Culture, confiture et politique
Nicole Décuré
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Nicole Décuré. Culture, confiture et politique. Les Après-midi de LAIRDIL, 1998, La culture, pp.2738. halshs-01353723
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Nicole Décuré
Les Après-midi de LAIRDIL 9, 1998, pp. 27-38.
Culture, confiture et politique
Définition du Petit Larousse (édition 1995)
Culture: Ensemble des structures sociales et des manifestations artistiques,
religieuses, intellectuelles qui définissent un groupe, une société par rapport à
une autre.
La culture en classe de langues
Le terme “culture” recouvre plusieurs domaines. Dans un pays comme la France, avec
son ministère de la Culture, ses maisons de la culture, ses centres culturels, ce mot est souvent
employé pour parler des arts, qu’ils soient littéraires, plastiques, dramatiques ou musicaux. La
culture cependant doit, dans la “sagesse” populaire, rester discrète sous peine d’être perçue
comme un snobisme. A contrario, pour la même sagesse populaire, la culture c’est comme la
confiture: moins on en a, plus on l’étale. Que la métaphore soit culinaire n’aura rien pour
étonner au pays du cassoulet et, très sérieusement, les chercheur-e-s ont, à plusieurs reprises
étudié les rapports étroits qu’entretiennent langue et nourriture (Decotterd; Langues Modernes
6, 1989), représentations de la culture étrangère et nourriture (Cain, 1991). Nous y
reviendrons.
En classe de langues, la culture recouvre, en plus des arts et lettres, le domaine dit de la
civilisation, ce mélange particulier d’histoire, de sociologie et de politologie (ce qui
correspond en gros à la définition du Petit Larousse). La civilisation, telle qu’elle est
enseignée dans les universités françaises a mis du temps à s’imposer et fait encore figure de
parente pauvre dans les études d’anglais (témoin la difficulté de pourvoir ces postes), sans
doute parce que le champ est trans- et pluridisciplinaire et apparaît donc quelque peu impur.
Plus impure encore est la languistique1. Dans ce cadre, émerge depuis quelques années
l’idée que la culture comprend, en plus des éléments déjà cités, le système de
conceptualisation sémantique, les us et coutumes, les traditions qui influent directement sur la
langue, toutes les composantes para-linguistiques trop longtemps négligées dans
l’apprentissage des langues. Les pédagogues s’interrogent sur les moyens de les y introduire.
Il faut donc distinguer les “faits de civilisation” des “actes de parole”. Le fonctionnement du
Congrès américain ferait partie de la civilisation, dire “bonjour”, “au revoir”, les fonctions de
1
Sous-domaine des études anglo-saxonnes (et des autres langues vivantes) qui s'occupe de l'apprentissage des
langues sous tous ses aspects et touche aussi à de nombreuses sciences connexes.
Culture, confiture et politique
la vie en société comme se plaindre, remercier, féliciter, etc. (ce que l’on appelle le
“notionnel-fonctionnel”) fait partie de la culture.
Étude de cas
En l’absence de Claire Kramsch qui devait animer le séminaire de LAIRDIL intitulé
“Cultural representations in language”, les participant-e-s ont commencé à réfléchir sur la
place de la culture en classe de langues. À la suite de cet échange, j’ai questionné mes
étudiant-e-s sur leurs relations à la culture étrangère et à la leur propre. Cet article résulte du
dépouillement de leurs réponses et de réflexions faites à partir de mes lectures sur ce sujet.
J’ai donc effectué un sondage fin 1996 auprès de mes étudiant-e-s en licence et maîtrise
de sciences, de niveau avancé en anglais, pour savoir ce que recouvrait pour eux-elles la
notion de culture et pour répertorier leurs perceptions positives et négatives de différentes
cultures, y compris leur propre culture sur laquelle je voulais qu’ils-elles réfléchissent et
posent un regard distancié. Cette mini-enquête a été menée en classe, par écrit et en temps
limité, auprès de dix-sept étudiant-e-s après une séance de compréhension d’un document
vidéo américain, Bridging the Culture Gap: Going International n° 1 (Formavision), qui
soulignait l’existence de stéréotypes culturels et les différences de comportement entre les
cultures: les diverses manières de se saluer, de manger, de négocier, etc., et les problèmes que
cela peut poser dans les relations d’affaires internationales. J’ai posé quatre questions (les
questions 2, 3, 4 et 5 de l’analyse qui suit), classé et analysé les réponses. Elles m’ont semblé
manquer de réflexion, de recul, peut-être à cause du contexte de “partiel” dans lequel elles ont
été rédigées. J’ai donc ressenti le besoin de poursuivre l’enquête. Un an plus tard, j’ai étoffé le
questionnaire et l’ai donné comme travail à faire à la maison pour préparer ce même
document vidéo, en espérant que cela permettrait une réflexion plus élaborée.
Trente-cinq questionnaires ont été remplis, cette fois de façon plus longue, plus
élaborée. Ils ont permis de dresser un tableau plus complet de l’attitude des étudiant-e-s vis-àvis des questions de culture.
Bien entendu, cette étude n’a pas valeur statistique, puisque les nombres sont faibles.
C’est donc une analyse qualitative et non quantitative.
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Culture, confiture et politique
Commentaires sur les réponses
1. Qu’est-ce que la culture?
What is culture?
Cette question n’apparaissait pas dans le premier questionnaire car nous l’avions
abordée en classe. Il n’est pas étonnant que les étudiant-e-s aient eu recours au dictionnaire et
aient repris, pour la plupart, la définition donnée au début de cet article car ce deuxième
questionnaire, donné en dehors de tout contexte, en début d’année, a soulevé la perplexité: les
étudiant-e-s trouvaient le sujet trop “philosophique”. La plupart d’entre eux-elles se sont
contenté-e-s de cette définition et n’ont pas cherché à donner une réponse personnelle.
Cependant, quand on n’a pas à réinventer la roue on peut aller plus loin et un tiers des
étudiant-e-s mentionnent l’enracinement dans l’histoire, le mode de vie, la transmission de la
culture de génération en génération, la culture comme identité de groupe, de nation. Certain-es assimilent culture et connaissances acquises, opposant nature et culture, reprenant l’idée de
personne cultivée (qui sait parler de nombreux sujets variés), parlant de la culture comme
d’un besoin personnel, au contraire de la culture transmise qui est imposée. Cette idée est
exprimée très clairement par deux étudiant-e-s. L’un situe la culture entre tradition et
ouverture et l’autre voit les effets contraires de la culture: une partie (les traditions) qui
uniformise et l’autre (artistique) qui individualise; l’autre définit la culture comme les racines
de la personne, ce qui lui donne le sentiment d’appartenir à une tribu.
2. À votre avis, existe-t-il une culture française/anglaise/américaine, etc.?
In your opinion, is there such a thing as a French/English/American/“other” culture?
Cette question a été posée aux deux groupes. La quasi totalité des étudiant-e-s répond
oui (43 reconnaissant ainsi les différences de culture). Dix expliquent les différences de
culture par un passé historique différent, trois ajoutant la notion de pays jeune et de pays
vieux. Pour un, la standardisation mondiale n’efface pas les différences et trois affirment que
même s’il y a des points communs, il doit y avoir des différences sinon la notion de culture
disparaît. Trois disent ne pas savoir et cinq ignorent la question. Personne ne nie l’existence
de différences, même si on les trouve minimes entre pays occidentaux et que la différence se
situe surtout avec les pays d’orient. Un seul étudiant émet un doute: il aimerait penser que les
Français-e-s sont différents des Anglais-e-s ou des Américain-e-s, sans en être sûr. Une
étudiante trouve que les modes de vie sont semblables, même si les traditions et l’idéologie,
qui font également partie de la culture, sont différentes. Un étudiant enfin trouve que les
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Culture, confiture et politique
différences tendent à disparaître et que l’on va vers une uniformisation des cultures. C’est peu
quand on pense à la consommation de boissons gazeuses et de hamburgers. Mais cela montre
que ce sont des éléments considérés comme superficiels.
3. Quels éléments caractéristiques pourraient définir ces cultures?
What would be their defining characteristics?
Dans la première étude, parmi les caractéristiques qui définissent les cultures, la plus
citée concerne la cuisine, la nourriture (12). Pas étonnant de la part des Français-e-s toujours
si prompt-e-s à dénigrer la cuisine anglo-saxonne. Presque la moitié (7) analyse bien que la
culture est basée sur l’histoire de chaque pays mais deux seulement mentionnent la religion.
Les autres caractéristiques, citées plus de deux fois sont les modes de pensée (4), la façon de
s’habiller (5) et de travailler (5). Il est à noter que ces éléments sont des éléments génériques,
sans exemples spécifiques.
Ces réponses reprennent les éléments évoqués dans le documentaire, excepté l’histoire
et la religion qui n’apparaissaient pas. Le poids de l’histoire est intéressant car il reflète bien
l’importance qui lui est accordée dans l’enseignement français où cette matière reste
obligatoire jusqu’au bac. De façon plus pointue, un étudiant d’outre-mer, militant catholique,
axe toute sa réflexion sur la colonisation et l’évangélisation comme éléments ayant participé à
l’élaboration de la culture. Cette implication personnelle dans l’analyse est assez rare. La
plupart des étudiant-e-s, d’origine française métropolitaine, n’ont que des expériences de
courts voyages à l’étranger ce qui peut expliquer le manque d’originalité de leurs réponses, le
manque de remise en question de leur propre culture, et traduit un ethnocentrisme certain.
La deuxième étude donne des résultats différents. Parmi les éléments qui apparaissent
plusieurs fois, on retrouve des stéréotypes nationaux “classiques”: pour la France, la bonne
chère, l’épicurisme, les arts, les droits de la personne; pour la Grande-Bretagne, la monarchie,
le conservatisme, l’isolationnisme; pour les États-Unis, le melting-pot, l’American way of life,
le sentiment de supériorité, l’excès, l’impérialisme, la possibilité de réussir (concept du selfmade man).
Dans les deux études, beaucoup d’éléments sont cités en vrac et peu d’entre eux
apparaissent plusieurs fois. Ils sont cependant différents pour la France, la Grande-Bretagne et
les États-Unis ce qui montre au moins que les étudiant-e-s se font une idée différente de ces
cultures nationales.
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Culture, confiture et politique
4. Qu’est-ce qui vous plaît/vous déplaît dans votre propre culture?
What do you like/dislike about your own culture?
À partir de cette question, qui devient plus personnelle, on ne peut plus s’appuyer sur
le connu: il faut réfléchir, exprimer des sentiments et opinions. Et si l’on arrive à trouver des
points positifs, la critique apparaît comme impossible (sacrilège?). On trouve même
l’expression de sentiments de fierté nationale, voire de patriotisme.
Dans la première étude, quatre étudiant-e-s ne répondent pas à la question. C’est peutêtre une question qu’ils/elles ne se posent pas. Leur propre culture est un acquis non remis en
question, une “culture de l'implicite”. Quand on ne sait pas, on se rabat sur les certitudes bien
éprouvées, comme la nourriture que sept déclarent apprécier. La culture associée à la
confiture, l’expression prend un nouveau sens. Pour éviter, inconsciemment sans doute, de
répondre directement à la question, certain-e-s se placent en observateurs/trices de leur propre
culture à travers le regard que portent sur elle les étrangers, comme si la question ne pouvait
pas se poser pour eux-elles. On retombe alors dans les stéréotypes touristiques ou le catalogue
des exportations de luxe: la cuisine, le vin, la haute couture, les parfums. Quelques-un-e-s (5),
également en position d’évitement, se rabattent sur des valeurs bien connues et c’est alors la
notion de Culture qui émerge: la peinture, la cinématographie, la musique, la littérature
françaises sont appréciées.
Peu de critiques sont exprimées sur la culture française. Ne sont mentionnées que des
questions de caractère. On trouve, en vrac, que les Français se plaignent trop, se conduisent
mal (à l’étranger), sont impolis, tristes, fiers, égoïstes, trop sérieux (ils pensent trop), pas très
hospitaliers, étroits d’esprit, racistes (à l’inverse quelqu’un apprécie leur tolérance).
Dans la deuxième étude, on retrouve certains éléments, la nourriture, bien sûr, au hit
parade de ce que l’on apprécie en France (10/33), suivie de près par la culture elle-même,
l’histoire, les arts. Mais apparaissent deux éléments absents du premier groupe: la liberté de
pensée et d’expression et... la sécurité sociale au sens large de welfare state.
Les critiques sont également très diverses (bien que moins nombreuses). Cité plusieurs
fois (4) est le sentiment de supériorité des Français en ce qui concerne la nourriture (encore)
et les arts. Le racisme et la résistance au changement sont cités deux fois.
Une étudiante d’origine asiatique a bien marqué son tiraillement entre les traditions
qu’elle aime et l’étroitesse d’esprit, le conservatisme (surtout à l’égard des filles) qu’elle
déteste dans sa culture d’origine.
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Culture, confiture et politique
5. Qu’est-ce qui vous attire dans la culture anglaise/américaine? À quels éléments de ces
cultures auriez-vous du mal à vous adapter?
What attracts you to the English/American culture? What do you think you would find hard
to get used to?
1ère étude:
Deux étudiant-e-s aiment le thé anglais: c’est un début! Deux autres apprécient
l’hospitalité écossaise. Des Anglais-e-s on apprécie la combativité (fighting spirit, encore une
référence historique), le respect des autres, le sens de la justice. Ce sont des êtres raisonnables
et qui prennent le temps de vivre. On aime la politesse des Américain-e-s, leur sourire, leur
décontraction, leur gentillesse, leur approche directe, ainsi que leurs parcs et bâtiments.
Quant aux éléments ressentis comme négatifs, on en revient à la base, la nourriture (7).
On redoute aussi le mauvais temps en Angleterre (mais il ne s’agit plus de culture), la
conduite à gauche. Chez les Américain-e-s ressortent les idées de stress, d’importance
excessive accordée au travail, de violence, ce qui ressemble aux stéréotypes véhiculés
notamment par le cinéma.
2ème étude:
La différence de culture en général, plutôt qu’un élément spécifique, attire certain-e-s.
La nourriture, là aussi, est le plus souvent citée parmi les éléments qui poseraient problème
mais la monarchie en Angleterre (après la mort de Lady Di) est mentionnée tout aussi
souvent. Plus intéressante est la réponse abrupte, à la première partie de la question, de
“nothing” au sujet des États-Unis: c’est le rejet d’une culture ressentie comme agressive,
envahissante.
6. Pensez-vous avoir “appris” suffisamment de choses sur les cultures anglaise et
américaines dans les cours d’anglais? Si oui, donnez des exemples de ce que vous avez
appris. Si non, qu’auriez-vous dû apprendre?
Do you feel that you have been “taught” enough about English/American culture in English
classes? If yes, give examples of what you have learnt. If not, what do you think you should
have learnt about?
Dix-neuf regrettent que la culture n’ait pas été abordée, treize ne répondent pas, trois
seulement sont satisfait-e-s et une a beaucoup entendu parler des États-Unis mais pas de la
Grande-Bretagne (à l’inverse d’un autre qui n’a rien appris du tout sur les États-Unis et un
peu sur l’Angleterre). Deux auraient aimé entendre parler d’autres pays (Inde, Australie,
Commonwealth). Deux autres pensent que, de toutes façons, la culture de masse américaine
est bien connue et qu’avec MacDonald’s, Disney et la télévision on en a assez.
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Culture, confiture et politique
Il semblerait donc que peu d’enseignant-e-s aient abordé ce domaine, ou tout au moins
que les élèves n’aient pas eu conscience que ces questions aient été abordées. Les étudiant-e-s
proposent des explications pour ce manque: il y a trop peu d’heures d’anglais, il doit être
difficile de trouver le temps nécessaire; c’est un sujet difficile à aborder en classe car il y a
une différence entre connaissance livresque et réalité (notamment, la nourriture anglaise qui
est bonne dans les livres et détestable dans l’assiette, véritable leitmotiv). Un étudiant
remarque que ce manque peut expliquer les préjugés envers la culture américaine.
Ce que l’on a “appris”? Quelques films, Martin Luther King et le mouvement noir, la
reine, la télévision, les WASPs. Qu’aimerait-on aborder? L’histoire (8), la littérature (6), le
mode de vie (4), la politique (4), l’éducation (3), les traditions (3), les problèmes sociaux (3),
la géographie (2). L’un désirerait connaître la vie des gens (les minorités, les agriculteurs),
une culture qui ne soit ni mangeable ni vendable; un autre pense que les façons de penser sont
importantes dans l’apprentissage d’une langue; un autre enfin pense qu’on doit apprendre la
langue à l’école et le reste par soi-même.
7. Lorsque vous êtes allé-e dans un pays de langue anglaise, avez-vous ressenti un choc
culturel? Dans quels domaines? Vous souvenez-vous d’un incident où le manque de
connaissance de la culture a été un réel obstacle à la communication?
When you found yourself in an English-speaking country, did you experience a “culture”
shock? In which areas? Can you think of (an) incident(s) when the lack of knowledge of the
culture was a real obstacle to communication?
Huit ont évité la question (peut-être par impossibilité de répondre) et cinq n’ont fait
que des séjours trop brefs ou trop anciens (voyages scolaires). Seize disent n’avoir pas reçu de
choc culturel. La plupart pensent que nos civilisations sont semblables, soumises aux mêmes
influences (musique, cinéma) et trois pensent que le seul réel obstacle à la communication est
la langue elle-même. Parmi les choses qui les ont surpris-e-s, voire choqué-e-s on trouve en
tête... la nourriture (3) et les manières: la froideur des Anglais-e-s qui évitent le contact
physique en se rencontrant, leurs bonnes manières. Les seuls chocs exprimés sont celui d’une
étudiante blanche à Harlem et la perception de l’hostilité des Écossais-e-s envers les Anglaise-s.
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Culture, confiture et politique
8. Ressentez-vous le besoin d’en savoir plus sur les règles de conduite? Le contenu culturel
de la langue?
Do you need to learn more about rules of behaviour? The cultural content of language?
À ces deux questions, dix-sept et dix-huit respectivement répondent oui, quatre non.
On peut avoir combiné un oui dans la première partie avec un non dans la seconde et viceversa. Donc, les étudiant-e-s sont plutôt favorables à une approche préalable afin d’être mieux
et plus vite intégré-e-s, de ne pas commettre de faux pas. Trois doutent qu’il y ait
suffisamment de différences pour que cela vaille la peine d’être traité en classe et pensent que
tout cela s’apprend sur le tas. Huit ne répondent pas. Une seule expose une pensée un peu
élaborée: la façon de penser et la langue sont liées.
9. Trouvez-vous la culture étrangère menaçante? Si oui, de quelle façon? Si non, pourquoi
pas?
Do you feel the foreign culture as threatening? If yes, in what way? If not, why not?
De toute évidence, le discours sur le mélange des cultures en France a été entendu par
les jeunes (26). La seule menace ressentie, explicitement, est celle de l’envahissement de la
culture américaine. Autrement, la culture étrangère est vue comme globalement enrichissante
et intéressante(15).
Cependant, c’est bien du contenu culturel des cours de langues que certains pays
(Israël ou la Palestine par exemple) se méfient. Car la dimension culturelle recouvre
l’idéologique, le politique, les systèmes de classe, de castes, de genre et de races et
“apprendre” cette culture c’est un peu l’accepter et donc remettre en cause la sienne propre.
En France, dans la population étudiante, on ne ressent pas ce danger.
Enseigner la culture/apprendre la culture
Il ressort de ces questionnaires que la culture c’est d’abord la nourriture mais surtout
un mode de vie, une façon d’être, choses bien difficiles à transmettre en dehors d’une
expérience vécue sur le terrain. Plus encore que dans d’autres composantes de l’apprentissage
des langues (lecture ou écoute) il y a là besoin d’authenticité. Ce qui n’est pas un plaidoyer
pour des enseignant-e-s natifs car comment faire la part du culturel générique et des
particularismes régionaux, sociaux, etc.? À voir la difficulté des étudiant-e-s à critiquer leur
propre culture, il semble judicieux de conclure que pour aborder une culture étrangère mieux
vaut un regard étranger. C’est de sa propre culture que l’on part pour en aborder une autre et
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Culture, confiture et politique
le jugement est comparatif. Il en va de même pour la langue. Un-e enseignant-e connaît les
difficultés spécifiques de telle langue pour ses compatriotes (de même langue).
Peut-on enseigner la culture comme le vocabulaire ou la syntaxe? N’y a-t-il pas une
contradiction dans les termes? La culture semble être le domaine, par excellence, qui nécessite
un séjour dans le pays pour commencer à être appréhendée autrement que comme une
abstraction, un objet d’études désincarné. Il faut en faire l’expérience, au-delà de
l’anecdotique et de l’exotique. L’Angleterre ne se résume pas à la reine mais la place de la
famille royale dans la société ne peut guère s’appréhender que “sur le tas”. Les États-Unis ne
sont pas qu’un pays d’indiens, de cow-boys et de gangsters et il vaut mieux voir ceux-ci dans
leur habitat naturel plutôt que sur une toile blanche dans une salle noire.
Comment, dans une classe, faire “passer le vivant”? Peut-on éviter le choc culturel de
la première visite dans un pays? Peut-on éviter les gaffes, les fautes de comportements, les
méprises dues à la méconnaissance de la culture? Le faut-il? Ou faut-il laisser aller nos élèves
à la découverte des autres sans leur imposer nos filtres et nos décodages? Il ne leur faudra pas
longtemps pour assimiler que l’on n’offre pas une tasse de thé en disant “Do you want...?”
mais qu’il faut y mettre un peu plus de formes. Peut-être suffit-il d’être conscient-e qu’il
existe des différences de culture d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre et que le meilleur
outil d’apprentissage est, sans doute, l’ouverture d’esprit. Leo Van Lier pense que l’on imbibe
ces notions graduellement, “not [...] through explanation and rule learning, but rather [...]
through exposure, feel and habit [...], through rich and meaningful contact with, and
participation in, language” (64). Beaucoup d’éléments culturels se résument à des habitudes
sociales, des règles de conduite, “the way things are done around here” (11). On peut se
demander aussi s’il est plus difficile de s’adapter à une culture étrangère (voisine) dans un
milieu semblable qu’à un autre milieu, une autre classe sociale dans son propre pays. Est-ce le
rôle de la classe de langues de donner des leçons de comportement social? Comme si la
culture étrangère était homogène. Entre un golden boy de Wall Street, un fermier du
Mississippi et un mineur anglais, quel sera le modèle dominant? Le débat à l’anglaise est une
forme de discussion étrangère à la culture française et les enseignant-e-s français-e-s trouvent
dur de s’y adapter. Le faut-il? Faut-il mettre sa culture “en veilleuse” quand on est à l’étranger
pour s’adapter à une autre, la comprendre de l’intérieur? Oui, affirment deux étudiant-e-s en
réponse au questionnaire: c’est nécessaire pour s’ouvrir aux autres. Pour un étudiant antillais,
par contre, déjà transposé dans une culture “étrangère”, il est capital de ne pas oublier ses
origines. Comment concilier les deux paraît donc un exercice difficile qui pourrait bien
n’avoir que des solutions individuelles et ponctuelles.
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Culture, confiture et politique
On peut aborder le problème sous un autre angle. Qui n’a pas connu d’étudiant-e-s qui
ont “travaillé” l’anglais pour comprendre les paroles de chansons anglaises ou américaines?
“L’intérêt pour une culture étrangère est le principal vecteur de l’intérêt pour sa langue”,
affirme Olivier Sturge-Moore (16). Je ne serais pas si péremptoire mais il est certain que cela
peut agir comme un facteur de motivation, qui, lui, est bien le facteur le plus important (même
si ce n’est pas le seul) dans l’apprentissage d’une langue, comme de tout autre sujet. À
l’inverse, le rejet de la culture agit de façon négative.
Par exemple, la réticence que l’on sent chez certains étudiants, les garçons surtout, à
abandonner leur “accent français” peut s’interpréter comme la peur d’une perte d’identité.
Claire Kramsch (1997) tente une explication:
The Ebonics case2 shows how risky it might be for a language learner to be
viewed as a crossover or as a defector. Hence, the lengths at which learners will
go to retain their foreign accent, to become proficient but not too much, and to
rehearse the disclaimers with which they will prove their loyalty both to
themselves and to the group they belong to. In England as in the United States,
one often hears such phrases as “I had ten years of French and I still can’t order a
cup of coffee in French”. You rarely encounter this type of remark for math, for
example, “I had ten years of math and I still can’t balance my checkbook”, putting
the blame of your overdraught on your math teacher or on the teaching method, or
on your innate incapacity to learn how to do math. There is no symbolic capital to
be gained from not knowing how to count. By contrast, there might be great
symbolic value attached to not being able to speak a tongue other than your own.
Cultural awareness/language awareness
Plus difficile encore que l’enseignement de la culture est l’enseignement du contenu
culturel de la langue. Quelquefois, le lien est clair entre culture et langage. Par exemple, on
peut dire en anglais “Do you believe in abortion?” comme si c’était une question de foi. En
français on dira: “Es-tu pour ou contre l’avortement?” On sent bien la différence culturelle
entre une nation qui se défend de l’athéisme (au mieux concède à l’agnosticisme) et une autre
dont la belligérance politique l’a amenée à couper des têtes en série dans un passé
relativement proche. Une “association” française avec sa connotation militante, devient une
“non-profit organisation”, avec sa connotation mercantile. En France on emploie les
expressions “voiture de service” et “voiture de fonction” et en anglais on tend à englober le
tout dans “company car”. Est-ce à dire que la voiture du facteur et celle du P.D.G. de Marks
and Spencer sont traitées sur le même plan? Par contre il plus facile de comprendre pourquoi
en France on “coupe les ponts” et qu’en Angleterre on “brûle ses bateaux” (burning one’s
2
Tentative d'intégrer dans l'enseignement, pour les élèves noirs américains, le langage de la rue, du “ghetto”.
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Culture, confiture et politique
boats). Enfin, si en France, pays où le pain est une institution, on “ne peut être au four et au
moulin”, en Espagne, pays à la religiosité voyante, on ne peut en même temps “sonner les
cloches et défiler dans la procession” (andar y tocar en la procesión). La connaissance, la
conscience des différences culturelles peuvent-elles aider dans l’apprentissage d’une langue?
Les métaphores sont bien le reflet d’une culture mais est-il bien nécessaire de savoir d’où
viennent des expressions comme pan out (vocabulaire des chercheurs d’or chanceux) ou
rounding third, heading for home (vocabulaire du base-ball)? Ces mots ne prennent-ils pas
sens seulement lorsque l’on a acquis une connaissance très complète de l’histoire, de la
culture d’un pays? Ce n’est pas à la portée de l’apprenant-e de base, d’autant plus que des
expressions telles que celles citées en exemple sont, sinon rares, du moins remplaçables par
d’autres3. Enseigner le contenu culturel de certaines expressions peut sembler n’être que la
cerise sur le gâteau, ces amusantes remarques qui rassurent, ou inquiètent, c’est selon, sur
l’individualité des nations, en ces temps d’uniformisation (d’américanisation) des cultures.
L’anecdote liée à un mot, à une métaphore une expression peut servir de moyen
mnémotechnique si on explique la différence de concept qui sous-tend le langage mais ne
risque-t-on pas, alors, de tomber dans le stéréotype? Ce n’est pas parce que telle chose
s’exprime de telle façon que la psychologie qui la sous-tend est universellement partagée par
un groupe donné. La bataille du Madame/Mademoiselle est à peine entamée en France. En
Grande-Bretagne et aux États-Unis cette modification politique du langage pour s’adapter aux
changements des cultures a été acceptée plus facilement. Il est manifeste, lorsqu’on explique
l’usage de Ms. en France, et il faut bien fournir une explication politico-culturelle, que le
concept est étranger à nos chères têtes brunes (grises et blanches) et que la réticence politique
au changement, qui serait marquée par la création d’un mot identique en français (made,
madelle, madème, que sais-je), se cache sous l’alibi linguistique du “ça n’existe pas”, voire
derrière l’habit vert des académiciens français qui, encore récemment affirmaient de façon
péremptoire et au mépris de toute logique grammairienne et biologique que ministre ne
pouvait être féminin. Parlons de fossilisation de l’erreur! Là encore, faut-il des secousses
violentes en France pour que les choses changent? Une révolution a imposé le système
métrique, en faudra-t-il une autre pour éradiquer le sexisme du langage (entre autres)? Il est à
remarquer que lorsqu’un pays adopte une langue étrangère, notamment pour des raisons
administratives, elle adopte également les mots chargés de sens politico-culturel sans
3
On peut dire de même que beaucoup de phrasal verbs ont un équivalent dans un autre verbe mais qu'on ne peut
prétendre maîtriser la langue sans maîtriser ces verbes à particules. Mais, encore une fois, ceux-ci s'acquièrent en
général par la pratique intensive, en situation.
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Culture, confiture et politique
cependant que cela recouvre une réalité sociale. Ainsi, le mot Ms. se rencontre couramment
dans des pays aussi divers que l’Inde, le Vietnam ou l’Algérie où l’on ne peut pas dire que le
féminisme soit triomphant.
Certaines questions sur la langue sont si complexes que nous disons souvent à nos
élèves, “Ce n’est pas très important, ça viendra tout seul quand vous serez dans le pays, vous
sentirez la différence, qu’on doit dire ceci plutôt que cela”. J’émettrais l’hypothèse qu’il en va
de même de la culture. Je tends à penser, avec Alan Maley (Tomalin & Stempleski 3), que
l’on ne peut enseigner la culture, que l’on peut simplement attirer l’attention sur les
phénomènes culturels. Un obstacle à l’acquisition de la culture peut résider dans la difficulté à
accepter la différence. Combien de fois a-t-on entendu dire, devant une structure anglaise:
“Mais en français on ne dit pas comme ça!” Les apprenant-e-s s’obstinent à vouloir traduire
mot à mot. Il en va de même pour les habitudes culturelles. Le seul vrai travail consisterait
donc à faire admettre l’idée de la légitimité des différences, idée que défend Colin Simpson.
It is crucial to use [students’ natural curiosity about foreign cultures] to present
[them] with alternative sets of cultural values and concepts which enable them to
look critically at their native culture. (Simpson 40)
Dans l’ensemble, on peut dire qu’il reste un long chemin à parcourir.
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