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MARCIN KLIK, WIESLAW KROKER (WARSZAWA)
LA RÉCEPTION DE L'ŒUVRE DE LOUIS ARAGON EN POLOGNE
The reception of Louis Aragon in Pol and can be divided into several stages. Before the
Second World War there appeared very few translations of Aragon. After the war, the author's
works began living closely related to political changes in Poland. In the years 1948-53 he was one
of the most often translated and commented western writers, which was a result of comprehensible
character ofhis realistic works as weil as author's political engagement on the side of communism.
These aspects led to the situation that the author's surrealistic works remained untranslated. And
their role in critical analysis was downplayed or evaluated negatively. After the October '56 thaw
Aragon became one of many writers who were translated and analyzed. Only in 70's the gap in
translations and thorough analysis of Aragon's works was fulfilled. After the year 1989 Aragon
nearly disappears from the field of research of the Polish literary criticism.
En Pologne, l'œuvre de Louis Aragon a connu des hauts et des bas, pour
aboutir, ces dernières années, c'est-à-dire après la chute du communisme en
1989 et les changements politiques consécutifs, à un silence presque parfait.
Ces revirements de la fortune semblent dus essentiellement au fait que, dans un
pays de socialisme réel que fut la Pologne de 1949 à 1989, les écrits d'Aragon,
comme du reste la totalité de la production littéraire, y compris les traductions,
étaient inévitablement, d'une manière ou d'une autre, récupérés par le politique.
Ainsi, avant 1989, une réception neutre et objective de cet écrivain était presque
impensable, tandis que, après cette date, son œuvre est tombée (temporairement,
espérons-le) dans les trappes de l'histoire.
Notre article commente les publications parues dans la presse à grande
diffusion: commentaires portant sur des œuvres isolées ou proposant une vision
d'ensemble de l'activité littéraire de l'auteur de La Semaine Sainte. Dans la
plupart des cas, ils sont le fait de journalistes et non d'universitaires, ceux-ci
s'étant peu exprimés sur Aragon dans la presse destinée à un large public. Ce
mutisme relatif des. spécialistes explique peut-être la qualité médiocre d'une
grande partie de cette production, phénomène qui contraste avec la qualité
remarquable de la majorité des traductions qui, elles, son dues le plus souvent
à des poètes, des romanciers et des traducteurs de premier plan. Cependant, si
nous laissons de côté les rares analyses écrites par des chercheurs chevronnés
158
MARCIN KLIK, WIESlAW
KROKER
(presque uniquement des romanisants) et publiées dans des revues spécialisées,
il nous serait impossible de ne pas mentionner une étude de 1983 dans laquelle
Aleksander Ablamowicz, chercheur en histoire de la littérature française, a tenté
une première synthèse sur la fortune de l'œuvre d'Aragon en Pologne. On trouve
dans cet article de nombreuses observations intéressantes, comme par exemple,
l'explication de la vogue d'Aragon dans la deuxième moitié des années 1940 par
une certaine communauté du sort de la France et de la Pologne pendant la guerre,
ou encore la remarque selon laquelle la distinction stricte, longtemps respectée
par la critique française, entre un Aragon-surréaliste et un Aragon-réaliste, ne
serait pas partagée par les critiques polonais qui, en raison de leur éloignement et
. d'une réception insuffisante du surréalisme en Pologne, auraient plutôt tendance
à voir l'univers aragonien dans son unité. Notre analyse est un peu différente.
Premièrement, nous ne confirmons pas toutes les observations d'Ablamowicz
et formulons parfois d'autres jugements. Deuxièmement, nous avons opté pour
une vision à la fois plus analytique et plus ponctuelle, préférant rendre compte
de manière relativement extensive des contributions majeures. Troisièmement,
une vingtaine d'années se sont écoulées depuis l'étude d'Ablamowicz et nous
prenons évidemment en considération cette période (même si elle est la moins
importante dans la réception de l'écrivain).
Les présentes observations sont organisées en trois parties. En premier lieu,
nous esquissons un bref panorama des traductions polonaises d'Aragon - une
observation de base qui détermine toutes les considérations ultérieures. Ensuite
est présentée la réception de la poésie et puis de la prose, dont chacune a connu
un rythme et une logique propres. À l'intérieur de chacune des trois sections est
respecté l'ordre chronologique des publications commentées.
LES TRADUCTIONS
Il est curieux de constater qu'Aragon est presque méconnu avant la guerre.
Une seule œuvre importante traduite à cette époque-là, c'est Les Cloches de
Bâle, publié en 1936. Dans une anthologie de la poésie française préparée par
Stefan Napierski (Lirycy francuscy [Les poèt~s lyriques français], 1936), on
trouve également quatre poèmes du recueil Feu de joie.
Une époque de gloire commence après 1945 lorsque le régime communiste
commence à s'installer en Pologne. Les traductions d'auteurs occidentaux actuels se font rares mais on trouve dans la presse de l'époque plusieurs noms
importants, parfois représentés par un ou deux textes seulement. Si Paul Eluard
semble être l'un des poètes les plus fréquentés, Louis Aragon vient juste après
lui quant au nombre de poèmes traduits. Quant à la prose, il en va tout autrement
puisque de 1946 à 1954 sont traduites de nombreuses œuvres d'Aragon, surtout
LA RÉCEPTION
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON
EN POLOGNE
159
celles que le régime en place accepte sans difficulté: Servitude et grandeur des
Français (1946), un choix de poèmes dans une Anthologie de la poésie française
contemporaine de 1947 (il n'y a que des poèmes «social-réalistes»), L'Homme
communiste (1950), Les Communistes (1950-54), Les Beaux quartiers (1950),
Les Bons voisins. Espion ( 1951), un recueil de poèmes (1954), ainsi que quelques préfaces à des œuvres d'autres auteurs (H. von Kleist, J. de la Madeleine,
P. Mérimée, P. Vaillant-Couturier). Comparées à la plupart des écrivains français
ou occidentaux, les œuvres d'Aragon jouissent alors d'une position exceptionnelle grâce à la proximité idéologique de certaines d'entre elles avec l'idéologie
dominante en Pologne .
1953, année de la mort de Staline, est une date pivot dans la littérature polonaise: le dégel qui commence et qui va souffler sur la Pologne avec plus ou
moins de vigueur pendant les décennies à venir, ouvre le pays aux littératures
occidentales, ce qui met fin à la situation exceptionnelle de l'œuvre d'Aragon.
Cependant, même si le rythme des traductions ralentit, le principe qui gouverne
le choix des œuvres traduites reste inchangé: il s'agit toujours (comme avant
1954) de textes faciles à accepter du point de vue idéologique dans un pays
communiste, donc avant tout de romans réalistes et d'écrits en poésie et en prose
se référant à la deuxième guerre mondiale. Ainsi durant les années 1960 sont
publiés encore Les Voyageurs de l'impériale et La Semaine Sainte (les deux en
1960), Aurélien (1961), Elsa (1963) et La Mise à mort (1968).
Ce n'est qu'au cours des années 1970 que le large public polonais peut enfin
faire connaissance avec un autre Aragon. En 1970, sont publiées Les Aventures
de Télémaque, et l'année suivante paraît enfin la traduction du Paysan de Paris.
En 1977, un numéro du mensuel Literatura na Swiecie (Littérature dans le monde)
est consacré aux textes d'Aragon datant de différentes périodes, y compris des
années 1920 et 1930 (Anicet ou le Panorama, Libertinage, Les Chambres,
Théâtre Roman).
Après 1989, un silence entoure Aragon, à l'exception d'une traduction significative: Le Con d'Irène est publié en 1994.
Il faut souligner que toutes ces traductions sont le fait d'auteurs importants,
en général eux-mêmes poètes ou prosateurs reconnus: Wadaw Rogowicz,
Jan Kott, Jerzy Zagorski, Krystyna Dolatowska, Artur Mi~dzyrzecki, Jozef
Waczkow et d'autres.
LA POÉSIE
La réflexion sur la réception de la poésie d'Aragon doit avant tout tenir
compte de deux phénomènes historiques: la réception du surréalisme et les changements politiques après la deuxième guerre mondiale.
160
LA RÉCEPTION
MARCIN KLlK, W/ESLAW KROKER
Contrairement à certains autres pays de l'Europe centrale et orientale, le
surréalisme est peu connu en Pologne avant la guerre. Quelques poèmes sont
traduits et publiés dans la presse ou dans des anthologies, mais cette contribution
est très modeste et ne reflète aucunement la richesse ni l'impact de la théorie et
de la production surréalistes. Quant à Aragon en particulier, on trouve en 1936
dans une anthologie de la poésie française 1 quatre poèmes de Feu de joie (<<Pur
jeudi», «Madame Tussaud», «La belle Italienne» et «Sans mot dire»), petit florilège qui épuise les traductions de ses poèmes avant la guerre. Beaucoup de
poètes et écrivains polonais de l'époque s'intéressent vivement à la littérature
française et toutes les idées nouvelles qui viennent de France, mais l'influence du
surréalisme sur leur propre écriture semble minime. Pour expliquer cette situation, on peut se référer à une discussion réunissant poètes, traducteurs, critiques
et universitaires, publiée dans le mensuel Literatura na Swiecie à l'occasion de
la parution en 1974 de l'anthologie de textes surréalistes français. Adam Wazyk
(le rédacteur du volume) et Jozef Waczkow voient la réponse dans le fait que
le surréalisme a continué en quelque sorte et parachevé le romantisme, lequel
en Pologne avait joué un rôle bien plus important qu'en France et avait mieux
développé toutes les possibilités qu'il contenait. WaZyk lance même comme un
défi: «Montrez-moi un pays en Europe qui ait connu un romantisme fertile et
où le surréalisme se soit développé par la suite. Il n'a pu se manifester ni en
Allemagne, ni en Pologne, ni en Angleterre»2. C'est d'ailleurs seulement durant
les années 1970 que le public polonais a pu faire connaissance avec les grandes
œuvres du surréalisme, y compris certains écrits théoriques. C'est que, entre les
années 1930 caractérisées par un désintérêt et les années 1970 où on essaie de
rattraper un retard historique, il y a eu l'occupation allemande qui a anéanti toute
vie culturelle (sauf dans la clandestinité, donc forcément réduite) et, par la suite,
une longue période d'ingérences idéologiques plus ou moins importantes.
La situation d'Aragon change donc après 1945. Ses œuvres en prose sont
traduites en grand nombre et on commence à le découvrir vraiment comme
poète. Voici le fruit des dix premières années de l'après-guerre. En 1946, dans
le principal mensuel littéraire polonais Tworczosé [La Création], est publié un
choix de poèmes d'auteurs français (Nerval, Rimbaud, Mallarmé, Verhaeren,
Jammes, A. de Noailles, Larbaud, Jacob, Cocteau, Duhamel, Apollinaire,
Fargue, Supervielle, Eluard) parmi lesquels «Art poétique» d'Aragon ainsi
qu'un article de Zbigniew Bieilkowski intitulé «Un coup d'œil sur la poésie
française» etun essai de Maria Jarczyilska sur l'ensemble de l' œuvre d'Aragon.
En 1947, paraît une Anthologie de la poésie française contemporaine
préparée par Adam Wazyk, contenant des traductions de nombreux poètes,
y compris Aragon, et précédée d'une importante préface où le rédacteur du
volume (lui-même grand poète et traducteur) esquisse un panorama de la
1
2
Stefan Napierski, Lirycy francuscy, Varsovie, 1936.
Literatura na Swiecie, n° 9, 1974, p. 310.
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON EN POLOGNE
101
poésie française depuis le symbolisme. Des traductions de poèmes sont également
publiées dans la presse et enfin, en 1954, un choix de poèmes d'Aragon en volume.
Maria Jarczyilska (citée ci-dessus) propose une première synthèse de l' œuvre
d'Aragon mais en vérité cette synthèse a une valeur bien plus importante car
grâce à elle, le public polonais a la première occasion de faire connaissance avec
l'auteur en tant que poète3. Les nombreux extraits de poèmes cités dans l'article,
ainsi que «Il n'y a pas d'amour heureux» cité en entier, ont été traduits par
Anna Swirszczyilska car pour la plupart les traductions n'existaient pas encore.
Moins d'un an après la fin des hostilités, et dans un contexte politique encore
relativement pluraliste (1946), Jarczyilska dresse un portrait d'Aragon ou plutôt
définit l'attitude spirituelle et morale qui le caractérise et dont les principaux
composants sont, selon elle: un contact direct du poète avec le monde réel et avec
la vie prise dans son sérieux, contact qui ne permet pas à Aragon de se contenter
de concepts abstraits; un intérêt instinctif pour le moment actuel, ce qui fait que
le poète exprime fidèlement l'époque avec toutes ses mutations; l'incapacité de
se laisser enfermer dans quelque idéologie que ce soit (par exemple, «fusion
complète de son communisme avec le patriotisme traditionnel»); le courage, la
lucidité et le bon sens typiques d'un homme d'action; la dimension mythique
ou mythopoïétique de cette poésie. Jarczyilska porte un jugement élogieux sur
l'œuvre du poète (témoin la longueur de l'article et le fait même qu'Aragon
est le seul auteur publié dans le numéro en question à qui tout un article soit
consacré), mais ceci n'empêche pas la commentatrice de garder un esprit critique
et de marquer parfois ses distances. Ainsi considère-t-elle les poèmes animés
par l'enthousiasme pour le communisme comme assez primitifs dans la mesure
où ils touchent parfois «à la limite entre la poésie et la propagande versifiée».
Commentant, par exemple, «Magnitogorsk 1932», elle apprécie la beauté de
certains passages, mais reproche à ce texte sa trop grande proximité avec une
affiche, avec tout ce qu'une affiche implique de simplifications, le ton criard pro~re
à un exposé discursif et un symbolisme facile. De même, concernant le caractere
populaire des poèmes du temps de la guerre, tout en admirant l'incontestable et
impressionnante réussite d'Aràgon dans ce domaine, Jarczyils~a rappelle. q,u:
ce trait peut être la grâce pour un poète mais qu'il peut aUSSIêtre co.ns~dere
comme une erreur, et c'est ainsi qu'elle explique certaines faiblesses artIstIques
de l'œuvre en question. Il n'empêche que Jarczyilska admire le poète dont elle
aimerait embrasser tous les textes écrits au temps de l'Occupation sous l'intitulé
«En français dans le texte», constatation qui rend hommage à celui dont le verb~
poétique, se ressourçant dans la grande tradition de la poésie française, s:est faIt
expressif à merveille., populaire et représentatif de la France contemporame.
3
Tworczosé, n° 3,1946, pp. 81-91.
162
0;'
MARCIN
KLlK, WIESlAW
KROKER
Dans la Préface à son Anthologie de 1947\ Adam WaZyk présente un panorama de la poésie française des cent dernières années. Le tableau peint par le
poète et traducteur, lui-même homme de gauche, est riche et nuancé, basé s~
une très bonne connaissance du sujet. Quant au surréalisme, mouvement dont Il
n'a jamais été proche, Wazyk prend sa distance avec la théorie lorsqu'il rejette
le roncept d'inconscient car «les chaînes d'associations verbales privées de sens
ne touchent pas à la nature humaine et n'ont aucune valeur humaniste». Mais il
ne condamne pas toute la production poétique, mettant surtout en valeur l'importance de la composante abstraite des images surréalistes: «le langage abstrait s'y
mêle avec le langage imagé, le concret avec le symbolique. Un nouveau système
de langage figuré est né, fondé sur les métaphores abstraites». Néanmoins, selon
WaZyk, la poésie française des années 1930 dans son ensemble était frappée
d'épuisement. Il parle de «la paralysie de ses deux bras: la maîtrise passéiste
de Paul Valéry et la fureur révolutionnaire des surréalistes.» Sur ce fond, seuls
Eluard et Aragon sont cités comme ceux dont la poésie a pris pendant la guerre
un nouvel élan, sans briser les liens avec la tradition. D'ailleurs, aucun texte
surréaliste d'Aragon n'est reproduit dans l'Anthologie; on y trouve seulement
un extrait de «Magnitogorsk 1932» et sept poèmes du temps de la guerre. Il faut
mentionner aussi une petite note bio-bibliographique située à la fin du volume où
Aragon est présenté d'abord comme un des premiers surréalistes, et la composition échevelée de ses pièces dramatiques de cette époque-là est expliquée par
l'influence du romantisme allemand.
Les années 1950, c'est l'époque de la plus grande gloire d'Aragon sur les
bords de la Vistule. Relativement beaucoup de ses poèmes sont traduits et publiés
dans la presse, et en 1954, sort aussi un choix de ses poésies sous la rédaction de
Jerzy Zag6rski, avec une préface de Zbigniew Biellkowski, tous les deux poètes
reconnus et traducteurs. Ce recueil contient des poèmes des années 1939-1953,
seul «Magnitogorsk 1932» datant d'avant la guerre. Chaque poème est suivi
d'une petite notice qui se limite parfois à l'indication du moment de son écriture
ou bien fournit également des renseignements s~r le contexte dans lequel le poème a été créé. Ainsi tel poème est accompagné du commentaire expliquant qu'il
a été écrit à l'époque (1943) où «l'étau de l'Occupation était le plus serré mais
où existait déjà la Résistance»; tel autre (1947) a été inspiré par les résultats des
élections municipales dans lesquelles l'influence de Charles de Gaulle a connu
une nette croissance, etc. Il y a aussi un extrait de «Prose de Sainte-Catherine»
dans la notice duquel on peut lire ceci: «Avec adoration et humilité à l'égard de
la France de François Villon, des troubadours de Provence, traduits en polonais
par Edward Por~bowicz, et de la France de Ronsard et de Kochanowski - traduisit de l'original français Konstanty Ildefons Galczynski, disciple reconnaissant»,
l'unique touche personnelle de la plume d'uD poète reconnu.
4 Adam WaZyk, Anla/agia
wspo/czesnej paezji francuskiej
contemporaine], Varsovie, 1947, pp. 5-19.
[Anthologie de la poésie française
A cette époque-là, les commentaires que suscite la poésie d'Aragon et ce
recueil en particulier, sont très tendancieux et tributaires de l'idéologie officielle.
Tout d'abord, il est de bon ton de vilipender le surréalisme (sauf le tournant
à gauche opéré par certains membres du groupe) et par conséquent de minimiser
son rôle dans l'évolution d'Aragon ou bien de le nier tout bonnement. La préface
de Bicllkowski au recueil de Poésies d'Aragon (1954) est reproduite la même
année dans le mensuel littéraire polonais Tworczosé [Création). La lecture qu'y
propose Biellkowski dans l'esprit de la doctrine du réalisme socialiste porte tous
les caractères excessifs, voire abusifs de cette approche. Aragon est considéré
comme le plus grand poète français depuis Hugo et la publication du Crève-cœur,
des Yeux d'Elsa, de La Diane française et des recueils poétiques du temps de la
guerre est accueillie comme le sommet de la poésie française depuis Les Châtiments et L'année terrible. Afin de mieux mettre en valeur la stature de son
auteur, le critique n'hésite pas à balayer un siècle de poésie en France: l'œuvre
d'Aragon aurait «rattrapé un énorme retard que l'époque qui va du symbolisme
au surréalisme a fait prendre à la poésie française». Le déclin aurait été dû au fait
que toutes les écoles successives s'étaient détachées de plus en plus du vrai sol
de la poésie que sont l'homme avec ses sentiments et le monde réel. Biellkowski
critique l'autonomie du langage poétique, cette «trouvaille artificielle» qui permettrait aux poètes <;lese distinguer à tout prix en s'enfuyant dans le monde
des concepts abstraits. Or à cette quête inconditionnelle de la nouveauté et au
cantonnement de la poésie dans le cercle clos des perceptions individuelles, Aragon a opposé «la tradition nationale de la littérature qui, de Charles d'Orléans
et Ronsard à Victor Hugo, enseigne à être sensible aux problèmes de tout un
peuple». Dans ces conditions, il est évident qu'Aragon n'aurait pu être un vrai
sUITéaliste. Biellkowski le dit clairement: «La période surréaliste d'Aragon n'est
pas du tout une affaire honteuse. Le surréalisme n'a pas pesé sur l'évolution ~e .
sa poésie, n'a pas constitué pour elle une étape qu'il fallait s~~onter. ~n faIt,
Aragon n'a rien eu de commun avec le surréalisme». Le cntlq~e souhgn~ le
constant engagement politique d'Aragon (il aurait «détesté le petlt-bourg.eo~s ::
sans en être conscient au tout début - pour des raisons de classe») et son mteret
pour «la vérité humaine et les causes brûlantes du monde humain»..
.,
On retrouve la même inspiration dans la critique du même recuell, pubhee
par le poète Jaroslaw Marek Ryrnkiewicz dans le quotidien Glos Rob~t~iczy [L~
Voix ouvrière] en 1955. Rymkiewicz est tout aussi enthousiaste que Blellkowski.
Il rappelle qu'Aragon €st surtout connu en Pologne comme romancier, dramaturge,
militant politique, essayiste et théoricien de l'art, mais pour lui, il est av~nt tout
un poète. Ryrnkiewicz caractérise le style du poème aragonien comme nc~e. de
toutes les couleurs de la poésie populaire et de tous les tons de la tradltlon
poétique de la France. Le surréalisme est encore une fois baf~ué comme «ré~olte
stérile contre la moralité et l'art bourgeois», jugement qm englobe aUSSl«la
bible des surréalistes»: le freudisme et l'inconscient. Et, tout comme chez
10'+
MARCIN II.LIII., WIESI:J\Wl(·DRcONKE
••..••••
R..------
Bietlkowski, Aragon est sauvé in extremis grâce à son «ironie mordante, haineuse»,
qui le sort du lot des surréalistes, et grâce à ses choix politiques des années 1930.
On peut mesurer l'impact des conditions politiques sur la réception d'Aragon, en comparant l'article de Bietlkowski commenté ci-dessus avec la critique
qu'a publiée le même poète en 1958 à l'occasion de la parution du Roman inachevé en France. L'intitulé donne déjà le ton: «La poésie, chose publique?» Quatre ans auparavant, Je point d'interrogation aurait été difficile à imaginer dans un
tel titre, et ceci aurait été encore plus vrai de la négative par laquelle Bietlkowski
répond à cette mise en question. Le regard porté sur l'œuvre d'Aragon est toujours plein d'admiration mais il n'y a plus trace du rejet de la poésie surréaliste.
Bietlkowski caractérise l'ensemble de l'œuvre d'Aragon antérieure à 1958 comme fondée sur la véhémence des partis pris idéologiques et sur l'exacerbation
des sentiments, le surréalisme et le communisme étant considérés ici au même
titre comme les deux idéologies autour desquelles cette œuvre s'est successivement construite. Bietlkowski voit dans ces deux tendances l'école dans laquelle
Aragon a préparé sa voix, ce qui lui a permis par la suite de servir la cause commune. D'ailleurs, la guerre et l'amour ont apporté à la poésie d'Aragon, selon le
critique, la possibilité de se réaliser pleinement: «le destin du peuple français, le
destin de la France a envahi cette poésie tournée par chacune de ses fibres vers
l'expérience du réel». Le critique apprécie avant tout la réduction de la distance
entre l'imagination du poète et du peuple, et considère le résultat obtenu comme
un miracle, «le voile plus haut de cette poésie». Mais il est aussi admiratif pour
les valeurs nouvelles et «éblouissantes» qui se sont manifestées dans Le roman
inachevé. Quelles sont ces valeurs? Il s'agit de l'humanité simple caractérisant
une poésie qui <~usque-là avait toujours rempli oes fonctions publiques». Ce que
le critique accueille cette fois-ci avec le plus grand enthousiasme, c'est la dimension «démythifiée» et le ton «privé» de cette écriture.
En informant le public polonais de la publication à Paris des Poètes (1961),
Jerzy Kwiatkowski souligne la richesse stylistique de cette œuvre et la maturité
de la réflexion sur la poésie même. Il parle d'un «troisième Aragon, différent des
deux précédents, le surréaliste et le tyrtéen», ce <mouvel Aragon» étant, selon
lui, «peut-être le plus sage et l~ plus humain». Le surréalisme est indiqué comme
la source où prend son origine une veine constante de la poésie aragonienne,
à savoir «l'étonnante sensibilité à la beauté du son, la beauté découlant de la
répétition de certains sons».
En 1963, paraît en polonais Elsa dans la traduction du poète Artur
Mit(dzyrzecki. L'aspect le plus intéressant de la critique de ce volume faite par
Jaroslaw Marek Rymkiewicz est dans sa réflexion sur la tradition de la poésie polonaise dans laquelle Mit(dzyrzecki a décidé de mettre en mots le texte français.
Sa réponse est la suivante: «Mit(dzyrzecki, se souvenant des filiations d'Aragon
avec Hugo et Villon, a puisé dans les profondeurs pour trouver un contexte langagier polonais pour Elsa, et il a opté pour la seule tradition, à ce qui paraît, dans
LA RECEPTION
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON
EN POLOGNE
laquelle nous pouvons lire en Pologne les poèmes d'Aragon, à savoir celle de
la poésie baroque. [00] Aragon est le poète du trop-plein, le poète de l'allusion
mythologique ou d'une allusion qui a l'air de vouloir devenir mythologique». Et
le critique de constater que tout comme dans ses propres poèmes, Mit(dzyrzecki
a su allier dans ses traductions d'Aragon l'abondance typiquement baroque avec
«la règle et la rigueur».
Dans les années 1970, où l'étau idéologique est un peu desserré en Pologne,
les critiques n'ont plus l'obligation de se conformer à tel point à la pensée unique.
On voit la liberté du jugement dans un article de Maciej Zurowski sur «Aragon
dadaïste» publié en 1976 dans Dialog [Le Dialogue], un mensuel consacré au
théâtre. Zurowski, universitaire, comme Jerzy Kwiatkowski cité ci-dessus, situe
Aragon dans une vision de la littérature française qui n'est pas une insulte au bon
sens, comme c'était le cas des textes des années 1950. Le grand mérite de son
article est peut-être de remettre les choses à leur place dans un périodique certes
ambitieux, mais de grande diffusion et destiné non seulement aux chercheurs.
Zurowski y écrit notamment que la négation pratiquée par le mouvement dada
et les surréalistes n'était pas «si barbare et absolue comme elle aurait aimé à être
perçue» et il rappelle au public polonais que déjà en 1920, Jacques Rivière a présenté ce mouvement comme «une conséquence naturelle et un développement
de ce qu'avaient fait les symbolistes». Zurowski parle de la grande érudition des
dadaïstes, et les œuvres de Louis Aragon telles que L'armoire à glace un beau
soir et Les aventures de Télémaque sont décrites comme celles où «le dadaïsme
et le classicisme ne s'excluent pas complètement».
LA PROSE
LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE
Pour les cntIques polonais la publication de la version polonaise des
Aventures de Télémaque en 1970 était l'occasion de réviser l'image d'Aragon,
connu jusqu'alors comme représentant du réalisme socialiste. Apparemment,
cette œuvre marquée par l'esthétique dadaïste semble n'avoir rien de commun
avec la création postérieure du romancier. Néanmoins tous les commentateurs
soulignent la continuité de sa pensée artistique qui s'exprime sourtout dans
la persistance de l'idée de la révolte contre les valeurs du monde bourgeois.
Ainsi pour Janusz Termer, c'est un roman provocateur, un défi jeté à la société
bourgeoise de l'époqueS. L'histoire mythique du fils d'Odysse qui part à la
recherche de son père en compagnie de Minerve déguisée en Mentor n'est alors
qu'un prétexte au jeu avec le lecteur habitué aux règles du roman traditionnel.
L'auteur rompt avec les canons littéraires existants en mettant en question la
5
J. Tenner, «Wystl(pek zwany surrealizmenl»
noveaux], n° 6, 1971.
[Le délit appelé surréalisme],
Nowe Ksiqiki [Les Livres
16lJ
MKRCINKLlK,
WIESL'~A"WiTirKRn.O""KE:;-;;;;R-----
présentation conventionnelle du temps historique et de l'espace, Il garde pourtant
la composition du roman classique, divisé en chapitres précédés de mots en
exergue - citations tirées de Kant, Breton, Picabia, Baudelaire ou Ducasse.
Le même critique suggère que certains motifs et idées qui apparaissent pour
la première fois seront repris et développés dans les œuvres postérieures d'Aragon. Le dénominateur commun pour toute sa création serait l'affirmation de la vie
et l'admiration pour ses formes sensibles. Le critique insiste enfin sur l'ouverture
interprétative de ce mini-roman dadaïste, qui n'est pas seulement un document
intéressant pour les biographes se proposant de reconstruire l'évolution artistique d'Aragon mais aussi une œuvre vivante qu'on lit toujours avec plaisir.
Stanislaw Stabryla se penche sur les sources d'inspiration de l'auteur des
Aventures ... et indique l'esthétique Dada et le Télémaque de Fénelon6. Au début
des années vingt Aragon sympathisait avec les dadaïstes prônant le nihilisme, le
relativisme moral et la négation des normes sociales établies. La révolte contre le
monde bourgeois a trouvé son expression dans le message philosophique et dans
la forme novatrice de l'œuvre. En ce qui concerne le Télémaque de Fénelon,
Stabryla rappelle que ce roman d'éducation, écrit en 1699 pour le jeune successeur de Louis XIV, était une satire contre la corruption morale de la cour royale.
Aragon garde le ton satirique de l' œuvre mais, peu convaincu de l'existence des
catégories éthiques éternelles, renonce à sa fonction moralisatrice. Il récuse aussi
la forme noble et monotone du discours classique. Paradoxalement, le roman
d'Aragon devient ainsi plus proche de l'Odyssée que du chef-d'œuvre du XVIIe
siècle. Il ne s'agit évidemment pas de la fidélité à l'histoire racontée par Homère
ni de la ressemblance des techniques narratives mais bien de la poéticité spécifique des deux textes, qui se caractérise surtout par l' autenthicité et la fraîcheur
des émotions exprimées.
En réfléchissant sur la situation existentielle de Télémaque, Stabryla remarque que sa personnalité s'est formée au cours de la recherche du père. Le
long voyage symbolise la tentative de déterminer son identité, de trouver sa
place au monde.
L'étude d'Aleksandra Wasniewska va dans le même sens et examine le rapport avec le modèle classique et le dadaïsme. Bien qu'Aragon emprunte à l'œuvre de Fénelon le titre, le nom des personnages et les grandes lignes de l'histoire
présentée dans le premier chapitre, son roman possède évidemment un caractère
polémique. Le Télémaque du XVII" siècle fonctionne dans le Télémaque moderne comme un ensemble de clichés qu'il faut briser au moyen de la déformation
ironique des motifs. La désacralisation des mythes et la dénonciation des vérités
apparentes s'opèrent également au niveau formel. Aragon, qui adopte les techniques de ready-made et de collage pratiquées par les peintres dadaïstes, juxtapose
différents types de discours, tels que méditation philosophique, épisodes d'une
comédie de boulevard, articles de presse ou fragments du manifeste Dada, en
6
S. Stabryla, «Aragon, Telemach i Dada»[Aragon,
Télémaque et Dada], poezja [La Poésie], n° 1, 1972.
LA RECEPTIOWDE
L'ŒUVRElJE
167
COUIS AîVXGON ENl'OLOGNE
mettant ainsi en question la validité de l'opinion commune. Conformément aux
principes de la poétique dadaïste, le romancier recourt à la technique de description anti-mimétique et multiplie volontairement les effets de surprise, ce qui fait
ressortir le caractère fictif de l'univers représenté et, en conséquence, empêche
le lecteur de s'identifier aux personnages.
Evidemment le roman d'Aragon n'a plus la même force esthétique qu'il
avait au moment de sa parution car le lecteur contemporain est habitué au scandale et à la provocation en littérature, il marqut' néanmoins un moment important
dans l 'histoire de la littérature française.
LE PAYSAN DE PARIS
Les critiques polonais ont unanimement reconnu Le Paysan de Paris (trad.
en 1972) comme la meilleure œuvre d'Aragon des années vingt. Selon Janusz
Termer, ce roman imprégné de l'esthétique surréaliste possède tous les caractères
d'un texte programmatique7• On y trouve non seulement la fameuse définition de
l'image surréaliste mais aussi la description de la technique de l'écriture automatique, ainsi que la glorification de l'inconscient en tant que source d'inspiration.
Ceci dit, le roman trànsgresse en même temps certains principes de l'esthétique
surréaliste. Pour cette raison, il peut être considéré comme une «œuvre limite»,
voire comme «le premier pas vers le monde réel»8. En situant ainsi Le Paysan de
Paris au début de la marche d'Aragon vers le réalisme socialiste, Janusz Termer
rappelle que même dans les années vingt le romancier restait méfiant à l'égard
de la conception idéaliste de la réalité prônée par les surréalistes et ne partageait
jamais leur goût du mysticisme. Cette attitude ambivalente du romancier face
au surréalisme trouve son reflet dans la coexistence visible des images oniriques
de la capitale et des descriptions réalistes de la rue parisienne. Dans le roman,
constituant «une chronique moderne de Paris» ct «une chronique du dadaïsme et
du surréalisme»9, Janusz Termer voit également un réservoir d'images et d'idées
qui seront reprises par Aragon dans ses œuvres postérieures.
Alojzy PaUasz, qui représente la critique universitaire, met l'accent sur la
rigueur de la composition du Paysan de Paris, obtenue malgré l'hétérogénéité
de la matière romanesque 10. En unifiant les éléments disparates, tels que conceptions philosophiques, rêveries, descriptions détaillées de la vie parisienne, éléments de dialogues réels et fragments d'articles journalistiques, Aragon a créé un
des plus beaux «poèmes en prose» du surréalisme. Selon Alojzy PaUasz, l'œuvre
est dominée par les éoncepts d'imagination et d'image poétique, cette dernière
J. Termer, «Wystc;pek zwany surrealizmem»,
Ibid., p. 39.
• Ibidem.
7
op. cit.
8
10
Alojzy Pallasz, «l'oeta w Paryw»
[Le poète à Paris], Kuftllra [La Culture],
n° 17, 1972.
168
MARCIN KLlK, WIESLAW KROKER
conçue comme transformation du concret permettant le passage au surréel. Le
critique rappelle qu'Aragon attachait une importance extrême à l'imagination et
à l'expérience subjective en tant que moyens de connaissance du monde. Dans
Le Paysan de Paris, le travail de l'imagination poétique est particulièrement
visible dans la métamorphose de la réalité observée en images oniriques pleines
de mystère. Sous la plume d'Aragon, les événements de la vie quotidienne acquièrent une valeur mythique.
Pour terminer, signalons l'existence de deux articles d'Anna Tarska consacrés au Paysan de Parisl J. Il est difficile de considérer ces deux publications,
étonnamment semblables d'ailleurs, comme des voix critiques sérieuses. Dans
un style affecté et pompeux Tarska semble prolonger l'écriture romanesque
d'Aragon. Certaines opinions présentées par l'auteur témoignent de l'ignorance
complète de l'histoire littéraire de l'époqueJ2. Ses réflexions banales n'apportent
rien à la compréhension de l'œuvre d'Aragon.
LES CLOCHES DE BÂLE
Les Cloches de Bâle ont trouvé un faible écho dans la presse littéraire
en Pologne. Le premier commentaire critique a paru en 1948, peu après
la publication de la traduction polonaise du roman, mais pour le suivant il
a fallu attendre dix ans 13.
Adolf Sowinski qualifie Les Cloches de Bâle de «fameuse épopée guerrière
du socialisme français»J4. Il rappelle que l'œuvre comprend quatre parties constituant en fait quatre mini-romans indépendants dont les actions sont logiquement
liées par la présence des mêmes personnages, ce qui rapproche Les Cloches de
Bâle de la Comédie humaine. Dans chaque partie, l'auteur présente un autre
milieu social et décrit un autre type humain. Le critique admire chez Aragon la
capacité exceptionnelle de créer des personnages typiques, qui ressemblent plus
aux héros de Molière qu'aux individus complexes des romans psychologiques
de l'époque. Dans l'œuvre d'Aragon, il n'y a pas de place pour l'inconscient,
l'homme est pleinement conscient de ses actes et prend toujours la responsabilité
de ses choix. L'auteur adopte une perspective sociologique: Diane, Catherine,
Victor et Claire sont présentés sur le fond des conflits sociaux des années précédant la première guerre mondiale. Enfin, Sowiùski apprécie le message idéoloIl A. Tarska, «Pasai:e poetow» [Les passages des poètes], Echo Krakowa [L'Echo de Cracovie],
n° 135, 1972, et «Nielad czyli i;ycie» [Le désordre ou la vie], Literatura [La Littérature], nO21, 1972.
12 Selon A. Tarska, Le Paysan de Paris est «un manifeste du dadaïsme» et «le dadaïsme est j'enfant
du surréalisme». Voir: A. Tarska, «Pasai:e poetow», op. cit. et «Nielad czyli i;ycie», op. cit.
13 A. Sowinski, «Powiesé 0 socjaldemokracji»
[Un roman sur la socialdémocratie], Kuinica
[La forge], n° II, 1948; A. Hamerlinski, «Dzwony Eazylei» [Les Cloches de Bâle], Orka [Le
Labour], n° 27,1958.
14 A. Sowinski, «Powiesé 0 socjaldemokracji», op. cÎl.
LA RÉCEPTION
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON
EN POLOGNE
169
gique optimiste du roman, tout en stigmatisant les erreurs de composition et le
schématisme de certains passages.
L'auteur du second article consacré aux Cloches de Bâle - Andrzej
Hamerlinski - rappelle que l'œuvre constitue le premier volet des cycles romanesques Le Monde réel et Les Communistes. Selon Hamerlinski, il faut chercher les sources du roman dans les expériences réelles de son auteur. Les parties consécutives du livre illustrent symboliquement les étapes de l'évolution de
la conscience sociale d'Aragon qui, tout comme les personnages qu'il a créés,
a parcouru un long chemin conduisant de la révolte contre la mentalité bourgeoise à l'engagement dans le mouvement communiste. Le romancier a réussi à présenter un vaste panorama de situations humaines dans toute leur complexité. Cependant les personnages principaux, Diane exceptée, manquent de profondeur.
C'est surtout le cas du chauffeur Victor dont la silhouette, à peine esquissée,
disparaît parfois dans une foule de figures de troisième ordre.
Le roman souffre de digressions trop longues sur la condition des ouvriers,
rapprochant la prose d'Aragon au style journalistique. Le critique est néanmoins
plein d'admiration pour la vision réaliste d'un monde déchiré par les conflits
sociaux et menacé par la guerre.
LES BEA UX QUARTIERS
Les Beaux quartiers, le deuxième volume du cycle romanesque Le Monde
réel, offre une image critique de la société française au début du XXc siècleJ5.
Selon Andrzej Hamerlinski, dans la première partie du roman, Aragon dénonce l'hypocrisie des grandes familles bourgeoises de province et dans les deux
autres, il décrit la dégradation morale de la bourgeoisie parisienne. Le romancier
analyse pertinemment les mécanismes de la politique, dévoile les coulisses du
pouvoir et démasque les contradictions internes du monde capitalisteJ6.
Le même commentateur souligne que l'écrivain a réussi à montrer les grands
processus historiques à travers des destins individuels. Les deux fils du docteur
Barbentane peuvent être considérés comme les symboles vivants de leur époque:
Edmond mène une existence parasitaire d'un bourgeois dépourvu de morale, tandis que son frère, Armand, se révolte contre sa famille et s'embauche dans une
usine de Levallois-Perret où il s'initie progressivement aux problèmes de la classe
ouvrière. Hamerlmski insiste sur la complexité psychologique des personnages,
présentés dans un rapport étroit avec la situation socio-politique de l'époque.
15 Nous présentons ici les articles critiques suivants: W. Mackiewicz, «Epoka ludzi podwojnych»
[L'époque des hommer doubles], Nowa Kultura [La Nouvelle Culture], n° 5, 1951 etA. Hamerlinski, «Na
marginesie Pi~knych Dzielnic» [En marge des Beaux Quartiers], Tygodnik Kulturalny [L'Hebdomadaire
de culture], n° 25, 1962.
16 A. Hamerlinski, op. cit.
NffiKCIN
""LI •••.• WIESCAW
KROKER
Wincenty Mackiewicz compare le roman à un riche scénario filmique, composé de scèn~s d.ynamiques ~t significatives à la fois, dans lequel tous les personn~~es «,negat,Ifs» sont s01gneuseme~t i~dividualisés, pendant que le héros
~<POSIhf»n a qu ~ seul. nom ~ l~ Prol~tanatl7. Le roman constitue une étape
Importante dans 1 evoluhon artIstIque d Aragon dans la mesure où les thèmes
qu'il aborde, à savoir l'hypocrisie du monde bourgeois et la nécessité de la transformation sociale, seront repris dans les œuvres ultérieures.
LA RÉCEPTION DE L'ŒUVRE DE LOUIS ARAGON EN POLOGNE
~~--171
semble illustrer l'idée de Lénine, selon laquelle il est impossible de vivre dans
la société et en être libre à la fois. Tout en appréciant «la portée idéologique» de
l'œuvre, Drawicz n'hésite pas à dénoncer ses défauts formels, tels que le schématisme des personnages et l'incohérence de l'intrigue. De plus, la structure du
roman ressemble à un collage d'éléments incongrus de la réalité. Hésitant entre
prose et poésie, Aragon ne tire pas tous les bénefices du réalisme et il faudra
attendre La Semaine Sainte pour que son talent de prosateur se manifeste dans
toute sa plénitude.
LES VOYAGEURS DE L'IMPÉRIALE
SERVITUDE
Dans Les Voyageurs de l'impériale, le troisième volet du Monde réel, Aragon présente l'histoire d'une famille bourgeoise typique au temps de la lue
Républiquel8• L'action du roman se déroule entre 1889 et 1914, l'époque de la
~ontée .du nationalisme, dominée par les conflits intérieurs et les antagonismes
mternatlOnaux. Pour les critiques polonais l'œuvre est avant tout une étude de la
rév~lte in~i.viduelle contre les normes sociales. Dégoûté par la politique, las de
la VIe famIlIale, le professeur Pierre Mercadier se retire de la société, abandonne
sa femme et ses trois enfants et part en voyage pour l'Italie.
~ux yeux d'~a
Tatarkiewicz, Mercadier représente le type de l'individualIste égocentrIque dont l'inquiétude métaphysique se transforme progessivement en contestation totale des règles socialesl9. Depuis Rousseau ce modèle
d; la r.évolte revient presque inchangé dans toute la littérature française. Aragon
s mspIre surtout de Flaubert, Zola et Maupassant, auxquels il emprunte les méthodes de transposition romanesque. Néanmoins, contrairement à ses prédécess~urs, l' au~e~r des Voyageurs de l'impériale met en question la la portée de la
revolte solItaIre. Vue sous cette angle, la fin tragique du professeur Mercadier est
u?e conséquence inévitable de son choix car l'égoïste qui récuse la société et ses
regles se condamne lui-même à la mort pitoyable dans la solitude. C'est aussi la
con~lusion formulée par Andrzej Hamerlinski qui pense que la révolte de Mercad~e.rcontre l'absurdité de la vie et l'hypocrisie de la société n'a aucune valeur
p?~Ihve20. Da?s cette perspective, l'histoire du professeur semble apporter une
VISIonsarcashque de la révolte surréaliste.
La cr~tique du culte de l'individualisme dans Les Voyageurs de l'impériale
se trouve egalement au centre des considérations d'Andrzej Drawicz21. Le roman
17
W. Mackiewicz, op. cit.
1.8 Nous présentons ici trois études suivantes: A. Tatarkiewicz. «KIC(skaPiotra Mercadier» [L'échec
de. :lerre Marcadler], Nowa Kultura. nO5, 1961; A. Hamerlinski, «Epitafium mieszczanskiego swiata»
[L epltaphe pour le. monde bourgeois], Orka, nO.Il, 1961 et A. Drawicz, «Samob6jstwo profesora
Mer~:dlef» [Le SUICidedu professeur Mercadier], Zolnierz Wolnosci [Le soldat de la liberté], nO77, 1961.
A. Tatarklewlcz, op. cit.
20 A. Hamerlinski, op. cit.
21 A. Drawicz, op. cit.
ET GRANDEUR DES FRANÇAIS
Les commentaires critiques de ce recueil de récits évoquant la vie en France
sous l'occupation allemande (traduit par Jan Kott en 1946) mettent surtout l'accent sur le caractère réaliste de la technique narrative et l'originalité de la perspective adoptée par Aragon22. Son réalisme se manifeste surtout dans le fait de
présenter les actions des personnages dans un large contexte socio-politique.
Le problème de la collaboration avec les Allemands, le réveil de la conscience nationale après la défaite de 1940 et le rôle du Parti communiste dans la création de la Résistance eonstituent les thèmes majeurs du recueil. Dans «Le droit
roman n'est plus», le meilleur récit du recueil, Aragon réfléchit sur la mentalité
des nazis et proteste contre leur morale hypocrite23. Dans «Les bons voisins»,
«une tragi-comédie superbement jouée», l'auteur démasque la lâcheté des petitsbourgeois français24 tandis que dans «Le collaborateur», il dépeint le sort d'un
homme «pragmatique» qui, désirant s'adapter le mieux possible aux circonstances historiques, trahit le peuple français25. Il est à noter que, dans tous ses récits,
Aragon aspire à la synthèse sociologique en présentant certains types humains au
lieu de décrire les caractères individuels26.
L' œuvre peut être considérée comme une chronique de la période 19401944 mais l'effet esthétique l'emporte ici sur le documentarisme. La composition rigoureuse de tous les récits, le dynamisme de la narration et la vivacité
du style d'Aragon ont décidé de la réussite artistique du recueil. Le souci de la
forme distingue d'ailleurs Servitude et grandeur ... des œuvres littéraires analogues publiées à l'époque en Pologne27.
22 B. Dudzinski, «Opowiadania Aragona» [Les contes d'Aragon], Glos Ludu [La voix du peuple],
n° 337, 1946; A. Wlodek, «Nowosci i wznowienia» [Nouveautés et rééditions], Echo poludnia [L'écho
du Sud], n° 53, 1947; P. S. Ziamik, «Recenzje: Niewola i Wielkosé Franc)i» [Critiques: Servitude et
grander des Français], Wies [La Campagne], nO8, 1947, ur 8 et A. Braun, «Opowiadania'Aragona» [Les
contes d'Aragon], Kuinica, nO6, 1948.
23 A. Wlodek, op. cit., A. Braun, op. cil.
24
S. Dzikowski, op. cit.
25
A. Braun, op. cit.
26
P. Ziamik, op. cit., A. Braun, op. cil.
27 Voir: S. Dzikowski, op. cit.
172
MARCIN KLlK, WIESLAW KROKER
LA RECEPTION
28 Nous
présentons
les articles de J. Adamski, «Aurelian czyli Aragon» [Aurélien ou Aragon],
Nowa Kultura, nO 49, 1961, et de H. Guzikowa, «Aragon epilm [Aragon auteur épique], Zolnierz
Polski, nO 23, 1961.
29 1. Adamski,
op. cit.
30 H. Guzikowa,
op. cit.
LOU.:; AIV\\JVI~ eN rVL"""I~"
LES COMMUNISTES
AURÉLIEN
Deux tendances - lyrique et sociale - traversent Aurélien, le quatrième roman du cycle Le Monde rée[28.L'histoire de l'amour entre un jeune lieutenant et
une provinciale mariée à un apothicaire ennuyeux s'inscrit dans l'image de la vie
de l'élite parisienne à l'époque de l'entre-deux-guerres.
Jerzy Adamski compare Aurélien à L'Education sentimentale et à Madame
Bovary, tout en soulignant que l'analyse aragonienne de la passion amoureuse
n'a pas la même profondeur que les études de Flaubert29. Les personnages sont
superficiels, la banalité de leur existence déçoit le lecteur. Aragon, qui envisageait établir un parallèle entre le sort du couple et le destin de la France en 1940,
n'a pas su donner une dimension tragique à cette histoire d'un amour malheureux et, par conséquent, malgré les intentions de l'auteur, l'intrigue principale est
dépourvue de valeur symbolique.
Adamski dénonce également le schématisme de la perspective sociologique d'Aragon qui divise la société entre bons et méchants, en opposant
le prolétariat et les riches. L'écrivain se limite à la critique de «la vie mondaine» de l'élite et, fidèle aux postulats du surréalisme, dénonce seulement la
manière d'éprouver la réalité par les bourgeois au lieu de protester contre les
principes du système social corrompu. De plus, la vision «trop naturaliste»
des salons parisiens d'avant-garde pèche par l'excès de détails insignifiants,
et la révolte d'Aurélien est aussi banale et ennuyeuse que les gens contre
lesquels il s'insurge.
Aux yeux de Halina Guzikowa, l'œuvre d'Aragon est avant tout l'histoire
de la passion entre Aurélien et Bérénice30. Incapable de s'arracher au milieu hypocrite des artistes et des financiers, le couple vit dans un monde d'illusions et de
déceptions. Les deux grandes guerres, qui marquent les limites chronologiques
de l'intrigue, s'inscrivent symboliquement dans le destin individuel du héros en
tant que moments de crise de son système éthique. La première guerre ébranle la
croyance d'Aurélien en la rationalité des actions humaines et la seconde, met en
question la vision du monde et les valeurs représentées par la classe à laquelle il
appartient - la bourgeosie.
DE L'lEUVI<lOD
Les commentateurs polonais des Communistes se concentrent presque uniquement sur le contenu «idéologique» de ce cycle romanesque31. L'œuvre offre
l'image d'une société française déchirée entre la classe ouvrière et la bourgeosie
à l'époque de la seconde guerre mondiale. Dans cette grande épopée nationale,
Aragon chante l'héroïsme du prolétariat dont «l'avant-garde», à savoir le parti
communiste, s'oppose à la collaboration avec les nazis, organise la résistance et
sauve ainsi l'honneur de la France trahie par les capitalistes.
Adam Kotula focalise son attention sur la dimension historico-politique de
l'oeuvre sans oublier pourtant de mettre en reliefla spécificité du style d'Aragon,
qui, grâce à l'imitation du langage quotidien et la superposition de différents registres stylistiques, réussit à rendre la multiplicité des parlers individuels32. Dans
cette perspective, le langage apparaît comme l'instrument de diversification des
types romanesques. Kotula remarque également qu'Aragon recourt volontiers au
monologue intérieur sans renoncer pourtant à confronter ses personnages avec
le monde réel. Conscient de l'importance des thèses prônées par Aragon et de sa
virtuosité formelle, Adam Kotula n'hésite pas à le situer parmi les grands de la
littérature française, tels que Villon, Rabelais, Voltaire, Hugo et Balzac.
Pawel Beylin compare le premier volume des Communistes à l'image cinématographique dont les scènes défilent devant les yeux du lecteur à une vitesse
vertigineuse, ce qui empêche parfois de retrouver le fil conducteur et d'apprécier
les nuances de l'analyse sociologique présentée par Aragon. Le point central
de l'intrigue est marqué par le pacte germano-soviétique de 1939, qui «a permis, aux Russes, de mieux se préparer à la guerre et de sauver le monde du
nazisme»33. Il semble souscrire à l'opinion d'Aragon, selon lequel ce véritable
«test de confiance à l'Union Soviétique» a polarisé la société française, en opposant les patriotes-communistes aux traîtres de la nation.
En commentant le cinquième volume des Communistes, Zbigniew Florczak
confronte l'œuvre engagée d'Aragon à la prose «anti-réaliste» des écrivains
bourgeois34. Du premier coup d'œil, le cycle en question ressemble au roman
fleuvc, genre très populaire au tournant des siècles. Mais en réalité, Aragon, qui
a assimilé la leçon de la pensée dialectique, rejette la tradition de Léon Tolstoï
et de Romain Rolland, trop concentrés sur les destins individuels, et dirige son
Poprostu
31 Nous présentons
ici les articles suivants: P. Beylin, «Komunisci» [Les Communistes],
[Tout simplement),
n° 7, 1950; A. Kotula, «Swiat Rzeczywisty Aragona» [Le Monde réel d'Aragon),
Zycie Literackie [La Vie littéraire), n° l, 1951; Z. Florczak, «Francuski wrzesien (0 pi<ttyro toroie Komunist6w)>>[Le septembre français (à propos du cinquième tome des Communistes)), Nowa Kultura,
n° 40, 1954 et J. Kurowicki, «Rzecz 0 rozdarciu» [A propos d'une déchirure), Sprawy i Ludzie [Affaires
et hommes), n° 17, 1983.
32 A. Kotula,
op. cit.
H P. Beylin,
op. cit.
34 Z. Florczak,
op. cit.
~ARCIN
1/4
KLlK, WIESl:AW KROKER
attention sur «les mécanismes de la collectivité». Du coup, il renonce à l'esthétisme et au psychologisme des écrivains bourgeois pour adopter la position
d'idéologue et d'historien-moraliste. Il réussit ainsi à créer une véritable fresque
de l'époque, une synthèse sociologique d'une grande valeur documentaire pour les
générations postérieures. Son image réaliste de la guerre l'emporte évidemment
sur la vision allégorique de la tragédie présentée dans La Peste d'Albert Camus.
Florczak critique pourtant la manière stylistique d'Aragon dont «le jargon
formaliste» lui semble incompatible avec la simplicité et l'importance du message
idéologique des Communistes. De plus, «la facture pointilliste» de l' œuvre désoriente
le lecteur, qui a parfois du mal à «déchiffrer» les intentions de l'écrivain.
Trente ans plus tard, en 1983, Jan Kurowicki réfléchit sur les raisons de
la mauvaise réception des Communistes en Pologne35. Certes, ce cycle «passé
sous silence» par la critique a bien des défauts, tels qu'erreurs de composition,
schématisme des conflits et superficialité des portraits psychologiques, mais il
possède une valeur idéologique incontestable. A présent, c'est-à-dire en 1983,
les critiques polonais, dont la grande majorité est d'origine bourgeoise, s'occupent presque uniquement de la question du conflit des sexes et ils semblent
ignorer complètement les problèmes de la lutte de classes et du déchirement de
la société, qui restent pourtant toujours actuels.
LA SEMAINE SAINTE
Dès sa parution en 1958, La Semaine Sainte, ce grand roman historique,
dont le public polonais a pu connaître la traduction seulement en septembre 1960
(trad. par Jadwiga Dmochowska) a suscité un grand intérêt des lecteurs. Les
commentaires enthousiastes des critiques renommés, qui avaient précédé la publication de la version polonaise, ont donné le ton aux critiques ultérieures36. Tout
comme en France, La Semaine Sainte a été vite proclamé «l'un des meilleurs livres d'Aragoo»37 et même «un chef-d'œuvre de la littérature française))38.
Ce roman, considéré comme «un livre-surprise))39 pour sa qualité artistique exceptionnelle, cristallise en même temps tous les caractères classiques du:
genre. Julian Rogozinski n'hésite pas à situer l'œuvre d'Aragon dans la tradition
des romans historiques du XIXC siècle. Andrzej Hamerlinski, Andrzej Lam et
1. Kurowicki, op. cit.
36 B. W6jcicki, «Wielld Tydzien. Arcydzielo literatury francuskiej» [La Semaine Sainte. Un chefd'oeuvre de la littérature française], Trybuna Ludu [La Tribune du peuple], n° 9, 1959; K. Eberhardt,
«Wielld Tydzien Aragona», [La Semaine Sainte d'Aragon] Zycie Literaclde, n° 12, 1959; S. Z6Ikiewski,
«Na przyklad Wielki Tydzien» [La Semaine Sainte par exemple], Nowa Kultura, n° 19, 1959 et A. HamerlÎl1ski, «Wielld Tydzien Louisa Aragona» [La Semaine Sainte de Louis Aragon], Orka, nO30,1960.
37 K. Eberhardt, op. cit.
38 B. W6jcicki, op. cit.
39 K. Eberhardt, op. cit.
35
LA RÉCEPTION
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON
EN POLOGNE
175
Adam KJimowicz soulignent l'étonnante érudition de l'auteur, sa vaste connaissance de faits, des mœurs, du vêtement de l'époque ou encore son souci du détail
historique, qui lui ont permis de créer des scènes tellement suggestives de la vie
quotidienne au temps de Louis XVIII et de rendre l'atmosphère de ces huit jours
de la dernière décade de mars 1814 où s'est décidé l'avenir de la France40• Mais
la fidélité du décor, peint en trompe-l'œil, ainsi que la véracité de la présentation
des événements historiques ne sont, aux yeux des commentateurs, que des qualités secondaires de ce roman constituant surtout une réflexion profonde sur le
mécanisme de l'histoire. Pour les critiques polonais, le problème de la nécessité
du choix dans une situation historique donnée constitue le thème majeur de La
Semaine Sainte. Au moment où Napoléon quitte l'île d'Elbe et commence sa
marche vers Paris et où Louis XVIII fuit la capitale, le personnage principal,
Théodore Géricault, peintre et mousquetaire royal, se trouve devant un dilemme
terrible: rester auprès du roi dont «la cause est mauvaise)) ou bien rejoindre les
partisans de l'Empereur, quoiqu'il ne partage pas ses idéaux. L'individu impliqué dans l'histoire - est-il libre de choisir? - telle est la question principale qui
se pose après la lecture de La Semaine Sainte. Pour résoudre ce problème, Stefan
Z6lkiewski, Wadaw Sadkowski, Andrzej Wasilewski et Andrzej Lam proposent
de lire le texte à la lumière du matérialisme dialectique4J• Dans cette perspective, l' œuvre d'Aragon serait une illustration artistique de la conception marxiste
de l'individu dans ses rapports avec l'histoire: tout en étant déterminé par les
conditions historiques, l'individu garde une certaine liberté de modeler non seulement son existence mais aussi le sort du monde. Cette vision optimiste dans
laquelle 1'homme est capable de changer le cours de 1'histoire est, selon Stefan
Zolkiewski et Maria Jarochowska, très caractéristique pour Aragon42• En fait,
bien que l'action se passe à l'époque de Louis XVIII, le roman est paradoxalement orienté vers l'avenir. Si Théodore ne quitte pas la France avec les gens du
roi, c'est parce qu'il a compris que son avenir était pour toujours lié à celui du
peuple français qu'il devait servir par son talenr3.
Stefan Z6lkiewski et Maria Jarochowska mettent en relief «le message idéologique)) de La Semaine Sainte qui, à leurs yeux, est moins un roman historique
traditionnel qu'une œuvre engagée dans la situation politique contemporaine44•
Z6lkiewski y voit une allusion aux événements survenus après le XXc Congrès
du Parti communiste de l'Union Soviétique. A son tour, Jarochowska souligne
40 A. Hamerlinski, op. cil.; A. Lam, «Rozdarta zaslona» [La voile déchiré], WidnokrltJji [Les Horiz0ns], n° Il, 1962; A. Klimowicz, «Symfonia klasyczna Aragona» [La Symphonie classique d'Aragon],
Nowe Ksiqi,1d [Les Livres nouveaux], n° 20, 1960.
41 S. Z6lkiewski, op. cit.; W. Sadkowski, «Wielka powiesé Aragona [La grand roman d'Aragon]»,
Trybuna Ludu, nO293, 1960; A. Wasilewski, «Jak si~ dzieje historia» [Comment se déroule l'histoire],
Nowe drogi [Les Voies nouvelles], n° l, 1961; A. Lam, op. cit.
42 S. Z6Ikiewski, op. cit.; M. Jarochowska, «Romans historii» [Le roman de l'histoire], Polityka [La
Politique], nO45, 1960.
'
43 Voir: S. Z6lkiewski, op. cit.
44 S. Z6lkiewski, op. cit.; M. Jarochowska, op. cit.
176
LA RÉCEPTION
MARCIN KLlK, WIESLAW KROKER
les «accents pacifistes» de La Semaine Sainte, ainsi qu'un «bel humanitarisme»
de l'écrivain-communiste plein de foi en l'homme4s.
D'autres critiques s'expriment avec plus de réticence sur le problème de
l'actualité politique de La Semaine Sainte, en se limitant à établir un parallèle
entre le événements présentés dans le roman et ceux de l'époque de la «drôle
de guerre». Un tel rapprochement semble tout à fait légitime, vu qu'Aragon luimême en parle dans son roman.
D'autres études insistent sur les relations entre l'œuvre et les courants littéraires de l'époque. La plupart des auteurs remarquent qu'Aragon, tout en s'inspirant de l'esthétique du réalisme socialiste, a su éviter le piège du schématisme
historique, tellement caractéristique des autres réalisations «socialistes». Selon
Stefan Z61kiewski, le choix de la poétique réaliste a été dicté par «le projet intellectuel» d'Aragon qui «voulait reproduire la vérité des relations objectives de la
vie humaine à un moment historique précis et dans un contexte social donné»46.
Mais le critique précise toutefois qu'Aragon dépasse consciemment les limites
du réalisme socialiste «traditionnel» pour montrer les rapports entre l'individu
et l'histoire dans toute leur complexité. Dans cette optique La Semaine Sainte
s'avère une réalisation artistique très originale, témoignant d'« immenses possibilités du réalisme contemporain»47.
En revanche, Konrad Eberhardt refuse d'enfermer cette œuvre dans le cadre
du réalisme socialiste, même si dans le recueil d'entretients J'abats mon jeu, le
romancier déclare que «La Semaine Sainte (00') relève du réalisme socialiste»48.
Certains critiques attirent l'attention sur les inspirations surréalistes d' Aragon, en rappelant les origines de sa vocation littéraire. Julian Rogozinski qualifie
la poétique d'Aragon de «réalisme balzacien transformé par la méthode paranoïaque critique inventée par les surréalistes»49. Selon Andrzej Lam, l'expérience surréaliste a permis au romancier de prendre acte des capacités de l'homme
à surmonter les contraintes sociales. Dans ce sens, La Semaine sainte, avec sa
conception de l'être humain impliqué dans l'histoire mais en même temps libre
d'agir et de choisir, se situe dans le prolongement du surréalismeso. En retour,
Waclaw Sadkowski et Anatol Stem considèrent l'œuvre d'Aragon comme l'expression de la «négation de l'esthétique surréaliste» ou la victoire de l' objectivisme réaliste sur le subjectivisme surréalisteS'.
45
46
47
M. Jarochowska,
op. cit.
S. Z6lkiewski, op. cit.
Ibidem.
K. Eberhardt, «Wielki Tydzien i kontrowersje»
Liaison], n° l, 1961.
48
49
50
[La Semaine Sainte et les controverses],
Wi~i [La
J. Rogozinski, «Wielki Tydzien» [La Semaine Sainte}, Nowa Kultura, n° 41, 1960.
A. Lam, op. cit.
51
W. Sadkowski, op. cit.; A. Stem, «Aragon i jego Wielki Tydzien» [Aragon et sa Semaine Sainte],
Zycie literackie, nO 158, 1960. Anatol Stem souligne pourtant que l'expérience du Paysan de Paris
n'a pas été complètement
oubliée et que, dans La Semaine Sainte, Aragon recourt volontiers à la techni•
que de «l'inconscient
incontrôlé».
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON
EN POLOGNE
177
Les études citées abondent en observations concernant la technique romanesque confirmant le caractère novateur de La Semaine Sainte. Leurs auteurs
insistent sur les affinités entre le roman et l'art pictural, les descriptions d'Aragon rappelant, par leur ambiance, les toiles de Géricault. Konrad Eberhardt et
Anatol Stem comparent le roman à une symphonie, en mettant l'accent sur la
complexité de la composition due à la richesse des épisodes présentés. D'autres
commentateurs ajoutent que cette complexité est amplifiée par les interventions
du narrateur, jouant sur trois plans temporels: celui de l'époque de Louis XVIII,
celui de La Seconde Guerre Mondiale et celui du moment de l'écritures2. Julian
Rogozinski remarque qu'Aragon emprunte à Dos Passos la techique de simultanéisme, qu'il utilise pour montrer, sans transition, les événements appartenant
à des actions parallèless3. En ce qui concerne la manière de présenter les personnages, Konrad Eberhardt observe que l'auteur recourt souvent à la technique
de «stéréoscopie» consistant dans le rapprochement des images de différentes
époques de la vie du héros.
Il faut noter que les auteurs polonais signalent également les filiations littéraires rapprochant l' œuvre d'Aragon aux romans des grands réalistes du XIX·
siècle: Stendhal, Balzac, Tolstoïs4. Stefan Z61kiewski et Jerzy Adamski indiquent
les affinités entre La Semaine Sainte et Le docteur Faustus de Thomas Mannss.
Selon Konrad Eberhardt, la thématique du roman, à savoir le drame du choix
existentiel à un moment historique donné, fait penser à Cendres et diamant de
Jerzy Andrzejewskis6. Une telle analogie, ignorée probablement par le public
français, s'impose au lecteur polonais - dit-il.
LA MISE A MORT
La forme inédite de La Mise à mort, contenant des éléments de différents
genres littéraires, a surpris les critiques polonais, pour lesquels Aragon était,
jusqu'ici, le représentant du réalisme socialistes7. Selon Z. Jaremko-Pytowska,
52
Le problème des interventions
du narrateur est abordé dans les articles de S. Z6lkiewski,
A. Hamerlinski, A. Mie<dzyrzecki (<<Nowa powiesé Aragona» [La nouveau roman d'Aragon], Swial [Le
Mondel], nO45) et M. Jarochowska. Cette dernière avoue que «les ingérences de l'auteur dans les affaires de ses héros» sont parfois irritantes parce qu'elles dissipent <<J'illusion réaliste» du roman.
53
J. Rogozinski, op. cil.
54 1. Rogozinski,
op. cil.; A. Mie<dzyrzecki, op. cil.; A. Stem, op. cit.
55 S. Z6Ikiewski,
op. cil.; J. Adamski, «Granice bezsily, niewiary, rozpaczy» [Les limites de l'im-
de l'incrédulité
et du désespoir], Przeglqd Kulturalny [La Revue de culture], nr" 46.
K. Eberhardt, op. éit.
57
Il faut noter que La Mise à mort est l'un des romans aragoniens les plus commentés par la critique polonaise. Voir: Z. Jaremko-Pytowska,
«Wyrok smiercl czy ocalenie» [La Mise à mort ou le salut],
Polityka, n° 35, 1965; E. Boczek, «Wyrok smierci» [La Mise à mort], Nowa Wies, n° 48, 1969; B. Sosien,
«Aragon: Wyrok Smierci» [Aragon: La Mise à morl], Zycie Lilerackie, nOI, 1970 ; A. Siemek, «Aragon
w potrzasku?»
[aragon pris au piège?], Wspo/czesnosé [L2 Monde contemporain],
n° 5, 1970; L. Sopotence,
56
178
LA RÉCEPTION
MARCIN KLIK, WIESLAW KROKER
l'histoire de la passion de l'écrivain Antoine Célèbre pour la fameuse cantatrice
Ingeborg d'Usher se situe entre le poème d'amour et le traité philosophique sur
la possibilité de la connaissance d'autrui58. B. Sosien, L. Sok61 et B. Mamon
considèrent l'œuvre d'Aragon comme un amalgame de plusieurs genres littéraires, tels que poème en prose, essai, pastiche, reportage, et mémoires59. L'architecture de La Mise à mort, dépourvue d'intrigue au sens traditionnel du terme
peut parfois paraître chaotique mais en réalité sa composition est strictemen~
soumise à la logique du courant de la pensée humaine6°. Sa forme hétéroclite
correspond à la ç\iversité des problèmes abordés par l'auteur.
Pour la plupart des critiques, l'œuvre constitue en premier lieu l'analyse
psychologique de la passion amoureuse. Selon L. Sok61 et A. Bojarska, Aragon
a le courage de défendre l'idéal traditionnel de l'amour, qui exige l'oubli de soi
et le dévouement absolu à la personne aimée61• Z. Jaremko-Pytowska et A. Siemek accentuent l'importance de la jalousie, qui provoque le dédoublement de la
personnalité du protagoniste62. Le sentiment pathologique devient progressivement la raison d'être d'Antoine Célèbre, déchiré par le conflit intérieur. Il semble
que l'image du grand amour qui mène à la folie présentée dans l'œuvre prenne
ses sources dans la passion d'Aragon pour Elsa Triolet. Z. Jaremko-Pytowska
souligne pourtant l'universalité de ce thème, en renonçant à chercher la «clé» du
roman dans la biographie de l'auteur.
Les critiques mettent également l'accent sur l' autothématisme de La Mise
à mort, dont certaines parties sont dominées par les problèmes théoriques de la
littérature, telles que les fonctions du roman contemporain, la question du mimétisme littéraire et les limites du réalisme. Selon B. Sosien, L. Sok61 et B. Mamon,
La Mise à mort, qui dévoile les mécanismes secrets de l'écriture, annonce la crise
du réalisme, déchiré par les contradictions internes63. En revanche, A. Bojarska
est persuadée qu'Aragon élargit la formule du réalisme socialiste en y intégrant
des éléments de l'esthétique surréaliste64. Z. Jaremko~Pytowska parle, elle aussi,
~u «retour à la source» et de la continuation des expériences de l'époque surréahste65. Dans La Mise à mort, Aragon renonce à l'analyse objective des mécanismes sociaux, qui s'avère stérile en tant que moyen de la connaissance du monde,
et adopte la perspective subjective qui semble plus appropriée- à l'étude de la
réalité humaine. La mise en doute de la valeur cognitive de l'objectivisme dans
k61, «0 milosci i powiesci» [De ('amour et du roman], Nowe Ksiqiki, n° 8,1970; B. Mamon, «Drzwi
otwarte na nieskonczonosé» [Une Porte ouverte sur l'infini], Tygodnik Morski [la Revue marine],
197~8et A. BOJarska, «Mit wielkiej milosci» [Le mythe du grand amour], Kultura, n° 22, 1970.
Z. Jaremko-Pytowska, op. cit.
5' B. Sosien, L. Sok61 et B. Mamon, op. cit.
60 Z. Jaremko-Pytowska,
op. cit., L. Sok61, op. cit., B. Mamon, op. cit.
61 A. Bojarska, op. cit., L. Sok61, op. cit.
62 Z. Jaremko-Pytowska, op. cit., A. Siemek, op. cil.
63 B. Sosien, op. cit., L. Sok61, op. cit., B. Mamon, op. cil.
64 A. Bojarska, op. cit.
65 Z. Jaremko-Pytowska,
op. cit.
DE L'ŒUVRE
DE LOUIS ARAGON
EN POLOGNE
179
la littérature se manifeste particulièrement dans la forme de l'œuvre, ressemblant
plus au poème ou à l'essai qu'au roman traditionnel. Aux yeux d'A. Siemek,
l'idée du «réalisme sans rivages» lancée par Aragon marque en fait la fin de
cette doctrine, qui, ayant absorbé les éléments de différentes traditions littéraires,
perd, au bout du compte, son caractère spécifique66. A. Siemek note aussi que La
Mise à mort oblige les critiques à reconsidérer la thèse de R. Garaudy concernant la logique et la continuité de la carrière littéraire d: Aragon, qui évoluerait
du surréalisme au communisme. Il semble que toute son œuvre soit divisée en
deux tendances contradictoires mais parallèles, à savoir le réalisme objectif et le
courant personnel, voire autobiographique, dont Le Roman inachevé et La Mise
à mort sont les meilleurs exemples.
Les commentanteurs de l'œuvre soulignent enfin sa dimension biographique. La Mise à mort exprime la somme des expériences politiques, artistiques
et personnelles de l'auteur et constitue un document émouvant de la crise de la
conscience d'un communiste engagé, qui, ne croyant plus aux idées et aux valeurs collectives, se tourne vers l'intérieur humain pour réfléchir sur le mystère
de l'amour individuel67.
CONCLUSION
Louis Aragon est sans aucun doute l'un des écrivains français du xxe siècle
les plus traduits et les plus commentés en Pologne. Il faut pourtant noter que,
pour des raisons extra-littéraires, la réception de son œuvre a connu des hauts et
des bas. Avant 1945, Aragon est presque méconnu en Pologne. Cette situation
n'a changé qu'après la guerre, lorsqu'il est devenu un écrivain adulé par le régime communiste. De nombreux articles enthousiastes des années cinquante et
soixante se focalisent surtout sur le message politique de son œuvre, conforme
à l'idéologie dominante. Les commentateurs polonais, représentant en grande
majorité la critique journalistique, mettent l'accent sur son goût du réalisme et
de l 'héroïsme, son intérêt pour le moment actuel ainsi que son talent de présenter
le mécanisme de l'Histoire à travers les destins individuels. A cette époque-là,
Aragon est presque uniquement connu en tant que romancier engagé et auteur
de poèmes patriotiques. Les critiques passent délibérément sous silence toute sa
production des années vingt, la pensée et l'écriture surréalistes étant inacceptables pour le régime en place. Ils ont tendance à minimiser, voire à occulter
l'influence de ce mouvement sur la création littéraire d'Aragon. Dans la plupart
des publications, «l'épisode surréaliste» est présenté comme une étape passagère
dans sa marche vers le marxisme.
66
67
A. Siemek, op. cil.
Z. Jaremko-Pytowska, op. cit., A. Siemek, op. cit., B. Mamon, op. cil.
180
MARCIN KLIK. WIESLAW KROIŒR
Ce n'est que dans les années soixante-dix que les critiques commencent
à parler ouvertement des liens d'Aragon avec le surréalisme, en insistant sur la
continuité de sa pensée artistique. Il est à remarquer que les traductions tardives
de ses œuvres des années vingt paraissent alors en Pologne, ce qui oblige un
large public à réviser l'image sclérosée d'un «écrivain-communiste».
Durant les deux dernières décennies, le nombre des publications consacrées
à Aragon va diminuant, de sorte qu'à présent son œuvre semble complètement
oubliée par les critiques. Cependant, après le temps des déformations interprétatives dues à la situation politique particulière, cette œuvre exigerait peut-être une
relecture plus objective - centrée moins sur son contenu idéologique que sur son
côté formel et sa valeur esthétique.
KWARTALNIK NEOFILOLOGICZNY, LV. 212008
IZABELLA PENIER (L6DZ)
POSTCOLONIAL,
- A CONFLUENCE
FEMINIST AND TRANSATLANTIC
STUDIES
OF IDEAS IN JAMAICA KINCAID'S FICTION
My essay will provide an overview of a variety of critical approaches to Jamaica Kincaid's
polyphonic fiction. Postcolonial as weil as psychoanalytic theories have been the cognitive tools
by means of which most critics tried to make sense of Kincaid's complex narratives that are at
once local and relationaL There can be no doubt that psychoanalysis and post-colonialism are
important framing and structural devices that account for the inner life and socio-cultural situation
of Kincaid's protagonists, The concem of my essay, however, will be how Jamaica Kincaid, an
African Caribbean writer living in exile in the United States, addresses through her writing such
issues as the relationship between the postcolonial theory and transatlantic slavery and the black
Diaspora that it engendered, which have been the focus of a relatively new school of Iiterary
criticism - Paul Gilroy's Black Atlantic.Kincaid's trans-cultural experiences - her long residence
in America as weil as her obsessive preoccupation with her Antiguan past - make her texts a natural
site of interplay between various cultural influences and critical paradigms. In my essay, 1 will
try to demonstrate that Kincaid's texts based on her Caribbean and American experience outline
the' relationship between postcolonial, transatlantic and feminist studies and create a plane on
which these praxes are naturally conflated. 1 believe that using both postcolonial praxis and the
Black Atlantic can produce sounder and more comprehensive readings of Jamaica Kincaid. It can
also expand on Gilroy's critical paradigm which 50 far has been mostly applied to texts by AfroAmerican males.
Therefore my essay tries to achieve two interrelated goals. First of ail, 1 propose a fresh
reading of Kincaid's storytelling through the lenses of the Black Atlantic. Secondly, 1 extend the
range of Gilroy's theory by using it to analyze texts by a West Indian female writer.
Jamaica Kincaid has often claimed that that she sees her work as being universaI. She openly admits that she has no sense of the rich tradition of West Indian literature and criticism and that she does not see her work fitting in with any
critical practice. In her interview with Cudjoe, Kincaid stated:
1 don't really see myself in any schooL 1 mean, there has tumed out to be rise in West Indian
literature, but 1 wouldn't know how to fit in it, 1 am very glad that there is su ch a thing, but on
the other hand, belonging to a group of anything, an "arrny" of anything, is deeply disturbing
to me. (Cudjoe 221)
My particular focus in the first part of this paper will be to "fit" Kincaid's
fiction into several dominant critic al paradigms which framed the reception of