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«Couleur de peau et revenus»

1999, Cahiers du Brésil Contemporain

La première série de cartes montre la répartition de la population en fonction de ces catégories : la taille du cercle donne le nombre de personnes concernées dans la microrégion, la couleur de remplissage leur proportion dans la population totale de cette même microrégion. On ...

COULEUR DE PEAU ET REVENUS Hervé THÉRY* Les microdados du recensement de 1991 permettent non seulement de donner une image beaucoup plus précise de la répartition de la population par couleur de peau (noirs, blancs, métis, etc.), mais aussi, et pour la première fois à ce niveau de précision géographique, de croiser celle-ci avec d’autres variables, notamment la répartition des revenus. La couleur de peau dont il sera ici question est celle qui est mentionnée dans les fiches censitaires. Rappelons-en deux caractéristiques importantes. Il s’agit de la couleur déclarée par les personnes recensées, les agents censitaires ayant consigne de noter ce qu’on leur déclare et non ce qu’ils voient. Et les catégories possibles ne sont pas très nombreuses, six en tout : blanc, noir, métis, jaunes, indien, sans déclaration. La première série de cartes montre la répartition de la population en fonction de ces catégories : la taille du cercle donne le nombre de personnes concernées dans la microrégion, la couleur de remplissage leur proportion dans la population totale de cette même microrégion. On ne sera pas très surpris, si l’on connaît un peu l’histoire de la population brésilienne, de constater que les blancs sont particulièrement nombreux au Sud, région d’immigration européenne, et les métis dans le Nordeste et en Amazonie, régions où depuis près de cinq siècles le processus de métissage a été actif (cartes n° 1 et 2). La carte des noirs est plus instructive : alors que l’on associe d’habitude leur présence avec le Nordeste, on y voit que —s’ils sont effectivement nombreux à Bahia— ils le sont plus encore dans le Sudeste (notamment à Rio de Janeiro et dans le Minas Gerais). Cela peut se comprendre dans ces anciennes régions d’esclavage, mais il est plus surprenant de trouver une minorité non négligeable dans le Rio Grande do Sul (carte n° 3). Les autres groupes sont moins nombreux (sur les cartes de cette deuxième série, la taille du cercle minimum ne correspond plus à 10 000 ou * Ecole Normale Supérieure, Paris. Cahiers du Brésil Contemporain, 1999, n°37 82 Hervé THERY 15 000 personnes, comme sur les trois premières, mais à 1 000 ou même 500 personnes). Les “jaunes”, descendants d’immigrants japonais pour l’essentiel, sont concentrés dans l’État de São Paulo (carte n° 4), où ils sont arrivés au siècle dernier ou au début de celui-ci, à l’exception de quelquesuns qui ont migré vers les capitales des autres États (ils y sont en général maraîchers ou commerçants en fruits et légumes). Pour les indiens, les effectifs les plus nombreux se situent en Amazonie, en particulier au Nord de l’Amazonas et du Roraima, mais on notera qu’ils sont présents dans tout le pays, avec des concentrations secondaires dans le Mato Grosso do Sul, dans le Nordeste (littoral sud de Bahia et sertão) et aux confins du Rio Grande do Sul et du Santa Catarina (carte n° 5). Enfin les “sans déclaration” se répartissent sensiblement comme la population brésilienne dans son ensemble (carte n° 6). Ils sont particulièrement nombreux dans les grandes villes, notamment à São Paulo et à Rio de Janeiro. Peut-on voir dans cette non-déclaration un refus de répondre à une question jugée inopportune, plus fréquent dans les milieux éduqués ? L’effet est en tout cas faible et n’affecte guère l’ensemble des réponses. Une carte construite à partir d’un diagramme triangulaire montrant la proportion dans la région des blancs, des métis et des “autres” oppose globalement le Nord métis et le Sud blanc, le second gagnant sur le premier au long de l’axe sud-est / nord-ouest déjà signalé dans les articles précédents : le fer de lance de la poussée pionnière est visiblement constitué de blancs, venus du Sud. La présence des “autres” n’est sensible, quoique minoritaire que sur les frontières du nord et dans les quelques régions où l’observation empirique du paysage humain détecte effectivement une forte présence noire (carte n° 7). Si l’on rapproche maintenant ces données de celles qui portent sur les revenus, que contiennent également les microdados, on peut construire des profils de revenus par couleur de peau, synthétisés dans le tableau ci-dessous et le graphique n° 1. Il en ressort que le seul groupe où les “riches” (plus de dix salaires minimum par mois) sont les plus nombreux est celui de jaunes ; le seul où les revenus moyens (entre trois et dix salaires minimum) l’emportent est celui des blancs ; parmi les métis, les noirs et les indiens, les “pauvres” sont majoritaires, représentant près des deux tiers du total chez les premiers et les deuxièmes, et plus des trois quarts chez le derniers. Il y a donc bien des répartitions des revenus très différents selon les groupes définis par la couleur de la peau, même si ceux-ci sont peu cohérents. Couleur de peau et revenus Salaires minimum Plus de 10 3 à 10 83 Moins de 3 Jaunes 44 41 15 Blancs 17 45 38 Sans déclaration 9 27 64 Métis 5 31 64 Noirs 5 32 63 Indigènes 3 17 80 84 Hervé THERY On peut tenter d’affiner cette approche en regardant de plus près ce qui se passe à l’intérieur de chacun de ces groupes. Débutant l’approche par celle du groupe le plus nombreux, celui des pauvres (les ménages disposant de revenus inférieurs à trois salaires minimum, définition officielle de la pauvreté au Brésil), on constate, si l’on construit des cartes qui analysent sa composition ethnique, que celle-ci est à peu de choses près celle de la population en général, avec toutefois quelques concentrations : pauvres blancs sur le littoral du Santa Catarina et dans le nord du Rio Grande do Sul, pauvres métis dans le Maranhão et le Pará, pauvres jaunes dans l’État de São Paulo. Il ne semble donc pas y avoir, dans les “poches de pauvreté”, de composante ethnique particulière, leur composition reflète celle de la population brésilienne dans son ensemble (cartes n° 8 à 12). Si l’on analyse maintenant, en inversant le point de vue, la stratification économique de chaque groupe ethnique, on arrive à peu près à la même conclusion : il ne semble pas y avoir, dans chacun de ces groupes, de répartition des riches et des pauvres différente de celle de la population brésilienne dans son ensemble, à l’exception du groupe des “jaunes”. La carte des revenus des riches et des pauvres parmi les noirs, dont on aurait pu attendre qu’elle soit différente de celle des blancs ou des métis, puisque leur carte globale est différente, est en fait à peu près la même, les plus hauts revenus se concentrant ici encore au long de l’axe Santos - Brasília (carte n° 13). Les jaunes sont donc les seuls à avoir un comportement différent, d’abord parce que —on l’a dit— les hauts revenus y sont plus fréquents que dans les autres groupes, et parce que ces hauts revenus se trouvent systématiquement hors des régions de concentration originelle du groupe (carte n° 14). De toute évidence ceux qui ont migré ont mieux réussi que ceux qui sont restés dans l’État de São Paulo. On les retrouve dans tout le pays, de l’Amazonie aux frontières de l’Uruguay. On note tout de même une concentration sur un axe Santos – Rondônia, qui montre que les Japonais ont suivi, avec un certain succès, le mouvement pionnier parti de São Paulo, y trouvant leur place —et leur profit— dans des spécialités négligées par les autres groupes. Si l’on veut enfin tenter de résumer ces informations en construisant une synthèse, si réducteur que soit l’exercice, on arrive, (en regroupant entre eux les “petits” groupes pour qu’ils aient un poids comparable aux deux “grands”, les blancs et les métis), aux images de la dernière série de cartes, une sorte de typologie des riches et des pauvres : les pauvres sont blancs dans le sud et métis dans le nord, avec quelques exceptions, comme le nord du Mato Grosso et le sertão, où l’on trouve de pauvres blancs, et des isolats Couleur de peau et revenus 85 d’ “autres” pauvres, indiens en Amazonie, noirs à Bahia et à Rio de Janeiro (carte n° 15). La carte des riches est plus tranchée encore, la partition nord / sud est la même, mais les “autres” n’y apparaissent pratiquement plus (carte n° 16). On notera toutefois que la limite nord / sud ou métis / blancs est un peu différente, elle a été sensiblement déplacée vers le nord par la poussée pionnière sur l’axe du nord-ouest, reportant la limite jusqu’en Amazonie. La conquête du Mato Grosso et du Rondônia par les migrants venus du Rio Grande do Sul et du Paraná a donc permis à certains d’entre eux de s’enrichir, ou du moins de devenir les plus riches habitants de ces régions pionnières, les plus éduqués aussi et ceux qui ont les meilleures chances de survie, comme on le voit sur les cartes de l’IDH. Ces terres nouvelles de l’axe du nord-ouest sont donc bien, économiquement et culturellement, le prolongement du Sud – Sudeste, la pointe avancée de sa pénétration au détriment du Brésil caboclo (métis d’indiens et de noirs) de la vieille Amazonie. Preuve, s’il en était besoin, que l’indicateur ambigu qu’est la couleur de peau contribue à éclairer les diversités et les dynamismes de la société brésilienne contemporaine. 86 Hervé THERY Couleur de peau et revenus 87 88 Hervé THERY Couleur de peau et revenus 89 90 Hervé THERY Couleur de peau et revenus 91 92 Hervé THERY Couleur de peau et revenus 93 94 Hervé THERY