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La lecture lacanienne du Banquet de Platon

2011, Cliniques méditerranéennes

LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON Juan Pablo Lucchelli ERES | « Cliniques méditerranéennes » 2011/2 n° 84 | pages 215 à 227 ISSN 0762-7491 ISBN 9782749214702 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Juan Pablo Lucchelli, « La lecture lacanienne du Banquet de Platon », Cliniques méditerranéennes 2011/2 (n° 84), p. 215-227. DOI 10.3917/cm.084.0215 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2011-2-page-215.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cliniques méditerranéennes, 84-2011 Juan Pablo Lucchelli 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Selon Lacan, le psychanalyste a un antécédent historique : c’est Socrate. Lacan prend appui sur Le banquet de Platon pour montrer que Socrate fait une manœuvre digne d’un analyste, dans la mesure où, lorsque Alcibiade lui déclare son amour, il le renvoie à un autre : Agathon. Socrate « interprète » Alcibiade dans le sens de lui dévoiler l’objet de son désir inconscient. Qu’est-ce que Le banquet de Platon ? Laissons répondre un philosophe : « Le Banquet est donc le récit d’un récit, fait sur la route de Phalère à Athènes par un fidèle disciple de Socrate, Apollodore, à son ami Glaucon, et rapporté par le même Apollodore quelques jours après à plusieurs de ses amis, riches bourgeois qui ne sont pas étrangers aux choses de l’esprit. On a demandé à Apollodore, d’un côté comme de l’autre, le récit, qu’il tient lui-même d’Aristodème, de la fameuse soirée chez Agathon, bien des années auparavant. Que s’est-il dit, demande le premier Glaucon, à cette réunion où Agathon, Socrate et Alcibiade parlèrent avec d’autres des choses de l’amour ? » (Mattéi, 1996, 291-292). Le banquet est, en effet, l’éloge que l’on fait d’Éros, le dieu de l’amour. La plupart des personnages présentés par Platon dans ce dialogue, évoquent à leur manière ce qu’est Éros. Plus précisément, nous avons au total huit personnages : selon quelques commentateurs, quatre expliquent ce que Éros n’est pas (Phèdre, Pausanias, Eryximaque et Aristophane) et quatre encore expliquent ce qu’est Éros (Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade), (Reale, 1997, 23-24). Cela indique déjà une belle asymétrie dans la distribution des personnages de ce dialogue. Il faut soulever d’emblée ce qui est annoncé par Lacan dès le début de son séminaire sur le transfert : « Le secret de Socrate sera derrière tout ce que nous dirons cette année du transfert » (Lacan, 2001, 16). Il ne s’agit donc pas de l’étude érudite d’une œuvre classique, mais l’exemple même de ce qu’est Juan Pablo Lucchelli, Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique, université de Rennes 2, E.A 4050, 98 rue de Vaugirard, F-75006 Paris – [email protected] ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES La lecture lacanienne du Banquet de Platon CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 84-2011 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES le transfert, à la manière de Freud lorsqu’il affirme « l’exemple est la chose même ». Socrate dit ne rien savoir, sauf sur les choses de l’amour. Or, l’amour est au commencement de l’analyse : « Au commencement était l’amour » (Lacan, 2001, 16). Dans la relation analytique il est question d’amour. D’un certain point de vue, le transfert implique nécessairement l’amour au point que, pour Freud, l’amour de transfert est un amour véritable (Freud, 1953, 127). Pour Lacan ce sera l’amour qui imite le transfert et non l’inverse. Lorsqu’il s’agit de l’amour tel qu’il est traité dans Le banquet, il est question, presque en permanence, de la beauté des corps et, à partir de là, des rapports entre aimé (eromenos) et aimant (erastes). L’aimé est celui qui est beau. Par contre, l’aimant se trouve dans une autre position, c’est plutôt celui qui sacrifie quelque chose de son image à partir du moment où il manifeste un manque. De surcroît, l’aimant n’est pas obligé d’être beau, bien au contraire : c’est ainsi que la laideur de Socrate le place naturellement comme étant l’aimant. Cette « dyade » est essentielle à saisir. Mais c’est là où Le Banquet apporte du nouveau, car cette laideur s’avère ne pas être un obstacle à l’amour : c’est la raison pour laquelle le transfert (et l’amour) se différencie de toute « intersubjectivité », au sens où on peut aimer chez l’autre quelque chose d’autre que ce qu’il est. Sur ce point, Lacan affirme quelque chose de curieux : qu’il n’est pas bon d’être beau lorsqu’on est psychanalyste (Lacan, 1998, 322). Et dans le séminaire sur le transfert il est même catégorique : « L’analyse est la seule praxis où le charme soit un inconvénient » (Lacan, 2001, 17). Il s’agit clairement d’un message adressé aux psychanalystes, car le risque qu’ils encourraient ce serait de croire que « c’est pour eux » que le patient tombe sous le charme. La situation analytique est une situation artificielle (« c’est la situation la plus fausse qui soit »), pour la simple raison que l’amour qui naît de la rencontre analytique est à l’opposé de l’amour sexuel « précarisé », caractéristique de nos sociétés (Freud appelle cette situation « le rabaissement de la vie amoureuse »). Ce rabaissement est proscrit dans la situation analytique, ce qui fait que la sexualité, comprise comme « échange sexuel » entre partenaires, manque. Et c’est précisément ce « manque » d’échange sexuel qui vide, qui va à l’encontre du remplissage sexuel moderne. Pour reprendre les termes de Lacan, toujours dans son séminaire sur le transfert, il déclare : « Rompant avec la tradition qui consiste à abstraire, à neutraliser, et à vider de tout son sens ce qui peut être en cause dans le fond de la relation analytique, j’entends partir de l’extrême de ce que suppose le fait de s’isoler avec un autre pour lui apprendre quoi ? – ce qui lui manque » (Lacan, 2001, 25). C’est pour cette raison d’ailleurs que Le banquet est exemplaire, car on voit comment on passe du « sens commun » des dires sur l’amour, surtout avec les premiers quatre personnages, au ratage essentiel de ces dires, à partir du moment où ils répondent à un manque. ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES 216 LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 217 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Mais ce n’est pas tout. Si nous insistons, en suivant Lacan, sur le manque dont il est question dans le sexe c’est parce que c’est à partir d’un certain sacrifice, d’une perte, qu’on peut apprendre ce qui nous manque. Et c’est dans et par le transfert que ce manque adoptera un visage : celui de l’aimant, identifié par Lacan à l’analysant. Ainsi, Lacan affirme : « Situation encore plus redoutable [la situation analytique], si nous songeons justement que de par la nature du transfert, ce qui lui manque, [l’analysant] va l’apprendre en tant qu’aimant » (Lacan, 2001, 25). Nous l’aurons compris : dans la perspective lacanienne, si changement subjectif il y a dans une analyse, il se produit lorsque le sujet passe, mute, d’une position d’aimable (voire d’aimé) à une position d’aimant, à qui il manque forcément quelque chose. Lacan appelle ce changement « métaphore de l’amour ». Nous percevrons d’ailleurs, dans cette perspective de Lacan, quelques résonances de « l’analyse avec fin et analyse sans fin » de Freud, où la fin de l’analyse peut passer par une subjectivation de la castration (Freud, 1985, 266-267). Quant au banquet, nous avons déjà évoqué les huit personnages qui le composent et l’importance majeure des « quatre derniers ». Ajoutons à cela l’intérêt capital qu’aura l’entrée en scène d’Alcibiade (car il transgresse toutes les règles du jeu) et le dialogue qui le confronte à Socrate. Lacan tire profit de cette irruption d’Alcibiade, dans la mesure où il considère que « nous allons le prendre, disons, comme une sorte de compte rendu de séances psychanalytiques. C’est effectivement de quelque chose comme cela qu’il s’agit » (Lacan, 2001, 38). En effet, au milieu des discours sur l’amour, ce que l’on pourrait assimiler à une séance d’analyse comme le signale Lacan dans son séminaire, il apparaît une mise en scène de l’amour : à savoir le couple aimé et aimant 1. Quel est le sens donné par Lacan à ce couple ? Voici les formules : l’aimant (erastes) est celui qui désire (et à qui, donc, il manque quelque chose) ; l’aimé (eromenos), par contre, est celui qui a quelque chose, ce qui le rend désirable. Mais il faut encore une précision : le désir de l’aimant, comme tout désir, est « désir d’autre chose » que l’objet désiré (l’aimé, en l’occurrence) – ce dernier apparaît ainsi comme étant inadéquat, inadéquat à la pulsion. Le banquet est ainsi la mise à nu de cette conjonction entre le désir d’autre chose et l’objet d’amour, par définition, inadéquat. Ce phénomène doit nous servir à comprendre ce qui se passe dans le transfert : d’une part, il y a bel et bien une « répétition » – le transfert peut être conçu comme un phénomène presque automatique, à tel point que Freud a pu le comparer à des « clichés » qui se 1. Nous ne pouvons pas ici ne pas évoquer ce joli commentaire de Freud, quand il compare l’amour du transfert au feu qui éclate pendant une représentation théâtrale, Freud (1953, 127). ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES LA MÉTAPHORE DE L’AMOUR 218 CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 84-2011 répètent, mais dans le même temps, ce n’est pas l’objet du désir qui saurait « causer » cet amour, ce phénomène – inadéquation de l’objet. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Mais pourquoi cette inadéquation de l’objet deviendrait-elle un thème si central dans le transfert ? Pour la simple raison qu’il est le thème psychanalytique par excellence : l’inadéquation foncière entre la pulsion et son objet. Le transfert garde un rapport étroit avec cette question, c’est pourquoi une analyse se fait, pour Lacan, autour du transfert, c’est-à-dire autour, d’une part, d’une identification à l’objet du désir qui soutient la demande et, d’autre part, du « désir de l’analyste » (Lacan, 1973), qui tend à « fracturer » cette identification afin de faire correspondre la demande à l’objet de la pulsion – seule vraie « cause » du transfert. Socrate, dans ce dialogue avec Alcibiade, manœuvre – c’est la thèse de Lacan – la demande de ce dernier vers un autre objet (Agathon) plutôt que l’objet spéculaire désiré, Socrate lui-même, en l’occurrence, puisque c’est lui qui est visé dans la demande d’Alcibiade. C’est Platon le premier à avoir une vision transcendantale de l’amour – soit ce que certains auteurs, comme Halperin, appellent « l’ironie platonicienne » (Halperin, 2005, 23). Cette ironie concernant l’amour rend évident le fait que l’érotique dont il est question n’est nullement sexuelle, au sens physique, mais qu’elle est transcendantale : « L’attirance érotique n’est pas physique [chez Platon], elle est métaphysique : elle se porte sur un objet qui reste insaisissable […]. Les ironies de l’amour sont nombreuses. Mais elles se ramènent toutes à un seul paradoxe : l’objet de l’amour n’est pas ce que tu crois […]. Ce que tu cherches dans l’amour n’est pas ce que tu désires […]. Il n’y a pas d’objet particulier qui corresponde à ton amour » (Halperin, 2005, 23). C’est ainsi que Halperin voit Le banquet comme l’exemple de la transcendance de l’amour, ce qui lui fait dire que dans le rapport d’Alcibiade à Socrate il s’agit d’un « éros mal orienté ». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui, à ceci près que la leçon consiste à dire qu’éros est toujours mal orienté. À tel point que le pari de Lacan ce sera de dire que, dans la psychanalyse et par le transfert, pour une fois, éros pourrait être mieux orienté. Reprenons la question des personnages et du thème ici discuté : quel genre de dieu est Éros ? Les premiers quatre personnages feraient, si l’on peut dire, fausse route : ils disent ce qu’Éros n’est pas vraiment. Autant dire qu’ils passent à côté du dévoilement qui se produira dans les dialogues des quatre derniers personnages : Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade. Si nous lisons un commentateur du Banquet, comme G. Reale, nous apprenons ceci : on ne peut rien comprendre à ce qui se passe dans ce dialogue si nous n’acceptons pas l’existence d’un « jeu de masques » entre les quatre ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES ÉROS MIEUX ORIENTÉ 219 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES principaux personnages (Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade). Plus précisément, il distingue deux moments essentiels à saisir : le premier est le jeu entrecroisé de masques qui se produit entre Socrate, Agathon et Diotime. En effet, après le discours d’Agathon, Socrate commence à l’interroger au sujet d’Éros et de sa supposée beauté, selon les propos tenus par Agathon. Si nous aimons ce qui nous manque et si Éros aime la beauté, donc Éros manque de beauté. De cette manière, Socrate oblige Agathon à reconnaître la contradiction de ses propres arguments. La phrase décisive proférée par Agathon est ainsi la suivante : « Je risque fort, Socrate, d’avoir parlé sans savoir ce que je disais » (201b), ce qui serait une espèce de « mutation subjective » après que ses arguments sur l’amour auraient été réfutés par Socrate. Mais comment Socrate compte arguer l’idée qu’il a de l’amour sans être malpoli avec Agathon ? En effet, la plupart des commentateurs, c’est le cas de Reale 2, avancent l’explication suivante : puisqu’on était chez Agathon pour fêter le prix qu’il avait obtenu le jour précédent au concours d’auteurs tragiques, Socrate ne pouvait pas dire au poète célébré que ce qu’il soutenait sur l’amour n’était que banalités. La plupart des auteurs soutiennent l’idée que c’est pour cela que Platon fait répondre à Diotime à la place de Socrate, afin que ce dernier puisse rester courtois avec Agathon – sauf Lacan. Après le premier moment de tension entre Socrate et Agathon, qui conduira, disionsnous, à cette sorte de « mutation subjective » chez le poète tragique, a lieu le deuxième « jeu de masques » : ainsi, le questionnement que Socrate adresse à Agathon deviendra par la suite, vu que Socrate doit rester cordial avec ce dernier, la réponse donnée par Diotime à Socrate. Par exemple, Socrate semble naïf face à Diotime, mais il ne s’agit, en réalité, que de la naïveté d’Agathon envers Socrate. Ce deuxième jeu entrecroisé pourrait s’écrire comme suit : Agathon : Socrate Socrate Diotime Ce qui veut dire : la naïveté d’Agathon face à Socrate correspond à la naïveté de Socrate face à Diotime ; ou encore : Agathon est à Socrate ce que Socrate est à Diotime 3. Reale écrit : « Socrate […] rapporte au premier plan la confrontation dialectique, en faisant semblant d’être lui-même interpellé par Diotime, exactement de la même manière qu’Agathon a été réfuté par lui : “Elle me réfutait exactement par ces arguments qui m’ont servi à moi pour réfuter Agathon” » (Reale, 1997, 156). Il est ici intéressant de voir en quoi Lacan n’est pas d’accord avec cette interprétation : il n’est pas sûr que Platon n’ait pas eu d’autre choix que d’introduire Diotime, femme et étrangère, pour répondre à Agathon. En 2. Mais aussi de Léon Robin, parmi d’autres. 3. Comme nous l’avons dit, L. Robin soutient la même hypothèse (Robin, 1951). ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 84-2011 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES effet, s’agissant de Platon, il aurait suffi de peu à Socrate pour se débrouiller avec son Agathon : « Une chose est là faite pour nous frapper. Ayant introduit ce que j’ai appelé tout à l’heure le coin de la fonction du manque comme constitutive de la relation d’amour, Socrate parlant en son nom s’en tient là. Et c’est poser une question juste que de se demander pourquoi il se substitue l’autorité de Diotime. Mais aussi cette question, c’est la résoudre à bien peu de frais que de dire que c’est pour ménager l’amour-propre d’Agathon. Si les choses sont comme on nous le dit, Platon n’aurait qu’à faire un tour tout à fait élémentaire de judo […] puisque Agathon dit expressément – Je t’en prie, je ne savais pas ce que je disais, mon discours est ailleurs. Mais ce n’est pas tant Agathon qui est en difficulté, que Socrate lui-même » (Lacan, 2001, 142). La question est donc complexe, aussi pour Socrate : disons que son propre savoir touche à une limite et c’est lorsqu’il y a une limite au savoir cohérent (épistémè), qu’on passe la main à Diotime et qu’apparaît le mythe de la naissance d’Éros comme seule réponse aux élucubrations des différents personnages sur le dieu de l’Amour. Là où le savoir dialectique de Socrate fait défaut, le mythe raconté par une femme vient à y suppléer. Est-ce que pour parler de l’amour il faut laisser la parole à une femme, qui plus est une étrangère ? Ce qui importe, ne l’escamotons pas, est « le point sur lequel a porté sa question [celle de Socrate] » (Lacan, 2001, 143). La clé se trouve en effet dans le déplacement que produit Socrate lorsqu’il accentue, non la place de l’aimé (eromenos), mais celle de l’aimant (erastes). De cette manière, c’est bel et bien l’aimant qui peut témoigner du manque dans l’amour, et nullement l’aimé. Lacan ponctue le changement qui se produit dans le texte, où Socrate passe de l’amour au désir, lorsqu’il dialogue avec Agathon 4. Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire valoir l’existence d’une distinction lacanienne (par exemple, celle de la demande et du désir) dans le texte platonicien ! Il s’agit de pointer le fait que l’accent se déplace et passe de l’amour, qui concerne surtout l’aimé, au désir, qui implique notamment la position de l’aimant (erastes). Cette introduction, « un peu rapide » selon Lacan, faite par Socrate lorsqu’il évoque le désir à la place de l’amour, est possible grâce à la méthode socratique (il s’agit, naturellement, de la dialectique socratique) que l’on pourrait comparer à une sorte d’« association libre ». LE MYTHE AU FÉMININ Mattéi, dans l’ouvrage sur Platon ici cité, indique d’emblée ce dont il est question avec l’entrée en scène de Diotime : « Quelle que soit la séduction du mythe orphique d’Aristophane, que bien des lecteurs retiendront 4. En effet, on passe du mot « βουλοµαι », vouloir, souhaiter, au mot « επιτυµια » désirer [200a]. ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES 220 221 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES de préférence au discours de Diotime, la thèse de l’unité originelle perdue ne révèle pas l’enseignement essentiel de Platon » (Mattéi, 1996, 288). En effet, la théorie de l’amour défendue par Platon est à l’opposé de la « stérilité » du mythe raconté par Aristophane, qui réduit l’amour à une simple question spéculaire : « La stérilité de cette conception spéculaire d’êtres sphériques absorbés dans leur propre image est soulignée par Diotime qui montre par contraste de quelle façon l’amour véritable donne un sens à l’existence mortelle » (Mattéi, 1996, 288). Lacan affirme, comme les autres commentateurs, qu’il y a une continuité entre le discours de Diotime et celui de Socrate, au point que Socrate dit utiliser les mêmes arguments avec Agathon que Diotime jadis avec lui-même ; mais à la différence des autres, il avance qu’il y a une rupture entre ces deux discours à partir du moment où Socrate fait appel à une femme pour lui faire dire ce que c’est que l’amour. Mattéi, comme Lacan, soulève ce point essentiel : Platon introduit une femme dans un dialogue où on traite de l’amour, pour l’essentiel homosexuel, comme nous le constatons en suivant les premiers orateurs. En effet, non seulement Socrate critique ces orateurs, ce que personne n’avait osé faire, mais de plus il fait venir une femme étrangère et magicienne ! C’est d’autant plus étonnant qu’un des premiers gestes avant de commencer le dialogue avait été de congédier les femmes : « Alors, puisque, dit Eryximaque, il est entendu de ne boire qu’autant qu’il plaira à chacun, mais sans rien d’imposé, j’introduis une motion additionnelle : c’est de donner congé à la joueuse de flûte, qui tout à l’heure est entrée ici, et de l’envoyer jouer de la flûte pour elle-même, ou, si elle veut, pour les femmes de la maison [176e] » (Platon, 1951). Mais ce n’est pas tout : il y a encore une autre femme qui sera introduite dans le récit, comme le signalent Lacan (2001) et Mattéi (1996). Le mythe de la naissance d’Éros est le suivant : lors des fêtes de la naissance d’Aphrodite, le dieu Poros, que l’on peut traduire par Ressource, s’endort, ivre. Pénia, qu’on peut traduire par la Pauvreté, une mortelle, qui n’était pas invitée à la fête, profite de cette situation pour se faire engrosser par lui. De cette union naît Éros. Il y a bel et bien un parallèle entre Diotime, qui n’était pas conviée au banquet d’Agathon et Pénia, qui n’était pas non plus invitée à la fête des dieux : « Or, quand ils eurent dîné, comme ils avaient fait bombance, survient Pauvreté [Pénia] dans le dessein de mendier, et elle se tenait contre la porte [202b] » (Platon, 1951). Les femmes n’ont droit de cité ni chez les dieux, ni chez les hommes. Le parallèle entre Diotime et Pénia s’arrête là, mais on comprend encore mieux pourquoi Lacan ne considère pas l’intervention de Diotime comme un simple procédé stylistique de Platon : les femmes viennent gâcher la fête, dans le cas de Pénia en tant que demandeuse, le « manque » personnifié ; dans celui de Diotime, en tant que celle qui sait, ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 84-2011 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES donc celle qui « a » quelque chose et qui vient combler le vide laissé par les discours des hommes, Socrate compris ! Dans le mythe raconté par Diotime, on voit bien qu’Éros est le produit de l’union du « manque » et de la « ressource », d’un immortel et d’une mortelle. C’est ce qui fait dire à Diotime qu’Éros est un intermédiaire (µεταζυ). Lacan souligne encore autre chose : la femme ainsi introduite dans l’histoire est « pauvre » et personnifie le « manque », mais dans le même temps, c’est parce qu’elle manque de tout qu’elle désire. On comprend mieux la fameuse expression de Lacan selon laquelle « aimer c’est donner ce que l’on n’a pas » (Lacan, 2001), qui a d’ailleurs son antécédent historique dans une partie du dialogue ici commenté (« car on ne peut donner ce qu’on n’a pas ») 5. En effet, « Aimer c’est donner ce qu’on n’a pas », dira Lacan : cette formule qui peut passer pour poétique est, en réalité, d’une écrasante quotidienneté. Ouvrons une petite parenthèse avec cet exemple : une mère, qui dit avoir eu une vie difficile, parle de sa fille en disant « je veux lui donner tout ce que je n’ai jamais eu ». Voilà le désir inconscient dans sa dépendance à la parole : cette mère désire pour sa fille autre chose que ce qu’elle a – elle désire justement ce qu’elle n’a jamais eu. Cela peut paraître paradoxal car, comment peut-on donner ce qu’on n’a pas ? Ce qu’on n’a jamais eu ? Mais on n’a pas besoin d’avoir pour donner – et encore moins pour désirer, bien au contraire : moins on a eu, plus on désire, et plus on peut donner ce que l’on fait exister à la place du manque. Revenons sur Diotime. C’est aussi elle, dans le mythe raconté, qui a le rôle actif. Lacan précise à ce propos : « Voilà donc les choses dites clairement – c’est le masculin qui est désirable, c’est le féminin qui est actif. » Cela est important, car d’habitude on situe les choses inversement : c’est d’ailleurs Freud qui a le plus mis en rapport la libido avec la masculinité et l’activité et la féminité avec la passivité. Lacan relève aussi qu’il y a entre deux perspectives paradoxales quant au savoir et à l’amour deux positions qui sont manifestes dans le dialogue. D’une part, celle déjà soulignée, de Socrate qui ne sait rien sauf sur les choses de l’amour et, d’autre part, le point de vue de Diotime qui, ne se plaçant pas dans la recherche du savoir socratique tel que l’épistémè, en sait beaucoup sur ce dont il s’agit dans l’amour. Il y a donc une zone de non-savoir impliquée dans l’amour : Socrate trouve une limite à son savoir, il doit faire parler Diotime, dans une vraie mise entre parenthèses de sa dialectique habituelle. Masculin et féminin, savoir et non-savoir se trouvent inversés. 5. Selon la traduction de Ph. Jaccottet, Le banquet, Librairie générale française, Paris, 1991, p. 78. Nous nous permettons de signaler une erreur dans l’édition du séminaire Le transfert établie par J.-A. Miller (op. cit., p. 150), car on lit que c’est dans l’indice « 202a » qu’on peut lire cette formule, alors que c’est dans « 196e » qu’on la retrouve. ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES 222 LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 223 Nous abordons maintenant ce que certains commentateurs appellent la « troisième partie » du dialogue : il s’agit de l’entrée en scène d’Alcibiade. En effet, avec son entrée il y a une espèce de mise en acte de ce qui avait été dit sur l’amour lors du banquet. On met un peu de chair dans la chose. Tout d’abord, Alcibiade arrive ivre au banquet, il vient pour célébrer la victoire d’Agathon, obtenue la veille. Il est alcoolisé et passablement désinhibé. Il s’allonge à côté d’Agathon, sans savoir qu’en faisant de la sorte, il se couchait entre Agathon et Socrate, qui se trouvait déjà là. Cela est important, car le thème du Banquet c’est Éros, non un dieu mais un démon intermédiaire, au milieu des opposés. Ainsi, remarque Lacan, Alcibiade se place « au point où nous en sommes », c’est-à-dire « au milieu du débat entre celui qui sait et, sachant, montre qu’il doit parler sans savoir [Socrate] et celui qui, ne sachant pas, a parlé sans doute comme un sansonnet [Agathon] » (Lacan, 2001, 163) 6. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES ENTRE SOCRATE ET ALCIBIADE Au début de notre travail, nous avons traité de ce que Lacan appelle « la métaphore de l’amour », à savoir que là où il y avait l’aimé (eromenos), maintenant nous avons un aimant (erastes). L’aimé devient l’aimant. Pourquoi Lacan parle-t-il de « métaphore » ? Parce qu’il y a substitution de l’un par l’autre. Mais il faut savoir que cette substitution indique surtout une mutation, un changement assez radical de position subjective, car l’aimé qui « avait tout » pour être aimable se déclare tout à coup comme aimant, désirant, manquant de quelque chose. Dans son langage, la mise en place de ce désir, Lacan l’appelle « la demande ». Tout ce que Lacan élabore sur le passage de l’avoir à l’être est en rapport avec ledit changement, ladite « mutation ». Parler de « métaphore de l’amour » implique aussi un sacrifice : non seulement le sujet n’« a » plus ce qu’il avait mais, de plus, ce qu’il « est » est amputé de l’objet du désir par lui recherché, puisque manquant. Mais que dire de plus au sujet de cette métaphore, de cette transformation qui affecte le Moi ? Comment s’explique ce changement ? Pourquoi celui qui est très à l’aise dans son « avoir » deviendrait-il, tout à coup, manquant de quelque chose ? Ce type de mutation n’est pas nouveau en psychanalyse, car Freud le décrivait déjà dans « Psychologie des masses et analyse du moi », lorsqu’il évoque ce « troisième mode d’identification », où l’objet qui était l’objet d’amour devient « objet d’identification » (Freud, 1981, 169). 6. L. Robin écrit à ce propos : « “L’ironie”, admiration simulée à l’égard de ceux qui croient savoir et réellement ne savent pas », Robin (1951), p. CV. ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES L’ENTRÉE D’ALCIBIADE 224 CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 84-2011 L’objet d’amour est mis à la place de l’idéal du Moi. Cette formule (« l’objet d’amour devient objet d’identification ») traverse tout le séminaire de Lacan sur Les formations de l’inconscient Lacan (1998) : c’est parce qu’il y a une telle identification, due à une mutation qui s’est opérée chez le sujet, que l’enfant incorpore l’ordre symbolique et sort de l’œdipe pourvu d’un « idéal du Moi ». L’enfant, identifié au départ à l’objet qui manque à la mère (le phallus) accepte le sacrifice de ne plus occuper cette place, en échange d’une promesse : l’idéal du Moi incarné par le père. Qu’on soit d’accord ou non avec cette description, elle montre bien ce que Lacan appelle « identification symbolique », laquelle identification implique une mutation radicale chez l’enfant. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Alcibiade affirme être l’aimé de Socrate – ce que ce dernier ne nie pas. Par contre, Socrate refuse de se déclarer à Alcibiade comme étant son aimant, celui qui le désire (ce qui traduirait un manque chez Socrate). Bref : Alcibiade demande un signe. Le pivot de cette partie du banquet se trouve dans ce refus, ce qui produira une nouvelle inflexion dans le dialogue. Jacques-Alain Miller explicite ce point de la manière suivante : « On peut dire que la lecture de Lacan, sur ce point [donc la fameuse “métaphore de l’amour”] c’est ce sur quoi Alcibiade, à la fin du banquet va buter, à savoir : pourquoi Socrate, son erômenos, Socrate qui est celui que lui, Alcibiade, aime, pourquoi se refuse-t-il à se manifester comme erastes à son égard, pourquoi se refuse-t-il à la métaphore de l’amour ? C’est ce refus de Socrate à l’endroit de la métaphore de l’amour qui permet à Lacan de voir en lui une anticipation du psychanalyste » (Miller, 1991, 219). On pourrait compléter cette idée en arguant que c’est aussi ce refus de Socrate qui lui donne du « prestige » aux yeux d’Alcibiade. Socrate apparaît comme l’objet désiré qui cache (et donc « a ») quelque chose, à partir du moment où il n’accepte pas de devenir effectivement l’aimé d’Alcibiade. Pourquoi ? Parce qu’en acceptant (comme aimé) la demande d’amour d’Alcibiade il risquerait, du même coup, de devenir désirant. Comme l’indique Jacques-Alain Miller, le séminaire sur le Transfert inverse la perspective habituelle : normalement, on ne supporterait pas de devenir aimant, de déclarer sa flamme à l’autre, de se manifester comme désirant, manquant de quelque chose. Au contraire, dans le séminaire en question, est amorcée une autre éthique : ce serait une « chute » que de consentir à devenir l’aimé, d’être l’objet du désir de l’autre. Paradoxe donc. Le psychanalyste désire à contrecourant de ce que l’on suppose le désir habituel des hommes, soit un désir de reconnaissance. ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES LA MANŒUVRE DE SOCRATE 225 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES Au point où nous sommes arrivés, une question semble s’imposer : comment se fait-il que le résultat du refus de la métaphore de l’amour se traduise par un gain de prestige pour le personnage de Socrate ? Voici notre réponse : Socrate se manifeste auprès d’Alcibiade comme étant un désirant, mais nullement le désirant d’Alcibiade. C’est pour cette raison que JacquesAlain Miller stipule que c’est « à partir du manque à être [qu’] on peut devenir aimé, erômenos », et le résultat est une sorte de « deuxième métaphore de l’amour […] exactement inverse à la première » (Miller, 1991, 219). Dans cette perspective on peut lire la phrase de Lacan, hermétique comme d’habitude, quand il parle de Socrate : « Plus il désire, plus il devient désirable. » Socrate, non seulement est habité par un désir de savoir mais, de plus, c’est pour cela qu’il donne l’apparence de savoir (et d’avoir) ce dont l’autre manque : s’il sait ce dont l’autre manque, c’est comme s’il l’avait [mais à suivre Lacan, il renvoie Alcibiade « à ses oignons » !]. Mais dans le texte, la situation est plus compliquée : Socrate refuse à être l’aimé d’Alcibiade, au point qu’il demande à Agathon de le défendre de la jalousie d’Alcibiade. Bref : Socrate se dérobe lui-même comme objet possible de l’échange amoureux, et c’est pour cela qu’il pourra donner cette sorte d’interprétation à Alcibiade : ce n’est point moi que tu aimes, mais Agathon. C’est grâce à cette manœuvre sur les dires d’Alcibiade que Socrate peut être considéré comme un antécédent historique du psychanalyste (ou, pour le dire à la manière de Borges, c’est la psychanalyse qui devient un antécédent historique de Socrate). S’agit-il donc du contre-transfert de Socrate ou est-ce plutôt le fait qu’il sait manœuvrer le transfert d’Alcibiade ? Il y a assurément plus qu’une « interprétation du et de transfert » (Chervet, 2004), il y a plutôt, à notre sens, interprétation « dans le transfert », c’est-à-dire à travers et grâce à l’installation d’un transfert « favorable » – soit l’amour d’Alcibiade pour Socrate. Lacan, on le sait, a pris parti très tôt contre l’interprétation « du transfert » qui enferme la cure dans un rapport imaginaire sans issue (Lacan, 1975). En se refusant, Socrate intrigue Alcibiade, mais qu’est-ce qu’il « a » vraiment, Socrate ? Rien du tout : et c’est ce « rien » qui le constitue comme désirable. Mais attention : ce n’est pas parce qu’il se manifeste en ne manifestant pas son désir, c’est-à-dire à l’inverse de la réciprocité imaginaire la plus élémentaire de l’échange amoureux, que Socrate est désirant. Ce qui le constitue comme désirant, c’est qu’il désire autre chose que l’objet désirable incarné par Alcibiade. C’est ce dernier désir que Lacan va appeler « désir de l’analyste ». ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 226 CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 84-2011 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES CHERVET, B. 2004. « L’interprétation du transfert, une dialectique », dans « Débats de psychanalyse », Revue française de psychanalyse, 2004, 7-19. FREUD, S. 1953. « Observations sur l’amour de transfert », dans La technique psychanalytique, Paris, PUF, 127. 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ROBIN, L. 1950. « Notice », dans Le Banquet, Paris, Gallimard. STRACHEY, J. 1970. « La nature de l’action thérapeutique de la psychanalyse », Revue française de psychanalyse, 2, 255-284. Résumé Dans son séminaire sur le transfert, Lacan étudie Le banquet de Platon. Dans ce séminaire, il stipule que le psychanalyste a un antécédent historique : c’est Socrate. Lacan prouve que dans ledit dialogue, Socrate fait une manœuvre digne d’un analyste, dans la mesure où, lorsque Alcibiade lui déclare son amour, il le renvoie à un autre : Agathon. Socrate « interprète » Alcibiade, dans le sens de lui dévoiler l’objet de son désir inconscient. L’intérêt de cette perspective c’est que le transfert n’est pas considéré dans le sens de la relation intersubjective, ce qui renforcerait selon Lacan la confrontation imaginaire, mais plutôt dans le sens de sa détermination symbolique. Malgré cela, il y a bel et bien interprétation du transfert ou, pour être plus précis, interprétation dans le transfert. C’est à partir de cette manœuvre que Lacan a pu inventer la notion de « désir de l’analyste ». Mots-clés Lacan, Freud, transfert, amour de transfert, interprétation, désir de l’analyste. ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES BIBLIOGRAPHIE LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 227 Summary In his seminar on transference Lacan examines Plato’s Symposium, arguing that the psychoanalyst finds a historical antecedent in Socrates. Lacan shows how, in a stratagem worthy of an analyst, the Socrates of the Symposium turns Alcibiades’ declaration of love towards another (Agathon). In a certain sense, Socrates serves to “interpret” Alcibiades, insofar as he unveils to Alcibiades the object of Alcibiades’ unconscious desire. The interest of this perspective is that the transfer is not considered in the sense that it is an intersubjective or interpersonal relationship (which would, according to Lacan, reinforce the imaginary confrontation), but is rather considered in the sense of its symbolic determination Nonetheless, there is indeed an interpretation of the transfer – or rather, there is interpretation in the transfer. From this manoeuvre, Lacan was able to invent the notion of “the analyst’s desire”, even though it remains to be seen what relations might possibly obtain between this notion and that of countertransference. Keywords Lacan, Freud, transference, the love of transference, interpretation. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES ́ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.190.17.86 - 31/01/2016 11h16. © ERES THE LACANIAN READING OF PLATO’S SYMPOSIUM