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La couleur des feuilles et poudres métallique jaunes

2006, Couleur et Temps. La couleur en conservation-restauration, actes des 12es journées d'études de la SFIIC, Paris, Institut national du Patrimoine, 21-23 juin 2006

HISTOIRE, DÉONTOLOGIE LES COULEURS DES FEUILLES ET POUDRES MÉTALLIQUES JAUNES Wivine WAILLIEZ Conservateur-restaurateur, responsable du Service d’étude des décors de monuments historiques (Département Conservation) Institut royal du patrimoine artistique BRUXELLES - Belgique Introduction : le métal comme couleur D De nombreux procédés existent pour produire des finitions à effet métallique jaune : selon le support à orner et l’effet recherché, les artistes recourent soit à un métal pur - l’or -, soit à des alliages (visant ou non à imiter l’or), soit à des composés multicouches, soit encore à des minéraux et mélanges divers. epuis l’antiquité, on constate l’usage des métaux - aux côtés des pigments dans les arts de la couleur. L’architecture, la sculpture, la peinture et les textiles notamment sont concernés. L’or, symbole d’incorruptibilité, de richesse et de royauté, est le plus apprécié des métaux. Outre l’as- La dorure pect métallique, la couleur même du métal Dorure véritable intervient dans l’harmonie chromatique de la Dans le domaine de la peinture et de la polycomposition. chromie, il est fait fréquemment usage de la Nous aborderons ici la question des métaux dorure véritable : jaunes, utilisés sous forme de feuilles ou pou1 dres dans les finitions décoratives des œuvres Vu la grande malléabilité de l’or , il est possid’art du Moyen Âge à l’Art nouveau. Il s’agira ble d’obtenir des feuilles métalliques très minde « dorure » au sens large, c’est-à-dire de ces, de l’ordre de 4 micromètres. Leur mode 2 tout ce qui est apte à produire l’effet de l’or : d’application diffère en fonction du support 3 d’une part les différentes mises en œuvre de et de l’effet recherché : une dorure aqueuse sur assiette pourra être brunie et acquérir ainsi l’or et des alliages jaunes et de leur utilisation comme finition, et d’autre part de « composés un haut degré de brillance. Cette dorure exige multicouches » destinés à simuler une feuille une couche de préparation (craie-colle ou gesmétallique jaune. Il s’agira aussi des poudres so-colle) épaisse, permettant le polissage. La à effet métallisé jaune, métalliques ou miné- dorure aqueuse peut aussi être laissée mate, rales, soit encore des composés artificiels voire matée de surcroit par l’application d’une complexes. Nous verrons concurremment les couche superficielle de colle diluée. Une dopossibilités de nuancer la couleur de ces fini- rure à l’huile4 ne peut pas être polie et est donc tions métallisées jaunes lors de leur mise en mate ; sa pose exige moins de doigté que la dorure aqueuse et ne requiert pas de traiteœuvre. Il va de soi que cette contribution ne prétend ment particulier du support. Elle offre aussi pas à l’exhaustivité, vu l’ampleur du sujet, elle l’avantage de ne pas être sensible à l’humidité se veut plutôt “tour d’horizon” de la question. et peut donc être appliquée en extérieur. *** 1. En raison du grand nombre de notes, celles-ci sont placées en fin d’article. L’or coquille est une poudre d’or, obtenue par différents procédés, liée au moyen d’un liant aqueux - traditionnellement gomme ou œuf et appliquée au pinceau. On la trouve dans les 89 90 HISTOIRE, DÉONTOLOGIE Fig. 1. Hôtel Frison, détail du plafond du salon de famille : feuille d’or sur mixtion vert foncé. Photo : © A.S. Augustyniak / W. Wailliez. enluminures, et dans les rehauts et fins décors ment recevoir, pour finir, un glacis superficiel dans la peinture et la sculpture polychromée. ou une patine destinée à renforcer ou au contraire modifier sa couleur. C’est plus fréquemSous-couches et glacis ment le cas sur l’argent, l’étain, ou le laiton Vu la relative transparence des feuilles mé- dans ce cas dans un but à la fois optique talliques, le recours aux sous-couches ou aset protecteur - mais cela se trouve aussi sur siettes colorées est un moyen de jouer sur la feuille d’or. Un manuscrit du XVe s. conservé couleur du métal, le brunissage de la feuille à Montpellier décrit un vernis à vermillonner accentuant encore l’effet de la sous-couche. (doratura) l’or, l’étain ou l’argent8. Sur les Jusqu’au XIVe siècle, les dorures à l’eau sont dorures baroques, le “bronzage” consiste à appliquées sur une assiette blanche, produiappliquer une colle de matage pigmentée sur sant une dorure assez froide. L’introduction certaines zones de l’ouvrage. dans l’assiette du bol d’Arménie, argile rouge très fine apte à prendre un haut degré de po- Ors de couleur lissage, va considérablement “réchauffer” les Par ailleurs, l’art baroque donne le jour à de dorures. En général, et particulièrement dans nouveaux alliages d’or, mêlé à un autre métal les décors d’architecture ou sur les encadre- en faible proportion destiné à nuancer légèments, on observe que les zones destinées à rement la teinte jaune. Ces “ors de couleur”, être brunies reçoivent une assiette rouge, tan- sont très appréciés, et utilisés côte à côte. On dis que les zones laissées mates sont couver- les trouve dans l’orfèvrerie, et – sous forme de tes d’une assiette ocrée jaune, ce qui renforce feuille ou de poudre - dans la polychromie de encore l’opposition entre zones polies et ma- décors en bois ou stuc. tes. De même, la mixtion des dorures à l’huile est très fréquemment ocrée, comme l’assiette D’après l’Encyclopédie ou dictionnaire rai-9 des zones non brunies des dorures aqueuses. sonné des sciences, des arts et des métiers Cette coloration jaune a pour effet de rendre (1751) : moins visibles les lacunes de la feuille métal- « On ne connoit que cinq ors de couleur, qui lique. sont l’or blanc, l’or jaune, l’or rouge, l’or verd, À partir de l’époque baroque, la couleur des l’or gris ou bleuâtre. L’or jaune, est l’or fin assiettes et sous-couches tend à se diversifier, dans toute sa pureté. L‘or rouge, est un or au permettant ainsi d’élargir la palette des nuan- titre de 16 karats, allié par trois parties d’or fin ces métallisées6. On voit notamment apparaître sur une de cuivre rosette. L’or vert, est aussi le bol noir, bleu, vert etc. sous des feuilles jau- au titre de 16 karats, fait avec trois parties d’or fin & une partie d’argent fin. L’or verd, est celui nes ou blanches. dont un habile artiste peut tirer le plus de parti Victor Horta, maître de l’Art nouveau belge, fait pour les nuances, parce que c’est celui où elun usage très particulier d’une feuille d’or7 sur les sont le plus sensibles. Le verd dont nous mixtion tantôt verte tantôt rouge, sur le plafond venons de donner la proportion, fournira un du salon de famille de l’hôtel Frison (1894beau verd de pré. Mettez (...) 18 parties d‘or 95). Le but refin sur 6 d‘argent fin, on aura un verd feuille cherché est, à morte; en mettant au contraire 10 parties d‘arnotre avis, de gent fin sur 14 d‘or fin, on aura un verd d‘eau: simuler une (...). L‘or gris ou bleu, ou pour bien dire ni gris feuille au cuini bleu, mais bleuâtre, se fait par le mélange vre, sans coude l‘arsenic ou de la limaille d‘acier: (...) on a rir les risques éprouvé que ce qui réussissoit le mieux étoit d’oxydation y du gros fil de fer doux, dont on prend un quart liés (fig. 1). du poids que l‘on veut nuancer, & que l‘on jetLa feuille mé- te dans le creuset. (…) L‘or blanc est assez tallique peut improprement appellé or, n‘étant autre chose é v e n t u e l l e - que de l‘argent, à - moins que pour éteindre HISTOIRE, DÉONTOLOGIE sa vivacité on ne le mélange un peu, ce qui arrive rarement ». Fig.2. Lame dorée sur âme blanche : baudruche dorée à l’or parti. Photo : M. Járó, Musée national hongrois. Composés multicouches à l’or fin Pour des raisons d’économie voire de maniabilité, on voit apparaître très tôt des composés multicouches, dont seule la face visible est dorée. De ce fait une feuille d’or plus fine encore peut-être utilisée, puisqu’elle repose sur un support plus épais et de moindre coût, comme une feuille d’argent ou d’étain. Or parti L’appellation “or parti”, (partijtgoud, Zwischgold, oro di metà) désigne le composite constitué d’une feuille d’or particulièrement fine battue sur une feuille d’argent, et donc plus économique que la feuille d’or fin10. Cennini en déconseille l’usage dans son chapitre XCV, parce qu’il noircit11 On le trouve notamment, dans la sculpture allemande, sur les parties le moins exposées aux regards. On disait encore récemment qu’il s’agissait d’une contrefaçon ; en réalité son emploi était strictement réglementé12 et interdisait de le faire passer pour de l’or fin. 91 Selon un effet comparable à la coloration de l’assiette ou de la mixtion en polychromie, la teinture de l’âme textile permet d’influencer la couleur du filé, pour peu, cependant, que le serpentin doré soit enroulé de manière lâche (fig. 3)20. En ce qui concerne les lames en papier doré sur bol rouge, c’est dans ce cas plutôt l’assiette qui affecte la teinte de la dorure21. Les textiles du Quattrocento font grand usage de fils précieux, et en particulier le “riccio sopra riccio”, c’est-à-dire un drap d’or rehaussé de zones de “bouclé par la trame”. Certains exemples comptent jusqu’à cinq types de fils précieux - d’or et d’argent -, montrant tous une Il est aussi utilisé sur la baudruche pour former âme de soie d’une couleur différente22. . des fils métalliques de moindre coût13 (fig. 2). Il est encore en usage à l’époque baroque, com- Contrefaçons et fausses dorures me à l’abbaye d’Ottobeuren en 1725-27.14 L’étain Étain doré On trouve dès le haut Moyen Âge des recettes destinées à contrefaire la feuille d’or, notamment dans les manuscrits du XIIe siècle du moine Théophile. La feuille d’étain couverte d’un glacis jaune (blanc d’oeuf et safran) se nomme auripetrum.23 L’étain doré dont parle Cennini15 est un composite préfabriqué constitué d’une feuille d’étain dorée à la feuille16. La recette parle d’une “liqueur”, qui pourrait être une mixtion vu la description du mode d’application de l’or. Son nom, “doratura”, évoque le vernis co- Cependant cette pratique semble disparaître loré de jaune destiné à contrefaire l’or sur une un temps. La feuille d’étain est utilisée plus tard comme support de motifs – en relief ou feuille métallique blanche17. non - préfabriqués et rapportés, en raison de Fils précieux dans les textiles sa relative épaisseur et de sa plasticité. Ainsi, Dans les arts textiles, les fils métalliques, nom- l’ordonnance de 1470 de la guilde de Saintmés aussi filés, sont de plusieurs types. Les Luc d’Anvers interdisait le travail de la ”foelie” plus courants sont constitués soit d’une lame ou “tentvelle”, c’est-à-dire de la feuille d’étain, métallique d’argent doré, soit d’une baudru- à moins que celche dorée enroulée sur une âme de soie ou le-ci ne fût “gede lin18. La dorure du serpentin d’argent peut print”, i.e. estamêtre appliquée par battage - il s’agit alors d’or pée et remplie de parti -, par soudure au cuivre19, ou à l’amal- “semente”, que l’on peut comgame au mercure. Fig.3. Lame dorée sur âme jaune. Photo : © M. Járó, Musée national hongrois. 92 HISTOIRE, DÉONTOLOGIE prendre comme une pâte d’empreinte. Il est aussi précisé que toute feuille d’étain doit être dorée d’or fin : ”Item alle foelie oft tentvelle sal vergult zyn met fynen goude”24. Ces recommandations décrivent “en négatif” la technique des brocarts appliqués. Le Liber illuministarius ou manuscrit de Tegernsee25 décrit sous le titre Von dem stanniol un procédé destiné, selon toute vraisemblance, à produire lesdits brocarts appliqués26. Cependant, selon cette recette, les feuillets d’étain moulés sont dorés au “zwitscht golt” (et non à l’or fin) appliqué à l’œuf entier battu. L’argent Des polychromies des XII et XIIIe siècle montrent des argentures vermillonnées (i.e. couvertes d’un glacis jaune), selon un procédé similaire à celui décrit pour l’étain. On en trouve un exemple dans la polychromie d’une sculpture mosane d’évêque (ca. 1200).27 Une recette du XVe siècle, destinée à produire un fond doré (Om gout gront thoe maken)28 décrit comment donner un ton d’or à l’argenture brunie « ou à tout autre (support) sur lequel on le veut », au moyen d’un glacis à l’aloès ou au safran. Cela indique que l a technique de l’auripetrum était encore en usage, tout au moins sur feuille d’argent. Les cuirs dorés Les cuirs repoussés dorés de la RenaissanFig. 4. Ange gardien (La Gleize) : feuille de laiton à la mixtion. © KIK-IRPA, Bruxelles. Photo : J.-L. Torsin. ce et de l’époq u e baroque montrent quasiment sans exception de fausses dorures réalisées au moyen d’une argenture brunie vermillonnée29. Aux Pays-Bas, la guilde Saint-Luc d’Anvers interdisait, sous peine de sanctions sévères, l’usage de la feuille d’étain, de cuivre ou de zinc30. Selon un manuscrit malinois rassemblant des recettes des XVIIe et XVIIIe s., seul l‘argent était admis et recevait une première couche de blanc d‘œuf pour prévenir son oydation. Ensuite un „vermillion couleur vernis“ à base de sandarac était appliqué en deux couches. Non seulement cette application en deux couches écartait le danger d‘écaillage d‘une seule couche plus épaisse, mais elle permettait aussi un ajustage de la teinte. En effet, le vernis de ces deux couches - ou quelquefois seulement de la deuxième était additionné d‘asphalte afin de lui donner une coloration brun-jaune31. Il apparaît cependant que certains cuirs ont reçu une feuille d‘étain en lieu et place de l‘argenture32. Le manuscrit de Tegernsee, cité plus haut à propos du Stanniol, mentionne également l’usage de Standelgolt auf Leder, qui doit se comprendre, selon Ulrich Schiessl33, comme une “dorure” à l’étain vermillonné (sur cuir). En 1762, Fougeroux de Bondaroy précise dans son traité sur les cuirs dorés et argentés34 que la feuille métallique peut occasionnellement être d’étain. Alors que les cuirs néerlandais introduits au Japon durant les XVIIe et XVIIIe siècles utilisent majoritairement la feuille d’argent, le Sokenkisho, ouvrage japonais de 1781, évoque certains cuirs (ningyode) à la feuille d’étain, et d’autres (kokuinde) à la feuille d’or35. Le procédé à l’étain sera repris plus tard dans les imitations en papier des cuirs dorés occidentaux, les kinkarakawakami. Les alliages jaunes à base de cuivre Le cuivre est un métal de teinte rouge, ayant une forte tendance à s’oxyder. On le trouve plutôt en mélange dans des alliages de couleur jaune variable, à savoir le bronze, et le laiton et ses multiples variantes (Malergold, Flittergold, Clincant,Tombak, Prinzmetall, Similor, deutsches Gold etc.) en fonction des titrages en cuivre et zinc. Battus en feuilles, ces alliages de cuivre et zinc furent très en vogue HISTOIRE, DÉONTOLOGIE à l’époque baroque. Les sources allemandes de cette époque parlent tantôt de Metall, ou précisent mit unächtem / gemeinem Metall vergoldet, ou emploient le participe passé metallisiert, pour désigner ces dorures de substitution36. Le bronze ne se rencontre pour ainsi dire jamais dans les polychromies et ladite ”bronzine” (bronzierpulver, bronzing powder) est en réalité obtenue à partir de poudre ou paillettes de laiton37, voire de cuivre38. Selon la compo- vermillonnée ; de l’orpiment44 mêlé à de l’étain sition de l’alliage, elle peut, tout comme les métallique (fig. 6). feuilles de laiton, prendre de nombreuses couEn ce qui concerne la feuille d‘étain vermillonleurs, or pâle, or vert, or rouge, bronze etc. née, cette technique se trouve en particulier Son nom indique qu’elle ne vise pas toujours sur les papiers peints de l‘ère Meiji (1868tant à imiter l’or que le bronze. Il faut garder à 1912) imitant les cuirs repoussés dorés d‘oril’esprit que les sculptures, pièces de mobiliers gine européenne45 (fig. 7). et motifs architecturaux polychromés côtoient Systèmes composites des éléments de décors (chandeliers, lustres) en métal - le cas échéant en bronze - massif, aux- Aventurine quels ils tentent de s’intégrer par imitation39. La technique baroque de l’aventurine-décor est une imitation de la pierre de soleil, ” pierre Sculpture et architecture rougeâtre (...) toute parsemée de paillettes La tunique de l’ange d’un groupe baroque bel- qui semblent de l’or46. Il s’agit d’inclusions lage, l’Ange gardien, de La Gleize40, est dorée mellaires - paillettes de cuivre, d’argent ou de à la feuille de laiton appliquée sur une mixtion laiton, soit de verre ou de cristal - distribuées ocrée et recouverte d’une couche de protec- dans une masse translucide, colorée ou non. tion incolore (fig. 4). La ceinture est rehaussée J.- Félix Watin préconise les paillettes de ”clind’un glacis rouge 41. quant haché” ou de ”grosse bronze d’AllemaDans l’Art nouveau, les feuilles métalliques gne” 47 . jaunes - or ou laiton - sont fréquentes. Le cas Cette technique de décor doré est utilisé dans du jardin d’hiver de l’hôtel Hallet (1904-05) de les finitions de pièces de mobilier ou d’équipaV. Horta fournit un exemple où il apparaît clai- ges baroques et rococos. On la trouve aussi rement que le choix des métaux – or et laiton dans la sculpture : l’enfant du groupe l’Ange côte à côte – n’est dû ni à des raisons d’écono- gardien de La Gleize porte une robe rose pâle mie, ni à une escroquerie de l’entrepreneur : la distribution rationnelle de l’or et du laiton, et les sous-couches colorées différentes, attestent du dessein de l’architecte de jouer avec les qualités optiques et chromatiques de ces deux feuilles (fig. 5). Dorures japonaises L’étude de la polychromie extérieure de la Tour japonaise (1901-05) de Laeken42 nous a permis de mettre en évidence quatre types différents de dorure sur les bas-reliefs importés de Yokohama, soit : de la feuille d’or véritable - en feuille, languette ou poudre43 ; du laiton, en feuille ou paillettes ; de la feuille d’étain 93 Fig. 5. Hôtel Hallet, ferronneries du jardin d’hiver : reconstitution graphique de la répartition des dorures à l’or (pâle) et au laiton (jaune). © W. Wailliez. Fig. 6. Tour japonaise, détail d’un bas-relief extérieur : dorure à la poudre d’étain et l’orpiment mêlés. Photo : © C. De Clercq. 94 HISTOIRE, DÉONTOLOGIE Fig. 7. Kinkarakawakami, réédition actuelle d’un modèle de 1901 (T. Ueda) : feuille d’étain vermillonnée. Photo : © W. Wailliez parsemée de grosses paillettes de cuivre argenté et recouverte d’un glacis jaunâtre servant de ”Goldlack”.48 (fig. 8) Dans l’architecture, on peut citer l’exemple du Pavillon chinois (19031908) de Laeken,49 où des portes sont traitées à l’aventurine. Substituts du métal Sous l’influence des écoles du Nord, Alberti encourage le peintre à « représenter le chatoiement de l’or à l’aide de la simple couleur » afin d’apporter « à l’homme de métier bien plus d’admiration et de louange »50. existe à l’état naturel mais est aussi préparé de longue date par synthèse. Dans nos contrées, on le trouve fréquemment dans les enluminures. Utilisé traditionnellement dans les laques japonaises, nous l’avons identifié, mêlé à Pigments naturels et artificiels des paillettes d’étain sur la tour japonaise ainsi Ocre qu’en couche de fond sur un kinkarakawakami L’ocre jaune tient lieu quelquefois de dorure de (ca. 1895-1900).53 substitution dans les polychromies. Ce choix Mica peut être de nature esthétique et non pas économique, comme dans le cas d’une dorure Le mica (Katzengold) sert notamment à faire partielle, consistant en un fond ocre jonché de des veinages de faux-marbres sur des autels e rectangles de feuille d’or, flamboyant locale- du XVIII siècle, mais aussi sur des rochers, fausses grottes et ruines du rococo allement51. mand54. Orpiment Or mussif L’orpiment, ”jaune plus vague et plus semblable à l’or qu’aucun autre” d’après Cennini52, L‘or mussif (Musivgold, mosaic gold, porporino), mentionné dès le XIIIe siècle, est un pigment de synthèse jaune ayant l‘aspect de paillettes métalliques55. On le trouve occasionnellement dans les miniatures médiévales. Il est utilisé dans des mélanges de ”poudre à bronzer” de l’époque baroque56. Conclusion : Fig. 8. Ange gardien (La Gleize), détail : décor d’aventurine. © KIK-IRPA, Bruxelles. Photo J.-L. Torsin. Ce tour d’horizon de quelques finitions métallisées jaunes montre à quel point l’examen doit en être attentif, si possible assisté d’analyses de laboratoire, afin de percer la technique mise en œuvre. Les problèmes de conservation-restauration liés aux feuilles métalliques concernent le plus souvent leur oxydation. Que faire quand une dorure au laiton est devenue verte, qu’une HISTOIRE, DÉONTOLOGIE feuille d’étain vermillonnée oxydée s’écaille, qu’une feuille d’argent glaçurée est ternie, qu’une feuille d’or parti laisse voir sur la face l’oxydation de l’argent ? Ces dommages sont quelquefois réversibles et l’assistance d’un spécialiste de la conservation du métal est alors nécessaire. La restitution des finitions originales dans des décors architecturaux ayant encore une valeur d’usage est chose fréquente. Dans ce contexte, la question du bien fondé de l’emploi d’une feuille ”oxydable” comme la feuille de laiton se pose, notamment en terme de pérennité de l’ouvrage. Il arrive, en effet, qu’architectes et maîtres d’ouvrage, usant de l’argument que le laiton a été utilisé en lieu et place de l’or pour de simples raisons d’économie, plaident en faveur de l’or dans la polychromie de restitution. Cette dorure tentera alors – par l’application d’un glacis donnant du ”clinquant” – d’évoquer une feuille de laiton, utilisée ”pour de l’or” quelques siècles plus tôt ... De telles situations soulèvent la délicate question de l’appréciation de l’aspect original d’une œuvre du passé, et de la possibilité ou non de le restituer. NOTES & BIBLIOGRAPHIE Bruhière (stagiaire) ; analyses : C. Glaude, M. Van Bos. 8 THOMPSON D. V., Cennino D’ Andrea Cennini. The Craftsman’s Handbook. The Italian “Il Libro dell’ Arte.”, Dover Publications, New York 1933, note 95. 9 Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. 10 MARTIN E. et BERGEON S., “Techniques de représentation des brocarts dans les peintures du Petit Palais”, Histoires tissées. La légende de saint Étienne - Brocarts célestes, cat. exp., Éditions RMG- Palais des Papes, Avignon, 1997, p.40-54, (cf. p. 54 note 13). 11 CENNINI C., Il libro dell’arte, (1437), éd. F. Brunello, Vicence, 1998, p. 103. 12 Pour exemple, son usage était autorisé à Tournai en 1480 pour peu qu’il fût couvert d’une glacis. À Gand l’emploi en est admis en 1541. VANDAMME, De polychromie van gotische houtskulptuur in de Zuidelijke Nederlanden : materialen en technieken, éd. Verhanderlingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en schone kunste van België, 35 (1982), chap. 3. 13 JÁRÓ M., “Metal Threads in Historical Textiles. Results and further aims of scientific investigations in Hungary”, Molecular and Structural Archaeology: Cosmetic and Therapeutic Chemicals, eds.: Tsoucaris G. and Lipkowski J., NATO Science Series, Kluwer Academic Publishers, 2003, p. 163-178 (cf. p. 170). 14 Sculptures d‘A. Sturm. SCHIESSL U., Rokokofassung und Materialillusion : Untersuchungen zur Polychromie sakraler Bildwerke im süddeutschen Rokoko, Mäander, Mittenwald, 1979, p. 78. 15 CENNINI C., op. cit., chap. XCIX, Come si fa lo stagno dorato, e come colla detta doratura si mette d’oro fine. Les applications en étain doré que l’on trouve au nord des Alpes sont en général dorées - à l’œuf ou à la mixtion - a posteriori. 1 GETTENS R. J., STOUT G. L., Painting Materials. A short Encyclopaedia, (édition originale, 1942), Dover Publications Inc., New York, 1966, (cf. p. 115). 16 2 Voir PERRAULT G. Dorure et polychromie sur bois, Éd. Faton, Dijon, 1992. 17 Voir ci-après Contrefaçons. 18 TIETZEL B., Geschichte der Webkunst. Technische Grundlagen und künstlerische Traditionen, Cologne, 1988, p. 98. L‘utilisation de la seule lame métallique à plat ou de fils de métal de section ronde est plus rare. Ibid., p. 12. Pour une synthèse très complète sur la classification des filés, voir JÁRÓ M., op. cit. 19 Procédé décrit dans THEOPHILE, De diversis artibus, éd. par C. R. Dodwell, New York, 1967, Liber tertius, chap. LXXVII. 20 En effet, ces lames métalliques, plus épaisses (jusqu‘à 25-30 microns) que les feuilles utilisées en polychromie, ne laissent que peu ou pas transparaître la couleur de l‘âme textile. 21 Ces “fils” sont soit enroulés autour d’une âme, soit utilisés à plat. 22 MONNAS L., “The vestments of Sixtus IV at Padua”, Bulletin de liaison du CIETA, LVII-LVIII (1983), p. 104-126. 23 GETTENS. op. cit., p. 160. 24 VANDAMME,op. cit., annexe X, p. 186-187. 3 L‘adhésif d’une dorure aqueuse est soluble dans l’eau au moment de l’application (colle animale, blanc d’œuf). 4 Dite aussi dorure à la mixtion, terme synonyme de mordant de type huileux, résineux ou oléo-résineux. Par mordant on entend une composition employée comme adhésif des feuilles métalliques. Il est généralement constitué d’un mélange oléo-résineux auquel sont additionnés des pigments dont la fonction est de colorer la pâte, de permettre de repérer les motifs destinés à être dorés, de réguler le temps de séchage du mordant en fonction de l’organisation du travail. 5 6 7 En ce qui concerne la tranche extérieure des cadres, cette couche ocrée n’est le plus souvent pas dorée et et tient donc lieu de dorure de substitution. SCHIESSL U., Techniken der Faßmalerei in Barock und Rokoko : ... daß alles von Bronce gemacht zu sein scheine, Werner, Worms, 1983, p. 40 et sq. Étude in situ : W. Wailliez, A.–S. Augustyniak, N. 95 96 HISTOIRE, DÉONTOLOGIE 25 Recettes transcrites au début du XVIe s., HECHT B., “Betrachtungen über Preßbrokaten”, Maltechnik Restauro, 1980/1, p. 22-49 (cf. p. 27). 26 OELLERMANN E., “Zur Imitation textiler Strukturen in der spätgotischen Faß- und Flachmalerei”, Berichte des bayerisches Landesamt für Denkmalpfelge, XXV (1966), p. 159-174. 27 Sculpture conservée aux MRAH-KMKG (Bruxelles). SERCK-DEWAIDE M., „Méthodes d‘examen, recherches et traitements de polychromies du Moyen-Age à l‘Institut royal du Patimoine artistique“, La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques. Actes de colloque, (12-14 octobre 2000), éd. Picard, Amiens, 2002, p. 91-101 (cf. p. 94). 28 Sloane MS. nr. 345 (Zuidnederlands receptenboek), VANDAMME, op. cit., annexe VI, p. 183. 29 VAN SOEST H. A. B., ”Concernerende de kunst van’t goutleer”, Goudleeer Kinkarakawa. De geschiedenis van het Nederlands goudleer en zijn invloed in Japan, Uitgeverij Waanders, Zwolle, 1989, p. 13-17. (cf. p. 13-14). 30 Ibid. p. 15 ; l’auteur ne cite ni sa source, ni la date de cette interdiction. 31 Ibid., p. 14-15. 32 LAURIE A. P., Materials of the Painter’s Craft, J. B. Lippincott Co, Philadelphie, 1911, p. 203, (cité par GETTENS, op. cit. p. 160), à propos des cuirs espagnols. 33 SCHIESSL, 1983, p. 32. 34 FOUGEROUX DE BONDAROY M., „L’Art de travailler les cuirs dorés ou argentés“, Descriptions des arts et métiers faites ou approuvées par Messieurs de l’Académie Royale des Sciences de Paris, t. III, Neuchâtel, 1775. 35 TANAKA- VAN DAALEN I., „Goudleer voor Japan“, Goudleer Kinkarakawa, p. 64-85, annexe p. 109. 36 C‘est-à-dire „métal“, „doré au faux / mauvais métal“ et „métallisé“. SCHIESSL, 1979, p. 77. 37 GETTENS, op.cit., p. 100. 38 SCHIESSL, 1983, p. 8. 39 Le sous-titre du livre de SCHIESSL, 1983, „daß alles von Bronce gemacht zu sein scheine“ i.e. „que tout paraisse être fait de bronze“, illustre ce dessein. 40 Cornelis Van der Veken, ca 1735. dorure est traditionnel et encore en usage pour les objets laqués. KUHLENTHAL M., “Ostasiatische und europäische Lacktechniken”, Arbeitshefte des Bayerischen Landesamtes für Denkmalpflege, 112 (2000). 45 WAILLIEZ W. [et al.], “Les papiers peints japonais en Europe occidentale autour de 1900”, Actes du 14e symposium triennal ICOM-CC, la Haye, 11-16 septembre 2005, Vol. II, p. 869-874. 46 WATIN J.-F., L’art du peintre, doreur, vernisseur et du fabricant de couleurs ..., (éd. originale Paris 1753), Impr. F. Mistral, Lyon, 1823, p 72-73. 47 Voir aussi SCHIESSL, 1983, p. 103-104. 48 SANYOVA J., „L‘Ange gardien baroque de La Gleize et sa polychromie à l‘aventurine. Examens de laboratoire. Technique de la polychromie“, Bulletin de l‘IRPA, 26, 1994/95 (1998), p. 172-176. 49 Également d‘A. Marcel. 50 Della pittura, 1435, cité par MARTIN, BERGEON,op. cit. 51 Exemples à Fürstenfeldbruck et Windberg, SCHIESSL, 1979, p. 77. 52 CENNINI, op. cit., chap. XLVII. WAILLIEZ, op. cit., p. 870. 54 SCHIESSL, 1983, p. 111. 55 GETTENS, op. cit., p. 132. 56 SCHIESSL, 1983, p. 99. 53 ABSTRACT The colours of yellow metallic leaves and powders Since Antiquity, we can find the use of metals in the arts of colour (architecture, painting, textiles). Gold has been particularly appreciated. Numerous procedures exist for producing varying yellow metals, even for counterfeiting gold (different metals or alloys : gold, zwischgold, copper, pewter, bronze; divers alloys: “coloured” gold, yellow copper, mixes of metallic powders and pigments etc.). 41 CESSION Ch., SANYOVA J.,“L‘Ange gardien baroque The use of coloured under or preparation-layers can have an impact on the colour of the metallic leaf which is applied upon them. The play of coloured gold brocaded textiles is a comparable process that is used to vary the colour of the gold. 42 Finally, the application of a superficial glaze or patina, for protective as well as optical reasons, can modify the colour of the metallic leaf (silver, pewter, brass). de La Gleize et sa polychromie à l‘aventurine. La technique de l‘aventurine.“, Bulletin de l‘IRPA, 26, 1994/95 (1998), p. 179-182. Due à Alexandre Marcel, architecte français dont “la Pagode”, du même style, est conservée à Paris (7e). KOZYREFF Ch., “La tour japonaise de Laeken”, Bulletin des Musées royaux d’Art et d’histoire, 54/2, 1983, p. 43-82, et Songes d’Extrême-Asie, Fonds Mercator, 2001. 43 Voir aussi SERCK-DEWAIDE, M., “Quelques observations sur les techniques de dorure au Japon”, Bulletin de l’APROA-BRK, 2001 / 1, p.6-9. 44 L’emploi d’orpiment dans la sous-couche de la We will illustrate our presentation with examples taken from architecture, cculpture and painting, textiles. Historical techniques will be compared with the results of scientific analyses. The problem of the conservation and restoration as well as that of restitutions will be treated, particularly in the case of architectural decorations which are still in use.