Terrains/Théories
11 | 2020
Pratiques croisées en philosophie et sociologie
Introduction
Pratiques croisées en philosophie et sociologie
Camille Chamois et Marie-Claire Willems
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/teth/2441
ISSN : 2427-9188
Éditeur
Presses universitaires de Paris Nanterre
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Référence électronique
Camille Chamois et Marie-Claire Willems, « Introduction », Terrains/Théories [En ligne], 11 | 2020, mis
en ligne le 07 juillet 2020, consulté le 12 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/teth/2441
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Introduction
Introduction
Pratiques croisées en philosophie et sociologie
Camille Chamois et Marie-Claire Willems
1
Ce numéro a pour but d’illustrer la fécondité des échanges interdisciplinaires,
notamment à partir d’articles co-écrits par de jeunes chercheur·es en sociologie et en
philosophie. En effet, depuis le XVIIIe siècle, la spécialisation disciplinaire dans le
domaine scientifique a conduit à ériger une frontière plus ou moins nette entre la
philosophie et la sociologie – ou, plus largement, entre la philosophie et les sciences
sociales. Ce point a été largement documenté1. Schématiquement, on peut dire que les
sciences humaines et sociales ont progressivement pris en charge un certain nombre
d’objets qui étaient jusque-là essentiellement la chasse gardée de la philosophie sociale.
S’en suit une série de tentatives, tantôt pour « sécuriser » un domaine considéré
comme l’apanage d’une discipline particulière, tantôt pour « s’approprier » un nouveau
champ. On peut ainsi distinguer trois types de démarches dans les relations
qu’entretiennent la philosophie et la sociologie2. Une première démarche
« démarcationniste » cherche à établir une barrière stricte entre disciplines. Une
deuxième approche, qu’on peut qualifier d’« intégrationniste », cherche à abolir la
frontière disciplinaire afin de développer une réflexion générale sur tel ou tel objet
d’étude (les formes contemporaines du travail, du care, etc.). Enfin, on peut nommer
« conversionnistes » les tentatives qui acceptent les exigences initiales de la
philosophie mais cherchent à y répondre à partir des méthodes des sciences sociales –
produisant ainsi une sorte de « dépassement » de la philosophie. Ce numéro a pour but
d’illustrer la diversité des démarches « intégrationnistes » en montrant comment de
jeunes chercheur·es se réemparent aujourd’hui de ces questions3.
Philosophie et sociologie : quelle intégration ?
2
Les articles mettent tous en évidence la nécessité d’une articulation forte entre
philosophie et sciences sociales ; et en même temps, par leur facture même, ils
illustrent la diversité des modalités d’articulation – ou d’intégration – entre les
disciplines. La nécessaire articulation interdisciplinaire est clairement analysée par
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1
Introduction
Christian Lazzeri dans l’entretien présent dans ce volume. Il y montre en effet que les
travaux en philosophie sociale ou politique qui abordent des phénomènes comme
l’organisation du travail, le statut des conflits dans les régimes démocratiques, les
formes de la domination sociale, etc., ne peuvent pas faire l’économie d’une
connaissance précise des travaux sociologiques qui portent sur ces domaines – sauf à
produire, selon son expression, une « sociologie de philosophes » (dont Jean-Paul Sartre
et Margaret Gilbert seraient des illustrations). Symétriquement, les travaux
sociologiques qui s’appuient, explicitement ou non, sur les notions générales
d’« individu », de « disposition », d’« identité », etc. (qu’il s’agisse de la sociologie
dispositionnelle de Bernard Lahire ou de la théorie de l’« identité » ou de
l’« identification » de James Coleman) ne peuvent pas contourner les travaux
philosophiques qui en évaluent la cohérence interne et les difficultés éventuelles.
Christian Lazzeri milite ainsi pour un enrichissement réciproque des deux disciplines
chaque fois que la proximité de leurs objets d’études le permet 4. On peut donc lire les
contributions de ce numéro comme des illustrations concrètes du caractère heuristique
du dialogue entre philosophes et sociologues.
3
En effet, la question des rapports entre philosophie et sociologie se pose de façon
particulièrement saillante lorsque les travaux de philosophie se présentent, non pas
comme des théories normatives de la société, qui cherchent à décrire comment le social
devrait être organisé (comme ce peut être le cas chez John Rawls ou Jürgen Habermas 5)
mais comme des théories descriptives de la société, qui cherchent à analyser comment le
social est organisé – et qui, pour ce faire, prennent appui sur certaines données fournies
par les sciences sociales. Cependant, les modalités mêmes de cet appui doivent être
précisées. Relèvent ainsi de l’« ontologie sociale » les approches philosophiques qui
tentent de cerner les grandes caractéristiques des objets sociaux, notamment par
distinction avec les objets non-sociaux ou naturels. À cet égard, l’ouvrage de John R.
Searle est généralement considéré comme la référence centrale, notamment dans le
cadre de la philosophie analytique6. Ces analyses ont le mérite de proposer une
réflexion critique approfondie sur les catégories populaires ou savantes de la théorie
sociale – et par exemple, sur les débats classiques qui entourent l’hypostasie des
collectifs en super-sujets abstraits7, la détermination économique des phénomènes
sociaux8, la sous-détermination psychophysiologique des interactions sociales 9, etc.
Elles courent cependant le risque de se placer elles-mêmes en situation de
« philosophie première », évitant ainsi une confrontation sérieuse avec ce que les
sciences sociales placent elles-mêmes en position de fondement de l’être social. Un
deuxième groupe d’études est plus directement articulé aux analyses sociologiques, à
savoir les études d’« épistémologie des sciences sociales » : on peut nommer ainsi les
travaux qui cherchent à rendre compte des dimensions proprement conceptuelles des
théories sociologiques – et notamment de leurs innovations conceptuelles, à travers
l’étude des notions de « représentation collective », de « technique du corps »,
d’« habitus »10, etc. Un double risque guette cependant l’épistémologie des sciences
humaines et force à resserrer les liens avec les sciences sociales : le risque du
schématisme, d’une part – au sens où l’on généraliserait à « l’histoire des sciences
sociales » dans sa totalité ce qui ne ressort que de l’étude de quelques grands noms
canoniques –, et le risque de l’aller sans retour d’autre part – au sens où on se
contenterait de formaliser abstraitement certaines considérations sociologiques sans
s’inquiéter de l’heuristicité, voire des éventuelles conditions de falsification, de ces
considérations. Les articles présents dans ce numéro mobilisent ponctuellement des
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2
Introduction
approches qui relèvent de l’ontologie sociale ou de l’épistémologie des sciences
humaines mais proposent une approche plus résolument convergente sur le plan
interdisciplinaire, notamment dans la mesure où la plupart des articles sont co-écrits
par des auteur·rices de disciplines différentes.
Présentation des articles
4
Dans le premier article de ce volume, Alain Loute analyse le renouveau de la
philosophie sociale à partir d’une étude de la sociologie de Luc Boltanski et de la
théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth, ainsi que de ses développements par
Emmanuel Renault. L’auteur repère au sein de ces démarches une méthode qu’il
qualifie d’« herméneutique » au sens où il s’agirait pour les théoriciens d’étudier et de
critiquer la « mise en mot » de l’expérience du monde social par les agents sociaux.
L’article discute alors les présupposés d’une telle approche, à partir notamment d’une
référence à l’herméneutique de Paul Ricœur et d’une présentation des développements
récents de la théorie de l’attention (que ce soit en phénoménologie, chez Bernhard
Waldenfels ou Frédéric Moinat ou dans les essais de Jonathan Crary) : le paradigme de
l’attention sert ainsi de contrepoint critique à partir duquel discuter les travaux de
philosophie sociale. Si cette première contribution relève plus directement de la
théorie sociale, les cinq articles suivants, tous co-écrits par un·e sociologue et un·e
philosophe, relèvent plus directement de la convergence voire de l’intégration
interdisciplinaire.
5
Le deuxième article, rédigé par Cécile Lavergne et Claire Vincent-Mory, s’appuie sur
une enquête sociologique menée auprès des Organisations de Solidarité Internationales
issues des Migrations (OSIM). Le statut ambigu de ces organisations et les réactions
parfois mitigées qu’elles suscitent dans le contexte républicain français permettent
d’illustrer concrètement la question des revendications contemporaines de
reconnaissance sociale et de revenir de façon concrète et critique sur le sens de cette
notion. L’article propose alors une explicitation des théories de la reconnaissance sousjacentes (notamment à partir d’auteur·rices comme Nancy Fraser, Axel Honneth,
Charles Taylor, Alain Caillé et Christian Lazzeri) ; et souligne notamment les points de
débat entre les modèles proposés par Nancy Fraser et Axel Honneth. Il aborde enfin le
rôle spécifique et problématique des institutions dans cette dynamique de
reconnaissance, en articulant la réflexion théorique sur la question et sa confrontation
au terrain évoqué.
6
Le troisième article, co-écrit par Leonardo da Hora et Martin Jochum, développe une
réflexion générale sur la pertinence de la théorie marxiste pour l’analyse du
capitalisme contemporain, en la confrontant aux systèmes d’échange locaux (SEL),
c’est-à-dire des monnaies locales limitées à l’échange et qui ne permettent pas
l’épargne. Les auteurs sont alors conduits à appréhender le capitalisme, non pas
uniquement comme un mode de production, mais également comme un ordre social
institué. Sur cette base, l’article discute les concepts fondamentaux de la théorie
marxiste ainsi que ceux de la tradition hétérodoxe en économie française (André
Orléan, Frédéric Lordon).
7
Dans le quatrième article, Anne-Claire Collier et Mona Gérardin-Laverge ouvrent un
dialogue autour de la question de la production et de la transmission du savoir. À partir
de leurs travaux respectifs – sur la circulation et la traduction du postcolonial en
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Introduction
France pour Anne-Claire Collier, et sur la performativité du langage ordinaire dans la
construction du genre pour Mona Gérardin-Laverge –, les deux auteures proposent de
cesser d’envisager les concepts comme des mots ou des catégories immuables et sans
histoire, et invitent au contraire à s’intéresser à leurs conditions de production,
d’émergence, de diffusion et à leurs effets dans le champ social, académique et
politique. Elles mettent ainsi en évidence l’intérêt, pour la sociologie comme pour la
philosophie, de prendre en charge la dimension située de tout savoir. Cet article permet
dès lors de rendre compte des rapports réels entre militantisme politique et production
académique.
8
Le cinquième article écrit par Myriam Giargia et Marie-Claire Willems présente un
débat en philosophie et sociologie dans lequel les deux auteures échangent quant à la
place singulière du religieux dans leurs recherches. Miryam Giargia appelle à penser le
concept hobbesien de « naturel religieux » défini à partir de trois perspectives
interliées alors que Marie-Claire Willems évoque les processus « désethnicisation » du
religieux et principalement de l’islam en France. L’interprétation philosophique du
« naturel religieux » et l’analyse sociologique des processus de « désethnicisation » et
d’acculturation sont ainsi mis en lumière par les questionnements de chacune d’elles.
Ce chapitre aborde alors le rapport à la confession et à la « déconfessionalisation du
religieux », aux cadres d’interprétation, aux dimensions socio-politiques, à la
subjectivation ou encore à l’historicité nécessaire. Avec le souci d’évoquer la singularité
de leurs perspectives, les auteures reviennent régulièrement sur les limites et les
apports d’une telle pratique croisée entre sociologie et philosophie.
9
Enfin, l’article Camille Chamois et Jérémy Lemarié, s’appuie sur l’étude sociohistorique
des pratiques du surf à Hawaï depuis le XVIIIe siècle : l’enjeu consiste à cerner les
spécificités de l’expérience du he‘enalu, le surf traditionnel, dans sa dimension à la fois
cosmologique et rituelle. Pour ce faire, trois modèles théoriques sont successivement
évalués : une approche en termes de « représentations collectives », en lien avec le
débat qui a récemment opposé Marshall Sahlins et Gananath Obeyesekere ; une
approche en termes de « sensibilité à l’environnement », qui s’appuie sur le renouveau
des travaux en histoire des sensibilités, dans la lignée d’Alain Corbin ; et une approche
en termes d’« attribution d’agentivité », ou d’« ontologie », suivant ainsi certaines
pistes de l’anthropologie contemporaine et notamment de Philippe Descola. Cet article
propose un retour réflexif sur les soubassements épistémologies de ces trois modèles et
développe une approche à la fois analytique et critique en les confrontant à l’étude du
terrain hawaïen.
Ouverture
10
Les articles présents dans ce numéro ne prétendent évidemment par incarner la bonne
manière d’articuler sociologie et philosophie – mais simplement une manière parmi
d’autres, épistémologiquement heuristique. En guise d’ouverture problématique, nous
voudrions rappeler d’autres modalités d’articulations interdisciplinaires possibles et les
différents éclairages partiels qu’elles permettent.
11
D’abord, la sociologie de la philosophie apparaît à première vue comme l’expression
typique de l’approche que nous avons, dans la typologie ci-dessus, qualifiée
d’« intégrationniste ». Cependant, si les lectures sociologiques des productions
philosophiques se présentent naturellement comme des lectures « externalistes » des
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Introduction
philosophèmes, il est utile de se demander jusqu’où et comment la philosophie peut
devenir un « objet » pour le sociologue. Les lectures sociologiques ou socio-historiques
sont-elles forcément suspectes de « réductionnisme » à l’égard des productions
théoriques qu’elles cherchent à éclairer11 ? Dans son étude de la pensée de Heidegger,
Pierre Bourdieu mettait ainsi en garde contre un double écueil : l’« absolutisation du
texte », d’une part, et, d’autre part, une focalisation unilatérale sur les conditions
sociales de production qui perd de vue le contenu des textes eux-mêmes 12. Bourdieu a
ainsi tenté de montrer que, même si les intérêts et les affects de Heidegger pouvaient
ponctuellement s’exprimer dans ses textes, il n’en a pas moins dû se confronter à l’état
du champ philosophique et conceptuel de son époque, et ainsi trouver des équivalents
spécifiquement conceptuels à ce qui peut par ailleurs relever d’intérêts extérieurs à ce
domaine. Dans une veine similaire, Louis Pinto a montré tout l’intérêt de corréler les
différentes prises de positions des intellectuels français sur Nietzsche avec les positions
sociales et institutionnelles de ces derniers13. On trouve des tentatives similaires à
propos des œuvres de Sartre, Levinas ou Foucault chez Anna Boschetti, Louis Pinto ou
Jose Luis Moreno Pestaña14. Jose Luis Moreno Pestaña a ainsi montré qu’on pouvait
éclairer les premiers textes de Michel Foucault en rappelant les errements
institutionnels de leur auteur, entre philosophie et psychologie : certains textes,
comme L’introduction à Binswanger, se présentent plutôt comme un travail de « veille des
frontières », qui conserve à la philosophie sa position de surplomb par rapport aux
débats théoriques ; d’autres, comme Maladie mentale et psychologie, optent plus
résolument pour une ouverture vers les sciences humaines15. Il semble donc qu’au-delà
des grands partages théoriques, la question des conditions sociales de la pensée
philosophique – et donc de la légitimité d’une sociologie de la philosophie – n’a, encore
aujourd’hui, pas reçu l’analyse approfondie qu’elle mérite.
12
On peut d’ailleurs s’en convaincre si l’on note que le même genre de préoccupation
apparaît sur le versant historique. On peut schématiquement opposer une histoire
philosophique de la philosophie, c’est-à-dire une histoire attachée à reconstituer les
systèmes de philosophèmes, et une histoire sociale de la philosophie, préoccupée par la
mise au jour des conditions de possibilité de ces énoncés. Là encore, comme l’a souligné
Roger Chartier, que ce soit du côté des historiens ou de philosophes, chacun se trouve
confronté à une alternative ruineuse entre une histoire de la philosophie constituée « à
partir de l’interrogation philosophique elle-même – et d’elle seule » et des histoires
sociales de la philosophie (voire des idées) marquées par « leur réductionnisme hâtif et
leur déterminisme naïf16 ». On peut ainsi relire certaines querelles fameuses, comme
celles qui ont opposé Ferdinand Alquié et Martial Guéroult ou Jacques Derrida et Michel
Foucault, comme des querelles entre les partisans d’une histoire d’abord philosophique de
la philosophie et ceux d’une histoire d’abord sociologique de la philosophie 17. Ces débats
sont cependant loin d’être stériles et ils conduisent à des tentatives diverses
particulièrement riches et intéressantes. Par exemple, Giuseppe Bianco et Frédéric
Fruteau de Laclos ont récemment souligné que l’histoire de la philosophie était
largement une histoire systématique de la philosophie, c’est-à-dire une histoire
attachée à reconstituer des systèmes philosophiques – ou, pour le dire encore
autrement, une histoire philosophique de la philosophie 18. Ils défendent au contraire une
histoire de la philosophie (et non des idées) qui accepte de prendre en charge les
dimensions non-systématiques, mais plutôt biographiques ou soumises aux
contingences de l’expérience sociale, de la production théorique 19.
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Introduction
13
Enfin, de façon particulièrement intéressante, on assiste aujourd’hui au développement
d’une « philosophie de terrain », qui emprunte pour partie ses méthodes à la sociologie.
L’idée, en un sens, n’est pas neuve et on peut éventuellement la faire remonter aux
tentatives d’enquête ouvrière de Karl Marx20. Certaines démarches s’hybrident alors
pour se rapprocher, selon les formules de Michel Foucault, du « journalisme » ou du
« reportage d’idées21 ». C’est en ce sens que Christiane Vollaire parle aujourd’hui de
« philosophie de terrain22 ». D’autres se tournent plus résolument vers une pratique de
l’enquête statistique, la réalisation d’entretiens, l’observation participante, etc. : le but
est alors explicitement d’abandonner la posture de la philosophie comme « philosophie
première » afin de mettre à l’épreuve toutes les dimensions » testables » que la
conceptualité implique23. Reste que les modalités même de « test » ne sont
probablement pas stabilisées à l’heure actuelle (ou sont en voie de déplacement
partiel) : il apparaît donc fondamental de s’interroger sur ce que peut bien signifier un
« terrain » pour une pratique philosophique et les modalités d’interdisciplinarité qui
s’y jouent24.
14
Ces différentes formes d’articulation disciplinaire impliquent évidemment des
soubassements et des objectifs théoriques relativement divers et certainement peu
solubles en un programme commun. Néanmoins, ce n’est pas là l’effet de la
confrontation de modèles théoriques hétérogènes et incompatibles entre eux, mais
plutôt l’illustration de la richesse et de la diversité des modes de convergence
interdisciplinaire – dont ce numéro est un exemple parmi d’autres.
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Introduction
TOLLEFSEN Deborah, Groups as Agents, Cambridge, Polity Press, 2015.
NOTES
1. Voir par exemple :
LEMIEUX Cyril,
vol. 3, no 2, 2012, p. 199-209 ;
« Philosophie et sociologie ? Le prix du passage », Sociologie,
FABIANI
Jean-Louis, « Quel est l’intérêt de la sociologie de la
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PINTO Louis,
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KARSENTI Bruno,
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2. Nous reprenons ici la tripartition proposée par Cyril Lemieux dans l’article cité.
3. La problématique générale a été clairement formulée par Bruno Karsenti, lorsqu’il se
demande : « que s’est-il produit exactement avec l’émergence des sciences sociales dans l’espace
du travail intellectuel ? Et qu’est-ce qui, en contrepoint de cette irruption, permet de dire que
l’on fait encore de la philosophie, mais d’une autre manière qu’avant cet événement – bref que
l’on s’est trouvé enclin à passer d’une philosophie à une autre ? » KARSENTI B., op. cit., p. 13.
4. Pour une version détaillée de l’argument, voir aussi :
LAZZERI
Christian, « Identité constituante,
identité constituée », Terrains/Théories [En ligne], 3 | 2015, mis en ligne le 02 juillet 2015. URL :
http://journals.openedition.org/teth/615.
5. Les théories normatives du monde social subissent régulièrement des accusations
d’abstraction de la part des théories des sciences sociales. Pour un exemple symptomatique, voir
les remarques de Jean Tirole sur Michael Sandel, Michael Walzer et Debra Satz.
TIROLE
Jean,
Économie du bien commun, Paris, PUF, 2016, p. 57-62 notamment. Pour une défense philosophique
de la nécessité d’un soubassement sociologique clair à toute philosophie politique normative,
voir :
RENAULT
Emmanuel, « Théorie sociologique, théorie sociale, philosophie sociale : une
cartographie critique », Sociologie, vol. 9, n° 1, 2018, p. 43-59.
6.
SEARLE
CLÉMENT
John, La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard, (1996) 1998. Voir à cet égard :
Fabrice et
KAUFMANN
Laurence, « Esquisse d’une ontologie de faits sociaux. La posologie
de John Searle », Réseaux, n° 79, 1996, p. 123-161.
7. Parmi une multitude de références possibles, voir :
POPPER,
Karl, Misère de l’historicisme, Paris,
Plon, 1956. Pour un compte-rendu général sur la question de l’intentionnalité collective, voir :
TOLLEFSEN Deborah, Groups as Agents, Cambridge, Polity Press, 2015.
8.
MONFERRAND
Frédéric, « Genèse et complexité : les deux ontologies de Georg Lukács », Actuel
Marx, vol. 62, n° 2, 2017, p. 140-153.
9. Pour une défense et une critique du naturalisme sociologique (au profit, en l’occurrence, de la
psychologie culturelle), voir :
NISBETT
Richard et
WILSON
Timothy, « Telling More Than We Can
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PROUST
Joëlle, « Redéfinir l’humain. Pour une convergence des sciences de l’homme », Le Débat,
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LIGNIER
Wilfried, « La nature humaine nous laisse tous
indistincts », Genèses, vol. 100-101, n° 3-4, 2015, p. 162-168 et
LIGNIER
Wilfried et Nicolas
MARIOT,
« Où trouver les moyens de penser ? Une lecture sociologique de la psychologie culturelle », dans
Bruno Ambroise et Christiane Chauviré (éd.), Le mental et le social, Paris, Éditions de l’EHESS, 2013,
p. 191-214, d’autre part.
10.
KARSENTI
Bruno, « Techniques du corps et normes sociales : de Mauss à Leroi-Gourhan »,
Intellectica, vol. 1-2, n° 26-27, 1998, p. 227-239.
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Introduction
11. Nous reprenons ici l’expression de Louis Pinto : PINTO Louis, « La philosophie, un “objet” pour
le sociologue ? », Le philosophoire, vol. 40, n° 2, 2013, p. 47-69. Voir aussi, dans le même numéro :
FABIANI
Jean-Louis, « Quel est l’intérêt de la sociologie de la philosophie ? », Le philosophoire,
vol. 40, n° 2, 2013, p. 71-77.
12. BOURDIEU Pierre, L’ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Éditions de Minuit, 1988, p. 10 et
109.
13. Pour un approfondissement de cette question à partir du cas de Gilles Deleuze, voir :
MEZIANE
Bruno, « Le Nietzsche de Deleuze : entre légitimation institutionnelle et mise en question de
l’institution philosophique », Methodos, n° 19, 2019, mis en ligne le 25 janvier 2019. URL : http://
journals.openedition.org/methodos/5727
14.
BOSCHETTI
Anna, Sartre et les Temps Modernes, Paris, Éditions de Minuit, 1985 ;
MORENO PESTAÑA
Jose Luis, En devenant Foucault. Sociogenèse d’un grand philosophe, Broissieux, Éditions du Croquant,
2006 ;
PINTO
Louis, La religion intellectuelle. Emmanuel Levinas, Hermann Cohen, Jules Lachelier, Paris,
PUF, 2010.
15. MORENO PESTAÑA Jose Luis, op. cit., p. 150.
16.
CHARTIER
Roger, « Histoire et philosophie », Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et
inquiétude, Paris, Albin Michel, 1998, p. 236-237. Voir aussi : « L’histoire de la philosophie est
restée partagée entre une histoire interne (dont le principe reste la décontextualisation des
philosophèmes et leur réassemblage dans de longues chaînes fictionnelles objectivées dans des
programmes, à travers des listes de noms d’auteurs et des listes de thèmes et de questions) et une
histoire externe qui a emprunté quelques-unes de ses méthodes à l’histoire sociale, mais qui est
très largement restée prisonnière de schèmes d’intelligibilité tout entiers ancrés dans des macrostructures, et qui n’a jamais pris suffisamment ses distances avec la problématique marxienne
qui voit dans les contenus philosophiques autant de fragments d’idéologie dont on peut repérer
la source dans le structure sociale ». FABIANI Jean-Louis, « Quel est l’intérêt de la sociologie de la
philosophie ? », Le philosophoire, vol. 40, n° 2, 2013, p. 73.
17. Ferdinand Alquié cherche par exemple à élaborer un concept de « structure mentale » qui
soit en mesure de sortir d’une histoire purement systématique de la philosophie sans pour autant
la diluer dans l’ensemble des productions idéelles : « En parlant de structure mentale, je ne veux
donc pas faire dériver l’histoire de la philosophie vers ce qui est affectif, vers ce qui est passager,
je ne veux pas l’orienter vers l’étude des structures propres à chaque individu, à chaque auteur,
je ne veux pas confondre philosophie et littérature. Bien au contraire, je crois que c’est par une
telle méthode que l’on peut atteindre l’esprit, l’esprit humain j’entends, dans son contact avec
l’Être »,
ALQUIÉ
Ferdinand, « Structures logiques et structures mentales en histoire de la
philosophie », Bulletin de la société française de philosophie, n° 3, 1953, p. 103. De même, dans sa
réponse à la critique de Derrida, Foucault l’accuse justement de procéder à une lecture purement
philosophique de la philosophie : « Ce n’est point par un effet de leur inattention que les
interprètes classiques ont gommé, avant Derrida et comme lui, ce passage de Descartes. C’est par
système. Système dont Derrida est aujourd’hui le représentant le plus décisif, en son ultime
éclat : réduction des pratiques discursives aux traces textuelles ; élision des événements pour n’y
retenir que des marques pour une lecture ; inventions de voix derrière les textes pour n’avoir pas
à analyser les modes d’implication du sujet dans les discours ; assignation de l’originaire comme
dit et non-dit dans le texte pour ne pas replacer les pratiques discursives dans le champ des
transformations où elles s’effectuent ». FOUCAULT Michel, « Mon corps, ce papier, ce feu », Dits et
écrits, vol. II, Paris, Gallimard, (1972) 2001, p. 1135. Pour une analyse socio-historique de la
dispute, voir :
FABIANI
Jean-Louis, « Disputes, polémiques et controverses dans les mondes
intellectuels. Vers une sociologie historique des formes de débat agonistique », Mil neuf cent.
Revue d’histoire intellectuelle, vol. 1, n° 25, 2007, p. 45-60.
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Introduction
18. BIANCO Giuseppe et FRUTEAU DE LACLOS Frédéric, « Introduction », dans G. Bianco et F. Fruteau de
Laclos (dir.), L'angle mort des années 1950. Philosophie et sciences humaines en France, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2016, p. 6-13.
19. Pour une illustration concrète, voir :
BIANCO
Giuseppe, « Entre système et création. Le cas du
jeune Deleuze historien de la philosophie », Ipseitas, vol. 1, n° 1, 2015, p. 45-59.
20. Sur ce point, voir :
GALLO LASSERE
Davide et
MONFERRAND
Frédéric, « Les aventures de l’enquête
militante », Rue Descartes, vol. 96, n° 2, 2019, p. 93-107.
21. FOUCAULT Michel, « Les “reportages” d'idées », Dits et Ecrits, t. III, Paris, Gallimard, (1978) 1994,
p. 706-708.
22. VOLLAIRE Christiane, Pour une philosophie de terrain, Paris, Créaphis, 2017.
23. On pense par exemple aux travaux de Sébastien Charbonnier sur la pédagogie et surtout à
ceux de Daphné Le Roux sur la subjectivation en contexte rituel. Voir respectivement :
CHARBONNIER Sébastien, Que peut la philosophie ? Être le plus nombreux possible à penser le plus possible,
Paris, Seuil, 2013. LE ROUX Daphné, La marche nuptiale. Subjectivation et technique de soi dans le rituel
de mariage catholique, Thèse de doctorat sous la direction de Martine de Gaudemar et Michael
Houseman, Paris, Nanterre, 2018.
24. Voir à cet égard :
NICOLI
Massimiliano,
PALTRINIERI
Luca et
PRÉVOT-CARPENTIER
Muriel (dir.), Le
philosophe et l'enquête de terrain, Toulouse, Octarès, 2020.
AUTEURS
CAMILLE CHAMOIS
Camille Chamois est docteur en philosophie : ses travaux portent notamment sur les acceptions
philosophiques et anthropologiques de la notion de « perspectivisme ». Il enseigne actuellement
la philosophie dans le secondaire.
MARIE-CLAIRE WILLEMS
Marie-Claire Willems est docteure en sociologie, membre du laboratoire Sociologie, PHilosophie
et Anthropologie Politique (Sophiapol) et du Réseau Thématique Pluridisciplinaire « Les
chercheurs sur l’islam dans la cité ». Ses travaux portent sur l'étude des usages et significations
du mot "musulman" ainsi que sur l'identification de soi en tant que musulman.es aujourd'hui en
France. Elle a co-dirigé l'ouvrage Appartenances in-désirables. Le religieux au prisme de l’ethnicisation
et de la racisation avec Simona Tersigni et Claire Vincent-Mory paru aux éditions Petra en 2019.
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