L’expression des nombres rationnels et leur
enseignement initial
Robert Adjiage
To cite this version:
Robert Adjiage. L’expression des nombres rationnels et leur enseignement initial. Mathématiques
[math]. Université Louis Pasteur - Strasbourg I, 1999. Français. tel-00012146
HAL Id: tel-00012146
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Submitted on 14 Apr 2006
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publics ou privés.
Le travail présenté ici par l'IREM de Strasbourg est le produit d'une thèse de doctorat en
didactique des mathématiques, soutenue le 23 novembre 1999
à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg par
Robert ADJIAGE
sous le titre :
L'expression des nombres
rationnels
et leur enseignement initial
Directeur de thèse :
François PLUVINAGE
Président du jury :
Michèle ARTIGUE
Rapporteurs :
Raymond DUVAL
Alain MERCIER
Émile URLACHER
Autres membres du jury :
Nicole BOPP
Michèle ARTIGUE
Remerciements
Pour éviter les pièges de l'emphase et du convenu, je souhaitais être bref dans
l'expression de ma reconnaissance. Je n'y suis pas parvenu. Cela tient sans doute à la diversité
intellectuelle, morale ou matérielle (une qualification n'excluant pas l'autre) des aides qui m'ont
été dispensées pour la réalisation de cette thèse.
François Pluvinage a accepté de la diriger avec rigueur, bienveillance et une
disponibilité à toute épreuve (dimanches et vacances compris). Son exigence dans la précision
des idées et de leur expression écrite ne m'a guère laissé qu'une seule possibilité, celle de
m'améliorer. Lorsque j'ai enfin appris à décrypter les méandres de sa pensée, chacune des
entrevues qu'il m'a accordées s'est soldée par un apprentissage substantiel (sauf peut-être le jour
où, dans une salle informatique récemment mise en service et dotée des dernières
sophistications technologiques, il a pensé pouvoir m'aider à trouver le canal vidéo adéquat au
moyen d'une télécommande…). Merci donc à lui pour sa contribution décisive à l'ensemble de
ce travail.
Raymond Duval en a inspiré les grandes lignes de force. Il a de plus accepté de
visionner en avant-première, en dépit des aléas que comporte ce type de séance, les vingt
logiciels qui constituent l'ossature de l'expérimentation. Il a lu les chapitres de ma thèse au fur
et à mesure de leur élaboration. Ses encouragements et avis circonstanciés m'ont été précieux
pour reprendre certains passages et en achever d'autres.
Michèle Artigue a bien voulu lire cet écrit volumineux, malgré la brièveté des délais
impartis ; Alain Mercier a même donné son accord pour la production d'un rapport Je les en
remercie tous deux vivement.
Nicole Bopp et Émile Urlacher ont accepté de se dérouter de leurs recherches en
mathématiques pures pour se risquer à une pensée périphérique. Merci pour la confiance qu'ils
m'ont accordée et pour leur regard de spécialistes sur un travail qui se veut résolument ancré
dans la sphère des mathématiques.
La patience d'Aimé Heideier, qui a écrit la quasi totalité des logiciels puis les a repris
inlassablement à la suite des inévitables bogues ou des errements de leur concepteur, est
incommensurable à une quelconque unité. Merci Aimé pour tout ce temps que tu n'as pas
compté.
Jean-Luc Schorn a accepté, avec un bel enthousiasme, de collaborer à cette recherche
au cours des deux années consécutives qu'elle a duré et ce malgré le surcroît de travail et de
doute qu'elle n'a pas manqué de provoquer. Les élèves de sa classe se sont prêtés à toutes sortes
d'expériences déroutantes et d'évaluations épuisantes pour satisfaire une curiosité qui leur était
a priori extérieure. Je leur adresse le grand merci qu'ils méritent.
Merci aussi à Mr Goeldel, directeur de l'IUFM d'Alsace, et à Mme Minck,
responsable du personnel, grâce à qui j'ai pu être déchargé d'une partie de mes cours afin
d'achever ce travail dans des conditions plus confortables. Merci aux collègues de
mathématiques qui ont accepté en toute bienveillance le surcroît de service que cette mesure a
provoqué. Merci à tous les membres du personnel administratif ou pédagogique de l'IUFM
d'Alsace qui ont toujours été présents lorsque je les ai sollicités.
Merci à la directrice et au personnel de l'IREM de Strasbourg qui a toutes les qualités
requises pour s'adapter à ce milieu à savoir : la connaissance (des ouvrages), la disponibilité (de
l'esprit) et la vitesse d'exécution (des tâches et accessoirement des récalcitrants). Merci au
service de reprographie du département de mathématique pour le soin apporté à l'impression de
cette thèse
Merci encore à Grégory, qui n'est jamais avare de son temps lorsqu'il s'agit d'écouter, à Myriam
et à Stéphanie dont l'affection désorganise mes doutes et à Liliane, qui est toujours là malgré
mes absences.
Sommaire
Sommaire
Chapitre I ......................................................................................................................15
Présentation générale des origines, du contexte et du projet de la recherche ...........15
1.
L'expression des rationnels mérite-t-elle une attention didactique ? ................... 17
2. Des auteurs qui accordent une attention didactique aux moyens d'expression des
mathématiques .................................................................................................................... 19
3. l'Histoire légitime-t-elle l'attention didactique accordée aux moyens d'expression
des mathématiques ? .......................................................................................................... 22
4. Les problèmes didactiques posés par l'expression fractionnaire des nombres
rationnels ............................................................................................................................. 24
5. Est-il envisageable de recourir à un autre registre que celui des écritures
fractionnaires pour introduire les rationnels ?................................................................ 26
6.
Conceptualisation des rationnels et coordination de leurs registres d'expression28
7. L'informatique, un outil précieux pour développer un registre alternatif
d'introduction aux rationnels ............................................................................................ 29
8.
Résumé de la problématique ; les hypothèses ......................................................... 30
Chapitre II.....................................................................................................................33
Recherches et pratiques sur l'enseignement des nombres rationnels à l'école
élémentaire....................................................................................................................33
1.
Quatre stades d'appréhension des phénomènes rationnels.................................... 36
1.1. Le stade des partitions (partitioning) ..................................................................................... 39
1.1.1. Description et références.............................................................................................. 39
1.1.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 39
1.1.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 40
1.1.4. Nature des rationnels liés à ce stade............................................................................. 41
1.1.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant .......................... 41
1.2. Le stade de la relation partie / tout (part-whole relation)....................................................... 42
1.2.1. Description et références.............................................................................................. 43
1.2.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 44
1.2.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 48
1.2.4. Nature des rationnels liés à ce stade............................................................................. 50
1.2.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant .......................... 52
1.3. Le stade des formes linéaires rationnelles opérant sur un ensemble de mesures ; le stade des
rationnels-mesures........................................................................................................................... 54
1.3.1. Description et références.............................................................................................. 55
1.3.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 55
1.3.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 58
1.3.4. Nature des rationnels liés à ce stade............................................................................. 62
1.3.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant .......................... 62
1.4. Le stade des nombres rationnels ............................................................................................ 63
1.4.1. Description et références.............................................................................................. 64
1.4.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 64
1.4.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 66
1.4.4. Nature des rationnels liés à ce stade (première conclusion de la section 1) ................. 67
1.4.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant (deuxième
conclusion de la section 1) ......................................................................................................... 68
2.
Le point de vue de quelques chercheurs .................................................................. 70
5
Sommaire
2.1.
2.2.
2.3.
2.4.
3.
Guy Brousseau (1986-b ; pp. 96-151) ................................................................................... 71
Régine Douady et Perrin-Glorian (1986) .............................................................................. 75
David W. Carraher (1993 ; pp. 281-305) .............................................................................. 81
Conclusion de la section ........................................................................................................ 90
Un point de vue enseignant (manuel Objectif Calcul)............................................ 91
4. Conclusion du chapitre : Influence de la sémiotique sur la constitution d'un
dispositif d'enseignement ................................................................................................... 95
Chapitre III ...................................................................................................................99
L’expression, un choix stratégique pour l’approche des nombres rationnels ...........99
1.
Architecture générale du projet d'enseignement .................................................. 102
1.1.
1.2.
1.3.
1.4.
2.
Algorithmes et significations ............................................................................................... 102
Le primat sémiotique : organiser le rapport à la pensée immédiate..................................... 105
Articuler les univers sémiotiques et physique...................................................................... 107
Précision sur la méthode de présentation retenue ................................................................ 110
Le dispositif logiciel ................................................................................................. 111
2.1. Structure et ressources générales ......................................................................................... 111
2.2. Descriptif abrégé des logiciels............................................................................................. 113
2.2.1. Logiciels de traitements, série Gradu......................................................................... 113
2.2.2. Logiciels de traitements, série Fracti.......................................................................... 117
2.2.3. Logiciels de la série Format ....................................................................................... 120
2.2.4. Logiciels de conversions............................................................................................ 121
2.2.5. Utilitaire de gestion des paramètres et des élèves : Oratio ......................................... 125
2.3. L’apprentissage.................................................................................................................... 125
2.3.1. Quel itinéraire proposer pour l’apprentissage ? ......................................................... 125
2.3.2. Exemples d'itinéraires d'apprentissage au moyen des logiciels .................................. 126
2.3.3. Conclusion du paragraphe 2.3.1................................................................................. 131
3.
Une caractéristique d'un registre d'expression : sa dimension ........................... 133
3.1.
3.2.
3.3.
3.4.
3.5.
4.
Le cas des écritures décimales et fractionnaires .................................................................. 135
Le discours d'Euclide est unidimensionnel .......................................................................... 137
Les systèmes d'écritures décimale et fractionnaire constituent-ils deux registres différents ?139
Le cas particulier des pourcentages ..................................................................................... 140
Conclusion de la section 3. .................................................................................................. 141
Un outil sémiotique pour des problèmes physiques : les droites graduées......... 142
4.1. Premier problème : un problème de commensuration ......................................................... 144
4.2. Deuxième problème : un problème de quatrième proportionnelle ou image d'un entier par un
opérateur rationnel ........................................................................................................................ 147
4.3. Troisième problème : image d'un rationnel non entier par un opérateur rationnel .............. 149
4.4. Quatrième problème : le mélange eau / jus de fruit ; une autre représentation de la proportion
150
4.5. Analyse des représentations ainsi constituées et des concepts auxquels elles renvoient...... 151
4.6. La place du problème physique dans notre dispositif .......................................................... 152
4.7. Conclusion de la section 4. .................................................................................................. 155
5.
Conclusion du chapitre............................................................................................ 156
Chapitre IV..................................................................................................................159
Étude et mise en œuvre d'un registre géométrique d'expression des nombres
rationnels à l'école élémentaire .................................................................................159
1.
Quels registres pour enseigner les rationnels ? ..................................................... 162
1.1. Entrées du choix des systèmes de représentation : numérique / géométrique ; dimension 1 /
dimension 2................................................................................................................................... 162
1.2. Rappel sur les systèmes en présence.................................................................................... 163
1.3. Les systèmes retenus pour l'expérimentation CM2.............................................................. 165
6
Sommaire
2.
Un système géométrique pour l’enseignement des rationnels ............................. 166
2.1. Introduction ......................................................................................................................... 166
2.2. Quel système d'expression pour introduire les rationnels ? ................................................. 167
2.2.1. Pourquoi un système géométrique ?........................................................................... 167
2.2.2. Un système unidimensionnel ou bidimensionnel ?..................................................... 168
2.2.3. Pourquoi un système géométrique qui soit un registre ? ............................................ 173
2.3. L'exploration logicielle du registre des droites graduées ..................................................... 180
2.4. Un registre qui pose des problèmes pertinents .................................................................... 184
2.4.1. Trois fois un quart et un quart de trois (voir aussi III-2.3.2. − exemple 2) ................ 184
2.4.2. Commensuration ........................................................................................................ 185
2.4.3. Comparaison (voir aussi en III.2.3.2 − exemple 3 et II. 1.3.3.2) .............................. 186
2.4.4. Arithmétique .............................................................................................................. 187
2.5. Conclusion de la section 2 ................................................................................................... 194
2.5.1. Droites graduées et fractions...................................................................................... 194
2.5.2. Droites graduées et surfaces fractionnées .................................................................. 195
3.
Sur quelles compétences construire la maîtrise des rationnels ? ........................ 196
3.1. Présentation synthétique de l'enseignement dispensé dans chacune des classes observées 197
3.2. Présentation des groupes d’items proposés à chacune des classes....................................... 197
3.2.1. Premier groupe : items 1 à 3 ...................................................................................... 198
3.2.2. Deuxième groupe : items 4 et 5.................................................................................. 198
3.2.3. Troisième groupe (réduit à un seul élément) : item 6................................................. 199
3.2.4. Pourquoi avoir mobilisé des écritures fractionnaires pour ce questionnaire ? ........... 200
3.3. Examen des résultats et des modalités de leur obtention ..................................................... 200
3.3.1. Analyse des résultats du premier groupe d'items........................................................ 201
3.3.2. Analyse des résultats du deuxième groupes d'items ................................................... 203
3.3.3. Analyse de l'item 6 ..................................................................................................... 205
3.3.4. Conclusion du paragraphe 3.3.................................................................................... 206
3.4. Énoncé des sept compétences.............................................................................................. 207
3.4.1. Doubler l'information................................................................................................. 207
3.4.2. Scinder l'activité......................................................................................................... 209
3.4.3. Discriminer les actions qui, sur une droite, opèrent sur les segments de celles qui
opèrent sur les extrémités ......................................................................................................... 209
3.4.4. Localiser les désignations .......................................................................................... 209
3.4.5. Prendre en compte 0 et 1 (ou tout autre repère) comme entiers permettant d'initier un
processus de formation d'un rationnel ...................................................................................... 210
3.4.6. Plonger les entiers dans les rationnels........................................................................ 211
3.4.7. Produire des écritures équivalentes............................................................................ 211
3.5. Lien entre les sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes............................ 212
3.6. Conclusions de la section 3 ................................................................................................. 213
4. Les surfaces fractionnées sont peu adaptées au développement d’un registre
exprimant les rationnels ................................................................................................... 213
5.
Registre des droites graduées et somme et produit de deux rationnels .............. 216
5.1. Le produit ............................................................................................................................ 216
5.2. La somme ............................................................................................................................ 218
5.3. Conclusion du paragraphe 5 ................................................................................................ 219
6.
Conclusion du chapitre............................................................................................ 221
Annexes du chapitre IV..............................................................................................223
Chapitre V ...................................................................................................................235
Étude et mise en œuvre des registres des écritures fractionnaires et décimales à l'école
élémentaire..................................................................................................................235
1.
Le registre des écritures fractionnaires ................................................................. 237
1.1. Les fractions après les droites graduées et avant les décimaux............................................ 238
7
Sommaire
1.2. Une approche sémiotique de l’objet représenté par
a
....................................................... 239
b
1.2.1. Un projet purement sémiotique pour les fractions ?................................................... 239
1.2.2. Contraintes d'un itinéraire sémiotique pour introduire les fractions........................... 240
1.3. Une introduction papier/crayon pour le registre des écritures fractionnaires ...................... 243
1.4. L'exploration logicielle du registre ...................................................................................... 245
1.4.1. Ordre de passage dans la série Fracti ......................................................................... 246
1.4.2. Contenus abordés par la série Fracti .......................................................................... 246
1.5. Les opérations de conversion vers les deux autres registres ............................................... 250
1.5.1. Ecritures fractionnaires vers droites graduées (Frac2gra) .......................................... 250
1.5.2. Ecritures fractionnaires vers écritures décimales (Frac2for) ...................................... 251
1.6. Réflexions d'élèves, les apprentissages................................................................................ 252
1.6.1. Fracti1 ........................................................................................................................ 252
1.6.2. Fracti2 ........................................................................................................................ 253
1.6.3. Fracti3 ........................................................................................................................ 254
1.6.4. Fracti4 ........................................................................................................................ 256
1.6.5. Fracti5 ........................................................................................................................ 258
1.6.6. Frac2gra ..................................................................................................................... 262
1.6.7. Frac2for...................................................................................................................... 264
1.7. Conclusion de la section 1 ................................................................................................... 266
2.
Le registre des écritures décimales......................................................................... 266
2.1. Une approche sémiotique de l’objet "écriture décimale" .................................................... 267
2.2. L'exploration logicielle du registre ...................................................................................... 268
2.2.1. Ordre de passage dans la série Format / Mystère....................................................... 268
2.2.2. Contenus abordés par la série Format / Mystère ........................................................ 268
2.3. Les opérations de conversion vers les deux autres registres ................................................ 271
2.3.1. Ecritures décimales vers droite graduée (Form2gra).................................................. 271
2.3.2. Ecritures décimales vers écritures fractionnaires (Form2fra)..................................... 272
2.4. Réflexions d'élèves, les apprentissages................................................................................ 273
2.4.1. Format1...................................................................................................................... 273
2.4.2. Format2...................................................................................................................... 274
2.4.3. Mystère ...................................................................................................................... 275
2.4.4. Form2gra.................................................................................................................... 278
2.4.5. Form2fra .................................................................................................................... 280
2.5. Conclusion de la section 2 ................................................................................................... 281
3.
Conclusion de l'étude didactique (chapitres IV et V) ........................................... 282
Chapitre VI..................................................................................................................285
La classe de Sélestat :
démarche d'expérimentation et analyse des
résultats .......................................................................................................................285
1.
La démarche d'expérimentation............................................................................. 288
1.1. Objectifs généraux d'enseignement...................................................................................... 289
1.2. Scénario à l'échelle des deux années ................................................................................... 290
1.2.1. Rôle et place de l'expérimentateur, du maître titulaire de la classe ............................ 290
1.2.2. Année de CM1 ........................................................................................................... 291
1.2.3. Année de CM2 ........................................................................................................... 292
1.3. Scénario à l’échelle d’une séance ........................................................................................ 293
1.3.1. La tâche des élèves..................................................................................................... 293
1.3.2. Le rôle de la machine ................................................................................................. 294
1.3.3. Le rôle des adultes ..................................................................................................... 295
2.
L'analyse des données d'observation ..................................................................... 296
2.1. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par les tests nationaux et
rapportées à celles des échantillons nationaux .............................................................................. 296
2.1.1. La classe en début de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en
mathématiques de 1995 (entrée au CE2).................................................................................. 299
8
Sommaire
2.1.2. La classe en fin de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en mathématiques
de 1997 (entrée en 6ème) ........................................................................................................... 313
2.1.3. Confirmation du lien entre nos choix didactiques et les évolutions constatées .......... 342
2.1.4. Conclusion de la section 2.1 ...................................................................................... 349
2.2. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par des tests locaux.............. 350
2.2.1. Constitution du recueil de données ............................................................................ 351
2.2.2. Cas général : étude des tableaux 28 et 29, partie haute, colonnes de juin 97, octobre 97,
mai 98 355
2.2.3. Examen des quatre items non opposables des tableaux 28 et 29, partie basse ........... 361
2.2.4. Mise à l'épreuve de l'hypothèse H1 , tableaux 28 et 29, colonnes de mai et juin 98 ... 361
2.2.5. Examen des items de type problèmes, tableaux 30 et 31 ........................................... 363
3.
Conclusion du chapitre............................................................................................ 371
Conclusion ..................................................................................................................373
1.
Validation des hypothèses ....................................................................................... 375
1.1. Hypothèse H1 ...................................................................................................................... 376
1.2. Hypothèse H2 ...................................................................................................................... 377
1.3. Hypothèse H3 ...................................................................................................................... 378
2.
Questions laissées ouvertes par notre recherche................................................... 379
2.1. L'articulation entre langue naturelle et registres spécifiques d'expression des nombres
rationnels....................................................................................................................................... 379
2.2. L'extension de notre projet en direction du collège ............................................................. 380
2.3. Application à la formation des maîtres ................................................................................ 381
Annexes générales ......................................................................................................383
1. ......................................................................................................................................... 388
2.
Ch_reg01 & Ch_reg02 ............................................................................................. 389
3. ......................................................................................................................................... 390
4.
Ch_reg08 ................................................................................................................... 390
5.
CV17.......................................................................................................................... 404
6. ......................................................................................................................................... 404
7.
CV18.......................................................................................................................... 404
Annexes 2 ....................................................................................................................409
Fiches pédagogiques d'accompagnement des logiciels de la série ORATIO...........409
Gradu1 ........................................................................................................................410
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 410
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 410
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 410
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 411
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 411
Gradu2 ........................................................................................................................412
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 412
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 412
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 412
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 412
9
Sommaire
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 413
Gradu3 ........................................................................................................................414
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 414
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 414
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 414
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 415
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 415
Gradu4 ........................................................................................................................416
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 416
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 416
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 416
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 417
5. ......................................................................................................................................... 417
6.
Cahier des charges ................................................................................................... 417
Gradu5 ........................................................................................................................418
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 418
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 418
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 418
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 419
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 419
Gradu6 ........................................................................................................................420
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 420
1.1. Exercices 1 et 2 ................................................................................................................... 420
1.2. Exercices 3 .......................................................................................................................... 420
1.3. Exercices 4 .......................................................................................................................... 420
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 420
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 421
4. ......................................................................................................................................... 421
5.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 421
6.
Cahier des charges ................................................................................................... 422
Fracti1 .........................................................................................................................423
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 423
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 423
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 424
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 424
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 424
Fracti2 .........................................................................................................................425
1.
10
Aperçu synthétique .................................................................................................. 425
Sommaire
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 425
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 425
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 425
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 426
Fracti3 .........................................................................................................................427
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 427
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 427
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 427
3.1. Exercice 1............................................................................................................................ 427
3.2. Exercices 2 et 3 ................................................................................................................... 427
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 428
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 428
Fracti4 .........................................................................................................................429
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 429
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 429
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 429
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 429
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 430
Fracti5 .........................................................................................................................431
1.
2.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 431
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 431
2.1. Aide des exercices 2 et 3 : « la machine à fractionner » ...................................................... 431
2.2. Aide des exercices 4 et 5 : « l’agrandisseur » ...................................................................... 431
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 432
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 432
5.
Problèmes de cran 3................................................................................................. 432
6.
Cahier des charges ................................................................................................... 433
Format1.......................................................................................................................434
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 434
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 434
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 434
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 435
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 435
Format2.......................................................................................................................436
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 436
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 436
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 436
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 437
11
Sommaire
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 437
Mystère ........................................................................................................................438
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 438
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 438
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 438
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 438
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 439
Frac2gra......................................................................................................................440
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 440
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 440
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 440
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 440
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 441
Form2gra ....................................................................................................................442
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 442
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 442
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 442
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 443
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 443
Grad2fra......................................................................................................................444
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 444
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 444
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 444
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 445
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 445
Grad2for......................................................................................................................446
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 446
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 446
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 446
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 447
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 447
Form2fra.....................................................................................................................448
12
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 448
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 448
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 448
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 448
Sommaire
5.
Cahier des charges ................................................................................................... 449
Frac2for ......................................................................................................................450
1.
Aperçu synthétique .................................................................................................. 450
2.
Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 450
3.
Analyse de la tâche................................................................................................... 450
4.
Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 451
5.
Problème de cran 2-3 ............................................................................................... 451
•
Cahier des charges ................................................................................................... 451
13
Chapitre I
Présentation générale des origines, du contexte et
du projet de la recherche
Chapitre I
1. L'expression des rationnels mérite-t-elle une attention didactique ?
L'importance mathématique des nombres rationnels est unanimement reconnue
pour l'enseignement, notamment au niveau de l'école élémentaire sur lequel porte
l'essentiel de notre étude. Il suffit de constater le foisonnement de la littérature
didactique consacrée à ce sujet pour s'en convaincre. Certains privilégient dans cet
apprentissage une construction formée de sous-constructions inter-dépendantes (Kieren ;
1976, 1980, 1988, 1992), (Behr et alii ; 1983). D'autres, comme Mack (1990) ou
Streefland (1991) insistent sur le rôle des "mécanismes intuitifs". Les connaissances sur
les nombres entiers, selon Streefland (1991) ou Ball (1993), inhibent la connaissances
des fractions en favorisant un double comptage absolu (nombre de subdivisions de la
partie vs nombre de subdivisions du tout) plutôt qu'une mise en relation d'une partie et
d'un tout. Mais les enfants utilisent leurs connaissances des entiers pour développer la
compréhension des nombres fractionnaires (Steffe and Olive ; 1990) ou (SaenszLudlow ; 1995). Partitions et partages en parties égales occupent une place de choix
parmi les compétences de base requises : Vergnaud (1983), Mack (1990) ; Kieren et alii
(1992) ; Ball (1993). La plupart des auteurs, avec Kieren (1980), attribuent à la relation
partie / tout un rôle significatif dans les apprentissages premiers du concept de fraction ;
d'autres (Neuman ; 1993) n'ont pas relevé, dans leurs observations de jeunes élèves,
l'expression d'une compréhension des fractions en termes de partie / tout, alors que des
interprétations (essentiellement non numériques) en termes de ratio leur semblait
prédominantes. Les contextes discrets ou continus sont reliés à des manières différentes
d'appréhender et de réaliser partages et reports (Steffe and Olive ; 1990), (Streefland ;
1991). En France, Brousseau (1981, 1986-b) insiste sur la distinction entre fraction /
mesure et fraction / opérateur linéaire dans la construction, par les élèves qu'il observe,
de modèles mathématiques destinés à gérer les situations-problèmes physiques qu'il leur
17
Chapitre I
soumet et à prédire certains résultats. Douady et Perrin-Glorian (1986) privilégient les
interactions entre cadres, mathématiques et / ou physiques, pour faire émerger les
problèmes, des solutions, des invariants nécessaires à la conceptualisation d'un nombre
rationnel.
Toutes ces recherches ont permis des avancées importantes dans l'enseignement
de ces nombres. Le discours primordial n'est plus un avatar d'un fragment de savoir
savant, énoncé par les programmes et adapté par les maîtres, mais le fait d'élèves
responsabilisés, remettant en cause un savoir antérieur dont une situation judicieusement
choisie par l'enseignant révèle certaines insuffisances. Ce discours, qui accompagne le
processus de déconstruction / reconstruction, nécessite néanmoins une ou plusieurs
formes d'expression, ne serait-ce que pour communiquer – aux autres élèves, au
maître… – son questionnement ou ses découvertes, mais surtout pour traiter les
informations et favoriser les prises de conscience. Ne disposant pas encore des formes
d'expression abouties – par exemple des écritures fractionnaires pour comparer des
rationnels –, les élèves recourent en général à des commentaires rhétoriques. Ainsi
Brousseau (1986-b ; p. 141) rapporte-t-il un exemple de dialogue entre élèves comparant
l'épaisseur de deux types de feuilles de papier : " « 60 f[euilles] ; 7 mm, c'est du (papier)
fin, c'est pas du A [un des types de papier étudiés auparavant], on avait trouvé pour A
(3f ; 1 mm) » – sous-entendu 60 f de A feraient bien plus de 7 mm". Pour nombre
d'auteurs et notamment pour Brousseau, le processus de conceptualisation réside
essentiellement dans cette phase où les objets n'ont pas encore de "nom", mais
"s'inscrivent dans les schémas d'action du sujet" (ibid. ; p. 100). C'est seulement au
terme de ce processus que la "notation"
4
50
est transmise, en quelques mots, comme
méthode d'écriture permettant de décrire l'épaisseur d'une feuille issue d'un un tas de 50
feuilles d'épaisseur totale 4 mm.
D'une façon générale, les auteurs, mis à part certains d'entre eux sur lesquels
nous reviendrons au paragraphe 2, accordent peu d'importance à la forme de
l'expression. Lorsqu'on examine les manuels scolaires, ou les documents destinés aux
enseignants, ce constat demande à être tempéré, car certains d'entre eux (voir chapitre
II-3) soignent l'étude des notations, même si la place qu'elles occupent reste en retrait
par rapport à celle accordée aux situations et au contexte, le plus souvent physique, de
l'apprentissage. En revanche, dès son introduction, un petit ouvrage de vulgarisation
18
Chapitre I
concernant les fractions confirme notre constat : "L'essentiel n'est pas d'expliquer ces
notations (par ailleurs commodes) mais bien les nombreux phénomènes qu'elles servent
à expliquer [...]" (Rouche ; 1998, p. 1). Aucune mention n'est faite d'un éventuel lien
entre les "phénomènes qu'elles servent à expliquer" et le symbolisme que ces derniers
méritent.
On observe donc : du côté du concept, un temps didactique long, permettant sa
recomposition par filiations et ruptures et, à tout le moins, le refus d'une livraison sous
forme de produit fini ; du côté des notations, un temps didactique court, en fin de
parcours, et une fourniture "clé en main", comme si leur acceptation et la
compréhension de leur fonctionnement n'était qu'un produit compacté, aisément
identifiable, du lent processus de conceptualisation. Mais un symbolisme, même si sa
découverte est précédée d'un travail minutieux sur le sens des concepts représentés,
devient-il pour autant transparent, directement ou presque, mobilisable et utilisable ? Sa
substitution à une expression de type rhétorique ne constitue-t-elle pas au contraire une
rupture importante dans la manière de discourir ? Une suite d'égalités ou d'inégalités
entre écritures fractionnaires, si elle réfère aux mêmes objets et relations que son
homologue en langue naturelle, lui est-elle cognitivement équivalente ? Met-elle en jeu
les mêmes capacités de discrimination et d'inférence ? N'y a-t-il pas lieu de s'interroger
sur le fonctionnement même des écritures fractionnaires, leur pertinence dans
l'apprentissage initial de la notion, leur adéquation à exprimer le concept de rationnel ?
2. Des auteurs qui accordent une attention didactique aux moyens
d'expression des mathématiques
Il convient de nuancer l'universalité de la discrétion des auteurs vis à vis de
l'apprentissage des moyens d'expression des mathématiques, ce que nous avons déjà
relevé au paragraphe 0 à propos des manuels scolaires et de certains textes à destination
des enseignants. Mais il existe aussi des chercheurs en didactique qui accordent une
place significative à ce sujet. Ainsi, pour Vergnaud (1991 ; p. 147), si "la première
entrée d'un champ conceptuel est celle des situations, on peut aussi identifier une
deuxième entrée, celle des concepts et des théorèmes". Et comme ce même auteur
précise auparavant (ibid. ; p.135) que : "le rôle du langage et du symbolisme dans la
conceptualisation [...] est très important" ; et plus loin (ibid. ; p. 159) : "il est classique
19
Chapitre I
de dire que le langage a une double fonction de communication et de représentation,
mais on peut ainsi sous-estimer sa fonction d'aide à la pensée [...]", on est amené à
constater qu'il accorde une place non négligeable à l'expression dans l'analyse des
phénomènes didactiques. Mais les éléments de symbolisme examinés – énoncés en
langue naturelle, diagrammes fléchés… – ne le sont pas en tant que systèmes, c'est à dire
régis par des règles internes d'une part, et externes les articulant les uns aux autres
d'autre part. Ils le sont en tant qu'éléments plus ou moins isolés, "particulièrement
efficaces pour cette transformation des catégories de pensée en objets de pensée" (ibid. ;
p. 164). Enfin, si le rôle des signes dans la production de sens est une préoccupation de
cet auteur, il convient de noter que le premier plan reste avant tout consacré aux
schémas d'action du sujet dans un champ donné dont dépend la conceptualisation.
Un auteur comme R. Douady (1984 ; pp. 14-18) se distingue par l'importance
accordée à l'interaction de "jeux de cadres" pour légitimer le statut des concepts
mathématiques construits par les élèves dans une "dialectique outil / objet". Le rapport
qu'entretiennent la notion de cadre et les problèmes liés à l'expression ne sont pas
biunivoques : il peut y avoir changement de registre sans changement de cadre (ainsi, le
cadre numérique peut-il mobiliser le registre des écritures décimales et celui des
écritures fractionnaires) et, inversement, changement de cadre sans qu'il y ait
changement de registre (nous verrons au chapitre IV que le registre des droites
graduées recourt à des signes géométriques et numériques). Quoi qu'il en soit, un cadre,
s'il fait avant tout référence à un domaine scientifiquement qualifiable (numérique,
géométrique, graphique, physique…), où les objets sont déterminés et reliés par des
propriétés et / ou des règles (axiomes, théorèmes…), mobilise néanmoins des formes
diversifiées de représentations pour exprimer ses objets. Tout travail sur un jeu de cadre
s'accompagne donc d'un travail sur des modes d'expression. Mais, dans cette théorie, ce
ne sont pas les invariants entre ces systèmes d'expression sémiotiquement hétérogènes
qui sont déterminants dans la conceptualisation, ce sont les inférences qui font passer
d'un cadre à un autre : ainsi, la recherche de rectangles (cadre I, géométrique) de
périmètre constant amène-t-elle à exhiber, entre les côtés d'un tel rectangle, une relation
numérique (cadre II) puis graphique (cadre III) sous forme d'une droite ; le concept de
nombre fractionnaire, indépendamment de la représentation qu'on en adopte, peut
trouver une légitimité dans le fait qu'il est toujours possible d'intercaler un point entre
deux points d'une droite (cadre III), ce qui permet de donner un statut aux points
20
Chapitre I
intermédiaires à deux points de coordonnées entières et donc finalement aux valeurs non
entières de leurs coordonnées (cadre II).
Cette théorie se distingue donc d'une autre approche qui place l'expression au
cœur même de la genèse conceptuelle. Pour Duval (1995 ; p. 61) : "la compréhension
conceptuelle apparaît liée à la découverte d'une invariance entre des représentations
sémiotiquement hétérogènes" ; tandis que pour Pluvinage (1998 ; p. 128) : "Un objet
mathématique doit son existence à des changements de registres d'expression [...]. [...] la
construction du sens provient à la fois des traitements internes à chaque registre mis en
jeu [et] des échanges entre les registres (cercle trigonométrique et écriture algébrique du
cosinus d'un nombre [...])". C'est donc de la reconnaissance d'une cohésion, interne à
chacun des registres étudiés, et de la cohérence externe entre ces derniers que dépend
avant tout le travail de conceptualisation : pour exprimer un rationnel, fourni dans le
système fractionnaire par l'écriture
3
, au moyen d'un système de droites graduées en
5
dixièmes (voir Figure 1), on doit relier entre eux des signes hétérogènes (3, 5, une barre
de fraction ; un certain nombre de graduations, plus ou moins épaisses, 0, 1, 2), sans
qu'il soit nécessaire d'expliciter mathématiquement les phénomènes sous-jacents. Cette
attraction par les objets et phénomènes immédiatement perceptibles, donc sans statut
scientifique, est particulièrement observable auprès des novices.
0
1
Figure 1 : comment s'inscrit
2
3
dans ce système ?
5
Notons enfin que l'enseignement et l'apprentissage de la géométrie peut aussi
s'analyser en termes de changements de registres. Nous citerons pour exemple
l'enseignement de l'homothétie en seconde (Lémonidis ; 1990), qui se rapproche de
notre sujet par le biais du théorème de Thalès et par conséquence de la conservation de
rapports.
Les phénomènes didactiques liant expression et conceptualisation en
mathématiques en général sont donc étudiés, même si ces recherches restent
minoritaires.
21
Chapitre I
3. l'Histoire légitime-t-elle l'attention didactique accordée aux moyens
d'expression des mathématiques ?
Personne ne songerait à nier que les notations ont une Histoire : "The rise of
certain symbols, their day of popularity, and their eventual decline constitute in many
cases an interesting story." (Cajory ; 1974, p. 1). Il est intéressant de constater que cette
histoire accompagne souvent des progrès d'importance en mathématiques. On peut
songer par exemple à la numération de position qui libère les opérations ; ou au
symbolisme algébrique, qui permet "[...]de s’intéresser à la structure des problèmes
plutôt qu’à leur forme particulière" (Dahan-Dalmedico et Peiffer ; 1986, p. 110),
notamment en ce qui concerne la résolution des équations, depuis les algébristes arabes
entièrement rhétoriques avant Al-Samaw'al et ses tableaux (Ibid ; p. 90), jusqu'à Viète,
Descartes et Newton, en passant par les Italiens de la Renaissance. Dans tous les cas, on
observe un lien fort entre l'évolution des idées et des résultats et celle de leurs
expressions, les premiers requérant une symbolisation croissante des secondes qui, en
retour, ouvrent des perspectives nouvelles aux premières.
Un autre exemple va nous permettre de préciser la nature de certains liens entre
expression et conceptualisation. Il n'est que d'étudier l'Histoire de l'égalité (Cajory ;
p. 297-309), de constater la difficulté qu'à eue l'humanité à se doter du signe "=" − à
présent introduit au CP − et surtout à l'utiliser systématiquement dans les traitements
algébriques, pour comprendre que nous sommes en présence d'un obstacle
épistémologique. Cet obstacle ne tient pas à une conception abstraite de l'égalité mais à
la polysémie du signe "=" : test (identité − ∀ x ; égalité − ∃ x ; équivalence − de deux
fractions par exemple) niable, et affectation (notée dans certains langages ":=") non
niable. C'est bien le rapport entre des conceptions diverses et leur expression non
contradictoire au moyen d'un signe unique qui pose problème. De plus, seul le contexte,
le type de discours dans lequel s'insère le signe "=", permet de choisir entre ces diverses
acceptions. Enfin, la simplification apportée dans les écritures algébriques par ce
compactage va ouvrir la voie à des avancées conceptuelles et à la production de résultats
nouveaux. On voit donc, à travers cet exemple, à quel point le mode de production de
22
Chapitre I
sens par les signes peut engager différents niveaux de compréhension et de
conceptualisation.
L'histoire de l'enseignement des nombres à l'école élémentaire en France
témoigne d'une particularité qui est celle de privilégier l'expression décimale de certains
rationnels sur leur expression fractionnaire ; au point que l'identification entre ces
nombres et le mode particulier de leur écriture à virgule est encore très répandue de nos
jours dans les esprits et dans la pratique. Nous n'ignorons pas les liens évidents, de ce
qui à l'origine était un choix délibéré, avec celui, idéologique, du système métrique.
Mais c'est plus du côté des conséquences de ce choix que du côté de ses causes que nous
orienterons nos investigations pour expliquer cet ancrage résistant dans les pratiques
scolaires françaises. L'écriture à virgule est un système qui prolonge l’écriture des
entiers. Cette spécificité minimise les coûts d'apprentissage (malgré la persistance
d'erreurs, liées à des analogies abusives − comme 3,14 > 3,7 car 14 > 7 −, observées
chaque année aux évaluations nationales). Dans cette optique, l'écriture décimale
apparaît comme un moyen d'éviter les obstacles autrement plus redoutables posés par les
écritures fractionnaires, tout en fournissant un contexte opératoire à la conceptualisation
de nombres non entiers. Remarquons que ce contexte opératoire n'est pas neutre sur
cette conceptualisation. Les pratiques de troncature et d’arrondi font que le nombre
exprimé au moyen de l'écriture 3,14 est situé dans un réseau de significations (par
exemple : nombre compris entre 3,1 et 3,2 ou bien nombre exprimant un résultat a de
mesure ou de calcul tel que 3,135 ≤ a < 3,145) très différent de
parties égales chacune à
314
(par exemple : 314
100
1
157
de l'unité ou bien nombre égal à
). L'écriture à virgule
100
50
met donc en lumière d'autres propriétés du rationnel sous-jacent que l'écriture
fractionnaire. Sa résistance historique, au-delà de ses liens avec le système métrique,
peut renvoyer à des choix didactiques, et donc associer une forme d'expression à une
conception.
Les formes d'expression des mathématiques ont une histoire qui les lie
intimement à celle des concepts exprimés. On peut dès lors se demander si, en même
temps qu'une genèse artificielle des concepts, il ne serait pas légitime d'attendre de
l'enseignement qu'il permette aux élèves de reconstruire une genèse artificielle des
23
Chapitre I
moyens de leur expression. Examinons à cet effet la spécificité des écritures
fractionnaires.
4. Les problèmes didactiques posés par l'expression fractionnaire des
nombres rationnels
"Les fractions sont un des premiers et principaux terrains où se développe le
dégoût des mathématiques et la conviction, à peu près toujours fausse, que l'on est
incapable de cette activité « réservée aux plus intelligents » [...]. Celles-ci sont comme
des insectes nuisibles qui s'attaquent aux écoliers et dont les piqûres entraînent
d'interminables séquelles intellectuelles et morales." (Rouche ; 1998, p. 1). Pas moins…
Il y a donc lieu de s'interroger, même si aucune étude scientifique générale ne vient
étayer, à notre connaissance, cette assertion. Il n'empêche que notre expérience courante
d'enseignant, tant au collège qu'en formation initiale et continue à l'IUFM, aurait
tendance à la confirmer. Mais survolons ce que certains didacticiens en disent, afin
d'esquisser un contenu un peu plus précis aux termes de "dégoût", "nuisibles", "piqûres"
et "séquelles".
Dans des articles successifs et se confirmant les uns les autres, (Figueras,
Filoy,Valdemoros ; 1987), (Hart ; 1989), (Streefland ; 1991), (Carraher & Schliemann ;
1991), (Gray ; 1993), ces auteurs expliquent en substance que le recours en simultané à
deux nombres entiers − numérateur et dénominateur − est un obstacle avéré à
l’acception d’une fraction comme signifiant un seul nombre. Cet obstacle, qualifié de
"N-distractor" par Streefland, débouche sur une dissociation entre les deux termes d'une
fraction, plus liés à une double cardinalité qu'à un rapport entre nombres et / ou
grandeurs. Cette dissociation débouche à son tour sur des défauts de conception et de
traitements : les fractions restent plus l'expression de grandeurs absolues que
relatives ; on applique aux entiers mobilisés par une fraction les traitements légitimes
dans le champ des entiers mais rendus illégitimes par leur présence de part et d'autre
d'une barre de fraction. Remarquons que défauts de traitement et de conception peuvent
parfois être intimement mêlés, ainsi qu'en témoignent Hart et Sinkinson (1989) en
décrivant les difficultés qu'éprouvent les élèves observés à accepter l'équivalence de
deux fractions, lorsqu'elle se traduit – abusivement – par une égalité du genre :
24
3 6
= .
4 8
Chapitre I
On comprend aisément qu'accepter cette égalité demande de dépasser des certitudes : de
traitement d'une part (un signe d'égalité séparant 3 et 6 en même temps que 4 et 8) ; de
conception d'autre part (les nombres entiers représentés dans cette égalité ne sont pas à
prendre en compte séparément, mais suivant le rapport qu'ils entretiennent deux à deux).
De la même façon, une erreur comme :
1 1 2
+ =
est couramment commise par des
2 2 4
élèves qui peuvent avoir une description précise et correcte des demis et des quarts,
mais qui perdent ces références sitôt plongés dans cette écriture arithmétique.
Comment se gère couramment l'enseignement initial des fractions, et quels sont
les moyens que se donnent les enseignants face aux difficultés que nous venons de
rappeler ? Trois phases sont en général discernables dans le processus d'apprentissage.
Une première phase est consacrée au "sens". A ce stade, un discours rhétorique appuyé
par des illustrations géométriques peut s'avérer fort efficace pour poser et résoudre
certains problèmes rationnels (voir l'exemple cité p. 18). Cette première sollicitation est
donc souvent couronnée d'un certain succès. On introduit ensuite, au cours d'une
deuxième phase, les écritures fractionnaires comme de simples notations enregistrant
passivement les éléments de sens construits au cours de la première phase. Nombre
d'élèves semblent alors perdre toute cohérence sitôt qu'ils sont invités à transcrire leurs
discours initial au moyen des écritures fractionnaires correspondantes (pour l'exemple
de la p. 18, cela reviendrait à comparer par les moyens de l'arithmétique les deux
fractions
7
1
et ). Il est ainsi nécessaire de recourir à une troisième phase au cours de
60
3
laquelle un entraînement intensif à "l'usage" des écritures fractionnaires – longues lignes
de calculs formels – est proposé à ceux qui ont échoué à la deuxième phase. A ce
moment, beaucoup parmi eux auront perdu les premières formes d'expression rhétorique
qui s'étaient pourtant révélées bien adaptées à la résolution des problèmes, mais ne les
auront pas pour autant remplacées par le "discours" fractionnaire mal relié aux
phénomènes dont il est censé rendre compte.
Une telle séquence tendrait à prouver que c'est moins le concept de rationnel
que l'usage des fractions, donc de notations particulières, dotées de règles de traitements
déroutantes, qui pose problème. Certains auteurs en sont ainsi venus à éviter les
écritures fractionnaires lors de leur introduction aux rationnels. Saenz-Ludlow par
exemple, renvoyant à Piaget, écrit (1995 ; p. 101) : "The premature introduction of
25
Chapitre I
conventional notations may represent an obstacle to children's learning of mathematics".
Elle décrit alors une séquence d'apprentissage ne recourant pas aux notations
fractionnaires numériques usuelles mais à leurs expressions verbales (du type « trois
cinquièmes » au lieu de
3
) éventuellement illustrée par des représentations
5
géométriques. Elle conclut en expliquant que : "Ann [l'élève observée] was able to
generate her fraction conceptualizations in the absence of numerical notation and in the
midst of using natural language and fraction number-words (c'est nous qui
soulignons)." Nous ignorons en revanche la façon dont auront été introduites les
écritures fractionnaires usuelles dans ce cursus, et les conséquences de leur éviction a
priori du processus d’enseignement.
La question est cependant posée. Face aux problèmes récurrents que soulève un
recours prématuré aux écritures fractionnaires, ne faut-il pas envisager qu’un système
d’expression alternatif des rationnels puisse s’y substituer lors de leur introduction ?
5. Est-il envisageable de recourir à un autre registre que celui des
écritures fractionnaires pour introduire les rationnels ?
L'identification – abusive mais fréquente – de la notion de rationnel à celle de
fraction rend presque incongru le seul fait de poser cette question. Cependant, lorsque
l'on étudie les ingéniéries des spécialistes ou les manuels d'enseignement, on constate
que tous les auteurs proposent bien des interprétations, quasi exclusivement
géométriques, des nombres rationnels. Ainsi, Douady et Perrin-Glorian (19886 ; pp. 36,
46, 52, 65, 124…) recourent à toutes sortes de représentations, diagrammes et
graphiques, depuis des droites graduées jusqu'à la représentation graphique de fonctions
affines en passant par des rectangles représentant des feuilles de papier prédécoupées en
plusieurs pièces, dont chacune est soit pavante, soit décomposable en éléments pavants
(donc exprimable par une fraction unitaire ou quelconque de la totalité). Mais un
examen rapide des pages concernées montre que les écritures fractionnaires
accompagnent ou ne sont jamais très éloignées de ces représentations. Ces dernières
apparaissent ainsi beaucoup plus comme des illustrations que comme les éléments d'un
véritable système, interagissant par le canal de règles, précises et énoncées, de formation
et de traitement. L'objectif annoncé p. 51 : "utilisation des fractions pour coder l'aire de
26
Chapitre I
portions de feuilles de papier", confirme bien que les représentations requises ne sont
pas considérés comme un moyen d'exprimer les rationnels, mais comme une occasion
de mobiliser l'expression fractionnaire de ces derniers.
L'étude d'un manuel comme "Le nouvel Objectif calcul CM1", (1995 ; pp. 130143), amplifie encore ce constat. En revanche, un chercheur en didactique (Carraher ;
1993, pp. 285-286), qui introduit un rationnel comme un couple de segments (A ; B)
dont l'un peut servir d'unité pour mesure l'autre, nous semble bien près de réaliser un
véritable système de représentation des rationnels, alternatif au système fractionnaire.
Ce mode d'expression, s'il permet bien la formation d'un rationnel, est cependant très
peu adapté à leur comparaison. Si bien que l'auteur revient rapidement à l'écriture
fractionnaire dès qu'il s'agit d'effectuer ce type d'opération (ibid ; pp. 289, 292).
Des ébauches de systèmes d'expression, dont certains ne sont pas très loin de
l'indépendance vis à vis des écritures fractionnaires, sont ainsi couramment présentées et
mobilisées pour l'enseignement. Mais ces représentations sont très vite court-circuitées
par les fractions, soit parce que leurs auteurs poursuivent avant tout cet objectif, soit
parce que cette forme d'expression alternative des rationnels n'est pas pensée en tant que
système.
Et pourtant, les constats que nous avons établis au paragraphe 4 semblent
prouver que c'est bien la complexité des traitements fractionnaires qui désorganise les
premières connaissances acquises lors des débuts de l'apprentissage des rationnels. C'est
la raison pour laquelle nous avons décidé d'introduire ces nombres au moyen d'un
système d'expression s'affranchissant des fractions. Ce dernier, afin d'éviter certains
écueils notamment liés à des excès de formalisme et bien repérés après la réforme dite
des "mathématiques modernes", se devait de respecter au minimum trois conditions :
offrir les moyens de véritables traitements afin d'autoriser l'interprétation et la résolution
des problèmes ; être issu de l'environnement familier des élèves ; accompagner tout le
curriculum des élèves et donc ne pas être un système provisoire, à rejeter au bénéfice
des fractions après premier emploi.
Dans quel cadre est-il souhaitable de développer un tel système d'expression
des rationnels ? Enfin et surtout, comment un enseignement qui privilégie l'expression
peut-il assurer la conceptualisation des notions visées ?
C'est ce que nous allons aborder au paragraphe suivant.
27
Chapitre I
6. Conceptualisation des rationnels et coordination de leurs registres
d'expression
Nous avons rappelé au paragraphe 0, malgré quelques nuances introduites par
le paragraphe 2, que la tendance majoritaire était d'accorder, lors de la genèse
conceptuelle des rationnels, une place centrale à la formulation et à la résolution
rhétoriques de problèmes qui leur sont liés, la sémiotique, comme autrefois l'intendance,
devant suivre… Nous avons constaté que cette option rencontrait ses limites avec la
difficulté qu'éprouvent les élèves : à accepter les règles de traitement des fractions ; à
relier ces dernières aux phénomènes rationnels étudiés auparavant. Le tout se soldant par
la nécessité de revenir à un entraînement intensif – et coupé de ses bases – au calcul
fractionnaire.
La question qui se pose est alors la suivante : puisqu'il semble indispensable
d'affronter à un moment la difficulté de traitements formels, cognitivement en rupture
par rapport à des formes de traitement antérieures, pourquoi ne pas l'affronter d'entrée de
jeu ? On s'affranchirait ainsi des inhibitions liées à l'usage d'un outil mal maîtrisé,
libérant par la même les initiatives. Bien entendu, une telle position n'aurait guère
d'avenir si elle devait se réduire à un entraînement aveugle, portant sur des objets sans
projet. Mais n'est-il pas possible de concilier sémiotique et sens ?
Duval répond par l'affirmative à cette question. Il examine les conditions d'un
apprentissage (1995 ; p. 67-81) ancré au minimum sur deux registres de représentation
de la notion visée, par l'appropriation de leurs règles de formation, de traitements
(internes) et de conversion (transformation d'un représentant, dans un registre de départ,
d'un objet cognitif en un représentant du même objet dans un registres d'arrivée). Il
établit qu'un tel modèle, centré sur la fonction d'objectivation (Duval ; 1996, p. 370), est
fonctionnel et rapporte les résultats probants de recherches expérimentales l'ayant mis à
l'épreuve. Dans un tel projet, il est possible de construire le sens en problématisant les
représentations elles-mêmes. Pour prendre un exemple, la représentation
3
peut être
4
autant objet de questionnement par la manière dont elle réagit à un traitement et / ou
28
Chapitre I
une conversion :
3
3
× 4 = 3 (donc, ainsi qu'un élève nous l'a "raconté" : × 2 = 1,5 , donc
4
4
3
= 0,75 !) ; que par sa capacité à rendre compte de l'épaisseur d'une feuille dont 4
4
exemplaires mesurent 3 mm. Bien entendu, dans ce schéma, d'autres mises en relation,
avec des représentations hétérogènes de trois-quarts (sur droite graduée, au moyen d'une
écriture décimale…) seraient nécessaires pour poursuivre l'apprentissage.
Il nous reste à poser le problème du choix du registre d'introduction. Nous
avons vu que celui des fractions était à haut risque. Celui des écritures décimales risque
de laisser échapper des rationnels simples comme un tiers. Reste la possibilité d'un
registre géométrique, avec tous les avantages liés à la visualisation des phénomènes dont
il rend compte. Mais, une fois retenu le cadre géométrique, il nous faudra encore
trancher entre dimension 1, soit les droites graduées, ou dimension 2, soit les surfaces
fractionnées ("les parts de tartes"). Sachant que les premières sont réputées "difficiles" :
"dans l'enquête qu'elle a faite [M. J. Perrin-Glorian] dans des classes primaires et
secondaires, le placement de nombres sur l'axe gradué a été l'exercice le moins bien
réussi dans toutes les classes" (Bolon ; 1996, p. 48) ; et sachant que les deuxièmes ont
mauvais presse : "This approach has proved not to work for a great many children, if not
for all" (Streefland ; 1993, p. 114).
Enfin, il convient d'examiner l'environnement qui rendra envisageable un tel
projet. Un environnement papier / crayon paraît peu réaliste, tant le nombre d'actions y
serait limité par le temps qu'exigent production et correction de dessins, surtout au
niveau de la scolarité concerné par l'introduction aux rationnels, c'est à dire les deux
dernières années du cycle 3 de l'école élémentaire. C'est la raison pour laquelle nous
avons développé notre projet de recherche dans un environnement informatique.
7. L'informatique, un outil précieux pour développer un registre
alternatif d'introduction aux rationnels
Nous reviendrons ultérieurement sur ce choix dont nous fournirons ici une
première série de justifications.
Tout d'abord, nous venons de rappeler que notre projet de développer un
véritable registre de droites graduées n'aurait pas été envisageable en l'absence des
29
Chapitre I
ressources de production, de correction et d'effacement de dessins qu'apporte un
ordinateur. Là où un livre ou une feuille de papier n'offrent que des possibilités limitées
de ratures ou de surcharges, un écran permet des interventions illimitées dans ce
domaine. Ce qui permet de tenter des essais multiples et de tirer tout le bénéfice
d'éventuelles erreurs constatées. Les processus de décision (continuer, arrêter…)
dépendent plus de l'état effectif d'avancement des travaux que d'éventuels causes
collatérales (éviter de re-raturer…). Mais il est aussi plus aisément imaginable de
déplacer les objets, changer l'échelle d'observation, ce qui augmente les degrés de liberté
de l'utilisateur, à l'opposé d'un manuel où tout est fixé par le concepteur. Dans un
environnement logiciel, un cahier des charges permet de définir un système de
production et de renouvellement de l'activité paramétrable (par le maître et / ou l'élève)
et dynamique (rétroactions adaptées aux traitements des élèves), tout en contraignant les
possibilités et les moyens d'intervention selon les nécessités de l'enseignement envisagé.
Enfin, cet environnement autorise à enregistrer en temps réel toutes données utiles à
l'observation d'une classe au travail : temps de réponse, nombre de réponses justes et
fausses, d'appels de l'aide, temps passé dans l'aide, scores cumulés, nombre de
tentatives…
Au rang des inconvénients, nous retiendrons la tentation d'abuser de l'ensemble
de ces ressources, et donc d'agir à la légère, sans risque de s'imposer en retour des tâches
répétitives. Cet inconvénient peut être amoindri par un système de score qui limite le
nombre d'essais en pénalisant les dépassements.
Ayant expliqué dans le détail le cheminement qui a orienté notre recherche, il
nous reste maintenant à en résumer les lignes de force.
8. Résumé de la problématique ; les hypothèses
Projet
Notre projet est donc d'examiner les questions qui suivent et de tenter d'y
apporter des éléments de réponse. Peut-on : accorder à l'expression une place première
dans un processus didactique ; expliquer comment la théorie des registres peut rendre
compte d'un certain nombre de résistances et blocages lors d'un cursus d'apprentissage
des rationnels ; constituer un registre adapté à l'introduction des rationnels et au
développement des compétences nécessaires à leur maîtrise ; mettre en rapport les
30
Chapitre I
actions propres à ce registre (nature des traitements) avec la nature des signes employés
et la dimension support des représentations ; mettre en rapport les traitements dans ce
premier registre avec ceux, plus usuels, des registres numériques des fractions et des
décimaux ; en déduire une ingéniérie concernant les nombres rationnels ?
Question principale
Quels sont les bases épistémologiques et les conséquences didactiques d’un
enseignement des rationnels qui :
• privilégie les moyens d’expression (nature géométrique ou numérique des
signes employés, dimension du support d'écriture, type de traitements autorisés par ces
choix) de ces derniers et leur coordination ?
• accorde à l'évolution de ces moyens d'expression au cours de la scolarité un
rôle central dans l'appréhension des nombres rationnels en tant qu'objets ?
• attribue à la droite graduée une véritable fonction d’expression et de
traitement des rationnels (et non une simple fonction d’illustration) ?
Les hypothèses :
H1 : Il est possible d'introduire les rationnels au moyen d'activités menées dans
un registre géométrique unidimensionnel.
H2 : Ce registre géométrique unidimensionnel a un coût didactique élevé, mais
permet une expression des rationnels adaptée au développement des compétences
nécessaires à leur maîtrise.
H3 : Des activités systématiques de coordination d'un registre unidimensionnel
avec les registres usuels des écritures décimales et fractionnaires permettent d'exercer un
contrôle efficace sur l'usage de ces deux derniers. Ces activités de coordination sont
déterminantes pour la mobilisation de l'ensemble des registres concernés lors de la
résolution de problèmes.
31
Chapitre I
Le plan retenu pour présenter notre recherche 1
Le premier chapitre a posé la problématique de recherche et les hypothèses. Le
deuxième identifiera quatre stades d'appréhension des rationnels avant de se pencher sur
un état de la recherche disponible et sur le processus d'enseignement proposé par un
manuel. Ce chapitre est destiné tout à la fois à prendre en compte le point de vue
d'autres chercheurs, et à offrir un effet de mise à distance de notre propre recherche. Le
troisième chapitre vise à présenter et à légitimer les orientations stratégiques de notre
projet, et notamment l'entrée par une forme d'expression unidimensionnelle dans
l'univers des rationnels. L'outil principal, à savoir les logiciels de la série ORATIO
(Adjiage & Heideier ; 1998) seront introduits et la faisabilité didactique d'un tel projet
mise à l'épreuve. Les chapitres IV et V examineront la mise en œuvre de notre
expérimentation, assortie de ses principaux choix tactiques. Ils comportent donc l'étude
des trois registres retenus pour l'enseignement des rationnels, les raisons de leur
sélection, ainsi qu'une première analyse, qualitative et quantitative, d'observations
d'élèves au travail validant notamment l'introduction aux rationnels par les droites
graduées. Le dernier chapitre enfin précisera le cadre didactique de notre
expérimentation et les moyens de la valider. Il présentera la classe de Sélestat, qui a été
notre principal lieu d'observation, les conditions de passation sur les logiciels, et
analysera les résultats de cette classe à plusieurs évaluations réparties sur les deux
années qu’aura duré l’expérience.
1
Dans tout le texte, les renvois non précédés d'un numéro de chapitre sont internes au chapitre où ils
apparaissent ; les renvois à un autre chapitre sont tous précédés du numéro de ce dernier en chiffres
romains.
32
Chapitre II
Recherches et pratiques sur
l'enseignement des nombres rationnels à
l'école élémentaire
Chapitre II
Ce chapitre examinera le point de vue "des autres", chercheurs et enseignants,
sur l’approche didactique des rationnels, ce qui permettra ultérieurement de situer et
donc de relativiser notre recherche personnelle. A cet effet, nous avons été amenés à
identifier des repères qui permettent de décrire des changements de perspective sur la
notion de rationnel au cours de l’apprentissage. Nous distinguons ainsi quatre stades
d'appréhension des rationnels, qui ne sont pas à regarder comme étapes d’un processus
évolutif irréversible ni comme une proposition de progression linéaire pour
l'enseignement ; car si tant est qu’il existe un invariant dans la recherche disponible,
c’est plutôt du côté d'une description de l’apprentissage en termes de changements de
perspective successifs qu’on pourra tenter de l’identifier.
Ces quatre stades ne se succèdent donc pas linéairement, des phénomènes de
simultanéité, de régression ou de sauts d'un de ces crans à un autre étant, dans notre
optique, tout à fait envisageables. Nous en avons cependant adopté une présentation
hiérarchisée qui adhère au mieux aux processus de renoncements et de dépassements
que nous allons décrire. Cette présentation sera l'objet de la première section ; la
deuxième section examinera les réponses de différents chercheurs aux questions posées
par cette analyse ; la troisième enfin se penchera sur la position, dans ce débat, d'un
manuel : "Le nouvel objectif calcul", qui a le mérite d'être à la fois bien accepté des
enseignants, et issu de la collaboration entre des professeurs d'IUFM et des conseillers
pédagogiques.
Ce chapitre est donc avant tout destiné à fournir des repères qui permettront de
mieux saisir, au chapitre suivant, les particularités et points clés de notre recherche, en
regard de la recherche des autres. C'est cette perspective qui a guidé nos choix pour
extraire, dans le paysage foisonnant de la recherche sur l'apprentissage des rationnels et
des pratiques enseignantes associées, des idées, exemples et citations qui concourent à
cet objectif. Nous ne prétendons donc d'aucune manière atteindre à l'exhaustivité ou
même seulement nous en approcher.
35
Chapitre II
1. Quatre stades d'appréhension des phénomènes rationnels
Duval (1998 ; p. 168) nous rappelle que "l'activité de connaissance consiste
dans la relation d'un sujet à un objet" et que, selon ce qu'on privilégie dans cette relation,
trois points de vue sont possibles sur cette activité : "[...] le point de vue scientifique, le
point de vue cognitif, le point de vue phénoménologique." Il ajoute (p. 169) que "[...] ce
que l'on appelle, depuis guère plus d'un siècle, l'épistémologie revient à tenter de
fusionner le point de vue scientifique avec l'un des deux autres points de vue". Les
recherches sur l'enseignement et l'apprentissage des rationnels n'échappent pas à cette
classification générale. La littérature d’expression anglaise fait souvent référence à un
certain nombre de sous-constructions − subconstructs : part-whole relations, quotients,
ratios, operators and measures (Kieren ; 1980) confirmées plus récemment (Behr, Harel,
Post et Silver ; 1993) « [the five subconstructs] have stood the test of time») − soustendant un apprentissage des nombres rationnels. Cette approche nous semble renvoyer
à ce que (Duval ; 1998 p. 171) appelle une "architecture fonctionnelle du sujet",
puisqu'elle décrit une structure permettant à un sujet "d'accéder à un domaine d'objets
déterminés" et "d'effectuer les opérations nécessaires à son fonctionnement" (Duval ;
1998 p. 170) ; on aura reconnu dans cette approche un point de vue cognitif.
La littérature d’expression française décrit plutôt des séquences didactiques
destinées à reconstruire une "genèse artificielle" du concept, c'est à dire des séquences
qui reconstruisent "[] le tissu où les concepts ont pris leur origine, leur histoire, leur
sens, leur motivation et leur emploi." (Brousseau ; 1986-a, p. 36) ; ou bien à développer
les apprentissages au sein de "macles de contradiction" − associations de connaissances
plus ou moins contradictoires et qui coexistent chez un individu ou à l'intérieur d'une
communauté − (Ratsimba-Rajohn ; 1992) ; ou encore à favoriser des dispositifs −
comme "Le journal des fractions" : (Sensevy ; 1996) − permettant de faire avancer "le
temps didactique" (Chevallard, 1986 ; Chevallard et Mercier, 1987) ou d'inscrire les
productions d'élèves dans "la mémoire didactique de la classe" par le processus
"d'emblématisation" (Sensevy ; 1996). Ces divers points de vue ont en commun de
convoquer l'Histoire ou de provoquer une histoire, qui se développe en affrontant des
crises au cours desquelles contradictions et obstacles sont amenés à être révélés puis
dépassés. On aura reconnu une approche épistémologique, se référant plus ou moins au
"principe piagétien de parallélisme entre les phases du développement intellectuel au
36
Chapitre II
plan individuel et les étapes historiques du développement de la pensée mathématique
[...]" (Duval ; 1998 p. 165). Pour reprendre la classification de Duval, cette approche
épistémologique nous semble être de celles qui tentent de fonder le point de vue
proprement scientifique sur celui, cognitif, des structures du sujet.
Deux autres auteurs, Douady et Carraher, présentent la particularité de
s'intéresser expressément à la manière de signifier les rationnels, considération qui ne
semble pas être une priorité des chercheurs cités plus haut. Ainsi, Douady (1984 ; pp.
17-18 et 1986 ; pp. 3-4) met en scène divers aspects d'un concept à travers un jeu de
cadres dans lesquels ce concept trouve des formulations différentes, et organise des
correspondances inter-cadres censées "contribuer à donner de la signification au
problème". Carraher (1993) quant à lui, propose à des élèves, au moyen d'un ordinateur
qui fournit les rétroactions souhaitées, des traitements portant sur diverses
représentations de rationnels (reports de segments − à la manière d'Euclide −, schémas
unidimensionnels légendés par des entiers (p.292), représentations graphiques de
fonctions linéaires et travail sur leur pente valorisée par un fond quadrillé (p. 293), et,
bien entendu, écritures fractionnaires). Il fait donc varier les cadres et la dimension, 1 ou
2, où ils s'expriment, et organise des correspondances entre ces divers modes de
représentation. Nous verrons que cette façon de procéder peut rappeler la nôtre, mais
nous pointerons aussi en quoi elle en diffère sur des points cruciaux.
Si Douady, au-delà de sa spécificité, reste fortement marquée par Piaget avec sa
dialectique outil-objet (1984 ; pp. 14-17), qui fonctionne de déséquilibres en
équilibrations, Carraher, quant à lui, a une approche qui évoque un point de vue plus
phénoménologique : "the student should come to understand the meaning of the notation
by using and observing what happens." (1993 ; pp. 294). Mais, au-delà de ces
différences, ces deux chercheurs, comme les précédents, décrivent des itinéraires
d’apprentissages des rationnels en termes de changements de perspective successifs. On
peut dire que l'objectif commun est d'amener les élèves à faire évoluer leur acception
d'une fraction, depuis une conception rudimentaire plus ou moins intuitive d'une partie
dans un tout, à celle de véritable nombre, en passant par les intermédiaires que sont les
opérateurs et les ratios. Notons que ces changements de perspectives sont peu ou pas
reliés à une évolution concomitante des moyens d'expression des rationnels, même chez
ceux qui pourtant réservent, dans leur ingéniérie, une place de choix aux moyens de les
signifier. Ceci peut paraître surprenant, tant une conception est naturellement liée à un
37
Chapitre II
type de discours qu'elle contribue à légitimer et duquel, par retour de sens, elle gagne en
consistance. Nous tenterons en conséquence de nous interroger systématiquement sur ce
lien et son rapport à l'apprentissage.
L'étude qui suit emprunte énormément à la recherche disponible. Elle s'en veut
même une compilation, mais nous revendiquons et assumons totalement la présentation
qui en est faite. Nous allons décrire quatre stades ou crans d'appréhension des rationnels
et caractériser chacun de ces stades au moyen d'une analyse systématiquement structurée
sur :
•
une description et des références à des auteurs ;
•
des exemples de problèmes résolubles au stade considéré ;
•
des moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ;
•
la nature des rationnels attachés à ce stade ;
•
des obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant.
Cette dernière expression "d'accès au stade suivant" pourrait laisser supposer
que nous envisageons une progression linéaire du stade 1 au stade 4. Nous avons déjà
dit en introduction qu'il n'en était rien, et qu'un accès ne signifie pas une voie obligée,
mais une ouverture, par laquelle on peut éventuellement se faufiler pour une exploration
rapide du stade ultérieur, par laquelle on peut aussi repasser pour un retour en arrière, ou
qu'on peut enfin élargir afin de ménager une meilleure mise en perspective d'un stade au
suivant.
L'examen de ces quatre niveaux de compétences sera donc pour nous
l'occasion : de préciser l'apport de divers chercheurs dans le domaine considéré ; de
repérer les obstacles liés à l'apprentissage des rationnels, et notamment les transitions les
plus délicates ; d'introduire notre point de vue et particulièrement notre différence sur
l'importance accordée à l'expression, en liaison avec le type de discours nécessité par
une certaine conception des rationnels à un stade donné ; d'une première justification de
nos choix didactiques, qui seront exposés au chapitre III.
Précisons enfin que l'essentiel de notre recherche porte sur un enseignement des
rationnels à l'école primaire. Or, d'après les programmes en vigueur, certaines des
notions étudiées ici, comme le produit par un rationnel, ne sont plus un objectif du cycle
3, sauf en ce qui concerne l'application d'un pourcentage (dans les limites d'une première
approche) ou le produit d'un nombre par 0,1 ou 0,01, cités explicitement par les
38
Chapitre II
instructions officielles (p. 108). On en déduit qu'une maîtrise avancée de l'ensemble des
compétences décrites par les quatre crans ne peut s'envisager qu'au cours du collège.
Mais, en raison même des circonstances qui nous ont amené à préciser que notre
description n'était ni linéaire ni normative, on s'autorise à penser qu'un élève du primaire
peut être invité à un premier parcours à travers l'ensemble de ces quatre crans.
1.1. Le stade des partitions (partitioning)
1.1.1. Description et références
Dans la littérature d'expression anglaise (Kieren ; 1988 et 1992) ce terme
désigne aussi bien le résultat d'une partition classique d'un ensemble T en sousensembles non vides, disjoints deux à deux et de réunion égale à l'ensemble T, que les
moyens :
•
numériques − dans un contexte discret − par décomposition additive
(Vergnaud ; 1983) ou encore par distribution cyclique, en parts égales à chaque tour,
jusqu'à épuisement de la collection (Davis et Pitkethly ; 1990),
•
géométrico-physiques − dans un contexte continu − par découpage, pliage...
en parts égales ou pas (Kieren, Mason et Pirie ; 1992),
•
de réaliser une telle partition ou en tout cas de la décrire.
L'importance des schèmes de partition dans la construction des nombres
rationnels par les élèves est soulignée par nombre d'auteurs : Vergnaud, 1983 ; Behr,
Lesh, Post et Silver, 1983 ; Hunting, 1984 ; Streefland, 1991 ; Kieren, 1993. Pour ce
dernier notamment : "... partitioning is central to the development of fractional number
knowledge." (cité par Pitkethly et Hunting, 1996, p 9). Examinons un peu plus
attentivement le type de problèmes que cette procédure clé permet de résoudre.
1.1.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade
Nous en examinerons trois types :
•
Soit des problèmes de gestion additive d'une collection : décomposition
d'une collection en sous-collections et désignation additive du cardinal de l'ensemble
dans le but de comparer la collection initiale à une autre collection ("plus que", "moins
que", "autant que") ; ou encore de la discriminer d'autres collections, lorsque les moyens
numériques dont on dispose sont insuffisants pour travailler sur le total. Cette procédure
39
Chapitre II
est observée notamment en début de cycle 2-CP, lorsque les capacités de dénombrement
des élèves n'excèdent pas (ERMEL CP ; 1985, pp. 173-181) une dizaine d'objets.
•
Soit des problèmes de répartition d'un tout discret en parts égales (Dealing)
ou inégales. Si on suppose le tout matérialisé, la prise en compte du nombre total
d'objets à partager n'est pas utile : il suffit de procéder par répartitions, − égales dans le
cas d’un partage équitable, inégales suivant certaines contraintes dans le cas contraire −
et successives, entre tous les participants, en plusieurs tours éventuellement, jusqu'à
épuisement de la collection.
Si on suppose que le problème est à résoudre en l’absence du matériel concret à
distribuer (répartir équitablement ou inéquitablement − en indiquant par exemple un
maximum par part − 32 objets, non physiquement présents, dans 8 enveloppes), le total
doit alors être pris en compte sous une forme numérique (ici 32), les parties constituées
par tâtonnements additifs par exemple, avec ajustements éventuels à la baisse ou à la
hausse, la vérification se faisant par addition effective des cardinaux des parties. De tels
problèmes peuvent être soumis à des élèves dès la fin du cycle I ou début du cycle 2
(ERMEL CP ; 1991, pp. 101-111). On notera que les résolutions de type multiplicatif ne
sont pas envisagées ici, car elles relèvent déjà de la relation partie/tout qui sera étudiée
au stade suivant.
• Soit enfin des problèmes de partage en parts égales d'un tout continu. On
pourra alors procéder par pliages ou constructions géométriques suivant le niveau où
l'on se situe, avec plus ou moins de précision et de réussite, au moyen de procédures
exactes ou approchées, comme la prise récursive de la moitié − iterated halving −
(Pothier et Sawada ;1983). Ces problèmes, qui peuvent se poser dès la fin du cycle I,
trouvent des applications jusqu'au collège et au-delà (partage d'un segment en segments
égaux au moyen du théorème de Thalès par exemple).
1.1.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade
Ils sont relativement limités à un usage oral et écrit des premiers nombres
entiers, sur lesquels on effectuera quelques traitements plus ou moins empiriques en vue
de les comparer ou de les additionner d’une part ; de schémas plans, plus ou moins
géométriques, dans le cas continu d’autre part. Ces derniers et les conceptions qui leur
sont (restent) attachées seront étudiés en détail au chapitre IV. Nous nous bornerons
donc ici à souligner qu'ils émergent naturellement avec ce premier stade. Seront-ils
40
Chapitre II
susceptibles d'accompagner les évolutions et accommodations nécessaires pour accéder
aux stades ultérieurs ?
1.1.4. Nature des rationnels liés à ce stade
Il est bien entendu prématuré de parler de rationnels à ce stade. La capacité au
"partitioning" va néanmoins permettre de développer un certain nombre de compétences
ou de prises de conscience dans la construction des nombres rationnels, que les auteurs
déjà cités plus haut relèvent, et que nous résumons ci-dessous.
• Possibilité de gérer numériquement des problèmes de répartition (par
opposition à une répartition au jugé) et d'être à même de contrôler ainsi l'équipotence
des donnes et l’égalité de la somme des parties et du total.
• Lien entre la taille de la part et le nombre de parts : "plus grand le nombre de
parts, plus petite la taille de chaque part". Ce constat, évident dans un contexte continu
illustré par un schéma de type "parts de tartes", ou dans un contexte discret de type
"Dealing", sera inhibé pour beaucoup d'élèves lors de sa description fractionnaire aux
stades ultérieurs : des erreurs comme 1/4 < 1/10 car 4 < 10, proviennent de ce que
Streefland (1991) appelle des N-distractors, c'est à dire une prise en compte séparée des
entiers composant la fraction, et l'application abusive de traitements familiers mais
illicites dans ce contexte.
1.1.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant
Le "partioning" reste cependant un moyen limité de former des parts à partir
d'un tout et d’établir des relations entre elles. Il ne dégage qu’un modèle très
rudimentaire, surtout lorsqu’il est lié à un contexte matériel. Il ne permet notamment pas
d'anticipations : dans le cas continu, pour évaluer la taille d'une part ou la comparer à
une autre part, on doit aller au bout de l'expérience et découper tout le(s) gâteau(x) (ce
qui n’est guère aisé, dans le cas d’un partage en un nombre impair par exemple). Dans le
cas discret, il reste impuissant à gérer des grands nombres : répartir 100 objets en parts
égales, en présence ou non du matériel, devient quasiment impossible à organiser vu les
moyens rudimentaires d’actions ou de calcul dont on dispose ; mais surtout, il ne donne
pas de moyens dévaluation rapide de la taille, même approximative, des parts. On
relèvera en conséquence une insuffisance et un premier obstacle lié à ce stade.
• La mise en évidence du lien partie-tout et de la relation de dépendance qui en
découle n'est pas nécessaire puisque, dans un contexte discret de partage équitable par
41
Chapitre II
exemple, le cardinal de chaque part ne s'obtient pas en combinant le cardinal du tout
avec le nombre de parts : lorsque le matériel est présent, il me suffit de pousser le
"Dealing" jusqu'à épuisement de la collection, sans même connaître le nombre total de
ses éléments ; en l’absence du matériel, la prise en compte du total devient nécessaire
pour former les parts, mais les procédures additives par tâtonnements ne permettent pas
d’exhiber un lien direct entre le tout et chacune de ses parties. Cela ne sera plus le cas au
stade ultérieur où des hypothèses multiplicatives liant directement partie et total
permettront d’expliciter la nature de leur dépendance mutuelle et, partant, d’effectuer
des anticipations (comparaisons, itérations...).
• Quant à l'obstacle lié à ce stade, il est de taille puisque certains auteurs
(Hunting et Korbosky ; 1990, cités par Pitkethly et Hunting ; 1996, p 10) estiment
qu'une connaissance basée seulement sur le modèle continu du "partioning" amène à une
conception littérale des fractions : 1/4 représente alors exclusivement une part prise
parmi quatre et risque en conséquence de ne pas être appréhendée en tant que
proportion, de 25 à 100 par exemple. Nous reviendrons longuement sur cet obstacle en
1.2.5 et au chapitre IV. Examinons à présent les premiers changements de perspectives
et réaménagements que va nécessiter l'accès au deuxième stade.
1.2. Le stade de la relation partie / tout (part-whole relation)
Avec la relation partie-tout, nous entrons dans le champ des structures
multiplicatives. On considère en effet un "tout" E et une de ses "parties" F2. On suppose
que E et F sont commensurables, c'est à dire qu'il existe une partie S non vide de E et de
F et deux entiers non nuls p et q tels que : E = pS et F = qS. Le lien partie-tout est celui
qui relie E et F. L'équation fondamentale sur laquelle se développe ce lien est donc de la
forme : T = nP, avec n est entier. Il traduit une "partition" finie de T en parties de même
mesure − dans le cas où T est discret, on considère que le cardinal de T est une mesure
de T. Dans ces conditions, si t mesure T et p mesure une de ces parties, on a la relation
multiplicative : t = np, où n est un nombre entier naturel. Cette relation diffère
fondamentalement des relations additives associées au stade précédent dans ce sens où
elle exhibe une relation fonctionnelle entre le tout et une de ses parties : elle permet
notamment une évaluation rapide et approximative de la partie par rapport au tout ; la
2
Les guillemets traduisent notre décision d'identifier, pour des commodités d'exposé, un ensemble et la
grandeur associée. Aucune rigueur n'est ainsi trahie, à relations d'équivalence près.
42
Chapitre II
possibilité d'étudier formellement − ie sans expérience matérielle ou mentale − les
variations, à t constant, de p en fonction de n ou de n en fonction de p, ou encore les
répercussions d'une variation de t sur n et/ou p et réciproquement, ce que ne permettait
pas une démarche additive, qui revient à itérer p sans expliciter n.
1.2.1. Description et références
Examinons ce que dit Adalira Saenz-Ludlow (1995 ; p 114) de la relation
partie-tout, à propos de l'évaluation par une élève de 9 ans, Ann, de la partie b2 par
rapport à b1 la partie intermédiaire b3 (voir Figure 2) ayant été donnée à considérer : (les
parties de texte entre crochets sont des commentaires personnels)
b3
b2
b1
Figure 2
"First, the conceptualization of the whole as a composite unit of equal-sized
units and recognition of the part-dependency of the whole by establishing part-to-whole
relations [b1 =3b3]. Second ... she inverted this relation (conceptualization of the whole
as part-dependant). to generate the whole-to-part relation (conceptualization of the part
as whole-dependant) [b3 =1/3 b1]. Ann's inversion of the part-to-whole relation into the
whole-to-part relation allowed her to confer a particular part a quantification (fractional
in nature) with respect to the whole [b2 =2b3 = 2/3 b1. Remarquons que pour cela, Ann a
dû "mesurer" la part − b2 − au moyen d'une sous-part b3 elle-même liée au tout
précédemment...]. In other words, the bases of the metric part-whole scheme are the
multiplicative recomposition of the whole, and the disembedding of a part from the
whole while mentally conserving the unity of the whole."
Mais la relation partie-tout peut aussi se décrire dans un contexte discret, ainsi
qu'en témoigne l'exemple suivant tiré du même article. A la question de savoir combien
de pizzas faut-il prévoir pour 24 élèves, sachant que chaque groupe de 4 élèves mange
une pizza, Ann répond rapidement 6 et, sur la demande du professeur commente sa
démarche en énumérant : "4-8-12-16-20-24" tout en levant un doigt de plus à chaque
mot-nombre prononcé. Cette simultanéité dans la décomposition additive du total − qui
43
Chapitre II
renvoie au premier stade − et dans la gestion, fût-ce au moyen de doigts, du nombre de
parts, prouve bien la mise en relation du tout − le test d'arrêt de l'énumération des motsnombres est le total 24 − et du nombre de ses parties − les 6 doigts levés. Dans ce cas, la
relation partie-tout s'établit au moyen d'un changement d'unité de comptage − 4 par 4 −
du tout 24.
Le processus est bien entendu récursif, ce qui permet de considérer des
changements d'unité composés (ibid, p 115) : à la question de savoir quelle part d'une
pièce de 50 cents représente 1 nickel, Ann répond "un dixième" et son explication
prouve qu'elle a considéré la pièce de 50 cents comme 5 dimes (1/10 de dollar), chaque
dime valant 2 nickels.
S'il semble que ce soit Kieren (1976 et 1980) qui ait en premier insisté sur
l'importance de la relation partie-tout en tant que sous-construction, Behr, Lesh, Post et
Silver apportant leur confirmation en1983, nous laisserons Steffe et Olive (1993), cité
par Pitkethly et Hunting (1996 ; p 7) conclure ce paragraphe par ces appréciations qui
résument bien l'ensemble de la problématique (c'est nous qui soulignons les points
importants) : "The learning actions which are funamental to developing rational number
meaning are the equidivision of a unit into parts ; the recursive division of a part into
subparts ; and the reconstruction of the unit. A flexible concept of the unit is
important to all later rational number interpretations." Et (ibid ; p 9) : "Dealing with
fractional numbers entails using the mechanism to form composite units in a nex way.
A new unit is not created ; a previous unit is reconfigured. This is a critical ability for
multiplicative thinking."
1.2.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade
Ce sont tous les problèmes formellement − ce n'est donc pas forcément la
procédure élève ! − résolubles au moyen d'une ou de plusieurs3 équation(s) de type (voir
l'introduction de 1.2) : t = np, où l'inconnue peut être une des trois valeurs t, n, ou p. t
peut être une grandeur associée à un tout − discret ou continu − constant, ou sa mesure
au moyen d'un rationnel entier ou pas ; p est une grandeur associée à une partie du tout
ou sa mesure au moyen d'un rationnel entier ou pas ; n est un nombre entier. Nous avons
choisi un tout constant pour distinguer ce stade du stade ultérieur où nous considérerons
des "tout" variables − comme lorsqu'on applique un pourcentage à des bases de calcul
44
Chapitre II
variable. Mais, même avec cette convention, la distinction entre les deux stades reste
flou. Streefland (1993 ; p 112) cite l'exemple suivant : " 'what does 3/4 part of an 80
cent chocolate bar cost ?'. 3/4 part will first have to be applied on the price of 80 cents to
determine the price of 3/4 part. There is a shift from part-whole to operator." En
revanche, dire que 75 centimes représentent les 3/4 de 1F nous semble relever de la
relation partie-tout. Alors, où situer la frontière entre cette dernière et le stade des
applications linéaires ? Nous avons finalement retenu, outre le tout constant, le critère
suivant, pour caractériser le second stade : application directe du lien partie-tout à la
grandeur associée initialement à l'objet traité, donc sans le "shift" vers la prise en
compte d'une autre grandeur associée au même objet, comme dans le problème cité par
Streefland ci-dessus.
Rappelons à présent quelques exemples plus ou moins connus, proposés par
des chercheurs d'horizons différents, ce qui permettra d'illustrer leurs approches
respectives, ainsi que l'énorme variété des problèmes relevant de la relation partie-tout.
• Problèmes liés à la multiplication des entiers
Ce sont bien entendu les problèmes d'itération d'une quantité (Marie achète 4
gâteaux à 7 F. Combien paiera-t-elle ?) dont le modèle peut être plutôt l'ordre de
succession naturel des entiers (un kangourou fait des bonds de 3 m, combien parcourt-il
en 7 bonds ?) ou le produit cartésien (un jardinier plante 13 rangées de 8 salades,
combien a-t-il planté de salades ?). Ce sont les premiers problèmes liés à la relation
partie-tout que les élèves sont amenés à rencontrer. Ce sont aussi en général les premiers
problèmes donnant l'occasion de dépasser l'appréhension purement additive − qui
fonctionne bien sûr comme obstacle à ce dépassement (Vergnaud ; 1983 et 1988), et qui
donc assurent la transition du partitioning à la relation partie-tout.
• Problèmes liés à la division euclidienne
Ce sont principalement des problèmes que la littérature d'expression anglaise
classe en deux catégories : problèmes de "successive subtractions" (combien de pizzas
faut-il prévoir pour 24 élèves, sachant que chaque groupe de 4 élèves mange une pizza ?
(Saenz-Ludlow ; 1995) ; problèmes de "fair sharing" (24 élèves partent camper. Ils se
répartissent équitablement entre 8 tentes. Combien y aura-t-il d'élèves par tente ? −
ibid). Les premiers peuvent se résoudre directement par itération du diviseur (ici 4),
3
Comme c'est le cas dans l'exemple cité au début de 1.2.1 et où on a successivement : b1 =3b3 et b2 =2b3
45
Chapitre II
alors que les deuxièmes demandent une reformulation ("three anticipated units of eight
to generate eight units of three" − ibid) pour être traités par itération du diviseur (ici 8).
Rappelons que les chercheurs (Steffe ; 1991 et Saenz-Ludlow ; 1995) lient fortement la
capacité à résoudre ces problèmes à la capacité à changer d'unité de comptage du tout.
• Problèmes liés à la division des entiers avec résultats fractionnaires
En voici trois exemples :
1."Quelle part d'une pièce de 50 cents représente 1 nickel ?" déjà cité en 1.2.1.
(réponse 1/10) ;
2. "Quelle part de 1F représente 40 centimes ?" (réponse 2/5) ;
3. "Diviser 3 barres de chocolat entre 4 enfants" (Streefland ; 1995, p. 114)"
Nous avons déjà commenté les deux premiers problèmes, examinons le
troisième dont Streefland nous apprend qu'il a été inspiré par une approche du Papyrus
Rhind. Streefland pense que l'introduction aux fractions par ce type de problèmes
présente des avantages didactiques considérables sur l'approche traditionnelle4,
avantages que nous résumons : grande variabilité des procédures (diviser 2 barres en 4
puis la dernière en 4, diviser chaque barre en 4...), débouchant sur des expressions
différentes et donc équivalentes du résultat (1/2 + 1/4 ou 3/4 au sens de trois fois un
quart...) ; comparaisons et estimations de fractions facilitées, car se référant à cette
situation générique de partage qui serait très signifiante pour les enfants ; relations
étroites avec les proportions (ratios dans le texte) par le biais d'une gestion du partage
par réductions successives (6 barres pour 8 enfants, peut se gérer en répartissant les
enfants en deux tables de 4 enfants chacune, chaque table recevant donc 3 barres pour
que le partage soit équitable, le tout débouchant sur l'équivalence du ratio de 6 à 8 avec
celui de 3 à 4...) ; entrée dans un monde fractionnaire peuplé dès l'abord de nombres
pouvant excéder 1 (9 barres à répartir en 4 enfants), par opposition avec les
introductions classiques par les parts de tarte qui bornent l'horizon à l'unité.
Résumons les oppositions :
4
"Traditionally, fraction-generating occurs within the unit. The parts are named and calculation with
fractions can commence..." Streefland va même jusqu'à affirmer : "This approach has proved not to work
for a great many children, if not for all" (Streefland, 1995, p 114). Nous reviendrons en 1.2.5 sur ce
jugement.
46
Chapitre II
- les problèmes de types 1. et 2. évoluent naturellement suivant une progression
du lien partie-tout en 1/b puis a/b avec a < b et enfin a/b avec a > b ; en ce sens, ils
s'insèrent dans un itinéraire d'apprentissage des fractions qui démarre "sous l'unité"4 ;
- pour les problèmes de type 3. une telle progression, du simple au complexe,
ne se justifie plus ; en outre, ces problèmes permettent de rendre compte des principales
propriétés du lien partie-tout (expressions multiples équivalentes et équivalence des
deux points de vue classiques un quart de trois et trois fois un quart).
Cette dernière approche apparaît donc, pour le moment, comme porteuse de
plus de significations.
• Problèmes liés à la mesure des grandeurs
Ces problèmes sont ceux qui relient numériquement deux grandeurs, dont on
suppose qu'elles sont commensurables, l'une des deux faisant fonction de partie, l'autre
de tout.
Suivant Ratsimba-Rajohn (1982 ; pp. 73-80), deux stratégies de mesures
rationnelles, le fractionnement de l'unité et la commensuration, sont des "modèles
d'action pour les élèves", c'est à dire sont susceptibles d'être naturellement mises en
œuvre par ces derniers, soit a priori, soit suite au rejet de l'une d'entre elles, rejet qui
contribuera à donner de la signification à la stratégie alternative (p 77).
L'exemple que nous avons proposé dès l'introduction de 1.2.1 et rapporté par
Saenz-Ludlow relève manifestement du fractionnement de l'unité puisque la question est
posée en des termes de recherche de l'expression explicite de la partie par rapport au
tout. On trouvera chez Douady et Perrin-Glorian (1986 ; pp. 29 à 62), au titre d'une
introduction aux rationnels à l'école primaire, la description d'activités de codage de
mesures de longueurs puis d'aires qui s'expriment aussi naturellement en termes de
fractionnement de l'unité. Dans un cas comme dans l'autre, la progression en 1/b puis
a/b avec a < b et enfin a/b avec a> b, est naturellement adoptée par les élèves, car
inscrite trivialement dans le terme même de fractionnement de l'unité : s'il s'agit d'un
fractionnement de l'unité, c'est que ce fractionnement est inférieur à 1 (!) (donc a ≤ b),
les fractionnements en a > 1 et/ou a > b étant obtenus comme multiples du
fractionnement spontanément mobilisé par la majorité des élèves, à savoir celui en 1/b5.
5
En fait, lors de l'activité sur les mesures de longueurs décrite par Douady et Perrin-Glorian, les élèves
choisissent la longueur du trait puisqu'il le dessinent. En revanche, l'unité leur est imposée sous forme de
bandes de carton. Des fractions supérieures à 1 pourraient ainsi être sollicitées. Mais lorsque cela se
47
Chapitre II
Un tout autre choix est fait par Brousseau (1986-b ; pp. 131-151). Pour
introduire les fractions, il propose aux élèves de mesurer l'épaisseur d'une feuille de
papier. Cette dernière étant inaccessible par mesurage direct, les élèves recourent à des
stratégies de commensuration du type : (19 feuilles ; 3 mm). Le lien partie-tout
(épaisseur en mm) est alors implicitement fourni par des couples d'entier de ce type, qui
permettent cependant de développer des procédures de comparaison d'épaisseurs ;
d'équivalence entre des liens a priori différents (12 feuilles ; 8 mm) équivaut à (3
feuilles ; 2 mm) ; de multiplication et de division par un entier (3 fois moins/plus épais
ou 3 fois moins/plus de feuilles sont des considérations qui autorisent une interprétation
de ces opérations et leur transcription directe au moyen des couples décrivant l'évolution
des épaisseurs sous ces opérations). On notera que cette approche ne rend pas plus
pertinente la distinction 1/b ; a/b (a < b) ; a/b (a > b) que l'approche par les problèmes de
type 3. du paragraphe précédent et qu'elle permet de développer d'entrée de jeu un
ensemble plus vaste de compétences que l'approche par le fractionnement de l'unité ;
sans doute parce que l'implicite suscite naturellement le questionnement alors que
l'explicite, donnant à voir, l'inhibe.
On relève donc un parallèle évident entre les problèmes de types 1. et 2. du
paragraphe précédent et les problèmes de fractionnement de l'unité d'une part ; les
problèmes de type3. du paragraphe précédent et les problèmes de commensuration
d'autre part. Nous avons dit en quoi les deuxièmes étaient considérés par nombre de
chercheurs comme potentiellement plus riches. Est-ce à dire qu'une approche est
meilleure que l'autre ? Nous ne pensons pas que le problème didactique puisse se poser
en ces termes, car l'issue de l'apprentissage dépendra plus de l'ensemble des moyens
offerts aux élèves pour organiser ou réorganiser contradictoirement leurs connaissances
(Ratsimba-Rajohn ; 1992), que des conditions initiales elles-mêmes. Nous y reviendrons
ultérieurement, notamment au cours du paragraphe qui suit.
1.2.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade
Tentons donc de préciser ce qui pour nous revêt une importance capitale, à
savoir les moyens d'expression nécessités par la maîtrise d'un discours portant sur la
relation partie-tout. Un simple examen visuel rapide des pages où Brouseau (1986 ;
produit, les écritures adoptées sont plutôt du type n.u + (1/n).u + (1/m).u + ...., où u est l'unité, n, m, sont
des entiers (le plus souvent égaux à une puissance de 2) . Les seules écritures fractionnaires vraiment
mobilisées sont donc "sous l'unité".
48
Chapitre II
pp. 131-151) rapporte l'expérience de la mesure de l'épaisseur d'une feuille de papier, et
des pages où Douady et Perrin-Glorian (1986 ; pp. 29 à 62) décrivent leurs activités de
mesurages, montre qu'une expression essentiellement rhétorique domine le discours des
élèves pour le premier, alors qu'une expression plus formalisée est vite encouragée par
les deuxièmes. Prenons des exemples. Tout d'abord chez Brousseau (p. 141),
relativement à un commentaire déjà cité au chapitre I-1 :
"...des relations, des appréciations, des opérations encore floues, incomplètes,
approximatives vont s'éprouver, se clarifier, se complexifier avant même d'être
formulables. Exemple [les élèves notent f pour feuilles]: « (60 f ; 7 mm), c’est du papier
fin, c’est pas du [papier de type] A, on avait trouvé pour A : (3f ; 1 mm) » − sousentendu 60 feuilles de A feraient bien plus que 7 mm." On notera à travers ce discours,
la simplicité et surtout l'efficacité des raisonnements, pourtant liés déjà à la
proportionnalité et à ce qui sera plus tard énoncé en termes d'équivalence de deux
fractions : quelque chose comme (3f ; 7 mm) équivaut à (60f ; 140 mm). Mais ce qui fait
la force de ce raisonnement, c'est qu'il n'a pas à être totalement explicité pour
fonctionner : il suffit de réaliser que « 60 feuilles de A feraient bien plus que 7 mm »,
sans mener de calculs précis, donc en évitant de se perdre dans les méandres du calcul
formel, de ses égalités et de ses équivalences. Sitôt d'ailleurs que la complexité
croissante des traitements et des mises en mémoire imposera le recours à ce calcul
formel, on sait bien que ces raisonnements simples se perdront, ce qui donne
l'impression que certains élèves ont "désappris" au cours de leur apprentissage. Alors
que ce n'est pas un défaut conceptuel qui est en cause, mais une forme d'expression qui
s'est perdue.
Chez Douady et Perrin-Glorian en revanche, on trouve, dès le premier bilan
(p 38), des écritures comme :
1
1
1
1
1
3
u + u = 2 x ( u) + u = 3 x ( u) = u
2
4
4
4
4
4
(*)
qui expriment des gestes simples et parfaitement maîtrisés des élèves, mais au
moyen d'un système d'écritures qui ne leur est pas forcément congruent.
En effet, les égalités ci-dessus expriment ce que Duval (1988 ; p 8) appelle des
"équivalences référentielles", c'est à dire portant sur des objets auxquels les signes
utilisés réfèrent − en l'occurrence, les signes à prendre en compte sont des écritures
fractionnaires, les objets auxquels elles réfèrent des nombres rationnels. Mais ce jeu
49
Chapitre II
d'écritures − produit d'un point de vue scientifique selon Duval (1998 ; p 167) −, pour
adapté qu'il soit aux crans ultérieurs, ne nous semble pas s'imposer au stade présent ;
car, à travers et au-delà des signes, il traite en nombres des objets non encore construits
en tant que tels. En effet, la seule référence dont disposent des élèves à ce stade sont les
opérations de report et subdivision qui ont accompagné leur première pratique, et une
comptabilité, en termes de nombres entiers, des itérations de ces opérations. Or, des
écritures additives comme celles décrites par (*), progressant par égalités successives,
portent elles sur des nombres. Le risque est alors que les élèves, trop tôt confrontés à
une sémiotique qu'ils maîtrisent et interprètent mal, rabattent ces égalités entre
rationnels sur des égalités portant sur les seuls nombres qu'ils perçoivent de façon
immédiate, c'est à dire sur les entiers ; ce qui les rend totalement déroutantes : des 1 plus
1 qui ne sont pas égaux à 2, des 3 fois 4 qui ne deviennent pas 12 !
Une expression fractionnaire du lien partie-tout n'apparaît donc comme ni
nécessaire, ni sans doute souhaitable à ce moment de l'apprentissage. Toute la richesse
des raisonnements décrits par Brousseau nous semble fortement liée aux modalités du
discours produit par les élèves. Un recours trop rapide aux écritures fractionnaires −
dont nous montrerons au chapitre III-3 qu'il peut s'interpréter dans les termes d'une
véritable rupture dans la dimension-support du discours − risque de les appauvrir, voire
de les inhiber.
1.2.4. Nature des rationnels liés à ce stade
Le rationnel à l'œuvre dans la relation partie-tout n'est pas encore un nombre ni
même un opérateur. Il est en tous cas très proche du rationnel-mesure, au sens où
Brousseau l'entend (1986-b ; p. 90) : le lien qui unit la partie au tout est donc de même
nature que celui qui unit l'étalon à la grandeur à mesurer. Les deux définitions suivantes
d'Euclide, tirées des livres 5 et 10, résument et rendent opératoire ce lien, dans une
perspective d'enseignement :
•
"Une grandeur est partie d'une grandeur, la plus petite de la plus grande, quand la
plus petite mesure la plus grande."
•
"On appelle grandeurs commensurables celles qui sont mesurées par la même
mesure."
Ainsi, à la question de savoir s'il existe un lien entre 40 cts et 1 F, un élève
peut-être amené à trouver que 20 cts est une mesure commune à 40 cts et à 1 F et en
50
Chapitre II
déduire que 40 cts, c'est les deux cinquièmes de 1 F. Nous utilisons la forme orale deux
cinquièmes et pas
2
5
pour des raisons qui ont été exposées au paragraphe précédent, et
que Saenz-Ludlow (1995 ; p 129) − entre autres − confirme : "Ann was able to generate
her fraction conceptualizations in the absence of numerical notations and […] using
natural language and fraction number words...".
Nous en déduisons que la relation partie-tout se décrit essentiellement au
moyen d'entiers − en général de deux entiers − opérant sur deux grandeurs afin de leur
trouver une "raison" commune. Ce "lien" n'est donc pas encore un nombre ; c'est la
raison pour laquelle nous ne lui attribuons pas encore de notation numérique
fractionnaire.
Reste le problème de l'équivalence de certains de ces "liens". Quelle que soit
l'introduction adoptée − fractionnement de l'unité ou commensuration − nous avons vu
que les situations débouchaient naturellement sur l'existence de "liens" équivalents mais
non égaux :
2 1
=
4 2
dans le cas du fractionnement de l'unité ; (3f ; 7 mm) représente un
papier de même épaisseur que (6f ; 14 mm) dans le cas de la commensuration. Ceci est
un point important car on ne soulignera jamais assez à quel point l'existence d'écritures
différentes, entre lesquelles il est cependant légitime de mettre le signe d'égalité,
témoignent qu'un objet est représenté au-delà de ces diverses écritures − qu'ont-elles
donc en commun, au-delà de leurs différences, pour être à même de désigner la même
chose ? On pourrait donc y trouver une amorce importante vers la conceptualisation d'un
nombre rationnel. En fait, ce serait le cas si ces égalités étaient suffisamment maîtrisées.
Or, nous avons déjà exprimé nos doutes à ce sujet en ce qui concerne l'égalité entre deux
fractions ; pour ce qui est de l'approche par commensuration, elle nous semble
radicalement différente, car il n'est nullement nécessaire de recourir au signe = pour
faire progresser son discours. Par exemple, des élèves qui veulent comparer deux
papiers A (3f ; 7 mm) et B (8f ; 12 mm), n'écriront sûrement pas d'égalité, mais
produiront plutôt un discours du type : "avec seulement 6 feuilles de A, j'ai déjà 14 mm
donc plus que 8 feuilles de B ; donc A est plus épais que B." ou bien encore : "une
feuille de A, c'est plus que 2 mm (7 ÷ 3), et une feuille de B, c'est moins que 2 mm.". On
voit bien que ce type de discours éloigne totalement de l'équivalence d'écritures
différentes, et, au-delà, de l'appréhension d'un nombre unique représenté de deux
51
Chapitre II
manières différentes. En revanche, la production ou la validation d'une suite d'égalités
du type :
1 1
3
4
7
+ =
+
=
4 3 12 12 12
accompagnera sûrement l'acception des fractions comme représentant des
nombres. Et ce qui fait la différence, c'est la nature et l'expression des traitements qu'on
leur applique, organisés autour des signes + et =, qui ne sauraient agir que sur des
nombres. Bien que le problème de la somme de deux mesures puisse se poser à ce stade,
et qu'il puisse trouver des solutions empiriques analogues à celles utilisées ci-dessus
pour la comparaison de deux épaisseurs, nous pensons qu'il serait prématuré − pour les
raisons évoquées au paragraphe précédent − et hors-programme de l'école primaire, d'y
développer ce type d'écritures systématiques.
En résumé, nous dirons donc que le lien partie-tout n'est pas encore un nombre,
mais une suite d'opérations impliquant des nombres entiers.
1.2.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant
La relation partie-tout agit à l'intérieur d'un référentiel absolu − le tout − auquel
elle relie chacune de ses parties. Nous venons de voir qu'une description opératoire de ce
lien ne nécessite que des nombres entiers. Avec l'introduction de références variables, la
nature de ce lien va évoluer vers un statut d'opérateur ou de fonction. Ceci aura pour
conséquence de dédoubler l'univers où se déroulent les phénomènes étudiés : une des
facettes de cet univers contiendra les opérateurs, monde virtuel des "parts" (au sens où 3
parts pour 4 exprime la proportion 3/4), où les nombres sont sans unité ; une deuxième
facette contiendra les arguments et les images de ces opérateurs, monde réel où les
nombres mesurent des grandeurs, et sont donc accompagnés d'une unité. Ce
dédoublement peut d'ailleurs se schématiser au moyen du fameux tableau de
proportionnalité :
Monde des
parts
(virtuel)
Monde des
grandeurs
(réel)
Partie (loyer)
3
1500
Total budget logement
4
2000
Figure 3 : calcul du loyer par rapport au budget logement
52
Chapitre II
Supposons que ce tableau traduise par exemple le problème suivant : mon loyer
représente 3/4 de mon budget logement (le reste passe dans les charges). A priori dans
ce tableau, la colonne 2 (monde des parts) est constante, et la colonne 3 (monde des
grandeurs) est variable, l'argument 2000 et l'image 1500 pouvant changer. En réalité, par
le biais des opérateurs équivalents, la colonne 2 peut aussi évoluer en (6 ; 8) ou
(75 ; 100) ou tout autre couple équivalent. Le problème est donc complexe, et on sait
que les élèves ont tendance à interpréter le 3/4 dans un sens littéral (Carraher et
Schliemann ; 1991), c'est à dire que, d'une part, le budget total ne peut être que de 4
unités (des milliers de francs par exemple) sur lequel le loyer représente 3 unités ;
d'autre part, la proportion ne peut pas être décrite par un opérateur équivalent comme
75%. Ils rabattent donc le monde virtuel des parts sur le monde réel des francs : 3/4 n'est
alors pas interprété comme une proportion, mais comme l'expression d'une double
cardinalité. Ce point de vue risque d'être renforcé par une représentation initiale
exclusive des fractions comme parties d'une forme définissant un tout : "It seems that
the perception of a fraction as a part of a whole shape, usually a circle or a square, is so
strongly held by children that they find it impossible to adapt this model even to include
the notion of three circles to be shared into four equal parts." (Kerslake ; 1986, p 120).
On voit donc quelle est la nature du principal obstacle à dépasser pour passer
d'un lien partie-tout à un lien fonctionnel entre deux grandeurs variables : mener en
parallèle deux discours, liés par un certain nombre de traitements valides (les fameuses
règles dites de linéarité), mais minés par des leurres formels, car évoluant dans des
univers parallèles bien que jumeaux.
Mais il existe un deuxième obstacle, lié à l'émergence du rationnel-mesure en
tant que nombre au stade suivant (voir 1.3.1). Nous avons longuement expliqué en 1.2.4
en quoi la relation d'équivalence entre les fractions nous semble constitutive du
rationnel-mesure en tant que nombre. Comme toute notion constitutive, il faut donc
s'attendre à ce que cette relation d'équivalence se construise sur un certain nombre de
renoncements et de dépassements, et donc qu'elle se heurte à des obstacles. C'est ce que
nous allons examiner à présent :
Saenz-Ludlow (1995 ; p 112) rapporte le dialogue suivant entre elle et Ann,
une élève de 9 ans décrite comme "a very capable student".
- Teacher : Is one fourth the same as four sixteenths ?
53
Chapitre II
- Ann : Well, sometimes it is and sometimes it is not. Because you could have
twenty of this (showing A) , and one fourth would be five twentieth. But in this case,
one fourth is the same as four sixteenth.
B
A
Figure 4 : un quart n'est pas toujours égal à quatre seizièmes !
Ce dialogue illustre clairement la nature de l'obstacle attendu : la
différenciation insuffisante entre la représentation et l'objet. La fraction ne décrit qu'un
certain nombre de parts prises dans un découpage donné, plus qu'un rapport de la
grandeur à mesurer à l'unité. D'où la difficulté d'Ann à accepter qu'un changement de
fractionnement, non multiple ou diviseur du premier, puisse générer une fraction
équivalente.
Signalons enfin rapidement un troisième obstacle lié à l'expression du
rationnel-mesure en tant que nombre : l'équivalence − que Duval nomme conversion −
entre une écriture fractionnaire de certains rationnels et une écriture à virgule. Nous
prouverons ultérieurement – chapitre III-3 − qu'une égalité de type :
3
= 0,75 met en
4
jeu des résistances liées à la dimension différente des registres concernés par ces
écritures.
1.3. Le stade des formes linéaires rationnelles opérant sur un ensemble de mesures
; le stade des rationnels-mesures
En cherchant à identifier les obstacles s'opposant au passage d'une
appréhension de type partie-tout à une appréhension de type opérateur, nous avons posé
en 1.2.5 les principales caractéristiques de ce troisième stade. Nous les résumons et les
complétons ci-dessous.
54
Chapitre II
1.3.1. Description et références
L'introduction de références variables a pour effet de séparer deux types
d'objets rationnels évoluant dans des univers parallèles : les opérateurs sans unité6 et les
nombres mesurant des grandeurs, donc avec unité. Ce stade va voir l'émergence des
fractions comme pouvant décrire indifféremment une mesure et, accessoirement encore,
un opérateur : en effet, un simple discours rhétorique devient très lourd à gérer dès lors
que les objets servant à mesurer une grandeur par rapport à une grandeur unité, sont
susceptibles de devenir eux-mêmes arguments des opérateurs : par exemple, si je
souhaite agrandir une longueur donnée par un coefficient de 6/5, la longueur elle-même
peut s'exprimer, dans une unité donnée, au moyen d'un nombre non entier. Dans ce cas,
la saisie du problème dans son ensemble et son traitement sont grandement facilités si je
dispose d'une écriture unifiée − fractionnaire ou décimale par exemple − de la mesure à
agrandir : cette adaptation de l'expression du lien partie-tout sous la pression d'une
modification de l'environnement renvoie bien entendu à un processus de renoncement et
dépassement décrit notamment par Douady (1984 ; pp. 14 - 17) dans les termes d'une
dialectique outil-objet.
L'opérateur d'agrandissement, quant à lui, peut encore être à ce stade "linéarisé"
en une succession de deux opérations entières : subdivision par 5, report de 6 sousunités ainsi obtenues. Les fractions mesures vont ainsi accéder au statut de nombres
mesurants, en même temps que les opérateurs linéaires montent d'un cran et agissent sur
des nombres − les nouveaux, c'est à dire les fractions mesures, et les anciens, c'est à dire
les entiers −, au lieu d'agir directement sur les grandeurs comme au stade précédent.
Mais ces opérateurs restent liés aux nombres mesurants, c'est à dire qu'ils n'ont pas
encore à ce stade une existence indépendante des objets auxquels ils s'appliquent. Cela
sera réservé au dernier stade.
1.3.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade
1.3.2.1. Cas des formes linéaires
Ce sont tous les problèmes formellement − ce n'est donc pas forcément la
procédure élève − résolubles au moyen d'une équation de la forme p = r.t, où p et t sont
6
L'existence d'opérateurs à unités composées - les m/s, les m3/s, les F(rancs)/kg... - complique encore
notre classification. Dans ce cas en effet, non pas deux, mais trois univers parallèles sont à prendre en
55
Chapitre II
des nombres mesurants − rationnels − variables et r est un nombre rationnel constant.
L'inconnue peut-être une des trois valeurs p, r, ou t. Nous interprétons le produit d'un
rationnel par un rationnel en identifiant le deuxième − ici r − à une forme linéaire
opérant sur le premier (Brousseau ; 1986-b, pp. 90-96 ). Voici quelques exemples, issus
des résultats de la recherche, de formulation de ces problèmes.
• Un exemple géométrique, la dilatation
Ce sont des problèmes où une longueur se trouve explicitement dilatée, comme
dans le problème de l'agrandissement d'une pièce de puzzle − où une longueur de 4 cm a
pour image une longueur de 7 cm − proposé par Brousseau (1986-b ; pp. 113 - 115).
Dans un premier temps, les longueurs sont toutes entières, puis certaines d'entre elles
deviennent fractionnaires (p 114). Au cours d'une dialectique essai / erreur, les élèves
finissent par découvrir l'intérêt qu'il y a à calculer l'image de 1. Brousseau explique : "Le
modèle de commensuration qui leur est enseigné leur permettrait d'écrire directement : 4
fois l'image de 1 mesure 7, l'image de 1 est donc
7
4
. Ils ne l'utilisent pas spontanément."
Ils mènent plutôt leurs calculs en tentant de diviser 7 par 4, en passant par "des procédés
du genre" :
7=
280
280
70 35 175
, or :
÷4 =
=
=
= 1,75
40
40
40 20 100
Le discours s'exprime donc sur un plan fractionnaire au niveau des mesures,
mais reste "dissocié" − c'est à dire que 7 et 4 sont pris en compte en tant qu'entiers et pas
sous la forme fractionnaire
7
4
− au niveau de l'opérateur d'agrandissement. C'est bien ce
qui nous semble caractériser ce stade (cf supra). Lorsque les mesures deviennent
fractionnaires, la connaissance par ces élèves du produit et du quotient d'une fractionmesure par un entier, leur permet de développer un discours du même type.
• Des exemples numériques de taux et pourcentages appliqués
Notre objectif n'est pas d'examiner les divers types de problèmes de taux et
pourcentages, mais de pointer un certain nombre de leurs caractéristiques, en liaison
avec ce qui nous préoccupe, à savoir le type de discours qu'ils utilisent et nécessitent.
Pour une étude plus complète de ces problèmes, nous renvoyons à la thèse de C. Hahn
compte : les deux univers "réels" associés aux grandeurs "simples" - les volumes d'un côté, les temps de
l'autre - et un univers plus virtuel, associé à la grandeur composée - les débits.
56
Chapitre II
(1995 ; pp. 134 - 203) et à l'article de W. Damm (1998 ; pp. 197 - 210) qui en fournit
une classification simple et efficace.
Dans un article consacré à la proportionnalité et à son utilisation, Dupuis et
Pluvinage (1981 ; pp. 167 - 212) rapportent les résultats d'une enquête menée auprès des
élèves de 14 classes de 5ème du Bas-Rhin, à partir de trois questionnaires portant sur des
items représentatifs de l'utilisation de la proportionnalité dans trois disciplines : les
mathématiques, la physique et la géographie. Les variables d'énoncés portent sur la
nature des nombres en jeu − entiers, fractionnaires ou décimaux ; la présentation des
opérations à effectuer − opérateurs, tableaux, égalités comportant des divisions et/ou
des multiplications dans un ordre variable ; la place et l'écriture de l'inconnue.
Voici deux des énoncés proposés, qui nous semblent caractéristiques du stade
étudié :
• DLA (Réussite 31 %)
On place 500 cm3 d'alcool à une température de 10° dans un récipient. On
chauffe. Quand la température est de 60° on constate que le volume d'alcool a augmenté
de 25 cm3. Si on opère même à partir de 850 cm3 d'alcool, de combien augmentera le
volume ?
• KWH (Réussite 20 %)
La France a produit en 1975 180 milliards de kwh dont 57 % d'origine, 33 %
d'origine hydraulique et 10 % d'origine nucléaire. Quel est le nombre de kwh d'origine
hydraulique produits par la France en 1975 ?
Les auteurs constatent (p 192) : "A contenus numériques équivalents, la donnée
de quantités − type DLA − est plus simple à traiter que celle de taux ou de pourcentages
− type KWH. Ce fait pourrait apparaître comme paradoxal puisque dans le cas des
quantités il y a deux opérations à effectuer (une multiplication suivie d'une division)
alors qu'il n'y en a qu'une dans le cas d'un taux ou d'un pourcentage [les taux auxquels
les auteurs se réfèrent sont donnés sous forme de décimaux ; quant aux pourcentages,
écrits sous leur forme %, on suppose que l'opération unique qui est mentionnée suppose
leur transcription sous une forme décimale]. Mais la difficulté d'attribuer un sens au
concept de proportion, qui ne s'applique pas à des objets mais désigne des relations
d'objets dans le cas général, s'avère prédominante.".
57
Chapitre II
Nous ajouterons que ce paradoxe est d'autant plus étonnant que les problèmes
liés au calcul d'un taux sont considérés comme plus difficiles que les problèmes liés à
l'application d'un taux. Que dire alors de DLA, dont on peut penser qu'il se traite au
moyen du calcul d'un taux à partir de certaines quantités, suivi de son application à
d'autres quantités ?
Les réponses sont peut-être à rechercher du côté des moyens d'expression
sollicités par ce stade.
1.3.2.2. Cas des rationnels-mesures
Ce sont les problèmes liés à la somme et au produit de mesures (mesure d'aires,
de volumes...). Ces problèmes, qui peuvent s'aborder sans aucun développement
systématique dans le cadre de l'enseignement primaire − encore que le produit par un
rationnel non entier ne soit "plus un objectif du cycle", sauf lorsqu'il s'agit d'un
pourcentage ou de nombres décimaux comme 0,1 ou 0,01 (!) (Programmes de l'école
élémentaire ; 1995, pp.107 - 109) −, relèvent plutôt du collège. Nous ne nous y
attarderons donc pas plus dans le cadre de cette étude.
Quant aux problèmes posés par la comparaison des mesures, ils nous semble
qu'ils ont une importance particulière à ce stade : comprendre en quoi
2
5
>
3 10
(alors que
2 < 5 et 3 < 10 !) apparaît comme un moyen efficace de ne pas se laisser "distraire",
comme le disait Streefland (1991), par les leurres liés à l'usage des entiers pour décrire
le lien fractionnaire. Nous reviendrons longuement sur cette idée pour étayer nos choix
didactiques et commenter les résultats des élèves de la classe d'expérimentation aux
chapitres IV, V et VI.
1.3.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade
1.3.3.1. Cas des formes linéaires
Nous avons déjà vu au paragraphe précédent − cas de la dilatation − qu'à ce
stade, l'expression peut déjà être fractionnaire en ce qui concerne les nombres
mesurants, mais rester entière − c'est à dire s'exprimant en une succession d'opérations
décrites par des entiers − en ce qui concerne les opérateurs linéaires. Une interprétation
du différentiel de réussite entre les items DLA et KWH, cités au paragraphe précédent,
nous permettra de préciser un peu plus la nature du discours sollicité à ce stade et les
formes que peut revêtir son expression.
58
Chapitre II
Dans le cas de DLA, le recours à un tableau peut éviter en fait tout recours aux
taux et donc aux écritures fractionnaires, par exemple :
Volume traité
500
250
100
850
Accroissements
25
12,5
5
42,5
Figure 5 : un tableau pour gérer un lien de proportionnalité
ou bien encore, vu l'époque à laquelle ce questionnaire a été soumis, la règle de
trois. Dans un cas comme dans l'autre, la prise en compte de ce que nous avons appelé
en 1.2.5 "le monde virtuel des parts" − ici 1 pour 20 ou 1/20 − n'est pas nécessaire. Seule
la prise en compte du "monde réel" − des volumes et de leurs accroissements − suffit.
Un discours de nature rhétorique : "pour 500 cm3, on a un accroissement de 25 cm3,
pour 100 cm3on aura donc un accroissement 5 fois moindre, soit de ...." est suffisant
pour maîtriser et traiter la situation. Même s'il se développe apparemment sur deux
lignes distinctes, matérialisées par les deux lignes du tableau, il reste essentiellement
unidimensionnel.
En revanche, KWH suppose une interprétation de 57 % en terme d'opérateur et
son application à 180, ce qui demande, soit une conversion de 57 % en 57/100 (en tous
cas en dissociant l'écriture unidimensionnelle − voir chapitre III-3 − 57 % en deux
opérateurs entiers, 50 et 100, dont le mode d'action est radicalement différent) ; soit un
recours à un tableau de proportionnalité. Mais même dans ce dernier cas, une prise en
compte séparée du monde virtuel − 57 sur 100 − et du monde réel − celui des Kwh
devient ici nécessaire.
Notre point de vue est confirmé lorsque les auteurs démontrent (p 198), en
opposant la réussite de deux classes à des items comparables à DLA7, tout au moins en
ce qui concerne les moyens de les traiter, que : "C'est bien le recours à un tableau de
proportionnalité […]qui est l'élément essentiel de discrimination entre les deux classes.
Nous pouvons confirmer […] : l'apprentissage du recours à des tableaux (de
proportionnalité) […] joue un rôle décisif dans les réponses à des questions courantes
où intervient la proportionnalité.". Nous interprétons ce constat par le fait que ce recours
est une façon fort efficace de condenser un discours rhétorique, donc affranchissant de
7
DIA : 5 cm3 de diamant ont une masse de 17,5 g. masse de 7 cm3 de diamant ?
59
Chapitre II
l'usage des écritures fractionnaires, sur des problèmes de proportionnalité qui en
relèvent.
1.3.3.2. Cas des rationnels-mesures
L'expression requise est ici la forme fractionnaire ou décimale (nombres à
virgule), ainsi que les exemples précédents l'ont illustré. Le développement des
traitements demande donc de savoir additionner, multiplier, diviser − par un entier − des
rationnels, exprimés sous forme de fractions ou de décimaux, suivant les techniques
usuelles. Ces techniques relèvent plutôt du collège, mais constatons que, si leur
légitimité découle de l'acception d'une fraction comme exprimant un nombre, elles
contribueront en retour à accréditer cette acception qui, comme on le sait, emprunte un
certain nombre de sinuosités avant d'être pleinement acceptée. Les nombres ainsi traités
sont encore à ce stade des nombres mesurants. Ils sont donc, en principe, accompagnés
d'une unité liée à une grandeur physique − 3/4 de mètre − ou plus "vulgaire" − 3/4 d'une
pomme. Ce ne sont donc pas encore tout à fait des "éléments de Q ". Néanmoins
prolongeant certaines propriétés des entiers, ils contribuent à la construction de ce
nouvel ensemble de nombres, qui sera poursuivie au cran suivant. C'est la raison pour
laquelle il est possible, dès ce stade, de les traiter par anticipation comme nombres à part
entière, c'est à dire pas forcément associés à une unité explicitée. Certains auteurs,
comme Douady (1986), utilisent très précocement ce glissement. Nous y reviendrons en
2.2.
Le cas de la comparaison mérite qu'on s'y attarde un peu plus, tant il contribue
à la constitution de cet ensemble "d'objets mesurants" en ensemble de nombres ; sans
doute parce qu'il est possible de développer au cours de cette tâche des discours riches
de sens, avec des moyens empiriques ou plus systématiques, mais dont on va voir que le
premier cité crée un lien fort avec les entiers. Les compétences requises ont en outre
l'avantage d'être disponibles dès l'école primaire.
Cas des écritures fractionnaires
Les moyens de comparer les nombres écrits dans le système fractionnaire ne se
réduisent pas à l'application d'un algorithme de réduction au même dénominateur suivi
d'une comparaison des numérateurs. Nous avons observé, auprès des élèves de notre
MIN : 6 cm3 de minerai ont une masse de 24 g. Volume de 30 g de ce minerai ?
60
Chapitre II
classe expérimentale, une grande diversification des démarches adoptées. Sans vouloir
anticiper sur le chapitre V qui détaillera ces observations, citons ici les procédures les
plus usitées, accompagnées des arguments fournis par les élèves pour les légitimer.
1. Le positionnement par rapport à un entier (6/5 < 2 car 6 est inférieur à 2 fois
5 ; 9/4 > 2 car 9 est supérieur à 2 fois 4, donc 9/4 > 6/5) ;
2. le positionnement par rapport à 1/2 (3/5 > 1/2 car 3 est supérieur à la moitié
de 5 ; 4/8 = 1/2 car 4 c'est la moitié de 8) ;
3. application de la règle : plus grand le nombre de parts, plus petite chaque
part, pour comparer des fractions de même numérateur ;
4. combinaison des méthodes 1. et 3. précédentes : 2/3 < 3/4 car 2/3 est à
distance 1/3 de 1, 3/4 est à distance 1/4 de 1 et 1/3 > 1/4 ;
5. combinaison des méthodes 2. et 3. précédentes 4/7 < 3/5 car 3/5 est à "un
demi cinquième de la moitié" (3/5 = 2,5/5 + 0,5/5) et 4/7 est à "un demi septième de la
moitié" (4/7 = 3,5/7 + 0,5/7), or 0,5/7 < 0,5/5 d'après 3. cqfd !
6. techniques s'apparentant à la recherche d'un dénominateur commun
7....
La richesse de cette diversité dans l'expression de la comparaison de deux
rationnels a été l'une des surprises agréables de cette recherche. Elle nous a conforté
dans l'idée que les moyens de signifier la comparaison des fractions, avant toute étude
systématique, étaient un itinéraire d'accès privilégié à la notion de fraction-rapport (les
arguments utilisés par les élèves pour justifier les procédures 1. − 9/4 > 2 car 9 est
supérieur à 2 fois 4 − 2. et 5. ci-dessus an attestent largement) contre la prédominance
de la cardinalité (interprétation de 9/4 littéralement et exclusivement comme 9 parts,
dont chacune est obtenue par fractionnement en 4 d'une unité).
Reste à savoir quel regard sur l'expression des rationnels permet de tenir
semblables discours. Cette question, centrale dans notre recherche, sera examinée aux
chapitres IV et V. Il importait néanmoins à ce stade de souligner que la possibilité de
comparer deux rationnels-mesures était fortement liée aux moyens d'expression
disponibles de ces objets.
Cas des nombres décimaux à virgule
La comparaison des nombres "à virgule" pose des problèmes d'une tout autre
nature, tant cette forme d'expression, liée à une catégorie particulière de rationnels,
61
Chapitre II
rappelle l'expression des entiers. Elle se distingue de l'expression fractionnaire par le fait
que les dénominateurs (dixièmes, centièmes...) ne sont pas explicités par des entiers (10,
100...) mais signifiés par un rang après la virgule. Cette particularité fait la force de cette
écriture : une forme unidimensionnelle prolongeant naturellement celle des entiers. Mais
cette puissance de calcul se paie par un certain nombre de leurres sémiotiques bien
repérés (comme 3,14 > 3,7 car 14 > 7), qui constituent autant de pièges pour les élèves.
Il n'empêche que ce mode d'expression est fort commode et apprécié des élèves à ce
stade − qui le préfèrent souvent à l'écriture fractionnaire car plus proche d'une forme
d'expression numérique maîtrisée, ainsi que Brousseau le note (1986-b ; p 114, où les
élèves se réfèrent plutôt à 1,75 qu'à 7/4). Il contribue sans doute à l'acception d'un
rationnel comme nombre, même si, par opposition, il peut aussi déboucher sur le rejet
momentané d'une fraction comme exprimant un nombre.
1.3.4. Nature des rationnels liés à ce stade
Elles se déduisent aisément des considérations qui précèdent. Contrairement au
stade précédent, ce stade est celui qui offre la meilleure opportunité à l'émergence du
rationnel-mesure − exprimé par une fraction ou, si possible par un décimal − en tant que
nombre, car il y intervient comme argument d'opérations. Quant au rationnel-opérateur,
on aura compris qu'un mouvement analogue ne le propulsera au statut de nombre qu'au
stade suivant. Pour l'instant, son appréhension en tant que nombre n'est pas une stricte
nécessité car, à ce stade, l'opérateur linéaire n'apparaît qu'accompagné de l'argument
auquel il s'applique. Il faudra attendre qu'il s'en détache pour accéder à une existence
autonome d'objet, susceptible notamment de se composer à d'autres objets de même
nature : par analogie avec les notations fonctionnelles usuelles, nous dirons que ce stade
concerne f(x) et pas encore f, où f joue le rôle du rationnel-opérateur, x celui du
rationnel-mesure.
1.3.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant
Le principal obstacle réside dans la nécessité d'effacer l'argument devant la
fonction, dans certaines situations pourtant fort courantes ainsi qu'en témoigne le
dialogue suivant, entre professeur (T) et élève (A)nn, rapporté par Saenz-Ludlow (1995 ;
p 124).
62
Chapitre II
T : "- I have in my pocket a certain amount of money and I am going to give
you twenty-five fortieths and to Michael fifteen fortieths. What part of the money will I
have left over ?
- A : I don't know, because I don't know the amount of money that you have in
your pocket.
- T : Even if you don't know the amount of money I have in my pocket, I'm
giving you all the clues.
- A : what is one fortieth ? (alors qu'elle a déjà travaillé sur ce type de fractions,
qu'elle en connaît parfaitement la signification, mais lorsqu'elles opèrent sur une somme
d'argent exprimée - en dollars en l'occurence).
- T : One out forty
- A : None (Ann donne enfin sa réponse, exacte, au problème posé, à savoir
qu'après avoir donné vingt-cinq puis quinze quarantièmes d'une certaine somme
d'argent, il ne reste plus rien.).
On remarquera que pour mener à son terme ce raisonnement en proportion, elle
passe par une "réalisation" du monde virtuel des parts (les quarantièmes) ; tant que les
vingt-cinq et quinze quarantièmes restent abstraits, elle est incapable de les combiner,
mais dès qu'ils redeviennent parts parmi quarante, elle les traite en quantités réelles.
Sitôt identifiés en tant qu'objets autonomes, les rationnels-opérateurs
présenteront en outre des difficultés sémiotiques et conceptuelles analogues à celles
présentées, lors du même passage, par les rationnels-mesures : l'obligation de se donner
une désignation formelle pour ces nouveaux objets ; l'existence d'écritures multiples −
relation d'équivalence entre les fractions. En outre, l'usage lors du stade précédent
d'objets déjà représentés par des fractions − les rationnels-mesures − va demander un
double mouvement de distinction puis d'identification des deux types d'objets, pour
fonder le concept général de nombre rationnel qui les dépasse en les unifiant : on aura
bien entendu reconnu le problème que pose toute identification d'un espace vectoriel
avec son dual.
1.4. Le stade des nombres rationnels
De même que les rationnels-mesures sont devenus − presque − nombres à partir
du moment où ils ont été arguments d'opérations, les opérateurs rationnels deviennent
63
Chapitre II
nombres lorsqu'ils se détachent des objets auxquels ils s'appliquent, pour devenir à leur
tour arguments et images d'opérations. Il reste alors à accepter l'identification des deux
types d'objets rationnels ainsi rencontrés, à travers la notion de nombre rationnel. Un
nouvel ensemble de nombres sera ainsi construit. Il émerge dans un mouvement de
convergence entre rationnels-mesures et rationnels opérateurs. Mais une fois constitué,
il pourra fonctionner comme modélisant indifféremment des actions et idées de mesure,
de dilatations ou de proportions.
1.4.1. Description et références
La règle qui suit, fort pratique pour convertir une somme d'argent exprimée en
francs en son équivalent en euros, illustrera parfaitement notre propos. Voici cette règle
: ajouter la moitié et diviser par 10. Si on se contente d'une expression linéaire de la
conversion euro/franc, comme "un peu moins que 1 pour 7", expression suffisante au
stade précédent, on se heurte à des difficultés de calcul à cause de la division par 7,
guère aisée. En revanche, la suite d'égalités :
1
1
3
3
3 1
=
≈
= ⋅
= (1 + ) ÷ 10
7 21 20 2 10
2
qui ne porte pas sur des sommes d'argent mais sur les proportions qui régissent
la conversion franc/euro, et traite ces opérateurs linéaires comme des objets autonomes,
permet d'en déduire facilement la règle énoncée (qui est un retour à une expression
rhétorique des actions à entreprendre).
Soit en adoptant le point de vue de Régine Douady (1984 ; pp. 14-17) : L'outil
(ancien) devient objet d'étude − ce qui, ajouterons-nous, amène à le doter d'une forme
d'expression adéquate plus synthétique et opérationnelle − débouchant sur l'élaboration
d'un outil (nouveau) mieux adapté à ses nouvelles fonctions.
C'est donc ce type de nécessités qui peut amener à accepter de dépasser le stade
des opérateurs linéaires entiers, pour accéder à celui d'opérateur rationnel, soumis à des
règles semblables à celles déjà entrevues pour les rationnels-mesures. Moyennant quoi,
on pourra enfin envisager "une identification institutionnalisée, c'est à dire raisonnée et
convenue, de (Q+ ; x) avec
(Q+)" (Brousseau ; 1986-b, p 98).
1.4.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade
• Comparaison en proportions (Vergnaud et Laborde 1994 ; p 82 citant
Noelting ; 1980)
64
Chapitre II
"Quelle est la boisson la plus fruitée d'un pot préparé avec 2 verres de d'oranges
pour 3 verres d'eau et d'un autre pot préparé avec 3 verres d'oranges pour 4 verres
d'eau ?"
Cet exemple nous semble relever d'une transition entre les stades 3 et 4 car, s'il
peut se traiter par linéarité au moyen des seuls nombres entiers − en recherchant une
base de comparaison commune de 12 verres d'eau par exemple −, il n'explicite pas en
revanche d'arguments auxquels ces opérateurs linéaires implicites s'appliquent − comme
c'était le cas en 1.3.2.1 notamment avec KWH ; mais, surtout, il demande de comparer
ces deux proportions, contre une comparaison des entiers qui les expriment. Dans ce
sens, ce type de problèmes contribue à "l'émancipation" des proportions au rang de
nombres à part entière.
• Un exemple géométrique, le pantographe (Brousseau ; 1986-b, pp. 103112)
Il s'agit de la description d'une suite de séquences au cours desquels les élèves
sont amenés à remplacer "l'action de deux ou plusieurs pantographes8 par l'action d'un
seul que l'on peut calculer en faisant le produit [sous-entendu des coefficients
d'agrandissement] des deux premiers." La manipulation réelle, utilisant sans doute des
pantographes peu perfectionnés, "produit un agrandissement tellement erroné qu'il est
nécessaire de retracer les segments à la règle [et donc de recalculer] leur longueur." La
théorie en cours d'élaboration par les élèves [le produit de deux rationnels-dilatations,
mais aussi, par voie de conséquence, le traitement d'un rationnel-dilatation comme un
nombre] fournit donc "un modèle qui permet la prévision, de manière plus simple, plus
économique, plus précise, que la pratique". On constate donc que les arguments de ces
opérateurs de dilatation, soit des rationnels-mesures − disparaissent des traitements qui
n'affectent plus que les opérateurs eux-mêmes. L'avant-dernière étape de ce processus
"consiste à faire fonctionner cette opération comme moyen d'analyse. Par exemple, en se
rendant compte que toutes les applications rationnelles peuvent s'exprimer comme
composée d'une application entière et de l'inverse d'une application entière. Exemple :
3/4 = (x3). (x1/4)". Ce dernier exemple confirme bien que les rationnels-dilatations
8
Le pantographe est un instrument de dessin articulé permettant de produire des figures homothétiques
d'une figure donnée. L'usage des ordinateurs l'a relégué au rang de pièce de musée. Il mérite, à ce titre,
d'être examiné par des élèves, dans le cadre de la réalisation d'un musée scientifique scolaire par exemple.
65
Chapitre II
peuvent à présent être traités en arguments d'une opération, ce qui va faciliter leur
identification à des nombres à part entière.
• Problèmes de répartition en proportions et pourcentages
Il s'agit de problèmes, de type KWH exposé en 1.3.2.1, mais où les arguments
exprimés en Kwh ne sont plus fournis parce qu'inutiles : par exemple, pour comparer
deux répartitions de l'origine − nucléaire, hydraulique... − de la production d'électricité
de deux pays différents, ces répartitions étant exprimés uniquement en pourcentages.
• Calculs formels sur les fractions
Ce sont tous les exercices d'entraînement de collège, portant sur la
comparaison, la somme, et le produit de fractions, hors de tout contexte de référence.
1.4.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade
Comme pour les rationnels-mesures, le fait d'être traités en objets de calcul
rend fortement utile une expression des rationnels-dilatations au moyen de systèmes
facilitant ces calculs. Les expressions fractionnaires ou décimales ont fait leurs preuves.
Nous verrons d'ailleurs (chapitre IV-5) les limites d'expressions alternatives, adaptées à
une introduction des rationnels, mais plus lourdes pour la conduite de certains calculs.
Les systèmes d'écritures fractionnaires et décimales à virgule des rationnels deviennent
donc naturellement adaptés à ce stade.
Notons l'importance, déjà relevée pour les fractions-mesures, de l'existence
d'écritures équivalentes pour un même rationnel : ces dernières contribuent, par
opposition, à l'émergence d'un invariant, le nombre rationnel, qui transcende la diversité
de ces écritures équivalentes ; elles permettent ainsi de mesurer la relativité de ce
qu'expriment les nombres entiers dans les écritures fractionnaires, contre une
interprétation littérale de ces derniers.
Dans leur article déjà cité, Dupuis et Pluvinage (1981 ; pp. 198-199) notent à
propos des simplifications et donc de l'acceptation de l'équivalence de certaines écritures
(c'est nous qui surlignons certains passages) :
"On est frappé par les variations parfois énormes des résultats obtenus sur
différentes formes d'une même question. L'exemple le plus frappant est l'écart des
réussites à [calcul de x]:
12 x x = 36 x 13 (Réussite 78%) et
66
12 × x
= 13 (Réussite 18%)
36
Chapitre II
Les variations observées montrent que beaucoup d'élèves suivent pas à pas les
opérations présentées par l'énoncé, et butent sur les difficultés numériques qu'une
simplification préalable aurait fait disparaître. Et il semble, aux résultats, que cette
vision de simplifications, de possibilités de travail à coût moindre que le traitement
issu de la lecture de l'énoncé, est une forme de l'appropriation de la
proportionnalité."
1.4.4. Nature des rationnels liés à ce stade (première conclusion de la section 1)
L'acception d'un rationnel comme nombre sera une étape importante dans le
processus de construction par extensions successives des différents ensembles de
nombres. Elle sera pour nous l'occasion de récapituler cette réflexion sur les quatre
stades d'appréhension des phénomènes rationnels.
Nous avons, tout au long de cette section, insisté sur le fait, central pour nous,
que l'évolution des conceptions était étroitement liée à la nature et à l'expression des
traitements que l'on applique aux objets considérés, à savoir des nombres et des
grandeurs ; que l'expression fractionnaire des rationnels n'était pas le moyen le plus
adapté à leur appréhension et au traitement des problèmes associés à certains stades de
leur construction, et que des modes d'expression alternatifs existent ; qu'en revanche, le
succès de l'écriture fractionnaire ou décimale à virgule − tout du moins dans sa version
limitée, ou éventuellement illimitée mais périodique − s'imposait dès lors que les
rationnels émergeaient en tant que nombres, mesurants ou opérants.
Nous avons décrit récursivement trois niveaux de traitements, chacun attaché à
une conception particulière des phénomènes rationnels :
•
appliquer une suite d'opérations entières, par fractionnement de l'unité ou
par commensuration, à des grandeurs ou à des entiers constants, exprime la relation
partie-tout ;
•
appliquer cette suite d'opérations entières à la relation partie-tout elle même
contribue à l'accès de cette dernière au rang de nombre-mesure, sur lequel agissent les
formes linéaires définies par cette suite d'opérations entières ;
•
appliquer cette suite d'opérations entières aux opérateurs eux-mêmes
contribue à l'accès de ces derniers au rang de nombres-proportions.
Il reste, et cela relève plus du collège que de l'école primaire, à comparer la
"réaction" − identique − de ces nombres "mesurants" et/ou "opérants" aux diverses
67
Chapitre II
opérations qu'on leur a appliquées (somme, produit, comparaison....) ; à constater qu'ils
sont extensions des entiers et des opérations qu'on leur applique dans des circonstances
analogues. Ceci achèvera de légitimer leur identification à des nombres prolongeant les
entiers, les nombres rationnels.
1.4.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant
(deuxième conclusion de la section 1)
Le stade suivant sera bien entendu celui de la construction des nombres
irrationnels. Nous nous intéresserons ici avant tout aux nombres algébriques qui
s’expriment au moyen de racines carrées, car ce sont essentiellement ceux-là9 que le
collégien va rencontrer sur son parcours. Malgré le fait que ce stade dépasse
franchement le niveau de l’école élémentaire, nous dirons quelques mots de ce qui peut
faire obstacle à l'acceptation puis à l'appropriation de ces nombres qui ne peuvent pas
s'écrire sous une forme fractionnaire.
La découverte de grandeurs incommensurables, comme la diagonale d'un carré
et son côté, a pu choquer dans l'antiquité non seulement les mathématiciens mais même
les philosophes grecs, parce qu'elle allait à l'encontre d'un univers censé être descriptible
au moyen des seuls entiers, le cas des rationnels pouvant s'y ramener par
commensuration (voir 1.2.2 et 1.2.3 du présent chapitre et le chapitre III-3). Mais nos
élèves de quatrième n'ont aucune raison d'avoir une telle conception de l'univers! Nous
ne pensons donc pas trouver du côté de l'Histoire une interprétation des contradictions à
dépasser pour accéder au stade des irrationnels. Les principaux obstacles
épistémologiques nous semblent en fait avoir déjà été rencontrés lors de la construction
des rationnels :
•
acceptation de nombres comme représentant des rapports pouvant
fonctionner comme images de mesures ou comme opérateurs ;
•
densité, au sens d'une possibilité récursive d'intercalations et d'une
approximation aussi fine que l'on souhaite ;
•
renoncement à la possibilité d'exprimer effectivement tous les nombres
grâce à une écriture chiffrée de position − l'écriture décimale ;
9
π n’étant utilisé que de façon plus anecdotique, et surtout exprimé par sa valeur approchée décimale de
3,14.
68
Chapitre II
•
confusion entre arrondis et valeurs exactes (égalités abusives telles que
0,33 = 1/3 ou 3,14 = π)
•
recours à des écritures à virgules illimitées.
En ce qui concerne le dernier point, on peut noter son franc succès auprès des
élèves de l'école élémentaire et du début du collège, qui en comprennent en général bien
l'origine liée à la nécessaire répétition d'un reste dans une division. Cette compréhension
se manifeste par des expressions comme "ça ne s'arrêtera jamais !" ou encore "ça ne
sera jamais tout à fait égal [un rationnel non décimal à son approximation décimale à
virgule]". Alors, après le constat de l'existence de développements illimités périodiques,
accepter la possibilité de développements illimités non périodiques ne semble pas
relever d'un saut conceptuel important.
En revanche, c'est peut-être encore une fois du côté de l'expression que l'on va
trouver le principal obstacle. En effet, si la définition d'un rationnel peut se ramener à
une suite d'actions séquentielles décrites par des entiers − report et subdivision dans le
cas du fractionnement de l'unité par exemple − celle d'un nombre comme
2 passe par
ce que Duval (1995 ; p 99) appelle une opération de description ou encore de
catégorisation croisée : « le nombre positif dont le carré est égal à 2 ». La définition de
2 suppose ainsi le croisement de plusieurs déterminations (positif, dont le carré…).
De plus, contrairement au cas des fractions qui peuvent être atteintes séquentiellement
par subdivisions et reports, un nombre comme
2 est capturé de manière indirecte par
la résolution d’une équation (x2 = 2). L'emploi du redoutable pronom relatif dont
témoigne de cette difficulté analogue à celle que présente un rationnel lorsque a/b est «
le nombre dont le produit par b est égal à a ». Aussi n'est-il pas rare de relever des
confusions − élever au carré au lieu d'extraire la racine − qui peuvent provenir d'une
reformulation implicite au moyen de la conjonction "qui", plus simple à saisir : "dont le
carré vaut 2" est interprété dans ce cas comme : "… qui vaut 2 au carré". Cette
définition indirecte se répercute sur la gestion des calculs portant sur des racines, pour
lesquels il n'existe pas d'algorithmes simples comme dans le cas des fractions : les
décisions d'élever au carré, ou de multiplier par la quantité conjuguée peuvent sembler
intempestives, tant elles brisent la séquentialité d'un traitement tout en demeurant
incertaines dans leur efficacité à aboutir. Ce que Bolon (1996 ; p 233) traduit par
"l'incapacité [des élèves] à traiter algébriquement des propriétés de nombres
69
Chapitre II
[considérant
2 comme un calcul inachevé, car défini au moyen d'une équation et non
sous une forme canonique décimale, seule forme acceptable pour conduire un calcul ou
surtout produire un résultat]".
Duval (1995 ; p. 100) écrit d'ailleurs à propos de l'opération de description :
"Elle consiste en la construction d'une dénomination par catégorisations successives
avec une neutralisation partielle de chaque catégorie mobilisée : la description désigne
un seul objet et non pas un conglomérat d'objets". Et plus loin : "[Cette opération est]
une source importante de difficultés dans la compréhension de la langue naturelle,
comme on peut le vérifier dans le cadre de l'apprentissage des mathématiques".
Ce paragraphe, qui vise des apprentissages situés en aval de notre recherche,
aura donc permis de constater que les principaux sauts conceptuels sur les ensembles de
nombres sont déjà rencontrés à la fin de l'école élémentaire. D'où l'importance
d'accorder un soin tout particulier à cet enseignement. Mais on aura aussi remarqué à
quel point l'expression est liée aux obstacles. Ce qui ne fait que confirmer notre choix de
lui accorder une place de choix dans notre ingéniérie.
2. Le point de vue de quelques chercheurs
Nous allons étudier dans cette section la façon dont certains chercheurs
prennent en compte les quatre crans, les obstacles et l'expression des rationnels, en
liaison avec ce que nous avons décrit dans la section 1. Dans un souci d'économie, nous
nous limiterons à trois travaux, publiés par quatre spécialistes − un des ouvrages est
signé par deux personnes −, ce qui sera amplement suffisant pour introduire la
problématique de notre propre recherche. Nous ne prétendons pas − loin s’en faut − être
exhaustif sur la pensée de ces auteurs. Nous nous contentons d’examiner « l’univers
observable » de leur réflexion depuis une thèse, un article, une brochure, soit parce que
nous pensons que cette publication a de bonnes raisons de filtrer les options essentielles
de leur auteur, soit parce qu’elle permet de relativiser nos propres options.
Remarquons de la même manière que la publication de certains ouvrages cités
remonte à plus de dix ans. Nous examinons donc des points de vue datés. Ces points de
vue ont-ils évolué depuis ? Ce n'est pas notre propos de répondre à cette question ici,
puisque notre objectif est avant tout de situer notre recherche par rapport à quelques
70
Chapitre II
idées clés, exprimées à quelque époque que ce soit, et qui auront marqué nos travaux,
par opposition, par convergence, ou par tout autre effet de perspective.
2.1. Guy Brousseau (1986-b ; pp. 96-151
Nous commençons par G. Brousseau car c'est manifestement un des chercheurs
qui aura le plus contribué en France à l'étude des phénomènes didactiques, notamment
ceux liés à l'enseignement des rationnels, tant par sa recherche personnelle que par
toutes celles qu'il aura induites ou provoquées. Nous avons retenu comme ouvrage de
référence la thèse de cet auteur, censée mettre au premier plan les points fondamentaux
de son dispositif.
Dans le canevas du processus d'enseignement qu'il y décrit (1986 b ; pp. 97103), on repère vite les trois derniers crans − le premier n'est pas l'objet de son étude −,
ce qui ne saurait être surprenant puisque Brousseau accorde une attention toute
particulière à la distinction entre différentes situations mobilisant les rationnels : le
deuxième cran est lié à la phase I (1986-b ; pp. 131-151), "des mesures rationnelles aux
mesures décimales", dont la situation d'introduction a déjà été citée − mesure de
l'épaisseur d'une feuille de papier en 1.2.2. ; le troisième cran est lié à la phase II (II.1 à
II.3, pp. 99, 100, et 113-116) autour de situations dont la première a été présentée en
1.3.2 − agrandissement d'une pièce de puzzle − et dont les suivantes en sont des
prolongements − examen d'agrandissements photographiques (p 100) ; la phase II.4
(p 100) est une phase contre-exemple − applications non linéaires ; la phase II.5 (p 99)
est une phase de transition entre les crans 3 et 4 − produit de deux fractions dont l'une
est interprétée comme une application linéaire opérant sur l'autre ; les phases II.6 à II.7
enfin (pp. 99 et pp. 103 à 112) relèvent du cran 4 et sont introduites par la situation
"pantographe" déjà exposée en 1.4.2.
Pour Brousseau, "la question de rang n naît des problèmes rencontrés avec les
solutions trouvées à la question de rang n - 1.". On a donc bien une progression du cran
2 au cran 4, des mesures rationnelles puis décimales aux nombres rationnels en passant
par le stade des applications linéaires opérant sur des mesures, puis affranchies de leur
argument.
Nous avons déjà relevé que les moyens d'expression requis des élèves ou mis à
leur disposition ne sont jamais hypertrophiés par rapport aux nécessités du discours :
ainsi, les rationnels mesurant une épaisseur de feuille de papier s'expriment-ils au
71
Chapitre II
moyen de couples du type (30f ; 2mm), ce qui suffit pour les comparer, pour
appréhender l'existence d'écritures équivalentes, et aussi sans doute, pour les multiplier
ou les diviser par un entier − l'addition n'y étant pas décrite explicitement, nous n'en
parlerons pas. En tout état de cause, − voir 1.2.3 − ces notations par couples assorties
d'un discours rhétorique suffisent à traiter les problèmes soulevés par l'enseignant en vue
de l'acquisition de la notion visée. Il n'y a donc pas lieu de compliquer inutilement les
modes d'expression, ce que Brousseau évite soigneusement. On relève pareille économie
des moyens lors de l'introduction aux rationnels dilatations par l'agrandissement d'une
pièce de puzzle et "de façon à ce que tel côté qui mesurait 4 cm en mesure 7 […]. Ce
que les enfants construisent empiriquement est un ensemble de quelques couples
(longueur source et longueur image) et n'a pas de nom. L'application linéaire
7
s'inscrit
4
seulement dans les schémas d'action du sujet." (pp. 99-100). Ceci est confirmé un peu
plus loin (p 115) : "le lecteur aura remarqué que dans cette première séance sur le
puzzle, l'agrandissement n'a pas besoin d'avoir de nom. […] Lorsqu'il faudra les
comparer [les agrandissements], trouver ceux qui sont équivalents, les ranger, la
domination par l'image de 1 (qui détermine la fraction coefficient de dilatation) sera
choisie consciemment. Alors la question « est-ce que les agrandissements sont des
nombres ? » sera posée comme elle l'a été pour les fractions-mesures, et laissée sans
réponse officielle.". Il semble bien que l'on doive attendre la phase II.5, c'est à dire la
transition entre les crans 3 et 4, puis ultérieurement les phases II.6 et 7 pour assister à
l'utilisation d'une fraction pour signifier les formes linéaires ainsi construites.
Mais si les moyens de signifier les rationnels apparaissent toujours comme une
conquête nécessaire, liée à un stade de l'apprentissage, et donc couronnant un processus
d'adaptation, on pourrait s'attendre à ce que leur importance soit soulignée et fasse
l'objet d'activités spécifiques. Or ceci n'est pas décrit dans la thèse étudiée. Une place
modeste, de l'ordre de quelques lignes, est consacrée à l'introduction de nouvelles
écritures. Mais surtout, rien n'est dit sur le système dans lequel elles s'insèrent, qui
s'oppose pourtant aux systèmes antérieurs : car si les fractions et les décimaux utilisent
des écritures chiffrées − très proches de celles utilisées pour les entiers − pour signifier,
leur mode de signification est radicalement différent de celui des entiers. Ainsi, peut-on
lire p 97 : "[…] les décimaux seront présentés comme des rationnels, simple réécriture
des fractions décimales." ; et p 118 : "cette activité permet d'établir une relation avec les
72
Chapitre II
nombres à virgule si les élèves les connaissent déjà, […] sinon le maître introduit
l'écriture décimale." Recitons aussi le passage, déjà évoqué au chapitre I-1, décrivant
l'adoption de la notation fractionnaire : (C'est nous qui soulignons)"En fin de séance,
l'enseignant expose aux élèves une méthode d'écriture […]. (50 ; 4) désigne un tas de
50 feuilles qui mesure 4 mm d'épaisseur, l'épaisseur d'une de ces feuilles s'écrit
4
".
50
Les écritures à virgule et fractionnaires sont considérées comme "simple
réécriture" des fractions décimales pour les premières, "méthode d'écriture" pour les
deuxièmes, mais non analysées en termes de ruptures d'un registre d'expression à un
registre alternatif, et donc d'un type de discours, avec ses règles de fonctionnement
propres, à un autre. Ce dernier point de vue sera développé au chapitre III-3
notamment mais nous pouvons déjà noter qu'il ouvre des perspectives, d'interprétations
et d'interventions, sur certaines erreurs résistantes signalées par nombre d'enseignants et
de chercheurs : "Je pense que 3/4, si on enlève le trait on a 34%, 1/2 = 12%, 2/5 = 25%"
(Sensevy ; 1996, p 23), prennent une
Quant aux obstacles, situés à l'articulation entre deux phases, ils sont négociés
différemment suivant le cas.
En ce qui concerne l'obstacle lié à l'acception d'une fraction-mesure comme un
nombre, on relève p 101 : "Ces objets nouveaux sont-ils des nombres ? C'est le moteur
de l'activité 2 qui amène les enfants à les identifier, à les additionner, à les soustraire, les
multiplier et les diviser par un naturel, à les comparer et à les ranger." Bien que cette
activité 2 ne soit pas détaillée dans la thèse, nous relevons néanmoins que le statut de
nombre de ces nouveaux objets est lié à la nature des traitements qui sont appliqués : on
agit sur ces nouveaux objets comme sur des nombres (comparaison, addition...), donc ce
sont des nombres. Dans ce cas, on constate qu'un lien est établi entre la notion faisant
obstacle et le type de discours dans lequel elle s'insère.
En ce qui concerne l'obstacle lié à l'effacement de l'argument devant
l'application linéaire − passage au cran 4 permettant le succès d'un raisonnement en
proportion −, il sera associé non à la nature des traitements effectuables, mais à un
changement de statut de l'image de 1 : de moyen d'établir les images de toute longueur
source, il devient un moyen de désignation et de rangement des agrandissements d'une
même photo (p 100).
73
Chapitre II
Résumons en trois points ce que nous retenons de ce chapitre de la thèse de
Brousseau :
•
la progression présentée organise, autour de situations-problèmes, des
changements de perspectives d'un cran au suivant débouchant sur des modifications du
statut de nombre rationnel ;
•
les moyens de signifier sont plus ou moins spontanés au départ ; le recours
à des écritures standard ne se fait qu'au terme d'une conquête progressive et nécessaire
de l'apprentissage ;
•
ces écritures ne font pas l'objet d'une analyse détaillée ; elles sont plus
présentées comme des moyens d'enregistrer l'information et de la communiquer,
qu'insérées dans des systèmes discriminés par la nature des traitements auxquels ils se
prêtent le mieux et des prises de conscience qu'ils permettent.
Nous schématiserons la dynamique de construction de l'ensemble Q des
rationnels chez Brousseau par un diagramme de convergence, où m désigne un
rationnel-mesure ; r(m) une forme linéaire rationnelle appliquée à un rationnel-mesure m
; r un nombre rationnel. Les interrelations entre ces trois notions sont schématisées par
les arcs en pointillé. On notera que l'ensemble des rationnels Q ainsi construit fait
partie du plan de travail, c'est à dire du plan où interagissent les différentes situations
physiques qui ont motivé son émergence, dans la mesure où l'auteur ne souhaite pas
apporter de "réponse officielle" à la question des élèves : « [les fractions-mesures ou les
agrandissements] sont-ils des nombres ? » (p 115).
r(m)
m
Q
r
Figure 6
74
Chapitre II
2.2. Régine Douady et Perrin-Glorian (1986)
Nous avons retenu comme ouvrage de référence une brochure publiée en 1986
et qui traite de l'ensemble de la progression proposée du CM1 au CM2 et, pour certains
prolongements, jusqu'au collège.
Avec ces auteurs, nous allons observer quelques ruptures de séquence par
rapport à une progression allant du cran 2 au cran 3. Remarquons tout d'abord que les
quatre crans sont bien présents dès l'introduction p 12 (les parenthèses sont de nous) :
"les nombres servent principalement à dénombrer (cran 1), à désigner des mesures
(cran 2), des rapports entre mesures, […] à coder des fonctions (cran 3) et à calculer sur
ces fonctions (cran 4)." Les connaissances sont toujours construites suivant une optique
piagétienne, de déséquilibres en équilibrations qui prennent ici la forme de dialectiques
(dialectique outil / objet ou les trois dialectiques − action, formulation, validation − de
Brousseau rappelées p 7), à partir de problèmes pour la résolution desquels la
connaissance visée par l'enseignement constitue une réponse optimale. Quelques
particularités méritent cependant d'être signalées.
En ce qui concerne l'expression
•
Un lien est explicitement énoncé entre les concepts et les cadres à l'intérieur
desquels ils se "formulent" (p 3) ;
•
la diversité d'un concept est relié à la diversité de ces cadres (p 3) − et donc
pas seulement à une diversité de situations ;
•
un "langage oral et écrit" est évoqué (p 4), il est à "construire" à des fins de
"descriptions, prévisions et communications" (p 4) ; ces langages ne sont
pas − explicitement en tous cas − associés au jeu de cadres.
En ce qui concerne les obstacles situés à l'articulation de deux crans
Tous ne sont pas aussi aisément repérables en tant que moteurs des choix
didactiques comme chez Brousseau par exemple : notamment l'effacement du rationnelmesure, argument d'une dilatation, par rapport au rationnel-dilatation (m par rapport à
r(m) dans le passage du cran 3 au cran 4). Nous y reviendrons plus loin, p. 77.
Examinons à présent le canevas de la progression.
75
Chapitre II
Les rationnels-mesures (cran 2) sont d'abord introduits dans une situation de
communication de longueurs au moyen d'une unité (pp. 29-39 et les notations
fractionnaires favorisées dès le premier bilan. Ces nouveaux objets sont tout de suite
immergés dans un environnement numérique par le biais d'une droite graduée et un
système d'abscisses (pp. 43-46), puis en interaction avec des cadres géométriques et
graphiques par la recherche de rectangles à périmètre constant (p 48 qui renvoie aux pp.
121-126). On utilise alors les fractions pour coder des aires (pp. 51-62) afin de
"distinguer plus facilement le nombre (mesure) de la grandeur à mesurer". Puis on
retrouve la droite graduée à des fins d'intercalations, et d'identification d'une fraction à
un quotient de deux entiers, ce qui renforce son statut de nombre (pp. 63 à 72). On
"réinvestit les nouveaux nombres" (partie du titre du chapitre IV, p 77), donc par
continuité10 − entre rationnels-mesures et proportions (pp. 77-88) −, par le biais de
représentations de parcours à l'échelle, puis de "situations de la vie courante (cran 3)
[…]. Au fur et à mesure que de nouvelles fractions apparaissent, on les fait intervenir
dans des situations variées différentes du contexte où elles ont été créées. De cette façon
les fractions vont pouvoir être décontextualisées et prendre le statut de nombre" (p 87).
C'est donc ce mouvement décontextualisation, obtenu par variation des situations mais
aussi des cadres, qui autorise à passer des fractions mesurantes à des nombres, puis de
ces nombres à des opérateurs s'y appliquant.
Le produit de deux fractions sera abordé par le produit de mesures, dans un
triple cadre géométrique, graphique et numérique, problématisant les relations entre
dimensions, périmètre et aire d'un rectangle (pp. 105-140). Mais ce produit de mesures
est aussi réinterprété en terme d'opération d'une fraction sur une autre fraction (le
schéma d'un rectangle dont les dimensions sont 2/3 et 3/4, montre que son aire s'obtient
en prenant les 2/3 des 3/4 du carré unité (cran 3), ainsi qu'il est annoncé lors de
l'introduction p. 26). Les fractions décimales introduisent alors de grandes facilités de
calcul lors de la recherche d'approximations des dimensions d'un rectangle ou d'un carré
d'aire donnée (pp. 141-152) ; ou encore d'approximations de fractions par affinement
d'un intervalle d'encadrement sur droite gradué (pp. 70-76). La passage aux écritures à
virgules est soigné, et prolonge le système d'écriture des entiers (pp. 150-151). Ces
10
Rappelons que Brousseau, s'il décrit bien un recours aux rationnels-mesures comme arguments ou
images des dilatations lors de leur introduction par l'agrandissement d'un puzzle, n'organise pas de
76
Chapitre II
nouvelles écritures bien commodes permettent d'aborder un problème d'agrandissement
de puzzle (cran 3), référant à la situation de Brousseau (pp.89-103), mais présenté
comme un problème de réinvestissement, "après la construction de la multiplication sur
les nombres fractionnaires et l'introduction de l'écriture décimale" (p 89). Le chapitre
suivant est consacré à une étude des techniques opératoires sur les nombres décimaux,
en liaison avec les opérations correspondantes sur les fractions décimales (pp. 153-168).
Enfin un problème réinvestissant l'ensemble de ces connaissances par la recherche
multi-cadres de rectangles d'aire et périmètre donnés conclut cet ouvrage (pp. 169-177)
en donnant une bonne idée de la densité de l'ensemble des décimaux.
Remarquons que si ce canevas laisse clairement apparaître les crans 2 et 3,
nous n'y avons repéré que des traces réduites, en tous cas peu développées, du cran 4.
Mais ceci se comprend dans la mesure où ce cran est celui des rationnels considérés en
tant que nombres ; or nous avons vu que l'acceptation de cette idée était une
préoccupation constante et transversale à l'ensemble du processus didactique. Dès lors,
il n'y a plus de raison de lui consacrer une place séparée.
Le schéma d'ensemble résumé serait donc : une introduction par les rationnelsmesures, qui accèdent tout de suite au statut de nombres, notamment par le biais
d'écritures fractionnaires réagissant à des symboles numériques comme + et =. Ces
nouveaux nombres sont alors éprouvés dans leur capacité à gérer des situations où ils
interviennent en tant que rapports et proportions. Ce statut de nombre est confirmé par
les traitements numériques qu'il est possible de leur appliquer, mais aussi par leur
capacité à s'adapter à divers cadres où ils prolongent naturellement l'action des entiers.
Les articulations consistent donc plus à provoquer l'extension d'usage de nombres déjà
construits plutôt qu'à favoriser l'émergence de concepts nouveaux, unifiés en fin de
parcours autour de la notion de nombre rationnel.
Ce qui fait l'originalité de la démarche, c'est sans doute le recours à divers
cadres pour renforcer le statut numérique des objets (rationnels) construits. Ainsi, lors
de la recherche de l'aire de rectangles dont une des dimensions est fixée, utilise-t-on une
représentation graphique qui "joue un double rôle : recueil et organisation de
l'information, source d'information nouvelle en donnant du sens à de nouveaux points
intermédiaires" (d'abscisses et ordonnées fractionnaires qui viennent s'aligner avec des
filiation directe entre ces rationnels-mesures et ces rationnels-dilatations (1986-b ; pp. 113-114), mais un
77
Chapitre II
points de coordonnées entières.). La droite représentant la fonction linéaire étudiée,
production graphique sur un problème a priori numérique, renforce par sa continuité le
statut de tous les points intermédiaires aux points de coordonnées entières. C'est donc ici
un mode d'expression, et pas seulement une situation, qui porte le sens.
Mais si les moyens d'expression sont soigneusement étudiés − voir
l'introduction aux nombres à virgules (pp. 141-167) −, deux points en revanche nous
semblent devoir être soulignés, car ils distingueront cette approche de la notre.
1. Une introduction très précoce aux écritures fractionnaires.
2. La notion de cadre opposée à celle de registre : si un cadre "se détermine par
rapport à des objets théoriques, en l'occurrence des objets mathématiques"
(Duval ;1996, p. 357), un registre se détermine par rapport à un système sémiotique
permettant de remplir des fonctions cognitives. Or, pour un même objet mathématique
représenté, le coût cognitif peut varier en fonction de la représentation choisie. Ainsi, le
fait de représenter un rationnel par une fraction ou par un point sur une droite graduée
n'engage pas les mêmes capacités de discrimination et de mise en relation – entre deux
rationnels, entre un rationnel et un entier, entre deux entiers.
Le point 1. a déjà été commenté en 1.2.3. Ajoutons à ce commentaire qu'ici le
recours à des écritures fractionnaires est motivé par la recherche de messages les "plus
courts possibles" (p 34). C'est donc une motivation extrinsèque à la situation, en tout cas
peu liée à une nécessité de la situation.
La remarque d'un élève, cité par les auteurs p. 40, nous servira à éclairer le
point 2. Cet élève constate, après les premières introductions d'écritures fractionnaires :
"c'est drôle, la moitié de 12 c'est 6, et la moitié de 1/12, c'est 1/24, la moitié de 1/6 c'est
un 1/12". Pour qu'un enseignement puisse prendre en compte ce "drôle" de phénomène
et en exploiter les conséquences, on pourrait imaginer d'étudier systématiquement les
répercussions d'une multiplication par 2 du dénominateur d'une fraction sur sa
représentation dans un autre système, droite graduée ou surface fractionnée par exemple.
Une telle tâche ne sera productive que si l'utilisateur est bien convaincu qu'il agit sur
deux représentations du même objet mathématique. Pour cela, il importe de bien
discerner les deux systèmes mobilisés d'une part, la représentation du représenté d'autre
part. Or dans un même cadre coexistent très rapidement, parfois dès l'introduction, des
mouvement de convergence schématisé par la Figure 6, p 74.
78
Chapitre II
fractions, un quadrillage, des traits, des points…, soit tout un arsenal sémiotique
fonctionnant ou pas suivant des règles spécifiques, et exprimant ou pas le même objet.
Notre analyse nous amènera à éviter, dans la phase introductive en tout cas, une telle
hétérogénéité. Cela suppose, qu'au départ tout du moins, une approche séparée soit
réservée à chaque registre, à des fins de discernement, avant de proposer des tâches de
coordination inter-registres. Nous reviendrons longuement sur tous ces points au
chapitre III. Il importait cependant de les aborder ici car ils apportent un contrepoint à
la démarche d'enseignement étudiée.
En résumant l'approche de ces auteurs nous dirons :
•
les rationnels y acquièrent très tôt un statut de nombre, dont le mode
d'action est progressivement étendu ;
•
on désigne rapidement ces nombres, au moyen d'écritures fractionnaires,
qui seront dès lors privilégiées ;
•
un soin particulier est accordé à l'expression de ces nombres dans plusieurs
cadres et aux interactions qui en résultent ;
•
ces moyens d'expression sont introduits comme transcriptions de gestes, se
référant à une expérience physique ou mentale, en des équivalents formels (numériques,
géométriques, graphiques...) ;
•
ce faisant, ces moyens d'expression divers ne sont pas vraiment organisés
en systèmes autonomes, tant leurs interactions semblent constitutives de leur
construction.
Précisons enfin les oppositions − les convergences ont été soulignées plus
haut − qui nous semblent majeures entre Douady et Perrin-Glorian d'une part, Brousseau
d'autre part :
•
continuité contre convergence du rationnel-mesure au rationnel-nombre
puis dilatation ;
•
escamotage du cran 4, qui traverse en fait implicitement l'ensemble du
dispositif ;
•
produit des rationnels abordé par le produit de mesures (opération interne)
contre l'introduction par l'opération d'un rationnel-dilatation sur un rationnel-mesure
(opération externe) ; absence du produit comme composition de dilatations ;
79
Chapitre II
•
travail longuement décrit sur la diversité des interactions entre l'expression,
les traitements et le sens, contre un travail peu explicité sur l'expression, par ailleurs
détachée de la construction du sens ;
•
discours des élèves organisé dès l'abord autour d'écritures fractionnaires
élaborées et soigneusement décrites contre discours spontané initial, cadré en fin de
processus par les "notations" fractionnaires, sans qu'un paragraphe soit consacré à leur
appropriation.
Ce que résume Bolon (1996 ; p 103) en écrivant : "donner la priorité à la
multiplication externe des rationnels et au rapport entre mathématiques et grandeurs
physiques (Brousseau & Brousseau), ou à l'opposé, préférer la multiplication interne des
rationnels et construire les nouveaux nombres dans le cadre exclusif11 des
mathématiques (Douady & Perrin-Glorian)".
Concluons par le schéma de la Figure 7, qui résume les considérations
précédentes et qui pourra se comparer à celui de la Figure 6, où m, r(m), r, y désignent le
même type d'objets.
r
Q
m
r(m)
Cadre 3
Cadre 1
r(m)
m
Cadre 4
Cadre 2
Figure 7
11
Nous ne reprenons pas à notre compte le terme "exclusif", qui nous semble faire trop peu de cas des
nombreuses manipulations et références physiques explicitement évoquées par les auteurs.
80
Chapitre II
Dans ce schéma, les flèches en traits pleins signifient une antériorité par rapport
aux flèches-retour en gros pointillés associées. Tous les éléments de ce schéma : objets,
actions, cadres, interrelations, contribuent à la constitution de Q : "Au fur et à mesure
que de nouvelles fractions apparaissent, on les fait intervenir dans des situations variées
différentes de celles où elles ont été créées. De cette manière, les fractions vont pouvoir
être décontextualisées et prendre le statut de nombre" (Douady & Perrin-Glorian ; 1986,
p. 87). C'est cette volonté de dégager un statut de nombre que nous avons signifiée en
élevant Q au-dessus du plan de travail. On notera aussi le « détour » par Q pour passer
de m à r(m).
2.3. David W. Carraher (1993 ; pp. 281-305)
L’ouvrage de référence est un article paru dans ESM en 1993.
Cet auteur suscite notre intérêt à un double titre : il se réfère à un modèle lié à
une représentation linéaire des rationnels que nous allons rapidement décrire ci-dessous
; il utilise l'ordinateur pour mettre son modèle en œuvre. Sa démarche ne peut donc
manquer d'évoquer la nôtre, et il importe d'en pointer les similitudes et les différences.
Avec cet auteur, on quitte une progression basée sur des expériences à supports
physiques − feuilles de papier ; puzzle ; pantographe... −, sur lesquels les élèves
pouvaient agir directement ; les insuffisances du matériel, et/ou une exigence
d'anticipation et de communication nécessitant de dégager un modèle mathématique,
évolutif en fonction des contraintes de situation. En recourant à un ordinateur pour
organiser sa progression, Carraher nous fait passer des expériences réelles à des
simulations, ce qui va permettre une délimitation du jeu des contraintes, des traitements
valides et un choix précis puisque programmé des rétroactions. Il construit son modèle
en écartant d'abord les référents discrets, qui risquent − entre autres − selon lui de limiter
le sens d'une fraction à une double cardinalité au lieu d'un ratio : "[…] many students
treat the numerator and denominator as if they were two cardinal numbers denoting the
number of marked elements and the total number of elements, respectively (pp. 282284)". Il s'oriente donc vers des référents continus, et parmi ces derniers, il retient un
modèle linéaire, donc géométrique et unidimensionnel, en se référant à Piaget,
Freudenthal, et plus généralement aux mathématiciens qui représentent les nombres sur
une droite numérique: "Length, moreso than other quantities, expresses magnitude
81
Chapitre II
directly and unambiguously" (p 284). Mais la simple droite graduée par les entiers, entre
lesquels vont se positionner les rationnels, présente deux difficultés :
1. "the implicit ratio" (p 285), qui attribue à l'intervalle [0 ; 1] le rôle privilégié
et non explicite de référent (une fraction est un ratio de quantités dont une des deux se
réfère à l'intervalle [0 ; 1], l'autre à un intervalle d'origine 0) ;
2. "the unclear operations" qui, pour résumer, se heurte au fait que sur une
droite, les objets − en fait les intervalles − sur lesquels portent les opérations de reports
et de subdivisions décrits par une fraction, ne sont pas discernés par les élèves. (Ceci
débouche sur l'erreur classique consistant à appliquer la fraction à la totalité de la
portion de droite représentée, sans tenir compte des intervalles).
C'est la raison pour laquelle Carraher supprime purement et simplement la
ligne numérique repérée par les entiers. Il propose donc comme modèle de ratio la
donnée de deux segments commensurables :
Figure 8
Ceci a pour avantage, non seulement d'éviter les deux difficultés signalées plus
haut, mais encore :
•
de ne pas travailler dans un espace métrique (car si l'unité [0 ; 1] est
choisie une fois pour toutes, chaque segment a une longueur fixe, et donc non relative,
ce qui contredit l'idée essentielle de Carraher "to emphasize the relational quality of
rational numbers") ;
•
de proposer aux élèves des "partially « de-arithmetized » tasks, for which
there exists no mere numerical solutions".
Sa progression consiste donc à proposer aux élèves des tâches, mettant en
œuvre les notions représentées par les équations suivantes :
82
Chapitre II
N°
d'item
1
Name
Equation
Common Quotient
A÷n=B÷m
2
Common Product
Axm=Bxn
3
Integer Operators
A = (B x n) ÷ m
4
Rational Operators
5
Rational Divisor
6
Relative Increase
7
Relative Decrease
8
A=Bx
n
m
A=B÷
m
n
A = B+
(n − m)
B (A ≥ B)
m
B =A-
(n − m)
A
n
A = Div(n, m)B +
Measurement
(A ≥ B)
mod(n , m)
B
m
Tableau 1 : les huit types d'items retenus par Carraher
Concrètement, l'élève dispose à l'écran de l'interrogation qui lui est posée, sous
forme d'une des équations d'une des lignes du Tableau 1, associée à deux segments
comme ceux de la Figure 8. Voici par exemple un début de déroulement d'un exercice
correspondant à la première ligne du Tableau 1
Rétroactions de type GN
A
B
A÷n=B÷m?
A
5
B
3
.........
Rétroactions de type N
A÷5=B÷3?
A B
>
5
3
..................................
A
7
B
3
.......................
A÷7=B÷3?
A B
=
7
3
Tableau 2 : exemple de déroulement pour l'item 1
83
Chapitre II
L'élève est invité, d'essais en erreurs, à trouver n et m. Ses essais sont décrits
par la première ligne de chaque case de la colonne de droite. L'ordinateur renvoie deux
types de rétroactions. L'une, numérique (notée N par la suite), décrite sous chaque essai
de l'élève, et répondant sous forme d'inégalité ou d'égalité − lorsque la recherche a
abouti − aux interrogations de l'élève (noter la forme fractionnaire de la rétroaction
malgré l'interrogation au moyen d'opérations entières − s'agit-il d'une "préparation" à
cette "notation" ?) ; l'autre géométrico-numérique (notée GN par la suite), consistant à
dessiner les segments de longueur testée par l'élève (comme
A B
et en deuxième ligne
5
3
du Tableau 2), légendés par des écritures fractionnaires décrites en première colonne.
Mais en plus de ces deux types de rétroactions que l'on retrouve pour les 8
items, le logiciel présenté par Carraher propose deux autres formes de retours aux
essais de l'élève. La première d'entre elles utilise un cadre géométrico-numérique
linéaire (notée GNL par la suite), et la deuxième un cadre graphique sur fond quadrillé
(notée GPH par la suite), soit une représentation bidimensionnelle des fonctions
linéaires impliquées. Nous décrirons ultérieurement ces deux représentations avec plus
de détail, au moment où nous nous interrogerons sur la nature des moyens d'expression
sollicités pour mener ces tâches. Pour l'instant, contentons-nous de remarquer
l'escamotage total du cran 4, puisque de l'item 1 à l'item 8, la référence aux grandeurs A
et B subsistant, le ratio ne se détache pas de ses arguments. Mais ce qui porte ce travail,
c'est précisément le choix de lier très fortement l'expression d'un rationnel à ce couple
de deux segments A et B. Dès lors, il devenait difficile d'effacer l'argument devant
l'opérateur (cran 4), car cela reviendrait à effacer l'idée même de ce modèle. On verra
d'ailleurs, avec l'étude des rétroactions GNL et GPH, une tentative pour valoriser le seul
ratio n/m, mais pas tout à fait détaché de ses arguments A et B : ces derniers
maintiennent toujours leur présence dans les schémas ou légendes, sous forme de
segments dessinés ou seulement de leur désignation pure au moyen des lettres A et B.
On notera par ailleurs l'inversion, par rapport à notre classification, des crans 2
et 3, la mesure (cran 2) venant tout à la fin de l'étude en item 8. Ceci est dans la logique
de l'auteur qui annonce dès l'introduction : "The purpose of this paper is to outline a
model of rational number […] with special emphasis upon rational numbers as operators
and closely tied to the concepts of ratio and proportion" (p 282). La mesure devient ainsi
un cas particulier de ratio, une unité étant fixée.
84
Chapitre II
Mais penchons-nous à présent sur les moyens d'expression mis à la disposition
des élèves et sollicités d'eux. Une première remarque est que ces moyens sous-tendent
l'expérimentation puisque l'auteur déclare dès l'introduction (c'est nous qui soulignons) :
"mastery rational number concepts entails coming to understand and coordinate
symbolic representations of quantities and number" ; et plus loin : "[…] understanding
rational number concepts entails developping multiple representations regarding how
numbers and associate quantities can be diversely decomposed and composed" (p 281).
On notera dans un deuxième temps : le soin apporté à l'évolution des expressions
numériques (voir Tableau 1), partant de formes entières (items 1 à 3) − avec retroactions
déjà fractionnaires ainsi qu'on l'a noté plus haut − puis fractionnaires (items 4 à 8) ; la
multiplication et l'interaction des cadres, numériques, géométriques, graphiques uni et
bidimensionnels. On notera aussi qu'aucune nécessité de situation ne justifie l'évolution
des notations ou le choix d'une notation ou d'un cadre contre un autre. Il s'agit de juste
de fournir (provide) "diverse representations of how the ratio of segments can be
captured in the algebraic notation" et des "feedback [visual representations] that can be
used as a basis for drawing inferences about precise relations between quantities"(p
286).
Examinons à présent quel type de discours l'usage de ces moyens d'expression
permet de tenir, ou, en des termes plus standards, quels types de problèmes ces moyens
d'expression sont-ils supposés maîtriser ? L'auteur fournit une réponse : " […] the
segments can be associated with meaningful names : yearly income ; taxes ; weight ;
height and so forth" et plus loin : "a hypothesis regarding the relation of income to taxes
might
be
formulated
thus
in
the
« common
multiple »
condition :
Income x 2 = Taxes x 5 "; et encore : "the same relation can be expressed in many
ways : one-fifth of the income equals one-half of the taxes ; 40% of the money earned
goes in taxes ; […] the income is two and one half times the taxes and so on" (p 301).
On reconnaît là des problèmes liés au cran 3, puisqu'on peut supposer que ces relations
vont servir à calculer les taxes connaissant le revenu − ou le contraire. Bien entendu, les
problèmes liés au cran 2 nous semblent aussi maîtrisables : problèmes de mesure − sans
comparaison ainsi qu'on va le voir plus bas − ou problèmes liés à la relation partie-tout
et demandant par exemple de gérer le lien entre 3 divisé par 4 (4A = 3B) et 3 fois
1
3
(B = A). En revanche, les problèmes liés au cran 4, impliquant donc plusieurs
4
4
85
Chapitre II
rationnels détachés de leur argument (taxe ou revenus ou...) ou encore à la simple
comparaison de rationnels-mesures nous semblent difficilement gérables. En effet, et
nous pensons qu'on touche là aux limites de ce modèle, le système des deux segments
commensurables ne permet de ne gérer qu'un rationnel après l'autre. A tel point que
l'auteur est obligé de recourir à d'autres représentations, GNL et GPH, lorsqu'il aborde la
question de la comparaison des rationnels. Mais cette "sortie de cadre" se paie par une
rupture du lien de congruence entre le ratio et ses représentations, qui risque d'être vécue
au mieux comme une complication inutile, au pire comme un obscurcissement des
problèmes posés. Il est temps d'examiner ces deux modes de représentation − tout en
sachant que nous avons retenu les plus simples et éliminé de ce compte-rendu les plus
compliqués. Voici, à titre d'exemple, à quoi ressemblent GNL et GPH, associée à l'item
2 du Tableau 1, pour les valeurs exactes du couple (m ; n) = (3 ; 7) et les essais
successifs de l'élève : (2 ; 8) ; (1 ; 3) ; (2 ; 5) ; (1 ; 2) ; (3 ; 4) ; (3 ; 7) ; l'ordinateur
disposant ces réponses successives sur l'une des deux (au choix de l'élève, du professeur
?) représentations :
Ratios overcorrects
multiplier of A
multiplier of B
2
8
1
3
2
5
Ratios undercorrects
m
n
1
2
Figure 9 : one-dimensional feedback (rétroactions GNL)
86
3
4
Chapitre II
multiplier of B
n
Ratios overcorrects
8
7
Ratios undercorrects
6
5
4
3
2
B
1
m
0
1
2
3
A
4
5
multiplier of A
Figure 10 : two-dimensional feed-back (rétroactions GPH)
La première comme la deuxième sont supposées donner du sens à la
comparaison des rationnels. L'auteur semble d'ailleurs suggérer un conditionnement
visuel plus qu'une prise de conscience procédurale : "with practise and réflexion [the
student] should discover that all the attempts thaht leave a point under the diagonal will
undercorrect whereas those leaving a point above the diagonal will overcorrect".
Pour notre part, nous pensons que le passage de 8B > 2A et A > 3B à
2 1
< est
8 3
fortement non congruent − voir chapitre III-3 − et qu'un simple conditionnement
visuel, ajouté à une mise en souffrance momentanée de la barre de fraction − voir Figure
9 et GNL − ne suffisent pas à le gérer. Par ailleurs, GPH, qui associe un ordre sur les
fractions à une pente "angular displacement from the x-axis" (p 292), est tout aussi voire
encore plus non congruent12, ainsi que Duval l'a montré (1988-b ; pp. 240-246) pour des
élèves de seconde (!), car "les unités signifiantes du graphe [pente entre autres] ne sont
12
Sans compter qu'aucun des segments A et B, pour respecter le souhait de l'auteur de ne pas travailler
dans un espace métrique qui annulerait la relativité des ratios, n'est unitaire. Ceci ajoute fortement à la non
congruence car le segment [0 ; 3] de l'axe des x de GPH, n'a pas la même longueur que 3A
87
Chapitre II
aucunement déterminées par rapport aux points repérés de n'importe quel fond
millimétré" (Duval ; 1995, p 57).
La limite de ce modèle est en fait liée à ce que nous pointons comme une
insuffisance : le système des deux segments commensurables ne permet que la
formation d'un rationnel (Duval ; 1995, pp. 37-38), mais pas ou peu de traitements. Ce
n'est donc pas un registre. Faire de la non congruence des conversions entre
représentations abordées ci-dessus un moteur de la compréhension demanderait : de
définir sans ambiguïté les signes élémentaires de chaque "registre" (ce qui n'est pas fait
puisqu'on mélange numérique, géométrique, graphique sans discernement) ; de
développer des traitements spécifiques à chaque registre avant d'aborder l'épineuse
question des conversions non congruentes entre registres hétérogènes. Le modèle
développé par Carraher reste très physique et peu sémiotique. Il le précise d'ailleurs :
"physical actions upon the segments can embody arithmetical operations upon quantities
[…]" (p 302). Les objets manipulés − nous pensons surtout aux segments − risquent de
ne référer qu'à eux-mêmes. En ce sens, ils ne sont pas des signes.
Malgré ses imperfections, ce modèle se réfère à des idées que nous reprendrons
à notre compte :
•
maîtriser les rationnels demande de coordonner des représentations
hétérogènes ;
•
un système géométrique linéaire de représentation des rationnels permet de
développer des actions non routinières, donc riches de sens, qu'un système trop vite
arithmétisé risquerait de masquer ;
•
un tel système est susceptible de représenter des grandeurs hétérogènes aux
longueurs − les deux segments peuvent représenter des revenus par exemple.
Ainsi que nous l'avons entrepris pour les auteurs précédents, nous conclurons
cette étude en nous interrogeant sur la façon dont les obstacles repérés à la section 1.
sont négociés ici. En fait, les seuls obstacles qui nous semblent pris en compte sont ceux
liés à l'articulation des crans 2 et 3. Ceci n'est guère étonnant puisque ces deux crans
sont inversés par rapport à la présentation que nous en avons faite. Ainsi, l'obstacle lié à
la prédominance de la cardinalité sur la relativité des grandeurs est même à l'origine du
projet, qui consiste à désarithmiser partiellement l'introduction aux rationnels. Mais en
l'absence d'une pratique de conversions systématiques entre un registre géométrique et le
88
Chapitre II
registre des écritures fractionnaires, les problèmes liés à la prédominance de la
cardinalité − 3/4 c'est 3 parts parmi 4 et pas le ratio de 75 à 100 par exemple − risquent
de surgir lorsque s'imposera l'usage des fractions, incontournables pour exprimer les
rationnels à un stade avancé. Quant à l'obstacle lié à l'existence d'écritures multiples
équivalentes pour un même rationnel, il nous semble être correctement pris en charge
dans la mesure où les activités peuvent déboucher naturellement sur de telles
équivalences : deux élèves différents peuvent trouver deux expressions différentes
associées au même couple de segments − 3 pour 4 et 6 pour 8 ; deux expressions
identiques − 3 pour 4 − associées à des couples de segments différents. Dans les deux
cas, la simulation physique de la commensuration nous semble apte à gérer ce type de
conflits. Il reste l'obstacle lié au passage du cran 3 au cran 4. Nous avons déjà dit plus
haut en quoi les moyens de le négocier par les modèles proposés nous semblent
inadaptés.
Pour résumer notre lecture de cet auteur nous retiendrons, outre les trois points
déjà évoqués p. 88, que :
•
il soigne l'expression mais son système reste avant tout physique, ce qui
limite les possibilités de traitements, de conversions et donc aussi de transferts ;
•
l'ordre de passage par les divers crans n'est pas immuable ;
•
la comparaison des rationnels, à notre sens fondatrice de la notion, nous
paraît être la faiblesse structurelle de son modèle.
Résumons pour finir l’ensemble du dispositif observable depuis cet article au
moyen d’un schéma que l’on pourra comparer à la Figure 6 et à la Figure 7 (notations
analogues). On notera que Q y est disposé sous le plan de travail, ce qui pour nous
traduit le fait qu’une conception sous-jacente forte de Q (rationnels, ratios et
proportions) soutient ce modèle.
89
Chapitre II
?
r
Cadre 2
r(m)
m
?
Cadre 1
?
r
Cadre 3
Q
Figure 11
2.4. Conclusion de la section
Nous venons donc d'étudier les travaux sur les rationnels de trois auteurs qui
nous auront permis de dégager certaines lignes de force délimitant notre propre projet.
Nous avons beaucoup insisté sur l'attention accordée à l'expression et ses liens avec les
discours qu'elle permet de tenir − et donc avec les quatre crans exposés à la section 1.
Nous avons ainsi déjà pointé que certains obstacles, lors de l'apprentissage des
rationnels, sont de nature sémiotique. Nous avons constaté que la part accordée à la
prise en compte de l'expression était variable d'un chercheur à l'autre, et que certains la
considèrent plutôt comme un point de départ, tandis que d'autres en font une conquête
couronnant un processus d'adaptation. La diversité des formes d'expression proposées
ou sollicitées a aussi retenu toute notre attention, car notre recherche vise à prendre en
compte et à exploiter didactiquement cette diversité. Nous avons enfin relevé que les
approches physiques, c'est à dire de celles qui réfèrent à des expériences réelles ou
simulées mettant en jeu des grandeurs physiques, nécessitant une modélisation
mathématique étaient privilégiées, même lorsque les auteurs affirmaient leur volonté de
construire un ensemble de nombres. Nous avons pointé, de ces diverses approches, les
succès mais aussi certaines insuffisances liées à un défaut d'expression structurel des
systèmes physiques. Mais un autre trait commun à toutes ces ingéniéries est d'amener
l'élève à changer de culture mathématique par des changements de perspectives
successifs sur la notion étudiée. Est-il possible de maintenir cette option de changements
90
Chapitre II
de perspectives, qui nous paraît constitutive de tout apprentissage, tout en modifiant le
support des expérimentations afin de mieux prendre en compte les déficits observés, tant
au niveau de l'enseignement que de l'apprentissage, dans l'expression ?
Avant d'aborder ces questions nous aurons, pour terminer ce chapitre, étudié, à
travers un manuel scolaire fort usité, les réponses que des enseignants apportent aux
problèmes soulevés.
3. Un point de vue enseignant (manuel Objectif Calcul)
Nous avons retenu pour cette étude les manuels de fin de cycle 3 (CM1 et
CM2), et les chapitres se rapportant aux fractions, aux décimaux, aux fonctions
numériques et à la proportionnalité. Cette section nous permettra donc d'examiner la
manière dont les auteurs de cet ouvrage articulent leur démarche sur les quatre stades
ainsi que les obstacles et les moyens d'expression décrits en 1.
La progression rappelle celle de Douady et Perrin-Glorian. On retrouve en effet
une introduction par les rationnels mesurant des longueurs, immédiatement suivie d'une
présentation des écritures fractionnaires, avec une exigence relativement élevée
puisqu'on y rencontre des expressions comme : 2 −
équivalentes − par exemple
1
, et la recherche d'écritures
4
7
. La machine à partager − réseau de parallèles
4
équidistantes − permet d'attester l'existence d'un fractionnement quelconque et d'offrir
un moyen de le réaliser. Les fractions sont alors déposées sur une droite graduée, ce qui
donne l'occasion de les ranger − notamment parmi les entiers − et de confirmer
l'existence d'écritures équivalentes ; cela leur confère un statut de nombres, d'autant
qu'elles sont ensuite utilisées pour coder des aires, activité qui débouche sur une
meilleure dissociation entre grandeur et rationnel mesurant. On reconnaît donc un cran
2, avec une identification rapide des fractions à des nombres, obtenue notamment grâce
aux interactions avec le cadre géométrique, comme chez Douady et Perrin-Glorian. Les
chapitres suivants se penchent sur les fractions décimales, données à voir sur droite
graduée au dixième puis au centième et papier quadrillé au centième. Aucune
motivation, comme la facilité qu'introduisent dans les calculs des dénominateurs égaux
à une puissance de 10 − ce qui était le moteur des activités proposées pour leur
introduction par Douady et Perrin-Glorian ou encore Brousseau − n'est avancée. Mais
91
Chapitre II
les conversions du type dixièmes / centièmes, et donc l'existence d'écritures
équivalentes, fractionnaires ou à virgule, sont largement commentées et mises en œuvre
dans divers cadres, et à l'épreuve de la résolution de problèmes : comme celui de la
densité de l'ensemble des décimaux, où les cadres numériques et graphiques sont
sollicités pour résoudre le problème de la recherche de deux nombres dont le produit
vaut 42 (p 158). Ce dernier exemple est caractéristique d'une démarche qui semble
vouloir donner de la consistance à une notion mathématique par le jeu des écritures qui
l'accompagnent : ici le produit de deux décimaux − nullement mis en scène par ailleurs
au moyen d'agrandissements comme par exemple chez Brousseau −, donne lieu à une
exploration
formelle,
recourant
largement
aux
calculatrices,
des possibilités
d'intercalation offertes par l'ajout de décimales, et donc de la densité de D dans
l'ensemble des réels R que cette activité permet d'entrevoir. On poursuit avec les
interactions entre unités de mesure et décimaux, les décimales étant associées à des
sous-unités ; puis les traitements principaux dans D : somme, différence, produit par un
entier, comparaison.
Les deux chapitres sur la proportionnalité, avec coefficient entier ou
"légèrement" décimal comme 1,5 ou 2,5, mis en scène par le biais d'agrandissements
photographiques, sont l'occasion de rechercher le lien multiplicatif − "dans quelles
proportions les dimensions […] ont-elles augmenté ?" (p 185) − d'une longueur donnée
à une longueur agrandie. Mais aucune institutionnalisation en terme de produit n'est
proposée pour ces proportions, qui constituent juste une première approche du cran 3,
du reste suffisante pour un CM1.
Au CM2, après une solide révision précisant le lien partie-tout − notamment
dans le cas de fractions supérieures à l'unité − dans le cadre des aires, on note un gros
travail, réparti sur cinq chapitres, sur les diverses possibilités et équivalences de
représentations des rationnels : écritures fractionnaires, décimales, droites graduées,
diagrammes, aires, sont ainsi mis à contribution pour offrir une grande variété
d'interprétations et de possibilités de contrôle, notamment des tentations erronées
usuelles − 1/2 < 4/10 car 1 < 4 et 2 < 10 ou encore 3,9 < 3,14.
Une mise à l'épreuve assez complète du cran 3 est organisée, au moyen de
toutes sortes de problèmes d'agrandissements, de proportions, de pourcentages,
d'opérateurs fractionnaires et décimaux, mis en scène là encore dans divers cadres,
92
Chapitre II
géométriques, numériques, graphiques, illustrés par de nombreux diagrammes et
tableaux. En fin de parcours, on remarque une approche du cran 4 : "range les fleuves
suivant la force de leur débit (exercice 8 p 103)". Mais aucun problème recourant à un
raisonnement en proportions pures, donc totalement détachées d'une grandeur chiffrée à
laquelle elles s'appliquent − comme ce serait le cas pour : "Tu dépenses successivement
la moitié puis 3/10 de ton argent, combien te reste-t-il ?" − n'est proposé ; ce qui est
d'ailleurs compréhensible dans la mesure où ce type de problèmes nécessite entre autres
des réductions au même dénominateur, dont un usage systématique dépasse les limites
du programme du cycle. Constatons enfin qu'un chapitre entier (n° 42, p 102) est
consacré au lien, explicité, entre fractions, quotients et décimaux − approximations
décimales d'un rationnel −, ce qui contribue à l'acception d'une fraction comme un
nombre.
Les 4 crans sont donc bien discernables et pris en compte. En revanche, et un
peu à la manière de Douady et Perrin-Glorian, certaines transitions entre les divers
stades, et notamment certains obstacles et les "crises" épistémologiques attachées sont
atténués, dans ce sens où on donne aux élèves, a priori, les moyens de ne pas trop s'y
engluer : ainsi, les rationnels sont introduits dans un cadre unidimensionnel, les
longueurs, relayé par une représentation sur droite graduée, avant de les aborder dans un
cadre bidimensionnel − codage d'aires. Ceci facilite à la fois :
•
le dépassement de la double cardinalité (3 parts sur 4 pour 3/4 et pas
proportion de la partie au tout, quelle qu'en soit l'expression numérique, 9/12 ou
75/100...) renforcée, rappelons-le, par une représentation initiale en "parts de tarte" ou
tout autre dessin "concret" (Carraher & Schliemann ; 1991) ou (Streefland ; 1995,
p 114) ;
•
le dépassement "deux nombres (numérateur a et dénominateur b) / un
nombre (le rationnel a/b)", grâce à l'extension naturelle de l'ensemble des entiers
qu'offre une droite graduée.
D'autres obstacles, comme celui lié à l'usage de fractions − jusqu'à présent
mesurantes − pour comparer des proportions (p 104), donc la distinction entre ce que
nous avons appelé monde virtuel des parts et monde réel des grandeurs auxquelles elles
se rapportent (voir 1.2.5), sont abordés sans transition apparente. On peut supposer que
les auteurs font confiance à l'extension, au cas d'un coefficient fractionnaire, d'un
93
Chapitre II
modèle développé soigneusement dans le cas d'un coefficient entier ou décimal d'une
part ; exploitant d'autre part une généralisation du lien partie-tout à des références
variables : les actions de fractionnement et report liés à "2/3 d'une grandeur"
s'appliquent alors à un nombre quelconque. Soulignons pour mémoire que chez
Brousseau, le produit d'un nombre entier n par un rationnel-dilatation a/b ("a/b de n") est
relié au produit du rationnel-mesurant a/b par n ("n fois a/b) (Brousseau ; 1986-b, pp.
114-115). Rappelons enfin l'absence de l'effacement de l'argument devant la fonction,
toutes les situations de proportionnalité étudiées pouvant se traiter au moyen de bases de
calcul explicites auxquelles s'appliquent les fractions (a/b de n et pas a/b tout court).
Ainsi, le cran 4 est à peine abordé, ce qui, répétons-le, est tout à fait légitime à ce
niveau.
En fait, le rôle des moyens d'expression est central dans le traitement des
obstacles. On a déjà vu comment un usage des droites graduées, liées à une introduction
précoce des fractions, permettait une identification de ces dernières à des nombres à part
entière ; ou encore, comment une étude formelle sur un produit constant pouvait amener
à formuler des conjectures sur l'existence de nombres s'intercalant entre deux nombres
quelconques, ces intercalations se concevant et s'obtenant par le seul jeu des écritures
décimales. Par ailleurs, on est frappé de constater la multiplication des cadres et
possibilités d'expressions interactives offertes aux élèves. Des chapitres entiers y sont
consacrés (n° 33, p 76). Mais, ici aussi, il faut bien constater que si l'on insiste sur la
variété des représentations disponibles, seuls les systèmes numériques sont considérés
comme les véritables moyens d'effectuer des traitements complets sur les rationnels ;
les représentations géométriques ne se prêtent qu'à des traitements autonomes − c'est à
dire recourant à des moyens spécifiques − limités, vite relayés par les écritures
fractionnaires ou décimales. Aucun registre n'émerge de ces représentations
géométriques, illustrations commodes permettant, entre autres, de constater des ordres
non attendus : 3/10 déposé sur une droite graduée se range avant 2/3, sans qu'il soit
nécessaire d'établir un lien quelconque entre ces deux rationnels ; ou de "tomber" sur
des écritures équivalentes : un même secteur circulaire peut représenter simultanément
3/6 et 1/2. Mais ces constats risquent de relever de la seule évidence visuelle, et non
d'une procédure, alternant les actions, les preuves et les réfutations.
Un travail considérable est donc accompli dans la multiplicité des
représentations rationnelles. Ce travail est sans doute initié par la volonté qu'ont les
94
Chapitre II
enseignants de doter les élèves d'outils efficaces leur permettant de contrôler les leurres
sémiotiques usuels (3,14 > 3,8). D'où les exercices de conversions entre les diverses
représentations, notamment de la décimale vers la fractionnaire. Mais cette pratique,
pour être pleinement efficace, ne demande-t-elle pas que ces deux systèmes numériques
d'expression des rationnels soient clairement identifiés en tant que systèmes et
discernés l'un de l'autre avant que d'être articulés l'un à l'autre ? Quel rôle peuvent jouer,
dans un tel projet, les représentations géométriques ? Systèmes à part entière, permettant
traitements et conversions, ou simples schémas illustratifs ? Enfin quelles tâches
peuvent être proposées aux élèves pour réaliser les objectifs d'un programme construit
sur ce questionnement ?
4. Conclusion du chapitre : Influence de la sémiotique sur la
constitution d'un dispositif d'enseignement
Nous avons étudié tout au long de ce chapitre des processus liés à
l'enseignement des rationnels. Nous avons ainsi dégagé certaines constantes :
identification de quatre crans, plus ou moins hiérarchisés les uns par rapport aux autres,
et balisant chacune des progressions examinées ; existence d'obstacles à l'articulation
entre ces divers crans ; liens repérables entre les moyens d'expression, les crans et les
obstacles.
Chercheurs et enseignants portent une attention diverse à ces problèmes
didactiques. Certains mettent l'accent sur les liens entre concepts et situations physiques
susceptibles de (re)construire un sens par une histoire ; d'autres sur les liens entre
concepts et cadres mathématiques avec lesquels ils interagissent ; d'aucuns pensent que
l'expression "se mérite" ; les autres qu'elle prévaut.
Quelle que soit l'approche retenue, nous avons relevé que les moyens
d'expression des rationnels étaient non seulement un puissant outil d'analyse de certains
obstacles mais encore un moyen de faciliter leur contrôle.
• Ainsi, les interactions entre droites graduées et écritures fractionnaires
permettent-elles de pallier l'absence de mise en relation du numérateur et du
dénominateur dans une proportion (le ratio de 3 à 4 contre la prédominance de la
cardinalité − 3 parts contre 4).
95
Chapitre II
• De même les interactions entre écritures fractionnaires et décimales, non
seulement désignent 11/4 comme supérieur à 24/9 (2,75 > 2,666...) malgré les
apparences (11 < 24 et 4 < 9), mais surtout permettent la mise en relation des termes de
ces fractions (en 11 combien de fois 4 ? En 24 combien de fois 9 ?) améliorant ainsi
l'acception d'une fraction comme expression d'un ratio (de 11 à 4, de 24 à 9).
• Par ailleurs, ce même type de conversion oppose la bidimensionnalité de
l'écriture fractionnaire, qui permet de jouer sur les deux tableaux du numérateur et du
dénominateur pour modifier ou pas leur ratio, à l'unidimensionnalité de l'écriture
décimale, seulement influencée par la valeur des chiffres et leur position, donc par les
maillons d'une chaîne et leur disposition relative. Nous reviendrons au chapitre III-3
sur ces phénomènes de dimension qui occupent une place de premier choix dans notre
dispositif.
Mais si ces résultats restent de pures évidences de circonstance, ils ne
contribueront que très peu à la nécessaire évolution des conceptions. On comprend
aisément que, pour être modélisants, ils doivent être obtenus au terme de procédures.
D'où notre projet d'organiser les modes d'expression disponibles des rationnels en
véritables registres, c'est à dire en systèmes sémiotiques dotés de moyens de traitements
spécifiques articulables les uns aux autres.
Ceci aura pour première conséquence avantageuse de libérer l'expression, et
donc de ne plus l'engluer dans des leurres sémiotiques. Mais l'expression ne s'entend
qu'au service d'un discours, soit, dans le cas des mathématiques, au service de la
résolution de problèmes. Disposant de plusieurs registres, il est possible d'effectuer des
choix, afin d'adapter au mieux mode d'expression – notamment en vue de l'appliquer à
une grandeur quelconque – et mode de résolution. Et comme invariant de ces diverses
adaptations est-il possible, dans le cas des rationnels, d'envisager une opération de report
et de subdivision pure ?
Notre ambition est donc :
•
de mettre à l'épreuve plusieurs registres de représentation des rationnels ;
•
d'en mener une étude systématique qui permette de distinguer leur
spécificité et de rendre procéduraux les traitements intra-registre et les conversions
inter-registres ;
96
Chapitre II
•
de problématiser leur enseignement, car nous gardons pour acquis que
l'ostension est une forme d'enseignement qui, déresponsabilisant l'élève, peut entraîner
chez ce dernier des comportements incohérents (Brousseau ; 1986-b et RatsimbaRajohn ; 1992) ;
•
de se doter d'un environnement de travail susceptible d'assumer, à un coût
raisonnable, notamment en temps à y consacrer, les multiples tâches de traitements et de
contrôles que ces activités problématisantes supposent.
Ces quatre points constituent l'ossature du dispositif que nous comptons
examiner dans les chapitres ultérieurs.
97
Chapitre III
L’expression, un choix stratégique pour
l’approche des nombres rationnels
Chapitre III
Ce chapitre se propose donc d'étudier les grandes orientations de notre projet
d'enseignement et les raisons qui ont guidé nos choix. Le chapitre précédent nous aidera
par comparaison à adopter la bonne distance d'observation, ce qui introduira des effets
de perspective.
Nous tenterons dans une première partie de présenter l'architecture générale de
notre dispositif d'enseignement en spécifiant ce qui le différencie des dispositifs
alternatifs, notamment par la place accordée à la sémiotique. Ceci nous amènera à
préciser des articulations nécessaires entre un fonctionnement sémiotique et un
environnement physique, dans le cas de l'enseignement et de l'apprentissage des
rationnels. Puis nous nous intéresserons à la cohésion d'ensemble du principal outil de
mise en œuvre du primat sémiotique, à savoir la série de logiciels ORATIO (Adjiage &
Heideier ; 1998), en fournissant un descriptif abrégé des logiciels puis en esquissant les
grandes lignes d'un itinéraire pour un apprentissage construit au moyen de ces derniers.
La partie 3 quant à elle définira la dimension d'un registre d'expression, dans le but de
développer un outil d'analyse de la complexité sémiotique et de la nature des discours
qu'amène à tenir la résolution d'un problème rationnel ; cette partie légitimera sur le plan
mathématique et épistémologique le choix d'un registre géométrique unidimensionnel
pour introduire les rationnels. Il nous restera à interroger un tel projet sur sa capacité à
prendre en compte l'activité de résolution de problèmes physiques, ce qui sera l'objet de
la partie 4. Cette dernière permettra donc : de préciser la place de la résolution de
problèmes – de crans 3 et 4 – dans notre dispositif ; de constater que cette activité peut
s'affranchir de tout recours aux fractions et s'accommode fort bien d'un outil de
traitement rationnel uniquement géométrique ; de fournir enfin un premier cahier des
charges pour le développement de ce registre géométrique présenté en détail au chapitre
IV.
La dualité sémiotique / physique apparaît ainsi comme une référence constante
de notre propos. Il importe donc d'en définir clairement les termes :
101
Chapitre III
•
nous appelons problèmes rationnels des problèmes mobilisant des nombres
pouvant s'exprimer sous forme de fractions ;
•
nous appelons problèmes rationnels physiques des problèmes rationnels
dont les données sont issues d'un compte-rendu d'expérience physique, et donc
proviennent du résultat de mesures, portant sur des grandeurs, réellement menées ou
seulement décrites ;
•
nous appelons problèmes rationnels sémiotiques, des problèmes rationnels
dont les données sont fournies par le seul jeu de liens sémiotiques mettant en œuvre un
ou plusieurs registres.
A titre d'exemple, les énoncés de problèmes exposés dans ce chapitre de 4.1 à
4.4 sont des énoncés physiques. Un problème comme celui consistant à déposer y sur d1
dans la Figure 15 p. 128 est un problème rationnel sémiotique. Les activités logicielles
de la série ORATIO relèvent toutes de cette dernière catégorie, ainsi que les nombreux
problèmes que nous présenterons notamment au chapitre IV-2.4.
Ayant exposé les grands équilibres de ce chapitre et posé les définitions
premières, nous pouvons à présent entrer dans le détail de son développement.
1. Architecture générale du projet d'enseignement
1.1. Algorithmes et significations
Dans son article examinant deux méthodes de mesure rationnelle, RatsimbaRajohn (1982 ; pp. 67-68) écrit : "Un bon nombre de savoirs que l'institution veut
transmettre aux élèves se cristallise dans ce que nous appelons algorithmes […]. Une
bonne connaissance de leurs conditions d'application [...] paraît satisfaire la société.
Mais il existe une conception réductrice de ce qu'on appelle « une bonne connaissance »
[…]. Une telle conception réduit l'algorithme aux yeux des élèves en une simple
juxtaposition d'indices et de procédés […]. Aussi […] une partie non négligeable
[d'enfants] estiment que le procédé attendu est celui qui a été associé aux indices
répertoriés lors des répétitions." Une des conséquences que l'auteur tire de ces constats
est que : "un changement essentiel de notion correspond, pour certains élèves, à une
adaptation locale d'un ancien algorithme, pour autant que celui-ci ait quelques analogies
formelles avec le nouveau."
102
Chapitre III
Nous pouvons reprendre à notre compte cette analyse, mais en y adjoignant le
commentaire suivant. Rappelons tout d'abord un principe général que personne ne
songerait à nier : tout enseignement débouche à un moment sur la maîtrise d'un certain
nombre d'algorithmes, car "l'intérêt de l'automatisation d'un traitement n'est pas
seulement de libérer l'activité consciente, il est aussi d'ouvrir l'accès à des objets
complexes par la « compactification », en un seul acte de visée, d'une diversité de
traitements qui ont pu être appris ou acquis indépendamment en raison de leur
hétérogénéité ou de leur nombre" (Duval ; 1998, p. 183).
Le paradoxe réside donc dans la question suivante : comment concilier la
nécessaire automatisation de certains actes avec un contrôle – qui s'oppose à
l'automatisation – au moins infra conscient de ces actes, seul susceptible d'éviter les
dérapages liés par exemple à des "analogies formelles" ? Pour nous, il ne suffit pas que
les algorithmes aient été construits, donc pensés comme termes d'un processus de
conquête, pour se prémunir des effets de contamination formelle – par d'autres
algorithmes, d'autres notions fonctionnant alors en trompe-l'œil – qui risquent de se
produire lors du passage à l'automatisation. Car dérouler un algorithme revient à agir sur
des signes dont la référence aux objets signifiés a justement été "éloignée" – sans être
bien sûr tout à fait absente – afin de minimiser le temps de traitement ; cela fonctionne
s'il n'y a pas d'erreur sur la signifiance des signes. Or "tout objet [dans l'acception
phénoménologique de ce terme] est simplement ce sur quoi se dirige actuellement la
conscience [un signe, un dessin, une figure... ]. La possibilité pour un sujet de
l'identification scientifique d'un objet, en appréhension immédiate, dépend de la
compactification, infra-consciente, des multiples traitements requis par le croisement
des propriétés." (Duval ; 1998, p. 184). D'où l'importance de développer, auprès des
élèves, leur capacités de discrimination, d'invariance des « objets », de même que le
croisement de leurs propriétés. Ainsi, l'étude de ces représentations :
3 6
; ;
4 8
ou encore
0
1
Figure 12
me renseigne sur les rôles respectifs du 3, du 4, de leur rapport à 6 et 8 et à 0 et
1... Le fonctionnement de l'un comme fractionneur (4), de l'autre comme itérateur (3),
103
Chapitre III
sera sûrement valorisé par les répercussions que certaines variations – de 3 à 6 et de 4 à
8 qui modifie les signes sans modifier le rationnel ou encore de tout autre variation qui
modifiera signes et rationnel – auront sur les signes de la droite graduée.
On comprendra aisément que de telles prises de conscience demandent : une
spécification des traitements de chacun des registres concernés, notamment celui des
droites graduées qui ne peut plus être une simple illustration mais, ainsi qu'on le verra,
un véritable système d'expression autonome des rationnels ; un travail systématique de
conversion, entre les registres, afin que l'étude des variations et de leurs répercussions
acquièrent une valeur au-delà de l'anecdote.
Dans un article publié par ARP (1972 ; pp. 11-15), Fischbein regrettait déjà que
si "On utilise largement à présent, dans le processus d'apprentissage, des modèles
figuratifs : moulages, schèmes (sic !), diagrammes, […]", [ces derniers] servent
généralement à seulement illustrer certains phénomènes […]". Il ajoutait que "la valeur
heuristique
du
procédé
de
construction
des
modèles
n'est
valorisée
que
sporadiquement et non pas dans le cadre d'une méthodologie didactique explicite". Il
posait plus loin comme hypothèse que "[…] l'élève ne doit pas seulement rencontrer
d'une manière occasionnelle, dans les manuels, des modèles d'usage courant (schémas,
graphes etc). Il doit apprendre d'une manière explicite et systématique (c'est nous qui
soulignons) à construire, interpréter, valoriser, contrôler des modèles". Il précisait enfin
que "Cette affirmation acquiert une signification particulière quand il s'agit d'enfants
situés dans la période des opérations concrètes (7-12 ans), donc quand la pensée logique
doit garder […] le contact direct avec la réalité sensible des choses". Même si le terme
de registre nous semble plus adapté que celui de modèle pour décrire de tels systèmes de
représentation, nous pourrions reprendre à notre compte l'essentiel de ces propos.
Notre point de vue est donc que pour prévenir un usage aveugle ou abusif
d'algorithmes par ailleurs nécessaires, il est décisif de les identifier à des opérations
sémiotiques, contrôlables parce que développées dans des systèmes dont la cohérence
est assurée par le double jeu des traitements et des conversions. On comprend aussi
qu'une sémiotique négligée par l'enseignement, ou mal maîtrisée, ou inadaptée car mal
reliée aux objets qu'elle signifie – un recours trop précoce aux écritures fractionnaires
par exemple – ne peut qu'encourager un comportement procédant par "analogies
formelles".
104
Chapitre III
1.2. Le primat sémiotique : organiser le rapport à la pensée immédiate
On ne peut donc plus se contenter d'un parcours à travers les quatre crans –
voir chapitre II –, structuré par le seul jeu des déséquilibres et des équilibrations, au
risque que ce rapport d'immédiateté du sujet aux objets ne provoque des équilibres
trompeurs – et parfois durs à déstabiliser. Duval va même jusqu'à écrire (1998 ; p 182) :
"On ne peut espérer que le fait de faire effectuer à un élève une démarche dont les objets
d'ancrage ne lui seraient pas immédiatement accessibles puisse lui faire découvrir ces
objets !".
Il nous paraît en conséquence nécessaire d'envisager un schéma d'enseignement
alternatif, qui prenne en compte et organise ce rapport à la perception immédiate : "le
point de départ pour comprendre les mécanismes d'acquisition des connaissances est
évidemment l'appréhension immédiate. Car celle-ci correspond au domaine des objets
qui sont accessibles à la conscience du sujet apprenant sans médiation externe et sans
coût temporel. […]Tout le problème de l'acquisition des connaissances est de
comprendre par quelles transformations des objets inaccessibles à un sujet peuvent non
seulement lui devenir accessibles mais devenir objets de son appréhension immédiate"
(Duval ; 1998, p. 180).
D'où notre idée de centrer notre enseignement sur une étude systématique de
plusieurs registres de représentation – en fait trois : les droites graduées, les écritures
fractionnaires, les écritures décimales à virgule ainsi que cela sera développé au
chapitre IV – afin de ne pas laisser cette appréhension immédiate, centrale dans
l'apprentissage, s'auto-organiser sauvagement.
Cette approche s'éloigne radicalement des progressions habituelles, dont nous
avons présenté au chapitre II celles qui servent le plus souvent de référence. Le pari est
en effet d'introduire les rationnels en les problématisant à partir d'un univers de
signification – peuplé de signes interagissant suivant un schéma rappelé par la Figure 13
– au lieu d'un univers physique – peuplé de pizzas à partager, de feuilles de papier dont
on évalue l'épaisseur, de bandelettes de papier que l'on reporte et plie, ce qui pose alors
l'épineux problème d'une nécessaire décontextualisation (Douady ; 1984, pp. 16 - 18),
(Duval ; 1995, p. 75), (COPIRELEM ; 1991, p. 143).
105
Chapitre III
Représenté
(concept, objet cognitif)
Légende
Arcs fléchés :
traitements (internes à
un registre)
Représentant
du registre A
Représentant
du registre B
Flèches
horizontales :
conversions
Flèche verticale :
relation propre au sujet
connaissant
Figure 13
(extraite de : Pluvinage ; 1998, p. 129 renvoyant à Duval ; 1995, p. 67)
On fonde ainsi une opération de report et de subdivision "pure", dans ce sens
où on recourra à un décor minimal dans sa mise en scène : des actions commandées par
des nombres – typés à un clavier d'ordinateur – et se répercutant sur une droite graduée,
objet dont on atténuera l'ancrage physique au moyen de changements d'échelle (voir
chapitre IV-2.2.1, figure 2) ; la mise à distance de ces actions initiales par leur
réinterprétation dans des registres concurrents. L'appréhension de cette opération "pure"
ouvre la voie à "une compréhension intégrative, [susceptible] de transferts [à des
contextes variés]" (Duval ; 1995, p. 76).
Par ailleurs, Duval (1998 ; p. 193) rappelle qu'il existe deux points de vue dans
l'analyse d'un problème : le point de vue "en aval" et le point de vue "en amont". Pour le
premier, "regarder un problème […] c'est regarder d'emblée la (les) solution(s) de ce
problème". Pour le deuxième, c'est "rechercher toutes les variations possibles de
l'énoncé qui conservent, pour le résolution du problème, la mise en œuvre de la même
méthode mathématique […]". Entre autres variations possibles de l'énoncé, Duval
propose "d'inventorier […] les différentes manières dont les informations choisies
peuvent être données". Pour faire court, nous dirons que là où les chercheurs cités au
chapitre II adoptent un point de vue "en aval", nous adoptons un point de vue "en
amont". Ce point de vue "en aval" leur permet de fonder la connaissance sur les
solutions que les élèves apportent à différents énoncés relevant d'une même famille de
problèmes. Ses limites sont celles du nombre de situations différentes qu'il est possible
d'aborder dans un environnement avant tout physique. Le point de vue "en amont" se
donne pour projet de travailler sur un champ d'énoncés, soit sur la famille elle-même.
106
Chapitre III
C'est pour cela qu'il nécessite le degré de liberté supplémentaire apporté par
l'articulation de différents registres.
Précisons enfin, avec Duval (1998 ; p. 194) que "dans une préoccupation
didactique […] il ne saurait être question de les opposer [les deux points de vue] comme
les termes d'une alternative mais au contraire de les articuler".
Résumons à présent notre pensée autour des "trois conditions cognitives
nécessaires pour un accès « phénoménologiquement » immédiat à des objets de
connaissance scientifique" (Duval 1998 ; pp. 182-183)
1. L'automatisation des traitements.
2. L'appropriation des registres de représentation sémiotique et leur
coordination, parce qu'ils "apparaissent à la fois comme des systèmes constitutifs de
l'architecture fonctionnelle requise pour qu'un sujet soit capable d'effectuer une
démarche [...] scientifique et comme des moyens d'accès nécessaires aux objets
mathématiques.
3. "Une rupture par rapport à la procédure spontanée de discrimination et
d'identification des objets" [discrimination] qui "s'effectue en fonction d'une seule
propriété, celle qui suscite le plus grand effet de contraste" ; ainsi, dans 2/3 on risque de
ne percevoir que le 2 et le 3 comme dénotant des quantités absolues, et pas le rapport de
2 à 3, le même que de 12 à 18, approché par 67 %... Le point 2. nous semblant être le
meilleur garant du point 3.
1.3. Articuler les univers sémiotiques et physique
Enfin, puisqu'il ne s'agit pas d'opposer mais d'articuler, il nous reste à préciser
les moyens de cette articulation, notamment entre l'univers sémiotique d'une famille de
problèmes rationnels et l'univers physique de problèmes de cette famille, résolubles au
moyen des rationnels.
Deux idées vont guider cette articulation :
• les trois registres retenus pour une introduction aux rationnels seront visités
par la mise à l'épreuve, au moyen d 'activités proposées aux élèves, de leur mode
spécifique de signification des rationnels ; l'essentiel de ces activités se fera par le canal
de logiciels, donc dans un environnement informatique. Des compléments papier /
crayon seront prévus.
107
Chapitre III
• Des problèmes physiques papier / crayon, du type de ceux que nous avons
présentés au chapitre II pour illustrer les quatre crans, seront proposés, en léger différé,
avec les activités logicielles.
On notera tout de suite que des problèmes physiques relevant du cran2, puis
progressivement des problèmes simples de crans 3 et 4 seront abordés très tôt dans la
progression13. Une expression rhétorique de ces problèmes et de leur traitement pourra
suffire au début, ainsi que nous l'avons montré au chapitre II. Elle pourra ensuite être
relayée par une expression au moyen des droites graduées comme nous le proposerons
en 4.6. On reprendra, lors de l'étude de chaque nouvelle série de logiciels14, ces trois
niveaux de problèmes, énoncés sous une forme antérieure ou plus évoluée, suivant que
des nouveaux moyens d'expression auront été conquis – les fractions par exemple ! –, ou
que des moyens d'expression plus anciens se seront enrichis de ces conquêtes.
Il n'est donc pas indispensable de connaître les écritures fractionnaires ou
décimales pour résoudre des problèmes rationnels, ce que Brousseau et d'autres –
comme Saensz-Ludlow (1995 ; p. 129) par exemple avait déjà prouvé (voir chapitre
II). Nous établirons même un lien entre la nature de certains problèmes rationnels et la
dimension – dans un sens qui sera défini ultérieurement en 3. – du registre dans lequel
ils s'expriment. Nous comprendrons alors pourquoi il n'est pas souhaitable d'introduire
trop tôt les écritures fractionnaires, même si ces dernières sont appelées à devenir le
mode d'expression courante et conviviale, sitôt que l'on est en mesure de gérer certaines
de leurs ambiguïtés ; ce qui est rendu possible par les moyens de contrôle développés
dans le registre des droites graduées...
La question centrale est pour nous : quel type de discours telle expression des
rationnels permet-elle de tenir ? La richesse de ce discours dépendant simultanément de
l'adéquation et de la convivialité de l'expression disponible à la pensée immédiate : à un
moment de l'apprentissage, les écritures fractionnaires peuvent apparaître comme
compliquant inutilement le discours. Même si l'expert sait qu'en définitive elles le
simplifient, l'apprenant doit mener sa propre expérience de la convergence entre
13
On pourra se reporter aux fiches pédagogiques d'accompagnement des logiciels en annexe n pour
examiner quelques types de problèmes physiques que nous proposons aux différents moments de
l'apprentissage, et en parallèle avec la progression logicielle.
14
A l'exception de la série Format / Mystère qui organise un pur travail sémiotique sur les décimaux donc
sans aucune interprétation physique provoquée par l'enseignement. D'où notre choix de ne pas suggérer
d'accompagnement de cette série par des problèmes physiques (dans les fiches pédagogiques de l'annexe
n notamment).
108
Chapitre III
convivialité et adéquation. Par ailleurs, pour avoir la possibilité de renoncer – à une
expression trop coûteuse d'un problème rationnel au moyen de droites graduées par
exemple – il faut avoir la possibilité de choisir, sans forcément éliminer : on peut
interpréter un problème physique dans le registre de droites graduées, puis le reformuler
et le résoudre au moyen de fractions. La diversité des registres disponibles ouvre la voie
à une diversité des approches, tant du point de vue de l'enseignement que de celui de
l'apprentissage.
En amont de la résolution de certains problèmes, nous voyons donc qu'il y a la
résolution des problèmes posés par l'expression ; apprendre à résoudre ces problèmes
fournit un paradigme de résolution de l'ensemble des énoncés rationnels, ce que Duval
appelle un champ d'énoncés (1998 ; p. 193).
Pour conclure ce paragraphe, nous schématiserons notre dispositif au moyen de
la Figure 14. Ce schéma est bien sûr à comparer avec les schémas proposés au chapitre
II-Figures 5, 6 et 10, qui illustraient d'autres dispositifs. Il précise le schéma plus
général de la Figure 13 du présent chapitre. On notera : l'univers sémiotique représenté
dans les parallélogrammes ; l'univers physique représenté dans l'ellipse centrale ; un
ensemble Q dégagé du plan de travail, dans la mesure où notre préoccupation constante
est d’amener à considérer ces nouveaux objets « comme des nombres », invariants des
conversions entre registres qui les expriment.
109
Chapitre III
Q
2
4
….
5
,
2
5
…
….
Conversions
Traitements
r
Traitements
r
Registre 1
m
r(m)
Registre 3
r
Conversions
Conversions
17
4
….
Traitements
r
Registre 2
Figure 14
1.4. Précision sur la méthode de présentation retenue
Le projet dont nous venons d'esquisser et de motiver les grandes lignes
correspond pour l'essentiel à celui que nous avons mené au cours de notre
expérimentation de deux années consécutives dans une classe de cycle 3. Les conditions
de cette expérimentation seront précisées aux chapitres IV et VI. Il importe cependant
de noter tout de suite que quelques différences existent entre ce que nous avons
effectivement expérimenté et ce que nous présentons dans ce chapitre. Si le projet
sémiotique couplé au projet logiciel a pu être intégralement réalisé, il n'en a pas été de
même de l'accompagnement papier / crayon, notamment celui lié à la résolution de
problèmes physiques. D'une part parce que nous avons dû déléguer, faute de
disponibilité suffisante, une bonne part de la gestion de ces activités au maître titulaire
de la classe, afin de nous consacrer à la partie sémiotique qui occupe l'essentiel de notre
réflexion ; d'autre part parce que nos idées ont évolué au terme d'une recherche menée
110
Chapitre III
sur cinq années et prenant donc en compte : une réflexion théorique personnelle, la
recherche disponible – corpus impressionnant – sur les rationnels, la conception de
logiciels, une expérimentation sur deux années consécutives dans des classes de cycle 3
(CM1 et CM2), l'évaluation de cette expérimentation, et toutes les interactions,
humaines et documentaires, accompagnant ce type de démarche.
Nous pouvons ainsi dire que, si nous devions actuellement mener le même type
de projet, nous serions beaucoup plus systématique dans la gestion de l'articulation entre
univers sémiotique et physique. Nous expliquerons au chapitre VI, après analyse
quantitative des résultats, les raisons qui nous amènent à ce surcroît d'exigence. Nous
présenterons des propositions de gestion de la classe qui vont dans ce sens dès le
paragraphe 4.6. Mais nous relaterons aussi aux chapitres IV, V et VI en quoi les
observations et analyses de travaux d'élèves observés valident le processus décrit dans
ce chapitre et le suivant.
2. Le dispositif logiciel
2.1. Structure et ressources générales
La série ORATIO a été conçue à partir de la théorie de l'apprentissage de
Raymond Duval, dont on trouvera les développements essentiels dans Sémiosis et
pensée humaine (Duval ; 1995). Rappelons que cette théorie attribue à l’appropriation et
à la coordination d'au moins deux registres de représentation15 un rôle central dans la
compréhension d’une notion mathématique. Cette appropriation se fait en deux phases :
• une première phase, dite de traitement, vise l’exploration des règles internes
aux registres de représentation concernés ;
• une deuxième phase, dite de conversion, vise les transferts d’un registre de
représentation à un autre.
Cette deuxième phase est essentielle à la genèse conceptuelle, car, mettant en
concurrence des représentations hétérogènes d'un même objet, elle permet la
différenciation entre représentant et représenté, et par conséquent d'éviter l'identification
de ce dernier avec l'une de ses représentations, nécessairement partielle sur un pan
15
Systèmes sémiotiques permettant notamment les trois activités cognitives de formation (substituer un signe
à un objet visé) ; traitement (transformation interne à un registre d'une représentation) ; conversion
111
Chapitre III
cognitif. Elle donne en outre des possibilités de choisir la représentation la plus adaptée,
et donc aussi de changer de représentation au cours de la résolution d'un problème par
exemple. Elle offre enfin la possibilité de décontextualiser les connaissances, non
seulement en faisant varier les contextes, en l'occurrence les registres d'apprentissage,
mais en permettant, ainsi qu'on l'a déjà dit en 1.2, de travailler sur un champ d'énoncés
plutôt que sur des énoncés particuliers.
Mais ce travail de conversion est "l'activité cognitive la moins spontanée et la
plus difficile à acquérir chez la grande majorité des élèves" (Duval ; 1995, p. 44), du fait
que ses règles sont rarement systématiques – contrairement aux règles de traitement –,
notamment dans les cas de non congruence (ibid ; pp. 45-59) entre deux représentations
d'un même objet. Il est donc nécessaire, pour articuler correctement deux registres
différents, de respecter au moins deux conditions :
• délimiter parfaitement les règles de formation et de traitements dans les
registres concernés ;
• "explorer toutes les variations possibles d'une représentation dans un registre
en faisant prévoir [ ] les variations concomitantes de représentation dans l'autre registre"
(ibid ; p. 78).
Le respect de ces deux conditions didactiques rend possible la discrimination
des unités signifiantes d'un énoncé, et optimise donc les moyens de son interprétation et
de sa résolution, par les procédés de son choix. Mais il exige un travail systématique sur
chacun des registres, d'abord séparément, puis simultanément, en explorant toutes les
conversions possibles, et dans les deux sens, d'un registre vers un autre registre. Aux
deux phases ainsi repérées correspondent deux séries de logiciels, les uns dits de
traitement, les autres dits de conversion. La première série visite donc trois registres de
représentation des nombres rationnels :
•
registre des droites graduées, souvent utilisées comme illustration, rarement comme
ici en tant que système d’écriture des rationnels à part entière ;
•
registres des écritures fractionnaires ;
•
registres des écritures décimales ;
(transformation externe, soit d'un registre vers un autre registre, d'une représentation). Pour une approche
détaillée de la notion, voir : Duval ; 1995, pp. 36 à 59.
112
Chapitre III
Ces deux derniers registres sont usuels, mais nous verrons au chapitre V que
nous en proposons une approche inédite.
La deuxième série permet de donner du sens à ces diverses représentations et
donc aux notions sous-jacentes, en organisant des transcriptions systématiques – basées
sur un champ de variation des unités signifiantes décrit par le cahier des charges de
chaque logiciel – entre les registres : c’est par exemple lorsqu'on tente de placer 7,14 –
registre des écritures décimales – sur une droite graduée – registre des droites graduées –
que l'on peut fournir une première interprétation de chacun des chiffres de ce nombre en
terme d’unités, de dixièmes ou
de centièmes ; cette interprétation gagnera en
consistance et stabilité lorsque les unités signifiantes de 7,14 – rang de chaque chiffre,
longueur de la partie décimale, présence et position d'éventuels zéros... – auront été
repérées grâce aux répercussions que leur variation entraîne sur les actions à mener pour
représenter ce décimal sur une droite graduée.
2.2. Descriptif abrégé des logiciels
Ces logiciels occupent une place stratégique dans notre dispositif
d’enseignement. C’est la raison pour laquelle nous allons procéder ici à un survol des
ressources qu’ils proposent. Cela permettra de donner un contenu sensible aux propos
théoriques de ce chapitre. Pour une description plus détaillée des logiciels, on se
reportera à l’annexe nnn.
2.2.1. Logiciels de traitements, série Gradu
Ces logiciels ont en commun de présenter une ou plusieurs droites graduées,
chacune repérée par un couple d'entiers. Ce repère initial est subdivisé en un certain
nombre16 – supérieur ou égal à 1 – d'intervalles. Les principales actions possibles sont :
le report de ce repère initial ; sa resubdivision – entraînant alors celle des segments
obtenus par report –, intervalle par intervalle, en un même nombre de sous-intervalles
; certaines opérations de zoom, uniquement pour Gradu6. Il est aussi possible de revenir
sur une de ces actions, en l'effaçant ou en la corrigeant.
16
Ce nombre, appelé le fractionneur, est parfois porté en blanc sur fond noir à l'extrémité gauche de la
portion de droite graduée visible à l'écran. L'explicitation du fractionneur peut sembler redondante, étant
donné qu'il suffit de compter les subdivisions du repère pour l'obtenir. Les raisons de ce choix seront donc
exposées ultérieurement, au chapitre IV.
113
Chapitre III
Gradu1
Déposer trois nombres entiers sur une droite à graduer par report d’un repère
initial déterminé par la donnée de deux bornes entières.
Gradu2
Déposer trois nombres entiers sur une droite à graduer par reports et
subdivisions entières d’un repère initial déterminé par la donnée de deux bornes
entières.
114
Chapitre III
Gradu3
Ranger, du plus petit au plus grand, trois nombres entiers dont la seule
« écriture » est celle permise dans ce registre : bornes, graduations et pointage par une
flèche. Repère formé d'un seul intervalle. Des actions de resubdivisions entières du
repère sont possibles.
Gradu4
Ranger, du plus petit au plus grand, trois nombres rationnels – représentés sur
trois droites différentes, à trois échelles différentes – dont la seule « écriture » est celle
permise dans ce registre : bornes, graduations et pointage par une flèche. Le repère
initial, d'amplitude 1, est subdivisé à l'origine en plusieurs intervalles. Des actions de
resubdivision du repère sont possibles – mais non indispensables.
115
Chapitre III
Gradu5
Déposer trois nombres entiers sur une droite repérée par un couple d'entiers. Le
repère initial est subdivisé en intervalles dont le nombre n'est pas forcément un multiple
ou un diviseur de l'amplitude du repère. Des actions de resubdivision du repère sont
possibles.
Gradu6
Positionner, sur une seule droite graduée (ci-dessous droite "au brouillon" qui
sera suivie d'une saisie "au propre"), un nombre rationnel déterminé au moyen d'un
double pointage : d'abord par encadrement sur un intervalle d'un premier repère
d'amplitude 1 ; ensuite exactement sur une sous-graduation de cet intervalle agrandi
après zoom "avant".
116
Chapitre III
2.2.2. Logiciels de traitements, série Fracti
Fracti1
Identifier les fractions équivalentes à un entier dans un défilé de fractions.
Fracti2
Déterminer si le produit d’une fraction par un entier est un entier.
117
Chapitre III
Fracti3
Encadrer une fraction par deux entiers consécutifs ; intercaler un entier entre
deux fractions.
Fracti4
Intercaler une, puis plusieurs fractions, entre deux entiers consécutifs.
118
Chapitre III
Fracti5
Ranger des fractions obéissant à un cahier des charges variant d’un exercice à
l’autre (dénominateur constant, numérateur constant, numérateur et dénominateur
quelconques, fractions décimales). Diverses aides sont proposées suivant les exercices :
"la machine à fractionner" qui permet de visualiser, par rapport à un tout unitaire, la
variation de la taille de la part en fonction du nombre de parts ; le "machine à dilater" –
représentée comme un appareil de projection cinématographique – qui permet de
multiplier les fractions à comparer par un même nombre entier afin de mieux les
"séparer".
119
Chapitre III
2.2.3. Logiciels de la série Format
Format1
Saisir des nombres décimaux dans un format à virgule fixe.
Format2
Ranger une suite – comportant de 3 à 6 éléments – de nombres décimaux tirés
selon un cahier des charges variant d’un exercice à l’autre et jouant sur les longueurs et
valeurs respectives des parties entières et décimales et la présence de zéros finaux ou
intercalaires. L'aide par le format à virgule fixe est accessible à tout moment.
120
Chapitre III
Mystère
Trouver un nombre mystérieux décimal par encadrements de plus en plus fins.
2.2.4. Logiciels de conversions
Pour la petite histoire, précisons l’étymologie des dénominations : Frac ou fra
comme fraction ; Grad ou gra comme graduation ; Form ou for comme Format, qui est
l’outil privilégié par les logiciels de saisie et de comparaison des décimaux. Le « 2 »
intercalaire, comme dans Frac2gra, doit se lire en anglais « two », homonyme de « to » –
« vers ». Frac2gra signifie donc : fractions vers graduations. Précisons enfin que ces
raccourcis anglicisants permettent de ne pas dépasser les 8 fatidiques caractères
autorisés par les versions anciennes de Windows.
121
Chapitre III
Frac2gra
Déposer un nombre fractionnaire sur une droite repérée par un couple d'entiers.
Les principales actions disponibles sont celles de glissement de la droite et de
subdivisions du repère.
Form2gra
Déposer un nombre décimal sur droite graduée au moyen de zooms successifs
permettant d'atteindre la profondeur du rang décimal souhaitée.
122
Chapitre III
Grad2fra
Fournir, par resubdivisions du repère, une écriture fractionnaire d’un nombre
rationnel pointé sur une droite graduée.
Grad2for
Fournir une écriture décimale, affinée au moyen de zooms successifs, d’un
nombre pointé sur une droite graduée.
123
Chapitre III
Form2fra
Convertir un nombre décimal en écriture fractionnaire. On peut s'aider d'un
tableau de numération à saisir, mais ses têtes de série – 1/10, 1/100, 1/1000... – sont
écrites en ordre dispersé aléatoirement.
Frac2for
Décider si un nombre rationnel déterminé par une équation est entier ou pas.
Dans ce dernier cas, en fournir une écriture décimale exacte ou approchée au moyen
d’une division.
124
Chapitre III
2.2.5. Utilitaire de gestion des paramètres et des élèves : Oratio
Cet utilitaire permet d’ajuster les paramètres de chaque jeu – comme le nombre
de coups par jeu – ou d’accéder à une base de données concernant les résultats et
performances des élèves – comme le score, le nombre de « justes ou faux », les temps de
réponse....
2.3. L’apprentissage
Ayant exposé l'architecture globale de notre projet didactique et fourni un
abrégé de l'outil principal de sa mise en œuvre – les logiciels –, il nous reste à préciser
certaines modalités de l’apprentissage et de l’enseignement .
2.3.1. Quel itinéraire proposer pour l’apprentissage ?
Les prérequis sont minimaux : l'élève peut ne disposer pour tout bagage initial
que d'une idée intuitive et / ou partielle de la notion de fractionnement, par exemple à
travers une application de fractions simples – demis, quarts, tiers... – à des grandeurs
usuelles – longueur, volume, durée... Tout au plus peut-on proposer, avant le passage
sur les logiciels de la série Fracti, une introduction légère aux fractions – par exemple
comme moyen de mesurer des longueurs par reports et subdivisions d'une unité
(Objectif Calcul ; pp. 130-132). Dans le cas où on retient ce choix d'une introduction
papier / crayon "légère", doit-on privilégier l'aspect fractionnement de l'unité (comme
dans Objectif Calcul ou Douady et Perrin-Glorian), ou commensuration (comme chez
Brousseau), ou encore "contexte de partition de la pluralité" [11/4 comme 11 divisé par
4, (Streefland ; 1991 et 1993) ou (Brissiaud et alii ; 1998-b, pp. 38-51)] ? Pour nous,
cette option de départ n'est pas décisive. Car quelle que soit l'idée initiale, spontanée ou
provoquée, plus ou moins affinée, grossière ou encore erronée, nous savons que l'élève
aura à étendre ou à remodeler certaines de ses caractéristiques, voire à y renoncer, à
développer des modèles alternatifs, qui se substitueront aux premiers modèles ou
coexisteront avec eux, et que l'activité menée dans les différents registres et surtout leur
coordination seront les leviers essentiels de ces évolutions.
Dans le but de respecter ce mouvement entre les mises à l'épreuve et
l'acceptation, on se refuse, lors de l’exploration d’un registre, à enseigner a priori les
règles qui le régissent. On préfère laisser les élèves tester les idées qu’ils se font de ces
règles (par exemple, tester si 3,4 est plus petit que 3,19 parce que 4 est inférieur à 19),
les mettre à l’épreuve des traitements autorisés par le logiciel puis des corrigés qu'il
125
Chapitre III
propose – en général dynamiques, c'est à dire prenant en compte à la fois la spécificité
du cas traité et les interventions de l'élève – afin de provoquer les remises en cause
nécessaires et les évolutions qui s'ensuivent. Le point de départ est donc
phénoménologique. Cela signifie que les signes rencontrés par l'élève – graduations,
subdivisions, nombres entiers..., écritures fractionnaires puis décimales à virgule... – ne
réfèrent pas forcément, au début, aux objets ou notions mathématiques correspondants :
nombre rationnel, proportion, interprétation des chiffres après la virgule en termes de
dixièmes, centièmes... Ils ne sont en fait pas encore considérés comme des signes, mais
comme des objets : "ce sur quoi porte l'orientation intentionnelle de la conscience à un
instant donné" (Duval ; 1998, p. 180). Ces objets réagissent de manière spécifique, sous
la forme de rétroactions du logiciel, aux traitements engagés par les élèves. Différents
aspects de la notion en construction sont ainsi tour à tour mis en valeur, suivant le
registre dans lequel on travaille et les traitements qu'on y développe. La synthèse de ces
actions et rétroactions, spontanée et provoquée par le maître, atteint son aboutissement
lors de l'étude des logiciels de conversion, débouchant sur l’énoncé de règles stables et
la compréhension de leur origine. Le point de vue ainsi conquis est alors le point de vue
scientifique au sens de Duval (1998 ; p. 167) : les objets manipulés par les élèves
acquièrent le statut de signes, et le système à l'intérieur duquel ils évoluent le statut de
registre. La nature de la relation sujet-objet s'est modifiée, du sens servi par
l'appréhension immédiate à la référence construite et stabilisée (ibid).
Nous rapporterons aux chapitres IV-2.3, IV-2.4.4 et V (voir notamment
Jérôme pour Fracti 2 en V-1.6.2) des réflexions d'élèves qui illustreront cette
évolution de conceptions (à l'échelle d'un élève) : du phénomène observé voire subi, à
l'élaboration du concept, raccroché à la trame du savoir déjà là. Pour l'instant, étudions
quelques exemples plus macroscopiques (à l'échelle d'un groupe d'élèves, voire de la
classe entière).
2.3.2. Exemples d'itinéraires d'apprentissage au moyen des logiciels
Exemple 1 : 3,4 > 3,19
Lors de la passation sur Format2, le décimal 3,4 est reconnu comme supérieur à
3,19, car en disposant ces deux nombres dans un format à virgule fixe, balayé de la
gauche vers la droite, je rencontre 4 contre 1 au premier rang susceptible de les
départager. Aucune interprétation provoquée par le maître, en termes de centièmes (par
126
Chapitre III
exemple 3 +
40
19
contre 3 +
) n'est proposée à ce stade. On se contente d'une
100
100
approche phénoménologique du format à virgule fixe. Mais lors de la passation sur
Form2gra, on pourra être amené à convertir 3,19 en un point d’une droite graduée ; donc
à demander une subdivision en dix – peut-être parce qu'il y a dix chiffres disponibles ou
pour tout autre raison bâtie sur une connaissance précise ou floue des écritures en base
dix – de l'intervalle [3 ; 4] – peut-être parce qu'on lit 3,19 "trois virgule dix-neuf et que
donc c'est trois et quelque chose" ; puis à resubdiviser après zoom l'intervalle [3,1 ; 3,2]
en dix et enfin à y déposer 3,19, définitivement inférieur à 3,4 car situé entre 3,1 et 3,2.
La compréhension des décimales de ces nombres en termes d'un certain nombre de
dixièmes et de centièmes peut être issue de la convergence de deux mouvements :
interprétation du rang de ces chiffres comme descripteurs des actions de subdivision
récursive par dix ; interprétation des chiffres eux-mêmes comme descripteurs d'actions
de reports. Une acception purement cardinale du 4 contre 19 est ainsi mise à distance,
car la notion de rang trouve désormais un équivalent dans le registre des droites
graduées (niveau de profondeur du zoom), légitimant l'éventuelle transformation de ce 4
en 40. Dès lors ces divers chiffres et nombres réfèrent à des objets, qui ont acquis leur
existence d'une certaine invariance entre deux représentations hétérogènes.
Exemple 2 :
3
c'est trois fois un quart ou un quart de trois
4
Il est possible d’aborder l’étude de Fracti1 avec pour seul bagage une idée plus
ou moins précise de la notion de fractionnement appliqué à des grandeurs élémentaires :
une demi-heure ; trois quarts d'heure ; un tiers de litre... éventuellement complétée par
une introduction papier/crayon légère aux fractions-mesures. C'est du reste l'option que
nous avons retenue et qui sera examinée au chapitre V-1. Examinons à présent ce que
nous apprend l'approche phénoménologique de Fracti1. L'élève voit défiler à l'écran des
fractions et doit cliquer dès qu'il estime que cette fraction représente un nombre entier.
S'il se trompe et décide par exemple que
9
est entier, le logiciel lui indique alors que
4
cela est faux car 9 n'est pas un multiple de 4. Ce logiciel crée donc
phénoménologiquement deux types "d'objets-fractions"
a
: ceux qui sont entiers et pour
b
lesquels "a est dans la table de b" ; ceux qui ne le sont pas et pour lesquels "a n'est pas
127
Chapitre III
dans la table de b". L'objet
a
est donc celui qui pose une question du style : "en a
b
combien de fois b ?", ce qui tend à rapprocher
a
de "a divisé par b". Par ailleurs, les
b
élèves pour qui une fraction exprime une mesure par fractionnement de l'unité, peuvent
accepter que
4 8 12
4
; ; ... représentent des entiers puisque pour eux
= 1. Quoi qu'il en
4 4 4
4
soit, deux points de vue, qu'on se gardera bien de départager à ce stade, pourront
coexister :
a
présente à la fois des caractéristiques de a divisé par b et de "a bièmes".
b
Plaçons-nous à présent au moment des conversions des écritures fractionnaires
vers les droites graduées : le premier point de vue pourrait déboucher sur une "écriture"
de
3
dans le registre des droites graduées analogue à celle de la Figure 15-a (3 divisé
4
par 4 ou un quart de trois), tandis que le deuxième point de vue (trois fois un quart)
pourrait se représenter comme sur la Figure 15-b :
y
x
4
4
0
0
3
Figure a : droite d1
1
Figure b : droite d2
Figure 15
La confrontation de ces deux points de vue légitime la question de leur
identité. On pourra alors tenter de déposer par exemple y sur la droite d1. Résoudre ce
problème sémiotique demande de trouver une graduation de d1 qui attrape
simultanément x et y . Or y étant repéré par rapport à [0 ; 1], il serait souhaitable que
cette graduation attrape 1, donc qu’elle permette de diviser [0 ; 3] en 3 tout en
continuant à attraper x , soit quelle continue de diviser [0 ; 3] en 4. Ce type de recherche
a été développé lors de l'étude de Gradu5 (voir en 2.2.1 les moyens d'intervention
disponibles pour effectuer cette opération). La solution consiste à demander une
resubdivision en 3 x 4 = 12 du repère [0 ; 3]. La flèche associée à x pointe alors vers la
troisième graduation sur les quatre comprises entre 0 et 1, ce qui assure l’égalité de x et
128
Chapitre III
y (Figure 16). On vérifie aisément que le problème symétrique, déposer x sur d2, peut se
traiter par 3 reports de [0 ; 1] et un fractionneur égal à 4.
x=y
12
1
0
2
3
Figure 16 : droite d3
Remarquons que le processus ayant permis cette identification n’est pas qu’une
simple coïncidence visuelle, mais dépend de décisions procédurales – recherche d’un
multiple commun à 3 et 4 par exemple – qui rendent compte de la généralité du
phénomène : l’égalité de x et y n’est pas seulement donnée à voir – comme une
curiosité, peut être attachée à un cas particulier –, mais construite à partir d’une
procédure à forte valeur explicative.
Ainsi, les deux points de vue sur l'objet fraction s'enrichissent de leur
contradiction apparente, et trouvent une occasion de converger lors des conversions
inter-registres. Au cours de cet itinéraire, on aura noté que telle opération de formation –
ici posée par Fracti1 – met en valeur telle propriété ou tel point de vue sur les rationnels
– la formation dans un autre registre pouvant en éclairer un autre aspect ; telle
conversion – ici des écritures fractionnaires vers les droites graduées – pose le problème
de la confrontation ; tel traitement – dans le registre des droites graduées, des Figure 15
vers la Figure 16 – permet d'en assurer le dépassement. C'est donc bien tout l'arsenal des
registres qui est convoqué pour cette séquence d'apprentissage.
Exemple 3 :
3
2
et
expriment des proportions (au sens de rapport entre
4
3
deux grandeurs) et la proportion
3
2
est supérieure à la proportion
4
3
Envisageons le problème physique de cran 4 suivant : je mélange 3 verres de
jus de fruit à 4 verres d'eau d'une part ; 2 verres de jus de fruit mélangés à 3 verres d'eau
d'autre part. Lequel des deux mélanges a le plus le goût du jus de fruit ? Ce problème
sera encore plus compliqué si les verres du premier mélange sont tout petits, et ceux du
129
Chapitre III
deuxième mélange tout grands... Il demande en tout cas une prise en compte des
proportions et non des quantités absolues, sauf à se livrer à une expérience mentale
consistant à se poser une question du type : "si j'ai le même volume des deux mélanges,
dans lequel aurai-je le plus de jus de fruit ?". On voit alors qu'on a intérêt à effectuer
d'abord un changement d'échelle, et à imaginer que les verres ont tous le même volume,
avant d'envisager une base de comparaison commune... où l'on retombe sur les
proportions.
Examinons à présent comment Gradu4 aborde cette famille de problèmes. Ce
logiciel demande de comparer deux rationnels dont une expression dans ce registre
est par exemple :
x
y
3
4
0
1
0
1
Figure 17
On notera bien sûr que les deux "échelles" sous lesquelles on "voit" ces
rationnels sont différentes, mais qu'après tout, cette donnée observationnelle est
courante : la lune et le soleil ont même diamètre apparent, et pourtant on sait bien que le
soleil est beaucoup plus grand que la lune – ce qui suppose une capacité à imaginer ce
qui se passerait si on les observait à la même distance, donc à faire un changement
d'échelle... De toutes façons, le choix d'une même unité pour les deux représentations
aurait débouché sur des comparaisons physiques de longueurs et donc singulièrement
appauvri le problème, l'éloignant radicalement de la comparaison en proportions. On
notera à ce propos à quel point l'univers des droites graduées est à la fois sémiotique –
ce sont les signes qui me permettent avant tout de prendre des décisions contre les
apparences – et physique – puisqu'il y est question d'observations et d'échelles.
Gradu4 invite donc à une expérience mentale de comparaison : si les deux
schémas étaient à même échelle... Et comme l'expérience est mentale, on ne peut
s'appuyer que sur ce qui est invariant par changement d'échelle, à savoir par exemple le
positionnement relatif de chacun des points par rapport à [0 ; 1], et en fonction des
subdivisions. Nous avons ainsi pu constater des raisonnements que nous résumons ainsi
: "[si les deux segments gradués étaient à même échelle], j'aurais un point situé à 1
intervalle parmi 4 [de l'extrémité du repère soit ici de 1],dans le premier cas ; à 1
130
Chapitre III
intervalle parmi 3 [toujours de l'extrémité du repère] dans le deuxième cas, donc le
premier point serait plus proche de 1 que le deuxième". Dans d'autres cas plus simples,
on a observé des comparaisons par rapport à la moitié (nous adoptons des écritures
fractionnaires des rationnels concernés pour la simplicité de l'exposé, mais il s'agit bien
ici de décrire des types de réactions d'élèves travaillant sur des expressions
équivalentes sur droites graduées) : 4/10 est plus petit que 1/2 car 4 est inférieur à la
moitié de 10, 3/5 est supérieur à car 3 est supérieur à la moitié de 5, donc 4/10 < 2/3 ; ou
encore en séparant les deux rationnels par un entier : 9/4 > 2 car 9 est supérieur au
double de 4 ; 5/3 < 2 car 5 est inférieur au double de 3. Toutes ces justifications attestent
bien que c'est le rapport des grandeurs qui est pris en compte (la moitié, le double...) et
non la juxtaposition des deux grandeurs (qui déboucherait sur des erreurs du type :
4/10 > 2/3 car 4 > 2 et 10 > 3).
D'autres logiciels permettront soit de développer des stratégies alternatives de
comparaison des rationnels, soit de donner de la profondeur aux mêmes stratégies grâce
à leur reformulation dans un autre registre. Il est ainsi possible dans Fracti 5 exercice 4,
de comparer deux fractions comme 2/3 et 3/5, toutes deux comprises entre 0 et 1, et
donc non discernable au moyen du seul filtre entier – et même du filtre des moitiés –,
mais qui, après une dilatation judicieusement choisie, se trouvent bien séparées par un
entier :
2/3 x 3 = 6/3 = 2 ; 3/5 x 3 = 9/5 et 9/5 < 2 car 5 est inférieur à la moitié de 9, ou
encore 9/5 < 10/5 qui vaut 2.
Nous retrouvons, à travers cet exemple, un itinéraire d'apprentissage procédant
par changements de points de vue et adaptations, suivant le potentiel explicatif de
chacun des registres concernés ou les nécessités de leur articulation.
Pour plus de détail sur l’organisation des passations, la nature de la tâche
demandée à l’élève, le type d’action valide et des rétroactions des logiciels, on se
reportera au chapitre VI-1.3.
2.3.3. Conclusion du paragraphe 2.3.1
L'idée qui a présidé à cet itinéraire d'apprentissage est le constat que l'autoorganisation des connaissances sémiotiques débouche sur des impasses. C'est pourtant
ce qui se produit lorsque, au terme d'un processus d'enseignement, on présente
paradoxalement les fractions comme un moyen de faciliter la résolution de problèmes
131
Chapitre III
qu'on vient pourtant de résoudre en s'en passant ! Nous avons en effet rappelé au
chapitre II que nombre de problèmes rationnels – par exemple celui des mélanges de
jus de fruit revu ci-dessus en 2.3.2 exemple 3 – pouvaient se résoudre sans recours aux
fractions. Dès lors, ces dernières risquent d'apparaître au mieux comme une
complication inutile, au pire comme ce que l'appréhension immédiate en laisse
transparaître, par exemple un couple de deux entiers juxtaposés – provoquant des
erreurs du type : 4/10 > 2/3 car 4 > 2 et 10 > 3. Ce type d'erreurs n'est pas de ceux qui
stimulent l'apprentissage, car il se présente comme une fin de non recevoir et non
comme une étape d'un processus évolutif où le constat d'erreur indique la voie d'un
nouvel essai. C'est donc bien une impasse.
Ce paradoxe est fréquent dans l'enseignement : un outil, dont l'enseignant
connaît la puissance de résolution de problèmes de niveau n, doit être mis en scène, pour
être compris, dans des contextes de niveau n - 1, inaptes à en justifier la nécessité.
L'enseignant est ainsi confronté au dilemme suivant : enseigner l'outil dans un contexte
qui justifie sa nécessité mais dont la complexité risque de le masquer ; enseigner cet
outil dans un contexte dont la simplicité le rend transparent et tenir à ses élèves un
discours moralisateur du type : "plus tard tu comprendras..."17.
Nous avons donc renoncé à introduire les fractions comme outils pertinents de
résolution de problèmes, faute d'être à même d'établir didactiquement cette pertinence.
Dans notre optique, confortée par l'observation directe ou indirecte – rapportée par
d'autres chercheurs – d'élèves, c'est l'écriture fractionnaire elle-même qui pose problème.
Et pour prendre la mesure des enjeux de ce problème, nous avons choisi de le poser
initialement dans un contexte riche en possibilités d'actions explicites et de rétroactions,
que l'environnement informatique rendait enfin accessibles, à savoir le contexte
géométrique des droites graduées qui sera présenté en détail au chapitre IV.
Mais si ce travail devait se réduire à une manipulation formelle de signes, selon
un code plus ou moins arbitraire autorisant ou interdisant tel ou tel type d'actions, il ne
serait d'aucun intérêt didactique, et présenterait même les dangers évidents liés à une
adhésion par conditionnement. Nous avons vu qu'il n'en était rien et que, conformément
à la théorie de Duval qui s'est trouvée être amplement vérifiée par l'expérience, ces
17
Ainsi en géométrie, le théorème dit "des milieux", dont l'énoncé rend perplexe tant il semble marqué par
l'évidence - "à quoi cela sert-il d'énoncer ainsi l'évidence ?" et dont la nécessité et la complexité ne
pourront apparaître qu'ultérieurement.
132
Chapitre III
traitements et conversions, dans la mesure où ils sont développés à l'intérieur de
véritables registres, permettent l'émergence d'invariants que sont les concepts et les
familles de problèmes associés.
3. Une caractéristique d'un registre d'expression : sa dimension
Ayant exposé notre projet d'enseignement et les choix stratégiques qui le
structurent, notamment la décision de faire fonctionner les signes comme générateurs de
problèmes, nous allons à présent affiner notre investigation sur la nature de leur
complexité, donc en quoi ils peuvent effectivement poser problème. Ceci va nous
amener à définir la notion de dimension d'un registre d'expression dans certains cas
particuliers (une définition générale reste à développer). Prenons l'exemple des écritures
fractionnaires : nous les avons écartées de notre introduction aux rationnels en
invoquant les leurres formels usuels que ces dernières provoquent. Nous allons dépasser
ici ce premier niveau d'analyse en examinant la trame même dans laquelle elles
s'inscrivent, et plus généralement dans laquelle s'inscrivent différents modes
d'expression des rationnels. Nous serons alors en mesure de mieux apprécier les
difficultés ou facilités structurelles liées à ces systèmes et la légitimité qu'il y a à
développer un système alternatif, celui des droites graduées. Un retour aux sources
s'imposait à ce stade. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de questionner un
ouvrage fondateur des rationnels en particulier et des mathématiques en général, à savoir
les Eléments d'Euclide.
Ainsi que nous le détaillerons un peu plus bas, un calcul comme
1
4
+
1
4
ou
encore 0,25 + 0,25, bien que référant aux mêmes objets et notions mathématiques,
n'engage évidemment pas le même type de traitements sur les nombres entiers en jeu : 1,
4, 0, 25. Par ailleurs, le discours fondateur d'Euclide sur les proportions, bien que
référant aussi aux nombres rationnels, ne se développe pas sur le même mode qu'un
discours contemporain équivalent. Nous allons tenter de préciser en quoi ces deux
exemples, a priori bien distants, sont susceptibles de s'interpréter au moyen d'une même
catégorie de pensée et comment ils nous renseignent, d'un point de vue épistémologique
et didactique, sur les différences entre ces deux systèmes d'expression des rationnels que
sont les écritures décimales et fractionnaires. Nous en profiterons pour nous interroger
sur la légitimité qu'il y a à les considérer comme des registres différents – alors qu'ils
133
Chapitre III
recourent à un ensemble de signes pratiquement identiques pour produire leurs
significations. Nous terminerons par quelques réflexions rapides sur la notion de
pourcentage et ses liens avec les considérations qui précèdent.
Dans le cas de la somme "un quart plus un quart", on peut expliquer ces
différences de traitements en disant que le 25 après la virgule représente en fait
qu'après simplification on retrouve bien
1
,
4
25
100
et
et que, moyennant cette interprétation du
reste totalement codifiée des nombres à virgule, on comprend mieux l'équivalence des
actions menées dans l'un ou l'autre de ces systèmes d'écritures. Il n'empêche qu'en dépit
de cette tentative de ... rationalisation, les élèves continuent à se tromper, même
lorsqu'ils sont capables d'énoncer correctement la signification, en termes fractionnaires,
des chiffres après la virgule d'un nombre décimal. Ce qui prouve bien que les erreurs
persistantes dans ce domaine sont plus dues à les leurres sémiotiques qu'à un défaut de
conceptualisation. C'est en cela qu'elles constituent un phénomène didactique qui mérite
qu'on s'y penche et qu'on le nomme. Quant au discours d'Euclide, il nous permettra de
regarder ce phénomène avec une distance suffisant à nous renseigner sur sa portée.
Notre approche consistera donc à questionner la manière dont se développent ces divers
modes d'expression, et notamment comment ils utilisent différemment l'espace du
support de l'écriture pour produire leurs significations.
Remarquons tout d'abord que le support physique – feuille de papier, tableau,
écran d'ordinateur – du code écrit de la langue naturelle est essentiellement
bidimensionnel. Mais si l'on s'intéresse à la manière dont s'oriente la production et la
prise d'information, nous comprenons qu'il est avant tout unidimensionnel, le code écrit
s'enchaînant de façon linéaire et séquentielle, tout du moins dans les systèmes d'écriture
basés sur la double articulation, par opposition aux systèmes idéographiques par
exemple. Qu'en est-il du discours mathématique et des différents registres qu'il
emprunte ? Nous admettrons aisément que le registre des figures géométriques planes
est bidimensionnel – considérant que la prise et la production d'information demande
une prise en compte des deux dimensions de la feuille de papier – et qu'une
représentation des nombres sur une droite graduée est unidimensionnelle. Quant aux
registres numériques, c'est à dire ceux qui mobilisent écritures chiffrées des nombres,
134
Chapitre III
lettres et signes opératoires pour signifier, nous allons voir que, du point de vue qui nous
intéresse, ils peuvent être uni ou bidimensionnels.
Nous nous permettons d'insister sur le fait que les considérations qui suivent
portent avant tout sur les signes et les traitements qu'on leur applique, et secondairement
sur les concepts sous-jacents. En effet, le discours mathématique, procède
essentiellement par substitution, une proposition se substituant à une autre proposition
référentiellement équivalente. "Mais cette démarche va souvent à l'encontre d'une
condition nécessaire pour qu'il y ait sens dans la pensée naturelle : la continuité
sémantique et associative entre les expressions à substituer. Un élève qui ne perçoit pas
l'attitude intellectuelle exigée par les mathématiques fait spontanément de la congruence
sémantique la condition nécessaire, et parfois suffisante, de l'équivalence référentielle."
(Duval, 1988, p. 8). On comprendra dès lors qu'une analyse didactique ne peut que
s'interroger sur la "continuité sémantique et associative entre les expressions à
substituer", et les axes distincts que la pensée doit éventuellement emprunter pour que
ces substitutions soient valides.
3.1. Le cas des écritures décimales et fractionnaires
Reprenons partiellement l'exemple – déjà – cité par Duval (1995, pp. 41-42) en
tâchant de préciser, suivant notre problématique, en quoi les "significations opératoires"
des calculs proposés diffèrent :
0,25 + 0,25 = 0,5
1
4
+
1
4
=
1
2
On peut supposer que tout d'abord on ait donné 0,50 comme résultat du premier
calcul. Ce résultat est obtenu en appliquant le même type de traitement à chacun des
chiffres du membre de gauche, soit successivement à 5, 2, et 0. La décision de se
débarrasser du 0 de 0,50 peut être, à un stade d'automatisation, interprétée comme
l'application d'une règle purement sémiotique : "on peut effacer les zéros terminaux".
Cette règle s'applique dans la continuité du calcul en ligne.
Examinons à présent le deuxième calcul : non seulement le traitement sur les
deux lignes de l'expression (celles du numérateur et du dénominateur) n'est pas de même
nature (il semble conserver le numérateur commun et diviser par 2 le dénominateur
commun) mais encore, il contrarie le sens courant des opérations sur les naturels
135
Chapitre III
(1 + 1 = 1 ! et 4 + 4 = 2 !). Le passage par
1
4
+
1
4
=
2
4
ne change pas grand chose à ces
considérations, dans la mesure où les traitements entre les deux lignes, séparées par le
trait de fraction, divergent toujours notablement. Remarquons pour finir que la
simplification
2
4
=
1
2
demande une prise en compte simultanée et donc non séquentielle
de ces deux lignes.
Nous pourrions développer le même type de réflexions à propos des deux
résultats suivants :
0,75 > 0,667
3
4
>
6
9
en remarquant notamment qu'une décision passant par la comparaison de
6
9
6
8
et
pourrait à nouveau résulter d'un traitement radicalement différent sur le numérateur et
le dénominateur : plus grand le numérateur, plus grande la fraction ; plus grand le
dénominateur, plus petite la fraction.
Ceci nous amène à poser que le calcul fractionnaire se développe suivant deux
axes distincts bien qu'en interrelation, discernables parce que relevant de traitements
distincts, et matérialisés par les deux lignes d'écriture du numérateur et du
dénominateur. C'est en quoi nous nous autoriserons à dire, par abus de langage, que le
registre des écritures fractionnaires est bidimensionnel. Par opposition, et dans la même
ligne d'idée, on comprendra que le calcul sur les écritures décimales sera considéré
comme unidimensionnel.
Concluons ce paragraphe sur une citation de Stella Baruk qui, dans son
dictionnaire des mathématiques élémentaires, (1993), dit que si : "..énoncer 2 dizaines
ou 5 centaines, c'est énoncer des nombres, on ne voit pas pourquoi [...] énoncer 3
dixièmes ou 5 centièmes ne serait pas énoncer des nombres...". Tant que l'on garde de
ces nombres une expression écrite ou orale linéaire comme 3 dixièmes ou 5 centièmes,
on ne voit pas effectivement pourquoi. Mais que l'on passe à l'expression
3
5
ou
,
10
100
qui
rompt la chaîne de l'écrit en deux directions distinctes sur le plan des traitements –
contrairement aux expression chiffrées usuelles de 2 dizaines ou 5 centaines en 20 ou
136
Chapitre III
500 –, et on voit immédiatement en quoi les élèves résisteront à les identifier à des
nombres, dont le modèle entier leur a appris la caractéristique unidimensionnelle.
3.2. Le discours d'Euclide est unidimensionnel
Mettons à présent à l'épreuve du discours d'Euclide notre analyse en terme de
dimension. Pour illustrer notre propos, nous avons choisi la définition 6. du cinquième
livre (Peyrard, 1993), que nous rappelons :
"Des grandeurs sont dites être en même raison, la première à la seconde, et la
troisième à la quatrième, lorsque des équimultiples quelconques de la première et de la
troisième, et d'autres équimultiples quelconques de la seconde et de la quatrième sont
tels, que les premiers équimultiples surpassent chacun à chacun, les seconds
équimultiples, ou leur sont égaux à la fois, ou plus petits à la fois."
Cette proposition, bien entendu directement connectée à notre réflexion
puisque renvoyant à une définition de grandeurs proportionnelles – définies dans la
proposition 7 suivante au moyen d'une identité de raison – nous semble suffisamment
complexe dans son expression euclidienne, et suffisamment clarifiable par un discours
moderne, pour être en mesure de donner tout son sens à notre assertion-titre.
Commençons donc par en proposer une traduction actuelle :
On définira tout d'abord le rapport de deux grandeurs comme rapport des deux
nombres mesurant chacune de ces grandeurs avec une unité choisie ; on établira ensuite
l'invariance de ce rapport par un changement d'unité. En appelant g1, g2 ,g3, g4, les quatre
grandeurs de la définition d'Euclide, on obtiendra comme traduction de cette dernière :
g1 g 3
=
⇔ ∀ a ∈ N , ∀ b ∈ N ,( ag1 > bg 2 ⇔ ag 3 > bg 4 ) ou ( ag1 < bg 2 ⇔ ag 3 < bg 4 )
g2 g4
Notons au passage que le cas ag1 = bg 2 ⇔ ag 3 = bg 4 ne se produit que si le rapport
des grandeurs est rationnel. Si Euclide ne se contente pas d'énoncer ce cas de l'égalité,
qui suffirait bien sûr à affirmer l'égalité des rapports, c'est qu'il envisage la possibilité
que
ce
rapport
soit
irrationnel
(Dhombres ;
1995,
p
656).
L'opposition
rationnel/irrationnel sera du reste traitée dans le livre 10 sur les grandeurs
commensurables.
137
Chapitre III
L'implication gauche vers droite est évidente ; l'implication réciproque se
démontre aisément par l'absurde (Si
g1 g 3
b
≠
, alors on peut intercaler une fraction
a
g2 g4
entre les deux rapports et le reste en découle).
Mais plaçons-nous dans la position de celui qui veut appliquer ce critère à la
reconnaissance de la proportionnalité des grandeurs concernées. Il devra :
• former séquentiellement le produit de chaque grandeur par les entiers
quelconques a ou b ;
• prouver que :
• si ag1 > bg 2 , alors ag 3 > bg 4
• puis que :
• si ag1 < bg 2 alors ag 3 < bg 4
Comme on le voit, la démonstration se mène séquentiellement, en suivant une
seule ligne de développement.
A l'opposé, un usage moderne des fractions, bien plus économique, demande de
jouer une partition à deux voix du type :
a c
ad bc
= ⇔
=
⇔ ad = bc
b d
bd bd
Deux lignes de calculs – celle du numérateur et celle du dénominateur –
apparaissent. En effet, pour progresser à droite des signes d'équivalence ou d'égalité je
dois :
• soit agir simultanément – en harmonie – sur a et b puis sur c et d ;
• soit appliquer des traitements radicalement différents à chacune de ces lignes,
à tel point qu'à la fin, une des deux lignes disparaît purement et simplement quand
l'autre est conservée à l'identique !
Ce n'est donc pas un discours linéaire, puisque apparaissent à la fois des
simultanéités et des dissymétries d'actions, révélant deux axes de progression, parfois en
harmonie, parfois en contrepoint, parfois sans lien formel apparent.
Remarquons pour finir que les seules figures qu'Euclide utilise pour illustrer
ses démonstrations sont des segments de droites, c'est à dire des objets
unidimensionnels. Ceci n'est pas sans rapport avec ce qui vient d'être dit car :
• toutes ses définitions et démonstrations reposent sur la notion de report ;
138
Chapitre III
• dans un discours de type rhétorique et pas algébrique, on ne voit pas
comment il pourrait en aller autrement – les fractions ouvrent la possibilité de
progresser d'égalité en égalité alors que la division euclidienne ou l'algorithme d'Euclide
fonctionnent d'équivalence en équivalence, moyennant des opérations de reports et
l'évaluation des restes ;
• le cadre géométrique le plus naturellement adapté à ces opérations de report
est bien entendu la droite, car l'isométrie des formes y équivaut à celle des grandeurs –
des longueurs en l'occurrence ;
• c'est mathématiquement correct ainsi que le remarque Jean Dhombres (19?? ;
p 657) : bien que l'antiquité n'ait eu ici que "une intuition heureuse...", "...le domaine des
raisons qu'il est possible de considérer pour des grandeurs comme les longueurs
constitue tout le champ des raisons possibles..." ; en d'autres termes, il existe toujours
deux longueurs dont le rapport soit égal au rapport de deux grandeurs quelconques.
Toutes ces considérations ont eu un poids considérable dans nos choix
didactiques.
3.3. Les systèmes d'écritures décimale et fractionnaire constituent-ils deux
registres différents ?
On peut se demander si les dimensions différentes auxquelles renvoient les
écritures décimales et fractionnaires suffisent à assurer qu'il s'agit bien de deux registres
différents. Il est difficilement niable que cet argument soit un argument de poids en
faveur de cette différenciation, renforcé par la difficulté ou les réticences qu'éprouvent
les élèves et même les adultes (voir par exemple le mémoire professionnel – M.
Delemontex et D. Eisenbeis , 1993 – : "Pourquoi 1/5 = 0,20 ?") à passer d'un système
d'expression à l'autre. Mais on peut aussi objecter que les règles de passage entre
écritures fractionnaires et décimales étant totalement algorithmisables, elles renvoient
plus à un traitement qu'à une conversion, tant on sent chez Duval (1995 , p 42 et 1998,
p167) à quel point cette dernière opération – en tous cas la coordination de plusieurs
registres qui l'implique – est décrite comme constitutive du fonctionnement du sujet
cognitif et de ses choix. Un deuxième argument est donc nécessaire pour se convaincre
que nous sommes bien en présence de deux registres différents. Remarquons au passage
que cette question est essentielle d'un point de vue didactique, car elle déterminera les
choix d'activités d'apprentissage qui seront proposées aux élèves (voir chapitre V). Si
139
Chapitre III
les règles de passage, dans le cas d'un calcul exact sont effectivement explicitables,
celles qui débouchent sur un calcul approché (cas de l'expression décimale approchée
d'un rationnel non décimal ou d'un décimal à n chiffres après la virgule, avec n grand) ne
le sont plus, car dépendant de décisions de l'utilisateur, elles-mêmes liées à la nature du
problème et aux précisions qu'il exige. Troncatures et arrondis sont des opérations
mettant en jeu les différences subtiles entre ces deux modes d'expression des rationnels,
différences d'ailleurs partiellement liées à la notion de dimension évoquée plus haut. En
effet, s'il est possible, au seul vu de son écriture à virgule, de donner des approximations
de plus en plus fines d'un décimal, c'est bien parce que son développement sur une seule
ligne permet en fait une décomposition de ce nombre suivant les puissances de dix, donc
suivant une précision croissante, à moindre coût. Ainsi, une fraction comme 10000/256
peut à peine être située à vue entre 30 et 50, alors que 39,0625 qui est son expression
décimale exacte, peut se laisser approcher beaucoup plus finement.
Nous en concluons que nous sommes bien en présence de deux registres
différents, et que cette différenciation a une pertinence didactique dans la mesure où les
arguments qui ont légitimé cette conclusion ont une origine et des incidences
didactiques.
3.4. Le cas particulier des pourcentages
Dans sa thèse consacrée aux pourcentages dans le cadre de la formation
d'apprentis (1995, p 97), Corinne Hahn analyse les résultats d'un test de type QCM, à
l'entrée d'un cycle de Bac professionnel. Sur les vingt questions que comptait l'épreuve
de la session de 1992, trois questions portaient sur les pourcentages. Les autres
questions portaient sur des notions de calcul fractionnaire, de puissances, de
proportionnalité, et de calculs algébriques élémentaires. Une de ses conclusions est : "il
semble que les élèves ayant obtenu les meilleures notes au test sont ceux qui savent que
20% =
1
".
5
Et un peu plus loin : "Les élèves ayant obtenu les notes les plus basses
associeraient 20% à un coefficient de 0,8" (les pourcentages sont, pour ces élèves ayant
tous une expérience de la vente, souvent associés au calcul d'une remise).
Ces deux exemples montrent que :
• la notion de pourcentage relève de deux registres, celui des écritures
décimales et celui des écritures fractionnaires.
140
Chapitre III
• Un troisième système d'écriture, celui qui utilise le signe % (que C. Hahn
appelle symbolique), et qui n'est pas un registre puisque ne permettant pas de
traitements, demande cependant une attention particulière puisqu'il intervient
couramment dans les énoncés, et demande donc une opération de type conversion
suivie éventuellement de calculs dans l'un des registres, décimal ou fractionnaire ;
• Les conversions entre ces trois systèmes ne seront pas congruentes au sens
où Duval définit cette notion (1995, p 47), puisque les dimensions des représentations
diffèrent. Nous avons déjà vu que c'était le cas lors des conversions entre écritures
décimales et fractionnaires, mais qu'en est-il de l'écriture symbolique ? Suivant les
considérations qui précèdent, cette notation nous semble être unidimensionnelle,
puisqu'insérable uniquement dans le registre écrit de la langue naturelle et jamais dans
un calcul.
• Dès lors, il est possible d'interpréter les résultats aux test de C. Hahn en
termes de congruences entre représentations hétérogènes : il n'est ainsi pas étonnant de
trouver les réussites les plus importantes auprès des élèves qui réussissent le mieux
dans la conversion la moins congruente – passage de 20%, unidimensionnel, à
bidimensionnel, mais avec détour par une mise en relation de 20 à 100 – peut-être
1
,
5
20
100
– , donc des deux dimensions de la représentation, pour accepter une forme très
éloignée de l'expression originelle comme équivalente à cette dernière.
• Quant aux élèves qui associent 20% à 0,8, on peut y voir la mise en œuvre
d'une recette d'autant plus efficace et donc appropriée qu'elle permet de conserver
l'unidimensionnalité de l'expression des nombres en jeu et des opérations qu'on leur
applique.
Nous n'en dirons pas plus ici sur les pourcentages et autres problèmes relevant
de la proportionnalité, mais on pourra se référer à d'autres auteurs qui y ont consacré des
études approfondies, dont certaines en termes de registres (Dupuis et Pluvinage ; 1981) ;
(Damm Werner ; 1991 et 1998) ; (Damm Werner et Dupuis ; 1992, pp. 1-12) ; (Koleza ;
1993, pp. 125-147).
3.5. Conclusion de la section 3
141
Chapitre III
Ainsi donc, la dimension d'un registre d'expression est un indicateur pertinent
sur le plan épistémologique et didactique. Elle nous a notamment permis de clarifier la
distinction entre écritures fractionnaires, écritures décimales, droites graduées, discours
rhétorique, et a donc contribué à valider la séparation de ces divers modes d'expression
en registres distincts. Par ailleurs, nous avons relevé que le choix des droites graduées,
registre de dimension 1, comme support de l'expression des rationnels était légitime sur
le plan purement mathématique. Il nous reste à examiner en quoi l'introduction des
rationnels dans ce registre est didactiquement justifiée. Cette question sera abordée lors
de la section suivante.
4. Un outil sémiotique pour des problèmes physiques : les droites
graduées
Cette section a un triple objet : montrer qu'il est possible d'interpréter et de
résoudre un problème physique au moyen du seul système des droites graduées ; en
déduire quelques éléments de cahier des charges pour ce système afin de le constituer en
véritable registre ; préciser la place qu'occupe la résolution de problèmes dans notre
dispositif.
Nous avons exposé, aux trois sections précédentes, les raisons théoriques, c'est à
dire se référant aux travaux des autres chercheurs – notamment ceux de Duval – et à nos
propres recherches et observations, de notre paradigme d'enseignement, ainsi que
certains outils – comme la dimension d'un registre – en affinant l'analyse. Dans cette
présente section, nous allons commencer à nous interroger sur la faisabilité didactique
d'un tel projet, en le reliant explicitement à ce qui constitue l'objet récurrent des
mathématiques, à savoir la résolution de problèmes. A cet égard, nous examinerons
quatre problèmes physiques rationnels de cran 3 et 4 ; nous envisagerons des
représentations visuelles, donc géométriques de ces derniers ; nous tenterons alors de
trouver des solutions à ces problèmes au moyen d'opérations intrinsèques à ce système
d'expression. Nous parviendrons ainsi à esquisser les contours de ce que devrait être un
registre géométrique d'expression des rationnels, susceptible d'interpréter et de résoudre
toute une famille de problèmes rationnels. Cette section justifiera donc les décisions
retenues pour la forme et la succession des logiciels de la série Gradu ; plus
généralement, elle permettra de comprendre certaines conditions plus ou moins
142
Chapitre III
nécessaires au développement du registre des droites graduées – notamment le recours à
l'outil informatique – qui sera étudié en détail au chapitre IV. Ajoutons que, si notre
idée n'est pas de décrire une séquence d’enseignement précise sur l’aide à la résolution
de problèmes, nous avons néanmoins donné au paragraphe 4.6 quelques indications à ce
sujet. Rappelons enfin qu’affiner l’articulation entre activités logicielles et résolution de
problèmes physiques rationnels constitue la principale proposition d’amélioration que
nous souhaiterions apporter à notre dispositif.
Les problèmes rationnels mettent en rapport deux grandeurs. C'est la raison
pour laquelle les nombres rationnels, qui sont censés interpréter ces problèmes,
s'expriment usuellement au moyen d'une écriture fractionnaire qui mobilise deux
nombres entiers. Cet antagonisme du deux pour un est un obstacle épistémologique.
Ceci est attesté par la persistance des élèves à dissocier numérateur et dénominateur
(Carraher et Schliemann ; 1991), mais aussi par la difficulté qu'a eue l'humanité à se
doter de l'écriture fractionnaire. Nous avons vu plus haut, en 3.2, qu'Euclide produisait
un discours essentiellement unidimensionnel car lié à la chaîne linéaire du code écrit.
Par opposition, nous pensons avec Pluvinage (1998 ; p. 129) que : "[la barre horizontale
des fractions]... introduit la dimension 2 dans l'écriture". Mais cette présentation
bidimensionnelle des rationnels ne constitue pas une stricte nécessité ; "... elle s'est
pourtant imposée en raison de son caractère commode à l'emploi et de la facilité de
vision procurée, bien plus grande que celle qui résulte de la chaîne d'écriture linéaire....".
On peut voir dans l'évolution des notations rationnelles vers la bidimensionnalité une
évolution de la fonction référentielle (Duval ; 1995, p. 98) qui parvient, par le jeu des
écritures fractionnaires, à cerner son objet au moyen d'un minimum de signes – le
rationnel
a
– quand un discours rhétorique mobilise des opérations de catégorisation
b
croisées fort complexes (Euclide ; livres 5, 7 et 10). Mais si les écritures fractionnaires
sont d'une grande convivialité pour l'expert, elles sont à l'origine d'obstacles résistants
lors du processus d'apprentissage (Figueras, Filloy, Valdemoros ; 1987) ou (Pitkethly et
Hunting ; 1996), qu'on tente de minimiser en ayant recours à des illustrations – toujours
bidimensionnelles – de type "parts de tarte", sans grand succès du reste (Hart et
Sinkinson ; 1989). Il est dès lors légitime de s'interroger sur le bien-fondé de
l'introduction aux rationnels par le biais de ce registre, et plus généralement par le biais
d'un registre bidimensionnel. Cette interrogation est aussi portée par l'attention toute
143
Chapitre III
particulière que nombre de didacticiens, à la suite des travaux de Duval (1995),
accordent à la "signifiance des signes" dans une perspective cognitive. Le rôle de la
dimension (1, 2 ou 3), support des opérations de formation et de traitements de ces
signes est loin d'être négligeable (Pluvinage ; 1998, p. 132). Deux questions se posent
alors :
• est-il possible de proposer à des élèves une introduction aux nombres
rationnels qui linéarise le discours sans le rendre illisible ?
• une telle introduction est-elle souhaitable ?
La deuxième de ces question sera traitée au chapitre IV. Nous allons tenter
de répondre à la première dans cette section en étudiant, ainsi qu'annoncé en
introduction, quatre problèmes rationnels.
4.1. Premier problème : un problème de commensuration
Soit le problème suivant : la masse de 2l de miel est de 3kg. Calculer le volume
(respectivement la masse) d'un kilo de miel (respectivement d'un litre de miel). Nous
désignerons par la suite V-M le problème du calcul du volume d'une masse donnée
et M-V le problème du calcul de la masse d'un volume donné. Deux grandeurs sont ainsi
présentées. Il nous faut trouver une expression linéaire de la relation qui lie ces deux
grandeurs. Nous proposons le schéma suivant :
Niveau des kilos
0
2
Niveau des litres
Figure 18
La graduation est bien entendu régulière, et cette exigence de régularité sera
une contrainte récurrente imposée pour la constitution de ce système en registre.
Examinons à présent ce schéma et son mode de signifiance : une des grandeurs,
la masse de trois kilos, est représentée par trois segments 18 ; l'autre, le volume de deux
litres, au moyen d'une numérisation chiffrée – nombres entiers 0 et 2 – au-dessous de la
droite. Quant au lien entre ces deux grandeurs, il s'exprime par la coïncidence de
18
Dans les cas plus compliqués, on pourra renforcer ce dispositif par une numérisation chiffrée partielle,
au-dessus de la droite, de cette première grandeur, (voir par exemple Figure 23)
144
Chapitre III
l'extrémité du troisième segment avec le nombre 2, mais aussi par la coïncidence de
l'origine du premier segment avec 0. Ainsi, aux deux grandeurs en jeu correspondent
deux niveaux et deux modes de quantification, les coïncidences de cette double échelle
permettant de gérer les liens entre ces deux grandeurs. On notera au passage que 0
trouve naturellement sa place dans ce contexte, ce qui n'aurait pas été le cas avec un
schéma bidimensionnel, de type parts de tartes :
Figure 19 : où placer 0 ; 2 ?
En effet, un tel schéma n'offre pas les mêmes ressources de double échelle. Et
ce pour la raison toute simple que la dimension 2 de la figure est aussi la dimension de
l'espace de travail (la feuille de papier, l'écran...) et que par conséquent, toute
information portée à côté de, ou sous la figure fait partie de la figure, et ne peut tout au
plus qu'en produire un commentaire, une légende ; au contraire de la dimension 1 qui,
libérant de l'espace d'inscription de part et d'autre de la droite support, autorise à porter,
en contrepoint du "dessin", divers signes, 0 et 2 par exemple, (Adjiage et Pluvinage),
permettant ainsi de dédoubler l'information en ses deux composantes distinctes (masse
et volume), et d'en exhiber un lien.
Bien entendu, un autre schéma, obtenu en permutant les niveaux des masses et
des volumes est tout autant possible :
Niveau des litres
0
3
Niveau des kilos
Figure 20
Nous verrons un peu plus loin qu'il est mieux adapté à certaines formes de
résolution de problèmes de type M-V qu'à celles correspondantes des problèmes de type
V-M.
145
Chapitre III
Mais tout ceci ne serait qu'illustration pas forcément facilitante si l'on devait
revenir aux écritures fractionnaires pour traiter ce problème. Nous allons voir qu'il n'en
est rien et qu'un usage raisonnable des signes et moyens d'agir propres à ce mode de
représentation – nombres entiers et traits usuels des droites graduées, comme sur un
double-décimètre par exemple – permet de résoudre le problème. La recherche de la
masse d'un kilo de miel peut en effet conduire à désigner par une flèche le point
représentant 1kg et à "lire" sur l'échelle des litres la valeur correspondante : "un tiers de
deux" ou "deux divisé par 3".
Niveau des kilos
0
2
Niveau des litres
Figure 21
Mais on peut aussi tenter de reconstituer la suite d'actions à entreprendre afin
d'évaluer 1 kg de miel par rapport au volume unitaire, soit 1 litre : pour que les traits
d'une graduation régulière capturent à la fois le 1 des kilos et le 1 des litres, elle doit à la
fois subdiviser en 2 et en 3 le segment initial, soit en 6 par exemple. On obtient alors :
1kg
Niveau des kilos
0
2
1l
Niveau des litres
Figure 22
On peut ainsi énoncer : "un kilo de miel s'obtient en subdivisant un litre de miel
en trois parties égales dont on retiendra deux parts", soit encore : "un kilo de miel, a un
volume de deux tiers de litres". Ou encore pour le problème inverse : "un litre de miel a
une masse de trois demis kilos". Notons que les désignations verbales usuelles "deux
tiers" ou "trois demis" sont ici parfaitement congruentes à notre représentation et ne
nécessitent absolument pas un détour par les écritures fractionnaires
2
3
ou . C'est en
3
2
revanche une étape possible dans la construction de ce mode incontournable de
signification des rationnels (Saenz-Ludlow ; 1995, p. 129).
146
Chapitre III
On aura aussi bien entendu reconnu une problématique de commensuration et
de fractionnement de l'unité (Ratsimba_Rajohn ; 1982) et la classique dualité un tiers de
deux et deux fois un tiers. Mais on retiendra surtout que les passerelles entre ces divers
points de vue accompagnent naturellement ce type de représentation.
Notons, pour finir, que les Figure 18 et Figure 20 permettent indifféremment de
résoudre les problèmes V-M ou M-V à partir du fractionnement de l'unité kilo
(respectivement litre). En revanche la Figure 18, sur laquelle le point représentant la
masse unitaire de 1 kg est directement accessible, est plus adaptée au calcul du volume
d'un kilo de miel comme fractionnement du volume total (un tiers de deux litres) et la
Figure 20 au calcul de la masse d'un litre de miel comme fractionnement de la masse
totale (la moitié de trois kilos).
4.2. Deuxième problème : un problème de quatrième proportionnelle ou image
d'un entier par un opérateur rationnel
Pour illustrer ce cas, nous reprendrons la séquence d'agrandissement d'une
pièce de puzzle décrite par G. Brousseau (1986 ; p. 113 - 115). Sachant qu'un segment
de 4 cm du modèle devra mesurer 7 cm dans le puzzle agrandi, les élèves sont invités à
déterminer la mesure de tous les segments du puzzle agrandi, connaissant celle des
pièces du modèle.
Image d'un segment de 9 cm
On peut imaginer la traduction suivante du problème, utilisant les moyens
développés en 4.1 :
1
0
4
8
7
14
9
12
puzzle initial
21
puzzle agrandi
Figure 23
Une expression orale du résultat pourrait alors être : "un segment de 9 cm a
pour image un segment de 14 cm et un quart de sept cm", qui est bien opératoire dans la
mesure où elle permet de construire effectivement le segment image. Il est aussi
possible de présenter le résultat de la façon abrégée et non – forcément – verbale
suivante :
147
Chapitre III
14
Figure 24
21
Mais, comme les élèves observés par Brousseau, on peut remarquer
l'importance stratégique de l'image de 1. L'usage de la représentation de la Figure 23
amènerait à un quart de sept qui n'est pas très opératoire pour en déduire l'image de 9 (9
fois un quart de sept ?). On peut alors être amené à rechercher une expression de un
quart de sept au moyen d'un fractionnement de l'unité, suivant une démarche analogue à
celle illustrée par la Figure 22. Ceci amène à mobiliser une graduation régulière qui
capture simultanément les 1 de l'échelle supérieure et inférieure, donc qui soit divisible
par 4 et 7, soit par exemple une subdivision en 28 (obtenue au moyen d’une
resubdivision des 4 intervalles initiaux en 7) :
1
0
1
4
puzzle initial
7
puzzle agrandi
Figure 25
La lecture du résultat, l'image de 1, est à présent congruente à sept quarts 19. Ce
qui opérationalise la recherche de l'image de toute longueur, notamment de 9, en neuf
fois sept quarts, soit soixante-trois quarts ; ou encore par une simple dilatation par 9 de
la partie de la Figure 25 entourée :
9
0
9
Figure 26
Résultat qui peut se lire : sept quarts de neuf (ou peut-être encore 63 trentesixièmes de neuf si on reste à l'échelle de la Figure 25). Bien entendu, la recherche des
raisons de l'équivalence de tous ces résultats est fort riche de sens.
19
On remarque au passage une lecture évidente de l'antécédent de 1 en quatre septièmes.
148
Chapitre III
4.3. Troisième problème : image d'un rationnel non entier par un opérateur
rationnel
Des mesures non entières, comme sept quarts ou soixante-trois quarts (en cm
par exemple), et certaines de leurs expressions sur une droite graduée ont été abordées
au paragraphe 4.2, comme image de mesures entières par un opérateur rationnel. Il est
dès lors légitime d'appliquer à ces mesures non entières le processus qui les a
engendrées, soit de rechercher leur image par un opérateur rationnel. Nous conservons
l'opérateur qui transforme 4 en 7 et nous recherchons :
Image de neuf cinquièmes
Voici tout d'abord une expression de neuf cinquièmes, que nous désignerons
par x pour plus de commodités :
1
3
Figure 27 : une expression de x
Pour chercher une expression de l'image de x, nous pouvons tout d'abord
rechercher une expression de l'image des entiers 1 et 3 qui servent à son repérage dans la
Figure 27, ce qui est réalisé dans la partie gauche de la Figure 28. Soit y l'image de x. y
se positionne entre Im(1) et Im(3) "comme" x est positionné relativement à 1 et 3. Cette
dernière considération demande un redécoupage de chaque sous-intervalle en 5, ainsi
que l'indique la partie droite de la Figure 28 :
0
1
3
4
Im(1)
Im(3)
7
0
Figure 28
1
3
4
Im(1)
Im (3)
7
y= Im(x)
Sachant que 0 a pour image 0 et 4 a pour image 7, on a un accès direct à
l'image de 1 et 3, et donc de tout point situé entre 1 et 3 dans une certaine
proportion, notamment de x
149
Chapitre III
Une lecture possible, et opératoire de ce résultat peut être : neuf vingtièmes de
7 qui peut se formuler de multiples autres manières en tenant compte des équivalences
établies au 4.2.
4.4. Quatrième problème : le mélange eau / jus de fruit ; une autre représentation
de la proportion
Nous avons jusqu'à présent examiné des problèmes où à chacune des grandeurs
mises en rapport était associé un mode de quantification différent : numérique chiffré
pour l'une ; juxtaposition de segments pour l'autre. Un autre mode d'interprétation du
rapport est possible, notamment dans le cas où il s'exprime au moyen de la préposition
"pour" (comme dans "4 volumes d'azote pour 5 volumes d'air"), alors usuellement
désigné par le terme de proportion. Reprenons le problème de mélange eau / jus de fruit
déjà exposé en 2.3.2, exemple 3 : "je mélange 3 verres de jus de fruit à 4 verres d'eau
d'une part ; 2 verres de jus de fruit à 3 verres d'eau d'autre part. Lequel des deux
mélanges a le plus le goût du jus de fruit ?". Imaginons que l'on mette le premier
mélange dans une bouteille et le deuxième dans une autre bouteille, pas forcément de
même volume. On peut schématiser chacune des bouteilles par un segment unitaire, et
le mélange – jus de fruit et eau – au moyen de segments juxtaposés :
Jus de fruit
0
Jus de fruit
x
1
Eau
0
y
Eau
1
Figure 29
Nous avons déjà abordé en 2.3.2, exemple 3 le problème de la comparaison de
deux proportions, "vues" à des échelles différentes. Nous renvoyons donc à ce
paragraphe pour les questions liées au changement d'échelle. Bornons-nous à rappeler
ici que la coexistence de ces deux échelles est justifiée par les données mêmes du
problème qui, pour être résolu dans le cas général (les deux bouteilles dans lesquelles
s'effectuent le mélange n'ont aucune raison d'avoir le même volume), les nécessite. Le
logiciel Gradu4, qui propose des comparaisons systématiques de ce type s'en trouve
donc légitimé. Quant au mode de résolution lui-même, on peut imaginer qu'il consiste à
150
Chapitre III
déposer y sur le segment de gauche (ou vice versa), donc à imaginer une graduation
susceptible de capturer simultanément x et y, soit une subdivision en 35 par exemple.
Rappelons cependant une solution originale proposée par deux élèves (indépendamment
l'un de l'autre) – et que nous résumons : " y c'est un demi cinquième de moins que la
moitié ; x c'est un demi septième de moins que la moitié ; donc y est inférieur à x, car
plus loin de la moitié que x" [un cinquième est supérieur à un septième], solution qui
semble bien liée au type de support utilisé pour le représentation du problème.
4.5. Analyse des représentations ainsi constituées et des concepts auxquels elles
renvoient
Des figures comme la Figure 21 (2/3) ou la Figure 24 (14 + 7/4) ou bien la
Figure 27 (9/5), ou encore la Figure 29 (3/7 et 2/5), expriment donc un rationnel au
moyen de signes élémentaires : traits, tirets, nombres entiers, flèche-curseur, qui
appartiennent à l'univers familier des élèves et qu'ils retrouvent notamment sur leur
double-décimètre. Remarquons que nous sommes naturellement parvenus à ce type de
représentation en essayant d'interpréter, au moyen de ces signes élémentaires, des
problèmes physiques couramment abordés en fin du cycle 3 des écoles et au début du
collège. Nous avons déjà signalé que notre ambition était de constituer ce mode de
représentation en véritable registre sémiotique (Duval ; 1995), pour des raisons que nous
avons déjà évoquées et que nous développerons au chapitre IV. Nous avons pour le
moment prouvé l'opérationnalité de ces représentations. Abordons à présent la question
de leur signifiance.
Nous constatons tout d'abord que le positionnement des rationnels ainsi
exprimés se fait naturellement au moyen de repères entiers quelconques, et pas
forcément du repère habituel [0 ; 1]. Cela permet l'expression de divers points de vue
sur les rationnels : commensuration ; fractionnement du total (exemple : un tiers de deux
lorsque le repère est d'origine 0 comme en Figure 21) ; fractionnement de l'unité
(exemple : deux fois un tiers lorsque le repère est [0 ; 1] comme en Figure 22) ;
décomposition en partie entière et partie fractionnaire (exemple : 14 + 7/4 comme en
Figure 24). Par ailleurs, le nombre de subdivisions du repère n'est pas forcément un
diviseur ou un multiple de son amplitude : ainsi, pour une amplitude de 2 trouve-t-on 5
subdivisions en Figure 27. Ceci a pour conséquence que le pas d'une graduation à la
151
Chapitre III
suivante peut-être en
a
(a > 1) ; ce qui est inhabituel et mérite donc d'être signalé et
n
retenu, pour la constitution de ce système en registre, ainsi que pour le développement
des logiciels et les activités d'apprentissage permettant d'atteindre cet objectif.
Enfin, pour reprendre la problématique rationnel-dilatation versus rationnelmesure proposée par Brousseau (1986 ; pp. 90-96), nous remarquerons que, modulo un
léger aménagement, la partie gauche de la Figure 28 représentant la dilatation qui à 4
associe 7, peut évoluer en la Figure 30, où on retrouve bien l'inscription du rationnelmesure 7/4 :
0
7
Figure 30 : le rationnel-dilatation ou rationnel-mesure 7/4
Les 4 sous-intervalles, dont la dernière extrémité coïncide avec le nombre 7,
expriment les 4 (cm) dont l'image est 7 (cm). La flèche pointe vers la première
graduation et exprime l'image de 1, mais aussi le positionnement du rationnel 7/4 dans
le repère [0 ; 7]. On retrouve ainsi la détermination d'une forme linéaire par l'image de 1,
qui permet la classique identification d'un espace vectoriel de dimension 1 et de son
dual. Nous développerons cette analyse au chapitre IV-5.1, lors de l’étude de
l’expression du produit de deux rationnels dans le registre des droites graduées.
Ce mode d'expression est donc suffisamment riche, non seulement pour rendre
compte de problèmes élémentaires, mais aussi de problèmes évolués, en prise directe
avec une investigation plus fine du concept de rationnel.
4.6. La place du problème physique dans notre dispositif
La présente section nous a conduit à préciser le lien qu'il est possible d'établir
entre des énoncés physiques "classiques" – c'est à dire des énoncés du type de ceux
présentés de 4.1 à 4.4 – et une première ébauche d'un registre d'expression des
rationnels.
Résoudre un problème physique conduit généralement à le reformuler en un
problème sémiotique, ainsi que les paragraphes 4.1 à 4.4 l'ont illustré, d'autant mieux
que le registre utilisé pour cette reformulation étant inhabituel, les actions entreprises
152
Chapitre III
pour sa résolution sont peu automatiques et donc clairement identifiables. C'est la raison
pour laquelle un problème de type sémiotique recouvre un champ d'énoncés de
problèmes de type physique, ce que nous avions déjà noté au paragraphe 1.2.
Résumons à présent notre pensée afin de bien préciser la place de la résolution
des problèmes physiques dans notre dispositif.
En présence d'un énoncé de problème physique rationnel et en amont de
l'enseignement d'un mode d'expression rationnel spécifique – comme les fractions –, les
élèves le reformulent spontanément au moyen d'un discours rhétorique (voir chapitre
II-1.2.3 et 1.2.4) qui permet d’envisager sa résolution. L'introduction trop hâtive d'une
expression plus formelle, comme celle des fractions, parasite la simplicité séquentielle
de ce premier discours en imposant sa bidimensionnalité. Les conséquences observées
de ce parasitage sont que nombre d'élèves renoncent alors à l'efficacité de leur premier
discours pour lui substituer un discours qu'ils maîtrisent mal, mais qui semble valorisé
par l'institution ; nous disons bien substituer et pas reformuler en des termes
fractionnaires les éléments de solution élaborés lors de l'approche rhétorique. Ceci est
une conséquence de la non congruence (Duval ; 1995, pp. 47-49) entre les deux
registres, elle-même conséquence de leur dimension respective différente. Le résultat est
que certains élèves qui réussissaient à élaborer des solutions originales spontanées
échouent à résoudre le même type de problèmes au moyen des fractions. Les professeurs
sont alors amenés à travailler le calcul fractionnaire de façon intensive et formelle, au
cours de fastidieuses séances d'entraînement… ce qui d'ailleurs peut remédier à certaines
difficultés techniques, mais sans traiter vraiment le problème de la conversion d'un
énoncé en un énoncé sémiotique fractionnaire résolvant.
Nous préférons donc donner a priori aux élèves les moyens de développer des
discours cohérents et maîtrisés en leur proposant : une étude systématique et a priori
d'un registre unidimensionnel, donc plus congruent au discours rhétorique ; de résoudre
des énoncés de problèmes physiques en utilisant le discours de leur choix ; d’interpréter
ces énoncés au moyen des droites graduées ; de développer ultérieurement les registres
numériques fractionnaire et décimal ; de réinterpréter les énoncés physiques au moyen
de ces nouveaux registres ; de parachever la construction du concept de rationnel et
l'articulation des différents discours que l'on peut tenir à leur sujet par le jeu
systématique des conversions inter-registres. Notre projet consiste donc bien, ainsi que
nous l'avions annoncé en 1.2, à médiatiser le rapport entre pensée immédiate et
153
Chapitre III
résolution de problèmes, afin d'éviter qu'une auto-organisation de ce rapport ne produise
de l’échec et donc du renoncement.
Remarquons tout de suite qu'il ne s'agit nullement de revenir à une étude objet
sans projet, suivie d'une application à la résolution de problèmes, soit à un schéma
traditionnel de type "j'apprends, j'applique". Pour la simple raison que la découverte de
l'outil, et sa capacité à réinterpréter un problème physique sont elles-mêmes
problématisées. Notre démarche n'est donc pas en rupture avec le projet de construire
ses connaissances par la résolution de problèmes ; c'est la nature des problèmes
proposés à cet effet qui change : alternativement sémiotique et physique au lieu d'être
exclusivement physique. Signalons enfin que des problèmes sémiotiques naturellement
posés par l'existence même des différents registres sont fournis lors de l'étude logicielle,
mais que ces activités peuvent aussi être complétées par un travail papier / crayon, ainsi
qu'il sera montré au chapitre IV-2.4 dans le cas des droites graduées.
A titre d’exemple, un problème comme celui proposé en 4.1, pourrait s’insérer
dans une progression du genre :
1. un travail sur les logiciels de Gradu 1 à Gradu 5 ;
2. une première étude de l’énoncé du problème avec mode de résolution laissé au choix
des élèves (discours rhétorique, recours spontané aux droites graduées…) ;
3. proposer alors en papier/crayon le schéma de la Figure 18 et éventuellement de la
Figure 22 ;
4. laisser les élèves trouver en quoi cette (ces) figure(s) interprète(nt) le problème posé
et comment elle(s) permet(tent) de le résoudre après traitement sémiotique
Pour les problèmes dont la gestion au moyen des droites graduées est plus
complexe, comme les problème 4.2 ou 4.3, l’outil informatique devient souhaitable
mais reste à développer.
Notons que lors de notre expérimentation, nous n’avions pas pris le parti de
progressions aussi systématiques. Notre intention était d'observer le degré de
disponibilité des registres déjà introduits, à des fins de résolution de problèmes
physiques proposés à divers périodes de l'apprentissage, donc notamment à des
moments où tous les registres n'avaient pas encore été abordés. Nous verrons
ultérieurement (chapitre VI-2.2.5) en quoi cette approche s'est révélée insuffisante.
Contentons-nous de dire ici que le registre des droites graduées a été très peu mobilisé
154
Chapitre III
spontanément, mais que des modes de résolution rhétoriques ont été abondamment
observés. Ce qui nous a conduit à repenser légèrement notre progression, dans le sens
d’une organisation plus systématique du lien entre discours rhétorique et discours dans
les registres, ainsi qu’il est suggéré plus haut.
4.7. Conclusion de la section 4.
Nous sommes partis d'un constat avéré par des décennies d'études didactiques
sur l'enseignement des rationnels et par l'histoire même de la constitution du concept et
des moyens de l'exprimer : les écritures fractionnaires sont un produit fini et
remarquablement abouti de cette Histoire ; c'est pour cela qu'elles ne sont peut-être pas
la meilleure entrée pour accéder à cet univers. Certains auteurs (Hart, 1989 ; Streefland,
1991) ont identifié leur rôle d'obstacle en des termes voisins des suivants : une fraction
serait constituée de deux nombres entiers non mis en relation par les élèves et par
conséquent pris en compte séparément. Saenz-Ludlow (1995 ; p 129) relève que l'élève
qu'elle observe construit sa conceptualisation des rationnels en l'absence d'écritures
numériques (fractionnaires) mais que les verbalisations qu'elle utilise (du type sept
quarts ou trois demis) "fostered – favorise – the development of her fraction concepts".
Nous avons donc cherché une alternative unidimensionnelle à l'introduction aux
rationnels par les fractions. Pour cela nous avons tenté d'interpréter des problèmes
rationnels au moyen de l'opération fondatrice de report (Euclide ; livres 5, 7 et 10). Ceci
qui nous a amené à exhiber un mode d'expression des rationnels sur une droite graduée,
à y esquisser des traitements, recourant exclusivement aux ressources propres du
système, et permettant de trouver des solutions aux problèmes posés. Il faut reconnaître
que les traitements entrevus n'ont pas toujours le caractère de simplicité et d'achèvement
que ceux autorisés par les écritures fractionnaires. Fort heureusement, l'outil
informatique, par la précision qu'il autorise et la possibilité de progresser d'essais en
erreurs à moindre coût (tenter une subdivision, constater son inadéquation, essayer une
autre subdivision, un zoom...) apporte la convivialité sans laquelle il aurait été
impensable d'envisager ce type de traitements. Bien entendu, une introduction ultérieure
aux écritures fractionnaires permettra une mise à distance de ce premier moyen de
signifier les rationnels et minimisera le coût des opérations. Mais nous pensons et
constaterons – voir chapitre V – que l'expression des rationnels au moyen des droites
graduées, parce que liée à des opérations explicites de reports et de subdivisions, permet
155
Chapitre III
de garder un contrôle sur les actions entreprises dans d'autres systèmes (notamment
celui des fractions), et offre ainsi de sérieuses possibilités de validations. On aura
reconnu, dans cette mise en relation de deux systèmes d'expression hétérogènes qui
ouvre des perspectives d'apprentissage, une référence à l'opération de conversion
(Duval ; 1995, pp. 40 - 44).
Nous avons ainsi élaboré une première esquisse d'un système géométrique
unidimensionnel à travers une étude de faisabilité didactique, qui a établi le degré
d'adaptation de ce système à l'interprétation et à la résolution de quelques problèmes
physiques rationnels élémentaires. Une véritable constitution de ce système en registre,
et la nécessité de l'aborder en tant que tel avec l'aide de l'outil informatique sera exposée
au chapitre IV.
5. Conclusion du chapitre
Selon
Duval
(1998 ;
p.179),
"Toute
représentation
peut,
phénoménologiquement, être traitée :
• soit comme un objet et réduite à sa forme perceptible signifiante, obéissant ou
non à des règles d'emploi ou au contraire,
• soit comme signification et, dans ce cas, les mots, les expressions deviennent
immédiatement transparents à la chose visée dans la signification."
C'est pour privilégier la deuxième de ces attitudes que nous avons choisi
d'adopter un schéma d'enseignement qui organise la pensée immédiate, dans son rapport
aux représentations, par une étude systématique des moyens de signifier les rationnels.
La conséquence attendue est une mise en alerte continuelle vis à vis de la signifiance des
signes et des éventuels leurres qui y sont attachés. C'est à ce titre seulement que des
algorithmes pourront être mis en œuvre, en minimisant les risques qu'une application
abusive, car déclenchée par des faux-semblants, ferait courir à leur utilisateur.
Cette étude systématique, dont on a vu qu'elle pouvait se passer d'introductions
coûteuses, examine avant tout :
• la manière dont les signes présentés réagissent à certains traitements ;
• la mise en perspective de signes issus de systèmes hétérogènes et présentant
une invariance dans leur signification.
Cette invariance est à la base de la genèse conceptuelle.
156
Chapitre III
Ce schéma général étant établi, il nous fallait en trouver un point d'entrée. La
notion de dimension d'un registre nous a autorisé à préciser en quoi les écritures
fractionnaires usuelles nous paraissent avoir à la fois la puissance et l'opacité des
produits finis. En revanche, les droites graduées, en permettant une linéarisation
schématisée des phénomènes rationnels, et en révélant leur capacité à interpréter et à
résoudre des familles entières de problèmes, nous ont semblé adéquates à une
introduction aux rationnels respectant notre point de vue. Il nous faudra encore préciser,
au chapitre IV, en quoi ce registre optimise cette introduction dans le cadre géométrique
en général.
Restait à trouver le vecteur cet enseignement. Il devait permettre :
• d'établir un cahier des charges précis des objets présentés à l'étude, afin de
contrôler leurs unités signifiantes et d'en organiser une variation systématique ;
• une convivialité suffisante en termes de coûts de traitements, surtout après le
choix des droites graduées comme registre fondamental ; les opérations de reports et de
subdivisions, à la base du projet, devaient en particulier être rapidement réalisables,
résiliables et récursives (resubdiviser), ce qui disqualifiait le recours exclusif à un
support papier/crayon ;
• des rétroactions en temps réel, dynamiques (différenciées suivant les actions
entreprises), et dont on pourrait choisir le mode et le moment d'intervention.
Ces trois arguments au moins justifient, voire rendent incontournable le recours
à un outil programmable et offrant de bonnes conditions de visualisation. Les
ordinateurs de notre époque réalisent évidemment cet ensemble de conditions ; d'où
notre choix de privilégier le développement de logiciels spécifiques et d'assurer la
majeure partie de l'enseignement de la notion par leur canal.
Il nous faut, à présent que les choix stratégiques sont arrêtés, examiner dans le
détail les trois systèmes de représentation des rationnels retenus pour notre recherche,
nous interroger notamment sur leur nature de registre, évaluer la qualités des
apprentissages construits dans ce cadre didactique. Ce qui sera l'objet du chapitre
suivant.
157
Chapitre IV
Étude et mise en œuvre d'un registre
géométrique d'expression des nombres
rationnels à l'école élémentaire
Chapitre IV
Nous avons défini aux chapitres précédents l'option fondamentale de notre projet
d'enseignement : problématiser le concept de rationnel par la mise à l'épreuve de ses
moyens d'expression et de leur coordination. Nous avons comparé ce projet à d'autres
projets didactiques problématisant le même concept par le biais d'une classe de situations
ancrées sur des expériences physiques et / ou les interactions d'un jeu de cadres
mathématiques. Nous avons commencé à esquisser les modes de représentations que nous
avons retenus et les raisons de ces décisions. Il nous faut à présent examiner ces deux
points dans le détail, et notamment : comment nous avons transformé ces moyens usuels
d'expression en véritables registres ; les avantages et les conséquences d'un tel choix ;
proposer une première validation de nos options par les travaux d'élèves de deux classes du
cycle 3 qui nous ont servi de base expérimentale, la classe de Sélestat et la classe de
Weyersheim qui seront présentées plus loin.
Nous commencerons ce chapitre en circonscrivant un univers des possibles dans le
choix des systèmes de représentation des rationnels. Cette première analyse nous permettra
de préciser les trois systèmes retenus pour l'ensemble de l'expérience d'enseignement. L'un
d'entre eux, celui des droites graduées, occupe une place centrale dans notre dispositif.
Tout le reste du chapitre lui sera donc consacré. La section 2 justifiera, au moyen d'une
analyse a priori étayée par quelques observations qualitatives d'élèves, notre choix majeur
d'introduire ces nouveaux nombres dans ce cadre géométrique et unidimensionnel. Nous
préciserons notamment en quoi nous avons bien constitué ce système en registre. Une
troisième section tentera d'établir un lien entre la maîtrise d'un registre unidimensionnel et
un certain nombre de compétences nécessaires à la maîtrise des rationnels. A cet égard
nous solliciterons, outre les conclusions de la section précédente, deux types d'observations
quantitatives : analyse de résultats issus d'évaluations papier / crayon des élèves d'une
classe de CM2 (classe de Sélestat de J. Luc Schorn20) ayant suivi un enseignement basé sur
20
Sauf précision contraire, la classe de Sélestat désignera dans toute la suite cette classe (i.e de J. Luc Schorn).
161
Chapitre IV
la série des logiciels ORATIO (Adjiage et Heideier ; 1998) ; analyse des résultats d'un
questionnaire, comportant six items extraits d'une des évaluations de la classe de Sélestat,
proposé à une classe de CM1 à la suite d'une expérience d'enseignement courte mais
soignée des fractions (classe de Weyersheim) sans recours à l'outil informatique. Une
quatrième section proposera une synthèse des réflexions précédentes qui permettra de
comprendre en quoi la dimension 1 est structurellement plus adaptée au développement
d'un registre que la dimension2. Une dernière section enfin interrogera le registre des
droites graduées sur sa capacité à rendre compte de la somme et du produit des rationnels,
ce qui ouvrira des perspectives en direction du collège.
Signalons encore que ce chapitre reprend, en le complétant, l'essentiel d'un article
à paraître (?) sous le titre : "Un registre unidimensionnel pour l'expression des
rationnels" (Adjiage et Pluvinage ; 1999 (?)).
1. Quels registres pour enseigner les rationnels ?
Nous ne reviendrons plus longuement sur les avantages d'un enseignement multiregistres que nous avons déjà exposés aux chapitres précédents. Nous nous contenterons de
rappeler ici deux arguments majeurs qui seront utiles à notre propos. Le premier, rappelé
par F. Pluvinage (1998, p. 128) dans un article déjà cité au chapitre III-4 : "Un objet
mathématique (par opposition à des objets usuels ou culturels) doit son existence à des
changements de registres d'expression", suggère bien une approche des objets
mathématiques par leur environnement sémiotique plutôt que par leur environnement
physique. Le deuxième précise qu'une représentation est cognitivement partielle et a pour
corollaire qu'une multiplication des représentations ouvre des perspectives cognitives plus
étendues.
1.1. Entrées du choix des systèmes de représentation : numérique / géométrique ;
dimension 1 / dimension 2
Il est possible de décrire un ensemble de systèmes de représentation des rationnels
en conjuguant deux critères : le cadre − géométrique ou numérique − et la dimension − 1
ou 2 − (voir chapitre III-3), seules dimensions disponibles sur les supports usuellement
plans de l’écriture. On propose donc le schéma suivant extrait, après modifications
mineures, du même article (Pluvinage ; 1998, p. 131) :
162
Chapitre IV
“ Un nombre rationnel ”
abscisse
0
↔
0.75
traitement
7.5 × 10-1
traitement
commensuration
Décimaux
Géométrie unidimensionnelle
?↑
↓?
simplification↓ ↑division
3
4
↔
traitement
1
6
8
↔
traitement
Fractions
?
Géométrie bidimensionnelle
Figure 31 : un nombre rationnel
1.2. Rappel sur les systèmes en présence
Concernant le cadre numérique, on lit dans l’article cité : « .... la présentation
usuelle, avec le trait de fraction horizontal.... est celle qui introduit la dimension 2 dans
l’écriture. ». Et un peu plus bas, à propos de l’égalité :
a
λa
=
λb
b
«....
cette
présentation
est
d’usage
récent.
Ainsi
rencontrait-on
dans
l’encyclopédie de Diderot l’écriture :
a
: b :: λa : λb
qui se lisait : " a est à b comme λa est à λb " . Tout ceci montre clairement qu'il y
a un problème de formation d'un système sémiotique dans le processus de constitution du
sens des nombres rationnels. »
Nous retiendrons − en résumé de ce que nous avons déjà développé au chapitre
III-3 et 4 − de cette évolution dans l’écriture d'un rationnel que la barre de fraction sépare
et unifie tout à la fois.
163
Chapitre IV
• Elle sépare deux signes qui désignent le même type d’objet − des nombres
entiers −, mais qui sont pris dans des réseaux de traitements et donc de signification
différents : un signe + par exemple entre deux fractions, a une répercussion radicalement
différente sur le numérateur et sur le dénominateur. C’est dans cette mesure que l’écriture
d’une fraction est bidimensionnelle ;
• Elle unifie autour de la constitution de ce couple de nombres en un nombre
rationnel. Cette évolution vers l'unification trouve un écho dans l'évolution des écritures
depuis Diderot, car dans l’écriture a : b :: λa : λb , a : b n’est pas une unité sémiotique. Les
nombres a et b sont deux entités reliées en l'occurrence par une relation totalement
exprimable dans le seul cadre des entiers − en terme de commensuration par exemple.
Le nécessaire balancement entre unification et séparation crée un obstacle
épistémologique, dont témoigne notamment la difficulté qu’a eue l’humanité à se doter
d’une écriture qui en rende compte. Négocier cet obstacle, sans évitement, nous semble être
un enjeu majeur de l'enseignement des rationnels. Notre hypothèse est que cette
négociation peut passer par l'appropriation, avant l'apprentissage des écritures
fractionnaires et décimales, d'un registre qui permette d'exercer sur ces dernières une mise à
distance et un contrôle. Mise à distance, notamment des leurres sémiotiques : 3/4 ce n'est
pas une juxtaposition de 3 et 4 mais, comme aurait dit Euclide, "une manière d'être" de 3 à
4. Contrôle, notamment de validité des traitements entrepris, ainsi qu'en témoigne cette
réflexion d'une des élèves de la classe de Sélestat : "3/4 c'est la même chose que 75/100
parce qu'elles [ces deux fractions] sont au même endroit" [occupent la même position,
entre 0 et 1, sur une droite graduée] ; et, dessinant à l'appui de ses dires un segment
approximativement découpé en 4 sous-intervalles, elle énumère : "25 ; 50 ; 75 ; [temps
d'arrêt] ; 100" en pointant chacun de ces sous-intervalles.
Examinons à présent le cadre géométrique qui est l'objet principal de ce chapitre.
On comprend qu'un système géométrique, parce qu'il offre simultanément les figures et les
transformations permettant une réalisation des opérations fondatrices de report et de
subdivision, soit susceptible d'assurer la double fonction de mise à distance et de contrôle
évoquée ci-dessus. Mais quelle dimension pour ce système, dimension 1 ou dimension 2 ?
Cette question est-elle pertinente ? En d'autres termes, ces deux systèmes sont-ils
discernables vis à vis de l'usage qu'on veut en faire, et si oui, en quoi le sont-ils ? Nous
traiterons plus loin, (voir les § N° et N°.....) et dans le détail ce jeu de questions, par une
164
Chapitre IV
analyse a priori et a posteriori (après l'examen des travaux d'élèves). Mais un premier
élément de réponse peut être donné tout de suite. Comme il est parfaitement illustré par une
anecdote dont nous avons été témoin, nous nous permettons de la rapporter ici : à un enfant
de CP – à qui on a proposé d'examiner deux schémas comme ceux des Figures 4 et 5 – on
donne pour seule consigne : "compte". Pour les "parts de tarte", il compte [un] ; [deux] ;
[trois] suivi d'un léger temps d'arrêt pour passer de la zone ombrée à la zone blanche :
[quatre]. Pour le segment graduée, il demande : "compter quoi ?"
Cette observation met en lumière que :
• en ce qui concerne les "parts de tarte", la production des deux nombres [trois] et
[quatre], qui seront plus tard les constituants numériques de la fraction, est très congruente
au dessin et amène à une légère interruption volontaire du comptage pour distinguer ces
deux nombres et ce à quoi ils renvoient ;
• en ce qui concerne le segment gradué, la numérisation est à l'arrière-plan, en tout
cas moins congruente au dessin.
La désignation d'un rationnel y semble avant tout liée à une démarche de pointage,
repérant une position relativement à deux entiers. Préciser cette position demandera certes
une numérisation du problème, mais obtenue à la suite d'un questionnement, et non
fabriquée d'évidence à partir du schéma. Nous verrons plus loin que cette distance introduit
à la fois de la richesse et des difficultés dans ce dispositif.
1.3. Les systèmes retenus pour l'expérimentation CM2
Ceux sont ces quelques éléments d'analyse a priori qui ont orienté nos premières
décisions lors de la conception des logiciels (Adjiage & Heideier ; 1998) qui ne pouvait
que précéder notre expérience d'enseignement. Nous avons donc éliminé les
représentations géométriques bidimensionnelles, par ailleurs travaillées lors de séances
"papier/crayon". Nous avons en conséquence retenu trois systèmes d'expression des
rationnels ; deux d’entre eux, ceux des écritures fractionnaires et décimales, sont
indispensables car ils sont un référent culturel et offrent en outre une convivialité maximale
une fois maîtrisés. Le troisième est celui des droites graduées. S'il est aisé de comprendre
pourquoi les deux systèmes numériques peuvent fonctionner comme des registres, il faut en
revanche être plus prudent pour le troisième, car l'usage qui en est fait habituellement est
plus restrictif. C'est pourquoi les sections qui suivent seront avant tout consacrées à valider
nos décisions a priori en établissant que : ce système, moyennant quelques aménagements
165
Chapitre IV
minimes, peut être doté d'une structure de registre ; ce choix est didactiquement pertinent ;
le système géométrique concurrent des surfaces fractionnées est peu adapté au
développement d'un registre.
2. Un système géométrique pour l’enseignement des rationnels
2.1. Introduction
Parmi tous les moyens de représenter un rationnel, le cadre numérique, avec ses
registres fractionnaire et décimal, a atteint un degré de convivialité − en termes de coût de
traitement − et de performance que des siècles d'adaptations successives ont eu l'occasion
d'élaborer. Mais nous avons vu que cette simplicité d'apparence est celle des produits finis,
masquant une réelle complexité conceptuelle. C'est la raison pour laquelle nombre
d'enseignants convoquent, à des fins explicatives, les modes de représentation
géométriques plus expressifs. Parmi ces derniers, certains, comme les "parts de tarte", ont
acquis une telle popularité qu'ils sont devenus un point de passage obligé pour toute
introduction aux rationnels. D'autres représentations, comme les abscisses sur droites
graduées, sont enseignées mais plus tard, c'est à dire au collège. Elles sont regardées
comme plus difficiles − entendons engendrant plus d'erreurs − et sont en conséquence peu
mobilisées à l'école primaire. Bolon (1996 ; p. 226) souligne que "[des] enseignants [de
collège] remarquent la faiblesse de certaines productions d'élèves, quand ils doivent
travailler avec la droite numérique", et ajoute que cela "paraît constituer un « point
aveugle » de l’enseignement à la charnière école-collège". L’intégration de la droite
numérique dans le cursus scolaire se fait donc plutôt au titre d'une application des
rationnels − au repérage par exemple − que d'un moyen de les introduire. Ajoutons que tous
ces systèmes géométriques, uni ou bidimensionnels, sont régis par des règles souvent peu
précises et partiellement énoncées, car ils sont plus des lieux d'illustration aidant à
comprendre ce que l’on envisage comme les véritables objets d’apprentissage (le sens des
écritures fractionnaires et décimales et leur traitement par les opérations élémentaires), que
des systèmes sémiotiques.
Notre travail se donne pour projet de revisiter cette diversité, et notamment ici le
cadre géométrique, à travers un réexamen des réputations, bonnes ou mauvaises. Nous
aborderons donc l'étude des systèmes géométriques, uni et bidimensionnels. Nous
examinerons les conceptions générées par chacun d'entre eux à partir d'une étude
166
Chapitre IV
épistémologique et expérimentale, basée sur nos observations et celles d'autres auteurs.
Nous expliquerons pourquoi nous avons choisi d'être extrêmement rigoureux dans la
constitution du système retenu en véritable registre "d'écriture" des rationnels. Nous
constaterons ensuite, sur quelques exemples, que des familles entières de problèmes −
commensuration, fractionnement de l'unité, division de la pluralité (3/4 comme résultat de
3 divisé par 4), arithmétique... − se trouvent naturellement posées et résolues par la seule
sollicitation des ressources propres de ce registre. Nous en profiterons, notamment dans le
paragraphe consacré à l'arithmétique, pour étudier quelques procédures d'élèves de la classe
de Sélestat, mobilisées pour résoudre certaines des activités logicielles.
Nous pouvons à présent aborder la première question qui s'est posée dès le début
de cette expérimentation − dès la phase de conception des logiciels (Adjiage & Heideier ;
1998) en fait − et les réponses que nous avons choisi d'y apporter.
2.2. Quel système d'expression pour introduire les rationnels ?
Nous allons développer ici une première argumentation en faveur de notre choix a
priori d'introduire les rationnels au moyen d'un registre géométrique unidimensionnel.
Nous structurerons cette analyse autour de trois questions que nous résumons ainsi :
qu'apporte un système de représentation géométrique à côté des systèmes numériques
usuels ? Puis la question centrale à notre avis du choix uni ou bi-dimensionnel ; et, pour
terminer, pourquoi un système aussi contraignant qu'un registre ? En d'autres termes, ne
peut-on se contenter d'appuyer les traitements sur les fractions par quelques schémas afin
d'en illustrer les phases les plus délicates ? Est-il vraiment nécessaire d'apprendre à agir sur
les rationnels − comparaison, recherche d'écritures équivalentes... − en utilisant avant tout
les moyens de la géométrie ? − relayés en fait, ainsi que nous le verrons, par des calculs sur
les seuls nombres entiers.
2.2.1. Pourquoi un système géométrique ?
Nous résumerons notre réponse à cette question − déjà largement abordée au cours
des chapitres et sections précédentes − autour de trois arguments dont les deux premiers
nous semblent universels, le troisième étant plus spécifique à un enseignement multiregistres.
1. Un système géométrique permet de lier les opérations de base sur les rationnels
− comparer, rechercher des écritures équivalentes... − à des actions et rétroactions
167
Chapitre IV
explicites de report, de subdivision et d’encadrement, dont on sait depuis Euclide et ses
livres sur les proportions, les nombres et les grandeurs commensurables, qu'elles sont
fondatrices des rationnels. Très visuelles, ces actions sont donc aisément descriptibles et
mobilisables.
2. Une conséquence importante de ce premier point est qu'un système géométrique
offre la possibilité d'appréhender un rationnel comme une action − une dilatation − avant
que de l'attacher à une mesure. Prenons un exemple. Les deux nombres suivants sont
égaux :
0
1
0
1
Figure 32
Mais comme ce n’est pas la longueur qu’ils ont en commun, il faut chercher
ailleurs la raison de cette égalité, à savoir dans la suite des actions à entreprendre pour les
former dans ce système, par exemple : subdiviser en 4 l’unité, reporter 3 de ces
subdivisions. Bien entendu, cette suite d'actions, lorsqu'elle s'applique à une unité physique
donnée comme le cm, peut aussi définir un rationnel-mesure.
3. Du fait de son hétérogénéité à un mode d’expression purement numérique, un
système géométrique permet une maximisation des effets de perspective avec les autres
registres. Il met donc à distance les autres manières de signifier les rationnels tout en en
offrant des interprétations à haute valeur explicative (par exemple dans la production
d'écritures équivalentes par regroupement ou resubdivision comme le rappellent les figures
4 et 6 d'une part, 5 et 7 d'autre part) .
2.2.2. Un système unidimensionnel ou bidimensionnel ?
La multiplicité des significations auxquelles peut renvoyer un rationnel suppose
un mode d'expression susceptible d'en rendre compte ; et il serait sans doute dommageable
d'adopter un système qui occulterait en partie cette diversité. Donner aux rationnels le
registre de représentation géométrique qu'ils méritent, tel est le principe qui a guidé notre
choix.
2.2.2.1. Un univers ouvert (au-delà de 1) contre un univers (re)fermé sur son unité
168
Chapitre IV
Nous commençons par un constat bien connu :
4
de tarte est toujours gênant (et ajouter
3
une deuxième tarte ne change pas grand chose car on parlera toujours des
4
d'une tarte, au
3
singulier !)
Une tarte est un univers refermé sur son unité alors qu’une droite graduée se prolonge
naturellement au-delà de 1. L'erreur suivante − non discrimination entre segment dessiné et
segment unité −, relevée sur la copie d'un élève de la classe de Sélestat, signe sans doute un
transfert abusif de l'univers des "part de tartes" vers celui de la droite graduée.
4
5
0
1
Figure 33 : la droite graduée traitée en tarte
2.2.2.2. Un univers relatif contre un univers absolu
Dans un étude publiée en 1991 (Carraher21 & A.L. Dias Schliemann ; 1991), les
auteurs constatent que (nous résumons) : les enfants (fifth graders) rechignent à traiter le
numérateur et le dénominateur dans un sens relatif ; le numérateur dénote littéralement le
nombre d'éléments marqués et le dénominateur le total ; or une fraction exprime avant tout
le ratio ou "relative magnitude" d'un numérateur à un dénominateur ; ainsi, si une personne
consacre
1
de son budget à son habillement, nous ne supposons pas qu'elle gagne 8 dollars
8
sur lesquels elle en dépense 1 pour son habillement. En conclusion, les auteurs précisent
que si les élèves ont une compréhension intuitive de ce qu'est une grandeur relative
("relative magnitude") dans des perceptions non numériques, il reste à étudier la
compréhension qu'ils ont des nombres en tant qu'expressions de grandeurs relatives.
Cette relativité de signification des deux nombres mobilisés par l'expression d'une
fraction trouve un écho dans la relativité des traitements qu'on peut leur appliquer. On
distingue en général deux types de traitement (voir chapitre II) : pour calculer
21
3
de 1000
4
Que nous retrouvons ici dans un contexte différent de celui du chapitre II.2.3.
169
Chapitre IV
on peut soit chercher une fraction équivalente à
3
de dénominateur 1000 (par linéarité : "si
4
c'est 3 pour 4, c'est combien pour 1000 ?") ; soit fractionner 1000 en 4 parts dont on en
retient 3 (action de l'opérateur linéaire définie par le nombre
3
). Dans tous les cas, on
4
comprend la nécessité d'un système qui explicite l'action d'un rationnel sur une unité et qui
permette la production d'écritures équivalentes.
Nous avons vu plus haut que les systèmes géométriques offraient ces ressources.
Alors, dimension 1 ou 2 ? Il se trouve que le recours aux figures (de type) 4 et 6, pour
démontrer l'équivalence
3
6
= , ne semble pas aller de soi, malgré la fréquence de son
4
8
usage par les l'enseignants : 2 élèves sur 17 seulement l'utilisent − diagram of a region −
dans une expérience rapportée par K. Hart et A. Sinkinson (1989). Plus surprenant, cet
insuccès n'est pas dû à une ignorance de ce support. Ces mêmes élèves avaient été initiés à
son usage et encouragés à l'utiliser lors du test. En outre, la moitié d'entre eux déclaraient
ces schémas très utiles. Nous pensons pour notre part, et ceci sera confirmé par nos
observations ultérieures, que ces schémas sont inappropriés à une expression de grandeur
relative. Les parts de tarte, trop proches d'un découpage concret et refermées sur un univers
unitaire donc absolu, pourraient bien consacrer une perception absolue des quantités.
A l'inverse, nous soutiendrons que les droites graduées sont plus aptes à créer du
lien entre nombres et grandeurs relatives, car positionnant immédiatement les rationnels
parmi les entiers, elles leur confèrent dès l'origine un statut de nombre − se positionnant
naturellement par rapport à d'autres nombres déjà connus. Les extensions successives de la
notion de nombre resteront du reste unidimensionnelles − au sens de l'algèbre linéaire −,
tout du moins jusqu'à l'apparition des nombres complexes.
0
Figure 34
3 parts sur un total de 4
170
1
Figure 35
Une position, entre 0 et 1, dans une
certaine proportion
Chapitre IV
0
Figure 36
1
Figure 37
La même position, entre 0 et 1, dans la
même proportion
6 parts sur un total de 8
Chacune des Figures, 4 et 6, se décrit par deux entiers ; chacune des figures 5 et 7
se décrit par une position, qui préfigure le futur rationnel qu'elle exprime. En outre, la
question du rapport entre les Figures 5 et 7, portée par la similitude des positions, peut être
source d'interrogation sur l'origine de cette similitude, et donc déboucher quand même sur
une numérisation du problème du type : "3 par rapport à 4, c'est comme 6 par rapport à 8".
2.2.2.3. Un univers sémiotique contre un univers matériel
Examinons ce que révèlent quelques erreurs classiques retrouvées dans diverses
productions d'élèves de la classe de Sélestat, et regroupées ici sur un seul schéma (seule la
fraction sur fond blanc est correctement placée) :
3/5
3/5
9/5
3/5
0
9/5
1
2
Figure 38 : un univers riche en signes
Sur fond gris foncé, un élève pour qui
1
1
, c’est la moitié de
, sur fond gris clair,
5
10
un autre élève pour qui l'unité est le segment limité par les deux premières graduations
épaisses ou qui compte les cinquièmes dans l'ordre où se présentent les premiers
intervalles. Signalons que ces deux élèves ont correctement placé
1 3 8
, ,
. Ainsi se sont2 2 10
ils laissés piéger par des leurres sémiotiques dans les cas non congruents, mais ont su
restaurer les significations dans les cas plus congruents.
En fait, pour placer correctement
3
, il convient de :
5
171
Chapitre IV
• prendre en compte les unités signifiantes 0, 1, 2 ;
• le nombre d'intervalles − et pas de graduations − entre 0 et 1, − et pas, comme l’a fait un
de ces élèves (sur fond gris), entre 0 et la première graduation épaisse (3 sur les 5
premières) ;
• prendre en compte le dénominateur 5 de la fraction ;
• constater que les 10 subdivisions du repère se laissent regrouper en 5 paquets de 2 ;
• prendre en compte le numérateur 3 de la fraction ;
• retenir 3 des 5 regroupements.
De la réussite comme des erreurs à cet item, nous retenons que l'information dans
ce registre est renvoyée et traitée par des signes, donc par des conventions sémiotiques. A
l'inverse, les parts de tarte renvoient essentiellement à des interprétations matérielles, donc
verrouillées par des évidences visuelles. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles les
parts de tarte, ainsi qu'il a été relevé au paragraphe précédent, produisent peu de
significations relatives.
2.2.2.4. Un univers ordonné contre un univers non ordonné
Voici trois expressions de 3/5. Nous constatons sur cet exemple que l'univers des
parts de tarte n'est pas ordonné, ce qui fait que 3/5 y rencontre au mieux l'expression d'une
quantité (trois cinquièmes), au pire de deux (trois contre cinq). Dans l'univers des droites
graduées, une fois l'unité choisie, 3/5 occupe une position unique, insérée entre 2/5 et4/5,
elles-mêmes plongées dans [0 ; 1]. C'est donc un univers muni d’un ordre qui prolonge
celui des entiers.
0
1
Figure 39
Nous nous sommes expliqué sur notre choix de privilégier, mais sans exclusive, le
système des droites graduées. Cela ne signifie nullement que nous rejetons les systèmes de
dimension 2. Nous entendons seulement leur accorder la place qui est la leur dans les
moyens de représentation possibles. Une circonstance − entre autres − où les parts de tarte
172
Chapitre IV
− un système isomorphe en fait − ont eu une réelle efficacité dans notre expérience est celle
où les élèves ont eu à comparer deux fractions de numérateur 1 et plus généralement de
même numérateur, car la règle : "plus grand le diviseur, plus petite la part", est une règle
pour laquelle un référent matériel a une bonne valeur explicative. En rapprochant ce
paragraphe des paragraphes 1.1 (stade des partitions) et surtout 1.2 (stade de la relation
partie / tout) du chapitre II, on aura compris que le système des parts de tarte est un
descripteur correct d'une partition d'un tout continu et même du lien de dépendance
fonctionnelle entre la partie et le tout. Il peut donc représenter des problèmes des stades 1
et 2 (voir chapitre II). Il est en revanche inadapté à la représentation d'une proportion et
donc d'un opérateur (stades 3 et 4). Avoir pour image principale d'un rationnel un schéma
bidimensionnel risque donc d'en limiter l'acception aux niveaux les moins élevés de notre
classification.
2.2.3. Pourquoi un système géométrique qui soit un registre ?
2.2.3.1. Présentation générale du registre
Remarquons tout d'abord que la forme des droites graduées présente d’emblée un
ensemble de caractéristiques favorables : familiarité pour les élèves (règle graduée),
souplesse d’utilisation (changements d’unités par exemple), bonne adéquation avec les
perceptions de sommes ou de rapports (songeons par exemple à la duplication d’un
segment comparée à celle d’un carré). Équiper les droites graduées pour en faire un
véritable registre sémiotique apparaît alors comme un objectif raisonnable.
Nous avons effectivement pu atteindre cet objectif au prix d’aménagements
minimes, tant du point de vue quantitatif que qualitatif : en plus simple, nous proposons un
apprentissage comparable à celui de la lecture d’une carte, avec ses signes conventionnels
(que seront ici les traits, tirets, nombres entiers…) et sa légende. De plus, en choisissant le
système qui peut être construit sur les droites graduées, sans modification notable de leur
présentation usuelle, nous pouvons proposer aux élèves un instrument qu’ils ne seront pas
amenés à abandonner rapidement. Au contraire, ils pourront disposer en quelque sorte d’un
viatique, accompagnant constamment en tant que de besoin le recours à l’écriture usuelle,
sous sa forme fractionnaire ou décimale.
Mais équiper la droite graduée en registre en se conformant aux conditions
énoncées par Raymond Duval (1995 ; pp. 36-44) demande qu'on la munisse des moyens :
173
Chapitre IV
1. de désigner un rationnel grâce à un ensemble de signes spécifiques (donc sans
recourir aussi aux signes des autres registres comme les écritures fractionnaires ou
décimales) ;
2. d'identifier un rationnel sans ambiguïté ;
3. de recourir, pour les traitements, à des règles précises.
Sans rappeler ici en quoi l'outil informatique a été un auxiliaire précieux pour
mener à bien ce programme, résumons les fonctionnalités élémentaires du système. Pour
former un rationnel dans ce registre, l’élève dispose à l'écran d'un ordinateur :
• d'une droite graduée régulièrement par des entiers (de n en n avec n ≥ 1) ; un
couple d'entiers de cette droite est privilégié, c'est le repère ; le repère est parfois
initialement subdivisé en s (s ≥ 1) intervalles ;
• de la possibilité d'agir sur ces intervalles du repère, en resubdivisant chacun
d'entre eux en t (t ≥ 1) sous-intervalles − le recours à un système de zoom est parfois
possible −, fractionnant ainsi le repère en f = st sous-intervalles ; le nombre f est le
fractionneur ; il apparaît en blanc sur fond noir à gauche du repère ;
• de la possibilité − pour certains logiciels seulement − de reporter le repère, sa
resubdivision éventuelle entraînant alors celle des segments obtenus par report.
Notons en outre que l'élève :
• saisit le nombre t directement au clavier, le logiciel assurant les opérations
géométriques de resubdivision ;
• peut effacer, modifier, tout recommencer...
• marquer la position d'un rationnel par une flèche pointant vers un point de la
droite
• déplacer au moyen de la souris les nombres à déposer sur une des graduations.
Notons enfin que les problèmes de dépassement − des limites fixées par le
logiciel, des capacités de l'ordinateur, de la résolution de l'écran... − sont gérés par des
messages informant l'utilisateur qu'il sort du cadre de travail autorisé. Ainsi, les rationnels
que l'on peut atteindre par ce système appartiennent à un univers dont l'horizon est délimité
par un certain nombre de contraintes, voulues par les concepteurs, ou seulement liées aux
limites du matériel et de sa gestion logique. Dans la mesure du possible, l'utilisateur est
informé de ces limites.
174
Chapitre IV
Voyons à présent quelques exemples :
10
3
0
3
3
0
1
Le nombre 5/3 dans le repère
[0 ; 1] sans graduation
5
4
10
le nombre 5/3 dans le repère
le nombre 3,14 exprimé
[0 ; 5] avec graduations
au moyen d'un zoom
Figure 40 : diverses expressions de rationnels dans le registre des
droites graduées
On notera que :
• aucune écriture fractionnaire ou décimale n'est requise pour la formation d'un
rationnel dans ce registre (les légendes ne sont rajoutées que pour la clarté du présent
article) ; seuls les signes géométriques et les nombres entiers y ont cours ;
• ces signes sont suffisants pour interpréter et traiter des problèmes rationnels au
moyen d'une représentation linéaire (voir chapitre III-4) ;
• en présence d’un petit nombre de graduations régulières, le fractionneur est
redondant, car il suffirait de compter le nombre d'intervalles pour disposer de cette
information ; nous y reviendrons au paragraphe suivant ;
• enfin, on ne peut pas faire l’impasse sur l’expression orale d’un rationnel formé
dans ce registre ; pour le deuxième schéma de la Figure 40, « un tiers de [0 ; 5] » est un
choix possible ; la mention du repère pourrait éventuellement être omise lorsqu'il s'agit de
[0 ; 1] et l’on parlerait alors de « cinq tiers » à propos du premier schéma, l'équivalence
référentielle de ces deux désignations devenant alors un problème structurellement lié au
registre (voir 2.4.1).
2.2.3.2. Avantages à disposer d'une droite équipée en véritable registre géométrique
Nous disposons ainsi d'un véritable registre d'écriture des rationnels en géométrie
unidimensionnelle. En effet, le système tel qu’il est constitué est affranchi des ambiguïtés
qu'un système géométrique sommaire, remplissant une simple fonction d'illustration, risque
175
Chapitre IV
d'engendrer. Le fractionneur évite par exemple que des superpositions visuelles soient
prises abusivement comme critère de décision quant à l’égalité de deux nombres rationnels.
En son absence, l’expérience a montré que même des coïncidences imparfaites, comme
celle qui apparaît dans le cas de 5/3 et 12/7 (voir Figure 41), peuvent amener la confusion
dans l’esprit de certains élèves. Examinons cet exemple de plus près :
x
33
0
1
y
77
0
1
Figure 41 : distinguer
5
12
et
?
3
7
En l'absence de fractionneur, la position de x sur la droite serait attestée
visuellement : "il semble bien qu’une subdivision en 3 attrape x, mais peut-être qu’une
autre subdivision en 7 pourrait l’attraper aussi". Alors que l'exigence de la production d'un
fractionneur amène à formuler le problème en termes numériques : si x et y sont égaux,
alors il doit exister un même fractionneur qui les attrape simultanément. Existe-t-il une
graduation permettant d’attraper simultanément x et y ? Il faut pouvoir progresser de 3 en 3
et de 7 en 7, donc 21 convient, mais alors j’aurai 35 de ces graduations pour atteindre x et
36 pour y. Donc x ≠y. Le fractionneur est donc le signe qui permet non seulement une
première numérisation du problème, mais aussi qui conduit à constituer l'information
visuelle en hypothèse, un peu comme le signe caractéristique des angles droits :
fait passer du constat visuel de l'orthogonalité à l'hypothèse géométrique.
De plus, le fait de disposer d’un registre nous permet de délimiter strictement le
jeu des contraintes régissant les traitements. C’est évidemment utile pour procéder à des
traitements, mais cela permet aussi de valider ou au contraire d’infirmer des traitements
proposés. Des prises de conscience doivent pouvoir par ailleurs résulter des questions
qu’un traitement dans un registre fait surgir (c‘est une partie importante de l’intérêt des
exercices en mathématiques). Considérons à titre d’exemple un changement de repère
176
Chapitre IV
faisant passer d’une première droite repérée par 0 et 1 à une nouvelle droite repérée par 0 et
2 (voir Figure 42).
x1
x2
3
3
0
1
0
2
Figure 42 : deux expressions de quatre tiers
Un traitement interne au registre − par exemple réduire de moitié le nombre de
graduations séparant 0 de x1 permet de passer du repère [0 ; 1] au repère [0 ; 2] et de
constater l'identité de x1 avec x2 ; ou bien porter l'entier 2 sur la figure de gauche amène à
constater que relativement à [0 ; 2], la position de x1 est la même que celle de x2 – est une
occasion de prendre conscience dune égalité comme celle de quatre tiers avec deux tiers de
deux. Nous y reviendrons en 2.4.1.
L’intérêt d’un registre se situe également dans les conversions avec les autres
registres qu'il y aura lieu d'effectuer. En particulier, il nous semble que les avantages
suivants peuvent être soulignés :
• On peut conserver comme références de formation d'un rationnel les signes et
actions attachés à ce registre, bien adaptés à l'expression des grandeurs relatives : choisir un
repère, un fractionneur (futur dénominateur) ; marquer une position, relative car conjuguant
ces deux données, en retenant un certain nombre (futur numérateur) des graduations créées
par le choix du fractionneur ; revenir éventuellement sur ces choix initiaux en fonction des
rétroactions. Dans ces conditions, l’opération de conversion apportera toute la plus-value
attendue. A l'inverse, en cherchant à représenter trop vite un rationnel par une écriture
fractionnaire comme
3
, on s'expose à des interprétations absolues du 3 et du 5 − voir par
5
exemple la Figure 38 où la position du
3
sur fond gris clair semble désigner les 3
5
premières graduations rencontrées sur les 5 premières.
• Les écritures fractionnaires usuelles sont bidimensionnelles. Nous avons établi
au chapitre III-3 en quoi cette saisie en simultané de deux nombres entiers − numérateur
et dénominateur − est un obstacle repéré à l’acception d’une fraction comme descripteur
d’un seul nombre (Figueras, Filloy, Valdemoros ; 1987). Cette dissociation débouche sur
177
Chapitre IV
des défauts de conception et de traitements : on dispose d'entiers mais on n'a pas le droit de
les traiter en entiers. L’introduction des rationnels dans l'univers unidimensionnel que nous
avons décrit propose un environnement favorable pour lever cette ambiguïté car un
rationnel y est avant tout représenté par un point sur une droite graduée. Certes, plusieurs
nombres entiers interviennent aussi dans cette représentation : soit explicitement (les
bornes du repère et le fractionneur) ; soit implicitement (le nombre de graduations séparant
l'origine du repère de la flèche). Mais comme il est possible de prendre en compte
séquentiellement ces différentes données, on est en définitive ramené à un traitement
géométrique associé à un traitement sur les seuls entiers.
2.2.3.3. Analyse d'un obstacle lié au registre des droites graduées
La section 2.2.2 a été l'occasion d'une analyse pointant certains avantages d'un
système unidimensionnel sur un système bidimensionnel. Mais le fait de choisir un système
de représentation qui soit un registre d'une part ; unidimensionnel d'autre part, a un coût.
Car un registre, par sa nature même, renvoie à des significations plus qu'il ne les donne à
voir, le choix de la dimension 1 renforçant encore la distance entre perception immédiate et
interprétation. Examinons dans le détail une des ambiguïtés ainsi produites.
Toute investigation des nombres en exhibe – au moins – deux aspects,
correspondant à deux types d’activité : mesurer ou dénombrer d’une part, numéroter
d’autre part. On aboutit ainsi au nombre-mesure, susceptible de répondre à la question
"combien ?" (aspect 1) et au nombre-numéro, susceptible de désigner sans ambiguïté
(comme dans le cas du numéro de sécurité sociale), ou d'ordonner (comme dans le cas des
numéros d'une rue), et donc de répondre aux questions : "lequel ?" ou "avant ou après ?"
(aspect 2). Dans le cas des entiers, on peut rapprocher ce double aspect de la dualité
classique cardinal / ordinal. Sur un plan didactique, cette dualité et la coordination de ses
deux pôles sont sans doute fondateurs de tout apprentissage numérique. Il est ainsi courant,
dès les débuts du cycle 2, de proposer aux enfants des travaux de dénombrement d'une
collection d'objets formés de la réunion de deux sous-collections – comprenant par
exemple 3 et 2 objets. Si l'on souhaite un résultat écrit du total, on met souvent à
disposition des élèves un ruban des nombres, qui n'est qu'un habillage de la demi-droite
numérique. Une procédure fréquemment observée consiste alors à localiser 3 sur le ruban,
et à effectuer des sauts vers la droite, ici 2, en énumérant les deux nombres qui suivent 3,
soit 4 puis 5. On répond ainsi à la question "combien ?" (aspect 1) en utilisant l'ordre
178
Chapitre IV
naturel sur les nombres (aspect 2). Ces deux aspects du nombre sont donc intimement
mêlés dès les débuts de l'apprentissage.
1
2
3
4
5
6
7
Figure 43 : 3 + 2 et [trois]…..[quatre], [cinq]
Avec la mesure des longueurs au moyen d'un double décimètre dès la fin du cycle
2, on assiste à une complexification de la tâche due notamment à la nécessaire coordination
entre segments et extrémités. Or cette coordination renvoie aux deux aspects du nombre
évoqués ci-dessus : d'une part le nombre de fois qu'il est nécessaire de reporter un segment
unité dans le segment à mesurer (aspect 1) ; d'autre part la lecture du résultat, au moyen de
la suite ordonnée des nombres inscrits au-dessus des graduations, après localisation du
point de la règle en coïncidence avec l'extrémité du segment à mesurer (aspect 2). Nombre
d'élèves échouent à intégrer ces divers points de vue dans une suite cohérente d'actions. Ils
auraient alors plutôt tendance à obtenir le résultat de leur mesure en privilégiant soit
l'aspect 1 : dénombrement, par comptage direct ou en s'aidant des nombres inscrits sur la
règle, des intervalles obtenus par reports successifs de l'unité ; soit l'aspect 2 :
numérotation, obtenue par coïncidence avec les nombres inscrits sur le double décimètre,
des points du segment à mesurer, le "numéro" en regard de l'extrémité de ce dernier
fournissant la réponse. Cette dernière procédure débouche souvent sur une erreur, car il est
tentant de démarrer la numérotation à 1, et donc de mettre en coïncidence l'origine du
segment à mesurer avec le 1 et pas le 0 du double décimètre (erreur classique du
"démarrage de la mesure à 1"). Remarquons cependant qu'elle est proche de la procédure
standard qui consiste bien, lorsque le problème des origines est correctement réglé, à lire le
résultat par coïncidence entre un point du segment et un point de la règle.
Intervalle n° 1 Intervalle n° 2
Point n° 1
Point n° 2
Intervalle n° 3
Point n° 3
Point n° 4
Figure 44 : deux procédures pour mesurer la longueur d'un segment par comptage et
dénombrement des intervalles ou numérotation des points de ce dernier
179
Chapitre IV
La procédure de dénombrement des intervalles quant à elle peut déboucher sur un
résultat juste, mais obtenu d'une manière peu satisfaisante, car risquant de rencontrer ses
limites dans le cas de mesures non entières. Enfin, une application insuffisamment
maîtrisée de l'une comme l'autre de ces procédures conduit souvent à l'échec lorsque le
double décimètre, cassé, ne commence pas à 0.
Réussir la mesure d'un segment au moyen d'un double décimètre, en mobilisant
une procédure correcte et extensible aux mesures non entières demande donc sans doute,
sinon une prise de conscience, du moins une mise en acte de la bijection entre les
intervalles de type [0 ; r] et les points extrémités de ces derniers. De cette bijection dépend
l'identification canonique entre un espace affine dont on a fixé l'origine et son espace
vectoriel sous-jacent. Elle autorise à parler de la somme d'un point et d'un vecteur, ce qui
légitime par exemple la procédure de dénombrement par sauts, donc translations (+2),
depuis un point origine (3) jusqu'à un point extrémité (5) décrite en Figure 43, et même de
la somme de deux ou plusieurs points.
Les élèves éprouvent bien entendu des difficultés vis à vis de cette bijection en
acte. Il n'empêche qu'ils y sont très tôt confrontés, avec plus ou moins de bonheur, ainsi
qu'on l'a rappelé plus haut. Cette confrontation, constitutive de la notion même de nombre,
est cependant incontournable. La droite graduée fournit un espace de travail adapté à
l'appréhension de cet obstacle et à la mise en œuvre des conditions de son dépassement.
Elle peut en effet être à la fois traitée en univers physique, fractionnable en parties
dénombrables par réunion, et à la fois en système sémiotique mobilisant des signes qui
peuvent indifféremment référer aux segments ou à leurs extrémités, et sur lesquels opère
une loi de composition additive, que l'on peut considérer comme externe ou interne suivant
le degré d'intégration de l'identification de l'espace affine à l'espace vectoriel sous-jacent.
Nous avons vu que ce n'était pas le cas du système des parts de tartes, qui renvoie à un
univers avant tout physique, en tous cas peu "sémiotisable".
2.3. L'exploration logicielle du registre des droites graduées
Ayant exposé les principes fondateurs du registre, ses règles de fonctionnement,
ses ressources et ses difficultés, il nous reste à examiner le principal outil que nous avons
retenu pour son appropriation par les élèves, à savoir la série de logiciels Gradu. On se
reportera, pour un descriptif abrégé des logiciels, au paragraphe du chapitre III-2.2 et,
180
Chapitre IV
pour une analyse détaillée des logiciels, de leurs objectifs et de la progression, à la série
des fiches pédagogiques proposées en annexe n.
Pour donner plus de cohésion à l'exposé, nous avons choisi de commenter aussi
dans cette section les deux logiciels de conversion dont le registre d'entrée est celui des
droites graduées. Lier ces deux logiciels à ceux de la série Gradu permet de ne pas perdre
de vue l'objectif majeur de l'enseignement d'un registre unidimensionnel avant les registres
classiques d'expression des rationnels : ouvrir des voies d'accès à ces derniers et donner de
bonnes raisons de les emprunter. Rappelons cependant que dans la progression élève, les
logiciels de conversion sont abordés − dans l'ordre de leur présentation en annexe n −
après l'étude séparée de chacun des trois registres, ce qui présente l'avantage de donner aux
élèves l'occasion de convertir spontanément, en fonction des besoins ressentis, avant une
approche plus systématique de cette opération.
La série Gradu en introduction permet d’une part la consolidation d’une
représentation géométrique de la suite numérique des entiers, obtenue par report régulier de
segments sur une droite ; l’arbitraire de cette segmentation invite d’autre part à imaginer et
éventuellement à réaliser des resubdivisions qui débouchent sur une première
représentation de nombres non entiers prolongeant naturellement − c’est à dire sans avoir à
décrire de nouvelles opérations de traitement − la représentation des nombres entiers dans
ce même système sémiotique. La sémiotique même des droites graduées suggère donc
l’existence de nombres non entiers. On peut rapprocher ce point de vue de celui développé
dans la revue « Liaison école / collège » (Douady et Perrin-Glorian ; 1986, pp. 124-125), à
propos d’une activité proposant aux élèves de représenter graphiquement la longueur en
fonction de la largeur, pour une famille de rectangles à périmètre p constant. L’alignement
des couples (a , b) − dans un premier temps entiers − tels que a + b = p/2, invite les élèves à
s’intéresser d’abord à la droite qui les relie puis aux points intermédiaires, donnant ainsi un
statut à des nombres « intercalés » entre les entiers.
Dans cette dernière expérience, comme dans l’expérience qui nous concerne, c’est
une opération de traitement interne à un registre − subdivision dans le cas des droites
graduées, opération de pointage sur une représentation graphique − qui fournit un
environnement sémiotique favorable à l’émergence de nouveaux nombres.
Les activités des cinq premiers logiciels de la série Gradu sont centrées sur deux
consignes : déposer − un entier, un non entier − entre des entiers ; ranger trois nombres du
181
Chapitre IV
plus petit au plus grand. C'est donc l'opération de comparaison qui, ainsi que nous l'avons
déjà souligné à de nombreuses reprises (notamment chapitre II-1.3.3.2), fournit l'essentiel
des occasions. Rappelons, pour résumer, que c'est l'opération qui nous semble la plus apte à
relativiser la signification des divers constituants d'un rationnel − bornes du repère,
pointage vers une graduation, fractionneur... pour ce registre ; dénominateur et numérateur
pour celui des écritures fractionnaires. Elle met donc à distance une interprétation absolue
de ces unités signifiantes, obstacle majeur à l'interprétation d'un rationnel en termes de
rapport (Carraher & Schliemann ; 1991). Le dernier des logiciels de la série, Gradu6, est un
peu atypique. Il met en scène, en amenant à synthétiser plusieurs informations − donc de
façon procédurale − une forme numérique du dénominateur − le fractionneur − et une
forme pré-numérique du numérateur. Le mode d'action de ces deux termes est clairement
différencié par la possibilité d'une prise en compte séquentielle de l'un puis de l'autre, et les
répercussions sur les décisions à prendre d'une modification de leur valeur, absolue ou
relative. L'exercice 4, ainsi qu'on le verra plus loin en 2.4.4.1, p. 191, atteste l'existence
d'écritures équivalentes des rationnels. Ce logiciel prépare donc à la formation et aux
transformations principales des fractions, mais dans un cadre où ces opérations prennent
tout leur sens, car liées à des interventions aisément descriptibles et à des rétroactions qui
les précisent par touches successives.
Les décisions ne dépendent que de traitements procéduraux internes au registre, et
jamais de coïncidences visuelles, du reste irréalisables étant donné que les pas physiques −
longueurs à l'écran − ne sont pas compatibles d'une droite à l'autre − un même pas
numérique peut se traduire par une longueur différente lorsqu'on change de droite. Les
seuls signes porteurs de signification sont donc les signes élémentaires du registre concerné
que sont les graduations et les nombres entiers qui les marquent, ainsi que les positions
relatives.
Les activités attachées à ce premier ensemble de logiciels ont donc pour objectif
de familiariser les élèves à la sémiotique des droites graduées, et sont en conséquence
fortement liées aux deux opérations fondatrices de ce registre que sont le report et la
subdivision.
Quant aux deux logiciels de conversion des droites graduées vers les écritures
fractionnaires puis décimales (Grad2fra et Grad2for), ils tentent d'organiser la possibilité de
désigner par une écriture fractionnaire ou d’approcher − et dans certains cas de désigner
182
Chapitre IV
exactement − par une écriture décimale un nombre rationnel pointé par une flèche sur une
droite graduée (les conversions réciproques, c’est à dire celles qui aboutissent au registre
des droites graduées, seront décrites dans les paragraphes consacrés aux autres registres).
Le cahier des charges (décrit à la fin de chaque fiche pédagogique fournies en
annexe n) organise, d'un exercice à l'autre, la variation des unités signifiantes d'un
rationnel formé dans le registre des droites graduées et permet donc d'en prévoir les
répercussion dans les registres de sortie. Rappelons que, selon Duval (1995 ; p. 78), "La
discrimination des unités signifiantes d'une représentation, et donc la possibilité d'une
appréhension de ce qu'elle représente, dépend de l'appréhension d'un champ de variations
possibles relativement à la signifiance dans un registre". Un lien dynamique est ainsi créé
entre les opérations géométrico-visuelles portant sur les droites graduées et les nombres et
chiffres composant les écritures fractionnaires puis à virgules.
Dans le cas de Grad2fra, l'utilisateur est ainsi amené à encadrer le rationnel par
deux entiers, puis à tenter de le capturer précisément au moyen de resubdivisions. Enfin, il
est invité à fournir une écriture additive − type n +
a
, n entier − ou uniquement
b
fractionnaire du rationnel étudié. La connaissance des traitements sur droite graduée ainsi
que l'organisation du champ de variation décrit ci-dessus, rendent possible une
interprétation relative des nombres composant ces écritures, en des termes de reports et
subdivisions par exemple.
Quant à Grad2for, il propose en entrée une valeur approchée ou exacte d'un
rationnel décimal formé dans le système des droites graduées, soit une flèche pointée entre
deux graduations successives, ou exactement sur une graduation, d'une subdivision
décimale d'un intervalle d'amplitude 10n, n ∈ Z. Il demande de fournir en sortie une
écriture chiffrée décimale de ce rationnel. Pour cela, l'utilisateur dispose d'un système de
zooms successifs, permettant d'en visualiser l'approximation à 10 − n près, à partir de son
encadrement antérieur à 10 − (n −1) près. Au bout d'un nombre fini d'opérations de ce type, le
décimal est capturé exactement. La conversion définitive suppose que l'utilisateur ait pris
note des encadrements successifs pour fournir en sortie l’écriture chiffrée décimale
recherchée. Chacune des décimales trouve ainsi son interprétation en terme de partie d'une
subdivision décimale explicite. Mais surtout, leur rang, non valorisé par l'écriture chiffrée
usuelle, est ainsi accordé à la profondeur (l'échelle) d'investigation du nombre traité, car
183
Chapitre IV
associé à des zooms successifs. Troncatures et arrondis enfin, avantages majeurs du
système décimal sur le système fractionnaire, trouvent naturellement dans cette conversion
des équivalents géométrico-visuels qui en consolident la signification et l'opérationnalité.
2.4. Un registre qui pose des problèmes pertinents
Il ne serait pas très pédagogique d’imposer l’enseignement d’un registre, sous le
seul prétexte qu’il est capable de prendre en charge tous les points de vue et traitements
usuels, si cela devait se payer par des artifices et donc des « passages en force ». Ce n’est
heureusement pas le cas, car il se trouve que la seule opération de formation, c'est çà dire
d'inscription de rationnels dans ce registre, peut poser des questions pertinentes, autrement
dit de celles qui débouchent sur la reconstruction de ces divers points de vue et traitements.
Il est par ailleurs possible de provoquer ce questionnement au moyen de problèmes pour
lesquels une expression très simple dans ce registre s’avère suffisante. C’est ce que nous
avons déjà montré, notamment au chapitre III-2.3.2 et III-4, et que nous allons rappeler et
compléter ici au moyen de nombreux exemples. Certains d'entre eux ont déjà été traités
auparavant. Nous ne reprendrons donc ces derniers que brièvement ici, et développerons
les autres. Pour des détails supplémentaires nous mentionnerons en fin de sous-titre le
renvoi aux paragraphes concernés.
2.4.1. Trois fois un quart et un quart de trois (voir aussi III-2.3.2. − exemple 2)
Il existe traditionnellement et historiquement plusieurs façons d’interpréter un
rationnel comme
3
. Deux d’entre elles, que nous noterons désormais I1 et I2, sont
4
particulièrement fréquentes:
I1 :
3
, c’est un quart de trois ou trois divisé par quatre ;
4
I2 :
3
, c’est trois fois un quart (fractionnement de l'unité).
4
Nous pouvons voir que le registre des droites graduées, non seulement permet de
proposer deux expressions − « écritures » − différentes pour un même rationnel suivant
que l’on souhaite privilégier I1 ou I2 − ce que ne permet pas le registre des écritures
fractionnaires usuelles ; mais encore peut prendre en charge, par la résolution d’un
problème de comparaison simple, la reconnaissance du fait que ces deux « écritures »
184
Chapitre IV
différentes représentent un unique rationnel. Voici ces deux « écritures » de
3
dans notre
4
registre
:x
y
4
4
0
3
d1; un quart de trois
0
1
d2 ; trois fois un quart
Figure 45 : un quart de trois et trois fois un quart
Le problème consiste à tenter de déposer y sur d1, afin de le comparer à x .
Résoudre ce problème demande de trouver par exemple une graduation de d1 qui attrape
simultanément x et y . Une solution consiste à demander une resubdivision en 3 x 4 = 12
du repère [0 ; 3]. La flèche associée à x pointe alors vers la troisième graduation sur les
quatre comprises entre 0 et 1, ce qui assure l’égalité de x et y . On vérifie aisément que le
problème symétrique, déposer x sur d2, peut se traiter par 3 reports de [0 ; 1] et un
fractionneur égal à 4 (pour plus de détail se reporter au chapitre indiqué en renvoi).
Rappelons que le processus ayant permis cette identification n’est pas qu’une
simple coïncidence visuelle, mais dépend de décisions procédurales qui rendent compte de
la généralité du phénomène : l’égalité de x et y n’est pas une curiosité de circonstance,
mais l'aboutissement d’une démarche reproductible et à forte valeur explicative.
2.4.2. Commensuration
Suivant Ratsimba-Rajohn (1982 ; p. 70) cette "stratégie de mesure rationnelle" est
un "modèle d'action" pour les élèves, susceptible de jouer le rôle d'une "stratégie de base" −
stratégie de référence dont les insuffisances, révélées par un certain type de situation,
permettront de développer une stratégie alternative − pour la stratégie du fractionnement de
l'unité. Il est donc important d'étudier comment l'équivalence de ces deux stratégies s'inscrit
dans le registre des droites graduées.
Soit le problème consistant à évaluer x par rapport à y si 4 x = 3 y . Une
représentation de x et de y adéquate au problème est donnée par la Figure 46. Pour
évaluer x par rapport à y , on peut tenter de déposer x sur d2, et donc trouver une
graduation qui attrape simultanément les deux nombres, soit un fractionneur 12 par
185
Chapitre IV
exemple, suivant une méthode que nous avons déjà utilisée : x pointe alors sur la troisième
graduation parmi les 4 comprises entre 0 et y .
x
y
3
4
0
d1
0
n
x
d2
n
y
12
0
n
d3
Figure 46 : la commensuration de x et y
Remarquons que, là aussi, la solution au problème n'est pas le résultat d'une
manipulation heureuse et attachée à un cas particulier, mais qu'elle est construite sur des
décisions de l'utilisateur − notamment numériques − liées aux fondements du problème, ce
qui ouvre la voie à sa généralisation.
2.4.3. Comparaison (voir aussi en III.2.3.2 − exemple 3 et II. 1.3.3.2)
Comparer deux rationnels au moyen de ce registre revient à comparer leur action
respective sur un repère qui ne saurait qu’être commun. Le plus sûr moyen d’y parvenir est
donc de tenter d’inscrire ces deux rationnels sur une même droite.
Le fait d'exprimer les rationnels par des positions numérisées − au moyen
notamment du fractionneur − sur une droite graduée permet de développer des stratégies de
comparaison diversifiées (ce qui a été vérifié par l'observation directe des élèves du CM2
de Sélestat et déjà rapporté aux chapitres indiqués en renvoi) : positionnement par rapport
aux entiers, à des rationnels particuliers comme
1
, par changement de repère, par des
2
considérations physiques visuellement attestées (un découpage en 5 est plus "serré" qu'un
découpage en 3, pour un repère donné), et, aussi, par des stratégies qui préfigurent la
réduction au même dénominateur et que nous résumons sur la Figure 47. Remarquons au
passage que l’expression orale, envisagée en 2.2.3.1, n’est pas trop perturbée par une
origine différente de zéro ; ainsi l’appellation « trois cinquièmes de [7 ; 8] » conviendraitelle pour y.
186
Chapitre IV
x
7
y
5
3
8
7
y
8
x
15
7
8
Figure 47 : comparer par changement de fractionneur
Pour comparer x et y , je cherche une graduation qui attrape simultanément ces
deux nombres, qui permette donc une subdivision à la fois en 3 et en 5, soit par exemple un
fractionneur 15.
2.4.4. Arithmétique
Tout travail sur les rationnels sollicite à un moment des notions d’arithmétique :
diviseurs et multiples, ppcm et pgcd, nombres premiers et premiers entre eux, théorème de
Gauss... sont mis à l’épreuve des traitements élémentaires sur les fractions. Mais ce qui a
fait l’originalité de la reconstruction que nous allons présenter, ce sont les termes qu’elle a
empruntés pour s’exprimer. C’est ce que nous nous proposons d'illustrer ici, en montrant
comment les élèves ont utilisé les signes et actions spécifiques du registre des droites
graduées pour reconstruire l’arithmétique dont ils avaient besoin, et comment, en retour,
ces signes et gestes ont fourni un contexte opératoire aux concepts qu’ils ont permis
d’esquisser. Cette plus-value n'était pas prévue par les concepteurs, et prouve que la
recherche plonge les élèves dans un univers dont les frontières peuvent différer de celles
fixées par les programmes actuels ou "l'habitus". C'est la raison pour laquelle nous
saisirons cette occasion pour examiner dans le détail des procédures d'élèves face aux
tâches logicielles, dont certaines − voir par exemple Gradu 5 − sont suffisamment
atypiques pour qu'on puisse légitimement s'interroger sur les attitudes qu'elles ont
provoquées.
Dans toute la suite, les réflexions d’élèves seront en italique, nos commentaires en
écriture droite et entre crochets.
187
Chapitre IV
2.4.4.1. Diviseurs et multiples, ppcm et pgcd
Ces notions sont omniprésentes en filigrane dans le travail des élèves. La
recherche explicite des diviseurs d'un nombre a été constatée lors d’un travail (CM1 de
Sélestat en 1996-97) sur le logiciel Gradu2 − voir III-2.2.1 − Gradu2 et annexe n. Il
s’agissait de trouver une graduation en un minimum d’intervalles pour déposer 22 entre 18
et 28, sans sortir du domaine des entiers − i.e chaque graduation conservant une abscisse
entière.
Jérémy recherchait systématiquement les diviseurs du pas − ici 1, 2, 5 et 10 pour
un pas de 10 − en expliquant qu’il fallait « passer par le nombre [la graduation devait
"attraper" le nombre à déposer − ici 22] et par le bout de l’intervalle [ici 28] », et qu’en
testant toutes les possibilités, il trouverait « la meilleure » − [i.e. celle comportant le
minimum de graduations]. On a ici l'ébauche d'une recherche de diviseurs communs, et
même de pgcd, entre 4 (22 - 18) et 10 (28 - 18), qui emprunte bien sûr des voies exotiques
pour s'exprimer, mais qui pose les véritables questions dans les termes autorisés par le
registre.
18
28
22
Figure 48 : une graduation de 2 en 2 permet d'attraper 22 à moindre
coût (qu'une graduation de 1 en 1)
La recherche d'expressions adéquates à un problème − de positionnement ou de
comparaison par exemple − requiert la notion de multiple commun. Ceci s’est posé
notamment lors de la passation (CM1 de Sélestat ; 1996-97) du logiciel Gradu5 − voir
III.2.2.1, Gradu5 et annexe n. Il s’agissait de déposer un nombre entier comme 8 sur
l’intervalle [5 ; 9] de pas p = 4, subdivisé en 3 sous-intervalles :
3
5
9
Figure 49 : déposer 8 dans un contexte peu favorable
188
Chapitre IV
Gradu 5 est un logiciel que nous considérions comme déroutant et tellement
atypique dans l'activité qu'il propose que nous avions décidé de ne poursuivre que si
l'engagement des élèves était comparable à celui investi dans les logiciels précédents. Ce
qui a été le cas, au-delà de nos attentes en fait. Analysons tout d'abord la tâche de façon
experte dans l'exemple ci-dessus22 :
• calculer le pas 9 - 5 = 4 ;
• l'opposer au nombre d'intervalles, ici 3, pour tenter d'y trouver une "raison
commune", permettant de déposer les nombres intermédiaires aux extrémités (ici 6, 7, et 8)
;
• à défaut, resubdiviser chaque intervalle par le pas (ou un de ses multiples), soit 4
(ou un multiple de 4), seule manière d'assurer la divisibilité par 4 du total des sousintervalles ainsi obtenus ;
• regrouper les graduations 3 par 3 pour attraper le pas unitaire ;
• utiliser ce regroupement pour déposer le nombre 8.
+1
12
5
8
9
Figure 50 : la procédure experte pour déposer 8
La tâche est vraiment complexe. Bien entendu, les élèves n'ont pas procédé ainsi.
Une procédure très répandue a été la suivante :
• constater l'impossibilité de déposer 8 sur une des graduations préexistantes
(Figure 49) ;
• émettre une hypothèse raisonnable de resubdivision, mettons par 3 ;
• tenter de déposer les nombres intermédiaires (ici 6, 7 et 8) régulièrement le long
de cette échelle (en progressant par exemple par regroupements de 2 sous-graduations −
voir Figure 51) ;
22
On rappelle qu'il n'est pas possible de resubdiviser le repère dans son ensemble ; l'action de resubdivision,
par le même nombre n, porte sur chaque intervalle du repère ; le fractionneur, quant à lui, indique le
nombre total de sous-intervalles du repère et vaudra donc dans notre exemple 3 x n, avec n = 1 initialement.
189
Chapitre IV
+1
>1
9
5
6
7
8
9
Figure 51 : une tentative qui échoue mais ouvre la voie d'un nouvel essai
en cas d'échec, tenter de modifier soit le regroupement, soit la resubdivision, en
s'appuyant sur l'information fournie par le dernier essai (ici par exemple que 8 doit être
décalé vers la droite).
Cette approche par essai / erreur va déboucher sur le constat que : « ça serait plus
facile s’il y avait 4 graduations [subdivisions] ». Après de nombreuses tractations entre les
coéquipiers, un groupe d'élèves parvient à la conclusion suivante : «Il faut à la fois 4 et 3, il
faut un fractionneur de 12 pour pouvoir attraper 6, 7, 8 et 9 [les 4 entiers intermédiaires du
repère] ».
Dans des cas de figure proposant un pas de 4 pour 6 subdivisions initiales, la
recherche d’un multiple commun le plus économique possible − ppcm − n’est plus une
exigence gratuite mais une tentative naturelle de recherche du « premier nombre qui
marche » − ici 12 = ppcm (4 ; 6).
D’une façon générale, la recherche d’écritures équivalentes dans le registre des
droites graduées débouche sur une activité de multiple commun ou de diviseur commun
comme on le verra juste après. Les graduations minimales étant toujours primées, ou mieux
rendues nécessaires pour éviter des problèmes de dépassement, soit de résolution d’écran,
soit de contraintes gérées par le logiciel, cette recherche de multiples communs a
naturellement motivé la recherche du plus petit d’entre eux, soit le ppcm. En voici deux
exemples issus de la passation du logiciel Gradu4 (CM1 de Sélestat ; 1996-97) − voir
III.2.2.1 − Gradu4 et annexe n.:
x
y
8
10
4
d1
5
4
d2
5
y
x
40
4
5
d3
Figure 52 : un ppcm pour comparer x et y
190
Chapitre IV
Anthony tente de resubdiviser chaque intervalle de d1 en 8, ce qui conduirait à un
fractionneur égal à 80 pour d3. Rétroaction du logiciel : dépassement des capacités-machine
! Il trouve alors la solution au moyen du fractionneur 40 en expliquant « qu’il faut casser 8
en 2 [tenter un multiple 2 fois plus petit] ».
Mais le plus bel exemple de recherche explicite d’un ppcm reste celle entreprise
par Nathalie (CM2 de Sélestat ; 1997-98). Le logiciel proposait de ranger trois rationnels
écrits sur droite graduée, avec comme fractionneurs : 10 ; 6 ; 4. Nathalie s’isole du groupe,
s’éloigne de l’ordinateur et engage une recherche − qu’elle annonce et explicite par
périphrase − papier/crayon d’un multiple commun aux trois nombres.... mais n’aboutit qu’à
une réussite partielle, en exhibant des multiples communs à deux des trois nombres
seulement : 24 − qui n’est pas en l’occurrence le ppcm de 6 et 4 ; et 30 − qui est bien le
ppcm non trivial de 10 et 6. Ces deux résultats lui ont du reste suffi pour effectuer son
rangement, en comparant les trois rationnels proposés deux par deux.
La notion de pgcd quant à elle, formée au fur et à mesure des prises de conscience
de l’existence et de la nécessité d’écritures minimales − i.e requérant des fractionneurs plus
petits − pour un rationnel donné, a émergé tout au long des passations des logiciels Gradu,
pour être explicitée lors du jeu de communication de Gradu6, exercice 4 (CM2 de Sélestat ;
1997-98) que nous allons résumer ci-dessous − voir aussi III.2.2.1 − Gradu6 et annexe n.
Le logiciel Gradu6 propose de réinscrire sur une seule droite un rationnel R
exprimé au moyen de deux droites (le segment du dessous de la Figure 53 s'obtient par un
zoom sur un des intervalles du dessus). Voici par exemple une « écriture » d’un rationnel
obtenue en fractionnant en 5 l’un des intervalles d’une subdivision de l’unité en 4 :
4
1
0
R
5
Figure 53: une expression de treize vingtièmes au moyen d'un zoom
191
Chapitre IV
Et voici la réécriture de ce rationnel sur une seule droite :
R
20
0
1
Figure 54 : expression de treize vingtièmes sur une seule droite
(fin de l'opération "droite au propre")
Pour parvenir de l'expression illustrée par la Figure 53 à celle de la Figure 54,
l'utilisateur peut procéder en deux étapes. Une première étape, dite étape de "la droite au
brouillon", permet de centrer la recherche sur la découverte d'un fractionneur résultant
adapté : le logiciel place la flèche désignant R sur une droite non graduée et l'utilisateur
tente de trouver une subdivision qui capture cette flèche. Une deuxième étape, dite de "la
droite au propre" − sur laquelle plus rien n'est fourni par le logiciel − donne l'occasion de :
redemander un fractionneur adéquat, éventuellement révisé à la baisse, puis de désigner la
graduation − ce qui correspondrait, dans le registre des écritures fractionnaires, à la
recherche du numérateur − sur laquelle déposer R. Au cours de ces tentatives par essais et
erreurs, le logiciel envoie des rétroactions dont les principales sont : indiquer si le
fractionneur est adéquat et, à défaut (pour les exercices 3 et 4), s'il est diviseur ou multiple
du fractionneur. On remarquera que ce dispositif permet de :
• séquentialiser la recherche de ce qui sera plus tard le dénominateur et le
numérateur, ce qui confirme le caractère unidimensionnel du registre ;
• travailler sur une forme non forcément numérique de ce "numérateur" (le
"numéro" − treize dans l'exemple ci-dessus − exact de la graduation sur laquelle déposer R
n'est pas indispensable ; d'autres formes de repérages sont possibles, comme un repérage
rapide par rapport à des graduations de 5 en 5 ou de 10 en 10).
Par ailleurs, les exigences associées à la réussite − expliciter numériquement le
fractionneur ; désigner une des graduations conséquentes − et la nature des rétroactions,
engagent l'utilisateur à ne pas se contenter de coïncidences visuelles, mais à entreprendre
des calculs qui préfigurent ceux qu'il aura à mener ultérieurement dans le registre des
écritures fractionnaires.
192
Chapitre IV
Décrivons à présent ce qui fait la spécificité de l'exercice 4 de ce logiciel : le
rationnel R n'est pas tiré aléatoirement mais choisi par un émetteur − un élève − qui dispose
à cet effet d'une seule droite pour laquelle il devra choisir un fractionneur puis désigner une
de ses graduations. Il forme donc son rationnel "mystérieux" dans le registre des droites
graduées. Un récepteur doit alors retrouver ce rationnel, en recourant à des subdivisions et /
ou des zooms, et en disposant des rétroactions décrites ci-dessus. Bien entendu, le
fractionneur choisi par l’émetteur n’a aucune raison d’être celui que trouvera le récepteur,
comme c'est le cas sur la Figure 55 :
x
15
1
0
Figure 55 :
2
10
attrapé en
3
15
Et pourtant, l’ordinateur aura validé la réponse ! On peut penser que l’effet de
surprise, les conflits et les tentatives d’explication qui en découleront seront riches de sens
et de conséquences.
Cet effet a motivé la recherche d’expressions équivalentes d’un même rationnel
(CM2 de Sélestat ; 1997-98), et notamment son expression la plus simple − irréductible
dirions-nous − d’une fraction, recourant à un pgcd, paré pour la circonstance des termes du
registre. Dans le cas illustré par Figure 55, la formulation sur laquelle la classe a pu trouver
un consensus institutionnalisé a été la suivante : « il faut trouver le meilleur regroupement
des graduations qui continue à attraper le nombre pointé par la flèche ». Dans cette
expression : le terme de « regroupement » invite à chercher des diviseurs du fractionneur ;
le terme de « meilleur » encourage à chercher le plus grand regroupement, donc le plus
grand diviseur ; quant à la phrase « qui continue à attraper le nombre pointé par la
flèche », sa reformulation en termes de fractions serait « qui soit aussi un diviseur du
numérateur ».
2.4.4.2. Nombres premiers entre eux
Dans le cadre d’une tentative de simplification du rationnel suivant,
193
Chapitre IV
x
10
0
1
2
Figure 56 : 21 et 10 sont premiers entre eux
nous avons pu noter la réflexion suivante (Nicolas ; CM2 de Sélestat, 1997-98) : « avec 10,
on ne peut les regrouper que par 2 ou 5 [les graduations du repère], mais on n’attrape plus
le nombre parce que c’est 21 [les sauts de 2 en 2 ou 5 en 5 n’attrapent pas x qui pointe la
21ème graduation, ou encore 2 et 5 ne sont pas diviseurs de 21] donc c’est 1 par 1 » [1
graduation après l’autre, donc pas de regroupement]. On ne peut mieux exprimer dans les
termes du registre que 21 et 10 sont premiers entre eux, ou n’admettent d’autres diviseurs
communs que 1 !
2.4.4.3. Nombres premiers
Reprenons l'exemple illustré par la Figure 53. Ce mode "d'écriture" des rationnels
au moyen de deux droites et d'un zoom n'est adapté que si le fractionneur résultant n'est pas
un nombre premier. A la question de savoir si tous les fractionneur étaient exprimables au
moyen d'un zoom, Laetitia (CM2 de Sélestat ; 1997-98) répond que « non, parce que il y a
des fractionneurs qui ne sont dans aucune table, comme 11 ou 17 » − sous-entendu
indécomposables multiplicativement, donc des nombres premiers.
2.5. Conclusion de la section 2
2.5.1. Droites graduées et fractions
Tout au long de cette section, nous avons beaucoup insisté sur les spécificités de
ce registre et les traitements qu’on peut y effectuer, en évitant soigneusement de recourir
aux traitements correspondants dans les registres plus courants des écritures fractionnaires
et décimales et donc en utilisant exclusivement les termes et les outils − la lettre et l’esprit
− de ce registre-là. Nous avons aussi mis à l'épreuve son potentiel de communication à
travers l'exercice 4 de Gradu6. Nous avons enfin prouvé sa capacité à objectiver les
différents points de vue attachés traditionnellement aux rationnels. L'environnement
sémiotique des droites graduées permet donc bien de remplir les trois fonctions cognitives
fondamentales décrites par Duval (1995 ; pp. 87-94) et (1996 ; pp. 356), ce qui confirme
définitivement sa nature de registre sémiotique de représentation.
194
Chapitre IV
Mais c’est un environnement de travail, qui ne prétend pas à plus ou moins de
convivialité, mais à un potentiel de mobilisation autour de certains points sensibles
concernant les rationnels − et au-delà l’arithmétique −, particulièrement valorisés par les
signes et les règles de fonctionnement des signes dans ce registre. Par ailleurs,
l’identification abusive rationnel / fraction, rabattant le concept sur une de ses
représentations, se trouve déjouée. En libérant l’objet d’une de ses représentations
privilégiées − du reste très performante pour les traitements, mais à faible potentiel
explicatif − on donne la possibilité de choisir : choisir de mobiliser tel registre plutôt que
tel autre pour représenter tel rationnel, parce qu’il rend mieux compte de l’idée qu'on
souhaite faire prévaloir, ou qu’il permet un traitement plus adéquat. Le registre des droites
graduées offre donc une alternative, un concurrent au registre des écritures fractionnaires.
Par là-même il le met en valeur tout en relativisant son universalité.
2.5.2. Droites graduées et surfaces fractionnées
Il est possible de regarder un segment de droite subdivisé en intervalles de deux
façons différentes : soit comme une grandeur fractionnée, soit comme un ensemble de
points dont la position est déterminée par la donnée d'un repère et d'un fractionneur. La
première option ne distingue sans doute pas fondamentalement le système des droites
graduées du système des parts de tarte. La deuxième en revanche permet de doter les
droites graduées des caractéristiques d'un registre, ce qui en optimise le potentiel de
significations et de traitements tout en maintenant dans des limites raisonnables la diversité
et la disponibilité des signes mobilisés. Nous avons ainsi pu qualifier le système des droites
graduées d'univers ouvert, relatif, ordonné ; et le système des parts de tarte d'univers fermé,
absolu, non ordonné. On peut donc en déduire que le premier permettra de représenter des
nombres, prolongeant les entiers, et pouvant exprimer soit des rapports entre ces derniers,
soit entre les grandeurs associées à ces nombres ; que le deuxième exprimera avant tout des
grandeurs, contraintes sous l'unité, et dont la mise en rapport relève plus d'un double
comptage que d'une expression relative. La formation d'un rationnel dans le premier
rencontre un obstacle de taille, puisque lié à la bijection entre des segments et des points,
ce qu'évite le deuxième. Ce dernier quant à lui reste très efficace pour comparer un type de
rationnels, à savoir ceux représentables par des fractions à numérateur constant. La
diversité des points de vue historiques sur les rationnels ainsi que la comparaison de ces
195
Chapitre IV
derniers est bien prise en compte par le premier qui offre en outre, par la richesse de ses
significations, la possibilité d'une diversification des procédures envisageables.
Cette synthèse permet de conjecturer que le système des droites graduées, plus
complet que son concurrent, doit néanmoins présenter un coût didactique non négligeable.
Ce coût est-il justifié par les bénéfices qu'on peut en attendre ? C'est ce que la section
expérimentale suivante tentera de valider.
3. Sur quelles compétences construire la maîtrise des rationnels ?
Après avoir expliqué notre choix a priori d'un enseignement privilégiant, à côté
des registres numériques et géométriques bidimensionnels usuels, un registre géométrique
unidimensionnel, nous allons tout d'abord examiner ce que nous révèle un questionnaire
constitué de six items, proposé à deux classes de cycle 3, à des phases différentes de leur
apprentissage pour des raisons que nous préciserons. Ce questionnaire permettra en
premier lieu :
1. d'identifier et / ou de préciser un certain nombre de faux-semblants et d'obstacles
associés à l'apprentissage des rationnels ;
2. d'évaluer les effets de notre enseignement sur le dépassement de ces obstacles.
Nous tenterons alors dans un deuxième temps de proposer une synthèse entre : les
apports de l'analyse du questionnaire en six items et des résultats constatés ; les conclusions
de l'analyse a priori (2.5). Cette synthèse nous permettra de dégager :
• un ensemble de compétences relatives à la représentation des rationnels et
nécessaires à leur maîtrise ;
• de rapprocher cet ensemble de compétences du paysage cognitif attaché à un
registre géométrique unidimensionnel ;
• de rapprocher cet ensemble de compétences de la capacité à résoudre des
problèmes rationnels.
Avant d'aborder l'étude du questionnaire, précisons bien que nous n'entendons pas
opposer une population expérimentale à une population témoin en vue d'évaluer les
bénéfices d'une approche didactique contre une autre. Le choix de ces deux classes à des
moments si différents de l'apprentissage serait alors pour le moins inadéquat ! La classe de
Weyersheim, au début de son apprentissage, contribuera essentiellement à apporter des
précisions sur les réussites ou les difficultés pointées dans diverses études (notamment les
196
Chapitre IV
évaluations nationales et celles de l’APMEP) ; la classe de Sélestat, en fin d'apprentissage,
permettra d'apprécier une évolution par rapport aux repères ainsi établis.
3.1. Présentation synthétique de l'enseignement dispensé dans chacune des classes
observées
La classe de Sélestat23 (26 élèves) a suivi un enseignement complet sur les
rationnels, réparti sur les deux années de CM1 et CM2. Cet enseignement a essentiellement
reposé sur l'étude des logiciels de la série ORATIO (Adjiage & Heideier ; 1998) proposant
des activités systématiques de traitements (internes à un registre donné) et de conversions
(inter-registres) liées à trois registres d'expression des rationnels introduits en classe dans
l'ordre suivant : les droites graduées, qui sont l'objet essentiel de cette publication ; les
écritures fractionnaires ; les écritures décimales. Ces passations sur ordinateur ont été
complétées par des études papier / crayon, précisant les activités logicielles ou les
prolongeant.
Le groupe de Weyersheim (17 élèves appartenant à une classe à double niveau
CE2-CM1) s'est vu proposer lors de quatre séquences, d’environ 1h30 chacune, un
enseignement construit autour des chapitres 54, 55, 56 et 60 du manuel "le Nouvel Objectif
Calcul" CM1, accompagné de travaux pratiques en classe et de quelques recherches
documentaires à la maison. Les chapitres d'Objectif Calcul portent sur : longueurs et
fractions ; la machine à partager des longueurs − formée d'un réseau de parallèles
équidistantes ; demi-droite numérique et fractions ; aires et fractions. On notera un recours
précoce au système d'écritures fractionnaires. Les travaux pratiques ont consisté à mesurer
des longueurs, au moyen de règles graduées en cm et en pouces puis d'en déduire une
correspondance entre ces deux systèmes de mesure de type : n pouces équivalent à p
centimètres ; à appliquer les écritures fractionnaires à d'autres mesures de longueurs, aires
ou capacités ; à lire un texte portant sur des mesures anciennes et leur équivalent au moyen
du système métrique ; à répondre à un questionnaire sur ce texte en mobilisant des
fractions. L'ensemble de cette expérience est rapportée dans un article de Pluvinage (1998,
pp. 131-133), auquel on pourra se référer pour des renseignements complémentaires.
3.2. Présentation des groupes d’items proposés à chacune des classes
Le questionnaire est joint en annexe 1.
23
L'expérimentation menée dans cette classe sera détaillée au chapitre VI. 1.
197
Chapitre IV
3.2.1. Premier groupe : items 1 à 3
Un premier groupe d'items propose de convertir en fraction le fractionnement
d'une unité en dimension 1 ou 2. Une analyse rapide de la tâche pourrait conclure à
l'équivalence de ces systèmes pour signifier une fraction puisque l'un comme l'autre
présente à cet effet : une partie discernable d'un tout ; une partition du tout dont une souspartition recouvre la partie considérée. Une fois repérés ces divers constituants de la
représentation, la conversion ne devrait plus poser de problème puisqu'il suffit alors de se
livrer à un double comptage pour former le numérateur et le dénominateur. Si obstacle il y
a, il ne peut surgir que de la difficulté à identifier puis à discerner les divers constituants de
la représentation : qu'est-ce que le tout ? qu'est-ce que la partie ? Quel lien existe-t-il entre
les deux ? L'analyse a priori menée en 2. nous a déjà permis de dégager des différences
importantes dans la manière et les moyens de chacun des systèmes en présence de générer
de telles significations. Nous attendons de l'analyse des résultats à ces trois items
confirmation, précisions et compléments dans ce domaine.
On notera que si l'item 1 a toutes les chances de déboucher sur l'unique réponse
3
, les items 2 et 3 sont plus ouverts quant à la multiplicité des solutions raisonnablement
8
envisageables : en demis, tiers ou sixièmes pour l'item 2 ; en tiers ou en neuvièmes pour
l'item 3.
3.2.2. Deuxième groupe : items 4 et 5
Ce groupe propose deux problèmes qui, au-delà de certaines analogies, présentent
des dissemblances qui méritent d'être pointées. L'un comme l'autre peut se traiter au moyen
d'un raisonnement de proportionnalité simple ne recourant pas aux fractions. Mais l'un
comme l'autre suppose : une mise en relation de la partie au tout (2 litres par rapport à 10
litres, 50 g par rapport à 250 g) ; l'application de cet opérateur rationnel ainsi calculé à une
troisième grandeur (x5 appliqué à 3 kg, partage en 5 parts égales de la plaque de beurre).
Ces deux problèmes sont donc destinés à tester, dans un contexte matériel, la capacité des
élèves à se dégager des données absolues (comme 250 et 50), pour en exhiber une
expression relative (comme 5 ou 1/5) à interpréter ensuite en terme d'opérateur
s'appliquant à une troisième donnée – alors que le groupe d'items précédents ne sollicitait
que la capacité à discerner la partie du tout puis à dénombrer m parts parmi les n d'une
subdivision fournie.
198
Chapitre IV
Examinons à présent les différences. Si l'item 5 apparaît comme une application
du fractionneur (voir 2.2.3.1 et 2.2.3.2) à une unité matérielle, ce qui le rapproche du
contexte d'apprentissage de l'une comme de l'autre classe, l'item 4 s'en éloigne en ce qui
concerne la classe de Sélestat dans la mesure où la donnée de base est fournie en termes de
commensuration (la masse de 2 litres de miel est 3 kg). Ce mode de mesure rationnelle a en
effet été peu abordé dans cette dernière classe alors que la conversion pouce / centimètre a
donné lieu à des travaux de même nature dans la classe de Weyersheim. Le rapport à
l'œuvre dans l'item 4 est de 2 pour 3 ou 3 pour 2, alors qu'il est de 1 pour 5 ou 5 pour 1
dans l'item 5. Il est donc plus simple dans le deuxième que dans le premier cas (2/3 est la
"première" – en suivant l'ordre lexicographique de ses termes – fraction non décimale de
numérateur différent de 1). Enfin, alors que l'item 5 n'est qu'une application immédiate de
la seule proportionnalité, l'item 4 demande à ce que cette notion soit dégagée du contexte à
cause de la présence de la masse à vide. Ces trois points apportent donc suffisamment de
complexité à cet item pour laisser présager un taux de réussite plutôt bas. A titre de
référence, indiquons qu’un problème de proportionnalité – donc sans translation –,
mobilisant une correspondance analogue (2 œufs pour 3 personnes dans une mousse au
chocolat), donnait lieu, en septembre 1995 à l’évaluation nationale en début de 6ème, à une
réussite de 25,2% dans un cas où la prise en compte du rapport 2 pour 3 ne se contourne
pas facilement (item 44).
Après avoir analysé la nature de la tâche, il nous reste à poser la question de son
rapport avec la compétence qui nous intéresse au premier plan, à savoir la capacité à
maîtriser les représentations numériques dans le registre des droites graduées. En d'autres
termes, peut-on établir un lien entre la capacité à mobiliser et à utiliser correctement ce
registre et la capacité à appréhender des grandeurs relatives et à les traiter ? Notre analyse a
priori, développée notamment en 2.2.2, nous autorise en tous cas à conjecturer l'existence
d'un tel lien. Une étude croisée avec l'item 6 nous permettra de mettre cette hypothèse à
l'épreuve . Mais auparavant, il nous faut examiner ce dernier item.
3.2.3. Troisième groupe (réduit à un seul élément) : item 6
Cet item examine la préférence des élèves pour représenter une fraction,
7
en
4
l'occurrence. On notera qu'il s'agit, contrairement aux items précédents, d'une fraction
supérieure à 1, ce qui a priori privilégie le système des droites graduées plus adéquat à
représenter ce type de fractions. Ce dernier item devrait nous renseigner : sur le choix
199
Chapitre IV
spontané des élèves pour la dimension 1 ou 2 dans un contexte favorisant la première ; sur
la façon dont les élèves prennent en compte la double information donnée par le 7 et le 4 et
comment ils l'expriment en un seul objet à partir de leur choix. Ce dernier item devrait
donc apporter des éclaircissements sur l'obstacle du "deux pour un" relevé en 1.2.
3.2.4. Pourquoi avoir mobilisé des écritures fractionnaires pour ce questionnaire ?
On peut s'étonner de l'usage simultané de fractions et de représentations
géométriques dans ce questionnaire, et donc de la présence d'items demandant des
conversions entre deux registres, alors que les premières parties de l'article font surtout
référence au seul registre sémiotique des droites graduées. Mais on notera tout d'abord que
la classe de Weyersheim, ayant suivi un enseignement traditionnel, a eu très tôt recours à
des écritures fractionnaires illustrées par des représentations uni et bidimensionnelles. Il
s'agissait donc d'utiliser une expression des rationnels conforme à cet usage. Par ailleurs, et
bien qu'on n'aborde pas les conversions dans cet article, la classe de Sélestat a eu un
enseignement complet à leur sujet à la suite des traitements. Les deux classes disposaient
donc des outils nécessaires à la compréhension des énoncés et à leur résolution, cette
disponibilité risquant de rendre artificiel un évitement circonstanciel d'écritures
fractionnaires par ailleurs banalisées à ce moment de leur apprentissage.
On retiendra encore que l'usage qui est fait des fractions se réduit à celui d'une
notation permettant de compacter ses réponses. Aucune technicité (comparaison par
exemple) n'est donc requise à leur sujet, ce qui est confirmé par les éléments de congruence
caractérisant les conversions : en ce qui concerne les représentations bidimensionnelles, ils
sont liés au double comptage du nombre de parts grisées et du nombre total de parts ; en ce
qui concerne la droite graduée de l'item 2, au choix de [0 ; 1] comme repère et à la quasi
coïncidence entre segment unité et segment dessiné. Seule la conversion de l'item 6 est plus
délicate, dans la mesure elle demande l'explicitation d'unités signifiantes comme la
précision de l'unité choisie. Mais il s'agit alors d'une difficulté liée à la sémiotique du
registre géométrique et non de celui des fractions. La présence de ces dernières n'est donc
pas déterminante dans la résolution des exercices pour laquelle la mobilisation et
l'interprétation des signes requis par les registres géométriques sont en revanche décisifs.
3.3. Examen des résultats et des modalités de leur obtention
Nous proposons en annexe 4 les tableaux des résultats obtenus par les deux
classes au questionnaire. Commençons par établir un premier constat d'ensemble.
200
Chapitre IV
Une année d'enseignement sépare les deux classes testées lors de la passation du
questionnaire. Si ce différentiel d'enseignement se retrouve bien dans l'écart des réussites à
des items portant sur les droites graduées et la résolution de problèmes, il ne semble avoir
qu'une influence négligeable sur les items 1 et 3 de type "parts de tarte" (92% et 85% pour
Sélestat contre 83% et 78% pour Weyersheim) : les élèves atteignent très vite une bonne
maîtrise de ce moyen d'expression, en tous cas lorsque les fractions représentées sont
inférieures à 1. Un coût didactique peu élevé semble donc bien le caractériser − une
rentabilité rapide en terme de transcription d'informations particulières. Mais ce faible coût
devra être reconsidéré à la mesure des résultats observés dans la représentation des
fractions supérieures à 1 et le traitement de l'information.
3.3.1. Analyse des résultats du premier groupe d'items
La première remarque d'évidence est que la réussite aux items "parts de tarte" est
très supérieure à celle de l'item de type droite graduée. Ceci est vrai pour l'une ou l'autre
classe, mais l'écart est plus élevé pour la classe de Weyersheim.
Malgré l'apparente
similitude des actions de report et de subdivision qu'on entreprend dans l'un ou l'autre de
ces systèmes, on réussit en gros 4 fois mieux à Weyersheim et quand même 2 fois mieux à
Sélestat − malgré un temps d'enseignement globalement beaucoup plus long et surtout très
orienté vers les droites graduées ! − en dimension 2 qu'en dimension 1. Encore, l'item 2 se
contente-t-il de proposer une droite graduée limitée au segment [0 ; 1]. On peut supposer
qu'en étendant les graduations au-delà de 1 − ce qui introduit d'autres unités signifiantes −
l'échec aurait été encore plus massif.
L'observation directe des élèves au travail, accompagnée de brefs entretiens
précisant notamment la raison de certaines attitudes (pointage net et sans hésitation des
parts de tarte contre embarras et inaction face aux droites graduées) permettent de préciser
ce que l'analyse a priori avait laissé entrevoir. L'association entre le double comptage et les
deux termes de la fraction est immédiat dans le cas de parts de tarte car :
• les objets à dénombrer – les parts grises ou blanches –, de même nature, sont
immédiatement identifiés et discernés par leur opposition de couleur ;
• l'ordre de comptage suit l'ordre naturel d'écriture de la fraction, du haut vers le
bas ; comptage des parties grisées d'abord pour le numérateur puis des parties blanches
ensuite pour le dénominateur.
201
Chapitre IV
Ce double comptage est beaucoup moins opérant – et c'est peut-être la chance de
ce système qui ne réduit pas un rationnel à une séquence de deux entiers – dans le cas des
droites graduées car les élèves :
• identifient mal les objets du comptage qui ne sont pas de même nature, le
dénominateur se rapportant préférentiellement au segment – qu'on partage en 6 intervalles
– et le numérateur aux extrémités, la flèche pointant nécessairement vers une extrémité ;
on retrouve ici l'obstacle de la bijection évoquée en 2.2.3.3 ;
• discernent mal les objets de ce comptage, l'opposition flèche / intervalle étant
moins immédiate que l'opposition gris / blanc ;
• recherchent d'abord le dénominateur, puis le numérateur (le dénombrement des
intervalles opération plus concrète que le repérage d'une position ?), ce qui les amène à
préciser d'abord la "nature" du fractionnement avant d'en déterminer la partie "retenue",
contrariant ainsi l'ordre naturel de l'écriture du haut vers le bas.
Devant ces éléments de non congruence, les élèves de Weyersheim, qui n'ont pas
eu un enseignement algorithmisé concernant les droites graduées : soit renoncent aux
droites graduées (voir item 6) ; soit se trompent ; soit, et c'est l'issue qui nous semble
intéressante à exploiter, changent de stratégie : 6 élèves sur 17 tentent d'évaluer en tiers ou
en demis certaines des fractions inscrites sur la droite graduée de l'item 2 (dont une lecture
immédiate serait
2
3
et ), alors qu'ils conservent une stratégie de double comptage pour au
6
6
moins un des items 1 ou 3. A titre de comparaison, signalons que seul 1 élève sur 17 évalue
en tiers l'aire hachurée de l'item 3 (dont une lecture immédiate est
3
). Nous y voyons
9
l'amorce d'une confirmation de ce notre analyse a priori : les droites graduées donnent
l'occasion de s'affranchir des évidences d'un comptage absolu, pour adopter un point de vue
plus relatif de l'expression des grandeurs : s'exprimer en demis ou en tiers dans le cas de
l'item 2 prouve bien une tendance spontanée − certes limitée mais réelle −, à abandonner la
référence absolue au profit de la proportion.
Il nous reste à analyser le score moyen obtenu par la classe de Sélestat à l'item 2
(50%), malgré un enseignement fortement orienté vers l'appropriation du registre des
droites graduées. Nous allons à cet effet examiner dans le détail les modalités de l'erreur
des 13 élèves qui se sont trompés.
202
Chapitre IV
N° de colonne
1
2
3
4
5
Nature de
Réponses
Réponses décimales
Tentatives
Algorithme faux
Absence
l'erreur
cohérentes en
ou "apparentées"
d'évaluatio
(+1 au numérateur, -1
de réponse
cinquièmes
(comme : 0,2 ; 0,4 ; 0,6…)
(1/5 ; 2/5 ; … ; 5/5)
Nombre
2
n en demis,
au dénominateur)
tiers…
5
1
1
4
d'élèves
Tableau 3 : classe de Sélestat, nature des erreurs relevées à l'item 2
Cette étude relativise quelque peu la modestie du résultat global, dans la mesure
où seules les deux dernières colonnes témoignent d'une incompréhension importante. Les
colonnes 1 et 2 concernent des élèves qui, après une erreur initiale d'interprétation, ont
poursuivi leur traitement de façon cohérente, ce qui prouve qu'une partie au moins du mode
de signification du registre a été correctement appréhendée et qu'une intervention
enseignante minimale serait susceptible d'y remédier. Les progrès dans ce domaine sont
lents à se dessiner, le coût didactique des droites graduées semble effectivement élevé.
3.3.2. Analyse des résultats du deuxième groupes d'items
L'échec absolu de la classe de Weyersheim (0%), ainsi que le score encore moyen
– quoique très honorable pour un exercice de cette difficulté – de la classe de Sélestat
(46%) à l'item 4 confirment ce que l'analyse a priori de la tâche avait permis de conjecturer.
Si l'on ne peut tirer de conclusions définitives de l'échec à ce type d'item, on peut en
revanche dire que la réussite, même partielle, y est significative. C'est ce que nous
analyserons plus finement dans le Tableau 4. Le comportement fort correct de la classe de
Sélestat à l'item 5 (73%) était attendu, en raison de son affinité avec le type d'enseignement
dispensé. Mais le score faible (17%) de la classe de Weyersheim au même item est plus
étonnant, tant la production de sa solution sous forme d'une plaque de beurre fractionnée
semble parente d'un fractionnement en parts de tarte, par ailleurs fort bien réussi ainsi qu'en
attestent les résultats de cette classe (83% et 78%) aux items 1 et 3. Si le découpage d'une
tarte en parts était un tant soit peu opérationnel pour exprimer des proportions, ce type de
situation devrait permettre d'en retrouver des traces − surtout dans un cas simple de
numérateur égal à 1. Ce n'est manifestement pas le cas. Cette observation était bien entendu
prévisible avec un minimum d'analyse a priori. Elle permet néanmoins, par opposition, une
203
Chapitre IV
mise en valeur du constat qui suit : les élèves qui maîtrisent le système des droites graduées
réussissent – à l'exception d'un seul d'entre eux qui réussit néanmoins l'item 4 et échoue à
l'item 5, non par incapacité avérée, mais suite à une réponse se référant à une pesée
concrète du morceau de 50 g – les items 4 et 5 ; ceux qui choisissent les parts de tarte n'ont
qu'une chance sur deux de parvenir à cette réussite. La dernière ligne enfin atteste que les
élèves qui ne parviennent pas à représenter correctement les rationnels échouent
massivement à résoudre des problèmes s'y rapportant. C'est ce dont témoigne le tableau
croisé suivant :
I4 et I5
Réussite
Échec
Total
Réussite (g)
6
1
7
Réussite (t)
3
3
6
Échec
0
13
13
Total
9
17
26
I6
Tableau 4 : croisement des résultats aux items 4 et 5 (groupés) et à l'item 6
classe de Sélestat
Dans ce tableau, nous avons regroupé les items 4 et 5 en un seul item afin
d'amplifier les effets de réussite ou d'échec. Nous avons considéré qu'un choix spontané des
droites graduées, débouchant sur une réponse juste pour représenter une fraction, était
significatif d'une maîtrise de ce système ; ce qui nous a amené à choisir l'item 6 comme
révélateur de cette maîtrise. La mention g ou t accompagnant la réussite renvoie à l'usage
des droites graduées (g) ou des parts de tarte (t) pour y parvenir.
Le choix du système des droites graduées semble donc être un investissement
rentable, même si, comme l'analyse de l'item 2 en a déjà témoigné, les progrès sont lents à
se manifester, en tous cas peu spectaculaires. Ce lien entre la maîtrise de ce registre et la
réussite aux problèmes physiques sera d'ailleurs confirmé au paragraphe 3.5.
204
Chapitre IV
3.3.3. Analyse de l'item 6
Remarquons tout d'abord que l'échec absolu (0%) de la classe de Weyersheim à
l'item 6 prouve que la réussite aux items "parts de tarte" (1 et 3) n'est qu'un indicateur peu
fiable de leur maîtrise du fractionnement de l'unité, puisque leur compétence dans ce
domaine ne s'étend pas aux fractions supérieures à 1.
Examinons à présent dans le détail l'item 6 qui va nous renseigner sur le système
géométrique qui a la préférence des élèves pour exprimer un rationnel. On note une choix
limité et pratiquement sans évolution − 8 élèves sur 26 soit 31% à Sélestat contre 5 élèves
sur 18 soit 28% à Weyersheim − des droites graduées pour représenter
7
par un dessin,
4
malgré un enseignement fortement orienté dans ce sens à Sélestat. Mais si le recours à ce
dernier registre provoque dans les deux classes une adhésion modérée − alors que le choix
d'une fraction supérieure à 1 aurait pu le rendre attractif −, il traduit deux réalités bien
différentes dans une classe ou dans l'autre : sur les 8 élèves de Sélestat ayant choisi les
droites graduées, 7 font juste (ratio réussite/échec de 7) alors que sur les 15 élèves de
Sélestat ayant choisi les parts de tarte, 6 seulement font juste (ratio réussite/échec de 6/9 =
2/3) ; la tendance s'inverse radicalement à Weyersheim où, certes, tout le monde fait faux,
mais où les 3 seules réponses approchant au mieux la réussite − dessin plongeant 7 parts
dans un environnement de 8 parts mais sans indication de l'unité (voir Tableau 6, colonne
1) − sont obtenues dans un cadre bidimensionnel.
Mode de
représentation de
7/4, Classe de
Sélestat
Juste
Faux
Total
1
6
9
15
(58%)
2
7
1
8
(31%)
Absence de réponse
0
3
3
(11%)
Total
13 (50%)
13 (50%)
26
(100%)
Tableau 5 : item 6, classe de Sélestat
205
Chapitre IV
Mode de
représentation de
7/4, Classe de
Weyersheim
Juste
Faux
Total
7 parts parmi 8
0
4
4
(22%)
7 parts isolées
0
7
7
(39%)
4 parts isolées
0
2
2
(11%)
droite graduée
0
5
5
(28%)
Total
0 (0%)
18 (100%)
18
(100%)
Tableau 6 : item 6, classe de Weyersheim
Cette analyse semble donc prouver que : le recours aux parts de tarte pour
exprimer un rationnel est une tendance lourde, traversant un ensemble fort diversifié
d'élèves, y compris ceux qui sont proches de la réussite dès le début de l'apprentissage ; en
l'absence d'un enseignement spécifique, le recours aux droites graduées est peu rentable car
trop délicat à gérer ; après un enseignement fortement orienté par ce registre, ceux qui l'ont
adopté représentent correctement un rationnel. Cette dernière assertion est plus
globalement confirmée par le tableau suivant qui croise le choix : droites graduées (g)
contre parts de tarte (t) pour traiter l'item 6, avec la réussite au seuil de 83% (1 seul échec
sur les six items) à l'ensemble du questionnaire (classe de Sélestat).
≥ 83%
< 83%
Total
g
7
1
8
t
5
13
18
Total
12
14
26
Réussite
globale
I6
Tableau 7 : lien entre réussite globale et choix du système de
représentation (classe de Sélestat)
3.3.4. Conclusion du paragraphe 3.3
Une évolution de la réussite globale peu spectaculaire (item 2), un choix spontané
peu élevé et non évolutif, un ratio réussite/échec très élevé lorsqu'il est choisi : tout semble
confirmer un coût didactique important pour l'appropriation du registre des droites
graduées. Mais les élèves qui y sont parvenus sont payés en retour par une réussite
206
Chapitre IV
importante, tant dans la transcription de l'information que dans le traitement de
l'information portant sur des grandeurs relatives. En conclusion, on peut dire que les élèves
apprennent vite à coder et décoder un schéma "parts de tarte". Mais leurs compétences à ce
sujet plafonnent rapidement, et, surtout, ne leur apportent qu'une aide très limitée à la
résolution des problèmes. Tout se passe donc comme si les "parts de tarte" étaient une
machine à fabriquer de l'évidence, mais qu'en retour cette évidence restait bien sûr
inopérante à la gestion de situations complexes ; voire même pouvaient faire écran à la
reconnaissance de cette complexité. L'analyse a priori menée en 2., ainsi que l'analyse des
résultats du questionnaire et des modalités de leur obtention, nous ont permis de fournir
des explications locales à ces phénomènes. Nous tenterons au paragraphe 4. d'en fournir
une approche plus globale centrée sur la notion de registre. Mais il sera utile auparavant de
résumer en sept points un ensemble de compétences que les analyses a priori et les
observations précédemment menées et rapportées auront permis d'énoncer.
3.4. Énoncé des sept compétences
Nous avons déjà rappelé toute l'importance que nous attachons à la maîtrise des
représentations dans l'apprentissage des rationnels. Il est donc légitime de s'interroger sur
les compétences qui fondent une telle maîtrise. Chacune d'entre elles sera validée soit par
des travaux d'élèves, issus du questionnaire en six items ou de toute autre activité observée,
soit à partir d'une analyse a priori de la tâche, renvoyant ou pas à une réflexion antérieure.
Nous tenterons, pour chaque compétences, d'évaluer son affinité avec un système uni ou
bidimensionnel.
3.4.1. Doubler l'information
Revenons à l'item 6 de l'évaluation : à la question de "faire un dessin pour
représenter
7
", les élèves de Weyersheim ont produit des dessins du type de ceux portés
4
dans le Tableau 6. Ils confirment la teneur de l'article déjà cité (O. Figueras ; E. Filloy ; M.
Valdemoros ; 1987) sur la prédominance, auprès de nombre d'élèves, de la cardinalité du
numérateur ou du dénominateur sur l'expression d'une proportion de l'un à l'autre.
Remarquons que, en ce qui concerne les 11 élèves des deux premières colonnes en tous
cas, il ne manque pas grand chose pour basculer de l'échec à la réussite, sinon l'indication
soit de l'unité, soit de tout autre référence numérique. Leur dessin reste muet, par
opposition à ce qu'on pourrait appeler une figure parlante ou accompagnée d’une légende :
207
Chapitre IV
1/4 cm2
1 cm2
Figure 57
On pourrait penser que l'ajout de ce type d'information numérique suffit à la
constitution de ces systèmes bidimensionnels en registres. Nous allons voir plus loin en
quoi ce n'est pas vraiment le cas.
On peut enfin rapprocher ces observations d'une étude de G.I. Minskaya (1975).
L'auteur y oppose le nombre comme caractéristique absolue d'une collection − le nombre
de ses éléments immédiatement discernables − et le nombre comme image d'une quantité
par une mesure, donc relativement au choix d'une unité : il décrit ainsi un cursus
d'apprentissage des premiers nombres entiers, associés à des changements d'unité de
comptage, dans le cas discret ou continu, par exemple :
Collection
Figure 58
Des unités de comptage
différentes pour dénombrer
la collection
Il relève que les enfants qui identifient le cardinal de la collection au seul nombre
obtenu par comptage des unités élémentaires, à l'exclusion de toute autre unité,
comportement souvent initié par un enseignement des premiers nombres bâti sur la
correspondance terme à terme, ont des difficultés à comprendre ultérieurement la relation
entre nombres entiers et fractions.
Doubler l'information, c'est donc être capable de relativiser une donnée numérique
en la rapportant explicitement à une unité. Cette information doublée est naturellement
associée à la formation d'un rationnel dans le registre des droites graduées qui demande d'y
porter explicitement un repère entier ([0 ; 1] par exemple) ; elle est en revanche absente de
la formation en "parts de tarte".
Nous pensons que cette compétence est nécessaire à une conception des fractions
comme expression de grandeurs relatives.
208
Chapitre IV
3.4.2. Scinder l'activité
Une unité étant choisie et précisée, il s'agit à présent de scinder l'activité en
différenciant le mode opératoire du dénominateur − fractionneur − du mode opératoire du
numérateur - compteur des nouvelles unités engendrées par la première opération.
Cette compétence peut se développer dans l'un ou l'autre des registres
géométriques pour des fractions inférieures à 1, mais les droites graduées permettent
d'éviter cette dicrimination arbitraire en positionnant d'emblée les rationnels par rapport à
tous les entiers.
3.4.3. Discriminer les actions qui, sur une droite, opèrent sur les segments de celles
qui opèrent sur les extrémités
On pourrait illustrer cette compétence par deux questions, posées à partir de la
compétence précédente. Fractionner quoi ? Compter quoi ? Le problème ne se pose pas
pour les "parts de tarte" puisque l'objet du comptage est une sous-collection de la collection
produite par le fractionnement. Nous avons déjà vu en 3.3.1 que ce n'est pas le cas des
droites graduées, essentiellement à cause de la classique confusion intervalles/extrémités.
Cette capacité à discriminer les objets du fractionnement et du comptage, non
travaillée en dimension 2, nous semble essentielle à la discrimination du numérateur et du
dénominateur.
3.4.4. Localiser les désignations
Cette compétence est illustrée a contrario par les deux types d'erreurs et/ou de
limites associées à un usage exclusif d'un numérateur égal à 1 (8 élèves sur 18) et relevées
lors de l'évaluation de la classe de Weyersheim:
1
0
1
6
1
6
1
6
1
6
1
0
1
6
1
4
1
3
1
2
?
?
Figure 59
Rappelons que cet obstacle est un obstacle épistémologique, attesté par le fait que
les Egyptiens de l'antiquité exprimaient les rationnels par des fractions de numérateur égal
à 1 (à quelques exceptions près) . Remarquons aussi que cet autre schéma serait correct :
209
Chapitre IV
0
1
6
1
6
1
6
1
6
1
6
1
6
1
Figure 60
Dans le cas de la Figure 59, le numérateur 1 se réfère à l'objet au-dessous duquel a
été déposée la fraction, c'est à dire à 1 extrémité de segment (et non pas une abscisse) ;
dans le cas de la Figure 60, ce même numérateur 1 se rapporte à 1 intervalle. Mais dans le
premier cas, c'est faux, dans le deuxième, cela serait juste. Il y a bien là un problème de
formation dans un registre, lié à la localisation de ce qu'on désigne. Les "parts de tarte"
n'apporteront aucun enseignement à ce sujet : la stratégie du double comptage est aussi une
stratégie d'évitement de cet obstacle épistémologique ; les droites graduées y sont liées de
façon structurelle.
3.4.5. Prendre en compte 0 et 1 (ou tout autre repère) comme entiers permettant
d'initier un processus de formation d'un rationnel
Après la question du "fractionner quoi ? (segment contre extrémités)" abordée au
3.4.3, se pose la question du "fractionner où ?". Des erreurs comme les suivantes,
observées auprès d'élèves de Sélestat, témoignent d'une absence de prise en compte ou
d'une prise en compte erronée de l'intervalle [0 ; 1].
3/5
0
9/5
1
2
Figure 61
Bien entendu, si la question de cette compétence se pose naturellement dans le
registre des droites graduées, elle n'a pas lieu d'exister dans celui des "parts de tarte". Elle
conditionne pourtant le positionnement d'un rationnel par rapport à 1, et donc une première
210
Chapitre IV
intégration, par position relative, à un ensemble de nombres. C'est une question délicate,
qui va être amplifiée au paragraphe suivant.
3.4.6. Plonger les entiers dans les rationnels
Nous avons déjà relevé, notamment en 1.2, la dialectique qui oppose et unifie un
couple de nombres : une fraction ; à un nombre : un rationnel. Cette dialectique est un
obstacle repéré − voir par exemple les articles : déjà cité (O. Figueras ; E. Filloy ; M.
Valdemoros ; 1987) ; ou encore Hart (1989) ; ou Streefland (1991) ; ou enfin Gray (1993),
sur les transitions et les inhibitions des entiers aux rationnels − à l'acception d'une fraction
comme représentant d'un nombre. Positionner d'emblée les rationnels par rapport aux
entiers nous semble donc être une condition raisonnable à la reconnaissance de cette
dialectique ; la droite graduée − par des graduations d'abscisses entières entre lesquelles
viennent s'inscrire les rationnels −, un lieu privilégié permettant de développer cette
compétence.
3.4.7. Produire des écritures équivalentes
Cette compétence est évidemment liée à l'expression de grandeurs relatives par
des fractions, et donc à la proportionnalité (3 est à 4 ce que 15 est à 20). La production
d'écritures équivalentes trouve une expression naturelle dans le registre des droites
graduées comme le montre le problème suivant : placer
Figure 62 (initialement graduée en
3
3
ou sur la droite graduée de la
5
4
dixièmes et resubdivisée pour les besoins du
problème).
0
1
2
Figure 62
Cet exemple permet de proposer une reformulation de l'énoncé de la compétencetitre en des termes liés au registre, à savoir la compétence à regrouper des graduations −
pour
3
3
− et à sous-graduer − pour . (Une des exigences du registre est que la flèche
5
4
pointe toujours vers une des graduations). On notera, comme en 3.4.2, que cette dernière
compétence semble aussi pouvoir trouver un terrain d'expression naturel en dimension 2.
211
Chapitre IV
L'analyse menée en 2.2.2.2, appuyée sur nos observations personnelles et celles d'autres
chercheurs, tend à prouver que ce n'est pas vraiment le cas.
3.5. Lien entre les sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes
Ces sept compétences constituent donc un ensemble cohérent, nécessaire à la
l'appréhension d'un rationnel comme exprimant des grandeurs relatives. Il est dès lors
légitime de s'interroger sur l'existence d'un éventuel lien entre cet ensemble et la capacité à
interpréter et résoudre des problèmes mobilisant les rationnels. On aura noté que les
problèmes de type sémiotique sont structurellement liés à cet ensemble de compétences
puisqu'ils sont à l'origine de leur formulation. C'est donc essentiellement à des problèmes
de type physique que nous allons consacrer cette étude (quatre items sur les cinq analysés).
On se reportera à cet effet aux deux tableaux de l'annexe 5. Ils récapitulent les
résultats du CM2 de Sélestat à des exercices extraits d'une évaluation papier / crayon dont
on trouvera le texte en annexe 6 (certains de ces items ont déjà servi de base de travail en
3.2 et 3.3 ; leur étude sera en outre reprise sous un angle différent, puis complétée par
l'analyse d'autres items de la même évaluation au chapitre VI-2.2). La passation s'est tenue
fin mai 1998, soit plus de trois mois après la fin de l'expérimentation logicielle.
Le premier tableau étudie 17 items, répartis en sept groupes (de 1 à 4 items
chacun) séparés par des traits gras verticaux. Chacun de ces groupes évalue une des sept
compétences, dans l'ordre où elles ont été énoncées en 3.4. L'item Conv15 apparaît deux
fois car il évalue deux compétences distinctes. Le "total pondéré par élève" (colonne
grisée) est obtenu au moyen de la somme, pondérée par le nombre d'items par groupe, des
réussites. Le "pourcentage pondéré par élève" s'obtient en divisant par 7 (autant que de
groupes) le total pondéré. La dernière colonne indique le rang sur 26 de chaque élève dans
la classe, vis à vis de ces sept groupes d'items. Les élèves sont rangés par ordre
alphabétique pour faciliter la comparaison, élève par élève, des rangs de chacun avec ceux
du tableau suivant.
Ce dernier examine la réussite des mêmes 26 élèves à 5 items portant sur la
résolution de problèmes rationnels ainsi que le rang de chacun (avant-dernière colonne) vis
à vis de ce travail. La dernière colonne sert au calcul du coefficient de corrélation rs de
spearman, en établissant l'écart quadratique des rangs de chaque élève repérés par chacun
des deux tableaux. On trouve rs = 0,73.
212
Chapitre IV
Le nombre d'individus considérés (26) étant supérieur à 20, la loi de rs, sous
l'hypothèse d'indépendance entre les deux séries de rangs, est sensiblement une loi normale
(0 ;
1
(26 − 1)
). Au seuil de 0,001 (et même mieux), la valeur observée apparaît comme
s'écartant très significativement du hasard et permet donc de rejeter l'hypothèse
d'indépendance.
3.6. Conclusions de la section 3
Nous avons ainsi, à partir de l'examen de travaux d'élèves, dont nous avons
considéré aussi bien les réussites que les échecs, confirmé nos analyses a priori et celles
rapportées par d'autres études. Ceci nous a permis d'établir des repères dans l'apprentissage
des nombres rationnels, sous la forme de sept compétences. Ces dernières trouvent un
environnement structurellement adapté dans le registre des droites graduées, plus favorable
en tous cas que dans un système bidimensionnel qui évite les obstacles plus qu'il ne
contribue à leur dépassement. Nous avons par ailleurs établi un lien entre la maîtrise de ces
sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes rationnels, ce qui contribue à
valider la pertinence de ces sept compétences comme repères didactiques.
Cette section valide donc notre choix des droites graduées comme registre
géométrique d'introduction aux rationnels. La section qui suit vise à proposer, autour de la
notion de registre, un cadre d'interprétation plus global à la discrimination entre dimensions
1 et 2 dans l'enseignement de ces nombres.
4. Les surfaces fractionnées sont peu adaptées au développement d’un
registre exprimant les rationnels
L'analyse a priori développée notamment en 2.2.2, confirmée par l'observation de
travaux d'élèves analysés en 3., nous autorise à caractériser l'opposition entre le système
des parts de tarte et celui des droites graduées au moyen de la dualité perceptif /
sémiotique. C'est cette dernière idée que nous allons reprendre et développer ici.
Deux exercices, reportés en annexes 2 et 3, le premier issu de l'évaluation
nationale 6ème 1997, le deuxième extrait d'une évaluation de la classe de Sélestat, vont nous
permettre de saisir les enjeux de cette problématique.
213
Chapitre IV
En étudiant la nature des réponses à un item proposant de déduire la longueur d'un
segment à partir d'hypothèses portées sur une figure de géométrie réalisée à main levée, F.
Pluvinage (1998 ; p. 126) rapporte que, sur une population expérimentale, 52 % des
réponses sont perceptives (dictées par la seule perception visuelle), 28% physiques
(provenant d'un mesurage), et 18% mathématiques (interprétation des dessins comme des
signes). Le numéro 100 des dossiers d’Education et Formation (1998) confirme ces
résultats à l’échelle nationale : sur la population des élèves qui indiquent leur démarche, les
réponses sont à 50% perceptives, 32% physiques et 18% mathématiques.
La classe de Sélestat quant à elle, réussit à 81% un exercice sur droite graduée,
proposé en fin de CM2 − mais déjà réussi à 75% en fin de CM1 dans une version identique
aux valeurs numériques près −, réussite qui passe par la prédominance manifeste du
sémiotique sur le perceptif.
Cette dualité perceptif / sémiotique est donc une réalité didactique majeure, et ce
dans tous les secteurs des mathématiques, car c'est le statut même des objets
mathématiques qui en dépend. L'exemple de la classe de Sélestat prouve qu'un
enseignement prenant en charge cette dualité permet d'espérer des résultats tangibles en
cette matière.
En ce qui concerne le système des surfaces fractionnées, tout se passe comme si le
pôle perceptif constituait un attracteur trop puissant. Trois types d'arguments vont nous
permettre d'appuyer cette assertion :
• La dimension 2 est celle de l'espace de travail (feuille de papier, tableau...)
Une figure tracée dans ce cadre peut donc potentiellement s'étaler sur tout l'espace
disponible. Une conséquence de cette occupation totale est que toute information portée sur
ou à côté de la figure fait partie du "dessin" : aucune distance n'autorise à constituer cette
information en signe (voir par exemple la mention de l'unité d'aire dans la Figure 63 qui
prouve bien le peu d'autonomie du nombre 1 par rapport à cette figure-là et l'impuissance
de cette dernière à représenter un nombre) ; au contraire de la dimension 1 qui, libérant de
l'espace d'inscription de part et d'autre de la droite qui la représente, permet de porter, à
distance du "dessin", divers signes : la flèche repérant une position, mais, surtout, les
nombres entiers, et parmi eux, 0 et 1. Remarquons d'ailleurs, pour compléter notre
argumentation, que nous aurions bien du mal à porter 0 − nombre abstrait s'il en est − sur
une figure comme la Figure 63.
214
Chapitre IV
• La dimension 2 permet une trop grande diversification des signes
La variabilité des formes planes à aire constante provoque trop de dispersion dans
les possibilités de représentation d'un rationnel donné. Cette trop grande diversité rend
délicate la circonscription d'un ensemble limité de signes − et donc de traitements −
élémentaires de ce qui pourrait être un registre bidimensionnel. Ainsi, comparer les deux
rationnels suivants par un traitement géométrique demanderait sûrement une "réduction
au même type de forme" (un redécoupage suivant des formes compatibles pour la
comparaison), avant tout autre traitement comme une "réduction au même dénominateur",
même dans le cas limitatif où on se contente du seul rectangle comme forme disponible :
1 (cm2)
1 (cm2)
Figure 63
• La dimension 2 induit des évocations matérielles
En effet, le grand potentiel évocateur − de parts de tartes et autres morceaux de
chocolat − des formes planes tend à les réduire à de simples descripteurs d'une
quantification matérielle, parasitant ainsi une éventuelle fonction sémiotique ; au contraire
de la dimension 1 qui, épurant l'expression de ses formes, autorise mieux leur interprétation
en tant que signes représentant des nombres.
Nous en concluons qu'il nous semble difficile de développer en dimension 2 un
véritable registre géométrique de représentation des rationnels. C'est à notre sens ce qui
constitue la faiblesse structurelle de ce mode de représentation, et qui restreint son potentiel
didactique. Nous avons en revanche prouvé qu'il était possible de travailler avec les droites
graduées au niveau d’un registre. C'est la raison pour laquelle ce système s'est révélé être
un espace de travail adapté à l'introduction de la notion de rationnel et à ses premières
conséquences. Est-il pour autant adapté à des développements ultérieurs, notamment en ce
qui concerne les opérations arithmétiques élémentaires qui n'ont pas encore été abordées
dans cet article ? C'est ce que la section suivante va examiner à présent.
215
Chapitre IV
5. Registre des droites graduées et somme et produit de deux rationnels
Pour compléter notre étude du registre des droites graduées, il nous reste à
l'interroger sur sa capacité à rendre compte des opérations arithmétiques élémentaires que
sont la somme et le produit. Relevons que ces notions, n'étant plus au programme de l'école
élémentaire, sortent de notre champ d'investigation empirique. Nous nous bornerons en
conséquence à une analyse a priori des potentialités et des limites du registre étudié relative
à cette question. Ce qui permettra d'ouvrir des perspectives à notre recherche en direction
du collège.
5.1. Le produit
Ainsi que G. Brousseau (1986, pp. 90 - 96) l'a montré, une approche féconde du
produit de deux rationnels consiste à interpréter l’un comme une application linéaire − ou
dilatation − opérant sur l’autre. Cette approche, qui renvoie à la classique identification
d'un espace vectoriel et de son dual, est celle qui permet d’échanger du sens avec les
problèmes classiques d’échelles, de pourcentages.... Nous avons déjà traité ce problème,
dans un autre contexte au chapitre III-4.2. Nous le reprenons donc ici, de façon
légèrement différente et adaptée à ce nouveau contexte.
Brousseau
(1986 ; pp. 113-115)
décrit
notamment
une
séquence
sur
l’agrandissement d’une pièce de puzzle, déterminé par la donnée d’un segment de 4 cm du
puzzle initial, transformé en un segment de 7 cm dans le puzzle agrandi. Pour trouver
l'image d'un segment quelconque, les élèves comprennent l’importance stratégique de
l’image de 1. Ils la déterminent en disant : "... [comme] Il faut partager 4 en 4 parties, il
faut diviser 7 en 4 aussi." Un schéma à deux niveaux peut résumer la situation :
1
0
0
4
7
Im (1)
Figure 64 : dilatation x définie par x (4) = 7
Mais il est possible d'inscrire toutes les informations fournies par ce schéma sur
une seule droite. On obtient ainsi un nouveau schéma sur lequel : les longueurs en cm du
216
Chapitre IV
puzzle initial sont représentées par le nombre d'intervalles, soit 4 dans le cas traité ; les
longueurs correspondantes du puzzle agrandi sont représentées par les écritures chiffrées
situées sous le segment, soit 7 dans le cas traité. Ce dernier schéma exprime donc comment
se transforme (linéairement) 1 lorsque 4 a pour image 7. On y reconnaîtra évidemment une
écriture du rationnel 7/4 dans le repère [0 ; 7] avec un fractionneur 4, repère dont la borne
inférieure est nécessairement 0. Les écritures chiffrées situées au-dessus du segment n'ont
qu'une valeur de rappel destinée à la clarté du présent exposé.
1
4
4
0
7
Figure 65 : le rationnel/dilatation x
Essayons à présent de représenter l'image z d'un rationnel y comme celui
représenté en Figure 66 :
5
1
3
Figure 66 : le rationnel y
Nous pouvons pour cela rechercher x (1), puis x (3), en suivant la subdivision
régulière de [0 ; 7] en 4 intervalles, afin de repérer z relativement à x (1) et x (3) "comme" y
est repéré relativement à 1 et 3 :
1
3
1
3
x (1)
x (3)
20
4
0
x (1)
x (3)
7
0
7
z = x.y
Figure 67 : z = x (y) = x.y
On notera, comme en 2.4, que les résultats obtenus dépendent de décisions
procédurales, ce qui signifie qu'elles ne sont pas que la conséquence d'une coïncidence
visuelle peut-être fortuite. Un examen plus approfondi des raisons de la commutativité –
217
Chapitre IV
non évidente dans ce contexte comme dans tout contexte où l'un des facteurs du produit est
interprété comme un opérateur s'appliquant au deuxième – déboucherait sur le même
constat.
5.2. La somme
De même que la notion de produit s’interprète bien en terme de dilatation, la
somme de deux rationnels peut s’interpréter au moyen d’une translation : un des deux
rationnels est alors identifié à une translation opérant sur le deuxième. Soient donc deux
rationnels x et y, écrits dans le registre des droites graduées. L’écriture de x doit fournir le
mécanisme et l’amplitude de la translation agissant sur y pour trouver z = x ( y ).
Examinons l’exemple suivant :
x
y
4
3
1
d1
4
d2
3
5
Figure 68 : deux rationnels x et y à additionner
Nous interpréterons le schéma définissant x comme un message en deux temps :
•
premier temps, redélimiter ;
•
deuxième temps, recaler entre les nouvelles limites.
Première phase
Les bornes 1 et 3 définissent un déplacement global de y , qui permet de délimiter
un nouvel intervalle [ y + 1 ; y + 3], image « floue » ou de première approximation de z
La difficulté est bien entendu d’adapter les écritures de x et de y afin de rendre
l’action de x sur y possible. Suivant les cas, les choses se passent plus ou moins bien. Si
l'on dispose facilement du pas unitaire sur la droite portant y, cela se passe plutôt bien, car
alors la première phase − translation au moyen d’entiers − se fait à moindre coût :
y+1
y
y+3
4
d3
4
218
5
6
7
8
Figure 69 : première phase, recherche d'une "image floue" de la
somme y + x
9
Chapitre IV
Deuxième phase
Elle permet de positionner précisément z sur l’intervalle [ y + 1 ; y + 3], comme
x l’était sur l’intervalle [1 ; 3]. Pour cela, les 8 intervalles de [ y + 1 ; y + 3] sont peu
adaptés au fractionneur 3 de x . Il est donc nécessaire de resubdiviser la subdivision initiale
pour qu’elle soit divisible par 3, d’où le fractionneur 12 et le positionement définitif de z
sur la 16ième sous-graduation − en douzièmes − après y + 1.
y+1
y
y+3
z=y+x
12
4
d3
5
6
7
8
9
Figure 70 : z = y + x
Bien entendu, il y a des cas plus compliqués où la première phase est moins
conviviale, comme dans l’exemple ci-dessous :
x
y
4
3
1
3
4
7
d2
d1
Figure 71 : x + y un cas moins commode
Pour pouvoir placer y + 1, il faut d’abord attraper la pas unitaire sur d2, et donc
commencer par une intervention de type Gradu5, afin de réécrire y au moyen du repère [4 ;
5] et du fractionneur 4.
5.3. Conclusion du paragraphe 5
On aura compris que de tous les traitements la somme − et dans une moindre
mesure le produit − est celui qui présente un coût maximum dans cet environnement
sémiotique. Mais rappelons que ce registre est plus un registre d'étude − à vocation
explicative des mécanismes qui régissent et auxquels réagissent les rationnels − qu'un
219
Chapitre IV
registre de commodité − bien que nombre de traitements y trouvent un environnement
favorable. Par ailleurs, un avantage à disposer de plusieurs registres est que l'on est à même
d'en changer lorsque l'un d'entre eux se révèle peu adapté à une opération. Il est donc
possible de recourir aux droites graduées − bien entendu dans un environnement
informatique − pour additionner, lorsque les données s'y prêtent − notamment lorsque le
fractionneur est un diviseur de l'amplitude du repère −, et de mobiliser un autre registre, par
exemple numérique, dans le cas contraire. Enfin, si ce registre n'est pas toujours le plus
adapté à la recherche de la valeur exacte d'une somme, il nous semble en revanche tout à
fait apte à encourager des stratégies de contrôle de résultats, notamment au moyen de
valeurs approchées.
En étudiant dans le détail la tâche que le traitement exact d'une somme dans ce
registre suppose, on parvient à distinguer ce qui en fait la difficulté, et, au-delà, à préciser
la difficulté du registre des droites graduées. Outre l'obstacle déjà signalé en 2.2.3.3 et
relevant de l'identification entre un espace affine et l'espace vectoriel sous-jacent, on vient
de voir que la mise en œuvre de la somme était assujettie : à une double variation portant
soit sur la quantification du tout (le repère a des amplitudes variables), soit sur le nombre
de parties constituant le tout (le fractionneur est variable) ; à une relation de dépendance
entre la partie et le tout, elle-même liée à la double variation précédente. On notera que ces
obstacles sont inhérents à l'appréhension de la relation partie / tout, ainsi que le rappelle
Saenz-Ludlow (1995 ; p. 114) : "This scheme synthesises the complexity of the part-whole
relation [ ] the whole as a composite unit [ ] and recognition of the part-dependency of the
whole [ ]" et plus loin : "the bases of [ ] the part-whole scheme are the multiplicative
recomposition of the whole, and the disembedding of a part from the whole while mentally
conserving the unity of the whole". Mais il n'empêche que la richesse même du registre
étudié – en particulier l'existence de repères d'amplitude supérieure à 1 et la possibilité de
les subdiviser par un nombre non diviseur de cette amplitude – leur donne un
développement inhabituel. Ainsi que nous l'avons déjà souvent relevé, utiliser les droites
graduées comme registre c'est prendre le risque de choisir un espace de travail convoquant
l'ensemble des obstacles liés à l'expression et la conceptualisation de la relation partie / tout
et, au-delà, des rationnels.
220
Chapitre IV
6. Conclusion du chapitre
Nous avons examiné plusieurs systèmes de représentation des rationnels. Parmi
ceux-ci, les systèmes géométriques uni et bidimensionnels ont occupé la majeure partie de
notre réflexion et de nos expérimentations. Nous pensons avoir établi que le choix des
registres de présentation des rationnels n'est pas neutre sur les conceptions qu'il génère et
ne devrait en conséquence pas être circonscrit par des seules visées illustratives. Nous
avons ainsi rappelé l'importance de la rigueur dans l'énoncé des règles de formation et de
traitement. Cette rigueur est justifiée par le fait de dépasser une conception réduisant ces
systèmes à de simples instruments d'illustration, pour les constituer en véritables registres
sémiotiques, dont on sait que la coordination est susceptible de provoquer la genèse
conceptuelle (Duval ; 1995, p.67).
Deux systèmes ont été particulièrement étudiés : celui des "parts de tarte" et celui
des droites graduées. Nous avons établi que ces systèmes sont profondément différents,
malgré une apparente similitude dans les traitements qu'ils permettent, tant par leur
capacité à générer des significations, que par leur degré de disponibilité auprès des élèves,
et par leurs liens avec la réussite et l'échec à court et moyen terme. Nous avons démontré
que le système des "parts de tarte" est un système à coût didactique peu élevé, qui se prête
mal à la constitution d'un registre, et où des réussites rapides à des exercices de
transcription peuvent masquer les conceptions sommaires, voire, si on n'y prend garde,
erronées qu'il renvoie. A l'inverse, le système des droites graduées est à coût didactique
élevé. Il demande un véritable investissement pour assimiler et mobiliser sa structure de
registre, ce qui le rend peu attractif auprès des élèves. Ceux qui parviennent à en maîtriser
la richesse sont payés en retour par une compréhension des rationnels comme expression
de grandeurs relatives, ce pour quoi ils ont été conçus et élaborés. Nous avons enfin
explicité l'affinité entre ce registre et le concept qu'il exprime en établissant une liste de
sept compétences nécessaires à la maîtrise des rationnels et en prouvant que les droites
graduées fournissaient un environnement sémiotique propice à leur développement.
Cette section a ainsi permis d'établir qu'il était possible d'introduire les rationnels
dans un cadre géométrique unidimensionnel, sans recourir dans un premier temps aux
fractions ou aux écritures décimales, ce qui constituait notre première hypothèse de
recherche. Le chapitre qui suit va se pencher sur la façon dont les registres des écritures
fractionnaires et décimales ont à leur tour été abordés, et en quoi la disponibilité du registre
221
Chapitre IV
fondateur des droites graduées a contribué à leur légitimation. Nous examinerons comment
en retour ce dernier registre a acquis de la profondeur et de la relativité par le jeu combiné
de la mise en concurrence et de la coordination, spontanée d'abord, provoquée ensuite, avec
ces registres numériques d’expression des rationnels.
Rapportons pour finir ce que Bolon (1996 ; p. 236) note au sujet des droites
graduées dans la conclusion de sa thèse : "l'utilisation de la demi-droite numérique […]
consacre l'indépendance des enseignements de l'ordre, de l'addition et de la soustraction.
Les conséquences sont importantes pour la compréhension du fonctionnement des
graduations régulières, pour la lecture et la constitution des graphiques de fonctions. A
terme, c'est la notion d'intervalle qui risque d'être absente. Le déficit est profond, car
installé depuis près d'un demi-siècle […]. Un travail systématique devrait être entrepris,
dès l'école primaire. Il serait important également que les textes officiels mentionnent
comme objet d'étude la proportionnalité entre les écarts numériques et les distances
géométriques sur droite graduée.
222
Chapitre IV
Annexes du chapitre IV
Chapitre IV
Annexe1 : questionnaire en six items
NOM : .............................................................
Date :..........……..
Prénom : ..........................................................
Un disque fractionné
Une unité fractionnée
U
0
?
?
?
?
1
?
Quelle fraction est grisée ?
A chaque flèche ci-dessus, attribuer sa fraction.
Un triangle fractionné
Le bidon
Quelle fraction
est grisée ?
Ce gros bidon contient 10 litres et a une masse à
vide de 3 kg.
Quelle sera la masse du bidon
miel ? *
Du beurre à couper
rempli de
Représentation d’une fraction
Fais le dessin que tu veux pour représenter
250 g
7
4
.
BEURRE
Comment t’y prendras-tu pour couper
50 g de beurre dans cette plaquette ?
* La masse de 2 l de miel est 3 kg
225
Chapitre IV
Annexe 2 : item 6, évaluation en mathématiques à l'entrée en 6ème, 1997
Sur ce dessin à main levée (les vraies
grandeurs sont écrites en cm), on a
représenté un rectangle ABCD et un cercle
de centre A qui passe par D.
Ce cercle coupe le segment [AB] au point E.
Trouve la longueur du segment [EB]
............
Explique ta réponse : ......................................
.........................................................................
.
Annexe 3 : item extrait d'une évaluation finale, CM2, Sélestat
Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les flèches, ne sont pas
entiers. Range-les du plus petit au plus grand.
A
B
0
0
1
1
C
0
1
La réponse juste, B < A < C, ne peut s'expliquer que par une prise en compte sémiotique des
informations portées sur la figure. Une prise en compte perceptive pourrait par exemple conduire à l'erreur
: C < A, par comparaison des positions des points ou des longueurs physiques des segments.
226
Chapitre IV
Annexe 4 : Résultats au questionnaire en six items ;
CM2 de Sélestat / CM1 de Weyersheim
Classe de Weyersheim
Classe de Sélestat
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0%
6
t
t
g
g
t
t
t
t
g
t
t
t
t
g
g
t
t
t
0
0
0
1
2
2
2
2
2
2
2
3
3
3
3
3
3
4
37
% par élève
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
1
3
17%
5
Total par élève
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0%
4
Choix représentat° 7/4
0 0 0
0 0 0
0 0 0
1 0 0
1 0 1
1 0 1
1 0 1
1 0 1
1 0 1
1 0 1
1 0 1
1 1 1
1 1 1
1 1 1
1 0 1
1 1 1
1 0 1
1 1 1
15 5 14
83% 28% 78%
1 2 3
Item 6 Ch_dess_7/4
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
Tot
Item 5 Déc_250g
17%
17%
33%
33%
33%
33%
33%
50%
50%
50%
50%
50%
67%
67%
83%
83%
83%
83%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
Item 4 Miel_2l_3kg
Item1 Tarte_3/8
Item 3 Triang_vers_3/9
N° élèves
1
1
2
2
2
2
2
3
3
3
3
3
4
4
5
5
5
5
6
6
6
6
6
6
6
6
103
66%
Item 2 Gradu_1/6à5/6
% par élève
n
t
n
t
t
t
g
t
t
t
n
t
t
t
t
t
g
g
t
g
t
g
g
g
g
t
Total par élève
1 0 0 0 0 0
0 0 1 0 0 0
1 0 0 0 1 0
1 0 0 0 1 0
1 0 1 0 0 0
0 0 1 0 1 0
1 0 0 1 0 0
1 1 1 0 0 0
1 0 1 0 1 0
1 0 1 0 1 0
1 0 1 0 1 0
1 0 1 0 1 0
1 0 1 0 1 1
1 1 1 0 1 0
1 1 1 0 1 1
1 1 1 1 0 1
1 0 1 1 1 1
1 1 1 1 0 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
24 13 22 12 19 13
92% 50% 85% 46% 73% 50%
1 2 3 4 5 6
Choix représentat° 7/4
Item 6 Ch_dess_7/4
Item 5 Déc_250g
Item 4 Miel_2l_3kg
Item 3 Triang_vers_3/9
Item1 Tarte_3/8
Item 2 Gradu_1/6à5/6
N° élèves
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
Tot
0%
0%
0%
17%
33%
33%
33%
33%
33%
33%
33%
50%
50%
50%
50%
50%
50%
67%
34%
7
Légende colonnes 7
t : choix "parts de tarte" ou autre
surface fractionnée ;
g : choix droite graduée ;
n : absence de réponse.
7
227
Chapitre IV
Annexe 5 (1/2)
Deux tableaux pour analyser le lien entre les sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes rationnels
CM2 de Sélestat
R é s u lta ts a u x ite m s é v a lu a n t le s 7 c o m p é te n c e s
7
8
9
10
Conv13 gradu_vers_3/5
Conv12Gradu_vers_1/6à5/6
Conv01 7/10_vers_gradu
Conv05 16/10_vers_gradu
Conv14 gradu_vers_5/8
Conv15 Gradu_vers_4/3
Q01_3/5?>1_<?1
Q03 Int.ent_8/3&13/4
Q04 Int.ent_28/5&32/5
Q05 Int.frac_5&6
Conv03 4/5_vers_gradu
Conv06 1/3_vers_gradu
Total pondéré par élève
% pondéré par élève
11
12
13
14
15
16
17
0
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
0
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
24
92%
3
1
0
1
0
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
0
1
1
1
1
0
1
22
85%
4
0
0
1
0
1
1
0
0
0
0
0
0
0
1
1
1
1
0
0
0
1
1
0
1
0
1
11
42%
5
1
1
1
0
1
1
0
0
0
1
1
0
1
1
1
1
1
1
1
0
1
1
0
1
1
1
19
73%
6
0
0
1
0
1
1
0
0
0
1
1
0
0
1
1
1
1
1
0
0
1
1
0
1
0
0
13
50%
7
1
0
1
0
1
1
0
1
0
0
0
0
0
1
1
1
1
0
1
1
1
1
0
1
0
0
14
54%
8
1
0
1
1
1
1
0
1
0
0
0
0
1
1
1
1
1
0
1
1
1
1
0
1
1
0
17
65%
9
1
1
1
0
1
1
0
1
0
1
1
0
1
1
1
1
1
0
0
0
1
1
0
1
0
0
16
62%
10
0
0
1
0
1
1
0
0
0
0
0
0
0
1
1
1
1
0
0
0
1
1
0
1
0
1
11
42%
11
0
1
1
1
1
1
0
1
1
0
1
1
0
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
0
21
81%
12
0
0
0
0
1
1
0
0
0
0
0
0
0
1
1
1
0
0
0
1
0
1
0
1
0
0
8
31%
13
0
0
0
0
1
0
0
1
0
0
0
0
0
1
0
1
0
0
0
1
0
1
0
1
0
0
7
27%
14
0
0
1
0
1
1
0
0
0
0
0
0
1
1
1
1
1
1
0
0
1
1
0
1
0
0
12
46%
15
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
0
0
0
1
1
1
1
0
0
0
1
1
0
1
0
0
8
31%
16
0
0
0
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
1
1
1
1
0
1
0
0
1
0
1
0
0
8
31%
17
1 ,9 2
1 ,6 7
5 ,5 0
1 ,6 7
6 ,0 0
6 ,2 5
1 ,0 0
2 ,2 5
1 ,2 5
2 ,7 5
3 ,0 0
0 ,9 2
2 ,2 5
7 ,0 0
6 ,7 5
7 ,0 0
6 ,5 0
4 ,0 0
3 ,7 5
1 ,9 2
6 ,0 0
7 ,0 0
1 ,2 5
7 ,0 0
1 ,6 7
3 ,2 5
27%
24%
79%
24%
86%
89%
14%
32%
18%
39%
43%
13%
32%
100%
96%
100%
93%
57%
54%
27%
86%
100%
18%
100%
24%
46%
57%
i
6
Rang r
5
Conv15 Gradu_vers_4/3
0
1
0
1
1
1
0
1
1
1
1
1
0
1
0
1
0
1
0
1
0
1
0
1
0
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
0
1
1
1
1
1
0
1
1
1
0
1
1
1
13
26
50% 100%
1
2
4
Conv16 : Triang_vers_3/9
2
Conv7à10 : frac_vers_tarte
Chreg01 : Ch_dess_7/4
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
3
Conv11 Tarte_vers_3/8
1
18
20
10
20
8
7
25
16
23
15
14
26
16
1
5
1
6
11
12
18
8
1
23
1
20
13
Chapitre IV
Annexe 5 (2/2)
R é s u lt a t s a u x it e m s r e la t if s a u x
p r o b lè m e s r a t io n n e ls
52%
12
21
8
12
5
8
12
12
12
12
21
21
21
1
1
1
8
21
8
12
5
1
21
5
12
12
(ri - rj) 2
40%
20%
60%
40%
80%
60%
40%
40%
40%
40%
20%
20%
20%
100%
100%
100%
60%
20%
60%
40%
80%
100%
20%
80%
40%
40%
j
2
1
3
2
4
3
2
2
2
2
1
1
1
5
5
5
3
1
3
2
4
5
1
4
2
2
Rang r
Pourcentage par élève
1
0
0
0
1
0
0
0
1
0
1
1
0
0
1
1
0
0
1
0
1
1
0
1
1
0
1
1
0
1
1
0
0
0
1
1
0
0
0
1
1
0
0
0
1
1
0
0
0
1
0
0
0
1
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
0
1
0
1
0
1
0
0
0
1
1
0
0
1
1
0
0
0
1
1
1
1
0
1
1
1
1
1
1
1
0
0
0
0
1
1
1
0
1
0
1
0
1
0
1
0
1
0
0
19
12
9
9
19
73% 46% 35% 35% 73%
Total par élève
Chreg07 Rgt_C<B<A
Chreg06 épaiss_A>B
Chreg05 Voluni_2l_3kg
Chreg04 Masse_2l_3kg
Chreg02 Découpe_250g
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
36
1
4
64
9
1
169
16
121
9
49
25
25
0
16
0
4
100
16
36
9
0
4
16
64
1
795
0 ,7 3
Somme des écarts quadratiques
Coefficient de corrélation
Chapitre IV
Annexe 6 : items extraits de l'évaluation "locale" de fin mai 98
CM2 de Sélestat
• Chreg 01 Fais le dessin que tu veux pour représenter
7
4
Réponse ….
• Ecris chacune des fractions suivantes sous le dessin adapté et hachure la
partie correspondante :
5
;
8
Conv07
2
3
Conv08
;
7
;
10
Conv09
4
5
Conv10
231
Chapitre IV
• Conv11 La partie grisée représente une fraction. Laquelle ?
• Conv 16 La partie grisée représente une fraction. Laquelle ?
• Conv 15 Ecris sous la flèche la fraction qu’elle désigne.
0
1
• Conv13 Ecris, sous chaque flèche, la fraction qu’elle désigne
0
• Conv12
0
232
1
Ecris sous chaque flèche la fraction qu’elle désigne.
1
Chapitre IV
• Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras
chaque fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une
flèche à un point de la droite.
0
2
1
7
;
10
Conv01
1
2
;
4
;
5
Conv03
8
5
;
16
;
10
Conv05
1
3
Conv06
• Conv 14 Ecris, sous chaque flèche, la fraction qu’elle désigne
2
1
0
• Q01 Entoure si c’est juste, barre d’une croix si c’est faux :
3
<1
5
;
3
>1
5
;
3 1
<
5 2
• Intercale chaque fois un entier entre les deux fractions :
a)
Q03
8
<
3
<
22
5
Q04
b)
28
<
5
<
32
5
• Q05 Intercale une fraction entre les deux entiers :
5 <
< 6
233
Chapitre IV
• Chreg 02 Explique en quelques mots comment tu t’y prendrais pour
découper 50 g de beurre dans cette plaque ?
250 g
BEURRE
• Chreg 04
Avec ces deux bouteilles remplies de miel, on peut remplir
exactement les 3 pots ci-dessous :
1L
1L
1kg
1kg
1kg
Ce gros bidon contient 10 litres et a une masse à vide de 3 kg.
Quelle sera sa masse s'il est rempli de miel ?
• Chreg 05 Quel volume de miel contient un des 3 pots du premier dessin ?
• Chreg 06 On considère deux tas, A et B, de feuilles de papier.
8 feuilles du tas A ont une épaisseur de 3 mm. 19 feuilles du tas B ont une épaisseur de
6 mm. Entoure la bonne réponse :
Les feuilles de A et de B ont la même épaisseur
Les feuilles de A sont plus épaisses que celles de B
Les feuilles de B sont plus épaisses que celles de A
• Chreg 07 Voici trois nombres :
B
A = 2,8
2
;
3
;
C=
11
4
Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C, à la bonne place ci-dessous
Réponse :
234
.......
<
.......
<
....…
Chapitre V
Étude et mise en œuvre des registres des
écritures fractionnaires et décimales à
l'école élémentaire
Chapitre V
Ce chapitre sera consacré aux registres numériques des écritures fractionnaires
et décimales, dont l'usage est bien sûr universel, mais dont nous verrons qu'il en est
proposé ici une présentation et une insertion dans le cursus atypiques. Les questions
principales que nous serons amenés à traiter concerneront : notre approche délibérément
sémiotique des écritures numériques des rationnels, relayant un mode d'appréhension
phénoménologique des signes mobilisés et des transformations qu'ils subissent sous
l'actions d'un certain nombre d'opérations dont la validité est garantie par la machine ;
notre choix d'appuyer ces légitimations par des considérations physiques dans le cas des
écritures fractionnaires seulement ; les liens entre le registre géométrique et les registres
numériques et notamment l'éclairage apporté par le premier sur les deuxièmes ; l'ordre
de succession de ces différents registres dans notre enseignement. On rapportera et
commentera, sur un plan essentiellement qualitatif dans ce premier temps : des
observations systématiques des élèves de la classe de Sélestat et leurs réactions à
l'introduction et à l'utilisation des registres numériques et des conversions associées dans
l'environnement logiciel d'ORATIO ; des observations plus épisodiques d'élèves au
travail sur un logiciel − Mystère − d'ORATIO (Adjiage et Heideier ; 1998) dans des
classes diverses (CM2 de Rust, de Sélestat − René Wintz −, de Duttlenheim, de la
Niederau − Strasbourg).
1. Le registre des écritures fractionnaires
La description du deuxième registre qui nous préoccupe ici sera plus rapide que
celle concernant les droites graduées, dans la mesure où il s’agit d’un environnement
plus classique. Nous ferons en conséquence l’économie d’une exposition détaillée des
signes élémentaires, des opérations de formation et de traitement dans ce registre qui
sont bien connues des lecteurs. Nous dirons en revanche quelques mots pour justifier
237
Chapitre V
l'introduction de ce registre après celui des droites graduées et avant celui des écritures
décimales, mais nous insisterons avant tout sur les points qui fondent notre démarche :
•
pourquoi avoir choisi une introduction papier/crayon physique − fractions
mesurant des longueurs − pour ce registre ?
•
que peut signifier une approche sémiotique − suivant une première
approche physique − d’un objet représenté par
a
?
b
•
la progression logicielle et sa cohésion ; réflexions d'élèves ;
•
les articulations avec le registre des droites graduées et celui des écritures
décimales, et donc les conversions vers ces deux registres, bien distinguées des
traitements internes au seul registre fractionnaire.
1.1. Les fractions après les droites graduées et avant les décimaux
Nous avons déjà rappelé (chapitre IV-2.5.1) qu'un des effets attendus de
l'introduction aux rationnels par les droites graduées était d'ouvrir des voies d'accès
"sécurisées" aux registres numériques en préparant les grandes opérations de formation
et de traitement qui y ont cours ; en multipliant les occasions de prise en compte des
pièges sémiotiques qui leur sont attachés ; en donnant de bonnes raisons de les mobiliser
lorsque certains traitements du registre géométrique s'avèrent trop compliqués. Dans
notre contexte d'enseignement, les fractionneurs égaux à une puissance de dix
n'apportent pas de diminution notable dans le coût des traitements, d'autant que
l'ordinateur prend en charge les opérations de subdivision qui leur sont attachées. Les
nombres décimaux ne sauraient en conséquence s'imposer comme premier registre
numérique qu'au prix d'un artifice. Dès lors, le choix du registre des écritures
fractionnaires pour exprimer les rationnels à ce stade de l'apprentissage nous semblait le
plus adéquat. En revanche, il est facile de montrer que les fractions décimales se prêtent
à des opérations d'encadrement, d'intercalation, d'approximation plus aisées, en vertu
des facilités de calcul attachées aux puissances de notre base de numération et surtout à
la possibilité d'une expression, l'écriture à virgule, prolongeant celle des entiers. En
introduisant le registre des écritures fractionnaires avant celui des écritures décimales,
on a ainsi le loisir d'appréhender ce dernier comme un cas particulier heureux du cas
général. Rappelons du reste que ce choix est nettement majoritaire pour l'heure, et qu'il
238
Chapitre V
est défendu et adopté par nombre de didacticiens, notamment par ceux que nous avons
cités au chapitre II, par exemple : (Brousseau ; 1980, pp. 11-58 ; 1981, pp. 38-128).
1.2. Une approche sémiotique de l’objet représenté par
a
b
1.2.1. Un projet purement sémiotique pour les fractions ?
Nous avons prouvé au chapitre précédent qu'il était possible d'observer et de
provoquer des phénomènes rationnels sur une droite graduée, sans trop se préoccuper
d'une interprétation concrète − c'est à dire se référant à une expérience matérielle,
réalisée ou évoquée − de ces derniers. Pour résumer, cet état de fait tient à ce que les
opérations de report et de subdivision, fondatrices des phénomènes rationnels − ainsi
que la lecture d'Euclide permet de l'affirmer − trouvent un cadre naturel d'expression sur
une droite. De véritables problèmes peuvent dès lors être posés dans ce système,
problèmes à propos desquels nous avons établi que : chacun pouvait s'interpréter comme
le paradigme d'un ensemble de problèmes rationnels ; les élèves observés les ont
acceptés en tant que problèmes (la richesse de leurs productions en témoigne) ; ils font
écho aux mêmes problèmes formulés au moyen de fractions, et constituent donc une
voie d'accès privilégiée à la légitimation de ces dernières comme système privilégié
d'expression des rationnels.
Nous examinerons, à la section suivante, en quoi le même type
d'approche − travailler dans un pur système sémiotique sans le relier explicitement à un
système physique dont il rend compte − est possible avec le registre des écritures
décimales. Sans rentrer ici dans les détails de cette analyse, résumons-en les principaux
arguments, ce qui facilitera la lecture de la contre argumentation, concernant les
écritures fractionnaires, développée plus bas. D'une part ce dernier système ne
représente pas tous les rationnels − sauf à envisager des développements illimités... ;
mais surtout il est tout à fait symbolique, contrairement aux droites graduées qui,
associant symbolisme et intuition physique, autorisent la généralisation, à d'autres
contextes, des actions qu'on y entreprend. Les chiffres requis par le système décimal en
revanche sont difficilement interprétables − en termes de dixièmes, centièmes... − sans
que l'on recoure à un autre registre − fractionnaire ou des droites graduées. Néanmoins,
certaines conceptions liées à la notion de rationnel, comme la densité, ou encore les
possibilités d'approximation et d'intercalation auxquelles se prêtent les décimaux, et qui
239
Chapitre V
peuvent déboucher sur des algorithmes de comparaison, sont parfaitement
développables dans le cadre d'un travail purement sémiotique.
En ce qui concerne les fractions, nous allons voir que ce projet "tout
sémiotique" se heurte à des obstacles difficilement surmontables. En effet, l'évidence
des deux nombres constituant une fraction s'oppose à son acception comme un seul
nombre d'une part, provoquant des leurres sémiotiques bien connus ; cette expression au
moyen de deux nombres débouche d'autre part sur des règles de comparaison et
d'addition − contrairement à celles régissant les décimaux − d'une complexité
sémiotique telle qu'elle ne peut se passer d'une interprétation − physique ou au moyen
d'un autre registre plus "visuel" ; les règles du produit quant à elles sont faussement
simples, ce qui risque de ne provoquer que des généralisations abusives en l'absence de
toute mise en perspective. Bien entendu, nos élèves bénéficient de la mise à distance et
de la "préparation" aux fractions induites par l'étude du registre des droites graduées.
Mais malgré cela, nous allons constater qu'une démarche purement sémiotique − en tous
cas celle que nous avons conçue − renvoie, à un moment de sa progression, à des
considérations physiques.
1.2.2. Contraintes d'un itinéraire sémiotique pour introduire les fractions
Nous allons, dans ce paragraphe, tenter de cerner les contraintes d'une approche
purement sémiotique d'un objet tel que
a
, et prouver qu'elles ne permettent pas de
b
s'affranchir totalement des références physiques, dans ce sens où, à un moment de la
progression, on se heurte à ces dernières. Nous en déduirons la nécessité de proposer
une introduction matérielle "légère" aux fractions-mesures, avant de retrouver une
démarche plus sémiotique par l'étude des logiciels de la série Fracti.
Rappelons (chapitre III-2.3) que notre approche sémiotique repose sur un
point de départ phénoménologique : comment réagissent les objets à un certain nombre
de traitements qu'on entreprend sur eux ? Le premier problème qui se pose au
concepteur est donc de délimiter les traitements qu'il souhaite retenir, en fonction de leur
capacité de mise à l'épreuve de la notion sous-jacente. Dans le cas qui nous préoccupe,
deux axes majeurs se sont dégagés pour élaborer le cahier des charges de ce projet, avec,
en filigrane, l'idée de connecter ce nouveau système à celui, déjà exploré, des droites
graduées :
240
Chapitre V
1. positionner les fractions par rapport aux "valeurs sûres" que sont les entiers,
ce qui aurait à tout le moins le mérite de leur conférer un statut de nombre ;
2. positionner les fractions entre elles, c'est à dire les ranger, ce qui,
simultanément renforce leur statut de nombre, mais de plus apporte les premiers
éléments d'une différenciation dénominateur / numérateur, surtout si le rapprochement
avec les droites graduées fonctionne.
L'anecdote suivante nous a conforté dans ce projet de cahier des charges en
deux points. Un enfant de fin de cycle II, qui écoutait notre conversation d'adultes, capte
l'expression "cent pour cent", et interroge : "cent pour cent, ça veut dire que c'est
totalement sûr ?" Nous répondons par l'affirmative et relançons son intérêt par une
nouvelle question :
- (adulte) et cinquante pour cent, alors, ça veut dire quoi ?
- (enfant) ça veut dire que c'est pareil, autant sûr que pas sûr.
Nous lui proposons alors d'appliquer ces deux pourcentages à un ensemble de 8
Carembars, puis augmentons la difficulté avec 25% puis 75%. Les réponses exactes en
Carembars prouvent que l'élève a parfaitement compris le mode d'action de ces
opérateurs, en tous cas dans le cas particulier ici évoqué.
Cette anecdote nous amène à penser qu'un objet comme
4
− puis par extension
4
à des situations où la partie est supérieure au référentiel auquel on la rapporte, des objets
comme
8
12
3
7
puis
− pourrait bien donner du sens à
− puis ... − et pas le contraire,
4
4
4
4
qui est la voie habituellement suivie : on commence par donner du sens à des fractions
non entières, puis on récupère les entiers comme cas particuliers de fractions dont le
numérateur est multiple du dénominateur.
Rendre compte de la nature du lien qui rattache ces nouveaux nombres non
entiers aux entiers nous a donc semblé être un point de départ raisonnable, d'autant qu'il
semblait possible d'en déduire un moyen de comparaison efficace des fractions entre
elles : ou elles sont séparables par le filtre entier (comme
7
9
et
séparées par 2) et sont
4
4
alors immédiatement ordonnables ; ou elles ne sont pas séparables par le filtre entier
(comme
3
2
et ) et, dans ce cas, l'application d'une dilatation par un entier bien choisi à
5
3
241
Chapitre V
chacune de ces fractions permet de séparer leurs images par un entier. Ainsi dans le cas
ci-dessus, obtient-on après multiplication par 5 :
10
3
2
10
10
⋅5 = 3 ; ⋅5 =
; et comme
> 3 (positionnement de la fraction
par
5
3
3
3
3
rapport à l'entier 3, opération relevant du point n° 1 de notre cahier des charges), on en
déduit :
3 2
< .
5 3
Nous noterons que le multiplicateur commun n'est pas forcément le ppcm des
dénominateurs, et que cette opération affranchit quelque peu de la bidimensionnalité de
l'écriture fractionnaire en ramenant cette comparaison à celle d'entiers ; que le cahier des
charges ainsi construit permet d'autres modes de comparaison, favorisés par l'évocation
des travaux antérieurs sur droite graduée − par rapport à la moitié par exemple − ce que
les élèves observés ont amplement confirmé ainsi qu'on le verra plus loin. Ce cahier des
charges, malgré son caractère minimal, présente donc cohérence et opérationnalité... à
condition de lui adjoindre la seule transformation qu'il ne prévoit pas, et qui s'est
pourtant révélée nécessaire :
a
na
⋅n =
.
b
b
Or, autant le point n° 1 du cahier des charges nous paraît "sémiotiquement"
jouable, surtout après le travail sur les droites graduées, autant l'opération de dilatation
risque de trouver peu d'écho dans ce premier registre, et donc peut sembler totalement
artificielle. Danger augmenté, bien sûr, par le mode d'action spécifique du coefficient de
dilatation, qui opère sur le numérateur sans affecter le dénominateur. Donner un cadre
matériel minimal d'interprétation des fractions apparaît dès lors souhaitable, une
pratique qui pourrait en tous cas justifier une règle empirique comme : "trois quarts,
c'est trois fois un quart ; donc trois quarts multiplié par 7, c'est vingt et un quarts". Nous
avons en conséquence choisi une introduction physique légère aux fractions, par le canal
des mesures de longueurs, et opté pour le fractionnement de l'unité qui illustre au mieux
la règle empirique énoncée ci-dessus. Cette référence physique, que nous retrouverons
avec la "machine à fractionner" de Fracti5, exercices 2 et 3, aura en outre l'avantage de
rendre la procédure de dilatation moins souvent nécessaire, en permettant des
comparaisons basées sur la règle très concrète : "plus grand le nombre de parts, plus
petite chaque part". Nous verrons que cette règle a été abondamment utilisée par les
242
Chapitre V
élèves de Sélestat, dans des cas simples ou plus compliqués comme :
distance à 1 de
3
2
>
car la
4
3
3
1
2
1
− soit
−, est inférieure à la distance à 1 de
− soit .
4
4
3
3
1.3. Une introduction papier/crayon pour le registre des écritures fractionnaires
Etant donnée la nature des conclusions auxquelles nous venons d'aboutir, cette
introduction a pu s'inspirer largement du travail publié dans la revue « Liaison école /
collège » (Douady et Perin-Glorian ; 1986), abondamment commentée au chapitre II2.2. Nous en résumons ci-dessous le canevas. Trois séances d'une demi-heure chacune y
auront été consacrées.
I. Matériel
Feuilles blanches, bandelettes de papier fort, de largeur variable − afin que les
élèves n'utilisent pas la largeur comme instrument de mesure − mais de même longueur
d'environ 6 cm.
II. Dispositif
Feuilles et bandelettes sont distribuées aux élèves, répartis en binômes émetteur
/ récepteur. On les prévient qu'ils devront communiquer des longueurs en utilisant
comme seul instrument leur bandelette.
Pour les commodités de l'exposé, on notera L la longueur du trait, u la longueur
de la bandelette, r la longueur restante quand on a reporté un maximum de fois u dans L.
III. Consignes de la première séance
"Trace un trait qui ne touche aucun bord de la feuille. Votre récepteur doit
produire un trait de même longueur. Vous devez donc lui communiquer cette longueur,
mais en utilisant un message écrit, sans dessin."
Premier temps : on distribue les bandelettes avant le dessin du trait
Cette disposition risque de produire de nombreux traits de longueur L = nu, où
n est entier.
Deuxième temps : on distribue les bandelettes après le dessin du trait
L a alors toutes les chances de ne plus être mesuré en u par un entier.
A. On laisse libre la forme du message
243
Chapitre V
Cette disposition risque de produire des messages verbaux : "mon trait mesure
4 fois la bande plus le quart...."
B. On prime les messages les plus courts
Pour encourager le recours à des messages de type fractionnaire :
u + 1/2u + 1/4u....(*)
ou des messages utilisant des encadrements fractionnaires ou entiers.
Hypothèses sur les procédures consécutives à la consigne B.
• Si L > u : report de u dans L et examen du reste par pliage de l'unité en 2, 4,
8.... ; ou en reportant n fois le reste dans u, ce qui en permet une évaluation en : (1/n).u ;
• Si L < u : remplacer L par r et on est ramené au cas précédent.
C. Bilan
La plupart des réponses sont effectivement du type (*), les approximations
étant en général suffisamment bonnes pour être considérées comme des valeurs exactes.
Quelques élèves cependant recourent à des tiers et, parmi ces derniers, certains
conjecturent la nécessité de fractions non unitaires − ie de dénominateur différent de 1.
La notation
1
, comme désignant la nième partie de l'unité, est institutionnalisée.
n
IV. Séances suivantes
Pour les exercices qui suivent, le travail est individuel. Le maître distribue des
segments dessinés dont les élèves doivent fournir une mesure de la longueur dans les
deux cas successifs suivants.
A. Le segment à mesurer est gradué. L'élève est amené à lire une graduation
fractionnaire en
1
m
m
ou en
, m > 1 ; la notation , m > 1, est institutionnalisée sous
n
n
n
une forme semblable à :
m
1
1
1
1
= + + ... + (m fois) = ⋅ m (**)
n
n
n
n
n
B. Le segment à mesurer n'est pas gradué. L'unité doit donc être fournie sous
forme d'une bandelette identique pour tout le monde. Les élèves sont amenés à prendre
des initiatives de reports et de subdivisions, comme lors de la première séance, mais ils
disposent désormais de fractions du type :
244
Chapitre V
m
, m > 1.
n
Remarque : une égalité du type :
m
m⋅ k
⋅k =
, dont on a vu qu'elle serait utile
n
n
pour comparer deux fractions non séparées par le filtre entier, n'a aucune raison d'être
énoncée ici. Elle sera en fait utilisée a priori par le corrigé de Fracti5, et commentée
sous sa forme empirique et verbale par le maître : "cinq fois quatre tiers, c'est vingt
tiers", formule suffisamment légitimée par (**).
1.4. L'exploration logicielle du registre
La série Fracti est destinée à l’exploration d’un système sémiotique numérique
d’écriture des fractions, dont un contenu physique a par ailleurs été donné et exposé au
paragraphe précédent. Les choix retenus pour l’ordre de passage dans la série reposent
sur l’idée que, modulo un changement d’échelle, on peut décrire ou traiter, par la seule
référence à des entiers, les problèmes relevant de la notion de fraction. « Par quelle
opération peut-on transformer une fraction en entier ? », et la question corollaire :
« Comment reconnaît-on une fraction qui désigne un entier ? » sont ainsi les questions
clés, chargées d’assurer la cohésion de la progression examinée ci-dessous. Mais, cette
stratégie globale, qui reste un recours en toutes circonstances, va très vite se trouver en
concurrence avec des heuristiques locales, plus adaptées au traitement de cas particuliers
: affirmer que
4 3
11 2
> , ou
> ne nécessite pas un changement d’échelle ; comparer
5 5
4 3
1
1
et
se fait très bien par des considérations physiques de découpages en parts
5
7
d’autant plus petites que le diviseur est grand. En revanche, on a vu plus haut que pour
comparer
3
2
et , il n’est pas trop coûteux d'appliquer une même dilatation à ces deux
5
3
fractions, qui permettra de séparer leurs images par le filtre entier. Les élèves ont du
reste très peu utilisé spontanément cette méthode. Ils lui ont préféré, et c'est
compréhensible, des heuristiques alternatives, attendues ou inattendues (voir paragraphe
1.6 et particulièrement 1.6.5). Il n'empêche qu'une règle recours, c'est à dire une règle
pouvant être reconnue comme applicable à tous les cas, se devait d'exister. D'autant
qu'elle contribue fortement à l'étude phénoménologique de la notion de fraction,
susceptible de se transformer en un entier modulo un changement d'échelle de
245
Chapitre V
coefficient entier. On peut à présent comprendre la progression retenue pour la série
Fracti.
1.4.1. Ordre de passage dans la série Fracti
Pour choisir un coefficient de dilatation entier qui rendra l’image d’une fraction
entière, il est utile de se donner les moyens de décider si une fraction équivaut à un
entier ou pas. C’est l’objet de Fracti1 qui ouvre donc la série. Fracti2 pose ensuite le
problème des dilatations susceptibles de rendre l’image d’une fraction entière − produit
d’une fraction par un entier. Fracti3 et Fracti4 permettent de travailler le
positionnement des fractions par rapport aux entiers, questionnement dont on a vu
l’utilité dans les opérations de comparaison de fractions. Les activités d'encadrement et
d'intercalation, qui en sont le prétexte, fournissent une première occasion d'apprécier les
simplifications apportées par les fractions décimales. Fracti5 enfin conclut le dispositif
par une mise à l’épreuve de divers moyens de comparer des fractions, dans le cas
général ou dans des cas particuliers comme celui des fractions décimales.
1.4.2. Contenus abordés par la série Fracti
Rappelons que traditionnellement et historiquement, il existe plusieurs façons
d’interpréter une écriture fractionnaire. Deux d’entre elles sont particulièrement
débattues de nos jours (Streefland ; 1993 et Brissiaud ; 1998) :
I1 :
a
est le nombre qui, multiplié par b vaut a (répartition en b parts de
b
la pluralité a) ;
I2 :
a
est le nombre égal à a fois la b
b
ième
partie de 1 (fractionnement de
l'unité).
Lorsque nous voudrons favoriser une interprétation de type I1 nous noterons
une fraction
a
: (a
b
b), par analogie avec la division.
Lorsque nous voudrons favoriser une interprétation de type I2 , nous noterons
une fraction
a
1
: ( ⋅ a ).
b
b
L’introduction des écritures fractionnaires par les logiciels se référera surtout à
I1, car nous avons vu au paragraphe précédent que ce point de vue permettait de
246
Chapitre V
développer des stratégies de comparaison de fractions − par changement d'échelle −
techniquement moins lourdes que les réductions au même dénominateur, que nécessite
généralement I2.
En revanche, et comme nous l'avons vu en 1.3, l’introduction des fractions dans
sa forme « papier/crayon » se référera surtout à I2. Ainsi, et sans que ceci soit
particulièrement pointé par le maître, une écriture fractionnaire se référera tantôt à I1 et
tantôt à I2. Cette divergence, non explicitée dans un premier temps auprès des élèves,
nous semble pouvoir provoquer des mises en perspectives spontanées, sans doute riches
de sens, qui seront systématisées ultérieurement, lors des opérations de conversion :
d'une écriture fractionnaire vers une droite graduée et repérée par [0 ; 1] qui mobilisera
plutôt I2 que I1 ; d'une écriture fractionnaire
a
vers une droite graduée et repérée par
b
[0 ; a] qui mobilisera plutôt I1 ; d'une écriture fractionnaire
a
vers une écriture
b
décimale qui mobilisera plutôt I1, car une approximation décimale de ce rationnel
s'obtient facilement en divisant a par b.
Ce point stratégique étant rappelé, examinons à présent dans le détail les
contenus mobilisés lors de cette phase.
1.4.2.1. Identification de fractions équivalentes à un entier
C’est l’objet de Fracti1 : des fractions de même dénominateur, et dont le
numérateur est à chaque fois augmenté de 1 (exercice 1) ou d'un pas constant (exercice
2), défilent à l’écran. L’élève doit stopper le défilement chaque fois qu’il estime qu’une
des fractions est équivalente à un entier. Cette finalité met l’utilisateur en attente des
numérateurs qui sont multiples du dénominateur. L’écriture
a
est ainsi associée à une
b
problématique de division « En a combien de fois b ? que cela « tombe juste » ou pas ;
ou encore : « a est-il multiple ou « dans la table » de b ? ». Elle est donc censée
favoriser :
• l'émergence de I1 :
a
(a
b
b) ;
• l'identification de critères permettant de décider si une fraction est entière ou
pas.
247
Chapitre V
Le logiciel Fracti2 vise une mobilisation de cette règle au moyen d’exercices
dont l’objectif est de faire imaginer à quelles conditions le produit d’une fraction par un
entier est un entier :
10
2
4
⋅ 4 est-il entier ? ; ⋅ 12 est-il entier ? ; ⋅ 3 est-il entier ? On
9
6
6
profitera aussi de cette occasion − notamment par le biais du corrigé − pour développer
les premières stratégies de simplification d’une fraction. Ces règles sont en fait au
nombre de trois. Les deux premières sont les règles usuelles encourageant à simplifier
avant d’effectuer le produit ; la troisième est plus un constat limitant les risques d’une
conclusion hâtive :
• si b divise a (a = bk), alors :
ac
a
⋅c =
= kc ;
b
b
• si b divise c (c = bk), alors :
ac
a
⋅c =
= ka ;
b
b
• si dans
comme dans
a
⋅ c , b ne divise ni a ni c, il peut quand même diviser le produit ac
b
4
⋅ 9.
6
Remarquons que la deuxième règle par exemple, qui provient d’un souci
d’économiser des calculs inutiles, peut se légitimer par le fait que multiplication et
division exacte sont deux opérations réciproques l’une de l’autre.
Il ne sera pas question, au cours de l’intégralité de cette expérimentation,
d’établir une quelconque règle générale de simplification des fractions qui, du reste,
dépasserait les limites du programme de cycle 3. On devra donc se contenter, dans les
applications ultérieures, des trois règles ci-dessus.
1.4.2.2. Encadrement d’une fraction par deux entiers consécutifs
Ce paragraphe et le suivant se rapportent au logiciel Fracti3.
Les deux points de vue I1 et I2 permettent de mener ce type d'exercice (exercice
1) à son terme. Par exemple, pour encadrer
13
par deux entiers consécutifs, on peut
4
utiliser la division euclidienne de 13 par 4 ou toute autre technique s’y ramenant − point
de vue I1 −, mais on peut aussi décomposer
13
12 1
1
en :
+ = 3 + , ce qui en permet
4
4 4
4
l’encadrement en mobilisant plutôt un point de vue de type I2.
248
Chapitre V
1.4.2.3. Intercalation d’un entier entre deux fractions
Il s’agit ici d’intercaler un entier, lorsque cela est possible, entre deux fractions
de même dénominateur (exercice 2) ou de dénominateurs différents (exercice 3), comme
:
21 26
7 22
et
ou et
. Là encore on pourra adopter l’un ou l’autre des points de vue I1
5
5
3
5
ou I2.
1.4.2.4. Intercalation de fractions entre deux entiers consécutifs
Ce paragraphe se rapporte au logiciel Fracti4.
On demande dans cet exercice d’intercaler une, puis deux... et jusqu’à cinq
fractions entre deux entiers consécutifs. On ne se contente pas d’intercaler une seule
fraction − qui risquerait d’être systématiquement exprimée en demis (dénominateur égal
à 2). On incite au contraire les élèves à en rechercher un grand nombre afin qu'ils
puissent découvrir la simplification qu’apporte le recours à des fractions décimales : il
est beaucoup plus facile d'intercaler
82
59
entre 8 et 9 que
− surtout s'il faut trouver
10
7
plusieurs fractions à intercaler − du fait de la simplicité des opérations de multiplication
et de division par 10. Là aussi il est possible d’adopter l’un ou l’autre des points de vue
I1 ou I2.
1.4.2.5. Comparer des fractions
Ce paragraphe se rapporte au logiciel Fracti5.
• Cas des fractions de même dénominateur (exercice 1)
Le point de vue I1 est sans doute le mieux adapté à cette tâche :
3 7
< car la
4 4
première de ces fractions exprime « moins de quarts » que la deuxième ;
• Cas des fractions de même numérateur (exercices 2 et 3)
Les fractions se rangent alors dans l’ordre inverse des dénominateurs. Que l’on
adopte l’un ou l’autre des points de vue I1 ou I2, il s’agit ici de comprendre la règle
suivante : "plus grand est le fractionneur − de la pluralité si I1 ; de l'unité si I2 − plus
petite est la fraction".
Une représentation physique du fractionnement est donc adaptée. Elle est
effectivement proposée, sous forme d’aide facultative, dans cet exercice : c’est la
249
Chapitre V
« machine à fractionner », qui permet de subdiviser une colonne en autant de parties que
l’utilisateur le souhaite, offrant ainsi une visualisation de la règle ci-dessus énoncée.
• Cas des fractions quelconques (exercice 4)
L’utilisateur peut mobiliser l’une ou l’autre des méthodes élaborées
précédemment : positionnement des fractions par rapport à un entier −
3 7
<
car
4 5
3
7
2 3
2 1
< 1 et > 1 ; positionnement par rapport à une fraction connue − > car > et
4
5
3 7
3 2
3 1
< ; comparaison directe si les fractions ont même numérateur ou même
7 2
dénominateur ; multiplication des deux fractions par un même entier afin de mieux les
séparer. Cette dernière méthode, est proposée sous forme d’une aide − l'agrandisseur
cinématographique −, qui prend en charge une partie des calculs, laissant à l’utilisateur
le choix de la dilatation et des conclusions.
• Cas des fractions décimales (exercice 5)
a ⋅ 10 n
Les fractions proposées sont en fait de la forme :
, où a, b, n et m sont
b ⋅ 10 m
des entiers naturels. La forme particulière de ces fractions incite à une mise en œuvre
des règles de simplification énoncées en 1.4.2.1, et peut laisser supposer une première
sensibilisation à certaines spécificités des fractions décimales.
1.5. Les opérations de conversion vers les deux autres registres
Comme à la section précédente et pour les mêmes raisons, nous traiterons des
deux logiciels de conversion issus des écritures fractionnaires à la suite de leur registre
d'entrée. Nous commençons par :
1.5.1. Ecritures fractionnaires vers droites graduées (Frac2gra)
Une fraction est donnée sous sa forme
a
. Il s’agit de fournir une représentation
b
de ce même rationnel dans le registre des droites graduées. Si l'on dispose de la
possibilité de repérer cette droite par [0 ; a], on peut, en fractionnant correctement ce
dernier intervalle, y déposer la fraction en se référant au point de vue I1. Si l'on préfère
se référer à I2, on pourra extraire la partie entière de
250
a
(traitement interne au registre
b
Chapitre V
des écritures fractionnaires) ; puis, dans le registre des droites graduées, mener un
premier traitement consistant à atteindre les deux entiers consécutifs qui encadrent la
fraction donnée. Il est alors possible de terminer la conversion au moyen d’une
opération de subdivision prenant en compte le dénominateur de la fraction puis en
choisissant la graduation correspondant à ce qu'indique le numérateur.
Cette conversion est l'occasion d'une mise en scène du lien qui sépare et unifie
le dénominateur et le numérateur (1.2). En associant chacun de ces deux termes à des
actions explicitement différentes − subdivision pour l'un ; report pour l'autre -,
provoquées chacune par un geste différent − saisie au clavier du fractionneur pour l'un ;
dépose, au moyen de la souris, de la fraction sur la graduation adéquate pour
l'autre −, cette opération est censée favoriser la discrimination du numérateur et du
dénominateur. Mais l'extraction de la partie entière, qui demande la prise en compte
relative de ces deux termes, exerce une action de réunification à travers le lien qui les
met en rapport. Au total, une fraction apparaît bien comme exprimant une forme de
relativité entre deux grandeurs. Cette relativité mobilise deux nombres entiers qui, pris
séparément, ont un mode d'action différent, mais qui, pris ensemble, forment une
nouvelle entité. On peut aussi noter que, les graduations minimales étant primées par le
logiciel, une simplification préalable des fractions − transformation qui révèle en partie
la nature du lien numérateur/dénominateur − s'en trouve encouragée.
1.5.2. Ecritures fractionnaires vers écritures décimales (Frac2for)
Ce logiciel se déroule en deux temps :
1. décider si l'inconnue d'une "multiplication à trou" (une équation de la forme bx = a)
est un rationnel entier ou pas ;
2. dans ce dernier cas, en fournir une approximation ou une valeur exacte décimale.
Le premier temps est destiné à consolider le lien qui unit les points de vue I1 et
I2. Le nombre inconnu est alors fractionnaire et associé à une division. Ce qui valide le
recours à l'algorithme posé par le logiciel, et sa légitimité à fournir les approximations
ou les valeurs exactes décimales d'une fraction.
Le deuxième temps est une occasion de mettre à l'épreuve : le statut numérique
d'une fraction − qui se laisse approcher par une écriture numérique unidimensionnelle,
soit un nombre indiscutable ; l'articulation décimal / rationnel et l'existence de rationnels
251
Chapitre V
dont on pressent qu'ils ne seront pas décimaux ; la densité des décimaux dans l'ensemble
des rationnels, les approximations étant aussi fines que l'on veut.
1.6. Réflexions d'élèves, les apprentissages
Après avoir examiné les principales caractéristiques de ce registre et les
compétences que sa mise à l'épreuve est censée développer, nous allons à présent nous
pencher sur ce que les réactions des élèves observés, leurs remarques, leurs choix de
stratégies et de procédures laissent présumer des apprentissages effectifs. Sans prétendre
à l'exhaustivité, nous passerons en revue, logiciel par logiciel, les réflexions et
démarches qui nous semblent les plus révélatrices de l'impact de nos choix didactiques.
Nous avons retenu à cet effet un indicateur privilégié : l'évolution de l'intégration des
deux points de vue I1 et I2.
Dans les six paragraphes qui suivent, les lettres a et b désigneront
respectivement le numérateur et le dénominateur d'une fraction
a
. Les propos d'élèves
b
sont en italiques, nos commentaires en écriture droite entre crochets.
1.6.1. Fracti1
Les interprétations des fractions qui défilent à l'écran selon le point de vue I2
(fractionnement de l'unité) ne sont pas explicitées comme telles. Pourtant, les élèves
viennent d'avoir une introduction aux fractions valorisant cette approche (voir 1.3). On
aurait ainsi pu attendre des remarques dont une formulation experte serait : "
entier car c'est pareil que
12
est
4
4 4 4
+ + , qui vaut 3 fois 1 soit 3". Au lieu de cela, on
4 4 4
observe des enfants tentant de repérer si "a est dans la table de b". Il faut dire que les
corrigés et plus tard l'aide proposée dans l'exercice 2 − extraits de la table des multiples
de b − les y encouragent. Peut-on pour autant en conclure que l'objet
a
de ce logiciel
b
est totalement déconnecté de l'objet formellement identique de l'introduction
papier/crayon ? Qu'il n'est que la transcription de l'alternative "être ou ne pas être dans la
table de", sans rapport avec l'expression d'un certain nombre de quantièmes ? Nous ne le
pensons pas, d'une part parce que la recherche de l'appartenance à une table est peut-être
provoquée par une inférence du type : "si a est multiple de b (a = kb), alors
252
a
b
Chapitre V
représente k fois
b
, soit k". D'autre part, des références explicites aux droites graduées
b
sont notées : entre
12
, et un fractionneur 4 par exemple. Enfin, certaines erreurs comme
4
1
" est entier" − apparemment reproductibles lorsque le numérateur vaut 1 − sont
9
"corrigées" par d'autres membres du même groupe d'élèves en invoquant le pliage en 9
d'une bandelette de l'introduction papier/crayon.
Ainsi, on peut affirmer que les deux points de vue I1 et I2 cohabitent de façon
apparemment non conflictuelle, en tous cas non verbalisée. Pour notre part, nous nous
gardons bien d'intervenir ou de faire expliciter les représentations à ce stade, puisque
notre idée est de laisser implicites cette dualité jusqu'à ce que les conversions donnent
l'occasion de les expliciter et de les institutionnaliser.
1.6.2. Fracti2
Ce logiciel est l'occasion d'une première mise à l'épreuve de cette cohabitation.
En effet, une règle comme
14
2
⋅7 =
se justifie par référence à I2 : comptabiliser un
3
3
certain nombre de tiers. Par ailleurs, repérer si la fraction résultat est entière mobilise
plutôt I1 ainsi qu'on l'a constaté au paragraphe précédent. Le compte-rendu d'observation
suivant, témoigne à la fois de la coexistence opérationnelle des deux points de vue, et à
la fois de la façon dont une approche purement phénoménologique a été relayée par des
tentatives de rationalisation, provoquées par le maître ou spontanément développées par
les élèves, et pouvant mobiliser un deuxième registre.
Jérôme ne se soucie que fort peu de la page d'accueil du logiciel dans un
premier temps. Sa préoccupation majeure n'est pas de "comprendre", mais de "trouver
comment ça marche" et "d'essayer comme ça". Dans un deuxième temps, il tente de
justifier : "
30
n'est pas un entier parce qu'il n'y a pas 9 dans 30" [I1]. Puis, au cours
9
d'un exercice suivant :
(Maître) - Est-ce que
(Elève)
3
⋅ 8 est un entier ?
6
- Non, ce n'est pas un entier car dans 8 il n'y a pas 6 [I1] !
253
Chapitre V
(Maître) - Mais si tu prends "trois sixièmes fois huit" [tout en désignant
l'écriture
3
⋅ 8 ] , tu es d'accord que c'est la même chose que c'est
6
"vingt-quatre sixièmes" ? [I2]
(Elève)
- Oui.
(Maître) - Alors, est-ce que j'ai maintenant 6 dans 24 ?
(Elève)
- Ben oui, 4 fois[I1].
(Maître) - Et si on regarde trois sixièmes (tout en désignant l'écriture
(Elève)
3
)?
6
-!
Le maître attend une simplification en "un demi" qui ne vient pas. Il dessine
alors au tableau une droite grossièrement graduée en sixièmes entre 0 et 1. L'équivalence
entre
3
1
et [I2] devient évidente et Jérôme n'a aucun mal à en déduire une autre
6
2
stratégie pour calculer
3
1
⋅ 8 au moyen de ⋅ 8 en quoi il reconnaît "huit demis" puis 4
6
2
[I2 et/ou [I1] ?].
Quant aux réflexions suivantes, enregistrées au hasard des interviews, elles
témoignent toujours d'une prédominance de I1 :
Pour vérifier si
a
est entière et calculer cet entier le cas échéant, Laetitia
b
recherche "combien de fois il y a b dans a" ; Cindy divise a par b ; Anthony applique un
"théorème-élève" à la formulation compliquée, prenant en compte la parité du
numérateur et du dénominateur, et qui semble témoigner d'un mixte entre I1 et I2 ;
Nicolas préfère "multiplier, parce que diviser c'est plus dur" ; Jordan se sert des
multiples et des tables.
1.6.3. Fracti3
Ce logiciel va permettre une deuxième mise à l'épreuve de la cohabitation entre
I1 et I2. En effet, tant dans sa partie encadrement (exercice 1) que dans sa partie
intercalation (exercices 2 et 3), le corrigé se réfère essentiellement à I2. Par exemple,
pour encadrer
254
29
28
par deux entiers consécutifs (exercice 1), il propose :
=7;
4
4
Chapitre V
32
28
29
32
29
= 8 ; or on a la double inégalité
<
<
; donc 7 <
< 8. La double
4
4
4
4
4
inégalité ne saurait être admise sans explication qu'en référence à I2 où elle est évidente
(comparaison d'un certain nombre de quarts). De même pour les exercices 2 et 3, le
corrigé positionne systématiquement les fractions par rapport à des fractions entières de
même dénominateur (
2
14
14 12 2
=
+ = 3 + donc 3 <
< 4 ), ce qui bien entendu
4
4 4
4
4
sollicite toujours I2. Malgré cela, les réflexions et procédures suivantes d'élèves
prouvent toujours la prédominance de I1 :
Pour intercaler un entier entre deux fractions, Jérémy utilise ses tables :
3 x 9 = 27, donc
30
24
<9<
3
3
Pour le même exercice, Laetitia considère le plus petit numérateur soit 24, et se
pose la question : "quel est le nombre [qui multiplié par 3] me donne la réponse la plus
proche de 24 et qui est plus grand que 24 ?", puis elle vérifie la compatibilité avec
l'autre borne. Anthony, toujours à la recherche d'une règle générale (ici fort correcte) :
"on multiplie le nombre d'en bas pour qu'il [le produit] reste entre les deux nombres du
dessus à droite et à gauche ?" [que nous reformulons par l'équivalence suivante, où n
est l'entier intercalable] :
a
a'
< n < ⇔ a < nb < a '
b
b
Pour Nathalie, qui doit intercaler un entier entre
22 30
et
: "en 22, il va 5 x 4,
4
4
en 30, il va 7 x 4, donc c'est 6".
Julien témoigne d'un premier embarras face à cette dualité, toujours éprouvée
(subie ?), jamais désignée. Après un démarrage impeccable, où tout est juste, il éprouve
le besoin de faire valider son raisonnement : "Pour
27
, il faut dire combien on a de 4
4
[combien de fois 4 dans 27] dans la table de 4 (sic) ou chercher d'abord 24 pour que ça
tombe juste avec les quarts [l'entier le plus proche exprimé en quarts]?" Devant la
réponse du maître qui lui fait remarquer que les réponses à ces deux questions passent
peu ou prou par le même calcul, et qu'en conséquence cela doit revenir au même, il
retrouve sa confiance et poursuit "tout juste".
255
Chapitre V
Fracti3 donne donc l'occasion d'exprimer ses premiers désarrois, de douter et
donc de chercher des dépassements.
1.6.4. Fracti4
Ce logiciel a pour objectif annoncé l'intercalation d'une fraction, puis d'un
"maximum" de fractions, entre deux entiers consécutifs. Supposons qu'on veuille
intercaler des fractions entre 3 et 4. On notera que le succès de cette opération repose
peu ou prou sur : une expression des bornes entières sous forme de fractions (en se
référant à I1 ou I2 car
que par 3 fois
12
= 3 peut se justifier aussi bien par 12 divisé par 4 est égal à 3
4
4
est égal à 3) ; une prise en compte du nombre de quantièmes (I2 car
4
entre douze quarts et seize quarts, on peut mettre treize, quatorze... quarts), ou une règle
du type "à diviseur constant, plus grand le dividende, plus grand le résultat" (I1 car 15
divisé par 4 est plus grand que 12 divisé par 4 et plus petit que 16 divisé par 4). Mais ce
logiciel poursuit au moins deux autres objectifs, tout aussi importants bien que plus
discrets : l'expression des entiers au moyen de fractions décimales, motivée par la
simplification qu'elle apporte aux calculs ; la possibilité d'intercaler 10 nombres entre
deux entiers consécutifs exprimés en dixièmes − 100 nombres pour une expression en
centièmes... − , par incrémentation naturelle du numérateur de 0 à 9 − de 0 à 99... Cette
dernière propriété, outre qu'elle ouvre une première voie en direction du système de
numération des décimaux, permet un rapprochement entre I1 et I2. En effet, s'il serait
prématuré de considérer qu'à ce stade l'équivalence entre trente-deux dixièmes et trentedeux divisé par dix est avérée, il n'en reste pas moins vrai que la double inégalité
30 32 40
32
32
2
<
<
, suivie de l'égalité
= 3 + , expriment que
est un nombre
10 10 10
10
10
10
compris entre 3 et 4, "comme 32 est compris entre 30 et 40", un peu plus que {en 30
combien de fois 10 [I1]} et un peu moins que {en 40 combien de fois 10 [I1]}, et que le
reste est de "deux dixièmes" [I2]. On ne saurait donc nier le rapprochement entre les
deux points de vue qui nous servent de fil conducteur dans cette analyse, rapprochement
grandement facilité par la transparence des calculs aux notions sous-jacentes grâce à la
présence de 10 au dénominateur. Examinons ce qu'en disent les élèves.
256
Chapitre V
Pour Nathalie, "il vaut mieux utiliser
30
40
et
pour trouver un nombre entre
10
10
3 et 4, c'est plus facile". Pour Laetitia, une ébauche d'intégrationI1 / I2 est attestée par sa
justification orale : "en prenant les dixièmes [I2], ça permet d'avoir dix fois le nombre
[I1]". D'autres nient les facilités introduites par les dixièmes, comme Jordan : "Moi, je
n'ai pas besoin de prendre les dixièmes, j'y arrive mieux en passant par les demis, les
tiers, les quarts, les cinquièmes.. [I2]", révélant, même à travers sa différence, qu'il
commence aussi à identifier explicitement une division par 2, 3, 4 ou 5 à une expression
en demis, tiers, quarts, cinquièmes... Un autre groupe résistant préfère les neuvièmes (!)
[peut-être pour prouver ses compétences concernant la table de 9, la plus dure, celle que
le maître a utilisée comme repoussoir pour valoriser la convivialité des solutions en
dixièmes...]. Mais ce dernier groupe ne manque pas de griffonner un aide-mémoire :
9
18
=1 ;
= 2 ... Un autre groupe va développer une stratégie qui déjouera nos attendus
9
9
immédiats. Et c'est tout à son honneur d'avoir résisté à la pression de l'environnement
logiciel, car sa méthode est tout à la fois efficace et ingénieuse. Qu'on en juge. En
partant des demis, ce groupe trouve un numérateur qui marche : entre 3 et 4, on intercale
7
. Puis il multiplie par 2 les deux termes de cette fraction. Malheureusement, le logiciel
2
détecte cette dernière comme équivalente à la première et la rejette. Qu'à cela ne tienne,
on va déjouer cette adversité en ajoutant 1 au numérateur de la fraction équivalente − ici
14
15
qui engendrera donc
. L'opération est ensuite récursivement répétée − on double
4
4
15 et 4 −, mais au lieu d'ajouter 1 au numérateur, on retranche 1 "pour ne pas risquer
d'obtenir un résultat trop grand qui ferait sortir de l'intervalle initial". Ils obtiennent ainsi
29
, dont on notera qu'il est toujours compris entre 3 et 4. Jusqu'où se poursuivra cette
8
réussite ? Et bien il est heureux de constater que ces enfants ont bien trouvé "le moteur
perpétuel", puisqu'une démonstration élémentaire de niveau lycée permet d'établir :
n<
a
2a ± 1
< n +1⇒ n <
< n +1
b
2b
On imagine que ces élèves, par la maîtrise des fractions dont témoignent la
tenue d'une telle stratégie, ont sans doute aussi fait évoluer leur conception dans un sens
qui, pour n'être pas forcément celui attendu, n'en est pas moins celui du progrès.
257
Chapitre V
1.6.5. Fracti5
Fracti5 est un gros logiciel, divisé en cinq exercices, qui était conçu pour
mettre à l'épreuve, et en simultané, l'ensemble des compétences développées par les
autres logiciels de la série. A cet égard, les exercices invitent tous à ranger deux
(exercices 4 et 5) ou trois (exercices 1, 2 et 3) fractions, de la plus petite à la plus
grande. Elles ont toutes le même dénominateur pour l'exercice 1 ; le même numérateur,
égal à 1 dans l'exercice 2, plus grand que 1 dans l'exercice 3 ; elles sont quelconques
dans l'exercice 4 et décimales dans l'exercice 5. Fracti5 est donc une apothéose et va
nous permettre de dresser un bilan des compétences et des démarches à l'issue de cette
deuxième série de logiciels.
L'exercice 1, comme on s'en doute, ne pose aucun problème, mais ne renseigne
en rien sur l'état des compétences, tant il est possible de faire tout juste en y appliquant
des règles "d'apparence". Il ne se conçoit que par opposition aux exercices 2 et 3, sur
lesquels se brisent les conditionnements et les certitudes. Après un démarrage rapide,
mais marqué par la désagréable surprise de la déroute de l'évidence, car bien entendu, la
majorité des élèves range les fractions dans l'ordre croissant des dénominateurs, on se
ressaisit bien vite dès que le recours à l'aide − la machine à fractionner − se généralise.
La règle du rangement dans l'ordre inverse des dénominateurs − à numérateur constant −
peut alors être énoncée, légitimée et appliquée. Lors d'une séance papier/crayon qui
suivra, des exercices de type 1, 2 et 3 sont donnés aux élèves en simultané, afin
d'apporter un minimum de clairvoyance et de discernement dans l'application des règles
: dénominateur ou numérateur constant ?
Cindy énonce très rapidement la règle à numérateur constant à sa manière
(avant tout recours à l'aide d'ailleurs) :
1 1 1
< < "car quand le dénominateur est plus
7 4 3
grand, c'est plus divisé, quand le dénominateur est plus petit, on peut faire des parts
plus grandes". D'autres enfants disent : "S'il y a un petit dénominateur, il y a moins de
parts que s'il y a un grand dénominateur" [sous-entendu, s'il y a moins de parts, elles
sont plus grosses].
Pour ce qui est de notre fil conducteur sur l'évolution de l'intégration des points
de vue I1 et I2, on notera que ces exercices ne permettent pas vraiment de porter
d'appréciation s'y rapportant. En effet, la machine à fractionner était conçue comme un
258
Chapitre V
fractionneur d'unité, c'est à dire que la colonne, subdivisée24 en autant de parts que
l'indique le dénominateur, était censée représenter l'unité ; l'élève devant en déduire le
rangement des fractions de numérateur différent de 1 de l'exercice 3. Ainsi le corrigé,
qui donne à voir la machine à fractionner, propose une formulation du type :
1 1 1
5 5 5
< < donc : < <
7 4 3
7 4 3
Mais les colonnes de la machine à fractionner ne sont pas marquées [0 ; 1]. Si
bien qu'elles peuvent représenter n'importe quelle pluralité, et leur fractionnement être
associé à une division de cette pluralité, donc à un point de vue I1. On notera cependant
un recours de plus en plus fréquent à des désignations orales des fractions en quantièmes
(trois quarts ; sept cinquièmes...), ce qui suppose une référence à I2, référence confirmée
par la totalité d'un échantillon d'élèves interrogés par nos soins, devant un schéma de
machine à fractionner du type :
5
Figure 72
A la question : "montre-moi
3
" (version écrite, non accompagnée de la
5
désignation orale en [trois cinquièmes]), tous ont désigné trois des parts de la colonne
ci-dessus, aucun n'a désigné une seule de ces parts (ce qui aurait été possible, à
condition de considérer que la colonne représentait une pluralité de 3, représentation
24
Cette subdivision n'est pas donnée par le logiciel. L'élève doit déplacer, au moyen de la souris, un
curseur le long d'une colonne, de bas en haut, bleuissant ainsi tout le bas de la colonne jusqu'à la position
du curseur. Une fenêtre indique le nombre - fonction de la position du curseur - de parts qu'il obtiendrait si
chacune d'entre elle avait la taille de la partie actuellement en bleu. Dès que l'élève relâche la souris, la
subdivision de toute la colonne est réalisée, suivant le nombre indiqué alors par la fenêtre. On notera donc
que seul le dénominateur est visualisé, le numérateur quant à lui devant être géré mentalement par l'élève.
Précisons enfin que trois colonnes indépendantes, associables à chacune des fractions, sont présentes
simultanément à l'écran d'aide. (Voir aussi Figure 72)
259
Chapitre V
familière aux élèves depuis leur passation sur Gradu5 notamment). Ainsi I1, dont on a
pourtant vu qu'il dominait jusqu'à présent, en tous cas dans l'expression des élèves lors
de la passation sur les quatre premiers Fracti, n'est pas mobilisé dans ce cadre ! La
conception plus classique I2 prend subrepticement le relais. Par quel moteur ? Par quel
conditionnement ? Par quelle inhérence ? Nous n'avons pas de réponse à cette question.
L'exercice 4 va être l'occasion de révéler toute la richesse et la diversité des
stratégies et des représentations que les élèves ont été amenés à développer. Le recours à
l'agrandisseur − dilatation des fractions par un même coefficient entier − a été très
timide au début − au CM1 −, mais beaucoup mieux approprié par un nombre croissant
d'élèves lors de la seconde passation en début de CM2. Examinons quelques démarches
et réflexions d'élèves, parmi les plus inattendues.
Marion, pour comparer des fractions qui s'y prêtent, compare leur inverse !
Ainsi pour comparer
1
5
5
10
et
, elle compare
et
, donc 5 et 2. Elle en déduit que
5
10
1
5
1
5
<
.
5 10
"Mieux" encore, pour comparer
est donc amenée à comparer :
que
3
2
et , elle inverse chacune des fractions, et
4
3
4
3
4 3 1 3 2 1
et . Mais = + ; = + et comme elle sait
3
2
3 3 3 2 2 2
1 1
3
4
> , elle en déduit que :
> . Elle n'a pas perdu le fil de son raisonnement
2 3
2
3
puisqu'elle finit par conclure à :
2 3
< .
3 4
David utilise lui les dilatations au moyen de "l'agrandisseur photographique" et
réinvente la recherche d'un dénominateur commun à sa manière : "Si on n'a pu trouver
un entier ni à gauche, ni à droite, on reprend un autre agrandisseur" [il fait de
multiples essais de multiplication par un même entier jusqu'à ce que chacune des deux
fractions soit transformée en un entier].
Pour Jérémy, et bien d'autres élèves, c'est le positionnement par rapport à 1 qui
est recherché :
2 5
< car la première est inférieure à 1 et la seconde supérieure. Mais
3 4
lorsque cette séparation n'est pas possible, Jérémy n'hésite pas à uniformiser les
260
Chapitre V
dénominateurs ou les numérateurs, en multipliant chacun des termes de la fraction par
un même entier !
Nicolas quant à lui redécouvre "les produits en croix" ! Pour comparer
8
et
10
7
, il nous explique qu'il compare 8 x 8 et 7 x 10 ! Il réitère pour un autre couple de
8
fractions que nous lui proposons. Devant notre étonnement, il démontre littéralement sa
procédure en évoquant l'agrandisseur de Fracti5 : il applique − mentalement − à chacune
de ces deux fractions et successivement un multiplicateur (x10) puis (x8). Ainsi la
première est transformée en : 8 x 8 et la deuxième en 7 x 10, réalisant au passage non
pas les produits, mais les simplifications. Notons qu'il ne reprend pas à chaque fois
l'ensemble de la procédure, mais qu'il applique directement la règle des produits en
croix, considérée comme démontrée une fois pour toutes !
Après une synthèse papier/crayon, au cours de laquelle un recours spontané ou
provoqué aux droites graduées permet de schématiser les recherches et les énoncés,
d'autre procédures "privées" vont émerger : pour comparer
complément à 1 de chacune de ces fractions, soit
4
5
et , on cherche le
7
8
3
3
et . Or on sait, depuis Fracti3 que
7
8
3 3
4
> , on en déduit, sur une droite graduée, que la distance à 1 de est supérieure à la
7 8
7
distance à 1 de
5
, d'où la comparaison de ces deux fractions.
8
Rappelons enfin la méthode de Jordan qui lui compare à un demi, et qui est
ainsi amené à expliquer que : "trois cinquièmes, c'est un demi plus un demicinquième (2,5 cinquièmes plus 0,5 cinquième !) ; quatre septièmes, c'est un demi plus
un demi-septième (3,5 septièmes plus 0,5 septième); et comme un septième est inférieur
à un cinquième, il en va de même pour leur moitié, d'où la possibilité de comparer les
deux fractions initiales.
Qu'on juge de la richesse et de la diversité que ces démarches supposent. Qu'on
imagine la maîtrise, sans doute indifféremment des deux points de vue I1 et I2, mais plus
probablement et paradoxalement du dernier, pour développer de telles procédures et en
donner des justifications aussi rigoureuses !
261
Chapitre V
La série se termine par l'exercice 5 qui semble les dérouter (attesté par des
temps de réponse plus longs que la moyenne et des scores plus faibles), alors que la
séparation des fractions y est souvent plus "brutale", comme par exemple pour
9
et
100
9000
. La taille des nombres en jeu inhabituelle ? Le traitement de fractions étonnantes
10
comme
300
? Tout se passe comme si les procédures remarquables mises au point lors
1
de l'exercice précédent étaient opacifiées par la redondance des signes mobilisés. Notons
cependant l'explicitation de stratégies de simplification telles que la suivante :
pour comparer
2
200
et
, Fanny fait "le bilan des zéros" : deux zéros en bas
100
1000
pour la première, un en bas pour la deuxième ; donc la première est inférieure à la
deuxième.
Devant ce constat mitigé, nous remettons à l'étude des logiciels de conversions,
et surtout à celui des nombres décimaux vers les écritures fractionnaires − Form2fra −,
les approfondissements sur les fractions décimales.
Il nous reste à relater ce que les deux logiciels de conversion, issus des écritures
fractionnaires, nous ont permis d'observer.
1.6.6. Frac2gra
La seule graduation disponible progresse de 1 en 1. L'analyse a priori de la
tâche distinguait donc deux temps : recherche de la partie entière de la
fraction et localisation de l'intervalle d'amplitude 1 la contenant ; dépose de la fraction
par fractionnement de cet intervalle. Les fractionneurs les plus petits sont primés, ce qui
encourage à simplifier les fractions avant de les déposer. Ce sont du reste ces deux
traitements, internes au registre des écritures fractionnaires − ou au registre des droites
graduées pour le deuxième −, qui conditionnent la réussite de la conversion, et semblent
toujours poser quelques problèmes à un nombre non négligeable d'élèves. Mais une fois
la partie entière trouvée, et la portion de droite adéquate affichée, nous pensions que la
conversion devenait congruente. Nous allons voir que ce n'est pas toujours le cas.
Remarquons auparavant que le choix d'une graduation imposée de pas 1 oriente
résolument vers la mobilisation de I2.
262
Chapitre V
Un rappel collectif est nécessaire pour l'extraction de la partie entière. Il reste
alors à déposer la partie dite fractionnaire entre deux entiers consécutifs, ce qui, pensaiton, ne devrait pas poser de problème majeur. En effet, pour les 7 ou 8 élèves capables
de séparer explicitement la fraction en parties entière et reste (< 1) fractionnaire, la
conversion devient congruente : faire glisser la droite jusqu'à l'entier égal à la partie
entière ; prendre séquentiellement en compte le dénominateur puis le numérateur −
disponible puisque explicitement calculé dans ce cas − du reste fractionnaire dans leur
mode d'action respectif sur l'intervalle adéquat (ce que nombre d'enfants ont déjà fait
auparavant au cours de conversions spontanées). Quant aux élèves qui n'ont pas préparé
leur conversion de façon aussi stricte, c'est à dire qui ont trouvé la partie entière sans
garder de trace de la partie fractionnaire, ils n'ont pas de mal à choisir une graduation
adéquate − même si elle n'est pas minimale − en utilisant le dénominateur. Mais la
dépose définitive de la fraction demande une reconstitution mentale du numérateur de la
partie fractionnaire. Prenons un exemple. Soit à déposer
20
. Après avoir fait glisser la
3
droite graduée jusqu'à faire apparaître l'intervalle [6 ; 7], et demandé une subdivision en
3 de ce dernier, on obtient le schéma suivant :
6
7
Figure 73
Le numérateur 2 de la fraction "reste" doit être "reconstitué", en l'absence d'une
partie des segments compris entre 0 et 6. Or, pour cette opération, peu d'élèves utilisent
le reste d'une division euclidienne − même si cette dernière a été plus ou moins requise
pour extraire la partie entière. Parmi ceux qui entreprennent une action, la plupart se
livrent à une "reconstitution des tiers absents" en énumérant : "trois tiers ; six tiers ; ... ;
dix-huit tiers" ; tout en pointant les six segments imaginaires d'amplitude 1 compris ente
0 et 6. Mais nombre d'entre eux restent bloqués par cet élément de non congruence −
entre numérateur apparent, soit 20 ici, et numérateur utile, soit 2 ici.
Notons enfin deux démarches étonnantes, la première peu heureuse, la seconde
beaucoup plus.
263
Chapitre V
• Dans l'exercice 2, les fractions sont de dénominateurs différents. Lorsque l'un
d'entre eux est multiple d'un des autres, les élèves, de façon significative, utilisent le
dénominateur commun − en rectifiant correctement le numérateur − pour la dépose,
alors que cela n'est absolument pas nécessaire ni facilitant. Ils s'en trouvent d'ailleurs
pénalisés puisque les graduations minimales sont primées. Il n'empêche que cette
attitude prouve une certaine aisance dans la recherche et l'exploitation d'écritures
équivalentes, démarches rares à ce stade (voir chapitre II), surtout en l'absence de toute
pression exogène.
• Nathalie adapte sa stratégie à la fraction proposée : si la partie fractionnaire
est inférieure à un demi, elle s'appuie sur la partie entière ; dans le cas contraire, elle
s'appuie sur l'entier immédiatement supérieur, ce qui l'amène à faire des tests
supplémentaires sur la fraction initiale et à transformer cette dernière pour l'arrondir à
l'entier supérieur avant d'évaluer la différence. Tout se passe donc comme si, fort
intelligemment, elle sacrifiait en partie la congruence pour respecter une règle
d'économie intellectuelle.
Le bilan de ce logiciel est donc mitigé. Du côté positif, on constate une bonne
discrimination du numérateur et du dénominateur, des heuristiques peu fréquentes et
efficaces, le recours spontané à des écritures équivalentes, donc la confirmation d'une
acception relative des deux termes d'une fraction. Mais cette acception est moins
opérationnelle dans la décomposition en partie entière et partie fractionnaire, au service
d'une opération externe comme la dépose d'une fraction sur droite graduée. Tout se
passe alors comme si un nombre non négligeable d'élèves se laissaient capturer par les
éléments de non congruence. Ce qui n'est pas spécialement étonnant et prouve, si besoin
en était, que la stabilité d'un apprentissage n'est obtenue qu'après de multiples occasions
de transferts.
1.6.7. Frac2for
Ainsi qu'on l'a déjà dit, ce logiciel se déroule en deux phases. La première
demande de reconnaître si la solution d'une équation de type bx = a est entière ou pas.
Dans ce dernier cas, on demande une écriture fractionnaire de la solution et on invite
ensuite à en fournir une approximation ou une valeur décimale exacte. A cet égard, une
simulation de division posée, mais dans une forme non standard, est proposée, afin que
les élèves soient affranchis de certains gestes techniques, tout en conservant l'initiative
264
Chapitre V
et une possibilité d'associer chaque étape de la conversion à des actions qui se prêtent à
des retours de sens.
La première phase constitue un test significatif sur l'opérationnalité de
l'équivalence des deux points de vue I1 et I2, fort utile pour légitimer le recours à un
algorithme de division pour approcher une fraction par des valeurs décimales. Bien
entendu, cette équivalence n'a guère été spontanée pour la majorité des élèves. En
revanche, 7 d'entre eux − sur les 26 que compte la classe − n'y ont même pas vu matière
à problème. Pour les autres, un travail papier/crayon s'imposait, consistant à reconnaître,
d'essais en erreurs et après des tentatives de solutions décimales vouées à l'échec dans le
cas général, que la fraction
a
vérifiait bien l'équation bx = a. Mais tout le travail
b
préparatoire, organisant le cheminement "infra conscient" vers l'identification des deux
points de vue et sur lequel nous nous sommes longuement penchés, a trouvé un écho
dans la rapidité − une séance − avec laquelle ce travail a pu être mené à son terme.
Dès lors que cette première phase se trouvait automatisée, il restait à
s'approprier la deuxième, donc l'idée d'approximations décimales d'une fraction.
Rappelons que Frac2for est le dernier dans l'ordre de passage de l'ensemble ORATIO.
Les élèves avaient donc déjà eu l'enseignement relatif aux nombres décimaux,
notamment par la série Format et les logiciels de conversions Form2fra et Form2gra −
qui seront étudiés à la section suivante.
Mis à part le déroutement provoqué − volontairement − par un algorithme non
standard dans le but de ne pas laisser la routine occulter le sens, l'ensemble des élèves
apprécie la méthode et fournit les approximations − ou valeurs exactes − escomptées. Le
logiciel encourageant à formater les réponses au fur et à mesure que se précisent les
différentes décimales de l'approximation, on ne relève guère de dispersion dans la
méthode. On note aussi, chez certains élèves dans les cas complexes, et auprès de la
quasi totalité dans les cas simples − comme les tiers − une bonne intuition de ce que sera
un développement périodique illimité, ce qui est d'ailleurs un résultat observé
couramment dans les classes de ce niveau. Enfin, la possibilité ainsi établie d'approcher
un rationnel par un décimal aussi finement qu'on le souhaite est une mise en scène très
acceptable de la densité de D dans Q (Brousseau ; 1986-b, p 102).
265
Chapitre V
On peut donc en conclure que ce logiciel a porté tous les effets qu'on en
attendait, et qu'il a notamment permis un énoncé institutionnalisé de l'équivalence des
deux points de vue I1 et I2.
1.7. Conclusion de la section 1
Nous avons ainsi rencontré les limites de l'approche sémiotique, ce qui nous a
amené à un détour par la physique qui a en retour permis de rebondir dans un univers
purement sémiotique. Nous avons donc décrit un itinéraire d'apprentissage des fractions
qui repose sur une idée physique du fractionnement et une idée sémiotique des
traitements et conversions valides portant sur ces écritures. La cohésion de cet itinéraire
et des objectifs − évidents et moins évidents − d'apprentissage attachés a été mise à
l'épreuve qualitative des comportements, démarches, interrogations et formulations des
élèves de notre classe expérimentale. Nous avons ainsi observé une évolution dans les
conceptions, notamment pistée par l'émergence de l'équivalence des deux points de vue
I1 et I2, depuis le relevé des premiers indices d'une acception implicite jusqu'à
l'aboutissement vers l'opérationnalité explicite. Le recours aux conversions, notamment
vers les droites graduées, d'abord ponctuellement à titre d'illustration, puis de façon plus
systématique, a permis une mise en perspective du concept de fraction et a renforcé la
légitimité des traitements entrepris. Nous avons enfin montré en quoi, et au moyen de
quelles interventions supplémentaires les objectifs attendus ont été largement atteints. Il
nous restera à valider quantitativement l'ensemble de cette expérimentation. Mais ceci
sera l'objet du chapitre VI.
2. Le registre des écritures décimales
Nous avons justifié à la section 1 notre choix de terminer l'exploration des trois
registres retenus pour l'expression des rationnels par celui, toujours très prisé des
enseignants en France, des écritures décimales à virgule. Il faut dire que ce système est
aussi particulièrement apprécié des élèves, car il prolonge celui des entiers en en
préservant l'unidimensionnalité, contrairement au registre des écritures fractionnaires
qui lui est bidimensionnel − voir chapitre III-3. Il ouvre par ailleurs la voie à une
appréhension de la densité des décimaux en offrant des possibilités d'intercalations
récurrentes selon des règles précises et simples ; ce sont du reste la simplicité de ces
règles, associée à la fausse simplicité d'une écriture qui rappelle fortement celle des
266
Chapitre V
entiers, qui constitueront autant de pièges pour le novice. Deux idées très simples ont
donc servi de fil directeur au développement du registre et à la conception des logiciels
associés. Comment mettre en œuvre simultanément ce qui rapproche ce système de celui
des entiers : le prolongement d'un jeu d'écriture ; et ce qui l'oppose à celui des entiers :
rendre toujours possible l'intercalation ? Et au-delà, se pose la question de savoir si un
pur projet sémiotique est ici possible, par opposition à des interprétations plus physiques
du type de celles que nous avons mobilisées pour le registre des fractions.
2.1. Une approche sémiotique de l’objet "écriture décimale"
Prolonger le jeu d'écriture des entiers demande la prise en compte de ce qui est
invariant dans ce prolongement, à savoir un mode de signification qui s'articule autour
d'un explicite : le chiffre, signifié par une marque sensible ; et d'un implicite, non
signifié par une marque sensible, le rang de chacun des chiffres. Par ailleurs, saisir la
possibilité d'intercalations récurrentes demande de considérer l'écriture d'un décimal
dans toute sa généralité, c'est à dire à n (n quelconque) chiffres après la virgule, et pas
par emboîtements successifs d'écritures à 1, puis 2, puis 3... chiffres après la virgule
(Brousseau ; 1986-b, pp. 45-46). Enfin, l'opération d'intercalation suppose qu'on dispose
d'une relation d'ordre sur ces écritures et donc de la possibilité de ranger une suite de
décimaux. En retour, ce dernier type d'activité contribue à une mise en œuvre et à une
observation fine des mécanismes de l'écriture décimale, notamment de la dualité
chiffre/rang rappelée plus haut : c'est lorsqu'on a compris en quoi 3,4 > 3,14, qu'on peut
comprendre, à travers la notion de rang, "comment 4 peut être supérieur à 14", et
finalement le mode de signification des décimales. On retrouve ainsi, comme dans les
cas précédents, l'opération de comparaison au cœur même de la constitution du système
en registre.
Un outil est susceptible de prendre en charge l'ensemble de ces contraintes :
c'est le format à virgule fixe que nous détaillerons plus bas. Contentons-nous de dire ici
que la fixité de ce format en fait un outil purement sémiotique. Ainsi, nul besoin
n'apparaît de référer aux fraction pour interpréter les décimales en termes de dixièmes,
centièmes..., dans l'optique de justifier par exemple les règles de comparaison des
décimaux. Ce type d'interprétation sera bien sûr abordé au moment des conversions.
Ainsi, la notion d'intercalation se substitue-t-elle à la notion de subdivision des registres
précédents ; elle sera donc fondatrice de ce registre et ne nécessitera nul recours à une
267
Chapitre V
quelconque considération physique. Remarquons que la régularité de ces intercalations
− au sens où 1,2 ; 1,4 ; 1,6 ; 1,8 sont régulièrement "répartis" − n'est plus une donnée du
registre, comme c'était le cas de la subdivision sur droite graduée, signifiée par la
régularité physique du découpage en intervalles. Elle peut en revanche se postuler de la
régularité avec laquelle se constituent ces écritures au moyen des dix chiffres de la
numération décimale et de l'ajout éventuel de décimales supplémentaires. Elle sera
confirmée au moment des conversions vers les droites graduées.
2.2. L'exploration logicielle du registre
Nous allons examiner à présent la mise en forme de ces idées à travers les trois
logiciels de la série Format. Nous verrons notamment que c'est par le biais du format à
virgule fixe qu'on se propose de légitimer les différents traitements proposés.
2.2.1. Ordre de passage dans la série Format / Mystère
Format1 met en place les règles de saisie dans le format à virgule fixe, règles
qui vont permettre de dégager toute l'importance du rang d’un chiffre dans le nombre ;
ce qui débouchera dans Format2 sur une stratégie de comparaison des nombres à
virgule, basée sur une extension de la règle de comparaison des entiers écrits dans le
système décimal, et prenant en compte simultanément la comparaison des rangs et des
chiffres. Mystère enfin invite à explorer les possibilités d’intercalation qu’offre ce
système sémiotique, en combinant la double ressource rang/chiffre.
2.2.2. Contenus abordés par la série Format / Mystère
2.2.2.1. Saisie de nombres décimaux dans un format à virgule fixe
L’outil de base utilisé dans cette série est donc le format à virgule fixe. Il est
proposé à l’utilisateur, dès l’écran initial dans le logiciel Format1, et à titre d'aide dans
Format2. Il se présente sous la forme d’une grille de saisie des chiffres du nombre, avec
quatre cases avant la virgule et neuf cases après25. Nous proposons ci-dessous une copie
d'écran extraite de Format2, destinée à la comparaison de deux nombres. Elle comporte
donc deux formats.
25
La "longueur" absolue d'un décimal traitable par ce format, ainsi que les "longueurs relative" (4 contre
9) de ses parties entière et décimale, sont limitées par la possibilité de les porter à l'écran. La nature de ces
limites a été discutée en classe avec les élèves, et il a été reconnu qu'elles étaient mentalement extensibles
à droite et à gauche.
268
Chapitre V
Figure 74 : comparer au moyen de deux formats à virgule fixe
Le logiciel exige qu'on ne laisse aucune case vide à gauche du premier chiffre
saisi. Un balayage systématique du nombre de la gauche vers la droite est ainsi organisé.
La contrainte − constitutive du savoir en jeu car valorisant la position du chiffre dans le
format et donc l’attachant à un rang − est en conséquence de commencer la saisie par
d’éventuels zéros initiaux : Ainsi, le nombre 10,7 doit-il être saisi 0010,7... comme
indiqué ci-dessus sur le format du haut.
2.2.2.2. Comparaison, rangement de nombres décimaux
L’activité liée à ce contenu − logiciel Format2 − porte sur le rangement, du plus
petit au plus grand, de nombres décimaux choisis suivant un cahier des charges évolutif
et qui est précisé en annexe n. A cet effet l’élève peut être amené à comparer deux à
deux des nombres de la liste à ranger. Cette méthode de comparaison est suggérée par le
recours éventuel − car libre, volontaire et gratuit − au format à virgule fixe (voir Figure
74). Mais elle n'est pas exclusive d'un autre choix, notamment celui de se passer du
format. Néanmoins, si l'élève adopte cette méthode, il pourra :
• balayer chiffre à chiffre les deux nombres à comparer, de la gauche vers la
droite, quitte à compléter par des zéros initiaux l’un ou l’autre de ces deux nombres, afin
de démarrer la comparaison au même rang ;
• départager les deux nombres dès que ce balayage permet de détecter, au
même rang, deux chiffres différents.
269
Chapitre V
L'ajout de zéros terminaux n'est nullement indispensable bien que possible.
Ainsi, dans l'exemple traité en Figure 74, il n'est pas obligatoire de pousser la saisie
jusqu'au deuxième rang après la virgule, le premier suffisant à départager les deux
nombres. C'est du reste la stratégie retenue pour le corrigé.
On notera l’approche purement sémiotique de cette comparaison, qui peut
rappeler l’ordre lexicographique − du dictionnaire, ce que les élèves ne manqueront pas
de constater. Les interprétations en termes de têtes de série − les puissances de 10 de la
base de numération − seront un produit des logiciels de conversion. On remarquera aussi
que cette règle est un prolongement d’une règle possible de comparaison des entiers
naturels.
2.2.2.3. Le rôle de la virgule
Dans cette optique, la virgule est le signe qui permet de déterminer le rang de
chaque chiffre, et notamment d’inscrire le nombre dans le format et/ou, en l'absence de
format, de démarrer correctement le balayage des deux nombres de la gauche vers la
droite. Elle n'apparaît pas dans cette présentation comme séparant parties entière et
décimale, ces deux termes n'ayant pas encore de référents engendrés par le système (voir
2.2.2.5).
2.2.2.4. Le rôle du zéro
C’est son rôle historique de marqueur de rang non exprimé, au sens où, dans
307, le rang des dizaines n’est pas exprimé − trois cent sept. Les zéros neutres ne
peuvent ainsi se situer qu’au début ou à la fin de l’écriture décimale.
2.2.2.5. La partie entière, la partie décimale
On vient de voir qu'il n'y avait encore aucune raison de les dénommer ainsi à ce
stade des activités − si tant est qu’il existe à un moment une raison d’appeler partie
décimale la partie du nombre formée par les chiffres après la virgule ! Pour l’instant en
tout cas, l’interprétation de la partie du nombre formée des chiffres avant la virgule en
terme de partie entière n’est pas d’actualité − elle le sera bien entendu lors des activités
de conversion qui lui donneront son sens. Tout au plus l’utilisateur pourrait être
sensibilisé, au cours d'une séance bilan, au fait que :
• à « partie entière » égale, les deux nombres se départagent sur leur « partie
décimale » ;
270
Chapitre V
• la règle valable pour les entiers : « plus long, plus grand », pour signifier que
plus un entier comporte de chiffres, plus il est grand − s’applique à la « partie entière »
où « plus de chiffres » signifie un rang du premier chiffre à gauche d’autant plus élevé....
• mais ne s’applique pas à la « partie décimale » où « plus de chiffres » n’a plus
d’incidence sur le rang du premier chiffre après la virgule : que l’on compare 32,8 à
32,45 ou à 32,456, le nombre de chiffres après la virgule du deuxième nombre laisse
inchangé le rang du 4 ! Et c’est cela qui compte pour la comparaison.
Certaines remarques d'élèves que nous rapporterons en 2.4 amèneront
naturellement à l'énoncé de ce type de règles.
2.2.2.6. Encadrement, intercalation
Ces contenus sont attachés au logiciel Mystère qui propose de déterminer un
nombre mystérieux par encadrements successifs de pus en plus fins − avec des
rétroactions du logiciel de type trop grand / trop petit, accompagnés du meilleur
encadrement jusqu'alors obtenu. C’est notamment l’occasion de mettre en œuvre des
règles d’intercalation non encore explicitées du type : entre 3,6 et 3,7 on peut intercaler
3,68. Le travail sur le format permet de vérifier une telle assertion, mais prendre
l’initiative de sa mobilisation est une tâche beaucoup plus complexe.
2.3. Les opérations de conversion vers les deux autres registres
2.3.1. Ecritures décimales vers droite graduée (Form2gra)
Ce logiciel a été conçu pour fournir un cadre adéquat à l'interprétation des
décimales en termes de dixièmes, centièmes... et à la mise en place d'un algorithme
d'approximations et d'encadrements de finesse variable d'un décimal donné. Ne pas se
laisser piéger par l'apparence du nombre − du type "plus long, plus grand" − suppose en
effet la capacité à situer, d'abord grossièrement, puis si besoin est plus finement, un
nombre décimal par rapport à des entiers, puis des décimaux qui l'encadrent. Savoir
avant tout que 3,141592654 est compris entre 3 et 4 nous semble être un jugement
fondateur de "l'esprit décimal". C'est l'objectif essentiel assigné à ce premier logiciel de
conversion.
Pour cela, l'élève est d'abord invité à choisir un pas de déplacement de la droite
graduée (de 1 en 1 ; de 10 en 10 ; .... ; de 1000 en 1000). Le nombre à traiter est ainsi
situé sur un intervalle : dont les extrémités sont au départ des entiers, consécutifs vis à
271
Chapitre V
vis de ce pas ; qui est subdivisé régulièrement en dix sous-intervalles. Un de ces sousintervalle est alors sélectionné, puis agrandi au moyen d'un zoom, et à son tour subdivisé
en 10 sous-intervalles. L'opération peut se répéter récursivement jusqu'à ce que
l'utilisateur décide qu'il a atteint la profondeur souhaitée et qu'il peut y déposer le
nombre, non plus sur un sous-intervalle, mais précisément sur une des graduations.
On comprend en quoi l'objectif principal d'approximations de plus en plus fines
est bien mis en scène. Mais on comprend aussi que :
• le rang − du chiffre dans le nombre − va être attaché à un niveau de
profondeur d'investigation, ce qui en autorise une explicitation et donc une valorisation ;
• la régularité des opérations de zoom et de subdivision par 10 permet bien une
interprétation de l'écriture décimale en termes de dixièmes, centièmes... et comme
prolongeant le système de numération des entiers.
2.3.2. Ecritures décimales vers écritures fractionnaires (Form2fra)
Le premier objectif de ce logiciel est d'amener à l'interprétation des décimales
en termes de fractions décimales, dont le numérateur peut être rattaché à un chiffre −
une des décimales − et dont le dénominateur peut être rattaché à un rang − position du
chiffre dans le nombre. Un autre environnement que dans le logiciel précédent est donc
proposé pour interpréter les écritures décimales. Un deuxième objectif est de favoriser
les prises de conscience de la non unicité de cette conversion :
3,45 = 3 +
5
4
45 345
+
= 3+
=
=.... ,
10 100
100 100
et de donner les moyens d'exercer cette absence d'unicité. Enfin, un troisième
objectif est d'amener à énoncer et à utiliser le fait que tout décimal est rationnel (alors
que le contraire n'est pas vrai, ce qui a été déjà discuté en 1.5.2 et 1.6.7).
Pour remplir ce cahier des charges, deux phases sont successivement mises en
œuvre.
1. Une première décomposition suivant les puissances de dix est exigée, mais
dans la grille de saisie, les têtes de séries sont fournies dans un ordre aléatoire, par
exemple : (... 1/100 ; 10 ; 1/10 ; 1 ; 100 ; 1/1000 ; 1000...) ; un simple recopiage, de la
gauche vers la droite, du nombre dans la grille n'est donc pas possible, chaque case
devant être interprétée en terme de rang, avant que d'être rattachée à un chiffre du
décimal traité, et saisie obligatoirement − éventuellement avec un zéro.
272
Chapitre V
Les têtes de série sont ensuite remises dans l'ordre naturel − soit suivant les
puissances décroissantes de dix − lors de la phase 2.
2. On demande à l'élève une conversion au moyen d'une seule fraction :
3,45 =
345
3450
ou 3,45 =
ou tout autre écriture équivalente de ce type ; avant que de
100
1000
le laisser libre de proposer d'autres écritures, au moyen d'une seule fraction ou de la
somme d'un entier et d'une fraction.
On voit qu'ainsi l'occasion lui est bien (re)donnée :
•
de (re)mettre à l'épreuve l'écriture décimale à travers la dualité
rang/chiffre (ce qui avait déjà été entrepris lors de la conversion précédente) ;
•
de tester la diversité des écritures fractionnaires d'un décimal.
Il est légitime de penser que la mise en perspective de tous ces points de vue
apporte de la plus-value à la notion, en tous cas des degrés de liberté supplémentaires.
Examinons si les réactions des élèves à ces divers logiciels confirment cela.
2.4. Réflexions d'élèves, les apprentissages
On se référera au chapitre III-2.2 pour un descriptif abrégé des logiciels ou
aux annexes n pour plus de détails.
2.4.1. Format1
Format1 propose de saisir dans un format à virgule fixe des décimaux choisis :
soit par l'ordinateur − qui restent visibles tout au long de la saisie (exercice 1) ou qui
disparaissent au bout de quelques secondes d'observation (exercice 2) ; soit par l'élève
lui-même (exercice 3). L'exercice 2 notamment, puisqu'il demande une mémorisation de
décimaux, permet d'observer la façon dont les élèves organisent cette mémoire et donc
quelles en sont les priorités. Par exemple, allaient-ils séparer le nombre en partie entière
et partie décimale, alors que l'apprentissage, rappelons-le, n'est pas vraiment organisé
autour de ce découpage ?
Jimmy mémorise d'abord "la partie la plus longue, pour ne pas oublier" ; il n'a
donc pas une lecture obligée de la gauche vers la droite et, si son critère de séparation
est bien la virgule, son mode de mémorisation ne permet pas de décider si partie entière
et partie décimale sont pour lui deux groupements remplissant des fonctions différentes,
en tous cas différenciables. D'autres élèves se rappellent davantage la place des zéros
273
Chapitre V
intermédiaires, d'autres encore regroupent les chiffres deux par deux, oubliant
totalement la virgule avant de réaliser que sa position dans le nombre est indispensable
pour en démarrer la saisie. Ces derniers recommencent néanmoins avec le nombre
suivant leurs groupements "trans-virgule", en y adjoignant toutefois un marqueur de sa
position. Ainsi pour mémoriser 321,45, ils énoncent : "32 ; 14 ; 5 ; la virgule après le 1
[de 14]".
Format 1 semble donc bien donner l'occasion d'appréhender le rôle crucial de la
virgule dans le repérage du rang de chaque chiffre et l'importance de cette notion de rang
pour la saisie correcte du nombre . En revanche, et malgré une pratique extra-scolaire de
certains nombres à virgules − les étiquettes de prix par exemple −, aucun élève qui
s'exprime ne sépare nettement le nombre en parties entière et décimale. On observe donc
bien une approche phénoménologique de ces écritures. L'étude du logiciel suivant va
déjà enregistrer une évolution dans cette appréhension.
2.4.2. Format2
Dès qu'il s'agit de comparer ces objets − et non plus seulement de les saisir −,
les attitudes se modifient nettement. Tout se passe comme si leur statut de nombre était
activé par cette nouvelle entreprise. Aurélie et Fanny par exemple commencent par
examiner la partie entière ("les nombres de devant"), puis, lorsqu'elles rencontrent deux
nombres ayant même partie entière [38,6 et 38,2000], elles se trompent en cherchant à
les discriminer sur la longueur de leur partie décimale. Jimmy commence aussi par
considérer " les deux chiffres [nombres]devant, là" et explique que pour les comparer,
"il prend le plus petit [la partie entière la plus petite]" ; lorsque les nombres ont même
partie entière, il se tient sur ses gardes, "fait n'importe quoi, exprès pour voir comment
le corrigé fait" puis décide lui aussi d'utiliser l'aide avec le format − sollicité par le
corrigé. Il énonce alors : "C'est comme pour le dictionnaire avec l'alphabet ; on
compare les chiffres dans les mêmes cases ; si c'est pareil, on regarde la case à côté".
Aurélie, qui a fini par comprendre que "après la virgule, ça ne marche pas
normalement", et qui ne supporte plus de faire faux, utilise aussi le format suggéré par
les corrigés successifs. Elle réalise alors que les zéros terminaux ne jouent aucun rôle, ce
que Fanny reformule en : "On peut cacher ces zéros avec les doigts". Dans l'exercice 3
de Format2, qui propose de ranger des décimaux de même partie entière et de longueur
variable, les stratégies se différencient :
274
Chapitre V
• Marion examine successivement le premier, puis le deuxième... chiffre après
la virgule et conclut − juste − dès qu'un de ces chiffres permet la discrimination ;
• Jimmy "rajoute des zéros pour avoir les mêmes rangs" ;
• Etienne, qui va développer une heuristique tout à fait privée, constate : "Avec
34,8 et 34,4725, on a 4725 d'un côté et de l'autre côté 8 ! Il sait déjà que les apparences
sont ici trompeuses, mais cela provoque encore chez lui un certain désarroi qu'il
exprime par un : "Mais ce ne sont pas des entiers. On pourrait faire une soustraction :
34,8 - 34,4725, c'est presque 0,04 [il expliquera qu'il trouve ce résultat en "posant"
mentalement la soustraction et en alignant les chiffres les uns sous les autres et de part et
d'autre de la virgule], donc 34,8 est plus grand que 34,4725". Devant l'interrogation du
maître : "Mais ça ne te dérange pas de ne pas utiliser le 725 [les trois derniers chiffres de
la partie décimale]" ? Il répond : "Non, parce que c'est encore plus petit". Etienne a tout
compris....
L'ensemble de ces stratégies fait alors l'objet d'une présentation en classe. La
stratégie-recours adoptée à la suite de ce bilan − le consensus fut dur à trouver... − sera
celle de "l'ajout des zéros terminaux, pour « égaliser les deux nombres»".
Cette transformation des attitudes de Format1 à Format2 est remarquable et
mérite d'être soulignée tant la détermination de l'objet est ici orientée par la nature des
traitements qu'on lui applique : de simple jeu d'écriture formel dans Format1, le système
de numération décimal évolue vers un véritable registre, exprimant des nombres dont on
perçoit qu'ils ne réagissent pas comme des entiers, mais qu'ils se prêtent à certaines
opérations rappelant celles qui portent sur des entiers. La transformation de ce système
évolué en registre sera bien sûr poursuivie lors des conversions qui relieront ces
écritures aux fractions, et à leur positionnement mutuel et par rapport aux entiers obtenu
grâce aux droites graduées.
2.4.3. Mystère
Ce logiciel, qui conclut la série des logiciels de traitement des écritures
décimales, met les élèves à l'épreuve des redoutables opérations d'encadrement et
d'intercalation les règles de comparaison découvertes et énoncées après la passation sur
Format2. Comme on peut s'y attendre, les premiers résultats sont décourageants : tout se
passe comme si Format2 et l'acceptation que des groupements comme 2000 pouvaient
signifier des valeurs inférieures à 4 − comme : 1,2000 < 1,4 − étaient oubliés par
275
Chapitre V
nombre d'élèves ! Si pour un gros tiers de la classe le réinvestissement se fait sans
problème, lorsque Sara parvient à la conclusion que le nombre mystérieux est compris
entre 14 et 15, elle annonce fièrement : "Ce n'est pas possible !" ; quand Anthony lui fait
remarquer que "Si ! C'est possible, il y a 14,5", elle l'accepte bien volontiers... avant de
réitérer son refus alors que, après quelques autres tentatives, elle arrive à encadrer le
nombre mystérieux par 14,2 et 14,3. Et lorsque le même Anthony propose de tenter
14,25, Sara lui rétorque : "Mais, 25 c'est plus grand que 3, alors 14,25 n'est pas plus
petit que 14,3 !". Rien n'est jamais acquis... d'autres, comme Julien B., pensent qu'entre
14,2 et 14,3 "il y a quatorze virgule deux et demi", ce qu'il écrit avec deux virgules :
14,2,5 ; écriture bien sûr refusée par le logiciel. Une mise au point s'impose, et le rappel
par le maître de quelques règles antérieurement établies fait évoluer la situation. Un
encouragement à utiliser le Format, en papier/crayon s'avère particulièrement productif.
Les stratégies s'affinent et se systématisent, la plus répandue consistant à encadrer le
nombre mystérieux à 10-
n
près, puis à ajouter une décimale qui est pratiquement
toujours 5 (avec référence à la moitié, sans doute d'un intervalle de droite graduée
évoqué pour la circonstance). Ainsi qu'on le constate sur le tableau suivant, le nombre
total de coups joués est quasi stable d'une séance à l'autre, alors que le temps total qui y
est consacré diminue significativement26, amenant le temps moyen par coup à passer de
14,2 s à 11,9 s.
Classe de Sélestat Nombre de coups
14 octobre
436
Temps total
(en secondes)
6178
16 octobre
430
5106
Temps moyen par coup
(en secondes)
14,2
11,9
Tableau 8 : évolution des paramètres de réponse à Mystère
On en déduit que les décisions sont prises plus rapidement, signant plus
d'assurance, en tout cas moins de désarroi devant les intercalations "paradoxales"
comme : 3,4 < H < 3,5, qui avaient fait perdre beaucoup de temps lors de la première
passation. Le taux de réussite quant à lui n'est pas pris en compte puisque les élèves ne
peuvent terminer le jeu que lorsqu'ils font juste ou qu'ils abandonnent.
26
Ces chiffres cumulent la totalité des coups joués par les 9 groupes de la classe, lors d'une passation
totale, soit de 4 ou 5 jeux suivant les groupes, et le temps total qu'ils y ont consacré.
276
Chapitre V
A titre de comparaison, rapportons certaines observations d'une première
enquête que nous avons menée en 1994-1995 auprès de quatre classes de CM227 du BasRhin. Trois de ces classes − Sélestat, Niederau et Duttlenheim − ont effectué une
passation ponctuelle sur Mystère ; la classe de Rust quant à elle en a effectué trois.
Aucune préparation particulière n'y avait été programmée,
sinon un premier
enseignement traditionnel sur les rationnels en CM1 et quelques révisions et
approfondissements de CM2. Aucun autre logiciel de la série ORATIO n'y avait été
expérimenté − ni même d'ailleurs développé à l'époque. En revanche, l'interprétation des
décimales en termes de fractions y avaient été enseignée, notamment dans la classe de
Rust. Ainsi, les élèves avaient été sensibilisés à des explications du genre : 7,4 > 7,22
car :
4
40
40
22
=
et
>
... ce qui n'a nullement évité l'obstination à forcer les
10 100 100 100
dénégations de l'ordinateur28 qui contrariaient le sens commun. Ainsi, lors de la
troisième (!) passation, un groupe de la classe de Rust ayant réussi à encadrer le nombre
mystérieux H entre 7,8 et 7,9 (dernières réponses de l'ordinateur : "trop petit" ;
7,8 < H < 7,9), s'est acharné à tester les valeurs successives : 7,14 ; 7,50 ; 7,95 ; 7,75 ;
7,200 ; 7,500 ; 7,1000 ; 7,6000 ; 7,7000 ; 7,1000000... et y serait encore si les limites de
l'ordinateur et l'intervention du maître n'avaient stoppé cette frénésie, bien sûr alimentée
par la force tranquille de l'ordinateur qui défiait inlassablement le bon sens en répétant
(sauf pour 7,95) : "trop petit" − et en supprimant les zéros terminaux ! Cette observation
qualitative est confirmée par la valeur et l'évolution des paramètres de réponse29, entre la
première et la dernière passation, ainsi qu'il est rapporté dans le tableau suivant :
Classe de Rust
Nombre de coups
5 janvier
23 mars
688
Temps total
(en secondes)
7076
Temps moyen par coup
(en secondes)
10,3
735
8189
11
Tableau 9 : évolution des paramètres de réponse à Mystère
27
Classes de : P. Moser, école de Rust (5/01, 12/01, 23/03 1995) ; classe de R. Wintz, école annexe de
Sélestat (février 95) ; classe de Mme Metz, école de Duttlenheim (février 95) ; classe de S. Honold-Tardy,
école de la Niederau Strasbourg (avril 95).
28
Rappelons que Mystère fournit deux types de rétroactions devant une proposition de l'utilisateur : "trop
grand" ou "trop petit" d'une part ; le meilleur encadrement jusqu'alors trouvé d'autre part. Précisons enfin
que les zéros terminaux sont systématiquement supprimés dans ces rétroactions.
29
Ces chiffres sont obtenus après avoir ramené le nombre total de jeux joués par cette classe à celui de la
classe de Sélestat.
277
Chapitre V
On constate un nombre de coups beaucoup plus élevé qu'à Sélestat − à nombre
de jeux constant −, une véritable boulimie de coups en fait, associée à un temps moyen
de réponse inférieur. Compte tenu de nos observations directes, ces chiffres peuvent
s'interpréter par la certitude récurrente de faire juste − alors qu'on fait faux − débouchant
sur des prises de décision hâtives, à peine tempérées par les rétroactions négatives du
logiciel. Les évolutions lors de la dernière passation reflètent l'acharnement dans l'erreur
décrit plus haut − à l'opposé de l'attitude de remise en cause constatée à Sélestat −
provoquant une augmentation du nombre de coups, et un certain désarroi révélé par un
temps de réponse moyen par coup légèrement plus élevé.
Aucun comportement de ce genre n'a été observé à Sélestat. Les élèves ont bien
entendu commencé par faire les mêmes erreurs, mais ils disposaient des moyens de
dépasser les contradictions apparentes. L'étude systématique des modes de traitements
spécifiques des divers systèmes d'expression, ainsi que des conversions spontanées ou
provoquées − en fait l'utilisation de ces systèmes comme registres − leur a donné la
possibilité de moins s'engluer dans des leurres d'écriture, de prendre le temps de
reconsidérer les fausses évidences, et a fourni au maître des outils pertinents de mise au
point.
Mystère révèle donc les limites et le devenir d'un savoir en construction, ainsi
que les régressions plus ou moins attendues après la modification du contexte et du
champ d'application des activités. Mais l'examen des passations sur ce logiciel montre
aussi les possibilités de dépassement de ces régressions qu'offre une culture multiregistre. La théorie prévoit que la stabilisation de ce savoir devrait intervenir après
l'étude des conversions. C'est ce que nous allons examiner à présent.
2.4.4. Form2gra
Le test d'appréciation de ce logiciel est pour nous de savoir s'il remplit sa
fonction essentielle de permettre la discrimination des décimales par le rang qu'elles
occupent, contre la valeur du chiffre qui les exprime. Nous avons à cet égard
particulièrement observé la réaction des élèves face à la présence de zéros en position
intermédiaire, donc de zéros dont on ne peut se débarrasser, car ils sont très
représentatifs de la dualité rang/chiffre.
278
Chapitre V
Pour placer 0,60008, Charlotte le situe bien d'abord entre 0 et 1, puis entre 0,6
et 0,7 ; elle demande alors un zoom sur le huitième sous-intervalle de cet intervalle et
obtient :
10
0,6
0,7
10
0,67
0,68
Figure 75 : une première tentative ratée pour convertir 0,60008
Elle comprend alors son erreur en constatant qu'aucun zéro n'apparaît dans
cette écriture, annule le zoom précédent et demande bien un zoom sur le premier
intervalle. Hélas, le logiciel supprime les zéros terminaux. Elle voit donc à l'écran 0,6 et
pas 0,60 pour la borne inférieure ! Et donc toujours pas d'apparition du zéro attendu :
10
0,6
0,7
10
0,6
0,61
Figure 76 : deuxième tentative pour convertir 0,60008
Un peu désemparée, Charlotte compte à rebours, en pointant les graduations
sur le segment supérieur, depuis la huitième jusqu'à la "zéroième" en énumérant :
"68 ; 67 ; 66 ; ... ; 61 ; 60", et réalise alors que 0,6 = 0,60, en énonçant :"Rien, c'est
zéro". Elle termine enfin sans plus de difficulté son exercice, rassurée tout de même en
voyant apparaître le premier zéro à la borne supérieure de l'intervalle obtenu au zoom
suivant (0,601). A la fin de cet exercice, Charlotte a compris pourquoi les zéros
intercalaires ne peuvent pas se supprimer comme les zéros terminaux...
Ainsi, le logiciel a rempli sa fonction car il a fourni les rétroactions suffisantes
pour faire interagir les deux registres concernés au service de l'apprentissage visé.
Cette réflexion de Vincent confirme ce constat : "Chaque zoom, c'est un chiffre
de plus au nombre ; mais ça permet d'être plus précis, ça ne le grandit pas". Ou enfin,
cette remarque de Jordan : "52,258741, il y a beaucoup de chiffres ; mais ça ne veut pas
279
Chapitre V
dire qu'il est [forcément] grand ; ça veut dire qu'on a dû beaucoup zoomer [pour
l'atteindre]".
Nous considérons en conséquence que ce logiciel, comme le suivant du reste, a
totalement rempli le rôle qui lui était assigné.
2.4.5. Form2fra
Dans un premier temps, deux tiers environ des élèves sont perturbés par la
présentation des têtes de série dans un désordre variant aléatoirement d'un jeu au suivant
(voir 2.3.2). Ils saisissent précipitamment leur nombre dans la grille, de la droite vers la
gauche, sans tenir compte des têtes de série. La déception est rude, à la mesure de la
certitude d'avoir fait juste et "que c'était trop facile". Le premier corrigé et ses
commentaires recentre l'attention sur l'enchaînement inhabituel des cases de saisie et
l'obligation qui en résulte de ne pas se laisser porter par une routine, mais d'associer un
rang au traitement de chaque décimale.
Deux procédures équivalentes sont observées :
1. balayer de la gauche vers droite la grille de saisie, rechercher dans le nombre
le chiffre correspondant grâce à l'information fournie par la tête de série légendant
chaque case ; saisir un zéro si cette dernière n'est pas représentée dans le nombre traité ;
2. balayer l'écriture à virgule du nombre à saisir, de la gauche vers droite, ce qui
oblige à rechercher la case correspondante de la grille, en référence au rang de la
décimale traitée et donc sans pouvoir se fier à un quelconque automatisme ; saisir les
cases restantes avec des zéros.
La phase n° 2, au cours de laquelle les élèves sont invités à fournir le plus
possible d'écritures fractionnaires équivalentes à un décimal donné, débouche sur la
production "en série" d'égalités du type : 3,4 =
34 340 3400
=
=
= ... Seules les limites
10 100 1000
imposées par le logiciel freine les boulimies d'écritures, poursuivies du reste par certains
en papier/crayon. Commentaire de Jimmy : "C'est pour ça que 34 = 340 = 3400 = ...",
formulation évidemment précisée puis rectifiée après intervention du maître.
L'interprétation des décimales en termes de fractions décimales peut à présent
s'énoncer, ainsi que la séparation en parties entière et décimale et les règles de
comparaison attachées, de même que la justification de la règle de suppression des zéros
terminaux.
280
Chapitre V
Notons cependant qu'aucune interprétation en terme de zoom n'est
explicitement formulée par un élève au cours de cette passation. L'interaction avec les
droites graduées n'est pas spontanée, ce que Duval (1995 ; p 75) prévoit bien : "La
coordination des différents registres [..] ne s'opère pas spontanément, même au cours
d'un enseignement qui mobilise cette diversité de registres". L'évocation des droites
graduées et la spécificité de ses modes d'expression − notamment par le biais d'un
zoom − donne en revanche au maître des moyens supplémentaires pour valider certaines
conjectures, comme la différence de statut entre les zéros terminaux et les zéros
intercalaires. Nous avons vu au paragraphe précédent que des élèves utilisaient bien
explicitement cette forme d'expression très particulière, mais au cours de conversions
provoquées. Il faudra sans doute attendre plus de maturité et de pratique dans ces divers
registres pour qu'elle constitue un recours spontanément mobilisé.
2.5. Conclusion de la section 2
Nous avons ainsi établi qu'une approche purement sémiotique de la notion
d'écritures décimales était didactiquement possible, dans la mesure où les principaux
objectifs attachés à cette notion − identification de la dualité rang/chiffre ; interprétation
des décimales au moyen de fractions décimales ; rôle du zéro ; production d'arrondis,
d'encadrements et d'intercalation... − sont atteints de cette manière. Les propos d'élèves
rapportés permettent en outre de constater l'opérationnalité de ces apprentissages, et la
valeur des commentaires attachés autorise à postuler leur profondeur. Notons enfin que
ces apprentissages sont obtenus au terme d'un processus expérimental, de traitements en
contrôles, de preuves en réfutations, ainsi que l'exemple de Charlotte cité au paragraphe
2.4.4 en atteste. Ce processus n'est rendu possible que parce que les systèmes
d'expression utilisés, et en particulier celui des droites graduées, permettent de travailler
au niveau d'un registre. Si cela n'avait pas été le cas, notamment si la nature et la validité
des traitements n'avaient pas été systématiquement précisées et isolées les unes des
autres, nous n'aurions pas observé autant de décision, de clarté et donc de maturité dans
les renoncements et les dépassements. Nous confirmerons quantitativement cette
appréciation au chapitre VI, même si bien sûr toutes nos attentes n'ont pu être
satisfaites.
281
Chapitre V
3. Conclusion de l'étude didactique (chapitres IV et V)
Ce chapitre et le précédent nous ont permis d'examiner dans le détail et
comparativement − notamment par le jeu des conversions − les trois registres
numériques sollicités par notre expérience d'enseignement des rationnels. Nous avons
ainsi pu mieux mesurer les enjeux, les défis et les conséquences de nos choix, à travers
une analyse épistémologique des savoirs présentés, mais aussi par l'étude qualitative et
partiellement quantitative de réactions d'élèves aux activités qui leur étaient proposées.
Une conceptualisation "satisfaisante" des rationnels allait-elle être possible suite à notre
choix de privilégier : le primat sémiotique − avec interaction d'un principe fondateur
physique dans le cas des fractions − et ses exigences d'une étude très précise des
traitements valides de chaque registre ; une introduction géométrique aux rationnels
dans un cadre unidimensionnel affranchi dans un premier temps des écritures
fractionnaires et décimales ; les conversions inter-registres ? Soit en résumant, notre
décision de travailler au niveau de registres, particulièrement en ce qui concerne les
droites graduées, le tout à côté d'énoncés de problèmes plus classiques, se trouve-t-elle
validée notamment par la mise à l'épreuve de ses conséquences sur l'apprentissage des
fractions et des décimaux ? Afin de répondre à cette question, nous avons pisté : au
chapitre précédent, la tenue ou l'évolution de certains indicateurs comme la
compétence à résoudre des problèmes rationnels variés − qu'ils se rapportent à la
commensuration de deux grandeurs ou à l'expression de l'une par subdivision puis report
de l'autre ; au cours de ce chapitre, la prééminence d'un point de vue rationnel sur un
autre − fractionnement de l'unité ou encore partition de la quantité − en ce qui concerne
les fractions ; la discrimination des décimales par le rang qu'elles occupent, contre la
valeur du chiffre qui les exprime, notamment en présence de zéros intermédiaires
− donc signifiants − en ce qui concerne l'écriture décimale à virgule. Dans tous les cas,
et sans préjuger de critères de réussite que nous examinerons plus loin (voir chapitre
VI), nous avons pu constater que les élèves de notre classe expérimentale étaient
capables :
•
de produire des propositions de solution ;
•
de dresser des constats de succès ou d'erreur ;
•
d'en remonter aux causes ;
282
Chapitre V
•
de modifier ou de changer radicalement un itinéraire de résolution et les outils qu'il
mobilise ;
•
d'adapter un point de vue à un projet ;
•
de renoncer à des conceptions erronées ;
tout en mobilisant explicitement − et sans doute parfois implicitement − la culture
multi-registres que cet enseignement a résolument sollicitée.
Ces chapitres apportent donc des arguments de poids en faveur de nos
hypothèses de recherche. Nous disposons ainsi d'une alternative à une progression
construite sur les stades d'appréhension par changements de perspectives successifs
(voir chapitre II), des grandeurs relatives jusqu'aux nombres rationnels. Sans ignorer
les progrès qu'une telle approche a permis dans l'enseignement de ces nombres, nous
avons vu qu'elle se heurtait néanmoins à des impasses sitôt que les élèves étaient
amenés à renoncer à leurs premiers discours rhétoriques spontanés au bénéfice de
systèmes d'expression plus formels. La nature sémiotique de ces obstacles et confusions
nous a amenés à substituer aux progressions habituelles (voir chapitre II-2 et 3) une
progression centrée sur la notion de registre. On donne ainsi : aux élèves non seulement
les moyens d'une dicrimination efficace des signes utilisés, mais surtout les moyens
d'appréhender les objets de l'apprentissage et leur mode opératoire par des "actes
objectivants" (Duval ; 1996, p. 368) ; aux enseignants des variables cognitives (liées par
exemple aux capacités de productions et de discriminations énoncées avec les sept
compétences au chapitre IV-3.4) pour organiser leurs progressions. Ces nouveaux
objets, les nombres rationnels, ainsi construits et insérés dans des discours mieux
maîtrisés parce que systématiquement travaillés au moyen de la méthode des variations
(Duval ; 1996, p. 374), sont susceptibles de référer à l'une ou l'autre acception des
rationnels − un des quatre crans. A cet effet, le registre des droites graduées, en vertu de
sa nature physique et / ou sémiotique (chapitre IV-2.2.3.3 et 2.5.2) et son potentiel
explicatif des registres fractionnaire et décimal s'est révélé être un instrument décisif.
Afin de confirmer ces premières études théoriques et empiriques, il nous reste à préciser
notre méthode d'investigation et à poursuivre l'analyse globale et locale des résultats
quantitatifs qu'elle a produits ; ce qui sera l'objet du chapitre suivant.
Mais auparavant, nous souhaitons encore citer un article signé par Anne
Pitkethly et Robert Hunting (1996, pp. 33 - 34), et passant en revue des travaux récents
283
Chapitre V
sur l'initiation au concept de fraction. On trouve en conclusion de cet article qu'il
manque une véritable formulation "de lois générales qui rendent compte de la façon
dont les enfants pensent et apprennent les nombres rationnels", et des liens qui unissent
les deux "sous-constructions fondamentales" que sont la dualité "partie/total (partwhole)" et le concept de "ratio". Notre étude pourrait apporter une contribution à ce
questionnement et ouvrir quelques perspectives de recherche : et si la nature des lois et
des liens attendus était sémiotique ? Il faudrait, pour confirmer cette idée, développer
des recherches sur d'autres systèmes d'expression des rationnels, utilisant ou pas l'outil
informatique, les mettre en concurrence avec les systèmes déjà utilisés, tester l'impact de
cette pluralité d'expressions sur la conceptualisation.
Nous avons, quant à nous, commencé à éprouver le dernier point de ce
programme, en examinant les nécessités et les conséquences didactiques d'une diversité
provoquée de l'expression des rationnels.
284
Chapitre VI
La classe de Sélestat :
démarche d'expérimentation et analyse
des résultats
Chapitre VI
Ce chapitre est destiné à préciser le cadre didactique de notre expérimentation
et les moyens de la valider. Nous avons déjà partiellement abordé cette question aux
chapitre IV-3 et V. Les différentes classes d'élèves où nous sommes intervenus y ont
été succinctement présentées, nos premières investigations décrites et analysées. Il est
alors apparu clairement que la classe de Sélestat fournirait l'essentiel de nos
observations et que les autres classes n'y contribueraient que de façon très partielle,
avant tout pour permettre des mises en perspectives ou des recoupements.
Nous allons donc examiner en détail le protocole expérimental mis en place
auprès de la classe de Sélestat et notamment le dispositif basé sur les didacticiels de la
série ORATIO.
Une première partie précisera les conditions matérielles de l'expérience, la
nature de la relation pédagogique, le type de contrat qui a prévalu dans cette classe, la
fréquence, la structure et la durée de chacune et de l'ensemble des passations.
La deuxième partie quant à elle sera consacrée à la prise d'information et à
l'analyse des données. Nous ne reviendrons que très partiellement sur l'observation
directe des élèves à la tâche sur les logiciels. Ceci a en effet déjà été rapporté aux
chapitres IV et V. Nous étudierons en revanche dans le détail les résultats recueillis
lors des évaluations, de nature et de finalité différentes, que nous avons réparties tout au
long de l'expérience. Nous avons choisi, sur un corpus très complet de données, de
privilégier deux ensembles d’exercices : un premier ensemble, de nature globale et
plutôt lié aux méthodes ; un deuxième ensemble, de nature locale et plutôt lié aux
contenus.
En proposant le premier ensemble, nous avons souhaité prendre de la distance
avec le contexte d'apprentissage, afin de mesurer davantage qu'un effet d'entraînement
intensif à mettre en œuvre une série de notions et les liens qui les fédèrent. C'est
pourquoi nous avons retenu pour l'alimenter les résultats de la classe à certains items,
287
Chapitre VI
choisis selon un cahier des charges qui sera précisé, des évaluations nationales à l'entrée
au CE2 et en 6ème. Il nous sera ainsi possible de mesurer, par le biais d'exercices non
nécessairement liés aux rationnels, la position des élèves de la classe par rapport à un
échantillon national, ainsi que leur évolution au cours du cycle 3. Nous tenterons alors
de relier ces dernières à nos choix didactiques et notamment à celui de privilégier un
enseignement assisté par ordinateur, au moyen de logiciels conçus en fonction d'un
projet didactique détaillé.
Le deuxième ensemble est destiné à évaluer plus spécifiquement les progrès de
la classe dans le domaine retenu pour notre étude, à savoir celui des rationnels. Nous
avons extrait d'une série de trois évaluations, conçues par nos soins et soumises aux
élèves à trois moments clés de l'expérience, des items testant des compétences
travaillées par les logiciels. La plupart de ces items ne changent que dans leur forme. Ils
permettent donc de mesurer des évolutions. Une quatrième évaluation plus courte, et
destinée à un ultime repérage, a conclu ce deuxième ensemble.
Présentons à présent notre cadre didactique.
1. La démarche d'expérimentation
La section qui suit est destinée à présenter nos objectifs d'enseignements, notre
cadre de travail et notre démarche d'expérimentation auprès d'une classe de l’école
annexe du site IUFM de Sélestat, prise en compte sur les trois années consécutives du
cycle 3. Les effectifs ont peu évolué au cours de ces trois ans : 26 élèves en début de
CE2, 27 − puis 26 en fin d'année − au CM2 (trois arrivées et trois départs en tout), ce
qui permet de considérer que nous avons affaire, grosso modo, aux mêmes élèves. Cette
classe n'a aucune sociologie particulière. Elle recrute des élèves de milieux sociaux fort
différents. L'école est située dans une petite ville de province (17 000 habitants), et sa
position d'école annexe n'est plus guère significative depuis la transformation des Ecoles
Normales en sites IUFM. Nous vérifierons du reste en 2.1.1. que la classe observée ne se
distingue guère en mathématiques de l'échantillon national au moment de son entrée au
cycle 3.
Aucune expérimentation particulière n’a été mise en place au CE2 : cette année
n’est donc intervenue que pour étalonner la classe à l’origine, grâce à l’évaluation
nationale en mathématiques. Les expérimentations, essentiellement basées sur des
288
Chapitre VI
activités logicielles, ont en fait commencé au cours du CM1, au début du mois de mars,
et ont duré jusqu'à la mi-juin 1997. Elles se sont poursuivies au CM2, du début de
l’année scolaire jusqu’au 19 février. Aucune action d'enseignement liée à l'expérience
n’a été prévue au-delà, mais la classe a été testée en fin de cycle 3 (mai 1998) au moyen
de l'évaluation à l’entrée en 6ème de l'année scolaire précédente. Par ailleurs, les élèves
auront été évalués quatre fois, sur des compétences plus spécifiquement liées aux
rationnels et à leur apprentissage par le canal des logiciels.
Notre protocole expérimental peut donc se résumer de la façon qui suit :
• un étalonnage initial de la classe au moyen de l’évaluation nationale en CE2 ;
• un travail d’apprentissage des rationnels, essentiellement réalisé au moyen de
logiciels spécialement conçus à cet effet, mais consolidé par des activités de type
papier / crayon et des institutionnalisations ;
• deux évaluations − dites locales − en cours d'apprentissage, et deux autres
évaluations locales − bien − après apprentissage ;
• un test de sortie de cycle 3 au moyen d’une évaluation nationale à l’entrée en
6ème.
1.1. Objectifs généraux d'enseignement
Notre objectif principal était d'assurer l'essentiel de l'enseignement consacré
aux rationnels au cycle 3 par l'intermédiaire des logiciels de la série ORATIO (Adjiage
& Heideier ; 1998). A l'issue de ces deux années, les élèves devaient avoir acquis les
compétences nécessaires à :
1. l'expression d'un rationnel dans un des trois registres étudiés (les droites graduées,
les écritures fractionnaires et décimales), la conversion, d'un de ces registres vers un
autre, d'une de ses expressions ;
2. l'interprétation de données numériques d'un problème du niveau considéré au moyen
d'un rationnel exprimé dans l'un des trois registres ;
3. la comparaison et l'encadrement de rationnels, l'intercalation d'un rationnel entre
deux autres rationnels ;
4. l'identification de critères permettant de décider qu'un rationnel est entier ;
5. l'identification ou la conjecture de critères permettant de décider qu'il est décimal.
289
Chapitre VI
On notera que les opérations sur les rationnels (somme et différence de
nombres décimaux, de fractions simples ; produit et quotient par un entier) ne sont pas
citées, bien que parfois nécessaires pour le point 2. ci-dessus. La raison en est que cet
enseignement n'est pas pris en charge par les logiciels et que, traité dans un
environnement papier / crayon sous la seule responsabilité du maître de la classe, nous
ne pouvions en revendiquer ni la conception, ni ses conséquences en terme
d'apprentissage.
1.2. Scénario à l'échelle des deux années
1.2.1. Rôle et place de l'expérimentateur, du maître titulaire de la classe
Rappelons qu'en tant qu'expérimentateur, nous avons conçu et paramétré les
logiciels, organisé, en concertation avec le titulaire de la classe, l'ordre de passation des
séances logicielles, leur fréquence et leur durée, le moment de leur interruption lorsque
nous étions présents. Nous avons par ailleurs conçu la séance papier / crayon
d'introduction aux fractions (chapitre V-1.3), ainsi que suggéré exceptionnellement
quelques exercices d'accompagnement papier / crayon. Nous avons enfin, en
concertation avec le titulaire de la classe : conçu les évaluations locales ; choisi les
items extraits des évaluations nationales. Nos interventions directes devant la classe se
sont limitées à quelques remarques ponctuelles lors de passations-machines ; quelques
commentaires de résultats basés sur les scores obtenus aux activités logicielles et
accompagnés de rares interventions de cadrage, d'une durée variant de un à trois quarts
d'heure.
Nous n'avons pu assister qu'à une quarantaine de séances-machines sur les
soixante-douze effectives. L'examen de la base de données, qui collecte le nombre de
résultats justes et faux, les scores, les temps de réponse, le nombre d’appels de l’aide
intégrée au logiciel, le temps de passage dans l’aide d'une part ; les comptes-rendus
d'observation des élèves, écrits par le maître titulaire de la classe d'autre part, nous ont
cependant permis de suivre indirectement cette expérience lorsque nous devions nous
absenter.
La conduite des séances-machines, la conception générale et la conduite des
séances et exercices d'accompagnement ainsi que les compléments papier / crayon, ont
été essentiellement gérés par le maître de la classe. La cohésion de l'ensemble a été mise
au point en collaboration avec nous.
290
Chapitre VI
Cette répartition des tâches et des rôles a été voulue pour tester la mise en
œuvre d'un matériel et de choix didactiques, dans le cadre usuel d'un enseignement
conduit par un maître ordinaire.
1.2.2. Année de CM1
Une vingtaine de séances – vingt-deux exactement − d’environ 3/4 d’heure
chacune, soit un peu moins en travail effectif, à raison de deux séances par semaine en
moyenne, ont été prévues et menées pour l’ensemble du travail machine. Ces séances
étaient complétées par des travaux papier / crayon. Nous avons déjà écrit que
l’expérimentation avait démarré avec la première séance logicielle, c’est à dire sans
préparation particulière. Ce choix devait nous permettre : d'apprécier l'impact des
activités logicielles sur l’apprentissage ; d'estimer les conséquences, en terme de prises
de décision des élèves à la tâche, des degrés de liberté supplémentaires qu'elles
apportent ; de minimiser les dépendances vis à vis d’éventuelles interventions
enseignantes intempestives. Le travail papier / crayon, organisé et mené par le maître de
la classe, a été conçu en fonction de ce que l’activité logicielle révélait comme besoin
de formation complémentaire − à l’exception des trois séances d'introduction aux
factions décrites en IV.3.3 qui elles avaient été programmées à l'avance. Il prenait le
plus souvent la forme, soit de bilans des savoirs et savoir-faire dont l'activité machine
avait permis l'émergence, soit d'exercices supplémentaires analogues à ceux proposés
par les logiciels, soit enfin de commentaires, compléments ou reformulations. Enfin,
aucune évaluation initiale n’a été prévue puisque aucun enseignement sur les thèmes
concernés − introduction aux rationnels − n’avait été mis en œuvre dans le cadre
scolaire.
L’expérimentation a débuté le 4 mars 1997, après les congés de février, et s’est
poursuivie jusqu’à la mi-juin 1997. Elle s'est conclue par une première évaluation
"locale". Pour des raisons de limitation en matériel, les élèves ont dû être regroupés par
trinômes − exceptionnellement l’un ou l’autre groupe comportait quatre élèves − sur un
même ordinateur. La constitution de ces trinômes s’est faite sur la base d’une
hétérogénéité prenant en compte les résultats antérieurs des élèves en mathématiques.
Nous avons décidé, dans la mesure du possible, de favoriser les rotations de
responsabilité à l’intérieur d’un même groupe, chaque élève devant tenir à tour de rôle la
291
Chapitre VI
souris. Cela était censé quelque peu circonscrire l’accaparement du problème et de ses
solutions par les leaders.
Quant aux contenus des séances, il s'est limité à l'ensemble des activités
proposées par les trois séries (Gradu, Fracti, Format) des logiciels de traitement.
1.2.3. Année de CM2
Cinquante séances-machine, d'une durée égale à celle du CM1 et d'une
fréquence légèrement plus soutenue, ont été programmées et menées entre le 15
septembre 1997 et le 19 février 1998. Au cours d'une première période, qui s'est achevée
le 20 octobre 1997, les élèves ont repris, à un rythme plus soutenu qu'au CM1,
l'ensemble des logiciels de traitement. Une deuxième évaluation "locale" a conclu cette
première période. Après les vacances de la Toussaint, et jusqu'aux vacances de février,
nous avons organisé l'ensemble des passations sur les logiciels de conversion. A partir
de ce moment, plus aucun séance sur les logiciels ORATIO n'a eu lieu. Le maître a
continué sa progression papier / crayon, notamment en ce qui concerne les opérations
sur les rationnels, et nous ne sommes plus intervenus dans cet enseignement – à
l'exception de la séance de recadrage dont il sera question en 2.2.1c). L'évaluation
"globale", extraite de l'évaluation à l'entrée en 6ème de septembre 1997, a eu lieu vers la
mi-mai. Elle a été suivie fin mai, donc à distance importante de la dernière passation
logicielle, d'une troisième évaluation "locale". Enfin, une quatrième évaluation
"pronostic", dont nous préciserons les contenus et les objectifs en 2.2.1c),
a été
proposée à la mi-juin.
Les mêmes groupes d'élèves – à un départ et deux arrivées près – qu'au CM1
ont été constitués lors des passations. Disposant d'un ordinateur supplémentaire, nous
avons pu en outre proposer à chacun des élèves de la classe une passation en individuel
à tour de rôle, sur un ou deux exercices logiciels, ceci afin de dépister et traiter
d'éventuelles lacunes masquées par des effets de groupe. L'encadrement des passations
machine par des séances papier / crayon a été poursuivi sur les mêmes bases qu'au CM1.
Nous avons proposé aux élèves 72 séances machine de trois-quarts d'heure
chacune, ce qui représente 54 heures sur les deux années considérées. Les instructions
officielles précisent qu'au cycle 3, l'horaire attribué aux mathématiques est de 5,5 heures
hebdomadaires, ce qui fait 396 heures sur les 72 semaines "utiles" que durent les deux
années de CM1 et CM2. On arrive ainsi à 54/396, soit à 13,6 % du temps des
292
Chapitre VI
mathématiques consacré aux rationnels. A titre de comparaison, nous avons noté qu'un
manuel comme le Nouvel Objectif Calcul (Peltier et al. ; 1995 et 1996) consacre 24
chapitres sur 167, soit 14,4 % aux décimaux et aux fractions. En ajoutant
l'accompagnement papier / crayon, difficile à évaluer en durée, nous constatons que
nous devons atteindre un pourcentage légèrement supérieur à celui d'Objectif Calcul, en
tout cas du même ordre de grandeur. Ceci nous autorise à dire que nos élèves n'ont pas
subi un surentraînement sur le sujet.
1.3. Scénario à l’échelle d’une séance
Nous avons décrit, à la section précédente, le scénario de notre expérimentation
à l’échelle de deux années scolaires. Dans cette section nous nous proposons de résumer
le scénario d’une séance-type de passage sur machine. On se reportera pour un
complément d'information au chapitre III-2. où un itinéraire et des exemples
d'apprentissage au moyen des logiciels ont été décrits.
1.3.1. La tâche des élèves
1.3.1.1. Entrée de l’élève
Tous les logiciels sont accompagnés d’un "mode d’emploi" (à ne pas confondre
avec la fiche pédagogique d'accompagnement – annexe nnn − uniquement destinée au
maître) qui se veut être une présentation volontairement succincte de la tâche, de ses
objectifs généraux, de la façon dont le score sera établi. Toute séance commence donc
par une (re)lecture silencieuse du "mode d’emploi", censée provoquer, par sa brièveté
même, un questionnement. Le maître s’assure alors d’une compréhension minimale des
termes employés notamment dans la consigne, minimale dans ce sens où elle autorise
chacun à démarrer l’activité en entreprenant un premier essai, même si à ce stade la
visibilité des intentions didactiques du logiciel et surtout des itinéraires pour les réaliser
reste encore floue. L’activité mise en œuvre pour construire les apprentissages procède
ainsi par approximations et mises au point progressives. C’est la raison pour laquelle il a
été demandé au maître de ne surtout pas répondre aux questions de fond, éventuellement
posées à ce moment de l’activité par les élèves, mais de les encourager à les prendre en
charge eux-mêmes en s’appuyant sur les rétroactions du logiciel : le pari est ici de
laisser émerger le « pourquoi » − et peut-être le « parce que » − du « comment ».
1.3.1.2. Activité de l’élève
293
Chapitre VI
Après cette première phase les élèves s’engagent donc dans la réalisation de la
tâche qui consiste en général à faire glisser au moyen de la souris ou à saisir des
nombres − et / ou les signes de comparaison : < ; > ; = − dans des cases prévues à cet
effet. Les choix et les possibilités de rectification sont encore totalement ouverts. Les
seuls guides sont à ce stade : l’état de compréhension de la consigne ; les discussions à
l’intérieur du sous-groupe de travail ; un recours volontaire et gratuit à l’aide − certains
logiciels en sont pourvus d’autres pas ; une prise de conscience spontanée − les prises de
conscience provoquées par le corrigé ne viendront que plus tard. Le logiciel accepte tout
type de propositions lors de cette phase, dans le cadre du système de contraintes délimité
soit par le mode d'emploi, soit progressivement précisé par les rétroactions, et bien sûr à
l'exception des erreurs de saisie du type lettre pour chiffre.
1.3.2. Le rôle de la machine
1.3.2.1. Les rétroactions
Elles ne sont ni des jugements de valeur, ni vraiment de pertinence des
traitements demandés ; elles visent à témoigner seulement de leur validité dans la cadre
d'un jeu de contraintes dont la découverte progressive est censée accompagner l'activité
cognitive : je comprends la notion ou la méthode en même temps que j'évalue le
fonctionnement et les dysfonctionnements du système qui les fédère.
1.3.2.2. Aide
Certains logiciels proposent une aide, conçue non pour accélérer ou courtcircuiter un itinéraire d’apprentissage, mais pour pallier une difficulté technique − tables
de multiples par exemple −, ou pour fournir un cadre de validation, à forte valeur
rétoactive, des traitements − format à virgule fixe par exemple. Ainsi qu’il a déjà été
précisé, le recours à l’aide est volontaire et gratuit. Ce dernier point n’avait pas été prévu
à l’origine, mais devant les fortes réticences des élèves − lors des passations − à recourir
à une aide payante, et donc confrontés à son sous-emploi, nous avons décidé d’en
instaurer la gratuité.
1.3.2.3. Verdict et score
Lorsque l’élève en charge de la souris, après consultation du reste du groupe,
décide que l’état des réponses est satisfaisant, il actionne un bouton indiquant qu’il
estime avoir terminé. Les rectifications ne sont dès lors plus possibles. Le logiciel peut,
294
Chapitre VI
avec un minimum de commentaires, faire le bilan des réponses correctes et erronées. Le
score à la partie ou jeu en cours est alors donné. Il tient en général compte des résultats
et de la manière d’y parvenir − actions minimales ou pas. Le score n’est ainsi pas qu’une
simple récompense, il est conçu pour refléter un coût.
1.3.2.4. Corrigé
Le corrigé est obligatoire si une erreur au moins est détectée ; il est facultatif et
donc au choix des élèves dans le cas contraire. Dans sa conception actuelle, il est une
transcription, écrite et illustrée de façon dynamique, adaptée au type de données du jeu
en cours et parfois aux erreurs des élèves, de ce qu’auraient pu être des explications
orales prenant en compte la fin et la manière. Il constitue une phase clé de
l’apprentissage, et est donc valorisé comme tel, dans la mesure où il est l’occasion
privilégiée d'un véritable processus essai / erreur : nous avons ainsi observé des élèves
qui encourageaient des camarades à faire "n'importe quoi", dans le but de tirer parti de
l'analyse comparée de l'erreur commise et du corrigé proposé ! Ce type d'attitude, très
rare de la part d'élèves peu enclins à "faire faux", témoigne de la confiance que ces
derniers ont accordée aux logiciels.
Le corrigé provoque donc l’essentiel des remises en cause, des renoncements et
nouveaux départs. Il devrait aussi permettre les mises au point, au sens photographique
de gain de netteté, sur le sens de la tâche et des apprentissages.
1.3.3. Le rôle des adultes
Les adultes présents, le maître et nous-même, sont censés intervenir le moins
possible lors des passations sur machine : un bref encouragement, une aide technique,
un rappel de consigne, individuel ou collectif. Ils prennent note des questionnements,
difficultés, réussites, et de la manière d’y parvenir, afin de leur adapter les interventions
ultérieures de type papier / crayon.
En conclusion de 1.3., nous dirons que le scénario d’une séance-type prévoit
de laisser le maximum de latitude de décision aux élèves, dans un univers aux
contraintes bien délimitées par l’usage du logiciel. Les influences sont volontairement
réduites à une expression minimale, les choix sont volontaires. Le logiciel ne montre
jamais la voie, il se borne à proposer puis à retourner de l’information, en l’adaptant aux
actions des élèves.
295
Chapitre VI
2. L'analyse des données d'observation
Après avoir précisé les modalités qui nous ont permis de recueillir de
l'information, nous allons, dans cette section, présenter et analyser les deux types de
données que nous avons relevées au cours de cette expérimentation. Rappelons que le
premier type est global, pour permettre une prise de distance par rapport au contexte
d'apprentissage et mesurer autre chose qu'un simple effet d'entraînement intensif. Le
deuxième type est local, et tentera donc d'évaluer plus précisément les apprentissages
liés aux rationnels et aux registres requis pour les exprimer.
2.1. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par les tests
nationaux et rapportées à celles des échantillons nationaux
L'objectif de cette section est d'analyser les résultats d'un double pointage de
compétences générales de la classe de Sélestat, le premier en début de cycle 3, le
deuxième à son terme, et de tenter d'apprécier ce qui, dans les évolutions constatées,
peut être relié à notre expérience d'enseignement. Pour apprécier avec un minimum de
distance les évolutions de cette classe, nous avions le choix entre deux solutions :
•
construire nous-même notre outil d'évaluation ;
•
utiliser un outil déjà existant.
La première option est plus lourde à mettre en œuvre ; elle demande
notamment la constitution d'un groupe témoin à opposer au groupe expérimental. De
plus, elle présente l'inconvénient d'être conçue par ceux-là mêmes qui en attendent un
jugement impartial sur leur travail.
Nous avons donc opté pour la deuxième alternative et avons décidé d'utiliser
les évaluations nationales de début de CE2 (Ministère de l'Education Nationale ; 1995b) et à l'entrée en 6ème (Ministère de l'Education Nationale ; 1997). Nous n'avons pas
mené la première, puisque nous ne sommes intervenu dans cette classe qu'en cours de
CM1. Nous avons néanmoins pu en exploiter partiellement – en un sens qui sera précisé
plus bas – les résultats. Nous avons en revanche eu le contrôle total de la seconde,
proposée en fin de CM2 au lieu du début de 6ème.
Examinons à présent les avantages de ces évaluations :
296
Chapitre VI
•
situées en début d'année, elles ne visent pas à sanctionner un enseignement
mais à pointer des savoirs acquis ou en acquisition et des difficultés par rapport à des
apprentissages à conduire ;
•
elles sont nationales, et requièrent donc la contribution de personnes de
statut et d'origine géographique divers qui concourent à leur réalisation et assurent leur
représentativité ;
•
elles fonctionnent depuis une dizaine d'années, ce qui permet de suivre des
modifications et des invariants, tant dans la nature que dans les résultats des exercices ;
•
les résultats sont opposables à ceux d'un échantillon national (Ministère de
l'Education Nationale ; 1996 et 1998) ;
•
les résultats de début de cycle 3 (évaluation de CE2) sont opposables à
ceux de la fin de cycle (évaluation à l'entrée en 6ème).
Nous disposons ainsi d'un outil de mesure fiable, objectif, non lié au contexte
d'apprentissage. D'où le qualificatif de global que nous lui avons attribué, par opposition
à l'aspect local des évaluations conçues par nos soins.
Cet outil présente néanmoins quelques défauts et limites par rapport à l'usage
que nous souhaitions en faire :
•
la D.E.P. ne fournit pas ou peu de résultats croisés ou cumulés concernant
l'échantillon national ;
•
nous n'avons retrouvé dans les archives de l'école que des résultats par item
et non par élève et par item, en ce qui concerne l'évaluation de début de CE2, ce qui ne
nous a pas permis de procéder à des examens croisés ; cet inconvénient disparaît bien
entendu pour l'évaluation à l'entrée en 6ème que nous avons personnellement organisée ;
•
le regroupement des exercices suit une logique liée aux contenus
mathématiques définis par le programme ; il ne recoupe donc pas forcément les
catégories que nous souhaitions observer.
En ce qui concerne les deux premiers points, nous constaterons que leur impact
est heureusement limité, dans la mesure où les évolutions observées entre le début et la
fin du cycle 3 sont suffisamment franches pour être significatives même en l'absence des
détails manquants.
Le dernier point quant à lui demande à être précisé, puisqu'il nous a conduit à
quelques réaménagements, non dans le contenus des items mais dans leur regroupement.
297
Chapitre VI
Afin d'ajuster l'outil de mesure à notre propos, nous avons décidé d'extraire des deux
évaluations nationales concernées quatre séries d'items. Chacune de ces séries se
rapporte à un type de compétences, qui nous intéressent au premier chef, car ce sont des
compétences sur lesquelles les choix didactiques, qui ont présidé tant à la conception
des logiciels qu’à leur mise en œuvre en tant que support d’apprentissage, devraient
avoir un impact mesurable. Pour résumer, il s’agira de repérer comment réagit cette
classe vis à vis d’items :
1. recourant à un registre proche de celui des droites graduées ;
2. ayant une présentation sémiotique complexe ;
3.
offrant la possibilité d’une diversification des procédures de résolution ;
4.
demandant un traitement non routinier.
Nous sommes conscients que ces catégories sont composites du point de vue
cognitif, notamment la n° 4, mais ce risque de léger brouillage est le prix à payer pour
éviter les risques d'une évaluation ad hoc. Ces derniers seront néanmoins circonscrits
lorsque nous aurons élucidé, par l'étude détaillée des items qui va suivre, chacun de ces
types de compétences et que nous aurons établi, dans certains cas, une forme
d'homogénéité et / ou de pertinence.
Cette section se découpera donc en trois parties : les deux premières seront
consacrées à l'analyse des résultats de la classe aux évaluations nationales en
mathématiques, totales ou partielles, de CE2 (1995) et de 6ème (1997). Notre ingéniérie y
trouvera les éléments d'une première validation que la troisième partie tentera de
consolider en exhibant ou rappelant l'existence de liens entre les évolutions constatées et
nos choix didactiques. Ce sera l'occasion d'aborder ce qui, dans notre expérience, relève
de la spécificité d'un enseignement assisté par ordinateur. Dans notre cas, cette étude
sera personnalisée par le fait que des didacticiels ont été spécialement développés à cet
effet, autour d'un cahier des charges précisant des fonctionnalités qui laissent une large
place à l'initiative des utilisateurs, dans le cadre d'interventions dont la nature, physique
et / ou sémiotique, sera précisée.
298
Chapitre VI
2.1.1. La classe en début de cycle 3 : ses performances à l’évaluation
nationale en mathématiques de 1995 (entrée au CE2)
La passation a eu lieu au début de l'année scolaire 95-96, aux dates et dans les
conditions prévues par le protocole national, dans une indépendance totale vis à vis de
notre expérimentation puisque cette dernière a démarré un an et demi plus tard.
Examinons tout d’abord les résultats globaux de cette classe à l'ensemble de
cette évaluation, en les comparant à ceux de l’échantillon national :
Travaux Géométriques Mesures Numériques
Problèmes Global
num.
Population
Classe (%)
81
70
69
64
70
Echantillon nat.
(%)
79
65
63
63
66
Tableau 10: Réussite en pourcentages à l’évaluation nationale 1995 de CE2
A première vue donc, nous avons affaire à une classe banale, dont les résultats
sont comparables à ceux de l’échantillon national, avec une légère tendance à réussir un
peu mieux. Mais tentons de préciser la structure de cette normalité globale, en
examinant ce que nous révèle l’étude des quatre séries d'items sélectionnés pour repérer
les quatre types de compétences annoncés ci-dessus (p. 298).
Nous commençons par examiner les résultats globaux, obtenus en moyenne à
chacune de ces séries, avant d'entrer dans le détail item par item.
Travaux Registre proche
des droites
graduées
Présentation
sémiotique
complexe
Diversification
des procédures
Exercices
non
routiniers
Globalement
6 items
67
9 items
54,5
4 items
68,5
13 items
41
32 items
53
58
67
54,5
42
53,5
Population
Classe (%)
Echantillon nat.
(%)
Tableau 11 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre
compétences
299
Chapitre VI
Notons tout de suite que le poids de chaque série n'est pas le même, le nombre
d'items par série étant variable, ce qui explique un résultat global légèrement en faveur
de l'échantillon national malgré des résultats par série qui sembleraient donner
l'avantage à la classe observée. Le fait d'avoir extrait un certain nombre d'items de
l'évaluation, en fonction des compétences précises que nous voulions estimer, ne permet
pas de départager les deux populations, en tous cas lorsque l'on considère ces items dans
leur ensemble. L'examen de chacune des séries l'une après l'autre permet à peine de
distinguer les premiers éléments de différenciation. Ainsi, la première colonne fait
apparaître un écart positif en faveur de la classe observée (+ 9 %). Nous examinerons en
2.1.1.1 si cet avantage est uniforme ou si l'étude item par item permet de nuancer ce
jugement. En deuxième colonne nous constatons que notre classe présente un handicap
initial relativement à un fonctionnement sémiotique complexe (écart de 12,5 %). La
troisième colonne quant à elle n'est pas très significative, dans la mesure où nous avons
retenu cette série non pour juger de la réussite, mais de la manière de réussir, ce que
nous examinerons en 2.1.1.3. Enfin, vis à vis de la résolution des problèmes non
routiniers, les deux populations font à peu près jeu égal sur l'ensemble de la série. Là
encore, il faudra attendre 2.1.1.4 pour affiner cette analyse et constater que cette
indifférenciation n'est que globale, et qu'elle masque des différences de fond qui seront
révélées seulement après l'étude item par item.
L'examen du Graphique 1 confirme de façon plus visuelle cette impression
d'indifférenciation. Chaque point concerne un des items sélectionnés. Son abscisse est le
pourcentage de réussite de l'échantillon national, et son ordonnée le pourcentage de
réussite de notre population. On constate une distribution très régulière des points de
part et d'autre de la diagonale principale, avec un avantage de 18 contre 13 (un item, I59,
ayant été utilisé dans deux séries distinctes, le total est de 31 et pas 32) à l'échantillon
national. En nombre d'items plus réussis, ce dernier l'emporte donc plus nettement qu'en
pourcentage global. Mais l'examen du nuage prouve que les moyennes globales très
proches en pourcentage ne masquent pas des différences locales importantes – à une
exception près, l'item 2 (56 % pour l'échantillon contre 19 % pour notre classe), qui sera
étudié plus loin – qui se compenseraient, mais rendent bien compte d'une réelle
proximité, la supériorité de l'échantillon national en nombre d'items mieux réussis
dénotant tout simplement des résultats proches en pourcentage à certains items, mais
plus souvent à l'avantage de l'échantillon.
300
Chapitre VI
Evaluation CE2
90
80
Population classe de Sélestat
70
60
50
I1 I2 I5 I10 I11 I40 I56 I57 I58 I59 I61 I63 I65 I18
I25 I27 I28 I30 I31 I34 I38 I39 I48 I59 I67 I68 I13
I15 I21 I22 I23 I45
40
30
20
10
0
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Echantillon national
Graphique 1 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre
compétences
Entrons donc à présent dans le détail des items.
2.1.1.1. Compétences à utiliser des registres proches du registre des droites
graduées
Pour commencer cette étude, nous nous interrogerons sur la façon dont cette
classe réagit aux items s’exprimant dans des systèmes présentant des similitudes avec
celui des droites graduées, comme les emplois du temps, les calendriers, les « lignes de
nombres ». Ces systèmes fournissent l’information linéairement, ce qui les munit d’une
relation d’ordre total. On peut donc les considérer comme des précurseurs rudimentaires
des droites graduées, moins complexes cependant que ces dernières car notamment non
assujetties à l'obligation de régularité. Il n’empêche qu’il est intéressant d’évaluer si
cette classe présente un profil particulier vis à vis de ces systèmes qui sont l'objet de
notre hypothèse principale, et ce avant tout travail spécifique s’y rapportant.
301
Chapitre VI
N° des
Items
Tâche
Réussite
globale (%)
13
15
21
22
23
45
Repérer, sur
un emploi du
temps, une
activité
déterminée par
une date située
au « milieu »
d’une plage
horaire. Heure
fournie en
chiffres
(11h15).
Idem que pour
l’item 13, mais
avec la
difficulté
suppl. de
devoir lire une
heure de
l’après-midi
sur une montre
à aiguilles.
Déterminer
sur
calendrier
la date d’un
premier
Rend.-Vous
sportif (1er
dimanche
du mois)
Déterminer
sur calendrier
le nombre de
matchs joués
en un mois
(sachant que
les matchs
ont lieu le
dimanche)
Déterminer,
sur le
calendrier du
mois de
septembre, la
date du 1er
match (1er
dimanche) du
mois
d’octobre.
(Cette date
n'est donc pas
directement
visible mais
doit être
déduite)
Placer cinq
nombres sur
une ligne de
nombres.
(Les
nombres
sont à
intercaler
entre des
nbs déjà
déposés)
Clas.
58
Nat.
62
Clas.
50
Nat.
38
Clas. Nat. Clas.
85
61
85
Nat. Clas.
72
50
Nat.
41
Clas. Nat.
73
74
Tableau 12: réussite aux items exprimés dans un système proche des droites graduées
La classe a donc tendance à réussir plutôt mieux que l’échantillon national ces
items-là. Mais rappelons que l’avantage n’est pas écrasant : 67% en contre 58% en
moyenne. Par ailleurs, cet avantage semble relativement uniforme, dans ce sens où la
classe se range presque toujours au-dessus de l'échantillon et une fois légèrement audessous, quel que soit l'item et la nature du système porteur de l'information. Il n'y a
donc pas lieu de relativiser cet avantage, non décisif mais sans doute réel. Il sera
toutefois intéressant de suivre l’évolution de cet écart après l’expérimentation, soit en
fin de CM2.
2.1.1.2. Compétences à effectuer des tâches sémiotiquement complexes
Pour tester les compétences à appréhender et traiter des situations d’un certain
niveau de complexité sémiotique, nous avons retenu les items portés dans les trois
tableaux suivants : soit parce qu’ils présentent une difficulté de traitement, donc intraregistre (items 2 et 5) ; soit parce qu’ils requièrent la coordination de plusieurs registres
(items 10, 11, 1, 40, 56, 57, 58) :
302
Chapitre VI
N° des
Items
Tâche
2
5
Achever un Compléter par
tracé
symétrie sur
géométrique
quadrillage
Réussite
globale (%)
Class
e 19
Nat.
56
Pointage
particulier
50
31
Class
e 54
Nat.
57
(%)
N° des
Items
Tâche
10
11
1
Positionner sur Tracer une
un plan des
figure à partir
objets
de consignes
présentés en
perspective
Réussite Classe
globale (%)
69
27
Pointage
particulier
Se repérer et
se déplacer
dans un
quadrillage
Nat.
80
Classe
46
Nat.
50
Classe
46
Nat.
65
13
46
30
46
15
(%)
N° des
Items
Tâche
40
56
Transcrire en
chiffres un
nombre écrit
en lettres
Réussite Classe
globale (%)
69
Nat.
83
57
58
Prise et restitution d’informations sur document
extrait d’un catalogue mélangeant texte, images
et références chiffrées. Demande, suivant
l’item, soit un traitement séquentiel du texte ;
soit un traitement par accès direct ; soit une
conversion texte/image ou écritures
chiffrées/texte.
Classe Nat. Classe Nat. Classe Nat.
65
78
81
70
42
66
Tableaux 13 : réussite aux items dont la présentation sémiotique est complexe
On remarquera dans les deux premiers de ces tableaux la ligne « pointage
particulier ». Il s’agit des pourcentages d’élèves ayant été pointés en code 2 ou 3. Ces
303
Chapitre VI
codes correspondent en général à des résultats partiellement exacts, et dont l’étude va
nous permettre d’affiner notre jugement, en précisant l’origine de l’erreur relevée.
Rappelons que globalement, sur les items sélectionnés, la classe fait plutôt
moins bien que l’échantillon national. Elle présente donc une faiblesse relativement à un
fonctionnement sémiotique complexe. Mais examinons de plus près les résultats :
Item 2 : traitement interne à un registre géométrique
Au-delà de l’écart important de réussite à l'avantage de l'échantillon national
(19 % contre 56 %), intéressons-nous au pointage particulier qui nous apprend que 50%
des élèves de la classe contre 31% de l’échantillon ont produit un tracé malhabile, qui
ne s’appuie pas sur les sommets du carré : le repérage des unités signifiantes − points
stratégiques de la figure − dans ce registre géométrique n’est réussi que par 1 élève sur 2
seulement. Une forte majorité d'entre eux n'avaient pas, en début de cycle 3, la capacité
à extraire de ce "graphisme" complexe l'information qui compte et donc à le constituer
en figure. Ils se sont en conséquence contentés de reproductions globales, respectant
plus une apparence que des incidences précises.
Item 5 : traitement interne à un registre géométrique
La classe fait un peu moins bien que l’échantillon. Ce score moyen confirme
que la moitié environ des élèves prennent mal en compte l’information renvoyée par les
unités signifiantes du registre : l’axe de symétrie ; nombre de carreaux de part et d’autre
de l’axe... au profit d’une action de dessin plus intuitive.
Item 10 : coordination de deux registres figuraux régis par des
conventions différentes (vue en perspective et vue d'avion)
Registre d’entrée : une vue d’un quartier de ville en perspective. Registre de
sortie : un plan du même quartier en 2 dimensions. L’item demande de placer sur le plan
deux arbres plantés parallèlement à un trottoir, mais l’effet de perspective les aligne sur
une oblique du plan de la feuille du registre d’entrée. Le pointage particulier nous révèle
que 27% des élèves de la classe contre 13% pour l’échantillon, se sont laissés piéger par
l’effet de perspective et ont disposé les arbres suivant une oblique du registre de sortie,
alors qu’ils auraient dû être alignés sur une parallèle au bord de la feuille. Ce qui signe
304
Chapitre VI
une relative maladresse à discriminer les unités signifiantes d’un registre, et à les
articuler convenablement aux unités signifiantes d’un autre registre.
Item 11 : coordination d'un registre texte avec un registre géométrique
Cet item nous intéresse surtout par le pointage particulier, qui confirme les
conclusions concernant les résultats de l'item 2 : 46% des élèves de la classe contre 30%
à l’échelle nationale réalisent un tracé incomplet (3 segments consécutifs AB ; BC ; CD,
et donc une ligne brisée ouverte) au lieu du rectangle ABCD. Près de la moitié des
élèves de cette classe se contentent donc de transcrire l’information séquentiellement
(ils auraient sans doute refermé leur ligne si on leur avait donné ABCDA !) ; ils ne la
convertissent pas en une figure, ne prenant pas en compte un changement de règles lié
au changement de registre.
Item 1 : coordination d'un registre géométrico-numérique (quadrillage)
avec un registre figural (flèches)
Les 46 % du pointage particulier correspondent aux élèves qui ont su tracer le
bon chemin mais qui ont mal repéré le point de départ, codé par un couple de
coordonnées (3,d). Nous en déduisons qu’en ce qui concerne le tracé (conversion très
congruente),
la
classe
réussit
mieux
(46 + 46 = 92%)
que
l’échantillon
(65 + 15 = 80%). Mais la chute est brutale pour la conversion moins congruente,
consistant à interpréter des données (quasi) numériques (les coordonnées), comme un
point d’un registre géométrique, ou tout simplement à prendre en compte cette
information et à l'intégrer à la réalisation.
Item 40 : coordination entre les registres des écritures littérales et chiffrées
des nombres entiers
Vient encore confirmer cette difficulté à convertir : 69% de réussite à transcrire
quatre-vingt-quinze en chiffres, contre 83% à l’échelle nationale. A comparer à l'item 41
(transcrire cinq cent vingt-huit en chiffres : 96% pour la classe contre 88% pour
l'échantillon), où la classe fait mieux que l’échantillon, mais pour une conversion
congruente. Lorsque c'est facile, c'est à dire lorsque la formulation orale transcrit assez
fidèlement la formulation écrite, la réussite s'en suit ; mais à la première distorsion –
305
Chapitre VI
celle de quatre-vingt-quinze (en lettres) à 95 (en chiffres) est pourtant minime au niveau
d'un CE2 –, le taux de réussite chute sensiblement.
Items 56, 57, 58 ; coordination de trois registres : texte, image, écritures
chiffrées
L’item 57 est le seul à être mieux réussi par la classe que par l’échantillon
national (81% contre 70%). Il ne nécessite que le rappel en mémoire d’une information
facilement localisable et donc mémorisable après lecture séquentielle du texte. Les items
56 (65% contre 78%) et 58 (42% contre 66%) sont moins bien réussis qu'à l’échelle
nationale. Ils demandent la recherche rapide, en lecture non séquentielle, d’une
information plus difficilement repérable et mémorisable, à savoir la référence
commerciale à 3 chiffres d'un article, apparaissant deux fois dans des contextes à
fonctionnement différent – une fois dans le texte principal, l'autre fois dans l'image. Ils
supposent donc des capacités à rompre la linéarité de la chaîne écrite et à coordonner
deux informations ainsi recueillies.
Conclusion de 2.1.1.2
Nous résumerons cette deuxième série d'analyses en disant que, globalement,
ces élèves éprouvent des difficultés à exploiter correctement leur environnement :
textes, figures, images… ; peut-être aussi leurs instruments (problèmes de tracés). Cette
classe a donc tendance à faire moins bien que l’échantillon national lorsqu’il s’agit de
gérer une certaine complexité sémiotique et / ou instrumentale, notamment d’interpréter
des signes en fonction de la spécificité du registre qui les mobilise et, surtout, d'articuler
ces divers modes de signification.
2.1.1.3. Compétences à diversifier les procédures de résolution
Quatre items de la section « problèmes numériques » portent sur le choix des
procédures. On trouve ainsi quantifiés, à côté du choix de la procédure standard, des
choix de procédures parfois plus maladroites, mais reflétant mieux une optique et des
initiatives personnelles indépendantes. Certains élèves, lorsqu’ils ne disposent pas d’une
procédure éprouvée de résolution, soit parce qu’elle ne leur a pas été enseignée, soit
parce qu’ils ne la mobilisent pas, sont capables de telles initiatives. Qu’en est-il de notre
classe ? Examinons tout d’abord la réussite aux problèmes concernés :
306
Chapitre VI
N° des
Items
Tâche
59
Réussite
globale (%)
61
63
65
« Mettez-vous par Un pâtissier a fait
... il y a 3 écoles.
Un jardinier a
le matin 275
équipes de 3". Il y
planté 4 rangées de
Ds la prem. on
a 7 équipes
croissants. A midi,
compte 154 élèves
12 salades.
complètes et 2
Combien a-t-il
il lui en reste 65.
; ds la deuxième,
Combien de
96 ; ds la trois.
élèves restent seuls.
planté de salades ?
Combien y ...
croissants a-t-il
207. Comb. d’él.
vendus ?
en tout ?
d’élèves ?
Nat.
Classe
Nat.
Classe
Nat.
Classe
Nat.
Classe
35
44
73
55
81
59
85
60
Tableau 14 : réussite aux items à procédures de résolution diversifiées
La classe réussit moins bien que l’échantillon national pour le premier
problème à deux opérations, peu congruentes à l’énoncé, mais fait sensiblement mieux
pour les trois autres problèmes à une opération très congruente à l’énoncé. Examinons à
présent le choix des procédures :
Item 60 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 59)
Le tableau suivant exprime ces choix en pourcentage calculé sur l’ensemble des
élèves :
Choix des Uniquement (3x7)+2 Dessin
procédures additive :
3+3+..+2
Population
Classe (%)
4
58
4
Nat. (%)
9
12
Autre
procédure
Absence de
procédure
0
34
12
59
8
Tableau 15: répartition des choix de procédures sur l’ensemble des élèves
(item 60 relatif à l'item 59)
On y constate un gros pic pour le choix de la procédure standard − 58% pour la
classe à opposer aux 12% nationaux − et puis une quasi absence de choix des autres
procédures : les élèves de notre CE2 qui ont tenté la résolution de ce problème l’ont
menée par une voie conventionnelle − voire convenue. Par ailleurs, une comparaison
avec le Tableau 14 montre que les élèves de cette classe, qui ont choisi massivement la
procédure standard (58% ) , n’aboutissent pas pour autant au résultat juste (35% de
307
Chapitre VI
réussite) : erreur de parenthésage ? Règles de priorité non respectées ? En tout cas
difficulté sémiotique non surmontée. A l’opposé, l’échantillon national réussit beaucoup
mieux hors des sentiers battus : 44 % de réussite globale à ce problème et 12% des
élèves seulement qui ont opté pour la procédure standard. Ce qui implique bien une
réussite non négligeable au moyen de procédures non standard.
Le tableau suivant, qui ne retient comme base de calcul des pourcentages que
les élèves qui ont proposé une procédure, amplifie encore la ventilation très
homogène de l’échantillon national, contre la ventilation univoque le la classe :
Choix des Uniquement (3x7)+2
procédures additive :
3+3+..+2
Population
Parmi les Classe (%)
6
88
élèves
ayant
proposé
Nat. (%)
22
29
une
procédure
Dessin
Autre
procédure
6
0
20
29
Tableau 16: répartition des choix sur l’ensemble des élèves qui ont proposé une
procédure (item 60 relatif à l'item 59)
Ce dernier constat, joint au pourcentage élevé d’absence de procédure (59%
pour l'échantillon), prouve qu’à l’échelle nationale les élèves ont peu identifié ce
problème comme relevant d’un traitement conventionnel. Mais, parmi ceux qui
n’abandonnent pas à ce moment-là, on ose entreprendre et se diversifier. A l’inverse,
notre classe paraît bien timorée : ou on identifie le problème comme relevant d’un
traitement connu et on s’y réfugie − quitte à se tromper −, ou on renonce à le résoudre.
308
Chapitre VI
Item 62 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 61)
Choix des Addition
procédures
Soustraction
Multiplication
Dessin
Autre
Absence de
procédure procédure
Population
Classe (%)
12
73
0
0
0
15
Nat. (%)
13
45
1
1
3
37
Tableau 17 : répartition des choix de procédures sur l’ensemble des élèves
(item 62 relatif à l'item 61)
Une rapide comparaison avec le Tableau 14 laisse supposer que les enfants de
la classe qui ont choisi la soustraction (73 %) sont ceux qui ont réussi l’exercice puisque
le pourcentage de ces derniers est identique au précédent (73 %) ; alors qu’au niveau
national, les 55% de réussite attestent qu'on peut faire juste même sans faire forcément
partie des 45% d'élèves qui ont utilisé la soustraction. Ce qui confirme la conclusion de
l'analyse de l'item précédent.
Item 64 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 63)
Choix des Addition
procédures
Population
Classe (%)
Nat. (%)
Soustraction Multiplication Dessin
Autre
procédure
Absence
de
procédure
8
0
65
12
0
15
22
1
29
2
2
41
Tableau 18 : répartition des choix de procédures sur l’ensemble des élèves
(item 64 relatif à l'item 63)
Pour cet item encore, confirmation de nos remarques précédentes : réussite
− absolue et relative − de la classe importante, essentiellement portée par une procédure
unique très congruente à l’énoncé (la multiplication), alors qu’au niveau national la
moitié ou plus des réussites provient d’une autre procédure.
309
Chapitre VI
Item 66 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 65)
Comme il s’agit d’un problème additif − très congruent à l’énoncé −, la classe
ne se distingue pas de l’échantillon national sur le type de répartition des procédures
adoptées : « tout » le monde choisit l’addition à l’exclusion de toute autre procédure. Il
est donc inutile de fournir ici le tableau des résultats à cet item.
Conclusion de 2.1.1.3
Nous résumerons cette troisième série d’analyses en disant que la classe a
tendance à faire moins bien que l’échantillon national, faute de se risquer à innover,
lorsqu’il s’agit de résoudre un problème non congruent à son énoncé ; à réussir mieux
que l’échantillon national, en mobilisant une procédure unique et éprouvée, lorsqu’il
s’agit d’un problème congruent à son énoncé.
2.1.1.4. Compétences à résoudre des exercices non routiniers
Nous abordons, pour terminer ce premier repérage de notre classe, l’étude
d’exercices qui, sans atteindre les niveaux supérieurs de complexité d’une classification
comme NLSMA demandent, à un stade de leur résolution, une attention particulière.
C'est dire que leur traitement ne saurait se réduire à une simple routine peu réfléchie et
suppose donc que l'élève soit capable de s'affranchir d'automatismes ou de
conditionnements antérieurs pour en surmonter les obstacles :
•
gestion simultanée de plusieurs informations (I18, I25, I67), et / ou de
résultats multiples (I68) ;
•
difficulté de traitement bien identifiée comme la présence d’un 0 ou d’une
retenue dans une technique opératoire multiplicative ou soustractive (I27, I28, I30, I31,
I34, I38, I39, I48) ;
•
conversion non congruente de registres (I59).
Mise à part la deuxième catégorie, ce sont des exercices qu’on ne peut pas
résoudre par des algorithmes standard, et qui donc requièrent des heuristiques
particulières. Ils sont souvent à faible taux de réussite national.
310
Chapitre VI
N° des
Items
Tâche
Réussite
globale (%)
N° des
Items
Tâche
18
27
28
30
31
Repérer un
Choisir, dans Effectuer : Effectuer : Effectuer : Effectuer :
segment de
une liste
105 x 6
625 - 203
84
83
x 3
longueur
dessinée et
- 67
donnée, dans légendée, deux
une figure à
articles, dont
plusieurs côtés la somme des
prix est 187F
Classe Nat. Classe Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas. Nat.
62
64
50
57
23 28
62
55
15
31
50
22
34
38
39
48
59
67
68
Choisir le Ecris < ou > (Voir
Calculer
Choisir le
mentalement : résultat le plus résultat le plus
entre
Tableau
63-28
34 - 6
proche de :
proche de :
14) Pb :
3 x 101
et
150 - 49
« Mettez63-48
parmi : 1549 ; parmi : 3 ;
vous par
équipes de
200 ; 50 ; 100 400 ; 300 ;
3... »
3000
Réussite Clas. Nat.
globale
42
48
(%)
25
Clas.
54
Nat.
46
Clas.
73
Parmi : 506 ; Ecris un nombre
263 ; 65 ; 253 ; qui vérifie les
1054 ; 470 : deux conditions
de l’item 67
entoure les nbs
qui vérifient : le
chiffre des
dizaines est plus
grand que 4 ;
quand on
additionne tous
les chiffres du nb
on trouve 11
Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas.
Nat. Clas. Nat.
65
42
39 35 44
4
13
19
28
Tableaux 19: réussite aux items non routiniers
De ces résultats, nous retiendrons que :
La classe semble réussir moins bien que l’échantillon national, sauf lorsqu’une
soustraction est en jeu et à l’exception de I34. On peut penser qu’il s’agit là d’un effet
d’entraînement intensif à cette opération (confirmé par le maître titulaire de la classe au
CE1, en même temps qu'une moins grande attention portée à la multiplication), effet qui
disparaît en I34 (soustraction mentale) lorsqu’on ne dispose plus de l’algorithme posé.
I48 quant à lui, malgré une atypicité certaine ou tout du moins un aspect déroutant
− lorsque j'enlève plus, je trouve moins − est légèrement mieux réussi par la classe que
311
Chapitre VI
par l'échantillon national. Mais la différence n'est pas significative, et trouve
certainement son origine dans l'insistance toute particulière avec laquelle la soustraction
avait été abordée au cours du CE1.
On notera aussi le meilleur score relatif de la classe à l'item I39, mais on
remarquera que son expression d'entrée, tant orale qu'écrite, est fortement congruente au
résultat : "trois fois cent-un" est phonétiquement proche de "trois cents" et 3 x 101 est
graphiquement proche de 300.
L'étude de cette série d'items contribue donc à renforcer les analyses
précédentes : notre classe a tendance à faire moins bien que l’échantillon national
lorsqu'il s'agit de sortir des sentiers battus, de prendre les mathématiques à son compte
et pas seulement de rendre compte de leçons sagement apprises et appliquées, dans des
cas de figure prévus et attendus. L'atypicité semble bien être pour ces élèves un facteur
important de déstabilisation.
2.1.1.5. Conclusions relatives à l’évaluation CE2
Après ce repérage de compétences spécifiques en début de CE2, on peut
conclure ce qui suit.
La classe observée est, avant l’expérience, une classe plutôt banale, qui ne
brille ni par son audace, ni par son imagination. Elle réussit un peu mieux que
l’échantillon national en ce qui concerne l'évaluation totale, un peu moins bien en ce qui
concerne l'évaluation extraite. Encore convient-il de noter que ses meilleurs résultats
sont obtenus grâce à une plus grande aisance vis à vis des automatismes. Dès qu’on
aborde des items atypiques ou délicats, la classe fait plutôt moins bien que l’échantillon
national : elle ne prend pas le risque d’innover, de se diversifier, mais se contente de
gérer un patrimoine de connaissances bien réglées, et d’identifier certaines situations
simples en relevant.
Comment cette classe allait-elle réagir face à des tâches sollicitant un
fonctionnement sémiotique inhabituel, requérant des initiatives individuelles plus que la
restitution de routines institutionnalisées ? Et le tout dans le domaine plutôt déroutant et
non univoque des rationnels. Allait-elle tirer profit de cet enseignement non standard,
dans un domaine délicat, et s'émanciper de la tutelle du "prêt à penser" ? Allait-elle au
contraire renoncer devant la prise de risque, et se laisser abuser par les pièges,
312
Chapitre VI
sémiotiques et / ou conceptuels, posés par les rationnels ? C'est ce que nous allons
examiner à présent.
2.1.2. La classe en fin de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en
mathématiques de 1997 (entrée en 6ème)
La passation a eu lieu à la mi-mai 1998, soit environ trois mois après la fin des
travaux logiciels. Nous avons extrait, de l’évaluation nationale 1997 à l'entrée en 6ème,
29 items évaluant les quatre mêmes types de compétences que celles déjà repérées lors
de l'évaluation de début de CE2. Nous pourrons ainsi juger des évolutions. Nous n'avons
pas fait passer à notre classe, pour ne pas surcharger une fin d'année scolaire déjà fort
occupée, l'ensemble de l'évaluation d’entrée en 6ème.
Le nombre de 29 items retenus est légèrement supérieur au nombre moyen
d'items constitutifs d’une séquence de l'évaluation nationale de 1997 (laquelle
comportait trois séquences de 20, 34 et 23 items). Les conditions de passation, en
quantité et en durée, sont donc du même ordre, avec un léger désavantage pour la classe
d'expérimentation. Ce dernier compensera en partie le fait que l'évaluation a été
proposée en fin d'année scolaire et pas en septembre, soit avant les régressions
passagères que l’on pourrait rencontrer au retour des vacances. Mais on peut arguer que
la fin d'année scolaire s’accompagne d’une certaine démobilisation. Nous considérerons
en définitive que l’épreuve passée par les élèves de la classe testée est suffisamment
voisine d’une séquence de l’évaluation en début de sixième, pour autoriser une étude
comparative par rapport à l’échantillon national.
Notre base de comparaison globale, à opposer au Tableau 11, est le tableau
suivant, qui fournit les résultats obtenus en moyenne à chacune des séries d'items parmi
les 29 que nous avons sélectionnés. Nous ne disposons évidemment pas d'un tableau
opposable au Tableau 10.
Travaux Registre proche
des droites
graduées
Population
Classe (%)
Echantillon nat.
(%)
Présentation
sémiotique
complexe
Diversification
des procédures
Exercices
non
routiniers
Globalement
4 items
89
12 items
68
3 items
67
10 items
69
29 items
71
60
51
31
59
53
Tableau 20 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre compétences
313
Chapitre VI
Il n'est pas utile de s'attarder longuement sur ces premières moyennes pour
soupçonner que des évolutions lourdes, et dans un sens tout à fait favorable à notre
classe, se sont produites au cours du cycle.
L'examen du Graphique 2, que l'on opposera au Graphique 1, p.301, confirme
et amplifie ce premier constat de façon spectaculaire. D'une distribution régulière autour
de la diagonale principale, on est passé à une distribution fortement déséquilibrée en
faveur de notre classe.
Evaluation 6ème 1997
120
Population classe Sélestat
100
80
60
I4 I9 I10 I11 I12 I16 I17 I18 I19 I24 I32
I33 I36 I37 I38 I43 I45 I46 I49 I50 I51 I52
I53 I54 I55 I56 I57 I58 I67 I68
40
20
0
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Echantillon national
Graphique 2 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre compétences
Seuls 2 items sur 29 (à opposer aux 18 sur 31 de l'évaluation de début de
cycle), I32 et I33, sont moins bien réussis par cette dernière que par l'échantillon
national. Ce sont paradoxalement des items très techniques − sur lesquels nous
reviendrons plus loin − donc un type d'items qu'au CE2 la classe avait tendance à mieux
réussir que l'échantillon national. Cette observation n'est-elle qu'anecdotique ou signe-telle une réelle tendance ? C'est ce que l'étude détaillée de chaque catégorie d'items va
permettre de vérifier.
2.1.2.1. Compétences à utiliser des registres proches du registre des droites
graduées
314
Chapitre VI
Rappelons que nous retenons, pour ce type de compétences, des items
présentant de l'information et demandant de la traiter de manière linéaire. Comme nous
n'avons plus retrouvé de calendriers ou autres "lignes de nombre" dans l'évaluation de
6ème, notre choix s'est porté sur des items d'intercalation et d'encadrement de décimaux.
Ces derniers, même s'ils ne sont pas explicitement présentés dans un système de droites
graduées, ont le mérite de relever de traitements unidimensionnels et en même temps de
mettre à l'épreuve des compétences fortement travaillées, notamment lors des passations
sur les logiciels de conversion entre droites graduées et écritures décimales. On pourra
par ailleurs se reporter aux items 24 (retrouver un segment mesuré au moyen d'une unité
non standard), et 43 (mesure en pouces contre cm), étudiés respectivement en 2.1.2.2 et
2.1.2.3, pour compléter cette étude. C'est bien entendu de cette série, structurellement
liée à notre hypothèse principale, que nous attendions les résultats les plus significatifs.
Nous allons voir que notre attente n'a pas été déçue.
315
Chapitre VI
N° des
Items
Tâche
10
11
18
Voici quatre nombres
En utilisant un
nombre de la liste rangés du plus petit au
plus grand. Ecris 3,01 à
suivante :
3,12 ; 3,092 ; 3,1 ; la place qui convient.
3,0108
complète :
1 2,01 3,005 3,021
3 < … < 3,09
19
Sébastien voit un premier panneau :
Tours 15 km
Blois 38 km
Dix minutes plus tard, sur la même
route, il voit un second panneau :
Tours 12 km
Blois 41 km
De quelle ville
Sébastien se
rapproche-t-il ?
Réussite
globale (%)
Classe
85
Nat.
43
Classe
81
Nat.
51
Classe
100
Nat.
92
Quelle distance
sépare les deux
panneaux ?
Class
e 88
Nat.
52
Tableau 21 : réussite aux items exprimés dans un système proche des droites graduées
La différence des réussites aux items 10 et 11 nous rassure tout de suite sur la
capacité de notre classe à gérer correctement les parties entières et décimales de
nombres à virgule, et témoigne de la maîtrise acquise par nos élèves dans ce domaine
particulièrement travaillé par les logiciels. On insistera sur la difficulté de l'exercice qui
multiplie les trompe-l'œil, depuis la présence d'un nombre "sans virgule" (3) comme
borne inférieure de l'encadrement, jusqu'à la nécessité de récuser 3,1 (bien tentant car la
partie décimale 1 est supérieure à la partie décimale implicitement nulle de la borne
inférieure et inférieure au 09 de la partie décimale de la borne supérieure) tout en élisant
le 3,0108, malgré une partie décimale (0108) fortement supérieure au 1 de 3,1 ! La
faible réussite nationale atteste, si besoin en était, cette complexité.
L'item 18 consiste en une conversion congruente (car portée par la
comparaison de deux informations précédées d'un indicateur efficace de mise en
relation, à savoir la répétition du même mot "Tours" ou "Blois") de l'information fournie
dans un registre unidimensionnel (celui des panneaux) en une information textuelle (se
rapprocher de…) ; d'où les excellents taux de réussite, tant national que local.
L'item 19 quant à lui est nettement plus échoué au niveau national et
seulement un peu plus par notre population. C'est que la conversion est moins
316
Chapitre VI
congruente, car elle demande de comprendre qu'il y a redondance de données
numériques pour les calculs, ce qui continue à être hors contrat pour des élèves de cet
âge ; de combiner deux des quatre nombres fournis par les panneaux au moyen d'une
soustraction non dictée d'évidence par l'énoncé, car ne portant pas sur le problème
classique de la distance entre deux villes mais entre deux panneaux. Ce qui semble avoir
beaucoup plus dérouté les élèves de l'échantillon que nos élèves.
Lors de l'évaluation de début de CE2, les élèves de notre classe ont révélé qu'ils
partaient avec un avantage non décisif, soit 67 % contre 58 % sur la moyenne des items
relevant du type de compétences étudié dans ce paragraphe. En cette fin de cycle, cet
avantage semble bien s'être substantiellement amplifié (l’écart est plus que triplé)
puisque nous obtenons à présent 89 % contre 60 % en moyenne sur l'ensemble des
quatre items 10, 11, 18, 19, et 76 % contre 49 % si on rajoute les items 24 et 43 évoqués
plus haut. Nos élèves ont donc su tirer profit d'un enseignement fortement marqué par
son insistance à présenter, traiter et convertir de l'information dans et entre des registres
unidimensionnels. Un premier examen fortement positif en conséquence, et qui, s'il ne
suffit – de loin – pas à valider notre expérience, permet au moins de ne pas la récuser
d'entrée de jeu.
2.1.2.2. Compétences à effectuer des tâches sémiotiquement complexes
Nous avons retenu pour apprécier ce type de compétence deux séries d'items
très différents. La première série – items 49 à 54 – concerne exclusivement la
multiplication et la division par 10 d'un nombre décimal. Il s'agit donc d'une opération
de traitement − intra-registre – qui a le mérite d'évaluer la capacité de résistance aux
généralisations abusives – "pour multiplier par 10, on colle un zéro derrière" –, au profit
d'une réflexion sémiotique prenant en compte les unités signifiantes du registre –
existence et place de la virgule, opération de multiplication ou de division –, et
débouchant sur des décisions procédurales réfléchies – accoler des zéros et / ou déplacer
la virgule, d'autant de rangs que l'indiquent…, vers la droite ou vers la gauche… –, à
travers des contenus, les décimaux, qui concernent notre expérimentation au premier
chef.
La deuxième série évalue la compétence à coordonner plusieurs registres, à
travers la réussite à des opérations de conversions le plus souvent non congruentes entre
registres textuels, numériques, mobilisant des tableaux, et géométriques.
317
Chapitre VI
Examinons dans le détail les items de cette série :
•
l'item 55 permet d'évaluer la capacité à sélectionner l'information
pertinente, à négliger l'information inutile – 1,5 litre, à associer les données retenues à
l'écriture numérique résolvante adéquate ;
•
l'item 4 joue sur la capacité à discriminer des termes sémantiquement
proches – double et moitié, tiers et triple – et à les associer de façon peu congruente à
des écritures arithmétiques ;
•
l'item 9, notamment dans sa question a) – passage de trois dixièmes à 0,3 –
est fortement non congruent, à cause de la présence du terme 'dix(ième)' qui ne se
traduit pas par un chiffrage usuel (10), mais par la présence d'une virgule, du
positionnement du 3 immédiatement après cette dernière, et par l'apparition d'un zéro,
non explicité par l'énoncé verbal, avant la virgule ; cette non congruence sera confirmée
par le nombre important de réponses du type 3,10 ou 0,10 à cet item, et sur lequel nous
reviendrons plus loin ;
•
les items 45 et 46 portent sur la résolution classique d'un problème de
proportionnalité, à opérateurs linéaires entiers, au moyen d'un tableau ;
•
l'item 24 retiendra particulièrement notre attention, car il est atypique et
aurait tout aussi bien pu trouver sa place dans le paragraphe des problèmes non
routiniers. Il demande une conversion non congruente de 0,2 en deux dixièmes ou un
cinquième, en tous cas une prise en compte de 0,2 comme opérant par report et
subdivision sur le segment unitaire u et qui permette de décider lequel des cinq
segments proposés peut-être le produit d'une telle opération.
Examinons à présent les résultats de la première série :
N° des
Items
Tâche
49
Réussite
globale (%)
Clas. Nat. Clas.
91
58
96
63 x 10
51
50
7,14 x 100
Nat.
57
53
1,54 x 1000
Clas.
62
325,6 : 10
Nat. Clas. Nat.
53
73
53
52
54
67 : 100
Clas.
62
3000,6 : 1000
Nat.
49
Tableau 22 : réussite aux items de présentation sémiotique complexe
(1ère série)
318
Clas.
69
Nat.
45
Chapitre VI
Dans ce tableau, nous avons rangé les items suivant la réussite décroissante de
l'échantillon national. L'écart est toujours en faveur de notre classe, même s’il n'est pas
significatif dans tous les cas. Notons que la différence se creuse lorsque cela devient
difficile, c'est à dire lorsque la réussite de l'échantillon est faible. Elle atteint même son
maximum – écart de 24 % – avec l'item 54, soit le moins réussi à l'échelon national.
Ce constat est exactement à l'opposé de celui que nous avions tiré de l'analyse
de la même compétence à l'évaluation de début de CE2. Nous observions alors que la
classe avait tendance à réussir mieux que l'échantillon national lorsque c'était facile,
mais à faire moins bien dès qu'il s'agissait de débrouiller une plus grande complexité
sémiotique.
Pour affiner notre analyse et tenter de justifier le regroupement de cette
première série d'items sous une même catégorie sémiotique, nous allons étudier plus en
détail la stratification de notre classe suivant le nombre d'items réussis. Ceci nous
permettra de repérer la nature des items auxquels les élèves ont le plus échoué et
d'interpréter l'origine des erreurs constatées. Nous avons éliminé de cette étude l'item 49,
fortement réussi par les deux populations. On obtient la ventilation suivante :
Nombre d'items réussis
5
4
3
2
1
0
Nombre d'items non réussis
0
1
2
3
4
5
I52
I50 ; I51
I50 ; I51
I50 ; I51
I50 ; I51
I52 ; I53 ; I54
I52 ; I53 ; I54
I50 ; I51 ; I52
I51 ; I52
5
3
Numéros des items non réussis
(élève par élève)
I54
Effectif d'élèves
11
2
Tous les
items
0
5
Tableaux 23 : ventilation de la classe de Sélestat en fonction du nombre des items
réussis à la première série ; numéros des items non réussis
11 élèves sur 26 réussissent donc la série entière. Encore convient-il de signaler
que sur les deux élèves qui n'échouent qu'à 1 seul item sur les 5, un d'entre eux a
répondu à 100 ÷ 67 au lieu de 67 ÷ 100 (I52), et a posé cette division dont il a donné une
valeur décimale approchée juste ! Par ailleurs, sur les 5 élèves qui échouent à la série
entière, 2 ont inversé multiplication (items 50 et 51) et division (items 52 à 54), et,
319
Chapitre VI
modulo cette inversion, ont fourni tous leurs résultats justes. Cet examen de détail
confirme donc la tenue très honorable de notre classe vis à vis de ces compétences.
Mais l'étude du tableau inférieur nous renseigne sur la grande homogénéité des
types d'erreurs rencontrés, attestée par les 4 occurrences sur 5 du couple (I50 ; I51) et les
2 occurrences sur 3 du triplet (I52 ; I53 ; I54) : on se trompe soit à la multiplication, soit
à la division. Alors qu'il aurait été possible d'observer d'autres regroupements, par
exemple autour des items I50, I51, I52, liés à la disparition ou à l'apparition d'une
virgule et / ou de zéros, et par opposition à I53 et I54 qui ne demandent qu'un
déplacement de la virgule, toutes opérations de nature essentiellement sémiotique. Seuls
deux de nos élèves semblent concernés par des erreurs imputables à un déficit de cet
ordre : celui ayant échoué au triplet (I50 ; I51 ; I52) ; dans une moindre mesure, celui
ayant échoué à la paire (I51 ; I52), suite à un lien erroné entre nombre de zéros du
multiplicateur et déplacement de la virgule (pour cet élève : 7,14 x 100 = 71,4 et
67 ÷ 100 = 6,7).
C'est donc à des erreurs plus relatives à un contenu mathématique
(multiplication contre division) qu'à la nature sémiotique des traitements effectués que
cette série donne lieu. Ce qui nous autorise : d'une part à conjecturer un impact de notre
travail sur les résultats ; d'autre part à valider la pertinence de notre sélection d'items
dans la mesure où elle nous a bien permis de repérer une position vis à vis de
compétences sémiotiques. Remarquons enfin que, s'ils révèlent certaines déficiences, les
résultats de cette étude détaillée ont au moins le mérite d'indiquer très clairement des
pistes de remédiation tracées par la séparabilité des raisons de l'échec.
Mais voyons si cette première analyse est confirmée par l'étude de la deuxième
série :
320
Chapitre VI
N° des 55
4
9
45
46
24
Items
Tâche Un carton d'eau Associer chacune Ecrire "trois Connaissant Idem que N.B : Notre représentation
les quantités
des écritures
l'item
dixièmes"
minérale
est à l'échelle 1/2 par
précédent
pour 4
arithmétiques : sous la forme
rapport à l'évaluation
contient 6
6x2 ; 15:3 ; d'un nombre à personnes mais pour
virgule puis (800g de p.d.t ;
10
34:2 ; 17x3 ;
nationale
bouteilles de 1,5
à l'usage d'un d'une fraction 30 cl de lait ; personnes
litres. Le
des mots de la
40 g de
On donne un segment unité :
liste : moitié ;
beurre),
magasinier range
double ; tiers ;
fournies dans
u
25 de des
triple
un tableau,
On demande d'entourer 0,2 u
porter dans le
cartons…
parmi les cinq segments
même tableau
suivants :
Indiquer
les quantités
pour 20
l'opération qui
personnes
convient pour le
nb de
bouteilles :
25+6 ; 25-6 ;
25x6 ; 25x1,5 ;
1,5x6 ; 6-1,5
Réussite Clas. Nat.
globale
80
85
en (%)
Clas.
88
Nat. Clas. Nat. Clas.
57
46
40
73
Nat. Clas. Nat.
32 69 40
Clas.
31
Nat.
13
Tableau 24 : réussite aux items de présentation sémiotique complexe
(2ème série)
Nous avons rangé les items suivant la réussite décroissante de l'échantillon,
sauf en ce qui concerne les items 45 et 46 pour lesquels nous avons retenu l'ordre de leur
apparition dans le texte pour des commodités de lecture.
Nous noterons tout d'abord que ce rangement correspond d'assez près à celui de
la complexité sémiotique croissante : les deux premiers items demandent en effet une
conversion entre deux registres usuels, texte / écritures arithmétiques ; l'item 9 demande
aussi une conversion entre deux registres – texte / écritures décimales puis texte /
écritures fractionnaires − mais les registres de sortie sont d'un usage plus récent au stade
de la scolarité étudié et, surtout, ainsi que nous l'avons signalé plus haut, la conversion
est non congruente ; les items 45 et 46 demandent de coordonner trois registres – texte,
321
Chapitre VI
tableau, écritures arithmétiques ; l'item 24 quant à lui demande de coordonner trois et
peut-être quatre registres – texte, géométrique, écritures décimales, et peut-être
écritures fractionnaires. Notons aussi que pour ces trois derniers items, certains registres
requis sont plus délicats à utiliser – tableaux – ou d'un usage encore récent – écritures
décimales et fractionnaires – et doivent s'articuler de façon non standard avec le registre
géométrique des segments, car mobilisant l'unité u non standard.
On constatera que :
• pour le seul item (I55) à forte réussite nationale, l'écart entre l'échantillon et la
classe est faible ;
• pour les items à haute complexité sémiotique (I45, I46 et I24), l'écart est très
élevé ;
• pour l'item 4, de complexité intermédiaire, l'écart est aussi élevé.
Enfin, en ce qui concerne l'item 9, les résultats à peine meilleurs de nos élèves
(6 points seulement de plus que l'échantillon national), sur un thème a priori fort
travaillé par les logiciels (on verra un peu plus loin que ce n'est pas tout à fait le cas),
nous amène à examiner dans le détail les raisons de la réussite et de l'échec. On constate
alors que : 81 % de nos élèves ont réussi la conversion congruente trois dixièmes vers
3
contre 58 % à l'échelle nationale ; 46 % de nos élèves contre 43 % à l'échelle
10
nationale ont réussi la conversion non congruente trois dixièmes vers 0,3. Enfin, 31 %
de nos élèves ont fourni 3,10 (38 % si on compte les réponses 3,10 ou 0,10) comme
réponse à ce dernier item. Il ne nous est pas possible d'opposer ce résultat global à
l'échelon national car le pourcentage associé à toutes les réponses 3,10 n'est pas fourni.
Seules les réponses 3,10 isolées et 3,10 associées à
3
10
ou
sont comptabilisées à
10
3
10 %. Mais même en admettant qu'un certain nombre de réponses 3,10, associées à une
autre fraction que
3
10
ou
, existent à l'échelle nationale, atteindrait-on les 31 % de
10
3
notre classe ? Ce qui nous surprend donc n'est pas tant le bas niveau de la réussite (qui
reste rappelons-le supérieur à celui de l'échantillon) que la manière d’échouer : un gros
tiers d'élèves de notre population convertissent trois dixièmes de la façon la plus
phonétique et donc la moins sémiotique qui soit en 3,10 ! Il est vrai que, contrairement
322
Chapitre VI
aux apparences, ce type de conversion (trois dixièmes en 0,3 – registre verbal vers
registre numérique) n'est pas traité par les logiciels (qui ne prennent en charge que les
conversions entre registres numériques, soit
3
en 0,3). Mais enfin, nous aurions pu
10
attendre une plus grande capacité de transfert de nos élèves vis à vis de phénomènes
sémiotiques auxquels les multiples travaux de traitements et de conversions auraient dû
les sensibiliser.
Tentons de tirer, sur un plan didactique, le meilleur parti de ce que l'analyse de
ce constat, a priori décevant, peut nous apprendre. A cet effet, nous avons décidé de
croiser les résultats de notre classe aux items 9 et 24, afin d'articuler deux
fonctionnements sémiotiques hétérogènes sur un même contenu mathématique. Nous
avons en effet vu que, dans les deux cas, la capacité à interpréter un nombre à virgule en
termes d'opérateur agissant par report et subdivision était déterminante. Dans un cas, la
conversion se fait d'un opérateur verbal (trois dixièmes) vers un nombre à virgule ; dans
l'autre cas, d'un nombre à virgule (0,2) opérant sur une unité vers un segment. Nous
voyons que si les contenus mathématiques sont proches, les contenus sémiotiques
divergent, tant par le sens des conversions que par la nature des registres concernés.
Cette distinction se retrouve-t-elle dans les résultats ?
I9
Réussite
Echec
Total
Réussite
7
1
8
Choix du segment
de 0,2 mm
Autres choix
3
13
16
2
0
2
Total
12
14
26
I24
E
c
h
e
c
Tableau 25 : étude croisée des items 9 et 24
Nous avons séparé l'échec à I24 en deux lignes, car l'examen détaillé des
résultats de l'échantillon national nous apprend que 54,7 % des élèves ont choisi le
premier segment, qui était aussi le plus petit. Ce dernier mesurait effectivement 0,2 mm
(alors que la question portait sur 0,2 u), ce qui peut expliquer cette attraction. Mais
d'autres justifications peuvent aussi être avancées : sa place de premier segment
323
Chapitre VI
proposé ; une association entre 0,2 ("c'est petit") et le plus petit segment proposé. En
tous cas, le phénomène est suffisamment intéressant pour qu'on l'isole.
De l'examen de ce tableau, il apparaît les constats suivants.
1. Le choix du segment de 0,2 mm est massivement associé à l'échec à la conversion
"trois dixièmes" en 0,3. Une étude cas par cas laisse apparaître parfois l'origine de la
confusion (une mesure explicitée en mm), mais un nombre important de copies ne
comporte aucune mention de procédure. Il importe néanmoins de remarquer que
quelle que soit la procédure qui conduit à ce choix erroné, elle traduit une
interprétation de 0,2 comme une graduation d'un double décimètre (précise ou
simplement associée à du "très petit") et non comme un opérateur agissant par report
et subdivision. Cette vision trouve bien sûr ses limites non seulement lorsque l'on
change d'unité (comme dans I24), ou lorsqu'il s'agit d'interpréter une fraction au
moyen de ce décimal.
2. A l'inverse, maîtriser l'articulation entre segment rapporté à une unité quelconque
(donc segment gradué) et nombre décimal garantit pratiquement la réussite à la
conversion proposée fraction ("verbale") vers décimal.
Ces constats confirment qu'une erreur comme "trois dixièmes est égal à 3,10"
ne provient pas d'une simple distraction, mais qu'elle accompagne un défaut de
coordination entre différents registres. Les élèves qui commettent cette erreur accordent
encore à la langue naturelle, et particulièrement sous sa forme orale, la prédominance
dans l’expression des idées. Ils se satisfont, pour la conversion vers le registre des
écritures à virgule, d'une conformité à la représentation orale, soit d'une juxtaposition
d'une expression du "trois" et du "dix(ième)". Mais ceux d'entre eux qui maîtrisent ce
type de coordination sont déjà entrés dans un mode de fonctionnement pluri-registres −
dépassant sans doute le cas particulier des rationnels −, qu'il mette en jeu la langue
naturelle ou pas. Ce qui à la fois conforte nos hypothèses sur la nécessité d'un
enseignement multi-registres, mais aussi indique une voie de recherche insuffisamment
prise en compte dans notre enseignement sur la spécificité des coordinations mettant en
jeu la langue naturelle. On déborde ici du domaine des seuls nombres rationnels, et il
sera dit quelques mots à ce sujet dans la conclusion générale.
Concluons en ce qui concerne ce deuxième paragraphe. Tout d'abord, la
catégorie sémiotique est pertinente pour regrouper les items sélectionnés. Cette
324
Chapitre VI
pertinence n'implique cependant pas l'uniformité ainsi que certains résultats contrastés
l'attestent. Une fois admis cela, on retiendra deux façons très différentes d'échouer de
nos élèves : dans les cas les plus courants (1ère série) les échecs, bien identifiables, ne
semblent pas dus à un déficit sémiotique ; dans des cas plus délicats comme I9 et I24
(2ème série), des difficultés de nature sémiotique persistent. Dans tous les cas, nous
pouvons conclure à l'efficacité d'une maîtrise de la coordination de registres.
En ce qui concerne les réussites, on constate que notre classe obtient des
résultats systématiquement meilleurs que ceux de l'échantillon national, avec un écart
qui a tendance à s'accroître en même temps que le taux de réussite national diminue
(malgré un résultat déviant pour l'item 9). La complexité sémiotique prise en compte
concerne : la nature et le coût des traitements ; la richesse en registres ; le degré de
convivialité et de pratique des registres ; la congruence des conversions mobilisées ;
l'écart de ces opérations à une routine éprouvée. Autant de points qui ont été amplement
abordés − à l'exception notable à présent bien repérée de la prédominance de la langue
naturelle − lors des passations sur les logiciels ORATIO et au cours de leur
accompagnement papier / crayon.
En tout état de cause, nous avons établi que l'évolution dans le domaine traité
par ce paragraphe était patente, entre le début du CE2 et la fin du CM2. Pour résumer
cette évolution nous dirons qu'au CE2 notre classe avait tendance à mieux réussir que
l'échantillon national lorsque c'était sémiotiquement facile mais à faire moins bien
lorsque c'était difficile. A présent, non seulement notre classe fait systématiquement
mieux que l'échantillon national, mais encore l'amplitude de ce mieux est d'autant plus
élevée que c'est sémiotiquement difficile.
2.1.2.3. Compétences à diversifier les procédures de résolution
Nous avons retenu, pour l'évaluation de ce type de compétences, trois items
dont la résolution peut donner lieu à des productions divergentes et originales, sans que
l'une présente un avantage décisif sur les autres en terme de coût. Ils devraient en
conséquence nous renseigner sur l'évolution de la classe étudiée vis à vis de sa capacité
à produire de la diversité procédurale efficace ; capacité qui suppose qu'on prenne le
risque de se dégager des lieux communs, car il y a peu de diversité dans la routine. Nous
avons vu que notre classe ne s'aventurait guère sur ces terrains-là au CE2. Qu'en est-il en
cette fin de cycle ? Examinons tout d'abord la réussite à chacun de ces trois items.
325
Chapitre VI
N° des
Items
Tâche
16
Réussite
globale (%)
17
Stéphanie veut
Même énoncé que I16.
acheter 3 biscuits et
Quel est le prix d'un
1 croissant. Avec
croissant ?
les 20 F dont elle
dispose, il lui
manque 6 F. Elle
n'achète donc que 2
NB. Deux séries de
biscuits et un
dessins accompagnent le
croissant. Il lui
texte :d'abord trois
reste alors 1 F.
biscuits et un croissant ;
Quel est le prix
puis deux biscuits et un
d'un biscuit ?
croissant
Classe
Nat.
Classe
Nat.
50
54
30
20
43
On donne, dessinés, une règle
graduée en cm de 0 à 8 ; une règle
graduée en pouces de 0 à 4 ; un
segment [AB] dont la longueur,
non fournie, vaut environ 15,2 cm.
On demande de compléter la phrase
suivante : "la longueur en pouces
du segment [AB] est environ de…"
en choisissant sa réponse dans la
liste des cinq nombres :
4 ; 6 ; 8 ; 12 ; 15
Classe
73
Nat.
43
Tableau 26 : réussite aux items à procédures de résolution diversifiées
Une comparaison rapide avec le Tableau 14 prouve qu'à présent, non seulement
la classe fait mieux que l'échantillon national à chacun des items, mais encore que le
rapport (réussite classe / réussite nationale) a progressé par rapport à celui des items
CE2 mieux réussis par la classe que par l'échantillon : 1,8 ; 2,5 ; 1,7 en fin de cycle 3
contre : 1,3 ; 1,4 ; 1,4 au début. Encore convient-il de préciser que cette progression très
nette s'obtient sur des items complexes, à solution peu congruente à l'énoncé, en tous cas
"hors contrat", alors que les trois items de CE2 mieux réussis par la classe que par
l'échantillon étaient beaucoup plus standard et à résolution congruente à l'énoncé − le
seul item étudié ne présentant pas cette caractéristique était alors plus échoué par la
classe que par l'échantillon ! Nous trouvons donc là encore une classe nettement en
progrès vis à vis des items retenus.
Mais penchons-nous à présent sur ce que révèle un examen détaillé des
résultats item par item, plus sous l'angle de la diversité que de la réussite brute, ce qui
est avant tout l'objet de ce paragraphe. Nous mènerons chaque fois notre analyse à partir
de deux tableaux présentant : le détail de la répartition de l'échec (la manière
d'échouer) ; le détail des procédures correctes relevées (la manière de réussir). Précisons
enfin que seul l'item 43 sera opposable à l'échantillon national en ce qui concerne la
répartition des procédures correctes : c'est en effet le seul item de cette évaluation pour
326
Chapitre VI
lequel il était prévu une analyse des démarches justes (relevées par l'item 44) au niveau
national. Nous avons donc dû procéder, en ce qui concerne les deux autres items (16 et
17), à un relevé des démarches de nos élèves pour analyser leur manière de réussir à ces
items. Cette distribution ne sera malheureusement pas opposable à l'échantillon national.
Item 16
Analyse de la tâche
Une rapide analyse de la tâche montre que la résolution peut passer par :
•
Une addition 20 + 6 non congruente à l'énoncé (notamment à cause de
l'interprétation du terme 'manque' par une addition) pour calculer le prix du premier lot
de gâteaux ;
•
Une soustraction 20 - 1 pour calculer le prix du deuxième lot, pas plus
congruente à l'énoncé, car la traduction en terme de différence ne peut s'obtenir qu'au
prix d'une reformulation ;
•
une prise en compte de ce double jeu de contraintes que traduit le système
(S) d'équations suivant :
3b + c = 26
2b + c = 19
où b est le prix d'un biscuit au chocolat et c le prix d'un croissant.
Bien entendu, ce système formel n'est pas du niveau du cycle 3. On peut
néanmoins s'attendre à des procédures correctes qui :
•
soit tenteront empiriquement de vérifier simultanément la double
contrainte ;
•
soit exploiteront la particularité de l'énoncé qui permet de calculer le prix
d'un biscuit par la différence 26 – 19 ;
•
soit encore évalueront le prix d'un biscuit en additionnant le surcoût et le
"sous-coût" (6 + 1) que sa présence ou son absence entraîne.
Cette dernière procédure, qui court-circuite une partie des données (20 F), est
fortement non congruente, ainsi que Regina Damm (1992, pp. 47-53 et 73-74) le prouve
sur un exercice comparable. Vergnaud quant à lui (1986 ; p 36) annonce 75 % d'échecs
en 6ème à un problème structurellement analogue, c'est à dire demandant de retrouver
327
Chapitre VI
une transformation T2, connaissant T1 (ici -6) et T3 (ici +1), et sachant que T2 o T1 =
T3. Encore convient-il de noter qu'une reformulation (du type : "le retrait du biscuit
m'amène d'un défaut de 6 F à un surplus de 1 F") est dans notre cas nécessaire pour
parvenir à un problème du type de celui décrit par Vergnaud !
Nous analysons donc un item complexe, tant dans la compréhension de son
énoncé que dans sa traduction en termes mathématiques qui, ainsi qu'on vient de le voir,
est loin d'être univoque. Voyons tout d'abord comment on a échoué à cet item.
Répartition de l'échec
Procédure Procédures
justes
Population
Classe (%)
54
Résultat
erroné
obtenu par
division
12
National (%)
30
5
Autres
procédures
fausses
Absence de
procédure
23
11
39
26
Tableau 27 : détails de la répartition de l'échec à l'item 16
Relevons tout d'abord dans ce tableau le faible taux relatif d'absence de
procédure pour notre classe, mais un constat analogue pouvait être déjà fait au CE2. Un
examen plus détaillé des "Autres procédures fausses" de la 3ème colonne permet de
préciser l'origine et la nature des erreurs : recherche d'un prix moyen par article obtenu
par une division, mais avec tentative − malheureuse − de réajustement aux données (3
occurrences) ; échec "près du but", après plusieurs essais numériques infructueux car
vérifiant une des deux équations et pas l'autre, comme b = 6 et c = 7 qui vérifie
2b + c = 19 mais pas 3b + c = 26 (3 occurrences) ; échec par "inversion de la
correction", en 6 – 1 au lieu de 6 + 1 (voir 2ème procédure du Tableau 28) pour le prix
d'un biscuit (1 occurrence).
On commet certes des erreurs, mais nettement moins qu'à l'échelon national, et
surtout au moyen de procédures le plus souvent apparentes − ce qui prouve qu'on ose
entreprendre − diversifiées, cohérentes et pertinentes, qui relativisent cet échec en le
mettant à faible distance de la réussite.
Mais étudions à présent la manière de réussir.
328
Chapitre VI
Répartition de la réussite
Choix des
procédures
Calcul du prix
d'un biscuit au
chocolat par :
26 – 19
soit par la
différence entre
le coût déduit de
3 biscuits et 1
croissant (26) et
celui de 2 biscuits
et 1 croissant (19)
Classe (%)
36
Calcul du prix
Résolution, par
d'un biscuit au essai/erreur, équivalant
à celle d'un système
chocolat par :
(non posé) du type :
6+1
26 = 3b + c
soit par la
19 = 2b + c
somme entre
le déficit et le
surplus suivant
la présence ou
l'absence d'un
des trois biscuits
28,5
28,5
Pas de
procédure
apparente
7
Tableau 28 : répartition du choix des procédures de résolution de l'item 16 sur les 14
élèves (sur 26) de la classe qui l'ont réussi
Précisons que nous avons eu du mal à résumer l'ensemble des démarches
observées en quatre types. Chaque élève semble avoir sa manière à lui de réussir, même
si une vision plus distanciée peut y repérer son rattachement à l'une des catégories
générales portées dans le Tableau 28. On retiendra en tout état de cause
comme
caractéristique principale de ce tableau une grande diversification des procédures,
attestée par la distribution régulière de ces dernières, que l'on opposera aux distributions
relevées au CE2 dans les tableaux correspondants (Tableau 15 ; Tableau 17 ; Tableau
18) et présentant à l'inverse un gros pic sur une procédure privilégiée – la procédure des
"enfants sages". Nous avions ainsi conclu à l'alternative suivante : "ou on identifie le
problème comme relevant d'un traitement connu et on s'y réfugie, ou on renonce". Nous
constatons à présent qu'on ne renonce plus : que l'on réussisse ou que l'on échoue, on
tente la résolution, au moyen de procédures privées, parfois empiriques, parfois plus
systématiques, en tous cas non garanties "sans risque". On parvient ainsi soit à la
réussite, soit à des réponses qui n'en sont guère éloignées, et par des voies qui pourraient
y conduire dans un futur proche.
Item 17
Analyse de la tâche
L'item 17 porte sur la deuxième inconnue (prix du croissant) de l'item 16. On
peut donc en fournir la valeur à partir de l'une des deux équations du système (S), et
concrètement au niveau étudié par une des différences :
329
Chapitre VI
26 – (3 x 7) ou 19 – (2 x 7)
ou toute forme additive "à trou" équivalente, mobilisant ou pas la
multiplication, et encore fortement prisée à ce stade de la scolarité. Cet item peut donc
fonctionner comme révélateur d'une diversité plus formelle que méthodologique, cette
dernière ayant en revanche fortement marqué l'item précédent.
Répartition de l'échec
Procédure Procédures
justes
Population
Réponse
juste sans
procédure
apparente
(code 6)
Démarche
correcte utilisant
Autres
procédures
fausses
Absence de
procédure
la réponse fausse
de l'item 16
Classe (%)
50
0
23
15
12
National (%)
20
6
5
39
30
Tableau 29 : détails de la répartition de l'échec à l'item 17
Nous avons reporté les valeurs du code 6 (réponse juste sans procédure
apparente) dans le tableau de répartition de l'échec, étant donné que l'énoncé de l'item
spécifie : "écris tes calculs". La colonne 3 nous apprend que, de manière
significativement élevée (23 % contre 5 %), on ose poursuivre alors qu'on s'est trompé à
la première question… même si on s'en doute, ainsi qu'en témoignent certains travaux
gênés d'élèves de cette catégorie qui constatent que leur résultats vérifient une des deux
équations mais pas l'autre et qui gomment, raturent, mais maintiennent un résultat
cohérent avec la première question. Cette attitude de défi, loin des comportements
timorés relevés au CE2, est confirmée par la faiblesse relative de l'absence de procédure
et l'absence de réponses sans justification (colonne 2) : on argumente, on défend son
point de vue et on l'exprime. Ce qui témoigne d'une évolution pour le moins étonnante
lorsque l'on compare ces attitudes aux attitudes de renoncement relevées au CE2.
330
Chapitre VI
Répartition de la réussite
Choix des
procédures
Justification et Justification en
Justification et
vérification en une seule égalité
vérification en
deux égalités
deux égalités
n'utilisant que
n'utilisant que les
utilisant les
les signes
signes
signes
+ ou –
+ ou –
+ ; – ; et x
Exemple :
Exemple :
Exemple :
7 + 7 + 7 + 5 = 26 (3 x 7) + 5 = 26 7 + 7 + 5 = 19
et
et
7 + 7 + 5 = 19
19 - (2 x 7) = 5
8
Classe (%)
23
31
Justification en
une seule égalité
utilisant les signes
+ ; – ; et x
Exemple :
19 - (2 x 7) = 5
38
Tableau 30 : répartition du choix des procédures de résolution de l'item 17 sur les
13 élèves (sur 26) de la classe qui l'ont réussi
On notera tout d'abord que le pourcentage le plus élevé est obtenu avec la
procédure la plus élaborée et la plus économique (4ème colonne). On relèvera d'ailleurs
que, d'une façon générale, les pourcentages de mobilisation (dernière ligne) croissent en
même temps que le coût de la procédure diminue. On retiendra enfin que, comme pour
l'aspect méthodologique révélé par l'item précédent, aucun pic dans les choix ne désigne
une de ces procédures formelles comme privilégiée : la classe est franchement
diversifiée, elle n'accorde plus de faveur particulière à une quelconque procédure refuge,
comme cela avait été constaté au CE2.
Item 43
Analyse de la tâche
S'il est un item hautement significatif vis à vis des quatre compétences
étudiées, c'est bien l'item 43 : sa présentation sémiotique est complexe, il offre de
multiples possibilités de résolution indépendantes, il est non standard, il demande des
conversions entre trois registres linéaires (règle en pouces, règle en cm, segment [AB]).
Nous aurions pu en conséquence le faire figurer dans l'un quelconque des quatre
paragraphes de cette section. Nous avons choisi celui-ci car il était quantitativement le
moins bien représenté.
Un survol de l'analyse de la tâche permet de comprendre que des procédures
numériques ou non numériques sont envisageables :
331
Chapitre VI
•
mesure en cm de [AB], mesure en cm d'un pouce, suivies d'une conversion
en pouces au moyen d'une division, approchée ou exacte, formelle ou sous forme d'une
multiplication à trou ou même d'additions répétées ;
•
report, au moyen du compas, ou suite à une mesure en cm, de l'unité
•
report, au moyen du compas, ou suite à une mesure en cm, ou encore
pouce ;
mentalement de la règle entière de 4 pouces suivi d'une évaluation du reste.
Ces diverses procédures pouvant éventuellement se combiner, rechercher des
valeurs exactes ou se contenter d'apprécier la plausibilité des 5 valeurs fournies par
l'énoncé et parmi lesquelles se trouve la valeur recherchée.
Un item précieux pour nous, car offrant des possibilités de réactions très
diversifiées, notamment par le biais de registres de nature géométrique ou numérique.
Répartition de l'échec
Procédure Procédures Mesure en
justes
cm de [AB]
(15 cm)
Population
Classe (%)
73
8
National (%)
43
28
Autres
procédures
fausses
Absence de
procédure
19
0
24
5
Tableau 31 : détails de la répartition de l'échec à l'item 43
On notera bien entendu l'écart important de la réussite entre notre population et
l'échantillon national. Mais attardons-nous surtout sur le faible pourcentage relatif de la
mesure en cm de [AB] (8 % contre 28 % colonne 2). Ce résultat dénote pour nous une
mise en alerte efficace de la classe étudiée vis à vis de la relativité des unités, alors que
l'item 24 (voir 2.1.2.2) avait laissé planer quelques doutes à ce sujet par la fréquence
conjecturable de la confusion entre 0,2 u et 0,2 mm. Le contexte, il est vrai, y était plus
défavorable, car ne permettant pas de visualiser l'opposition u / mm aussi clairement
qu'ici l'opposition pouce / cm. Il n'empêche que notre classe témoigne, à travers sa
bonne performance absolue et relative à cet item, de sa capacité à isoler et à considérer
l'information qui compte, en l'occurrence celle qui précise que la mesure doit être
donnée en pouces. Rappelons que ce type de compétence a été particulièrement travaillé,
à la fois par une variation systématique des unités physiques du registre des droites
graduées (voir par exemple Chapitre III-Figure 6) et par les conversions inter-registres
332
Chapitre VI
qui, selon Duval (1995 ; p 77), sont fortement liées à la discrimination et la prise en
compte des unités signifiantes ; ce qui nous autorise à parler ici d'un transfert de
compétences réussi − contrairement à ce que nous avions constaté au paragraphe 2.1.2.2
précédent pour l'item 9.
Mais entrons à présent, ainsi que nous l'avons fait pour l'item 16, dans le détail
des productions des 5 élèves concernés par la colonne 3 : "autres procédures fausses".
On relève auprès de 4 de ces élèves des tentatives de conversion pouces / cm qui
échouent suite à une trop grande approximation dans la recherche des équivalences ou
suite à une inversion : 1 pouce pour 2 cm (1 occurrence), 1/2 pouce pour 1 cm (1
occurrence) 4 pouces pour 8 cm (1 occurrence avec exhibition de l'opérateur direct x2 et
de l'opérateur réciproque ÷2 pour passer des 15 cm à une mesure en pouces !) qui
aboutissent à choisir la réponse fausse 8 pouces ; inversion 5 pouces pour 2 cm au lieu
de 5 cm pour 2 pouces (1 occurrence). Comme on le voit, des échecs de luxe qui passent
tout près de la réussite ; mais aussi des échecs très atypiques, car les élèves de cet âge
ont tendance à échouer en s'obstinant dans la recherche illusoire de valeurs
exactes plutôt que par un abus des approximations ! Ces observations confirment et
renforcent donc les conclusions tirées de l'étude homologue de l'item 16 : notre classe,
très normalisée au CE2, présente désormais des caractères d'atypicité surprenants, qui
peuvent amener beaucoup d'élèves à la réussite (ce que l'on va voir ci-dessous) et peu
d'élèves à un échec qui augure plus un succès dans un futur proche qu'un enlisement
dans l'erreur.
Report direct de
la règle de 4
pouces avec
procédures type :
"4 trop petit, 8
trop grand" ou
encore : "[AB]
mesure 1 règle et
encore une demirègle, donc 6
pouces"
Classe (%)
16
Choix des
procédures
Nat. (%)
19
Report
Mesure de
Report direct
(au compas par géométrique [AB] en cm
(compas par
suivie d'une
exemple) de
l'unité pouce ou exemple) de conversion en
pouces
mesure directe l'unité pouce
obtenues au
au moyen d'une vue comme
mesurant
moyen d'un
règle graduée en
pouces
environ 2,5 cm calcul exact ou
approché (par
exemple :
15 : 2,5)
21
31,5
31,5
22
36
23
Tableau 32 : répartition du choix des procédures de résolution de l'item 43 sur
l’ensemble des élèves qui l'ont réussi
333
Chapitre VI
Nous disposons donc pour cet item d'un pointage national à opposer à notre
pointage. Comme pour l'item 16, nous avons là encore éprouvé quelques difficultés à
décrire toute la diversité observée sur notre population au moyen des quatre catégories
prévues par les concepteurs de l'évaluation. Nous noterons une similitude globale de
résultats et une légère tendance à la diversification, une fois dans un sens une fois dans
l'autre, avec la numérisation croissante des procédures. L'écart le plus important entre la
classe et l'échantillon s'observe cependant pour la procédure la plus sophistiquée,
rapportée en colonne 4, ce que nous rapprochons d'une certaine aisance à coordonner un
registre numérique et un registre géométrique. On observera par ailleurs une répartition
assez équilibrée entre les diverses procédures, tant à l'intérieur d'une des deux
populations de référence que relativement l'une à l'autre. On opposera ces résultats à
ceux du CE2, beaucoup plus inégalement distribués, notamment en ce qui concerne
notre classe.
Nous pouvons à présent résumer l'étude de ces trois items, en disant
qu'indiscutablement des évolutions majeures se sont produites dans cette classe, entre le
CE2 et le CM2, concernant le type de compétences examiné. Autant au CE2 nous
avions affaire à une classe pusillanime, se risquant peu en terrain inconnu, concentrant
sa réussite autour de quelques procédures éprouvées et échouant ailleurs, en un mot une
classe normalisée, autant nous observons à présent une classe prenant des risques,
diversifiant ses procédures notamment en mobilisant des compétences travaillées lors de
notre expérimentation, et marquée par l'atypicité. Le tout se soldant par une réussite
nettement supérieure à celle de l'échantillon national.
2.1.2.4. Compétences à résoudre des exercices non routiniers
Rappelons que nous tentons d'évaluer ici : d'une part la capacité des élèves à
engager et à mener à leur terme des traitements qui ne se réduisent pas à de simples
routines ; d'autre part à résister à l'attrait que peuvent exercer certaines routines ou
"bonnes habitudes" mécaniquement associées à une série d'indices formels répertoriés
lors des séances d'entraînement. La résolution de problèmes numériques, même
classiques et pour peu que leur énoncé ne soit pas trivialement congruent à leurs
écritures arithmétiques résolvantes, permet assurément de mettre à l'épreuve ces
capacités. C'est pourquoi nous avons retenu une première série de quatre items (12, 56,
57, 67) entrant dans cette catégorie.
334
Chapitre VI
•
L'item 12 demande de démêler les liens entre les quatre termes :
classe / élèves / filles / garçons
en un réseau cohérent d'inclusions et d'exclusions ; il demande aussi la traduction de ces
liens en termes d'additions et de soustractions enchaînées, ainsi que l'élimination de la
donnée redondante des 11 garçons de la première classe, malgré la présence du terme de
garçons dans la question.
•
Les items 56 et 57 demandent une appréhension soit au moyen d'une
multiplication à trou (50 = 6 x ?), ce qui facilite sans doute I57 , soit au moyen d'une
division. Dans ce dernier cas, il s'agira de résister à pousser le quotient au-delà de la
virgule, ou encore de gérer correctement la partie décimale : l'éliminer pour I56,
reformuler le problème en termes multiplicatifs et soustractifs pour I57. Notons enfin
que ces deux items supposent une activité sémiotique de conversion, du type : texte vers
production d'une opération arithmétique, suivie d'une interprétation de ses résultats.
Cette conversion est plus congruente dans le cas de I56 (il suffit de combiner des
données numériques, dans l'ordre de leur apparition dans le texte, au moyen d'une
division bien appelée par l'énoncé, et de proposer le quotient comme réponse) que de
I57 (données numériques à récupérer dans l'énoncé de l'item précédent et à combiner en
vue de la production d'un reste de division, toujours plus délicat à prendre en compte
que le quotient).
•
L'item 67 enfin dont on retiendra la non congruence entre l'expression
textuelle (l'énoncé) et l'expression numérique (l'égalité parenthésée résolvante) :
modification de l'ordre d'apparition des termes dans l'une ou l'autre forme d'expression ;
la monnaie rendue traduite par une opération antinomique (addition). On remarquera
aussi que, contrairement à l'item 56, il s'agit ici non d'une tâche de production d'un
registre vers un autre, mais d'une tâche de coordination dans deux registres différents,
demandant la prise en compte simultanée d'informations verbales et numériques, les
dernières présentées sous forme d'une opération fournie par l'énoncé.
Le choix de la deuxième série d'items (32, 33, 36, 37, 38) peut paraître plus
surprenant dans ce contexte, tant les calculs qu'ils proposent semblent liés à l'exécution
d'algorithmes standard. Mais une analyse plus approfondie prouve qu'en réalité ils
335
Chapitre VI
supposent de rompre avec certaines bonnes habitudes et donc de prendre des décisions
non dictées par une instance extérieure.
•
Les items 32 et 33 sont posés en lignes. Il s'agira donc soit de les traiter
dans la forme où ils sont donnés, soit de prendre la décision de poser l'opération. Dans
les deux cas, on est amené à discriminer correctement les divers chiffres par leur
position et à les traiter en conséquence, et dans le deuxième cas à résister à la "bonne
habitude" des néophytes de l'addition, à savoir l'alignement des chiffres sur la droite.
•
Les items 36, 37 et 38 sont des calculs approchés et, comme tels, encore
largement hors contrat à l'école élémentaire. Ils sont donc déroutants, dans ce sens où ils
demandent de se dérouter des sentiers battus.
La troisième série enfin est réduite à un item atypique (I58) qui demande de
s'affranchir du carcan de l'évidence visuelle (ce qu'on veut bien me donner à voir) au
prix d'une déconstruction suivie d'une reconstruction (ce que j'accepte de voir) :
•
L'item 58 suppose en effet que l'on décompose l'étalon fourni (le cm2) en
sous-étalons adaptés à la contrainte des contours irréguliers de la forme (la tour) dont on
veut fournir l'aire. Il existe certes une procédure systématique (compter les petits
carreaux de la tour, les diviser par 4 (nombre de carreaux du cm2), mais cette dernière
demande quand même une "sortie de cadre" (décomposer le cm2 en ses petits carreaux)
et n'a jamais été explicitement mobilisée au cours de notre test.
Remarque : on pourrait s'étonner que nous n'ayons pas retenu pour cette
analyse l'item 68 (réussite de 31 % pour la classe contre 22 % pour l'échantillon) qui
faisait partie de notre extrait d'évaluation. La raison en est qu'il nous semblait ambigu.
Examinons en quoi.
Cet item se rapporte au même énoncé que l'item 67 et demande de cocher,
parmi la liste de questions qui suit, "la question qui a été posée à la fin du problème" :
1. Combien a-t-elle dépensé à la boulangerie ?
2. Quel est le prix des pains au chocolat ?
3. Quelle est la valeur du billet donné à la caissière ?
4. Quel est le prix des baguettes de pain ?
5. Combien la caissière rend-elle ?
336
Chapitre VI
L'usage de l'article défini "la [question]", confirmé par le code 1 (réussite) associé au
seul choix 3., nous semble inadéquat, et correspond à une conception abandonnée parce
que trop restrictive des problèmes : un énoncé, une solution, en une ligne d'écriture
mobilisant tous les nombres de l'énoncé. Il n'est donc pas rare de trouver dans
l'enseignement élémentaire des professeurs qui posent des questions dont la réponse se
trouve directement dans l'énoncé et ne demande en conséquence aucun calcul. Ainsi, la
question 5. a de nos jours autant de légitimité que la question 3. De même, une question
comme la 1. pourrait parfaitement être posée après la 3. et donc "à la fin de ce
problème".
Examinons à présent les résultats chiffrés de la première série :
N° des
Items
Tâche
12
56
57
Une école comporte
Suite de I56…
Xavier range 50
Sur une nouvelle
deux classes. Dans
photos dans un
cette école il y a 26
classeur. Il range 6 page, Xavier range
les dernières
filles. Dans la première photos par page.
classe il y a 12 filles et Combien y aura-t- photos. Quel est le
nombre de photos
11 garçons. Dans la
il de pages
sur cette page ?
deuxième classe, il y a
complètes ?
27 élèves.
Quel est le nombre de
garçons dans la
deuxième classe ?
Réussite
Classe
Nat.
Nat.
Nat.
Classe
Classe
globale
81
52
57
54
52
69
67
François a écrit le calcul suivant :
(5,60 x 7) + (3,10 x 3) + 1,50 = 50
pour résoudre l'énoncé qui suit et
qu'il s'agit de compléter :
"A la boulangerie, Lucie achète …
baguettes à 3,10 F l'une et 7 pains
au chocolat à … F pièce. Elle
donne un billet à la caissière, qui
lui rend … F".
Classe
73
Nat.
58
(%)
Tableau 33 : réussite aux items non routiniers (1ère série)
Nous retiendrons de cet examen le phénomène de la réussite à l'item 12 : un des
deux items les moins réussis de cette série à l'échelle nationale est le mieux réussi par
notre population ! Mais nous retiendrons aussi le succès relatif et absolu de notre classe
à l'item 67, ces deux items nous semblant le mieux caractériser le dégagement des
routines obtenu par une gestion maîtrisée d'obstacles sémiotiques (voir analyse de la
tâche ci-dessus).
Il nous faut aussi nous arrêter au resserrement de l’écart entre les items 56 et
57 : la chute de réussite de la première à la deuxième question portant sur le même
337
Chapitre VI
énoncé est plus importante pour notre classe que pour l'échantillon (15 % contre 5 %).
Sur les quatre élèves que représentent ces 15 %, deux ont fait une simple erreur de
calcul : 8 x 6 = 45 pour le premier, suivi du complément correct à 50, soit 5 comme
réponse à I57 ; le deuxième, quant à lui, a obtenu sa réponse à la suite des calculs
suivants (que nous retranscrivons avec les maladresses d'écritures)
10 x 6 = 60 – 6 = 54 – 6 = 48 (∗)
et conclut alors à "8 pages pleines" (10 – 1 – 1 = 8), ce qui est juste, mais donne
le complément à 60 (soit 12) au lieu du complément à 50 pour le nombre de photos de la
dernière page. Les deux derniers élèves posent une division et font une confusion entre
reste et partie décimale (exemple : 50 ÷ 6 = 8,33 et conclusion à 8 pages pleines et 33
photos sur la dernière page).
Ainsi, la moitié de cette chute n'est pas due à une erreur de raisonnement. On
appréciera même l'originalité et l'efficacité de la méthode représentée par (∗). Il ne reste
donc que deux élèves pour lesquels des remédiations plus lourdes seraient à envisager.
La proximité des résultats aux items 56 et 67, malgré une tâche pourtant bien
différenciée sur le plan de l'articulation des registres concernés (voir p. 335), nous
amène à étudier plus précisément ces deux items croisés dans le tableau de
contingence ci-dessous :
I56
Réussite
Echec
Total
Réussite
13
6
19
Echec
Total
5
18
2
8
7
26
I67
Tableau 34 : étude croisée des items 56 et 67
L'effectif estimé, sous l'hypothèse d'indépendance, de chaque case est très
proche de l'effectif observé (par exemple
7
⋅ 8 ≈ 2,15 ≈ 2), ce que confirme un χ2 égal
26
à 0,022. On peut donc considérer que ces deux items sont bien indépendants, malgré un
rangement dans la même catégorie de complexité cognitive. Ceci prouve, si besoin en
était, les limites d'une classification comme N.L.S.M.A. (Rauscher ; 1993, pp. 74-75), et
338
Chapitre VI
la nécessité d'affiner l'analyse au moyen d'autres critères, au premier des rangs desquels
nous plaçons des critères sémiotiques. La classification en "non routinier" recouvre donc
des réalités bien différentes, qu'il nous est donné d'éclaircir ici dès lors que la nécessité
s'en est fait sentir et que nous étions en possession des données chiffrées permettant une
telle investigation. Dans le cas précis qui nous préoccupe, notre analyse (voir p. 335 les
mots surlignés) en termes de congruence, de production ou de vérification, de sens de
conversion (un registre vers un autre contre articulation en simultané), peut rendre
compte d'une telle différenciation de l'activité et de la réussite associée. Elle nous
conforte dans l'idée que des travaux de conversion systématiques, balayant toute la
diversité de ce type de tâches, sont nécessaires dans la mesure où des élèves capables de
réussir à I56 peuvent échouer à I67 et vice versa. C'est ce que nous avons entrepris au
cours de notre expérience. C'est ce qui nous a permis sans doute d'enregistrer de vrais
succès. C'est ce qu'il conviendrait de poursuivre pour une réponse de fond aux quelques
échecs résiduels.
Examinons à présent les items calculatoires :
N° des
Items
Tâche
32
33
Calcule :
6,25 + 12,85
Réussite
Clas.
globale (%) 62
Nat.
79
Calcule :
7,24 – 4,3
Clas. Nat.
38
50
36
37
38
Parmi les
Trouver parmi
nombres
les cinq
proposés,
nombres :
entoure la
100 ; 500 ;
meilleure
800 ; 1 000 ;
réponse :
10 000 ;
le nombre le
250 : 11
plus proche de est proche de :
2 ; 2,5 ; 25 ;
4,9 x 202
250 ; 2 500
Clas.
58
Nat.
44
Clas.
73
Nat.
63
Parmi les
nombres
proposés,
entoure la
meilleure
réponse :
5 525 + 535
est proche de :
5 000 ; 10 000 ;
1 000 ; 6 000 ;
55 000
Clas.
Nat.
92
67
Tableau 35 réussite aux items non routiniers (2ème série)
Nous relevons des écarts positifs aux trois derniers items (36, 37, 38). Cela
témoigne d'une capacité à se dégager des algorithmes les plus pratiqués à l'école
élémentaire française, les fameuses techniques opératoires, dans ce sens où il s'agit bien
339
Chapitre VI
de rendre compte de la réponse à des calculs, mais par des voies de substitution à des
pratiques usuelles ancestrales, celles des opérations posées. S'affranchir d'un passé aussi
lourdement chargé est sans doute un gage d'indépendance. Pari donc tenu et
sensiblement gagné. On notera cependant que le même type d'items était déjà mieux
réussi par la classe au CE2 (I38, I39 de l'évaluation CE2), mais on observera que d'une
part l’écart s'est amplifié, que d'autre part les données sont phonétiquement et
graphiquement moins proches de leur résultat qu'au CE2 (par exemple 5 525 + 535 par
rapport à 6 000 ou 4,9 x 202 par rapport à 1 000, ce dernier item dénotant une réelle
indépendance formelle vis à vis des données, dans la mesure où il suppose que l'on
substitue 5 à 4,9).
Venons-en à présent aux deux seuls items, I32 et I33, moins bien réussis par
notre classe que par l'échantillon sur l'ensemble de l'évaluation. Il est déjà remarquable –
et d'une certaine façon satisfaisant – de constater qu'ils concernent des opérations à
effectuer, et pas des problèmes à interpréter, même si la disposition en ligne ne les
réduit pas à l'exécution de purs algorithmes. Il convient de souligner que, s'il s'agit bien
d'items portant sur les décimaux, ils concernent une partie du programme non prise en
charge par les logiciels (addition et soustraction). Par ailleurs, on peut constater que
l'échantillon national avait l'avantage d'un contexte favorable car, dans le cahier complet
de l'évaluation, ces deux items étaient précédés d'items portant sur des opérations déjà
posées, ce qui n'était pas le cas de notre texte formé d'extraits de cette évaluation. Les
élèves de l'échantillon disposaient ainsi d'un modèle dont ils ont pu s'inspirer. Enfin, 5
de nos élèves, soit à peu près 20 %, ont fait par étourderie une addition en I33
(7,24 + 4,3 au lieu de 7,24 - 4,3), et 4 d'entre eux ont alors trouvé une réponse cohérente
(soit 7,54 et pas 7,27 par exemple). Mais une proportion non négligeable de l'ensemble
de la classe, 7 sur 26 soit à peu près 30 %, ont donné 3,21 comme réponse à 7,24 - 4,3 (7
moins 4 accolé à 24 moins 3 !). Ce que nous assumons comme une contre-performance,
car concernant un leurre sémiotique à propos duquel le travail sur les logiciels aurait dû
les prévenir. Qu'en aurait-il été sans un travail systématique sur l'articulation des
registres rationnels ?
Nous retiendrons, suite à l'analyse de cette deuxième série d'items de la
catégorie, l'évolution de cette classe qui tend à présent à mieux réussir que l'échantillon
national lorsqu'il s'agit de se risquer hors des lieux communs, mais qui peut réussir
moins bien dans des situations plus banales. Constat qui est à l'opposé de celui que nous
340
Chapitre VI
avions dressé à l'issue de l'analyse de la même catégorie de compétences, lors de
l'évaluation de début de cycle.
L'examen du dernier item va confirmer et amplifier ce même constat, dans un
cadre où il s'agissait de déranger un ordre géométrique préétabli et / ou de coordonner ce
nouvel ordre avec des considérations numériques, donc en dehors de toute normalité :
N° de
l'item
Tâche
58
L'aire de la figure en forme de tour est : … cm2
1
Réussite
globale (%)
2
Classe
85
Nat.
63
Tableau 36 : réussite aux items non routiniers (3ème série)
L’écart de plus de 20 % est suffisamment significatif pour rendre superflu tout
commentaire supplémentaire.
En conclusion de ce paragraphe, nous retiendrons tout d'abord que la catégorie
"items non routiniers" est bien composite sur le plan cognitif, ainsi que nous l'avions
anticipé lors de l'introduction à la section 2.1. Une analyse qualitative de la tâche, item
par item, ainsi qu'une étude croisée entre deux items nous ont néanmoins permis de
débrouiller les éléments de cette complexité et donc de préciser ce que nous mesurions,
ainsi que la nature des progrès constatés en moyenne. La relation entre ces progrès et
nos options didactiques d'une part, la pertinence de ces dernières pour analyser certaines
des difficultés constatées d'autre part, en sortent confortées.
341
Chapitre VI
Nous relèverons ensuite que, pour les moins routiniers de ces exercices déjà
sélectionnés sur des critères de non standardisation, la classe se détache nettement de
l'échantillon national. Elle affirme par là même un véritable caractère d'indépendance
vis à vis d'attitudes convenues. Elle confirme donc une évolution radicale par rapport à
ce que son évaluation de début de CE2 pouvait laisser craindre. Si sa capacité à produire
des raisonnements originaux se trouve ainsi établie, on relèvera néanmoins une faiblesse
étonnante dans sa médiocre gestion des décimales de l'item 33. Elle n'est donc pas
prémunie contre tous les trompe-l'œil, ce qui en soi est un constat tout a fait prévisible.
Les résultats obtenus par ailleurs (voir 2.1.2.1 et 2.2.2), ainsi que le contexte de
présentation de cet item, permettent cependant de relativiser le degré de récurrence et de
stabilité de ce type d'erreur, et donc de fournir un pronostic favorable quant son
dépassement.
2.1.3. Confirmation du lien entre nos choix didactiques et les évolutions constatées
La classe étudiée a donc bien progressé entre le début et la fin de son cycle 3.
Nous parlons de progrès, et pas seulement d'évolution, car les deux derniers au moins
des quatre types de compétences qui nous ont servi de repères dans cette estimation sont
très universellement reliés à la réussite en mathématiques – et sans doute à la réussite
tout court. Résumons en quatre points les qualités attachées à l'ensemble des
compétences que nous avons examiné :
1. prendre le risque d'innover, ce qui suppose à la fois une bonne maîtrise des
schémas tactiques et stratégiques éprouvés, et à la fois la capacité à s'en dégager lorsque
cela est nécessaire ;
2. diversifier ses procédures de résolution, notamment en sachant rompre avec
un schéma de preuve progressant linéairement des prémisses à la conclusion, et en lui
substituant parfois un autre schéma s'organisant dialectiquement autour de l'émission
d'hypothèses et de leur preuve ou de leur réfutation ;
3. débrouiller puis coordonner les unités sémiotiques requises pour
appréhender un problème mathématique complexe et mener à son terme une procédure
permettant sa résolution ;
4. interpréter, exprimer et résoudre les problèmes numériques qui s'y prêtent
− formation des rationnels, encadrements, intercalations… −, mais aussi toute autre
342
Chapitre VI
situation relevant d'un système muni d'une relation d'ordre total, dans un environnement
unidimensionnel.
Nous prétendons, et c'est l'essentiel de notre thèse, que les deux derniers points
sont tout aussi décisifs que les deux premiers : le numéro 3, qui concerne les
mathématiques en général, et le numéro 4, qui concerne plus précisément l'enseignement
des rationnels. Pour ce qui est du point 3, notre réflexion rejoint celles d’autres
chercheurs, tout particulièrement Raymond Duval.
Mais nous n'aurons pas la prétention d'attribuer l'exclusivité de cette réussite à
nos seules options d'enseignement, au premier rangs desquelles on trouve le travail sur
les logiciels ORATIO. D'autre facteurs, comme la qualité de l'enseignement assuré par
le maître de la classe de Sélestat et son engagement dans la recherche, mais aussi l'effet
positif sur les élèves d'être pris comme classe expérimentale ont été tout aussi
déterminants. Parfaitement conscient de ces effets collatéraux, nous avons néanmoins
tenté de dégager, tout au long de la section 2.1.2, en quoi les réussites et les échecs
validaient nos grandes orientations, et où pouvaient se situer les faiblesses résiduelles.
L'objet de la présente section est de renforcer le lien entre nos choix didactiques et les
évolutions positives constatées à la section précédente, autour de deux autres types
d'arguments :
1. la spécificité du travail informatique
2. le rappel d'observations qualitatives d'élèves réagissant à la tâche proposée par
certains logiciels
2.1.3.1. La spécificité du travail informatique
Notre prétention n'est pas de traiter exhaustivement des spécificités d'un
enseignement assisté par ordinateur, mais d'indiquer succinctement certaines
caractéristiques de ce type d'enseignement en général, et de nos logiciels en particulier,
qui peuvent rendre compte des progrès quantitativement mesurés à la
section
précédente (2.1.2). Notre argumentation tournera essentiellement autour de l'idée de
confiance qu'un utilisateur peut accorder à un ordinateur et, au-delà, à des logiciels, par
opposition à la confiance qu'on est prêt à accorder à un maître ou à la fiabilité d'une
expérience purement physique.
343
Chapitre VI
a) L'ordinateur versus le maître
Nous avons rappelé p. 342, point 2. à quel point la diversification des
procédures de résolution et la compétences à résoudre des exercices non routiniers
étaient liées à la disponibilité de processus non linéaires de raisonnement, et en
particulier à des processus de type essai / erreur. Gradu5 a été l'occasion d'observer in
vivo de tels processus auprès de nos élèves. On se reportera notamment au chapitre IV2.4.4.1 pour un exemple particulièrement significatif. Or de tels processus ne sont
envisageables que si des rétroactions fiables sont renvoyées par le dispositif didactique,
afin que les élèves puissent mesurer le degré de validité de leurs différents essais et
prendre alors les décisions qui s'imposent. Pour que cette relation de confiance
fonctionne, et permette au processus de se développer et de produire ses effets
d'apprentissage, il est nécessaire que l'utilisateur soit convaincu de la neutralité cognitive
du système rétroagissant "afin qu'ils renoncent [les élèves] à tirer de lui les informations
et les aides qu'ils ne doivent tirer que d'eux-mêmes" (Brousseau ; 1986-b, p. 142), ou
encore qu'ils ne s'épuisent pas dans la recherche souvent illusoire de "la bonne réponse"
(ibid ; p. 132) dont le maître serait le dépositaire exclusif. Or on ne pourra nier que pour
assurer cette neutralité, un ordinateur n'a pas son équivalent humain : il n'adapte pas ses
réponses en fonction de la nature de la question et de l'identité de celui qui la pose ; il
n'a pas de programme officiel à boucler, de comptes à rendre à l'institution ou aux
parents ; il n'a pas d'objectifs d'enseignement, n'attend pas en conséquence la réponse
qui aille dans le "bon sens", n'a donc aucune raison de falsifier, d'anticiper ou de
dissimuler, et par là même de transformer en devinette un processus de preuve.
b) L'ordinateur versus l'expérience physique
Rien ne remplacera une expérience physique pour apprendre à rouler à
bicyclette. Parce que l'utilisateur a besoin d'éprouver dans son corps les sensations de
recherche d'équilibre, de vitesse, ou encore d'amortissement des chocs pour devenir
expert… En ce qui concerne l'apprentissage des mathématiques, une expérience
physique n'est ni nécessaire ni suffisante, mais il faut bien reconnaître qu'elle peut
contribuer à fournir des occasions et, surtout, des équivalents empiriques aux objets et
transformations mathématiques enseignés. Mais il n'est pas toujours aisé, au stade de la
scolarité étudié, de trouver une situation physique qui nécessite vraiment un nouveau
modèle mathématique pour sa résolution. Par exemple, l'évaluation des longueurs en
termes d'unités "composées" ou "complexes", comme dans 2 m 58 cm, est suffisamment
344
Chapitre VI
efficace pour permettre de résoudre la plupart des situations pratiques – de comparaison,
d'addition, de partage… – et par conséquent de s'affranchir d'une expression
fractionnaire ou décimale (Brousseau ; 1986-b, p. 147) que la problématique de mesure
était censée engendrer... De nouveaux modèles mathématiques "plus performants",
supposés être naturellement portés par des situations physiques, sont ainsi souvent
perçus par les élèves comme "une complication, une exigence supplémentaire superflue"
(ibid ; p. 148), et donc finalement artificiels. Tout au plus y voient-ils alors une manière
plus compacte d'enregistrer l'information, mais beaucoup moins pertinente et commode
pour l'interpréter et la traiter, ce qui est paradoxal, puisque c'est essentiellement pour ces
deux dernières raisons que les modèles sont développés. D'où la rupture de confiance…
L'ordinateur quant à lui permet de simuler certaines expériences physiques sans
distorsion (contrairement à une simulation de conduite d'une bicyclette). Par exemple,
toutes les actions de reports et de subdivisions que l'utilisateur entreprend à l'écran pour
les logiciels de la série Gradu sont clairement transposables dans un univers physique
papier / crayon ou encore plus matériel comme des réglettes en bois. Cette simulation a
l'avantage de limiter les risques de contresens pouvant résulter de l'accumulation des
imprécisions inhérentes aux manipulations matérielles. Elle est en outre beaucoup moins
coûteuse en temps de préparation, d'intervention, de rectification ; elle incite donc
beaucoup plus à entreprendre des essais à risque – de se tromper –, car les conséquences
d'une éventuelle erreur, en termes de temps et d'actions de "réparation" et de reprise,
sont beaucoup moins pénalisantes dans ce contexte. L'ordinateur permet donc de
conserver les équivalents empiriques porteurs de sens signalés plus haut, tout en
minorant notablement les défauts et incertitudes stériles qui leur sont liés. C'est là un
premier ensemble de raisons susceptible de provoquer la confiance d'un utilisateur.
Mais nous voyons dans la simulation sur ordinateur un autre avantage qui va
permettre de rompre avec cette démarche artificielle consistant à imposer, au nom de
manipulations physiques censées le nécessiter, un nouveau modèle réputé plus pertinent
alors que les anciens suffisent manifestement. C'est que, en épurant une situation
physique, notamment en limitant les moyens d'agir sur elle à un champ de contraintes
acceptables car dépendant d'une machine, la simulation sur ordinateur la "sémiotise",
dans ce sens où elle n'est plus l'expérience mais qu'elle y renvoie. Dès lors, l'émergence
des modèles alternatifs n'est plus seulement provoquée par l'amélioration des modèles
existants, sous la pression de l'environnement physique – on vient de le voir souvent
345
Chapitre VI
factice –, mais par la nécessité de les articuler à d'autres registres. Ainsi,
a
prend son
b
sens, non pas tant d'une insuffisance des entiers pour la mesure que : d'une part de la
nécessité de désigner numériquement un point d'une droite, situé entre d'autres points,
eux-mêmes déjà associés à d'autre nombres, entiers ou pas ; d'autre part des actions à
produire – reports, subdivisions… – pour atteindre ce point sous les contraintes du
logiciel.
Ce moins d'artifice par rapport aux expériences physiques couramment
mobilisées à l'élémentaire pour motiver l'apprentissage des mathématiques offre un
deuxième ensemble de bonnes raisons d'accorder sa confiance. Cette dernière relation de
confiance est du même ordre que celle accordée à un système comme l'écriture pour
signifier : système d'une grande souplesse d'utilisation et susceptible de s'articuler à
d'autres systèmes, auditifs, visuels figuratifs, iconographiques, pictographiques…
c) La pertinence des logiciels liés à notre expérience
Bien entendu, tout logiciel ne produira pas cette relation de confiance,
indispensable pour accepter et intégrer ses rétroactions à un processus de preuve et
réfutation. Nos logiciels ont-ils atteint cet objectif ? Rappelons tout d'abord qu'ils ont été
développés autour d'un cahier des charges : laissant à l'utilisateur la responsabilité des
décisions stratégiques, et notamment celle de stopper le processus de recherche ;
largement ouvert aux procédures empiriques et donc non orienté vers la procédureexpert – sauf au moment du corrigé ; proposant des rétroactions minimales, non
standardisées mais au contraire personnalisées par le type d'action qui les a produites,
conçues comme moteurs de relance plutôt que fins de non recevoir ; offrant des aides
sans les imposer, c'est à dire choisies ou réfutées librement par l'utilisateur. On voit donc
que le cahier des charges fait délibérément le pari de l'intelligence et de la responsabilité
de l'élève, ce qui est un solide gage de retour de confiance.
Mais la meilleure façon de vérifier cette relation de confiance réside dans
l'observation directe des élèves et de leur attitude lors des passations.
C'est ce que nous allons à présent rappeler.
2.1.3.2. Observations qualitatives d'élèves lors des passations sur les logiciels
Deux indicateurs vont nous permettre d'estimer le degré de confiance que nos
élèves ont accordé à nos logiciels :
346
Chapitre VI
•
la prise en compte des rétroactions du logiciel dans leurs procédures de résolution ;
•
le temps au-delà duquel on aurait pu enregistrer les premiers signes de désintérêt.
En ce qui concerne le deuxième point, nous rappellerons que l'expérience s'est
déroulée sur deux années consécutives, trois mois la première année, cinq mois la
deuxième, à raison de deux séances de trois quarts d'heure en moyenne par semaine, soit
environ soixante-dix séances de passation sur les logiciels. Or, malgré la durée
importante de cette expérience, les élèves n'ont jamais exprimé le moindre sentiment de
lassitude au moment de se rendre à la salle informatique. Bien au contraire, cette séance
était attendue et réclamée. Par ailleurs, l'observation directe des élèves témoigne de leur
engagement et de leur acharnement à rechercher des solutions aux problèmes posés par
les logiciels. Des temps de réponse voisins de 10 minutes ne sont ainsi pas rares,
jusqu'au mois de février 1998, soit lorsque l'expérience touchait à sa fin. Et cette lenteur
n'était pas le produit d'une démobilisation, mais d'une intense activité mathématique qui
entendait mener à son terme le processus de recherche engagé. Bien entendu, nous
avons aussi relevé, une fois ou l'autre, en fin de séance, l'expression d'une certaine
lassitude, notamment consécutive à des échecs persistants. Mais cette lassitude ne s'est
jamais répercutée d'une séance à l'autre : on repartait chaque fois avec la même volonté
de relever les défis, y compris ceux laissés en attente.
En ce qui concerne le premier point, nous nous contenterons de renvoyer ou de
résumer des observations qualitatives rapportées aux chapitres IV et V. Nous
structurerons ces rappels autour des trois premières compétences évaluées en 2.1.1 et
2.1.2 − la dernière concernant les droites graduées relevant de l'évidence. Nous serons
ainsi à même de confirmer à la fois l'adhésion de nos élèves aux logiciels − notamment à
leurs rétroactions −, et à la fois les liens évidents entre cette forme d'activité et leurs
progrès évalués en 2.1.2.
a) Activités favorisant un fonctionnement sémiotique complexe
Nous avons choisi d'illustrer ce premier point au moyen des logiciels de la série
Gradu (voir chapitre IV-2.4.4 pour plus de détails), mais nous aurions tout aussi bien
pu trouver des exemples dans l'une des autres séries – par exemple Format2 traité en
V-2.4.2 ou encore Form2gra traité en V-2.4.4.
Les premières difficultés sérieuses apparaissent avec Gradu2. Pour déposer 26
entre 25 et 30, des élèves demandent une resubdivision de l’intervalle en 1 sous347
Chapitre VI
intervalle (1 = 26 - 25 !), au lieu des 5 sous-intervalles nécessaires pour pouvoir accéder
à la première graduation et y déposer 26. De même, pour placer 43 entre 39 et 49, s’ils
réalisent que des sauts de 2 en 2 sont adéquats, ils ont beaucoup de mal à comprendre
que ce 2 s’obtient au moyen d’un 5 ! (les 5 sous-intervalles nécessaires pour progresser
de 2 en 2, entre 39 et 49, ) : les signes du registre (bornes, pas, fractionneur, intervalles)
sont encore mal reliés, les leurres sémiotiques sont fréquents. Gradu3 va révéler une
meilleure prise en compte des signes du registre : peu d’élèves se laissent piéger par les
longueurs physiques des segments à l’écran (un segment peut être plus long mais
traduire une valeur numérique plus petite qu’un autre segment ; seules les bornes et le
nombre de graduations sont signifiantes). Gradu4 vient valider les premières
impressions de Gradu3, à travers ces remarques d’enfants : « ce qui compte, c’est les
nombres » (entendre les bornes versus la position plus ou moins à gauche ou les
longueurs physiques) ; « s’il y a plus d’intervalles, c’est plus petit » (sous-entendu, à pas
constant). Gradu5 qui sera surtout abordé au point c). ci-dessous, va confirmer cette
dissociation des univers physique et sémiotique : on accepte que 1 graduation de plus
ne corresponde pas à 1 de plus, et, à l’inverse, on va admettre que 3 sous-graduations de
plus peuvent correspondre à 1 de plus (voir IV-Figure 20). Ces informations se
déduisent des seules unités signifiantes du registre et pas d’associations hâtives de type
1 pour 1. Bien entendu, cette progression n’est pas linéaire : certaines régressions de
type « plus long, plus grand » peuvent être constatées, notamment lorsque les longueurs
physiques sont sensiblement les mêmes.
Constatons que l'apprivoisement d’un environnement sémiotique complexe et
piégeant a eu lieu beaucoup plus rapidement que ce que le pointage initial de ces élèves
au niveau du CE2 aurait pu laisser supposer. Nous pourrions ajouter : ils n’avaient pas
le choix ; plongés dans un univers où les actions et rétroactions sont résolument et avant
tout sémiotiques, on ne pouvait assister qu’à des impasses ou à une adaptation. C’est
heureusement la deuxième hypothèse qui s’est trouvée être la bonne.
b) Activités favorisant la diversification des procédures
Un des exemples les plus significatifs de diversification des procédures a été
rapporté lors de l'étude de Fracti5, exercice 4. Il concerne la comparaison des fractions
et a été traité en V-1.6.5. Nous invitons le lecteur à s'y reporter pour plus de détails.
348
Chapitre VI
Mais on en trouvera d'autres exemples dans l'étude de Fracti4 en V-1.6.4, qui
concerne l'intercalation de fractions, ou encore de Format2 en V-2.4.2, qui se rapporte à
la comparaison des décimaux.
Ils montrent que cette classe, timorée et univoque en début de CE2, va devenir
inventive et diversifiée : les ressources des différents registres sont suffisamment riches,
en termes de multiplicité d’actions ou de regards possibles sur les signes et les liens qui
assurent leur cohésion, pour permettre l’éclosion de cette diversité.
c) Activités favorisant la résolution de problèmes non routiniers
Gradu5 constitue le meilleur test pour apprécier l’attitude de la classe face à des
problèmes complexes. La tâche est vraiment ardue, à tel point que nous avions
longuement hésité avant de proposer ce logiciel à ce niveau de la scolarité. On se
reportera en IV-2.4.4.1 pour s'en convaincre.
En tout état de cause, on observe une attitude résolument positive, des prises
d’initiatives risquées, la mise au point progressive de procédures nouvelles, l’énoncé des
premiers algorithmes. On est loin de l’attitude de renoncement face à l’imprévu et aux
problèmes non routiniers constatée au CE2.
2.1.4. Conclusion de la section 2.1
Il est temps de conclure cette première analyse des données de notre
expérimentation dans la classe de Sélestat.
Nous avons défini a priori quatre types de compétences qui nous paraissaient
pertinents pour l'évaluation de cette expérimentation.
Nous avons alors extrait de l'évaluation nationale de début de CE2 certains
items permettant d'étalonner la classe vis à vis des quatre types de compétences. En
l'absence de résultats détaillés élève par élève, il ne nous été possible de proposer à ce
stade que des validations qualitatives de la pertinence des types de compétences retenus
et de l'adéquation des items choisis à ces derniers. L'ensemble nous a révélé une classe
timide, peu encline à prendre des risques, à se diversifier, notamment dans le cas
d'activités à énoncé sémiotiquement complexe ou présentant un caractère non routinier.
Nous avons testé en fin de cycle la même classe, au moyen d'items extraits de
l'évaluation nationale à l'entrée en 6ème et se rapportant aux mêmes types de
compétences. Disposant alors de résultats détaillés élève par élève, nous avons été en
mesure d'apprécier plus quantitativement la pertinence des quatre types de compétences
349
Chapitre VI
ainsi que l'adéquation des items retenus à leur évaluation. Cette appréciation nous a
permis de mesurer les limites de cette catégorisation, mais en même temps d'en préciser
la complexité. Les éléments de cette analyse ont apporté une première confirmation au
bien-fondé de nos grandes orientations didactiques, et ont ouvert la voie à des
investigations ultérieures, notamment en ce qui concerne les spécificités du registre de la
langue naturelle.
La classe observée s'est révélé présenter, à l'opposé de ce que nous avions
constaté en début de cycle, tous les signes d'une forme productive d’atypicité : plus à
l'aise que l'échantillon national lorsqu'il s'agit d'innover, de risquer des procédures non
standard, de débrouiller une complexité sémiotique ou un énoncé non convenu, une
classe en un mot qui, de conformiste et univoque, est devenue originale et plurielle.
Encore convient-il de préciser que ce gain d'originalité s'accompagne d'un gain dans la
réussite puisque l'écart avec l'échantillon national a été creusé à l'avantage de notre
population.
Enfin, en s'appuyant sur le rappel d'observations menées lors des séances
d'apprentissage au moyen des ordinateurs, nous avons été en mesure de relier cette
évolution positive à la spécificité de certains de nos choix didactiques, notamment
l'environnement informatique et les options retenues pour le développement des
logiciels.
Après avoir validé notre recherche globalement, par le biais d'une évaluation
qui prenait quelque distance avec le contexte d'apprentissage et qui tentait d'apprécier
des compétences générales, il nous reste à en proposer une évaluation plus locale,
portant spécifiquement sur des compétences liées à la maîtrise des rationnels, donc aux
contenus mêmes de l'apprentissage. C'est ce que nous allons examiner à la section
suivante.
2.2. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par des tests
locaux
Nous allons donc étudier dans cette section les résultats de nos élèves à des
extraits de trois évaluations – dites locales – principales, complétées par une quatrième
évaluation-pronostic, toutes élaborées par nos soins, et dont la passation s'est tenue à des
moments clés de l'expérimentation.
350
Chapitre VI
2.2.1. Constitution du recueil de données
Il s'agissait pour nous de disposer d'un outil permettant : d'apprécier les
évolutions des élèves vis à vis de l'acquisition des connaissances et compétences
exposées en 1.1 ; de contrôler voire d'ajuster certains paramètres de notre
expérimentation. Devant la quantité importante de données ainsi recueillies, nous avons
décidé de ne retenir pour l'analyse qu'une partie des items proposés aux élèves. La
sélection de ces derniers devait permettre de rendre compte des évolutions, critère que
nous avons déjà privilégié en 2.1. Les items retenus se devaient par conséquent d'être
opposables, et donc présenter, ligne par ligne (voir tableaux 28 et 30), des caractères de
comparabilité. Se sont ainsi trouvés éliminés les types d'items non repris d'un test au
suivant : soit parce que trop liés à une conjoncture, soit encore parce que repérés comme
non pertinents, ambigus ou maladroits, au cours d'une évaluation antérieure.
Nous avons signalé que les passations avaient eu lieu à des moments clés de
l'expérimentation, soit une première fois en fin de CM1 (juin 97) après un premier
passage sur l'ensemble des logiciels de traitement ; une deuxième fois en début de CM2
(octobre 97), après un deuxième passage sur les logiciels de traitement ; une troisième
fois en fin de CM2 (mai 98), après passage sur les logiciels de conversion et trois mois
après la dernière séance. Nous reviendrons plus loin sur la quatrième évaluation. La
nature des items proposés à chacune de ces évaluations était donc liée à l'état
d'avancement des travaux dans la série ORATIO. On serait ainsi autorisé à penser que
certains types d'items, notamment de la troisième évaluation, pourraient ne pas être
représentés aux deux premières et en conséquence ne pas être opposables. On verra en
fait que c'est rarement le cas, car nous avons choisi de mesurer certaines compétences,
sitôt que les élèves disposaient des moyens de comprendre l'énoncé qui en rendait
compte, anticipant légèrement sur leur apprentissage systématique. On verra ainsi
apparaître des énoncés de conversions inter-registres aux évaluations de 97, soit avant
l'étude des logiciels de conversion, mais à un moment où les élèves disposaient déjà des
trois moyens, abordés par notre étude, d'exprimer les rationnels, et avant que les liens
entre ces trois registres soient explicités. Il s'agissait pour nous de tester, dans un
environnement papier / crayon, dans quelle mesure certaines conversions spontanées
observées en phase d'apprentissage étaient reproductibles et fréquentes.
351
Chapitre VI
Ayant précisé les conditions générales du recueil des données, étudions à
présent trois cas de conditions plus particulières que l'on pourra relever à l'examen des
tableaux 28 à 31. Afin de faciliter cette investigation, on pourra d'une part se reporter
aux annexes nnn qui fournissent les énoncés complets de chacun des items étudiés –
alors que les tableaux 28 et 30 n'en fournissent qu'une version abrégée –, et d'autre part
à la légende suivante qui détaille la structure de chaque mnémonique.
Pour chacun d'entre eux, nous utilisons un groupe de lettres rappelant le statut
sémiotique de l'item qu'il désigne, suivi d'un numéro qui rappelle son rang d'apparition
dans le texte de l'évaluation totale, tel que proposé aux élèves. La liste suivante fournit
la signification de chaque groupe de lettres :
•
D renvoie à des exercices de traitements d'écritures décimales ;
•
Q renvoie à des exercices de traitements d'écritures fractionnaires ;
•
GR renvoie à des exercices de traitements de droites graduées ;
•
CV renvoie à des exercices de conversion d'un registre à un autre ;
•
Ch_reg (comme Ch(angement) (de) reg(istre)) renvoie à une articulation de
registres, et donc notamment à des énoncés de problèmes qui demandent de
coordonner des registres textuels, graphiques, numériques…
La différence entre les catégories CV et Ch_reg tient à ce que la première décrit
des exercices demandant de passer séquentiellement d'un registre à un autre, alors que la
seconde suppose une prise en compte interactive de deux, voire de plusieurs registres.
Ces problèmes de nomenclature étant réglés, entrons à présent dans le détail
des cas particuliers.
a) Premier cas particulier
On notera la présence de quatre items (CV17, Cv18, Che_reg03, Che_reg04),
en bas de la colonne "mai 98" du tableau 28, séparés des autres items par un blanc. Il
s'agit d'items non opposables à des items issus des évaluations antérieures, car portant
sur des conversions et articulations de registres spécifiques – comme l'interprétation
fractionnaire des décimales d'un nombre – et qui donc ne pouvaient s'aborder avant
l'étude des logiciels de conversion. Ces items feront donc l'objet d'une étude à part.
b) Deuxième cas particulier
Nous avons séparé l'étude des problèmes – c'est à dire des items demandant une
interprétation poussée de l'énoncé et des reformulations intra ou inter registres avant sa
352
Chapitre VI
résolution – des exercices – soit des items à formulation plus épurée. Rappelons que
notre dispositif ne prévoyait pas explicitement, au départ, un travail spécifique sur les
énoncés de problèmes, notamment physiques. Cet enseignement était donc
volontairement laissé à la discrétion du maître de la classe, afin d'apprécier, en dehors de
toute intervention didactique expérimentale, l'occurrence et l'efficacité, au service de la
résolution de problèmes, des recours aux outils élaborés lors de la phase logicielle. Cette
étude va en fait révéler certaines carences du dispositif, débouchant sur les améliorations
proposées au chapitre III-4.6, et sur des propositions d'accompagnement papier /
crayon plus systématique des logiciels, ainsi que les fiches pédagogiques de l'annexe
nnn le proposent.
c) Troisième cas particulier
Il s'agit de la quatrième évaluation de juin 98, non prévue initialement, annoncée comme
une évaluation-pronostic, et dont il est temps de préciser l'origine et le projet. Nous
allons en effet constater, à la lecture du tableau 29, certaines régressions et
insuffisances de fin de parcours révélées par l'évaluation de mai 98. Nous exposerons de
nombreuses explications conjoncturelles susceptibles de rendre compte de ces contreperformances. Mais nous nous devions d'examiner s'il existait des raisons plus
structurelles, liées par exemple à nos choix didactiques, afin de procéder à d'éventuelles
remises en cause. Mais pour cela, un système de notation en 0 / 1 ne suffit pas. Un tel
système est trop brutal, car entre ignorance et savoir, il y a évidemment des états
intermédiaires que l'on pourrait idéalement modéliser, non par un seul indicateur
binaire, mais par une suite d'indicateurs binaires dont la valeur, 0 ou 1, permettrait
d'évaluer l'état précis des acquis et des carences dans la constitution d'un savoir. Un seul
de ces indicateurs à 0 suffirait pour mettre à 0 l'indicateur résultant, le seul dont nous
disposons pour un item ordinaire d'une de nos évaluations. Un tel système n'est
évidemment ni disponible ni sans doute souhaitable, mais il est possible d'en proposer
une approche indirecte. En effet, dans ce modèle, la présence de nombreux zéros
signerait un défaut structurel d'enseignement / apprentissage, alors que des indicateurs
majoritairement à 1 témoigneraient d'un apprentissage quasi abouti malgré la rémanence
de quelques lacunes. On conçoit que dans le premier cas, seule une intervention lourde
serait susceptible d'y remédier ; alors que dans le deuxième, une intervention légère
serait suffisante.
353
Chapitre VI
L'hypothèse que nous souhaitions vérifier, désignée dans la suite de cette
section par hypothèse H1, était donc la suivante :
Le savoir d'une majorité de nos élèves, relatif aux quelques items de
l'évaluation de mai 98 les moins réussis, est proche de l'aboutissement malgré le faible
score qu'ils ont obtenu.
Pour valider cette hypothèse, nous nous proposons de tester une de ses
conséquences observables, à savoir qu'une intervention didactique légère suffit à
augmenter notablement la réussite aux items concernés ; une telle intervention ne
pouvant pas suffire dans l'hypothèse contraire.
Nous avons donc personnellement mené cette intervention, dans un
environnement exclusif papier / crayon / tableau noir, en une seule séance de trois quarts
d'heure, début juin 1998. Au cours de cette séance, nous avons repris deux
fondamentaux du registre des écritures fractionnaires, et leur interprétation au moyen du
registre des droites graduées : la prise en compte des bornes entières du repère pour
interpréter le nombre de graduations en termes de quantièmes (placer 2/5 sur un segment
dont les extrémités visibles sont 0 et 2 demande un pas de raisonnement de plus que
dans le cas d'un segment dont les extrémités sont 0 et 1) ; la comparaison des fractions
aux entiers, ou à d'autres fractions simples comme 1/2, en liaison avec une expression
sur droite graduée. On se rappellera que, lors des passations logicielles, les élèves
avaient témoigné d'une approche très diversifiée et remarquablement pertinente de ces
problèmes (voir chapitre IV-2.4.4.1. concernant Gradu5 et V-1.6.5). Il était donc
légitime de réactiver des compétences, acquises plusieurs mois auparavant, et qui
avaient, en leur temps, fait la preuve de leur efficacité auprès des élèves, et provoqué
l'étonnement des enseignants par le seul fait de leur disponibilité.
Suite à cette unique intervention, les élèves ont à nouveau été testés le
surlendemain, sur une reprise des items les moins réussis en mai – bien entendu seul le
type d'item a été conservé, pas les valeurs numériques. Ce dernier test constitue donc
l'évaluation-pronostic, dans ce sens où cette dernière devait permettre de mettre à
l'épreuve l'hypothèse H1 énoncée ci-dessus, et donc de formuler un pronostic sur la
nature et la pérennité des échecs constatés. Elle a eu lieu en juin 1998 et a conclu
l'ensemble de l'expérimentation.
354
Chapitre VI
Nous allons à présent étudier les renseignements que nous apporte l'étude des
résultats. Nous diviserons cette étude en quatre parties, correspondant au cas général
d'une part, et aux trois cas particuliers énoncés p. 352 d'autre part.
2.2.2. Cas général : étude des tableaux 28 et 29, partie haute, colonnes de juin 97,
octobre 97, mai 98
La série d'items concernés par cette analyse teste des compétences générales et
élémentaires concernant la maîtrise de l'expression des rationnels dans les trois registres
mobilisés. Il s'agit d'items de type exercice que l'on caractérisera, par opposition aux
items de type problème, par un énoncé épuré, ne nécessitant pas de reformulations ou
d'interprétations lourdes pour sa résolution.
Examinons les résultats obtenus.
355
Chapitre VI
Les items comparables
juin-97
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
D03 : p.petit 5,14&5,6
D02 : p.petit 3,08&3,4
D10 : rgt 7,25 ; 7,8 ; 6,148 ; 7,09
D11 : intercale entre 7,4&7,5
D12 : intercale entre 7,9&8
oct-97
D01: p.petit3,7&3,16
D03 : p.petit5,3&5,0009
D05 : rgt 4,07 ; 4,6 ; 3,345 ; 4,35
D06 : intercale entre 5,6&5,7
D07 : intercale entre 5,9&6
Q11 : entoure 4/7<1 ; 4/7>1 ; 4/7>1/2
Q17 : Intercale entier 4/7<...<5/3
Q12 : Intercale entier 9/4<...<11/3
Q18 : Intercale entier 21/4<...<27/4
Q13 : Intercale entier 22/5<...<27/5
Q19 : Intercale a/b entre 6&7
Q14 : Intercale a/b entre 2&3
Q15 : rgt 1/7 ; 1/3 ; 1/10
Q23 : rgt 7/10 ; 2/4 ; 4/3
Q16 :rgt 3/6 ; 7/5 ; 5/8
GR02 : rgt 3 ratio pointés sur 3 dtes gr.
GR01 : rgt 3 ratio pointés sur 3 dtes gr.
GR06 : entier? (7) de [4;8] (4 ss-interv.)
GR05 : entier? (7) de [4;9] (5 ss-interv.)
GR07 : non entier? de [3;5] (3 ss-interv.) GR08 :non entier? de [2;6] (5 ss-interv.)
GR09 : entier? (7) de [5;8] (6 ss-interv.)
GR07 : entier? ( 9) de [6;10] (8 ss-interv.)
CV03 : 8/10 sur [0;2]
CV06 : 3/5 sur [0;2] part. en 20 interv.
CV08 : associer fracs et parts de tarte
CV03 : produire 3/4 assoc. parts de tarte CV01 : 5/6 solution? p. tarte vs dte gradu
mai-98
D01 p.petit 5,2&5,18
D02 : p.petit 15,09&15,4
D03 : rgt 11,432 ; 12,7 ; 12,09 ; 12,54
D04 : intercale entre 6,3&6,4
D05 : intercale entre 6,9&7
Q01 & Q02 : 3/5…1 ; 3/5…1/2
QO3 : intercale entier 8/3<…<13/4
QO4 : intercale entier 28/5<…<32/5
Q05 : intercale a/b entre 5&6
Q07 : rgt 1/5 ; 1/4 ; 1/10
Q08 : rgt 4/8 ; 7/6 ; 4/5
GR01 : rgt 3 ratio pointés sur 3 dtes gr.
GR02 : entier? (8) de [5;9] (4 ss-interv.)
GR03 : non entier? de [2;8] (4 ss-interv.)
GR04 : entier? (7) de [5;8] (9 ss-interv.)
CV01 : 7/10 sur [0;2] (20 ss-interv.)
CV03 : 4/5 sur [0;2] (20 ss-interv.)
CV07 à CV10 : assoc. fracs & parts d. tarte
CV11 : produire 3/8 assoc. parts de tarte
juin-98
Q01&Q02 : 13/8...1 ; 5/8...1/2
Q04 : Intercale entier 15/4<..<22/5
Q05 : Interc. entier 27/10<..<32/10
Q06 : Intercale a/b entre 1&2
Q07 : rgt 1/6 ; 1/2 ; 1/10
Q08 : rgt 5/10 ; 13/6 ; 3/4
CV01 : 6/10 sur [0;2] (20 ss-interv.)
CV03 : 2/5 sur [0;2] (20 ss-interv.)
CV 17 : écr. 3,14 comme entier+fraction(s)
CV 18 : écr. 3,14 comme a/b
Ch_reg03:dte gradu. vers 4,8;5,7;6,1 vs a/b
Ch_reg07 : rgt. 2,8 ; 2+1/3 (d. gradu.) ;11/4 Ch_reg07:rgt 3/4;1/3 (d. grad.);0,25
Tableau 37 : énoncés abrégés des items comparables des quatre évaluations locales
Chapitre VI
Evolution du score des items comparables
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
juin-97
oct-97
mai-98
D03
D02
D10
D11
D12
D01
D03
D05
D06
D07
Q11
Q12
Q13
Q14
Q15
Q16
GR01
GR05
GR08
GR07
CV03
CV06
CV08
CV01
D01
D02
D03
D04
D05
Q01&Q02
Q03
Q04
Q05
Q07
Q08
GR01
GR02
GR03
GR04
CV01
CV03
CV07
CV11
Q17
Q18
Q19
Q23
GR02
GR06
GR07
GR09
CV03
juin-98
Q01&Q02
Q04
Q05
Q06
Q07
Q08
juin-97
oct-97
mai-98
juin-98
54%
58%
33%
75%
46%
50%
44%
85%
48%
67%
63%
41%
41%
52%
37%
56%
44%
78%
85%
89%
78%
70%
33%
78%
85%
88%
92%
69%
92%
88%
35%
31%
27%
46%
65%
35%
81%
96%
100%
62%
54%
31%
100%
92%
88%
92%
69%
92%
88%
73%
62%
54%
65%
85%
54%
81%
96%
100%
62%
92%
50%
100%
92%
49%
62%
68%
79%
77%
35%
65%
19%
73%
25%
25%
33%
29%
75%
67%
71%
50%
CV01
CV03
Moyenne
CV17
CV18
Ch_reg03
Ch_reg07
Ch_reg07
Tableau 38 : résultats aux items comparables des évaluations locales
Chapitre VI
Constatons tout d'abord une évolution croissante des moyennes, accélérée en
fin de parcours si on remplace mai 98 par juin 98 (dont la moyenne de 79 % prend en
compte l'ensemble des résultats : en noir le score des items repassés en juin 98, en blanc
la reprise des scores des items de mai 98 non repassés en juin). Un résultat global tout à
fait rassurant, mais qu'il faut bien tempérer par certains examens de détail.
Items D ; GR ; CV associés aux parts de tarte
Nous observons une progression presque uniformément régulière en ce qui concerne ces
items, atteignant de très hauts scores en fin de cursus, à l'exception des items de mai 98D03 et GRO4, malgré tout supérieurs à 60 %. Une comparaison du score de mai98-D03
(69 %) avec les résultats obtenus la dernière année où un item analogue a été proposé
lors d'une évaluation nationale (septembre 1994, item 58 ; 58 %) nous rassure cependant
quant au niveau relatif atteint dans ce secteur par nos élèves. En ce qui concerne mai98GR04 (62 %), le regroupement des graduations 3 par 3, au lieu de 2 par 2 pour oct97GR07 (78 %), explique sans doute la légère baisse de réussite. Enfin, nous ne sommes
nullement surpris par la réussite croissante, partant et atteignant de hauts niveaux, des
items des lignes 18 et 19, convertissant des fractions en parts de tarte et réciproquement.
L'étude menée notamment au chapitre IV-3.3 nous a déjà suffisamment renseignés à ce
sujet.
Nous retiendrons en conséquence des résultats tout à fait honorables dans ce secteur, sur
lequel nous ne nous pencherons plus désormais.
Items Q ; CV (autres que ceux des deux dernières lignes)
Examinons à présent le groupe d'items des lignes 6 à 11 et 16 à 17. Ces items
concernent soit des traitements portant sur des écritures fractionnaires, soit des
conversions fractions vers droite graduée. Ils sont aisément repérables dans les tableaux
29 et 30, dans la mesure où tous ont dû être repris lors de l'évaluation de juin 98. Ils se
caractérisent par :
•
des taux de réussite faibles à quelque évaluation que ce soit ;
•
une régression de octobre 97 à mai 98, à l'exception des items des deux lignes 9 et
10.
On pourra évoquer pour ces deux exceptions, soit des variations dues au
hasard – vu le faible écart de 9 % qui sépare les scores dans les deux cas –, soit, en ce
359
Chapitre VI
qui concerne la ligne 10, la simplicité des traitements nécessaires à la résolution : il
suffit en effet de ne considérer que la ligne des dénominateurs, soit un traitement
unidimensionnel, en prenant l'information, certes à rebours, mais sans transformation ni
obligation de la conjuguer sur deux lignes distinctes, comme ce sera le cas lorsqu'il
faudra tenir compte simultanément du numérateur et du dénominateur. Ce traitement
peut en outre être facilité en mai 98 par la présence de 1/4, qui est une fraction bien
appropriée, et qui peut donc fournir un repère précieux pour corriger d'éventuelles
erreurs.
Il n'empêche que la tendance générale est à la baisse, pour des items complexes
puisqu'ils demandent de conjuguer de l'information issue de deux lignes distinctes et /
ou deux registres distincts, puis parfois de la transformer et de l'interpréter avant de
fournir la solution.
Ainsi, mai98-Q03 peut demander :
1. de conjuguer numérateur et dénominateur pour en extraire la partie entière ;
2. de transformer 8/3 en 2 + 2/3, 13/4 en 3 + 1/4 ;
3. d'interpréter enfin ces deux écritures avant d'accepter l'entier 3 comme unique
solution (certains élèves ont réussi les points 1 et 2, mais ont échoué à 3).
Mai98-CV03 quant à lui peut demander :
1. d'isoler le dénominateur du numérateur, d'éliminer le numérateur comme
information non pertinente au départ (registre 1) ;
2. d'activer les 10 graduations de l'intervalle [0 ; 1], d'écarter celles de [1 ; 2] (registre
2) ;
3. de conjuguer le 5 du dénominateur avec le 10 du nombre de graduations, pour
procéder au regroupement de ces dernières 2 par 2 (coordination des registres 1 et
2) ;
4. de prendre en compte le numérateur et de le conjuguer avec les graduations pour
déposer la fraction à la bonne place (coordination des registres 1 et 2).
Nous retrouvons toute la complexité de ces registres et de leur articulation, déjà
décrite au chapitre IV-3.3.1, et V-1.4 à 1.6. Mais l'objectif principal des logiciels était
précisément de fournir un cadre d'intégration et de dépassement de cette complexité ;
objectif que les élèves semblaient bien avoir atteint, en tout cas en phase de passation
logicielle (voir notamment chapitre V-1.6). Alors, comment interpréter cette
360
Chapitre VI
déperdition au bout de trois mois ? Enseignement mal dispensé, n'assurant pas la
stabilité des apprentissages, ou régression momentanée naturellement associée à un
apprentissage en cours ? Avant de tenter d'apporter des réponses à cette question, nous
allons encore examiner ce que nous apprennent les quatre items non opposables aux
items de 97.
2.2.3. Examen des quatre items non opposables des tableaux 28 et 29, partie basse
La réussite relative à mai98-CV17 (77 %), opposée à l'échec relatif de mai98CV18 (35 %), confirme que, pour des exercices a priori proches, le passage de la
congruence à la non congruence reste déterminant. En effet, la seule lecture de 3,14
("trois virgule quatorze") amène à une séparation de ce nombre en deux parties, trois et
quatorze, qu'il n'est plus dès lors très difficile de convertir en somme d'un entier et d'une
fraction dont l'expression orale "trois plus quatorze centièmes" est très proche de
l'expression orale initiale et de son écriture fractionnaire. Ce n'est pas le cas pour la
conversion de 3,14 à 314/100, car il faut d'une part oser ignorer la virgule pour obtenir
"trois-cent quatorze" – tout en en tenant compte pour la recherche du dénominateur – et
d'autre part accepter une expression fractionnaire de la partie entière, soit 3, de ce
nombre. Ch_reg03, dont une simple lecture de type double décimètre suffit à assurer la
réussite – les seules erreurs proviennent des élèves qui se sont laissés tenter par le choix
d'une expression fractionnaire proposée en alternative à l'écriture décimale par
l'énoncé –, obtient de même une réussite honorable (65 %), alors que Ch_reg07, avec
ses 19 %, et qui demande la coordination des trois registres, accompagnée de traitements
du type 11/4 = 2 + 3/4, est un des items les moins réussis de l'ensemble de l'évaluation.
Cette étude semble donc confirmer que, malgré un travail spécifique de
conversions systématiques inter-registres, les élèves trébuchent sur des difficultés
auxquelles ils avaient pourtant été préparés – trois mois auparavant il est vrai.
2.2.4. Mise à l'épreuve de l'hypothèse H1 , tableaux 28 et 29, colonnes de mai et
juin 98
Un coup d'œil rapide sur les résultats comparés de ces deux colonnes nous
rassure en partie sur la validité de notre hypothèse. Certains redressements sont
spectaculaires : les lignes 6, 7, 8 doublent leur score ; les réussites aux conversions non
congruentes d'une écriture fractionnaire vers [0 ; 2] (lignes 16 et 17) atteignent 92 %
dans le cas le plus simple et 50 % dans un cas plus compliqué ; enfin, Ch_reg07, tout en
361
Chapitre VI
bas du tableau, passe de 19 % à 73 %, dans un cas il est vrai un peu plus simple en juin
qu'en mai.
Il convient donc de relativiser certains des mauvais scores obtenus en mai 98 en
invoquant tout d'abord les raisons liées aux conditions de passation :
•
longueur de cette évaluation (48 items en deux demi-journées complètes) ;
•
passation en fin d'année scolaire, au mois de juin…
•
...trois mois après la fin de l'étude logicielle ayant activé les connaissances
évaluées…
•
...quelques jours après une première évaluation très complète (évaluation nationale
étudiée en 2.1.2).
On conçoit que des élèves de cet âge puissent en avoir éprouvé une certaine
lassitude démobilisatrice. Il ne nous est malheureusement pas possible de vérifier les
indicateurs usuels de la démobilisation comme l'absence de réponse ou la présence de
courts-circuits erronés dans les raisonnements, la nature de l'évaluation, sous forme de
cases à compléter ou à cocher, incitant à tenter systématiquement une réponse dont la
brièveté ne permet pas d'analyse détaillée. Nous étions bien conscients de surcharger
cette classe et des conséquences peu flatteuses que d'éventuels résultats médiocres
auraient sur l'évaluation de notre recherche. Mais les nécessités et le calendrier de
l'expérimentation, ainsi que les contraintes du titulaire de la classe (qui présentait son
CAFIMF cette année-là) ne nous laissaient guère de latitude. Nous avons donc dû nous
résoudre à entreprendre notre évaluation de mai dans ces conditions désavantageuses.
Concluons notre étude des tableaux 28 et 29. L'examen de ces derniers prouve
que nous avons obtenu des résultats globaux apparaissant comme satisfaisants par
rapport aux apprentissages visés. Ils font toutefois apparaître quelques items présentant
en mai 98 des taux de réussite inférieurs à ceux d'octobre 97, et pour lesquels il
convenait donc de s'interroger. Ce phénomène de régression, malgré les mauvaises
conditions de passation, prouvait néanmoins que nos élèves n'avaient pas achevé leur
apprentissage dans le domaine concerné. Les raisons de ce défaut d'apprentissage
étaient-elles plus conjoncturelles que structurelles ? L'ultime évaluation de juin,
succédant à la brève intervention de recadrage et débouchant sur des redressements
d'importance, permet de penser que la première hypothèse est plus conforme aux
données empiriques. On peut donc considérer que nos élèves sont sur la voie d'un
362
Chapitre VI
apprentissage abouti, construit sur des bases solides, en l'absence desquelles notre
intervention minimale serait restée sans effet.
2.2.5. Examen des items de type problèmes, tableaux 30 et 31
Après avoir analysé les performances aux items testant les compétences de
base, il nous reste à examiner les items de type problème. Ces derniers présentent, par
opposition à un exercice, un énoncé complexe, demandant, avant conversion sous forme
d'écritures arithmétiques – ou géométriques ou graphiques… – résolvantes, des
traitements – interprétations, reformulations… – dans le registre d'entrée, soit celui de
l'énoncé. Nous avons reporté dans le tableau 30 l'abrégé des énoncés, et dans le tableau
31, les résultats à ces items.
363
Chapitre VI
Les "problèmes"
juin-97
oct-97
1 4/5 solution? 4 m ; 5 épaisseur vs 5m ; 4 épaisseurs
5/6 solution? 5m, 6 longueurs vs 6m, 5 longueurs
2
5/6 solution? 5fois 1m, 6 long. vs 6 fois 1m, 5 long.
3 partage 2 tartes en 6 personnes
5 bidons / 4l. Vol. d'1 bidon? QCM : 4/5 ; 5/4 ; aut.
mai-98
3 kg pour 2 litres de miel. Vol. de 1 kg de miel ?
4 5 bouteilles, 41 verres. 1 bouteille ?
5 15 feuil, 10 mm. 1 feuil.? QCM : 15/10 ; 10/15 ; 2/3 ; imp.
6
3 verres j.d. fruit + 1 verre. eau vs 5 v. j.d.f + 3 v. eau
7
4a pour 3c vs 8b pour 5c. QCM : a=b ; a>b ; a<b
8a pour 3 mm vs 19b pour 6 mm. QCM : a=b ; a>b ; a<b
8
Découpe 50g de beurre ds 1 plaque de 250g
9
3 kg pour 2 litres de miel. Masse bidon + 10l de miel ?
Tableau 39 : énoncés abrégés des problèmes des évaluations locales
Chapitre VI
Evolution des scores aux problèmes
1
2
3
4
5
6
7
8
9
juin-97
oct-97
Ch_reg02
Ch_reg02
Ch_reg03
Ch_reg04
Ch_reg06
Ch_reg07
Ch_reg08
Ch_reg05
Ch_reg06
mai-98
Ch_reg05
Ch_reg06
Ch_reg02
Ch_reg04
Moyenne
juin-97
oct-97
mai-98
17%
52%
33%
48%
35%
17%
13%
29%
67%
67%
19%
53%
Tableau 40 : les résultats aux problèmes des évaluations locales
35%
73%
46%
47%
Chapitre VI
L'évolution des moyennes n'y est pas vraiment significative, étant donné que
peu d'items sont opposables. On constate néanmoins que lorsque c'est le cas, lignes 3 et
7, on assiste au même phénomène de régression que précédemment entre octobre 97 et
mai 98. Précisons tout de suite que les items de type problème étaient proposés tout à la
fin du test de mai 98, dont on a déjà dit qu'il était lui-même très long et venant au terme
de tout un processus d'évaluation… C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu
les reprendre en juin 98.
Nous ne reviendrons pas sur les items mai98-Ch_reg02 et Ch_reg04 lignes 8 et
9 qui ont déjà été analysés, tant sur le plan de la tâche que sur celui des résultats et de
leur lien avec la maîtrise du registre des droites graduées, au chapitre IV-3.2.2 ; 3.3.2 ;
3.5. Rappelons que la réussite à ces items a donné satisfaction, notamment en ce qui
concerne Ch_reg04 dont on a pu opposer les résultats à ceux obtenus par un échantillon
national.
Les taux de réussite plus faibles, accompagnés de régressions aux items étudiés
en lignes 3 et 7, sont plus préoccupants. Examinons ces derniers dans le détail.
2.2.5.1. Étude des items oct97-Ch_reg04 et mai98-Ch_reg05 (ligne 3)
Ce type d'item demande la mobilisation d'écritures fractionnaires à partir d'un énoncé en
langue naturelle. Si la régression peut s'expliquer par la nature différente de la
production attendue – QCM dans un cas, formation d'une fraction dans l'autre –, le taux
d'échecs élevés, particulièrement en mai 98, confirme la difficulté des élèves à traiter
des problèmes où interviennent explicitement des écritures fractionnaires, surtout
lorsqu'il s'agit de coordonner ce registre avec celui de la langue naturelle. Ce constat
prouve à quel point ces deux modes d'expression sont hétérogènes, ce que nous avons
déjà analysé a priori au chapitre III-3, et confirmé expérimentalement p. 323 et
suivantes.
2.2.5.2. Étude des items oct97-Ch_reg06 et mai98-Ch_reg06 (ligne 7)
Ces items ne demandent pas la mobilisation explicite de fractions. Aucun élève
de notre classe d'observation ne requiert explicitement une suite d'égalités et d'inégalités
comme par exemple :
3 6
6
6
=
et
<
pour mai98-Ch_reg06, même si certains
8 16
16 19
traitements rhétoriques ne sont que des paraphrases de ce type de raisonnement. La
367
Chapitre VI
résolution, lorsqu'elle est tentée, passe par un traitement en langue naturelle s'appuyant
sur une règle du genre : "plus grand le diviseur, plus petit le quotient", articulé ou pas
sur un doublage des nombres de la première série de données. Dans ce cas, on obtient en
octobre 97 : 8 verres (a) pour 6 bidons (c) contre 8 verres (b) pour 5 bidons (c); en mai
98 : 16 feuilles (a) pour 6 mm contre 19 feuilles (b) pour 6 mm. Pour l'item d'octobre, la
réponse est conforme à l'ordre naturel : 6 > 5 donc (a) contient plus que (b) ; pour l'item
de mai, elle le contrarie : 16 < 19 et pourtant (a) est plus épaisse que (b)... Cette analyse
peut expliquer la régression d'octobre à mai, mais nous allons surtout l'exploiter pour
une étude sur le cloisonnement des registres, dans le cas particulier des nombres
fractionnaires. Si ces nombres étaient objets de règles de traitements aisément
transposables d’un registre à un autre, nous devrions repérer un lien entre certaines
compétences à comparer des fractions et la capacité à résoudre un exercice comme
mai98-Ch_reg06. Nous avons donc croisé les résultats de ce dernier item avec deux
autres items extraits de la même évaluation, et demandant de ranger trois fractions, de la
plus petite à la plus grande : les trois fractions ont un numérateur égal à 1
(1/5 ; 1/4 ; 1/10) pour mai98-Q07, Tableau 41 ; le numérateur est différent de 1 (4/8 ;
7/6 ; 4/5) pour mai98-Q08, Tableau 42.
Mai98-Q07
Réussite
Echec
Total
Réussite
5
4
9
Echec
12
5
17
Total
17
9
26
(cf tableau 28)
Mai98-Ch_reg06
Tableau 41 : cloisonnement de la langue naturelle et du registre fractionnaire
Ce premier tableau est surprenant : loin de manifester une implication entre la
réussite au problème et la réussite au rangement de fractions de numérateur 1, il illustre
presque une situation d’indépendance ; en effet, pour les marges obtenues, le tableau
368
Chapitre VI
théorique estimé sous l’hypothèse d’indépendance comporterait la valeur 6 dans la case
de la double réussite, où la valeur observée est 5. Existe-t-il cependant un niveau de
maîtrise des écritures fractionnaires qui puisse être associé à un meilleur pronostic sur la
réussite au problème ? Examinons le croisement avec mai98-Q08, item témoignant d'un
bon niveau de maîtrise des fractions.
Mai98-Q08
Réussite
Echec
Total
Réussite
5
4
9
Echec
4
13
17
Total
9
17
26
(cf tableau 28)
Mai98-Ch_reg06
Tableau 42 : coordination de la langue naturelle et du registre fractionnaire
Précisons tout d'abord que les 5 élèves (case réussite/réussite) et les 4 élèves
(case échec/réussite) de la première ligne sont rigoureusement les mêmes dans le
Tableau 41 et le Tableau 42. Ceux qui réussissent le problème apparaissent donc, pour
la tâche de rangement des fractions, insensibles à la complexité de celles-ci : que les
fractions à comparer soient de même numérateur 1ou pas, ce sont les mêmes élèves qui
les rangent correctement et les mêmes qui commettent des erreurs pour ce rangement.
Au contraire, parmi ceux qui échouent au problème, une majorité est capable de réussir
un rangement de fractions de numérateur 1 (Tableau 41), alors qu’un rangement plus
complexe renverse la distribution des échecs (Tableau 42). S'il semble possible
d'acquérir certaines compétences de base sur les fractions sans les articuler avec un
discours en langue naturelle, il paraît donc difficile d’atteindre un niveau de maîtrise
sans être capable de cette articulation.
Un examen cas par cas des 9 élèves ayant réussi mai98-Ch_reg06 va permettre
de préciser la nature du lien exhibé par le Tableau 42. Parmi les cinq élèves associés à la
double réussite, un seul n'accompagne d'aucun commentaire la résolution de mai98Ch_reg06, trois autres la commentent par des phrases mentionnant explicitement deux
369
Chapitre VI
phases : doublage des données ; application de la règle "pour une même épaisseur du
tas, plus grand le nombre de feuilles, plus petite l'épaisseur de chaque feuille". Un
quatrième élève recherche par division des valeurs approchées du nombre de feuilles
par mm d'épaisseur du tas (et pas le contraire !), soit un peu plus de 2 (8 ÷ 3) feuilles
(a) et un peu plus de 3 (19 ÷ 6) feuilles (b) par mm, ce dont il déduit la réponse correcte.
Parmi les quatre élèves qui échouent à Q07 et Q08, un seul ne produit aucun
commentaire, les trois autres explicitant tous une règle du type : "plus grand le diviseur,
plus petite la partie", mais ne mentionnant pas le doublage initial des données. Leur
réponse juste pourrait ainsi résulter d'un raisonnement faux, ne s'appuyant que sur la
comparaison des données brutes (8 feuilles (a) d'un côté, 19 feuilles (b) de l'autre, les
feuilles (a), moins nombreuses, sont donc plus épaisses que les feuilles (b)), non
rapportées aux épaisseurs. En l'absence de précisions, il ne nous est pas permis de
trancher. Par ailleurs, lorsqu'on examine la nature de leur erreur aux items de rangement
des fractions, on constate : pour Q07, un rangement suivant les dénominateurs croissants
dans les quatre cas (pour des élèves capables d'énoncer sans ambiguïté des phrases
comme : "s'il y a plus de feuilles, c'est moins épais" !) ; pour Q08, deux élèves s'en
tiennent au rangement faux suivant les dénominateurs croissants, deux autres proposent
4 4 7
; ; , semblant ainsi appréhender certaines proportions simples (comme quatre
5 8 6
huitièmes et un demi), les situer l'une par rapport à l'autre (sept sixièmes est supérieur à
1, qui est supérieur à un demi), mais échouant dans les cas moins simples à repérer
comme quatre cinquièmes.
Cette étude détaillée confirme l'étude quantitative. Les cinq élèves associés à la
double réussite maîtrisent parfaitement leur discours en langue naturelle et fractionnaire.
Ces élèves sont entrés dans une culture multi-registres, et ont les moyens d'exercer des
contrôles sur un registre à partir d'un autre registre. Leur explicitation des deux phases
de la résolution de mai98-Ch_reg06 en atteste. Les quatre élèves associés à l'échec au
rangement des fractions font preuve de moins de cohésion dans leur discours en langue
naturelle, et de moins ou pas de cohérence dans son articulation avec le registre
fractionnaire (rangement erroné des fractions de numérateur 1). Ces élèves témoignent
de certaines potentialités dans l'accès à une culture multi-registres, mais n'en sont encore
qu'aux premiers balbutiements. Ils indiquent cependant, par leurs maladresses autant que
par leurs réussites, des voies de passage (repérage de proportions privilégiées, contrôle
370
Chapitre VI
par des ébauches d'énoncés en langue naturelle) pour le développement d'une telle
culture, dans le cas des registres qui nous intéressent.
Si les performances de notre classe vis à vis de ces items ne se sont pas élevées
à la hauteur de nos ambitions, elles nous auront néanmoins permis de tirer de précieux
enseignements au premier rang desquels nous plaçons : l'importance du registre de la
langue naturelle ; l'étanchéité du cloisonnement entre ce dernier et le registre des
écritures fractionnaires. Pour y remédier, nous proposons un travail systématique
d'articulation entre la langue naturelle et les différents registres exprimant les nombres
rationnels, particulièrement celui des fractions. Nous avons indiqué au chapitre III-4.6
un protocole d'activités, dans le cadre de la résolution de problèmes physiques,
susceptible de prendre en charge ce programme. Nous avons par ailleurs tenu à marquer
la prise en compte de ces résultats de notre recherche en adjoignant à chaque fiche
pédagogique (voir annexe nnn) des propositions de − types de − problèmes physiques.
La résolution de ces derniers serait l'occasion d'un travail spécifique sur l'articulation
entre le registre de la langue naturelle et les autres registres sémiotiques. Ces
orientations pourraient compléter le dispositif d'enseignement que nous avons exposé
dans cette étude.
3. Conclusion du chapitre
Ce chapitre, destiné à préciser notre démarche d'expérimentation et le protocole
de recueil des données ainsi que leur analyse, a permis d'établir plusieurs constats.
Tout d'abord, une évolution très positive de notre classe, en terme de méthode,
de prise d'initiative, de diversification des procédures. Cette évolution a pu être mesurée
par opposition à un échantillon national d'une part, à un état initial de début de cycle 3
d'autre part. En outre, ces progrès méthodologiques sont accompagnés d'une réussite
élevée à des items d'expression et de traitement élémentaires ou plus élaborés, voire
mêmes franchement complexes pour certains. Cette première étude valide donc
pleinement nos choix didactiques, d'autant que nous avons établi un lien entre ces
derniers, notamment l'option informatique, et les résultats observés.
La deuxième étude, portant sur des items issus d'évaluations locales et destinée
à mesurer plus spécifiquement les compétences liées aux rationnels, s'est révélée être
371
Chapitre VI
globalement satisfaisante. Mais des résultats moyens ou médiocres à certains items,
particulièrement ceux relatifs aux problèmes, ne permettent pas une confirmation sans
appel des conclusions consécutives à la première étude. Une des raisons de cette
atténuation de la réussite est sans doute attribuable à une forte démobilisation de nos
élèves. Il n'empêche que nous devions nous interroger sur certaines régressions. Nous
avons ainsi pu établir, au prix d'une légère réactivation suivie d'une mini-évaluation, que
ces régressions étaient plus conjoncturelles que structurelles. L'analyse détaillée des
réussites et des échecs a par ailleurs permis de mieux comprendre l'origine de certaines
résistances, en reliant ces dernières à la prédominance de la langue naturelle d'une part,
au cloisonnement des registres d'autre part, particulièrement lorsque celui des écritures
fractionnaires est concerné et associé à celui de la langue naturelle.
Ce dernier point est sûrement un point clé, peu pris en compte, de
l'apprentissage des rationnels. Il nous a permis de formuler des propositions
d'améliorations du dispositif d'enseignement, susceptibles d'apporter des réponses au
"problème du problème" par des exercices systématiques de coordination entre le
fonctionnement sémiotique des divers registres et celui, privilégié, de la langue
naturelle.
372
Conclusion
Conclusion
1. Validation des hypothèses
Parmi les raisons qui ont motivé cette étude, il en est une qui, présente dès
l’origine, s’est trouvée particulièrement confirmée par nos observations. Elle réside dans
le constat contradictoire suivant : l’habileté avec laquelle nombre d'élèves abordent les
problèmes rationnels tant qu'il s'agit de les décrire, les interpréter et les résoudre par des
moyens rhétoriques ; la difficulté qu'ils éprouvent à couronner du même succès
l'utilisation de procédures stables dès lors qu'ils sont amenés, en raison d'un coût de
traitement rhétorique trop élevé ou d'une contrainte pédagogique, à changer la forme de
leur discours en remplaçant les mots de la langue naturelle par le symbolisme des
fractions. Ce que nous formulons ici dans le domaine des rationnels est sans doute
généralisable à bien d'autres secteurs des mathématiques.
On ne peut s'étonner d'un tel constat lorsqu'on connaît les tâtonnements et
renoncements par lesquels est passée la mise au point des notations dans l’histoire des
mathématiques, jusqu'à ce que des langages formels épaulent les discours rhétoriques
des origines ou même s'y substituent. Un regard sur l'évolution de la production
mathématique au cours des âges montre que ces langages ne sauraient se réduire à de
simples enregistreurs / économiseurs de la langue naturelle, facilitant communication et
traitements ; ils sont parties prenantes des objectivations, de l'évolution voire de la
production des concepts ainsi que de leurs interactions, qu'ils contribuent à organiser et
réorganiser. Les élèves ne se trouvent pas dans la situation d'avoir à inventer des
notations contribuant au développement des mathématiques, ils ont à retrouver celles
qui existent déjà ; en revanche, ils sont confrontés, dans leur activité, à d'autres
contraintes que celles issues du seul raisonnement mathématique.
Nous avons ainsi vu au chapitre VI, en conclusion du paragraphe 2.1.2.2,
que la langue naturelle imposait, pour nombre d’élèves, son organisation à l’expression
375
Conclusion
des idées : cela peut aller jusqu'à produire des erreurs, comme le fait que "trois
dixièmes", au lieu de référer à l’objet – proportion, mesure… – exprimable par une
fraction, se trouve décrété synonyme d'un quasi homonyme – 3,10. Cette prédominance
de la langue naturelle sur les autres registres nous paraît mériter une attention didactique
majeure : comment transformer des objets de l'appréhension immédiate (les mots en
premier lieu mais aussi certains symboles…) en signes référant à un contenu
mathématique et non, par analogie formelle, à un autre objet de l'appréhension
immédiate ? Dans le cas des nombres rationnels, nos hypothèses nous ont conduit à les
introduire par un mode d'expression qui soit un véritable champ expérimental. Ceci
demandait un support à la fois : familier mais non trivial ; physique mais pouvant se
doter d'une structure de registre ; engageant des tâches non routinières, en partie
indépendantes des algorithmes arithmétiques, tout en se prêtant à des contrôles en
langue naturelle (descriptions, programmes d'actions, nature des rétroactions...). Le
système des droites graduées, que nous avons retenu après examen de systèmes
concurrents (voir chapitre IV), était ainsi envisagé pour : provoquer les premières
objectivations de la notion de nombre rationnel ; permettre d'exercer des contrôles
efficaces sur les autres formes d'expression – introduites par la suite – courantes de ces
nombres comme les systèmes fractionnaire et décimal. Parviendrait-on ainsi à une
meilleure gestion des articulations entre les divers systèmes requis et notamment celui
de la langue naturelle et du système fractionnaire ? Ce travail sur la coordination des
registres permettrait-il d'envisager que, dans les opérations de substitution
indispensables à tout développement en mathématiques, les élèves parviennent à
remplacer une expression par une expression référentiellement équivalente et non sur la
seule base d'une analogie de forme ?
Pour mettre ce questionnement à l'épreuve, nous avons été amenés à poser trois
hypothèses.
1.1. Hypothèse H1
La première de ces hypothèses portait sur la pertinence d'une introduction des
rationnels recourant au système des droites graduées. Nous avons vérifié les fondements
mathématiques, épistémologiques, et historiques de cette hypothèse au chapitre III-3 et
III-4. Le chapitre IV a permis de lui apporter des validations empiriques, qualitatives
et quantitatives, consécutives à l'observation d'élèves. Tant la nature des démarches, leur
376
Conclusion
lien avec une compréhension des phénomènes liés aux rationnels – procédures de
comparaison "en proportion", notions d'arithmétique notamment –, que les résultats
obtenus lors des séquences d'apprentissage et d'évaluation, permettent de considérer que
cette première hypothèse a été amplement validée par notre expérimentation.
1.2. Hypothèse H2
La deuxième hypothèse portait sur le coût et les conséquences didactiques
attendues de la première. Elle postulait, à la suite d'autres chercheurs comme (PerrinGlorian ; 1992) ou (Bolon ; 1996) que ce registre unidimensionnel était à coût
didactique élevé. On pouvait en revanche attendre de cet investissement une bonne
productivité à terme. La première partie de cette hypothèse a été vérifiée, moins en ce
qui concerne les traitements, pour lesquels on obtient assez vite des résultats
satisfaisants pointés par le tableau 29 (items de type GR) du chapitre VI-2.2, qu'en ce
qui concerne les conversions pointées par :
•
les résultats de la classe de Weyersheim et dans une moindre mesure ceux
de la classe de Sélestat à l'item 2 du tableau fourni en annexe 4 du chapitre
IV (malgré une conversion congruente) ;
•
l'examen détaillé des productions d'élèves relatives à l'item 6 (chapitre IV-
3.3.3, conversion non congruente) ;
•
les résultats de la classe de Sélestat aux items portés en ligne 17 du tableau
29 du chapitre VI-2.2 (conversions non congruentes) ;
•
les résultats nationaux et dans une moindre mesure ceux de la classe de
Sélestat à l'item 24 de l'évaluation à l'entrée en 6ème 1997, et portés dans le tableau 15
du chapitre VI-2.1.2.2 (conversion non congruente).
Nous sommes donc en mesure d'affiner cette hypothèse en précisant que le
registre des droites graduées est à coût didactique élevé, surtout lorsqu'il s'agit de
l'articuler avec le registre des écritures fractionnaires et décimales ; ce coût tend à
augmenter avec la non congruence des conversions, ainsi que le suggèrent les trois
derniers points ci-dessus. Cette précision a son importance, car elle spécifie la nature
des difficultés, peu d'auteurs ayant séparé les divers systèmes d'expression des rationnels
en registres distincts.
377
Conclusion
Quant à la deuxième partie de cette hypothèse, nous pouvons considérer que le
lien fort établi au chapitre IV-3.3.2 et 3.5 entre la maîtrise des droites graduées, des
sept compétences et la résolution de problèmes constitue un argument de poids en sa
faveur.
1.3. Hypothèse H3
La troisième hypothèse enfin postulait dans sa première partie qu'un travail
systématique de conversions entre le registre des droites graduées et ceux des écritures
fractionnaires et décimales permettait d'exercer un contrôle efficace sur l'usage de ces
derniers. Le chapitre V a rapporté un grand nombre d'observations qualitatives des
passations sur les logiciels Fracti, Format et les logiciels de conversions associés, qui
permettent de confirmer amplement la confiance que les élèves ont accordée aux droites
graduées pour interpréter et résoudre des problèmes qu'ils rencontraient dans les
registres numériques (voir la diversité des procédures et des références aux registres
mobilisés, par exemple au chapitre V-1.6.5). La fonction de contrôle de ce registre
géométrique est en conséquence bien validée.
La deuxième partie de l'hypothèse conjecturait la fonction mobilisatrice du
travail systématique de coordination entre les registres en vue de la résolution de
problèmes. Si nous avons bien observé les retombées positives de ce travail lors de la
résolution de problèmes formels (voir chapitres IV-2.4, V-1 et V-2), le chapitre VI-2.2,
et notamment l'examen des résultats consignés dans les tableaux 30 et 31, n'a pas
permis de confirmer un ample effet mobilisateur dans le cas des problèmes physiques.
Certes, les résultats de notre classe expérimentale se détachent nettement de ceux d'un
échantillon national dans nombre de problèmes liés à notre recherche (voir chapitre VI2.1.2 et 2.1.3). Ils restent néanmoins encore bien timides dans le domaine des problèmes
physiques rationnels. L'interprétation que nous avons proposée de ce phénomène (voir
chapitre VI-2.12.2 et 2.2.5.1) ne tient pas tant à la difficulté que les élèves auraient à
appréhender le fractionnement des grandeurs qu'à leurs modestes performances vis à vis
des tâches de coordination du registre de la langue naturelle – au moyen de laquelle
s'expriment préférentiellement les énoncés de problèmes physiques – avec les autres
registres, notamment celui des écritures fractionnaires. Ce point sera l'objet d'une des
questions ouvertes du paragraphe suivant.
378
Conclusion
2. Questions laissées ouvertes par notre recherche
2.1. L'articulation entre langue naturelle et registres spécifiques d'expression des
nombres rationnels
Nous pensions, au début de notre recherche, que le fait de disposer de trois
registres d'expression des rationnels permettrait à un élève : de comprendre leur
pertinence pour la résolution de familles entières de problèmes ; d'utiliser en confiance
chacun de ces systèmes, notamment en s'affranchissant des pièges et tentations abusives
liés aux fractions. Cette confiance une fois acquise serait donc susceptible de libérer
l'initiative et de s'investir dans la résolution de problèmes physiques, d'autant mieux que
ces derniers apparaîtraient comme cas particuliers des familles de problèmes évoquées
ci-dessus.
Si nos observations nous ont bien permis de vérifier la confiance accordée par
nos élèves aux moyens mis à leur disposition (voir 1.3) pour résoudre des problèmes
rationnels, elles ont en revanche abouti au constat que nous avions sous-estimé le rôle
particulier de la langue naturelle. Nous avons indiqué à ce sujet quelques pistes de
travaux pratiques au chapitre III-4.6, et des idées d'accompagnement des travaux
logiciels dans les fiches pédagogiques de l'annexe nnn. Ce chantier peut constituer une
occasion de préciser le primat sémiotique, en spécifiant notamment le statut de la langue
naturelle dans le processus d'appréhension des nombres rationnels et, au-delà, des objets
mathématiques. Une recherche sur ce sujet pourrait procéder, à partir de familles
d'énoncés de problèmes dans un champ donné (les rationnels par exemple), à : un
repérage systématique d'unités signifiantes de la langue naturelle les plus couramment
utilisées dans ces énoncés ; des expérimentations auprès d'élèves sollicitant ces derniers
pour une exploration de cet ensemble sémantique au moyen de la méthode des
variations (Duval ; 1996, pp. 373-376 ). Un travail de fond sur la résolution des
problèmes, notamment physiques, serait ainsi entrepris, à partir d'une appréhension des
variations possibles de leur énoncé et des répercussions concomitantes sur les moyens –
sémiotiques – de leur traitement. Des travaux analogues ont du reste déjà été menés
dans le cadre de la géométrie, pour une expérience d'enseignement de l'homothétie en
seconde (Lémonidis ; 1990).
379
Conclusion
2.2. L'extension de notre projet en direction du collège
Notre recherche s'est arrêtée en fin du cycle 3 des écoles. Il y a donc lieu de
s'interroger sur les suites à lui donner au collège. Nous avons fourni au chapitre IV2.4.4 des observations concernant l'arithmétique susceptibles de trouver des
prolongements à ce stade de la scolarité. Nous avons posé au chapitre IV-5 le problème
de la pertinence du registre des droites graduées à exprimer la somme et le produit de
rationnels. En l'état actuel de nos réflexions, on peut se demander si l'adaptation de ce
registre à ces opérations ne se heurte pas à un coût trop élevé. Il convient néanmoins de
poursuivre la réflexion à ce sujet, puisqu'aucune donnée empirique ne permet de
pencher pour une réponse positive ou négative. Bien entendu, une telle recherche ne
saurait se concevoir que dans un environnement informatique, afin de limiter le coût des
actions qu'elle suppose. On peut songer à des travaux menés en réseau sur plusieurs
classes, la correspondance scolaire ayant trouvé un nouveau souffle par le biais
d'Internet.
Notons enfin avec beaucoup d'intérêt l'attention, toute particulière et explicitée
en de nombreux passages, que les programmes actuels de collège accordent aux droites
graduées et à leur rôle fondateur dans l'étude des rationnels. N'y aurait-il pas lieu de
développer des recherches sur les manières d'étendre un registre unidimensionnel pour
autoriser la représentation de nombres irrationnels, en particulier ceux exprimables par
radicaux ? Des séquences didactiques courantes mobilisent, pour leur introduction, des
considérations géométriques comme la recherche d’un carré d'aire égale à 2. Mais sitôt
réalisée cette "manipulation", les pratiques usuelles redeviennent vite mono-registres, au
moyen d'une expression par radicaux régis par des règles (élévation au carré, produit,
quantité conjuguée…) permettant les opérations usuelles. Des thèmes d'activité portant
sur les fractions continues, qui ont parfois été proposés à la suite de la réactivation de
l'arithmétique dans l'enseignement français du second degré, ont pu fournir à des élèves
l'occasion d'appréhender une autre forme d’expression de ces irrationnels et donc d’en
objectiver certains aspects laissés dans l’ombre par l’expression par radicaux.
A la suite de l'usage des droites graduées comme registre exprimant les
rationnels, on peut se poser la question du prolongement de ces travaux à certains
irrationnels comme les racines carrées (qui ont un développement périodique en fraction
380
Conclusion
continue). Par exemple, la formation d'une racine carrée dans le registre des droites
graduées soulève des problèmes, qui peuvent conduire à entreprendre un travail de
géométrie euclidienne plane ou à envisager une extension de la notion de graduation
régulière d'une droite à celle d'une échelle fonctionnelle (ici : échelle de carrés). Ainsi,
exprimer
2 dans un tel système, revient à localiser 2 sur une échelle de carrés ; à cette
occasion peut être émise la conjecture de son irrationalité, ce qui donne des raisons de la
démontrer, par un procédé algébrique ou géométrique.
2.3. Application à la formation des maîtres
L'apport de Raymond Duval sur les registres, au-delà d'une description du
fonctionnement cognitif, offre des modèles d'apprentissage qui se distinguent, sans les
contredire, de ceux issus des théories des situations de Guy Brousseau et des champs
conceptuels de Gérard Vergnaud. Ces deux dernières théories sont actuellement des
références constantes en formation des maîtres, au point que les épreuves à orientation
didactique de la partie mathématique du concours externe de recrutement des
professeurs des écoles y renvoient quasi exclusivement. Nous avons proposé pour notre
part, et dans le domaine de la didactique des rationnels, à la fois une mise à l'épreuve de
la théorie de l'apprentissage de Duval, mais aussi un paradigme d'enseignement s'en
déduisant. Il nous semble que ces idées, et les données empiriques qui les
accompagnent, trouvent naturellement leur place dans un processus de formation de
maîtres appelés à faire des choix déterminants pour l'enseignement de cette notion. Les
logiciels de la série ORATIO peuvent être utilisés dans un dispositif didactique direct
auprès d'élèves de l'école élémentaire ou servir de matière à réflexion en formation
initiale et continue des professeurs des écoles. Il nous semblerait notamment intéressant
d'étudier auprès d'une population d'étudiants de première année d'IUFM ou de
professeurs stagiaires : l'éventuelle prédominance du modèle "parts de tarte" comme
représentation des rationnels adéquate à un apprentissage initial ; la prédominance du
rôle du système métrique dans l'apprentissage des décimaux ; la connaissance de
l'évolution des modes d'expression rationnels depuis Euclide jusqu'à nos jours, et leur
rôle dans les avancées significatives sur la notion ; la différenciation des acceptions d'un
rationnel (mesure, opérateur…) et d'éventuels mouvements après étude des logiciels de
la série ORATIO et de la réflexion sous-jacente.
381
Conclusion
Notre avons indiqué trois pistes de recherches susceptibles de prolonger la
nôtre. L'étude que nous achevons ici a en commun, avec les extensions envisagées, de
rendre compte de trois niveaux de différenciation : identifier les spécificités de chaque
système de signes exprimant les nombres, reconnaître, comme produit de ces systèmes,
l’existence d’invariants que sont les objets mathématiques sous-jacents, relier la
spécificité de chacun des systèmes étudiés à des aspects différents des objets
représentés. Ces trois niveaux de différenciation justifient la mobilisation de plusieurs
registres sémiotiques et leur étude systématique dans des dispositifs d’enseignement.
C'est la contrepartie de la complexité et de la richesse des notions concernées.
382
Annexes générales
Annexes 1
Extraits des évaluations locales
classe de Sélestat
Annexes 1.1
Annexe 1.1
Extraits de l'évaluation locale de CM1, classe de Sélestat, juin 97
Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse des évolutions. Ils
sont donc extraits d'une évaluation qui en comportait 50. Nous avons néanmoins
conservé dans cet extrait des items qui n'ont pas été analysés, car il importait de
présenter l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de leur
résolution. Il s'agit des items : Ch_reg01 ; GR8 ; GR10 ; GR11.
Pour chaque paire de nombres, entoure le plus petit :
D02 : (3,08 ;
D03 : (5,14 ;
3,4)
5,6)
D10
Range les nombres suivants du plus petit au plus grand :
7,25
7,8
6,148
7,09
.........
.........
.........
.........
D11
Trouve un nombre compris entre 7,4 et 7,5
Réponse : .........
D12
Trouve un nombre compris entre 7,9 et 8
Réponse : .........
Intercale un entier entre les deux fractions :
Q17 :
4
7
<
<
5
3
Q18 :
21
<
4
<
27
4
386
Annexe 1.1
Q19
Intercale une fraction entre les deux entiers :
6 <
< 7
Q23
Range les fractions de la plus petite à la plus grande
7 2 4
;
;
10 4 3
Réponse : ..........
GR02
Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les flèches,
ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C à la bonne
place dans la ligne Réponse.
A
6
5
B
5
6
C
5
Réponse : ..........
6
<
<
387
Annexes 1.1
Les droites sont graduées régulièrement. Parmi les nombres A, B, C, D, E, F, entoure
ceux qui sont entiers.
3.1.G
1. G
4
8
3
5
B
A
5. G
GR08
3
5
7
8
D
C
GR10
GR11
2
24
21
7
F
E
Réponse : ..........
A
;
B
;
C
CV03
Quelle est la fraction de disque hachurée ?
Réponse : ..........
388
;
D
;
E
;
F
Annexe 1.1
2. Ch_reg01 & Ch_reg02
Voici 4 problèmes associés à des schémas. Lesquels de ces problèmes admettent la
4
comme solution ?
fraction
5
Problème b
Problème a
Quelle est la fraction de disque hachurée ?
La droite est graduée régulièrement. Sur quelle
fraction pointe la flèche ?
1
0
Problème c
Problème d
Les rectangles empilés ont la même
épaisseur. Que vaut l'épaisseur en mètres
d'un des rectangles ?
Les rectangles empilés ont la même
épaisseur. Que vaut l'épaisseur en mètres
d'un des rectangles ?
4m
5m
Entoure les bonnes réponses :
7. Ch_reg01
Réponse : .……
Problème a
Ch_reg 02
Problème b
Problème c
Problème d
Ch_reg06
On veut partager équitablement 2 tartes flambées entre 6 personnes. Quelle fraction de
tarte aura chaque personne ?
Réponse : ..........
389
Annexes 1.1
Ch_reg07
Avec une bouteille de lait, on remplit 8 verres pleins et une partie du neuvième verre.
Avec 5 bouteilles, on remplit exactement 41 verres. On vide une bouteille entière dans
:
des verres. Evalue la quantité de lait contenue dans le neuvième verre. Réponse
..........
3.
4. Ch_reg08
15 feuilles de papier cartonné de même épaisseur sont empilées en tas. Ce tas
a une épaisseur de 10 millimètres. Quelle est l'épaisseur en millimètres d'une
des feuilles ? Entoure les bonnes réponses.
15
10
2
Réponse : ..........
;
;
;
ce n'est pas possible
10
15
3
390
Annexe 1.2
Annexe 1.2
Extraits de l'évaluation locale de CM2, classe de Sélestat, octobre 1997
Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse
des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en
comportait 45. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des
items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter
l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de
leur résolution. Il s'agit des items : Q18 ; Q19 ; GR06 ; GR09 ; GR10 ;
CV04 ; CV05 ; CV07.
Pour chaque paire de nombres, entoure le plus petit :
D01 : (3,7 ; 3,16)
D03 : (5,3 ; 5,0009)
D05
Range les nombres suivants du plus petit au plus grand :
4,07
4,6
.........
<
.........
3,345
< .........
4,35
<
.........
D06
Trouve un nombre compris entre 5,6 et 5,7
Réponse : .........
D07
Trouve un nombre compris entre 5,9 et 6
Réponse : .........
Q11
Entoure si c’est juste, barre d’une croix si c’est faux :
4
<1
7
;
4
>1
7
;
4
1
>
7
2
391
Annexes 1.2
Intercale un entier entre les deux fractions :
Q12 :
9
<
4
Q13 :
22
<
5
<
11
3
<
27
5
Q14
Intercale une fraction entre les deux entiers :
2 <
< 3
Range les fractions de la plus petite à la plus grande
1
1
1
Q15 :
;
;
Réponse : ..........
7
3
10
Q16 :
3
6
;
7
5
;
5
8
Réponse : ..........
Q18 :
7
8
;
11
8
;
3
8
Réponse : ..........
Q19 :
4
5
;
3
4
;
5
6
Réponse : ..........
392
Annexe 1.2
GR01
Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les
flèches, ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C
à la bonne place dans la ligne Réponse.
A
3
4
B
3
4
C
4
3
Réponse :
.......
<
.......
<
.......
Les droites sont graduées régulièrement. Parmi les nombres A, B, C, D, E, F, certains
sont entiers, d’autres pas. Entoure chaque fois la bonne réponse :
4
9
3
6
A
A est
entier
A n’est pas
entier
GR05
B
B est
entier
B n’est pas
entier
GR06
393
Annexes 1.2
6
6
2
10
C
C est
entier
D
D est
entier
C n’est pas
entier
D n’est pas
entier
GR07
5
GR08
9
10
14
F
E
E est entier
GR09
394
E n'est pas entier
F est entier
F n'est pas entier
GR010
Annexe 1.2
Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque
fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à la bonne
graduation.
0
1
8
10
;
CV03
1
2
;
CV04
3
2
;
3
5
2
;
CV06
CV05
9
5
CV07
CV08
Ecris chacune des fractions suivantes sous le dessin adapté et hachure la partie
correspondante :
1
3
;
2
5
;
4
6
;
3
4
395
Annexes 1.2
Voici 6 problèmes associés à des schémas. Examine-les, l’un après l’autre. Tu dois
5
comme solution. Pour cela,
décider chaque fois si le problème admet la fraction
6
entoure chaque fois la bonne case :
CV01
Problème 1
Quelle est la fraction de disque hachurée ?
Problème 2
La droite est graduée régulièrement. Sur
quelle fraction pointe la flèche ?
1
0
5
est solution
6
5
n’est pas solution
6
5
est solution
6
5
n’est pas solution
6
Ch_reg02
Problème 5
Problème 6
On a aligné des tables. Chaque table a la
même longueur. Que vaut la longueur
d’une table en mètres ?
On a aligné des tables. Chaque table a la même
longueur. Que vaut la longueur d’une table en
mètres ?
5m
5
est solution
6
396
5
n’est pas solution
6
6m
5
est solution
6
5
n’est pas solution
6
Annexe 1.2
Ch_reg 03
Problème 3
Problème 4
On a aligné des tables. Chaque table a la
même longueur. Chaque flèche mesure 1
mètre de longueur. Que vaut la longueur
d’une table en mètres ?
On a aligné des tables. Chaque table a la même
longueur. Chaque flèche mesure 1 mètre de
longueur. Que vaut la longueur d’une table en
mètres ?
1m
1m
5
est solution
6
5
n’est pas solution
6
5
est solution
6
5
n’est pas solution
6
Ch_reg04
Il a fallu 5 bidons pour remplir un seau de 4 litres. On cherche la contenance en litres
d’un bidon. Entoure la bonne réponse :
Réponse : ......
4
5
;
5
4
;
autre contenance
Ch_reg05
Le liquide foncé est du jus de fruit, le liquide clair est de l’eau. Lequel des deux
mélanges aura le plus le goût du jus de fruit ? Entoure la bonne réponse.
Mélange A
Mélange B
397
Annexes 1.2
Ch_reg06
A
C
C
B
Il faut 4 verres A pour remplir 3
bidons C
Il faut 8 verres B pour remplir 5
bidons C
Les bidons C ont tous le même volume.
Entoure la bonne réponse :
A contient autant que B
398
A contient moins que B
A contient plus que B
Annexe 1.3
Annexe 1.3
Extraits de l'évaluation locale de CM2, classe de Sélestat, mai 1998
Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse
des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en
comportait 48. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des
items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter
l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de
leur résolution. Il s'agit des items : D06 ; D07 ; Q06 ; Q09 ; CV02 ;
CV04 ; CV05 ; CV06.
Signalons par ailleurs que certains exercices ont déjà été présentés en annexes 1 et 6 du
chapitre IV. Ils sont repris ici pour des commodités de mise en relation avec l'analyse
du chapitre V.2.2.
Pour chaque paire de nombres, entoure le plus petit :
D01 : (5,2 ; 5,18)
D02 : (15,09 ; 15,4)
D03
Range les nombres suivants du plus petit au plus grand :
11,432
.........
12,7
<
.........
12,09
< .........
12,54
<
.........
D04
Trouve un nombre compris entre 6,3 et 6,4
Réponse : .........
D05
Trouve un nombre compris entre 6,9 et 7
Réponse : .........
D06
Trouve un nombre compris entre 6,76 et 6,9
Réponse : .........
DO7
Trouve un nombre compris entre 6 et 6,1
Réponse : .........
399
Annexes 1.3
Q01 & Q02 (items regroupés)
Entoure si c’est juste, barre d’une croix si c’est faux :
3
<1
5
3
>1
5
;
;
3 1
<
5 2
Intercale chaque fois un entier entre les deux fractions :
8
22
Q03
<
<
3
5
Q05
Intercale une fraction entre les deux entiers :
5 <
< 6
Range les fractions de la plus petite à la plus grande :
7
13
5
Q06
;
;
Réponse : ..........
6
6
6
1
10
Q07
1
5
;
1
4
Q08
4
8
;
7
4
;
6
5
Q09
4
5
;
2
3
400
;
;
9
10
Réponse : ..........
Réponse : ..........
Réponse : ..........
Q04
28
<
5
<
32
5
Annexe 1.3
GR01
Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les
flèches, ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C
à la bonne place dans la ligne Réponse.
A
0
1
B
0
1
C
0
Réponse :
.......
1
<
.......
<
.......
Les droites sont graduées régulièrement. Dans chaque cas, on pointe un nombre par
une flèche. Si tu estimes que le nombre est entier, écris-le avec des chiffres. Sinon,
entoure seulement la réponse « Le nombre n’est pas entier».
GR02
5
9
Réponse : le nombre est entier. Il vaut ....
pas entier
Le nombre n’est
GR03
2
8
401
Annexes 1.3
Réponse : le nombre est entier. Il vaut ....
pas entier
Le nombre n’est
GR04
5
8
Réponse : le nombre est entier. Il vaut ....
pas entier
Le nombre n’est
Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque
fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à un point de la
droite.
0
7
10
2
1
;
CV01
1
2
;
4
5
;
CV03
CV02
8
5
CV04
;
16
10
CV05
;
1
3
CV06
Ecris chacune des fractions suivantes sous le dessin adapté et hachure la partie
correspondante :
5
;
8
CV07
402
2
3
CV08
;
7
;
10
CV09
4
5
CV10
Annexe 1.3
CV11
La partie grisée représente une fraction. Laquelle ?
Réponse : .......
403
Annexes 1.3
CV17
Ecris 3,14 comme somme d’un entier et de fraction(s) :
Réponse .....
CV18
Ecris 3,14 au moyen d’une seule fraction :
Réponse .....
Ch_reg 02
250 g
BEURRE
Explique en quelques mots comment tu t’y prendrais pour découper 50 g de beurre dans
cette plaque ?
Ch_reg03
5
6
La droite est graduée régulièrement. Chaque flèche désigne un nombre.
a) Pour écrire ce nombre, tu préfères utiliser : (Entoure une des deux réponses cidessous)
une écriture avec des fractions
une écriture à virgule (nombre décimal)
b) Ecris sous chaque flèche le nombre qu’elle désigne.
404
Annexe 1.3
Ch_reg 04
Avec ces deux bouteilles remplies de miel, on peut remplir exactement
les 3 pots ci-dessous :
1L
1L
1kg
1kg
1kg
Ce gros bidon contient 10 litres et a une masse à vide de 3 kg.
Quelle sera sa masse s'il est rempli de miel ?
Ch_reg 05
Quel volume de miel contient un des 3 pots du dessin ?
Ch_reg 06
On considère deux tas, A et B, de feuilles de papier.
8 feuilles du tas A ont une épaisseur de 3 mm. 19 feuilles du tas B ont une épaisseur de
6 mm.
Entoure la bonne réponse :
1. Les feuilles de A et de B ont la même épaisseur
2. Les feuilles de A sont plus épaisses que celles de B
3. Les feuilles de B sont plus épaisses que celles de A
Ch_reg 07
B
Voici trois nombres : A = 2,8
11
4
2
;
3
;
C=
Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C, à la bonne place dans la ligne
Réponse :
Réponse :
.......
<
.......
<
.......
405
Annexes 1.4
Annexe 1.4
Extraits de l'évaluation pronostic de CM2, classe de Sélestat, juin 1998
Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse
des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en
comportait 15. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des
items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter
l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de
leur résolution. Il s'agit des items : CV02 ; CV04 ; CV05 ; CV06.
Complète en mettant le signe < ou > :
13
5
Q01 :
Q02 :
....... 1
;
.......
8
8
1
2
(items regroupés en un seul)
Intercale chaque fois un entier entre les deux fractions :
Q04 :
<
15
<
4
<
22
5
32
10
Q06
Intercale une fraction entre les deux entiers :
1 <
< 2
Range les fractions de la plus petite à la plus grande :
406
Q05 :
27
<
10
Annexe 1.4
Q07 :
1
6
1
10
Réponse : ..........
Q08 :
5
13
3
;
;
10
6
4
Réponse : ..........
;
1
2
;
Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque
fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à un point de la
droite.
0
6
10
2
1
19
10
;
CV01
2
5
;
9
5
;
CV03
CV02
;
CV04
Ch_reg07
1
2
;
CV05
1
4
CV06
B
A=
Voici trois nombres :
3
4
;
0
C = 0,25
1
;
Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C, à la bonne place dans la ligne
Réponse :
Réponse :
.......
<
.......
<
.......
407
Annexes 2
Fiches pédagogiques d'accompagnement des logiciels
de la série ORATIO
Annexe 2
Gradu1
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale porte un repère matérialisé par deux bornes entières. Ces
bornes déterminent un pas égal à la différence des deux bornes. L’élève doit déposer
trois nombres entiers sur une droite à graduer par report du pas. Chacun des trois
nombre est choisi pour qu’il puisse se déposer sur une des graduations ainsi créées.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
C’est le logiciel du début. Il vise un premier contact avec les signes du registre
des droites graduées et leur façon de produire du sens d’une part ; avec la seule
opération de report d’autre part :
• sur une même droite, la graduation est régulière ;
• d’une droite à une autre, le pas physique - longueur à l’écran - est le même,
mais sa valeur numérique change ;
• cette valeur est déterminée par la donnée du repère initial ;
3. Analyse de la tâche
1. Calculer la différence entre les bornes initiales ;
2. évaluer la différence entre le nombre à déposer et une borne ou un autre
nombre déjà déposé (facultatif) ;
3. graduer par additions répétées du pas jusqu’à atteindre le nombre à déposer ou
par multiplication/division si l’étape 2. est réalisée.
410
Annexe 2
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemple d'exercice de type sémiotique
• prévoir le nombre d’intervalles nécessaires pour déposer 44.
17
20
Ce type d’exercice valorise une recherche multiplicative (étape 2. ci-dessus).
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• problèmes multiplicatifs à données et résultats entiers du type : Marie achète 8
gâteaux à 7 francs ; un jardinier plante 15 rangées de 12 salades…
5. Cahier des charges
Valeur du pas : {3, 4, 5, 6, 10}
Borne inférieure du repère : < 300
411
Annexe 2
Gradu2
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale est graduée régulièrement. Deux graduations consécutives
sont marquées par deux nombres entiers (le repère) dont la différence détermine un pas.
L’élève doit situer, puis déposer trois nombres entiers sur cette droite. Il devra pour cela
sous-graduer chaque intervalle concerné.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel vise un renforcement du mode de signification des signes du
registre. Il introduit, après le report, le deuxième traitement fondamental sur droite
graduée, à savoir l’opération de subdivision, qui pour l’instant se limite encore à des
sous-graduations d’abscisses entières. La valorisation des sous-graduations minimales
oriente vers la recherche des diviseurs du pas.
3. Analyse de la tâche
1. Calculer la différence - le pas - entre les bornes initiales ;
2. imaginer, par additions répétées du pas, les entiers correspondant aux
graduations ;
3. situer chaque nombre à déposer sur cette droite graduée ;
4. choisir, pour chaque intervalle concerné, le minimum de subdivisions
nécessaires au repérage des nombres ;
5. déposer chaque nombre sur la graduation adéquate.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemple d'exercice de type sémiotique
• prévoir la subdivision minimum de l’intervalle suivant pour y déposer 47
43 53
412
Annexe 2
• énoncer une règle de recherche de subdivision minimale du type : « Je calcule
les diviseurs du pas ; je teste si des sauts - de 2 en 2 ou de 5 en 5 dans le cas
présent - attrapent le nombre - ici 47 ».
Exemples d'exercices de type physique
• problèmes de division-quotition : (Brissiaud et autres ; 1998-b, p 28) 24 (ou
26 !) élèves, 6 élèves par tente en cherchant à remplir le maximum de tentes.
5. Cahier des charges
Valeur du pas : {3, 4, 5, 6, 10}
Borne inférieure du repère : < 40
Nombres à déposer : < 44
413
Annexe 2
Gradu3
1. Aperçu synthétique
Trois droites sont graduées régulièrement. Sur chaque droite, deux graduations
consécutives sont marquées par des nombres entiers dont la différence détermine un pas
numérique, indépendant du pas physique - longueur à l’écran. Sur chaque droite, une
flèche pointe vers un nombre annoncé comme entier. L’élève doit ranger les trois
nombres ainsi exprimés, du plus petit au plus grand. Il dispose de la possibilité de
marquer les graduations initiales par des entiers et de sous-graduer uniformément
chaque intervalle d’une droite.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel invite à explorer les possibilités de comparaison des nombres
offertes par le seul recours aux signes du registre des droites graduées. Les traitements
par report et subdivision sont possibles, mais pas toujours nécessaires. Dans certains
cas, un raisonnement par encadrement ou un positionnement - par rapport au milieu par
exemple - peut suffire. Ce logiciel permet une distinction nette entre les unités
hautement signifiantes du registre : les nombres entiers, les graduations... et des unités
moins fiables comme la longueur à l’écran.
3. Analyse de la tâche
1. Mettre en œuvre les moyens d’un repérage numérique - contre un repérage
purement visuel : « plus long ne signifie plus forcément plus grand » ;
2. comparer par encadrement ou positionnement de première approximation ;
3. affiner, si nécessaire, la comparaison au moyen de sous-graduations .
414
Annexe 2
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemple d'exercice de type sémiotique
• est-il nécessaire de sous-graduer pour comparer les deux nombres pointés par
les flèches ?
12 20
24 27
Exemples d'exercices de type physique
• problèmes de division-partition (Brissiaud et autres ; 1998-b, p 28) : 24 (ou
26 !) élèves à répartir en 6 tentes.
5. Cahier des charges
Valeur du pas choisie dans : [2 ; 10]
Borne inférieure du repère choisie dans : [0 ; 50]
415
Annexe 2
Gradu4
1. Aperçu synthétique
Trois versions du même intervalle numérique, de pas égal à 1, sont montrées à
l’écran. Les longueurs physiques de chaque version ainsi que le nombre de graduations
qu’elles portent sont différents. Une flèche pointe, sur chaque version de l’intervalle,
vers un nombre non entier. L’élève doit ranger ces trois nombres du plus petit au plus
grand.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel est le premier de la série à sortir du domaine des entiers. Il choisit
l’opération de comparaison pour introduire les premières significations sur les
rationnels, et prolonger les traitements déjà efficaces dans le domaine des entiers :
reports, subdivisions, positionnements par rapport à des points stratégiques comme le
milieu. Il vise, d’entrée de jeu, à une diversification des moyens de comparer deux
rationnels : la resubdivision sera un précurseur de la réduction au même dénominateur,
mais une foule d’autres procédures sont possibles et beaucoup moins coûteuses. Ce
logiciel renforce la distinction entre les unités hautement signifiantes du registre : les
nombres entiers, les graduations... et des unités moins fiables, en tout cas relatives,
comme la longueur ou la position plus ou moins centrée à l’écran. Notons enfin qu’il a
été, dans les classes expérimentales, l’occasion de développer naturellement des
compétences arithmétiques, et notamment autour du ppcm.
3. Analyse de la tâche
1. Comparer par positionnements de première approximation ;
2. affiner si nécessaire par la prise en compte du nombre de graduations : « plus
grand est le fractionneur, plus petit est le fractionnement » ;
3. procéder à d’éventuels regroupements comme : « 2 graduations sur un
fractionnement en 8 équivalent à 1 graduation sur un fractionnement en 4 » ;
416
Annexe 2
4. autres heuristiques particulières...
5. procéder à une resubdivision afin de trouver un fractionneur commun dans les
cas - rares - où les méthodes précédentes échouent.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• énoncer des règles comme dans 2. et 3. ci-dessus ; calculs simples de
multiples, de diviseurs, de multiples et diviseurs communs.
• peut-on comparer sans resubdiviser ?
7
8
7
8
5.
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• quelle part de 1F représente 20 cts ? 40 cts ? (cas discret)
• quelle part de b1 représente b3 , b2 ? (cas continu)
b3
b2
b1
Problèmes de cran 3-4 (mélanges)
• quel mélange a le plus le goût de jus de fruit (4 verre d'eau pour 4 verre de jus
de fruit contre 3 verres d'eau pour 2 verres de jus de fruit)…
6. Cahier des charges
Valeur du pas : 1
Borne inférieure du repère choisie dans : [0 ; 9]
Subdivision initiale en : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} intervalles
417
Annexe 2
Gradu5
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale est graduée régulièrement. Deux graduations principales,
non consécutives, sont marquées par deux nombres entiers (le repère) dont la différence
détermine un pas. Le repère se trouve ainsi subdivisé en un nombre d’intervalles qui est
le plus souvent différent du pas : ainsi, un repère comme [4 ; 7]peut-être subdivisé en 5
intervalles. L’élève doit déposer trois nombres entiers sur cette droite. Il dispose de la
possibilité de sous-graduer régulièrement chaque intervalle initial.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel propose de travailler sur des nombres entiers plongés dans un
univers qui sort du domaine des entiers du fait des subdivisions initiales non adéquates
au pas. Il peut être considéré comme difficile, mais très instructeur sur la manière dont
le registre produit de l’information : il permet de préciser les liens entre bornes du
repère, graduations, groupe de graduations, unité.. Notons que lors des expérimentations
menées dans les classes, il n’a jamais produit le désarroi pourtant attendu, mais une
recherche très active et diversifiée de procédures par essai/erreur dont beaucoup ont
abouti.
3. Analyse de la tâche
1. Prendre en compte et calculer le pas et le nombre de graduations du repère ;
2. combiner ces 2 nombres pour décider si les graduations sont d’abscisses
entières ou pas ;
3. entreprendre des actions de resubdivisions pour attraper un pas entier, le plus
souvent unitaire ;
4. regrouper les nouvelles graduations afin de rester dans le domaine des entiers
- le plus souvent pour progresser de 1 en 1 - et d’y déposer les nombres.
418
Annexe 2
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemple d'exercice de type sémiotique
• placer 5 et 6 sur la droite graduée ci-dessous ;
4
7
• énoncé - éventuel - de règles comme : « pour pouvoir progresser de 1 en 1, le
nombre de sous-intervalles doit être un multiple du pas ».
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• 3 (ou 7) pizzas à partager entre 4 enfants (quelle sera la part de chaque
enfant ?) ;
Problèmes de cran 3
• 2l de miel pèsent 3 kg (volume, masse, d'un kilo, d'un litre de miel ; extension
à d'autres valeurs entières simples).
5. Cahier des charges
Valeur du pas : {2, 3, 4, 5, 6, 7}
Borne inférieure du repère : {1, 2, 3, 4, 5, 6}
Nombres à déposer : < 20
Subdivision initiale en : {2, 3, 4, 5, 6, 10} intervalles
419
Annexe 2
Gradu6
1. Aperçu synthétique
1.1. Exercices 1 et 2
Un nombre non entier - choisi par le logiciel -, est pointé sur un intervalle de
pas 1, subdivisé - par le logiciel -, en sous-intervalles au moyen d’un fractionneur#1.
Un zoom sur cet intervalle précise la position de ce nombre au moyen d’un
fractionneur#2.
1.2. Exercices 3
Idem mais l’élève choisit ses subdivisions et, s’il le souhaite, peut zoomer.
1.3. Exercices 4
Idem, mais le nombre inconnu est choisi par un autre élève.
Dans tous les cas, on demande à l’élève de déposer le nombre inconnu sur une
nouvelle droite. Il est invité pour cela à procéder en deux temps : recherche d’une
subdivision adaptée à la capture du nombre inconnu - droite « au brouillon » ; recherche
de la graduation de cette subdivision sur laquelle déposer ce nombre inconnu - droite
« au propre ».
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Les écritures fractionnaires usuelles sont bidimensionnelles. Cette donnée de
deux nombres - numérateur et dénominateur - est un obstacle repéré à l’acception d’une
fraction comme descripteur d’un seul nombre rationnel. Le premier but de ce logiciel
est de séquentialiser la prise en compte du dénominateur et du numérateur : la droite
« au brouillon » permet la recherche d’un dénominateur adapté, sans se préoccuper du
numérateur, qui sera l’objet de la recherche sur la droite « au propre ».
420
Annexe 2
Notons que dans l’exercice 4 notamment, le fractionneur - qui sera plus tard le
dénominateur - permet d’attester numériquement la position du nombre choisi par
l’élève, car une simple coïncidence visuelle risquerait de donner comme égaux des
rationnels proches - points indiscernables à l’écran - mais différents comme 5/3 et 12/7.
On entre ainsi dans une véritable problématique d’écritures équivalentes - deuxième
but du logiciel - qui ne saurait se réduire à la recherche d’une éventuelle coïncidence
visuelle, mais à la question de savoir s’il existe une même subdivision - et donc un
même fractionneur - susceptible d’attraper les deux nombres.
3. Analyse de la tâche
1. Trouver le fractionneur - résultant du zoom ou pas -, par multiplication et/ou
par essai/erreur ;
2. si zoom sur un intervalle, recherche du numéro de la graduation, dans
l’ensemble de la subdivision résultante, vers laquelle pointe le nombre
inconnu ;
3. appliquer séquentiellement 1. et 2. pour déposer définitivement le nombre.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• énoncer la règle de recherche par multiplication du fractionneur résultant d’un
zoom ;
• énoncer un algorithme de recherche du point 2. ci-dessus - recherche du
« numérateur » -, du type : « si chaque intervalle de la première droite était
subdivisé en fractionneur#2, on compterait tant de subdivisions jusqu’au
nombre inconnu... »
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 3
• 1/4 des élèves font de la musique ; 1/10 des musiciens font des percussions. Il
y a 160 élèves en tout. Combien font des percussions ?
• tu dépenses 1/5 (ou 1/4) de ton argent, puis la moitié du reste. Tu avais 50
francs. combien te reste-t-il ?
421
Annexe 2
Problèmes de cran 4
• les mêmes problèmes que ci-dessus mais sans donner le total. On demande
une réponse en proportion (type : il me reste 2/5 de la somme initiale).
5. Cahier des charges
Valeur du pas : 1
Borne inférieure du repère choisie dans : [2 ; 9]
• Exercices 1 & 2. fractionneur#1∈[2 ; 10] ; fractionneur#2 ∈ [2 ; 8]
• Exercices 3 & 4. fractionneur ∈[2 ; 9]
422
Annexe 2
Fracti1
Dans toutes les fiches concernant les logiciels Fracti, nous désignerons le
numérateur d’une fraction par N et son dénominateur par D.
1. Aperçu synthétique
Des fractions de même dénominateur, et dont le numérateur augmente d’un pas
régulier, défilent à l’écran. L’élève doit arrêter le défilement dès qu’il repère une
fraction équivalente à un entier. Une question bonus lui demande à la fin s’il pense en
avoir laissé passer.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel d’introduction aux écritures fractionnaires est conforme à notre
projet de privilégier les aspects sémiotiques dans l’accès au sens : que nous racontent les
écritures sur l’objet qu’elles expriment ? Deux axes principaux ont été retenus pour
« faire parler » les écritures fractionnaires :
1. les positionner par rapport aux valeurs sûres que sont les entiers ;
2. les positionner entre elles, c’est à dire les comparer.
Nous verrons dans Fracti5 en quoi le point 2. est dépendant du point 1.
Ce premier logiciel vise avant tout à plonger les entiers dans l’univers des
écritures fractionnaires : comment un entier comme 3 ou 4 s’exprime-t-il en quarts ou en
dixièmes ? Cette approche a trois conséquences :
• c’est 4/4 = 1 ou 20/4 = 5 qui donne du sens à 3/4 (1/4 de moins que 4/4 par
exemple) et pas le contraire ;
• l’élève est mis en attente de numérateurs multiples du dénominateur, créant
ainsi un lien entre l’écriture N/D et la division de N par D ;
• les fractions supérieures à 1 apparaissent naturellement dans cet univers.
423
Annexe 2
3. Analyse de la tâche
1. N est-il multiple de D ?
2. si oui, stopper le processus, si non le laisser se poursuivre ;
3. évaluer rétrospectivement les risques d’oubli (question bonus).
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Avant :
• bilan sur les écritures fractionnaires déjà connues des élèves (comme 1/2 ;
1/4 ; 3/4 ; 1/3...) et le contexte de leur utilisation (lecture de l’heure, mesure de
masse, volume...) ;
• une introduction légère - et facultative - à la mesure de longueur au moyen
d’une unité non conventionnelle (requérant l’usage d’écritures fractionnaires).
Pendant et après
• révision des tables de multiplication ;
• interrogations-éclair : 12/4 ; 36/7... sont-ils entiers ?
Exemple de problème de type physique
Problème de cran2
• évaluation de longueurs au moyen d'unités non standards (pieds) et du système
métrique ; expression fractionnaire de ces mesures.
5. Cahier des charges
• Exercice 1. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur augmenté de 1 en 1
• Exercice 2. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur augmenté de n en n,
2≤n ≤5
424
Annexe 2
Fracti2
1. Aperçu synthétique
Ce logiciel propose, à chaque jeu, une fraction et un entier. L’élève doit décider
si le produit de la fraction par l’entier est entier ou pas.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel vise avant tout un objectif : une fraction est un nombre qui peut
être dilaté en un entier (moyennant une multiplication par un entier bien choisi). Cette
propriété, qui est fondatrice du monde des rationnels, sera en outre utilisée plus loin
pour comparer deux fractions quand d’autres méthodes plus simples auront échoué.
3. Analyse de la tâche
1. Interpréter des écritures comme 3/4 en : « trois fois un quart »
2. calculer des expressions comme 3/4 x 7 : « 3 (fois un) quart(s) multiplié par 7
est égal à 21 quarts » ;
3. le numérateur résultant est-il multiple du dénominateur ? On est alors renvoyé
à une problématique de type Fracti1.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Voir l’accompagnement de Fracti1. Y ajouter une règle comme celle énoncée
au point 2. ci-dessus.
Exemple d'exercice de type physique
Problème de cran 2
• évaluation de grandeurs différentes des longueurs, comme des aires, par
rapport à une aire totale. Evaluation de chutes (Douady et Perrin-Glorian ;
1986, pp. 51-62).
•
425
Annexe 2
5. Cahier des charges
• Exercice 1. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur : 1 ; multiplicateur choisi
pour obtenir des résultats entiers ou non entier et inférieurs à 12
• Exercice 2. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur ∈ [1 ; 10] ;
multiplicateur choisi pour obtenir des résultats entiers ou non entier et
inférieurs à 12
426
Annexe 2
Fracti3
1. Aperçu synthétique
Le logiciel demande d’encadrer une fraction donnée par deux entiers
consécutifs (exercice 1) ; d’intercaler un entier, si possible, entre deux fractions de
même dénominateur (exercice 2) ou pas (exercice 3).
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel vise à renforcer la capacité à positionner des fractions par rapport
aux entiers et vice versa. Cette compétence sera précieuse lors de la comparaison de
fractions séparables par des entiers, car elle permettra d’éviter une technique plus lourde
de type réduction au même dénominateur.
3. Analyse de la tâche
3.1. Exercice 1
1. Effectuer la division euclidienne de N par D (ou une technique approchante du
type : 23/5 = 20/5 + 3/5 = 4 + 3/5) ;
2. en déduire la partie entière de la fraction ;
3. procéder à l’encadrement de borne inférieure la partie entière ; de borne
supérieure l’entier consécutif.
3.2. Exercices 2 et 3
1. Rechercher la partie entière de la plus petite des fractions ;
2. considérer l’entier consécutif ;
3. en fournir une écriture fractionnaire exprimable au moyen du dénominateur de
la plus grande des fractions ;
4. comparer cette écriture fractionnaire à la plus grande des fractions ;
5. décider si l’intercalation est possible ou pas .
427
Annexe 2
... ou bien rechercher des écritures fractionnaires d’entiers exprimées au moyen
des dénominateurs des fractions, et décider si l’intercalation entre les deux fractions
données est possible. Exemple : entre 7/3 et 22/5, on peut intercaler 3 car 3 = 9/3 > 7/3
et 3 = 15/5 < 22/5.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemple d'activités de type sémiotique
• rappeler les règles des écritures fractionnaires des entiers, du type : 5 = 10/2 =
15/3 = 50/10 = 5/1...
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• une grandeur étant déterminée par commensuration (7 épaisseurs pour 35 mm
ou 5 bouteilles pour remplir 41 verres), déterminer : si elle se mesure ou pas
par un nombre entier (de mm, de verres…) ; le nombre entier le plus proche
de cette mesure ; deux entiers qui l'encadrent ; intercaler un entier entre deux
mesures non entières…
5. Cahier des charges
• Exercice 1. dénominateur ∈ {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} ; numérateur ∈ [1 ; 30]
• Exercice 2. dénominateurs égaux et choisis dans : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} ;
numérateurs dans : [1 ; 30], choisis pour pouvoir intercaler ou pas un ou
plusieurs entiers entre les deux fractions
• Exercice 3. dénominateurs différents choisis dans : [2 ; 10] ; numérateurs
dans : [1 ; 200], choisis pour pouvoir intercaler ou pas un entier entre les deux
fractions
428
Annexe 2
Fracti4
1. Aperçu synthétique
Le logiciel demande d’intercaler une, puis deux, et jusqu'à cinq fractions entre
deux entiers consécutifs.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel, tout en renforçant encore les liens entiers/fractions, vise aussi à
valoriser la convivialité des fractions décimales : il est beaucoup plus simple d’intercaler
82/10 entre 8 et 9 que 59/7 ! D’où l’idée de demander l’intercalation de plusieurs
fractions - les élèves pensant d’abord aux demis et aux quarts avant de comprendre
l’intérêt des dixièmes.
3. Analyse de la tâche
1. Choisir un dénominateur D ;
2. donner une expression fractionnaire N0/D de l’entier inférieur i ;
3. donner une expression fractionnaire N1/D de l’entier supérieur s ;
4. choisir N2 compris entre N0 et N1 et saisir N2/D comme résultat ;
5. recommencer en changeant éventuellement de dénominateur si les possibilités
offertes par D sont épuisées.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• demander d’intercaler 20, 50, 100... fractions entre deux entiers consécutifs
afin de renforcer l’idée que les fractions décimales - de dénominateur 10, 100,
1000... - permettent des calculs beaucoup plus simples, ce qui motivera
ultérieurement les écritures décimales.
Exemples d'exercices de type physique
429
Annexe 2
Problème de cran 2
• reprise : 12 pizzas à partager entre 5 élèves (la réponse est non entière, située
entre deux entiers consécutifs…) ;
Problème de cran 3
• l'air est composé approximativement de 1/5 d'oxygène et 4/5 d'azote. Deux
des trois valeurs (volume d'air, d'oxygène ou d'azote) étant données (en litres
par exemple), calculer la troisième.
5. Cahier des charges
Deux entiers consécutifs, le plus petit étant compris entre 1 et 9
430
Annexe 2
Fracti5
1. Aperçu synthétique
Chaque exercice du logiciel propose de ranger des fractions - tirées suivant un
cahier des charges précisé au dernier paragraphe -, de la plus petite à la plus grande. Des
aides, diverses suivant les exercices, sont parfois proposées.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce long logiciel, divisé en cinq exercices, finalise la série Fracti : les diverses
règles, énoncées au cours des logiciels précédents, et auxquelles réagissent les écritures
fractionnaires, fournissent des outils diversifiés et adaptés au cas par cas de
comparaison. Les élèves peuvent donc choisir de comparer les fractions, soit en utilisant
leur positionnement par rapport aux entiers ; soit par rapport à d’autre points
stratégiques (comme la moitié) ; soit en recourant à toute autre heuristique privée ; soit
enfin, dans les cas - rares - résistants, utiliser les deux formes d’aide proposées :
2.1. Aide des exercices 2 et 3 : « la machine à fractionner »
adaptée aux comparaisons à numérateur constant, elle visualise l’idée physique et pas sémiotique, il y a parfois des exceptions... - suivant laquelle : « plus
grand est le fractionneur, plus petit est le résultat du fractionnement ».
2.2. Aide des exercices 4 et 5 : « l’agrandisseur »
Repose sur l’idée que si le filtre entier ne suffit pas à séparer deux fractions comme 3/5 et 2/3 -, on peut d’abord les « dilater » par un même coefficient
multiplicateur, afin de mieux les distinguer. En choisissant bien ce multiplicateur, il
redevient possible d’intercaler un entier entre les fractions produites par cette
transformation. Dans l’exemple de 3/5 et 2/3, on pourra choisir le multiplicateur 5, qui
transforme :
• 3/5 en l’entier 3 (on utilise ici les résultats de Fracti 1 et 2);
• 2/3 en 10/3 > 3 (on utilise ici les résultats de Fracti 3) ;
431
Annexe 2
ce qui permet d’achever la comparaison de 3/5 et 2/3.
3. Analyse de la tâche
Elle dépend de l’exercice considéré. Nous la résumerons donc, sans la détailler
davantage, par ces deux compétences transversales : savoir choisir et savoir changer.
Ou encore : adapter sa procédure de comparaison au cas par cas.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
Exercices à choix multiple du type :
• « pour comparer 2/3 et 3/4, quelles méthodes te paraissent les plus adaptées :
la machine à fractionner ; l’agrandisseur ; les comparer à 1 ; les comparer à
1/2... »
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• comparer des grandeurs évaluées par des fractions : plaques d'épaisseur 2/5 et
3/7 (en mm par exemple) ;
• comparer des grandeurs évaluées par commensuration : 5 bouteilles de type b1
remplissent 2 bidons, 7 bouteilles de type b2 remplissent 3 mêmes bidons.
5. Problèmes de cran 3
• qui contient le plus d'alcool : 50 cl de bière à 1/20 d'alcool, 10 cl de whisky à
2/5 d'alcool ou 20 cl de vin à 13/100 ?
Problèmes de cran 4
• dans un classe de 24 élèves, 6 élèves déclarent préférer le foot à tous les autres
sports et dans une classe de 30 élèves, 7 élèves font la même déclaration. Dans
quelle classe préfère-t-on le foot ?
• si tu dépenses 3/7 de ton argent, il t'en reste plus ou moins que la moitié ?
• peux-tu dépenser 8/5 de ton argent ?
•
432
Annexe 2
6. Cahier des charges
• Exercice 1. dénominateur constant choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10} ;
numérateur variable choisi dans : [1 ; 10]
• Exercice 2. dénominateur variable choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10} ;
numérateur : 1
• Exercice 3. dénominateur variable choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10} ;
numérateur constant choisi dans : [2 ; 10]
• Exercice 4. dénominateur variable choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} ;
numérateur variable choisi dans : [1 ; 10]
• Exercice 5. dénominateur variable choisi dans : {1,10,100,1 000,10 000} ;
n
numérateur variable de la forme k 10 , avec : k ∈ [1 ; 9] et n ∈ [1 ; 4]
433
Annexe 2
Format1
1. Aperçu synthétique
Ce logiciel propose de saisir un nombre à virgule dans un format à virgule fixe.
Le nombre est choisi soit par le logiciel, soit par l’élève. Il est visible à l’écran pendant
toute la saisie ou seulement durant un temps limité.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel d’introduction aux écritures décimales est conforme à notre projet
de privilégier les itinéraires sémiotiques de l’accès au sens. A cet égard, nous avons
choisi de plonger l’élève dans l’environnement sémiotique complet des écritures
décimales à n chiffres après la virgule - sans passer par les intermédiaires usuels des
décimaux à 1, 2, 3 chiffres après la virgule -, en prolongeant tout simplement le système
de numération des entiers.
L’outil de ce prolongement est le format à virgule fixe, qui impose de saisir un
nombre strictement inférieur à 10 000 en commençant toujours au rang des milliers. On
force ainsi à un balayage systématique du nombre, de la gauche vers la droite. La
difficulté, constitutive du savoir en jeu car valorisant la position du chiffre dans le
format en l’attachant à un rang, est de commencer la saisie par d’éventuels zéros
initiaux.
3. Analyse de la tâche
1. Repérer le rang du premier chiffre à gauche du nombre en s’aidant de la
virgule ;
2. en déduire le nombre de zéros initiaux à saisir dans le format ;
3. poursuivre la saisie chiffre à chiffre du nombre ;
4. compléter par d’éventuels zéros finaux.
434
Annexe 2
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
• rappel des têtes de série de la partie entière (.. ; milliers ; .. ; unités) ;
• règle de passage d’une tête de série à la suivante (x10) ;
• dictée de grands nombres entiers.
Aucun accompagnement de type physique n'est suggéré.
5. Cahier des charges
• Exercice 1 & 2. partie entière : 4 chiffres ; partie décimale : 9 chiffres
• Exercices 3. 10 chiffres en tout ; nombre < 10 000
435
Annexe 2
Format2
1. Aperçu synthétique
Le logiciel propose de ranger des nombres décimaux, du plus petit au plus
grand, en s’aidant, si on le souhaite, de deux formats à virgule fixe. Les nombres sont
tirés aléatoirement, suivant un cahier des charges variant d’un exercice à l’autre (voir
dernier §).
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel vise à une mise en œuvre et à une observation fine des mécanismes
de l’écriture décimale, en les mettant à l’épreuve de leur capacité à comparer des
nombres. La méthode de comparaison, suggérée par le format à virgule fixe, consiste à
balayer en parallèle les deux nombres, chiffre à chiffre, de la gauche vers la droite, en
commençant et en complétant par d’éventuels zéros. On départage les deux nombres dès
que deux chiffres de même rang sont différents dans ce balayage. On notera l’approche
purement sémiotique - lexicographique - de cette comparaison. Les interprétations en
terme de têtes de série (.. ; dixièmes ; centièmes ; ..) seront un produit des logiciels de
conversion. Cette approche est notamment sous-tendue par le rôle :
• de la virgule qui permet de déterminer le rang de chaque chiffre et notamment
le nombre de zéros initiaux ;
• des zéros : marqueurs de rangs non exprimés, ils ne peuvent être neutres qu’en
début ou en fin d’écriture.
Remarquons enfin que ce scénario met en scène la primauté du rang - des
chiffres -, qui départage, sur la longueur du nombre qui est ignorée, dans sa partie
décimale comme dans sa partie entière.
3. Analyse de la tâche
1. Saisir correctement les deux nombres à comparer dans leur format respectif
(voir Format1) ;
436
Annexe 2
2. compléter par d’éventuels zéros terminaux un des deux nombres ;
3. décider d’arrêter le processus dès qu’un chiffre permet de départager.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
• comparaison de nombres décimaux à n chiffres après la virgule ;
• énoncer le rôle de la virgule comme marqueur de rang ;
• énoncer l’importance du rang contre la longueur du nombre ;
• pointer le rôle du zéro en fonction de sa place dans le nombre.
5. Cahier des charges
• Exercice 1. partie entière variable ; 1 chiffre après la virgule
Exemple : 45,3 ; 3,2 ; 52,4 ; 62,7 ; ...
• Exercice 2. partie entière variable ; 4 chiffres maximum après la virgule
Exemple : 95,936 ; 17,436 ; 52,6297 ; 14,4 ; ...
• Exercice 3. partie entière constante; 6 chiffres maximum après la virgule
Exemple : 49,9 ; 49,1484 ; 49,3195 ; 49,28 ; ...
• Exercice 4. partie entière constante ; 6 chiffres maximum après la virgule,
illustrant la règle de suppression des zéros terminaux
Exemple :
47,1 ; 47,800 ; 47, 80000 ; 47,1000 ; ...
• Exercice 5. partie entière constante ; 6 chiffres maximum après la virgule,
illustrant l’opposition entre zéros terminaux et zéros intercalaires
Exemple : 18,05500 ; 18,550000 ; 18,01 ; 18,55 ; 18,1 ; 18,1000 ; ...
• Exercice 6. longueur des parties entière et décimale très variable
Exemple : 0,0528 ; 0,000069 ; 0,51 ; 0,0058 ; 0,0084 ; 2,725 ; ...
• Exercice 7. mélange de nombres de chacun des types précédents
437
Annexe 2
Mystère
1. Aperçu synthétique
Le logiciel choisit un nombre décimal mystérieux compris entre 0 et 30.
L’élève doit trouver ce nombre en un minimum de coups. Il fait pour cela des
propositions, auxquelles le logiciel répond par « trop grand » ou « trop petit », et en
rappelant le meilleur encadrement obtenu jusqu’alors.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel, qui peut conclure la série Format, vise un travail sur l’encadrement
et l’intercalation. Il permet notamment d’appréhender que « entre deux décimaux, on
peut toujours en intercaler un troisième - et donc une infinité ». Il constitue une première
approche de la densité des décimaux, qui sera retravaillée par Frac2for.
3. Analyse de la tâche
1. Proposer un nombre compatible avec le dernier encadrement affiché ;
2. recourir à des décimales supplémentaires lorsque les possibilités d’un rang ont
été épuisées (3,4 < N < 3,5 épuise les possibilités du rang des dixièmes) ;
3. poursuivre jusqu'à ce que le logiciel annonce la capture du nombre
mystérieux.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
• énoncer une règle du type : « entre deux décimaux, on peut toujours en
intercaler un troisième . Exemple : entre 3,4 et 3,5, il y a 3,41, 3,42..., mais
aussi 3,4728.... »
• c’est aussi l’occasion de rappeler que : 3,4 = 3,40 = 3,400 = ...
438
Annexe 2
• exercices d’encadrements et d’intercalations du type : encadre 3,4728 par
deux décimaux au dixième ; intercale un nombre entre 7,81 et 7,82 ; entre 7 et
7,1...
5. Cahier des charges
Tous les nombres sont compris entre 0 et 30 ;
n1 de format : #,# ; n2 de format : #,## ; n3 : entier ; nombres suivants : partie
décimale de longueur inférieure à 5 et commençant une fois sur deux par zéro
Suivant l’option choisie dans le groupe pédagogique de Oratio :
option ‘initial’ : les trois premiers nombres d’une série sont fixes
option ‘final’ : tirage aléatoire sur cahier des charges ci-dessus
439
Annexe 2
Frac2gra
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale est graduée régulièrement de 1 en 1. Trois fractions doivent
y être successivement déposées. L’élève devra pour cela les positionner entre deux
entiers consécutifs puis choisir un fractionnement - minimal de préférence - adapté.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel, qui peut être le premier des logiciels de conversion, vise un
renforcement des significations du registre des écritures fractionnaires par celles des
droites graduées et vice versa. Le dénominateur sera ainsi associé à l’opération de
subdivision, le numérateur à celle de report, donnant un cadre opérationnel à ces deux
notions, ce qui permettra de mieux discerner leur fonction respective. La valorisation
des graduations minimales fait entrer dans une problématique de simplification des
fractions.
3. Analyse de la tâche
1. Extraire la partie entière de la fraction ; se positionner dans l’intervalle
correspondant ;
2. procéder à d’éventuelles simplifications de la partie fractionnaire;
3. demander une subdivision minimale adéquate de l’intervalle ;
4. tenir compte du numérateur pour achever la dépose de la fraction.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• quelques simplifications simples : 2/4 = 1/2 ; 2/10 = 1/5.... ;
• recherche rapide de parties entières - de 37/10, de 7/5, de 3/4....
440
Annexe 2
• usage d'un réseau de parallèles équidistantes (guide-âne !) pour placer une
fraction sur droite graduée.
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 3
• échelles : représenter un parcours ou un lieu - comme une BCD dont on
envisage le réaménagement - à une échelle à déterminer.
5. Cahier des charges
Pour les deux exercices, dénominateur ∈[1 ; 10] ; numérateur ∈[1 ; 100]
• Exercice 1. dénominateur constant, numérateur variable
• Exercice 2. dénominateur variable ; numérateur constant
441
Annexe 2
Form2gra
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale est graduée régulièrement de 10 en 10. Trois nombres
décimaux doivent y être successivement déposés. L’élève devra pour cela les
positionner entre deux entiers, puis au moyen de zooms successifs (x10), atteindre le
niveau de profondeur décimale (dixièmes, centièmes...) où il pourra les déposer.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel, qui peut être le deuxième des logiciels de conversion, vise un
renforcement des significations du registre des écritures décimales par celles des droites
graduées et vice versa. Il contribue à établir l’unité de l’écriture décimale, qu’elle
concerne les entiers ou les non entiers, à travers la constance des opérations qui font
passer d’un ordre de grandeur - exemple les centaines ou dixièmes - au suivant respectivement les dizaines ou les centièmes. Cette constance est attestée par la
récurrence et la constance formelle des opérations de zoom, à quelque niveau de
profondeur qu’on se place. Il permet en outre une excellente visualisation des valeurs
approchées successives d’un décimal.
3. Analyse de la tâche
1. Prendre en compte l’ordre de grandeur du nombre à traiter afin de choisir son
pas de déplacement ;
2. se positionner dans l’intervalle entier adéquat et zoomer afin de subdiviser ;
3. choisir le sous-intervalle correspondant au chiffre traité et re-zoomer ;
4. ....
5. arrêter cet algorithme lorsqu’on atteint le dernier chiffre.
442
Annexe 2
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• énoncer, rappeler la désignation des têtes de série usuelles : centaines,
dizaines, ..., dixièmes, centièmes....
• lien entre la désignation des têtes de série et les opérations successives de
zoom (ex : centièmes, car il y a cent subdivisions comme celle-ci pour
reconstituer l’unité).
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• mesures décimales de diverses grandeurs ;
• addition et soustraction des décimaux.
5. Cahier des charges
• Exercice 1. partie entière constante : [1 ; 50] ; partie décimale de longueur
variable (1 à 3 chiffres).
Exemple : 3,8 ; 3,21 ; 3,3 ; 3,11 ; 3,413 ; 3,121 ; ...
Moralité : un décimal n’est pas la juxtaposition de deux entiers !
• Exercice 2. partie entière variables : [2 ; 99] ; partie décimale de longueur
variable (0 à 3 chiffres).
Exemple : 20 ; 18,9 ; 17,798 ; 73,2 ; 58, 857 ; ...
Moralité : le plus long n’est pas le plus grand !
• Exercice 3. nombres construits à partir de deux ou trois chiffres de base parmi
lesquels on intercale au hasard des zéros
Exemple : 3,14 ; 3,140 ; 3, 0140 ; 30,14 ; 3,104 ; 0,314 ; ...
Moralité : suivant leur position, les zéros sont significatifs ou pas !
• Exercice 4. nombres construits à partir d’un entier et déplacement aléatoire de
la virgule
Exemple : 84 ;
840 ; 8,4 ; 0,084 ; 0,84 ; 0,0084 ; ...
Moralité : importance de la place de la virgule !
443
Annexe 2
Grad2fra
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale porte un repère, limité par deux entiers, consécutifs exercices 1 et 2 -, ou pas - exercice 3. Une flèche pointe vers un point de la droite, à
l’intérieur ou à l’extérieur du repère. L’élève doit graduer par report du pas, jusqu'à
encadrer le nombre pointé par un intervalle entier, puis tenter des subdivisions de cet
intervalle jusqu'à la capture du nombre pointé. Il doit ensuite en fournir une écriture
fractionnaire, et tenter de la simplifier - question bonus - s’il souhaite prendre ce risque.
Des outils, calculette et "testeur de diviseur", sont mis "gratuitement" à disposition de
l'élève.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce
logiciel peut être le troisième des logiciels de conversion. Il vise un
renforcement du mode de signification des signes du registre des droites graduées, à
travers leur association aux écritures fractionnaires. Sa difficulté majeure est la prise en
compte des bornes entières (en général différentes de 0 et 1) de l’intervalle
d’encadrement pour fournir l’écriture adéquate de la fraction, par exemple :
2
3
à convertir en 2 + 4/6, puis en 16/6,
dont l’élève pourra tenter une simplification.
3. Analyse de la tâche
1. Encadrer le nombre à traiter par deux entiers par report du pas ;
444
Annexe 2
2. tenter de le capturer, d’essai en erreur, par une subdivision adaptée;
3. prendre en compte les bornes entières de l’intervalle, la subdivision, et le
pointage par la flèche pour une première conversion de type entier + fraction
(ex : 2 + 4/6) ;
4. trouver une écriture fractionnaire (16/6) de ce nombre ;
5. simplifier éventuellement cette écriture.
La difficulté de la tâche est accrue dans l’exercice 3 qui propose un repère de
pas > 1 (comme dans gradu5). On pourra sauter cet exercice à l’école primaire et donc le
réserver aux classes de collège.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• recherche d’écritures fractionnaires de nombres de type : 2 + 4/6 ;
• simplification de fractions comme 16/6.
Exemples d'exercices de type physique
Problème de cran 3
• agrandir une pièce de puzzle où 4 cm → 7 cm (Brousseau ; 1986-b, p. 113)
Problème de cran 4
• comparer deux coefficients d'agrandissement (lequel agrandit le plus, 4 → 7
ou 3 → 5 ?)
5. Cahier des charges
• Exercice 1. valeur du pas : 1 ; repère initial (bornes ≤ 10) constant et
contenant le nombre inconnu; dénominateur variable choisi dans : [2 ; 10]
• Exercice 2. valeur du pas : 1 ; repère initial variable (bornes ≤ 10), contenant
ou pas le nombre inconnu ; dénominateur constant choisi dans : [2 ; 10]
• Exercice 3. pas variable choisi dans : [2 ; 6] ; bornes initiales variables
(≤18), contenant ou pas le nombre inconnu ; dénominateur constant choisi
dans : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10}
445
Annexe 2
Grad2for
1. Aperçu synthétique
Une droite initiale porte un repère de pas 1, 10 ou 100, subdivisé en 10
intervalles. Une flèche pointe vers un point de ce repère, d’abscisse décimale. L’élève
devra saisir dans un format à virgule fixe les chiffres de ce nombre, qu’il pourra trouver
au moyen de zooms successifs (x10) précisant la position du nombre inconnu sur la
droite graduée.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce
logiciel peut être le quatrième des logiciels de conversion. Il vise à
renforcer les liens, déjà établis lors de Form2gra, entre écritures décimales, rang des
chiffres après ou avant la virgule, valeurs approchées et encadrements, zooms et
subdivisions. Il est particulièrement efficace dans la distinction entre zéros significatifs
ou pas, par l’interprétation qu’il en permet dans les termes géométrico-visuels du
registre des droites graduées.
3. Analyse de la tâche
1. Repérer le rang et la valeur du ou des premier(s) chiffre(s) du nombre traité
par encadrement sur la droite graduée ;
2. engager des opérations de zoom et les associer au rang et à la valeur des
chiffres du décimal traité ;
3. saisir ces chiffres au bon endroit dans le format ;
4. pour l’exercice 2, prévoir un rang final - du dernier chiffre à droite - en
fonction d’un rang de départ - premier chiffre à gauche - et du nombre de
zooms nécessaires.
446
Annexe 2
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• barre les zéros inutiles dans 320,0401000 ;
• travaux oraux de type 4. ci-dessus ;
• le nombre initial est compris entre 30 et 40. Voici ce que l’on voit au
troisième zoom :
inscris dans le format :
renseignements te donnent
,
les
chiffres
que
ces
Exemples d'exercices de type physique
Problème de cran 3
• appliquer un coefficient d'échelle
Problème de cran 4
• comparer des coefficients d'échelle (quel coefficient me donne la meilleure
précision, 1/10 000 ou 1/100 000 ?)
5. Cahier des charges
• Exercice 1. pas (constant) ∈ {1 ; 10 ; 100} ; repère initial (bornes < 1000)
constant et contenant le nombre inconnu ; nombre de zooms nécessaires
variable choisi dans : [1 ; 6]
• Exercice 2. pas (variable) ∈ {1 ; 10 ; 100} ; repère initial (bornes < 1000)
variable et contenant le nombre inconnu ; nombre de zooms nécessaires
constant choisi dans : [1 ; 6]
447
Annexe 2
Form2fra
1. Aperçu synthétique
Le but de ce logiciel est de fournir une forme fractionnaire d’une écriture
décimale à virgule. Les formes attendues de conversions sont diverses : tableau de
numération, écriture fractionnaire unique (3,14 = 314/100) ou écriture additive (3,14 = 3
+ 14/100).
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel, cinquième de la série, vise à l’expression des écritures décimales
en termes de fractions, et notamment des chiffres après la virgule en termes de dixièmes,
centièmes.. C’est donc l’occasion de compléter l’interprétation des écritures décimales
en les reliant aux fractions. La présentation des têtes de série usuelles - milliers ;
centaines ; .. ; dixièmes ; .. en ordre dispersé est destinée à serrer le sens au plus près
avant la mise en place des routines.
3. Analyse de la tâche
1. Associer une tête de série (ex 1/1000) à un rang de chiffre dans un nombre ;
2. saisir ce chiffre à sa place dans un tableau de numération ; remplacer certains
rangs « en creux » par des zéros ( ex : 9,43, saisir 0 au rang des milliers) ;
3. fournir une écriture fractionnaire résumée du nombre traité, par exemple :
9,431 = 9 + 431/1000 ou 9,431 = 9431/1000.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• désigner un rang dans un nombre et vice versa. Ex : chiffre des millièmes de
12,247 ou mieux de 12,24 ;
• dictée de « rangs ». Ex : millième à convertir en 1/1000 et vice versa ;
448
Annexe 2
• conversion d’écritures ou d'oralisations fractionnaires décimales en écritures à
virgule : 42/100 ou quarante-deux centièmes en 0,42 ; 4 + 3/100 ou quatre
plus trois centièmes en 4,03.
Exemples d'exercices de type physique
Problèmes de cran 2
• produit d'un décimal par un entier (43 litres de gazole à 4,12 F le litre).
Problèmes de cran 3
• appliquer un pourcentage
5. Cahier des charges
• Exercice 1. partie entière constante choisie dans : [1 ; 50] ; partie décimale de
longueur variable (1 à 3 chiffres).
Exemple : 3,8 ; 3,21 ; 3,3 ; 3,11 ; 3,413 ; 3,121 ; ...
Moralité : un décimal n’est pas la juxtaposition de deux entiers !
• Exercice 2. partie entière variables choisie dans : [2 ; 99] ; partie décimale de
longueur variable (0 à 3 chiffres).
Exemple : 20 ; 18,9 ; 17,798 ; 73,2 ; 58, 857 ; ...
Moralité : le plus long n’est pas le plus grand !
• Exercice 3. nombres construits à partir de deux ou trois chiffres de base parmi
lesquels on intercale au hasard des zéros
Exemple : 3,14 ; 3,140 ; 3, 0140 ; 30,14 ; 3,104 ; 0,314 ; ...
Moralité : suivant leur position, les zéros sont significatifs ou pas !
• Exercice 4. nombres construits à partir d’un entier et déplacement aléatoire de
la virgule parmi ses chiffres
Exemple : 84 ; 840 ; 8,4 ; 0,084 ; 0,84 ; 0,0084 ; ...
Moralité : importance de la place de la virgule !
449
Annexe 2
Frac2for
1. Aperçu synthétique
le but de ce logiciel est de faire calculer une écriture décimale, approchée ou
exacte, d’un nombre fractionnaire. Ce nombre est à déterminer au moyen d’une
multiplication à trou. S’il est entier, le jeu s’arrête là. Sinon, on demande d’en saisir une
écriture fractionnaire irréductible, puis d’en trouver une approximation ou, le cas
échéant, une valeur exacte décimale.
2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques
Ce logiciel, qui peut être proposé en dernier, vise avant tout à établir le lien
d’approximation en général, et d’exactitude dans certains cas particuliers, entre une
fraction et une écriture décimale : toute fraction se laisse approcher par une écriture
décimale, aussi finement que l’on veut. Dans certains cas, le processus s’arrête et la
valeur décimale est exacte. Bien entendu, il n’est pas question à ce stade d’expliciter les
critères qui permettent de trancher entre ces deux possibilités. On se bornera à les
pressentir. Remarquons aussi que ce type d’exercices permet de retravailler implicitement - la densité des rationnels et des décimaux, déjà entrevue dans Mystère.
Notons pour finir que la première phase du logiciel - résoudre D x ... = N - est
l’occasion d’identifier N/D et N÷D.
3. Analyse de la tâche
1. Evaluer si la solution de D x ... = N est entière ou pas ;
2. fournir cette solution ; dans le cas non entier, proposer une fraction, formée à
partir de N et D comme solution ;
3. simplifier éventuellement N/D ;
4. rapprocher D x ... = N d’une division de N par D ;
5. effectuer, avec l’aide du logiciel cette division ;
450
Annexe 2
6. saisir les valeurs décimales approchées successives que cette division permet
de fournir à chacune de ses étapes.
4. Accompagnement papier/crayon suggéré
Exemples d'exercices de type sémiotique
• énoncer une règle du type : « la solution exacte de N÷D est la fraction N/D.
On peut en obtenir des approximations décimales par division. Dans certains
cas, cette valeur décimale est exacte, entière ou pas. » ;
• faire rechercher, « à la main », des valeurs approchées ou exactes décimales de
fractions.
Exemples d'exercices de type physique
5. Problème de cran 2-3
• approximations décimales d'un quotient d'entiers (328 F pour 54 l de super,
quel est le prix de 1 litre de super ?)
Problème de cran 3
• calcul d'un taux de pourcentage (éventuellement au moyen d'une division).
6. Problème de cran 4
• comparaison en pourcentage (ranger, suivant leur préférence pour un candidat,
les résultats de plusieurs communes : 693 voix pour 3300 votants ; 182 voix
pour 830 votants ; 410 voix pour 2055 votants…)
• Cahier des charges
Pour les deux exercices, dénominateur ∈[2 ; 10] ; numérateur ∈ [1 ; 100]. Le
nombre à traiter peut être entier
• Exercice 1. dénominateur constant, numérateur variable
• Exercice 2. dénominateur - D - variable ; numérateur - N - constant.
Jeu 1 : N > D ; jeu 2 : N < 4D ; jeu 3 : N ≤ 4D
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