Équipe Égypte Nilotique et Méditerranéenne
UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »
Cnrs – Université Paul Valéry (Montpellier III)
L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
Jonathan Maître
Citer cet article :
Jonathan Maître, « L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard », ENiM 14, 2021, p. 1-19.
ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet est librement téléchargeable depuis le site
internet de l’équipe « Égypte nilotique et méditerranéenne » de l’UMR 5140, « Archéologie
des sociétés méditerranéennes » : http://www.enim-egyptologie.fr
L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
Jonathan Maître
UMR 8546 (AOrOc)
L
est la mise en forme de notes prises à l’occasion d’une recherche
réalisée sur les figures animalières de l’Égypte pharaonique prétendument absentes de
la documentation 1. Elle eut pour objet d’en vérifier la présence grâce à des sources
textuelles, iconiques et archéologiques et à l’aide de disciplines transversales comme
l’anthropozoologie, l’éthologie et la sémiologie. Cela afin de mieux connaitre l’histoire des
relations entre l’homme et la faune, notamment en ce qui concerne la place des commensaux
dans les croyances collectives, c’est-à-dire celles partagées par la majorité de la population de
l’Égypte antique (et actuelle !), de tradition paysanne 2.
E PRÉSENT ARTICLE
Nous partirons de l’étude d’un cas pratique – celui des menus de repas funéraires à l’Ancien
Empire –, afin d’appréhender la catégorisation de la faune ailée dans la cosmologie
pharaonique, du IIIe au Ier millénaire av. n. è.
1. Le symbolisme de la [VOLAILLE]
Fig. 1. Ḥm-jwnw, l’un des maîtres d’œuvre de la Grande pyramide. Gîza, IVe dynastie
(© V. Sambach).
1
J. Maître (éd.), La faune invisible de l’Égypte pharaonique, dossier d’Égypte 101, hors-série 2, 2021 (sous
presse).
2
Il s’agit d’un savoir empirique qui se perd rapidement, voir les résultats de l’enquête réalisée par N. Henein
(Proverbes égyptiens relatifs aux poissons et aux oiseaux, BiGen 30, Le Caire, 2007, p. 163) chez les habitants
du lac Manzala à la fin des années 1980.
Jonathan Maître
2
La statue d’Ḥm-jwnw (mastaba G 4000) est célèbre entre toutes pour le modelé réaliste du
surpoids de son propriétaire [fig. 1] 3. Un coup d’œil au menu du repas de ce prince de sang,
vizir du roi Khéops, permet de prendre connaissance de l’identité des bêtes de sacrifice
cuisinées lors de ses funérailles [fig. 2] 4 :
Fig. 2. Les viandes au menu d’Ḥm-jwnw © V. Sambach.
Aux viandes rouges, succèdent les volailles présentées par ordre de grandeur 5 :
Tableau 1 : Les volailles au menu d’Ḥm-jwnw.
1.1. La valorisation
Leur présentation, dans ce système de classement, se fonde sur une hiérarchie de valeurs,
comme le montre l’ordre décroissant des figurations :
grue > oie > canard > colombe 6.
3
RPM 1962 ; PM III/I, p. 123 ; H. JUNKER, Gîza I. Die Mastabas der IV. Dynastie auf dem Westfriedhof,
DAWW 69/1, Vienne, Leipzig, 1929, p. 153-154, pl. XX ; S. DONADONI, L’art égyptien, Paris, 1993, p. 68, 70 ;
A. EGGEBRECHT, M. SEIDEL, Pelizaeus-Museum Hildesheim. Die ägyptische Sammlung, ZBA 12, Mayence,
1993, 18, fig. 11.
4
RPM 2146 ; PM III/1, p. 122 ; A. EGGEBRECHT, M. SEIDEL, op. cit., p. 18-19, fig. 12 ; H. JUNKER, op. cit.,
p. 146-147, fig. 23c, pl. XVIIb. Comparer avec W.K. SIMPSON, The Mastabas of Kawab, Khafkhufu I and II.
G 7110-20, 7130-40, and 7150 and Subsidiary Mastabas of Street G 7100, Giza Mastabas 3, Boston, 1978,
fig. 29, pl. XVIIb.
5
Le mode de présentation qu’induit la liste constitue en soi un dispositif de visualisation efficace. L’écriture y
est rétrograde, conformément : 1) au sens de circulation du desservant qui s’avance vers la stèle fausse-porte à la
rencontre de l’individu bénéficiaire du culte funéraire, 2) à l’ordre d’énonciation des produits dans la formule
invocatoire pr.t-xrw en pain, bière, bœuf et volaille.
6
Sur le sens de mnwt, voir J. MAÎTRE, « Les animaux invisibles. L’exemple des Columbidae », dans J. Maître
(éd.), op. cit., p. 7-18. Je traduis ici par *Tourterelle des bois dans le but de faciliter la lecture du tableau. Si
l’oiseau figuré ici ressemble bien à cette espèce, le terme désigne les Colombidés ; l’identification est ainsi
ouverte à la détermination de n’importe quel membre de cette famille.
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L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
3
Les bêtes sont disposées de la plus grande à la plus petite, c’est-à-dire vers le mets le moins
copieux. Cette symbolique repose sur la base d’un principe de discrimination qui valorise son
objet sur le critère de l’apparence physique à des fins économiques.
Mais pas seulement. Une grue fournit certes plus de viande qu’une tourterelle, mais elle est à
la fois moins fréquente – voire accidentelle – et plus difficile à maîtriser en raison de sa taille
presque humaine et du danger de blessure que représente son bec long, effilé et pointu à son
bout 7. Sa rareté en restreint donc l’accès à une minorité d’ayants droit privilégiés par leur
richesse.
Fig. 3. a. Une Grue cendrée et une Demoiselle de Numidie, chez ra-m-kA.j. Gîza, Ve dynastie
(© J. Maître). b. Anthropoides virgo (Linnaeus, 1758), Rajasthan, 2014 (© S. Moghe [CC-BY-SA]).
La Demoiselle de Numidie [Anthropoides virgo (Linnaeus, 1758)], par exemple, est une
migratrice, qui, contrairement à ses consœurs, n’est pas courante dans la vallée du Nil, ce qui
en fait un gibier particulièrement prisé des gourmets [fig. 3] 8. Ajoutons que, comme son nom
l’indique, elle peut aussi être appréciée pour son esthétique, jugée élégante en raison de sa
démarche qui passe pour rappeler la grâce d’une danseuse 9.
7
Le verbe ḫbȝ, « défoncer le sol (comme un jabiru) » s’écrit avec un groupe appariant les signes G29 et U7 en
une unité de sens. L’analogie entre le bec ET l’hoyau – deux outils – fait de l’oiseau le référent du procès
préconçu par le démiurge lors de la Création pour servir de modèle aux humains en matière de labourage. Le
même terme signifie aussi, de façon métaphorique, « dévaster un pays ». Voir le bec corbin avimorphe dans
N. DE G. DAVIES, The Tomb of Ḳen-Amūn at Thebes II, MMAEE 5, New York, 1930, pl. XXIIA.
8
« Demoiselle Crane », Handbook of the Birds of the World Alive ; https://www.hbw.com/species/demoisellecrane-anthropoides-virgo (site internet consulté le 03/09/2018) ; P. GÉROUDET, Grands échassiers, gallinacés,
râles d’Europe, Neuchâtel, Lausanne, Paris, 1978, p. 394-396 ; P.F. HOULIHAN, S.M. GOODMAN, The Birds of
Ancient Egypt, The Natural History of Egypt 1, Warminster, 1988, p. 86-88, 152 ; R. MEINERTZHAGEN, Nicoll’s
Birds of Egypt, Londres, 1930, p. 629-630 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE, Bestiaire des pharaons, Paris, 2005,
p. 378-379, s.v. Grue.
9
En grec ancien ἱµαντόπους (imantopous) « (l’oiseau) aux pattes filiformes » ; le nom latinisé est employé par
Pline l’Ancien (Pline, Histoire naturelle V, VIII) pour désigner une ethnie d’Afrique de l’Est : A. BAILLY,
Dictionnaire grec-français, Paris, 1935, p. 968. Figuration dans le Dioscoride de Vienne (ÖNB Cod. Med.
Gr. 1), fo 480v ; O.MAZAL, Der Wiener Dioskurides. Codex medicus graecus 1 der Österreichischen
Nationalbibliothek 2, Glanzlichter der Buchkunst 8/2, Graz, 1999, p. 72 [l’identification à l’Aigrette garzette est
erronée].
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Jonathan Maître
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La Tourterelle des bois [Streptopelia turtur (Linnaeus, 1758)] arrive sans surprise en dernier
de ce classement en raison de sa banalité ; c’est une figure familière dont le gémissement était
perçu de façon ambivalente, comme un agrément ou au contraire une nuisance sonore 10.
La possession de l’oiseau représente ainsi, non seulement une source de nourriture
appréciable, mais aussi de prestige ; elle marque alors le statut dominant d’un membre de
l’élite.
La liste de zoonymes permet ainsi d’identifier les viandes du menu à des spécimens
appartenant à un type d’oiseau, plus ou moins identifiable à un taxon de la systématique. De
fait, chacun d’eux est individualisé par l’emploi d’un signe d’écriture figurant la tête et le cou
de l’animal, représenté pars pro toto, à l’inverse des tableaux d’apport des produits de
l’offrande funéraire qui se développent un peu plus tard 11. On devine qu’il s’agit de la partie
du corps de l’animal exposée à la vue du défunt dont la présence se matérialise dans la statue
de culte. La tête, impropre à la consommation, se signale comme la seule partie du corps
digne d’intérêt, en raison de sa forte valeur symbolique, par métonymie 12.
1.2. L’abattage
Les documents témoignent d’une mise à mort par :
– torsion du cou
jj~n.j wšn~n.(j) n.k srw m ȝpdw.
C’est après avoir tordu pour toi le cou à des Oies cendrées en tant que gibier d’eau que je suis
venu ! 13
Le terme ȝpdw est un collectif désignant un regroupement d’espèces d’oiseaux aquatiques
(Grue cendrée, Oie rieuse, Sarcelle d’hiver, etc.) qui représente un type de gibier – le gibier
d’eau –, appelé la sauvagine. Dans le culte funéraire, l’officiant, qui joue le rôle d’Horus, ne
sacrifie pas spécifiquement une espèce d’oie mais une volaille incarnant Seth.
– égorgement
10
« European Turtle-dove », Handbook of the Birds of the World Alive. Site internet consulté le 03/09/2018 :
https://www.hbw.com/species/european-turtle-dove-streptopelia-turtur ; P.F. HOULIHAN, S.M. GOODMAN, op.
cit., p. 103-107 ; R. MEINERTZHAGEN, op. cit., p. 506-507 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 415-416, s.v.
Tourterelle ; J. MAÎTRE, « Les animaux invisibles. L’exemple des Colombidae », EAO 101, Dossier d’Égypte
hors-série 2, 2021, p. 7-18 (sous presse).
11
Voir infra. Exemples dans J. VANDIER, Manuel d’archéologie égyptienne V/II, Paris, 1969, p. 398-446.
12
D. MEEKS, « Zoomorphie et image des dieux dans l’Égypte ancienne » dans J.-P. Vernant, Ch. Malamoud
(éd.), Corps des dieux, Paris, 1986, p. 178-186.
13
P. BM EA9900,9 (pNebseny) = LdM 173 ; G. LAPP, The Papyrus of Nebseni, Catalogue of the Books of the
Dead in the British Museum 3, Londres, 2004, pl. 26, col. 7. Comparer avec E. EDEL, « Untersuchungen zur
Phaseologie der ägyptischen Inschriften des Alten Reiches », MDAIK 13/1, 1944, p. 12sq, § 13c) : jw(⸗j r) jṯ.t ṯs⸗f
mj ȝpd, « Je saisirai sa nuque comme (celle d’)un oiseau ! ». J. WINAND, M. MALAISE, Grammaire raisonnée de
l’Egyptien classique, AegLeod 6, Bruxelles, 1999, p. 160, § 229.
ENIM 14, 2021, p. 1-19
L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
5
jn m rdt(j) mw [n] ȝpd ḥḏ-tȝ n sf.t(j)⸗f dwȝ ?
Pourquoi de l’eau serait-elle donnée à une volaille à l’aube quand elle sera égorgée le matin ? 14
– décollation
ʿḥʿ~n jn n.f smn wḏȝ tp.f.
Là-dessus, une Ouette d’Égypte à la tête tranchée lui fut apportée 15.
La pratique rappelle à coup sûr l’exécution des prisonniers de guerre dont le cadavre est
l’objet d’une mise en scène macabre, par exemple sur la Palette du champ de bataille
(Nagada III) 16. On la retrouve d’ailleurs dans les tableaux illustrant le dépôt des offrandes
alimentaires 17. Rappelons que la mise à mort de la victime sacrificielle est un acte rituel qui
participe pleinement à la célébration de la cérémonie de l’offrande funéraire en ce qu’elle
représente un simulacre de l’exécution de l’ennemi condamné par le tribunal pour le régicide
osirien 18.
On questionnera la nature de la relation sémantique qu’entretient le référent du signe au sens
de la lexie qu’il retranscrit. En effet, si le hiéroglyphe H 1 est le dessin de la tête tranchée
d’une oie, le sens de l’unité lexicale s(w)r qu’il détermine ne désigne pas tant l’oiseau nommé
comme un spécimen de l’espèce Anser anser (Linnaeus, 1758), que, par une extension de sens
14
P. St Pétersbourg 1115, 184-186 faisant écho à 145-146 : sft⸗j n⸗k kȝ.w m sj-n-ḫt, wšn.n⸗j n⸗k ȝpd.w,
« J’égorgerai pour toi des bœufs pour (faire) un holocauste, après avoir tordu le cou pour toi à des oiseaux ! » ;
J.P. ALLEN, Middle Egyptian Literature. Eight Literary Works of the Middle Kingdom, Cambridge, 2015,
p. 38-39, p. 50-51 ; R.B. PARKINSON, The Tale of Sinuhe and other ancient Egyptian Poems 1940–1640 BC,
Oxford, 1997, p. 96-97, 101, n. 30.
15
P. Berlin Staatliche Museen P. 3033 (pWestcar) VIII, 17-18 ; A.M. BLACKMAN, The Story of King Kheops and
the Magicians. Transcribed from Papyrus Westcar (Berlin Papyrus 3033) [s.l.], 1988, p. 10, pl. 8. Le terme tp
désignerait la tête de l’animal vivant par opposition à ḏȝḏȝ.t, le crâne de l’animal mort, en VIII, 21-22 : wn-jn pȝ
smn ʿḥʿ ḥr ḥbȝbȝ ḏȝḏȝ⸗f m-mjt.t, « Alors l’ouette fut debout à se dandiner, et son crâne pareillement » ;
R.B. PARKINSON, op. cit., p. 114-115. L’épisode réfère à un rite sacrificiel comme ceux de l’ouverture de la
bouche ; on peut se demander s’il n’est pas également motivé par l’observation de volailles décapitées ayant
conservé le réflexe de courir quelques instants après leur mort…
16
BM EA 20791 ; N. STRUDWICK, Masterpieces of ancient Egypt, Londres, 2006, p. 34-35. On pensera
également à la mise à mort des animaux voués au culte de divinités, comme les ibis de Thot à Touna el-Gebel.
Crâne humain découvert en contexte exécratoire à Mirgissa dans A. VILA, « Un dépôt de textes d'envoûtement
au Moyen Empire », JournSav 3, 1963, p. 146-147, fig. 6 ; voir aussi le commentaire d’E. JAMBON, « Les mots
et les gestes. Réflexions autour de la place de l’écriture dans un rituel d’envoûtement de l’Égypte pharaonique »,
Cahiers « Mondes anciens » 1, 2010, p. 4 et n. 26.
17
Ph. COLLOMBERT, Le tombeau de Mérérouka. Paléographie, PalHier 4, Le Caire, 2010, p. 65, § 112, pl. 16 ;
N. KANAWATI, M. ABDER-RAZIQ, Mereruka and his Family, ACER 21 et 26, Oxford, 2004-2008, I pl. 49, II,
pl. 67, fig. a ; P. LACAU, H. CHEVRIER, Une chapelle de Sésostris Ier à Karnak, Le Caire, 1956, p. 114, pl. 31 ;
LD II, pl. 3 ; « Fondation du mât de la Sehenet Scène 8’ - (KIU 1040) », SITH : Projet Karnak. Site internet
consulté le 03/09/2018 : http://sith.huma-num.fr/karnak/1040. Les têtes étant rarement figurées dans la
composition des plateaux-repas, on peut supposer qu’elles étaient brûlées en holocauste ou jetées au moment de
la découpe.
18
J. ASSMANN, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne, Monaco, Paris, 2003, p. 121. Cet axe de recherche est à
l’origine d’une abondante littérature. Pour s’en tenir à deux études fondamentales : M. ALLIOT, « Les rites de la
chasse au filet, aux temples de Karnak, d’Edfou et d’Esneh », RdE 5, 1946, p. 57-118 ; J. YOYOTTE, « Héra
d’Héliopolis et le sacrifice humaine », AEPHE 89, 1980, p. 31-102.
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analogique, comme la représentation d’une bête sacrificielle réduite à la portion congrue,
c’est-à-dire à sa mise à mort et à la préparation de sa chair 19. Employé en fonction
déterminative, ce graphème peut être combiné voire supplanté par le classificateur marquant
l’appartenance à la catégorie des [VIANDES DE VOLAILLE], c’est-à-dire le signe de la sauvagine
20
préparée pour la consommation :
. Il s’agirait, par convention graphique, d’un
anatidé déplumé, éviscéré et épaté. Le signe G 54 n’est donc pas sans lien avec H 1, puisque
tous deux servent à illustrer l’abattage des volailles. Compte tenu du rôle rituel joué par ces
volatiles, on ne sera pas surpris de découvrir l’existence d’un lien sémantique qui les relie à la
[PEUR], par association d’idées métaphorique :
, snḏ, « effrayer », litt. : être comme
(l’est) une volaille plumée, c’est-à-dire avoir la chair de poule ou réaction ansérine (L. anser
« oie ») 21, à cause de la peur. Le soldat, en campagne 22 :
spr.f r pȝ ḫrwj
jw.f mj ȝtpw sṯ
jw nn wn pḥt m ḥʿt.f nb.
« Arrive-t-il à la bataille °
qu’il est comme sont les volailles plumées : °
il n’y a plus de force dans aucun de ses membres ! »
Plus tard, on l’a vu, le thème de l’exposition des bêtes de sacrifice connaîtra un
développement sans précédent dans la décoration des chapelles funéraires, le décor des parois
allant parfois jusqu’à réserver un registre complet à son illustration. Il s’agit un motif valorisé
positivement, y compris, désormais, pour sa qualité esthétique intrinsèque 23. Le sujet est
traité avec un soin nouveau ; la précision du rendu d’après la nature de la livrée et de la
structure des plumages dénote un goût naturaliste qui n’est pas sans lien avec le courant de
pensée théologique des temples solaires de la Ve dynastie.
19
P.F. HOULIHAN, S.M. GOODMAN, op. cit., p. 54-56, 150 ; R. MEINERTZHAGEN, op. cit., p. 458-459.
A.H. GARDINER, Egyptian Grammar, Oxford, 20013, p. 473.
21
Wb IV, 182.2-183.4 : FCD, 234. Voir le commentaire de A.H. Gardiner (op. cit.) : « For unknown reason,
phon. or phon. det. in
snD, var. Pyr.
cnD, later var.
snd, ‘fear’ and derivatives. »
L’arrachage de la plume laisse vide le follicule plumaire ; la peau présente l’aspect d’un cratère.
22
P. BM EA10246,3 (pAnastasi 3), V, 11-12 ; A.H. GARDINER, Late-Egyptian Miscellanies, BiAeg 7, Bruxelles,
1937, p. 26 ; R.A. CAMINOS, Late-Egyptian Miscellanies, Londres, 1954, p. 92 ; S. BOJOWALD, « Marginalia
Ornithologica », CdE 94/188, 2019, p. 326.
23
G 4561 et G 7152 (Ve-VIe dyn.) ; H. JUNKER, Gîza IV, Die Mastaba des KAjmanx (Kai-em-anch), DAWW 71,
Leipzig, 1940, p. 64, pl. VII ; A. BADAWY, The Tombs of Iteti, Sekhe’ankh-Ptah, and Kaemnofert at Giza,
UCLAP 9, Los Angeles, 1976, fig. 20, pl. 21. On remarque chez Sekhemânkhptah que l’ouette est figurée à
l’image des oies dont elle clôt le défilé. Le nom de l’oie domestique, (rȝ) HD, litt. l’Oie (des moissons) blanche,
est étymologiquement la lexicalisation d’un syntagme nominal composé d’un substantif apposé à un adjectif
qualificatif épithète ; la langue accepte l’emploi isolé de ce dernier. On trouve ainsi fréquemment l’abréviation
ḥḏ, y compris dans la désignation de l’oryx (mȝ) ḥḏ, litt. le (« ruminant ») blanc, sans lien avec mȝ(j), « lion »
mais avec le port de cornes falciformes. P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., Paris, 2005, p. 81.
20
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7
Fig. 4. Défilé de volailles chez Mr-jb ; la polychromie n’est hélas pas conservée. Gizâ, IVe dynastie (©
Jonathan Maître).
1.3. L’ambivalence de la figure de l’ouette
De fait, on constate à cette date l’assouplissement des conditions d’accès aux charges
d’officiers de la Maison du Roi, qui s’ouvrent à l’extérieur de la famille régnante. C’est le cas,
par exemple, de sSAt-Htp-htjs (mastaba G 5150), sous le règne de Sahourê [fig. 4] 24 :
Fig. 4. Les viandes au menu de sšȝt-ḥtp-htjs, Gîza, Ve dynastie.
Soit :
Tableau 2 : Les volatiles au menu de sSAt-Htp-htjs.
24
N. KANAWATI, Tombs at Giza II, Seshathetep/Heti (G5150), Nesutnefer (G4970) and Seshemnefer II (G5080),
ACER 18, Warminster, 2002, p. 24, pl. 46.
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8
On retrouve l’ordre observé un peu plus tôt chez Ḥm-jwnw, à une exception près :
grue > oie > canard > ouette > colombe.
Une ombre au tableau : l’ouette d’Égypte alias Alopochen aegyptiaca (Linnaeus, 1766), un
genre d’anatidé intermédiaire entre les oies et le tadorne, de facto difficile à appréhender en
raison de sa nature liminale [fig. 5]. Une « canaroie », en somme 25.
Fig. 5. Alopochen aegyptiaca (Linnaeus, 1766). Etats-Unis d’Amérique, 2013 (© Flickr / cuatrok77
[CC-BY-SA]).
Une question se pose alors : pourquoi l’ouette est-elle déclassée des Anatidae pour finir
reléguée au rang des gibiers les moins prisés pour le prestige que procure la consommation de
leurs chairs 26 ? Le « vilain canard » avait mauvaise réputation. Dans une lettre, un
responsable dit à son subordonné :
bjn tw r smn n wḏb
25
Anseranas semipalmata (Latham, 1798) ; « Magpie Goose », Handbook of the birds of the World Alive. Site
internet consulté le 31/08/2019 : https://www.hbw.com/species/magpie-goose-anseranas-semipalmata.
26
« Egyptian Goose », Handbook of the Birds of the World Alive. Site internet consulté le 03/09/2018 :
https://www.hbw.com/species/egyptian-goose-alopochen-aegyptiaca ; P. GÉROUDET, Les palmipèdes d’Europe,
Lausanne, Paris, 19994, p. 158-159. Chez kȝ-nj-nswt I, à l’époque d’Ouserkaf ou de Neferirkarê : oie > ouette >
canard > colombe ; H. JUNKER, Giza II, DAWW 70, Leipzig, 1934, p. 155, fig. 21, pl. X. Momie d’ouette
d’Égypte dans : L. LORTET, Cl. GAILLARD, La faune momifiée de l’ancienne Égypte et recherches
anthropologiques, 4e série, AMHNL, Lyon, 1908, p. 154-158. Voir aussi : P.F. HOULIHAN, S.M. GOODMAN,
op. cit., p. 62-65, 151 ; S. MADGE, H. BURN, Guide des canards, des oies et des cygnes, Paris, 2006, p. 171, pl.
13, fig. 46 ; R. MEINERTZHAGEN, op. cit., p. 462-463.
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L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
9
pȝ ʿšȝ wggw
j.jr.f Sšmw m ȝḳ bjnrw
prt m ȝḳ mnj
j.jr.f pȝj.f wšȝ n rnpt m-sȝ nȝ ʿḥwtj.
Tu es plus nuisible que l’ouette d’Egypte l’est aux cultures ripuaires, °
La cause de nombreuses pertes ! °
Elle passe l’été à ravager les dattes, °
L’hiver à ravager le sorgho (?) ! °
Elle passe tout son temps de l’année à être sur le dos des cultivateurs ! ° 27
Le message est clair : Continue comme ça, et tu finiras moins que rien ! c’est-à-dire un
criminel.
Le volatile n’est ainsi jamais figuré dans les produits de l’offrande, et pour cause :
bw rḫ.tw jn.tw.f m grg
bw rḫ.(tw) ḫrp.tw.f r ḥw.t-nṯr.
On ne saurait l’apporter en tant que pièce constitutive d’un dépôt de fondation, °
Ni la consacrer au temple du dieu ! ° 28
L’espèce, invasive, causait de fait d’importants dégâts aux cultures par ses déprédations. Pire,
son agressivité était proverbiale au point qu’on l’aurait surnommée en grec ancien χηναλώπηξ
(khênalôpêx) « l’Oie-renard », c’est-à-dire celle qui se comporte à la manière du goupil, de
façon vicieuse… 29 Ces deux animaux partageraient en commun un comportement qui les
27
P. BM EA9994, (pLansing) III, 5-6 ; A.H. GARDINER, Late-Egyptian Miscellanies, BiAeg 7, Bruxelles, 1937,
p. 102, l. 5-8 ; R.A. CAMINOS, Late-Egyptian Miscellanies, Londres, 1954, p. 381-382 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE,
Bestiaire, p. 398, s.v. Oie.
28
L’analyse grammaticale montre qu’il s’agit de deux substantifs introduits chacun par une préposition
différente, si bien qu’on pourrait parler de « dissimulation prépositionnelle ». A.H. GARDINER, op. cit., p. 102, l.
9-10 ; R.A. CAMINOS, op. cit., p. 382.
Voir le matériel découvert à Gourna, daté, selon le cartel du musée des confluences, du IIe s. av. n. è. au IIIe s. n.
è. Il n’y a pas lieu d’y voir une allusion directe à la chasse. En revanche, le consonantisme devait orienter
secondairement vers un champ lexical possiblement négatif : grg « fondation », grg « équipement », grg
« mensonge », grg « rumeur », grgj « (le) menteur », gror « le bavard (?) » [*ragoteur], etc. Le prélèvement,
parce qu’il s’oppose à la production, était lui-même particulièrement déprécié.
29
Il s’agit du cravan, voir Hérodote, Histoires II, LXXII. La tradition identifie l’oiseau à l’ouette : A. BAILLY,
Dictionnaire grec-français, Paris, 1935, p. 2136 ; D’A.W. THOMPSON, A Glossary of Greek Birds, Oxford, 1895,
p. 195-196. On observe cependant que son nom copte, ⲥⲙⲟⲩⲛⲉ, correspond à l’égyptien smn qui procède de
MN ; sa structure consonantique est homographique avec celle du causatif s.mn, « établir » (litt. faire durer).
Voir : W. VYCICHL, Dictionnaire étymologique de la langue copte, Louvain, 1983, p. 189. Il n’est pas sûr que la
composition des zoonymes par rection eût été si fréquente en égyptien avant la Basse Époque. L’hellénisme
institue une illustration naturaliste étrangère au fonds culturel pharaonique. On pensera, comme d’autres, aux
tadornes : Tadorna ferruginea (Pallas, 1764) dont la livrée du plumage est rousse, et Tardorna tadorna
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10
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inclut dans la catégorie ad hoc des [NUISIBLES], plus facile à appréhender que leur
extériorités qui diffèrent. Or, l’oiseau n’était pas sans liens étroits avec Amon-Rê lui-même,
ce que confirme l’étymologie de leur nom 30. En effet, l’Ouette d’Égypte (s-mn) a une tache
rousse sur le ventre, qui peut être interprétée comme le soleil (rʿ), un trait qui donne à voir en
elle une image objective de l’appariement du dieu patron de l’empire (j-mn) au démiurge
solaire de la théologie héliopolitainne (rʿ) (fig. 5) 31. Cachée au fond du sanctuaire de Karnak,
la divinité manifestait son pouvoir démiurgique, entre autre, par l’entremise de l’oiseau
distingué entre tous dès l’origine du monde par le port d’une marque sur son plumage, un
intersigne qu’il faut savoir lire 32. Mieux, chez cette espèce monomorphique, la femelle
pousse un cri d’alarme très sonore évoquant le braiment de l’âne : houk hak han han 33. On
pensera au rôle joué par la figure du « Grand cacardeur » dans la Création… Ce mal-aimé du
bestiaire offrait aux trépassé un moyen efficace de se réaliser manifestement après leur
triomphe sur la Mort, à l'égale de tout dieu en général et du démiurge en particulier. On
remarquera que les momies déposées à Gourna ne sont pas plumées : il s’agirait d'offrandes
symboliques, et non alimentaires.
A. Le groupe aux ouettes de on
Graveur d’Amon, on est l’auteur d’un groupe consacré à son dieu tutélaire représentant neuf
ouettes couchées côte-à-côte [fig. 6] :
(Linnaeus, 1758) qui niche dans un trou, lequel est souvent un ancien terrier de renard… P. GÉROUDET, Les
palmipèdes d’Europe, Lausanne, Paris, 19994, p. 174-182, pl. 15 ; P.F. HOULIHAN, S.M. GOODMAN, The Birds,
p. 61-62, 151 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 415, s.v. Tadorne.
30
Wb IV, 196.2-4 ; FCD, p. 228. Son identification à une forme du dieu est exprimée clairement sur de
nombreux monuments. Voir la stèle Turin C. 1607 : jmn-rʿ pȝ smn nfr smn nfr n jmn-rʿ, « Amon-Rê l’ouette
parfaite. L’ouette parfaite d’Amon-Rê », et d.j rn.j mn m st mȝʿt rȝ.j mḥ m ḏfȝw n dd.f, « qu’il fasse que mon
(re)nom perdure en La Place de Maât et que ma bouche soit (toujours) pleine des aliments qu’il dispense ! ».
31
Les tâches autour des yeux pourraient être perçus comme des répétiteurs, surtout vues de profil. On se méfiera
notamment de la variabilité de la livrée du plumage chez cette espèce. Ce problème a été étudié dans le cas du
jabiru par J. JANÁK, « A Question of Size. A Remark on Early Attestations of the Ba Hieroglyph », SAK 40,
2011, p. 143-153.
32
Le succès du mythe étiologique laisse supposer que l’ouette partageait une caractéristique fondamentale avec
le démiurge thébain. En revanche, on peut se demander si toute l’espèce lui était consacrée ou seulement les
individus arborant une tâche rouge sur le ventre ; ces derniers auraient incarné le couple Amon-Rê sous la forme
d’un rébus (smn + rʿ), voire d’un monogramme. On pensera à l’identification de l’hypostase d’Apis par les
hiéromoschosphragistes. P.F. HOULIHAN, S.M. GOODMAN, op. cit., p. 62-63 ; Ch. KUENTZ, « L’Oie du Nil
(Chenalopex ægyptiaca) dans l'antique Égypte », AMHNL 14, 1934, p. 9-64 ; J. VANDIER, « L’oie d'Amon. À
propos d'une récente acquisition du Musée du Louvre », MonPiot 57, 1971, p. 5-41. On abandonnera la
désignation erronée : « oie du Nil » pour : « Ouette d’Égypte ». L’ouette est un anatidé, mais n’est pas une oie.
33
« Ouette d’Égypte, Xeno-canto. Site internet consulté le 04/09/2019, https://www.xenocanto.org/species/Alopochen-aegyptiaca ; P. GÉROUDET, op. cit., p. 159 ; R. MEINERTZHAGEN, Nicoll’s Birds of
Egypt II, p. 462. L’exemple des ânes de la TT 335 est bien connu ; B. BRUYÈRE, Rapport sur les fouilles de Deir
El Médineh (1924-1925), FIFAO III/3, Le Caire, 1926, p. 146-147 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 466470, s.v. Âne. Le fait que le nom de l’Ouette d’Égypte soit d’abord masculin en égyptien (smn) puis féminin en
copte (ⲥⲙⲟⲩⲛⲉ) est remarquable. Voir P. VERNUS, « Noms d’animaux et distinction sexuelle. Le cas de
l’ânesse » dans G. Moers, et al. (éd.), jn.t ḏr.w. Festschrift für Friedrich Junge II, Göttingen, 2006, p. 698.
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L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
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Fig. 6. Groupe aux ouettes RPM 4544. Deir al-Médina, Ramsès II (© V. Sambach).
jr~n tȝ n jmn m st mȝʿt qn mȝʿ-ḫrw ḏd.f mn wȝḥ n smnw n jmn[-rʿ (?)].
(Monument) qu’a réalisé le graveur d’Amon en la Place de Maât, Qn, justifié : « Durabilité et
permanence 34 aux ouettes d’Amon-[Rê (?)] ! » 35.
Pour on, la survie post mortem dépend de la volonté du dieu topique ; le rituel de l’offrande
divine permet de se la concilier en lui consacrant sa personne par le biais d’un groupe dont il
est l’auteur. Ce support conserve à long terme le souvenir de la mémoire du dédicant, ce qui
explique le soin apporté à sa réalisation, conçue pour être efficace.
Le théonyme j-mVn « Amon » (copte SBⲁⲙⲟⲩⲛ, grec Ἀµoῦν) procède du verbe j-mVn
« cacher », tiré de MVN évoquant la durée. La racine se retrouve notamment dans mn,
« perdurer », d’où mnw « monument », etc. 36 La caractéristique fondamentale du dieu n’estelle pas qu’il se dérobe à la vue en se cachant dans un fluide invisible ?
D’après l’Adoration très mystique d’Amon, au temple d’Hibis 37 :
34
Wȝḥ, « laisser (sur place) », d’où l’idée de perpétuation, comme dans wȝḥ ḥtp-nṯr, « instituer un service
d’offrande au dieu » et wAH-jb « (être) tolérant » (litt. avoir l’esprit qui supporte avec patience) ; Wb I, 253.1257.6 ; FCD, 54, ALex 79.0591. mn wAH sont des infinitifs, une forme nominale du verbe ; ils sont reliés par un
génitif indirect à un syntagme nominal. Le tour est bien attesté au pseudo-participe en tant qu’eulogie. Comparer
P. BM EA 10188, 6 (pBremner-Rhind), Clp. 25 et KRI II, 288.6.
35
RPM 4544 ; PM I/II, 714 ; A. EGGEBRECHT, M. SEIDEL, Pelizaeus-Museum, p. 74-75, fig. 69 ; KRI III,
682.16 ; B.G. DAVIES, Who’s Who at Deir el-Medina. A Prosopographic Study of the Royal Workmen’s
Community, EgUit 13, Leyde, 1999, p. 176-178 ; H. KAYSER, « Die Gänse des Amon (Eine Neuerwerbung des
Pelizaeus-Museums) », MDAIK 16, 1985, p. 193, pl. XIV, fig. 1-2 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 402, s.v.
Oie.
36
J. MAÎTRE, « Les animaux invisibles. L’exemple des Columbidæ », dans id. (éd.), « L’Égypte ancienne et sa
faune invisible », Dossier d’Égypte hors-série 2, 2020, p. 10-14 (sous presse).
37
Dwȝ štȝ wrt n jmn. G. DAVIES, The Temple of Hibis in El Khārgeh Oasis III, MMAEE 17, New York, 1953,
pl. 32 ; D. KLOTZ, Adoration of the Ram. Five Hymns to Amun-Re from Hibis Temple, YES 6, New Heaven,
2006, p. 214-215, pl. 10.
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spȝj~n.f rȝw ḥr sṯs šw ḫnj.sn m nf n rȝ.f.
Il a fait que les Oies cendrées volent sur ce qu’élève Chou (i.e., les nuages), et qu’elles se
posent grâce au souffle de sa bouche !
Il n’est donc pas utile de corriger la graphie où jmn est déterminé par le signe Y1 ; le sens du
terme serait « L’Éternel » (litt. Le Durable), épithète qualifiant le dieu en tant que créateur de
l’Univers. La finalité du groupe ne serait pas votive mais laudative. Il s’agit en fait d’un acte
de dévotion accompli pour célébrer le mérite du démiurge thébain. On voit mal, sinon, la
finalité du travail de sculpture et d’écriture d’autant plus qu’il mobilise un savoir
cosmogonique.
B. La stèle de Ms
L’offrande de l’émissaire Ms se signale par l’originalité de son décor qui, s’il illustre un
thème bien connu – celui de la Première fois –, témoigne de la recherche d’une expressivité
intimiste [fig. 7] 38.
Fig. 7. L’émissaire Ms adore Amon sous la forme d’une ouette ithyphallique battant des ailes pour
prendre son essor. Assiout, XIXe dyn.
La composition du tableau est banale. Sur le côté gauche, le dédicant est figuré à genoux en
adoration face à deux types d’animaux situés à droite : une ouette et deux caprins.
→
jr~n wp(wtj) Ms.
38
Ch. KUENTZ, op. cit., p. 12, 41, fig. 23.
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L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
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Fait par l’émissaire Ms.
La figure centrale :
←
jmn nṯr ʿȝ ḫpr ḏs.f mȝ bw nfr.
Amon, le grand dieu, qui se réalise lui-même, et qui voit les bonnes œuvres.
→
jn ʿnḫ.f mȝ bw nfr nb (m)-bȝḥ nṯr.
par l’entremise de son bouc qui voit toute bonne œuvre en présence du dieu.
←
jr~n mȝ bw nfr wp(wt)j ms.
Fait par celui qui voit la bonne œuvre, (à savoir) l’émissaire Ms 39.
La figure illustre la bruyance de l’ouette, une qualité valorisée dans les croyances religieuses
qui en font le parangon de l’oiseau au cri strident :
pȝ~n.j m bjk ngg~n.j m smn.
C’est tel un faucon que j’ai pris mon essor, telle une Ouette d’Égypte que j’ai cacardé 40 !
À ce titre, elle est le référent d’un prototype possible du [DÉMIURGE] dans certains courants de
pensée cosmogoniques. À Thèbes, on crédite Amon de s’être manifesté la Première fois en
ouette pour créer le monde 41 :
39
La disposition du texte présente un double chiasme mis en œuvre dans son contenu selon une séquence
homme-dieu-dieu-homme ; l’encadrement met en valeur l’élément central. À l’inverse, en l’absence d’un
contrepoint à droite, l’ensemble des figures situées au milieu est affronté à celle représentant le dédicant, d’où
l’orientation inverse du mot nṯr, à la fin de la col. 6. La posture naturaliste du bouc est remarquable comme le
dessin des cornes qui donne à voir la représentation de la profondeur du champ. L’éloignement de celle qui est
cachée à la vue de l’observateur par la tête de l’animal est rendu par sa taille de dimension moindre, représentant
une forme de perspective ; H. SCHAFER, E. BRUNNER-TRAUT (éd.), J. Baines (trad.), Principles of Egyptian Art,
Oxford, 1974, p. 260, comparer avec p. 214, fig. 222 et 254, fig. 271.
40
P. BM EA10477 (pNou) = LdM 82 ; G. LAPP, The Papyrus of Nu, Catalogue of the Books of the Dead in the
British Museum 1, Londres, 1997, pl. 26 ; Th.G. ALLEN, The Book of the Dead or Going forth by Day. Ideas of
the Ancient Egyptians Concerning the Hereafter as Expressed in their own Terms, SAOC 37, Chicago, 1974,
p. 71. Sont ainsi à la fois exploitées l’endurance de l’ouette et la rapidité du faucon. Les Textes des Pyramides
ajoutent à ce dernier l’image du milan, au vol plus agile, voir par exemple : Pyr. § 458a-463d [TP 302]. Sur le
Grand Cacardeur : P. VERNUS, J. YOYOTTE, Bestiaire, p. 401-402, s.v. Oie.
41
A.H. GARDINER, « Hymns to Amon from a Leiden Papyrus », ZÄS 24, 1905, p. 31-32 ; J. ZANDEE, De
Hymnen aan Amon van Papyrus Leiden I 350 I, OMRO 28, Leyde, 1947, pl. IV.
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ngg.f ḫrw m ngg wr. (J)r sww ḥr [q]mȝ~n.f jw.f wʿ wp.f mdt m-ẖnw n gr.
Il a crié un appel en tant que le Grand crieur. Quant aux alentours qu’il a créé, c’était alors qu’il
était seul. Il a différencié la parole du mutisme.
Le cri de l’ouette est performatif par sa stridence ; le seul fait d’émettre ce son en l’absence de
bruit suffit à différencier l’être et le non-être, donnant corps à l’univers des possibles. D’où
l’euphémisme 42 :
jmn pȝ smn nḏm ḫrw pȝ jr sw(w) tȝ pn tȝ m grḥ.
Amon l’ouette au(x) doux appel(s), elle qui a fait les alentours de ce pays quand la terre était
(plongée) dans la nuit.
En effet, ce cri passe pour être agréable à l’oreille en raison de son harmonie, très relative.
La figuration d’un phallus [fig. 7] symbolise ce pouvoir génésique, source de fécondité et
d’abondance ; il n’est pas exclu qu’il fasse allusion à la masturbation d’Atoum, en référence à
la cosmogonie héliopolitaine 43. En remarquera, pour finir, que le socle représente la butte
primordiale. L’essor de l’oiseau est représenté par le battement de ses ailes qui est décomposé
en ses deux mouvements extrêmes, d’où le dédoublement de celles-ci 44.
2. Comment appréhender les [VOLATILES] du Monde pharaonique ?
Tous ces animaux sont regroupés dans la catégorie intermédiaire des
« les célicoles » 45. Un soldat en poste à l’étranger explique :
, jrjw-pt,
42
ROM AH 210, cité dans P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 402, 775. Voir P. BOESER, Beschreibung der
aegyptischen Sammlung des Niederländischen Reichsmuseums der Altertümer in Leiden XII, La Haye, 1925, p.
4, pl. V ; KRI III, 710.9-10 ; KRITA III 478. Le passage n’est pas corrompu : swȝw > sww (avec haplographie),
voir : Wb IV, 62.4-9 ; ALex 79.2466 ; L.H. LESKO, A Dictionary of Late Egyptian, Providence (RI), 20022,
p. 17-18 ; WPL, 809. Pour N 21 > N 23, voir : G. MÖLLER, Hieratische Paläographie II, Leipzig, 1909, nos 363364 et p. 29, n. 1.
43
Fr. DUNAND, Chr. ZIVIE-COCHE, Dieux et hommes en Égypte. 3000 av. J.-C.-395 apr. J.-C. Anthropologie
religieuse, Paris, 2006, p. 87-88.
44
Le signe G 40 représente le décollage (pȝj) et G 41 l’atterrissage (ḫnj), et non l’inverse. L’interprétation est
due à P. MONTET, Les scènes de la vie privée dans les tombeaux égyptiens de l’Ancien Empire, Publications de
la Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg 24, Oxford, 1925, p. 62-64. Voir J. MAÎTRE, « Comme un
oiseau sur la branche… », ENiM 10, 2017, p. 98.
45
D. MEEKS, « La hiérarchie des êtres vivants selon la conception égyptienne » dans A. Gasse, Fr. Servajean,
Chr. Thiers, Et in Ægypto et ad Ægyptum. Recueil d’études dédiées à Jean-Claude Grenier III, CENiM 5,
Montpellier, 2012, p. 529-532 ; P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 15, 18-19, 701, n. 32 ; ibid., p. 348, s.v.
Monde ailé.
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wrš.j ḥr gmḥ jrj-pt
tw.j (ḥr) wḥʿ
jrt.j (ḥr) H-l mtn r ṯsj r ḏȝ(hj).
Je passe le temps à observer les célicoles. Et quand j’(en) capture, mon regard oblique
immanquablement vers la piste qui monte au Djahi (i.e, en Palestine) 46 !
On désigne par
Apdw, « la sauvagine » 47 ; le terme renvoie à une catégorie
d’oiseaux aquatiques dominés par les Anatidae, le gibier d’eau par excellence. Ce sens peut
être élargi par extension analogique à l’ensemble du gibier à plume :
ȝpdw qnww qnjww n(w) T(w)fjw.
De nombreux gibiers à plume : des loriots provenant de la mer de Joncs 48 !
L’énoncé est poétique : allitérations, chiasme, jeu de mots, etc. La construction N-mp + adj.
ou génitif indirect et substantif établit une séquence AB-AC, du général au particulier, qui
induit la subordination de onjw à Apd ; ici ce dernier n’oriente pas le sens vers le signifié
« gibier d’eau » mais vers celui de « gibier à plume ». Il s’agit de l’énumération d’une liste
de biens de consommation.
À la différence de la plupart des volailles de basse-cour, les passereaux ne sont pas élevés en
captivité, mais pris et conservés sur pied dans l’attente d’une mise à mort rapide. Le Loriot
d’Europe [Oriolus oriolus (Linnaeus, 1758)] est un « oiseau de feuillage, [qui] passe sa vie
dans les arbres », ne fréquentant pas les zones humides 49. Il représente donc moins bien la
sauvagine qu’une oie ou un canard. Celle-ci, en effet, était pensée à partir de l’image des
Anatidae, famille d’oiseaux la plus courante, comme en témoignent leurs nombreuses
représentations. De fait, l’approvisionnement régulier en viande, pour une grande partie de la
population, se faisait principalement par le biais de prélèvements sauvages. On ne saurait
sous-estimer l’importance du dénichage et de l’oiselage pour les paysans, aux yeux desquels il
s’agit d’activités secondaires, génératrices de revenus complémentaires 50.
46
P. BM EA10249, 5 (pAnastasi 4), XII, 7-8 ; A.H. GARDINER, Miscellanies, p. 48, l. 7-8 ; R.A. CAMINOS,
Miscellanies, p. 188, 191-192. À défaut de cotexte, on aurait pu traduire : « Je passe le temps à regarder les
mouches voler ».
47
R.O. FAULKNER, « ȝpd = ‘duck’ », JEA 38, 1952, p. 128 ; O. GOLDWASSER, Prophets, Lovers and Giraffes.
Wor(l)d Classification in Ancient Egypt, GOF 38, Wiesbaden, 2002, p. 20, n. 56.
48
P. BM EA10249, 5 (pAnastasi 4), XV, 5-6 ; A.H. GARDINER, op. cit., p. 51, l. 15-16 ; R.A. CAMINOS, op. cit.,
p. 200, 210. Le signe O 49 indique qu’il s’agit d’un territoire habité et non de la formation paysagère à l’origine
du toponyme. Voir AEO II, 201*-202*.
49
P. GÉROUDET, Les passereaux I, Neuchâtel, Paris, 19803, p. 167-171, pl. 37-38 ; P.F. HOULIHAN,
S.M. GOODMAN, The Birds, p. 129-131, 166.
50
Arc, rets, piège à mâchoires, à panneaux, etc. sont connus. On ajoutera l’encollage à l’aide de gluaux et
l’ixeutique (étude en cours). Voir BH 15 et 17 dans P. NEWBERRY, Beni Hasan II, pl. VI, XIV, XVI (avec type
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D’où l’affaiblissement sémantique suivant : gibier d’eau > gibier à plume > oiseaux (bons à
manger) > [*oiseaux] :
ȝpdw gnẖ pt.
les « oiseaux » qui sont soudés au ciel 51.
La grue, pour finir, était reliée aux autres gibiers d’eau par sa fréquentation des zones
humides. Un tableau de la tombe de Ti, représentant le gavage des grues, est légendé de la
manière suivante :
zwṯ t jn šd ȝpd.
Modeler le pain par le gaveur de volaille (i.e, de Grues cendrées) 52.
On a vu l’importance des migrateurs comme ressource saisonnière. En effet, jusqu’à la
domestication des oies au Nouvel Empire, les prélèvements d’oiseaux s’opéraient par le
piégeage de bandes lors de leur survol de l’Égypte, au printemps ou à l’automne 53. Le retour
de ces migrateurs était attendu avec impatience. Une fois pris, ils étaient retenus en captivité
jusqu’à l’épuisement du stock. Ce sont donc, selon la formule de D. Meeks, des
« marqueurs du temps » de l’année où l’on reconstituait les réserves de gibiers d’eau, qui,
thésaurisés sur pied ou en conserve, constituaient une source de richesse, symbole de satiété
et, par-là, de la prospérité du pays tout entier 54. La pratique de l’élevage en commun
d’espèces différentes permet ainsi de les classer au sein d’une catégorie ad hoc regroupant
l’ensemble des volatiles de basse-cour : la [VOLAILLE]. Or, l’existence d’une telle catégorie
transversale n’est pas exprimée dans la langue écrite par la notation d’un classificateur
particulier mais par un terme générique ; le graphème G 38 discrimine ainsi tous les volants,
du vautour à la mouche. On en déduit que la faible consistance de l’image culturelle de cette
sella simple à droite) ; L. EVANS, N. KANAWATI, Beni Hassan IV, ACER 42, Oxford, 2018, p. 36, pl. 41-43,
79-81, proposent une interprétation alternative (collet) : « Another technique can be seen in a nearby tree, in
which looped strings are attached to the branches, presumably intended to tighten around a bird’s leg once it
stands on it and tries to leave. ». Pour la sella, voir N. HENEIN, « La chasse aux gluaux » dans N. Grimal,
A. Kamel, C. May-Sheikholeslami (éd.), Hommages à Fayza Haikal, BiEtud 138, Le Caire, 2003, p. 129, 131,
fig. 2.
51
P. Caire 58038 (pBoulaq 17), VI, 5 ; Wb V, 176.11 ; FCD, 290 ; ALex 79.3293 ; WPL, 1102-1103.
52
L. EPERON, Fr. DAUMAS, Le tombeau de Ti. Les approches de la chapelle, MIFAO 65/1, Le Caire, 1939,
pl. VI.
53
Ce facteur est invoqué pour expliquer l’introduction tardive de l’agriculture dans la vallée du Nil. La présence
d’une oie blanche dans le décor des mastabas serait l’indice d’un début de domestication d’Anser anser dès
l’Ancien Empire.
54
On pensera à Neferti, § VIIa-d : ḥḏ ḥm nf n bw nfr nȝ n šw qʿḥw wnyw ẖr wgsw wbn ẖr rmww ȝpdw, « Ces
bonnes choses-là disparaitront bel et bien : les viviers emplis de videurs, débordant de poissons et d’oiseaux ! » ;
W. HELCK, Die Prophezeiung des Nfr.ti, KÄT 2, Wiesbaden, 1970, p. 29 ; R.B. PARKINSON, The Tale of Sinuhe,
p. 136, 141, n. 15. Les prises du jour étaient préparées sur site, et les abats rejetés au bord de l’eau d’où la
présence de charognards comme le milan, voir J. MAÎTRE, « Comment penser la place du charognard dans le
Monde pharaonique ? », dans Ecole Pratique des Hautes Etudes (éd.), Ordre et chaos. Actes du séminaire
transversal du 4 avril 2018 à l'INHA, ÉPHÉ-PSL, Paris, 2020, p. 21-31. Pour le concept de marqueur, voir
D. MEEKS, « Les oiseaux marqueurs du temps », BCLE 4, 1990, p. 37-52.
ENIM 14, 2021, p. 1-19
L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
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catégorie s’expliquerait par leur non-domestication. De fait, un grand nombre d’espèces
d’oiseaux aquatiques est plutôt susceptible d’être chassé.
On en mesure toutefois l’importance à travers le titre de :
(j)m(j)-rȝ ʿb wḥm šwt nšmt,
« directeur (des animaux) à cornes, à sabots, à plumes et à écailles » 55.
Le sens de l’expression n’oriente pas vers des matériaux ni vers les d’animaux d’où on les
tire : *bœufs, chèvres, oies, tilapias. Il s’agit d’énumérer une liste de types de bétail (mnmnt
[jHw], ʿwwt, ȝpdw, rmw), désignés de façon métonymique sans qu’il ne soit besoin d’en
détailler le contenu :
var.
šwt,
plume 56, litt. les rémiges,
d’où le sens amenui, par métonymie, de « plumage », lequel n’apporte aucun renseignement
sur les espèces d’oiseaux concernées bien que l’on devine qu’il s’agit sans doute des mêmes :
oies, canards, colombes, etc., auxquels on coupe précisément ces plumes pour les empêcher
de s’envoler. Tous sont des animaux d’élevage qui constituent la « Plume », une ressource
discriminée au sein du bétail ʿwt.
Il faut donc attendre le Nouvel Empire pour voir apparaitre une aviculture digne de ce nom.
nb(.j)-jmn, par exemple, n’hésite pas à faire figurer de véritables troupeaux d’oies et de
canards dans le décor de sa chapelle funéraire [fig. 8] :
55
Il existe de nombreux articles sur le sujet. On se reportera en priorité à l’étude fondamentale de V. LORET,
« Le titre [jmj-rȝ ʿb wḥm šwt nšmt] », RT 38, 1916, p. 61-68. Voir W.A. WARD, op. cit., p. 14, no 64 ;
W.C. HAYES, « Career of the Great Steward Ḥenenu under Nebḥepetrē' Mentuḥotpe », JEA 35, 1949, p. 47, n. b
et dernièrement St. QUIRKE, « Horn, Feather and Scale, and Ships. On Titles in the Middle Kingdom » dans P.
de Manuelian (éd.), Studies in Honor of William Kelly Simpson 2, Boston, 1996, p. 668-669. On remarque ainsi
que dd pt jn Hapj omA tA « (ce que) procure le ciel, apporte la crue et crée la terre » renvoie aux volatiles,
poissons, bœufs, etc., voir la remarque d’O. Goldwasser (op. cit., p. 29, n. 21) se référant aux travaux d’E.
Rosch. On a ainsi deux couples d’opposés complémentaires : 1) ʿb = mnmnt (gros bétail) et wḥm = ʿwt (petit
bétail) et 2) šwt = ȝpd (volatiles de basse-cour) et nšmt (poissons d’élevage). Les bœufs et les ânes, les ovicaprins
et par extension les bêtes sauvages élevées en captivité, puis les volailles, sont cités en premier car ce sont des
créatures terrestres plus proches de l’humain. Leur espace est défini par opposition à la “poiscaille”. On retrouve
la complémentarité des enfants du démiurge solaire, Chou (le sec) et Tefnout (l’humide), associés l’un à l’air et
l’autre à l’eau. La séquence dans la titulature évoquerait donc la ressource avicole et le produit transformé qu’on
en tirait, à savoir la chair de volaille. Sur la stèle Louvre C 2, voir Cl. OBSOMER, Sésostris Ier. Étude
chronologique et historique du règne, CEA (B) 5, Bruxelles, 1995, p. 552-554. On rapprochera nšmt, « écaille »
et nšmt, « feldspat », un minéral qui se délite en « écailles ». On peut se poser la question du statut des poissons
sans écailles, comme le silure ou l’anguille, qui ne sont pas licites dans le judaïsme et l’islam.
56
Wb IV, 423.10-425.14. FCD, 263.
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Jonathan Maître
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Fig. 8. Les troupeaux d’oies et de canards présentés à nb(.j)-jmn. Thèbes, XVIIIe dynastie © The
Trustees of the British Museum (CC BY-NC-SA 4.0).
On apprend, grâce à la charte d’immunité du temple de Séthy Ier à Abydos, que le statut de
ces oiseaux grégaires – et donc domesticables – était celui de bêtes d’élevage en plein air :
tȝ mnmnt ȝpdw tȝ mnmnt jȝʿwwt n tȝ ḥwt.
(Sa Personne a décrété que soient attribués un troupeau de bœufs élevés en plein air [etc.]) et
un troupeau de palmipèdes élevés en plein air, soit un troupeau (de tous les) animaux 57 élevés
en plein air au temple.
Leur mention, loin derrière, montre qu’ils étaient cependant moins prisés que les porcs ! Pour
faire face à la demande, le métier se professionnalise. Au début du règne de Ramsès II, m-H,
l’un des frères du maçon k-l de Deir al-Médina, porte ainsi le titre de 58
, ḥrj
mnjw ȝpdw, « volailleur en chef d’Amon » (litt. supérieur de gardiens d’oies/canards),
fonction qui dût le faire participer à l’organisation de l’approvisionnement du temple de
Karnak. En l’an 24, le scribe du Trésor pA-nHsj, posté dans le delta du Nil, rend compte de
l’importance de ce personnels voués au dieu 59 :
[mnjww] ȝpdw s m 22 530 jw nb {m}jm.sn ẖr ȝpdw 34 230.
Les volailleurs, ce sont 22 530 hommes et chacun d’eux est responsable de 34 230 volailles.
57
Peut-être à lire (tp n) jȝwt, « (tête de) bétail », comparer avec l. 20, 35 et 58 ; KRI I, 54.12 ; KRITA I, 47, § 14 :
« the flocks of fowl, the stock of (any) livestock », voir les conclusions de Ch. NIMS, « The Demotic Group for
Small “Cattle” », JEA 22, 1936, p. 51-54. Sur ʿwt et tp-n-jʿwt : loc. cit. ; O. GOLDWASSER, op. cit., p. 74-76 ;
P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 86-87, 713, n. 180-186 ; D. MEEKS, op. cit., p. 521-529.
58
Wb II, 75.6 ; W. HELCK, LÄ II, 1975, col. 1221, s.v. Hirt.
59
OGardiner 86, ro 8 = KRI III, 139.15-140.1 ; KRITA III, 94.
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L’histoire d’Ḥm-jwnw et du vilain (petit) canard
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Si ce nombre est irréaliste, on peut rappeler, en conclusion, les 426 995 spécimens prélevés
dans la nature chaque année pour les principaux temples d’Égypte sous Ramsès III 60.
60
P. BM EA9999 (pHarris 1), LXIX, 8 ; ȝpdw n mw m bȝḳ n nȝ kpw wḥʿw, « Oiseaux aquatiques en tant que
contribution des tendeurs et des preneurs (d’oiseaux) » ; S. BIRCH, Facsimile of an Egyptian Hieratic Papyrus of
the Reign of Rameses III, now in the British Museum, Londres, 1876, p. 26, pl. 69 ; W. ERICHSEN, Papyrus
Harris I. Hieroglyphische Transkription, BiAeg 5, Bruxelles, 1933, p. 82 ; P. GRANDET, Le papyrus Harris I
(BM 9999), BiEtud 109/1, Le Caire, 1994, p. 67. Totaux faits par R. BAILLEUL-LESUEUR, The Exploitation of
Live Avian Resources in Pharaonic Egypt. A Socio-Economic Study, thèse de doctorat, université de Chicago,
2016, p. 544-546. On notera l’hypéronyme Apdw n mw « oiseaux aquatiques » qui inclut les oies et des
grues (membre périphérique). Il s’agit de la contribution des tendeurs (kȝpw) et de preneurs (wḥʿw <n ȝpd>) ; la
nuance était perçue par Birch (1876), p. 26, qui rend dans sa traduction « shooting and netting ». Le terme
dérivant de kȝp, « (être) embusqué », il pense au tir à l’affût qui est attesté par les textes et les figurations. On
peut aussi penser aux oiseleurs qui prenaient les migrateurs par bande entière à l’aide de pièges à panneaux. Le
sens de wḥʿ est généraliste mais il orienterait peut-être, de façon cotextuelle, vers la pratique d’autres techniques
moins complexes à mettre en œuvre et plus individuelles.
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Résumé :
Partant de l’étude de la composition des menus de repas funéraires à l’Ancien Empire, l’article
présente une réflexion sur la perception de la classe des Aves dans la catégorisation des créatures
du Monde pharaonique. Un développement particulier est consacré l’Ouette d’Égypte en raison
de l’intérêt que représente la résolution symbolique de cette figure animalière complexe, objet
tantôt d’approbation et de rejet selon les contextes culturels. On s’interroge, pour finir, sur le
sens de deux titres portés par des fonctionnaires au Moyen Empire.
Abstract:
Starting from studying of the composition of funeral meal menus in the Old Kingdom, the
article presents a reflection on the perception of the Aves class in the categorization of creatures
of the Pharaonic World. A particular development is the Egyptian Goose because of the interest
represented by the symbolic resolution of this complex animal figure, which is sometimes
approved and rejected according to cultural contexts. Finally, we consider the meaning of two
titles of civil servants carried to the Middle Kingdom.
ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet.
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ISSN 2102-6629