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Les Musiques des jeunes

1987

La premiere Universite d'ete sur les musiques des jeunes a eu lieu du 7 au 11 juillet 1986 dans les locaux de l'Universite de Haute-Bretagne (Rennes Il) ou l'accueil et l'organisation furent remarquables. Concue dans le cadre des developpements de l'action culturelle dans les universites et des enseignements artistiques, ses organisateurs (J.-M. Lucas, assiste de Pierre Mayol, puis de Norbert Bandier, Gerard Bourgeat, Eliane Daphy, Jean-Remi Julien et Patrick Mignon) l'ont voulu centree sur le rock considerant qu'il est le genre musical le plus (ce qui ne signifie pas le seul) pratique par les jeunes, comme le montrent des chiffres cites plus loin. La passion de quelques-uns, multipliee par l'interet de tous et conjuguee a quelques brillantes demonstrations sonores (video, disques, concerts...) ont permis d'accroitre la connaissance d'un genre musical frequemment entendu ou ecoute,. mais peu connu dans les lineaments historiques, sociologiques...

Les Musiques des jeunes Pierre Mayol, Éliane Daphy, Jean-Michel Lucas, Régine Boyer, Patrick Mignon, Norbert Bandier, Jean-Rémi Julien, Mireille Collignon, Gérard Lavigne, Luc Souvet, et al. To cite this version: Pierre Mayol, Éliane Daphy, Jean-Michel Lucas, Régine Boyer, Patrick Mignon, et al.. Les Musiques des jeunes : Actes de l’université d’été, Rennes, 7-11 juillet 1986. Pierre Mayol et Eliane Daphy. CENAM, 94 p., 1987. ฀hal-00469298฀ HAL Id: hal-00469298 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298 Submitted on 1 Apr 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. LES MUSIQUES DES JEUNES Actes de l'Université d'été Rennes, 7·11 lulllet 1986 Avec lesoutien du ministère de la Culture etde la Communication (Direction de la musique et de ladanse; Département dela chanson, des musiques traditionnelles et de la pratique amateur; Direction de l'administration générale etde l'environnement culturel; Département des études et de la prospective), du ministère de l'Education nationale (Direction des lycées etcollèges) et de l'Université Rennes II, Haute-Bretagne. CENAM CENTRE NATIONAL D'ACTION MUSICALE - 51, rue Vivienne - 75002 Paris - Tél: (1) 42 3338 24 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy LES CAHIERS DU CENAM Numéros disponibles. 1 2 3 4 9 n 14 16 1976 L'île de la vieille musique. 5 F 1976 Galerie sonore. 5 F 1977 Le musibus • 5 F 1977 Festivals et animation. 5 F 1978Tour de France de la rentrée. 5 F 1979 Le Nord. 5 F 1980Musique ancienne. 5 F 1980 Eveil au monde lyrique (1 re partie) . 5 F GUIDES Musiques à prendre. Guide des pédagogies musicales. 95 F + 76 F de frais d'envoi. Maxi-rock, mini-bruits. lieux de répétition .60 F Musiques d'en France. Musiques et danses des régions. 50 F France, musiques d'ailleurs. 50 F Guide du musicien amateur et professionnel • 60 F Guide de la danse. 60 F 17 1980 Guide du jazz. 5 F 18 1981 Les J.M.F •• 5 F 19 1981 Eveil au monde lyrique Guide de la musique ancienne. 70 F 21 22 FICHIERS (2e partie) . 5 F 1981 Musique et handicaps. lOF 1982Jazz et musiques improvisées. lOF 28 1983 Electroacoustique et facture instrumentale. 20 F 29 1983 Electroacoustique et pédagogie. 20 F 30 1983 L'éveil du tout petit. 20 F 32 ·33 1984 Enseigner le jazz. 30 F 35 1984 Le chant choral. 20 F 36 1985 Musique et perspectives de soins. 25 F 37 1985 L'enfant et la chanson. 25 F 39 1985 Harmonies, fanfares. 25 F 40 1986 Musique et micro-informatique. 40 F 41 1986Adultes, à vous de jouer. 40 F 42 1986 La musique à l'école. 40 F 43 1986Apprendre à danser. 40 F Editions bilingues: français-anglais. Portraits, contacts, adresses pour la diffusion. Musiciens de jazz en France .150 F + 76 F de frais d'envoi. La chanson en France .180 F + 76 F de frais d'envoi. ACTES DE COLLOQUE "Doctor jazz". Les pédagogies du jazz, Mulhouse 1984.50 F. Recherche scientifique et facture instrumentale. 50 F. "Profession chanteur". Formation à la chanson, Rennes 85 • 50 F. Les festivals de musique en France, Cannes 1986.50 F. ANNALES MUSIQUE ET DANSE 1985 - Certificat d'aptitude • 50 F + 77 F de frais d'envoi. 1986 - Certificat d'aptitude, diplôme d'état, bac F 11 .80 F + 76 F de frais d'envoi. LIVRES la musique dont vous êtes le Héros" CEHAM !Il 51, rue Vivienne 75002 Paris - Tél (1) 42.33.38.24 (Ed. Van De Velde/CENAM). Textes, images, musiques de l'exposition • 60 F + 77 F de frais d'envoi. hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy CAHIERS FICHIERS 44 45 46 mars La voix. 40 F Artistes lyriques de france. juin Les écoles de musique. 40 F Solistes classiques et formations de musique de chambre• 47 septembre Jouer en petite formation • 40 F décembre La musique en milieu rural .40 F ACTES DE COLLOQUE Les musiques des jeunes. Rennes 1986 .50 F La chanson: diffusion du spectacle vivant. Valence 1986 • 50 F STAGES 1er avril. Stages été. 30 F 15 novembre. Stages 87/88.30 F GUIDES Les métiers de la musique. 60 F Annuaire de la fadure instrumentale. 72 F Guide pratique de l'orgue et de l'organiste • 60 F ..... ..,. '.' 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 Musiques traditionnelles : musiques professionnelles? MIDEM 1987.50 F Rapport Techniques et Métiers du son. Espaces nouveaux/Denis Fortier • 40 F LIVRES Les travaux d'Orphée. Philippe Gumplowicz. (Ed. Aubier). L'histoire de France des harmonies et des orphéons. . Quel enseignement musical pour demain ? (Collection IPM/CENAM). Volume 1 : questions fondamentales. • 164 F .. f f f f f ••,• •••'.'••,'• ••'.,.,'.,'.,•••,• •••••••••••••••••d hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 SOMMAIRE INTRODUCTION LACULTURE JEUNE: UNE REALITE Jean-Michel Lucas, maîtrede conférence, Université de Haute-Bretagne, Rennes Il . 8 PAROLES DE CHERCHEURS APPROCHES QUANTITATIVES DES PRATIQUES MUSICALES Pierre Mayol, chargé d'études ou Déportement études et prospectives du ministère de la Cultureet de la Communication ... 12 MUSIQUES DES LYCEENS, MUSIQUES DES ENSEIGNANTS Régine Boyer, sociologue, chercheur à l'Institut national de recherche pédagogique, Déportementde psychologiede l'éducation et de la formation 23 LES JEUNESSES DU ROCK Patrick Mignon, sociologue, Centrede sociologie desarts,comitéde rédaction de la revue <Nibrotions» .... 27 LES GROUPES DE ROCK, LAFAMILLE ET l'ECOLE Eliane Daphy, ethnologue, Laboratoire d'anthropologie urbaine (musée de l'Homme/CNRS),comité de rédaction de la revue <Nibrotions» .... 34 UNE HISTOIRE ROCK A LYON Norbert Bandier, enseignant d'économie en lycée, co-responsable du Groupe de recherche interdisciplinaire surla musique (GRIM), Lyon ... 39 MUSICOLOGIE EN ATELIERS LE ROCK DANS LES LYCEES ET LES COLLEGES Jean-Rémi Julien, musicologue, professeur à l'Université Louis-Lumière à Lyon, comitéde rédaction de la revue <Nibrotions» .... 4 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy 44 de la musique et de la danse, ministère de la Culture et de la Communication ... LA VOIX CHEZ LES ROUING STONES Mireille Collignon, enseignante d'éducation musicale, chercheur ... 46 ELEMENTS POUR UNE ANALYSE DU BLUES ET DU ROCK'N'ROU Gérard Lavigné, musicien, arrangeur 49 GENESIS ET LA MUSIQUE PROGRESSIVE Luc Souvet, enseignant d'éducation musicale, chercheur ... 53 75 Jean-Michel Djian, directeur d'Eurocréation, I}\gence des initiatives de la jeunesse en Europe; ancien chargé de mission au ministère de la Culture (responsable du programmeinterministériel Jeunesse et Culture au FIC) ... 75 Martial Gabillard, adjoint au maire de la ville de Rennes, chargé de I}\ction culturelle... 76 Jean Ader, inspecteur d'académie honoraire, ancienchargé de mission à la Direction du développement culturelpour les relations entre le ministère de la Culture et le ministère de l'Education nationale ... RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS Jack Ros, directeur départemental LA PRODUCTION Norbert Bandier, enseignant d'économie en lycée, co-responsable du Groupe de recherche interdisciplinaire surla musique (GRIM), Lyon ... 60 LESMEDIAS 63 LA MUSIQUE MISE EN ONDES 66 Bruno Lion, président de Réseau Rock ... 80 LE ROCK EN CLASSE Mireille Collignon, enseignante d'éducation 84 LE ROLE DES DIRECTIONS REGIONALES DES AFFAIRES CULTURELLES Alain Decaux, conseiller à le Direction régionale desaffaires LA TECHNIQUE culturelles (DRAC), Rennes ..... Eliane Dophy, ethnologue, laboratoire d'anthropologie urbaine (musée de l'Homme/CNRS), comité de rédaction de la revue «Vibrations» ... 79 musicale, chercheur ..... Cécile Meadel, historienne, sociologue, Centre de sociologie de l'innovation de l'Ecole des Mines de Paris, comité de rédaction de la revue «Vibrations» ... de l'Education surveillée, Essone (ministère de la Justice) ... EXPERIENCES Patrick Mignon, sociologue, Centre de sociologie desarts, comité de rédaction de la revue«Vibrations» ... 78 86 DES MUSICIENS AU LYCEE 68 Gérard Lavigné, musicien arrangeur ... 88 LE CENTRE D'INFORMATION DU ROCK Patrick Mignon, sociologue, chercheur à l'Institut national desarts,comité de rédaction de la revue«Vibrations» ... DEBAT: ROCK ETPOLITIQUE INTRODUCTION HISTORIQUE Françoise Tétard, historienne, ingénieur d'études, CNRS, Centre de recherches interdisciplinaires de Vaucresson (CRIV) . INTERVENTIONS Dominique Ponsard, inspecteur chargé de la chanson, du jazz et desvariétés, Division de l'action musicale, Direction 90 EPILOGUE 12 REPONDRE AL'ATIENTE DES JEUNES Anne-Marie Green, sociologue, chargée de cours à l'Université de Paris, X, Laboratoire de psychologie de la culture, Paris X... 92 BIBLIOGRAPHIE . . . 95 5 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy AVANT-PROPOS La première Université d'été sur les musiques des jeunes a eu lieu du 7 au 11 juillet 1986 dans les locaux de l'Université de Haute-Bretagne (Rennes Il) où l'accueil et l'organisation furent remarquables. Conçue dans le cadre des développements de l'action culturelle dans les universités et des enseignements artistiques, ses organisateurs (J.-M. Lucas, assisté de Pierre Mayol, puis de Norbert Bandier, Gérard Bourgeat, Eliane Daphy, Jean-Rémi Julien et Patrick Mignon) l'ont voulu centrée sur le rock considérant qu'il est le genre musical le plus (ce qui ne signifie pas le seul) pratiqué par les 'eunes, comme le montrent des chiffres cités plus loin. La passion de quelques-uns, multipliée par 'intérêt de tous et conjuguée à quelques brillantes démonstrations sonores (vidéo, disques, concerts...) ont permis d'accroître la connaissance d'un genre musical fréquemment entendu ou écouté,. mais peu connu dans s~ stnemaé.~il historiques, so.ciologiques, esthéti9ues .ou .seuqi~on cé Il convient de saluer tout porticulièrement les commentoires chaleureux et érudits de Christophe Brault. D'autres Universités d'été, espérons-le, permettront une approche plus concrète et plus diversifiée des genres musicaux pratiqués par les jeunes (chant choral, pratique instrumentale, etc.). Ce document est donc un premier essai, assez complet tout de même puisqu'il contient des textes de chercheurs, des témoignages de professionnels, des compte-rendus d'expériences pédagogiques et d'ateliers techniques, ainsi que des éléments pourun débat politique et institutionnel. Les textes ont été corrigés par Eliane Daphy et, pour une bonne partie d'entre eux, réécrits par elle, surtout lorsqu'il s'agissait de documents enregistrés, tâche délicate, exigeant patience etcompétence. Le Département des études et de la prospective duministère deJa Culture et de la Communication a accompagné cette Université d'été dès sa conception, contribuant à son élaboration, son organisation, son animation, ainsi qu'à la réalisation de ce document final. Nous remercions aussi la Direction de la musique et de la danse et le ministère de l'Education nationale, pour l'aide importante qu'ils ont accordée à cette expérience. Pierre Mayol l hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy INTRODUCTION hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy INTRODUCTION LA CULTURE JEUNE: UNE REALITE Jean-Michel LUW maître de conférence Université de Haute-Bretagne, Rennes Il l'enseiqnernent de la musique connaît depuis plusieurs années un développement remarquable, appelé semble-t-il à s'étendre en particulier au sein du système éducatif. Il n'échappe à personne que les jeunes manifestent un engouement massif pour les musiques dites populaires ou de variétés. Impossible dès lors d'éviter l'interrogation: quelles relations l'enseignement musical entretient-il- peut-il entretenir- doit-il entretenir avec les pratiques musicales des jeunes générations? l'Université d'été sur les musiques des jeunes qui s'est déroulée à Rennes du 7 au 11 juillet 1986, a sondé les multiples aspects de cette interrogation: cinq jours de réflexion et de confrontation, traversés d'exposés sur l'état le plus récent de la recherche, de témoignages de professionnels du show-business, d'expériences menées par les acteurs du système éducatif, de dialogues avec les jeunes artistes, de comptes rendus d'actions politiques en faveur de la jeunesse... pour tenter de dégager les lignes de force d'un phénomène pour le moins complexe. Il est immédiatement repérable que l'enseignement musical connaît une dynamique prometteuse; il est tout aussi évident que les pratiques musicales des jeunes imprègnent le quotidien de la vie culturelle. Il est par contre paradoxal que ces univers de sons vivent chacun dans l'ignorance réciproque de l'autre et, loin de générer des convergences, ils paraissent plutôt porter sur la mise à distance. TROP DE$IUNCE ! Ainsi, la première dimension du problème est bien celle du silence, silence à la fois injustifiable et trompeur. Injustifiable par nature car la formation des nouvelles générations ne saurait faillir à sa mission. l'école, soustoutes ses formes, se donne des ambitions éducatives et si, à tort ou à raison, on a le sentiment, l'impression, la conviction que toutes ces musiques, écoutées aujourd'hui par les jeunes, ne valent que le plaisir dérisoire d'un instant, il faut alors savoir le dire. Cette musique de variétés, si puissamment présente dans la «culture jeune», mérite d'être encensée ou dénoncée; elle ne peut être annulée par le silence, d'autant que les médias en amplifiant le phénomène occultent de fait le débat social et politique sur l'identité culturel des jeunes. Trompeur, car à tout prendre, le phénomène «musique des jeunes» est loin d'être interprétable en termes simples. Depuis une trentaine d'années déjà, les configurations héritées de la musique rock ont suivi des chemins tortueux, contradictoires, diversifiés, et le silence sur cette histoire et ses ramifications multiples, n'est sans doute pas le signe d'une stratégie éducative efficace. Complémentairement, refuser à l'école son rôle de formation technique et d'émancipation culturelle... en pratiquant spontanément la musique dans son garage... c'est souvent s'engager dans une voie étroite, empreinte de déceptions. Si le silence des uns sur les autres est au fond impossible, il reste à sovoir que dire, sans naïveté ni faux-semblant. l'Université d'été aura permis, en dehors de toute polémique et de tout angélisme, d'indiquer les voies d'accès vers une confrontation positive. UNDIALOGUEDIFFICILE MAISNECUSAIRE l'on retiendra ainsi une seconde dimension du phénomène: le dialogue des deux univers suppose une reconnaissance réciproque de leur logique propre. Si l'école et l'enseignement musical en particulier possèdent leurs exigences de qualité, de hiérarchie et de méthodes, il faut aussi admettre que les critères de sélection mis en œuvre ne sont pas les mêmes. Ils n'en demeurent pas moins qu'ils existent: les musiques des jeunes savent nommer leurs pères fondateurs, hiérarchiser leurs créateurs; elles contiennent aussi leurs propres errements, leurs médiocres et leurs simulateurs. De surcroît, elles évoluent dans un bouillonnement de productions symboliques dont la musique n'est qu'une manifestation parmi d'autres. Ellesportent plus loin que leurs sonorités en s'investissant le plus souvent dans le social, l'idéologique, sinon la politi- hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy l' @FFICIEl du R@(K 88 1 Annuaire: ., , Guid; Annuaire du Rock et des Varietes ,~/ lis font le rock en France : 3.000 fiches commentées ! 1 l Guide: 15 professionnels expliquent leurs métiers, leurs règles & leurs trucs 1 Annuaire: Les 300 adresses-clef du rock dans neuf pays Européens 1 Guide: Rock en régions : les points forts de chacune Vente en Fnac et par correspondance Adressez ce bon à découper ou à recopier, rempli en CAPITALES, ainsi que votre chèque (+ 15 F pour un envoi en recommandé) au CEN1RE D'INFORMATTON DU ROCK - 52 rue Réaumur 75002 Paris hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy que. Elles formulent ainsi des univers vivants qui ne sauraient passer pour futiles. Pour lever le silence et ouvrir le dialogue, il s'impose d'abord de ne pas iuger trop vite; l'Université d'été aura surtout permis de saisir les diversités et de contribuer à invalider les regards simplificateurs. Cette reconnaisance que l'école et les musiques des jeunes ont chacune leur logique est un atout appréciable. Elle fonde le principe simple mais essentielque chacun joue son propre jeu et que le dialogue, l'ouverture, la réalisation d'opérations communes imposent au préalable une bonne connaissance des règles de ces jeux symboliques à partenaires multiples. Cette perspective que les textes ci-après ne manqueront pas d'évoquer, est à même de déboucher sur de nouveaux champs de pratiques. C'est tout au moins l'un des enseignements importants esquissé par cette Université d'été. Le fait sansdoute le plus nouveau qui oblige en quelque sorte à rompre le silence, c'est l'existence d'intermédiaires. Les musiques des jeunes ne recouvrent plus un ensemble vague de pratiques individuelles, éclatées et volatiles, un monde impalpable auquel l'éducateur serait confronté sans espoir d'en saisir la logique. Il apparaît aujourd'hui, traversé de projets construits et souvent menés à bien, une multitude d'associations locales, qui structurent la dynamique des musiques des jeunes, organisent les expériences de création, de diffusion de formation. En ce sens, la présence de ces intermédiaires peut apporter beaucoup aux initiatives et aux projets de l'école pour dépasser le stade actuel de l'indifférence. l'intermédiaire a la fonction de régulation qui réduit les risques d'inadaptation. Il autorise une réflexion plus opérationnelle et élimine les tentations d'intégration simpliste et les solutions pédagogiques naïves. Certes, tous ces intermédiaires ne sont pas efficaces par nature, tous ne défendent pas les mêmes règles du jeu..., mais leur existence permet d'engager la discussion, de rechercher les conditions de faisabilité des projets et d'éviter les initiatives irréalisables. Ce dialogue entre l'école et les intermédiaires s'est ouvert pour la première fois lors de cette Université d'été: il n'ouvre pas toutes les portes mais n'en ferme aucune. Dès lors, il contribue à renverser l'image et à faire de ces «musiques de jeunes», terme toujours un peu dévalorisant, une jeune musique à découvrir. 11 reste beaucoup à faire pour que tous les interlocuteurs se retrouvent et s'associent autour d'actions communes. Il est même probable que nombre d'expressions rock et nombre de pratiques pédagogiques auront bien des difficultés à œuvrer ensemble, et sans doute est-il bon que chacun préserve son identité. Il demeure que le champ des possibles est loin d'être a priori fermé, pour le plus grand bien de la musique, qu'elle soit jeune ou plus âgée. hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy PAROLES DE CHERCHEURS hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy PAROLES DE CHERCHEURS APPROCHES QUANTITATIVES DES PRATIQUES MUSICALES ---_._-- «C'est lo fièvre de la jeunesse quimaintient le restedu mande à sa température normale. Quandla jeunesse se refroidit, le restedu mande claque des dents» G. Bernanos PÎewe MAYOL chargé d'études au Département des études et de la prospective ministère de la Culture et de la Communication Ces pages sont la reprise, largement déployée et complétée, de la fresque sociologique et économique bien vite brossée lepremier matin de l'Université d'été qui nous a rassemblés quelques, jours sur les musiques des jeunes. L'énumération des chiffres, oralement fastidieux, a été ici complètement réécrite, afin de ne pas entamer la patience du ledeur. Dès lors qu'on s'exile des sondages simplistes dont nous sommes surabondamment abreuvés, de la préférence pour le camembert aux opinions sur la peine de mort, et qu'on s'affronte aux vraies enquêtes scientifiquement éprouvées, le travail devient réellement compliqué pour le destinateur comme pour le destinataire. Le premier doit résumer un bon millier de pages en quelques-unes, quant au second. une fois introduit aux problématiques générales et frotté auxrésultats principaux ousynthétiques, il conviendrait qu'à son tour ilprÎt son bâton de pélerin et s'enfonçât dans l'épaisseur des chiffres. Aussi austères qu'elles paraissent prenons ces pages comme une invitation au voyage. Dont ode. Celte première partie s'appuie pour l'essentiel sur l'enquête Pratiques culturelles des Français, descrip- tion socio-démographique, évolution 7973-7987 (Edit. Dalloz, Paris, 1982, 438 p.). Réalisée par le Service des études et recherches (SER) (7) du ministère de la Culture, avec le concours de l'Institut ARCmc, elle porte sur les années 1980-1981 et contient des éléments de comparaison avec l'enquête similaire effectuée en 1973 et publiée en 1974. Le questionnaire (élaboré en commun par le SER et ARCme) contient 131 questions (dont certaines comportait plusieurs dizaines d'items) soumises à 4000 personnes, dont un cinquième est constitué de jeunes âgés de 15 à 24 ans: soit 800 jeunes. Ces limites d'âges sont méthodologiquement conventionnelles et l'on a coutume de distinguer habituellement deux groupes: les 15-19 ans, encore fortement scolarisés, et les 20-24 ans, qui affrontent l'étape, bien problématique aujourd'hui, de <d'entrée dans la vie». Pour austère qu'elle soit, la lecture de cet ouvrage est bien utile à qui veut approfondir, chiffres fiables en main, tel ou tel aspect des pratiques culturelles. Je conseille de lire d'abord la «méthode de l'enquête. La deuxième partie contient les «tobleoux des résultats» selon l'ordre de succession des questions, répartis en regard de sept critères systématiques: le sexe; l'âge; la catégorie socio-professionnelle (CSP) de la personne interrogée; celle du chef de ménage; la taille de l'agglomération de résidence; le diplôme de fin d'études; enfin, la situation de famille. Dans le cadre de ces quelques pages qui ne peuvent qu'être «indicatives», comme le titre l'indique, nous avons privilégié presque exclusivement le critère de l'âge. Les mots «jeunes» ou «jeunesse» seront affectés aux chiffres concernant les 15-24 ans, ovecindicotions éventuelles des subdivisions 15-19, 20-24. Le mot «populotion» renverra aux chiffres concernant «l'ensemble de la population française âgée de 15 ans et plus», c'est-ô-dire jusqu'aux plus âgées des personnes interrogées. Ici ou là, la distinction entre le groupe «15-24» et «25 et plus» est utilisée' elle sera alors marquée en toutes lettres, I.E llAPPOIlTA LA MUSIOUE Il ressort de celte enquête que les jeunes ont, sur de nombreux postes,des pratiques culturelles supérieures à celles des moyennes nationales. Ainsi, l'adolescence et la jeunesse constituent la période où l'activité de la lecture est la plus grande: 90% des jeunes ont lu au moins un livre dons l'année (population: 70%) et ils lisent en moyenne 22 livres par an (population: 15), livres scolaires exclus (2). Leur pratique du cinéma est aussi hautement significative: 90% s'y rendent au moins une fois par an (population: 50%). Par contre, ils regardent moins la télévision (jeunes: 50% quofi- 12 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy diennement; population: 70% et, respectivement 14 heures et 18 heures en moyenne par semaine). Sauf pour certaines émissions plus ou moins consacrées aux musiquesjeunes... (d. infra § 5). La musique émerge en effet comme une pratique culturelle prépondérante chez les jeunes. «Sans musique, je meurs»; telle est la réponse, sans détour, d'un jeune travailleur grenoblois à ses enquêteurs (3). Cependant, pour la rigueur de l'analyse, il importe de distinguer trois niveaux dans les pratiques musicales, selon le degré de participation qu'elles nécessitent. La pratique instrumentale amateur suppose une implication personnelle, affective et effective: goûts et prédilections marqués; achat d'instruments, de partitions, d'ouvrages spécialisés (pédagogiques, historiques); exigences de services (formation, informations); astreintes personnelles insérées le plus souvent dans le temps des loisirs (les «répéfifions»], l'ossistcnce aux spectacles musicaux relève d'une démarche de sorties, donc engage des coûts financiers: assistance à des concerts, des festivals, des rencontres. L'on distinguera du reste les spectacles «vivants» des spectacles dits «mécaniques» (écoute payante de musiques enregistrées: juke-box; dancings, «boites»). La consommation musicale à domicile comprend d'une port les supports permettant l'écoute libre, auto-enregistrée, ou auto-diffusée, des phonogrammes (disques, cassettes, bandes) et les postes (de radio, de télévision) permettant le contact avec les musiques programmées des différentes chaînes de radio et de télévision (les réseaux). U l'UTIQUE INSTRUMENTALE 37% des Français âgés de plus de 15 ans vivent dans un foyer où l'on possède au moins un instrument de musique. C'est auprès des jeunes de 15 à 19 ans que la présence d'un instrument au foyer est la plus fréquente: 66%. La pratique d'un instrument de musique, au moins «rorernent», touche en moyenne un individu de la «population» sur cinq (19%). En revanche, un jeune sur deux (48%) a eu un contact avec un instrument de musique dans les douze mois précédant ses réponses à l'enquête. Bien entendu, à la question concernant la pratique «régulière», les pourcentages des jeunes tombent à 18% pour les 15-19 ans et à 14% pour les 20-24 ans (population: 7%). Lesinstruments les plus fréquemment possédés et utilisés sont les instruments à vent, puis la guitare. Le taux de possession d'un instrument à vent est celui qui s'est le plus élevé depuis 1973 (de 12%; il est passé à 20%), vraisemblablement en raison du développement de l'enseignement de la flûte dans les programmes d'initiation à la musique. Anne-Marie Green, dans une enquête (4) publiée récemment auprès de jeunes lycéens des LEP note qu'sun peu plus des deux tiers de ces jeunes possèdent au moins un instrument de musique» (o.c., p.61). Elle ajoute: «La flûte à bec arrive en tête (66%), suivie de la guitare sèche (44%) et de l'harmonica (24 %»>. Les taux de possession des autres instruments n'excèdent jamais 10%. Les instruments les plus possédés, donc joués, le sont parce que leur coût est peu élevé, parce qu'ils permettent de jouer aisément des morceaux de structures simples, calqués sur les modèles musicaux les plus largement diffusés par les médias (o.c., p.63-64). l'enquête du Service des études et recherches du ministère de la Culture donne les chiffres suivants (5); pour l'ensemble de la population étudiée: Possèdent dans leur foyer' Au moins un instrument de musique: Ont utilisé personnellement au cours des 12 derniers mois' 1981 1973 1981 1973 36,6 33,1 18,7 15,4 .. un instrument à vent 19,8 12,7 6,9 5 .. une guitare 15,8 12,9 6,6 6 fi un piano 7,4 8,2 4,1 4,8 fi un autre instrument à cordes 4,5 4,1 0,8 1,3 9,7 8,6 4,2 4,3 " un autre instrument (*) chiffres exprimésen pourcentage On ne s'étonnera pas qu'ils soient inférieurs à ceux relevés par A-M. Green: d'abord parce qu'ils portent sur l'ensemble de la population âgée de 15 ans et plus; ensuite parce que le décalage des années entre 1981 et 1985 explique que la diffusion des instruments «légers» et (relativement) "faciles» se soit accentuée 13 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy par l'intermédiaire des pédagogies musicales qui, elles-mêmes, ont vu leur audience s'accroître grâce à l'action concertée des différents partenaires publics (école, Culture; Etat, collectivités locales; sensibilisation des ménages à la dimension culturelle de l'éducation des [eunes. Ce dernier facteur mérite d'être relevé car le chapitre suivant montrera que les ménages dépensent le plus, et de loin, pour la formation musicale des jeunes). Généralement, la pratique d'un instrument est fortement corrélée avec l'âge; si 30% des «jeunes» (15-24 ans) pratiquent «souvent» ou «de temps en temps» un instrument, on ne compte que 15% des personnes de 25 à 39 ans et 2% des personnes âgées de plus de 60 ans. Plus l'agglomération est importante, plus le taux de possession d'instruments est élevé. Paris intramures, avec 46% de possesseurs, est au sommet de la pyramide. Enfin, l'appartenance à la catégorie socioprofessionnelle est déterminante: c'est dans le milieu des cadres et celui des professions libérales qu'on trouve le plus grand nombre d'amateurs actifs, ainsi qu'auprès des [eunes étudiants et élèves, dont 40% annoncent une pratique instrumentale active. «Active», le mot est ambigu; il décrit une pratique fréquente en termes de contacts physiques avec un instrument (ou avec le chœur), mais qu'on pourrait dire «stagnante» Très du point de vue du perfectionnement techniqu~. concrètement, il s'agit de ces jeunes qui sont capables de pianoter ou de «qrotter» une guitare avec plus ou moins de bonheur à l'occasion d'une fête quelconque, ou pour se divertir LU SORTIUAUXCONCERTS les 15-24 ons, toutes catégories sociales et tailles d'agglomérations confondues, sortent un peu plus aux concerts que la moyenne générale: 12,5% vont à des spectacles de variétés (population: 10,5%) ; 10% à des concerts classiques (population: 7,5%); 11 % à des spectacles de ballets (population 5%) ... C'est une fois encore dans la catégorie des concerts "pop, rock, folk et jazz» que l'écart est le plus important: 30% (population 10%). De plus, la fréquentation à ce genre de concerts est tout à fait particulière. l'enquête Pratiques culturelles des François analyse (pp.1l5 et suivantes) le caractère convivial des sorties culturelles. Vingt-sept types de sorties sont ainsi retenues: sorties au cinéma, à des manifestations sportives, des spectacles amateurs, folkloriques, de variétés; au théâtre, au cirque, aux différents genres de concerts, ete. En face de chacune de ces sorties il est demandé à toutes les personnes intéressées de répandre si elles sortent: seules/avec des moins de 18 ans (des mineurs)/avec un, ou des amis/avec d'autres parents. Remarquons d'abord que sur les 27 sorties, la mention «avec d'autres parents» vient en première position (21 fois); preuve, s'il en est, que les sorties à caractère familial restent très largement prépandérantes (quelques exemples: cinéma, cirque, ballets, concerts de grande musique, expositions, salons, brocantes, promenades, ete.). Sur les six sorties restantes, celle qui concerne l'assistance aux concerts «pop, folk, rock, jazz» est particulièrement éclairante: 95 % des personnes interrogées vont à un concert de ce type accompagnées, dont 74% avec des amis. Comme ces spectateurs sont essentiellement des jeunes, cela signifie que ces concerts entraînent une convialité entre «pairs», ou encore: une convivialité de compagnonnage, où le rappart horizontal des générations (des «bio-classes», comme dirait Edgar Morin) l'emporte très largement sur le rapport <<Yerticab> des structures familiales. Ces concerts sont des lieux où les jeunes se retrouvent «entre eux», ce que ·démontre au demeurant la plus modeste des observations empiriques. les deux tableaux synthétiques suivants donnent une idée précise des genres musicaux préférés - mais non exclusifs - par les jeunes, tant au niveau des phonogrammes disponibles au foyer, qu'à celui de l'écoute. Genre dont il yale plus d'enregistrements au foyer Ensemblede 15 à 19 ans 20à 24 ans la population Musique pop, folk ou rock 16% 35% 35% Chanson 39% 49% 45% Musique classique 10% 6% 5,5% 2% 2,5% 2,5% 11% 10% 10% Jazz Autres ~ 14 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Genre préféré, écouté le plus souvent (6) -~ --- --------._-------,--_.. _ --- ----~------- 15à19ans 20à24ans 15"10 48"10 44"10 Chanson 38"10 44"10 43"10 Musique classique 14"10 4,5"10 5"10 Ensemble de la population Musique pop, folk ou rock Jazz Autres Comme on le voit, les chiffres les plus «lourds» se trouvent dans les colonnes des 15-19 ans et des 20-24 ans, face aux rubriques «pop, folk ou rock» et «chanson». Lon remarquera - c'est une des révélations de l'enquête -le score particulièrement bas du iozz qui ne doit plus guère rassembler que la (belle) catégorie des «passionnés» (cf. infra, chop.ll, §3). ECourr DE LA MUSIQUE ENIlEGISTIlEE ETGENIlES D'EMISSIONS . --------- MUSICALES PREFERES ... Soixante-dix pour cent des Français disposent dans leur foyer (en 1981) d'un électrophone ou d'une chaîne hi-fi. La «privatique» est, de tous les phénomènes liés à la pratique musicale, celui qui a connu la plus grande expansion. La période 1970-1981 a connu un développement considérable du matériel 3"10 3"10 4"10 16"10 13"10 15"10 haute-fidélité en France. Le taux de pénétration est passé de 1 à 4: 7"10 des foyers en 1973, 30"10 en 1981, disposent d'une chaîne hi-fi (7). 56"10 des français ont dans leur foyer en 1981 un magnétophone, la plupart à cassettes (54%), chiffre qui, là encore, rend compte d'un développement considérable en huit ans (1973: 28%, dont 18% à cassettes). l'orqument selon lequel ces outils techniques n'existaient pas, ou peu, il y a quinze ou vingt ans, ne rend pas totalement compte de l'ampleur du phénomène. A cela s'ojoutent la facilité de l'utilisation (une cassette est bien plus facile à utiliser qu'une bande magnétique), et la qualité acoustique de la haute fidélité qui, pour des prix concurrentiels, est beaucoup plus performante que celle des électrophones stéréophoniques et, a priori, que celle des «crincrins» et autres vénérables «[eppoz» des années 60. En regard des chiffres évoqués à l'instant, les taux de possession par les jeunes sont les suivants: 15-19 ans 20-24 ans Population Electrophones ou choÎnes hi-fi 92% 83"10 70% Magnétophones à bandes ou à cassettes 87% 76% 56% Ces résultatsnous incitent presque à formuler l'axiome sociologique suivant: plus il y a facilitation de l'usage de l'outil (par ex.: la cassette par rapport à la bande magnétique, que l'on peut ranger aisément, transporter sans encombre et manipuler de manière standardisée), plus il y a pénétration culturelle. Mais cet axiome ne serait pas vrai si, à la facilitation, ne s'ajoutait une augmentation sensible de la performance, le tout lié à une diminution sensible des dépenses (le coût de la privatique a été divisé par 3 ou 4 en francs constants depuis vingt ans). Pour prendre un autre domaine, celui de la photographie, la diffusion sur le marché des appareils dits «auto-focus» depuis 1983 a considérablement multiplié le nombre des photographes orne- teurs pour des qualités voisines de celle de la cassette: prix abordable, encombrement réduit, facilité d'utilisation, et bonnes performances. A ce surcroît de possession correspond un surcroît d'utilisation: 65% des 15-24 ans disent utiliser «souvent» électrophones et chaînes hi-fi, et 58% les magnétophones (<<population» : respectivement: 37% et 27,5%). De même, les jeunes possèdent en moyenne 105 disques (population: 90 disques), et ils sont 80% à posséder en moyenne 30 cassettes (<<population»: 54% possèdent en moyenne 30 cassettes). 85% des 15-24 ans disent écouter régulièrement ces divers phonogrammes (population: 59%). 15 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy TELEVISION, RADIO La fréquentation des médias par les jeunes est en général inférieure, tant en fréquence qu'en durée, à celle de l'ensemble de la population. Les [eunes regardent moins la télévision que les adultes (15-24 ans: 14 heures en moyenne/semaine; 25 ans et plus: 18 heures). La question (nO 36, cf. Pratiques culturelles des Français, p.423) portant sur la fréquence d'écoute (ont regardé «souvent» ou «de temps en ternps»] de différents genres d'émissions de télévision recense vingt-deux rubriques: films de cinéma, sport, théâtre, dramatiques, concerts de musique classique, de «rock-folk-jazz», ballet, cirque, variété, émissions littéraires, scientifiques, politiques, etc. Pour quatorze de ces rubriques, l'audience «jeune» est, grosso modo, comparable à celle de «population» (par ex.: films, variétés, sport, problèmes politiques et sociaux, science, histoire...); pour sept d'entre elles, elle est inférieure (cirque, débats, opérette, théâtre, musique classique, ballet, opéra). Cela c.onstitue donc un écart négatif. Mais il y a une rubrique où le taux d'écoute «jeune» est supérieure, et de manière écrasante, puisqu'il est multiplié par trois, c'est celle qui concerne les genres musicaux «rock-folk-pop-jazz»: 43% des jeunes les écoutent régulièrement contre 15% des plus de 25 ans. La quasi totalité des Français disposent dans leur foyer de la radio (96%). l'écoute de la radio par les jeunes est proche des scores nationaux - usage facilité par le transistor, la maniabilité et la miniaturisation. Mais ils l'écoutent surtout pour ses programmes musicaux et comme un bruit de fond, plus que comme une source d'information. les 15-24 ans ont une prédilection pour les émissions de variétés et de chansons (46%; 22% chez les plus de 25 ans), et s'intéressent moins aux informations (18%; 35% chez les plus de 25 ans). Emissions radiophoniques les plus écoutées (en pourcentages) ._------------- Chansons Rock Grande pop, folk musique Ensemble de la population 38,1 15,0 13,6 15-19 ans 43,8 48,4 4,5 20-24 ans 41,6 39,9 6,3 25-29 ans 45,0 10,5 18,0 60 ans et plus 17,4 0,3 9,6 Ces quelques résultats (8) et leurs commentaires confirment l'affinité culturelle forte entre la musique et la jeunesse. A ce niveau de généralités, on peut presque parler d'une accointance comme si la jeunesse avait besoin de la musique pour affirmer son identité culturelle. Mais nous nous garderons bien d'être dupes des chiffres, surtout lorsqu'ils sont hypostasiés sous les espèces de ces deux singuliers: «la» jeunesse, <da» musique. l'une et l'autre sont infiniment plurielles, moirées et (c'est le cas de le dire!) rapsodiques. Signaler des préférences n'est pas signaler des exclusives: sauf cas limites, le rock n'est pas l'ennemi ni de Chopin ni de Bach, ni du grégorien ni de Boulez. Parmi les interventions suivantes, celui de Régine Boyer montre combien il est difficile, voire impossible, de parler des lycéens et de leurs enseignants de manière homogène. Et lorsque Patrick Mignon ou Françoise Tétard retracent, chacun à leur manière, les aspects socio-historiques des cultures musicales jeunes depuis la Seconde Guerre mondiale, ils ne cessent de montrer les implications internationales et la diversité sociologique sur lesquelles elles reposent, et comme elles puisent des langages sans cesserenouvelés avec des allers et retours dans le temps (les années 80, les sixties, les fifties... ) qui étonnent parfois les observateurs. l'euphorie unanimiste ne saurait donc être de mise, d'autant que des disparités sociales et régionales criantes persistent. le taux des sorties, par exemple, reste très élitaire: les ruraux n'ont pas les mêmes facilités que les urbains; les classes sociales défavorisées ont encore du mal à accéder à ce qui devrait être une culture commune, et pas seulement l'apanage d'élites initiées - fussent-elles républicaines! - (9). Cependant, en termes de moyennes générales, soumises à la loi des grands nombres, force est de constater l'impact du domaine musical au coeur de la jeunesse, la fascination qu'il exerce, les désirs qu'il suscite soit pour les amateurs convaincus, peu nombreux mais actifs, soit, plus modestement, et pour le plus grand nombre, en termes de loisir et de plaisir. En tous les cas, les chiffres de l'enquête sur les Pratiques culturelles des Français sont là et ils s'imposent aux analyses avec leur propre force, limitée certes, mais efficace. hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Les données chiffrées qui suivent sont extraites d'une vaste étude, L'Economie dudomaine musical (La Documentation française, Paris, 1985; 400 pages), réalisée par le Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE) à la demande du Service des études et recherches du ministère de la Culture et du Commissariat général du plan. Cet ouvrage complexe et complet (125 tableaux et 81 graphiques) aborde tout ce qui a trait au déploiement économique, forf diversifié, de la musique: développement historique et technologique; création musicale; typologie des pratiquants; formation; presse spécialisée, facture instrumentale; filières des spectacles; privatique et réseaux; musique d'ambiance; distribution des rôles économiques de l'Etat, des collectivités locales, du secteur privé. Cette étude ne traite pas explicitement des jeunes; mais l'on verra que leur présence, quand bien même en filigrane, représente un poids économique considérable qu'on repèrera surtout au travers des chiffres concernant la formation (10). Il s'agit là encore, d'un instrument de travail rigoureux et exigeant qui constitue une véritable somme. Les chiffres extraits et commentés ici sont, bien évidemment, le résultat d'un choix, dont d'éliminations; ils ne dispensent pas le lecteur (courageux) d'une lecture personnelle de cet ouvrage. U POID' ECONOMIQUE l'étude du BIPE définit le domaine musical à l'aide de trois fonctions déjà aperçues: la pratique amateur et ce qu'elle implique en termes de consommation d'ins- truments et de services (la formation) ; la participation aux spectacles musicaux, qu'ils soient «vivants» (concerts et bal) ou «mécaniques» (discothèque, iukebox, cinéma musical); l'écoute domestique sous ses deux formes: «privatique» (auto-enregistrée, auto-diffusée) et «réseaux» (émissions musicales des radios et chaînestélévisuelles). Cet ensemble pèse 31 milliards de francs soit 1,5% de la «consommation finale des ménages» qui est, en 1981 d'un peu plus de 2.000 milliards de francs (soit deux fois le budget de l'Etat). Ce chiffre est tout à fait honorable; il est comparable à la consommation de chaussures (26 milliards), biiouterie-icoillerie (28 milliards), électricité (34 milliards), prestations des médecins (36 milliards), vins-boissons alcoolisées (39 milliards). La comparaison avec le dieu automobile confirme la place de la musique: les achats d'automobiles, avec 55 milliards, n'excèdent que de 80% la consommation musicale (o.e., p.137). Ce qui permet à D. Daude un sous-titre au cours de son article cité: «Les Français consacrent à la musique plus de la moitié de ce qu'ils consacrent aux achats d'automobiles» (p.94). LA IlEMIImlON ECONOMIQUE En ramenant les 31 milliards à la base 100, on obtient les répartitions suivantes qui se lisent en pourcentages: Les options de la consommation musicale (1981 ) Consommation musicale 100 Pratique Ecoute A l'extérieur A domicile Privatique Il Y a donc quatre fois plus d'argent consacre a l'écoute (80%) qu'à la pratique (20%). Deux fois et demi plus d'argent à l'écoute à domicile qu'à l'écoute Réseaux Spectacles Spectacles vivants mécaniques extérieure; deux fois plus d'argent aux spectacles vivants qu'aux spectacles mécaniques (d. art. de C. Daude, p.95-96). 17 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Les emplois du domaine musical sont nettement inférieurs à leurs représentations économiques. Ils ne représentent que 0,3%, soit 64.500 emplois sur les 21.451.000 enregistrés en 1981,répartis ainsi: Masses de dépenses culturelles en pourcentages en milliards de francs 20 6,2 Pratique Spectacles 23 7,1 Privatique 44 13,6 Réseaux (radio, TV) 13 4,1 Total 100 Les emplois du domaine musical sont nettement inférieurs à leurs représentations économiques. Ils ne représentent que 0,3%, soit 64.500 emplois sur les 21.451.000 enregistrés en 1981,répartis ainsi: Machine (conception, fabrication) 12.000 Consommation intermédiaire (partition, presse) 1.500 Programmes (radio, télévision, phonogrammes) 8.000 Services(formation, création, spectacles, distribution) 43.000 Total 64.500 LES ((CONSOMMATEURS" DE MUs/OUE Reprenant et affinant les chiffres de Pratiques culturelles auteurs dressent la typologie suivante, pour une population totale âgée de 15 ans et plus (100%): le groupe des «accrochés» (28%) comprend: les mélomanes (18%); les pratiquants (10%, dont 8% d'amateurs et 2% de passionnés; le groupe des «tempérants» (72%) comprend: les «branchés» (47%) et les réfractaires (25%). Les «accrochés» (ce que les auteurs appellent les «occros»] regroupent les amateurs qui entretiennent avec le domaine musical un rapport constant. Ce rapport est «occasionnel» chez les «mélomanes», mais beaucoup plus serré chez les «amateurs» qui sont, pour la plupart, propriétaires d'un instrument,pratiqué au moins «de temps en temps», et qui se rendent assez régulièrement aux concerts. Les «passionnés» sont des fervents qu'on retrouve partout: dans la pratique instrumentale et vocale, aux concerts, et à l'écoute intensive des musiques enregistrées (privatique) et programmées (réseaux: radios et télévision). les des Français, 31 Les «tempérants» regroupent les «bronchés» «omsi baptisés pour suggérer que leur consommation (70) essentielle passe par les appareils électriques» (étude p.86). Quant aux «réfractaires», ils sont allergiques à toute consommation musicale active et n'écoutent jamais de musique enregistrée. Dons ces distinctions, on note l'importance des critères de l'âge (32 ons en moyenne pour les pratiquants; 51 ans pour les réfractaires), de la CSP (33% de catégories supérieures pour les pratiquants, 7% seulement pour les réfractaires, de la commune de résidence (52% des pratiquants vivent dans les zones urbaines de plus de 100.000 habitants, contre 39% des réfractaires) (77). Quant aux «pratiquants» réunissant les deux groupes les plus actifs, ils représentent 10% de la population c'est-à-dire un peu plus de 4 millions d'individus - puisque la population française, âgée de 15 ans et plus, est de 42.000.000 de personnes, les plus jeunes n'étcnt pas comptés - qui se répartissent ainsi: 1nstrumentistes 7,3%0 Chanteurs 2,9% Pratique isolée 4,8% Pratique de groupe 5,4% Total exact du pourcentage 10,2% Soit: 4 millions d'individus DEPENSES MUS/CAUS SELON US CATEGORIES Dix pour cent de la population consomment 40% de la musique. Les dépenses musicales des réfractaires (25% de la population) sont, par définition, nulles. Les 31 milliards reposent, si l'on peut dire, sur les épaules 18 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy des 75% restants. Les "accrochés» (28%, dont 10% de pratiquants et 18% de mélomanes)assument 60% des dépenses musicales, et les "branchés», 40%. Mais les pratiquants, à eux seuls (10%) dépensent 36% et consomment 39% du total, la différence entre ces deux pourcentages tenant au fait qu'ils bénéficient pour près des deux tiers des financements publics allant à la musique. Ils consacrent plus de 4,5% de leurs dépenses à la musique (contre 1,3% pour un Françaismoyen), "Aussi voit-on apparaître une hiérarchie très forte (dans les dépenses musicales des ménages en 1981) puisque 25% de la population ne dépensent rien; 47% (les «bronchés»] dépensent en moyenne 1.165 F an; 18% (les mélomanes) 1705 F; 8% (les amateurs) 4425 F et 2% (les passionnés) 5975 F. (Etude, p.l48). Les auteurs ont élaboré un excellent graphique (no33, p.l50) qui donne les différentes affectations de mille francs de consommation musicale. haut) et, effectivement, reportée au 31 milliards du domaine musical, elle en représente presque les 20% (tout comme 199 F reportés à 1000 F). A quoi s'cioutent 13,6% de consommation de spectacles. Total: environ 40% de la musique est consommée par 10% de la population, LA FORMATION MUSICALE: OU, COMMENT, POUR QUI r Les 15-24 ans représentent 43% des "pratiquants», presque un sur deux. Ils constituent 60% des personnes fréquentant un spectacle vivant de "pop, folk, rock»] «population»: 29%); ils constituent 20% des personnes allant aux concerts classiques et 17% de celles qui vont assister à des spectaclesde ballet. Mais c'est surtout sur les problèmes de la formation que nous allons les retrouver. fORMATION MUSICALE SPECIALISEE 1.000 francs de consommation musicale Les pratiquants 394F • pratique amateur 199 F • privatique 136 F 59 F • spectaclesvivants Les mélomanes 215 F 164F • privatique 51 F • spectaclesvivants Les "branchés» (1 391F privatique • spectacles 267 F 124 F Ces chiffres démontrent donc qu'un pratiquant consomme 39,4 F de musique, là où un mélomane consomme 12 F, et là où un branché consomme 8 F. le pratiquant consomme donc trois fois plus que le mélomane et cinq fois plus que le branché, Et, dans ce qu'il dépense, la part la plus importante va à la pratique amateur, Las dépenses du pratiquant Facture instrumentale (achat d'instruments) 2.250 MF Information (presse spécialisée) 160MF Enseignement et formation 3,620 MF Total 6.130 MF Cette somme représente le poids de la seule"pratique amateur» (elle correspond à nos 199 F signalés plus Je retiens ici les grandes lignes d'un chapitre de quatre-vingts pages, intitulé «Les Filièresde la Pratique musicale» (p.155-232 de l'étude) qui regorge d'informations chiffrées très précieuses. Les situations de formation sont disparates. D'après l'inventaire de l'INSEE (1979-1980), 4.202 communes sont pourvues d'une école de musique (36.000 communes en France), Ce vocable générique masque une grande hétérogénéité dans la nature des institutions puisqu'il comptabilise aussi bien les conservatoires municipaux que les initiatives individuelles ou associatives. Ainsi 12% des communes sont pourvues d'une cellule de formation musicale permettant en principe une desserted'environ 66% de la population, l'on constate déjà un déséquilibre au niveau des régions administratives. La situation de IAlsace est très favorable (392 communes équipées sur 896, soit 45% environ). Viennent ensuite l'ile-de-France (397 communes sur 1.279: 31 %) et le Nord-Pas-de-Calais (412 sur 1.550: 27%). Rapportée au nombre d'habitants, la situation de l'ile-de-France est cependant difficile car elle ne dispose que de 4 écoles de musique pour 10.000 habitants (Alsace: 31 ; NordPas-cie-Calais: 11). A l'opposé les écoles de musique sont peu développées en Corse (1 % des communes équipées), dans le Limousin (4%) et en Bourgogne (4%). Les différences sont encore plus accusées entre les départements. Les mieux dotés sont le Bas-Rhin, le Rhône et le Nord. A l'inverse, dans les deux départements de la Corse, en Côte-d'Or et en Corrèze, à peine deux communes sur 100 sont équipées. En moyenne, pour l'ensemble de la France, les élèves des communes non équipées sont à 13,5 km d'une école de musique; mais cette distance atteint 26 km dans les Pyrénées-Orientales et la Côte-d'Or, 28 dans les Alpes de Haute-Provence, 48 en Haute-Corse et 60 en Corse du Sud. Il faut vraiment avoir la vocation! Certains secteurs géographiques sont ainsi de véritables déserts musicaux. 19 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy DESEQUILIBRE DES fiNANCEMENTS Pour former de jeunesmusiciens appelés (en principe) à devenir des professionnels, la France dispose d'abord d'institutions financées, totalement ou en partie, par les pouvoirs publics (Etat et/ou collectivités locales). Deux Conservatoires nationaux supérieurs de musique (CNSM) à Paris depuis 1795, et à Lyon deruis 1980. Ils forment 1.450 élèves pour un coût toto de 107 millions de francs, exclusivement à la charge de l'Etat (ministère de la Culture pour l'essentiel). Cela représente donc un coût de formation de 74.000 F par élève et par an, coût qui fait de l'étudiant en CNSM l'un des plus chers de France (après les formations militaires spécialisées). Trente-et-un Conservatoires nationaux de région (CNR: 43.300 élèves) et trente-six Ecoles nationales de musique (ENM: 52.400 élèves), soit 95.700 élèves, formés pour un coût total de 436 millions de francs répartis ainsi: Etat: 55 MF; collectivités: 362 MF; ménages: 19 MF. Coût moyen de l'élève: 4.556 F/ an (72). 75 Ecoles municipales agréées (EMA) : elles ne reçoivent pas de subventions de l'Etat, mais bénéficient de son agrément pédagogique (leurs diplômes sont reconnus); elles se répartissent en écoles du premier degré (66 établissements pour 33.700 élèves) et du second degré (9 établissements pour 4.800 élèves), soit un total de 38.500 élèves. L'étude ne détaille pas les sommes affectées spécifiquement aux EMA car elle les inclut dans un coût global qui comprend conservatoires et écoles municipaux non agréés (voir ci-dessous). A cela s'ajoute les 4.200 écoles de musiquemunicipales (ou conservatoires municipaux) évoqués plus haut, qui ne reçoivent ni subventions de l'Etat, ni son agrément pédagogique. Elles forment pourtant 800.000 élèves auxquels s'ajoutent ceux des EMA (38.500) pour la somme globale de 890 millions de francs, dont: collectivités locales: 680 MF; ménages :210. Coût moyen de la formation de chacun des 838.500 élèves: 1.060 F/. Au total: 935.650 élèves bénéficient d'une formation musicale totalement prise en charge par l'Etat, ou subventionnée par l'Etat et/ ou les collectivités locales. Bref, peu ou prou, ils bénéficient de fonds publics. Or, on estime à 1.350.000 l'ensemble des élèves en formation musicale spécialisée. Il en reste donc environ 400.000 répartis dans: des cours particuliers: estimés à 496 millions de francs; des stages d'été: 642 millions de MF; des écoles privées (73): 642 millions de MF; toutes sommes à la charge des ménages. CNSM (74.000 F/ élève) et 55 pour les 95.700 élèves des CNR et ENM (soit: une participation de l'Etat de 575 F/élève, le reste à la charge des collectivités locales et des ménages). Collectivités locales: 1.042 MF dont 362 sont affectés aux 95.700 élèves des CNR et des ENM (soit 3.783 F/ élève), et 680 affectés aux écoles municipales à leur seule charge formant 835.650 élèves (soit 814 F/ élève). Les ménages: 1.567 millions de francs répartis ainsi: 19 MF pour les inscriptions aux CNR et ENM (soit 200 F en moyenne par élève); 210 MF pour les inscriptions dans les écoles municipales non subventionnées par l'Etat (soit 250 F en moyenne par élève); 1.338 MF pour les cours particuliers, les stages d'été et les écoles privées. Si l'on prend la base approximative de 400.000 élèves, indiquée plus haut, on obtient 3.345 F de frais de formation par élève, à la charge exclusive des ménages. En résumé, là lù l'Etat apporte 162 millions de francs, ménages et collectivités locales apportent 2.609 MF, soit 16 fois plus haut. Là où l'Etat seul participe à la formation de 135.000 élèves au prix «moyen» (on a vu avec quels écarts cependant!) de 1.200 F, les ménages et les collectivités forment 1.165.000 élèves au prix moyen de 2.240 F. Notons toutefois une forte disparité d'une commune à l'autre où les droits d'inscription sont dans un rapport de 1 à 7. La politique financière de l'Etat reste donc très élitaire et sélective (74) en matière de formation musicale, en dépit de ses efforts pour implanter et aider les lieux de formation. LA fORMATION MUSICALE«GENERALE» Pour l'essentiel, elle est assurée par le ministère de l'Education nationale qui dispose de 4.800 professeurs de musique, de conseillers pédagogiques en éducation musicale chargés de former les instituteurs et de professeurs agrégés intervenant dans les écoles normales. Existent aussi des sections spécialisées de l'enseignement supérieur (UER d'universités). Interventions de l'Etat En millions de francs Ministère de l'Education nationale * 850 MF Ministère de la Culture et de 162 MF la Communication 2 MF Ministère de l'Agriculture Ministère des Relations extérieures 5MF REPARTITION ECONOMIQUE DE LA fORMATION MUSICALE SPECIAI.ISEE Ministère de la Jeunesse et des Sports 3MF Le coût final de la formation musicale de 1.300.000 élèves estde 2.771 millions de francs répartis ainsi: Etat: 162 MF dont 107 pour les 1.470 élèves des Total 1.022 MF , Dont708 MFpourlaseulerémunération des enseignants 20 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy que ce montant comprend essentiellement de l'Etat c?~saré à la formation musicale «spéciclisée» (162 millions) et ceux consacrés à la formation musicale «générale», essentiellement scolaire (850 millions). Avec ses 1.022 millions de francs il assume donc le sixième de la ligne budqètoire intitulée «Pratique amateur» (6.130 MF dont les «enseignements et formations» : 3.620 MF) ; et le trentième de l'<<Economie du domaine musical» (31 milliards) (lS). ~apelons les ?u.d~e!s Il est de bon ton d'estimer que l'Etat n'en fait pas assez; ses détracteurs trouveront quelques raisons à leurs revendications à la lecture de ces derniers chiffres et à leur agencement aux réalités sociales et cultre~s du pays. En défense et illustration de l'Etat, une fois considéré qu'il est dans sa définition essentielle qu'il ne peut pas tout (l6), on rétorquera qu'il est dans sa définition essentielle de s'occuper de ce qui, sans lui, irait à vau-l'eau: formation professionnelle de haut niveau (les conservatoires supérieurs coûtent très cher, nous l'avons vu), entretien des orchestres, de l'Opéra, création de nouvelles institutions (Opéra-Bastille, Cité de la musique à la Villette...), restauration instrumentale de toutes sortes, enrichissements de fonds spécialisés... Tout cela suppose des engagementsconsidérables de la Fart de l'Etat! Mais il est vrai aussi qu'i n'intervient pas assez en direction du domaine «musique des [eunes», Cette musique est livrée aux aléas du marché donc de la diffusion. La formation qu'elle nécessite relève presque exclusivement des cours et écoles privées. Les formations publiques au [ozz (proportionnellement moins chères que les privées) se font au compte-gouttes; il n'existe qu'une seule formation supérieure au métier des variétés (le Studio des variétés) à laquelle il convient d'ajouter, il est vrai, quatre centres régionaux de la chanson (le plus célèbre étant celui de Bourges). ~uant au rock proprement d!t, l'aide qu'il reçoit égale zero ou presque (ltre plus loin la vigoureuse interven- tion de Bruno Lion). On notera qu'une part de ces modestes sommes a eu au moins le mérite d'aider à mieux cerner les difficultés concrètes du terrain, notamment en ce qui concerne les lieux de répétition (l7), les stratégies de formation (sauvage et académique) et les tactiques de diffusion. D'autre part, on ne peut nier les efforts consentis en direction de la pratique musicale amateur dont les aides ont été multipliées par sept en cinq ans (6 millions de francs en 1980, 42 MF en 1985) (lB) dans les secteurs des musiques traditionnelles, des fédérations d'associations, du [ozz, de la chanson des variétés et du chant choral. A tout cela, il convientd'ojouter encore les rapports sur les dépenses culturelles des villes et des départements (79) qui sont de bons indicateurs de la vitalité culturelle au niveau local (régions, départements, communes), lequel prend de plus en en charge ses propres formations et animations musicales dans le cadre de politiques culturelles définies avec des partenaires mieux au fait des besoins locaux. Il reste cependant qu'une recherche sociologique exhaustive, quantitative et qualitative, nous manque pour appréhender le plus exactement possible la réalité vivante de 10 pratique du rock en france. On a pu avancer, après force déductions et contrôles empiriques, le chiffre de 25.000 groupes rocks ce qui représente entre 150.000 et 200.000 musiciens amateurs qui veulent répéter, s'exprimer, créer, dans les meilleures conditions possibles. N'y aurait-il que 5.000 groupes, ce serait déjà une mouvance sociale significative. D'autres avancent le chiffre de 80.000 groupes. Pourquoi pas, en effet, puisque nQUS n'en savons rien? Il ne suffit pas que le président de la République avoue aimer le rock depuis les côtes américaines de l'océan Pacifique, et avance le chiffre de 35.000 groupes rock lors d'une émission de télévision, pour accroître notre savoir et transformer l'essai. Encore que les chiffres ne soient pas tout, et les remarques de François Mitterrand prennent alors toute leur voleur symbolique (au sens étymologique de symbole: ce qui réunit) en montrant qu'il y a consensus sur une réalité forte de la vie culturelle moderne, à savoir: que le rock existe, qu'il constitue une réalité historique (faut-il dire «patrimoine»? parfaitement identifiable, avec ses langages, ses esthétiques, sesinnovations artistiques, mais aussi technologiques (instrumentales,acoustiques, visuelles); qu'il pèse un poids socio-démographique et économique important, même si les chiffres précis nous manquent encore ; et que cela est une évidence, aussiévidente qu'il y a. de l'architecture, d'autres genres musicaux ou, plus Simplement, des gens dans la rue; et ce quel que soit le goût qu'on en a. Cette évidence se manifeste aussiau plan des comportements sociaux. Le rock est l'alliance d'une musique et d'un style de vie; il repose sur des réseaux, des vêtures aussisignifiantes dans leur genre que les frocs mon.astiques; sur des «mythes fondateurs», comme celui du voyage, de la rencontre, de la fête. Bref, il est rare qu'une partie de la société civile soit à ce point mobilisée pour défendre des intérêts et une action culturels qui, au bout du compte, profite au plus grand nombre. Il est donc souhaitable que les grands partenaires de la vie culturelle se sentent concernés tant au niveau de leurs réflexions qu'à celui de leur action. D'autant que l'énergie existe sur le terrain, tant au plan de l'organisation qu'au plan intellectuel, comme le prouvent expériences récentes et études en cours et en voie de publication (JO). NOTES (1) Le SER s'appelle, depuis juillet 1986, le «Département des études et de la Prospective- (DEP) et le ministère, celui de la Culture et de la Communication. Nous conserverons le sigle SER pour les documents parus sous ce label, et le sigle DEP pour ceux parus depuis. Cet organisme publie un bulletin, 21 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Développement culturel, dont le numéro 62 (avril 1985) contient quelques repères sur les pratiques culturelles des jeunes issus de l'enquête Pratiques culturelles des Français (2, rueJean-Lantier, 75001 Paris). (2) Ce qui n'exclut pas un entraînement par la scolarité, celle-ci favorisant de plus en plus l'accès à l'intégralité des textes par le biaisdesdiverses collections de poche. (3) JO. Maiastre, LaCulture en archipel. Pratiques culturelles et modes de vie chez des ieonesen siluation d'apprentissage précaire, La Documentation française, 1986; chapitre 2, § 4, "La musique». Etude commandée par le DEP du ministère de la Culture et de la Communication. (4) Les Adolescents et la musique, Editions EAp, 6 bis, rue A.-Chénier, 92130 Issy-les-Moulineaux (1986). 176 pages. Bibliographie;Annexe(questionnaire de l'enquête). (5) Pratiques culturelles des Français, p.95. (6) Source: Pratiques culturelles, 7987. Quelques données sur les pratiques culturelles des jeunes (de 75 à 24 ans); Document technique interne n0225, du 20 septembre 1982, SER, du ministère de la Culture (chiffres élaborés à partir de l'enquête Pratiques culturelles des Français, Dalloz, Paris, 1982). (7) Ce chiffre n'a cessé d'augmenter depuis. Une récente enquête de Télérama effectuée les 10 et 11 février 1987 (publiée dans le numéro 1938, semaine du 7-13 mars 1987) montre que 59% des personnes interrogées possèdent une chaîne hi-fi; 49% un électrophone; et 10% un lecteur de disques «cornpcd». (8) Source: Développement culturel, n062, p.5 (voir la note 1). (9) P. M. Menger, «l'elitisme républicain», Esprit, numéro spécial sur la musique contemporaine, mars 1985; coordonné par Pierre Mayol et P.M. Menger. (10) Un résumé de l'étude a été rédigé sous forme d'article par l'un de ses auteurs, Christian Daude, «l'économie du domaine rnusicol», Recherches économiques et sociales, 1et trimestre 1984, n? 9, p.85-118. Cette revue, du CORDES est publiéepar la Documentation fronçaise. (11) Ne pas confondre nécessairement, donc,avecce que le verlanappelle «chébrcns» et autres «blècos»... (12) Cf. l'étude BIPE, p.82 et sv, et l'article de C. Daude, p.l01-102. (13) Lire aussi Développement culture/, nO 66, septembre 1986, "Le Financement public desenseignements artistiques», publiépar le Département desétudes et de la prospective du ministère de la Culture et de la Communication. (14) Parmi ces écoles, il en estde trèscélèbres et d'excellente réputation: Schola Cantorum (fondée en 1896), Ecole César Frank, Ecole normalede musique (fondéeen 1919 par A. Cortot),etc. (15) Cf. l'article de P.-M. Menger cité à la note 7. Et, par A. Hennion, F. Mortinat, J-P. Vignolle, Les Canservatoires et leurs élèves, publié par le Département des études et de la prospective du ministère de la Culture et de la Communication, la Documentation française, Paris, 1983.De P.-M. Menger, lire l'ouvrage détaillé: Le Paradoxe du musicien, Flammarion, 1983,remarquable étude surle métierde compositeur, origine sociale, formation, création, diffusion, aides publiques (Bourses, commandes, etc.). Cf. mon compte rendu de ce livre, accompagné d'un entretien avec l'auteur, Esprit de mars 1984, nO spècial "Mainmise surla culture ?». (16) F Rouet, Les Aides à la Culture, Pierre Mardaga éditeur, Bruxelles; contient des informations importantes sur l'aide publique à la culture ainsi que descomparaisons internationales. (17) ...et que nous nous dirigeons vers unesociété où il y aura "moins d'Etot», quelle que soit la coloration politique des gouvernements. (18) Voir le Cahier du Cenam «Maxi-rock, mini-bruit». Lieux de rèpétition: des solutions, un guide, décembre 1984. Et l'étude Le Rock à la recherche de lieux par B. Lion, D. Cornmins et Y. Kazewski, commandée par le Service desétudes et recherches du ministère de la Culture. Est-il utile de rappeler que le Centre national d'action musicale (le Cenam, éditeur de ces actes) est spécialisé sur l'information portant sur les actions musicales en tousgenres (formation, festival, bibliographies, institutions, etc.), inforrnofions régulièrement tenue à jour. (19) LaPolitique culturelle 7987-7985. Bilan d'unelégislature, fascicule "La Musique et la Danse», p.23 et sv. (20) Parexemple: Les Dépenses culturelles des villes françaises en 7987, deux volumes, la Documentation française, Paris, 1985. Etude réalisée par le Département desétudes et de la prospective du ministère de la Culture et de la Communication. Les Dépenses culturelles des départements seront publiées prochainement; l'étudeestégalement réalisée par le DEP. (21) Parexemple: Les Réseaux musicaux urbains. Production et consommation du rock à Lyon, par le Groupe de recherche interdisciplinaire sur la musique (GRIM) de Lyon; auteur: G. Bourgeat, N. Bandier, Muriel Itier, Pascal Chasson. 225 p. + Annexes. Rapportfinancé par le Département des études et de la prospective du ministère de la Culture et de la Communication (janvier1987; au GRIM, 15,rue Louis Adcm, 69100 Villeurbanne). - Laurence Roulleau, rédactrice et JeanPaul Boiord, photographe: Modesde vieet culture desievnes urbains, rapport de recherche financé par le ministère de l'Equipement (janvier 1987) el diffusé par II<\RIESE, Université de Lyon 2 - Bât. K. 5, av. Pierre-Mendès-France, 69500 Bron. On n'aura garde d'oublier l'étude plus ancienne (1983) mais hautement figurative de Jean-Michel Lucas sur "Le Rock à Rennes» qui contient, outre des analyses quantitatives el institutionnelles, une analyse remarquable du «concert» comme lieu expérimental (au sens radical du mot dont la sémantique rejoint ce que contientle vocable «esthèfique»] de la fête. 22 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy PAROLES DE CHERCHEURS MUSIQUES DES LYCEENS, MUSIQUES DES ENSEIGNANTS Régine BOYER sociologue, chercheur à l'Institut national de recherche pédagogique (INRP) Département de psychologie de l'éducation et de la formation Cet exposé souhaite apporter un fond de carte aux débats qui vont suivre en présentant quelques-uns des résultats d'une enquête nationale sur les pratiques etles goûts culturels des lycéens et des enseignants de lycées {lycées d'enseignement général, technique et LEP} (1). Nous décrirons d'abord brièvement les modes de consommation, les pratiques et les goûts musicaux des élèves et professeurs; nous tenterons ensuite de préciser le sens etla place de la musique dans les différents profils culturels d'élèves etd'enseignants qui ont été dégagés à partir del'ensemble deleurs activités deloisirs. Deux points nous paraissent devoir être commentés en priorité. l'écoute quotidienne de disques et cassettes par les lycéens est importante et sensiblement plus élevée que celle des enseignants. De plus, les goûts déclarés en matière d'émissions de radio et télévision viennent confirmer cet engagement dans la consommation musicale: les émissions de musique attirent en effet tout particulièrement les jeunesauditeurs et celles de variétés téléviséessont élues par 30 % des lycéens. l'exornen des goûts musicaux des professeurs et élèves montre l'existence d'un consensus des enseignants sur le choix de la musique classique alors que le rock, musique réputée rassembleuse des jeunesses, ne regroupe qu'un peu plus de la moitié des lycéens. La répartition des réponses des élèves appelle d'autres remarques: d'une part, on peut constater la relative dispersion de leurs réponses, réaffirmée dans la centaine de combinaisons apparues (2), même si 70 % des choix proposent des combinaisons à base de rock, chansons, reggae et folk. D'autre part, l'item «autre», habituellement destiné à accueillir quelques réponses originales, a reçu 20 % des choix; ceci montre l'inadéquation pour les lycéens de la gamme de genres proposés et leur volonté de faire connaître ceux qu'ils considèrent comme des genres à part entière (hard, funk, disco). C'est l'un des signes aussi du rapport particulier que les lycéens entretiennent avec la musique puisqu'ils ont utilisé pleinement pour cette seule question de l'enquête les possibilités que donnait son caractère semi-ouvert en inscrivant listes de noms et commentaires sous cet item ainsi que sous les items «chansons» et «musique contemporaine». Cette utilisation invite à réfléchir sur les significations à la fois de cet engagement dans l'écoute musicale et de la classification des genres musicaux. Les lycéens ne cherchent-ils pas là à mettre en scène les ressemblances et différences qui construisent leur identité de jeune? Les enseignants, quant à eux, n'ont quasiment pas choisi l'item «autre» montrant leur acceptation tacite des catégories proposées et ont utilisé très modérément (35 % des répondants) les possibilités de précisions offertes en signalant seulement leurs chanteurs préférés: Brel, Brassens, Ferré, Reggiani...; autrement dit la chanson française consacrée fait l'unanimité. Cette trop brève analyse confirme, pour nous, l'investissement particulier des lycéens dans la musique qui semble être le lieu privilégié de recherche et d'expression d'une identité à la fois dans le lien et la différenciation d'avec le groupe de pair (3). TABLEAU ~ 23 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Pratiques musicales des enseignants et des élèves' Tous lesjours Professeurs Ecoute de disques oucassettes 18 Plus rarement Elèves Professeurs 51,2 73/9 3-4 fois/an et plus Professeurs Concert 39 Très régulièrement Pratique d'un instrument de musique 10/1 13,9 Elèves Professeurs 46,4 26,6 0,9 Jamais Elèves Professeurs 24,2 Quelquefois 14,5 Elèves 2,9 1 fois/an Elèves Professeurs 21/1 Jamais 22,4 Elèves 26,7 51/5 Jamais 61,6 65/3 Goûts musicaux .. Professeurs Elèves Quelquefois Jamais 19/6 2 Classique 71,8 Opéra 20,4 Jazz 31 12,2 Reggae 4,2 30,1 Chanson 50,7 47/9 Rock 12,2 Folk 10/1 23,7 57/6 17,9 Musique populaire étrangère Création contemporaine Autres •Chiffres exprimés en pourcentages .j .. 4,5 8/9 4,8 1,5 20,7 Trais chaix passibles. Chiffres exprimés en pourcentages. PIlOFlIS CUI.rullllS DIS I.rr:IINS Un travail statistique sur les réponses des 3 500 lycéens a permis de dégager entre l'infinie variété des comportements individuels et les grandes tendances dominantes plusieurs profils d'élèves, Deux grands ensembles sont à distinguer. Le premier, qui rassemble 28 % des Iycéens, présente des élèves dont les pratiques culturelles, lesgoûts/ les modes de vie marquent une forte adhésion aux formes les plus légitimées de la culture. Cet ensemble n'est cependant pas totalement homogène: certains élèves recherchent des activités favorisant l'acquisition d'une culture littéraire et artistique en fréquentant concerts, théâtre et expositions i d'autresen lisant, et sélectionnant à la télévision et à la radio lesémissions littéraires et musicales. Dans les deux cas, ce sont surtout des filles. D'autres enfin, des garçons cette fois, ont surtout des loisirs domestiques tournés vers l'acquisition d'une culture scientifique et technique. Tous ont néanmoins en commun de se distinguer par des goûts musicaux ne reflétant pas les grandes tendances majoritaires: au rock, au reggae, à la variété internationale, ils préfèrent la musique classique, le jazz, la chanson française élue par les enseignants, et plus modérément les musiques populaires étrangères. 24 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy le second ensemble (72 % des lycéens) est pius composite, même si tous les sous-groupes qui le constituent parquent leurs distances par rapport à la culture classique qui cimente le précédent. Dans cet ensemble en effet, trois sous-groupes se dessinent: le premier qui rassemble 30 % de la population réunit des élèves, essentiellement des garçons, dont les intérêts sont centrés sur le sport et les sorties de détente: cinéma (films comiques ou d'action), discothèques, «boums», Quelques-uns d'entre eux témoignent, cependant, de goûts cinématographiques plus larges, d'un intérêt pour les sciences et l'actualité, d'un goût des concerts et de la pratique instrumentale, Si les goûts musicaux de ce premier groupe vont dans le sens des goûts majoritaires, le même groupe d'individus se distingue en élisant aussi le jazz et quelquefois le folk, le deuxième sous-groupe (25 % de la population) ne rassemble quasiment que des filles. Ces élèves sortent peu. la réussite de leur vie affective est une préoccupation centrale et leur temps de loisir est surtout consacré à la lecture de romans et à la recherche de feuilletons et variétés radiophoniques ou télévisés. Mais ici encore, deux tendances émergent, tout particulièrement sensibles au niveau des choix musicaux: l'une est désireuse de s'approcher des formes de la culture légitimée et élit plus volontiers la nouvelle chanson française, elle joue quelquefois d'un instrument de musique et ses rares sorties sont pour le concert ou le théâtre. l'outre, très casanière, se replie sur la consommation de radio et de télévision, particulièrement des émissions de variétés les plus populaires. Elle aime la chanson, grande variété française et étrangère essentiellement, et apprécie très peu la musiqueclassiqueet le [czz, Le dernier sous-groupe (17 % de la population) confirme le rôle important du rapport à la musique et des goûts musicaux dans la définition des profils culturels. Ces élèves, garçons et filles, sont peu attirés par le sport et par le cinéma; ils sont médiocres lecteurs et téléspectateurs très peu assidus. Mais plus que tous les autres lycéens, ils vont au concert, écoutent disques et cassettes quotidiennement, suivent les émissions musicales il la télévision et recherchent les radios locales diffusant les musiques qu'ils aiment: rock, reggae, funky, disco, hard. C'est donc par rapport il la musique seulementqu'ils se définissent positivement. PROFIlS CULfURfIS DU ENIElGII.AN1S Nous avons vu que les professeurs se rassemblaient largement, en matière de goût musical, sur le choix de la musique classique. Ils se rassemblent également sur une pratique importante des sorties (théâtre, concert, cinéma, expositions) el sur une inclination en matière de lecture ou de cinéma vers les genres les plus valorisés de la culture classique. Mais au-delà de ces tendances majoritaires, c'est comme pour les lycéens, la diversité interne du corps enseignant apparaît de manière affirmée. Elle repose essentiellement sur ICI discipline d'enseignement, et les analyses statistiques ont permis d'identifier deux grands groupes: l'un à coloration littéraire et artistique regroupant la majorité des professeurs de lettres, l'autre, tourné principalement vers les sciences et les techniques et réunissant la mciorité des professeurs de sciences physiques, Si le champ culturel de référence des premiers est toujours celui des lettres et des arts, les objets ou degrés d'intérêt peuvent différer; certains se caractérisent par leur forte fréquentation des concerts, théâtre et expositions. D'autres ne manifestent pas d'intérêt particulier pour les arts mais expriment il travers leur sélection de lectures et émissions de radio et télévision, leur intérêt pour l'actualité politique et sociale. De même quand les professeurs de sciences physiques ont en commun la référence au champ scientifique et technique, celle-ci ne s'exprime pas sur un seul registre: certains, très sédentaires, montrent des préoccupations étroitement liées à leur enseignement à travers les choix de lectures et émissions de télévision. D'outres ont des loisirs dominés par le bricolage et le sport. Comme chez les lycéens, les pratiques et goûts en matière de musique contribuent fortement à structurer la population enseignante au point que l'on peut les inscrire sur un continuum. A l'un des extrêmes, dans l'ensemble littéraire, apparaît un groupe de mélomanes et instrumentistes attirés par les musiques les plus légitimées et les plus clossontes (opéra). Il est suivi, d'abord par un groupe qui exprime en matière de goûts musicaux, les tendances majoritaires (musique classique, chanson française consacrée) ainsi qu'un intérêt particulier pour un genre mineur, les musiques populaires étrangères, Apparaît enfin un troisième groupe peu consommateur, non pratiquant, ne reflétant que les tendances rnojoritcires, I:on aborde ensuite l'ensemble scientifique; trois groupes s'y dégagent présentant l'image inversée de la succession précédente: d'abord un groupe un peu plus consommateur cjourcnt aux goûts majoritaire son attirance les musiques populaires étrangères; enfin un groupe qui se sensiblement en choisissant le rock et le folk et en repoussant la musique classique. Ces professeurs ne sont cependant ni de grands pratiquants ni de gros consommateurs. Le continuum s'arrête ainsi sur un groupe en opposition avec le premier: les amateurs de rock font écho aux amateurs de musiques légitimées. La musique produit donc à travers les pratiques de consommation et les goûts une opposition et des hiérarchies entre les enseignants comme elle participait de la structuration de la population lycéenne. Pourtant elle n'a pas le même statut dons les deux populations: si elle constitue le lieu privilégié de l'investissement culturel des lycéens comme l'indique notamment le traitement particulier qu'ils ont réservé à la question sur les goûts musicaux, il n'en est de même que pour une frange modeste d'enseignants et les divergences de goûts sont alors éclatantes. 25 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy le rapport à la musique autant que les choix musicaux représente, selon nous, le point central du divorce culturel entre enseignants et élèves. Même si près de 30 % des lycéens se rapprochent de leurs professeurs à travers leur adhésion aux formes les plus légitimées de la culture classique, singulièrement en matière de musique, et si leurs choix majoritaires - rock, chansons, reggae - désignent une réalité multiple et complexe sous quelques vocables trop généraux. C'est un univers culturel qui s'exprime là, il ne parle pas seulement de musique mais engage des valeurs, des modes de rapport au monde et de relations avec les autres, des règles sociales, des modes de vie et des projets. rock, opéra, folk, jazz, musiques populaires étrangères (Inde, Pérou), reggae, salsa, création contemporaine (dans ce cas, pouvez-vous précisez vos compositeurs préférés ?), chansons (dans ce cas, pouvez-vous préciservos chanteurs préférés?), outre(précisez). (3) l'onclysefine desgoûtsdeslycéens estprésentée dans: P. Mignon, E. Daphy, R. Boyer: Les Lycéens et la musique. INRP (Coll. Rapportde recherches n ? 2), 1986, 96 p. BIBLIOGRAPHIE Galland O. Les Jeunes. Paris, Ed. La Découverte, 1985. Hamon H., Rotman P Tant qu'il y aura des profs. Paris, Seuil (Coll. l'Epreuve desfaits), 1984. Les Jeunes et lesAutres, contributions dessciences de l'homme à la question des jeunes, coordonnées par François Proust. NOTES (1) Cette enquête a touché 223 établissements, 800 enseignants (Lettres et Sciences physiques seulement pour des raisons extérieures à l'aspect évoqué ici de l'étude) et 3500 élèves. On trouvera l'exposé de l'ensemble des résultats dans: R. Boyer, M. Delclaux, A. Bounoure: Les Univers culturels des lycéens et de leurs enseignants. INRP (Coll. Rapports de recherches n 03), 1986. 195p. (2) Le libellé de la question portent sur les goûts musicaux était le suivant:«Si vous écoutez de la musique, quels genres de musique préférez-vous? (3 réponses maximum). Classique, Paris, CRIY, 1986 (2 vol.]. LégerA. Enseignants du secondaire. Paris, PUF (Coll.l'Educoteur), 1983. Mignon P, Daphy E., BoyerR. Les Lycéens et la musique. Paris, INRp' (Coll. Rapports de Recherches, n ? 2), 1986. Service des études et recherches du ministère de la Culture. Pratiques culturelles desFrançois: description socio-démographique, évolution 1973-1981. Paris, Dalloz, 1982. Le Monde de l'Education (entre autre n ? 96, 103 sur les jeunes, n ? 119 surla culture desprofs.). Les Cahiers de l'animation, de l'INEP 26 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy PAROLES DE CHERCHEURS LES JEUNESSES DU ROCK Patrick MIGNON sociologue, Centre de sociologie des arts comité de rédaction de la revue «Vibrations» Lorsqu'on veut parler des rapports existants entre musique et ieunesse, on peut partir de quelques évidences fournies par les mouvements du marché du disque: 80 % des acheteurs de musique enregistrée sont âgées de moins de trente ans; 75 % des ventes relevant globalement de la catégorie «pop» (le terme anglo-saxon pour «variété»} sont à mettre au compte des moins de vingt ans. Ces chiffres, issus d'enquêtes anglaises ouaméricaines, trouvent un écho auniveau français où 78 % des moins de vingt ans achètent aumoins une fois paran un disque alors qu'ils ne sont plus que 63 %dans lacatégorie des 35-49 ans (l). Peut-on tirer du constat d'un engouement massif des jeunes générations, des conclusions qui feraient de cette masse de consommateurs un peuple, exprimant par la musique, son unité, sa vision du monde et son rapport à la société? la tendance actuelle qui consiste à nommer indistinctement rock l'ensemble des musique élues par les jeunes entretien cette idée: les jeunes aiment la musique, cette musique s'appelle «rock», donc les jeunes participent d'une culture rock, Aujourd'hui, en france, dons le langage des commentateurs et des observateurs, le mot, «rock» s'est imposé pour rendre compte de cette omniprésence de la musique. Pourtant, ce mot est loin de faire l'objet d'un consensus: il est l'occasion de débats passionnés dont on peut percevoir les traces il travers la lecture des revues spécialisées, et de leur «courriers des lecteurs», qui sont des lieux dons lesquels on s'attache à distinguer le rock d'outres formes musicales comme la variété. En fait, derrière le mot «rock» se cachent, comme on peut le montrer aussi à propos du jazz, des «pratiques musicales, des cadres sociaux et des modes de consommation très différents» (2). Si une définition large peut mettre sous «rock» toutes les musiques reposant sur l'utilisation des technologies modernes d'enregistrement et de reproduction du son, cette définition qui, dans les années 50 et 60 distinguait de façon évidente la chanson française dite à texte des productions des premiers «rockers» et des «yéyé», n'est plus opératoire aujourd'hui; et le rock peut aussi bien désigner les musiques qu'on retrouve dans les différents hit parades proposés par les médias (<<Top50» par exemple) et qui mélangent tous les styles possibles, même la musique classique, qu'un genre bien défini comme le rock'n'roll ou un style de vie mêlant références musicales, artistiques ou littéraires, Sous ce terme générique de rock, il y a à la fois ce que les Anglo-saxons désignent sous le terme de «pop music», c'est-à-dire la musique qui «marche», et quelque chose de plus spécifique, des musiques particulières, des imaginaires sociaux et un monde social particulier dans lequel le mot «rock» renvoie à une référence qu'il faut défendre contre les entreprises d'édulcoration ou de récupération, à une valeur «rock» dont on s'efforce en permanence de produire le contenu. On voudrait mettre en évidence dans ces quelques pages la pluralité des enjeux repérables dans les phénomènes de consommation musicale, les cpportencnces que peut prendre le rapport à la musique, LA DWERlmMUSICAU DUROCK Lutilisation généreuse de l'étiquette «rock» fait que l'on regroupe sous un même vocable des styles aux caractéristiques fort différentes: s'il existe bien toute une production qui répond à la définition canonique d'une musique à quatre temps, avec accentuation sur le deuxième et le quatrième temps, que dire des productions de groupes comme Pink Floyd ou Tangerine Dream qui bâtissent leurs compositions sur le refus du caractère dansant du rock au profit de la construction des tapisseries sonores, ou encore du disco ou du reggae. 27 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy S'il est difficile de trouver une unité musicaleà l'ensemble de ce qu'on appelle «rock», il est de même difficile de trouver une unité thématique. Si, pour une grande partie de sa production, toutes les chansons que l'on peut trouver dans les hit parades depuis les années 50, c'est une musique de danse, de détente, naïve et sentimentale, évoquant la découverte émerveillée du monde social ou les douleurs de l'initiation affective, elle est aussi une musique violente et perverse s'attachant à décrire les aspects noirs de la situation adolescente ou de l'univers contemporain. Ce qui est alors chanté, c'est le mode des «déviants» urbains (le rock new-yorkois : Velvet Underground, Lou Reed], celui de sous-groupes aux symboliques violentes ou inquiétantes (certains aspects du penck ou du heavy metal; La production rock peut aussi se différencier selon le caractère plus ou moins intellectualisé de ses contenus musicaux ou thématiques. On pourra avoir ainsi un rock prenant modèle sur la musique «sérieuse» et cherchant à se complexifier (Frank Zappa) ou puisant dans la poésie ou la littérature, du romantisme au surréalisme, leurs thèmes de prédilection, auquel va s'opposer un rock fondé sur la fidélité aux formes originelles et sur le refus de toute intellectualisation (toutes les formes de revivais: rockabilly, british rhythm'n'blues). Ces diversités musicales et thématiques renvoient aussi à des quantités et à des temporalités différentes: il ya du rock qui devient disque d'or ou de platine (c'est-àdire qui se vend par centaine de mille, en France, ou par centaines de millions aux Etats-Unis), qu'on entend à longueurs de temps sur les radios; et du rock qui se vend à quelques milliers d'exemplaires et qui ne peut que s'écouter à certaines heures de la nuit. Il y a du rock qui ne vaut que quelques semaines et du rock qui survit aux années(3). LE ROCK Er US "OUIlES DE LA JEUNUIE En fait, ce qui fonde l'unité du rock n'est pas tant l'existence de critères musicaux que le constat, relevé dans l'introduction, du caractère principalement juvénile de l'engouement pour la musique enregistrée: le rock est lié à l'émergence de la jeunesse comme nouvelle catégorie sociale dans les sociétés contemporaines. Ce phénomène se présente pourtant sous plusieurs figures correspondant à différents modes d'apparition des populations jeunessur la scène sociale. Deux facteurs principaux ont contribué à faire émerger la jeunesse comme nouvelle catégorie d'analyse et comme réalité. Le premier, c'est le mouvement de scolarisation commun à l'ensemble des sociétés occidentales: on va à l'école en plus grand nombre et on y va plus longtemps. Toutefois, ces mouvements sont inégaux selon les pays: les Etats-Unis et la France ayant une population étudiante beaucoup plus importante que la Grande-Bretagne, par exemple. Le second facteur est le redémarrage des économies occidentales après la Seconde Guerre mondiale qui permet la constitution d'une force d'achat juvénile du fait de la plus grande facilité à trouver du travail ou à gagner de l'argent de poche, mais aussi du fait que, le niveau de vie croissent, les jeunes sont moins tenus de contribuer aux dépenses de leurs familles. Ces deux facteurs rendent possible la constitution d'un espace propre aux jeunesoù ils peuvent consommer des biens spécifiques, revendiquer et vivre une certaine forme de liberté en élaborant des pratiques qui leur sont propres. Toutefois, en trente ans, la physionomie de cet espace à connu certaines évolutions: plusieurs figures de la jeunesse se sont succédé. Dans les années 50, l'on connaît la figure du teenager (4). C'est celle des moins de vingt ans, plutôt d'origine populaire, qui revendiquent le temps libre, l'accès aux biens de consommation, l'autonomie par rapport aux demandes des adultes ; c'est aussi celle des bandes et de la délinquance juvénile où le regroupement par groupes de pairs vient renforcer l'idée que les jeunes générations cherchent des lieux de socialisation qui leur soient propres (5). La deuxième figure est celle du «jeune» qui naît dans les années 60. La jeunnesse n'est plus seulement alors la jeunesse scolaire ou ouvrière, quelque peu irresponsable, mais aussi la jeunesse étudiante plus concernée par les problèmes de société. La jeunesse est alors liée à l'idée de contestation et à tous les thèmes de la contre-culture: pacifisme, libération politique, sexuelle, individuelle, exploration de nouveaux espaces de vie et expérimentation de nouvelles formes de perception (6). la troisième figure, enfin, est celle que l'on tend à recouvrir du terme de «post-adolescence» (7). Il s'agit de rendre compte, par cette notion, des phénomènes de décalage de plus en plus important entre les différents calendriers d'entrée dans la vie adulte (mariage, travail, résidence autonome, arrivée du premier enfant), dus à l'allongement des études, ou chômage et aux valeurs d'autonomie issues de la contre-culture, et de l'installation dans un état social qui n'est ni celui de l'adolescence, ni celui de l'âge adulte. Cette idée de post-adolescence peut permettre de comprendre l'idée souvent exprimée d'une généralisation du rock dont on dit qu'il est partout, dans la musique et dans la rue; on ne sait pas s'il est partout, dans la mesure où l'on ne sait pas très bien ce qu'il est, mais on voit bien qu'il y a des conditions sociales pour qu'il soit partout avec l'extension des limites de la population juvénile. En effet, si l'on considère que le rock est un des modes par lequel les individus expérimentent leur situation d'attente sociale, (une des caractéristiques sociales de l'état de jeunesse), l'extension de cette période d'attente élargit le champ d'intervention du rock. Il reste de tout cela ce qui permettrait de parler d'une histoire commune du rock et de la jeunesse. En effet, si l'on considère les grands mouvements musicaux, on pourra dire que le rock'n'roll des années 50, dans sa fureur et sa simplicité, correspond aux attentes des des teenagers; que la musique pop plus sophitqué~ 28 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy années 60 est en étroit avec la contre-culture (8); enfin, on pourra dire que les musique des années 80, dans leur éclatement, correspondent il une époque où l'on oscille entre le désespoir (le punk, certaines tendances de la new wove] et l'indifférence (lesdifférentes formes de musiques de danse). l'inconvénient de cesgrands ensembles où des formes de musiques correspondent à des moments historiques déterminés, c'est qu'ils tendent à privilégier ce qui manifeste l'unité au détriment de ce qui divise. ENJEUXSOCIAUX Er CULf'UIlflS ici de mettre l'accent sur les éléments qui font Il s'a~it que Ion peut voir le rock non pas comme l'expression de la jeunesse, sa «conscience politique» (9), mais plutôt comme le lieu où se joue les différentes manières d'être jeune, les diversités musicales renvoyant à des diversités de choix de styles de vie, à des formes différentes d'expérience de la période de jeunesse. On partira ainsi d'un sondage, fait à la fin des années 50, par une équipe de sociologues américains à l'occasion d'une enquête sur les élèves des «high schools» et des collèges (10). le sondage portait sur les chanteurs favoris des élèves, partant du constat que le goût pour la musique est un dénominateur commun à tous ces jeunes. l'intérêt de ce sondage est qu'il prend à contre-pied les représentations courantes qu'on se fait de la vogue du rock'n'roll à la fin des années 50; en effet, dans ce mini-lut parade, Elvis . Presley ne vient qu'à la troisième place précédé par Perry Como, représentant du style «crooner», et par Pat Boone, le spécialiste des «covers» c'est-à-dire des réinterprétations «blanches» des disques noirs, où les audaces sexuelles et la frénésie des rythmes sont sensiblement amoindries. De la même focon l'on citer l'exemple du punk dont on fait volontiers un cas exemplaire de rupture dans les représentations de la jeunesse et dans la musique. Le disque le plus vendu des Sex Pistais a à peine atteint les 300 000 exemplaires, en Grande-Bretagne, à un moment où ou bien des titres de Pau! Mac certains «tubes» Cortney le million d'exemplaires. Ce que manifestent ces exemples, c'est le décalage qui peut exister entre la réputation d'un chanteur ou d'un style, la place qu'ils occupent dans le panthéon du rock et leur réalité en terme de marché ou en terme d'impact à certaines époques déterminées. Tout le monde n'est pas prêt il accepter les imaginaires proposés par tel ou tel chanteur ou groupe, à suivre le voyage qu'ils proposent, les limites qu'ils invitent à transgresser. La sensualité et la provocation d'Elvis Presley et des premiers «rockers», la pente «mouvais garçon» peuvent représenter, sont concurrencés par les images plus familiales des «crooners» ou celles véhiculées par la musique, rythmée sans excès, juste ce qu'il faut danser,de Pat Boone. Si certains de différenciation se recentrent dans tous les il en est sont spécifiques à tei ou tel. On ici tirés des pays onqlo-scxons, en raison de l'existence d'une littérature abondante portant sur les questions musicales dans ces pays et son faible développement en france. LES ETATS-UNIS Aux Etats-Unis, les éléments qui paraissent déterminants dons la production des imaginaires rock et dans leur réceptions sont les questions des différences régionales et raciales, et leur mise en scène. Ainsi la question Nord-Sud. Le Sud des Etats-Unis tient une place considérable dans l'histoire du rock, dans la mesure où une bonne partie du rock'n'roll des années 50 a été produite par des artistes nés au sud de la Mason Dixon line (77) et qu'on peut considérer cette part des «sudistes» dans la production musicale comme une protestation ou comme l'affirmation d'une région et de ses styles de vie souvent considérée négativement dans les représentations dominantes américaines. Le terme «rockobilly», qui désigne le rock'n'roll du Sud, a souvent une connotation péjorative: le suffixe «billy» qu'on retrouve accolé à divers styles (<<psychobilly», «surfbilly»] renvoie souvent à des mouvements musicaux qui cultivent une vision volontairement obtuse et restreinte de la musique rock, de la même façon que Je terme «hillbilly» peut désigner les habitants de la région des Appalaches et signifier leur caractère «plouc», Presley; pour devenir une vedette nationale, devra gommer ce qui le faisait «donner» trop «sud»), ton pourrait ici associer le Middle West à cette image d'un espace américain coupé selon un critère de sophistication en citant cette phrase d'un membre d'un groupe issu de cette région: {de suis du Middle West; je ne connais pas les mots compliqués» (72). Un deuxième exemple pourrait être fourni par l'opposition entre Est et Ouest. Ainsi, en 1967, le Velvet Underground, groupe new-yorkais, qui travaille alors avec le peindre Andy Warhol dans une série de projets multi-arts et multi-médias (peinture, théâtre, cinéma, télévision), part en tournée en Californie. Cette tournée est un échec parce que, par ce voyage vers l'Ouest, ils vont à la rencontre d'un monde «hippie» qui a beaucoup de mal à accepter l'univers décrit par le groupe new-yorkais. Du côté des «hippies», des gens de San Francisco, on a, pour simplifier, des thèmes reposant sur les idéaux contre-culturels de vie communautaire ou d'expansion des consciences fondée sur l'utilisation des drogues «psychédéliques» (LSO, marijuana), tandis qu'en face le Velvet Underground chante l'univers urbain, ses personnages troubles (travestis, prostituées, «[unkies»] dont les rapports ne sont pas des rapports de communauté mais des rapports de «deal», d'affaires, articulés autour de produits fort différents que sont l'héroïne ou les amphétamines (les drogues dures). Cette opposition n'est pc; une opposition géographique réelle, ou sens où tous les Californiens seraient «hippies» et tous les New-Yorkais vivraient selon les préceptes du Velvet Underground, mais une opposi- 29 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy fion symbolique entre deux manières de voir et de vivre la question qui se pose pendant les années 60 de savoir ce qui se passe lorsqu'on veut aller au-delà des formes conventionnelles de la vie sociale. l'exemple des festivals de Woodstock et dfl.ltamont peut illustrer cette imbrication des imaginaires et des trajectoires et l'œuvre dans la réception de la «rock mUSIO). Woodstock et Altamont A quelques mois de distance, ces deux festivals connaissent des destins différents. Woodstock réunit plus de 400000 personnes pour trois jours de «paix, d'amour et de musique» (août 1969), tandis qu:A.ltamont (décembre 1969) se déroule dans un climat de violence, de «mauvaises vibrations», et se termine par la mort d'un jeune spectateur noir tué, par les Hells Angels chargés du service d'ordre de ce concert des Rolling Stones. Ces deux réunions massives autour du rock, en pleine époque de la contre-culture triomphante, mettent, en fait, en œuvres des dynamiques fort différentes. Woodstock réunit en quelque sorte des militants de la contre-culture: pour aller sur les lieux, il a fallu marcher, faire «du stop» et endurer des conditions matérielles fort difficiles, mais il s'agissait de manifester l'existence d'une communauté partageant le même désir d'une vie différente. Altamont, quant à lui, se déroule près d'un échangeur d'autoroute dans la banlieue de San Francisco, et les gens qui viennent, outre la communauté «hippie» ou du moins une partie, sont des jeunes de ces banlieues, jeunes ouvriers ou futurs ouvriers, en tout cas pas de futurs étudiants, des «kids» qui viennent assister à un événement qui se déroule près de chez eux et qui vont côtoyer un monde qu'ils connaissent par les médias et par les visites hebdomadaires qu'ils peuvent faire à HaightAshbury, où ils vont voir les «hippies», les filles libérées et chercher de la «dope». Entre les deux concerts, il y a toute la différence entre une communauté en marche, choisissant ses lieux de célébration, et une communauté produite par les circonstances (/3). Du coup à Alternent, tout se heurte: au cœur du quartier «hippie» pouvait exister une forme de controle des adhérents au projet contre-culturel, avec ses systèmes d'entraide faisant vivre l'idée cl' une contre-société, avec ses rites collectifs d'initiation aux drogues psychédéliques; à Altamont, point: la défonce pure côtoie la recherche mystique, l'amour universel côtoie la violence et le racisme (74). Musiques noires, musiques blanches Le deuxième aspect qui milite pour une représentation moins universalisante du rock est la question raciale. La représentation courante que fait du rock une synthèse de la musique noire, le rhythrn'n'blues, et de la musique blanche, le country and western, ne va pas de soi: ou-delà des analyses musicologiques qui pourraient identifier des formes blanches et des formes noires et les manières dont elles sont mêlées dans les divers types de rock'n'roll des années 50, cette idée d'une synthèse ne renvoie pas à l'existence d'une forme musicale correspondant à un mouvement de rapprochement entre deux cultures. les pratiques commerciales de caver sont des exemples qui montrent que la popularité des chansons ne dépend pas seulement de leurs qualités musicales, mais aussi de leur caractère acceptable par la société blanche, de même que le fait que les grandes vedettes du rock américain sont très majoritairement des chanteurs blancs. Le monde du rock, dans son sens large de musique populaire moderne, est un lieu où se met en scène l'état des relations entre races: volonté de rencontre, fascination, mois aussi rejet, ou affirmation identitaire. Dans le milieu des années 70, pendant les années «disco», on a pu assister à de nombreux débats (les mêmes se déroulaient en Fronce) dons lesquels on discutait des liens que le disco pouvaient avoir avec le rock, si son caractère préfabriqué (en raison du rôle capital joué par les manipulations technologiques en studio ou de sa vocation strictement dansante) en faisait une véritable expression (un rock de la contreculture), ou un pur produit de divertissement. Derrière ces questions l'on pouvait retrouver l'écho de discussions anciennes sur le caractère créateur de la musique noire contemporaine, les Noirs pouvant produire de la musique de danse mais n'étant pas capable d'aller plus loin vers la création d'un syncrétisme musical (75), mais aussi de prise de position considérant que le «disco» était la musique des minorités noires ou hispaniques et le rock celle des jeunes blancs; pendant les étés 1978 et 1979 les bagarres ont opposés bandes noires et bandes blanches, les unes se réclamant du «disco» ou de la «soul music» et les autres du rock. Pour le magazine du show business américain, le Billboard, il existe toujours une musique spécifiquement noire qui, après avoir été nommé «rhythm'n'blues», «seul», s'appelle maintenant «black music»: et la chaîne musicale MN ne diffuse des ortistes noirs que lorsque les ventes de leurs disques garantissent au diffuseur que les désertions de spectateurs n'auront pas un caractère massif I.A GRANDE-BRETAGNE Il semble qu'en Grande-Bretagne la question de l'appartenance sociale soit capitale pour analyser les phénomènes liés à la réception du rock. Le rock comme ensemble d'imaginaires dans lequel on puise pour accompagner ou pour refuser son expérience sociale, fournit les éléments de réponses à des questions telles que: comment va-t-on devenir ouvrier ou chômeur? Comment vit-on la coexistence avec les Pakistanais et les Jamaïcains? Comment peut-on échapper à son destin de futur membre des classes moyennes. Une des raisons de la prégnance de cette question est l'existence d'un système éducatif moins ouvert que le système américain ou français ; l'autre raison est le maintien d'une culture ouvrière autonome JO hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy qui, si elle est en crise aujourd'hui, n'en constitue pas moins un modèle de référence (77). la coupure, au niveau des jeunes, entre un monde ouvrier et un monde étudiant, avait permis, dans les années 50 et 60 en période de prospérité économique, l'éclosion d'une culture juvénile populaire. En effet, le plein emploi et les salaires relativement élevés pour les apprentis, ou les ouvriers et employés sans qualification, faisaient que l'on pouvait quilter l'école assez tôt et mener grande vie pendant les quelques années avant l'installation dans la vie adulte. le développement du chômage à partir des années 70, a fait s'évanouir cet «âge d'or». Mais il n'a pas stoppé l'extraordinaire éclosion des sous-cultures dans la jeunesse ouvrière, puisant dans le rock et dans la culture ouvrière les éléments d'une mise en scène des diversesformes d'expérience de la destinée sociale. Rockabilly, skinheads, mods,punks, casuals... la Grande-Bretagne est le pays des sous-cultures où musique, vêtement, coupe de cheveux viennent témoigner de l'appartenance ou de l'allégeance à des groupes sociaux ou ethniques. Certaines sous-cultures puisent l'essentiel de leurs traits dans l'expérience d'une partie de la jeunesse ouvrière. les «teddy boys» (nés dans les années 50), les «rockers» (leurs successeurs des années 60) ou les «skinheads» (nés à la fin des années 70) sont des groupes nés de problèmes aussi divers, mais spécifiquement ouvriers, que la déqualification, le chômage, la rénovation urbaine qui chasse du quartier où l'on a toujours vécu, ou la concurrence territoriale des Pakistanais ou des Jamaïcains. Ces sous-cultures sont des réponses à des situations difficiles ou conflictuelles: les «teddy boys», amoureux de «rockobilly», vont lutter contre la dégradation de leur statut social en mettant en avant des valeurs de virilité et d'honneur ou en cultivant un dandysme polétarien (la banane artistement travaillée, les longues vestes à la mode edwardienne, les «blue suede shoes» (7B), méprisant le travail, eux les ouvriers sans qualification et sans avenir; les «skinheads», quant à eux, remettent à l'honneur des traits et des comportements propres aux fractions les plus nationalistes de la classe ouvrière ou à ses traditions délinquantes: crânes rasés comme des bagnards, tatouages, chaussures de travail (les «doc Marlins», qu'ils exhibent dans leursquartiers ou dans lestribunes des terrains de football. Certains systèmes sous-culturels sont plus mêlés: ainsi les «rnods» ou les «punks». les «mods», les adversaires des «rockers» ou millieu des années 60, sont le fruit de la rencontre entre des courants sociaux divers. les «rnods» ne jouent pas à en rajouter sur leur appartenance prolétarienne mois plutôt à être autre chose: à être ceux qui participent pleinement à une société où tout le monde peut devenir quelqu'un, s'il en a l'énergie, en consommant musique et vêtements. Par leur fréquentation des pistes de danse et leur consumérisme exacerbé, ils miment leur désir d'ascension sociale, amoureux des nouvelles musiques, toujours à la pointe, et méprisant les «rockers» qui sont restés attachés à la musique des années 50. On retrouve aujourd'hui certains de ces traits chez ceux qu'on appelle les «cosuols», des jeunes de milieux populaires qui s'habillent de vêtements griffés et se veulent des adeptes des «boîtes» où l'on «claque» son argent, manifestant ainsi leur refus de l'assignation à «résidence sociale». A ces traits viennent se greffer des éléments issus de la découverte, par certains milieux artistes ou étudiants de l'intérêt que peut présenter la culture populaire diffusée par les médias pour réaliser de nouvelles modalités de la vie de bohème, en devenant photographe de mode ou musicien dans un groupe pop ou en utilisant les productions populaires pour subvertir les valeurs artistiques traditionnelles, ou les conventions sociales. les «punks» vivent aussi de ce mélange. Il y a d'un côté le dole queue rock (le «rock des queues de pointcqe»], l'expérience de la dégradation sociale en raison du chômage qui va de paire avec des symboliques explorant toutes les formes du no future social et donc volontiers prolétariennes ou sous-prolétariennes; et de l'autre, une forme d'anarchie esthétisante où il s'agit de montrer qu'il n'y a plus rien de stable, qu'il n'y a plus de valeurs, qu'il s'agit simplement de monter des coups en escroquant les maisons de disques, et les «gogos» qui pensent que le message social et politique du «punk» est celui de la base, des «kids», l'autre est celui des artistes, des «intellos», qui se sentent à l'aise dans la manipulation et dans la valorisation de l'artificiel et du second degré (79). Pour en rester ou «punk», on peut voir comment différentes expériences de ce mouvement trouvent des résonnances sur le plan musical. Dans son opposition aux «hippes», le «punk» privilégié des traits musicaux qui renvoient à l'évocation d'un imaginaire en rupture avec l'utopie contre-culturelle: thèmes urbains, musique volontairement simple, voire simpliste, utilisation de matériels rudimentaires. De ce rameau, qui a vécu à peine deux ons (1976-1978, se sont développés des courants différents: un courant, ancré à gauche, participant à toutes les compagnes de soutien aux mineurs en grève ou de lutte contre le racisme, ouvert à toutes les musiques issues d'outres cultures (<<reggae», «afro beat», «funk» et «jozz»], et à l'outre extrémité un mouvement «oi music» où les «punks» les plus populistes ont côtoyé les «skinheads» les plus sensibles aux thèsesdu National Front, comme si la réductionde la musique à la pure électricité et à la pure énergie, sons recherche de fusion avec d'autres traditions, allait de paire avec la revendication d'une ethnicité blanche (20). UN MONDE DU IlOCIl Dons une enquête réalisée pour l'INRP (27), on a pu mettre en évidence quelques faits relatifs à la consommation musicale des lycéens français dons les 31 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy années 80: ainsi, s'il était évident que l'ensemble des élèves accordaient beaucoup d'intérêt aux questions musicales, tout le monde ne le manifestait pas de la même façon et ne se rencontrait pas sur les même choix: les jeunes filles étaient plus sensibles aux charmes des idoles du «Top 50» et les garçon à ceux du rock, par exemple. De la même manière, on a pu mettre en évidence le lien qui pouvait exister entre le fort investissement de certains dans des styles musicaux comme le «punk» et le «hard rock» et le désinvestissement des choses scolaires, le refus de l'héritage parental ou l'image d'un avenir incertain. Un autre aspect de l'enquête a été de se poser la question du rapport entre jeunes et musique non seulement comme expression d'une classe d'âge mais comme lieu d'usages et de pratiques différenciées: tout le monde n'accorde pas la même importance au rock et aux mots qui servent à désigner la réalité musicale, tout le monde n'en fait pas la même chose. Dans notre enquête, il s'agissait de voir que, à l'image de ce qu'on constate dans toutes les analyses de consommation culturelle, on retrouve un noyau de 10 à 15 % d'élèves manifestantun investissement particulièrement élevé dans le domaine musical sous forme d'une consommation plus élevée de disques, de spectacles musicaux, de lecture de magazines spécialisés, d'érudition et éventuellement de pratique d'un instrument. Ce constat renvoie au fait que, dans ce qu'on appelle commodément «rock», il existe des disques qui se vendent à des millions d'exemplaires (c'est-àdire les 10 % qui atteignent les hit parades) et d'autres qui se vendent peu ou mal. Il renvoie aussi ou fait que le sens du mot «rock» n'est pas le même pour tous: pour certains, il désigne un ensemble bien déterminé de styles qui excluent la prise en considération des autres (ainsi «rock» exclut «chanson» ou «funk»], pour d'outres il inclut tout ce qui peut s'entendre sur les ondes des radios; pour d'autres encore, c'est«chanson» qui peut désigner celte réalité. le rock apparaît sous deux réalités; c'est un artefact qui sert à regrouper des productions musicales et des significations sociales très diverses marquéesdu sceau de la jeunesse, mais c'est aussi une identité spécifique, revendiquée, défendue contre toutes les ctteinres, un travail permanent de fixation de frontières, de production de critères et de valeurs. Ce qu'on appelle «rock» peut ainsi se représenter sous la forme d'une série ce cercles, chacun de ces cercles correspondant à une forme de participation spécifique à l'univers du rock; le cercle des goûts majoritaires et éclectiques du «Top 50» composé de ceux pour qui la musique proposée sur lesdifférents médiassuffit amplement à leurs besoins; le cercle des différents groupes «intégristes» ((punb, «hard», «rockobilly») unis par la défense d'un style musical très précis, souvent peu commercial, et par le portage d'emblèmes vestimentaires propres à ces styles; le cerde des amateurs éclairés, des collectionneurs et des érudits qui considèrent le rock comme une catégorie éthique et esthétique, et la culture; le cercle des militants, ceux pour qui le rock est une cause qu'il faut défendre auprès des pouvoirs publics pour qu'il ait droit à une prise en compte officielle; le cercle, enfin, de ceux pour qui le rock peut devenir un métier, comme musicien ou comme participant à une des étapes de la production de la musique. Ce sont ces cercles, les dynamiques et les interactions existantes entre eux et avec d'autres secteurs de la société (le monde économique ou politique ou les observateurs de la réalité sociale par exemple), qui font du rock une référence qui s'impose à tous, qui en ont fait un espace où l'on peut passerune partie de sa jeunesse ou dans lequel on peut s'installer et vivre un vie «rock», NOTES (1) Voir par exemple: S. Denisoff. - Solid Gold: thepopolor music industry; 1975; S. Frith. - SoundEffecfs : youih, leisure and thepolitics of rock'n'roll, 1983; SACEM : La Chanson en France, 1986. (2) I-l, Fabiani in: «Carrières improvisées: théories et pratiques de la musique de jazz en France», Socialgie de IArt. - La Documentation Française, 1986, p. 236. (3) Ces rythmes correspondent en partie à des rythmes éconopiques, celui du renouvellement des produits dans les industries culturelles. Cet aspect est volontairement laissé de côté dans cetexposé. (4) Cf.: M.Abrams. - The Teenage Consumer, 1959. (5) Cf.: J. Monod. - Les Barhals, 1968. Bien queportant sur une période postérieure (1964-1966), il analyse bien ce phénomène. (7) Cf.: A. Bejin, - «De l:A.dolescence à la post-adolescence: les années indécises», Le Débat, mai 1983; I-C, Chamboredon. - «Adolescence terminée, adolescence interminable», Colloque national surlapost-adolescence, 1984. (8) A cela, il faudrait ajouter la naissance même dumot«rock music», ce motqu'on utilise maintenant pour désigner le tout de la production musicale, qui s'impose à cette époque pour désigner des musiques distinctes de celles des «hit parades». S'il y a une histoire de la musique et dela [eunesse, il a aussi une histoire des mots etde leurs significations. (9) Voir P. Yonnet. - «Rock, Pop, Punk. Masques etvertiges du peuple adolescent», Le Débat, mai 1983. (10) Cf.; J. Coleman. -Adolescent Society, 1961. (11) Nom donné à la ligne symbolisant la frontière entre le Nordetle Sud. (12) Interview du groupe MC5 in: Eisen. - The Age of Rock, 1969. (13) Voirles films Woodstock et Gimme Shelter lequel retrace tous les épisodes du concert d1\ltamont. (14) En fait, la communauté «hippie» est en crise depuis près de deux ans, victime de son succès médiatique qui attire touristes et «drop out» venant de tous les EtaTh-Unis, de la répression policière, et de la montée de la consommation de drogues "dures» types amphétamines. Voir L. Berio. _. "Commentaires au rock», Musique en mars 1971. 32 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy (16) L Chalumeau. - <<Vidéo Stan>, Rock & Folk, octobre 1985. (17) Cf.: Po Hoggarth. - «la culture dupauvre, 1970. (18) Les Chaussures en daim bleu, titre du premier «tube» d'Elvis Presley (1956). (19) Un point très important a été peu développé: c'est celui du rapport entre lesgénérations. Dans le cas du «punk», il ne faut pas oublier que les «hippies» son! parents, enseignants, travailleurs sociaux, artisant et petits commerçant des biens contre-culturels. (20) Pour tous ces points, on peutconsulter: M. Brake. - The sociology of yovth cultures and yovthsubcultures, 1980; D. Hebdidge. - Subculture : themeoning of style, 1979. (21) Les lycéens et la musique, INRp' 1986 (avec E. Daphyet R. Boyer). 33 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy PAROLES DES CHERCHEURS LES GROUPES DE ROCK, LA FAMILLE ET L'ECOLE Eliane DAPHY ethnologue, laboratoire d'anthropologie urbaine (musée de l'Homme / CNRS) comité de rédaction de la revue <<Vibrations» Le rock fait parler de lui; il n'est guère aujourd'hui de quotidiens ou d'hebdomadaires qui répugnent à lui ouvrir ses colonnes. Pour emprunter une expression de Françoise Tetard (7) le rock a rendu la société bavarde, comme l'avait auparavant rendue bavarde les «blousons noirs». Or parler du rock, n'est-ce-pas parler des jeunes? On peut remarquer le perpétuel glissement d'un terme à l'autre, comme si tous les jeunes aimaient le rock, ou comme si tous ceux qui aimaient le rock étaient jeunes. Les deux propositions sont loin d'être exactes: c'est ainsi que l'enquête sur les goûts musicaux des lycéens (2) a fait apparaître que (seulement?) 60 % des lycéens sélectionnait cette catégorie parmi les 9 items proposés (3) , et qu'il existe aujourd'hui des rockers de 45 ans, héroïques survivantsde la vague rock des années 60 ... Le rock est au centre des interrogations sur lestransformations culturelles de la société française. I:illustration typique de ce mécanisme est fournie par le débat philistin: «Le Rock (car la proposition requiert l'usage de la majuscule qui annoblit le terme) est-il une culture des jeunes ou une jeune culture ?». Car on n'hésite plus aujourd'hui à parler de culture pour qualifier ce qui hier n'était qu'un phénomène, et avant-hier n'avait aucune lisibilité sociale, à part celle de «chansonnettes pour adolescents dégénérés». Les prises de positions haineuses contre «la culture rock et hamburger, signe d'un SIDA mentcl. (4) ne font que renforcer a contrario la reconnaissance des valeurs intrinsèques dont cette musique serait porteuse. Sanschercher ici à polémiquer sur les mérites du rock, ou sur son importance comme fait culturel (5), l'on voudrait toutefois souligner que parler du rock en terme de culture n'est pas aussi naturel qu'il y paraît, qu'il n'en a pas toujours été ainsi et qu'il s'agit du résultat d'un processus de légitimation dont il faudrait sans doute comprendre les raisons. Ne serait-il pas nécessaire, pour comprendre le rock, et la place qu'il occupe actuellement dans notre société (comme consommation, mais aussi comme support de discours politiques) de s'interroger sur le sens du discours social qui y réfère, et sur l'histoire de son émergence? On peut reconnaître à l'idéologie de la culture rock un apport «heuristique» certain, celui d'avoir permis au rock, par cette plus-value linguistique, de devenir un objet d'intérêt dépassant le seul milieu de ses amateurs, et d'avoir ainsi participé à son passage du sauvage, non civilisé, donc indigne d'une réflexion intellectuelle, à celui de «bon objet», y compris pour la recherche scientifique! I!AI'I'IlOtHE EtHNOLOGIQUE fT I.E PIlOBUMI DI LA DlFlNmON Devant cette pléthore de discours, l'ethnologue se donne une tâche simple; il ne s'agit pas de traiter d'un quelconque «phénomène rock», mais de donner à voir et à comprendre ceux qui font le rock, et plus précisement ces jeunes musiciens qui jouent dans des groupes de rock. Précisons immédiatement les limites de cette intervention; l'on se tiendra ici aux seuls groupes débutants - qui plus est à partir d'une recherche monographique, on approfondira plus loin - sans prendre en compte donc l'ensemble des producteurs du rock. Ni les musiciens professionnels (mais y en a-t-il dans le rock? Rien n'est moins sûr...), ni le show-bizz, c'est-àdire les structures économiques ne seront concernés par cette étude, quoiqu'ils fassent l'objet de mes recherches par ailleurs. I!INIVI'tAIIU QUISTION DELA DlFlNmONDUROCK fT DIS IlOCIŒIIS En préalable, il me semble nécessaire d'élucider les problèmes de la définition du rock, et de la quantification des rockers, afin de lever toute ombiquïté, C'ESTQUOI LEROCK? La difficulté fort réelle à se repérer pour le non initié parmi les multiples usages du terme «rock» explique sans doute pourquoi la première question que rencontre le chercheur est en général de ce style: <Nous qui 34 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy êtes un spécialiste, donnez-nous une définition de ce qui est rock, et de ce qui ne l'est pas». l'impuissonce avouée du chercheur à fournir une telle définition étonne et mérite explications: si je m'abstiens de proposer ma définition du rock, c'est que celle-ci ne saurait avoir plus d'efficacité opératoire que celles, nombreuseset contradictoires, proposées par les «histoires» et «encyclopédies» du rock déjà existantes. Surtout, il me paraît pour le moins improbable qu'il puisse exister une définition «dure»et admise par tous. la définition évolue selon les lieux, les époques et les usagers (6); le rock n'existe pas en soi, ce n'est pas un produit qu'une sélection de critères «scientifiques» parviendrait à cerner, ce qui explique pourquoi la musicologie n'a pas réussi à fournir une grille de classement. le rock fonctionne selon la logique de l'usage des catégories, selon laquelle une chose est classée dans telle catégorie parce qu'elle ne l'est pas ailleurs, et que sespropriétés objectives sont de moindre importance que la logique de son usage. la question qui se pose pour le chercheur n'est pas de fournir son propre classement - qui bien sûr serait le meilleur! - mais d'analyser le sens du rapport entre les choses posées par l'usage de la catégorie, et la référence, souvent inconsciente et non verbalisée, à l'unité de mesure. On s'explique: quand le chanteur Renaud dit qu'il ne fait pas de rock, c'est parce qu'il juge les textes des chansons rock «ineptes» et qu'il entend prouver par cette exclusion que dans ses propres chansons, le texte a une grande importance ... De même pour la chanteuse Catherine lara qui se revendique comme «rockeuse», signifiant ainsi qu'elle se distingue des «chanteuses de soupe»... Une bonne illustration du fonctionnement de l'usage des catégories nous a été fournie dans l'enquête sur les goûts musicaux des lycéens (7), en analysant les réponses illustrant le choix de la catégorie «création contemporaine»: les lycéens ont en effet fait une utilisation des plus «fontoisistes» de cette catégorie, si on en réferre à la définition académique de ce genre de musique. Se trouvaient rassemblés Jean-Jacques Goldman, Jean-Michel Jarre, Xenakis sous cette même étiquette. Lon pourrait être tenté, dans un premier temps, d'analyser ces réponses comme une marque d'ignorance. Mais au-delà, ne faut-il pas considérer qu'il s'agit d'un usage différentielle de la catégorie, dont il s'agit d'analyser le sens? Dans son contenu linguistique de base, «contemporain» renvoie à deux significations. «Moderne, nouveau, et de la même classe d'âge, de la même époque... (d. définition du Petit Roberfj. l'ufilisction des lycéens fonctionnait selon cette double logique, puisqu'on y trouve à la fois des chanteurs de leur classe d'âge (Goldman et pas Sardou) ou des compositeurs de musique instrumentale ayant intégré les nouveaux outils comme le synthétiseur (moderne). Il me semble primordial de se méfier de toute attitude ethnocentrique qui consisterait à porter un jugement sur l'autre, utilisateur non conforme d'une catégorie dont «on sait bien la siqnificcfion», la question de la définition de rock n'échappe pas à ces mécanismes, favorisant la légitimation d'un «bon rock» contre le mauvais, signifiant par la même occasion la distinction entre «ceux qui sovent» et les ignorants. l'imposition par un adulte - professeur de musique ou animateur socio-culturel- de sa définition du rock comme la seule possible me semble à ce sens génératrice de conflits; il existe autant de formes de rock que d'utilisateurs du terme, et l'important est de reconnaître aux différentes définitions des valeurs similaires sans chercher à imposer une définition plus qu'une autre. Lon comprendra pourquoi dans mon étude sur les groupes de rock, je m'en suis tenu aux définitions de mes informateurs, intégrant dans la recherche l'ensemble des musiciens qui s'autodéfinissaient comme «musiciens de rock», sans chercher si leur production musicale correspondait par ailleurs à une quelconque définition du rock autre que la leur. Ô COMBIEN DE ROCKERS ? .. la réponse est simple et brutale: on ne le sait pas! Comme le souligne Pierre Mayol dans son texte, les chiffres qui ont circulé dans les discours politiques ou dans les médias entre 1982 et 1986 n'étaient que des estimations (des élucubrations ?). Non seulement il n'existe pas d'enquête statistique à laquelle se référer, mais mes recherches dans ce domaine m'amènent à me· poser la question de la faisabilité d'une telle enquête. En effet, les praticiens du rock fonctionnent selon une logique qui échappe totalement aux structures habituellement mesurables par une enquête statistique. Sur quelle définition du rock reposerait une telle étude? Que compterait-on, des individus; ou des groupes (unité de mesure endogame, toujours choisi par le donneur de chiffres). Dans ce cas, quelle est la définition d'un groupe? le nombre de ces musiciens? la formule orchestrale? A quel stade considèrerait-on avoir affaire à un groupe? Dès sa formation? Auquel cas, on risque bien des surprises, le groupe de rock en gestation étant un phénomène particulièrement mobile et aléatoire: en six mois d'enquêtes dans le XIIIe arrondissement de Paris, j'ai eu l'occasion de rencontrer une trentaine de musiciens qui ont essayé de monter une dizaine de groupe... Ne prendrait-on en compte que les groupes déjà baptisés (avec un nom), ou ayant effectué un concert ou un disque? Ou prendrait-on en compte l'ensemble de ceux qui se revendiquent comme groupe de rock, ce qui risque de produire un chiffre inflationiste. On a eu connaissance de «groupe de rock», avec nom et affiches, mais sons aucune pratique musicale... Ce n'est pas dire pour autant que rien n'est quantifiable dans le rack: l'on peut compter les concerts, les groupes qui y participent, les groupes qui font des disques (quoiqu'avec l'autoproduction, cela semble déjà plus difficile), les groupes qui s'inscrivent dans les annuaires et fichiers télématiques spécialisés. Mais il fout préciser à chaque fois les critères qui organisent la sélection. A titre d'exemple, le fichier télématique du ClR (Centre d'informations du rock) contient envi~ 35 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy ron mille groupes de sélectionnés par les responsables locaux des associations rock, sur la base de leur possibilité immédiate à se produire sur scène. Une enquête sur le rock ne permettrait guère, on le voit, de quantifier exhaustivement les groupes de rock existant sur le territoire français, ni le nombre de jeunes (ou de moins jeunes) pratiquant cette musique. Le rock échappe au rêve du recensement obligatoire d'une République soucieuse de contrôle social! Elle aurait cependant un avantage certain, celui de fournir les outils de mesures précieux pour connaître les rockers. En effet, à l'heure actuelle, on ne connaît pas non plus les caractéristiques des musiciens des groupes de rock: âge, origine socioculturelle, statut scolaire (ou professionnel). En l'absence de données, doit-on analyser le rock comme l'expression privilégiée des jeunes d'origine populaire? Ou comme la caractéristique de jeunes favorisés par leur milieu social? Ou alors, le rock serait ce grand rassembleur du «peuple adolescent» (thèse de PaulYonnet) autour de valeurs communes,faisant fi des habituelles barrières en œuvre dans l'ensemble de la société globale. Tout ce que l'on peut avancer ici avec certitude, c'est qu'il n'existe pas de réponses induscutables à ces questions et que toute affirmation doit être considérée à son juste niveau, à savoir comme un postulat qui sous-tend la démonstration d'une croyance idéologique. La méthode adoptée par notre recherche sur les groupes de rock n'apportera guère de précisions d'ordre général sur ces aspects, puisqu'il s'agit d'une monographie portant sur une trentaine de jeunes. Toute généralisation à partir de ces résultats seraient donc abusive. En revanche, les informations portant sur les mécanismes et les structures du rock, récoltées à partir de leur fonctionnement dans le discours des musiciens et dans la réalité des pratiques telles qu'a pu les observer l'ethnologue, permettent de proposer quelques éléments d'analyse. UPIDE PRESENTATION DElA RECHERCHE Cette enquête, réalisée dans le cadre d'une recherche CNRS / INRP reposait sur le constat que les adolescents manifestaient envers la technologie une attitude spécifique (8). A partir des deux «techniques» sélectionnées, le rock et la micro-informatique, il était apparu que les pratiques des adolescents échappaient aux cadres institutionnels de l'école ou du club de jeunes, ce qui est confirmé par de nombreux travaux. Ces jeunes fonctionnaient dans un système de relations que la recherche a considéré dans un premier temps comme «pratiques informelles». En nous interrogeant sur la façon dont ces adolescents s'organisaient pour pratiquer leurs activités, nous avons été aménés à analyser en terme de «réseau»: en effet, si les pratiques étaient invisibles dans une logique institutionnelle, cela ne signifiait pas pour autant qu'elles n'étaient pas structurées. lA PRODUCTION DEGROUPE La partie rock concernait une trentaine d'adolescents ayant en commun le fait d'avoir été à un moment de leur scolarité élèves du lycée Rodin (XIIIe arrondissement de Paris). Le premier résultat, particulièrement notable, était que dans ce réseau, l'ensemble des musiciens passait leur énergie à produire du groupe. Ce qui, si l'on s'en tient aux réponses laconiques données par les «stars» du rock dans leurs interviews, peut paraître d'une simplicité extrême «on s'est rencontré au lycée et on a fait un groupe», apparaissait sur le terrain comme le résultat d'un processus complexe, où se jouaient les statégies d'alliances, les affinités et les rapports de force. Une deuxième caractéristique concernait l'extrême mobilité de ces groupes débutants, à l'existence souvent très brève (quelques mois). Cette formation de groupes s'inscrivait dans le réseau, dans un processus de composition / décomposition «<formotiom>, «séporenon» selon les termes du terrain), marqué par une circulation intense, des musiciens de groupe à groupe, des styles musicaux pour un même groupe, ou même du passage d'un instrument à un autre pour un même musicien (le cas du batteur «en double» dans un groupe et se mettant à la basse n'est pas exceptionnel...). On peut faire l'hypothèse que les groupes de rock, au stade de leur formation, ne font que reproduire (expérimenter?) de façon plus intensive un mécanisme général fonctionnant dans l'ensemble du rock, la mobilité: le changement de personnel à l'intérieur d'un groupe, et la recomposition de nouveaux groupes à partir d'anciens éléments de groupes séparés. Un troisième point fondamental peut s'onalyser comme le rôle caractéristique des aspects symboliques dans la production du rock; ce que l'on pouvait saisir par le décalage permanent entre les pratiques et les discours de nos informateurs qui se référaient sans cesse au modèle extrêmement normatif, partagé por tous du «bon groupe», mais que les observations du chercheur donnaient rarement l'occasion de rencontrer. Sans céder à la facilité qui aurait consisté à traiter ces décalages de mensonges, ou de mythomanies paranoïaques, la recherche s'est efforcée d'en décoder le sens, ce que nous allons maintenant analyser à partir de deux aspects précis, les rapports de ces groupes avec l'école et avec la famille. DISCOURS fT PUTIOUES t LE GRAND DECAlAGE lorsque j'interrogeais mes informateurs sur l'attitude de leur famille à propos de leur pratique rock, les réponses étaient globalement identiques <des parents étaient contre» ou tout au moins <me comprennaient rien». Les anecdotes ne manquaient pas pour illustrer ces propositions, de la maman «idiote qui croyoit que son fils était musicien de jazz, et pourquoi de tonqo», au père qui dans un accès rage 36 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy saboté l'ampli de son fils... Ces adolescents vivaient leurs rapports avec leur famille sous le signe de la guerilla, dont chaque épisode nouveau était à loisirs commenté dans le réseau. Pour ce qui est des rapports à l'école, cela ne valait guère mieux! L'école, le lycée? demandait le chercheur. «C'est nul l», répondait le chœur, confondant de cohésion, des informateurs. Ils me donnaient rendez-vous dans les cafés proches du lycée Rodin et se gaussaient en voyant «ces petits cons de lycéens qui vont bien sagement à l'école». Ils me narraient les histoires héroïques de guerre avec le «protol». Si je les avais cru, ils s'étaient tous «fait jeter du lycée»... Pourtant, les quelques éléments «objectifs» d'observation me proposaient une lecture différente: tel groupe répétait dans une cave prêtée par la grand-mère, tel musicien avait eu une guitare électrique pour son anniversaire, cadeau des parents. Précisons que ces musiciens vivaient tous chez leurs parents, et qu'il est arrivé à l'ethnologue de participer à des «razzias frigos» au domicile des parents en l'absence de ceuxci, frigos visiblement trop bien remplis de nourritures adaptées à ce genre de pratiques maraudeuses (le chercheur est aussi ménagère !) pour que les parents n'en soient pas les complices... Les mêmes contradictions existaient pour l'école: j'appris à l'occasion d'une répétition que tel musicien était absent parce qu'il «passait un portieb - or, partiel dit fac ! - ou que tel autre venait de réussir son examen d'entrée à Sciences po. UNDISCOURS OUIAFFIRMEUNEIDENlIfE Ce qui apparaissait, me semble-t-il, au-delà des contradictions, c'est que les informateurs me proposaient une image commune du rock, expression de révolte d'adolescents en guerre contre la société. Ce que me précisait leurs discours anti-parents ou anti-école, c'est qu'ils étaient de vrais rockers. Cette attitude fort normative renvoyait en permanence à ce que doit être un rocker, et ce fonctionnement symbolique n'avait guère de lien avec leurs attitudes réelles. Par contre le décalage était sources d'explications. C'est ainsi que l'on rencontra un jour un de nos informateurs (un «terrible» punk) accompagnant sa grand-mère au marché. 1/ se crut obligé, alors que je ne lui posais aucune question là-dessus, de m'expliquer longuement et de façon fort embrouillée, sous les quolibets de ses copains, que cela ne lui était pas arrivé depuis qu'il avait douze ans. On remarquera que le même décalage existe entre les tenues vestimentaires de parade, utiliséespour sortir dans l'espace public, et les tenues vestimentaires domestiques. Tous les discours des rockers devaient être analysés dans le cadre particulier de la production pour le chercheur d'une image en correspondance avec le statut revendiqué de rocker. A partir de ce filtre d'analyse, voyons maintenant comment l'on peut reconsidérer la question des rapports rock, famille, école. LA FILIATION NEFAI' PAS U ROCKER Tous ces discours sur la famille me semblent expliquer une des caractéristiques du modèle rock, tel qu'il se transmet dans les représentations: le rock, marque de la révolte adolescente, est donc une identité que l'on acquiert en classe d'âge, de façon autonome; en d'autres termes, le rock n'est pas héréditaire, et l'on n'est pas un bon rocker en étant le fils de son père (même si celui-ci est musicien professionnel de jazz, comme c'est le cas pour un de ces jeunes). La légitimation et la reconnaissance qu'ils attendent en tant que rocker ne peut, selon eux, provenir que d'une seule origine. Ils rêvent d'être reconnus, découverts par ces personnages influents dans leur système de référence, les journaliste et les producteurs. Cette «découverte» occupe une partie importante des discussions qu'ils ont entre eux; ils s'échangent les différentes stratégies à déployer pour parvenir à l'ultime but: signer avec un producteur. Signalons au passage que ce personnage mythique du producteur ne correspond pas dans leurs savoir et analyse à une fonction précise dans le show-bizz, tel qu'il est réellement organisé, mais qu'il confond en un même personnage plusieurs fonctions du système de production économique. LE DIPLOME NONPLUS Pour ce qui est du rapport à l'école, l'anecdote suivante l'illustrera bien plus pertinemment qu'une longue démonstration. Dans une répétition, le groupe que j'observais rencontra des problèmes techniques avec son système de sonorisation. Un faux-contact empêchait le son de circuler normalement, ce qui pertubait le bon fonctionnement de la répétition. Le groupe téléphona alors «à un copoir» qui passa l'après-midi avec eux, diagnostiqua la panne, et organisa un atelier soudure, dans la bonne humeur générale. Le groupe ne tarissait pas d'éloges sur les compétences de ce copain plus vieux qu'eux. Compétences qui étaient, d'après mes informateurs, «normales»,car c'était un ancien musicien de rock. Quelle ne fut pas ma stupéfaction en découvrant qu'il s'agissait de leur ancien professeur de physique et d'électricité «détail pas important du tout» qu'ils avaient «oublié» de me donner. Au-delà de la conformité à l'image du bon rocker, ce que j'ai dans cette recherche défini comme «rater son bac comme morque de l'artiste», cette attitude met en lumière un des traits constitutifs de la représentation du rock: le rock ne s'apprend pas dans des écoles. Bien au contraire, les connaissances en solfège sont décrites comme un handicap à une bonne expression rock, au «feelinq» nécessaire. POUR CONCWRE Ces quelques exemples avaient pour objectif de décrire ce mécanisme qui me semble fondamental 37 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy pour comprendre le rock, celui des représentations. l'on peut se demander quel est le rôle de ces représentations dans le rock, et il paraît important de parvenir à cerner certaines réalités, concernant par exemple le mode d'apprentissage qui fonctionne dans le rock. Il existe tout un marché de l'enseignement de la musique (cours et écoles privées), que les musiciens de rock sont amenés à fréquenter. Il serait fort instructif égaIement de suivre les musiciens dans leur évolution: on sait par exemple qu'un certain nombre des musiciens de groupes des années 60 sont devenus professionnels dans la musique, à différents niveaux (musiciens, compositeurs, mais aussi ingénieurs du son ou producteur). Qu'est-ce qui explique leur trajet, et peut-on considérer le rock comme une école du show-bizz? Et pareillement, que sont devenus les anciens rockers qui ont «arrêté» la musique? Leur pratique au sein des groupes a-t-elle eu une influence dans leur choix de vie, au niveau professionnel, par exemple? La recherche sur les groupes de rock débutants a posé quelques jalons, il faudrait continuer. .. NOTES (1) François Tetard. Le phénomène blouson noir comme rupture dans les représentations sociales de la jeunesse; communication au Colloque du Creusot, juin 1985. (2) Patrick Mignon, Eliane Daphy, Régine Boyer. Les Lycéens et la musique. Paris, INRP (coll. Rapports de Recherches), 1985. (3) Classique, opéra, jazz, reggae-salsa, chansons, rack, folk, musiques populaires étrangères, création contemporaine, autre. (4) Louis Pauwels, dansle Figaro Magazine, déc. 1986. (5) Ce n'est jamais le fait de l'ethnologue de poser la valeur d'une culture... (6) Cf. l'article de Patrick Mignon. (7) Cf. note 2. (8) Rock ou micro-informatique. Eliane Daphy, Michelle Descalonges, Jean-François Boudinot, Equipe STS, sous la direction de J. Perriault. Paris, INRP(coll. Rapportsde Recherches), 1985 38 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy PAROLES DE CHERCHEURS UNE HISTOIRE ROCKA LYON Norbert BANDIER enseignant d'économie en lycée, co-responsable du groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique (GRIM) - Lyon Les réflexions qui suivent proviennent, en partie, d'une étude que le Groupe de recherche interdisciplinaire de Lyon (GRIM) a réalisée à partir d'enquêtes auprès de collégiens et lycéens de la région lyonnaise (7J, sur les réseaux locaux de production et de consommation de la musique dite «rock-variété». Le mot «réseau» renvoie d'emblée à la microsociologie. Les cadres de cette étude ont été plus larges: ont été pris en compte le vécu des acteurs dans le domaine du rock, tant du point de vue de la revendication de leur expression personnelle, que de celui de leurs rapports avec certains acteurs efficaces (rapports à la «stan>, au «bon musico», au «requin (2J de studio»; mais aussi rapports à la «galère», à l'<<énergie>>, au «feeling»...). l'enjeu d'un musicien rock consiste à faire le rock qu'il aime. Mais il se heurte à une structure qui préexiste à son désir: marché des industries culturelles, diversification des genres musicaux, processus de professionnalisation, innovations esthétiques. Comment trouver son chemin dans cet imbroglio? Comme dans un jeu théâtral, il lui faut habiller des rôles qui le mettent en position de force dans les strucures de production, de diffusion et de consommation, afin d'affirmer son originalité. La spécificité du rock tient à sa dynamique: les positions acquisessont sanscesse renouvelées; déplacements sans fin qui transitent tout autant par les modifications technologiques (transformation des instruments, complexification des studios d'enregistrement) que par l'évolution esthétique des genres dont la réussite, ou l'échec, dépend des ouvertures sur le marché mondial. Le statut du rock est en effet ambigu: il occupe un espace esthétique qui tend d'une part vers le grand public (<<le tube»), d'autre part vers une production destinée à un public étroit et averti (<<le rock pur»), Reconnaissons pourtant que les frontières typologiques sont bien difficiles à tracer: il y a des osmoses entre les produits; et la circulation des producteurs d'un genre à l'autre est intense... Au niveau local de la région lyonnaise, l'on constate une esthétique centrée sur le «vrai rock», le «rock pur», qui tient à son éloignement du marché national «rock», ainsi qu'au statut d'amateur de la majorité de ses acteurs (<<amateurs» : les acteurs ne vivent pas de leur activité musicale). La notion même de réseau est complexe: elle inclut des solidarités amicales, familiale, vicinales qui, toutes sont centrées sur la quête d'informations et la tactique des négociations avec les positions et les pouvoirs acquis. us S'tIlATEGIU POSSIBUS Pour qu'un musicien puisse continuer à faire du rock devant un public, deux possibilités se présentent actuellement: la recherche d'un accès à un marché de plus en plus vaste, orientée vers une production répétée de «tubes» qui suppose un vaste parcours où interviennent de multiples professionnels ou entreprisesdont la majorité est concentrée à Paris(production, édition, distribution); la deuxième possibilité se situe dans l'accès à un public mais avec un produit différent, que l'on peut qualifier de «rock de taille moyenne». Ce qualificatif ne désigne pas le contenu du produit mais l'importance de sa production et de sa diffusion. En effet, à la différence des années 60 circulent aujourd'hui sur le marché mondial des produits édités à des tirages moyens (2 000 à 5 000 exemplaires) et susceptibles de rencontrer un public de taille moyenne (entre 200 et 1 000 personnes). Ces produits ont, par ailleurs, des caractéristiques techniques (qualités professionnelles, technique de production du son, mixage et arrangements) identiques à celle des produits de grande diffusion, et des circuits de promotion et de distribution. Les modifications techniques dans la production des instruments de musique et du matériel d'enregistrement (boîtes à rythmes, synthétiseurs, logiciels musicaux) ont provoqué d'une part la baisse des prix relatifs du matériel de sonorisation et d'enregistrement, et, d'autre part, «l'économie» de certains musiciens dans la production musicale (3). l'ccquisifion de matériel d'enregistrement, et la création de studio d'enregistrement sont désormais accessibles à des capitaux locaux sans gros risques financiers car la 39 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy demande s'est développée. Alors qu'à Lyon, dans les années 1957-1960, il n'y avait qu'un seul studio 4 pistes, en 1980 on en dénombre neuf (dont sept 8 pistes), et dix-huit en 1986. l'ouverture de certains programmes de radios nationales ou de télévisions aux productions des petits labels anglais ou américains, ou à des groupes anglophones peu connus en France, dès 1975, ainsi que l'explosion des radios «libres. (en 1982 Lyon compte 25 radios locales) créent un potentiel de diffusion pour les produits de taille moyenne, en direction d'un public qui, des «rock-stars», recherche de nouveaux genres. l'apparition des labels indépendants en France (Madrigal, Celluloïd, Mosquito à Lyon, Big Beat, Kronchstadt à Saint-Etienne...) correspond à l'investissement de capitaux de taille moyenne, souvent locaux dans l'édition discographique de produits adaptés à ce circuit de promotion et de diffusion. De même, on peut citer les créations d'entreprises locales dans l'importation et la distribution de ces «lebels. (New Rose, ou Emdis à Lyon) comme significatives de l'émergence de structures adaptées à une nouvelle offre et à une nouvelle demande. Il existe désormais des groupes, dont les produits bénéficient de promotion, susceptibles de rassembler dans les zones urbaines des publics de 500 à 1 000 spectateurs. Par ailleurs, ces groupes, à l'exemple de Police qui a débuté sa carrière dans ce réseau, peuvent devenir des produits de masse. L'ESPACE SOCIAL-ROCK Au niveau local, s'est donc constitué un réseau de producteurs et de consommateurs entre lesquelscirculent des musiques qui constituent la base fondamentale du renouvellement des acteurs et des productions du rock. Le rock sort de ce bouillonnement, cette énergie investie par des individus dans un espace social dans lequel se forment des modes de vie spécifiques,souvent distinctifs. A Lyon, l'espace social du rock est constitué de groupes, de managers, d'organisateurs de concerts, de différents publics mais aussi de salles de concerts à programmation régulière, de société éditant ou distribuant des disques, de lieux de rencontres et de cafés. La seule position susceptible de mettre en contact les musiciens locaux et le marché national, est la position articulée professionnellement entre l'espace local et Paris. La production financière et l'édition d'un disque de groupe local ainsi que la capacité de capter la demande potentielle dépendent des caractéristiques de singularisation du produit dans un domaine où la concurrence est vive et la production anglophone plus compétitive -les groupes, même peu connus, trouvant plus facilement accès aux médias nationaux que les petits groupes français régionaux. La réussite du groupe Carte de Séjour (label Mosquito, à Lyon) est forcément liée à l'arrivée sur la scène sociale des immigrés 'de la deuxième génération. En revanche, la position la plus solide, c'est-à-dire la moins conjoncturelle, est celle qui tient à des relations professionnelles permanentes avec le show-business: l'organisation à Lyon de concerts de vedettes nationales ou internationales. La seule qui fait la liaison avec le local de groupes est celle qui précisément s'est spécialisée dans la production et la promotion locale de concerts de produits de taille moyenne. LA HIERARCHIE SYMBOLIQUE DES POSITIONS Les cent dix entretiens réalisés à Lyon (de 1984 à 1986) portant sur les studios, les salles de concert, la distribution, les entreprises rock, font apparaître des réseaux d'accès à une relative professionnalisation sur le marché national où existent des points de passage obligés soumis cependant à une hiérarchie importante. l'ensemble des acteurs citent la place dominante de ce que l'on peut appeler le réseau Scorpio et les positions qu'il représente. Née d'une association active dans l'organisation de concerts rock de la période 1977-1978, cette société à responsabilité limitée s'est spécialisée au départ dans les concerts rock de taille moyenne, lesquels peuvent devenir parfois des produits de grande diffusion (par exemple Scorpio produit les concerts de Joe Jackson ou de Stephan Eischer en France et a organisé la tournée de Lords of a New Church). La position dominante de ce réseau tient à la cohérence symbolique et économique de lieux et de sociétés contrôlés par la société Scorpio. Le problème des organisateurs de concert rock était de trouver une salle, adaptée et disponible régulièrement, de taille suffisante pour des concerts de 2 000 personnes, les salles municipales étant interdites au rock (4) ou indisponibles. Scorpio a saisi l'opportunité de l'existence à Lyon d'une salle privée vacante de 2 300 places, en créant une autre société, le Nouveau Palais d'Hiver, qui lui permettait de gérer le fonds de commerce du Palais d'Hiver, vieille salle qui avait accueilli déjà de grands concerts dans les années 60. Parallèlement existait une petite salle intégrée à l'exploitation commerciale du lieu: le West Side Club (300 places). Or, depuis 1978 s'exprimait de manière récurrente dans le milieu «rnusico: lyonnais le besoin d'un lieu de rencontre permettant de voir des groupes locaux ou des groupes rock peu connus. En 1982, le West Side Club a été ouvert avec le projet d'en faire une discothèque, un lieu de concerts réguliers, avec un bar équipé de moniteurs vidéo diffusant des clips. Les concerts du West Side Club sont régulièrement annoncés par une radio associative Radio Bellevue, spécialisée dans la diffusion de rock, dont la plupart des animateurs étaient liés à l'association Scorpio en 1978. La manière dont les disques sont présentés dans cette radio est intéressante car à chaque fois qu'un morceau est diffusé, il est accompagné de commentaires très précis sur le studio où le disque a été mixé, sur la présence de tel ou tel musicien, sur le «lebel qui l'édite ... Cette présentation identique aux modèles de la culture savante, sélectionne ainsi un certain nombre 40 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy d'auditeurs attentifs aux produits et aux caractéristiques techniques et esthétiques de ce qu'ils consomment. En 1984, sur 68 concerts de rock organisés au West Side Club (avec entre autres Gun Club, Paul Collins, Cult, Rita Mitsouko) seuls 14 groupes lyonnais ont été présentés. La valeur symbolique du lieu est forte pour les spectateurs, car le fait de voir en petit nombre (trois cents personnes) ces produits déjà connus par l'intermédiaire d'un réseau de diffusion professionnel mais étroit, et qui par la suite peuvent devenir important comme S. Fischer, Rita Mitsouko, Lords of New Church, Inmates, renforce le sentiment de l'événement distinctif. La valeur symbolique du lieu est aussi forte parmi les musiciens locaux postulants: 300 cassettes ont été envoyées par des groupes mais seulsquatorze groupes locaux ont été retenus. La rareté relative des produits anglo-saxons sur le marché français présentés et la forte sélection des groupes locaux programmés constituent une référence pour les musiciens lyonnais. Le West Side Club devient un lieu connu des «tourneurs» anglais, de la presse spécialisée nationale qui annonce les tournées et un lieu recherché pour un «press-book» de groupe local. Les réseaux comprennent aussi des territoires. A Lyon, autour d'une rue du centre ville, la rue Mercière, s'est constitué un espace où circulent la plupart des «musicos». Dans cette rue se trouve d'une part: un magasin d'instruments de musique, qui louait du matériel de sonorisation pour les concerts et qui a créé dès 1980 un studio 8 pistes, et, en face, le magasin Music Land spécialisé dans l'importation de produits rock peu connus en France et les disques des petits labels indépendants. Ce magasin était un lieu de location de places de concerts de rock. A partir de l'utilisation fonctionnelle de cet espace pour les consommateurs et les producteurs, s'est formée une appropriation symbolique du territoire privilégié de rencontre de tous les musiciens lyonnais, par des graffitis réalisés au pochoir ou des «bombages». De nombreux groupes commencent ainsi leur promotion locale. La rue Mercière est devenue un lieu de collage obligé pour les organisateurs de concerts. Music Land a été racheté par la société Scorpio qui contrôlait ainsi tous les points de passage obligatoires du milieu rock lyonnais en ce qui concerne la valorisation symbolique et économique des produits. Ce contrôle s'accompagne de la possibilité de conférer voleur aux producteurs auprès des professionnels du show-business. La société Scorpio pour les concerts de groupes anglophones confirmés qu'elle produit à Lyon ou en France peut offrir à des groupes locaux des premières parties (ce qui s'est passé pour Tales avec Lords of new Church, et Snoppin Boys pour Inmates). La stratégie de Scorpio, qui assure la cohésion de l'ensemble, n'est pas strictement économique, même si la division des activités entre différentes entre lesquelles existent des participations croisées peut assurer une rentabilité évidente, dans la mesure où ses animateurs sont aussi des militants rock, liés per- sonnellement aux musrciens lyonnais des années 1977-1978, qui vivaient à l'orgine leur investissement dans les associations rock comme mode de vie. Cette sensibilité à la spécificité d'un mode de vie rock était donc présente dans le projet du West Side Club, puisque son objectif était aussi de s'ouvrir à d'autres activités «culturelles» liées au rack: performances, vidéo ... Cette orientation a renforcé la position du lieu, puisqu'ou moment où un univers culturel référentiel commun se constituait entre le rock, la bande dessinée, et certaines tendances picturales, il s'affirmait comme multiculturel, tout en étant géré par une structure commerciale. Il fout préciser que les concerts au West Side Club étaient gratuits, ou à des prix limités à trente-cinq francs. LA Mle lYOULLlNS Pour mesurer la voleur symbolique de ce lieu (5), on peut le comparer à une outre salle, de deux cents places, accueillant des concerts rock. C'est <d'espacemusic» de la MJC d'Oullins qui organise tous les mercredis soir des concerts gratuits de groupes locaux. Le projet de cet équipement socio-culturel est évidemment différent, puisqu'il s'agit de «fournir ou spectacle vivant de qualité et à la culture rock une structure de diffusion pour tous les genres» (projet de P. Millat, animateur de cette MJC), alors que le hardrock est exclu des programmes du West Side Club, lequel privilégie plutôt des produits rock et new-wave. Pour les concerts cependant, les conditions techniques sont à l'avantage de «l'espace-music», où l'on peut voir et entendre parfaitement les musiciens, ce qui n'est pas le cas au West Side Club où l'emplacement de la sonorisation empêchait l'association parfaite de la vision et de l'audition. Toutefois, du fait de l'éloignement périphérique du lieu, de la faible sélection des produits programmés, le passage à la MJC d'Oullins était considéré par les musiciens comme peu important pour leur carrière. Ce lieu est plutôt considéré comme un espace d'apprentissage de la prestation publique, et, effectivement de nombreux groupes y ont programmé leur premier concert. De nombreux groupes lyonnais présentés au West Side Club sont passés à «l'espace-music» mais leur «press-book» ne l'indique pas... Cette description rapide de quelques éléments des réseaux de production et de consommation du rock à Lyon permet, à partir de quelques exemples, de mettre en évidence dans son inscription locale, l'articulation entre les déterminismes économique- et sociaux à l'œuvre dans la production et la consommation du rock, la structure des positions locales et les stratégies des musiciens. Les outils musicologiques traditionnels ne peuvent parvenir à saisir le phénomène rock, car il s'origine et se renouvelle dans une pratique sociale vécue aussi comme mode de vie. De même les outils d'une sociologie des professions ne peuvent rendre compte des processus de professionnalisation qui s'instaurent parmi les musiciens, dons un domaine où les positions et les produits se valorisent aussi par des 41 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy processus de production symbolique. Mise en scène du corps et des vêtements, pour imiter des modèles, ou singulariser sa prestation; pour affirmer une identité où musiciens, musique et publics se retrouvent dans la même rupture avec des modèles musicaux dominants (cf. le punk, le hord], mise en scène des compétences techniques du musicien, du technicien de studio, pouvoir des discours techniques d'évaluation des prestations: cette production symbolique du singulier à portir de positions sans cesse menacées, s'intègre difficilement à une analyse en termes de fonctions professionnelles. NOTES (1) Etuderéaliséede janvier 1985 à juin 1986, à la demande du Service des études et recherches du ministère de la Culture, supervisée par PierreMayol. (2) "Requin»: instrumentiste qualifié prêtant sa force de travail pour un enregistrement, ou un spectaclevivant, par ex. : un percussionniste, un guitariste, ete. (3) Par exemple les "botteurs», remplacés par les boîtes à rythme. (4) Depuis 1972, les salles municipales lyonnaises sont régulièrement fermées à la programmation rock pendant des périodes pouvant mêmecouvrir plus d'un on, par exemple en 1974 et 1975. (5) Commune du sud de l'agglomération lyonnaise; 27000 habitants. 42 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy MUSICOLOGIE EN ATELIERS hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy MUSICOLOGIE EN ATELIERS POUR UNEANALYSE DU ROCK DANS LES LYCEES ET LES COLLEGES pourMonon Jean·Ré.i JULIEN musicologue, professeur des Universités Université Louis-Lumière à Lyon; comité de rédaction de la revue «Vibrations» 1: on s'étonnera peut-être que le contenu de cette courte présentation ressemble davantage à un manifeste ou à une profession de foi, qu'à un exposé relevant stricto sensu de la recherche universitaire. Le problème de l'enseignement du rock et des musiques actuelles peut effectivement être posé dons les termes suivants. Des chansons de trouvères, de croisés, du répertoire de Thibaut de Champagne ou de Guillaume Machaut à nos jours, a été instituée en France, une véritable et glorieuse tradition de la chanson populaire. Elle se manifeste aujourd'hui par une surconsommation de 10 programmation des médias, et par des pratiques économiques et culturelles qui reposent sur une large, voire trop large acceptation par les jeunes du répertoire qui leur est proposé, imposé, vendu. Cette acceptation identificatrice, et tout à la fois incontestable, incontournable, irrémédiable, doit, selon nous, être prise en compte par l'Université française; or, il n'existait pas, jusqu'à ces dernières années, d'enseignements continus de haut niveau, acceptés par les instances universitaires. Alors que les ethnologues et ethnomusicologues ont pu dons des domaines et des institutions reconnus, conférer sa légitimité à cet objet de consommation culturelle, les conservatoires, comme l'Université - formateurs de formateurs - ont préféré pratiquer un élitisme, voire un ostracisme, dont les années 80 commencent à peine à sortir. Cette attitude repose, à notre avis sur deux malentendus majeurs. La musicologie à l'Université est confinée dons la préparation à des diplômes et des concours de recrutement (CAPES, Agrégation de musique) qui écartait la chanson contemporaine des objets à savoir: le rock ne pouvait donner lieu à des interrogations écrites ou orales. Imagine-t-on une dissertation sur la chanson politique française dans les années 70 ? Or, tout cursus académique devant aboutir à l'obtention d'un diplôme, l'Université a contribué à creuser un écart tombal entre les enseignants qu'elle formait et les goûts musicaux des jeunes enseignés. Ecartée de l'enseignement musicologique traditionnel, la chanson ne pouvait trouver son salut scientifique que par le biais de la préhension sociologique, littéraire, linguistique; ce sont donc des ethnologues, des ethnomusicologues, des linguistes et des sociologues qui ont, dons les années 70, mis en place les fondements de recherches sur la chanson avec ses implications pédagogiques. Peu à peu, ce qui était inconcevable est devenu prise de conscience. Sous la pression conjuguée Je l'accélération de la diffusion médiatique et d'une demande étudiante motivée, de nombreuses universités, ParisIV, Poitiers, Aix-en-Provence, Rennes, aujourd'hui, Lyon et Toulouse, dispensent des cours sur 10 musique des médias, sur son évolution, sesstyles, sa portée, son analyse, sa validité esthétique et ses implications sociales aussi bien que culturelles. MS DE PANAtffPEDAGOGIQUE S'il est soucieux de réduire l'écart entre les pratiques musicales des jeunes et son enseignement musical, le professeur de musique des lycées et collèges dispose aujourd'hui d'instructions ministérielles qui lui permettent d'intégrer la chanson actuelle à sa pédagogie active et interactive. Ce qui était exceptionnel et confidentiel dans les classes de lycée il y a vingt ons, devient aujourd'hui pratique courante. Alors que les Beatles, Cliff Richard ou Ella Fitzgerald faisaient les belles heures du cours d'anglais dès 1960 (pour parler d'expérience), il a fallu attendre ces dernières années, pour que la musique de ces chants fasse l'objet d'un investissement pédagogique que de trop nombreux enseignants assimilent encore trop souvent à un détournement démagogique. Julien Clerc, Rita Milsouko, Gold ou Niagara deviennent aujourd'hui les supports involontaires du redoutable cours de solfège ou de déchiffrage vocal. Même 44 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy si ces tentofives ne sont pas toujours couronnées de succès, au moins peut-on affirmer qu'il est plus facile de déchiffrer la ligne mélodique de ces productions que celle du thème principal de 10 troisième symphonie de Johannes Brahms. Est-il alors nécessaire de préciser que nous ne comparons pas la qualité intrinsèque de ces œuvres, mois que nous pensons que la démarche pédagogique a plus de chances d'aboutir en classe de 4 e avec les premiers qu'avec la seconde. Il reviendra toujours aux enseignants de choisir leurs propédeutiques tant il est vrai d'une part que le rock ne peut en aucun cas être considéré comme une panacée pédagogique, et que, d'autre part, c'est avant tout l'attitude mentale de l'enseignant lui-même par rapport à ces musiques qui interfère dans la communicaiion pédagogique. 1.'II'JfIImIIYUNf GfIIfUnON les contributions de Gérard lavigne, luc Souvet et Mireille Collignon sont trois approches possibles. D'un point de vue plus général encore, on peut rappeler que toute chanson est un messagesynchrétique, hétérogène par nature, associant comme dans le lied ou la mélodie française, deux systèmes de communication, la musique et la longue, deux systèmes d'information, deux sens conjugués. Comme pour tout message synchrétique, il y a 0 priori deux niveaux d'analyse indépendants l'un de l'outre, chacun avec sespropres codes mais dont l'analyse doit assumer la poétique globale et résultante. Si l'on part du rock'n'roll, il faut resituer ses textes dans la production littéraire contemporaine pour constater le décalage esthétique constant entre les courants novateurs de la poésie américaine des années 55-65 (E.-E. Cummings, Paul Blackburn, Cid Corman...), et la production rock. Autant la poésie savante reste secrète el limitée à des connaisseurs, autanlle rock va, d'un point de vue langagier, assurer la diffusion d'une identité culturelle propre à une généraiion sur tout le territoire américain. Cette identité, ce sont des des scies du langage, des gimmicks, des jeux de mols et de sons: A propos de Bill Haley" on citera «Seeyou latet, alliqotor», octosyllabe avec rime intérieure à l'hémistiche, intraduisible en français, sinon très approximativemenl par «A lout à l'heure, olliqoteur», pour respecter !'assonance... L'on est en présence du même phénomène en France avec Renaud el ses formules percutantes reprises ensuite par loute une génération au grand mais inévitable dam des parents: «Etudiants, poil au dents». A son premier stode, l'analyse consiste donc à dominer l'organisation du texte, à en extraire le sens, à le commenter, à en comprendre les allusions, les références immédiates et culturelles, à isoler les connivences entre le quotidien vécu par tous et sa captation dans la versification. Un refrain tel que «Une p'tite MG et trois compères, Assis dans leur bagnole, sous un reverbere, (...), C'est la nouvelle vague ...». doit être expliqué dans tous les aspects qui le soude aux années 60. le mot «compère» est aussi démodé aujourd'hui que la «p'tite MG» et la génération de la «Nouvelle vague» a pratiquement déjà atteint la cinquantaine. Pour des groupes rock français tels que Trust ou Téléphone, on a assez dit que leurs textes étaient le miroir des préoccupations d'une génération et qu'il y avait dons la chanson rock, portage des responsabilités, des problèmes, des soucis, des injustices, et des frustrations. le rock a témoigné dons un style littéraire trop direct pour être toujours honnête. C'est aussi dans la relève de ses exagérations, dans la limite de ses critiques sociales que l'enseignant trouvera la matière d'une explication du texte. Toutes les questions de versification doivent alors être mises en relation avec la forme globale de la chanson: forme rondeau, forme rhapsodiquue, forme libre de certaines chansons de Serge Gainsbourg ou Gilles Vigneault. l'analyse musicale entre alors en jeu. On ne reviendra pas en détail ici sur tous ces paramètres bien connus: rythme, harmonie, batterie, écriture de basse, instrumentation, solo ou breaks, ponts, répétitions, structures répétitives, etc. Peut-on cependant signaler que la relation voix / texte / musique estpeutêtre la plus facile à comprendre pour des adolescents: la question du chant syllabique, de la répartition de chaque syllabe sur une seule note, la question du madrigalisme ou de figuralisme avec le traitement des mots selon la ligne mélodique, l'analyse des modes d'émission vocale à travers un ambitus donné peuvent faire l'objet d'expérience pédagogiques extrêmement pertinentes pour préparer les élèves à la découverte d'un répertoire plus classique. Entre le rock et l'opéra en effet, l'image vidéo est aujourd'hui disponible pour un autre type d'analyse, celui-là à trois colonnes de sens: image, texte, musique. Sauf à manquer de moyens pédagogiques, le cours de musique devrait avoir encore de beaux jours devant lui. 45 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy MUSICOLOGIE EN ATELIERS LA VOIX CHEZ LES ROLLING STONES Mireille COLLIGNON enseignante d'éducation musicale, chercheur Si le rock fait l'objet d'études de plus en plus nombreuses, c'est en général à cause de ses dimensions sociales et commerciales, et la musique n'est souvent traitée que comme un épiphénomène du mouvement rock. Or il me semble que l'impact social de la musique et des musiciens de rock pourrait être plus facilement appréhendable et compréhensible à partir d'une étude apprafondie visant à mettre à jour les qualités musicales, poétiques et esthétiques de ce genre populaire. J'ai choisi de consacrer cette étude aux Rolling Stones pour plusieurs raisons. D'abord ce groupe existe depuis plus de vingt ans et l'on peut dégager plus facilement, sur un temps aussi long, les caractéristiques de leur style musical. De plus, il s'agit d'un des deux groupes les plus importants de l'histoire du rock anglais. Etudier ici l'ensemble des composantes du langage des Stones serait impossible. l'on se limitera donc à chercher les particularités de ce groupe dans le domaine musical à travers la construction des textes, leur mise en place sur la musique, le profil de la mélodie et le traitement de la voix par rapport aux instruments. 111MB ETVEllSlFltATlONS Cette étude repose sur l'analyse de trois disques: Aftermath (1966), Let if bleed (1969), Some Girls (1978), produits à des époques différentes, ils reflètent exactement l'ensemble des chansons écrites par Mick Jogger (7). Sur vingt-sept textes, l'on constate l'emploi de rimes dans vingt-trois d'entre eux. De plus, les types de rimes utilisés sont très variés. Ces aspects de la prosodie peuvent paraître surprenants en ce qui concerne un groupe de rock, pour qui la recherche poétique n'est généralement pas un but; cependant cette apparente obéissance aux règles de la prosodie est loin d'être systématique. Par exemple, même si les rimes se limitent souvent à une syllable, elles sont très fréquentes; mais on trouve parfois à leur place de simples assonances, comme dans la chanson Flight 505 où M. Jagger fait rimer cab et bad, ce qui ajouté à l'égalité des pieds, suffit à donner un sentiment de régularité du texte sansen modifier le contenu. Dans d'autres chansons, comme Faraway Eyes ou Shattered (2) l'absence de rimes et de pieds correspond à la volonté de la part de M. Jagger de faire entendre ces textes comme la lecture à voix haute d'un journal ou d'un récit en prose: la déclation du texte attire alors l'attention sur son contenu. Inversement, on peut dire que les rares fois où l'auteur utilise des rimes exactes tout au long d'un texte, c'est pour qu'on l'entende comme un poème, comme dans la chanson As tears go by (3) où le chant, sur un tempo lent et sobrement accompagné, constitue l'intérêt principal de la chanson. En ce qui concerne la versification, l'on constate qu'aucun des vingt-sept textes étudiés n'est construit sur une égalité rigoureuse du nombre de pieds dans un vers, ni dans chaque partie d'un vers: ceux de la chanson Gimme Shelter(4) par exemple peuvent être perçus comme des alexandrins mais n'en sont pratiquement jamais. l'on peut conclure de toutes ces remarques que M. Jagger aime à s'exprimer dans le moule habituel des poésies mises en chanson, mais qu'il s'en écarte dès qu'il pourrait l'amener à modifier les idées, les paroles ou les sons qu'il désire émettre; comme nous allons le voir, ce choix est déterminant pour ce qui concerne l'équilibre du rapport texte / musique. MISE ENPlAtEDU JDJI' SUIILA MUSIQUE Sur les quelques deux cents textes écrits par M. Jogger, à peu près un tiers d'entre eux sont indépendants de la musique (on entend par là qu'ils ne la respectent pas, n'adhèrent pas au bloc instrumental). le meilleur moyen pour parvenir à saisir cette particularité consiste à comparer, sur le plan de la mélodie, les Rolling Stones aux Beatles, autres principaux représentants du rock anglais des années 60, à travers quelques chansons du répertoire de chacun des deux groupes. 46 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Dans Satisfaction (5), considérée comme le plus grand succès des Stones, l'on constate que, sauf dans les refrains, le texte est constamment en décalage avec la musique. Il apparaît clairement que M. Jagger ne cherche pas à minimiser les syllabes «en trop» mais qu'au contraire, il cherche toujours à chanter en dehors des pulsations rythmiques; celte démarche, en partie due à la volonté de briser la monotonie du riff que répète la guitare et de ne pas asservir le texte à la carrure musicale choisie, est surtout liée au contenu du texte, qui décrit un sentiment d'instabilité et d'insatisfaction croissant. Ce premier exemple prend tout son sens comparé à celui que fournit Come Together (6) des Beatles, chanson choisie en raison de plusieurs similitudes, notamment dans la construction, avec Satisfadion. On est frappé par la ponctualité des paroles du titre des Beatles - qu'on trouve d'ailleurs dans la plupart de leurs titres; alors que l'irrégularité dans la déclamation du texte de M. Jagger destabilise l'auditeur, la succession régulière des syllabes dans Come Together concourt à la compréhension sonseffort des paroles. UlIlAl'PORTS VOIX / INSTRUMENTS Si l'on compare l'ensemble des chansons des Beatles et des Rolling Stones, on voit que la mélodie, pour les premiers, a un rôle prépondérant. Dans la majorité des compositions de Jock Lennon et PaulMac Cartney, la ligne mélodique, souvent très riche, se distingue neltement de l'accompagnement. Le terme de mélodie accompagnée convient donc tout à fait à leurs chansons. Les Stones, au contraire, ont cherché à créer un bloc musical, ou sein duquel la mélodie ne prime que très rarement sur les instruments. Ici encore, deux chansons, écrites en 1968 èpropos du mouvement de révolte de cette année, suffiront à montrer les différences de conception et de traitement d'un même sujet par les deux groupes. Revolution (7) des Beatles présente, après une brève introduction agressive, un couplet dont la mélodie est très chantante, n'oyant de révolutionnaire que l'allusion qu'elle semble foire à la Marseillaise. Le refrain est plus rythmé, moins mélodieux, mais la voix reste chantante et domine entièrement les parties musicales. Dons Street fighting man(8) des Stones, on remorque, dès le premier couplet, qu'il s'agit plus d'une mélopée que d'une mélodie sur deux notes sans cesse répétées. La mélodie du refrain est constituée de la répétition de même notes do«, [a», ia«, si et ressemble plus à un slogan de manifestation qu'à un air destiné à être chanté par chacun. La différence de traitement de la ligne mélodique par les Beatles et par les Stones, ici comme dans la plupart de leurs chansons, prouve combien les premiers tiennent à la conserver intacte, sans modifications, alors que les seconds font presque une nécessité des nombreusesvariations sur une idée mélodique de départ. Conséquement à ce caractère improvisé de la mélodie chez les Stones et à l'importance accordée aux éléments musicaux de leurs chansons, la voix de M. Jogger n'est souvent appréhendable ni plus ni moins qu'un instrument. Il faut savoir que les paroles ne doivent pas être, pour M. Jagger, l'unique but d'une chanson, et lorsqu'il souhaite que l'attention de l'auditeur se parte sur la musique,il rend volontairement très difficile la compréhension de certaines parties des textes, qu'il juge moins intéressantes. De plus, les Stones choisissent souvent à l'enregistrement, ou plus exadement au mixage, de «noyer» la voix dans l'ensemble instrumentai, ce qui a pour conséquence une compréhension moins aisée du texte et la perte de la notion de mélodie. A partir de là, si M. Jogger veut qu'on puisse comprendre un fragment du texte, il choisit, plutôt que de baisser le volume sonore des instruments, de chanter plus fort encore. l'm going down (9) nous permettra de mieux comprendre tous ces aspects réunis dans une même chanson. Il s'agit d'une courte histoire, très imprécise, très sombre: un homme annonce à sa compagne que «Le Bon Dieu» va venir frapper à sa porte et que leur amour succombera, ainsi qu'eux-mêmes, car seuls les Pouvoirs survivront. Tout au long de la chanson, la plupart des phrases sont murmurées, ou presque, tandis que les instruments enrichissent librement la trame de l'histoire, et lorsque M. Jagger veut qu'une bribe de texte soit clairement audible, il élève la voix. Dans le refrain par exemple (à sa deuxième apparition surtout), les mots les plus facilement audibles sont «nothing that the Powers» (l0) dont le sens ne peut être traduit par les instruments. Le reste des paroles étant plus une description d'états d'âme, M. Jagger préfère le laisser évoquer par les instruments. Ainsi le texte devient avant tout prétexte à une ambiance musicale (ici, l'affaiblissement physique et moral, rendu par la faiblesse de la voix), et non vraiment au récit d'une histoire claire en laquelle résiderait l'intérêt principal de la chanson. On peut donc conclure que la voix n'a, dans ce genre de chanson, pas plus d'importance ni de pouvoir évocateur qu'un instrument, si ce n'est par son caractère émotionnel propre (77). Le procédé de tuilage instruments1 voix (texte commençant avant qu'un ou plusieurs instruments n'oient terminé leur ligne mélodique, ou instrument intervenant avant que la voix n'ait terminé une phrase) prouve encore, par la fréquence de son emploi, le refus des Stones de considérer la partie vocale comme étant supérieure à Ct :Ie des instruments. Celte mise à jour des choix des Stones, en ce qui concerne la voix, nous permet de comprendre mieux un certain nombre de choses. La volonté d'interpeller leurs auditeurs sur le plan émotionnel avant tout, le refus de concevoir leurs chansons comme des mélodies accompagnées, donnent une idée plus précise de l'esthétique des Rolling Stones, et nous permet d'apprécier leurs chansons en fonction de celte esthé- 47 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy tique. La démultiplication, désunification de la mélodie, les dispersions instrumentales autour d'elle, expliquent qu'on perçoive souvent leurs chansons comme «non achevées», restant plus ou moins à l'état brut. Ces particularités sont révélatrices aussi des sources musicales des Stones, celle du blues et du rythm'n'blues amplifié électriquement, mais encore proche de ses racines rurales. NOTES (1) Nous tenons à nous excuser pourles constantes références aux disques que nous imposons au lecteur; elles sont cependant le seul moyen de percevoir réellement ce dont nous parlons, et de plus elles nous évitent de reproduire un grand nombre detextes ou extraits de partitions. (2) «Le regard lointain», «anéanti», extraites de Sorne Girls, 1978. (3) «Quand les larmes s'en vont», 45 tours, repris dans Big Hils,1966. (4) «Donnez-moi unrefuge», extraite de Let if bleed. 1969. (5) (de ne peux pas obtenir satisfaction», extraite de Big Hils, 1966. (6) Nevez tous avec moi», extraite de AbbeyRaad, 1970. (7) «Révolution», extraite de The Beatles (dit «l'album blanc», 1968. (8) «Le combattant des rues», extraite de Beggar's Banquet, 1968. (9) (de vais m'effondrer», extraite de Metamarphasis, 1975 (10) «II n'ya que les pouvoirs». (11) On peut voir ici une des raisons d'être des nombreuses onomatopées et exclamations diverses de M, Jagger qui contribuent souvent, autant que le texte, à définir le contenu d'une chanson. DISCOGRAPHIE Rolling Stones Big Hits (High tide and green grass). London, (USA), 1966. Aftermath. Decco 158 021 (France), 1966 Let'Itbleed. Decco 278022 (France), 1969. NPS, 1. Metamo!"'phosis. Decca 278 065 (France) 1975. Sorne Giris. Rolling Stones Records, distribué Pathé Marconi (EMI), 1978. The Beatles Abbey Raad.Apple Records, 1970. hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy par ' MUSICOLOGIE EN ATELIERS ELEMENTS POUR UNEANALYSE DU BLUES ET DU ROCK'N'ROLL Gérard LAVIGNE musïaen, arrangeur l'intitulé originel ce cet atelier, mené en collaboration avec PatrickMignon, était «Musique blanche, musique noire; des origines du rock'n'roll à nos jours»: il proposait une approche multidimentionnelle, la plus large possible, des rapports entre ces deux musiques. les aspects historiques, politiques, économiques ont déjà été abondamment traités dans de nombreux ouvrages (cf. bibliographie). J'ai donc choisi de privilégier dans cet article les aspectsmusicauxdu phénomène, en appronfondissant deux exemples sur la dizaine traités en atelier. Un concert de blues comme les autres: 23 h 30, dans un centre culturel de banlieue. le blues-man de Chicago vient de terminer son premier rappel «Sweet Home Chicago». Il s'éponge le front, se tourne vers les trois musiciens recrutés par le tourneur pour lui servir d'accompagnateurs, et annonce: «5huffle in From the five, no turnaround. Watch the breaks». Et, dans le micro, avec un sourire: One, iwo, you know whatta do». lorchesfre démarre et joue le morceau avec solo, mise en place des breaks... Pourtant les musiciens travaillent sans partition, et parfois même dans les cas extrêmes sans répétition. Alors? la réponse est à trouver dans les deux phrasesprécédentes qui, en cinq secondes à peine, indiquent aux musiciens les renseignements qui permettent à des accompagnateurs d'un soir de jouer avec le bluesman comme s'ils avaient passé leur vie à s'user la santé dans les même clubs de Bethléem (Pensylvanie). langue secrète de ces musiciens qui, bien que différente de l'écriture musicale classique, n'en fonctionne pas moins comme code de production et d'analyse. LERYTHME On retrouve la plupart des rythmes des premiers rocks dans le blues urbain des années 40 et 50. Pour les musiciens de blues, il existe trois sortes de rythme: le funk, le shuffle, le slow-blues. le funk est le rythme binaire; voici deux exemples typiques de blues et de rock binaires. ete. c: OUEu.EANALYSE POUR U BWES ETU ROeK '1 Toutdiscours sur la musiquesuppose méthode d'analyse. Celle employée ici repose sur un mélange fait d'emprunts aux différents systèmes analytiques employés par les musiciens de blues, jazz, et rock'n'roll. Une grande partie de ces musiciens ne savent pas lire la musique, mais cela ne les empêche pas de jouer ensemble,et même parfois de se rencontrer pour la première fois sur une scène à l'occasion d'un concert. l'on s'appuiera donc en partie sur la ete. le shufAe est un rythme ternaire, dans lequel le temps est divisé en trois parties. Deux «croches» de ce -----J U 3 rythme devraient s'écrire ainsi: En réalité, les blues-men et les rockers ne l'écrivent pas, et les jazz-men l'écrivent tout simplement ainsi n ! en précisant que le rythme est ternaire. le slow-blues est généralement un shufl1e joué sur un tempo lent, mais il peut également être binaire. l:HARMONIE Pour jouer les progressions harmoniques d'une chanson, on peut se servir d'une grille d'accords qui se lit comme une partition. la grille suivante s'applique aux blues et rock en douze mesures les plus classiques (tellement connus que l'usage de la grille en devient parfaitement inutile). 49 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy ./ • ./ IV V • V IV Les chiffres romains représentent le degré de l'accord à jouer par rapport à la tonalité du morceau. Si par exemple la tonalité est la, IV = ré 7 et V = Mi 7. Rappelons que les Anglo-saxons adoptent la notation A, B, C, D, E, F, G, où A = la, B= si, C = do, etc. Les onzième et douzième mesures d'une grille sont souvent le lieu de clichés mélodiques, harmoniques et / ou rythmiques appelés «iumarounds». Le plus commun est certainement d'un des morceaux fondateurs du rock'n'roll Shoke raffle and roll. La première de ces deux chansons, de Robey Veasey, met en évidence les différences stylistiques de traitement du rythme «shuffle» entre les musiciens de blues noirs des années 40 à 60 et les musiciens blancs - plus particulièrement ici anglaisdes années 60 et 70. Nous allons comparer deux versions: celle de Bobby Blond, enregistrée en 1957 (Duke Records); celle d'Eric C1apton, double album «live», titre Just one night, 1980 (RSO Records, distribué par Polydor). Version de Bobby Bland Rappelons que dans notre systèmeternaire, ,..l... nm = '-" les instruments de la section rythmique - basse batte- J rie - de Bobby Blond joue ainsi, au tempo 97 = La contrebasse n'a pas de partition définie, et peut jouer des choses dans ce genre, dans le style dit de «walking bass» (bassemarchante). etc. , ternaire Il est courant en blues - moins en rock - de jouer en introduction les quatre dernières mesures de la grille. l'expression employée pour décrire ce procédé est «From the five» (à partir du cinquième degré). Le chanteur, par la mise en garde «watch the breaks» indique son intention de ponctuer le morceau par des breadks - arrêts de l'orchestre pendant une mesure ou plus; plusieurs modalités sont possibles concernant la longueur de ces breaks, leur ponctuation rythmique et la reprise après l'orchestre - et invite les musiciens accompagnateurs à observer son jeu de scène qui ne manquera pas le moment venu, d'indiquer la place et la durée de ces breaks par une gestuelle appropriée. Ajoutons que la phrase «one, Iwo, you know what ta do» a le double rôle de lancer le morceau et d'en préciser le tempo: f one Iwo .1 Ou bien encore, pour passer de F à Bb : ternaire 1 .,. Tandis que la batterie joue: 7 you know whatta do Ces indications permettent de voir que les musiciens qui connaissent bien l'idiôme du blues ou du rock, possèdent un langage commun simple, mais très précis, une culture technique propre. Ils peuvent donc mettre en place des arrangements sans le secours de partitions et se mettre d'accord dans les secondes précédant l'exécution d'un morceau en public, ce qu'illustre l'exemple du concert de blues décrit auparavant. Nous allons successivement analyser deux versions d'un classique du blues Farther up on the rood, puis Les deuxième et quatrième temps sont fortement accentués alors que les notes entre parenthèses sont jouées légèrement. Bien qu'à peine audibles, elles contribuent dans une large mesure à suggérer la marche «solide et détendue» qui caractérise ce style de jeu basse/ batterie. La caisse claire est jouée ainsi sur l'introduction: ternaire 7 Cs 50 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy [ Version Eric tlapton La section rythmique d'Eric Clapton joue au tempo réel, en même temps que la prise de son. Voyons ces différences: j 134 == Versions Basse électrique ternaire ?jY jkj J] Tempo îJt1 \ etc. Orchestration Big Joe Turner J .l == 152 Piano == 162 Piano Contrebasse Batterie 2 saxos ténors ou quelquefois Bill Haley Contrebasse Batterie 1 saxo ténor 1 guitare électrique Claquements de mains Batterie ~; ~ > ~ etc. Si j'on fait la somme des différents éléments de chaque section rythmique, on retrouve donc le même rythme de «shuffle»; la différence se situe essentiellement au niveau de la distribution des rôles entre les différents éléments de chaque section. Schématiquement, on peut parler d'un échange entre les parties jouées par la cymbale et celles jouées par la grosse caisseet la basse.Ce glissementne fait sonsdoute pas avancer la cause du swing, mais il donne un son beaucoup plus percutant, surtout à fort volume. La version originale de Shake, raffle and roll a été enregistrée en février 1954 à New-York, pour la firme Atlantic, par le chanteur noir Big Joe Turner, alors âgé de 43 ons. La reprise qu'en firent Bill Haley et les Comètes, quelques mois plus tord pour la firme Decca fut classée dans les hit-parades pendant l'été, d'abord en Amérique, puis en Angleterre. Contrairement à l'exemple précédent, les différences entre les deux enregistrements sont assez subtiles, et portent moins sur le jeu des musiciens que sur le travail de «production» c'est-à-dire tous les éléments intervenant dans la «couleur» du disque, en particulier le mixage. Le mixage, opération ultime de l'enregistrement, fixe l'image sonore du produit; signalons qu'ou début des années 50 le mixage s'opérait en temps Claquements de doigts ~orchestain est donc pratiquement la même. Le mixage de la version de Big Joe Turner est dans la tradition des petites formations de blues 1 rythm's blues des années 40 et 50: prédominance du piano, rôle effacé de la contrebasse. En baissant le piano, remontant la contrebasse dont le musicien fait claquer les cordes contre la touche (technique du «slop»] et supprimant un des saxophones au profit d'une guitare électrique, qui occupe une place prédominante dans le mixage, et joue les rifts, Bill Haley se démarque du rythm's blues et pose les bases du son rock'n'roll. ~on notera en outre l'excellente qualité de l'enregistrement de Bill Haley, la firme Decca disposant de moyens plus conséquents que le tout jeune label Atlantic. Lon peut voir à travers ces deux exemples que les rapports entre la musique noire et la musique blanche s'organisent autour d'un raisonnement économique plus ou moins conscient: comment adapter au plus grand nombre un produit au fort potentiel commercial mais un peu trop «rugueux» pour le consommateur moyen? 1\ existe de nombreux exemples d'artistes blancs oyant fait de très gros succès avec des versions édulcorées d'œuvres dont les créateurs noirs continuaient à vivre la rude existence du musicien traditionnel. Schéma classique du pillage de la propriété intellectuelle que l'on retrouve un peu partout, et sans doute depuis toujours. Mais une onclyse un peu plus fine - moins idéologique? - montre que les artistes et la communauté noire ont également bénéficié du succès du rock. Le nombre de chanteurs de couleur classés dans les meilleures ventes de disques passe de 5 % au début des années 50 à 30 % au début des années 60. Le deuxième meilleur vendeur de disques, loin derrière Elvis Presley est un noir, Fats Domino. Le succès du rock'n'roll et du rythm'n'blues auprès du jeune public blanc est indissociable de l'aboutissement des luttes pour l'égalité des droits civiques aux EtatsUnis; en effet, au début des années 60, une grande 51 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy partie des populations noires vivait sous le régime de la séparation raciale. J'espère que cette étude, forcement incomplète, aura également démontré que les musiciens de tradition non-écrite ne sont pas muets devant leur art, et que la notation musicale «classique» n'est pas un langage analytique unique et universel, surtout pour analyser les musiques qui intéressaient cette Université d'été. 52 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy MUSICOLOGIE EN ATELIERS GENESIS ET LA MUSIQUE PROGRESSIVE LucSOuvn enseignant d'éducation musicale, chercheur Genesis a longtemps privilégié une musique à dominante instrumentale et sujette à diverses influences classiques; il Y a donc matière à analyse en conservant les scalpels habituels de la musicologie pour disséquer les partitions d'une formation anglosaxonne très originale. C'est à l'âge de 17 ans, (en janvier 1967) que cinq élèves d'une vieille école traditionnelle du Surrey (Charterhouse, à 150 km au sud de Londres) ont créé Genesis. ~efcti du groupe a beaucoup évolué, les trois membres qui le constituent sont aujourd'hui Phil Collins, Tony Banks, et Mike Rutherford; Peter Gabriel, plaque tournante de cet ensemble jusqu'en 1975, ayant quitté son groupe pour travailler seul. ~efcti rock étant très restreint, la fonction de chaque instrumentiste est bien définie: un chanteur-batteur, mélodiste qui focalise l'attention du public; un pianiste... (claviers) avant tout harmoniste parfois soliste; un guitariste soliste, improvisateur, auxquels s'adjoignent en concert: un batteur percussioniste, trame rythmique du groupe et un bassiste, pour les assises harmoniques et rythmiques. Très populaire dons les années 70, Genesis est considéré comme le chef de fil du courant progressif. Cette musique revendiquée comme très novatrice a surtout privilégié l'usage du synthétiseur; Tony Banks considérait en 1978 (7) cette intrusion comme un bouleversement profond de sa musique: «Depuis Selling England (2), sur les trois derniers albums, j'ai utilisé I~RP 2 600. Je cherchais le genre d'orchestration simple que l'on peut obtenir sur ce type d'instrument mais je préfère le piano à queue, surtout le Steinway. Dans cette tournée, je joue de cinq instruments( ..). J'utilise enfin un synthétiseur polyphonique Polymoog (3): quand on commence il jouer des accords, la définition du son tend à changer. C'est un genre de musique totalement différent, on finit par obtenir des choses très bizarres (..)>>. La présence de deux botteurs potentiels explique la place de choix qu'occupe la percussion, celle-ci a cependant beaucoup évolué, la rythmique ne se limite plus à un accompagnement dansant mais devient soliste à part entière. Genesis a longtemps évité la musique de danse, les mesures sont souvent impaires (3/4,5/4,7/4) et ternaires (3/8, 6/8, 9/8); on note par ailleurs un goût très prononcé pour la mesure il 7/8 comme dans Dance on a Volcano (fig. 7 - note 4), Cinema Show(fig. 2 - note 2), et les carrures ternaires de Robbery Assault and Battery, en 13 / 8 : 7 + 6 (fig. 3 - note 4). Il convient de souligner l'utilisation inhabituelle de cette métrique car elle requiert une grande précision rythmique; l'on remarque d'autre part une opposition fréquente et quelquefois simultanée entre rythme binaire et rythme ternaire (cf. In the Cage (5) ou Supper's ready (fig. 4 - note 6). Cette prédominance du rythme n'élude pas pour autant l'originalité harmonique de certaines compositions, en particulier celles écrites en 1972 et 1978. Lesgrilles harmoniques sont moins classiques et l'on remarque l'utilisation de nombreux accords à quatre et cinq sons(septièmesou neuvièmes de dominante mineures et majeures); modulations, cadences, pédales, notes de passage, appoggiatures, broderies et retards sont généralisés et définitivement adoptés. Le «rocker» est très souvent un autodidacte, ce n'est pas le cas de Tony Banks qui a suivi des cours particuliers de piano à l'école puis en privé: <de préférais jouer à l'oreille plutôt que de travailler le solfège, je considère que cela fut plus important que les cours» (7). Compositeur prolifique de Genesis, l'on peut légitimement penser que cette formation explique en partie les quelquels références classiques décelées dans plusieurs compositions, même si elles ne semblent pas convaincre l'auteur: <d'aime bien Le Sacre du printemps mais je ne suis pas «dingue» de Stravinsky. Je dirais que nous sommes plus influencés par des gens comme Debussy, Ravel ou Rachmaninov (Tony Banks Junior a beaucoup transpiré sur le prélude en do dièse mineur opus 3 nO 2...). Stravinsky est trop «discordant» pour avoir influencé Genesis. Nous 53 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy avons souvent le sentiment qu'une bonne partie de ce que nous faisons a un rapport avec l'eau, cela doit avoir une signification quelconque et cela explique peut-être notre goût pour Debussy...» (7). Et pourtant. En écoutant l'apocalypse en 9/8 de Supper's ready il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec les danses des adolescents du «Sacre»; l'utilisation percussive d'instruments mélodiques comme les claviers (synthétiseurs ou pédaliers Moog) n'est peut-être pas aussi subtile que celle des quatre pianos de «Noces», mais elle ne manque pas d'originalité ni d'à propos; de même les longues séries de doubles croches très métronomiques qui précèdent cet extrait rappellent étrangement le savoirfaire d'un vieux Cantor... Il est cependant plus intéressant de réaliser que ces instrumentistes ont une culture musicale dont ils ne peuvent pas toujours faire abstraction mais qu'ils semblent avoir bien assimilée. Ce lien de parenté avec la musique classique se confirme formellement, l'air accompagné et la construction strophique refrain-couplets sont très nombreux (cf. Followyou Followme (7), Afterg/ow (B}...) mais l'originalité réside davantage dans les partitions plus élaborées qui diffèrent des chansons conventionnelles par leur complexité et leur durée (10,15, voire 20 minutes sans interruption) c'est le cas de Firth of Fifth (2), dont la structure est la suivante: exposition d'un premier thème chanté (fig. 5); transition; exposition d'un deuxième thème au synthétiseur; transition; exposition d'un troisième thème basé sur une cellule rythmique; transition; réexposition du thème no 2 ; transition; réexposition du thème no 1 ; coda et conclusion sur une cellule rythmique du thème no3, soit: A t B t C t B t Ac Ce schéma ne correspond pas à une véritable forme cyclique et traduit un souci d'ordre et de cohérence rarement présent dans le domaine de la musique-pop. PAIlOW ErMUSIQUE Au fil des années, Genesis a su écrire une musique et des textes spécifiques très imprégnés du tempérament et de l'humour noir britanniques. Contrairement à la chanson de contestation, les paroles ne revendiquent que très rarement des idées politiques: Selling Eng/and by fhe Pound dresse une caricature sévère d'une Angleterre vieillissante et désuète que l'on vendrait à la livre (cf. Dancing in fhe Moon/if knighf (2). On entrevoit également dans Trepass (9) quelques vestiges idéologiques des années 68 (besoin de liberté et de contestation) mais le groupe se tournera bien vite vers la fable et la science-fiction qui seront son élément de prédilection. Dans Nursery Crime (70) la petite Cynthia joue au croquet, elle lève si haut son maillet qu'elle décapite son camarade Henry! On retrouve ces enfants dans Suppers ready; Snowbound ou Scenes from a nighf Dream (7), trois pièces inspirées de la bande dessinée de Winsor Mac Clay little Nemo qui mêlent l'inne- cence de la jeunesse ou fantastique du rêve et de l'imaginaire; cet imaginaire qui alimente une fois encore l'histoire du double album conceptuel The Lamb lies down on Broadway: Raël, jeune Newyorkais, est à la recherche de son identité dans l'immensité de sa métropole (Raël est l'anagramme de «reat. - réel-). Le discours de Genesis peut aussi être une adaptation des grands récits comme Roméo et Julieffe (cf. cinema Show) ou Orphée aux Enferts (Dance on Vo/cano). Dans cette dernière chanson, Orphée doit gravir un volcan et danser sur son cratère sans être pris au piège ... : <dl peut te transformer en pierre, rappelle-toi, ne te retourne pas, quoi que tu fasses ne te retourne pas...». l'ascension du volcan est présentée sur une phrase musicale ascendante (fig. 6); on peut également parler de figuralisme musical dans The Baffle of Epping Forest (2); décrite par le groupe comme «une bataille cyclique entre les paroles et le contenu musical», cette chanson décrit un règlement de comptes entre deux gangs de l'East End londonien. La lutte se traduit par une désynchronisation de la batterie (qui bot une pulsation ternaire) vis-à-vis du chant qui lui est binaire (fig. 7). La mise en musique du récit est une véritable théâtralisation où alternent le parlé et le chanté. Il faudrait également analyser le jeu sur les allitérations et la versification pour mieux comprendre les finesses de cette musique. ESPRITD'OIJVfRTURE Il reste enfin l'aspect scénique et gestuel toujours étroitement lié à la sémantique musicale; les déguisements de Peter Gabriel et les mimiques de Phil Collins, mais encore l'extraordinaire mise en scène des projecteurs vorilite ont largement contribué à la réussite d'une aventure ambitieuse. Cet aspect primordial du spectacle mériterait à lui seul un chapitre entier, nous limiterons donc ce tour d'horizon à cette simple constatation. Lorsqu'un personnage comme Peter Gabriel quitte un groupe au sommet de sa gloire pour s'aventurer sur les terrains de la musique ethnique (africaine, brésilienne et asiatique) ou sur celui de l'informatique musicale (travail sur l'ordinateur australien Fairlight à l'Institut technologique de New York), il prend beaucoup de risques et manifeste son esprit d'ouverture et de curiosité. La haute technicité de ces ensembles, 10 maturité des musiciens et la prise de conscience collective du manque à gagner des années 70 ont permis une approche nouvelle et originale de la musique pop, il fout désormais être conscient de ce phénomène et le prendre en considération pour ne plus cataloguer systématiquement cette musique comme un genre pauvre exclusivement lucrcfif "Ces groupes appréhendent le rock de façon fondamentalement différente: instantané il était fait pour danser; réfléchi on le fait pour être écouté. l'ère de la hi-fi et du fauteuil change les attitudes» (77). 54 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy NOTES Becker H.Outsiders Free Press (traduction...), 1963. (1) Extrait d'une interview de Alain Dister pour le mensuel Bennet S. On Becomming a Rock Musician, University of Massachussets, 1980. Rock and Folk. (2) Selling England br the Pound. Octobre 1973. Virgin 70317. (3) Synthétiseur permettant de jouerplusieurs notes simultanément. (4) (Rutherford / Banks / Hackett / Collins), extrait de l'album A Trick of the Tail. Février 1976. Virgin 70319. (5) (Banks / Collins / Gabriel! Hackett / Rutherford), extrait de l'album The Lamb lies down on Broadway. Novembre 1974. Virgin 6003l. (6) (Banks / Collins / Gabriel! Hackett / Rutherford), de l'album Foxlrol. Octobre 1972. Virgin 70318. extrait (7) (Rutherford / Collins / Banks), extrait de l'album And Ihe were Three. Mars 1978. Virgin 70324. (8) (Banks), extrait de l'album Wind and Wuthering. Décembre 1976. Virgin 70322. (9) Trespass. Octobre 1970. Virgin 70320. (10) Nursery Crime. Novembre 1971. Virgin 70316. (11) Wais (Alain). Peler Gabriel, rocker à la recherche d'un artlolal. Paris, LeMonde, suppl, du 16 octobre 1983, pp. 1et XlV. Frith Simon. Sound Effects: youth, Leisure and the Politics 01 Rock'n roll. Constable, 1983. Gallo Armando. Genesis, je sais ce que j'aime. Los Angeles, DIY Books, 1981, 176 p. Genesis from one Fan to Another. Londres, Omnibus Press, 1984. Gatfiels C.-M. La Formation du vocabulaire de la musique pop.Toulouse, Université de Toulouse II-le Mirail, 1976. Horn David, Tagg Philip. Popular Music Perspectives: papers Irom the First Internatianal Canference on Popular MUSIC Research. Amsterdam, juin 1981); Gothenburg, International association lor the study of popularmusic 1982, 250 p. Manoeuvre Philippe. Rack and Folk Interviews. Paris, les Humanoïdes associés, 1979,485 p. Middleton Richard, Horn David. Popular Music 1 : Folk or Popular. Cambridge University Press, 1981. Popular Music 2 : Theory and Method,Cambridge, University Press, 1982: Popular Music 3: Producers and Markets. Cambndge, University Press, 1983. Open University. Popular Music: Form and Meaning. Milton Keynes, Open University Press 1982, 75 p. Popular Culture: Politics, Ideology and Popular Culture, Milton Keynes, Open University Press 1982, 92 p. Popular Culture:SCience, Iechnology and Popular Culture. Milton Keynes, Open University Press, 1982, 86 p. Torgue Henry. La Pop Music, Paris. PUF (Coll. Que sais-je ?), BIBLIOGRAPHIE Bacon Tony. Rock Hardware: the Instruments, Equipment and Technology 01 Rock, Dorset, Blandlord Press, 1981,224 p. 1978,126 p. Bayeulle Alain, Berrouet Laurence. Genesis. Albin Michel, Vuilliamy Graham, Lee Edward. Pop, Rock and Ethnic Music in School. Cambridge, University Press, 1982, 244 p. Popular Music: a Teacher's Guide. Routledge and Kegan Paul, 1982, 1987. 127 p. Fig. 1 : DANCE ON AVOLCANO , 1 q~. . . /rJ':::::.t-::::::::-= , f~ ,.... . \ 1"" 1 1 r r (6,,&)1 '" '" , r f v r r~ 1 ~ ~h 1 1 r: YI 1 1 r 1 r f 1 ~ 1 1 r' r-, 1 f rffi r===./ r 55 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy ~ ci" . ,t; 1 Il 1 '1if" . . , .; ... '( Fig. 3 : ROBBERY ASSAULT AND BAnERY Fig. 4 : SUPPER'S READY Of~J V«.. ...... 56 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Fig. 5 : FIRTH OF FIFTH ) J,;~ ~" 'li~otl:J 1?-. ~ TH[ME 1 j /1 1 r '1 J;ts EHÈJ,. ~t2 n 1 j NJ .. 1 't'Pl J Pl 'ft a"''''1 1 Fig. 6 : DANCE ON AVOLCANO 57 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy l' Fig. 7 :THE BAnU OF EPPING FOREST VOC; • 1> 1 h~ \ ~ ~ 1 rTTl Tl 1= 1 sa hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy l'approche du phénomène de la musique des jeunes ne saurait se limiter aux seules analyses des chercheurs et spécialistes fournissant des «explications de texte»; au-delà des réflexions théoriques, l'Université d'été de Rennes a fourni aux stagiaires la possibilité de rencontrer la musique et ses acteurs dans une dimension vivante: visite d'un studio, participation à un concert de rock à l'Ubo, le temple du rock rennais. Mais dans notre société contemporaine, la musique c'estaussi un produit, avec son système de production particulier, ses techniques, ses professionnels, tout un fonctionnement trop souventignoré du public consommateur. Cette réalité du secteur industriel de la musique, les stagiaires l'ont rencontrée à l'occasion de ces rencontres, dont on trouvera par la suite lessynthèses réalisées par les animateurs. «Méchant» show-bizz, technique toute puissante, médias manipulateur... ? Au delà des stéréotypes, les ateliers ont permis d'ouvrir le dialogue... RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS LA PRODUCTION Norbert lANDIER rapporteur de la rencontre, enseignant d'économie en lycée co-responsable du Groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique (Grim), Lyon INTERVENANTS Pascal Bonin, antenne régionale de CBS-France. HervéBordier, conseiller artistique pour la programmation musicale, Maison de la culture de Rennes; manager des groupes Niagara et Marc Seberg. Bruno Lion, président de l'association Réseau rock. : François Posseme, label indépendant Madrigal. Au cours de cet atelier, les problèmes suivants ont été exposés: les politiques des maisons de disques,le rôle des principaux moyens de diffusion de musique, les caractéristiques de la distribution de disques et cassettes, le problème des tournées et des salles de concert, le rôle du public et de sa demande, le rôle de la législation, l'urgence d'une reconnaissance culturelle du rock et des problèmes spécifiques de formofiorf ainsi que les carrières de groupes et le statut des labels indépendants. les objectifs des maisons de disques sont commerciaux et artistiques. Pour les grandes (CBS, Polygram, Warner.,,), il semble que la politique s'oriente de plus en plus vers des objectifs strictement commerciaux. Soit vers la production de musique représentant le potentiel de demande le plus élevé, avec la volonté de réaliser un chiffre d'affaires important. Par conséquent, sur les produits artistiques retenus comme potentiels sont investis des budgets de promotion, de marketing adaptés. Par rapport à cette politique, les groupes de rock français sont actuellement mal placés. Compte tenu de ces objectifs, comment s'opèrent les choix de produits? Dans la plupart des cas, dans le service de direction artistique, par une équipe réunie régulièrement autour du directeur artistique. la plupart de ses membres n'ont aucune autonomie vis-à-vis de celui-ci qui, lui, dispose d'un budget annuel et se doit de dégager une rentabilité suffisante. A partir de là, peu d'entre eux prennent de risques. Cependant, il faut signaler le rôle des personnes, par exemple, si pendant longtemps chez Pathé-Marconi le poste de PDG a été occupé par un homme âgé de plus de soixante ans, de jeunes directeurs artistiques ont assumé les risques de productions plus créatives. OUEW POLITIOUE DE PROMOTION '1 Ainsi A. levy, ex-PDG de CBS, conscient des investissements nécessaires à l'émergence d'artistes nouveaux, a débloqué de l'argent pour des réalisations de maquettes, outils indispensables aux musiciens, et a réussi à produire des «artistes intéressants» comme l. Chedid, A. Chamfort, J-P. Capdevielle! Il faut préciser que les maisons de disques sont des filiales de multinationales où l'activité «disque» représente une faible part du chiffre d'affaires (chez Polygram, le disque représente 5 % du chiffre d'affaires global). En conclusion, politique commerciale et manque de créativité des équipes artistiques caractérisent les maisons de disques quant au rock. Pour le rock français se pose le problème de la langue qui représente un obstacle pour atteindre des marchés extérieurs. les enjeux sont différents pour les groupes anglais, leur marché potentiel étant mondial. Si le groupe français Stocks a pu faire une tournée d'un mois et demi aux Etats-Unis (32 dates) à travers les universités américaines, c'est parce qu'à chaque concert étaient distribuées des paroles en anglais et en français. C'était une tournée culturelle pour apprendre le français aux étudiants américains. Les maisons de disques conçoivent leur politique sur un marché large. Par exemple, si CBS produit toujours les Dogs, c'est parce que les ventes dans le monde sont rentables puisqu'ils sont connus au Japon et en Suède où ils font des tournées. Sur le marché français des concerts, les groupes français sont désavantagés par rapport aux groupes anglophones : l'achat du concert de Mink de Ville à Rennes coûtait seulement 12 000 F puisque la tournée était en partie financée par la maison de 60 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy disques anglaise. Si pendant une période les groupes français «étaient signés par dizaine dans les maisons de disques» (Trust, Starshooter, Bijou, Téléphone), commercialement le rock est oujourd'hui en position marginale. la demande semble largement influencée par les politiques de programmation des médias. Le «son actuel» correspond à ce qui «passe bien en F.M». les choix de programmation en radio, NRJ «TOP 50», orientent le public vers <d'achat de ce qu'il a déjà vu et entendu», et les maisons de disques vers une promotion spécifique par <des passagesen radio». La politique de promotion implique aussi le suivi de la distribution. Or en France, le problème de la distribution se caractérise par la position dominante des hypermarchés, surtout pour les 45 tours. la gestion des rayons de disques des grandes surfaces se traduit par une limitation du choix sur les catalogues présentés, aux hit-parades. Quant aux petits magasins de disques, nombreuses sont les faillites. la remontée des demande locales ou autonomes à partir des clientèles de disquaires est rare, le seul exemple étant Sade. Si auparavant, les ventes de disques étaient liées aux tournées des groupes, comme ce fut le cas pour Trust qui, sans publicité, termina sa tournée avec 15 000 personnes à Paris, actuellement les maisonsde disques françaises se retirent du soutien financier aux tournées, car l'outil de promotion est principalement médiatique, et le produit «trop rock» en est exclu. la diffusion pose le problème des salles et du public. Entre les salles comme le Zénith et des petites salles confidentielles, «branchées», n'existent pas de structures intermédiaires, surtout au niveau des régions, alors que demeure un public. De nombreuses associations organisatrices de concerts, constatent l'importance du public pour les concerts régionaux de «hord», alors qu'il ne bénéficie plus actuellement de promotion médiatique importante. Cependant il faut signaler que jouent aussi des spécificités régionales: à Rennes le «hard» attire peu de monde. Même les petits lieux disparaissent, ce qui compromet gravement l'existence de groupes locaux. POUR UNE MElUEURE FOIlMATlON DU rECHNlClENS DUSON Par ailleurs, rares sont les gens des maisonsde disques qui assistent aux concerts des groupes français peu connus. Ainsi, les groupes français se retrouvent dans une situation difficile pour une ébauche de carrière. Si ils arrivent à réaliser une maquette de bonne qualité en studio, les possibilités de signer avec une maison de disques, sont malgré tout limitées. D'abord, il ya peu de maison de disques en France, ensuite si le représentant régional trouve le produit correct (par l'écoute et le contact); la cassette envoyée à Paris est écoutée par la direction artistique qui ne voit pas le groupe et bien souvent rejette le produit, car elle ne dispose pas des éléments d'appréciation qui avaient amené le représentant régional à s'y intéresser. Il est plus efficace pour les groupes de passer par Paris mais les maisons de disques sont submergées de cassettes envoyées. les disponibilités d'écoute étant limitées, les rendez-vous avec les directeurs artistiques restent indispensables pour convaincre. Si les musiciens «siqnent», «c'est là que tout commence», alors que beaucoup pensent qu'ils sont «arrivés» et attendent le résultat des ventes. Eux aussi ont une promotion à faire, les efforts de promotion des maisons de disques étant portés sur certains produits de leurs catalogues. Par exemple, le groupe Niagara qui a réalisé un «tube» vendu à 300 000 exemplaires, continue à faire des efforts auprès des journalistes. En dehors de l'attitude du public français, dont le «manque d'esprit critique», «lo mentalité bloquée», ont souvent été avancés par les professionnels, le problème de la formation a amené les développements suivants: face à la production du son (concert, ou disque et cassette) la «qualité» des techniciens anglosaxons a été évoqué, ce qui expliquerait l'avantage du rock anglophone. A la maîtrise technique du matériel, et à la connaissancesdes innovations s'ajoutent l'oreille, le ((feeling», des techniciens et des ingénieurs du son «qui savent lire les notes de musique». Il semble qu'en France les formations aux métiers relatifs au son aient été peu développées; la plupart des ingénieurs du son actuels ont débuté «en-étant porteurs de cafés dans les studios,il y a cinq ans». Cependant, la formation adaptée au son rock «doit permettre la créativité et non la tuer». Pendant longtemps la sonorisation était assurée par des ingénieurs formés à la «voriété». Enfin, le statut général du rock en France, pose le problème de sa reconnaissance comme culture, qui n'est pas sans conséquences sur les politiques de structures et sur la législation. Par exemple les décisions politiques relatives à la production, la diffusion ou la distribution impliquent l'existence d'un milieu structuré qui associe individus, associations, entreprises avec des intérêts communs dans un combat économique et culturel face à des «lobbies» ou aux pouvoirs publics. Parmi les perspectives d'avenir pour le rock, du côté de la production, il faut signaler le rôle des labels indépendants et de certains producteurs assumant individuellement les risques financiers et artistiques. Par exemple, quand le label Virgin-Angleterre s'est créé, personne ne croyait qu'il pourrait imposer des groupes de rock nouveaux et réaliser de bonnes opérations commerciales, avec Mike Oldfield notamment. Pour Madrigal, créé il y a cinq ans, il s'agit de «signer» surtout des groupes européens. Actuellement ce label produit, importe et distribue cinq types de produits: du rock européen [new-wave], du jazz d'avant garde (Art zoïdJ, et des groupes français de «hard». Madrigal est confronté au problème de la demande, par exemple, «alors qu'il y a trois ans le marché du «hard» explosait, aujourd'hui il ne se vend plus». Avec des tirages initiaux moyens de 1 000 à 2 000 exemplaires Madrigal parvient quand même à réaliser des ventes qui, compte tenu des retirages, se 61 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy montent à 15 000 exemplaires avec Vulcain ou 30000 exemplaires avec d'autres groupes. Tourné auparavant principalement vers les importations (70 % du catalogue), Madrigal porte actuellement plus ses efforts vers la production. Dans cette orientation il lui faut aussi assurer la distribution de ses produits et convaincre les disquaires de les accepter. l'ouverture des rayons de disques des grandes surfaces aux produits des labels indépendants peut constituer une issue. Le fait qu'existent des producteurs artistiques, qui investissent de l'argent sur un artiste, en assumant les frais de réalisation (enregistrement, mixage...) d'un produit fini, qu'ils vendent aux maisons de disques (comme par exemple H. Bordier avec Niagara) permet l'émergence sur le marché d'artistes nouveaux. Du côté de la diffusion, les échanges entre associations régionales de groupes pour des concerts peut augmenter l'audience et les perspectives de promotion des groupes régionaux. «Réseau rock» tend à développer ce genre d'initiatives. Pour les groupes qui parviennent à «signer» avec un label indépendant la vente de leur disque en concert est souvent intéressante. Par exemple, un groupe de Madrigal vend presque autant en concert que son réseau de distribution. Pour Baroque Bordelo dont le disque était introuvable à Lyon, leur concert à Lyon a permis à des spectateurs de les acheter, Hals Ponts lors d'un concert à l'Espace-music d'Oullins (200 places) a vendu quarante-cinq exemplaires de son disque. Le rôle de certains équipements culturels, et en particulier de certains directeurs de Maison de la culture a permis la reconnaissance culturelle du rock, comme à Rennes où le nouveau directeur J-C. Gallota a investi un gros budget sur un spectacle de Marc Seberg, en salariant même ces musiciens pendant trois mois. Quant à la formation avec une nouvelle génération de jeunes motivés par les métiers du son, on se trouve au début d'une nouvelle aventure, avec une compétence plus grande, plus portée sur les nouveaux matériels, des intérêts associant technique et «feeling». 62 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS LE5MEDIA5 Patrick MIGNON rapporteur de la rencontre, sociologue, Centre de sociologie des arts comité de rédaction de la revue «Vibrations» INTERVENANTS Christophe Brault, animateur, Radio Savane. Frank Delaunay, Fréquence Ille. Bernadette Keesler, Radio-France Armorique. Les médias sont volontiers considérés comme les principaux pourvoyeurs des modèles culturelsqui viennent concurrencer les modèles diffusés par l'école. Très logiquemennt, les débats de cet atelier se sont organisés autour de la question de la manière dont radios et télévisions pouvaient former le goût des jeunes auditeurs et de la place qu'ils pouvait accorder aux formes musicales innovantes, notamment à travers leurs attitudes vis-à-vis des jeunes groupes ou des jeunes artistes. Une partie des interventions a porté sur la logique qui préside aux liens existant entre médias et musique et sur les contraintes que les logiques notamment radiophoniques définissent; mais en même temps que les intervenants s'attachaient à cerner le poids spécifique des différents médias, ils ont aussi indiqué les limites de lo toute puissance de la radio et de la télévision. LA LOGIOUE DU MEDIAl ,dl faut une certaine dose de naïveté pour faire procès à une radio commerciale d'être commerciale. Comment vit une station commerciale? En vendant son temps d'antenne à des annonceurs. Les tranches horaires, ce sont des publics, mesurés par sondage» [C. Meadel). La première tâche est de prendre en compte cette contrainte qui consiste à s'attacher un public; la musique à la radio vise à garder l'auditeur à l'antenne, à l'empêcher de tourner le bouton pour se mettre à l'écoute d'une autre station. Cette nécessité implique que l'auditeur entende ce qui lui plaît et que les nouveautés, nécessaires, soient d'abord testées dans des émissions situées dans des tranches horaires de moindre écoute ou dans des jeux. C'est à cette condition qu'Europe l ou RTL peuvent garder leur «leadership» : toutes les trois chansons, elles donnent Yvon Le Chevestrier, journaliste Ouest-France. Cécile Meadel, historienne, Centre de sociologie de l'innovation. Philippe Tuffigo, producteur, émission Décibels, FR3-Bretagne. rendez-vous musical à leurs auditeurs, le «tube» qui rappelle qu'ils appartiennent à la «famille». Cette logique mise en œuvre par les grandes radios périphériques s'est imposée aux radios libres devenues «radios locales privées». Sur Rennes, Radio Savane, spécialisée dans tous les genres de musique rock, a dû fermer boutique parce qu'elle était devenue «une radio pour les copoins» où les animateurs composaient les programmes à partir de leurs goûts musicaux. Le choix de ne s'adresser qu'à une population très limitée n'a pas séduit les annonceurs publicitaires. En se définissant comme une radio locale privée généraliste, Fréquence Ille s'est alignée sur les principes de programmation propres aux radios périphériques: sélection d'une «play lisf» de 80 à 100 disques, parmi lesquels une vingtaine, en général les meilleures ventes du «Top 50», est diffusée plusieurs fois par jour, dans laquelle on introduit les nouveautés dont on pense qu'elles seront elles aussi des «tubes» : définition de tranches horaires pendant lesquelles, selon les taux d'écoute, on prend plus ou moins de liberté avec la «play list». Dans un tel système, les animateurs ont perdu tout pouvoir de programmation, sauf aux heures où la majorité des auditeurs est sensée s'être transformée en téléspectateurs: «On est devenu professionnel, on ne passe plus ce qui nous fait ploisir» (Fréquence Ille). Devenir une station à vocation généraliste signifie rompre avec les projets qui pouvaient être à l'origine des premières radios locales: il ne s'agit plus de convaincre l'auditeur de la qualité supérieure de certains genres musicaux, de fonctionner pour les copains (Radio Savane) ou de faire de l'éducation populaire. La professionnalisation, c'est-à-dire, entre autres choses, la prise en compte des impératifs qui permettent à une station de faire vivre ses salariés ou 63 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy sescréateurs, implique une division du travail entre les personnels de la station, principalement entre animateurs et programmateurs; elle implique aussi des exigences vis-à-vis des productions proposées aux radios. Ainsi, une radio qui se range dans le camp des radios commerciales ne peut que travailler avec des structures de production ou de diffusion des disquues qui soient, elles aussi, capables de fournir un service professionnel: Fréquence Ille ne diffusera pas les disques dont elle n'est pas sûre que les auditeurs les trouvent dans les bacs des disquaires. De cette façon, les programmateurs de cette station privilégieront les disques produits ou distribués par les grandes maisons de disques au détriment des petites maisons qui ne sont pas certaines d'accéder aux bacs des grandes surfaces, à moins d'être souscontrat avec une grande maison ou d'avoir des artistes bien placés dans le «Top 50». La télévision est un autre exemple de cette prime aux «gros»: on a cité le cas de l'émission Champs-Elysées de Michel Drucker qui ne s'ouvre qu'aux artistes ou groupes qui ont déjà vendu cent mille 45 tours [C, Meodel). Mais les émissions grand public ne sont pas les seuls à imposer des critères de sélection: l'émission Décibels, sur FR 3, qui se donne pour vocation de faire découvrir des artistesde rock, français ou anglosaxons, doit faire des choix parmi les groupes qui désireraient passer dans l'émission et se fonde sur des critères qui supposent que le groupe a déjà engagé une démarche d'aspirants professionnels puisqu'on leur demande d'avoir la volonté de «faire une télé», c'est-à-dire de vendre au public une certaine image d'eux-mêmes, d'accepter de se prêter au travail de mise en scène, d'avoir des qualités de son, tenant compte à la fois de la qualité des morceaux et de l'enregistrement. Tout cela suppose que le groupe est d'ores et déjà capable de proposer des produits finis. U POIDS DU MAISONS DEDISOUES Cest à travers les exigences propres à un média qu'on doit saisir les limites du rôle d'innovateur que peut jouer radio ou télévision. C'est aussi en comprenant ces exigences qu'on peut situer plus précisément les liens avec les maisons de disques. En effet, il est vrai que les maisons de disques tentent d'exercer des pressions sur les programmateurs ou sur les animateurs : les billets pour les Seychellesou pour Acapulco on remplacé les chèques mais ces pressions directes se heurtent aux impératifs de programmation et n'ont d'efficacité que pour les créneaux pendant lesquels les contraintes de la programmation se relâchent. Pour les radios locales, la pression des maisons de disques se fait sentir à travers l'envoi des objectifs, c'est-à-dire des titres ou des artistesqu'elles souhaitent voir promouvoir, cette politique pouvant aller jusqu'à n'envoyer que les principaux objectifs pour inciter les stations à ne diffuser que ces titres, mais cette pression est très relative (Fréquence Ille). En fait, les pressions les plus fortes peuvent venir du fait que les radios comme RTL ou Europe 1 soient intéressées au passage très fréquent de certains artistes dans la mesure où elles sont co-éditrices de certaines chansons, et ont donc tout intérêt à les faire connaître et à les faire passer, ou encore qu'elles possèdent leur propre maison de disques. Toutefois, si l'on admet que les programmateurs construisent leurs programmes à partir de ce qu'ils pensent que leurs publics aimeront, les co-éditions RTL ou les produits Al-Europe 1 sont soumis aux mêmes critères d'appréciation que les autres [C. Meadel). Les médias ne formeraient pas tant le goût de leurs auditeurs qu'elles ne chercheraient à coller au plus près des goûts supposés du public. Le conservatisme ne serait pas le fort des médias mais le fait des auditeurs. Mais en définissant des programmes grand public, qu'ils soient plutôt «adulte» ou qu'ils soient plutôt «jeune», les stations génèrent des mécontents, car elles ne peuvent refléter tous les goûts. us POSSlBIUfU 1Y0WEIlfII1IE '1 Les radios, par différents jeux tentent de prévenir le mécontentement des auditeurs, au moins de saisir leurs mouvements. Le plus souvent, c'est la concurrence entre médias qui est un des moyens grâce auquel des goûts ignorés peuvent être reconnus. Ainsi, aux Etats-Unis, dans les années 50, c'est le remplacement de la radio par la télévision comme média familial qui rend possible la popularisation du rock'n'roll dans la mesure où les radios ont été dans l'obligation de se chercher de nouveaux auditeurs, de nouvelles recettes publicitaires et donc de diffuser des musiques nouvelles (P. Mignon). De la même façon l'ouverture de la bande FM, en France, a grandement favorisé la popularisation de toutes les formes de «dance music» et de «new wave». Aujourd'hui, en France, les mouvements de concentration, dans les radios locales privées (la constitution de réseaux nationaux) ou l'entrée des radios périphériques sur la bande FM, vont obliger les radios locales privées à trouver de nouveaux créneaux, de nouveaux publics, de nouveaux annonceurs et donc de nouvelles programmations, afin de proposer des services originaux à ceux qui, au plan local, ne seront pas intéressés par les «ploy-lists» du réseau NRJ ou de RTL FM (F. Delaunay). Pourtant, si sur de grandes agglomérations comme Paris et sa région il esttoujours possible de faire vivre une radio en cultivant les goûts de certaines populations, le pari peut être plus difficile à réaliser au niveau des régions. lA fIUVlSION Le cas de la télévision est un peu différent. Jusqu'à maintenant, la majorité des chaînes étaient du service public, ce qui impliquait de donner satisfaction à toutes les catégories de publics. Ainsi, en ce qui concerne le rock, l'on peut trouver des émissions qui illustrent des genres et des artistes qui échappent aux hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy canons du «[op 50» ou qui peuvent foire découvrir des courants peu connus.Mois les émissions possèdent des moyens différents selon les chaines. Décibels, l'émission de FR 3, fonctionne avec un budget très étroit et repose sur l'implication de quelques individus, ce qui interdit par exemple les reportages à l'étranger. Toutefois, ces moyens limités n'empêchent pas la reconnaissance, et Décibels s'est vu décerner par la presse musicale anglaise le titre de meilleure émission rock en Europe. Pourtant, à l'heure où l'on écrit ces lignes, on annonce la suppression de l'émission ou nom du toux d'audience et la concurrence qui s'annonce entre les chaines privées peut renforcer la tendance à l'homogénéisation des programmations - d'autant que le principe d'une chaine thématique musicalea été abandonné. MUSIOfIffT PlIS. La presseécrite joue un rôle un peu particulier dans le domaine musical. Dons le cos des revues pour adolescents, comme Salut ou Podium, la règle du jeu est celle des radios périphériques ou de la télévision: donner aux lecteurs du connu, du familier. Pour les revues rock comme Rest ou Rock & Folk, les sujets traités peuvent paraître ésotériques à de nombreux observateurs, il n'en reste pas moins qu'ils concernent le plus souvent des voleurs sûres. D'une certaine façon, la presse quotidienne, et en particulier la presse régionale, peut jouer un rôle d'ouverture plus important. Comme dons le cos de FR 3, l'investissement dans un champ qui parait marginal par rapport aux préoccupations du journal repose sur une certaine forme de militantisme puisque «le journal me paie pour couvrir le congrès des parents d'élèves mois que les articles sur les concerts, je les prends sur mon temps personnel» (Y. Le Chevestrier). La création d'une rubrique régulière, «Rock and Bulles» dans Ouest-France, s'inscritdons la démarche du quotidien qui cherche à avoir le contact avec ses lecteurs, ici les 15-35 ans, et donc à couvrir ce qui les intéresse; il s'inscrit aussi dans une démarche journalistique qui s'efforce de saisir ce qui «renouvelle la société et qui a donc sa place dans le journal». Même s'il est difficile d'apprécier le rôle d'un quotidien dons le déroulement d'une carrière d'artiste, on peut penser que la ligne journalistique qui consiste à chercher ceux qui font vivre le rock dans une région comme la Bretagne n'est pas étrangère à l'existence d'une «scène rock» bretonne avec des artistes comme Etienne Daho ou Marc Seberg. En fait, les innovations n'ont pas toujours besoin des médias. Dans les années 70, des chanteurs comme François Béranger, Higelin ou Gérard Manset se sont constitués des publics sans que ni radios, ni télévisions aient pris une part active à ce processus. Ces artistes qui n'étaient ou ne sont toujours pas des grands noms du «[op 50» ont vendu ou vendent toujours leurs disques à un public fidèle. Ces artistes ne sont pas des chanteurs «commerciaux», c'est-à-dire dont les chansons sont sur toutes lèvres et diffusées plusieurs fois par jour sur les ondes; mais il arrive aussi que des «tubes» se soient faits contre les médias: c'est le cas de La Danse des canards. Enfin, on a aussi noté le. Brault) qu'il existait des réseaux de diffusion de musiques très marginales, très hermétiques, grâce à l'échange de cassettes et à la circulation de petits bulletins qui mettent en contact les amateurs de toute l'Europe. De cet atelier, l'on pourra retenir que la question du rapport entre musiques et médias se pose différement selon le média considéré. ton pourra aussi s'interroger sur le poids des goûts musicaux personnels ou des stratégies d'insertion professionnelle dans les médias, dans la prise en compte de nouvelles expressions musicales. Si les médias, comme l'ont laissé entendre la majorité des intervenants; ne forment pas les goûts des auditeurs mois essaient plutôt de coller ou plus près de leurs attentes, il resterait à approfondir l'étude de l'ensemble des facteurs qui font se modifier le contenu esthétique d'un paysage médiatique. 65 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy RENCONTRE AVEC LES PROFESSIONNELS LA MUSIQUE MISE EN ONDES Cécile MEADEL historienne, sociologue, Centre de sociologie de l'innovation de l'Ecole des Mines de Paris; comité de rédaction de la revue «Vibrations» Entre le rock et les médias, comme plus généralement entre la musique et les médias, circule volontiers un double procès où chacune des parties est accusée d'utiliser -voire de manipuler- l'autre. Les médias se voient reprocher de «passer toujours les mêmes tubes», de ne s'intéresser qu'aux stars; les maisons de disques sont, elles,soupçonnées d'imposer aux médias leur programmation, de choisir à leur place les morceaux diffusés. Ce procès permet de décharger les groupes musicaux de leurs échecs en les renvoyant sur un autre, mais surtout il nie tout le travail de transformations, de mélanges, de confrontations qu'ont dû effectuer les artistes à succès pour se construire un public. Le procès transforme les médias en simplessupports, tour à tour transparents quand ils doivent rendre compte de la production musicale contemporaine mais actifs, aptes au prosélytisme, lorsqu'il s'agit de convaincre les auditeurs de la beauté d'une chanson. Dans l'autre sens, l'accusation rend compte de liens bien réels entre les maisons de disque et les médias - relations de filiale à maison mère ou... voyages à Acapulco offerts par les disquaires aux hommes de médias - mais elle réduit toutes les relations entre les deux parties à ce lien univoque du profit négligeant tout autre intérêt. A vrai dire, les accusations s'estompent dons l'accomplissement pratique de la mise en ondes de la musique, dans les relations quotidiennes des professionnels de la musique et de ceux des médias - on parlera surtout ici de ceux de la radio. Car le procès fait plus haut oublie les auditeurs, les publics. Les stations de radio ne passent pas de la musique pour faire découvrir de nouveaux chanteurs ou pour faire vendre des disques... Elles diffusent d'abord de la musique pour construire leurs programmes et pour séduire leurs auditeurs. Dans les stations périphériques, comme dans la plupart des radios locales privées, les disques sont un dispositif central de la programmation, ils sont une pause pour l'animateur qui reprend son souffle, qui essaie sur les personnes présentes dans le studio ses jeux de mots, ses échanges, ses anecdotes..., pause aussi pour l'auditeur qui peut sortir de la pièce, cesser d'écouter sans perdre le fil du jeu ou du journal. Les disques sont «un rendez-vous musical pour l'oreille»; la proportion des airs connus est souvent fixée par la station. Ces tubes - qui, à RTL par exemple, doivent revenir au moins tous les trois morceaux - sont là pour rassurer l'auditeur, ne pas le surprendre, «ne pas lui faire tourner le bouton». C'est cette même familiarité qui agit dans la fréquentation assidue des mêmes vedettes, le ton amical et bien connu des animateurs. PARCOURS INITIATlOUE Le jeu avec la nouveauté devient ainsi une pièce centrale du dispositif. La programmation doit choisir parmi les nouveaux chanteurs ceux qu'elle intégrera et, pour cela, elle doit anticiper le goût de ses auditeurs, savoir ce qui plaira, ce qui pourra plaire. Ces choix que les gens de radio attribuent souvent à leur intuition, s'appuient sur une série de dispositifs qui permettent de mesurer le candidat aux ondes et par là même son public. Côté chanteur, les programmateurs suivent pas à pas sa carrière à travers la vente de ses disques, la fréquentation de ses concerts. la presse, les boîtes de nuit, les autres radios, et, lorsque le candidat a franchi ce cap, la télévision sert aux programmateurs de banc-tests. Ce public privilégié se retrouve à l'intérieur même de RTL dans le service de programmation organisé de manière collégiale. Une fois le chanteur retenu, il est «essayé» auprès des auditeurs de la station dans une série d'émissions tests programmées à des heures de moindre écoute, hitparade où les chanteurs subissentun classement, duel qui oppose un ancien et un nouveau, confrontation solitaire du chanteur et des auditeurs qui peuvent à chaque moment dire - par le téléphone - «stop» ou «encore»... toutes ces émissions sont autant d'étapes que doit franchir le chanteur nouveau mais aussi, en permanence les autres, les anciens et les «consacrés» qui doivent prouver qu'ils n'ont pas démérité. Ces émissions mettent en scène le verdict du public sur lequel elles s'appuieront ensuite. 66 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Les opérations menées par les programmateurs indiquent la démarche à suivre pour les comprendre, pour rendre intelligibles leur choix; il ne s'agit pas d'opposer le récepteur à l'émetteur mais de suivre les fils de la construction du public pour trouver les auditeurs là où ils ont été mis en forme, dons le travail qui les produit. 61 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy RENCONTRES AVEC LES PROFESSIONNELS LA TECHNIQUE Eliane DAPHY rapporteur de la séance, ethnologue, loborotoire d'anthropologie urbaine (Musée de l'Homme / CNRS) i comité de rédaction de le revue «Vibrations» INTERVENANTS Gérard Bourgeat, professeur de musique, sociologue (Groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique). HervéJeagaden, ingénieur du son, Studio Drop, Rennes. Gérard Lavigné, musicien, arrangeur. Marc Touche, sociologue (CNRS), bassiste, ex-sonorisateur. A partir d'un double constat initiai, l'omniprésence de la technique dans l'univers musical contemporain, et les difficultés de traiter un tel sujet objectivement, quatre grands thèmes ont rythmé l'après-midi: le~ processus techniques en usage dans les systèmes de la production musicale (disques et spectacles), les rôles respectifs des hommes et des machines, le pouvoir du technicien sur l'artiste; l'organisation du travail, les filières de formation et d'apprentissage des professionnels, les modalités de l'emploi des techniciens de l'industrie musicale; les transformations dues à l'introduction des nouvelles technologies dans le champ de la production de la musique et l'influence de l'informatique sur le travail des musiciens et techniciens, sur les produits et sur le public; - les confrontations d'expériences pédagogiques innovantes, et les évolutions futures attendues (ou craintes), dues à l'utilisation dans le cadre du cours d'éducation musicale des nouveaux outils technologiques (du synthétiseur en passant par le logiciel de solfège) : sonneront-ils le glas de "ces orchestres de flûtes à bec en plastique et de percussions en fer blanc dans lesquels nos pauvres élèves massacrent La Truite de Schubert sans y prendre aucun plaisir?» Approche en mosaïque sur des modalités multiples, du cours magistral sur le fonctionnement du studio, improvisé par Lavigné et Jegaden, au débat philosophique passionnel sur la spécificité technologique de la production du rock où chaque animateur défendait des positions contradictoires, en passannt par les échanges internes aux enseignants sur les difficiles conditions d'accès au matériel informatique scolaire pour les professeurs d'éducation musicale, le dialogue a permis une prise de conscience: "Pour mieux comprendre et apprécier une musique, il faut connaître sa fabrication»; la méconnaissance ou le rejet des composantes d'ordres techniques laissent la porte ouverte aux jugements et aux a priori idéologique, d'autant plus dangereux qu'ils ferment aux enseignants l'accès à ce monde imaginaire hautement investi par leurs élèves, celui de la musique. LEÇON DE CHOSES Mais un débat sur la technique nécessite une nourriture matérielle souspeine de setransformer en conversation de salon; l'audition d'un montage sonore réalisé par Lavigné - fournit des exemples concrets sur les rapports entre l'évolution technologique du matériel utilisé et la création artistique. A partir de différents sons de guitares électriques - chorus et accompagnements célèbres - furent mis en lumière les différents paramètres participant à l'élaboration et la composition d'un son: rôle de l'instrument (modèles et caractéristiques techniques), du matériel d'amplification (amplificateur, mais aussi, effets périphériques comme la "pédale ouch-ouoh», on est dans le domaine de la culture technique non écrite!), du savoir-faire spécifique de l'instrumentiste et des techniques de production (enregistrement, avec un matériel aux caractéristiques données que l'ingénieur du son utilise selon ses compétences et son «feelinq»], UNEASSENCE IlEMAllOUEf la table ronde a réuni des gens du métier - ingénieur du son et arrangeur -:- des chercheurs ayant une pratique musicale alliée à une réflexion théorique (Bourgeat, Touché) et des participants en quasi-totalité enseignants. l'absence remorquée des «rockers» de 68 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy l'Université d'été posa question: signifiait-elle que les principaux utilisateurs de technique n'éprouvent pas la nécessité de débattre sur ce thème? Doit-on en conclure que cette composante est tellement intégrée dans leur pratique quotidienne que le dialogue avec un arrangeur ou un ingénieur du son leur semble superflu? Pourtant les rockers parlent sans cesse technique entre eux (Bourgeat)... Alors? Les explications concernent les thèmes des ateliers concurrents et simultanés: «l'inqénieur du son n'est pas un personnage magique pour le rocker» (Jegaden) ; au contraire, les représentants des firmes phonographiques ou des journalistes - à fortiori lorsqu'il s'agit du producteur de la seule émission télévisuelle à présenter de jeunes groupes français! - représentent des personnages inaccessibles et courtisés, puisqu'ils possèdent le pouvoir de sélection, clé de la réussite (Daphy). Le débat, tant attendu par certains, sur le volume sonore des musiques jeunes, et le plaisir pris à écouter «trop fort des chansons en anglais dont on ne comprend même pas les paroles», n'eut donc pas lieu, faute de combattants... LA DIFFICUL'If DUDISCOURS SUR LA 'lfCHNIQUE Assiégés sous le feu des questions, les animateurs ont volontiers accepté de se retrouver en situation d'enseignants, ce qui n'a pas été sansposer quelques difficultés, propres me semble-t-il à la dimension «culture technique» d'un tel dialogue, puisqu'il s'agissait de faire passer par le discours un ensemble de gestes, de pratiques, tout un savoir faire «professionnel» dont l'acquisition - et donc la transmission- est de l'ordre du méta-langage, ou s'il est formalisé d'une «langue de métien>: «Ce sont des choses que je sais faire devant ma console, mais que j'ai du mal à expliquer» (Jegaden). De plus, pour bien se servir d'un outil, il n'est pas nécessaire de connaître son «principe technique». A la différence des autres ateliers, «les journalistes et les producteurs habitués à parler de leur boucertaines demandes des stagiaires se sont heurtées à la difficulté "d'expliquer un savoir-faire technique à des non-techniciens», ce qui a permis de réaliser que le studio, la scène, sont un milieu de production «comme les autres» et que "professionnel, c'est tout un ensemble de pratiques qui dépassent le fait de bien jouer d'un instrument de musique». CONTRADICTIONS LINGUISTIQUES Les explications techniques sur le processus technique de l'enregistrement en studio soulèvent la question des taxinomies employées; il ne semble pas y avoir de consensus entre les différents animateurs sur le vocabulaire à employer pour désigner les différentes opérations techniques, ni les différents lieux de production. Certains termes comme «matrice» ou «moster» (terme désignant la bande magnétique réalisée en studio) ont une géométrie variable, et sont utilisées selon les intervenants pour le mixage en studio ou pour la gravure. De surcroît, lorsque ces termes sont d'origine anglo-saxonne [emoster»], leur emploi en France ne correspond pas forcément à celui dans la langue originale. On peut émettre l'hypothèse que ces distinctions linguistiques renvoient à la fois à des différences de niveau dans la connaissance des processus techniques, dans la maîtrise du matériel et donc à différents stades de professionnalisation. Ce que confirmerait que le débat opposant «rockers»,«dans le rock, on dit comme ça» et «pros» «dans le métier, on ne dit pas ça». Si les techniciens exercent une activité professionnelle dans un secteur de production définie, ils ne connaissent pas précisement l'ensemble du processus technique de fabrication: «A partir de la gravure, après le studio, le produit est terminé pour nous, et il échappe aux musiciens et techniciens qui ont participé à sa réalisation. C'est pourquoi je ne connais pas les différentes opérations du pressage en usine» (Lavigné). Dans l'industrie de la musique, cohabitent deux secteurs: un stade artisanal (travail en studio, concerts) que l'on peut analyser comme la fabrication de prototypes et un stade plus «industriel» qui correspond à la reproduction en série, (cf. l'analyse de J. Attali, dans Bruits) (Daphy). l'existence d'un modèle défini d'organisation du travail en studio' soulève une polémique entre animateurs. Les grands studios parisiens et les studios de maquette ont-ils la même façon de travailler? Non, selon Bourgeat qui affirme que le rock exige, de part sescaractéristiques esthétiques, une technique particulière. Peut-on expliquer cela par des raisons d'ordre technique? «les petits studios sont parfois obligés de faire du bricolage pour des raisonss d'insuffisance de matériel, mais je pense que les différences tiennent ovant tout au niveau des musiciens avec qui on travaille» (Jegaden). Prenons un exemple: les «rockers» ont l'habitude d'enregistrer ensemble, donc sansutiliser au maximum les possibilités offertes par la technique d'enregistrement multipiste (rerecording); de plus ils éprouvent le besoin de «faire une voix témoin» en début d'enregistrement i celle-ci sert de guide aux musiciens instrumentalistes et leur permet de «jouer synchro», Elle est remploçée en phase finale par la «voix définitive». _ Pour Bourgeat, il s'agit d'une pratique nécessaire, due aux spécificités du rock comme produit musical: «le feeling et le qroupe». Ne pourrait-on pas considérer que le niveau de compétence des musiciens et leur habitude du studio jouent aussi un rôle? (Daphy). lavigné constate: «Les problèmes étaient identiques quand j'ai débuté il ya 15 ans. Et je faisais du folk! En général, les musiciens de rock jouent en studio de façon exceptionnelle; ils font plutôt de la scène, ou pour être franc ils répètent dans des caves! Or la répétition reproduit, à l'exception de la dimension spatiale scénique, les conditions techniques de la scène. Pour mettre en place un hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy morceau, les mUSICIens le répètent, tous ensemble, jusqu'à ce qu'il tourne bien. En studio, les musiciens doivent enregistrer séporément et ils sont perdus... Pour leur permettre d'être à l'aise, on recrée en studio les conditions de travail de la répétition, mais on ne peut pas dire que celte méthode soit la plus performante l». Spécificité de musiciens débutants, ou de musiciens pratiquant de musique populaire, et bien au-delà du rock, de musique collective non écrite? la question reste ouverte... ANALYSE DU DEBAT Musique/technique: l'ambivalence La discussion intense déclenchée por les questions sur le rôle et le pouvoir du technicien face - contrel'artiste interroge l'ethnologue-rapporteur qui propose sur ce thème les réflexions suivantes: technique et musique entretiennent dans notre société des rapports complexes, entre le rejet et la fascination. la technique est souvent opposée à l'inspiration, au feeling, au «dom> attributs de l'artiste. Dans le même temps, on voue un véritable culte aux virtuoses et à leur maîtrise technique ou l'on soupçonne tel modèle mythique d'instrument de sonorités exceptionnelles. . La question se complexifie encore lorsqu'on aborde la diffusion de masse et les techniques de production industrielle qui l'accompagnent. le concept-même de «produit artistique» gène, car il semble contradictoire. D'aucun vont même jusqu'à affirmer que «lesmeilleurs artistes, les plus durs, sont ceux qui refusent d'enregistrer des disques, car il est impossible de transmettre l'émotion sans la présence». Les nouvelles technologies sont accuséesde perversité car elles permettraient toutes les tricheries: «L'on sait bien que les techniques modernes d'enregistrement arrivent à faire chanter juste n'importe quel prétendu chanteur incapable de maîtriser sa voix». Cette polémique n'est d'ailleurs pas nouvelle; déjà en 1935, Jean Soblon, surnommé à cette occasion «le chanteur sansvoix» déclencha une véritable émeute en utilisant pour la première fais le microphone, jusqu'alors réservé à l'enregistrement, sur scène (cf. l'autobiographie de Jean Sablon: De France ou bien d'ailleurs, Robert Laffont, 1979). Cela concerne à l'évidence les phénomènes d'innovation, de transferts de technologies, et les résistances à leur intégration que traduisent ces images et représentations. Ainsi, l'on compare le synthétiseur au piano, refusant au premier le «noble statut d'instrument de musique». Mais la machine fascine, on imagine qu'elle rend possible l'inconcevable (faire chanter juste); les techniciens manipulateurs de machines se retrouvent alors dans la situation de «grand-maîtres» de la technique, on cherche à «percer le secret et comprendre le miracle». MYTHES Er"",..",A'1IOIIS Si cette ar:nbivalence des rapports à la technique ne saurait surprendre le chercheur travaillant sur le thème des changements technologiques, et qui établit un lien entre cette peur de la machine et la méconnaissance des fonctionnements réels des outils et processus techniques employés, le constat de l'importance de phénomènes de ce type à propos de la musique mérite un approfondissement: les jugements et les fantasmes ne sont-ils pas d'autant plus prégnants qu'ils s'attachent à la musique, expression symbolique dans lequel l'homme projette son univers de culture idéale, et que l'adhésion à une musique, au-delà du culturel et du social, concerne aussi l'affectif? Les questions sur <des boîtes à rythme qui remplacent les batteurs, les synthés qui mettent au chômage les élèves des conservatoire» expriment le problème réel de la reconversion et de la formation à l'arrivée de nouvelles technologies; mais elles traduisent égaiement l'angoisse de dépossession des compétences, l'artiste / l'homme vaincu par la machine... la musique, entend-on, risque de devenir une production sonore industrielle, automatique, froide, sans âme... Une expression humaine par excellence, à l'image de l'harmonie du monde et des hommes et des dieux (ne parle-t-on pas du dieu créateur en musique ?) risquerait de devenir inhumaine? Ne pourrait-on pas entendre diabolique? Le fantasme des «messages subliminaux diaboliques sur les bandes magnétiques à l'envers»traversa l'atelier, et l'ingénieur du son raconta comment il avait commencé sa carrière de technicien par. des bricolages pour repérer ces fameux messages dont tout le monde parlait: ce qui lui permit de comprendre que la technique ne permettait pas de miracles, mais lui apprit à manipuler correctement un magnétophone, à en connaître le fonctionnement, bases de son futur métier. Entre la logique technique et l'irrationnel, la distance est parfois faible ... LEBESOIN DESAVOIR La demande des stagiaires, leurs préoccupations et leurs attentes s'organisaient en quasi-totalité autour du besoin de connaissances; par rapport concret d'explications techniques, due à la qualité des intervenants, on a assisté à un dialogue de haut niveau. Pour conclure, il me semble important de signaler que la difficulté d'accès aux informations d'ordre technologiques «réservées aux seuls spécialistes, et inabordable pour le novice» a été souligné à de nombreuses reprises. Les enseignants posent le problème d'existence de documents adaptés au public scolaire dans le domaine des technologies de la musique. Les quelques ouvrages disponibles ont été remis en cause pour leur «passéisme et leur manque d'ancrage dans la réalité culturelle des jeunes». Au moment où l'ensemble de la musique «subit le choc» de l'introduction des nouvelles technologies, émergent des questions concernant le rôle à tenir par les enseignants d'éducation musicale,et le contenu de leur formation tant initiale que permanente: «Les élèves attendent de nous certaines réponses. Aurontnous les moyens de les leur fournir ?». 70 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Dans cette Université d'été où nous explorons les liens entre les [eunes, l'école et la musique, nous devions rencontrer la politique, parce qu'en France la politique donne des moyens et définit les priorités, y compris dans les secteurs culturels. On peut noter l'évolution certaine de ces dernières années: le général De Gaulle, après les débordements lors de concerts dans les années 60, proposait d'envoyer lesieunes construire des routes. Quelques années plus tard, Georges Pompidou rencontra le chanteur Léonard Cohen à l'occasion d'un festival qui se déroulait dans le Midi de la France. Plus près de nous, on retiendra la phrase prononcée par le Président de la République en visite officielle à San Francisco (26 mars 7984): «Personnellement, j'aime beaucouple rock». Avec ces personnages qui ont marqué notre histoire, on a là quelques exemples des attitudes que le politique manifeste envers lesjeunes et envers la musique. Le thème central de ce débat concernera la prise en compte récente en France des phénomènes de pratiques musicales populaires et les différents participants présenteront le pointde vue de leurs institutions. Auparavant, Françoise Tétord va noustracer unrapide tableau des politiques de la jeunesse menéesen France depuis 7945. Patrick Mignon DEBAT •• ROCK ET POLITIQUE hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy DEBAT: ROCK ET POLITIQUE INTRODUCTION HISTORIQUE Francoise 'nARD • historienne, ingénieur d'études, ÇNRS Centre de recherches interdisciplinaires de Vaucresson (CRIV) Aujourd'hui, lorsqu'un homme politique parle de la jeunesse, personne ne semble surpris qu'il évoque <da culture jeune»,«la musique des jeunes», «le rock»... Les termes «rock» et «jeunes» -l'on n'a pas été sans le constater durant cette Université d'été - sont constamment subsumés, et pourtant l'un ne saurait se réduire à de la musique des l'autre, et réciproquement. ~entré jeunes, et du rock en particulier, dans le champ politique est un phénomène nouveau. Faut-il y voir la reconnaissance et l'officialisation d'un genre de musique qui jusque là était traité par les pouvoirs publics avec un certain mépris, ou du moins le plus souvent rejeté à la marge? Incontestablement, quelque chose a changé. S'il fallait s'en convaincre, il suffirait de relire la presse du début des années 60, et d'y lire la violence des propos dénonçant les goûts et les penchants d'une jeunesse «sans idéel». Les adultes semblent prendre conscience à cette époque d'un monde des jeunes qui leur est étranger et qui a toutes les apparences de l'exotisme. Ils ne peuvent comprendre «ces sauvages hurlants et frénétiques», «ces fous par milliers», «ces supporters vociférants de leurs idoles», «ces massacreurs de fauteuils», «ces bandes hystériques»... (et j'en passe: tous ces termes sont extraits d'articles de la presse générale et de la presse spécialisée jeunesse, de diverses opinions). La société adulte ne peut accepter de confondre «cette industrie du délassement», «de l'amusement spontané et irnrnédiot», «du divertissement superficiel» avec une quelconque action culturelle, quelle qu'elle soit. Elle laissera donc la «musique des copains» aux mains des entreprises commerciales, qui en garderont le monopole exclusif pour plusieurs années et qui feront des «teenagers» leur clientèle cible. Certaines voix s'élèveront néanmoins pour déplorer le fait que <da chanson des jeunes» soit entièrement gouvernée par les «puissances d'orqent», mais ces voix resteront isolées. Sansvouloir faire d'histoire-fiction, l'on peut se demander si les pouvoirs publics, au cas où ils auraient souhaité être plus interventionnistes en ce domaine, auraient situé leur action dans le champ des polifi- eues-jeunesses, ou dans celui des politiques culturelles (les unes et les autres étant d'évidence gouvernées par des problématiques différentes ...). En ce début des années 60, les politiques-jeunesses étaient à l'ordre du jour, et l'arrivée des gaullistes avait contribué à les redynamiser (j'y reviendrai tout à l'heure). Par contre, le concept de politique culturelle est encore peu utilisé à l'époque. Il sera développé et théorisé quelques années plus tard. Il a fallu en effet attendre janvier 1959 pour que A Malraux soit nommé ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles. Et si la réflexion sur les Beaux-Arts a été féconde avant cette date, elle n'a pas suscité de véritable «politique artistique», c'est du moins l'analyse qu'en fait Jeanne Laurent en 1955 dans son livre La République et lesBeaux-Arts (Ed. Julliard) (Jeanne Laurent fut sous-directrice des spectacles et de la musique au ministère de l'Education nationale). Les Beaux-Arts furent le parent pauvre du ministère de l'Instruction publique (puis du ministère de l'Education nationale), dans le cadre duquel ils ont été placés depuis 1871. Il y eut seulement deux brèves interruptions: l'une en 1881 avec un ministère des Arts créé par Gambetta, et l'autre en 1947 avec un ministère de la Jeunesse, des Arts et des Lettres, confié à Pierre Bourdan. PAS DE DElINmONUNIOUE Ces quelques remarques ne peuvent et ne veulent suffire à expliquer la situation d'aujourd'hui, et à comprendre les déterminismes socio-politiques qui y ont conduit. Elles voudraient simplement souligner la nécessité d'étudier avec précision cette question. Les concepts de «jeunes», «culture des jeunes», «musique des jeunes», «rock», «politiques-jeunesse», «politiques culturelles» sont tous à géométrie variable, ils prennent des sensdifférents selon les lieux et les moments où ils sont utilisés, et il faudrait à chaque fois les resituer dans leur contexte, si l'on ne veut pas tomber dans les pièges de l'anachronisme. Il est très complexe par exemple de savoir où commence et où s'arrête l'âge de jeunesse, et la liste des 12 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy différentes frontières d'âge utilisées actuellement dans notre société serait longue. La notion de rock, sur laquelle nous nous penchons durant cette semaine, n'est pas plus claire. Le rock n'a pas de définition unique, et si définition il y a, elle change selon les périodes: le rock en 1956 n'a pas la même définition qu'en 1962 (quand le <'yéyé» entre en scène), ni qu'en 1986 (mais au fait, quelle est celle d'aujourd'hui ?). La lecture comparée des différents ouvrages spécialisés sur le rock, d'hier et d'aujourd'hui, donne des informations sur les lieux de concerts, sur les chanteurs ou groupes et sur leurs trajectoires, sur le show-business, etc., mois aucun ne s'engage sur une définition consensuelle. Le rock est souvent proposé comme voleur pure s'opposant en cela aux outres musiques, il est alors surtout défini par la négative. Il faudrait donc voir comment ces notions s'imbriquent, comment sont produites les catégories, et quelles sont les différentes étapes de ces constructions. C'est une recherche qui reste à foire ... (il y 0, à ma connaissance, encore peu de travaux sur ce thème). Divers ministères sont aujourd'hui représentés dans ceite salle pour notre table ronde: le ministère de la Culture, le ministère de la Justice (Direction de l'éducation surveillée). On ne peut pas ne pas remarquer l'absence de deux d'entre eux: le ministère de l'Education nationale (qui pourtant a soutenu financièrement celte manifestation) et le ministère de la Jeunesse et des Sports (qui se veut le ministère des jeunes). Il ne faudrait pas faire des déductions trop hâtives, mais il est certain que le ministère de la Culture est ici fortement représenté, et qu'il semble vouloir jouer un rôle dynamisant en cette affaire. Est-ce à dire que les «politiques-jeunesse»,menées il y a vingt-cinq ans dans l'orbite du Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports ) lui-même sous tutelle du ministère de l'Education nationale jusqu'en 1963), sont désormais impulsées par le ministère de la Culture...? Ou est-ce à dire que le ministère de la Culture diversifie ses publics et conçoit des actions s'adressant plus spécifiquement aux jeunes...? Nous ne chercherons pas à entamer un débat institutionnel, mais remarquons que ce n'est pas la première fois que ces ministères ont à confronter leurs projets. Il n'est qu'à se rappeler la généalogie du débat «action socioculturelle/ action culturelle» des années 70, lui-même héritier sans doute d'oppositions ou de froitements entre des notions telles que «art», «culture», «culture populaire», «éducation populaire» ... Ces enjeux ministériels, s'ils existent, sont la résultante de diverses perceptions de la société à une époque donnée, et, quiite à être un peu décalée de vos préoccupations immédiates, j'ai choisi de vous parler maintenant d'un sujet que je connais bien (mieux que celui des politiques de la jeunesse et des enjeux dont elles furent l'objet à partir de la libération. UNE OUfSflONmDENfE l'cenon de l'Etat ou sa volonté d'action en matière de jeunesse n'est pas très ancienne. Elle remonte au Front populaire (il n'y avait que quelques timides expériences, trop décousues pour constituer une politique). léo lagrange et son dynamique secrétariat d'Etat à l'organisation des loisirs et des sports vont mettre en œuvre une politique des loisirs et des sports qui ambitionne de toucher toutes les couches de la population, et la jeunesse en particulier «car une société se construit avec le souci d'une génération montante». La guerre vient interrompre cet élan, mais en même temps la situation de crise fait de la jeunesse un étendard: la jeunesse devient le fer de lance de la politique pétainiste, devient espoir et force vive de la Résistance, devient population à conquérir pour les mouvements de jeunesse. Ces derniers, interdits en zone Nord, voient leurs subventions augmentées sous le gouvernement de Vichy, et ils se montreront puissants et offensifs à la libération. la guerre a solidifié le «sentiment de jeunesse», et cet effet est tel qu'à la libération, un besoin nouveau est affirmé, qui semble partagé par tous les courants de pensée et les partis politiques sans exceptions: celui d'une nécessaire et indispensable politique de la jeunesse. De quoi la jeunesse a-t-elle besoin? De formation, de loisirs, ou plus prosaïquement d'expression dons la vie publique...? Il n'est pas sûr que les concepteurs de ces politiques ne se soient vraiment posés la question, les «besoins des jeunes» sont d'une telle évidence qu'il n'est sons doute pas utile de les préciser (7). La jeunesse appartient à l'idéologie de la Reconstruction, elle est l'avenir-devenir d'une société en recornposition, elle est surtout le rêve d'une société sur elle-même. Plusieurs projets vont s'affronter ou du moins se chevaucher. Les réponses à ce nouveau besoin social seront parfois contradictoires, parfois utopiques, parfois anachroniques, parfois technicistes, mois toujours empreintes d'une bonne conscience indéniable. Les politiques-jeunesse, dons toute l'après-guerre ne sont ni homogènes ni constantes. Elles sont le plus souvent construites et déconstruites en des montages successifs. Néanmoins, elles se situent toujours entre deux pôles: l'un plutôt «éducatif», et l'outre plutôt «sociol», sons qu'aucune des deux logiques ne parvienne à s'imposer. Les tenants de «l'éducatif" pensent que la politique-jeunesse doit rester à l'ombre de l'Education nationale, seule compétente en la matière. Ces liens de dépendance peuvent être plus ou moins affirmés, mais «l'éducction» se situe dons le prolongement de «l'instruction» donnée à l'école. DUAWANCU PIlECAlIlU les tenants du «social» pensent qu'il n'y a pas de problèmes spécifiques à la jeunesse et que choque ministère a, dons ses aitributions, un secteur touchant à la jeunesse. la structuration la mieux adaptée se conçoit alors dons l'interministérialité. Dons un premier temps, l'Etat ne met pas en place de structures lourdes 13 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy et durables, il continue surtout à subventionner les divers mouvements et institutions de jeunesse, après qu'ils ont fait la preuve de <<leur valeur éducative», c'est-à-dire qu'ils aient obtenu l'agrément, donné par le Conseil de l'éducation populaire et des sports. C est seulement en 1954 que Pierre Mendès-France relance l'idée d'un «ministère de la Jeunesse». Sa proposition est l'objet d'un tollé général, les associations craignant une main-mise de l'Etat sur la [eunesse, et restent très inquiètes devant les dangers de «l'embriqcdement». P. Mendès-France se contentera de créer des Commissions-Jeunesse dons une quinzaine de ministères. Edgar Faure en 1955 reprendra cette politique et créera le Haut-Comité à la Jeunesse, organisme interministériel dépendant de la Présidence du Conseil. Interministériel en effet ne veut pas dire consensus ou équilibre entre les divers ministères, et pour éviter qu'un d'entre eux ne domine, la seule solution est le rattachement à la Présidence du Conseil. De Gaulle et son ministre Herzog réactiveront la structure du HautComité, mois en la biaisant quelque peu puisque Herzog sera en même temps Haut-Commissoire à la Jeunesse et au Sport et Secrétaire général du HautComité... Les tensions et rapports de forces entre les fonctionnaires représentant les différents ministères (entre eux), entre les mouvements et associations de jeunesse (entre eux), et entre les premiers et les seconds sont fréquents et complexes. Des alliances se font et se défont, reposant soit sur des appartenances confessionnelles ou idéologiques, soit sur des perceptions différentes de la population jeunesse? Chaque ministère en effet semble secreter ses propres jeunes, et choisit les mesures à prendre par rapport à des populations-cibles, niant par là même la réalité de la jeunesse comme classed'âge. Ce cloisonnement, cette segmentation des politiques dans la pratique contraste pourtant avec le projet toujours réaffirmé de «politiques globales pour la jeunesse». Les uns et les autres se renvoient des images inversées: le ministère de l'Education nationale, le ministère de la Jeunesse et des Sports, le ministère de la Culture s'occuperont de la jeunesse «positive», celle sur laquelle la nation doit compter, tandis que le ministère de la Justice, le ministère de la Santé, le ministère de l'Intérieur s'inté.. resseront aux ieunes à problèmes, aux jeunes inadaptés, aux jeunes délinquants, aux jeunes en danger..., bref à la jeunesse «négative», celle qui doit être prise en charge pour ne pas mettre la société en danger. On le voit, les clivages reposent plus sur des représentations sociales de la jeunesse et sur des querelles corporotistes que sur des programmes politiques spè- cifiques qui distingueraient un programme de gauche d'un programme de droite (c'est du moins ce qui apparaît nettement dans les débats parlementaires). La jeunesse devient affaire de spécialistes. Les professionnels de la jeunesse hantent les couloirs des ministères, et, pendant les vingt années qui suivront la Libération, ils seront de toutes les réunions, de toutes les commissions au titre du mouvement ou du service qu'ils représentent. Ils apprendront à bien se connaître et formeront en quelque sorte un réseau ayant la maîtrise du champ jeunesse. Et les jeunes dons tout cela? Ces politiques étaientelles vraiment faites pour eux? Quel est leur statut et à quels échelons interviennent-ils dons ces politiques proposées à leur intention? Les mouvements de jeunesse ont eu la lourde tâche de représenter les jeunes dans toutes les réunions, dans tous les moments de dialogue ou de concertation avec l'Etat. Ils ont été considérés comme étant les plus habilités à la faire, «toute autre forme de représentation s'apparentant à la démagogie ou au paternalisme» a-t-on dit à l'époque. Ils ont donc parlé non seulement au nom de leurs adhérents, mais aussi au nom des jeunes dits «inorganisés» (c'est-à-dire tous ceux qui n'étaient inscrits nulle part, soit approximativement les 6/7 de la population jeune. Et dans les années 60, lorsque les mouvements seront choisis comme interlocuteurs pour la préparation du IVe, puis du Ve Plan, ils avoueront leur impuissance à connaître avec certitude la réalité des jeunes et leurs besoins; et la réponse majoritairement choisie sera celle de l'équipement: pour juguler la «montée des jeunes», il faut «construire» des lieux appropriés (MJC, Foyers jeunes travailleurs, Foyers d'hébergement, clubs de ieunes, stades, piscines...). Malgré ses velléités, il n'est pas sûr que la société se soit souciée à temps de l'accueil à faire aux jeunes générationss du «bobv-boom», et plus que d'une intégration, on a souvent l'impression d'un fossé qui se creuse entre la société et ses jeunes. Nous sommes aux années 60, et un grand saut est à faire [usqu'cux années 80. Mais cette histoire fait de l'histoire des idées et des mentalités d'une société qui déroule lentement son fii, en laissant des empreintes derrière elle. Et j'espère que cette petite introduction ouro suscité vos réflexions. (1) F. Têtard, "Politiques de 10 jeunesse (1944-1966) : paroles de volonté, politiques de l'illusion» in "Les jeunes et les autres», t. I!,Vaucresson, CRI\/, 1986. 74 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Domin;que POIIMII'd inspecteur, chargé de la chanson, du jazz et des variétés, Division de l'action !lI~.Ui'! Direction de la musique et de la danse, ministère de la Culture et de la Communication Au déport, il y a eu quatre points d'accroches politiques au niveau du rock: le FIC (Fonds d'intervention culturelle) un organisme interministériel où Djicn était responsable du secteur Jeunesse; le ministère de la Jeunesse et des Sports, à l'impact limité; la Direction du développement culturel (DOC, ministère de la Culture), plus sensible aux aspects sociaux; la Direction de la musique et de la danse (OMO, ministère de la Culture) où se trouve le bureau qui s'occupe, entre autre, du rock; ce secteur englobe la chanson, le [ozz, et les variétés. le problème du rock, à l'origine abordé empiriquement, s'est rapidement avéré complexe et difficile. Comment, au ministère de la Culture, pouvions-nous intervenir dans un phénomène musicalaussi important et multiforme que le rock? Il aurait été évidemment stupide de mettre en place une politique exclusivement artistique, car, répétons-le, le phénomène dépasse largement de son cadre musical; de plus les caractéristiques musicales et techniques du rock posent question sur la manière d'envisager une politique artistique. Fout-il, par exemple, créer une formation ou solfège spécifique pour les musiciens du rock? la démarche est improbable... D'un point de vue strictement musical, les limites de l'action possible pour notre ministère sont rapidement atteintes. Ces points doivent être mis en relation avec une autre caractéristique du rock, l'absence de professionnalisation dans cette musique; en effet la mojeure partie du , rock se compose d'amateurs, ou de quasi-professionnels. Cette distinction s'impose dans la mesure où les musiciens de rock ne gagnent pas leur vie avec leur musique, même s'ils n'exercent pas un autre métier. la frange professionnelle qui existe est rattachée à un secteur économique qui n'a pas réellement besoin d'une intervention de l'Etat. Quand on pense «politique culturelle»! on la suppose d'Etat. aujourd'hui, avec la décentralisa- fion, les collectivités locales (municipalités, départements, régions) ont, dans le domaine de l'intervention culturelle, une vocation presqu'aussi importante que celle de l'Etat; ce qui rend la situation un peu confuse, difficile à gérer à un niveau global. l'outonornie des politiques locales produit parfois des incohérences: par exemple, dans un même département, on trouvera une municipalité qui s'efforce de promouvoir le rock et un conseil général qui fait tout pour empêcher son développement. Il s'agit parfois de problèmes politiques, sans rapport avec le rock. Autre cas de figures: ce département de la banlieue parisienne où existe une volonté de prendre en compte le phénomène rock qui dépasse l'imagination: un regroupement efficace des différentes forces, allié à un investissement financier considérable a permis la mise en place de structures de diffusion et de production phonographique. Mais que peut faire l'Etat qui n'a pas de rôle dans les politiques décentralisée, à part proposer des grandes opérations structurelles, comme la transformation de la législation, qui influent sur le long terme? Il reste à l'Etat la possibilité de jouer un rôle incitateur, à travers des actions «phares». Je peux citer un exemple de cette politique menée en faveur de la jeunesse: ce qui a été fait dans le domaine des locaux de répétition. Il s'agit d'un problème important pour les ieunes musiciens de rock, purement pratique: faire du rock, ce n'est pas comme la poterie ou la vannerie, cela fait du bruit et nécessite des locaux adaptés; il défaut, cela crée des nuisances sonores, et des troubles de voisinage... l'Etot a pris l'initiative d'un certain nombre d'actions dans ce domaine à travers des actions expérimentales .Maxi-rock, mini- comme la publication du bruits (Ed.Cenam, - pour signaler le problème, dans l'espoir d'être par les locoux. Jeall",Miehel Dil,,11 directeur d'Eurocréation, I:t\gence des initiatives de la jeunesse en Europe, ancien au ministère de ia Culture (responsable du programme interministériel Jeunesse et --- Il existe deux façons d'apprécier et donc d'appliquer une politique culturelle selon que l'on choisit de privilégier la dimension sociale ou la dimension artistique; aspects qui bien sûr devraient être complémentaires, ce qui n'a pas toujours été le cas. Je vais resituer, par rapport au rock qui me paraît un bon exemple, des rapport entre l'Etat et la [eunesse, en vous exposent défaut les trois «bonnes raisons». réalistes suffisantes pour lesquelles' s'est engagée une action expérimentale dans ce domaine en favorisant politique sociale, peut-être au détriment de artistique. Ultérieurement on pourra aborder hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy apsects plus concrets sur les modalités d'intervention en matière de politiques musicales rock, puisque j'en ai été l'un des contributaires. l'Etat n'a pas forcément les compétences nécessaires pour prendre en compte la dimension artistique de ces phénomènes; il est d'ailleurs marqué d'un véritable complexe - fort ancien dans ce domaine. Face au phénomène important d'identification jeunes-rock, l'Etat trouvait dans le rock un moyen d'engager une politique de la jeunesse radicalement différente des précédentes: il avait donc intérêt à jouer la carte du rock. La principale raison tient aux caractéristiques mêmesdu rock, qui depuis plus de trente ans véhicule bien d'autres significations que la musique: toute une culture, générée à partir du rock, s'exprime dans des comportements sociaux, un langage, des modes. S'intéresser au rock était pour l'Etat un moyen d'ancrer socialement sa politique, en la fondant sur une culture authentique. On revient de loin, puisque avant l'arrivée de la gauche au pouvoir rien n'avait été fait dans le domaine des musiques populaires, on est parti de zéro, et nous avons dû immédiatement répondre à une demande très forte. Devant l'urgence, la réflexion fondamentale sur les manières de mettre en place une politique culturelle de la jeunesse n'était pas prioritaire... Dans un premier temps, nous avons appelé nos programmes d'action <des pratiques culturelles des jeunes», et l'on s'est rapidement aperçu de l'importance du mouvement culturel rock pour la jeunesse, puisque la quasi-totalité des projets s'y référait. Il faudrait expliquer tous les obstacles - y compris psychologiques - auxquels nous avons été confrontés dans la mise en place de ces actions, au sein même de l'administration centrale, dans les ministères. Combien de fois avons-nous essayé de monter des projets avec les acteurs du terrain? Bloqué par des échelons administratifs souvent décisionnels, dans des préfectures, dans certains cabinets de ministères..., l'application concrète des programmes s'est heurtée à bien des résistances, et la volonté politique, le discours, ne correspondait pas toujours à la réalité administrative! l'un des principaux obstacles, me semble-t-il, tient à ce que les organisations de jeunesse - interlocuteurs institutionnels privilégiés dans le secteur des politiques de la jeunesse, comme l'a démontré Françoise Tétard précédemment -.ne sont pas vraiment montés au créneau dans ces secteurs nouveaux de la culture, bien au contraire! l'on avait donc affaire à des interlocuteurs motivés, mais isolés, qui se sont rapide- ment structurés de façon constructive, le Réseau rock en est une belle démonstration. Mais cela s'est passé, il faut le souligner, en dehors des organisations traditionnellement représentatives de la jeunesse. Ce qui se passe au niveau des collectivités locales, par ailleurs, est tout à fait étonnant: on trouve une espèce d'échiquier où se côtoient des élus motivés qui se bagarrent pour promouvoir des politiques nouvelles, et d'autres élus, très attentistes sur ces mêmes questions, et ceci en dehors des traditionnels clivages politiques. La dimension contradictoire des politiques locales explique, à mon sens, pourquoi le mouvement ne s'est pas multiplié. En effet on retrouve aujourd'hui de très forts bassins d'activités et d'initiatives qui sont les mêmes qu'il y a cinq ans: Rennes, Toulouse, le Sud avec Aix-en-Provence, Marseille et Montpellier, le Nord et Lyon. Aujourd'hui, soucieux des mêmes problèmes, j'agis dans le cadre d'un nouvel organisme, Eurocréafion, créé en février 1985. Cette Agence française des initiatives des jeunes en Europe est financée par quatre ministères: Affaires étrangères, Culture, Jeunesse et Sports, Emploi; par quatre partenaires privées également - au titre du mécénat: Nouvelles Frontières, l'Institut européen des affaires, la Banque centrale des coopératives et des mutuelles, et le magazine Challenges. Ce double partenariat, pouvoirs publics et fonds privés, est une des particularités de notre organisme qui reçoit la majeure partie de son budget de la Communauté européenne. Une équipe de sept permanents gère un budget de 4 MF - 3 MF pour les interventions, l MF pour le fonctionnement et l'instruction - avec pour volonté: faire en sorte que les jeunes 18/30 ans soient personnellement pilotes de projets à caractères culturels et artistiques, avec une dimension économique, et participent ainsi à la construction d'une véritable culture européenne. Il s'agit de casser l'inertie des traditionnels réseaux de subventions en interpellant les jeunes créateurs 1 entrepreneurs sur la question de l'Europe. !.Agence instruits les projets (30 en cours cctuellement), et participe à leur financement (40 % Eurocréation, 30 % collectivités régionales ou locales, 30 % autres pays de la CEE). Cette activité n'est pas la seule vocation d'Eurocréation; en septembre nous avons organisé le premier forum des producteurs indépendants de rock en Europe, pour débattre des problèmes de coproductions européenne d'émissions de rock face aux satellites et nous éditerons par la suite un catalogue des ressources rock en Europe. M"rti,,1 ti"bill"rd adioint au maire de la Ville de Rennes, chargé de l'action culturelle A travers mon expérience d'élu local depuis 1977, je vais essayer de caractériser les rapports entre une politique culturelle urbaine et les musiques actuelles (nous préférons ce terme moins restrictif à celui de 76 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy Je précise que mon expérience n'a rien d'exceptionnelle, mais qu'elle illustre bien, à mon avis, l'aventure de nombreux élus locaux. A Rennes, l'évolution des rapports entre la municipalité et les musiques actuelles s'est déroulée en quotte temps: une première étape, caractérisée par une totale absence de rapports entre les deux parties; en effet, il noire arrivée au Conseil municipal, en 1977, nous avions pour projet culturel l'idée de favoriser la «culture populaire», comme nous disions alors. Selon nous, la créofivité locale puisait ses racines dans un vieux fonds culturel rural commun, d'où noire volonté d'aider à se perpétuer cette force culturelle a priori existante dans un contexte urbain, supposé dangereux pour sa survie. Noire politique de quartier, et toutes nos initiatives culturelles allaient dons cette direction, faire renoifre dans la ville une culture qui aurait dû exister. Face à ces principes de politique culturelle, le rock n'avait pas sa place. Les musiques actuelles nous apparaissaient comme un phénomène commercial, doublement étranger à notre culture: produit des industries,musiquedes Etats-Unis... l'on ne voyait vraiment pas pourquoi des élus - a fortiori de gauche - auraient dû s'intéresser à ce monde du profit. Et ceux qui se battent ici pour cette musique ont "bouffé de la vache enragée»... Succède une deuxième étape, celle de la découverte, entre 1978 et 1980. Nous avons été progressivement amenés à découvrir que la jeune génération n'a aucune mémoire de l'ancienne culture rurale, et qu'elle donna naissance à de nouvelles formes culturelles originales: le rock est un aspect de cette culture contemporaine, démontrant la force créative des [eunes. Une petite anecdote vous permettra de saisir l'impact de cette découverte. Dans le cadre d'un festival, qualifié à l'époque "de la chanson», des scènes ouvertes proposaient à tous les musiciens amateurs de s'exprimer. Et qu'y voyait l'élu curieux? Pas ou peu de chansons ou de musiques dites traditionnelles, mais une véritable explosion de musiques actuelles. Imaginez ma stupéfoction lorsqu'au Théâtre municipal, temple de la culture classique- un beau théâtre à l'italienne du XlXe siècle, plein de dorures - [e vis les lustres trembler sous les effets des décibels et de l'enthousiasme du jeune public! C'était pour le moins surprenant... D'où une troisième étape qui enclenche une démarche beaucoup plus constructive par rapport à la musique actuelle: phase de reconnaissance des hommes et des associations, efforts de financement des manifestations, attributions de locoux. Il me fout souligner l'importance des hommes: il Rennes en effet le mouvement est porté par une ou deux associations, et surtout par quelques militants qui lui dorment ses lettres de noblesse. Nullement affairistes, ils ne se contentent pas d'organiser des concerts, mais ils s'efforcent d'aider les jeunes groupes à se promouvoir et à développer leur qualité de production. Un élément déterminant de notre action Cl consisté à pousser un actifs ou milieu rock à 10 Maison de des la culture, le temple de la culture moderne officielle, d'où le rock était exclu. I:entrée d'Hervé Bordier dans cette place forte représente une véritable reconnaissance du rock par la culture légitime. Autre point fort de cette reconnaissance, notre soutien à l'opération Rock Against Tarzan, expression locale de la manifestation nationale Coup de talent dans l'hexagone en 1985. l'événement, dont on voit encore aujourd'hui les retombées chez les décideurs politiques, fut marqué par la présence symbolique de ministres et parlementaires à l'inauguration. Ces officiels que l'on a plus l'habitude de voir à l'Opéra, applaudissaient le spectacle du groupe rennais Marc Seberg, remarquable création artistique mise en scène par un «vrai» metteur en scène. Plus qu'un symbole, on peut parler de la reconnaissance d'une nouvelle culture. Cette succession illustre bien le changement de mentalité préalablement nécessaire à toute action dans ce domaine. Aujourd'hui, la quatrième étape me semble celle des «nouvelles interrogations»: les musiques actuelles ne sont qu'un aspect de l'émergence de cette nouvelle culture urbaine, la culture du béton et des grands ensembles. On la retrouve dans d'autres formes d'expression: le langage, la poésie, le cinéma, les arts plostiques.; Dons ces expressions, considérées autrefois comme éphémères, car [etées après consommation, émerge désormais la notion d'œuvre.. Il ne s'agit pas là d'une manifestation restreinte aux seulesdimensions locales, mais d'un phénomène national: une transformation fondamentale de nos univers occidentaux, dont la dimension internationale interroge le responsable politique. Cette forme est née, pour l'essentiel, en dehors de toute action politique volontariste, hors de l'action culturelle ou des politiques [eunesse, Elle vit et s'exprime dons d'autres lieux que ces équipements socioculturels que nous avons créés dans les quartiers. Elle démontre puissamment que l'homme depuis touiours appréhende et transforme son environnement, le «cultive». C'est ainsi que le mot culture prend tout son sens. Et voilà bien le cœur même de notre interrogation: dons ces grands ensembles, considérés comme destructurant, «déculfivont», «déculturcnt» - ce qui fut vrai dans un premier temps - apparaît une nouvelle génération capable de dominer cet urbanisme et d'y foire naître une culture. Lon pourrait être tenté de se dire, devant ces phénomènes: «Pourquoi investir dans le socioculturel? N'est-ce-pas inutile ?». Je suis persuadé qu'une telle attitude serait une erreur. D'ailleurs les grondes villes du rock sont toutes des municipalités qui défendent une politique culturelle active dans des domaines vairés. la culture urbaine est un tout, elle participe d'une dynamique où s'expriment des groupes différents, éventuellement en concurrence, qui se battent pour obtenir ou conserver leur légitimation. l'élu se doit d'être attentif à ces mouvements. Et combien dramatique pour lui est le moment du choix Car l'on a beau prendre des consultants de lous ordres, il paraît toujours impossible de projeter avec Tl hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy certitude le futur. J'en prends pour preuve ces étonnants - et constants- échecs de planification urbanistique: par exemple, l'utilisation de l'espace dans les places publiques: les usagers appréhendent toujours l'espace différemment des prévisions du planificateur! Sans doute s'agit-il là de cette loi fondamentale selon laquelle l'homme est toujours plus fort que le rationnel? Cependant, si l'on ne fait rien, la ville meurt... L'important c'est la vie, le risque, l'entreprise. Et qu'importe les erreurs, si la vie continue... Peut-elle d'ailleurs naître sans bouillonnement? Je"" At/el' inspecteur d'académie honoraire ancien chargé de mission à la Direction du développement culturel pour les relations entre le ministère de la Culture et le ministère de l'Education nationale -------- .. _-~ Je souhaite intervenir dons ce débat en termes de politique culturelle de la jeunesse, ce qui sera sans doute assez éloigné du rock. Mois les problèmes qui se posent dons ce secteur ne se limitent pas aux seules expressions musicales contemporaines des jeunes. Tout d'abord, point important, il semble que la formidable émergence de créateurs, dons le domaine artistique du rock aujourd'hui, ne résulte pas d'une volonté politique définie. Si l'on accepte cette proposition, il faut immédiatement en avancer une autre: cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe pas de politique culturelle pour les jeunes. Mon expérience m'a conduit à participer à un certain nombre d'actions mettant en relation le monde de la culture et l'institution éducative, dans une volonté permanente de développement culturel. J'en définirai rapidement les postulats sans en foire la théorie. En premier lieu, la v'le culturelle et artistique doit être insérée dans une dimension sociale; il fout prendre en compte la réalité de 10 culture dans une perspective de socialisation qui ne se limite pas à la diffusion. Ensuite la création des voleurs culturelles n'est pas l'apanage des artistes, groupes ou institutions reconnus, dans la modernité ou le classicisme. Le postulat fondamental qui soutient la politique de développement culturel est le suivant· les valeurs culturelles peuvent être issues de la potentialité que tout citoyen possède de participer à la création; il suppose la confiance dans les capacités créatrices du corps social dons toutes ses composantes: jeunesse, mais aussi groupes minoritaires comme les immigrés. Comment cette politique a-t-elle construit ses rapports avec l'école? l'école s'est d'abord aperçue qu'elle pouvait assurer la totalité des réponses aux besoins des jeunes. L'institution scolaire, à la recherche de sources nouvelles pour son travail éducatif en direction des jeunes, fait appel à de nouveaux interlocuteurs pour qu'ils confortent son action, dans des champs que par définition l'école n'est pas à même de couvrir. Pour ne pas paraître abstrait, précisons que ces demandes concernent les domaines culturels, comme ies arts plastiques, le cinéma, ie théâtre, la Cette ouverture intègre dans la formation des nouveaux, pose que foire pour satisfaire les besoins des jeunes, besoins culturels immédiats et soucis de future insertion sociale et professionnelle? Pour mettre en place cette politique, dont il fout préciser rapidement les enjeux et les modalités, il a fallu affronter plusieurs problèmes. La distance entre les pratiques culturelles des jeunes hors du temps scolaire et à l'école est remarquable. Le premier point à résoudre consiste à retrouver, sinon une unité et une cohésion, du moins une possibilité de dialogue, en éliminant les conflits inexprimés. Car il paraît contradictoire que l'école puisse se révéler capable, avec l'aide de partenaire culturels, de développer les potentialités créatrices des jeunes dont elle à la charge, et qu'elle n'en ait jamais manifesté d'elle-même la volonté. C'est dans ce sens qu'il faut analyser la quereile permanente entre enseignement artistique et action culturelle. S'agit-il d'une fausse querelle ou recouvre-t-elle des contradictions fondamentales. A mon sens, ces termes révèlent une divergence profonde entre deux tendances; et il n'est sonsdoute pas neutre que le ministère actuel mette la priorité sur le patrimoine et les enseignements artistiques, dans un contexte qui traduit une volonté de retour à la transmission. Pour nous, les enseignements artistiques ne' remplissent pas leur mission s'ils se limitent à la transmission; et l'action culturelle relève d'un enjeu, à savoir donner aux jeunes la possibilité, dès l'école, d'être confrontés à la réalité de la culture vivante d'aujourd'hui. li est vrai que le cadre de la structure scolaire - programmes, examens académiques et professionnels-est contraignant et qu'il peut constituer un écran à cette communication. La politique de développement culturel suppose une démarche difficile pour l'école, qui doit admettre qu'elle n'est pas la source de la culture vivante, et que «ses» [eunes peuvent faire naître de nouvelles voleurs. Plus profondément, l'institution scolaire doit admettre qu'il existe des relations à la culture vivante que la médiation enseignante ne peut assurer. C'est pourquoi il faut réussir à trouver des dispositifs qui permettent à l'école de prendre la responsabilité d'un contact direct entre les jeunes et la réalité vivante de la création. Telle était la signification 18 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy de ces opérations aux noms un peu publicitaires, comme «Classes arc-en-ciel» (1) ou «Entrez les Artistes» (2) J'ai l'impression que, dons ce débat, l'on a un peu valorisé la définition d'une nouvelle culture, à partir des activités propres aux ieunes. Je voudrais donc maintenir une symétrie en affirmant que les sources de la culture vivante ne proviennent pas toujours des jeunes. Si l'on prend l'exemple du cinéma, même s'il produit de nouvelles formes comme le vidéo-clip, sa puissance actuelle est plutôt le fruit d'une génération qui a aujourd'hui 40 ans, et non pas 25 ! On ne peut épuiser la question de la politique culturelle en faveur des [eunes en applaudissant cette émergence de nouvelles valeurs qui s'expriment dans leurs pratiques spontanées, parfois mal maîtrisées; il ne faut pas se limiter à la seule valorisation d'une dynamique de la «création [eune», Le rock, dont ie connais mal les spécificités, échappe peut-être au cadre de cette analyse et il me faudrait mieux connaître ses caractéristiques pour en parler. En conclusion, je dirais qu'il n'est pas tellement contradictoire dans un débat sur la politique à l'égard des [eunes, d'affirmer que la culture vivante touche d'autres générations que la ieunesse. Le problème primordial à résoudre est de trouver des points de passage, rencontre ou confrontation entre les nouvelles formes de culture des jeunes et celles qui proviennent d'autres générations. C'est le sens que, pour ma part, i'ai donné aux relations Culture / Education nationale pour lesquelles i'ai œuvré ces dernières années, et pour lesquelles il reste aussi tant à faire. (1) Séjours d'une semaine environ d'une classe avec son rnoitre dans un lieu stimulant où elle rencontre un artiste (ou une équipeartistique) et participe à sontravail. (2) Formule d'artistes résidents, bénéficiant d'une bourse et d'un accueil dans un lycée où durant plusieurs mois ils travaillentpour leur compte avec lesenseignants et les élèves, sans but d'enseignement. Jaeques Ros directeur départemental de l'Education surveillée en Essene, ministère de la Justice Je suis directeur départemental d'une administration, l'Education surveillée, une direction du ministère de la Justice; sa mission est de prendre en charge des jeunes délinquants et des «jeunes en danger» de 13 à 18 ans qui lui sont confiés par des iuges pour enfants ou des juges d'instruction. l'Education surveillée n'appartient pas directement au monde de l'enseignement, mais de la rééducation et de la réinsertion sociale; elle est inscrite dans l'appareil répressif d'Etat (en analyse marxiste). Témoigner de l'action du ministère de la Justice envers le rock peut pour le moins c'est pourtant le but de mon intervention ce débat, en vous présentant comme intermédiaire qui a favorisé sa mise en place, l'expérience de Pub-Rock de RisOrangis... Une présentation rapide s'impose: le PubRock, lieu ouvert quatre soirs par semoine de 19 heures à 1 heure, fonctionne comme restaurant-bar avec des animations musicales (vidéos, musique enregistrée et concerts). Au-delà d'un lieu de rencontre consacré au rock, i! fournit à des jeunes en difficultés l'occasion de vivre une expérience professionnelle positive de quatre ou cinq mois, ce qui leur permet de s'insérer ensuite dans le monde du trovoil, Le montage de cette opération s'est articulé autour de quatre points: le rôle primordial des éducateurs, parrains du projet, et la connivence avec des sables institutionnels à des niveaux intermédiaires. circonstances historiques particulières qui ont rendu !e : en effet ii ne serait guère honnête de laisser croire que des individus isolés sont les seuls déterminants d'une entreprise de cette ampleur. Elaboré entre mai 1982 et décembre 1984, le projet Pub-Rock s'est inscrit dans la lignée des nouvelles orientations politiques du Garde des Sceaux, Robert Badinter: décloisonnement et ouverture de l'Education surveillée à la réalité sociale et économique du monde extérieur. Un contexte général favorisani notre volonté de vivre en partenariat la décentralisation; !'existence de nouveaux interlocuteurs très motivés, comme le FIC, a créé des opportunités. Un environnement départemental dynamique dans l'Essonne' en partant du principe que pour s'occuper de [eunes en difficulté, il faut privilégier les forces créatives et les passions des individus plutôt que l'adhésion-fonctionnaire à des règlements et des arrêtés ministériels, des opérations innovantes ont été montées. C'est ainsi qu'il existe une «entreprise-intermédiaire» du bâtiment avec des éducateurs-entrepreneurs, une auto-école pédagogique, et un restaurant tripartite (Education surveillée, Education nationale, Ville des Ulis). Le PubRock s'inscrit donc dans une continuité. l'idée à germé chez trois éducateurs -- dont deux praticiens des musiques électriques qui se battaient pour faire passer leur passion dans leurs activités professionnelles quotidiennes - qui ont conçu l'idée d'une structure d'accueil avec trois objectifs. Créer en banlieue parisienne un lieu d'animation original, accessible à tous les par sa localisation, ses et les tarifs Utiliser ce restaurant- hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy bar comme tremplin professionnel et stage pratique pour des jeunes sous la responsabilité de l'Education surveillée ou dirigés par la PAIO (Permanence d'cccueil, d'information et d'orientation). S'orienter vers la diffusion des musiques électriques, en fournissant aux jeunes amateurs la possibilité d'expression de qualité. Trois axes principaux ont organisé la mise en place. La conshtufion d'une association, comme support logistique, regroupant une administration, l'Education surveillée, une municipalité, Ris-Orangis - je passerai sur les difficultés rencontrées pour trouver une ville tentée par l'aventure - et des participants extérieurs. Une convention qui fixe les droits et les devoirs de chaque partenaire: l'Education surveillée a mis dans la balance le personnel (trois éducateurs salariés à plein temps), la municipalité de Ris-Orangis un animateur socioculturel à plein temps et un local (une ex-maison de quartier réservée aux jeunes). Un montage financier, dont le FIC a fourni la majeure partie, avec comme partenaires différents ministères: la Justice, la Culture, la Jeunesse et les Sports, et une participation importante de la DASS (Direction de l'action sanitaire et sociale) dans le cadre de la mission«Toxicomanie». Pour dresser un bilan de ce lieu qui existe depuis maintenant deux ans, je soulignerai qu'il a rempli en partie seulement ses objectifs: il rencontre en effet de sérieuses difficultés économiques dans l'équilibre financier, et le Pub-Rock ne peut vivre sanssubvention. Pour l'aspect musical, le pub est une réussite, il propose des concerts de qualité, et la presse spécialisée a donné un écho très favorable à cette initiative. Pour le projet social, le lieu accueille en moyenne cinq jeunes rémunérés (TUC, jeunes volontaires); une vingtaine de jeunes ont pu ainsi profiter de cette structure, ce qui est très positif. Maintenant, la question se pose de la poursuite de l'expérience: déontologiquement, l'on ne peut continuer à demander des subventions à nos partenaires et l'on se trouve dans cette phase critique où un développement des locaux est nécessaire pour parvenir à l'autonomie et à l'équilibre financier. En conclusion, lé Pub-Rock me semble un bon exemple de ce que l'on peut vivre dans une expérience de ce type; ce n'est pas toujours simple et nous avons rencontré des difficultés avec le voisinage qui se plaint du bruit - ce qui n'est que partiellement vrai. Notre principal voisin, l'Education nationale avec un LEP et un CES proches, n'est pas vraiment coopérant, il craint pour ses élèves la rencontre «avec des délinquants et des drogués». Je terminerai en disant que nos craintes initiales concernant la violence et la toxicomanie se sont révélées à l'usage inutiles: il n'y a jamais eu depuis l'ouverture de problèmes de cet ordre; on est clairement prié de ne pas fumer de joint dans la salle, les éducateurs sont vigilants et tout se passe bien. Bru.U. président de Réseau Rock Je voudrais revenir sur les interventions précédentes, selon lesquelles la reconnaissance du rock était une réalité; l'on pouvait même déduire des discours l'existence d'une véritable politique du rock. En tant que personne du terrain, je ne peux m'empêcher de formuler quelques réserves. Par politique, dans n'importe quel autre secteur, on entend généralement un ensemble d'actions coordonnées, et je me demande si tel est bien le cas pour le rock. Si l'on excepte quelques rares actions limitées comme celles en faveur des petits lieux, combien d'autres domaines n'ont pas su, ou pas pu être pris en compte faute de moyens? Cest d'abord un problème de moyens financiers. Si l'on reprend les chiffres, on s'aperçoit que le budget alloué au rock à la Direction de la musique et de la danse en 1985 est de l'ordre de 6 MF, toutes opérations confondues, puisque ce chiffre intègre les subventions du Printemps de Bourges ou du Studio des Variétés; cela correspond en gros à une semaine de fonctionnement de l'Opéra de Paris. Moyens institutionnels: plutôt que de partir du rock pour voir les secteurs administratifs qui l'ont aidé, il est très instructif de partir de l'Etat, du monde administratif, et d'observer comment se comportent des structures qui devraient ou pourraient aider le rock. Le résultat est pour le moins affligeant: on peut prendre l'exemple de l'ONDA (Office national de diffusion artistique), organisme censé aider la diffusion, resté hermétiquement fermé au rock, ou de l'IFClC (Institut de financement du cinéma et des industries culturelles) structure de financement d'activités commerciales qui s'est contenté de quelques opérations ponctuelles (aides à des petites maisons de productions phonographiques, comme Réflexes ou Madrigal, ou à un ou deux studios d'enregistrement) ... On peut prendre l'exemple du CENAM qui a pour vocation d'informer et qui n'a jamais eu la possibilité de faire une information sérieuse sur le rock... Et surtout, merveille, I:AGEC (Association pour la gestion des entreprises culturelles) qui n'a jamais su être en prise avec le milieu rock. Aujourd'hui apparaît une nouvelle structure, le Fonds de soutien des variétés, qui ne pourra pas aider le rock pour des raisons juridiques: pour y accéder; il faut en effet posséder une licence d'organisateur de spectacles. Pour obtenir une licence, il faut que l'organisation de spectacles soit l'activité essentielle et unique de son titulaire. Là où la musique rock vil, dans les associations, ce n'est pas le Cas. Les associations qui 80 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy organisent régulièrement des concerts sont donc dans une situation illégale et elles ne peuvent pas bénéficier de l'aide institutionnelle; il Y a là une contradiction fondamentale entre le fonctionnement juridique et institutionnel et la réalité du monde rock. Tout ces éléments conjugués font que j'ai du mal à admettre l'existence d'une politique rock. Le rock a bénéficié, c'est vrai, d'un discours légitimant au plus haut niveau de l'Etat - Mitterand et Lang. On peut aussi souligner quelques opérations ponctuelles comme Coups de talent dans l'hexagone, quelques réussites. Je pense au groupe Niagara, actuellement placé au sommet (dans les tous premiers numéros du <<TOP 50», qui a été produit avec des fonds publics, c'est nouveau et intéressant! Mais l'on peut se demander si le rock est vraiment pris en compte aujourd'hui à l'exception de quelques personnes isolées dans leur administration. On pourrait également se demander comment les jeunes - c'est-à-dire à la fois la culture des jeunes et la jeune culture - sont pris en compte par les institutions. Ainsi parmi les rares projets rocks recensés par l'annuaire de IJ\IJ, l'essentiel a été présenté par des institutions que l'on pourroit quolifier de «troditionnelles» (comme les MJC) olors qu'elles ne sont pos toujours les plus dynamiques sur le terrain. Et je ne parle que des projets labelisés, car ce type de sélection a été encore plus fort si l'on ne regorde que les projets subventionnés, évidemment moins nombreux. Tous ces arguments expliquent pourquoi j'hésiterai à parler du rock en d'autres termes que ceux de limites d'une reconnaissance inachevée. Et pour aller plus loin, il faudrait se poser la question de ce que l'Etat connaît aujourd'hui du rock, pas grand chose, me semble-t-il, et se poser la question des moyens qu'il se donne pour mieux connaître, et là on s'aperçoit malheureusement qu'il s'en donne très peu ou pas du tout... 81 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EXPERIENCES hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EXPERIENCES LE ROCK EN CLASSE Mireille COLLIGNON enseignante d'éducation musicale, chercheur Je ne prétends pas fournir ici la recette pour les professeurs de musique désirant aborder le rock dans leurs cours, mais plutôt illustrer la façon dont on peut le faire, en proposant quelques exemples sur la manière d'analyser une chanson rock avec des élèves. Et pour éviter la traditionnelle question: «Le rock, les élèves et le professeur gagnent-ils quelque chose à ce que l'on traite, par le biais de la musicologie, ce genre très spécial en classe?», je précise immédiatement que mes expériences dans ce domaine ont prouvé que non seulement il est tout à fait possible pour un professeur de musique d'utiliser son bagage musicologique pour parler du rock, mais au-delà de l'analyse du rock, cette approche peut être intéressante car elle permet d'éveiller la curiosité des élèves vers d'autres musiques. Cependant, il est nécessaire de garder en tête certaines données qui, bien qu'évidentes pour certains, méritent d'être rappelées car elles constituent la toile de fond de cette expression musicale. Il.l.USfIlATlONS PEDAGOG/OUU Le rock est une réelle culture populaire, et sa musique est indissociable de tous les autres facteurs qui en font ce qu'il est. Cependant, malgré l'importance des dimensions sociales, idéologiques, économiques, il existe comme musique, avec ses critères esthétiques propres: comme tout autre genre populaire, on peut donc l'aborder dans son aspect musicologique. Le rock est une musique vivante, et comme la plupart des musiquespopulaires, essentiellementorale. Même si la musique est parfois figée sur disques,elle continue d'évoluer indépendamment de ce moment privilégié de son existence que représente le spectacle: il ne faut jamais oublier la dimension scénique du rock. Le rock est une musique non-savante, mais aussi souvent anti-savante: elle ne se crée pas d'après des normes de la musique dite savante, et se refuse en général à le faire. Le compositeur de rock écrit rarement sa musique avant de la jouer; illa «cherche» le plus souvent sur son instrument,et crée plus d'instinct que d'après les règles d'écriture. Les partitions fournies par les éditeurs sont donc souvent transcrites d'après le résultat sonore. Ces partitions se résument souvent à la ligne mélodique et aux accords des chansons, et les simplifications et approximations y sont très fréquentes; c'est pourquoi elles ne sauraient constituer une base fiable pour une analyse en classe. Dès lors que l'on prend conscience que le plaisir musical que propose le rock, dans sa création et son écoute, est rodicalement différent de celui des autres musiques, on comprend pourquoi il serait vain de chercher à analyser ses qualités compositionnelles et esthétiques d'après les critères utilisés par la musique savante: il faut chercher d'autres voies. UNDIAJ.OGUED'ORDRE EMOTIONNEl. Il me paraît préférable que le professeur qui parle du rock en classe ait une connaissance suffisante de cette musique pour pouvoir reconnaître à quelle tendance, à quel style appartient une chanson. Cette connaissance peut s'acquérir par la lecture de quelques «histoires du rock» ou autres études chronologiques dont le lecteur trouvera une liste indicative à la fin de cet ouvrage. Bien sûr, le meilleur moyen pour parvenir à discerner les différents courants musicaux du rock est d'en écouter beaucoup! Par exemple, il est très instructif de comparer les interprétations d'une même chanson par des musiciens appartenant à différentes tendances du rock; on peut également suivre disque par disque l'évolution des personnages importants du rock, comme David Bowie, dont la carrière est très riche en changements révélateurs de réels «tournants» musicaux dans le monde du rock. Avant de voir quels peuvent être les apports du professeur en matière d'écoute de disques rock, il faut savoir que si le professeur-musicologue pratique simultanément une écoute intellectuelle et émotionnelle, l'élève qui écoute du rock se limite généralement à l'écoute émotionnelle qui est d'ailleurs le but premier de cette musique. Donc si l'on veut répondre aux attentes des élèves à propos du rock en étant compris par eux, il faut que le dialogue s'instaure sur des 84 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy remarques d'ordres émotionnel. A partir de là, l'analyse musicale repose en grande partie sur les impressions, sensations et émotions émanant d'un morceau de rock que le professeur «traduit» musicalement: les explications ne sont pas le point de départ de l'étude, mais l'aboutissement d'une réflexion élaborée d'après les apports des élèves. Il me paraît inutile d'aborder un morceau de rock dans la totalité de ses dimensions ou d'espérer trouver une formule d'analyse applicable à tous: tous les morceaux de rock peuvent être intéressants, mais rarement pour les mêmes raisons, et encore plus rarement dans tous les domaines... Il faut donc sélectionner l'aspect le plus important d'une chanson, ce qui fait qu'celle est bonne», comme disent les élèves! LES INSTRUMENTS ETLEURS TIMBRES l'étude de la palette sonore d'une chanson peut amener la classe à chercher, d'après les instruments entendus, à quel genre de rock on a affaire. On peut ainsi déboucher sur l'étude du caractère des instruments propres au rock, en décrivant les sensations ou sentiments que provoque leur emploi dans un morceau, ou amener les élèves à s'interroger sur les différentes utilisations possibles de ces instruments. La venue de praticiens de rock dans la classe s'avère très enrichissante: ils peuvent montrer comme tel effet spécial s'obtient sur un instrument, expliquer pourquoi l'évolution du rock est en relation avec l'évolution technique des instruments et studios. LA DYNAMIQUElYUNECHANSON Au-delà de la carcasse d'une chanson -l'alternance refrain / couplet - que les élèves perçoivent, il est intéressant de leur faire découvrir les éléments de tension et détente qui s'y succèdent, comme par exemple les formules harmoniques qui se répètent en passant d'un ton à un autre, donnant ainsi une forte impression de dynamisme. Le rôle «rituel» solo instrumental peut aussiêtre étudié (accroissement ou chute d'une tension, «pont» fonctionnel). Ce travail sur la dynamique amène ainsi les élèves à comprendre la différence entre pulsation et rythme, alors que la plupart considère que plus la pulsation est marquée, plus la chanson est «bien rythmée». Pour cela, l'on peut faire entendre et comparer un morceau de hard-rock (simplicité rythmique, pulsation obsédante) et un morceau de reggae (richesse rythmique, légèreté de la pulsation). LE TEXTE COMME POINT DE DEPART Lorsque les élèves partent des paroles pour étudier une chanson, on assiste au mieux à une explication, au pire à une paraphrase du texte, sans aucun lien avec la musique: elle peut être au service des paroles, et dans ce cas on cherchera comment (madrigalismes...); elle peut aussi en être indépendante, et on cherchera alors en quoi la musique "faih> le rock, en s'appuyant sur des chansons présentant des récits très divers sur des musiques semblables; mais la musique peut aussi proposer un discours opposé à celui du texte, comme dans le reggae, genre musical où des textes virulents côtoient une musique légère et ensoleillée. Ces quelques notions, approfondies par l'enseignement selon la réceptivité des élèves - et ses propres connaissances! - amènent les élèves à une écoute différente de la musique rock, ce qui peut les sensibiliser à des domaines musicaux dans lesquels ils ne se reconnaissent pas ou peu. Mais il me semble également important d'encourager les élèves, en dehors du cours, à pratiquer, à vivre le rock (rencontre avec des musiciens, concerts...) pour qu'ils comprennent mieux cette musique qu'ils aiment souvent sans la connaître. 85 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EXPERIENCES LE ROLE DE LA DELEGATION REGIONALE DES AFFAIRES CULTURELLES Alain DECAUX conseiller à la Direction régionale des affaires culturelles (DRACl, Rennes Les productions artistiques innovantes recontrent des difficultés à trouver des financements et un public, ce qui justifie l'intervention, comme garantie du risque, des collectivités publiques concernées par le secteur culturel: les collectivités territoriales locales (conseils régionaux, départements, municipalités); les services extérieurs de l'Etat, avec les délégations régionales décentralisées des différents ministères (Education nationale, Jeunesse et Sports, Culture). Le ministère de la Culture est organisé en directions verticales qui comprennent les directions partrimoniales (musées, archives publiques, patrimoine), les directions du spectacle vivant (théâtre, musique et danse, arts plastiques). Pour ce qui est du spectacle vivant, il faudrait également parler du rôle de l'ONDA (Office national de diffusion artistique), structure extérieure au ministère de la Culture. Cet organisme intervient auprès des structures d'accueil, comme les Maisons de la culture, pour cautionner les déficits prévisionnels occasionnés par la diffusion de manifestations artistiques sélectionnées par l'ONDA pour leurs qualités. Il existe également une direction horizontale, la Direction de l'administration générale et de l'environnement culturel (DAGEC). Les DRAC sont donc les services extérieurs du ministère de la Culture qui ont pour vocation d'appliquer au niveau des régions la politique culturelle de l'Etat. SON 1l0U ETSES MOYENS La DRAC ne limite pas son action à appliquer la politique de l'Etat en distribuant des financements; au-delà des démarches formelles, les conseillers sont attentifs à la réalité culturelle de leur région, ils vont «respirer le terrain» et cette prospection des initiatives locales leur permet de faire des découvertes. En faisant remonter à Paris des propositions, ils participent au rééquilibrage et à la concrétisation de projets. 11 faudrait préciser que par sa structure, le ministère de la Culture n'est pas une institution lourde et normalisée, ce qui fait à la fois sa force et sa fragilité: sa force, car son dynamisme tient à l'énergie de personnes qui ne se protègent pas sous le parapluie des circulaires administratives. Mais le revers existe, les services extérieurs de l'Etat sont sous-équipés, les conditions de travail y sont particulièrement difficiles pour les conseillers (sans secrétariat administratif, sans véhicule de fonction et même sans frais de déplacements !). Si le personnel de la DDC est passé entre 1981 et 1986 de 40 à 160 personnes, les DRAC en région ont continué à fonctionner avec le même effectif. l'ambition des fonctions attribuées à la DRAC semble bien démesurée par rapport à ses possibilités logistiques; en effet les DRAC sont censées prendre en charge: les contrats plan région; les conventions de développement culturel concerté avec les villes et les départements; la diffusion culturelle à travers les CAC (Centre d'action culturelle) et les Maisons de la culture; les crédits décentralisés et les conventions avec les autres ministères, le Centre national du cinéma et le mécénat. Ces quelques précisions pour vous permettre de comprendre pourquoi, pour parvenir à contacter un conseiller de la DRAC, il faut être patient, surtout par téléphone, puisque nous n'avons qu'une ligne! Les différents partenaires ne partagent pas tous les mêmes orientations politiques et culturelles - décentralisation oblige! - d'où une complexité certaine des démarches lors du montage d'un projet culturel. Le rôle de la DRAC comme carrefour d'informations est à cet égard tout à fait important. En effet, pour connaître les mécanismes des subventions, plutôt que de chercher à faire fonctionner un hypothétique réseau de connaissances (chercher à remonter les filières par la sœur du copain qui connaît la secrétaire de Conseil régionaL) une simple visite chez nous est plus efficace, puisqu'on peut y trouver le mode d'emploi global - mécénat compris - des différentes possibilitésd'aides. 86 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy us t:III'I&& DE SIIM:TIOIID'UN1'Il0lET La DRAC doit mettre en œuvre la politique de l'Etat au niveau régional, ce qui veut dire que les projets qu'elle subventionne doivent s'intégrer au projet culturel de l'Etat; celui-ci évolue selon les orientations politiques des gouvernements.Il me paraît préférable d'envisager cette contrainte en terme de mariage, de négociation, car il ne saurait être question d'inféoder l'initiative individuelle au diktat politique. C est une position dommageable que de tordre le cou à un projet ou de la déguiser pour avoir trois sous... Ce faisant, on se trompe autant que l'on trompe les autres; il me semble beaucoup plus intelligent de rechercher celui des différents partenaires le plus susceplibled'envisager favorablement un projet... Mes expériences sur le terrain m'ont appris à quel point les mécanismes administratifs paraissent étrangers et opoques pour les utilisateurs; je me propose donc de vous présenter les différentes étapes de l'accès à la subvention tant espérée... Un initiateur de projet téléphone au responsable sectoriel de la DRAC (nommé «conseillers) pour prendre un rendez-vous. Ensemble, ils cherchent à préciser la nature du projet, à le définir. Le conseiller oriente vers les interlocuteurs adaptés et, éventuellement, participe au montage du dossier. Celui-ci, le plus rigoureux possible, doit impérativement comprendre: une note d'opération définissant le projet, une traduction financière por postes budgétaires, comprenant un plan de définitions équilibré budget 1 dépenses, une liste hypothétique des différents portenairess et de leur participation, un bilan de l'activité de l'association porteur du projet avec les statuts de l'association et le dernier compte d'exploitation, un relevé d'identité bancaire. Il faut savoir en effet que les projets proviennent préférentiellement d'associations plutôt que de particuliers, et que le Trésorier payeur général, (l'agent comptable de l'Etat) a besoin d'avoir une idée précise de la santé financière d'une association avant d'engager les crédits de l'Etat. Bien que les crédits décentralisés ne soient plus gérés au niveau central, on se trouve cependant dans une structure lourde où la mise en œuvre est longue. Il est important de bien avoir en tête les calendriers de répartition du budget, pour s'éviter de mauvaises surprises. Le budget est voté en janvier 1février, et annonçé en mars au niveau local. En avril, la DRAC envoie les arrêtés pour accord au préfet; en effet, comme tous les services extérieurs de l'Etat, nous sommes placés sous le contrôle direct du représentant de l'Etat en région, le préfet. lon procède ensuite aux engagements, c'est-à-dire aux répartitions en équilibrant les dépenses et les crédits. Entre l'engagement et la répartition effective des crédits, s'écoulent, dons le meilleur des cas, trois mois (si le dossier est incomplet, le délai augmente !l. Cesdélais sont bien longs, nous en sommesconscients, mais nous ne pouvons guère transformer ces contraintes administratives... Il faut savoir qu'au moment de l'engagement, l'association reçoit une notification sur laquelle sont précisés l'objet du contrat, l'intitulé de l'association, le montant de la subvention et le numéro du futur compte crédité. Cette notification engage l'Etat, et les banques acceptent de faire des avances. Précisons également que le rôle de la DRAC s'arrête aux engagements, la partie finale est le domaine réservé du Trésorierpayeur général. Ces rapides explications seront, on l'espère, de quelque utilité pour ceux qui envisagent des actions dans le domaine culturel sans toujours savoir comment se repérer. dans le paysage complexe de la quête à la subvention... 81 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EXPERIENCES DES MUSICIENS AU LYCEE Gérard LAVIGNE musicien arrangeur l'onlrnotion organisee par la FNAMU (Fédération nationale des activités musicales) et le festival Banlieue Bleue (festival de jazz en Seine-Saint-Denis) avait pour objectif de permettre à des lycéens pratiquant la musique de rencontrer des professionnels et de bénéficier de leurs conseils. l'expérience, réalisée au lycée de Villepinte, au cours de l'hiver 1984, s'est déroulée sur une période d'une semaine, à raison de deux heures par jour (interclasse de midi). Les musiciens intervenants étaient Marcel Bel, batteur, et moi-même, bassiste arrangeur. Au-delà des quelques lycéens directement concernés, cette intervention a eu, on le verra, une influence notable sur la vie de l'établissement. ruVAl1r EN GROUPE Les musiciens-lycéens intéressés, informés par voie d'affiches, avaient été invités à une réunion préparatoire à laquelle participèrent sept lycéens: un batteur, quatre guitaristes acoustiques, un guitariste électrique, et le chanteur d'un groupe de rock, délégué par ses collègues qui décida, à l'issue de cette première rencontre que son groupe participerait à l'expérience. Dans un premier temps, nous avons cherché à connaître les goûts musicaux et les demandes des musiciens venus individuellement (le groupe de rock désirant travailler dans sa formation). Nous avons décidé de regrouper les quatre guitaristes acoustiques dans un atelier folk, le guitariste électrique et le batteur dans un atelier de rythmique jazz-funk. Les trois groupes, chacun dans une salle, ont donc travaillé de façon très différente. Les guitaristes acoustiques désiraient apprendre un style de guitare; nous leur avons donc fait travailler la technique dite de finger picking (1 J, et pour les plus avancés, un morceau de folklore américain (Freight troin). Les deux musiciens de l'atelier jazz-funk, bien que n'ayant pratiquement aucune expérience de jeu en groupe, ce qu'ils regrettaient, avaient d'assez bonnes bases techniques et théoriques. Sous la direction plus particulière de Marcel Bel, ils ont travaillé sur partitions des rythmiques (guitare, basse, batterie) de titres de Herbie Hancock. La demande du groupe de rock, très typique, était à peu près formulée en ces termes: «Cela fait six mois que nos répétons dans notre cave, nous sentons que nous faisons des erreurs qui bloquent notre progression, mais aucun de nos copains n'est assez compétent pour nous donner les conseils susceptibles de nous faire ovoncer», Une première étape a consisté à leur faire prendre conscience des éléments objectifs favorisant l'écoute inter-musiciens, indispensable pour jouer en groupe: l'importance de l'accord des intruments; le réglage des sons et des niveaux sonores; le placement relatif des différents musiciens et amplis, etc... Nous avons pu ensuite aborder, à partir du répertoire du groupe, le travail de mise en place d'un morceau: travail spécifique de la rythmique, du démarrage et du final d'un morceau... ' DE LA REPETITION AU TRAVAIL SCENIQUE Dès le deuxième jour, la population lycéenne, attirée par les bruits, vint se masser dans les salles où répétaient le groupe de rock et le groupe dit de jazz-funk, ainsi que dans les couloirs adjacents, ce qui finit par poser de vrais problèmes de circulation aux musiciens intervenants. On notera que l'atelier folk ne fut jamais visité et que les musiciens y participant purent jouir durant toute la semaine de tout le calme que leur art réclame et que l'épaisseur des cloisons d'un lycée moderne voulait bien leur accorder! Cette irruption inopinée de spectateurs que nous ne désirions pas tenir à l'écart de l'expérience, nous permit de passer du travail de répétition à la préparation du concert: occupation de l'espace, prise en compte du trac, attitude sur scène, rythme d'un spectacle, etc. '-A la demande des stagiaires, la semaine se termina par un concert où les trois ateliers se produisirent successivement, dans la salle de la café raria, devant un public enthousiaste. UCONI D'EXPERIENCE Il n'était pas possible de transformer cette intervention en action périodique, comme le réclamaient les élèves. Il me semble que la durée aurait permis entre 88 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy autre une collaboration entre les professeurs de musique (en retrait pendant l'animation) et les musiciens intervenants, ceux-ci servant en quelque sorte de relais et de caution morale vis-à-vis des musiciens du lycée. Nous avons en effet été frappé par le refus de parler musique avec leurs professeurs spécialisés, en particulier de la part des musiciens de rock. A titre d'exemple, à la fin de la réunion préparatoire, le chanteur du groupe, resté muet au fond de la salle, est venu nous dire: (J'inscrismon graupe ; i'étais venu vérifier que vous n'étiez pas des profs de musique». Avant même d'avoir commencé à travailler avec eux, en utilisant les compétences particulières que peuvent transmettre certains professionnels intéressés par des actions pédagogiques, nous avions obtenu de nos interlocuteurs une légitimité parce qu'ils sentaient que nous avions aimé la musique qu'ils aimaient, et qu'elle nous intéressait toujours. Cette «autorité morale» et un peu de temps nous eût permis de faire comprendre à ces jeunes musiciens qu'une formation musicale de base est toujours bénéfique, même s'ils ne se passionnent que pour le rock'n'roll anglais de la période 1963/1967. .. On le voit, ce type d'intervention ne concurrence et ne remplace nullement les cours d'éducation musicale, mais elle peut aider à réconcilier les lycéens pratiquants - et les nombreux camarades qu'ils entroînent- avec la musique au lycée. (1) Technique instrumentale ornencome dans laquelle le pouce effectue la ligne de basse régulière, tandis que les autres doigts accompagnent par arpèges et, éventuellement, réalisentla mélodie. 89 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EXPERIENCES LE CENTRE D'INFORMATION DU ROCK Bruno LION président du Réseau Rock Le Centre d'information du rock (ClR) a été créé à l'initiative de l'union d'associations Réseau Rock au printemps 1986. Il a pour mission de créer, rassembler, éditer et diffuser les informations relatives aux musiques actuelles en France. Se situant ou carrefour entre la dynamique des amateurs et les filières professionnelles, il concerne à la fois les praticiens et le public. Le CIR a fait l'objet d'une convention avec l'Etat (ministère de la Culture et de la Communication, secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports) qui le subventionne. Il est également soutenu par la SACEM et lo Fondation de France. Son objectif est de dresser un panorama actif de la musiquevivante. Pour cela, le ClR a entamé la réalisation des Fichiers du rock et des variétés: une base de données sur les structures, les acteurs et les partenaires de tout ce secteur d'activités... (plus de 5.000 fiches détaillées - constamment réactualisées ou début février). l'ensemble est découpé en centaine de rubriques (du studio d'enregistrement au loueur de chapiteau, en passant par les luthiers et les stages de sonorisation), puis classé par régions et départements. Une initiative sanséquivalent en Europe. Afin de récolter cette masse d'information, le Centre d'information du rock (ClR) a mis en place - sur toute la France - un réseau d'antennes régionales (16 ou début 1987: Lille, Evreux, Caen, Rennes, Nantes, Poitiers, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, Nice, Grenoble, Lyon, Bourges, Strasbourg et Paris). Ces PCR (Points correspondants rocks) sont animés par des jeunes stagiaires accueillis par différentes structures (Centre information jeunesse, Centres régionaux pour la chanson, MJC, associations rock). Impliquées dons la vie du rock local, ces structures sont appelées à devenir des pôles d'accompagnement du développement et de. la valorisation de la pratique musicale des jeunes en province. Mais les PCR n'ont pas - on s'en doute - vocation à délivrer directement les informations collectées. Pour cela, le CIR utilise un support télématique - Decitel(36.15 code d'accès FR3BPL, sur votre minitel) - dont la promotion est assurée par l'émission rock de FR3: Décibels. Proposant les Fichiers, Decitel contient égaIement d'outres services tels que les actualités (concerts et news en France), la messagerie, les jeuxconcours, l'agence Mystère (une des plus performantes équipes de graphistes télématiques en France)... et d'outres, en cours de réalisation. Le ClR regroupe une quarantaine de personnes dont une dizaine assurent la coordination de l'opération au siège parisien. Intervenant dans le champ de la communication, il édite une publication bimestrielle, Connexions Rocks, qui reflète les initiatives rock en suivant les évolutions du marché. Egalement présent dons le domaine de la documentation, il prépare aussi la réalisation de dossiers spéciaux, juridiques et techniques. Enfin, dans la logique de son développement, le ClR met en place des circuits de redistribution d'informations plus adaptés aux fonctionnements économiques des acteurs professionnels du monde de la musique: mailings thématiques et guide-annuaire du rock en France, présentant une sélection de sa base de données. A travers toutes ces activités, le Centre d'Information du Rock veut offrir un maximum d'outils à l'usage de l'ensemble des intervenants - professionnels et amateurs - du domaine des musiques actuelles, visant à servir d'infrastructure à cette fameuse étape intermédiaire, nécessoire ou renouvellement de la création musicale en Fronce et à sa prise en compte en tont que facteur économique, culturel et social. 90 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EPILOGUE hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy EPILOGUE REPONDRE A t4TTENTE DES JEUNES Anne-Marie GREEN sociologue, chargée de cours à l'Université de Paris X Laboratoire de psychologie de la culture, Paris X Puisqueles participants à cette Université d'été ont mis en relief que le rock représente souvent une barrière entre les jeunes et les adultes (parents et pédagogues), on doit se demander si cette barrière est liée à la spécificité de la musique en général. Mes recherches sur le thème des adolescents et de la musique, depuis plusieurs années, m'ont donné l'occasion de constater que c'est la musique, quel que soit son genre, qui dans sa spécificité, crée cette barrière entre les jeunes et les adultes (et même quelquefois entre les jeunes entre eux). En effet, la musique est un langage sans concept, c'est-ô-dire que tout en étant intelligible, elle est intraduisible. Son rapport au sens qui est entièrement libre, permet d'avoir un plaisir ambivalent qui consiste à être en soi et hors de soi (en dehors de la réalité de la vie quotidienne). Ainsi cette caractéristique par rapport ô tous les autres objets culturels développe des comportements passionnels beaucoup plus forts. La communication musicale se situe aux niveaux symboliques, sensoriels et affectifs sous-jacents ô la conscience et provoque un onirisme sensoriel auquel participe l'intégralité du conscient et de l'inconscient. «C'est la prise de conscience sonore par une sensibilité seconde, de régions psychologiques qui demeurent inconscientes pour la pensée conceptuelle» (7J. Il est donc très difficile pour les jeunes de communiquer à propos de la musique, en particulier lorsqu'ils pensent que les autres sont investisd'un pouvoir (même symbolique). OU SONT LES VOIES D'ACCES r Ajoutons qu'une tradition fort ancienne et très tenace, mais significative, fait bénéficier la musique d'une sorte de respect commun à tous les faits de pensée et de création en général;) elle serait incompréhensible dans sa genèse et imprévisible dans son destin. Elle est entourée d'un certain mystère. Par rapport au compositeur, au créateur, c'est le don qui surgirait, inattendu et inexplicable. En d'autres termes, c'est la théorie de l'inspiration qui ne peut être liée ni à une intention, ni à une destination; ou bien, si une signification ou une finalité sont perçues, elles n'ont plus rien de commun avec une création humaine réelle. Cette théorie du don rend donc a priori impossible, aussi bien pour les jeunes que pour leurs enseignants, de chercher à onalyser les genres appréciés par les uns et par les autres. Cela deviendrait un outrage aux créateurs. Dès lors, les barrières entre les uns et les autres se renforcent et ce n'est pas plus le rock qu'un autre genre qui y contribue. La tendance consiste toutefois à prendre en référence les genres musicaux et à classer les jeunes et leurs goûts musicaux en deux grandes catégories, qui d'une certaine manière sont celles dans lesquelles ceux qui les classent souhaiteraient - ou refuseraient - être eux-mêmes plus ou moins situés. Ainsi trouverait-on des jeunes qui aiment la musique classique et qui bien sûr seraient attentifs aux cours de musique, et d'autres qui limiteraient leurs goûts musicaux aux variétés et au rock: ils refuseraient alors le cours de musique. La même classification pourrait aussi permettre de repérer les jeunes qui n'évoluraient pas et n'auraient pas les goûts de leur classe d'âge. UN DESIR NON RECONNU Ma recherche m'a permis d'atténuer cette dichotomisation des goûts musicaux de la jeunesse car les enquêtes montrent que les adolescents subissent les influences de deux cultures: celles de leurs origines sociales et celles de leur classe d'âge. C'est pourquoi, plutôt que de continuer à tenir un discours qui veut dichotomiser le comportement des jeunes par rapport à la musique et, par conséquent à l'enseignement musical, j'ai préféré chercher à comprendre quelle est la nature des relations des jeunes à la musique et (ll André Michel. Psychanalyse et Musique. PUF, 1951, p.163. (2) Les Adolescents et la musique. Coll. Psychologie et pédagogie de la musique, Pans, Ed. EAp, 1986, 176 p. hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy quelle représentation ils ont de l'enseignement musical dans l'institution scolaire. Ce questionnement est d'autant plus important que les entretiens de l'enquête ont montré très nettement que la majorité des jeunes aspirent à connaître d'autres genres musicaux que ceux auxquels ils sont habitués, mais ils ne savent pas comment accéder à une diversification de leurs intérêts musicaux. Il faut préciser que ce sont les plus défavorisés scolairement et socialement qui recherchent le plus une pratique ou une appropriation musicales. Ce sont ces constats, beaucoup plus nuancés que les affirmations péremptoires des parents et pédagogues, qui m'ont incité à rechercher quelles peuvent être les conséquences de l'absence institutionnelle d'un enseignement musical dans un cursus scolaire. Sachant que les LEP sont les seuls établissements qui, depuis leur création, n'ont jamais institué d'enseignement musical (même focultofif] dans leurs programmes, j'ai cherché à mener une réflexion à partir d'une enquête sur ce thème en donnant comme consigne aux entretiens non directifs: «Que pensez-vous du fait de ne pas avoir d'enseignement musical au LEP ?». Non seulement les jeunes ont pu imaginer un tel enseignement mais en fin d'interview ils l'ont revendiqué. En effet, si l'apparence peut faire croire parfois à une position générale de refus d'un enseignement musical, il faut débusquer les peurs et les craintes à propos d'un tel enseignement pour comprendre l'importance qu'a la musique pour eux. Ils montrent que le vécu de leurs cours de musique (avant le LEP) ne pouvait leur permettre d'apprécier le savoir dont le professeur était détenteur. Ne connaissant pas le code de ce savoir ils le considèrent comme déplaisant et ne peuvent envisager un rapport de dépendance ou de soumission au professeur de musique. Cela a donc entraîné un refus net d'une éventuelle possibilité de cours de musique au LEP. Ce n'est qu'en exprimant un désir non reconnu par l'institution scolaire - celui de prendre un plaisir en classe avec ou grâce à la musique, seul ou en commun - et en supposant au cours des interviews que ce plaisir pourrait être légitimé, qu'ils avaient l'impression d'être concernés par la musique au LEP (en d'autres termes par un enseignement de musique à l'école). Non seulement ils ne refusent plus alors systématiquement l'enseignement musical, mais ils envisagent la possibilité de le prendre en charge. Autrement dit, le fait de pouvoir exprimer le désir de prendre un plaisir dans l'institution scolaire est lié à la possibilité d'une appropriation personnelle réelle de l'enseignement musical. Cette appropriation permet toutefois de mettre en relief trois éléments de destruction de l'institution scolaire: la mort de la classe (le cours de musique ne devrait plus se dérouler dans le cadre d'une classetraditionnelle); la mort du cours (il ne pourrait plus se vivre comme il l'a été auparavant); la mort de l'image du professeur (l'image qu'il a donnée de lui jusqu'à présent ne serait plus acceptée). C'est donc après le renversement des valeurs mises en place par l'institution qu'ils parlent sérieusement de la musique comme un fait de culture et qu'ils ne l'envisagent plus comme une écoute passive. UNPLAISIII SUSPECT Les goûts musicaux et les pratiques musicales semblent donc aller dans le sens d'une recherche d'un plaisir sécurisant, car il est vécu quotidiennement. C'est ainsi qu'ils se rendent à l'école avec des connaissances et des goûts musicaux personnels et qu'ils constatent que ceux qu'on leur propose ne correspondent pas à leurs points de repère. Par peur ou par ennui, ils les rejettent, et c'est ce qui donne l'impression qu'ils refusent ce qu'on leur propose. Pourtant la volonté d'appropriation d'un enseignement musical montre bien que ce n'est pas la musique en tant que telle qu'ils rejettent. A partir du moment où il y a affirmation d'un plaisir lié à la musique (y compris dans le cadre d'un enseignement) il me paraît nécessaire de comprendre ce que c'est pour eux. Au premier abord de cette interrogation, on peut être étonné car lorsqu'on leur demande; dons le cadre d'interviews non directives, ce que représente pour eux la musique dans leur vie, on constate que toute la structure de leur narration s'articule pour fixer les limites d'un plaisir musical qui paraît indicible. Ce qu'ils trouvent entre ces limites, ce sont les jugements portés à leur égard par leurs pairs ou des tierces personnes. Ils tracent donc un chemin avec un «personnage inificteun à la musique (réel ou mythique). Ce dernier les assure qu'ils peuvent se dire différents de leurs parents et de leurs copains et leur permet de "justifier que leurs conduites musicales sont les meilleures. Les relations qui dominent sont donc aussi celles avec la famille ou avec «le personnage inifioteuo et le plaisir qui semble tellement indicible est en fait l'expression d'un plaisir interdit dans une société où les jeunes ne connaissent bien souvent que des contraintes de comportement et des situations de dépendance. S'ils ne jouaient plus sur l'apparence de l'adhésion à un comportement normé et de la conformité à l'attente qu'on a d'eux, leur plaisir deviendrait réifié, parce qu'une fois dit, ils en seraient dépossédés. Ces constats rendent beaucoup plus difficiles des jugements hâtifs sur les goûts musicaux des ·Ieunes. Sachont que, du fait de la non conceptua ité, la musique est du domaine du non dit, choque jeune peut y trouver ce qu'il a envie d'y apporter et toutes les appropriations sont possibles. Or, nous savons aussi que, dans notre société, le plaisir est suspect puisque c'est une partie de l'individu qui échappe aux autres et donc au contrôle social. Dès lors, il devient préférable de «massifier» les jeunes par rapport à leurs goûts, ou risque de créer une barrière; ou de laisser jouer les mécanismes d'un déterminisme socioculturel, au risque que la reproduction d'une culture musicale soit minime: c'est le moyen de canaliser leurs désirs. C'est probablement cela qui peut expliquer l'absence de recherche, non pas sur les aspects 93 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy · de la pédagogie musicale, mais sur les interrelations entre les goûts musicaux des jeunes (affirmés, réels ou vélléitaires) et les structures institutionnelles qui leur proposent un accès à la musique. A l'issue de cette Université d'été, importante puisque c'est la reconnaissance officielle de l'un des aspects de la culture des jeunes, il faudrait aussi se donner le temps et les moyens de réfléchir et de comprendre les attentes musicales des jeunes pour enfin éviter de les cataloguer dans des pratiques culturelles trop resteintes qui, à terme, les empêcheraient de renouveller ces pratiques et, par conséquent, briserait leur imaginaire. 94 hal-00469298, version 1 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00469298/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00469298_v1 Contributeur : Eliane Daphy BIBLIOGRAPHIESELEC'IVE Alix Yves. Ouvrages de référence surla musique et les phonogrammes: guide à l'usage des bibliothécaires et discothécaires. Paris, Cercle de la librairie, 1982. Mali Jacques. Bruits. Paris, PUF, 1977 Barsamiaw Jacques, Jouffa François. !.:Age d'or de la pop music. Paris, Ramsay, 1982. Barsamiaw Jacques, Jouffa François. !.:Age d'or du rock'n'roll. Paris, Ramsay, 1980. 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