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L'expression des nombres rationnels et leur enseignement initial

1999

Les nombres rationnels sont aujourd'hui l'objet d'ingenieries qui distinguent en general deux phases d'apprentissage : un temps long pour traiter rhetoriquement une classe de problemes a des fins de conceptualisation, un temps bref pour assimiler les notations symboliques a des fins de communication et traitements. Des avancees importantes ont deja ete obtenues grâce a une telle demarche. Mais la discrimination des caracteristiques propres a chaque systeme exprimant les nombres, notamment celles des ecritures fractionnaires et decimales, reste difficile. Une autre difficulte importante est de reconnaitre dans les objets mathematiques ainsi – symboliquement – exprimes ceux dont on parlait lors de la phase de conceptualisation. Pour surmonter ces difficultes, nous avons propose une introduction aux rationnels qui privilegie un systeme d'expression au moyen de droites graduees. L'elaboration de ce support, plonge dans un environnement informatique permettant l&#...

L’expression des nombres rationnels et leur enseignement initial Robert Adjiage To cite this version: Robert Adjiage. L’expression des nombres rationnels et leur enseignement initial. Mathématiques [math]. Université Louis Pasteur - Strasbourg I, 1999. Français. ฀tel-00012146฀ HAL Id: tel-00012146 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00012146 Submitted on 14 Apr 2006 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le travail présenté ici par l'IREM de Strasbourg est le produit d'une thèse de doctorat en didactique des mathématiques, soutenue le 23 novembre 1999 à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg par Robert ADJIAGE sous le titre : L'expression des nombres rationnels et leur enseignement initial Directeur de thèse : François PLUVINAGE Président du jury : Michèle ARTIGUE Rapporteurs : Raymond DUVAL Alain MERCIER Émile URLACHER Autres membres du jury : Nicole BOPP Michèle ARTIGUE Remerciements Pour éviter les pièges de l'emphase et du convenu, je souhaitais être bref dans l'expression de ma reconnaissance. Je n'y suis pas parvenu. Cela tient sans doute à la diversité intellectuelle, morale ou matérielle (une qualification n'excluant pas l'autre) des aides qui m'ont été dispensées pour la réalisation de cette thèse. François Pluvinage a accepté de la diriger avec rigueur, bienveillance et une disponibilité à toute épreuve (dimanches et vacances compris). Son exigence dans la précision des idées et de leur expression écrite ne m'a guère laissé qu'une seule possibilité, celle de m'améliorer. Lorsque j'ai enfin appris à décrypter les méandres de sa pensée, chacune des entrevues qu'il m'a accordées s'est soldée par un apprentissage substantiel (sauf peut-être le jour où, dans une salle informatique récemment mise en service et dotée des dernières sophistications technologiques, il a pensé pouvoir m'aider à trouver le canal vidéo adéquat au moyen d'une télécommande…). Merci donc à lui pour sa contribution décisive à l'ensemble de ce travail. Raymond Duval en a inspiré les grandes lignes de force. Il a de plus accepté de visionner en avant-première, en dépit des aléas que comporte ce type de séance, les vingt logiciels qui constituent l'ossature de l'expérimentation. Il a lu les chapitres de ma thèse au fur et à mesure de leur élaboration. Ses encouragements et avis circonstanciés m'ont été précieux pour reprendre certains passages et en achever d'autres. Michèle Artigue a bien voulu lire cet écrit volumineux, malgré la brièveté des délais impartis ; Alain Mercier a même donné son accord pour la production d'un rapport Je les en remercie tous deux vivement. Nicole Bopp et Émile Urlacher ont accepté de se dérouter de leurs recherches en mathématiques pures pour se risquer à une pensée périphérique. Merci pour la confiance qu'ils m'ont accordée et pour leur regard de spécialistes sur un travail qui se veut résolument ancré dans la sphère des mathématiques. La patience d'Aimé Heideier, qui a écrit la quasi totalité des logiciels puis les a repris inlassablement à la suite des inévitables bogues ou des errements de leur concepteur, est incommensurable à une quelconque unité. Merci Aimé pour tout ce temps que tu n'as pas compté. Jean-Luc Schorn a accepté, avec un bel enthousiasme, de collaborer à cette recherche au cours des deux années consécutives qu'elle a duré et ce malgré le surcroît de travail et de doute qu'elle n'a pas manqué de provoquer. Les élèves de sa classe se sont prêtés à toutes sortes d'expériences déroutantes et d'évaluations épuisantes pour satisfaire une curiosité qui leur était a priori extérieure. Je leur adresse le grand merci qu'ils méritent. Merci aussi à Mr Goeldel, directeur de l'IUFM d'Alsace, et à Mme Minck, responsable du personnel, grâce à qui j'ai pu être déchargé d'une partie de mes cours afin d'achever ce travail dans des conditions plus confortables. Merci aux collègues de mathématiques qui ont accepté en toute bienveillance le surcroît de service que cette mesure a provoqué. Merci à tous les membres du personnel administratif ou pédagogique de l'IUFM d'Alsace qui ont toujours été présents lorsque je les ai sollicités. Merci à la directrice et au personnel de l'IREM de Strasbourg qui a toutes les qualités requises pour s'adapter à ce milieu à savoir : la connaissance (des ouvrages), la disponibilité (de l'esprit) et la vitesse d'exécution (des tâches et accessoirement des récalcitrants). Merci au service de reprographie du département de mathématique pour le soin apporté à l'impression de cette thèse Merci encore à Grégory, qui n'est jamais avare de son temps lorsqu'il s'agit d'écouter, à Myriam et à Stéphanie dont l'affection désorganise mes doutes et à Liliane, qui est toujours là malgré mes absences. Sommaire Sommaire Chapitre I ......................................................................................................................15 Présentation générale des origines, du contexte et du projet de la recherche ...........15 1. L'expression des rationnels mérite-t-elle une attention didactique ? ................... 17 2. Des auteurs qui accordent une attention didactique aux moyens d'expression des mathématiques .................................................................................................................... 19 3. l'Histoire légitime-t-elle l'attention didactique accordée aux moyens d'expression des mathématiques ? .......................................................................................................... 22 4. Les problèmes didactiques posés par l'expression fractionnaire des nombres rationnels ............................................................................................................................. 24 5. Est-il envisageable de recourir à un autre registre que celui des écritures fractionnaires pour introduire les rationnels ?................................................................ 26 6. Conceptualisation des rationnels et coordination de leurs registres d'expression28 7. L'informatique, un outil précieux pour développer un registre alternatif d'introduction aux rationnels ............................................................................................ 29 8. Résumé de la problématique ; les hypothèses ......................................................... 30 Chapitre II.....................................................................................................................33 Recherches et pratiques sur l'enseignement des nombres rationnels à l'école élémentaire....................................................................................................................33 1. Quatre stades d'appréhension des phénomènes rationnels.................................... 36 1.1. Le stade des partitions (partitioning) ..................................................................................... 39 1.1.1. Description et références.............................................................................................. 39 1.1.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 39 1.1.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 40 1.1.4. Nature des rationnels liés à ce stade............................................................................. 41 1.1.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant .......................... 41 1.2. Le stade de la relation partie / tout (part-whole relation)....................................................... 42 1.2.1. Description et références.............................................................................................. 43 1.2.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 44 1.2.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 48 1.2.4. Nature des rationnels liés à ce stade............................................................................. 50 1.2.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant .......................... 52 1.3. Le stade des formes linéaires rationnelles opérant sur un ensemble de mesures ; le stade des rationnels-mesures........................................................................................................................... 54 1.3.1. Description et références.............................................................................................. 55 1.3.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 55 1.3.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 58 1.3.4. Nature des rationnels liés à ce stade............................................................................. 62 1.3.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant .......................... 62 1.4. Le stade des nombres rationnels ............................................................................................ 63 1.4.1. Description et références.............................................................................................. 64 1.4.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade .............................................................. 64 1.4.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ........................................... 66 1.4.4. Nature des rationnels liés à ce stade (première conclusion de la section 1) ................. 67 1.4.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant (deuxième conclusion de la section 1) ......................................................................................................... 68 2. Le point de vue de quelques chercheurs .................................................................. 70 5 Sommaire 2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 3. Guy Brousseau (1986-b ; pp. 96-151) ................................................................................... 71 Régine Douady et Perrin-Glorian (1986) .............................................................................. 75 David W. Carraher (1993 ; pp. 281-305) .............................................................................. 81 Conclusion de la section ........................................................................................................ 90 Un point de vue enseignant (manuel Objectif Calcul)............................................ 91 4. Conclusion du chapitre : Influence de la sémiotique sur la constitution d'un dispositif d'enseignement ................................................................................................... 95 Chapitre III ...................................................................................................................99 L’expression, un choix stratégique pour l’approche des nombres rationnels ...........99 1. Architecture générale du projet d'enseignement .................................................. 102 1.1. 1.2. 1.3. 1.4. 2. Algorithmes et significations ............................................................................................... 102 Le primat sémiotique : organiser le rapport à la pensée immédiate..................................... 105 Articuler les univers sémiotiques et physique...................................................................... 107 Précision sur la méthode de présentation retenue ................................................................ 110 Le dispositif logiciel ................................................................................................. 111 2.1. Structure et ressources générales ......................................................................................... 111 2.2. Descriptif abrégé des logiciels............................................................................................. 113 2.2.1. Logiciels de traitements, série Gradu......................................................................... 113 2.2.2. Logiciels de traitements, série Fracti.......................................................................... 117 2.2.3. Logiciels de la série Format ....................................................................................... 120 2.2.4. Logiciels de conversions............................................................................................ 121 2.2.5. Utilitaire de gestion des paramètres et des élèves : Oratio ......................................... 125 2.3. L’apprentissage.................................................................................................................... 125 2.3.1. Quel itinéraire proposer pour l’apprentissage ? ......................................................... 125 2.3.2. Exemples d'itinéraires d'apprentissage au moyen des logiciels .................................. 126 2.3.3. Conclusion du paragraphe 2.3.1................................................................................. 131 3. Une caractéristique d'un registre d'expression : sa dimension ........................... 133 3.1. 3.2. 3.3. 3.4. 3.5. 4. Le cas des écritures décimales et fractionnaires .................................................................. 135 Le discours d'Euclide est unidimensionnel .......................................................................... 137 Les systèmes d'écritures décimale et fractionnaire constituent-ils deux registres différents ?139 Le cas particulier des pourcentages ..................................................................................... 140 Conclusion de la section 3. .................................................................................................. 141 Un outil sémiotique pour des problèmes physiques : les droites graduées......... 142 4.1. Premier problème : un problème de commensuration ......................................................... 144 4.2. Deuxième problème : un problème de quatrième proportionnelle ou image d'un entier par un opérateur rationnel ........................................................................................................................ 147 4.3. Troisième problème : image d'un rationnel non entier par un opérateur rationnel .............. 149 4.4. Quatrième problème : le mélange eau / jus de fruit ; une autre représentation de la proportion 150 4.5. Analyse des représentations ainsi constituées et des concepts auxquels elles renvoient...... 151 4.6. La place du problème physique dans notre dispositif .......................................................... 152 4.7. Conclusion de la section 4. .................................................................................................. 155 5. Conclusion du chapitre............................................................................................ 156 Chapitre IV..................................................................................................................159 Étude et mise en œuvre d'un registre géométrique d'expression des nombres rationnels à l'école élémentaire .................................................................................159 1. Quels registres pour enseigner les rationnels ? ..................................................... 162 1.1. Entrées du choix des systèmes de représentation : numérique / géométrique ; dimension 1 / dimension 2................................................................................................................................... 162 1.2. Rappel sur les systèmes en présence.................................................................................... 163 1.3. Les systèmes retenus pour l'expérimentation CM2.............................................................. 165 6 Sommaire 2. Un système géométrique pour l’enseignement des rationnels ............................. 166 2.1. Introduction ......................................................................................................................... 166 2.2. Quel système d'expression pour introduire les rationnels ? ................................................. 167 2.2.1. Pourquoi un système géométrique ?........................................................................... 167 2.2.2. Un système unidimensionnel ou bidimensionnel ?..................................................... 168 2.2.3. Pourquoi un système géométrique qui soit un registre ? ............................................ 173 2.3. L'exploration logicielle du registre des droites graduées ..................................................... 180 2.4. Un registre qui pose des problèmes pertinents .................................................................... 184 2.4.1. Trois fois un quart et un quart de trois (voir aussi III-2.3.2. − exemple 2) ................ 184 2.4.2. Commensuration ........................................................................................................ 185 2.4.3. Comparaison (voir aussi en III.2.3.2 − exemple 3 et II. 1.3.3.2) .............................. 186 2.4.4. Arithmétique .............................................................................................................. 187 2.5. Conclusion de la section 2 ................................................................................................... 194 2.5.1. Droites graduées et fractions...................................................................................... 194 2.5.2. Droites graduées et surfaces fractionnées .................................................................. 195 3. Sur quelles compétences construire la maîtrise des rationnels ? ........................ 196 3.1. Présentation synthétique de l'enseignement dispensé dans chacune des classes observées 197 3.2. Présentation des groupes d’items proposés à chacune des classes....................................... 197 3.2.1. Premier groupe : items 1 à 3 ...................................................................................... 198 3.2.2. Deuxième groupe : items 4 et 5.................................................................................. 198 3.2.3. Troisième groupe (réduit à un seul élément) : item 6................................................. 199 3.2.4. Pourquoi avoir mobilisé des écritures fractionnaires pour ce questionnaire ? ........... 200 3.3. Examen des résultats et des modalités de leur obtention ..................................................... 200 3.3.1. Analyse des résultats du premier groupe d'items........................................................ 201 3.3.2. Analyse des résultats du deuxième groupes d'items ................................................... 203 3.3.3. Analyse de l'item 6 ..................................................................................................... 205 3.3.4. Conclusion du paragraphe 3.3.................................................................................... 206 3.4. Énoncé des sept compétences.............................................................................................. 207 3.4.1. Doubler l'information................................................................................................. 207 3.4.2. Scinder l'activité......................................................................................................... 209 3.4.3. Discriminer les actions qui, sur une droite, opèrent sur les segments de celles qui opèrent sur les extrémités ......................................................................................................... 209 3.4.4. Localiser les désignations .......................................................................................... 209 3.4.5. Prendre en compte 0 et 1 (ou tout autre repère) comme entiers permettant d'initier un processus de formation d'un rationnel ...................................................................................... 210 3.4.6. Plonger les entiers dans les rationnels........................................................................ 211 3.4.7. Produire des écritures équivalentes............................................................................ 211 3.5. Lien entre les sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes............................ 212 3.6. Conclusions de la section 3 ................................................................................................. 213 4. Les surfaces fractionnées sont peu adaptées au développement d’un registre exprimant les rationnels ................................................................................................... 213 5. Registre des droites graduées et somme et produit de deux rationnels .............. 216 5.1. Le produit ............................................................................................................................ 216 5.2. La somme ............................................................................................................................ 218 5.3. Conclusion du paragraphe 5 ................................................................................................ 219 6. Conclusion du chapitre............................................................................................ 221 Annexes du chapitre IV..............................................................................................223 Chapitre V ...................................................................................................................235 Étude et mise en œuvre des registres des écritures fractionnaires et décimales à l'école élémentaire..................................................................................................................235 1. Le registre des écritures fractionnaires ................................................................. 237 1.1. Les fractions après les droites graduées et avant les décimaux............................................ 238 7 Sommaire 1.2. Une approche sémiotique de l’objet représenté par a ....................................................... 239 b 1.2.1. Un projet purement sémiotique pour les fractions ?................................................... 239 1.2.2. Contraintes d'un itinéraire sémiotique pour introduire les fractions........................... 240 1.3. Une introduction papier/crayon pour le registre des écritures fractionnaires ...................... 243 1.4. L'exploration logicielle du registre ...................................................................................... 245 1.4.1. Ordre de passage dans la série Fracti ......................................................................... 246 1.4.2. Contenus abordés par la série Fracti .......................................................................... 246 1.5. Les opérations de conversion vers les deux autres registres ............................................... 250 1.5.1. Ecritures fractionnaires vers droites graduées (Frac2gra) .......................................... 250 1.5.2. Ecritures fractionnaires vers écritures décimales (Frac2for) ...................................... 251 1.6. Réflexions d'élèves, les apprentissages................................................................................ 252 1.6.1. Fracti1 ........................................................................................................................ 252 1.6.2. Fracti2 ........................................................................................................................ 253 1.6.3. Fracti3 ........................................................................................................................ 254 1.6.4. Fracti4 ........................................................................................................................ 256 1.6.5. Fracti5 ........................................................................................................................ 258 1.6.6. Frac2gra ..................................................................................................................... 262 1.6.7. Frac2for...................................................................................................................... 264 1.7. Conclusion de la section 1 ................................................................................................... 266 2. Le registre des écritures décimales......................................................................... 266 2.1. Une approche sémiotique de l’objet "écriture décimale" .................................................... 267 2.2. L'exploration logicielle du registre ...................................................................................... 268 2.2.1. Ordre de passage dans la série Format / Mystère....................................................... 268 2.2.2. Contenus abordés par la série Format / Mystère ........................................................ 268 2.3. Les opérations de conversion vers les deux autres registres ................................................ 271 2.3.1. Ecritures décimales vers droite graduée (Form2gra).................................................. 271 2.3.2. Ecritures décimales vers écritures fractionnaires (Form2fra)..................................... 272 2.4. Réflexions d'élèves, les apprentissages................................................................................ 273 2.4.1. Format1...................................................................................................................... 273 2.4.2. Format2...................................................................................................................... 274 2.4.3. Mystère ...................................................................................................................... 275 2.4.4. Form2gra.................................................................................................................... 278 2.4.5. Form2fra .................................................................................................................... 280 2.5. Conclusion de la section 2 ................................................................................................... 281 3. Conclusion de l'étude didactique (chapitres IV et V) ........................................... 282 Chapitre VI..................................................................................................................285 La classe de Sélestat : démarche d'expérimentation et analyse des résultats .......................................................................................................................285 1. La démarche d'expérimentation............................................................................. 288 1.1. Objectifs généraux d'enseignement...................................................................................... 289 1.2. Scénario à l'échelle des deux années ................................................................................... 290 1.2.1. Rôle et place de l'expérimentateur, du maître titulaire de la classe ............................ 290 1.2.2. Année de CM1 ........................................................................................................... 291 1.2.3. Année de CM2 ........................................................................................................... 292 1.3. Scénario à l’échelle d’une séance ........................................................................................ 293 1.3.1. La tâche des élèves..................................................................................................... 293 1.3.2. Le rôle de la machine ................................................................................................. 294 1.3.3. Le rôle des adultes ..................................................................................................... 295 2. L'analyse des données d'observation ..................................................................... 296 2.1. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par les tests nationaux et rapportées à celles des échantillons nationaux .............................................................................. 296 2.1.1. La classe en début de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en mathématiques de 1995 (entrée au CE2).................................................................................. 299 8 Sommaire 2.1.2. La classe en fin de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en mathématiques de 1997 (entrée en 6ème) ........................................................................................................... 313 2.1.3. Confirmation du lien entre nos choix didactiques et les évolutions constatées .......... 342 2.1.4. Conclusion de la section 2.1 ...................................................................................... 349 2.2. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par des tests locaux.............. 350 2.2.1. Constitution du recueil de données ............................................................................ 351 2.2.2. Cas général : étude des tableaux 28 et 29, partie haute, colonnes de juin 97, octobre 97, mai 98 355 2.2.3. Examen des quatre items non opposables des tableaux 28 et 29, partie basse ........... 361 2.2.4. Mise à l'épreuve de l'hypothèse H1 , tableaux 28 et 29, colonnes de mai et juin 98 ... 361 2.2.5. Examen des items de type problèmes, tableaux 30 et 31 ........................................... 363 3. Conclusion du chapitre............................................................................................ 371 Conclusion ..................................................................................................................373 1. Validation des hypothèses ....................................................................................... 375 1.1. Hypothèse H1 ...................................................................................................................... 376 1.2. Hypothèse H2 ...................................................................................................................... 377 1.3. Hypothèse H3 ...................................................................................................................... 378 2. Questions laissées ouvertes par notre recherche................................................... 379 2.1. L'articulation entre langue naturelle et registres spécifiques d'expression des nombres rationnels....................................................................................................................................... 379 2.2. L'extension de notre projet en direction du collège ............................................................. 380 2.3. Application à la formation des maîtres ................................................................................ 381 Annexes générales ......................................................................................................383 1. ......................................................................................................................................... 388 2. Ch_reg01 & Ch_reg02 ............................................................................................. 389 3. ......................................................................................................................................... 390 4. Ch_reg08 ................................................................................................................... 390 5. CV17.......................................................................................................................... 404 6. ......................................................................................................................................... 404 7. CV18.......................................................................................................................... 404 Annexes 2 ....................................................................................................................409 Fiches pédagogiques d'accompagnement des logiciels de la série ORATIO...........409 Gradu1 ........................................................................................................................410 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 410 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 410 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 410 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 411 5. Cahier des charges ................................................................................................... 411 Gradu2 ........................................................................................................................412 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 412 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 412 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 412 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 412 9 Sommaire 5. Cahier des charges ................................................................................................... 413 Gradu3 ........................................................................................................................414 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 414 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 414 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 414 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 415 5. Cahier des charges ................................................................................................... 415 Gradu4 ........................................................................................................................416 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 416 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 416 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 416 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 417 5. ......................................................................................................................................... 417 6. Cahier des charges ................................................................................................... 417 Gradu5 ........................................................................................................................418 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 418 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 418 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 418 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 419 5. Cahier des charges ................................................................................................... 419 Gradu6 ........................................................................................................................420 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 420 1.1. Exercices 1 et 2 ................................................................................................................... 420 1.2. Exercices 3 .......................................................................................................................... 420 1.3. Exercices 4 .......................................................................................................................... 420 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 420 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 421 4. ......................................................................................................................................... 421 5. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 421 6. Cahier des charges ................................................................................................... 422 Fracti1 .........................................................................................................................423 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 423 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 423 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 424 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 424 5. Cahier des charges ................................................................................................... 424 Fracti2 .........................................................................................................................425 1. 10 Aperçu synthétique .................................................................................................. 425 Sommaire 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 425 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 425 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 425 5. Cahier des charges ................................................................................................... 426 Fracti3 .........................................................................................................................427 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 427 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 427 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 427 3.1. Exercice 1............................................................................................................................ 427 3.2. Exercices 2 et 3 ................................................................................................................... 427 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 428 5. Cahier des charges ................................................................................................... 428 Fracti4 .........................................................................................................................429 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 429 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 429 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 429 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 429 5. Cahier des charges ................................................................................................... 430 Fracti5 .........................................................................................................................431 1. 2. Aperçu synthétique .................................................................................................. 431 Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 431 2.1. Aide des exercices 2 et 3 : « la machine à fractionner » ...................................................... 431 2.2. Aide des exercices 4 et 5 : « l’agrandisseur » ...................................................................... 431 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 432 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 432 5. Problèmes de cran 3................................................................................................. 432 6. Cahier des charges ................................................................................................... 433 Format1.......................................................................................................................434 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 434 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 434 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 434 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 435 5. Cahier des charges ................................................................................................... 435 Format2.......................................................................................................................436 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 436 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 436 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 436 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 437 11 Sommaire 5. Cahier des charges ................................................................................................... 437 Mystère ........................................................................................................................438 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 438 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 438 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 438 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 438 5. Cahier des charges ................................................................................................... 439 Frac2gra......................................................................................................................440 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 440 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 440 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 440 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 440 5. Cahier des charges ................................................................................................... 441 Form2gra ....................................................................................................................442 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 442 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 442 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 442 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 443 5. Cahier des charges ................................................................................................... 443 Grad2fra......................................................................................................................444 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 444 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 444 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 444 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 445 5. Cahier des charges ................................................................................................... 445 Grad2for......................................................................................................................446 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 446 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 446 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 446 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 447 5. Cahier des charges ................................................................................................... 447 Form2fra.....................................................................................................................448 12 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 448 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 448 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 448 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 448 Sommaire 5. Cahier des charges ................................................................................................... 449 Frac2for ......................................................................................................................450 1. Aperçu synthétique .................................................................................................. 450 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques........................... 450 3. Analyse de la tâche................................................................................................... 450 4. Accompagnement papier/crayon suggéré.............................................................. 451 5. Problème de cran 2-3 ............................................................................................... 451 • Cahier des charges ................................................................................................... 451 13 Chapitre I Présentation générale des origines, du contexte et du projet de la recherche Chapitre I 1. L'expression des rationnels mérite-t-elle une attention didactique ? L'importance mathématique des nombres rationnels est unanimement reconnue pour l'enseignement, notamment au niveau de l'école élémentaire sur lequel porte l'essentiel de notre étude. Il suffit de constater le foisonnement de la littérature didactique consacrée à ce sujet pour s'en convaincre. Certains privilégient dans cet apprentissage une construction formée de sous-constructions inter-dépendantes (Kieren ; 1976, 1980, 1988, 1992), (Behr et alii ; 1983). D'autres, comme Mack (1990) ou Streefland (1991) insistent sur le rôle des "mécanismes intuitifs". Les connaissances sur les nombres entiers, selon Streefland (1991) ou Ball (1993), inhibent la connaissances des fractions en favorisant un double comptage absolu (nombre de subdivisions de la partie vs nombre de subdivisions du tout) plutôt qu'une mise en relation d'une partie et d'un tout. Mais les enfants utilisent leurs connaissances des entiers pour développer la compréhension des nombres fractionnaires (Steffe and Olive ; 1990) ou (SaenszLudlow ; 1995). Partitions et partages en parties égales occupent une place de choix parmi les compétences de base requises : Vergnaud (1983), Mack (1990) ; Kieren et alii (1992) ; Ball (1993). La plupart des auteurs, avec Kieren (1980), attribuent à la relation partie / tout un rôle significatif dans les apprentissages premiers du concept de fraction ; d'autres (Neuman ; 1993) n'ont pas relevé, dans leurs observations de jeunes élèves, l'expression d'une compréhension des fractions en termes de partie / tout, alors que des interprétations (essentiellement non numériques) en termes de ratio leur semblait prédominantes. Les contextes discrets ou continus sont reliés à des manières différentes d'appréhender et de réaliser partages et reports (Steffe and Olive ; 1990), (Streefland ; 1991). En France, Brousseau (1981, 1986-b) insiste sur la distinction entre fraction / mesure et fraction / opérateur linéaire dans la construction, par les élèves qu'il observe, de modèles mathématiques destinés à gérer les situations-problèmes physiques qu'il leur 17 Chapitre I soumet et à prédire certains résultats. Douady et Perrin-Glorian (1986) privilégient les interactions entre cadres, mathématiques et / ou physiques, pour faire émerger les problèmes, des solutions, des invariants nécessaires à la conceptualisation d'un nombre rationnel. Toutes ces recherches ont permis des avancées importantes dans l'enseignement de ces nombres. Le discours primordial n'est plus un avatar d'un fragment de savoir savant, énoncé par les programmes et adapté par les maîtres, mais le fait d'élèves responsabilisés, remettant en cause un savoir antérieur dont une situation judicieusement choisie par l'enseignant révèle certaines insuffisances. Ce discours, qui accompagne le processus de déconstruction / reconstruction, nécessite néanmoins une ou plusieurs formes d'expression, ne serait-ce que pour communiquer – aux autres élèves, au maître… – son questionnement ou ses découvertes, mais surtout pour traiter les informations et favoriser les prises de conscience. Ne disposant pas encore des formes d'expression abouties – par exemple des écritures fractionnaires pour comparer des rationnels –, les élèves recourent en général à des commentaires rhétoriques. Ainsi Brousseau (1986-b ; p. 141) rapporte-t-il un exemple de dialogue entre élèves comparant l'épaisseur de deux types de feuilles de papier : " « 60 f[euilles] ; 7 mm, c'est du (papier) fin, c'est pas du A [un des types de papier étudiés auparavant], on avait trouvé pour A (3f ; 1 mm) » – sous-entendu 60 f de A feraient bien plus de 7 mm". Pour nombre d'auteurs et notamment pour Brousseau, le processus de conceptualisation réside essentiellement dans cette phase où les objets n'ont pas encore de "nom", mais "s'inscrivent dans les schémas d'action du sujet" (ibid. ; p. 100). C'est seulement au terme de ce processus que la "notation" 4 50 est transmise, en quelques mots, comme méthode d'écriture permettant de décrire l'épaisseur d'une feuille issue d'un un tas de 50 feuilles d'épaisseur totale 4 mm. D'une façon générale, les auteurs, mis à part certains d'entre eux sur lesquels nous reviendrons au paragraphe 2, accordent peu d'importance à la forme de l'expression. Lorsqu'on examine les manuels scolaires, ou les documents destinés aux enseignants, ce constat demande à être tempéré, car certains d'entre eux (voir chapitre II-3) soignent l'étude des notations, même si la place qu'elles occupent reste en retrait par rapport à celle accordée aux situations et au contexte, le plus souvent physique, de l'apprentissage. En revanche, dès son introduction, un petit ouvrage de vulgarisation 18 Chapitre I concernant les fractions confirme notre constat : "L'essentiel n'est pas d'expliquer ces notations (par ailleurs commodes) mais bien les nombreux phénomènes qu'elles servent à expliquer [...]" (Rouche ; 1998, p. 1). Aucune mention n'est faite d'un éventuel lien entre les "phénomènes qu'elles servent à expliquer" et le symbolisme que ces derniers méritent. On observe donc : du côté du concept, un temps didactique long, permettant sa recomposition par filiations et ruptures et, à tout le moins, le refus d'une livraison sous forme de produit fini ; du côté des notations, un temps didactique court, en fin de parcours, et une fourniture "clé en main", comme si leur acceptation et la compréhension de leur fonctionnement n'était qu'un produit compacté, aisément identifiable, du lent processus de conceptualisation. Mais un symbolisme, même si sa découverte est précédée d'un travail minutieux sur le sens des concepts représentés, devient-il pour autant transparent, directement ou presque, mobilisable et utilisable ? Sa substitution à une expression de type rhétorique ne constitue-t-elle pas au contraire une rupture importante dans la manière de discourir ? Une suite d'égalités ou d'inégalités entre écritures fractionnaires, si elle réfère aux mêmes objets et relations que son homologue en langue naturelle, lui est-elle cognitivement équivalente ? Met-elle en jeu les mêmes capacités de discrimination et d'inférence ? N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur le fonctionnement même des écritures fractionnaires, leur pertinence dans l'apprentissage initial de la notion, leur adéquation à exprimer le concept de rationnel ? 2. Des auteurs qui accordent une attention didactique aux moyens d'expression des mathématiques Il convient de nuancer l'universalité de la discrétion des auteurs vis à vis de l'apprentissage des moyens d'expression des mathématiques, ce que nous avons déjà relevé au paragraphe 0 à propos des manuels scolaires et de certains textes à destination des enseignants. Mais il existe aussi des chercheurs en didactique qui accordent une place significative à ce sujet. Ainsi, pour Vergnaud (1991 ; p. 147), si "la première entrée d'un champ conceptuel est celle des situations, on peut aussi identifier une deuxième entrée, celle des concepts et des théorèmes". Et comme ce même auteur précise auparavant (ibid. ; p.135) que : "le rôle du langage et du symbolisme dans la conceptualisation [...] est très important" ; et plus loin (ibid. ; p. 159) : "il est classique 19 Chapitre I de dire que le langage a une double fonction de communication et de représentation, mais on peut ainsi sous-estimer sa fonction d'aide à la pensée [...]", on est amené à constater qu'il accorde une place non négligeable à l'expression dans l'analyse des phénomènes didactiques. Mais les éléments de symbolisme examinés – énoncés en langue naturelle, diagrammes fléchés… – ne le sont pas en tant que systèmes, c'est à dire régis par des règles internes d'une part, et externes les articulant les uns aux autres d'autre part. Ils le sont en tant qu'éléments plus ou moins isolés, "particulièrement efficaces pour cette transformation des catégories de pensée en objets de pensée" (ibid. ; p. 164). Enfin, si le rôle des signes dans la production de sens est une préoccupation de cet auteur, il convient de noter que le premier plan reste avant tout consacré aux schémas d'action du sujet dans un champ donné dont dépend la conceptualisation. Un auteur comme R. Douady (1984 ; pp. 14-18) se distingue par l'importance accordée à l'interaction de "jeux de cadres" pour légitimer le statut des concepts mathématiques construits par les élèves dans une "dialectique outil / objet". Le rapport qu'entretiennent la notion de cadre et les problèmes liés à l'expression ne sont pas biunivoques : il peut y avoir changement de registre sans changement de cadre (ainsi, le cadre numérique peut-il mobiliser le registre des écritures décimales et celui des écritures fractionnaires) et, inversement, changement de cadre sans qu'il y ait changement de registre (nous verrons au chapitre IV que le registre des droites graduées recourt à des signes géométriques et numériques). Quoi qu'il en soit, un cadre, s'il fait avant tout référence à un domaine scientifiquement qualifiable (numérique, géométrique, graphique, physique…), où les objets sont déterminés et reliés par des propriétés et / ou des règles (axiomes, théorèmes…), mobilise néanmoins des formes diversifiées de représentations pour exprimer ses objets. Tout travail sur un jeu de cadre s'accompagne donc d'un travail sur des modes d'expression. Mais, dans cette théorie, ce ne sont pas les invariants entre ces systèmes d'expression sémiotiquement hétérogènes qui sont déterminants dans la conceptualisation, ce sont les inférences qui font passer d'un cadre à un autre : ainsi, la recherche de rectangles (cadre I, géométrique) de périmètre constant amène-t-elle à exhiber, entre les côtés d'un tel rectangle, une relation numérique (cadre II) puis graphique (cadre III) sous forme d'une droite ; le concept de nombre fractionnaire, indépendamment de la représentation qu'on en adopte, peut trouver une légitimité dans le fait qu'il est toujours possible d'intercaler un point entre deux points d'une droite (cadre III), ce qui permet de donner un statut aux points 20 Chapitre I intermédiaires à deux points de coordonnées entières et donc finalement aux valeurs non entières de leurs coordonnées (cadre II). Cette théorie se distingue donc d'une autre approche qui place l'expression au cœur même de la genèse conceptuelle. Pour Duval (1995 ; p. 61) : "la compréhension conceptuelle apparaît liée à la découverte d'une invariance entre des représentations sémiotiquement hétérogènes" ; tandis que pour Pluvinage (1998 ; p. 128) : "Un objet mathématique doit son existence à des changements de registres d'expression [...]. [...] la construction du sens provient à la fois des traitements internes à chaque registre mis en jeu [et] des échanges entre les registres (cercle trigonométrique et écriture algébrique du cosinus d'un nombre [...])". C'est donc de la reconnaissance d'une cohésion, interne à chacun des registres étudiés, et de la cohérence externe entre ces derniers que dépend avant tout le travail de conceptualisation : pour exprimer un rationnel, fourni dans le système fractionnaire par l'écriture 3 , au moyen d'un système de droites graduées en 5 dixièmes (voir Figure 1), on doit relier entre eux des signes hétérogènes (3, 5, une barre de fraction ; un certain nombre de graduations, plus ou moins épaisses, 0, 1, 2), sans qu'il soit nécessaire d'expliciter mathématiquement les phénomènes sous-jacents. Cette attraction par les objets et phénomènes immédiatement perceptibles, donc sans statut scientifique, est particulièrement observable auprès des novices. 0 1 Figure 1 : comment s'inscrit 2 3 dans ce système ? 5 Notons enfin que l'enseignement et l'apprentissage de la géométrie peut aussi s'analyser en termes de changements de registres. Nous citerons pour exemple l'enseignement de l'homothétie en seconde (Lémonidis ; 1990), qui se rapproche de notre sujet par le biais du théorème de Thalès et par conséquence de la conservation de rapports. Les phénomènes didactiques liant expression et conceptualisation en mathématiques en général sont donc étudiés, même si ces recherches restent minoritaires. 21 Chapitre I 3. l'Histoire légitime-t-elle l'attention didactique accordée aux moyens d'expression des mathématiques ? Personne ne songerait à nier que les notations ont une Histoire : "The rise of certain symbols, their day of popularity, and their eventual decline constitute in many cases an interesting story." (Cajory ; 1974, p. 1). Il est intéressant de constater que cette histoire accompagne souvent des progrès d'importance en mathématiques. On peut songer par exemple à la numération de position qui libère les opérations ; ou au symbolisme algébrique, qui permet "[...]de s’intéresser à la structure des problèmes plutôt qu’à leur forme particulière" (Dahan-Dalmedico et Peiffer ; 1986, p. 110), notamment en ce qui concerne la résolution des équations, depuis les algébristes arabes entièrement rhétoriques avant Al-Samaw'al et ses tableaux (Ibid ; p. 90), jusqu'à Viète, Descartes et Newton, en passant par les Italiens de la Renaissance. Dans tous les cas, on observe un lien fort entre l'évolution des idées et des résultats et celle de leurs expressions, les premiers requérant une symbolisation croissante des secondes qui, en retour, ouvrent des perspectives nouvelles aux premières. Un autre exemple va nous permettre de préciser la nature de certains liens entre expression et conceptualisation. Il n'est que d'étudier l'Histoire de l'égalité (Cajory ; p. 297-309), de constater la difficulté qu'à eue l'humanité à se doter du signe "=" − à présent introduit au CP − et surtout à l'utiliser systématiquement dans les traitements algébriques, pour comprendre que nous sommes en présence d'un obstacle épistémologique. Cet obstacle ne tient pas à une conception abstraite de l'égalité mais à la polysémie du signe "=" : test (identité − ∀ x ; égalité − ∃ x ; équivalence − de deux fractions par exemple) niable, et affectation (notée dans certains langages ":=") non niable. C'est bien le rapport entre des conceptions diverses et leur expression non contradictoire au moyen d'un signe unique qui pose problème. De plus, seul le contexte, le type de discours dans lequel s'insère le signe "=", permet de choisir entre ces diverses acceptions. Enfin, la simplification apportée dans les écritures algébriques par ce compactage va ouvrir la voie à des avancées conceptuelles et à la production de résultats nouveaux. On voit donc, à travers cet exemple, à quel point le mode de production de 22 Chapitre I sens par les signes peut engager différents niveaux de compréhension et de conceptualisation. L'histoire de l'enseignement des nombres à l'école élémentaire en France témoigne d'une particularité qui est celle de privilégier l'expression décimale de certains rationnels sur leur expression fractionnaire ; au point que l'identification entre ces nombres et le mode particulier de leur écriture à virgule est encore très répandue de nos jours dans les esprits et dans la pratique. Nous n'ignorons pas les liens évidents, de ce qui à l'origine était un choix délibéré, avec celui, idéologique, du système métrique. Mais c'est plus du côté des conséquences de ce choix que du côté de ses causes que nous orienterons nos investigations pour expliquer cet ancrage résistant dans les pratiques scolaires françaises. L'écriture à virgule est un système qui prolonge l’écriture des entiers. Cette spécificité minimise les coûts d'apprentissage (malgré la persistance d'erreurs, liées à des analogies abusives − comme 3,14 > 3,7 car 14 > 7 −, observées chaque année aux évaluations nationales). Dans cette optique, l'écriture décimale apparaît comme un moyen d'éviter les obstacles autrement plus redoutables posés par les écritures fractionnaires, tout en fournissant un contexte opératoire à la conceptualisation de nombres non entiers. Remarquons que ce contexte opératoire n'est pas neutre sur cette conceptualisation. Les pratiques de troncature et d’arrondi font que le nombre exprimé au moyen de l'écriture 3,14 est situé dans un réseau de significations (par exemple : nombre compris entre 3,1 et 3,2 ou bien nombre exprimant un résultat a de mesure ou de calcul tel que 3,135 ≤ a < 3,145) très différent de parties égales chacune à 314 (par exemple : 314 100 1 157 de l'unité ou bien nombre égal à ). L'écriture à virgule 100 50 met donc en lumière d'autres propriétés du rationnel sous-jacent que l'écriture fractionnaire. Sa résistance historique, au-delà de ses liens avec le système métrique, peut renvoyer à des choix didactiques, et donc associer une forme d'expression à une conception. Les formes d'expression des mathématiques ont une histoire qui les lie intimement à celle des concepts exprimés. On peut dès lors se demander si, en même temps qu'une genèse artificielle des concepts, il ne serait pas légitime d'attendre de l'enseignement qu'il permette aux élèves de reconstruire une genèse artificielle des 23 Chapitre I moyens de leur expression. Examinons à cet effet la spécificité des écritures fractionnaires. 4. Les problèmes didactiques posés par l'expression fractionnaire des nombres rationnels "Les fractions sont un des premiers et principaux terrains où se développe le dégoût des mathématiques et la conviction, à peu près toujours fausse, que l'on est incapable de cette activité « réservée aux plus intelligents » [...]. Celles-ci sont comme des insectes nuisibles qui s'attaquent aux écoliers et dont les piqûres entraînent d'interminables séquelles intellectuelles et morales." (Rouche ; 1998, p. 1). Pas moins… Il y a donc lieu de s'interroger, même si aucune étude scientifique générale ne vient étayer, à notre connaissance, cette assertion. Il n'empêche que notre expérience courante d'enseignant, tant au collège qu'en formation initiale et continue à l'IUFM, aurait tendance à la confirmer. Mais survolons ce que certains didacticiens en disent, afin d'esquisser un contenu un peu plus précis aux termes de "dégoût", "nuisibles", "piqûres" et "séquelles". Dans des articles successifs et se confirmant les uns les autres, (Figueras, Filoy,Valdemoros ; 1987), (Hart ; 1989), (Streefland ; 1991), (Carraher & Schliemann ; 1991), (Gray ; 1993), ces auteurs expliquent en substance que le recours en simultané à deux nombres entiers − numérateur et dénominateur − est un obstacle avéré à l’acception d’une fraction comme signifiant un seul nombre. Cet obstacle, qualifié de "N-distractor" par Streefland, débouche sur une dissociation entre les deux termes d'une fraction, plus liés à une double cardinalité qu'à un rapport entre nombres et / ou grandeurs. Cette dissociation débouche à son tour sur des défauts de conception et de traitements : les fractions restent plus l'expression de grandeurs absolues que relatives ; on applique aux entiers mobilisés par une fraction les traitements légitimes dans le champ des entiers mais rendus illégitimes par leur présence de part et d'autre d'une barre de fraction. Remarquons que défauts de traitement et de conception peuvent parfois être intimement mêlés, ainsi qu'en témoignent Hart et Sinkinson (1989) en décrivant les difficultés qu'éprouvent les élèves observés à accepter l'équivalence de deux fractions, lorsqu'elle se traduit – abusivement – par une égalité du genre : 24 3 6 = . 4 8 Chapitre I On comprend aisément qu'accepter cette égalité demande de dépasser des certitudes : de traitement d'une part (un signe d'égalité séparant 3 et 6 en même temps que 4 et 8) ; de conception d'autre part (les nombres entiers représentés dans cette égalité ne sont pas à prendre en compte séparément, mais suivant le rapport qu'ils entretiennent deux à deux). De la même façon, une erreur comme : 1 1 2 + = est couramment commise par des 2 2 4 élèves qui peuvent avoir une description précise et correcte des demis et des quarts, mais qui perdent ces références sitôt plongés dans cette écriture arithmétique. Comment se gère couramment l'enseignement initial des fractions, et quels sont les moyens que se donnent les enseignants face aux difficultés que nous venons de rappeler ? Trois phases sont en général discernables dans le processus d'apprentissage. Une première phase est consacrée au "sens". A ce stade, un discours rhétorique appuyé par des illustrations géométriques peut s'avérer fort efficace pour poser et résoudre certains problèmes rationnels (voir l'exemple cité p. 18). Cette première sollicitation est donc souvent couronnée d'un certain succès. On introduit ensuite, au cours d'une deuxième phase, les écritures fractionnaires comme de simples notations enregistrant passivement les éléments de sens construits au cours de la première phase. Nombre d'élèves semblent alors perdre toute cohérence sitôt qu'ils sont invités à transcrire leurs discours initial au moyen des écritures fractionnaires correspondantes (pour l'exemple de la p. 18, cela reviendrait à comparer par les moyens de l'arithmétique les deux fractions 7 1 et ). Il est ainsi nécessaire de recourir à une troisième phase au cours de 60 3 laquelle un entraînement intensif à "l'usage" des écritures fractionnaires – longues lignes de calculs formels – est proposé à ceux qui ont échoué à la deuxième phase. A ce moment, beaucoup parmi eux auront perdu les premières formes d'expression rhétorique qui s'étaient pourtant révélées bien adaptées à la résolution des problèmes, mais ne les auront pas pour autant remplacées par le "discours" fractionnaire mal relié aux phénomènes dont il est censé rendre compte. Une telle séquence tendrait à prouver que c'est moins le concept de rationnel que l'usage des fractions, donc de notations particulières, dotées de règles de traitements déroutantes, qui pose problème. Certains auteurs en sont ainsi venus à éviter les écritures fractionnaires lors de leur introduction aux rationnels. Saenz-Ludlow par exemple, renvoyant à Piaget, écrit (1995 ; p. 101) : "The premature introduction of 25 Chapitre I conventional notations may represent an obstacle to children's learning of mathematics". Elle décrit alors une séquence d'apprentissage ne recourant pas aux notations fractionnaires numériques usuelles mais à leurs expressions verbales (du type « trois cinquièmes » au lieu de 3 ) éventuellement illustrée par des représentations 5 géométriques. Elle conclut en expliquant que : "Ann [l'élève observée] was able to generate her fraction conceptualizations in the absence of numerical notation and in the midst of using natural language and fraction number-words (c'est nous qui soulignons)." Nous ignorons en revanche la façon dont auront été introduites les écritures fractionnaires usuelles dans ce cursus, et les conséquences de leur éviction a priori du processus d’enseignement. La question est cependant posée. Face aux problèmes récurrents que soulève un recours prématuré aux écritures fractionnaires, ne faut-il pas envisager qu’un système d’expression alternatif des rationnels puisse s’y substituer lors de leur introduction ? 5. Est-il envisageable de recourir à un autre registre que celui des écritures fractionnaires pour introduire les rationnels ? L'identification – abusive mais fréquente – de la notion de rationnel à celle de fraction rend presque incongru le seul fait de poser cette question. Cependant, lorsque l'on étudie les ingéniéries des spécialistes ou les manuels d'enseignement, on constate que tous les auteurs proposent bien des interprétations, quasi exclusivement géométriques, des nombres rationnels. Ainsi, Douady et Perrin-Glorian (19886 ; pp. 36, 46, 52, 65, 124…) recourent à toutes sortes de représentations, diagrammes et graphiques, depuis des droites graduées jusqu'à la représentation graphique de fonctions affines en passant par des rectangles représentant des feuilles de papier prédécoupées en plusieurs pièces, dont chacune est soit pavante, soit décomposable en éléments pavants (donc exprimable par une fraction unitaire ou quelconque de la totalité). Mais un examen rapide des pages concernées montre que les écritures fractionnaires accompagnent ou ne sont jamais très éloignées de ces représentations. Ces dernières apparaissent ainsi beaucoup plus comme des illustrations que comme les éléments d'un véritable système, interagissant par le canal de règles, précises et énoncées, de formation et de traitement. L'objectif annoncé p. 51 : "utilisation des fractions pour coder l'aire de 26 Chapitre I portions de feuilles de papier", confirme bien que les représentations requises ne sont pas considérés comme un moyen d'exprimer les rationnels, mais comme une occasion de mobiliser l'expression fractionnaire de ces derniers. L'étude d'un manuel comme "Le nouvel Objectif calcul CM1", (1995 ; pp. 130143), amplifie encore ce constat. En revanche, un chercheur en didactique (Carraher ; 1993, pp. 285-286), qui introduit un rationnel comme un couple de segments (A ; B) dont l'un peut servir d'unité pour mesure l'autre, nous semble bien près de réaliser un véritable système de représentation des rationnels, alternatif au système fractionnaire. Ce mode d'expression, s'il permet bien la formation d'un rationnel, est cependant très peu adapté à leur comparaison. Si bien que l'auteur revient rapidement à l'écriture fractionnaire dès qu'il s'agit d'effectuer ce type d'opération (ibid ; pp. 289, 292). Des ébauches de systèmes d'expression, dont certains ne sont pas très loin de l'indépendance vis à vis des écritures fractionnaires, sont ainsi couramment présentées et mobilisées pour l'enseignement. Mais ces représentations sont très vite court-circuitées par les fractions, soit parce que leurs auteurs poursuivent avant tout cet objectif, soit parce que cette forme d'expression alternative des rationnels n'est pas pensée en tant que système. Et pourtant, les constats que nous avons établis au paragraphe 4 semblent prouver que c'est bien la complexité des traitements fractionnaires qui désorganise les premières connaissances acquises lors des débuts de l'apprentissage des rationnels. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'introduire ces nombres au moyen d'un système d'expression s'affranchissant des fractions. Ce dernier, afin d'éviter certains écueils notamment liés à des excès de formalisme et bien repérés après la réforme dite des "mathématiques modernes", se devait de respecter au minimum trois conditions : offrir les moyens de véritables traitements afin d'autoriser l'interprétation et la résolution des problèmes ; être issu de l'environnement familier des élèves ; accompagner tout le curriculum des élèves et donc ne pas être un système provisoire, à rejeter au bénéfice des fractions après premier emploi. Dans quel cadre est-il souhaitable de développer un tel système d'expression des rationnels ? Enfin et surtout, comment un enseignement qui privilégie l'expression peut-il assurer la conceptualisation des notions visées ? C'est ce que nous allons aborder au paragraphe suivant. 27 Chapitre I 6. Conceptualisation des rationnels et coordination de leurs registres d'expression Nous avons rappelé au paragraphe 0, malgré quelques nuances introduites par le paragraphe 2, que la tendance majoritaire était d'accorder, lors de la genèse conceptuelle des rationnels, une place centrale à la formulation et à la résolution rhétoriques de problèmes qui leur sont liés, la sémiotique, comme autrefois l'intendance, devant suivre… Nous avons constaté que cette option rencontrait ses limites avec la difficulté qu'éprouvent les élèves : à accepter les règles de traitement des fractions ; à relier ces dernières aux phénomènes rationnels étudiés auparavant. Le tout se soldant par la nécessité de revenir à un entraînement intensif – et coupé de ses bases – au calcul fractionnaire. La question qui se pose est alors la suivante : puisqu'il semble indispensable d'affronter à un moment la difficulté de traitements formels, cognitivement en rupture par rapport à des formes de traitement antérieures, pourquoi ne pas l'affronter d'entrée de jeu ? On s'affranchirait ainsi des inhibitions liées à l'usage d'un outil mal maîtrisé, libérant par la même les initiatives. Bien entendu, une telle position n'aurait guère d'avenir si elle devait se réduire à un entraînement aveugle, portant sur des objets sans projet. Mais n'est-il pas possible de concilier sémiotique et sens ? Duval répond par l'affirmative à cette question. Il examine les conditions d'un apprentissage (1995 ; p. 67-81) ancré au minimum sur deux registres de représentation de la notion visée, par l'appropriation de leurs règles de formation, de traitements (internes) et de conversion (transformation d'un représentant, dans un registre de départ, d'un objet cognitif en un représentant du même objet dans un registres d'arrivée). Il établit qu'un tel modèle, centré sur la fonction d'objectivation (Duval ; 1996, p. 370), est fonctionnel et rapporte les résultats probants de recherches expérimentales l'ayant mis à l'épreuve. Dans un tel projet, il est possible de construire le sens en problématisant les représentations elles-mêmes. Pour prendre un exemple, la représentation 3 peut être 4 autant objet de questionnement par la manière dont elle réagit à un traitement et / ou 28 Chapitre I une conversion : 3 3 × 4 = 3 (donc, ainsi qu'un élève nous l'a "raconté" : × 2 = 1,5 , donc 4 4 3 = 0,75 !) ; que par sa capacité à rendre compte de l'épaisseur d'une feuille dont 4 4 exemplaires mesurent 3 mm. Bien entendu, dans ce schéma, d'autres mises en relation, avec des représentations hétérogènes de trois-quarts (sur droite graduée, au moyen d'une écriture décimale…) seraient nécessaires pour poursuivre l'apprentissage. Il nous reste à poser le problème du choix du registre d'introduction. Nous avons vu que celui des fractions était à haut risque. Celui des écritures décimales risque de laisser échapper des rationnels simples comme un tiers. Reste la possibilité d'un registre géométrique, avec tous les avantages liés à la visualisation des phénomènes dont il rend compte. Mais, une fois retenu le cadre géométrique, il nous faudra encore trancher entre dimension 1, soit les droites graduées, ou dimension 2, soit les surfaces fractionnées ("les parts de tartes"). Sachant que les premières sont réputées "difficiles" : "dans l'enquête qu'elle a faite [M. J. Perrin-Glorian] dans des classes primaires et secondaires, le placement de nombres sur l'axe gradué a été l'exercice le moins bien réussi dans toutes les classes" (Bolon ; 1996, p. 48) ; et sachant que les deuxièmes ont mauvais presse : "This approach has proved not to work for a great many children, if not for all" (Streefland ; 1993, p. 114). Enfin, il convient d'examiner l'environnement qui rendra envisageable un tel projet. Un environnement papier / crayon paraît peu réaliste, tant le nombre d'actions y serait limité par le temps qu'exigent production et correction de dessins, surtout au niveau de la scolarité concerné par l'introduction aux rationnels, c'est à dire les deux dernières années du cycle 3 de l'école élémentaire. C'est la raison pour laquelle nous avons développé notre projet de recherche dans un environnement informatique. 7. L'informatique, un outil précieux pour développer un registre alternatif d'introduction aux rationnels Nous reviendrons ultérieurement sur ce choix dont nous fournirons ici une première série de justifications. Tout d'abord, nous venons de rappeler que notre projet de développer un véritable registre de droites graduées n'aurait pas été envisageable en l'absence des 29 Chapitre I ressources de production, de correction et d'effacement de dessins qu'apporte un ordinateur. Là où un livre ou une feuille de papier n'offrent que des possibilités limitées de ratures ou de surcharges, un écran permet des interventions illimitées dans ce domaine. Ce qui permet de tenter des essais multiples et de tirer tout le bénéfice d'éventuelles erreurs constatées. Les processus de décision (continuer, arrêter…) dépendent plus de l'état effectif d'avancement des travaux que d'éventuels causes collatérales (éviter de re-raturer…). Mais il est aussi plus aisément imaginable de déplacer les objets, changer l'échelle d'observation, ce qui augmente les degrés de liberté de l'utilisateur, à l'opposé d'un manuel où tout est fixé par le concepteur. Dans un environnement logiciel, un cahier des charges permet de définir un système de production et de renouvellement de l'activité paramétrable (par le maître et / ou l'élève) et dynamique (rétroactions adaptées aux traitements des élèves), tout en contraignant les possibilités et les moyens d'intervention selon les nécessités de l'enseignement envisagé. Enfin, cet environnement autorise à enregistrer en temps réel toutes données utiles à l'observation d'une classe au travail : temps de réponse, nombre de réponses justes et fausses, d'appels de l'aide, temps passé dans l'aide, scores cumulés, nombre de tentatives… Au rang des inconvénients, nous retiendrons la tentation d'abuser de l'ensemble de ces ressources, et donc d'agir à la légère, sans risque de s'imposer en retour des tâches répétitives. Cet inconvénient peut être amoindri par un système de score qui limite le nombre d'essais en pénalisant les dépassements. Ayant expliqué dans le détail le cheminement qui a orienté notre recherche, il nous reste maintenant à en résumer les lignes de force. 8. Résumé de la problématique ; les hypothèses Projet Notre projet est donc d'examiner les questions qui suivent et de tenter d'y apporter des éléments de réponse. Peut-on : accorder à l'expression une place première dans un processus didactique ; expliquer comment la théorie des registres peut rendre compte d'un certain nombre de résistances et blocages lors d'un cursus d'apprentissage des rationnels ; constituer un registre adapté à l'introduction des rationnels et au développement des compétences nécessaires à leur maîtrise ; mettre en rapport les 30 Chapitre I actions propres à ce registre (nature des traitements) avec la nature des signes employés et la dimension support des représentations ; mettre en rapport les traitements dans ce premier registre avec ceux, plus usuels, des registres numériques des fractions et des décimaux ; en déduire une ingéniérie concernant les nombres rationnels ? Question principale Quels sont les bases épistémologiques et les conséquences didactiques d’un enseignement des rationnels qui : • privilégie les moyens d’expression (nature géométrique ou numérique des signes employés, dimension du support d'écriture, type de traitements autorisés par ces choix) de ces derniers et leur coordination ? • accorde à l'évolution de ces moyens d'expression au cours de la scolarité un rôle central dans l'appréhension des nombres rationnels en tant qu'objets ? • attribue à la droite graduée une véritable fonction d’expression et de traitement des rationnels (et non une simple fonction d’illustration) ? Les hypothèses : H1 : Il est possible d'introduire les rationnels au moyen d'activités menées dans un registre géométrique unidimensionnel. H2 : Ce registre géométrique unidimensionnel a un coût didactique élevé, mais permet une expression des rationnels adaptée au développement des compétences nécessaires à leur maîtrise. H3 : Des activités systématiques de coordination d'un registre unidimensionnel avec les registres usuels des écritures décimales et fractionnaires permettent d'exercer un contrôle efficace sur l'usage de ces deux derniers. Ces activités de coordination sont déterminantes pour la mobilisation de l'ensemble des registres concernés lors de la résolution de problèmes. 31 Chapitre I Le plan retenu pour présenter notre recherche 1 Le premier chapitre a posé la problématique de recherche et les hypothèses. Le deuxième identifiera quatre stades d'appréhension des rationnels avant de se pencher sur un état de la recherche disponible et sur le processus d'enseignement proposé par un manuel. Ce chapitre est destiné tout à la fois à prendre en compte le point de vue d'autres chercheurs, et à offrir un effet de mise à distance de notre propre recherche. Le troisième chapitre vise à présenter et à légitimer les orientations stratégiques de notre projet, et notamment l'entrée par une forme d'expression unidimensionnelle dans l'univers des rationnels. L'outil principal, à savoir les logiciels de la série ORATIO (Adjiage & Heideier ; 1998) seront introduits et la faisabilité didactique d'un tel projet mise à l'épreuve. Les chapitres IV et V examineront la mise en œuvre de notre expérimentation, assortie de ses principaux choix tactiques. Ils comportent donc l'étude des trois registres retenus pour l'enseignement des rationnels, les raisons de leur sélection, ainsi qu'une première analyse, qualitative et quantitative, d'observations d'élèves au travail validant notamment l'introduction aux rationnels par les droites graduées. Le dernier chapitre enfin précisera le cadre didactique de notre expérimentation et les moyens de la valider. Il présentera la classe de Sélestat, qui a été notre principal lieu d'observation, les conditions de passation sur les logiciels, et analysera les résultats de cette classe à plusieurs évaluations réparties sur les deux années qu’aura duré l’expérience. 1 Dans tout le texte, les renvois non précédés d'un numéro de chapitre sont internes au chapitre où ils apparaissent ; les renvois à un autre chapitre sont tous précédés du numéro de ce dernier en chiffres romains. 32 Chapitre II Recherches et pratiques sur l'enseignement des nombres rationnels à l'école élémentaire Chapitre II Ce chapitre examinera le point de vue "des autres", chercheurs et enseignants, sur l’approche didactique des rationnels, ce qui permettra ultérieurement de situer et donc de relativiser notre recherche personnelle. A cet effet, nous avons été amenés à identifier des repères qui permettent de décrire des changements de perspective sur la notion de rationnel au cours de l’apprentissage. Nous distinguons ainsi quatre stades d'appréhension des rationnels, qui ne sont pas à regarder comme étapes d’un processus évolutif irréversible ni comme une proposition de progression linéaire pour l'enseignement ; car si tant est qu’il existe un invariant dans la recherche disponible, c’est plutôt du côté d'une description de l’apprentissage en termes de changements de perspective successifs qu’on pourra tenter de l’identifier. Ces quatre stades ne se succèdent donc pas linéairement, des phénomènes de simultanéité, de régression ou de sauts d'un de ces crans à un autre étant, dans notre optique, tout à fait envisageables. Nous en avons cependant adopté une présentation hiérarchisée qui adhère au mieux aux processus de renoncements et de dépassements que nous allons décrire. Cette présentation sera l'objet de la première section ; la deuxième section examinera les réponses de différents chercheurs aux questions posées par cette analyse ; la troisième enfin se penchera sur la position, dans ce débat, d'un manuel : "Le nouvel objectif calcul", qui a le mérite d'être à la fois bien accepté des enseignants, et issu de la collaboration entre des professeurs d'IUFM et des conseillers pédagogiques. Ce chapitre est donc avant tout destiné à fournir des repères qui permettront de mieux saisir, au chapitre suivant, les particularités et points clés de notre recherche, en regard de la recherche des autres. C'est cette perspective qui a guidé nos choix pour extraire, dans le paysage foisonnant de la recherche sur l'apprentissage des rationnels et des pratiques enseignantes associées, des idées, exemples et citations qui concourent à cet objectif. Nous ne prétendons donc d'aucune manière atteindre à l'exhaustivité ou même seulement nous en approcher. 35 Chapitre II 1. Quatre stades d'appréhension des phénomènes rationnels Duval (1998 ; p. 168) nous rappelle que "l'activité de connaissance consiste dans la relation d'un sujet à un objet" et que, selon ce qu'on privilégie dans cette relation, trois points de vue sont possibles sur cette activité : "[...] le point de vue scientifique, le point de vue cognitif, le point de vue phénoménologique." Il ajoute (p. 169) que "[...] ce que l'on appelle, depuis guère plus d'un siècle, l'épistémologie revient à tenter de fusionner le point de vue scientifique avec l'un des deux autres points de vue". Les recherches sur l'enseignement et l'apprentissage des rationnels n'échappent pas à cette classification générale. La littérature d’expression anglaise fait souvent référence à un certain nombre de sous-constructions − subconstructs : part-whole relations, quotients, ratios, operators and measures (Kieren ; 1980) confirmées plus récemment (Behr, Harel, Post et Silver ; 1993) « [the five subconstructs] have stood the test of time») − soustendant un apprentissage des nombres rationnels. Cette approche nous semble renvoyer à ce que (Duval ; 1998 p. 171) appelle une "architecture fonctionnelle du sujet", puisqu'elle décrit une structure permettant à un sujet "d'accéder à un domaine d'objets déterminés" et "d'effectuer les opérations nécessaires à son fonctionnement" (Duval ; 1998 p. 170) ; on aura reconnu dans cette approche un point de vue cognitif. La littérature d’expression française décrit plutôt des séquences didactiques destinées à reconstruire une "genèse artificielle" du concept, c'est à dire des séquences qui reconstruisent "[] le tissu où les concepts ont pris leur origine, leur histoire, leur sens, leur motivation et leur emploi." (Brousseau ; 1986-a, p. 36) ; ou bien à développer les apprentissages au sein de "macles de contradiction" − associations de connaissances plus ou moins contradictoires et qui coexistent chez un individu ou à l'intérieur d'une communauté − (Ratsimba-Rajohn ; 1992) ; ou encore à favoriser des dispositifs − comme "Le journal des fractions" : (Sensevy ; 1996) − permettant de faire avancer "le temps didactique" (Chevallard, 1986 ; Chevallard et Mercier, 1987) ou d'inscrire les productions d'élèves dans "la mémoire didactique de la classe" par le processus "d'emblématisation" (Sensevy ; 1996). Ces divers points de vue ont en commun de convoquer l'Histoire ou de provoquer une histoire, qui se développe en affrontant des crises au cours desquelles contradictions et obstacles sont amenés à être révélés puis dépassés. On aura reconnu une approche épistémologique, se référant plus ou moins au "principe piagétien de parallélisme entre les phases du développement intellectuel au 36 Chapitre II plan individuel et les étapes historiques du développement de la pensée mathématique [...]" (Duval ; 1998 p. 165). Pour reprendre la classification de Duval, cette approche épistémologique nous semble être de celles qui tentent de fonder le point de vue proprement scientifique sur celui, cognitif, des structures du sujet. Deux autres auteurs, Douady et Carraher, présentent la particularité de s'intéresser expressément à la manière de signifier les rationnels, considération qui ne semble pas être une priorité des chercheurs cités plus haut. Ainsi, Douady (1984 ; pp. 17-18 et 1986 ; pp. 3-4) met en scène divers aspects d'un concept à travers un jeu de cadres dans lesquels ce concept trouve des formulations différentes, et organise des correspondances inter-cadres censées "contribuer à donner de la signification au problème". Carraher (1993) quant à lui, propose à des élèves, au moyen d'un ordinateur qui fournit les rétroactions souhaitées, des traitements portant sur diverses représentations de rationnels (reports de segments − à la manière d'Euclide −, schémas unidimensionnels légendés par des entiers (p.292), représentations graphiques de fonctions linéaires et travail sur leur pente valorisée par un fond quadrillé (p. 293), et, bien entendu, écritures fractionnaires). Il fait donc varier les cadres et la dimension, 1 ou 2, où ils s'expriment, et organise des correspondances entre ces divers modes de représentation. Nous verrons que cette façon de procéder peut rappeler la nôtre, mais nous pointerons aussi en quoi elle en diffère sur des points cruciaux. Si Douady, au-delà de sa spécificité, reste fortement marquée par Piaget avec sa dialectique outil-objet (1984 ; pp. 14-17), qui fonctionne de déséquilibres en équilibrations, Carraher, quant à lui, a une approche qui évoque un point de vue plus phénoménologique : "the student should come to understand the meaning of the notation by using and observing what happens." (1993 ; pp. 294). Mais, au-delà de ces différences, ces deux chercheurs, comme les précédents, décrivent des itinéraires d’apprentissages des rationnels en termes de changements de perspective successifs. On peut dire que l'objectif commun est d'amener les élèves à faire évoluer leur acception d'une fraction, depuis une conception rudimentaire plus ou moins intuitive d'une partie dans un tout, à celle de véritable nombre, en passant par les intermédiaires que sont les opérateurs et les ratios. Notons que ces changements de perspectives sont peu ou pas reliés à une évolution concomitante des moyens d'expression des rationnels, même chez ceux qui pourtant réservent, dans leur ingéniérie, une place de choix aux moyens de les signifier. Ceci peut paraître surprenant, tant une conception est naturellement liée à un 37 Chapitre II type de discours qu'elle contribue à légitimer et duquel, par retour de sens, elle gagne en consistance. Nous tenterons en conséquence de nous interroger systématiquement sur ce lien et son rapport à l'apprentissage. L'étude qui suit emprunte énormément à la recherche disponible. Elle s'en veut même une compilation, mais nous revendiquons et assumons totalement la présentation qui en est faite. Nous allons décrire quatre stades ou crans d'appréhension des rationnels et caractériser chacun de ces stades au moyen d'une analyse systématiquement structurée sur : • une description et des références à des auteurs ; • des exemples de problèmes résolubles au stade considéré ; • des moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade ; • la nature des rationnels attachés à ce stade ; • des obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant. Cette dernière expression "d'accès au stade suivant" pourrait laisser supposer que nous envisageons une progression linéaire du stade 1 au stade 4. Nous avons déjà dit en introduction qu'il n'en était rien, et qu'un accès ne signifie pas une voie obligée, mais une ouverture, par laquelle on peut éventuellement se faufiler pour une exploration rapide du stade ultérieur, par laquelle on peut aussi repasser pour un retour en arrière, ou qu'on peut enfin élargir afin de ménager une meilleure mise en perspective d'un stade au suivant. L'examen de ces quatre niveaux de compétences sera donc pour nous l'occasion : de préciser l'apport de divers chercheurs dans le domaine considéré ; de repérer les obstacles liés à l'apprentissage des rationnels, et notamment les transitions les plus délicates ; d'introduire notre point de vue et particulièrement notre différence sur l'importance accordée à l'expression, en liaison avec le type de discours nécessité par une certaine conception des rationnels à un stade donné ; d'une première justification de nos choix didactiques, qui seront exposés au chapitre III. Précisons enfin que l'essentiel de notre recherche porte sur un enseignement des rationnels à l'école primaire. Or, d'après les programmes en vigueur, certaines des notions étudiées ici, comme le produit par un rationnel, ne sont plus un objectif du cycle 3, sauf en ce qui concerne l'application d'un pourcentage (dans les limites d'une première approche) ou le produit d'un nombre par 0,1 ou 0,01, cités explicitement par les 38 Chapitre II instructions officielles (p. 108). On en déduit qu'une maîtrise avancée de l'ensemble des compétences décrites par les quatre crans ne peut s'envisager qu'au cours du collège. Mais, en raison même des circonstances qui nous ont amené à préciser que notre description n'était ni linéaire ni normative, on s'autorise à penser qu'un élève du primaire peut être invité à un premier parcours à travers l'ensemble de ces quatre crans. 1.1. Le stade des partitions (partitioning) 1.1.1. Description et références Dans la littérature d'expression anglaise (Kieren ; 1988 et 1992) ce terme désigne aussi bien le résultat d'une partition classique d'un ensemble T en sousensembles non vides, disjoints deux à deux et de réunion égale à l'ensemble T, que les moyens : • numériques − dans un contexte discret − par décomposition additive (Vergnaud ; 1983) ou encore par distribution cyclique, en parts égales à chaque tour, jusqu'à épuisement de la collection (Davis et Pitkethly ; 1990), • géométrico-physiques − dans un contexte continu − par découpage, pliage... en parts égales ou pas (Kieren, Mason et Pirie ; 1992), • de réaliser une telle partition ou en tout cas de la décrire. L'importance des schèmes de partition dans la construction des nombres rationnels par les élèves est soulignée par nombre d'auteurs : Vergnaud, 1983 ; Behr, Lesh, Post et Silver, 1983 ; Hunting, 1984 ; Streefland, 1991 ; Kieren, 1993. Pour ce dernier notamment : "... partitioning is central to the development of fractional number knowledge." (cité par Pitkethly et Hunting, 1996, p 9). Examinons un peu plus attentivement le type de problèmes que cette procédure clé permet de résoudre. 1.1.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade Nous en examinerons trois types : • Soit des problèmes de gestion additive d'une collection : décomposition d'une collection en sous-collections et désignation additive du cardinal de l'ensemble dans le but de comparer la collection initiale à une autre collection ("plus que", "moins que", "autant que") ; ou encore de la discriminer d'autres collections, lorsque les moyens numériques dont on dispose sont insuffisants pour travailler sur le total. Cette procédure 39 Chapitre II est observée notamment en début de cycle 2-CP, lorsque les capacités de dénombrement des élèves n'excèdent pas (ERMEL CP ; 1985, pp. 173-181) une dizaine d'objets. • Soit des problèmes de répartition d'un tout discret en parts égales (Dealing) ou inégales. Si on suppose le tout matérialisé, la prise en compte du nombre total d'objets à partager n'est pas utile : il suffit de procéder par répartitions, − égales dans le cas d’un partage équitable, inégales suivant certaines contraintes dans le cas contraire − et successives, entre tous les participants, en plusieurs tours éventuellement, jusqu'à épuisement de la collection. Si on suppose que le problème est à résoudre en l’absence du matériel concret à distribuer (répartir équitablement ou inéquitablement − en indiquant par exemple un maximum par part − 32 objets, non physiquement présents, dans 8 enveloppes), le total doit alors être pris en compte sous une forme numérique (ici 32), les parties constituées par tâtonnements additifs par exemple, avec ajustements éventuels à la baisse ou à la hausse, la vérification se faisant par addition effective des cardinaux des parties. De tels problèmes peuvent être soumis à des élèves dès la fin du cycle I ou début du cycle 2 (ERMEL CP ; 1991, pp. 101-111). On notera que les résolutions de type multiplicatif ne sont pas envisagées ici, car elles relèvent déjà de la relation partie/tout qui sera étudiée au stade suivant. • Soit enfin des problèmes de partage en parts égales d'un tout continu. On pourra alors procéder par pliages ou constructions géométriques suivant le niveau où l'on se situe, avec plus ou moins de précision et de réussite, au moyen de procédures exactes ou approchées, comme la prise récursive de la moitié − iterated halving − (Pothier et Sawada ;1983). Ces problèmes, qui peuvent se poser dès la fin du cycle I, trouvent des applications jusqu'au collège et au-delà (partage d'un segment en segments égaux au moyen du théorème de Thalès par exemple). 1.1.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade Ils sont relativement limités à un usage oral et écrit des premiers nombres entiers, sur lesquels on effectuera quelques traitements plus ou moins empiriques en vue de les comparer ou de les additionner d’une part ; de schémas plans, plus ou moins géométriques, dans le cas continu d’autre part. Ces derniers et les conceptions qui leur sont (restent) attachées seront étudiés en détail au chapitre IV. Nous nous bornerons donc ici à souligner qu'ils émergent naturellement avec ce premier stade. Seront-ils 40 Chapitre II susceptibles d'accompagner les évolutions et accommodations nécessaires pour accéder aux stades ultérieurs ? 1.1.4. Nature des rationnels liés à ce stade Il est bien entendu prématuré de parler de rationnels à ce stade. La capacité au "partitioning" va néanmoins permettre de développer un certain nombre de compétences ou de prises de conscience dans la construction des nombres rationnels, que les auteurs déjà cités plus haut relèvent, et que nous résumons ci-dessous. • Possibilité de gérer numériquement des problèmes de répartition (par opposition à une répartition au jugé) et d'être à même de contrôler ainsi l'équipotence des donnes et l’égalité de la somme des parties et du total. • Lien entre la taille de la part et le nombre de parts : "plus grand le nombre de parts, plus petite la taille de chaque part". Ce constat, évident dans un contexte continu illustré par un schéma de type "parts de tartes", ou dans un contexte discret de type "Dealing", sera inhibé pour beaucoup d'élèves lors de sa description fractionnaire aux stades ultérieurs : des erreurs comme 1/4 < 1/10 car 4 < 10, proviennent de ce que Streefland (1991) appelle des N-distractors, c'est à dire une prise en compte séparée des entiers composant la fraction, et l'application abusive de traitements familiers mais illicites dans ce contexte. 1.1.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant Le "partioning" reste cependant un moyen limité de former des parts à partir d'un tout et d’établir des relations entre elles. Il ne dégage qu’un modèle très rudimentaire, surtout lorsqu’il est lié à un contexte matériel. Il ne permet notamment pas d'anticipations : dans le cas continu, pour évaluer la taille d'une part ou la comparer à une autre part, on doit aller au bout de l'expérience et découper tout le(s) gâteau(x) (ce qui n’est guère aisé, dans le cas d’un partage en un nombre impair par exemple). Dans le cas discret, il reste impuissant à gérer des grands nombres : répartir 100 objets en parts égales, en présence ou non du matériel, devient quasiment impossible à organiser vu les moyens rudimentaires d’actions ou de calcul dont on dispose ; mais surtout, il ne donne pas de moyens dévaluation rapide de la taille, même approximative, des parts. On relèvera en conséquence une insuffisance et un premier obstacle lié à ce stade. • La mise en évidence du lien partie-tout et de la relation de dépendance qui en découle n'est pas nécessaire puisque, dans un contexte discret de partage équitable par 41 Chapitre II exemple, le cardinal de chaque part ne s'obtient pas en combinant le cardinal du tout avec le nombre de parts : lorsque le matériel est présent, il me suffit de pousser le "Dealing" jusqu'à épuisement de la collection, sans même connaître le nombre total de ses éléments ; en l’absence du matériel, la prise en compte du total devient nécessaire pour former les parts, mais les procédures additives par tâtonnements ne permettent pas d’exhiber un lien direct entre le tout et chacune de ses parties. Cela ne sera plus le cas au stade ultérieur où des hypothèses multiplicatives liant directement partie et total permettront d’expliciter la nature de leur dépendance mutuelle et, partant, d’effectuer des anticipations (comparaisons, itérations...). • Quant à l'obstacle lié à ce stade, il est de taille puisque certains auteurs (Hunting et Korbosky ; 1990, cités par Pitkethly et Hunting ; 1996, p 10) estiment qu'une connaissance basée seulement sur le modèle continu du "partioning" amène à une conception littérale des fractions : 1/4 représente alors exclusivement une part prise parmi quatre et risque en conséquence de ne pas être appréhendée en tant que proportion, de 25 à 100 par exemple. Nous reviendrons longuement sur cet obstacle en 1.2.5 et au chapitre IV. Examinons à présent les premiers changements de perspectives et réaménagements que va nécessiter l'accès au deuxième stade. 1.2. Le stade de la relation partie / tout (part-whole relation) Avec la relation partie-tout, nous entrons dans le champ des structures multiplicatives. On considère en effet un "tout" E et une de ses "parties" F2. On suppose que E et F sont commensurables, c'est à dire qu'il existe une partie S non vide de E et de F et deux entiers non nuls p et q tels que : E = pS et F = qS. Le lien partie-tout est celui qui relie E et F. L'équation fondamentale sur laquelle se développe ce lien est donc de la forme : T = nP, avec n est entier. Il traduit une "partition" finie de T en parties de même mesure − dans le cas où T est discret, on considère que le cardinal de T est une mesure de T. Dans ces conditions, si t mesure T et p mesure une de ces parties, on a la relation multiplicative : t = np, où n est un nombre entier naturel. Cette relation diffère fondamentalement des relations additives associées au stade précédent dans ce sens où elle exhibe une relation fonctionnelle entre le tout et une de ses parties : elle permet notamment une évaluation rapide et approximative de la partie par rapport au tout ; la 2 Les guillemets traduisent notre décision d'identifier, pour des commodités d'exposé, un ensemble et la grandeur associée. Aucune rigueur n'est ainsi trahie, à relations d'équivalence près. 42 Chapitre II possibilité d'étudier formellement − ie sans expérience matérielle ou mentale − les variations, à t constant, de p en fonction de n ou de n en fonction de p, ou encore les répercussions d'une variation de t sur n et/ou p et réciproquement, ce que ne permettait pas une démarche additive, qui revient à itérer p sans expliciter n. 1.2.1. Description et références Examinons ce que dit Adalira Saenz-Ludlow (1995 ; p 114) de la relation partie-tout, à propos de l'évaluation par une élève de 9 ans, Ann, de la partie b2 par rapport à b1 la partie intermédiaire b3 (voir Figure 2) ayant été donnée à considérer : (les parties de texte entre crochets sont des commentaires personnels) b3 b2 b1 Figure 2 "First, the conceptualization of the whole as a composite unit of equal-sized units and recognition of the part-dependency of the whole by establishing part-to-whole relations [b1 =3b3]. Second ... she inverted this relation (conceptualization of the whole as part-dependant). to generate the whole-to-part relation (conceptualization of the part as whole-dependant) [b3 =1/3 b1]. Ann's inversion of the part-to-whole relation into the whole-to-part relation allowed her to confer a particular part a quantification (fractional in nature) with respect to the whole [b2 =2b3 = 2/3 b1. Remarquons que pour cela, Ann a dû "mesurer" la part − b2 − au moyen d'une sous-part b3 elle-même liée au tout précédemment...]. In other words, the bases of the metric part-whole scheme are the multiplicative recomposition of the whole, and the disembedding of a part from the whole while mentally conserving the unity of the whole." Mais la relation partie-tout peut aussi se décrire dans un contexte discret, ainsi qu'en témoigne l'exemple suivant tiré du même article. A la question de savoir combien de pizzas faut-il prévoir pour 24 élèves, sachant que chaque groupe de 4 élèves mange une pizza, Ann répond rapidement 6 et, sur la demande du professeur commente sa démarche en énumérant : "4-8-12-16-20-24" tout en levant un doigt de plus à chaque mot-nombre prononcé. Cette simultanéité dans la décomposition additive du total − qui 43 Chapitre II renvoie au premier stade − et dans la gestion, fût-ce au moyen de doigts, du nombre de parts, prouve bien la mise en relation du tout − le test d'arrêt de l'énumération des motsnombres est le total 24 − et du nombre de ses parties − les 6 doigts levés. Dans ce cas, la relation partie-tout s'établit au moyen d'un changement d'unité de comptage − 4 par 4 − du tout 24. Le processus est bien entendu récursif, ce qui permet de considérer des changements d'unité composés (ibid, p 115) : à la question de savoir quelle part d'une pièce de 50 cents représente 1 nickel, Ann répond "un dixième" et son explication prouve qu'elle a considéré la pièce de 50 cents comme 5 dimes (1/10 de dollar), chaque dime valant 2 nickels. S'il semble que ce soit Kieren (1976 et 1980) qui ait en premier insisté sur l'importance de la relation partie-tout en tant que sous-construction, Behr, Lesh, Post et Silver apportant leur confirmation en1983, nous laisserons Steffe et Olive (1993), cité par Pitkethly et Hunting (1996 ; p 7) conclure ce paragraphe par ces appréciations qui résument bien l'ensemble de la problématique (c'est nous qui soulignons les points importants) : "The learning actions which are funamental to developing rational number meaning are the equidivision of a unit into parts ; the recursive division of a part into subparts ; and the reconstruction of the unit. A flexible concept of the unit is important to all later rational number interpretations." Et (ibid ; p 9) : "Dealing with fractional numbers entails using the mechanism to form composite units in a nex way. A new unit is not created ; a previous unit is reconfigured. This is a critical ability for multiplicative thinking." 1.2.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade Ce sont tous les problèmes formellement − ce n'est donc pas forcément la procédure élève ! − résolubles au moyen d'une ou de plusieurs3 équation(s) de type (voir l'introduction de 1.2) : t = np, où l'inconnue peut être une des trois valeurs t, n, ou p. t peut être une grandeur associée à un tout − discret ou continu − constant, ou sa mesure au moyen d'un rationnel entier ou pas ; p est une grandeur associée à une partie du tout ou sa mesure au moyen d'un rationnel entier ou pas ; n est un nombre entier. Nous avons choisi un tout constant pour distinguer ce stade du stade ultérieur où nous considérerons des "tout" variables − comme lorsqu'on applique un pourcentage à des bases de calcul 44 Chapitre II variable. Mais, même avec cette convention, la distinction entre les deux stades reste flou. Streefland (1993 ; p 112) cite l'exemple suivant : " 'what does 3/4 part of an 80 cent chocolate bar cost ?'. 3/4 part will first have to be applied on the price of 80 cents to determine the price of 3/4 part. There is a shift from part-whole to operator." En revanche, dire que 75 centimes représentent les 3/4 de 1F nous semble relever de la relation partie-tout. Alors, où situer la frontière entre cette dernière et le stade des applications linéaires ? Nous avons finalement retenu, outre le tout constant, le critère suivant, pour caractériser le second stade : application directe du lien partie-tout à la grandeur associée initialement à l'objet traité, donc sans le "shift" vers la prise en compte d'une autre grandeur associée au même objet, comme dans le problème cité par Streefland ci-dessus. Rappelons à présent quelques exemples plus ou moins connus, proposés par des chercheurs d'horizons différents, ce qui permettra d'illustrer leurs approches respectives, ainsi que l'énorme variété des problèmes relevant de la relation partie-tout. • Problèmes liés à la multiplication des entiers Ce sont bien entendu les problèmes d'itération d'une quantité (Marie achète 4 gâteaux à 7 F. Combien paiera-t-elle ?) dont le modèle peut être plutôt l'ordre de succession naturel des entiers (un kangourou fait des bonds de 3 m, combien parcourt-il en 7 bonds ?) ou le produit cartésien (un jardinier plante 13 rangées de 8 salades, combien a-t-il planté de salades ?). Ce sont les premiers problèmes liés à la relation partie-tout que les élèves sont amenés à rencontrer. Ce sont aussi en général les premiers problèmes donnant l'occasion de dépasser l'appréhension purement additive − qui fonctionne bien sûr comme obstacle à ce dépassement (Vergnaud ; 1983 et 1988), et qui donc assurent la transition du partitioning à la relation partie-tout. • Problèmes liés à la division euclidienne Ce sont principalement des problèmes que la littérature d'expression anglaise classe en deux catégories : problèmes de "successive subtractions" (combien de pizzas faut-il prévoir pour 24 élèves, sachant que chaque groupe de 4 élèves mange une pizza ? (Saenz-Ludlow ; 1995) ; problèmes de "fair sharing" (24 élèves partent camper. Ils se répartissent équitablement entre 8 tentes. Combien y aura-t-il d'élèves par tente ? − ibid). Les premiers peuvent se résoudre directement par itération du diviseur (ici 4), 3 Comme c'est le cas dans l'exemple cité au début de 1.2.1 et où on a successivement : b1 =3b3 et b2 =2b3 45 Chapitre II alors que les deuxièmes demandent une reformulation ("three anticipated units of eight to generate eight units of three" − ibid) pour être traités par itération du diviseur (ici 8). Rappelons que les chercheurs (Steffe ; 1991 et Saenz-Ludlow ; 1995) lient fortement la capacité à résoudre ces problèmes à la capacité à changer d'unité de comptage du tout. • Problèmes liés à la division des entiers avec résultats fractionnaires En voici trois exemples : 1."Quelle part d'une pièce de 50 cents représente 1 nickel ?" déjà cité en 1.2.1. (réponse 1/10) ; 2. "Quelle part de 1F représente 40 centimes ?" (réponse 2/5) ; 3. "Diviser 3 barres de chocolat entre 4 enfants" (Streefland ; 1995, p. 114)" Nous avons déjà commenté les deux premiers problèmes, examinons le troisième dont Streefland nous apprend qu'il a été inspiré par une approche du Papyrus Rhind. Streefland pense que l'introduction aux fractions par ce type de problèmes présente des avantages didactiques considérables sur l'approche traditionnelle4, avantages que nous résumons : grande variabilité des procédures (diviser 2 barres en 4 puis la dernière en 4, diviser chaque barre en 4...), débouchant sur des expressions différentes et donc équivalentes du résultat (1/2 + 1/4 ou 3/4 au sens de trois fois un quart...) ; comparaisons et estimations de fractions facilitées, car se référant à cette situation générique de partage qui serait très signifiante pour les enfants ; relations étroites avec les proportions (ratios dans le texte) par le biais d'une gestion du partage par réductions successives (6 barres pour 8 enfants, peut se gérer en répartissant les enfants en deux tables de 4 enfants chacune, chaque table recevant donc 3 barres pour que le partage soit équitable, le tout débouchant sur l'équivalence du ratio de 6 à 8 avec celui de 3 à 4...) ; entrée dans un monde fractionnaire peuplé dès l'abord de nombres pouvant excéder 1 (9 barres à répartir en 4 enfants), par opposition avec les introductions classiques par les parts de tarte qui bornent l'horizon à l'unité. Résumons les oppositions : 4 "Traditionally, fraction-generating occurs within the unit. The parts are named and calculation with fractions can commence..." Streefland va même jusqu'à affirmer : "This approach has proved not to work for a great many children, if not for all" (Streefland, 1995, p 114). Nous reviendrons en 1.2.5 sur ce jugement. 46 Chapitre II - les problèmes de types 1. et 2. évoluent naturellement suivant une progression du lien partie-tout en 1/b puis a/b avec a < b et enfin a/b avec a > b ; en ce sens, ils s'insèrent dans un itinéraire d'apprentissage des fractions qui démarre "sous l'unité"4 ; - pour les problèmes de type 3. une telle progression, du simple au complexe, ne se justifie plus ; en outre, ces problèmes permettent de rendre compte des principales propriétés du lien partie-tout (expressions multiples équivalentes et équivalence des deux points de vue classiques un quart de trois et trois fois un quart). Cette dernière approche apparaît donc, pour le moment, comme porteuse de plus de significations. • Problèmes liés à la mesure des grandeurs Ces problèmes sont ceux qui relient numériquement deux grandeurs, dont on suppose qu'elles sont commensurables, l'une des deux faisant fonction de partie, l'autre de tout. Suivant Ratsimba-Rajohn (1982 ; pp. 73-80), deux stratégies de mesures rationnelles, le fractionnement de l'unité et la commensuration, sont des "modèles d'action pour les élèves", c'est à dire sont susceptibles d'être naturellement mises en œuvre par ces derniers, soit a priori, soit suite au rejet de l'une d'entre elles, rejet qui contribuera à donner de la signification à la stratégie alternative (p 77). L'exemple que nous avons proposé dès l'introduction de 1.2.1 et rapporté par Saenz-Ludlow relève manifestement du fractionnement de l'unité puisque la question est posée en des termes de recherche de l'expression explicite de la partie par rapport au tout. On trouvera chez Douady et Perrin-Glorian (1986 ; pp. 29 à 62), au titre d'une introduction aux rationnels à l'école primaire, la description d'activités de codage de mesures de longueurs puis d'aires qui s'expriment aussi naturellement en termes de fractionnement de l'unité. Dans un cas comme dans l'autre, la progression en 1/b puis a/b avec a < b et enfin a/b avec a> b, est naturellement adoptée par les élèves, car inscrite trivialement dans le terme même de fractionnement de l'unité : s'il s'agit d'un fractionnement de l'unité, c'est que ce fractionnement est inférieur à 1 (!) (donc a ≤ b), les fractionnements en a > 1 et/ou a > b étant obtenus comme multiples du fractionnement spontanément mobilisé par la majorité des élèves, à savoir celui en 1/b5. 5 En fait, lors de l'activité sur les mesures de longueurs décrite par Douady et Perrin-Glorian, les élèves choisissent la longueur du trait puisqu'il le dessinent. En revanche, l'unité leur est imposée sous forme de bandes de carton. Des fractions supérieures à 1 pourraient ainsi être sollicitées. Mais lorsque cela se 47 Chapitre II Un tout autre choix est fait par Brousseau (1986-b ; pp. 131-151). Pour introduire les fractions, il propose aux élèves de mesurer l'épaisseur d'une feuille de papier. Cette dernière étant inaccessible par mesurage direct, les élèves recourent à des stratégies de commensuration du type : (19 feuilles ; 3 mm). Le lien partie-tout (épaisseur en mm) est alors implicitement fourni par des couples d'entier de ce type, qui permettent cependant de développer des procédures de comparaison d'épaisseurs ; d'équivalence entre des liens a priori différents (12 feuilles ; 8 mm) équivaut à (3 feuilles ; 2 mm) ; de multiplication et de division par un entier (3 fois moins/plus épais ou 3 fois moins/plus de feuilles sont des considérations qui autorisent une interprétation de ces opérations et leur transcription directe au moyen des couples décrivant l'évolution des épaisseurs sous ces opérations). On notera que cette approche ne rend pas plus pertinente la distinction 1/b ; a/b (a < b) ; a/b (a > b) que l'approche par les problèmes de type 3. du paragraphe précédent et qu'elle permet de développer d'entrée de jeu un ensemble plus vaste de compétences que l'approche par le fractionnement de l'unité ; sans doute parce que l'implicite suscite naturellement le questionnement alors que l'explicite, donnant à voir, l'inhibe. On relève donc un parallèle évident entre les problèmes de types 1. et 2. du paragraphe précédent et les problèmes de fractionnement de l'unité d'une part ; les problèmes de type3. du paragraphe précédent et les problèmes de commensuration d'autre part. Nous avons dit en quoi les deuxièmes étaient considérés par nombre de chercheurs comme potentiellement plus riches. Est-ce à dire qu'une approche est meilleure que l'autre ? Nous ne pensons pas que le problème didactique puisse se poser en ces termes, car l'issue de l'apprentissage dépendra plus de l'ensemble des moyens offerts aux élèves pour organiser ou réorganiser contradictoirement leurs connaissances (Ratsimba-Rajohn ; 1992), que des conditions initiales elles-mêmes. Nous y reviendrons ultérieurement, notamment au cours du paragraphe qui suit. 1.2.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade Tentons donc de préciser ce qui pour nous revêt une importance capitale, à savoir les moyens d'expression nécessités par la maîtrise d'un discours portant sur la relation partie-tout. Un simple examen visuel rapide des pages où Brouseau (1986 ; produit, les écritures adoptées sont plutôt du type n.u + (1/n).u + (1/m).u + ...., où u est l'unité, n, m, sont des entiers (le plus souvent égaux à une puissance de 2) . Les seules écritures fractionnaires vraiment mobilisées sont donc "sous l'unité". 48 Chapitre II pp. 131-151) rapporte l'expérience de la mesure de l'épaisseur d'une feuille de papier, et des pages où Douady et Perrin-Glorian (1986 ; pp. 29 à 62) décrivent leurs activités de mesurages, montre qu'une expression essentiellement rhétorique domine le discours des élèves pour le premier, alors qu'une expression plus formalisée est vite encouragée par les deuxièmes. Prenons des exemples. Tout d'abord chez Brousseau (p. 141), relativement à un commentaire déjà cité au chapitre I-1 : "...des relations, des appréciations, des opérations encore floues, incomplètes, approximatives vont s'éprouver, se clarifier, se complexifier avant même d'être formulables. Exemple [les élèves notent f pour feuilles]: « (60 f ; 7 mm), c’est du papier fin, c’est pas du [papier de type] A, on avait trouvé pour A : (3f ; 1 mm) » − sousentendu 60 feuilles de A feraient bien plus que 7 mm." On notera à travers ce discours, la simplicité et surtout l'efficacité des raisonnements, pourtant liés déjà à la proportionnalité et à ce qui sera plus tard énoncé en termes d'équivalence de deux fractions : quelque chose comme (3f ; 7 mm) équivaut à (60f ; 140 mm). Mais ce qui fait la force de ce raisonnement, c'est qu'il n'a pas à être totalement explicité pour fonctionner : il suffit de réaliser que « 60 feuilles de A feraient bien plus que 7 mm », sans mener de calculs précis, donc en évitant de se perdre dans les méandres du calcul formel, de ses égalités et de ses équivalences. Sitôt d'ailleurs que la complexité croissante des traitements et des mises en mémoire imposera le recours à ce calcul formel, on sait bien que ces raisonnements simples se perdront, ce qui donne l'impression que certains élèves ont "désappris" au cours de leur apprentissage. Alors que ce n'est pas un défaut conceptuel qui est en cause, mais une forme d'expression qui s'est perdue. Chez Douady et Perrin-Glorian en revanche, on trouve, dès le premier bilan (p 38), des écritures comme : 1 1 1 1 1 3 u + u = 2 x ( u) + u = 3 x ( u) = u 2 4 4 4 4 4 (*) qui expriment des gestes simples et parfaitement maîtrisés des élèves, mais au moyen d'un système d'écritures qui ne leur est pas forcément congruent. En effet, les égalités ci-dessus expriment ce que Duval (1988 ; p 8) appelle des "équivalences référentielles", c'est à dire portant sur des objets auxquels les signes utilisés réfèrent − en l'occurrence, les signes à prendre en compte sont des écritures fractionnaires, les objets auxquels elles réfèrent des nombres rationnels. Mais ce jeu 49 Chapitre II d'écritures − produit d'un point de vue scientifique selon Duval (1998 ; p 167) −, pour adapté qu'il soit aux crans ultérieurs, ne nous semble pas s'imposer au stade présent ; car, à travers et au-delà des signes, il traite en nombres des objets non encore construits en tant que tels. En effet, la seule référence dont disposent des élèves à ce stade sont les opérations de report et subdivision qui ont accompagné leur première pratique, et une comptabilité, en termes de nombres entiers, des itérations de ces opérations. Or, des écritures additives comme celles décrites par (*), progressant par égalités successives, portent elles sur des nombres. Le risque est alors que les élèves, trop tôt confrontés à une sémiotique qu'ils maîtrisent et interprètent mal, rabattent ces égalités entre rationnels sur des égalités portant sur les seuls nombres qu'ils perçoivent de façon immédiate, c'est à dire sur les entiers ; ce qui les rend totalement déroutantes : des 1 plus 1 qui ne sont pas égaux à 2, des 3 fois 4 qui ne deviennent pas 12 ! Une expression fractionnaire du lien partie-tout n'apparaît donc comme ni nécessaire, ni sans doute souhaitable à ce moment de l'apprentissage. Toute la richesse des raisonnements décrits par Brousseau nous semble fortement liée aux modalités du discours produit par les élèves. Un recours trop rapide aux écritures fractionnaires − dont nous montrerons au chapitre III-3 qu'il peut s'interpréter dans les termes d'une véritable rupture dans la dimension-support du discours − risque de les appauvrir, voire de les inhiber. 1.2.4. Nature des rationnels liés à ce stade Le rationnel à l'œuvre dans la relation partie-tout n'est pas encore un nombre ni même un opérateur. Il est en tous cas très proche du rationnel-mesure, au sens où Brousseau l'entend (1986-b ; p. 90) : le lien qui unit la partie au tout est donc de même nature que celui qui unit l'étalon à la grandeur à mesurer. Les deux définitions suivantes d'Euclide, tirées des livres 5 et 10, résument et rendent opératoire ce lien, dans une perspective d'enseignement : • "Une grandeur est partie d'une grandeur, la plus petite de la plus grande, quand la plus petite mesure la plus grande." • "On appelle grandeurs commensurables celles qui sont mesurées par la même mesure." Ainsi, à la question de savoir s'il existe un lien entre 40 cts et 1 F, un élève peut-être amené à trouver que 20 cts est une mesure commune à 40 cts et à 1 F et en 50 Chapitre II déduire que 40 cts, c'est les deux cinquièmes de 1 F. Nous utilisons la forme orale deux cinquièmes et pas 2 5 pour des raisons qui ont été exposées au paragraphe précédent, et que Saenz-Ludlow (1995 ; p 129) − entre autres − confirme : "Ann was able to generate her fraction conceptualizations in the absence of numerical notations and […] using natural language and fraction number words...". Nous en déduisons que la relation partie-tout se décrit essentiellement au moyen d'entiers − en général de deux entiers − opérant sur deux grandeurs afin de leur trouver une "raison" commune. Ce "lien" n'est donc pas encore un nombre ; c'est la raison pour laquelle nous ne lui attribuons pas encore de notation numérique fractionnaire. Reste le problème de l'équivalence de certains de ces "liens". Quelle que soit l'introduction adoptée − fractionnement de l'unité ou commensuration − nous avons vu que les situations débouchaient naturellement sur l'existence de "liens" équivalents mais non égaux : 2 1 = 4 2 dans le cas du fractionnement de l'unité ; (3f ; 7 mm) représente un papier de même épaisseur que (6f ; 14 mm) dans le cas de la commensuration. Ceci est un point important car on ne soulignera jamais assez à quel point l'existence d'écritures différentes, entre lesquelles il est cependant légitime de mettre le signe d'égalité, témoignent qu'un objet est représenté au-delà de ces diverses écritures − qu'ont-elles donc en commun, au-delà de leurs différences, pour être à même de désigner la même chose ? On pourrait donc y trouver une amorce importante vers la conceptualisation d'un nombre rationnel. En fait, ce serait le cas si ces égalités étaient suffisamment maîtrisées. Or, nous avons déjà exprimé nos doutes à ce sujet en ce qui concerne l'égalité entre deux fractions ; pour ce qui est de l'approche par commensuration, elle nous semble radicalement différente, car il n'est nullement nécessaire de recourir au signe = pour faire progresser son discours. Par exemple, des élèves qui veulent comparer deux papiers A (3f ; 7 mm) et B (8f ; 12 mm), n'écriront sûrement pas d'égalité, mais produiront plutôt un discours du type : "avec seulement 6 feuilles de A, j'ai déjà 14 mm donc plus que 8 feuilles de B ; donc A est plus épais que B." ou bien encore : "une feuille de A, c'est plus que 2 mm (7 ÷ 3), et une feuille de B, c'est moins que 2 mm.". On voit bien que ce type de discours éloigne totalement de l'équivalence d'écritures différentes, et, au-delà, de l'appréhension d'un nombre unique représenté de deux 51 Chapitre II manières différentes. En revanche, la production ou la validation d'une suite d'égalités du type : 1 1 3 4 7 + = + = 4 3 12 12 12 accompagnera sûrement l'acception des fractions comme représentant des nombres. Et ce qui fait la différence, c'est la nature et l'expression des traitements qu'on leur applique, organisés autour des signes + et =, qui ne sauraient agir que sur des nombres. Bien que le problème de la somme de deux mesures puisse se poser à ce stade, et qu'il puisse trouver des solutions empiriques analogues à celles utilisées ci-dessus pour la comparaison de deux épaisseurs, nous pensons qu'il serait prématuré − pour les raisons évoquées au paragraphe précédent − et hors-programme de l'école primaire, d'y développer ce type d'écritures systématiques. En résumé, nous dirons donc que le lien partie-tout n'est pas encore un nombre, mais une suite d'opérations impliquant des nombres entiers. 1.2.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant La relation partie-tout agit à l'intérieur d'un référentiel absolu − le tout − auquel elle relie chacune de ses parties. Nous venons de voir qu'une description opératoire de ce lien ne nécessite que des nombres entiers. Avec l'introduction de références variables, la nature de ce lien va évoluer vers un statut d'opérateur ou de fonction. Ceci aura pour conséquence de dédoubler l'univers où se déroulent les phénomènes étudiés : une des facettes de cet univers contiendra les opérateurs, monde virtuel des "parts" (au sens où 3 parts pour 4 exprime la proportion 3/4), où les nombres sont sans unité ; une deuxième facette contiendra les arguments et les images de ces opérateurs, monde réel où les nombres mesurent des grandeurs, et sont donc accompagnés d'une unité. Ce dédoublement peut d'ailleurs se schématiser au moyen du fameux tableau de proportionnalité : Monde des parts (virtuel) Monde des grandeurs (réel) Partie (loyer) 3 1500 Total budget logement 4 2000 Figure 3 : calcul du loyer par rapport au budget logement 52 Chapitre II Supposons que ce tableau traduise par exemple le problème suivant : mon loyer représente 3/4 de mon budget logement (le reste passe dans les charges). A priori dans ce tableau, la colonne 2 (monde des parts) est constante, et la colonne 3 (monde des grandeurs) est variable, l'argument 2000 et l'image 1500 pouvant changer. En réalité, par le biais des opérateurs équivalents, la colonne 2 peut aussi évoluer en (6 ; 8) ou (75 ; 100) ou tout autre couple équivalent. Le problème est donc complexe, et on sait que les élèves ont tendance à interpréter le 3/4 dans un sens littéral (Carraher et Schliemann ; 1991), c'est à dire que, d'une part, le budget total ne peut être que de 4 unités (des milliers de francs par exemple) sur lequel le loyer représente 3 unités ; d'autre part, la proportion ne peut pas être décrite par un opérateur équivalent comme 75%. Ils rabattent donc le monde virtuel des parts sur le monde réel des francs : 3/4 n'est alors pas interprété comme une proportion, mais comme l'expression d'une double cardinalité. Ce point de vue risque d'être renforcé par une représentation initiale exclusive des fractions comme parties d'une forme définissant un tout : "It seems that the perception of a fraction as a part of a whole shape, usually a circle or a square, is so strongly held by children that they find it impossible to adapt this model even to include the notion of three circles to be shared into four equal parts." (Kerslake ; 1986, p 120). On voit donc quelle est la nature du principal obstacle à dépasser pour passer d'un lien partie-tout à un lien fonctionnel entre deux grandeurs variables : mener en parallèle deux discours, liés par un certain nombre de traitements valides (les fameuses règles dites de linéarité), mais minés par des leurres formels, car évoluant dans des univers parallèles bien que jumeaux. Mais il existe un deuxième obstacle, lié à l'émergence du rationnel-mesure en tant que nombre au stade suivant (voir 1.3.1). Nous avons longuement expliqué en 1.2.4 en quoi la relation d'équivalence entre les fractions nous semble constitutive du rationnel-mesure en tant que nombre. Comme toute notion constitutive, il faut donc s'attendre à ce que cette relation d'équivalence se construise sur un certain nombre de renoncements et de dépassements, et donc qu'elle se heurte à des obstacles. C'est ce que nous allons examiner à présent : Saenz-Ludlow (1995 ; p 112) rapporte le dialogue suivant entre elle et Ann, une élève de 9 ans décrite comme "a very capable student". - Teacher : Is one fourth the same as four sixteenths ? 53 Chapitre II - Ann : Well, sometimes it is and sometimes it is not. Because you could have twenty of this (showing A) , and one fourth would be five twentieth. But in this case, one fourth is the same as four sixteenth. B A Figure 4 : un quart n'est pas toujours égal à quatre seizièmes ! Ce dialogue illustre clairement la nature de l'obstacle attendu : la différenciation insuffisante entre la représentation et l'objet. La fraction ne décrit qu'un certain nombre de parts prises dans un découpage donné, plus qu'un rapport de la grandeur à mesurer à l'unité. D'où la difficulté d'Ann à accepter qu'un changement de fractionnement, non multiple ou diviseur du premier, puisse générer une fraction équivalente. Signalons enfin rapidement un troisième obstacle lié à l'expression du rationnel-mesure en tant que nombre : l'équivalence − que Duval nomme conversion − entre une écriture fractionnaire de certains rationnels et une écriture à virgule. Nous prouverons ultérieurement – chapitre III-3 − qu'une égalité de type : 3 = 0,75 met en 4 jeu des résistances liées à la dimension différente des registres concernés par ces écritures. 1.3. Le stade des formes linéaires rationnelles opérant sur un ensemble de mesures ; le stade des rationnels-mesures En cherchant à identifier les obstacles s'opposant au passage d'une appréhension de type partie-tout à une appréhension de type opérateur, nous avons posé en 1.2.5 les principales caractéristiques de ce troisième stade. Nous les résumons et les complétons ci-dessous. 54 Chapitre II 1.3.1. Description et références L'introduction de références variables a pour effet de séparer deux types d'objets rationnels évoluant dans des univers parallèles : les opérateurs sans unité6 et les nombres mesurant des grandeurs, donc avec unité. Ce stade va voir l'émergence des fractions comme pouvant décrire indifféremment une mesure et, accessoirement encore, un opérateur : en effet, un simple discours rhétorique devient très lourd à gérer dès lors que les objets servant à mesurer une grandeur par rapport à une grandeur unité, sont susceptibles de devenir eux-mêmes arguments des opérateurs : par exemple, si je souhaite agrandir une longueur donnée par un coefficient de 6/5, la longueur elle-même peut s'exprimer, dans une unité donnée, au moyen d'un nombre non entier. Dans ce cas, la saisie du problème dans son ensemble et son traitement sont grandement facilités si je dispose d'une écriture unifiée − fractionnaire ou décimale par exemple − de la mesure à agrandir : cette adaptation de l'expression du lien partie-tout sous la pression d'une modification de l'environnement renvoie bien entendu à un processus de renoncement et dépassement décrit notamment par Douady (1984 ; pp. 14 - 17) dans les termes d'une dialectique outil-objet. L'opérateur d'agrandissement, quant à lui, peut encore être à ce stade "linéarisé" en une succession de deux opérations entières : subdivision par 5, report de 6 sousunités ainsi obtenues. Les fractions mesures vont ainsi accéder au statut de nombres mesurants, en même temps que les opérateurs linéaires montent d'un cran et agissent sur des nombres − les nouveaux, c'est à dire les fractions mesures, et les anciens, c'est à dire les entiers −, au lieu d'agir directement sur les grandeurs comme au stade précédent. Mais ces opérateurs restent liés aux nombres mesurants, c'est à dire qu'ils n'ont pas encore à ce stade une existence indépendante des objets auxquels ils s'appliquent. Cela sera réservé au dernier stade. 1.3.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade 1.3.2.1. Cas des formes linéaires Ce sont tous les problèmes formellement − ce n'est donc pas forcément la procédure élève − résolubles au moyen d'une équation de la forme p = r.t, où p et t sont 6 L'existence d'opérateurs à unités composées - les m/s, les m3/s, les F(rancs)/kg... - complique encore notre classification. Dans ce cas en effet, non pas deux, mais trois univers parallèles sont à prendre en 55 Chapitre II des nombres mesurants − rationnels − variables et r est un nombre rationnel constant. L'inconnue peut-être une des trois valeurs p, r, ou t. Nous interprétons le produit d'un rationnel par un rationnel en identifiant le deuxième − ici r − à une forme linéaire opérant sur le premier (Brousseau ; 1986-b, pp. 90-96 ). Voici quelques exemples, issus des résultats de la recherche, de formulation de ces problèmes. • Un exemple géométrique, la dilatation Ce sont des problèmes où une longueur se trouve explicitement dilatée, comme dans le problème de l'agrandissement d'une pièce de puzzle − où une longueur de 4 cm a pour image une longueur de 7 cm − proposé par Brousseau (1986-b ; pp. 113 - 115). Dans un premier temps, les longueurs sont toutes entières, puis certaines d'entre elles deviennent fractionnaires (p 114). Au cours d'une dialectique essai / erreur, les élèves finissent par découvrir l'intérêt qu'il y a à calculer l'image de 1. Brousseau explique : "Le modèle de commensuration qui leur est enseigné leur permettrait d'écrire directement : 4 fois l'image de 1 mesure 7, l'image de 1 est donc 7 4 . Ils ne l'utilisent pas spontanément." Ils mènent plutôt leurs calculs en tentant de diviser 7 par 4, en passant par "des procédés du genre" : 7= 280 280 70 35 175 , or : ÷4 = = = = 1,75 40 40 40 20 100 Le discours s'exprime donc sur un plan fractionnaire au niveau des mesures, mais reste "dissocié" − c'est à dire que 7 et 4 sont pris en compte en tant qu'entiers et pas sous la forme fractionnaire 7 4 − au niveau de l'opérateur d'agrandissement. C'est bien ce qui nous semble caractériser ce stade (cf supra). Lorsque les mesures deviennent fractionnaires, la connaissance par ces élèves du produit et du quotient d'une fractionmesure par un entier, leur permet de développer un discours du même type. • Des exemples numériques de taux et pourcentages appliqués Notre objectif n'est pas d'examiner les divers types de problèmes de taux et pourcentages, mais de pointer un certain nombre de leurs caractéristiques, en liaison avec ce qui nous préoccupe, à savoir le type de discours qu'ils utilisent et nécessitent. Pour une étude plus complète de ces problèmes, nous renvoyons à la thèse de C. Hahn compte : les deux univers "réels" associés aux grandeurs "simples" - les volumes d'un côté, les temps de l'autre - et un univers plus virtuel, associé à la grandeur composée - les débits. 56 Chapitre II (1995 ; pp. 134 - 203) et à l'article de W. Damm (1998 ; pp. 197 - 210) qui en fournit une classification simple et efficace. Dans un article consacré à la proportionnalité et à son utilisation, Dupuis et Pluvinage (1981 ; pp. 167 - 212) rapportent les résultats d'une enquête menée auprès des élèves de 14 classes de 5ème du Bas-Rhin, à partir de trois questionnaires portant sur des items représentatifs de l'utilisation de la proportionnalité dans trois disciplines : les mathématiques, la physique et la géographie. Les variables d'énoncés portent sur la nature des nombres en jeu − entiers, fractionnaires ou décimaux ; la présentation des opérations à effectuer − opérateurs, tableaux, égalités comportant des divisions et/ou des multiplications dans un ordre variable ; la place et l'écriture de l'inconnue. Voici deux des énoncés proposés, qui nous semblent caractéristiques du stade étudié : • DLA (Réussite 31 %) On place 500 cm3 d'alcool à une température de 10° dans un récipient. On chauffe. Quand la température est de 60° on constate que le volume d'alcool a augmenté de 25 cm3. Si on opère même à partir de 850 cm3 d'alcool, de combien augmentera le volume ? • KWH (Réussite 20 %) La France a produit en 1975 180 milliards de kwh dont 57 % d'origine, 33 % d'origine hydraulique et 10 % d'origine nucléaire. Quel est le nombre de kwh d'origine hydraulique produits par la France en 1975 ? Les auteurs constatent (p 192) : "A contenus numériques équivalents, la donnée de quantités − type DLA − est plus simple à traiter que celle de taux ou de pourcentages − type KWH. Ce fait pourrait apparaître comme paradoxal puisque dans le cas des quantités il y a deux opérations à effectuer (une multiplication suivie d'une division) alors qu'il n'y en a qu'une dans le cas d'un taux ou d'un pourcentage [les taux auxquels les auteurs se réfèrent sont donnés sous forme de décimaux ; quant aux pourcentages, écrits sous leur forme %, on suppose que l'opération unique qui est mentionnée suppose leur transcription sous une forme décimale]. Mais la difficulté d'attribuer un sens au concept de proportion, qui ne s'applique pas à des objets mais désigne des relations d'objets dans le cas général, s'avère prédominante.". 57 Chapitre II Nous ajouterons que ce paradoxe est d'autant plus étonnant que les problèmes liés au calcul d'un taux sont considérés comme plus difficiles que les problèmes liés à l'application d'un taux. Que dire alors de DLA, dont on peut penser qu'il se traite au moyen du calcul d'un taux à partir de certaines quantités, suivi de son application à d'autres quantités ? Les réponses sont peut-être à rechercher du côté des moyens d'expression sollicités par ce stade. 1.3.2.2. Cas des rationnels-mesures Ce sont les problèmes liés à la somme et au produit de mesures (mesure d'aires, de volumes...). Ces problèmes, qui peuvent s'aborder sans aucun développement systématique dans le cadre de l'enseignement primaire − encore que le produit par un rationnel non entier ne soit "plus un objectif du cycle", sauf lorsqu'il s'agit d'un pourcentage ou de nombres décimaux comme 0,1 ou 0,01 (!) (Programmes de l'école élémentaire ; 1995, pp.107 - 109) −, relèvent plutôt du collège. Nous ne nous y attarderons donc pas plus dans le cadre de cette étude. Quant aux problèmes posés par la comparaison des mesures, ils nous semble qu'ils ont une importance particulière à ce stade : comprendre en quoi 2 5 > 3 10 (alors que 2 < 5 et 3 < 10 !) apparaît comme un moyen efficace de ne pas se laisser "distraire", comme le disait Streefland (1991), par les leurres liés à l'usage des entiers pour décrire le lien fractionnaire. Nous reviendrons longuement sur cette idée pour étayer nos choix didactiques et commenter les résultats des élèves de la classe d'expérimentation aux chapitres IV, V et VI. 1.3.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade 1.3.3.1. Cas des formes linéaires Nous avons déjà vu au paragraphe précédent − cas de la dilatation − qu'à ce stade, l'expression peut déjà être fractionnaire en ce qui concerne les nombres mesurants, mais rester entière − c'est à dire s'exprimant en une succession d'opérations décrites par des entiers − en ce qui concerne les opérateurs linéaires. Une interprétation du différentiel de réussite entre les items DLA et KWH, cités au paragraphe précédent, nous permettra de préciser un peu plus la nature du discours sollicité à ce stade et les formes que peut revêtir son expression. 58 Chapitre II Dans le cas de DLA, le recours à un tableau peut éviter en fait tout recours aux taux et donc aux écritures fractionnaires, par exemple : Volume traité 500 250 100 850 Accroissements 25 12,5 5 42,5 Figure 5 : un tableau pour gérer un lien de proportionnalité ou bien encore, vu l'époque à laquelle ce questionnaire a été soumis, la règle de trois. Dans un cas comme dans l'autre, la prise en compte de ce que nous avons appelé en 1.2.5 "le monde virtuel des parts" − ici 1 pour 20 ou 1/20 − n'est pas nécessaire. Seule la prise en compte du "monde réel" − des volumes et de leurs accroissements − suffit. Un discours de nature rhétorique : "pour 500 cm3, on a un accroissement de 25 cm3, pour 100 cm3on aura donc un accroissement 5 fois moindre, soit de ...." est suffisant pour maîtriser et traiter la situation. Même s'il se développe apparemment sur deux lignes distinctes, matérialisées par les deux lignes du tableau, il reste essentiellement unidimensionnel. En revanche, KWH suppose une interprétation de 57 % en terme d'opérateur et son application à 180, ce qui demande, soit une conversion de 57 % en 57/100 (en tous cas en dissociant l'écriture unidimensionnelle − voir chapitre III-3 − 57 % en deux opérateurs entiers, 50 et 100, dont le mode d'action est radicalement différent) ; soit un recours à un tableau de proportionnalité. Mais même dans ce dernier cas, une prise en compte séparée du monde virtuel − 57 sur 100 − et du monde réel − celui des Kwh devient ici nécessaire. Notre point de vue est confirmé lorsque les auteurs démontrent (p 198), en opposant la réussite de deux classes à des items comparables à DLA7, tout au moins en ce qui concerne les moyens de les traiter, que : "C'est bien le recours à un tableau de proportionnalité […]qui est l'élément essentiel de discrimination entre les deux classes. Nous pouvons confirmer […] : l'apprentissage du recours à des tableaux (de proportionnalité) […] joue un rôle décisif dans les réponses à des questions courantes où intervient la proportionnalité.". Nous interprétons ce constat par le fait que ce recours est une façon fort efficace de condenser un discours rhétorique, donc affranchissant de 7 DIA : 5 cm3 de diamant ont une masse de 17,5 g. masse de 7 cm3 de diamant ? 59 Chapitre II l'usage des écritures fractionnaires, sur des problèmes de proportionnalité qui en relèvent. 1.3.3.2. Cas des rationnels-mesures L'expression requise est ici la forme fractionnaire ou décimale (nombres à virgule), ainsi que les exemples précédents l'ont illustré. Le développement des traitements demande donc de savoir additionner, multiplier, diviser − par un entier − des rationnels, exprimés sous forme de fractions ou de décimaux, suivant les techniques usuelles. Ces techniques relèvent plutôt du collège, mais constatons que, si leur légitimité découle de l'acception d'une fraction comme exprimant un nombre, elles contribueront en retour à accréditer cette acception qui, comme on le sait, emprunte un certain nombre de sinuosités avant d'être pleinement acceptée. Les nombres ainsi traités sont encore à ce stade des nombres mesurants. Ils sont donc, en principe, accompagnés d'une unité liée à une grandeur physique − 3/4 de mètre − ou plus "vulgaire" − 3/4 d'une pomme. Ce ne sont donc pas encore tout à fait des "éléments de Q ". Néanmoins prolongeant certaines propriétés des entiers, ils contribuent à la construction de ce nouvel ensemble de nombres, qui sera poursuivie au cran suivant. C'est la raison pour laquelle il est possible, dès ce stade, de les traiter par anticipation comme nombres à part entière, c'est à dire pas forcément associés à une unité explicitée. Certains auteurs, comme Douady (1986), utilisent très précocement ce glissement. Nous y reviendrons en 2.2. Le cas de la comparaison mérite qu'on s'y attarde un peu plus, tant il contribue à la constitution de cet ensemble "d'objets mesurants" en ensemble de nombres ; sans doute parce qu'il est possible de développer au cours de cette tâche des discours riches de sens, avec des moyens empiriques ou plus systématiques, mais dont on va voir que le premier cité crée un lien fort avec les entiers. Les compétences requises ont en outre l'avantage d'être disponibles dès l'école primaire. Cas des écritures fractionnaires Les moyens de comparer les nombres écrits dans le système fractionnaire ne se réduisent pas à l'application d'un algorithme de réduction au même dénominateur suivi d'une comparaison des numérateurs. Nous avons observé, auprès des élèves de notre MIN : 6 cm3 de minerai ont une masse de 24 g. Volume de 30 g de ce minerai ? 60 Chapitre II classe expérimentale, une grande diversification des démarches adoptées. Sans vouloir anticiper sur le chapitre V qui détaillera ces observations, citons ici les procédures les plus usitées, accompagnées des arguments fournis par les élèves pour les légitimer. 1. Le positionnement par rapport à un entier (6/5 < 2 car 6 est inférieur à 2 fois 5 ; 9/4 > 2 car 9 est supérieur à 2 fois 4, donc 9/4 > 6/5) ; 2. le positionnement par rapport à 1/2 (3/5 > 1/2 car 3 est supérieur à la moitié de 5 ; 4/8 = 1/2 car 4 c'est la moitié de 8) ; 3. application de la règle : plus grand le nombre de parts, plus petite chaque part, pour comparer des fractions de même numérateur ; 4. combinaison des méthodes 1. et 3. précédentes : 2/3 < 3/4 car 2/3 est à distance 1/3 de 1, 3/4 est à distance 1/4 de 1 et 1/3 > 1/4 ; 5. combinaison des méthodes 2. et 3. précédentes 4/7 < 3/5 car 3/5 est à "un demi cinquième de la moitié" (3/5 = 2,5/5 + 0,5/5) et 4/7 est à "un demi septième de la moitié" (4/7 = 3,5/7 + 0,5/7), or 0,5/7 < 0,5/5 d'après 3. cqfd ! 6. techniques s'apparentant à la recherche d'un dénominateur commun 7.... La richesse de cette diversité dans l'expression de la comparaison de deux rationnels a été l'une des surprises agréables de cette recherche. Elle nous a conforté dans l'idée que les moyens de signifier la comparaison des fractions, avant toute étude systématique, étaient un itinéraire d'accès privilégié à la notion de fraction-rapport (les arguments utilisés par les élèves pour justifier les procédures 1. − 9/4 > 2 car 9 est supérieur à 2 fois 4 − 2. et 5. ci-dessus an attestent largement) contre la prédominance de la cardinalité (interprétation de 9/4 littéralement et exclusivement comme 9 parts, dont chacune est obtenue par fractionnement en 4 d'une unité). Reste à savoir quel regard sur l'expression des rationnels permet de tenir semblables discours. Cette question, centrale dans notre recherche, sera examinée aux chapitres IV et V. Il importait néanmoins à ce stade de souligner que la possibilité de comparer deux rationnels-mesures était fortement liée aux moyens d'expression disponibles de ces objets. Cas des nombres décimaux à virgule La comparaison des nombres "à virgule" pose des problèmes d'une tout autre nature, tant cette forme d'expression, liée à une catégorie particulière de rationnels, 61 Chapitre II rappelle l'expression des entiers. Elle se distingue de l'expression fractionnaire par le fait que les dénominateurs (dixièmes, centièmes...) ne sont pas explicités par des entiers (10, 100...) mais signifiés par un rang après la virgule. Cette particularité fait la force de cette écriture : une forme unidimensionnelle prolongeant naturellement celle des entiers. Mais cette puissance de calcul se paie par un certain nombre de leurres sémiotiques bien repérés (comme 3,14 > 3,7 car 14 > 7), qui constituent autant de pièges pour les élèves. Il n'empêche que ce mode d'expression est fort commode et apprécié des élèves à ce stade − qui le préfèrent souvent à l'écriture fractionnaire car plus proche d'une forme d'expression numérique maîtrisée, ainsi que Brousseau le note (1986-b ; p 114, où les élèves se réfèrent plutôt à 1,75 qu'à 7/4). Il contribue sans doute à l'acception d'un rationnel comme nombre, même si, par opposition, il peut aussi déboucher sur le rejet momentané d'une fraction comme exprimant un nombre. 1.3.4. Nature des rationnels liés à ce stade Elles se déduisent aisément des considérations qui précèdent. Contrairement au stade précédent, ce stade est celui qui offre la meilleure opportunité à l'émergence du rationnel-mesure − exprimé par une fraction ou, si possible par un décimal − en tant que nombre, car il y intervient comme argument d'opérations. Quant au rationnel-opérateur, on aura compris qu'un mouvement analogue ne le propulsera au statut de nombre qu'au stade suivant. Pour l'instant, son appréhension en tant que nombre n'est pas une stricte nécessité car, à ce stade, l'opérateur linéaire n'apparaît qu'accompagné de l'argument auquel il s'applique. Il faudra attendre qu'il s'en détache pour accéder à une existence autonome d'objet, susceptible notamment de se composer à d'autres objets de même nature : par analogie avec les notations fonctionnelles usuelles, nous dirons que ce stade concerne f(x) et pas encore f, où f joue le rôle du rationnel-opérateur, x celui du rationnel-mesure. 1.3.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant Le principal obstacle réside dans la nécessité d'effacer l'argument devant la fonction, dans certaines situations pourtant fort courantes ainsi qu'en témoigne le dialogue suivant, entre professeur (T) et élève (A)nn, rapporté par Saenz-Ludlow (1995 ; p 124). 62 Chapitre II T : "- I have in my pocket a certain amount of money and I am going to give you twenty-five fortieths and to Michael fifteen fortieths. What part of the money will I have left over ? - A : I don't know, because I don't know the amount of money that you have in your pocket. - T : Even if you don't know the amount of money I have in my pocket, I'm giving you all the clues. - A : what is one fortieth ? (alors qu'elle a déjà travaillé sur ce type de fractions, qu'elle en connaît parfaitement la signification, mais lorsqu'elles opèrent sur une somme d'argent exprimée - en dollars en l'occurence). - T : One out forty - A : None (Ann donne enfin sa réponse, exacte, au problème posé, à savoir qu'après avoir donné vingt-cinq puis quinze quarantièmes d'une certaine somme d'argent, il ne reste plus rien.). On remarquera que pour mener à son terme ce raisonnement en proportion, elle passe par une "réalisation" du monde virtuel des parts (les quarantièmes) ; tant que les vingt-cinq et quinze quarantièmes restent abstraits, elle est incapable de les combiner, mais dès qu'ils redeviennent parts parmi quarante, elle les traite en quantités réelles. Sitôt identifiés en tant qu'objets autonomes, les rationnels-opérateurs présenteront en outre des difficultés sémiotiques et conceptuelles analogues à celles présentées, lors du même passage, par les rationnels-mesures : l'obligation de se donner une désignation formelle pour ces nouveaux objets ; l'existence d'écritures multiples − relation d'équivalence entre les fractions. En outre, l'usage lors du stade précédent d'objets déjà représentés par des fractions − les rationnels-mesures − va demander un double mouvement de distinction puis d'identification des deux types d'objets, pour fonder le concept général de nombre rationnel qui les dépasse en les unifiant : on aura bien entendu reconnu le problème que pose toute identification d'un espace vectoriel avec son dual. 1.4. Le stade des nombres rationnels De même que les rationnels-mesures sont devenus − presque − nombres à partir du moment où ils ont été arguments d'opérations, les opérateurs rationnels deviennent 63 Chapitre II nombres lorsqu'ils se détachent des objets auxquels ils s'appliquent, pour devenir à leur tour arguments et images d'opérations. Il reste alors à accepter l'identification des deux types d'objets rationnels ainsi rencontrés, à travers la notion de nombre rationnel. Un nouvel ensemble de nombres sera ainsi construit. Il émerge dans un mouvement de convergence entre rationnels-mesures et rationnels opérateurs. Mais une fois constitué, il pourra fonctionner comme modélisant indifféremment des actions et idées de mesure, de dilatations ou de proportions. 1.4.1. Description et références La règle qui suit, fort pratique pour convertir une somme d'argent exprimée en francs en son équivalent en euros, illustrera parfaitement notre propos. Voici cette règle : ajouter la moitié et diviser par 10. Si on se contente d'une expression linéaire de la conversion euro/franc, comme "un peu moins que 1 pour 7", expression suffisante au stade précédent, on se heurte à des difficultés de calcul à cause de la division par 7, guère aisée. En revanche, la suite d'égalités : 1 1 3 3 3 1 = ≈ = ⋅ = (1 + ) ÷ 10 7 21 20 2 10 2 qui ne porte pas sur des sommes d'argent mais sur les proportions qui régissent la conversion franc/euro, et traite ces opérateurs linéaires comme des objets autonomes, permet d'en déduire facilement la règle énoncée (qui est un retour à une expression rhétorique des actions à entreprendre). Soit en adoptant le point de vue de Régine Douady (1984 ; pp. 14-17) : L'outil (ancien) devient objet d'étude − ce qui, ajouterons-nous, amène à le doter d'une forme d'expression adéquate plus synthétique et opérationnelle − débouchant sur l'élaboration d'un outil (nouveau) mieux adapté à ses nouvelles fonctions. C'est donc ce type de nécessités qui peut amener à accepter de dépasser le stade des opérateurs linéaires entiers, pour accéder à celui d'opérateur rationnel, soumis à des règles semblables à celles déjà entrevues pour les rationnels-mesures. Moyennant quoi, on pourra enfin envisager "une identification institutionnalisée, c'est à dire raisonnée et convenue, de (Q+ ; x) avec (Q+)" (Brousseau ; 1986-b, p 98). 1.4.2. Exemples de problèmes résolubles à ce stade • Comparaison en proportions (Vergnaud et Laborde 1994 ; p 82 citant Noelting ; 1980) 64 Chapitre II "Quelle est la boisson la plus fruitée d'un pot préparé avec 2 verres de d'oranges pour 3 verres d'eau et d'un autre pot préparé avec 3 verres d'oranges pour 4 verres d'eau ?" Cet exemple nous semble relever d'une transition entre les stades 3 et 4 car, s'il peut se traiter par linéarité au moyen des seuls nombres entiers − en recherchant une base de comparaison commune de 12 verres d'eau par exemple −, il n'explicite pas en revanche d'arguments auxquels ces opérateurs linéaires implicites s'appliquent − comme c'était le cas en 1.3.2.1 notamment avec KWH ; mais, surtout, il demande de comparer ces deux proportions, contre une comparaison des entiers qui les expriment. Dans ce sens, ce type de problèmes contribue à "l'émancipation" des proportions au rang de nombres à part entière. • Un exemple géométrique, le pantographe (Brousseau ; 1986-b, pp. 103112) Il s'agit de la description d'une suite de séquences au cours desquels les élèves sont amenés à remplacer "l'action de deux ou plusieurs pantographes8 par l'action d'un seul que l'on peut calculer en faisant le produit [sous-entendu des coefficients d'agrandissement] des deux premiers." La manipulation réelle, utilisant sans doute des pantographes peu perfectionnés, "produit un agrandissement tellement erroné qu'il est nécessaire de retracer les segments à la règle [et donc de recalculer] leur longueur." La théorie en cours d'élaboration par les élèves [le produit de deux rationnels-dilatations, mais aussi, par voie de conséquence, le traitement d'un rationnel-dilatation comme un nombre] fournit donc "un modèle qui permet la prévision, de manière plus simple, plus économique, plus précise, que la pratique". On constate donc que les arguments de ces opérateurs de dilatation, soit des rationnels-mesures − disparaissent des traitements qui n'affectent plus que les opérateurs eux-mêmes. L'avant-dernière étape de ce processus "consiste à faire fonctionner cette opération comme moyen d'analyse. Par exemple, en se rendant compte que toutes les applications rationnelles peuvent s'exprimer comme composée d'une application entière et de l'inverse d'une application entière. Exemple : 3/4 = (x3). (x1/4)". Ce dernier exemple confirme bien que les rationnels-dilatations 8 Le pantographe est un instrument de dessin articulé permettant de produire des figures homothétiques d'une figure donnée. L'usage des ordinateurs l'a relégué au rang de pièce de musée. Il mérite, à ce titre, d'être examiné par des élèves, dans le cadre de la réalisation d'un musée scientifique scolaire par exemple. 65 Chapitre II peuvent à présent être traités en arguments d'une opération, ce qui va faciliter leur identification à des nombres à part entière. • Problèmes de répartition en proportions et pourcentages Il s'agit de problèmes, de type KWH exposé en 1.3.2.1, mais où les arguments exprimés en Kwh ne sont plus fournis parce qu'inutiles : par exemple, pour comparer deux répartitions de l'origine − nucléaire, hydraulique... − de la production d'électricité de deux pays différents, ces répartitions étant exprimés uniquement en pourcentages. • Calculs formels sur les fractions Ce sont tous les exercices d'entraînement de collège, portant sur la comparaison, la somme, et le produit de fractions, hors de tout contexte de référence. 1.4.3. Moyens d'expression sollicités par un discours à ce stade Comme pour les rationnels-mesures, le fait d'être traités en objets de calcul rend fortement utile une expression des rationnels-dilatations au moyen de systèmes facilitant ces calculs. Les expressions fractionnaires ou décimales ont fait leurs preuves. Nous verrons d'ailleurs (chapitre IV-5) les limites d'expressions alternatives, adaptées à une introduction des rationnels, mais plus lourdes pour la conduite de certains calculs. Les systèmes d'écritures fractionnaires et décimales à virgule des rationnels deviennent donc naturellement adaptés à ce stade. Notons l'importance, déjà relevée pour les fractions-mesures, de l'existence d'écritures équivalentes pour un même rationnel : ces dernières contribuent, par opposition, à l'émergence d'un invariant, le nombre rationnel, qui transcende la diversité de ces écritures équivalentes ; elles permettent ainsi de mesurer la relativité de ce qu'expriment les nombres entiers dans les écritures fractionnaires, contre une interprétation littérale de ces derniers. Dans leur article déjà cité, Dupuis et Pluvinage (1981 ; pp. 198-199) notent à propos des simplifications et donc de l'acceptation de l'équivalence de certaines écritures (c'est nous qui surlignons certains passages) : "On est frappé par les variations parfois énormes des résultats obtenus sur différentes formes d'une même question. L'exemple le plus frappant est l'écart des réussites à [calcul de x]: 12 x x = 36 x 13 (Réussite 78%) et 66 12 × x = 13 (Réussite 18%) 36 Chapitre II Les variations observées montrent que beaucoup d'élèves suivent pas à pas les opérations présentées par l'énoncé, et butent sur les difficultés numériques qu'une simplification préalable aurait fait disparaître. Et il semble, aux résultats, que cette vision de simplifications, de possibilités de travail à coût moindre que le traitement issu de la lecture de l'énoncé, est une forme de l'appropriation de la proportionnalité." 1.4.4. Nature des rationnels liés à ce stade (première conclusion de la section 1) L'acception d'un rationnel comme nombre sera une étape importante dans le processus de construction par extensions successives des différents ensembles de nombres. Elle sera pour nous l'occasion de récapituler cette réflexion sur les quatre stades d'appréhension des phénomènes rationnels. Nous avons, tout au long de cette section, insisté sur le fait, central pour nous, que l'évolution des conceptions était étroitement liée à la nature et à l'expression des traitements que l'on applique aux objets considérés, à savoir des nombres et des grandeurs ; que l'expression fractionnaire des rationnels n'était pas le moyen le plus adapté à leur appréhension et au traitement des problèmes associés à certains stades de leur construction, et que des modes d'expression alternatifs existent ; qu'en revanche, le succès de l'écriture fractionnaire ou décimale à virgule − tout du moins dans sa version limitée, ou éventuellement illimitée mais périodique − s'imposait dès lors que les rationnels émergeaient en tant que nombres, mesurants ou opérants. Nous avons décrit récursivement trois niveaux de traitements, chacun attaché à une conception particulière des phénomènes rationnels : • appliquer une suite d'opérations entières, par fractionnement de l'unité ou par commensuration, à des grandeurs ou à des entiers constants, exprime la relation partie-tout ; • appliquer cette suite d'opérations entières à la relation partie-tout elle même contribue à l'accès de cette dernière au rang de nombre-mesure, sur lequel agissent les formes linéaires définies par cette suite d'opérations entières ; • appliquer cette suite d'opérations entières aux opérateurs eux-mêmes contribue à l'accès de ces derniers au rang de nombres-proportions. Il reste, et cela relève plus du collège que de l'école primaire, à comparer la "réaction" − identique − de ces nombres "mesurants" et/ou "opérants" aux diverses 67 Chapitre II opérations qu'on leur a appliquées (somme, produit, comparaison....) ; à constater qu'ils sont extensions des entiers et des opérations qu'on leur applique dans des circonstances analogues. Ceci achèvera de légitimer leur identification à des nombres prolongeant les entiers, les nombres rationnels. 1.4.5. Obstacles et insuffisances à dépasser pour un accès au stade suivant (deuxième conclusion de la section 1) Le stade suivant sera bien entendu celui de la construction des nombres irrationnels. Nous nous intéresserons ici avant tout aux nombres algébriques qui s’expriment au moyen de racines carrées, car ce sont essentiellement ceux-là9 que le collégien va rencontrer sur son parcours. Malgré le fait que ce stade dépasse franchement le niveau de l’école élémentaire, nous dirons quelques mots de ce qui peut faire obstacle à l'acceptation puis à l'appropriation de ces nombres qui ne peuvent pas s'écrire sous une forme fractionnaire. La découverte de grandeurs incommensurables, comme la diagonale d'un carré et son côté, a pu choquer dans l'antiquité non seulement les mathématiciens mais même les philosophes grecs, parce qu'elle allait à l'encontre d'un univers censé être descriptible au moyen des seuls entiers, le cas des rationnels pouvant s'y ramener par commensuration (voir 1.2.2 et 1.2.3 du présent chapitre et le chapitre III-3). Mais nos élèves de quatrième n'ont aucune raison d'avoir une telle conception de l'univers! Nous ne pensons donc pas trouver du côté de l'Histoire une interprétation des contradictions à dépasser pour accéder au stade des irrationnels. Les principaux obstacles épistémologiques nous semblent en fait avoir déjà été rencontrés lors de la construction des rationnels : • acceptation de nombres comme représentant des rapports pouvant fonctionner comme images de mesures ou comme opérateurs ; • densité, au sens d'une possibilité récursive d'intercalations et d'une approximation aussi fine que l'on souhaite ; • renoncement à la possibilité d'exprimer effectivement tous les nombres grâce à une écriture chiffrée de position − l'écriture décimale ; 9 π n’étant utilisé que de façon plus anecdotique, et surtout exprimé par sa valeur approchée décimale de 3,14. 68 Chapitre II • confusion entre arrondis et valeurs exactes (égalités abusives telles que 0,33 = 1/3 ou 3,14 = π) • recours à des écritures à virgules illimitées. En ce qui concerne le dernier point, on peut noter son franc succès auprès des élèves de l'école élémentaire et du début du collège, qui en comprennent en général bien l'origine liée à la nécessaire répétition d'un reste dans une division. Cette compréhension se manifeste par des expressions comme "ça ne s'arrêtera jamais !" ou encore "ça ne sera jamais tout à fait égal [un rationnel non décimal à son approximation décimale à virgule]". Alors, après le constat de l'existence de développements illimités périodiques, accepter la possibilité de développements illimités non périodiques ne semble pas relever d'un saut conceptuel important. En revanche, c'est peut-être encore une fois du côté de l'expression que l'on va trouver le principal obstacle. En effet, si la définition d'un rationnel peut se ramener à une suite d'actions séquentielles décrites par des entiers − report et subdivision dans le cas du fractionnement de l'unité par exemple − celle d'un nombre comme 2 passe par ce que Duval (1995 ; p 99) appelle une opération de description ou encore de catégorisation croisée : « le nombre positif dont le carré est égal à 2 ». La définition de 2 suppose ainsi le croisement de plusieurs déterminations (positif, dont le carré…). De plus, contrairement au cas des fractions qui peuvent être atteintes séquentiellement par subdivisions et reports, un nombre comme 2 est capturé de manière indirecte par la résolution d’une équation (x2 = 2). L'emploi du redoutable pronom relatif dont témoigne de cette difficulté analogue à celle que présente un rationnel lorsque a/b est « le nombre dont le produit par b est égal à a ». Aussi n'est-il pas rare de relever des confusions − élever au carré au lieu d'extraire la racine − qui peuvent provenir d'une reformulation implicite au moyen de la conjonction "qui", plus simple à saisir : "dont le carré vaut 2" est interprété dans ce cas comme : "… qui vaut 2 au carré". Cette définition indirecte se répercute sur la gestion des calculs portant sur des racines, pour lesquels il n'existe pas d'algorithmes simples comme dans le cas des fractions : les décisions d'élever au carré, ou de multiplier par la quantité conjuguée peuvent sembler intempestives, tant elles brisent la séquentialité d'un traitement tout en demeurant incertaines dans leur efficacité à aboutir. Ce que Bolon (1996 ; p 233) traduit par "l'incapacité [des élèves] à traiter algébriquement des propriétés de nombres 69 Chapitre II [considérant 2 comme un calcul inachevé, car défini au moyen d'une équation et non sous une forme canonique décimale, seule forme acceptable pour conduire un calcul ou surtout produire un résultat]". Duval (1995 ; p. 100) écrit d'ailleurs à propos de l'opération de description : "Elle consiste en la construction d'une dénomination par catégorisations successives avec une neutralisation partielle de chaque catégorie mobilisée : la description désigne un seul objet et non pas un conglomérat d'objets". Et plus loin : "[Cette opération est] une source importante de difficultés dans la compréhension de la langue naturelle, comme on peut le vérifier dans le cadre de l'apprentissage des mathématiques". Ce paragraphe, qui vise des apprentissages situés en aval de notre recherche, aura donc permis de constater que les principaux sauts conceptuels sur les ensembles de nombres sont déjà rencontrés à la fin de l'école élémentaire. D'où l'importance d'accorder un soin tout particulier à cet enseignement. Mais on aura aussi remarqué à quel point l'expression est liée aux obstacles. Ce qui ne fait que confirmer notre choix de lui accorder une place de choix dans notre ingéniérie. 2. Le point de vue de quelques chercheurs Nous allons étudier dans cette section la façon dont certains chercheurs prennent en compte les quatre crans, les obstacles et l'expression des rationnels, en liaison avec ce que nous avons décrit dans la section 1. Dans un souci d'économie, nous nous limiterons à trois travaux, publiés par quatre spécialistes − un des ouvrages est signé par deux personnes −, ce qui sera amplement suffisant pour introduire la problématique de notre propre recherche. Nous ne prétendons pas − loin s’en faut − être exhaustif sur la pensée de ces auteurs. Nous nous contentons d’examiner « l’univers observable » de leur réflexion depuis une thèse, un article, une brochure, soit parce que nous pensons que cette publication a de bonnes raisons de filtrer les options essentielles de leur auteur, soit parce qu’elle permet de relativiser nos propres options. Remarquons de la même manière que la publication de certains ouvrages cités remonte à plus de dix ans. Nous examinons donc des points de vue datés. Ces points de vue ont-ils évolué depuis ? Ce n'est pas notre propos de répondre à cette question ici, puisque notre objectif est avant tout de situer notre recherche par rapport à quelques 70 Chapitre II idées clés, exprimées à quelque époque que ce soit, et qui auront marqué nos travaux, par opposition, par convergence, ou par tout autre effet de perspective. 2.1. Guy Brousseau (1986-b ; pp. 96-151 Nous commençons par G. Brousseau car c'est manifestement un des chercheurs qui aura le plus contribué en France à l'étude des phénomènes didactiques, notamment ceux liés à l'enseignement des rationnels, tant par sa recherche personnelle que par toutes celles qu'il aura induites ou provoquées. Nous avons retenu comme ouvrage de référence la thèse de cet auteur, censée mettre au premier plan les points fondamentaux de son dispositif. Dans le canevas du processus d'enseignement qu'il y décrit (1986 b ; pp. 97103), on repère vite les trois derniers crans − le premier n'est pas l'objet de son étude −, ce qui ne saurait être surprenant puisque Brousseau accorde une attention toute particulière à la distinction entre différentes situations mobilisant les rationnels : le deuxième cran est lié à la phase I (1986-b ; pp. 131-151), "des mesures rationnelles aux mesures décimales", dont la situation d'introduction a déjà été citée − mesure de l'épaisseur d'une feuille de papier en 1.2.2. ; le troisième cran est lié à la phase II (II.1 à II.3, pp. 99, 100, et 113-116) autour de situations dont la première a été présentée en 1.3.2 − agrandissement d'une pièce de puzzle − et dont les suivantes en sont des prolongements − examen d'agrandissements photographiques (p 100) ; la phase II.4 (p 100) est une phase contre-exemple − applications non linéaires ; la phase II.5 (p 99) est une phase de transition entre les crans 3 et 4 − produit de deux fractions dont l'une est interprétée comme une application linéaire opérant sur l'autre ; les phases II.6 à II.7 enfin (pp. 99 et pp. 103 à 112) relèvent du cran 4 et sont introduites par la situation "pantographe" déjà exposée en 1.4.2. Pour Brousseau, "la question de rang n naît des problèmes rencontrés avec les solutions trouvées à la question de rang n - 1.". On a donc bien une progression du cran 2 au cran 4, des mesures rationnelles puis décimales aux nombres rationnels en passant par le stade des applications linéaires opérant sur des mesures, puis affranchies de leur argument. Nous avons déjà relevé que les moyens d'expression requis des élèves ou mis à leur disposition ne sont jamais hypertrophiés par rapport aux nécessités du discours : ainsi, les rationnels mesurant une épaisseur de feuille de papier s'expriment-ils au 71 Chapitre II moyen de couples du type (30f ; 2mm), ce qui suffit pour les comparer, pour appréhender l'existence d'écritures équivalentes, et aussi sans doute, pour les multiplier ou les diviser par un entier − l'addition n'y étant pas décrite explicitement, nous n'en parlerons pas. En tout état de cause, − voir 1.2.3 − ces notations par couples assorties d'un discours rhétorique suffisent à traiter les problèmes soulevés par l'enseignant en vue de l'acquisition de la notion visée. Il n'y a donc pas lieu de compliquer inutilement les modes d'expression, ce que Brousseau évite soigneusement. On relève pareille économie des moyens lors de l'introduction aux rationnels dilatations par l'agrandissement d'une pièce de puzzle et "de façon à ce que tel côté qui mesurait 4 cm en mesure 7 […]. Ce que les enfants construisent empiriquement est un ensemble de quelques couples (longueur source et longueur image) et n'a pas de nom. L'application linéaire 7 s'inscrit 4 seulement dans les schémas d'action du sujet." (pp. 99-100). Ceci est confirmé un peu plus loin (p 115) : "le lecteur aura remarqué que dans cette première séance sur le puzzle, l'agrandissement n'a pas besoin d'avoir de nom. […] Lorsqu'il faudra les comparer [les agrandissements], trouver ceux qui sont équivalents, les ranger, la domination par l'image de 1 (qui détermine la fraction coefficient de dilatation) sera choisie consciemment. Alors la question « est-ce que les agrandissements sont des nombres ? » sera posée comme elle l'a été pour les fractions-mesures, et laissée sans réponse officielle.". Il semble bien que l'on doive attendre la phase II.5, c'est à dire la transition entre les crans 3 et 4, puis ultérieurement les phases II.6 et 7 pour assister à l'utilisation d'une fraction pour signifier les formes linéaires ainsi construites. Mais si les moyens de signifier les rationnels apparaissent toujours comme une conquête nécessaire, liée à un stade de l'apprentissage, et donc couronnant un processus d'adaptation, on pourrait s'attendre à ce que leur importance soit soulignée et fasse l'objet d'activités spécifiques. Or ceci n'est pas décrit dans la thèse étudiée. Une place modeste, de l'ordre de quelques lignes, est consacrée à l'introduction de nouvelles écritures. Mais surtout, rien n'est dit sur le système dans lequel elles s'insèrent, qui s'oppose pourtant aux systèmes antérieurs : car si les fractions et les décimaux utilisent des écritures chiffrées − très proches de celles utilisées pour les entiers − pour signifier, leur mode de signification est radicalement différent de celui des entiers. Ainsi, peut-on lire p 97 : "[…] les décimaux seront présentés comme des rationnels, simple réécriture des fractions décimales." ; et p 118 : "cette activité permet d'établir une relation avec les 72 Chapitre II nombres à virgule si les élèves les connaissent déjà, […] sinon le maître introduit l'écriture décimale." Recitons aussi le passage, déjà évoqué au chapitre I-1, décrivant l'adoption de la notation fractionnaire : (C'est nous qui soulignons)"En fin de séance, l'enseignant expose aux élèves une méthode d'écriture […]. (50 ; 4) désigne un tas de 50 feuilles qui mesure 4 mm d'épaisseur, l'épaisseur d'une de ces feuilles s'écrit 4 ". 50 Les écritures à virgule et fractionnaires sont considérées comme "simple réécriture" des fractions décimales pour les premières, "méthode d'écriture" pour les deuxièmes, mais non analysées en termes de ruptures d'un registre d'expression à un registre alternatif, et donc d'un type de discours, avec ses règles de fonctionnement propres, à un autre. Ce dernier point de vue sera développé au chapitre III-3 notamment mais nous pouvons déjà noter qu'il ouvre des perspectives, d'interprétations et d'interventions, sur certaines erreurs résistantes signalées par nombre d'enseignants et de chercheurs : "Je pense que 3/4, si on enlève le trait on a 34%, 1/2 = 12%, 2/5 = 25%" (Sensevy ; 1996, p 23), prennent une Quant aux obstacles, situés à l'articulation entre deux phases, ils sont négociés différemment suivant le cas. En ce qui concerne l'obstacle lié à l'acception d'une fraction-mesure comme un nombre, on relève p 101 : "Ces objets nouveaux sont-ils des nombres ? C'est le moteur de l'activité 2 qui amène les enfants à les identifier, à les additionner, à les soustraire, les multiplier et les diviser par un naturel, à les comparer et à les ranger." Bien que cette activité 2 ne soit pas détaillée dans la thèse, nous relevons néanmoins que le statut de nombre de ces nouveaux objets est lié à la nature des traitements qui sont appliqués : on agit sur ces nouveaux objets comme sur des nombres (comparaison, addition...), donc ce sont des nombres. Dans ce cas, on constate qu'un lien est établi entre la notion faisant obstacle et le type de discours dans lequel elle s'insère. En ce qui concerne l'obstacle lié à l'effacement de l'argument devant l'application linéaire − passage au cran 4 permettant le succès d'un raisonnement en proportion −, il sera associé non à la nature des traitements effectuables, mais à un changement de statut de l'image de 1 : de moyen d'établir les images de toute longueur source, il devient un moyen de désignation et de rangement des agrandissements d'une même photo (p 100). 73 Chapitre II Résumons en trois points ce que nous retenons de ce chapitre de la thèse de Brousseau : • la progression présentée organise, autour de situations-problèmes, des changements de perspectives d'un cran au suivant débouchant sur des modifications du statut de nombre rationnel ; • les moyens de signifier sont plus ou moins spontanés au départ ; le recours à des écritures standard ne se fait qu'au terme d'une conquête progressive et nécessaire de l'apprentissage ; • ces écritures ne font pas l'objet d'une analyse détaillée ; elles sont plus présentées comme des moyens d'enregistrer l'information et de la communiquer, qu'insérées dans des systèmes discriminés par la nature des traitements auxquels ils se prêtent le mieux et des prises de conscience qu'ils permettent. Nous schématiserons la dynamique de construction de l'ensemble Q des rationnels chez Brousseau par un diagramme de convergence, où m désigne un rationnel-mesure ; r(m) une forme linéaire rationnelle appliquée à un rationnel-mesure m ; r un nombre rationnel. Les interrelations entre ces trois notions sont schématisées par les arcs en pointillé. On notera que l'ensemble des rationnels Q ainsi construit fait partie du plan de travail, c'est à dire du plan où interagissent les différentes situations physiques qui ont motivé son émergence, dans la mesure où l'auteur ne souhaite pas apporter de "réponse officielle" à la question des élèves : « [les fractions-mesures ou les agrandissements] sont-ils des nombres ? » (p 115). r(m) m Q r Figure 6 74 Chapitre II 2.2. Régine Douady et Perrin-Glorian (1986) Nous avons retenu comme ouvrage de référence une brochure publiée en 1986 et qui traite de l'ensemble de la progression proposée du CM1 au CM2 et, pour certains prolongements, jusqu'au collège. Avec ces auteurs, nous allons observer quelques ruptures de séquence par rapport à une progression allant du cran 2 au cran 3. Remarquons tout d'abord que les quatre crans sont bien présents dès l'introduction p 12 (les parenthèses sont de nous) : "les nombres servent principalement à dénombrer (cran 1), à désigner des mesures (cran 2), des rapports entre mesures, […] à coder des fonctions (cran 3) et à calculer sur ces fonctions (cran 4)." Les connaissances sont toujours construites suivant une optique piagétienne, de déséquilibres en équilibrations qui prennent ici la forme de dialectiques (dialectique outil / objet ou les trois dialectiques − action, formulation, validation − de Brousseau rappelées p 7), à partir de problèmes pour la résolution desquels la connaissance visée par l'enseignement constitue une réponse optimale. Quelques particularités méritent cependant d'être signalées. En ce qui concerne l'expression • Un lien est explicitement énoncé entre les concepts et les cadres à l'intérieur desquels ils se "formulent" (p 3) ; • la diversité d'un concept est relié à la diversité de ces cadres (p 3) − et donc pas seulement à une diversité de situations ; • un "langage oral et écrit" est évoqué (p 4), il est à "construire" à des fins de "descriptions, prévisions et communications" (p 4) ; ces langages ne sont pas − explicitement en tous cas − associés au jeu de cadres. En ce qui concerne les obstacles situés à l'articulation de deux crans Tous ne sont pas aussi aisément repérables en tant que moteurs des choix didactiques comme chez Brousseau par exemple : notamment l'effacement du rationnelmesure, argument d'une dilatation, par rapport au rationnel-dilatation (m par rapport à r(m) dans le passage du cran 3 au cran 4). Nous y reviendrons plus loin, p. 77. Examinons à présent le canevas de la progression. 75 Chapitre II Les rationnels-mesures (cran 2) sont d'abord introduits dans une situation de communication de longueurs au moyen d'une unité (pp. 29-39 et les notations fractionnaires favorisées dès le premier bilan. Ces nouveaux objets sont tout de suite immergés dans un environnement numérique par le biais d'une droite graduée et un système d'abscisses (pp. 43-46), puis en interaction avec des cadres géométriques et graphiques par la recherche de rectangles à périmètre constant (p 48 qui renvoie aux pp. 121-126). On utilise alors les fractions pour coder des aires (pp. 51-62) afin de "distinguer plus facilement le nombre (mesure) de la grandeur à mesurer". Puis on retrouve la droite graduée à des fins d'intercalations, et d'identification d'une fraction à un quotient de deux entiers, ce qui renforce son statut de nombre (pp. 63 à 72). On "réinvestit les nouveaux nombres" (partie du titre du chapitre IV, p 77), donc par continuité10 − entre rationnels-mesures et proportions (pp. 77-88) −, par le biais de représentations de parcours à l'échelle, puis de "situations de la vie courante (cran 3) […]. Au fur et à mesure que de nouvelles fractions apparaissent, on les fait intervenir dans des situations variées différentes du contexte où elles ont été créées. De cette façon les fractions vont pouvoir être décontextualisées et prendre le statut de nombre" (p 87). C'est donc ce mouvement décontextualisation, obtenu par variation des situations mais aussi des cadres, qui autorise à passer des fractions mesurantes à des nombres, puis de ces nombres à des opérateurs s'y appliquant. Le produit de deux fractions sera abordé par le produit de mesures, dans un triple cadre géométrique, graphique et numérique, problématisant les relations entre dimensions, périmètre et aire d'un rectangle (pp. 105-140). Mais ce produit de mesures est aussi réinterprété en terme d'opération d'une fraction sur une autre fraction (le schéma d'un rectangle dont les dimensions sont 2/3 et 3/4, montre que son aire s'obtient en prenant les 2/3 des 3/4 du carré unité (cran 3), ainsi qu'il est annoncé lors de l'introduction p. 26). Les fractions décimales introduisent alors de grandes facilités de calcul lors de la recherche d'approximations des dimensions d'un rectangle ou d'un carré d'aire donnée (pp. 141-152) ; ou encore d'approximations de fractions par affinement d'un intervalle d'encadrement sur droite gradué (pp. 70-76). La passage aux écritures à virgules est soigné, et prolonge le système d'écriture des entiers (pp. 150-151). Ces 10 Rappelons que Brousseau, s'il décrit bien un recours aux rationnels-mesures comme arguments ou images des dilatations lors de leur introduction par l'agrandissement d'un puzzle, n'organise pas de 76 Chapitre II nouvelles écritures bien commodes permettent d'aborder un problème d'agrandissement de puzzle (cran 3), référant à la situation de Brousseau (pp.89-103), mais présenté comme un problème de réinvestissement, "après la construction de la multiplication sur les nombres fractionnaires et l'introduction de l'écriture décimale" (p 89). Le chapitre suivant est consacré à une étude des techniques opératoires sur les nombres décimaux, en liaison avec les opérations correspondantes sur les fractions décimales (pp. 153-168). Enfin un problème réinvestissant l'ensemble de ces connaissances par la recherche multi-cadres de rectangles d'aire et périmètre donnés conclut cet ouvrage (pp. 169-177) en donnant une bonne idée de la densité de l'ensemble des décimaux. Remarquons que si ce canevas laisse clairement apparaître les crans 2 et 3, nous n'y avons repéré que des traces réduites, en tous cas peu développées, du cran 4. Mais ceci se comprend dans la mesure où ce cran est celui des rationnels considérés en tant que nombres ; or nous avons vu que l'acceptation de cette idée était une préoccupation constante et transversale à l'ensemble du processus didactique. Dès lors, il n'y a plus de raison de lui consacrer une place séparée. Le schéma d'ensemble résumé serait donc : une introduction par les rationnelsmesures, qui accèdent tout de suite au statut de nombres, notamment par le biais d'écritures fractionnaires réagissant à des symboles numériques comme + et =. Ces nouveaux nombres sont alors éprouvés dans leur capacité à gérer des situations où ils interviennent en tant que rapports et proportions. Ce statut de nombre est confirmé par les traitements numériques qu'il est possible de leur appliquer, mais aussi par leur capacité à s'adapter à divers cadres où ils prolongent naturellement l'action des entiers. Les articulations consistent donc plus à provoquer l'extension d'usage de nombres déjà construits plutôt qu'à favoriser l'émergence de concepts nouveaux, unifiés en fin de parcours autour de la notion de nombre rationnel. Ce qui fait l'originalité de la démarche, c'est sans doute le recours à divers cadres pour renforcer le statut numérique des objets (rationnels) construits. Ainsi, lors de la recherche de l'aire de rectangles dont une des dimensions est fixée, utilise-t-on une représentation graphique qui "joue un double rôle : recueil et organisation de l'information, source d'information nouvelle en donnant du sens à de nouveaux points intermédiaires" (d'abscisses et ordonnées fractionnaires qui viennent s'aligner avec des filiation directe entre ces rationnels-mesures et ces rationnels-dilatations (1986-b ; pp. 113-114), mais un 77 Chapitre II points de coordonnées entières.). La droite représentant la fonction linéaire étudiée, production graphique sur un problème a priori numérique, renforce par sa continuité le statut de tous les points intermédiaires aux points de coordonnées entières. C'est donc ici un mode d'expression, et pas seulement une situation, qui porte le sens. Mais si les moyens d'expression sont soigneusement étudiés − voir l'introduction aux nombres à virgules (pp. 141-167) −, deux points en revanche nous semblent devoir être soulignés, car ils distingueront cette approche de la notre. 1. Une introduction très précoce aux écritures fractionnaires. 2. La notion de cadre opposée à celle de registre : si un cadre "se détermine par rapport à des objets théoriques, en l'occurrence des objets mathématiques" (Duval ;1996, p. 357), un registre se détermine par rapport à un système sémiotique permettant de remplir des fonctions cognitives. Or, pour un même objet mathématique représenté, le coût cognitif peut varier en fonction de la représentation choisie. Ainsi, le fait de représenter un rationnel par une fraction ou par un point sur une droite graduée n'engage pas les mêmes capacités de discrimination et de mise en relation – entre deux rationnels, entre un rationnel et un entier, entre deux entiers. Le point 1. a déjà été commenté en 1.2.3. Ajoutons à ce commentaire qu'ici le recours à des écritures fractionnaires est motivé par la recherche de messages les "plus courts possibles" (p 34). C'est donc une motivation extrinsèque à la situation, en tout cas peu liée à une nécessité de la situation. La remarque d'un élève, cité par les auteurs p. 40, nous servira à éclairer le point 2. Cet élève constate, après les premières introductions d'écritures fractionnaires : "c'est drôle, la moitié de 12 c'est 6, et la moitié de 1/12, c'est 1/24, la moitié de 1/6 c'est un 1/12". Pour qu'un enseignement puisse prendre en compte ce "drôle" de phénomène et en exploiter les conséquences, on pourrait imaginer d'étudier systématiquement les répercussions d'une multiplication par 2 du dénominateur d'une fraction sur sa représentation dans un autre système, droite graduée ou surface fractionnée par exemple. Une telle tâche ne sera productive que si l'utilisateur est bien convaincu qu'il agit sur deux représentations du même objet mathématique. Pour cela, il importe de bien discerner les deux systèmes mobilisés d'une part, la représentation du représenté d'autre part. Or dans un même cadre coexistent très rapidement, parfois dès l'introduction, des mouvement de convergence schématisé par la Figure 6, p 74. 78 Chapitre II fractions, un quadrillage, des traits, des points…, soit tout un arsenal sémiotique fonctionnant ou pas suivant des règles spécifiques, et exprimant ou pas le même objet. Notre analyse nous amènera à éviter, dans la phase introductive en tout cas, une telle hétérogénéité. Cela suppose, qu'au départ tout du moins, une approche séparée soit réservée à chaque registre, à des fins de discernement, avant de proposer des tâches de coordination inter-registres. Nous reviendrons longuement sur tous ces points au chapitre III. Il importait cependant de les aborder ici car ils apportent un contrepoint à la démarche d'enseignement étudiée. En résumant l'approche de ces auteurs nous dirons : • les rationnels y acquièrent très tôt un statut de nombre, dont le mode d'action est progressivement étendu ; • on désigne rapidement ces nombres, au moyen d'écritures fractionnaires, qui seront dès lors privilégiées ; • un soin particulier est accordé à l'expression de ces nombres dans plusieurs cadres et aux interactions qui en résultent ; • ces moyens d'expression sont introduits comme transcriptions de gestes, se référant à une expérience physique ou mentale, en des équivalents formels (numériques, géométriques, graphiques...) ; • ce faisant, ces moyens d'expression divers ne sont pas vraiment organisés en systèmes autonomes, tant leurs interactions semblent constitutives de leur construction. Précisons enfin les oppositions − les convergences ont été soulignées plus haut − qui nous semblent majeures entre Douady et Perrin-Glorian d'une part, Brousseau d'autre part : • continuité contre convergence du rationnel-mesure au rationnel-nombre puis dilatation ; • escamotage du cran 4, qui traverse en fait implicitement l'ensemble du dispositif ; • produit des rationnels abordé par le produit de mesures (opération interne) contre l'introduction par l'opération d'un rationnel-dilatation sur un rationnel-mesure (opération externe) ; absence du produit comme composition de dilatations ; 79 Chapitre II • travail longuement décrit sur la diversité des interactions entre l'expression, les traitements et le sens, contre un travail peu explicité sur l'expression, par ailleurs détachée de la construction du sens ; • discours des élèves organisé dès l'abord autour d'écritures fractionnaires élaborées et soigneusement décrites contre discours spontané initial, cadré en fin de processus par les "notations" fractionnaires, sans qu'un paragraphe soit consacré à leur appropriation. Ce que résume Bolon (1996 ; p 103) en écrivant : "donner la priorité à la multiplication externe des rationnels et au rapport entre mathématiques et grandeurs physiques (Brousseau & Brousseau), ou à l'opposé, préférer la multiplication interne des rationnels et construire les nouveaux nombres dans le cadre exclusif11 des mathématiques (Douady & Perrin-Glorian)". Concluons par le schéma de la Figure 7, qui résume les considérations précédentes et qui pourra se comparer à celui de la Figure 6, où m, r(m), r, y désignent le même type d'objets. r Q m r(m) Cadre 3 Cadre 1 r(m) m Cadre 4 Cadre 2 Figure 7 11 Nous ne reprenons pas à notre compte le terme "exclusif", qui nous semble faire trop peu de cas des nombreuses manipulations et références physiques explicitement évoquées par les auteurs. 80 Chapitre II Dans ce schéma, les flèches en traits pleins signifient une antériorité par rapport aux flèches-retour en gros pointillés associées. Tous les éléments de ce schéma : objets, actions, cadres, interrelations, contribuent à la constitution de Q : "Au fur et à mesure que de nouvelles fractions apparaissent, on les fait intervenir dans des situations variées différentes de celles où elles ont été créées. De cette manière, les fractions vont pouvoir être décontextualisées et prendre le statut de nombre" (Douady & Perrin-Glorian ; 1986, p. 87). C'est cette volonté de dégager un statut de nombre que nous avons signifiée en élevant Q au-dessus du plan de travail. On notera aussi le « détour » par Q pour passer de m à r(m). 2.3. David W. Carraher (1993 ; pp. 281-305) L’ouvrage de référence est un article paru dans ESM en 1993. Cet auteur suscite notre intérêt à un double titre : il se réfère à un modèle lié à une représentation linéaire des rationnels que nous allons rapidement décrire ci-dessous ; il utilise l'ordinateur pour mettre son modèle en œuvre. Sa démarche ne peut donc manquer d'évoquer la nôtre, et il importe d'en pointer les similitudes et les différences. Avec cet auteur, on quitte une progression basée sur des expériences à supports physiques − feuilles de papier ; puzzle ; pantographe... −, sur lesquels les élèves pouvaient agir directement ; les insuffisances du matériel, et/ou une exigence d'anticipation et de communication nécessitant de dégager un modèle mathématique, évolutif en fonction des contraintes de situation. En recourant à un ordinateur pour organiser sa progression, Carraher nous fait passer des expériences réelles à des simulations, ce qui va permettre une délimitation du jeu des contraintes, des traitements valides et un choix précis puisque programmé des rétroactions. Il construit son modèle en écartant d'abord les référents discrets, qui risquent − entre autres − selon lui de limiter le sens d'une fraction à une double cardinalité au lieu d'un ratio : "[…] many students treat the numerator and denominator as if they were two cardinal numbers denoting the number of marked elements and the total number of elements, respectively (pp. 282284)". Il s'oriente donc vers des référents continus, et parmi ces derniers, il retient un modèle linéaire, donc géométrique et unidimensionnel, en se référant à Piaget, Freudenthal, et plus généralement aux mathématiciens qui représentent les nombres sur une droite numérique: "Length, moreso than other quantities, expresses magnitude 81 Chapitre II directly and unambiguously" (p 284). Mais la simple droite graduée par les entiers, entre lesquels vont se positionner les rationnels, présente deux difficultés : 1. "the implicit ratio" (p 285), qui attribue à l'intervalle [0 ; 1] le rôle privilégié et non explicite de référent (une fraction est un ratio de quantités dont une des deux se réfère à l'intervalle [0 ; 1], l'autre à un intervalle d'origine 0) ; 2. "the unclear operations" qui, pour résumer, se heurte au fait que sur une droite, les objets − en fait les intervalles − sur lesquels portent les opérations de reports et de subdivisions décrits par une fraction, ne sont pas discernés par les élèves. (Ceci débouche sur l'erreur classique consistant à appliquer la fraction à la totalité de la portion de droite représentée, sans tenir compte des intervalles). C'est la raison pour laquelle Carraher supprime purement et simplement la ligne numérique repérée par les entiers. Il propose donc comme modèle de ratio la donnée de deux segments commensurables : Figure 8 Ceci a pour avantage, non seulement d'éviter les deux difficultés signalées plus haut, mais encore : • de ne pas travailler dans un espace métrique (car si l'unité [0 ; 1] est choisie une fois pour toutes, chaque segment a une longueur fixe, et donc non relative, ce qui contredit l'idée essentielle de Carraher "to emphasize the relational quality of rational numbers") ; • de proposer aux élèves des "partially « de-arithmetized » tasks, for which there exists no mere numerical solutions". Sa progression consiste donc à proposer aux élèves des tâches, mettant en œuvre les notions représentées par les équations suivantes : 82 Chapitre II N° d'item 1 Name Equation Common Quotient A÷n=B÷m 2 Common Product Axm=Bxn 3 Integer Operators A = (B x n) ÷ m 4 Rational Operators 5 Rational Divisor 6 Relative Increase 7 Relative Decrease 8 A=Bx n m A=B÷ m n A = B+ (n − m) B (A ≥ B) m B =A- (n − m) A n A = Div(n, m)B + Measurement (A ≥ B) mod(n , m) B m Tableau 1 : les huit types d'items retenus par Carraher Concrètement, l'élève dispose à l'écran de l'interrogation qui lui est posée, sous forme d'une des équations d'une des lignes du Tableau 1, associée à deux segments comme ceux de la Figure 8. Voici par exemple un début de déroulement d'un exercice correspondant à la première ligne du Tableau 1 Rétroactions de type GN A B A÷n=B÷m? A 5 B 3 ......... Rétroactions de type N A÷5=B÷3? A B > 5 3 .................................. A 7 B 3 ....................... A÷7=B÷3? A B = 7 3 Tableau 2 : exemple de déroulement pour l'item 1 83 Chapitre II L'élève est invité, d'essais en erreurs, à trouver n et m. Ses essais sont décrits par la première ligne de chaque case de la colonne de droite. L'ordinateur renvoie deux types de rétroactions. L'une, numérique (notée N par la suite), décrite sous chaque essai de l'élève, et répondant sous forme d'inégalité ou d'égalité − lorsque la recherche a abouti − aux interrogations de l'élève (noter la forme fractionnaire de la rétroaction malgré l'interrogation au moyen d'opérations entières − s'agit-il d'une "préparation" à cette "notation" ?) ; l'autre géométrico-numérique (notée GN par la suite), consistant à dessiner les segments de longueur testée par l'élève (comme A B et en deuxième ligne 5 3 du Tableau 2), légendés par des écritures fractionnaires décrites en première colonne. Mais en plus de ces deux types de rétroactions que l'on retrouve pour les 8 items, le logiciel présenté par Carraher propose deux autres formes de retours aux essais de l'élève. La première d'entre elles utilise un cadre géométrico-numérique linéaire (notée GNL par la suite), et la deuxième un cadre graphique sur fond quadrillé (notée GPH par la suite), soit une représentation bidimensionnelle des fonctions linéaires impliquées. Nous décrirons ultérieurement ces deux représentations avec plus de détail, au moment où nous nous interrogerons sur la nature des moyens d'expression sollicités pour mener ces tâches. Pour l'instant, contentons-nous de remarquer l'escamotage total du cran 4, puisque de l'item 1 à l'item 8, la référence aux grandeurs A et B subsistant, le ratio ne se détache pas de ses arguments. Mais ce qui porte ce travail, c'est précisément le choix de lier très fortement l'expression d'un rationnel à ce couple de deux segments A et B. Dès lors, il devenait difficile d'effacer l'argument devant l'opérateur (cran 4), car cela reviendrait à effacer l'idée même de ce modèle. On verra d'ailleurs, avec l'étude des rétroactions GNL et GPH, une tentative pour valoriser le seul ratio n/m, mais pas tout à fait détaché de ses arguments A et B : ces derniers maintiennent toujours leur présence dans les schémas ou légendes, sous forme de segments dessinés ou seulement de leur désignation pure au moyen des lettres A et B. On notera par ailleurs l'inversion, par rapport à notre classification, des crans 2 et 3, la mesure (cran 2) venant tout à la fin de l'étude en item 8. Ceci est dans la logique de l'auteur qui annonce dès l'introduction : "The purpose of this paper is to outline a model of rational number […] with special emphasis upon rational numbers as operators and closely tied to the concepts of ratio and proportion" (p 282). La mesure devient ainsi un cas particulier de ratio, une unité étant fixée. 84 Chapitre II Mais penchons-nous à présent sur les moyens d'expression mis à la disposition des élèves et sollicités d'eux. Une première remarque est que ces moyens sous-tendent l'expérimentation puisque l'auteur déclare dès l'introduction (c'est nous qui soulignons) : "mastery rational number concepts entails coming to understand and coordinate symbolic representations of quantities and number" ; et plus loin : "[…] understanding rational number concepts entails developping multiple representations regarding how numbers and associate quantities can be diversely decomposed and composed" (p 281). On notera dans un deuxième temps : le soin apporté à l'évolution des expressions numériques (voir Tableau 1), partant de formes entières (items 1 à 3) − avec retroactions déjà fractionnaires ainsi qu'on l'a noté plus haut − puis fractionnaires (items 4 à 8) ; la multiplication et l'interaction des cadres, numériques, géométriques, graphiques uni et bidimensionnels. On notera aussi qu'aucune nécessité de situation ne justifie l'évolution des notations ou le choix d'une notation ou d'un cadre contre un autre. Il s'agit de juste de fournir (provide) "diverse representations of how the ratio of segments can be captured in the algebraic notation" et des "feedback [visual representations] that can be used as a basis for drawing inferences about precise relations between quantities"(p 286). Examinons à présent quel type de discours l'usage de ces moyens d'expression permet de tenir, ou, en des termes plus standards, quels types de problèmes ces moyens d'expression sont-ils supposés maîtriser ? L'auteur fournit une réponse : " […] the segments can be associated with meaningful names : yearly income ; taxes ; weight ; height and so forth" et plus loin : "a hypothesis regarding the relation of income to taxes might be formulated thus in the « common multiple » condition : Income x 2 = Taxes x 5 "; et encore : "the same relation can be expressed in many ways : one-fifth of the income equals one-half of the taxes ; 40% of the money earned goes in taxes ; […] the income is two and one half times the taxes and so on" (p 301). On reconnaît là des problèmes liés au cran 3, puisqu'on peut supposer que ces relations vont servir à calculer les taxes connaissant le revenu − ou le contraire. Bien entendu, les problèmes liés au cran 2 nous semblent aussi maîtrisables : problèmes de mesure − sans comparaison ainsi qu'on va le voir plus bas − ou problèmes liés à la relation partie-tout et demandant par exemple de gérer le lien entre 3 divisé par 4 (4A = 3B) et 3 fois 1 3 (B = A). En revanche, les problèmes liés au cran 4, impliquant donc plusieurs 4 4 85 Chapitre II rationnels détachés de leur argument (taxe ou revenus ou...) ou encore à la simple comparaison de rationnels-mesures nous semblent difficilement gérables. En effet, et nous pensons qu'on touche là aux limites de ce modèle, le système des deux segments commensurables ne permet de ne gérer qu'un rationnel après l'autre. A tel point que l'auteur est obligé de recourir à d'autres représentations, GNL et GPH, lorsqu'il aborde la question de la comparaison des rationnels. Mais cette "sortie de cadre" se paie par une rupture du lien de congruence entre le ratio et ses représentations, qui risque d'être vécue au mieux comme une complication inutile, au pire comme un obscurcissement des problèmes posés. Il est temps d'examiner ces deux modes de représentation − tout en sachant que nous avons retenu les plus simples et éliminé de ce compte-rendu les plus compliqués. Voici, à titre d'exemple, à quoi ressemblent GNL et GPH, associée à l'item 2 du Tableau 1, pour les valeurs exactes du couple (m ; n) = (3 ; 7) et les essais successifs de l'élève : (2 ; 8) ; (1 ; 3) ; (2 ; 5) ; (1 ; 2) ; (3 ; 4) ; (3 ; 7) ; l'ordinateur disposant ces réponses successives sur l'une des deux (au choix de l'élève, du professeur ?) représentations : Ratios overcorrects multiplier of A multiplier of B 2 8 1 3 2 5 Ratios undercorrects m n 1 2 Figure 9 : one-dimensional feedback (rétroactions GNL) 86 3 4 Chapitre II multiplier of B n Ratios overcorrects 8 7 Ratios undercorrects 6 5 4 3 2 B 1 m 0 1 2 3 A 4 5 multiplier of A Figure 10 : two-dimensional feed-back (rétroactions GPH) La première comme la deuxième sont supposées donner du sens à la comparaison des rationnels. L'auteur semble d'ailleurs suggérer un conditionnement visuel plus qu'une prise de conscience procédurale : "with practise and réflexion [the student] should discover that all the attempts thaht leave a point under the diagonal will undercorrect whereas those leaving a point above the diagonal will overcorrect". Pour notre part, nous pensons que le passage de 8B > 2A et A > 3B à 2 1 < est 8 3 fortement non congruent − voir chapitre III-3 − et qu'un simple conditionnement visuel, ajouté à une mise en souffrance momentanée de la barre de fraction − voir Figure 9 et GNL − ne suffisent pas à le gérer. Par ailleurs, GPH, qui associe un ordre sur les fractions à une pente "angular displacement from the x-axis" (p 292), est tout aussi voire encore plus non congruent12, ainsi que Duval l'a montré (1988-b ; pp. 240-246) pour des élèves de seconde (!), car "les unités signifiantes du graphe [pente entre autres] ne sont 12 Sans compter qu'aucun des segments A et B, pour respecter le souhait de l'auteur de ne pas travailler dans un espace métrique qui annulerait la relativité des ratios, n'est unitaire. Ceci ajoute fortement à la non congruence car le segment [0 ; 3] de l'axe des x de GPH, n'a pas la même longueur que 3A 87 Chapitre II aucunement déterminées par rapport aux points repérés de n'importe quel fond millimétré" (Duval ; 1995, p 57). La limite de ce modèle est en fait liée à ce que nous pointons comme une insuffisance : le système des deux segments commensurables ne permet que la formation d'un rationnel (Duval ; 1995, pp. 37-38), mais pas ou peu de traitements. Ce n'est donc pas un registre. Faire de la non congruence des conversions entre représentations abordées ci-dessus un moteur de la compréhension demanderait : de définir sans ambiguïté les signes élémentaires de chaque "registre" (ce qui n'est pas fait puisqu'on mélange numérique, géométrique, graphique sans discernement) ; de développer des traitements spécifiques à chaque registre avant d'aborder l'épineuse question des conversions non congruentes entre registres hétérogènes. Le modèle développé par Carraher reste très physique et peu sémiotique. Il le précise d'ailleurs : "physical actions upon the segments can embody arithmetical operations upon quantities […]" (p 302). Les objets manipulés − nous pensons surtout aux segments − risquent de ne référer qu'à eux-mêmes. En ce sens, ils ne sont pas des signes. Malgré ses imperfections, ce modèle se réfère à des idées que nous reprendrons à notre compte : • maîtriser les rationnels demande de coordonner des représentations hétérogènes ; • un système géométrique linéaire de représentation des rationnels permet de développer des actions non routinières, donc riches de sens, qu'un système trop vite arithmétisé risquerait de masquer ; • un tel système est susceptible de représenter des grandeurs hétérogènes aux longueurs − les deux segments peuvent représenter des revenus par exemple. Ainsi que nous l'avons entrepris pour les auteurs précédents, nous conclurons cette étude en nous interrogeant sur la façon dont les obstacles repérés à la section 1. sont négociés ici. En fait, les seuls obstacles qui nous semblent pris en compte sont ceux liés à l'articulation des crans 2 et 3. Ceci n'est guère étonnant puisque ces deux crans sont inversés par rapport à la présentation que nous en avons faite. Ainsi, l'obstacle lié à la prédominance de la cardinalité sur la relativité des grandeurs est même à l'origine du projet, qui consiste à désarithmiser partiellement l'introduction aux rationnels. Mais en l'absence d'une pratique de conversions systématiques entre un registre géométrique et le 88 Chapitre II registre des écritures fractionnaires, les problèmes liés à la prédominance de la cardinalité − 3/4 c'est 3 parts parmi 4 et pas le ratio de 75 à 100 par exemple − risquent de surgir lorsque s'imposera l'usage des fractions, incontournables pour exprimer les rationnels à un stade avancé. Quant à l'obstacle lié à l'existence d'écritures multiples équivalentes pour un même rationnel, il nous semble être correctement pris en charge dans la mesure où les activités peuvent déboucher naturellement sur de telles équivalences : deux élèves différents peuvent trouver deux expressions différentes associées au même couple de segments − 3 pour 4 et 6 pour 8 ; deux expressions identiques − 3 pour 4 − associées à des couples de segments différents. Dans les deux cas, la simulation physique de la commensuration nous semble apte à gérer ce type de conflits. Il reste l'obstacle lié au passage du cran 3 au cran 4. Nous avons déjà dit plus haut en quoi les moyens de le négocier par les modèles proposés nous semblent inadaptés. Pour résumer notre lecture de cet auteur nous retiendrons, outre les trois points déjà évoqués p. 88, que : • il soigne l'expression mais son système reste avant tout physique, ce qui limite les possibilités de traitements, de conversions et donc aussi de transferts ; • l'ordre de passage par les divers crans n'est pas immuable ; • la comparaison des rationnels, à notre sens fondatrice de la notion, nous paraît être la faiblesse structurelle de son modèle. Résumons pour finir l’ensemble du dispositif observable depuis cet article au moyen d’un schéma que l’on pourra comparer à la Figure 6 et à la Figure 7 (notations analogues). On notera que Q y est disposé sous le plan de travail, ce qui pour nous traduit le fait qu’une conception sous-jacente forte de Q (rationnels, ratios et proportions) soutient ce modèle. 89 Chapitre II ? r Cadre 2 r(m) m ? Cadre 1 ? r Cadre 3 Q Figure 11 2.4. Conclusion de la section Nous venons donc d'étudier les travaux sur les rationnels de trois auteurs qui nous auront permis de dégager certaines lignes de force délimitant notre propre projet. Nous avons beaucoup insisté sur l'attention accordée à l'expression et ses liens avec les discours qu'elle permet de tenir − et donc avec les quatre crans exposés à la section 1. Nous avons ainsi déjà pointé que certains obstacles, lors de l'apprentissage des rationnels, sont de nature sémiotique. Nous avons constaté que la part accordée à la prise en compte de l'expression était variable d'un chercheur à l'autre, et que certains la considèrent plutôt comme un point de départ, tandis que d'autres en font une conquête couronnant un processus d'adaptation. La diversité des formes d'expression proposées ou sollicitées a aussi retenu toute notre attention, car notre recherche vise à prendre en compte et à exploiter didactiquement cette diversité. Nous avons enfin relevé que les approches physiques, c'est à dire de celles qui réfèrent à des expériences réelles ou simulées mettant en jeu des grandeurs physiques, nécessitant une modélisation mathématique étaient privilégiées, même lorsque les auteurs affirmaient leur volonté de construire un ensemble de nombres. Nous avons pointé, de ces diverses approches, les succès mais aussi certaines insuffisances liées à un défaut d'expression structurel des systèmes physiques. Mais un autre trait commun à toutes ces ingéniéries est d'amener l'élève à changer de culture mathématique par des changements de perspectives successifs sur la notion étudiée. Est-il possible de maintenir cette option de changements 90 Chapitre II de perspectives, qui nous paraît constitutive de tout apprentissage, tout en modifiant le support des expérimentations afin de mieux prendre en compte les déficits observés, tant au niveau de l'enseignement que de l'apprentissage, dans l'expression ? Avant d'aborder ces questions nous aurons, pour terminer ce chapitre, étudié, à travers un manuel scolaire fort usité, les réponses que des enseignants apportent aux problèmes soulevés. 3. Un point de vue enseignant (manuel Objectif Calcul) Nous avons retenu pour cette étude les manuels de fin de cycle 3 (CM1 et CM2), et les chapitres se rapportant aux fractions, aux décimaux, aux fonctions numériques et à la proportionnalité. Cette section nous permettra donc d'examiner la manière dont les auteurs de cet ouvrage articulent leur démarche sur les quatre stades ainsi que les obstacles et les moyens d'expression décrits en 1. La progression rappelle celle de Douady et Perrin-Glorian. On retrouve en effet une introduction par les rationnels mesurant des longueurs, immédiatement suivie d'une présentation des écritures fractionnaires, avec une exigence relativement élevée puisqu'on y rencontre des expressions comme : 2 − équivalentes − par exemple 1 , et la recherche d'écritures 4 7 . La machine à partager − réseau de parallèles 4 équidistantes − permet d'attester l'existence d'un fractionnement quelconque et d'offrir un moyen de le réaliser. Les fractions sont alors déposées sur une droite graduée, ce qui donne l'occasion de les ranger − notamment parmi les entiers − et de confirmer l'existence d'écritures équivalentes ; cela leur confère un statut de nombres, d'autant qu'elles sont ensuite utilisées pour coder des aires, activité qui débouche sur une meilleure dissociation entre grandeur et rationnel mesurant. On reconnaît donc un cran 2, avec une identification rapide des fractions à des nombres, obtenue notamment grâce aux interactions avec le cadre géométrique, comme chez Douady et Perrin-Glorian. Les chapitres suivants se penchent sur les fractions décimales, données à voir sur droite graduée au dixième puis au centième et papier quadrillé au centième. Aucune motivation, comme la facilité qu'introduisent dans les calculs des dénominateurs égaux à une puissance de 10 − ce qui était le moteur des activités proposées pour leur introduction par Douady et Perrin-Glorian ou encore Brousseau − n'est avancée. Mais 91 Chapitre II les conversions du type dixièmes / centièmes, et donc l'existence d'écritures équivalentes, fractionnaires ou à virgule, sont largement commentées et mises en œuvre dans divers cadres, et à l'épreuve de la résolution de problèmes : comme celui de la densité de l'ensemble des décimaux, où les cadres numériques et graphiques sont sollicités pour résoudre le problème de la recherche de deux nombres dont le produit vaut 42 (p 158). Ce dernier exemple est caractéristique d'une démarche qui semble vouloir donner de la consistance à une notion mathématique par le jeu des écritures qui l'accompagnent : ici le produit de deux décimaux − nullement mis en scène par ailleurs au moyen d'agrandissements comme par exemple chez Brousseau −, donne lieu à une exploration formelle, recourant largement aux calculatrices, des possibilités d'intercalation offertes par l'ajout de décimales, et donc de la densité de D dans l'ensemble des réels R que cette activité permet d'entrevoir. On poursuit avec les interactions entre unités de mesure et décimaux, les décimales étant associées à des sous-unités ; puis les traitements principaux dans D : somme, différence, produit par un entier, comparaison. Les deux chapitres sur la proportionnalité, avec coefficient entier ou "légèrement" décimal comme 1,5 ou 2,5, mis en scène par le biais d'agrandissements photographiques, sont l'occasion de rechercher le lien multiplicatif − "dans quelles proportions les dimensions […] ont-elles augmenté ?" (p 185) − d'une longueur donnée à une longueur agrandie. Mais aucune institutionnalisation en terme de produit n'est proposée pour ces proportions, qui constituent juste une première approche du cran 3, du reste suffisante pour un CM1. Au CM2, après une solide révision précisant le lien partie-tout − notamment dans le cas de fractions supérieures à l'unité − dans le cadre des aires, on note un gros travail, réparti sur cinq chapitres, sur les diverses possibilités et équivalences de représentations des rationnels : écritures fractionnaires, décimales, droites graduées, diagrammes, aires, sont ainsi mis à contribution pour offrir une grande variété d'interprétations et de possibilités de contrôle, notamment des tentations erronées usuelles − 1/2 < 4/10 car 1 < 4 et 2 < 10 ou encore 3,9 < 3,14. Une mise à l'épreuve assez complète du cran 3 est organisée, au moyen de toutes sortes de problèmes d'agrandissements, de proportions, de pourcentages, d'opérateurs fractionnaires et décimaux, mis en scène là encore dans divers cadres, 92 Chapitre II géométriques, numériques, graphiques, illustrés par de nombreux diagrammes et tableaux. En fin de parcours, on remarque une approche du cran 4 : "range les fleuves suivant la force de leur débit (exercice 8 p 103)". Mais aucun problème recourant à un raisonnement en proportions pures, donc totalement détachées d'une grandeur chiffrée à laquelle elles s'appliquent − comme ce serait le cas pour : "Tu dépenses successivement la moitié puis 3/10 de ton argent, combien te reste-t-il ?" − n'est proposé ; ce qui est d'ailleurs compréhensible dans la mesure où ce type de problèmes nécessite entre autres des réductions au même dénominateur, dont un usage systématique dépasse les limites du programme du cycle. Constatons enfin qu'un chapitre entier (n° 42, p 102) est consacré au lien, explicité, entre fractions, quotients et décimaux − approximations décimales d'un rationnel −, ce qui contribue à l'acception d'une fraction comme un nombre. Les 4 crans sont donc bien discernables et pris en compte. En revanche, et un peu à la manière de Douady et Perrin-Glorian, certaines transitions entre les divers stades, et notamment certains obstacles et les "crises" épistémologiques attachées sont atténués, dans ce sens où on donne aux élèves, a priori, les moyens de ne pas trop s'y engluer : ainsi, les rationnels sont introduits dans un cadre unidimensionnel, les longueurs, relayé par une représentation sur droite graduée, avant de les aborder dans un cadre bidimensionnel − codage d'aires. Ceci facilite à la fois : • le dépassement de la double cardinalité (3 parts sur 4 pour 3/4 et pas proportion de la partie au tout, quelle qu'en soit l'expression numérique, 9/12 ou 75/100...) renforcée, rappelons-le, par une représentation initiale en "parts de tarte" ou tout autre dessin "concret" (Carraher & Schliemann ; 1991) ou (Streefland ; 1995, p 114) ; • le dépassement "deux nombres (numérateur a et dénominateur b) / un nombre (le rationnel a/b)", grâce à l'extension naturelle de l'ensemble des entiers qu'offre une droite graduée. D'autres obstacles, comme celui lié à l'usage de fractions − jusqu'à présent mesurantes − pour comparer des proportions (p 104), donc la distinction entre ce que nous avons appelé monde virtuel des parts et monde réel des grandeurs auxquelles elles se rapportent (voir 1.2.5), sont abordés sans transition apparente. On peut supposer que les auteurs font confiance à l'extension, au cas d'un coefficient fractionnaire, d'un 93 Chapitre II modèle développé soigneusement dans le cas d'un coefficient entier ou décimal d'une part ; exploitant d'autre part une généralisation du lien partie-tout à des références variables : les actions de fractionnement et report liés à "2/3 d'une grandeur" s'appliquent alors à un nombre quelconque. Soulignons pour mémoire que chez Brousseau, le produit d'un nombre entier n par un rationnel-dilatation a/b ("a/b de n") est relié au produit du rationnel-mesurant a/b par n ("n fois a/b) (Brousseau ; 1986-b, pp. 114-115). Rappelons enfin l'absence de l'effacement de l'argument devant la fonction, toutes les situations de proportionnalité étudiées pouvant se traiter au moyen de bases de calcul explicites auxquelles s'appliquent les fractions (a/b de n et pas a/b tout court). Ainsi, le cran 4 est à peine abordé, ce qui, répétons-le, est tout à fait légitime à ce niveau. En fait, le rôle des moyens d'expression est central dans le traitement des obstacles. On a déjà vu comment un usage des droites graduées, liées à une introduction précoce des fractions, permettait une identification de ces dernières à des nombres à part entière ; ou encore, comment une étude formelle sur un produit constant pouvait amener à formuler des conjectures sur l'existence de nombres s'intercalant entre deux nombres quelconques, ces intercalations se concevant et s'obtenant par le seul jeu des écritures décimales. Par ailleurs, on est frappé de constater la multiplication des cadres et possibilités d'expressions interactives offertes aux élèves. Des chapitres entiers y sont consacrés (n° 33, p 76). Mais, ici aussi, il faut bien constater que si l'on insiste sur la variété des représentations disponibles, seuls les systèmes numériques sont considérés comme les véritables moyens d'effectuer des traitements complets sur les rationnels ; les représentations géométriques ne se prêtent qu'à des traitements autonomes − c'est à dire recourant à des moyens spécifiques − limités, vite relayés par les écritures fractionnaires ou décimales. Aucun registre n'émerge de ces représentations géométriques, illustrations commodes permettant, entre autres, de constater des ordres non attendus : 3/10 déposé sur une droite graduée se range avant 2/3, sans qu'il soit nécessaire d'établir un lien quelconque entre ces deux rationnels ; ou de "tomber" sur des écritures équivalentes : un même secteur circulaire peut représenter simultanément 3/6 et 1/2. Mais ces constats risquent de relever de la seule évidence visuelle, et non d'une procédure, alternant les actions, les preuves et les réfutations. Un travail considérable est donc accompli dans la multiplicité des représentations rationnelles. Ce travail est sans doute initié par la volonté qu'ont les 94 Chapitre II enseignants de doter les élèves d'outils efficaces leur permettant de contrôler les leurres sémiotiques usuels (3,14 > 3,8). D'où les exercices de conversions entre les diverses représentations, notamment de la décimale vers la fractionnaire. Mais cette pratique, pour être pleinement efficace, ne demande-t-elle pas que ces deux systèmes numériques d'expression des rationnels soient clairement identifiés en tant que systèmes et discernés l'un de l'autre avant que d'être articulés l'un à l'autre ? Quel rôle peuvent jouer, dans un tel projet, les représentations géométriques ? Systèmes à part entière, permettant traitements et conversions, ou simples schémas illustratifs ? Enfin quelles tâches peuvent être proposées aux élèves pour réaliser les objectifs d'un programme construit sur ce questionnement ? 4. Conclusion du chapitre : Influence de la sémiotique sur la constitution d'un dispositif d'enseignement Nous avons étudié tout au long de ce chapitre des processus liés à l'enseignement des rationnels. Nous avons ainsi dégagé certaines constantes : identification de quatre crans, plus ou moins hiérarchisés les uns par rapport aux autres, et balisant chacune des progressions examinées ; existence d'obstacles à l'articulation entre ces divers crans ; liens repérables entre les moyens d'expression, les crans et les obstacles. Chercheurs et enseignants portent une attention diverse à ces problèmes didactiques. Certains mettent l'accent sur les liens entre concepts et situations physiques susceptibles de (re)construire un sens par une histoire ; d'autres sur les liens entre concepts et cadres mathématiques avec lesquels ils interagissent ; d'aucuns pensent que l'expression "se mérite" ; les autres qu'elle prévaut. Quelle que soit l'approche retenue, nous avons relevé que les moyens d'expression des rationnels étaient non seulement un puissant outil d'analyse de certains obstacles mais encore un moyen de faciliter leur contrôle. • Ainsi, les interactions entre droites graduées et écritures fractionnaires permettent-elles de pallier l'absence de mise en relation du numérateur et du dénominateur dans une proportion (le ratio de 3 à 4 contre la prédominance de la cardinalité − 3 parts contre 4). 95 Chapitre II • De même les interactions entre écritures fractionnaires et décimales, non seulement désignent 11/4 comme supérieur à 24/9 (2,75 > 2,666...) malgré les apparences (11 < 24 et 4 < 9), mais surtout permettent la mise en relation des termes de ces fractions (en 11 combien de fois 4 ? En 24 combien de fois 9 ?) améliorant ainsi l'acception d'une fraction comme expression d'un ratio (de 11 à 4, de 24 à 9). • Par ailleurs, ce même type de conversion oppose la bidimensionnalité de l'écriture fractionnaire, qui permet de jouer sur les deux tableaux du numérateur et du dénominateur pour modifier ou pas leur ratio, à l'unidimensionnalité de l'écriture décimale, seulement influencée par la valeur des chiffres et leur position, donc par les maillons d'une chaîne et leur disposition relative. Nous reviendrons au chapitre III-3 sur ces phénomènes de dimension qui occupent une place de premier choix dans notre dispositif. Mais si ces résultats restent de pures évidences de circonstance, ils ne contribueront que très peu à la nécessaire évolution des conceptions. On comprend aisément que, pour être modélisants, ils doivent être obtenus au terme de procédures. D'où notre projet d'organiser les modes d'expression disponibles des rationnels en véritables registres, c'est à dire en systèmes sémiotiques dotés de moyens de traitements spécifiques articulables les uns aux autres. Ceci aura pour première conséquence avantageuse de libérer l'expression, et donc de ne plus l'engluer dans des leurres sémiotiques. Mais l'expression ne s'entend qu'au service d'un discours, soit, dans le cas des mathématiques, au service de la résolution de problèmes. Disposant de plusieurs registres, il est possible d'effectuer des choix, afin d'adapter au mieux mode d'expression – notamment en vue de l'appliquer à une grandeur quelconque – et mode de résolution. Et comme invariant de ces diverses adaptations est-il possible, dans le cas des rationnels, d'envisager une opération de report et de subdivision pure ? Notre ambition est donc : • de mettre à l'épreuve plusieurs registres de représentation des rationnels ; • d'en mener une étude systématique qui permette de distinguer leur spécificité et de rendre procéduraux les traitements intra-registre et les conversions inter-registres ; 96 Chapitre II • de problématiser leur enseignement, car nous gardons pour acquis que l'ostension est une forme d'enseignement qui, déresponsabilisant l'élève, peut entraîner chez ce dernier des comportements incohérents (Brousseau ; 1986-b et RatsimbaRajohn ; 1992) ; • de se doter d'un environnement de travail susceptible d'assumer, à un coût raisonnable, notamment en temps à y consacrer, les multiples tâches de traitements et de contrôles que ces activités problématisantes supposent. Ces quatre points constituent l'ossature du dispositif que nous comptons examiner dans les chapitres ultérieurs. 97 Chapitre III L’expression, un choix stratégique pour l’approche des nombres rationnels Chapitre III Ce chapitre se propose donc d'étudier les grandes orientations de notre projet d'enseignement et les raisons qui ont guidé nos choix. Le chapitre précédent nous aidera par comparaison à adopter la bonne distance d'observation, ce qui introduira des effets de perspective. Nous tenterons dans une première partie de présenter l'architecture générale de notre dispositif d'enseignement en spécifiant ce qui le différencie des dispositifs alternatifs, notamment par la place accordée à la sémiotique. Ceci nous amènera à préciser des articulations nécessaires entre un fonctionnement sémiotique et un environnement physique, dans le cas de l'enseignement et de l'apprentissage des rationnels. Puis nous nous intéresserons à la cohésion d'ensemble du principal outil de mise en œuvre du primat sémiotique, à savoir la série de logiciels ORATIO (Adjiage & Heideier ; 1998), en fournissant un descriptif abrégé des logiciels puis en esquissant les grandes lignes d'un itinéraire pour un apprentissage construit au moyen de ces derniers. La partie 3 quant à elle définira la dimension d'un registre d'expression, dans le but de développer un outil d'analyse de la complexité sémiotique et de la nature des discours qu'amène à tenir la résolution d'un problème rationnel ; cette partie légitimera sur le plan mathématique et épistémologique le choix d'un registre géométrique unidimensionnel pour introduire les rationnels. Il nous restera à interroger un tel projet sur sa capacité à prendre en compte l'activité de résolution de problèmes physiques, ce qui sera l'objet de la partie 4. Cette dernière permettra donc : de préciser la place de la résolution de problèmes – de crans 3 et 4 – dans notre dispositif ; de constater que cette activité peut s'affranchir de tout recours aux fractions et s'accommode fort bien d'un outil de traitement rationnel uniquement géométrique ; de fournir enfin un premier cahier des charges pour le développement de ce registre géométrique présenté en détail au chapitre IV. La dualité sémiotique / physique apparaît ainsi comme une référence constante de notre propos. Il importe donc d'en définir clairement les termes : 101 Chapitre III • nous appelons problèmes rationnels des problèmes mobilisant des nombres pouvant s'exprimer sous forme de fractions ; • nous appelons problèmes rationnels physiques des problèmes rationnels dont les données sont issues d'un compte-rendu d'expérience physique, et donc proviennent du résultat de mesures, portant sur des grandeurs, réellement menées ou seulement décrites ; • nous appelons problèmes rationnels sémiotiques, des problèmes rationnels dont les données sont fournies par le seul jeu de liens sémiotiques mettant en œuvre un ou plusieurs registres. A titre d'exemple, les énoncés de problèmes exposés dans ce chapitre de 4.1 à 4.4 sont des énoncés physiques. Un problème comme celui consistant à déposer y sur d1 dans la Figure 15 p. 128 est un problème rationnel sémiotique. Les activités logicielles de la série ORATIO relèvent toutes de cette dernière catégorie, ainsi que les nombreux problèmes que nous présenterons notamment au chapitre IV-2.4. Ayant exposé les grands équilibres de ce chapitre et posé les définitions premières, nous pouvons à présent entrer dans le détail de son développement. 1. Architecture générale du projet d'enseignement 1.1. Algorithmes et significations Dans son article examinant deux méthodes de mesure rationnelle, RatsimbaRajohn (1982 ; pp. 67-68) écrit : "Un bon nombre de savoirs que l'institution veut transmettre aux élèves se cristallise dans ce que nous appelons algorithmes […]. Une bonne connaissance de leurs conditions d'application [...] paraît satisfaire la société. Mais il existe une conception réductrice de ce qu'on appelle « une bonne connaissance » […]. Une telle conception réduit l'algorithme aux yeux des élèves en une simple juxtaposition d'indices et de procédés […]. Aussi […] une partie non négligeable [d'enfants] estiment que le procédé attendu est celui qui a été associé aux indices répertoriés lors des répétitions." Une des conséquences que l'auteur tire de ces constats est que : "un changement essentiel de notion correspond, pour certains élèves, à une adaptation locale d'un ancien algorithme, pour autant que celui-ci ait quelques analogies formelles avec le nouveau." 102 Chapitre III Nous pouvons reprendre à notre compte cette analyse, mais en y adjoignant le commentaire suivant. Rappelons tout d'abord un principe général que personne ne songerait à nier : tout enseignement débouche à un moment sur la maîtrise d'un certain nombre d'algorithmes, car "l'intérêt de l'automatisation d'un traitement n'est pas seulement de libérer l'activité consciente, il est aussi d'ouvrir l'accès à des objets complexes par la « compactification », en un seul acte de visée, d'une diversité de traitements qui ont pu être appris ou acquis indépendamment en raison de leur hétérogénéité ou de leur nombre" (Duval ; 1998, p. 183). Le paradoxe réside donc dans la question suivante : comment concilier la nécessaire automatisation de certains actes avec un contrôle – qui s'oppose à l'automatisation – au moins infra conscient de ces actes, seul susceptible d'éviter les dérapages liés par exemple à des "analogies formelles" ? Pour nous, il ne suffit pas que les algorithmes aient été construits, donc pensés comme termes d'un processus de conquête, pour se prémunir des effets de contamination formelle – par d'autres algorithmes, d'autres notions fonctionnant alors en trompe-l'œil – qui risquent de se produire lors du passage à l'automatisation. Car dérouler un algorithme revient à agir sur des signes dont la référence aux objets signifiés a justement été "éloignée" – sans être bien sûr tout à fait absente – afin de minimiser le temps de traitement ; cela fonctionne s'il n'y a pas d'erreur sur la signifiance des signes. Or "tout objet [dans l'acception phénoménologique de ce terme] est simplement ce sur quoi se dirige actuellement la conscience [un signe, un dessin, une figure... ]. La possibilité pour un sujet de l'identification scientifique d'un objet, en appréhension immédiate, dépend de la compactification, infra-consciente, des multiples traitements requis par le croisement des propriétés." (Duval ; 1998, p. 184). D'où l'importance de développer, auprès des élèves, leur capacités de discrimination, d'invariance des « objets », de même que le croisement de leurs propriétés. Ainsi, l'étude de ces représentations : 3 6 ; ; 4 8 ou encore 0 1 Figure 12 me renseigne sur les rôles respectifs du 3, du 4, de leur rapport à 6 et 8 et à 0 et 1... Le fonctionnement de l'un comme fractionneur (4), de l'autre comme itérateur (3), 103 Chapitre III sera sûrement valorisé par les répercussions que certaines variations – de 3 à 6 et de 4 à 8 qui modifie les signes sans modifier le rationnel ou encore de tout autre variation qui modifiera signes et rationnel – auront sur les signes de la droite graduée. On comprendra aisément que de telles prises de conscience demandent : une spécification des traitements de chacun des registres concernés, notamment celui des droites graduées qui ne peut plus être une simple illustration mais, ainsi qu'on le verra, un véritable système d'expression autonome des rationnels ; un travail systématique de conversion, entre les registres, afin que l'étude des variations et de leurs répercussions acquièrent une valeur au-delà de l'anecdote. Dans un article publié par ARP (1972 ; pp. 11-15), Fischbein regrettait déjà que si "On utilise largement à présent, dans le processus d'apprentissage, des modèles figuratifs : moulages, schèmes (sic !), diagrammes, […]", [ces derniers] servent généralement à seulement illustrer certains phénomènes […]". Il ajoutait que "la valeur heuristique du procédé de construction des modèles n'est valorisée que sporadiquement et non pas dans le cadre d'une méthodologie didactique explicite". Il posait plus loin comme hypothèse que "[…] l'élève ne doit pas seulement rencontrer d'une manière occasionnelle, dans les manuels, des modèles d'usage courant (schémas, graphes etc). Il doit apprendre d'une manière explicite et systématique (c'est nous qui soulignons) à construire, interpréter, valoriser, contrôler des modèles". Il précisait enfin que "Cette affirmation acquiert une signification particulière quand il s'agit d'enfants situés dans la période des opérations concrètes (7-12 ans), donc quand la pensée logique doit garder […] le contact direct avec la réalité sensible des choses". Même si le terme de registre nous semble plus adapté que celui de modèle pour décrire de tels systèmes de représentation, nous pourrions reprendre à notre compte l'essentiel de ces propos. Notre point de vue est donc que pour prévenir un usage aveugle ou abusif d'algorithmes par ailleurs nécessaires, il est décisif de les identifier à des opérations sémiotiques, contrôlables parce que développées dans des systèmes dont la cohérence est assurée par le double jeu des traitements et des conversions. On comprend aussi qu'une sémiotique négligée par l'enseignement, ou mal maîtrisée, ou inadaptée car mal reliée aux objets qu'elle signifie – un recours trop précoce aux écritures fractionnaires par exemple – ne peut qu'encourager un comportement procédant par "analogies formelles". 104 Chapitre III 1.2. Le primat sémiotique : organiser le rapport à la pensée immédiate On ne peut donc plus se contenter d'un parcours à travers les quatre crans – voir chapitre II –, structuré par le seul jeu des déséquilibres et des équilibrations, au risque que ce rapport d'immédiateté du sujet aux objets ne provoque des équilibres trompeurs – et parfois durs à déstabiliser. Duval va même jusqu'à écrire (1998 ; p 182) : "On ne peut espérer que le fait de faire effectuer à un élève une démarche dont les objets d'ancrage ne lui seraient pas immédiatement accessibles puisse lui faire découvrir ces objets !". Il nous paraît en conséquence nécessaire d'envisager un schéma d'enseignement alternatif, qui prenne en compte et organise ce rapport à la perception immédiate : "le point de départ pour comprendre les mécanismes d'acquisition des connaissances est évidemment l'appréhension immédiate. Car celle-ci correspond au domaine des objets qui sont accessibles à la conscience du sujet apprenant sans médiation externe et sans coût temporel. […]Tout le problème de l'acquisition des connaissances est de comprendre par quelles transformations des objets inaccessibles à un sujet peuvent non seulement lui devenir accessibles mais devenir objets de son appréhension immédiate" (Duval ; 1998, p. 180). D'où notre idée de centrer notre enseignement sur une étude systématique de plusieurs registres de représentation – en fait trois : les droites graduées, les écritures fractionnaires, les écritures décimales à virgule ainsi que cela sera développé au chapitre IV – afin de ne pas laisser cette appréhension immédiate, centrale dans l'apprentissage, s'auto-organiser sauvagement. Cette approche s'éloigne radicalement des progressions habituelles, dont nous avons présenté au chapitre II celles qui servent le plus souvent de référence. Le pari est en effet d'introduire les rationnels en les problématisant à partir d'un univers de signification – peuplé de signes interagissant suivant un schéma rappelé par la Figure 13 – au lieu d'un univers physique – peuplé de pizzas à partager, de feuilles de papier dont on évalue l'épaisseur, de bandelettes de papier que l'on reporte et plie, ce qui pose alors l'épineux problème d'une nécessaire décontextualisation (Douady ; 1984, pp. 16 - 18), (Duval ; 1995, p. 75), (COPIRELEM ; 1991, p. 143). 105 Chapitre III Représenté (concept, objet cognitif) Légende Arcs fléchés : traitements (internes à un registre) Représentant du registre A Représentant du registre B Flèches horizontales : conversions Flèche verticale : relation propre au sujet connaissant Figure 13 (extraite de : Pluvinage ; 1998, p. 129 renvoyant à Duval ; 1995, p. 67) On fonde ainsi une opération de report et de subdivision "pure", dans ce sens où on recourra à un décor minimal dans sa mise en scène : des actions commandées par des nombres – typés à un clavier d'ordinateur – et se répercutant sur une droite graduée, objet dont on atténuera l'ancrage physique au moyen de changements d'échelle (voir chapitre IV-2.2.1, figure 2) ; la mise à distance de ces actions initiales par leur réinterprétation dans des registres concurrents. L'appréhension de cette opération "pure" ouvre la voie à "une compréhension intégrative, [susceptible] de transferts [à des contextes variés]" (Duval ; 1995, p. 76). Par ailleurs, Duval (1998 ; p. 193) rappelle qu'il existe deux points de vue dans l'analyse d'un problème : le point de vue "en aval" et le point de vue "en amont". Pour le premier, "regarder un problème […] c'est regarder d'emblée la (les) solution(s) de ce problème". Pour le deuxième, c'est "rechercher toutes les variations possibles de l'énoncé qui conservent, pour le résolution du problème, la mise en œuvre de la même méthode mathématique […]". Entre autres variations possibles de l'énoncé, Duval propose "d'inventorier […] les différentes manières dont les informations choisies peuvent être données". Pour faire court, nous dirons que là où les chercheurs cités au chapitre II adoptent un point de vue "en aval", nous adoptons un point de vue "en amont". Ce point de vue "en aval" leur permet de fonder la connaissance sur les solutions que les élèves apportent à différents énoncés relevant d'une même famille de problèmes. Ses limites sont celles du nombre de situations différentes qu'il est possible d'aborder dans un environnement avant tout physique. Le point de vue "en amont" se donne pour projet de travailler sur un champ d'énoncés, soit sur la famille elle-même. 106 Chapitre III C'est pour cela qu'il nécessite le degré de liberté supplémentaire apporté par l'articulation de différents registres. Précisons enfin, avec Duval (1998 ; p. 194) que "dans une préoccupation didactique […] il ne saurait être question de les opposer [les deux points de vue] comme les termes d'une alternative mais au contraire de les articuler". Résumons à présent notre pensée autour des "trois conditions cognitives nécessaires pour un accès « phénoménologiquement » immédiat à des objets de connaissance scientifique" (Duval 1998 ; pp. 182-183) 1. L'automatisation des traitements. 2. L'appropriation des registres de représentation sémiotique et leur coordination, parce qu'ils "apparaissent à la fois comme des systèmes constitutifs de l'architecture fonctionnelle requise pour qu'un sujet soit capable d'effectuer une démarche [...] scientifique et comme des moyens d'accès nécessaires aux objets mathématiques. 3. "Une rupture par rapport à la procédure spontanée de discrimination et d'identification des objets" [discrimination] qui "s'effectue en fonction d'une seule propriété, celle qui suscite le plus grand effet de contraste" ; ainsi, dans 2/3 on risque de ne percevoir que le 2 et le 3 comme dénotant des quantités absolues, et pas le rapport de 2 à 3, le même que de 12 à 18, approché par 67 %... Le point 2. nous semblant être le meilleur garant du point 3. 1.3. Articuler les univers sémiotiques et physique Enfin, puisqu'il ne s'agit pas d'opposer mais d'articuler, il nous reste à préciser les moyens de cette articulation, notamment entre l'univers sémiotique d'une famille de problèmes rationnels et l'univers physique de problèmes de cette famille, résolubles au moyen des rationnels. Deux idées vont guider cette articulation : • les trois registres retenus pour une introduction aux rationnels seront visités par la mise à l'épreuve, au moyen d 'activités proposées aux élèves, de leur mode spécifique de signification des rationnels ; l'essentiel de ces activités se fera par le canal de logiciels, donc dans un environnement informatique. Des compléments papier / crayon seront prévus. 107 Chapitre III • Des problèmes physiques papier / crayon, du type de ceux que nous avons présentés au chapitre II pour illustrer les quatre crans, seront proposés, en léger différé, avec les activités logicielles. On notera tout de suite que des problèmes physiques relevant du cran2, puis progressivement des problèmes simples de crans 3 et 4 seront abordés très tôt dans la progression13. Une expression rhétorique de ces problèmes et de leur traitement pourra suffire au début, ainsi que nous l'avons montré au chapitre II. Elle pourra ensuite être relayée par une expression au moyen des droites graduées comme nous le proposerons en 4.6. On reprendra, lors de l'étude de chaque nouvelle série de logiciels14, ces trois niveaux de problèmes, énoncés sous une forme antérieure ou plus évoluée, suivant que des nouveaux moyens d'expression auront été conquis – les fractions par exemple ! –, ou que des moyens d'expression plus anciens se seront enrichis de ces conquêtes. Il n'est donc pas indispensable de connaître les écritures fractionnaires ou décimales pour résoudre des problèmes rationnels, ce que Brousseau et d'autres – comme Saensz-Ludlow (1995 ; p. 129) par exemple avait déjà prouvé (voir chapitre II). Nous établirons même un lien entre la nature de certains problèmes rationnels et la dimension – dans un sens qui sera défini ultérieurement en 3. – du registre dans lequel ils s'expriment. Nous comprendrons alors pourquoi il n'est pas souhaitable d'introduire trop tôt les écritures fractionnaires, même si ces dernières sont appelées à devenir le mode d'expression courante et conviviale, sitôt que l'on est en mesure de gérer certaines de leurs ambiguïtés ; ce qui est rendu possible par les moyens de contrôle développés dans le registre des droites graduées... La question centrale est pour nous : quel type de discours telle expression des rationnels permet-elle de tenir ? La richesse de ce discours dépendant simultanément de l'adéquation et de la convivialité de l'expression disponible à la pensée immédiate : à un moment de l'apprentissage, les écritures fractionnaires peuvent apparaître comme compliquant inutilement le discours. Même si l'expert sait qu'en définitive elles le simplifient, l'apprenant doit mener sa propre expérience de la convergence entre 13 On pourra se reporter aux fiches pédagogiques d'accompagnement des logiciels en annexe n pour examiner quelques types de problèmes physiques que nous proposons aux différents moments de l'apprentissage, et en parallèle avec la progression logicielle. 14 A l'exception de la série Format / Mystère qui organise un pur travail sémiotique sur les décimaux donc sans aucune interprétation physique provoquée par l'enseignement. D'où notre choix de ne pas suggérer d'accompagnement de cette série par des problèmes physiques (dans les fiches pédagogiques de l'annexe n notamment). 108 Chapitre III convivialité et adéquation. Par ailleurs, pour avoir la possibilité de renoncer – à une expression trop coûteuse d'un problème rationnel au moyen de droites graduées par exemple – il faut avoir la possibilité de choisir, sans forcément éliminer : on peut interpréter un problème physique dans le registre de droites graduées, puis le reformuler et le résoudre au moyen de fractions. La diversité des registres disponibles ouvre la voie à une diversité des approches, tant du point de vue de l'enseignement que de celui de l'apprentissage. En amont de la résolution de certains problèmes, nous voyons donc qu'il y a la résolution des problèmes posés par l'expression ; apprendre à résoudre ces problèmes fournit un paradigme de résolution de l'ensemble des énoncés rationnels, ce que Duval appelle un champ d'énoncés (1998 ; p. 193). Pour conclure ce paragraphe, nous schématiserons notre dispositif au moyen de la Figure 14. Ce schéma est bien sûr à comparer avec les schémas proposés au chapitre II-Figures 5, 6 et 10, qui illustraient d'autres dispositifs. Il précise le schéma plus général de la Figure 13 du présent chapitre. On notera : l'univers sémiotique représenté dans les parallélogrammes ; l'univers physique représenté dans l'ellipse centrale ; un ensemble Q dégagé du plan de travail, dans la mesure où notre préoccupation constante est d’amener à considérer ces nouveaux objets « comme des nombres », invariants des conversions entre registres qui les expriment. 109 Chapitre III Q 2 4 …. 5 , 2 5 … …. Conversions Traitements r Traitements r Registre 1 m r(m) Registre 3 r Conversions Conversions 17 4 …. Traitements r Registre 2 Figure 14 1.4. Précision sur la méthode de présentation retenue Le projet dont nous venons d'esquisser et de motiver les grandes lignes correspond pour l'essentiel à celui que nous avons mené au cours de notre expérimentation de deux années consécutives dans une classe de cycle 3. Les conditions de cette expérimentation seront précisées aux chapitres IV et VI. Il importe cependant de noter tout de suite que quelques différences existent entre ce que nous avons effectivement expérimenté et ce que nous présentons dans ce chapitre. Si le projet sémiotique couplé au projet logiciel a pu être intégralement réalisé, il n'en a pas été de même de l'accompagnement papier / crayon, notamment celui lié à la résolution de problèmes physiques. D'une part parce que nous avons dû déléguer, faute de disponibilité suffisante, une bonne part de la gestion de ces activités au maître titulaire de la classe, afin de nous consacrer à la partie sémiotique qui occupe l'essentiel de notre réflexion ; d'autre part parce que nos idées ont évolué au terme d'une recherche menée 110 Chapitre III sur cinq années et prenant donc en compte : une réflexion théorique personnelle, la recherche disponible – corpus impressionnant – sur les rationnels, la conception de logiciels, une expérimentation sur deux années consécutives dans des classes de cycle 3 (CM1 et CM2), l'évaluation de cette expérimentation, et toutes les interactions, humaines et documentaires, accompagnant ce type de démarche. Nous pouvons ainsi dire que, si nous devions actuellement mener le même type de projet, nous serions beaucoup plus systématique dans la gestion de l'articulation entre univers sémiotique et physique. Nous expliquerons au chapitre VI, après analyse quantitative des résultats, les raisons qui nous amènent à ce surcroît d'exigence. Nous présenterons des propositions de gestion de la classe qui vont dans ce sens dès le paragraphe 4.6. Mais nous relaterons aussi aux chapitres IV, V et VI en quoi les observations et analyses de travaux d'élèves observés valident le processus décrit dans ce chapitre et le suivant. 2. Le dispositif logiciel 2.1. Structure et ressources générales La série ORATIO a été conçue à partir de la théorie de l'apprentissage de Raymond Duval, dont on trouvera les développements essentiels dans Sémiosis et pensée humaine (Duval ; 1995). Rappelons que cette théorie attribue à l’appropriation et à la coordination d'au moins deux registres de représentation15 un rôle central dans la compréhension d’une notion mathématique. Cette appropriation se fait en deux phases : • une première phase, dite de traitement, vise l’exploration des règles internes aux registres de représentation concernés ; • une deuxième phase, dite de conversion, vise les transferts d’un registre de représentation à un autre. Cette deuxième phase est essentielle à la genèse conceptuelle, car, mettant en concurrence des représentations hétérogènes d'un même objet, elle permet la différenciation entre représentant et représenté, et par conséquent d'éviter l'identification de ce dernier avec l'une de ses représentations, nécessairement partielle sur un pan 15 Systèmes sémiotiques permettant notamment les trois activités cognitives de formation (substituer un signe à un objet visé) ; traitement (transformation interne à un registre d'une représentation) ; conversion 111 Chapitre III cognitif. Elle donne en outre des possibilités de choisir la représentation la plus adaptée, et donc aussi de changer de représentation au cours de la résolution d'un problème par exemple. Elle offre enfin la possibilité de décontextualiser les connaissances, non seulement en faisant varier les contextes, en l'occurrence les registres d'apprentissage, mais en permettant, ainsi qu'on l'a déjà dit en 1.2, de travailler sur un champ d'énoncés plutôt que sur des énoncés particuliers. Mais ce travail de conversion est "l'activité cognitive la moins spontanée et la plus difficile à acquérir chez la grande majorité des élèves" (Duval ; 1995, p. 44), du fait que ses règles sont rarement systématiques – contrairement aux règles de traitement –, notamment dans les cas de non congruence (ibid ; pp. 45-59) entre deux représentations d'un même objet. Il est donc nécessaire, pour articuler correctement deux registres différents, de respecter au moins deux conditions : • délimiter parfaitement les règles de formation et de traitements dans les registres concernés ; • "explorer toutes les variations possibles d'une représentation dans un registre en faisant prévoir [ ] les variations concomitantes de représentation dans l'autre registre" (ibid ; p. 78). Le respect de ces deux conditions didactiques rend possible la discrimination des unités signifiantes d'un énoncé, et optimise donc les moyens de son interprétation et de sa résolution, par les procédés de son choix. Mais il exige un travail systématique sur chacun des registres, d'abord séparément, puis simultanément, en explorant toutes les conversions possibles, et dans les deux sens, d'un registre vers un autre registre. Aux deux phases ainsi repérées correspondent deux séries de logiciels, les uns dits de traitement, les autres dits de conversion. La première série visite donc trois registres de représentation des nombres rationnels : • registre des droites graduées, souvent utilisées comme illustration, rarement comme ici en tant que système d’écriture des rationnels à part entière ; • registres des écritures fractionnaires ; • registres des écritures décimales ; (transformation externe, soit d'un registre vers un autre registre, d'une représentation). Pour une approche détaillée de la notion, voir : Duval ; 1995, pp. 36 à 59. 112 Chapitre III Ces deux derniers registres sont usuels, mais nous verrons au chapitre V que nous en proposons une approche inédite. La deuxième série permet de donner du sens à ces diverses représentations et donc aux notions sous-jacentes, en organisant des transcriptions systématiques – basées sur un champ de variation des unités signifiantes décrit par le cahier des charges de chaque logiciel – entre les registres : c’est par exemple lorsqu'on tente de placer 7,14 – registre des écritures décimales – sur une droite graduée – registre des droites graduées – que l'on peut fournir une première interprétation de chacun des chiffres de ce nombre en terme d’unités, de dixièmes ou de centièmes ; cette interprétation gagnera en consistance et stabilité lorsque les unités signifiantes de 7,14 – rang de chaque chiffre, longueur de la partie décimale, présence et position d'éventuels zéros... – auront été repérées grâce aux répercussions que leur variation entraîne sur les actions à mener pour représenter ce décimal sur une droite graduée. 2.2. Descriptif abrégé des logiciels Ces logiciels occupent une place stratégique dans notre dispositif d’enseignement. C’est la raison pour laquelle nous allons procéder ici à un survol des ressources qu’ils proposent. Cela permettra de donner un contenu sensible aux propos théoriques de ce chapitre. Pour une description plus détaillée des logiciels, on se reportera à l’annexe nnn. 2.2.1. Logiciels de traitements, série Gradu Ces logiciels ont en commun de présenter une ou plusieurs droites graduées, chacune repérée par un couple d'entiers. Ce repère initial est subdivisé en un certain nombre16 – supérieur ou égal à 1 – d'intervalles. Les principales actions possibles sont : le report de ce repère initial ; sa resubdivision – entraînant alors celle des segments obtenus par report –, intervalle par intervalle, en un même nombre de sous-intervalles ; certaines opérations de zoom, uniquement pour Gradu6. Il est aussi possible de revenir sur une de ces actions, en l'effaçant ou en la corrigeant. 16 Ce nombre, appelé le fractionneur, est parfois porté en blanc sur fond noir à l'extrémité gauche de la portion de droite graduée visible à l'écran. L'explicitation du fractionneur peut sembler redondante, étant donné qu'il suffit de compter les subdivisions du repère pour l'obtenir. Les raisons de ce choix seront donc exposées ultérieurement, au chapitre IV. 113 Chapitre III Gradu1 Déposer trois nombres entiers sur une droite à graduer par report d’un repère initial déterminé par la donnée de deux bornes entières. Gradu2 Déposer trois nombres entiers sur une droite à graduer par reports et subdivisions entières d’un repère initial déterminé par la donnée de deux bornes entières. 114 Chapitre III Gradu3 Ranger, du plus petit au plus grand, trois nombres entiers dont la seule « écriture » est celle permise dans ce registre : bornes, graduations et pointage par une flèche. Repère formé d'un seul intervalle. Des actions de resubdivisions entières du repère sont possibles. Gradu4 Ranger, du plus petit au plus grand, trois nombres rationnels – représentés sur trois droites différentes, à trois échelles différentes – dont la seule « écriture » est celle permise dans ce registre : bornes, graduations et pointage par une flèche. Le repère initial, d'amplitude 1, est subdivisé à l'origine en plusieurs intervalles. Des actions de resubdivision du repère sont possibles – mais non indispensables. 115 Chapitre III Gradu5 Déposer trois nombres entiers sur une droite repérée par un couple d'entiers. Le repère initial est subdivisé en intervalles dont le nombre n'est pas forcément un multiple ou un diviseur de l'amplitude du repère. Des actions de resubdivision du repère sont possibles. Gradu6 Positionner, sur une seule droite graduée (ci-dessous droite "au brouillon" qui sera suivie d'une saisie "au propre"), un nombre rationnel déterminé au moyen d'un double pointage : d'abord par encadrement sur un intervalle d'un premier repère d'amplitude 1 ; ensuite exactement sur une sous-graduation de cet intervalle agrandi après zoom "avant". 116 Chapitre III 2.2.2. Logiciels de traitements, série Fracti Fracti1 Identifier les fractions équivalentes à un entier dans un défilé de fractions. Fracti2 Déterminer si le produit d’une fraction par un entier est un entier. 117 Chapitre III Fracti3 Encadrer une fraction par deux entiers consécutifs ; intercaler un entier entre deux fractions. Fracti4 Intercaler une, puis plusieurs fractions, entre deux entiers consécutifs. 118 Chapitre III Fracti5 Ranger des fractions obéissant à un cahier des charges variant d’un exercice à l’autre (dénominateur constant, numérateur constant, numérateur et dénominateur quelconques, fractions décimales). Diverses aides sont proposées suivant les exercices : "la machine à fractionner" qui permet de visualiser, par rapport à un tout unitaire, la variation de la taille de la part en fonction du nombre de parts ; le "machine à dilater" – représentée comme un appareil de projection cinématographique – qui permet de multiplier les fractions à comparer par un même nombre entier afin de mieux les "séparer". 119 Chapitre III 2.2.3. Logiciels de la série Format Format1 Saisir des nombres décimaux dans un format à virgule fixe. Format2 Ranger une suite – comportant de 3 à 6 éléments – de nombres décimaux tirés selon un cahier des charges variant d’un exercice à l’autre et jouant sur les longueurs et valeurs respectives des parties entières et décimales et la présence de zéros finaux ou intercalaires. L'aide par le format à virgule fixe est accessible à tout moment. 120 Chapitre III Mystère Trouver un nombre mystérieux décimal par encadrements de plus en plus fins. 2.2.4. Logiciels de conversions Pour la petite histoire, précisons l’étymologie des dénominations : Frac ou fra comme fraction ; Grad ou gra comme graduation ; Form ou for comme Format, qui est l’outil privilégié par les logiciels de saisie et de comparaison des décimaux. Le « 2 » intercalaire, comme dans Frac2gra, doit se lire en anglais « two », homonyme de « to » – « vers ». Frac2gra signifie donc : fractions vers graduations. Précisons enfin que ces raccourcis anglicisants permettent de ne pas dépasser les 8 fatidiques caractères autorisés par les versions anciennes de Windows. 121 Chapitre III Frac2gra Déposer un nombre fractionnaire sur une droite repérée par un couple d'entiers. Les principales actions disponibles sont celles de glissement de la droite et de subdivisions du repère. Form2gra Déposer un nombre décimal sur droite graduée au moyen de zooms successifs permettant d'atteindre la profondeur du rang décimal souhaitée. 122 Chapitre III Grad2fra Fournir, par resubdivisions du repère, une écriture fractionnaire d’un nombre rationnel pointé sur une droite graduée. Grad2for Fournir une écriture décimale, affinée au moyen de zooms successifs, d’un nombre pointé sur une droite graduée. 123 Chapitre III Form2fra Convertir un nombre décimal en écriture fractionnaire. On peut s'aider d'un tableau de numération à saisir, mais ses têtes de série – 1/10, 1/100, 1/1000... – sont écrites en ordre dispersé aléatoirement. Frac2for Décider si un nombre rationnel déterminé par une équation est entier ou pas. Dans ce dernier cas, en fournir une écriture décimale exacte ou approchée au moyen d’une division. 124 Chapitre III 2.2.5. Utilitaire de gestion des paramètres et des élèves : Oratio Cet utilitaire permet d’ajuster les paramètres de chaque jeu – comme le nombre de coups par jeu – ou d’accéder à une base de données concernant les résultats et performances des élèves – comme le score, le nombre de « justes ou faux », les temps de réponse.... 2.3. L’apprentissage Ayant exposé l'architecture globale de notre projet didactique et fourni un abrégé de l'outil principal de sa mise en œuvre – les logiciels –, il nous reste à préciser certaines modalités de l’apprentissage et de l’enseignement . 2.3.1. Quel itinéraire proposer pour l’apprentissage ? Les prérequis sont minimaux : l'élève peut ne disposer pour tout bagage initial que d'une idée intuitive et / ou partielle de la notion de fractionnement, par exemple à travers une application de fractions simples – demis, quarts, tiers... – à des grandeurs usuelles – longueur, volume, durée... Tout au plus peut-on proposer, avant le passage sur les logiciels de la série Fracti, une introduction légère aux fractions – par exemple comme moyen de mesurer des longueurs par reports et subdivisions d'une unité (Objectif Calcul ; pp. 130-132). Dans le cas où on retient ce choix d'une introduction papier / crayon "légère", doit-on privilégier l'aspect fractionnement de l'unité (comme dans Objectif Calcul ou Douady et Perrin-Glorian), ou commensuration (comme chez Brousseau), ou encore "contexte de partition de la pluralité" [11/4 comme 11 divisé par 4, (Streefland ; 1991 et 1993) ou (Brissiaud et alii ; 1998-b, pp. 38-51)] ? Pour nous, cette option de départ n'est pas décisive. Car quelle que soit l'idée initiale, spontanée ou provoquée, plus ou moins affinée, grossière ou encore erronée, nous savons que l'élève aura à étendre ou à remodeler certaines de ses caractéristiques, voire à y renoncer, à développer des modèles alternatifs, qui se substitueront aux premiers modèles ou coexisteront avec eux, et que l'activité menée dans les différents registres et surtout leur coordination seront les leviers essentiels de ces évolutions. Dans le but de respecter ce mouvement entre les mises à l'épreuve et l'acceptation, on se refuse, lors de l’exploration d’un registre, à enseigner a priori les règles qui le régissent. On préfère laisser les élèves tester les idées qu’ils se font de ces règles (par exemple, tester si 3,4 est plus petit que 3,19 parce que 4 est inférieur à 19), les mettre à l’épreuve des traitements autorisés par le logiciel puis des corrigés qu'il 125 Chapitre III propose – en général dynamiques, c'est à dire prenant en compte à la fois la spécificité du cas traité et les interventions de l'élève – afin de provoquer les remises en cause nécessaires et les évolutions qui s'ensuivent. Le point de départ est donc phénoménologique. Cela signifie que les signes rencontrés par l'élève – graduations, subdivisions, nombres entiers..., écritures fractionnaires puis décimales à virgule... – ne réfèrent pas forcément, au début, aux objets ou notions mathématiques correspondants : nombre rationnel, proportion, interprétation des chiffres après la virgule en termes de dixièmes, centièmes... Ils ne sont en fait pas encore considérés comme des signes, mais comme des objets : "ce sur quoi porte l'orientation intentionnelle de la conscience à un instant donné" (Duval ; 1998, p. 180). Ces objets réagissent de manière spécifique, sous la forme de rétroactions du logiciel, aux traitements engagés par les élèves. Différents aspects de la notion en construction sont ainsi tour à tour mis en valeur, suivant le registre dans lequel on travaille et les traitements qu'on y développe. La synthèse de ces actions et rétroactions, spontanée et provoquée par le maître, atteint son aboutissement lors de l'étude des logiciels de conversion, débouchant sur l’énoncé de règles stables et la compréhension de leur origine. Le point de vue ainsi conquis est alors le point de vue scientifique au sens de Duval (1998 ; p. 167) : les objets manipulés par les élèves acquièrent le statut de signes, et le système à l'intérieur duquel ils évoluent le statut de registre. La nature de la relation sujet-objet s'est modifiée, du sens servi par l'appréhension immédiate à la référence construite et stabilisée (ibid). Nous rapporterons aux chapitres IV-2.3, IV-2.4.4 et V (voir notamment Jérôme pour Fracti 2 en V-1.6.2) des réflexions d'élèves qui illustreront cette évolution de conceptions (à l'échelle d'un élève) : du phénomène observé voire subi, à l'élaboration du concept, raccroché à la trame du savoir déjà là. Pour l'instant, étudions quelques exemples plus macroscopiques (à l'échelle d'un groupe d'élèves, voire de la classe entière). 2.3.2. Exemples d'itinéraires d'apprentissage au moyen des logiciels Exemple 1 : 3,4 > 3,19 Lors de la passation sur Format2, le décimal 3,4 est reconnu comme supérieur à 3,19, car en disposant ces deux nombres dans un format à virgule fixe, balayé de la gauche vers la droite, je rencontre 4 contre 1 au premier rang susceptible de les départager. Aucune interprétation provoquée par le maître, en termes de centièmes (par 126 Chapitre III exemple 3 + 40 19 contre 3 + ) n'est proposée à ce stade. On se contente d'une 100 100 approche phénoménologique du format à virgule fixe. Mais lors de la passation sur Form2gra, on pourra être amené à convertir 3,19 en un point d’une droite graduée ; donc à demander une subdivision en dix – peut-être parce qu'il y a dix chiffres disponibles ou pour tout autre raison bâtie sur une connaissance précise ou floue des écritures en base dix – de l'intervalle [3 ; 4] – peut-être parce qu'on lit 3,19 "trois virgule dix-neuf et que donc c'est trois et quelque chose" ; puis à resubdiviser après zoom l'intervalle [3,1 ; 3,2] en dix et enfin à y déposer 3,19, définitivement inférieur à 3,4 car situé entre 3,1 et 3,2. La compréhension des décimales de ces nombres en termes d'un certain nombre de dixièmes et de centièmes peut être issue de la convergence de deux mouvements : interprétation du rang de ces chiffres comme descripteurs des actions de subdivision récursive par dix ; interprétation des chiffres eux-mêmes comme descripteurs d'actions de reports. Une acception purement cardinale du 4 contre 19 est ainsi mise à distance, car la notion de rang trouve désormais un équivalent dans le registre des droites graduées (niveau de profondeur du zoom), légitimant l'éventuelle transformation de ce 4 en 40. Dès lors ces divers chiffres et nombres réfèrent à des objets, qui ont acquis leur existence d'une certaine invariance entre deux représentations hétérogènes. Exemple 2 : 3 c'est trois fois un quart ou un quart de trois 4 Il est possible d’aborder l’étude de Fracti1 avec pour seul bagage une idée plus ou moins précise de la notion de fractionnement appliqué à des grandeurs élémentaires : une demi-heure ; trois quarts d'heure ; un tiers de litre... éventuellement complétée par une introduction papier/crayon légère aux fractions-mesures. C'est du reste l'option que nous avons retenue et qui sera examinée au chapitre V-1. Examinons à présent ce que nous apprend l'approche phénoménologique de Fracti1. L'élève voit défiler à l'écran des fractions et doit cliquer dès qu'il estime que cette fraction représente un nombre entier. S'il se trompe et décide par exemple que 9 est entier, le logiciel lui indique alors que 4 cela est faux car 9 n'est pas un multiple de 4. Ce logiciel crée donc phénoménologiquement deux types "d'objets-fractions" a : ceux qui sont entiers et pour b lesquels "a est dans la table de b" ; ceux qui ne le sont pas et pour lesquels "a n'est pas 127 Chapitre III dans la table de b". L'objet a est donc celui qui pose une question du style : "en a b combien de fois b ?", ce qui tend à rapprocher a de "a divisé par b". Par ailleurs, les b élèves pour qui une fraction exprime une mesure par fractionnement de l'unité, peuvent accepter que 4 8 12 4 ; ; ... représentent des entiers puisque pour eux = 1. Quoi qu'il en 4 4 4 4 soit, deux points de vue, qu'on se gardera bien de départager à ce stade, pourront coexister : a présente à la fois des caractéristiques de a divisé par b et de "a bièmes". b Plaçons-nous à présent au moment des conversions des écritures fractionnaires vers les droites graduées : le premier point de vue pourrait déboucher sur une "écriture" de 3 dans le registre des droites graduées analogue à celle de la Figure 15-a (3 divisé 4 par 4 ou un quart de trois), tandis que le deuxième point de vue (trois fois un quart) pourrait se représenter comme sur la Figure 15-b : y x 4 4 0 0 3 Figure a : droite d1 1 Figure b : droite d2 Figure 15 La confrontation de ces deux points de vue légitime la question de leur identité. On pourra alors tenter de déposer par exemple y sur la droite d1. Résoudre ce problème sémiotique demande de trouver une graduation de d1 qui attrape simultanément x et y . Or y étant repéré par rapport à [0 ; 1], il serait souhaitable que cette graduation attrape 1, donc qu’elle permette de diviser [0 ; 3] en 3 tout en continuant à attraper x , soit quelle continue de diviser [0 ; 3] en 4. Ce type de recherche a été développé lors de l'étude de Gradu5 (voir en 2.2.1 les moyens d'intervention disponibles pour effectuer cette opération). La solution consiste à demander une resubdivision en 3 x 4 = 12 du repère [0 ; 3]. La flèche associée à x pointe alors vers la troisième graduation sur les quatre comprises entre 0 et 1, ce qui assure l’égalité de x et 128 Chapitre III y (Figure 16). On vérifie aisément que le problème symétrique, déposer x sur d2, peut se traiter par 3 reports de [0 ; 1] et un fractionneur égal à 4. x=y 12 1 0 2 3 Figure 16 : droite d3 Remarquons que le processus ayant permis cette identification n’est pas qu’une simple coïncidence visuelle, mais dépend de décisions procédurales – recherche d’un multiple commun à 3 et 4 par exemple – qui rendent compte de la généralité du phénomène : l’égalité de x et y n’est pas seulement donnée à voir – comme une curiosité, peut être attachée à un cas particulier –, mais construite à partir d’une procédure à forte valeur explicative. Ainsi, les deux points de vue sur l'objet fraction s'enrichissent de leur contradiction apparente, et trouvent une occasion de converger lors des conversions inter-registres. Au cours de cet itinéraire, on aura noté que telle opération de formation – ici posée par Fracti1 – met en valeur telle propriété ou tel point de vue sur les rationnels – la formation dans un autre registre pouvant en éclairer un autre aspect ; telle conversion – ici des écritures fractionnaires vers les droites graduées – pose le problème de la confrontation ; tel traitement – dans le registre des droites graduées, des Figure 15 vers la Figure 16 – permet d'en assurer le dépassement. C'est donc bien tout l'arsenal des registres qui est convoqué pour cette séquence d'apprentissage. Exemple 3 : 3 2 et expriment des proportions (au sens de rapport entre 4 3 deux grandeurs) et la proportion 3 2 est supérieure à la proportion 4 3 Envisageons le problème physique de cran 4 suivant : je mélange 3 verres de jus de fruit à 4 verres d'eau d'une part ; 2 verres de jus de fruit mélangés à 3 verres d'eau d'autre part. Lequel des deux mélanges a le plus le goût du jus de fruit ? Ce problème sera encore plus compliqué si les verres du premier mélange sont tout petits, et ceux du 129 Chapitre III deuxième mélange tout grands... Il demande en tout cas une prise en compte des proportions et non des quantités absolues, sauf à se livrer à une expérience mentale consistant à se poser une question du type : "si j'ai le même volume des deux mélanges, dans lequel aurai-je le plus de jus de fruit ?". On voit alors qu'on a intérêt à effectuer d'abord un changement d'échelle, et à imaginer que les verres ont tous le même volume, avant d'envisager une base de comparaison commune... où l'on retombe sur les proportions. Examinons à présent comment Gradu4 aborde cette famille de problèmes. Ce logiciel demande de comparer deux rationnels dont une expression dans ce registre est par exemple : x y 3 4 0 1 0 1 Figure 17 On notera bien sûr que les deux "échelles" sous lesquelles on "voit" ces rationnels sont différentes, mais qu'après tout, cette donnée observationnelle est courante : la lune et le soleil ont même diamètre apparent, et pourtant on sait bien que le soleil est beaucoup plus grand que la lune – ce qui suppose une capacité à imaginer ce qui se passerait si on les observait à la même distance, donc à faire un changement d'échelle... De toutes façons, le choix d'une même unité pour les deux représentations aurait débouché sur des comparaisons physiques de longueurs et donc singulièrement appauvri le problème, l'éloignant radicalement de la comparaison en proportions. On notera à ce propos à quel point l'univers des droites graduées est à la fois sémiotique – ce sont les signes qui me permettent avant tout de prendre des décisions contre les apparences – et physique – puisqu'il y est question d'observations et d'échelles. Gradu4 invite donc à une expérience mentale de comparaison : si les deux schémas étaient à même échelle... Et comme l'expérience est mentale, on ne peut s'appuyer que sur ce qui est invariant par changement d'échelle, à savoir par exemple le positionnement relatif de chacun des points par rapport à [0 ; 1], et en fonction des subdivisions. Nous avons ainsi pu constater des raisonnements que nous résumons ainsi : "[si les deux segments gradués étaient à même échelle], j'aurais un point situé à 1 intervalle parmi 4 [de l'extrémité du repère soit ici de 1],dans le premier cas ; à 1 130 Chapitre III intervalle parmi 3 [toujours de l'extrémité du repère] dans le deuxième cas, donc le premier point serait plus proche de 1 que le deuxième". Dans d'autres cas plus simples, on a observé des comparaisons par rapport à la moitié (nous adoptons des écritures fractionnaires des rationnels concernés pour la simplicité de l'exposé, mais il s'agit bien ici de décrire des types de réactions d'élèves travaillant sur des expressions équivalentes sur droites graduées) : 4/10 est plus petit que 1/2 car 4 est inférieur à la moitié de 10, 3/5 est supérieur à car 3 est supérieur à la moitié de 5, donc 4/10 < 2/3 ; ou encore en séparant les deux rationnels par un entier : 9/4 > 2 car 9 est supérieur au double de 4 ; 5/3 < 2 car 5 est inférieur au double de 3. Toutes ces justifications attestent bien que c'est le rapport des grandeurs qui est pris en compte (la moitié, le double...) et non la juxtaposition des deux grandeurs (qui déboucherait sur des erreurs du type : 4/10 > 2/3 car 4 > 2 et 10 > 3). D'autres logiciels permettront soit de développer des stratégies alternatives de comparaison des rationnels, soit de donner de la profondeur aux mêmes stratégies grâce à leur reformulation dans un autre registre. Il est ainsi possible dans Fracti 5 exercice 4, de comparer deux fractions comme 2/3 et 3/5, toutes deux comprises entre 0 et 1, et donc non discernable au moyen du seul filtre entier – et même du filtre des moitiés –, mais qui, après une dilatation judicieusement choisie, se trouvent bien séparées par un entier : 2/3 x 3 = 6/3 = 2 ; 3/5 x 3 = 9/5 et 9/5 < 2 car 5 est inférieur à la moitié de 9, ou encore 9/5 < 10/5 qui vaut 2. Nous retrouvons, à travers cet exemple, un itinéraire d'apprentissage procédant par changements de points de vue et adaptations, suivant le potentiel explicatif de chacun des registres concernés ou les nécessités de leur articulation. Pour plus de détail sur l’organisation des passations, la nature de la tâche demandée à l’élève, le type d’action valide et des rétroactions des logiciels, on se reportera au chapitre VI-1.3. 2.3.3. Conclusion du paragraphe 2.3.1 L'idée qui a présidé à cet itinéraire d'apprentissage est le constat que l'autoorganisation des connaissances sémiotiques débouche sur des impasses. C'est pourtant ce qui se produit lorsque, au terme d'un processus d'enseignement, on présente paradoxalement les fractions comme un moyen de faciliter la résolution de problèmes 131 Chapitre III qu'on vient pourtant de résoudre en s'en passant ! Nous avons en effet rappelé au chapitre II que nombre de problèmes rationnels – par exemple celui des mélanges de jus de fruit revu ci-dessus en 2.3.2 exemple 3 – pouvaient se résoudre sans recours aux fractions. Dès lors, ces dernières risquent d'apparaître au mieux comme une complication inutile, au pire comme ce que l'appréhension immédiate en laisse transparaître, par exemple un couple de deux entiers juxtaposés – provoquant des erreurs du type : 4/10 > 2/3 car 4 > 2 et 10 > 3. Ce type d'erreurs n'est pas de ceux qui stimulent l'apprentissage, car il se présente comme une fin de non recevoir et non comme une étape d'un processus évolutif où le constat d'erreur indique la voie d'un nouvel essai. C'est donc bien une impasse. Ce paradoxe est fréquent dans l'enseignement : un outil, dont l'enseignant connaît la puissance de résolution de problèmes de niveau n, doit être mis en scène, pour être compris, dans des contextes de niveau n - 1, inaptes à en justifier la nécessité. L'enseignant est ainsi confronté au dilemme suivant : enseigner l'outil dans un contexte qui justifie sa nécessité mais dont la complexité risque de le masquer ; enseigner cet outil dans un contexte dont la simplicité le rend transparent et tenir à ses élèves un discours moralisateur du type : "plus tard tu comprendras..."17. Nous avons donc renoncé à introduire les fractions comme outils pertinents de résolution de problèmes, faute d'être à même d'établir didactiquement cette pertinence. Dans notre optique, confortée par l'observation directe ou indirecte – rapportée par d'autres chercheurs – d'élèves, c'est l'écriture fractionnaire elle-même qui pose problème. Et pour prendre la mesure des enjeux de ce problème, nous avons choisi de le poser initialement dans un contexte riche en possibilités d'actions explicites et de rétroactions, que l'environnement informatique rendait enfin accessibles, à savoir le contexte géométrique des droites graduées qui sera présenté en détail au chapitre IV. Mais si ce travail devait se réduire à une manipulation formelle de signes, selon un code plus ou moins arbitraire autorisant ou interdisant tel ou tel type d'actions, il ne serait d'aucun intérêt didactique, et présenterait même les dangers évidents liés à une adhésion par conditionnement. Nous avons vu qu'il n'en était rien et que, conformément à la théorie de Duval qui s'est trouvée être amplement vérifiée par l'expérience, ces 17 Ainsi en géométrie, le théorème dit "des milieux", dont l'énoncé rend perplexe tant il semble marqué par l'évidence - "à quoi cela sert-il d'énoncer ainsi l'évidence ?" et dont la nécessité et la complexité ne pourront apparaître qu'ultérieurement. 132 Chapitre III traitements et conversions, dans la mesure où ils sont développés à l'intérieur de véritables registres, permettent l'émergence d'invariants que sont les concepts et les familles de problèmes associés. 3. Une caractéristique d'un registre d'expression : sa dimension Ayant exposé notre projet d'enseignement et les choix stratégiques qui le structurent, notamment la décision de faire fonctionner les signes comme générateurs de problèmes, nous allons à présent affiner notre investigation sur la nature de leur complexité, donc en quoi ils peuvent effectivement poser problème. Ceci va nous amener à définir la notion de dimension d'un registre d'expression dans certains cas particuliers (une définition générale reste à développer). Prenons l'exemple des écritures fractionnaires : nous les avons écartées de notre introduction aux rationnels en invoquant les leurres formels usuels que ces dernières provoquent. Nous allons dépasser ici ce premier niveau d'analyse en examinant la trame même dans laquelle elles s'inscrivent, et plus généralement dans laquelle s'inscrivent différents modes d'expression des rationnels. Nous serons alors en mesure de mieux apprécier les difficultés ou facilités structurelles liées à ces systèmes et la légitimité qu'il y a à développer un système alternatif, celui des droites graduées. Un retour aux sources s'imposait à ce stade. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de questionner un ouvrage fondateur des rationnels en particulier et des mathématiques en général, à savoir les Eléments d'Euclide. Ainsi que nous le détaillerons un peu plus bas, un calcul comme 1 4 + 1 4 ou encore 0,25 + 0,25, bien que référant aux mêmes objets et notions mathématiques, n'engage évidemment pas le même type de traitements sur les nombres entiers en jeu : 1, 4, 0, 25. Par ailleurs, le discours fondateur d'Euclide sur les proportions, bien que référant aussi aux nombres rationnels, ne se développe pas sur le même mode qu'un discours contemporain équivalent. Nous allons tenter de préciser en quoi ces deux exemples, a priori bien distants, sont susceptibles de s'interpréter au moyen d'une même catégorie de pensée et comment ils nous renseignent, d'un point de vue épistémologique et didactique, sur les différences entre ces deux systèmes d'expression des rationnels que sont les écritures décimales et fractionnaires. Nous en profiterons pour nous interroger sur la légitimité qu'il y a à les considérer comme des registres différents – alors qu'ils 133 Chapitre III recourent à un ensemble de signes pratiquement identiques pour produire leurs significations. Nous terminerons par quelques réflexions rapides sur la notion de pourcentage et ses liens avec les considérations qui précèdent. Dans le cas de la somme "un quart plus un quart", on peut expliquer ces différences de traitements en disant que le 25 après la virgule représente en fait qu'après simplification on retrouve bien 1 , 4 25 100 et et que, moyennant cette interprétation du reste totalement codifiée des nombres à virgule, on comprend mieux l'équivalence des actions menées dans l'un ou l'autre de ces systèmes d'écritures. Il n'empêche qu'en dépit de cette tentative de ... rationalisation, les élèves continuent à se tromper, même lorsqu'ils sont capables d'énoncer correctement la signification, en termes fractionnaires, des chiffres après la virgule d'un nombre décimal. Ce qui prouve bien que les erreurs persistantes dans ce domaine sont plus dues à les leurres sémiotiques qu'à un défaut de conceptualisation. C'est en cela qu'elles constituent un phénomène didactique qui mérite qu'on s'y penche et qu'on le nomme. Quant au discours d'Euclide, il nous permettra de regarder ce phénomène avec une distance suffisant à nous renseigner sur sa portée. Notre approche consistera donc à questionner la manière dont se développent ces divers modes d'expression, et notamment comment ils utilisent différemment l'espace du support de l'écriture pour produire leurs significations. Remarquons tout d'abord que le support physique – feuille de papier, tableau, écran d'ordinateur – du code écrit de la langue naturelle est essentiellement bidimensionnel. Mais si l'on s'intéresse à la manière dont s'oriente la production et la prise d'information, nous comprenons qu'il est avant tout unidimensionnel, le code écrit s'enchaînant de façon linéaire et séquentielle, tout du moins dans les systèmes d'écriture basés sur la double articulation, par opposition aux systèmes idéographiques par exemple. Qu'en est-il du discours mathématique et des différents registres qu'il emprunte ? Nous admettrons aisément que le registre des figures géométriques planes est bidimensionnel – considérant que la prise et la production d'information demande une prise en compte des deux dimensions de la feuille de papier – et qu'une représentation des nombres sur une droite graduée est unidimensionnelle. Quant aux registres numériques, c'est à dire ceux qui mobilisent écritures chiffrées des nombres, 134 Chapitre III lettres et signes opératoires pour signifier, nous allons voir que, du point de vue qui nous intéresse, ils peuvent être uni ou bidimensionnels. Nous nous permettons d'insister sur le fait que les considérations qui suivent portent avant tout sur les signes et les traitements qu'on leur applique, et secondairement sur les concepts sous-jacents. En effet, le discours mathématique, procède essentiellement par substitution, une proposition se substituant à une autre proposition référentiellement équivalente. "Mais cette démarche va souvent à l'encontre d'une condition nécessaire pour qu'il y ait sens dans la pensée naturelle : la continuité sémantique et associative entre les expressions à substituer. Un élève qui ne perçoit pas l'attitude intellectuelle exigée par les mathématiques fait spontanément de la congruence sémantique la condition nécessaire, et parfois suffisante, de l'équivalence référentielle." (Duval, 1988, p. 8). On comprendra dès lors qu'une analyse didactique ne peut que s'interroger sur la "continuité sémantique et associative entre les expressions à substituer", et les axes distincts que la pensée doit éventuellement emprunter pour que ces substitutions soient valides. 3.1. Le cas des écritures décimales et fractionnaires Reprenons partiellement l'exemple – déjà – cité par Duval (1995, pp. 41-42) en tâchant de préciser, suivant notre problématique, en quoi les "significations opératoires" des calculs proposés diffèrent : 0,25 + 0,25 = 0,5 1 4 + 1 4 = 1 2 On peut supposer que tout d'abord on ait donné 0,50 comme résultat du premier calcul. Ce résultat est obtenu en appliquant le même type de traitement à chacun des chiffres du membre de gauche, soit successivement à 5, 2, et 0. La décision de se débarrasser du 0 de 0,50 peut être, à un stade d'automatisation, interprétée comme l'application d'une règle purement sémiotique : "on peut effacer les zéros terminaux". Cette règle s'applique dans la continuité du calcul en ligne. Examinons à présent le deuxième calcul : non seulement le traitement sur les deux lignes de l'expression (celles du numérateur et du dénominateur) n'est pas de même nature (il semble conserver le numérateur commun et diviser par 2 le dénominateur commun) mais encore, il contrarie le sens courant des opérations sur les naturels 135 Chapitre III (1 + 1 = 1 ! et 4 + 4 = 2 !). Le passage par 1 4 + 1 4 = 2 4 ne change pas grand chose à ces considérations, dans la mesure où les traitements entre les deux lignes, séparées par le trait de fraction, divergent toujours notablement. Remarquons pour finir que la simplification 2 4 = 1 2 demande une prise en compte simultanée et donc non séquentielle de ces deux lignes. Nous pourrions développer le même type de réflexions à propos des deux résultats suivants : 0,75 > 0,667 3 4 > 6 9 en remarquant notamment qu'une décision passant par la comparaison de 6 9 6 8 et pourrait à nouveau résulter d'un traitement radicalement différent sur le numérateur et le dénominateur : plus grand le numérateur, plus grande la fraction ; plus grand le dénominateur, plus petite la fraction. Ceci nous amène à poser que le calcul fractionnaire se développe suivant deux axes distincts bien qu'en interrelation, discernables parce que relevant de traitements distincts, et matérialisés par les deux lignes d'écriture du numérateur et du dénominateur. C'est en quoi nous nous autoriserons à dire, par abus de langage, que le registre des écritures fractionnaires est bidimensionnel. Par opposition, et dans la même ligne d'idée, on comprendra que le calcul sur les écritures décimales sera considéré comme unidimensionnel. Concluons ce paragraphe sur une citation de Stella Baruk qui, dans son dictionnaire des mathématiques élémentaires, (1993), dit que si : "..énoncer 2 dizaines ou 5 centaines, c'est énoncer des nombres, on ne voit pas pourquoi [...] énoncer 3 dixièmes ou 5 centièmes ne serait pas énoncer des nombres...". Tant que l'on garde de ces nombres une expression écrite ou orale linéaire comme 3 dixièmes ou 5 centièmes, on ne voit pas effectivement pourquoi. Mais que l'on passe à l'expression 3 5 ou , 10 100 qui rompt la chaîne de l'écrit en deux directions distinctes sur le plan des traitements – contrairement aux expression chiffrées usuelles de 2 dizaines ou 5 centaines en 20 ou 136 Chapitre III 500 –, et on voit immédiatement en quoi les élèves résisteront à les identifier à des nombres, dont le modèle entier leur a appris la caractéristique unidimensionnelle. 3.2. Le discours d'Euclide est unidimensionnel Mettons à présent à l'épreuve du discours d'Euclide notre analyse en terme de dimension. Pour illustrer notre propos, nous avons choisi la définition 6. du cinquième livre (Peyrard, 1993), que nous rappelons : "Des grandeurs sont dites être en même raison, la première à la seconde, et la troisième à la quatrième, lorsque des équimultiples quelconques de la première et de la troisième, et d'autres équimultiples quelconques de la seconde et de la quatrième sont tels, que les premiers équimultiples surpassent chacun à chacun, les seconds équimultiples, ou leur sont égaux à la fois, ou plus petits à la fois." Cette proposition, bien entendu directement connectée à notre réflexion puisque renvoyant à une définition de grandeurs proportionnelles – définies dans la proposition 7 suivante au moyen d'une identité de raison – nous semble suffisamment complexe dans son expression euclidienne, et suffisamment clarifiable par un discours moderne, pour être en mesure de donner tout son sens à notre assertion-titre. Commençons donc par en proposer une traduction actuelle : On définira tout d'abord le rapport de deux grandeurs comme rapport des deux nombres mesurant chacune de ces grandeurs avec une unité choisie ; on établira ensuite l'invariance de ce rapport par un changement d'unité. En appelant g1, g2 ,g3, g4, les quatre grandeurs de la définition d'Euclide, on obtiendra comme traduction de cette dernière : g1 g 3 = ⇔ ∀ a ∈ N , ∀ b ∈ N ,( ag1 > bg 2 ⇔ ag 3 > bg 4 ) ou ( ag1 < bg 2 ⇔ ag 3 < bg 4 ) g2 g4 Notons au passage que le cas ag1 = bg 2 ⇔ ag 3 = bg 4 ne se produit que si le rapport des grandeurs est rationnel. Si Euclide ne se contente pas d'énoncer ce cas de l'égalité, qui suffirait bien sûr à affirmer l'égalité des rapports, c'est qu'il envisage la possibilité que ce rapport soit irrationnel (Dhombres ; 1995, p 656). L'opposition rationnel/irrationnel sera du reste traitée dans le livre 10 sur les grandeurs commensurables. 137 Chapitre III L'implication gauche vers droite est évidente ; l'implication réciproque se démontre aisément par l'absurde (Si g1 g 3 b ≠ , alors on peut intercaler une fraction a g2 g4 entre les deux rapports et le reste en découle). Mais plaçons-nous dans la position de celui qui veut appliquer ce critère à la reconnaissance de la proportionnalité des grandeurs concernées. Il devra : • former séquentiellement le produit de chaque grandeur par les entiers quelconques a ou b ; • prouver que : • si ag1 > bg 2 , alors ag 3 > bg 4 • puis que : • si ag1 < bg 2 alors ag 3 < bg 4 Comme on le voit, la démonstration se mène séquentiellement, en suivant une seule ligne de développement. A l'opposé, un usage moderne des fractions, bien plus économique, demande de jouer une partition à deux voix du type : a c ad bc = ⇔ = ⇔ ad = bc b d bd bd Deux lignes de calculs – celle du numérateur et celle du dénominateur – apparaissent. En effet, pour progresser à droite des signes d'équivalence ou d'égalité je dois : • soit agir simultanément – en harmonie – sur a et b puis sur c et d ; • soit appliquer des traitements radicalement différents à chacune de ces lignes, à tel point qu'à la fin, une des deux lignes disparaît purement et simplement quand l'autre est conservée à l'identique ! Ce n'est donc pas un discours linéaire, puisque apparaissent à la fois des simultanéités et des dissymétries d'actions, révélant deux axes de progression, parfois en harmonie, parfois en contrepoint, parfois sans lien formel apparent. Remarquons pour finir que les seules figures qu'Euclide utilise pour illustrer ses démonstrations sont des segments de droites, c'est à dire des objets unidimensionnels. Ceci n'est pas sans rapport avec ce qui vient d'être dit car : • toutes ses définitions et démonstrations reposent sur la notion de report ; 138 Chapitre III • dans un discours de type rhétorique et pas algébrique, on ne voit pas comment il pourrait en aller autrement – les fractions ouvrent la possibilité de progresser d'égalité en égalité alors que la division euclidienne ou l'algorithme d'Euclide fonctionnent d'équivalence en équivalence, moyennant des opérations de reports et l'évaluation des restes ; • le cadre géométrique le plus naturellement adapté à ces opérations de report est bien entendu la droite, car l'isométrie des formes y équivaut à celle des grandeurs – des longueurs en l'occurrence ; • c'est mathématiquement correct ainsi que le remarque Jean Dhombres (19?? ; p 657) : bien que l'antiquité n'ait eu ici que "une intuition heureuse...", "...le domaine des raisons qu'il est possible de considérer pour des grandeurs comme les longueurs constitue tout le champ des raisons possibles..." ; en d'autres termes, il existe toujours deux longueurs dont le rapport soit égal au rapport de deux grandeurs quelconques. Toutes ces considérations ont eu un poids considérable dans nos choix didactiques. 3.3. Les systèmes d'écritures décimale et fractionnaire constituent-ils deux registres différents ? On peut se demander si les dimensions différentes auxquelles renvoient les écritures décimales et fractionnaires suffisent à assurer qu'il s'agit bien de deux registres différents. Il est difficilement niable que cet argument soit un argument de poids en faveur de cette différenciation, renforcé par la difficulté ou les réticences qu'éprouvent les élèves et même les adultes (voir par exemple le mémoire professionnel – M. Delemontex et D. Eisenbeis , 1993 – : "Pourquoi 1/5 = 0,20 ?") à passer d'un système d'expression à l'autre. Mais on peut aussi objecter que les règles de passage entre écritures fractionnaires et décimales étant totalement algorithmisables, elles renvoient plus à un traitement qu'à une conversion, tant on sent chez Duval (1995 , p 42 et 1998, p167) à quel point cette dernière opération – en tous cas la coordination de plusieurs registres qui l'implique – est décrite comme constitutive du fonctionnement du sujet cognitif et de ses choix. Un deuxième argument est donc nécessaire pour se convaincre que nous sommes bien en présence de deux registres différents. Remarquons au passage que cette question est essentielle d'un point de vue didactique, car elle déterminera les choix d'activités d'apprentissage qui seront proposées aux élèves (voir chapitre V). Si 139 Chapitre III les règles de passage, dans le cas d'un calcul exact sont effectivement explicitables, celles qui débouchent sur un calcul approché (cas de l'expression décimale approchée d'un rationnel non décimal ou d'un décimal à n chiffres après la virgule, avec n grand) ne le sont plus, car dépendant de décisions de l'utilisateur, elles-mêmes liées à la nature du problème et aux précisions qu'il exige. Troncatures et arrondis sont des opérations mettant en jeu les différences subtiles entre ces deux modes d'expression des rationnels, différences d'ailleurs partiellement liées à la notion de dimension évoquée plus haut. En effet, s'il est possible, au seul vu de son écriture à virgule, de donner des approximations de plus en plus fines d'un décimal, c'est bien parce que son développement sur une seule ligne permet en fait une décomposition de ce nombre suivant les puissances de dix, donc suivant une précision croissante, à moindre coût. Ainsi, une fraction comme 10000/256 peut à peine être située à vue entre 30 et 50, alors que 39,0625 qui est son expression décimale exacte, peut se laisser approcher beaucoup plus finement. Nous en concluons que nous sommes bien en présence de deux registres différents, et que cette différenciation a une pertinence didactique dans la mesure où les arguments qui ont légitimé cette conclusion ont une origine et des incidences didactiques. 3.4. Le cas particulier des pourcentages Dans sa thèse consacrée aux pourcentages dans le cadre de la formation d'apprentis (1995, p 97), Corinne Hahn analyse les résultats d'un test de type QCM, à l'entrée d'un cycle de Bac professionnel. Sur les vingt questions que comptait l'épreuve de la session de 1992, trois questions portaient sur les pourcentages. Les autres questions portaient sur des notions de calcul fractionnaire, de puissances, de proportionnalité, et de calculs algébriques élémentaires. Une de ses conclusions est : "il semble que les élèves ayant obtenu les meilleures notes au test sont ceux qui savent que 20% = 1 ". 5 Et un peu plus loin : "Les élèves ayant obtenu les notes les plus basses associeraient 20% à un coefficient de 0,8" (les pourcentages sont, pour ces élèves ayant tous une expérience de la vente, souvent associés au calcul d'une remise). Ces deux exemples montrent que : • la notion de pourcentage relève de deux registres, celui des écritures décimales et celui des écritures fractionnaires. 140 Chapitre III • Un troisième système d'écriture, celui qui utilise le signe % (que C. Hahn appelle symbolique), et qui n'est pas un registre puisque ne permettant pas de traitements, demande cependant une attention particulière puisqu'il intervient couramment dans les énoncés, et demande donc une opération de type conversion suivie éventuellement de calculs dans l'un des registres, décimal ou fractionnaire ; • Les conversions entre ces trois systèmes ne seront pas congruentes au sens où Duval définit cette notion (1995, p 47), puisque les dimensions des représentations diffèrent. Nous avons déjà vu que c'était le cas lors des conversions entre écritures décimales et fractionnaires, mais qu'en est-il de l'écriture symbolique ? Suivant les considérations qui précèdent, cette notation nous semble être unidimensionnelle, puisqu'insérable uniquement dans le registre écrit de la langue naturelle et jamais dans un calcul. • Dès lors, il est possible d'interpréter les résultats aux test de C. Hahn en termes de congruences entre représentations hétérogènes : il n'est ainsi pas étonnant de trouver les réussites les plus importantes auprès des élèves qui réussissent le mieux dans la conversion la moins congruente – passage de 20%, unidimensionnel, à bidimensionnel, mais avec détour par une mise en relation de 20 à 100 – peut-être 1 , 5 20 100 – , donc des deux dimensions de la représentation, pour accepter une forme très éloignée de l'expression originelle comme équivalente à cette dernière. • Quant aux élèves qui associent 20% à 0,8, on peut y voir la mise en œuvre d'une recette d'autant plus efficace et donc appropriée qu'elle permet de conserver l'unidimensionnalité de l'expression des nombres en jeu et des opérations qu'on leur applique. Nous n'en dirons pas plus ici sur les pourcentages et autres problèmes relevant de la proportionnalité, mais on pourra se référer à d'autres auteurs qui y ont consacré des études approfondies, dont certaines en termes de registres (Dupuis et Pluvinage ; 1981) ; (Damm Werner ; 1991 et 1998) ; (Damm Werner et Dupuis ; 1992, pp. 1-12) ; (Koleza ; 1993, pp. 125-147). 3.5. Conclusion de la section 3 141 Chapitre III Ainsi donc, la dimension d'un registre d'expression est un indicateur pertinent sur le plan épistémologique et didactique. Elle nous a notamment permis de clarifier la distinction entre écritures fractionnaires, écritures décimales, droites graduées, discours rhétorique, et a donc contribué à valider la séparation de ces divers modes d'expression en registres distincts. Par ailleurs, nous avons relevé que le choix des droites graduées, registre de dimension 1, comme support de l'expression des rationnels était légitime sur le plan purement mathématique. Il nous reste à examiner en quoi l'introduction des rationnels dans ce registre est didactiquement justifiée. Cette question sera abordée lors de la section suivante. 4. Un outil sémiotique pour des problèmes physiques : les droites graduées Cette section a un triple objet : montrer qu'il est possible d'interpréter et de résoudre un problème physique au moyen du seul système des droites graduées ; en déduire quelques éléments de cahier des charges pour ce système afin de le constituer en véritable registre ; préciser la place qu'occupe la résolution de problèmes dans notre dispositif. Nous avons exposé, aux trois sections précédentes, les raisons théoriques, c'est à dire se référant aux travaux des autres chercheurs – notamment ceux de Duval – et à nos propres recherches et observations, de notre paradigme d'enseignement, ainsi que certains outils – comme la dimension d'un registre – en affinant l'analyse. Dans cette présente section, nous allons commencer à nous interroger sur la faisabilité didactique d'un tel projet, en le reliant explicitement à ce qui constitue l'objet récurrent des mathématiques, à savoir la résolution de problèmes. A cet égard, nous examinerons quatre problèmes physiques rationnels de cran 3 et 4 ; nous envisagerons des représentations visuelles, donc géométriques de ces derniers ; nous tenterons alors de trouver des solutions à ces problèmes au moyen d'opérations intrinsèques à ce système d'expression. Nous parviendrons ainsi à esquisser les contours de ce que devrait être un registre géométrique d'expression des rationnels, susceptible d'interpréter et de résoudre toute une famille de problèmes rationnels. Cette section justifiera donc les décisions retenues pour la forme et la succession des logiciels de la série Gradu ; plus généralement, elle permettra de comprendre certaines conditions plus ou moins 142 Chapitre III nécessaires au développement du registre des droites graduées – notamment le recours à l'outil informatique – qui sera étudié en détail au chapitre IV. Ajoutons que, si notre idée n'est pas de décrire une séquence d’enseignement précise sur l’aide à la résolution de problèmes, nous avons néanmoins donné au paragraphe 4.6 quelques indications à ce sujet. Rappelons enfin qu’affiner l’articulation entre activités logicielles et résolution de problèmes physiques rationnels constitue la principale proposition d’amélioration que nous souhaiterions apporter à notre dispositif. Les problèmes rationnels mettent en rapport deux grandeurs. C'est la raison pour laquelle les nombres rationnels, qui sont censés interpréter ces problèmes, s'expriment usuellement au moyen d'une écriture fractionnaire qui mobilise deux nombres entiers. Cet antagonisme du deux pour un est un obstacle épistémologique. Ceci est attesté par la persistance des élèves à dissocier numérateur et dénominateur (Carraher et Schliemann ; 1991), mais aussi par la difficulté qu'a eue l'humanité à se doter de l'écriture fractionnaire. Nous avons vu plus haut, en 3.2, qu'Euclide produisait un discours essentiellement unidimensionnel car lié à la chaîne linéaire du code écrit. Par opposition, nous pensons avec Pluvinage (1998 ; p. 129) que : "[la barre horizontale des fractions]... introduit la dimension 2 dans l'écriture". Mais cette présentation bidimensionnelle des rationnels ne constitue pas une stricte nécessité ; "... elle s'est pourtant imposée en raison de son caractère commode à l'emploi et de la facilité de vision procurée, bien plus grande que celle qui résulte de la chaîne d'écriture linéaire....". On peut voir dans l'évolution des notations rationnelles vers la bidimensionnalité une évolution de la fonction référentielle (Duval ; 1995, p. 98) qui parvient, par le jeu des écritures fractionnaires, à cerner son objet au moyen d'un minimum de signes – le rationnel a – quand un discours rhétorique mobilise des opérations de catégorisation b croisées fort complexes (Euclide ; livres 5, 7 et 10). Mais si les écritures fractionnaires sont d'une grande convivialité pour l'expert, elles sont à l'origine d'obstacles résistants lors du processus d'apprentissage (Figueras, Filloy, Valdemoros ; 1987) ou (Pitkethly et Hunting ; 1996), qu'on tente de minimiser en ayant recours à des illustrations – toujours bidimensionnelles – de type "parts de tarte", sans grand succès du reste (Hart et Sinkinson ; 1989). Il est dès lors légitime de s'interroger sur le bien-fondé de l'introduction aux rationnels par le biais de ce registre, et plus généralement par le biais d'un registre bidimensionnel. Cette interrogation est aussi portée par l'attention toute 143 Chapitre III particulière que nombre de didacticiens, à la suite des travaux de Duval (1995), accordent à la "signifiance des signes" dans une perspective cognitive. Le rôle de la dimension (1, 2 ou 3), support des opérations de formation et de traitements de ces signes est loin d'être négligeable (Pluvinage ; 1998, p. 132). Deux questions se posent alors : • est-il possible de proposer à des élèves une introduction aux nombres rationnels qui linéarise le discours sans le rendre illisible ? • une telle introduction est-elle souhaitable ? La deuxième de ces question sera traitée au chapitre IV. Nous allons tenter de répondre à la première dans cette section en étudiant, ainsi qu'annoncé en introduction, quatre problèmes rationnels. 4.1. Premier problème : un problème de commensuration Soit le problème suivant : la masse de 2l de miel est de 3kg. Calculer le volume (respectivement la masse) d'un kilo de miel (respectivement d'un litre de miel). Nous désignerons par la suite V-M le problème du calcul du volume d'une masse donnée et M-V le problème du calcul de la masse d'un volume donné. Deux grandeurs sont ainsi présentées. Il nous faut trouver une expression linéaire de la relation qui lie ces deux grandeurs. Nous proposons le schéma suivant : Niveau des kilos 0 2 Niveau des litres Figure 18 La graduation est bien entendu régulière, et cette exigence de régularité sera une contrainte récurrente imposée pour la constitution de ce système en registre. Examinons à présent ce schéma et son mode de signifiance : une des grandeurs, la masse de trois kilos, est représentée par trois segments 18 ; l'autre, le volume de deux litres, au moyen d'une numérisation chiffrée – nombres entiers 0 et 2 – au-dessous de la droite. Quant au lien entre ces deux grandeurs, il s'exprime par la coïncidence de 18 Dans les cas plus compliqués, on pourra renforcer ce dispositif par une numérisation chiffrée partielle, au-dessus de la droite, de cette première grandeur, (voir par exemple Figure 23) 144 Chapitre III l'extrémité du troisième segment avec le nombre 2, mais aussi par la coïncidence de l'origine du premier segment avec 0. Ainsi, aux deux grandeurs en jeu correspondent deux niveaux et deux modes de quantification, les coïncidences de cette double échelle permettant de gérer les liens entre ces deux grandeurs. On notera au passage que 0 trouve naturellement sa place dans ce contexte, ce qui n'aurait pas été le cas avec un schéma bidimensionnel, de type parts de tartes : Figure 19 : où placer 0 ; 2 ? En effet, un tel schéma n'offre pas les mêmes ressources de double échelle. Et ce pour la raison toute simple que la dimension 2 de la figure est aussi la dimension de l'espace de travail (la feuille de papier, l'écran...) et que par conséquent, toute information portée à côté de, ou sous la figure fait partie de la figure, et ne peut tout au plus qu'en produire un commentaire, une légende ; au contraire de la dimension 1 qui, libérant de l'espace d'inscription de part et d'autre de la droite support, autorise à porter, en contrepoint du "dessin", divers signes, 0 et 2 par exemple, (Adjiage et Pluvinage), permettant ainsi de dédoubler l'information en ses deux composantes distinctes (masse et volume), et d'en exhiber un lien. Bien entendu, un autre schéma, obtenu en permutant les niveaux des masses et des volumes est tout autant possible : Niveau des litres 0 3 Niveau des kilos Figure 20 Nous verrons un peu plus loin qu'il est mieux adapté à certaines formes de résolution de problèmes de type M-V qu'à celles correspondantes des problèmes de type V-M. 145 Chapitre III Mais tout ceci ne serait qu'illustration pas forcément facilitante si l'on devait revenir aux écritures fractionnaires pour traiter ce problème. Nous allons voir qu'il n'en est rien et qu'un usage raisonnable des signes et moyens d'agir propres à ce mode de représentation – nombres entiers et traits usuels des droites graduées, comme sur un double-décimètre par exemple – permet de résoudre le problème. La recherche de la masse d'un kilo de miel peut en effet conduire à désigner par une flèche le point représentant 1kg et à "lire" sur l'échelle des litres la valeur correspondante : "un tiers de deux" ou "deux divisé par 3". Niveau des kilos 0 2 Niveau des litres Figure 21 Mais on peut aussi tenter de reconstituer la suite d'actions à entreprendre afin d'évaluer 1 kg de miel par rapport au volume unitaire, soit 1 litre : pour que les traits d'une graduation régulière capturent à la fois le 1 des kilos et le 1 des litres, elle doit à la fois subdiviser en 2 et en 3 le segment initial, soit en 6 par exemple. On obtient alors : 1kg Niveau des kilos 0 2 1l Niveau des litres Figure 22 On peut ainsi énoncer : "un kilo de miel s'obtient en subdivisant un litre de miel en trois parties égales dont on retiendra deux parts", soit encore : "un kilo de miel, a un volume de deux tiers de litres". Ou encore pour le problème inverse : "un litre de miel a une masse de trois demis kilos". Notons que les désignations verbales usuelles "deux tiers" ou "trois demis" sont ici parfaitement congruentes à notre représentation et ne nécessitent absolument pas un détour par les écritures fractionnaires 2 3 ou . C'est en 3 2 revanche une étape possible dans la construction de ce mode incontournable de signification des rationnels (Saenz-Ludlow ; 1995, p. 129). 146 Chapitre III On aura aussi bien entendu reconnu une problématique de commensuration et de fractionnement de l'unité (Ratsimba_Rajohn ; 1982) et la classique dualité un tiers de deux et deux fois un tiers. Mais on retiendra surtout que les passerelles entre ces divers points de vue accompagnent naturellement ce type de représentation. Notons, pour finir, que les Figure 18 et Figure 20 permettent indifféremment de résoudre les problèmes V-M ou M-V à partir du fractionnement de l'unité kilo (respectivement litre). En revanche la Figure 18, sur laquelle le point représentant la masse unitaire de 1 kg est directement accessible, est plus adaptée au calcul du volume d'un kilo de miel comme fractionnement du volume total (un tiers de deux litres) et la Figure 20 au calcul de la masse d'un litre de miel comme fractionnement de la masse totale (la moitié de trois kilos). 4.2. Deuxième problème : un problème de quatrième proportionnelle ou image d'un entier par un opérateur rationnel Pour illustrer ce cas, nous reprendrons la séquence d'agrandissement d'une pièce de puzzle décrite par G. Brousseau (1986 ; p. 113 - 115). Sachant qu'un segment de 4 cm du modèle devra mesurer 7 cm dans le puzzle agrandi, les élèves sont invités à déterminer la mesure de tous les segments du puzzle agrandi, connaissant celle des pièces du modèle. Image d'un segment de 9 cm On peut imaginer la traduction suivante du problème, utilisant les moyens développés en 4.1 : 1 0 4 8 7 14 9 12 puzzle initial 21 puzzle agrandi Figure 23 Une expression orale du résultat pourrait alors être : "un segment de 9 cm a pour image un segment de 14 cm et un quart de sept cm", qui est bien opératoire dans la mesure où elle permet de construire effectivement le segment image. Il est aussi possible de présenter le résultat de la façon abrégée et non – forcément – verbale suivante : 147 Chapitre III 14 Figure 24 21 Mais, comme les élèves observés par Brousseau, on peut remarquer l'importance stratégique de l'image de 1. L'usage de la représentation de la Figure 23 amènerait à un quart de sept qui n'est pas très opératoire pour en déduire l'image de 9 (9 fois un quart de sept ?). On peut alors être amené à rechercher une expression de un quart de sept au moyen d'un fractionnement de l'unité, suivant une démarche analogue à celle illustrée par la Figure 22. Ceci amène à mobiliser une graduation régulière qui capture simultanément les 1 de l'échelle supérieure et inférieure, donc qui soit divisible par 4 et 7, soit par exemple une subdivision en 28 (obtenue au moyen d’une resubdivision des 4 intervalles initiaux en 7) : 1 0 1 4 puzzle initial 7 puzzle agrandi Figure 25 La lecture du résultat, l'image de 1, est à présent congruente à sept quarts 19. Ce qui opérationalise la recherche de l'image de toute longueur, notamment de 9, en neuf fois sept quarts, soit soixante-trois quarts ; ou encore par une simple dilatation par 9 de la partie de la Figure 25 entourée : 9 0 9 Figure 26 Résultat qui peut se lire : sept quarts de neuf (ou peut-être encore 63 trentesixièmes de neuf si on reste à l'échelle de la Figure 25). Bien entendu, la recherche des raisons de l'équivalence de tous ces résultats est fort riche de sens. 19 On remarque au passage une lecture évidente de l'antécédent de 1 en quatre septièmes. 148 Chapitre III 4.3. Troisième problème : image d'un rationnel non entier par un opérateur rationnel Des mesures non entières, comme sept quarts ou soixante-trois quarts (en cm par exemple), et certaines de leurs expressions sur une droite graduée ont été abordées au paragraphe 4.2, comme image de mesures entières par un opérateur rationnel. Il est dès lors légitime d'appliquer à ces mesures non entières le processus qui les a engendrées, soit de rechercher leur image par un opérateur rationnel. Nous conservons l'opérateur qui transforme 4 en 7 et nous recherchons : Image de neuf cinquièmes Voici tout d'abord une expression de neuf cinquièmes, que nous désignerons par x pour plus de commodités : 1 3 Figure 27 : une expression de x Pour chercher une expression de l'image de x, nous pouvons tout d'abord rechercher une expression de l'image des entiers 1 et 3 qui servent à son repérage dans la Figure 27, ce qui est réalisé dans la partie gauche de la Figure 28. Soit y l'image de x. y se positionne entre Im(1) et Im(3) "comme" x est positionné relativement à 1 et 3. Cette dernière considération demande un redécoupage de chaque sous-intervalle en 5, ainsi que l'indique la partie droite de la Figure 28 : 0 1 3 4 Im(1) Im(3) 7 0 Figure 28 1 3 4 Im(1) Im (3) 7 y= Im(x) Sachant que 0 a pour image 0 et 4 a pour image 7, on a un accès direct à l'image de 1 et 3, et donc de tout point situé entre 1 et 3 dans une certaine proportion, notamment de x 149 Chapitre III Une lecture possible, et opératoire de ce résultat peut être : neuf vingtièmes de 7 qui peut se formuler de multiples autres manières en tenant compte des équivalences établies au 4.2. 4.4. Quatrième problème : le mélange eau / jus de fruit ; une autre représentation de la proportion Nous avons jusqu'à présent examiné des problèmes où à chacune des grandeurs mises en rapport était associé un mode de quantification différent : numérique chiffré pour l'une ; juxtaposition de segments pour l'autre. Un autre mode d'interprétation du rapport est possible, notamment dans le cas où il s'exprime au moyen de la préposition "pour" (comme dans "4 volumes d'azote pour 5 volumes d'air"), alors usuellement désigné par le terme de proportion. Reprenons le problème de mélange eau / jus de fruit déjà exposé en 2.3.2, exemple 3 : "je mélange 3 verres de jus de fruit à 4 verres d'eau d'une part ; 2 verres de jus de fruit à 3 verres d'eau d'autre part. Lequel des deux mélanges a le plus le goût du jus de fruit ?". Imaginons que l'on mette le premier mélange dans une bouteille et le deuxième dans une autre bouteille, pas forcément de même volume. On peut schématiser chacune des bouteilles par un segment unitaire, et le mélange – jus de fruit et eau – au moyen de segments juxtaposés : Jus de fruit 0 Jus de fruit x 1 Eau 0 y Eau 1 Figure 29 Nous avons déjà abordé en 2.3.2, exemple 3 le problème de la comparaison de deux proportions, "vues" à des échelles différentes. Nous renvoyons donc à ce paragraphe pour les questions liées au changement d'échelle. Bornons-nous à rappeler ici que la coexistence de ces deux échelles est justifiée par les données mêmes du problème qui, pour être résolu dans le cas général (les deux bouteilles dans lesquelles s'effectuent le mélange n'ont aucune raison d'avoir le même volume), les nécessite. Le logiciel Gradu4, qui propose des comparaisons systématiques de ce type s'en trouve donc légitimé. Quant au mode de résolution lui-même, on peut imaginer qu'il consiste à 150 Chapitre III déposer y sur le segment de gauche (ou vice versa), donc à imaginer une graduation susceptible de capturer simultanément x et y, soit une subdivision en 35 par exemple. Rappelons cependant une solution originale proposée par deux élèves (indépendamment l'un de l'autre) – et que nous résumons : " y c'est un demi cinquième de moins que la moitié ; x c'est un demi septième de moins que la moitié ; donc y est inférieur à x, car plus loin de la moitié que x" [un cinquième est supérieur à un septième], solution qui semble bien liée au type de support utilisé pour le représentation du problème. 4.5. Analyse des représentations ainsi constituées et des concepts auxquels elles renvoient Des figures comme la Figure 21 (2/3) ou la Figure 24 (14 + 7/4) ou bien la Figure 27 (9/5), ou encore la Figure 29 (3/7 et 2/5), expriment donc un rationnel au moyen de signes élémentaires : traits, tirets, nombres entiers, flèche-curseur, qui appartiennent à l'univers familier des élèves et qu'ils retrouvent notamment sur leur double-décimètre. Remarquons que nous sommes naturellement parvenus à ce type de représentation en essayant d'interpréter, au moyen de ces signes élémentaires, des problèmes physiques couramment abordés en fin du cycle 3 des écoles et au début du collège. Nous avons déjà signalé que notre ambition était de constituer ce mode de représentation en véritable registre sémiotique (Duval ; 1995), pour des raisons que nous avons déjà évoquées et que nous développerons au chapitre IV. Nous avons pour le moment prouvé l'opérationnalité de ces représentations. Abordons à présent la question de leur signifiance. Nous constatons tout d'abord que le positionnement des rationnels ainsi exprimés se fait naturellement au moyen de repères entiers quelconques, et pas forcément du repère habituel [0 ; 1]. Cela permet l'expression de divers points de vue sur les rationnels : commensuration ; fractionnement du total (exemple : un tiers de deux lorsque le repère est d'origine 0 comme en Figure 21) ; fractionnement de l'unité (exemple : deux fois un tiers lorsque le repère est [0 ; 1] comme en Figure 22) ; décomposition en partie entière et partie fractionnaire (exemple : 14 + 7/4 comme en Figure 24). Par ailleurs, le nombre de subdivisions du repère n'est pas forcément un diviseur ou un multiple de son amplitude : ainsi, pour une amplitude de 2 trouve-t-on 5 subdivisions en Figure 27. Ceci a pour conséquence que le pas d'une graduation à la 151 Chapitre III suivante peut-être en a (a > 1) ; ce qui est inhabituel et mérite donc d'être signalé et n retenu, pour la constitution de ce système en registre, ainsi que pour le développement des logiciels et les activités d'apprentissage permettant d'atteindre cet objectif. Enfin, pour reprendre la problématique rationnel-dilatation versus rationnelmesure proposée par Brousseau (1986 ; pp. 90-96), nous remarquerons que, modulo un léger aménagement, la partie gauche de la Figure 28 représentant la dilatation qui à 4 associe 7, peut évoluer en la Figure 30, où on retrouve bien l'inscription du rationnelmesure 7/4 : 0 7 Figure 30 : le rationnel-dilatation ou rationnel-mesure 7/4 Les 4 sous-intervalles, dont la dernière extrémité coïncide avec le nombre 7, expriment les 4 (cm) dont l'image est 7 (cm). La flèche pointe vers la première graduation et exprime l'image de 1, mais aussi le positionnement du rationnel 7/4 dans le repère [0 ; 7]. On retrouve ainsi la détermination d'une forme linéaire par l'image de 1, qui permet la classique identification d'un espace vectoriel de dimension 1 et de son dual. Nous développerons cette analyse au chapitre IV-5.1, lors de l’étude de l’expression du produit de deux rationnels dans le registre des droites graduées. Ce mode d'expression est donc suffisamment riche, non seulement pour rendre compte de problèmes élémentaires, mais aussi de problèmes évolués, en prise directe avec une investigation plus fine du concept de rationnel. 4.6. La place du problème physique dans notre dispositif La présente section nous a conduit à préciser le lien qu'il est possible d'établir entre des énoncés physiques "classiques" – c'est à dire des énoncés du type de ceux présentés de 4.1 à 4.4 – et une première ébauche d'un registre d'expression des rationnels. Résoudre un problème physique conduit généralement à le reformuler en un problème sémiotique, ainsi que les paragraphes 4.1 à 4.4 l'ont illustré, d'autant mieux que le registre utilisé pour cette reformulation étant inhabituel, les actions entreprises 152 Chapitre III pour sa résolution sont peu automatiques et donc clairement identifiables. C'est la raison pour laquelle un problème de type sémiotique recouvre un champ d'énoncés de problèmes de type physique, ce que nous avions déjà noté au paragraphe 1.2. Résumons à présent notre pensée afin de bien préciser la place de la résolution des problèmes physiques dans notre dispositif. En présence d'un énoncé de problème physique rationnel et en amont de l'enseignement d'un mode d'expression rationnel spécifique – comme les fractions –, les élèves le reformulent spontanément au moyen d'un discours rhétorique (voir chapitre II-1.2.3 et 1.2.4) qui permet d’envisager sa résolution. L'introduction trop hâtive d'une expression plus formelle, comme celle des fractions, parasite la simplicité séquentielle de ce premier discours en imposant sa bidimensionnalité. Les conséquences observées de ce parasitage sont que nombre d'élèves renoncent alors à l'efficacité de leur premier discours pour lui substituer un discours qu'ils maîtrisent mal, mais qui semble valorisé par l'institution ; nous disons bien substituer et pas reformuler en des termes fractionnaires les éléments de solution élaborés lors de l'approche rhétorique. Ceci est une conséquence de la non congruence (Duval ; 1995, pp. 47-49) entre les deux registres, elle-même conséquence de leur dimension respective différente. Le résultat est que certains élèves qui réussissaient à élaborer des solutions originales spontanées échouent à résoudre le même type de problèmes au moyen des fractions. Les professeurs sont alors amenés à travailler le calcul fractionnaire de façon intensive et formelle, au cours de fastidieuses séances d'entraînement… ce qui d'ailleurs peut remédier à certaines difficultés techniques, mais sans traiter vraiment le problème de la conversion d'un énoncé en un énoncé sémiotique fractionnaire résolvant. Nous préférons donc donner a priori aux élèves les moyens de développer des discours cohérents et maîtrisés en leur proposant : une étude systématique et a priori d'un registre unidimensionnel, donc plus congruent au discours rhétorique ; de résoudre des énoncés de problèmes physiques en utilisant le discours de leur choix ; d’interpréter ces énoncés au moyen des droites graduées ; de développer ultérieurement les registres numériques fractionnaire et décimal ; de réinterpréter les énoncés physiques au moyen de ces nouveaux registres ; de parachever la construction du concept de rationnel et l'articulation des différents discours que l'on peut tenir à leur sujet par le jeu systématique des conversions inter-registres. Notre projet consiste donc bien, ainsi que nous l'avions annoncé en 1.2, à médiatiser le rapport entre pensée immédiate et 153 Chapitre III résolution de problèmes, afin d'éviter qu'une auto-organisation de ce rapport ne produise de l’échec et donc du renoncement. Remarquons tout de suite qu'il ne s'agit nullement de revenir à une étude objet sans projet, suivie d'une application à la résolution de problèmes, soit à un schéma traditionnel de type "j'apprends, j'applique". Pour la simple raison que la découverte de l'outil, et sa capacité à réinterpréter un problème physique sont elles-mêmes problématisées. Notre démarche n'est donc pas en rupture avec le projet de construire ses connaissances par la résolution de problèmes ; c'est la nature des problèmes proposés à cet effet qui change : alternativement sémiotique et physique au lieu d'être exclusivement physique. Signalons enfin que des problèmes sémiotiques naturellement posés par l'existence même des différents registres sont fournis lors de l'étude logicielle, mais que ces activités peuvent aussi être complétées par un travail papier / crayon, ainsi qu'il sera montré au chapitre IV-2.4 dans le cas des droites graduées. A titre d’exemple, un problème comme celui proposé en 4.1, pourrait s’insérer dans une progression du genre : 1. un travail sur les logiciels de Gradu 1 à Gradu 5 ; 2. une première étude de l’énoncé du problème avec mode de résolution laissé au choix des élèves (discours rhétorique, recours spontané aux droites graduées…) ; 3. proposer alors en papier/crayon le schéma de la Figure 18 et éventuellement de la Figure 22 ; 4. laisser les élèves trouver en quoi cette (ces) figure(s) interprète(nt) le problème posé et comment elle(s) permet(tent) de le résoudre après traitement sémiotique Pour les problèmes dont la gestion au moyen des droites graduées est plus complexe, comme les problème 4.2 ou 4.3, l’outil informatique devient souhaitable mais reste à développer. Notons que lors de notre expérimentation, nous n’avions pas pris le parti de progressions aussi systématiques. Notre intention était d'observer le degré de disponibilité des registres déjà introduits, à des fins de résolution de problèmes physiques proposés à divers périodes de l'apprentissage, donc notamment à des moments où tous les registres n'avaient pas encore été abordés. Nous verrons ultérieurement (chapitre VI-2.2.5) en quoi cette approche s'est révélée insuffisante. Contentons-nous de dire ici que le registre des droites graduées a été très peu mobilisé 154 Chapitre III spontanément, mais que des modes de résolution rhétoriques ont été abondamment observés. Ce qui nous a conduit à repenser légèrement notre progression, dans le sens d’une organisation plus systématique du lien entre discours rhétorique et discours dans les registres, ainsi qu’il est suggéré plus haut. 4.7. Conclusion de la section 4. Nous sommes partis d'un constat avéré par des décennies d'études didactiques sur l'enseignement des rationnels et par l'histoire même de la constitution du concept et des moyens de l'exprimer : les écritures fractionnaires sont un produit fini et remarquablement abouti de cette Histoire ; c'est pour cela qu'elles ne sont peut-être pas la meilleure entrée pour accéder à cet univers. Certains auteurs (Hart, 1989 ; Streefland, 1991) ont identifié leur rôle d'obstacle en des termes voisins des suivants : une fraction serait constituée de deux nombres entiers non mis en relation par les élèves et par conséquent pris en compte séparément. Saenz-Ludlow (1995 ; p 129) relève que l'élève qu'elle observe construit sa conceptualisation des rationnels en l'absence d'écritures numériques (fractionnaires) mais que les verbalisations qu'elle utilise (du type sept quarts ou trois demis) "fostered – favorise – the development of her fraction concepts". Nous avons donc cherché une alternative unidimensionnelle à l'introduction aux rationnels par les fractions. Pour cela nous avons tenté d'interpréter des problèmes rationnels au moyen de l'opération fondatrice de report (Euclide ; livres 5, 7 et 10). Ceci qui nous a amené à exhiber un mode d'expression des rationnels sur une droite graduée, à y esquisser des traitements, recourant exclusivement aux ressources propres du système, et permettant de trouver des solutions aux problèmes posés. Il faut reconnaître que les traitements entrevus n'ont pas toujours le caractère de simplicité et d'achèvement que ceux autorisés par les écritures fractionnaires. Fort heureusement, l'outil informatique, par la précision qu'il autorise et la possibilité de progresser d'essais en erreurs à moindre coût (tenter une subdivision, constater son inadéquation, essayer une autre subdivision, un zoom...) apporte la convivialité sans laquelle il aurait été impensable d'envisager ce type de traitements. Bien entendu, une introduction ultérieure aux écritures fractionnaires permettra une mise à distance de ce premier moyen de signifier les rationnels et minimisera le coût des opérations. Mais nous pensons et constaterons – voir chapitre V – que l'expression des rationnels au moyen des droites graduées, parce que liée à des opérations explicites de reports et de subdivisions, permet 155 Chapitre III de garder un contrôle sur les actions entreprises dans d'autres systèmes (notamment celui des fractions), et offre ainsi de sérieuses possibilités de validations. On aura reconnu, dans cette mise en relation de deux systèmes d'expression hétérogènes qui ouvre des perspectives d'apprentissage, une référence à l'opération de conversion (Duval ; 1995, pp. 40 - 44). Nous avons ainsi élaboré une première esquisse d'un système géométrique unidimensionnel à travers une étude de faisabilité didactique, qui a établi le degré d'adaptation de ce système à l'interprétation et à la résolution de quelques problèmes physiques rationnels élémentaires. Une véritable constitution de ce système en registre, et la nécessité de l'aborder en tant que tel avec l'aide de l'outil informatique sera exposée au chapitre IV. 5. Conclusion du chapitre Selon Duval (1998 ; p.179), "Toute représentation peut, phénoménologiquement, être traitée : • soit comme un objet et réduite à sa forme perceptible signifiante, obéissant ou non à des règles d'emploi ou au contraire, • soit comme signification et, dans ce cas, les mots, les expressions deviennent immédiatement transparents à la chose visée dans la signification." C'est pour privilégier la deuxième de ces attitudes que nous avons choisi d'adopter un schéma d'enseignement qui organise la pensée immédiate, dans son rapport aux représentations, par une étude systématique des moyens de signifier les rationnels. La conséquence attendue est une mise en alerte continuelle vis à vis de la signifiance des signes et des éventuels leurres qui y sont attachés. C'est à ce titre seulement que des algorithmes pourront être mis en œuvre, en minimisant les risques qu'une application abusive, car déclenchée par des faux-semblants, ferait courir à leur utilisateur. Cette étude systématique, dont on a vu qu'elle pouvait se passer d'introductions coûteuses, examine avant tout : • la manière dont les signes présentés réagissent à certains traitements ; • la mise en perspective de signes issus de systèmes hétérogènes et présentant une invariance dans leur signification. Cette invariance est à la base de la genèse conceptuelle. 156 Chapitre III Ce schéma général étant établi, il nous fallait en trouver un point d'entrée. La notion de dimension d'un registre nous a autorisé à préciser en quoi les écritures fractionnaires usuelles nous paraissent avoir à la fois la puissance et l'opacité des produits finis. En revanche, les droites graduées, en permettant une linéarisation schématisée des phénomènes rationnels, et en révélant leur capacité à interpréter et à résoudre des familles entières de problèmes, nous ont semblé adéquates à une introduction aux rationnels respectant notre point de vue. Il nous faudra encore préciser, au chapitre IV, en quoi ce registre optimise cette introduction dans le cadre géométrique en général. Restait à trouver le vecteur cet enseignement. Il devait permettre : • d'établir un cahier des charges précis des objets présentés à l'étude, afin de contrôler leurs unités signifiantes et d'en organiser une variation systématique ; • une convivialité suffisante en termes de coûts de traitements, surtout après le choix des droites graduées comme registre fondamental ; les opérations de reports et de subdivisions, à la base du projet, devaient en particulier être rapidement réalisables, résiliables et récursives (resubdiviser), ce qui disqualifiait le recours exclusif à un support papier/crayon ; • des rétroactions en temps réel, dynamiques (différenciées suivant les actions entreprises), et dont on pourrait choisir le mode et le moment d'intervention. Ces trois arguments au moins justifient, voire rendent incontournable le recours à un outil programmable et offrant de bonnes conditions de visualisation. Les ordinateurs de notre époque réalisent évidemment cet ensemble de conditions ; d'où notre choix de privilégier le développement de logiciels spécifiques et d'assurer la majeure partie de l'enseignement de la notion par leur canal. Il nous faut, à présent que les choix stratégiques sont arrêtés, examiner dans le détail les trois systèmes de représentation des rationnels retenus pour notre recherche, nous interroger notamment sur leur nature de registre, évaluer la qualités des apprentissages construits dans ce cadre didactique. Ce qui sera l'objet du chapitre suivant. 157 Chapitre IV Étude et mise en œuvre d'un registre géométrique d'expression des nombres rationnels à l'école élémentaire Chapitre IV Nous avons défini aux chapitres précédents l'option fondamentale de notre projet d'enseignement : problématiser le concept de rationnel par la mise à l'épreuve de ses moyens d'expression et de leur coordination. Nous avons comparé ce projet à d'autres projets didactiques problématisant le même concept par le biais d'une classe de situations ancrées sur des expériences physiques et / ou les interactions d'un jeu de cadres mathématiques. Nous avons commencé à esquisser les modes de représentations que nous avons retenus et les raisons de ces décisions. Il nous faut à présent examiner ces deux points dans le détail, et notamment : comment nous avons transformé ces moyens usuels d'expression en véritables registres ; les avantages et les conséquences d'un tel choix ; proposer une première validation de nos options par les travaux d'élèves de deux classes du cycle 3 qui nous ont servi de base expérimentale, la classe de Sélestat et la classe de Weyersheim qui seront présentées plus loin. Nous commencerons ce chapitre en circonscrivant un univers des possibles dans le choix des systèmes de représentation des rationnels. Cette première analyse nous permettra de préciser les trois systèmes retenus pour l'ensemble de l'expérience d'enseignement. L'un d'entre eux, celui des droites graduées, occupe une place centrale dans notre dispositif. Tout le reste du chapitre lui sera donc consacré. La section 2 justifiera, au moyen d'une analyse a priori étayée par quelques observations qualitatives d'élèves, notre choix majeur d'introduire ces nouveaux nombres dans ce cadre géométrique et unidimensionnel. Nous préciserons notamment en quoi nous avons bien constitué ce système en registre. Une troisième section tentera d'établir un lien entre la maîtrise d'un registre unidimensionnel et un certain nombre de compétences nécessaires à la maîtrise des rationnels. A cet égard nous solliciterons, outre les conclusions de la section précédente, deux types d'observations quantitatives : analyse de résultats issus d'évaluations papier / crayon des élèves d'une classe de CM2 (classe de Sélestat de J. Luc Schorn20) ayant suivi un enseignement basé sur 20 Sauf précision contraire, la classe de Sélestat désignera dans toute la suite cette classe (i.e de J. Luc Schorn). 161 Chapitre IV la série des logiciels ORATIO (Adjiage et Heideier ; 1998) ; analyse des résultats d'un questionnaire, comportant six items extraits d'une des évaluations de la classe de Sélestat, proposé à une classe de CM1 à la suite d'une expérience d'enseignement courte mais soignée des fractions (classe de Weyersheim) sans recours à l'outil informatique. Une quatrième section proposera une synthèse des réflexions précédentes qui permettra de comprendre en quoi la dimension 1 est structurellement plus adaptée au développement d'un registre que la dimension2. Une dernière section enfin interrogera le registre des droites graduées sur sa capacité à rendre compte de la somme et du produit des rationnels, ce qui ouvrira des perspectives en direction du collège. Signalons encore que ce chapitre reprend, en le complétant, l'essentiel d'un article à paraître (?) sous le titre : "Un registre unidimensionnel pour l'expression des rationnels" (Adjiage et Pluvinage ; 1999 (?)). 1. Quels registres pour enseigner les rationnels ? Nous ne reviendrons plus longuement sur les avantages d'un enseignement multiregistres que nous avons déjà exposés aux chapitres précédents. Nous nous contenterons de rappeler ici deux arguments majeurs qui seront utiles à notre propos. Le premier, rappelé par F. Pluvinage (1998, p. 128) dans un article déjà cité au chapitre III-4 : "Un objet mathématique (par opposition à des objets usuels ou culturels) doit son existence à des changements de registres d'expression", suggère bien une approche des objets mathématiques par leur environnement sémiotique plutôt que par leur environnement physique. Le deuxième précise qu'une représentation est cognitivement partielle et a pour corollaire qu'une multiplication des représentations ouvre des perspectives cognitives plus étendues. 1.1. Entrées du choix des systèmes de représentation : numérique / géométrique ; dimension 1 / dimension 2 Il est possible de décrire un ensemble de systèmes de représentation des rationnels en conjuguant deux critères : le cadre − géométrique ou numérique − et la dimension − 1 ou 2 − (voir chapitre III-3), seules dimensions disponibles sur les supports usuellement plans de l’écriture. On propose donc le schéma suivant extrait, après modifications mineures, du même article (Pluvinage ; 1998, p. 131) : 162 Chapitre IV “ Un nombre rationnel ” abscisse 0 ↔ 0.75 traitement 7.5 × 10-1 traitement commensuration Décimaux Géométrie unidimensionnelle ?↑ ↓? simplification↓ ↑division 3 4 ↔ traitement 1 6 8 ↔ traitement Fractions ? Géométrie bidimensionnelle Figure 31 : un nombre rationnel 1.2. Rappel sur les systèmes en présence Concernant le cadre numérique, on lit dans l’article cité : « .... la présentation usuelle, avec le trait de fraction horizontal.... est celle qui introduit la dimension 2 dans l’écriture. ». Et un peu plus bas, à propos de l’égalité : a λa = λb b «.... cette présentation est d’usage récent. Ainsi rencontrait-on dans l’encyclopédie de Diderot l’écriture : a : b :: λa : λb qui se lisait : " a est à b comme λa est à λb " . Tout ceci montre clairement qu'il y a un problème de formation d'un système sémiotique dans le processus de constitution du sens des nombres rationnels. » Nous retiendrons − en résumé de ce que nous avons déjà développé au chapitre III-3 et 4 − de cette évolution dans l’écriture d'un rationnel que la barre de fraction sépare et unifie tout à la fois. 163 Chapitre IV • Elle sépare deux signes qui désignent le même type d’objet − des nombres entiers −, mais qui sont pris dans des réseaux de traitements et donc de signification différents : un signe + par exemple entre deux fractions, a une répercussion radicalement différente sur le numérateur et sur le dénominateur. C’est dans cette mesure que l’écriture d’une fraction est bidimensionnelle ; • Elle unifie autour de la constitution de ce couple de nombres en un nombre rationnel. Cette évolution vers l'unification trouve un écho dans l'évolution des écritures depuis Diderot, car dans l’écriture a : b :: λa : λb , a : b n’est pas une unité sémiotique. Les nombres a et b sont deux entités reliées en l'occurrence par une relation totalement exprimable dans le seul cadre des entiers − en terme de commensuration par exemple. Le nécessaire balancement entre unification et séparation crée un obstacle épistémologique, dont témoigne notamment la difficulté qu’a eue l’humanité à se doter d’une écriture qui en rende compte. Négocier cet obstacle, sans évitement, nous semble être un enjeu majeur de l'enseignement des rationnels. Notre hypothèse est que cette négociation peut passer par l'appropriation, avant l'apprentissage des écritures fractionnaires et décimales, d'un registre qui permette d'exercer sur ces dernières une mise à distance et un contrôle. Mise à distance, notamment des leurres sémiotiques : 3/4 ce n'est pas une juxtaposition de 3 et 4 mais, comme aurait dit Euclide, "une manière d'être" de 3 à 4. Contrôle, notamment de validité des traitements entrepris, ainsi qu'en témoigne cette réflexion d'une des élèves de la classe de Sélestat : "3/4 c'est la même chose que 75/100 parce qu'elles [ces deux fractions] sont au même endroit" [occupent la même position, entre 0 et 1, sur une droite graduée] ; et, dessinant à l'appui de ses dires un segment approximativement découpé en 4 sous-intervalles, elle énumère : "25 ; 50 ; 75 ; [temps d'arrêt] ; 100" en pointant chacun de ces sous-intervalles. Examinons à présent le cadre géométrique qui est l'objet principal de ce chapitre. On comprend qu'un système géométrique, parce qu'il offre simultanément les figures et les transformations permettant une réalisation des opérations fondatrices de report et de subdivision, soit susceptible d'assurer la double fonction de mise à distance et de contrôle évoquée ci-dessus. Mais quelle dimension pour ce système, dimension 1 ou dimension 2 ? Cette question est-elle pertinente ? En d'autres termes, ces deux systèmes sont-ils discernables vis à vis de l'usage qu'on veut en faire, et si oui, en quoi le sont-ils ? Nous traiterons plus loin, (voir les § N° et N°.....) et dans le détail ce jeu de questions, par une 164 Chapitre IV analyse a priori et a posteriori (après l'examen des travaux d'élèves). Mais un premier élément de réponse peut être donné tout de suite. Comme il est parfaitement illustré par une anecdote dont nous avons été témoin, nous nous permettons de la rapporter ici : à un enfant de CP – à qui on a proposé d'examiner deux schémas comme ceux des Figures 4 et 5 – on donne pour seule consigne : "compte". Pour les "parts de tarte", il compte [un] ; [deux] ; [trois] suivi d'un léger temps d'arrêt pour passer de la zone ombrée à la zone blanche : [quatre]. Pour le segment graduée, il demande : "compter quoi ?" Cette observation met en lumière que : • en ce qui concerne les "parts de tarte", la production des deux nombres [trois] et [quatre], qui seront plus tard les constituants numériques de la fraction, est très congruente au dessin et amène à une légère interruption volontaire du comptage pour distinguer ces deux nombres et ce à quoi ils renvoient ; • en ce qui concerne le segment gradué, la numérisation est à l'arrière-plan, en tout cas moins congruente au dessin. La désignation d'un rationnel y semble avant tout liée à une démarche de pointage, repérant une position relativement à deux entiers. Préciser cette position demandera certes une numérisation du problème, mais obtenue à la suite d'un questionnement, et non fabriquée d'évidence à partir du schéma. Nous verrons plus loin que cette distance introduit à la fois de la richesse et des difficultés dans ce dispositif. 1.3. Les systèmes retenus pour l'expérimentation CM2 Ceux sont ces quelques éléments d'analyse a priori qui ont orienté nos premières décisions lors de la conception des logiciels (Adjiage & Heideier ; 1998) qui ne pouvait que précéder notre expérience d'enseignement. Nous avons donc éliminé les représentations géométriques bidimensionnelles, par ailleurs travaillées lors de séances "papier/crayon". Nous avons en conséquence retenu trois systèmes d'expression des rationnels ; deux d’entre eux, ceux des écritures fractionnaires et décimales, sont indispensables car ils sont un référent culturel et offrent en outre une convivialité maximale une fois maîtrisés. Le troisième est celui des droites graduées. S'il est aisé de comprendre pourquoi les deux systèmes numériques peuvent fonctionner comme des registres, il faut en revanche être plus prudent pour le troisième, car l'usage qui en est fait habituellement est plus restrictif. C'est pourquoi les sections qui suivent seront avant tout consacrées à valider nos décisions a priori en établissant que : ce système, moyennant quelques aménagements 165 Chapitre IV minimes, peut être doté d'une structure de registre ; ce choix est didactiquement pertinent ; le système géométrique concurrent des surfaces fractionnées est peu adapté au développement d'un registre. 2. Un système géométrique pour l’enseignement des rationnels 2.1. Introduction Parmi tous les moyens de représenter un rationnel, le cadre numérique, avec ses registres fractionnaire et décimal, a atteint un degré de convivialité − en termes de coût de traitement − et de performance que des siècles d'adaptations successives ont eu l'occasion d'élaborer. Mais nous avons vu que cette simplicité d'apparence est celle des produits finis, masquant une réelle complexité conceptuelle. C'est la raison pour laquelle nombre d'enseignants convoquent, à des fins explicatives, les modes de représentation géométriques plus expressifs. Parmi ces derniers, certains, comme les "parts de tarte", ont acquis une telle popularité qu'ils sont devenus un point de passage obligé pour toute introduction aux rationnels. D'autres représentations, comme les abscisses sur droites graduées, sont enseignées mais plus tard, c'est à dire au collège. Elles sont regardées comme plus difficiles − entendons engendrant plus d'erreurs − et sont en conséquence peu mobilisées à l'école primaire. Bolon (1996 ; p. 226) souligne que "[des] enseignants [de collège] remarquent la faiblesse de certaines productions d'élèves, quand ils doivent travailler avec la droite numérique", et ajoute que cela "paraît constituer un « point aveugle » de l’enseignement à la charnière école-collège". L’intégration de la droite numérique dans le cursus scolaire se fait donc plutôt au titre d'une application des rationnels − au repérage par exemple − que d'un moyen de les introduire. Ajoutons que tous ces systèmes géométriques, uni ou bidimensionnels, sont régis par des règles souvent peu précises et partiellement énoncées, car ils sont plus des lieux d'illustration aidant à comprendre ce que l’on envisage comme les véritables objets d’apprentissage (le sens des écritures fractionnaires et décimales et leur traitement par les opérations élémentaires), que des systèmes sémiotiques. Notre travail se donne pour projet de revisiter cette diversité, et notamment ici le cadre géométrique, à travers un réexamen des réputations, bonnes ou mauvaises. Nous aborderons donc l'étude des systèmes géométriques, uni et bidimensionnels. Nous examinerons les conceptions générées par chacun d'entre eux à partir d'une étude 166 Chapitre IV épistémologique et expérimentale, basée sur nos observations et celles d'autres auteurs. Nous expliquerons pourquoi nous avons choisi d'être extrêmement rigoureux dans la constitution du système retenu en véritable registre "d'écriture" des rationnels. Nous constaterons ensuite, sur quelques exemples, que des familles entières de problèmes − commensuration, fractionnement de l'unité, division de la pluralité (3/4 comme résultat de 3 divisé par 4), arithmétique... − se trouvent naturellement posées et résolues par la seule sollicitation des ressources propres de ce registre. Nous en profiterons, notamment dans le paragraphe consacré à l'arithmétique, pour étudier quelques procédures d'élèves de la classe de Sélestat, mobilisées pour résoudre certaines des activités logicielles. Nous pouvons à présent aborder la première question qui s'est posée dès le début de cette expérimentation − dès la phase de conception des logiciels (Adjiage & Heideier ; 1998) en fait − et les réponses que nous avons choisi d'y apporter. 2.2. Quel système d'expression pour introduire les rationnels ? Nous allons développer ici une première argumentation en faveur de notre choix a priori d'introduire les rationnels au moyen d'un registre géométrique unidimensionnel. Nous structurerons cette analyse autour de trois questions que nous résumons ainsi : qu'apporte un système de représentation géométrique à côté des systèmes numériques usuels ? Puis la question centrale à notre avis du choix uni ou bi-dimensionnel ; et, pour terminer, pourquoi un système aussi contraignant qu'un registre ? En d'autres termes, ne peut-on se contenter d'appuyer les traitements sur les fractions par quelques schémas afin d'en illustrer les phases les plus délicates ? Est-il vraiment nécessaire d'apprendre à agir sur les rationnels − comparaison, recherche d'écritures équivalentes... − en utilisant avant tout les moyens de la géométrie ? − relayés en fait, ainsi que nous le verrons, par des calculs sur les seuls nombres entiers. 2.2.1. Pourquoi un système géométrique ? Nous résumerons notre réponse à cette question − déjà largement abordée au cours des chapitres et sections précédentes − autour de trois arguments dont les deux premiers nous semblent universels, le troisième étant plus spécifique à un enseignement multiregistres. 1. Un système géométrique permet de lier les opérations de base sur les rationnels − comparer, rechercher des écritures équivalentes... − à des actions et rétroactions 167 Chapitre IV explicites de report, de subdivision et d’encadrement, dont on sait depuis Euclide et ses livres sur les proportions, les nombres et les grandeurs commensurables, qu'elles sont fondatrices des rationnels. Très visuelles, ces actions sont donc aisément descriptibles et mobilisables. 2. Une conséquence importante de ce premier point est qu'un système géométrique offre la possibilité d'appréhender un rationnel comme une action − une dilatation − avant que de l'attacher à une mesure. Prenons un exemple. Les deux nombres suivants sont égaux : 0 1 0 1 Figure 32 Mais comme ce n’est pas la longueur qu’ils ont en commun, il faut chercher ailleurs la raison de cette égalité, à savoir dans la suite des actions à entreprendre pour les former dans ce système, par exemple : subdiviser en 4 l’unité, reporter 3 de ces subdivisions. Bien entendu, cette suite d'actions, lorsqu'elle s'applique à une unité physique donnée comme le cm, peut aussi définir un rationnel-mesure. 3. Du fait de son hétérogénéité à un mode d’expression purement numérique, un système géométrique permet une maximisation des effets de perspective avec les autres registres. Il met donc à distance les autres manières de signifier les rationnels tout en en offrant des interprétations à haute valeur explicative (par exemple dans la production d'écritures équivalentes par regroupement ou resubdivision comme le rappellent les figures 4 et 6 d'une part, 5 et 7 d'autre part) . 2.2.2. Un système unidimensionnel ou bidimensionnel ? La multiplicité des significations auxquelles peut renvoyer un rationnel suppose un mode d'expression susceptible d'en rendre compte ; et il serait sans doute dommageable d'adopter un système qui occulterait en partie cette diversité. Donner aux rationnels le registre de représentation géométrique qu'ils méritent, tel est le principe qui a guidé notre choix. 2.2.2.1. Un univers ouvert (au-delà de 1) contre un univers (re)fermé sur son unité 168 Chapitre IV Nous commençons par un constat bien connu : 4 de tarte est toujours gênant (et ajouter 3 une deuxième tarte ne change pas grand chose car on parlera toujours des 4 d'une tarte, au 3 singulier !) Une tarte est un univers refermé sur son unité alors qu’une droite graduée se prolonge naturellement au-delà de 1. L'erreur suivante − non discrimination entre segment dessiné et segment unité −, relevée sur la copie d'un élève de la classe de Sélestat, signe sans doute un transfert abusif de l'univers des "part de tartes" vers celui de la droite graduée. 4 5 0 1 Figure 33 : la droite graduée traitée en tarte 2.2.2.2. Un univers relatif contre un univers absolu Dans un étude publiée en 1991 (Carraher21 & A.L. Dias Schliemann ; 1991), les auteurs constatent que (nous résumons) : les enfants (fifth graders) rechignent à traiter le numérateur et le dénominateur dans un sens relatif ; le numérateur dénote littéralement le nombre d'éléments marqués et le dénominateur le total ; or une fraction exprime avant tout le ratio ou "relative magnitude" d'un numérateur à un dénominateur ; ainsi, si une personne consacre 1 de son budget à son habillement, nous ne supposons pas qu'elle gagne 8 dollars 8 sur lesquels elle en dépense 1 pour son habillement. En conclusion, les auteurs précisent que si les élèves ont une compréhension intuitive de ce qu'est une grandeur relative ("relative magnitude") dans des perceptions non numériques, il reste à étudier la compréhension qu'ils ont des nombres en tant qu'expressions de grandeurs relatives. Cette relativité de signification des deux nombres mobilisés par l'expression d'une fraction trouve un écho dans la relativité des traitements qu'on peut leur appliquer. On distingue en général deux types de traitement (voir chapitre II) : pour calculer 21 3 de 1000 4 Que nous retrouvons ici dans un contexte différent de celui du chapitre II.2.3. 169 Chapitre IV on peut soit chercher une fraction équivalente à 3 de dénominateur 1000 (par linéarité : "si 4 c'est 3 pour 4, c'est combien pour 1000 ?") ; soit fractionner 1000 en 4 parts dont on en retient 3 (action de l'opérateur linéaire définie par le nombre 3 ). Dans tous les cas, on 4 comprend la nécessité d'un système qui explicite l'action d'un rationnel sur une unité et qui permette la production d'écritures équivalentes. Nous avons vu plus haut que les systèmes géométriques offraient ces ressources. Alors, dimension 1 ou 2 ? Il se trouve que le recours aux figures (de type) 4 et 6, pour démontrer l'équivalence 3 6 = , ne semble pas aller de soi, malgré la fréquence de son 4 8 usage par les l'enseignants : 2 élèves sur 17 seulement l'utilisent − diagram of a region − dans une expérience rapportée par K. Hart et A. Sinkinson (1989). Plus surprenant, cet insuccès n'est pas dû à une ignorance de ce support. Ces mêmes élèves avaient été initiés à son usage et encouragés à l'utiliser lors du test. En outre, la moitié d'entre eux déclaraient ces schémas très utiles. Nous pensons pour notre part, et ceci sera confirmé par nos observations ultérieures, que ces schémas sont inappropriés à une expression de grandeur relative. Les parts de tarte, trop proches d'un découpage concret et refermées sur un univers unitaire donc absolu, pourraient bien consacrer une perception absolue des quantités. A l'inverse, nous soutiendrons que les droites graduées sont plus aptes à créer du lien entre nombres et grandeurs relatives, car positionnant immédiatement les rationnels parmi les entiers, elles leur confèrent dès l'origine un statut de nombre − se positionnant naturellement par rapport à d'autres nombres déjà connus. Les extensions successives de la notion de nombre resteront du reste unidimensionnelles − au sens de l'algèbre linéaire −, tout du moins jusqu'à l'apparition des nombres complexes. 0 Figure 34 3 parts sur un total de 4 170 1 Figure 35 Une position, entre 0 et 1, dans une certaine proportion Chapitre IV 0 Figure 36 1 Figure 37 La même position, entre 0 et 1, dans la même proportion 6 parts sur un total de 8 Chacune des Figures, 4 et 6, se décrit par deux entiers ; chacune des figures 5 et 7 se décrit par une position, qui préfigure le futur rationnel qu'elle exprime. En outre, la question du rapport entre les Figures 5 et 7, portée par la similitude des positions, peut être source d'interrogation sur l'origine de cette similitude, et donc déboucher quand même sur une numérisation du problème du type : "3 par rapport à 4, c'est comme 6 par rapport à 8". 2.2.2.3. Un univers sémiotique contre un univers matériel Examinons ce que révèlent quelques erreurs classiques retrouvées dans diverses productions d'élèves de la classe de Sélestat, et regroupées ici sur un seul schéma (seule la fraction sur fond blanc est correctement placée) : 3/5 3/5 9/5 3/5 0 9/5 1 2 Figure 38 : un univers riche en signes Sur fond gris foncé, un élève pour qui 1 1 , c’est la moitié de , sur fond gris clair, 5 10 un autre élève pour qui l'unité est le segment limité par les deux premières graduations épaisses ou qui compte les cinquièmes dans l'ordre où se présentent les premiers intervalles. Signalons que ces deux élèves ont correctement placé 1 3 8 , , . Ainsi se sont2 2 10 ils laissés piéger par des leurres sémiotiques dans les cas non congruents, mais ont su restaurer les significations dans les cas plus congruents. En fait, pour placer correctement 3 , il convient de : 5 171 Chapitre IV • prendre en compte les unités signifiantes 0, 1, 2 ; • le nombre d'intervalles − et pas de graduations − entre 0 et 1, − et pas, comme l’a fait un de ces élèves (sur fond gris), entre 0 et la première graduation épaisse (3 sur les 5 premières) ; • prendre en compte le dénominateur 5 de la fraction ; • constater que les 10 subdivisions du repère se laissent regrouper en 5 paquets de 2 ; • prendre en compte le numérateur 3 de la fraction ; • retenir 3 des 5 regroupements. De la réussite comme des erreurs à cet item, nous retenons que l'information dans ce registre est renvoyée et traitée par des signes, donc par des conventions sémiotiques. A l'inverse, les parts de tarte renvoient essentiellement à des interprétations matérielles, donc verrouillées par des évidences visuelles. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles les parts de tarte, ainsi qu'il a été relevé au paragraphe précédent, produisent peu de significations relatives. 2.2.2.4. Un univers ordonné contre un univers non ordonné Voici trois expressions de 3/5. Nous constatons sur cet exemple que l'univers des parts de tarte n'est pas ordonné, ce qui fait que 3/5 y rencontre au mieux l'expression d'une quantité (trois cinquièmes), au pire de deux (trois contre cinq). Dans l'univers des droites graduées, une fois l'unité choisie, 3/5 occupe une position unique, insérée entre 2/5 et4/5, elles-mêmes plongées dans [0 ; 1]. C'est donc un univers muni d’un ordre qui prolonge celui des entiers. 0 1 Figure 39 Nous nous sommes expliqué sur notre choix de privilégier, mais sans exclusive, le système des droites graduées. Cela ne signifie nullement que nous rejetons les systèmes de dimension 2. Nous entendons seulement leur accorder la place qui est la leur dans les moyens de représentation possibles. Une circonstance − entre autres − où les parts de tarte 172 Chapitre IV − un système isomorphe en fait − ont eu une réelle efficacité dans notre expérience est celle où les élèves ont eu à comparer deux fractions de numérateur 1 et plus généralement de même numérateur, car la règle : "plus grand le diviseur, plus petite la part", est une règle pour laquelle un référent matériel a une bonne valeur explicative. En rapprochant ce paragraphe des paragraphes 1.1 (stade des partitions) et surtout 1.2 (stade de la relation partie / tout) du chapitre II, on aura compris que le système des parts de tarte est un descripteur correct d'une partition d'un tout continu et même du lien de dépendance fonctionnelle entre la partie et le tout. Il peut donc représenter des problèmes des stades 1 et 2 (voir chapitre II). Il est en revanche inadapté à la représentation d'une proportion et donc d'un opérateur (stades 3 et 4). Avoir pour image principale d'un rationnel un schéma bidimensionnel risque donc d'en limiter l'acception aux niveaux les moins élevés de notre classification. 2.2.3. Pourquoi un système géométrique qui soit un registre ? 2.2.3.1. Présentation générale du registre Remarquons tout d'abord que la forme des droites graduées présente d’emblée un ensemble de caractéristiques favorables : familiarité pour les élèves (règle graduée), souplesse d’utilisation (changements d’unités par exemple), bonne adéquation avec les perceptions de sommes ou de rapports (songeons par exemple à la duplication d’un segment comparée à celle d’un carré). Équiper les droites graduées pour en faire un véritable registre sémiotique apparaît alors comme un objectif raisonnable. Nous avons effectivement pu atteindre cet objectif au prix d’aménagements minimes, tant du point de vue quantitatif que qualitatif : en plus simple, nous proposons un apprentissage comparable à celui de la lecture d’une carte, avec ses signes conventionnels (que seront ici les traits, tirets, nombres entiers…) et sa légende. De plus, en choisissant le système qui peut être construit sur les droites graduées, sans modification notable de leur présentation usuelle, nous pouvons proposer aux élèves un instrument qu’ils ne seront pas amenés à abandonner rapidement. Au contraire, ils pourront disposer en quelque sorte d’un viatique, accompagnant constamment en tant que de besoin le recours à l’écriture usuelle, sous sa forme fractionnaire ou décimale. Mais équiper la droite graduée en registre en se conformant aux conditions énoncées par Raymond Duval (1995 ; pp. 36-44) demande qu'on la munisse des moyens : 173 Chapitre IV 1. de désigner un rationnel grâce à un ensemble de signes spécifiques (donc sans recourir aussi aux signes des autres registres comme les écritures fractionnaires ou décimales) ; 2. d'identifier un rationnel sans ambiguïté ; 3. de recourir, pour les traitements, à des règles précises. Sans rappeler ici en quoi l'outil informatique a été un auxiliaire précieux pour mener à bien ce programme, résumons les fonctionnalités élémentaires du système. Pour former un rationnel dans ce registre, l’élève dispose à l'écran d'un ordinateur : • d'une droite graduée régulièrement par des entiers (de n en n avec n ≥ 1) ; un couple d'entiers de cette droite est privilégié, c'est le repère ; le repère est parfois initialement subdivisé en s (s ≥ 1) intervalles ; • de la possibilité d'agir sur ces intervalles du repère, en resubdivisant chacun d'entre eux en t (t ≥ 1) sous-intervalles − le recours à un système de zoom est parfois possible −, fractionnant ainsi le repère en f = st sous-intervalles ; le nombre f est le fractionneur ; il apparaît en blanc sur fond noir à gauche du repère ; • de la possibilité − pour certains logiciels seulement − de reporter le repère, sa resubdivision éventuelle entraînant alors celle des segments obtenus par report. Notons en outre que l'élève : • saisit le nombre t directement au clavier, le logiciel assurant les opérations géométriques de resubdivision ; • peut effacer, modifier, tout recommencer... • marquer la position d'un rationnel par une flèche pointant vers un point de la droite • déplacer au moyen de la souris les nombres à déposer sur une des graduations. Notons enfin que les problèmes de dépassement − des limites fixées par le logiciel, des capacités de l'ordinateur, de la résolution de l'écran... − sont gérés par des messages informant l'utilisateur qu'il sort du cadre de travail autorisé. Ainsi, les rationnels que l'on peut atteindre par ce système appartiennent à un univers dont l'horizon est délimité par un certain nombre de contraintes, voulues par les concepteurs, ou seulement liées aux limites du matériel et de sa gestion logique. Dans la mesure du possible, l'utilisateur est informé de ces limites. 174 Chapitre IV Voyons à présent quelques exemples : 10 3 0 3 3 0 1 Le nombre 5/3 dans le repère [0 ; 1] sans graduation 5 4 10 le nombre 5/3 dans le repère le nombre 3,14 exprimé [0 ; 5] avec graduations au moyen d'un zoom Figure 40 : diverses expressions de rationnels dans le registre des droites graduées On notera que : • aucune écriture fractionnaire ou décimale n'est requise pour la formation d'un rationnel dans ce registre (les légendes ne sont rajoutées que pour la clarté du présent article) ; seuls les signes géométriques et les nombres entiers y ont cours ; • ces signes sont suffisants pour interpréter et traiter des problèmes rationnels au moyen d'une représentation linéaire (voir chapitre III-4) ; • en présence d’un petit nombre de graduations régulières, le fractionneur est redondant, car il suffirait de compter le nombre d'intervalles pour disposer de cette information ; nous y reviendrons au paragraphe suivant ; • enfin, on ne peut pas faire l’impasse sur l’expression orale d’un rationnel formé dans ce registre ; pour le deuxième schéma de la Figure 40, « un tiers de [0 ; 5] » est un choix possible ; la mention du repère pourrait éventuellement être omise lorsqu'il s'agit de [0 ; 1] et l’on parlerait alors de « cinq tiers » à propos du premier schéma, l'équivalence référentielle de ces deux désignations devenant alors un problème structurellement lié au registre (voir 2.4.1). 2.2.3.2. Avantages à disposer d'une droite équipée en véritable registre géométrique Nous disposons ainsi d'un véritable registre d'écriture des rationnels en géométrie unidimensionnelle. En effet, le système tel qu’il est constitué est affranchi des ambiguïtés qu'un système géométrique sommaire, remplissant une simple fonction d'illustration, risque 175 Chapitre IV d'engendrer. Le fractionneur évite par exemple que des superpositions visuelles soient prises abusivement comme critère de décision quant à l’égalité de deux nombres rationnels. En son absence, l’expérience a montré que même des coïncidences imparfaites, comme celle qui apparaît dans le cas de 5/3 et 12/7 (voir Figure 41), peuvent amener la confusion dans l’esprit de certains élèves. Examinons cet exemple de plus près : x 33 0 1 y 77 0 1 Figure 41 : distinguer 5 12 et ? 3 7 En l'absence de fractionneur, la position de x sur la droite serait attestée visuellement : "il semble bien qu’une subdivision en 3 attrape x, mais peut-être qu’une autre subdivision en 7 pourrait l’attraper aussi". Alors que l'exigence de la production d'un fractionneur amène à formuler le problème en termes numériques : si x et y sont égaux, alors il doit exister un même fractionneur qui les attrape simultanément. Existe-t-il une graduation permettant d’attraper simultanément x et y ? Il faut pouvoir progresser de 3 en 3 et de 7 en 7, donc 21 convient, mais alors j’aurai 35 de ces graduations pour atteindre x et 36 pour y. Donc x ≠y. Le fractionneur est donc le signe qui permet non seulement une première numérisation du problème, mais aussi qui conduit à constituer l'information visuelle en hypothèse, un peu comme le signe caractéristique des angles droits : fait passer du constat visuel de l'orthogonalité à l'hypothèse géométrique. De plus, le fait de disposer d’un registre nous permet de délimiter strictement le jeu des contraintes régissant les traitements. C’est évidemment utile pour procéder à des traitements, mais cela permet aussi de valider ou au contraire d’infirmer des traitements proposés. Des prises de conscience doivent pouvoir par ailleurs résulter des questions qu’un traitement dans un registre fait surgir (c‘est une partie importante de l’intérêt des exercices en mathématiques). Considérons à titre d’exemple un changement de repère 176 Chapitre IV faisant passer d’une première droite repérée par 0 et 1 à une nouvelle droite repérée par 0 et 2 (voir Figure 42). x1 x2 3 3 0 1 0 2 Figure 42 : deux expressions de quatre tiers Un traitement interne au registre − par exemple réduire de moitié le nombre de graduations séparant 0 de x1 permet de passer du repère [0 ; 1] au repère [0 ; 2] et de constater l'identité de x1 avec x2 ; ou bien porter l'entier 2 sur la figure de gauche amène à constater que relativement à [0 ; 2], la position de x1 est la même que celle de x2 – est une occasion de prendre conscience dune égalité comme celle de quatre tiers avec deux tiers de deux. Nous y reviendrons en 2.4.1. L’intérêt d’un registre se situe également dans les conversions avec les autres registres qu'il y aura lieu d'effectuer. En particulier, il nous semble que les avantages suivants peuvent être soulignés : • On peut conserver comme références de formation d'un rationnel les signes et actions attachés à ce registre, bien adaptés à l'expression des grandeurs relatives : choisir un repère, un fractionneur (futur dénominateur) ; marquer une position, relative car conjuguant ces deux données, en retenant un certain nombre (futur numérateur) des graduations créées par le choix du fractionneur ; revenir éventuellement sur ces choix initiaux en fonction des rétroactions. Dans ces conditions, l’opération de conversion apportera toute la plus-value attendue. A l'inverse, en cherchant à représenter trop vite un rationnel par une écriture fractionnaire comme 3 , on s'expose à des interprétations absolues du 3 et du 5 − voir par 5 exemple la Figure 38 où la position du 3 sur fond gris clair semble désigner les 3 5 premières graduations rencontrées sur les 5 premières. • Les écritures fractionnaires usuelles sont bidimensionnelles. Nous avons établi au chapitre III-3 en quoi cette saisie en simultané de deux nombres entiers − numérateur et dénominateur − est un obstacle repéré à l’acception d’une fraction comme descripteur d’un seul nombre (Figueras, Filloy, Valdemoros ; 1987). Cette dissociation débouche sur 177 Chapitre IV des défauts de conception et de traitements : on dispose d'entiers mais on n'a pas le droit de les traiter en entiers. L’introduction des rationnels dans l'univers unidimensionnel que nous avons décrit propose un environnement favorable pour lever cette ambiguïté car un rationnel y est avant tout représenté par un point sur une droite graduée. Certes, plusieurs nombres entiers interviennent aussi dans cette représentation : soit explicitement (les bornes du repère et le fractionneur) ; soit implicitement (le nombre de graduations séparant l'origine du repère de la flèche). Mais comme il est possible de prendre en compte séquentiellement ces différentes données, on est en définitive ramené à un traitement géométrique associé à un traitement sur les seuls entiers. 2.2.3.3. Analyse d'un obstacle lié au registre des droites graduées La section 2.2.2 a été l'occasion d'une analyse pointant certains avantages d'un système unidimensionnel sur un système bidimensionnel. Mais le fait de choisir un système de représentation qui soit un registre d'une part ; unidimensionnel d'autre part, a un coût. Car un registre, par sa nature même, renvoie à des significations plus qu'il ne les donne à voir, le choix de la dimension 1 renforçant encore la distance entre perception immédiate et interprétation. Examinons dans le détail une des ambiguïtés ainsi produites. Toute investigation des nombres en exhibe – au moins – deux aspects, correspondant à deux types d’activité : mesurer ou dénombrer d’une part, numéroter d’autre part. On aboutit ainsi au nombre-mesure, susceptible de répondre à la question "combien ?" (aspect 1) et au nombre-numéro, susceptible de désigner sans ambiguïté (comme dans le cas du numéro de sécurité sociale), ou d'ordonner (comme dans le cas des numéros d'une rue), et donc de répondre aux questions : "lequel ?" ou "avant ou après ?" (aspect 2). Dans le cas des entiers, on peut rapprocher ce double aspect de la dualité classique cardinal / ordinal. Sur un plan didactique, cette dualité et la coordination de ses deux pôles sont sans doute fondateurs de tout apprentissage numérique. Il est ainsi courant, dès les débuts du cycle 2, de proposer aux enfants des travaux de dénombrement d'une collection d'objets formés de la réunion de deux sous-collections – comprenant par exemple 3 et 2 objets. Si l'on souhaite un résultat écrit du total, on met souvent à disposition des élèves un ruban des nombres, qui n'est qu'un habillage de la demi-droite numérique. Une procédure fréquemment observée consiste alors à localiser 3 sur le ruban, et à effectuer des sauts vers la droite, ici 2, en énumérant les deux nombres qui suivent 3, soit 4 puis 5. On répond ainsi à la question "combien ?" (aspect 1) en utilisant l'ordre 178 Chapitre IV naturel sur les nombres (aspect 2). Ces deux aspects du nombre sont donc intimement mêlés dès les débuts de l'apprentissage. 1 2 3 4 5 6 7 Figure 43 : 3 + 2 et [trois]…..[quatre], [cinq] Avec la mesure des longueurs au moyen d'un double décimètre dès la fin du cycle 2, on assiste à une complexification de la tâche due notamment à la nécessaire coordination entre segments et extrémités. Or cette coordination renvoie aux deux aspects du nombre évoqués ci-dessus : d'une part le nombre de fois qu'il est nécessaire de reporter un segment unité dans le segment à mesurer (aspect 1) ; d'autre part la lecture du résultat, au moyen de la suite ordonnée des nombres inscrits au-dessus des graduations, après localisation du point de la règle en coïncidence avec l'extrémité du segment à mesurer (aspect 2). Nombre d'élèves échouent à intégrer ces divers points de vue dans une suite cohérente d'actions. Ils auraient alors plutôt tendance à obtenir le résultat de leur mesure en privilégiant soit l'aspect 1 : dénombrement, par comptage direct ou en s'aidant des nombres inscrits sur la règle, des intervalles obtenus par reports successifs de l'unité ; soit l'aspect 2 : numérotation, obtenue par coïncidence avec les nombres inscrits sur le double décimètre, des points du segment à mesurer, le "numéro" en regard de l'extrémité de ce dernier fournissant la réponse. Cette dernière procédure débouche souvent sur une erreur, car il est tentant de démarrer la numérotation à 1, et donc de mettre en coïncidence l'origine du segment à mesurer avec le 1 et pas le 0 du double décimètre (erreur classique du "démarrage de la mesure à 1"). Remarquons cependant qu'elle est proche de la procédure standard qui consiste bien, lorsque le problème des origines est correctement réglé, à lire le résultat par coïncidence entre un point du segment et un point de la règle. Intervalle n° 1 Intervalle n° 2 Point n° 1 Point n° 2 Intervalle n° 3 Point n° 3 Point n° 4 Figure 44 : deux procédures pour mesurer la longueur d'un segment par comptage et dénombrement des intervalles ou numérotation des points de ce dernier 179 Chapitre IV La procédure de dénombrement des intervalles quant à elle peut déboucher sur un résultat juste, mais obtenu d'une manière peu satisfaisante, car risquant de rencontrer ses limites dans le cas de mesures non entières. Enfin, une application insuffisamment maîtrisée de l'une comme l'autre de ces procédures conduit souvent à l'échec lorsque le double décimètre, cassé, ne commence pas à 0. Réussir la mesure d'un segment au moyen d'un double décimètre, en mobilisant une procédure correcte et extensible aux mesures non entières demande donc sans doute, sinon une prise de conscience, du moins une mise en acte de la bijection entre les intervalles de type [0 ; r] et les points extrémités de ces derniers. De cette bijection dépend l'identification canonique entre un espace affine dont on a fixé l'origine et son espace vectoriel sous-jacent. Elle autorise à parler de la somme d'un point et d'un vecteur, ce qui légitime par exemple la procédure de dénombrement par sauts, donc translations (+2), depuis un point origine (3) jusqu'à un point extrémité (5) décrite en Figure 43, et même de la somme de deux ou plusieurs points. Les élèves éprouvent bien entendu des difficultés vis à vis de cette bijection en acte. Il n'empêche qu'ils y sont très tôt confrontés, avec plus ou moins de bonheur, ainsi qu'on l'a rappelé plus haut. Cette confrontation, constitutive de la notion même de nombre, est cependant incontournable. La droite graduée fournit un espace de travail adapté à l'appréhension de cet obstacle et à la mise en œuvre des conditions de son dépassement. Elle peut en effet être à la fois traitée en univers physique, fractionnable en parties dénombrables par réunion, et à la fois en système sémiotique mobilisant des signes qui peuvent indifféremment référer aux segments ou à leurs extrémités, et sur lesquels opère une loi de composition additive, que l'on peut considérer comme externe ou interne suivant le degré d'intégration de l'identification de l'espace affine à l'espace vectoriel sous-jacent. Nous avons vu que ce n'était pas le cas du système des parts de tartes, qui renvoie à un univers avant tout physique, en tous cas peu "sémiotisable". 2.3. L'exploration logicielle du registre des droites graduées Ayant exposé les principes fondateurs du registre, ses règles de fonctionnement, ses ressources et ses difficultés, il nous reste à examiner le principal outil que nous avons retenu pour son appropriation par les élèves, à savoir la série de logiciels Gradu. On se reportera, pour un descriptif abrégé des logiciels, au paragraphe du chapitre III-2.2 et, 180 Chapitre IV pour une analyse détaillée des logiciels, de leurs objectifs et de la progression, à la série des fiches pédagogiques proposées en annexe n. Pour donner plus de cohésion à l'exposé, nous avons choisi de commenter aussi dans cette section les deux logiciels de conversion dont le registre d'entrée est celui des droites graduées. Lier ces deux logiciels à ceux de la série Gradu permet de ne pas perdre de vue l'objectif majeur de l'enseignement d'un registre unidimensionnel avant les registres classiques d'expression des rationnels : ouvrir des voies d'accès à ces derniers et donner de bonnes raisons de les emprunter. Rappelons cependant que dans la progression élève, les logiciels de conversion sont abordés − dans l'ordre de leur présentation en annexe n − après l'étude séparée de chacun des trois registres, ce qui présente l'avantage de donner aux élèves l'occasion de convertir spontanément, en fonction des besoins ressentis, avant une approche plus systématique de cette opération. La série Gradu en introduction permet d’une part la consolidation d’une représentation géométrique de la suite numérique des entiers, obtenue par report régulier de segments sur une droite ; l’arbitraire de cette segmentation invite d’autre part à imaginer et éventuellement à réaliser des resubdivisions qui débouchent sur une première représentation de nombres non entiers prolongeant naturellement − c’est à dire sans avoir à décrire de nouvelles opérations de traitement − la représentation des nombres entiers dans ce même système sémiotique. La sémiotique même des droites graduées suggère donc l’existence de nombres non entiers. On peut rapprocher ce point de vue de celui développé dans la revue « Liaison école / collège » (Douady et Perrin-Glorian ; 1986, pp. 124-125), à propos d’une activité proposant aux élèves de représenter graphiquement la longueur en fonction de la largeur, pour une famille de rectangles à périmètre p constant. L’alignement des couples (a , b) − dans un premier temps entiers − tels que a + b = p/2, invite les élèves à s’intéresser d’abord à la droite qui les relie puis aux points intermédiaires, donnant ainsi un statut à des nombres « intercalés » entre les entiers. Dans cette dernière expérience, comme dans l’expérience qui nous concerne, c’est une opération de traitement interne à un registre − subdivision dans le cas des droites graduées, opération de pointage sur une représentation graphique − qui fournit un environnement sémiotique favorable à l’émergence de nouveaux nombres. Les activités des cinq premiers logiciels de la série Gradu sont centrées sur deux consignes : déposer − un entier, un non entier − entre des entiers ; ranger trois nombres du 181 Chapitre IV plus petit au plus grand. C'est donc l'opération de comparaison qui, ainsi que nous l'avons déjà souligné à de nombreuses reprises (notamment chapitre II-1.3.3.2), fournit l'essentiel des occasions. Rappelons, pour résumer, que c'est l'opération qui nous semble la plus apte à relativiser la signification des divers constituants d'un rationnel − bornes du repère, pointage vers une graduation, fractionneur... pour ce registre ; dénominateur et numérateur pour celui des écritures fractionnaires. Elle met donc à distance une interprétation absolue de ces unités signifiantes, obstacle majeur à l'interprétation d'un rationnel en termes de rapport (Carraher & Schliemann ; 1991). Le dernier des logiciels de la série, Gradu6, est un peu atypique. Il met en scène, en amenant à synthétiser plusieurs informations − donc de façon procédurale − une forme numérique du dénominateur − le fractionneur − et une forme pré-numérique du numérateur. Le mode d'action de ces deux termes est clairement différencié par la possibilité d'une prise en compte séquentielle de l'un puis de l'autre, et les répercussions sur les décisions à prendre d'une modification de leur valeur, absolue ou relative. L'exercice 4, ainsi qu'on le verra plus loin en 2.4.4.1, p. 191, atteste l'existence d'écritures équivalentes des rationnels. Ce logiciel prépare donc à la formation et aux transformations principales des fractions, mais dans un cadre où ces opérations prennent tout leur sens, car liées à des interventions aisément descriptibles et à des rétroactions qui les précisent par touches successives. Les décisions ne dépendent que de traitements procéduraux internes au registre, et jamais de coïncidences visuelles, du reste irréalisables étant donné que les pas physiques − longueurs à l'écran − ne sont pas compatibles d'une droite à l'autre − un même pas numérique peut se traduire par une longueur différente lorsqu'on change de droite. Les seuls signes porteurs de signification sont donc les signes élémentaires du registre concerné que sont les graduations et les nombres entiers qui les marquent, ainsi que les positions relatives. Les activités attachées à ce premier ensemble de logiciels ont donc pour objectif de familiariser les élèves à la sémiotique des droites graduées, et sont en conséquence fortement liées aux deux opérations fondatrices de ce registre que sont le report et la subdivision. Quant aux deux logiciels de conversion des droites graduées vers les écritures fractionnaires puis décimales (Grad2fra et Grad2for), ils tentent d'organiser la possibilité de désigner par une écriture fractionnaire ou d’approcher − et dans certains cas de désigner 182 Chapitre IV exactement − par une écriture décimale un nombre rationnel pointé par une flèche sur une droite graduée (les conversions réciproques, c’est à dire celles qui aboutissent au registre des droites graduées, seront décrites dans les paragraphes consacrés aux autres registres). Le cahier des charges (décrit à la fin de chaque fiche pédagogique fournies en annexe n) organise, d'un exercice à l'autre, la variation des unités signifiantes d'un rationnel formé dans le registre des droites graduées et permet donc d'en prévoir les répercussion dans les registres de sortie. Rappelons que, selon Duval (1995 ; p. 78), "La discrimination des unités signifiantes d'une représentation, et donc la possibilité d'une appréhension de ce qu'elle représente, dépend de l'appréhension d'un champ de variations possibles relativement à la signifiance dans un registre". Un lien dynamique est ainsi créé entre les opérations géométrico-visuelles portant sur les droites graduées et les nombres et chiffres composant les écritures fractionnaires puis à virgules. Dans le cas de Grad2fra, l'utilisateur est ainsi amené à encadrer le rationnel par deux entiers, puis à tenter de le capturer précisément au moyen de resubdivisions. Enfin, il est invité à fournir une écriture additive − type n + a , n entier − ou uniquement b fractionnaire du rationnel étudié. La connaissance des traitements sur droite graduée ainsi que l'organisation du champ de variation décrit ci-dessus, rendent possible une interprétation relative des nombres composant ces écritures, en des termes de reports et subdivisions par exemple. Quant à Grad2for, il propose en entrée une valeur approchée ou exacte d'un rationnel décimal formé dans le système des droites graduées, soit une flèche pointée entre deux graduations successives, ou exactement sur une graduation, d'une subdivision décimale d'un intervalle d'amplitude 10n, n ∈ Z. Il demande de fournir en sortie une écriture chiffrée décimale de ce rationnel. Pour cela, l'utilisateur dispose d'un système de zooms successifs, permettant d'en visualiser l'approximation à 10 − n près, à partir de son encadrement antérieur à 10 − (n −1) près. Au bout d'un nombre fini d'opérations de ce type, le décimal est capturé exactement. La conversion définitive suppose que l'utilisateur ait pris note des encadrements successifs pour fournir en sortie l’écriture chiffrée décimale recherchée. Chacune des décimales trouve ainsi son interprétation en terme de partie d'une subdivision décimale explicite. Mais surtout, leur rang, non valorisé par l'écriture chiffrée usuelle, est ainsi accordé à la profondeur (l'échelle) d'investigation du nombre traité, car 183 Chapitre IV associé à des zooms successifs. Troncatures et arrondis enfin, avantages majeurs du système décimal sur le système fractionnaire, trouvent naturellement dans cette conversion des équivalents géométrico-visuels qui en consolident la signification et l'opérationnalité. 2.4. Un registre qui pose des problèmes pertinents Il ne serait pas très pédagogique d’imposer l’enseignement d’un registre, sous le seul prétexte qu’il est capable de prendre en charge tous les points de vue et traitements usuels, si cela devait se payer par des artifices et donc des « passages en force ». Ce n’est heureusement pas le cas, car il se trouve que la seule opération de formation, c'est çà dire d'inscription de rationnels dans ce registre, peut poser des questions pertinentes, autrement dit de celles qui débouchent sur la reconstruction de ces divers points de vue et traitements. Il est par ailleurs possible de provoquer ce questionnement au moyen de problèmes pour lesquels une expression très simple dans ce registre s’avère suffisante. C’est ce que nous avons déjà montré, notamment au chapitre III-2.3.2 et III-4, et que nous allons rappeler et compléter ici au moyen de nombreux exemples. Certains d'entre eux ont déjà été traités auparavant. Nous ne reprendrons donc ces derniers que brièvement ici, et développerons les autres. Pour des détails supplémentaires nous mentionnerons en fin de sous-titre le renvoi aux paragraphes concernés. 2.4.1. Trois fois un quart et un quart de trois (voir aussi III-2.3.2. − exemple 2) Il existe traditionnellement et historiquement plusieurs façons d’interpréter un rationnel comme 3 . Deux d’entre elles, que nous noterons désormais I1 et I2, sont 4 particulièrement fréquentes: I1 : 3 , c’est un quart de trois ou trois divisé par quatre ; 4 I2 : 3 , c’est trois fois un quart (fractionnement de l'unité). 4 Nous pouvons voir que le registre des droites graduées, non seulement permet de proposer deux expressions − « écritures » − différentes pour un même rationnel suivant que l’on souhaite privilégier I1 ou I2 − ce que ne permet pas le registre des écritures fractionnaires usuelles ; mais encore peut prendre en charge, par la résolution d’un problème de comparaison simple, la reconnaissance du fait que ces deux « écritures » 184 Chapitre IV différentes représentent un unique rationnel. Voici ces deux « écritures » de 3 dans notre 4 registre :x y 4 4 0 3 d1; un quart de trois 0 1 d2 ; trois fois un quart Figure 45 : un quart de trois et trois fois un quart Le problème consiste à tenter de déposer y sur d1, afin de le comparer à x . Résoudre ce problème demande de trouver par exemple une graduation de d1 qui attrape simultanément x et y . Une solution consiste à demander une resubdivision en 3 x 4 = 12 du repère [0 ; 3]. La flèche associée à x pointe alors vers la troisième graduation sur les quatre comprises entre 0 et 1, ce qui assure l’égalité de x et y . On vérifie aisément que le problème symétrique, déposer x sur d2, peut se traiter par 3 reports de [0 ; 1] et un fractionneur égal à 4 (pour plus de détail se reporter au chapitre indiqué en renvoi). Rappelons que le processus ayant permis cette identification n’est pas qu’une simple coïncidence visuelle, mais dépend de décisions procédurales qui rendent compte de la généralité du phénomène : l’égalité de x et y n’est pas une curiosité de circonstance, mais l'aboutissement d’une démarche reproductible et à forte valeur explicative. 2.4.2. Commensuration Suivant Ratsimba-Rajohn (1982 ; p. 70) cette "stratégie de mesure rationnelle" est un "modèle d'action" pour les élèves, susceptible de jouer le rôle d'une "stratégie de base" − stratégie de référence dont les insuffisances, révélées par un certain type de situation, permettront de développer une stratégie alternative − pour la stratégie du fractionnement de l'unité. Il est donc important d'étudier comment l'équivalence de ces deux stratégies s'inscrit dans le registre des droites graduées. Soit le problème consistant à évaluer x par rapport à y si 4 x = 3 y . Une représentation de x et de y adéquate au problème est donnée par la Figure 46. Pour évaluer x par rapport à y , on peut tenter de déposer x sur d2, et donc trouver une graduation qui attrape simultanément les deux nombres, soit un fractionneur 12 par 185 Chapitre IV exemple, suivant une méthode que nous avons déjà utilisée : x pointe alors sur la troisième graduation parmi les 4 comprises entre 0 et y . x y 3 4 0 d1 0 n x d2 n y 12 0 n d3 Figure 46 : la commensuration de x et y Remarquons que, là aussi, la solution au problème n'est pas le résultat d'une manipulation heureuse et attachée à un cas particulier, mais qu'elle est construite sur des décisions de l'utilisateur − notamment numériques − liées aux fondements du problème, ce qui ouvre la voie à sa généralisation. 2.4.3. Comparaison (voir aussi en III.2.3.2 − exemple 3 et II. 1.3.3.2) Comparer deux rationnels au moyen de ce registre revient à comparer leur action respective sur un repère qui ne saurait qu’être commun. Le plus sûr moyen d’y parvenir est donc de tenter d’inscrire ces deux rationnels sur une même droite. Le fait d'exprimer les rationnels par des positions numérisées − au moyen notamment du fractionneur − sur une droite graduée permet de développer des stratégies de comparaison diversifiées (ce qui a été vérifié par l'observation directe des élèves du CM2 de Sélestat et déjà rapporté aux chapitres indiqués en renvoi) : positionnement par rapport aux entiers, à des rationnels particuliers comme 1 , par changement de repère, par des 2 considérations physiques visuellement attestées (un découpage en 5 est plus "serré" qu'un découpage en 3, pour un repère donné), et, aussi, par des stratégies qui préfigurent la réduction au même dénominateur et que nous résumons sur la Figure 47. Remarquons au passage que l’expression orale, envisagée en 2.2.3.1, n’est pas trop perturbée par une origine différente de zéro ; ainsi l’appellation « trois cinquièmes de [7 ; 8] » conviendraitelle pour y. 186 Chapitre IV x 7 y 5 3 8 7 y 8 x 15 7 8 Figure 47 : comparer par changement de fractionneur Pour comparer x et y , je cherche une graduation qui attrape simultanément ces deux nombres, qui permette donc une subdivision à la fois en 3 et en 5, soit par exemple un fractionneur 15. 2.4.4. Arithmétique Tout travail sur les rationnels sollicite à un moment des notions d’arithmétique : diviseurs et multiples, ppcm et pgcd, nombres premiers et premiers entre eux, théorème de Gauss... sont mis à l’épreuve des traitements élémentaires sur les fractions. Mais ce qui a fait l’originalité de la reconstruction que nous allons présenter, ce sont les termes qu’elle a empruntés pour s’exprimer. C’est ce que nous nous proposons d'illustrer ici, en montrant comment les élèves ont utilisé les signes et actions spécifiques du registre des droites graduées pour reconstruire l’arithmétique dont ils avaient besoin, et comment, en retour, ces signes et gestes ont fourni un contexte opératoire aux concepts qu’ils ont permis d’esquisser. Cette plus-value n'était pas prévue par les concepteurs, et prouve que la recherche plonge les élèves dans un univers dont les frontières peuvent différer de celles fixées par les programmes actuels ou "l'habitus". C'est la raison pour laquelle nous saisirons cette occasion pour examiner dans le détail des procédures d'élèves face aux tâches logicielles, dont certaines − voir par exemple Gradu 5 − sont suffisamment atypiques pour qu'on puisse légitimement s'interroger sur les attitudes qu'elles ont provoquées. Dans toute la suite, les réflexions d’élèves seront en italique, nos commentaires en écriture droite et entre crochets. 187 Chapitre IV 2.4.4.1. Diviseurs et multiples, ppcm et pgcd Ces notions sont omniprésentes en filigrane dans le travail des élèves. La recherche explicite des diviseurs d'un nombre a été constatée lors d’un travail (CM1 de Sélestat en 1996-97) sur le logiciel Gradu2 − voir III-2.2.1 − Gradu2 et annexe n. Il s’agissait de trouver une graduation en un minimum d’intervalles pour déposer 22 entre 18 et 28, sans sortir du domaine des entiers − i.e chaque graduation conservant une abscisse entière. Jérémy recherchait systématiquement les diviseurs du pas − ici 1, 2, 5 et 10 pour un pas de 10 − en expliquant qu’il fallait « passer par le nombre [la graduation devait "attraper" le nombre à déposer − ici 22] et par le bout de l’intervalle [ici 28] », et qu’en testant toutes les possibilités, il trouverait « la meilleure » − [i.e. celle comportant le minimum de graduations]. On a ici l'ébauche d'une recherche de diviseurs communs, et même de pgcd, entre 4 (22 - 18) et 10 (28 - 18), qui emprunte bien sûr des voies exotiques pour s'exprimer, mais qui pose les véritables questions dans les termes autorisés par le registre. 18 28 22 Figure 48 : une graduation de 2 en 2 permet d'attraper 22 à moindre coût (qu'une graduation de 1 en 1) La recherche d'expressions adéquates à un problème − de positionnement ou de comparaison par exemple − requiert la notion de multiple commun. Ceci s’est posé notamment lors de la passation (CM1 de Sélestat ; 1996-97) du logiciel Gradu5 − voir III.2.2.1, Gradu5 et annexe n. Il s’agissait de déposer un nombre entier comme 8 sur l’intervalle [5 ; 9] de pas p = 4, subdivisé en 3 sous-intervalles : 3 5 9 Figure 49 : déposer 8 dans un contexte peu favorable 188 Chapitre IV Gradu 5 est un logiciel que nous considérions comme déroutant et tellement atypique dans l'activité qu'il propose que nous avions décidé de ne poursuivre que si l'engagement des élèves était comparable à celui investi dans les logiciels précédents. Ce qui a été le cas, au-delà de nos attentes en fait. Analysons tout d'abord la tâche de façon experte dans l'exemple ci-dessus22 : • calculer le pas 9 - 5 = 4 ; • l'opposer au nombre d'intervalles, ici 3, pour tenter d'y trouver une "raison commune", permettant de déposer les nombres intermédiaires aux extrémités (ici 6, 7, et 8) ; • à défaut, resubdiviser chaque intervalle par le pas (ou un de ses multiples), soit 4 (ou un multiple de 4), seule manière d'assurer la divisibilité par 4 du total des sousintervalles ainsi obtenus ; • regrouper les graduations 3 par 3 pour attraper le pas unitaire ; • utiliser ce regroupement pour déposer le nombre 8. +1 12 5 8 9 Figure 50 : la procédure experte pour déposer 8 La tâche est vraiment complexe. Bien entendu, les élèves n'ont pas procédé ainsi. Une procédure très répandue a été la suivante : • constater l'impossibilité de déposer 8 sur une des graduations préexistantes (Figure 49) ; • émettre une hypothèse raisonnable de resubdivision, mettons par 3 ; • tenter de déposer les nombres intermédiaires (ici 6, 7 et 8) régulièrement le long de cette échelle (en progressant par exemple par regroupements de 2 sous-graduations − voir Figure 51) ; 22 On rappelle qu'il n'est pas possible de resubdiviser le repère dans son ensemble ; l'action de resubdivision, par le même nombre n, porte sur chaque intervalle du repère ; le fractionneur, quant à lui, indique le nombre total de sous-intervalles du repère et vaudra donc dans notre exemple 3 x n, avec n = 1 initialement. 189 Chapitre IV +1 >1 9 5 6 7 8 9 Figure 51 : une tentative qui échoue mais ouvre la voie d'un nouvel essai en cas d'échec, tenter de modifier soit le regroupement, soit la resubdivision, en s'appuyant sur l'information fournie par le dernier essai (ici par exemple que 8 doit être décalé vers la droite). Cette approche par essai / erreur va déboucher sur le constat que : « ça serait plus facile s’il y avait 4 graduations [subdivisions] ». Après de nombreuses tractations entre les coéquipiers, un groupe d'élèves parvient à la conclusion suivante : «Il faut à la fois 4 et 3, il faut un fractionneur de 12 pour pouvoir attraper 6, 7, 8 et 9 [les 4 entiers intermédiaires du repère] ». Dans des cas de figure proposant un pas de 4 pour 6 subdivisions initiales, la recherche d’un multiple commun le plus économique possible − ppcm − n’est plus une exigence gratuite mais une tentative naturelle de recherche du « premier nombre qui marche » − ici 12 = ppcm (4 ; 6). D’une façon générale, la recherche d’écritures équivalentes dans le registre des droites graduées débouche sur une activité de multiple commun ou de diviseur commun comme on le verra juste après. Les graduations minimales étant toujours primées, ou mieux rendues nécessaires pour éviter des problèmes de dépassement, soit de résolution d’écran, soit de contraintes gérées par le logiciel, cette recherche de multiples communs a naturellement motivé la recherche du plus petit d’entre eux, soit le ppcm. En voici deux exemples issus de la passation du logiciel Gradu4 (CM1 de Sélestat ; 1996-97) − voir III.2.2.1 − Gradu4 et annexe n.: x y 8 10 4 d1 5 4 d2 5 y x 40 4 5 d3 Figure 52 : un ppcm pour comparer x et y 190 Chapitre IV Anthony tente de resubdiviser chaque intervalle de d1 en 8, ce qui conduirait à un fractionneur égal à 80 pour d3. Rétroaction du logiciel : dépassement des capacités-machine ! Il trouve alors la solution au moyen du fractionneur 40 en expliquant « qu’il faut casser 8 en 2 [tenter un multiple 2 fois plus petit] ». Mais le plus bel exemple de recherche explicite d’un ppcm reste celle entreprise par Nathalie (CM2 de Sélestat ; 1997-98). Le logiciel proposait de ranger trois rationnels écrits sur droite graduée, avec comme fractionneurs : 10 ; 6 ; 4. Nathalie s’isole du groupe, s’éloigne de l’ordinateur et engage une recherche − qu’elle annonce et explicite par périphrase − papier/crayon d’un multiple commun aux trois nombres.... mais n’aboutit qu’à une réussite partielle, en exhibant des multiples communs à deux des trois nombres seulement : 24 − qui n’est pas en l’occurrence le ppcm de 6 et 4 ; et 30 − qui est bien le ppcm non trivial de 10 et 6. Ces deux résultats lui ont du reste suffi pour effectuer son rangement, en comparant les trois rationnels proposés deux par deux. La notion de pgcd quant à elle, formée au fur et à mesure des prises de conscience de l’existence et de la nécessité d’écritures minimales − i.e requérant des fractionneurs plus petits − pour un rationnel donné, a émergé tout au long des passations des logiciels Gradu, pour être explicitée lors du jeu de communication de Gradu6, exercice 4 (CM2 de Sélestat ; 1997-98) que nous allons résumer ci-dessous − voir aussi III.2.2.1 − Gradu6 et annexe n. Le logiciel Gradu6 propose de réinscrire sur une seule droite un rationnel R exprimé au moyen de deux droites (le segment du dessous de la Figure 53 s'obtient par un zoom sur un des intervalles du dessus). Voici par exemple une « écriture » d’un rationnel obtenue en fractionnant en 5 l’un des intervalles d’une subdivision de l’unité en 4 : 4 1 0 R 5 Figure 53: une expression de treize vingtièmes au moyen d'un zoom 191 Chapitre IV Et voici la réécriture de ce rationnel sur une seule droite : R 20 0 1 Figure 54 : expression de treize vingtièmes sur une seule droite (fin de l'opération "droite au propre") Pour parvenir de l'expression illustrée par la Figure 53 à celle de la Figure 54, l'utilisateur peut procéder en deux étapes. Une première étape, dite étape de "la droite au brouillon", permet de centrer la recherche sur la découverte d'un fractionneur résultant adapté : le logiciel place la flèche désignant R sur une droite non graduée et l'utilisateur tente de trouver une subdivision qui capture cette flèche. Une deuxième étape, dite de "la droite au propre" − sur laquelle plus rien n'est fourni par le logiciel − donne l'occasion de : redemander un fractionneur adéquat, éventuellement révisé à la baisse, puis de désigner la graduation − ce qui correspondrait, dans le registre des écritures fractionnaires, à la recherche du numérateur − sur laquelle déposer R. Au cours de ces tentatives par essais et erreurs, le logiciel envoie des rétroactions dont les principales sont : indiquer si le fractionneur est adéquat et, à défaut (pour les exercices 3 et 4), s'il est diviseur ou multiple du fractionneur. On remarquera que ce dispositif permet de : • séquentialiser la recherche de ce qui sera plus tard le dénominateur et le numérateur, ce qui confirme le caractère unidimensionnel du registre ; • travailler sur une forme non forcément numérique de ce "numérateur" (le "numéro" − treize dans l'exemple ci-dessus − exact de la graduation sur laquelle déposer R n'est pas indispensable ; d'autres formes de repérages sont possibles, comme un repérage rapide par rapport à des graduations de 5 en 5 ou de 10 en 10). Par ailleurs, les exigences associées à la réussite − expliciter numériquement le fractionneur ; désigner une des graduations conséquentes − et la nature des rétroactions, engagent l'utilisateur à ne pas se contenter de coïncidences visuelles, mais à entreprendre des calculs qui préfigurent ceux qu'il aura à mener ultérieurement dans le registre des écritures fractionnaires. 192 Chapitre IV Décrivons à présent ce qui fait la spécificité de l'exercice 4 de ce logiciel : le rationnel R n'est pas tiré aléatoirement mais choisi par un émetteur − un élève − qui dispose à cet effet d'une seule droite pour laquelle il devra choisir un fractionneur puis désigner une de ses graduations. Il forme donc son rationnel "mystérieux" dans le registre des droites graduées. Un récepteur doit alors retrouver ce rationnel, en recourant à des subdivisions et / ou des zooms, et en disposant des rétroactions décrites ci-dessus. Bien entendu, le fractionneur choisi par l’émetteur n’a aucune raison d’être celui que trouvera le récepteur, comme c'est le cas sur la Figure 55 : x 15 1 0 Figure 55 : 2 10 attrapé en 3 15 Et pourtant, l’ordinateur aura validé la réponse ! On peut penser que l’effet de surprise, les conflits et les tentatives d’explication qui en découleront seront riches de sens et de conséquences. Cet effet a motivé la recherche d’expressions équivalentes d’un même rationnel (CM2 de Sélestat ; 1997-98), et notamment son expression la plus simple − irréductible dirions-nous − d’une fraction, recourant à un pgcd, paré pour la circonstance des termes du registre. Dans le cas illustré par Figure 55, la formulation sur laquelle la classe a pu trouver un consensus institutionnalisé a été la suivante : « il faut trouver le meilleur regroupement des graduations qui continue à attraper le nombre pointé par la flèche ». Dans cette expression : le terme de « regroupement » invite à chercher des diviseurs du fractionneur ; le terme de « meilleur » encourage à chercher le plus grand regroupement, donc le plus grand diviseur ; quant à la phrase « qui continue à attraper le nombre pointé par la flèche », sa reformulation en termes de fractions serait « qui soit aussi un diviseur du numérateur ». 2.4.4.2. Nombres premiers entre eux Dans le cadre d’une tentative de simplification du rationnel suivant, 193 Chapitre IV x 10 0 1 2 Figure 56 : 21 et 10 sont premiers entre eux nous avons pu noter la réflexion suivante (Nicolas ; CM2 de Sélestat, 1997-98) : « avec 10, on ne peut les regrouper que par 2 ou 5 [les graduations du repère], mais on n’attrape plus le nombre parce que c’est 21 [les sauts de 2 en 2 ou 5 en 5 n’attrapent pas x qui pointe la 21ème graduation, ou encore 2 et 5 ne sont pas diviseurs de 21] donc c’est 1 par 1 » [1 graduation après l’autre, donc pas de regroupement]. On ne peut mieux exprimer dans les termes du registre que 21 et 10 sont premiers entre eux, ou n’admettent d’autres diviseurs communs que 1 ! 2.4.4.3. Nombres premiers Reprenons l'exemple illustré par la Figure 53. Ce mode "d'écriture" des rationnels au moyen de deux droites et d'un zoom n'est adapté que si le fractionneur résultant n'est pas un nombre premier. A la question de savoir si tous les fractionneur étaient exprimables au moyen d'un zoom, Laetitia (CM2 de Sélestat ; 1997-98) répond que « non, parce que il y a des fractionneurs qui ne sont dans aucune table, comme 11 ou 17 » − sous-entendu indécomposables multiplicativement, donc des nombres premiers. 2.5. Conclusion de la section 2 2.5.1. Droites graduées et fractions Tout au long de cette section, nous avons beaucoup insisté sur les spécificités de ce registre et les traitements qu’on peut y effectuer, en évitant soigneusement de recourir aux traitements correspondants dans les registres plus courants des écritures fractionnaires et décimales et donc en utilisant exclusivement les termes et les outils − la lettre et l’esprit − de ce registre-là. Nous avons aussi mis à l'épreuve son potentiel de communication à travers l'exercice 4 de Gradu6. Nous avons enfin prouvé sa capacité à objectiver les différents points de vue attachés traditionnellement aux rationnels. L'environnement sémiotique des droites graduées permet donc bien de remplir les trois fonctions cognitives fondamentales décrites par Duval (1995 ; pp. 87-94) et (1996 ; pp. 356), ce qui confirme définitivement sa nature de registre sémiotique de représentation. 194 Chapitre IV Mais c’est un environnement de travail, qui ne prétend pas à plus ou moins de convivialité, mais à un potentiel de mobilisation autour de certains points sensibles concernant les rationnels − et au-delà l’arithmétique −, particulièrement valorisés par les signes et les règles de fonctionnement des signes dans ce registre. Par ailleurs, l’identification abusive rationnel / fraction, rabattant le concept sur une de ses représentations, se trouve déjouée. En libérant l’objet d’une de ses représentations privilégiées − du reste très performante pour les traitements, mais à faible potentiel explicatif − on donne la possibilité de choisir : choisir de mobiliser tel registre plutôt que tel autre pour représenter tel rationnel, parce qu’il rend mieux compte de l’idée qu'on souhaite faire prévaloir, ou qu’il permet un traitement plus adéquat. Le registre des droites graduées offre donc une alternative, un concurrent au registre des écritures fractionnaires. Par là-même il le met en valeur tout en relativisant son universalité. 2.5.2. Droites graduées et surfaces fractionnées Il est possible de regarder un segment de droite subdivisé en intervalles de deux façons différentes : soit comme une grandeur fractionnée, soit comme un ensemble de points dont la position est déterminée par la donnée d'un repère et d'un fractionneur. La première option ne distingue sans doute pas fondamentalement le système des droites graduées du système des parts de tarte. La deuxième en revanche permet de doter les droites graduées des caractéristiques d'un registre, ce qui en optimise le potentiel de significations et de traitements tout en maintenant dans des limites raisonnables la diversité et la disponibilité des signes mobilisés. Nous avons ainsi pu qualifier le système des droites graduées d'univers ouvert, relatif, ordonné ; et le système des parts de tarte d'univers fermé, absolu, non ordonné. On peut donc en déduire que le premier permettra de représenter des nombres, prolongeant les entiers, et pouvant exprimer soit des rapports entre ces derniers, soit entre les grandeurs associées à ces nombres ; que le deuxième exprimera avant tout des grandeurs, contraintes sous l'unité, et dont la mise en rapport relève plus d'un double comptage que d'une expression relative. La formation d'un rationnel dans le premier rencontre un obstacle de taille, puisque lié à la bijection entre des segments et des points, ce qu'évite le deuxième. Ce dernier quant à lui reste très efficace pour comparer un type de rationnels, à savoir ceux représentables par des fractions à numérateur constant. La diversité des points de vue historiques sur les rationnels ainsi que la comparaison de ces 195 Chapitre IV derniers est bien prise en compte par le premier qui offre en outre, par la richesse de ses significations, la possibilité d'une diversification des procédures envisageables. Cette synthèse permet de conjecturer que le système des droites graduées, plus complet que son concurrent, doit néanmoins présenter un coût didactique non négligeable. Ce coût est-il justifié par les bénéfices qu'on peut en attendre ? C'est ce que la section expérimentale suivante tentera de valider. 3. Sur quelles compétences construire la maîtrise des rationnels ? Après avoir expliqué notre choix a priori d'un enseignement privilégiant, à côté des registres numériques et géométriques bidimensionnels usuels, un registre géométrique unidimensionnel, nous allons tout d'abord examiner ce que nous révèle un questionnaire constitué de six items, proposé à deux classes de cycle 3, à des phases différentes de leur apprentissage pour des raisons que nous préciserons. Ce questionnaire permettra en premier lieu : 1. d'identifier et / ou de préciser un certain nombre de faux-semblants et d'obstacles associés à l'apprentissage des rationnels ; 2. d'évaluer les effets de notre enseignement sur le dépassement de ces obstacles. Nous tenterons alors dans un deuxième temps de proposer une synthèse entre : les apports de l'analyse du questionnaire en six items et des résultats constatés ; les conclusions de l'analyse a priori (2.5). Cette synthèse nous permettra de dégager : • un ensemble de compétences relatives à la représentation des rationnels et nécessaires à leur maîtrise ; • de rapprocher cet ensemble de compétences du paysage cognitif attaché à un registre géométrique unidimensionnel ; • de rapprocher cet ensemble de compétences de la capacité à résoudre des problèmes rationnels. Avant d'aborder l'étude du questionnaire, précisons bien que nous n'entendons pas opposer une population expérimentale à une population témoin en vue d'évaluer les bénéfices d'une approche didactique contre une autre. Le choix de ces deux classes à des moments si différents de l'apprentissage serait alors pour le moins inadéquat ! La classe de Weyersheim, au début de son apprentissage, contribuera essentiellement à apporter des précisions sur les réussites ou les difficultés pointées dans diverses études (notamment les 196 Chapitre IV évaluations nationales et celles de l’APMEP) ; la classe de Sélestat, en fin d'apprentissage, permettra d'apprécier une évolution par rapport aux repères ainsi établis. 3.1. Présentation synthétique de l'enseignement dispensé dans chacune des classes observées La classe de Sélestat23 (26 élèves) a suivi un enseignement complet sur les rationnels, réparti sur les deux années de CM1 et CM2. Cet enseignement a essentiellement reposé sur l'étude des logiciels de la série ORATIO (Adjiage & Heideier ; 1998) proposant des activités systématiques de traitements (internes à un registre donné) et de conversions (inter-registres) liées à trois registres d'expression des rationnels introduits en classe dans l'ordre suivant : les droites graduées, qui sont l'objet essentiel de cette publication ; les écritures fractionnaires ; les écritures décimales. Ces passations sur ordinateur ont été complétées par des études papier / crayon, précisant les activités logicielles ou les prolongeant. Le groupe de Weyersheim (17 élèves appartenant à une classe à double niveau CE2-CM1) s'est vu proposer lors de quatre séquences, d’environ 1h30 chacune, un enseignement construit autour des chapitres 54, 55, 56 et 60 du manuel "le Nouvel Objectif Calcul" CM1, accompagné de travaux pratiques en classe et de quelques recherches documentaires à la maison. Les chapitres d'Objectif Calcul portent sur : longueurs et fractions ; la machine à partager des longueurs − formée d'un réseau de parallèles équidistantes ; demi-droite numérique et fractions ; aires et fractions. On notera un recours précoce au système d'écritures fractionnaires. Les travaux pratiques ont consisté à mesurer des longueurs, au moyen de règles graduées en cm et en pouces puis d'en déduire une correspondance entre ces deux systèmes de mesure de type : n pouces équivalent à p centimètres ; à appliquer les écritures fractionnaires à d'autres mesures de longueurs, aires ou capacités ; à lire un texte portant sur des mesures anciennes et leur équivalent au moyen du système métrique ; à répondre à un questionnaire sur ce texte en mobilisant des fractions. L'ensemble de cette expérience est rapportée dans un article de Pluvinage (1998, pp. 131-133), auquel on pourra se référer pour des renseignements complémentaires. 3.2. Présentation des groupes d’items proposés à chacune des classes Le questionnaire est joint en annexe 1. 23 L'expérimentation menée dans cette classe sera détaillée au chapitre VI. 1. 197 Chapitre IV 3.2.1. Premier groupe : items 1 à 3 Un premier groupe d'items propose de convertir en fraction le fractionnement d'une unité en dimension 1 ou 2. Une analyse rapide de la tâche pourrait conclure à l'équivalence de ces systèmes pour signifier une fraction puisque l'un comme l'autre présente à cet effet : une partie discernable d'un tout ; une partition du tout dont une souspartition recouvre la partie considérée. Une fois repérés ces divers constituants de la représentation, la conversion ne devrait plus poser de problème puisqu'il suffit alors de se livrer à un double comptage pour former le numérateur et le dénominateur. Si obstacle il y a, il ne peut surgir que de la difficulté à identifier puis à discerner les divers constituants de la représentation : qu'est-ce que le tout ? qu'est-ce que la partie ? Quel lien existe-t-il entre les deux ? L'analyse a priori menée en 2. nous a déjà permis de dégager des différences importantes dans la manière et les moyens de chacun des systèmes en présence de générer de telles significations. Nous attendons de l'analyse des résultats à ces trois items confirmation, précisions et compléments dans ce domaine. On notera que si l'item 1 a toutes les chances de déboucher sur l'unique réponse 3 , les items 2 et 3 sont plus ouverts quant à la multiplicité des solutions raisonnablement 8 envisageables : en demis, tiers ou sixièmes pour l'item 2 ; en tiers ou en neuvièmes pour l'item 3. 3.2.2. Deuxième groupe : items 4 et 5 Ce groupe propose deux problèmes qui, au-delà de certaines analogies, présentent des dissemblances qui méritent d'être pointées. L'un comme l'autre peut se traiter au moyen d'un raisonnement de proportionnalité simple ne recourant pas aux fractions. Mais l'un comme l'autre suppose : une mise en relation de la partie au tout (2 litres par rapport à 10 litres, 50 g par rapport à 250 g) ; l'application de cet opérateur rationnel ainsi calculé à une troisième grandeur (x5 appliqué à 3 kg, partage en 5 parts égales de la plaque de beurre). Ces deux problèmes sont donc destinés à tester, dans un contexte matériel, la capacité des élèves à se dégager des données absolues (comme 250 et 50), pour en exhiber une expression relative (comme 5 ou 1/5) à interpréter ensuite en terme d'opérateur s'appliquant à une troisième donnée – alors que le groupe d'items précédents ne sollicitait que la capacité à discerner la partie du tout puis à dénombrer m parts parmi les n d'une subdivision fournie. 198 Chapitre IV Examinons à présent les différences. Si l'item 5 apparaît comme une application du fractionneur (voir 2.2.3.1 et 2.2.3.2) à une unité matérielle, ce qui le rapproche du contexte d'apprentissage de l'une comme de l'autre classe, l'item 4 s'en éloigne en ce qui concerne la classe de Sélestat dans la mesure où la donnée de base est fournie en termes de commensuration (la masse de 2 litres de miel est 3 kg). Ce mode de mesure rationnelle a en effet été peu abordé dans cette dernière classe alors que la conversion pouce / centimètre a donné lieu à des travaux de même nature dans la classe de Weyersheim. Le rapport à l'œuvre dans l'item 4 est de 2 pour 3 ou 3 pour 2, alors qu'il est de 1 pour 5 ou 5 pour 1 dans l'item 5. Il est donc plus simple dans le deuxième que dans le premier cas (2/3 est la "première" – en suivant l'ordre lexicographique de ses termes – fraction non décimale de numérateur différent de 1). Enfin, alors que l'item 5 n'est qu'une application immédiate de la seule proportionnalité, l'item 4 demande à ce que cette notion soit dégagée du contexte à cause de la présence de la masse à vide. Ces trois points apportent donc suffisamment de complexité à cet item pour laisser présager un taux de réussite plutôt bas. A titre de référence, indiquons qu’un problème de proportionnalité – donc sans translation –, mobilisant une correspondance analogue (2 œufs pour 3 personnes dans une mousse au chocolat), donnait lieu, en septembre 1995 à l’évaluation nationale en début de 6ème, à une réussite de 25,2% dans un cas où la prise en compte du rapport 2 pour 3 ne se contourne pas facilement (item 44). Après avoir analysé la nature de la tâche, il nous reste à poser la question de son rapport avec la compétence qui nous intéresse au premier plan, à savoir la capacité à maîtriser les représentations numériques dans le registre des droites graduées. En d'autres termes, peut-on établir un lien entre la capacité à mobiliser et à utiliser correctement ce registre et la capacité à appréhender des grandeurs relatives et à les traiter ? Notre analyse a priori, développée notamment en 2.2.2, nous autorise en tous cas à conjecturer l'existence d'un tel lien. Une étude croisée avec l'item 6 nous permettra de mettre cette hypothèse à l'épreuve . Mais auparavant, il nous faut examiner ce dernier item. 3.2.3. Troisième groupe (réduit à un seul élément) : item 6 Cet item examine la préférence des élèves pour représenter une fraction, 7 en 4 l'occurrence. On notera qu'il s'agit, contrairement aux items précédents, d'une fraction supérieure à 1, ce qui a priori privilégie le système des droites graduées plus adéquat à représenter ce type de fractions. Ce dernier item devrait nous renseigner : sur le choix 199 Chapitre IV spontané des élèves pour la dimension 1 ou 2 dans un contexte favorisant la première ; sur la façon dont les élèves prennent en compte la double information donnée par le 7 et le 4 et comment ils l'expriment en un seul objet à partir de leur choix. Ce dernier item devrait donc apporter des éclaircissements sur l'obstacle du "deux pour un" relevé en 1.2. 3.2.4. Pourquoi avoir mobilisé des écritures fractionnaires pour ce questionnaire ? On peut s'étonner de l'usage simultané de fractions et de représentations géométriques dans ce questionnaire, et donc de la présence d'items demandant des conversions entre deux registres, alors que les premières parties de l'article font surtout référence au seul registre sémiotique des droites graduées. Mais on notera tout d'abord que la classe de Weyersheim, ayant suivi un enseignement traditionnel, a eu très tôt recours à des écritures fractionnaires illustrées par des représentations uni et bidimensionnelles. Il s'agissait donc d'utiliser une expression des rationnels conforme à cet usage. Par ailleurs, et bien qu'on n'aborde pas les conversions dans cet article, la classe de Sélestat a eu un enseignement complet à leur sujet à la suite des traitements. Les deux classes disposaient donc des outils nécessaires à la compréhension des énoncés et à leur résolution, cette disponibilité risquant de rendre artificiel un évitement circonstanciel d'écritures fractionnaires par ailleurs banalisées à ce moment de leur apprentissage. On retiendra encore que l'usage qui est fait des fractions se réduit à celui d'une notation permettant de compacter ses réponses. Aucune technicité (comparaison par exemple) n'est donc requise à leur sujet, ce qui est confirmé par les éléments de congruence caractérisant les conversions : en ce qui concerne les représentations bidimensionnelles, ils sont liés au double comptage du nombre de parts grisées et du nombre total de parts ; en ce qui concerne la droite graduée de l'item 2, au choix de [0 ; 1] comme repère et à la quasi coïncidence entre segment unité et segment dessiné. Seule la conversion de l'item 6 est plus délicate, dans la mesure elle demande l'explicitation d'unités signifiantes comme la précision de l'unité choisie. Mais il s'agit alors d'une difficulté liée à la sémiotique du registre géométrique et non de celui des fractions. La présence de ces dernières n'est donc pas déterminante dans la résolution des exercices pour laquelle la mobilisation et l'interprétation des signes requis par les registres géométriques sont en revanche décisifs. 3.3. Examen des résultats et des modalités de leur obtention Nous proposons en annexe 4 les tableaux des résultats obtenus par les deux classes au questionnaire. Commençons par établir un premier constat d'ensemble. 200 Chapitre IV Une année d'enseignement sépare les deux classes testées lors de la passation du questionnaire. Si ce différentiel d'enseignement se retrouve bien dans l'écart des réussites à des items portant sur les droites graduées et la résolution de problèmes, il ne semble avoir qu'une influence négligeable sur les items 1 et 3 de type "parts de tarte" (92% et 85% pour Sélestat contre 83% et 78% pour Weyersheim) : les élèves atteignent très vite une bonne maîtrise de ce moyen d'expression, en tous cas lorsque les fractions représentées sont inférieures à 1. Un coût didactique peu élevé semble donc bien le caractériser − une rentabilité rapide en terme de transcription d'informations particulières. Mais ce faible coût devra être reconsidéré à la mesure des résultats observés dans la représentation des fractions supérieures à 1 et le traitement de l'information. 3.3.1. Analyse des résultats du premier groupe d'items La première remarque d'évidence est que la réussite aux items "parts de tarte" est très supérieure à celle de l'item de type droite graduée. Ceci est vrai pour l'une ou l'autre classe, mais l'écart est plus élevé pour la classe de Weyersheim. Malgré l'apparente similitude des actions de report et de subdivision qu'on entreprend dans l'un ou l'autre de ces systèmes, on réussit en gros 4 fois mieux à Weyersheim et quand même 2 fois mieux à Sélestat − malgré un temps d'enseignement globalement beaucoup plus long et surtout très orienté vers les droites graduées ! − en dimension 2 qu'en dimension 1. Encore, l'item 2 se contente-t-il de proposer une droite graduée limitée au segment [0 ; 1]. On peut supposer qu'en étendant les graduations au-delà de 1 − ce qui introduit d'autres unités signifiantes − l'échec aurait été encore plus massif. L'observation directe des élèves au travail, accompagnée de brefs entretiens précisant notamment la raison de certaines attitudes (pointage net et sans hésitation des parts de tarte contre embarras et inaction face aux droites graduées) permettent de préciser ce que l'analyse a priori avait laissé entrevoir. L'association entre le double comptage et les deux termes de la fraction est immédiat dans le cas de parts de tarte car : • les objets à dénombrer – les parts grises ou blanches –, de même nature, sont immédiatement identifiés et discernés par leur opposition de couleur ; • l'ordre de comptage suit l'ordre naturel d'écriture de la fraction, du haut vers le bas ; comptage des parties grisées d'abord pour le numérateur puis des parties blanches ensuite pour le dénominateur. 201 Chapitre IV Ce double comptage est beaucoup moins opérant – et c'est peut-être la chance de ce système qui ne réduit pas un rationnel à une séquence de deux entiers – dans le cas des droites graduées car les élèves : • identifient mal les objets du comptage qui ne sont pas de même nature, le dénominateur se rapportant préférentiellement au segment – qu'on partage en 6 intervalles – et le numérateur aux extrémités, la flèche pointant nécessairement vers une extrémité ; on retrouve ici l'obstacle de la bijection évoquée en 2.2.3.3 ; • discernent mal les objets de ce comptage, l'opposition flèche / intervalle étant moins immédiate que l'opposition gris / blanc ; • recherchent d'abord le dénominateur, puis le numérateur (le dénombrement des intervalles opération plus concrète que le repérage d'une position ?), ce qui les amène à préciser d'abord la "nature" du fractionnement avant d'en déterminer la partie "retenue", contrariant ainsi l'ordre naturel de l'écriture du haut vers le bas. Devant ces éléments de non congruence, les élèves de Weyersheim, qui n'ont pas eu un enseignement algorithmisé concernant les droites graduées : soit renoncent aux droites graduées (voir item 6) ; soit se trompent ; soit, et c'est l'issue qui nous semble intéressante à exploiter, changent de stratégie : 6 élèves sur 17 tentent d'évaluer en tiers ou en demis certaines des fractions inscrites sur la droite graduée de l'item 2 (dont une lecture immédiate serait 2 3 et ), alors qu'ils conservent une stratégie de double comptage pour au 6 6 moins un des items 1 ou 3. A titre de comparaison, signalons que seul 1 élève sur 17 évalue en tiers l'aire hachurée de l'item 3 (dont une lecture immédiate est 3 ). Nous y voyons 9 l'amorce d'une confirmation de ce notre analyse a priori : les droites graduées donnent l'occasion de s'affranchir des évidences d'un comptage absolu, pour adopter un point de vue plus relatif de l'expression des grandeurs : s'exprimer en demis ou en tiers dans le cas de l'item 2 prouve bien une tendance spontanée − certes limitée mais réelle −, à abandonner la référence absolue au profit de la proportion. Il nous reste à analyser le score moyen obtenu par la classe de Sélestat à l'item 2 (50%), malgré un enseignement fortement orienté vers l'appropriation du registre des droites graduées. Nous allons à cet effet examiner dans le détail les modalités de l'erreur des 13 élèves qui se sont trompés. 202 Chapitre IV N° de colonne 1 2 3 4 5 Nature de Réponses Réponses décimales Tentatives Algorithme faux Absence l'erreur cohérentes en ou "apparentées" d'évaluatio (+1 au numérateur, -1 de réponse cinquièmes (comme : 0,2 ; 0,4 ; 0,6…) (1/5 ; 2/5 ; … ; 5/5) Nombre 2 n en demis, au dénominateur) tiers… 5 1 1 4 d'élèves Tableau 3 : classe de Sélestat, nature des erreurs relevées à l'item 2 Cette étude relativise quelque peu la modestie du résultat global, dans la mesure où seules les deux dernières colonnes témoignent d'une incompréhension importante. Les colonnes 1 et 2 concernent des élèves qui, après une erreur initiale d'interprétation, ont poursuivi leur traitement de façon cohérente, ce qui prouve qu'une partie au moins du mode de signification du registre a été correctement appréhendée et qu'une intervention enseignante minimale serait susceptible d'y remédier. Les progrès dans ce domaine sont lents à se dessiner, le coût didactique des droites graduées semble effectivement élevé. 3.3.2. Analyse des résultats du deuxième groupes d'items L'échec absolu de la classe de Weyersheim (0%), ainsi que le score encore moyen – quoique très honorable pour un exercice de cette difficulté – de la classe de Sélestat (46%) à l'item 4 confirment ce que l'analyse a priori de la tâche avait permis de conjecturer. Si l'on ne peut tirer de conclusions définitives de l'échec à ce type d'item, on peut en revanche dire que la réussite, même partielle, y est significative. C'est ce que nous analyserons plus finement dans le Tableau 4. Le comportement fort correct de la classe de Sélestat à l'item 5 (73%) était attendu, en raison de son affinité avec le type d'enseignement dispensé. Mais le score faible (17%) de la classe de Weyersheim au même item est plus étonnant, tant la production de sa solution sous forme d'une plaque de beurre fractionnée semble parente d'un fractionnement en parts de tarte, par ailleurs fort bien réussi ainsi qu'en attestent les résultats de cette classe (83% et 78%) aux items 1 et 3. Si le découpage d'une tarte en parts était un tant soit peu opérationnel pour exprimer des proportions, ce type de situation devrait permettre d'en retrouver des traces − surtout dans un cas simple de numérateur égal à 1. Ce n'est manifestement pas le cas. Cette observation était bien entendu prévisible avec un minimum d'analyse a priori. Elle permet néanmoins, par opposition, une 203 Chapitre IV mise en valeur du constat qui suit : les élèves qui maîtrisent le système des droites graduées réussissent – à l'exception d'un seul d'entre eux qui réussit néanmoins l'item 4 et échoue à l'item 5, non par incapacité avérée, mais suite à une réponse se référant à une pesée concrète du morceau de 50 g – les items 4 et 5 ; ceux qui choisissent les parts de tarte n'ont qu'une chance sur deux de parvenir à cette réussite. La dernière ligne enfin atteste que les élèves qui ne parviennent pas à représenter correctement les rationnels échouent massivement à résoudre des problèmes s'y rapportant. C'est ce dont témoigne le tableau croisé suivant : I4 et I5 Réussite Échec Total Réussite (g) 6 1 7 Réussite (t) 3 3 6 Échec 0 13 13 Total 9 17 26 I6 Tableau 4 : croisement des résultats aux items 4 et 5 (groupés) et à l'item 6 classe de Sélestat Dans ce tableau, nous avons regroupé les items 4 et 5 en un seul item afin d'amplifier les effets de réussite ou d'échec. Nous avons considéré qu'un choix spontané des droites graduées, débouchant sur une réponse juste pour représenter une fraction, était significatif d'une maîtrise de ce système ; ce qui nous a amené à choisir l'item 6 comme révélateur de cette maîtrise. La mention g ou t accompagnant la réussite renvoie à l'usage des droites graduées (g) ou des parts de tarte (t) pour y parvenir. Le choix du système des droites graduées semble donc être un investissement rentable, même si, comme l'analyse de l'item 2 en a déjà témoigné, les progrès sont lents à se manifester, en tous cas peu spectaculaires. Ce lien entre la maîtrise de ce registre et la réussite aux problèmes physiques sera d'ailleurs confirmé au paragraphe 3.5. 204 Chapitre IV 3.3.3. Analyse de l'item 6 Remarquons tout d'abord que l'échec absolu (0%) de la classe de Weyersheim à l'item 6 prouve que la réussite aux items "parts de tarte" (1 et 3) n'est qu'un indicateur peu fiable de leur maîtrise du fractionnement de l'unité, puisque leur compétence dans ce domaine ne s'étend pas aux fractions supérieures à 1. Examinons à présent dans le détail l'item 6 qui va nous renseigner sur le système géométrique qui a la préférence des élèves pour exprimer un rationnel. On note une choix limité et pratiquement sans évolution − 8 élèves sur 26 soit 31% à Sélestat contre 5 élèves sur 18 soit 28% à Weyersheim − des droites graduées pour représenter 7 par un dessin, 4 malgré un enseignement fortement orienté dans ce sens à Sélestat. Mais si le recours à ce dernier registre provoque dans les deux classes une adhésion modérée − alors que le choix d'une fraction supérieure à 1 aurait pu le rendre attractif −, il traduit deux réalités bien différentes dans une classe ou dans l'autre : sur les 8 élèves de Sélestat ayant choisi les droites graduées, 7 font juste (ratio réussite/échec de 7) alors que sur les 15 élèves de Sélestat ayant choisi les parts de tarte, 6 seulement font juste (ratio réussite/échec de 6/9 = 2/3) ; la tendance s'inverse radicalement à Weyersheim où, certes, tout le monde fait faux, mais où les 3 seules réponses approchant au mieux la réussite − dessin plongeant 7 parts dans un environnement de 8 parts mais sans indication de l'unité (voir Tableau 6, colonne 1) − sont obtenues dans un cadre bidimensionnel. Mode de représentation de 7/4, Classe de Sélestat Juste Faux Total 1 6 9 15 (58%) 2 7 1 8 (31%) Absence de réponse 0 3 3 (11%) Total 13 (50%) 13 (50%) 26 (100%) Tableau 5 : item 6, classe de Sélestat 205 Chapitre IV Mode de représentation de 7/4, Classe de Weyersheim Juste Faux Total 7 parts parmi 8 0 4 4 (22%) 7 parts isolées 0 7 7 (39%) 4 parts isolées 0 2 2 (11%) droite graduée 0 5 5 (28%) Total 0 (0%) 18 (100%) 18 (100%) Tableau 6 : item 6, classe de Weyersheim Cette analyse semble donc prouver que : le recours aux parts de tarte pour exprimer un rationnel est une tendance lourde, traversant un ensemble fort diversifié d'élèves, y compris ceux qui sont proches de la réussite dès le début de l'apprentissage ; en l'absence d'un enseignement spécifique, le recours aux droites graduées est peu rentable car trop délicat à gérer ; après un enseignement fortement orienté par ce registre, ceux qui l'ont adopté représentent correctement un rationnel. Cette dernière assertion est plus globalement confirmée par le tableau suivant qui croise le choix : droites graduées (g) contre parts de tarte (t) pour traiter l'item 6, avec la réussite au seuil de 83% (1 seul échec sur les six items) à l'ensemble du questionnaire (classe de Sélestat). ≥ 83% < 83% Total g 7 1 8 t 5 13 18 Total 12 14 26 Réussite globale I6 Tableau 7 : lien entre réussite globale et choix du système de représentation (classe de Sélestat) 3.3.4. Conclusion du paragraphe 3.3 Une évolution de la réussite globale peu spectaculaire (item 2), un choix spontané peu élevé et non évolutif, un ratio réussite/échec très élevé lorsqu'il est choisi : tout semble confirmer un coût didactique important pour l'appropriation du registre des droites graduées. Mais les élèves qui y sont parvenus sont payés en retour par une réussite 206 Chapitre IV importante, tant dans la transcription de l'information que dans le traitement de l'information portant sur des grandeurs relatives. En conclusion, on peut dire que les élèves apprennent vite à coder et décoder un schéma "parts de tarte". Mais leurs compétences à ce sujet plafonnent rapidement, et, surtout, ne leur apportent qu'une aide très limitée à la résolution des problèmes. Tout se passe donc comme si les "parts de tarte" étaient une machine à fabriquer de l'évidence, mais qu'en retour cette évidence restait bien sûr inopérante à la gestion de situations complexes ; voire même pouvaient faire écran à la reconnaissance de cette complexité. L'analyse a priori menée en 2., ainsi que l'analyse des résultats du questionnaire et des modalités de leur obtention, nous ont permis de fournir des explications locales à ces phénomènes. Nous tenterons au paragraphe 4. d'en fournir une approche plus globale centrée sur la notion de registre. Mais il sera utile auparavant de résumer en sept points un ensemble de compétences que les analyses a priori et les observations précédemment menées et rapportées auront permis d'énoncer. 3.4. Énoncé des sept compétences Nous avons déjà rappelé toute l'importance que nous attachons à la maîtrise des représentations dans l'apprentissage des rationnels. Il est donc légitime de s'interroger sur les compétences qui fondent une telle maîtrise. Chacune d'entre elles sera validée soit par des travaux d'élèves, issus du questionnaire en six items ou de toute autre activité observée, soit à partir d'une analyse a priori de la tâche, renvoyant ou pas à une réflexion antérieure. Nous tenterons, pour chaque compétences, d'évaluer son affinité avec un système uni ou bidimensionnel. 3.4.1. Doubler l'information Revenons à l'item 6 de l'évaluation : à la question de "faire un dessin pour représenter 7 ", les élèves de Weyersheim ont produit des dessins du type de ceux portés 4 dans le Tableau 6. Ils confirment la teneur de l'article déjà cité (O. Figueras ; E. Filloy ; M. Valdemoros ; 1987) sur la prédominance, auprès de nombre d'élèves, de la cardinalité du numérateur ou du dénominateur sur l'expression d'une proportion de l'un à l'autre. Remarquons que, en ce qui concerne les 11 élèves des deux premières colonnes en tous cas, il ne manque pas grand chose pour basculer de l'échec à la réussite, sinon l'indication soit de l'unité, soit de tout autre référence numérique. Leur dessin reste muet, par opposition à ce qu'on pourrait appeler une figure parlante ou accompagnée d’une légende : 207 Chapitre IV 1/4 cm2 1 cm2 Figure 57 On pourrait penser que l'ajout de ce type d'information numérique suffit à la constitution de ces systèmes bidimensionnels en registres. Nous allons voir plus loin en quoi ce n'est pas vraiment le cas. On peut enfin rapprocher ces observations d'une étude de G.I. Minskaya (1975). L'auteur y oppose le nombre comme caractéristique absolue d'une collection − le nombre de ses éléments immédiatement discernables − et le nombre comme image d'une quantité par une mesure, donc relativement au choix d'une unité : il décrit ainsi un cursus d'apprentissage des premiers nombres entiers, associés à des changements d'unité de comptage, dans le cas discret ou continu, par exemple : Collection Figure 58 Des unités de comptage différentes pour dénombrer la collection Il relève que les enfants qui identifient le cardinal de la collection au seul nombre obtenu par comptage des unités élémentaires, à l'exclusion de toute autre unité, comportement souvent initié par un enseignement des premiers nombres bâti sur la correspondance terme à terme, ont des difficultés à comprendre ultérieurement la relation entre nombres entiers et fractions. Doubler l'information, c'est donc être capable de relativiser une donnée numérique en la rapportant explicitement à une unité. Cette information doublée est naturellement associée à la formation d'un rationnel dans le registre des droites graduées qui demande d'y porter explicitement un repère entier ([0 ; 1] par exemple) ; elle est en revanche absente de la formation en "parts de tarte". Nous pensons que cette compétence est nécessaire à une conception des fractions comme expression de grandeurs relatives. 208 Chapitre IV 3.4.2. Scinder l'activité Une unité étant choisie et précisée, il s'agit à présent de scinder l'activité en différenciant le mode opératoire du dénominateur − fractionneur − du mode opératoire du numérateur - compteur des nouvelles unités engendrées par la première opération. Cette compétence peut se développer dans l'un ou l'autre des registres géométriques pour des fractions inférieures à 1, mais les droites graduées permettent d'éviter cette dicrimination arbitraire en positionnant d'emblée les rationnels par rapport à tous les entiers. 3.4.3. Discriminer les actions qui, sur une droite, opèrent sur les segments de celles qui opèrent sur les extrémités On pourrait illustrer cette compétence par deux questions, posées à partir de la compétence précédente. Fractionner quoi ? Compter quoi ? Le problème ne se pose pas pour les "parts de tarte" puisque l'objet du comptage est une sous-collection de la collection produite par le fractionnement. Nous avons déjà vu en 3.3.1 que ce n'est pas le cas des droites graduées, essentiellement à cause de la classique confusion intervalles/extrémités. Cette capacité à discriminer les objets du fractionnement et du comptage, non travaillée en dimension 2, nous semble essentielle à la discrimination du numérateur et du dénominateur. 3.4.4. Localiser les désignations Cette compétence est illustrée a contrario par les deux types d'erreurs et/ou de limites associées à un usage exclusif d'un numérateur égal à 1 (8 élèves sur 18) et relevées lors de l'évaluation de la classe de Weyersheim: 1 0 1 6 1 6 1 6 1 6 1 0 1 6 1 4 1 3 1 2 ? ? Figure 59 Rappelons que cet obstacle est un obstacle épistémologique, attesté par le fait que les Egyptiens de l'antiquité exprimaient les rationnels par des fractions de numérateur égal à 1 (à quelques exceptions près) . Remarquons aussi que cet autre schéma serait correct : 209 Chapitre IV 0 1 6 1 6 1 6 1 6 1 6 1 6 1 Figure 60 Dans le cas de la Figure 59, le numérateur 1 se réfère à l'objet au-dessous duquel a été déposée la fraction, c'est à dire à 1 extrémité de segment (et non pas une abscisse) ; dans le cas de la Figure 60, ce même numérateur 1 se rapporte à 1 intervalle. Mais dans le premier cas, c'est faux, dans le deuxième, cela serait juste. Il y a bien là un problème de formation dans un registre, lié à la localisation de ce qu'on désigne. Les "parts de tarte" n'apporteront aucun enseignement à ce sujet : la stratégie du double comptage est aussi une stratégie d'évitement de cet obstacle épistémologique ; les droites graduées y sont liées de façon structurelle. 3.4.5. Prendre en compte 0 et 1 (ou tout autre repère) comme entiers permettant d'initier un processus de formation d'un rationnel Après la question du "fractionner quoi ? (segment contre extrémités)" abordée au 3.4.3, se pose la question du "fractionner où ?". Des erreurs comme les suivantes, observées auprès d'élèves de Sélestat, témoignent d'une absence de prise en compte ou d'une prise en compte erronée de l'intervalle [0 ; 1]. 3/5 0 9/5 1 2 Figure 61 Bien entendu, si la question de cette compétence se pose naturellement dans le registre des droites graduées, elle n'a pas lieu d'exister dans celui des "parts de tarte". Elle conditionne pourtant le positionnement d'un rationnel par rapport à 1, et donc une première 210 Chapitre IV intégration, par position relative, à un ensemble de nombres. C'est une question délicate, qui va être amplifiée au paragraphe suivant. 3.4.6. Plonger les entiers dans les rationnels Nous avons déjà relevé, notamment en 1.2, la dialectique qui oppose et unifie un couple de nombres : une fraction ; à un nombre : un rationnel. Cette dialectique est un obstacle repéré − voir par exemple les articles : déjà cité (O. Figueras ; E. Filloy ; M. Valdemoros ; 1987) ; ou encore Hart (1989) ; ou Streefland (1991) ; ou enfin Gray (1993), sur les transitions et les inhibitions des entiers aux rationnels − à l'acception d'une fraction comme représentant d'un nombre. Positionner d'emblée les rationnels par rapport aux entiers nous semble donc être une condition raisonnable à la reconnaissance de cette dialectique ; la droite graduée − par des graduations d'abscisses entières entre lesquelles viennent s'inscrire les rationnels −, un lieu privilégié permettant de développer cette compétence. 3.4.7. Produire des écritures équivalentes Cette compétence est évidemment liée à l'expression de grandeurs relatives par des fractions, et donc à la proportionnalité (3 est à 4 ce que 15 est à 20). La production d'écritures équivalentes trouve une expression naturelle dans le registre des droites graduées comme le montre le problème suivant : placer Figure 62 (initialement graduée en 3 3 ou sur la droite graduée de la 5 4 dixièmes et resubdivisée pour les besoins du problème). 0 1 2 Figure 62 Cet exemple permet de proposer une reformulation de l'énoncé de la compétencetitre en des termes liés au registre, à savoir la compétence à regrouper des graduations − pour 3 3 − et à sous-graduer − pour . (Une des exigences du registre est que la flèche 5 4 pointe toujours vers une des graduations). On notera, comme en 3.4.2, que cette dernière compétence semble aussi pouvoir trouver un terrain d'expression naturel en dimension 2. 211 Chapitre IV L'analyse menée en 2.2.2.2, appuyée sur nos observations personnelles et celles d'autres chercheurs, tend à prouver que ce n'est pas vraiment le cas. 3.5. Lien entre les sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes Ces sept compétences constituent donc un ensemble cohérent, nécessaire à la l'appréhension d'un rationnel comme exprimant des grandeurs relatives. Il est dès lors légitime de s'interroger sur l'existence d'un éventuel lien entre cet ensemble et la capacité à interpréter et résoudre des problèmes mobilisant les rationnels. On aura noté que les problèmes de type sémiotique sont structurellement liés à cet ensemble de compétences puisqu'ils sont à l'origine de leur formulation. C'est donc essentiellement à des problèmes de type physique que nous allons consacrer cette étude (quatre items sur les cinq analysés). On se reportera à cet effet aux deux tableaux de l'annexe 5. Ils récapitulent les résultats du CM2 de Sélestat à des exercices extraits d'une évaluation papier / crayon dont on trouvera le texte en annexe 6 (certains de ces items ont déjà servi de base de travail en 3.2 et 3.3 ; leur étude sera en outre reprise sous un angle différent, puis complétée par l'analyse d'autres items de la même évaluation au chapitre VI-2.2). La passation s'est tenue fin mai 1998, soit plus de trois mois après la fin de l'expérimentation logicielle. Le premier tableau étudie 17 items, répartis en sept groupes (de 1 à 4 items chacun) séparés par des traits gras verticaux. Chacun de ces groupes évalue une des sept compétences, dans l'ordre où elles ont été énoncées en 3.4. L'item Conv15 apparaît deux fois car il évalue deux compétences distinctes. Le "total pondéré par élève" (colonne grisée) est obtenu au moyen de la somme, pondérée par le nombre d'items par groupe, des réussites. Le "pourcentage pondéré par élève" s'obtient en divisant par 7 (autant que de groupes) le total pondéré. La dernière colonne indique le rang sur 26 de chaque élève dans la classe, vis à vis de ces sept groupes d'items. Les élèves sont rangés par ordre alphabétique pour faciliter la comparaison, élève par élève, des rangs de chacun avec ceux du tableau suivant. Ce dernier examine la réussite des mêmes 26 élèves à 5 items portant sur la résolution de problèmes rationnels ainsi que le rang de chacun (avant-dernière colonne) vis à vis de ce travail. La dernière colonne sert au calcul du coefficient de corrélation rs de spearman, en établissant l'écart quadratique des rangs de chaque élève repérés par chacun des deux tableaux. On trouve rs = 0,73. 212 Chapitre IV Le nombre d'individus considérés (26) étant supérieur à 20, la loi de rs, sous l'hypothèse d'indépendance entre les deux séries de rangs, est sensiblement une loi normale (0 ; 1 (26 − 1) ). Au seuil de 0,001 (et même mieux), la valeur observée apparaît comme s'écartant très significativement du hasard et permet donc de rejeter l'hypothèse d'indépendance. 3.6. Conclusions de la section 3 Nous avons ainsi, à partir de l'examen de travaux d'élèves, dont nous avons considéré aussi bien les réussites que les échecs, confirmé nos analyses a priori et celles rapportées par d'autres études. Ceci nous a permis d'établir des repères dans l'apprentissage des nombres rationnels, sous la forme de sept compétences. Ces dernières trouvent un environnement structurellement adapté dans le registre des droites graduées, plus favorable en tous cas que dans un système bidimensionnel qui évite les obstacles plus qu'il ne contribue à leur dépassement. Nous avons par ailleurs établi un lien entre la maîtrise de ces sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes rationnels, ce qui contribue à valider la pertinence de ces sept compétences comme repères didactiques. Cette section valide donc notre choix des droites graduées comme registre géométrique d'introduction aux rationnels. La section qui suit vise à proposer, autour de la notion de registre, un cadre d'interprétation plus global à la discrimination entre dimensions 1 et 2 dans l'enseignement de ces nombres. 4. Les surfaces fractionnées sont peu adaptées au développement d’un registre exprimant les rationnels L'analyse a priori développée notamment en 2.2.2, confirmée par l'observation de travaux d'élèves analysés en 3., nous autorise à caractériser l'opposition entre le système des parts de tarte et celui des droites graduées au moyen de la dualité perceptif / sémiotique. C'est cette dernière idée que nous allons reprendre et développer ici. Deux exercices, reportés en annexes 2 et 3, le premier issu de l'évaluation nationale 6ème 1997, le deuxième extrait d'une évaluation de la classe de Sélestat, vont nous permettre de saisir les enjeux de cette problématique. 213 Chapitre IV En étudiant la nature des réponses à un item proposant de déduire la longueur d'un segment à partir d'hypothèses portées sur une figure de géométrie réalisée à main levée, F. Pluvinage (1998 ; p. 126) rapporte que, sur une population expérimentale, 52 % des réponses sont perceptives (dictées par la seule perception visuelle), 28% physiques (provenant d'un mesurage), et 18% mathématiques (interprétation des dessins comme des signes). Le numéro 100 des dossiers d’Education et Formation (1998) confirme ces résultats à l’échelle nationale : sur la population des élèves qui indiquent leur démarche, les réponses sont à 50% perceptives, 32% physiques et 18% mathématiques. La classe de Sélestat quant à elle, réussit à 81% un exercice sur droite graduée, proposé en fin de CM2 − mais déjà réussi à 75% en fin de CM1 dans une version identique aux valeurs numériques près −, réussite qui passe par la prédominance manifeste du sémiotique sur le perceptif. Cette dualité perceptif / sémiotique est donc une réalité didactique majeure, et ce dans tous les secteurs des mathématiques, car c'est le statut même des objets mathématiques qui en dépend. L'exemple de la classe de Sélestat prouve qu'un enseignement prenant en charge cette dualité permet d'espérer des résultats tangibles en cette matière. En ce qui concerne le système des surfaces fractionnées, tout se passe comme si le pôle perceptif constituait un attracteur trop puissant. Trois types d'arguments vont nous permettre d'appuyer cette assertion : • La dimension 2 est celle de l'espace de travail (feuille de papier, tableau...) Une figure tracée dans ce cadre peut donc potentiellement s'étaler sur tout l'espace disponible. Une conséquence de cette occupation totale est que toute information portée sur ou à côté de la figure fait partie du "dessin" : aucune distance n'autorise à constituer cette information en signe (voir par exemple la mention de l'unité d'aire dans la Figure 63 qui prouve bien le peu d'autonomie du nombre 1 par rapport à cette figure-là et l'impuissance de cette dernière à représenter un nombre) ; au contraire de la dimension 1 qui, libérant de l'espace d'inscription de part et d'autre de la droite qui la représente, permet de porter, à distance du "dessin", divers signes : la flèche repérant une position, mais, surtout, les nombres entiers, et parmi eux, 0 et 1. Remarquons d'ailleurs, pour compléter notre argumentation, que nous aurions bien du mal à porter 0 − nombre abstrait s'il en est − sur une figure comme la Figure 63. 214 Chapitre IV • La dimension 2 permet une trop grande diversification des signes La variabilité des formes planes à aire constante provoque trop de dispersion dans les possibilités de représentation d'un rationnel donné. Cette trop grande diversité rend délicate la circonscription d'un ensemble limité de signes − et donc de traitements − élémentaires de ce qui pourrait être un registre bidimensionnel. Ainsi, comparer les deux rationnels suivants par un traitement géométrique demanderait sûrement une "réduction au même type de forme" (un redécoupage suivant des formes compatibles pour la comparaison), avant tout autre traitement comme une "réduction au même dénominateur", même dans le cas limitatif où on se contente du seul rectangle comme forme disponible : 1 (cm2) 1 (cm2) Figure 63 • La dimension 2 induit des évocations matérielles En effet, le grand potentiel évocateur − de parts de tartes et autres morceaux de chocolat − des formes planes tend à les réduire à de simples descripteurs d'une quantification matérielle, parasitant ainsi une éventuelle fonction sémiotique ; au contraire de la dimension 1 qui, épurant l'expression de ses formes, autorise mieux leur interprétation en tant que signes représentant des nombres. Nous en concluons qu'il nous semble difficile de développer en dimension 2 un véritable registre géométrique de représentation des rationnels. C'est à notre sens ce qui constitue la faiblesse structurelle de ce mode de représentation, et qui restreint son potentiel didactique. Nous avons en revanche prouvé qu'il était possible de travailler avec les droites graduées au niveau d’un registre. C'est la raison pour laquelle ce système s'est révélé être un espace de travail adapté à l'introduction de la notion de rationnel et à ses premières conséquences. Est-il pour autant adapté à des développements ultérieurs, notamment en ce qui concerne les opérations arithmétiques élémentaires qui n'ont pas encore été abordées dans cet article ? C'est ce que la section suivante va examiner à présent. 215 Chapitre IV 5. Registre des droites graduées et somme et produit de deux rationnels Pour compléter notre étude du registre des droites graduées, il nous reste à l'interroger sur sa capacité à rendre compte des opérations arithmétiques élémentaires que sont la somme et le produit. Relevons que ces notions, n'étant plus au programme de l'école élémentaire, sortent de notre champ d'investigation empirique. Nous nous bornerons en conséquence à une analyse a priori des potentialités et des limites du registre étudié relative à cette question. Ce qui permettra d'ouvrir des perspectives à notre recherche en direction du collège. 5.1. Le produit Ainsi que G. Brousseau (1986, pp. 90 - 96) l'a montré, une approche féconde du produit de deux rationnels consiste à interpréter l’un comme une application linéaire − ou dilatation − opérant sur l’autre. Cette approche, qui renvoie à la classique identification d'un espace vectoriel et de son dual, est celle qui permet d’échanger du sens avec les problèmes classiques d’échelles, de pourcentages.... Nous avons déjà traité ce problème, dans un autre contexte au chapitre III-4.2. Nous le reprenons donc ici, de façon légèrement différente et adaptée à ce nouveau contexte. Brousseau (1986 ; pp. 113-115) décrit notamment une séquence sur l’agrandissement d’une pièce de puzzle, déterminé par la donnée d’un segment de 4 cm du puzzle initial, transformé en un segment de 7 cm dans le puzzle agrandi. Pour trouver l'image d'un segment quelconque, les élèves comprennent l’importance stratégique de l’image de 1. Ils la déterminent en disant : "... [comme] Il faut partager 4 en 4 parties, il faut diviser 7 en 4 aussi." Un schéma à deux niveaux peut résumer la situation : 1 0 0 4 7 Im (1) Figure 64 : dilatation x définie par x (4) = 7 Mais il est possible d'inscrire toutes les informations fournies par ce schéma sur une seule droite. On obtient ainsi un nouveau schéma sur lequel : les longueurs en cm du 216 Chapitre IV puzzle initial sont représentées par le nombre d'intervalles, soit 4 dans le cas traité ; les longueurs correspondantes du puzzle agrandi sont représentées par les écritures chiffrées situées sous le segment, soit 7 dans le cas traité. Ce dernier schéma exprime donc comment se transforme (linéairement) 1 lorsque 4 a pour image 7. On y reconnaîtra évidemment une écriture du rationnel 7/4 dans le repère [0 ; 7] avec un fractionneur 4, repère dont la borne inférieure est nécessairement 0. Les écritures chiffrées situées au-dessus du segment n'ont qu'une valeur de rappel destinée à la clarté du présent exposé. 1 4 4 0 7 Figure 65 : le rationnel/dilatation x Essayons à présent de représenter l'image z d'un rationnel y comme celui représenté en Figure 66 : 5 1 3 Figure 66 : le rationnel y Nous pouvons pour cela rechercher x (1), puis x (3), en suivant la subdivision régulière de [0 ; 7] en 4 intervalles, afin de repérer z relativement à x (1) et x (3) "comme" y est repéré relativement à 1 et 3 : 1 3 1 3 x (1) x (3) 20 4 0 x (1) x (3) 7 0 7 z = x.y Figure 67 : z = x (y) = x.y On notera, comme en 2.4, que les résultats obtenus dépendent de décisions procédurales, ce qui signifie qu'elles ne sont pas que la conséquence d'une coïncidence visuelle peut-être fortuite. Un examen plus approfondi des raisons de la commutativité – 217 Chapitre IV non évidente dans ce contexte comme dans tout contexte où l'un des facteurs du produit est interprété comme un opérateur s'appliquant au deuxième – déboucherait sur le même constat. 5.2. La somme De même que la notion de produit s’interprète bien en terme de dilatation, la somme de deux rationnels peut s’interpréter au moyen d’une translation : un des deux rationnels est alors identifié à une translation opérant sur le deuxième. Soient donc deux rationnels x et y, écrits dans le registre des droites graduées. L’écriture de x doit fournir le mécanisme et l’amplitude de la translation agissant sur y pour trouver z = x ( y ). Examinons l’exemple suivant : x y 4 3 1 d1 4 d2 3 5 Figure 68 : deux rationnels x et y à additionner Nous interpréterons le schéma définissant x comme un message en deux temps : • premier temps, redélimiter ; • deuxième temps, recaler entre les nouvelles limites. Première phase Les bornes 1 et 3 définissent un déplacement global de y , qui permet de délimiter un nouvel intervalle [ y + 1 ; y + 3], image « floue » ou de première approximation de z La difficulté est bien entendu d’adapter les écritures de x et de y afin de rendre l’action de x sur y possible. Suivant les cas, les choses se passent plus ou moins bien. Si l'on dispose facilement du pas unitaire sur la droite portant y, cela se passe plutôt bien, car alors la première phase − translation au moyen d’entiers − se fait à moindre coût : y+1 y y+3 4 d3 4 218 5 6 7 8 Figure 69 : première phase, recherche d'une "image floue" de la somme y + x 9 Chapitre IV Deuxième phase Elle permet de positionner précisément z sur l’intervalle [ y + 1 ; y + 3], comme x l’était sur l’intervalle [1 ; 3]. Pour cela, les 8 intervalles de [ y + 1 ; y + 3] sont peu adaptés au fractionneur 3 de x . Il est donc nécessaire de resubdiviser la subdivision initiale pour qu’elle soit divisible par 3, d’où le fractionneur 12 et le positionement définitif de z sur la 16ième sous-graduation − en douzièmes − après y + 1. y+1 y y+3 z=y+x 12 4 d3 5 6 7 8 9 Figure 70 : z = y + x Bien entendu, il y a des cas plus compliqués où la première phase est moins conviviale, comme dans l’exemple ci-dessous : x y 4 3 1 3 4 7 d2 d1 Figure 71 : x + y un cas moins commode Pour pouvoir placer y + 1, il faut d’abord attraper la pas unitaire sur d2, et donc commencer par une intervention de type Gradu5, afin de réécrire y au moyen du repère [4 ; 5] et du fractionneur 4. 5.3. Conclusion du paragraphe 5 On aura compris que de tous les traitements la somme − et dans une moindre mesure le produit − est celui qui présente un coût maximum dans cet environnement sémiotique. Mais rappelons que ce registre est plus un registre d'étude − à vocation explicative des mécanismes qui régissent et auxquels réagissent les rationnels − qu'un 219 Chapitre IV registre de commodité − bien que nombre de traitements y trouvent un environnement favorable. Par ailleurs, un avantage à disposer de plusieurs registres est que l'on est à même d'en changer lorsque l'un d'entre eux se révèle peu adapté à une opération. Il est donc possible de recourir aux droites graduées − bien entendu dans un environnement informatique − pour additionner, lorsque les données s'y prêtent − notamment lorsque le fractionneur est un diviseur de l'amplitude du repère −, et de mobiliser un autre registre, par exemple numérique, dans le cas contraire. Enfin, si ce registre n'est pas toujours le plus adapté à la recherche de la valeur exacte d'une somme, il nous semble en revanche tout à fait apte à encourager des stratégies de contrôle de résultats, notamment au moyen de valeurs approchées. En étudiant dans le détail la tâche que le traitement exact d'une somme dans ce registre suppose, on parvient à distinguer ce qui en fait la difficulté, et, au-delà, à préciser la difficulté du registre des droites graduées. Outre l'obstacle déjà signalé en 2.2.3.3 et relevant de l'identification entre un espace affine et l'espace vectoriel sous-jacent, on vient de voir que la mise en œuvre de la somme était assujettie : à une double variation portant soit sur la quantification du tout (le repère a des amplitudes variables), soit sur le nombre de parties constituant le tout (le fractionneur est variable) ; à une relation de dépendance entre la partie et le tout, elle-même liée à la double variation précédente. On notera que ces obstacles sont inhérents à l'appréhension de la relation partie / tout, ainsi que le rappelle Saenz-Ludlow (1995 ; p. 114) : "This scheme synthesises the complexity of the part-whole relation [ ] the whole as a composite unit [ ] and recognition of the part-dependency of the whole [ ]" et plus loin : "the bases of [ ] the part-whole scheme are the multiplicative recomposition of the whole, and the disembedding of a part from the whole while mentally conserving the unity of the whole". Mais il n'empêche que la richesse même du registre étudié – en particulier l'existence de repères d'amplitude supérieure à 1 et la possibilité de les subdiviser par un nombre non diviseur de cette amplitude – leur donne un développement inhabituel. Ainsi que nous l'avons déjà souvent relevé, utiliser les droites graduées comme registre c'est prendre le risque de choisir un espace de travail convoquant l'ensemble des obstacles liés à l'expression et la conceptualisation de la relation partie / tout et, au-delà, des rationnels. 220 Chapitre IV 6. Conclusion du chapitre Nous avons examiné plusieurs systèmes de représentation des rationnels. Parmi ceux-ci, les systèmes géométriques uni et bidimensionnels ont occupé la majeure partie de notre réflexion et de nos expérimentations. Nous pensons avoir établi que le choix des registres de présentation des rationnels n'est pas neutre sur les conceptions qu'il génère et ne devrait en conséquence pas être circonscrit par des seules visées illustratives. Nous avons ainsi rappelé l'importance de la rigueur dans l'énoncé des règles de formation et de traitement. Cette rigueur est justifiée par le fait de dépasser une conception réduisant ces systèmes à de simples instruments d'illustration, pour les constituer en véritables registres sémiotiques, dont on sait que la coordination est susceptible de provoquer la genèse conceptuelle (Duval ; 1995, p.67). Deux systèmes ont été particulièrement étudiés : celui des "parts de tarte" et celui des droites graduées. Nous avons établi que ces systèmes sont profondément différents, malgré une apparente similitude dans les traitements qu'ils permettent, tant par leur capacité à générer des significations, que par leur degré de disponibilité auprès des élèves, et par leurs liens avec la réussite et l'échec à court et moyen terme. Nous avons démontré que le système des "parts de tarte" est un système à coût didactique peu élevé, qui se prête mal à la constitution d'un registre, et où des réussites rapides à des exercices de transcription peuvent masquer les conceptions sommaires, voire, si on n'y prend garde, erronées qu'il renvoie. A l'inverse, le système des droites graduées est à coût didactique élevé. Il demande un véritable investissement pour assimiler et mobiliser sa structure de registre, ce qui le rend peu attractif auprès des élèves. Ceux qui parviennent à en maîtriser la richesse sont payés en retour par une compréhension des rationnels comme expression de grandeurs relatives, ce pour quoi ils ont été conçus et élaborés. Nous avons enfin explicité l'affinité entre ce registre et le concept qu'il exprime en établissant une liste de sept compétences nécessaires à la maîtrise des rationnels et en prouvant que les droites graduées fournissaient un environnement sémiotique propice à leur développement. Cette section a ainsi permis d'établir qu'il était possible d'introduire les rationnels dans un cadre géométrique unidimensionnel, sans recourir dans un premier temps aux fractions ou aux écritures décimales, ce qui constituait notre première hypothèse de recherche. Le chapitre qui suit va se pencher sur la façon dont les registres des écritures fractionnaires et décimales ont à leur tour été abordés, et en quoi la disponibilité du registre 221 Chapitre IV fondateur des droites graduées a contribué à leur légitimation. Nous examinerons comment en retour ce dernier registre a acquis de la profondeur et de la relativité par le jeu combiné de la mise en concurrence et de la coordination, spontanée d'abord, provoquée ensuite, avec ces registres numériques d’expression des rationnels. Rapportons pour finir ce que Bolon (1996 ; p. 236) note au sujet des droites graduées dans la conclusion de sa thèse : "l'utilisation de la demi-droite numérique […] consacre l'indépendance des enseignements de l'ordre, de l'addition et de la soustraction. Les conséquences sont importantes pour la compréhension du fonctionnement des graduations régulières, pour la lecture et la constitution des graphiques de fonctions. A terme, c'est la notion d'intervalle qui risque d'être absente. Le déficit est profond, car installé depuis près d'un demi-siècle […]. Un travail systématique devrait être entrepris, dès l'école primaire. Il serait important également que les textes officiels mentionnent comme objet d'étude la proportionnalité entre les écarts numériques et les distances géométriques sur droite graduée. 222 Chapitre IV Annexes du chapitre IV Chapitre IV Annexe1 : questionnaire en six items NOM : ............................................................. Date :..........…….. Prénom : .......................................................... Un disque fractionné Une unité fractionnée U 0 ? ? ? ? 1 ? Quelle fraction est grisée ? A chaque flèche ci-dessus, attribuer sa fraction. Un triangle fractionné Le bidon Quelle fraction est grisée ? Ce gros bidon contient 10 litres et a une masse à vide de 3 kg. Quelle sera la masse du bidon miel ? * Du beurre à couper rempli de Représentation d’une fraction Fais le dessin que tu veux pour représenter 250 g 7 4 . BEURRE Comment t’y prendras-tu pour couper 50 g de beurre dans cette plaquette ? * La masse de 2 l de miel est 3 kg 225 Chapitre IV Annexe 2 : item 6, évaluation en mathématiques à l'entrée en 6ème, 1997 Sur ce dessin à main levée (les vraies grandeurs sont écrites en cm), on a représenté un rectangle ABCD et un cercle de centre A qui passe par D. Ce cercle coupe le segment [AB] au point E. Trouve la longueur du segment [EB] ............ Explique ta réponse : ...................................... ......................................................................... . Annexe 3 : item extrait d'une évaluation finale, CM2, Sélestat Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les flèches, ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. A B 0 0 1 1 C 0 1 La réponse juste, B < A < C, ne peut s'expliquer que par une prise en compte sémiotique des informations portées sur la figure. Une prise en compte perceptive pourrait par exemple conduire à l'erreur : C < A, par comparaison des positions des points ou des longueurs physiques des segments. 226 Chapitre IV Annexe 4 : Résultats au questionnaire en six items ; CM2 de Sélestat / CM1 de Weyersheim Classe de Weyersheim Classe de Sélestat 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0% 6 t t g g t t t t g t t t t g g t t t 0 0 0 1 2 2 2 2 2 2 2 3 3 3 3 3 3 4 37 % par élève 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 1 1 3 17% 5 Total par élève 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0% 4 Choix représentat° 7/4 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 15 5 14 83% 28% 78% 1 2 3 Item 6 Ch_dess_7/4 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 Tot Item 5 Déc_250g 17% 17% 33% 33% 33% 33% 33% 50% 50% 50% 50% 50% 67% 67% 83% 83% 83% 83% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% Item 4 Miel_2l_3kg Item1 Tarte_3/8 Item 3 Triang_vers_3/9 N° élèves 1 1 2 2 2 2 2 3 3 3 3 3 4 4 5 5 5 5 6 6 6 6 6 6 6 6 103 66% Item 2 Gradu_1/6à5/6 % par élève n t n t t t g t t t n t t t t t g g t g t g g g g t Total par élève 1 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 1 0 1 0 0 0 0 0 1 0 1 0 1 0 0 1 0 0 1 1 1 0 0 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 1 1 1 1 0 1 0 1 1 1 0 1 1 1 1 1 1 0 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 24 13 22 12 19 13 92% 50% 85% 46% 73% 50% 1 2 3 4 5 6 Choix représentat° 7/4 Item 6 Ch_dess_7/4 Item 5 Déc_250g Item 4 Miel_2l_3kg Item 3 Triang_vers_3/9 Item1 Tarte_3/8 Item 2 Gradu_1/6à5/6 N° élèves 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 Tot 0% 0% 0% 17% 33% 33% 33% 33% 33% 33% 33% 50% 50% 50% 50% 50% 50% 67% 34% 7 Légende colonnes 7 t : choix "parts de tarte" ou autre surface fractionnée ; g : choix droite graduée ; n : absence de réponse. 7 227 Chapitre IV Annexe 5 (1/2) Deux tableaux pour analyser le lien entre les sept compétences et la capacité à résoudre des problèmes rationnels CM2 de Sélestat R é s u lta ts a u x ite m s é v a lu a n t le s 7 c o m p é te n c e s 7 8 9 10 Conv13 gradu_vers_3/5 Conv12Gradu_vers_1/6à5/6 Conv01 7/10_vers_gradu Conv05 16/10_vers_gradu Conv14 gradu_vers_5/8 Conv15 Gradu_vers_4/3 Q01_3/5?>1_<?1 Q03 Int.ent_8/3&13/4 Q04 Int.ent_28/5&32/5 Q05 Int.frac_5&6 Conv03 4/5_vers_gradu Conv06 1/3_vers_gradu Total pondéré par élève % pondéré par élève 11 12 13 14 15 16 17 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 24 92% 3 1 0 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 0 1 22 85% 4 0 0 1 0 1 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 0 0 0 1 1 0 1 0 1 11 42% 5 1 1 1 0 1 1 0 0 0 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 0 1 1 0 1 1 1 19 73% 6 0 0 1 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 1 1 1 1 1 0 0 1 1 0 1 0 0 13 50% 7 1 0 1 0 1 1 0 1 0 0 0 0 0 1 1 1 1 0 1 1 1 1 0 1 0 0 14 54% 8 1 0 1 1 1 1 0 1 0 0 0 0 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 0 1 1 0 17 65% 9 1 1 1 0 1 1 0 1 0 1 1 0 1 1 1 1 1 0 0 0 1 1 0 1 0 0 16 62% 10 0 0 1 0 1 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 0 0 0 1 1 0 1 0 1 11 42% 11 0 1 1 1 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0 21 81% 12 0 0 0 0 1 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 0 0 0 1 0 1 0 1 0 0 8 31% 13 0 0 0 0 1 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 1 0 1 0 0 7 27% 14 0 0 1 0 1 1 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 1 1 0 0 1 1 0 1 0 0 12 46% 15 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 0 0 0 1 1 0 1 0 0 8 31% 16 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 0 1 0 0 1 0 1 0 0 8 31% 17 1 ,9 2 1 ,6 7 5 ,5 0 1 ,6 7 6 ,0 0 6 ,2 5 1 ,0 0 2 ,2 5 1 ,2 5 2 ,7 5 3 ,0 0 0 ,9 2 2 ,2 5 7 ,0 0 6 ,7 5 7 ,0 0 6 ,5 0 4 ,0 0 3 ,7 5 1 ,9 2 6 ,0 0 7 ,0 0 1 ,2 5 7 ,0 0 1 ,6 7 3 ,2 5 27% 24% 79% 24% 86% 89% 14% 32% 18% 39% 43% 13% 32% 100% 96% 100% 93% 57% 54% 27% 86% 100% 18% 100% 24% 46% 57% i 6 Rang r 5 Conv15 Gradu_vers_4/3 0 1 0 1 1 1 0 1 1 1 1 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1 1 1 1 1 0 1 1 1 0 1 1 1 13 26 50% 100% 1 2 4 Conv16 : Triang_vers_3/9 2 Conv7à10 : frac_vers_tarte Chreg01 : Ch_dess_7/4 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 3 Conv11 Tarte_vers_3/8 1 18 20 10 20 8 7 25 16 23 15 14 26 16 1 5 1 6 11 12 18 8 1 23 1 20 13 Chapitre IV Annexe 5 (2/2) R é s u lt a t s a u x it e m s r e la t if s a u x p r o b lè m e s r a t io n n e ls 52% 12 21 8 12 5 8 12 12 12 12 21 21 21 1 1 1 8 21 8 12 5 1 21 5 12 12 (ri - rj) 2 40% 20% 60% 40% 80% 60% 40% 40% 40% 40% 20% 20% 20% 100% 100% 100% 60% 20% 60% 40% 80% 100% 20% 80% 40% 40% j 2 1 3 2 4 3 2 2 2 2 1 1 1 5 5 5 3 1 3 2 4 5 1 4 2 2 Rang r Pourcentage par élève 1 0 0 0 1 0 0 0 1 0 1 1 0 0 1 1 0 0 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1 0 1 0 1 0 0 0 1 1 0 0 1 1 0 0 0 1 1 1 1 0 1 1 1 1 1 1 1 0 0 0 0 1 1 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 0 19 12 9 9 19 73% 46% 35% 35% 73% Total par élève Chreg07 Rgt_C<B<A Chreg06 épaiss_A>B Chreg05 Voluni_2l_3kg Chreg04 Masse_2l_3kg Chreg02 Découpe_250g 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 36 1 4 64 9 1 169 16 121 9 49 25 25 0 16 0 4 100 16 36 9 0 4 16 64 1 795 0 ,7 3 Somme des écarts quadratiques Coefficient de corrélation Chapitre IV Annexe 6 : items extraits de l'évaluation "locale" de fin mai 98 CM2 de Sélestat • Chreg 01 Fais le dessin que tu veux pour représenter 7 4 Réponse …. • Ecris chacune des fractions suivantes sous le dessin adapté et hachure la partie correspondante : 5 ; 8 Conv07 2 3 Conv08 ; 7 ; 10 Conv09 4 5 Conv10 231 Chapitre IV • Conv11 La partie grisée représente une fraction. Laquelle ? • Conv 16 La partie grisée représente une fraction. Laquelle ? • Conv 15 Ecris sous la flèche la fraction qu’elle désigne. 0 1 • Conv13 Ecris, sous chaque flèche, la fraction qu’elle désigne 0 • Conv12 0 232 1 Ecris sous chaque flèche la fraction qu’elle désigne. 1 Chapitre IV • Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à un point de la droite. 0 2 1 7 ; 10 Conv01 1 2 ; 4 ; 5 Conv03 8 5 ; 16 ; 10 Conv05 1 3 Conv06 • Conv 14 Ecris, sous chaque flèche, la fraction qu’elle désigne 2 1 0 • Q01 Entoure si c’est juste, barre d’une croix si c’est faux : 3 <1 5 ; 3 >1 5 ; 3 1 < 5 2 • Intercale chaque fois un entier entre les deux fractions : a) Q03 8 < 3 < 22 5 Q04 b) 28 < 5 < 32 5 • Q05 Intercale une fraction entre les deux entiers : 5 < < 6 233 Chapitre IV • Chreg 02 Explique en quelques mots comment tu t’y prendrais pour découper 50 g de beurre dans cette plaque ? 250 g BEURRE • Chreg 04 Avec ces deux bouteilles remplies de miel, on peut remplir exactement les 3 pots ci-dessous : 1L 1L 1kg 1kg 1kg Ce gros bidon contient 10 litres et a une masse à vide de 3 kg. Quelle sera sa masse s'il est rempli de miel ? • Chreg 05 Quel volume de miel contient un des 3 pots du premier dessin ? • Chreg 06 On considère deux tas, A et B, de feuilles de papier. 8 feuilles du tas A ont une épaisseur de 3 mm. 19 feuilles du tas B ont une épaisseur de 6 mm. Entoure la bonne réponse : Les feuilles de A et de B ont la même épaisseur Les feuilles de A sont plus épaisses que celles de B Les feuilles de B sont plus épaisses que celles de A • Chreg 07 Voici trois nombres : B A = 2,8 2 ; 3 ; C= 11 4 Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C, à la bonne place ci-dessous Réponse : 234 ....... < ....... < ....… Chapitre V Étude et mise en œuvre des registres des écritures fractionnaires et décimales à l'école élémentaire Chapitre V Ce chapitre sera consacré aux registres numériques des écritures fractionnaires et décimales, dont l'usage est bien sûr universel, mais dont nous verrons qu'il en est proposé ici une présentation et une insertion dans le cursus atypiques. Les questions principales que nous serons amenés à traiter concerneront : notre approche délibérément sémiotique des écritures numériques des rationnels, relayant un mode d'appréhension phénoménologique des signes mobilisés et des transformations qu'ils subissent sous l'actions d'un certain nombre d'opérations dont la validité est garantie par la machine ; notre choix d'appuyer ces légitimations par des considérations physiques dans le cas des écritures fractionnaires seulement ; les liens entre le registre géométrique et les registres numériques et notamment l'éclairage apporté par le premier sur les deuxièmes ; l'ordre de succession de ces différents registres dans notre enseignement. On rapportera et commentera, sur un plan essentiellement qualitatif dans ce premier temps : des observations systématiques des élèves de la classe de Sélestat et leurs réactions à l'introduction et à l'utilisation des registres numériques et des conversions associées dans l'environnement logiciel d'ORATIO ; des observations plus épisodiques d'élèves au travail sur un logiciel − Mystère − d'ORATIO (Adjiage et Heideier ; 1998) dans des classes diverses (CM2 de Rust, de Sélestat − René Wintz −, de Duttlenheim, de la Niederau − Strasbourg). 1. Le registre des écritures fractionnaires La description du deuxième registre qui nous préoccupe ici sera plus rapide que celle concernant les droites graduées, dans la mesure où il s’agit d’un environnement plus classique. Nous ferons en conséquence l’économie d’une exposition détaillée des signes élémentaires, des opérations de formation et de traitement dans ce registre qui sont bien connues des lecteurs. Nous dirons en revanche quelques mots pour justifier 237 Chapitre V l'introduction de ce registre après celui des droites graduées et avant celui des écritures décimales, mais nous insisterons avant tout sur les points qui fondent notre démarche : • pourquoi avoir choisi une introduction papier/crayon physique − fractions mesurant des longueurs − pour ce registre ? • que peut signifier une approche sémiotique − suivant une première approche physique − d’un objet représenté par a ? b • la progression logicielle et sa cohésion ; réflexions d'élèves ; • les articulations avec le registre des droites graduées et celui des écritures décimales, et donc les conversions vers ces deux registres, bien distinguées des traitements internes au seul registre fractionnaire. 1.1. Les fractions après les droites graduées et avant les décimaux Nous avons déjà rappelé (chapitre IV-2.5.1) qu'un des effets attendus de l'introduction aux rationnels par les droites graduées était d'ouvrir des voies d'accès "sécurisées" aux registres numériques en préparant les grandes opérations de formation et de traitement qui y ont cours ; en multipliant les occasions de prise en compte des pièges sémiotiques qui leur sont attachés ; en donnant de bonnes raisons de les mobiliser lorsque certains traitements du registre géométrique s'avèrent trop compliqués. Dans notre contexte d'enseignement, les fractionneurs égaux à une puissance de dix n'apportent pas de diminution notable dans le coût des traitements, d'autant que l'ordinateur prend en charge les opérations de subdivision qui leur sont attachées. Les nombres décimaux ne sauraient en conséquence s'imposer comme premier registre numérique qu'au prix d'un artifice. Dès lors, le choix du registre des écritures fractionnaires pour exprimer les rationnels à ce stade de l'apprentissage nous semblait le plus adéquat. En revanche, il est facile de montrer que les fractions décimales se prêtent à des opérations d'encadrement, d'intercalation, d'approximation plus aisées, en vertu des facilités de calcul attachées aux puissances de notre base de numération et surtout à la possibilité d'une expression, l'écriture à virgule, prolongeant celle des entiers. En introduisant le registre des écritures fractionnaires avant celui des écritures décimales, on a ainsi le loisir d'appréhender ce dernier comme un cas particulier heureux du cas général. Rappelons du reste que ce choix est nettement majoritaire pour l'heure, et qu'il 238 Chapitre V est défendu et adopté par nombre de didacticiens, notamment par ceux que nous avons cités au chapitre II, par exemple : (Brousseau ; 1980, pp. 11-58 ; 1981, pp. 38-128). 1.2. Une approche sémiotique de l’objet représenté par a b 1.2.1. Un projet purement sémiotique pour les fractions ? Nous avons prouvé au chapitre précédent qu'il était possible d'observer et de provoquer des phénomènes rationnels sur une droite graduée, sans trop se préoccuper d'une interprétation concrète − c'est à dire se référant à une expérience matérielle, réalisée ou évoquée − de ces derniers. Pour résumer, cet état de fait tient à ce que les opérations de report et de subdivision, fondatrices des phénomènes rationnels − ainsi que la lecture d'Euclide permet de l'affirmer − trouvent un cadre naturel d'expression sur une droite. De véritables problèmes peuvent dès lors être posés dans ce système, problèmes à propos desquels nous avons établi que : chacun pouvait s'interpréter comme le paradigme d'un ensemble de problèmes rationnels ; les élèves observés les ont acceptés en tant que problèmes (la richesse de leurs productions en témoigne) ; ils font écho aux mêmes problèmes formulés au moyen de fractions, et constituent donc une voie d'accès privilégiée à la légitimation de ces dernières comme système privilégié d'expression des rationnels. Nous examinerons, à la section suivante, en quoi le même type d'approche − travailler dans un pur système sémiotique sans le relier explicitement à un système physique dont il rend compte − est possible avec le registre des écritures décimales. Sans rentrer ici dans les détails de cette analyse, résumons-en les principaux arguments, ce qui facilitera la lecture de la contre argumentation, concernant les écritures fractionnaires, développée plus bas. D'une part ce dernier système ne représente pas tous les rationnels − sauf à envisager des développements illimités... ; mais surtout il est tout à fait symbolique, contrairement aux droites graduées qui, associant symbolisme et intuition physique, autorisent la généralisation, à d'autres contextes, des actions qu'on y entreprend. Les chiffres requis par le système décimal en revanche sont difficilement interprétables − en termes de dixièmes, centièmes... − sans que l'on recoure à un autre registre − fractionnaire ou des droites graduées. Néanmoins, certaines conceptions liées à la notion de rationnel, comme la densité, ou encore les possibilités d'approximation et d'intercalation auxquelles se prêtent les décimaux, et qui 239 Chapitre V peuvent déboucher sur des algorithmes de comparaison, sont parfaitement développables dans le cadre d'un travail purement sémiotique. En ce qui concerne les fractions, nous allons voir que ce projet "tout sémiotique" se heurte à des obstacles difficilement surmontables. En effet, l'évidence des deux nombres constituant une fraction s'oppose à son acception comme un seul nombre d'une part, provoquant des leurres sémiotiques bien connus ; cette expression au moyen de deux nombres débouche d'autre part sur des règles de comparaison et d'addition − contrairement à celles régissant les décimaux − d'une complexité sémiotique telle qu'elle ne peut se passer d'une interprétation − physique ou au moyen d'un autre registre plus "visuel" ; les règles du produit quant à elles sont faussement simples, ce qui risque de ne provoquer que des généralisations abusives en l'absence de toute mise en perspective. Bien entendu, nos élèves bénéficient de la mise à distance et de la "préparation" aux fractions induites par l'étude du registre des droites graduées. Mais malgré cela, nous allons constater qu'une démarche purement sémiotique − en tous cas celle que nous avons conçue − renvoie, à un moment de sa progression, à des considérations physiques. 1.2.2. Contraintes d'un itinéraire sémiotique pour introduire les fractions Nous allons, dans ce paragraphe, tenter de cerner les contraintes d'une approche purement sémiotique d'un objet tel que a , et prouver qu'elles ne permettent pas de b s'affranchir totalement des références physiques, dans ce sens où, à un moment de la progression, on se heurte à ces dernières. Nous en déduirons la nécessité de proposer une introduction matérielle "légère" aux fractions-mesures, avant de retrouver une démarche plus sémiotique par l'étude des logiciels de la série Fracti. Rappelons (chapitre III-2.3) que notre approche sémiotique repose sur un point de départ phénoménologique : comment réagissent les objets à un certain nombre de traitements qu'on entreprend sur eux ? Le premier problème qui se pose au concepteur est donc de délimiter les traitements qu'il souhaite retenir, en fonction de leur capacité de mise à l'épreuve de la notion sous-jacente. Dans le cas qui nous préoccupe, deux axes majeurs se sont dégagés pour élaborer le cahier des charges de ce projet, avec, en filigrane, l'idée de connecter ce nouveau système à celui, déjà exploré, des droites graduées : 240 Chapitre V 1. positionner les fractions par rapport aux "valeurs sûres" que sont les entiers, ce qui aurait à tout le moins le mérite de leur conférer un statut de nombre ; 2. positionner les fractions entre elles, c'est à dire les ranger, ce qui, simultanément renforce leur statut de nombre, mais de plus apporte les premiers éléments d'une différenciation dénominateur / numérateur, surtout si le rapprochement avec les droites graduées fonctionne. L'anecdote suivante nous a conforté dans ce projet de cahier des charges en deux points. Un enfant de fin de cycle II, qui écoutait notre conversation d'adultes, capte l'expression "cent pour cent", et interroge : "cent pour cent, ça veut dire que c'est totalement sûr ?" Nous répondons par l'affirmative et relançons son intérêt par une nouvelle question : - (adulte) et cinquante pour cent, alors, ça veut dire quoi ? - (enfant) ça veut dire que c'est pareil, autant sûr que pas sûr. Nous lui proposons alors d'appliquer ces deux pourcentages à un ensemble de 8 Carembars, puis augmentons la difficulté avec 25% puis 75%. Les réponses exactes en Carembars prouvent que l'élève a parfaitement compris le mode d'action de ces opérateurs, en tous cas dans le cas particulier ici évoqué. Cette anecdote nous amène à penser qu'un objet comme 4 − puis par extension 4 à des situations où la partie est supérieure au référentiel auquel on la rapporte, des objets comme 8 12 3 7 puis − pourrait bien donner du sens à − puis ... − et pas le contraire, 4 4 4 4 qui est la voie habituellement suivie : on commence par donner du sens à des fractions non entières, puis on récupère les entiers comme cas particuliers de fractions dont le numérateur est multiple du dénominateur. Rendre compte de la nature du lien qui rattache ces nouveaux nombres non entiers aux entiers nous a donc semblé être un point de départ raisonnable, d'autant qu'il semblait possible d'en déduire un moyen de comparaison efficace des fractions entre elles : ou elles sont séparables par le filtre entier (comme 7 9 et séparées par 2) et sont 4 4 alors immédiatement ordonnables ; ou elles ne sont pas séparables par le filtre entier (comme 3 2 et ) et, dans ce cas, l'application d'une dilatation par un entier bien choisi à 5 3 241 Chapitre V chacune de ces fractions permet de séparer leurs images par un entier. Ainsi dans le cas ci-dessus, obtient-on après multiplication par 5 : 10 3 2 10 10 ⋅5 = 3 ; ⋅5 = ; et comme > 3 (positionnement de la fraction par 5 3 3 3 3 rapport à l'entier 3, opération relevant du point n° 1 de notre cahier des charges), on en déduit : 3 2 < . 5 3 Nous noterons que le multiplicateur commun n'est pas forcément le ppcm des dénominateurs, et que cette opération affranchit quelque peu de la bidimensionnalité de l'écriture fractionnaire en ramenant cette comparaison à celle d'entiers ; que le cahier des charges ainsi construit permet d'autres modes de comparaison, favorisés par l'évocation des travaux antérieurs sur droite graduée − par rapport à la moitié par exemple − ce que les élèves observés ont amplement confirmé ainsi qu'on le verra plus loin. Ce cahier des charges, malgré son caractère minimal, présente donc cohérence et opérationnalité... à condition de lui adjoindre la seule transformation qu'il ne prévoit pas, et qui s'est pourtant révélée nécessaire : a na ⋅n = . b b Or, autant le point n° 1 du cahier des charges nous paraît "sémiotiquement" jouable, surtout après le travail sur les droites graduées, autant l'opération de dilatation risque de trouver peu d'écho dans ce premier registre, et donc peut sembler totalement artificielle. Danger augmenté, bien sûr, par le mode d'action spécifique du coefficient de dilatation, qui opère sur le numérateur sans affecter le dénominateur. Donner un cadre matériel minimal d'interprétation des fractions apparaît dès lors souhaitable, une pratique qui pourrait en tous cas justifier une règle empirique comme : "trois quarts, c'est trois fois un quart ; donc trois quarts multiplié par 7, c'est vingt et un quarts". Nous avons en conséquence choisi une introduction physique légère aux fractions, par le canal des mesures de longueurs, et opté pour le fractionnement de l'unité qui illustre au mieux la règle empirique énoncée ci-dessus. Cette référence physique, que nous retrouverons avec la "machine à fractionner" de Fracti5, exercices 2 et 3, aura en outre l'avantage de rendre la procédure de dilatation moins souvent nécessaire, en permettant des comparaisons basées sur la règle très concrète : "plus grand le nombre de parts, plus petite chaque part". Nous verrons que cette règle a été abondamment utilisée par les 242 Chapitre V élèves de Sélestat, dans des cas simples ou plus compliqués comme : distance à 1 de 3 2 > car la 4 3 3 1 2 1 − soit −, est inférieure à la distance à 1 de − soit . 4 4 3 3 1.3. Une introduction papier/crayon pour le registre des écritures fractionnaires Etant donnée la nature des conclusions auxquelles nous venons d'aboutir, cette introduction a pu s'inspirer largement du travail publié dans la revue « Liaison école / collège » (Douady et Perin-Glorian ; 1986), abondamment commentée au chapitre II2.2. Nous en résumons ci-dessous le canevas. Trois séances d'une demi-heure chacune y auront été consacrées. I. Matériel Feuilles blanches, bandelettes de papier fort, de largeur variable − afin que les élèves n'utilisent pas la largeur comme instrument de mesure − mais de même longueur d'environ 6 cm. II. Dispositif Feuilles et bandelettes sont distribuées aux élèves, répartis en binômes émetteur / récepteur. On les prévient qu'ils devront communiquer des longueurs en utilisant comme seul instrument leur bandelette. Pour les commodités de l'exposé, on notera L la longueur du trait, u la longueur de la bandelette, r la longueur restante quand on a reporté un maximum de fois u dans L. III. Consignes de la première séance "Trace un trait qui ne touche aucun bord de la feuille. Votre récepteur doit produire un trait de même longueur. Vous devez donc lui communiquer cette longueur, mais en utilisant un message écrit, sans dessin." Premier temps : on distribue les bandelettes avant le dessin du trait Cette disposition risque de produire de nombreux traits de longueur L = nu, où n est entier. Deuxième temps : on distribue les bandelettes après le dessin du trait L a alors toutes les chances de ne plus être mesuré en u par un entier. A. On laisse libre la forme du message 243 Chapitre V Cette disposition risque de produire des messages verbaux : "mon trait mesure 4 fois la bande plus le quart...." B. On prime les messages les plus courts Pour encourager le recours à des messages de type fractionnaire : u + 1/2u + 1/4u....(*) ou des messages utilisant des encadrements fractionnaires ou entiers. Hypothèses sur les procédures consécutives à la consigne B. • Si L > u : report de u dans L et examen du reste par pliage de l'unité en 2, 4, 8.... ; ou en reportant n fois le reste dans u, ce qui en permet une évaluation en : (1/n).u ; • Si L < u : remplacer L par r et on est ramené au cas précédent. C. Bilan La plupart des réponses sont effectivement du type (*), les approximations étant en général suffisamment bonnes pour être considérées comme des valeurs exactes. Quelques élèves cependant recourent à des tiers et, parmi ces derniers, certains conjecturent la nécessité de fractions non unitaires − ie de dénominateur différent de 1. La notation 1 , comme désignant la nième partie de l'unité, est institutionnalisée. n IV. Séances suivantes Pour les exercices qui suivent, le travail est individuel. Le maître distribue des segments dessinés dont les élèves doivent fournir une mesure de la longueur dans les deux cas successifs suivants. A. Le segment à mesurer est gradué. L'élève est amené à lire une graduation fractionnaire en 1 m m ou en , m > 1 ; la notation , m > 1, est institutionnalisée sous n n n une forme semblable à : m 1 1 1 1 = + + ... + (m fois) = ⋅ m (**) n n n n n B. Le segment à mesurer n'est pas gradué. L'unité doit donc être fournie sous forme d'une bandelette identique pour tout le monde. Les élèves sont amenés à prendre des initiatives de reports et de subdivisions, comme lors de la première séance, mais ils disposent désormais de fractions du type : 244 Chapitre V m , m > 1. n Remarque : une égalité du type : m m⋅ k ⋅k = , dont on a vu qu'elle serait utile n n pour comparer deux fractions non séparées par le filtre entier, n'a aucune raison d'être énoncée ici. Elle sera en fait utilisée a priori par le corrigé de Fracti5, et commentée sous sa forme empirique et verbale par le maître : "cinq fois quatre tiers, c'est vingt tiers", formule suffisamment légitimée par (**). 1.4. L'exploration logicielle du registre La série Fracti est destinée à l’exploration d’un système sémiotique numérique d’écriture des fractions, dont un contenu physique a par ailleurs été donné et exposé au paragraphe précédent. Les choix retenus pour l’ordre de passage dans la série reposent sur l’idée que, modulo un changement d’échelle, on peut décrire ou traiter, par la seule référence à des entiers, les problèmes relevant de la notion de fraction. « Par quelle opération peut-on transformer une fraction en entier ? », et la question corollaire : « Comment reconnaît-on une fraction qui désigne un entier ? » sont ainsi les questions clés, chargées d’assurer la cohésion de la progression examinée ci-dessous. Mais, cette stratégie globale, qui reste un recours en toutes circonstances, va très vite se trouver en concurrence avec des heuristiques locales, plus adaptées au traitement de cas particuliers : affirmer que 4 3 11 2 > , ou > ne nécessite pas un changement d’échelle ; comparer 5 5 4 3 1 1 et se fait très bien par des considérations physiques de découpages en parts 5 7 d’autant plus petites que le diviseur est grand. En revanche, on a vu plus haut que pour comparer 3 2 et , il n’est pas trop coûteux d'appliquer une même dilatation à ces deux 5 3 fractions, qui permettra de séparer leurs images par le filtre entier. Les élèves ont du reste très peu utilisé spontanément cette méthode. Ils lui ont préféré, et c'est compréhensible, des heuristiques alternatives, attendues ou inattendues (voir paragraphe 1.6 et particulièrement 1.6.5). Il n'empêche qu'une règle recours, c'est à dire une règle pouvant être reconnue comme applicable à tous les cas, se devait d'exister. D'autant qu'elle contribue fortement à l'étude phénoménologique de la notion de fraction, susceptible de se transformer en un entier modulo un changement d'échelle de 245 Chapitre V coefficient entier. On peut à présent comprendre la progression retenue pour la série Fracti. 1.4.1. Ordre de passage dans la série Fracti Pour choisir un coefficient de dilatation entier qui rendra l’image d’une fraction entière, il est utile de se donner les moyens de décider si une fraction équivaut à un entier ou pas. C’est l’objet de Fracti1 qui ouvre donc la série. Fracti2 pose ensuite le problème des dilatations susceptibles de rendre l’image d’une fraction entière − produit d’une fraction par un entier. Fracti3 et Fracti4 permettent de travailler le positionnement des fractions par rapport aux entiers, questionnement dont on a vu l’utilité dans les opérations de comparaison de fractions. Les activités d'encadrement et d'intercalation, qui en sont le prétexte, fournissent une première occasion d'apprécier les simplifications apportées par les fractions décimales. Fracti5 enfin conclut le dispositif par une mise à l’épreuve de divers moyens de comparer des fractions, dans le cas général ou dans des cas particuliers comme celui des fractions décimales. 1.4.2. Contenus abordés par la série Fracti Rappelons que traditionnellement et historiquement, il existe plusieurs façons d’interpréter une écriture fractionnaire. Deux d’entre elles sont particulièrement débattues de nos jours (Streefland ; 1993 et Brissiaud ; 1998) : I1 : a est le nombre qui, multiplié par b vaut a (répartition en b parts de b la pluralité a) ; I2 : a est le nombre égal à a fois la b b ième partie de 1 (fractionnement de l'unité). Lorsque nous voudrons favoriser une interprétation de type I1 nous noterons une fraction a : (a b b), par analogie avec la division. Lorsque nous voudrons favoriser une interprétation de type I2 , nous noterons une fraction a 1 : ( ⋅ a ). b b L’introduction des écritures fractionnaires par les logiciels se référera surtout à I1, car nous avons vu au paragraphe précédent que ce point de vue permettait de 246 Chapitre V développer des stratégies de comparaison de fractions − par changement d'échelle − techniquement moins lourdes que les réductions au même dénominateur, que nécessite généralement I2. En revanche, et comme nous l'avons vu en 1.3, l’introduction des fractions dans sa forme « papier/crayon » se référera surtout à I2. Ainsi, et sans que ceci soit particulièrement pointé par le maître, une écriture fractionnaire se référera tantôt à I1 et tantôt à I2. Cette divergence, non explicitée dans un premier temps auprès des élèves, nous semble pouvoir provoquer des mises en perspectives spontanées, sans doute riches de sens, qui seront systématisées ultérieurement, lors des opérations de conversion : d'une écriture fractionnaire vers une droite graduée et repérée par [0 ; 1] qui mobilisera plutôt I2 que I1 ; d'une écriture fractionnaire a vers une droite graduée et repérée par b [0 ; a] qui mobilisera plutôt I1 ; d'une écriture fractionnaire a vers une écriture b décimale qui mobilisera plutôt I1, car une approximation décimale de ce rationnel s'obtient facilement en divisant a par b. Ce point stratégique étant rappelé, examinons à présent dans le détail les contenus mobilisés lors de cette phase. 1.4.2.1. Identification de fractions équivalentes à un entier C’est l’objet de Fracti1 : des fractions de même dénominateur, et dont le numérateur est à chaque fois augmenté de 1 (exercice 1) ou d'un pas constant (exercice 2), défilent à l’écran. L’élève doit stopper le défilement chaque fois qu’il estime qu’une des fractions est équivalente à un entier. Cette finalité met l’utilisateur en attente des numérateurs qui sont multiples du dénominateur. L’écriture a est ainsi associée à une b problématique de division « En a combien de fois b ? que cela « tombe juste » ou pas ; ou encore : « a est-il multiple ou « dans la table » de b ? ». Elle est donc censée favoriser : • l'émergence de I1 : a (a b b) ; • l'identification de critères permettant de décider si une fraction est entière ou pas. 247 Chapitre V Le logiciel Fracti2 vise une mobilisation de cette règle au moyen d’exercices dont l’objectif est de faire imaginer à quelles conditions le produit d’une fraction par un entier est un entier : 10 2 4 ⋅ 4 est-il entier ? ; ⋅ 12 est-il entier ? ; ⋅ 3 est-il entier ? On 9 6 6 profitera aussi de cette occasion − notamment par le biais du corrigé − pour développer les premières stratégies de simplification d’une fraction. Ces règles sont en fait au nombre de trois. Les deux premières sont les règles usuelles encourageant à simplifier avant d’effectuer le produit ; la troisième est plus un constat limitant les risques d’une conclusion hâtive : • si b divise a (a = bk), alors : ac a ⋅c = = kc ; b b • si b divise c (c = bk), alors : ac a ⋅c = = ka ; b b • si dans comme dans a ⋅ c , b ne divise ni a ni c, il peut quand même diviser le produit ac b 4 ⋅ 9. 6 Remarquons que la deuxième règle par exemple, qui provient d’un souci d’économiser des calculs inutiles, peut se légitimer par le fait que multiplication et division exacte sont deux opérations réciproques l’une de l’autre. Il ne sera pas question, au cours de l’intégralité de cette expérimentation, d’établir une quelconque règle générale de simplification des fractions qui, du reste, dépasserait les limites du programme de cycle 3. On devra donc se contenter, dans les applications ultérieures, des trois règles ci-dessus. 1.4.2.2. Encadrement d’une fraction par deux entiers consécutifs Ce paragraphe et le suivant se rapportent au logiciel Fracti3. Les deux points de vue I1 et I2 permettent de mener ce type d'exercice (exercice 1) à son terme. Par exemple, pour encadrer 13 par deux entiers consécutifs, on peut 4 utiliser la division euclidienne de 13 par 4 ou toute autre technique s’y ramenant − point de vue I1 −, mais on peut aussi décomposer 13 12 1 1 en : + = 3 + , ce qui en permet 4 4 4 4 l’encadrement en mobilisant plutôt un point de vue de type I2. 248 Chapitre V 1.4.2.3. Intercalation d’un entier entre deux fractions Il s’agit ici d’intercaler un entier, lorsque cela est possible, entre deux fractions de même dénominateur (exercice 2) ou de dénominateurs différents (exercice 3), comme : 21 26 7 22 et ou et . Là encore on pourra adopter l’un ou l’autre des points de vue I1 5 5 3 5 ou I2. 1.4.2.4. Intercalation de fractions entre deux entiers consécutifs Ce paragraphe se rapporte au logiciel Fracti4. On demande dans cet exercice d’intercaler une, puis deux... et jusqu’à cinq fractions entre deux entiers consécutifs. On ne se contente pas d’intercaler une seule fraction − qui risquerait d’être systématiquement exprimée en demis (dénominateur égal à 2). On incite au contraire les élèves à en rechercher un grand nombre afin qu'ils puissent découvrir la simplification qu’apporte le recours à des fractions décimales : il est beaucoup plus facile d'intercaler 82 59 entre 8 et 9 que − surtout s'il faut trouver 10 7 plusieurs fractions à intercaler − du fait de la simplicité des opérations de multiplication et de division par 10. Là aussi il est possible d’adopter l’un ou l’autre des points de vue I1 ou I2. 1.4.2.5. Comparer des fractions Ce paragraphe se rapporte au logiciel Fracti5. • Cas des fractions de même dénominateur (exercice 1) Le point de vue I1 est sans doute le mieux adapté à cette tâche : 3 7 < car la 4 4 première de ces fractions exprime « moins de quarts » que la deuxième ; • Cas des fractions de même numérateur (exercices 2 et 3) Les fractions se rangent alors dans l’ordre inverse des dénominateurs. Que l’on adopte l’un ou l’autre des points de vue I1 ou I2, il s’agit ici de comprendre la règle suivante : "plus grand est le fractionneur − de la pluralité si I1 ; de l'unité si I2 − plus petite est la fraction". Une représentation physique du fractionnement est donc adaptée. Elle est effectivement proposée, sous forme d’aide facultative, dans cet exercice : c’est la 249 Chapitre V « machine à fractionner », qui permet de subdiviser une colonne en autant de parties que l’utilisateur le souhaite, offrant ainsi une visualisation de la règle ci-dessus énoncée. • Cas des fractions quelconques (exercice 4) L’utilisateur peut mobiliser l’une ou l’autre des méthodes élaborées précédemment : positionnement des fractions par rapport à un entier − 3 7 < car 4 5 3 7 2 3 2 1 < 1 et > 1 ; positionnement par rapport à une fraction connue − > car > et 4 5 3 7 3 2 3 1 < ; comparaison directe si les fractions ont même numérateur ou même 7 2 dénominateur ; multiplication des deux fractions par un même entier afin de mieux les séparer. Cette dernière méthode, est proposée sous forme d’une aide − l'agrandisseur cinématographique −, qui prend en charge une partie des calculs, laissant à l’utilisateur le choix de la dilatation et des conclusions. • Cas des fractions décimales (exercice 5) a ⋅ 10 n Les fractions proposées sont en fait de la forme : , où a, b, n et m sont b ⋅ 10 m des entiers naturels. La forme particulière de ces fractions incite à une mise en œuvre des règles de simplification énoncées en 1.4.2.1, et peut laisser supposer une première sensibilisation à certaines spécificités des fractions décimales. 1.5. Les opérations de conversion vers les deux autres registres Comme à la section précédente et pour les mêmes raisons, nous traiterons des deux logiciels de conversion issus des écritures fractionnaires à la suite de leur registre d'entrée. Nous commençons par : 1.5.1. Ecritures fractionnaires vers droites graduées (Frac2gra) Une fraction est donnée sous sa forme a . Il s’agit de fournir une représentation b de ce même rationnel dans le registre des droites graduées. Si l'on dispose de la possibilité de repérer cette droite par [0 ; a], on peut, en fractionnant correctement ce dernier intervalle, y déposer la fraction en se référant au point de vue I1. Si l'on préfère se référer à I2, on pourra extraire la partie entière de 250 a (traitement interne au registre b Chapitre V des écritures fractionnaires) ; puis, dans le registre des droites graduées, mener un premier traitement consistant à atteindre les deux entiers consécutifs qui encadrent la fraction donnée. Il est alors possible de terminer la conversion au moyen d’une opération de subdivision prenant en compte le dénominateur de la fraction puis en choisissant la graduation correspondant à ce qu'indique le numérateur. Cette conversion est l'occasion d'une mise en scène du lien qui sépare et unifie le dénominateur et le numérateur (1.2). En associant chacun de ces deux termes à des actions explicitement différentes − subdivision pour l'un ; report pour l'autre -, provoquées chacune par un geste différent − saisie au clavier du fractionneur pour l'un ; dépose, au moyen de la souris, de la fraction sur la graduation adéquate pour l'autre −, cette opération est censée favoriser la discrimination du numérateur et du dénominateur. Mais l'extraction de la partie entière, qui demande la prise en compte relative de ces deux termes, exerce une action de réunification à travers le lien qui les met en rapport. Au total, une fraction apparaît bien comme exprimant une forme de relativité entre deux grandeurs. Cette relativité mobilise deux nombres entiers qui, pris séparément, ont un mode d'action différent, mais qui, pris ensemble, forment une nouvelle entité. On peut aussi noter que, les graduations minimales étant primées par le logiciel, une simplification préalable des fractions − transformation qui révèle en partie la nature du lien numérateur/dénominateur − s'en trouve encouragée. 1.5.2. Ecritures fractionnaires vers écritures décimales (Frac2for) Ce logiciel se déroule en deux temps : 1. décider si l'inconnue d'une "multiplication à trou" (une équation de la forme bx = a) est un rationnel entier ou pas ; 2. dans ce dernier cas, en fournir une approximation ou une valeur exacte décimale. Le premier temps est destiné à consolider le lien qui unit les points de vue I1 et I2. Le nombre inconnu est alors fractionnaire et associé à une division. Ce qui valide le recours à l'algorithme posé par le logiciel, et sa légitimité à fournir les approximations ou les valeurs exactes décimales d'une fraction. Le deuxième temps est une occasion de mettre à l'épreuve : le statut numérique d'une fraction − qui se laisse approcher par une écriture numérique unidimensionnelle, soit un nombre indiscutable ; l'articulation décimal / rationnel et l'existence de rationnels 251 Chapitre V dont on pressent qu'ils ne seront pas décimaux ; la densité des décimaux dans l'ensemble des rationnels, les approximations étant aussi fines que l'on veut. 1.6. Réflexions d'élèves, les apprentissages Après avoir examiné les principales caractéristiques de ce registre et les compétences que sa mise à l'épreuve est censée développer, nous allons à présent nous pencher sur ce que les réactions des élèves observés, leurs remarques, leurs choix de stratégies et de procédures laissent présumer des apprentissages effectifs. Sans prétendre à l'exhaustivité, nous passerons en revue, logiciel par logiciel, les réflexions et démarches qui nous semblent les plus révélatrices de l'impact de nos choix didactiques. Nous avons retenu à cet effet un indicateur privilégié : l'évolution de l'intégration des deux points de vue I1 et I2. Dans les six paragraphes qui suivent, les lettres a et b désigneront respectivement le numérateur et le dénominateur d'une fraction a . Les propos d'élèves b sont en italiques, nos commentaires en écriture droite entre crochets. 1.6.1. Fracti1 Les interprétations des fractions qui défilent à l'écran selon le point de vue I2 (fractionnement de l'unité) ne sont pas explicitées comme telles. Pourtant, les élèves viennent d'avoir une introduction aux fractions valorisant cette approche (voir 1.3). On aurait ainsi pu attendre des remarques dont une formulation experte serait : " entier car c'est pareil que 12 est 4 4 4 4 + + , qui vaut 3 fois 1 soit 3". Au lieu de cela, on 4 4 4 observe des enfants tentant de repérer si "a est dans la table de b". Il faut dire que les corrigés et plus tard l'aide proposée dans l'exercice 2 − extraits de la table des multiples de b − les y encouragent. Peut-on pour autant en conclure que l'objet a de ce logiciel b est totalement déconnecté de l'objet formellement identique de l'introduction papier/crayon ? Qu'il n'est que la transcription de l'alternative "être ou ne pas être dans la table de", sans rapport avec l'expression d'un certain nombre de quantièmes ? Nous ne le pensons pas, d'une part parce que la recherche de l'appartenance à une table est peut-être provoquée par une inférence du type : "si a est multiple de b (a = kb), alors 252 a b Chapitre V représente k fois b , soit k". D'autre part, des références explicites aux droites graduées b sont notées : entre 12 , et un fractionneur 4 par exemple. Enfin, certaines erreurs comme 4 1 " est entier" − apparemment reproductibles lorsque le numérateur vaut 1 − sont 9 "corrigées" par d'autres membres du même groupe d'élèves en invoquant le pliage en 9 d'une bandelette de l'introduction papier/crayon. Ainsi, on peut affirmer que les deux points de vue I1 et I2 cohabitent de façon apparemment non conflictuelle, en tous cas non verbalisée. Pour notre part, nous nous gardons bien d'intervenir ou de faire expliciter les représentations à ce stade, puisque notre idée est de laisser implicites cette dualité jusqu'à ce que les conversions donnent l'occasion de les expliciter et de les institutionnaliser. 1.6.2. Fracti2 Ce logiciel est l'occasion d'une première mise à l'épreuve de cette cohabitation. En effet, une règle comme 14 2 ⋅7 = se justifie par référence à I2 : comptabiliser un 3 3 certain nombre de tiers. Par ailleurs, repérer si la fraction résultat est entière mobilise plutôt I1 ainsi qu'on l'a constaté au paragraphe précédent. Le compte-rendu d'observation suivant, témoigne à la fois de la coexistence opérationnelle des deux points de vue, et à la fois de la façon dont une approche purement phénoménologique a été relayée par des tentatives de rationalisation, provoquées par le maître ou spontanément développées par les élèves, et pouvant mobiliser un deuxième registre. Jérôme ne se soucie que fort peu de la page d'accueil du logiciel dans un premier temps. Sa préoccupation majeure n'est pas de "comprendre", mais de "trouver comment ça marche" et "d'essayer comme ça". Dans un deuxième temps, il tente de justifier : " 30 n'est pas un entier parce qu'il n'y a pas 9 dans 30" [I1]. Puis, au cours 9 d'un exercice suivant : (Maître) - Est-ce que (Elève) 3 ⋅ 8 est un entier ? 6 - Non, ce n'est pas un entier car dans 8 il n'y a pas 6 [I1] ! 253 Chapitre V (Maître) - Mais si tu prends "trois sixièmes fois huit" [tout en désignant l'écriture 3 ⋅ 8 ] , tu es d'accord que c'est la même chose que c'est 6 "vingt-quatre sixièmes" ? [I2] (Elève) - Oui. (Maître) - Alors, est-ce que j'ai maintenant 6 dans 24 ? (Elève) - Ben oui, 4 fois[I1]. (Maître) - Et si on regarde trois sixièmes (tout en désignant l'écriture (Elève) 3 )? 6 -! Le maître attend une simplification en "un demi" qui ne vient pas. Il dessine alors au tableau une droite grossièrement graduée en sixièmes entre 0 et 1. L'équivalence entre 3 1 et [I2] devient évidente et Jérôme n'a aucun mal à en déduire une autre 6 2 stratégie pour calculer 3 1 ⋅ 8 au moyen de ⋅ 8 en quoi il reconnaît "huit demis" puis 4 6 2 [I2 et/ou [I1] ?]. Quant aux réflexions suivantes, enregistrées au hasard des interviews, elles témoignent toujours d'une prédominance de I1 : Pour vérifier si a est entière et calculer cet entier le cas échéant, Laetitia b recherche "combien de fois il y a b dans a" ; Cindy divise a par b ; Anthony applique un "théorème-élève" à la formulation compliquée, prenant en compte la parité du numérateur et du dénominateur, et qui semble témoigner d'un mixte entre I1 et I2 ; Nicolas préfère "multiplier, parce que diviser c'est plus dur" ; Jordan se sert des multiples et des tables. 1.6.3. Fracti3 Ce logiciel va permettre une deuxième mise à l'épreuve de la cohabitation entre I1 et I2. En effet, tant dans sa partie encadrement (exercice 1) que dans sa partie intercalation (exercices 2 et 3), le corrigé se réfère essentiellement à I2. Par exemple, pour encadrer 254 29 28 par deux entiers consécutifs (exercice 1), il propose : =7; 4 4 Chapitre V 32 28 29 32 29 = 8 ; or on a la double inégalité < < ; donc 7 < < 8. La double 4 4 4 4 4 inégalité ne saurait être admise sans explication qu'en référence à I2 où elle est évidente (comparaison d'un certain nombre de quarts). De même pour les exercices 2 et 3, le corrigé positionne systématiquement les fractions par rapport à des fractions entières de même dénominateur ( 2 14 14 12 2 = + = 3 + donc 3 < < 4 ), ce qui bien entendu 4 4 4 4 4 sollicite toujours I2. Malgré cela, les réflexions et procédures suivantes d'élèves prouvent toujours la prédominance de I1 : Pour intercaler un entier entre deux fractions, Jérémy utilise ses tables : 3 x 9 = 27, donc 30 24 <9< 3 3 Pour le même exercice, Laetitia considère le plus petit numérateur soit 24, et se pose la question : "quel est le nombre [qui multiplié par 3] me donne la réponse la plus proche de 24 et qui est plus grand que 24 ?", puis elle vérifie la compatibilité avec l'autre borne. Anthony, toujours à la recherche d'une règle générale (ici fort correcte) : "on multiplie le nombre d'en bas pour qu'il [le produit] reste entre les deux nombres du dessus à droite et à gauche ?" [que nous reformulons par l'équivalence suivante, où n est l'entier intercalable] : a a' < n < ⇔ a < nb < a ' b b Pour Nathalie, qui doit intercaler un entier entre 22 30 et : "en 22, il va 5 x 4, 4 4 en 30, il va 7 x 4, donc c'est 6". Julien témoigne d'un premier embarras face à cette dualité, toujours éprouvée (subie ?), jamais désignée. Après un démarrage impeccable, où tout est juste, il éprouve le besoin de faire valider son raisonnement : "Pour 27 , il faut dire combien on a de 4 4 [combien de fois 4 dans 27] dans la table de 4 (sic) ou chercher d'abord 24 pour que ça tombe juste avec les quarts [l'entier le plus proche exprimé en quarts]?" Devant la réponse du maître qui lui fait remarquer que les réponses à ces deux questions passent peu ou prou par le même calcul, et qu'en conséquence cela doit revenir au même, il retrouve sa confiance et poursuit "tout juste". 255 Chapitre V Fracti3 donne donc l'occasion d'exprimer ses premiers désarrois, de douter et donc de chercher des dépassements. 1.6.4. Fracti4 Ce logiciel a pour objectif annoncé l'intercalation d'une fraction, puis d'un "maximum" de fractions, entre deux entiers consécutifs. Supposons qu'on veuille intercaler des fractions entre 3 et 4. On notera que le succès de cette opération repose peu ou prou sur : une expression des bornes entières sous forme de fractions (en se référant à I1 ou I2 car que par 3 fois 12 = 3 peut se justifier aussi bien par 12 divisé par 4 est égal à 3 4 4 est égal à 3) ; une prise en compte du nombre de quantièmes (I2 car 4 entre douze quarts et seize quarts, on peut mettre treize, quatorze... quarts), ou une règle du type "à diviseur constant, plus grand le dividende, plus grand le résultat" (I1 car 15 divisé par 4 est plus grand que 12 divisé par 4 et plus petit que 16 divisé par 4). Mais ce logiciel poursuit au moins deux autres objectifs, tout aussi importants bien que plus discrets : l'expression des entiers au moyen de fractions décimales, motivée par la simplification qu'elle apporte aux calculs ; la possibilité d'intercaler 10 nombres entre deux entiers consécutifs exprimés en dixièmes − 100 nombres pour une expression en centièmes... − , par incrémentation naturelle du numérateur de 0 à 9 − de 0 à 99... Cette dernière propriété, outre qu'elle ouvre une première voie en direction du système de numération des décimaux, permet un rapprochement entre I1 et I2. En effet, s'il serait prématuré de considérer qu'à ce stade l'équivalence entre trente-deux dixièmes et trentedeux divisé par dix est avérée, il n'en reste pas moins vrai que la double inégalité 30 32 40 32 32 2 < < , suivie de l'égalité = 3 + , expriment que est un nombre 10 10 10 10 10 10 compris entre 3 et 4, "comme 32 est compris entre 30 et 40", un peu plus que {en 30 combien de fois 10 [I1]} et un peu moins que {en 40 combien de fois 10 [I1]}, et que le reste est de "deux dixièmes" [I2]. On ne saurait donc nier le rapprochement entre les deux points de vue qui nous servent de fil conducteur dans cette analyse, rapprochement grandement facilité par la transparence des calculs aux notions sous-jacentes grâce à la présence de 10 au dénominateur. Examinons ce qu'en disent les élèves. 256 Chapitre V Pour Nathalie, "il vaut mieux utiliser 30 40 et pour trouver un nombre entre 10 10 3 et 4, c'est plus facile". Pour Laetitia, une ébauche d'intégrationI1 / I2 est attestée par sa justification orale : "en prenant les dixièmes [I2], ça permet d'avoir dix fois le nombre [I1]". D'autres nient les facilités introduites par les dixièmes, comme Jordan : "Moi, je n'ai pas besoin de prendre les dixièmes, j'y arrive mieux en passant par les demis, les tiers, les quarts, les cinquièmes.. [I2]", révélant, même à travers sa différence, qu'il commence aussi à identifier explicitement une division par 2, 3, 4 ou 5 à une expression en demis, tiers, quarts, cinquièmes... Un autre groupe résistant préfère les neuvièmes (!) [peut-être pour prouver ses compétences concernant la table de 9, la plus dure, celle que le maître a utilisée comme repoussoir pour valoriser la convivialité des solutions en dixièmes...]. Mais ce dernier groupe ne manque pas de griffonner un aide-mémoire : 9 18 =1 ; = 2 ... Un autre groupe va développer une stratégie qui déjouera nos attendus 9 9 immédiats. Et c'est tout à son honneur d'avoir résisté à la pression de l'environnement logiciel, car sa méthode est tout à la fois efficace et ingénieuse. Qu'on en juge. En partant des demis, ce groupe trouve un numérateur qui marche : entre 3 et 4, on intercale 7 . Puis il multiplie par 2 les deux termes de cette fraction. Malheureusement, le logiciel 2 détecte cette dernière comme équivalente à la première et la rejette. Qu'à cela ne tienne, on va déjouer cette adversité en ajoutant 1 au numérateur de la fraction équivalente − ici 14 15 qui engendrera donc . L'opération est ensuite récursivement répétée − on double 4 4 15 et 4 −, mais au lieu d'ajouter 1 au numérateur, on retranche 1 "pour ne pas risquer d'obtenir un résultat trop grand qui ferait sortir de l'intervalle initial". Ils obtiennent ainsi 29 , dont on notera qu'il est toujours compris entre 3 et 4. Jusqu'où se poursuivra cette 8 réussite ? Et bien il est heureux de constater que ces enfants ont bien trouvé "le moteur perpétuel", puisqu'une démonstration élémentaire de niveau lycée permet d'établir : n< a 2a ± 1 < n +1⇒ n < < n +1 b 2b On imagine que ces élèves, par la maîtrise des fractions dont témoignent la tenue d'une telle stratégie, ont sans doute aussi fait évoluer leur conception dans un sens qui, pour n'être pas forcément celui attendu, n'en est pas moins celui du progrès. 257 Chapitre V 1.6.5. Fracti5 Fracti5 est un gros logiciel, divisé en cinq exercices, qui était conçu pour mettre à l'épreuve, et en simultané, l'ensemble des compétences développées par les autres logiciels de la série. A cet égard, les exercices invitent tous à ranger deux (exercices 4 et 5) ou trois (exercices 1, 2 et 3) fractions, de la plus petite à la plus grande. Elles ont toutes le même dénominateur pour l'exercice 1 ; le même numérateur, égal à 1 dans l'exercice 2, plus grand que 1 dans l'exercice 3 ; elles sont quelconques dans l'exercice 4 et décimales dans l'exercice 5. Fracti5 est donc une apothéose et va nous permettre de dresser un bilan des compétences et des démarches à l'issue de cette deuxième série de logiciels. L'exercice 1, comme on s'en doute, ne pose aucun problème, mais ne renseigne en rien sur l'état des compétences, tant il est possible de faire tout juste en y appliquant des règles "d'apparence". Il ne se conçoit que par opposition aux exercices 2 et 3, sur lesquels se brisent les conditionnements et les certitudes. Après un démarrage rapide, mais marqué par la désagréable surprise de la déroute de l'évidence, car bien entendu, la majorité des élèves range les fractions dans l'ordre croissant des dénominateurs, on se ressaisit bien vite dès que le recours à l'aide − la machine à fractionner − se généralise. La règle du rangement dans l'ordre inverse des dénominateurs − à numérateur constant − peut alors être énoncée, légitimée et appliquée. Lors d'une séance papier/crayon qui suivra, des exercices de type 1, 2 et 3 sont donnés aux élèves en simultané, afin d'apporter un minimum de clairvoyance et de discernement dans l'application des règles : dénominateur ou numérateur constant ? Cindy énonce très rapidement la règle à numérateur constant à sa manière (avant tout recours à l'aide d'ailleurs) : 1 1 1 < < "car quand le dénominateur est plus 7 4 3 grand, c'est plus divisé, quand le dénominateur est plus petit, on peut faire des parts plus grandes". D'autres enfants disent : "S'il y a un petit dénominateur, il y a moins de parts que s'il y a un grand dénominateur" [sous-entendu, s'il y a moins de parts, elles sont plus grosses]. Pour ce qui est de notre fil conducteur sur l'évolution de l'intégration des points de vue I1 et I2, on notera que ces exercices ne permettent pas vraiment de porter d'appréciation s'y rapportant. En effet, la machine à fractionner était conçue comme un 258 Chapitre V fractionneur d'unité, c'est à dire que la colonne, subdivisée24 en autant de parts que l'indique le dénominateur, était censée représenter l'unité ; l'élève devant en déduire le rangement des fractions de numérateur différent de 1 de l'exercice 3. Ainsi le corrigé, qui donne à voir la machine à fractionner, propose une formulation du type : 1 1 1 5 5 5 < < donc : < < 7 4 3 7 4 3 Mais les colonnes de la machine à fractionner ne sont pas marquées [0 ; 1]. Si bien qu'elles peuvent représenter n'importe quelle pluralité, et leur fractionnement être associé à une division de cette pluralité, donc à un point de vue I1. On notera cependant un recours de plus en plus fréquent à des désignations orales des fractions en quantièmes (trois quarts ; sept cinquièmes...), ce qui suppose une référence à I2, référence confirmée par la totalité d'un échantillon d'élèves interrogés par nos soins, devant un schéma de machine à fractionner du type : 5 Figure 72 A la question : "montre-moi 3 " (version écrite, non accompagnée de la 5 désignation orale en [trois cinquièmes]), tous ont désigné trois des parts de la colonne ci-dessus, aucun n'a désigné une seule de ces parts (ce qui aurait été possible, à condition de considérer que la colonne représentait une pluralité de 3, représentation 24 Cette subdivision n'est pas donnée par le logiciel. L'élève doit déplacer, au moyen de la souris, un curseur le long d'une colonne, de bas en haut, bleuissant ainsi tout le bas de la colonne jusqu'à la position du curseur. Une fenêtre indique le nombre - fonction de la position du curseur - de parts qu'il obtiendrait si chacune d'entre elle avait la taille de la partie actuellement en bleu. Dès que l'élève relâche la souris, la subdivision de toute la colonne est réalisée, suivant le nombre indiqué alors par la fenêtre. On notera donc que seul le dénominateur est visualisé, le numérateur quant à lui devant être géré mentalement par l'élève. Précisons enfin que trois colonnes indépendantes, associables à chacune des fractions, sont présentes simultanément à l'écran d'aide. (Voir aussi Figure 72) 259 Chapitre V familière aux élèves depuis leur passation sur Gradu5 notamment). Ainsi I1, dont on a pourtant vu qu'il dominait jusqu'à présent, en tous cas dans l'expression des élèves lors de la passation sur les quatre premiers Fracti, n'est pas mobilisé dans ce cadre ! La conception plus classique I2 prend subrepticement le relais. Par quel moteur ? Par quel conditionnement ? Par quelle inhérence ? Nous n'avons pas de réponse à cette question. L'exercice 4 va être l'occasion de révéler toute la richesse et la diversité des stratégies et des représentations que les élèves ont été amenés à développer. Le recours à l'agrandisseur − dilatation des fractions par un même coefficient entier − a été très timide au début − au CM1 −, mais beaucoup mieux approprié par un nombre croissant d'élèves lors de la seconde passation en début de CM2. Examinons quelques démarches et réflexions d'élèves, parmi les plus inattendues. Marion, pour comparer des fractions qui s'y prêtent, compare leur inverse ! Ainsi pour comparer 1 5 5 10 et , elle compare et , donc 5 et 2. Elle en déduit que 5 10 1 5 1 5 < . 5 10 "Mieux" encore, pour comparer est donc amenée à comparer : que 3 2 et , elle inverse chacune des fractions, et 4 3 4 3 4 3 1 3 2 1 et . Mais = + ; = + et comme elle sait 3 2 3 3 3 2 2 2 1 1 3 4 > , elle en déduit que : > . Elle n'a pas perdu le fil de son raisonnement 2 3 2 3 puisqu'elle finit par conclure à : 2 3 < . 3 4 David utilise lui les dilatations au moyen de "l'agrandisseur photographique" et réinvente la recherche d'un dénominateur commun à sa manière : "Si on n'a pu trouver un entier ni à gauche, ni à droite, on reprend un autre agrandisseur" [il fait de multiples essais de multiplication par un même entier jusqu'à ce que chacune des deux fractions soit transformée en un entier]. Pour Jérémy, et bien d'autres élèves, c'est le positionnement par rapport à 1 qui est recherché : 2 5 < car la première est inférieure à 1 et la seconde supérieure. Mais 3 4 lorsque cette séparation n'est pas possible, Jérémy n'hésite pas à uniformiser les 260 Chapitre V dénominateurs ou les numérateurs, en multipliant chacun des termes de la fraction par un même entier ! Nicolas quant à lui redécouvre "les produits en croix" ! Pour comparer 8 et 10 7 , il nous explique qu'il compare 8 x 8 et 7 x 10 ! Il réitère pour un autre couple de 8 fractions que nous lui proposons. Devant notre étonnement, il démontre littéralement sa procédure en évoquant l'agrandisseur de Fracti5 : il applique − mentalement − à chacune de ces deux fractions et successivement un multiplicateur (x10) puis (x8). Ainsi la première est transformée en : 8 x 8 et la deuxième en 7 x 10, réalisant au passage non pas les produits, mais les simplifications. Notons qu'il ne reprend pas à chaque fois l'ensemble de la procédure, mais qu'il applique directement la règle des produits en croix, considérée comme démontrée une fois pour toutes ! Après une synthèse papier/crayon, au cours de laquelle un recours spontané ou provoqué aux droites graduées permet de schématiser les recherches et les énoncés, d'autre procédures "privées" vont émerger : pour comparer complément à 1 de chacune de ces fractions, soit 4 5 et , on cherche le 7 8 3 3 et . Or on sait, depuis Fracti3 que 7 8 3 3 4 > , on en déduit, sur une droite graduée, que la distance à 1 de est supérieure à la 7 8 7 distance à 1 de 5 , d'où la comparaison de ces deux fractions. 8 Rappelons enfin la méthode de Jordan qui lui compare à un demi, et qui est ainsi amené à expliquer que : "trois cinquièmes, c'est un demi plus un demicinquième (2,5 cinquièmes plus 0,5 cinquième !) ; quatre septièmes, c'est un demi plus un demi-septième (3,5 septièmes plus 0,5 septième); et comme un septième est inférieur à un cinquième, il en va de même pour leur moitié, d'où la possibilité de comparer les deux fractions initiales. Qu'on juge de la richesse et de la diversité que ces démarches supposent. Qu'on imagine la maîtrise, sans doute indifféremment des deux points de vue I1 et I2, mais plus probablement et paradoxalement du dernier, pour développer de telles procédures et en donner des justifications aussi rigoureuses ! 261 Chapitre V La série se termine par l'exercice 5 qui semble les dérouter (attesté par des temps de réponse plus longs que la moyenne et des scores plus faibles), alors que la séparation des fractions y est souvent plus "brutale", comme par exemple pour 9 et 100 9000 . La taille des nombres en jeu inhabituelle ? Le traitement de fractions étonnantes 10 comme 300 ? Tout se passe comme si les procédures remarquables mises au point lors 1 de l'exercice précédent étaient opacifiées par la redondance des signes mobilisés. Notons cependant l'explicitation de stratégies de simplification telles que la suivante : pour comparer 2 200 et , Fanny fait "le bilan des zéros" : deux zéros en bas 100 1000 pour la première, un en bas pour la deuxième ; donc la première est inférieure à la deuxième. Devant ce constat mitigé, nous remettons à l'étude des logiciels de conversions, et surtout à celui des nombres décimaux vers les écritures fractionnaires − Form2fra −, les approfondissements sur les fractions décimales. Il nous reste à relater ce que les deux logiciels de conversion, issus des écritures fractionnaires, nous ont permis d'observer. 1.6.6. Frac2gra La seule graduation disponible progresse de 1 en 1. L'analyse a priori de la tâche distinguait donc deux temps : recherche de la partie entière de la fraction et localisation de l'intervalle d'amplitude 1 la contenant ; dépose de la fraction par fractionnement de cet intervalle. Les fractionneurs les plus petits sont primés, ce qui encourage à simplifier les fractions avant de les déposer. Ce sont du reste ces deux traitements, internes au registre des écritures fractionnaires − ou au registre des droites graduées pour le deuxième −, qui conditionnent la réussite de la conversion, et semblent toujours poser quelques problèmes à un nombre non négligeable d'élèves. Mais une fois la partie entière trouvée, et la portion de droite adéquate affichée, nous pensions que la conversion devenait congruente. Nous allons voir que ce n'est pas toujours le cas. Remarquons auparavant que le choix d'une graduation imposée de pas 1 oriente résolument vers la mobilisation de I2. 262 Chapitre V Un rappel collectif est nécessaire pour l'extraction de la partie entière. Il reste alors à déposer la partie dite fractionnaire entre deux entiers consécutifs, ce qui, pensaiton, ne devrait pas poser de problème majeur. En effet, pour les 7 ou 8 élèves capables de séparer explicitement la fraction en parties entière et reste (< 1) fractionnaire, la conversion devient congruente : faire glisser la droite jusqu'à l'entier égal à la partie entière ; prendre séquentiellement en compte le dénominateur puis le numérateur − disponible puisque explicitement calculé dans ce cas − du reste fractionnaire dans leur mode d'action respectif sur l'intervalle adéquat (ce que nombre d'enfants ont déjà fait auparavant au cours de conversions spontanées). Quant aux élèves qui n'ont pas préparé leur conversion de façon aussi stricte, c'est à dire qui ont trouvé la partie entière sans garder de trace de la partie fractionnaire, ils n'ont pas de mal à choisir une graduation adéquate − même si elle n'est pas minimale − en utilisant le dénominateur. Mais la dépose définitive de la fraction demande une reconstitution mentale du numérateur de la partie fractionnaire. Prenons un exemple. Soit à déposer 20 . Après avoir fait glisser la 3 droite graduée jusqu'à faire apparaître l'intervalle [6 ; 7], et demandé une subdivision en 3 de ce dernier, on obtient le schéma suivant : 6 7 Figure 73 Le numérateur 2 de la fraction "reste" doit être "reconstitué", en l'absence d'une partie des segments compris entre 0 et 6. Or, pour cette opération, peu d'élèves utilisent le reste d'une division euclidienne − même si cette dernière a été plus ou moins requise pour extraire la partie entière. Parmi ceux qui entreprennent une action, la plupart se livrent à une "reconstitution des tiers absents" en énumérant : "trois tiers ; six tiers ; ... ; dix-huit tiers" ; tout en pointant les six segments imaginaires d'amplitude 1 compris ente 0 et 6. Mais nombre d'entre eux restent bloqués par cet élément de non congruence − entre numérateur apparent, soit 20 ici, et numérateur utile, soit 2 ici. Notons enfin deux démarches étonnantes, la première peu heureuse, la seconde beaucoup plus. 263 Chapitre V • Dans l'exercice 2, les fractions sont de dénominateurs différents. Lorsque l'un d'entre eux est multiple d'un des autres, les élèves, de façon significative, utilisent le dénominateur commun − en rectifiant correctement le numérateur − pour la dépose, alors que cela n'est absolument pas nécessaire ni facilitant. Ils s'en trouvent d'ailleurs pénalisés puisque les graduations minimales sont primées. Il n'empêche que cette attitude prouve une certaine aisance dans la recherche et l'exploitation d'écritures équivalentes, démarches rares à ce stade (voir chapitre II), surtout en l'absence de toute pression exogène. • Nathalie adapte sa stratégie à la fraction proposée : si la partie fractionnaire est inférieure à un demi, elle s'appuie sur la partie entière ; dans le cas contraire, elle s'appuie sur l'entier immédiatement supérieur, ce qui l'amène à faire des tests supplémentaires sur la fraction initiale et à transformer cette dernière pour l'arrondir à l'entier supérieur avant d'évaluer la différence. Tout se passe donc comme si, fort intelligemment, elle sacrifiait en partie la congruence pour respecter une règle d'économie intellectuelle. Le bilan de ce logiciel est donc mitigé. Du côté positif, on constate une bonne discrimination du numérateur et du dénominateur, des heuristiques peu fréquentes et efficaces, le recours spontané à des écritures équivalentes, donc la confirmation d'une acception relative des deux termes d'une fraction. Mais cette acception est moins opérationnelle dans la décomposition en partie entière et partie fractionnaire, au service d'une opération externe comme la dépose d'une fraction sur droite graduée. Tout se passe alors comme si un nombre non négligeable d'élèves se laissaient capturer par les éléments de non congruence. Ce qui n'est pas spécialement étonnant et prouve, si besoin en était, que la stabilité d'un apprentissage n'est obtenue qu'après de multiples occasions de transferts. 1.6.7. Frac2for Ainsi qu'on l'a déjà dit, ce logiciel se déroule en deux phases. La première demande de reconnaître si la solution d'une équation de type bx = a est entière ou pas. Dans ce dernier cas, on demande une écriture fractionnaire de la solution et on invite ensuite à en fournir une approximation ou une valeur décimale exacte. A cet égard, une simulation de division posée, mais dans une forme non standard, est proposée, afin que les élèves soient affranchis de certains gestes techniques, tout en conservant l'initiative 264 Chapitre V et une possibilité d'associer chaque étape de la conversion à des actions qui se prêtent à des retours de sens. La première phase constitue un test significatif sur l'opérationnalité de l'équivalence des deux points de vue I1 et I2, fort utile pour légitimer le recours à un algorithme de division pour approcher une fraction par des valeurs décimales. Bien entendu, cette équivalence n'a guère été spontanée pour la majorité des élèves. En revanche, 7 d'entre eux − sur les 26 que compte la classe − n'y ont même pas vu matière à problème. Pour les autres, un travail papier/crayon s'imposait, consistant à reconnaître, d'essais en erreurs et après des tentatives de solutions décimales vouées à l'échec dans le cas général, que la fraction a vérifiait bien l'équation bx = a. Mais tout le travail b préparatoire, organisant le cheminement "infra conscient" vers l'identification des deux points de vue et sur lequel nous nous sommes longuement penchés, a trouvé un écho dans la rapidité − une séance − avec laquelle ce travail a pu être mené à son terme. Dès lors que cette première phase se trouvait automatisée, il restait à s'approprier la deuxième, donc l'idée d'approximations décimales d'une fraction. Rappelons que Frac2for est le dernier dans l'ordre de passage de l'ensemble ORATIO. Les élèves avaient donc déjà eu l'enseignement relatif aux nombres décimaux, notamment par la série Format et les logiciels de conversions Form2fra et Form2gra − qui seront étudiés à la section suivante. Mis à part le déroutement provoqué − volontairement − par un algorithme non standard dans le but de ne pas laisser la routine occulter le sens, l'ensemble des élèves apprécie la méthode et fournit les approximations − ou valeurs exactes − escomptées. Le logiciel encourageant à formater les réponses au fur et à mesure que se précisent les différentes décimales de l'approximation, on ne relève guère de dispersion dans la méthode. On note aussi, chez certains élèves dans les cas complexes, et auprès de la quasi totalité dans les cas simples − comme les tiers − une bonne intuition de ce que sera un développement périodique illimité, ce qui est d'ailleurs un résultat observé couramment dans les classes de ce niveau. Enfin, la possibilité ainsi établie d'approcher un rationnel par un décimal aussi finement qu'on le souhaite est une mise en scène très acceptable de la densité de D dans Q (Brousseau ; 1986-b, p 102). 265 Chapitre V On peut donc en conclure que ce logiciel a porté tous les effets qu'on en attendait, et qu'il a notamment permis un énoncé institutionnalisé de l'équivalence des deux points de vue I1 et I2. 1.7. Conclusion de la section 1 Nous avons ainsi rencontré les limites de l'approche sémiotique, ce qui nous a amené à un détour par la physique qui a en retour permis de rebondir dans un univers purement sémiotique. Nous avons donc décrit un itinéraire d'apprentissage des fractions qui repose sur une idée physique du fractionnement et une idée sémiotique des traitements et conversions valides portant sur ces écritures. La cohésion de cet itinéraire et des objectifs − évidents et moins évidents − d'apprentissage attachés a été mise à l'épreuve qualitative des comportements, démarches, interrogations et formulations des élèves de notre classe expérimentale. Nous avons ainsi observé une évolution dans les conceptions, notamment pistée par l'émergence de l'équivalence des deux points de vue I1 et I2, depuis le relevé des premiers indices d'une acception implicite jusqu'à l'aboutissement vers l'opérationnalité explicite. Le recours aux conversions, notamment vers les droites graduées, d'abord ponctuellement à titre d'illustration, puis de façon plus systématique, a permis une mise en perspective du concept de fraction et a renforcé la légitimité des traitements entrepris. Nous avons enfin montré en quoi, et au moyen de quelles interventions supplémentaires les objectifs attendus ont été largement atteints. Il nous restera à valider quantitativement l'ensemble de cette expérimentation. Mais ceci sera l'objet du chapitre VI. 2. Le registre des écritures décimales Nous avons justifié à la section 1 notre choix de terminer l'exploration des trois registres retenus pour l'expression des rationnels par celui, toujours très prisé des enseignants en France, des écritures décimales à virgule. Il faut dire que ce système est aussi particulièrement apprécié des élèves, car il prolonge celui des entiers en en préservant l'unidimensionnalité, contrairement au registre des écritures fractionnaires qui lui est bidimensionnel − voir chapitre III-3. Il ouvre par ailleurs la voie à une appréhension de la densité des décimaux en offrant des possibilités d'intercalations récurrentes selon des règles précises et simples ; ce sont du reste la simplicité de ces règles, associée à la fausse simplicité d'une écriture qui rappelle fortement celle des 266 Chapitre V entiers, qui constitueront autant de pièges pour le novice. Deux idées très simples ont donc servi de fil directeur au développement du registre et à la conception des logiciels associés. Comment mettre en œuvre simultanément ce qui rapproche ce système de celui des entiers : le prolongement d'un jeu d'écriture ; et ce qui l'oppose à celui des entiers : rendre toujours possible l'intercalation ? Et au-delà, se pose la question de savoir si un pur projet sémiotique est ici possible, par opposition à des interprétations plus physiques du type de celles que nous avons mobilisées pour le registre des fractions. 2.1. Une approche sémiotique de l’objet "écriture décimale" Prolonger le jeu d'écriture des entiers demande la prise en compte de ce qui est invariant dans ce prolongement, à savoir un mode de signification qui s'articule autour d'un explicite : le chiffre, signifié par une marque sensible ; et d'un implicite, non signifié par une marque sensible, le rang de chacun des chiffres. Par ailleurs, saisir la possibilité d'intercalations récurrentes demande de considérer l'écriture d'un décimal dans toute sa généralité, c'est à dire à n (n quelconque) chiffres après la virgule, et pas par emboîtements successifs d'écritures à 1, puis 2, puis 3... chiffres après la virgule (Brousseau ; 1986-b, pp. 45-46). Enfin, l'opération d'intercalation suppose qu'on dispose d'une relation d'ordre sur ces écritures et donc de la possibilité de ranger une suite de décimaux. En retour, ce dernier type d'activité contribue à une mise en œuvre et à une observation fine des mécanismes de l'écriture décimale, notamment de la dualité chiffre/rang rappelée plus haut : c'est lorsqu'on a compris en quoi 3,4 > 3,14, qu'on peut comprendre, à travers la notion de rang, "comment 4 peut être supérieur à 14", et finalement le mode de signification des décimales. On retrouve ainsi, comme dans les cas précédents, l'opération de comparaison au cœur même de la constitution du système en registre. Un outil est susceptible de prendre en charge l'ensemble de ces contraintes : c'est le format à virgule fixe que nous détaillerons plus bas. Contentons-nous de dire ici que la fixité de ce format en fait un outil purement sémiotique. Ainsi, nul besoin n'apparaît de référer aux fraction pour interpréter les décimales en termes de dixièmes, centièmes..., dans l'optique de justifier par exemple les règles de comparaison des décimaux. Ce type d'interprétation sera bien sûr abordé au moment des conversions. Ainsi, la notion d'intercalation se substitue-t-elle à la notion de subdivision des registres précédents ; elle sera donc fondatrice de ce registre et ne nécessitera nul recours à une 267 Chapitre V quelconque considération physique. Remarquons que la régularité de ces intercalations − au sens où 1,2 ; 1,4 ; 1,6 ; 1,8 sont régulièrement "répartis" − n'est plus une donnée du registre, comme c'était le cas de la subdivision sur droite graduée, signifiée par la régularité physique du découpage en intervalles. Elle peut en revanche se postuler de la régularité avec laquelle se constituent ces écritures au moyen des dix chiffres de la numération décimale et de l'ajout éventuel de décimales supplémentaires. Elle sera confirmée au moment des conversions vers les droites graduées. 2.2. L'exploration logicielle du registre Nous allons examiner à présent la mise en forme de ces idées à travers les trois logiciels de la série Format. Nous verrons notamment que c'est par le biais du format à virgule fixe qu'on se propose de légitimer les différents traitements proposés. 2.2.1. Ordre de passage dans la série Format / Mystère Format1 met en place les règles de saisie dans le format à virgule fixe, règles qui vont permettre de dégager toute l'importance du rang d’un chiffre dans le nombre ; ce qui débouchera dans Format2 sur une stratégie de comparaison des nombres à virgule, basée sur une extension de la règle de comparaison des entiers écrits dans le système décimal, et prenant en compte simultanément la comparaison des rangs et des chiffres. Mystère enfin invite à explorer les possibilités d’intercalation qu’offre ce système sémiotique, en combinant la double ressource rang/chiffre. 2.2.2. Contenus abordés par la série Format / Mystère 2.2.2.1. Saisie de nombres décimaux dans un format à virgule fixe L’outil de base utilisé dans cette série est donc le format à virgule fixe. Il est proposé à l’utilisateur, dès l’écran initial dans le logiciel Format1, et à titre d'aide dans Format2. Il se présente sous la forme d’une grille de saisie des chiffres du nombre, avec quatre cases avant la virgule et neuf cases après25. Nous proposons ci-dessous une copie d'écran extraite de Format2, destinée à la comparaison de deux nombres. Elle comporte donc deux formats. 25 La "longueur" absolue d'un décimal traitable par ce format, ainsi que les "longueurs relative" (4 contre 9) de ses parties entière et décimale, sont limitées par la possibilité de les porter à l'écran. La nature de ces limites a été discutée en classe avec les élèves, et il a été reconnu qu'elles étaient mentalement extensibles à droite et à gauche. 268 Chapitre V Figure 74 : comparer au moyen de deux formats à virgule fixe Le logiciel exige qu'on ne laisse aucune case vide à gauche du premier chiffre saisi. Un balayage systématique du nombre de la gauche vers la droite est ainsi organisé. La contrainte − constitutive du savoir en jeu car valorisant la position du chiffre dans le format et donc l’attachant à un rang − est en conséquence de commencer la saisie par d’éventuels zéros initiaux : Ainsi, le nombre 10,7 doit-il être saisi 0010,7... comme indiqué ci-dessus sur le format du haut. 2.2.2.2. Comparaison, rangement de nombres décimaux L’activité liée à ce contenu − logiciel Format2 − porte sur le rangement, du plus petit au plus grand, de nombres décimaux choisis suivant un cahier des charges évolutif et qui est précisé en annexe n. A cet effet l’élève peut être amené à comparer deux à deux des nombres de la liste à ranger. Cette méthode de comparaison est suggérée par le recours éventuel − car libre, volontaire et gratuit − au format à virgule fixe (voir Figure 74). Mais elle n'est pas exclusive d'un autre choix, notamment celui de se passer du format. Néanmoins, si l'élève adopte cette méthode, il pourra : • balayer chiffre à chiffre les deux nombres à comparer, de la gauche vers la droite, quitte à compléter par des zéros initiaux l’un ou l’autre de ces deux nombres, afin de démarrer la comparaison au même rang ; • départager les deux nombres dès que ce balayage permet de détecter, au même rang, deux chiffres différents. 269 Chapitre V L'ajout de zéros terminaux n'est nullement indispensable bien que possible. Ainsi, dans l'exemple traité en Figure 74, il n'est pas obligatoire de pousser la saisie jusqu'au deuxième rang après la virgule, le premier suffisant à départager les deux nombres. C'est du reste la stratégie retenue pour le corrigé. On notera l’approche purement sémiotique de cette comparaison, qui peut rappeler l’ordre lexicographique − du dictionnaire, ce que les élèves ne manqueront pas de constater. Les interprétations en termes de têtes de série − les puissances de 10 de la base de numération − seront un produit des logiciels de conversion. On remarquera aussi que cette règle est un prolongement d’une règle possible de comparaison des entiers naturels. 2.2.2.3. Le rôle de la virgule Dans cette optique, la virgule est le signe qui permet de déterminer le rang de chaque chiffre, et notamment d’inscrire le nombre dans le format et/ou, en l'absence de format, de démarrer correctement le balayage des deux nombres de la gauche vers la droite. Elle n'apparaît pas dans cette présentation comme séparant parties entière et décimale, ces deux termes n'ayant pas encore de référents engendrés par le système (voir 2.2.2.5). 2.2.2.4. Le rôle du zéro C’est son rôle historique de marqueur de rang non exprimé, au sens où, dans 307, le rang des dizaines n’est pas exprimé − trois cent sept. Les zéros neutres ne peuvent ainsi se situer qu’au début ou à la fin de l’écriture décimale. 2.2.2.5. La partie entière, la partie décimale On vient de voir qu'il n'y avait encore aucune raison de les dénommer ainsi à ce stade des activités − si tant est qu’il existe à un moment une raison d’appeler partie décimale la partie du nombre formée par les chiffres après la virgule ! Pour l’instant en tout cas, l’interprétation de la partie du nombre formée des chiffres avant la virgule en terme de partie entière n’est pas d’actualité − elle le sera bien entendu lors des activités de conversion qui lui donneront son sens. Tout au plus l’utilisateur pourrait être sensibilisé, au cours d'une séance bilan, au fait que : • à « partie entière » égale, les deux nombres se départagent sur leur « partie décimale » ; 270 Chapitre V • la règle valable pour les entiers : « plus long, plus grand », pour signifier que plus un entier comporte de chiffres, plus il est grand − s’applique à la « partie entière » où « plus de chiffres » signifie un rang du premier chiffre à gauche d’autant plus élevé.... • mais ne s’applique pas à la « partie décimale » où « plus de chiffres » n’a plus d’incidence sur le rang du premier chiffre après la virgule : que l’on compare 32,8 à 32,45 ou à 32,456, le nombre de chiffres après la virgule du deuxième nombre laisse inchangé le rang du 4 ! Et c’est cela qui compte pour la comparaison. Certaines remarques d'élèves que nous rapporterons en 2.4 amèneront naturellement à l'énoncé de ce type de règles. 2.2.2.6. Encadrement, intercalation Ces contenus sont attachés au logiciel Mystère qui propose de déterminer un nombre mystérieux par encadrements successifs de pus en plus fins − avec des rétroactions du logiciel de type trop grand / trop petit, accompagnés du meilleur encadrement jusqu'alors obtenu. C’est notamment l’occasion de mettre en œuvre des règles d’intercalation non encore explicitées du type : entre 3,6 et 3,7 on peut intercaler 3,68. Le travail sur le format permet de vérifier une telle assertion, mais prendre l’initiative de sa mobilisation est une tâche beaucoup plus complexe. 2.3. Les opérations de conversion vers les deux autres registres 2.3.1. Ecritures décimales vers droite graduée (Form2gra) Ce logiciel a été conçu pour fournir un cadre adéquat à l'interprétation des décimales en termes de dixièmes, centièmes... et à la mise en place d'un algorithme d'approximations et d'encadrements de finesse variable d'un décimal donné. Ne pas se laisser piéger par l'apparence du nombre − du type "plus long, plus grand" − suppose en effet la capacité à situer, d'abord grossièrement, puis si besoin est plus finement, un nombre décimal par rapport à des entiers, puis des décimaux qui l'encadrent. Savoir avant tout que 3,141592654 est compris entre 3 et 4 nous semble être un jugement fondateur de "l'esprit décimal". C'est l'objectif essentiel assigné à ce premier logiciel de conversion. Pour cela, l'élève est d'abord invité à choisir un pas de déplacement de la droite graduée (de 1 en 1 ; de 10 en 10 ; .... ; de 1000 en 1000). Le nombre à traiter est ainsi situé sur un intervalle : dont les extrémités sont au départ des entiers, consécutifs vis à 271 Chapitre V vis de ce pas ; qui est subdivisé régulièrement en dix sous-intervalles. Un de ces sousintervalle est alors sélectionné, puis agrandi au moyen d'un zoom, et à son tour subdivisé en 10 sous-intervalles. L'opération peut se répéter récursivement jusqu'à ce que l'utilisateur décide qu'il a atteint la profondeur souhaitée et qu'il peut y déposer le nombre, non plus sur un sous-intervalle, mais précisément sur une des graduations. On comprend en quoi l'objectif principal d'approximations de plus en plus fines est bien mis en scène. Mais on comprend aussi que : • le rang − du chiffre dans le nombre − va être attaché à un niveau de profondeur d'investigation, ce qui en autorise une explicitation et donc une valorisation ; • la régularité des opérations de zoom et de subdivision par 10 permet bien une interprétation de l'écriture décimale en termes de dixièmes, centièmes... et comme prolongeant le système de numération des entiers. 2.3.2. Ecritures décimales vers écritures fractionnaires (Form2fra) Le premier objectif de ce logiciel est d'amener à l'interprétation des décimales en termes de fractions décimales, dont le numérateur peut être rattaché à un chiffre − une des décimales − et dont le dénominateur peut être rattaché à un rang − position du chiffre dans le nombre. Un autre environnement que dans le logiciel précédent est donc proposé pour interpréter les écritures décimales. Un deuxième objectif est de favoriser les prises de conscience de la non unicité de cette conversion : 3,45 = 3 + 5 4 45 345 + = 3+ = =.... , 10 100 100 100 et de donner les moyens d'exercer cette absence d'unicité. Enfin, un troisième objectif est d'amener à énoncer et à utiliser le fait que tout décimal est rationnel (alors que le contraire n'est pas vrai, ce qui a été déjà discuté en 1.5.2 et 1.6.7). Pour remplir ce cahier des charges, deux phases sont successivement mises en œuvre. 1. Une première décomposition suivant les puissances de dix est exigée, mais dans la grille de saisie, les têtes de séries sont fournies dans un ordre aléatoire, par exemple : (... 1/100 ; 10 ; 1/10 ; 1 ; 100 ; 1/1000 ; 1000...) ; un simple recopiage, de la gauche vers la droite, du nombre dans la grille n'est donc pas possible, chaque case devant être interprétée en terme de rang, avant que d'être rattachée à un chiffre du décimal traité, et saisie obligatoirement − éventuellement avec un zéro. 272 Chapitre V Les têtes de série sont ensuite remises dans l'ordre naturel − soit suivant les puissances décroissantes de dix − lors de la phase 2. 2. On demande à l'élève une conversion au moyen d'une seule fraction : 3,45 = 345 3450 ou 3,45 = ou tout autre écriture équivalente de ce type ; avant que de 100 1000 le laisser libre de proposer d'autres écritures, au moyen d'une seule fraction ou de la somme d'un entier et d'une fraction. On voit qu'ainsi l'occasion lui est bien (re)donnée : • de (re)mettre à l'épreuve l'écriture décimale à travers la dualité rang/chiffre (ce qui avait déjà été entrepris lors de la conversion précédente) ; • de tester la diversité des écritures fractionnaires d'un décimal. Il est légitime de penser que la mise en perspective de tous ces points de vue apporte de la plus-value à la notion, en tous cas des degrés de liberté supplémentaires. Examinons si les réactions des élèves à ces divers logiciels confirment cela. 2.4. Réflexions d'élèves, les apprentissages On se référera au chapitre III-2.2 pour un descriptif abrégé des logiciels ou aux annexes n pour plus de détails. 2.4.1. Format1 Format1 propose de saisir dans un format à virgule fixe des décimaux choisis : soit par l'ordinateur − qui restent visibles tout au long de la saisie (exercice 1) ou qui disparaissent au bout de quelques secondes d'observation (exercice 2) ; soit par l'élève lui-même (exercice 3). L'exercice 2 notamment, puisqu'il demande une mémorisation de décimaux, permet d'observer la façon dont les élèves organisent cette mémoire et donc quelles en sont les priorités. Par exemple, allaient-ils séparer le nombre en partie entière et partie décimale, alors que l'apprentissage, rappelons-le, n'est pas vraiment organisé autour de ce découpage ? Jimmy mémorise d'abord "la partie la plus longue, pour ne pas oublier" ; il n'a donc pas une lecture obligée de la gauche vers la droite et, si son critère de séparation est bien la virgule, son mode de mémorisation ne permet pas de décider si partie entière et partie décimale sont pour lui deux groupements remplissant des fonctions différentes, en tous cas différenciables. D'autres élèves se rappellent davantage la place des zéros 273 Chapitre V intermédiaires, d'autres encore regroupent les chiffres deux par deux, oubliant totalement la virgule avant de réaliser que sa position dans le nombre est indispensable pour en démarrer la saisie. Ces derniers recommencent néanmoins avec le nombre suivant leurs groupements "trans-virgule", en y adjoignant toutefois un marqueur de sa position. Ainsi pour mémoriser 321,45, ils énoncent : "32 ; 14 ; 5 ; la virgule après le 1 [de 14]". Format 1 semble donc bien donner l'occasion d'appréhender le rôle crucial de la virgule dans le repérage du rang de chaque chiffre et l'importance de cette notion de rang pour la saisie correcte du nombre . En revanche, et malgré une pratique extra-scolaire de certains nombres à virgules − les étiquettes de prix par exemple −, aucun élève qui s'exprime ne sépare nettement le nombre en parties entière et décimale. On observe donc bien une approche phénoménologique de ces écritures. L'étude du logiciel suivant va déjà enregistrer une évolution dans cette appréhension. 2.4.2. Format2 Dès qu'il s'agit de comparer ces objets − et non plus seulement de les saisir −, les attitudes se modifient nettement. Tout se passe comme si leur statut de nombre était activé par cette nouvelle entreprise. Aurélie et Fanny par exemple commencent par examiner la partie entière ("les nombres de devant"), puis, lorsqu'elles rencontrent deux nombres ayant même partie entière [38,6 et 38,2000], elles se trompent en cherchant à les discriminer sur la longueur de leur partie décimale. Jimmy commence aussi par considérer " les deux chiffres [nombres]devant, là" et explique que pour les comparer, "il prend le plus petit [la partie entière la plus petite]" ; lorsque les nombres ont même partie entière, il se tient sur ses gardes, "fait n'importe quoi, exprès pour voir comment le corrigé fait" puis décide lui aussi d'utiliser l'aide avec le format − sollicité par le corrigé. Il énonce alors : "C'est comme pour le dictionnaire avec l'alphabet ; on compare les chiffres dans les mêmes cases ; si c'est pareil, on regarde la case à côté". Aurélie, qui a fini par comprendre que "après la virgule, ça ne marche pas normalement", et qui ne supporte plus de faire faux, utilise aussi le format suggéré par les corrigés successifs. Elle réalise alors que les zéros terminaux ne jouent aucun rôle, ce que Fanny reformule en : "On peut cacher ces zéros avec les doigts". Dans l'exercice 3 de Format2, qui propose de ranger des décimaux de même partie entière et de longueur variable, les stratégies se différencient : 274 Chapitre V • Marion examine successivement le premier, puis le deuxième... chiffre après la virgule et conclut − juste − dès qu'un de ces chiffres permet la discrimination ; • Jimmy "rajoute des zéros pour avoir les mêmes rangs" ; • Etienne, qui va développer une heuristique tout à fait privée, constate : "Avec 34,8 et 34,4725, on a 4725 d'un côté et de l'autre côté 8 ! Il sait déjà que les apparences sont ici trompeuses, mais cela provoque encore chez lui un certain désarroi qu'il exprime par un : "Mais ce ne sont pas des entiers. On pourrait faire une soustraction : 34,8 - 34,4725, c'est presque 0,04 [il expliquera qu'il trouve ce résultat en "posant" mentalement la soustraction et en alignant les chiffres les uns sous les autres et de part et d'autre de la virgule], donc 34,8 est plus grand que 34,4725". Devant l'interrogation du maître : "Mais ça ne te dérange pas de ne pas utiliser le 725 [les trois derniers chiffres de la partie décimale]" ? Il répond : "Non, parce que c'est encore plus petit". Etienne a tout compris.... L'ensemble de ces stratégies fait alors l'objet d'une présentation en classe. La stratégie-recours adoptée à la suite de ce bilan − le consensus fut dur à trouver... − sera celle de "l'ajout des zéros terminaux, pour « égaliser les deux nombres»". Cette transformation des attitudes de Format1 à Format2 est remarquable et mérite d'être soulignée tant la détermination de l'objet est ici orientée par la nature des traitements qu'on lui applique : de simple jeu d'écriture formel dans Format1, le système de numération décimal évolue vers un véritable registre, exprimant des nombres dont on perçoit qu'ils ne réagissent pas comme des entiers, mais qu'ils se prêtent à certaines opérations rappelant celles qui portent sur des entiers. La transformation de ce système évolué en registre sera bien sûr poursuivie lors des conversions qui relieront ces écritures aux fractions, et à leur positionnement mutuel et par rapport aux entiers obtenu grâce aux droites graduées. 2.4.3. Mystère Ce logiciel, qui conclut la série des logiciels de traitement des écritures décimales, met les élèves à l'épreuve des redoutables opérations d'encadrement et d'intercalation les règles de comparaison découvertes et énoncées après la passation sur Format2. Comme on peut s'y attendre, les premiers résultats sont décourageants : tout se passe comme si Format2 et l'acceptation que des groupements comme 2000 pouvaient signifier des valeurs inférieures à 4 − comme : 1,2000 < 1,4 − étaient oubliés par 275 Chapitre V nombre d'élèves ! Si pour un gros tiers de la classe le réinvestissement se fait sans problème, lorsque Sara parvient à la conclusion que le nombre mystérieux est compris entre 14 et 15, elle annonce fièrement : "Ce n'est pas possible !" ; quand Anthony lui fait remarquer que "Si ! C'est possible, il y a 14,5", elle l'accepte bien volontiers... avant de réitérer son refus alors que, après quelques autres tentatives, elle arrive à encadrer le nombre mystérieux par 14,2 et 14,3. Et lorsque le même Anthony propose de tenter 14,25, Sara lui rétorque : "Mais, 25 c'est plus grand que 3, alors 14,25 n'est pas plus petit que 14,3 !". Rien n'est jamais acquis... d'autres, comme Julien B., pensent qu'entre 14,2 et 14,3 "il y a quatorze virgule deux et demi", ce qu'il écrit avec deux virgules : 14,2,5 ; écriture bien sûr refusée par le logiciel. Une mise au point s'impose, et le rappel par le maître de quelques règles antérieurement établies fait évoluer la situation. Un encouragement à utiliser le Format, en papier/crayon s'avère particulièrement productif. Les stratégies s'affinent et se systématisent, la plus répandue consistant à encadrer le nombre mystérieux à 10- n près, puis à ajouter une décimale qui est pratiquement toujours 5 (avec référence à la moitié, sans doute d'un intervalle de droite graduée évoqué pour la circonstance). Ainsi qu'on le constate sur le tableau suivant, le nombre total de coups joués est quasi stable d'une séance à l'autre, alors que le temps total qui y est consacré diminue significativement26, amenant le temps moyen par coup à passer de 14,2 s à 11,9 s. Classe de Sélestat Nombre de coups 14 octobre 436 Temps total (en secondes) 6178 16 octobre 430 5106 Temps moyen par coup (en secondes) 14,2 11,9 Tableau 8 : évolution des paramètres de réponse à Mystère On en déduit que les décisions sont prises plus rapidement, signant plus d'assurance, en tout cas moins de désarroi devant les intercalations "paradoxales" comme : 3,4 < H < 3,5, qui avaient fait perdre beaucoup de temps lors de la première passation. Le taux de réussite quant à lui n'est pas pris en compte puisque les élèves ne peuvent terminer le jeu que lorsqu'ils font juste ou qu'ils abandonnent. 26 Ces chiffres cumulent la totalité des coups joués par les 9 groupes de la classe, lors d'une passation totale, soit de 4 ou 5 jeux suivant les groupes, et le temps total qu'ils y ont consacré. 276 Chapitre V A titre de comparaison, rapportons certaines observations d'une première enquête que nous avons menée en 1994-1995 auprès de quatre classes de CM227 du BasRhin. Trois de ces classes − Sélestat, Niederau et Duttlenheim − ont effectué une passation ponctuelle sur Mystère ; la classe de Rust quant à elle en a effectué trois. Aucune préparation particulière n'y avait été programmée, sinon un premier enseignement traditionnel sur les rationnels en CM1 et quelques révisions et approfondissements de CM2. Aucun autre logiciel de la série ORATIO n'y avait été expérimenté − ni même d'ailleurs développé à l'époque. En revanche, l'interprétation des décimales en termes de fractions y avaient été enseignée, notamment dans la classe de Rust. Ainsi, les élèves avaient été sensibilisés à des explications du genre : 7,4 > 7,22 car : 4 40 40 22 = et > ... ce qui n'a nullement évité l'obstination à forcer les 10 100 100 100 dénégations de l'ordinateur28 qui contrariaient le sens commun. Ainsi, lors de la troisième (!) passation, un groupe de la classe de Rust ayant réussi à encadrer le nombre mystérieux H entre 7,8 et 7,9 (dernières réponses de l'ordinateur : "trop petit" ; 7,8 < H < 7,9), s'est acharné à tester les valeurs successives : 7,14 ; 7,50 ; 7,95 ; 7,75 ; 7,200 ; 7,500 ; 7,1000 ; 7,6000 ; 7,7000 ; 7,1000000... et y serait encore si les limites de l'ordinateur et l'intervention du maître n'avaient stoppé cette frénésie, bien sûr alimentée par la force tranquille de l'ordinateur qui défiait inlassablement le bon sens en répétant (sauf pour 7,95) : "trop petit" − et en supprimant les zéros terminaux ! Cette observation qualitative est confirmée par la valeur et l'évolution des paramètres de réponse29, entre la première et la dernière passation, ainsi qu'il est rapporté dans le tableau suivant : Classe de Rust Nombre de coups 5 janvier 23 mars 688 Temps total (en secondes) 7076 Temps moyen par coup (en secondes) 10,3 735 8189 11 Tableau 9 : évolution des paramètres de réponse à Mystère 27 Classes de : P. Moser, école de Rust (5/01, 12/01, 23/03 1995) ; classe de R. Wintz, école annexe de Sélestat (février 95) ; classe de Mme Metz, école de Duttlenheim (février 95) ; classe de S. Honold-Tardy, école de la Niederau Strasbourg (avril 95). 28 Rappelons que Mystère fournit deux types de rétroactions devant une proposition de l'utilisateur : "trop grand" ou "trop petit" d'une part ; le meilleur encadrement jusqu'alors trouvé d'autre part. Précisons enfin que les zéros terminaux sont systématiquement supprimés dans ces rétroactions. 29 Ces chiffres sont obtenus après avoir ramené le nombre total de jeux joués par cette classe à celui de la classe de Sélestat. 277 Chapitre V On constate un nombre de coups beaucoup plus élevé qu'à Sélestat − à nombre de jeux constant −, une véritable boulimie de coups en fait, associée à un temps moyen de réponse inférieur. Compte tenu de nos observations directes, ces chiffres peuvent s'interpréter par la certitude récurrente de faire juste − alors qu'on fait faux − débouchant sur des prises de décision hâtives, à peine tempérées par les rétroactions négatives du logiciel. Les évolutions lors de la dernière passation reflètent l'acharnement dans l'erreur décrit plus haut − à l'opposé de l'attitude de remise en cause constatée à Sélestat − provoquant une augmentation du nombre de coups, et un certain désarroi révélé par un temps de réponse moyen par coup légèrement plus élevé. Aucun comportement de ce genre n'a été observé à Sélestat. Les élèves ont bien entendu commencé par faire les mêmes erreurs, mais ils disposaient des moyens de dépasser les contradictions apparentes. L'étude systématique des modes de traitements spécifiques des divers systèmes d'expression, ainsi que des conversions spontanées ou provoquées − en fait l'utilisation de ces systèmes comme registres − leur a donné la possibilité de moins s'engluer dans des leurres d'écriture, de prendre le temps de reconsidérer les fausses évidences, et a fourni au maître des outils pertinents de mise au point. Mystère révèle donc les limites et le devenir d'un savoir en construction, ainsi que les régressions plus ou moins attendues après la modification du contexte et du champ d'application des activités. Mais l'examen des passations sur ce logiciel montre aussi les possibilités de dépassement de ces régressions qu'offre une culture multiregistre. La théorie prévoit que la stabilisation de ce savoir devrait intervenir après l'étude des conversions. C'est ce que nous allons examiner à présent. 2.4.4. Form2gra Le test d'appréciation de ce logiciel est pour nous de savoir s'il remplit sa fonction essentielle de permettre la discrimination des décimales par le rang qu'elles occupent, contre la valeur du chiffre qui les exprime. Nous avons à cet égard particulièrement observé la réaction des élèves face à la présence de zéros en position intermédiaire, donc de zéros dont on ne peut se débarrasser, car ils sont très représentatifs de la dualité rang/chiffre. 278 Chapitre V Pour placer 0,60008, Charlotte le situe bien d'abord entre 0 et 1, puis entre 0,6 et 0,7 ; elle demande alors un zoom sur le huitième sous-intervalle de cet intervalle et obtient : 10 0,6 0,7 10 0,67 0,68 Figure 75 : une première tentative ratée pour convertir 0,60008 Elle comprend alors son erreur en constatant qu'aucun zéro n'apparaît dans cette écriture, annule le zoom précédent et demande bien un zoom sur le premier intervalle. Hélas, le logiciel supprime les zéros terminaux. Elle voit donc à l'écran 0,6 et pas 0,60 pour la borne inférieure ! Et donc toujours pas d'apparition du zéro attendu : 10 0,6 0,7 10 0,6 0,61 Figure 76 : deuxième tentative pour convertir 0,60008 Un peu désemparée, Charlotte compte à rebours, en pointant les graduations sur le segment supérieur, depuis la huitième jusqu'à la "zéroième" en énumérant : "68 ; 67 ; 66 ; ... ; 61 ; 60", et réalise alors que 0,6 = 0,60, en énonçant :"Rien, c'est zéro". Elle termine enfin sans plus de difficulté son exercice, rassurée tout de même en voyant apparaître le premier zéro à la borne supérieure de l'intervalle obtenu au zoom suivant (0,601). A la fin de cet exercice, Charlotte a compris pourquoi les zéros intercalaires ne peuvent pas se supprimer comme les zéros terminaux... Ainsi, le logiciel a rempli sa fonction car il a fourni les rétroactions suffisantes pour faire interagir les deux registres concernés au service de l'apprentissage visé. Cette réflexion de Vincent confirme ce constat : "Chaque zoom, c'est un chiffre de plus au nombre ; mais ça permet d'être plus précis, ça ne le grandit pas". Ou enfin, cette remarque de Jordan : "52,258741, il y a beaucoup de chiffres ; mais ça ne veut pas 279 Chapitre V dire qu'il est [forcément] grand ; ça veut dire qu'on a dû beaucoup zoomer [pour l'atteindre]". Nous considérons en conséquence que ce logiciel, comme le suivant du reste, a totalement rempli le rôle qui lui était assigné. 2.4.5. Form2fra Dans un premier temps, deux tiers environ des élèves sont perturbés par la présentation des têtes de série dans un désordre variant aléatoirement d'un jeu au suivant (voir 2.3.2). Ils saisissent précipitamment leur nombre dans la grille, de la droite vers la gauche, sans tenir compte des têtes de série. La déception est rude, à la mesure de la certitude d'avoir fait juste et "que c'était trop facile". Le premier corrigé et ses commentaires recentre l'attention sur l'enchaînement inhabituel des cases de saisie et l'obligation qui en résulte de ne pas se laisser porter par une routine, mais d'associer un rang au traitement de chaque décimale. Deux procédures équivalentes sont observées : 1. balayer de la gauche vers droite la grille de saisie, rechercher dans le nombre le chiffre correspondant grâce à l'information fournie par la tête de série légendant chaque case ; saisir un zéro si cette dernière n'est pas représentée dans le nombre traité ; 2. balayer l'écriture à virgule du nombre à saisir, de la gauche vers droite, ce qui oblige à rechercher la case correspondante de la grille, en référence au rang de la décimale traitée et donc sans pouvoir se fier à un quelconque automatisme ; saisir les cases restantes avec des zéros. La phase n° 2, au cours de laquelle les élèves sont invités à fournir le plus possible d'écritures fractionnaires équivalentes à un décimal donné, débouche sur la production "en série" d'égalités du type : 3,4 = 34 340 3400 = = = ... Seules les limites 10 100 1000 imposées par le logiciel freine les boulimies d'écritures, poursuivies du reste par certains en papier/crayon. Commentaire de Jimmy : "C'est pour ça que 34 = 340 = 3400 = ...", formulation évidemment précisée puis rectifiée après intervention du maître. L'interprétation des décimales en termes de fractions décimales peut à présent s'énoncer, ainsi que la séparation en parties entière et décimale et les règles de comparaison attachées, de même que la justification de la règle de suppression des zéros terminaux. 280 Chapitre V Notons cependant qu'aucune interprétation en terme de zoom n'est explicitement formulée par un élève au cours de cette passation. L'interaction avec les droites graduées n'est pas spontanée, ce que Duval (1995 ; p 75) prévoit bien : "La coordination des différents registres [..] ne s'opère pas spontanément, même au cours d'un enseignement qui mobilise cette diversité de registres". L'évocation des droites graduées et la spécificité de ses modes d'expression − notamment par le biais d'un zoom − donne en revanche au maître des moyens supplémentaires pour valider certaines conjectures, comme la différence de statut entre les zéros terminaux et les zéros intercalaires. Nous avons vu au paragraphe précédent que des élèves utilisaient bien explicitement cette forme d'expression très particulière, mais au cours de conversions provoquées. Il faudra sans doute attendre plus de maturité et de pratique dans ces divers registres pour qu'elle constitue un recours spontanément mobilisé. 2.5. Conclusion de la section 2 Nous avons ainsi établi qu'une approche purement sémiotique de la notion d'écritures décimales était didactiquement possible, dans la mesure où les principaux objectifs attachés à cette notion − identification de la dualité rang/chiffre ; interprétation des décimales au moyen de fractions décimales ; rôle du zéro ; production d'arrondis, d'encadrements et d'intercalation... − sont atteints de cette manière. Les propos d'élèves rapportés permettent en outre de constater l'opérationnalité de ces apprentissages, et la valeur des commentaires attachés autorise à postuler leur profondeur. Notons enfin que ces apprentissages sont obtenus au terme d'un processus expérimental, de traitements en contrôles, de preuves en réfutations, ainsi que l'exemple de Charlotte cité au paragraphe 2.4.4 en atteste. Ce processus n'est rendu possible que parce que les systèmes d'expression utilisés, et en particulier celui des droites graduées, permettent de travailler au niveau d'un registre. Si cela n'avait pas été le cas, notamment si la nature et la validité des traitements n'avaient pas été systématiquement précisées et isolées les unes des autres, nous n'aurions pas observé autant de décision, de clarté et donc de maturité dans les renoncements et les dépassements. Nous confirmerons quantitativement cette appréciation au chapitre VI, même si bien sûr toutes nos attentes n'ont pu être satisfaites. 281 Chapitre V 3. Conclusion de l'étude didactique (chapitres IV et V) Ce chapitre et le précédent nous ont permis d'examiner dans le détail et comparativement − notamment par le jeu des conversions − les trois registres numériques sollicités par notre expérience d'enseignement des rationnels. Nous avons ainsi pu mieux mesurer les enjeux, les défis et les conséquences de nos choix, à travers une analyse épistémologique des savoirs présentés, mais aussi par l'étude qualitative et partiellement quantitative de réactions d'élèves aux activités qui leur étaient proposées. Une conceptualisation "satisfaisante" des rationnels allait-elle être possible suite à notre choix de privilégier : le primat sémiotique − avec interaction d'un principe fondateur physique dans le cas des fractions − et ses exigences d'une étude très précise des traitements valides de chaque registre ; une introduction géométrique aux rationnels dans un cadre unidimensionnel affranchi dans un premier temps des écritures fractionnaires et décimales ; les conversions inter-registres ? Soit en résumant, notre décision de travailler au niveau de registres, particulièrement en ce qui concerne les droites graduées, le tout à côté d'énoncés de problèmes plus classiques, se trouve-t-elle validée notamment par la mise à l'épreuve de ses conséquences sur l'apprentissage des fractions et des décimaux ? Afin de répondre à cette question, nous avons pisté : au chapitre précédent, la tenue ou l'évolution de certains indicateurs comme la compétence à résoudre des problèmes rationnels variés − qu'ils se rapportent à la commensuration de deux grandeurs ou à l'expression de l'une par subdivision puis report de l'autre ; au cours de ce chapitre, la prééminence d'un point de vue rationnel sur un autre − fractionnement de l'unité ou encore partition de la quantité − en ce qui concerne les fractions ; la discrimination des décimales par le rang qu'elles occupent, contre la valeur du chiffre qui les exprime, notamment en présence de zéros intermédiaires − donc signifiants − en ce qui concerne l'écriture décimale à virgule. Dans tous les cas, et sans préjuger de critères de réussite que nous examinerons plus loin (voir chapitre VI), nous avons pu constater que les élèves de notre classe expérimentale étaient capables : • de produire des propositions de solution ; • de dresser des constats de succès ou d'erreur ; • d'en remonter aux causes ; 282 Chapitre V • de modifier ou de changer radicalement un itinéraire de résolution et les outils qu'il mobilise ; • d'adapter un point de vue à un projet ; • de renoncer à des conceptions erronées ; tout en mobilisant explicitement − et sans doute parfois implicitement − la culture multi-registres que cet enseignement a résolument sollicitée. Ces chapitres apportent donc des arguments de poids en faveur de nos hypothèses de recherche. Nous disposons ainsi d'une alternative à une progression construite sur les stades d'appréhension par changements de perspectives successifs (voir chapitre II), des grandeurs relatives jusqu'aux nombres rationnels. Sans ignorer les progrès qu'une telle approche a permis dans l'enseignement de ces nombres, nous avons vu qu'elle se heurtait néanmoins à des impasses sitôt que les élèves étaient amenés à renoncer à leurs premiers discours rhétoriques spontanés au bénéfice de systèmes d'expression plus formels. La nature sémiotique de ces obstacles et confusions nous a amenés à substituer aux progressions habituelles (voir chapitre II-2 et 3) une progression centrée sur la notion de registre. On donne ainsi : aux élèves non seulement les moyens d'une dicrimination efficace des signes utilisés, mais surtout les moyens d'appréhender les objets de l'apprentissage et leur mode opératoire par des "actes objectivants" (Duval ; 1996, p. 368) ; aux enseignants des variables cognitives (liées par exemple aux capacités de productions et de discriminations énoncées avec les sept compétences au chapitre IV-3.4) pour organiser leurs progressions. Ces nouveaux objets, les nombres rationnels, ainsi construits et insérés dans des discours mieux maîtrisés parce que systématiquement travaillés au moyen de la méthode des variations (Duval ; 1996, p. 374), sont susceptibles de référer à l'une ou l'autre acception des rationnels − un des quatre crans. A cet effet, le registre des droites graduées, en vertu de sa nature physique et / ou sémiotique (chapitre IV-2.2.3.3 et 2.5.2) et son potentiel explicatif des registres fractionnaire et décimal s'est révélé être un instrument décisif. Afin de confirmer ces premières études théoriques et empiriques, il nous reste à préciser notre méthode d'investigation et à poursuivre l'analyse globale et locale des résultats quantitatifs qu'elle a produits ; ce qui sera l'objet du chapitre suivant. Mais auparavant, nous souhaitons encore citer un article signé par Anne Pitkethly et Robert Hunting (1996, pp. 33 - 34), et passant en revue des travaux récents 283 Chapitre V sur l'initiation au concept de fraction. On trouve en conclusion de cet article qu'il manque une véritable formulation "de lois générales qui rendent compte de la façon dont les enfants pensent et apprennent les nombres rationnels", et des liens qui unissent les deux "sous-constructions fondamentales" que sont la dualité "partie/total (partwhole)" et le concept de "ratio". Notre étude pourrait apporter une contribution à ce questionnement et ouvrir quelques perspectives de recherche : et si la nature des lois et des liens attendus était sémiotique ? Il faudrait, pour confirmer cette idée, développer des recherches sur d'autres systèmes d'expression des rationnels, utilisant ou pas l'outil informatique, les mettre en concurrence avec les systèmes déjà utilisés, tester l'impact de cette pluralité d'expressions sur la conceptualisation. Nous avons, quant à nous, commencé à éprouver le dernier point de ce programme, en examinant les nécessités et les conséquences didactiques d'une diversité provoquée de l'expression des rationnels. 284 Chapitre VI La classe de Sélestat : démarche d'expérimentation et analyse des résultats Chapitre VI Ce chapitre est destiné à préciser le cadre didactique de notre expérimentation et les moyens de la valider. Nous avons déjà partiellement abordé cette question aux chapitre IV-3 et V. Les différentes classes d'élèves où nous sommes intervenus y ont été succinctement présentées, nos premières investigations décrites et analysées. Il est alors apparu clairement que la classe de Sélestat fournirait l'essentiel de nos observations et que les autres classes n'y contribueraient que de façon très partielle, avant tout pour permettre des mises en perspectives ou des recoupements. Nous allons donc examiner en détail le protocole expérimental mis en place auprès de la classe de Sélestat et notamment le dispositif basé sur les didacticiels de la série ORATIO. Une première partie précisera les conditions matérielles de l'expérience, la nature de la relation pédagogique, le type de contrat qui a prévalu dans cette classe, la fréquence, la structure et la durée de chacune et de l'ensemble des passations. La deuxième partie quant à elle sera consacrée à la prise d'information et à l'analyse des données. Nous ne reviendrons que très partiellement sur l'observation directe des élèves à la tâche sur les logiciels. Ceci a en effet déjà été rapporté aux chapitres IV et V. Nous étudierons en revanche dans le détail les résultats recueillis lors des évaluations, de nature et de finalité différentes, que nous avons réparties tout au long de l'expérience. Nous avons choisi, sur un corpus très complet de données, de privilégier deux ensembles d’exercices : un premier ensemble, de nature globale et plutôt lié aux méthodes ; un deuxième ensemble, de nature locale et plutôt lié aux contenus. En proposant le premier ensemble, nous avons souhaité prendre de la distance avec le contexte d'apprentissage, afin de mesurer davantage qu'un effet d'entraînement intensif à mettre en œuvre une série de notions et les liens qui les fédèrent. C'est pourquoi nous avons retenu pour l'alimenter les résultats de la classe à certains items, 287 Chapitre VI choisis selon un cahier des charges qui sera précisé, des évaluations nationales à l'entrée au CE2 et en 6ème. Il nous sera ainsi possible de mesurer, par le biais d'exercices non nécessairement liés aux rationnels, la position des élèves de la classe par rapport à un échantillon national, ainsi que leur évolution au cours du cycle 3. Nous tenterons alors de relier ces dernières à nos choix didactiques et notamment à celui de privilégier un enseignement assisté par ordinateur, au moyen de logiciels conçus en fonction d'un projet didactique détaillé. Le deuxième ensemble est destiné à évaluer plus spécifiquement les progrès de la classe dans le domaine retenu pour notre étude, à savoir celui des rationnels. Nous avons extrait d'une série de trois évaluations, conçues par nos soins et soumises aux élèves à trois moments clés de l'expérience, des items testant des compétences travaillées par les logiciels. La plupart de ces items ne changent que dans leur forme. Ils permettent donc de mesurer des évolutions. Une quatrième évaluation plus courte, et destinée à un ultime repérage, a conclu ce deuxième ensemble. Présentons à présent notre cadre didactique. 1. La démarche d'expérimentation La section qui suit est destinée à présenter nos objectifs d'enseignements, notre cadre de travail et notre démarche d'expérimentation auprès d'une classe de l’école annexe du site IUFM de Sélestat, prise en compte sur les trois années consécutives du cycle 3. Les effectifs ont peu évolué au cours de ces trois ans : 26 élèves en début de CE2, 27 − puis 26 en fin d'année − au CM2 (trois arrivées et trois départs en tout), ce qui permet de considérer que nous avons affaire, grosso modo, aux mêmes élèves. Cette classe n'a aucune sociologie particulière. Elle recrute des élèves de milieux sociaux fort différents. L'école est située dans une petite ville de province (17 000 habitants), et sa position d'école annexe n'est plus guère significative depuis la transformation des Ecoles Normales en sites IUFM. Nous vérifierons du reste en 2.1.1. que la classe observée ne se distingue guère en mathématiques de l'échantillon national au moment de son entrée au cycle 3. Aucune expérimentation particulière n’a été mise en place au CE2 : cette année n’est donc intervenue que pour étalonner la classe à l’origine, grâce à l’évaluation nationale en mathématiques. Les expérimentations, essentiellement basées sur des 288 Chapitre VI activités logicielles, ont en fait commencé au cours du CM1, au début du mois de mars, et ont duré jusqu'à la mi-juin 1997. Elles se sont poursuivies au CM2, du début de l’année scolaire jusqu’au 19 février. Aucune action d'enseignement liée à l'expérience n’a été prévue au-delà, mais la classe a été testée en fin de cycle 3 (mai 1998) au moyen de l'évaluation à l’entrée en 6ème de l'année scolaire précédente. Par ailleurs, les élèves auront été évalués quatre fois, sur des compétences plus spécifiquement liées aux rationnels et à leur apprentissage par le canal des logiciels. Notre protocole expérimental peut donc se résumer de la façon qui suit : • un étalonnage initial de la classe au moyen de l’évaluation nationale en CE2 ; • un travail d’apprentissage des rationnels, essentiellement réalisé au moyen de logiciels spécialement conçus à cet effet, mais consolidé par des activités de type papier / crayon et des institutionnalisations ; • deux évaluations − dites locales − en cours d'apprentissage, et deux autres évaluations locales − bien − après apprentissage ; • un test de sortie de cycle 3 au moyen d’une évaluation nationale à l’entrée en 6ème. 1.1. Objectifs généraux d'enseignement Notre objectif principal était d'assurer l'essentiel de l'enseignement consacré aux rationnels au cycle 3 par l'intermédiaire des logiciels de la série ORATIO (Adjiage & Heideier ; 1998). A l'issue de ces deux années, les élèves devaient avoir acquis les compétences nécessaires à : 1. l'expression d'un rationnel dans un des trois registres étudiés (les droites graduées, les écritures fractionnaires et décimales), la conversion, d'un de ces registres vers un autre, d'une de ses expressions ; 2. l'interprétation de données numériques d'un problème du niveau considéré au moyen d'un rationnel exprimé dans l'un des trois registres ; 3. la comparaison et l'encadrement de rationnels, l'intercalation d'un rationnel entre deux autres rationnels ; 4. l'identification de critères permettant de décider qu'un rationnel est entier ; 5. l'identification ou la conjecture de critères permettant de décider qu'il est décimal. 289 Chapitre VI On notera que les opérations sur les rationnels (somme et différence de nombres décimaux, de fractions simples ; produit et quotient par un entier) ne sont pas citées, bien que parfois nécessaires pour le point 2. ci-dessus. La raison en est que cet enseignement n'est pas pris en charge par les logiciels et que, traité dans un environnement papier / crayon sous la seule responsabilité du maître de la classe, nous ne pouvions en revendiquer ni la conception, ni ses conséquences en terme d'apprentissage. 1.2. Scénario à l'échelle des deux années 1.2.1. Rôle et place de l'expérimentateur, du maître titulaire de la classe Rappelons qu'en tant qu'expérimentateur, nous avons conçu et paramétré les logiciels, organisé, en concertation avec le titulaire de la classe, l'ordre de passation des séances logicielles, leur fréquence et leur durée, le moment de leur interruption lorsque nous étions présents. Nous avons par ailleurs conçu la séance papier / crayon d'introduction aux fractions (chapitre V-1.3), ainsi que suggéré exceptionnellement quelques exercices d'accompagnement papier / crayon. Nous avons enfin, en concertation avec le titulaire de la classe : conçu les évaluations locales ; choisi les items extraits des évaluations nationales. Nos interventions directes devant la classe se sont limitées à quelques remarques ponctuelles lors de passations-machines ; quelques commentaires de résultats basés sur les scores obtenus aux activités logicielles et accompagnés de rares interventions de cadrage, d'une durée variant de un à trois quarts d'heure. Nous n'avons pu assister qu'à une quarantaine de séances-machines sur les soixante-douze effectives. L'examen de la base de données, qui collecte le nombre de résultats justes et faux, les scores, les temps de réponse, le nombre d’appels de l’aide intégrée au logiciel, le temps de passage dans l’aide d'une part ; les comptes-rendus d'observation des élèves, écrits par le maître titulaire de la classe d'autre part, nous ont cependant permis de suivre indirectement cette expérience lorsque nous devions nous absenter. La conduite des séances-machines, la conception générale et la conduite des séances et exercices d'accompagnement ainsi que les compléments papier / crayon, ont été essentiellement gérés par le maître de la classe. La cohésion de l'ensemble a été mise au point en collaboration avec nous. 290 Chapitre VI Cette répartition des tâches et des rôles a été voulue pour tester la mise en œuvre d'un matériel et de choix didactiques, dans le cadre usuel d'un enseignement conduit par un maître ordinaire. 1.2.2. Année de CM1 Une vingtaine de séances – vingt-deux exactement − d’environ 3/4 d’heure chacune, soit un peu moins en travail effectif, à raison de deux séances par semaine en moyenne, ont été prévues et menées pour l’ensemble du travail machine. Ces séances étaient complétées par des travaux papier / crayon. Nous avons déjà écrit que l’expérimentation avait démarré avec la première séance logicielle, c’est à dire sans préparation particulière. Ce choix devait nous permettre : d'apprécier l'impact des activités logicielles sur l’apprentissage ; d'estimer les conséquences, en terme de prises de décision des élèves à la tâche, des degrés de liberté supplémentaires qu'elles apportent ; de minimiser les dépendances vis à vis d’éventuelles interventions enseignantes intempestives. Le travail papier / crayon, organisé et mené par le maître de la classe, a été conçu en fonction de ce que l’activité logicielle révélait comme besoin de formation complémentaire − à l’exception des trois séances d'introduction aux factions décrites en IV.3.3 qui elles avaient été programmées à l'avance. Il prenait le plus souvent la forme, soit de bilans des savoirs et savoir-faire dont l'activité machine avait permis l'émergence, soit d'exercices supplémentaires analogues à ceux proposés par les logiciels, soit enfin de commentaires, compléments ou reformulations. Enfin, aucune évaluation initiale n’a été prévue puisque aucun enseignement sur les thèmes concernés − introduction aux rationnels − n’avait été mis en œuvre dans le cadre scolaire. L’expérimentation a débuté le 4 mars 1997, après les congés de février, et s’est poursuivie jusqu’à la mi-juin 1997. Elle s'est conclue par une première évaluation "locale". Pour des raisons de limitation en matériel, les élèves ont dû être regroupés par trinômes − exceptionnellement l’un ou l’autre groupe comportait quatre élèves − sur un même ordinateur. La constitution de ces trinômes s’est faite sur la base d’une hétérogénéité prenant en compte les résultats antérieurs des élèves en mathématiques. Nous avons décidé, dans la mesure du possible, de favoriser les rotations de responsabilité à l’intérieur d’un même groupe, chaque élève devant tenir à tour de rôle la 291 Chapitre VI souris. Cela était censé quelque peu circonscrire l’accaparement du problème et de ses solutions par les leaders. Quant aux contenus des séances, il s'est limité à l'ensemble des activités proposées par les trois séries (Gradu, Fracti, Format) des logiciels de traitement. 1.2.3. Année de CM2 Cinquante séances-machine, d'une durée égale à celle du CM1 et d'une fréquence légèrement plus soutenue, ont été programmées et menées entre le 15 septembre 1997 et le 19 février 1998. Au cours d'une première période, qui s'est achevée le 20 octobre 1997, les élèves ont repris, à un rythme plus soutenu qu'au CM1, l'ensemble des logiciels de traitement. Une deuxième évaluation "locale" a conclu cette première période. Après les vacances de la Toussaint, et jusqu'aux vacances de février, nous avons organisé l'ensemble des passations sur les logiciels de conversion. A partir de ce moment, plus aucun séance sur les logiciels ORATIO n'a eu lieu. Le maître a continué sa progression papier / crayon, notamment en ce qui concerne les opérations sur les rationnels, et nous ne sommes plus intervenus dans cet enseignement – à l'exception de la séance de recadrage dont il sera question en 2.2.1c). L'évaluation "globale", extraite de l'évaluation à l'entrée en 6ème de septembre 1997, a eu lieu vers la mi-mai. Elle a été suivie fin mai, donc à distance importante de la dernière passation logicielle, d'une troisième évaluation "locale". Enfin, une quatrième évaluation "pronostic", dont nous préciserons les contenus et les objectifs en 2.2.1c), a été proposée à la mi-juin. Les mêmes groupes d'élèves – à un départ et deux arrivées près – qu'au CM1 ont été constitués lors des passations. Disposant d'un ordinateur supplémentaire, nous avons pu en outre proposer à chacun des élèves de la classe une passation en individuel à tour de rôle, sur un ou deux exercices logiciels, ceci afin de dépister et traiter d'éventuelles lacunes masquées par des effets de groupe. L'encadrement des passations machine par des séances papier / crayon a été poursuivi sur les mêmes bases qu'au CM1. Nous avons proposé aux élèves 72 séances machine de trois-quarts d'heure chacune, ce qui représente 54 heures sur les deux années considérées. Les instructions officielles précisent qu'au cycle 3, l'horaire attribué aux mathématiques est de 5,5 heures hebdomadaires, ce qui fait 396 heures sur les 72 semaines "utiles" que durent les deux années de CM1 et CM2. On arrive ainsi à 54/396, soit à 13,6 % du temps des 292 Chapitre VI mathématiques consacré aux rationnels. A titre de comparaison, nous avons noté qu'un manuel comme le Nouvel Objectif Calcul (Peltier et al. ; 1995 et 1996) consacre 24 chapitres sur 167, soit 14,4 % aux décimaux et aux fractions. En ajoutant l'accompagnement papier / crayon, difficile à évaluer en durée, nous constatons que nous devons atteindre un pourcentage légèrement supérieur à celui d'Objectif Calcul, en tout cas du même ordre de grandeur. Ceci nous autorise à dire que nos élèves n'ont pas subi un surentraînement sur le sujet. 1.3. Scénario à l’échelle d’une séance Nous avons décrit, à la section précédente, le scénario de notre expérimentation à l’échelle de deux années scolaires. Dans cette section nous nous proposons de résumer le scénario d’une séance-type de passage sur machine. On se reportera pour un complément d'information au chapitre III-2. où un itinéraire et des exemples d'apprentissage au moyen des logiciels ont été décrits. 1.3.1. La tâche des élèves 1.3.1.1. Entrée de l’élève Tous les logiciels sont accompagnés d’un "mode d’emploi" (à ne pas confondre avec la fiche pédagogique d'accompagnement – annexe nnn − uniquement destinée au maître) qui se veut être une présentation volontairement succincte de la tâche, de ses objectifs généraux, de la façon dont le score sera établi. Toute séance commence donc par une (re)lecture silencieuse du "mode d’emploi", censée provoquer, par sa brièveté même, un questionnement. Le maître s’assure alors d’une compréhension minimale des termes employés notamment dans la consigne, minimale dans ce sens où elle autorise chacun à démarrer l’activité en entreprenant un premier essai, même si à ce stade la visibilité des intentions didactiques du logiciel et surtout des itinéraires pour les réaliser reste encore floue. L’activité mise en œuvre pour construire les apprentissages procède ainsi par approximations et mises au point progressives. C’est la raison pour laquelle il a été demandé au maître de ne surtout pas répondre aux questions de fond, éventuellement posées à ce moment de l’activité par les élèves, mais de les encourager à les prendre en charge eux-mêmes en s’appuyant sur les rétroactions du logiciel : le pari est ici de laisser émerger le « pourquoi » − et peut-être le « parce que » − du « comment ». 1.3.1.2. Activité de l’élève 293 Chapitre VI Après cette première phase les élèves s’engagent donc dans la réalisation de la tâche qui consiste en général à faire glisser au moyen de la souris ou à saisir des nombres − et / ou les signes de comparaison : < ; > ; = − dans des cases prévues à cet effet. Les choix et les possibilités de rectification sont encore totalement ouverts. Les seuls guides sont à ce stade : l’état de compréhension de la consigne ; les discussions à l’intérieur du sous-groupe de travail ; un recours volontaire et gratuit à l’aide − certains logiciels en sont pourvus d’autres pas ; une prise de conscience spontanée − les prises de conscience provoquées par le corrigé ne viendront que plus tard. Le logiciel accepte tout type de propositions lors de cette phase, dans le cadre du système de contraintes délimité soit par le mode d'emploi, soit progressivement précisé par les rétroactions, et bien sûr à l'exception des erreurs de saisie du type lettre pour chiffre. 1.3.2. Le rôle de la machine 1.3.2.1. Les rétroactions Elles ne sont ni des jugements de valeur, ni vraiment de pertinence des traitements demandés ; elles visent à témoigner seulement de leur validité dans la cadre d'un jeu de contraintes dont la découverte progressive est censée accompagner l'activité cognitive : je comprends la notion ou la méthode en même temps que j'évalue le fonctionnement et les dysfonctionnements du système qui les fédère. 1.3.2.2. Aide Certains logiciels proposent une aide, conçue non pour accélérer ou courtcircuiter un itinéraire d’apprentissage, mais pour pallier une difficulté technique − tables de multiples par exemple −, ou pour fournir un cadre de validation, à forte valeur rétoactive, des traitements − format à virgule fixe par exemple. Ainsi qu’il a déjà été précisé, le recours à l’aide est volontaire et gratuit. Ce dernier point n’avait pas été prévu à l’origine, mais devant les fortes réticences des élèves − lors des passations − à recourir à une aide payante, et donc confrontés à son sous-emploi, nous avons décidé d’en instaurer la gratuité. 1.3.2.3. Verdict et score Lorsque l’élève en charge de la souris, après consultation du reste du groupe, décide que l’état des réponses est satisfaisant, il actionne un bouton indiquant qu’il estime avoir terminé. Les rectifications ne sont dès lors plus possibles. Le logiciel peut, 294 Chapitre VI avec un minimum de commentaires, faire le bilan des réponses correctes et erronées. Le score à la partie ou jeu en cours est alors donné. Il tient en général compte des résultats et de la manière d’y parvenir − actions minimales ou pas. Le score n’est ainsi pas qu’une simple récompense, il est conçu pour refléter un coût. 1.3.2.4. Corrigé Le corrigé est obligatoire si une erreur au moins est détectée ; il est facultatif et donc au choix des élèves dans le cas contraire. Dans sa conception actuelle, il est une transcription, écrite et illustrée de façon dynamique, adaptée au type de données du jeu en cours et parfois aux erreurs des élèves, de ce qu’auraient pu être des explications orales prenant en compte la fin et la manière. Il constitue une phase clé de l’apprentissage, et est donc valorisé comme tel, dans la mesure où il est l’occasion privilégiée d'un véritable processus essai / erreur : nous avons ainsi observé des élèves qui encourageaient des camarades à faire "n'importe quoi", dans le but de tirer parti de l'analyse comparée de l'erreur commise et du corrigé proposé ! Ce type d'attitude, très rare de la part d'élèves peu enclins à "faire faux", témoigne de la confiance que ces derniers ont accordée aux logiciels. Le corrigé provoque donc l’essentiel des remises en cause, des renoncements et nouveaux départs. Il devrait aussi permettre les mises au point, au sens photographique de gain de netteté, sur le sens de la tâche et des apprentissages. 1.3.3. Le rôle des adultes Les adultes présents, le maître et nous-même, sont censés intervenir le moins possible lors des passations sur machine : un bref encouragement, une aide technique, un rappel de consigne, individuel ou collectif. Ils prennent note des questionnements, difficultés, réussites, et de la manière d’y parvenir, afin de leur adapter les interventions ultérieures de type papier / crayon. En conclusion de 1.3., nous dirons que le scénario d’une séance-type prévoit de laisser le maximum de latitude de décision aux élèves, dans un univers aux contraintes bien délimitées par l’usage du logiciel. Les influences sont volontairement réduites à une expression minimale, les choix sont volontaires. Le logiciel ne montre jamais la voie, il se borne à proposer puis à retourner de l’information, en l’adaptant aux actions des élèves. 295 Chapitre VI 2. L'analyse des données d'observation Après avoir précisé les modalités qui nous ont permis de recueillir de l'information, nous allons, dans cette section, présenter et analyser les deux types de données que nous avons relevées au cours de cette expérimentation. Rappelons que le premier type est global, pour permettre une prise de distance par rapport au contexte d'apprentissage et mesurer autre chose qu'un simple effet d'entraînement intensif. Le deuxième type est local, et tentera donc d'évaluer plus précisément les apprentissages liés aux rationnels et aux registres requis pour les exprimer. 2.1. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par les tests nationaux et rapportées à celles des échantillons nationaux L'objectif de cette section est d'analyser les résultats d'un double pointage de compétences générales de la classe de Sélestat, le premier en début de cycle 3, le deuxième à son terme, et de tenter d'apprécier ce qui, dans les évolutions constatées, peut être relié à notre expérience d'enseignement. Pour apprécier avec un minimum de distance les évolutions de cette classe, nous avions le choix entre deux solutions : • construire nous-même notre outil d'évaluation ; • utiliser un outil déjà existant. La première option est plus lourde à mettre en œuvre ; elle demande notamment la constitution d'un groupe témoin à opposer au groupe expérimental. De plus, elle présente l'inconvénient d'être conçue par ceux-là mêmes qui en attendent un jugement impartial sur leur travail. Nous avons donc opté pour la deuxième alternative et avons décidé d'utiliser les évaluations nationales de début de CE2 (Ministère de l'Education Nationale ; 1995b) et à l'entrée en 6ème (Ministère de l'Education Nationale ; 1997). Nous n'avons pas mené la première, puisque nous ne sommes intervenu dans cette classe qu'en cours de CM1. Nous avons néanmoins pu en exploiter partiellement – en un sens qui sera précisé plus bas – les résultats. Nous avons en revanche eu le contrôle total de la seconde, proposée en fin de CM2 au lieu du début de 6ème. Examinons à présent les avantages de ces évaluations : 296 Chapitre VI • situées en début d'année, elles ne visent pas à sanctionner un enseignement mais à pointer des savoirs acquis ou en acquisition et des difficultés par rapport à des apprentissages à conduire ; • elles sont nationales, et requièrent donc la contribution de personnes de statut et d'origine géographique divers qui concourent à leur réalisation et assurent leur représentativité ; • elles fonctionnent depuis une dizaine d'années, ce qui permet de suivre des modifications et des invariants, tant dans la nature que dans les résultats des exercices ; • les résultats sont opposables à ceux d'un échantillon national (Ministère de l'Education Nationale ; 1996 et 1998) ; • les résultats de début de cycle 3 (évaluation de CE2) sont opposables à ceux de la fin de cycle (évaluation à l'entrée en 6ème). Nous disposons ainsi d'un outil de mesure fiable, objectif, non lié au contexte d'apprentissage. D'où le qualificatif de global que nous lui avons attribué, par opposition à l'aspect local des évaluations conçues par nos soins. Cet outil présente néanmoins quelques défauts et limites par rapport à l'usage que nous souhaitions en faire : • la D.E.P. ne fournit pas ou peu de résultats croisés ou cumulés concernant l'échantillon national ; • nous n'avons retrouvé dans les archives de l'école que des résultats par item et non par élève et par item, en ce qui concerne l'évaluation de début de CE2, ce qui ne nous a pas permis de procéder à des examens croisés ; cet inconvénient disparaît bien entendu pour l'évaluation à l'entrée en 6ème que nous avons personnellement organisée ; • le regroupement des exercices suit une logique liée aux contenus mathématiques définis par le programme ; il ne recoupe donc pas forcément les catégories que nous souhaitions observer. En ce qui concerne les deux premiers points, nous constaterons que leur impact est heureusement limité, dans la mesure où les évolutions observées entre le début et la fin du cycle 3 sont suffisamment franches pour être significatives même en l'absence des détails manquants. Le dernier point quant à lui demande à être précisé, puisqu'il nous a conduit à quelques réaménagements, non dans le contenus des items mais dans leur regroupement. 297 Chapitre VI Afin d'ajuster l'outil de mesure à notre propos, nous avons décidé d'extraire des deux évaluations nationales concernées quatre séries d'items. Chacune de ces séries se rapporte à un type de compétences, qui nous intéressent au premier chef, car ce sont des compétences sur lesquelles les choix didactiques, qui ont présidé tant à la conception des logiciels qu’à leur mise en œuvre en tant que support d’apprentissage, devraient avoir un impact mesurable. Pour résumer, il s’agira de repérer comment réagit cette classe vis à vis d’items : 1. recourant à un registre proche de celui des droites graduées ; 2. ayant une présentation sémiotique complexe ; 3. offrant la possibilité d’une diversification des procédures de résolution ; 4. demandant un traitement non routinier. Nous sommes conscients que ces catégories sont composites du point de vue cognitif, notamment la n° 4, mais ce risque de léger brouillage est le prix à payer pour éviter les risques d'une évaluation ad hoc. Ces derniers seront néanmoins circonscrits lorsque nous aurons élucidé, par l'étude détaillée des items qui va suivre, chacun de ces types de compétences et que nous aurons établi, dans certains cas, une forme d'homogénéité et / ou de pertinence. Cette section se découpera donc en trois parties : les deux premières seront consacrées à l'analyse des résultats de la classe aux évaluations nationales en mathématiques, totales ou partielles, de CE2 (1995) et de 6ème (1997). Notre ingéniérie y trouvera les éléments d'une première validation que la troisième partie tentera de consolider en exhibant ou rappelant l'existence de liens entre les évolutions constatées et nos choix didactiques. Ce sera l'occasion d'aborder ce qui, dans notre expérience, relève de la spécificité d'un enseignement assisté par ordinateur. Dans notre cas, cette étude sera personnalisée par le fait que des didacticiels ont été spécialement développés à cet effet, autour d'un cahier des charges précisant des fonctionnalités qui laissent une large place à l'initiative des utilisateurs, dans le cadre d'interventions dont la nature, physique et / ou sémiotique, sera précisée. 298 Chapitre VI 2.1.1. La classe en début de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en mathématiques de 1995 (entrée au CE2) La passation a eu lieu au début de l'année scolaire 95-96, aux dates et dans les conditions prévues par le protocole national, dans une indépendance totale vis à vis de notre expérimentation puisque cette dernière a démarré un an et demi plus tard. Examinons tout d’abord les résultats globaux de cette classe à l'ensemble de cette évaluation, en les comparant à ceux de l’échantillon national : Travaux Géométriques Mesures Numériques Problèmes Global num. Population Classe (%) 81 70 69 64 70 Echantillon nat. (%) 79 65 63 63 66 Tableau 10: Réussite en pourcentages à l’évaluation nationale 1995 de CE2 A première vue donc, nous avons affaire à une classe banale, dont les résultats sont comparables à ceux de l’échantillon national, avec une légère tendance à réussir un peu mieux. Mais tentons de préciser la structure de cette normalité globale, en examinant ce que nous révèle l’étude des quatre séries d'items sélectionnés pour repérer les quatre types de compétences annoncés ci-dessus (p. 298). Nous commençons par examiner les résultats globaux, obtenus en moyenne à chacune de ces séries, avant d'entrer dans le détail item par item. Travaux Registre proche des droites graduées Présentation sémiotique complexe Diversification des procédures Exercices non routiniers Globalement 6 items 67 9 items 54,5 4 items 68,5 13 items 41 32 items 53 58 67 54,5 42 53,5 Population Classe (%) Echantillon nat. (%) Tableau 11 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre compétences 299 Chapitre VI Notons tout de suite que le poids de chaque série n'est pas le même, le nombre d'items par série étant variable, ce qui explique un résultat global légèrement en faveur de l'échantillon national malgré des résultats par série qui sembleraient donner l'avantage à la classe observée. Le fait d'avoir extrait un certain nombre d'items de l'évaluation, en fonction des compétences précises que nous voulions estimer, ne permet pas de départager les deux populations, en tous cas lorsque l'on considère ces items dans leur ensemble. L'examen de chacune des séries l'une après l'autre permet à peine de distinguer les premiers éléments de différenciation. Ainsi, la première colonne fait apparaître un écart positif en faveur de la classe observée (+ 9 %). Nous examinerons en 2.1.1.1 si cet avantage est uniforme ou si l'étude item par item permet de nuancer ce jugement. En deuxième colonne nous constatons que notre classe présente un handicap initial relativement à un fonctionnement sémiotique complexe (écart de 12,5 %). La troisième colonne quant à elle n'est pas très significative, dans la mesure où nous avons retenu cette série non pour juger de la réussite, mais de la manière de réussir, ce que nous examinerons en 2.1.1.3. Enfin, vis à vis de la résolution des problèmes non routiniers, les deux populations font à peu près jeu égal sur l'ensemble de la série. Là encore, il faudra attendre 2.1.1.4 pour affiner cette analyse et constater que cette indifférenciation n'est que globale, et qu'elle masque des différences de fond qui seront révélées seulement après l'étude item par item. L'examen du Graphique 1 confirme de façon plus visuelle cette impression d'indifférenciation. Chaque point concerne un des items sélectionnés. Son abscisse est le pourcentage de réussite de l'échantillon national, et son ordonnée le pourcentage de réussite de notre population. On constate une distribution très régulière des points de part et d'autre de la diagonale principale, avec un avantage de 18 contre 13 (un item, I59, ayant été utilisé dans deux séries distinctes, le total est de 31 et pas 32) à l'échantillon national. En nombre d'items plus réussis, ce dernier l'emporte donc plus nettement qu'en pourcentage global. Mais l'examen du nuage prouve que les moyennes globales très proches en pourcentage ne masquent pas des différences locales importantes – à une exception près, l'item 2 (56 % pour l'échantillon contre 19 % pour notre classe), qui sera étudié plus loin – qui se compenseraient, mais rendent bien compte d'une réelle proximité, la supériorité de l'échantillon national en nombre d'items mieux réussis dénotant tout simplement des résultats proches en pourcentage à certains items, mais plus souvent à l'avantage de l'échantillon. 300 Chapitre VI Evaluation CE2 90 80 Population classe de Sélestat 70 60 50 I1 I2 I5 I10 I11 I40 I56 I57 I58 I59 I61 I63 I65 I18 I25 I27 I28 I30 I31 I34 I38 I39 I48 I59 I67 I68 I13 I15 I21 I22 I23 I45 40 30 20 10 0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 Echantillon national Graphique 1 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre compétences Entrons donc à présent dans le détail des items. 2.1.1.1. Compétences à utiliser des registres proches du registre des droites graduées Pour commencer cette étude, nous nous interrogerons sur la façon dont cette classe réagit aux items s’exprimant dans des systèmes présentant des similitudes avec celui des droites graduées, comme les emplois du temps, les calendriers, les « lignes de nombres ». Ces systèmes fournissent l’information linéairement, ce qui les munit d’une relation d’ordre total. On peut donc les considérer comme des précurseurs rudimentaires des droites graduées, moins complexes cependant que ces dernières car notamment non assujetties à l'obligation de régularité. Il n’empêche qu’il est intéressant d’évaluer si cette classe présente un profil particulier vis à vis de ces systèmes qui sont l'objet de notre hypothèse principale, et ce avant tout travail spécifique s’y rapportant. 301 Chapitre VI N° des Items Tâche Réussite globale (%) 13 15 21 22 23 45 Repérer, sur un emploi du temps, une activité déterminée par une date située au « milieu » d’une plage horaire. Heure fournie en chiffres (11h15). Idem que pour l’item 13, mais avec la difficulté suppl. de devoir lire une heure de l’après-midi sur une montre à aiguilles. Déterminer sur calendrier la date d’un premier Rend.-Vous sportif (1er dimanche du mois) Déterminer sur calendrier le nombre de matchs joués en un mois (sachant que les matchs ont lieu le dimanche) Déterminer, sur le calendrier du mois de septembre, la date du 1er match (1er dimanche) du mois d’octobre. (Cette date n'est donc pas directement visible mais doit être déduite) Placer cinq nombres sur une ligne de nombres. (Les nombres sont à intercaler entre des nbs déjà déposés) Clas. 58 Nat. 62 Clas. 50 Nat. 38 Clas. Nat. Clas. 85 61 85 Nat. Clas. 72 50 Nat. 41 Clas. Nat. 73 74 Tableau 12: réussite aux items exprimés dans un système proche des droites graduées La classe a donc tendance à réussir plutôt mieux que l’échantillon national ces items-là. Mais rappelons que l’avantage n’est pas écrasant : 67% en contre 58% en moyenne. Par ailleurs, cet avantage semble relativement uniforme, dans ce sens où la classe se range presque toujours au-dessus de l'échantillon et une fois légèrement audessous, quel que soit l'item et la nature du système porteur de l'information. Il n'y a donc pas lieu de relativiser cet avantage, non décisif mais sans doute réel. Il sera toutefois intéressant de suivre l’évolution de cet écart après l’expérimentation, soit en fin de CM2. 2.1.1.2. Compétences à effectuer des tâches sémiotiquement complexes Pour tester les compétences à appréhender et traiter des situations d’un certain niveau de complexité sémiotique, nous avons retenu les items portés dans les trois tableaux suivants : soit parce qu’ils présentent une difficulté de traitement, donc intraregistre (items 2 et 5) ; soit parce qu’ils requièrent la coordination de plusieurs registres (items 10, 11, 1, 40, 56, 57, 58) : 302 Chapitre VI N° des Items Tâche 2 5 Achever un Compléter par tracé symétrie sur géométrique quadrillage Réussite globale (%) Class e 19 Nat. 56 Pointage particulier 50 31 Class e 54 Nat. 57 (%) N° des Items Tâche 10 11 1 Positionner sur Tracer une un plan des figure à partir objets de consignes présentés en perspective Réussite Classe globale (%) 69 27 Pointage particulier Se repérer et se déplacer dans un quadrillage Nat. 80 Classe 46 Nat. 50 Classe 46 Nat. 65 13 46 30 46 15 (%) N° des Items Tâche 40 56 Transcrire en chiffres un nombre écrit en lettres Réussite Classe globale (%) 69 Nat. 83 57 58 Prise et restitution d’informations sur document extrait d’un catalogue mélangeant texte, images et références chiffrées. Demande, suivant l’item, soit un traitement séquentiel du texte ; soit un traitement par accès direct ; soit une conversion texte/image ou écritures chiffrées/texte. Classe Nat. Classe Nat. Classe Nat. 65 78 81 70 42 66 Tableaux 13 : réussite aux items dont la présentation sémiotique est complexe On remarquera dans les deux premiers de ces tableaux la ligne « pointage particulier ». Il s’agit des pourcentages d’élèves ayant été pointés en code 2 ou 3. Ces 303 Chapitre VI codes correspondent en général à des résultats partiellement exacts, et dont l’étude va nous permettre d’affiner notre jugement, en précisant l’origine de l’erreur relevée. Rappelons que globalement, sur les items sélectionnés, la classe fait plutôt moins bien que l’échantillon national. Elle présente donc une faiblesse relativement à un fonctionnement sémiotique complexe. Mais examinons de plus près les résultats : Item 2 : traitement interne à un registre géométrique Au-delà de l’écart important de réussite à l'avantage de l'échantillon national (19 % contre 56 %), intéressons-nous au pointage particulier qui nous apprend que 50% des élèves de la classe contre 31% de l’échantillon ont produit un tracé malhabile, qui ne s’appuie pas sur les sommets du carré : le repérage des unités signifiantes − points stratégiques de la figure − dans ce registre géométrique n’est réussi que par 1 élève sur 2 seulement. Une forte majorité d'entre eux n'avaient pas, en début de cycle 3, la capacité à extraire de ce "graphisme" complexe l'information qui compte et donc à le constituer en figure. Ils se sont en conséquence contentés de reproductions globales, respectant plus une apparence que des incidences précises. Item 5 : traitement interne à un registre géométrique La classe fait un peu moins bien que l’échantillon. Ce score moyen confirme que la moitié environ des élèves prennent mal en compte l’information renvoyée par les unités signifiantes du registre : l’axe de symétrie ; nombre de carreaux de part et d’autre de l’axe... au profit d’une action de dessin plus intuitive. Item 10 : coordination de deux registres figuraux régis par des conventions différentes (vue en perspective et vue d'avion) Registre d’entrée : une vue d’un quartier de ville en perspective. Registre de sortie : un plan du même quartier en 2 dimensions. L’item demande de placer sur le plan deux arbres plantés parallèlement à un trottoir, mais l’effet de perspective les aligne sur une oblique du plan de la feuille du registre d’entrée. Le pointage particulier nous révèle que 27% des élèves de la classe contre 13% pour l’échantillon, se sont laissés piéger par l’effet de perspective et ont disposé les arbres suivant une oblique du registre de sortie, alors qu’ils auraient dû être alignés sur une parallèle au bord de la feuille. Ce qui signe 304 Chapitre VI une relative maladresse à discriminer les unités signifiantes d’un registre, et à les articuler convenablement aux unités signifiantes d’un autre registre. Item 11 : coordination d'un registre texte avec un registre géométrique Cet item nous intéresse surtout par le pointage particulier, qui confirme les conclusions concernant les résultats de l'item 2 : 46% des élèves de la classe contre 30% à l’échelle nationale réalisent un tracé incomplet (3 segments consécutifs AB ; BC ; CD, et donc une ligne brisée ouverte) au lieu du rectangle ABCD. Près de la moitié des élèves de cette classe se contentent donc de transcrire l’information séquentiellement (ils auraient sans doute refermé leur ligne si on leur avait donné ABCDA !) ; ils ne la convertissent pas en une figure, ne prenant pas en compte un changement de règles lié au changement de registre. Item 1 : coordination d'un registre géométrico-numérique (quadrillage) avec un registre figural (flèches) Les 46 % du pointage particulier correspondent aux élèves qui ont su tracer le bon chemin mais qui ont mal repéré le point de départ, codé par un couple de coordonnées (3,d). Nous en déduisons qu’en ce qui concerne le tracé (conversion très congruente), la classe réussit mieux (46 + 46 = 92%) que l’échantillon (65 + 15 = 80%). Mais la chute est brutale pour la conversion moins congruente, consistant à interpréter des données (quasi) numériques (les coordonnées), comme un point d’un registre géométrique, ou tout simplement à prendre en compte cette information et à l'intégrer à la réalisation. Item 40 : coordination entre les registres des écritures littérales et chiffrées des nombres entiers Vient encore confirmer cette difficulté à convertir : 69% de réussite à transcrire quatre-vingt-quinze en chiffres, contre 83% à l’échelle nationale. A comparer à l'item 41 (transcrire cinq cent vingt-huit en chiffres : 96% pour la classe contre 88% pour l'échantillon), où la classe fait mieux que l’échantillon, mais pour une conversion congruente. Lorsque c'est facile, c'est à dire lorsque la formulation orale transcrit assez fidèlement la formulation écrite, la réussite s'en suit ; mais à la première distorsion – 305 Chapitre VI celle de quatre-vingt-quinze (en lettres) à 95 (en chiffres) est pourtant minime au niveau d'un CE2 –, le taux de réussite chute sensiblement. Items 56, 57, 58 ; coordination de trois registres : texte, image, écritures chiffrées L’item 57 est le seul à être mieux réussi par la classe que par l’échantillon national (81% contre 70%). Il ne nécessite que le rappel en mémoire d’une information facilement localisable et donc mémorisable après lecture séquentielle du texte. Les items 56 (65% contre 78%) et 58 (42% contre 66%) sont moins bien réussis qu'à l’échelle nationale. Ils demandent la recherche rapide, en lecture non séquentielle, d’une information plus difficilement repérable et mémorisable, à savoir la référence commerciale à 3 chiffres d'un article, apparaissant deux fois dans des contextes à fonctionnement différent – une fois dans le texte principal, l'autre fois dans l'image. Ils supposent donc des capacités à rompre la linéarité de la chaîne écrite et à coordonner deux informations ainsi recueillies. Conclusion de 2.1.1.2 Nous résumerons cette deuxième série d'analyses en disant que, globalement, ces élèves éprouvent des difficultés à exploiter correctement leur environnement : textes, figures, images… ; peut-être aussi leurs instruments (problèmes de tracés). Cette classe a donc tendance à faire moins bien que l’échantillon national lorsqu’il s’agit de gérer une certaine complexité sémiotique et / ou instrumentale, notamment d’interpréter des signes en fonction de la spécificité du registre qui les mobilise et, surtout, d'articuler ces divers modes de signification. 2.1.1.3. Compétences à diversifier les procédures de résolution Quatre items de la section « problèmes numériques » portent sur le choix des procédures. On trouve ainsi quantifiés, à côté du choix de la procédure standard, des choix de procédures parfois plus maladroites, mais reflétant mieux une optique et des initiatives personnelles indépendantes. Certains élèves, lorsqu’ils ne disposent pas d’une procédure éprouvée de résolution, soit parce qu’elle ne leur a pas été enseignée, soit parce qu’ils ne la mobilisent pas, sont capables de telles initiatives. Qu’en est-il de notre classe ? Examinons tout d’abord la réussite aux problèmes concernés : 306 Chapitre VI N° des Items Tâche 59 Réussite globale (%) 61 63 65 « Mettez-vous par Un pâtissier a fait ... il y a 3 écoles. Un jardinier a le matin 275 équipes de 3". Il y planté 4 rangées de Ds la prem. on a 7 équipes croissants. A midi, compte 154 élèves 12 salades. complètes et 2 Combien a-t-il il lui en reste 65. ; ds la deuxième, Combien de 96 ; ds la trois. élèves restent seuls. planté de salades ? Combien y ... croissants a-t-il 207. Comb. d’él. vendus ? en tout ? d’élèves ? Nat. Classe Nat. Classe Nat. Classe Nat. Classe 35 44 73 55 81 59 85 60 Tableau 14 : réussite aux items à procédures de résolution diversifiées La classe réussit moins bien que l’échantillon national pour le premier problème à deux opérations, peu congruentes à l’énoncé, mais fait sensiblement mieux pour les trois autres problèmes à une opération très congruente à l’énoncé. Examinons à présent le choix des procédures : Item 60 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 59) Le tableau suivant exprime ces choix en pourcentage calculé sur l’ensemble des élèves : Choix des Uniquement (3x7)+2 Dessin procédures additive : 3+3+..+2 Population Classe (%) 4 58 4 Nat. (%) 9 12 Autre procédure Absence de procédure 0 34 12 59 8 Tableau 15: répartition des choix de procédures sur l’ensemble des élèves (item 60 relatif à l'item 59) On y constate un gros pic pour le choix de la procédure standard − 58% pour la classe à opposer aux 12% nationaux − et puis une quasi absence de choix des autres procédures : les élèves de notre CE2 qui ont tenté la résolution de ce problème l’ont menée par une voie conventionnelle − voire convenue. Par ailleurs, une comparaison avec le Tableau 14 montre que les élèves de cette classe, qui ont choisi massivement la procédure standard (58% ) , n’aboutissent pas pour autant au résultat juste (35% de 307 Chapitre VI réussite) : erreur de parenthésage ? Règles de priorité non respectées ? En tout cas difficulté sémiotique non surmontée. A l’opposé, l’échantillon national réussit beaucoup mieux hors des sentiers battus : 44 % de réussite globale à ce problème et 12% des élèves seulement qui ont opté pour la procédure standard. Ce qui implique bien une réussite non négligeable au moyen de procédures non standard. Le tableau suivant, qui ne retient comme base de calcul des pourcentages que les élèves qui ont proposé une procédure, amplifie encore la ventilation très homogène de l’échantillon national, contre la ventilation univoque le la classe : Choix des Uniquement (3x7)+2 procédures additive : 3+3+..+2 Population Parmi les Classe (%) 6 88 élèves ayant proposé Nat. (%) 22 29 une procédure Dessin Autre procédure 6 0 20 29 Tableau 16: répartition des choix sur l’ensemble des élèves qui ont proposé une procédure (item 60 relatif à l'item 59) Ce dernier constat, joint au pourcentage élevé d’absence de procédure (59% pour l'échantillon), prouve qu’à l’échelle nationale les élèves ont peu identifié ce problème comme relevant d’un traitement conventionnel. Mais, parmi ceux qui n’abandonnent pas à ce moment-là, on ose entreprendre et se diversifier. A l’inverse, notre classe paraît bien timorée : ou on identifie le problème comme relevant d’un traitement connu et on s’y réfugie − quitte à se tromper −, ou on renonce à le résoudre. 308 Chapitre VI Item 62 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 61) Choix des Addition procédures Soustraction Multiplication Dessin Autre Absence de procédure procédure Population Classe (%) 12 73 0 0 0 15 Nat. (%) 13 45 1 1 3 37 Tableau 17 : répartition des choix de procédures sur l’ensemble des élèves (item 62 relatif à l'item 61) Une rapide comparaison avec le Tableau 14 laisse supposer que les enfants de la classe qui ont choisi la soustraction (73 %) sont ceux qui ont réussi l’exercice puisque le pourcentage de ces derniers est identique au précédent (73 %) ; alors qu’au niveau national, les 55% de réussite attestent qu'on peut faire juste même sans faire forcément partie des 45% d'élèves qui ont utilisé la soustraction. Ce qui confirme la conclusion de l'analyse de l'item précédent. Item 64 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 63) Choix des Addition procédures Population Classe (%) Nat. (%) Soustraction Multiplication Dessin Autre procédure Absence de procédure 8 0 65 12 0 15 22 1 29 2 2 41 Tableau 18 : répartition des choix de procédures sur l’ensemble des élèves (item 64 relatif à l'item 63) Pour cet item encore, confirmation de nos remarques précédentes : réussite − absolue et relative − de la classe importante, essentiellement portée par une procédure unique très congruente à l’énoncé (la multiplication), alors qu’au niveau national la moitié ou plus des réussites provient d’une autre procédure. 309 Chapitre VI Item 66 (examine le choix des procédures de résolution de l’item 65) Comme il s’agit d’un problème additif − très congruent à l’énoncé −, la classe ne se distingue pas de l’échantillon national sur le type de répartition des procédures adoptées : « tout » le monde choisit l’addition à l’exclusion de toute autre procédure. Il est donc inutile de fournir ici le tableau des résultats à cet item. Conclusion de 2.1.1.3 Nous résumerons cette troisième série d’analyses en disant que la classe a tendance à faire moins bien que l’échantillon national, faute de se risquer à innover, lorsqu’il s’agit de résoudre un problème non congruent à son énoncé ; à réussir mieux que l’échantillon national, en mobilisant une procédure unique et éprouvée, lorsqu’il s’agit d’un problème congruent à son énoncé. 2.1.1.4. Compétences à résoudre des exercices non routiniers Nous abordons, pour terminer ce premier repérage de notre classe, l’étude d’exercices qui, sans atteindre les niveaux supérieurs de complexité d’une classification comme NLSMA demandent, à un stade de leur résolution, une attention particulière. C'est dire que leur traitement ne saurait se réduire à une simple routine peu réfléchie et suppose donc que l'élève soit capable de s'affranchir d'automatismes ou de conditionnements antérieurs pour en surmonter les obstacles : • gestion simultanée de plusieurs informations (I18, I25, I67), et / ou de résultats multiples (I68) ; • difficulté de traitement bien identifiée comme la présence d’un 0 ou d’une retenue dans une technique opératoire multiplicative ou soustractive (I27, I28, I30, I31, I34, I38, I39, I48) ; • conversion non congruente de registres (I59). Mise à part la deuxième catégorie, ce sont des exercices qu’on ne peut pas résoudre par des algorithmes standard, et qui donc requièrent des heuristiques particulières. Ils sont souvent à faible taux de réussite national. 310 Chapitre VI N° des Items Tâche Réussite globale (%) N° des Items Tâche 18 27 28 30 31 Repérer un Choisir, dans Effectuer : Effectuer : Effectuer : Effectuer : segment de une liste 105 x 6 625 - 203 84 83 x 3 longueur dessinée et - 67 donnée, dans légendée, deux une figure à articles, dont plusieurs côtés la somme des prix est 187F Classe Nat. Classe Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. 62 64 50 57 23 28 62 55 15 31 50 22 34 38 39 48 59 67 68 Choisir le Ecris < ou > (Voir Calculer Choisir le mentalement : résultat le plus résultat le plus entre Tableau 63-28 34 - 6 proche de : proche de : 14) Pb : 3 x 101 et 150 - 49 « Mettez63-48 parmi : 1549 ; parmi : 3 ; vous par équipes de 200 ; 50 ; 100 400 ; 300 ; 3... » 3000 Réussite Clas. Nat. globale 42 48 (%) 25 Clas. 54 Nat. 46 Clas. 73 Parmi : 506 ; Ecris un nombre 263 ; 65 ; 253 ; qui vérifie les 1054 ; 470 : deux conditions de l’item 67 entoure les nbs qui vérifient : le chiffre des dizaines est plus grand que 4 ; quand on additionne tous les chiffres du nb on trouve 11 Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. Clas. Nat. 65 42 39 35 44 4 13 19 28 Tableaux 19: réussite aux items non routiniers De ces résultats, nous retiendrons que : La classe semble réussir moins bien que l’échantillon national, sauf lorsqu’une soustraction est en jeu et à l’exception de I34. On peut penser qu’il s’agit là d’un effet d’entraînement intensif à cette opération (confirmé par le maître titulaire de la classe au CE1, en même temps qu'une moins grande attention portée à la multiplication), effet qui disparaît en I34 (soustraction mentale) lorsqu’on ne dispose plus de l’algorithme posé. I48 quant à lui, malgré une atypicité certaine ou tout du moins un aspect déroutant − lorsque j'enlève plus, je trouve moins − est légèrement mieux réussi par la classe que 311 Chapitre VI par l'échantillon national. Mais la différence n'est pas significative, et trouve certainement son origine dans l'insistance toute particulière avec laquelle la soustraction avait été abordée au cours du CE1. On notera aussi le meilleur score relatif de la classe à l'item I39, mais on remarquera que son expression d'entrée, tant orale qu'écrite, est fortement congruente au résultat : "trois fois cent-un" est phonétiquement proche de "trois cents" et 3 x 101 est graphiquement proche de 300. L'étude de cette série d'items contribue donc à renforcer les analyses précédentes : notre classe a tendance à faire moins bien que l’échantillon national lorsqu'il s'agit de sortir des sentiers battus, de prendre les mathématiques à son compte et pas seulement de rendre compte de leçons sagement apprises et appliquées, dans des cas de figure prévus et attendus. L'atypicité semble bien être pour ces élèves un facteur important de déstabilisation. 2.1.1.5. Conclusions relatives à l’évaluation CE2 Après ce repérage de compétences spécifiques en début de CE2, on peut conclure ce qui suit. La classe observée est, avant l’expérience, une classe plutôt banale, qui ne brille ni par son audace, ni par son imagination. Elle réussit un peu mieux que l’échantillon national en ce qui concerne l'évaluation totale, un peu moins bien en ce qui concerne l'évaluation extraite. Encore convient-il de noter que ses meilleurs résultats sont obtenus grâce à une plus grande aisance vis à vis des automatismes. Dès qu’on aborde des items atypiques ou délicats, la classe fait plutôt moins bien que l’échantillon national : elle ne prend pas le risque d’innover, de se diversifier, mais se contente de gérer un patrimoine de connaissances bien réglées, et d’identifier certaines situations simples en relevant. Comment cette classe allait-elle réagir face à des tâches sollicitant un fonctionnement sémiotique inhabituel, requérant des initiatives individuelles plus que la restitution de routines institutionnalisées ? Et le tout dans le domaine plutôt déroutant et non univoque des rationnels. Allait-elle tirer profit de cet enseignement non standard, dans un domaine délicat, et s'émanciper de la tutelle du "prêt à penser" ? Allait-elle au contraire renoncer devant la prise de risque, et se laisser abuser par les pièges, 312 Chapitre VI sémiotiques et / ou conceptuels, posés par les rationnels ? C'est ce que nous allons examiner à présent. 2.1.2. La classe en fin de cycle 3 : ses performances à l’évaluation nationale en mathématiques de 1997 (entrée en 6ème) La passation a eu lieu à la mi-mai 1998, soit environ trois mois après la fin des travaux logiciels. Nous avons extrait, de l’évaluation nationale 1997 à l'entrée en 6ème, 29 items évaluant les quatre mêmes types de compétences que celles déjà repérées lors de l'évaluation de début de CE2. Nous pourrons ainsi juger des évolutions. Nous n'avons pas fait passer à notre classe, pour ne pas surcharger une fin d'année scolaire déjà fort occupée, l'ensemble de l'évaluation d’entrée en 6ème. Le nombre de 29 items retenus est légèrement supérieur au nombre moyen d'items constitutifs d’une séquence de l'évaluation nationale de 1997 (laquelle comportait trois séquences de 20, 34 et 23 items). Les conditions de passation, en quantité et en durée, sont donc du même ordre, avec un léger désavantage pour la classe d'expérimentation. Ce dernier compensera en partie le fait que l'évaluation a été proposée en fin d'année scolaire et pas en septembre, soit avant les régressions passagères que l’on pourrait rencontrer au retour des vacances. Mais on peut arguer que la fin d'année scolaire s’accompagne d’une certaine démobilisation. Nous considérerons en définitive que l’épreuve passée par les élèves de la classe testée est suffisamment voisine d’une séquence de l’évaluation en début de sixième, pour autoriser une étude comparative par rapport à l’échantillon national. Notre base de comparaison globale, à opposer au Tableau 11, est le tableau suivant, qui fournit les résultats obtenus en moyenne à chacune des séries d'items parmi les 29 que nous avons sélectionnés. Nous ne disposons évidemment pas d'un tableau opposable au Tableau 10. Travaux Registre proche des droites graduées Population Classe (%) Echantillon nat. (%) Présentation sémiotique complexe Diversification des procédures Exercices non routiniers Globalement 4 items 89 12 items 68 3 items 67 10 items 69 29 items 71 60 51 31 59 53 Tableau 20 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre compétences 313 Chapitre VI Il n'est pas utile de s'attarder longuement sur ces premières moyennes pour soupçonner que des évolutions lourdes, et dans un sens tout à fait favorable à notre classe, se sont produites au cours du cycle. L'examen du Graphique 2, que l'on opposera au Graphique 1, p.301, confirme et amplifie ce premier constat de façon spectaculaire. D'une distribution régulière autour de la diagonale principale, on est passé à une distribution fortement déséquilibrée en faveur de notre classe. Evaluation 6ème 1997 120 Population classe Sélestat 100 80 60 I4 I9 I10 I11 I12 I16 I17 I18 I19 I24 I32 I33 I36 I37 I38 I43 I45 I46 I49 I50 I51 I52 I53 I54 I55 I56 I57 I58 I67 I68 40 20 0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Echantillon national Graphique 2 : résultats aux items sélectionnés pour l'évaluation des quatre compétences Seuls 2 items sur 29 (à opposer aux 18 sur 31 de l'évaluation de début de cycle), I32 et I33, sont moins bien réussis par cette dernière que par l'échantillon national. Ce sont paradoxalement des items très techniques − sur lesquels nous reviendrons plus loin − donc un type d'items qu'au CE2 la classe avait tendance à mieux réussir que l'échantillon national. Cette observation n'est-elle qu'anecdotique ou signe-telle une réelle tendance ? C'est ce que l'étude détaillée de chaque catégorie d'items va permettre de vérifier. 2.1.2.1. Compétences à utiliser des registres proches du registre des droites graduées 314 Chapitre VI Rappelons que nous retenons, pour ce type de compétences, des items présentant de l'information et demandant de la traiter de manière linéaire. Comme nous n'avons plus retrouvé de calendriers ou autres "lignes de nombre" dans l'évaluation de 6ème, notre choix s'est porté sur des items d'intercalation et d'encadrement de décimaux. Ces derniers, même s'ils ne sont pas explicitement présentés dans un système de droites graduées, ont le mérite de relever de traitements unidimensionnels et en même temps de mettre à l'épreuve des compétences fortement travaillées, notamment lors des passations sur les logiciels de conversion entre droites graduées et écritures décimales. On pourra par ailleurs se reporter aux items 24 (retrouver un segment mesuré au moyen d'une unité non standard), et 43 (mesure en pouces contre cm), étudiés respectivement en 2.1.2.2 et 2.1.2.3, pour compléter cette étude. C'est bien entendu de cette série, structurellement liée à notre hypothèse principale, que nous attendions les résultats les plus significatifs. Nous allons voir que notre attente n'a pas été déçue. 315 Chapitre VI N° des Items Tâche 10 11 18 Voici quatre nombres En utilisant un nombre de la liste rangés du plus petit au plus grand. Ecris 3,01 à suivante : 3,12 ; 3,092 ; 3,1 ; la place qui convient. 3,0108 complète : 1 2,01 3,005 3,021 3 < … < 3,09 19 Sébastien voit un premier panneau : Tours 15 km Blois 38 km Dix minutes plus tard, sur la même route, il voit un second panneau : Tours 12 km Blois 41 km De quelle ville Sébastien se rapproche-t-il ? Réussite globale (%) Classe 85 Nat. 43 Classe 81 Nat. 51 Classe 100 Nat. 92 Quelle distance sépare les deux panneaux ? Class e 88 Nat. 52 Tableau 21 : réussite aux items exprimés dans un système proche des droites graduées La différence des réussites aux items 10 et 11 nous rassure tout de suite sur la capacité de notre classe à gérer correctement les parties entières et décimales de nombres à virgule, et témoigne de la maîtrise acquise par nos élèves dans ce domaine particulièrement travaillé par les logiciels. On insistera sur la difficulté de l'exercice qui multiplie les trompe-l'œil, depuis la présence d'un nombre "sans virgule" (3) comme borne inférieure de l'encadrement, jusqu'à la nécessité de récuser 3,1 (bien tentant car la partie décimale 1 est supérieure à la partie décimale implicitement nulle de la borne inférieure et inférieure au 09 de la partie décimale de la borne supérieure) tout en élisant le 3,0108, malgré une partie décimale (0108) fortement supérieure au 1 de 3,1 ! La faible réussite nationale atteste, si besoin en était, cette complexité. L'item 18 consiste en une conversion congruente (car portée par la comparaison de deux informations précédées d'un indicateur efficace de mise en relation, à savoir la répétition du même mot "Tours" ou "Blois") de l'information fournie dans un registre unidimensionnel (celui des panneaux) en une information textuelle (se rapprocher de…) ; d'où les excellents taux de réussite, tant national que local. L'item 19 quant à lui est nettement plus échoué au niveau national et seulement un peu plus par notre population. C'est que la conversion est moins 316 Chapitre VI congruente, car elle demande de comprendre qu'il y a redondance de données numériques pour les calculs, ce qui continue à être hors contrat pour des élèves de cet âge ; de combiner deux des quatre nombres fournis par les panneaux au moyen d'une soustraction non dictée d'évidence par l'énoncé, car ne portant pas sur le problème classique de la distance entre deux villes mais entre deux panneaux. Ce qui semble avoir beaucoup plus dérouté les élèves de l'échantillon que nos élèves. Lors de l'évaluation de début de CE2, les élèves de notre classe ont révélé qu'ils partaient avec un avantage non décisif, soit 67 % contre 58 % sur la moyenne des items relevant du type de compétences étudié dans ce paragraphe. En cette fin de cycle, cet avantage semble bien s'être substantiellement amplifié (l’écart est plus que triplé) puisque nous obtenons à présent 89 % contre 60 % en moyenne sur l'ensemble des quatre items 10, 11, 18, 19, et 76 % contre 49 % si on rajoute les items 24 et 43 évoqués plus haut. Nos élèves ont donc su tirer profit d'un enseignement fortement marqué par son insistance à présenter, traiter et convertir de l'information dans et entre des registres unidimensionnels. Un premier examen fortement positif en conséquence, et qui, s'il ne suffit – de loin – pas à valider notre expérience, permet au moins de ne pas la récuser d'entrée de jeu. 2.1.2.2. Compétences à effectuer des tâches sémiotiquement complexes Nous avons retenu pour apprécier ce type de compétence deux séries d'items très différents. La première série – items 49 à 54 – concerne exclusivement la multiplication et la division par 10 d'un nombre décimal. Il s'agit donc d'une opération de traitement − intra-registre – qui a le mérite d'évaluer la capacité de résistance aux généralisations abusives – "pour multiplier par 10, on colle un zéro derrière" –, au profit d'une réflexion sémiotique prenant en compte les unités signifiantes du registre – existence et place de la virgule, opération de multiplication ou de division –, et débouchant sur des décisions procédurales réfléchies – accoler des zéros et / ou déplacer la virgule, d'autant de rangs que l'indiquent…, vers la droite ou vers la gauche… –, à travers des contenus, les décimaux, qui concernent notre expérimentation au premier chef. La deuxième série évalue la compétence à coordonner plusieurs registres, à travers la réussite à des opérations de conversions le plus souvent non congruentes entre registres textuels, numériques, mobilisant des tableaux, et géométriques. 317 Chapitre VI Examinons dans le détail les items de cette série : • l'item 55 permet d'évaluer la capacité à sélectionner l'information pertinente, à négliger l'information inutile – 1,5 litre, à associer les données retenues à l'écriture numérique résolvante adéquate ; • l'item 4 joue sur la capacité à discriminer des termes sémantiquement proches – double et moitié, tiers et triple – et à les associer de façon peu congruente à des écritures arithmétiques ; • l'item 9, notamment dans sa question a) – passage de trois dixièmes à 0,3 – est fortement non congruent, à cause de la présence du terme 'dix(ième)' qui ne se traduit pas par un chiffrage usuel (10), mais par la présence d'une virgule, du positionnement du 3 immédiatement après cette dernière, et par l'apparition d'un zéro, non explicité par l'énoncé verbal, avant la virgule ; cette non congruence sera confirmée par le nombre important de réponses du type 3,10 ou 0,10 à cet item, et sur lequel nous reviendrons plus loin ; • les items 45 et 46 portent sur la résolution classique d'un problème de proportionnalité, à opérateurs linéaires entiers, au moyen d'un tableau ; • l'item 24 retiendra particulièrement notre attention, car il est atypique et aurait tout aussi bien pu trouver sa place dans le paragraphe des problèmes non routiniers. Il demande une conversion non congruente de 0,2 en deux dixièmes ou un cinquième, en tous cas une prise en compte de 0,2 comme opérant par report et subdivision sur le segment unitaire u et qui permette de décider lequel des cinq segments proposés peut-être le produit d'une telle opération. Examinons à présent les résultats de la première série : N° des Items Tâche 49 Réussite globale (%) Clas. Nat. Clas. 91 58 96 63 x 10 51 50 7,14 x 100 Nat. 57 53 1,54 x 1000 Clas. 62 325,6 : 10 Nat. Clas. Nat. 53 73 53 52 54 67 : 100 Clas. 62 3000,6 : 1000 Nat. 49 Tableau 22 : réussite aux items de présentation sémiotique complexe (1ère série) 318 Clas. 69 Nat. 45 Chapitre VI Dans ce tableau, nous avons rangé les items suivant la réussite décroissante de l'échantillon national. L'écart est toujours en faveur de notre classe, même s’il n'est pas significatif dans tous les cas. Notons que la différence se creuse lorsque cela devient difficile, c'est à dire lorsque la réussite de l'échantillon est faible. Elle atteint même son maximum – écart de 24 % – avec l'item 54, soit le moins réussi à l'échelon national. Ce constat est exactement à l'opposé de celui que nous avions tiré de l'analyse de la même compétence à l'évaluation de début de CE2. Nous observions alors que la classe avait tendance à réussir mieux que l'échantillon national lorsque c'était facile, mais à faire moins bien dès qu'il s'agissait de débrouiller une plus grande complexité sémiotique. Pour affiner notre analyse et tenter de justifier le regroupement de cette première série d'items sous une même catégorie sémiotique, nous allons étudier plus en détail la stratification de notre classe suivant le nombre d'items réussis. Ceci nous permettra de repérer la nature des items auxquels les élèves ont le plus échoué et d'interpréter l'origine des erreurs constatées. Nous avons éliminé de cette étude l'item 49, fortement réussi par les deux populations. On obtient la ventilation suivante : Nombre d'items réussis 5 4 3 2 1 0 Nombre d'items non réussis 0 1 2 3 4 5 I52 I50 ; I51 I50 ; I51 I50 ; I51 I50 ; I51 I52 ; I53 ; I54 I52 ; I53 ; I54 I50 ; I51 ; I52 I51 ; I52 5 3 Numéros des items non réussis (élève par élève) I54 Effectif d'élèves 11 2 Tous les items 0 5 Tableaux 23 : ventilation de la classe de Sélestat en fonction du nombre des items réussis à la première série ; numéros des items non réussis 11 élèves sur 26 réussissent donc la série entière. Encore convient-il de signaler que sur les deux élèves qui n'échouent qu'à 1 seul item sur les 5, un d'entre eux a répondu à 100 ÷ 67 au lieu de 67 ÷ 100 (I52), et a posé cette division dont il a donné une valeur décimale approchée juste ! Par ailleurs, sur les 5 élèves qui échouent à la série entière, 2 ont inversé multiplication (items 50 et 51) et division (items 52 à 54), et, 319 Chapitre VI modulo cette inversion, ont fourni tous leurs résultats justes. Cet examen de détail confirme donc la tenue très honorable de notre classe vis à vis de ces compétences. Mais l'étude du tableau inférieur nous renseigne sur la grande homogénéité des types d'erreurs rencontrés, attestée par les 4 occurrences sur 5 du couple (I50 ; I51) et les 2 occurrences sur 3 du triplet (I52 ; I53 ; I54) : on se trompe soit à la multiplication, soit à la division. Alors qu'il aurait été possible d'observer d'autres regroupements, par exemple autour des items I50, I51, I52, liés à la disparition ou à l'apparition d'une virgule et / ou de zéros, et par opposition à I53 et I54 qui ne demandent qu'un déplacement de la virgule, toutes opérations de nature essentiellement sémiotique. Seuls deux de nos élèves semblent concernés par des erreurs imputables à un déficit de cet ordre : celui ayant échoué au triplet (I50 ; I51 ; I52) ; dans une moindre mesure, celui ayant échoué à la paire (I51 ; I52), suite à un lien erroné entre nombre de zéros du multiplicateur et déplacement de la virgule (pour cet élève : 7,14 x 100 = 71,4 et 67 ÷ 100 = 6,7). C'est donc à des erreurs plus relatives à un contenu mathématique (multiplication contre division) qu'à la nature sémiotique des traitements effectués que cette série donne lieu. Ce qui nous autorise : d'une part à conjecturer un impact de notre travail sur les résultats ; d'autre part à valider la pertinence de notre sélection d'items dans la mesure où elle nous a bien permis de repérer une position vis à vis de compétences sémiotiques. Remarquons enfin que, s'ils révèlent certaines déficiences, les résultats de cette étude détaillée ont au moins le mérite d'indiquer très clairement des pistes de remédiation tracées par la séparabilité des raisons de l'échec. Mais voyons si cette première analyse est confirmée par l'étude de la deuxième série : 320 Chapitre VI N° des 55 4 9 45 46 24 Items Tâche Un carton d'eau Associer chacune Ecrire "trois Connaissant Idem que N.B : Notre représentation les quantités des écritures l'item dixièmes" minérale est à l'échelle 1/2 par précédent pour 4 arithmétiques : sous la forme rapport à l'évaluation contient 6 6x2 ; 15:3 ; d'un nombre à personnes mais pour virgule puis (800g de p.d.t ; 10 34:2 ; 17x3 ; nationale bouteilles de 1,5 à l'usage d'un d'une fraction 30 cl de lait ; personnes litres. Le des mots de la 40 g de On donne un segment unité : liste : moitié ; beurre), magasinier range double ; tiers ; fournies dans u 25 de des triple un tableau, On demande d'entourer 0,2 u porter dans le cartons… parmi les cinq segments même tableau suivants : Indiquer les quantités pour 20 l'opération qui personnes convient pour le nb de bouteilles : 25+6 ; 25-6 ; 25x6 ; 25x1,5 ; 1,5x6 ; 6-1,5 Réussite Clas. Nat. globale 80 85 en (%) Clas. 88 Nat. Clas. Nat. Clas. 57 46 40 73 Nat. Clas. Nat. 32 69 40 Clas. 31 Nat. 13 Tableau 24 : réussite aux items de présentation sémiotique complexe (2ème série) Nous avons rangé les items suivant la réussite décroissante de l'échantillon, sauf en ce qui concerne les items 45 et 46 pour lesquels nous avons retenu l'ordre de leur apparition dans le texte pour des commodités de lecture. Nous noterons tout d'abord que ce rangement correspond d'assez près à celui de la complexité sémiotique croissante : les deux premiers items demandent en effet une conversion entre deux registres usuels, texte / écritures arithmétiques ; l'item 9 demande aussi une conversion entre deux registres – texte / écritures décimales puis texte / écritures fractionnaires − mais les registres de sortie sont d'un usage plus récent au stade de la scolarité étudié et, surtout, ainsi que nous l'avons signalé plus haut, la conversion est non congruente ; les items 45 et 46 demandent de coordonner trois registres – texte, 321 Chapitre VI tableau, écritures arithmétiques ; l'item 24 quant à lui demande de coordonner trois et peut-être quatre registres – texte, géométrique, écritures décimales, et peut-être écritures fractionnaires. Notons aussi que pour ces trois derniers items, certains registres requis sont plus délicats à utiliser – tableaux – ou d'un usage encore récent – écritures décimales et fractionnaires – et doivent s'articuler de façon non standard avec le registre géométrique des segments, car mobilisant l'unité u non standard. On constatera que : • pour le seul item (I55) à forte réussite nationale, l'écart entre l'échantillon et la classe est faible ; • pour les items à haute complexité sémiotique (I45, I46 et I24), l'écart est très élevé ; • pour l'item 4, de complexité intermédiaire, l'écart est aussi élevé. Enfin, en ce qui concerne l'item 9, les résultats à peine meilleurs de nos élèves (6 points seulement de plus que l'échantillon national), sur un thème a priori fort travaillé par les logiciels (on verra un peu plus loin que ce n'est pas tout à fait le cas), nous amène à examiner dans le détail les raisons de la réussite et de l'échec. On constate alors que : 81 % de nos élèves ont réussi la conversion congruente trois dixièmes vers 3 contre 58 % à l'échelle nationale ; 46 % de nos élèves contre 43 % à l'échelle 10 nationale ont réussi la conversion non congruente trois dixièmes vers 0,3. Enfin, 31 % de nos élèves ont fourni 3,10 (38 % si on compte les réponses 3,10 ou 0,10) comme réponse à ce dernier item. Il ne nous est pas possible d'opposer ce résultat global à l'échelon national car le pourcentage associé à toutes les réponses 3,10 n'est pas fourni. Seules les réponses 3,10 isolées et 3,10 associées à 3 10 ou sont comptabilisées à 10 3 10 %. Mais même en admettant qu'un certain nombre de réponses 3,10, associées à une autre fraction que 3 10 ou , existent à l'échelle nationale, atteindrait-on les 31 % de 10 3 notre classe ? Ce qui nous surprend donc n'est pas tant le bas niveau de la réussite (qui reste rappelons-le supérieur à celui de l'échantillon) que la manière d’échouer : un gros tiers d'élèves de notre population convertissent trois dixièmes de la façon la plus phonétique et donc la moins sémiotique qui soit en 3,10 ! Il est vrai que, contrairement 322 Chapitre VI aux apparences, ce type de conversion (trois dixièmes en 0,3 – registre verbal vers registre numérique) n'est pas traité par les logiciels (qui ne prennent en charge que les conversions entre registres numériques, soit 3 en 0,3). Mais enfin, nous aurions pu 10 attendre une plus grande capacité de transfert de nos élèves vis à vis de phénomènes sémiotiques auxquels les multiples travaux de traitements et de conversions auraient dû les sensibiliser. Tentons de tirer, sur un plan didactique, le meilleur parti de ce que l'analyse de ce constat, a priori décevant, peut nous apprendre. A cet effet, nous avons décidé de croiser les résultats de notre classe aux items 9 et 24, afin d'articuler deux fonctionnements sémiotiques hétérogènes sur un même contenu mathématique. Nous avons en effet vu que, dans les deux cas, la capacité à interpréter un nombre à virgule en termes d'opérateur agissant par report et subdivision était déterminante. Dans un cas, la conversion se fait d'un opérateur verbal (trois dixièmes) vers un nombre à virgule ; dans l'autre cas, d'un nombre à virgule (0,2) opérant sur une unité vers un segment. Nous voyons que si les contenus mathématiques sont proches, les contenus sémiotiques divergent, tant par le sens des conversions que par la nature des registres concernés. Cette distinction se retrouve-t-elle dans les résultats ? I9 Réussite Echec Total Réussite 7 1 8 Choix du segment de 0,2 mm Autres choix 3 13 16 2 0 2 Total 12 14 26 I24 E c h e c Tableau 25 : étude croisée des items 9 et 24 Nous avons séparé l'échec à I24 en deux lignes, car l'examen détaillé des résultats de l'échantillon national nous apprend que 54,7 % des élèves ont choisi le premier segment, qui était aussi le plus petit. Ce dernier mesurait effectivement 0,2 mm (alors que la question portait sur 0,2 u), ce qui peut expliquer cette attraction. Mais d'autres justifications peuvent aussi être avancées : sa place de premier segment 323 Chapitre VI proposé ; une association entre 0,2 ("c'est petit") et le plus petit segment proposé. En tous cas, le phénomène est suffisamment intéressant pour qu'on l'isole. De l'examen de ce tableau, il apparaît les constats suivants. 1. Le choix du segment de 0,2 mm est massivement associé à l'échec à la conversion "trois dixièmes" en 0,3. Une étude cas par cas laisse apparaître parfois l'origine de la confusion (une mesure explicitée en mm), mais un nombre important de copies ne comporte aucune mention de procédure. Il importe néanmoins de remarquer que quelle que soit la procédure qui conduit à ce choix erroné, elle traduit une interprétation de 0,2 comme une graduation d'un double décimètre (précise ou simplement associée à du "très petit") et non comme un opérateur agissant par report et subdivision. Cette vision trouve bien sûr ses limites non seulement lorsque l'on change d'unité (comme dans I24), ou lorsqu'il s'agit d'interpréter une fraction au moyen de ce décimal. 2. A l'inverse, maîtriser l'articulation entre segment rapporté à une unité quelconque (donc segment gradué) et nombre décimal garantit pratiquement la réussite à la conversion proposée fraction ("verbale") vers décimal. Ces constats confirment qu'une erreur comme "trois dixièmes est égal à 3,10" ne provient pas d'une simple distraction, mais qu'elle accompagne un défaut de coordination entre différents registres. Les élèves qui commettent cette erreur accordent encore à la langue naturelle, et particulièrement sous sa forme orale, la prédominance dans l’expression des idées. Ils se satisfont, pour la conversion vers le registre des écritures à virgule, d'une conformité à la représentation orale, soit d'une juxtaposition d'une expression du "trois" et du "dix(ième)". Mais ceux d'entre eux qui maîtrisent ce type de coordination sont déjà entrés dans un mode de fonctionnement pluri-registres − dépassant sans doute le cas particulier des rationnels −, qu'il mette en jeu la langue naturelle ou pas. Ce qui à la fois conforte nos hypothèses sur la nécessité d'un enseignement multi-registres, mais aussi indique une voie de recherche insuffisamment prise en compte dans notre enseignement sur la spécificité des coordinations mettant en jeu la langue naturelle. On déborde ici du domaine des seuls nombres rationnels, et il sera dit quelques mots à ce sujet dans la conclusion générale. Concluons en ce qui concerne ce deuxième paragraphe. Tout d'abord, la catégorie sémiotique est pertinente pour regrouper les items sélectionnés. Cette 324 Chapitre VI pertinence n'implique cependant pas l'uniformité ainsi que certains résultats contrastés l'attestent. Une fois admis cela, on retiendra deux façons très différentes d'échouer de nos élèves : dans les cas les plus courants (1ère série) les échecs, bien identifiables, ne semblent pas dus à un déficit sémiotique ; dans des cas plus délicats comme I9 et I24 (2ème série), des difficultés de nature sémiotique persistent. Dans tous les cas, nous pouvons conclure à l'efficacité d'une maîtrise de la coordination de registres. En ce qui concerne les réussites, on constate que notre classe obtient des résultats systématiquement meilleurs que ceux de l'échantillon national, avec un écart qui a tendance à s'accroître en même temps que le taux de réussite national diminue (malgré un résultat déviant pour l'item 9). La complexité sémiotique prise en compte concerne : la nature et le coût des traitements ; la richesse en registres ; le degré de convivialité et de pratique des registres ; la congruence des conversions mobilisées ; l'écart de ces opérations à une routine éprouvée. Autant de points qui ont été amplement abordés − à l'exception notable à présent bien repérée de la prédominance de la langue naturelle − lors des passations sur les logiciels ORATIO et au cours de leur accompagnement papier / crayon. En tout état de cause, nous avons établi que l'évolution dans le domaine traité par ce paragraphe était patente, entre le début du CE2 et la fin du CM2. Pour résumer cette évolution nous dirons qu'au CE2 notre classe avait tendance à mieux réussir que l'échantillon national lorsque c'était sémiotiquement facile mais à faire moins bien lorsque c'était difficile. A présent, non seulement notre classe fait systématiquement mieux que l'échantillon national, mais encore l'amplitude de ce mieux est d'autant plus élevée que c'est sémiotiquement difficile. 2.1.2.3. Compétences à diversifier les procédures de résolution Nous avons retenu, pour l'évaluation de ce type de compétences, trois items dont la résolution peut donner lieu à des productions divergentes et originales, sans que l'une présente un avantage décisif sur les autres en terme de coût. Ils devraient en conséquence nous renseigner sur l'évolution de la classe étudiée vis à vis de sa capacité à produire de la diversité procédurale efficace ; capacité qui suppose qu'on prenne le risque de se dégager des lieux communs, car il y a peu de diversité dans la routine. Nous avons vu que notre classe ne s'aventurait guère sur ces terrains-là au CE2. Qu'en est-il en cette fin de cycle ? Examinons tout d'abord la réussite à chacun de ces trois items. 325 Chapitre VI N° des Items Tâche 16 Réussite globale (%) 17 Stéphanie veut Même énoncé que I16. acheter 3 biscuits et Quel est le prix d'un 1 croissant. Avec croissant ? les 20 F dont elle dispose, il lui manque 6 F. Elle n'achète donc que 2 NB. Deux séries de biscuits et un dessins accompagnent le croissant. Il lui texte :d'abord trois reste alors 1 F. biscuits et un croissant ; Quel est le prix puis deux biscuits et un d'un biscuit ? croissant Classe Nat. Classe Nat. 50 54 30 20 43 On donne, dessinés, une règle graduée en cm de 0 à 8 ; une règle graduée en pouces de 0 à 4 ; un segment [AB] dont la longueur, non fournie, vaut environ 15,2 cm. On demande de compléter la phrase suivante : "la longueur en pouces du segment [AB] est environ de…" en choisissant sa réponse dans la liste des cinq nombres : 4 ; 6 ; 8 ; 12 ; 15 Classe 73 Nat. 43 Tableau 26 : réussite aux items à procédures de résolution diversifiées Une comparaison rapide avec le Tableau 14 prouve qu'à présent, non seulement la classe fait mieux que l'échantillon national à chacun des items, mais encore que le rapport (réussite classe / réussite nationale) a progressé par rapport à celui des items CE2 mieux réussis par la classe que par l'échantillon : 1,8 ; 2,5 ; 1,7 en fin de cycle 3 contre : 1,3 ; 1,4 ; 1,4 au début. Encore convient-il de préciser que cette progression très nette s'obtient sur des items complexes, à solution peu congruente à l'énoncé, en tous cas "hors contrat", alors que les trois items de CE2 mieux réussis par la classe que par l'échantillon étaient beaucoup plus standard et à résolution congruente à l'énoncé − le seul item étudié ne présentant pas cette caractéristique était alors plus échoué par la classe que par l'échantillon ! Nous trouvons donc là encore une classe nettement en progrès vis à vis des items retenus. Mais penchons-nous à présent sur ce que révèle un examen détaillé des résultats item par item, plus sous l'angle de la diversité que de la réussite brute, ce qui est avant tout l'objet de ce paragraphe. Nous mènerons chaque fois notre analyse à partir de deux tableaux présentant : le détail de la répartition de l'échec (la manière d'échouer) ; le détail des procédures correctes relevées (la manière de réussir). Précisons enfin que seul l'item 43 sera opposable à l'échantillon national en ce qui concerne la répartition des procédures correctes : c'est en effet le seul item de cette évaluation pour 326 Chapitre VI lequel il était prévu une analyse des démarches justes (relevées par l'item 44) au niveau national. Nous avons donc dû procéder, en ce qui concerne les deux autres items (16 et 17), à un relevé des démarches de nos élèves pour analyser leur manière de réussir à ces items. Cette distribution ne sera malheureusement pas opposable à l'échantillon national. Item 16 Analyse de la tâche Une rapide analyse de la tâche montre que la résolution peut passer par : • Une addition 20 + 6 non congruente à l'énoncé (notamment à cause de l'interprétation du terme 'manque' par une addition) pour calculer le prix du premier lot de gâteaux ; • Une soustraction 20 - 1 pour calculer le prix du deuxième lot, pas plus congruente à l'énoncé, car la traduction en terme de différence ne peut s'obtenir qu'au prix d'une reformulation ; • une prise en compte de ce double jeu de contraintes que traduit le système (S) d'équations suivant : 3b + c = 26 2b + c = 19 où b est le prix d'un biscuit au chocolat et c le prix d'un croissant. Bien entendu, ce système formel n'est pas du niveau du cycle 3. On peut néanmoins s'attendre à des procédures correctes qui : • soit tenteront empiriquement de vérifier simultanément la double contrainte ; • soit exploiteront la particularité de l'énoncé qui permet de calculer le prix d'un biscuit par la différence 26 – 19 ; • soit encore évalueront le prix d'un biscuit en additionnant le surcoût et le "sous-coût" (6 + 1) que sa présence ou son absence entraîne. Cette dernière procédure, qui court-circuite une partie des données (20 F), est fortement non congruente, ainsi que Regina Damm (1992, pp. 47-53 et 73-74) le prouve sur un exercice comparable. Vergnaud quant à lui (1986 ; p 36) annonce 75 % d'échecs en 6ème à un problème structurellement analogue, c'est à dire demandant de retrouver 327 Chapitre VI une transformation T2, connaissant T1 (ici -6) et T3 (ici +1), et sachant que T2 o T1 = T3. Encore convient-il de noter qu'une reformulation (du type : "le retrait du biscuit m'amène d'un défaut de 6 F à un surplus de 1 F") est dans notre cas nécessaire pour parvenir à un problème du type de celui décrit par Vergnaud ! Nous analysons donc un item complexe, tant dans la compréhension de son énoncé que dans sa traduction en termes mathématiques qui, ainsi qu'on vient de le voir, est loin d'être univoque. Voyons tout d'abord comment on a échoué à cet item. Répartition de l'échec Procédure Procédures justes Population Classe (%) 54 Résultat erroné obtenu par division 12 National (%) 30 5 Autres procédures fausses Absence de procédure 23 11 39 26 Tableau 27 : détails de la répartition de l'échec à l'item 16 Relevons tout d'abord dans ce tableau le faible taux relatif d'absence de procédure pour notre classe, mais un constat analogue pouvait être déjà fait au CE2. Un examen plus détaillé des "Autres procédures fausses" de la 3ème colonne permet de préciser l'origine et la nature des erreurs : recherche d'un prix moyen par article obtenu par une division, mais avec tentative − malheureuse − de réajustement aux données (3 occurrences) ; échec "près du but", après plusieurs essais numériques infructueux car vérifiant une des deux équations et pas l'autre, comme b = 6 et c = 7 qui vérifie 2b + c = 19 mais pas 3b + c = 26 (3 occurrences) ; échec par "inversion de la correction", en 6 – 1 au lieu de 6 + 1 (voir 2ème procédure du Tableau 28) pour le prix d'un biscuit (1 occurrence). On commet certes des erreurs, mais nettement moins qu'à l'échelon national, et surtout au moyen de procédures le plus souvent apparentes − ce qui prouve qu'on ose entreprendre − diversifiées, cohérentes et pertinentes, qui relativisent cet échec en le mettant à faible distance de la réussite. Mais étudions à présent la manière de réussir. 328 Chapitre VI Répartition de la réussite Choix des procédures Calcul du prix d'un biscuit au chocolat par : 26 – 19 soit par la différence entre le coût déduit de 3 biscuits et 1 croissant (26) et celui de 2 biscuits et 1 croissant (19) Classe (%) 36 Calcul du prix Résolution, par d'un biscuit au essai/erreur, équivalant à celle d'un système chocolat par : (non posé) du type : 6+1 26 = 3b + c soit par la 19 = 2b + c somme entre le déficit et le surplus suivant la présence ou l'absence d'un des trois biscuits 28,5 28,5 Pas de procédure apparente 7 Tableau 28 : répartition du choix des procédures de résolution de l'item 16 sur les 14 élèves (sur 26) de la classe qui l'ont réussi Précisons que nous avons eu du mal à résumer l'ensemble des démarches observées en quatre types. Chaque élève semble avoir sa manière à lui de réussir, même si une vision plus distanciée peut y repérer son rattachement à l'une des catégories générales portées dans le Tableau 28. On retiendra en tout état de cause comme caractéristique principale de ce tableau une grande diversification des procédures, attestée par la distribution régulière de ces dernières, que l'on opposera aux distributions relevées au CE2 dans les tableaux correspondants (Tableau 15 ; Tableau 17 ; Tableau 18) et présentant à l'inverse un gros pic sur une procédure privilégiée – la procédure des "enfants sages". Nous avions ainsi conclu à l'alternative suivante : "ou on identifie le problème comme relevant d'un traitement connu et on s'y réfugie, ou on renonce". Nous constatons à présent qu'on ne renonce plus : que l'on réussisse ou que l'on échoue, on tente la résolution, au moyen de procédures privées, parfois empiriques, parfois plus systématiques, en tous cas non garanties "sans risque". On parvient ainsi soit à la réussite, soit à des réponses qui n'en sont guère éloignées, et par des voies qui pourraient y conduire dans un futur proche. Item 17 Analyse de la tâche L'item 17 porte sur la deuxième inconnue (prix du croissant) de l'item 16. On peut donc en fournir la valeur à partir de l'une des deux équations du système (S), et concrètement au niveau étudié par une des différences : 329 Chapitre VI 26 – (3 x 7) ou 19 – (2 x 7) ou toute forme additive "à trou" équivalente, mobilisant ou pas la multiplication, et encore fortement prisée à ce stade de la scolarité. Cet item peut donc fonctionner comme révélateur d'une diversité plus formelle que méthodologique, cette dernière ayant en revanche fortement marqué l'item précédent. Répartition de l'échec Procédure Procédures justes Population Réponse juste sans procédure apparente (code 6) Démarche correcte utilisant Autres procédures fausses Absence de procédure la réponse fausse de l'item 16 Classe (%) 50 0 23 15 12 National (%) 20 6 5 39 30 Tableau 29 : détails de la répartition de l'échec à l'item 17 Nous avons reporté les valeurs du code 6 (réponse juste sans procédure apparente) dans le tableau de répartition de l'échec, étant donné que l'énoncé de l'item spécifie : "écris tes calculs". La colonne 3 nous apprend que, de manière significativement élevée (23 % contre 5 %), on ose poursuivre alors qu'on s'est trompé à la première question… même si on s'en doute, ainsi qu'en témoignent certains travaux gênés d'élèves de cette catégorie qui constatent que leur résultats vérifient une des deux équations mais pas l'autre et qui gomment, raturent, mais maintiennent un résultat cohérent avec la première question. Cette attitude de défi, loin des comportements timorés relevés au CE2, est confirmée par la faiblesse relative de l'absence de procédure et l'absence de réponses sans justification (colonne 2) : on argumente, on défend son point de vue et on l'exprime. Ce qui témoigne d'une évolution pour le moins étonnante lorsque l'on compare ces attitudes aux attitudes de renoncement relevées au CE2. 330 Chapitre VI Répartition de la réussite Choix des procédures Justification et Justification en Justification et vérification en une seule égalité vérification en deux égalités deux égalités n'utilisant que n'utilisant que les utilisant les les signes signes signes + ou – + ou – + ; – ; et x Exemple : Exemple : Exemple : 7 + 7 + 7 + 5 = 26 (3 x 7) + 5 = 26 7 + 7 + 5 = 19 et et 7 + 7 + 5 = 19 19 - (2 x 7) = 5 8 Classe (%) 23 31 Justification en une seule égalité utilisant les signes + ; – ; et x Exemple : 19 - (2 x 7) = 5 38 Tableau 30 : répartition du choix des procédures de résolution de l'item 17 sur les 13 élèves (sur 26) de la classe qui l'ont réussi On notera tout d'abord que le pourcentage le plus élevé est obtenu avec la procédure la plus élaborée et la plus économique (4ème colonne). On relèvera d'ailleurs que, d'une façon générale, les pourcentages de mobilisation (dernière ligne) croissent en même temps que le coût de la procédure diminue. On retiendra enfin que, comme pour l'aspect méthodologique révélé par l'item précédent, aucun pic dans les choix ne désigne une de ces procédures formelles comme privilégiée : la classe est franchement diversifiée, elle n'accorde plus de faveur particulière à une quelconque procédure refuge, comme cela avait été constaté au CE2. Item 43 Analyse de la tâche S'il est un item hautement significatif vis à vis des quatre compétences étudiées, c'est bien l'item 43 : sa présentation sémiotique est complexe, il offre de multiples possibilités de résolution indépendantes, il est non standard, il demande des conversions entre trois registres linéaires (règle en pouces, règle en cm, segment [AB]). Nous aurions pu en conséquence le faire figurer dans l'un quelconque des quatre paragraphes de cette section. Nous avons choisi celui-ci car il était quantitativement le moins bien représenté. Un survol de l'analyse de la tâche permet de comprendre que des procédures numériques ou non numériques sont envisageables : 331 Chapitre VI • mesure en cm de [AB], mesure en cm d'un pouce, suivies d'une conversion en pouces au moyen d'une division, approchée ou exacte, formelle ou sous forme d'une multiplication à trou ou même d'additions répétées ; • report, au moyen du compas, ou suite à une mesure en cm, de l'unité • report, au moyen du compas, ou suite à une mesure en cm, ou encore pouce ; mentalement de la règle entière de 4 pouces suivi d'une évaluation du reste. Ces diverses procédures pouvant éventuellement se combiner, rechercher des valeurs exactes ou se contenter d'apprécier la plausibilité des 5 valeurs fournies par l'énoncé et parmi lesquelles se trouve la valeur recherchée. Un item précieux pour nous, car offrant des possibilités de réactions très diversifiées, notamment par le biais de registres de nature géométrique ou numérique. Répartition de l'échec Procédure Procédures Mesure en justes cm de [AB] (15 cm) Population Classe (%) 73 8 National (%) 43 28 Autres procédures fausses Absence de procédure 19 0 24 5 Tableau 31 : détails de la répartition de l'échec à l'item 43 On notera bien entendu l'écart important de la réussite entre notre population et l'échantillon national. Mais attardons-nous surtout sur le faible pourcentage relatif de la mesure en cm de [AB] (8 % contre 28 % colonne 2). Ce résultat dénote pour nous une mise en alerte efficace de la classe étudiée vis à vis de la relativité des unités, alors que l'item 24 (voir 2.1.2.2) avait laissé planer quelques doutes à ce sujet par la fréquence conjecturable de la confusion entre 0,2 u et 0,2 mm. Le contexte, il est vrai, y était plus défavorable, car ne permettant pas de visualiser l'opposition u / mm aussi clairement qu'ici l'opposition pouce / cm. Il n'empêche que notre classe témoigne, à travers sa bonne performance absolue et relative à cet item, de sa capacité à isoler et à considérer l'information qui compte, en l'occurrence celle qui précise que la mesure doit être donnée en pouces. Rappelons que ce type de compétence a été particulièrement travaillé, à la fois par une variation systématique des unités physiques du registre des droites graduées (voir par exemple Chapitre III-Figure 6) et par les conversions inter-registres 332 Chapitre VI qui, selon Duval (1995 ; p 77), sont fortement liées à la discrimination et la prise en compte des unités signifiantes ; ce qui nous autorise à parler ici d'un transfert de compétences réussi − contrairement à ce que nous avions constaté au paragraphe 2.1.2.2 précédent pour l'item 9. Mais entrons à présent, ainsi que nous l'avons fait pour l'item 16, dans le détail des productions des 5 élèves concernés par la colonne 3 : "autres procédures fausses". On relève auprès de 4 de ces élèves des tentatives de conversion pouces / cm qui échouent suite à une trop grande approximation dans la recherche des équivalences ou suite à une inversion : 1 pouce pour 2 cm (1 occurrence), 1/2 pouce pour 1 cm (1 occurrence) 4 pouces pour 8 cm (1 occurrence avec exhibition de l'opérateur direct x2 et de l'opérateur réciproque ÷2 pour passer des 15 cm à une mesure en pouces !) qui aboutissent à choisir la réponse fausse 8 pouces ; inversion 5 pouces pour 2 cm au lieu de 5 cm pour 2 pouces (1 occurrence). Comme on le voit, des échecs de luxe qui passent tout près de la réussite ; mais aussi des échecs très atypiques, car les élèves de cet âge ont tendance à échouer en s'obstinant dans la recherche illusoire de valeurs exactes plutôt que par un abus des approximations ! Ces observations confirment et renforcent donc les conclusions tirées de l'étude homologue de l'item 16 : notre classe, très normalisée au CE2, présente désormais des caractères d'atypicité surprenants, qui peuvent amener beaucoup d'élèves à la réussite (ce que l'on va voir ci-dessous) et peu d'élèves à un échec qui augure plus un succès dans un futur proche qu'un enlisement dans l'erreur. Report direct de la règle de 4 pouces avec procédures type : "4 trop petit, 8 trop grand" ou encore : "[AB] mesure 1 règle et encore une demirègle, donc 6 pouces" Classe (%) 16 Choix des procédures Nat. (%) 19 Report Mesure de Report direct (au compas par géométrique [AB] en cm (compas par suivie d'une exemple) de l'unité pouce ou exemple) de conversion en pouces mesure directe l'unité pouce obtenues au au moyen d'une vue comme mesurant moyen d'un règle graduée en pouces environ 2,5 cm calcul exact ou approché (par exemple : 15 : 2,5) 21 31,5 31,5 22 36 23 Tableau 32 : répartition du choix des procédures de résolution de l'item 43 sur l’ensemble des élèves qui l'ont réussi 333 Chapitre VI Nous disposons donc pour cet item d'un pointage national à opposer à notre pointage. Comme pour l'item 16, nous avons là encore éprouvé quelques difficultés à décrire toute la diversité observée sur notre population au moyen des quatre catégories prévues par les concepteurs de l'évaluation. Nous noterons une similitude globale de résultats et une légère tendance à la diversification, une fois dans un sens une fois dans l'autre, avec la numérisation croissante des procédures. L'écart le plus important entre la classe et l'échantillon s'observe cependant pour la procédure la plus sophistiquée, rapportée en colonne 4, ce que nous rapprochons d'une certaine aisance à coordonner un registre numérique et un registre géométrique. On observera par ailleurs une répartition assez équilibrée entre les diverses procédures, tant à l'intérieur d'une des deux populations de référence que relativement l'une à l'autre. On opposera ces résultats à ceux du CE2, beaucoup plus inégalement distribués, notamment en ce qui concerne notre classe. Nous pouvons à présent résumer l'étude de ces trois items, en disant qu'indiscutablement des évolutions majeures se sont produites dans cette classe, entre le CE2 et le CM2, concernant le type de compétences examiné. Autant au CE2 nous avions affaire à une classe pusillanime, se risquant peu en terrain inconnu, concentrant sa réussite autour de quelques procédures éprouvées et échouant ailleurs, en un mot une classe normalisée, autant nous observons à présent une classe prenant des risques, diversifiant ses procédures notamment en mobilisant des compétences travaillées lors de notre expérimentation, et marquée par l'atypicité. Le tout se soldant par une réussite nettement supérieure à celle de l'échantillon national. 2.1.2.4. Compétences à résoudre des exercices non routiniers Rappelons que nous tentons d'évaluer ici : d'une part la capacité des élèves à engager et à mener à leur terme des traitements qui ne se réduisent pas à de simples routines ; d'autre part à résister à l'attrait que peuvent exercer certaines routines ou "bonnes habitudes" mécaniquement associées à une série d'indices formels répertoriés lors des séances d'entraînement. La résolution de problèmes numériques, même classiques et pour peu que leur énoncé ne soit pas trivialement congruent à leurs écritures arithmétiques résolvantes, permet assurément de mettre à l'épreuve ces capacités. C'est pourquoi nous avons retenu une première série de quatre items (12, 56, 57, 67) entrant dans cette catégorie. 334 Chapitre VI • L'item 12 demande de démêler les liens entre les quatre termes : classe / élèves / filles / garçons en un réseau cohérent d'inclusions et d'exclusions ; il demande aussi la traduction de ces liens en termes d'additions et de soustractions enchaînées, ainsi que l'élimination de la donnée redondante des 11 garçons de la première classe, malgré la présence du terme de garçons dans la question. • Les items 56 et 57 demandent une appréhension soit au moyen d'une multiplication à trou (50 = 6 x ?), ce qui facilite sans doute I57 , soit au moyen d'une division. Dans ce dernier cas, il s'agira de résister à pousser le quotient au-delà de la virgule, ou encore de gérer correctement la partie décimale : l'éliminer pour I56, reformuler le problème en termes multiplicatifs et soustractifs pour I57. Notons enfin que ces deux items supposent une activité sémiotique de conversion, du type : texte vers production d'une opération arithmétique, suivie d'une interprétation de ses résultats. Cette conversion est plus congruente dans le cas de I56 (il suffit de combiner des données numériques, dans l'ordre de leur apparition dans le texte, au moyen d'une division bien appelée par l'énoncé, et de proposer le quotient comme réponse) que de I57 (données numériques à récupérer dans l'énoncé de l'item précédent et à combiner en vue de la production d'un reste de division, toujours plus délicat à prendre en compte que le quotient). • L'item 67 enfin dont on retiendra la non congruence entre l'expression textuelle (l'énoncé) et l'expression numérique (l'égalité parenthésée résolvante) : modification de l'ordre d'apparition des termes dans l'une ou l'autre forme d'expression ; la monnaie rendue traduite par une opération antinomique (addition). On remarquera aussi que, contrairement à l'item 56, il s'agit ici non d'une tâche de production d'un registre vers un autre, mais d'une tâche de coordination dans deux registres différents, demandant la prise en compte simultanée d'informations verbales et numériques, les dernières présentées sous forme d'une opération fournie par l'énoncé. Le choix de la deuxième série d'items (32, 33, 36, 37, 38) peut paraître plus surprenant dans ce contexte, tant les calculs qu'ils proposent semblent liés à l'exécution d'algorithmes standard. Mais une analyse plus approfondie prouve qu'en réalité ils 335 Chapitre VI supposent de rompre avec certaines bonnes habitudes et donc de prendre des décisions non dictées par une instance extérieure. • Les items 32 et 33 sont posés en lignes. Il s'agira donc soit de les traiter dans la forme où ils sont donnés, soit de prendre la décision de poser l'opération. Dans les deux cas, on est amené à discriminer correctement les divers chiffres par leur position et à les traiter en conséquence, et dans le deuxième cas à résister à la "bonne habitude" des néophytes de l'addition, à savoir l'alignement des chiffres sur la droite. • Les items 36, 37 et 38 sont des calculs approchés et, comme tels, encore largement hors contrat à l'école élémentaire. Ils sont donc déroutants, dans ce sens où ils demandent de se dérouter des sentiers battus. La troisième série enfin est réduite à un item atypique (I58) qui demande de s'affranchir du carcan de l'évidence visuelle (ce qu'on veut bien me donner à voir) au prix d'une déconstruction suivie d'une reconstruction (ce que j'accepte de voir) : • L'item 58 suppose en effet que l'on décompose l'étalon fourni (le cm2) en sous-étalons adaptés à la contrainte des contours irréguliers de la forme (la tour) dont on veut fournir l'aire. Il existe certes une procédure systématique (compter les petits carreaux de la tour, les diviser par 4 (nombre de carreaux du cm2), mais cette dernière demande quand même une "sortie de cadre" (décomposer le cm2 en ses petits carreaux) et n'a jamais été explicitement mobilisée au cours de notre test. Remarque : on pourrait s'étonner que nous n'ayons pas retenu pour cette analyse l'item 68 (réussite de 31 % pour la classe contre 22 % pour l'échantillon) qui faisait partie de notre extrait d'évaluation. La raison en est qu'il nous semblait ambigu. Examinons en quoi. Cet item se rapporte au même énoncé que l'item 67 et demande de cocher, parmi la liste de questions qui suit, "la question qui a été posée à la fin du problème" : 1. Combien a-t-elle dépensé à la boulangerie ? 2. Quel est le prix des pains au chocolat ? 3. Quelle est la valeur du billet donné à la caissière ? 4. Quel est le prix des baguettes de pain ? 5. Combien la caissière rend-elle ? 336 Chapitre VI L'usage de l'article défini "la [question]", confirmé par le code 1 (réussite) associé au seul choix 3., nous semble inadéquat, et correspond à une conception abandonnée parce que trop restrictive des problèmes : un énoncé, une solution, en une ligne d'écriture mobilisant tous les nombres de l'énoncé. Il n'est donc pas rare de trouver dans l'enseignement élémentaire des professeurs qui posent des questions dont la réponse se trouve directement dans l'énoncé et ne demande en conséquence aucun calcul. Ainsi, la question 5. a de nos jours autant de légitimité que la question 3. De même, une question comme la 1. pourrait parfaitement être posée après la 3. et donc "à la fin de ce problème". Examinons à présent les résultats chiffrés de la première série : N° des Items Tâche 12 56 57 Une école comporte Suite de I56… Xavier range 50 Sur une nouvelle deux classes. Dans photos dans un cette école il y a 26 classeur. Il range 6 page, Xavier range les dernières filles. Dans la première photos par page. classe il y a 12 filles et Combien y aura-t- photos. Quel est le nombre de photos 11 garçons. Dans la il de pages sur cette page ? deuxième classe, il y a complètes ? 27 élèves. Quel est le nombre de garçons dans la deuxième classe ? Réussite Classe Nat. Nat. Nat. Classe Classe globale 81 52 57 54 52 69 67 François a écrit le calcul suivant : (5,60 x 7) + (3,10 x 3) + 1,50 = 50 pour résoudre l'énoncé qui suit et qu'il s'agit de compléter : "A la boulangerie, Lucie achète … baguettes à 3,10 F l'une et 7 pains au chocolat à … F pièce. Elle donne un billet à la caissière, qui lui rend … F". Classe 73 Nat. 58 (%) Tableau 33 : réussite aux items non routiniers (1ère série) Nous retiendrons de cet examen le phénomène de la réussite à l'item 12 : un des deux items les moins réussis de cette série à l'échelle nationale est le mieux réussi par notre population ! Mais nous retiendrons aussi le succès relatif et absolu de notre classe à l'item 67, ces deux items nous semblant le mieux caractériser le dégagement des routines obtenu par une gestion maîtrisée d'obstacles sémiotiques (voir analyse de la tâche ci-dessus). Il nous faut aussi nous arrêter au resserrement de l’écart entre les items 56 et 57 : la chute de réussite de la première à la deuxième question portant sur le même 337 Chapitre VI énoncé est plus importante pour notre classe que pour l'échantillon (15 % contre 5 %). Sur les quatre élèves que représentent ces 15 %, deux ont fait une simple erreur de calcul : 8 x 6 = 45 pour le premier, suivi du complément correct à 50, soit 5 comme réponse à I57 ; le deuxième, quant à lui, a obtenu sa réponse à la suite des calculs suivants (que nous retranscrivons avec les maladresses d'écritures) 10 x 6 = 60 – 6 = 54 – 6 = 48 (∗) et conclut alors à "8 pages pleines" (10 – 1 – 1 = 8), ce qui est juste, mais donne le complément à 60 (soit 12) au lieu du complément à 50 pour le nombre de photos de la dernière page. Les deux derniers élèves posent une division et font une confusion entre reste et partie décimale (exemple : 50 ÷ 6 = 8,33 et conclusion à 8 pages pleines et 33 photos sur la dernière page). Ainsi, la moitié de cette chute n'est pas due à une erreur de raisonnement. On appréciera même l'originalité et l'efficacité de la méthode représentée par (∗). Il ne reste donc que deux élèves pour lesquels des remédiations plus lourdes seraient à envisager. La proximité des résultats aux items 56 et 67, malgré une tâche pourtant bien différenciée sur le plan de l'articulation des registres concernés (voir p. 335), nous amène à étudier plus précisément ces deux items croisés dans le tableau de contingence ci-dessous : I56 Réussite Echec Total Réussite 13 6 19 Echec Total 5 18 2 8 7 26 I67 Tableau 34 : étude croisée des items 56 et 67 L'effectif estimé, sous l'hypothèse d'indépendance, de chaque case est très proche de l'effectif observé (par exemple 7 ⋅ 8 ≈ 2,15 ≈ 2), ce que confirme un χ2 égal 26 à 0,022. On peut donc considérer que ces deux items sont bien indépendants, malgré un rangement dans la même catégorie de complexité cognitive. Ceci prouve, si besoin en était, les limites d'une classification comme N.L.S.M.A. (Rauscher ; 1993, pp. 74-75), et 338 Chapitre VI la nécessité d'affiner l'analyse au moyen d'autres critères, au premier des rangs desquels nous plaçons des critères sémiotiques. La classification en "non routinier" recouvre donc des réalités bien différentes, qu'il nous est donné d'éclaircir ici dès lors que la nécessité s'en est fait sentir et que nous étions en possession des données chiffrées permettant une telle investigation. Dans le cas précis qui nous préoccupe, notre analyse (voir p. 335 les mots surlignés) en termes de congruence, de production ou de vérification, de sens de conversion (un registre vers un autre contre articulation en simultané), peut rendre compte d'une telle différenciation de l'activité et de la réussite associée. Elle nous conforte dans l'idée que des travaux de conversion systématiques, balayant toute la diversité de ce type de tâches, sont nécessaires dans la mesure où des élèves capables de réussir à I56 peuvent échouer à I67 et vice versa. C'est ce que nous avons entrepris au cours de notre expérience. C'est ce qui nous a permis sans doute d'enregistrer de vrais succès. C'est ce qu'il conviendrait de poursuivre pour une réponse de fond aux quelques échecs résiduels. Examinons à présent les items calculatoires : N° des Items Tâche 32 33 Calcule : 6,25 + 12,85 Réussite Clas. globale (%) 62 Nat. 79 Calcule : 7,24 – 4,3 Clas. Nat. 38 50 36 37 38 Parmi les Trouver parmi nombres les cinq proposés, nombres : entoure la 100 ; 500 ; meilleure 800 ; 1 000 ; réponse : 10 000 ; le nombre le 250 : 11 plus proche de est proche de : 2 ; 2,5 ; 25 ; 4,9 x 202 250 ; 2 500 Clas. 58 Nat. 44 Clas. 73 Nat. 63 Parmi les nombres proposés, entoure la meilleure réponse : 5 525 + 535 est proche de : 5 000 ; 10 000 ; 1 000 ; 6 000 ; 55 000 Clas. Nat. 92 67 Tableau 35 réussite aux items non routiniers (2ème série) Nous relevons des écarts positifs aux trois derniers items (36, 37, 38). Cela témoigne d'une capacité à se dégager des algorithmes les plus pratiqués à l'école élémentaire française, les fameuses techniques opératoires, dans ce sens où il s'agit bien 339 Chapitre VI de rendre compte de la réponse à des calculs, mais par des voies de substitution à des pratiques usuelles ancestrales, celles des opérations posées. S'affranchir d'un passé aussi lourdement chargé est sans doute un gage d'indépendance. Pari donc tenu et sensiblement gagné. On notera cependant que le même type d'items était déjà mieux réussi par la classe au CE2 (I38, I39 de l'évaluation CE2), mais on observera que d'une part l’écart s'est amplifié, que d'autre part les données sont phonétiquement et graphiquement moins proches de leur résultat qu'au CE2 (par exemple 5 525 + 535 par rapport à 6 000 ou 4,9 x 202 par rapport à 1 000, ce dernier item dénotant une réelle indépendance formelle vis à vis des données, dans la mesure où il suppose que l'on substitue 5 à 4,9). Venons-en à présent aux deux seuls items, I32 et I33, moins bien réussis par notre classe que par l'échantillon sur l'ensemble de l'évaluation. Il est déjà remarquable – et d'une certaine façon satisfaisant – de constater qu'ils concernent des opérations à effectuer, et pas des problèmes à interpréter, même si la disposition en ligne ne les réduit pas à l'exécution de purs algorithmes. Il convient de souligner que, s'il s'agit bien d'items portant sur les décimaux, ils concernent une partie du programme non prise en charge par les logiciels (addition et soustraction). Par ailleurs, on peut constater que l'échantillon national avait l'avantage d'un contexte favorable car, dans le cahier complet de l'évaluation, ces deux items étaient précédés d'items portant sur des opérations déjà posées, ce qui n'était pas le cas de notre texte formé d'extraits de cette évaluation. Les élèves de l'échantillon disposaient ainsi d'un modèle dont ils ont pu s'inspirer. Enfin, 5 de nos élèves, soit à peu près 20 %, ont fait par étourderie une addition en I33 (7,24 + 4,3 au lieu de 7,24 - 4,3), et 4 d'entre eux ont alors trouvé une réponse cohérente (soit 7,54 et pas 7,27 par exemple). Mais une proportion non négligeable de l'ensemble de la classe, 7 sur 26 soit à peu près 30 %, ont donné 3,21 comme réponse à 7,24 - 4,3 (7 moins 4 accolé à 24 moins 3 !). Ce que nous assumons comme une contre-performance, car concernant un leurre sémiotique à propos duquel le travail sur les logiciels aurait dû les prévenir. Qu'en aurait-il été sans un travail systématique sur l'articulation des registres rationnels ? Nous retiendrons, suite à l'analyse de cette deuxième série d'items de la catégorie, l'évolution de cette classe qui tend à présent à mieux réussir que l'échantillon national lorsqu'il s'agit de se risquer hors des lieux communs, mais qui peut réussir moins bien dans des situations plus banales. Constat qui est à l'opposé de celui que nous 340 Chapitre VI avions dressé à l'issue de l'analyse de la même catégorie de compétences, lors de l'évaluation de début de cycle. L'examen du dernier item va confirmer et amplifier ce même constat, dans un cadre où il s'agissait de déranger un ordre géométrique préétabli et / ou de coordonner ce nouvel ordre avec des considérations numériques, donc en dehors de toute normalité : N° de l'item Tâche 58 L'aire de la figure en forme de tour est : … cm2 1 Réussite globale (%) 2 Classe 85 Nat. 63 Tableau 36 : réussite aux items non routiniers (3ème série) L’écart de plus de 20 % est suffisamment significatif pour rendre superflu tout commentaire supplémentaire. En conclusion de ce paragraphe, nous retiendrons tout d'abord que la catégorie "items non routiniers" est bien composite sur le plan cognitif, ainsi que nous l'avions anticipé lors de l'introduction à la section 2.1. Une analyse qualitative de la tâche, item par item, ainsi qu'une étude croisée entre deux items nous ont néanmoins permis de débrouiller les éléments de cette complexité et donc de préciser ce que nous mesurions, ainsi que la nature des progrès constatés en moyenne. La relation entre ces progrès et nos options didactiques d'une part, la pertinence de ces dernières pour analyser certaines des difficultés constatées d'autre part, en sortent confortées. 341 Chapitre VI Nous relèverons ensuite que, pour les moins routiniers de ces exercices déjà sélectionnés sur des critères de non standardisation, la classe se détache nettement de l'échantillon national. Elle affirme par là même un véritable caractère d'indépendance vis à vis d'attitudes convenues. Elle confirme donc une évolution radicale par rapport à ce que son évaluation de début de CE2 pouvait laisser craindre. Si sa capacité à produire des raisonnements originaux se trouve ainsi établie, on relèvera néanmoins une faiblesse étonnante dans sa médiocre gestion des décimales de l'item 33. Elle n'est donc pas prémunie contre tous les trompe-l'œil, ce qui en soi est un constat tout a fait prévisible. Les résultats obtenus par ailleurs (voir 2.1.2.1 et 2.2.2), ainsi que le contexte de présentation de cet item, permettent cependant de relativiser le degré de récurrence et de stabilité de ce type d'erreur, et donc de fournir un pronostic favorable quant son dépassement. 2.1.3. Confirmation du lien entre nos choix didactiques et les évolutions constatées La classe étudiée a donc bien progressé entre le début et la fin de son cycle 3. Nous parlons de progrès, et pas seulement d'évolution, car les deux derniers au moins des quatre types de compétences qui nous ont servi de repères dans cette estimation sont très universellement reliés à la réussite en mathématiques – et sans doute à la réussite tout court. Résumons en quatre points les qualités attachées à l'ensemble des compétences que nous avons examiné : 1. prendre le risque d'innover, ce qui suppose à la fois une bonne maîtrise des schémas tactiques et stratégiques éprouvés, et à la fois la capacité à s'en dégager lorsque cela est nécessaire ; 2. diversifier ses procédures de résolution, notamment en sachant rompre avec un schéma de preuve progressant linéairement des prémisses à la conclusion, et en lui substituant parfois un autre schéma s'organisant dialectiquement autour de l'émission d'hypothèses et de leur preuve ou de leur réfutation ; 3. débrouiller puis coordonner les unités sémiotiques requises pour appréhender un problème mathématique complexe et mener à son terme une procédure permettant sa résolution ; 4. interpréter, exprimer et résoudre les problèmes numériques qui s'y prêtent − formation des rationnels, encadrements, intercalations… −, mais aussi toute autre 342 Chapitre VI situation relevant d'un système muni d'une relation d'ordre total, dans un environnement unidimensionnel. Nous prétendons, et c'est l'essentiel de notre thèse, que les deux derniers points sont tout aussi décisifs que les deux premiers : le numéro 3, qui concerne les mathématiques en général, et le numéro 4, qui concerne plus précisément l'enseignement des rationnels. Pour ce qui est du point 3, notre réflexion rejoint celles d’autres chercheurs, tout particulièrement Raymond Duval. Mais nous n'aurons pas la prétention d'attribuer l'exclusivité de cette réussite à nos seules options d'enseignement, au premier rangs desquelles on trouve le travail sur les logiciels ORATIO. D'autre facteurs, comme la qualité de l'enseignement assuré par le maître de la classe de Sélestat et son engagement dans la recherche, mais aussi l'effet positif sur les élèves d'être pris comme classe expérimentale ont été tout aussi déterminants. Parfaitement conscient de ces effets collatéraux, nous avons néanmoins tenté de dégager, tout au long de la section 2.1.2, en quoi les réussites et les échecs validaient nos grandes orientations, et où pouvaient se situer les faiblesses résiduelles. L'objet de la présente section est de renforcer le lien entre nos choix didactiques et les évolutions positives constatées à la section précédente, autour de deux autres types d'arguments : 1. la spécificité du travail informatique 2. le rappel d'observations qualitatives d'élèves réagissant à la tâche proposée par certains logiciels 2.1.3.1. La spécificité du travail informatique Notre prétention n'est pas de traiter exhaustivement des spécificités d'un enseignement assisté par ordinateur, mais d'indiquer succinctement certaines caractéristiques de ce type d'enseignement en général, et de nos logiciels en particulier, qui peuvent rendre compte des progrès quantitativement mesurés à la section précédente (2.1.2). Notre argumentation tournera essentiellement autour de l'idée de confiance qu'un utilisateur peut accorder à un ordinateur et, au-delà, à des logiciels, par opposition à la confiance qu'on est prêt à accorder à un maître ou à la fiabilité d'une expérience purement physique. 343 Chapitre VI a) L'ordinateur versus le maître Nous avons rappelé p. 342, point 2. à quel point la diversification des procédures de résolution et la compétences à résoudre des exercices non routiniers étaient liées à la disponibilité de processus non linéaires de raisonnement, et en particulier à des processus de type essai / erreur. Gradu5 a été l'occasion d'observer in vivo de tels processus auprès de nos élèves. On se reportera notamment au chapitre IV2.4.4.1 pour un exemple particulièrement significatif. Or de tels processus ne sont envisageables que si des rétroactions fiables sont renvoyées par le dispositif didactique, afin que les élèves puissent mesurer le degré de validité de leurs différents essais et prendre alors les décisions qui s'imposent. Pour que cette relation de confiance fonctionne, et permette au processus de se développer et de produire ses effets d'apprentissage, il est nécessaire que l'utilisateur soit convaincu de la neutralité cognitive du système rétroagissant "afin qu'ils renoncent [les élèves] à tirer de lui les informations et les aides qu'ils ne doivent tirer que d'eux-mêmes" (Brousseau ; 1986-b, p. 142), ou encore qu'ils ne s'épuisent pas dans la recherche souvent illusoire de "la bonne réponse" (ibid ; p. 132) dont le maître serait le dépositaire exclusif. Or on ne pourra nier que pour assurer cette neutralité, un ordinateur n'a pas son équivalent humain : il n'adapte pas ses réponses en fonction de la nature de la question et de l'identité de celui qui la pose ; il n'a pas de programme officiel à boucler, de comptes à rendre à l'institution ou aux parents ; il n'a pas d'objectifs d'enseignement, n'attend pas en conséquence la réponse qui aille dans le "bon sens", n'a donc aucune raison de falsifier, d'anticiper ou de dissimuler, et par là même de transformer en devinette un processus de preuve. b) L'ordinateur versus l'expérience physique Rien ne remplacera une expérience physique pour apprendre à rouler à bicyclette. Parce que l'utilisateur a besoin d'éprouver dans son corps les sensations de recherche d'équilibre, de vitesse, ou encore d'amortissement des chocs pour devenir expert… En ce qui concerne l'apprentissage des mathématiques, une expérience physique n'est ni nécessaire ni suffisante, mais il faut bien reconnaître qu'elle peut contribuer à fournir des occasions et, surtout, des équivalents empiriques aux objets et transformations mathématiques enseignés. Mais il n'est pas toujours aisé, au stade de la scolarité étudié, de trouver une situation physique qui nécessite vraiment un nouveau modèle mathématique pour sa résolution. Par exemple, l'évaluation des longueurs en termes d'unités "composées" ou "complexes", comme dans 2 m 58 cm, est suffisamment 344 Chapitre VI efficace pour permettre de résoudre la plupart des situations pratiques – de comparaison, d'addition, de partage… – et par conséquent de s'affranchir d'une expression fractionnaire ou décimale (Brousseau ; 1986-b, p. 147) que la problématique de mesure était censée engendrer... De nouveaux modèles mathématiques "plus performants", supposés être naturellement portés par des situations physiques, sont ainsi souvent perçus par les élèves comme "une complication, une exigence supplémentaire superflue" (ibid ; p. 148), et donc finalement artificiels. Tout au plus y voient-ils alors une manière plus compacte d'enregistrer l'information, mais beaucoup moins pertinente et commode pour l'interpréter et la traiter, ce qui est paradoxal, puisque c'est essentiellement pour ces deux dernières raisons que les modèles sont développés. D'où la rupture de confiance… L'ordinateur quant à lui permet de simuler certaines expériences physiques sans distorsion (contrairement à une simulation de conduite d'une bicyclette). Par exemple, toutes les actions de reports et de subdivisions que l'utilisateur entreprend à l'écran pour les logiciels de la série Gradu sont clairement transposables dans un univers physique papier / crayon ou encore plus matériel comme des réglettes en bois. Cette simulation a l'avantage de limiter les risques de contresens pouvant résulter de l'accumulation des imprécisions inhérentes aux manipulations matérielles. Elle est en outre beaucoup moins coûteuse en temps de préparation, d'intervention, de rectification ; elle incite donc beaucoup plus à entreprendre des essais à risque – de se tromper –, car les conséquences d'une éventuelle erreur, en termes de temps et d'actions de "réparation" et de reprise, sont beaucoup moins pénalisantes dans ce contexte. L'ordinateur permet donc de conserver les équivalents empiriques porteurs de sens signalés plus haut, tout en minorant notablement les défauts et incertitudes stériles qui leur sont liés. C'est là un premier ensemble de raisons susceptible de provoquer la confiance d'un utilisateur. Mais nous voyons dans la simulation sur ordinateur un autre avantage qui va permettre de rompre avec cette démarche artificielle consistant à imposer, au nom de manipulations physiques censées le nécessiter, un nouveau modèle réputé plus pertinent alors que les anciens suffisent manifestement. C'est que, en épurant une situation physique, notamment en limitant les moyens d'agir sur elle à un champ de contraintes acceptables car dépendant d'une machine, la simulation sur ordinateur la "sémiotise", dans ce sens où elle n'est plus l'expérience mais qu'elle y renvoie. Dès lors, l'émergence des modèles alternatifs n'est plus seulement provoquée par l'amélioration des modèles existants, sous la pression de l'environnement physique – on vient de le voir souvent 345 Chapitre VI factice –, mais par la nécessité de les articuler à d'autres registres. Ainsi, a prend son b sens, non pas tant d'une insuffisance des entiers pour la mesure que : d'une part de la nécessité de désigner numériquement un point d'une droite, situé entre d'autres points, eux-mêmes déjà associés à d'autre nombres, entiers ou pas ; d'autre part des actions à produire – reports, subdivisions… – pour atteindre ce point sous les contraintes du logiciel. Ce moins d'artifice par rapport aux expériences physiques couramment mobilisées à l'élémentaire pour motiver l'apprentissage des mathématiques offre un deuxième ensemble de bonnes raisons d'accorder sa confiance. Cette dernière relation de confiance est du même ordre que celle accordée à un système comme l'écriture pour signifier : système d'une grande souplesse d'utilisation et susceptible de s'articuler à d'autres systèmes, auditifs, visuels figuratifs, iconographiques, pictographiques… c) La pertinence des logiciels liés à notre expérience Bien entendu, tout logiciel ne produira pas cette relation de confiance, indispensable pour accepter et intégrer ses rétroactions à un processus de preuve et réfutation. Nos logiciels ont-ils atteint cet objectif ? Rappelons tout d'abord qu'ils ont été développés autour d'un cahier des charges : laissant à l'utilisateur la responsabilité des décisions stratégiques, et notamment celle de stopper le processus de recherche ; largement ouvert aux procédures empiriques et donc non orienté vers la procédureexpert – sauf au moment du corrigé ; proposant des rétroactions minimales, non standardisées mais au contraire personnalisées par le type d'action qui les a produites, conçues comme moteurs de relance plutôt que fins de non recevoir ; offrant des aides sans les imposer, c'est à dire choisies ou réfutées librement par l'utilisateur. On voit donc que le cahier des charges fait délibérément le pari de l'intelligence et de la responsabilité de l'élève, ce qui est un solide gage de retour de confiance. Mais la meilleure façon de vérifier cette relation de confiance réside dans l'observation directe des élèves et de leur attitude lors des passations. C'est ce que nous allons à présent rappeler. 2.1.3.2. Observations qualitatives d'élèves lors des passations sur les logiciels Deux indicateurs vont nous permettre d'estimer le degré de confiance que nos élèves ont accordé à nos logiciels : 346 Chapitre VI • la prise en compte des rétroactions du logiciel dans leurs procédures de résolution ; • le temps au-delà duquel on aurait pu enregistrer les premiers signes de désintérêt. En ce qui concerne le deuxième point, nous rappellerons que l'expérience s'est déroulée sur deux années consécutives, trois mois la première année, cinq mois la deuxième, à raison de deux séances de trois quarts d'heure en moyenne par semaine, soit environ soixante-dix séances de passation sur les logiciels. Or, malgré la durée importante de cette expérience, les élèves n'ont jamais exprimé le moindre sentiment de lassitude au moment de se rendre à la salle informatique. Bien au contraire, cette séance était attendue et réclamée. Par ailleurs, l'observation directe des élèves témoigne de leur engagement et de leur acharnement à rechercher des solutions aux problèmes posés par les logiciels. Des temps de réponse voisins de 10 minutes ne sont ainsi pas rares, jusqu'au mois de février 1998, soit lorsque l'expérience touchait à sa fin. Et cette lenteur n'était pas le produit d'une démobilisation, mais d'une intense activité mathématique qui entendait mener à son terme le processus de recherche engagé. Bien entendu, nous avons aussi relevé, une fois ou l'autre, en fin de séance, l'expression d'une certaine lassitude, notamment consécutive à des échecs persistants. Mais cette lassitude ne s'est jamais répercutée d'une séance à l'autre : on repartait chaque fois avec la même volonté de relever les défis, y compris ceux laissés en attente. En ce qui concerne le premier point, nous nous contenterons de renvoyer ou de résumer des observations qualitatives rapportées aux chapitres IV et V. Nous structurerons ces rappels autour des trois premières compétences évaluées en 2.1.1 et 2.1.2 − la dernière concernant les droites graduées relevant de l'évidence. Nous serons ainsi à même de confirmer à la fois l'adhésion de nos élèves aux logiciels − notamment à leurs rétroactions −, et à la fois les liens évidents entre cette forme d'activité et leurs progrès évalués en 2.1.2. a) Activités favorisant un fonctionnement sémiotique complexe Nous avons choisi d'illustrer ce premier point au moyen des logiciels de la série Gradu (voir chapitre IV-2.4.4 pour plus de détails), mais nous aurions tout aussi bien pu trouver des exemples dans l'une des autres séries – par exemple Format2 traité en V-2.4.2 ou encore Form2gra traité en V-2.4.4. Les premières difficultés sérieuses apparaissent avec Gradu2. Pour déposer 26 entre 25 et 30, des élèves demandent une resubdivision de l’intervalle en 1 sous347 Chapitre VI intervalle (1 = 26 - 25 !), au lieu des 5 sous-intervalles nécessaires pour pouvoir accéder à la première graduation et y déposer 26. De même, pour placer 43 entre 39 et 49, s’ils réalisent que des sauts de 2 en 2 sont adéquats, ils ont beaucoup de mal à comprendre que ce 2 s’obtient au moyen d’un 5 ! (les 5 sous-intervalles nécessaires pour progresser de 2 en 2, entre 39 et 49, ) : les signes du registre (bornes, pas, fractionneur, intervalles) sont encore mal reliés, les leurres sémiotiques sont fréquents. Gradu3 va révéler une meilleure prise en compte des signes du registre : peu d’élèves se laissent piéger par les longueurs physiques des segments à l’écran (un segment peut être plus long mais traduire une valeur numérique plus petite qu’un autre segment ; seules les bornes et le nombre de graduations sont signifiantes). Gradu4 vient valider les premières impressions de Gradu3, à travers ces remarques d’enfants : « ce qui compte, c’est les nombres » (entendre les bornes versus la position plus ou moins à gauche ou les longueurs physiques) ; « s’il y a plus d’intervalles, c’est plus petit » (sous-entendu, à pas constant). Gradu5 qui sera surtout abordé au point c). ci-dessous, va confirmer cette dissociation des univers physique et sémiotique : on accepte que 1 graduation de plus ne corresponde pas à 1 de plus, et, à l’inverse, on va admettre que 3 sous-graduations de plus peuvent correspondre à 1 de plus (voir IV-Figure 20). Ces informations se déduisent des seules unités signifiantes du registre et pas d’associations hâtives de type 1 pour 1. Bien entendu, cette progression n’est pas linéaire : certaines régressions de type « plus long, plus grand » peuvent être constatées, notamment lorsque les longueurs physiques sont sensiblement les mêmes. Constatons que l'apprivoisement d’un environnement sémiotique complexe et piégeant a eu lieu beaucoup plus rapidement que ce que le pointage initial de ces élèves au niveau du CE2 aurait pu laisser supposer. Nous pourrions ajouter : ils n’avaient pas le choix ; plongés dans un univers où les actions et rétroactions sont résolument et avant tout sémiotiques, on ne pouvait assister qu’à des impasses ou à une adaptation. C’est heureusement la deuxième hypothèse qui s’est trouvée être la bonne. b) Activités favorisant la diversification des procédures Un des exemples les plus significatifs de diversification des procédures a été rapporté lors de l'étude de Fracti5, exercice 4. Il concerne la comparaison des fractions et a été traité en V-1.6.5. Nous invitons le lecteur à s'y reporter pour plus de détails. 348 Chapitre VI Mais on en trouvera d'autres exemples dans l'étude de Fracti4 en V-1.6.4, qui concerne l'intercalation de fractions, ou encore de Format2 en V-2.4.2, qui se rapporte à la comparaison des décimaux. Ils montrent que cette classe, timorée et univoque en début de CE2, va devenir inventive et diversifiée : les ressources des différents registres sont suffisamment riches, en termes de multiplicité d’actions ou de regards possibles sur les signes et les liens qui assurent leur cohésion, pour permettre l’éclosion de cette diversité. c) Activités favorisant la résolution de problèmes non routiniers Gradu5 constitue le meilleur test pour apprécier l’attitude de la classe face à des problèmes complexes. La tâche est vraiment ardue, à tel point que nous avions longuement hésité avant de proposer ce logiciel à ce niveau de la scolarité. On se reportera en IV-2.4.4.1 pour s'en convaincre. En tout état de cause, on observe une attitude résolument positive, des prises d’initiatives risquées, la mise au point progressive de procédures nouvelles, l’énoncé des premiers algorithmes. On est loin de l’attitude de renoncement face à l’imprévu et aux problèmes non routiniers constatée au CE2. 2.1.4. Conclusion de la section 2.1 Il est temps de conclure cette première analyse des données de notre expérimentation dans la classe de Sélestat. Nous avons défini a priori quatre types de compétences qui nous paraissaient pertinents pour l'évaluation de cette expérimentation. Nous avons alors extrait de l'évaluation nationale de début de CE2 certains items permettant d'étalonner la classe vis à vis des quatre types de compétences. En l'absence de résultats détaillés élève par élève, il ne nous été possible de proposer à ce stade que des validations qualitatives de la pertinence des types de compétences retenus et de l'adéquation des items choisis à ces derniers. L'ensemble nous a révélé une classe timide, peu encline à prendre des risques, à se diversifier, notamment dans le cas d'activités à énoncé sémiotiquement complexe ou présentant un caractère non routinier. Nous avons testé en fin de cycle la même classe, au moyen d'items extraits de l'évaluation nationale à l'entrée en 6ème et se rapportant aux mêmes types de compétences. Disposant alors de résultats détaillés élève par élève, nous avons été en mesure d'apprécier plus quantitativement la pertinence des quatre types de compétences 349 Chapitre VI ainsi que l'adéquation des items retenus à leur évaluation. Cette appréciation nous a permis de mesurer les limites de cette catégorisation, mais en même temps d'en préciser la complexité. Les éléments de cette analyse ont apporté une première confirmation au bien-fondé de nos grandes orientations didactiques, et ont ouvert la voie à des investigations ultérieures, notamment en ce qui concerne les spécificités du registre de la langue naturelle. La classe observée s'est révélé présenter, à l'opposé de ce que nous avions constaté en début de cycle, tous les signes d'une forme productive d’atypicité : plus à l'aise que l'échantillon national lorsqu'il s'agit d'innover, de risquer des procédures non standard, de débrouiller une complexité sémiotique ou un énoncé non convenu, une classe en un mot qui, de conformiste et univoque, est devenue originale et plurielle. Encore convient-il de préciser que ce gain d'originalité s'accompagne d'un gain dans la réussite puisque l'écart avec l'échantillon national a été creusé à l'avantage de notre population. Enfin, en s'appuyant sur le rappel d'observations menées lors des séances d'apprentissage au moyen des ordinateurs, nous avons été en mesure de relier cette évolution positive à la spécificité de certains de nos choix didactiques, notamment l'environnement informatique et les options retenues pour le développement des logiciels. Après avoir validé notre recherche globalement, par le biais d'une évaluation qui prenait quelque distance avec le contexte d'apprentissage et qui tentait d'apprécier des compétences générales, il nous reste à en proposer une évaluation plus locale, portant spécifiquement sur des compétences liées à la maîtrise des rationnels, donc aux contenus mêmes de l'apprentissage. C'est ce que nous allons examiner à la section suivante. 2.2. Evolution des performances de la classe observée, mesurées par des tests locaux Nous allons donc étudier dans cette section les résultats de nos élèves à des extraits de trois évaluations – dites locales – principales, complétées par une quatrième évaluation-pronostic, toutes élaborées par nos soins, et dont la passation s'est tenue à des moments clés de l'expérimentation. 350 Chapitre VI 2.2.1. Constitution du recueil de données Il s'agissait pour nous de disposer d'un outil permettant : d'apprécier les évolutions des élèves vis à vis de l'acquisition des connaissances et compétences exposées en 1.1 ; de contrôler voire d'ajuster certains paramètres de notre expérimentation. Devant la quantité importante de données ainsi recueillies, nous avons décidé de ne retenir pour l'analyse qu'une partie des items proposés aux élèves. La sélection de ces derniers devait permettre de rendre compte des évolutions, critère que nous avons déjà privilégié en 2.1. Les items retenus se devaient par conséquent d'être opposables, et donc présenter, ligne par ligne (voir tableaux 28 et 30), des caractères de comparabilité. Se sont ainsi trouvés éliminés les types d'items non repris d'un test au suivant : soit parce que trop liés à une conjoncture, soit encore parce que repérés comme non pertinents, ambigus ou maladroits, au cours d'une évaluation antérieure. Nous avons signalé que les passations avaient eu lieu à des moments clés de l'expérimentation, soit une première fois en fin de CM1 (juin 97) après un premier passage sur l'ensemble des logiciels de traitement ; une deuxième fois en début de CM2 (octobre 97), après un deuxième passage sur les logiciels de traitement ; une troisième fois en fin de CM2 (mai 98), après passage sur les logiciels de conversion et trois mois après la dernière séance. Nous reviendrons plus loin sur la quatrième évaluation. La nature des items proposés à chacune de ces évaluations était donc liée à l'état d'avancement des travaux dans la série ORATIO. On serait ainsi autorisé à penser que certains types d'items, notamment de la troisième évaluation, pourraient ne pas être représentés aux deux premières et en conséquence ne pas être opposables. On verra en fait que c'est rarement le cas, car nous avons choisi de mesurer certaines compétences, sitôt que les élèves disposaient des moyens de comprendre l'énoncé qui en rendait compte, anticipant légèrement sur leur apprentissage systématique. On verra ainsi apparaître des énoncés de conversions inter-registres aux évaluations de 97, soit avant l'étude des logiciels de conversion, mais à un moment où les élèves disposaient déjà des trois moyens, abordés par notre étude, d'exprimer les rationnels, et avant que les liens entre ces trois registres soient explicités. Il s'agissait pour nous de tester, dans un environnement papier / crayon, dans quelle mesure certaines conversions spontanées observées en phase d'apprentissage étaient reproductibles et fréquentes. 351 Chapitre VI Ayant précisé les conditions générales du recueil des données, étudions à présent trois cas de conditions plus particulières que l'on pourra relever à l'examen des tableaux 28 à 31. Afin de faciliter cette investigation, on pourra d'une part se reporter aux annexes nnn qui fournissent les énoncés complets de chacun des items étudiés – alors que les tableaux 28 et 30 n'en fournissent qu'une version abrégée –, et d'autre part à la légende suivante qui détaille la structure de chaque mnémonique. Pour chacun d'entre eux, nous utilisons un groupe de lettres rappelant le statut sémiotique de l'item qu'il désigne, suivi d'un numéro qui rappelle son rang d'apparition dans le texte de l'évaluation totale, tel que proposé aux élèves. La liste suivante fournit la signification de chaque groupe de lettres : • D renvoie à des exercices de traitements d'écritures décimales ; • Q renvoie à des exercices de traitements d'écritures fractionnaires ; • GR renvoie à des exercices de traitements de droites graduées ; • CV renvoie à des exercices de conversion d'un registre à un autre ; • Ch_reg (comme Ch(angement) (de) reg(istre)) renvoie à une articulation de registres, et donc notamment à des énoncés de problèmes qui demandent de coordonner des registres textuels, graphiques, numériques… La différence entre les catégories CV et Ch_reg tient à ce que la première décrit des exercices demandant de passer séquentiellement d'un registre à un autre, alors que la seconde suppose une prise en compte interactive de deux, voire de plusieurs registres. Ces problèmes de nomenclature étant réglés, entrons à présent dans le détail des cas particuliers. a) Premier cas particulier On notera la présence de quatre items (CV17, Cv18, Che_reg03, Che_reg04), en bas de la colonne "mai 98" du tableau 28, séparés des autres items par un blanc. Il s'agit d'items non opposables à des items issus des évaluations antérieures, car portant sur des conversions et articulations de registres spécifiques – comme l'interprétation fractionnaire des décimales d'un nombre – et qui donc ne pouvaient s'aborder avant l'étude des logiciels de conversion. Ces items feront donc l'objet d'une étude à part. b) Deuxième cas particulier Nous avons séparé l'étude des problèmes – c'est à dire des items demandant une interprétation poussée de l'énoncé et des reformulations intra ou inter registres avant sa 352 Chapitre VI résolution – des exercices – soit des items à formulation plus épurée. Rappelons que notre dispositif ne prévoyait pas explicitement, au départ, un travail spécifique sur les énoncés de problèmes, notamment physiques. Cet enseignement était donc volontairement laissé à la discrétion du maître de la classe, afin d'apprécier, en dehors de toute intervention didactique expérimentale, l'occurrence et l'efficacité, au service de la résolution de problèmes, des recours aux outils élaborés lors de la phase logicielle. Cette étude va en fait révéler certaines carences du dispositif, débouchant sur les améliorations proposées au chapitre III-4.6, et sur des propositions d'accompagnement papier / crayon plus systématique des logiciels, ainsi que les fiches pédagogiques de l'annexe nnn le proposent. c) Troisième cas particulier Il s'agit de la quatrième évaluation de juin 98, non prévue initialement, annoncée comme une évaluation-pronostic, et dont il est temps de préciser l'origine et le projet. Nous allons en effet constater, à la lecture du tableau 29, certaines régressions et insuffisances de fin de parcours révélées par l'évaluation de mai 98. Nous exposerons de nombreuses explications conjoncturelles susceptibles de rendre compte de ces contreperformances. Mais nous nous devions d'examiner s'il existait des raisons plus structurelles, liées par exemple à nos choix didactiques, afin de procéder à d'éventuelles remises en cause. Mais pour cela, un système de notation en 0 / 1 ne suffit pas. Un tel système est trop brutal, car entre ignorance et savoir, il y a évidemment des états intermédiaires que l'on pourrait idéalement modéliser, non par un seul indicateur binaire, mais par une suite d'indicateurs binaires dont la valeur, 0 ou 1, permettrait d'évaluer l'état précis des acquis et des carences dans la constitution d'un savoir. Un seul de ces indicateurs à 0 suffirait pour mettre à 0 l'indicateur résultant, le seul dont nous disposons pour un item ordinaire d'une de nos évaluations. Un tel système n'est évidemment ni disponible ni sans doute souhaitable, mais il est possible d'en proposer une approche indirecte. En effet, dans ce modèle, la présence de nombreux zéros signerait un défaut structurel d'enseignement / apprentissage, alors que des indicateurs majoritairement à 1 témoigneraient d'un apprentissage quasi abouti malgré la rémanence de quelques lacunes. On conçoit que dans le premier cas, seule une intervention lourde serait susceptible d'y remédier ; alors que dans le deuxième, une intervention légère serait suffisante. 353 Chapitre VI L'hypothèse que nous souhaitions vérifier, désignée dans la suite de cette section par hypothèse H1, était donc la suivante : Le savoir d'une majorité de nos élèves, relatif aux quelques items de l'évaluation de mai 98 les moins réussis, est proche de l'aboutissement malgré le faible score qu'ils ont obtenu. Pour valider cette hypothèse, nous nous proposons de tester une de ses conséquences observables, à savoir qu'une intervention didactique légère suffit à augmenter notablement la réussite aux items concernés ; une telle intervention ne pouvant pas suffire dans l'hypothèse contraire. Nous avons donc personnellement mené cette intervention, dans un environnement exclusif papier / crayon / tableau noir, en une seule séance de trois quarts d'heure, début juin 1998. Au cours de cette séance, nous avons repris deux fondamentaux du registre des écritures fractionnaires, et leur interprétation au moyen du registre des droites graduées : la prise en compte des bornes entières du repère pour interpréter le nombre de graduations en termes de quantièmes (placer 2/5 sur un segment dont les extrémités visibles sont 0 et 2 demande un pas de raisonnement de plus que dans le cas d'un segment dont les extrémités sont 0 et 1) ; la comparaison des fractions aux entiers, ou à d'autres fractions simples comme 1/2, en liaison avec une expression sur droite graduée. On se rappellera que, lors des passations logicielles, les élèves avaient témoigné d'une approche très diversifiée et remarquablement pertinente de ces problèmes (voir chapitre IV-2.4.4.1. concernant Gradu5 et V-1.6.5). Il était donc légitime de réactiver des compétences, acquises plusieurs mois auparavant, et qui avaient, en leur temps, fait la preuve de leur efficacité auprès des élèves, et provoqué l'étonnement des enseignants par le seul fait de leur disponibilité. Suite à cette unique intervention, les élèves ont à nouveau été testés le surlendemain, sur une reprise des items les moins réussis en mai – bien entendu seul le type d'item a été conservé, pas les valeurs numériques. Ce dernier test constitue donc l'évaluation-pronostic, dans ce sens où cette dernière devait permettre de mettre à l'épreuve l'hypothèse H1 énoncée ci-dessus, et donc de formuler un pronostic sur la nature et la pérennité des échecs constatés. Elle a eu lieu en juin 1998 et a conclu l'ensemble de l'expérimentation. 354 Chapitre VI Nous allons à présent étudier les renseignements que nous apporte l'étude des résultats. Nous diviserons cette étude en quatre parties, correspondant au cas général d'une part, et aux trois cas particuliers énoncés p. 352 d'autre part. 2.2.2. Cas général : étude des tableaux 28 et 29, partie haute, colonnes de juin 97, octobre 97, mai 98 La série d'items concernés par cette analyse teste des compétences générales et élémentaires concernant la maîtrise de l'expression des rationnels dans les trois registres mobilisés. Il s'agit d'items de type exercice que l'on caractérisera, par opposition aux items de type problème, par un énoncé épuré, ne nécessitant pas de reformulations ou d'interprétations lourdes pour sa résolution. Examinons les résultats obtenus. 355 Chapitre VI Les items comparables juin-97 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 D03 : p.petit 5,14&5,6 D02 : p.petit 3,08&3,4 D10 : rgt 7,25 ; 7,8 ; 6,148 ; 7,09 D11 : intercale entre 7,4&7,5 D12 : intercale entre 7,9&8 oct-97 D01: p.petit3,7&3,16 D03 : p.petit5,3&5,0009 D05 : rgt 4,07 ; 4,6 ; 3,345 ; 4,35 D06 : intercale entre 5,6&5,7 D07 : intercale entre 5,9&6 Q11 : entoure 4/7<1 ; 4/7>1 ; 4/7>1/2 Q17 : Intercale entier 4/7<...<5/3 Q12 : Intercale entier 9/4<...<11/3 Q18 : Intercale entier 21/4<...<27/4 Q13 : Intercale entier 22/5<...<27/5 Q19 : Intercale a/b entre 6&7 Q14 : Intercale a/b entre 2&3 Q15 : rgt 1/7 ; 1/3 ; 1/10 Q23 : rgt 7/10 ; 2/4 ; 4/3 Q16 :rgt 3/6 ; 7/5 ; 5/8 GR02 : rgt 3 ratio pointés sur 3 dtes gr. GR01 : rgt 3 ratio pointés sur 3 dtes gr. GR06 : entier? (7) de [4;8] (4 ss-interv.) GR05 : entier? (7) de [4;9] (5 ss-interv.) GR07 : non entier? de [3;5] (3 ss-interv.) GR08 :non entier? de [2;6] (5 ss-interv.) GR09 : entier? (7) de [5;8] (6 ss-interv.) GR07 : entier? ( 9) de [6;10] (8 ss-interv.) CV03 : 8/10 sur [0;2] CV06 : 3/5 sur [0;2] part. en 20 interv. CV08 : associer fracs et parts de tarte CV03 : produire 3/4 assoc. parts de tarte CV01 : 5/6 solution? p. tarte vs dte gradu mai-98 D01 p.petit 5,2&5,18 D02 : p.petit 15,09&15,4 D03 : rgt 11,432 ; 12,7 ; 12,09 ; 12,54 D04 : intercale entre 6,3&6,4 D05 : intercale entre 6,9&7 Q01 & Q02 : 3/5…1 ; 3/5…1/2 QO3 : intercale entier 8/3<…<13/4 QO4 : intercale entier 28/5<…<32/5 Q05 : intercale a/b entre 5&6 Q07 : rgt 1/5 ; 1/4 ; 1/10 Q08 : rgt 4/8 ; 7/6 ; 4/5 GR01 : rgt 3 ratio pointés sur 3 dtes gr. GR02 : entier? (8) de [5;9] (4 ss-interv.) GR03 : non entier? de [2;8] (4 ss-interv.) GR04 : entier? (7) de [5;8] (9 ss-interv.) CV01 : 7/10 sur [0;2] (20 ss-interv.) CV03 : 4/5 sur [0;2] (20 ss-interv.) CV07 à CV10 : assoc. fracs & parts d. tarte CV11 : produire 3/8 assoc. parts de tarte juin-98 Q01&Q02 : 13/8...1 ; 5/8...1/2 Q04 : Intercale entier 15/4<..<22/5 Q05 : Interc. entier 27/10<..<32/10 Q06 : Intercale a/b entre 1&2 Q07 : rgt 1/6 ; 1/2 ; 1/10 Q08 : rgt 5/10 ; 13/6 ; 3/4 CV01 : 6/10 sur [0;2] (20 ss-interv.) CV03 : 2/5 sur [0;2] (20 ss-interv.) CV 17 : écr. 3,14 comme entier+fraction(s) CV 18 : écr. 3,14 comme a/b Ch_reg03:dte gradu. vers 4,8;5,7;6,1 vs a/b Ch_reg07 : rgt. 2,8 ; 2+1/3 (d. gradu.) ;11/4 Ch_reg07:rgt 3/4;1/3 (d. grad.);0,25 Tableau 37 : énoncés abrégés des items comparables des quatre évaluations locales Chapitre VI Evolution du score des items comparables 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 juin-97 oct-97 mai-98 D03 D02 D10 D11 D12 D01 D03 D05 D06 D07 Q11 Q12 Q13 Q14 Q15 Q16 GR01 GR05 GR08 GR07 CV03 CV06 CV08 CV01 D01 D02 D03 D04 D05 Q01&Q02 Q03 Q04 Q05 Q07 Q08 GR01 GR02 GR03 GR04 CV01 CV03 CV07 CV11 Q17 Q18 Q19 Q23 GR02 GR06 GR07 GR09 CV03 juin-98 Q01&Q02 Q04 Q05 Q06 Q07 Q08 juin-97 oct-97 mai-98 juin-98 54% 58% 33% 75% 46% 50% 44% 85% 48% 67% 63% 41% 41% 52% 37% 56% 44% 78% 85% 89% 78% 70% 33% 78% 85% 88% 92% 69% 92% 88% 35% 31% 27% 46% 65% 35% 81% 96% 100% 62% 54% 31% 100% 92% 88% 92% 69% 92% 88% 73% 62% 54% 65% 85% 54% 81% 96% 100% 62% 92% 50% 100% 92% 49% 62% 68% 79% 77% 35% 65% 19% 73% 25% 25% 33% 29% 75% 67% 71% 50% CV01 CV03 Moyenne CV17 CV18 Ch_reg03 Ch_reg07 Ch_reg07 Tableau 38 : résultats aux items comparables des évaluations locales Chapitre VI Constatons tout d'abord une évolution croissante des moyennes, accélérée en fin de parcours si on remplace mai 98 par juin 98 (dont la moyenne de 79 % prend en compte l'ensemble des résultats : en noir le score des items repassés en juin 98, en blanc la reprise des scores des items de mai 98 non repassés en juin). Un résultat global tout à fait rassurant, mais qu'il faut bien tempérer par certains examens de détail. Items D ; GR ; CV associés aux parts de tarte Nous observons une progression presque uniformément régulière en ce qui concerne ces items, atteignant de très hauts scores en fin de cursus, à l'exception des items de mai 98D03 et GRO4, malgré tout supérieurs à 60 %. Une comparaison du score de mai98-D03 (69 %) avec les résultats obtenus la dernière année où un item analogue a été proposé lors d'une évaluation nationale (septembre 1994, item 58 ; 58 %) nous rassure cependant quant au niveau relatif atteint dans ce secteur par nos élèves. En ce qui concerne mai98GR04 (62 %), le regroupement des graduations 3 par 3, au lieu de 2 par 2 pour oct97GR07 (78 %), explique sans doute la légère baisse de réussite. Enfin, nous ne sommes nullement surpris par la réussite croissante, partant et atteignant de hauts niveaux, des items des lignes 18 et 19, convertissant des fractions en parts de tarte et réciproquement. L'étude menée notamment au chapitre IV-3.3 nous a déjà suffisamment renseignés à ce sujet. Nous retiendrons en conséquence des résultats tout à fait honorables dans ce secteur, sur lequel nous ne nous pencherons plus désormais. Items Q ; CV (autres que ceux des deux dernières lignes) Examinons à présent le groupe d'items des lignes 6 à 11 et 16 à 17. Ces items concernent soit des traitements portant sur des écritures fractionnaires, soit des conversions fractions vers droite graduée. Ils sont aisément repérables dans les tableaux 29 et 30, dans la mesure où tous ont dû être repris lors de l'évaluation de juin 98. Ils se caractérisent par : • des taux de réussite faibles à quelque évaluation que ce soit ; • une régression de octobre 97 à mai 98, à l'exception des items des deux lignes 9 et 10. On pourra évoquer pour ces deux exceptions, soit des variations dues au hasard – vu le faible écart de 9 % qui sépare les scores dans les deux cas –, soit, en ce 359 Chapitre VI qui concerne la ligne 10, la simplicité des traitements nécessaires à la résolution : il suffit en effet de ne considérer que la ligne des dénominateurs, soit un traitement unidimensionnel, en prenant l'information, certes à rebours, mais sans transformation ni obligation de la conjuguer sur deux lignes distinctes, comme ce sera le cas lorsqu'il faudra tenir compte simultanément du numérateur et du dénominateur. Ce traitement peut en outre être facilité en mai 98 par la présence de 1/4, qui est une fraction bien appropriée, et qui peut donc fournir un repère précieux pour corriger d'éventuelles erreurs. Il n'empêche que la tendance générale est à la baisse, pour des items complexes puisqu'ils demandent de conjuguer de l'information issue de deux lignes distinctes et / ou deux registres distincts, puis parfois de la transformer et de l'interpréter avant de fournir la solution. Ainsi, mai98-Q03 peut demander : 1. de conjuguer numérateur et dénominateur pour en extraire la partie entière ; 2. de transformer 8/3 en 2 + 2/3, 13/4 en 3 + 1/4 ; 3. d'interpréter enfin ces deux écritures avant d'accepter l'entier 3 comme unique solution (certains élèves ont réussi les points 1 et 2, mais ont échoué à 3). Mai98-CV03 quant à lui peut demander : 1. d'isoler le dénominateur du numérateur, d'éliminer le numérateur comme information non pertinente au départ (registre 1) ; 2. d'activer les 10 graduations de l'intervalle [0 ; 1], d'écarter celles de [1 ; 2] (registre 2) ; 3. de conjuguer le 5 du dénominateur avec le 10 du nombre de graduations, pour procéder au regroupement de ces dernières 2 par 2 (coordination des registres 1 et 2) ; 4. de prendre en compte le numérateur et de le conjuguer avec les graduations pour déposer la fraction à la bonne place (coordination des registres 1 et 2). Nous retrouvons toute la complexité de ces registres et de leur articulation, déjà décrite au chapitre IV-3.3.1, et V-1.4 à 1.6. Mais l'objectif principal des logiciels était précisément de fournir un cadre d'intégration et de dépassement de cette complexité ; objectif que les élèves semblaient bien avoir atteint, en tout cas en phase de passation logicielle (voir notamment chapitre V-1.6). Alors, comment interpréter cette 360 Chapitre VI déperdition au bout de trois mois ? Enseignement mal dispensé, n'assurant pas la stabilité des apprentissages, ou régression momentanée naturellement associée à un apprentissage en cours ? Avant de tenter d'apporter des réponses à cette question, nous allons encore examiner ce que nous apprennent les quatre items non opposables aux items de 97. 2.2.3. Examen des quatre items non opposables des tableaux 28 et 29, partie basse La réussite relative à mai98-CV17 (77 %), opposée à l'échec relatif de mai98CV18 (35 %), confirme que, pour des exercices a priori proches, le passage de la congruence à la non congruence reste déterminant. En effet, la seule lecture de 3,14 ("trois virgule quatorze") amène à une séparation de ce nombre en deux parties, trois et quatorze, qu'il n'est plus dès lors très difficile de convertir en somme d'un entier et d'une fraction dont l'expression orale "trois plus quatorze centièmes" est très proche de l'expression orale initiale et de son écriture fractionnaire. Ce n'est pas le cas pour la conversion de 3,14 à 314/100, car il faut d'une part oser ignorer la virgule pour obtenir "trois-cent quatorze" – tout en en tenant compte pour la recherche du dénominateur – et d'autre part accepter une expression fractionnaire de la partie entière, soit 3, de ce nombre. Ch_reg03, dont une simple lecture de type double décimètre suffit à assurer la réussite – les seules erreurs proviennent des élèves qui se sont laissés tenter par le choix d'une expression fractionnaire proposée en alternative à l'écriture décimale par l'énoncé –, obtient de même une réussite honorable (65 %), alors que Ch_reg07, avec ses 19 %, et qui demande la coordination des trois registres, accompagnée de traitements du type 11/4 = 2 + 3/4, est un des items les moins réussis de l'ensemble de l'évaluation. Cette étude semble donc confirmer que, malgré un travail spécifique de conversions systématiques inter-registres, les élèves trébuchent sur des difficultés auxquelles ils avaient pourtant été préparés – trois mois auparavant il est vrai. 2.2.4. Mise à l'épreuve de l'hypothèse H1 , tableaux 28 et 29, colonnes de mai et juin 98 Un coup d'œil rapide sur les résultats comparés de ces deux colonnes nous rassure en partie sur la validité de notre hypothèse. Certains redressements sont spectaculaires : les lignes 6, 7, 8 doublent leur score ; les réussites aux conversions non congruentes d'une écriture fractionnaire vers [0 ; 2] (lignes 16 et 17) atteignent 92 % dans le cas le plus simple et 50 % dans un cas plus compliqué ; enfin, Ch_reg07, tout en 361 Chapitre VI bas du tableau, passe de 19 % à 73 %, dans un cas il est vrai un peu plus simple en juin qu'en mai. Il convient donc de relativiser certains des mauvais scores obtenus en mai 98 en invoquant tout d'abord les raisons liées aux conditions de passation : • longueur de cette évaluation (48 items en deux demi-journées complètes) ; • passation en fin d'année scolaire, au mois de juin… • ...trois mois après la fin de l'étude logicielle ayant activé les connaissances évaluées… • ...quelques jours après une première évaluation très complète (évaluation nationale étudiée en 2.1.2). On conçoit que des élèves de cet âge puissent en avoir éprouvé une certaine lassitude démobilisatrice. Il ne nous est malheureusement pas possible de vérifier les indicateurs usuels de la démobilisation comme l'absence de réponse ou la présence de courts-circuits erronés dans les raisonnements, la nature de l'évaluation, sous forme de cases à compléter ou à cocher, incitant à tenter systématiquement une réponse dont la brièveté ne permet pas d'analyse détaillée. Nous étions bien conscients de surcharger cette classe et des conséquences peu flatteuses que d'éventuels résultats médiocres auraient sur l'évaluation de notre recherche. Mais les nécessités et le calendrier de l'expérimentation, ainsi que les contraintes du titulaire de la classe (qui présentait son CAFIMF cette année-là) ne nous laissaient guère de latitude. Nous avons donc dû nous résoudre à entreprendre notre évaluation de mai dans ces conditions désavantageuses. Concluons notre étude des tableaux 28 et 29. L'examen de ces derniers prouve que nous avons obtenu des résultats globaux apparaissant comme satisfaisants par rapport aux apprentissages visés. Ils font toutefois apparaître quelques items présentant en mai 98 des taux de réussite inférieurs à ceux d'octobre 97, et pour lesquels il convenait donc de s'interroger. Ce phénomène de régression, malgré les mauvaises conditions de passation, prouvait néanmoins que nos élèves n'avaient pas achevé leur apprentissage dans le domaine concerné. Les raisons de ce défaut d'apprentissage étaient-elles plus conjoncturelles que structurelles ? L'ultime évaluation de juin, succédant à la brève intervention de recadrage et débouchant sur des redressements d'importance, permet de penser que la première hypothèse est plus conforme aux données empiriques. On peut donc considérer que nos élèves sont sur la voie d'un 362 Chapitre VI apprentissage abouti, construit sur des bases solides, en l'absence desquelles notre intervention minimale serait restée sans effet. 2.2.5. Examen des items de type problèmes, tableaux 30 et 31 Après avoir analysé les performances aux items testant les compétences de base, il nous reste à examiner les items de type problème. Ces derniers présentent, par opposition à un exercice, un énoncé complexe, demandant, avant conversion sous forme d'écritures arithmétiques – ou géométriques ou graphiques… – résolvantes, des traitements – interprétations, reformulations… – dans le registre d'entrée, soit celui de l'énoncé. Nous avons reporté dans le tableau 30 l'abrégé des énoncés, et dans le tableau 31, les résultats à ces items. 363 Chapitre VI Les "problèmes" juin-97 oct-97 1 4/5 solution? 4 m ; 5 épaisseur vs 5m ; 4 épaisseurs 5/6 solution? 5m, 6 longueurs vs 6m, 5 longueurs 2 5/6 solution? 5fois 1m, 6 long. vs 6 fois 1m, 5 long. 3 partage 2 tartes en 6 personnes 5 bidons / 4l. Vol. d'1 bidon? QCM : 4/5 ; 5/4 ; aut. mai-98 3 kg pour 2 litres de miel. Vol. de 1 kg de miel ? 4 5 bouteilles, 41 verres. 1 bouteille ? 5 15 feuil, 10 mm. 1 feuil.? QCM : 15/10 ; 10/15 ; 2/3 ; imp. 6 3 verres j.d. fruit + 1 verre. eau vs 5 v. j.d.f + 3 v. eau 7 4a pour 3c vs 8b pour 5c. QCM : a=b ; a>b ; a<b 8a pour 3 mm vs 19b pour 6 mm. QCM : a=b ; a>b ; a<b 8 Découpe 50g de beurre ds 1 plaque de 250g 9 3 kg pour 2 litres de miel. Masse bidon + 10l de miel ? Tableau 39 : énoncés abrégés des problèmes des évaluations locales Chapitre VI Evolution des scores aux problèmes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 juin-97 oct-97 Ch_reg02 Ch_reg02 Ch_reg03 Ch_reg04 Ch_reg06 Ch_reg07 Ch_reg08 Ch_reg05 Ch_reg06 mai-98 Ch_reg05 Ch_reg06 Ch_reg02 Ch_reg04 Moyenne juin-97 oct-97 mai-98 17% 52% 33% 48% 35% 17% 13% 29% 67% 67% 19% 53% Tableau 40 : les résultats aux problèmes des évaluations locales 35% 73% 46% 47% Chapitre VI L'évolution des moyennes n'y est pas vraiment significative, étant donné que peu d'items sont opposables. On constate néanmoins que lorsque c'est le cas, lignes 3 et 7, on assiste au même phénomène de régression que précédemment entre octobre 97 et mai 98. Précisons tout de suite que les items de type problème étaient proposés tout à la fin du test de mai 98, dont on a déjà dit qu'il était lui-même très long et venant au terme de tout un processus d'évaluation… C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu les reprendre en juin 98. Nous ne reviendrons pas sur les items mai98-Ch_reg02 et Ch_reg04 lignes 8 et 9 qui ont déjà été analysés, tant sur le plan de la tâche que sur celui des résultats et de leur lien avec la maîtrise du registre des droites graduées, au chapitre IV-3.2.2 ; 3.3.2 ; 3.5. Rappelons que la réussite à ces items a donné satisfaction, notamment en ce qui concerne Ch_reg04 dont on a pu opposer les résultats à ceux obtenus par un échantillon national. Les taux de réussite plus faibles, accompagnés de régressions aux items étudiés en lignes 3 et 7, sont plus préoccupants. Examinons ces derniers dans le détail. 2.2.5.1. Étude des items oct97-Ch_reg04 et mai98-Ch_reg05 (ligne 3) Ce type d'item demande la mobilisation d'écritures fractionnaires à partir d'un énoncé en langue naturelle. Si la régression peut s'expliquer par la nature différente de la production attendue – QCM dans un cas, formation d'une fraction dans l'autre –, le taux d'échecs élevés, particulièrement en mai 98, confirme la difficulté des élèves à traiter des problèmes où interviennent explicitement des écritures fractionnaires, surtout lorsqu'il s'agit de coordonner ce registre avec celui de la langue naturelle. Ce constat prouve à quel point ces deux modes d'expression sont hétérogènes, ce que nous avons déjà analysé a priori au chapitre III-3, et confirmé expérimentalement p. 323 et suivantes. 2.2.5.2. Étude des items oct97-Ch_reg06 et mai98-Ch_reg06 (ligne 7) Ces items ne demandent pas la mobilisation explicite de fractions. Aucun élève de notre classe d'observation ne requiert explicitement une suite d'égalités et d'inégalités comme par exemple : 3 6 6 6 = et < pour mai98-Ch_reg06, même si certains 8 16 16 19 traitements rhétoriques ne sont que des paraphrases de ce type de raisonnement. La 367 Chapitre VI résolution, lorsqu'elle est tentée, passe par un traitement en langue naturelle s'appuyant sur une règle du genre : "plus grand le diviseur, plus petit le quotient", articulé ou pas sur un doublage des nombres de la première série de données. Dans ce cas, on obtient en octobre 97 : 8 verres (a) pour 6 bidons (c) contre 8 verres (b) pour 5 bidons (c); en mai 98 : 16 feuilles (a) pour 6 mm contre 19 feuilles (b) pour 6 mm. Pour l'item d'octobre, la réponse est conforme à l'ordre naturel : 6 > 5 donc (a) contient plus que (b) ; pour l'item de mai, elle le contrarie : 16 < 19 et pourtant (a) est plus épaisse que (b)... Cette analyse peut expliquer la régression d'octobre à mai, mais nous allons surtout l'exploiter pour une étude sur le cloisonnement des registres, dans le cas particulier des nombres fractionnaires. Si ces nombres étaient objets de règles de traitements aisément transposables d’un registre à un autre, nous devrions repérer un lien entre certaines compétences à comparer des fractions et la capacité à résoudre un exercice comme mai98-Ch_reg06. Nous avons donc croisé les résultats de ce dernier item avec deux autres items extraits de la même évaluation, et demandant de ranger trois fractions, de la plus petite à la plus grande : les trois fractions ont un numérateur égal à 1 (1/5 ; 1/4 ; 1/10) pour mai98-Q07, Tableau 41 ; le numérateur est différent de 1 (4/8 ; 7/6 ; 4/5) pour mai98-Q08, Tableau 42. Mai98-Q07 Réussite Echec Total Réussite 5 4 9 Echec 12 5 17 Total 17 9 26 (cf tableau 28) Mai98-Ch_reg06 Tableau 41 : cloisonnement de la langue naturelle et du registre fractionnaire Ce premier tableau est surprenant : loin de manifester une implication entre la réussite au problème et la réussite au rangement de fractions de numérateur 1, il illustre presque une situation d’indépendance ; en effet, pour les marges obtenues, le tableau 368 Chapitre VI théorique estimé sous l’hypothèse d’indépendance comporterait la valeur 6 dans la case de la double réussite, où la valeur observée est 5. Existe-t-il cependant un niveau de maîtrise des écritures fractionnaires qui puisse être associé à un meilleur pronostic sur la réussite au problème ? Examinons le croisement avec mai98-Q08, item témoignant d'un bon niveau de maîtrise des fractions. Mai98-Q08 Réussite Echec Total Réussite 5 4 9 Echec 4 13 17 Total 9 17 26 (cf tableau 28) Mai98-Ch_reg06 Tableau 42 : coordination de la langue naturelle et du registre fractionnaire Précisons tout d'abord que les 5 élèves (case réussite/réussite) et les 4 élèves (case échec/réussite) de la première ligne sont rigoureusement les mêmes dans le Tableau 41 et le Tableau 42. Ceux qui réussissent le problème apparaissent donc, pour la tâche de rangement des fractions, insensibles à la complexité de celles-ci : que les fractions à comparer soient de même numérateur 1ou pas, ce sont les mêmes élèves qui les rangent correctement et les mêmes qui commettent des erreurs pour ce rangement. Au contraire, parmi ceux qui échouent au problème, une majorité est capable de réussir un rangement de fractions de numérateur 1 (Tableau 41), alors qu’un rangement plus complexe renverse la distribution des échecs (Tableau 42). S'il semble possible d'acquérir certaines compétences de base sur les fractions sans les articuler avec un discours en langue naturelle, il paraît donc difficile d’atteindre un niveau de maîtrise sans être capable de cette articulation. Un examen cas par cas des 9 élèves ayant réussi mai98-Ch_reg06 va permettre de préciser la nature du lien exhibé par le Tableau 42. Parmi les cinq élèves associés à la double réussite, un seul n'accompagne d'aucun commentaire la résolution de mai98Ch_reg06, trois autres la commentent par des phrases mentionnant explicitement deux 369 Chapitre VI phases : doublage des données ; application de la règle "pour une même épaisseur du tas, plus grand le nombre de feuilles, plus petite l'épaisseur de chaque feuille". Un quatrième élève recherche par division des valeurs approchées du nombre de feuilles par mm d'épaisseur du tas (et pas le contraire !), soit un peu plus de 2 (8 ÷ 3) feuilles (a) et un peu plus de 3 (19 ÷ 6) feuilles (b) par mm, ce dont il déduit la réponse correcte. Parmi les quatre élèves qui échouent à Q07 et Q08, un seul ne produit aucun commentaire, les trois autres explicitant tous une règle du type : "plus grand le diviseur, plus petite la partie", mais ne mentionnant pas le doublage initial des données. Leur réponse juste pourrait ainsi résulter d'un raisonnement faux, ne s'appuyant que sur la comparaison des données brutes (8 feuilles (a) d'un côté, 19 feuilles (b) de l'autre, les feuilles (a), moins nombreuses, sont donc plus épaisses que les feuilles (b)), non rapportées aux épaisseurs. En l'absence de précisions, il ne nous est pas permis de trancher. Par ailleurs, lorsqu'on examine la nature de leur erreur aux items de rangement des fractions, on constate : pour Q07, un rangement suivant les dénominateurs croissants dans les quatre cas (pour des élèves capables d'énoncer sans ambiguïté des phrases comme : "s'il y a plus de feuilles, c'est moins épais" !) ; pour Q08, deux élèves s'en tiennent au rangement faux suivant les dénominateurs croissants, deux autres proposent 4 4 7 ; ; , semblant ainsi appréhender certaines proportions simples (comme quatre 5 8 6 huitièmes et un demi), les situer l'une par rapport à l'autre (sept sixièmes est supérieur à 1, qui est supérieur à un demi), mais échouant dans les cas moins simples à repérer comme quatre cinquièmes. Cette étude détaillée confirme l'étude quantitative. Les cinq élèves associés à la double réussite maîtrisent parfaitement leur discours en langue naturelle et fractionnaire. Ces élèves sont entrés dans une culture multi-registres, et ont les moyens d'exercer des contrôles sur un registre à partir d'un autre registre. Leur explicitation des deux phases de la résolution de mai98-Ch_reg06 en atteste. Les quatre élèves associés à l'échec au rangement des fractions font preuve de moins de cohésion dans leur discours en langue naturelle, et de moins ou pas de cohérence dans son articulation avec le registre fractionnaire (rangement erroné des fractions de numérateur 1). Ces élèves témoignent de certaines potentialités dans l'accès à une culture multi-registres, mais n'en sont encore qu'aux premiers balbutiements. Ils indiquent cependant, par leurs maladresses autant que par leurs réussites, des voies de passage (repérage de proportions privilégiées, contrôle 370 Chapitre VI par des ébauches d'énoncés en langue naturelle) pour le développement d'une telle culture, dans le cas des registres qui nous intéressent. Si les performances de notre classe vis à vis de ces items ne se sont pas élevées à la hauteur de nos ambitions, elles nous auront néanmoins permis de tirer de précieux enseignements au premier rang desquels nous plaçons : l'importance du registre de la langue naturelle ; l'étanchéité du cloisonnement entre ce dernier et le registre des écritures fractionnaires. Pour y remédier, nous proposons un travail systématique d'articulation entre la langue naturelle et les différents registres exprimant les nombres rationnels, particulièrement celui des fractions. Nous avons indiqué au chapitre III-4.6 un protocole d'activités, dans le cadre de la résolution de problèmes physiques, susceptible de prendre en charge ce programme. Nous avons par ailleurs tenu à marquer la prise en compte de ces résultats de notre recherche en adjoignant à chaque fiche pédagogique (voir annexe nnn) des propositions de − types de − problèmes physiques. La résolution de ces derniers serait l'occasion d'un travail spécifique sur l'articulation entre le registre de la langue naturelle et les autres registres sémiotiques. Ces orientations pourraient compléter le dispositif d'enseignement que nous avons exposé dans cette étude. 3. Conclusion du chapitre Ce chapitre, destiné à préciser notre démarche d'expérimentation et le protocole de recueil des données ainsi que leur analyse, a permis d'établir plusieurs constats. Tout d'abord, une évolution très positive de notre classe, en terme de méthode, de prise d'initiative, de diversification des procédures. Cette évolution a pu être mesurée par opposition à un échantillon national d'une part, à un état initial de début de cycle 3 d'autre part. En outre, ces progrès méthodologiques sont accompagnés d'une réussite élevée à des items d'expression et de traitement élémentaires ou plus élaborés, voire mêmes franchement complexes pour certains. Cette première étude valide donc pleinement nos choix didactiques, d'autant que nous avons établi un lien entre ces derniers, notamment l'option informatique, et les résultats observés. La deuxième étude, portant sur des items issus d'évaluations locales et destinée à mesurer plus spécifiquement les compétences liées aux rationnels, s'est révélée être 371 Chapitre VI globalement satisfaisante. Mais des résultats moyens ou médiocres à certains items, particulièrement ceux relatifs aux problèmes, ne permettent pas une confirmation sans appel des conclusions consécutives à la première étude. Une des raisons de cette atténuation de la réussite est sans doute attribuable à une forte démobilisation de nos élèves. Il n'empêche que nous devions nous interroger sur certaines régressions. Nous avons ainsi pu établir, au prix d'une légère réactivation suivie d'une mini-évaluation, que ces régressions étaient plus conjoncturelles que structurelles. L'analyse détaillée des réussites et des échecs a par ailleurs permis de mieux comprendre l'origine de certaines résistances, en reliant ces dernières à la prédominance de la langue naturelle d'une part, au cloisonnement des registres d'autre part, particulièrement lorsque celui des écritures fractionnaires est concerné et associé à celui de la langue naturelle. Ce dernier point est sûrement un point clé, peu pris en compte, de l'apprentissage des rationnels. Il nous a permis de formuler des propositions d'améliorations du dispositif d'enseignement, susceptibles d'apporter des réponses au "problème du problème" par des exercices systématiques de coordination entre le fonctionnement sémiotique des divers registres et celui, privilégié, de la langue naturelle. 372 Conclusion Conclusion 1. Validation des hypothèses Parmi les raisons qui ont motivé cette étude, il en est une qui, présente dès l’origine, s’est trouvée particulièrement confirmée par nos observations. Elle réside dans le constat contradictoire suivant : l’habileté avec laquelle nombre d'élèves abordent les problèmes rationnels tant qu'il s'agit de les décrire, les interpréter et les résoudre par des moyens rhétoriques ; la difficulté qu'ils éprouvent à couronner du même succès l'utilisation de procédures stables dès lors qu'ils sont amenés, en raison d'un coût de traitement rhétorique trop élevé ou d'une contrainte pédagogique, à changer la forme de leur discours en remplaçant les mots de la langue naturelle par le symbolisme des fractions. Ce que nous formulons ici dans le domaine des rationnels est sans doute généralisable à bien d'autres secteurs des mathématiques. On ne peut s'étonner d'un tel constat lorsqu'on connaît les tâtonnements et renoncements par lesquels est passée la mise au point des notations dans l’histoire des mathématiques, jusqu'à ce que des langages formels épaulent les discours rhétoriques des origines ou même s'y substituent. Un regard sur l'évolution de la production mathématique au cours des âges montre que ces langages ne sauraient se réduire à de simples enregistreurs / économiseurs de la langue naturelle, facilitant communication et traitements ; ils sont parties prenantes des objectivations, de l'évolution voire de la production des concepts ainsi que de leurs interactions, qu'ils contribuent à organiser et réorganiser. Les élèves ne se trouvent pas dans la situation d'avoir à inventer des notations contribuant au développement des mathématiques, ils ont à retrouver celles qui existent déjà ; en revanche, ils sont confrontés, dans leur activité, à d'autres contraintes que celles issues du seul raisonnement mathématique. Nous avons ainsi vu au chapitre VI, en conclusion du paragraphe 2.1.2.2, que la langue naturelle imposait, pour nombre d’élèves, son organisation à l’expression 375 Conclusion des idées : cela peut aller jusqu'à produire des erreurs, comme le fait que "trois dixièmes", au lieu de référer à l’objet – proportion, mesure… – exprimable par une fraction, se trouve décrété synonyme d'un quasi homonyme – 3,10. Cette prédominance de la langue naturelle sur les autres registres nous paraît mériter une attention didactique majeure : comment transformer des objets de l'appréhension immédiate (les mots en premier lieu mais aussi certains symboles…) en signes référant à un contenu mathématique et non, par analogie formelle, à un autre objet de l'appréhension immédiate ? Dans le cas des nombres rationnels, nos hypothèses nous ont conduit à les introduire par un mode d'expression qui soit un véritable champ expérimental. Ceci demandait un support à la fois : familier mais non trivial ; physique mais pouvant se doter d'une structure de registre ; engageant des tâches non routinières, en partie indépendantes des algorithmes arithmétiques, tout en se prêtant à des contrôles en langue naturelle (descriptions, programmes d'actions, nature des rétroactions...). Le système des droites graduées, que nous avons retenu après examen de systèmes concurrents (voir chapitre IV), était ainsi envisagé pour : provoquer les premières objectivations de la notion de nombre rationnel ; permettre d'exercer des contrôles efficaces sur les autres formes d'expression – introduites par la suite – courantes de ces nombres comme les systèmes fractionnaire et décimal. Parviendrait-on ainsi à une meilleure gestion des articulations entre les divers systèmes requis et notamment celui de la langue naturelle et du système fractionnaire ? Ce travail sur la coordination des registres permettrait-il d'envisager que, dans les opérations de substitution indispensables à tout développement en mathématiques, les élèves parviennent à remplacer une expression par une expression référentiellement équivalente et non sur la seule base d'une analogie de forme ? Pour mettre ce questionnement à l'épreuve, nous avons été amenés à poser trois hypothèses. 1.1. Hypothèse H1 La première de ces hypothèses portait sur la pertinence d'une introduction des rationnels recourant au système des droites graduées. Nous avons vérifié les fondements mathématiques, épistémologiques, et historiques de cette hypothèse au chapitre III-3 et III-4. Le chapitre IV a permis de lui apporter des validations empiriques, qualitatives et quantitatives, consécutives à l'observation d'élèves. Tant la nature des démarches, leur 376 Conclusion lien avec une compréhension des phénomènes liés aux rationnels – procédures de comparaison "en proportion", notions d'arithmétique notamment –, que les résultats obtenus lors des séquences d'apprentissage et d'évaluation, permettent de considérer que cette première hypothèse a été amplement validée par notre expérimentation. 1.2. Hypothèse H2 La deuxième hypothèse portait sur le coût et les conséquences didactiques attendues de la première. Elle postulait, à la suite d'autres chercheurs comme (PerrinGlorian ; 1992) ou (Bolon ; 1996) que ce registre unidimensionnel était à coût didactique élevé. On pouvait en revanche attendre de cet investissement une bonne productivité à terme. La première partie de cette hypothèse a été vérifiée, moins en ce qui concerne les traitements, pour lesquels on obtient assez vite des résultats satisfaisants pointés par le tableau 29 (items de type GR) du chapitre VI-2.2, qu'en ce qui concerne les conversions pointées par : • les résultats de la classe de Weyersheim et dans une moindre mesure ceux de la classe de Sélestat à l'item 2 du tableau fourni en annexe 4 du chapitre IV (malgré une conversion congruente) ; • l'examen détaillé des productions d'élèves relatives à l'item 6 (chapitre IV- 3.3.3, conversion non congruente) ; • les résultats de la classe de Sélestat aux items portés en ligne 17 du tableau 29 du chapitre VI-2.2 (conversions non congruentes) ; • les résultats nationaux et dans une moindre mesure ceux de la classe de Sélestat à l'item 24 de l'évaluation à l'entrée en 6ème 1997, et portés dans le tableau 15 du chapitre VI-2.1.2.2 (conversion non congruente). Nous sommes donc en mesure d'affiner cette hypothèse en précisant que le registre des droites graduées est à coût didactique élevé, surtout lorsqu'il s'agit de l'articuler avec le registre des écritures fractionnaires et décimales ; ce coût tend à augmenter avec la non congruence des conversions, ainsi que le suggèrent les trois derniers points ci-dessus. Cette précision a son importance, car elle spécifie la nature des difficultés, peu d'auteurs ayant séparé les divers systèmes d'expression des rationnels en registres distincts. 377 Conclusion Quant à la deuxième partie de cette hypothèse, nous pouvons considérer que le lien fort établi au chapitre IV-3.3.2 et 3.5 entre la maîtrise des droites graduées, des sept compétences et la résolution de problèmes constitue un argument de poids en sa faveur. 1.3. Hypothèse H3 La troisième hypothèse enfin postulait dans sa première partie qu'un travail systématique de conversions entre le registre des droites graduées et ceux des écritures fractionnaires et décimales permettait d'exercer un contrôle efficace sur l'usage de ces derniers. Le chapitre V a rapporté un grand nombre d'observations qualitatives des passations sur les logiciels Fracti, Format et les logiciels de conversions associés, qui permettent de confirmer amplement la confiance que les élèves ont accordée aux droites graduées pour interpréter et résoudre des problèmes qu'ils rencontraient dans les registres numériques (voir la diversité des procédures et des références aux registres mobilisés, par exemple au chapitre V-1.6.5). La fonction de contrôle de ce registre géométrique est en conséquence bien validée. La deuxième partie de l'hypothèse conjecturait la fonction mobilisatrice du travail systématique de coordination entre les registres en vue de la résolution de problèmes. Si nous avons bien observé les retombées positives de ce travail lors de la résolution de problèmes formels (voir chapitres IV-2.4, V-1 et V-2), le chapitre VI-2.2, et notamment l'examen des résultats consignés dans les tableaux 30 et 31, n'a pas permis de confirmer un ample effet mobilisateur dans le cas des problèmes physiques. Certes, les résultats de notre classe expérimentale se détachent nettement de ceux d'un échantillon national dans nombre de problèmes liés à notre recherche (voir chapitre VI2.1.2 et 2.1.3). Ils restent néanmoins encore bien timides dans le domaine des problèmes physiques rationnels. L'interprétation que nous avons proposée de ce phénomène (voir chapitre VI-2.12.2 et 2.2.5.1) ne tient pas tant à la difficulté que les élèves auraient à appréhender le fractionnement des grandeurs qu'à leurs modestes performances vis à vis des tâches de coordination du registre de la langue naturelle – au moyen de laquelle s'expriment préférentiellement les énoncés de problèmes physiques – avec les autres registres, notamment celui des écritures fractionnaires. Ce point sera l'objet d'une des questions ouvertes du paragraphe suivant. 378 Conclusion 2. Questions laissées ouvertes par notre recherche 2.1. L'articulation entre langue naturelle et registres spécifiques d'expression des nombres rationnels Nous pensions, au début de notre recherche, que le fait de disposer de trois registres d'expression des rationnels permettrait à un élève : de comprendre leur pertinence pour la résolution de familles entières de problèmes ; d'utiliser en confiance chacun de ces systèmes, notamment en s'affranchissant des pièges et tentations abusives liés aux fractions. Cette confiance une fois acquise serait donc susceptible de libérer l'initiative et de s'investir dans la résolution de problèmes physiques, d'autant mieux que ces derniers apparaîtraient comme cas particuliers des familles de problèmes évoquées ci-dessus. Si nos observations nous ont bien permis de vérifier la confiance accordée par nos élèves aux moyens mis à leur disposition (voir 1.3) pour résoudre des problèmes rationnels, elles ont en revanche abouti au constat que nous avions sous-estimé le rôle particulier de la langue naturelle. Nous avons indiqué à ce sujet quelques pistes de travaux pratiques au chapitre III-4.6, et des idées d'accompagnement des travaux logiciels dans les fiches pédagogiques de l'annexe nnn. Ce chantier peut constituer une occasion de préciser le primat sémiotique, en spécifiant notamment le statut de la langue naturelle dans le processus d'appréhension des nombres rationnels et, au-delà, des objets mathématiques. Une recherche sur ce sujet pourrait procéder, à partir de familles d'énoncés de problèmes dans un champ donné (les rationnels par exemple), à : un repérage systématique d'unités signifiantes de la langue naturelle les plus couramment utilisées dans ces énoncés ; des expérimentations auprès d'élèves sollicitant ces derniers pour une exploration de cet ensemble sémantique au moyen de la méthode des variations (Duval ; 1996, pp. 373-376 ). Un travail de fond sur la résolution des problèmes, notamment physiques, serait ainsi entrepris, à partir d'une appréhension des variations possibles de leur énoncé et des répercussions concomitantes sur les moyens – sémiotiques – de leur traitement. Des travaux analogues ont du reste déjà été menés dans le cadre de la géométrie, pour une expérience d'enseignement de l'homothétie en seconde (Lémonidis ; 1990). 379 Conclusion 2.2. L'extension de notre projet en direction du collège Notre recherche s'est arrêtée en fin du cycle 3 des écoles. Il y a donc lieu de s'interroger sur les suites à lui donner au collège. Nous avons fourni au chapitre IV2.4.4 des observations concernant l'arithmétique susceptibles de trouver des prolongements à ce stade de la scolarité. Nous avons posé au chapitre IV-5 le problème de la pertinence du registre des droites graduées à exprimer la somme et le produit de rationnels. En l'état actuel de nos réflexions, on peut se demander si l'adaptation de ce registre à ces opérations ne se heurte pas à un coût trop élevé. Il convient néanmoins de poursuivre la réflexion à ce sujet, puisqu'aucune donnée empirique ne permet de pencher pour une réponse positive ou négative. Bien entendu, une telle recherche ne saurait se concevoir que dans un environnement informatique, afin de limiter le coût des actions qu'elle suppose. On peut songer à des travaux menés en réseau sur plusieurs classes, la correspondance scolaire ayant trouvé un nouveau souffle par le biais d'Internet. Notons enfin avec beaucoup d'intérêt l'attention, toute particulière et explicitée en de nombreux passages, que les programmes actuels de collège accordent aux droites graduées et à leur rôle fondateur dans l'étude des rationnels. N'y aurait-il pas lieu de développer des recherches sur les manières d'étendre un registre unidimensionnel pour autoriser la représentation de nombres irrationnels, en particulier ceux exprimables par radicaux ? Des séquences didactiques courantes mobilisent, pour leur introduction, des considérations géométriques comme la recherche d’un carré d'aire égale à 2. Mais sitôt réalisée cette "manipulation", les pratiques usuelles redeviennent vite mono-registres, au moyen d'une expression par radicaux régis par des règles (élévation au carré, produit, quantité conjuguée…) permettant les opérations usuelles. Des thèmes d'activité portant sur les fractions continues, qui ont parfois été proposés à la suite de la réactivation de l'arithmétique dans l'enseignement français du second degré, ont pu fournir à des élèves l'occasion d'appréhender une autre forme d’expression de ces irrationnels et donc d’en objectiver certains aspects laissés dans l’ombre par l’expression par radicaux. A la suite de l'usage des droites graduées comme registre exprimant les rationnels, on peut se poser la question du prolongement de ces travaux à certains irrationnels comme les racines carrées (qui ont un développement périodique en fraction 380 Conclusion continue). Par exemple, la formation d'une racine carrée dans le registre des droites graduées soulève des problèmes, qui peuvent conduire à entreprendre un travail de géométrie euclidienne plane ou à envisager une extension de la notion de graduation régulière d'une droite à celle d'une échelle fonctionnelle (ici : échelle de carrés). Ainsi, exprimer 2 dans un tel système, revient à localiser 2 sur une échelle de carrés ; à cette occasion peut être émise la conjecture de son irrationalité, ce qui donne des raisons de la démontrer, par un procédé algébrique ou géométrique. 2.3. Application à la formation des maîtres L'apport de Raymond Duval sur les registres, au-delà d'une description du fonctionnement cognitif, offre des modèles d'apprentissage qui se distinguent, sans les contredire, de ceux issus des théories des situations de Guy Brousseau et des champs conceptuels de Gérard Vergnaud. Ces deux dernières théories sont actuellement des références constantes en formation des maîtres, au point que les épreuves à orientation didactique de la partie mathématique du concours externe de recrutement des professeurs des écoles y renvoient quasi exclusivement. Nous avons proposé pour notre part, et dans le domaine de la didactique des rationnels, à la fois une mise à l'épreuve de la théorie de l'apprentissage de Duval, mais aussi un paradigme d'enseignement s'en déduisant. Il nous semble que ces idées, et les données empiriques qui les accompagnent, trouvent naturellement leur place dans un processus de formation de maîtres appelés à faire des choix déterminants pour l'enseignement de cette notion. Les logiciels de la série ORATIO peuvent être utilisés dans un dispositif didactique direct auprès d'élèves de l'école élémentaire ou servir de matière à réflexion en formation initiale et continue des professeurs des écoles. Il nous semblerait notamment intéressant d'étudier auprès d'une population d'étudiants de première année d'IUFM ou de professeurs stagiaires : l'éventuelle prédominance du modèle "parts de tarte" comme représentation des rationnels adéquate à un apprentissage initial ; la prédominance du rôle du système métrique dans l'apprentissage des décimaux ; la connaissance de l'évolution des modes d'expression rationnels depuis Euclide jusqu'à nos jours, et leur rôle dans les avancées significatives sur la notion ; la différenciation des acceptions d'un rationnel (mesure, opérateur…) et d'éventuels mouvements après étude des logiciels de la série ORATIO et de la réflexion sous-jacente. 381 Conclusion Notre avons indiqué trois pistes de recherches susceptibles de prolonger la nôtre. L'étude que nous achevons ici a en commun, avec les extensions envisagées, de rendre compte de trois niveaux de différenciation : identifier les spécificités de chaque système de signes exprimant les nombres, reconnaître, comme produit de ces systèmes, l’existence d’invariants que sont les objets mathématiques sous-jacents, relier la spécificité de chacun des systèmes étudiés à des aspects différents des objets représentés. Ces trois niveaux de différenciation justifient la mobilisation de plusieurs registres sémiotiques et leur étude systématique dans des dispositifs d’enseignement. C'est la contrepartie de la complexité et de la richesse des notions concernées. 382 Annexes générales Annexes 1 Extraits des évaluations locales classe de Sélestat Annexes 1.1 Annexe 1.1 Extraits de l'évaluation locale de CM1, classe de Sélestat, juin 97 Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en comportait 50. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de leur résolution. Il s'agit des items : Ch_reg01 ; GR8 ; GR10 ; GR11. Pour chaque paire de nombres, entoure le plus petit : D02 : (3,08 ; D03 : (5,14 ; 3,4) 5,6) D10 Range les nombres suivants du plus petit au plus grand : 7,25 7,8 6,148 7,09 ......... ......... ......... ......... D11 Trouve un nombre compris entre 7,4 et 7,5 Réponse : ......... D12 Trouve un nombre compris entre 7,9 et 8 Réponse : ......... Intercale un entier entre les deux fractions : Q17 : 4 7 < < 5 3 Q18 : 21 < 4 < 27 4 386 Annexe 1.1 Q19 Intercale une fraction entre les deux entiers : 6 < < 7 Q23 Range les fractions de la plus petite à la plus grande 7 2 4 ; ; 10 4 3 Réponse : .......... GR02 Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les flèches, ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C à la bonne place dans la ligne Réponse. A 6 5 B 5 6 C 5 Réponse : .......... 6 < < 387 Annexes 1.1 Les droites sont graduées régulièrement. Parmi les nombres A, B, C, D, E, F, entoure ceux qui sont entiers. 3.1.G 1. G 4 8 3 5 B A 5. G GR08 3 5 7 8 D C GR10 GR11 2 24 21 7 F E Réponse : .......... A ; B ; C CV03 Quelle est la fraction de disque hachurée ? Réponse : .......... 388 ; D ; E ; F Annexe 1.1 2. Ch_reg01 & Ch_reg02 Voici 4 problèmes associés à des schémas. Lesquels de ces problèmes admettent la 4 comme solution ? fraction 5 Problème b Problème a Quelle est la fraction de disque hachurée ? La droite est graduée régulièrement. Sur quelle fraction pointe la flèche ? 1 0 Problème c Problème d Les rectangles empilés ont la même épaisseur. Que vaut l'épaisseur en mètres d'un des rectangles ? Les rectangles empilés ont la même épaisseur. Que vaut l'épaisseur en mètres d'un des rectangles ? 4m 5m Entoure les bonnes réponses : 7. Ch_reg01 Réponse : .…… Problème a Ch_reg 02 Problème b Problème c Problème d Ch_reg06 On veut partager équitablement 2 tartes flambées entre 6 personnes. Quelle fraction de tarte aura chaque personne ? Réponse : .......... 389 Annexes 1.1 Ch_reg07 Avec une bouteille de lait, on remplit 8 verres pleins et une partie du neuvième verre. Avec 5 bouteilles, on remplit exactement 41 verres. On vide une bouteille entière dans : des verres. Evalue la quantité de lait contenue dans le neuvième verre. Réponse .......... 3. 4. Ch_reg08 15 feuilles de papier cartonné de même épaisseur sont empilées en tas. Ce tas a une épaisseur de 10 millimètres. Quelle est l'épaisseur en millimètres d'une des feuilles ? Entoure les bonnes réponses. 15 10 2 Réponse : .......... ; ; ; ce n'est pas possible 10 15 3 390 Annexe 1.2 Annexe 1.2 Extraits de l'évaluation locale de CM2, classe de Sélestat, octobre 1997 Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en comportait 45. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de leur résolution. Il s'agit des items : Q18 ; Q19 ; GR06 ; GR09 ; GR10 ; CV04 ; CV05 ; CV07. Pour chaque paire de nombres, entoure le plus petit : D01 : (3,7 ; 3,16) D03 : (5,3 ; 5,0009) D05 Range les nombres suivants du plus petit au plus grand : 4,07 4,6 ......... < ......... 3,345 < ......... 4,35 < ......... D06 Trouve un nombre compris entre 5,6 et 5,7 Réponse : ......... D07 Trouve un nombre compris entre 5,9 et 6 Réponse : ......... Q11 Entoure si c’est juste, barre d’une croix si c’est faux : 4 <1 7 ; 4 >1 7 ; 4 1 > 7 2 391 Annexes 1.2 Intercale un entier entre les deux fractions : Q12 : 9 < 4 Q13 : 22 < 5 < 11 3 < 27 5 Q14 Intercale une fraction entre les deux entiers : 2 < < 3 Range les fractions de la plus petite à la plus grande 1 1 1 Q15 : ; ; Réponse : .......... 7 3 10 Q16 : 3 6 ; 7 5 ; 5 8 Réponse : .......... Q18 : 7 8 ; 11 8 ; 3 8 Réponse : .......... Q19 : 4 5 ; 3 4 ; 5 6 Réponse : .......... 392 Annexe 1.2 GR01 Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les flèches, ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C à la bonne place dans la ligne Réponse. A 3 4 B 3 4 C 4 3 Réponse : ....... < ....... < ....... Les droites sont graduées régulièrement. Parmi les nombres A, B, C, D, E, F, certains sont entiers, d’autres pas. Entoure chaque fois la bonne réponse : 4 9 3 6 A A est entier A n’est pas entier GR05 B B est entier B n’est pas entier GR06 393 Annexes 1.2 6 6 2 10 C C est entier D D est entier C n’est pas entier D n’est pas entier GR07 5 GR08 9 10 14 F E E est entier GR09 394 E n'est pas entier F est entier F n'est pas entier GR010 Annexe 1.2 Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à la bonne graduation. 0 1 8 10 ; CV03 1 2 ; CV04 3 2 ; 3 5 2 ; CV06 CV05 9 5 CV07 CV08 Ecris chacune des fractions suivantes sous le dessin adapté et hachure la partie correspondante : 1 3 ; 2 5 ; 4 6 ; 3 4 395 Annexes 1.2 Voici 6 problèmes associés à des schémas. Examine-les, l’un après l’autre. Tu dois 5 comme solution. Pour cela, décider chaque fois si le problème admet la fraction 6 entoure chaque fois la bonne case : CV01 Problème 1 Quelle est la fraction de disque hachurée ? Problème 2 La droite est graduée régulièrement. Sur quelle fraction pointe la flèche ? 1 0 5 est solution 6 5 n’est pas solution 6 5 est solution 6 5 n’est pas solution 6 Ch_reg02 Problème 5 Problème 6 On a aligné des tables. Chaque table a la même longueur. Que vaut la longueur d’une table en mètres ? On a aligné des tables. Chaque table a la même longueur. Que vaut la longueur d’une table en mètres ? 5m 5 est solution 6 396 5 n’est pas solution 6 6m 5 est solution 6 5 n’est pas solution 6 Annexe 1.2 Ch_reg 03 Problème 3 Problème 4 On a aligné des tables. Chaque table a la même longueur. Chaque flèche mesure 1 mètre de longueur. Que vaut la longueur d’une table en mètres ? On a aligné des tables. Chaque table a la même longueur. Chaque flèche mesure 1 mètre de longueur. Que vaut la longueur d’une table en mètres ? 1m 1m 5 est solution 6 5 n’est pas solution 6 5 est solution 6 5 n’est pas solution 6 Ch_reg04 Il a fallu 5 bidons pour remplir un seau de 4 litres. On cherche la contenance en litres d’un bidon. Entoure la bonne réponse : Réponse : ...... 4 5 ; 5 4 ; autre contenance Ch_reg05 Le liquide foncé est du jus de fruit, le liquide clair est de l’eau. Lequel des deux mélanges aura le plus le goût du jus de fruit ? Entoure la bonne réponse. Mélange A Mélange B 397 Annexes 1.2 Ch_reg06 A C C B Il faut 4 verres A pour remplir 3 bidons C Il faut 8 verres B pour remplir 5 bidons C Les bidons C ont tous le même volume. Entoure la bonne réponse : A contient autant que B 398 A contient moins que B A contient plus que B Annexe 1.3 Annexe 1.3 Extraits de l'évaluation locale de CM2, classe de Sélestat, mai 1998 Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en comportait 48. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de leur résolution. Il s'agit des items : D06 ; D07 ; Q06 ; Q09 ; CV02 ; CV04 ; CV05 ; CV06. Signalons par ailleurs que certains exercices ont déjà été présentés en annexes 1 et 6 du chapitre IV. Ils sont repris ici pour des commodités de mise en relation avec l'analyse du chapitre V.2.2. Pour chaque paire de nombres, entoure le plus petit : D01 : (5,2 ; 5,18) D02 : (15,09 ; 15,4) D03 Range les nombres suivants du plus petit au plus grand : 11,432 ......... 12,7 < ......... 12,09 < ......... 12,54 < ......... D04 Trouve un nombre compris entre 6,3 et 6,4 Réponse : ......... D05 Trouve un nombre compris entre 6,9 et 7 Réponse : ......... D06 Trouve un nombre compris entre 6,76 et 6,9 Réponse : ......... DO7 Trouve un nombre compris entre 6 et 6,1 Réponse : ......... 399 Annexes 1.3 Q01 & Q02 (items regroupés) Entoure si c’est juste, barre d’une croix si c’est faux : 3 <1 5 3 >1 5 ; ; 3 1 < 5 2 Intercale chaque fois un entier entre les deux fractions : 8 22 Q03 < < 3 5 Q05 Intercale une fraction entre les deux entiers : 5 < < 6 Range les fractions de la plus petite à la plus grande : 7 13 5 Q06 ; ; Réponse : .......... 6 6 6 1 10 Q07 1 5 ; 1 4 Q08 4 8 ; 7 4 ; 6 5 Q09 4 5 ; 2 3 400 ; ; 9 10 Réponse : .......... Réponse : .......... Réponse : .......... Q04 28 < 5 < 32 5 Annexe 1.3 GR01 Les droites sont graduées régulièrement. Les nombres A, B, C, pointés par les flèches, ne sont pas entiers. Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C à la bonne place dans la ligne Réponse. A 0 1 B 0 1 C 0 Réponse : ....... 1 < ....... < ....... Les droites sont graduées régulièrement. Dans chaque cas, on pointe un nombre par une flèche. Si tu estimes que le nombre est entier, écris-le avec des chiffres. Sinon, entoure seulement la réponse « Le nombre n’est pas entier». GR02 5 9 Réponse : le nombre est entier. Il vaut .... pas entier Le nombre n’est GR03 2 8 401 Annexes 1.3 Réponse : le nombre est entier. Il vaut .... pas entier Le nombre n’est GR04 5 8 Réponse : le nombre est entier. Il vaut .... pas entier Le nombre n’est Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à un point de la droite. 0 7 10 2 1 ; CV01 1 2 ; 4 5 ; CV03 CV02 8 5 CV04 ; 16 10 CV05 ; 1 3 CV06 Ecris chacune des fractions suivantes sous le dessin adapté et hachure la partie correspondante : 5 ; 8 CV07 402 2 3 CV08 ; 7 ; 10 CV09 4 5 CV10 Annexe 1.3 CV11 La partie grisée représente une fraction. Laquelle ? Réponse : ....... 403 Annexes 1.3 CV17 Ecris 3,14 comme somme d’un entier et de fraction(s) : Réponse ..... CV18 Ecris 3,14 au moyen d’une seule fraction : Réponse ..... Ch_reg 02 250 g BEURRE Explique en quelques mots comment tu t’y prendrais pour découper 50 g de beurre dans cette plaque ? Ch_reg03 5 6 La droite est graduée régulièrement. Chaque flèche désigne un nombre. a) Pour écrire ce nombre, tu préfères utiliser : (Entoure une des deux réponses cidessous) une écriture avec des fractions une écriture à virgule (nombre décimal) b) Ecris sous chaque flèche le nombre qu’elle désigne. 404 Annexe 1.3 Ch_reg 04 Avec ces deux bouteilles remplies de miel, on peut remplir exactement les 3 pots ci-dessous : 1L 1L 1kg 1kg 1kg Ce gros bidon contient 10 litres et a une masse à vide de 3 kg. Quelle sera sa masse s'il est rempli de miel ? Ch_reg 05 Quel volume de miel contient un des 3 pots du dessin ? Ch_reg 06 On considère deux tas, A et B, de feuilles de papier. 8 feuilles du tas A ont une épaisseur de 3 mm. 19 feuilles du tas B ont une épaisseur de 6 mm. Entoure la bonne réponse : 1. Les feuilles de A et de B ont la même épaisseur 2. Les feuilles de A sont plus épaisses que celles de B 3. Les feuilles de B sont plus épaisses que celles de A Ch_reg 07 B Voici trois nombres : A = 2,8 11 4 2 ; 3 ; C= Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C, à la bonne place dans la ligne Réponse : Réponse : ....... < ....... < ....... 405 Annexes 1.4 Annexe 1.4 Extraits de l'évaluation pronostic de CM2, classe de Sélestat, juin 1998 Remarque : les items suivants sont les items retenus pour l'analyse des évolutions. Ils sont donc extraits d'une évaluation qui en comportait 15. Nous avons néanmoins conservé dans cet extrait des items qui n'ont pas été analysés, car il importait de présenter l'intégralité du contexte dans lequel les élèves étaient plongés lors de leur résolution. Il s'agit des items : CV02 ; CV04 ; CV05 ; CV06. Complète en mettant le signe < ou > : 13 5 Q01 : Q02 : ....... 1 ; ....... 8 8 1 2 (items regroupés en un seul) Intercale chaque fois un entier entre les deux fractions : Q04 : < 15 < 4 < 22 5 32 10 Q06 Intercale une fraction entre les deux entiers : 1 < < 2 Range les fractions de la plus petite à la plus grande : 406 Q05 : 27 < 10 Annexe 1.4 Q07 : 1 6 1 10 Réponse : .......... Q08 : 5 13 3 ; ; 10 6 4 Réponse : .......... ; 1 2 ; Place chacune des fractions suivantes sur la droite graduée. Tu réécriras chaque fraction au-dessus de la droite et tu la relieras au moyen d’une flèche à un point de la droite. 0 6 10 2 1 19 10 ; CV01 2 5 ; 9 5 ; CV03 CV02 ; CV04 Ch_reg07 1 2 ; CV05 1 4 CV06 B A= Voici trois nombres : 3 4 ; 0 C = 0,25 1 ; Range-les du plus petit au plus grand. Tu écriras A, B, C, à la bonne place dans la ligne Réponse : Réponse : ....... < ....... < ....... 407 Annexes 2 Fiches pédagogiques d'accompagnement des logiciels de la série ORATIO Annexe 2 Gradu1 1. Aperçu synthétique Une droite initiale porte un repère matérialisé par deux bornes entières. Ces bornes déterminent un pas égal à la différence des deux bornes. L’élève doit déposer trois nombres entiers sur une droite à graduer par report du pas. Chacun des trois nombre est choisi pour qu’il puisse se déposer sur une des graduations ainsi créées. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques C’est le logiciel du début. Il vise un premier contact avec les signes du registre des droites graduées et leur façon de produire du sens d’une part ; avec la seule opération de report d’autre part : • sur une même droite, la graduation est régulière ; • d’une droite à une autre, le pas physique - longueur à l’écran - est le même, mais sa valeur numérique change ; • cette valeur est déterminée par la donnée du repère initial ; 3. Analyse de la tâche 1. Calculer la différence entre les bornes initiales ; 2. évaluer la différence entre le nombre à déposer et une borne ou un autre nombre déjà déposé (facultatif) ; 3. graduer par additions répétées du pas jusqu’à atteindre le nombre à déposer ou par multiplication/division si l’étape 2. est réalisée. 410 Annexe 2 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemple d'exercice de type sémiotique • prévoir le nombre d’intervalles nécessaires pour déposer 44. 17 20 Ce type d’exercice valorise une recherche multiplicative (étape 2. ci-dessus). Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • problèmes multiplicatifs à données et résultats entiers du type : Marie achète 8 gâteaux à 7 francs ; un jardinier plante 15 rangées de 12 salades… 5. Cahier des charges Valeur du pas : {3, 4, 5, 6, 10} Borne inférieure du repère : < 300 411 Annexe 2 Gradu2 1. Aperçu synthétique Une droite initiale est graduée régulièrement. Deux graduations consécutives sont marquées par deux nombres entiers (le repère) dont la différence détermine un pas. L’élève doit situer, puis déposer trois nombres entiers sur cette droite. Il devra pour cela sous-graduer chaque intervalle concerné. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel vise un renforcement du mode de signification des signes du registre. Il introduit, après le report, le deuxième traitement fondamental sur droite graduée, à savoir l’opération de subdivision, qui pour l’instant se limite encore à des sous-graduations d’abscisses entières. La valorisation des sous-graduations minimales oriente vers la recherche des diviseurs du pas. 3. Analyse de la tâche 1. Calculer la différence - le pas - entre les bornes initiales ; 2. imaginer, par additions répétées du pas, les entiers correspondant aux graduations ; 3. situer chaque nombre à déposer sur cette droite graduée ; 4. choisir, pour chaque intervalle concerné, le minimum de subdivisions nécessaires au repérage des nombres ; 5. déposer chaque nombre sur la graduation adéquate. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemple d'exercice de type sémiotique • prévoir la subdivision minimum de l’intervalle suivant pour y déposer 47 43 53 412 Annexe 2 • énoncer une règle de recherche de subdivision minimale du type : « Je calcule les diviseurs du pas ; je teste si des sauts - de 2 en 2 ou de 5 en 5 dans le cas présent - attrapent le nombre - ici 47 ». Exemples d'exercices de type physique • problèmes de division-quotition : (Brissiaud et autres ; 1998-b, p 28) 24 (ou 26 !) élèves, 6 élèves par tente en cherchant à remplir le maximum de tentes. 5. Cahier des charges Valeur du pas : {3, 4, 5, 6, 10} Borne inférieure du repère : < 40 Nombres à déposer : < 44 413 Annexe 2 Gradu3 1. Aperçu synthétique Trois droites sont graduées régulièrement. Sur chaque droite, deux graduations consécutives sont marquées par des nombres entiers dont la différence détermine un pas numérique, indépendant du pas physique - longueur à l’écran. Sur chaque droite, une flèche pointe vers un nombre annoncé comme entier. L’élève doit ranger les trois nombres ainsi exprimés, du plus petit au plus grand. Il dispose de la possibilité de marquer les graduations initiales par des entiers et de sous-graduer uniformément chaque intervalle d’une droite. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel invite à explorer les possibilités de comparaison des nombres offertes par le seul recours aux signes du registre des droites graduées. Les traitements par report et subdivision sont possibles, mais pas toujours nécessaires. Dans certains cas, un raisonnement par encadrement ou un positionnement - par rapport au milieu par exemple - peut suffire. Ce logiciel permet une distinction nette entre les unités hautement signifiantes du registre : les nombres entiers, les graduations... et des unités moins fiables comme la longueur à l’écran. 3. Analyse de la tâche 1. Mettre en œuvre les moyens d’un repérage numérique - contre un repérage purement visuel : « plus long ne signifie plus forcément plus grand » ; 2. comparer par encadrement ou positionnement de première approximation ; 3. affiner, si nécessaire, la comparaison au moyen de sous-graduations . 414 Annexe 2 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemple d'exercice de type sémiotique • est-il nécessaire de sous-graduer pour comparer les deux nombres pointés par les flèches ? 12 20 24 27 Exemples d'exercices de type physique • problèmes de division-partition (Brissiaud et autres ; 1998-b, p 28) : 24 (ou 26 !) élèves à répartir en 6 tentes. 5. Cahier des charges Valeur du pas choisie dans : [2 ; 10] Borne inférieure du repère choisie dans : [0 ; 50] 415 Annexe 2 Gradu4 1. Aperçu synthétique Trois versions du même intervalle numérique, de pas égal à 1, sont montrées à l’écran. Les longueurs physiques de chaque version ainsi que le nombre de graduations qu’elles portent sont différents. Une flèche pointe, sur chaque version de l’intervalle, vers un nombre non entier. L’élève doit ranger ces trois nombres du plus petit au plus grand. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel est le premier de la série à sortir du domaine des entiers. Il choisit l’opération de comparaison pour introduire les premières significations sur les rationnels, et prolonger les traitements déjà efficaces dans le domaine des entiers : reports, subdivisions, positionnements par rapport à des points stratégiques comme le milieu. Il vise, d’entrée de jeu, à une diversification des moyens de comparer deux rationnels : la resubdivision sera un précurseur de la réduction au même dénominateur, mais une foule d’autres procédures sont possibles et beaucoup moins coûteuses. Ce logiciel renforce la distinction entre les unités hautement signifiantes du registre : les nombres entiers, les graduations... et des unités moins fiables, en tout cas relatives, comme la longueur ou la position plus ou moins centrée à l’écran. Notons enfin qu’il a été, dans les classes expérimentales, l’occasion de développer naturellement des compétences arithmétiques, et notamment autour du ppcm. 3. Analyse de la tâche 1. Comparer par positionnements de première approximation ; 2. affiner si nécessaire par la prise en compte du nombre de graduations : « plus grand est le fractionneur, plus petit est le fractionnement » ; 3. procéder à d’éventuels regroupements comme : « 2 graduations sur un fractionnement en 8 équivalent à 1 graduation sur un fractionnement en 4 » ; 416 Annexe 2 4. autres heuristiques particulières... 5. procéder à une resubdivision afin de trouver un fractionneur commun dans les cas - rares - où les méthodes précédentes échouent. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • énoncer des règles comme dans 2. et 3. ci-dessus ; calculs simples de multiples, de diviseurs, de multiples et diviseurs communs. • peut-on comparer sans resubdiviser ? 7 8 7 8 5. Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • quelle part de 1F représente 20 cts ? 40 cts ? (cas discret) • quelle part de b1 représente b3 , b2 ? (cas continu) b3 b2 b1 Problèmes de cran 3-4 (mélanges) • quel mélange a le plus le goût de jus de fruit (4 verre d'eau pour 4 verre de jus de fruit contre 3 verres d'eau pour 2 verres de jus de fruit)… 6. Cahier des charges Valeur du pas : 1 Borne inférieure du repère choisie dans : [0 ; 9] Subdivision initiale en : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} intervalles 417 Annexe 2 Gradu5 1. Aperçu synthétique Une droite initiale est graduée régulièrement. Deux graduations principales, non consécutives, sont marquées par deux nombres entiers (le repère) dont la différence détermine un pas. Le repère se trouve ainsi subdivisé en un nombre d’intervalles qui est le plus souvent différent du pas : ainsi, un repère comme [4 ; 7]peut-être subdivisé en 5 intervalles. L’élève doit déposer trois nombres entiers sur cette droite. Il dispose de la possibilité de sous-graduer régulièrement chaque intervalle initial. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel propose de travailler sur des nombres entiers plongés dans un univers qui sort du domaine des entiers du fait des subdivisions initiales non adéquates au pas. Il peut être considéré comme difficile, mais très instructeur sur la manière dont le registre produit de l’information : il permet de préciser les liens entre bornes du repère, graduations, groupe de graduations, unité.. Notons que lors des expérimentations menées dans les classes, il n’a jamais produit le désarroi pourtant attendu, mais une recherche très active et diversifiée de procédures par essai/erreur dont beaucoup ont abouti. 3. Analyse de la tâche 1. Prendre en compte et calculer le pas et le nombre de graduations du repère ; 2. combiner ces 2 nombres pour décider si les graduations sont d’abscisses entières ou pas ; 3. entreprendre des actions de resubdivisions pour attraper un pas entier, le plus souvent unitaire ; 4. regrouper les nouvelles graduations afin de rester dans le domaine des entiers - le plus souvent pour progresser de 1 en 1 - et d’y déposer les nombres. 418 Annexe 2 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemple d'exercice de type sémiotique • placer 5 et 6 sur la droite graduée ci-dessous ; 4 7 • énoncé - éventuel - de règles comme : « pour pouvoir progresser de 1 en 1, le nombre de sous-intervalles doit être un multiple du pas ». Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • 3 (ou 7) pizzas à partager entre 4 enfants (quelle sera la part de chaque enfant ?) ; Problèmes de cran 3 • 2l de miel pèsent 3 kg (volume, masse, d'un kilo, d'un litre de miel ; extension à d'autres valeurs entières simples). 5. Cahier des charges Valeur du pas : {2, 3, 4, 5, 6, 7} Borne inférieure du repère : {1, 2, 3, 4, 5, 6} Nombres à déposer : < 20 Subdivision initiale en : {2, 3, 4, 5, 6, 10} intervalles 419 Annexe 2 Gradu6 1. Aperçu synthétique 1.1. Exercices 1 et 2 Un nombre non entier - choisi par le logiciel -, est pointé sur un intervalle de pas 1, subdivisé - par le logiciel -, en sous-intervalles au moyen d’un fractionneur#1. Un zoom sur cet intervalle précise la position de ce nombre au moyen d’un fractionneur#2. 1.2. Exercices 3 Idem mais l’élève choisit ses subdivisions et, s’il le souhaite, peut zoomer. 1.3. Exercices 4 Idem, mais le nombre inconnu est choisi par un autre élève. Dans tous les cas, on demande à l’élève de déposer le nombre inconnu sur une nouvelle droite. Il est invité pour cela à procéder en deux temps : recherche d’une subdivision adaptée à la capture du nombre inconnu - droite « au brouillon » ; recherche de la graduation de cette subdivision sur laquelle déposer ce nombre inconnu - droite « au propre ». 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Les écritures fractionnaires usuelles sont bidimensionnelles. Cette donnée de deux nombres - numérateur et dénominateur - est un obstacle repéré à l’acception d’une fraction comme descripteur d’un seul nombre rationnel. Le premier but de ce logiciel est de séquentialiser la prise en compte du dénominateur et du numérateur : la droite « au brouillon » permet la recherche d’un dénominateur adapté, sans se préoccuper du numérateur, qui sera l’objet de la recherche sur la droite « au propre ». 420 Annexe 2 Notons que dans l’exercice 4 notamment, le fractionneur - qui sera plus tard le dénominateur - permet d’attester numériquement la position du nombre choisi par l’élève, car une simple coïncidence visuelle risquerait de donner comme égaux des rationnels proches - points indiscernables à l’écran - mais différents comme 5/3 et 12/7. On entre ainsi dans une véritable problématique d’écritures équivalentes - deuxième but du logiciel - qui ne saurait se réduire à la recherche d’une éventuelle coïncidence visuelle, mais à la question de savoir s’il existe une même subdivision - et donc un même fractionneur - susceptible d’attraper les deux nombres. 3. Analyse de la tâche 1. Trouver le fractionneur - résultant du zoom ou pas -, par multiplication et/ou par essai/erreur ; 2. si zoom sur un intervalle, recherche du numéro de la graduation, dans l’ensemble de la subdivision résultante, vers laquelle pointe le nombre inconnu ; 3. appliquer séquentiellement 1. et 2. pour déposer définitivement le nombre. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • énoncer la règle de recherche par multiplication du fractionneur résultant d’un zoom ; • énoncer un algorithme de recherche du point 2. ci-dessus - recherche du « numérateur » -, du type : « si chaque intervalle de la première droite était subdivisé en fractionneur#2, on compterait tant de subdivisions jusqu’au nombre inconnu... » Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 3 • 1/4 des élèves font de la musique ; 1/10 des musiciens font des percussions. Il y a 160 élèves en tout. Combien font des percussions ? • tu dépenses 1/5 (ou 1/4) de ton argent, puis la moitié du reste. Tu avais 50 francs. combien te reste-t-il ? 421 Annexe 2 Problèmes de cran 4 • les mêmes problèmes que ci-dessus mais sans donner le total. On demande une réponse en proportion (type : il me reste 2/5 de la somme initiale). 5. Cahier des charges Valeur du pas : 1 Borne inférieure du repère choisie dans : [2 ; 9] • Exercices 1 & 2. fractionneur#1∈[2 ; 10] ; fractionneur#2 ∈ [2 ; 8] • Exercices 3 & 4. fractionneur ∈[2 ; 9] 422 Annexe 2 Fracti1 Dans toutes les fiches concernant les logiciels Fracti, nous désignerons le numérateur d’une fraction par N et son dénominateur par D. 1. Aperçu synthétique Des fractions de même dénominateur, et dont le numérateur augmente d’un pas régulier, défilent à l’écran. L’élève doit arrêter le défilement dès qu’il repère une fraction équivalente à un entier. Une question bonus lui demande à la fin s’il pense en avoir laissé passer. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel d’introduction aux écritures fractionnaires est conforme à notre projet de privilégier les aspects sémiotiques dans l’accès au sens : que nous racontent les écritures sur l’objet qu’elles expriment ? Deux axes principaux ont été retenus pour « faire parler » les écritures fractionnaires : 1. les positionner par rapport aux valeurs sûres que sont les entiers ; 2. les positionner entre elles, c’est à dire les comparer. Nous verrons dans Fracti5 en quoi le point 2. est dépendant du point 1. Ce premier logiciel vise avant tout à plonger les entiers dans l’univers des écritures fractionnaires : comment un entier comme 3 ou 4 s’exprime-t-il en quarts ou en dixièmes ? Cette approche a trois conséquences : • c’est 4/4 = 1 ou 20/4 = 5 qui donne du sens à 3/4 (1/4 de moins que 4/4 par exemple) et pas le contraire ; • l’élève est mis en attente de numérateurs multiples du dénominateur, créant ainsi un lien entre l’écriture N/D et la division de N par D ; • les fractions supérieures à 1 apparaissent naturellement dans cet univers. 423 Annexe 2 3. Analyse de la tâche 1. N est-il multiple de D ? 2. si oui, stopper le processus, si non le laisser se poursuivre ; 3. évaluer rétrospectivement les risques d’oubli (question bonus). 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Avant : • bilan sur les écritures fractionnaires déjà connues des élèves (comme 1/2 ; 1/4 ; 3/4 ; 1/3...) et le contexte de leur utilisation (lecture de l’heure, mesure de masse, volume...) ; • une introduction légère - et facultative - à la mesure de longueur au moyen d’une unité non conventionnelle (requérant l’usage d’écritures fractionnaires). Pendant et après • révision des tables de multiplication ; • interrogations-éclair : 12/4 ; 36/7... sont-ils entiers ? Exemple de problème de type physique Problème de cran2 • évaluation de longueurs au moyen d'unités non standards (pieds) et du système métrique ; expression fractionnaire de ces mesures. 5. Cahier des charges • Exercice 1. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur augmenté de 1 en 1 • Exercice 2. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur augmenté de n en n, 2≤n ≤5 424 Annexe 2 Fracti2 1. Aperçu synthétique Ce logiciel propose, à chaque jeu, une fraction et un entier. L’élève doit décider si le produit de la fraction par l’entier est entier ou pas. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel vise avant tout un objectif : une fraction est un nombre qui peut être dilaté en un entier (moyennant une multiplication par un entier bien choisi). Cette propriété, qui est fondatrice du monde des rationnels, sera en outre utilisée plus loin pour comparer deux fractions quand d’autres méthodes plus simples auront échoué. 3. Analyse de la tâche 1. Interpréter des écritures comme 3/4 en : « trois fois un quart » 2. calculer des expressions comme 3/4 x 7 : « 3 (fois un) quart(s) multiplié par 7 est égal à 21 quarts » ; 3. le numérateur résultant est-il multiple du dénominateur ? On est alors renvoyé à une problématique de type Fracti1. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Voir l’accompagnement de Fracti1. Y ajouter une règle comme celle énoncée au point 2. ci-dessus. Exemple d'exercice de type physique Problème de cran 2 • évaluation de grandeurs différentes des longueurs, comme des aires, par rapport à une aire totale. Evaluation de chutes (Douady et Perrin-Glorian ; 1986, pp. 51-62). • 425 Annexe 2 5. Cahier des charges • Exercice 1. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur : 1 ; multiplicateur choisi pour obtenir des résultats entiers ou non entier et inférieurs à 12 • Exercice 2. dénominateur ∈ [2 ; 10] ; numérateur ∈ [1 ; 10] ; multiplicateur choisi pour obtenir des résultats entiers ou non entier et inférieurs à 12 426 Annexe 2 Fracti3 1. Aperçu synthétique Le logiciel demande d’encadrer une fraction donnée par deux entiers consécutifs (exercice 1) ; d’intercaler un entier, si possible, entre deux fractions de même dénominateur (exercice 2) ou pas (exercice 3). 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel vise à renforcer la capacité à positionner des fractions par rapport aux entiers et vice versa. Cette compétence sera précieuse lors de la comparaison de fractions séparables par des entiers, car elle permettra d’éviter une technique plus lourde de type réduction au même dénominateur. 3. Analyse de la tâche 3.1. Exercice 1 1. Effectuer la division euclidienne de N par D (ou une technique approchante du type : 23/5 = 20/5 + 3/5 = 4 + 3/5) ; 2. en déduire la partie entière de la fraction ; 3. procéder à l’encadrement de borne inférieure la partie entière ; de borne supérieure l’entier consécutif. 3.2. Exercices 2 et 3 1. Rechercher la partie entière de la plus petite des fractions ; 2. considérer l’entier consécutif ; 3. en fournir une écriture fractionnaire exprimable au moyen du dénominateur de la plus grande des fractions ; 4. comparer cette écriture fractionnaire à la plus grande des fractions ; 5. décider si l’intercalation est possible ou pas . 427 Annexe 2 ... ou bien rechercher des écritures fractionnaires d’entiers exprimées au moyen des dénominateurs des fractions, et décider si l’intercalation entre les deux fractions données est possible. Exemple : entre 7/3 et 22/5, on peut intercaler 3 car 3 = 9/3 > 7/3 et 3 = 15/5 < 22/5. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemple d'activités de type sémiotique • rappeler les règles des écritures fractionnaires des entiers, du type : 5 = 10/2 = 15/3 = 50/10 = 5/1... Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • une grandeur étant déterminée par commensuration (7 épaisseurs pour 35 mm ou 5 bouteilles pour remplir 41 verres), déterminer : si elle se mesure ou pas par un nombre entier (de mm, de verres…) ; le nombre entier le plus proche de cette mesure ; deux entiers qui l'encadrent ; intercaler un entier entre deux mesures non entières… 5. Cahier des charges • Exercice 1. dénominateur ∈ {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} ; numérateur ∈ [1 ; 30] • Exercice 2. dénominateurs égaux et choisis dans : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} ; numérateurs dans : [1 ; 30], choisis pour pouvoir intercaler ou pas un ou plusieurs entiers entre les deux fractions • Exercice 3. dénominateurs différents choisis dans : [2 ; 10] ; numérateurs dans : [1 ; 200], choisis pour pouvoir intercaler ou pas un entier entre les deux fractions 428 Annexe 2 Fracti4 1. Aperçu synthétique Le logiciel demande d’intercaler une, puis deux, et jusqu'à cinq fractions entre deux entiers consécutifs. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel, tout en renforçant encore les liens entiers/fractions, vise aussi à valoriser la convivialité des fractions décimales : il est beaucoup plus simple d’intercaler 82/10 entre 8 et 9 que 59/7 ! D’où l’idée de demander l’intercalation de plusieurs fractions - les élèves pensant d’abord aux demis et aux quarts avant de comprendre l’intérêt des dixièmes. 3. Analyse de la tâche 1. Choisir un dénominateur D ; 2. donner une expression fractionnaire N0/D de l’entier inférieur i ; 3. donner une expression fractionnaire N1/D de l’entier supérieur s ; 4. choisir N2 compris entre N0 et N1 et saisir N2/D comme résultat ; 5. recommencer en changeant éventuellement de dénominateur si les possibilités offertes par D sont épuisées. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • demander d’intercaler 20, 50, 100... fractions entre deux entiers consécutifs afin de renforcer l’idée que les fractions décimales - de dénominateur 10, 100, 1000... - permettent des calculs beaucoup plus simples, ce qui motivera ultérieurement les écritures décimales. Exemples d'exercices de type physique 429 Annexe 2 Problème de cran 2 • reprise : 12 pizzas à partager entre 5 élèves (la réponse est non entière, située entre deux entiers consécutifs…) ; Problème de cran 3 • l'air est composé approximativement de 1/5 d'oxygène et 4/5 d'azote. Deux des trois valeurs (volume d'air, d'oxygène ou d'azote) étant données (en litres par exemple), calculer la troisième. 5. Cahier des charges Deux entiers consécutifs, le plus petit étant compris entre 1 et 9 430 Annexe 2 Fracti5 1. Aperçu synthétique Chaque exercice du logiciel propose de ranger des fractions - tirées suivant un cahier des charges précisé au dernier paragraphe -, de la plus petite à la plus grande. Des aides, diverses suivant les exercices, sont parfois proposées. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce long logiciel, divisé en cinq exercices, finalise la série Fracti : les diverses règles, énoncées au cours des logiciels précédents, et auxquelles réagissent les écritures fractionnaires, fournissent des outils diversifiés et adaptés au cas par cas de comparaison. Les élèves peuvent donc choisir de comparer les fractions, soit en utilisant leur positionnement par rapport aux entiers ; soit par rapport à d’autre points stratégiques (comme la moitié) ; soit en recourant à toute autre heuristique privée ; soit enfin, dans les cas - rares - résistants, utiliser les deux formes d’aide proposées : 2.1. Aide des exercices 2 et 3 : « la machine à fractionner » adaptée aux comparaisons à numérateur constant, elle visualise l’idée physique et pas sémiotique, il y a parfois des exceptions... - suivant laquelle : « plus grand est le fractionneur, plus petit est le résultat du fractionnement ». 2.2. Aide des exercices 4 et 5 : « l’agrandisseur » Repose sur l’idée que si le filtre entier ne suffit pas à séparer deux fractions comme 3/5 et 2/3 -, on peut d’abord les « dilater » par un même coefficient multiplicateur, afin de mieux les distinguer. En choisissant bien ce multiplicateur, il redevient possible d’intercaler un entier entre les fractions produites par cette transformation. Dans l’exemple de 3/5 et 2/3, on pourra choisir le multiplicateur 5, qui transforme : • 3/5 en l’entier 3 (on utilise ici les résultats de Fracti 1 et 2); • 2/3 en 10/3 > 3 (on utilise ici les résultats de Fracti 3) ; 431 Annexe 2 ce qui permet d’achever la comparaison de 3/5 et 2/3. 3. Analyse de la tâche Elle dépend de l’exercice considéré. Nous la résumerons donc, sans la détailler davantage, par ces deux compétences transversales : savoir choisir et savoir changer. Ou encore : adapter sa procédure de comparaison au cas par cas. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique Exercices à choix multiple du type : • « pour comparer 2/3 et 3/4, quelles méthodes te paraissent les plus adaptées : la machine à fractionner ; l’agrandisseur ; les comparer à 1 ; les comparer à 1/2... » Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • comparer des grandeurs évaluées par des fractions : plaques d'épaisseur 2/5 et 3/7 (en mm par exemple) ; • comparer des grandeurs évaluées par commensuration : 5 bouteilles de type b1 remplissent 2 bidons, 7 bouteilles de type b2 remplissent 3 mêmes bidons. 5. Problèmes de cran 3 • qui contient le plus d'alcool : 50 cl de bière à 1/20 d'alcool, 10 cl de whisky à 2/5 d'alcool ou 20 cl de vin à 13/100 ? Problèmes de cran 4 • dans un classe de 24 élèves, 6 élèves déclarent préférer le foot à tous les autres sports et dans une classe de 30 élèves, 7 élèves font la même déclaration. Dans quelle classe préfère-t-on le foot ? • si tu dépenses 3/7 de ton argent, il t'en reste plus ou moins que la moitié ? • peux-tu dépenser 8/5 de ton argent ? • 432 Annexe 2 6. Cahier des charges • Exercice 1. dénominateur constant choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10} ; numérateur variable choisi dans : [1 ; 10] • Exercice 2. dénominateur variable choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10} ; numérateur : 1 • Exercice 3. dénominateur variable choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10} ; numérateur constant choisi dans : [2 ; 10] • Exercice 4. dénominateur variable choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} ; numérateur variable choisi dans : [1 ; 10] • Exercice 5. dénominateur variable choisi dans : {1,10,100,1 000,10 000} ; n numérateur variable de la forme k 10 , avec : k ∈ [1 ; 9] et n ∈ [1 ; 4] 433 Annexe 2 Format1 1. Aperçu synthétique Ce logiciel propose de saisir un nombre à virgule dans un format à virgule fixe. Le nombre est choisi soit par le logiciel, soit par l’élève. Il est visible à l’écran pendant toute la saisie ou seulement durant un temps limité. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel d’introduction aux écritures décimales est conforme à notre projet de privilégier les itinéraires sémiotiques de l’accès au sens. A cet égard, nous avons choisi de plonger l’élève dans l’environnement sémiotique complet des écritures décimales à n chiffres après la virgule - sans passer par les intermédiaires usuels des décimaux à 1, 2, 3 chiffres après la virgule -, en prolongeant tout simplement le système de numération des entiers. L’outil de ce prolongement est le format à virgule fixe, qui impose de saisir un nombre strictement inférieur à 10 000 en commençant toujours au rang des milliers. On force ainsi à un balayage systématique du nombre, de la gauche vers la droite. La difficulté, constitutive du savoir en jeu car valorisant la position du chiffre dans le format en l’attachant à un rang, est de commencer la saisie par d’éventuels zéros initiaux. 3. Analyse de la tâche 1. Repérer le rang du premier chiffre à gauche du nombre en s’aidant de la virgule ; 2. en déduire le nombre de zéros initiaux à saisir dans le format ; 3. poursuivre la saisie chiffre à chiffre du nombre ; 4. compléter par d’éventuels zéros finaux. 434 Annexe 2 4. Accompagnement papier/crayon suggéré • rappel des têtes de série de la partie entière (.. ; milliers ; .. ; unités) ; • règle de passage d’une tête de série à la suivante (x10) ; • dictée de grands nombres entiers. Aucun accompagnement de type physique n'est suggéré. 5. Cahier des charges • Exercice 1 & 2. partie entière : 4 chiffres ; partie décimale : 9 chiffres • Exercices 3. 10 chiffres en tout ; nombre < 10 000 435 Annexe 2 Format2 1. Aperçu synthétique Le logiciel propose de ranger des nombres décimaux, du plus petit au plus grand, en s’aidant, si on le souhaite, de deux formats à virgule fixe. Les nombres sont tirés aléatoirement, suivant un cahier des charges variant d’un exercice à l’autre (voir dernier §). 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel vise à une mise en œuvre et à une observation fine des mécanismes de l’écriture décimale, en les mettant à l’épreuve de leur capacité à comparer des nombres. La méthode de comparaison, suggérée par le format à virgule fixe, consiste à balayer en parallèle les deux nombres, chiffre à chiffre, de la gauche vers la droite, en commençant et en complétant par d’éventuels zéros. On départage les deux nombres dès que deux chiffres de même rang sont différents dans ce balayage. On notera l’approche purement sémiotique - lexicographique - de cette comparaison. Les interprétations en terme de têtes de série (.. ; dixièmes ; centièmes ; ..) seront un produit des logiciels de conversion. Cette approche est notamment sous-tendue par le rôle : • de la virgule qui permet de déterminer le rang de chaque chiffre et notamment le nombre de zéros initiaux ; • des zéros : marqueurs de rangs non exprimés, ils ne peuvent être neutres qu’en début ou en fin d’écriture. Remarquons enfin que ce scénario met en scène la primauté du rang - des chiffres -, qui départage, sur la longueur du nombre qui est ignorée, dans sa partie décimale comme dans sa partie entière. 3. Analyse de la tâche 1. Saisir correctement les deux nombres à comparer dans leur format respectif (voir Format1) ; 436 Annexe 2 2. compléter par d’éventuels zéros terminaux un des deux nombres ; 3. décider d’arrêter le processus dès qu’un chiffre permet de départager. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré • comparaison de nombres décimaux à n chiffres après la virgule ; • énoncer le rôle de la virgule comme marqueur de rang ; • énoncer l’importance du rang contre la longueur du nombre ; • pointer le rôle du zéro en fonction de sa place dans le nombre. 5. Cahier des charges • Exercice 1. partie entière variable ; 1 chiffre après la virgule Exemple : 45,3 ; 3,2 ; 52,4 ; 62,7 ; ... • Exercice 2. partie entière variable ; 4 chiffres maximum après la virgule Exemple : 95,936 ; 17,436 ; 52,6297 ; 14,4 ; ... • Exercice 3. partie entière constante; 6 chiffres maximum après la virgule Exemple : 49,9 ; 49,1484 ; 49,3195 ; 49,28 ; ... • Exercice 4. partie entière constante ; 6 chiffres maximum après la virgule, illustrant la règle de suppression des zéros terminaux Exemple : 47,1 ; 47,800 ; 47, 80000 ; 47,1000 ; ... • Exercice 5. partie entière constante ; 6 chiffres maximum après la virgule, illustrant l’opposition entre zéros terminaux et zéros intercalaires Exemple : 18,05500 ; 18,550000 ; 18,01 ; 18,55 ; 18,1 ; 18,1000 ; ... • Exercice 6. longueur des parties entière et décimale très variable Exemple : 0,0528 ; 0,000069 ; 0,51 ; 0,0058 ; 0,0084 ; 2,725 ; ... • Exercice 7. mélange de nombres de chacun des types précédents 437 Annexe 2 Mystère 1. Aperçu synthétique Le logiciel choisit un nombre décimal mystérieux compris entre 0 et 30. L’élève doit trouver ce nombre en un minimum de coups. Il fait pour cela des propositions, auxquelles le logiciel répond par « trop grand » ou « trop petit », et en rappelant le meilleur encadrement obtenu jusqu’alors. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel, qui peut conclure la série Format, vise un travail sur l’encadrement et l’intercalation. Il permet notamment d’appréhender que « entre deux décimaux, on peut toujours en intercaler un troisième - et donc une infinité ». Il constitue une première approche de la densité des décimaux, qui sera retravaillée par Frac2for. 3. Analyse de la tâche 1. Proposer un nombre compatible avec le dernier encadrement affiché ; 2. recourir à des décimales supplémentaires lorsque les possibilités d’un rang ont été épuisées (3,4 < N < 3,5 épuise les possibilités du rang des dixièmes) ; 3. poursuivre jusqu'à ce que le logiciel annonce la capture du nombre mystérieux. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré • énoncer une règle du type : « entre deux décimaux, on peut toujours en intercaler un troisième . Exemple : entre 3,4 et 3,5, il y a 3,41, 3,42..., mais aussi 3,4728.... » • c’est aussi l’occasion de rappeler que : 3,4 = 3,40 = 3,400 = ... 438 Annexe 2 • exercices d’encadrements et d’intercalations du type : encadre 3,4728 par deux décimaux au dixième ; intercale un nombre entre 7,81 et 7,82 ; entre 7 et 7,1... 5. Cahier des charges Tous les nombres sont compris entre 0 et 30 ; n1 de format : #,# ; n2 de format : #,## ; n3 : entier ; nombres suivants : partie décimale de longueur inférieure à 5 et commençant une fois sur deux par zéro Suivant l’option choisie dans le groupe pédagogique de Oratio : option ‘initial’ : les trois premiers nombres d’une série sont fixes option ‘final’ : tirage aléatoire sur cahier des charges ci-dessus 439 Annexe 2 Frac2gra 1. Aperçu synthétique Une droite initiale est graduée régulièrement de 1 en 1. Trois fractions doivent y être successivement déposées. L’élève devra pour cela les positionner entre deux entiers consécutifs puis choisir un fractionnement - minimal de préférence - adapté. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel, qui peut être le premier des logiciels de conversion, vise un renforcement des significations du registre des écritures fractionnaires par celles des droites graduées et vice versa. Le dénominateur sera ainsi associé à l’opération de subdivision, le numérateur à celle de report, donnant un cadre opérationnel à ces deux notions, ce qui permettra de mieux discerner leur fonction respective. La valorisation des graduations minimales fait entrer dans une problématique de simplification des fractions. 3. Analyse de la tâche 1. Extraire la partie entière de la fraction ; se positionner dans l’intervalle correspondant ; 2. procéder à d’éventuelles simplifications de la partie fractionnaire; 3. demander une subdivision minimale adéquate de l’intervalle ; 4. tenir compte du numérateur pour achever la dépose de la fraction. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • quelques simplifications simples : 2/4 = 1/2 ; 2/10 = 1/5.... ; • recherche rapide de parties entières - de 37/10, de 7/5, de 3/4.... 440 Annexe 2 • usage d'un réseau de parallèles équidistantes (guide-âne !) pour placer une fraction sur droite graduée. Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 3 • échelles : représenter un parcours ou un lieu - comme une BCD dont on envisage le réaménagement - à une échelle à déterminer. 5. Cahier des charges Pour les deux exercices, dénominateur ∈[1 ; 10] ; numérateur ∈[1 ; 100] • Exercice 1. dénominateur constant, numérateur variable • Exercice 2. dénominateur variable ; numérateur constant 441 Annexe 2 Form2gra 1. Aperçu synthétique Une droite initiale est graduée régulièrement de 10 en 10. Trois nombres décimaux doivent y être successivement déposés. L’élève devra pour cela les positionner entre deux entiers, puis au moyen de zooms successifs (x10), atteindre le niveau de profondeur décimale (dixièmes, centièmes...) où il pourra les déposer. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel, qui peut être le deuxième des logiciels de conversion, vise un renforcement des significations du registre des écritures décimales par celles des droites graduées et vice versa. Il contribue à établir l’unité de l’écriture décimale, qu’elle concerne les entiers ou les non entiers, à travers la constance des opérations qui font passer d’un ordre de grandeur - exemple les centaines ou dixièmes - au suivant respectivement les dizaines ou les centièmes. Cette constance est attestée par la récurrence et la constance formelle des opérations de zoom, à quelque niveau de profondeur qu’on se place. Il permet en outre une excellente visualisation des valeurs approchées successives d’un décimal. 3. Analyse de la tâche 1. Prendre en compte l’ordre de grandeur du nombre à traiter afin de choisir son pas de déplacement ; 2. se positionner dans l’intervalle entier adéquat et zoomer afin de subdiviser ; 3. choisir le sous-intervalle correspondant au chiffre traité et re-zoomer ; 4. .... 5. arrêter cet algorithme lorsqu’on atteint le dernier chiffre. 442 Annexe 2 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • énoncer, rappeler la désignation des têtes de série usuelles : centaines, dizaines, ..., dixièmes, centièmes.... • lien entre la désignation des têtes de série et les opérations successives de zoom (ex : centièmes, car il y a cent subdivisions comme celle-ci pour reconstituer l’unité). Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • mesures décimales de diverses grandeurs ; • addition et soustraction des décimaux. 5. Cahier des charges • Exercice 1. partie entière constante : [1 ; 50] ; partie décimale de longueur variable (1 à 3 chiffres). Exemple : 3,8 ; 3,21 ; 3,3 ; 3,11 ; 3,413 ; 3,121 ; ... Moralité : un décimal n’est pas la juxtaposition de deux entiers ! • Exercice 2. partie entière variables : [2 ; 99] ; partie décimale de longueur variable (0 à 3 chiffres). Exemple : 20 ; 18,9 ; 17,798 ; 73,2 ; 58, 857 ; ... Moralité : le plus long n’est pas le plus grand ! • Exercice 3. nombres construits à partir de deux ou trois chiffres de base parmi lesquels on intercale au hasard des zéros Exemple : 3,14 ; 3,140 ; 3, 0140 ; 30,14 ; 3,104 ; 0,314 ; ... Moralité : suivant leur position, les zéros sont significatifs ou pas ! • Exercice 4. nombres construits à partir d’un entier et déplacement aléatoire de la virgule Exemple : 84 ; 840 ; 8,4 ; 0,084 ; 0,84 ; 0,0084 ; ... Moralité : importance de la place de la virgule ! 443 Annexe 2 Grad2fra 1. Aperçu synthétique Une droite initiale porte un repère, limité par deux entiers, consécutifs exercices 1 et 2 -, ou pas - exercice 3. Une flèche pointe vers un point de la droite, à l’intérieur ou à l’extérieur du repère. L’élève doit graduer par report du pas, jusqu'à encadrer le nombre pointé par un intervalle entier, puis tenter des subdivisions de cet intervalle jusqu'à la capture du nombre pointé. Il doit ensuite en fournir une écriture fractionnaire, et tenter de la simplifier - question bonus - s’il souhaite prendre ce risque. Des outils, calculette et "testeur de diviseur", sont mis "gratuitement" à disposition de l'élève. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel peut être le troisième des logiciels de conversion. Il vise un renforcement du mode de signification des signes du registre des droites graduées, à travers leur association aux écritures fractionnaires. Sa difficulté majeure est la prise en compte des bornes entières (en général différentes de 0 et 1) de l’intervalle d’encadrement pour fournir l’écriture adéquate de la fraction, par exemple : 2 3 à convertir en 2 + 4/6, puis en 16/6, dont l’élève pourra tenter une simplification. 3. Analyse de la tâche 1. Encadrer le nombre à traiter par deux entiers par report du pas ; 444 Annexe 2 2. tenter de le capturer, d’essai en erreur, par une subdivision adaptée; 3. prendre en compte les bornes entières de l’intervalle, la subdivision, et le pointage par la flèche pour une première conversion de type entier + fraction (ex : 2 + 4/6) ; 4. trouver une écriture fractionnaire (16/6) de ce nombre ; 5. simplifier éventuellement cette écriture. La difficulté de la tâche est accrue dans l’exercice 3 qui propose un repère de pas > 1 (comme dans gradu5). On pourra sauter cet exercice à l’école primaire et donc le réserver aux classes de collège. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • recherche d’écritures fractionnaires de nombres de type : 2 + 4/6 ; • simplification de fractions comme 16/6. Exemples d'exercices de type physique Problème de cran 3 • agrandir une pièce de puzzle où 4 cm → 7 cm (Brousseau ; 1986-b, p. 113) Problème de cran 4 • comparer deux coefficients d'agrandissement (lequel agrandit le plus, 4 → 7 ou 3 → 5 ?) 5. Cahier des charges • Exercice 1. valeur du pas : 1 ; repère initial (bornes ≤ 10) constant et contenant le nombre inconnu; dénominateur variable choisi dans : [2 ; 10] • Exercice 2. valeur du pas : 1 ; repère initial variable (bornes ≤ 10), contenant ou pas le nombre inconnu ; dénominateur constant choisi dans : [2 ; 10] • Exercice 3. pas variable choisi dans : [2 ; 6] ; bornes initiales variables (≤18), contenant ou pas le nombre inconnu ; dénominateur constant choisi dans : {2, 3, 4, 5, 6, 8, 10} 445 Annexe 2 Grad2for 1. Aperçu synthétique Une droite initiale porte un repère de pas 1, 10 ou 100, subdivisé en 10 intervalles. Une flèche pointe vers un point de ce repère, d’abscisse décimale. L’élève devra saisir dans un format à virgule fixe les chiffres de ce nombre, qu’il pourra trouver au moyen de zooms successifs (x10) précisant la position du nombre inconnu sur la droite graduée. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel peut être le quatrième des logiciels de conversion. Il vise à renforcer les liens, déjà établis lors de Form2gra, entre écritures décimales, rang des chiffres après ou avant la virgule, valeurs approchées et encadrements, zooms et subdivisions. Il est particulièrement efficace dans la distinction entre zéros significatifs ou pas, par l’interprétation qu’il en permet dans les termes géométrico-visuels du registre des droites graduées. 3. Analyse de la tâche 1. Repérer le rang et la valeur du ou des premier(s) chiffre(s) du nombre traité par encadrement sur la droite graduée ; 2. engager des opérations de zoom et les associer au rang et à la valeur des chiffres du décimal traité ; 3. saisir ces chiffres au bon endroit dans le format ; 4. pour l’exercice 2, prévoir un rang final - du dernier chiffre à droite - en fonction d’un rang de départ - premier chiffre à gauche - et du nombre de zooms nécessaires. 446 Annexe 2 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • barre les zéros inutiles dans 320,0401000 ; • travaux oraux de type 4. ci-dessus ; • le nombre initial est compris entre 30 et 40. Voici ce que l’on voit au troisième zoom : inscris dans le format : renseignements te donnent , les chiffres que ces Exemples d'exercices de type physique Problème de cran 3 • appliquer un coefficient d'échelle Problème de cran 4 • comparer des coefficients d'échelle (quel coefficient me donne la meilleure précision, 1/10 000 ou 1/100 000 ?) 5. Cahier des charges • Exercice 1. pas (constant) ∈ {1 ; 10 ; 100} ; repère initial (bornes < 1000) constant et contenant le nombre inconnu ; nombre de zooms nécessaires variable choisi dans : [1 ; 6] • Exercice 2. pas (variable) ∈ {1 ; 10 ; 100} ; repère initial (bornes < 1000) variable et contenant le nombre inconnu ; nombre de zooms nécessaires constant choisi dans : [1 ; 6] 447 Annexe 2 Form2fra 1. Aperçu synthétique Le but de ce logiciel est de fournir une forme fractionnaire d’une écriture décimale à virgule. Les formes attendues de conversions sont diverses : tableau de numération, écriture fractionnaire unique (3,14 = 314/100) ou écriture additive (3,14 = 3 + 14/100). 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel, cinquième de la série, vise à l’expression des écritures décimales en termes de fractions, et notamment des chiffres après la virgule en termes de dixièmes, centièmes.. C’est donc l’occasion de compléter l’interprétation des écritures décimales en les reliant aux fractions. La présentation des têtes de série usuelles - milliers ; centaines ; .. ; dixièmes ; .. en ordre dispersé est destinée à serrer le sens au plus près avant la mise en place des routines. 3. Analyse de la tâche 1. Associer une tête de série (ex 1/1000) à un rang de chiffre dans un nombre ; 2. saisir ce chiffre à sa place dans un tableau de numération ; remplacer certains rangs « en creux » par des zéros ( ex : 9,43, saisir 0 au rang des milliers) ; 3. fournir une écriture fractionnaire résumée du nombre traité, par exemple : 9,431 = 9 + 431/1000 ou 9,431 = 9431/1000. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • désigner un rang dans un nombre et vice versa. Ex : chiffre des millièmes de 12,247 ou mieux de 12,24 ; • dictée de « rangs ». Ex : millième à convertir en 1/1000 et vice versa ; 448 Annexe 2 • conversion d’écritures ou d'oralisations fractionnaires décimales en écritures à virgule : 42/100 ou quarante-deux centièmes en 0,42 ; 4 + 3/100 ou quatre plus trois centièmes en 4,03. Exemples d'exercices de type physique Problèmes de cran 2 • produit d'un décimal par un entier (43 litres de gazole à 4,12 F le litre). Problèmes de cran 3 • appliquer un pourcentage 5. Cahier des charges • Exercice 1. partie entière constante choisie dans : [1 ; 50] ; partie décimale de longueur variable (1 à 3 chiffres). Exemple : 3,8 ; 3,21 ; 3,3 ; 3,11 ; 3,413 ; 3,121 ; ... Moralité : un décimal n’est pas la juxtaposition de deux entiers ! • Exercice 2. partie entière variables choisie dans : [2 ; 99] ; partie décimale de longueur variable (0 à 3 chiffres). Exemple : 20 ; 18,9 ; 17,798 ; 73,2 ; 58, 857 ; ... Moralité : le plus long n’est pas le plus grand ! • Exercice 3. nombres construits à partir de deux ou trois chiffres de base parmi lesquels on intercale au hasard des zéros Exemple : 3,14 ; 3,140 ; 3, 0140 ; 30,14 ; 3,104 ; 0,314 ; ... Moralité : suivant leur position, les zéros sont significatifs ou pas ! • Exercice 4. nombres construits à partir d’un entier et déplacement aléatoire de la virgule parmi ses chiffres Exemple : 84 ; 840 ; 8,4 ; 0,084 ; 0,84 ; 0,0084 ; ... Moralité : importance de la place de la virgule ! 449 Annexe 2 Frac2for 1. Aperçu synthétique le but de ce logiciel est de faire calculer une écriture décimale, approchée ou exacte, d’un nombre fractionnaire. Ce nombre est à déterminer au moyen d’une multiplication à trou. S’il est entier, le jeu s’arrête là. Sinon, on demande d’en saisir une écriture fractionnaire irréductible, puis d’en trouver une approximation ou, le cas échéant, une valeur exacte décimale. 2. Insertion dans la progression Oratio et intentions didactiques Ce logiciel, qui peut être proposé en dernier, vise avant tout à établir le lien d’approximation en général, et d’exactitude dans certains cas particuliers, entre une fraction et une écriture décimale : toute fraction se laisse approcher par une écriture décimale, aussi finement que l’on veut. Dans certains cas, le processus s’arrête et la valeur décimale est exacte. Bien entendu, il n’est pas question à ce stade d’expliciter les critères qui permettent de trancher entre ces deux possibilités. On se bornera à les pressentir. Remarquons aussi que ce type d’exercices permet de retravailler implicitement - la densité des rationnels et des décimaux, déjà entrevue dans Mystère. Notons pour finir que la première phase du logiciel - résoudre D x ... = N - est l’occasion d’identifier N/D et N÷D. 3. Analyse de la tâche 1. Evaluer si la solution de D x ... = N est entière ou pas ; 2. fournir cette solution ; dans le cas non entier, proposer une fraction, formée à partir de N et D comme solution ; 3. simplifier éventuellement N/D ; 4. rapprocher D x ... = N d’une division de N par D ; 5. effectuer, avec l’aide du logiciel cette division ; 450 Annexe 2 6. saisir les valeurs décimales approchées successives que cette division permet de fournir à chacune de ses étapes. 4. Accompagnement papier/crayon suggéré Exemples d'exercices de type sémiotique • énoncer une règle du type : « la solution exacte de N÷D est la fraction N/D. On peut en obtenir des approximations décimales par division. Dans certains cas, cette valeur décimale est exacte, entière ou pas. » ; • faire rechercher, « à la main », des valeurs approchées ou exactes décimales de fractions. Exemples d'exercices de type physique 5. Problème de cran 2-3 • approximations décimales d'un quotient d'entiers (328 F pour 54 l de super, quel est le prix de 1 litre de super ?) Problème de cran 3 • calcul d'un taux de pourcentage (éventuellement au moyen d'une division). 6. Problème de cran 4 • comparaison en pourcentage (ranger, suivant leur préférence pour un candidat, les résultats de plusieurs communes : 693 voix pour 3300 votants ; 182 voix pour 830 votants ; 410 voix pour 2055 votants…) • Cahier des charges Pour les deux exercices, dénominateur ∈[2 ; 10] ; numérateur ∈ [1 ; 100]. Le nombre à traiter peut être entier • Exercice 1. dénominateur constant, numérateur variable • Exercice 2. dénominateur - D - variable ; numérateur - N - constant. Jeu 1 : N > D ; jeu 2 : N < 4D ; jeu 3 : N ≤ 4D 451 Bibliographie Bibliographie Adjiage R. et Pluvinage F. (), Un registre géométrique unidimensionnel pour l'expression des rationnels, proposition d'article déposée à RDM, La Pensée Sauvage (éd), Grenoble. Adjiage R. & Heideier A. (1998), didacticiels de la série Oratio, éditions Pierron, 57206 Sarreguemines. APMEP (1992), Evaluation du programme de mathématiques, seconde 1991, publication n° 88. Baruk S., (1993), Dictionnaire des mathématiques élémentaires, Seuil, Paris. Ball, D., (1993), Halves, pieces and twoths : Constructing and using representational contexts in teaching fractions, in T.P. Carpenter, E. Fennema and T.A. Romberg (eds), Rational Numbers : An Integration of Research, Lawrence Erlbaum Associates, (pp. 157-195), Hillsdales, NJ. 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