I N S T I T U T U M T U R C I C U M S C I E N T I A E A N T I Q U I TAT I S
Cum Collaboratione Societatis Anatolicae
TÜRK ESK‹ÇA⁄ B‹L‹MLER‹ ENST‹TÜSÜ
Societas Anatolica’nın ‹flbirli¤i ile
COLLOQUIUM
ANATOLICUM
ANADOLU SOHBETLER‹
V
(OFFPRINT / AYRIBASIM)
2006
INSTITUTUM TURCICUM SCIENTIAE ANTIQUITATIS
TÜRK ESK‹ÇA‹ B‹L‹MLER‹ ENST‹TÜSÜ
COLLOQUIUM ANATOLICUM
ANADOLU SOHBETLER‹
V
ISSN 1303-8486
ISBN 975-92507-3-X
© 2006 Türk Eskiçağ Bilimleri Enstitüsü
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İçindekiler / Index Generalis
Konferanslar / Colloquia
Perspektiven im Rückblick:
deutsch-türkische Kooperation im Bereich der Archäologie
Adolf Hoffmann ......................................................................................................................................................................................... 1
Toroslardan Akdeniz’e Çukurova Eski Çağ Tarihi ve Tarihî-Coğrafya
Araştırmalarına Yeni Katkılar 1990-2005
Mustafa H. Sayar ............................................................................................................................................................................... 25
Makaleler / Commentationes
Kuyumculuk Merkezi Lampsakos
Yıldız Akyay Meriçboyu ........................................................................................................................................................... 45
Buffles et zébus au Proche-Orient ancien
Olivier Casabonne ............................................................................................................................................................................ 71
Brèves remarques sur un torque achéménide
au musée Miho (Japan)
Olivier Casabonne – Marcel Gabrielli ............................................................................................................... 85
Waffen aus Metall von ihren Anfängen bis zum Ende der Frühen
Bronzezeit aus dem inneren Westanatolien
M. Erkan Fidan ..................................................................................................................................................................................... 91
À propos de trois bas-reliefs de Cilicie Trachée
Emmanuelle Goussé ................................................................................................................................................................... 107
An Ethno-Archaeological Approach to the “Monumental Rock Signs”
in Eastern Anatolia
Erkan Konyar ....................................................................................................................................................................................... 113
Phrygie maritime, Phrygie hellespontique,
satrapie de Phrygie hellespontique face au Pseudo-Skylax § 93-96
Frédéric Maffre ................................................................................................................................................................................... 127
New Results on Middle Bronze Age Urbanism in South-Eastern Anatolia:
The 2004 Campaign at Tilmen Höyük
Nicolò Marchetti .............................................................................................................................................................................. 199
Kult und Prunk im Herzen Hattis – Beobachtungen
an frühbronzezeitlichem Zeremonialgerät aus der
Nekropole von Kalınkaya/Toptaştepe, Provinz Çorum
Thomas Zimmermann ........................................................................................................................................................... 213
Kitap Eleştirileri / Recensiones
Çokay-Kepçe, S., Antalya Karaçallı Nekropolü – The Karaçallı Necropolis Near
Antalya, Suna-İnan Kıraç Akdeniz Araştırmaları Enstitüsü, Antalya, 2006
(Bilge Hürmüzlü).............................................................................................................................................................................. 225
Colloquium Anatolicum V
2006
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Buffles et zébus au Proche-Orient ancien1
Olivier Casabonne
pour l’ami Marcel
Le buffle (Bubalus bubalus), originaire d’Inde et plus globalement de
l’Asie du Sud-Est, se reconnaît, entre autres, par ses cornes de section triangulaire dirigées vers l’arrière, formant demi-lune et pouvant avoir jusqu’à
deux mètres d’envergure. Il affectionne les grasses prairies herbeuses comme
les milieux humides et marécageux où il passe de longues heures. Pour des
populations agropastorales, c’est ainsi un élément facilement isolable. Le buffle s’accommode d’herbes grossières, de roseaux et autres plantes ligneuses.
De plus, les qualités de lactation des bufflonnes sont supérieures à celles des
vaches : lait plus gras et lactation hivernale plus prolongée (Planhol 1958 :
164 et 295).
Pour certains, si les buffles ont bien été implantés en Mésopotamie à la fin
du IIIe millénaire av. J.-C. par Sargon d’Akkad qui les aurait reçus en don de
populations de la vallée de l’Indus avec qui le Grand Roi entretenait d’étroites
relations2, ils n’ont pu s’y acclimater et y être domestiqués. Il faudrait attendre les Sassanides (au plus tôt) pour voir ces animaux s’installer durablement
au Proche-Orient (Zeuner 1963 : 250-251 ; Boehmer 1974). Reprenant cette
hypothèse, Astour a ainsi nié la présence de buffles au Proche-Orient ancien.
Pour lui, dans le poème ougaritique II AB (infra), les r’umm ne peuvent être
des buffles mais des aurochs ou autres taureaux sauvages (Bos primigenius) :
« Il n’y a jamais eu de buffles sauvages en Asie antérieure et en Afrique du
Nord ; et quant aux buffles apprivoisés, ils n’y sont apparus qu’à partir du
VIIe siècle apr. J.-C. » (Astour 1995 : 61). Certes, ce sont essentiellement des
1 Cet article est une version remaniée d’un texte initialement proposé pour les Mélanges Neu, toujours
pas publiés (à paraître dans la collection Hethitica), et accessible sur le site www.achemenet.com. Je
remercie chaleureusement René Lebrun (Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, et
Institut catholique de Paris) pour ses remarques.
2 C’est sur des sceaux d’époque sargonique qu’apparaissent clairement des buffles : cf. Collon 1993 :
n° 528, 529 et 908 = ill. 1.
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Colloquium Anatolicum V
2006
ossements de bisons et de bœufs domestiques qui sont « notés régulièrement
dans les faunes archéologiques », mais « seuls le crâne, les dents inférieures
(les prémolaires sont un bon critère de différenciation Bos/Bubalus) et les chevilles osseuses (…) permettent une identification plus aisée ». Or, ces vestiges
(sont) trop souvent absents ou fragmentés dans les faunes archéologiques »
(Vila 1998 : 112). Dès lors, « la question » de la présence du buffle « et de sa
distribution au Proche-Orient reste ouverte » (id. : 113).
Dans un poème para-mythologique ougaritique, des r’umm sont clairement mis en rapport avec un milieu marécageux : brkt –šbšt k r’umm hm ‘n k
dd ‘aylt, « (ma gorge) s’attache à l’étang comme les r’umm, même à la source
comme un troupeau de biches » (Pardee 1988 : 153-164, lignes 6-8 du texte
étudié ; c’est Môtu qui parle). Ainsi, contrairement à l’opinion d’Astour, le
terme r’umm peut être traduit par « buffles », ces animaux pouvant difficilement se passer d’un milieu marécageux contrairement aux bœufs, taureaux et
autres aurochs qui n’ont besoin d’eau que pour boire. Il pourrait donc exister
non loin d’Ougarit, dans la deuxième moitié du second millénaire av : J.-C.,
un « pays Yman où les buffles (sont) par milliers » (texte ugaritique II AB 1,
43β ; également Virolleaud 1936 : 38). Si l’on réserve donc la traduction « buffle » pour le terme ougaritique r’um, il convient de s’arrêter ici sur un passage
du texte Ba‘al et les Voraces, désigné par Virolleaud (1935) sous le signe BH.
Aux lignes 30-32, on lit : bhm qrnm km trm wgbtt km ’ibrm. On en a proposé la traduction suivante : (description des Voraces/Ravageurs) « Ils auront
des cornes comme des taureaux (trm) et des bosses (gbtt) comme des buffles
(’ibrm) » (Caquot-Sznycer-Herdner 1974 : 341). Si le terme gbtt doit bien être
traduit par « bosse(s) », dès lors les ’ibrm ne peuvent être des buffles mais des
zébus ou un genre de bœufs Watussi (infra). Toutefois, pour ce qui est des zébus, il ne s’agit pas d’animaux spectaculaires. Si l’on rapproche gbtt de l’akkadien gabâšu, « être en masse », il est possible de traduire le terme ougaritique
par « massif(s), puissant(s) ». Ceci ne vient pas fondamentalement contredire
la signification des verbes gâbaš (hébreu post-biblique) et gebaš (araméen)
qui est « entasser »3. Mais ne pourrait-on proposer « amasser, mettre en masse » ? Dès lors, les buffles étant d’ordinaire des animaux massifs, il faudrait
les voir sous le terme ’ibrm. Il serait toutefois étonnant que la caractéristique
de ces bovins ne soit pas leurs cornes bien plus impressionnantes que celles
des taureaux justement mentionnés (qrnm km trm). Je propose donc, à titre
d’hypothèse, une traduction présentant l’avantage d’expliquer la proximité,
3 D’après le dictionnaire des racines sémitiques de Cohen et alii (information transmise par André
Lemaire – EPHE, Paris – à qui j’exprime toute ma gratitude).
Olivier Casabonne / Buffles et zébus au Proche-Orient ancien
73
dans le texte, de deux animaux très semblables dans la réalité : « Ils auront des
cornes comme des taureaux et seront massifs/puissants comme des aurochs
(’ibrm) ». Nous gardons ainsi le terme r’um pour « buffle ».
Étudiant les terres cuites zoomorphes cappadociennes du second millénaire, Dupré constate que le buffle apparaît sur des attaches d’anses et sur
un fragment d’Alişar. Il conjecture que le mammifère a été implanté durablement en Anatolie par Sargon d’Akkad à la suite d’une expédition militaire le
menant jusqu’à la ville de Burušhattum, au Sud du Tuz Gölü (Cappadoce méridionale). Les buffles du train de l’armée de Sargon auraient pu alors pénétrer
l’Anatolie (Dupré 1993 : 144). Pour le premier millénaire av. J.-C., les textes
assyriens feraient état de buffles parmi la faune des marais, dans la réserve de
Sennachérib, ou importés d’Égypte par Šalmanazar III (Lion 1992 : 358-360).
Il est vrai que l’on peut parfaitement restituer la présence de buffles dans certaines régions marécageuses du Proche- et du Moyen-Orient, qu’il s’agisse
du delta du Nil, de la Babylonie ou des plaines anatoliennes. Aujourd’hui,
on peut voir des buffles dans la région de Sivas, en Turquie. Récemment, ces
bovins s’accommodaient parfaitement des marais de résurgences de la plaine
d’Antalya et des prairies humides de basse Pisidie (Planhol 1958 : 164). Au
XIXe siècle, Langlois, traversant la Çukurova, l’ancienne Cilicie Plane, précisait : « C’est au milieu de ces marais et au Nord de deux lacs salés (…) que se
trouvent à l’état sauvage les buffles si renommés de la Karamanie » (Langlois
1861 : 414). Les buffles ciliciens sont utilisés après la Première guerre mondiale pour le transport, vers le naissant Musée d’Adana, de certains vestiges
de la région (Normand 1921 : 201). Mais il s’agit ici de témoignages modernes. Pour en revenir à l’Anatolie antique, un passage des Métamorphoses
d’Ovide atteste de la réputation de certains bovins lyciens de la basse plaine
du Xanthe, régulièrement envahie de marécages dès l’époque achéménide 4 :
« J’ai vu de mes yeux l’étang et le lieu que le prodige a rendu célèbre : mon
père, déjà âgé et incapable de supporter le voyage, m’avait chargé de ramener de là-bas des bovins (boues) bien choisis » (Ovide, Métam. 320-324). Le
poète romain narre alors le mythe de Lètô qui transforme en grenouilles des
paysans xanthiens, coupables de lui avoir refusé la possibilité de se rafraîchir
(Métam. VI.343 sqq.). Au risque d’un néologisme hasardeux, ne pourrait-on
pas qualifier de buffliers ces Lyciens qui, à l’arrivée de la déesse, cueillaient
« l’osier fertile en rejetons, le jonc et l’algue chère aux marais » xanthiens
(Métam. VI.344-345) ? Car enfin, à part des buffles, quels bovins, réputés de
surcroît, pouvaient se plaire dans la plaine insalubre de Xanthos ?
4 Sur la formation de la basse plaine du Xanthe et ses marécages, voir Bousquet-Péchoux 1984.
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Ainsi, il n’est pas exagéré, sur la base de rares textes, malgré bien des lacunes iconographiques et les hésitations dans l’étude des vestiges ostéologiques, de restituer la présence de buffles dans les nombreuses étendues d’eau
du Proche-Orient après Sargon d’Akkad et bien avant les Sassanides. Au-delà
de la zoo-histoire, ce sont les milieux marécageux qui sont réhabilités parce
qu’utilisés : des populations locales ont pu profiter des possibilités offertes par
les terrains pour développer à moindre frais (nul ou faible besoin d’étable et de
fourrage) un élevage bovin original. Sur l’exemple des remarquables travaux
menés par Gabrielli sur le cheval à l’époque achéménide, entre autres à partir
des tablettes de Persépolis (Gabrielli 2006), il sera sans doute judicieux d’étudier de près les textes proche-orientaux mentionnant différents types de bovins
(ainsi que l’usage que l’on en faisait) et surtout livrant pour chacun les rations
de fourrage et d’eau nécessaires. Ainsi, pourrait-on distinguer le cas échéant
les buffles d’espèces bovines apparemment plus classiques et répandues.
***
À côté des bœufs (boues) d’Inde – probablement des buffles – qui « passent pour être de la taille des chameaux, et leurs cornes pour avoir jusqu’à
quatre pieds d’écartement », Pline l’Ancien (Hist. Nat. VIII.70)5 mentionne
d’autres bovins : « Quant aux (bœufs) syriens (Syriacis) ils n’ont pas de fanon,
mais une bosse sur le dos. Ceux de Carie (Carici), région de l’Asie Mineure,
sont affreux à voir : une bosse par-dessus les épaules qui surgit de la nuque,
les cornes de travers, on les dit pourtant excellents à l’ouvrage ». Plus tôt déjà,
Aristote (H. A. 499a.3-5 et 606a.14-16) attestait de la réputation des bovins
(boes) syriens, qualifiés d’agrioi, qui, avec leur bosse, ressemblent aux chameaux. Il faut probablement voir dans ces descriptions la preuve de l’existence de différentes races de zébus au Proche-Orient ancien.
Le zébu est, à l’instar du buffle, originaire d’Inde comme son nom savant
l’indique – Bos indicus. C’est un animal au squelette assez gracile – à l’opposé
du buffle qui est bien plus massif – et avec de longues jambes. On le reconnaît aisément par son fanon sous la gorge et, surtout, par la bosse au-dessus
du garrot, masse musculo-graisseuse, résultat de la domestication de l’animal.
Ce fait pose le problème du terme agrioi qu’utilise Aristote pour qualifier les
bovins syriens (supra). Faut-il traduire ce terme par « sauvages » ? Ou bien un
sens premier renvoyant tout simplement à un usage agro-pastoral ne doit-il
pas plutôt être retenu ? La bosse du zébu peut prendre de grandes proportions
5 Le fait que Pline mentionne des buffles prouve qu’il les connaît. Mais ils restent des animaux exoti-
ques.
Olivier Casabonne / Buffles et zébus au Proche-Orient ancien
75
à la fin de la saison humide tandis qu’elle devient molle et flasque à la fin de la
saison sèche. Ce mammifère est particulièrement adapté aux zones steppiques
et, contrairement au buffle, peut résister longtemps à la privation d’eau. Il habite surtout dans les pays chauds, son fanon et ses longues oreilles assurant
une plus forte déperdition thermique. Des vestiges ostéologiques de zébus,
remontant au Bronze Récent, ont été retrouvés au Proche-Orient, en Anatolie
comme au Levant. Ainsi, l’archéologie vient confirmer les renseignements
fournis par les sources littéraires classiques. La documentation iconographique atteste également de la domestication de l’animal dès l’âge du Bronze.
Sur un sceau-cylindre de la première moitié du second millénaire av. J.-C.,
provenant de Karahöyük, près de Konya (Turquie), est représenté un bovin
avec une bosse au-dessus du garrot6. Certes, celle-ci est de forme très angulaire, mais sa place au-dessus des épaules et juste derrière la tête de l’animal me
semble empêcher toute hypothèse de rapprochement avec certaines empreintes de sceaux découvertes à Kültepe-Kaneš où apparaît, souvent au-dessus
de la croupe de bovins, un triangle interprété comme une représentation de
conifère ou de montagne sacrée « on which Anatolian weather gods stand »
(Teissier 1984 : 68)7. La seule représentation d’un zébu provenant de Kültepe
pourrait apparaître sur une bulle où une bosse est clairement indiquée derrière le cou8. Par ailleurs, ce pourrait être des zébus, identifiables à leur bosse,
qui tirent des chariots à deux roues sur les murs de Medinet Habu en Égypte9.
Bien plus tard, à l’époque achéménide, le zébu apparaît sur les sceaux10 et sur
les murs de Persépolis. Ici, c’est un animal qu’apportent en tribut au Grand
Roi les délégations gandarienne et babylonienne11. Le fait que les représentants de ces peuples, identifiés à leurs costumes, conduisent des zébus atteste
de l’implantation probablement ancienne de l’animal en Mésopotamie et en
Afghanistan. On considère alors le bovin comme l’une des plus importantes
richesses de ces régions : « Tout peuple croyait se discréditer s’il n’envoyait
6 Alp 1968 : 122 ; Alp 1994 : 115-116, Şekil 13 ; Erkanal 1993 : 14, n° I-B/03, Lev. 2 et Lev. 6 (l’animal
est qualifié de « taureau », boğa) ; Collon 1993 : n° 686 = ill. 2.
7 Leinwand (1992 : 145-146) hésite entre la représentation d’une montagne et celle de la bosse d’un
8
9
10
11
zébu pourtant bien mal placée. Notons que parfois un oiseau est perché au sommet du triangle.
De plus, sur une empreinte, le triangle est clairement séparé du corps (Özgüç-Tunca 2001 : 94-95
et 221-222, n° 91/k 113b). Enfin, sur un autre exemple, le triangle est remplacé par une forme symétrique galbée (id. : 110 et 238, n° 93/k 814). Je remercie Ekin Kozal (Université de Çanakkale)
d’avoir attiré mon attention sur ces sceaux de Kültepe-Kaneš.
Özgüç-Tunca 2001 : 64 et 189, n° 73/t 30 = ill. 3.
Combat contre les « peuples de la mer » : e.g. Pritchard 1975 : ill. 44 = ill. 4.
E.g. Porada 1948 : n° 837e ; Boardman 1970 : n° 871 ; Collon 1993 : n° 907.
E.g. Briant 1992 : 51-52 ; Dutz-Matheson 2000 : 55 (14e délégation) et 58 (5e délégation) = ill. 5-6.
Colloquium Anatolicum V
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pas à Cyrus [le Grand] les plus belles productions de sa terre, de son élevage ou
de son art » (Xénophon, Cyropédie VIII.6.23). Animal de trait, le zébu servait
aux travaux agricoles : sur un sceau-cylindre du musée du Louvre (n° inv. AO
2282)12, un personnage en costume iranien conduit un araire tiré par deux bovins bossus. J’ai, après d’autres, rapproché ce sceau, qui n’est pas un cas isolé13,
d’un monnayage tarsien du premier quart du IVe siècle av. J.-C. où une scène
semblable apparaît14. Il ne convient pas de penser, comme j’ai pu le proposer
dans un premier temps (Casabonne 1996 : 133-134), que ce motif renvoie, y
compris en Cilicie, à l’idéologie monarchique du Roi-agriculteur, pourvoyeur
de richesses. Je me range désormais à l’hypothèse prudente de Briant qui a étudié ces documents iconographiques en livrant d’autres parallèles (Briant 2003) :
si, en Cilicie, la scène de labour a pu être interprétée comme un motif emprunté
au répertoire du centre de l’empire perse, elle n’était pas nécessairement perçue
comme le reflet de l’idéologie royale achéménide15. Même si le costume iranien
que revêt le personnage conduisant l’araire atteste de l’impact culturel perse en
Cilicie, la scène de labour sur le monnayage tarsien révèle surtout une réalité
agro-pastorale – l’usage de zébus pour les travaux des champs – et la grande
fertilité de la Cilicie Plane. Notons que plus tard, à l’époque de Mazday (ca.
360/350-333) et au début de l’époque hellénistique, l’araire apparaît régulièrement en symbole sur des monnaies frappées à Tarse (Le Rider 1994 : 14)16.
Des contremarques apposées à Tarse sur des monnaies pamphyliennes et
ciliciennes à partir des environs de 380 portent l’image de bovins : sur certaines l’animal est représenté marchant de profil, sur d’autres il est vu de ¾
face17. Elayi et Lemaire (1998 : 161-164) considèrent que dans le premier cas
il s’agit d’un taureau domestique (Bos taurus) à l’encolure puissante, dans
le second d’un zébu. Mais ils relèvent fort justement que les représentations
du bovin sur ces contremarques ne sont pas réalistes : les graveurs « n’ont
pas toujours respecté les proportions du corps de l’animal, soit par maladresse, soit par parti-pris de stylisation » (Elayi-Lemaire 1998 : 164). Dès lors,
12 E.g. Briant 1992 : 103 ; Collon 1993 : n° 619 ; Casabonne 2004 : 130-131, fig. 10 = ill. 7 (dessin :
Hélène Poncy).
13 Voir ainsi dans Briant 2003.
14 Casabonne 1996 : 133, fig. 9 = ill. 8 (dessin : Hélène Poncy).
15 Briant fait référence à la première version de cet article (voir la note 1 supra).
16 François Rebuffat (Université de Nice), que je remercie, a attiré mon attention sur le fait qu’à l’épo-
que romaine impériale le thème de la scène de labour avec zébus se retrouve sur des monnaies de
plusieurs cités anatoliennes. C’est notamment le cas, sous les règnes de Gordien III et de Valérien,
à Ikonion (Konya) et dans d’autres villes de Lykaonie, dans cette même région où, bien des siècles
plus tôt, le zébu apparaissait déjà (sceau-cylindre de Karahöyük, supra).
17 Voir les excellents dessins de ces contremarques dans Callataÿ 2000 : pl. XV, figs. a, b et d = ill. 9-10.
Olivier Casabonne / Buffles et zébus au Proche-Orient ancien
77
l’identification n’est pas toujours aisée. C’est également le cas sur des bas-reliefs
néo-assyriens de Balawat, Ninive et Nimrud18 : une bosse apparaît bien au-dessus du garrot des bovins représentés, mais elle est très faiblement proéminente.
De plus les cornes sont diversement représentées, comme à l’époque achéménide19, de face ou de profil : est-ce la conséquence d’un effort de réalisme ou
d’un style propre à chaque époque et artiste ? Il se pourrait donc qu’il s’agisse de
simples bœufs, relativement massifs de surcroît. L’identification du bovin sur
une plaquette égyptienne n’est pas moins délicate20 : monté par un Égyptien,
il possède une bosse très proéminente par-dessus les épaules qui fait songer à
un zébu, mais la massivité du corps et l’écartement des cornes empêchent une
telle identification. Nous pourrions avoir là en fait, à supposer que la scène soit
réaliste, la représentation d’une sorte de bœuf Watussi. Ce bovin, issu du croisement ancien entre le zébu et le bœuf du Nil (un genre de buffle), possède de
larges cornes formant croissant, un fanon sous la gorge, une bosse au-dessus du
garrot et un corps massif. Docile, à l’instar du zébu, il est utilisé pour les travaux
agricoles en Afrique sub-saharienne notamment où il est également sacré, comme le zébu en Inde, et fait l’objet d’un véritable culte chez le peuple Watussi,
d’où son nom21. Somme toute, il n’y a rien d’osé à considérer que les Anciens
s’essayaient à croiser les différentes races d’animaux afin d’en tirer mieux profit
pour l’exploitation des terres et en fonction des réalités des terrains. Les fameux
parcs royaux (paradis) mésopotamiens et perses étaient non seulement des jardins botaniques et des réserves animalières, mais peut-être également des laboratoires d’expérimentations de nouvelles techniques.
Buffalos and Zebus in the Ancient Near East
Despite the quasi absence of representations and the uncertainty of the faunal
remains, and against a common opinion, it is possible to suggest the presence of
buffalos (Bubalus bubalus) in the Near East during the Middle and Late Bronze
Ages and the Classical periods. Buffalos could appear as r’umm in Ugaritic
texts. Moreover, buffalo could have been installed and domesticated in Anatolia
after a military expedition by Sargon of Akkad, and according to a passage of
Ovid’s Metamorphoses, confronted with the archaeo-geographical situation of
the territory, have existed in the coastal low valley of Xanthos in Lycia.
18 E.g. Pritchard 1973 : ill. 43 ; Michel 1991 : 64 ; Hrouda 1992 : 204-205.
19 Comparer ainsi les zébus sur les bas-reliefs de Persépolis et ceux dans les scènes de labour.
20 Pritchard 1975 : ill. 6 = ill. 11. J’ignore totalement, et malheureusement, tout de la datation et de la
provenance de cette plaquette.
21 On trouvera aisément sur internet de nombreuses représentations de bœufs Watussi : e.g. ill. 12.
78
Colloquium Anatolicum V
2006
Like the buffalos, but totally different in aspect and nature, zebus (Bos indicus)
come from India and South-Eastern Asia. Their presence and different races (in
Syria, in Caria) are well attested in the ancient Near East at different periods.
The zebus were often used for agriculture as the iconography shows. It seems
there were important in Afghanistan as in Babylonia during the Achaemenid
period. Some iconographical interpretations are difficult to put, and we can hesitate sometimes between zebus and simple bulls (Bos Taurus). An Egyptian document could show a kind of Watussi bull, result of the inbreeding between zebu
and Nile bull (a kind of buffalo). It is not exaggerated to advance as a hypothesis that the ancient peoples used to create new races for a better exploitation of
lands. The famous Mesopotamian and Persian Royal parks (paradises) were not
only botanical gardens and wildlife reserves, but also experimental laboratories
of new techniques.
Olivier Casabonne
Societas Anatolica
Centre d’études syro-anatoliennes (Institut catholique de Paris)
Center for Anatolian Civilizations (Koç University, Istanbul)
[email protected]
c/o Ekin Kozal
Arkeoloji Bölümü, Fen-Edebiyat Fakültesi
Çanakkale Onsekiz Mart Üniversitesi
Terzioğlu Kampüsü,
17100 Çanakkale / Türkiye
Olivier Casabonne / Buffles et zébus au Proche-Orient ancien
79
Bibliographie
Alp, S.
1968
1994
Astour, M.C.
1995
Boardman, J.
1970
Boehmer, R.M.
1974
Zylinder- und Stempelsiegel aus Karahöyük bei Konya, Ankara.
Konya Civarında Karahöyük Kazılarında Bulunan Silindir ve Damga
Mühürleri, Ankara.
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