HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
LES COULEURS DES FEUILLES ET
POUDRES MÉTALLIQUES JAUNES
Wivine WAILLIEZ
Conservateur-restaurateur, responsable du
Service d’étude des décors de monuments historiques
(Département Conservation)
Institut royal du patrimoine artistique
BRUXELLES - Belgique
Introduction : le métal comme couleur
D
De nombreux procédés existent pour produire
des finitions à effet métallique jaune : selon le
support à orner et l’effet recherché, les artistes recourent soit à un métal pur - l’or -, soit à
des alliages (visant ou non à imiter l’or), soit
à des composés multicouches, soit encore à
des minéraux et mélanges divers.
epuis l’antiquité, on constate l’usage
des métaux - aux côtés des pigments dans les arts de la couleur. L’architecture, la sculpture, la peinture et les textiles
notamment sont concernés. L’or, symbole
d’incorruptibilité, de richesse et de royauté,
est le plus apprécié des métaux. Outre l’as- La dorure
pect métallique, la couleur même du métal Dorure véritable
intervient dans l’harmonie chromatique de la
Dans le domaine de la peinture et de la polycomposition.
chromie, il est fait fréquemment usage de la
Nous aborderons ici la question des métaux dorure véritable :
jaunes, utilisés sous forme de feuilles ou pou1
dres dans les finitions décoratives des œuvres Vu la grande malléabilité de l’or , il est possid’art du Moyen Âge à l’Art nouveau. Il s’agira ble d’obtenir des feuilles métalliques très minde « dorure » au sens large, c’est-à-dire de ces, de l’ordre de 4 micromètres. Leur mode
2
tout ce qui est apte à produire l’effet de l’or : d’application diffère en fonction du support
3
d’une part les différentes mises en œuvre de et de l’effet recherché : une dorure aqueuse
sur
assiette
pourra
être
brunie
et
acquérir
ainsi
l’or et des alliages jaunes et de leur utilisation
comme finition, et d’autre part de « composés un haut degré de brillance. Cette dorure exige
multicouches » destinés à simuler une feuille une couche de préparation (craie-colle ou gesmétallique jaune. Il s’agira aussi des poudres so-colle) épaisse, permettant le polissage. La
à effet métallisé jaune, métalliques ou miné- dorure aqueuse peut aussi être laissée mate,
rales, soit encore des composés artificiels voire matée de surcroit par l’application d’une
complexes. Nous verrons concurremment les couche superficielle de colle diluée. Une dopossibilités de nuancer la couleur de ces fini- rure à l’huile4 ne peut pas être polie et est donc
tions métallisées jaunes lors de leur mise en mate ; sa pose exige moins de doigté que la
dorure aqueuse et ne requiert pas de traiteœuvre.
Il va de soi que cette contribution ne prétend ment particulier du support. Elle offre aussi
pas à l’exhaustivité, vu l’ampleur du sujet, elle l’avantage de ne pas être sensible à l’humidité
se veut plutôt “tour d’horizon” de la question. et peut donc être appliquée en extérieur.
***
1. En raison du grand nombre de notes, celles-ci sont
placées en fin d’article.
L’or coquille est une poudre d’or, obtenue par
différents procédés, liée au moyen d’un liant
aqueux - traditionnellement gomme ou œuf et appliquée au pinceau. On la trouve dans les
89
90
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
Fig. 1. Hôtel
Frison, détail du
plafond du salon
de famille : feuille
d’or sur mixtion
vert foncé.
Photo : © A.S.
Augustyniak / W.
Wailliez.
enluminures, et dans les rehauts et fins décors ment recevoir, pour finir, un glacis superficiel
dans la peinture et la sculpture polychromée. ou une patine destinée à renforcer ou au contraire modifier sa couleur. C’est plus fréquemSous-couches et glacis
ment le cas sur l’argent, l’étain, ou le laiton
Vu la relative transparence des feuilles mé- dans ce cas dans un but à la fois optique
talliques, le recours aux sous-couches ou aset protecteur - mais cela se trouve aussi sur
siettes colorées est un moyen de jouer sur la
feuille d’or. Un manuscrit du XVe s. conservé
couleur du métal, le brunissage de la feuille
à Montpellier décrit un vernis à vermillonner
accentuant encore l’effet de la sous-couche.
(doratura) l’or, l’étain ou l’argent8. Sur les
Jusqu’au XIVe siècle, les dorures à l’eau sont
dorures baroques, le “bronzage” consiste à
appliquées sur une assiette blanche, produiappliquer une colle de matage pigmentée sur
sant une dorure assez froide. L’introduction
certaines zones de l’ouvrage.
dans l’assiette du bol d’Arménie, argile rouge
très fine apte à prendre un haut degré de po- Ors de couleur
lissage, va considérablement “réchauffer” les Par ailleurs, l’art baroque donne le jour à de
dorures. En général, et particulièrement dans nouveaux alliages d’or, mêlé à un autre métal
les décors d’architecture ou sur les encadre- en faible proportion destiné à nuancer légèments, on observe que les zones destinées à rement la teinte jaune. Ces “ors de couleur”,
être brunies reçoivent une assiette rouge, tan- sont très appréciés, et utilisés côte à côte. On
dis que les zones laissées mates sont couver- les trouve dans l’orfèvrerie, et – sous forme de
tes d’une assiette ocrée jaune, ce qui renforce feuille ou de poudre - dans la polychromie de
encore l’opposition entre zones polies et ma- décors en bois ou stuc.
tes. De même, la mixtion des dorures à l’huile
est très fréquemment ocrée, comme l’assiette D’après l’Encyclopédie ou dictionnaire rai-9
des zones non brunies des dorures aqueuses. sonné des sciences, des arts et des métiers
Cette coloration jaune a pour effet de rendre (1751) :
moins visibles les lacunes de la feuille métal- « On ne connoit que cinq ors de couleur, qui
lique.
sont l’or blanc, l’or jaune, l’or rouge, l’or verd,
À partir de l’époque baroque, la couleur des l’or gris ou bleuâtre. L’or jaune, est l’or fin
assiettes et sous-couches tend à se diversifier, dans toute sa pureté. L‘or rouge, est un or au
permettant ainsi d’élargir la palette des nuan- titre de 16 karats, allié par trois parties d’or fin
ces métallisées6. On voit notamment apparaître sur une de cuivre rosette. L’or vert, est aussi
le bol noir, bleu, vert etc. sous des feuilles jau- au titre de 16 karats, fait avec trois parties d’or
fin & une partie d’argent fin. L’or verd, est celui
nes ou blanches.
dont un habile artiste peut tirer le plus de parti
Victor Horta, maître de l’Art nouveau belge, fait
pour les nuances, parce que c’est celui où elun usage très particulier d’une feuille d’or7 sur
les sont le plus sensibles. Le verd dont nous
mixtion tantôt verte tantôt rouge, sur le plafond
venons de donner la proportion, fournira un
du salon de famille de l’hôtel Frison (1894beau verd de pré. Mettez (...) 18 parties d‘or
95). Le but refin sur 6 d‘argent fin, on aura un verd feuille
cherché est, à
morte; en mettant au contraire 10 parties d‘arnotre avis, de
gent fin sur 14 d‘or fin, on aura un verd d‘eau:
simuler une
(...). L‘or gris ou bleu, ou pour bien dire ni gris
feuille au cuini bleu, mais bleuâtre, se fait par le mélange
vre, sans coude l‘arsenic ou de la limaille d‘acier: (...) on a
rir les risques
éprouvé que ce qui réussissoit le mieux étoit
d’oxydation y
du gros fil de fer doux, dont on prend un quart
liés (fig. 1).
du poids que l‘on veut nuancer, & que l‘on jetLa feuille mé- te dans le creuset. (…) L‘or blanc est assez
tallique peut improprement appellé or, n‘étant autre chose
é v e n t u e l l e - que de l‘argent, à - moins que pour éteindre
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
sa vivacité on ne le mélange un peu, ce qui
arrive rarement ».
Fig.2. Lame dorée
sur âme blanche :
baudruche dorée
à l’or parti.
Photo : M. Járó,
Musée national
hongrois.
Composés multicouches à l’or fin
Pour des raisons d’économie voire de maniabilité, on voit apparaître très tôt des composés
multicouches, dont seule la face visible est dorée. De ce fait une feuille d’or plus fine encore
peut-être utilisée, puisqu’elle repose sur un
support plus épais et de moindre coût, comme
une feuille d’argent ou d’étain.
Or parti
L’appellation “or parti”, (partijtgoud, Zwischgold, oro di metà) désigne le composite
constitué d’une feuille d’or particulièrement
fine battue sur une feuille d’argent, et donc
plus économique que la feuille d’or fin10.
Cennini en déconseille l’usage dans son chapitre XCV, parce qu’il noircit11 On le trouve notamment, dans la sculpture allemande, sur les
parties le moins exposées aux regards. On
disait encore récemment qu’il s’agissait d’une
contrefaçon ; en réalité son emploi était strictement réglementé12 et interdisait de le faire
passer pour de l’or fin.
91
Selon un effet comparable à la coloration de
l’assiette ou de la mixtion en polychromie, la
teinture de l’âme textile permet d’influencer
la couleur du filé, pour peu, cependant, que
le serpentin doré soit enroulé de manière lâche (fig. 3)20. En ce qui concerne les lames en
papier doré sur bol rouge, c’est dans ce cas
plutôt l’assiette qui affecte la teinte de la dorure21.
Les textiles du Quattrocento font grand usage
de fils précieux, et en particulier le “riccio sopra riccio”, c’est-à-dire un drap d’or rehaussé
de zones de “bouclé par la trame”. Certains
exemples comptent jusqu’à cinq types de fils
précieux - d’or et d’argent -, montrant tous une
Il est aussi utilisé sur la baudruche pour former âme de soie d’une couleur différente22. .
des fils métalliques de moindre coût13 (fig. 2). Il
est encore en usage à l’époque baroque, com- Contrefaçons et fausses dorures
me à l’abbaye d’Ottobeuren en 1725-27.14
L’étain
Étain doré
On trouve dès le haut Moyen Âge des
recettes destinées à contrefaire la feuille d’or,
notamment dans les manuscrits du XIIe siècle
du moine Théophile. La feuille d’étain couverte
d’un glacis jaune (blanc d’oeuf et safran) se
nomme auripetrum.23
L’étain doré dont parle Cennini15 est un composite préfabriqué constitué d’une feuille
d’étain dorée à la feuille16. La recette parle
d’une “liqueur”, qui pourrait être une mixtion
vu la description du mode d’application de
l’or. Son nom, “doratura”, évoque le vernis co- Cependant cette pratique semble disparaître
loré de jaune destiné à contrefaire l’or sur une un temps. La feuille d’étain est utilisée plus
tard comme support de motifs – en relief ou
feuille métallique blanche17.
non - préfabriqués et rapportés, en raison de
Fils précieux dans les textiles
sa relative épaisseur et de sa plasticité. Ainsi,
Dans les arts textiles, les fils métalliques, nom- l’ordonnance de 1470 de la guilde de Saintmés aussi filés, sont de plusieurs types. Les Luc d’Anvers interdisait le travail de la ”foelie”
plus courants sont constitués soit d’une lame ou “tentvelle”, c’est-à-dire de la feuille d’étain,
métallique d’argent doré, soit d’une baudru- à moins que celche dorée enroulée sur une âme de soie ou le-ci ne fût “gede lin18. La dorure du serpentin d’argent peut print”, i.e. estamêtre appliquée par battage - il s’agit alors d’or pée et remplie de
parti -, par soudure au cuivre19, ou à l’amal- “semente”, que
l’on peut comgame au mercure.
Fig.3. Lame dorée
sur âme jaune.
Photo : © M. Járó,
Musée national
hongrois.
92
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
prendre comme une pâte d’empreinte. Il est
aussi précisé que toute feuille d’étain doit être
dorée d’or fin : ”Item alle foelie oft tentvelle sal
vergult zyn met fynen goude”24. Ces recommandations décrivent “en négatif” la technique
des brocarts appliqués.
Le Liber illuministarius ou manuscrit de
Tegernsee25 décrit sous le titre Von dem stanniol un procédé destiné, selon toute vraisemblance, à produire lesdits brocarts appliqués26.
Cependant, selon cette recette, les feuillets
d’étain moulés sont dorés au “zwitscht golt” (et
non à l’or fin) appliqué à l’œuf entier battu.
L’argent
Des polychromies des XII et XIIIe siècle montrent des argentures vermillonnées (i.e. couvertes d’un glacis jaune), selon un procédé similaire à celui décrit pour l’étain. On en trouve
un exemple dans la polychromie d’une sculpture mosane d’évêque (ca. 1200).27
Une recette du XVe siècle, destinée à produire
un fond doré (Om gout gront thoe maken)28
décrit comment donner un ton d’or à l’argenture brunie « ou à tout autre (support) sur
lequel
on le veut », au moyen
d’un
glacis à l’aloès ou au safran. Cela indique que
l a
technique de l’auripetrum était encore
en usage, tout au
moins sur feuille
d’argent.
Les cuirs
dorés
Les cuirs repoussés
dorés de
la RenaissanFig. 4.
Ange gardien
(La Gleize) :
feuille de
laiton à la
mixtion.
© KIK-IRPA,
Bruxelles.
Photo : J.-L.
Torsin.
ce et de
l’époq u e
baroque
montrent
quasiment sans exception de fausses dorures réalisées au moyen d’une argenture brunie vermillonnée29. Aux Pays-Bas, la guilde
Saint-Luc d’Anvers interdisait, sous peine de
sanctions sévères, l’usage de la feuille d’étain,
de cuivre ou de zinc30. Selon un manuscrit
malinois rassemblant des recettes des XVIIe
et XVIIIe s., seul l‘argent était admis et recevait une première couche de blanc d‘œuf pour
prévenir son oydation. Ensuite un „vermillion
couleur vernis“ à base de sandarac était appliqué en deux couches. Non seulement cette
application en deux couches écartait le danger
d‘écaillage d‘une seule couche plus épaisse,
mais elle permettait aussi un ajustage de la
teinte. En effet, le vernis de ces deux couches
- ou quelquefois seulement de la deuxième était additionné d‘asphalte afin de lui donner
une coloration brun-jaune31.
Il apparaît cependant que certains cuirs ont
reçu une feuille d‘étain en lieu et place de l‘argenture32. Le manuscrit de Tegernsee, cité
plus haut à propos du Stanniol, mentionne
également l’usage de Standelgolt auf Leder,
qui doit se comprendre, selon Ulrich Schiessl33, comme une “dorure” à l’étain vermillonné
(sur cuir). En 1762, Fougeroux de Bondaroy
précise dans son traité sur les cuirs dorés et
argentés34 que la feuille métallique peut occasionnellement être d’étain.
Alors que les cuirs néerlandais introduits au
Japon durant les XVIIe et XVIIIe siècles utilisent majoritairement la feuille d’argent, le Sokenkisho, ouvrage japonais de 1781, évoque
certains cuirs (ningyode) à la feuille d’étain, et
d’autres (kokuinde) à la feuille d’or35. Le procédé à l’étain sera repris plus tard dans les
imitations en papier des cuirs dorés occidentaux, les kinkarakawakami.
Les alliages jaunes à base de cuivre
Le cuivre est un métal de teinte rouge, ayant
une forte tendance à s’oxyder. On le trouve
plutôt en mélange dans des alliages de couleur jaune variable, à savoir le bronze, et le
laiton et ses multiples variantes (Malergold,
Flittergold, Clincant,Tombak, Prinzmetall, Similor, deutsches Gold etc.) en fonction des titrages en cuivre et zinc. Battus en feuilles, ces
alliages de cuivre et zinc furent très en vogue
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
à l’époque baroque. Les sources allemandes
de cette époque parlent tantôt de Metall, ou
précisent mit unächtem / gemeinem Metall
vergoldet, ou emploient le participe passé metallisiert, pour désigner ces dorures de substitution36.
Le bronze ne se rencontre pour ainsi dire jamais dans les polychromies et ladite ”bronzine” (bronzierpulver, bronzing powder) est en
réalité obtenue à partir de poudre ou paillettes
de laiton37, voire de cuivre38. Selon la compo- vermillonnée ; de l’orpiment44 mêlé à de l’étain
sition de l’alliage, elle peut, tout comme les métallique (fig. 6).
feuilles de laiton, prendre de nombreuses couEn ce qui concerne la feuille d‘étain vermillonleurs, or pâle, or vert, or rouge, bronze etc.
née, cette technique se trouve en particulier
Son nom indique qu’elle ne vise pas toujours sur les papiers peints de l‘ère Meiji (1868tant à imiter l’or que le bronze. Il faut garder à 1912) imitant les cuirs repoussés dorés d‘oril’esprit que les sculptures, pièces de mobiliers gine européenne45 (fig. 7).
et motifs architecturaux polychromés côtoient
Systèmes composites
des éléments de décors (chandeliers, lustres)
en métal - le cas échéant en bronze - massif, aux- Aventurine
quels ils tentent de s’intégrer par imitation39.
La technique baroque de l’aventurine-décor
est une imitation de la pierre de soleil, ” pierre
Sculpture et architecture
rougeâtre (...) toute parsemée de paillettes
La tunique de l’ange d’un groupe baroque bel- qui semblent de l’or46. Il s’agit d’inclusions lage, l’Ange gardien, de La Gleize40, est dorée mellaires - paillettes de cuivre, d’argent ou de
à la feuille de laiton appliquée sur une mixtion laiton, soit de verre ou de cristal - distribuées
ocrée et recouverte d’une couche de protec- dans une masse translucide, colorée ou non.
tion incolore (fig. 4). La ceinture est rehaussée J.- Félix Watin préconise les paillettes de ”clind’un glacis rouge 41.
quant haché” ou de ”grosse bronze d’AllemaDans l’Art nouveau, les feuilles métalliques gne” 47 .
jaunes - or ou laiton - sont fréquentes. Le cas Cette technique de décor doré est utilisé dans
du jardin d’hiver de l’hôtel Hallet (1904-05) de les finitions de pièces de mobilier ou d’équipaV. Horta fournit un exemple où il apparaît clai- ges baroques et rococos. On la trouve aussi
rement que le choix des métaux – or et laiton dans la sculpture : l’enfant du groupe l’Ange
côte à côte – n’est dû ni à des raisons d’écono- gardien de La Gleize porte une robe rose pâle
mie, ni à une escroquerie de l’entrepreneur :
la distribution rationnelle de l’or et du laiton, et
les sous-couches colorées différentes, attestent du dessein de l’architecte de jouer avec
les qualités optiques et chromatiques de ces
deux feuilles (fig. 5).
Dorures japonaises
L’étude de la polychromie extérieure de la Tour
japonaise (1901-05) de Laeken42 nous a permis de mettre en évidence quatre types différents de dorure sur les bas-reliefs importés
de Yokohama, soit : de la feuille d’or véritable
- en feuille, languette ou poudre43 ; du laiton,
en feuille ou paillettes ; de la feuille d’étain
93
Fig. 5. Hôtel
Hallet,
ferronneries du
jardin d’hiver :
reconstitution
graphique de la
répartition des
dorures à l’or
(pâle) et au laiton
(jaune).
© W. Wailliez.
Fig. 6. Tour
japonaise, détail
d’un bas-relief
extérieur :
dorure à la
poudre d’étain et
l’orpiment mêlés.
Photo : © C. De
Clercq.
94
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
Fig. 7.
Kinkarakawakami,
réédition actuelle
d’un modèle de
1901 (T. Ueda) :
feuille d’étain
vermillonnée.
Photo : © W.
Wailliez
parsemée de grosses
paillettes de cuivre argenté et recouverte d’un
glacis jaunâtre servant
de ”Goldlack”.48 (fig. 8)
Dans l’architecture, on
peut citer l’exemple du
Pavillon chinois (19031908) de Laeken,49 où
des portes sont traitées
à l’aventurine.
Substituts du métal
Sous l’influence des
écoles du Nord, Alberti
encourage le peintre à
« représenter le chatoiement de l’or à l’aide de la simple couleur »
afin d’apporter « à l’homme de métier bien
plus d’admiration et de louange »50.
existe à l’état naturel mais est aussi préparé
de longue date par synthèse. Dans nos contrées, on le trouve fréquemment dans les enluminures. Utilisé traditionnellement dans les laques japonaises, nous l’avons identifié, mêlé à
Pigments naturels et artificiels
des paillettes d’étain sur la tour japonaise ainsi
Ocre
qu’en couche de fond sur un kinkarakawakami
L’ocre jaune tient lieu quelquefois de dorure de (ca. 1895-1900).53
substitution dans les polychromies. Ce choix
Mica
peut être de nature esthétique et non pas économique, comme dans le cas d’une dorure Le mica (Katzengold) sert notamment à faire
partielle, consistant en un fond ocre jonché de des veinages de faux-marbres sur des autels
e
rectangles de feuille d’or, flamboyant locale- du XVIII siècle, mais aussi sur des rochers,
fausses grottes et ruines du rococo allement51.
mand54.
Orpiment
Or mussif
L’orpiment, ”jaune plus vague et plus semblable à l’or qu’aucun autre” d’après Cennini52, L‘or mussif (Musivgold, mosaic gold, porporino), mentionné dès le XIIIe siècle, est un
pigment de synthèse jaune ayant l‘aspect de
paillettes métalliques55. On le trouve occasionnellement dans les miniatures médiévales. Il est utilisé dans des mélanges de ”poudre à bronzer” de l’époque baroque56.
Conclusion :
Fig. 8. Ange
gardien
(La Gleize),
détail : décor
d’aventurine.
© KIK-IRPA,
Bruxelles.
Photo J.-L. Torsin.
Ce tour d’horizon de quelques finitions métallisées jaunes montre à quel point l’examen doit
en être attentif, si possible assisté d’analyses
de laboratoire, afin de percer la technique
mise en œuvre.
Les problèmes de conservation-restauration liés aux feuilles métalliques concernent le
plus souvent leur oxydation. Que faire quand
une dorure au laiton est devenue verte, qu’une
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
feuille d’étain vermillonnée oxydée s’écaille,
qu’une feuille d’argent glaçurée est ternie,
qu’une feuille d’or parti laisse voir sur la face
l’oxydation de l’argent ? Ces dommages sont
quelquefois réversibles et l’assistance d’un
spécialiste de la conservation du métal est
alors nécessaire.
La restitution des finitions originales dans des
décors architecturaux ayant encore une valeur
d’usage est chose fréquente. Dans ce contexte, la question du bien fondé de l’emploi d’une
feuille ”oxydable” comme la feuille de laiton se
pose, notamment en terme de pérennité de
l’ouvrage. Il arrive, en effet, qu’architectes et
maîtres d’ouvrage, usant de l’argument que le
laiton a été utilisé en lieu et place de l’or pour
de simples raisons d’économie, plaident en faveur de l’or dans la polychromie de restitution.
Cette dorure tentera alors – par l’application
d’un glacis donnant du ”clinquant” – d’évoquer une feuille de laiton, utilisée ”pour de l’or”
quelques siècles plus tôt ... De telles situations
soulèvent la délicate question de l’appréciation
de l’aspect original d’une œuvre du passé, et
de la possibilité ou non de le restituer.
NOTES & BIBLIOGRAPHIE
Bruhière (stagiaire) ; analyses : C. Glaude, M. Van
Bos.
8
THOMPSON D. V., Cennino D’ Andrea Cennini. The
Craftsman’s Handbook. The Italian “Il Libro dell’ Arte.”,
Dover Publications, New York 1933, note 95.
9
Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
10
MARTIN E. et BERGEON S., “Techniques de
représentation des brocarts dans les peintures du
Petit Palais”, Histoires tissées. La légende de saint
Étienne - Brocarts célestes, cat. exp., Éditions RMG-
Palais des Papes, Avignon, 1997, p.40-54, (cf. p. 54
note 13).
11
CENNINI C., Il libro dell’arte, (1437), éd. F. Brunello,
Vicence, 1998, p. 103.
12
Pour exemple, son usage était autorisé à Tournai
en 1480 pour peu qu’il fût couvert d’une glacis. À
Gand l’emploi en est admis en 1541. VANDAMME,
De polychromie van gotische houtskulptuur in de
Zuidelijke Nederlanden : materialen en technieken,
éd. Verhanderlingen van de Koninklijke Academie
voor Wetenschappen, Letteren en schone kunste van
België, 35 (1982), chap. 3.
13
JÁRÓ M., “Metal Threads in Historical Textiles.
Results and further aims of scientific investigations
in Hungary”, Molecular and Structural Archaeology:
Cosmetic and Therapeutic Chemicals, eds.: Tsoucaris
G. and Lipkowski J., NATO Science Series, Kluwer
Academic Publishers, 2003, p. 163-178 (cf. p. 170).
14
Sculptures d‘A. Sturm. SCHIESSL U., Rokokofassung
und Materialillusion : Untersuchungen zur Polychromie
sakraler Bildwerke im süddeutschen Rokoko,
Mäander, Mittenwald, 1979, p. 78.
15
CENNINI C., op. cit., chap. XCIX, Come si fa lo stagno
dorato, e come colla detta doratura si mette d’oro fine.
Les applications en étain doré que l’on trouve au nord
des Alpes sont en général dorées - à l’œuf ou à la
mixtion - a posteriori.
1
GETTENS R. J., STOUT G. L., Painting Materials. A
short Encyclopaedia, (édition originale, 1942), Dover
Publications Inc., New York, 1966, (cf. p. 115).
16
2
Voir PERRAULT G. Dorure et polychromie sur bois, Éd.
Faton, Dijon, 1992.
17
Voir ci-après Contrefaçons.
18
TIETZEL B., Geschichte der Webkunst. Technische
Grundlagen und künstlerische Traditionen, Cologne,
1988, p. 98. L‘utilisation de la seule lame métallique à
plat ou de fils de métal de section ronde est plus rare.
Ibid., p. 12. Pour une synthèse très complète sur la
classification des filés, voir JÁRÓ M., op. cit.
19
Procédé décrit dans THEOPHILE, De diversis artibus,
éd. par C. R. Dodwell, New York, 1967, Liber tertius,
chap. LXXVII.
20
En effet, ces lames métalliques, plus épaisses
(jusqu‘à 25-30 microns) que les feuilles utilisées en
polychromie, ne laissent que peu ou pas transparaître
la couleur de l‘âme textile.
21
Ces “fils” sont soit enroulés autour d’une âme, soit
utilisés à plat.
22
MONNAS L., “The vestments of Sixtus IV at Padua”,
Bulletin de liaison du CIETA, LVII-LVIII (1983), p.
104-126.
23
GETTENS. op. cit., p. 160.
24
VANDAMME,op. cit., annexe X, p. 186-187.
3
L‘adhésif d’une dorure aqueuse est soluble dans l’eau
au moment de l’application (colle animale, blanc
d’œuf).
4
Dite aussi dorure à la mixtion, terme synonyme de
mordant de type huileux, résineux ou oléo-résineux.
Par mordant on entend une composition employée
comme adhésif des feuilles métalliques. Il est
généralement constitué d’un mélange oléo-résineux
auquel sont additionnés des pigments dont la fonction
est de colorer la pâte, de permettre de repérer les
motifs destinés à être dorés, de réguler le temps de
séchage du mordant en fonction de l’organisation du
travail.
5
6
7
En ce qui concerne la tranche extérieure des cadres,
cette couche ocrée n’est le plus souvent pas dorée et
et tient donc lieu de dorure de substitution.
SCHIESSL U., Techniken der Faßmalerei in Barock und
Rokoko : ... daß alles von Bronce gemacht zu sein
scheine, Werner, Worms, 1983, p. 40 et sq.
Étude in situ : W. Wailliez, A.–S. Augustyniak, N.
95
96
HISTOIRE, DÉONTOLOGIE
25
Recettes transcrites au début du XVIe s., HECHT
B., “Betrachtungen über Preßbrokaten”, Maltechnik
Restauro, 1980/1, p. 22-49 (cf. p. 27).
26
OELLERMANN E., “Zur Imitation textiler Strukturen in
der spätgotischen Faß- und Flachmalerei”, Berichte
des bayerisches Landesamt für Denkmalpfelge, XXV
(1966), p. 159-174.
27
Sculpture conservée aux MRAH-KMKG (Bruxelles).
SERCK-DEWAIDE M., „Méthodes d‘examen,
recherches et traitements de polychromies du
Moyen-Age à l‘Institut royal du Patimoine artistique“,
La couleur et la pierre. Polychromie des portails
gothiques. Actes de colloque, (12-14 octobre 2000),
éd. Picard, Amiens, 2002, p. 91-101 (cf. p. 94).
28
Sloane MS. nr. 345 (Zuidnederlands receptenboek),
VANDAMME, op. cit., annexe VI, p. 183.
29
VAN SOEST H. A. B., ”Concernerende de kunst van’t
goutleer”, Goudleeer Kinkarakawa. De geschiedenis
van het Nederlands goudleer en zijn invloed in Japan,
Uitgeverij Waanders, Zwolle, 1989, p. 13-17. (cf. p.
13-14).
30
Ibid. p. 15 ; l’auteur ne cite ni sa source, ni la date de
cette interdiction.
31 Ibid., p. 14-15.
32
LAURIE A. P., Materials of the Painter’s Craft, J.
B. Lippincott Co, Philadelphie, 1911, p. 203, (cité
par GETTENS, op. cit. p. 160), à propos des cuirs
espagnols.
33
SCHIESSL, 1983, p. 32.
34
FOUGEROUX DE BONDAROY M., „L’Art de travailler
les cuirs dorés ou argentés“, Descriptions des arts
et métiers faites ou approuvées par Messieurs de
l’Académie Royale des Sciences de Paris, t. III,
Neuchâtel, 1775.
35
TANAKA- VAN DAALEN I., „Goudleer voor Japan“,
Goudleer Kinkarakawa, p. 64-85, annexe p. 109.
36
C‘est-à-dire „métal“, „doré au faux / mauvais métal“ et
„métallisé“. SCHIESSL, 1979, p. 77.
37
GETTENS, op.cit., p. 100.
38
SCHIESSL, 1983, p. 8.
39
Le sous-titre du livre de SCHIESSL, 1983, „daß alles
von Bronce gemacht zu sein scheine“ i.e. „que tout
paraisse être fait de bronze“, illustre ce dessein.
40
Cornelis Van der Veken, ca 1735.
dorure est traditionnel et encore en usage pour les
objets laqués. KUHLENTHAL M., “Ostasiatische
und europäische Lacktechniken”, Arbeitshefte des
Bayerischen Landesamtes für Denkmalpflege, 112
(2000).
45
WAILLIEZ W. [et al.], “Les papiers peints japonais
en Europe occidentale autour de 1900”, Actes du
14e symposium triennal ICOM-CC, la Haye, 11-16
septembre 2005, Vol. II, p. 869-874.
46
WATIN J.-F., L’art du peintre, doreur, vernisseur et du
fabricant de couleurs ..., (éd. originale Paris 1753),
Impr. F. Mistral, Lyon, 1823, p 72-73.
47
Voir aussi SCHIESSL, 1983, p. 103-104.
48
SANYOVA J., „L‘Ange gardien baroque de La Gleize
et sa polychromie à l‘aventurine. Examens de
laboratoire. Technique de la polychromie“, Bulletin de
l‘IRPA, 26, 1994/95 (1998), p. 172-176.
49
Également d‘A. Marcel.
50
Della pittura, 1435, cité par MARTIN, BERGEON,op.
cit.
51
Exemples à Fürstenfeldbruck et Windberg,
SCHIESSL, 1979, p. 77.
52
CENNINI, op. cit., chap. XLVII.
WAILLIEZ, op. cit., p. 870.
54
SCHIESSL, 1983, p. 111.
55
GETTENS, op. cit., p. 132.
56
SCHIESSL, 1983, p. 99.
53
ABSTRACT
The colours of yellow metallic leaves and
powders
Since Antiquity, we can find the use of metals in the
arts of colour (architecture, painting, textiles). Gold
has been particularly appreciated. Numerous procedures exist for producing varying yellow metals, even
for counterfeiting gold (different metals or alloys : gold,
zwischgold, copper, pewter, bronze; divers alloys: “coloured” gold, yellow copper, mixes of metallic powders
and pigments etc.).
41 CESSION Ch., SANYOVA J.,“L‘Ange gardien baroque
The use of coloured under or preparation-layers can
have an impact on the colour of the metallic leaf which
is applied upon them. The play of coloured gold brocaded textiles is a comparable process that is used to
vary the colour of the gold.
42
Finally, the application of a superficial glaze or patina,
for protective as well as optical reasons, can modify
the colour of the metallic leaf (silver, pewter, brass).
de La Gleize et sa polychromie à l‘aventurine. La
technique de l‘aventurine.“, Bulletin de l‘IRPA, 26,
1994/95 (1998), p. 179-182.
Due à Alexandre Marcel, architecte français dont
“la Pagode”, du même style, est conservée à Paris
(7e). KOZYREFF Ch., “La tour japonaise de Laeken”,
Bulletin des Musées royaux d’Art et d’histoire, 54/2,
1983, p. 43-82, et Songes d’Extrême-Asie, Fonds
Mercator, 2001.
43
Voir aussi SERCK-DEWAIDE, M., “Quelques
observations sur les techniques de dorure au Japon”,
Bulletin de l’APROA-BRK, 2001 / 1, p.6-9.
44
L’emploi d’orpiment dans la sous-couche de la
We will illustrate our presentation with examples taken
from architecture, cculpture and painting, textiles.
Historical techniques will be compared with the results
of scientific analyses. The problem of the conservation
and restoration as well as that of restitutions will be
treated, particularly in the case of architectural decorations which are still in use.