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L'industrie de la musique à l'âge Internet

2001

Centre de recherche en gestion École polytechnique 1, rue Descartes F-75005 Paris 1 Compte tenu de la vitesse d'évolution du secteur, il est important de resituer cet article dans le temps. Il a été rédigé au printemps 1999 et a été présenté à la 5th International Conference on Art & Cultural Management, Helsinki, Finland, June 13-17 1999, avec le soutien de la FNEGE.

L’industrie de la musique à l’âge Internet P. J. Benghozi, Thomas Paris To cite this version: P. J. Benghozi, Thomas Paris. L’industrie de la musique à l’âge Internet. Gestion 2000, Recherches et Publications en Management A.S.B.L., 2001, pp.41-60. <hal-00231011> HAL Id: hal-00231011 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00231011 Submitted on 31 Jan 2008 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’INDUSTRIE DE LA MUSIQUE A L’AGE D’INTERNET NOUVEAUX ENJEUX, NOUVEAUX MODELES, NOUVELLES STRATEGIES1 Gestion 2000 Numéro spécial “e-business & management” Pierre-Jean Benghozi & Thomas Paris Pierre-Jean BENGHOZI Directeur de recherche CNRS Chercheur au Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique [email protected] Thomas PARIS Chercheur associé au Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique thomas.paris@ polytechnique.org Centre de recherche en gestion École polytechnique 1, rue Descartes F-75005 Paris 1 Compte tenu de la vitesse d'évolution du secteur, il est important de resituer cet article dans le temps. Il a été rédigé au printemps 1999 et a été présenté à la 5th International Conference on Art & Cultural Management, Helsinki, Finland, June 13-17 1999, avec le soutien de la FNEGE. 1 Résumé : Les modèles et les formes organisationnelles et économiques appelés à se développer autour des nouvelles formes de marché présentent des spécificités et ne sont pas le simple décalque ou la seule adaptation de configurations élaborées dans d'autres industries. L'exemple de l'industrie phonographique montre que l'apparition (galerie électronique, de structures services à valeur radicalement ajoutée, nouvelles de consommations marché culturelles parcellisées) a généré l'apparition de modèles originaux de rémunération et de contractualisation faisant intervenir de nouveaux intervenants dans les filières culturelles filières. Les formes ainsi que modernes différencier les usages et éclatement des marchés, les des de nouveaux des échanges de avec conduisent, utilisateurs, circuits rapports ce qui en peut diffusion et l'aval des particulier, à conduire des à un modèles de rémunération traditionnels. Abstract E-commerce generates specific market organizations of industrial activities. New economic business models and organisational patterns are not simply transfering designs conceived in traditional industries. Analyzing the case of music industry, we argue that the emerging of radically new market structures original (portals, economic electronic transactions market places, (payment, communities) contracts, has investment created process), incented new entrants to take place into cultural industries and heavily transformed competition and firms positions in the added value chain of music production and distribution. Consuming music on the internet leads to consumers differenciation, market disruption, and distribution channels. 2 splitting of payment rules INTRODUCTION L'économie qui est en train de se mettre en place autour du commerce électronique est marquée par deux phénomènes principaux. L'émergence de nouvelles formes d'organisation du commerce, de nouveaux mécanismes de marché et de nouveaux entrants conduit à s'interroger sur les positionnements stratégiques des entreprises du secteur culturel et sur leurs effets en termes de structure de marché (intégration verticale, concentration nationale ou régionale et ouverture à l'international)2. Les nouvelles formes de répartition de la valeur ajoutée au sein des filières de production / distribution / commercialisation renvoient aux conditions de la définition des tâches et de la répartition des investissements et recettes éventuelles entre partenaires et à la redéfinition des flux financiers traditionnels (client - distributeur - producteur consommateur)3. Pour l’industrie phonographique, l’avènement de la numérisation fut une véritable bouffée d’oxygène dans les années quatre-vingt : le succès du CD fut tel que tous les amateurs furent conduits à reconstituer leur stock de disques et l’ensemble de la filière connut ainsi une embellie extraordinaire. D’ailleurs, l’industrie tenta à différentes reprises de reproduire ce phénomène en multipliant les innovations censées améliorer la qualité et la portabilité de la musique mais ces tentatives furent vaines : la cassette audionumérique DCC de Philips fut un échec, le MiniDisc de Sony reste très marginal. La numérisation ne suscita pas que des espoirs : elle marqua aussi le début de l’ère de la dématérialisation, de la reproductibilité et de la menace d’une piraterie dévastatrice. Avec l’Internet, cette menace est en passe de devenir réalité : l’industrie phonographique connaît un bouleversement d’une ampleur qu’elle n’attendait pas, et qui, loin de stimuler le marché classique de la musique enregistrée, le remet profondément en cause dans son économie et dans sa structuration. La diffusion purement immatérielle des œuvres ne relève plus du fantasme. Déjà, en août 1996, le Tribunal de grande instance de Paris condamnait en référé des étudiants de l’École centrale de Paris et de l’École nationale supérieure des 2 Brousseau & Rallet (1999), Shapiro & Varian (1999), Buzzel (1985). 3 télécommunications pour avoir reproduit des textes et extraits d’œuvres interprétées par Jacques Brel et Michel Sardou sur leur site Internet sans autorisation des ayants droit4. C’est toute la question du piratage qui est posée ici. Mais si Internet remet en cause les mécanismes de rétribution de la création et son existence même, ce n’est pas simplement à cause de copies illégales et non rétribuées, c’est aussi parce que les artistes, producteurs et diffuseurs eux-mêmes souhaitent transformer les modalité de la production et de la diffusion. Dernièrement, un conflit est apparu entre le groupe de rap Public Enemy et son éditeur phonographique PolyGram. Le groupe dispose d’un site web5 sur lequel il a récemment mis à disposition gratuite des extraits de ses œuvres, propriété de l’éditeur, sous format MP36. Or le format de compression MP3 permet à n’importe quel internaute de charger et télécharger de la musique d’une qualité CD avec rapidité et facilité. Le problème sous-jacent au conflit ne peut donc pas se résumer à la malveillance d’une partie du public – et au danger que cela fait peser sur la création musicale – face à un bloc monolithique qui serait celui du champ de la création. Le pied de nez de Public Enemy à PolyGram révèle au contraire les fissures du monolithe et ne peut s’interpréter uniquement comme le comportement inconscient et suicidaire d’un groupe volontairement contestataire. Écoutons à ce propos Walter Leaphart, manager du groupe. « We ain’t gonna give all the songs away, but Chuck D [note des auteurs : l’un des membres du groupe Public Enemy] is challenging the notion of what constitutes an album… and we may challenge the whole way the music industry defines an album. Now, people buy an album for US $16, $17, and not even half the songs are any good. »7 Le groupe a finalement retiré l’œuvre de son site mais en y laissant une note de protestation, dans son style très contestataire… « BTN 2000 Update (12.02.98) It seems like the weasels have stepped into the fire.... Today Polygram/Universal or whatever the fuck they're now called forced us to remove the mp3 version of Bring The Noise 2000. 3 4 5 6 7 Lorentz (1998), Lansing & Hagel (1994), Abecassis (1999). Société des éditions musicales Pouchenel c. École centrale de Paris, TGI Paris, Ordonnance de référé, 14 août 1996, La Semaine juridique, JCP G 1996 n°47 Jurisprudence n°22727 note F. http://www.public-enemy.com/. Motion Pictures Experts Group, Audio Level 3. « PE puts MP4 in the house », cf. http://www.wired.com/news/news/culture/story /17303.html. 4 The execs, lawyers and accountants who lately have made most of the money in the music biz, are now running scared from the technology that evens out the creative field and makes artists harder to pimp. Let em all die... I’m glad to be a contributor to the bomb... »8 L’affaire Public Enemy n’est certainement pas terminée. Si le groupe a finalement retiré l’œuvre de son site, il a néanmoins amorcé une bombe. La technologie modifie les rapports de force en menaçant la mainmise des majors sur la diffusion musicale et le goulot d’étranglement de la diffusion qu’elle contrôle. « Now they’re all [note des auteurs : the industry] fucking scared. The means of distributing the fucking products [is] in anyone’s hands. » Chuck D9 En réalité, c’est l’organisation de la filière de production qui est remise en cause par ces pratiques. Les créateurs semblent en mesure de délivrer directement leurs œuvres au public en court-circuitant notamment les producteurs phonographiques. Or, si le modèle actuel fonctionne largement autour de la diffusion matérielle des œuvres (Benghozi, P.J. & Paris, Th., 1999), d’autres modèles de rémunération et, plus largement, d’autres business models sont envisageables. L’œuvre immatérielle, diffusée gratuitement sur l’Internet, peut ainsi n’être plus qu’un vecteur de promotion pour les créateurs dont la rémunération proviendrait alors de la publicité, de prestations vivantes (concerts), de contrats publicitaires liés à leur image, de ventes de produits dérivés, de taxes sur les supports vierges ou sur les ordinateurs comme pour la redevance TV, et même de la commercialisation d’œuvres sur support (offline) ou d’autres œuvres sans support (online) mais cryptées. Selon les styles de musique, tel ou tel de ces modes de financement pourrait prendre le dessus. La diffusion d’œuvres musicales sur l’Internet ne sonne pas le glas de la création musicale mais remet en cause l’hégémonie du modèle du disque et, avec lui, l’hégémonie des maisons de disques et notamment des majors. C’est pour cette raison que ces dernières se mobilisent sur les fronts technologique, juridique et institutionnel : elles s’unissent pour imposer contre le MP3 des formats de téléchargement qui permettent de faire mieux respecter les copyrights via des systèmes de cryptage ou de tatouage des œuvres, elles s’impliquent dans des actions de lobbying et dans des opérations de communication. Dans cette bataille, les 8 9 http://www.public-enemy.com/audiovideo/btn.html. « Public Enemy’s Chuck D on MP3 », article cité. 5 industries de technologie sont partie prenante en essayant chacune d’imposer son standard de format ou de protection. Cet article vise d'une part à analyser la structuration des échanges et les formes de contractualisation auxquelles donne lieu l'activité de production et d'édition dans le secteur des industries culturelles, d'autre part à caractériser la manière dont l'organisation des filières de production-diffusion est affectée par les développements du commerce électronique. LE MODELE ACTUEL : LA FILIERE DU DISQUE10 Si pendant les années 1990, le CD a pris petit à petit la place du disque vinyle, le mode de fonctionnement de la filière musicale a relativement peu évolué à cette occasion. Il s’agissait alors simplement de substituer un support à un autre, comme le 78 tours avait remplacé le 33 tours. L’industrie de la musique enregistrée constitue ainsi toujours une chaîne de valeur ajoutée reposant sur cinq maillons : la création de l’œuvre, son interprétation, la production du disque, sa diffusion et sa consommation. Chacun de ces maillons, y compris la consommation, participe de la valorisation des œuvres. Nous verrons que si les nouvelles technologies modifient l’ensemble de ces maillons, ce sont essentiellement les trois derniers qui sont le plus particulièrement affectés. Une chaîne à cinq maillons 1. La création de l’œuvre mobilise deux métiers : celui de l’auteur et celui de l’éditeur. Le terme d’auteur recouvre les deux fonctions d’auteur de la musique (compositeur) et d’auteur des textes (parolier), qui sont à l’origine de l’œuvre. L’éditeur graphique ou musical joue de son côté un rôle tout aussi essentiel : il est le premier à investir dans la création en assurant la promotion de l’artiste, notamment auprès des maisons de disques. En échange, l’auteur lui cède une partie de ses droits patrimoniaux, la part éditoriale. 2. L’interprétation de l’œuvre implique un ou des artistes, chanteurs ou instrumentistes, et des musiciens d’accompagnement. Différents modèles de création coexistent dans la musique, chacun avec ses conventions propres. Un musicien peut aussi être artiste, l’auteur peut interpréter lui-même ses œuvres, etc. Par exemple, 10 Pour une présentation approfondie de la filière musicale, on pourra se reporter à (Lefeuvre G., 1998). 6 les groupes de rock composent et jouent leur musique, les chanteurs de variété font très souvent appel à des auteurs et compositeurs, les artistes de jazz improvisent des interprétations à partir d’œuvres existantes, etc. L’ensemble de ces intervenants n’ont en général pas de lien contractuel avec les créateurs. Ils sont rémunérés par les producteurs de disques (royautés) ou de concerts (cachets). 3. La production de disques est le maillon central de la filière musicale, celui durant laquelle l’œuvre se matérialise pour devenir produit industrialisé. Cette étape recouvre la production artistique qui consiste en la réalisation du master (enregistrement et mixage), la production industrielle, fabrication des disques à partir du master, ainsi que la promotion et la distribution (commercialisation en gros) des œuvres. Le producteur détient la propriété du master. Il peut en assurer luimême la production industrielle ou négocier un contrat de licence avec une maison de disques qui en assurera l’exploitation, il peut en assurer lui-même la distribution ou négocier un contrat de distribution avec un distributeur auquel il livre le produit fini. 4. La diffusion des disques consiste en leur vente au détail dans les points de vente. Elle s’appuie aussi sur les médias qui conditionnent la demande : ces médias ne participent pas directement au processus économique de la production des disques, mais ils interviennent de manière prépondérante dans leur valorisation. 5. Enfin, en bout de chaîne, les consommateurs apportent la majeure partie des revenus de la filière soit directement, en achetant les disques, soit indirectement par la publicité, ou par les reversements de droits auxquels sont soumis les diffuseurs. Les contrats Les liens entre ces différents maillons s’opèrent à travers des systèmes d’échanges et de contrats qui seront remis en cause par l’Internet. Les échanges entre détaillants et consommateurs sont des ventes classiques. Par ailleurs, l’auteur de l’œuvre n’est impliqué, en tant qu’auteur, que dans la cession de droits à l’éditeur et au producteur. S’il en est aussi interprète, il est lié avec le producteur par un contrat d’artiste. La production des disques implique donc précisément trois types de contrats : le contrat d’artiste, le contrat de licence et le contrat de distribution. 7 Figure 1 : la filière du disque Production du disque Création de l'œuvre contrat de licence Auteur Editeur graphique cession de droits Producteur artistique contrat de distribution Editeur phonographique contrat d ’artiste Distributeur Diffusion Artiste Interprétation Médias Points de vente Consommation 1. Le contrat d’artiste lie celui qui enregistre la musique à celui qui finance l’enregistrement. L’artiste peut aussi être auteur de la musique, comme c’est souvent le cas pour les groupes de rock, mais le contrat porte sur l’enregistrement et non sur le travail de création à proprement parler. Le producteur investit dans le master qu’il exploitera mais aussi et surtout dans l’artiste qu’il « développera ». Il faut souvent plusieurs productions pour que l’investissement dans un artiste soit rentabilisé. Aussi le contrat est conclu pour l’enregistrement de plusieurs albums (2 ou 3) sur une durée de 3 à 5 ans. C’est en principe un contrat de travail, pour lequel l’artiste perçoit un salaire pour les séances d’enregistrement, puis une redevance proportionnelle aux ventes de disques et aux autres exploitations éventuelles, les royautés (royalties). Ces royautés sont définies par négociation ; leur taux est en général compris dans une fourchette de 2 à 15 % sur une assiette du prix de gros hors taxe de 90 % des ventes. Par exemple, chez EMI UK, les gros artistes reçoivent en moyenne 15%, et les nouveaux 8 %. Enfin, ces contrats sont parfois assortis de clauses diverses : clause de préférence de l’artiste pour son producteur au terme du contrat, clause de renégociation, etc. 2. Le contrat de licence est le contrat par lequel le producteur, titulaire des droits patrimoniaux de l’œuvre enregistrée (le master), autorise l’éditeur phonographique (maison de disques) à exploiter l’œuvre, c’est-à-dire à fabriquer les disques, en faire la promotion et les distribuer. Le contrat de licence porte donc sur une œuvre enregistrée. Il prévoit une rémunération du producteur par des royautés sur les 8 ventes. Le taux est variable d’un contrat à l’autre, ainsi que tous les autres termes du contrat : la définition des territoires sur lesquels porte l’autorisation, la durée de l’autorisation, le montant de l’avance consentie au producteur, etc. En pratique, les avances, « telles que constatées en 1993/94, vont de 20 à 50 000 F pour un single d’artiste débutant, tandis qu’un album se monnaye entre 50 et 70 000 F voire 100 000 F dans les meilleurs cas. Pour un artiste confirmé, la fourchette est évidemment supérieure (Lefeuvre, G., 1998).» Quant aux royautés, elles sont de l’ordre de 20 % du prix de gros hors taxes, sur 90 % des ventes. Enfin, un contrat de licence peut être conclu pour plusieurs enregistrements voire sur le catalogue complet du producteur : il s’agit alors d’un contrat de label (label deal). Les disques sont alors publiés par la maison de disques mais sous le label du producteur. 3. Le contrat de distribution est signé entre l’éditeur phonographique et le distributeur. Il porte sur le produit fini : les disques. Le distributeur place les disques chez les revendeurs, gère les stocks et assure la remontée des recettes. En échange, il prélève un pourcentage sur les ventes. Le taux varie généralement entre 25 et 40 %, le reste revenant au producteur. À titre d’exemple, voici les contrats successifs d’un producteur français indépendant ayant produit quelques groupes à succès, Boucherie Productions : Tableau 1 : modalités de contractualisation de Boucherie Productions date co-contractant type de contrat rémunération de Boucheries Production Æ 1987 New Rose distribution 40 à 60 % du prix de gros HT 1987-1989 Musidisc licence 11 F par support 1989-1992 Island licence 28 % La chaîne de valeur ajoutée du disque comporte donc différentes fonctions (la réalisation du master et la production industrielle des disques, leur distribution, leur promotion, etc.) Leur poids respectifs apparaissent dans le coût de revient de production d’un disque. Figure 2 : prix de revient d’un disque produit en France 9 frais de distribution 15% droits d'auteur 9% frais généraux 10% publicité et promotion 18% fabrication 15% frais d'enregistrement 18% redevances d'artistes 15% Source : SNEP/Ernst and Young, in (Lefeuvre G., 1998] Parallèlement, cette structuration de l’industrie autour de plusieurs fonctions ouvre la voie à des mouvements de concentration d’une part (stratégie d’économie d’échelle), d’intégration verticale d’autre part (recherche de baisse des coûts et garantie d’approvisionnement). Le marché mondial de la musique enregistré est effectivement dominé par 5 majors qui assurent les différentes fonctions décrites. Il est intéressant de noter qu’un des effets de l’Internet est de bouleverser profondément cette cartographie des acteurs en déplaçant le centre de gravité des filières, en créant d’autres supports de distribution, en modifiant les règles du jeu économiques de rentabilisation, en favorisant l’apparition de nouveaux acteurs. Un accès difficile à un marché oligopolistique La filière de production de disques est actuellement extrêmement sélective car elle présente trois goulots d’étranglement : la signature, l’exposition médiatique et la mise en place chez les détaillants (Lefeuvre, G., 1998). Pour des possibilités de signature limitées, la demande est très importante : on l’estime à un disque produit pour 1000 demandes. Ensuite, les disques produits passent par le filtre des médias : très peu parviennent à passer sur les radios qui assurent la notoriété des morceaux et des artistes. Enfin, la visibilité des disques dans les magasins conditionne leurs ventes. Or là aussi, les places sont limitées. Dans ces conditions, l’intégration est une stratégie qui permet de contrôler toute la filière et ainsi d’être en position de force vis-à-vis des médias et des détaillants, et de mieux maîtriser l’incertitude liée à ces goulots. C’est là une des raisons de la structure oligopolistique du marché. 10 En 1999, cinq grandes multinationales, les major companies, se partagent 80 % d’un gâteau mondial de 40 milliards de dollars : Polygram / Universal, EMI, Sony, Time Warner et BMG. Elles sont intégrées verticalement : elles possèdent plusieurs labels ou entités de production, une branche éditoriale, des usines de fabrication et des réseaux de distribution. Par ailleurs, l’une d’elle, Sony, est impliquée dans l’ensemble de la filière puisqu’elle produit aussi des équipements hi-fi (hardware). Figure 3 : Les parts du marché mondial en 199711 PolyGram 17% autres 21% Universal 6% EMI 11% Sony music 16% BMG 14% Warner 15% source : (Lefeuvre, G., 1998), d’après IFPI, MTI, Soundscan À côté de ces majors, existent des indépendants, producteurs et/ou distributeurs. Certains d’entre eux maîtrisent toute la chaîne de production, d’autres ne font que de la production ou de la distribution, souvent sur des marchés de niche, en s’appuient alors sur une major ou bien sur un autre indépendant pour l’activité complémentaire. Le marché s’avère de ce fait extrêmement segmenté et imbriqué En conclusion de cette partie, nous pouvons donner le schéma suivant qui récapitule, pour le cas français, le fonctionnement de la filière du disque en explicitant les flux financiers générés. 11 PolyGram, jusqu’alors filiale de Philips, a été rachetée par Seagram en mai 1998, où elle a ainsi rejoint Universal. 11 droits répartis aux sociétés d ’auteurs étrangères : 346 MF champ de la création champ des droits 3,3 MdF perçus SACEM 2,6 MdF champ de la scène éditeurs SDRM droits de reproduction 600 MF 209 MF droits issus de l ’étranger : 552 MF auteurs champ de l’interprétation fonds de soutien taxe 26,5 MF artistes ADAMI producteurs de spectacle musiciens 107 MF SPEDIDAM CA : 1,7 MdF champ de la production 17 MF producteurs de disques SCPP SPPF royautés: 1,2 MdF export import CA : 7,4 MdF 44 MF étranger 978 MF *** 1,6 MdF*** champ de la diffusion 1 MdF (droits) 228 MF 395 MF* SPRE SORECOP filtre des médias publicité: 2,3 MdF détaillants champ de la consommation copie privée piraterie 1,5 à 2 MdF ** (taxe K7 vierges) 266 MF* consommateurs équipement audio 15 MdF Source: Lefeuvre [1998] Chiffres 1997 sauf *1996, **1995, ***1993 Voilà donc décrit le modèle actuel, tel qu’il s’est structuré depuis de longues années autour du produit matériel disque. La place centrale du disque comme mode de commercialisation de la musique enregistrée explique d’une part que l’on reste dans une économie industrielle et d’autre part que les majors aient un poids si important. L’arrivée de l’Internet bouleverse totalement la donne : la musique se dématérialise, l’organisation passe d’une une économie de biens industriels à une économie de services et les majors s’en trouvent affaiblies… LA NOUVELLE DONNE INTERNET L’offre de musique sur le Net a été expérimentée dès 1994 et a ensuite connu une très forte croissance. En 1999, la vente sur le Net est estimée à 346 millions, soit 1 % du marché global de la musique. Selon un rapport de Music Business International (MBI), elle devrait générer 3,9 milliards de dollars en 2004, soit 8 % d’un marché global qui devrait atteindre 47,5 milliards de dollars. Si c’est la promotion des artistes, des labels et des musiques qui a été, dans un premier temps, l’objectif majeur des sites musicaux, dans un deuxième temps, c’est la vente de disques par commerce électronique (VPCE) qui s’est rapidement imposée. La croissance rapide qu’a connue à ses débuts Amazon.com dans le domaine du livre par 12 a constitué un exemple à suivre pour le disque, dont les spécificités favorisaient une vente électronique : produit de peu d’encombrement facilement manipulable et livrable, produit à haute valeur ajoutée, produit standardisé et facilement identifiable, etc. Dans un troisième temps, les sites musicaux ont été portés par les possibilités de télétransmission de musique, ouvrant des formes radicalement nouvelles de diffusion et de valorisation économiques : vente de morceaux par téléchargement, netradios musicales... Les premières initiatives de téléchargement ont été prises par des artistes et des labels indépendants qui y voyaient une opportunité pour contourner les blocages d’une production et d’une distribution oligopolistiques. Internet a modifié ainsi complètement la donne du marché de la musique en supprimant les différents goulots d’étranglement de la filière : en réduisant ceux de la distribution et de l’exposition médiatique, le réseau a permis de remettre en cause les rapports existant entre majors et indépendants, entre petits et gros; en supprimant le goulot d’étranglement de la signature, elle remet en cause les rapports entre les créateurs et les diffuseurs, entre l’aval et l’amont. Nouvelles possibilités de diffusion et nouvelles règles de concurrence Le développement du commerce électronique et du téléchargement de la musique a ouvert la possibilité aux indépendants de s’affranchir du passage obligé par les gros distributeurs, en leur permettant une diffusion ou une commercialisation directe sur le réseau, d’envergure d’emblée mondiale sans intermédiaires. Plusieurs acteurs a priori dominés ou écartés du marché (certains indépendants) se sont ainsi saisis du commerce électronique et de l’Internet en y trouvant l’occasion d'accéder plus facilement à un marché élargi, d'envergure internationale. Les évolutions n’ont cependant pas été à sens unique. Dans d'autres cas, les distributeurs se sont efforcés de multiplier le nombre des producteurs avec lesquels ils traitaient. Enfin, l’offre en ligne et les possibilités de collecter des informations, via les consultations, sur les consommateurs potentiels ont permis d’opérer des segmentations plus fines de la diffusion en envisageant un ciblage plus précis qu’actuellement, par type de musique et par type de consommateur. En 1999, une douzaine de boutiques virtuelles de taille significative permettent d’acheter des disques sur le réseau, dont deux particulièrement importants (CDNow : 17,4 M$, et Music Now : 11,2 M$). Le marché de détail de la musique en ligne reste cependant modeste en volume puisque l’ensemble des ventes est à peu près 13 équivalent au CA des très grands magasins spécialisés. La VPCE permet de multiplier l’offre dans des conditions considérables en proposant en ligne la quasi intégralité des productions disponibles sur le marché. Les sites d’envergure tels que CDNow proposent déjà entre 200 000 et 300 000 albums à la vente. Parmi les acteurs de ces boutiques virtuels, on peut distinguer 1) des chaînes de détaillants traditionnelles (Tower, Virgin, Fnac, France Loisirs) qui veulent élargir leur marché et se mettent en ligne en utilisant leurs compétences, leur visibilité et leur maîtrise de la logistique, 2) des VPCistes et des clubs de vente qui ont une forte compétence en matière de logistique de vente par correspondance et de gestion de fichiers clients par des programmes de fidélisation, 3) de nouveaux acteurs purement virtuels (CD Now, Music Now, Boxman, Amazon.com) qui s’appuient sur des coûts de structure très légers (Faverie, M., 2000). À côté de la vente par correspondance, les possibilités de transmission de la musique en ligne permettent d’envisager en outre des modes de consommation des œuvres et des produits radicalement nouveaux (qu’il s’agisse des supports de la musique, de ses modes de consommation ou des biens d’équipements associés). Cette évolution s’inscrit dans un marché de la compilation qui a connu, ces dernières années, une très forte croissance et représente un quart des ventes en Europe environ. Aujourd’hui, en matière de musique en ligne, toutes les formes intermédiaires existent entre la vente par correspondance et la diffusion en ligne : compilations à la demande, netradio, juke-box, téléchargement... L’année 1999 a été plus particulièrement marquée par l’émergence et le développement d’un nouveau type d’acteurs, les sites de téléchargement (MP3.com, goodnoise.com, etc.) ; ces expérimentations et ces développements bénéficient de – et s’appuient sur – la baisse considérable du prix des graveurs de CD. Le leader américain de la compilation à la demande, Music Connection, a passé un accord de coopération avec Liquid Audio pour offrir, depuis avril 98, plus de 5000 titres à télécharger en ayant recours au logiciel Liquid Music Player. Dans un premier temps, en permettant de court-circuiter la distribution physique des disques et le coût de la chaîne logistique associée (transport, coût de stockage, risque de mévente…), le téléchargement constitue un avantage décisif pour les producteurs par rapport à la lourdeur de la vente physique traditionnelle des disques. Cette dernière rend nécessaire le maintien d’un réseau de points de vente et une organisation coûteuse de stockage et d’acheminement. Elle impose de recourir à un réseau de distributeurs qui, en position de force, rongent les marges des producteurs. 14 En outre, la montée en puissance de la grande distribution favorise les best-sellers et les mises en place massives au détriment des indépendants. Au contraire, la VPCE offre un accès au marché aux indépendants et aux produits à moindre potentiel. En outre, l’Internet permet de coupler actions de promotion et de diffusion en assurant des possibilités d’informations complémentaires et d’écoute très souples. Il permet aussi de créer, sans coûts importants, une liste d’amateurs et de consommateurs potentiels pour un artiste et un type de musique donné, en ouvrant ainsi la porte à des stratégies de marketing ciblé et à des possibilités de valorisation annexes par la publicité ou des offres de produits associés (concerts, disques, magazines et ouvrages). En offrant de nouvelles possibilités de diffusion, l’Internet contribue donc à réduire si ce n’est à supprimer dans certains cas le goulot d’étranglement de l’accès à la diffusion. Il permet l’exploitation de niches de marché qui n’intéressent pas les majors parce qu’insuffisamment mûres ou trop petites. Un tel fonctionnement est traditionnel dans les industries culturelles : les majors laissent aux indépendants le soin de défricher les marchés et n’y interviennent qu’une fois qu’un créneau devient mûr. Mais les larges possibilités de diffusion offertes par l’Internet changent les conditions de concurrence entre les indépendants et les grandes entreprises. Les indépendants souffraient en effet traditionnellement d’un manque de visibilité de leur production et d’une distribution limitée, ce qui leur empêchait d’exploiter pleinement leur capacité d’innovateur et de découvreur de talents : deux inconvénients qu’Internet permet justement de contourner (Lansing, W.J. & Hagel, J., 1994). Les rapports de concurrence peuvent donc être largement modifiés : les petits labels peuvent désormais commercialiser à l’échelle mondiale, les grandes entreprises peuvent opérer une segmentation par type de musique et de public, et se positionner sur des segments aussi étroits que des labels indépendants. Il s’opère de ce fait une nouvelle segmentation de la filière de la musique, avec l’apparition de circuits courts de diffusion. 15 filière traditionnelle VPCE médias producteur distributeur nouveaux acteurs détaillant consommateurs Une redéfinition de la chaîne de valeur ajoutée En supprimant le goulot d’étranglement de la signature, l’Internet modifie plus en profondeur la filière de la musique en remettant fondamentalement en cause la place du disque comme mode de production et de commercialisation de la musique enregistrée et le rôle des majors de l’industrie phonographique comme acteurs centraux de la filière. Aujourd’hui, toute la filière musicale est présente sur Internet où 32 000 sites étaient répertoriés en 1998. Tous les niveaux de la chaîne phonographique y sont représentés : des sites consacrés à des artistes, réalisés par les fan clubs ou par les artistes eux-mêmes, représentant près de 80% de l’ensemble des sites musicaux, des sites de labels et de maisons de production assurant promotion et auto-distribution, des sites de médias spécialisés (radios, chaînes de télévision ou journaux...) assurant la promotion de genres musicaux et d’artistes et publiant des informations et des hits parades (Billboard, Webnoise), des netradios assurant une diffusion de musique en continue, éventuellement par type de musique, en intégrant des concerts en direct, etc., des sites de diffuseurs et de détaillants de disques disposant ou non de réseaux physiques de distribution. Ainsi, à côté de la filière classique s’organisent déjà différentes filières raccourcies qui court-circuitent un ou plusieurs des intervenants traditionnels, remettent en cause la chaîne de valeur ajoutée. 16 VPCE filière traditionnelle artistes médias producteur distributeur détaillant consommateurs Les labels indépendants et les artistes alternatifs ont été parmi les premiers à se lancer dans l’aventure du web. Le développement des matériels sonores de haute qualité et des home studios a facilité l’accès à l’auto-production musicale. Les artistes et les structures indépendantes peuvent facilement enregistrer des maquettes de qualité, puis les produire et les diffuser eux-mêmes voire désormais les mettre à disposition sur l’Internet. C’est le cas notamment de nombreux groupes de rap ou de techno. Cela permet à des artistes positionnés sur des marchés de niche de réaliser une distribution et une commercialisation directe à l’échelle mondiale, voire même de pouvoir éditer leur musique quand ils n’ont pas accès aux filières de production traditionnelle. Ces circuits courts permettent donc aux artistes de se passer des producteurs et de s’inscrire dans un modèle immatériel, duquel le disque est absent. Notons d’ailleurs que des artistes moins marginaux peuvent aussi avoir recours à ces circuits : en 1996, D. Bowie a mis gratuitement son single Telling Lies à disposition sur son site et la chanson a été téléchargée en une semaine par 450 000 fans. L’Internet offre donc de nouvelles fenêtres pour la création musicale. Seulement, avec la dématérialisation de la musique, c’est la question de sa rémunération qui se pose. Plusieurs solutions se profilent actuellement pour créer des formes de rémunération acceptables. La première voie vise à tenter de protéger la situation existante et se situe donc dans le prolongement direct du modèle de rémunération actuel (Paris, Th., 1999). Cette solution suppose que des solutions techniques efficaces de protection des fichiers seront trouvées ; les majors pourront alors jouer leur rôle traditionnel de diffuseur (sur un nouveau média cette fois), et les créateurs de musique pourront toucher des droits indexés sur les consommations. La seconde 17 solution suppose d’admettre l’impossibilité effective de protéger et de contrôler de façon minutieuse et systématique les consommations individuelles, elle suppose donc de s’en remettre à la seule protection juridique et à l’établissement de règles générales plutôt qu’à une maîtrise volontariste de la diffusion. Cette deuxième hypothèse semble la plus probable. Elle comporte des incidences variables sur les acteurs de la filière. Les créateurs indépendants n’auront, par exemple, pas les mêmes moyens, en termes de défense juridique, pour contrer la piraterie. On pourrait alors assister au développement d’une création à deux vitesses qui verrait les indépendants cantonnés à l’amateurisme… L’hypothèse que nous voulons défendre est tout autre. Nous postulons que la piraterie ne sera plus uniquement combattue de face, comme c’est le cas actuellement, par la recherche de solutions techniques et juridiques de défense des droits. Au contraire, il est fort probable que l’équilibre économique de la filière conduise les acteurs existants à ajuster leurs stratégies et leurs comportement de façon à maîtriser la piraterie ; c’est ce qui s’était déjà passé il y a une quinzaine d’années dans le secteur audiovisuel lors de l’apparition des magnétoscopes et des cassettes enregistrées (Benghozi, P.J. & Santagata, W., 2000). À cette époque, la transformation profonde des règles du jeu (suppression de la location au profit de la vente, baisse considérable des prix) avait permis de réduire dans des proportions importantes la piraterie et les usages abusifs existant alors. Aujourd’hui, en matière de disque, il est probable que ce sont de telles évolutions qui risquent de s’opérer. La baisse du prix de vente des disques pourra d’abord contribuer, en rapprochant le prix de vente des disque enregistrés de celui des disques vierges de rendre la copie illégale moins attractive. L’existence, ensuite, de nouveaux modes de valorisation de la musique (business models) permettront aux indépendants et aux producteurs de trouver une place et un mode de rémunération spécifique dans la nouvelle économie de la création musicale. VERS UNE NOUVELLE ECONOMIE DE LA CREATION MUSICALE La nouvelle donne suscitée par l’Internet a déjà généré l'apparition de nouveaux intervenants qui s’appuient sur des modèles originaux de rémunération et de contractualisation ainsi que sur de nouveaux rapports avec l'aval des filières (Mathonet, P. & Gille, L., 1994, Brousseau, E., 1999). Les formes modernes des échanges conduisent, en particulier, à différencier les usages et les utilisateurs, ce qui 18 renforce encore l’éclatement des marchés, des circuits de diffusion et des modèles de rémunération traditionnels. Les galeries virtuelles Les galeries virtuelles ou sites de téléchargement (MP3.com, goodnoise.com) se sont beaucoup développés avec l’avènement du format de compression MP3. De nombreux cas de figure sont possibles. Les sites peuvent faire de la vente traditionnelle de musique on-line en faisant payer les consommateurs au titre et en reversant des royautés aux titulaires des droits. De manière plus originale, certains sites, comme MP3.com proposent de la musique gratuite. Les titulaires de droits fournissent la musique et autorisent sa diffusion gratuite. Ce sont souvent des artistes ou labels qui cherchent à se faire connaître ou qui offrent un titre pour faire la promotion d’un album. Quant aux sites, ils se rémunèrent par la publicité et par la vente de produits liés. MP3 a ainsi rapidement proposé des CD à très bas prix ($6). Les netmedia La radio par Internet consiste à délivrer des programmes de musique thématique, soit gratuitement avec un financement par la publicité, soit en faisant payer un abonnement. C'est le mode de fonctionnement de la télévision. La rémunération de la musique se fait alors par reversement d’une part du chiffre d’affaires. Il faut noter que pour les netmédias comme pour les fournisseurs d’accès ou les offreurs de technologie, la musique ne se présente que comme un produit d’appel, permettant de fixer les consommateurs en générant des recettes sur des marchés et des bases radicalement différentes (publicité, vente d’information de clientèle, vente de services et organisation de communauté d’intérêts) Les fournisseurs d’accès Le développement massif de la musique en téléchargement a rapidement conduit les majors de l’industrie phonographique à réagir sur les plans juridique et technique. À la fin de l’année 1998, ils se sont unis dans la recherche de formats sécurisés. Mais en mai dernier, ils ont commencé à déployer une tout autre stratégie dessinant les prémisses d’un business model complètement différent. Ce sont d’abord les deux majors Universal et BMG qui ont déclaré vouloir se lier avec l’opérateur téléphonique américain ATT et le groupe électronique japonais Matsushita. Universal et BMG fourniraient le contenu, ATT assurerait la transmission et la facturation et 19 Matsushita mettrait au point un système prévenant la copie illégale. C’est ensuite Sony qui s’est rapprochée de Microsoft : en utilisant ses logiciels et ses investissements dans le câble, Microsoft diffuserait le catalogue de Sony. Le nouveau modèle qui se dessine est donc le suivant. La musique devient gratuite pour les utilisateurs qui ne paient désormais qu’un abonnement global au fournisseur d’accès. Pour ce dernier, la musique constitue un produit d’appel pour attirer soit des abonnés (modèle de la télévision à péage), soit des annonceurs (modèle de la télévision hertzienne). La rémunération des créateurs de musique serait alors un pourcentage sur les abonnements ou sur les chiffres d’affaires des fournisseurs d’accès. Dans ce schéma, les détenteurs de droits vendent alors un accès à leurs catalogues à des fournisseurs d’accès. Les indépendants s’en trouvent à nouveau marginalisés et doivent trouver d’autres modes de valorisation de leur activité. Les offreurs de technologies Les offreurs de technologies sont de plusieurs types : les fabricants de hardware et les éditeurs de logiciels. Les éditeurs de logiciels de lecture de musique (RealNetworks, Liquid Audio…) diffusent de la musique gratuitement, en même temps que leur logiciel. Ils constituent un passage obligé pour tout ceux qui souhaitent diffuser de la musique sur l’Internet. Leur rémunération provient des acteurs du divertissement qui y voient un outil de promotion. Les fabricants de hardware (ordinateurs, lecteurs de musique sous format électronique, supports d’enregistrement) commercialisent leur produit grâce au succès de la musique. Comme c’est le cas pour les K7 audio et vidéo, ils pourraient être taxés sur les produits vendus pour rémunérer les créateurs. Les indépendants Les indépendants, artistes ou producteurs, ne sont pas à proprement parler de nouveaux acteurs de la filière. Seulement, l’Internet modifie les conditions de leur existence : il leur donne les moyens d’une diffusion plus large et donne la possibilité d’exister à de nouveaux créateurs. Avec la dématérialisation de la musique, ces indépendants ne peuvent plus vendre « du disque » et sont forcés de s’appuyer sur des business models différents. Le cas Public Enemy a notamment mis en évidence que la musique pouvait être distribuée gratuitement et n’être plus qu’un outil de promotion 20 de concerts ou de produits dérivés à l’effigie des artistes. De même, elle peut être délivrée gratuitement et participer ainsi à la valorisation de l’image des artistes qu’ils peuvent valoriser ensuite dans des actions publicitaires. C’est l’un des modèles qui s’impose de plus en plus dans les compétitions sportives. Enfin, un autre cas de figure est envisageable, celui de la souscription : sur des marchés de petites niches, les artistes peuvent s’appuyer sur la participation d’un nombre de fans restreints, via un système de souscription ou d’abonnement. Business model « Rémunération » de la musique Sites de téléchargement Produit d’appel pour la vente de Droits d’auteur sur produits liés produits liés (disques ou autres). Promotion de l’artiste Netmedia Publicité Droits d’auteur (licence obligatoire) Vente d’information sur le marché Forfait et de bases de clients. Gestion de communautés d’intérêts Fournisseurs d’accès Produit d’appel abonnements pour du chiffre d’affaires les Part fournisseur d’accès ou forfait du Publicité Offreurs de technologies Vente de produits (supports Promotion d’enregistrement) ou de services Taxe sur les produits vendus ( « espace de diffusion » pour les fabricants de programmes). Indépendants Promotion, produit d’appel pour produits liés (concerts, produits dérivés, vente de l’image de l’artiste pour des opérations publicitaires…) CONCLUSION Par son caractère structurel, il est indéniable que le mouvement qui affecte actuellement l’industrie du disque est particulièrement profond. Cela explique le nombre extrêmement important d’articles auxquels le sujet donne lieu dans la presse ces derniers mois. Comme nous l’avons montré dans l’article, ce mouvement nous semble se caractériser par plusieurs traits majeurs. Le premier concerne le poids grandissant et inattendu des fournisseurs de technologie et des diffuseurs. Le phénomène n’est pas nouveau dans la mesure où il se retrouve sous des formes analogues dans d’autres secteurs industriels (textile (Abecassis, C. & Benghozi, P.J., 1998, Abecassis, C., 1999), agro-alimentaire…). L’originalité tient au poids des artistes dans le secteur culturel et à ce que le 21 développement de la musique sur l’Internet s’est d’abord développé sur la base d’un schéma porté par les indépendants (producteurs et artistes) qui espéraient y trouver un moyen de s’affranchir des majors. Aujourd’hui, le poids des nouveaux diffuseurs et fournisseurs de technologie est tel que ce sont eux qui semblent orienter les développements de la filière, au détriment des indépendants, mais aussi, apparemment, à celui des Majors jusque là tout puissantes. Le second trait du mouvement à l’œuvre nous semble reposer dans la définition de nouveaux équilibres économiques. Ceux-là se fondent sur les conditions de rentabilité et de viabilité des nouveaux entrants mais aussi sur la présence déterminante de la piraterie dans le marché de la musique. Les conséquences sont de plusieurs ordres : la piraterie devrait entraîner rapidement une baisse sensible du prix des disques enregistrés. On devrait constater ensuite la coexistence et l’articulation de différents marchés pour la musique enregistrée (tout comme pour l’audiovisuel aujourd’hui), reposant sur des conditions différentes de diffusion et de facturation. L’équilibre économique des nouveaux entrants conduit la musique à ne représenter dans certains cas qu’un marché secondaire ou une rémunération d’appoint, l’essentiel de l’activité se situant sur un autre registre (accès Internet, services industriels…). Enfin, on constate que la coexistence de différents marchés économiques se conjugue avec le développement de stratégies de marketing fines pour segmenter de plus en plus le marché de la musique en fonction des types de musiques, d’artistes et de consommateurs. 22 BIBLIOGRAPHIE ABECASSIS, C., 1999, Technologies de l'information et filière : dimensions clés et idéaux-types à partir du cas de l'habillement, thèse de doctorat, CRG École polytechnique, Paris. 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