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La parenté du 'Sangiovese

Résumé En 2002, l'analyse des microsatellites, les marqueurs de choix pour le test de paternité par ADN, a permis de découvrir un lien génétique de type parent/enfant entre le 'Sangiovese', le cépage rouge le plus répandu en Italie, et le 'Ciliegiolo', un ancien cépage de la Toscane. Il n'avait cependant pas été possible de déterminer qui était le père et qui était le fils. Nous avons alors testé les deux hypothèses possibles : le 'Sangiovese' comme père, puis comme fils du 'Ciliegiolo', en recherchant dans notre vaste base de données (ca. 2000 génotypes) l'autre parent possible. En testant le 'Sangiovese' comme père du 'Ciliegiolo', nous n'avons pas trouvé de candidat. En testant le 'Ciliegiolo' comme père du 'Sangiovese', nous avons trouvé quatre candidats possibles. Après l'analyse de 50 microsatellites, un seul cépage a résisté au test de paternité et nous avons établi avec un support statistique...

Vouillamoz et al. : ‘ Sangiovese’ = ‘ Ciliegiolo’ x ‘ Calabrese di Montenuovo’ La parenté du ‘Sangiovese’ J. F. Vouillamoza*, A. Monacob, L. Costantinia, M. Stefaninia, A. Scienzac, M. S. Grandoa a IASMA Research Centre, Genetics and Molecular Biology Department Via E. Mach, 1, 38010 San Michele all’Adige (TN), ITALY b Dipartimento di Arboricoltura, Botanica e Patologia Vegetale, Università Federico II, Via Università 100, 80055 Portici (NA), ITALY c Dipartimento di Produzione Vegetale, Sezione Coltivazioni Arboree, Università degli Studi di Milano,Via Celoria 2, 20133 Milano, ITALY Mots-clés : parenté, microsatellite, Italie, cépage, Vitis vinifera Auteur pour la correspondance: José Vouillamoz, Ph. D. University of Neuchâtel National Centre of Competence in Research "Plant Survival" Rue Emile Argand 11 Case postale 158 CH - 2009 Neuchâtel, Switzerland e-mail: [email protected] tel +41 (0)27 3227165, fax +41 (0)32 718 2501 Résumé En 2002, l’analyse des microsatellites, les marqueurs de choix pour le test de paternité par ADN, a permis de découvrir un lien génétique de type parent/enfant entre le ‘Sangiovese’, le cépage rouge le plus répandu en Italie, et le ‘Ciliegiolo’, un ancien cépage de la Toscane. Il n’avait cependant pas été possible de déterminer qui était le père et qui était le fils. Nous avons alors testé les deux hypothèses possibles : le ‘Sangiovese’ comme père, puis comme fils du ‘Ciliegiolo’, en recherchant dans notre vaste base de données (ca. 2000 génotypes) l’autre parent possible. En testant le ‘Sangiovese’ comme père du ‘Ciliegiolo’, nous n’avons pas trouvé de candidat. En testant le ‘Ciliegiolo’ comme père du ‘Sangiovese’, nous avons trouvé quatre candidats possibles. Après l’analyse de 50 microsatellites, un seul cépage a résisté au test de paternité et nous avons établi avec un support statistique très élevé que le ‘Sangiovese’ est issu d’un croisement naturel entre le ‘Ciliegiolo’ et le ‘Calabrese di Montenuovo’, un cépage inconnu que nous avons trouvé en Campanie (Italie). Ce cépage n’a pas de nom officiel et a très probablement été introduit de la Calabre. Afin de déterminer son identité ampélographique, nous avons analysé 194 cépages locaux supplémentaires provenant de la Calabre, de la Campanie, de la Toscane, etc., mais nous n’avons pas trouvé de variété correspondante. Par conséquent, nous proposons d’adopter officiellement le nom de ‘Calabrese di Montenuovo’ pour ce cépage. En outre, nous avons trouvé en Calabre plusieurs parents du ‘Sangiovese’ et du ‘Calabrese di Montenuovo’, ce qui suggère fortement que ce dernier soit bel et bien originaire de la Calabre et que le ‘Sangiovese’ ait des ancêtres et/ou des descendants aussi bien en Toscane qu’en Calabre. 1 Vouillamoz et al. : ‘ Sangiovese’ = ‘ Ciliegiolo’ x ‘ Calabrese di Montenuovo’ Introduction Le ‘Sangiovese’ est le cépage rouge le plus répandu en Italie (ca. 85’000 hectares), où il est cultivé dans presque toutes les régions (sauf en Vallée d’Aoste, au Trentin-Haut Adige et dans les Frioules). En Toscane, son terroir de prédilection, le ‘Sangiovese’ produit les célèbres vins de Brunello de Montalcino et du Chianti. La première mention écrite du ‘Sangiovese’ remonte très probablement à Giovanvettorio Soderini (1590), un gentilhomme de Florence qui mettait en garde les lecteurs de son traité en avertissant : « gardes-toi du Sangiogheto, qui croit en faire du vin en fait du vinaigre ». Il ajoutait cependant que ce cépage donnait régulièrement une grande quantité de vin. Le nom de ‘Sangiogheto’ est effectivement un des plus anciens synonymes du ‘Sangiovese’, qu’on appelle également ‘Sangioveto’, ‘Prugnolo Gentile’, ‘Brunello’ ou encore ‘Morellino’ en Toscane, ‘Nielluccio’ ou ‘Niella’ en Corse, ‘Uva Abruzzi’ ou ‘Tuccanese’ dans le Sud de l’Italie, etc. On admet depuis longtemps des origines toscanes pour le ‘Sangiovese’, et on dit même souvent qu’il était déjà cultivé par les Étrusques. Certains ont même émis l’hypothèse que le ‘Sangiovese’ aurait été domestiqué à partir des vignes sauvages de Toscane. Grâce au test ADN, nous pouvons aujourd’hui mieux comprendre les liens génétiques entre les cépages (Sefc et al. 2001). Le test consiste dans l’examen de régions particulières des chromosomes appelées "microsatellites", des morceaux d’ADN dont la taille varie d’un cépage à l’autre, permettant ainsi l’identification des individus. Ces marqueurs moléculaires suivent les lois de l’hérédité : chaque microsatellite a deux valeurs appelées des "allèles" (un par chromosome), un allèle provenant du père et l’autre de la mère. Par conséquent, un fils doit forcément partager au moins un allèle avec chaque parent, ce qui permet la reconstruction des pedigrees. Grâce à cette technique des parentés insoupçonnées ont été découvertes. En ce qui concerne le ‘Sangiovese’, Crespan et al. (2002) ont trouvé qu’il partage au moins un allèle à chaque microsatellite (sur les 22 analysés) avec le ‘Ciliegiolo’, ce qui constitue une condition sine qua non pour avoir un lien de type parent/enfant. Le ‘Ciliegiolo’ est une ancienne variété toscane probablement aussi citée par Soderini (1590) sous le nom ‘Ciregiuolo’ ou ‘Cireguoli’. En outre, Crespan et al. (2002) rapportent que quelques auteurs soutiennent que le ‘Ciliegiolo’ aurait été introduit d’Espagne autour de 1870. Le ‘Ciliegiolo’ est aujourd’hui cultivé dans 14 régions d’Italie et est souvent assemblé au ‘Sangiovese’ dans les vins de Chianti. Cependant, en l’absence de l’autre parent, Crespan et al. (2002) ne pouvaient pas dire si le ‘Sangiovese’ est le père ou le fils du ‘Ciliegiolo’, simplement parce que l’âge des cépages traditionnels est inconnu. En outre, Vouillamoz et al. (2006) ont montré qu’au moins 50-60 microsatellites sont nécessaires pour valider un lien génétique de type parent/enfant en l’absence de l’autre parent. Pour la présente étude, une recherche exhaustive dans notre base de données privée qui contient les génotypes microsatellites de près de 2000 cépages du monde entier (y-compris plus de 500 d’Italie) et l’analyse de 50 microsatellites ont permis de découvrir la parenté du ‘Sangiovese’. Matériels et méthodes Les détails sur le matériel végétal, la base de données, l’analyse microsatellite et les calculs de probabilités se trouvent dans Vouillamoz et al. (2007). Pour la présente étude, 194 cépages (n=160 de Calabre, n=25 de Campanie, n=6 de Toscane, n=2 de Basilicata et n=1 des Pouilles) ont été analysés à 10 microsatellites (VVMD5, VVMD7, VVMD24, VVMD27, VVMD28, VVMD31, VVMD32, VVS2, VrZAG62, VrZAG79). Tous les échantillons de la Calabre proviennent de la collection privée de la cave Librandi (Ciró Marine, Krotone, 2 Vouillamoz et al. : ‘ Sangiovese’ = ‘ Ciliegiolo’ x ‘ Calabrese di Montenuovo’ Calabre). Comme la collection est en phase de caractérisation, les échantillons furent analysés "à l’aveugle" (numérotés). Les autres échantillons proviennent directement des vignobles, la plupart d’entre eux n’ayant que des noms locaux de fantaisie. Le ‘Sangiovese’, le ‘Ciliegiolo’, ainsi que tous les cépages candidats à la parenté ont été analysés à 40 microsatellites supplémentaires (Tableau 1). Résultats et discussion ‘Sangiovese’ = ‘Ciliegiolo’ × ‘Calabrese di Montenuovo’ Le ‘Sangiovese’ et le ‘Ciliegiolo’ partagent au moins un allèle à chaque microsatellite, il est donc possible de connaître la moitié du génotype que doit avoir l’autre parent inconnu. Avec 10 microsatellites, nous avons testé le ‘Sangiovese’ comme père du ‘Ciliegiolo’, et nous n’avons trouvé aucun cépage qui pourrait être l’autre parent. Avec le ‘Ciliegiolo’ comme père du ‘Sangiovese’ , nous avons trouvé quatre candidats que nous avons ensuite analysés à un total de 32 microsatellites (les premiers 32 dans le Tableau 1), comme cela se fait généralement pour les analyses de parentés (Sefc et al. 2001). Les trois premiers candidats ont été exclus car à 5 ou 6 microsatellites, ils ne partageaient pas au moins un allèle avec le ‘Sangiovese’. Seul le cépage appelé ‘Calabrese di Montenuovo’, analysé par Costantini et al. (2005), partageait au moins un allèle à chaque microsatellite avec le ‘Sangiovese’, suggérant ainsi fortement un lien de type parent/enfant. Afin d’avoir une certitude statistique très élevée, nous avons examiné cette parenté avec 50 microsatellites (Tableau 1), un nombre nettement plus élevé que la majorité des autres études, et la parenté est restée fortement soutenue à 49 sur 50 microsatellites. Une seule discordance a été observée (Tableau 1). Comme nous l’avons déjà démontré dans un travail précédent (Vouillamoz et al. 2003), un tel cas peut s’expliquer simplement par une mutation somatique dans le ‘Sangiovese’. En outre, un niveau de discordance de 2% est assez commun dans les analyses de parentés (Jones et Ardren 2003). Nos travaux démontrent ainsi que le ‘Sangiovese’ est issu d’un croisement naturel entre le ‘Ciliegiolo’ et le ‘Calabrese di Montenuovo’. Les calculs de probabilités soutiennent très fortement la parenté découverte : il est 2.81x1037 fois plus probable qui le ‘Sangiovese’ soit issu d’un croisement entre le ‘Ciliegiolo’ et le ‘Calabrese di Montenuovo’ plutôt qu’entre deux autres cépages (Vouillamoz et al. 2007). En d’autres termes, il y a une possibilité sur 2.81x1037 pour que cette parenté soit fausse ! Toujours est-il que l’identité ampélographique du ‘Calabrese di Montenuovo’ demeure inconnue... Sur les traces du ‘Calabrese di Montenuovo’ ‘Calabrese di Montenuovo’ n’est pas un nom de cépage officiellement enregistré. Son profil ADN ne correspond à aucune variété dans notre banque de données. De fait, le ‘Calabrese di Montenuovo’ n’est pas identique au ‘Nero d’Avola’ de la Sicile, un cépage qui est souvent appelée ‘Calabrese’, ni aux nombreuses variétés italiennes ayant un nom composé de "Calabrese" suivi d’un épithète. En réalité, le ‘Calabrese di Montenuovo’ a été échantillonné "fortuitement" par Antonella Monaco pour une étude des cépages de la Campanie (Costantini et al. 2005). Ce cépage, dont il ne restait qu’une douzaine de plantes, est appelé localement ‘Calabrese di Montenuovo’ tout simplement parce que la vigne est située sur la colline de Montenuovo près de Naples et que les fondateurs de la cave sont venus de Calabre. Ce cépage-clé étant en danger d’extinction, nous l’avons multiplié dans notre collection ampélographique de IASMA. Pour remonter la trace du ‘Calabrese di Montenuovo’ afin de pouvoir déterminer son identité 3 Vouillamoz et al. : ‘ Sangiovese’ = ‘ Ciliegiolo’ x ‘ Calabrese di Montenuovo’ Tableau 1. Profils ADN à 50 microsatellites. La parenté ‘Sangiovese’ = ‘Ciliegiolo’ × ‘Calabrese di Montenuovo’ est démontrée à 49 sur 50 microsatellites. L’unique discordance a été observée en VMC5H2 (allèle en gras). Le cépage de la Calabre nommé “Negrello-39” (sans nom officiel) partage au moins un allèle à chaque microsatellite avec le ‘Sangiovese’, suggérant ainsi fortement qu’il soit un fils du ‘Sangiovese’. Microsat. Ciliegiolo Sangiovese VVMD5 VVMD6 VVMD7 VVMD8 VVMD17 VVMD21 VVMD24 VVMD25 VVMD26 VVMD27 VVMD28 VVMD31 VVMD32 VVMD34 VVMD36 VVS2 VVS4 VVS29 VMC1B11 VMC1C10 VMC1E8 VMC2A5 VMC2B3 VMC2B11 VMC2E7 VMC2F10 VMC2H4 VMC3D12 VMC4C6 VMC5A1 VMC5C5 VMC5G8 VMC5H2 VMC5H5 VMC6E1 VMC6E10 VMC6G1 VMC8D1 VMC8F10 VMC8G6 VMC8G9 VMC9B5 VMC16F3 VrZAG21 VrZAG62 VrZAG64 VrZAG67 VrZAG79 VrZAG83 VrZAG93 236-226 214-212 263-247 143-135 222-212 266-243 219-216 245-245 251-249 181-179 247-237 216-212 253-253 240-240 264-244 133-133 175-168 171-171 184-166 142-142 230-208 171-157 188-180 176-172 160-154 93-93 218-202 205-199 163-163 171-169 120-116 317-309 194-194 188-176 141-139 115-113 178-178 219-209 233-197 161-155 171-171 246-234 183-175 202-190 205-195 143-141 155-126 259-245 185-173 189-175 236-226 212-194 263-239 147-143 221-212 249-243 216-210 245-245 249-249 185-179 247-237 212-212 257-253 240-240 264-264 133-133 168-168 171-171 166-166 142-142 222-208 157-157 188-180 182-176 160-158 93-89 218-218 205-205 163-157 171-169 116-116 309-309 209-194 194-176 165-141 115-91 198-178 219-209 233-197 155-155 195-171 262-234 177-175 204-202 197-195 141-139 155-132 259-243 191-173 199-189 Calabrese di Montenuovo 232-226 212-194 239-239 147-141 221-212 258-249 216-210 259-245 251-249 189-185 237-231 212-210 257-257 240-240 276-264 135-133 168-168 171-171 188-166 142-142 222-208 157-157 180-180 182-180 158-158 109-89 218-216 222-205 157-157 171-161 124-116 309-301 194-194 194-184 165-141 91-91 198-170 219-209 197-197 161-155 195-171 262-262 185-177 204-190 197-195 143-139 132-126 247-243 191-181 199-199 “Negrello-39” 236-226 212-212 249-239 143-143 221-212 253-243 216-210 245-245 251-249 179-179 247-231 216-212 257-253 248-240 294-264 143-133 176-168 171-171 170-166 156-142 222-208 177-157 188-180 176-168 160-160 93-89 218-218 205-199 163-157 171-169 116-116 309-301 209-194 194-188 141-139 109-91 178-170 219-209 233-233 155-135 199-171 262-234 177-163 204-190 203-197 143-139 132-126 259-251 191-191 199-189 ampélographique, nous avons analysé 194 cépages supplémentaires de la Calabre (n=160), de la Campanie (n=25), de la Toscane (n=6), de la Basilicate (n=2) et des Pouilles (n=1). Après élimination des génotypes identiques, nous avons obtenu 73 cépages ayant des génotypes uniques et nouveaux dans notre base de données. Cependant, aucun d’entre eux ne correspondait au ‘Calabrese di Montenuovo’, c’est pourquoi nous proposons d’adopter officiellement ce nom. Quatre cépages de Campanie appelés localement "Calabrese" suivi d’une épithète selon leur lieu de provenance ont attiré notre attention. Leurs profils ADN correspondaient à quatre cépages différents : 1) la ‘Nocera’ de l’Université de Californie à Davis (USA), un cépage cultivé selon 4 Vouillamoz et al. : ‘ Sangiovese’ = ‘ Ciliegiolo’ x ‘ Calabrese di Montenuovo’ Galet (2000) en Calabre et en Sicile, 2) le ‘Negro Amaro’ analysé par Zulini et al. (2002), un cépage typique des Pouilles, 3) le ‘Sangiovese’, comme le suggérait sa morphologie, et 4) le ‘Calabrese di Montenuovo’, échantillonné dans un vignoble à Soccavo près de Naples. La présence dans la même région de Campanie de ces quatre cépages sous le nom de « Calabrese » illustre indubitablement un "pont" viticultural entre la Campanie et la Calabre et suggère très fortement que le ‘Calabrese di Montenuovo’ soit bel et bien venu d’Italie du Sud. Nous avons ensuite cherché des éventuels parents du ‘Sangiovese’, du ‘Ciliegiolo’ ou du ‘Calabrese di Montenuovo’ parmi ces nouveaux cépages. Avec 10 microsatellites, nous n’avons trouvé aucun parent du ‘Ciliegiolo’ (probablement parce que le nombre de cépages toscans était trop restreint), mais nous avons par contre trouvé que le ‘Calabrese di Montenuovo’ et le ‘Sangiovese’ partagent au moins un allèle à chaque microsatellite avec quatre et neuf cépages de la Calabre, respectivement. Tous ces cépages ont été ensuite analysés à un total de 32 microsatellites (les premiers 32 dans le Tableau 1). Le ‘Calabrese di Montenuovo’ partageait encore au moins un allèle à chaque microsatellite avec un seul cépage : le ‘Castiglione’, une variété très répandue en Calabre (déjà analysée à l’université de Californie à Davis et par Costantini et al. 2005). Ce lien génétique soutient fortement une origine calabraise du ‘Calabrese di Montenuovo’. Le ‘Sangiovese’ partageait encore au moins un allèle à chaque microsatellite avec six cépages. Tous provenaient de la collection de Librandi et portaient des noms basés sur "Nerello" ou "Negrello" suivis d’une épithète selon leur lieu d’origine ou leurs caractéristiques (Sculli 2004). Parmi eux, le cépage numéroté "Negrello-39" pouvait mettre en doute notre parenté du ‘Sangiovese’ : la parenté ‘Sangiovese’ = ‘Calabrese di Montenuovo’ × "negrello-39" était vérifiée à 31 sur 32 microsatellites, avec seulement un locus de discordance (VVMD7). Si cette hypothèse venait à être validée, alors le ‘Ciliegiolo’ devrait forcément être un fils du ‘Sangiovese’ au lieu d’être son père. Cependant, après l’analyse de 50 microsatellites, cette parenté était invalidée à 8 microsatellites (VVMD7, VMC5H5, VMC6E10, VMC16F3, VrZAG21, VrZAG64, VrZAG67, VrZAG83, Tableau 1), excluant ainsi cette hypothèse. Toutefois, le cépage nommé "Negrello-39" partageait encore au moins un allèle à chaque microsatellite avec le ‘Sangiovese’, soutenant ainsi fortement que le "Negrello-39" est un fils du ‘Sangiovese’. Bien qu’un minimum de 57 microsatellites soient recommandés pour pouvoir démontrer un lien génétique de type parent/enfant en l’absence de l’autre parent (Vouillamoz et Grando 2006), partager un allèle à chacun des 32 microsatellites signale très vraisemblablement un lien génétique étroit, de type parent/enfant ou frères/sœurs. Par conséquent, nos résultats indiquent fortement que le ‘Sangiovese’ et le ‘Calabrese di Montenuovo’ ont tous les deux de la parenté en Calabre. À la lumière des résultats moléculaires, la lecture d’un texte écrit un siècle plus tôt prend une tournure toute différente : dans la fameuse "Ampélographie" de Viala & Vermorel, Vannuccini (1903) rapporte que dans le Sud de la Toscane, aux alentours d’Arezzo, le ‘Sangiovese’ [San Gioveto] est appelé ‘Calabrese’... Devrait-on y voir le témoin d’une ancienne origine calabraise ? Conclusions Nous avons montré avec 50 microsatellites que le ‘Sangiovese’ est un fils naturel du ‘Ciliegiolo’ de Toscane et du ‘Calabrese di Montenuovo’, un cépage trouvé en Campanie mais sûrement introduit de la Calabre. Puisque ce cépage n’a pas de nom officiel et que son profil ADN ne correspond à aucune autre variété, nous proposons d'adopter officiellement le nom ‘Calabrese di Montenuovo’ (plantes de référence dans la collection de IASMA). En outre, le test de paternité a démontré un lien type parent/enfant entre le ‘Calabrese di Montenuovo’ et le ‘Castiglione’, un 5 Vouillamoz et al. : ‘ Sangiovese’ = ‘ Ciliegiolo’ x ‘ Calabrese di Montenuovo’ cépage très répandu en Calabre. Cette parenté soutient donc une origine calabraise pour le ‘Calabrese di Montenuovo’. Le test a également permis d’identifier six fils possibles du ‘Sangiovese’ en Calabre. Nos travaux suggèrent donc fortement que le ‘Sangiovese’ ait des origines génétiques et géographiques doubles : la Toscane à travers le ‘Ciliegiolo’ et le Sud de l’Italie à travers le ‘Calabrese di Montenuovo’. Remerciements Nous remercions le Dr Manna Crespan (Istituto Sperimentale per la Viticoltura, Sezione Ampelografia e Miglioramento Genetico, Susegana, Italie) pour ses commentaires utiles. Nous sommes reconnaissants à Nicodemo Librandi & Antonio Spa (Cave Librandi, Ciró Marina, Krotone, ITALIE) pour la permission d’utiliser leur collection ampélographique. Cette recherche a été partiellement financée par l’Associazione Nazionale Città del Vino dirigée par Paolo Benvenuti pour le projet « Origines du ‘Sangiovese’ » Références Costantini, L., Monaco, A., Vouillamoz, J.F., Forlani, M. et Grando, M.S. 2005. Genetic relationships among local Vitis vinifera cultivars from Campania (Italy). Vitis 44 (1), 2534. Crespan, M., Calò, A., Costacurta, A., Milani, N., Giust, M., Carraro, R. et Di Stefano, R. 2002. Ciliegiolo e Aglianicone: unico vitigno direttamente imparentato col Sangiovese. Rivista di Viticoltura e di Enologia, Conegliano 55 (2-3), 3-14. Galet, P. 2000. Dictionnaire encyclopédique des cépages. Hachette, Paris. Jones, A.G. et Ardren, W.R. 2003. Methods of parentage analysis in natural populations. Molecular Ecology 12, 2511–2523. Sculli, O. 2004. I vitigni autoctoni della Locride. Cittàcalabriaedizioni, Soveria Mannelli. Sefc, K.M., Lefort, F., Grando, M.S., Scott, K.D., Steinkellner, H. et Thomas, M.R. 2001. 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