Hystéries
Antonio Quinet
Dans L'en-je lacanien 2004/2 (no 3),
3) pages 51 à 66
Éditions Érès
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ISSN 1761-2861
ISBN 2749202965
DOI 10.3917/enje.003.0051
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Antonio QUINET
Hystéries
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’hystérie a été exclue de la nosographie psychiatrique – on
ne la trouve plus dans les manuels de diagnostic DSM 4 et CID 10, Code
international des maladies. Mais si l’hystérie a été mise à la porte, elle
rentre sous bien des formes par la fenêtre. Hystéries, au pluriel – voilà le
titre de la réflexion que je viens vous proposer ici 1.
Charcot disait : « L’hystérie a toujours existé, partout et de tout
temps. » Et en effet, on assiste de nos jours au retour des tableaux cliniques qu’il a décrits : des hystéro-épilepsies, des délires de possession
démoniaque, des hallucinations visionnaires, des contractures, des paralysies, des paresthésies, des parésies, des spasmes, des cécités, mais
aussi de nouvelles formes où le corps est l’objet, telles l’anorexie et la
boulimie. La plasticité et la diversité de l’hystérique apparassent sous
plusieurs formes, que ce soit celle de la folle, de l’obsessionnelle, de la
Antonio Quinet, psychanalyste à Rio de Janeiro, membre de l’École de psychanalyse des
Forums du Champ lacanien.
1. Conférence donnée à la rencontre de l’EPCL-Forum do Rio : « Hystérie : sujet, corps et
discours », à Rio de Janeiro, en 2003 (adressée aux étudiants de médecine).
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L
52 —— L’en-je lacanien n° 3
déprimée, de l’autiste ou de la catatonique. Sans compter toutes les maladies organiques que l’hystérie peut simuler et qui peuvent la conduire jusqu’à la chirurgie.
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Dans les clubs de gymnastique, elle veut faire de son corps le
corps de l’autre femme. C’est ce qui se passe dans le registre imaginaire
et donc peut être généralisable. Mais lorsqu’il y a le symptôme, c’est du
particulier qu’il s’agit. Je me rappelle un cas d’hystérie dont le symptôme
était la gymnastique au club où elle passait dans les six heures par jour,
sans interruption. Voilà un type de trouble difficile à localiser dans la
nosographie psychiatrique. On pourrait dire qu’il s’agissait d’un TOC,
d’un trouble obsessionnel compulsif, mais ce n’était pas cela. Il ne s’agissait pas non plus d’un trouble hypocondriaque, parce qu’il n’y avait rien
qui parlait dans son corps. Toutefois, ce qui a été clair lors d’un entretien,
c’est qu’elle faisait de la gymnastique pour effacer de son corps les
marques de la jouissance de son père – les traits des scènes de séduction
sexuelle effectuée par son père lors de son enfance. Le symptôme de
faire de la gymnastique pour « ne pas avoir du ventre » trouve sa raison
dans la tentative de faire disparaître de son corps les marques de la main
du père qui l’avait touchée juste au-dessous du ventre.
L’hystérie n’est pas seulement un type de symptôme dont les vestiges se trouvent dans les troubles de la conversion et de la division subjective. Elle est un type clinique de névrose, soit une façon de faire face à
la castration et aussi une stratégie spécifique du désir. Elle est encore une
forme de lien social, de discours qui se distingue des autres, comme ceux
où il s’agit de gouverner, d’éduquer ou de psychanalyser. Hystéries, donc.
Un désir inédit
Ce qu’on rejette lorsqu’on refuse l’hystérie, c’est l’inconscient
même et la causalité psychique à l’origine des symptômes. Au moment
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On peut y ajouter ces formes modernes qu’on trouve dans les
centres urbains, comme par exemple l’hystérique académique, qui va à
l’université, où elle fait du savoir un symptôme, aussi bien que dans les
académies de gymnastique.
Hystéries —— 53
d’évoquer les manifestations psychiques et somatiques en tant que
troubles, comme le fait la psychiatrie actuelle, on rejette le sujet en toutes
ses dimensions : le sujet de l’histoire, le sujet de désir, le sujet de droit. On
rejette enfin le sujet dans sa polarité de sujet du langage et de sujet à la
jouissance.
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Freud a été ce médecin (S1) qui, acceptant une hystérique en tant
que son maître ($), a produit un savoir (S2) inédit : la psychanalyse. Celleci est historiquement et structurellement tributaire de l’hystérie, car c’est
elle qui nous livre très facilement le fonctionnement de l’inconscient, l’origine sexuelle de ses symptômes, le corps en tant que scène de la jouissance (a) et le transfert amoureux et passionnel qui s’adresse à l’Autre du
savoir. C’est ce qu’écrit le mathème du discours de l’hystérique :
$
____
a
→
S1
____
S2
La méthode cathartique et la possibilité de traiter l’hystérie comme
une véritable pathologie, au-delà de l’accusation de simulation portée
par Babinski, furent données à Freud respectivement par Breuer et par
Charcot. Il a aussi appris de tous deux l’indication de l’origine sexuelle
des symptômes hystériques. Ces indications sont venues incidemment
et hors du champ de l’enseignement ou de la thérapeutique. Un jour,
dans la rue, Breuer lui a même dit que dans l’hystérie les problèmes
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Comment peut-on accueillir ce sujet ? On va le recevoir en tant que
symptomatique, puisque, là où il y a un symptôme, il y a aussi un sujet.
Accueillir l’hystérie, c’est accueillir le sujet de l’inconscient, car les hystériques sont des amies de l’inconscient, des sympathisantes de la cause
analytique, des militantes de la libre association. L’invention de la psychanalyse est étroitement liée à ce qu’une hystérique a dit à son médecin
à la fin du XIXe siècle : « Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez
pas ! » De cette façon, elle s’empare de la procédure de son médecin, se
met à parler de forme ininterrompue et décharge spontanément toutes les
réminiscences pathogéniques, tous les souvenirs douloureux, et c’est alors
qu’à travers ses mots ses symptômes vont se défaire.
54 —— L’en-je lacanien n° 3
commencent toujours au lit. Selon Charcot, dans l’hystérie, « c’est toujours
la chose génitale ! Toujours ! ». Breuer et Charcot n’ont rien fait de leurs
constatations, mais Freud a pu à partir de là formuler la causalité sexuelle
des névroses.
Sur ce qu’il y avait entre l’hystérique et le médecin, Breuer et
Charcot ne voulaient rien savoir. Lorsque Anna O a exprimé son amour
érotisé pour Breuer à travers une grossesse imaginaire, celui-ci a interrompu la cure, est parti en vacances, et pendant celles-ci sa femme est
devenue enceinte. Charcot, le maître du visuel, mettait en scène – à l’hôpital la Salpêtrière tous les mardis – les hystériques de son service et, à
travers l’hypnose, faisait et défaisait les symptômes. Certaines de ses
patientes – les plus amoureuses transférentiellement telles que Blanche et
Augustine 2 – sont même devenues les vedettes de la Salpêtrière.
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Le désir de l’analyste en tant qu’opérateur logique se distingue des
autres puisqu’il est celui qui amène l’analyste à conduire le sujet à un parcours sans prévision ou anticipation, qui sera donc singulier, au-delà de
la thérapeutique, car c’est un parcours particulier, affectif et épistémique,
qui concerne l’être, l’histoire, le désir et la jouissance. Car le désir fait de
chaque sujet avec son symptôme une singularité.
La jouissance de la privation
Dans le sens commun, on considère souvent que l’hystérique ne
veut que du sexe et qu’elle serait guérie si elle était satisfaite sexuellement. Ce n’est pas vrai. Cette erreur a conduit Chroback, médecin gynécologue et ami de Freud, à prescrire aux hystériques « penis normalis,
dosim repetatur 3 ». L’hystérie, tout au contraire, est caractérisée par le
2. Cf. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, Paris, Macula, 1982.
3. Sigmund Freud, História de um movimento psicanalítico, ESB, Imago, v. 14, p. 24.
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Tous les deux étaient loin de percevoir ce que Freud allait en dégager : le transfert. Différemment de ses maîtres, il a soutenu le transfert de
ses patientes. Quelle différence y a-t-il entre ces trois réactions si
inégales ? Le désir. Breuer a été mû par le désir sexuel, Charcot par le
désir du maître et Freud par le désir de l’analyste.
Hystéries —— 55
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Freud définit l’hystérie non pas par le type de symptôme mais plutôt par le type de réaction éprouvée dans le registre de la jouissance :
« Je considère hystérique sans doute tous ceux qui devant l’excitation
sexuelle éprouvent, avec prépondérance ou exclusivement, des sensations de déplaisir (Unlustgefühle) et qui peuvent ou non présenter des
symptômes somatiques 5. » Un peu plus loin dans ce texte, Freud définit
la sensation de déplaisir éprouvée par Dora : Eckel – dégoût, répugnance. Dégoût et indifférence sont les noms de la jouissance hystérique.
Qui est le partenaire sexuel de l’hystérique ? C’est le symptôme qui
marque sur son corps une scène de jouissance.
Le sujet hystérique offre son corps comme un lit ou une table à
l’Autre et lui dit : « Servez-vous ! » Son corps est le lit de l’inscription du
langage, de l’histoire libidinale où il a été l’objet de séduction de l’Autre.
Son corps est érotisé par l’Autre. Le corps est aussi la table de jeu entre
le conscient et l’inconscient, les sens et le non-sens, la présence refoulante
de la raison et le retour du refoulé 6.
4. Jacques Lacan, Le séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Le Seuil,
1991, p. 112.
5. Sigmund Freud, Fragmento de um caso de histeria, ESB, Imago, v. 7, p. 24.
6. Cf. Jacques Lacan, « Radiophonie », Scilicet, n°2-3, Paris, 1970, p. 77 (où Lacan définit le corps en tant que table de jeu).
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refus du sexe : « Ça non ! » Elle refuse pour rester manquante, désirante,
provocatrice et ainsi soutenir son désir comme insatisfait. Le refus est un
des noms de l’hystérie. Lorsqu’elle se met du côté du désir, elle se fait priver de la jouissance. Tel est le cas de la « Belle bouchère », la patiente
de Freud qui était tout à fait satisfaite sexuellement avec son mari, et qui
pourtant lui demandait de la priver de ce qu’elle aimait le plus – le
caviar –, afin de maintenir son désir insatisfait. En effet, il s’agit dans l’hystérie non pas d’une privation de jouissance, mais plutôt d’une jouissance
de la privation 4. C’est la modalité de l’actualisation du Penisneid dans
l’hystérie. L’équivalent hystérique de la castration féminine, c’est la jouissance d’être privée de pénis, de sexe et de plaisir.
56 —— L’en-je lacanien n° 3
Le refus du savoir
L’hystérique est la copine du savoir, cependant elle se met à la
place du non-savoir – « Je ne veux rien en savoir », « je m’en fous ». Elle
ne se contente pas de provoquer le désir de savoir, elle demande le
savoir au médecin, au psychiatre, à l’astrologue et à la voyante. Un
détail : pas un seul de ces savoirs peut suffire à l’hystérique et lui servir
pour longtemps. Voilà l’ambiguïté de l’hystérie : la demande et le refus
du savoir ; elle l’idéalise et le dévalorise. Ainsi, comme un ballon de
volley-ball, l’hystérique l’envoie en haut pour tout de suite le jeter au sol.
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L’hystérique est bipolaire dans sa structure : sujet et objet. C’est le
sujet du désir pur qui glisse d’un objet à l’autre, d’un vêtement à l’autre,
d’un CD à l’autre, d’un signifiant à l’autre. Elle n’arrête pas de consommer, de parler... Bavarde, consommatrice, dépensière – c’est son pôle
maniaque. Mais elle est aussi un objet qui peut choir, un objet délaissé
par l’Autre de l’amour. C’est son pôle dépressif.
L’hystérique peut donc présenter ces deux pôles. Mais on ne peut
pour autant l’étiqueter « bipolaire », car elle peut passer de la recherche
de la schizophrénie, ensuite à la recherche d’épilepsie, et ainsi de suite.
Si je fais ici une caricature des hystériques dans les services psychiatriques où on développe des recherches de médicaments, c’est pour montrer que de toutes façons l’hystérie est un défi à la science. Cependant, le
sujet hystérique n’est pas tout à fait la victime puisqu’il se place comme
un sphinx qui doit être déchiffré. En tant qu’objet d’investigation et d’intérêt, l’hystérique aime bien être un cas, voire un cas clinique, dans le but
de devenir un cas sérieux qui puisse faire exception et produire un nouveau savoir.
Cette identification à l’objet est paradoxale, car il s’agit d’un objet
actif qui concerne le savoir et le sexe. La stratégie de l’hystérique par rap-
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Le sujet hystérique s’offre ou accepte d’être un objet de recherche,
mais dans le but de mépriser le savoir du maître. Une patiente, qui participe à deux recherches de médicament à l’hôpital psychiatrique, m’a dit
lors d’une présentation de malades : « Lorsque je reçois la feuille pleine
de questions, je ne réponds jamais correctement. Je ne suis pas une
bipolaire. » C’est vrai et faux à la fois.
Hystéries —— 57
port au désir de l’Autre, c’est à la fois s’offrir et se garder, provoquer et
s’échapper. Nelson Rodrigues disait que « toutes les femmes aiment se
faire battre, seules les névrosées réagissent. » En ce qui concerne l’hystérie féminine, on pourrait dire : Toutes les femmes aiment être l’objet,
seules les hystériques s’y dérobent.
Elles s’offrent en tant qu’objet de savoir et se dérobent en tant
qu’objet de désir. Elles préfèrent un rapport épistémologique à un rapport sexuel, mais toutefois elles disent toujours le contraire. Elles se refusent en tant qu’objet mais délèguent à une autre femme un savoir censé
dire ce qu’est une femme. D’où leur fascination pour l’autre femme,
attraction toujours colorée de rivalité par rapport à cette autre qui sait si
bien être l’objet pour un homme.
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Les hystériques ont toujours été accusées d’être simulatrices, trompeuses, et elles sont encore objets d’agressions et de moqueries. Ce sont
des « malades détestables », disait Grisenger 7. Sydenham affirmait que
« l’hystérie imite presque toutes les maladies qui atteignent le genre
humain. […] Si le médecin n’a pas assez de sagacité et d’expérience, il
se trompera facilement 8 ». L’hystérique est alors considérée comme la
grande simulatrice, comme une espèce de Protée.
Babinski a tellement mis l’accent sur la caractéristique de suggestibilité du sujet hystérique qu’il a même réduit l’hystérie à une capacité
d’être suggestionné par soi-même et par les autres – hétéro et autosuggestion. Il la définit ainsi : « L’hystérie est un état pathologique se manifestant par des troubles qu’il est possible de reproduire par suggestion,
chez certains sujets, avec une exactitude parfaite et qui sont susceptibles
de disparaître sous l’influence de la persuasion 9. »
7. Cf. J. Falret dans Paul Bercherie, Genèse des concepts freudiens, Paris, Navarin, 1983,
p. 53.
8. Sydenham cité dans J. Babinski et J. Froment, Hystérie. Pithiatisme et troubles nerveux
d’ordre réflexe, Paris, Masson et Cie Editeurs, 1916, p. 10.
9. J. Babinski et J. Froment, Hystérie. Pithiatisme et troubles nerveux d’ordre réflexe, op.
cit., 1916, p. 20.
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La métaphore de la simulation
58 —— L’en-je lacanien n° 3
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Qu’est-ce que la simulation hystérique ? Elle est paradoxale. Le
rapport du sujet hystérique avec la simulation a été décrit par un poète :
« Il fait semblant celui qui est douleur, douleur vraiment ressentie 11. » Si
l’hystérique trompe l’autre, c’est fondamentalement pour se tromper ellemême. Cette tromperie est structurale et Freud l’a nommée « premier
mensonge » – le proton pseudos – à partir du cas Emma 12. Il s’agit d’un
mensonge par rapport à la causalité des symptômes. Emma croit qu’elle
est tombée malade parce que, à l’âge de 13 ans, elle était entrée dans
un magasin où les vendeurs s’étaient moqués de ses vêtements. Depuis,
elle se trouve empêchée d’entrer dans n’importe quel magasin. Mais ce
mensonge cache aussi une vérité : à l’âge de 8 ans, elle entre dans une
pâtisserie où le vendeur touche son sexe et rit ironiquement. Lors de ses
13 ans, cette première scène a été réévoquée et tout de suite refoulée, ce
qui a constitué le symptôme.
Σ
Scène2 (13 ans)
____________
Scène1 (8 ans)
=
Mensonge
____________
Vérité (sexuelle)
La constitution de ce symptôme montre la structure du sujet hystérique telle que s’y appréhende la métaphore de la simulation : un men10. Ibidem, p. 26.
11. Fernando Pessoa.
12. Sigmund Freud, Projeto para uma psicologia científica, parte II,
472.
ESB,
vol. 1, p. 463-
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Voilà pourquoi Babinski propose bel et bien la substitution du
terme d’hystérie par celui de pithiatisme, issu du grec peithein, la persuasion, et iatos, « guérissable », qui exprime donc ce qui peut être guéri sous
l’influence de la persuasion. Au Brésil par exemple, l’hystérie est connue
ordinairement par le mot péjoratif « piti ». Maintenant, on sait que c’est
grâce à Babinski ! Cette simplification montre que le préjugé du médecin
par rapport à ces malades simulateurs et suggestionnés en arrive à ce
point que Babinski dit : « Quand une émotion sincère, profonde, secoue
l’âme humaine, il n’y a plus de place pour l’hystérie 10. » L’hystérie, alors
réduite à un pithiatisme, est vouée au domaine du faux, de l’inauthenticité, du manque de sincérité et du mensonge.
Hystéries —— 59
songe qui remplace une vérité. Selon la définition lacanienne de la métaphore – substitution d’un signifiant par un autre signifiant –, on voit que,
dans la métaphore de la simulation, la scène 2 (mensonge) remplace la
scène 1 (vérité).
Le sujet hystérique montre cette structure dans le lien social. Il se
présente en tant que simulateur ($), c’est-à-dire qu’il fait semblant d’être
porteur d’une vérité sexuelle (a) qui est à lui-même méconnue. C’est ainsi
qu’il s’adresse à l’Autre.
[ ]
$
__
a
]
[
$
__ → Autre
a
]
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Emma, l’hystérique freudienne classique, existe depuis toujours.
Elle est non pas une simulatrice, mais plutôt, comme Capitu, « oblique et
dissimulée 13 ». « Elle n’écrit jamais sur la face de la feuille mais plutôt sur
l’envers 14 », à diversifier et parfois à versifier, à dériver sur le vers – pleine
d’esprit, dit Freud. Voilà pourquoi elle échappe lorsqu’elle est abordée
par le bon sens de la raison qu’elle considère comme une mégère : « La
mégère cartésienne », selon Guimarães Rosa. Son cogito s’oppose à
celui du « je pense donc je suis » de Descartes. En effet, elle révèle le
cogito de l’inconscient, « je pense là où je ne suis pas » – « je m’en
fous » – et « je suis là où je ne pense pas » – distraite, vague. Le sujet hystérique met l’inconscient en exercice et prête son corps à cet exercice.
L’inconscient se fait corps chez l’hystérique.
Lors de la dissimulation, elle épouse l’équivoque du langage. Avec
son refus à se laisser apprivoiser pour la parole, elle fait voir que la caractéristique du langage est l’ambiguïté. Qui suis-je ? Que veux-je ? Quel est
13. Cf. Machado de Assis, Dom Casmurro, Obra completa, Rio de Janeiro, Editora
Aguilar, 1962.
14. Jacques Lacan, Le séminaire XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, inédit,
leçon 9.
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[
Sujet
_____ → Autre
Sexuel
60 —— L’en-je lacanien n° 3
mon désir ? Questions qu’elle pose et qui n’ont pas de réponse puisqu’il
n’existe pas de mot pour dire vraiment ce qu’elle est. Et le sujet répond
absent ! Absent du langage en tant que demeure de l’être. Absente ! dit
l’hystérique qui met toujours en question sa place dans l’Autre. Elle refuse
de se laisser appréhender par le signifiant, qui est perçu comme une prison. Elle est le porte-étendard du manque de signifiant.
Ainsi, l’hystérique glisse et échappe toujours à la prison signifiante.
Elle se dérobe toujours à la classification, échappe à toute catégorisation.
L’hystérique est une déclassée.
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Ces caractéristiques – le sujet comme l’entre-deux du langage et
comme division – sont constitutives du symptôme hystérique. Si l’on se
réfère à Emma, on peut trouver dans son symptôme – celui de ne pas
entrer dans un magasin – deux termes qui font partie de deux scènes, le
rire et le vêtement. Deux signifiants entre lesquels se place le sujet. Mais
ce n’est que dans la scène refoulée qu’apparaît nettement le rapport
sexuel entre ces deux termes.
[rire-vêtement]
2e scène
rire [sexe] vêtement
1re scène
Voici la structure du langage du symptôme dans son versant de
métaphore de la simulation dévoilant la signification sexuel – sur le plan
du signifié(s).
Σ
Mensonge
Rire ( ) Vêtement
S
$
Magasin : __________ ≡ __________________ ≡ __ ≡ __
Vérité
Rire (Sexuel)Vêtement s
a
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Toutefois, cela ne veut pas dire qu’elle est hors du langage. Au
contraire, elle donne corps au langage. Sa caractéristique est d’être
accrochée dans l’entre-deux. Entre deux signifiants : suis-je homme ou
femme ? Entre deux positions : suis-je sujet ou bien objet ? Entre deux
rangs : fée ou sorcière ? épouse ou mère ? vierge ou prostituée ? Le sujet
hystérique est un sujet divisé, par définition.
Hystéries —— 61
La victimactivité
La première scène (refoulée, où gît la vérité) dévoile la participation du sujet en tant que sujet à la jouissance, car Emma est revenue au
magasin pour être touchée par le vendeur de la boulangerie. Dans la
scène 2 (le mensonge), le sujet est absent, la culpabilité vient de l’Autre
(le vendeur a ri de son vêtement). Le sujet y est pur manque, victime de la
moquerie de l’Autre.
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On a aussi la modalité hystérique du sujet victimisé. La femme hystérique se plaint d’être la victime de l’Autre du désir qui ne la traite qu’en
tant qu’objet. Victime ? Oui, mais c’est vrai et faux à la fois. C’est vrai
parce que c’est sa position dans le fantasme – elle a été séduite par
l’Autre. Mais elle participe à la jouissance dont elle se plaint et qu’elle
attribue à l’Autre, puisqu’elle éprouve le désir comme le désir de l’Autre.
Quelle est sa participation ? Il s’agit d’une participation extrêmement active – celle de se faire désirer. Elle s’étend au partenaire sexuel,
au maître, aux collègues, aux amis, etc. C’est pourquoi Lacan a élevé
l’hystérie au rang de lien social au-delà du type clinique et de ses symptômes. L’hystérie est une modalité d’avoir un rapport au sexe en société.
Le sujet hystérique fait l’Autre désirant. Désirer quoi ? N’importe
quoi. Désirer le sexe, le savoir, sauver, protéger, faire cadeau, posséder,
etc. L’hystérique cause le désir de l’Autre parce qu’elle désire le désir de
l’Autre, elle désire être un objet pour l’Autre dans le lien social.
Faire désirer est une opération active qui exige beaucoup d’efforts. Vous pouvez demander aux hystériques ! Lorsqu’elles sont des victimes, elles sont des victimes actives. Victimactive est le nom de la stratégie inconsciente de l’hystérique. Alors on voit apparaître la figure de la
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S’absenter de la scène, ou bien la quitter, est une stratégie hystérique qui peut être tragique, avec des passages à l’acte qui mettent sa vie
en danger, et qui peut être aussi une stratégie comique. Je me rappelle
une situation où deux amies, l’une mariée et l’autre célibataire, se rencontrent à la sortie d’un hôtel, chacune avec son amant respectif. La
femme célibataire dit à la femme mariée : « Toi ! Ici. » Et l’autre lui
répond : « Moi ! Non ! »
62 —— L’en-je lacanien n° 3
victimactive qui peut tirer un train de suiveurs, et aussi devenir une locomotive. L’ambition de la victimactive est de devenir une locomotive.
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L’identification à la victime peut être tout à fait inconsciente,
comme celle qui est présente dans le symptôme. C’est un autre aspect de
la dissimulation hystérique, car il s’agit vraiment d’une autre identification
à la position d’objet. Les vedettes de la scène de Charcot ont été celles
les plus identifiées à cet objet-victime de son désir, qui était celui de reproduire la Grande Hystérie, comme le cadre clinique qu’il a peint.
Le symptôme corporel de l’hystérie
Le symptôme corporel de l’hystérie est une grande énigme à propos de laquelle la psychanalyse peut apporter une contribution à la psychiatrie et à la médecine. Cette énigme a son origine dans l’interrogation
de Freud sur les symptômes hystériques, lors de sa rencontre avec
Charcot, ce qui l’a conduit à en postuler une causalité psychique et à
15. Sigmund Freud, Psicologia das massas e análise do eu, ESB, 1974, vol. 18, p. 135.
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La position de victime est une façon d’être l’objet de l’Autre. Cela
peut se manifester collectivement. La « contagion » dans l’hystérie, manifestée dans les épidémies de possession démoniaque, a été expliquée
par Freud en tant que phénomène identificatoire à travers le désir. Il a
décrit un épisode dans un pensionnat de jeunes filles : l’une des internes
reçoit une lettre d’un amant secret et tout de suite elle a une attaque hystérique qui s’étend à toutes ses amies. Freud montre qu’il s’agit d’une
identification : « Les autres jeunes filles aimeraient aussi avoir un roman
secret, acceptant sous l’influence du sentiment de culpabilité la souffrance
qui en découle 15. » Cette identification hystérique est une identification au
désir. Désir d’avoir le désir de l’autre femme. C’est encore une identification à la position de victime – qu’elle voit dans l’Autre –, qui est une
caractéristique de l’identification hystérique. On pourrait se demander si
la « solidarité féminine » n’est pas appuyée sur cela. L’amie lui dit : « Je
comprends ce qui se passe en toi. » Compassion qui ne naît que de
l’identification.
Hystéries —— 63
remarquer le rôle de la représentation mentale dans l’inconscient qui se
manifeste sur le corps.
C’est avec le cas Dora que Freud développe le mieux ce qui constituera sa rupture avec Charcot et Janet, en y démontrant les deux aspects
du symptôme hystérique. D’abord, il affirme que le symptôme est tissé de
langage, ensuite il remarque que la zone hystérogène, lieu du symptôme,
est un déplacement de la zone érogène. Il s’agit d’un déplacement métonymique dans le corps, scène des déplacements autant des signifiants
que de la jouissance. Le corps hystérique est un rêve qui doit être déchiffré parce qu’il parle de l’histoire érotique du sujet.
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Le corps en tant que lieu d’inscription du symptôme
Le symptôme hystérique est le témoin du corps comme lieu d’inscription du langage et de la jouissance, ainsi que nous le démontre le cas
Dora décrit par Freud. Dora a une pression sur la poitrine et l’associe à
une scène de son adolescence où, au moment où elle a été embrassée
par M. K, elle a ressenti la pression de son pénis contre sa poitrine. Le
symptôme a été ainsi déchiffré quelques années plus tard lors du rappel
de la scène.
Lorsque M. K l’a saisie, elle a ressenti du dégoût, de la répugnance. Quelle en est l’interprétation de Freud ? Selon lui, il s’agit d’un
déplacement de la sensation. Au lieu d’éprouver une excitation de la
zone génitale – où cela devait se passer –, elle l’éprouve au niveau de
la zone orale, sous la forme d’un dégoût, qui apparaîtra plus tard sous la
forme d’un symptôme corrélatif à la pression sur la poitrine – une aversion pour certains aliments.
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Le symptôme hystérique se trouve à deux places dans l’inconscient, dans le psychique et dans le corps. Pourtant, ces deux places ne
sont qu’une seule. Où sont-elles ? Dans la scène où Dora a été séduite
par monsieur K. et dans l’actualité de son corps. Il s’agit d’une même
place dans la chaîne signifiante. Une scène traumatique laisse à la fois
une marque mnésique et une autre dans le corps, et ce qui les relie est un
signifiant. La psychanalyse démontre que l’inconscient structuré comme
un langage se situe dans le corps, s’inscrit sur le soma.
64 —— L’en-je lacanien n° 3
Dans cette scène, nous avons donc l’inscription signifiante pression
et une connotation de jouissance qui est tout de suite transformée. Au lieu
du plaisir, elle éprouve du déplaisir, à la place de la zone génitale vient
la zone orale, et ce qu’il en résulte est le dégoût.
scène passée
1) jouissance (-)
jouissance génitale
le symptôme (Σ) actuel
aversion pour des aliments
jouissance orale
dégoût
Pression à la poitrine
Pression du pénis
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Ce qui caractérise en propre le symptôme hystérique est le déplacement – de la jouissance et du signifiant – qui serait en quelque sorte
un mot mal-dit – du maudit – marqué sur le corps.
L’inscription du mot
Pour que le psychanalyste puisse affirmer qu’un symptôme physique est un symptôme hystérique, l’absence de l’élément organique ne
suffit point. Le symptôme hystérique n’est pas le négatif de l’organique.
Pour l’affirmer, il faut prouver son origine psychique, c’est-à-dire la détermination signifiante et la causalité de jouissance – figurée dans le fantasme – qui le soutiennent. Voilà ce que nous indique Freud depuis ses
Études sur l’hystérie, à commencer par le cas d’Elisabeth von R., où il
montre l’interversion entre le mal physique et le mot dit, émis par la
patiente elle-même. Freud dit que, à un moment donné de la cure, « ses
jambes douloureuses ont commencé à faire partie de la conversation 16 ».
16. Sigmund Freud, Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1971, p. 106-145.
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2) signifiant « pression »
Hystéries —— 65
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Le symptôme de paralysie de la jambe d’Élisabeth a surgi lorsqu’elle marchait avec son beau-frère, mari de la sœur. Élisabeth était célibataire et se trouvait heureuse de se promener avec son beau-frère, lorsqu’elle a pensé au « contraste entre sa solitude et le bonheur de la sœur
malade ». Cette pensée lui a causé du mal et, au moment où elle est arrivée à la maison, elle a commencé à avoir mal à la jambe. Que s’est-il
passé ? Elle marchait avec le beau-frère, s’intéressait à lui et tout à coup
elle a désiré que sa sœur fût morte. Ce désir était inconciliable avec
l’amour fraternel qu’elle éprouvait. Alors elle a eu très mal à la jambe et
ce mal devint une paralysie. Freud l’a diagnostiquée en usant d’une
expression précise et précieuse : « Il s’agit d’une paralysie fonctionnelle
appuyée sur de la symbolisation 17. » Et que découvre-t-il ? Rien d’autre
que le mot que le symptôme symbolisait. Il s’agit d’alleinstehen, qui veut
dire rester seule et aussi être débout. La solitude – dont elle se plaignait
et souffrait – se laissait représenter par la paralysie des jambes. Elle n’arrivait pas à rester seule, donc elle n’arrivait pas non plus à être débout ni
à marcher. Freud remarque que ce symptôme vient à la place de l’abandon qu’elle ressentait. Les mots qu’elle utilisait en analyse étaient liés à la
question de la paralysie. Elle ne pouvait pas ressentir sa puissance et
17. Ibid., édition brésilienne, ESB, 1974, vol. 3, p. 202.
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Cela s’est passé lorsqu’il a convoqué un souvenir et qu’à la place de
celui-ci une première sensation douloureuse est survenue. Cette douleur
réveillée a persisté pendant que le souvenir gouvernait la patiente – sans
qu’elle le formule avec des mots –, a connu son apogée lorsqu’elle arriva
à le déclarer, et ensuite a disparu avec les derniers mots qu’elle a prononcés. Selon Freud, « la douleur a été défaite par la parole ». C’est cela
l’aspect magique de la psychanalyse que Freud a nommé abréaction.
Toutefois, il ne s’agit pas d’un mot dit par l’analyste mais plutôt par l’analysant. L’interprétation analytique a la fonction de faire que le sujet dise
le mot qui a été refoulé, celui qui n’a pas été dit ou qui a été mal dit. Évidement, l’analyste peut aider le patient, signaler, équivoquer, mais c’est
surtout le sujet qui doit le dire. Une correcte construction faite par l’analyste et livrée à l’analysant ne provoque souvent rien, puisqu’elle n’a pas
été faite par l’analysant lui-même.
66 —— L’en-je lacanien n° 3
n’arrivait pas à avancer dans la vie. Il a donc conclu qu’une « symbolisation telle que celle-là peut générer des symptômes somatiques dans
l’hystérie ».
Freud livre encore dans les Études sur l’hystérie plusieurs autres
exemples sur l’articulation signifiante du symptôme. Cécilia M. 18 avait
mal à la poitrine, ce qu’elle ressentait comme une sensation d’un coup de
poignard, associée à une déception amoureuse qui a été un coup de poignard sur son cœur. Elle avait aussi un mal de tête, associé au fait de ne
pas réussir à oublier une personne, et encore une aura hystérique dans la
gorge soutenue par l’expression « je ne peux pas avaler ça ». Il y a aussi
le célèbre exemple d’une douleur forte au front qu’elle décrivait comme
une douleur perceuse. Celle-ci était apparue lors d’un regard pénétrant
de sa grand-mère. Le symptôme hystérique n’obéit pas, on le voit, à l’anatomie ; il est sensible aux expressions plus prosaïques de la langue. Au
Brésil, le corps hystérique est sensible à la M.P.B. 19 – la musique populaire brésilienne. Son anatomie y est chantée.
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Finalement, comment travailler l’hystérie aujourd’hui ? Que fait-on
de l’hystérique ? D’un coté, on la reçoit en la faisant taire, on la
déclassifie, on la neuroleptise, on la diabolise, on la remédie. C’est le
courant : plus jamais d’hystérie ! D’un autre coté, un courant réclame :
l’hystérie now !
Au-delà de l’impératif de faire taire du discours du maître et du cri
de revendication du discours hystérique, il y a la position de l’analyste,
qui est de la laisser parler. La reconnaissance de l’hystérie est le premier
pas clinique de toute réforme psychiatrique. Autrement dit, c’est la base
d’une véritable subversion dans la psychiatrie. Il suffit de faire le corps
hystérique se coucher sur le divan et de le laisser chanter.
18. Sigmund Freud, Études sur l’hystérie, op. cit., p. 142.
19. Le titre de ce chapitre est une citation qui se trouve dans une chanson de Caetano
Veloso : « ... lavra da palavra ».
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La fin