %
des personnes interrogées vont à un concert de ce
type accompagnées, dont 74% avec des amis.
Comme ces spectateurs sont essentiellement des jeunes, cela signifie que ces concerts entraînent une
convialité entre «pairs», ou encore: une convivialité
de compagnonnage, où le rappart horizontal des
générations (des «bio-classes», comme dirait Edgar
Morin) l'emporte très largement sur le rapport <<Yerticab> des structures familiales. Ces concerts sont des
lieux où les jeunes se retrouvent «entre eux», ce que
·démontre au demeurant la plus modeste des observations empiriques.
les deux tableaux synthétiques suivants donnent une
idée précise des genres musicaux préférés - mais
non exclusifs - par les jeunes, tant au niveau des
phonogrammes disponibles au foyer, qu'à celui de
l'écoute.
Genre dont il yale plus d'enregistrements au foyer
Ensemblede
15 à 19 ans
20à 24 ans
la population
Musique pop, folk ou rock
16%
35%
35%
Chanson
39%
49%
45%
Musique classique
10%
6%
5,5%
2%
2,5%
2,5%
11%
10%
10%
Jazz
Autres
~
14
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Genre préféré, écouté le plus souvent (6)
-~
--- --------._-------,--_..
_ ---
----~-------
15à19ans
20à24ans
15"10
48"10
44"10
Chanson
38"10
44"10
43"10
Musique classique
14"10
4,5"10
5"10
Ensemble de
la population
Musique pop, folk ou rock
Jazz
Autres
Comme on le voit, les chiffres les plus «lourds» se
trouvent dans les colonnes des 15-19 ans et des
20-24 ans, face aux rubriques «pop, folk ou rock» et
«chanson». Lon remarquera - c'est une des révélations de l'enquête -le score particulièrement bas du
iozz qui ne doit plus guère rassembler que la (belle)
catégorie des «passionnés» (cf. infra, chop.ll, §3).
ECourr DE LA MUSIQUE
ENIlEGISTIlEE ETGENIlES D'EMISSIONS
. --------- MUSICALES PREFERES
...
Soixante-dix pour cent des Français disposent dans
leur foyer (en 1981) d'un électrophone ou d'une
chaîne hi-fi. La «privatique» est, de tous les phénomènes liés à la pratique musicale, celui qui a connu la
plus grande expansion. La période 1970-1981 a
connu un développement considérable du matériel
3"10
3"10
4"10
16"10
13"10
15"10
haute-fidélité en France. Le taux de pénétration est
passé de 1 à 4: 7"10 des foyers en 1973, 30"10 en
1981, disposent d'une chaîne hi-fi (7). 56"10 des français ont dans leur foyer en 1981 un magnétophone,
la plupart à cassettes (54%), chiffre qui, là encore,
rend compte d'un développement considérable en
huit ans (1973: 28%, dont 18% à cassettes). l'orqument selon lequel ces outils techniques n'existaient
pas, ou peu, il y a quinze ou vingt ans, ne rend pas
totalement compte de l'ampleur du phénomène. A
cela s'ojoutent la facilité de l'utilisation (une cassette
est bien plus facile à utiliser qu'une bande magnétique), et la qualité acoustique de la haute fidélité qui,
pour des prix concurrentiels, est beaucoup plus performante que celle des électrophones stéréophoniques
et, a priori, que celle des «crincrins» et autres vénérables «[eppoz» des années 60.
En regard des chiffres évoqués à l'instant, les taux de
possession par les jeunes sont les suivants:
15-19 ans
20-24 ans
Population
Electrophones ou choÎnes hi-fi
92%
83"10
70%
Magnétophones à bandes ou à cassettes
87%
76%
56%
Ces résultatsnous incitent presque à formuler l'axiome
sociologique suivant: plus il y a facilitation de l'usage
de l'outil (par ex.: la cassette par rapport à la bande
magnétique, que l'on peut ranger aisément, transporter sans encombre et manipuler de manière standardisée), plus il y a pénétration culturelle. Mais cet axiome
ne serait pas vrai si, à la facilitation, ne s'ajoutait une
augmentation sensible de la performance, le tout lié à
une diminution sensible des dépenses (le coût de la
privatique a été divisé par 3 ou 4 en francs constants
depuis vingt ans). Pour prendre un autre domaine,
celui de la photographie, la diffusion sur le marché
des appareils dits «auto-focus» depuis 1983 a considérablement multiplié le nombre des photographes orne-
teurs pour des qualités voisines de celle de la cassette:
prix abordable, encombrement réduit, facilité d'utilisation, et bonnes performances.
A ce surcroît de possession correspond un surcroît
d'utilisation: 65% des 15-24 ans disent utiliser «souvent» électrophones et chaînes hi-fi, et 58% les
magnétophones (<<population» : respectivement: 37%
et 27,5%). De même, les jeunes possèdent en
moyenne 105 disques (population: 90 disques), et ils
sont 80% à posséder en moyenne 30 cassettes
(<<population»: 54% possèdent en moyenne 30 cassettes). 85% des 15-24 ans disent écouter régulièrement ces divers phonogrammes (population: 59%).
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TELEVISION, RADIO
La fréquentation des médias par les jeunes est en
général inférieure, tant en fréquence qu'en durée, à
celle de l'ensemble de la population. Les [eunes
regardent moins la télévision que les adultes (15-24
ans: 14 heures en moyenne/semaine; 25 ans et
plus: 18 heures). La question (nO 36, cf. Pratiques
culturelles des Français, p.423) portant sur la fréquence d'écoute (ont regardé «souvent» ou «de temps
en ternps»] de différents genres d'émissions de télévision recense vingt-deux rubriques: films de cinéma,
sport, théâtre, dramatiques, concerts de musique classique, de «rock-folk-jazz», ballet, cirque, variété, émissions littéraires, scientifiques, politiques, etc. Pour quatorze de ces rubriques, l'audience «jeune» est, grosso
modo, comparable à celle de «population» (par ex.:
films, variétés, sport, problèmes politiques et sociaux,
science, histoire...); pour sept d'entre elles, elle est
inférieure (cirque, débats, opérette, théâtre, musique
classique, ballet, opéra). Cela c.onstitue donc un écart
négatif. Mais il y a une rubrique où le taux d'écoute
«jeune» est supérieure, et de manière écrasante,
puisqu'il est multiplié par trois, c'est celle qui concerne
les genres musicaux «rock-folk-pop-jazz»: 43% des
jeunes les écoutent régulièrement contre 15% des
plus de 25 ans.
La quasi totalité des Français disposent dans leur
foyer de la radio (96%). l'écoute de la radio par les
jeunes est proche des scores nationaux - usage
facilité par le transistor, la maniabilité et la miniaturisation. Mais ils l'écoutent surtout pour ses programmes
musicaux et comme un bruit de fond, plus que comme
une source d'information. les 15-24 ans ont une
prédilection pour les émissions de variétés et de
chansons (46%; 22% chez les plus de 25 ans), et
s'intéressent moins aux informations (18%; 35% chez
les plus de 25 ans).
Emissions radiophoniques les plus écoutées (en pourcentages)
._-------------
Chansons
Rock
Grande
pop, folk
musique
Ensemble de la population
38,1
15,0
13,6
15-19 ans
43,8
48,4
4,5
20-24 ans
41,6
39,9
6,3
25-29 ans
45,0
10,5
18,0
60 ans et plus
17,4
0,3
9,6
Ces quelques résultats (8) et leurs commentaires confirment l'affinité culturelle forte entre la musique et la
jeunesse. A ce niveau de généralités, on peut presque
parler d'une accointance comme si la jeunesse avait
besoin de la musique pour affirmer son identité culturelle. Mais nous nous garderons bien d'être dupes des
chiffres, surtout lorsqu'ils sont hypostasiés sous les
espèces de ces deux singuliers: «la» jeunesse, <da»
musique. l'une et l'autre sont infiniment plurielles,
moirées et (c'est le cas de le dire!) rapsodiques.
Signaler des préférences n'est pas signaler des exclusives: sauf cas limites, le rock n'est pas l'ennemi ni de
Chopin ni de Bach, ni du grégorien ni de Boulez.
Parmi les interventions suivantes, celui de Régine
Boyer montre combien il est difficile, voire impossible,
de parler des lycéens et de leurs enseignants de
manière homogène. Et lorsque Patrick Mignon ou
Françoise Tétard retracent, chacun à leur manière, les
aspects socio-historiques des cultures musicales jeunes
depuis la Seconde Guerre mondiale, ils ne cessent de
montrer les implications internationales et la diversité
sociologique sur lesquelles elles reposent, et comme
elles puisent des langages sans cesserenouvelés avec
des allers et retours dans le temps (les années 80, les
sixties, les fifties... ) qui étonnent parfois les observateurs. l'euphorie unanimiste ne saurait donc être de
mise, d'autant que des disparités sociales et régionales
criantes persistent. le taux des sorties, par exemple,
reste très élitaire: les ruraux n'ont pas les mêmes
facilités que les urbains; les classes sociales défavorisées ont encore du mal à accéder à ce qui devrait
être une culture commune, et pas seulement l'apanage
d'élites initiées - fussent-elles républicaines! - (9).
Cependant, en termes de moyennes générales, soumises à la loi des grands nombres, force est de constater
l'impact du domaine musical au coeur de la jeunesse,
la fascination qu'il exerce, les désirs qu'il suscite soit
pour les amateurs convaincus, peu nombreux mais
actifs, soit, plus modestement, et pour le plus grand
nombre, en termes de loisir et de plaisir. En tous les
cas, les chiffres de l'enquête sur les Pratiques culturelles des Français sont là et ils s'imposent aux analyses
avec leur propre force, limitée certes, mais efficace.
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Contributeur : Eliane Daphy
Les données chiffrées qui suivent sont extraites d'une
vaste étude, L'Economie dudomaine musical (La Documentation française, Paris, 1985; 400 pages), réalisée
par le Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE) à la demande du Service des études et
recherches du ministère de la Culture et du Commissariat général du plan. Cet ouvrage complexe et complet (125 tableaux et 81 graphiques) aborde tout ce
qui a trait au déploiement économique, forf diversifié,
de la musique: développement historique et technologique; création musicale; typologie des pratiquants;
formation; presse spécialisée, facture instrumentale;
filières des spectacles; privatique et réseaux; musique
d'ambiance; distribution des rôles économiques de
l'Etat, des collectivités locales, du secteur privé. Cette
étude ne traite pas explicitement des jeunes; mais l'on
verra que leur présence, quand bien même en filigrane, représente un poids économique considérable
qu'on repèrera surtout au travers des chiffres concernant la formation (10). Il s'agit là encore, d'un instrument de travail rigoureux et exigeant qui constitue
une véritable somme. Les chiffres extraits et commentés ici sont, bien évidemment, le résultat d'un choix,
dont d'éliminations; ils ne dispensent pas le lecteur
(courageux) d'une lecture personnelle de cet ouvrage.
U POID' ECONOMIQUE
l'étude du BIPE définit le domaine musical à l'aide de
trois fonctions déjà aperçues: la pratique amateur et
ce qu'elle implique en termes de consommation d'ins-
truments et de services (la formation) ; la participation
aux spectacles musicaux, qu'ils soient «vivants»
(concerts et bal) ou «mécaniques» (discothèque, iukebox, cinéma musical); l'écoute domestique sous ses
deux formes: «privatique» (auto-enregistrée, auto-diffusée) et «réseaux» (émissions musicales des radios et
chaînestélévisuelles).
Cet ensemble pèse 31 milliards de francs soit 1,5% de
la «consommation finale des ménages» qui est, en
1981 d'un peu plus de 2.000 milliards de francs (soit
deux fois le budget de l'Etat). Ce chiffre est tout à fait
honorable; il est comparable à la consommation de
chaussures (26 milliards), biiouterie-icoillerie (28 milliards), électricité (34 milliards), prestations des médecins (36 milliards), vins-boissons alcoolisées (39 milliards). La comparaison avec le dieu automobile
confirme la place de la musique: les achats d'automobiles, avec 55 milliards, n'excèdent que de 80% la
consommation musicale (o.e., p.137). Ce qui permet à
D. Daude un sous-titre au cours de son article cité:
«Les Français consacrent à la musique plus de la
moitié de ce qu'ils consacrent aux achats d'automobiles» (p.94).
LA IlEMIImlON ECONOMIQUE
En ramenant les 31 milliards à la base 100, on obtient
les répartitions suivantes qui se lisent en pourcentages:
Les options de la consommation musicale (1981 )
Consommation musicale
100
Pratique
Ecoute
A l'extérieur
A domicile
Privatique
Il Y a donc quatre fois plus d'argent consacre a
l'écoute (80%) qu'à la pratique (20%). Deux fois et
demi plus d'argent à l'écoute à domicile qu'à l'écoute
Réseaux
Spectacles
Spectacles
vivants
mécaniques
extérieure; deux fois plus d'argent aux spectacles
vivants qu'aux spectacles mécaniques (d. art. de
C. Daude, p.95-96).
17
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Contributeur : Eliane Daphy
Les emplois du domaine musical sont nettement inférieurs à leurs représentations économiques. Ils ne
représentent que 0,3%, soit 64.500 emplois sur les
21.451.000 enregistrés en 1981,répartis ainsi:
Masses de dépenses culturelles
en pourcentages
en milliards de francs
20
6,2
Pratique
Spectacles
23
7,1
Privatique
44
13,6
Réseaux (radio, TV)
13
4,1
Total
100
Les emplois du domaine musical sont nettement inférieurs à leurs représentations économiques. Ils ne
représentent que 0,3%, soit 64.500 emplois sur les
21.451.000 enregistrés en 1981,répartis ainsi:
Machine (conception, fabrication)
12.000
Consommation intermédiaire
(partition, presse)
1.500
Programmes (radio, télévision,
phonogrammes)
8.000
Services(formation, création,
spectacles, distribution)
43.000
Total
64.500
LES ((CONSOMMATEURS" DE MUs/OUE
Reprenant et affinant les chiffres de Pratiques culturelles auteurs dressent la typologie
suivante, pour une population totale âgée de 15 ans
et plus (100%): le groupe des «accrochés» (28%)
comprend: les mélomanes (18%); les pratiquants
(10%, dont 8% d'amateurs et 2% de passionnés; le
groupe des «tempérants» (72%) comprend: les
«branchés» (47%) et les réfractaires (25%).
Les «accrochés» (ce que les auteurs appellent les
«occros»] regroupent les amateurs qui entretiennent
avec le domaine musical un rapport constant. Ce
rapport est «occasionnel» chez les «mélomanes», mais
beaucoup plus serré chez les «amateurs» qui sont,
pour la plupart, propriétaires d'un instrument,pratiqué
au moins «de temps en temps», et qui se rendent assez
régulièrement aux concerts. Les «passionnés» sont des
fervents qu'on retrouve partout: dans la pratique
instrumentale et vocale, aux concerts, et à l'écoute
intensive des musiques enregistrées (privatique) et
programmées (réseaux: radios et télévision).
les des Français,
31
Les «tempérants» regroupent les «bronchés» «omsi
baptisés pour suggérer que leur consommation (70)
essentielle passe par les appareils électriques» (étude
p.86). Quant aux «réfractaires», ils sont allergiques à
toute consommation musicale active et n'écoutent
jamais de musique enregistrée. Dons ces distinctions,
on note l'importance des critères de l'âge (32 ons en
moyenne pour les pratiquants; 51 ans pour les réfractaires), de la CSP (33% de catégories supérieures
pour les pratiquants, 7% seulement pour les réfractaires, de la commune de résidence (52% des pratiquants vivent dans les zones urbaines de plus de
100.000 habitants, contre 39% des réfractaires) (77).
Quant aux «pratiquants» réunissant les deux groupes
les plus actifs, ils représentent 10% de la population
c'est-à-dire un peu plus de 4 millions d'individus
- puisque la population française, âgée de 15 ans et
plus, est de 42.000.000 de personnes, les plus jeunes
n'étcnt pas comptés - qui se répartissent ainsi:
1nstrumentistes
7,3%0
Chanteurs
2,9%
Pratique isolée
4,8%
Pratique de groupe
5,4%
Total exact du pourcentage
10,2%
Soit: 4 millions d'individus
DEPENSES MUS/CAUS
SELON US CATEGORIES
Dix pour cent de la population consomment 40% de
la musique. Les dépenses musicales des réfractaires
(25% de la population) sont, par définition, nulles. Les
31 milliards reposent, si l'on peut dire, sur les épaules
18
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des 75% restants. Les "accrochés» (28%, dont 10%
de pratiquants et 18% de mélomanes)assument 60%
des dépenses musicales, et les "branchés», 40%. Mais
les pratiquants, à eux seuls (10%) dépensent 36% et
consomment 39% du total, la différence entre ces
deux pourcentages tenant au fait qu'ils bénéficient
pour près des deux tiers des financements publics
allant à la musique. Ils consacrent plus de 4,5% de
leurs dépenses à la musique (contre 1,3% pour un
Françaismoyen),
"Aussi voit-on apparaître une hiérarchie très forte
(dans les dépenses musicales des ménages en 1981)
puisque 25% de la population ne dépensent rien;
47% (les «bronchés»] dépensent en moyenne 1.165 F
an; 18% (les mélomanes) 1705 F; 8% (les amateurs)
4425 F et 2% (les passionnés) 5975 F. (Etude, p.l48).
Les auteurs ont élaboré un excellent graphique (no33,
p.l50) qui donne les différentes affectations de mille
francs de consommation musicale.
haut) et, effectivement, reportée au 31 milliards du
domaine musical, elle en représente presque les 20%
(tout comme 199 F reportés à 1000 F). A quoi s'cioutent 13,6% de consommation de spectacles. Total:
environ 40% de la musique est consommée par 10%
de la population,
LA FORMATION MUSICALE:
OU, COMMENT, POUR QUI
r
Les 15-24 ans représentent 43% des "pratiquants»,
presque un sur deux. Ils constituent 60% des personnes fréquentant un spectacle vivant de "pop, folk,
rock»] «population»: 29%); ils constituent 20% des
personnes allant aux concerts classiques et 17% de
celles qui vont assister à des spectaclesde ballet. Mais
c'est surtout sur les problèmes de la formation que
nous allons les retrouver.
fORMATION MUSICALE SPECIALISEE
1.000 francs de consommation musicale
Les pratiquants
394F
• pratique amateur
199 F
• privatique
136 F
59 F
• spectaclesvivants
Les mélomanes
215
F
164F
• privatique
51 F
• spectaclesvivants
Les "branchés»
(1
391F
privatique
• spectacles
267
F
124 F
Ces chiffres démontrent donc qu'un pratiquant
consomme 39,4 F de musique, là où un mélomane
consomme 12 F, et là où un branché consomme 8 F. le
pratiquant consomme donc trois fois plus que le
mélomane et cinq fois plus que le branché, Et, dans ce
qu'il dépense, la part la plus importante va à la
pratique amateur,
Las dépenses du pratiquant
Facture instrumentale (achat d'instruments) 2.250 MF
Information (presse spécialisée)
160MF
Enseignement et formation
3,620 MF
Total
6.130 MF
Cette somme représente le poids de la seule"pratique
amateur» (elle correspond à nos 199 F signalés plus
Je retiens ici les grandes lignes d'un chapitre de
quatre-vingts pages, intitulé «Les Filièresde la Pratique
musicale» (p.155-232 de l'étude) qui regorge d'informations chiffrées très précieuses.
Les situations de formation sont disparates. D'après
l'inventaire de l'INSEE (1979-1980), 4.202 communes
sont pourvues d'une école de musique (36.000 communes en France), Ce vocable générique masque une
grande hétérogénéité dans la nature des institutions
puisqu'il comptabilise aussi bien les conservatoires
municipaux que les initiatives individuelles ou associatives. Ainsi 12% des communes sont pourvues d'une
cellule de formation musicale permettant en principe
une desserted'environ 66% de la population,
l'on constate déjà un déséquilibre au niveau des
régions administratives. La situation de IAlsace est très
favorable (392 communes équipées sur 896, soit
45% environ). Viennent ensuite l'ile-de-France (397
communes sur 1.279: 31 %) et le Nord-Pas-de-Calais
(412 sur 1.550: 27%). Rapportée au nombre d'habitants, la situation de l'ile-de-France est cependant
difficile car elle ne dispose que de 4 écoles de
musique pour 10.000 habitants (Alsace: 31 ; NordPas-cie-Calais: 11). A l'opposé les écoles de musique
sont peu développées en Corse (1 % des communes
équipées), dans le Limousin (4%) et en Bourgogne (4%).
Les différences sont encore plus accusées entre les
départements. Les mieux dotés sont le Bas-Rhin, le
Rhône et le Nord. A l'inverse, dans les deux départements de la Corse, en Côte-d'Or et en Corrèze, à
peine deux communes sur 100 sont équipées. En
moyenne, pour l'ensemble de la France, les élèves
des communes non équipées sont à 13,5 km d'une
école de musique; mais cette distance atteint 26 km
dans les Pyrénées-Orientales et la Côte-d'Or, 28 dans
les Alpes de Haute-Provence, 48 en Haute-Corse et
60 en Corse du Sud. Il faut vraiment avoir la vocation!
Certains secteurs géographiques sont ainsi de véritables déserts musicaux.
19
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DESEQUILIBRE DES fiNANCEMENTS
Pour former de jeunesmusiciens appelés (en principe)
à devenir des professionnels, la France dispose
d'abord d'institutions financées, totalement ou en partie, par les pouvoirs publics (Etat et/ou collectivités
locales).
Deux Conservatoires nationaux supérieurs de musique (CNSM) à Paris depuis 1795, et à Lyon deruis
1980. Ils forment 1.450 élèves pour un coût toto de
107 millions de francs, exclusivement à la charge de
l'Etat (ministère de la Culture pour l'essentiel). Cela
représente donc un coût de formation de 74.000 F
par élève et par an, coût qui fait de l'étudiant en
CNSM l'un des plus chers de France (après les formations militaires spécialisées).
Trente-et-un Conservatoires nationaux de région
(CNR: 43.300 élèves) et trente-six Ecoles nationales
de musique (ENM: 52.400 élèves), soit 95.700 élèves, formés pour un coût total de 436 millions de
francs répartis ainsi: Etat: 55 MF; collectivités:
362 MF; ménages: 19 MF. Coût moyen de l'élève:
4.556 F/ an (72).
75 Ecoles municipales agréées (EMA) : elles ne reçoivent pas de subventions de l'Etat, mais bénéficient de
son agrément pédagogique (leurs diplômes sont
reconnus); elles se répartissent en écoles du premier
degré (66 établissements pour 33.700 élèves) et du
second degré (9 établissements pour 4.800 élèves),
soit un total de 38.500 élèves. L'étude ne détaille pas
les sommes affectées spécifiquement aux EMA car
elle les inclut dans un coût global qui comprend
conservatoires et écoles municipaux non agréés (voir
ci-dessous).
A cela s'ajoute les 4.200 écoles de musiquemunicipales (ou conservatoires municipaux) évoqués plus haut,
qui ne reçoivent ni subventions de l'Etat, ni son agrément pédagogique. Elles forment pourtant 800.000
élèves auxquels s'ajoutent ceux des EMA (38.500)
pour la somme globale de 890 millions de francs,
dont: collectivités locales: 680 MF; ménages :210.
Coût moyen de la formation de chacun des 838.500
élèves: 1.060 F/.
Au total: 935.650 élèves bénéficient d'une formation
musicale totalement prise en charge par l'Etat, ou
subventionnée par l'Etat et/ ou les collectivités locales.
Bref, peu ou prou, ils bénéficient de fonds publics. Or,
on estime à 1.350.000 l'ensemble des élèves en
formation musicale spécialisée. Il en reste donc environ 400.000 répartis dans: des cours particuliers:
estimés à 496 millions de francs; des stages d'été:
642 millions de MF; des écoles privées (73): 642
millions de MF; toutes sommes à la charge des
ménages.
CNSM (74.000 F/ élève) et 55 pour les 95.700 élèves
des CNR et ENM (soit: une participation de l'Etat de
575 F/élève, le reste à la charge des collectivités
locales et des ménages). Collectivités locales:
1.042 MF dont 362 sont affectés aux 95.700 élèves
des CNR et des ENM (soit 3.783 F/ élève), et 680
affectés aux écoles municipales à leur seule charge
formant 835.650 élèves (soit 814 F/ élève).
Les ménages: 1.567 millions de francs répartis ainsi:
19 MF pour les inscriptions aux CNR et ENM (soit
200 F en moyenne par élève); 210 MF pour les
inscriptions dans les écoles municipales non subventionnées par l'Etat (soit 250 F en moyenne par élève);
1.338 MF pour les cours particuliers, les stages d'été
et les écoles privées. Si l'on prend la base approximative de 400.000 élèves, indiquée plus haut, on obtient
3.345 F de frais de formation par élève, à la charge
exclusive des ménages.
En résumé, là lù l'Etat apporte 162 millions de francs,
ménages et collectivités locales apportent 2.609 MF,
soit 16 fois plus haut. Là où l'Etat seul participe à la
formation de 135.000 élèves au prix «moyen» (on a
vu avec quels écarts cependant!) de 1.200 F, les
ménages et les collectivités forment 1.165.000 élèves
au prix moyen de 2.240 F. Notons toutefois une forte
disparité d'une commune à l'autre où les droits d'inscription sont dans un rapport de 1 à 7.
La politique financière de l'Etat reste donc très élitaire
et sélective (74) en matière de formation musicale, en
dépit de ses efforts pour implanter et aider les lieux de
formation.
LA fORMATION MUSICALE«GENERALE»
Pour l'essentiel, elle est assurée par le ministère de
l'Education nationale qui dispose de 4.800 professeurs de musique, de conseillers pédagogiques en
éducation musicale chargés de former les instituteurs
et de professeurs agrégés intervenant dans les écoles
normales. Existent aussi des sections spécialisées de
l'enseignement supérieur (UER d'universités).
Interventions de l'Etat
En millions de francs
Ministère de l'Education nationale
* 850 MF
Ministère de la Culture
et de
162 MF
la Communication
2 MF
Ministère de l'Agriculture
Ministère des Relations extérieures
5MF
REPARTITION ECONOMIQUE DE
LA fORMATION MUSICALE SPECIAI.ISEE
Ministère de la Jeunesse et des Sports
3MF
Le coût final de la formation musicale de 1.300.000
élèves estde 2.771 millions de francs répartis ainsi:
Etat: 162 MF dont 107 pour les 1.470 élèves des
Total
1.022 MF
, Dont708 MFpourlaseulerémunération des enseignants
20
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que ce montant comprend essentiellement
de l'Etat c?~saré
à la formation musicale
«spéciclisée» (162 millions) et ceux consacrés à la
formation musicale «générale», essentiellement scolaire (850 millions). Avec ses 1.022 millions de francs
il assume donc le sixième de la ligne budqètoire
intitulée «Pratique amateur» (6.130 MF dont les «enseignements et formations» : 3.620 MF) ; et le trentième
de l'<<Economie du domaine musical» (31 milliards) (lS).
~apelons
les ?u.d~e!s
Il est de bon ton d'estimer que l'Etat n'en fait pas
assez; ses détracteurs trouveront quelques raisons à
leurs revendications à la lecture de ces derniers chiffres et à leur agencement aux réalités sociales et
cultre~s
du pays. En défense et illustration de l'Etat,
une fois considéré qu'il est dans sa définition essentielle qu'il ne peut pas tout (l6), on rétorquera qu'il est
dans sa définition essentielle de s'occuper de ce qui,
sans lui, irait à vau-l'eau: formation professionnelle
de haut niveau (les conservatoires supérieurs coûtent
très cher, nous l'avons vu), entretien des orchestres, de
l'Opéra, création de nouvelles institutions (Opéra-Bastille, Cité de la musique à la Villette...), restauration
instrumentale de toutes sortes, enrichissements de
fonds spécialisés... Tout cela suppose des engagementsconsidérables de la Fart de l'Etat!
Mais il est vrai aussi qu'i n'intervient pas assez en
direction du domaine «musique des [eunes», Cette
musique est livrée aux aléas du marché donc de la
diffusion. La formation qu'elle nécessite relève presque exclusivement des cours et écoles privées. Les
formations publiques au [ozz (proportionnellement
moins chères que les privées) se font au compte-gouttes; il n'existe qu'une seule formation supérieure au
métier des variétés (le Studio des variétés) à laquelle il
convient d'ajouter, il est vrai, quatre centres régionaux
de la chanson (le plus célèbre étant celui de Bourges).
~uant
au rock proprement d!t, l'aide qu'il reçoit égale
zero ou presque (ltre plus loin la vigoureuse interven-
tion de Bruno Lion).
On notera qu'une part de ces modestes sommes a eu
au moins le mérite d'aider à mieux cerner les difficultés
concrètes du terrain, notamment en ce qui concerne
les lieux de répétition (l7), les stratégies de formation
(sauvage et académique) et les tactiques de diffusion.
D'autre part, on ne peut nier les efforts consentis en
direction de la pratique musicale amateur dont les
aides ont été multipliées par sept en cinq ans (6
millions de francs en 1980, 42 MF en 1985) (lB) dans
les secteurs des musiques traditionnelles, des fédérations d'associations, du [ozz, de la chanson des variétés et du chant choral. A tout cela, il convientd'ojouter
encore les rapports sur les dépenses culturelles des
villes et des départements (79) qui sont de bons
indicateurs de la vitalité culturelle au niveau local
(régions, départements, communes), lequel prend de
plus en
en charge ses propres formations et
animations musicales dans le cadre de politiques
culturelles définies avec des partenaires mieux au fait
des besoins locaux.
Il reste cependant qu'une recherche sociologique
exhaustive, quantitative et qualitative, nous manque
pour appréhender le plus exactement possible la
réalité vivante de 10 pratique du rock en france. On a
pu avancer, après force déductions et contrôles empiriques, le chiffre de 25.000 groupes rocks ce qui
représente entre 150.000 et 200.000 musiciens amateurs qui veulent répéter, s'exprimer, créer, dans les
meilleures conditions possibles. N'y aurait-il que
5.000 groupes, ce serait déjà une mouvance sociale
significative. D'autres avancent le chiffre de 80.000
groupes. Pourquoi pas, en effet, puisque nQUS n'en
savons rien? Il ne suffit pas que le président de la
République avoue aimer le rock depuis les côtes
américaines de l'océan Pacifique, et avance le chiffre
de 35.000 groupes rock lors d'une émission de télévision, pour accroître notre savoir et transformer l'essai.
Encore que les chiffres ne soient pas tout, et les
remarques de François Mitterrand prennent alors
toute leur voleur symbolique (au sens étymologique
de symbole: ce qui réunit) en montrant qu'il y a
consensus sur une réalité forte de la vie culturelle
moderne, à savoir: que le rock existe, qu'il constitue
une réalité historique (faut-il dire «patrimoine»? parfaitement identifiable, avec ses langages, ses esthétiques, sesinnovations artistiques, mais aussi technologiques (instrumentales,acoustiques, visuelles); qu'il pèse
un poids socio-démographique et économique important, même si les chiffres précis nous manquent encore ; et que cela est une évidence, aussiévidente qu'il y
a. de l'architecture, d'autres genres musicaux ou, plus
Simplement, des gens dans la rue; et ce quel que soit
le goût qu'on en a.
Cette évidence se manifeste aussiau plan des comportements sociaux. Le rock est l'alliance d'une musique
et d'un style de vie; il repose sur des réseaux, des
vêtures aussisignifiantes dans leur genre que les frocs
mon.astiques; sur des «mythes fondateurs», comme
celui du voyage, de la rencontre, de la fête. Bref, il est
rare qu'une partie de la société civile soit à ce point
mobilisée pour défendre des intérêts et une action
culturels qui, au bout du compte, profite au plus grand
nombre. Il est donc souhaitable que les grands partenaires de la vie culturelle se sentent concernés tant au
niveau de leurs réflexions qu'à celui de leur action.
D'autant que l'énergie existe sur le terrain, tant au
plan de l'organisation qu'au plan intellectuel, comme
le prouvent expériences récentes et études en cours et
en voie de publication (JO).
NOTES
(1) Le SER s'appelle, depuis juillet 1986, le «Département des
études et de la Prospective- (DEP) et le ministère, celui de la
Culture et de la Communication. Nous conserverons le sigle
SER pour les documents parus sous ce label, et le sigle DEP
pour ceux parus depuis. Cet organisme publie un bulletin,
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Développement culturel, dont le numéro 62 (avril 1985)
contient quelques repères sur les pratiques culturelles des
jeunes issus de l'enquête Pratiques culturelles des Français (2,
rueJean-Lantier, 75001 Paris).
(2) Ce qui n'exclut pas un entraînement par la scolarité,
celle-ci favorisant de plus en plus l'accès à l'intégralité des
textes par le biaisdesdiverses collections de poche.
(3) JO. Maiastre, LaCulture en archipel. Pratiques culturelles
et modes de vie chez des ieonesen siluation d'apprentissage
précaire, La Documentation française, 1986; chapitre 2, § 4,
"La musique». Etude commandée par le DEP du ministère de
la Culture et de la Communication.
(4) Les Adolescents et la musique, Editions EAp, 6 bis, rue
A.-Chénier, 92130 Issy-les-Moulineaux (1986). 176 pages.
Bibliographie;Annexe(questionnaire de l'enquête).
(5) Pratiques culturelles des Français, p.95.
(6) Source: Pratiques culturelles, 7987. Quelques données
sur les pratiques culturelles des jeunes (de 75 à 24 ans);
Document technique interne n0225, du 20 septembre 1982,
SER, du ministère de la Culture (chiffres élaborés à partir de
l'enquête Pratiques culturelles des Français, Dalloz, Paris,
1982).
(7) Ce chiffre n'a cessé d'augmenter depuis. Une récente
enquête de Télérama effectuée les 10 et 11 février 1987
(publiée dans le numéro 1938, semaine du 7-13 mars 1987)
montre que 59% des personnes interrogées possèdent une
chaîne hi-fi; 49% un électrophone; et 10% un lecteur de
disques «cornpcd».
(8) Source: Développement culturel, n062, p.5 (voir la note
1).
(9) P. M. Menger, «l'elitisme républicain», Esprit, numéro spécial sur la musique contemporaine, mars 1985; coordonné
par Pierre Mayol et P.M. Menger.
(10) Un résumé de l'étude a été rédigé sous forme d'article
par l'un de ses auteurs, Christian Daude, «l'économie du
domaine rnusicol», Recherches économiques et sociales, 1et
trimestre 1984, n? 9, p.85-118. Cette revue, du CORDES est
publiéepar la Documentation fronçaise.
(11) Ne pas confondre nécessairement, donc,avecce que le
verlanappelle «chébrcns» et autres «blècos»...
(12) Cf. l'étude BIPE, p.82 et sv, et l'article de C. Daude,
p.l01-102.
(13) Lire aussi Développement culture/, nO 66, septembre
1986, "Le Financement public desenseignements artistiques»,
publiépar le Département desétudes et de la prospective du
ministère de la Culture et de la Communication.
(14) Parmi ces écoles, il en estde trèscélèbres et d'excellente
réputation: Schola Cantorum (fondée en 1896), Ecole César
Frank, Ecole normalede musique (fondéeen 1919 par A. Cortot),etc.
(15) Cf. l'article de P.-M. Menger cité à la note 7. Et, par
A. Hennion, F. Mortinat, J-P. Vignolle, Les Canservatoires et
leurs élèves, publié par le Département des études et de la
prospective du ministère de la Culture et de la Communication,
la Documentation française, Paris, 1983.De P.-M. Menger, lire
l'ouvrage détaillé: Le Paradoxe du musicien, Flammarion,
1983,remarquable étude surle métierde compositeur, origine
sociale, formation, création, diffusion, aides publiques (Bourses, commandes, etc.). Cf. mon compte rendu de ce livre,
accompagné d'un entretien avec l'auteur, Esprit de mars
1984, nO spècial "Mainmise surla culture ?».
(16) F Rouet, Les Aides à la Culture, Pierre Mardaga éditeur,
Bruxelles; contient des informations importantes sur l'aide
publique à la culture ainsi que descomparaisons internationales.
(17) ...et que nous nous dirigeons vers unesociété où il y aura
"moins d'Etot», quelle que soit la coloration politique des
gouvernements.
(18) Voir le Cahier du Cenam «Maxi-rock, mini-bruit». Lieux
de rèpétition: des solutions, un guide, décembre 1984. Et
l'étude Le Rock à la recherche de lieux par B. Lion, D. Cornmins et Y. Kazewski, commandée par le Service desétudes et
recherches du ministère de la Culture. Est-il utile de rappeler
que le Centre national d'action musicale (le Cenam, éditeur
de ces actes) est spécialisé sur l'information portant sur les
actions musicales en tousgenres (formation, festival, bibliographies, institutions, etc.), inforrnofions régulièrement tenue à
jour.
(19) LaPolitique culturelle 7987-7985. Bilan d'unelégislature,
fascicule "La Musique et la Danse», p.23 et sv.
(20) Parexemple: Les Dépenses culturelles des villes françaises en 7987, deux volumes, la Documentation française, Paris,
1985. Etude réalisée par le Département desétudes et de la
prospective du ministère de la Culture et de la Communication.
Les Dépenses culturelles des départements seront publiées
prochainement; l'étudeestégalement réalisée par le DEP.
(21) Parexemple: Les Réseaux musicaux urbains. Production
et consommation du rock à Lyon, par le Groupe de recherche
interdisciplinaire sur la musique (GRIM) de Lyon; auteur:
G. Bourgeat, N. Bandier, Muriel Itier, Pascal Chasson. 225 p.
+ Annexes. Rapportfinancé par le Département des études
et de la prospective du ministère de la Culture et de la
Communication (janvier1987; au GRIM, 15,rue Louis Adcm,
69100 Villeurbanne). - Laurence Roulleau, rédactrice et JeanPaul Boiord, photographe: Modesde vieet culture desievnes
urbains, rapport de recherche financé par le ministère de
l'Equipement (janvier 1987) el diffusé par II<\RIESE, Université
de Lyon 2 - Bât. K. 5, av. Pierre-Mendès-France, 69500 Bron.
On n'aura garde d'oublier l'étude plus ancienne (1983) mais
hautement figurative de Jean-Michel Lucas sur "Le Rock à
Rennes» qui contient, outre des analyses quantitatives el
institutionnelles, une analyse remarquable du «concert»
comme lieu expérimental (au sens radical du mot dont la
sémantique rejoint ce que contientle vocable «esthèfique»] de
la fête.
22
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Contributeur : Eliane Daphy
PAROLES DE CHERCHEURS
MUSIQUES DES LYCEENS,
MUSIQUES DES ENSEIGNANTS
Régine BOYER
sociologue, chercheur à l'Institut national de recherche pédagogique (INRP)
Département de psychologie de l'éducation et de la formation
Cet exposé souhaite apporter un fond de carte aux débats qui vont suivre en présentant
quelques-uns des résultats d'une enquête nationale sur les pratiques etles goûts culturels des lycéens
et des enseignants de lycées {lycées d'enseignement général, technique et LEP} (1). Nous décrirons
d'abord brièvement les modes de consommation, les pratiques et les goûts musicaux des élèves et
professeurs; nous tenterons ensuite de préciser le sens etla place de la musique dans les différents
profils culturels d'élèves etd'enseignants qui ont été dégagés à partir del'ensemble deleurs activités
deloisirs.
Deux points nous paraissent devoir être commentés
en priorité. l'écoute quotidienne de disques et cassettes par les lycéens est importante et sensiblement plus
élevée que celle des enseignants. De plus, les goûts
déclarés en matière d'émissions de radio et télévision
viennent confirmer cet engagement dans la consommation musicale: les émissions de musique attirent en
effet tout particulièrement les jeunesauditeurs et celles
de variétés téléviséessont élues par 30 % des lycéens.
l'exornen des goûts musicaux des professeurs et élèves montre l'existence d'un consensus des enseignants
sur le choix de la musique classique alors que le rock,
musique réputée rassembleuse des jeunesses, ne
regroupe qu'un peu plus de la moitié des lycéens.
La répartition des réponses des élèves appelle d'autres remarques: d'une part, on peut constater la
relative dispersion de leurs réponses, réaffirmée dans
la centaine de combinaisons apparues (2), même si
70 % des choix proposent des combinaisons à base
de rock, chansons, reggae et folk. D'autre part, l'item
«autre», habituellement destiné à accueillir quelques
réponses originales, a reçu 20 % des choix; ceci
montre l'inadéquation pour les lycéens de la gamme
de genres proposés et leur volonté de faire connaître
ceux qu'ils considèrent comme des genres à part
entière (hard, funk, disco). C'est l'un des signes aussi
du rapport particulier que les lycéens entretiennent
avec la musique puisqu'ils ont utilisé pleinement pour
cette seule question de l'enquête les possibilités que
donnait son caractère semi-ouvert en inscrivant listes
de noms et commentaires sous cet item ainsi que sous
les items «chansons» et «musique contemporaine».
Cette utilisation invite à réfléchir sur les significations à
la fois de cet engagement dans l'écoute musicale et
de la classification des genres musicaux. Les lycéens
ne cherchent-ils pas là à mettre en scène les ressemblances et différences qui construisent leur identité de
jeune?
Les enseignants, quant à eux, n'ont quasiment pas
choisi l'item «autre» montrant leur acceptation tacite
des catégories proposées et ont utilisé très modérément (35 % des répondants) les possibilités de précisions offertes en signalant seulement leurs chanteurs
préférés: Brel, Brassens, Ferré, Reggiani...; autrement
dit la chanson française consacrée fait l'unanimité.
Cette trop brève analyse confirme, pour nous, l'investissement particulier des lycéens dans la musique qui
semble être le lieu privilégié de recherche et d'expression d'une identité à la fois dans le lien et la différenciation d'avec le groupe de pair (3).
TABLEAU
~
23
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Contributeur : Eliane Daphy
Pratiques musicales des enseignants et des élèves'
Tous lesjours
Professeurs
Ecoute de disques oucassettes
18
Plus rarement
Elèves Professeurs
51,2
73/9
3-4 fois/an et plus
Professeurs
Concert
39
Très régulièrement
Pratique d'un instrument de musique
10/1
13,9
Elèves Professeurs
46,4
26,6
0,9
Jamais
Elèves Professeurs
24,2
Quelquefois
14,5
Elèves
2,9
1 fois/an
Elèves Professeurs
21/1
Jamais
22,4
Elèves
26,7
51/5
Jamais
61,6
65/3
Goûts musicaux ..
Professeurs
Elèves
Quelquefois
Jamais
19/6
2
Classique
71,8
Opéra
20,4
Jazz
31
12,2
Reggae
4,2
30,1
Chanson
50,7
47/9
Rock
12,2
Folk
10/1
23,7
57/6
17,9
Musique populaire étrangère
Création contemporaine
Autres
•Chiffres exprimés en pourcentages .j
..
4,5
8/9
4,8
1,5
20,7
Trais chaix passibles. Chiffres exprimés en pourcentages.
PIlOFlIS CUI.rullllS DIS I.rr:IINS
Un travail statistique sur les réponses des 3 500
lycéens a permis de dégager entre l'infinie variété des
comportements individuels et les grandes tendances
dominantes plusieurs profils d'élèves, Deux grands
ensembles sont à distinguer. Le premier, qui rassemble
28 % des Iycéens, présente des élèves dont les pratiques culturelles, lesgoûts/ les modes de vie marquent
une forte adhésion aux formes les plus légitimées de
la culture. Cet ensemble n'est cependant pas totalement homogène: certains élèves recherchent des
activités favorisant l'acquisition d'une culture littéraire
et artistique en fréquentant concerts, théâtre et expositions i d'autresen lisant, et sélectionnant à la télévision
et à la radio lesémissions littéraires et musicales. Dans
les deux cas, ce sont surtout des filles. D'autres enfin,
des garçons cette fois, ont surtout des loisirs domestiques tournés vers l'acquisition d'une culture scientifique et technique. Tous ont néanmoins en commun de
se distinguer par des goûts musicaux ne reflétant pas
les grandes tendances majoritaires: au rock, au reggae, à la variété internationale, ils préfèrent la musique classique, le jazz, la chanson française élue par
les enseignants, et plus modérément les musiques
populaires étrangères.
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le second ensemble (72 % des lycéens) est pius
composite, même si tous les sous-groupes qui le
constituent parquent leurs distances par rapport à la
culture classique qui cimente le précédent. Dans cet
ensemble en effet, trois sous-groupes se dessinent: le
premier qui rassemble 30 % de la population réunit
des élèves, essentiellement des garçons, dont les intérêts sont centrés sur le sport et les sorties de détente:
cinéma (films comiques ou d'action), discothèques,
«boums», Quelques-uns d'entre eux témoignent,
cependant, de goûts cinématographiques plus larges,
d'un intérêt pour les sciences et l'actualité, d'un goût
des concerts et de la pratique instrumentale, Si les
goûts musicaux de ce premier groupe vont dans le
sens des goûts majoritaires, le même groupe d'individus se distingue en élisant aussi le jazz et quelquefois
le folk,
le deuxième sous-groupe (25 % de la population) ne
rassemble quasiment que des filles. Ces élèves sortent
peu. la réussite de leur vie affective est une préoccupation centrale et leur temps de loisir est surtout
consacré à la lecture de romans et à la recherche de
feuilletons et variétés radiophoniques ou télévisés.
Mais ici encore, deux tendances émergent, tout particulièrement sensibles au niveau des choix musicaux:
l'une est désireuse de s'approcher des formes de la
culture légitimée et élit plus volontiers la nouvelle
chanson française, elle joue quelquefois d'un instrument de musique et ses rares sorties sont pour le
concert ou le théâtre. l'outre, très casanière, se replie
sur la consommation de radio et de télévision, particulièrement des émissions de variétés les plus populaires.
Elle aime la chanson, grande variété française et
étrangère essentiellement, et apprécie très peu la
musiqueclassiqueet le [czz,
Le dernier sous-groupe (17 % de la population)
confirme le rôle important du rapport à la musique et
des goûts musicaux dans la définition des profils
culturels. Ces élèves, garçons et filles, sont peu attirés
par le sport et par le cinéma; ils sont médiocres
lecteurs et téléspectateurs très peu assidus. Mais plus
que tous les autres lycéens, ils vont au concert, écoutent disques et cassettes quotidiennement, suivent les
émissions musicales il la télévision et recherchent les
radios locales diffusant les musiques qu'ils aiment:
rock, reggae, funky, disco, hard. C'est donc par rapport il la musique seulementqu'ils se définissent positivement.
PROFIlS CULfURfIS DU ENIElGII.AN1S
Nous avons vu que les professeurs se rassemblaient
largement, en matière de goût musical, sur le choix de
la musique classique. Ils se rassemblent également sur
une pratique importante des sorties (théâtre, concert,
cinéma, expositions) el sur une inclination en matière
de lecture ou de cinéma vers les genres les plus
valorisés de la culture classique. Mais au-delà de ces
tendances majoritaires, c'est comme pour les lycéens,
la diversité interne du corps enseignant
apparaît
de manière affirmée. Elle repose essentiellement sur
ICI discipline d'enseignement, et les analyses statistiques ont permis d'identifier deux grands groupes:
l'un à coloration littéraire et artistique regroupant la
majorité des professeurs de lettres, l'autre, tourné
principalement vers les sciences et les techniques et
réunissant la mciorité des professeurs de sciences
physiques, Si le champ culturel de référence des
premiers est toujours celui des lettres et des arts, les
objets ou degrés d'intérêt peuvent différer; certains
se caractérisent par leur forte fréquentation des
concerts, théâtre et expositions. D'autres ne manifestent pas d'intérêt particulier pour les arts mais expriment il travers leur sélection de lectures et émissions
de radio et télévision, leur intérêt pour l'actualité
politique et sociale. De même quand les professeurs
de sciences physiques ont en commun la référence au
champ scientifique et technique, celle-ci ne s'exprime
pas sur un seul registre: certains, très sédentaires,
montrent des préoccupations étroitement liées à leur
enseignement à travers les choix de lectures et émissions de télévision. D'outres ont des loisirs dominés
par le bricolage et le sport.
Comme chez les lycéens, les pratiques et goûts en
matière de musique contribuent fortement à structurer
la population enseignante au point que l'on peut les
inscrire sur un continuum. A l'un des extrêmes, dans
l'ensemble littéraire, apparaît un groupe de mélomanes et instrumentistes attirés par les musiques les plus
légitimées et les plus clossontes (opéra). Il est suivi,
d'abord par un groupe qui exprime en matière de
goûts musicaux, les tendances majoritaires (musique
classique, chanson française consacrée) ainsi qu'un
intérêt particulier pour un genre mineur, les musiques
populaires étrangères, Apparaît enfin un troisième
groupe peu consommateur, non pratiquant, ne reflétant que les tendances rnojoritcires, I:on aborde
ensuite l'ensemble scientifique; trois groupes s'y dégagent présentant l'image inversée de la succession
précédente: d'abord un groupe un peu plus consommateur cjourcnt aux goûts majoritaire son attirance
les musiques populaires étrangères; enfin un
groupe qui se
sensiblement en
choisissant le rock et le folk et en repoussant la
musique classique. Ces professeurs ne sont cependant
ni de grands pratiquants ni de gros consommateurs.
Le continuum s'arrête ainsi sur un groupe en opposition avec le premier: les amateurs de rock font écho
aux amateurs de musiques légitimées.
La musique produit donc à travers les pratiques de
consommation et les goûts une opposition et des
hiérarchies entre les enseignants comme elle participait de la structuration de la population lycéenne.
Pourtant elle n'a pas le même statut dons les deux
populations: si elle constitue le lieu privilégié de
l'investissement culturel des lycéens comme l'indique
notamment le traitement particulier qu'ils ont réservé
à la question
sur les goûts musicaux, il n'en est
de même que pour une frange modeste d'enseignants
et les divergences de goûts sont alors éclatantes.
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le rapport à la musique autant que les choix musicaux
représente, selon nous, le point central du divorce
culturel entre enseignants et élèves. Même si près de
30 % des lycéens se rapprochent de leurs professeurs
à travers leur adhésion aux formes les plus légitimées
de la culture classique, singulièrement en matière de
musique, et si leurs choix majoritaires - rock, chansons, reggae - désignent une réalité multiple et complexe sous quelques vocables trop généraux. C'est un
univers culturel qui s'exprime là, il ne parle pas
seulement de musique mais engage des valeurs, des
modes de rapport au monde et de relations avec les
autres, des règles sociales, des modes de vie et des
projets.
rock, opéra, folk, jazz, musiques populaires étrangères (Inde,
Pérou), reggae, salsa, création contemporaine (dans ce cas,
pouvez-vous précisez vos compositeurs préférés ?), chansons
(dans ce cas, pouvez-vous préciservos chanteurs préférés?),
outre(précisez).
(3) l'onclysefine desgoûtsdeslycéens estprésentée dans: P.
Mignon, E. Daphy, R. Boyer: Les Lycéens et la musique. INRP
(Coll. Rapportde recherches n ? 2), 1986, 96 p.
BIBLIOGRAPHIE
Galland O. Les Jeunes. Paris, Ed. La Découverte, 1985.
Hamon H., Rotman P Tant qu'il y aura des profs. Paris, Seuil
(Coll. l'Epreuve desfaits), 1984.
Les Jeunes et lesAutres, contributions dessciences de l'homme
à la question des jeunes, coordonnées par François Proust.
NOTES
(1) Cette enquête a touché 223 établissements, 800 enseignants (Lettres et Sciences physiques seulement pour des
raisons extérieures à l'aspect évoqué ici de l'étude) et 3500
élèves. On trouvera l'exposé de l'ensemble des résultats
dans: R. Boyer, M. Delclaux, A. Bounoure: Les Univers
culturels des lycéens et de leurs enseignants. INRP (Coll.
Rapports de recherches n 03), 1986. 195p.
(2) Le libellé de la question portent sur les goûts musicaux
était le suivant:«Si vous écoutez de la musique, quels genres
de musique préférez-vous? (3 réponses maximum). Classique,
Paris, CRIY, 1986 (2 vol.].
LégerA. Enseignants du secondaire. Paris, PUF (Coll.l'Educoteur), 1983.
Mignon P, Daphy E., BoyerR. Les Lycéens et la musique. Paris,
INRp' (Coll. Rapports de Recherches, n ? 2), 1986.
Service des études et recherches du ministère de la Culture.
Pratiques culturelles desFrançois: description socio-démographique, évolution 1973-1981. Paris, Dalloz, 1982.
Le Monde de l'Education (entre autre n ? 96, 103 sur les
jeunes, n ? 119 surla culture desprofs.).
Les Cahiers de l'animation, de l'INEP
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PAROLES DE CHERCHEURS
LES JEUNESSES DU ROCK
Patrick MIGNON
sociologue, Centre de sociologie des arts
comité de rédaction de la revue «Vibrations»
Lorsqu'on veut parler des rapports existants entre musique et ieunesse, on peut partir de quelques
évidences fournies par les mouvements du marché du disque: 80 % des acheteurs de musique
enregistrée sont âgées de moins de trente ans; 75 % des ventes relevant globalement de la
catégorie «pop» (le terme anglo-saxon pour «variété»} sont à mettre au compte des moins de vingt
ans. Ces chiffres, issus d'enquêtes anglaises ouaméricaines, trouvent un écho auniveau français où
78 % des moins de vingt ans achètent aumoins une fois paran un disque alors qu'ils ne sont plus
que 63 %dans lacatégorie des 35-49 ans (l).
Peut-on tirer du constat d'un engouement massif des
jeunes générations, des conclusions qui feraient de
cette masse de consommateurs un peuple, exprimant
par la musique, son unité, sa vision du monde et son
rapport à la société? la tendance actuelle qui
consiste à nommer indistinctement rock l'ensemble
des musique élues par les jeunes entretien cette idée:
les jeunes aiment la musique, cette musique s'appelle
«rock», donc les jeunes participent d'une culture rock,
Aujourd'hui, en france, dons le langage des commentateurs et des observateurs, le mot, «rock» s'est imposé
pour rendre compte de cette omniprésence de la
musique. Pourtant, ce mot est loin de faire l'objet d'un
consensus: il est l'occasion de débats passionnés dont
on peut percevoir les traces il travers la lecture des
revues spécialisées, et de leur «courriers des lecteurs»,
qui sont des lieux dons lesquels on s'attache à distinguer le rock d'outres formes musicales comme la
variété. En fait, derrière le mot «rock» se cachent,
comme on peut le montrer aussi à propos du jazz, des
«pratiques musicales, des cadres sociaux et des modes
de consommation très différents» (2). Si une définition
large peut mettre sous «rock» toutes les musiques
reposant sur l'utilisation des technologies modernes
d'enregistrement et de reproduction du son, cette
définition qui, dans les années 50 et 60 distinguait de
façon évidente la chanson française dite à texte des
productions des premiers «rockers» et des «yéyé»,
n'est plus opératoire aujourd'hui; et le rock peut aussi
bien désigner les musiques qu'on retrouve dans les
différents hit parades proposés par les médias
(<<Top50» par exemple) et qui mélangent tous les styles
possibles, même la musique classique, qu'un genre
bien défini comme le rock'n'roll ou un style de vie
mêlant références musicales, artistiques ou littéraires,
Sous ce terme générique de rock, il y a à la fois ce
que les Anglo-saxons désignent sous le terme de
«pop music», c'est-à-dire la musique qui «marche», et
quelque chose de plus spécifique, des musiques particulières, des imaginaires sociaux et un monde social
particulier dans lequel le mot «rock» renvoie à une
référence qu'il faut défendre contre les entreprises
d'édulcoration ou de récupération, à une valeur
«rock» dont on s'efforce en permanence de produire
le contenu. On voudrait mettre en évidence dans ces
quelques pages la pluralité des enjeux repérables
dans les phénomènes de consommation musicale, les
cpportencnces que peut prendre le rapport à la
musique,
LA DWERlmMUSICAU DUROCK
Lutilisation généreuse de l'étiquette «rock» fait que
l'on regroupe sous un même vocable des styles aux
caractéristiques fort différentes: s'il existe bien toute
une production qui répond à la définition canonique
d'une musique à quatre temps, avec accentuation sur
le deuxième et le quatrième temps, que dire des
productions de groupes comme Pink Floyd ou Tangerine Dream qui bâtissent leurs compositions sur le
refus du caractère dansant du rock au profit de la
construction des tapisseries sonores, ou encore du
disco ou du reggae.
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S'il est difficile de trouver une unité musicaleà l'ensemble de ce qu'on appelle «rock», il est de même difficile
de trouver une unité thématique. Si, pour une grande
partie de sa production, toutes les chansons que l'on
peut trouver dans les hit parades depuis les
années 50, c'est une musique de danse, de détente,
naïve et sentimentale, évoquant la découverte émerveillée du monde social ou les douleurs de l'initiation
affective, elle est aussi une musique violente et perverse s'attachant à décrire les aspects noirs de la
situation adolescente ou de l'univers contemporain.
Ce qui est alors chanté, c'est le mode des «déviants»
urbains (le rock new-yorkois : Velvet Underground,
Lou Reed], celui de sous-groupes aux symboliques
violentes ou inquiétantes (certains aspects du penck
ou du heavy metal;
La production rock peut aussi se différencier selon le
caractère plus ou moins intellectualisé de ses contenus
musicaux ou thématiques. On pourra avoir ainsi un
rock prenant modèle sur la musique «sérieuse» et
cherchant à se complexifier (Frank Zappa) ou puisant
dans la poésie ou la littérature, du romantisme au
surréalisme, leurs thèmes de prédilection, auquel va
s'opposer un rock fondé sur la fidélité aux formes
originelles et sur le refus de toute intellectualisation
(toutes les formes de revivais: rockabilly, british
rhythm'n'blues).
Ces diversités musicales et thématiques renvoient aussi
à des quantités et à des temporalités différentes: il ya
du rock qui devient disque d'or ou de platine (c'est-àdire qui se vend par centaine de mille, en France, ou
par centaines de millions aux Etats-Unis), qu'on entend
à longueurs de temps sur les radios; et du rock qui se
vend à quelques milliers d'exemplaires et qui ne peut
que s'écouter à certaines heures de la nuit. Il y a du
rock qui ne vaut que quelques semaines et du rock qui
survit aux années(3).
LE ROCK Er US "OUIlES DE LA JEUNUIE
En fait, ce qui fonde l'unité du rock n'est pas tant
l'existence de critères musicaux que le constat, relevé
dans l'introduction, du caractère principalement juvénile de l'engouement pour la musique enregistrée: le
rock est lié à l'émergence de la jeunesse comme
nouvelle catégorie sociale dans les sociétés contemporaines. Ce phénomène se présente pourtant sous
plusieurs figures correspondant à différents modes
d'apparition des populations jeunessur la scène sociale. Deux facteurs principaux ont contribué à faire
émerger la jeunesse comme nouvelle catégorie d'analyse et comme réalité.
Le premier, c'est le mouvement de scolarisation commun à l'ensemble des sociétés occidentales: on va à
l'école en plus grand nombre et on y va plus longtemps. Toutefois, ces mouvements sont inégaux selon
les pays: les Etats-Unis et la France ayant une population étudiante beaucoup plus importante que la
Grande-Bretagne, par exemple. Le second facteur est
le redémarrage des économies occidentales après la
Seconde Guerre mondiale qui permet la constitution
d'une force d'achat juvénile du fait de la plus grande
facilité à trouver du travail ou à gagner de l'argent de
poche, mais aussi du fait que, le niveau de vie
croissent, les jeunes sont moins tenus de contribuer
aux dépenses de leurs familles. Ces deux facteurs
rendent possible la constitution d'un espace propre
aux jeunesoù ils peuvent consommer des biens spécifiques, revendiquer et vivre une certaine forme de
liberté en élaborant des pratiques qui leur sont propres. Toutefois, en trente ans, la physionomie de cet
espace à connu certaines évolutions: plusieurs figures
de la jeunesse se sont succédé.
Dans les années 50, l'on connaît la figure du teenager (4). C'est celle des moins de vingt ans, plutôt
d'origine populaire, qui revendiquent le temps libre,
l'accès aux biens de consommation, l'autonomie par
rapport aux demandes des adultes ; c'est aussi celle
des bandes et de la délinquance juvénile où le regroupement par groupes de pairs vient renforcer l'idée
que les jeunes générations cherchent des lieux de
socialisation qui leur soient propres (5).
La deuxième figure est celle du «jeune» qui naît dans
les années 60. La jeunnesse n'est plus seulement alors
la jeunesse scolaire ou ouvrière, quelque peu irresponsable, mais aussi la jeunesse étudiante plus concernée
par les problèmes de société. La jeunesse est alors
liée à l'idée de contestation et à tous les thèmes de la
contre-culture: pacifisme, libération politique, sexuelle, individuelle, exploration de nouveaux espaces de
vie et expérimentation de nouvelles formes de perception (6).
la troisième figure, enfin, est celle que l'on tend à
recouvrir du terme de «post-adolescence» (7). Il s'agit
de rendre compte, par cette notion, des phénomènes
de décalage de plus en plus important entre les
différents calendriers d'entrée dans la vie adulte (mariage, travail, résidence autonome, arrivée du premier
enfant), dus à l'allongement des études, ou chômage
et aux valeurs d'autonomie issues de la contre-culture,
et de l'installation dans un état social qui n'est ni celui
de l'adolescence, ni celui de l'âge adulte. Cette idée
de post-adolescence peut permettre de comprendre
l'idée souvent exprimée d'une généralisation du rock
dont on dit qu'il est partout, dans la musique et dans la
rue; on ne sait pas s'il est partout, dans la mesure où
l'on ne sait pas très bien ce qu'il est, mais on voit bien
qu'il y a des conditions sociales pour qu'il soit partout
avec l'extension des limites de la population juvénile.
En effet, si l'on considère que le rock est un des modes
par lequel les individus expérimentent leur situation
d'attente sociale, (une des caractéristiques sociales de
l'état de jeunesse), l'extension de cette période d'attente élargit le champ d'intervention du rock.
Il reste de tout cela ce qui permettrait de parler d'une
histoire commune du rock et de la jeunesse. En effet, si
l'on considère les grands mouvements musicaux, on
pourra dire que le rock'n'roll des années 50, dans sa
fureur et sa simplicité, correspond aux attentes des
des
teenagers; que la musique pop plus sophitqué~
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années 60 est en
étroit avec la contre-culture (8); enfin, on pourra dire que les musique des
années 80, dans leur éclatement, correspondent il
une époque où l'on oscille entre le désespoir (le punk,
certaines tendances de la new wove] et l'indifférence
(lesdifférentes formes de musiques de danse).
l'inconvénient de cesgrands ensembles où des formes
de musiques correspondent à des moments historiques
déterminés, c'est qu'ils tendent à privilégier ce qui
manifeste l'unité au détriment de ce qui divise.
ENJEUXSOCIAUX Er CULf'UIlflS
ici de mettre l'accent sur les éléments qui font
Il s'a~it
que Ion peut voir le rock non pas comme l'expression
de la jeunesse, sa «conscience politique» (9), mais
plutôt comme le lieu où se joue les différentes manières d'être jeune, les diversités musicales renvoyant à
des diversités de choix de styles de vie, à des formes
différentes d'expérience de la période de jeunesse.
On partira ainsi d'un sondage, fait à la fin des
années 50, par une équipe de sociologues américains
à l'occasion d'une enquête sur les élèves des «high
schools» et des collèges (10). le sondage portait sur
les chanteurs favoris des élèves, partant du constat
que le goût pour la musique est un dénominateur
commun à tous ces jeunes. l'intérêt de ce sondage est
qu'il prend à contre-pied les représentations courantes qu'on se fait de la vogue du rock'n'roll à la fin des
années 50; en effet, dans ce mini-lut parade, Elvis .
Presley ne vient qu'à la troisième place précédé par
Perry Como, représentant du style «crooner», et par
Pat Boone, le spécialiste des «covers» c'est-à-dire des
réinterprétations «blanches» des disques noirs, où les
audaces sexuelles et la frénésie des rythmes sont
sensiblement amoindries. De la même focon l'on
citer l'exemple du punk dont on fait volontiers
un cas exemplaire de rupture dans les représentations
de la jeunesse et dans la musique. Le disque le plus
vendu des Sex Pistais a à peine atteint les 300 000
exemplaires, en Grande-Bretagne, à un moment où
ou bien des titres de Pau! Mac
certains «tubes»
Cortney
le million d'exemplaires.
Ce que manifestent ces exemples, c'est le décalage
qui peut exister entre la réputation d'un chanteur ou
d'un style, la place qu'ils occupent dans le panthéon
du rock et leur réalité en terme de marché ou en
terme d'impact à certaines époques déterminées. Tout
le monde n'est pas prêt il accepter les imaginaires
proposés par tel ou tel chanteur ou groupe, à suivre le
voyage qu'ils proposent, les limites qu'ils invitent à
transgresser. La sensualité et la provocation d'Elvis
Presley et des premiers «rockers», la pente «mouvais
garçon»
peuvent représenter, sont concurrencés
par les images plus familiales des «crooners» ou celles
véhiculées par la musique, rythmée sans excès, juste
ce qu'il faut
danser,de Pat Boone.
Si certains
de différenciation se recentrent
dans tous les
il en est
sont spécifiques à tei
ou tel. On
ici
tirés
des pays onqlo-scxons, en raison de l'existence d'une
littérature abondante portant sur les questions musicales dans ces pays et son faible développement en
france.
LES ETATS-UNIS
Aux Etats-Unis, les éléments qui paraissent déterminants dons la production des imaginaires rock et dans
leur réceptions sont les questions des différences
régionales et raciales, et leur mise en scène. Ainsi la
question Nord-Sud. Le Sud des Etats-Unis tient une
place considérable dans l'histoire du rock, dans la
mesure où une bonne partie du rock'n'roll des
années 50 a été produite par des artistes nés au sud
de la Mason Dixon line (77) et qu'on peut considérer
cette part des «sudistes» dans la production musicale
comme une protestation ou comme l'affirmation d'une
région et de ses styles de vie souvent considérée
négativement dans les représentations dominantes
américaines. Le terme «rockobilly», qui désigne le
rock'n'roll du Sud, a souvent une connotation péjorative: le suffixe «billy» qu'on retrouve accolé à divers
styles (<<psychobilly», «surfbilly»] renvoie souvent à des
mouvements musicaux qui cultivent une vision volontairement obtuse et restreinte de la musique rock, de
la même façon que Je terme «hillbilly» peut désigner
les habitants de la région des Appalaches et signifier
leur caractère «plouc», Presley; pour devenir une
vedette nationale, devra gommer ce qui le faisait
«donner» trop «sud»), ton pourrait ici associer le
Middle West à cette image d'un espace américain
coupé selon un critère de sophistication en citant cette
phrase d'un membre d'un groupe issu de cette région:
{de suis du Middle West; je ne connais pas les mots
compliqués» (72).
Un deuxième exemple pourrait être fourni par l'opposition entre Est et Ouest. Ainsi, en 1967, le Velvet
Underground, groupe new-yorkais, qui travaille alors
avec le peindre Andy Warhol dans une série de
projets multi-arts et multi-médias (peinture, théâtre,
cinéma, télévision), part en tournée en Californie.
Cette tournée est un échec parce que, par ce voyage
vers l'Ouest, ils vont à la rencontre d'un monde
«hippie» qui a beaucoup de mal à accepter l'univers
décrit par le groupe new-yorkais. Du côté des «hippies», des gens de San Francisco, on a, pour simplifier,
des thèmes reposant sur les idéaux contre-culturels de
vie communautaire ou d'expansion des consciences
fondée sur l'utilisation des drogues «psychédéliques»
(LSO, marijuana), tandis qu'en face le Velvet Underground chante l'univers urbain, ses personnages troubles (travestis, prostituées, «[unkies»] dont les rapports
ne sont pas des rapports de communauté mais des
rapports de «deal», d'affaires, articulés autour de
produits fort différents que sont l'héroïne ou les
amphétamines (les drogues dures).
Cette opposition n'est pc; une opposition géographique réelle, ou sens où tous les Californiens seraient
«hippies» et tous les New-Yorkais vivraient selon les
préceptes du Velvet Underground, mais une opposi-
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fion symbolique entre deux manières de voir et de
vivre la question qui se pose pendant les années 60
de savoir ce qui se passe lorsqu'on veut aller au-delà
des formes conventionnelles de la vie sociale.
l'exemple des festivals de Woodstock et dfl.ltamont
peut illustrer cette imbrication des imaginaires et des
trajectoires et l'œuvre dans la réception de la «rock
mUSIO).
Woodstock et Altamont
A quelques mois de distance, ces deux festivals
connaissent des destins différents. Woodstock réunit
plus de 400000 personnes pour trois jours de «paix,
d'amour et de musique» (août 1969), tandis qu:A.ltamont (décembre 1969) se déroule dans un climat de
violence, de «mauvaises vibrations», et se termine par
la mort d'un jeune spectateur noir tué, par les Hells
Angels chargés du service d'ordre de ce concert des
Rolling Stones. Ces deux réunions massives autour du
rock, en pleine époque de la contre-culture triomphante, mettent, en fait, en œuvres des dynamiques
fort différentes.
Woodstock réunit en quelque sorte des militants de la
contre-culture: pour aller sur les lieux, il a fallu
marcher, faire «du stop» et endurer des conditions
matérielles fort difficiles, mais il s'agissait de manifester
l'existence d'une communauté partageant le même
désir d'une vie différente. Altamont, quant à lui, se
déroule près d'un échangeur d'autoroute dans la
banlieue de San Francisco, et les gens qui viennent,
outre la communauté «hippie» ou du moins une partie,
sont des jeunes de ces banlieues, jeunes ouvriers ou
futurs ouvriers, en tout cas pas de futurs étudiants, des
«kids» qui viennent assister à un événement qui se
déroule près de chez eux et qui vont côtoyer un
monde qu'ils connaissent par les médias et par les
visites hebdomadaires qu'ils peuvent faire à HaightAshbury, où ils vont voir les «hippies», les filles libérées
et chercher de la «dope». Entre les deux concerts, il y
a toute la différence entre une communauté en marche, choisissant ses lieux de célébration, et une communauté produite par les circonstances (/3). Du coup
à Alternent, tout se heurte: au cœur du quartier
«hippie» pouvait exister une forme de controle des
adhérents au projet contre-culturel, avec ses systèmes
d'entraide faisant vivre l'idée cl' une contre-société,
avec ses rites collectifs d'initiation aux drogues psychédéliques; à Altamont, point: la défonce pure côtoie
la recherche mystique, l'amour universel côtoie la
violence et le racisme (74).
Musiques noires, musiques blanches
Le deuxième aspect qui milite pour une représentation
moins universalisante du rock est la question raciale.
La représentation courante que fait du rock une
synthèse de la musique noire, le rhythrn'n'blues, et de
la musique blanche, le country and western, ne va pas
de soi: ou-delà des analyses musicologiques qui
pourraient identifier des formes blanches et des formes noires et les manières dont elles sont mêlées dans
les divers types de rock'n'roll des années 50, cette
idée d'une synthèse ne renvoie pas à l'existence d'une
forme musicale correspondant à un mouvement de
rapprochement entre deux cultures. les pratiques
commerciales de caver sont des exemples qui montrent que la popularité des chansons ne dépend pas
seulement de leurs qualités musicales, mais aussi de
leur caractère acceptable par la société blanche, de
même que le fait que les grandes vedettes du rock
américain sont très majoritairement des chanteurs
blancs.
Le monde du rock, dans son sens large de musique
populaire moderne, est un lieu où se met en scène
l'état des relations entre races: volonté de rencontre,
fascination, mois aussi rejet, ou affirmation identitaire.
Dans le milieu des années 70, pendant les années
«disco», on a pu assister à de nombreux débats (les
mêmes se déroulaient en Fronce) dons lesquels on
discutait des liens que le disco pouvaient avoir avec le
rock, si son caractère préfabriqué (en raison du rôle
capital joué par les manipulations technologiques en
studio ou de sa vocation strictement dansante) en
faisait une véritable expression (un rock de la contreculture), ou un pur produit de divertissement. Derrière
ces questions l'on pouvait retrouver l'écho de discussions anciennes sur le caractère créateur de la musique noire contemporaine, les Noirs pouvant produire
de la musique de danse mais n'étant pas capable
d'aller plus loin vers la création d'un syncrétisme
musical (75), mais aussi de prise de position considérant que le «disco» était la musique des minorités
noires ou hispaniques et le rock celle des jeunes
blancs; pendant les étés 1978 et 1979 les bagarres
ont opposés bandes noires et bandes blanches, les
unes se réclamant du «disco» ou de la «soul music» et
les autres du rock. Pour le magazine du show business
américain, le Billboard, il existe toujours une musique
spécifiquement noire qui, après avoir été nommé
«rhythm'n'blues», «seul», s'appelle maintenant «black
music»: et la chaîne musicale MN ne diffuse des
ortistes noirs que lorsque les ventes de leurs disques
garantissent au diffuseur que les désertions de spectateurs n'auront pas un caractère massif
I.A GRANDE-BRETAGNE
Il semble qu'en Grande-Bretagne la question de l'appartenance sociale soit capitale pour analyser les
phénomènes liés à la réception du rock. Le rock
comme ensemble d'imaginaires dans lequel on puise
pour accompagner ou pour refuser son expérience
sociale, fournit les éléments de réponses à des questions telles que: comment va-t-on devenir ouvrier ou
chômeur? Comment vit-on la coexistence avec les
Pakistanais et les Jamaïcains? Comment peut-on
échapper à son destin de futur membre des classes
moyennes. Une des raisons de la prégnance de cette
question est l'existence d'un système éducatif moins
ouvert que le système américain ou français ; l'autre
raison est le maintien d'une culture ouvrière autonome
JO
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Contributeur : Eliane Daphy
qui, si elle est en crise aujourd'hui, n'en constitue pas
moins un modèle de référence (77).
la coupure, au niveau des jeunes, entre un monde
ouvrier et un monde étudiant, avait permis, dans les
années 50 et 60 en période de prospérité économique, l'éclosion d'une culture juvénile populaire. En
effet, le plein emploi et les salaires relativement élevés
pour les apprentis, ou les ouvriers et employés sans
qualification, faisaient que l'on pouvait quilter l'école
assez tôt et mener grande vie pendant les quelques
années avant l'installation dans la vie adulte. le
développement du chômage à partir des années 70,
a fait s'évanouir cet «âge d'or». Mais il n'a pas stoppé
l'extraordinaire éclosion des sous-cultures dans la
jeunesse ouvrière, puisant dans le rock et dans la
culture ouvrière les éléments d'une mise en scène des
diversesformes d'expérience de la destinée sociale.
Rockabilly, skinheads, mods,punks,
casuals...
la Grande-Bretagne est le pays des sous-cultures où
musique, vêtement, coupe de cheveux viennent témoigner de l'appartenance ou de l'allégeance à des
groupes sociaux ou ethniques. Certaines sous-cultures
puisent l'essentiel de leurs traits dans l'expérience
d'une partie de la jeunesse ouvrière. les «teddy boys»
(nés dans les années 50), les «rockers» (leurs successeurs des années 60) ou les «skinheads» (nés à la fin
des années 70) sont des groupes nés de problèmes
aussi divers, mais spécifiquement ouvriers, que la
déqualification, le chômage, la rénovation urbaine
qui chasse du quartier où l'on a toujours vécu, ou la
concurrence territoriale des Pakistanais ou des Jamaïcains. Ces sous-cultures sont des réponses à des
situations difficiles ou conflictuelles: les «teddy boys»,
amoureux de «rockobilly», vont lutter contre la dégradation de leur statut social en mettant en avant des
valeurs de virilité et d'honneur ou en cultivant un
dandysme polétarien (la banane artistement travaillée, les longues vestes à la mode edwardienne, les
«blue suede shoes» (7B), méprisant le travail, eux les
ouvriers sans qualification et sans avenir; les «skinheads», quant à eux, remettent à l'honneur des traits
et des comportements propres aux fractions les plus
nationalistes de la classe ouvrière ou à ses traditions
délinquantes: crânes rasés comme des bagnards,
tatouages, chaussures de travail (les «doc Marlins»,
qu'ils exhibent dans leursquartiers ou dans lestribunes
des terrains de football.
Certains systèmes sous-culturels sont plus mêlés: ainsi
les «rnods» ou les «punks». les «mods», les adversaires
des «rockers» ou millieu des années 60, sont le fruit de
la rencontre entre des courants sociaux divers. les
«rnods» ne jouent pas à en rajouter sur leur appartenance prolétarienne mois plutôt à être autre chose: à
être ceux qui participent pleinement à une société où
tout le monde peut devenir quelqu'un, s'il en a l'énergie, en consommant musique et vêtements. Par leur
fréquentation des pistes de danse et leur consumérisme exacerbé, ils miment leur désir d'ascension
sociale, amoureux des nouvelles musiques, toujours à
la pointe, et méprisant les «rockers» qui sont restés
attachés à la musique des années 50. On retrouve
aujourd'hui certains de ces traits chez ceux qu'on
appelle les «cosuols», des jeunes de milieux populaires
qui s'habillent de vêtements griffés et se veulent des
adeptes des «boîtes» où l'on «claque» son argent,
manifestant ainsi leur refus de l'assignation à «résidence sociale».
A ces traits viennent se greffer des éléments issus de la
découverte, par certains milieux artistes ou étudiants
de l'intérêt que peut présenter la culture populaire
diffusée par les médias pour réaliser de nouvelles
modalités de la vie de bohème, en devenant photographe de mode ou musicien dans un groupe pop ou
en utilisant les productions populaires pour subvertir
les valeurs artistiques traditionnelles, ou les conventions sociales.
les «punks» vivent aussi de ce mélange. Il y a d'un
côté le dole queue rock (le «rock des queues de
pointcqe»], l'expérience de la dégradation sociale en
raison du chômage qui va de paire avec des symboliques explorant toutes les formes du no future social et
donc volontiers prolétariennes ou sous-prolétariennes; et de l'autre, une forme d'anarchie esthétisante
où il s'agit de montrer qu'il n'y a plus rien de stable,
qu'il n'y a plus de valeurs, qu'il s'agit simplement de
monter des coups en escroquant les maisons de
disques, et les «gogos» qui pensent que le message
social et politique du «punk» est celui de la base, des
«kids», l'autre est celui des artistes, des «intellos», qui
se sentent à l'aise dans la manipulation et dans la
valorisation de l'artificiel et du second degré (79).
Pour en rester ou «punk», on peut voir comment
différentes expériences de ce mouvement trouvent
des résonnances sur le plan musical. Dans son opposition aux «hippes», le «punk» privilégié des traits musicaux qui renvoient à l'évocation d'un imaginaire en
rupture avec l'utopie contre-culturelle: thèmes
urbains, musique volontairement simple, voire simpliste, utilisation de matériels rudimentaires. De ce
rameau, qui a vécu à peine deux ons (1976-1978, se
sont développés des courants différents: un courant,
ancré à gauche, participant à toutes les compagnes
de soutien aux mineurs en grève ou de lutte contre le
racisme, ouvert à toutes les musiques issues d'outres
cultures (<<reggae», «afro beat», «funk» et «jozz»], et à
l'outre extrémité un mouvement «oi music» où les
«punks» les plus populistes ont côtoyé les «skinheads»
les plus sensibles aux thèsesdu National Front, comme
si la réductionde la musique à la pure électricité et à la
pure énergie, sons recherche de fusion avec d'autres
traditions, allait de paire avec la revendication d'une
ethnicité blanche (20).
UN MONDE DU IlOCIl
Dons une enquête réalisée pour l'INRP (27), on a pu
mettre en évidence quelques faits relatifs à la consommation musicale des lycéens français dons les
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années 80: ainsi, s'il était évident que l'ensemble des
élèves accordaient beaucoup d'intérêt aux questions
musicales, tout le monde ne le manifestait pas de la
même façon et ne se rencontrait pas sur les même
choix: les jeunes filles étaient plus sensibles aux
charmes des idoles du «Top 50» et les garçon à ceux
du rock, par exemple. De la même manière, on a pu
mettre en évidence le lien qui pouvait exister entre le
fort investissement de certains dans des styles musicaux comme le «punk» et le «hard rock» et le désinvestissement des choses scolaires, le refus de l'héritage
parental ou l'image d'un avenir incertain. Un autre
aspect de l'enquête a été de se poser la question du
rapport entre jeunes et musique non seulement
comme expression d'une classe d'âge mais comme
lieu d'usages et de pratiques différenciées: tout le
monde n'accorde pas la même importance au rock et
aux mots qui servent à désigner la réalité musicale,
tout le monde n'en fait pas la même chose.
Dans notre enquête, il s'agissait de voir que, à l'image
de ce qu'on constate dans toutes les analyses de
consommation culturelle, on retrouve un noyau de 10
à 15 % d'élèves manifestantun investissement particulièrement élevé dans le domaine musical sous forme
d'une consommation plus élevée de disques, de spectacles musicaux, de lecture de magazines spécialisés,
d'érudition et éventuellement de pratique d'un instrument. Ce constat renvoie au fait que, dans ce qu'on
appelle commodément «rock», il existe des disques
qui se vendent à des millions d'exemplaires (c'est-àdire les 10 % qui atteignent les hit parades) et
d'autres qui se vendent peu ou mal. Il renvoie aussi ou
fait que le sens du mot «rock» n'est pas le même pour
tous: pour certains, il désigne un ensemble bien
déterminé de styles qui excluent la prise en considération des autres (ainsi «rock» exclut «chanson» ou
«funk»], pour d'outres il inclut tout ce qui peut s'entendre sur les ondes des radios; pour d'autres encore,
c'est«chanson» qui peut désigner celte réalité.
le rock apparaît sous deux réalités; c'est un artefact
qui sert à regrouper des productions musicales et des
significations sociales très diverses marquéesdu sceau
de la jeunesse, mais c'est aussi une identité spécifique,
revendiquée, défendue contre toutes les ctteinres, un
travail permanent de fixation de frontières, de production de critères et de valeurs.
Ce qu'on appelle «rock» peut ainsi se représenter sous
la forme d'une série ce cercles, chacun de ces cercles
correspondant à une forme de participation spécifique à l'univers du rock; le cercle des goûts majoritaires et éclectiques du «Top 50» composé de ceux pour
qui la musique proposée sur lesdifférents médiassuffit
amplement à leurs besoins; le cercle des différents
groupes «intégristes» ((punb, «hard», «rockobilly»)
unis par la défense d'un style musical très précis,
souvent peu commercial, et par le portage d'emblèmes vestimentaires propres à ces styles; le cerde des
amateurs éclairés, des collectionneurs et des érudits
qui considèrent le rock comme une catégorie éthique
et esthétique, et la culture; le cercle des militants, ceux
pour qui le rock est une cause qu'il faut défendre
auprès des pouvoirs publics pour qu'il ait droit à une
prise en compte officielle; le cercle, enfin, de ceux
pour qui le rock peut devenir un métier, comme
musicien ou comme participant à une des étapes de
la production de la musique.
Ce sont ces cercles, les dynamiques et les interactions
existantes entre eux et avec d'autres secteurs de la
société (le monde économique ou politique ou les
observateurs de la réalité sociale par exemple), qui
font du rock une référence qui s'impose à tous, qui en
ont fait un espace où l'on peut passerune partie de sa
jeunesse ou dans lequel on peut s'installer et vivre un
vie «rock»,
NOTES
(1) Voir par exemple: S. Denisoff. - Solid Gold: thepopolor
music industry; 1975; S. Frith. - SoundEffecfs : youih, leisure
and thepolitics of rock'n'roll, 1983; SACEM : La Chanson en
France, 1986.
(2) I-l, Fabiani in: «Carrières improvisées: théories et pratiques de la musique de jazz en France», Socialgie de IArt. - La
Documentation Française, 1986, p. 236.
(3) Ces rythmes correspondent en partie à des rythmes
éconopiques, celui du renouvellement des produits dans les
industries culturelles. Cet aspect est volontairement laissé de
côté dans cetexposé.
(4) Cf.: M.Abrams. - The Teenage Consumer, 1959.
(5) Cf.: J. Monod. - Les Barhals, 1968. Bien queportant sur
une période postérieure (1964-1966), il analyse bien ce
phénomène.
(7) Cf.: A. Bejin, - «De l:A.dolescence à la post-adolescence:
les années indécises», Le Débat, mai 1983; I-C, Chamboredon. - «Adolescence terminée, adolescence interminable»,
Colloque national surlapost-adolescence, 1984.
(8) A cela, il faudrait ajouter la naissance même dumot«rock
music», ce motqu'on utilise maintenant pour désigner le tout
de la production musicale, qui s'impose à cette époque pour
désigner des musiques distinctes de celles des «hit parades».
S'il y a une histoire de la musique et dela [eunesse, il a aussi
une histoire des mots etde leurs significations.
(9) Voir P. Yonnet. - «Rock, Pop, Punk. Masques etvertiges du
peuple adolescent», Le Débat, mai 1983.
(10) Cf.; J. Coleman. -Adolescent Society, 1961.
(11) Nom donné à la ligne symbolisant la frontière entre le
Nordetle Sud.
(12) Interview du groupe MC5 in: Eisen. - The Age of
Rock, 1969.
(13) Voirles films Woodstock et Gimme Shelter lequel retrace
tous les épisodes du concert d1\ltamont.
(14) En fait, la communauté «hippie» est en crise depuis près
de deux ans, victime de son succès médiatique qui attire
touristes et «drop out» venant de tous les EtaTh-Unis, de la
répression policière, et de la montée de la consommation de
drogues "dures» types amphétamines.
Voir L. Berio. _. "Commentaires au rock», Musique en
mars 1971.
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(16) L Chalumeau. - <<Vidéo Stan>, Rock & Folk, octobre
1985.
(17) Cf.: Po Hoggarth. - «la culture dupauvre, 1970.
(18) Les Chaussures en daim bleu, titre du premier «tube»
d'Elvis Presley (1956).
(19) Un point très important a été peu développé: c'est celui
du rapport entre lesgénérations. Dans le cas du «punk», il ne
faut pas oublier que les «hippies» son! parents, enseignants,
travailleurs sociaux, artisant et petits commerçant des biens
contre-culturels.
(20) Pour tous ces points, on peutconsulter: M. Brake. - The
sociology of yovth cultures and yovthsubcultures, 1980; D.
Hebdidge. - Subculture : themeoning of style, 1979.
(21) Les lycéens et la musique, INRp' 1986 (avec E. Daphyet
R. Boyer).
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Contributeur : Eliane Daphy
PAROLES DES CHERCHEURS
LES GROUPES DE ROCK,
LA FAMILLE ET L'ECOLE
Eliane DAPHY
ethnologue, laboratoire d'anthropologie urbaine (musée de l'Homme / CNRS)
comité de rédaction de la revue <<Vibrations»
Le rock fait parler de lui; il n'est guère aujourd'hui de
quotidiens ou d'hebdomadaires qui répugnent à lui
ouvrir ses colonnes. Pour emprunter une expression
de Françoise Tetard (7) le rock a rendu la société
bavarde, comme l'avait auparavant rendue bavarde
les «blousons noirs». Or parler du rock, n'est-ce-pas
parler des jeunes? On peut remarquer le perpétuel
glissement d'un terme à l'autre, comme si tous les
jeunes aimaient le rock, ou comme si tous ceux qui
aimaient le rock étaient jeunes. Les deux propositions
sont loin d'être exactes: c'est ainsi que l'enquête sur
les goûts musicaux des lycéens (2) a fait apparaître
que (seulement?) 60 % des lycéens sélectionnait cette
catégorie parmi les 9 items proposés (3) , et qu'il
existe aujourd'hui des rockers de 45 ans, héroïques
survivantsde la vague rock des années 60 ...
Le rock est au centre des interrogations sur lestransformations culturelles de la société française. I:illustration
typique de ce mécanisme est fournie par le débat
philistin: «Le Rock (car la proposition requiert l'usage
de la majuscule qui annoblit le terme) est-il une culture
des jeunes ou une jeune culture ?». Car on n'hésite
plus aujourd'hui à parler de culture pour qualifier ce
qui hier n'était qu'un phénomène, et avant-hier n'avait
aucune lisibilité sociale, à part celle de «chansonnettes
pour adolescents dégénérés». Les prises de positions
haineuses contre «la culture rock et hamburger, signe
d'un SIDA mentcl. (4) ne font que renforcer a contrario la reconnaissance des valeurs intrinsèques dont
cette musique serait porteuse.
Sanschercher ici à polémiquer sur les mérites du rock,
ou sur son importance comme fait culturel (5), l'on
voudrait toutefois souligner que parler du rock en
terme de culture n'est pas aussi naturel qu'il y paraît,
qu'il n'en a pas toujours été ainsi et qu'il s'agit du
résultat d'un processus de légitimation dont il faudrait
sans doute comprendre les raisons. Ne serait-il pas
nécessaire, pour comprendre le rock, et la place qu'il
occupe actuellement dans notre société (comme
consommation, mais aussi comme support de discours
politiques) de s'interroger sur le sens du discours
social qui y réfère, et sur l'histoire de son émergence?
On peut reconnaître à l'idéologie de la culture rock
un apport «heuristique» certain, celui d'avoir permis
au rock, par cette plus-value linguistique, de devenir
un objet d'intérêt dépassant le seul milieu de ses
amateurs, et d'avoir ainsi participé à son passage du
sauvage, non civilisé, donc indigne d'une réflexion
intellectuelle, à celui de «bon objet», y compris pour la
recherche scientifique!
I!AI'I'IlOtHE EtHNOLOGIQUE
fT I.E PIlOBUMI DI LA DlFlNmON
Devant cette pléthore de discours, l'ethnologue se
donne une tâche simple; il ne s'agit pas de traiter
d'un quelconque «phénomène rock», mais de donner
à voir et à comprendre ceux qui font le rock, et plus
précisement ces jeunes musiciens qui jouent dans des
groupes de rock.
Précisons immédiatement les limites de cette intervention; l'on se tiendra ici aux seuls groupes débutants
- qui plus est à partir d'une recherche monographique, on approfondira plus loin - sans prendre en
compte donc l'ensemble des producteurs du rock. Ni
les musiciens professionnels (mais y en a-t-il dans le
rock? Rien n'est moins sûr...), ni le show-bizz, c'est-àdire les structures économiques ne seront concernés
par cette étude, quoiqu'ils fassent l'objet de mes
recherches par ailleurs.
I!INIVI'tAIIU QUISTION DELA
DlFlNmONDUROCK fT DIS IlOCIŒIIS
En préalable, il me semble nécessaire d'élucider les
problèmes de la définition du rock, et de la quantification des rockers, afin de lever toute ombiquïté,
C'ESTQUOI LEROCK?
La difficulté fort réelle à se repérer pour le non initié
parmi les multiples usages du terme «rock» explique
sans doute pourquoi la première question que rencontre le chercheur est en général de ce style: <Nous qui
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Contributeur : Eliane Daphy
êtes un spécialiste, donnez-nous une définition de ce
qui est rock, et de ce qui ne l'est pas». l'impuissonce
avouée du chercheur à fournir une telle définition
étonne et mérite explications: si je m'abstiens de
proposer ma définition du rock, c'est que celle-ci ne
saurait avoir plus d'efficacité opératoire que celles,
nombreuseset contradictoires, proposées par les «histoires» et «encyclopédies» du rock déjà existantes.
Surtout, il me paraît pour le moins improbable qu'il
puisse exister une définition «dure»et admise par tous.
la définition évolue selon les lieux, les époques et les
usagers (6); le rock n'existe pas en soi, ce n'est pas un
produit qu'une sélection de critères «scientifiques»
parviendrait à cerner, ce qui explique pourquoi la
musicologie n'a pas réussi à fournir une grille de
classement. le rock fonctionne selon la logique de
l'usage des catégories, selon laquelle une chose est
classée dans telle catégorie parce qu'elle ne l'est pas
ailleurs, et que sespropriétés objectives sont de moindre importance que la logique de son usage.
la question qui se pose pour le chercheur n'est pas de
fournir son propre classement - qui bien sûr serait le
meilleur! - mais d'analyser le sens du rapport entre
les choses posées par l'usage de la catégorie, et la
référence, souvent inconsciente et non verbalisée, à
l'unité de mesure. On s'explique: quand le chanteur
Renaud dit qu'il ne fait pas de rock, c'est parce qu'il
juge les textes des chansons rock «ineptes» et qu'il
entend prouver par cette exclusion que dans ses
propres chansons, le texte a une grande importance ...
De même pour la chanteuse Catherine lara qui se
revendique comme «rockeuse», signifiant ainsi qu'elle
se distingue des «chanteuses de soupe»...
Une bonne illustration du fonctionnement de l'usage
des catégories nous a été fournie dans l'enquête sur
les goûts musicaux des lycéens (7), en analysant les
réponses illustrant le choix de la catégorie «création
contemporaine»: les lycéens ont en effet fait une
utilisation des plus «fontoisistes» de cette catégorie, si
on en réferre à la définition académique de ce genre
de musique. Se trouvaient rassemblés Jean-Jacques
Goldman, Jean-Michel Jarre, Xenakis sous cette
même étiquette.
Lon pourrait être tenté, dans un premier temps, d'analyser ces réponses comme une marque d'ignorance.
Mais au-delà, ne faut-il pas considérer qu'il s'agit d'un
usage différentielle de la catégorie, dont il s'agit
d'analyser le sens? Dans son contenu linguistique de
base, «contemporain» renvoie à deux significations.
«Moderne, nouveau, et de la même classe d'âge, de
la même époque... (d. définition du Petit Roberfj.
l'ufilisction des lycéens fonctionnait selon cette double
logique, puisqu'on y trouve à la fois des chanteurs de
leur classe d'âge (Goldman et pas Sardou) ou des
compositeurs de musique instrumentale ayant intégré
les nouveaux outils comme le synthétiseur (moderne).
Il me semble primordial de se méfier de toute attitude
ethnocentrique qui consisterait à porter un jugement
sur l'autre, utilisateur non conforme d'une catégorie
dont «on sait bien la siqnificcfion», la question de la
définition de rock n'échappe pas à ces mécanismes,
favorisant la légitimation d'un «bon rock» contre le
mauvais, signifiant par la même occasion la distinction
entre «ceux qui sovent» et les ignorants. l'imposition
par un adulte - professeur de musique ou animateur
socio-culturel- de sa définition du rock comme la
seule possible me semble à ce sens génératrice de
conflits; il existe autant de formes de rock que d'utilisateurs du terme, et l'important est de reconnaître aux
différentes définitions des valeurs similaires sans chercher à imposer une définition plus qu'une autre. Lon
comprendra pourquoi dans mon étude sur les groupes
de rock, je m'en suis tenu aux définitions de mes
informateurs, intégrant dans la recherche l'ensemble
des musiciens qui s'autodéfinissaient comme «musiciens de rock», sans chercher si leur production musicale correspondait par ailleurs à une quelconque
définition du rock autre que la leur.
Ô COMBIEN DE ROCKERS ? ..
la réponse est simple et brutale: on ne le sait pas!
Comme le souligne Pierre Mayol dans son texte, les
chiffres qui ont circulé dans les discours politiques ou
dans les médias entre 1982 et 1986 n'étaient que des
estimations (des élucubrations ?). Non seulement il
n'existe pas d'enquête statistique à laquelle se référer,
mais mes recherches dans ce domaine m'amènent à
me· poser la question de la faisabilité d'une telle
enquête. En effet, les praticiens du rock fonctionnent
selon une logique qui échappe totalement aux structures habituellement mesurables par une enquête statistique. Sur quelle définition du rock reposerait une telle
étude? Que compterait-on, des individus; ou des
groupes (unité de mesure endogame, toujours choisi
par le donneur de chiffres). Dans ce cas, quelle est la
définition d'un groupe? le nombre de ces musiciens?
la formule orchestrale? A quel stade considèrerait-on
avoir affaire à un groupe? Dès sa formation? Auquel
cas, on risque bien des surprises, le groupe de rock en
gestation étant un phénomène particulièrement
mobile et aléatoire: en six mois d'enquêtes dans le
XIIIe arrondissement de Paris, j'ai eu l'occasion de
rencontrer une trentaine de musiciens qui ont essayé
de monter une dizaine de groupe... Ne prendrait-on
en compte que les groupes déjà baptisés (avec un
nom), ou ayant effectué un concert ou un disque? Ou
prendrait-on en compte l'ensemble de ceux qui se
revendiquent comme groupe de rock, ce qui risque de
produire un chiffre inflationiste. On a eu connaissance
de «groupe de rock», avec nom et affiches, mais sons
aucune pratique musicale...
Ce n'est pas dire pour autant que rien n'est quantifiable dans le rack: l'on peut compter les concerts, les
groupes qui y participent, les groupes qui font des
disques (quoiqu'avec l'autoproduction, cela semble
déjà plus difficile), les groupes qui s'inscrivent dans les
annuaires et fichiers télématiques spécialisés. Mais il
fout préciser à chaque fois les critères qui organisent
la sélection. A titre d'exemple, le fichier télématique
du ClR (Centre d'informations du rock) contient envi~
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Contributeur : Eliane Daphy
ron mille groupes de sélectionnés par les responsables
locaux des associations rock, sur la base de leur
possibilité immédiate à se produire sur scène.
Une enquête sur le rock ne permettrait guère, on le
voit, de quantifier exhaustivement les groupes de rock
existant sur le territoire français, ni le nombre de
jeunes (ou de moins jeunes) pratiquant cette musique.
Le rock échappe au rêve du recensement obligatoire
d'une République soucieuse de contrôle social! Elle
aurait cependant un avantage certain, celui de fournir
les outils de mesures précieux pour connaître les
rockers.
En effet, à l'heure actuelle, on ne connaît pas non plus
les caractéristiques des musiciens des groupes de
rock: âge, origine socioculturelle, statut scolaire (ou
professionnel). En l'absence de données, doit-on analyser le rock comme l'expression privilégiée des jeunes
d'origine populaire? Ou comme la caractéristique de
jeunes favorisés par leur milieu social? Ou alors, le
rock serait ce grand rassembleur du «peuple adolescent» (thèse de PaulYonnet) autour de valeurs communes,faisant fi des habituelles barrières en œuvre dans
l'ensemble de la société globale. Tout ce que l'on peut
avancer ici avec certitude, c'est qu'il n'existe pas de
réponses induscutables à ces questions et que toute
affirmation doit être considérée à son juste niveau, à
savoir comme un postulat qui sous-tend la démonstration d'une croyance idéologique.
La méthode adoptée par notre recherche sur les
groupes de rock n'apportera guère de précisions
d'ordre général sur ces aspects, puisqu'il s'agit d'une
monographie portant sur une trentaine de jeunes.
Toute généralisation à partir de ces résultats seraient
donc abusive. En revanche, les informations portant
sur les mécanismes et les structures du rock, récoltées
à partir de leur fonctionnement dans le discours des
musiciens et dans la réalité des pratiques telles qu'a
pu les observer l'ethnologue, permettent de proposer
quelques éléments d'analyse.
UPIDE PRESENTATION DElA RECHERCHE
Cette enquête, réalisée dans le cadre d'une recherche
CNRS / INRP reposait sur le constat que les adolescents manifestaient envers la technologie une attitude
spécifique (8). A partir des deux «techniques» sélectionnées, le rock et la micro-informatique, il était
apparu que les pratiques des adolescents échappaient aux cadres institutionnels de l'école ou du club
de jeunes, ce qui est confirmé par de nombreux
travaux. Ces jeunes fonctionnaient dans un système
de relations que la recherche a considéré dans un
premier temps comme «pratiques informelles».
En nous interrogeant sur la façon dont ces adolescents
s'organisaient pour pratiquer leurs activités, nous
avons été aménés à analyser en terme de «réseau»:
en effet, si les pratiques étaient invisibles dans une
logique institutionnelle, cela ne signifiait pas pour
autant qu'elles n'étaient pas structurées.
lA PRODUCTION DEGROUPE
La partie rock concernait une trentaine d'adolescents
ayant en commun le fait d'avoir été à un moment de
leur scolarité élèves du lycée Rodin (XIIIe arrondissement de Paris). Le premier résultat, particulièrement
notable, était que dans ce réseau, l'ensemble des
musiciens passait leur énergie à produire du groupe.
Ce qui, si l'on s'en tient aux réponses laconiques
données par les «stars» du rock dans leurs interviews,
peut paraître d'une simplicité extrême «on s'est rencontré au lycée et on a fait un groupe», apparaissait
sur le terrain comme le résultat d'un processus complexe, où se jouaient les statégies d'alliances, les
affinités et les rapports de force.
Une deuxième caractéristique concernait l'extrême
mobilité de ces groupes débutants, à l'existence souvent très brève (quelques mois). Cette formation de
groupes s'inscrivait dans le réseau, dans un processus
de composition / décomposition «<formotiom>, «séporenon» selon les termes du terrain), marqué par une
circulation intense, des musiciens de groupe à groupe,
des styles musicaux pour un même groupe, ou même
du passage d'un instrument à un autre pour un même
musicien (le cas du batteur «en double» dans un
groupe et se mettant à la basse n'est pas exceptionnel...). On peut faire l'hypothèse que les groupes de
rock, au stade de leur formation, ne font que reproduire (expérimenter?) de façon plus intensive un
mécanisme général fonctionnant dans l'ensemble du
rock, la mobilité: le changement de personnel à
l'intérieur d'un groupe, et la recomposition de nouveaux groupes à partir d'anciens éléments de groupes
séparés.
Un troisième point fondamental peut s'onalyser
comme le rôle caractéristique des aspects symboliques
dans la production du rock; ce que l'on pouvait saisir
par le décalage permanent entre les pratiques et les
discours de nos informateurs qui se référaient sans
cesse au modèle extrêmement normatif, partagé por
tous du «bon groupe», mais que les observations du
chercheur donnaient rarement l'occasion de rencontrer. Sans céder à la facilité qui aurait consisté à traiter
ces décalages de mensonges, ou de mythomanies
paranoïaques, la recherche s'est efforcée d'en décoder le sens, ce que nous allons maintenant analyser à
partir de deux aspects précis, les rapports de ces
groupes avec l'école et avec la famille.
DISCOURS fT PUTIOUES t
LE GRAND DECAlAGE
lorsque j'interrogeais mes informateurs sur l'attitude
de leur famille à propos de leur pratique rock, les
réponses étaient globalement identiques <des parents
étaient contre» ou tout au moins <me comprennaient
rien». Les anecdotes ne manquaient pas pour illustrer
ces propositions, de la maman «idiote qui croyoit que
son fils était musicien de jazz, et pourquoi
de
tonqo», au père qui
dans un accès
rage
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Contributeur : Eliane Daphy
saboté l'ampli de son fils... Ces adolescents vivaient
leurs rapports avec leur famille sous le signe de la
guerilla, dont chaque épisode nouveau était à loisirs
commenté dans le réseau.
Pour ce qui est des rapports à l'école, cela ne valait
guère mieux! L'école, le lycée? demandait le chercheur. «C'est nul l», répondait le chœur, confondant
de cohésion, des informateurs. Ils me donnaient rendez-vous dans les cafés proches du lycée Rodin et se
gaussaient en voyant «ces petits cons de lycéens qui
vont bien sagement à l'école». Ils me narraient les
histoires héroïques de guerre avec le «protol». Si je les
avais cru, ils s'étaient tous «fait jeter du lycée»...
Pourtant, les quelques éléments «objectifs» d'observation me proposaient une lecture différente: tel groupe
répétait dans une cave prêtée par la grand-mère, tel
musicien avait eu une guitare électrique pour son
anniversaire, cadeau des parents. Précisons que ces
musiciens vivaient tous chez leurs parents, et qu'il est
arrivé à l'ethnologue de participer à des «razzias
frigos» au domicile des parents en l'absence de ceuxci, frigos visiblement trop bien remplis de nourritures
adaptées à ce genre de pratiques maraudeuses (le
chercheur est aussi ménagère !) pour que les parents
n'en soient pas les complices... Les mêmes contradictions existaient pour l'école: j'appris à l'occasion
d'une répétition que tel musicien était absent parce
qu'il «passait un portieb - or, partiel dit fac ! - ou que
tel autre venait de réussir son examen d'entrée à
Sciences po.
UNDISCOURS OUIAFFIRMEUNEIDENlIfE
Ce qui apparaissait, me semble-t-il, au-delà des contradictions, c'est que les informateurs me proposaient
une image commune du rock, expression de révolte
d'adolescents en guerre contre la société. Ce que me
précisait leurs discours anti-parents ou anti-école,
c'est qu'ils étaient de vrais rockers. Cette attitude fort
normative renvoyait en permanence à ce que doit
être un rocker, et ce fonctionnement symbolique
n'avait guère de lien avec leurs attitudes réelles. Par
contre le décalage était sources d'explications. C'est
ainsi que l'on rencontra un jour un de nos informateurs
(un «terrible» punk) accompagnant sa grand-mère au
marché. 1/ se crut obligé, alors que je ne lui posais
aucune question là-dessus, de m'expliquer longuement et de façon fort embrouillée, sous les quolibets
de ses copains, que cela ne lui était pas arrivé depuis
qu'il avait douze ans. On remarquera que le même
décalage existe entre les tenues vestimentaires de
parade, utiliséespour sortir dans l'espace public, et les
tenues vestimentaires domestiques.
Tous les discours des rockers devaient être analysés
dans le cadre particulier de la production pour le
chercheur d'une image en correspondance avec le
statut revendiqué de rocker. A partir de ce filtre
d'analyse, voyons maintenant comment l'on peut
reconsidérer la question des rapports rock, famille,
école.
LA FILIATION NEFAI' PAS U ROCKER
Tous ces discours sur la famille me semblent expliquer
une des caractéristiques du modèle rock, tel qu'il se
transmet dans les représentations: le rock, marque de
la révolte adolescente, est donc une identité que l'on
acquiert en classe d'âge, de façon autonome; en
d'autres termes, le rock n'est pas héréditaire, et l'on
n'est pas un bon rocker en étant le fils de son père
(même si celui-ci est musicien professionnel de jazz,
comme c'est le cas pour un de ces jeunes). La légitimation et la reconnaissance qu'ils attendent en tant que
rocker ne peut, selon eux, provenir que d'une seule
origine. Ils rêvent d'être reconnus, découverts par ces
personnages influents dans leur système de référence,
les journaliste et les producteurs. Cette «découverte»
occupe une partie importante des discussions qu'ils
ont entre eux; ils s'échangent les différentes stratégies
à déployer pour parvenir à l'ultime but: signer avec
un producteur.
Signalons au passage que ce personnage mythique
du producteur ne correspond pas dans leurs savoir et
analyse à une fonction précise dans le show-bizz, tel
qu'il est réellement organisé, mais qu'il confond en un
même personnage plusieurs fonctions du système de
production économique.
LE DIPLOME NONPLUS
Pour ce qui est du rapport à l'école, l'anecdote
suivante l'illustrera bien plus pertinemment qu'une
longue démonstration.
Dans une répétition, le groupe que j'observais rencontra des problèmes techniques avec son système de
sonorisation. Un faux-contact empêchait le son de
circuler normalement, ce qui pertubait le bon fonctionnement de la répétition. Le groupe téléphona alors «à
un copoir» qui passa l'après-midi avec eux, diagnostiqua la panne, et organisa un atelier soudure, dans la
bonne humeur générale. Le groupe ne tarissait pas
d'éloges sur les compétences de ce copain plus vieux
qu'eux. Compétences qui étaient, d'après mes informateurs, «normales»,car c'était un ancien musicien de
rock. Quelle ne fut pas ma stupéfaction en découvrant
qu'il s'agissait de leur ancien professeur de physique
et d'électricité «détail pas important du tout» qu'ils
avaient «oublié» de me donner.
Au-delà de la conformité à l'image du bon rocker, ce
que j'ai dans cette recherche défini comme «rater son
bac comme morque de l'artiste», cette attitude met en
lumière un des traits constitutifs de la représentation
du rock: le rock ne s'apprend pas dans des écoles.
Bien au contraire, les connaissances en solfège sont
décrites comme un handicap à une bonne expression
rock, au «feelinq» nécessaire.
POUR CONCWRE
Ces quelques exemples avaient pour objectif de
décrire ce mécanisme qui me semble fondamental
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Contributeur : Eliane Daphy
pour comprendre le rock, celui des représentations.
l'on peut se demander quel est le rôle de ces représentations dans le rock, et il paraît important de parvenir
à cerner certaines réalités, concernant par exemple le
mode d'apprentissage qui fonctionne dans le rock. Il
existe tout un marché de l'enseignement de la musique
(cours et écoles privées), que les musiciens de rock
sont amenés à fréquenter. Il serait fort instructif égaIement de suivre les musiciens dans leur évolution: on
sait par exemple qu'un certain nombre des musiciens
de groupes des années 60 sont devenus professionnels dans la musique, à différents niveaux (musiciens,
compositeurs, mais aussi ingénieurs du son ou producteur). Qu'est-ce qui explique leur trajet, et peut-on
considérer le rock comme une école du show-bizz?
Et pareillement, que sont devenus les anciens rockers
qui ont «arrêté» la musique? Leur pratique au sein des
groupes a-t-elle eu une influence dans leur choix de
vie, au niveau professionnel, par exemple?
La recherche sur les groupes de rock débutants a
posé quelques jalons, il faudrait continuer. ..
NOTES
(1) François Tetard. Le phénomène blouson noir comme
rupture dans les représentations sociales de la jeunesse;
communication au Colloque du Creusot, juin 1985.
(2) Patrick Mignon, Eliane Daphy, Régine Boyer. Les Lycéens
et la musique. Paris, INRP (coll. Rapports de Recherches),
1985.
(3) Classique, opéra, jazz, reggae-salsa, chansons, rack, folk,
musiques populaires étrangères, création contemporaine,
autre.
(4) Louis Pauwels, dansle Figaro Magazine, déc. 1986.
(5) Ce n'est jamais le fait de l'ethnologue de poser la valeur
d'une culture...
(6) Cf. l'article de Patrick Mignon.
(7) Cf. note 2.
(8) Rock ou micro-informatique. Eliane Daphy, Michelle Descalonges, Jean-François Boudinot, Equipe STS, sous la direction de J. Perriault. Paris, INRP(coll. Rapportsde Recherches),
1985
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Contributeur : Eliane Daphy
PAROLES DE CHERCHEURS
UNE HISTOIRE ROCKA LYON
Norbert BANDIER
enseignant d'économie en lycée, co-responsable
du groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique (GRIM) - Lyon
Les réflexions qui suivent proviennent, en partie, d'une
étude que le Groupe de recherche interdisciplinaire
de Lyon (GRIM) a réalisée à partir d'enquêtes auprès
de collégiens et lycéens de la région lyonnaise (7J, sur
les réseaux locaux de production et de consommation
de la musique dite «rock-variété».
Le mot «réseau» renvoie d'emblée à la microsociologie. Les cadres de cette étude ont été plus larges: ont
été pris en compte le vécu des acteurs dans le
domaine du rock, tant du point de vue de la revendication de leur expression personnelle, que de celui de
leurs rapports avec certains acteurs efficaces (rapports
à la «stan>, au «bon musico», au «requin (2J de studio»;
mais aussi rapports à la «galère», à l'<<énergie>>, au
«feeling»...). l'enjeu d'un musicien rock consiste à faire
le rock qu'il aime. Mais il se heurte à une structure qui
préexiste à son désir: marché des industries culturelles, diversification des genres musicaux, processus de
professionnalisation, innovations esthétiques. Comment trouver son chemin dans cet imbroglio? Comme
dans un jeu théâtral, il lui faut habiller des rôles qui le
mettent en position de force dans les strucures de
production, de diffusion et de consommation, afin
d'affirmer son originalité.
La spécificité du rock tient à sa dynamique: les
positions acquisessont sanscesse renouvelées; déplacements sans fin qui transitent tout autant par les
modifications technologiques (transformation des instruments, complexification des studios d'enregistrement) que par l'évolution esthétique des genres dont
la réussite, ou l'échec, dépend des ouvertures sur le
marché mondial. Le statut du rock est en effet ambigu:
il occupe un espace esthétique qui tend d'une part
vers le grand public (<<le tube»), d'autre part vers une
production destinée à un public étroit et averti (<<le
rock pur»), Reconnaissons pourtant que les frontières
typologiques sont bien difficiles à tracer: il y a des
osmoses entre les produits; et la circulation des producteurs d'un genre à l'autre est intense...
Au niveau local de la région lyonnaise, l'on constate
une esthétique centrée sur le «vrai rock», le «rock
pur», qui tient à son éloignement du marché national
«rock», ainsi qu'au statut d'amateur de la majorité de
ses acteurs (<<amateurs» : les acteurs ne vivent pas de
leur activité musicale). La notion même de réseau est
complexe: elle inclut des solidarités amicales, familiale, vicinales qui, toutes sont centrées sur la quête
d'informations et la tactique des négociations avec les
positions et les pouvoirs acquis.
us S'tIlATEGIU POSSIBUS
Pour qu'un musicien puisse continuer à faire du rock
devant un public, deux possibilités se présentent
actuellement: la recherche d'un accès à un marché
de plus en plus vaste, orientée vers une production
répétée de «tubes» qui suppose un vaste parcours où
interviennent de multiples professionnels ou entreprisesdont la majorité est concentrée à Paris(production,
édition, distribution); la deuxième possibilité se situe
dans l'accès à un public mais avec un produit différent,
que l'on peut qualifier de «rock de taille moyenne».
Ce qualificatif ne désigne pas le contenu du produit
mais l'importance de sa production et de sa diffusion.
En effet, à la différence des années 60 circulent
aujourd'hui sur le marché mondial des produits édités
à des tirages moyens (2 000 à 5 000 exemplaires) et
susceptibles de rencontrer un public de taille moyenne
(entre 200 et 1 000 personnes). Ces produits ont, par
ailleurs, des caractéristiques techniques (qualités professionnelles, technique de production du son, mixage
et arrangements) identiques à celle des produits de
grande diffusion, et des circuits de promotion et de
distribution. Les modifications techniques dans la production des instruments de musique et du matériel
d'enregistrement (boîtes à rythmes, synthétiseurs, logiciels musicaux) ont provoqué d'une part la baisse des
prix relatifs du matériel de sonorisation et d'enregistrement, et, d'autre part, «l'économie» de certains musiciens dans la production musicale (3). l'ccquisifion de
matériel d'enregistrement, et la création de studio
d'enregistrement sont désormais accessibles à des
capitaux locaux sans gros risques financiers car la
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Contributeur : Eliane Daphy
demande s'est développée. Alors qu'à Lyon, dans les
années 1957-1960, il n'y avait qu'un seul studio
4 pistes, en 1980 on en dénombre neuf (dont sept
8 pistes), et dix-huit en 1986.
l'ouverture de certains programmes de radios nationales ou de télévisions aux productions des petits
labels anglais ou américains, ou à des groupes anglophones peu connus en France, dès 1975, ainsi que
l'explosion des radios «libres. (en 1982 Lyon compte
25 radios locales) créent un potentiel de diffusion
pour les produits de taille moyenne, en direction d'un
public qui, des «rock-stars», recherche de nouveaux
genres. l'apparition des labels indépendants en
France (Madrigal, Celluloïd, Mosquito à Lyon, Big
Beat, Kronchstadt à Saint-Etienne...) correspond à
l'investissement de capitaux de taille moyenne, souvent locaux dans l'édition discographique de produits
adaptés à ce circuit de promotion et de diffusion. De
même, on peut citer les créations d'entreprises locales
dans l'importation et la distribution de ces «lebels.
(New Rose, ou Emdis à Lyon) comme significatives de
l'émergence de structures adaptées à une nouvelle
offre et à une nouvelle demande.
Il existe désormais des groupes, dont les produits
bénéficient de promotion, susceptibles de rassembler
dans les zones urbaines des publics de 500 à 1 000
spectateurs. Par ailleurs, ces groupes, à l'exemple de
Police qui a débuté sa carrière dans ce réseau,
peuvent devenir des produits de masse.
L'ESPACE SOCIAL-ROCK
Au niveau local, s'est donc constitué un réseau de
producteurs et de consommateurs entre lesquelscirculent des musiques qui constituent la base fondamentale du renouvellement des acteurs et des productions
du rock. Le rock sort de ce bouillonnement, cette
énergie investie par des individus dans un espace
social dans lequel se forment des modes de vie
spécifiques,souvent distinctifs.
A Lyon, l'espace social du rock est constitué de
groupes, de managers, d'organisateurs de concerts,
de différents publics mais aussi de salles de concerts à
programmation régulière, de société éditant ou distribuant des disques, de lieux de rencontres et de cafés.
La seule position susceptible de mettre en contact les
musiciens locaux et le marché national, est la position
articulée professionnellement entre l'espace local et
Paris. La production financière et l'édition d'un disque
de groupe local ainsi que la capacité de capter la
demande potentielle dépendent des caractéristiques
de singularisation du produit dans un domaine où la
concurrence est vive et la production anglophone
plus compétitive -les groupes, même peu connus,
trouvant plus facilement accès aux médias nationaux
que les petits groupes français régionaux. La réussite
du groupe Carte de Séjour (label Mosquito, à Lyon)
est forcément liée à l'arrivée sur la scène sociale des
immigrés 'de la deuxième génération. En revanche, la
position la plus solide, c'est-à-dire la moins conjoncturelle, est celle qui tient à des relations professionnelles
permanentes avec le show-business: l'organisation à
Lyon de concerts de vedettes nationales ou internationales. La seule qui fait la liaison avec le local de
groupes est celle qui précisément s'est spécialisée
dans la production et la promotion locale de concerts
de produits de taille moyenne.
LA HIERARCHIE SYMBOLIQUE
DES POSITIONS
Les cent dix entretiens réalisés à Lyon (de 1984 à
1986) portant sur les studios, les salles de concert, la
distribution, les entreprises rock, font apparaître des
réseaux d'accès à une relative professionnalisation
sur le marché national où existent des points de
passage obligés soumis cependant à une hiérarchie
importante. l'ensemble des acteurs citent la place
dominante de ce que l'on peut appeler le réseau
Scorpio et les positions qu'il représente.
Née d'une association active dans l'organisation de
concerts rock de la période 1977-1978, cette société
à responsabilité limitée s'est spécialisée au départ
dans les concerts rock de taille moyenne, lesquels
peuvent devenir parfois des produits de grande diffusion (par exemple Scorpio produit les concerts de Joe
Jackson ou de Stephan Eischer en France et a organisé la tournée de Lords of a New Church). La
position dominante de ce réseau tient à la cohérence
symbolique et économique de lieux et de sociétés
contrôlés par la société Scorpio.
Le problème des organisateurs de concert rock était
de trouver une salle, adaptée et disponible régulièrement, de taille suffisante pour des concerts de 2 000
personnes, les salles municipales étant interdites au
rock (4) ou indisponibles.
Scorpio a saisi l'opportunité de l'existence à Lyon
d'une salle privée vacante de 2 300 places, en créant
une autre société, le Nouveau Palais d'Hiver, qui lui
permettait de gérer le fonds de commerce du Palais
d'Hiver, vieille salle qui avait accueilli déjà de grands
concerts dans les années 60. Parallèlement existait
une petite salle intégrée à l'exploitation commerciale
du lieu: le West Side Club (300 places). Or, depuis
1978 s'exprimait de manière récurrente dans le milieu
«rnusico: lyonnais le besoin d'un lieu de rencontre
permettant de voir des groupes locaux ou des groupes rock peu connus. En 1982, le West Side Club a été
ouvert avec le projet d'en faire une discothèque, un
lieu de concerts réguliers, avec un bar équipé de
moniteurs vidéo diffusant des clips. Les concerts du
West Side Club sont régulièrement annoncés par une
radio associative Radio Bellevue, spécialisée dans la
diffusion de rock, dont la plupart des animateurs
étaient liés à l'association Scorpio en 1978. La
manière dont les disques sont présentés dans cette
radio est intéressante car à chaque fois qu'un morceau est diffusé, il est accompagné de commentaires
très précis sur le studio où le disque a été mixé, sur la
présence de tel ou tel musicien, sur le «lebel qui
l'édite ... Cette présentation identique aux modèles de
la culture savante, sélectionne ainsi un certain nombre
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Contributeur : Eliane Daphy
d'auditeurs attentifs aux produits et aux caractéristiques techniques et esthétiques de ce qu'ils consomment.
En 1984, sur 68 concerts de rock organisés au West
Side Club (avec entre autres Gun Club, Paul Collins,
Cult, Rita Mitsouko) seuls 14 groupes lyonnais ont été
présentés. La valeur symbolique du lieu est forte pour
les spectateurs, car le fait de voir en petit nombre
(trois cents personnes) ces produits déjà connus par
l'intermédiaire d'un réseau de diffusion professionnel
mais étroit, et qui par la suite peuvent devenir important comme S. Fischer, Rita Mitsouko, Lords of New
Church, Inmates, renforce le sentiment de l'événement
distinctif. La valeur symbolique du lieu est aussi forte
parmi les musiciens locaux postulants: 300 cassettes
ont été envoyées par des groupes mais seulsquatorze
groupes locaux ont été retenus. La rareté relative des
produits anglo-saxons sur le marché français présentés et la forte sélection des groupes locaux programmés constituent une référence pour les musiciens
lyonnais. Le West Side Club devient un lieu connu des
«tourneurs» anglais, de la presse spécialisée nationale
qui annonce les tournées et un lieu recherché pour un
«press-book» de groupe local.
Les réseaux comprennent aussi des territoires. A Lyon,
autour d'une rue du centre ville, la rue Mercière, s'est
constitué un espace où circulent la plupart des «musicos». Dans cette rue se trouve d'une part: un magasin
d'instruments de musique, qui louait du matériel de
sonorisation pour les concerts et qui a créé dès 1980
un studio 8 pistes, et, en face, le magasin Music Land
spécialisé dans l'importation de produits rock peu
connus en France et les disques des petits labels
indépendants. Ce magasin était un lieu de location de
places de concerts de rock.
A partir de l'utilisation fonctionnelle de cet espace
pour les consommateurs et les producteurs, s'est formée une appropriation symbolique du territoire privilégié de rencontre de tous les musiciens lyonnais, par
des graffitis réalisés au pochoir ou des «bombages».
De nombreux groupes commencent ainsi leur promotion locale. La rue Mercière est devenue un lieu de
collage obligé pour les organisateurs de concerts.
Music Land a été racheté par la société Scorpio qui
contrôlait ainsi tous les points de passage obligatoires
du milieu rock lyonnais en ce qui concerne la valorisation symbolique et économique des produits. Ce contrôle s'accompagne de la possibilité de conférer
voleur aux producteurs auprès des professionnels du
show-business. La société Scorpio pour les concerts
de groupes anglophones confirmés qu'elle produit à
Lyon ou en France peut offrir à des groupes locaux
des premières parties (ce qui s'est passé pour Tales
avec Lords of new Church, et Snoppin Boys pour
Inmates). La stratégie de Scorpio, qui assure la cohésion de l'ensemble, n'est pas strictement économique,
même si la division des activités entre différentes entre
lesquelles existent des participations croisées peut
assurer une rentabilité évidente, dans la mesure où
ses animateurs sont aussi des militants rock, liés per-
sonnellement aux musrciens lyonnais des années
1977-1978, qui vivaient à l'orgine leur investissement
dans les associations rock comme mode de vie.
Cette sensibilité à la spécificité d'un mode de vie rock
était donc présente dans le projet du West Side Club,
puisque son objectif était aussi de s'ouvrir à d'autres
activités «culturelles» liées au rack: performances,
vidéo ... Cette orientation a renforcé la position du
lieu, puisqu'ou moment où un univers culturel référentiel commun se constituait entre le rock, la bande
dessinée, et certaines tendances picturales, il s'affirmait comme multiculturel, tout en étant géré par une
structure commerciale. Il fout préciser que les concerts
au West Side Club étaient gratuits, ou à des prix
limités à trente-cinq francs.
LA Mle lYOULLlNS
Pour mesurer la voleur symbolique de ce lieu (5), on
peut le comparer à une outre salle, de deux cents
places, accueillant des concerts rock. C'est <d'espacemusic» de la MJC d'Oullins qui organise tous les
mercredis soir des concerts gratuits de groupes
locaux. Le projet de cet équipement socio-culturel est
évidemment différent, puisqu'il s'agit de «fournir ou
spectacle vivant de qualité et à la culture rock une
structure de diffusion pour tous les genres» (projet de
P. Millat, animateur de cette MJC), alors que le hardrock est exclu des programmes du West Side Club,
lequel privilégie plutôt des produits rock et new-wave.
Pour les concerts cependant, les conditions techniques
sont à l'avantage de «l'espace-music», où l'on peut
voir et entendre parfaitement les musiciens, ce qui
n'est pas le cas au West Side Club où l'emplacement
de la sonorisation empêchait l'association parfaite de
la vision et de l'audition. Toutefois, du fait de l'éloignement périphérique du lieu, de la faible sélection des
produits programmés, le passage à la MJC d'Oullins
était considéré par les musiciens comme peu important pour leur carrière. Ce lieu est plutôt considéré
comme un espace d'apprentissage de la prestation
publique, et, effectivement de nombreux groupes y
ont programmé leur premier concert. De nombreux
groupes lyonnais présentés au West Side Club sont
passés à «l'espace-music» mais leur «press-book» ne
l'indique pas...
Cette description rapide de quelques éléments des
réseaux de production et de consommation du rock à
Lyon permet, à partir de quelques exemples, de
mettre en évidence dans son inscription locale, l'articulation entre les déterminismes économique- et sociaux
à l'œuvre dans la production et la consommation du
rock, la structure des positions locales et les stratégies
des musiciens. Les outils musicologiques traditionnels
ne peuvent parvenir à saisir le phénomène rock, car il
s'origine et se renouvelle dans une pratique sociale
vécue aussi comme mode de vie. De même les outils
d'une sociologie des professions ne peuvent rendre
compte des processus de professionnalisation qui
s'instaurent parmi les musiciens, dons un domaine où
les positions et les produits se valorisent aussi par des
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Contributeur : Eliane Daphy
processus de production symbolique. Mise en scène
du corps et des vêtements, pour imiter des modèles,
ou singulariser sa prestation; pour affirmer une identité où musiciens, musique et publics se retrouvent
dans la même rupture avec des modèles musicaux
dominants (cf. le punk, le hord], mise en scène des
compétences techniques du musicien, du technicien
de studio, pouvoir des discours techniques d'évaluation des prestations: cette production symbolique du
singulier à portir de positions sans cesse menacées,
s'intègre difficilement à une analyse en termes de
fonctions professionnelles.
NOTES
(1) Etuderéaliséede janvier 1985 à juin 1986, à la demande
du Service des études et recherches du ministère de la
Culture, supervisée par PierreMayol.
(2) "Requin»: instrumentiste qualifié prêtant sa force de travail pour un enregistrement, ou un spectaclevivant, par ex. :
un percussionniste, un guitariste, ete.
(3) Par exemple les "botteurs», remplacés par les boîtes à
rythme.
(4) Depuis 1972, les salles municipales lyonnaises sont régulièrement fermées à la programmation rock pendant des
périodes pouvant mêmecouvrir plus d'un on, par exemple en
1974 et 1975.
(5) Commune du sud de l'agglomération lyonnaise; 27000
habitants.
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MUSICOLOGIE
EN ATELIERS
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MUSICOLOGIE EN ATELIERS
POUR UNEANALYSE
DU ROCK DANS LES LYCEES
ET LES COLLEGES
pourMonon
Jean·Ré.i JULIEN
musicologue, professeur des Universités
Université Louis-Lumière à Lyon; comité de rédaction de la revue «Vibrations»
1: on s'étonnera peut-être que le contenu de cette
courte présentation ressemble davantage à un manifeste ou à une profession de foi, qu'à un exposé
relevant stricto sensu de la recherche universitaire. Le
problème de l'enseignement du rock et des musiques
actuelles peut effectivement être posé dons les termes
suivants. Des chansons de trouvères, de croisés, du
répertoire de Thibaut de Champagne ou de Guillaume Machaut à nos jours, a été instituée en France,
une véritable et glorieuse tradition de la chanson
populaire. Elle se manifeste aujourd'hui par une surconsommation de 10 programmation des médias, et
par des pratiques économiques et culturelles qui reposent sur une large, voire trop large acceptation par les
jeunes du répertoire qui leur est proposé, imposé,
vendu.
Cette acceptation identificatrice, et tout à la fois
incontestable, incontournable, irrémédiable, doit,
selon nous, être prise en compte par l'Université
française; or, il n'existait pas, jusqu'à ces dernières
années, d'enseignements continus de haut niveau,
acceptés par les instances universitaires. Alors que les
ethnologues et ethnomusicologues ont pu dons des
domaines et des institutions reconnus, conférer sa
légitimité à cet objet de consommation culturelle, les
conservatoires, comme l'Université - formateurs de
formateurs - ont préféré pratiquer un élitisme, voire
un ostracisme, dont les années 80 commencent à
peine à sortir. Cette attitude repose, à notre avis sur
deux malentendus majeurs.
La musicologie à l'Université est confinée dons la
préparation à des diplômes et des concours de recrutement (CAPES, Agrégation de musique) qui écartait
la chanson contemporaine des objets à savoir: le
rock ne pouvait donner lieu à des interrogations
écrites ou orales. Imagine-t-on une dissertation sur la
chanson politique française dans les années 70 ? Or,
tout cursus académique devant aboutir à l'obtention
d'un diplôme, l'Université a contribué à creuser un
écart tombal entre les enseignants qu'elle formait et
les goûts musicaux des jeunes enseignés.
Ecartée de l'enseignement musicologique traditionnel,
la chanson ne pouvait trouver son salut scientifique
que par le biais de la préhension sociologique, littéraire, linguistique; ce sont donc des ethnologues, des
ethnomusicologues, des linguistes et des sociologues
qui ont, dons les années 70, mis en place les fondements de recherches sur la chanson avec ses implications pédagogiques. Peu à peu, ce qui était inconcevable est devenu prise de conscience. Sous la pression
conjuguée Je l'accélération de la diffusion médiatique
et d'une demande étudiante motivée, de nombreuses
universités, ParisIV, Poitiers, Aix-en-Provence, Rennes,
aujourd'hui, Lyon et Toulouse, dispensent des cours sur
10 musique des médias, sur son évolution, sesstyles, sa
portée, son analyse, sa validité esthétique et ses
implications sociales aussi bien que culturelles.
MS DE PANAtffPEDAGOGIQUE
S'il est soucieux de réduire l'écart entre les pratiques
musicales des jeunes et son enseignement musical, le
professeur de musique des lycées et collèges dispose
aujourd'hui d'instructions ministérielles qui lui permettent d'intégrer la chanson actuelle à sa pédagogie
active et interactive. Ce qui était exceptionnel et
confidentiel dans les classes de lycée il y a vingt ons,
devient aujourd'hui pratique courante. Alors que les
Beatles, Cliff Richard ou Ella Fitzgerald faisaient les
belles heures du cours d'anglais dès 1960 (pour
parler d'expérience), il a fallu attendre ces dernières
années, pour que la musique de ces chants fasse
l'objet d'un investissement pédagogique que de trop
nombreux enseignants assimilent encore trop souvent
à un détournement démagogique.
Julien Clerc, Rita Milsouko, Gold ou Niagara deviennent aujourd'hui les supports involontaires du redoutable cours de solfège ou de déchiffrage vocal. Même
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si ces tentofives ne sont pas toujours couronnées de
succès, au moins peut-on affirmer qu'il est plus facile
de déchiffrer la ligne mélodique de ces productions
que celle du thème principal de 10 troisième symphonie de Johannes Brahms. Est-il alors nécessaire de
préciser que nous ne comparons pas la qualité intrinsèque de ces œuvres, mois que nous pensons que la
démarche pédagogique a plus de chances d'aboutir
en classe de 4 e avec les premiers qu'avec la seconde.
Il reviendra toujours aux enseignants de choisir leurs
propédeutiques tant il est vrai d'une part que le rock
ne peut en aucun cas être considéré comme une
panacée pédagogique, et que, d'autre part, c'est
avant tout l'attitude mentale de l'enseignant lui-même
par rapport à ces musiques qui interfère dans la
communicaiion pédagogique.
1.'II'JfIImIIYUNf GfIIfUnON
les contributions de Gérard lavigne, luc Souvet et
Mireille Collignon sont trois approches possibles. D'un
point de vue plus général encore, on peut rappeler
que toute chanson est un messagesynchrétique, hétérogène par nature, associant comme dans le lied ou
la mélodie française, deux systèmes de communication, la musique et la longue, deux systèmes d'information, deux sens conjugués. Comme pour tout message
synchrétique, il y a 0 priori deux niveaux d'analyse
indépendants l'un de l'outre, chacun avec sespropres
codes mais dont l'analyse doit assumer la poétique
globale et résultante.
Si l'on part du rock'n'roll, il faut resituer ses textes
dans la production littéraire contemporaine pour
constater le décalage esthétique constant entre les
courants novateurs de la poésie américaine des
années 55-65 (E.-E. Cummings, Paul Blackburn, Cid
Corman...), et la production rock. Autant la poésie
savante reste secrète el limitée à des connaisseurs,
autanlle rock va, d'un point de vue langagier, assurer
la diffusion d'une identité culturelle propre à une
généraiion sur tout le territoire américain. Cette identité, ce sont des
des scies du langage, des
gimmicks, des jeux de mols et de sons: A propos de
Bill Haley" on citera «Seeyou latet, alliqotor», octosyllabe avec rime intérieure à l'hémistiche, intraduisible
en français, sinon très approximativemenl par «A lout
à l'heure, olliqoteur», pour respecter !'assonance...
L'on est en présence du même phénomène en France
avec Renaud el ses formules percutantes reprises
ensuite par loute une génération au grand mais
inévitable dam des parents: «Etudiants, poil au dents».
A son premier stode, l'analyse consiste donc à dominer l'organisation du texte, à en extraire le sens, à le
commenter, à en comprendre les allusions, les références immédiates et culturelles, à isoler les connivences entre le quotidien vécu par tous et sa captation
dans la versification. Un refrain tel que «Une p'tite
MG et trois compères, Assis dans leur bagnole, sous
un reverbere, (...), C'est la nouvelle vague ...». doit être
expliqué dans tous les aspects qui le soude aux
années 60. le mot «compère» est aussi démodé
aujourd'hui que la «p'tite MG» et la génération de la
«Nouvelle vague» a pratiquement déjà atteint la
cinquantaine. Pour des groupes rock français tels que
Trust ou Téléphone, on a assez dit que leurs textes
étaient le miroir des préoccupations d'une génération
et qu'il y avait dons la chanson rock, portage des
responsabilités, des problèmes, des soucis, des injustices, et des frustrations. le rock a témoigné dons un
style littéraire trop direct pour être toujours honnête.
C'est aussi dans la relève de ses exagérations, dans la
limite de ses critiques sociales que l'enseignant trouvera la matière d'une explication du texte.
Toutes les questions de versification doivent alors être
mises en relation avec la forme globale de la chanson: forme rondeau, forme rhapsodiquue, forme libre
de certaines chansons de Serge Gainsbourg ou Gilles
Vigneault. l'analyse musicale entre alors en jeu. On
ne reviendra pas en détail ici sur tous ces paramètres
bien connus: rythme, harmonie, batterie, écriture de
basse, instrumentation, solo ou breaks, ponts, répétitions, structures répétitives, etc. Peut-on cependant
signaler que la relation voix / texte / musique estpeutêtre la plus facile à comprendre pour des adolescents: la question du chant syllabique, de la répartition de chaque syllabe sur une seule note, la question
du madrigalisme ou de figuralisme avec le traitement
des mots selon la ligne mélodique, l'analyse des
modes d'émission vocale à travers un ambitus donné
peuvent faire l'objet d'expérience pédagogiques
extrêmement pertinentes pour préparer les élèves à
la découverte d'un répertoire plus classique. Entre le
rock et l'opéra en effet, l'image vidéo est aujourd'hui
disponible pour un autre type d'analyse, celui-là à
trois colonnes de sens: image, texte, musique. Sauf à
manquer de moyens pédagogiques, le cours de musique devrait avoir encore de beaux jours devant lui.
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Contributeur : Eliane Daphy
MUSICOLOGIE EN ATELIERS
LA VOIX
CHEZ LES ROLLING STONES
Mireille COLLIGNON
enseignante d'éducation musicale, chercheur
Si le rock fait l'objet d'études de plus en plus nombreuses, c'est en général à cause de ses dimensions
sociales et commerciales, et la musique n'est souvent
traitée que comme un épiphénomène du mouvement
rock. Or il me semble que l'impact social de la
musique et des musiciens de rock pourrait être plus
facilement appréhendable et compréhensible à partir
d'une étude apprafondie visant à mettre à jour les
qualités musicales, poétiques et esthétiques de ce
genre populaire.
J'ai choisi de consacrer cette étude aux Rolling Stones
pour plusieurs raisons. D'abord ce groupe existe
depuis plus de vingt ans et l'on peut dégager plus
facilement, sur un temps aussi long, les caractéristiques
de leur style musical. De plus, il s'agit d'un des deux
groupes les plus importants de l'histoire du rock
anglais. Etudier ici l'ensemble des composantes du
langage des Stones serait impossible. l'on se limitera
donc à chercher les particularités de ce groupe dans
le domaine musical à travers la construction des
textes, leur mise en place sur la musique, le profil de la
mélodie et le traitement de la voix par rapport aux
instruments.
111MB ETVEllSlFltATlONS
Cette étude repose sur l'analyse de trois disques:
Aftermath (1966), Let if bleed (1969), Some Girls
(1978), produits à des époques différentes, ils reflètent
exactement l'ensemble des chansons écrites par Mick
Jogger (7). Sur vingt-sept textes, l'on constate l'emploi
de rimes dans vingt-trois d'entre eux. De plus, les
types de rimes utilisés sont très variés. Ces aspects de
la prosodie peuvent paraître surprenants en ce qui
concerne un groupe de rock, pour qui la recherche
poétique n'est généralement pas un but; cependant
cette apparente obéissance aux règles de la prosodie
est loin d'être systématique. Par exemple, même si les
rimes se limitent souvent à une syllable, elles sont très
fréquentes; mais on trouve parfois à leur place de
simples assonances, comme dans la chanson Flight
505 où M. Jagger fait rimer cab et bad, ce qui ajouté
à l'égalité des pieds, suffit à donner un sentiment de
régularité du texte sansen modifier le contenu.
Dans d'autres chansons, comme Faraway Eyes ou
Shattered (2) l'absence de rimes et de pieds correspond à la volonté de la part de M. Jagger de faire
entendre ces textes comme la lecture à voix haute
d'un journal ou d'un récit en prose: la déclation du
texte attire alors l'attention sur son contenu. Inversement, on peut dire que les rares fois où l'auteur utilise
des rimes exactes tout au long d'un texte, c'est pour
qu'on l'entende comme un poème, comme dans la
chanson As tears go by (3) où le chant, sur un tempo
lent et sobrement accompagné, constitue l'intérêt principal de la chanson. En ce qui concerne la versification, l'on constate qu'aucun des vingt-sept textes étudiés n'est construit sur une égalité rigoureuse du
nombre de pieds dans un vers, ni dans chaque partie
d'un vers: ceux de la chanson Gimme Shelter(4) par
exemple peuvent être perçus comme des alexandrins
mais n'en sont pratiquement jamais.
l'on peut conclure de toutes ces remarques que M.
Jagger aime à s'exprimer dans le moule habituel des
poésies mises en chanson, mais qu'il s'en écarte dès
qu'il pourrait l'amener à modifier les idées, les paroles
ou les sons qu'il désire émettre; comme nous allons le
voir, ce choix est déterminant pour ce qui concerne
l'équilibre du rapport texte / musique.
MISE ENPlAtEDU JDJI'
SUIILA MUSIQUE
Sur les quelques deux cents textes écrits par M.
Jogger, à peu près un tiers d'entre eux sont indépendants de la musique (on entend par là qu'ils ne la
respectent pas, n'adhèrent pas au bloc instrumental).
le meilleur moyen pour parvenir à saisir cette particularité consiste à comparer, sur le plan de la mélodie,
les Rolling Stones aux Beatles, autres principaux
représentants du rock anglais des années 60, à travers
quelques chansons du répertoire de chacun des deux
groupes.
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Contributeur : Eliane Daphy
Dans Satisfaction (5), considérée comme le plus grand
succès des Stones, l'on constate que, sauf dans les
refrains, le texte est constamment en décalage avec
la musique. Il apparaît clairement que M. Jagger ne
cherche pas à minimiser les syllabes «en trop» mais
qu'au contraire, il cherche toujours à chanter en
dehors des pulsations rythmiques; celte démarche, en
partie due à la volonté de briser la monotonie du riff
que répète la guitare et de ne pas asservir le texte à
la carrure musicale choisie, est surtout liée au contenu
du texte, qui décrit un sentiment d'instabilité et d'insatisfaction croissant. Ce premier exemple prend tout
son sens comparé à celui que fournit Come
Together (6) des Beatles, chanson choisie en raison de
plusieurs similitudes, notamment dans la construction,
avec Satisfadion. On est frappé par la ponctualité
des paroles du titre des Beatles - qu'on trouve d'ailleurs dans la plupart de leurs titres; alors que l'irrégularité dans la déclamation du texte de M. Jagger
destabilise l'auditeur, la succession régulière des syllabes dans Come Together concourt à la compréhension sonseffort des paroles.
UlIlAl'PORTS VOIX / INSTRUMENTS
Si l'on compare l'ensemble des chansons des Beatles
et des Rolling Stones, on voit que la mélodie, pour les
premiers, a un rôle prépondérant. Dans la majorité
des compositions de Jock Lennon et PaulMac Cartney,
la ligne mélodique, souvent très riche, se distingue
neltement de l'accompagnement. Le terme de mélodie accompagnée convient donc tout à fait à leurs
chansons. Les Stones, au contraire, ont cherché à
créer un bloc musical, ou sein duquel la mélodie ne
prime que très rarement sur les instruments. Ici encore,
deux chansons, écrites en 1968 èpropos du mouvement de révolte de cette année, suffiront à montrer les
différences de conception et de traitement d'un même
sujet par les deux groupes. Revolution (7) des Beatles
présente, après une brève introduction agressive, un
couplet dont la mélodie est très chantante, n'oyant de
révolutionnaire que l'allusion qu'elle semble foire à la
Marseillaise. Le refrain est plus rythmé, moins mélodieux, mais la voix reste chantante et domine entièrement les parties musicales. Dons Street fighting
man(8) des Stones, on remorque, dès le premier
couplet, qu'il s'agit plus d'une mélopée que d'une
mélodie sur deux notes sans cesse répétées. La mélodie du refrain est constituée de la répétition de même
notes do«, [a», ia«, si et ressemble plus à un slogan
de manifestation qu'à un air destiné à être chanté par
chacun. La différence de traitement de la ligne mélodique par les Beatles et par les Stones, ici comme dans
la plupart de leurs chansons, prouve combien les
premiers tiennent à la conserver intacte, sans modifications, alors que les seconds font presque une nécessité des nombreusesvariations sur une idée mélodique
de départ. Conséquement à ce caractère improvisé
de la mélodie chez les Stones et à l'importance
accordée aux éléments musicaux de leurs chansons,
la voix de M. Jogger n'est souvent appréhendable ni
plus ni moins qu'un instrument.
Il faut savoir que les paroles ne doivent pas être, pour
M. Jagger, l'unique but d'une chanson, et lorsqu'il
souhaite que l'attention de l'auditeur se parte sur la
musique,il rend volontairement très difficile la compréhension de certaines parties des textes, qu'il juge
moins intéressantes. De plus, les Stones choisissent
souvent à l'enregistrement, ou plus exadement au
mixage, de «noyer» la voix dans l'ensemble instrumentai, ce qui a pour conséquence une compréhension
moins aisée du texte et la perte de la notion de
mélodie. A partir de là, si M. Jogger veut qu'on puisse
comprendre un fragment du texte, il choisit, plutôt que
de baisser le volume sonore des instruments, de
chanter plus fort encore.
l'm going down (9) nous permettra de mieux comprendre tous ces aspects réunis dans une même
chanson. Il s'agit d'une courte histoire, très imprécise,
très sombre: un homme annonce à sa compagne que
«Le Bon Dieu» va venir frapper à sa porte et que leur
amour succombera, ainsi qu'eux-mêmes, car seuls les
Pouvoirs survivront. Tout au long de la chanson, la
plupart des phrases sont murmurées, ou presque,
tandis que les instruments enrichissent librement la
trame de l'histoire, et lorsque M. Jagger veut qu'une
bribe de texte soit clairement audible, il élève la voix.
Dans le refrain par exemple (à sa deuxième apparition surtout), les mots les plus facilement audibles sont
«nothing that the Powers» (l0) dont le sens ne peut
être traduit par les instruments. Le reste des paroles
étant plus une description d'états d'âme, M. Jagger
préfère le laisser évoquer par les instruments. Ainsi le
texte devient avant tout prétexte à une ambiance
musicale (ici, l'affaiblissement physique et moral, rendu
par la faiblesse de la voix), et non vraiment au récit
d'une histoire claire en laquelle résiderait l'intérêt
principal de la chanson. On peut donc conclure que
la voix n'a, dans ce genre de chanson, pas plus
d'importance ni de pouvoir évocateur qu'un instrument, si ce n'est par son caractère émotionnel propre (77). Le procédé de tuilage instruments1 voix
(texte commençant avant qu'un ou plusieurs instruments n'oient terminé leur ligne mélodique, ou instrument intervenant avant que la voix n'ait terminé une
phrase) prouve encore, par la fréquence de son
emploi, le refus des Stones de considérer la partie
vocale comme étant supérieure à Ct :Ie des instruments.
Celte mise à jour des choix des Stones, en ce qui
concerne la voix, nous permet de comprendre mieux
un certain nombre de choses. La volonté d'interpeller
leurs auditeurs sur le plan émotionnel avant tout, le
refus de concevoir leurs chansons comme des mélodies accompagnées, donnent une idée plus précise
de l'esthétique des Rolling Stones, et nous permet
d'apprécier leurs chansons en fonction de celte esthé-
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Contributeur : Eliane Daphy
tique. La démultiplication, désunification de la mélodie, les dispersions instrumentales autour d'elle, expliquent qu'on perçoive souvent leurs chansons comme
«non achevées», restant plus ou moins à l'état brut.
Ces particularités sont révélatrices aussi des sources
musicales des Stones, celle du blues et du
rythm'n'blues amplifié électriquement, mais encore
proche de ses racines rurales.
NOTES
(1) Nous tenons à nous excuser pourles constantes références aux disques que nous imposons au lecteur; elles sont
cependant le seul moyen de percevoir réellement ce dont
nous parlons, et de plus elles nous évitent de reproduire un
grand nombre detextes ou extraits de partitions.
(2) «Le regard lointain», «anéanti», extraites de Sorne Girls,
1978.
(3) «Quand les larmes s'en vont», 45 tours, repris dans Big
Hils,1966.
(4) «Donnez-moi unrefuge», extraite de Let if bleed. 1969.
(5) (de ne peux pas obtenir satisfaction», extraite de Big Hils,
1966.
(6) Nevez tous avec moi», extraite de AbbeyRaad, 1970.
(7) «Révolution», extraite de The Beatles (dit «l'album blanc»,
1968.
(8) «Le combattant des rues», extraite de Beggar's Banquet,
1968.
(9) (de vais m'effondrer», extraite de Metamarphasis, 1975
(10) «II n'ya que les pouvoirs».
(11) On peut voir ici une des raisons d'être des nombreuses
onomatopées et exclamations diverses de M, Jagger qui
contribuent souvent, autant que le texte, à définir le contenu
d'une chanson.
DISCOGRAPHIE
Rolling Stones
Big Hits (High tide and green grass). London,
(USA), 1966.
Aftermath. Decco 158 021 (France), 1966
Let'Itbleed. Decco 278022 (France), 1969.
NPS, 1.
Metamo!"'phosis. Decca 278 065 (France) 1975.
Sorne Giris. Rolling Stones Records, distribué
Pathé Marconi (EMI), 1978.
The Beatles
Abbey Raad.Apple Records, 1970.
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Contributeur : Eliane Daphy
par
'
MUSICOLOGIE EN ATELIERS
ELEMENTS POUR UNEANALYSE
DU BLUES ET DU ROCK'N'ROLL
Gérard LAVIGNE
musïaen, arrangeur
l'intitulé originel ce cet atelier, mené en collaboration
avec PatrickMignon, était «Musique blanche, musique
noire; des origines du rock'n'roll à nos jours»: il
proposait une approche multidimentionnelle, la plus
large possible, des rapports entre ces deux musiques.
les aspects historiques, politiques, économiques ont
déjà été abondamment traités dans de nombreux
ouvrages (cf. bibliographie). J'ai donc choisi de privilégier dans cet article les aspectsmusicauxdu phénomène, en appronfondissant deux exemples sur la dizaine
traités en atelier.
Un concert de blues comme les autres: 23 h 30, dans
un centre culturel de banlieue. le blues-man de Chicago vient de terminer son premier rappel «Sweet
Home Chicago». Il s'éponge le front, se tourne vers
les trois musiciens recrutés par le tourneur pour lui
servir d'accompagnateurs, et annonce: «5huffle in
From the five, no turnaround. Watch the breaks». Et,
dans le micro, avec un sourire: One, iwo, you know
whatta do». lorchesfre démarre et joue le morceau
avec solo, mise en place des breaks... Pourtant les
musiciens travaillent sans partition, et parfois même
dans les cas extrêmes sans répétition. Alors? la
réponse est à trouver dans les deux phrasesprécédentes qui, en cinq secondes à peine, indiquent aux
musiciens les renseignements qui permettent à des
accompagnateurs d'un soir de jouer avec le bluesman comme s'ils avaient passé leur vie à s'user la
santé dans les même clubs de Bethléem (Pensylvanie).
langue secrète de ces musiciens qui, bien que différente de l'écriture musicale classique, n'en fonctionne
pas moins comme code de production et d'analyse.
LERYTHME
On retrouve la plupart des rythmes des premiers
rocks dans le blues urbain des années 40 et 50. Pour
les musiciens de blues, il existe trois sortes de rythme:
le funk, le shuffle, le slow-blues.
le funk est le rythme binaire; voici deux exemples
typiques de blues et de rock binaires.
ete.
c:
OUEu.EANALYSE
POUR U BWES ETU ROeK '1
Toutdiscours sur la musiquesuppose méthode d'analyse. Celle employée ici repose sur un mélange fait
d'emprunts aux différents systèmes analytiques
employés par les musiciens de blues, jazz, et
rock'n'roll. Une grande partie de ces musiciens ne
savent pas lire la musique, mais cela ne les empêche
pas de jouer ensemble,et même parfois de se rencontrer pour la première fois sur une scène à l'occasion
d'un concert. l'on s'appuiera donc en partie sur la
ete.
le shufAe est un rythme ternaire, dans lequel le temps
est divisé en trois parties. Deux «croches» de ce
-----J
U
3
rythme devraient s'écrire ainsi:
En réalité, les blues-men et les rockers ne l'écrivent
pas, et les jazz-men l'écrivent tout simplement ainsi
n
! en précisant que le rythme est ternaire.
le slow-blues est généralement un shufl1e joué sur un
tempo lent, mais il peut également être binaire.
l:HARMONIE
Pour jouer les progressions harmoniques d'une chanson, on peut se servir d'une grille d'accords qui se lit
comme une partition. la grille suivante s'applique aux
blues et rock en douze mesures les plus classiques
(tellement connus que l'usage de la grille en devient
parfaitement inutile).
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Contributeur : Eliane Daphy
./
•
./
IV
V
•
V
IV
Les chiffres romains représentent le degré de l'accord
à jouer par rapport à la tonalité du morceau. Si par
exemple la tonalité est la, IV = ré 7 et V = Mi 7. Rappelons que les Anglo-saxons adoptent la notation A,
B, C, D, E, F, G, où A = la, B= si, C = do, etc.
Les onzième et douzième mesures d'une grille sont
souvent le lieu de clichés mélodiques, harmoniques
et / ou rythmiques appelés «iumarounds».
Le plus commun est certainement
d'un des morceaux fondateurs du rock'n'roll Shoke
raffle and roll. La première de ces deux chansons, de
Robey Veasey, met en évidence les différences stylistiques de traitement du rythme «shuffle» entre les
musiciens de blues noirs des années 40 à 60 et les
musiciens blancs - plus particulièrement ici anglaisdes années 60 et 70. Nous allons comparer deux
versions: celle de Bobby Blond, enregistrée en 1957
(Duke Records); celle d'Eric C1apton, double album
«live», titre Just one night, 1980 (RSO Records, distribué par Polydor).
Version de Bobby Bland
Rappelons que dans notre systèmeternaire,
,..l...
nm
=
'-"
les instruments de la section rythmique - basse batte-
J
rie - de Bobby Blond joue ainsi, au tempo 97 =
La contrebasse n'a pas de partition définie, et peut
jouer des choses dans ce genre, dans le style dit de
«walking bass» (bassemarchante).
etc.
, ternaire
Il est courant en blues - moins en rock - de jouer en
introduction les quatre dernières mesures de la grille.
l'expression employée pour décrire ce procédé est
«From the five» (à partir du cinquième degré).
Le chanteur, par la mise en garde «watch the breaks»
indique son intention de ponctuer le morceau par des
breadks - arrêts de l'orchestre pendant une mesure
ou plus; plusieurs modalités sont possibles concernant
la longueur de ces breaks, leur ponctuation rythmique
et la reprise après l'orchestre - et invite les musiciens
accompagnateurs à observer son jeu de scène qui ne
manquera pas le moment venu, d'indiquer la place et
la durée de ces breaks par une gestuelle appropriée.
Ajoutons que la phrase «one, Iwo, you know what ta
do» a le double rôle de lancer le morceau et d'en
préciser le tempo:
f
one Iwo
.1
Ou bien encore, pour passer de F à Bb :
ternaire
1
.,.
Tandis que la batterie joue:
7
you know whatta do
Ces indications permettent de voir que les musiciens
qui connaissent bien l'idiôme du blues ou du rock,
possèdent un langage commun simple, mais très précis, une culture technique propre. Ils peuvent donc
mettre en place des arrangements sans le secours de
partitions et se mettre d'accord dans les secondes
précédant l'exécution d'un morceau en public, ce
qu'illustre l'exemple du concert de blues décrit auparavant.
Nous allons successivement analyser deux versions
d'un classique du blues Farther up on the rood, puis
Les deuxième et quatrième temps sont fortement
accentués alors que les notes entre parenthèses sont
jouées légèrement. Bien qu'à peine audibles, elles
contribuent dans une large mesure à suggérer la
marche «solide et détendue» qui caractérise ce style
de jeu basse/ batterie. La caisse claire est jouée ainsi
sur l'introduction:
ternaire
7 Cs
50
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[
Version Eric tlapton
La section rythmique d'Eric Clapton joue au tempo
réel, en même temps que la prise de son. Voyons ces
différences:
j
134 ==
Versions
Basse électrique
ternaire
?jY jkj J]
Tempo
îJt1 \
etc.
Orchestration
Big Joe Turner
J
.l
== 152
Piano
== 162
Piano
Contrebasse
Batterie
2 saxos ténors
ou quelquefois
Bill Haley
Contrebasse
Batterie
1 saxo ténor
1 guitare électrique
Claquements
de mains
Batterie
~;
~
>
~
etc.
Si j'on fait la somme des différents éléments de
chaque section rythmique, on retrouve donc le même
rythme de «shuffle»; la différence se situe essentiellement au niveau de la distribution des rôles entre les
différents éléments de chaque section. Schématiquement, on peut parler d'un échange entre les parties
jouées par la cymbale et celles jouées par la grosse
caisseet la basse.Ce glissementne fait sonsdoute pas
avancer la cause du swing, mais il donne un son
beaucoup plus percutant, surtout à fort volume.
La version originale de Shake, raffle and roll a été
enregistrée en février 1954 à New-York, pour la firme
Atlantic, par le chanteur noir Big Joe Turner, alors âgé
de 43 ons. La reprise qu'en firent Bill Haley et les
Comètes, quelques mois plus tord pour la firme Decca
fut classée dans les hit-parades pendant l'été, d'abord
en Amérique, puis en Angleterre.
Contrairement à l'exemple précédent, les différences
entre les deux enregistrements sont assez subtiles, et
portent moins sur le jeu des musiciens que sur le travail
de «production» c'est-à-dire tous les éléments intervenant dans la «couleur» du disque, en particulier le
mixage. Le mixage, opération ultime de l'enregistrement, fixe l'image sonore du produit; signalons qu'ou
début des années 50 le mixage s'opérait en temps
Claquements
de doigts
~orchestain
est donc pratiquement la même. Le
mixage de la version de Big Joe Turner est dans la
tradition des petites formations de blues 1 rythm's blues
des années 40 et 50: prédominance du piano, rôle
effacé de la contrebasse. En baissant le piano, remontant la contrebasse dont le musicien fait claquer les
cordes contre la touche (technique du «slop»] et
supprimant un des saxophones au profit d'une guitare
électrique, qui occupe une place prédominante dans
le mixage, et joue les rifts, Bill Haley se démarque du
rythm's blues et pose les bases du son rock'n'roll. ~on
notera en outre l'excellente qualité de l'enregistrement
de Bill Haley, la firme Decca disposant de moyens plus
conséquents que le tout jeune label Atlantic.
Lon peut voir à travers ces deux exemples que les
rapports entre la musique noire et la musique blanche
s'organisent autour d'un raisonnement économique
plus ou moins conscient: comment adapter au plus
grand nombre un produit au fort potentiel commercial
mais un peu trop «rugueux» pour le consommateur
moyen? 1\ existe de nombreux exemples d'artistes
blancs oyant fait de très gros succès avec des versions
édulcorées d'œuvres dont les créateurs noirs continuaient à vivre la rude existence du musicien traditionnel. Schéma classique du pillage de la propriété
intellectuelle que l'on retrouve un peu partout, et sans
doute depuis toujours. Mais une onclyse un peu plus
fine - moins idéologique? - montre que les artistes et
la communauté noire ont également bénéficié du
succès du rock. Le nombre de chanteurs de couleur
classés dans les meilleures ventes de disques passe de
5 % au début des années 50 à 30 % au début des
années 60. Le deuxième meilleur vendeur de disques,
loin derrière Elvis Presley est un noir, Fats Domino. Le
succès du rock'n'roll et du rythm'n'blues auprès du
jeune public blanc est indissociable de l'aboutissement
des luttes pour l'égalité des droits civiques aux EtatsUnis; en effet, au début des années 60, une grande
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partie des populations noires vivait sous le régime de
la séparation raciale. J'espère que cette étude, forcement incomplète, aura également démontré que les
musiciens de tradition non-écrite ne sont pas muets
devant leur art, et que la notation musicale «classique»
n'est pas un langage analytique unique et universel,
surtout pour analyser les musiques qui intéressaient
cette Université d'été.
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MUSICOLOGIE EN ATELIERS
GENESIS
ET LA MUSIQUE PROGRESSIVE
LucSOuvn
enseignant d'éducation musicale, chercheur
Genesis a longtemps privilégié une musique à dominante instrumentale et sujette à diverses influences
classiques; il Y a donc matière à analyse en conservant les scalpels habituels de la musicologie pour
disséquer les partitions d'une formation anglosaxonne très originale.
C'est à l'âge de 17 ans, (en janvier 1967) que cinq
élèves d'une vieille école traditionnelle du Surrey
(Charterhouse, à 150 km au sud de Londres) ont créé
Genesis. ~efcti
du groupe a beaucoup évolué, les
trois membres qui le constituent sont aujourd'hui Phil
Collins, Tony Banks, et Mike Rutherford; Peter Gabriel,
plaque tournante de cet ensemble jusqu'en 1975,
ayant quitté son groupe pour travailler seul.
~efcti
rock étant très restreint, la fonction de chaque
instrumentiste est bien définie: un chanteur-batteur,
mélodiste qui focalise l'attention du public; un pianiste... (claviers) avant tout harmoniste parfois soliste;
un guitariste soliste, improvisateur, auxquels s'adjoignent en concert: un batteur percussioniste, trame
rythmique du groupe et un bassiste, pour les assises
harmoniques et rythmiques.
Très populaire dons les années 70, Genesis est considéré comme le chef de fil du courant progressif. Cette
musique revendiquée comme très novatrice a surtout
privilégié l'usage du synthétiseur; Tony Banks considérait en 1978 (7) cette intrusion comme un bouleversement profond de sa musique: «Depuis Selling England
(2), sur les trois derniers albums, j'ai utilisé I~RP
2 600.
Je cherchais le genre d'orchestration simple que l'on
peut obtenir sur ce type d'instrument mais je préfère le
piano à queue, surtout le Steinway. Dans cette tournée, je joue de cinq instruments( ..). J'utilise enfin un
synthétiseur polyphonique Polymoog (3): quand on
commence il jouer des accords, la définition du son
tend à changer. C'est un genre de musique totalement
différent, on finit par obtenir des choses très bizarres
(..)>>.
La présence de deux botteurs potentiels explique la
place de choix qu'occupe la percussion, celle-ci a
cependant beaucoup évolué, la rythmique ne se limite
plus à un accompagnement dansant mais devient
soliste à part entière. Genesis a longtemps évité la
musique de danse, les mesures sont souvent impaires
(3/4,5/4,7/4) et ternaires (3/8, 6/8, 9/8); on note
par ailleurs un goût très prononcé pour la mesure il
7/8 comme dans Dance on a Volcano (fig. 7 - note 4),
Cinema Show(fig. 2 - note 2), et les carrures ternaires
de Robbery Assault and Battery, en 13 / 8 : 7 + 6 (fig.
3 - note 4). Il convient de souligner l'utilisation inhabituelle de cette métrique car elle requiert une grande
précision rythmique; l'on remarque d'autre part une
opposition fréquente et quelquefois simultanée entre
rythme binaire et rythme ternaire (cf. In the Cage (5)
ou Supper's ready (fig. 4 - note 6). Cette prédominance du rythme n'élude pas pour autant l'originalité
harmonique de certaines compositions, en particulier
celles écrites en 1972 et 1978. Lesgrilles harmoniques
sont moins classiques et l'on remarque l'utilisation de
nombreux accords à quatre et cinq sons(septièmesou
neuvièmes de dominante mineures et majeures);
modulations, cadences, pédales, notes de passage,
appoggiatures, broderies et retards sont généralisés
et définitivement adoptés.
Le «rocker» est très souvent un autodidacte, ce n'est
pas le cas de Tony Banks qui a suivi des cours particuliers de piano à l'école puis en privé: <de préférais
jouer à l'oreille plutôt que de travailler le solfège, je
considère que cela fut plus important que les
cours» (7). Compositeur prolifique de Genesis, l'on
peut légitimement penser que cette formation explique en partie les quelquels références classiques
décelées dans plusieurs compositions, même si elles
ne semblent pas convaincre l'auteur: <d'aime bien Le
Sacre du printemps mais je ne suis pas «dingue» de
Stravinsky. Je dirais que nous sommes plus influencés
par des gens comme Debussy, Ravel ou Rachmaninov
(Tony Banks Junior a beaucoup transpiré sur le prélude en do dièse mineur opus 3 nO 2...). Stravinsky est
trop «discordant» pour avoir influencé Genesis. Nous
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avons souvent le sentiment qu'une bonne partie de ce
que nous faisons a un rapport avec l'eau, cela doit
avoir une signification quelconque et cela explique
peut-être notre goût pour Debussy...» (7).
Et pourtant. En écoutant l'apocalypse en 9/8 de
Supper's ready il est difficile de ne pas faire le
rapprochement avec les danses des adolescents du
«Sacre»; l'utilisation percussive d'instruments mélodiques comme les claviers (synthétiseurs ou pédaliers
Moog) n'est peut-être pas aussi subtile que celle des
quatre pianos de «Noces», mais elle ne manque pas
d'originalité ni d'à propos; de même les longues
séries de doubles croches très métronomiques qui
précèdent cet extrait rappellent étrangement le savoirfaire d'un vieux Cantor... Il est cependant plus intéressant de réaliser que ces instrumentistes ont une culture
musicale dont ils ne peuvent pas toujours faire abstraction mais qu'ils semblent avoir bien assimilée. Ce lien
de parenté avec la musique classique se confirme
formellement, l'air accompagné et la construction
strophique refrain-couplets sont très nombreux (cf.
Followyou Followme (7), Afterg/ow (B}...) mais l'originalité réside davantage dans les partitions plus élaborées qui diffèrent des chansons conventionnelles par
leur complexité et leur durée (10,15, voire 20 minutes
sans interruption) c'est le cas de Firth of Fifth (2), dont
la structure est la suivante: exposition d'un premier
thème chanté (fig. 5); transition; exposition d'un
deuxième thème au synthétiseur; transition; exposition d'un troisième thème basé sur une cellule rythmique; transition; réexposition du thème no 2 ; transition; réexposition du thème no 1 ; coda et conclusion
sur une cellule rythmique du thème no3, soit:
A t B t C t B t Ac
Ce schéma ne correspond pas à une véritable forme
cyclique et traduit un souci d'ordre et de cohérence
rarement présent dans le domaine de la musique-pop.
PAIlOW ErMUSIQUE
Au fil des années, Genesis a su écrire une musique et
des textes spécifiques très imprégnés du tempérament
et de l'humour noir britanniques. Contrairement à la
chanson de contestation, les paroles ne revendiquent
que très rarement des idées politiques: Selling
Eng/and by fhe Pound dresse une caricature sévère
d'une Angleterre vieillissante et désuète que l'on vendrait à la livre (cf. Dancing in fhe Moon/if knighf (2).
On entrevoit également dans Trepass (9) quelques
vestiges idéologiques des années 68 (besoin de
liberté et de contestation) mais le groupe se tournera
bien vite vers la fable et la science-fiction qui seront
son élément de prédilection.
Dans Nursery Crime (70) la petite Cynthia joue au
croquet, elle lève si haut son maillet qu'elle décapite
son camarade Henry! On retrouve ces enfants dans
Suppers ready; Snowbound ou Scenes from a nighf
Dream (7), trois pièces inspirées de la bande dessinée
de Winsor Mac Clay little Nemo qui mêlent l'inne-
cence de la jeunesse ou fantastique du rêve et de
l'imaginaire; cet imaginaire qui alimente une fois
encore l'histoire du double album conceptuel The
Lamb lies down on Broadway: Raël, jeune Newyorkais, est à la recherche de son identité dans
l'immensité de sa métropole (Raël est l'anagramme
de «reat. - réel-). Le discours de Genesis peut
aussi être une adaptation des grands récits comme
Roméo et Julieffe (cf. cinema Show) ou Orphée aux
Enferts (Dance on Vo/cano). Dans cette dernière chanson, Orphée doit gravir un volcan et danser sur son
cratère sans être pris au piège ... : <dl peut te transformer en pierre, rappelle-toi, ne te retourne pas, quoi
que tu fasses ne te retourne pas...». l'ascension du
volcan est présentée sur une phrase musicale ascendante (fig. 6); on peut également parler de figuralisme musical dans The Baffle of Epping Forest (2);
décrite par le groupe comme «une bataille cyclique
entre les paroles et le contenu musical», cette chanson
décrit un règlement de comptes entre deux gangs de
l'East End londonien. La lutte se traduit par une
désynchronisation de la batterie (qui bot une pulsation
ternaire) vis-à-vis du chant qui lui est binaire (fig. 7).
La mise en musique du récit est une véritable théâtralisation où alternent le parlé et le chanté. Il faudrait
également analyser le jeu sur les allitérations et la
versification pour mieux comprendre les finesses de
cette musique.
ESPRITD'OIJVfRTURE
Il reste enfin l'aspect scénique et gestuel toujours
étroitement lié à la sémantique musicale; les déguisements de Peter Gabriel et les mimiques de Phil Collins,
mais encore l'extraordinaire mise en scène des projecteurs vorilite ont largement contribué à la réussite
d'une aventure ambitieuse. Cet aspect primordial du
spectacle mériterait à lui seul un chapitre entier, nous
limiterons donc ce tour d'horizon à cette simple constatation.
Lorsqu'un personnage comme Peter Gabriel quitte un
groupe au sommet de sa gloire pour s'aventurer sur
les terrains de la musique ethnique (africaine, brésilienne et asiatique) ou sur celui de l'informatique
musicale (travail sur l'ordinateur australien Fairlight à
l'Institut technologique de New York), il prend beaucoup de risques et manifeste son esprit d'ouverture et
de curiosité. La haute technicité de ces ensembles, 10
maturité des musiciens et la prise de conscience
collective du manque à gagner des années 70 ont
permis une approche nouvelle et originale de la
musique pop, il fout désormais être conscient de ce
phénomène et le prendre en considération pour ne
plus cataloguer systématiquement cette musique
comme un genre pauvre exclusivement lucrcfif "Ces
groupes appréhendent le rock de façon fondamentalement différente: instantané il était fait pour danser;
réfléchi on le fait pour être écouté. l'ère de la hi-fi et
du fauteuil change les attitudes» (77).
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Contributeur : Eliane Daphy
NOTES
Becker H.Outsiders Free Press (traduction...), 1963.
(1) Extrait d'une interview de Alain Dister pour le mensuel
Bennet S. On Becomming a Rock Musician, University of
Massachussets, 1980.
Rock and Folk.
(2) Selling England br the Pound. Octobre 1973. Virgin
70317.
(3) Synthétiseur permettant de jouerplusieurs notes simultanément.
(4) (Rutherford / Banks / Hackett / Collins), extrait de l'album
A Trick of the Tail. Février 1976. Virgin 70319.
(5) (Banks / Collins / Gabriel! Hackett / Rutherford), extrait
de l'album The Lamb lies down on Broadway. Novembre
1974. Virgin 6003l.
(6) (Banks / Collins / Gabriel! Hackett / Rutherford),
de l'album Foxlrol. Octobre 1972. Virgin 70318.
extrait
(7) (Rutherford / Collins / Banks), extrait de l'album And Ihe
were Three. Mars 1978. Virgin 70324.
(8) (Banks), extrait de l'album Wind and Wuthering. Décembre 1976. Virgin 70322.
(9) Trespass. Octobre 1970. Virgin 70320.
(10) Nursery Crime. Novembre 1971. Virgin 70316.
(11) Wais (Alain). Peler Gabriel, rocker à la recherche d'un
artlolal. Paris, LeMonde, suppl, du 16 octobre 1983, pp. 1et
XlV.
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1987.
127 p.
Fig. 1 : DANCE ON AVOLCANO
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Contributeur : Eliane Daphy
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Contributeur : Eliane Daphy
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Contributeur : Eliane Daphy
l'approche du phénomène de la musique des jeunes ne saurait se limiter aux seules
analyses des chercheurs et spécialistes fournissant des «explications de texte»; au-delà
des réflexions théoriques, l'Université d'été de Rennes a fourni aux stagiaires la possibilité
de rencontrer la musique et ses acteurs dans une dimension vivante: visite d'un studio,
participation à un concert de rock à l'Ubo, le temple du rock rennais. Mais dans notre
société contemporaine, la musique c'estaussi un produit, avec son système de production
particulier, ses techniques, ses professionnels, tout un fonctionnement trop souventignoré
du public consommateur. Cette réalité du secteur industriel de la musique, les stagiaires
l'ont rencontrée à l'occasion de ces rencontres, dont on trouvera par la suite lessynthèses
réalisées par les animateurs. «Méchant» show-bizz, technique toute puissante, médias
manipulateur... ? Au delà des stéréotypes, les ateliers ont permis d'ouvrir le dialogue...
RENCONTRES AVEC LES
PROFESSIONNELS
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Contributeur : Eliane Daphy
RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS
LA PRODUCTION
Norbert lANDIER
rapporteur de la rencontre, enseignant d'économie en lycée
co-responsable du Groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique (Grim), Lyon
INTERVENANTS
Pascal Bonin, antenne régionale de CBS-France.
HervéBordier, conseiller artistique pour la programmation musicale,
Maison de la culture de Rennes; manager des groupes Niagara et Marc Seberg.
Bruno Lion, président de l'association Réseau rock. :
François Posseme, label indépendant Madrigal.
Au cours de cet atelier, les problèmes suivants ont été
exposés: les politiques des maisons de disques,le rôle
des principaux moyens de diffusion de musique, les
caractéristiques de la distribution de disques et cassettes, le problème des tournées et des salles de concert,
le rôle du public et de sa demande, le rôle de la
législation, l'urgence d'une reconnaissance culturelle
du rock et des problèmes spécifiques de formofiorf
ainsi que les carrières de groupes et le statut des
labels indépendants.
les objectifs des maisons de disques sont commerciaux et artistiques. Pour les grandes (CBS, Polygram,
Warner.,,), il semble que la politique s'oriente de plus
en plus vers des objectifs strictement commerciaux.
Soit vers la production de musique représentant le
potentiel de demande le plus élevé, avec la volonté
de réaliser un chiffre d'affaires important. Par conséquent, sur les produits artistiques retenus comme potentiels sont investis des budgets de promotion, de marketing adaptés. Par rapport à cette politique, les groupes
de rock français sont actuellement mal placés.
Compte tenu de ces objectifs, comment s'opèrent les
choix de produits? Dans la plupart des cas, dans le
service de direction artistique, par une équipe réunie
régulièrement autour du directeur artistique. la plupart de ses membres n'ont aucune autonomie vis-à-vis
de celui-ci qui, lui, dispose d'un budget annuel et se
doit de dégager une rentabilité suffisante. A partir de
là, peu d'entre eux prennent de risques. Cependant, il
faut signaler le rôle des personnes, par exemple, si
pendant longtemps chez Pathé-Marconi le poste de
PDG a été occupé par un homme âgé de plus de
soixante ans, de jeunes directeurs artistiques ont
assumé les risques de productions plus créatives.
OUEW POLITIOUE DE PROMOTION '1
Ainsi A. levy, ex-PDG de CBS, conscient des investissements nécessaires à l'émergence d'artistes nouveaux,
a débloqué de l'argent pour des réalisations de
maquettes, outils indispensables aux musiciens, et a
réussi à produire des «artistes intéressants» comme l.
Chedid, A. Chamfort, J-P. Capdevielle! Il faut préciser
que les maisons de disques sont des filiales de multinationales où l'activité «disque» représente une faible
part du chiffre d'affaires (chez Polygram, le disque
représente 5 % du chiffre d'affaires global). En conclusion, politique commerciale et manque de créativité
des équipes artistiques caractérisent les maisons de
disques quant au rock. Pour le rock français se pose le
problème de la langue qui représente un obstacle
pour atteindre des marchés extérieurs.
les enjeux sont différents pour les groupes anglais,
leur marché potentiel étant mondial. Si le groupe
français Stocks a pu faire une tournée d'un mois et
demi aux Etats-Unis (32 dates) à travers les universités
américaines, c'est parce qu'à chaque concert étaient
distribuées des paroles en anglais et en français.
C'était une tournée culturelle pour apprendre le français aux étudiants américains. Les maisons de disques
conçoivent leur politique sur un marché large. Par
exemple, si CBS produit toujours les Dogs, c'est parce
que les ventes dans le monde sont rentables puisqu'ils
sont connus au Japon et en Suède où ils font des
tournées. Sur le marché français des concerts, les
groupes français sont désavantagés par rapport aux
groupes anglophones : l'achat du concert de Mink de
Ville à Rennes coûtait seulement 12 000 F puisque la
tournée était en partie financée par la maison de
60
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Contributeur : Eliane Daphy
disques anglaise. Si pendant une période les groupes
français «étaient signés par dizaine dans les maisons
de disques» (Trust, Starshooter, Bijou, Téléphone), commercialement le rock est oujourd'hui en position marginale.
la demande semble largement influencée par les
politiques de programmation des médias. Le «son
actuel» correspond à ce qui «passe bien en F.M». les
choix de programmation en radio, NRJ «TOP 50»,
orientent le public vers <d'achat de ce qu'il a déjà vu et
entendu», et les maisons de disques vers une promotion spécifique par <des passagesen radio».
La politique de promotion implique aussi le suivi de la
distribution. Or en France, le problème de la distribution se caractérise par la position dominante des
hypermarchés, surtout pour les 45 tours. la gestion
des rayons de disques des grandes surfaces se traduit
par une limitation du choix sur les catalogues présentés, aux hit-parades. Quant aux petits magasins de
disques, nombreuses sont les faillites. la remontée des
demande locales ou autonomes à partir des clientèles
de disquaires est rare, le seul exemple étant Sade.
Si auparavant, les ventes de disques étaient liées aux
tournées des groupes, comme ce fut le cas pour Trust
qui, sans publicité, termina sa tournée avec 15 000
personnes à Paris, actuellement les maisonsde disques
françaises se retirent du soutien financier aux tournées, car l'outil de promotion est principalement
médiatique, et le produit «trop rock» en est exclu.
la diffusion pose le problème des salles et du public.
Entre les salles comme le Zénith et des petites salles
confidentielles, «branchées», n'existent pas de structures intermédiaires, surtout au niveau des régions,
alors que demeure un public. De nombreuses associations organisatrices de concerts, constatent l'importance du public pour les concerts régionaux de
«hord», alors qu'il ne bénéficie plus actuellement de
promotion médiatique importante. Cependant il faut
signaler que jouent aussi des spécificités régionales: à
Rennes le «hard» attire peu de monde. Même les
petits lieux disparaissent, ce qui compromet gravement l'existence de groupes locaux.
POUR UNE MElUEURE FOIlMATlON
DU rECHNlClENS DUSON
Par ailleurs, rares sont les gens des maisonsde disques
qui assistent aux concerts des groupes français peu
connus. Ainsi, les groupes français se retrouvent dans
une situation difficile pour une ébauche de carrière. Si
ils arrivent à réaliser une maquette de bonne qualité
en studio, les possibilités de signer avec une maison
de disques, sont malgré tout limitées. D'abord, il ya
peu de maison de disques en France, ensuite si le
représentant régional trouve le produit correct (par
l'écoute et le contact); la cassette envoyée à Paris est
écoutée par la direction artistique qui ne voit pas le
groupe et bien souvent rejette le produit, car elle ne
dispose pas des éléments d'appréciation qui avaient
amené le représentant régional à s'y intéresser. Il est
plus efficace pour les groupes de passer par Paris
mais les maisons de disques sont submergées de
cassettes envoyées. les disponibilités d'écoute étant
limitées, les rendez-vous avec les directeurs artistiques
restent indispensables pour convaincre.
Si les musiciens «siqnent», «c'est là que tout commence», alors que beaucoup pensent qu'ils sont «arrivés»
et attendent le résultat des ventes. Eux aussi ont une
promotion à faire, les efforts de promotion des maisons de disques étant portés sur certains produits de
leurs catalogues. Par exemple, le groupe Niagara qui
a réalisé un «tube» vendu à 300 000 exemplaires,
continue à faire des efforts auprès des journalistes. En
dehors de l'attitude du public français, dont le «manque d'esprit critique», «lo mentalité bloquée», ont
souvent été avancés par les professionnels, le problème de la formation a amené les développements
suivants: face à la production du son (concert, ou
disque et cassette) la «qualité» des techniciens anglosaxons a été évoqué, ce qui expliquerait l'avantage
du rock anglophone. A la maîtrise technique du
matériel, et à la connaissancesdes innovations s'ajoutent l'oreille, le ((feeling», des techniciens et des ingénieurs du son «qui savent lire les notes de musique». Il
semble qu'en France les formations aux métiers relatifs
au son aient été peu développées; la plupart des
ingénieurs du son actuels ont débuté «en-étant porteurs de cafés dans les studios,il y a cinq ans».
Cependant, la formation adaptée au son rock «doit
permettre la créativité et non la tuer». Pendant longtemps la sonorisation était assurée par des ingénieurs
formés à la «voriété». Enfin, le statut général du rock
en France, pose le problème de sa reconnaissance
comme culture, qui n'est pas sans conséquences sur
les politiques de structures et sur la législation. Par
exemple les décisions politiques relatives à la production, la diffusion ou la distribution impliquent l'existence d'un milieu structuré qui associe individus, associations, entreprises avec des intérêts communs dans
un combat économique et culturel face à des «lobbies» ou aux pouvoirs publics.
Parmi les perspectives d'avenir pour le rock, du côté
de la production, il faut signaler le rôle des labels
indépendants et de certains producteurs assumant
individuellement les risques financiers et artistiques.
Par exemple, quand le label Virgin-Angleterre s'est
créé, personne ne croyait qu'il pourrait imposer des
groupes de rock nouveaux et réaliser de bonnes
opérations commerciales, avec Mike Oldfield notamment. Pour Madrigal, créé il y a cinq ans, il s'agit de
«signer» surtout des groupes européens. Actuellement
ce label produit, importe et distribue cinq types de
produits: du rock européen [new-wave], du jazz
d'avant garde (Art zoïdJ, et des groupes français de
«hard». Madrigal est confronté au problème de la
demande, par exemple, «alors qu'il y a trois ans le
marché du «hard» explosait, aujourd'hui il ne se vend
plus». Avec des tirages initiaux moyens de 1 000 à
2 000 exemplaires Madrigal parvient quand même à
réaliser des ventes qui, compte tenu des retirages, se
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montent à 15 000 exemplaires avec Vulcain ou
30000 exemplaires avec d'autres groupes. Tourné
auparavant principalement vers les importations
(70 % du catalogue), Madrigal porte actuellement
plus ses efforts vers la production. Dans cette orientation il lui faut aussi assurer la distribution de ses
produits et convaincre les disquaires de les accepter.
l'ouverture des rayons de disques des grandes surfaces aux produits des labels indépendants peut constituer une issue. Le fait qu'existent des producteurs
artistiques, qui investissent de l'argent sur un artiste, en
assumant les frais de réalisation (enregistrement, mixage...) d'un produit fini, qu'ils vendent aux maisons de
disques (comme par exemple H. Bordier avec Niagara) permet l'émergence sur le marché d'artistes nouveaux.
Du côté de la diffusion, les échanges entre associations régionales de groupes pour des concerts peut
augmenter l'audience et les perspectives de promotion des groupes régionaux. «Réseau rock» tend à
développer ce genre d'initiatives.
Pour les groupes qui parviennent à «signer» avec un
label indépendant la vente de leur disque en concert
est souvent intéressante. Par exemple, un groupe de
Madrigal vend presque autant en concert que son
réseau de distribution. Pour Baroque Bordelo dont le
disque était introuvable à Lyon, leur concert à Lyon a
permis à des spectateurs de les acheter, Hals Ponts
lors d'un concert à l'Espace-music d'Oullins (200
places) a vendu quarante-cinq exemplaires de son
disque.
Le rôle de certains équipements culturels, et en particulier de certains directeurs de Maison de la culture a
permis la reconnaissance culturelle du rock, comme à
Rennes où le nouveau directeur J-C. Gallota a investi
un gros budget sur un spectacle de Marc Seberg, en
salariant même ces musiciens pendant trois mois.
Quant à la formation avec une nouvelle génération
de jeunes motivés par les métiers du son, on se trouve
au début d'une nouvelle aventure, avec une compétence plus grande, plus portée sur les nouveaux
matériels, des intérêts associant technique et «feeling».
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RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS
LE5MEDIA5
Patrick MIGNON
rapporteur de la rencontre, sociologue, Centre de sociologie
des arts comité de rédaction de la revue «Vibrations»
INTERVENANTS
Christophe Brault, animateur, Radio Savane.
Frank Delaunay, Fréquence Ille.
Bernadette Keesler, Radio-France Armorique.
Les médias sont volontiers considérés comme les
principaux pourvoyeurs des modèles culturelsqui viennent concurrencer les modèles diffusés par l'école.
Très logiquemennt, les débats de cet atelier se sont
organisés autour de la question de la manière dont
radios et télévisions pouvaient former le goût des
jeunes auditeurs et de la place qu'ils pouvait accorder
aux formes musicales innovantes, notamment à travers
leurs attitudes vis-à-vis des jeunes groupes ou des
jeunes artistes. Une partie des interventions a porté
sur la logique qui préside aux liens existant entre
médias et musique et sur les contraintes que les
logiques notamment radiophoniques définissent; mais
en même temps que les intervenants s'attachaient à
cerner le poids spécifique des différents médias, ils ont
aussi indiqué les limites de lo toute puissance de la
radio et de la télévision.
LA LOGIOUE DU MEDIAl
,dl faut une certaine dose de naïveté pour faire
procès à une radio commerciale d'être commerciale.
Comment vit une station commerciale? En vendant
son temps d'antenne à des annonceurs. Les tranches
horaires, ce sont des publics, mesurés par sondage»
[C. Meadel). La première tâche est de prendre en
compte cette contrainte qui consiste à s'attacher un
public; la musique à la radio vise à garder l'auditeur
à l'antenne, à l'empêcher de tourner le bouton pour
se mettre à l'écoute d'une autre station. Cette nécessité
implique que l'auditeur entende ce qui lui plaît et que
les nouveautés, nécessaires, soient d'abord testées
dans des émissions situées dans des tranches horaires
de moindre écoute ou dans des jeux. C'est à cette
condition qu'Europe l ou RTL peuvent garder leur
«leadership» : toutes les trois chansons, elles donnent
Yvon Le Chevestrier, journaliste Ouest-France.
Cécile Meadel, historienne, Centre de sociologie de l'innovation.
Philippe Tuffigo, producteur, émission Décibels, FR3-Bretagne.
rendez-vous musical à leurs auditeurs, le «tube» qui
rappelle qu'ils appartiennent à la «famille».
Cette logique mise en œuvre par les grandes radios
périphériques s'est imposée aux radios libres devenues «radios locales privées». Sur Rennes, Radio Savane, spécialisée dans tous les genres de musique rock,
a dû fermer boutique parce qu'elle était devenue
«une radio pour les copoins» où les animateurs composaient les programmes à partir de leurs goûts
musicaux. Le choix de ne s'adresser qu'à une population très limitée n'a pas séduit les annonceurs publicitaires. En se définissant comme une radio locale
privée généraliste, Fréquence Ille s'est alignée sur les
principes de programmation propres aux radios périphériques: sélection d'une «play lisf» de 80 à 100
disques, parmi lesquels une vingtaine, en général les
meilleures ventes du «Top 50», est diffusée plusieurs
fois par jour, dans laquelle on introduit les nouveautés
dont on pense qu'elles seront elles aussi des «tubes» :
définition de tranches horaires pendant lesquelles,
selon les taux d'écoute, on prend plus ou moins de
liberté avec la «play list». Dans un tel système, les
animateurs ont perdu tout pouvoir de programmation,
sauf aux heures où la majorité des auditeurs est
sensée s'être transformée en téléspectateurs: «On est
devenu professionnel, on ne passe plus ce qui nous
fait ploisir» (Fréquence Ille).
Devenir une station à vocation généraliste signifie
rompre avec les projets qui pouvaient être à l'origine
des premières radios locales: il ne s'agit plus de
convaincre l'auditeur de la qualité supérieure de
certains genres musicaux, de fonctionner pour les
copains (Radio Savane) ou de faire de l'éducation
populaire. La professionnalisation, c'est-à-dire, entre
autres choses, la prise en compte des impératifs qui
permettent à une station de faire vivre ses salariés ou
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sescréateurs, implique une division du travail entre les
personnels de la station, principalement entre animateurs et programmateurs; elle implique aussi des
exigences vis-à-vis des productions proposées aux
radios. Ainsi, une radio qui se range dans le camp des
radios commerciales ne peut que travailler avec des
structures de production ou de diffusion des disquues
qui soient, elles aussi, capables de fournir un service
professionnel: Fréquence Ille ne diffusera pas les
disques dont elle n'est pas sûre que les auditeurs les
trouvent dans les bacs des disquaires. De cette façon,
les programmateurs de cette station privilégieront les
disques produits ou distribués par les grandes maisons
de disques au détriment des petites maisons qui ne
sont pas certaines d'accéder aux bacs des grandes
surfaces, à moins d'être souscontrat avec une grande
maison ou d'avoir des artistes bien placés dans le
«Top 50».
La télévision est un autre exemple de cette prime aux
«gros»: on a cité le cas de l'émission Champs-Elysées
de Michel Drucker qui ne s'ouvre qu'aux artistes ou
groupes qui ont déjà vendu cent mille 45 tours [C,
Meodel). Mais les émissions grand public ne sont pas
les seuls à imposer des critères de sélection: l'émission
Décibels, sur FR 3, qui se donne pour vocation de
faire découvrir des artistesde rock, français ou anglosaxons, doit faire des choix parmi les groupes qui
désireraient passer dans l'émission et se fonde sur des
critères qui supposent que le groupe a déjà engagé
une démarche d'aspirants professionnels puisqu'on
leur demande d'avoir la volonté de «faire une télé»,
c'est-à-dire de vendre au public une certaine image
d'eux-mêmes, d'accepter de se prêter au travail de
mise en scène, d'avoir des qualités de son, tenant
compte à la fois de la qualité des morceaux et de
l'enregistrement. Tout cela suppose que le groupe est
d'ores et déjà capable de proposer des produits finis.
U POIDS DU MAISONS DEDISOUES
Cest à travers les exigences propres à un média
qu'on doit saisir les limites du rôle d'innovateur que
peut jouer radio ou télévision. C'est aussi en comprenant ces exigences qu'on peut situer plus précisément
les liens avec les maisons de disques. En effet, il est
vrai que les maisons de disques tentent d'exercer des
pressions sur les programmateurs ou sur les animateurs : les billets pour les Seychellesou pour Acapulco
on remplacé les chèques mais ces pressions directes
se heurtent aux impératifs de programmation et n'ont
d'efficacité que pour les créneaux pendant lesquels
les contraintes de la programmation se relâchent.
Pour les radios locales, la pression des maisons de
disques se fait sentir à travers l'envoi des objectifs,
c'est-à-dire des titres ou des artistesqu'elles souhaitent
voir promouvoir, cette politique pouvant aller jusqu'à
n'envoyer que les principaux objectifs pour inciter les
stations à ne diffuser que ces titres, mais cette pression
est très relative (Fréquence Ille). En fait, les pressions
les plus fortes peuvent venir du fait que les radios
comme RTL ou Europe 1 soient intéressées au passage
très fréquent de certains artistes dans la mesure où
elles sont co-éditrices de certaines chansons, et ont
donc tout intérêt à les faire connaître et à les faire
passer, ou encore qu'elles possèdent leur propre
maison de disques. Toutefois, si l'on admet que les
programmateurs construisent leurs programmes à
partir de ce qu'ils pensent que leurs publics aimeront,
les co-éditions RTL ou les produits Al-Europe 1 sont
soumis aux mêmes critères d'appréciation que les
autres [C. Meadel).
Les médias ne formeraient pas tant le goût de leurs
auditeurs qu'elles ne chercheraient à coller au plus
près des goûts supposés du public. Le conservatisme
ne serait pas le fort des médias mais le fait des
auditeurs. Mais en définissant des programmes grand
public, qu'ils soient plutôt «adulte» ou qu'ils soient
plutôt «jeune», les stations génèrent des mécontents,
car elles ne peuvent refléter tous les goûts.
us POSSlBIUfU 1Y0WEIlfII1IE '1
Les radios, par différents jeux tentent de prévenir le
mécontentement des auditeurs, au moins de saisir
leurs mouvements. Le plus souvent, c'est la concurrence entre médias qui est un des moyens grâce
auquel des goûts ignorés peuvent être reconnus.
Ainsi, aux Etats-Unis, dans les années 50, c'est le
remplacement de la radio par la télévision comme
média familial qui rend possible la popularisation du
rock'n'roll dans la mesure où les radios ont été dans
l'obligation de se chercher de nouveaux auditeurs, de
nouvelles recettes publicitaires et donc de diffuser des
musiques nouvelles (P. Mignon). De la même façon
l'ouverture de la bande FM, en France, a grandement
favorisé la popularisation de toutes les formes de
«dance music» et de «new wave».
Aujourd'hui, en France, les mouvements de concentration, dans les radios locales privées (la constitution de
réseaux nationaux) ou l'entrée des radios périphériques sur la bande FM, vont obliger les radios locales
privées à trouver de nouveaux créneaux, de nouveaux publics, de nouveaux annonceurs et donc de
nouvelles programmations, afin de proposer des services originaux à ceux qui, au plan local, ne seront pas
intéressés par les «ploy-lists» du réseau NRJ ou de RTL
FM (F. Delaunay). Pourtant, si sur de grandes agglomérations comme Paris et sa région il esttoujours possible
de faire vivre une radio en cultivant les goûts de
certaines populations, le pari peut être plus difficile à
réaliser au niveau des régions.
lA fIUVlSION
Le cas de la télévision est un peu différent. Jusqu'à
maintenant, la majorité des chaînes étaient du service
public, ce qui impliquait de donner satisfaction à
toutes les catégories de publics. Ainsi, en ce qui
concerne le rock, l'on peut trouver des émissions qui
illustrent des genres et des artistes qui échappent aux
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Contributeur : Eliane Daphy
canons du «[op 50» ou qui peuvent foire découvrir
des courants peu connus.Mois les émissions possèdent
des moyens différents selon les chaines. Décibels,
l'émission de FR 3, fonctionne avec un budget très
étroit et repose sur l'implication de quelques individus,
ce qui interdit par exemple les reportages à l'étranger.
Toutefois, ces moyens limités n'empêchent pas la
reconnaissance, et Décibels s'est vu décerner par la
presse musicale anglaise le titre de meilleure émission
rock en Europe. Pourtant, à l'heure où l'on écrit ces
lignes, on annonce la suppression de l'émission ou
nom du toux d'audience et la concurrence qui s'annonce entre les chaines privées peut renforcer la
tendance à l'homogénéisation des programmations
- d'autant que le principe d'une chaine thématique
musicalea été abandonné.
MUSIOfIffT
PlIS.
La presseécrite joue un rôle un peu particulier dans le
domaine musical. Dons le cos des revues pour adolescents, comme Salut ou Podium, la règle du jeu est
celle des radios périphériques ou de la télévision:
donner aux lecteurs du connu, du familier. Pour les
revues rock comme Rest ou Rock & Folk, les sujets
traités peuvent paraître ésotériques à de nombreux
observateurs, il n'en reste pas moins qu'ils concernent
le plus souvent des voleurs sûres. D'une certaine
façon, la presse quotidienne, et en particulier la
presse régionale, peut jouer un rôle d'ouverture plus
important. Comme dons le cos de FR 3, l'investissement dans un champ qui parait marginal par rapport
aux préoccupations du journal repose sur une certaine forme de militantisme puisque «le journal me
paie pour couvrir le congrès des parents d'élèves
mois que les articles sur les concerts, je les prends sur
mon temps personnel» (Y. Le Chevestrier). La création
d'une rubrique régulière, «Rock and Bulles» dans
Ouest-France, s'inscritdons la démarche du quotidien
qui cherche à avoir le contact avec ses lecteurs, ici les
15-35 ans, et donc à couvrir ce qui les intéresse; il
s'inscrit aussi dans une démarche journalistique qui
s'efforce de saisir ce qui «renouvelle la société et qui a
donc sa place dans le journal». Même s'il est difficile
d'apprécier le rôle d'un quotidien dons le déroulement d'une carrière d'artiste, on peut penser que la
ligne journalistique qui consiste à chercher ceux qui
font vivre le rock dans une région comme la Bretagne
n'est pas étrangère à l'existence d'une «scène rock»
bretonne avec des artistes comme Etienne Daho ou
Marc Seberg.
En fait, les innovations n'ont pas toujours besoin des
médias. Dans les années 70, des chanteurs comme
François Béranger, Higelin ou Gérard Manset se sont
constitués des publics sans que ni radios, ni télévisions
aient pris une part active à ce processus. Ces artistes
qui n'étaient ou ne sont toujours pas des grands noms
du «[op 50» ont vendu ou vendent toujours leurs
disques à un public fidèle. Ces artistes ne sont pas des
chanteurs «commerciaux», c'est-à-dire dont les chansons sont sur toutes lèvres et diffusées plusieurs fois
par jour sur les ondes; mais il arrive aussi que des
«tubes» se soient faits contre les médias: c'est le cas
de La Danse des canards. Enfin, on a aussi noté
le. Brault) qu'il existait des réseaux de diffusion de
musiques très marginales, très hermétiques, grâce à
l'échange de cassettes et à la circulation de petits
bulletins qui mettent en contact les amateurs de toute
l'Europe.
De cet atelier, l'on pourra retenir que la question du
rapport entre musiques et médias se pose différement
selon le média considéré. ton pourra aussi s'interroger sur le poids des goûts musicaux personnels ou des
stratégies d'insertion professionnelle dans les médias,
dans la prise en compte de nouvelles expressions
musicales. Si les médias, comme l'ont laissé entendre
la majorité des intervenants; ne forment pas les goûts
des auditeurs mois essaient plutôt de coller ou plus
près de leurs attentes, il resterait à approfondir l'étude
de l'ensemble des facteurs qui font se modifier le
contenu esthétique d'un paysage médiatique.
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Contributeur : Eliane Daphy
RENCONTRE AVEC LES PROFESSIONNELS
LA MUSIQUE MISE EN ONDES
Cécile MEADEL
historienne, sociologue, Centre de sociologie de l'innovation
de l'Ecole des Mines de Paris; comité de rédaction de la revue «Vibrations»
Entre le rock et les médias, comme plus généralement
entre la musique et les médias, circule volontiers un
double procès où chacune des parties est accusée
d'utiliser -voire de manipuler- l'autre. Les médias
se voient reprocher de «passer toujours les mêmes
tubes», de ne s'intéresser qu'aux stars; les maisons de
disques sont, elles,soupçonnées d'imposer aux médias
leur programmation, de choisir à leur place les morceaux diffusés. Ce procès permet de décharger les
groupes musicaux de leurs échecs en les renvoyant
sur un autre, mais surtout il nie tout le travail de
transformations, de mélanges, de confrontations
qu'ont dû effectuer les artistes à succès pour se
construire un public. Le procès transforme les médias
en simplessupports, tour à tour transparents quand ils
doivent rendre compte de la production musicale
contemporaine mais actifs, aptes au prosélytisme,
lorsqu'il s'agit de convaincre les auditeurs de la beauté
d'une chanson. Dans l'autre sens, l'accusation rend
compte de liens bien réels entre les maisons de disque
et les médias - relations de filiale à maison mère ou...
voyages à Acapulco offerts par les disquaires aux
hommes de médias - mais elle réduit toutes les
relations entre les deux parties à ce lien univoque du
profit négligeant tout autre intérêt.
A vrai dire, les accusations s'estompent dons l'accomplissement pratique de la mise en ondes de la musique, dans les relations quotidiennes des professionnels
de la musique et de ceux des médias - on parlera
surtout ici de ceux de la radio. Car le procès fait plus
haut oublie les auditeurs, les publics. Les stations de
radio ne passent pas de la musique pour faire découvrir de nouveaux chanteurs ou pour faire vendre des
disques... Elles diffusent d'abord de la musique pour
construire leurs programmes et pour séduire leurs
auditeurs. Dans les stations périphériques, comme
dans la plupart des radios locales privées, les disques
sont un dispositif central de la programmation, ils sont
une pause pour l'animateur qui reprend son souffle,
qui essaie sur les personnes présentes dans le studio
ses jeux de mots, ses échanges, ses anecdotes...,
pause aussi pour l'auditeur qui peut sortir de la pièce,
cesser d'écouter sans perdre le fil du jeu ou du
journal. Les disques sont «un rendez-vous musical
pour l'oreille»; la proportion des airs connus est
souvent fixée par la station. Ces tubes - qui, à RTL
par exemple, doivent revenir au moins tous les trois
morceaux - sont là pour rassurer l'auditeur, ne pas le
surprendre, «ne pas lui faire tourner le bouton». C'est
cette même familiarité qui agit dans la fréquentation
assidue des mêmes vedettes, le ton amical et bien
connu des animateurs.
PARCOURS INITIATlOUE
Le jeu avec la nouveauté devient ainsi une pièce
centrale du dispositif. La programmation doit choisir
parmi les nouveaux chanteurs ceux qu'elle intégrera
et, pour cela, elle doit anticiper le goût de ses auditeurs, savoir ce qui plaira, ce qui pourra plaire. Ces
choix que les gens de radio attribuent souvent à leur
intuition, s'appuient sur une série de dispositifs qui
permettent de mesurer le candidat aux ondes et par
là même son public. Côté chanteur, les programmateurs suivent pas à pas sa carrière à travers la vente
de ses disques, la fréquentation de ses concerts. la
presse, les boîtes de nuit, les autres radios, et, lorsque
le candidat a franchi ce cap, la télévision sert aux
programmateurs de banc-tests. Ce public privilégié se
retrouve à l'intérieur même de RTL dans le service de
programmation organisé de manière collégiale.
Une fois le chanteur retenu, il est «essayé» auprès des
auditeurs de la station dans une série d'émissions tests
programmées à des heures de moindre écoute, hitparade où les chanteurs subissentun classement, duel
qui oppose un ancien et un nouveau, confrontation
solitaire du chanteur et des auditeurs qui peuvent à
chaque moment dire - par le téléphone - «stop» ou
«encore»... toutes ces émissions sont autant d'étapes
que doit franchir le chanteur nouveau mais aussi, en
permanence les autres, les anciens et les «consacrés»
qui doivent prouver qu'ils n'ont pas démérité. Ces
émissions mettent en scène le verdict du public sur
lequel elles s'appuieront ensuite.
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Contributeur : Eliane Daphy
Les opérations menées par les programmateurs indiquent la démarche à suivre pour les comprendre,
pour rendre intelligibles leur choix; il ne s'agit pas
d'opposer le récepteur à l'émetteur mais de suivre les
fils de la construction du public pour trouver les
auditeurs là où ils ont été mis en forme, dons le travail
qui les produit.
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Contributeur : Eliane Daphy
RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS
LA TECHNIQUE
Eliane DAPHY
rapporteur de la séance, ethnologue, loborotoire d'anthropologie urbaine
(Musée de l'Homme / CNRS) i comité de rédaction de le revue «Vibrations»
INTERVENANTS
Gérard Bourgeat, professeur de musique,
sociologue (Groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique).
HervéJeagaden, ingénieur du son, Studio Drop, Rennes.
Gérard Lavigné, musicien, arrangeur.
Marc Touche, sociologue (CNRS), bassiste, ex-sonorisateur.
A partir d'un double constat initiai, l'omniprésence de
la technique dans l'univers musical contemporain, et
les difficultés de traiter un tel sujet objectivement,
quatre grands thèmes ont rythmé l'après-midi: le~
processus techniques en usage dans les systèmes de
la production musicale (disques et spectacles), les
rôles respectifs des hommes et des machines, le pouvoir du technicien sur l'artiste; l'organisation du travail,
les filières de formation et d'apprentissage des professionnels, les modalités de l'emploi des techniciens de
l'industrie musicale; les transformations dues à l'introduction des nouvelles technologies dans le champ de
la production de la musique et l'influence de l'informatique sur le travail des musiciens et techniciens, sur les
produits et sur le public; - les confrontations d'expériences pédagogiques innovantes, et les évolutions
futures attendues (ou craintes), dues à l'utilisation dans
le cadre du cours d'éducation musicale des nouveaux
outils technologiques (du synthétiseur en passant par
le logiciel de solfège) : sonneront-ils le glas de "ces
orchestres de flûtes à bec en plastique et de percussions en fer blanc dans lesquels nos pauvres élèves
massacrent La Truite de Schubert sans y prendre
aucun plaisir?»
Approche en mosaïque sur des modalités multiples,
du cours magistral sur le fonctionnement du studio,
improvisé par Lavigné et Jegaden, au débat philosophique passionnel sur la spécificité technologique de
la production du rock où chaque animateur défendait
des positions contradictoires, en passannt par les
échanges internes aux enseignants sur les difficiles
conditions d'accès au matériel informatique scolaire
pour les professeurs d'éducation musicale, le dialogue
a permis une prise de conscience: "Pour mieux comprendre et apprécier une musique, il faut connaître sa
fabrication»; la méconnaissance ou le rejet des composantes d'ordres techniques laissent la porte ouverte
aux jugements et aux a priori idéologique, d'autant
plus dangereux qu'ils ferment aux enseignants l'accès
à ce monde imaginaire hautement investi par leurs
élèves, celui de la musique.
LEÇON DE CHOSES
Mais un débat sur la technique nécessite une nourriture matérielle souspeine de setransformer en conversation de salon; l'audition d'un montage sonore réalisé par Lavigné - fournit des exemples concrets
sur les rapports entre l'évolution technologique du
matériel utilisé et la création artistique. A partir de
différents sons de guitares électriques - chorus et
accompagnements célèbres - furent mis en lumière
les différents paramètres participant à l'élaboration et
la composition d'un son: rôle de l'instrument (modèles
et caractéristiques techniques), du matériel d'amplification (amplificateur, mais aussi, effets périphériques
comme la "pédale ouch-ouoh», on est dans le
domaine de la culture technique non écrite!), du
savoir-faire spécifique de l'instrumentiste et des techniques de production (enregistrement, avec un matériel
aux caractéristiques données que l'ingénieur du son
utilise selon ses compétences et son «feelinq»],
UNEASSENCE IlEMAllOUEf
la table ronde a réuni des gens du métier - ingénieur
du son et arrangeur -:- des chercheurs ayant une
pratique musicale alliée à une réflexion théorique
(Bourgeat, Touché) et des participants en quasi-totalité
enseignants. l'absence remorquée des «rockers» de
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Contributeur : Eliane Daphy
l'Université d'été posa question: signifiait-elle que les
principaux utilisateurs de technique n'éprouvent pas
la nécessité de débattre sur ce thème? Doit-on en
conclure que cette composante est tellement intégrée
dans leur pratique quotidienne que le dialogue avec
un arrangeur ou un ingénieur du son leur semble
superflu? Pourtant les rockers parlent sans cesse technique entre eux (Bourgeat)... Alors? Les explications
concernent les thèmes des ateliers concurrents et
simultanés: «l'inqénieur du son n'est pas un personnage magique pour le rocker» (Jegaden) ; au contraire, les représentants des firmes phonographiques ou
des journalistes - à fortiori lorsqu'il s'agit du producteur de la seule émission télévisuelle à présenter de
jeunes groupes français! - représentent des personnages inaccessibles et courtisés, puisqu'ils possèdent
le pouvoir de sélection, clé de la réussite (Daphy). Le
débat, tant attendu par certains, sur le volume sonore
des musiques jeunes, et le plaisir pris à écouter «trop
fort des chansons en anglais dont on ne comprend
même pas les paroles», n'eut donc pas lieu, faute de
combattants...
LA DIFFICUL'If DUDISCOURS
SUR LA 'lfCHNIQUE
Assiégés sous le feu des questions, les animateurs ont
volontiers accepté de se retrouver en situation d'enseignants, ce qui n'a pas été sansposer quelques difficultés, propres me semble-t-il à la dimension «culture
technique» d'un tel dialogue, puisqu'il s'agissait de
faire passer par le discours un ensemble de gestes, de
pratiques, tout un savoir faire «professionnel» dont
l'acquisition - et donc la transmission- est de l'ordre
du méta-langage, ou s'il est formalisé d'une «langue
de métien>: «Ce sont des choses que je sais faire
devant ma console, mais que j'ai du mal à expliquer»
(Jegaden). De plus, pour bien se servir d'un outil, il
n'est pas nécessaire de connaître son «principe technique». A la différence des autres ateliers, «les journalistes et les producteurs habitués à parler de leur boucertaines demandes des stagiaires se sont heurtées à la difficulté "d'expliquer un savoir-faire technique à des non-techniciens», ce qui a permis de
réaliser que le studio, la scène, sont un milieu de
production «comme les autres» et que "professionnel,
c'est tout un ensemble de pratiques qui dépassent le
fait de bien jouer d'un instrument de musique».
CONTRADICTIONS LINGUISTIQUES
Les explications techniques sur le processus technique
de l'enregistrement en studio soulèvent la question
des taxinomies employées; il ne semble pas y avoir
de consensus entre les différents animateurs sur le
vocabulaire à employer pour désigner les différentes
opérations techniques, ni les différents lieux de production.
Certains termes comme «matrice» ou «moster» (terme
désignant la bande magnétique réalisée en studio)
ont une géométrie variable, et sont utilisées selon les
intervenants pour le mixage en studio ou pour la
gravure. De surcroît, lorsque ces termes sont d'origine
anglo-saxonne [emoster»], leur emploi en France ne
correspond pas forcément à celui dans la langue
originale. On peut émettre l'hypothèse que ces distinctions linguistiques renvoient à la fois à des différences
de niveau dans la connaissance des processus techniques, dans la maîtrise du matériel et donc à différents
stades de professionnalisation. Ce que confirmerait
que le débat opposant «rockers»,«dans le rock, on dit
comme ça» et «pros» «dans le métier, on ne dit pas
ça».
Si les techniciens exercent une activité professionnelle
dans un secteur de production définie, ils ne connaissent pas précisement l'ensemble du processus technique de fabrication: «A partir de la gravure, après le
studio, le produit est terminé pour nous, et il échappe
aux musiciens et techniciens qui ont participé à sa
réalisation. C'est pourquoi je ne connais pas les différentes opérations du pressage en usine» (Lavigné).
Dans l'industrie de la musique, cohabitent deux secteurs: un stade artisanal (travail en studio, concerts)
que l'on peut analyser comme la fabrication de prototypes et un stade plus «industriel» qui correspond à la
reproduction en série, (cf. l'analyse de J. Attali, dans
Bruits) (Daphy).
l'existence d'un modèle défini d'organisation du travail en studio' soulève une polémique entre animateurs. Les grands studios parisiens et les studios de
maquette ont-ils la même façon de travailler? Non,
selon Bourgeat qui affirme que le rock exige, de part
sescaractéristiques esthétiques, une technique particulière. Peut-on expliquer cela par des raisons d'ordre
technique? «les petits studios sont parfois obligés de
faire du bricolage pour des raisonss d'insuffisance de
matériel, mais je pense que les différences tiennent
ovant tout au niveau des musiciens avec qui on
travaille» (Jegaden).
Prenons un exemple: les «rockers» ont l'habitude
d'enregistrer ensemble, donc sansutiliser au maximum
les possibilités offertes par la technique d'enregistrement multipiste (rerecording); de plus ils éprouvent le
besoin de «faire une voix témoin» en début d'enregistrement i celle-ci sert de guide aux musiciens instrumentalistes et leur permet de «jouer synchro», Elle est
remploçée en phase finale par la «voix définitive». _
Pour Bourgeat, il s'agit d'une pratique nécessaire, due
aux spécificités du rock comme produit musical: «le
feeling et le qroupe».
Ne pourrait-on pas considérer que le niveau de
compétence des musiciens et leur habitude du studio
jouent aussi un rôle? (Daphy). lavigné constate: «Les
problèmes étaient identiques quand j'ai débuté il ya
15 ans. Et je faisais du folk! En général, les musiciens
de rock jouent en studio de façon exceptionnelle; ils
font plutôt de la scène, ou pour être franc ils répètent
dans des caves! Or la répétition reproduit, à l'exception de la dimension spatiale scénique, les conditions
techniques de la scène. Pour mettre en place un
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Contributeur : Eliane Daphy
morceau, les mUSICIens le répètent, tous ensemble,
jusqu'à ce qu'il tourne bien. En studio, les musiciens
doivent enregistrer séporément et ils sont perdus...
Pour leur permettre d'être à l'aise, on recrée en studio
les conditions de travail de la répétition, mais on ne
peut pas dire que celte méthode soit la plus performante l».
Spécificité de musiciens débutants, ou de musiciens
pratiquant de musique populaire, et bien au-delà du
rock, de musique collective non écrite? la question
reste ouverte...
ANALYSE DU DEBAT
Musique/technique: l'ambivalence
La discussion intense déclenchée por les questions sur
le rôle et le pouvoir du technicien face - contrel'artiste interroge l'ethnologue-rapporteur qui propose sur ce thème les réflexions suivantes: technique
et musique entretiennent dans notre société des rapports complexes, entre le rejet et la fascination. la
technique est souvent opposée à l'inspiration, au
feeling, au «dom> attributs de l'artiste. Dans le même
temps, on voue un véritable culte aux virtuoses et à
leur maîtrise technique ou l'on soupçonne tel modèle
mythique d'instrument de sonorités exceptionnelles.
. La question se complexifie encore lorsqu'on aborde
la diffusion de masse et les techniques de production
industrielle qui l'accompagnent. le concept-même de
«produit artistique» gène, car il semble contradictoire.
D'aucun vont même jusqu'à affirmer que «lesmeilleurs
artistes, les plus durs, sont ceux qui refusent d'enregistrer des disques, car il est impossible de transmettre
l'émotion sans la présence».
Les nouvelles technologies sont accuséesde perversité
car elles permettraient toutes les tricheries: «L'on sait
bien que les techniques modernes d'enregistrement
arrivent à faire chanter juste n'importe quel prétendu
chanteur incapable de maîtriser sa voix». Cette polémique n'est d'ailleurs pas nouvelle; déjà en 1935,
Jean Soblon, surnommé à cette occasion «le chanteur
sansvoix» déclencha une véritable émeute en utilisant
pour la première fais le microphone, jusqu'alors
réservé à l'enregistrement, sur scène (cf. l'autobiographie de Jean Sablon: De France ou bien d'ailleurs,
Robert Laffont, 1979).
Cela concerne à l'évidence les phénomènes d'innovation, de transferts de technologies, et les résistances à
leur intégration que traduisent ces images et représentations. Ainsi, l'on compare le synthétiseur au piano,
refusant au premier le «noble statut d'instrument de
musique». Mais la machine fascine, on imagine qu'elle
rend possible l'inconcevable (faire chanter juste); les
techniciens manipulateurs de machines se retrouvent
alors dans la situation de «grand-maîtres» de la
technique, on cherche à «percer le secret et comprendre le miracle».
MYTHES Er"",..",A'1IOIIS
Si cette ar:nbivalence des rapports à la technique ne
saurait surprendre le chercheur travaillant sur le thème
des changements technologiques, et qui établit un lien
entre cette peur de la machine et la méconnaissance
des fonctionnements réels des outils et processus
techniques employés, le constat de l'importance de
phénomènes de ce type à propos de la musique
mérite un approfondissement: les jugements et les
fantasmes ne sont-ils pas d'autant plus prégnants
qu'ils s'attachent à la musique, expression symbolique
dans lequel l'homme projette son univers de culture
idéale, et que l'adhésion à une musique, au-delà du
culturel et du social, concerne aussi l'affectif? Les
questions sur <des boîtes à rythme qui remplacent les
batteurs, les synthés qui mettent au chômage les
élèves des conservatoire» expriment le problème réel
de la reconversion et de la formation à l'arrivée de
nouvelles technologies; mais elles traduisent égaiement l'angoisse de dépossession des compétences,
l'artiste / l'homme vaincu par la machine...
la musique, entend-on, risque de devenir une production sonore industrielle, automatique, froide, sans
âme... Une expression humaine par excellence, à
l'image de l'harmonie du monde et des hommes et
des dieux (ne parle-t-on pas du dieu créateur en
musique ?) risquerait de devenir inhumaine? Ne pourrait-on pas entendre diabolique? Le fantasme des
«messages subliminaux diaboliques sur les bandes
magnétiques à l'envers»traversa l'atelier, et l'ingénieur
du son raconta comment il avait commencé sa carrière de technicien par. des bricolages pour repérer
ces fameux messages dont tout le monde parlait: ce
qui lui permit de comprendre que la technique ne
permettait pas de miracles, mais lui apprit à manipuler
correctement un magnétophone, à en connaître le
fonctionnement, bases de son futur métier. Entre la
logique technique et l'irrationnel, la distance est parfois faible ...
LEBESOIN DESAVOIR
La demande des stagiaires, leurs préoccupations et
leurs attentes s'organisaient en quasi-totalité autour
du besoin de connaissances; par rapport concret
d'explications techniques, due à la qualité des intervenants, on a assisté à un dialogue de haut niveau.
Pour conclure, il me semble important de signaler que
la difficulté d'accès aux informations d'ordre technologiques «réservées aux seuls spécialistes, et inabordable pour le novice» a été souligné à de nombreuses
reprises. Les enseignants posent le problème d'existence de documents adaptés au public scolaire dans
le domaine des technologies de la musique. Les
quelques ouvrages disponibles ont été remis en cause
pour leur «passéisme et leur manque d'ancrage dans
la réalité culturelle des jeunes».
Au moment où l'ensemble de la musique «subit le
choc» de l'introduction des nouvelles technologies,
émergent des questions concernant le rôle à tenir par
les enseignants d'éducation musicale,et le contenu de
leur formation tant initiale que permanente: «Les
élèves attendent de nous certaines réponses. Aurontnous les moyens de les leur fournir ?».
70
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Contributeur : Eliane Daphy
Dans cette Université d'été où nous explorons les liens entre les [eunes, l'école et la
musique, nous devions rencontrer la politique, parce qu'en France la politique donne des
moyens et définit les priorités, y compris dans les secteurs culturels. On peut noter
l'évolution certaine de ces dernières années: le général De Gaulle, après les débordements lors de concerts dans les années 60, proposait d'envoyer lesieunes construire des
routes. Quelques années plus tard, Georges Pompidou rencontra le chanteur Léonard
Cohen à l'occasion d'un festival qui se déroulait dans le Midi de la France. Plus près de
nous, on retiendra la phrase prononcée par le Président de la République en visite
officielle à San Francisco (26 mars 7984): «Personnellement, j'aime beaucouple rock».
Avec ces personnages qui ont marqué notre histoire, on a là quelques exemples des
attitudes que le politique manifeste envers lesjeunes et envers la musique.
Le thème central de ce débat concernera la prise en compte récente en France des
phénomènes de pratiques musicales populaires et les différents participants présenteront
le pointde vue de leurs institutions. Auparavant, Françoise Tétord va noustracer unrapide
tableau des politiques de la jeunesse menéesen France depuis 7945.
Patrick Mignon
DEBAT ••
ROCK ET POLITIQUE
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Contributeur : Eliane Daphy
DEBAT: ROCK ET POLITIQUE
INTRODUCTION HISTORIQUE
Francoise
'nARD
•
historienne, ingénieur d'études, ÇNRS
Centre de recherches interdisciplinaires de Vaucresson (CRIV)
Aujourd'hui, lorsqu'un homme politique parle de la
jeunesse, personne ne semble surpris qu'il évoque <da
culture jeune»,«la musique des jeunes», «le rock»... Les
termes «rock» et «jeunes» -l'on n'a pas été sans le
constater durant cette Université d'été - sont constamment subsumés, et pourtant l'un ne saurait se réduire à
de la musique des
l'autre, et réciproquement. ~entré
jeunes, et du rock en particulier, dans le champ
politique est un phénomène nouveau. Faut-il y voir la
reconnaissance et l'officialisation d'un genre de musique qui jusque là était traité par les pouvoirs publics
avec un certain mépris, ou du moins le plus souvent
rejeté à la marge?
Incontestablement, quelque chose a changé. S'il fallait
s'en convaincre, il suffirait de relire la presse du début
des années 60, et d'y lire la violence des propos
dénonçant les goûts et les penchants d'une jeunesse
«sans idéel». Les adultes semblent prendre conscience
à cette époque d'un monde des jeunes qui leur est
étranger et qui a toutes les apparences de l'exotisme.
Ils ne peuvent comprendre «ces sauvages hurlants et
frénétiques», «ces fous par milliers», «ces supporters
vociférants de leurs idoles», «ces massacreurs de
fauteuils», «ces bandes hystériques»... (et j'en passe:
tous ces termes sont extraits d'articles de la presse
générale et de la presse spécialisée jeunesse, de
diverses opinions). La société adulte ne peut accepter
de confondre «cette industrie du délassement», «de
l'amusement spontané et irnrnédiot», «du divertissement superficiel» avec une quelconque action culturelle, quelle qu'elle soit. Elle laissera donc la «musique
des copains» aux mains des entreprises commerciales,
qui en garderont le monopole exclusif pour plusieurs
années et qui feront des «teenagers» leur clientèle
cible. Certaines voix s'élèveront néanmoins pour
déplorer le fait que <da chanson des jeunes» soit
entièrement gouvernée par les «puissances d'orqent»,
mais ces voix resteront isolées.
Sansvouloir faire d'histoire-fiction, l'on peut se demander si les pouvoirs publics, au cas où ils auraient
souhaité être plus interventionnistes en ce domaine,
auraient situé leur action dans le champ des polifi-
eues-jeunesses, ou dans celui des politiques culturelles
(les unes et les autres étant d'évidence gouvernées
par des problématiques différentes ...).
En ce début des années 60, les politiques-jeunesses
étaient à l'ordre du jour, et l'arrivée des gaullistes avait
contribué à les redynamiser (j'y reviendrai tout à
l'heure). Par contre, le concept de politique culturelle
est encore peu utilisé à l'époque. Il sera développé et
théorisé quelques années plus tard. Il a fallu en effet
attendre janvier 1959 pour que A Malraux soit
nommé ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles.
Et si la réflexion sur les Beaux-Arts a été féconde
avant cette date, elle n'a pas suscité de véritable
«politique artistique», c'est du moins l'analyse qu'en
fait Jeanne Laurent en 1955 dans son livre La République et lesBeaux-Arts (Ed. Julliard) (Jeanne Laurent fut
sous-directrice des spectacles et de la musique au
ministère de l'Education nationale). Les Beaux-Arts
furent le parent pauvre du ministère de l'Instruction
publique (puis du ministère de l'Education nationale),
dans le cadre duquel ils ont été placés depuis 1871. Il
y eut seulement deux brèves interruptions: l'une en
1881 avec un ministère des Arts créé par Gambetta,
et l'autre en 1947 avec un ministère de la Jeunesse,
des Arts et des Lettres, confié à Pierre Bourdan.
PAS DE DElINmONUNIOUE
Ces quelques remarques ne peuvent et ne veulent
suffire à expliquer la situation d'aujourd'hui, et à
comprendre les déterminismes socio-politiques qui y
ont conduit. Elles voudraient simplement souligner la
nécessité d'étudier avec précision cette question. Les
concepts de «jeunes», «culture des jeunes», «musique
des jeunes», «rock», «politiques-jeunesse», «politiques
culturelles» sont tous à géométrie variable, ils prennent
des sensdifférents selon les lieux et les moments où ils
sont utilisés, et il faudrait à chaque fois les resituer
dans leur contexte, si l'on ne veut pas tomber dans les
pièges de l'anachronisme.
Il est très complexe par exemple de savoir où commence et où s'arrête l'âge de jeunesse, et la liste des
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Contributeur : Eliane Daphy
différentes frontières d'âge utilisées actuellement dans
notre société serait longue. La notion de rock, sur
laquelle nous nous penchons durant cette semaine,
n'est pas plus claire. Le rock n'a pas de définition
unique, et si définition il y a, elle change selon les
périodes: le rock en 1956 n'a pas la même définition
qu'en 1962 (quand le <'yéyé» entre en scène), ni qu'en
1986 (mais au fait, quelle est celle d'aujourd'hui ?). La
lecture comparée des différents ouvrages spécialisés
sur le rock, d'hier et d'aujourd'hui, donne des informations sur les lieux de concerts, sur les chanteurs ou
groupes et sur leurs trajectoires, sur le show-business,
etc., mois aucun ne s'engage sur une définition
consensuelle. Le rock est souvent proposé comme
voleur pure s'opposant en cela aux outres musiques, il
est alors surtout défini par la négative. Il faudrait donc
voir comment ces notions s'imbriquent, comment sont
produites les catégories, et quelles sont les différentes
étapes de ces constructions. C'est une recherche qui
reste à foire ... (il y 0, à ma connaissance, encore peu
de travaux sur ce thème).
Divers ministères sont aujourd'hui représentés dans
ceite salle pour notre table ronde: le ministère de la
Culture, le ministère de la Justice (Direction de l'éducation surveillée). On ne peut pas ne pas remarquer
l'absence de deux d'entre eux: le ministère de
l'Education nationale (qui pourtant a soutenu financièrement celte manifestation) et le ministère de la Jeunesse et des Sports (qui se veut le ministère des
jeunes). Il ne faudrait pas faire des déductions trop
hâtives, mais il est certain que le ministère de la
Culture est ici fortement représenté, et qu'il semble
vouloir jouer un rôle dynamisant en cette affaire.
Est-ce à dire que les «politiques-jeunesse»,menées il y
a vingt-cinq ans dans l'orbite du Haut-Commissariat à
la Jeunesse et aux Sports ) lui-même sous tutelle du
ministère de l'Education nationale jusqu'en 1963),
sont désormais impulsées par le ministère de la Culture...? Ou est-ce à dire que le ministère de la Culture
diversifie ses publics et conçoit des actions s'adressant
plus spécifiquement aux jeunes...? Nous ne chercherons pas à entamer un débat institutionnel, mais
remarquons que ce n'est pas la première fois que ces
ministères ont à confronter leurs projets. Il n'est qu'à
se rappeler la généalogie du débat «action socioculturelle/ action culturelle» des années 70, lui-même
héritier sans doute d'oppositions ou de froitements
entre des notions telles que «art», «culture», «culture
populaire», «éducation populaire» ... Ces enjeux ministériels, s'ils existent, sont la résultante de diverses
perceptions de la société à une époque donnée, et,
quiite à être un peu décalée de vos préoccupations
immédiates, j'ai choisi de vous parler maintenant d'un
sujet que je connais bien (mieux que celui des politiques de la jeunesse et des enjeux dont elles furent
l'objet à partir de la libération.
UNE OUfSflONmDENfE
l'cenon de l'Etat ou sa volonté d'action en matière de
jeunesse n'est pas très ancienne. Elle remonte au
Front populaire (il n'y avait que quelques timides
expériences, trop décousues pour constituer une politique). léo lagrange et son dynamique secrétariat
d'Etat à l'organisation des loisirs et des sports vont
mettre en œuvre une politique des loisirs et des sports
qui ambitionne de toucher toutes les couches de la
population, et la jeunesse en particulier «car une
société se construit avec le souci d'une génération
montante».
La guerre vient interrompre cet élan, mais en même
temps la situation de crise fait de la jeunesse un
étendard: la jeunesse devient le fer de lance de la
politique pétainiste, devient espoir et force vive de la
Résistance, devient population à conquérir pour les
mouvements de jeunesse. Ces derniers, interdits en
zone Nord, voient leurs subventions augmentées sous
le gouvernement de Vichy, et ils se montreront puissants et offensifs à la libération.
la guerre a solidifié le «sentiment de jeunesse», et cet
effet est tel qu'à la libération, un besoin nouveau est
affirmé, qui semble partagé par tous les courants de
pensée et les partis politiques sans exceptions: celui
d'une nécessaire et indispensable politique de la
jeunesse. De quoi la jeunesse a-t-elle besoin? De
formation, de loisirs, ou plus prosaïquement d'expression dons la vie publique...? Il n'est pas sûr que les
concepteurs de ces politiques ne se soient vraiment
posés la question, les «besoins des jeunes» sont d'une
telle évidence qu'il n'est sons doute pas utile de les
préciser (7).
La jeunesse appartient à l'idéologie de la Reconstruction, elle est l'avenir-devenir d'une société en recornposition, elle est surtout le rêve d'une société sur
elle-même. Plusieurs projets vont s'affronter ou du
moins se chevaucher. Les réponses à ce nouveau
besoin social seront parfois contradictoires, parfois
utopiques, parfois anachroniques, parfois technicistes,
mois toujours empreintes d'une bonne conscience
indéniable.
Les politiques-jeunesse, dons toute l'après-guerre ne
sont ni homogènes ni constantes. Elles sont le plus
souvent construites et déconstruites en des montages
successifs. Néanmoins, elles se situent toujours entre
deux pôles: l'un plutôt «éducatif», et l'outre plutôt
«sociol», sons qu'aucune des deux logiques ne parvienne à s'imposer. Les tenants de «l'éducatif" pensent
que la politique-jeunesse doit rester à l'ombre de
l'Education nationale, seule compétente en la matière.
Ces liens de dépendance peuvent être plus ou moins
affirmés, mais «l'éducction» se situe dons le prolongement de «l'instruction» donnée à l'école.
DUAWANCU PIlECAlIlU
les tenants du «social» pensent qu'il n'y a pas de
problèmes spécifiques à la jeunesse et que choque
ministère a, dons ses aitributions, un secteur touchant
à la jeunesse. la structuration la mieux adaptée se
conçoit alors dons l'interministérialité. Dons un premier
temps, l'Etat ne met pas en place de structures lourdes
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Contributeur : Eliane Daphy
et durables, il continue surtout à subventionner les
divers mouvements et institutions de jeunesse, après
qu'ils ont fait la preuve de <<leur valeur éducative»,
c'est-à-dire qu'ils aient obtenu l'agrément, donné par
le Conseil de l'éducation populaire et des sports. C est
seulement en 1954 que Pierre Mendès-France relance
l'idée d'un «ministère de la Jeunesse». Sa proposition
est l'objet d'un tollé général, les associations craignant
une main-mise de l'Etat sur la [eunesse, et restent très
inquiètes devant les dangers de «l'embriqcdement».
P. Mendès-France se contentera de créer des Commissions-Jeunesse dons une quinzaine de ministères.
Edgar Faure en 1955 reprendra cette politique et
créera le Haut-Comité à la Jeunesse, organisme interministériel dépendant de la Présidence du Conseil.
Interministériel en effet ne veut pas dire consensus ou
équilibre entre les divers ministères, et pour éviter
qu'un d'entre eux ne domine, la seule solution est le
rattachement à la Présidence du Conseil. De Gaulle et
son ministre Herzog réactiveront la structure du HautComité, mois en la biaisant quelque peu puisque
Herzog sera en même temps Haut-Commissoire à la
Jeunesse et au Sport et Secrétaire général du HautComité...
Les tensions et rapports de forces entre les fonctionnaires représentant les différents ministères (entre
eux), entre les mouvements et associations de jeunesse
(entre eux), et entre les premiers et les seconds sont
fréquents et complexes. Des alliances se font et se
défont, reposant soit sur des appartenances confessionnelles ou idéologiques, soit sur des perceptions
différentes de la population jeunesse? Chaque ministère en effet semble secreter ses propres jeunes, et
choisit les mesures à prendre par rapport à des
populations-cibles, niant par là même la réalité de la
jeunesse comme classed'âge. Ce cloisonnement, cette
segmentation des politiques dans la pratique contraste
pourtant avec le projet toujours réaffirmé de «politiques globales pour la jeunesse». Les uns et les autres
se renvoient des images inversées: le ministère de
l'Education nationale, le ministère de la Jeunesse et
des Sports, le ministère de la Culture s'occuperont de
la jeunesse «positive», celle sur laquelle la nation doit
compter, tandis que le ministère de la Justice, le
ministère de la Santé, le ministère de l'Intérieur s'inté..
resseront aux ieunes à problèmes, aux jeunes inadaptés, aux jeunes délinquants, aux jeunes en danger...,
bref à la jeunesse «négative», celle qui doit être prise
en charge pour ne pas mettre la société en danger.
On le voit, les clivages reposent plus sur des représentations sociales de la jeunesse et sur des querelles
corporotistes que sur des programmes politiques spè-
cifiques qui distingueraient un programme de gauche
d'un programme de droite (c'est du moins ce qui
apparaît nettement dans les débats parlementaires).
La jeunesse devient affaire de spécialistes. Les professionnels de la jeunesse hantent les couloirs des ministères, et, pendant les vingt années qui suivront la
Libération, ils seront de toutes les réunions, de toutes
les commissions au titre du mouvement ou du service
qu'ils représentent. Ils apprendront à bien se connaître
et formeront en quelque sorte un réseau ayant la
maîtrise du champ jeunesse.
Et les jeunes dons tout cela? Ces politiques étaientelles vraiment faites pour eux? Quel est leur statut et
à quels échelons interviennent-ils dons ces politiques
proposées à leur intention? Les mouvements de jeunesse ont eu la lourde tâche de représenter les jeunes
dans toutes les réunions, dans tous les moments de
dialogue ou de concertation avec l'Etat. Ils ont été
considérés comme étant les plus habilités à la faire,
«toute autre forme de représentation s'apparentant à
la démagogie ou au paternalisme» a-t-on dit à l'époque. Ils ont donc parlé non seulement au nom de leurs
adhérents, mais aussi au nom des jeunes dits «inorganisés» (c'est-à-dire tous ceux qui n'étaient inscrits nulle
part, soit approximativement les 6/7 de la population
jeune.
Et dans les années 60, lorsque les mouvements seront
choisis comme interlocuteurs pour la préparation du
IVe, puis du Ve Plan, ils avoueront leur impuissance à
connaître avec certitude la réalité des jeunes et leurs
besoins; et la réponse majoritairement choisie sera
celle de l'équipement: pour juguler la «montée des
jeunes», il faut «construire» des lieux appropriés (MJC,
Foyers jeunes travailleurs, Foyers d'hébergement,
clubs de ieunes, stades, piscines...). Malgré ses velléités, il n'est pas sûr que la société se soit souciée à
temps de l'accueil à faire aux jeunes générationss du
«bobv-boom», et plus que d'une intégration, on a
souvent l'impression d'un fossé qui se creuse entre la
société et ses jeunes.
Nous sommes aux années 60, et un grand saut est à
faire [usqu'cux années 80. Mais cette histoire fait
de l'histoire des idées et des mentalités d'une
société qui déroule lentement son fii, en laissant des
empreintes derrière elle. Et j'espère que cette petite
introduction ouro suscité vos réflexions.
(1) F. Têtard, "Politiques de 10 jeunesse (1944-1966) : paroles
de volonté, politiques de l'illusion» in "Les jeunes et les autres»,
t. I!,Vaucresson, CRI\/, 1986.
74
hal-00469298, version 1
http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/
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Contributeur : Eliane Daphy
Domin;que POIIMII'd
inspecteur, chargé de la chanson, du jazz et des variétés, Division de l'action !lI~.Ui'!
Direction de la musique et de la danse, ministère de la Culture et de la Communication
Au déport, il y a eu quatre points d'accroches politiques au niveau du rock: le FIC (Fonds d'intervention
culturelle) un organisme interministériel où Djicn était
responsable du secteur Jeunesse; le ministère de la
Jeunesse et des Sports, à l'impact limité; la Direction
du développement culturel (DOC, ministère de la
Culture), plus sensible aux aspects sociaux; la Direction de la musique et de la danse (OMO, ministère de
la Culture) où se trouve le bureau qui s'occupe, entre
autre, du rock; ce secteur englobe la chanson, le [ozz,
et les variétés.
le problème du rock, à l'origine abordé empiriquement, s'est rapidement avéré complexe et difficile.
Comment, au ministère de la Culture, pouvions-nous
intervenir dans un phénomène musicalaussi important
et multiforme que le rock? Il aurait été évidemment
stupide de mettre en place une politique exclusivement artistique, car, répétons-le, le phénomène
dépasse largement de son cadre musical; de plus les
caractéristiques musicales et techniques du rock
posent question sur la manière d'envisager une politique artistique. Fout-il, par exemple, créer une formation ou solfège spécifique pour les musiciens du rock?
la démarche est improbable... D'un point de vue
strictement musical, les limites de l'action possible
pour notre ministère sont rapidement atteintes.
Ces points doivent être mis en relation avec une autre
caractéristique du rock, l'absence de professionnalisation dans cette musique; en effet la mojeure partie du
, rock se compose d'amateurs, ou de quasi-professionnels. Cette distinction s'impose dans la mesure où les
musiciens de rock ne gagnent pas leur vie avec leur
musique, même s'ils n'exercent pas un autre métier. la
frange professionnelle qui existe est rattachée à un
secteur économique qui n'a pas réellement besoin
d'une intervention de l'Etat.
Quand on pense «politique culturelle»! on la suppose
d'Etat.
aujourd'hui, avec la décentralisa-
fion, les collectivités locales (municipalités, départements, régions) ont, dans le domaine de l'intervention
culturelle, une vocation presqu'aussi importante que
celle de l'Etat; ce qui rend la situation un peu confuse,
difficile à gérer à un niveau global. l'outonornie des
politiques locales produit parfois des incohérences:
par exemple, dans un même département, on trouvera une municipalité qui s'efforce de promouvoir le
rock et un conseil général qui fait tout pour empêcher
son développement. Il s'agit parfois de problèmes
politiques, sans rapport avec le rock. Autre cas de
figures: ce département de la banlieue parisienne où
existe une volonté de prendre en compte le phénomène rock qui dépasse l'imagination: un regroupement efficace des différentes forces, allié à un investissement financier considérable a permis la mise en
place de structures de diffusion et de production
phonographique. Mais que peut faire l'Etat qui n'a
pas de rôle dans les politiques décentralisée, à part
proposer des grandes opérations structurelles, comme
la transformation de la législation, qui influent sur le
long terme?
Il reste à l'Etat la possibilité de jouer un rôle incitateur,
à travers des actions «phares». Je peux citer un
exemple de cette politique menée en faveur de la
jeunesse: ce qui a été fait dans le domaine des locaux
de répétition. Il s'agit d'un problème important pour
les ieunes musiciens de rock, purement pratique: faire
du rock, ce n'est pas comme la poterie ou la vannerie,
cela fait du bruit et nécessite des locaux adaptés; il
défaut, cela crée des nuisances sonores, et des troubles de voisinage...
l'Etot a pris l'initiative d'un certain nombre d'actions
dans ce domaine à travers des actions expérimentales
.Maxi-rock, mini- comme la publication du
bruits (Ed.Cenam,
- pour signaler le problème,
dans l'espoir d'être
par les
locoux.
Jeall",Miehel Dil,,11
directeur d'Eurocréation, I:t\gence des initiatives de la jeunesse en Europe, ancien
au ministère de ia Culture (responsable du programme interministériel Jeunesse et
---
Il existe deux façons d'apprécier et donc d'appliquer
une politique culturelle selon que l'on choisit de privilégier la dimension sociale ou la dimension artistique;
aspects qui bien sûr devraient être complémentaires,
ce qui n'a pas toujours été le cas. Je vais resituer, par
rapport au rock qui me paraît un bon exemple, des
rapport entre l'Etat et la [eunesse, en vous exposent
défaut
les trois «bonnes raisons». réalistes
suffisantes pour lesquelles' s'est engagée une action
expérimentale dans ce domaine en favorisant
politique sociale, peut-être au détriment de
artistique. Ultérieurement on pourra aborder
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Contributeur : Eliane Daphy
apsects plus concrets sur les modalités d'intervention
en matière de politiques musicales rock, puisque j'en
ai été l'un des contributaires.
l'Etat n'a pas forcément les compétences nécessaires
pour prendre en compte la dimension artistique de
ces phénomènes; il est d'ailleurs marqué d'un véritable complexe - fort ancien dans ce domaine. Face
au phénomène important d'identification jeunes-rock,
l'Etat trouvait dans le rock un moyen d'engager une
politique de la jeunesse radicalement différente des
précédentes: il avait donc intérêt à jouer la carte du
rock. La principale raison tient aux caractéristiques
mêmesdu rock, qui depuis plus de trente ans véhicule
bien d'autres significations que la musique: toute une
culture, générée à partir du rock, s'exprime dans des
comportements sociaux, un langage, des modes. S'intéresser au rock était pour l'Etat un moyen d'ancrer
socialement sa politique, en la fondant sur une culture
authentique.
On revient de loin, puisque avant l'arrivée de la
gauche au pouvoir rien n'avait été fait dans le
domaine des musiques populaires, on est parti de
zéro, et nous avons dû immédiatement répondre à
une demande très forte. Devant l'urgence, la réflexion
fondamentale sur les manières de mettre en place
une politique culturelle de la jeunesse n'était pas
prioritaire...
Dans un premier temps, nous avons appelé nos programmes d'action <des pratiques culturelles des jeunes», et l'on s'est rapidement aperçu de l'importance
du mouvement culturel rock pour la jeunesse, puisque
la quasi-totalité des projets s'y référait. Il faudrait
expliquer tous les obstacles - y compris psychologiques - auxquels nous avons été confrontés dans la
mise en place de ces actions, au sein même de
l'administration centrale, dans les ministères. Combien
de fois avons-nous essayé de monter des projets avec
les acteurs du terrain? Bloqué par des échelons
administratifs souvent décisionnels, dans des préfectures, dans certains cabinets de ministères..., l'application concrète des programmes s'est heurtée à bien
des résistances, et la volonté politique, le discours, ne
correspondait pas toujours à la réalité administrative!
l'un des principaux obstacles, me semble-t-il, tient à
ce que les organisations de jeunesse - interlocuteurs
institutionnels privilégiés dans le secteur des politiques
de la jeunesse, comme l'a démontré Françoise Tétard
précédemment -.ne sont pas vraiment montés au
créneau dans ces secteurs nouveaux de la culture,
bien au contraire! l'on avait donc affaire à des
interlocuteurs motivés, mais isolés, qui se sont rapide-
ment structurés de façon constructive, le Réseau rock
en est une belle démonstration. Mais cela s'est passé,
il faut le souligner, en dehors des organisations traditionnellement représentatives de la jeunesse.
Ce qui se passe au niveau des collectivités locales, par
ailleurs, est tout à fait étonnant: on trouve une espèce
d'échiquier où se côtoient des élus motivés qui se
bagarrent pour promouvoir des politiques nouvelles,
et d'autres élus, très attentistes sur ces mêmes questions, et ceci en dehors des traditionnels clivages
politiques. La dimension contradictoire des politiques
locales explique, à mon sens, pourquoi le mouvement
ne s'est pas multiplié. En effet on retrouve aujourd'hui
de très forts bassins d'activités et d'initiatives qui sont
les mêmes qu'il y a cinq ans: Rennes, Toulouse, le Sud
avec Aix-en-Provence, Marseille et Montpellier, le
Nord et Lyon.
Aujourd'hui, soucieux des mêmes problèmes, j'agis
dans le cadre d'un nouvel organisme, Eurocréafion,
créé en février 1985. Cette Agence française des
initiatives des jeunes en Europe est financée par
quatre ministères: Affaires étrangères, Culture, Jeunesse et Sports, Emploi; par quatre partenaires privées également - au titre du mécénat: Nouvelles
Frontières, l'Institut européen des affaires, la Banque
centrale des coopératives et des mutuelles, et le
magazine Challenges. Ce double partenariat, pouvoirs publics et fonds privés, est une des particularités
de notre organisme qui reçoit la majeure partie de
son budget de la Communauté européenne. Une
équipe de sept permanents gère un budget de
4 MF - 3 MF pour les interventions, l MF pour le
fonctionnement et l'instruction - avec pour volonté:
faire en sorte que les jeunes 18/30 ans soient personnellement pilotes de projets à caractères culturels et
artistiques, avec une dimension économique, et participent ainsi à la construction d'une véritable culture
européenne. Il s'agit de casser l'inertie des traditionnels réseaux de subventions en interpellant les jeunes
créateurs 1 entrepreneurs sur la question de l'Europe.
!.Agence instruits les projets (30 en cours cctuellement), et participe à leur financement (40 % Eurocréation, 30 % collectivités régionales ou locales, 30 %
autres pays de la CEE). Cette activité n'est pas la seule
vocation d'Eurocréation; en septembre nous avons
organisé le premier forum des producteurs indépendants de rock en Europe, pour débattre des problèmes de coproductions européenne d'émissions de
rock face aux satellites et nous éditerons par la suite
un catalogue des ressources rock en Europe.
M"rti,,1 ti"bill"rd
adioint au maire de la Ville de Rennes, chargé de l'action culturelle
A travers mon expérience d'élu local depuis 1977, je
vais essayer de caractériser les rapports entre une
politique culturelle urbaine et les musiques actuelles
(nous préférons ce terme moins restrictif à celui de
76
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Je précise que mon expérience n'a rien d'exceptionnelle, mais qu'elle illustre bien, à mon avis, l'aventure de nombreux élus locaux.
A Rennes, l'évolution des rapports entre la municipalité et les musiques actuelles s'est déroulée en quotte
temps: une première étape, caractérisée par une
totale absence de rapports entre les deux parties; en
effet, il noire arrivée au Conseil municipal, en 1977,
nous avions pour projet culturel l'idée de favoriser la
«culture populaire», comme nous disions alors. Selon
nous, la créofivité locale puisait ses racines dans un
vieux fonds culturel rural commun, d'où noire volonté
d'aider à se perpétuer cette force culturelle a priori
existante dans un contexte urbain, supposé dangereux pour sa survie. Noire politique de quartier, et
toutes nos initiatives culturelles allaient dons cette
direction, faire renoifre dans la ville une culture qui
aurait dû exister. Face à ces principes de politique
culturelle, le rock n'avait pas sa place. Les musiques
actuelles nous apparaissaient comme un phénomène
commercial, doublement étranger à notre culture:
produit des industries,musiquedes Etats-Unis... l'on ne
voyait vraiment pas pourquoi des élus - a fortiori de
gauche - auraient dû s'intéresser à ce monde du
profit. Et ceux qui se battent ici pour cette musique ont
"bouffé de la vache enragée»...
Succède une deuxième étape, celle de la découverte,
entre 1978 et 1980. Nous avons été progressivement
amenés à découvrir que la jeune génération n'a
aucune mémoire de l'ancienne culture rurale, et
qu'elle donna naissance à de nouvelles formes culturelles originales: le rock est un aspect de cette culture
contemporaine, démontrant la force créative des [eunes. Une petite anecdote vous permettra de saisir
l'impact de cette découverte. Dans le cadre d'un
festival, qualifié à l'époque "de la chanson», des
scènes ouvertes proposaient à tous les musiciens amateurs de s'exprimer. Et qu'y voyait l'élu curieux? Pas
ou peu de chansons ou de musiques dites traditionnelles, mais une véritable explosion de musiques actuelles. Imaginez ma stupéfoction lorsqu'au Théâtre municipal, temple de la culture classique- un beau théâtre
à l'italienne du XlXe siècle, plein de dorures - [e vis les
lustres trembler sous les effets des décibels et de
l'enthousiasme du jeune public! C'était pour le moins
surprenant...
D'où une troisième étape qui enclenche une démarche
beaucoup plus constructive par rapport à la musique
actuelle: phase de reconnaissance des hommes et
des associations, efforts de financement des manifestations, attributions de locoux. Il me fout souligner
l'importance des hommes: il Rennes en effet le mouvement est porté par une ou deux associations, et
surtout par quelques militants qui lui dorment ses
lettres de noblesse. Nullement affairistes, ils ne se
contentent pas d'organiser des concerts, mais ils s'efforcent d'aider les jeunes groupes à se promouvoir et
à développer leur qualité de production. Un élément
déterminant de notre action Cl consisté à pousser un
actifs ou milieu rock à 10 Maison de
des
la culture, le temple de la culture moderne officielle,
d'où le rock était exclu. I:entrée d'Hervé Bordier dans
cette place forte représente une véritable reconnaissance du rock par la culture légitime.
Autre point fort de cette reconnaissance, notre soutien
à l'opération Rock Against Tarzan, expression locale
de la manifestation nationale Coup de talent dans
l'hexagone en 1985. l'événement, dont on voit encore
aujourd'hui les retombées chez les décideurs politiques, fut marqué par la présence symbolique de
ministres et parlementaires à l'inauguration. Ces officiels que l'on a plus l'habitude de voir à l'Opéra,
applaudissaient le spectacle du groupe rennais Marc
Seberg, remarquable création artistique mise en scène
par un «vrai» metteur en scène. Plus qu'un symbole,
on peut parler de la reconnaissance d'une nouvelle
culture. Cette succession illustre bien le changement
de mentalité préalablement nécessaire à toute action
dans ce domaine.
Aujourd'hui, la quatrième étape me semble celle des
«nouvelles interrogations»: les musiques actuelles ne
sont qu'un aspect de l'émergence de cette nouvelle
culture urbaine, la culture du béton et des grands
ensembles. On la retrouve dans d'autres formes d'expression: le langage, la poésie, le cinéma, les arts
plostiques.; Dons ces expressions, considérées autrefois comme éphémères, car [etées après consommation, émerge désormais la notion d'œuvre.. Il ne s'agit
pas là d'une manifestation restreinte aux seulesdimensions locales, mais d'un phénomène national: une
transformation fondamentale de nos univers occidentaux, dont la dimension internationale interroge le
responsable politique. Cette forme est née, pour l'essentiel, en dehors de toute action politique volontariste, hors de l'action culturelle ou des politiques
[eunesse, Elle vit et s'exprime dons d'autres lieux que
ces équipements socioculturels que nous avons créés
dans les quartiers. Elle démontre puissamment que
l'homme depuis touiours appréhende et transforme
son environnement, le «cultive». C'est ainsi que le mot
culture prend tout son sens.
Et voilà bien le cœur même de notre interrogation:
dons ces grands ensembles, considérés comme destructurant, «déculfivont», «déculturcnt» - ce qui fut
vrai dans un premier temps - apparaît une nouvelle
génération capable de dominer cet urbanisme et d'y
foire naître une culture. Lon pourrait être tenté de se
dire, devant ces phénomènes: «Pourquoi investir dans
le socioculturel? N'est-ce-pas inutile ?». Je suis persuadé qu'une telle attitude serait une erreur. D'ailleurs
les grondes villes du rock sont toutes des municipalités
qui défendent une politique culturelle active dans des
domaines vairés. la culture urbaine est un tout, elle
participe d'une dynamique où s'expriment des groupes différents, éventuellement en concurrence, qui se
battent pour obtenir ou conserver leur légitimation.
l'élu se doit d'être attentif à ces mouvements. Et
combien dramatique pour lui est le moment du choix
Car l'on a beau prendre des consultants de lous
ordres, il paraît toujours impossible de projeter avec
Tl
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certitude le futur. J'en prends pour preuve ces étonnants - et constants- échecs de planification urbanistique: par exemple, l'utilisation de l'espace dans
les places publiques: les usagers appréhendent toujours l'espace différemment des prévisions du planificateur!
Sans doute s'agit-il là de cette loi fondamentale selon
laquelle l'homme est toujours plus fort que le rationnel? Cependant, si l'on ne fait rien, la ville meurt...
L'important c'est la vie, le risque, l'entreprise. Et qu'importe les erreurs, si la vie continue... Peut-elle d'ailleurs
naître sans bouillonnement?
Je"" At/el'
inspecteur d'académie honoraire
ancien chargé de mission à la Direction du développement culturel pour les relations
entre le ministère de la Culture et le ministère de l'Education nationale
--------
.. _-~
Je souhaite intervenir dons ce débat en termes de
politique culturelle de la jeunesse, ce qui sera sans
doute assez éloigné du rock. Mois les problèmes qui
se posent dons ce secteur ne se limitent pas aux seules
expressions musicales contemporaines des jeunes.
Tout d'abord, point important, il semble que la formidable émergence de créateurs, dons le domaine
artistique du rock aujourd'hui, ne résulte pas d'une
volonté politique définie. Si l'on accepte cette proposition, il faut immédiatement en avancer une autre:
cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe pas de
politique culturelle pour les jeunes.
Mon expérience m'a conduit à participer à un certain
nombre d'actions mettant en relation le monde de la
culture et l'institution éducative, dans une volonté
permanente de développement culturel. J'en définirai
rapidement les postulats sans en foire la théorie. En
premier lieu, la v'le culturelle et artistique doit être
insérée dans une dimension sociale; il fout prendre
en compte la réalité de 10 culture dans une perspective
de socialisation qui ne se limite pas à la diffusion.
Ensuite la création des voleurs culturelles n'est pas
l'apanage des artistes, groupes ou institutions reconnus, dans la modernité ou le classicisme. Le postulat
fondamental qui soutient la politique de développement culturel est le suivant· les valeurs culturelles
peuvent être issues de la potentialité que tout citoyen
possède de participer à la création; il suppose la
confiance dans les capacités créatrices du corps social
dons toutes ses composantes: jeunesse, mais aussi
groupes minoritaires comme les immigrés.
Comment cette politique a-t-elle construit ses rapports
avec l'école? l'école s'est d'abord aperçue qu'elle
pouvait assurer la totalité des réponses aux besoins
des jeunes. L'institution scolaire, à la recherche de
sources nouvelles pour son travail éducatif en direction des jeunes, fait appel à de nouveaux interlocuteurs pour qu'ils confortent son action, dans des
champs que par définition l'école n'est pas à même
de couvrir. Pour ne pas paraître abstrait, précisons
que ces demandes concernent les domaines culturels,
comme ies arts plastiques, le cinéma, ie théâtre, la
Cette ouverture
intègre dans la formation
des
nouveaux, pose
que foire pour satisfaire les besoins des jeunes,
besoins culturels immédiats et soucis de future insertion
sociale et professionnelle?
Pour mettre en place cette politique, dont il fout
préciser rapidement les enjeux et les modalités, il a
fallu affronter plusieurs problèmes. La distance entre
les pratiques culturelles des jeunes hors du temps
scolaire et à l'école est remarquable. Le premier point
à résoudre consiste à retrouver, sinon une unité et une
cohésion, du moins une possibilité de dialogue, en
éliminant les conflits inexprimés. Car il paraît contradictoire que l'école puisse se révéler capable, avec
l'aide de partenaire culturels, de développer les
potentialités créatrices des jeunes dont elle à la charge, et qu'elle n'en ait jamais manifesté d'elle-même la
volonté. C'est dans ce sens qu'il faut analyser la
quereile permanente entre enseignement artistique et
action culturelle. S'agit-il d'une fausse querelle ou
recouvre-t-elle des contradictions fondamentales. A
mon sens, ces termes révèlent une divergence profonde entre deux tendances; et il n'est sonsdoute pas
neutre que le ministère actuel mette la priorité sur le
patrimoine et les enseignements artistiques, dans un
contexte qui traduit une volonté de retour à la transmission. Pour nous, les enseignements artistiques ne'
remplissent pas leur mission s'ils se limitent à la transmission; et l'action culturelle relève d'un enjeu, à
savoir donner aux jeunes la possibilité, dès l'école,
d'être confrontés à la réalité de la culture vivante
d'aujourd'hui.
li est vrai que le cadre de la structure scolaire - programmes, examens académiques et professionnels-est contraignant et qu'il peut constituer un écran à
cette communication. La politique de développement
culturel suppose une démarche difficile pour l'école,
qui doit admettre qu'elle n'est pas la source de la
culture vivante, et que «ses» [eunes peuvent faire
naître de nouvelles voleurs. Plus profondément, l'institution scolaire doit admettre qu'il existe des relations
à la culture vivante que la médiation enseignante ne
peut assurer. C'est pourquoi il faut réussir à trouver
des dispositifs qui permettent à l'école de prendre la
responsabilité d'un contact direct entre les jeunes et la
réalité vivante de la création. Telle était la signification
18
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Contributeur : Eliane Daphy
de ces opérations aux noms un peu publicitaires,
comme «Classes arc-en-ciel» (1) ou «Entrez les Artistes» (2)
J'ai l'impression que, dons ce débat, l'on a un peu
valorisé la définition d'une nouvelle culture, à partir
des activités propres aux ieunes. Je voudrais donc
maintenir une symétrie en affirmant que les sources
de la culture vivante ne proviennent pas toujours des
jeunes. Si l'on prend l'exemple du cinéma, même s'il
produit de nouvelles formes comme le vidéo-clip, sa
puissance actuelle est plutôt le fruit d'une génération
qui a aujourd'hui 40 ans, et non pas 25 ! On ne peut
épuiser la question de la politique culturelle en faveur
des [eunes en applaudissant cette émergence de
nouvelles valeurs qui s'expriment dans leurs pratiques
spontanées, parfois mal maîtrisées; il ne faut pas se
limiter à la seule valorisation d'une dynamique de la
«création [eune»,
Le rock, dont ie connais mal les spécificités, échappe
peut-être au cadre de cette analyse et il me faudrait
mieux connaître ses caractéristiques pour en parler.
En conclusion, je dirais qu'il n'est pas tellement contradictoire dans un débat sur la politique à l'égard des
[eunes, d'affirmer que la culture vivante touche d'autres générations que la ieunesse. Le problème primordial à résoudre est de trouver des points de passage,
rencontre ou confrontation entre les nouvelles formes
de culture des jeunes et celles qui proviennent d'autres
générations. C'est le sens que, pour ma part, i'ai
donné aux relations Culture / Education nationale
pour lesquelles i'ai œuvré ces dernières années, et
pour lesquelles il reste aussi tant à faire.
(1) Séjours d'une semaine environ d'une classe avec son
rnoitre dans un lieu stimulant où elle rencontre un artiste (ou
une équipeartistique) et participe à sontravail.
(2) Formule d'artistes résidents, bénéficiant d'une bourse et
d'un accueil dans un lycée où durant plusieurs mois ils
travaillentpour leur compte avec lesenseignants et les élèves,
sans but d'enseignement.
Jaeques Ros
directeur départemental de l'Education surveillée
en Essene, ministère de la Justice
Je suis directeur départemental d'une administration,
l'Education surveillée, une direction du ministère de la
Justice; sa mission est de prendre en charge des
jeunes délinquants et des «jeunes en danger» de 13 à
18 ans qui lui sont confiés par des iuges pour enfants
ou des juges d'instruction. l'Education surveillée n'appartient pas directement au monde de l'enseignement,
mais de la rééducation et de la réinsertion sociale;
elle est inscrite dans l'appareil répressif d'Etat (en
analyse marxiste).
Témoigner de l'action du ministère de la Justice envers
le rock peut
pour le moins
c'est
pourtant le but de mon intervention
ce débat, en
vous présentant comme intermédiaire qui a favorisé
sa mise en place, l'expérience de Pub-Rock de RisOrangis... Une présentation rapide s'impose: le PubRock, lieu ouvert quatre soirs par semoine de 19
heures à 1 heure, fonctionne comme restaurant-bar
avec des animations musicales (vidéos, musique enregistrée et concerts). Au-delà d'un lieu de rencontre
consacré au rock, i! fournit à des jeunes en difficultés
l'occasion de vivre une expérience professionnelle
positive de quatre ou cinq mois, ce qui leur permet de
s'insérer ensuite dans le monde du trovoil,
Le montage de cette opération s'est articulé autour de
quatre points: le rôle primordial des éducateurs,
parrains du projet, et la connivence avec des
sables institutionnels à des niveaux intermédiaires.
circonstances historiques particulières qui ont rendu !e
: en effet ii ne serait guère honnête de
laisser croire que des individus isolés sont les seuls
déterminants d'une entreprise de cette ampleur. Elaboré entre mai 1982 et décembre 1984, le projet
Pub-Rock s'est inscrit dans la lignée des nouvelles
orientations politiques du Garde des Sceaux, Robert
Badinter: décloisonnement et ouverture de l'Education surveillée à la réalité sociale et économique du
monde extérieur. Un contexte général favorisani notre
volonté de vivre en partenariat la décentralisation;
!'existence de nouveaux interlocuteurs très motivés,
comme le FIC, a créé des opportunités. Un environnement départemental dynamique dans l'Essonne' en
partant du principe que pour s'occuper de [eunes en
difficulté, il faut privilégier les forces créatives et les
passions des individus plutôt que l'adhésion-fonctionnaire à des règlements et des arrêtés ministériels, des
opérations innovantes ont été montées. C'est ainsi
qu'il existe une «entreprise-intermédiaire» du bâtiment
avec des éducateurs-entrepreneurs, une auto-école
pédagogique, et un restaurant tripartite (Education
surveillée, Education nationale, Ville des Ulis). Le PubRock s'inscrit donc dans une continuité.
l'idée à germé chez trois éducateurs -- dont deux
praticiens des musiques électriques qui se battaient
pour faire passer leur passion dans leurs activités
professionnelles quotidiennes - qui ont conçu l'idée
d'une structure d'accueil avec trois objectifs. Créer en
banlieue parisienne un lieu d'animation original,
accessible à tous les
par sa localisation, ses
et les tarifs
Utiliser ce restaurant-
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Contributeur : Eliane Daphy
bar comme tremplin professionnel et stage pratique
pour des jeunes sous la responsabilité de l'Education
surveillée ou dirigés par la PAIO (Permanence d'cccueil, d'information et d'orientation). S'orienter vers la
diffusion des musiques électriques, en fournissant aux
jeunes amateurs la possibilité d'expression de qualité.
Trois axes principaux ont organisé la mise en place.
La conshtufion d'une association, comme support
logistique, regroupant une administration, l'Education
surveillée, une municipalité, Ris-Orangis - je passerai
sur les difficultés rencontrées pour trouver une ville
tentée par l'aventure - et des participants extérieurs.
Une convention qui fixe les droits et les devoirs de
chaque partenaire: l'Education surveillée a mis dans
la balance le personnel (trois éducateurs salariés à
plein temps), la municipalité de Ris-Orangis un animateur socioculturel à plein temps et un local (une
ex-maison de quartier réservée aux jeunes). Un montage financier, dont le FIC a fourni la majeure partie,
avec comme partenaires différents ministères: la Justice, la Culture, la Jeunesse et les Sports, et une
participation importante de la DASS (Direction de
l'action sanitaire et sociale) dans le cadre de la
mission«Toxicomanie».
Pour dresser un bilan de ce lieu qui existe depuis
maintenant deux ans, je soulignerai qu'il a rempli en
partie seulement ses objectifs: il rencontre en effet de
sérieuses difficultés économiques dans l'équilibre
financier, et le Pub-Rock ne peut vivre sanssubvention.
Pour l'aspect musical, le pub est une réussite, il propose des concerts de qualité, et la presse spécialisée a
donné un écho très favorable à cette initiative. Pour le
projet social, le lieu accueille en moyenne cinq jeunes
rémunérés (TUC, jeunes volontaires); une vingtaine
de jeunes ont pu ainsi profiter de cette structure, ce
qui est très positif. Maintenant, la question se pose de
la poursuite de l'expérience: déontologiquement, l'on
ne peut continuer à demander des subventions à nos
partenaires et l'on se trouve dans cette phase critique
où un développement des locaux est nécessaire pour
parvenir à l'autonomie et à l'équilibre financier.
En conclusion, lé Pub-Rock me semble un bon exemple de ce que l'on peut vivre dans une expérience de
ce type; ce n'est pas toujours simple et nous avons
rencontré des difficultés avec le voisinage qui se plaint
du bruit - ce qui n'est que partiellement vrai. Notre
principal voisin, l'Education nationale avec un LEP et
un CES proches, n'est pas vraiment coopérant, il
craint pour ses élèves la rencontre «avec des délinquants et des drogués». Je terminerai en disant que
nos craintes initiales concernant la violence et la
toxicomanie se sont révélées à l'usage inutiles: il n'y a
jamais eu depuis l'ouverture de problèmes de cet
ordre; on est clairement prié de ne pas fumer de joint
dans la salle, les éducateurs sont vigilants et tout se
passe bien.
Bru.U.
président de Réseau Rock
Je voudrais revenir sur les interventions précédentes,
selon lesquelles la reconnaissance du rock était une
réalité; l'on pouvait même déduire des discours l'existence d'une véritable politique du rock. En tant que
personne du terrain, je ne peux m'empêcher de
formuler quelques réserves. Par politique, dans n'importe quel autre secteur, on entend généralement un
ensemble d'actions coordonnées, et je me demande
si tel est bien le cas pour le rock. Si l'on excepte
quelques rares actions limitées comme celles en faveur
des petits lieux, combien d'autres domaines n'ont pas
su, ou pas pu être pris en compte faute de moyens?
Cest d'abord un problème de moyens financiers. Si
l'on reprend les chiffres, on s'aperçoit que le budget
alloué au rock à la Direction de la musique et de la
danse en 1985 est de l'ordre de 6 MF, toutes opérations confondues, puisque ce chiffre intègre les subventions du Printemps de Bourges ou du Studio des
Variétés; cela correspond en gros à une semaine de
fonctionnement de l'Opéra de Paris. Moyens institutionnels: plutôt que de partir du rock pour voir les
secteurs administratifs qui l'ont aidé, il est très instructif
de partir de l'Etat, du monde administratif, et d'observer comment se comportent des structures qui
devraient ou pourraient aider le rock. Le résultat est
pour le moins affligeant: on peut prendre l'exemple
de l'ONDA (Office national de diffusion artistique),
organisme censé aider la diffusion, resté hermétiquement fermé au rock, ou de l'IFClC (Institut de financement du cinéma et des industries culturelles) structure
de financement d'activités commerciales qui s'est
contenté de quelques opérations ponctuelles (aides à
des petites maisons de productions phonographiques,
comme Réflexes ou Madrigal, ou à un ou deux
studios d'enregistrement) ... On peut prendre l'exemple
du CENAM qui a pour vocation d'informer et qui n'a
jamais eu la possibilité de faire une information
sérieuse sur le rock... Et surtout, merveille, I:AGEC
(Association pour la gestion des entreprises culturelles)
qui n'a jamais su être en prise avec le milieu rock.
Aujourd'hui apparaît une nouvelle structure, le Fonds
de soutien des variétés, qui ne pourra pas aider le
rock pour des raisons juridiques: pour y accéder; il
faut en effet posséder une licence d'organisateur de
spectacles. Pour obtenir une licence, il faut que l'organisation de spectacles soit l'activité essentielle et unique de son titulaire. Là où la musique rock vil, dans les
associations, ce n'est pas le Cas. Les associations qui
80
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organisent régulièrement des concerts sont donc dans
une situation illégale et elles ne peuvent pas bénéficier
de l'aide institutionnelle; il Y a là une contradiction
fondamentale entre le fonctionnement juridique et
institutionnel et la réalité du monde rock.
Tout ces éléments conjugués font que j'ai du mal à
admettre l'existence d'une politique rock. Le rock a
bénéficié, c'est vrai, d'un discours légitimant au plus
haut niveau de l'Etat - Mitterand et Lang. On peut
aussi souligner quelques opérations ponctuelles
comme Coups de talent dans l'hexagone, quelques
réussites. Je pense au groupe Niagara, actuellement
placé au sommet (dans les tous premiers numéros du
<<TOP 50», qui a été produit avec des fonds publics,
c'est nouveau et intéressant! Mais l'on peut se demander si le rock est vraiment pris en compte aujourd'hui
à l'exception de quelques personnes isolées dans leur
administration. On pourrait également se demander
comment les jeunes - c'est-à-dire à la fois la culture
des jeunes et la jeune culture - sont pris en compte
par les institutions. Ainsi parmi les rares projets rocks
recensés par l'annuaire de IJ\IJ, l'essentiel a été présenté par des institutions que l'on pourroit quolifier de
«troditionnelles» (comme les MJC) olors qu'elles ne
sont pos toujours les plus dynamiques sur le terrain. Et
je ne parle que des projets labelisés, car ce type de
sélection a été encore plus fort si l'on ne regorde que
les projets subventionnés, évidemment moins nombreux.
Tous ces arguments expliquent pourquoi j'hésiterai à
parler du rock en d'autres termes que ceux de limites
d'une reconnaissance inachevée. Et pour aller plus
loin, il faudrait se poser la question de ce que l'Etat
connaît aujourd'hui du rock, pas grand chose, me
semble-t-il, et se poser la question des moyens qu'il se
donne pour mieux connaître, et là on s'aperçoit
malheureusement qu'il s'en donne très peu ou pas du
tout...
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EXPERIENCES
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Contributeur : Eliane Daphy
EXPERIENCES
LE ROCK EN CLASSE
Mireille COLLIGNON
enseignante d'éducation musicale, chercheur
Je ne prétends pas fournir ici la recette pour les
professeurs de musique désirant aborder le rock dans
leurs cours, mais plutôt illustrer la façon dont on peut
le faire, en proposant quelques exemples sur la
manière d'analyser une chanson rock avec des élèves.
Et pour éviter la traditionnelle question: «Le rock, les
élèves et le professeur gagnent-ils quelque chose à ce
que l'on traite, par le biais de la musicologie, ce genre
très spécial en classe?», je précise immédiatement
que mes expériences dans ce domaine ont prouvé
que non seulement il est tout à fait possible pour un
professeur de musique d'utiliser son bagage musicologique pour parler du rock, mais au-delà de l'analyse
du rock, cette approche peut être intéressante car elle
permet d'éveiller la curiosité des élèves vers d'autres
musiques. Cependant, il est nécessaire de garder en
tête certaines données qui, bien qu'évidentes pour
certains, méritent d'être rappelées car elles constituent
la toile de fond de cette expression musicale.
Il.l.USfIlATlONS PEDAGOG/OUU
Le rock est une réelle culture populaire, et sa musique
est indissociable de tous les autres facteurs qui en font
ce qu'il est. Cependant, malgré l'importance des
dimensions sociales, idéologiques, économiques, il
existe comme musique, avec ses critères esthétiques
propres: comme tout autre genre populaire, on peut
donc l'aborder dans son aspect musicologique.
Le rock est une musique vivante, et comme la plupart
des musiquespopulaires, essentiellementorale. Même
si la musique est parfois figée sur disques,elle continue
d'évoluer indépendamment de ce moment privilégié
de son existence que représente le spectacle: il ne
faut jamais oublier la dimension scénique du rock.
Le rock est une musique non-savante, mais aussi
souvent anti-savante: elle ne se crée pas d'après des
normes de la musique dite savante, et se refuse en
général à le faire. Le compositeur de rock écrit
rarement sa musique avant de la jouer; illa «cherche»
le plus souvent sur son instrument,et crée plus d'instinct
que d'après les règles d'écriture. Les partitions fournies
par les éditeurs sont donc souvent transcrites d'après
le résultat sonore. Ces partitions se résument souvent
à la ligne mélodique et aux accords des chansons, et
les simplifications et approximations y sont très fréquentes; c'est pourquoi elles ne sauraient constituer
une base fiable pour une analyse en classe.
Dès lors que l'on prend conscience que le plaisir
musical que propose le rock, dans sa création et son
écoute, est rodicalement différent de celui des autres
musiques, on comprend pourquoi il serait vain de
chercher à analyser ses qualités compositionnelles et
esthétiques d'après les critères utilisés par la musique
savante: il faut chercher d'autres voies.
UNDIAJ.OGUED'ORDRE EMOTIONNEl.
Il me paraît préférable que le professeur qui parle du
rock en classe ait une connaissance suffisante de cette
musique pour pouvoir reconnaître à quelle tendance,
à quel style appartient une chanson. Cette connaissance peut s'acquérir par la lecture de quelques
«histoires du rock» ou autres études chronologiques
dont le lecteur trouvera une liste indicative à la fin de
cet ouvrage. Bien sûr, le meilleur moyen pour parvenir
à discerner les différents courants musicaux du rock
est d'en écouter beaucoup! Par exemple, il est très
instructif de comparer les interprétations d'une même
chanson par des musiciens appartenant à différentes
tendances du rock; on peut également suivre disque
par disque l'évolution des personnages importants du
rock, comme David Bowie, dont la carrière est très
riche en changements révélateurs de réels «tournants»
musicaux dans le monde du rock.
Avant de voir quels peuvent être les apports du
professeur en matière d'écoute de disques rock, il faut
savoir que si le professeur-musicologue pratique simultanément une écoute intellectuelle et émotionnelle,
l'élève qui écoute du rock se limite généralement à
l'écoute émotionnelle qui est d'ailleurs le but premier
de cette musique. Donc si l'on veut répondre aux
attentes des élèves à propos du rock en étant compris
par eux, il faut que le dialogue s'instaure sur des
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Contributeur : Eliane Daphy
remarques d'ordres émotionnel. A partir de là, l'analyse musicale repose en grande partie sur les impressions, sensations et émotions émanant d'un morceau
de rock que le professeur «traduit» musicalement: les
explications ne sont pas le point de départ de l'étude,
mais l'aboutissement d'une réflexion élaborée d'après
les apports des élèves.
Il me paraît inutile d'aborder un morceau de rock
dans la totalité de ses dimensions ou d'espérer trouver
une formule d'analyse applicable à tous: tous les
morceaux de rock peuvent être intéressants, mais
rarement pour les mêmes raisons, et encore plus
rarement dans tous les domaines... Il faut donc sélectionner l'aspect le plus important d'une chanson, ce
qui fait qu'celle est bonne», comme disent les élèves!
LES INSTRUMENTS ETLEURS TIMBRES
l'étude de la palette sonore d'une chanson
peut
amener la classe à chercher, d'après les instruments
entendus, à quel genre de rock on a affaire. On peut
ainsi déboucher sur l'étude du caractère des instruments propres au rock, en décrivant les sensations ou
sentiments que provoque leur emploi dans un morceau, ou amener les élèves à s'interroger sur les
différentes utilisations possibles de ces instruments.
La venue de praticiens de rock dans la classe s'avère
très enrichissante: ils peuvent montrer comme tel effet
spécial s'obtient sur un instrument, expliquer pourquoi
l'évolution du rock est en relation avec l'évolution
technique des instruments et studios.
LA DYNAMIQUElYUNECHANSON
Au-delà de la carcasse d'une chanson -l'alternance
refrain / couplet - que les élèves perçoivent, il est
intéressant de leur faire découvrir les éléments de
tension et détente qui s'y succèdent, comme par
exemple les formules harmoniques qui se répètent en
passant d'un ton à un autre, donnant ainsi une forte
impression de dynamisme.
Le rôle «rituel» solo instrumental peut aussiêtre étudié
(accroissement ou chute d'une tension, «pont» fonctionnel). Ce travail sur la dynamique amène ainsi les
élèves à comprendre la différence entre pulsation et
rythme, alors que la plupart considère que plus la
pulsation est marquée, plus la chanson est «bien
rythmée». Pour cela, l'on peut faire entendre et comparer un morceau de hard-rock (simplicité rythmique,
pulsation obsédante) et un morceau de reggae (richesse rythmique, légèreté de la pulsation).
LE TEXTE COMME POINT DE DEPART
Lorsque les élèves partent des paroles pour étudier
une chanson, on assiste au mieux à une explication,
au pire à une paraphrase du texte, sans aucun lien
avec la musique: elle peut être au service des paroles,
et dans ce cas on cherchera comment (madrigalismes...); elle peut aussi en être indépendante, et on
cherchera alors en quoi la musique "faih> le rock, en
s'appuyant sur des chansons présentant des récits très
divers sur des musiques semblables; mais la musique
peut aussi proposer un discours opposé à celui du
texte, comme dans le reggae, genre musical où des
textes virulents côtoient une musique légère et ensoleillée.
Ces quelques notions, approfondies par l'enseignement selon la réceptivité des élèves - et ses propres
connaissances! - amènent les élèves à une écoute
différente de la musique rock, ce qui peut les sensibiliser à des domaines musicaux dans lesquels ils ne se
reconnaissent pas ou peu.
Mais il me semble également important d'encourager
les élèves, en dehors du cours, à pratiquer, à vivre le
rock (rencontre avec des musiciens, concerts...) pour
qu'ils comprennent mieux cette musique qu'ils aiment
souvent sans la connaître.
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Contributeur : Eliane Daphy
EXPERIENCES
LE ROLE
DE LA DELEGATION REGIONALE
DES AFFAIRES CULTURELLES
Alain DECAUX
conseiller à la Direction régionale des affaires culturelles (DRACl, Rennes
Les productions artistiques innovantes recontrent des
difficultés à trouver des financements et un public, ce
qui justifie l'intervention, comme garantie du risque,
des collectivités publiques concernées par le secteur
culturel: les collectivités territoriales locales (conseils
régionaux, départements, municipalités); les services
extérieurs de l'Etat, avec les délégations régionales
décentralisées des différents ministères (Education
nationale, Jeunesse et Sports, Culture).
Le ministère de la Culture est organisé en directions
verticales qui comprennent les directions partrimoniales (musées, archives publiques, patrimoine), les directions du spectacle vivant (théâtre, musique et danse,
arts plastiques). Pour ce qui est du spectacle vivant, il
faudrait également parler du rôle de l'ONDA (Office
national de diffusion artistique), structure extérieure
au ministère de la Culture. Cet organisme intervient
auprès des structures d'accueil, comme les Maisons
de la culture, pour cautionner les déficits prévisionnels
occasionnés par la diffusion de manifestations artistiques sélectionnées par l'ONDA pour leurs qualités.
Il existe également une direction horizontale, la Direction de l'administration générale et de l'environnement culturel (DAGEC). Les DRAC sont donc les services extérieurs du ministère de la Culture qui ont pour
vocation d'appliquer au niveau des régions la politique culturelle de l'Etat.
SON 1l0U ETSES MOYENS
La DRAC ne limite pas son action à appliquer la
politique de l'Etat en distribuant des financements;
au-delà des démarches formelles, les conseillers sont
attentifs à la réalité culturelle de leur région, ils vont
«respirer le terrain» et cette prospection des initiatives
locales leur permet de faire des découvertes. En
faisant remonter à Paris des propositions, ils participent au rééquilibrage et à la concrétisation de projets.
11 faudrait préciser que par sa structure, le ministère de
la Culture n'est pas une institution lourde et normalisée, ce qui fait à la fois sa force et sa fragilité: sa
force, car son dynamisme tient à l'énergie de personnes qui ne se protègent pas sous le parapluie des
circulaires administratives. Mais le revers existe, les
services extérieurs de l'Etat sont sous-équipés, les
conditions de travail y sont particulièrement difficiles
pour les conseillers (sans secrétariat administratif, sans
véhicule de fonction et même sans frais de déplacements !). Si le personnel de la DDC est passé entre
1981 et 1986 de 40 à 160 personnes, les DRAC en
région ont continué à fonctionner avec le même
effectif. l'ambition des fonctions attribuées à la DRAC
semble bien démesurée par rapport à ses possibilités
logistiques; en effet les DRAC sont censées prendre
en charge: les contrats plan région; les conventions
de développement culturel concerté avec les villes et
les départements; la diffusion culturelle à travers les
CAC (Centre d'action culturelle) et les Maisons de la
culture; les crédits décentralisés et les conventions
avec les autres ministères, le Centre national du
cinéma et le mécénat.
Ces quelques précisions pour vous permettre de comprendre pourquoi, pour parvenir à contacter un
conseiller de la DRAC, il faut être patient, surtout par
téléphone, puisque nous n'avons qu'une ligne!
Les différents partenaires ne partagent pas tous les
mêmes orientations politiques et culturelles - décentralisation oblige! - d'où une complexité certaine
des démarches lors du montage d'un projet culturel.
Le rôle de la DRAC comme carrefour d'informations
est à cet égard tout à fait important. En effet, pour
connaître les mécanismes des subventions, plutôt que
de chercher à faire fonctionner un hypothétique
réseau de connaissances (chercher à remonter les
filières par la sœur du copain qui connaît la secrétaire
de Conseil régionaL) une simple visite chez nous est
plus efficace, puisqu'on peut y trouver le mode d'emploi global - mécénat compris - des différentes
possibilitésd'aides.
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Contributeur : Eliane Daphy
us t:III'I&& DE SIIM:TIOIID'UN1'Il0lET
La DRAC doit mettre en œuvre la politique de l'Etat
au niveau régional, ce qui veut dire que les projets
qu'elle subventionne doivent s'intégrer au projet culturel de l'Etat; celui-ci évolue selon les orientations
politiques des gouvernements.Il me paraît préférable
d'envisager cette contrainte en terme de mariage, de
négociation, car il ne saurait être question d'inféoder
l'initiative individuelle au diktat politique. C est une
position dommageable que de tordre le cou à un
projet ou de la déguiser pour avoir trois sous... Ce
faisant, on se trompe autant que l'on trompe les
autres; il me semble beaucoup plus intelligent de
rechercher celui des différents partenaires le plus
susceplibled'envisager favorablement un projet...
Mes expériences sur le terrain m'ont appris à quel
point les mécanismes administratifs paraissent étrangers et opoques pour les utilisateurs; je me propose
donc de vous présenter les différentes étapes de
l'accès à la subvention tant espérée... Un initiateur de
projet téléphone au responsable sectoriel de la DRAC
(nommé «conseillers) pour prendre un rendez-vous.
Ensemble, ils cherchent à préciser la nature du projet,
à le définir. Le conseiller oriente vers les interlocuteurs
adaptés et, éventuellement, participe au montage du
dossier. Celui-ci, le plus rigoureux possible, doit impérativement comprendre: une note d'opération définissant le projet, une traduction financière por postes
budgétaires, comprenant un plan de définitions équilibré budget 1 dépenses, une liste hypothétique des
différents portenairess et de leur participation, un
bilan de l'activité de l'association porteur du projet
avec les statuts de l'association et le dernier compte
d'exploitation, un relevé d'identité bancaire.
Il faut savoir en effet que les projets proviennent
préférentiellement d'associations plutôt que de particuliers, et que le Trésorier payeur général, (l'agent
comptable de l'Etat) a besoin d'avoir une idée précise
de la santé financière d'une association avant d'engager les crédits de l'Etat.
Bien que les crédits décentralisés ne soient plus gérés
au niveau central, on se trouve cependant dans une
structure lourde où la mise en œuvre est longue. Il est
important de bien avoir en tête les calendriers de
répartition du budget, pour s'éviter de mauvaises
surprises. Le budget est voté en janvier 1février, et
annonçé en mars au niveau local. En avril, la DRAC
envoie les arrêtés pour accord au préfet; en effet,
comme tous les services extérieurs de l'Etat, nous
sommes placés sous le contrôle direct du représentant
de l'Etat en région, le préfet. lon procède ensuite aux
engagements, c'est-à-dire aux répartitions en équilibrant les dépenses et les crédits. Entre l'engagement
et la répartition effective des crédits, s'écoulent, dons
le meilleur des cas, trois mois (si le dossier est incomplet, le délai augmente !l.
Cesdélais sont bien longs, nous en sommesconscients,
mais nous ne pouvons guère transformer ces contraintes administratives... Il faut savoir qu'au moment de
l'engagement, l'association reçoit une notification sur
laquelle sont précisés l'objet du contrat, l'intitulé de
l'association, le montant de la subvention et le numéro
du futur compte crédité. Cette notification engage
l'Etat, et les banques acceptent de faire des avances.
Précisons également que le rôle de la DRAC s'arrête
aux engagements, la partie finale est le domaine
réservé du Trésorierpayeur général.
Ces rapides explications seront, on l'espère, de quelque utilité pour ceux qui envisagent des actions dans
le domaine culturel sans toujours savoir comment se
repérer. dans le paysage complexe de la quête à la
subvention...
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Contributeur : Eliane Daphy
EXPERIENCES
DES MUSICIENS AU LYCEE
Gérard LAVIGNE
musicien arrangeur
l'onlrnotion organisee par la FNAMU (Fédération
nationale des activités musicales) et le festival Banlieue
Bleue (festival de jazz en Seine-Saint-Denis) avait
pour objectif de permettre à des lycéens pratiquant la
musique de rencontrer des professionnels et de bénéficier de leurs conseils. l'expérience, réalisée au lycée
de Villepinte, au cours de l'hiver 1984, s'est déroulée
sur une période d'une semaine, à raison de deux
heures par jour (interclasse de midi). Les musiciens
intervenants étaient Marcel Bel, batteur, et moi-même,
bassiste arrangeur. Au-delà des quelques lycéens
directement concernés, cette intervention a eu, on le
verra, une influence notable sur la vie de l'établissement.
ruVAl1r EN GROUPE
Les musiciens-lycéens intéressés, informés par voie
d'affiches, avaient été invités à une réunion préparatoire à laquelle participèrent sept lycéens: un batteur,
quatre guitaristes acoustiques, un guitariste électrique,
et le chanteur d'un groupe de rock, délégué par ses
collègues qui décida, à l'issue de cette première
rencontre que son groupe participerait à l'expérience.
Dans un premier temps, nous avons cherché à connaître les goûts musicaux et les demandes des musiciens
venus individuellement (le groupe de rock désirant
travailler dans sa formation). Nous avons décidé de
regrouper les quatre guitaristes acoustiques dans un
atelier folk, le guitariste électrique et le batteur dans
un atelier de rythmique jazz-funk. Les trois groupes,
chacun dans une salle, ont donc travaillé de façon
très différente. Les guitaristes acoustiques désiraient
apprendre un style de guitare; nous leur avons donc
fait travailler la technique dite de finger picking (1 J, et
pour les plus avancés, un morceau de folklore américain (Freight troin). Les deux musiciens de l'atelier
jazz-funk, bien que n'ayant pratiquement aucune
expérience de jeu en groupe, ce qu'ils regrettaient,
avaient d'assez bonnes bases techniques et théoriques. Sous la direction plus particulière de Marcel Bel,
ils ont travaillé sur partitions des rythmiques (guitare,
basse, batterie) de titres de Herbie Hancock. La
demande du groupe de rock, très typique, était à peu
près formulée en ces termes: «Cela fait six mois que
nos répétons dans notre cave, nous sentons que nous
faisons des erreurs qui bloquent notre progression,
mais aucun de nos copains n'est assez compétent
pour nous donner les conseils susceptibles de nous
faire ovoncer», Une première étape a consisté à leur
faire prendre conscience des éléments objectifs favorisant l'écoute inter-musiciens, indispensable pour jouer
en groupe: l'importance de l'accord des intruments;
le réglage des sons et des niveaux sonores; le placement relatif des différents musiciens et amplis, etc...
Nous avons pu ensuite aborder, à partir du répertoire
du groupe, le travail de mise en place d'un morceau:
travail spécifique de la rythmique, du démarrage et
du final d'un morceau...
'
DE LA REPETITION AU TRAVAIL SCENIQUE
Dès le deuxième jour, la population lycéenne, attirée
par les bruits, vint se masser dans les salles où répétaient le groupe de rock et le groupe dit de jazz-funk,
ainsi que dans les couloirs adjacents, ce qui finit par
poser de vrais problèmes de circulation aux musiciens
intervenants. On notera que l'atelier folk ne fut jamais
visité et que les musiciens y participant purent jouir
durant toute la semaine de tout le calme que leur art
réclame et que l'épaisseur des cloisons d'un lycée
moderne voulait bien leur accorder! Cette irruption
inopinée de spectateurs que nous ne désirions pas
tenir à l'écart de l'expérience, nous permit de passer
du travail de répétition à la préparation du concert:
occupation de l'espace, prise en compte du trac,
attitude sur scène, rythme d'un spectacle, etc.
'-A la demande des stagiaires, la semaine se termina
par un concert où les trois ateliers se produisirent
successivement, dans la salle de la café raria, devant
un public enthousiaste.
UCONI D'EXPERIENCE
Il n'était pas possible de transformer cette intervention
en action périodique, comme le réclamaient les élèves. Il me semble que la durée aurait permis entre
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Contributeur : Eliane Daphy
autre une collaboration entre les professeurs de musique (en retrait pendant l'animation) et les musiciens
intervenants, ceux-ci servant en quelque sorte de
relais et de caution morale vis-à-vis des musiciens du
lycée. Nous avons en effet été frappé par le refus de
parler musique avec leurs professeurs spécialisés, en
particulier de la part des musiciens de rock. A titre
d'exemple, à la fin de la réunion préparatoire, le
chanteur du groupe, resté muet au fond de la salle,
est venu nous dire: (J'inscrismon graupe ; i'étais venu
vérifier que vous n'étiez pas des profs de musique».
Avant même d'avoir commencé à travailler avec eux,
en utilisant les compétences particulières que peuvent
transmettre certains professionnels intéressés par des
actions pédagogiques, nous avions obtenu de nos
interlocuteurs une légitimité parce qu'ils sentaient que
nous avions aimé la musique qu'ils aimaient, et qu'elle
nous intéressait toujours. Cette «autorité morale» et un
peu de temps nous eût permis de faire comprendre à
ces jeunes musiciens qu'une formation musicale de
base est toujours bénéfique, même s'ils ne se passionnent que pour le rock'n'roll anglais de la période
1963/1967. ..
On le voit, ce type d'intervention ne concurrence et
ne remplace nullement les cours d'éducation musicale,
mais elle peut aider à réconcilier les lycéens pratiquants - et les nombreux camarades qu'ils entroînent- avec la musique au lycée.
(1) Technique instrumentale ornencome dans laquelle le
pouce effectue la ligne de basse régulière, tandis que les
autres doigts accompagnent par arpèges et, éventuellement,
réalisentla mélodie.
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Contributeur : Eliane Daphy
EXPERIENCES
LE CENTRE D'INFORMATION
DU ROCK
Bruno LION
président du Réseau Rock
Le Centre d'information du rock (ClR) a été créé à
l'initiative de l'union d'associations Réseau Rock au
printemps 1986. Il a pour mission de créer, rassembler,
éditer et diffuser les informations relatives aux musiques actuelles en France. Se situant ou carrefour entre
la dynamique des amateurs et les filières professionnelles, il concerne à la fois les praticiens et le public.
Le CIR a fait l'objet d'une convention avec l'Etat
(ministère de la Culture et de la Communication,
secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports) qui le
subventionne. Il est également soutenu par la SACEM
et lo Fondation de France. Son objectif est de dresser
un panorama actif de la musiquevivante. Pour cela, le
ClR a entamé la réalisation des Fichiers du rock et des
variétés: une base de données sur les structures, les
acteurs et les partenaires de tout ce secteur d'activités... (plus de 5.000 fiches détaillées - constamment
réactualisées ou début février). l'ensemble est
découpé en centaine de rubriques (du studio d'enregistrement au loueur de chapiteau, en passant par les
luthiers et les stages de sonorisation), puis classé par
régions et départements. Une initiative sanséquivalent
en Europe.
Afin de récolter cette masse d'information, le Centre
d'information du rock (ClR) a mis en place - sur toute
la France - un réseau d'antennes régionales (16 ou
début 1987: Lille, Evreux, Caen, Rennes, Nantes,
Poitiers, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille,
Nice, Grenoble, Lyon, Bourges, Strasbourg et Paris).
Ces PCR (Points correspondants rocks) sont animés
par des jeunes stagiaires accueillis par différentes
structures (Centre information jeunesse, Centres régionaux pour la chanson, MJC, associations rock). Impliquées dons la vie du rock local, ces structures sont
appelées à devenir des pôles d'accompagnement du
développement et de. la valorisation de la pratique
musicale des jeunes en province.
Mais les PCR n'ont pas - on s'en doute - vocation à
délivrer directement les informations collectées. Pour
cela, le CIR utilise un support télématique - Decitel(36.15 code d'accès FR3BPL, sur votre minitel) - dont
la promotion est assurée par l'émission rock de FR3:
Décibels. Proposant les Fichiers, Decitel contient égaIement d'outres services tels que les actualités
(concerts et news en France), la messagerie, les jeuxconcours, l'agence Mystère (une des plus performantes équipes de graphistes télématiques en France)... et
d'outres, en cours de réalisation.
Le ClR regroupe une quarantaine de personnes dont
une dizaine assurent la coordination de l'opération
au siège parisien. Intervenant dans le champ de la
communication, il édite une publication bimestrielle,
Connexions Rocks, qui reflète les initiatives rock en
suivant les évolutions du marché. Egalement présent
dons le domaine de la documentation, il prépare
aussi la réalisation de dossiers spéciaux, juridiques et
techniques. Enfin, dans la logique de son développement, le ClR met en place des circuits de redistribution
d'informations plus adaptés aux fonctionnements économiques des acteurs professionnels du monde de la
musique: mailings thématiques et guide-annuaire du
rock en France, présentant une sélection de sa base
de données.
A travers toutes ces activités, le Centre d'Information
du Rock veut offrir un maximum d'outils à l'usage de
l'ensemble des intervenants - professionnels et amateurs - du domaine des musiques actuelles, visant à
servir d'infrastructure à cette fameuse étape intermédiaire, nécessoire ou renouvellement de la création
musicale en Fronce et à sa prise en compte en tont
que facteur économique, culturel et social.
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EPILOGUE
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Contributeur : Eliane Daphy
EPILOGUE
REPONDRE
A t4TTENTE DES JEUNES
Anne-Marie GREEN
sociologue, chargée de cours à l'Université de Paris X
Laboratoire de psychologie de la culture, Paris X
Puisqueles participants à cette Université d'été ont mis
en relief que le rock représente souvent une barrière
entre les jeunes et les adultes (parents et pédagogues),
on doit se demander si cette barrière est liée à la
spécificité de la musique en général. Mes recherches
sur le thème des adolescents et de la musique, depuis
plusieurs années, m'ont donné l'occasion de constater
que c'est la musique, quel que soit son genre, qui dans
sa spécificité, crée cette barrière entre les jeunes et les
adultes (et même quelquefois entre les jeunes entre
eux).
En effet, la musique est un langage sans concept,
c'est-ô-dire que tout en étant intelligible, elle est
intraduisible. Son rapport au sens qui est entièrement
libre, permet d'avoir un plaisir ambivalent qui consiste
à être en soi et hors de soi (en dehors de la réalité de
la vie quotidienne). Ainsi cette caractéristique par
rapport ô tous les autres objets culturels développe
des comportements passionnels beaucoup plus forts.
La communication musicale se situe aux niveaux symboliques, sensoriels et affectifs sous-jacents ô la conscience et provoque un onirisme sensoriel auquel participe l'intégralité du conscient et de l'inconscient. «C'est
la prise de conscience sonore par une sensibilité
seconde, de régions psychologiques qui demeurent
inconscientes pour la pensée conceptuelle» (7J. Il est
donc très difficile pour les jeunes de communiquer à
propos de la musique, en particulier lorsqu'ils pensent
que les autres sont investisd'un pouvoir (même symbolique).
OU SONT LES VOIES D'ACCES
r
Ajoutons qu'une tradition fort ancienne et très tenace,
mais significative, fait bénéficier la musique d'une
sorte de respect commun à tous les faits de pensée et
de création en général;) elle serait incompréhensible
dans sa genèse et imprévisible dans son destin. Elle
est entourée d'un certain mystère. Par rapport au
compositeur, au créateur, c'est le don qui surgirait,
inattendu et inexplicable. En d'autres termes, c'est la
théorie de l'inspiration qui ne peut être liée ni à une
intention, ni à une destination; ou bien, si une signification ou une finalité sont perçues, elles n'ont plus rien
de commun avec une création humaine réelle. Cette
théorie du don rend donc a priori impossible, aussi
bien pour les jeunes que pour leurs enseignants, de
chercher à onalyser les genres appréciés par les uns
et par les autres. Cela deviendrait un outrage aux
créateurs. Dès lors, les barrières entre les uns et les
autres se renforcent et ce n'est pas plus le rock qu'un
autre genre qui y contribue. La tendance consiste
toutefois à prendre en référence les genres musicaux
et à classer les jeunes et leurs goûts musicaux en deux
grandes catégories, qui d'une certaine manière sont
celles dans lesquelles ceux qui les classent souhaiteraient - ou refuseraient - être eux-mêmes plus ou
moins situés. Ainsi trouverait-on des jeunes qui aiment
la musique classique et qui bien sûr seraient attentifs
aux cours de musique, et d'autres qui limiteraient leurs
goûts musicaux aux variétés et au rock: ils refuseraient
alors le cours de musique. La même classification
pourrait aussi permettre de repérer les jeunes qui
n'évoluraient pas et n'auraient pas les goûts de leur
classe d'âge.
UN DESIR NON RECONNU
Ma recherche m'a permis d'atténuer cette dichotomisation des goûts musicaux de la jeunesse car les
enquêtes montrent que les adolescents subissent les
influences de deux cultures: celles de leurs origines
sociales et celles de leur classe d'âge. C'est pourquoi,
plutôt que de continuer à tenir un discours qui veut
dichotomiser le comportement des jeunes par rapport
à la musique et, par conséquent à l'enseignement
musical, j'ai préféré chercher à comprendre quelle est
la nature des relations des jeunes à la musique et
(ll André Michel. Psychanalyse et Musique. PUF, 1951,
p.163.
(2) Les Adolescents et la musique. Coll. Psychologie et
pédagogie de la musique, Pans, Ed. EAp, 1986, 176 p.
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quelle représentation ils ont de l'enseignement musical
dans l'institution scolaire. Ce questionnement est d'autant plus important que les entretiens de l'enquête ont
montré très nettement que la majorité des jeunes
aspirent à connaître d'autres genres musicaux que
ceux auxquels ils sont habitués, mais ils ne savent pas
comment accéder à une diversification de leurs intérêts musicaux. Il faut préciser que ce sont les plus
défavorisés scolairement et socialement qui recherchent le plus une pratique ou une appropriation
musicales.
Ce sont ces constats, beaucoup plus nuancés que les
affirmations péremptoires des parents et pédagogues,
qui m'ont incité à rechercher quelles peuvent être les
conséquences de l'absence institutionnelle d'un enseignement musical dans un cursus scolaire. Sachant que
les LEP sont les seuls établissements qui, depuis leur
création, n'ont jamais institué d'enseignement musical
(même focultofif] dans leurs programmes, j'ai cherché
à mener une réflexion à partir d'une enquête sur ce
thème en donnant comme consigne aux entretiens
non directifs: «Que pensez-vous du fait de ne pas
avoir d'enseignement musical au LEP ?». Non seulement les jeunes ont pu imaginer un tel enseignement
mais en fin d'interview ils l'ont revendiqué.
En effet, si l'apparence peut faire croire parfois à une
position générale de refus d'un enseignement musical,
il faut débusquer les peurs et les craintes à propos
d'un tel enseignement pour comprendre l'importance
qu'a la musique pour eux. Ils montrent que le vécu de
leurs cours de musique (avant le LEP) ne pouvait leur
permettre d'apprécier le savoir dont le professeur
était détenteur. Ne connaissant pas le code de ce
savoir ils le considèrent comme déplaisant et ne
peuvent envisager un rapport de dépendance ou de
soumission au professeur de musique. Cela a donc
entraîné un refus net d'une éventuelle possibilité de
cours de musique au LEP.
Ce n'est qu'en exprimant un désir non reconnu par
l'institution scolaire - celui de prendre un plaisir en
classe avec ou grâce à la musique, seul ou en commun - et en supposant au cours des interviews que
ce plaisir pourrait être légitimé, qu'ils avaient l'impression d'être concernés par la musique au LEP (en
d'autres termes par un enseignement de musique à
l'école). Non seulement ils ne refusent plus alors
systématiquement l'enseignement musical, mais ils
envisagent la possibilité de le prendre en charge.
Autrement dit, le fait de pouvoir exprimer le désir de
prendre un plaisir dans l'institution scolaire est lié à la
possibilité d'une appropriation personnelle réelle de
l'enseignement musical. Cette appropriation permet
toutefois de mettre en relief trois éléments de destruction de l'institution scolaire: la mort de la classe (le
cours de musique ne devrait plus se dérouler dans le
cadre d'une classetraditionnelle); la mort du cours (il
ne pourrait plus se vivre comme il l'a été auparavant);
la mort de l'image du professeur (l'image qu'il a
donnée de lui jusqu'à présent ne serait plus acceptée).
C'est donc après le renversement des valeurs mises en
place par l'institution qu'ils parlent sérieusement de la
musique comme un fait de culture et qu'ils ne l'envisagent plus comme une écoute passive.
UNPLAISIII SUSPECT
Les goûts musicaux et les pratiques musicales semblent
donc aller dans le sens d'une recherche d'un plaisir
sécurisant, car il est vécu quotidiennement. C'est ainsi
qu'ils se rendent à l'école avec des connaissances et
des goûts musicaux personnels et qu'ils constatent que
ceux qu'on leur propose ne correspondent pas à leurs
points de repère. Par peur ou par ennui, ils les
rejettent, et c'est ce qui donne l'impression qu'ils
refusent ce qu'on leur propose. Pourtant la volonté
d'appropriation d'un enseignement musical montre
bien que ce n'est pas la musique en tant que telle
qu'ils rejettent.
A partir du moment où il y a affirmation d'un plaisir lié
à la musique (y compris dans le cadre d'un enseignement) il me paraît nécessaire de comprendre ce que
c'est pour eux. Au premier abord de cette interrogation, on peut être étonné car lorsqu'on leur demande;
dons le cadre d'interviews non directives, ce que
représente pour eux la musique dans leur vie, on
constate que toute la structure de leur narration
s'articule pour fixer les limites d'un plaisir musical qui
paraît indicible. Ce qu'ils trouvent entre ces limites, ce
sont les jugements portés à leur égard par leurs pairs
ou des tierces personnes. Ils tracent donc un chemin
avec un «personnage inificteun à la musique (réel ou
mythique).
Ce dernier les assure qu'ils peuvent se dire différents
de leurs parents et de leurs copains et leur permet de
"justifier que leurs conduites musicales sont les meilleures. Les relations qui dominent sont donc aussi celles
avec la famille ou avec «le personnage inifioteuo et
le plaisir qui semble tellement indicible est en fait
l'expression d'un plaisir interdit dans une société où
les jeunes ne connaissent bien souvent que des contraintes de comportement et des situations de dépendance. S'ils ne jouaient plus sur l'apparence de l'adhésion à un comportement normé et de la conformité à
l'attente qu'on a d'eux, leur plaisir deviendrait réifié,
parce qu'une fois dit, ils en seraient dépossédés.
Ces constats rendent beaucoup plus difficiles des
jugements hâtifs sur les goûts musicaux des ·Ieunes.
Sachont que, du fait de la non conceptua ité, la
musique est du domaine du non dit, choque jeune
peut y trouver ce qu'il a envie d'y apporter et toutes
les appropriations sont possibles. Or, nous savons
aussi que, dans notre société, le plaisir est suspect
puisque c'est une partie de l'individu qui échappe aux
autres et donc au contrôle social. Dès lors, il devient
préférable de «massifier» les jeunes par rapport à
leurs goûts, ou risque de créer une barrière; ou de
laisser jouer les mécanismes d'un déterminisme socioculturel, au risque que la reproduction d'une culture
musicale soit minime: c'est le moyen de canaliser
leurs désirs. C'est probablement cela qui peut expliquer l'absence de recherche, non pas sur les aspects
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· de la pédagogie musicale, mais sur les interrelations
entre les goûts musicaux des jeunes (affirmés, réels ou
vélléitaires) et les structures institutionnelles qui leur
proposent un accès à la musique.
A l'issue de cette Université d'été, importante puisque
c'est la reconnaissance officielle de l'un des aspects
de la culture des jeunes, il faudrait aussi se donner le
temps et les moyens de réfléchir et de comprendre les
attentes musicales des jeunes pour enfin éviter de les
cataloguer dans des pratiques culturelles trop resteintes qui, à terme, les empêcheraient de renouveller ces
pratiques et, par conséquent, briserait leur imaginaire.
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