Pierre Yves Quémener
Les visions de
Corentine Merlen
2013
A la mort, au jugement, à l’enfer froid, pense,
fils de l’homme, et ne te lasse pas ;
et jamais nulle part tu ne pécheras,
en mettant ton espoir dans la maison de Dieu.
(Le Mirouer de la Mort, 1575)
2
INTRODUCTION
A l’occasion de l’un de ses fréquents déplacements aux Archives Départementales des
Côtes d’Armor, Jérôme Caouen a eu le bonheur de trouver dans le fonds des archives de la
communauté des Augustines de Lannion la transcription dactylographiée d’un document
datant du 17e siècle et relatant les visions pour le moins singulières d’une certaine Corentine
Merlen, veuve originaire de Basse Bretagne, à qui fut donné le privilège d’effectuer, le temps
de quelques heures, un bref séjour dans l’au-delà, avant de réinvestir à son plus grand regret
son enveloppe charnelle meurtrie et douloureuse. Le récit de son périple dans l’autre monde
est naturellement d’un grand intérêt puisqu’il représente un témoignage exceptionnel de la
piété populaire en Bretagne à l’époque de la Réforme catholique.
Le texte que nous vous présentons ici n’a jamais été publié, du moins pas sous cette
forme. Nous verrons plus loin qu’il en existe une autre version, inédite également, dont le
manuscrit est conservé aux Archives de la Province de France de la Compagnie de Jésus.
Nous vous proposons donc de faire connaissance avec le récit des visions extraordinaires de
Corentine Merlen. Après avoir détaillé l’appareil traditionnel de ce genre littéraire, ses motifs
récurrents et son vocabulaire particulier, nous partirons à la découverte de l’au-delà de
Corentine : en quoi se distingue-t-il des représentations antérieures ou contemporaines ? A
travers le prisme de cet autre monde idéalisé où les méchants sont punis et les bons
récompensés, que nous dit finalement ce texte de l’univers social ordinaire de Corentine
Merlen ?
3
PREMIERE PARTIE
PRESENTATION GENERALE
Notre document se présente sous la forme de quatre feuillets dactylographiés, paginés
de 1 à 4, et, si l’on en croit la note figurant au bas de la dernière page, il s’agirait d’un texte
« extrait d’un vieux registre copié au XVIIe siècle ».
Ces feuillets appartiennent au fonds des archives du couvent des Augustines de SainteAnne de Lannion déposées aux Archives Départementales des Côtes d’Armor (cote 171J4). Je
n’ai toutefois pas retrouvé le manuscrit original dans le premier registre des Annales du
monastère (actes depuis la création du couvent jusqu’en 1715).1 Les documents sont classés
dans une chemise contenant de nombreuses pièces relatives aux commencements de cette
communauté fondée en 1667 par Joseph Corentin de Kermeno. Plusieurs de ces documents
sont des manuscrits originaux, parmi lesquels on peut citer :
•
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Une lettre patente de Louis XIV datée de décembre 1675,
Un acte capitulaire daté du 20 décembre 1704.
Nous y trouvons également un exemplaire de la Vie de M. l’abbé de Trémaria
(Nicolas Saluden) composée par le Père Julien Maunoir et recopié par l’historien Daniel
Miorcec de Kerdanet (1792-1874) ainsi que de nombreux documents dactylographiés, dont
notamment :
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•
•
•
•
La copie d’un Recueil des choses plus particulières de la vie de la révérende
Mère Françoise Corentine de Kermeno de la Mère de Dieu, rédigé par ellemême, sans doute avant 1667,
La copie d’un procès-verbal relatif aux possessions de la Pallue daté du 5 août
1681,
La copie d’une lettre rédigée par Françoise Corentine de Kermeno le 25 janvier
1684 (le manuscrit original figure également au dossier),
Une notice sur les fondateurs de la Communauté Sainte-Anne,
Une notice sur les trois religieuses de la famille de Kermeno, fondatrices du
monastère Sainte-Anne de Lannion au XVIIe siècle,
Une notice particulière sur Mère Françoise Corentine de Kermeno (16271684) comportant quelques annotations manuscrites dont une faisant référence
à une « enquête faite en 1988 par l’archiviste de Lannion »,
Une notice sur Mathurin Esnault, bienfaiteur de la communauté, décédé à
Ploulech en 1709,
Notre document sur les visions de Corentine Merlen, intitulé « Gloire à Jésus et
à Marie, et au glorieux St Joseph ».
1
Voir à ce sujet la présentation de LEON DUBREUIL, « L’hôpital de Lannion et les Commencements du
Monastère de Sainte-Anne », Bulletins et Mémoires de la Société d’Emulation des Côtes-du-Nord, tome 85,
1956, p. 76-107 et plus particulièrement sur ces Annales la note 5, page 77.
4
Tous ces documents dactylographiés semblent avoir été tapés à partir de la même
machine à écrire, dont la typographie est caractéristique des modèles utilisés dans les années
1970-1990.
Comme nous pouvons le constater dans l’extrait ci-dessus, les fautes de frappe sont
multiples : vuve pour veuve (premier paragraphe), osrtes pour sortes, affigée pour affligée
(second paragraphe), luui pour lui (troisième paragraphe), etc. Dans notre propre
retranscription, nous avons choisi de corriger ces fautes involontaires pour une lecture plus
aisée du document.
Le récit comporte également quelques fautes d’orthographe. Ne sachant si elles sont
du fait du copiste ou si elles figuraient déjà dans le manuscrit original, elles ont été ici
conservées et signalées par la mention (sic).
Il est possible que l’auteur du document dactylographié ait procédé à quelques
actualisations orthographiques, en corrigeant par exemple des formes qui ne sont plus usitées
aujourd’hui : lui pour luy, avait pour avoit, etc. Nous relevons toutefois quelques graphies
anciennes (moy, luy dirent, etc.) et certaines expressions qui laissent penser que le texte a bien
été rédigé au 17e siècle (ex. : tu m’as trompée pour impétrer de moy que je ne me songeasse
point de t’avoir servi et adoré).
Enfin, les meilleurs garants de l’authenticité du document sont les blancs laissés à
deux reprises par le dactylographe pour des passages qu’il n’arrivait manifestement pas à
déchiffrer :
•
•
à la page 1 : Corentine Merlen, veuve demeurant en la paroisse de St (…)
Evêché de Basse-Bretagne,
à la page 4 : elle rentra dans son corps et (…) quand ses servantes étaient
encore endormies.
L’auteur du document original n’est pas cité dans le texte. Nous verrons plus loin qu’il
s’agit peut-être de Françoise Corentine de Kermeno, entrée à la Communauté des
5
Hospitalières de Quimper en 1644, mère supérieure du couvent de Sainte-Anne de Lannion de
1667 à 1675, puis supérieure de la communauté de Quimper de 1675 à 1684.
Les faits relatés sont quant à eux très clairement datés : le narrateur nous indique en
effet que la Vierge apparut à Corentine Merlen le 8 décembre 1663 et que ses visions
survinrent au cours de la nuit suivante. Si l’on se fie à la conclusion, l’héroïne était encore en
vie au moment de la rédaction du récit (Depuis ce temps elle est battue et meurtrie de ses
persécutions ordinaires…) et il y a tout lieu de croire que son auteur a recueilli le témoignage
de la voyante peu après l’évènement.
Le texte
Gloire à Jésus et à Marie, et au glorieux St JOSEPH
Corentine Merlen, veuve demeurant en la paroisse de St (…) Evêché de BasseBretagne, ayant été depuis l'âge de 7 ans sous le protection de St CORENTIN, Apôtre de la
Cornouaille, qu'elle prit pour père, par l'ordre de la S. Vierge, qu'elle avait aussi prise pour
mère, parce qu'elle était orpheline de père, et la part de la mère était plus qu'orpheline parce
que sa mère, ayant eu haine contre elle depuis sa naissance, avait tâché plusieurs fois de la
faire mourir.
Après avoir expérimenter (sic) depuis l'âge de raison jusqu'à l'âge de 42 ans toutes
sortes de croix et d'affliction, et ensemble une conduite très particulière et une assistance
presque incroyable de la part du glorieux St Corentin et autres Sts auxquels elle avait une
particulière dévotion, elle fut affligée d'un mal de pierre au commencement du mois de
novembre 1663. Ce mal lui continua jour et nuit jusqu'au 8e du mois de décembre de la même
année.
La Ste Vierge lui apparut en forme d'une dame inconnue, lui donna avis de renouveler
sa dévotion à St Corentin et de recevoir les Sacrements. Le curé de la Paroisse, la confessa et
s'oublia de lui apporter ses Sacrements, ne la croyant pas si proche de sa fin.
Environ 2 heures de nuit, ses servantes s'étant endormies elle entra en son agonie
pendant laquelle elle sentit des douleurs très aiguës et des plus grandes qu'elle ait jamais
ressenties. En ses autres peines elle était assistée de la Ste Vierge, de St Corentin et d'autres
Bienheureux. Elle se voit seule en ce dernier combat, lui apparut au coté gauche une bande de
démons affreux tenant un livre noir et lui dirent :
- « Tu es avec nous ! Voici dans le livre tous les pêchés que tu as commis »
Ils lui spécifièrent tous les péchés prétendus depuis l'âge de 7 ans.
En même temps, parut une autre troupe pleine de beauté et de lumière : elle reconnut
un Père de la Cie de Jésus appelé le Père BERNARD, qui avait été son confesseur l'espace de
13 ans… Cette ste bande l'encouragea avec des visages pleins de joie qui lui donnèrent une
grande confiance. Le P. Bernard lui expliqua qui était cette belle compagnie : cette DAME,
dit-il, est la Bienheureuse Vierge, que vous avez pris pour mère à l'âge de 7 ans... À son coté
St JOSEPH, à qui vous avez eu toujours dévotion et de l'autre coté St CORENTIN que vous
prîtes pour père lorsque vous étiez orpheline. Voyez votre Bon Ange, St Michel, Ste MarieMadeleine, à qui vous recommandez les pécheurs, Ste Barbe que vous priiez de vous assistez
à la mort, St Ignace, St F.Xavier...
Alors Notre-Dame lui dit qu'elle ne se souciât pas de cette troupe infernale, qu'elle mit
sa confiance dans la bonté de Dieu et au mérite de son fils... En ce temps elle sentit un surcroît
6
de confiance en Dieu. Pendant toute sa vie, en tous ses délaissements et nécessités qui ont été
fréquents et divers et extrêmes, elle a toujours senti en son intérieur, un grand fond de
confiance, comme si elle eut vécu présente la grâce qu'elle espérait... L'expérience a fait voir
que son espérance n'a jamais manqué d'assistances plus extraordinaires que n'étaient les
nécessités. Notre-Dame, lui ayant conforté le cœur par son regard et ses paroles, chassa cette
troupe malheureuse, leur disant que ce n'était pas à eux à qui il lui fallait rendre compte.
Après quoi les méchants s'en furent allés, une autre bande de malins esprits succéda,
avec plus de dol et de raison : ils lui dirent qu'elle n'avait besoin de craindre la mort, qui est
formidable au pécheur… que pour elle, elle a toujours bien vécu… qu'elle n'avait point de
péché… Notre-Dame, la regardant toujours, lui faisait signe de pas les croire...
Elle leur répondit courageusement :
- « Vous avez menti ! Maudits trompeurs ; je suis une pauvre pécheresse j'ai crucifié
mon Sauveur, je l'ai fouetté et couronné d'épines... J'ai grand regret mon doux JESUS, de vous
avoir offensé tant et si grièvement : j'espère la vive miséricorde ! Ayez pitié de moi »
Alors son Ange gardien lui présenta tous les mystères de la Passion de N.S, qu'elle
méditait toutes les nuits depuis l'âge de 7 ans lorsque sa mère la chassa hors de sa maison,
tâcha de la faire mourir de faim et en autres façons. Un petit pauvre paraissant en l'âge de 7
ans, lui apprit ses dévotions, l'instruisit, avec une douceur incroyables dans les plus hautes
leçons de l'Evangile : la vue de ces Maîtres la consola extrêmement…
Elle rendit enfin son âme qui fut reçue de la Ste Vierge et St Corentin. Après sa mort
elle fût menée en un lieu souterrain où elle vit les tourments épouvantables : elle rencontra un
grand puits d'où les démons tiraient un homme tout rouge de feu, comme un fer sortant de la
fournaise, puis le relancèrent dans le même lieu avec un bruit épouvantable… Son Ange lui
dit que c'était un grand seigneur qui avait fait des meurtres et des crimes épouvantables…
De là, elle fut conduite près des grandes fournaises où elle vit toutes sortes de
religieux : son Ange lui dit qu'elle demanda pourquoi ils avaient été condamnés ? Ils
répondirent qu'ils avaient été superbes, gourmands, propriétaires, désobéissants et lubriques.
Dans une autre fournaise elle aperçut des Religieuses de divers Ordres, qui lui dirent
que le défaut de charité les unes envers les autres, d'obéissance, de régularités et de dévotion
et l'esprit du monde étaient causes de leurs maux et de leur perte.
De ce lieu, on la rendit auprès d'une autre fournaise où elle vit des ecclésiastiques de
tous les degrés de l'Eglise. Les uns lui dirent : nous avons été avares et impitoyables aux
pauvres. Les autres crient : « maudite ivrognerie ! » les autres « maudite Compagnie ! »… les
autres : « nous avons employé nos richesses en festins et débauches… et à nourrir des
personnes scandaleuses et avons laissé mourir les pauvres… » Elle aperçut à leur mitre proche
d'eux ; elle voyait des Docteurs ; ils disaient que pour avoir négligé de reprendre et corriger
leurs troupeaux et donner l'exemple, ils avaient été damnés.
Elle fut transportée près d'un lac de feu et de soufre où étaient grand nombre de dames,
de demoiselles et de gentils-hommes. Les premières disaient qu'elles s'étaient précipitées dans
ces tourments par leurs vanités et nudités scandaleuses ; leurs affections désordonnées aux
bals, aux cartes, aux plaisirs du monde, n'ayant rien voulu souffrir pour Dieu ; pour avoir
négligé l'éducation, instruction et correction de leurs enfants et domestiques... Les gentilshommes criaient que l'injustice, l'appétit de vengeance, leur aprécix (sic) injuste, le défaut de
salaire à leur domestique et laboureurs était la cause de leur malheur. Elle fut conduite en
d'autres départements : aux uns, elle voyait les hommes et les femmes qui avaient vécu en leur
ménage sans la crainte de Dieu, enchaînés ensemble avec leurs enfants : ils se mangeaient les
uns les autres comme des chiens enragés et se maudissaient avec des cris effroyables. Aux
autres étaient des veuves mondaines en des rivières de feu... On la mena aux départements des
gens de justice, des marchands, des artisans : il lui fut montré des damnés de toutes sortes
d'états et de conditions et de Profession, qui tous, lui dirent la cause de leur perdition. Elle
7
aperçut entre les Messieurs de justice, un grand étang de feu, de soufre, où étaient plongées
des personnes de toutes conditions qui s'étaient damnées par des mauvaises confessions. Les
ayant interrogées, l'une répondit pour tous : « nous n'avions eu honte de pécher, mais nous
avons eu honte de confesser nos crimes ».
Parmi les gens ici était un grand nombre de dames qui avaient adoré le Diable au
Sabbat d'ailleurs et ne s'était reconnue ni confessé de ce crime, l'une parut à laquelle le diable
fit cette interrogation :
- Suis-je ton Dieu ? T'ai-je créée ? Ai-je été crucifié pour toi ? Tu m'as servi…
Puis lui enfonçant une fourche de fer dans les flans (sic), il lui répétait souvent ces
mots :
-Tu m'as servi ! Voilà ta récompense !
L'âme hurlant disait :
-Ah ! Traître ! Tu m'as trompée pour impétrer de moy que je ne me songeasse point de
t'avoir servi et adoré… Tu m'avais fait de belles promesses, ôte-moi de ces flammes… jamais
un peu de relâche !
Au lieu de lui donner soulagement, plusieurs démons se jetèrent sur elle pour
augmenter ses tourments…
Le bon Ange de cette défunte la tira de ce lieu ténébreux et la porta sur le bord du
purgatoire : elle y vit grande quantité de dames et reconnut un Père Cordelier qui avait
demeuré chez elle avant d'être religieux, lequel lui dit être condamné pour un longtemps et,
n'était la grâce qu'il avait reçue pour produire un acte de contrition un peu devant son trépas, il
aurait été damné.
Toutes les âmes la remercièrent des prières journalières qu'elle faisait pour eux et de ce
qu'elle offrait ses souffrances pour leur soulagement : elle y vit plusieurs âmes qui avaient été
gagnées par les MISSIONS et la remercièrent de ce que par ses prières et souffrances, elle
avait coopérer (sic) à leurs conversions. Les âmes abandonnées de toute assistance, la
remercièrent des prières particulières qu'elle faisait pour leur délivrance et soulagement.
Après avoir achevé ces 2 visites, son bon Ange l'éleva vers un lieu plein de délices ! :
Elle vit des murailles toutes d'or et des portes faites de pierres précieuses... Encore qu'elle fut
au dehors, elle voyait au travers de ces belles murailles comme au travers d'un beau cristal,
des abîmes de gloire et de beauté que son cœur ne peut expliquer : elle y remarqua des palais
lumineux, des bois dont les feuilles étaient toutes dorées ; une harmonie d'oiseaux qui
surpasse ce qu'on en peut concevoir... Elle aperçut, au milieu de ce pays délicieux, une grande
rivière qui roulait un sable doré. Elle vit un grand cœur (sic) sans bornes où il y avait un grand
nombre d'anges, de sts et de stes que personne ne peut compter…
Au-dessus de tout, elle vit JESUS-CHRIST et sa MERE et distingua les Sts et Stes de
sa dévotion, encore que ces objets furent ravissants, son âme était abîmée dans la vue, dans
l'amour et dans la possession du ROY de ce lieu… La vue occupait si fortement son âme et
toutes ses puissances qu'elle n'avait d'application qu'à contempler et aimer cet océan de tout
bien et à y demeurer fixée par un plaisir tout à fait ineffable... Comme elle contemplait cette
fontaine de beauté, elle remarqua que la SACRE VIERGE descendit de son trône et
s'approcha du Père MICHEL NOBLET, qui était prosterné à genoux. Il faisait une grande
démonstration de respect et de confiance, comme s'il eut voulu demander quelque faveur à
cette REINE des Anges qui lui montra une grande joie, comme s'il elle (sic) lui eut témoigné
que sa prière lui était agréable.
Encore qu'elle s'aperçut de ces choses, toutefois le plus fort de son âme était occupé à
la contemplation de cette incompréhensible beauté qui lui dit :
« Ma Fille votre vue n'est pas encore assez forte pour me voir tel que je suis ; mon
serviteur Michel vous a demandé, par l'entremise de ma Mère à ce que vous retourniez à votre
8
corps... Il faut que vous y enduriez encore pour les pécheurs et les âmes du Purgatoire… allez
encore travailler pour ma gloire… et je vous y attendrai.
Cette troupe qui l'avait apparu à son agonie l'accompagna pour le retour. Lorsque son
âme fut ramenée en sa chambre, elle voyait plus parfaitement les objets qu'avec les yeux du
corps : elle voyait dedans des pierres et du bois comme si c'eut été du cristal. Lorsqu'elle
envisagea son corps qui était resté dans son lit, elle sentit une grande horreur :
- Faut-il, dit-elle, que je rentre en cette carcasse et que je me renferme en cette prison
de terre ? Puisque c'est la volonté de Dieu, que son nom soit béni !
Après avoir la bénédiction de la Ste Vierge et de toute sa compagnie, elle rentra dans
son corps et (…) quand ses servantes étaient encore endormies…
Depuis ce temps elle est battue et meurtrie de ses persécuteurs ordinaires ; elle est
accablée de tourments et de ses diverses maladies mais le tout ne lui paraît rien dans le
souvenir de ce qui lui a été montré.
Extrait d'un vieux registre copié au XVIIe Siècle.
La structure du récit
Nous pouvons décomposer ce récit en deux parties principales qui correspondent à la
succession chronologique des évènements survenus dans la nuit du 8 au 9 décembre 1663 :
une première vision qui met Corentine aux prises avec ses accusateurs pendant son agonie,
suivie d’une seconde séquence qui raconte le transfert de la voyante dans le séjour des morts
après son décès.
Dans son introduction, le narrateur nous dresse une courte biographie de son
personnage principal, qu’il connaît manifestement assez bien puisqu’il peut nous donner son
âge ; il sait également les tribulations douloureuses de son enfance et sa dévotion particulière
envers ses « parents adoptifs » : la Vierge et saint Corentin. Le 8 décembre, la Vierge apparaît
donc à Corentine et lui fait comprendre que sa dernière heure est arrivée. En rapportant
l’omission du prêtre de lui donner l’extrême-onction, le narrateur nous annonce subtilement
que l’histoire ne s’achèvera peut-être pas comme l’on pourrait s’y attendre.
Le premier épisode de cette nuit mouvementée nous relate la vision de Corentine,
propulsée devant un tribunal céleste où elle se trouve mise en accusation par une « bande de
démons affreux » qui lui rappellent toutes ses fautes commises depuis l’âge de raison. D’un
autre côté, un second groupe entre en scène, composé cette fois des protecteurs attitrés de
l’accusée, parmi lesquels elle reconnaît immédiatement son ancien confesseur, le Père
Bernard, mort quelques années auparavant.2 Ce dernier lui révèle l’identité de ses
compagnons : Joseph et Marie, son bon Ange saint Michel, Marie Madeleine, sainte Barbe,
que l’on invoquait en Bretagne contre les risques de mort subite, Corentin, apôtre de la
Cornouaille, Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus en 1540, et François
Xavier, l’un de ses premiers compagnons. La vision s’achève dans la sérénité : Corentine
affirme sa foi et sa confiance en Dieu.
2
Il s’agit du Père Pierre Bernard, jésuite et ancien professeur au collège de Quimper. Il fut le principal
collaborateur de Julien Maunoir de 1641 à son décès en 1654, âgé de 71 ans. Cf. ANTOINE BOSCHET, Le parfait
missionnaire ou la vie du R.P. Julien Maunoir, 1697, édition de 1834, p. 198
9
La scène suivante se déroule dans un tout autre cadre. Le narrateur nous précise que la
vision s’est produite après la mort de Corentine : son âme est reçue par la Vierge et saint
Corentin puis un ange va alors la conduire à travers le séjour des morts, lui servant à la fois de
guide et d’interprète pour lui commenter les lieux visités. Corentine est ici simple spectatrice,
ce n’est plus son sort qui se joue mais elle pourra néanmoins interroger tous ceux qu’elle va
croiser sur cette avenue de la désolation. Son parcours la mène d’abord dans un lieu
ténébreux, là où les âmes des damnés subissent les pires tourments dans des bassins
enflammés (un puits, des fournaises, un lac, un étang). Elle s’arrête un instant au bord du
purgatoire, où elle revoit notamment un Père Capucin qu’elle avait connu autrefois. Elle est
ensuite élevée vers un lieu plein de délices qui s’avère être une ville magnifique, protégée par
des murailles d’or et des portes de pierres précieuses, et où elle va rencontrer le Christ
resplendissant et sa mère, ainsi que nombre de saints à qui elle vouait une dévotion
particulière pendant sa vie terrestre. Elle y aperçoit enfin le Père Michel Noblet3 qui intervient
auprès de la Vierge pour obtenir le retour de Corentine dans son enveloppe charnelle, afin
qu’elle continue d’œuvrer pour le salut des pécheurs et des âmes du purgatoire.
Le récit s’achève avec la « résurrection » de Corentine dans sa chambre et la reprise
des tribulations ordinaires de sa vie quotidienne, souffrances qu’elle réussira toutefois à
supporter avec plus de courage et de consolation.
Visions et apparitions
Quoique la seule apparition mariale reconnue officiellement en Bretagne au 17e siècle
par l’Eglise catholique soit celle de Notre-Dame de Toute-Aide à une jeune bergère de
Querrien en 1652,4 le siècle fut particulièrement fécond en visions et apparitions de toutes
sortes. Depuis le début du 15e siècle en fait, les phénomènes de prophétie et de voyance
commencent à se multiplier. Les apparitions de saints et de saintes se succèdent à un rythme
de plus en plus fréquent et, la plupart du temps, c’est la Vierge qui se manifeste un peu
partout en Europe.5 Marie apparaît en Italie, en Espagne, au Portugal, en Slovénie, en Suisse,
en Lituanie, en Allemagne, en Pologne, en Hongrie. En France, elle se manifeste aux Trois
Epis (1491), à Garaison (1515), à Cotignac (1519), à Vinay (1649), à Le Laus (1664), à Alan
(1682) et, comme nous l’avons dit, à Querrien en 1652. Il ne s’agit là que des apparitions les
plus connues, qui ont fait l’objet d’une publicité importante et d’une reconnaissance officielle
de la part des autorités ecclésiastiques. La plupart du temps, la manifestation de la Vierge est
motivée par le souhait d’édifier un sanctuaire au lieu même de l’apparition. Ainsi à Cotignac
en 1519 : « Je suis la Vierge Marie. Allez dire au clergé et aux Consuls de Cotignac de me
bâtir ici même une église, sous le vocable de Notre-Dame de Grâces, et qu’on y vienne en
procession pour recevoir les dons que je veux y répandre. » Il nous manque juste l’itinéraire et
l’heure de la procession… Un siècle et demi plus tard, saint Joseph apparaît dans ce même
village de Cotignac en 1660, dans un contexte religieux qui favorisait justement la promotion
de son culte depuis plusieurs années.
3
Michel Le Nobletz (1577-1652), originaire de Plouguerneau (Léon), prêtre jésuite et précurseur des missions
du Père Maunoir en Bretagne.
4
Jeanne Courtel, jeune bergère sourde et muette de Querrien (département actuel des Côtes d’Armor), alors âgée
de 11 ans, affirma que la Vierge lui était apparue le 15 août 1652. Sur cette apparition, voir JOSEPH LE TEXIER,
Histoire du pèlerinage de Notre-Dame de Toute-Aide de Querrien en La Prénessaye, 1927. Une gwerz a été
composée en mémoire de l’évènement.
5
PHILIPPE BOUTRY, « Dévotion et apparition : le modèle tridentin dans les mariophanies en France à l’époque
moderne », Siècles, n° 12, 2000, p. 121
10
En Bretagne, l’une des apparitions les plus célèbres est celle de sainte Anne en 1625,
lorsqu’elle se révéla à plusieurs reprises à Yves Nicolazic près d’Auray. Immédiatement un
pèlerinage se développe sur le site. L’évènement n’est en fait que le premier d’une longue
série puisque plus d’une vingtaine de sites de pèlerinages vont ainsi éclore dans la province de
1625 à 1706.6 Dans quatre cas, une apparition constitue l’évènement fondateur de la nouvelle
dévotion : sainte Anne à Auray (1625), Marie à Querrien (1652), au Guiaudet en Lanrivain
(1692), à Lanvellec (1695) et à Bieuzy (1695). En outre, l’une des caractéristiques que l’on
peut observer fréquemment à l’origine du pèlerinage est la découverte providentielle d’une
image (statue ou croix) qui vient opportunément garantir la parole de l’initiateur.
A côté de ces manifestations ultra-médiatisées, nous avons également le témoignage
de Père Maunoir qui rapporte ainsi dans son Journal des missions de nombreuses apparitions
survenues le plus souvent dans un contexte de repentir, de confession ou de maladie : Marie
apparaît notamment à une jeune fille de Plougastel pendant sa maladie en 1644 ; à Dirinon, un
jeune enfant voit au pied d’une croix un ange tenant dans sa main droite une hostie et dans sa
main gauche un calice ; à Merléac, en 1647, un enfant de douze ans eut une vision de la
Vierge qui lui intima l’ordre de confesser un péché vieux de trois ans ; à Landerneau en 1649
une jeune fille voit la Vierge se dresser debout devant elle avec saint Corentin à ses côtés au
cours d’une nuit où elle n’arrivait pas à dormir, etc..
Catherine Daniélou, qui accompagna Julien Maunoir dans plusieurs de ses missions,
avait également des visions régulières de la Vierge et de saint Corentin. Pour le Père Jésuite, il
semble assuré que bon nombre de ces manifestations surnaturelles se produisent pour
favoriser le déclenchement d’un processus de conversion : « Ayant eu des visions de la
bienheureuse Vierge Marie, de saint Michel, de saint Corentin ou d’autres anges du Ciel,
beaucoup de pécheurs endurcis se confessèrent et reformèrent leur vie. »7
Nous voyons donc que dans la Bretagne du 17e siècle ces phénomènes d’apparitions
étaient relativement fréquents. Leur authenticité ne paraît pas avoir été véritablement mise en
question par les populations. Par ailleurs, il ne semble pas qu’il faille faire dans ces récits une
distinction formelle d’après le vocabulaire utilisé, selon que l’on parle de vision ou
d’apparition. Cette distinction ne se faisait pas au Moyen Age8 mais l’Eglise tridentine, dans
le souci de mieux gérer ces phénomènes, s’est efforcée d’en préciser les définitions. Ainsi
pour le cardinal Bona, « l’apparition est lorsqu’il se présente quelqu’un à nos yeux sans que
l’on sache qui c’est, et quand on sait qui c’est, cela s’appelle une vision. »9 Le Père Boschet,
biographe de Julien Maunoir, s’attache plutôt à décrire les circonstances de l’évènement,
selon qu’il s’est produit en pensée ou d’une façon plus sensorielle. Il rapporte ainsi que saint
Corentin avait parlé à Julien Maunoir au début de son apostolat mais prend le soin de préciser
que le missionnaire « ne marque point si cela s’était dit dans une vue intérieure, ou dans une
apparition extérieure ».10 Le vocabulaire importe finalement assez peu, c’est l’expérience qui
compte et les changements qu’elle a produit dans la vie de l’intéressé.
Dès lors que ces expériences ont un caractère religieux, la référence aux textes
bibliques est incontournable, d’autant plus que les textes vétérotestamentaires et
néotestamentaires regorgent d’anecdotes similaires, qui appartenaient au fonds culturel des
6
GEORGES PROVOST, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux 17e et 18e siècles, 1998, p. 163177, 439-441
7
ERIC LEBEC, Miracles et sabbats, Journal du Père Maunoir, 1997, p. 75, cf. p. 54, 66, 71, 74, 75, 106, 113.
8
PHILIPPE BOUTRY, « Dévotion et apparition.. », p. 116
9
GIOVANNI BONA, Traité du discernement des Esprits, 1675, chapitre 15, édition française de 1701, p. 341
10
ANTOINE BOSCHET, Le parfait missionnaire…, p. 116
11
époques médiévales et modernes, à travers leurs représentations iconographiques dans la
statuaire, les peintures ou les vitraux notamment, ainsi que par le biais de la prédication
pastorale ou missionnaire.
Dans l’Ancien Testament, on appelle théophanie toute manifestation visible de Dieu.
Ces « apparitions » ne sont pas toujours décrites. Lorsqu’elles le sont, elles peuvent être sous
forme humaine mais pas nécessairement : Dieu se révèle sous la forme d’une « torche de feu »
en Genèse 15,17. Fréquemment, le narrateur utilise l’expression « ange du Seigneur » lorsque
l’apparition est liée à un message ou à une intervention divine. Dans la tradition prophétique,
la vision vient renforcer la parole du prophète. Elle atteste l’authenticité de la parole
proclamée par la révélation d’actions passées ou à venir visant à convaincre les destinataires
de se conformer à l’injonction transmise.
Pour comprendre une vision, il nous faut accepter l’idée de la possibilité d’une
communication entre l’homme et le divin. Il s’agit d’une expérience particulière que le
visionnaire va s’efforcer de retransmettre à l’aide de concepts et de représentations. Nos
critères modernes de rationalité doivent donc être laissés temporairement de côté si l’on veut
éviter un rejet systématique de tout ce qui nous paraît trop incohérent. Un visionnaire peut
ainsi expliquer que son âme se détache de son corps et présenter un peu plus tard le sort des
âmes défuntes décrites sous une forme corporelle. La finalité étant de transmettre un message
à l’aide de formes imagées, il n’y a pas lieu de prendre ces images pour des expressions de la
réalité. Le visionnaire perçoit et s’exprime à l’aide de représentations qui ont un sens pour ses
auditeurs. Il utilise souvent un langage symbolique qui s’appuie sur des clichés littéraires, sur
un vocabulaire et des concepts spécifiques, parfois évolutifs. Prenons par exemple le concept
de l’ange : il sert à l’origine à définir Dieu qui parle et qui agit au milieu des hommes (le
terme hébreu maleak se traduit aussi bien par ange ou messager). Dans les écrits
intertestamentaires, les anges deviennent des êtres divins, distincts de Dieu, et on commence
peu à peu à les affubler d’ailes suggérant la liaison opérée entre les mondes céleste et
terrestre.
Ce langage est toutefois tellement stéréotypé qu’il peut être relativement aisé à un
imposteur de se faire passer pour un voyant, quand bien même il n’y aurait eu aucune
expérience réelle à la base de son discours. Julien Maunoir, qui accordait un grand crédit aux
visions surnaturelles, était également bien conscient que la simulation était facile. Il avait
d’ailleurs mis au point un procédé qui permettait de confondre les pseudo-visionnaires d’après
la description minutieuse de leur vision, sur l’emplacement des personnages notamment :
« L’expérience m’a appris que lorsque l’on demande à une personne qui n’a eu aucune vision,
si, celle-ci, par exemple, se trouvait à droite ou à gauche, elle répond immanquablement
qu’elle n’a strictement rien vu, qu’elle a seulement senti un mouvement de piété en son
âme. »11
La mise en accusation de Corentine Merlen
Cette première vision survient en pleine nuit, au moment où Corentine est entrée dans
son agonie. Elle est apparemment en veille et s’attriste de ne pas sentir à ses côtés la présence
de ses consolateurs ordinaires (la Vierge et saint Corentin). C’est alors qu’elle voit apparaître
sur sa gauche une bande de démons dont elle ne nous donne pas de description précise – ils
sont simplement affreux – et on peut penser que leur apparence est plus ou moins conforme à
11
ERIC LEBEC, Miracles et sabbats.., p. 144
12
l’iconographie médiévale classique. Raoul Glaber (985-1047) prétendait avoir vu le démon
une nuit auprès de son lit lorsqu’il habitait au monastère de Saint-Léger-de-Champeau et il
nous en a laissé une description célèbre : ce démon avait l’aspect d’un « petit monstre hideux,
qui avait à peine figure humaine. Il me semblait avoir, autant que je pus m’en assurer, une
taille médiocre, un cou grêle, une figure maigre, les yeux très noirs, le front étroit et ridé, le
nez plat, la bouche grande, les lèvres gonflées, le menton court et effilé, une barbe de bouc,
les oreilles droites et pointues, les cheveux sales et raides, les dents d’un chien, l’occiput aigu,
la poitrine protubérante, une bosse sur le dos, les fesses pendantes, les vêtements malpropres ;
enfin tout son corps paraissait d’une activité convulsive et précipitée. »12
La première tentation du Christ. Psautier enluminé, vers 1222
(Copenhague, Det kongelige Bibliotek)
Le lieu précis de la vision n’est pas indiqué. On notera cependant que Corentine peut
situer les démons à sa gauche et on se rappellera que la spatialisation de la scène était pour le
Père Maunoir un critère d’authenticité d’une vision. Cette première vision se déroule en deux
temps.
Dans la première scène, des démons viennent lui rappeler tous ses péchés commis
depuis l’âge de sept ans, inscrits dans un mystérieux livre noir qui évoque en creux le livre de
vie de l’Apocalypse de Jean sur lequel étaient écrites toutes les œuvres de chacun : « Des
livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts
furent jugés selon leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans ces livres. » (Apoc. 20,12, cf.
13,8). Un autre groupe intervient alors dans la vision, constitué de l’ancien confesseur de
Corentine, de la Vierge et d’une demi-douzaine de saints pour qui elle avait une dévotion
particulière. L’énumération des soutiens de la voyante nous permet de la situer d’emblée dans
l’entourage du Père Maunoir : nous y retrouvons en effet son collaborateur le Père Bernard,
saint Joseph et saint Corentin dont il a fortement encouragé le culte, saint Michel, en
l’honneur de qui on venait d’édifier une toute nouvelle chapelle à Douarnenez, à quelques pas
12
FRANÇOIS GUIZOT, Collection des mémoires relatifs à l’Histoire de France, Vol. 6, 1824, p. 329-330. Voir
aussi PAUL ROUSSET, « Raoul Glaber interprète de la pensée commune au 11e siècle », Revue d’histoire de
l’Eglise de France, tome 36, n° 127, 1950, p. 21
13
de l’ancien domicile de Michel Le Nobletz,13 Ignace de Loyola et François Xavier, figures
emblématiques de la Compagnie de Jésus à laquelle appartenaient justement Julien Maunoir
et Pierre Bernard.
A noter également la présence du bon ange de Corentine dans le groupe de ses
consolateurs. Aucune description ne nous en est donnée mais il pourrait correspondre à
Michel l’archange (« votre bon ange saint Michel ») dont l’une des fonctions liturgiques était
de prendre soin des âmes des fidèles défunts. On le qualifie alors d’ange psychopompe (guide
des âmes). Il est souvent représenté avec une balance, pesant les âmes le jour du Jugement
dernier.
Saint Michel pesant les âmes. Psautier de Louis et Blanche de Castille
(Arsenal, Ms 1186, fol. 169)
Cet ange intervient à plusieurs reprises dans le récit où il n’existe que par sa fonction
d’assistant. Dans la première vision, il présente notamment à Corentine « tous les mystères de
la Passion de Notre Seigneur, qu’elle méditait toutes les nuits depuis l’âge de sept ans. » Il
s’agit vraisemblablement ici d’une représentation des scènes de la Passion telles que l’on
pouvait en voir dans les églises,14 dans les estampes gravées qui circulaient à l’époque,15 ou
peut-être aussi dans les Taolennou ar Baradoz (« tableaux du paradis ») popularisés en
Bretagne par Michel Le Nobletz au début du 17e siècle. Il s’agissait de petits panneaux,
dessinés et peints sur parchemin, qui étaient ensuite confiés par le prédicateur à quelques
femmes dévotes qui allaient de famille en famille pour présenter et commenter ces sermons
imagés.16
13
La première pierre de la chapelle Saint-Michel de Douarnenez fut posée le 12 août 1663, soit quelques mois
avant la vision de Corentine.
14
On pourrait penser ici aux stations du Chemin de croix que l’on trouve aujourd’hui dans toutes les églises mais
jusqu’en 1731, elles étaient une spécificité des églises franciscaines. Ces représentations constituaient à l’origine
un substitut au pèlerinage en Terre Sainte. Leur fonction didactique était toujours importante au 19e siècle :
« C’est un moyen très propre pour nous aider à méditer sur les mystères de la Passion, qu’il est très puissant pour
nous faire remporter la victoire sur nos passions, et nous conduire en peu de temps au plus haut degré de la
perfection, en nous inspirant l’horreur du péché, la crainte de le commettre, l’esprit de la mortification, l’amour
de l’humilité et de l’abjection, le mépris du monde, la patience dans nos maux, le renoncement à tout. » (Via
Crucis ou collection de 14 gravures représentant les 14 stations communément appelées le chemin de la croix,
1813, p. 2)
15
Jacques Callot a réalisé en 1629-1631 toute une série d’estampes sur les Mystères de la Passion
16
FANCH ROUDAUT, ALAIN CROIX, FANCH BROUDIC, Les chemins du Paradis, Taolennou ar Baradoz, 1988
14
La seconde scène de la première vision fait intervenir une « autre bande de malins
esprits » qui utilise cette fois la flatterie pour rappeler à la voyante l’exemplarité de sa
conduite dans le but implicite de provoquer chez elle orgueil et prétentions.
Jacques Callot. Les mystères de la Passion (gravures réalisées en 1629-1631)
Michel Le Nobletz. Taolen 3.
L’amour de la Croix et de la Loi
15
A travers ces deux scènes très imagées, nous assistons en fait à l’examen de
conscience de Corentine. Elle sent ses derniers instants arriver et réalise à travers sa vision
son ultime autocritique avant la comparution devant le Juge suprême. Pour une femme dévote
comme Corentine, ce genre de vision renvoyait inévitablement à quelques précédents de la
tradition biblique où l’on présentait de la même manière la mise en accusation d’un juste
devant le tribunal céleste.
C’est d’abord l’histoire de Job que Yahvé donne en exemple au satan de retour d’un
voyage sur la terre : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a point son pareil sur la terre :
un homme intègre et droit, qui craint Dieu et se garde du mal ! » (Job 1,8). Le satan met en
doute l’intégrité de Job et demande alors sa mise à l’épreuve par la privation de tout ce qui
pouvait lui être cher, ses biens, sa famille, sa santé.
Le récit de l’une des visions de Zacharie se situe également devant le « tribunal
céleste » : nous y voyons le grand prêtre Josué se tenant devant l’ange de Yahvé et le satan
placé à sa droite pour l’accuser (Zach 3,1). Malgré son iniquité, symbolisée par ses habits
sales, Josué se voit revêtir d’une tiare propre et d’habits somptueux, expressions de la
clémence du Seigneur à son égard.
L’expérience vécue par Corentine est loin d’être unique en son genre. Pour exemple,
cette vision du moine de Wenlock rapportée au début du 8e siècle par saint Boniface : après
une brutale maladie, ce moine mourut et se vit enlevé de son corps et emporté par des anges
dans les hauteurs. Au cours de son transfert, l’âme du moine devient l’enjeu d’une lutte entre
les anges et les démons pour savoir qui des uns ou des autres s’en empareraient finalement.
Les démons l’accusent de tous ses péchés commis pendant sa vie terrestre – y compris des
actes dont il ne pensait même pas qu’ils fussent coupables – tandis que ses vertus prennent à
leur tour sa défense. Heureusement pour notre moine, ses vertus finiront par l’emporter et il
pourra alors poursuivre son voyage dans l’au-delà. Malgré tout, comme notre Corentine, il
sera contraint de rentrer dans son corps au petit matin pour témoigner aux vivants de ce qu’il a
vu en ces lieux.17
Il y a cependant une grande différence entre les récits bibliques et les récits
visionnaires du moine de Wenlock ou de Corentine Merlen : dans les premiers, on considère
que le sort des hommes pendant leur vie terrestre est déjà l’enjeu d’un conflit entre Dieu et le
satan 18 ; pour les seconds, c’est le sort de l’individu après la mort qui est discuté. A travers
l’imagerie visionnaire chrétienne, c’est un peu la peur du mourant sur son sort qui transpire de
ces simulacres de jugement. Au moment de passer dans l’autre monde, l’agonisant fait en un
instant le bilan de sa vie. Son attitude nous livre en quelque sorte un résumé brutal des
pratiques dévotionnelles : on est religieux pour ne pas mourir, que ce soit dans ce monde ou
dans l’autre. Dans le cas de Corentine, femme pieuse s’il peut en être, son angoisse était
certainement accentuée par le fait, bien souligné par le narrateur, qu’elle n’avait pas reçu ses
derniers sacrements, le curé de la paroisse ne la croyant pas « si proche de la fin ». Que va-telle devenir de l’autre côté, c’est ce que nous allons examiner à présent.
17
CLAUDE CAROZZI, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la littérature latine (5e-13e siècles), 1994, p.
195-198
18
Dans l’Ancien Testament, le satan n’a pas encore acquis de véritable personnalité. Il est désigné par un terme
hébreu courant qui signifie « adversaire » mais une nuance particulière puisqu’il s’agit d’un adversaire
caractérisé par la tromperie et la trahison. Le satan est quelqu’un que l’on croyait être un ami et qui se comporte
en opposant.
16
Le sort de l’âme après la mort
Corentine Merlen mourut dans la nuit du 8 au 9 décembre 1663. Son biographe nous
dit que son âme fut tout d’abord reçue par la Vierge et saint Corentin. Son bon ange va
ensuite la conduire à travers les enfers et le purgatoire pour rejoindre finalement le paradis. La
relation de son périple nous donne ici l’occasion d’aborder à partir d’un exemple précis les
perceptions populaires de l’au-delà en Bretagne au 17e siècle.
Le concept d’une âme, disjointe du corps et immortelle, est sans doute l’un des points
les plus difficiles à appréhender pour nos mentalités actuelles. Comme le souligne Claude
Carozzi, « on ne sait plus ce qu’est une âme et on n’en conçoit pas bien l’existence. Si on
l’admet cependant, on comprend mal comment elle pouvait se séparer du corps sans que cette
rupture soit définitive. »19 Le témoignage de Corentine Merlen nous montre que ce concept
était encore admis sans la moindre justification au 17e siècle et nous pourrions en trouver
maints exemples supplémentaires dans les gwerziou bretonnes.20 La tradition biblique en
proposait pourtant une définition très différente puisque dans l’Ancien Testament, l’âme
(hébreu nephesh) ne désigne pas une partie de l’homme mais l’homme tout entier, l’homme
en tant qu’être vivant. Pour Paul, l’âme (grec psyché) est le principe vital qui anime le corps
humain et le mot sert également à désigner l’homme tout entier.21 Les Grecs pensaient tout
autrement et imaginaient à l’instar de Platon l’âme immortelle, prisonnière du corps qui lui est
imposé et dont elle ne pourra se détacher qu’avec la mort physique. Ces conceptions
helléniques influencèrent fortement la pensée du judaïsme tardif et le christianisme primitif ne
tarda pas à les adopter pareillement lorsqu’il a fallu rendre compte du sort réservé aux
défunts.
L’âme sortant du corps lors de la mort. (miniature de Remiet, Leyde,
Bibliothèque Universitaire, BPL 74, fol. 92, Le pèlerinage de l’âme, vers 1400-1410)
19
CLAUDE CAROZZI, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la littérature latine (5e-13e siècles), 1994, p. 1
Voir notamment la complainte sur « le départ de l’âme » collectée par HERSART DE LA VILLEMARQUE, BarzazBreiz, édition 1963, p. 500-506, et les traditions populaires sur ce sujet dans la Légende de la mort d’ANATOLE
LE BRAZ (chap. VI, « Le départ de l’âme », édition Coop Breizh, 1994, p. 130-148)
21
Cf. la Bible de Jérusalem, édition Le Cerf, 1973, p. 1663, note h
20
17
Reconnaissons toutefois qu’il ne s’agit que de constructions métaphysiques permettant
d’élaborer un discours sur l’être humain mais qui trouvent très vite leurs limites dès lors que
l’on cherche à proposer une représentation de ce qu’il advient de l’âme après la mort.
Comment figurer en effet quelque chose qui par définition est incorporel ? L’iconographie
médiévale l’a fréquemment montré sous la forme d’un être miniature (homoncule) qui sort de
la bouche du mourant lorsqu’il rend son dernier soupir.22 Dans la littérature visionnaire des
voyages dans l’au-delà, l’âme est toujours anthropomorphe : on la voit marcher à travers les
enfers, elle présente d’autres âmes trainées par les mains, suspendues par le cou, torturées et
suppliciées dans leur corps, etc. Quoiqu’il en soit de sa forme et de sa réalité, l’âme médiévale
nous a ouvert les portes du séjour des morts.
Le séjour des morts et sa géographie
Dans l’Ancien Testament, le « séjour des morts » (hébreu shéol), parfois appelé
« l’abîme », « la fosse » (Job 33,22) ou « le pays de l’ombre » (Job 38,7) est situé sous la
terre, peut-être dans l’océan primordial. Le Shéol est le lieu où séjournent les morts, tous les
morts sans distinction, qu’ils soient justes ou impies (Gen 37,35 ; 1Sam 2,6 ; 28,19 ; Ps
89,49 ; Job 21,13). On y mène une existence diminuée, dans les ténèbres et le silence,
incapable d’y louer Dieu (Job 3,13 ; 10,21 ; 14,13 ; Ps 6,6 ; 30,10 ; 88,6.11-13 ; Es 38,18). Il
est impossible d’en remonter (Job 7,9 ; 10,21 ; 2Sam 12,23) mais on relève à plusieurs
reprises dans les prières des « justes » l’aspiration à ne pas y descendre (Ps 49,16 ; 55,17 ;
16,10 ; 30,4 ; 88,13).
Quoique les traducteurs juifs de la Septante ont rendu l’hébreu shéol par le grec hadès,
la conception hellénique du séjour des morts était, comme nous l’avons dit, bien différente.
Pour les Grecs en effet, après la mort, l’âme s’en va dans un lieu souterrain (le Hadès) pour y
être châtiée ou récompensée selon ses fautes et ses mérites. Les âmes des justes se reposeront
dans les Champs Elysées, vastes prairies fleuries couvertes de vergers, tandis que les âmes des
damnés seront précipitées dans le Tartare pour y subir de longues souffrances purificatrices
avant de pouvoir mener une nouvelle existence terrestre. En se développant, le christianisme
primitif adopte très rapidement le modèle hellénique car il lui semble inconcevable que le sort
des uns et des autres puisse être identique dans l’autre monde. Il apporte cependant une
innovation géographique importante en créant un axe vertical qui n’existait pas jusque là et
qui porte une forte charge symbolique : les justes s’élèveront vers le Ciel, les pécheurs seront
menés dans les lieux souterrains, les enfers au sens littéral du terme (du latin inferna, endessous). En outre, la réflexion théologique, souvent suscitée par des conflits internes au sein
de l’Eglise, donne peu à peu naissance à un concept voué à un avenir extraordinaire, le
purgatoire. Un point au moins faisait l’unanimité : après la résurrection finale, le sort de
chacun sera fixé au Jugement dernier. Mais en attendant, que deviennent les morts ?
L’idée du shéol juif ayant été écartée, l’opinion majoritaire considérait que les
mécréants iraient directement en enfer tandis que les saints et les martyrs auraient accès de
suite au paradis. Le sujet de discussion capital concernait ceux qui n’étaient ni tout à fait
mauvais, ni tout à fait bons. La tradition néotestamentaire évoquait bien le « sein
d’Abraham »23, que l’on peut définir comme un lieu de repos privilégié pour les justes, mais
22
Sur ce sujet, voir JEROME BASCHET, « Âme et corps dans l’Occident médiéval : une dualité dynamique, entre
pluralité et dualisme », Archives de sciences sociales des religions, n° 112, 2000, p. 5-30.
23
Cf. la parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche (Luc 15)
18
ce concept fut également abandonné car il n’intégrait pas les notions – fondamentales au
Moyen Age – de pénitence et de purification. Un consensus s’établit peu à peu sur l’idée d’un
feu purgatoire assigné aux deux catégories intermédiaires. Ceux qui n’étaient pas tout à fait
mauvais n’échapperaient pas à l’enfer éternel mais les prières des vivants en leur faveur
pouvaient quand même soulager leurs souffrances. Le sort de ceux qui n’étaient pas tout à fait
bons était nettement plus enviable puisque les prières des vivants pouvaient non seulement
soulager leurs souffrances mais aussi en réduire la durée. Le concept déboucha à la fin du 12e
siècle sur la création d’un lieu spécifique de l’au-delà – le Purgatoire – situé près de l’Enfer
mais néanmoins bien distinct.24 Dans la Divine comédie, l’extraordinaire poème de Dante
Alighieri, achevé au début des années 1320, la représentation de l’au-delà trouve l’une de ses
formes les plus abouties. Accompagné de Virgile, Dante parcourt les enfers, lieux souterrains
et ténébreux, puis se retrouve à la surface, devant la montagne du Purgatoire, marquée par
sept corniches qui en font le tour, mais de plus en plus petites au fur et à mesure que l’on
s’élève vers le sommet. Tout en haut culmine le Paradis, séjour des Bienheureux et de tous
ceux qui ont déjà accompli leur temps de purgatoire.
Portrait de Dante Alighieri, la ville de Florence et l’allégorie de la Divine Comédie
de Domenico di Michelino (1465)
Le poète, présentant son ouvrage ouvert, se tient devant le paysage symbolique de la Divine Comédie :
à gauche, l'enfer ; au fond, le paradis, auquel mènent les sept cercles du purgatoire ;
à droite, la ville de Florence.
Cette représentation graphique semble bien être grosso modo celle qui se dégage aussi
du récit du voyage dans l’au-delà de Corentine Merlen. Nous trouvons en effet dans ce récit
24
Sur l’évolution de ce concept, l’étude de JACQUES LE GOFF, La naissance du Purgatoire (1981), demeure la
référence incontournable. Certaines de ses positions sont aujourd’hui contestées. Il lui est notamment reproché
d’avoir sous-estimé l’impact de la littérature visionnaire. Voir BENOIT BEYER DE RYKE, « La naissance du
Purgatoire… vingt ans après », Villers, 25, 2003, p. 13-29 ; GUILLAUME CUCHET (dir.), Le purgatoire, Fortune
historique et historiographique d’un dogme, 2012.
19
trois lieux bien distincts : la visite commence par un « lieu souterrain » où l’on nous présente
plusieurs lieux de tourments sur lesquels nous reviendrons. De cet endroit, qualifié de « lieu
ténébreux », Corentine est ensuite « tirée » et « portée sur le bord du purgatoire ». A la
différence de l’enfer qui était longuement décrit, nous avons un peu de mal à donner une
représentation précise du purgatoire. Nous avons quitté les ténèbres et il semblerait donc que
l’on soit à présent à l’air libre. A priori, Corentine se trouve sur un rivage, peut-être une île,
mais nous n’en saurons pas plus. Enfin, au terme de son voyage, Corentine est « élevée vers
un lieu plein de délices ». Le narrateur n’emploie pas ici le mot « paradis » mais il s’agit bien
d’une allusion à l’Eden biblique (terme signifiant « lieu de délices » en hébreu). Nous ne
pouvons pas dire si ce lieu se trouve dans le Ciel ou au sommet d’une montagne mais il est
bien « physique » puisque l’on y découvre une cité lumineuse, cernée de remparts, des arbres
d’or, une grande rivière sablonneuse et des oiseaux qui chantent.
L’au-delà de Corentine est donc clairement structuré en trois espaces, trois niveaux
entre lesquels il ne semble pas y avoir de communication puisque le passage de l’un à l’autre
requiert à chaque fois l’intervention du « bon ange » de la voyante. La structure narrative de
cette histoire n’a par ailleurs pas été créée in extenso, elle reprend des schémas et des motifs
littéraires que l’on utilisait depuis bien longtemps comme nous allons le voir à présent.
L’âme du pèlerin et son ange gardien dans les flammes. Miniature du Pèlerinage de l’âme
de Guillaume de Digulleville. Soissons, BM, Ms 0208, 15e siècle.
20
DEUXIEME PARTIE
LE VOYAGE DE L’AME DANS L’AU-DELA
Au 17e siècle, le récit du voyage de l’âme de Corentine Merlen dans l’au-delà est un
peu un anachronisme. Autant en effet les récits de ce genre furent abondants du 7e au 12e
siècle, autant le discrédit dont ils furent ensuite l’objet mit un frein brutal à leur
renouvellement. Cela ne stoppa cependant pas leur diffusion et ils contribuèrent largement à
modeler les conceptions médiévales de l’au-delà. On remarquera que la plupart de ces récits
sont d’origine irlandaise, anglo-saxonne ou encore de Francie septentrionale.25 Nous donnons
ci-dessous un résumé de l’itinéraire parcouru par quelques uns des voyageurs les plus
célèbres.
L’une des visions les plus anciennes a été rapportée par Grégoire de Tours à la fin du
7e siècle. Il nous raconte l’histoire de Sunniulf, abbé de Randan en Auvergne. Homme simple,
Sunniulf avait pour défaut de ne pas imposer suffisamment son autorité dans la communauté
dont il avait la direction. Conduit par vision dans l’au-delà, il voit alors un fleuve de feu,
enjambé par un pont étroit et, sur l’autre rive, une grande maison blanche. De nombreuses
personnes sont immergées dans le fleuve et on lui explique que seuls ceux qui se sont montrés
énergiques pourront traverser le pont sans danger.
Au 7e siècle également, Fursy, moine irlandais mort vers 650, est le héros de plusieurs
voyages dans l’au-delà. A deux reprises, il tombe malade et reste toute la nuit dans un état
cataleptique. La première fois, deux anges précédés de saint Michel l’enlèvent au ciel mais le
voyage sera de courte durée : il est renvoyé presque aussitôt dans son corps au motif qu’il doit
d’abord accomplir un acte particulier avant qu’on ne revienne le chercher. Le lendemain, il
demande alors à recevoir la communion et, la nuit suivante, il tombe une nouvelle fois en
extase et repart avec les anges dans le ciel. Il aperçoit quatre feux et une armée de démons
survient sur sa gauche. Ceux-ci l’assaillent de reproches et tentent de l’attirer dans le feu.
Fursy se retrouve néanmoins au milieu du chœur des anges dans une immense clarté. Il y
rencontre deux évêques qui lui font connaître sa future mission : annoncer la parole de Dieu
aux princes d’Irlande et prêcher aux prêtres le renoncement au monde et le soin des âmes. Il
est finalement reconduit à son corps qu’il va pouvoir réintégrer grâce à une ouverture située
sous son cœur. Ces visions, initialement rapportées dans la vita de saint Fursy composée peu
après sa mort, ont été popularisées par leur reprise dans l’Histoire ecclésiastique du peuple
anglais de Bède le Vénérable en 731.
Dans le même ouvrage, Bède racontait une autre vision célèbre, celle de Drythelm,
bon père de famille qui vivait pieusement avec les siens dans le nord de l’Angleterre. Un jour,
il tombe malade et expire aux premières heures de la nuit. Il « ressuscita » cependant le
lendemain et raconta alors comment un ange lui avait découvrir l’autre monde. Il fut d’abord
conduit dans une vallée large et profonde où il vit les âmes des défunts précipitées à tour de
25
Pour une présentation d’ensemble, voir CLAUDE CAROZZI, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la
littérature latine (5e-13e siècles), 1994 ; JACQUES LE GOFF, La naissance du purgatoire, 1981, p. 148-166, 241278 ; GEORGES MINOIS, Histoire des enfers, 1991, p. 129-137, 168-184 ; AARON GOUREVITCH, La culture
populaire au Moyen Age, 1981, édition française de 1996, chap. 4, « La divine comédie avant Dante », p.193266 ; du même, « Au Moyen Age : conscience individuelle et image de l’au-delà », Annales, Economies,
Socétés, Civilisations, 1982, n° 2, p. 255-275 ; MICHEL AUBRUN, « Caractères et portée religieuse des Visionnes
en Occident du 6e au 11e siècle », Cahiers de civilisation médiévale, avril-juin 1990, n° 90, p. 109-130
21
rôle des deux côtés de la vallée. Il remarqua alors que l’un des versants était plein de flammes
tandis que l’autre était balayé par des tempêtes de neige et de grêle. Son guide l’amène ensuite
jusqu’à l’enfer, grand puits de feu au-dessus duquel Drythelm aperçoit des âmes sous forme
humaine qui jaillissent comme des flammèches. De ces lieux ténébreux, notre voyageur est
amené devant un énorme mur derrière lequel il découvre une vaste prairie parfumée et des
groupes d’hommes vêtus de blanc. L’ange qui l’accompagne lui précise cependant qu’il ne
s’agit pas du royaume des cieux et le conduit alors jusqu’au seuil d’un lieu encore plus
lumineux et plus parfumé où n’entrent que ceux qui ont atteint la perfection pendant leur vie
terrestre.
Pour Drythelm, c’est donc à chacun selon ses œuvres : les damnés s’en vont
directement en enfer, les « pas entièrement mauvais » subissent leur châtiment dans la vallée
et les « pas entièrement bons » attendent l’heure du Jugement dernier dans la prairie
parfumée.
Mort de saint Fursy à Péronne. Enluminure, Manuscrit de la Légende dorée,
début du 13e siècle (Ms Huntington Library MH-3027, fol. 128v)
Peu avant Bède, son compatriote Winfrid – le futur saint Boniface de Mayence – avait
rapporté la vision d’un moine de Wenlock (Angleterre) que nous avons déjà évoqué.26
Comme précédemment, le voyage se produit pendant une mort apparente survenue après une
brutale maladie. Winfrid rapporte que le défunt moine fut emporté vers le haut par des anges
et qu’il vit la terre toute entière entourée de feu. D’où il se trouvait, il vit une multitude
d’âmes sortant de leurs corps et que se disputaient anges et démons. Lui-même est accusé par
les démons mais il leur échappe en raison de la qualité de ses vertus. Son périple le conduit
ensuite à travers les enfers, l’enfer supérieur tout d’abord où il aperçoit plusieurs puits
enflammés dans lesquels hurlent des âmes humaines en forme d’oiseaux noirs, et l’enfer
inférieur, abîme sans fond où gémissent pour l’éternité les âmes des damnés. Il voit également
un fleuve de feu sur lequel est posée une simple poutre en guise de pont. Les âmes doivent le
traverser pour atteindre le paradis des bienheureux mais nombreuses sont celles qui
trébuchent et tombent dans le fleuve. Elles en ressortiront toutefois après avoir été purifiées
26
Cf. supra p. 16
22
par le feu. Au loin, sur l’autre rive, le voyageur aperçoit enfin les murs étincelants de la
Jérusalem céleste mais il ne pourra y entrer puisque les anges le ramènent alors à son corps.
Au 12e siècle, les visions prennent une tournure bien plus morbide. L’une des plus
célèbres est celle d’un Irlandais, le chevalier Tnugdal (ou Tondale), qui commence par
parcourir toute une série de lieux plus horribles les uns que les autres. Les âmes des pécheurs
y subissent des tortures cauchemardesques : elles sont brûlées, fondues puis reconstituées,
dépecées, dévorées par un monstre sur un lac gelé, façonnées au marteau par un démon
forgeron, grillées comme des petits pains... Mais leur sort est encore enviable par rapport à
celui des âmes qui devront souffrir les peines de l’enfer inférieur, fosse enflammée que l’on
atteint péniblement en cheminant sur un sentier difficile, froid et puant. Le sort des premières
dépend de la miséricorde de Dieu au jour du Jugement et une issue favorable est donc
envisageable mais les secondes sont déjà condamnées pour l’éternité. D’autres âmes plus
chanceuses – les « pas tout à fait mauvais » - attendent tristement sous la pluie et le vent au
pied d’un grand mur. De l’autre côté du mur se trouvent les « pas tout à fait bons » qui
attendent eux aussi, mais dans un beau champ parfumé. Tnugdal atteint finalement le paradis
constitué de trois lieux distincts séparés par plusieurs murs.27
Terminons ce survol des voyages médiévaux dans l’au-delà par la présentation du
Purgatoire de saint Patrick, récit qui se distingue toutefois des précédents par le fait qu’il ne
s’agit plus d’une vision survenue après une mort apparente mais d’une fiction qui raconte le
séjour du chevalier Owen, avec son corps, dans une fosse située dans une île irlandaise
dénommée le « purgatoire de saint Patrick ». Hormis sa localisation, cette histoire n’a en fait
rien d’irlandais. A la base, il semble qu’il y ait eu le souhait des moines cisterciens anglais de
Louth Park de développer un centre de pèlerinage autour de leur établissement irlandais de
Lough Derg. La version primitive du récit aurait été composée par H. de Saltrey vers 1173.
Elle intègre la plupart des ingrédients du « voyage dans l’au-delà » que nous avons déjà
observé dans les récits ci-dessus. Le Purgatoire de saint Patrick est entièrement souterrain
mais comporte quatre lieux bien distincts : tout d’abord nous avons le purgatoire proprement
dit, qui correspond en fait à l’enfer supérieur des visions précédentes, où sont torturées les
impies de toutes les manières imaginables (cloués au sol, suspendus par des crochets de fer
fixés dans les yeux, les oreilles, la gorge, les mains, les seins ou bien le sexe ; cuits au four ou
à la poêle, rôtis à la broche, plongés dans des cuves de métaux en ébullition, etc.). Sur le
sommet d’une montagne où souffle un vent glacial, les âmes sont ensuite précipitées par les
démons dans un fleuve fétide et froid. Le second lieu aperçut par Owen est la bouche de
l’enfer, puits de feu auxquels sont condamnés pour l’éternité les pécheurs les plus endurcis.
L’enfer véritable est toutefois un fleuve de feu que l’on doit franchir sur un pont étroit et
glissant. Après avoir vaillamment surmonté cette nouvelle épreuve, le chevalier arrive devant
un mur immense, aux portes d’or pur et de pierres précieuses : c’est le troisième lieu, le
paradis terrestre dans lequel parviennent après un certain temps les pécheurs purifiés. Au
sommet d’une autre montagne, Owen voit enfin le paradis céleste. Comme le moine de
Wenlock, il ne pourra pourtant pas y entrer et quitte alors le purgatoire par le chemin inverse.
27
Sur la vision de Tnugdal, voir notamment CLAUDE CAROZZI, « Structure et fonction de la vision de Tnugdal »
dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du 12e au 15e siècle, Rome,
1981, p. 223-234 ; MATTIA CAVAGNA, « Voyager jusqu’au diable : la vision de Tondale et la transformation du
voyage en enfer au Moyen Age » dans Voyager avec le diable. Voyages réels, voyages imaginaires et discours
démonologiques (15e-17e siècles), 2008, p. 27-44 ; et, du même, La vision de Tondale. Les versions françaises de
Jean de Vigny, David Aubert et Regnard Le Queux, 2008 ; YOLANDE DE PONTFARCY, L’au-delà au Moyen Age,
« les visions du chevalier Tondal » de David Aubert et sa source, la « visio Tnugdali » de Marcus, 2010 ; V.H.
FRIEDEL et KUNO MEYER, La vision de Tondale, textes français, anglo-normand et irlandais, 1907.
23
Les récits des chevaliers Tnugdal et Owen ont bénéficié d’une très large diffusion en
France au cours du Moyen Age et ils ont naturellement été une source d’inspiration
importante pour les artistes de cette époque. Indirectement, ils ont donc largement influencé
les conceptions populaires médiévales, que ce soit à travers l’architecture des églises, les
peintures ou encore les enluminures des manuscrits.
Eglise Sainte-Foy de Conques. Tympan du Jugement dernier (12e siècle)
Au niveau supérieur, une âme va tomber par une trappe aux pieds de Charon.
D’autres sont sur le point d’être jetées dans la gueule du Léviathan.
Eglise Sainte-Foy de Conques. Tympan du Jugement dernier.
Satan trône au milieu de l’enfer. A sa gauche, un avare est pendu avec sa bourse autour du cou
tandis qu’un menteur se fait arracher la langue par un démon.
24
L’histoire du Purgatoire de saint Patrick devait être encore très connue en Bretagne au
17 siècle. Non seulement le récit avait été repris par Jacques de Voragine dans la Légende
dorée (le nom du héros y est toutefois modifié en Nicolas) mais il bénéficia surtout d’une
nouvelle version française grâce à François Bouillon en 1642.28 Il s’agit en fait de la
traduction d’un récit remanié et complété en 1627 par l’Espagnol Perez de Montalvan : le
héros y portait alors le nom de Ludovico Enio, que François Bouillon va rendre dans son
ouvrage par Louis Eunius.29
e
L’enfer de Dante par Giovanni da Modena
Fresque de 1415, basilique San Petronio à Bologne
Au 13e siècle, la série des visions extatiques mettant en scène le voyage de l’âme d’un
défunt dans l’au-delà s’interrompt et la critique dont ces récits ont été l’objet au siècle
précédent y est sans doute pour beaucoup. Philosophes et intellectuels remettent en cause la
28
FRANÇOIS BOUILLON, Vie et Purgatoire de saint Patrick. L’ouvrage a été réédité en 2005 avec une
présentation de BERNARD MERDRIGNAC, qui avait précédemment publié un article sur « Le Purgatoire de saint
Patrick » dans le n° 1 de Britannia Monastica, 1990, p. 23-40. Voir aussi l’étude d’ARIANE BOTTEX-FERRAGNE,
« Le court Moyen Age de la Navigation de saint Brendan : extinction et réception d’une tradition textuelle »,
Memini, n° 13, 2009, p. 67-83 (comparaison entre le récit du chevalier Owen et celui du voyage de saint Brendan
à la recherche du paradis) ; la thèse de PHILIPPE DE FELICE, L’autre monde, Mythes et légendes. Le Purgatoire de
saint Patrice, 1906 ; GEORGES DOTTIN, « Louis Eunius ou le Purgatoire de saint Patrice », Annales de Bretagne,
tome 26/4, 1910, p. 781-810 ; tome 27/4, 1911, p. 676-710 ; tome 31/2, 1916, p. 232-293.
29
GEORGES DOTTIN, « Louis Eunius... », AB 26/4, 1910, p. 793. Au début du 19e siècle, l’histoire de Louis
Eunius sera mise en scène dans une pièce de théâtre en breton (Le Mystère de Louis Eunius). Voir également
JOSEPH DUNN, « La vie de saint Patrice, mystère breton en trois actes », Annales de Bretagne, tome 24/3, 1908,
p. 303-328.
25
réalité des révélations transmises par les visionnaires : comment se pourrait-il qu’une âme, en
principe immatérielle, puisse exister sous forme humaine et ressentir la souffrance, les
brûlures, le froid et toutes ces choses qu’on raconte ? Parmi ces contestataires nous trouvons
notamment Abélard, qui écrit vers 1140 : « Tant que les âmes sont sans corps, comment
pourraient-elles se mouvoir localement ? Comment se pourrait-il qu’elles fussent enfermées
comme dans une prison corporelle, elles qui n’occupent aucun lieu et qui, par leur nature
propre, sont infiniment plus subtiles qu’aucune substance corporelle ? Que pourrait être cette
force physique, qu’il s’agisse du feu ou des autres éléments, qui réussit à les atteindre ou à les
faire souffrir dans leur incorporéité même ? Ce sont là des choses qu’on ne saurait aisément ni
dire ni comprendre ? »30
Hans Memling. Le Jugement dernier (extrait). Vers 1467-1471
En dépit de ces remises en cause, le 14e siècle produira encore deux grandes œuvres
sur l’au-delà, poétiques cette fois, mais qui doivent beaucoup aux expériences visionnaires
des siècles précédents : la Divine comédie de Dante, vers 1320, et le Pèlerinage de l’âme,
composé par Guillaume de Digulleville vers 1355.31 Les conceptions ont évolué et il ne reste
plus désormais que trois lieux : l’enfer, le purgatoire et le paradis. Et surtout, l’idée même du
purgatoire s’en trouve considérablement modifiée. Les lieux de purgation ne sont plus en effet
30
ABELARD, Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien, cité par CLAUDE CAROZZI, Le voyage de
l’âme.., p. 543
31
Voir notamment MATTIA CAVAGNA, « Enfer et purgatoire dans le Pèlerinage de l’âme de Guillaume de
Digulleville, entre tradition et innovation » dans Guillaume de Digulleville, Les pèlerinages allégoriques. Actes
du colloque de Cérizy (5-8 oct. 2006), éd. F. DUVAL et F. POMEL, 2008, p. 111-130 ; FREDERIC DUVAL, Descente
aux enfers avec Guillaume de Digulleville, 2006
26
une annexe de l’enfer ; il ne s’agit plus d’ailleurs d’un « enfer provisoire » où les pécheurs
sont torturés dans les pleurs et les hurlements. Le Purgatoire de Dante résonne au contraire de
mélodies, les âmes des pécheurs repentis y purgent leur peine presque avec joie, comme un
juste châtiment pour leurs péchés, dans l’espérance de la délivrance prochaine.
Cette évolution majeure de la conception médiévale de l’au-delà a été intégrée au 17e
siècle dans la version espagnole du Purgatoire de saint Patrick, remaniée par Perez de
Montalvan et traduite en français par François Bouillon. Attardons-nous quelques instants sur
ce texte qui pourrait bien avoir exercé une influence significative sur les visions de Corentine
Merlen. Dans son étude sur Louis Eunius ou le Purgatoire de saint Patrice, Georges Dottin
indiquait en 1910 que le récit du séjour de Louis dans le purgatoire ne s’écartait pas
sensiblement de sa source médiévale, en notant au passage les variantes relevées.32 Quoiqu’il
en dise, les éléments retranchés ou rajoutés par Montalvan modifient pourtant
considérablement la géographie de l’au-delà.
Dans la version primitive, l’enfer inférieur des anciens visionnaires (Tnugdal par
exemple) était devenu le purgatoire de saint Patrick, lieu où l’on expiait ses fautes dans la
détresse et la douleur des supplices avant de pouvoir rejoindre le paradis terrestre, distinct du
paradis céleste, auquel le chevalier Owen n’avait pas pu avoir accès. Ce dernier n’avait pas
visité l’enfer proprement dit mais seulement vu le puits de feu qui y conduisait et le fleuve de
feu dans lequel tombaient ceux qui échouaient à l’épreuve finale de la traversée du pont.
Dans la version remaniée, Montalvan n’évoque plus le paradis céleste, ramenant ainsi
à trois le nombre de lieux de l’au-delà. Il insère surtout une très longue section entre la
présentation du « purgatoire » de la version primitive et l’épisode de la traversée du pont,33
section qui raconte le séjour de Ludovico Enio (alias Louis Eunius) tout d’abord près d’une
grande maison en ruines, où il peut trouver un peu de repos, puis dans un champ embrasé et
enfumé où une multitude de personnes endure des souffrances terribles : « les uns étaient
embrochés par le milieu et les autres plongés dans ces flammes ensoufrées, encore que les
démons se promenassent au milieu d’eux avec de pesantes massues et de grosses haches dont
ils les frappaient sans pitié. » Toutefois – et c’est ici la principale nouveauté – Louis remarque
« une certaine allégresse en leur visage, qui témoignait leur contentement dans ces douleurs,
et une telle clarté et modestie en leurs yeux qu’ils semblaient quasi donner à entendre d’un
langage muet qu’ils ne ressentaient pas ce qu’ils souffraient. » Il en déduit donc d’après leur
comportement que « ce lieu devait être le Purgatoire, où ces âmes étaient détenues pour se
purger des fautes qu’elles avaient commises et auxquelles elles n’avaient encore pleinement
satisfait. »34 Dans ce lieu, Louis rencontre un Dominicain de ses connaissances ainsi qu’une
de ses cousines récemment décédée et il en profite pour exhorter ses lecteurs à accomplir les
pénitences prescrites et mettre à profit indulgences et jubilés.
On notera au passage que Perez de Montalvan apporte une note irlandaise à sa version
en identifiant l’un des prélats de la version primitive à saint Patrick et qu’il a une tendance à
« refroidir » les épreuves : les bains de métaux en fusion deviennent chez lui un « lac profond
32
GEORGES DOTTIN, « Louis Eunius... », AB 1910, n° 26/4, p. 801
FRANÇOIS BOUILLON, Vie et purgatoire de saint Patrick, 2005, p. 189-196
34
Nous retrouvons cette conception du purgatoire dans les paroles qu’auraient prononcées dans une vision le
défunt Mr de Kerom, frère de Mgr du Louet, évêque de Quimper : « Oh que ma peine est grande ! Elle est aussi
grande que celle des damnés ; il n’y a que cette différence, c’est que nous aimons Dieu, nous nous conformons à
sa sainte volonté et nous espérons d’être un jour délivrés. » (extrait de la Vie de Catherine Danielou du Père
Maunoir, remaniée par l’abbé Peyron pour son article « Catherine Daniélou, Une voyante à Quimper », Bulletin
de la Commission Diocésaine d’Architecture et d’Archéologie, 1910, p. 116)
33
27
de glace et de neige où étaient plongés jusqu’au col un très grand nombre d’hommes et de
femmes, craquetant les dents de froideur » ; en outre, le pont suspendu au-dessus du fleuve de
feu est devenu à présent un « pont de glace ».
Au final, nous voyons que le texte initial du Purgatoire de saint Patrick a été remanié
pour qu’il corresponde aux conceptions et préoccupations du 17e siècle.
Peintures murales dans l’église de Kernascléden (Morbihan) datant probablement des années 1440-1460.
L’ensemble est généralement titré « l’Enfer » mais d’après la physionomie des personnages, il s’agirait plutôt
d’une représentation du purgatoire.
La tendance à la relativisation des peines du purgatoire est également sensible chez les
mystiques des 16e et 17e siècles lorsqu’ils évoquent leurs expériences de l’au-delà.
28
Ainsi, Catherine de Gênes (1447-1510) percevait le purgatoire comme un lieu de
souffrance pour les âmes : « la peine qu’elles subissent est si extrême qu’il n’est aucune
langue qui puisse l’exprimer. » Mais, rajoute-t-elle, « les âmes du purgatoire ont tout
ensemble une joie extrême et une extrême souffrance sans que l’une soit un obstacle pour
l’autre. »35
Thérèse d’Avila (1515-1582) a reçu quant à elle plusieurs visions de l’enfer mais son
expérience est bien différente de celle des prédécesseurs médiévaux : « Tout ce que l’on peut
entendre dire de l’enfer, ce que j’en avais lu ou appris dans mes propres méditations, quoique
j’ai rarement approfondi ce sujet, la voie de la crainte ne convenant pas à mon âme, tout ce
que les livres nous disent des déchirements et des supplices divers que les démons font subir
aux damnés, tout cela n’est rien auprès de la réalité. » Pour Thérèse en effet, « c’est une
étreinte, une angoisse, un brisement de cœur si sensible, c’est en même temps une si
désespérée et si amère tristesse, que j’essayerais en vain de le dépeindre. »36
Eglise de la Martyre (Finistère). Tableau représentant la délivrance d’une âme du purgatoire.
On remarquera que l’homme en prière ressemble étonnament au Père Maunoir.
(cliché P.-Y. Quémener)
Ce parcours rapide dans l’au-delà des visionnaires va nous permettre à présent de
juger du caractère relativement anachronique de la vision de Corentine Merlen.
35
CATHERINE DE GEMES, Traité du Purgatoire, chap. 3 et 14
THERESE D’AVILA, Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, Traduction de Marcel Bouix, édition 1867,
chap. 32, p. 367-368
36
29
L’au-delà de Corentine Merlen
Corentine Merlen vivait au 17e siècle. Le récit de sa vision est le reflet de sa
conception de l’au-delà mais elle a utilisé dans sa relation, consciemment ou non, des images
et des schémas narratifs empruntés à la littérature visionnaire médiévale. Les conditions dans
lesquelles se produisent ces visions sont d’ailleurs souvent les mêmes : après une maladie plus
ou moins longue, le voyant, généralement un moine ou un homme particulièrement pieux,
tombe dans un état de mort apparente, qui peut durer toute une nuit, voire plusieurs jours.37 Il
s’agit à proprement parler d’une extase, au sens que lui donnait le cardinal Bona en 1675 :
« transport de l’âme par lequel l’exercice des sens extérieurs est tellement arrêté, que non
seulement ils n’agissent point, mais qu’ils ne peuvent même agir ni être excités par les objets
qui leur sont propres. » Il complétait son propos par ces explications de Thérèse d’Avila :
« L’âme, dans le ravissement, semble n’avoir plus son corps et ne l’animer plus. La chaleur
manque, la respiration cesse, en sorte qu’on ne saurait plus apercevoir le moindre souffle ni le
moindre mouvement. Tous les membres deviennent raides et froids, le visage pâlit, et on ne
voit plus que les apparences d’un corps mourant déjà mort. »38
Quoique dans sa vision, Corentine agit « corporellement » (elle est portée, elle voit,
entend et discute), il y a une apparence de dédoublement de la personnalité puisque à son
retour, elle revoit avec horreur la « carcasse » de son corps resté dans son lit. A l’instar de
tous les voyageurs de l’au-delà, Corentine a suivi un itinéraire de visite qui l’a mené des lieux
infernaux au séjour paradisiaque. Un ange interprète la guide et la transporte de place en place
pour lui montrer et commenter si besoin l’objet de ses visions. Cet étrange accompagnateur
était déjà le personnage incontournable des visions vétérotestamentaires et des apocalypses du
christianisme primitif. On le trouve presque toujours dans la littérature visionnaire médiévale.
La représentation du feu dans les lieux infernaux est également un élément
caractéristique de cette littérature et il est très souvent associé à l’élément liquide : on parle de
puits de feu, de rivière de feu, de lac ou étang de feu, de métaux en fusion, etc... Toutes ces
images renvoient en fait à l’idée primitive d’un enfer souterrain dont les éruptions
volcaniques, les coulées de laves et la terreur qu’elles inspirent seraient une émanation.
Lorsque Corentine nous décrit dans sa vision une cité céleste ceinte de « murailles
toutes d’or et de portes faites de pierres précieuses », elle reprend encore un motif récurrent
des voyages dans l’au-delà qui se réfère à la Jérusalem céleste de la tradition biblique39,
modèle évident de notre voyante. Nous avons en effet dans la Jérusalem céleste de
l’Apocalypse de Jean les références au trône de Dieu, à la magnificence de la ville, à la rivière
qui y coule et même aux feuilles d’arbres : « L’ange me montra le fleuve de Vie, limpide
comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau. Au milieu de la place, de
part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de Vie qui fructifient douze fois, une fois chaque
mois, et leurs feuilles peuvent guérir les païens. » (Apoc. 22,1-2).
37
CLAUDE CAROZZI, Le voyage de l’âme.., p. 568, 204
GIOVANNI BONA, Traité du discernement des Esprits, 1675, chap. 14, « De l’extase et du ravissement »,
édition 1701, p. 302
39
Cf. Apocalypse 21,18-21 : « Ce rempart est construit en jaspe, et la ville est de l’or pur, comme du cristal bien
pur. Les assises de son rempart sont rehaussées de pierreries de toutes sortes (…) Et les douze portes sont douze
perles, chaque porte formée d’une seule perle, et la place de la ville est de l’or pur, transparent comme du
cristal. »
38
30
Au final, nous constatons que le récit de Corentine Merlen s’intègre parfaitement dans
le cadre narratif conventionnel des visions de l’au-delà (visite guidée et commentée par un
ange). La voyante a emprunté à ce genre littéraire un certain nombre de clichés bien connus à
l’époque mais sa vision n’en est pas pour autant une copie conforme des visions médiévales.
Elle est au contraire très personnelle et tout à fait imprégnée des problématiques bretonnes du
17e siècle. Examinons dans un premier temps le séjour des morts de Corentine tel qu’elle nous
l’a décrit.
A la Roche-Maurice, la Mort qui veille sur le bénitier de l’ossuaire
rappelle sans détours aux fidèles le sort commun : « Je vous tue tous ».
(cliché P.-Y. Quémener)
Après sa mort, elle fut menée dans un lieu souterrain où elle vit les tourments
épouvantables
L’enfer de Corentine se trouve sous la terre. C’est donc un lieu de ténèbres mais
illuminé par les feux qui l’éclairent de part et d’autre. Son ange lui fait visiter trois espaces
dont la taille est chaque fois plus étendue, visiblement parce qu’il faut y loger un nombre de
plus en plus grand d’individus.
Le premier lieu est un « grand puits d’où les démons tiraient un homme tout rouge de
feu ». Selon son guide, il s’agit d’un grand seigneur qui avait fait des meurtres et des crimes
épouvantables.
31
Le second lieu rassemble plusieurs « grandes fournaises ». Y sont condamnés des
religieux de toute nature, regroupés selon leur catégorie : une première fournaise contient les
« religieux », sans doute des religieux relevant d’un ordre monastique masculin ; une autre
fournaise contient des « religieuses de divers ordres » ; une troisième réunit « des
ecclésiastiques de tous les degrés de l’Eglise », c’est-à-dire les membres du clergé séculier. Il
s’agit donc d’un classement social, qui ne regroupe pas les damnés selon la gravité de leurs
fautes mais selon leur statut antérieur. La peine semble être la même pour tous mais Corentine
ne nous en donne aucune description. Elle ne mentionne d’ailleurs aucune expression de
souffrance, ni cris, ni pleurs ou lamentations. L’essentiel ici est de marquer la condamnation
de chacun consécutive aux mauvais comportements de la vie terrestre.
Le troisième lieu de l’enfer est un « lac de feu et de souffre » divisé en de multiples
« départements » correspondant chacun à une classe sociale particulière : les dames,
demoiselles et gentilshommes, les mondaines, les gens de justice, les marchands, les artisans.
Un département spécial est réservé aux « hommes et femmes qui avaient vécu en leur ménage
sans la crainte de Dieu » : ils se trouvent à présent enchaînés avec leurs enfants. Corentine
évoque plus longuement les « dames qui avaient adoré le diable au sabbat ». Nous
reviendrons plus loin sur ces fameuses réunions sabbatiques mais l’épisode nous permet déjà
de mieux « visualiser » la vision de Corentine. Les âmes des défunts ont conservé leur
apparence humaine, Corentine peut les interroger. Les démons ont eux-mêmes une forme
corporelle. Le diable intervient à un moment dans une discussion et finit par enfoncer une
fourche de fer dans les flancs de sa victime. Les démons se jettent ensuite sur elle pour
augmenter ses tourments... Corentine ne nous fournit toutefois aucune description précise des
supplices, tels qu’on peut le lire dans les visions médiévales tardives. Les tourments sont
parfois provoqués par les condamnés eux-mêmes : « Ils se mangeaient les uns les autres
comme des chiens enragés et se maudissaient avec des cris effroyables ! » Il ne semble pas y
avoir de peines individualisées. Chaque nouvelle intervention est surtout l’occasion de lister
dans le détail la cause de la perdition des condamnés.
Guimiliau (Finistère). Détail du calvaire.
(cliché P.-Y. Quémener)
32
En définitive, nous voyons que Corentine a reconstitué en enfer son univers social
quotidien. Celui-ci est composé de trois groupes sociaux bien distincts, partageant des intérêts
communs mais ne correspondant pas exactement à la division tripartite classique de la société
d’Ancien Régime. La voyante n’a en effet maintenu dans le corps de la noblesse qu’un seul
« grand seigneur » tandis que la petite noblesse (les dames, demoiselles et gentilshommes) fait
désormais cause commune avec la masse des roturiers, témoignage manifeste de la proximité
naturelle entre cette noblesse rurale et la population bretonne.
En enfer, l’âme du pèlerin devant le supplice des luxurieux.
Miniature du Pèlerinage de l’âme de Guillaume de Digulleville.
Soissons, BM, Ms 0208, 15e siècle
Le bon ange la porta sur le bord du purgatoire
Comme nous l’avons déjà signalé, le purgatoire de Corentine Merlen est
particulièrement flou et nous avons du mal à en donner une représentation précise en raison
du manque d’informations. Ce purgatoire est en tout cas un lieu bien distinct de l’enfer
souterrain dont il ne constitue pas à l’évidence une annexe. Il n’y a pas de communication
possible entre ces deux lieux et la voyante doit être « tirée » du lieu ténébreux pour être portée
sur le bord du purgatoire. La référence la plus pertinente semble ici être le Mont du Purgatoire
de Dante que les pécheurs repentis devaient gravir pour atteindre le paradis des bienheureux.
Mais dans quelle situation se trouvent les âmes du purgatoire chez Corentine :
subissent-elles d’affreux supplices comme dans la version ancienne du Purgatoire de saint
Patrick ou les épreuves se sont-elles adoucies à l’exemple du modèle dantesque ? Ici, les
33
âmes semblent surtout en attente de leur délivrance. C’est la notion de temps qui prévaut. Le
narrateur nous précise en outre que les souffrances endurées par Corentine sur la terre
viennent se substituer à celles des défunts, tout comme ses prières participent aussi à leur
soulagement. On peut donc penser que les âmes de son purgatoire souffrent mais nous en
ignorons les modalités et l’intensité. Ce que l’on veut signifier, c’est bien le rôle fondamental
que peuvent – et doivent – jouer les vivants en faveur des trépassés.
La rencontre avec « le Père Cordelier qui avait demeuré chez elle avant d’être
religieux » donne un tour très personnel au récit de Corentine. L’évocation de ce Capucin
rappelle un épisode assez similaire de la version moderne du Purgatoire de saint Patrick
quand Louis Eunius y rencontre un « religieux de saint Dominique ».40 Dans les deux cas, la
remarque résonne comme un rappel de l’exigence de perfection indispensable pour mériter
l’accès immédiat au paradis : quelle que fut l’exemplarité de la conduite de ces deux
religieux, ils n’ont pourtant pas évité le passage au purgatoire. Celui-ci est donc perçu comme
un temps de purification, et il s’agit véritablement d’un temps plutôt que d’un lieu. Les
indications spatiales sont en effet particulièrement discrètes et tout au plus, nous pourrions
dire que ce purgatoire était perçu par Corentine comme un cachot dans lequel on doit croupir
en attendant d’avoir purgé sa peine. Nous rejoignons ici en partie les constats d’Alain Croix
qui soulignait l’échec flagrant du concept de purgatoire en Bretagne en raison notamment du
flou qui caractérisait sa localisation : « Le Purgatoire ainsi défini est un Purgatoire pour
intellectuels, pour élites. Où donc loge-t-il, ce Purgatoire ? Que s’y passe-t-il ? Au 18e siècle
encore, les prédicateurs sont incapables de le distinguer de l’enfer autrement que par la
durée. »41 Pour sa part, Corentine Merlen nous a présenté un purgatoire nettement distinct de
l’Enfer mais nous voyons aussi qu’elle est bien en peine de nous le décrire.
Son bon ange l’éleva dans un lieu plein de délices
Le paradis de Corentine va être bien autrement visuel. Nous pouvons même dire
qu’elle en prend plein la vue. Ses commentaires ne tarissent pas sur la beauté du lieu :
murailles d’or, portes en pierres précieuses, palais lumineux, harmonie d’oiseaux surpassant
ce que l’on en peut concevoir, abîmes de gloire et de beauté que son cœur ne peut expliquer…
L’Eden de Corentine est un palais resplendissant au milieu duquel coule une rivière roulant un
sable doré. La clarté et la transparence qui règnent en ce lieu élevé en font l’exact contrepoint
de l’enfer, lieu souterrain, ténébreux et bruyant, où tous les sens sont violentés.
Notre voyante y retrouve le Père Le Nobletz, mort en 1652, et dont la sainteté lui a
manifestement valu un accès rapide au paradis. Il intervient auprès de la Vierge pour
demander un retour de Corentine dans son corps afin, dit-il, qu’elle puisse poursuivre sa
mission : souffrir pour le salut des pêcheurs et des âmes du purgatoire. Nous pouvons tracer
ici un nouveau parallèle avec l’épilogue de la version remaniée du Purgatoire de saint Patrick
où ce dernier intervenait justement pour exhorter Louis Eunius à mener une vie plus austère.
Au final, le monde des morts de Corentine Merlen apparaît fortement lié au monde des
vivants. Les défunts poursuivent leur existence dans l’au-delà, ils ont conservé leur sensibilité
aux souffrances, leurs sentiments, une conscience de soi qui leur permet d’apprécier la
condition dans laquelle ils se trouvent et les efforts consentis par les vivants pour leur venir en
aide. Par leurs prières et leurs souffrances, les vivants peuvent en effet soulager les tourments
40
41
FRANÇOIS BOUILLON, Vie et Purgatoire de saint Patrick, 1642, édition 2005, p. 194
ALAIN CROIX, Cultures et religion en Bretagne aux 16e et 17e siècles, 1995, p. 106
34
de ceux qui n’ont pas entièrement purgé leur peine. Dans l’enfer, les structures sociales d’icibas sont perpétuées et chacun reçoit après sa mort un lieu d’affectation selon son statut. Il y a
un premier jugement immédiat et tous les défunts subissent – sauf exceptions – une peine
pour l’éternité ou pour une durée limitée, sans qu’il y ait lieu d’attendre un Jugement dernier
dont on ne perçoit plus très bien l’utilité.
Excursus : l’enfer froid des Celtes
Pour autant que nous pouvons le voir, l’enfer de Corentine n’a rien de froid. Que dire
alors de cette idée courante selon laquelle, dans la tradition celtique, l’enfer est un lieu glacial
qui aurait été évincé par l’enfer brûlant du christianisme ?
Nous ne disposons pas de sources anciennes qui nous permettraient d’exposer avec
certitude les conceptions celtes antérieures au christianisme. Les textes les plus anciens que
nous avons nous amènent à la poésie galloise des 12e-13e siècles : l’enfer y est fréquemment
présenté par des termes qui évoquent un lieu humide et froid.42 Notons tout de suite que ces
textes ont déjà subi l’influence du christianisme puisque cet enfer est un lieu néfaste réservé
aux damnés, en opposition au paradis des justes.
Dans les mythologies de l’Antiquité antérieures au 5e siècle avant notre ère, il n’existe
généralement qu’un seul lieu dans le séjour des morts. Il s’agit toujours d’un lieu souterrain,
où les défunts vivent une existence fantomatique, sans considération des actes bons ou
mauvais qu’ils auraient pu commettre pendant leur vie terrestre. Chez les Mésopotamiens, les
enfers sont un lieu de ténèbres et de poussière, et cette caractéristique fondamentale se
retrouve à l’identique dans le shéol hébreu. L’Hadès grec est quant à lui lugubre, brumeux et
ténébreux ; dans le monde germanique et scandinave, le hel est de même un endroit
souterrain, froid et brumeux. Il est donc tout à fait vraisemblable que pour les anciens
Bretons, le monde des morts, sans connotation de jugement personnel, ait été également un
lieu souterrain, humide et froid : le Yeun Elez (« marais de l’ange ») des Monts d’Arrée en est
une illustration parfaite. Il n’y aurait donc là rien de très original, et en tout cas rien de
spécifiquement celtique.
La tourbière du Venec dans le Yeun Elez. (cliché E. Holder)
42
J. VENDRYES, « L’enfer glacé », Revue celtique, 1929, tome 46, p. 134-142
35
Les récits de voyages dans l’au-delà que nous avons présentés dans les pages
précédentes peuvent nous renseigner utilement sur la température ordinaire des enfers
médiévaux. Nous avions évoqué rapidement les visions de Sunniulf (Auvergne), de Fursy
(Irlande), de Drythelm (Angleterre), du moine de Wenlock (Angleterre), de Tnugdal (Irlande)
ainsi que le séjour du chevalier Owen dans le Purgatoire de saint Patrick. Les lieux se sont
multipliés dans ces différentes visions mais, dans la plupart des cas, l’itinéraire fait passer le
voyageur d’un lieu obscur et souterrain (où les damnés subissent des supplices de toutes
sortes) à un lieu lumineux où seuls les saints peuvent avoir accès. L’enfer est devenu pour les
visionnaires un lieu de jugement et de condamnation. Dans tous ces récits, le feu est
omniprésent, que ce soit le feu purificateur ou le feu du châtiment. Certaines versions
proposent également des supplices par le froid : Drythelm voit une grande vallée où les âmes
subissent alternativement des tourments dans les flammes puis sous la neige et la grêle ; les
damnés de Tnugdal sont plongés dans des fournaises ou dans un lac glacé ; un sentier froid et
puant mène à la fosse enflammée de l’enfer inférieur ; dans le purgatoire de saint Patrick, les
âmes subissent pareillement des tortures dans le feu mais elles sont aussi précipitées dans un
fleuve fétide et froid du haut d’une montagne balayée par un vent glacial.
Aucun de ces récits n’envisage l’enfer comme un lieu froid ; le froid y est présent
comme instrument de supplice mais cela n’a plus rien à voir avec la simple indication de
température ambiante que l’on relevait dans les conceptions antiques du séjour des morts. La
souffrance par le froid n’est pas non plus une spécificité des visions d’Europe du Nord. Chez
Dante, le dernier cercle de l’enfer est précisément un lieu froid, là où Lucifer produit tout
autour de lui un vent glacial en mouvant les ailes. Et nous avons vu plus haut que l’Espagnol
Montalvan, en composant sa propre version du Purgatoire de saint Patrick, n’avait pas hésité
à rafraîchir de façon significative les épreuves de la version anglo-saxonne.43 En définitive, il
apparaît que, dans les récits de voyages dans l’au-delà, l’enfer froid est bien plus
méditerranéen que celte.
Le pèlerin devant la mer de Tentation. Miniature du Pèlerinage de l’âme de Guillaume de Digulleville
Aix-en-Provence, BM, Ms 0110, 14e siècle
43
Cf. supra p. 27-28
36
Les conceptions étaient sensiblement les mêmes en Bretagne à l’époque moderne. Le
Mirouer de la Mort, poème breton du 16e siècle publié pour la première fois en 1575,
consacre une bonne partie de ses 3600 vers à la description de l’enfer.44 Celui-ci est présenté
comme une salle de torture (v. 1956), une citerne pleine de feu (v. 1972) mais où les supplices
sont variés :
Le froid après le feu les torture aussi bien,
Le plus qu’il est possible de penser sérieusement ;
Excessifs, le feu et l’eau cruellement les tourmentent,
Eau de neige et eau de grêle les frappent tout à fait violemment.
(…)
Là il y aura sans fin un froid impitoyable,
Et un feu inextinguible qui les châtiera bien terriblement.45
L’enfer breton du 16e siècle est clairement un assortiment de froid et de chaud, de telle
sorte que l’idéal paradisiaque trouve naturellement sa place au milieu :
Désormais, là il n’y aura pas
Froidure ni chaleur extrême,
Faim ni soif, peine non plus.46
L’alternance de chaud et de froid est encore reprise dans le célèbre cantique de l’enfer
attribué parfois au Père Maunoir :
Après qu’ils auront été laissés quelque temps dans les flammes,
Ils seront plongés, par Satan, dans un lac de glace ;
Et du lac de glace replongés dans les flammes,
Et des flammes dans l’eau, comme la barre de fer en forge.47
Dans l’édition du Mirouer de la Mort de 1575, nous avons en outre trois formules à
peu près similaires, placées sur la couverture de l’ouvrage et à la toute dernière page, qui se
réfèrent apparemment à un « enfer froid ».48 Nous avons indiqué la traduction de l’une d’entre
elles en exergue de cette étude. En voici une autre, qui a été reproduite presque littéralement
sur l’ossuaire de l’église de La Martyre en 1619 :
44
Voir l’édition et traduction d’EMILE ERNAULT, Le Mirouer de la Mort, 1914, et en particulier le chapitre III, p.
174-237. Il convient de signaler ici que le Mirouer de la Mort ignore complètement la notion de purgatoire.
Après la mort, il n’y a que deux issues possibles : l’enfer ou le paradis.
45
Le Mirouer de la Mort, vers 2107-2110 (p. 187), et vers 2387-2388 (p. 213). Voir aussi p. 185, 189, 213
46
Le Mirouer de la Mort, vers 2982-2983 (p. 255). Homère ne disait d’ailleurs pas autre chose à propos des
Champs Elysées : « C’est là que la plus douce vie est offerte aux humains : jamais neige ni grands froids, ni
averses non plus. » (Odyssée, IV, v. 565-566)
47
HERSART DE LA VILLEMARQUE, « L’enfer » (An ifern), Barzaz-Breiz, 1867, édition 1963, p. 512. L’attribution
de ce chant à Julien Maunoir n’est pas certaine. Il a cependant noté dans son Journal des missions qu’il avait fait
chanter à Plouhinec en 1644 un « cantique de ma composition sur les tourments de l’Enfer ». Cf. ERIC LEBEC,
Miracles et sabbats, 1997, p. 68. D’après le Père Boschet, ce cantique était « un dialogue instructif et pathétique,
où les hommes qui sont encore sur la terre interrogent ceux qui souffrent dans les enfers, et leur demandent
quelles sont leurs peines et quelle en est la cause. » Cf. ANTOINE BOSCHET, Le parfait missionnaire ou vie du
R.P. Julien Maunoir, 1697, édition 1834 p. 156.
48
EMILE ERNAULT, Le Mirouer de la Mort, 1914, p. 4-16
37
An Maru, han Barn, han Yffern yen,
Pan ho soing den ez dle crenaff;
Foll en na preder è Speret,
Guelet ez eu ret decedaff.
C’est-à-dire :
La mort et le jugement, et l’enfer froid,
Quand l’homme les médite, il doit trembler ;
Il est fou, celui dont l’esprit ne réfléchit pas,
Vu qu’il faut mourir.
Inscription en breton sur le fronton de l’ossuaire de La Martyre (Finistère)
(cliché P.-Y. Quémener)
Le mot yen a toutefois plusieurs significations en breton, et, si le sens premier est bien
« froid », le terme peut tout aussi bien se traduire par « perfide » ou « cruel ».49 Comme l’a
bien montré Alain Croix, associé à iffern, yen peut difficilement se traduire par « froid ». Il
cite notamment cet extrait de la Buhez Mab den (composée vers 1530) : … e-n iffern yen,
Euzyc lisquydyc byzhuyquen, que l’on devrait traduire littéralement comme ceci : « dans
l’enfer froid, horrible, bouillant à jamais. »50
Roparz Hemon apporte un exemple supplémentaire avec cette expression relevée dans
un chant de Noël du pays vannetais (17e siècle) : bervet en ifern iain (litt « bouilli dans l’enfer
froid »). L’auteur note à juste titre que yen a ici le sens de « triste, « cruel ».51
49
EMILE ERNAULT, Dictionnaire étymologique du breton moyen, 1887, p. 315
ALAIN CROIX, Cultures et religion.., p. 117
51
ROPARZ HEMON, Geriadur istorel ar brezhoneg, p. 3212. Je remercie Gérard du forum Academia-celtica pour
cette communication.
50
38
L’affaire est donc entendue : pour les Bretons de l’époque moderne, l’enfer n’est pas
froid, mais plutôt triste, perfide et cruel. Mais, nous dira-t-on, n’y a-t-il pas contradiction avec
l’affirmation maintes fois répétée dans les légendes – celles recueillies par Anatole Le Braz en
particulier – selon lesquelles les morts ont toujours froid ?52 En effet, quoique certains récits
parlent de la tourbe que les âmes doivent ramasser et des ajoncs qu’ils doivent couper pour
chauffer le feu du purgatoire, le sentiment général qui se dégage de ces histoires est la hantise
d’une souffrance par le froid, comme par exemple être plongé nu et de nuit dans un étang
glacé (« Les deux amis »). En fait, si dans le discours on parle du feu de l’Anaon (le peuple
des âmes en peine) destiné à la purification des âmes et à leur délivrance des flammes du
purgatoire, dès qu’il s’agit d’évoquer concrètement les souffrances des trépassés, il est
question de morts qui cherchent constamment à se réchauffer près de la chaleur d’un foyer, ou
de nuits passées dans le froid. Il semble bien que nous ayons affaire ici à un paradoxe entre le
discours théologique et les perceptions populaires. Deux exemples vont nous aider à préciser
ces dernières.
Le premier est tiré des Légendes de la Mort d’Anatole Le Braz et nous conte l’histoire
pathétique de Jelvestr et Maharit de Plougasnou, condamnés après leur mort à purger leur
peine dans deux grands hêtres du chemin. L’un et l’autre subissent le froid de la nuit et
Jelvestr rappelle à son épouse la raison de leur condamnation :
Combien de fois ne t’ai-je pas demandé d’être plus charitable aux pauvres ! Sous
prétexte que tu possédais peu, tu ne voulais rien donner. Et maintenant tu es punie.
Parce que tu as eu le cœur froid, tu accomplis une pénitence glacée.
Grâce à leur fils, ils pourront heureusement se réconforter quelques instants auprès
d’un feu préparé à leur intention dans leur ancienne maison.
Notre seconde illustration est empruntée à la célèbre gwerz de Skolan.53 Après avoir
achevé sa pénitence, Skolan s’en revient de l’autre monde pour demander à sa mère le pardon
qui lui ouvrira les portes du paradis :
Je viens des flammes du Purgatoire
Et je m’en vais en Enfer
Je vais brûler en Enfer
Si vous ne voulez pas me pardonner.
Si dans cette version trégorroise (Plouguiel), Skolan a effectué sa pénitence dans les
flammes du purgatoire, c’est bien sur terre que le pénitent doit purger sa peine dans les
versions cornouaillaises :
Je viens du Purgatoire
Et je vais en Enfer
Oui, voici sept ans que je suis sur les routes
A réparer mes mauvais passages.54
52
ANATOLE LE BRAZ, La légende de la Mort en Basse Bretagne, 1893. Voir en particulier les chapitres XIII
(« L’Anaon ») et XIV (« La fête des âmes »).
53
Il en existe de nombreuses versions. Voir à ce sujet DONATIEN LAURENT, « La gwerz de Skolan et la légende
de Merlin », Ethnologie française, tome 1, n° 3/4, 1971, p. 19-54. Les passages cités proviennent des versions de
Plouguiel (Trégor), Plounévez-Quintin et Trébrivan (Haute Cornouaille).
54
Version de Plounevez-Quintin
39
Et l’idée est bien développée dans cette autre version :
J’ai passé de longues nuitées
Dans les champs entre les pattes de vos chevaux,
Sous la pluie et la neige qui tombaient
Et sous la glace quand il gelait.55
Nous avions remarqué plus haut l’incapacité de Corentine Merlen à décrire son
purgatoire et il est vraisemblable que l’adoption tardive de ce concept en Bretagne tient
beaucoup à l’imprécision de sa localisation : le paradis est au ciel et l’enfer dans les
profondeurs mais le purgatoire, où se trouve-t-il ? Le besoin de pouvoir le raccrocher à un lieu
bien déterminé explique sans doute la constitution en Bretagne d’un purgatoire particulier,
situé la-même où l’on a péché, à côté du purgatoire commun, espace collectif bien plus
orthodoxe. L’idée n’est pas nouvelle, loin de là. A la fin du 6e siècle, alors que le concept du
purgatoire était encore en germe, Grégoire le Grand pensait encore que l’expiation nécessaire
pouvait être effectuée sur les lieux mêmes où l’on avait commis ses fautes.56 Le chanoine
parisien Hugues de Saint-Victor avait repris la même idée au 12e siècle57 et elle resurgit
encore au 14e siècle en Provence avec l’histoire de Jean Gobi, auteur d’un célèbre Dialogue
avec un fantôme : ce Dominicain d’Alès y rapportait ses entretiens avec un homme condamné
à revenir toutes les nuits pendant deux ans dans la chambre où il avait péché.58 Alors que ce
concept d’un purgatoire sur terre fut rapidement écarté par les théologiens, nous voyons qu’il
a réussi au contraire à conserver toute sa vitalité en Bretagne dans les croyances populaires.
Un nouveau constat s’impose maintenant à la lecture de nos anciennes légendes
bretonnes : lorsque l’on parle de la sensation de froideur qu’éprouvent les trépassés, il s’agit
presque toujours de morts qui subissent leur pénitence sur les lieux où ils ont vécu. Faut-il y
voir une réminiscence de l’insaisissable enfer froid des Celtes59 ou plus simplement une
évocation de la rigueur de l’hiver breton ? Il nous semble en effet que ces légendes doivent
être replacées dans le contexte où elles étaient le plus souvent racontées et écoutées, à savoir
les veillées des longues nuits d’hiver, devant un bon feu de cheminée. A cette saison, les
flammes de l’enfer ou du purgatoire n’étaient certainement pas les images les plus appropriées
pour évoquer les souffrances des pécheurs. Le feu y est plutôt synonyme de réconfort ; les
légendes parlent d’ailleurs de la chaleur du foyer ou de la fête du feu de joie tandis que le
froid est véritablement une souffrance. C’est donc probablement le contexte de l’énonciation
des légendes qui a favorisé la croyance selon laquelle les morts ont toujours froid.
Cet excursus sur les températures de l’au-delà est finalement une illustration
intéressante de la manière dont la culture populaire s’approprie une doctrine religieuse aux
contours incertains. Il nous confirme également qu’à l’époque de Corentine Merlen, le
concept du purgatoire était encore en Bretagne une idée relativement neuve et qu’elle est
manifestement le produit de la prédication des missionnaires jésuites et de la réforme
catholique. Après avoir longuement évoqué la géographie de l’au-delà, il est temps à présent
de revenir à la vision de Corentine et d’examiner quel était le jugement moral qu’elle portait
sur ses contemporains, autrement dit, quel était son regard sur la société de son époque ?
55
Version de Trébrivan
JACQUES LE GOFF, La naissance du purgatoire, 1981, p. 128-129
57
JACQUES LE GOFF, op. cit., p. 195-196
58
JEAN GOBI, Dialogue avec un fantôme, Dossier établi, traduit et annoté par Marie Anne Polo de Beaulieu,
1994. Voir aussi de cette auteure, « Le lundi des Trépassés. Création, diffusion et réception d’un rituel »,
Annales, Histoire, Sciences sociales, n° 6, 1998, p. 1191-1217.
59
Voir par exemple DONATIEN LAURENT, « La gwerz de Skolan », op. cit., p 26
56
40
TROISIEME PARTIE
LE MONDE DE CORENTINE MERLEN
Le monde de Corentine Merlen était celui de la Basse Bretagne de la seconde moitié
du 17 siècle. Notre héroïne n’était pas religieuse – elle était veuve – mais elle fréquentait
assidûment les milieux religieux : au cours de son voyage dans l’au-delà, elle a l’occasion de
revoir Michel Le Nobletz, et son ancien confesseur le Père Bernard, collaborateur des
missions du Père Maunoir jusqu’en 1654. Nous nous attacherons ici à restituer à grands traits
le tableau de la société telle que la voyait Corentine Merlen puis nous tenterons de percer le
mystère de son identité.
e
Le regard de Corentine Merlen sur la société de son époque
Ce regard nous est accessible grâce aux descriptions détaillées de sa vision de l’audelà mais il importe de signaler qu’il ne s’agit évidemment que d’un regard partiel. Corentine
ne nous dit quasiment rien du profil des résidents du purgatoire ou du paradis tandis qu’elle
est particulièrement prolixe lorsqu’il s’agit de présenter les damnés de l’enfer. Elle nous offre
donc une vision très négative de la société avec un répertoire très fourni des travers
susceptibles d’entraîner la condamnation éternelle.
Cette société est divisée en trois groupes, de tailles très inégales, mais représentatifs de
milieux distincts, comme s’il s’agissait de trois mondes différents.
La haute noblesse est personnifiée par le « grand seigneur qui avait fait des meurtres et
des crimes épouvantables ». Son châtiment n’en sera que plus sévère.
Le clergé est présenté en trois sous-catégories : les Réguliers hommes, les Réguliers
femmes et les Séculiers. Dressons ici un catalogue sommaire des faits qui leur sont
reprochés : l’orgueil, la gourmandise, la cupidité, la désobéissance, la luxure pour les
premiers ; l’esprit du monde, le défaut de charité, d’obéissance, de régularité et de dévotion
pour les secondes ; l’avarice, la dureté, l’ivrognerie, la débauche pour les derniers. Le tableau
n’est guère reluisant. Les membres des ordres religieux masculins sont sévèrement critiqués
pour ne pas avoir observé leurs trois vœux fondamentaux (pauvreté, chasteté, obéissance). Les
reproches semblent moins sévères pour les religieuses mais on constate que les vocations sont
parfois fragiles et que la foi de nombre de religieuses s’est refroidie. Ce relâchement peut être
réellement lourd de conséquences puisque les fautives sont directement conduites en enfer,
sans aucune possibilité de rachat au purgatoire. Des mœurs irréprochables sont pareillement
imposées aux membres du clergé séculier. Il leur appartient de se montrer exemplaires en
toutes circonstances. On leur reproche surtout ici leurs mauvaises fréquentations et l’oubli des
pauvres.
Les laïcs de toutes conditions forment le troisième groupe social du monde de
Corentine. Ils sont néanmoins rassemblés par affinités et par catégories professionnelles, selon
leurs fréquentations ordinaires quand ils étaient encore en vie. Les paysans sont les grands
absents de ce tableau et ils sont seulement mentionnés en tant que victimes de l’injustice de
leurs maîtres. Le récit s’attache essentiellement à critiquer le comportement de certains
membres des élites sociales, plus attirés par les plaisirs du monde que par l’observance de
principes chrétiens.
41
La voyante insiste à plusieurs reprises sur le rôle déterminant de ces élites (clergé,
dames et gentilshommes) pour instruire et corriger ceux qui dépendent d’eux. Le simple fait
d’avoir négligé ce devoir devient punissable des tourments de l’enfer.
Les règles de vie proposées par ce récit s’inspirent d’un idéal religieux
particulièrement fort, rigoureux et exigeant, et il n’est pas sans rappeler l’idéal évangélique
prôné par Jésus dans le Sermon sur la montagne (Matthieu 5-6). Dans les visions médiévales,
les supplices de l’enfer étaient surtout infligés à des personnes accusées d’avoir commis des
actes répréhensibles (homicide, vol, parjure, adultère, orgueil, cupidité, gourmandise et autres
péchés capitaux).60 Ces actes sont également réprouvés dans la vision de Corentine mais on
est beaucoup condamné pour négligence, par défaut de charité ou de dévotion, pour avoir
simplement oublié ses obligations.
Il faut bien sûr relativiser les faits et prendre en compte l’implication personnelle et
l’enthousiasme religieux de la voyante qui a forcément tendance à noircir le tableau. Elle nous
décrit cependant une société égoïste qui a oublié ou mis de côté la crainte de Dieu et l’amour
du prochain. Ce faisant, elle s’intègre pleinement dans le grand mouvement missionnaire du
17e siècle. A cet égard, le fait qu’elle aborde le thème de la confession marque clairement son
adhésion aux méthodes du Père Maunoir qui en avait justement fait l’un de ses chevaux de
bataille. Les missions duraient généralement un mois et les trois premières semaines étaient
axées sur la prédication avec pour thèmes récurrents la mort, le jugement, l’enfer et le
paradis.61 La dernière semaine, qui s’achevait toujours par une grande procession
spectaculaire, était surtout consacrée aux confessions. Comme le souligne Eric Lebec, la
confession des péchés est le signe du succès. Cette focalisation sur la confession est telle que
certains doivent parfois attendre leur tour une nuit entière : Dans le cas des missions, il s’agit
d’une confession générale, où l’on accuse tous les péchés de toute sa vie, afin de n’en oublier
aucun.62 Maunoir avait d’ailleurs mis au point une méthode très élaborée (et contestée par
certains) qui devait conduire le pénitent à avouer toutes ses fautes, même les plus cachées. Le
sens du péché était alors si fort que beaucoup n’osaient parfois pas en parler à leur confesseur.
C’est justement cette attitude que fustige Corentine Merlen dans sa vision lorsqu’elle nous
présente « des personnes de toutes conditions qui s’étaient damnées par des mauvaises
confessions. » L’un des damnés mis en cause se fait le porte-parole de ses compagnons
d’infortune et déclare explicitement « Nous n’avions eu honte de pécher, mais nous avons eu
honte de confesser nos crimes ».
Maunoir estimait qu’une confession sincère était le meilleur moyen de conduire à la
conversion, au changement de vie radical. Il en avait fait l’expérience dans sa lutte contre les
confréries du Sabbat et comme il le dit lui-même, « toute la difficulté réside dans l’obstination
que mettent ces hommes à cacher leur hérésie. Quand nous trouvons moyen de les amener à
se confesser, la partie est gagnée : beaucoup d’entre eux se convertissent, et ils n’éprouvent
plus la tentation de quitter le giron de l’Eglise. »63
La reprise du thème du sabbat dans les visions de l’enfer de Corentine Merlen est un
exemple supplémentaire de sa proximité avec le prédicateur breton : « Parmi les gens ici était
un grand nombre de dames qui avaient adoré le Diable au Sabbat d’ailleurs64 et ne s’était
60
Voir par exemple la vision d’Albéric dans GEORGES MINOIS, Histoire des enfers, 1991, p. 169 ou le récit de
Dante aux Enfers.
61
ANTOINE BOSCHET, Le parfait missionnaire.., p. 275
62
ERIC LEBEC, Miracles et sabbats.., p. 9
63
ERIC LEBEC, op. cit., p 141
64
Je reprends ici le texte de la transcription des Augustines de Lannion. Il s’agit vraisemblablement d’une
mauvaise lecture pour « au Sabbat et ailleurs ».
42
reconnue ni confessé de ce crime. » Maunoir avait découvert l’ampleur de ces confréries –
que l’on qualifierait aujourd’hui de « satanistes » - à l’occasion des missions organisées dans
le pays de Mur-de-Bretagne en 1650. Il s’agissait de rassemblements nocturnes organisés dans
les landes ou d’autres lieux peu fréquentés à l’initiative d’un maître du sabbat, sans doute un
individu grimé en diable pour la circonstance, et où l’on pouvait s’adonner à toutes sortes
d’activités jugées répréhensibles par la morale religieuse de l’époque. Voici le témoignage
d’une jeune fille de 14 ans entendu et rapporté par Julien Maunoir : « J’arrivai à la tombée de
la nuit dans une vaste plaine déserte. Des torches de sapin répandaient une vive lumière,
comme en plein jour. Il y avait du monde. On jouait à la balle, aux dés, à d’autres jeux de
hasard. Quelques personnes formaient une ronde autour d’un trône doré sur lequel était assis
un monstre hideux. »65 D’autres témoignages évoquent les promesses du maître de cérémonie
de satisfaire tous les désirs des adeptes s’ils reniaient Dieu et s’ils acceptaient de lui baiser les
pieds et de lui jurer obéissance. Il ne semble pas que ces rassemblements bretons aient été le
lieu de débauches sexuelles ou orgiaques comme cela a pu être le cas en d’autres lieux et
circonstances.66 On note surtout la volonté de s’affranchir de codes sociaux et religieux, jugés
trop contraignants, en créant pour cela une mini société secrète où l’on pouvait enfreindre, le
temps d’un rassemblement, tous les interdits en pleine liberté. L’un des traits remarquables de
ces assemblées sabbatiques est qu’elles étaient ouvertes à tous les milieux sociaux : Corentine
nous laisse entendre qu’elles étaient fréquentées par des dames de qualité ; on sait d’après les
écrits du Père Maunoir que l’on pouvait y trouver aussi bien des nobles, des membres du
clergé et des paysans, hommes ou femmes.
Le Vénérable Père Maunoir prêchant à Kerlas la grande mission de 1658. Eglise Saint-Germain à Kerlaz
(Finistère). Vitraux réalisés en 1917-1918 par Gabriel Léglise. (cliché J.-Y. Cordier / www.lavieb-aile.com )
65
ERIC LEBEC, Miracles et sabbats.., p. 122
Sur les sabbats, voir par exemple E. ANHEIM, J.P. BOUDET, F. MERCIER, M. OSTORERO, « Aux sources du
sabbat », Médiévales, n° 42, 2002, p. 153-175 ; ALAIN CROIX, « Sabbat et fest noz » dans Mélanges Michel
Vovelle. Volume Aixois. Sociétés, mentalités, culture. France (15e-20e siècles), 1997, p. 155-161. Pour le cas
particulier de la Bretagne, voir HENRI MARSILLE, « Les sabbats de Saint-Guen », Bulletin de la Société
Polymatique du Morbihan, 1970, p. 73-103 ; LOUIS KERBIRIOU, Les Missions bretonnes, Histoire de leurs
origines mystiques, 1933 ; FANCH MORVANNOU, Julien Maunoir, Missionnaire en Bretagne, tome 2, 2012, p.
52-69 ; TANGUY DANIEL, « Religion paysanne et catholicisme romain. Analyse d’un phénomène d’acculturation
en Basse Bretagne au milieu du 17e siècle », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, tome 101, 1973,
p. 683-704
66
43
Tout ceci nous montre en tout cas que la voyante connaissait bien Julien Maunoir et,
quoiqu’il ne soit jamais nommé dans le récit, il y est omniprésent : nous y retrouvons en effet
sa prédication, ses proches (Michel Le Nobletz, Pierre Bernard), la référence aux missions et à
ses saints favoris (Corentin, Joseph, Ignace, François Xavier). C’est donc dans son entourage
que nous avons essayé de retrouver Corentine Merlen.
Qui était Corentine Merlen ?
L’identité de Corentine Merlen pose question. Son nom de baptême serait presque
anachronique. D’après le rédacteur de la vision, Corentine était âgée de 42 ans en 1663, ce qui
nous donne une date de naissance approximative vers 1621. Or le nom de baptême Corentin –
typiquement cornouaillais – n’était quasiment jamais attribué à cette époque. Le graphique cidessous présente les attributions comparées des noms Nicolas et Corentin dans le Finistère
aux 16e et 17e siècles :
Nicolas et Corentin dans le Finistère
1200
1000
800
Nicolas
600
Corentin
400
200
0
1530
1550
1570
1590
1610
1630
1650
1670
1690
Ce graphique a été établi à partir des actes de baptêmes relevés par le Centre
Généalogique du Finistère. Les courbes ascendantes doivent être relativisées puisqu’elles
indiquent le total des occurrences et non la fréquence des attributions. Sachant que le nom
Nicolas représentait en moyenne, et de manière à peu près stable, de 2 à 4% des attributions
totales, la croissance des occurrences reflète aussi l’augmentation du nombre de registres
paroissiaux disponibles, encore très rares dans le Finistère au 16e siècle. Nous y voyons
cependant que le nom Corentin n’acquiert sa popularité que dans les années 1640-1650, au
moment précisément où Julien Maunoir réactive le culte du saint. La faveur pour le nom de
l’apôtre de la Cornouaille sera constante tout au long du 18e siècle et génèrera des scores
fréquemment situés entre 1 à 3% des attributions totales dans le diocèse. Les variantes
féminisées en Corentine sont encore rarissimes au début du 17e siècle : avant 1630, les
registres finistériens n’en ont enregistré que quatre occurrences (Dirinon 1599 et 1612,
Querrien 1624, Spézet 1629).
44
La correspondance entre le nom de la voyante et sa grande dévotion pour saint
Corentin est donc particulièrement étonnante et on peut s’interroger sur le fondement de cette
relation : la coïncidence est-elle fortuite ou ne serait-ce pas plutôt un nom d’emprunt ?
Le patronyme de Corentine pose également problème. Il est en effet totalement absent
des registres paroissiaux du Finistère : le nom Merlen n’existe pas. Parmi les variantes
éventuelles, nous pourrions avoir le patronyme Merlin. Ce nom est rare dans le département.
Nous avons deux foyers de diffusion : l’un est issu du mariage entre Claude Merlin, originaire
de Saint-Alpin en Salons de Champagne, domicilié à Douarnenez en Ploaré, et Aliette du
Pont, de Gourin (mariage à Ploaré le 7 mai 1676) ; l’autre branche bretonne a été fondée par
Michel Merlin, maître d’hôtel originaire de Montargis dans le diocèse de Paris, qui épouse
Catherine Le Déan à Brest le 30 septembre 1687. Nous voyons que les deux couples se sont
formés bien après la naissance de Corentine et notre piste de recherche s’avère donc
infructueuse puisque le texte de la vision nous atteste qu’elle est originaire de Basse Bretagne.
Ce récit nous apporte cependant plusieurs éléments intéressants sur la biographie de
Corentine. Agée de 42 ans en 1663, elle serait donc née vers 1621. Nous savons qu’elle
demeurait au moment des faits en Basse Bretagne mais le lieu précis est inconnu.67 Elle fut
orpheline de père très jeune et son enfance fut particulièrement malheureuse. Il semblerait que
l’auteur du récit la connaissait bien puisqu’il nous indique que sa mère la chassa de la maison
alors qu’elle n’avait encore que sept ans et qu’elle essaya de la faire mourir à différentes
reprises. Vers cette époque, un « petit pauvre » du même âge qu’elle ou à peu près l’instruisit
dans la religion. Elle devint de plus en plus dévote et pris alors pour protecteurs spirituels
saint Corentin et la saint Vierge. L’une de ses visions nous apprend en outre qu’elle avait une
dévotion particulière pour saint Joseph, saint Michel, sainte Marie Madeleine, sainte Barbe,
saint Ignace et saint François Xavier. Son confesseur fut le Père Bernard pendant treize ans,
de 1641 à 1654 si l’on suppose qu’il exerça cette fonction jusqu’à sa mort.
Mariée, mais désormais veuve, Corentine semble avoir mené une existence de
douleurs perpétuelles et, en cette fin d’année 1663, c’est un terrible mal de pierre (des calculs
rénaux) qui la fait souffrir terriblement. La fin du récit nous permet de penser qu’elle a vécu
encore quelque temps après ses visions : « Depuis ce temps, elle est battue et meurtrie de ses
persécuteurs ordinaires ; elle est accablée de tourments et de ses diverses maladies mais le
tout ne lui paraît rien dans le souvenir de ce qui lui a été montré. »
Cette biographie est bien connue : c’est celle de Catherine Daniélou, célèbre mystique
cornouaillaise née à Quimper vers 1619,68 morte à Saint-Guen le 4 novembre 1667. 69
67
Le nom de la paroisse figurait manifestement dans le texte original mais le transcripteur des Augustines de
Lannion a peut-être eu des difficultés à le lire, à moins que ce ne soit volontaire (il a noté « St » suivi d’un
blanc). On remarquera en outre la formule assez curieuse « évêché de Basse Bretagne » (cf. extrait supra p.5).
68
Pour FANCH MORVANNOU, Julien Maunoir, missionnaire en Bretagne, tome 2, 2012, p. 304, Catherine serait
née en 1615 si l’on en croit un passage de la Vie manuscrite de Catherine Daniélou qui, en nous relatant un
évènement survenu l’année de ses quinze ans, indique que cela se passa en 1630. Les autres biographes de la
voyante s’accordent sur une naissance vers 1619 sur la base d’une note de Julien Maunoir qui indiqua que
Catherine avait « mené la vie extatique l’espace de 48 ans ». Cf. LOUIS KERBIRIOU, « Missionnaires et mystiques
en Basse Bretagne au 17e siècle », Etudes, tome 189, Oct-Déc 1926, p. 424. Son acte de décès (registres de
Saint-Guen à la date du 4 novembre 1667, vue 408 sur le site des AD22) mentionne également qu’elle était
« âgée d’environ 48 ans » (lecture difficile) et qu’elle était native de la ville de Quimper Corentin, étant venue en
pèlerinage à Saint-Elouan.
69
Transcriptions avec quelques variantes par Peyron II,321, Perrot 235 et Kerbiriou 429 (« Missionnaires.. »)
45
Acte de décès de Catherine Daniélou, AD22, Registres BMS Saint-Guen 1600-1696, vue 408/766
Julien Maunoir en a écrit la vie dans un gros manuscrit de près de huit cent pages
conservé actuellement au centre des Archives Jésuites de Vanves.70 L’abbé Peyron en avait
fait une copie en son temps et s’en était servi pour rédiger un abrégé de la vie de Catherine
qu’il publia dans les Bulletins de la Commission Diocésaine de Quimper en 1909 et 1910.71
En 1913, l’abbé Perrot, recteur de Saint-Guen, publie à son tour une biographie – plus
complète – de la mystique, composée également à partir du manuscrit du Père Maunoir.72
L’auteur y évoque à plusieurs reprises le nom que lui donnait familièrement la Vierge à
70
JULIEN MAUNOIR, Vie manuscrite de Catherine Daniélou. Dans sa préface, l’auteur précise qu’il est « dans
l’employ de la mission depuis quarante deux ans », ce qui nous donnerait une date de composition définitive en
1683 – qui est aussi l’année de sa mort – puisqu’il donna sa première mission à Douarnenez en 1641.
71
PAUL PEYRON, « Catherine Daniélou, une voyante à Quimper au 17e siècle, Bulletin de la Commission
Diocésaine d’Architecture et d’Archéologie, volumes 1909 et 1910. Dans la suite de cette étude, je note
seulement Peyron I ou Peyron II pour faire référence à ces ouvrages.
72
PIERRE-MARIE PERROT, Histoire de Catherine Daniélou, morte en odeur de sainteté et inhumée dans l’église
de Saint-Guen au diocèse de Saint-Brieuc, 1913. A noter que la paroisse dépendait de l’évêché de Cornouaille
jusqu’à la Révolution. Je remercie chaleureusement Fanch Morvannou pour la communication de cet ouvrage.
46
l’occasion de ses fréquentes apparitions et c’est sans grande surprise que nous apprenons que
ce nom affectueux était précisément Merlen :
La sainte Vierge lui dit qu’elle avait une bonne fille qui s’appelait Merlen, pauvre
petite merle sans rente, sans maison, sans aucun souci de ce qui est nécessaire à la vie, et qui
ne respirait que d’endurer pauvreté, douleur et mépris. La Providence prit toujours soin
d’elle. Catherine désira connaître cette Merlen, la Vierge lui dit qu’elle se ferait connaître en
paradis. Quand ses consolateurs [saint Corentin et saint Joseph] voulaient parler d’elle aux
conducteurs de son âme [les Pères Bernard et Maunoir], ils la désignaient sous le nom de
Merlen.73
Antoine Verjus, auteur d’une biographie de Michel Le Nobletz (1577-1652)
mentionne à deux reprises Catherine Daniélou : une première fois pour une guérison
miraculeuse survenue en 1649,74 la seconde à propos des miracles obtenus après sa mort par
son intercession. Le Père Verjus évoque alors « la foule de gens qui vont incessamment
l’invoquer dans la chapelle qu’on a bâti au lieu de sa demeure de Douarnenez ». Il cite dans la
liste des bénéficiaires une certaine « Catherine Merlen de Quimper, veuve ».75 Il semblerait
donc que Catherine avait fini par adopter le surnom qu’elle avait reçu de la Vierge.
Chapelle Saint-Michel à Douarnenez (Finistère). (Source : www.fr.topic-topos.com )
73
PIERRE-MARIE PERROT, Histoire de Catherine Daniélou.., p. 95. Voir aussi p. 9, 138, 174.
ANTOINE VERJUS, La vie de Monsieur Le Nobletz, prestre et missionnaire de Bretagne, 1666, p. 466 : « Une
vertueuse veuve de Douarnenez atteste qu’elle en fut guérie d’une manière qui renferme plusieurs miracles l’an
1649. » Le nom de Catherine Daniélou est imprimé dans la marge. Voir aussi PIERRE-MARIE PERROT, Histoire
de Catherine Daniélou.., p. 144-145.
75
ANTOINE VERJUS, La vie de Monsieur Le Nobletz..., p. 478-479. La construction de la chapelle Saint-Michel
avait débuté le 12 août 1663, à l’instigation notamment de Catherine Daniélou (Perrot 181).
74
47
Portrait de Michel Le Nobletz prêchant
Bibliothèque de l’Evêché, Quimper, 17e siècle
(Source : Wikimedia commons. Cliché Henri Moreau)
La dernière étape de cette transformation identitaire s’achève avec la mention figurant
dans le manuscrit des Augustines de Lannion dans lequel nous voyons que le nom de baptême
Catherine a été remplacé par celui de son premier consolateur – saint Corentin – décliné sous
une forme féminisée : « Corentine Merlen, veuve demeurant en la paroisse de St… ».
Nous avons également une trace de cette appellation familière dans la Vie manuscrite
composée par le Père Maunoir lorsqu’il nous rapporte que les consolateurs de Catherine
s’adressèrent un jour à elle en lui disant que « la petite Corentine était l’ange de la maison ».76
Corentine Merlen est Catherine Daniélou. Et s’il subsistait encore un doute à ce
niveau, il est définitivement écarté à la lecture de l’un des derniers chapitres de la Vie
manuscrite de Catherine Daniélou, intitulé par le Père Maunoir « Sa mort et sa résurrection ».
76
PIERRE-MARIE PERROT, Histoire de Catherine Daniélou..., p. 93
48
Mort et résurrection de Catherine Daniélou
Le récit de la vision de Corentine Merlen constitue un chapitre entier de la biographie
composée par Julien Maunoir.77 L’abbé Peyron en donne une version à peu près complète
mais le défaut de cette version est de nous présenter certains passages comme des citations
littérales extraites du manuscrit original alors qu’il s’agit plutôt de paraphrases en français
courant.78 La version proposée par l’abbé Perrot est à cet égard bien plus proche du texte
primitif.79 On trouvera ci-après une transcription aussi fidèle que possible du texte du Père
Maunoir. Son principal intérêt pour notre étude est qu’il présente de nombreuses variantes
avec celui de Corentine Merlen, et qu’il est surtout bien plus long, des deux tiers environ, ce
qui n’est pas sans soulever quelques questions. De deux choses l’une : soit le texte initial est
celui du Père Maunoir, qui aurait ensuite été tronqué par les Augustines de Lannion, soit c’est
Julien Maunoir qui a remanié et complété le récit de Corentine Merlen. Une troisième
hypothèse est toutefois envisageable : les deux textes auraient été composés à partir d’une
source commune dont nous n’avons pas connaissance.
A propos de ses sources, Julien Maunoir disait justement ceci : « Je certifie comme
témoin oculaire la plupart des choses qui sont en cette Vie ; j’ai appris le reste, partie du P.
Bernard, partie de ceux qui ont demeuré avec Catherine, et de ceux qui l’on connue dès son
bas âge. »80 L’abbé Peyron nous précise que le Père Maunoir entreprit de faire le récit de la
vie de Catherine vers 1675,81 soit huit années après la mort de la voyante. La conclusion du
récit de Corentine Merlen, rédigée au présent, montre au contraire qu’elle était encore en vie :
« Depuis ce temps, elle est battue et meurtrie de ses persécuteurs ordinaires.. ». Comme ce
même passage est rédigé au passé dans la version Daniélou, celle-ci est forcément postérieure.
La quasi-totalité du texte des Augustines de Lannion se retrouve dans celui du Père
Maunoir. Abstraction faite des variantes de termes de part et d’autre, la version Merlen n’a
que deux paragraphes en propre :
1/ l’introduction aux visions, qui nous donne quelques éléments biographiques sur la
voyante,
2/ une digression biographique à la fin de la première vision, que nous reprenons cidessous :
Alors son Ange gardien lui présenta tous les mystères de la Passion de N.S, qu'elle
méditait toutes les nuits depuis l'âge de 7 ans lorsque sa mère la chassa hors de sa maison,
tâcha de la faire mourir de faim et en autres façons. Un petit pauvre paraissant en l'âge de 7
ans, lui apprit ses dévotions, l'instruisit, avec une douceur incroyables dans les plus hautes
leçons de l'Evangile : la vue de ces Maîtres la consola extrêmement…
77
JULIEN MAUNOIR, Vie manuscrite de Catherine Daniélou, chap. « Sa mort et sa résurrection », p. 488-499. Je
remercie vivement le Père Bonfils du centre des Archives Jésuites de France pour la communication de ce
document.
78
PAUL PEYRON, « Catherine Daniélou... », BCDAA, 1910, chap. 20, « Mort étrange de Catherine », p. 275-285.
Un exemple de citation pour un passage concernant des Religieux condamnés à l’enfer : là où Maunoir indiquait
« Ils répondirent qu’ils avoient esté superbes, gourmands, propriétaires, désobéissants et lubriques », Peyron
nous dit « C’est, dirent-ils, pour avoir été orgueilleux, adonnés à la bonne chère, pour avoir manqué à nos vœux
de pauvreté, d’obéissance, de chasteté ».
79
PIERRE-MARIE PERROT, Histoire de Catherine Daniélou.., chap. 10, « Dernière période », p. 209-221
80
PAUL PEYRON, « Catherine Daniélou.. », BCDAA, 1909, p. 60
81
Ibid, p. 59
49
Ce même passage est rendu par Maunoir comme suit :
Alors son bon ange luy présenta un grand tableau où estoient représentez tous les
misteres de la passion de N.S. qu’elle avoit meditez tous les jours depuis l’âge de 7 ans ainsy
que nous l’avons escrit. La vüe de ces mystères la consola beaucoup.
La comparaison synoptique met clairement en évidence la structure identique du
passage mais également des rajouts ou omissions de part et d’autre. Le texte des Augustines
est une copie récente d’un document du 17e siècle. L’orthographe a été actualisée et le
rapprochement avec le texte du Père Maunoir permet de déceler quelques erreurs de
transcription : au lieu de Maîtres dans la version Merlen, ce qui n’a guère de sens dans le
contexte, il faut certainement retenir la leçon mystères de la version Daniélou.
La principale différence entre ces deux passages est bien sûr l’absence de digression
biographique chez Maunoir. Il y a tout lieu de croire que le texte primitif est, pour cette
section, celui des Augustines. En effet, si le texte primitif ne comportait pas cette digression,
Maunoir n’aurait eu aucune raison de préciser « ainsy que nous l’avons escrit ». Comme les
faits qui sont évoqués ici ont largement été développés dans les premiers chapitres de sa Vie
de Catherine Daniélou, il n’a sans doute pas estimé nécessaire d’y revenir.
Le récit de Corentine Merlen paraît donc antérieur à celui de Catherine Daniélou mais
on ne s’explique pas pourquoi la version Merlen est si réduite. Nous en déduisons que
l’hypothèse la plus vraisemblable est celle d’un texte primitif indépendant, ne contenant que
le strict compte-rendu des visions, recueilli très peu de temps après l’évènement. Ce récit
aurait ensuite été mis en forme entre 1663 et 1667 pour les Augustines de Lannion, qui
l’auraient complété par une introduction, mais également tronqué en certains endroits pour
occulter des passages présentant moins d’intérêt pour les membres de leur communauté.
Entre 1675 et 1683, Julien Maunoir intègre à son tour les visions de 1663 dans sa Vie
de Catherine Daniélou et la remanie de-ci de-là dans une perspective manifestement
apologétique. Dans le texte qui suit, les passages propres à Maunoir sont indiqués en rouge
tandis que les simples variantes avec le texte de la version Merlen figurent en bleu.
Julien Maunoir a probablement rédigé la biographie de la voyante en plusieurs étapes
car le manuscrit a été corrigé en plusieurs endroits. Quelques mots ont parfois été rajoutés à la
suite du texte initial ou en interligne (ces mots figurent entre crochets dans le texte cidessous). L’encre est différente et l’écriture n’est pas la même. Nous ne savons pas si le corps
du texte est de la main même de Maunoir mais cela est peu probable. La graphologie y est en
tout cas très différente de celle que l’on trouve dans le Journal latin des missions82 mais le
seul exemplaire ancien que l’on possède de ce manuscrit est probablement une copie.83 Il se
pourrait bien par contre que les dernières corrections apportées à la Vie de Catherine
Daniélou (dont la graphologie est également différente de celle du Journal des missions)
soient de la main même de Maunoir.
82
83
Cf. ERIC LEBEC, Miracles et sabbats.., p. 121 (fac-similé de la page 272 du manuscrit)
Communication personnelle de Fanch Morvannou (5 juin 2013)
50
Catherine Daniélou.
Illustration figurant dans l’ouvrage de P.-M. Perrot
Etat actuel de la statue sous le porche de l’église de
Saint-Guen (cliché P.-Y. Quémener)
Vie de Catherine Daniélou84
Sa mort et sa résurrection
Catherine85 fut affligée d’un mal de pierre au commencement du mois de novembre
1663 et ce mal luy continua nuit et jour sans relasche jusques environ le 8e de décembre
1664.86 Sa Maîtresse87 la trouvant fort mal et proche de la fin, environ la veille de la
Conception de Nostre Dame88, luy donna avis de recevoir ses sacrements et de renouveller la
dévotion à St Corentin. Mr le curé de [Ploaré] Douarnenez89 vint la confesser et communier et
ne se souvint [point] de luy apporter l’extrême-onction ne pensant pas qu’elle fut si proche de
sa fin. Environ deux heures de nuit, ses deux servantes s’estant endormies, elle entra en son
agonie pendant laquelle elle sentit des douleurs très aiguës et les plus grandes qu’elle ayt
jamais senti. Dans ses peines ordinaires elle avoit confirmé d’estre assistée de sa Maîtresse, de
son petit père et d’autres. Elle se vid seule dans ce dernier combat. Elle vid à sa gauche une
84
Transcription intégrale du chapitre « Sa mort et sa résurrection », Vie manuscrite de Catherine Daniélou, p.
488-499
85
Corentine Merlen dans le récit des Augustines de Lannion. Son nom s’y trouve cité une seule fois.
86
Jusqu’au 8e su mois de décembre de la même année dans la version Merlen
87
Pour désigner ses personnages, Maunoir utilise une terminologie particulière (qui était probablement celle de
Catherine Daniélou) : sa Maîtresse est la Vierge, son petit père est saint Corentin.
88
La fête de l’Immaculée Conception de Marie se fête le 8 décembre en Occident depuis 1477 (décision de Sixte
IV).
89
Catherine Daniélou s’était installée à Douarnenez, paroisse de Ploaré, en 1654 (Perrot 172). Le texte des
Augustines porte seulement le curé de la paroisse.
bande de démons affreux dont l’un tenoit un livre noir. Ils luy dirent : « Tu es à nous, voicy
dans ce livre tous les péchés que tu as commis ». Ils luy spécifièrent tous ses péchés prétendus
depuis l’âge de 7 ans. En mesme temps parut une autre troupe pleine de beauté et de lumière.
Elle reconnut un père de la Compagnie de Jésus appelé le Père Pierre Bernard qui avoit esté
son confesseur l’espace de treize ans.90 Cette sainte bande l’encouragoient avec des visages
pleins de joyes qui luy donnoient une grande confiance. Le Père Bernard luy expliqua qui
estoit cette belle compagnie : « Cette Dame, dit-il, est la bien heureuse vierge que vous avez
prise pour Mère dès l’âge de 7 ans ; à son costé est le glorieux St Joseph son espoux à qui
vous avez eut toujours grande dévotion91 ; de l’autre costé est St Corentin que vous pristes
pour Père par l’avis de la Ste vierge lorsque vous estiez orpheline à l’âge de 7 ans. Voicy
vostre bon ange, St Michel, Ste Marie Madelaine à qui vous avez recommandé les pauvres
pécheurs, Ste Barbe à qui vous avez eu une dévotion continuelle pour vous assister à l’heure
de vostre mort, St Ignace et François Xavier, [S. Guinel, S. Antoine, S. Eloüan]. »92
Alors Nostre Dame luy dit qu’elle ne se souciast [pas] de cette troupe infernale, qu’elle
mit sa confiance en la bonté de Dieu et aux mérites de la vie et mort de son fils. En ce temps
elle sentit un surcroît de confiance en Dieu. Pendant toute sa vie en tous ses delaissemens et
necessitez qui ont esté fréquentes, diverses et extrêmes, elle a toujours ressenti en son
intérieur un grand fond de confiance comme si elle eut veu présente la grâce qu’elle espéroit
et l’expérience a fait voir que son espérance n’a jamais manqué d’assistances plus
extraordinaires que n’estoient ses necessitez. Nostre Dame, luy ayant conforté le cœur par son
regard et ses paroles, chassa cette troupe malheureuse, leur disant que ce n’estoit par à eux
qu’il luy falloit rendre compte.
90
Catherine avait choisi pour premier confesseur le Père Prigent de Launay qui avait pour grand avantage de
connaître le breton (Peyron I,166). A la mort de celui-ci, peut-être lors de la grande peste qui éclata à Quimper
en 1639 (Peyron I,170-171) saint Corentin demanda à Catherine de choisir comme nouveau confesseur le Père
Bernard, qui fut l’un des dix premiers Pères Jésuites envoyés à Quimper à la création du collège (Peyron I,203),
mais qui ne parlait que le français (Perrot 46). Pierre Bernard fut son confesseur l’espace de treize ans jusqu’à sa
mort en 1654. Catherine choisit alors le Père Maunoir pour le remplacer.
91
On notera ici la forte valorisation du culte de saint Joseph par le Père Maunoir
92
L’adjonction finale des saints Guinel, Antoine et Elouan par le Père Maunoir est particulièrement intéressante.
Le dernier confesseur de Catherine mentionnait par ailleurs qu’elle avait « une grande dévotion à saint Guenél
et obtenu tout ce qu’elle demandait à Dieu par son entremise. Elle mourut le lendemain de sa fête » (Vie
manuscrite de Catherine Daniélou, p. 377, cité par FANCH MORVANNOU, Julien Maunoir.., tome 2, p. 315).
Saint Guenel (ou Guinal, Guenael, Guenhaël) fut d’après le cartulaire de Landévennec le second abbé de ce
monastère après saint Guénolé. Son culte était particulièrement développé en Basse Cornouaille et à l’ouest du
Vannetais. Voir FANCH MORVANNOU, Saint Guénaël, Etudes et documents, 1997, p. 11.
L’incorporation de saint Antoine parmi les saints favoris de Catherine Daniélou est tout à fait pertinente. Il ne
s’agit pas ici d’Antoine de Padoue, pourtant connu de la voyante mais cantonné dans son rôle de dénicheur des
objets égarés (Perrot 38, Peyron I,167). Le saint Antoine auquel il est fait référence est Antoine l’ermite,
anachorète égyptien mort en 356 et très honoré en Bretagne (cf. YVES-PASCAL CASTEL, Saint Antoine l’ermite,
sur le site www.catholique-quimper.cef.fr ). Dans sa Vie manuscrite, Maunoir nous dit que dès son plus jeune
âge, Catherine « sentit une affection très particulière envers les pauvres et une dévotion particulière à saint
Antoine, patron de l’église de l’hôpital voisine de sa demeure » (Peyron I,63 ; voir aussi Peyron II,31 ; Perrot 13,
28, 82, 93, 115, 169, etc..). Ses premiers consolateurs spirituels furent le petit Antonic et saint Ignace, que
Catherine décrivait toujours comme un vieil homme chauve au grand front (Perrot 14, Peyron I,66).
La mention de saint Elouan témoigne également d’une bonne connaissance de la vie de Catherine Daniélou.
Elle a en effet prit une part très importante à la réactivation du culte de cet ancien saint breton au début des
années 1650, en raison notamment de l’amitié solide qui la liait à Guillaume Galerne, prêtre en 1650, puis
recteur de Mur de 1659 à 1676. Catherine l’hébergea à Quimper pendant six mois environ lorsqu’il était encore
écolier au collège vers 1646-1647 (cf. Perrot 150, Peyron I,166). Elle l’encouragea vivement à bâtir une nouvelle
chapelle sur le tombeau du vénérable ermite à Saint-Guen (Perrot 147, cf. p. 89,151 et 158-162). Guillaume
Galerne rédigea lui-même l’acte de décès de Catherine, morte en odeur de très grande sainteté à Saint-Guen où
elle était venue en pèlerinage (cf. acte supra p. 46).
52
Chapelle Saint-Elouan à Saint-Guen (22)
Saint Elouan (cliché P.-Y. Quémener)
53
Après que ces méchants s’enfuirent, une autre bande de malins esprits succéda avec
plus de dol et de trahison93. Ils luy dirent qu’elle n’avoit que faire de craindre la mort, qui est
formidable aux pécheurs, que pour elle, elle avoit toujours bien vécu et qu’elle n’avoit point
de péché. Nostre Dame, la regardant toujours, luy faisoit signe de ne les pas croire. Elle leur
répondit courageusement : « Vous avez menti, maudits trompeurs, je suis une pauvre
pécheresse, j’ai crucifié mon Sauveur par mes pechez, je l’ay fouetté, je l’ay couronné
d’espines. J’ay grand regret mon doux Jésus de vous avoir tant offensé, j’espère en vostre
miséricorde, ayez pitié de moy. »
Alors son bon ange luy présenta un grand tableau où estoient représentez94 tous les
misteres de la passion de N.S. qu’elle avoit meditez tous les jours depuis l’âge de 7 ans ainsy
que nous avons escrit. La vüe de ces mystères la consola beaucoup.
Elle rendit enfin son âme entre les bras de la Ste vierge et le glorieux St Corentin la
reçeut. Après sa mort elle fut menée par la Ste Vierge, St Corentin et son bon ange95 en un
lieu souterrain où elle vid des tourments épouvantables. Elle rencontra un grand puy d’où les
démons tirèrent un homme tout rouge de feu comme un fer sortant de la fournaise puis le
relancèrent dans le mesme lieu avec un bruit épouvantable. Son ange luy dit que c’éstoit un
grand seigneur qui avoit fait des meurtres et d’autres crimes très énormes.
De là elle fut conduite près de grandes fournaises. Elle y vid toutes sortes de
Religieux. Nostre Dame luy dit qu’elle demandât pourquoy ils avoient esté condamnez à ces
flammes. Ils répondirent qu’ils avoient esté superbes, gourmands, propriétaires, désobéissans
et lubriques.
Dans une autre fournaise elle apperceut des Religieuses de divers Ordres, elle leur
demanda la cause de leur malheur. « Hélas, répondirent-elles, le deffaut de charité les unes
envers les autres, d’obéissance, de régularité, de dévotion et l’esprit du monde sont les causes
de nos maux. Pleut à Dieu qu’un messager des cieux allât dans tous les couvens raconter
l’horreur de nos tourmens et leur crier d’une voix tonante : Faites pénitence, faites
pénitence ! »96
Dans ce lieu on la rendit près d’une autre fournaise. Elle y vit des [papes, des
évesques]97 ecclésiastiques de tous les degrés de l’Eglise. Son conducteur Saint Corentin luy
commanda de les interroger comme les autres. Les uns dirent : « Nous avons esté avares, et
impistoiables envers les pauvres. » Les autres criaient : « Maudite yvrogrenie » ; les autres :
« Maudites compagnies » ; les autres : « Nous avons employé nos richesses en festins, en
débauches, à nourrir des chiens et de méchantes personnes, et avons laissé languir de faim les
pauvres,98 les membres de Jésus Christ. »
93
La version Merlen indique plus de dol et de raison. Il s’agit manifestement d’une erreur de transcription dans
la copie dactylographiée.
94
La version Merlen omet un grand tableau où estoient représentez. Il est possible que le copiste des Augustines
ait carrément sauté une ligne du manuscrit qu’il transcrivait et qui devient à présent un peu moins abscons (cf.
supra p. 14). A noter que le petit Antonic présenta un jour à la jeune Catherine Daniélou un tablier sur lequel
étaient peints les instruments de la passion de Notre Seigneur. Il lui enseigna en outre les trente-trois articles de
la Passion, qui énumèrent toutes les souffrances subies par le Christ depuis son arrestation jusqu’à sa mort sur la
croix (Perrot, 15-17).
95
Dans la version Merlen, Corentine visite l’au-delà accompagné uniquement de son ange gardien. Ici,
Catherine voyage également en compagnie de ses parents spirituels (le Vierge et saint Corentin).
96
Ce complément propre à la version Daniélou semble bien être une glose du Père Maunoir qui s’approprie la
vision pour illustrer l’un des thèmes favoris de sa prédication.
97
Les termes papes et évêques ont été rajoutés en interligne dans la version Daniélou définitive. Cette insertion
tardive s’explique peut-être par la phrase qui suit où l’on nous dit que ces ecclésiastiques devaient être interrogés
« comme les autres ».
98
La version Merlen est moins imagée : nous avons employé nos richesses (…) à nourrir des personnes
scandaleuses et avons laissé mourir les pauvres.
54
Elle apperceut des evesques tous nuds au milieu des flammes, et les reconnut par99
leurs mitres. [Enfin] proche d’eux, elle voyoit des recteurs100, ils crioient et disoient que pour
avoir négligé d’enseigner101, de reprendre et corriger leur troupeau et de leur donner exemple,
ils estoient condamnés à ces cruels tourments.
De ce lieu elle fut transportée près d’un lac de feu et de souffre,102 où elle vid un grand
nombre de dames et de demoyselles, de gentilshommes, et de grands seigneurs. Estant
interrogés ils répondirent comme les autres avec des pleurs et grincements de dents
inexplicables.103 Les dames et demoiselles avouèrent qu’elles s’estoient précipitées dans ce
lieu de tourments, les unes pour leur vanité et nudité scandaleuse, les autres pour leurs
affections déréglées et désordonnées au bal [et] au jeu, (aux cartes) [mots rayés], aux plaisirs
du monde, n’ayant rien voulu endurer pour l’amour de Dieu, les autres pour avoir négligé
l’éducation, l’instruction et correction de leurs enfants et domestiques. Les gentilshommes
crioient que l’injustice, l’appétit de vengeance, l’abandon des pauvres, l’yvrognerie et
l’impudicité estoient cause de leurs malheurs. Les uns disoient en hurlant comme des chiens
enragés : « Hélas, nous brûlons dans ces flammes pour n’avoir pas payé nos serviteurs et
servantes et les pauvres laboureurs que nous avons contraints de travailler jusques à la sueur
de leur front. » Les autres crioient : « Nous brûlons dans ces flammes pour nos apprécix104
injustes, pour avoir extorqué de nos pauvres sujets de nous faire des présens en plusieurs
occasions aux ecaubuts, aux fileries, à la naissance de nos enfants. Maudite injustice. » Les
autres : « Pour nos infâmes plaisirs nous sommes roulés dans ces brasiers ardents. Hélas, nos
voluptés sont passées et nos tourments ne finiront jamais. Si le monde scavoit, si le monde
scavoit combien sont rigoureux les jugements de Dieu. Nobles si vous scaviez combien sont
redoutables les tourments de l’enfer. »105
Après avoir veû ces spectacles, elle vid le département des hommes et des femmes qui
avoient vécu dans le mariage sans la crainte et l’amour de Dieu. Elle y vid les hommes
enchaînés avec leurs femmes, et les pères et les mères avec leurs enfans. Les hommes et les
femmes s’entremangeaient comme des chiens enragez. Les hommes disoient : « Maudite la
journée qui me lia avec toy meschante femme, compagne de nos crimes et de nos peines
éternelles. La haine, la colère, les noises, les querelles, l’abus et profanation d’un grand
sacrement m’ont chargé de ces fers. » La femme disoit à son mari : « Meschant, perfide,
déloyal. La jalousie, la fureur, la malice, les malédictions, les tristesses, les désespoirs, la
99
La version Merlen ignore tout ce passage et elle en devient incompréhensible. Il est possible que le copiste ait
une nouvelle fois sauté une ligne entière.
100
Autre erreur de lecture probable de la part du copiste dactylographe des Augustines qui note ici Docteurs. Les
fautes qui leur sont reprochées permettent de penser que le manuscrit original portait bien Recteurs.
101
Cette mention particulière de la version Daniélou marque sans doute l’importance accordée par le Père
Maunoir à la fonction d’enseignement dévolue au clergé paroissial.
102
La section du « lac de feu et de souffre » est traitée très différemment dans les deux versions et se trouve
réduite à quelques lignes dans le récit de Corentine Merlen. Il y est question successivement des dames et
demoiselles, puis des gentilshommes, des couples qui n’ont pas vécu dans la crainte et l’amour de Dieu, des
veuves mondaines, des marchands et artisans et enfin des gens de justice. Un représentant de chaque groupe
social doit expliquer les motifs de sa condamnation. Cette mise en scène rappelle fortement les spectacles de
l’enfer que Julien Maunoir faisait jouer au cours de ses missions (Boschet 156, Lebec 68). Cette section a
probablement été résumée chez les Augustines de Lannion car elle ne concernait que des laïcs et présentait donc
peu d’intérêt pour leur communauté.
103
Les sensations de détresse et de souffrance physique sont bien plus accentuées dans la version Daniélou.
104
Apprécis : ancien terme français pour désigner l’estimation d’un bien, notamment pour le prix de céréales
dans un marché. L’abbé Peyron a forcé un peu le sens du mot en le remplaçant par extorsions (Peyron II,278).
105
Comme dans la séquence précédente des religieuses, Maunoir attribue au gentilhomme une réflexion sur les
causes de sa damnation et une avertissement solennel aux gens de sa condition.
55
haine maudite, sont causes de nos malheurs. Maudit celuy qui nous joignit ensemble par le
lien du mariage, maudit le moment malheureux que je te vis en fasse. »
Elle entendit les cris effroyables des enfans enchaînés avec leur père dans les feux
dévorans, chacun d’eux s’escrioit à pleine tête : « Maudit père, par tes larcins, par ton
injustice, par tes mauvais exemples, tu es la cause de mes malheurs. » Le père répartit :
« Engeance de vipère, tu es la cause de ma damnation, le trop d’amour que je t’ay porté sur la
terre m’a précipité dans ce lieu. » L’enfant insistoit : « Si tu avois voulu m’envoyer au
catéchisme, si tu avois pris la peine de me corriger dès ma tendre jeunesse, père dénaturé, je
ne serois pas à présent enchaîné avec toy dans ces flammes éternelles. » Elle vid ces enfans
malheureux se jeter sur leur père et les dévorer à belles dents.
Elle apperceut les mères gardées avec des liens de fer avec leurs propres filles. Les
mères lançoient ces cris : « Engeance de vipère, tu m’as traînée avec toy dans ce lieu de
misères. Pour t’avoir trop chérie, je suis dans ces brasiers. » Sa fille répartit : « Louve , louve,
tu m’as perdue par ton mauvais exemple, tu m’as appris la vanité, à porter des carquois, des
armées de rubans, des dentelles d’or et d’argent et à découvrir ma gorge et mon sein ; tu m’as
laisser aymer le monde et ses maudites compagnies, tu m’as laissée dans le cajol, dans le
libertinage sans me corriger. Tu n’es pas ma mère. Tygresse, lyonne, mégère, tu m’as traînée
avec toy dans ce lieu de supplices. »
Ensuite son ange luy fit voir une rivière de feu et luy dit que ce lieu estoit assigné pour
les veuves mondaines. Il l’avertit de les interroger comme les autres. Elles répartirent : « Nous
sommes des fausses veuves, au lieu de pleurer jour et nuit nos pechez, ou bien de nous
souvenir de nos pauvres maris, de prier, de jeûner, de donner des aumônes, de fréquenter les
sacrements et sermons, nous avons oublié notre salut et Dieu mesme, nous avons aimé la
vanité, les beaux habits, la bonne chère, les cartes, les danses, les caresses, les compagnies
mondaines et le monde plus que Dieu. Voilà la cause de nos malheurs. Venez mondaines si
vous saviez, si vous saviez combien sont cuisants les brasiers où nous sommes. »106
De ce lieu elle fut avertie de suivre son ange près de grandes chaudières où elle vid des
marchands et artisans à qui elle demanda les causes de leur damnation éternelle. Les
marchands luy dirent : « Nous avons couru les foires et les marchez, nous nous sommes
parjurés, nous avons faict tort à autruy par faux poids, par fausses mesures ( ?), en
mescontant, en mettant de la fausse monnaye, en vendant trop cher pour donner du terme par
usure et plusieurs autres façons. «
Un meunier luy dit : « J’ay pris au-delà de la mesure qui m’estoit ajugée. »
Un couturier : « J’ay dérobé l’étofe qui m’avait esté confiée. »
Un charpentier : « J’ay emporté chez moy le bois qui ne m’appartenoit pas de droit. »
Un couvreur : « J’ay dérobé les cloux qui m’avoient esté donnés pour couvrir les
maisons. »
Un chirurgien : « J’ay entretenu les playes pour gaigner davantage. »
Un apoticaire : « J’ay vendu des drogues corrompues à autruy à mauvoise fin. »
Un serviteur et une servante : « Nous avons dérobé le temps et le bien de nos maîtres,
et n’avons pas esté fidèles à empêcher les dommages qu’on leur a fait. »
Comme elle fut preste de sortir de ce lieu plein d’horreur, elle apperceut une grande
place comme une chambre de justice. Elle y vid des messieurs qui ressembloient à des gens de
justice avec des bonnets carréz et des robes longues,107 elle reconnut un certain homme de
106
La formule répétée « Si vous saviez, si vous saviez.. » scande la section comme un refrain et fait écho au « Si
le monde savait, si le monde savait.. » des gentilshommes.
107
A la différence des évêques qui étaient représentés nus mais néanmoins reconnaissables à leurs mitres, tous
les autres personnages sont habillés et c’est leur tenue vestimentaire ou leur outil de travail qui permet de les
identifier.
56
justice qu’elle avoit autrefois connu. Son ange luy commanda de luy dire la cause de sa
perdition et de celle des autres. « Hélas, dit-il, dans ma charge pour amasser du bien à mes
enfans, j’ay fait tort à autruy et chargé ma conscience sans faire restitution. Ceux que vous
voyez dans ce parquet de la justice de Dieu vivant, ont esté juges, advocats, procureurs,
huissiers, sergens. Ils sont au milieu de ces feux éternels pour avoir faict faveur aux riches,
aux nobles et à leurs amis au préjudice des pauvres, des orfelins et des veuves et des
personnes de basse condition. Ils pensoient que leur dols et leur fraudes estoient bien cachéz ;
mais le juste Juge après avoir dissimulé un temps, a enfin découvert leur fourbes. Il leur avoit
donné la justice en main, ils l’ont violée en laissant les crimes impunis en prolongeant les
procès pour gaigner davantage, en prenant des sommes injustes pour leurs vacations. »
Tout proche de ce lieu elle vid un grand estang de feu et de souffre.108 Elle y vid des
personnes de toute condition plongées dedans ces flammes. On luy fit leur demander ce qui
les avoit précipités en ce lieu. Un répondit pour tous : « Dans ce lieu de misères la mauvaise
honte nous a jettés, nous n’avons pas eu honte de pécher, mais nous avons eu honte de
confesser nos pechez, nos crimes. Il y a dans ce feu des Religieux, des Religieuses, des
femmes et des filles qui ont faict des pechez qu’ils n’ont jamais osé déclarer. En voilà des
millions qui se sont donnés au diable, l’ont adoré au lieu d’un Jésus crucifié, luy ont baisé les
pieds et cet ennemi des hommes les ayant menacés de leur rompre le col s’ils confessoient
leurs crimes aux prestres, ils ont celé dans les confessions les péchés énormes qu’ils avoient
commis à sa sollicitation. » Elle entendit un démon qui tourmentoit une âme qui avoit quité
Dieu pour luy rendre l’honneur qui estoit deu à J.C. Cet esprit maudit se moquoit d’elle et luy
disoit : « Suis-je ton Dieu ? T’ay-je créée ? Ay-je esté crucifié pour toy ? Tu m’as servi. »
Puis luy enfonçant sa fourche de fer rouge dedans les flancs, il luy repetoit souvent ces
paroles : « Tu m’as servi, tu m’as servi, voilà ta récompense. » L’âme répartoit et hurloit :
« Trompeur, traître, et déloyal, tu m’as trompée pour impétrer de moy que je ne confessasse109
point que je t’avois veû, que je t’avois obéi. Tu m’avois promis toutes sortes de biens, tu
m’avois assurée que dans ta maison on trouveroit des festins, des joyes, des palais dorez, de
beaux habits. Tu m’as pipée affronteur, disant qu’il failloit te croire. Tire-moy de ces
flammes. » - « Jamais. » - « Un peu de relasche. » - « Jamais. » - « Une goute d’eau pour
rafraîchir ma langue. » - « Jamais. » Au lieu de luy donner des soulagements, plusieurs
démons se jettèrent sur elle et luy augmentèrent les tourments. Elle vid dans ces lieux de
misères un si grand nombre de personnes qu’elle pensoit que tous les hommes estoient
damnés. Cette personne ayant esté recollée sur les points susdits confirma ce que dessus, et dit
qu’elle avoit veu en ces lieux de misères plus de tourments que ce qu’elle avoit raconté.110
St Corentin tira sa brebis de ce lieu ténébreux, et la porta sur le bord du Purgatoire.
Elle y vid une grande quantité [de C : et de J :], de Religieux et de Religieuses,111 elle y
108
Après le lac de feu et de souffre dans lequel étaient placés des laïcs de toutes conditions pour leurs péchés et
leurs manquements, la voyante est conduite vers un grand étang de feu et de souffre où sont plongés ceux qui se
dont damnés par des mauvaises confessions. Cette section est également bien plus développée dans la version
Daniélou. Il s’agit en fait d’une description des assemblées du sabbat et du châtiment qui pèse sur ceux et celles
qui y participent. On notera la présence dans la version Daniélou de religieux et de religieuses non mentionnés
dans le texte des Augustines.
109
La version Merlen indique ici songeasse mais il s’agit très vraisemblablement d’une mauvaise lecture du
manuscrit original.
110
Maunoir dramatise manifestement l’importance du sabbat : ce sont des millions qui se sont donnés au diable
(un grand nombre dans la version Merlen). Le narrateur précise qu’il s’est fait confirmer par la voyante
l’exceptionnelle intensité des tourments subis par ceux qui ont participé à ces rassemblements.
111
La version Merlen indique simplement une grande quantité de dames. L’attention est ici attirée une nouvelle
fois sur les religieux et religieuses. Julien Manoir a en outre ajouté en interligne deux autres catégories, les C. et
les J. : Capucins et Jésuites ??
57
apperceut un Père Cordelier qui avoit demeuré chez elle.112 Il luy dit qu’il estoit condamné
pour un long temps dans ce lieu et que Dieu luy faisait une grande grâce car si ce n’eust esté
un acte de contrition qu’il fit un peu devant son trépas, il eut esté perdu pour un jamais. Il luy
demanda pardon par ce qu’il l’avoit offensée pendant qu’il estoit logé chez elle. Les âmes du
Purgatoire luy témoignèrent une grande joye de sa visite et la remercièrent des prières qu’elle
disait tous les jours pour elles. Depuis plusieurs années elle prioit et souffroit des peines
extraordinaires pour leur délivrance. Elles venoient luy faire visite pour se recommander à ses
prières et la remercier après leur délivrance.113 Elle vid dans ce lieu plusieurs personnes qui
avoient esté gaignées à Dieu par les missions de Basse Bretagne. Elles la remercièrent par ce
qu’elle avoit coopéré par ses prières et souffrances à leurs conversions dans les missions, pour
l’heureux succez desquelles elle faisoit tous les jours des dévotions particulières qu’elles
joignoit à des mortifications qui surpassoient celles des anciens anachorettes. Les âmes de ce
lieu abandonnées de toute assistance particulière la remercièrent des dévotions particulières
[qu’elle faisoit tous les jours pour elles].114
Un Père Cordelier, le capucin François Leclerc du Tremblay
112
Nous ignorons l’identité de ce Père Cordelier. Catherine Daniélou a tenu pendant huit ans (1647-1654) une
pension pour les écoliers du collège de Quimper (Peyron II,210). Le texte des Augustines précise que
l’hébergement du Père Cordelier eu lieu avant qu’il ne fut entré en religion. Maunoir fait allusion à une offense
dont Catherine aurait été victime mais on n’en saura pas plus. A moins qu’il ne s’agisse de l’écolier qui tourna
Catherine en dérision lorsqu’elle était encore enfant, à l’époque où sa mère hébergeait également des
pensionnaires du collège (Perrot 22).
113
Malgré les souffrances qu’elles sont censées y subir, le purgatoire du Père Maunoir apparaît plutôt comme un
lieu de joie. C’est bien une prison dont on attend la délivrance mais on ne trouve pas dans la version Daniélou la
référence au soulagement des âmes (conséquence des mortifications de la voyante). Dans l’esprit du Père
Maunoir, il semblerait que la durée du séjour au purgatoire soit relativement brève : de quelques jours à quelques
années généralement (cf. Peyron II,26,166,218). Avec ses quarante-deux années de purgatoire, l’évêque
Larchiver semble réaliser un record de longévité (Peyron II,220).
114
On notera ici l’éloge appuyé du Père Maunoir envers la voyante quimpéroise.
58
Après avoir achevé ces deux visites, son bon ange l’esleva vers un lieu plein de
délices. Elle vid des murailles toutes d’or, et des murailles115 faites de pierres précieuses.
Encore qu’elle fut au dehors, elle voyoit au travers de ces belles murailles comme à travers
d’un beau cristal des abysmes de gloire et de beautés que son cœur ne peût expliquer. Elle
remarqua des palais lumineux, des bois dont les feuilles estoient toutes dorées et entendit des
voix d’oyseaux dont l’harmonie surpasse tout ce qu’on peu concevoir. Elle apperceut au
milieu de ce pays délicieux une grande rivière qui rouloit un sable doré. Elle vid un grand
chœur116 sans bornes où il y avoit un nombre d’anges et de saincts et saintes que personne ne
peut compter. Au dessus de tous les saincts, elle avisa Jésus Christ, et après la Sacrée vierge
Reine du Ciel, tout proche d’elle St Joseph, St Joachim, Ste Anne, St Jean Baptiste, les
Apôtres, St Michel archange, St Corentin, le Père Michel Le Nobletz, proche du Père Bernard
de la Compagnie de Jésus, et les autres saincts auquels elle avoit eu en sa vie une grande
dévotion.117
Encore que ces objets fussent ravissans, son âme estoit abismée dans la veüe, dans
l’amour et dans la possession du Roy de ce lieu. Sa veüe avoit tellement charmé l’œil de son
âme et de toutes ses puissances, qu’elle n’avoit d’application qu’à contempler et aimer cet
occean de tout bien et d’y demeurer absorbée par un plaisir tout à fait ineffable.
Comme elle contemploit cette fontaine de beauté, elle remarqua que la Sacrée vierge
descendit de son throne et s’approcha près du Père Michel Le Nobletz qui estoit prosterné à
genoux. Il faisoit une grande démonstration de respect et de confiance comme s’il eût voulu
demander quelque faveur à cette Reine des anges qui lui montra une grande joye comme si
elle luy eût témoigné que sa prière estoit agréable. Encore qu’elle s’apperceut de ces choses,
toutefois le plus fort de son âme estoit occupé à la contemplation de cette incompréhensible
beauté qui luy dit : « Ma fille, vostre veüe n’est pas encore assez forte pour me voir tel que je
suis face à face. Mon serviteur Michel a demandé par l’entremise de ma mère que vous
retourniez en vostre corps. Il faut que vous enduriez encore pour les pécheurs et pour les âmes
du Purgatoire. Allez encore travailler pour ma gloire et je vous attendray. » La Sacré vierge,
St Joseph, St Corentin, St Michel, son bon ange Ste Catherine, Ste Marie Madelaine, Ste
Barbe, St Ignace, St François Xavier, les Pères Pierre Bernard et Michel Le Nobletz,
l’accompagnèrent dans ce retour.118 Nostre Dame l’encouragea, luy disant avec amour :
« Retournons encore sur terre afin de travailler pour le salut de ceux qui font homage au
diable dans les assemblées des impies, pour les athées, les hérétiques, et les grands pécheurs,
et pour les pauvres âmes du Purgatoire. » - « Hélas, dit-elle, je ne puis pas faire grand-chose,
je suis toujours malade, je suis battue tous les jours. » - « Il faudra ofrir vos maladies, les
peines que vous fera ce meschant escolier pour obtenir de Dieu sa grâce sur les missions de
[du P. Maunoir] vostre confesseur. Il faudra dire de nos nouvelles à nostre fils [le P.
Maunoir]. » Le Père Bernard luy dit : « C’est nostre fils. Il n’y aura pas grande distance entre
vous deux pour venir à nous. »119 Lors que son âme fut ramenée à sa chambre, elle voyoit plus
115
Il s’agit de portes dans la version Merlen.
Le texte dactylographié de la version Merlen indique cœur mais il s’agit vraisemblablement d’une erreur de
lecture du manuscrit original.
117
Le texte des Augustines se contente d’indiquer que Corentine vit auprès du Christ et de sa mère les saints et
saintes de sa dévotion sans toutefois les nommer.
118
Dans la version Merlen, nous avons seulement Cette troupe qui l’apparut à son agonie l’accompagna pour le
retour.
119
Tout ce passage semble être une glose tardive du Père Maunoir et maintes fois retravaillée. La Vierge
renouvelle formellement et d’une façon très officielle l’ordre de mission adressé à Catherine. Un dialogue
s’instaure entre les deux femmes et par son discours la Vierge justifie et soutient clairement l’action du Père
Maunoir, qui est directement cité à deux reprises dans ce passage mais uniquement dans la version finale (mots
rajoutés en interligne). Le Père Bernard intervient également pour assurer Catherine et le Père Maunoir de
116
59
parfaitement les objects matériels qu’avec les yeux du corps, elle voyoit le dedans des pierres
et du bois, comme si c’eût esté du cristal. Lors qu’elle avisa son corps qui estoit demeuré sans
son lit, elle sentit une grande horreur : « Faut-il, dit-elle, que je rentre dans cette carcasse, que
je me renferme dans cette prison de terre ! Puisque c’est la volonté de Dieu, que son nom soit
béni. »
Après avoir reçeu la bénédiction de la Ste vierge et de toute la compagnie, elle rentra
dans son corps. Elle trouva que ses servantes estoient encore endormies, et ne s’estoient point
du tout éveillées pendant son voyage. Elle fut long temps après ce retour dans un étonnement
étrange. Quelque temps après ses consolateurs ordinaires vinrent la visiter, elle dit à sa
Maîtresse : « Ma [chère] Maîtresse, ami de St Joseph, mon petit père, où estiez-vous hier au
soir ? Je vous ay appellez et souhaistez dans mes nécessités. J’avois toujours espéré que vous
eussiez assisté à ma mort, il n’y a eu que le Père Bernard qui m’a tenu bon. » Ils luy dirent
que Dieu les avoit occupés en une affaire de grande importance pour sa gloire. Elle leur
raconta les peines de son agonie, ses combats contre le diable, l’assistance de la Ste vierge et
de sa compagnie, son voyage aux enfers et en Purgatoire, les beautés jouissantes des bien
heureux et le reste. Ils l’encouragèrent de continuer de prier et d’endurer pour les missions,
pour la conversion des pécheurs et pour la délivrance des âmes du Purgatoire.
Depuis ce temps [là] elle a esté battue et meurtrie de ses tyrans ordinaires. Elle a esté
accablée de diverses maladies, et tourmentée d’une chaleur intérieure si grande que l’eau
qu’elle vomit de son estomac brusle et escorche les mains de ceux sur lesquels elle tombe,
ainsy que l’expériance a fait voir souvente fois.120
l’efficacité de son intercession en leur faveur. C’est tout un réseau d’entraide qui se met en place entre les
vivants et les morts : les premiers prient pour la délivrance des âmes du purgatoire tandis que les défunts arrivés
au paradis peuvent à leur tour secourir les vivants dans leurs difficultés. Le méchant écolier désigne ici le diable,
l’adversaire, qui s’est souvent présenté à Catherine sous cette forme (Perrot 119, 141, 170).
120
La finale du récit est bien plus écourtée dans la version Merlen. Nous n’y lisons pas cette conversation
quelque peu surréaliste dans laquelle la Vierge et saint Corentin s’excusent de leur absence en raison d’un
planning surchargé. On passe également sous silence la description extravagante des tourments ordinaires de
Catherine en précisant au contraire que tout cela ne lui paraît rien dans le souvenir de ce qui lui a été montré.
60
CONCLUSION
Arrivés au terme de notre enquête, essayons de faire le point. Il nous semble que le
texte des visions de Catherine Daniélou, alias Corentine Merlen, possède trois niveaux de
lecture, correspondant chacun à trois phases rédactionnelles successives.
Selon l’hypothèse que nous avons retenu, une première mise par écrit des visions
aurait été rédigée peu après l’évènement. Il se pourrait d’ailleurs que Julien Maunoir, qui était
alors le confesseur de Catherine, soit l’auteur de cette version primitive. Dépourvu des gloses
et de développements ultérieurs, ce texte devait être la relation immédiate du témoignage de la
voyante, le récit de son expérience de l’au-delà et des enseignements personnels qu’elle en
avait tiré, à savoir une exhortation à poursuivre l’œuvre dont elle se sentait investie : prier
pour les missions et endurer ses souffrances pour la conversion des pécheurs et la délivrance
des âmes du purgatoire.
Peu de temps après, la Communauté des Augustines récupère une copie de ce récit et
l’adapte aux besoins de ses membres. Elle en conserve l’essentiel mais laisse de côté toute la
section qui ne concerne que le sort réservé aux laïcs. C’est un texte destiné à l’édification des
religieuses. Le récit possède une dimension spirituelle prépondérante et, plus qu’une
description précise de l’au-delà et des souffrances infligées aux damnés, on veut nous parler
des comportements qui engendrent ces condamnations. Il s’agit donc d’un appel à la vigilance
et d’un engagement à endurer les privations et les souffrances présentes qui ne sont rien par
rapport à celles de l’enfer. La substitution du pseudonyme Corentine Merlen au nom véritable
de la voyante ainsi que la mise sous silence des références toponymiques s’explique peut-être
par cette recherche de spiritualité et d’intériorisation : l’expérience personnelle de la voyante
est devenue sujet de méditation.
La conservation de notre document par les Augustines de Lannion n’est pas fortuite,
loin s’en faut. Cet établissement monastique a vu le jour en 1667 grâce à l’obstination de
Françoise Corentine de Kermeno, sa première mère supérieure, et à son cousin Joseph
Corentin de Kermeno, qui fut son fondateur et principal bienfaiteur. Tous deux connaissaient
Catherine Daniélou de longue date. En 1643 et 1644, celle-ci résidait en effet chez René de
Kermeno, à son manoir de Kerguinou en Elliant, et elle y fit la connaissance de Françoise
Corentine, fille aînée de la famille (Peyron II,75).121
Les Annales de la Communauté de Lannion nous indiquent que Catherine prédit la
naissance prochaine d’un fils à Claude de Kermeno, frère de son protecteur, qui résidait alors
à Plivern en Cléder (diocèse de Léon) :
121
Selon la Vie manuscrite de Catherine Daniélou, Françoise Corentine de Kermeno avait sept ans en 1643
(Peyron II,75) mais le Père Maunoir est manifestement dans l’erreur puisqu’elle fit son entrée comme novice à la
Communauté des Hospitalières de Quimper dès l’année suivante. On suivra plutôt ici la biographie fournie par la
Communauté des Augustines qui nous donne une naissance en 1627, ce qui nous donne un âge de 16 ans environ
en 1643. Dans son autobiographie, Françoise Corentine indique qu’elle se fit religieuse dans sa dix-septième
année et qu’elle venait alors de rencontrer Catherine : « Dans la même année ce me semble, ou dans la suivante,
mes parents prirent maison en ville pour l’éducation de mes frères, et pour nous élever à l’air du monde (…)
J’eus aussi connaissance de cette sainte âme, laquelle vint demeurer chez nous, qui se nommait Catherine
Daniélou. » (Fonds des Augustines de Lannion, AD22, cote 171J4).
61
Il semble que dès le moment de sa naissance, Dieu ait voulu faire voir que c’était une
âme choisie et prédestinée. Par une voix (sic) extraordinaire, il lui donna pour marraine une
sainte femme appelée Catherine Daniélou qui demeurait chez Monsieur de Kermeno et dont
la vie était tout à fait miraculeuse. Elle prophétisa que Madame de Plivern était enceinte d’un
garçon, qui deviendrait un grand serviteur de Dieu et de la sainte Vierge. Elle ajouta que
Monsieur de Kermeno devait demander, par humilité, qu’elle le nommât, et qu’il fallait lui
donner les noms de Joseph Corentin. Tout cela fut exécuté de point en point.122
Le jour venu, Catherine se rendit en effet à Cléder avec toute la famille de Kermeno et
nous la trouvons bien citée comme marraine dans les registres de baptême de la paroisse à la
date du 13 février 1644.123 Son filleul reçut comme convenu les noms de ses deux
consolateurs.
122
AD22, fonds 171J31. Volume 1 des Annales, folio 35. Ces annales ont été rédigées au début du 19e siècle et
rassemblent en plusieurs registres la copie des documents originaux de la Communauté.
123
AD29, fonds 1MI EC 43/1, Baptêmes de Cléder 1591-1656, Vue 417/572. Le parrain était René de Kermeno
et la marraine « pieuse femme Katherine Danielou de Kemper (Coren)tin. » Maunoir indique par erreur une date
de baptême à la fin de l’année 1643 (Peyron II,84).
62
Le jeune Joseph Corentin devint l’ami du Père Maunoir124 et il n’avait encore que
vingt-trois ans lorsqu’il décida de financer la création de la Communauté des Augustines de
Lannion. Dans sa Vie de Catherine Daniélou, Julien Maunoir a placé sont récit de la mort et
résurrection de la voyante directement après une évocation de cette communauté :
Mademoiselle de Kermeno, a qui j’avois déclaré que Catherine avoit prophétisé que
cette fondation auroit de grandes difficultez et qu’enfin elle tiendroit et seroit bénie de Dieu ;
voyant les grandes difficultez dit que si ces establissement réussisit, elle auroit créance en
Catherine Danielou et que Dieu eut esté le maistre, veu qu’il n’y avoit aucune apparence de
la part des créatures en ce qui touchoit l’heureux succez de ce nouvel establissement.125
La force des liens qui unissait Catherine aux Kermeno explique donc pourquoi nous
trouvons le récit de ses visions dans les archives de la Communauté. En outre, il est fort
probable que Françoise Corentine ait été l’auteur de notre version adaptée des visions de
Corentine Merlen.
L’intégration du récit primitif dans la Vie de Catherine Daniélou par le Père Maunoir
nous amène à notre troisième niveau de lecture. L’ouvrage n’a jamais été publié mais
l’intention de Maunoir était manifestement de laisser à la postérité le témoignage de ceux et
celles qui l’avaient fréquentée de près. A lire cette biographie étonnante, on se rend d’ailleurs
compte de la concordance de vues exceptionnelle entre le missionnaire jésuite et la pauvre
mystique de Quimper, illettrée de surcroît. Il est clair que l’un et l’autre se sont influencés
réciproquement par la richesse de leurs expériences et convictions. Leur estime mutuelle était
telle qu’après la mort de Catherine, on attendit quatre jours le Père Maunoir à Saint-Guen
avant de l’enterrer. Malheureusement, elle était déjà dans la fosse quand il arriva… (Perrot
228)
Lorsque Julien Maunoir intègre le récit des visions dans sa biographie de Catherine, ce
n’est cependant pas le simple témoignage d’une expérience de l’au-delà qu’il souhaite
transmettre à ses lecteurs potentiels. Son intention est évidemment didactique. Elle ne
concerne pas seulement les membres des ordres religieux – comme c’est le cas dans le récit de
Corentine Merlen – mais le public habituel qui assiste à ses prédications, c’est-à-dire
l’ensemble de la société rurale bretonne. Nous avons vu qu’il a sans doute apporté quelques
retouches au texte primitif, en évitant certaines redites, en corrigeant le style ou en complétant
son récit jusqu’au dernier moment. A la différence du texte des Augustines, nous obtenons au
final un récit d’une forte intensité dramatique, très visuel, souvent violent, qui vise par ses
mises en scène à sensibiliser son auditoire, à l’impressionner et parfois à l’effrayer. Il s’agit de
créer un électrochoc, une prise de conscience salutaire qui doit mener au repentir, à la
confession et en bout de course à la pénitence. Maunoir se projette lui-même dans le récit et,
ne serait-ce l’application particulière aux congrégations religieuses, un passage de la vision
pourrait bien être une référence à sa propre vocation :
Plût à Dieu qu’un messager des cieux alla dans tous les couvents raconter l’horreur
de nos tourments et leur crier d’une voix tonnante : « Faites pénitence, faites pénitence ! »
124
LEON DUBREUIL, « L’Hôpital de Lannion et les commencements du Monastère de Sainte Anne », Bulletins et
Mémoires de la Société d’Emulation des Côtes-du-Nord, tome 85, 1956, p. 97
125
JULIEN MAUNOIR, Vie manuscrite de Catherine Daniélou, p. 488
63
Tombeau de Catherine Daniélou dans l’église de Saint-Guen
(cliché P.-Y. Quémener)
64
BIBLIOGRAPHIE
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Les visions de Corentine Merlen, document intitulé « Gloire à Jésus et à Marie, et au glorieux
St Joseph », copie dactylographiée d’un registre du 17e siècle (AD22, fonds des Augustines de
Lannion, 171J4)
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66
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION _____________________________________________________________ 3
PRESENTATION GENERALE ____________________________________________________ 4
Le texte_______________________________________________________________________ 6
La structure du récit ____________________________________________________________ 9
Visions et apparitions __________________________________________________________ 10
La mise en accusation de Corentine Merlen________________________________________ 12
Le sort de l’âme après la mort ___________________________________________________ 17
Le séjour des morts et sa géographie______________________________________________ 18
LE VOYAGE DE L’AME DANS L’AU-DELA
__________________________________________ 21
L’au-delà de Corentine Merlen __________________________________________________ 30
Après sa mort, elle fut menée dans un lieu souterrain où elle vit les tourments épouvantables
_____________________________________________________________________________ 31
Le bon ange la porta sur le bord du purgatoire _____________________________________ 33
Son bon ange l’éleva dans un lieu plein de délices ___________________________________ 34
Excursus : l’enfer froid des Celtes________________________________________________ 35
LE MONDE DE CORENTINE MERLEN ____________________________________________ 41
Le regard de Corentine Merlen sur la société de son époque __________________________ 41
Qui était Corentine Merlen ? ____________________________________________________ 44
Mort et résurrection de Catherine Daniélou _______________________________________ 49
Vie de Catherine Daniélou ______________________________________________________ 51
CONCLUSION ______________________________________________________________ 61
BIBLIOGRAPHIE ____________________________________________________________ 65
TABLE DES MATIERES _______________________________________________________ 67
67