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Enfermement des mineurs délinquants. Dans les murs

2012, Adolescence

EnFERMEMEnt dES MinEuRS déLinQuantS JaCQuES dayan En 2009, environ 200.000 mineurs ont été « mis en cause » par les services de police et de gendarmerie avec approximativement 5% de mineurs délinquants responsables de près de la moitié des infractions commises1. Plus de la moitié des affaires ont été classées après la mise en place d’une procédure alternative, rappel à la loi essentiellement. Les mesures de réparation nécessitent pour être exécutées, un personnel nombreux, suffisamment formé et l’engagement des collectivités locales, ce qui a constitué un frein majeur à leur application. Environ 80.000 mineurs ont été poursuivis devant la juridiction pour enfants. 1000 mineurs environ ont fait l’objet d’une décision de placement en Centre éducatif Fermé (CEF) ou Renforcé (CER), environ 3000 ont été placés sous écrou, plus de la moitié d’entre eux avant jugement. La détention peut avoir lieu dans les Quartiers pour Mineurs (QPM) ou dans les établissements pour Mineurs (EPM) avec une durée de séjour moyenne de 2.5 mois pour ces derniers2. La mesure éducative la plus fréquente en 1. Statistiques de source modérément fiable. Cf. : Sénat, session extraordinaire de 20102011. Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2011. Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale par le groupe de travail sur l’enfermement des mineurs délinquants : évaluation des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs, par MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet. 2. Contre 8.1 mois en moyenne chez l’adulte. Adolescence, 2012, 30, 4, 783-796. 784 JaCQuES dayan France concernant les mineurs pour qui les mesures en milieu ouvert ont été jugées insuffisantes, consiste en l’éloignement du lieu de vie habituel. La grande majorité (environ 80%) sont placés dans des « foyers », structures d’internat aux règles souples. L’inCaRCéRatiOn La population carcérale française comprend environ 1% de mineurs. deux tiers environ sont incarcérés sans condamnation : au 1er mai 2006, 644 mineurs étaient détenus (dont 590 en métropole, seulement 35% d’entre eux étaient condamnés et le plus souvent pour des peines courtes (2 mois environ en moyenne). Récemment le taux d’incarcération a augmenté (791 au 1er mai 2011) mais avec un plus faible ratio de jeunes enfermés sans jugement. Les jeunes filles représentent 4% des mineurs détenus, chiffre de même ordre en Europe de l’Ouest, Centrale et du nord. Les dangers de l’incarcération. ils ont bien été mis en évidence aux états-unis où les conditions de détention sont particulièrement à risques, notamment du fait de la surpopulation carcérale et du manque de personnel d’encadrement, mais là aussi où les enquêtes criminologiques sont menées avec le plus de moyens. L’incarcération qui conduit à séparer les mineurs de leur communauté d’appartenance et de leur famille les rend plus vulnérables à l’environnement de la prison3. Elle produit un effet d’affiliation aux comportements antisociaux et une identification avec la déviance. Elle a un impact défavorable immédiat et à long terme sur l’emploi et les études. non seulement les pathologies psychiatriques sont fréquentes mais une partie non négligeable des troubles est déclenchée ou exacerbée par l’incarcération elle-même : un tiers de ceux diagnostiqués avec un état dépressif ont débuté cet état dépressif lors de l’incarcération, c’est aussi le cas des suicides qui sont très idéalisés, et des automutilations. 3. Voir par exemple : the dangers of detention : the impact of incarcerating youth in detention and Other Secure Facilities. a Justice Policy institute Report by Barry Holman and Jason Ziedenberg. Ou une synthèse en français : Lettre du pôle « Sécurité et Cohésion », Juin 2007, n°1. danS LES MuRS 785 La surpopulation facilite les habitus violents dont la maltraitance physique et sexuelle régulière, l’usage de toxiques, les violences contre le personnel et les bagarres entre détenus. La fréquence des récidives aux états-unis pour les courtes peines est très élevée (70% dans l’année). il est toutefois difficile de tirer des conclusions claires de telles enquêtes pour la France, d’autant plus que le taux de mineurs incarcérés est beaucoup plus élevé aux états-unis. Sur le territoire français, les enquêtes ont été menées dans des systèmes juridiques et des organisations pénitentiaires différentes. En sus des quartiers réservés exclusivement aux mineurs, des établissements Pénitentiaires spécifiques pour Mineurs (EPM) ont été créés. ils offrent des conditions facilitant la reprise d’un parcours éducatif ou d’une formation. un rapport récent du Sénat4 suggère que des défauts de conception menacent toutefois la pérennité de ces structures. Elles concernent la distribution des temps collectifs, l’architecture, etc. un modèle architectural, le modèle « Grosse », comme le panoptique de Bentham, expose les adolescents au regard de ceux qu’il ne peut voir, mais ici non pas tant les gardiens que les autres mineurs incarcérés. Le simple examen du trajet de l’adolescent dans la cour centrale peut engendrer des phénomènes de groupe violents, particulièrement lorsqu’il se dirige vers des lieux significatifs pour la vie de l’établissement. toutefois la violence des mineurs est un problème récurrent dans les EPM et n’est pas confinée à ces considérations architecturales. En allemagne, au sein du système pénitentiaire pour mineurs5 les comportements violents à l’encontre des codétenus et des surveillants sont aussi particulièrement fréquents. ils sont imputés à la méconnaissance par les jeunes délinquants des marges de manœuvre interactionnelles formelles et informelles mais aussi à la cohabitation contrainte de nombreux auteurs de faits violents. En France, le taux global connu de réitération durant les 12 mois est d’environ 30% pour 4. Cf. rapport déjà cité. 5. avec la particularité qu’il concerne une tranche d’âge différente : entre quatorze et vingt-cinq ans. Les structures sont petites et offrent des formations scolaires et professionnelles et un important équipement en personnel social (un pour 35 détenus) et psychologue (un pour 76 détenus). 786 JaCQuES dayan l’ensemble des mineurs délinquants pris en charge par la Protection Judicaire de la Jeunesse, que l’on peut comparer avec un taux connu de réincarcération de 30% dans les six mois pour les mineurs incarcérés. Ces résultats doivent être pondérés par le fait que les mineurs incarcérés sont plus souvent déjà des mineurs réitérants ou récidivants et qu’il est continûment montré en Europe comme en amérique du nord que si les réitérations ou récidives sont plus fréquentes à court terme quel que soit le contexte entre quinze et vingt-cinq ans, elles sont d’autant plus fréquentes que le mineur a déjà été condamné et/ou incarcéré, et plus fréquentes après incarcération que pour un régime alternatif (milieu ouvert avec travail familial). Perspectives éducatives et thérapeutiques. En allemagne, les personnels pénitentiaires exercent leurs fonctions sans éducateurs associés, l’idée d’une prison éducative reste encore comprise comme une mission dans le sens d’une punition traditionnelle. En France, pour promouvoir le travail éducatif il a été décidé d’associer en binôme éducateur et surveillant. Le bénéfice n’en est pas encore démontré. En effet beaucoup de nouveaux surveillants n’ont plus d’expérience de référence avec les adultes qui leur permettrait d’intégrer un fonctionnement sécuritaire de base pour l’adapter aux mineurs, et les éducateurs n’ont pas encore de référentiels ayant fait leurs preuves pour travailler dans les conditions d’enfermement des prisons. un modèle de travail est toujours en recherche. Les préoccupations psychologiques rapportées dans les documents officiels sont centrées sur la maladie mentale surajoutée et surtout sur le risque suicidaire mais non sur la psychopathologie spécifique de la délinquance et de la tendance antisociale. Les troubles caractérisés sont eux-mêmes difficiles à traiter, ce d’autant plus que le séjour y est court et les projets réduits par l’incertitude du devenir des détenus. Les limites à la prise en charge psychologique ou psychiatrique proviennent pour une large part d’une organisation (Hibon, 2009) dominée par la sécurité et l’ordre judiciaire. Le travail psychothérapique n’a de place qu’à la marge et se trouve constamment dans un équilibre institutionnel précaire, le travail pédagogique n’a pas de prise sur la dynamique des conflits internes à l’institution ou au groupe. une analyse des prises en charge au Royaume-uni des jeunes délinquants danS LES MuRS 787 condamnés à des peines d’emprisonnement retrouve aussi des tensions particulièrement vives entre l’approche traditionnelle, qui met l’accent sur le contrôle et la punition « pour le bien de l’individu », et la reconnaissance récente de l’importance de l’éducation et de la formation dans la réussite de la réinsertion des jeunes délinquants. En Suède (Wihlborg, Holmberg, 2006), l’incarcération des mineurs a été totalement supprimée6, des structures spécifiques ont été créées notamment pour les adolescents criminels mais ce ne sont pas des prisons. Elles présentent des caractéristiques tout à fait originales, sortes de Centres éducatifs Renforcés avec plus de moyens, sans personnel pénitentiaire, un accent mis sur la sécurité et une durée beaucoup plus longue de séjour. au total, bien que les EPM constituent un progrès, il n’est pas clairement établi dans quelle mesure la création d’établissements spécifiques diminue les principaux risques associés à l’incarcération. L’intérêt des EPM reste à établir en regard de ceux des CEF et CER ou des structures spécifiques non carcérales créées par exemple en Europe du nord. il est important de rechercher si le financement des EPM ne pourrait être utilisé à d’autres projets, comme la mise en place des structures d’enfermement non pénitentiaires comme en Suède, et d’autre part de valoriser le renforcement du travail préventif et les structures en internat, pour des résultats à peu près comparables en termes de réitération à court terme mais meilleurs en termes de « desistance » et de santé mentale. CEntRES éduCatiFS FERMéS Et REnFORCéS : LES PROJEtS il existe actuellement en France environ 45 centres pour 500 places. Ces centres représentent une exception aux modalités ordinaires de prise en charge, le milieu ouvert, et un moyen exceptionnel de résoudre certains passages sensibles de l’adolescence qu’aucune autre institution, dont les « foyers » de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) ou les instituts thérapeutiques, éducatifs et Pédagogiques (itEP), ne semble rendre 6. En 1832, en France, le Comte d’argout, ministre qui a sous sa tutelle l’administration pénitentiaire tente de soustraire les mineurs délinquants non discernants à son administration pénitentiaire : « une prison ne sera jamais une maison d’éducation. » 788 JaCQuES dayan possible. ils sont aussi une alternative à l’incarcération. La mesure est contrôlée dans le temps, la durée d’un placement ne peut excéder 6 mois, renouvelable une fois. L’impact de cette restriction qui limite l’emprise institutionnelle mais aussi le projet éducatif a mal été mesuré. Projets et règles institutionnels. dans ces projets l’enfermement suppose pour les soignants un espoir « thérapeutique » plus qu’un sentiment de participer à la répression. ils accueillent pour trois quart des mineurs plusieurs fois condamnés et parmi le quart restant beaucoup ayant commis des faits de nature criminelle principalement des viols. Cette association est discutable7. aujourd’hui un bilan est très difficile à mener. des bénéfices apparaissent indirects par l’évitement de l’incarcération et de ses nombreux risques psychologiques et sociaux, ou directs par l’action pédagogique associée aux prises en charge psychologiques. Peu de statistiques fiables sont à disposition des chercheurs concernant le devenir de ces enfants, leur condition psychosociale, le taux de récidive, etc. une étude menée auprès de 358 mineurs (Choquet, 2011) a montré qu’au-delà de 5 mois et demi de séjour le taux de réitération semblait plus bas. La durée de séjour brève des mineurs dans ces centres a aussi été signalée par des éducateurs, des psychologues et des parents comme une source de difficultés pour stabiliser les progrès qui semblaient avoir été constatés. dans d’autres pays européens, la durée des prises en charge éducatives est beaucoup plus longue et leur efficacité peut-être plus élevée mais elle soulève par ce fait d’autres problèmes de droit. Globalement les problèmes principaux signalés concernent : l’absence de politique globale de gestion des centres, l’absence de soubassements théoriques quant aux projets éducatifs, la faible formation des intervenants, la difficulté à gérer la violence, le faible nombre d’intervenants formés à la psychologie et de supervisions dans ce domaine, le faible lien avec les institutions en santé mentale, le flou des projets et de leur suivi. Deux limites institutionnelles : formations initiales des éducateurs et environnement de soins. une des caractéristiques de ces centres en est l’hétérogénéité en termes de formation des personnels, de moyens mis à 7. Cf. organisation en Suède. danS LES MuRS 789 disposition notamment en santé mentale, et de méthodes de travail. Le bilan en est nuancé, et surtout très incomplet. Les exigences élevées de ces centres peuvent mettre très sérieusement en difficulté les « éducateurs » tout particulièrement lorsque ces derniers n’ont pas reçu de formation spécifique, ne bénéficient pas de supervision appropriée et de liens suffisants avec les structures pédopsychiatriques. il s’agit dans ces derniers cas pour beaucoup de professionnels (plus rarement de directeurs ou de cadres intermédiaires) recrutés sur la foi de qualités pédagogiques supposées ou d’expériences jugées apporter une caution à leur qualité d’encadrant. Bien que ces qualités puissent être exactes, voire indispensables, car vraisemblablement « ne peut être éducateur que celui qui peut sentir de l’intérieur la vie psychique infantile »8, il est tout à fait paradoxal que l’institution judiciaire ait renoncé à former systématiquement ceux qui vont exercer une des tâches éducatives les plus difficiles et les plus complexes. durant la formation d’éducateur, une part importante a pu être consacrée à la psychologie et à la psychopathologie de l’adolescence. C’est une conception étrange de l’adolescence ou plutôt une absence de conception de l’adolescence et des processus spécifiques de l’activité de mentalisation et de symbolisation à cette période que de recruter des personnels à charge d’éducation qui n’ont pas été formés à cette spécificité. C’est s’appuyer sur l’intuition pour prendre en charge des adolescents sans tenir compte des relations transférentielles et contretransférentielles intenses qui peuvent s’imposer9, ni des difficultés de gestion de la violence symbolique ou réelle qui immanquablement fera issue dans ce cadre. C’est aussi ne pas tenir compte des moments de déception inévitables : en effet les résultats les plus bénéfiques n’apparaissent souvent qu’après une importante latence. Beaucoup vont démissionner ou changer d’emploi, certains avec un sentiment d’échec personnel qui n’est généralement pas justifié mais dû à la faiblesse des structures, des projets et des instruments conceptuels permettant d’évaluer l’action et de gérer la relation individuelle et groupale. Le malaise et la 8. Freud, 1913, p. 212. On connaît toutefois à l’empathie ses limites. 9. avec les risques de contre-attitudes agressives, de séduction réciproque, de « stress de compassion », etc. 790 JaCQuES dayan souffrance des éducateurs dans certains de ces centres n’est pas un vain mot. un rapport du Sénat10 sur l’activité des CEF rapporte que le CEF de Saint-Venant, a connu cinq directeurs en six ans et un taux d’absentéisme de 60%. au CEF de Fragny et au CEF de Savigny-sur-Orge de très nombreux membres du personnel ont été mis en arrêt maladie parfois prolongé, certains à peine sortis des écoles d’éducateurs et déstabilisés par la violence des jeunes. Les centres associés à une structure de santé mentale semblent plus performants et moins en difficulté. toutefois, la question n’est pas seulement de l’accès aux soins mais de la prise en compte intégrée de la dimension psychique. Les troubles et souffrances psychiques doivent pouvoir se gérer, sauf exceptions, dans l’institution CEF ou CER, éventuellement avec l’aide de spécialistes, car sinon le risque est grand de cliver la dynamique institutionnelle, introduisant le trouble ou l’émergence du symptôme comme un effet indépendant de la vie institutionnelle, ce qu’il est rarement. C’est donc la synergie entre une pratique éducative et une réflexion psychologique qui importe. CEF Et CER : EntRE SOinS, PédaGOGiE Et déFEnSE SOCiaLE11 Différencier soins, pédagogie, condamnation et peine. La nécessité de la défense sociale peut justifier une condamnation même pour un mineur et l’incarcération reste en France une des modalités de la peine. Récemment aux états-unis, et depuis plus longtemps en Europe, un mouvement important s’est créé en faveur des alternatives à l’incarcération chez les mineurs, dont les travaux d’intérêt général. nous l’avons vu, en Suède les mineurs ne sont plus incarcérés. au Royaume-uni, il existe une gradation des peines avec le principe d’une peine rapide, comme le prônait C. B. Beccaria (1764), qui respecte le droit des victimes et favorise la réparation tout en ne recourant à l’incarcération qu’en tout dernier recours. La difficulté en effet consiste à exercer un contrôle social qui n’obère pas les chances d’un développement social favorable du mineur délinquant en tenant compte de l’inachèvement de son développement. 10. Cf. rapport du Sénat 2011, déjà cité. 11. L’enfermement pour trouble mental ne sera pas abordé. danS LES MuRS 791 Des objectifs pédagogiques ? Pour Freud, qui classe l’éducation au nombre des tâches « impossibles », il importe à l’éducateur ou au pédagogue de ne pas réprimer violemment les motions pulsionnelles socialement inutilisables ou perverses « mais plutôt de se garder soigneusement de combler ces sources de forces fécondes et se borner à favoriser les processus par lesquels ces énergies sont conduites vers le bon chemin »12. Si même pour un enfant ordinaire, Freud (1933) souligne le chemin étroit de l’éducation entre laisser faire et interdiction qu’en est-il pour un adolescent violent et récidiviste, engagé dans la délinquance avec parfois déjà des bénéfices secondaires ? une réponse à ces interrogations a été apportée en partie à travers les modalités de soins aux jeunes délinquants développées par a. aichhorn. En France, l’histoire de la pédagogie des enfants délinquants a été marquée par l’influence de la psychanalyse à travers notamment l’expérience de E. Minkowski au Foyer de Soulins aux sources théoriques œcuméniques, l’influence de d. Lagache depuis la seconde guerre mondiale et aussi l’apport de l’éducation spécialisée (ou pédagogie curative). L’enseignement de la psychopathologie clinique est associé au sein de la PJJ, au moins depuis l’après-guerre, à l’entreprise pédagogique mais a connu un recul marqué depuis quelques années. Les objectifs de la pédagogie sont en effet liés aux idéaux sociétaux d’une époque. ils ressortent aussi des cadres théoriques qui ont été construits pour expliquer la délinquance. Socialiser l’adolescent délinquant récidiviste ? Cette perspective dans une approche psychodynamique correspond à une action à plusieurs niveaux. un des objectifs est de permettre de tolérer autrui puis d’engager une relation supportant l’altérité, malgré la destructivité et la haine, les failles narcissiques, les mécanismes de clivage et de déni et plus généralement l’archaïsme des mécanismes de défense mis en œuvre, la peur et l’insécurité. Cet autrui, plus souvent qu’un pair est un éducateur sur qui repose donc d’assurer des éléments transférentiels et contretransférentiels. La socialisation dans une acception plus large inclut les déclinaisons groupales, institutionnelles et sociétales visant à engager 12. Freud, 1913, p. 213. 792 JaCQuES dayan l’adolescent dans le groupe institutionnel et permettre des identifications latérales et partielles portées par les pairs mais aussi supportables pour eux, des identifications à une figure d’autorité suffisamment bienveillante, l’associer et l’intégrer à un lieu institutionnel avec ses règles le préparant à trouver la possibilité de liens sociaux secures à travers la possibilité d’engagement dans le travail13. Ces institutions ont aussi pour tâche de développer une forme de rationalité sociale, « prudentielle » (dupuy, 1992), qui se traduira par l’utilisation des nouvelles règles et de nouveaux principes normatifs, permettant d’« explorer des possibilités de réinterprétation du risque » (dupuy, 1992). une autre institution fondamentale dans la socialisation est la famille. En 200714, 31% des mineurs placés étaient issus de familles monoparentales, 20% vivaient en dehors de tout cercle familial et presque tous ne fréquentaient plus aucun établissement scolaire depuis au moins 6 mois. Ce maillage autour de l’adolescent est l’un des plus complexes à mettre en place mais a pu montrer globalement son efficacité. Une structure contenante ? L’institution doit être suffisamment solide pour faire face à la violence, verbale ou physique, qui en menace constamment la cohérence, sans asservir l’adolescent au calme artificiel des psychotropes ou recourir à la menace de la rétorsion physique et encore moins à son exécution, et éviter la séduction, l’abus et la maltraitance. Elle doit selon d. W. Winnicott résister à ses agressions et pour cela avoir les qualités d’« un environnement nécessaire à un petit enfant immature […] qui a la force et la ruse […] d’un adulte »15. Rien ne semble pouvoir remplacer dans cette tâche, l’impératif minimal d’une contenance physique assurée par la présence d’un personnel en nombre suffisant et apte à contenir cette violence. En effet, la sécurité physique est une condition indispensable au travail de pensée d’autant plus nécessaire 13. L’institution ne peut préparer à la parentalité, ni à la vie de couple qui sont l’autre pivot de la stabilité sociale. Elle n’endoctrine pas non plus idéologiquement ou religieusement dans un état démocratique, elle n’envoie pas les délinquants sur le front, toutes solutions qui ont été mises en œuvre à différentes périodes de l’histoire. 14. Rapport Sénat déjà cité. 15. Winnicott, 1958, p. 227. danS LES MuRS 793 que la promiscuité psychique et physique met en tension des organisations très archaïques de la personnalité. Les parents des adolescents placés ne remplissant plus suffisamment, pour la plupart, le rôle de « pareexcitations » et de « médiateur social ». Les enfermements, le cadre : l’apport d’une réflexion psychanalytique. Le rapport de J.-M. delarue, Contrôleur des libertés16 fait apparaître le caractère mal défini des règles et des projets, c’est-à-dire du cadre explicite des centres. Ce déficit est plus aisément analysable que le dysfonctionnement ou la contradiction apportés par des règles implicites. Les contraintes implicites en effet n’exercent pas moins un effet structurant ou non sur les adolescents placés. un espoir paradoxal placé dans l’enfermement est de faire échapper l’adolescent aux contraintes internes qui le conduisent à la répétition d’actes violents et impulsifs. avec des adolescents délinquants une exigence d’immédiateté de la réponse se fait sans cesse jour dans des interactions sociales difficilement négociables. Cette exigence met en difficulté éducateurs et soignants qui doivent sans cesse reconstruire un espace intermédiaire de création et de non-décision qui ne peut s’appuyer que sur le cadre. Pour cela plusieurs conditions sont nécessaires. tous les détails de l’environnement jouent un rôle, y compris les « déchets du cadre ». Selon J. Bleger (1966), par le cadre il est possible de faire alliance avec la partie la plus régressée (psychotique) du patient. P.-C. Racamier (2002) définit clairement ce qu’est un cadre pour le processus psychanalytique et étend cette définition à l’institution soignante : « Ce qui le fonde est un espace, un rituel, des repères temporels (c’est-à-dire des rythmes), des règles et des limites. C’est encore le fait simple et évident qu’on y entre et que l’on peut en sortir. » il précisera aussi que le cadre institutionnel « est avant tout constitué de personnes » et que ce qui le fait vivre ce sont « des règles et un processus ». une de ses fonctions est d’assurer la sécurité interne des sujets y participant : « il fait collectivement office de pare-excitations », « il ne défigure pas, il filtre » et cette opération « s’applique autant aux 16. Cf. dans ce même numéro de la revue l’article de J.-M. delarue : « état des lieux de l’enfermement », pp. 823-841. 794 JaCQuES dayan opérateurs du soin qu’aux patients ». il décrit des institutions « malades » du cadre, notamment « molles où les règles sont nulles, creuses où elles sont faibles » et « perverses, où les règles effectives et jamais dites, sont tout autres que les règles annoncées ». il y ajoute, celles où « les règles sont imposées par les patients » et que nous pourrions dans ce contexte qualifier de délinquantes. P.-C. Racamier développe aussi comment les attaques du cadre et les réponses qui y sont apportées sont partie prenante du processus thérapeutique à condition d’y apporter une réflexion constante et une réaction adaptée. il fait du cadre un système vivant qui nécessite une régulation particulière, et donc la formation, la supervision et l’encadrement des soignants : dans ce travail, l’aspect réglementaire est nécessaire mais ne suffit pas. Supporter l’investissement en contre et le contre-investissement. il a été maintes fois souligné le caractère paradoxal que peuvent prendre les investissements à l’adolescence, retournés en un contre-investissement phobique, que résume l’adresse à l’objet d’amour « si tu m’aimes vraiment, pars ». Chez certains adolescents délinquants, l’incapacité à investir des objets d’amour répond au sentiment de leur manque de fiabilité et à la crainte de la dépendance. Le contre-investissement apparaît alors comme une butée contre la crainte de l’effondrement ou de la désintrication qui résulterait de l’échec de la relation. La « position phobique centrale » (Green, 2000) répond à un état de vigilance construit contre les stimuli sources d’excitations incontrôlables. Selon cet auteur, en cas de patients limites, « l’indiscrimination affect/représentation » et la déficience de la symbolisation conduisent à privilégier le recours à des « bastions défensifs auxquels le moi se cramponne ». Seul le cadre s’il est suffisamment travaillé pourrait permettre le dépôt (provisoire) des aspects régressés de la psyché bloquant les investissements premiers. nous avons pu constater dans le contexte de supervision d’éducateurs et de psychologues travaillant en institution recevant des mineurs violents et délinquants, souvent d’ailleurs au passé parsemé de trauma et d’abandons, comment la relation d’adolescents « limites » au groupe évolue avec de minimes modifications du cadre. Si les comportements peuvent être analysés en termes individuels, il est flagrant que se constituent, comme danS LES MuRS 795 une vague, des changements d’état du groupe, parfois malheureusement trop pérennes, déclenchés par un comportement, une phrase ou une attitude. Cette intense sensibilité à l’environnement surgit souvent dans des groupes dont les « hypothèses de base » se sont au préalable progressivement modifiées, régressant du groupe messianique au groupe attaque-fuite (le groupe œdipien étant rarement atteint dans ces structures) si l’on accepte le modèle de W. R. Bion (1961). En conclusion, l’enfermement judiciaire dans les CEF ou CER, décidé comme une réponse d’ordre public à des comportements socialement inacceptables, offre à certaines conditions une perspective d’évolution en réponse à l’action pédagogique. il permet cette attente, remède à l’adolescence, réduisant la destructivité à un seuil tolérable. il s’oppose parfois à l’enfermement « interne » dans des comportements itératifs phobiques et violents s’installant parfois comme contreinvestissements stables. toutefois, comme l’a précisé P.-C. Racamier, ce type d’institutions nécessite un cadre, c’est-à-dire des personnes, des règles claires et connues de tous, et un processus. Sur un plan pratique cela signifie aussi qu’une perspective uniquement éducative ne semble pas seule pouvoir conduire à une institution vivante, résistante et pourtant dynamique et respectueuse des sujets accueillis, capable d’engendrer un processus de changement suffisant dans le contexte d’adolescents souvent carencés et violents. La régulation du cadre institutionnel s’avère nécessaire pour garantir à ce déploiement exceptionnel de moyens sa meilleure efficience. il nécessite la prise en compte systématique de la dimension psychique, et pas seulement réglementaire, du conflit et de son impact dans l’institution. un tel projet nécessite des éducateurs formés, soutenus et supervisés. d’autre part, la mesure de placement dans ces centres s’insère dans un projet plus global concernant un parcours et une dynamique de prise en charge institutionnelle et individuelle des adolescents délinquants. il semble donc nécessaire d’évaluer, pour que cela prenne sens dans une totalité, leur efficacité à accompagner le développement et la maturation de l’adolescent, à lutter contre la réitération des comportements violents ou délinquants, et de façon plus 796 JaCQuES dayan générale à s’occuper de la santé mentale. il est en particulier tout à fait incertain qu’une durée de 6 mois même renouvelable une fois suffise. étant donné leur coût particulièrement élevé, ils pourraient être réservés avec plus de moyens à certains cas spécifiques. Conjointement les autres alternatives au milieu ouvert, que représentent les internats et foyers, mieux structuréses et soutenues, se compléteraient de mesures de réparation plus fréquemment mises en place. BiBLiOGRaPHiE BECCaRia C. B. (1764). Des délits et des peines. Lyon : EnS éditions, 2009. (1961). Recherches sur les petits groupes. Paris : PuF, 1972. BLEGER J. (1966). Psychanalyse du cadre psychanalytique. in : R. Kaës et al. Crise, rupture et dépassement. Paris : dunod, 1979, pp. 255-274. cHOQuEt L.-H. (2011). La réitération. À l’issue d’un séjour en centre éducatif fermé. Les Cahiers Dynamiques, 52 : 43-53. duPuy J.-P. (1992). Ordres et désordres. Paris : Seuil. FREud S. (1913). L’intérêt de la psychanalyse. in : Résultats, idées, problèmes, I. Paris : PuF, 1984, pp. 187-213. FREud S. (1913). éclaircissements, applications, orientations, XXXiVe conférence. in : Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse. Paris : Gallimard, 1984, pp. 182-210. GREEn a. (2000). 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