NICOLAS BALZAMO
LES MIRACLES
DANS LA FRANCE
DU XVIe SIÈCLE
Métamorphoses du surnaturel
LES BELLES LETTRES
2014
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INTRODUCTION
L’esquif de Clio navigue entre ces deux pôles que sont le changement
et la continuité. Car si l’on considère l’histoire comme l’étude de
l’évolution des sociétés dans le temps, alors il faut reconnaître que l’une
de ses tâches principales consiste à discerner ce qui, dans ce qui fut un
jour, conservait et modifiait ce qui avait été, annonçait et préparait ce
qui serait.
Autant et peut-être plus qu’aucune autre, l’historiographie du
XVIe siècle a fait sienne cette préoccupation. Depuis qu’elle s’est émancipée
de la controverse dont elle est à la fois la fille et la juge, elle s’est appliquée
à comprendre ce que la révolution religieuse connue sous le nom de
Réforme avait changé à la religion traditionnelle de l’Occident médiéval.
Ce qu’elle en avait rejeté, ce qu’elle en avait transformé, ce qu’elle en
avait conservé. Entre ces deux pôles – évolution d’une part, continuité de
l’autre – le balancier des études historiques a sans cesse oscillé. Selon les
espaces et les objets étudiés, selon les modes et les goûts des historiens,
selon leurs positions historiographiques et, parfois, confessionnelles, les
réponses proposées ont penché tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre. Mais
il est un domaine où le balancier a fait preuve d’une stabilité enviable,
jusqu’à une date récente du moins. Celui du surnaturel.
Tel qu’il était habituellement formulé, le paradigme dominant tenait
en quelques mots : la Réforme fut une étape décisive dans l’épuration
de la religion chrétienne de ses éléments magiques. N’avait-elle pas
supprimé le culte idolâtre des saints, la dévotion irraisonnée à la Vierge,
la vénération naïve des reliques ? N’avait-elle pas détruit ces pèlerinages
thérapeutiques à l’indélébile coloration païenne ? N’avait-elle pas ôté au
prêtre son statut de sorcier de village ? Non seulement elle opéra une
véritable révolution dans les contrées où elle avait triomphé, mais elle
obligea sa rivale sinon à lui emboîter le pas, du moins à mettre un peu
d’ordre dans le legs anarchique du christianisme médiéval. À la suite du
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concile de Trente, l’Église catholique se fit plus circonspecte en matière
de surnaturel. Les procédures de canonisation devinrent plus strictes,
la vérification des miracles plus fréquente et plus sévère, les dérives
du culte des saints furent circonscrites, les pratiques superstitieuses
des fidèles cessèrent d’être tolérées. Contraint et forcé, le catholicisme
prenait lentement mais sûrement congé de son héritage magique. En un
mot, la Réforme, qui dissocia la religion de la magie et condamna cette
dernière à un irrémédiable déclin, fut un pas décisif sur le chemin de la
raison et de la modernité1.
Comme souvent en histoire, et tout particulièrement en histoire
religieuse, cette opinion présente d’étranges similitudes avec les
jugements que les acteurs du temps ont porté sur leurs actes. Voici celui
du pasteur Pierre du Moulin, auteur de l’un de ces innombrables traités
de controverse qui fleurirent dans les premières années du XVIIe siècle :
Le temps a esté qu’en France on ne parloit que de miracles et du feu
de sainct Anthoine et d’apparitions d’ames condamnées ou revenues de
Purgatoire. Desquelles illusions la plus part est disparue au lever de ce soleil
de l’Escriture Saincte que la nuict de l’ignorance avoit caché2.
L’image est convenue. Banale même. L’opposition entre les ténèbres
de l’erreur et la lumière de la vérité est l’un de ces topoï inusables du
discours religieux. Mais ici, il ne s’agit plus de lieux communs. En
quelques mots, c’est une véritable esquisse de l’histoire religieuse
occidentale qui se dessine. Celle d’un monde plongé dans les brumes
de la superstition la plus noire avec ses apparitions, ses fantômes, ses
malades d’ergotisme – le feu de saint Antoine – guéris par de prétendus
miracles. Et voilà que le soleil de la vraie foi, portée par l’Écriture, se lève
et dissipe ces ténèbres qui n’avaient que trop duré.
C’était donc cela, la Réforme : le passage d’une religion embourbée
dans la superstition à une foi raisonnable, on n’ose pas dire rationnelle.
L’idée était séduisante dans sa simplicité. Et il suffisait de la modifier
légèrement, en remplaçant la notion de rupture définitive par celle
d’évolution progressive, pour l’intégrer à un schéma évolutionniste
qui envisageait l’histoire du christianisme et de l’Occident comme
l’avènement progressif d’une foi adulte et raisonnable, voire de la raison
tout court. Ce que firent les philosophes des XVIIIe et XIXe siècles. Pardelà leurs divergences d’opinion et leurs différences de perspective,
Voltaire, Condorcet, Kant, Hegel même, avaient en commun cette vision
de la Réforme comme d’une étape décisive dans le cheminement qui
mena l’Occident des ténèbres de la religion magique à la lumière de
la foi raisonnable3. Et au XXe siècle, Max Weber sembla – mais sembla
seulement – donner à cette conception la caution de son savoir et celle
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de son autorité par sa célèbre notion de « désenchantement du monde »4.
De sorte qu’aujourd’hui encore, elle exerce une royauté d’autant mieux
acceptée qu’elle semble aller de soi5.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur le postulat qui fonde et
justifie toutes ces analyses : l’opposition entre magie et religion. Évidente
à première vue, elle est en réalité hautement problématique6. Sans
doute peut-on contourner la difficulté en l’abandonnant au profit d’une
distinction plus souple qui, parmi les éléments constitutifs d’un système
religieux, distinguerait ceux qui se rapportent à une économie du bienêtre de ceux qui participent à une économie du salut. Cela ne suffit
pourtant pas à sauver le paradigme qui attribue à la Réforme l’abolition
de la première au profit de la seconde.
En 1971 paraissait le maître livre de Keith Thomas : Religion and the
Decline of Magic. Sous-titré Studies in Popular Beliefs in Sixteenth- and
Seventeenth-Century England, l’ouvrage entendait retracer la séparation
progressive entre magie et religion dans l’Angleterre de la première
modernité. Chemin faisant, Keith Thomas s’aperçut d’une chose
étonnante : henricienne ou élisabéthaine, la Réforme n’avait pas eu pour
conséquence d’affaiblir l’emprise du surnaturel sur la vie des hommes.
Tout au plus avait-elle modifié certaines de ses formes : privés du recours
au surnaturel traditionnel avec ses saints, ses reliques et ses pèlerinages,
les Anglais de l’époque moderne n’en furent que plus assidus auprès
des guérisseurs, astrologues et autres devins de toutes sortes7. Une
vingtaine d’années plus tard, ce fut au tour de Robert Scribner de faire
une constatation analogue, dans le cadre de l’Empire cette fois. Là aussi,
les hommes semblaient incapables de faire leur deuil du surnaturel
catholique. Ils avaient beau être luthériens, ils continuaient de fêter les
saints, de fréquenter les pèlerinages thérapeutiques, d’exiger de leurs
pasteurs toutes sortes de rituels paraliturgiques à finalité matérielle8.
Théoriquement abattues, pratiques et croyances traditionnelles
survivaient, obstinément. Et avec elles un système religieux où l’économie
du salut cohabitait avec celle du bien-être.
Une telle persistance méritait d’être examinée de près. Mais la
considérer dans son ensemble – le surnaturel dans l’Europe moderne –
aurait abouti, dans le meilleur des cas, à une esquisse impressionniste tant
la question est vaste, les perspectives multiples et les sources abondantes.
Il fallait donc la circonscrire, choisir un indice, un lieu et un temps.
Cet indice sera le miracle. Il y a trois raisons à cela. Sa finalité
éminemment matérielle – la guérison en règle générale – faisait du
miracle la forme reine d’un surnaturel mis au service des nécessités
de la vie. D’autre part, le miracle se présente sous la forme commode
d’un objet historique stable et distinct. Quelle que fût leur confession,
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les croyants du XVIe siècle distinguaient nettement le miracle des autres
formes de surnaturel – prodiges, sorcellerie – qui peuplaient leur univers.
Enfin, le miracle était l’une des nombreuses pommes de discorde entre
les confessions. Dès Luther se fit jour une doctrine dont les théologiens
protestants, toutes tendances confondues, ne devaient plus guère dévier.
Elle postulait que les miracles, nécessaires à l’époque où la foi était dans
l’enfance, ne l’étaient plus depuis et qu’ils avaient donc pris fin avec les
temps apostoliques. La question n’avait rien de secondaire. Car il en était
de la croyance aux miracles comme de toutes les autres : elle n’existait
pas de façon autonome mais prenait place à l’intérieur d’un réseau de
croyances qui la rendaient possible, la complétaient et lui donnaient toute
sa valeur et sa signification. En l’espèce, il s’agissait du culte des saints
et de la Vierge, de la croyance aux vertus des images et des reliques, des
vœux et des pèlerinages. L’ensemble formait un système cohérent dont
tous les éléments dépendaient étroitement les uns des autres. Un système
que les réformateurs de toutes les tendances répudièrent en bloc comme
autant de facettes d’une idolâtrie détestable. Le miracle se trouvait donc
sur la ligne de partage des eaux qui séparait les tenants d’une religion
pétrie de surnaturel de ceux qui l’avaient répudiée.
Restait à choisir un lieu et un temps. J’ai opté pour la France. Un
choix sans doute tributaire de cette inclination naturelle qui pousse la
plupart des historiens à travailler sur le passé de leur propre pays. Mais
il avait aussi des raisons plus solides. En Angleterre et en Empire, la
question, défrichée par Keith Thomas et Robert Scribner, a quelque
peu perdu sinon de son intérêt, du moins de sa fraîcheur9. Pays où une
répression efficace cantonna la Réforme à une marginalité sans avenir,
l’Espagne et la péninsule italienne n’offraient pas un cadre propice à
l’enquête qui devait nécessairement faire la part belle aux adversaires
du catholicisme. À cet égard, le royaume de France offrait un terrain
nettement plus favorable. Une Réforme tardive mais, sous la houlette de
Calvin, particulièrement radicale dans sa critique des croyances et des
pratiques traditionnelles, une violence religieuse hautement révélatrice
par sa durée et son intensité et, pour finir, une coexistence aux allures
de paix armée entre deux confessions dont la dissymétrie en termes
de rapports de forces n’avait d’égale que leur équivalence en matière
de pugnacité, autant de caractères qui faisaient du royaume des lys un
terrain prometteur. La France donc. En principe dans ses limites de
l’époque, c’est-à-dire, par rapport à aujourd’hui, amputée de ses marches
orientales et en particulier l’Artois, la Lorraine et la Franche-Comté. Il
ne faut pourtant pas accorder aux frontières politiques plus d’importance
qu’elles n’en avaient réellement et il m’arrivera de les franchir de temps à
autre lorsqu’un dossier particulièrement éclairant l’exigera.
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Le choix de la période fut plus délicat. Le point de départ était
pourtant évident : il fallait saisir l’édifice de la religion traditionnelle dans
toute sa stabilité et sa puissance, soit une génération avant les années
1520-1530 qui virent les premières secousses sensibles. La date de 1500
n’a évidemment guère de valeur si ce n’est symbolique et c’est à ce titre
qu’elle a été choisie, étant entendu qu’il en est des dates comme des
frontières et que l’on ne s’interdira pas quelques excursions en amont. Le
terminus ad quem était en revanche problématique. De fait, il se dessina
peu à peu à mesure que l’enquête progressait. Après les bouleversements
des années 1550-1570 s’ouvrit ce qu’on pourrait désigner comme le
second âge classique du miracle – le premier étant constitué par le Moyen
Âge – caractérisé par une relative stabilité de l’univers miraculeux. Un âge
beaucoup plus bref que le premier puisqu’il ne dura que jusqu’au milieu
du XVIIe siècle. Passé ce cap, la réforme post-tridentine marquée par
une attitude nouvelle du clergé envers le surnaturel, la crise janséniste,
les grands débats philosophiques sur la nature et la surnature, autant
d’éléments dont la convergence précipita une nouvelle crise. Dans la
mesure où la présente étude a pour objet la révolution religieuse du
XVIe siècle et son impact sur le surnaturel, il apparaissait légitime de la
clore avec le retour à l’équilibre qui caractérisa la période 1580-1650.
Donc de s’arrêter au beau milieu de cette dernière. De sorte que loin
de correspondre à un tournant, la date de 1620, purement indicative au
demeurant, constitue au contraire le symbole d’une stabilité retrouvée
dans l’histoire du surnaturel.
Voilà les raisons, les objectifs et les cadres de l’enquête définis. Un
mot encore sur son objet. Considéré en soi, le miracle, par définition
irréductible à l’explication rationnelle, échappe à la curiosité de l’historien.
Fort heureusement, celui-ci ne s’intéresse qu’à ce que le miracle était
pour autrui, les hommes du XVIe siècle en l’occurrence. De ce point de
vue, une chose est sûre : la place qu’il occupait dans leur vie n’avait rien
de secondaire. Le nombre de sanctuaires à miracles que comptait alors
la France – des centaines à coup sûr, des milliers probablement – en est
une preuve. Son omniprésence dans la littérature religieuse de l’époque
en est une autre. Les passions polémiques qu’il suscita en sont une
troisième. En vérité, rien n’était alors moins anecdotique que le miracle.
De quoi rassurer l’historien qui peut et qui doit le considérer comme
un fait social digne de son attention. Celle-ci devra s’attacher aux trois
domaines où ce fait social trouvait à se déployer : celui du savoir, de la
pratique et du pouvoir.
Les hommes du XVIe siècle avaient des idées relativement précises
en matière de miracle. Sans doute leur degré de sophistication variaitil beaucoup : la conception d’un théologien rompu aux raisonnements
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abstraits n’était pas celle d’un paysan illettré. Il n’empêche : le miracle était
l’objet d’un savoir théorique inégalement partagé mais uniformément
répandu.
Ce savoir n’était jamais distinct de la pratique qui le mettait en œuvre
en même temps qu’elle contribuait à le former. Les relations que les
hommes du XVIe siècle entretenaient avec les forces surnaturelles dont
ils espéraient une aide tangible n’avaient rien d’anarchique ni d’intuitif
mais obéissaient à des règles plus ou moins précises : on ne demandait
pas n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe comment.
Du côté du pouvoir, le miracle était à la fois une arme et un enjeu.
Considéré comme l’expression de la volonté divine, il conférait une
plus-value symbolique qui n’avait rien de secondaire en ces temps
d’affrontements religieux. Et à l’intérieur même du camp catholique, la
maîtrise de ce pouvoir était pour l’institution ecclésiastique une nécessité
évidente, faisant du miracle un enjeu au sein des relations complexes que
l’Église entretenait avec les fidèles.
Telles sont les trois facettes du miracle considéré comme fait social.
Seule leur étude conjointe peut permettre d’entrevoir la place, la fonction
et la valeur qui étaient les siennes dans la France du XVIe siècle et, du
même coup, d’évaluer les changements que la révolution religieuse opéra
dans ce domaine.
Totalisante dans ses ambitions, une telle approche réclamait une
documentation aussi diversifiée que possible. Il faut dire que les historiens
du miracle ont souvent travaillé à partir d’un type unique de source : vies
de saints, procès de canonisation, registres d’attestations tenus dans les
sanctuaires. Solution attirante dans la mesure où elle offre à l’analyse des
séries très homogènes et surtout extraordinairement massives : 5 000
récits de miracles dans l’espace franc aux XIe-XIIe siècles10, 3 000 pour
l’Angleterre entre 1066 et 130011, 12 000 pour la seule Bavière de la
fin du Moyen Âge12. Un véritable appel à l’histoire quantitative. Les
historiens n’y furent pas insensibles.
J’ai choisi un autre chemin. D’abord parce que le XVIe siècle français
n’offre rien de comparable. De la mort de François de Paule (1507) – qui
ne fut français que durant les vingt dernières années d’une vie qui en
compta quatre-vingt dix – à celle de François de Sales (1622), c’est un siècle
sans sainteté qui s’écoule. Sans sainteté officielle s’entend. Nombreux
furent les thaumaturges de toutes sortes qui, à défaut d’accéder à la gloire
des autels, furent considérés comme des saints par leurs contemporains.
Mais l’absence de reconnaissance romaine signifiait l’absence de procès
et du même coup celle de la documentation. La situation n’est guère plus
favorable du côté des sanctuaires. Les petits n’ont pas laissé d’archives
et celles des grands – Le Puy, Rocamadour et Liesse notamment – ont
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disparu dans la tourmente des guerres religieuses et autres incendies. Il
faut attendre la toute fin du siècle pour voir émerger un corpus de récits
suffisamment important – trois cent cinquante attestations – pour pouvoir
faire l’objet d’une analyse quantitative.
Mais la documentation disponible n’est pas seule en cause. Étudier
un phénomène à l’aide d’un type unique de source, quel qu’il soit, n’est
pas sans danger. S’il est vrai que le document n’est jamais un donné
brut et qu’il n’existe que par les questions que lui pose l’historien, il est
également vrai que l’on ne peut pas poser n’importe quelle question à
n’importe quel type de document13. J’ai donc fait mienne l’injonction de
Fustel de Coulanges : « Lois, chartes, formules, chroniques et histoires, il
faut avoir lu toutes ces catégories de documents sans en avoir omis une
seule. Car aucune d’elles, prise isolément, ne donne une idée exacte de la
société. Elles se complètent ou se rectifient l’une l’autre14 ».
Tout lire. Ce n’était pas bien difficile et Fustel de Coulanges faisait
de nécessité vertu : la civilisation mérovingienne dont il se proposait
d’écrire l’histoire est semblable à une sombre forêt à jamais fermée sur
ses secrets. Et les quelques épaves documentaires qu’elle nous a laissées
ne rendent que plus épais le silence qui les entoure. Le XVIe siècle est
autrement plus généreux.
S’il l’est, c’est d’abord grâce à cette invention qui lui imposa sa
marque : l’imprimerie. Son extraordinaire essor jette une lumière très
vive sur le savoir dont le miracle était alors l’objet. Traités de théologie et
autres ouvrages savants exposent avec un luxe de détails l’idée que s’en
faisaient les élites intellectuelles de l’époque. Vies de saints, catéchismes
et livres d’heures constituent autant de témoignages sur le savoir vulgarisé
qui était proposé aux simples fidèles. Quant à ceux d’entre eux qui étaient
exclus de la culture livresque, les sermons permettent d’entrevoir ce que,
en matière de miracle, on leur demandait de croire et de penser.
La controverse religieuse généra un nombre incalculable d’écrits. Le
miracle en profita : rares sont les ouvrages polémiques qui n’y consacrent
pas au moins quelques lignes. Non seulement l’imprimerie multiplia
les supports livresques traditionnels, mais elle en créa de nouveaux
comme les libelles, ces opuscules d’une dizaine de pages consacrés à des
miracles isolés et récents, petits soldats d’une guérilla de l’écrit qui fit du
surnaturel une arme redoutable.
Du côté catholique, le miracle n’était pas seulement un argument dans
la controverse, il était également un domaine à contrôler. En principe,
l’institution ecclésiastique avait tout pouvoir en matière de surnaturel qu’il
lui incombait de définir, de vérifier et de surveiller. Les textes normatifs
– statuts des conciles provinciaux et des synodes diocésains – éclairent
d’un jour précis la façon dont les autorités religieuses concevaient leur
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tâche dans ce domaine. Et les enquêtes détaillées consacrées à tel ou tel
miracle laissent entrevoir la manière dont elles s’en acquittaient.
L’éventail des sources disponibles est donc vaste. Ce qui manque,
comme souvent – comme presque toujours en histoire religieuse –, c’est
le regard direct. Celui des fidèles. Ouvrages de dévotion, sermons, traités
de théologie et de controverse, sans parler des documents normatifs, tous
ces textes étaient produits par des ecclésiastiques quand la voix des laïcs
peine à se faire entendre. Même dans les documents qui semblent leur
donner la parole. Ni les attestations consignées dans les sanctuaires, ni
les enquêtes consacrées à un miracle précis n’offrent un enregistrement
exact et neutre du témoignage oral mais seulement un reflet puissamment
déformé par la plume des clercs qui le coulait dans un moule rigide et
prédéterminé.
Si la présente étude avait porté sur une période plus reculée, force
eût été de s’en contenter. Mais le XVIe siècle offre un corpus de textes
directement produits par les croyants : chroniques locales, journaux
privés et autres livres de raison, toute une littérature que les historiens
désignent sous le terme générique d’écrits du for privé. Elle n’a rien
d’anecdotique mais compte plus de deux cents unités pour la période qui
est la nôtre. Tous, il est vrai, ne comportent pas nécessairement de récits
de miracles. Il est vrai aussi qu’ils émanent d’une petite élite de citadins
lettrés et n’offrent par conséquent qu’un regard bien incomplet. Mais un
regard direct. C’est l’essentiel.
Telles sont les sources offertes à l’enquête. Quant à sa mise en œuvre,
elle est conditionnée par son objectif principal qu’est l’évaluation des
changements induits dans le domaine du surnaturel par la Réforme.
L’exposé a donc pris la forme d’un triptyque.
Son panneau central est consacré à la crise générée par la diffusion
des idées nouvelles et le début des guerres. C’est l’histoire du grand
assaut contre la religion traditionnelle et celle de sa riposte. Une histoire
qui sacrifie largement à l’événementiel car le miracle, fait social, est aussi
un événement. Et certains de ces événements jouèrent un rôle décisif.
De part et d’autre de ce récit, deux tableaux. Ils ont pour ambition
de dépeindre l’univers du miracle, avant puis après la crise. Ils ne sont
pas tout à fait symétriques : les nécessités de l’exposé et surtout l’inégale
répartition de la documentation ont fait que les problèmes qui y sont
abordés ne sont pas absolument les mêmes et qu’ils ne le sont pas
toujours de la même manière.
Le premier tableau est dominé par la question du savoir dont le miracle
était l’objet au début du XVIe siècle. Sa nature, ses vecteurs, ses modes
de transmission. D’autres problèmes y sont également considérés, et en
particulier l’attitude de l’institution ecclésiastique face au surnaturel.
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Le second tableau revient sur ces questions en même temps qu’il
en examine de nouvelles comme les mécanismes qui présidaient à la
naissance des sanctuaires ou le savoir pratique dont le miracle était
l’objet, autrement dit la manière dont les hommes organisaient leurs
relations avec les êtres surnaturels dont ils espéraient une aide tangible.
Ce second tableau est aussi un bilan tant l’intérêt propre à chacune de
ces questions ne doit pas occulter celle qui est à l’origine et au cœur de
la présente enquête : la révolution religieuse du XVIe siècle a-t-elle laissé
après elle un monde moins riche en surnaturel que celui qu’elle avait
trouvé ?
Une dernière remarque enfin, en forme d’avertissement. Jusqu’à une
époque relativement récente, il était d’usage chez les auteurs d’ouvrages
consacrés au miracle – ecclésiastiques souvent, catholiques presque
toujours – d’affirmer nettement qu’ils n’entendaient pas se substituer à
l’autorité du Saint-Siège dans l’examen du caractère surnaturel des faits
étudiés. Je fais mienne cette protestation en la modifiant légèrement :
dans tout ce qui suit, il ne sera jamais question de la réalité des faits
mais seulement de la perception qu’en avaient leurs contemporains.
L’historien s’intéresse aux hommes, non à la nature ou à la surnature.
Ces hommes croyaient aux miracles ? Cette croyance lui suffit, c’est elle
qu’il lui faut étudier.
Non que la question soit sans intérêt. Après tout, connaître l’objet
d’une croyance peut aider à mieux comprendre la croyance elle-même et
par conséquent les hommes dont elle émanait15. Simplement, les sources
ne sont guère favorables à un tel questionnement. Riches d’éléments
sur la manière dont ces événements étaient vécus, pensés et décrits par
les contemporains, elles le sont beaucoup moins à qui veut percer leur
nature intrinsèque. Impossible de conclure quoi que ce soit à partir
des dix lignes que compte habituellement une attestation de miracle.
Impossible d’extraire quelque chose de probant des dix pages enluminées
de rhétorique d’un libelle. Et lorsque parfois se présente une source plus
appropriée – je pense aux enquêtes consacrées à un miracle précis –,
les méthodes de l’historien ne sont pas suffisantes pour en tirer des
conclusions valables. Il faudrait pour cela être également médecin
et théologien, chimiste et psychologue. Les historiens qui ne sont
qu’historiens courent le risque, dans ces conditions, de verser dans deux
ornières apparemment opposées mais au fond analogues : l’apologétique
ingénue d’une part, un scientisme naïf de l’autre16. N’ayant pas plus de
goût pour l’une que pour l’autre, je laisserai donc de côté la réalité des
miracles pour me consacrer à la place qui était la leur dans un siècle qui
n’est plus le nôtre.
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Chapitre I
VOYAGE AU PAYS DES MIRACLES
C’était un monde plein que celui du surnaturel à la veille de la
Réforme. Un monde que des siècles d’un christianisme fertile en
merveilleux avaient recouvert d’un étroit maillage de sanctuaires à
miracles avec leurs milliers d’images, de statues et de reliques. Une
telle profusion n’avait rien de gratuit. Elle découlait des conditions
d’existence, de la fragilité de la vie et de la faiblesse des moyens humains
propres à l’atténuer. Mais aussi d’une vision du monde qui ne séparait
jamais le matériel de l’idéel. Atteinte à l’intégrité physique du corps, la
maladie était aussi l’indice d’un défaut de l’âme. Comme toute chose,
elle révélait la volonté divine. De sorte que tout concourait à faire du
surnaturel une donnée incontournable dans la vie des hommes.
1. La fragilité de la vie
La vie est fragile. Cette évidence, que le formidable développement
de la technique pourrait parfois nous faire perdre de vue sans que jamais
elle ne disparaisse de notre horizon, les hommes de 1500 ne pouvaient
l’oublier. Pour les quelques quinze millions d’individus qui peuplaient
ce qui était alors le royaume de France, la santé, la vie même, étaient
sans cesse en danger1. Il en était ainsi dès la naissance, véritable loterie
qui faisait beaucoup de perdants. C’était un avant-goût. La tuberculose
infantile et la méningite décimaient les nourrissons tandis que les jeunes
enfants étaient guettés par la rougeole, la varicelle, la coqueluche, les
oreillons ou la rubéole. Le tribut prélevé par ces multiples affections était
lourd : la seule variole emportait un enfant sur dix2. En règle générale,
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L’HÉRITAGE
seuls trois enfants sur quatre passaient le cap des quatre premières années,
un sur deux celui de la décennie3. De sorte que s’il fallait alors, comme
aujourd’hui, deux adultes pour faire un enfant, il fallait également deux
enfants pour faire un adulte4.
Les survivants de cette hécatombe pouvaient espérer vivre jusqu’à
quarante ou cinquante ans. Mais rien n’était jamais acquis. Une
mauvaise chute, une fracture, une blessure mal cicatrisée pouvaient
s’avérer mortelles. Une simple grippe, sans parler d’une pneumonie ou
d’une pleurésie, pouvait emporter son homme, surtout s’il était âgé. Et
chaque été ou presque, les épidémies de toutes sortes éprouvaient les
communautés. Résiduelle, très contagieuse, la variole revenait tous les
quatre ou cinq ans dans une même région, tuant un ou deux malades
sur dix5. Typhoïde et dysenterie n’étaient ni moins dangereuses ni moins
fréquentes. Souvent polluée, l’eau des rivières et des puits en charriait
les bacilles, faisant de chaque verre bu un danger potentiel. Et pour des
organismes jeunes ou mal nourris6, l’issue pouvait souvent être fatale : la
typhoïde tuait jusqu’à un malade sur quatre, la dysenterie un sur deux7.
Mais le fléau le plus redouté restait la peste. Il est vrai que celleci n’avait plus la dimension apocalyptique qui avait été la sienne au
XIVe siècle et son impact global sur la démographie du XVIe siècle semble
avoir été limité8. Mais pour être moins dévastatrices, les épidémies
pesteuses n’en étaient pas moins fréquentes. Il n’y eut pas une seule
année sans peste au royaume de France entre 1448 et 15409. De 1450 à
1500 Angers connut dix épidémies, Tours douze, Paris treize et Bourgen-Bresse vingt-six10. Pas une ville, pas une province ne pouvait espérer
échapper au fléau plus de dix ou quinze ans d’affilée11. De sorte que
dans la France de 1500 il n’y avait personne qui n’ait vécu cette épreuve,
personne qui n’ait eu un parent ou un ami emporté par le mal. Car
lorsque la peste frappait, ce pouvait être de manière spectaculaire : un
homme sur vingt le plus souvent, mais parfois un sur trois voire un
sur deux. Sous sa forme bubonique, elle n’épargnait que deux ou trois
malades sur dix, aucun sous sa forme pulmonaire12. Non seulement la
peste tuait beaucoup, mais elle tuait vite : à Rennes en 1605, sur dix
malades, deux mouraient en moins de vingt-quatre heures, deux autres
au bout de deux jours et encore quatre avant le sixième jour13.
Il est vrai que l’autre grande terreur des hommes du Moyen Âge, la
lèpre, avait à peu près disparu et les centaines de léproseries du royaume
étaient vides. Mais de nouvelles maladies l’avaient remplacée comme la
syphilis, qui fit son apparition en France dans les premières années du
XVIe siècle, et surtout le typhus, souvent mortel14. Ces fléaux, et bien
d’autres encore, faisaient de la vie une chose fragile et de la mort une
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présence entêtante : sur mille hommes qui fêtaient la Noël de 1500,
quarante ne devaient pas voir celle de 150115.
S’il y avait une chose qui était comparable à la puissance des maux
qui guettaient les hommes, c’était la faiblesse des remèdes qu’ils
pouvaient y apporter. Face aux maladies infantiles, au typhus et surtout
à la peste, la médecine était totalement impuissante. La thérapeutique
restait ce qu’elle était depuis des siècles – saignées, purges et ventouses
constituaient la base des traitements – et la pharmacopée ne s’était guère
plus améliorée16.
De toute façon, rares étaient ceux qui pouvaient l’administrer. La
France de 1520 comptait environ quatre cents médecins pour une
population de quinze ou seize millions d’âmes, soit environ un médecin
pour quarante mille patients potentiels17. Il est vrai qu’il faut y ajouter
quelques deux mille chirurgiens et autant d’apothicaires. Mais même une
ville particulièrement favorisée comme l’était Montpellier – elle abritait
une faculté de médecine – ne pouvait faire état, en 1544, que de vingtdeux médecins, vingt chirurgiens et trente et un apothicaires pour une
population de douze mille habitants18. Surtout, l’encadrement médical
était le privilège des citadins. Pour les autres, les quelques huit dixièmes
de la population qui vivaient à la campagne, il n’y avait d’autre ressource
que les guérisseurs de toutes sortes, moins chers à défaut d’être plus
efficaces.
Face aux dangers qui menaçaient sa vie, l’homme n’avait pas
beaucoup à espérer de l’aide de ses semblables. Restait celle de Dieu.
Non que le recours au surnaturel fût le résultat mécanique des conditions
matérielles d’existence. Il devait autant, sinon plus, à une conception
ancrée depuis des siècles qui liait indissolublement le matériel et l’idéel
en faisant du corps le reflet de l’âme et de la maladie l’indice d’un manque
d’ordre spirituel : elle était fille du péché, conséquence parmi d’autres
de la Chute qui avait fait de l’homme un être fragile et souffrant19. Dieu
avait donc voulu que l’existence du pécheur ne fût pas épargnée par les
misères physiques. Mais non que celles-ci fussent sans remède. Dans ce
domaine, Dieu n’intervenait jamais directement mais par l’intermédiaire
de ceux qui étaient chargés de dispenser ses grâces : les saints en général
et la Vierge en particulier. À leur tour, ceux-ci agissaient indirectement,
à travers des objets : les reliques dans le cas des saints, les statues dans
celui de la Vierge. C’était autour de ces dernières qu’étaient nés les plus
importants sanctuaires que comptait la France de 1500 : Notre-Dame
de Liesse, Notre-Dame du Puy, Notre-Dame de Rocamadour. Apparus
au Moyen Âge central, ces lieux drainaient des milliers de pèlerins venus
de tout le royaume y trouver un remède à leurs maux. Venaient ensuite
les sanctuaires qui rayonnaient sur une province ou un diocèse comme
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Notre-Dame de Boulogne, Notre-Dame de Chartres, Notre-Dame de
Cléry, Sainte-Catherine-de-Fierbois en Touraine, Saint-Claude au Jura,
Saint-Antoine en Dauphiné, le tombeau de sainte Geneviève à Paris,
celui de saint Yves à Tréguier.
Bien souvent, ces sanctuaires étaient spécialisés dans la guérison
d’un mal spécifique. À Corbeny, les reliques de saint Marcoul attiraient
les scrofuleux. Au prieuré de Saint-Fiacre en Brie, les restes du saint
éponyme étaient réputés pour les maux de ventre en général et les
hémorroïdes en particulier. L’abbaye de la Trinité de Vendôme possédait
la larme que le Christ avait versée sur Lazare, censée guérir les aveugles,
tout comme ce doigt de saint Jean-Baptiste conservé à Saint-Jean-duDoigt en Trégor. À Notre-Dame d’Embrun comme à Saint-Jean de
Lyon, c’étaient les épileptiques qui trouvaient un soulagement à leur mal.
Les fous et les possédés – la distinction n’était alors pas claire – avaient
l’embarras du choix. Dans ce domaine, le sanctuaire le plus célèbre était
sans conteste Saint-Mathurin de Larchant, non loin de Paris. Mais il
y en avait bien d’autres comme Saint-Menoux en Bourbonnais, SaintBertaud en Champagne, Saint-Sever en Normandie, Moutiers-SaintJean en Bourgogne, Saint-Briac en Bretagne, Saint-Denis à Amboise
et Saint-Maurice à Chartres. Sans oublier la cathédrale de Carpentras,
fameuse pour le clou de la Crucifixion qui y était conservé.
Mais ces quelques dizaines de sanctuaires plus ou moins célèbres ne
constituaient que la partie émergée d’un monde qui en comptait des
centaines et probablement des milliers. Multitude de lieux saints dont la
renommée ne s’étendait guère au-delà d’une paroisse, de quelques villages.
Un monde que le manque de sources a fait entièrement disparaître. Seuls
les sanctuaires les plus importants ont laissé des archives et l’immense
majorité ne se laisse approcher, dans le meilleur des cas, que par une
mention laconique dans les documents. Les visites pastorales menées
par les évêques de Rodez aux XVe et XVIe siècles révèlent ainsi l’existence
d’une quarantaine de sanctuaires pour un diocèse qui comptait quatre
cent cinquante paroisses20. Un lieu saint pour dix paroisses donc. En
Bourgogne, les évêchés d’Autun, Nevers et Langres totalisaient quaranteneuf sanctuaires en activité à la veille de la Réforme21. Densité moindre
du réseau des pèlerinages ? Plutôt faiblesse de la documentation.
Particulièrement riche, celle des diocèses de Grenoble et d’Embrun fait
connaître trente-deux et vingt-quatre lieux saints pour, respectivement,
deux cent soixante-quatre et quatre-vingt-dix-neuf paroisses22. Encore
ces chiffres sont-ils probablement très inférieurs à la réalité. Menées à
une époque où la dévotion aux saints guérisseurs était toujours vivace
en milieu campagnard, les enquêtes ethnographiques laissent entrevoir
un univers d’une extraordinaire richesse. Voici le Perche-Gouët :
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93 communes, 80 000 habitants, un caractère rural et agricole encore
très marqué à l’aube des années 1970. On y dénombrait alors quelques
126 lieux de culte à finalité thérapeutique. Pas de commune sans lieu
sacré23. Et c’était il y a moins d’un demi-siècle. En vérité, c’est bien par
milliers que se comptaient les petits sanctuaires dans la France de 1500.
Cette myriade de lieux saints, l’historien aimerait pouvoir la chiffrer.
Les sources, malheureusement, ne le permettent pas24. Mais à défaut
de statistiques, elles offrent un regard direct. Celui qu’ont porté sur ces
lieux deux voyageurs qui visitèrent la France à l’aube du XVIe siècle.
2. Deux voyageurs dans la France de 1500
Le premier était un médecin de Nuremberg, Jérôme Münzer.
Lorsqu’en 1494 la peste se déclara dans sa ville, il préféra ne pas tenter
de la combattre et en profita pour faire un long voyage. Avec trois
compagnons, il passa par la Suisse et la France méridionale, visita le
Portugal et l’Espagne avant de revenir dans sa patrie en traversant à
nouveau la France puis les Flandres25. Le second était un chanoine de
Melfi, Antonio de Beatis. Chargé en 1517 d’accompagner le cardinal
d’Aragon dans ses missions diplomatiques, il put ainsi visiter l’Empire,
les Flandres et la France qu’il traversa du nord au sud avant de revenir
en Italie26. Tous deux laissèrent un récit assez détaillé de leur périple27.
Et tous deux accordèrent une attention toute particulière aux églises et
sanctuaires qu’ils furent amenés à visiter, vérifiant ainsi l’axiome énoncé
par Victor Turner selon lequel, si tout pèlerin est à moitié un touriste,
chaque touriste est à moitié un pèlerin28.
Il est vrai que les pas de nos deux voyageurs ne les ont pas menés
dans les plus grands sanctuaires mariaux du royaume, Liesse, Le Puy et
Rocamadour. Mais Antonio de Beatis passa par Boulogne, à peine moins
célèbre grâce à la statue de la Vierge qui y était vénérée : « c’est la grande
dévotion, non seulement des gens de la ville, mais on y vient aussi des
environs et même de lieux très éloignés29 ». En fait de statue miraculeuse,
Beatis eut l’occasion d’en voir une autre à Notre-Dame-des-Plans, non
loin de Montélimar. Selon la légende, cette antique effigie, cachée et
perdue durant la guerre de Cent ans, avait été découverte par un
laboureur au milieu du XVe siècle. Beatis ne se fit pas faute de rapporter
l’histoire avant d’ajouter : « cette Vierge fait de nombreux miracles ;
d’après ce que l’on rapporte dans le pays, ces miracles sont continuels,
aussi un grand concours de peuple vient-il la prier et recourir à elle30 ».
De son côté, Jérôme Münzer passa par l’Ile-Barbe, près de Lyon, où un
monastère bénédictin abritait « un petit sanctuaire de la Bienheureuse
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Vierge Marie célèbre pour ses miracles31 ». Puis ce fut Notre-Dame des
Tables à Montpellier, pèlerinage ancien et assez renommé : « nous y
vîmes une chapelle de la Bienheureuse Vierge Marie où se produisent de
nombreux miracles32 ».
Les saints n’étaient pas en reste, à commencer par ceux de l’époque
apostolique. À Amiens, Münzer se fit montrer le crâne de saint JeanBaptiste et put constater que la face du précurseur était intacte, « si ce
n’est qu’au sommet du nez elle est un peu abîmée33 ». Mais l’impression
la plus forte fut produite par la visite de Saint-Maximin. Selon une
légende née à Vézelay au XIe siècle, Marie-Madeleine, accompagnée de
Marthe, Maximin et Lazare, avait quitté la Palestine pour l’Occident
peu après la mort du Christ. Débarquée à Marseille, elle avait mené
une vie érémitique dans la grotte de la Sainte-Baume tandis que Marthe
fondait un monastère à Tarascon et que Maximin et Lazare devenaient
respectivement évêques d’Aix et de Marseille. La découverte des reliques
de la sainte à Saint-Maximin en 1279 donna un nouvel élan au culte et
en fit un lieu de pèlerinage renommé, administré par les dominicains34.
Impressionné, Jérôme Münzer se fendit d’une description enthousiaste.
On lui montra d’abord un bras de saint Maximin, puis celui de MarieMadeleine, ses cheveux – « ces cheveux mêmes dont elle a essuyé et
touché les pieds du Christ » – et enfin le crâne de la sainte :
Nous vîmes, dans une cellule solidement fortifiée de portes et de verrous,
la tête de la très sainte Bienheureuse Madeleine, enchâssée dans un reliquaire d’or et d’argent. Ce visage est terrible à voir : à l’avant du crâne, du
côté gauche, un peu de chair et des cheveux adhèrent encore aux os. C’est
naturellement l’endroit où le Christ, après la Résurrection, la toucha de
Son corps glorieux en disant : « Noli me tangere »35. La mâchoire inférieure
est présente aussi. Oh ! Quel signe étonnant et admirable ! Je ne crois pas
qu’il y ait sur toute la terre semblable manifestation visible de la religion
catholique36.
Antonio de Beatis était également passé par là. Il avait d’ailleurs
commencé sa visite non par le monastère qui conservait le corps de
la sainte mais par la grotte où elle avait vécu, la Sainte-Baume. On lui
montra la pierre sur laquelle Marie-Madeleine avait dormi :
On distribue des morceaux de cette pierre à tous les pèlerins qui ont la
dévotion d’en emporter. Par leur contact ils éteignent les ardeurs de la
fièvre. On donne aussi des cordons dont la longueur équivaut à la taille de
la sainte, pour la délivrance des femmes. On les mesure sur une statue de
bois qui représente sainte Marie-Madeleine étendue, et qui fut faite, dit-on,
par les soins de saint Maximin ; elle reproduit la taille exacte de la sainte.
Mais l’impression la plus forte ne fut produite ni par la grotte où avait
vécu Marie-Madeleine, ni même par son crâne, mais par une autre relique,
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également conservée à Saint-Maximin : une ampoule contenant du sang
du Christ qui se liquéfiait chaque année, le jour du Vendredi saint.
Nous avons vu là aussi du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, conservé
dans un petit flacon qui est lui-même déposé dans une carafe plus grande.
Tout le monde ici affirme que ce sang fut recueilli par la très glorieuse
Marie-Madeleine, au pied de la croix, elle le porta toujours avec dévotion.
On a la preuve que c’est bien le sang de Notre-Seigneur par un miracle
évident qui se renouvelle chaque année : le Vendredi saint, jour de la douloureuse Passion, le sang commence à se liquéfier et à bouillonner avec
tant de violence et de bruit qu’on l’entend jusqu’au dehors de la chapelle.
[…] Et tout à coup, quand sonne l’heure de la mort de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, tout ce sang répandu se retire dans le flacon et revient à sa
dureté primitive37.
La chose avait également frappé Münzer qui la qualifia de « très
grand miracle, absolument indubitable38 ». Cette insistance sur la valeur
probatoire du surnaturel se comprend mieux à la lumière d’un problème
qui ne laissait pas d’inquiéter nos deux voyageurs : l’authenticité des
innombrables reliques qu’on leur faisait admirer ici et là.
En mars 1495 Münzer et ses compagnons arrivèrent à Paris. Ils y
visitèrent d’abord l’abbaye Sainte-Geneviève « dont le corps, déposé
dans un coffre, repose derrière l’autel sur quatre colonnes de pierre et
accomplit chaque jour des miracles renommés. En effet, il y a sous le
tombeau un dallage sur lequel les fiévreux s’agenouillent ; et plusieurs
sont libérés par l’intercession de la sainte39 ». Puis ce fut la SainteChapelle et ses prestigieuses reliques de la Passion : la couronne d’épines
évidemment, mais aussi du bois de la vraie croix, le roseau et l’éponge,
le fer de la lance qui avait percé le flanc du Christ40. Mais là, Münzer
tiqua : ce ne pouvait être le fer véritable puisque celui-ci était conservé
à Nuremberg. Il fallait donc penser, ajoutait-il, qu’il s’agissait seulement
du bois de la lance41. Assez logiquement, le Nurembergeois avait tranché
en faveur de sa propre ville. Un problème analogue s’était posé à propos
de saint Jacques. À Compostelle, Münzer avait pu admirer le tombeau
où le corps de l’apôtre, au dire des chanoines, était conservé en entier.
Un mois plus tard, de passage à Toulouse, il visita l’église Saint-Sernin
qui s’enorgueillissait de posséder les corps de six apôtres, parmi lesquels
celui de Jacques dont Münzer put embrasser le crâne. Cette possibilité
d’approcher au plus près du corps saint – qui n’était pas offerte à
Compostelle – l’inclina à se prononcer en faveur de Toulouse42.
Antonio de Beatis était plus exigeant. De passage à Arles en novembre
1517, il put y voir les crânes de saint Étienne et de saint Antoine. Or
quelques semaines plus tôt il avait visité l’abbaye de Saint-Antoine en
Viennois qui se flattait de posséder le corps entier du saint. Et ce n’était
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pas la première fois : ici et là, on lui avait montré bien des reliques qu’il
avait déjà vues ailleurs. Manifestement, les faux corps saints proliféraient.
C’était ennuyeux. Mais non dramatique. Car l’essentiel, estimait Beatis,
résidait dans la valeur de la dévotion et non dans son objet. Qui croyait
sincèrement à l’authenticité d’une relique pouvait la vénérer en toute
sécurité43.
Les saints plus récents ne posaient pas ce genre de problème.
À Avignon, Münzer visita l’église des célestins où reposait Pierre de
Luxembourg. Nulle autre église ne revendiquait le corps de ce saint mort
en 1387. Lequel ne l’était d’ailleurs pas au regard de l’Église, l’enquête
pour sa béatification, ouverte dès 1389, n’ayant toujours pas abouti. Ce
qui n’empêchait pas des centaines de fidèles de se presser autour du
tombeau qui abritait son corps, lequel, au dire de Münzer, « brille par
les miracles innombrables qu’il accomplit dans l’église susdite44 ». Sur
le chemin du retour, remontant vers le nord, Münzer passa par SaintLéonard-de-Noblat en Limousin. Fondé au VIe siècle, le monastère
abritait le corps du saint qui en fit un lieu de pèlerinage dès le XIe siècle45.
Léonard était spécialisé non dans la guérison d’un mal précis mais
dans la délivrance des prisonniers, faculté qui était toujours la sienne
cinq siècles plus tard : « encore aujourd’hui, il est renommé pour ses
nombreux miracles et nous avons vu sur place un très grand nombre de
liens et d’entraves, offerts en ex-voto par des prisonniers détenus dans des
prisons variées et libérés par ses prières46 ».
Mais tous les saints n’étaient pas morts. De passage à Amboise, Jérôme
Münzer et ses compagnons purent faire la connaissance d’un thaumaturge
bien vivant : François de Paule. Arrivé en France à l’invitation de Louis XI
en 1483, le moine calabrais, alors âgé de près de quatre-vingts ans, vivait
retiré dans le petit couvent que Charles VIII avait fait bâtir à son intention
près de Plessis-lès-Tours. Celui que Münzer désigne comme « le plus
grand ermite de notre temps » y menait une vie discrète, offrant aux fidèles
qui venaient le trouver le réconfort de ses conseils mais aussi celui de ses
pouvoirs thaumaturgiques. Lorsque en 1512 une enquête fut ouverte en
vue de sa béatification, cinquante-sept témoins vinrent rapporter quelques
soixante miracles dont trente-sept avaient eu lieu de son vivant47. Celui
qu’on n’appelait pas autrement que le « saint homme » exerçait ses dons
dans toutes sortes de domaines mais avec une nette prédilection pour la
guérison des fous et des possédés, la délivrance des femmes enceintes48.
Pour le reste, priant beaucoup mais ne prêchant guère, mangeant peu
et cultivant lui-même les quelques légumes et fruits qui lui étaient
nécessaires, François de Paule donnait l’image d’une sainteté tranquille et
rassurante49. À Münzer et à ses compagnons, François offrit des pommes,
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selon son habitude, ainsi qu’une recommandation pour avoir accès au
trésor de la basilique de Saint-Denis50.
Antonio de Beatis ne vit pas François de Paule – mort depuis dix ans51
– mais de passage à Rouen il put y voir un thaumaturge un peu particulier :
le roi. Ainsi que ses ancêtres le faisaient depuis le XIIIe siècle52, François Ier
touchait régulièrement les écrouelles53. Il en fut ainsi à Rouen, le 15 août
1517, fête de l’Assomption, où le miracle du toucher royal s’accomplit
sous les yeux de Beatis :
Le jour de l’Assomption, Sa Majesté se confessa et communia comme
elle a coutume de le faire aux diverses fêtes de l’année, obtenant ainsi le
privilège accordé aux rois de France de guérir les pauvres gens atteints de
scrofule. Les scrofules se dessèchent peu à peu lorsque le roi les a touchés
simplement en faisant sur eux le signe de croix54.
Antonio de Beatis venait alors seulement d’arriver en France. Le
spectacle de François Ier touchant les écrouelles constituait une bonne
entrée en matière en même temps qu’un véritable symbole : un roi
thaumaturge régnait sur le royaume aux mille sanctuaires.
3. Un paysage en perpétuel changement
Le regard photographique, donc statique, offert par nos deux
voyageurs pourrait donner l’impression d’un univers immobile, figé
pour les siècles. Impression trompeuse tant le monde des sanctuaires
était au contraire en évolution permanente. Rien n’était jamais assuré
dans la vie des lieux sacrés et tel sanctuaire populaire aujourd’hui
pouvait parfaitement disparaître demain. Car l’univers des pèlerinages a
toujours été un univers concurrentiel. Le réseau des lieux saints n’était
pas extensible à l’infini, pas plus que le nombre de pèlerins potentiels, de
sorte que leur histoire peut être vue, entre autres, comme celle de la lutte
pour une place au soleil des dévotions. Cette lutte avait ses vainqueurs
et ses vaincus, les premiers étant souvent promis au destin des seconds à
plus ou moins brève échéance55.
Les pas de Jérôme Münzer l’avaient mené à Saint-Gilles-du-Gard
dont l’abbaye l’impressionna par sa richesse56. C’était le lointain reflet
d’un passé glorieux : quatre siècles plus tôt, Saint-Gilles avait été un
sanctuaire prodigieusement célèbre qui drainait des visiteurs de toute
la France, d’Espagne, d’Italie, d’Empire et même de Pologne57. Mais en
1494 l’abbaye n’était plus qu’un lieu saint d’importance locale58. Seuls
quelques sanctuaires particulièrement renommés pouvaient être assurés
de traverser les siècles. Nés au Moyen Âge central, Liesse, Le Puy,
Rocamadour continuaient, trois ou quatre cents ans plus tard, à attirer
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des milliers de pèlerins. Mais même ce statut ne protégeait pas contre
un déclin à long terme. Les troubles du XVIe siècle devaient durement
éprouver Notre-Dame de Rocamadour : ruiné par les protestants en 1562,
le sanctuaire ne retrouva jamais son statut d’antan59. Principal pèlerinage
des Gaules durant le haut Moyen Âge, Saint-Martin de Tours semble
avoir perdu une bonne part de son prestige à l’aube des temps modernes.
Le Mont-Saint-Michel ne devait pas non plus attirer les mêmes foules
qu’un siècle plus tôt60. Si ces géants du pèlerinage n’étaient pas à l’abri
des aléas de l’histoire, que dire de la masse des petits sanctuaires dont
l’existence était synonyme de fragilité.
En Dauphiné, en Bourgogne, en Rouergue, les documents laissent
entrevoir une carte des pèlerinages en constante évolution : tel lieu
mentionné à l’occasion d’une visite pastorale ne l’est plus lors de la
suivante61. Le destin des sanctuaires est souvent semblable à celui des
étoiles filantes : éclatant mais fugace. Une relique est découverte. Émoi
dans le voisinage, les pèlerins affluent, les miracles se multiplient. Pour
peu de temps : passé l’attrait de la nouveauté, l’enthousiasme retombe
et le lieu, naguère si fréquenté, retourne dans l’anonymat. D’autant
plus facilement que la plupart des petits pèlerinages possédaient une
spécialisation thaumaturgique et répondaient par conséquent à un besoin
précis, de sorte qu’ils étaient sans cesse en danger d’être supplantés par
un autre lieu saint, jugé plus efficace. Au fond, chaque sanctuaire qui naît
c’est aussi un ancien sanctuaire qui meurt. Et le cycle pouvait être rapide.
En 1453 des miracles commencèrent à se produire sur le tombeau
de Philippe de Chantemillan, dans la cathédrale Saint-Maurice de
Vienne. Des miracles d’un genre bien particulier : des enfants mort-nés
y étaient temporairement ressuscités, le temps de recevoir le baptême
qui leur ouvrait les portes du paradis. Un sanctuaire à répit donc. Sa
renommée se diffusa rapidement. Les premiers pèlerins venaient de
Vienne ou des environs. À partir de 1456 on en vit arriver de tout le
Dauphiné et, l’année suivante, du Massif Central. Mais dès 1459 l’élan
commença à s’essouffler et les pèlerins à se raréfier. À la fin des années
1470 le sanctuaire était retombé dans l’anonymat d’où il était venu. Son
existence avait duré moins de vingt ans62.
Deux décennies ce n’était déjà pas si mal pour un petit pèlerinage. En
1557 le bruit se répandit qu’une épine de la couronne du Christ opérait
des miracles dans un village bourguignon non loin de Tonnerre. Des
boiteux y recouvraient la santé, des aveugles la vue, des enfants mortnés ressuscitaient le temps de recevoir le baptême. Pèlerins et malades
se mirent à affluer dans le village que l’on n’appelait plus autrement
qu’« À la Sainte-Épine ». Éphémère célébrité : trois ans plus tard les
miracles prirent fin et le sanctuaire avec eux63.
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Mais dans la conscience collective, comme dans les sources, la naissance
des sanctuaires laissait toujours plus de traces que leur mort, créant ainsi
l’impression d’un constant bouillonnement et d’une multiplication infinie
des lieux saints.
De saint Dôme, un évêque du Mans mort à la fin du VIe siècle, on ne
savait que fort peu et ce peu était tributaire d’une Vie rédigée trois siècles
plus tard64. Quant à ses reliques, transportées à l’abbaye Saint-Pierre
de Chaumes-en-Brie, elles étaient depuis longtemps perdues. Jusqu’à
ce jour de mai 1530 où elles furent retrouvées par le sacristain du
monastère. Une nuit, alors qu’il était monté au clocher pour sonner les
matines, il aperçut une forte clarté. Avertis, l’abbé et les frères se hâtèrent
vers la source de lumière. C’était une châsse. Ouverte, elle offrit à leurs
yeux le spectacle du corps saint « encores couvers de chair vermeille65 ».
La nouvelle de sa découverte ne tarda pas à arriver jusqu’à Paris où le
bourgeois anonyme consigna avec une satisfaction visible la naissance
d’un nouveau lieu saint :
Au dict an mil cinq cens trente, le seiziesme de may, se manifesta fort un
glorieux corps sainct, monsieur sainct Dosme. […] Si advint que, ce dict
jour, l’abbé de la dicte abbaye de Chaulmes, accompaigné de ses religieux
et plusieurs autres personnes, alla en devotion visiter la chasse du dict sainct
et l’ouvrist, où plusieurs mallades y receurent santé et guarison de plusieurs
malladies, et par plusieurs autres jours. De toutes pars chacun y venoit faire
ses offrandes, à cause de quoy la dicte abbaye eut moult grand bruict66.
Qu’advint-il des reliques de saint Dôme passé 1530 ? L’évêque
mérovingien retomba-t-il dans l’obscurité d’où il venait d’être tiré ?
Peut-être fit-il à nouveau parler de lui quelques années plus tard. Car le
surnaturel, souvent éphémère, pouvait également être cyclique. Troyes
en donna un bel exemple.
Un calvaire de pierre se dressait au milieu de la Grande Rue. Ancien, il
était en mauvais état et à l’extrême fin du XVe siècle les échevins décidèrent
d’en édifier un nouveau. L’ensemble devait être impressionnant : un
socle de maçonnerie orné de statues représentant le Christ, la Vierge et
plusieurs saints était entouré de trois piliers de pierre qui se rejoignaient
pour supporter une immense croix de bronze. Achevé en 1497, l’édifice
faisait onze mètres de haut67. Sans que l’on sache comment, le calvaire,
bientôt connu sous le nom de Belle Croix, se vit rapidement auréolé
d’un pouvoir thaumaturgique, attirant pèlerins et malades. À l’été 1500,
ils étaient suffisamment nombreux pour que leur afflux préoccupât les
pouvoirs publics :
Icelluy peuple se tient et sejourne de nuyt et de jour par si long temps et
en si grant habondance que l’en ne peult plus passer ne rappasser parmy la
rue d’icelle croix en laquelle icelluy peuple fait son ordure et immondice,
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tellement qu’il s’i engendre si grant punaisie et infection que on y peult plus
durer. Aussi plusieurs filles et femmes sont en danger d’y estre deflorées,
perdues et gastées et divers larrecins, faiz et aultres maulx et inconvenians
par manans, garcons qui nuytamment hantent et frequantent à ladite croix68.
Les échevins prirent des mesures : défense était faite à tous pèlerins,
sous peine d’amende et de prison, de faire leurs dévotions entre dix
heures du soir et trois heures du matin et de rester devant la Belle Croix
plus d’une demi-heure d’affilée69. Singulier effet de la naissance d’un
sanctuaire au beau milieu d’une ville. Il semble qu’ensuite l’enthousiasme
retomba. En tout cas, on n’entendit plus parler de la Belle Croix jusqu’en
mai 1535 lorsqu’un muet qui priait devant elle retrouva l’usage de la
parole, déclenchant une nouvelle vague de miracles. Puis la croix retomba
en léthargie. Elle devait se réveiller vingt-six ans plus tard, en 156170.
Il est difficile de rendre compte des raisons qui présidaient à la
brusque naissance de tels phénomènes et il l’est plus encore de discerner
celles qui provoquaient leur cessation. Si la première attirait l’attention
des hommes, laquelle pouvait parfois se figer en une trace écrite, la
seconde, pure négativité, ne se reflète nulle part. Peut-être les sommeils
de la Belle Croix de Troyes ne traduisent-ils rien d’autre que le silence
des contemporains. Peut-être, et c’est encore le plus probable, des
phénomènes analogues détournèrent-ils leur attention.
D’une telle succession de gloires éphémères, Toulouse offrit un
exemple éloquent à la charnière des XVe et XVIe siècles. L’église SaintSernin pouvait se flatter, on l’a vu, d’abriter le corps de l’apôtre Jacques.
À l’inverse, l’église Saint-Jacques ne possédait aucun reste de son saint
patron. Il est vrai qu’une ancienne tradition voulait que Charlemagne, de
retour d’Espagne, lui ait fait don de plusieurs reliques qui furent enfouies
sous l’un des piliers de l’église.
Le 18 mars 1491 les chanoines firent démolir le pilier en question,
dévoilant un petit caveau où l’on trouva une mâchoire, une dent et quelques
autres ossements. La tradition avait dit vrai. La rumeur de la découverte
se répandit comme une traînée de poudre et l’église Saint-Jacques devint
immédiatement un lieu de pèlerinage pour les Toulousains : « tous les
jours […] tant d’hommes que de femmes en diverses et graves maladies,
voués à Dieu et monsieur saint Jacques, incontinent recouvraient santé,
[…] de telles sortes et manières qu’en quinze jours plus de cinquante
malades ont été miraculeusement guéris71 ». Le prévôt de la cathédrale
ordonna une enquête. En un mois on recueillit vingt-neuf dépositions
dont les auteurs assuraient avoir été guéris de leurs maux par les reliques
nouvellement découvertes72. Saint-Jacques était devenu un sanctuaire à
l’égal de Saint-Sernin.
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Naissance d’un sanctuaire au beau milieu d’une ville. Il s’agit ici de la célèbre Schöne
Maria de Ratisbonne (voir infra, p. 121) mais la Belle Croix de Troyes ne devait pas offrir
un spectacle bien différent (gravure sur bois de Michael Ostendorfer, 1519/1520, British
Museum).
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L’HÉRITAGE
Cinq ans plus tard l’attention des Toulousains fut sollicitée par le
crucifix de la chapelle Saint-Rémi. L’objet était récent, don d’un paroissien
à la suite d’une épidémie en 1494. Le 21 juin 1496 il se mit à suer et
à pleurer. Trois jours plus tard la chapelle était devenue un sanctuaire
célèbre dans toute la ville : une dizaine de messes étaient célébrées
quotidiennement devant le crucifix miraculeux et les Toulousains se
pressaient par centaines pour le voir. Leur enthousiasme finit d’ailleurs
par indisposer les autorités : prétextant des scènes d’« idolâtrie », l’official
de l’évêque fit retirer le crucifix qui fut enfermé à la cathédrale73.
Vingt ans plus tard, l’histoire se répéta, à Notre-Dame de la Dalbade
cette fois : un crucifix qui y avait été apporté depuis l’une des places de
la ville se mit à faire des miracles. Pèlerins et malades affluèrent. Les
offrandes également, au point que leur partage donna lieu à un procès
entre le curé de la paroisse et le chapitre de la cathédrale74. Mais dans
l’intervalle bien d’autres événements surnaturels avaient accaparé
l’attention des Toulousains. Un an après l’affaire du crucifix de SaintRémi, des reliques de sainte Suzanne furent découvertes à l’église SaintSernin75. Et c’est encore à Saint-Sernin qu’eut lieu un autre événement
propre à frapper les imaginations. En 1516 les chanoines décidèrent de
faire exécuter d’importants travaux dans la crypte basse, celle-là même
où l’on conservait les corps des six apôtres. Elle abritait également
treize statues en bois polychrome représentant le Christ et ses disciples
qui furent déplacées dans la chapelle Sainte-Marguerite pour la durée
des travaux. Le 14 mars 1519 deux hommes s’y prirent d’une violente
querelle ponctuée de blasphèmes. À peine avaient-ils été proférés que les
statues réagirent : celle du Christ s’éleva de terre, celle de saint Jacques
s’inclina et trois autres se déplacèrent. Le chapitre fit faire une enquête
qui conclut à l’authenticité du prodige. Désormais auréolées d’une
réputation miraculeuse, les statues furent laissées dans la chapelle où
elles avaient fait la preuve de leur puissance76.
En moins de trente ans, le surnaturel s’était invité à quatre reprises
dans la vie des Toulousains. Encore s’agit-il seulement des événements
dont les sources ont préservé la mémoire. Peut-être y en eut-il d’autres.
Leur caractère éphémère était la rançon de leur profusion. Le surnaturel
chassait le surnaturel et l’attention des hommes, sans cesse sollicitée,
s’attachait à un objet avant de l’abandonner pour un autre. Une
concrétion figée pour les siècles l’univers des sanctuaires ? Plutôt une
végétation à la luxuriance anarchique.
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4. Les thaumaturges
Le plus souvent, c’était par l’intermédiaire d’objets que le surnaturel
s’invitait dans la vie des hommes : reliques des saints, images et statues
de la Vierge. Mais ce pouvait être aussi, quoique plus rarement, par
le moyen d’un homme bien vivant : le thaumaturge. Jérôme Münzer
et ses compagnons avaient pu en voir un en la personne de François
de Paule. L’ermite de Plessis-lès-Tours avait la faveur des puissants
et à peine était-il mort que les démarches en vue de sa canonisation
commencèrent. Ouvert par Jules II en 1512, le procès aboutit dès 1519.
C’était une exception. Nul sujet du roi de France ne fut élevé à la gloire
des autels au cours de la première moitié du XVIe siècle77. Mais l’absence
de reconnaissance romaine ne signifiait nullement celle de ces hommes
auxquels d’autres hommes attribuaient des pouvoirs merveilleux. Ils
n’étaient pas moins nombreux qu’au temps jadis.
En ces premières années du XVIe siècle les pèlerins se pressaient
sur la tombe de l’évêque d’Angers Jean Michel, mort un demi-siècle
plus tôt. Que Rome n’ait pas reconnu sa sainteté ne changeait rien à
l’affaire : le registre tenu par les chapelains de la cathédrale recensait
quelques 532 miracles advenus entre 1447 et 154578. Le 20 septembre
1541 mourut l’évêque de Rennes Yves Mahyeuc. Le dominicain
jouissait depuis longtemps d’une réputation de saint homme et les
miracles commencèrent immédiatement : lorsqu’on le dévêtit pour le
mettre dans un linceul, on découvrit des croix lumineuses imprimées
sur sa poitrine79. Ce n’était qu’un début et à la cathédrale de Rennes le
tombeau d’Yves Mahyeuc ne tarda pas à devenir un lieu de pèlerinage80.
Un siècle plus tard son souvenir ne s’était pas perdu et son culte était
toujours aussi vivace : lorsqu’en 1637 une enquête préliminaire en vue
de la béatification d’Yves Mahyeuc fut ouverte, plus de soixante-dix
Rennais vinrent faire état de miracles advenus par son intercession81.
Évêque de Rodez, François d’Estaing connut un sort analogue. Lui aussi
mourut en odeur de sainteté, en 1529. Lui aussi fut immédiatement
crédité d’une réputation de thaumaturge, suffisamment tenace pour
qu’au siècle suivant on songeât à porter sa cause à Rome82. On pourrait
donner d’autres exemples83. En vérité, la sainteté épiscopale n’avait pas
déserté les terres du royaume de France en ce début du XVIe siècle.
Il n’y avait pas que les évêques. Fille de Louis XI, éphémère épouse de
Louis XII, Jeanne de France ne gouverna ni ne prêcha. Mais elle fonda
un ordre, l’Annonciade, et y fit profession. C’était en 1504. Lorsqu’elle
mourut, l’année suivante, elle était d’ores et déjà considérée comme une
sainte. Les miracles avaient commencé de son vivant. Ils se multiplièrent
après sa mort, faisant de son tombeau, au couvent de l’Annonciade de
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L’HÉRITAGE
Bourges, un lieu de pèlerinage84. Là encore, malgré l’ouverture d’une
enquête au début du siècle suivant, Jeanne dut attendre plus de quatre
cents ans avant que Rome n’en fasse une sainte85. Mais là n’est pas
l’essentiel et il en était de Jeanne de France comme de François d’Estaing
ou d’Yves Mahyeuc : reconnus ou non par l’Église, ces personnages
étaient tenus pour des saints et leurs tombeaux drainaient des fidèles qui
voyaient en eux des intercesseurs efficaces86.
Au moins avaient-ils attiré l’attention de l’Église et non pas seulement
celle de leurs contemporains. Car combien furent-ils ces thaumaturges
dont nulle source n’a préservé la trace et dont la vie, l’action, le nom
même, ont sombré dans le néant ? Nombreux probablement. Il s’agissait
en général de prédicateurs, des frères mendiants essentiellement. Ils
étaient des milliers à sillonner la France de 1500 pour y porter la bonne
parole. La réputation de la plupart d’entre eux ne dépassait pas les
murs de leur couvent ou de leur ville. D’autres voyaient leur célébrité se
mesurer à l’échelle d’un diocèse ou d’une province. Mais quelques uns
parcouraient le royaume tout entier, prophètes itinérants vénérés à l’égal
de saints87. Et c’est au hasard des textes que, parfois, on apprend que tel
ou tel d’entre eux était crédité du don des miracles. Ce pouvait être un
confrère qui faisait leur éloge, tel le franciscain Michel Menot à Paris en
1518 :
Vous avez vu frère Antoine, frère Richard, frère Jean Tisserand, qui a sauvé
de pauvres filles pénitentes, frère Jean Bourgeois, frère Olivier Maillard, qui
ont fait des miracles, dont la vie et la doctrine étaient approuvées de tous88.
Tous deux franciscains, Jean Bourgeois († 1494) et Olivier Maillard
(† 1502) avaient sillonné le royaume dans la seconde moitié du XVe siècle.
Leur talent oratoire les avait portés aux plus hautes dignités. Le premier
fut confesseur de Charles VIII, le second fut par trois fois vicaire général
de la congrégation de l’Observance. Et tous deux furent crédités du don
des miracles, avant comme après leur mort89.
Plus sûre, mais tout aussi rare, est la trace laissée dans les chroniques
du temps. Comme celle de l’apothicaire marseillais Honorat de Valbelle
qui, à deux reprises, vit des thaumaturges passer par sa ville et en consigna
le récit.
Le vendredi 13 octobre de la même année [1514], arriva au couvent des
Frères Minimes de Marseille un père de cet ordre qu’on appelait Thomas
l’Illyrien, autrement dit le saint homme et le [lacune] ainsi que le dimanche
il fit de longs et bons sermons. Après le sermon, il se mit à faire des miracles
comme il en avait l’habitude partout où il passait. […] Il venait vers les
pauvres infirmes et les borgnes. Il leur traçait le signe de croix sur la tête
et leur disait : « Soyez guéris au nom de Jésus de Nazareth »90.
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Prédicateur et thaumaturge : frère Thomas Illyricus au milieu de ses auditeurs (Thomas
Illyricus, Sermones aurei ac excellentissimi, in alma civitate Tholosana proclamati, Toulouse,
Jean de Guerlins, 1521, Bibliothèque nationale de France).
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L’HÉRITAGE
Thomas Illyricus n’avait rien d’un guérisseur de village. Ce franciscain
originaire de Dalmatie était un véritable prophète itinérant dont les
sermons attiraient les foules. Ils furent des dizaines de milliers à venir
l’écouter durant la grande tournée qu’il entreprit dans le sud-ouest du
royaume en 1518-152291. Charles Parenti était plus obscur. On sait peu
de chose de cet ermite bourguignon. Sa présence est signalée pour la
première fois à Dijon en 1538 : il y prêcha et mit sur pied une maison
destinée aux prostituées repenties. Mais sa renommée de thaumaturge
avait d’ores et déjà atteint la capitale où François Ier l’appela au chevet
du chancelier Poyet, alors gravement malade. Parenti s’y hâta92. On
le retrouve ensuite à Marseille où Honorat de Valbelle put le voir et
l’écouter :
Au mois d’août de la même année [1539], arriva à Marseille un vénérable
révérend nommé Charles de Parenti qu’on disait presque aveugle. Prêtre
et ermite, il demeurait en Bourgogne. Il vint avec quatre montures et on le
logea à la maison des héritiers de Monet Andrieu où il dormit le premier
jour. Le lendemain, il alla à la Major93 voir le chef de saint Lazare et il y
prononça un sermon qu’on loua très fort. Le sermon achevé, plusieurs
pauvres vinrent à lui pour recouvrer la santé. Il les toucha en espérant les
guérir. Plusieurs s’en trouvèrent bien, d’autres non94.
L’année suivante, Parenti était à Troyes dont la population lui fit un
accueil enthousiaste. On se pressait à ses sermons au point qu’il fallait
arriver deux ou trois heures à l’avance pour espérer avoir une place à
l’église. Les notables se disputaient sa présence à leur table, les simples
gens lui faisaient toucher leurs chapelets, embrassaient sa robe quand ils
ne cherchaient pas à en arracher un fragment95. Le thaumaturge resta à
Troyes plusieurs semaines avant de poursuivre sa route. On perd ensuite
sa trace et Parenti retomba dans ce néant documentaire que la plupart de
ses confrères n’ont, malheureusement pour nous, jamais quitté.
Mais après tout, le cas des thaumaturges n’était pas vraiment différent
de celui des sanctuaires. Sur des milliers, seule une poignée a laissé des
traces. Suffisantes toutefois pour entrevoir l’ampleur, la complexité et la
richesse de cet univers dont ils faisaient partie. De sorte qu’à l’aube du
XVIe siècle le royaume de France – mais on pourrait en dire autant de tout
l’Occident96 – offrait le spectacle d’une contrée scintillante de miracles
où la profusion des lieux saints n’avait d’égale que l’enthousiasme des
hommes qui s’y pressaient dans l’espoir de trouver un remède aux
difficultés de la vie.
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Première partie
L’HÉRITAGE
Chapitre I. VOYAGE AU PAYS DES MIRACLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
1. La fragilité de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2. Deux voyageurs dans la France de 1500 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3. Un paysage en perpétuel changement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
4. Les thaumaturges. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Chapitre II. LES CROYANTS ONT LA PAROLE. . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
1. Les écrits du for privé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2. La rareté du miracle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3. Du mot à la chose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
4. La nature du miracle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
5. Signification et valeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Chapitre III. LA CULTURE DU MIRACLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
1. Les saints et leurs miracles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
2. Les miracles de la Vierge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3. De la culture à l’imagination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4. De l’imagination à la croyance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
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LES MIRACLES DANS LA FRANCE DU XVIe SIÈCLE
Chapitre IV. L’ÉGLISE FACE AU MIRACLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
1. Définir et enseigner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
2. Surveiller et réprimer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
3. Contrôler et vérifier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Deuxième partie
TROUBLE DANS LE SURNATUREL
Chapitre V. UNE RÉVOLUTION THÉORIQUE :
LA FIN DES MIRACLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
1. La critique traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
2. Luther ou le renversement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
3. Calvin ou la systématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Chapitre VI. LES ANNÉES DÉCISIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
1. Les chemins incertains de la critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
2. La désacralisation : du rire à l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
3. Réponses catholiques : les mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
4. Réponses catholiques : les choses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
5. 1562 : le crépuscule des idoles ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Chapitre VII. LE DIABLE ET LE BON DIEU. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
1. La jeune fille et le diable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
2. La fabrique du succès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
3. L’épidémie démoniaque ou le diable au service de Dieu . . . . . 169
Chapitre VIII. LE RETOUR DU MIRACLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
1. Quand une aubépine fleurit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
2. L’imprimé au service du miracle : les libelles . . . . . . . . . . . . . 183
3. Réalité, rumeurs et supercheries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
4. La réponse protestante ou les ambiguïtés du providentialisme . 193
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TABLE DES MATIÈRES
Troisième partie
LE RÉENCHANTEMENT DU MONDE
Chapitre IX. LES SANCTUAIRES :
NAISSANCES ET RENAISSANCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
1. Les Ardilliers : la rumeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
2. Les Ardilliers : la polémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
3. Les Ardilliers : l’institutionnalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
4. De l’exemple au modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Chapitre X. CROIRE ET GUÉRIR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
1. L’économie de la souffrance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
2. L’économie du vœu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
3. Au sanctuaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
4. De la parole à la plume . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
5. Culture chrétienne ou culture magique ? . . . . . . . . . . . . . . . . 252
Chapitre XI. LE CONTRÔLE DES MIRACLES
OU LE SURNATUREL COMME ENJEU DE POUVOIR . . . . . . . . . . . . 263
1. La théorie : des décrets tridentins aux conciles provinciaux . . 263
2. L’impossible monopole de l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
3. Modalités et raisons du contrôle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
4. Le champ du surnaturel et ses enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Chapitre XII. LA PERMANENCE D’UNE CULTURE . . . . . . . . . . . . . 283
1. Le miracle au service de la controverse . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
2. Miracle, catéchèse et sainteté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
3. Pour en finir avec le scepticisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
4. Les protestants prisonniers du miracle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
Épilogue. RETOUR AU PAYS DES MIRACLES.
LE VOYAGE DE THOMAS PLATTER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
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LES MIRACLES DANS LA FRANCE DU XVIe SIÈCLE
ANNEXES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323
Annexe I. Enquête sur la guérison de Jean Brandelon
(27 avril 1505) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Annexe II. Affaires de possession démoniaque (1530-1599) . . . . . . . 327
Annexe III. Attestation du miracle advenu à Guillaume Rocquier
(2 août 1616) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
ABRÉVIATIONS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
NOTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337
SOURCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453
Sources manuscrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453
Sources publiées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 455
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475
INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
Index des noms de personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
Index des noms de lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
TABLE DES ILLUSTRATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 519
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