JEUNES DES PAVILLONS
Entre-soi dans les lotissements et avenir social incertain
Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Yasmine Siblot
Presses de Sciences Po | « Agora débats/jeunesses »
2009/3 N° 53 | pages 85 à 97
ISSN 1268-5666
ISBN 9782296103443
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Dossier
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Jeunes des pavillons
Entre-soi dans les lotissements
et avenir social incertain
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Si de nombreux travaux analysent la sociabilité, les trajectoires de
« jeunes des cités » ou les pratiques éducatives de leurs familles, peu se
sont intéressés aux « jeunes des pavillons », comme si les quartiers
pavillonnaires ne constituaient pas des espaces aussi structurants en
termes de socialisation. Or le cadre du lotissement, tout comme l’habitat
en maison individuelle, influe sur les pratiques d’encadrement de la
sociabilité juvénile. Les quartiers pavillonnaires constituent en outre des
espaces sociaux aux caractéristiques spécifiques : les familles qui y résident connaissent pour beaucoup des trajectoires de mobilité sociale
ascendante qui modèlent leurs pratiques éducatives. Qu’est-ce que grandir en pavillon ?
Dans le cadre d’une recherche collective1 menée à Gonesse, dans la
banlieue nord de Paris, à partir de 2004, nous nous sommes intéressés
aux habitants du quartier des Peupliers2. Relativement hétérogène en
termes de logements3, celui-ci occupe une position intermédiaire dans la
gamme des quartiers pavillonnaires : ni populaire, ni résidentiel, il
regroupe des ménages aux positions professionnelles variées, allant des
ouvriers aux cadres. Le cœur en est constitué de ménages que nous avons
qualifiés de « petits-moyens », réunis moins par leurs positions socioprofessionnelles que par la pente de leurs trajectoires. Ils ont tous connu
1. Cette recherche a associé dans un premier temps des étudiants et des enseignantschercheurs (outre les auteurs de cet article : Jean-Pierre Hassoun, Nicolas Renahy, AnneCatherine Wagner, Florence Weber), avant d’être prolongée par les seuls auteurs de cet article.
Elle a été financée par la mission à l’ethnologie du ministère de la Culture et par la Ville de
Gonesse. Cet article reprend pour partie le chapitre IV de notre ouvrage (Cartier, Coutant, et
al., 2008).
2. Si nous avons conservé le nom de la commune, ceux du quartier et des habitants ont été
modifiés.
3. Quelques pavillons datent des années 1920 ; puis le quartier s’est développé autour de
650 pavillons construits au début des années 1960 (pavillons dits « en bande », car ils sont
mitoyens et forment des bandes de maisons accolées) ; divers petits lotissements s’y sont
ajoutés au cours des années 1970 et 1980 ; et enfin une série de villas d’un standing un peu
plus élevé ont été construites au cours des années 1990 et 2000.
AGOR A DÉBATS/JEUNESSE S N° 53, ANNÉE 2009 [3]
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Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Yasmine Siblot
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de petites ascensions à partir des classes populaires, l’achat du pavillon
matérialisant ce parcours4.
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Ainsi, c’est à travers le point de vue de trois fratries que nous avons
abordé la socialisation juvénile des « jeunes des pavillons ». Pour comprendre les processus de construction de leur identité sociale, nous avons
tenté de saisir les perceptions que ces adolescents avaient d’eux-mêmes
en comparaison avec d’autres groupes d’adolescents, en particulier avec
ceux « des cités », côtoyés au moment du collège. Nous nous sommes
aussi intéressés à l’incertitude de leur devenir social et professionnel et à
l’importance des liens noués dans le quartier, du fait de leurs situations au
moment de l’enquête : alors âgés de 20 à 25 ans, ils étaient tous en cours
d’études ou en recherche d’emploi et résidaient encore dans le lotissement.
GRANDIR DANS UN LOTISSEMENT PAVILLONNAIRE
Des sociabilités juvéniles denses et encadrées
par l’entre-soi de la « placette »
Les trois fratries rencontrées, dont les parents ont emménagé dans
les maisons neuves qu’ils ont achetées sur plan entre 1984 et 1986, sont
4. Il s’agissait de contribuer à une ethnographie des classes sociales contemporaines, en étudiant les transformations des classes populaires et moyennes. Olivier Schwartz remarque que
l’on manque de termes pour désigner les ménages situés à la frontière de ces deux groupes
(1998). Il nous a de ce fait semblé pertinent de reprendre la catégorie de « petits-moyens » par
laquelle une enquêtée se situait socialement : ce terme désigne plus un type de trajectoire
sociale qu’une position précise.
5. Deux étudiants ont participé à la première phase de l’enquête en octobre 2004, Emmanuel
Comte et Fabien Brugière : ils ont réalisé cinq entretiens avec des jeunes voisins dont ils étaient
très proches en âge.
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Une partie de la recherche a porté sur un groupe de jeunes nés dans les
années 1980, résidant autour d’une même placette, le Clos des Chevreuils.
Les Clos se présentent comme des impasses regroupant dix à quinze maisons ; ils constituent au sein du quartier une zone intermédiaire en termes
de standing et de prix entre les pavillons « en bande » des années 1960 et
les pavillons des années 1990, plus imposants. Ce volet de l’enquête a commencé grâce à un heureux hasard, la rencontre d’un de nos anciens étudiants, Thomas Loiseau, dans une rue du quartier. Amusé et étonné de voir
« des profs à Gonesse », il nous a accordé un long entretien, avant de mettre
l’équipe en relation avec ses amis de la placette5. Les entretiens réalisés,
qui sont en grande partie rétrospectifs, comportent nécessairement une
part de reconstruction et de sélection. Néanmoins, la mise en relation des
différents récits entre eux ainsi que l’observation du lotissement et des
pavillons permettent de nuancer ou de conforter les propos.
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C’est autour de cette placette que se sont noués les liens entre ces
« vieux potes » à travers des activités comme le football et le vélo. Cette
forte proximité amicale au sein du lotissement, qui a perduré jusqu’à l’âge
adulte, tient à la similarité des situations des familles à leur arrivée, ainsi
qu’à la forme du lotissement. Situées autour de cet espace ouvert de la
placette, les maisons sont très proches les unes des autres, avec des
haies basses devant les entrées qui favorisent les relations. Les enfants
se souviennent que « les parents » entretenaient ensemble la pelouse de
la place, ainsi que les chemins de communication entre les placettes ; ils
s’invitaient mutuellement et organisaient des petites fêtes dans les
espaces communs. Le lotissement constituait également une ressource
pour un contrôle parental collectif : les enfants n’avaient pas le droit de
faire du vélo hors des placettes et il leur était interdit d’aller dans la
« grande rue ».
Cette sociabilité entre couples du lotissement durant les premières
années d’installation reposait à la fois sur la proximité des situations
familiales et sur l’affinité des trajectoires sociales de ces « petitsmoyens », au-delà d’une diversité de positions sociales. Sur la placette
se côtoyaient des ouvriers (manutentionnaire, tailleur), un petit indépendant (fabricant de cartes de visite), des employés du privé (vendeur, secrétaire), des employés du public (hôpital, ministère de la Justice,
bibliothèque municipale, police, Aéroports de Paris), des professions
intermédiaires du privé (technicien de climatisation, préparateur en pharmacie, comptable) et du public (institutrice, brigadier chef), ainsi que des
cadres (deux informaticiens, deux « cadres »). Mais ces voisins avaient en
commun d’être issus des classes populaires et d’avoir connu une ascension sociale matérialisée par l’accès au lotissement. Ils avaient pour la
plupart souvent vécu en HLM auparavant, et un nombre notable d’entre
eux avait connu une migration géographique (en provenance des DOMTOM et du Maghreb notamment).
Le Clos des Chevreuils a ainsi réuni au sein d’un même voisinage des
familles ayant des traits communs en termes de trajectoire sociale, mais
aussi de cycle de vie et de mode de vie. Au-delà de l’usage de la placette
comme une ressource (sociale et physique) pour veiller à l’encadrement
des enfants, les familles ont aussi exercé un contrôle actif sur leurs parcours scolaires et leurs loisirs.
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étonnamment proches en âge : Marilyne et Thomas Loiseau sont nés en
1979 et 1981, leur sœur en 1988 ; Stéphanie, Agnès et Julien Bensoussan
sont nés en 1979, 1981 et 1986 ; Delphine et Cédric Dumoulin sont nés en
1981 et 1985 et leur jeune frère en 1995. Ils ont tous grandi autour de la
« placette » et évoquent avec plaisir les années de leur enfance et de leur
adolescence.
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Stratégies scolaires et loisirs encadrés
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Le choix de cette option reflète aussi la place qu’occupe le sport dans
leurs activités scolaires et extra-scolaires. En effet, au-delà du suivi scolaire des enfants, les parents de la placette ont poussé leurs enfants à
pratiquer de multiples activités dans des cadres institutionnels. Tous ont
ainsi fait un ou plusieurs sport(s) en club, avec des compétitions, depuis
l’école primaire et jusqu’au lycée au moins : tennis, basket, danse, gymnastique, football et judo. Beaucoup ont également fait de la musique, à
l’école de musique de Gonesse ou au conservatoire de la commune voisine : violon, piano, guitare. Les parents les ont donc orientés vers des
loisirs encadrés, assez sélectifs socialement, très prenants en temps, qui
impliquaient des formes de compétition et d’évaluation répétées. Ils se
sont beaucoup investis pour permettre aux adolescents de poursuivre ces
activités.
On mesure la relative efficacité de cet encadrement des loisirs au fait
que les fréquentations des adolescents puis des jeunes adultes sont restées fortement localisées dans les lotissements du quartier et des environs. Les lotissements apparaissent ainsi comme le cadre d’une
sociabilité juvénile spécifique, très ancrée dans les maisons familiales.
Sorties rares et ancrage dans le lotissement
Les jeunes voisins du Clos évoquent le contrôle parental sur les sorties à partir de l’adolescence. Mais si les uns et les autres laissent entendre que ces limitations leur ont pesé, aucun n’est très virulent non plus.
En fait, l’attraction de Paris ne semble pas avoir été très forte pour eux.
Seul Thomas a fait ses études à Paris, les autres préférant les universités
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Tous les enfants ont été scolarisés dans le secteur public jusqu’au
lycée, et seuls les enfants Dumoulin ont alors bifurqué vers un établissement privé. En primaire, ils ont fréquenté une des écoles du quartier
pavillonnaire. Mais au collège, un établissement commun aux enfants des
quartiers pavillonnaires et des grands ensembles voisins, les parents ont
utilisé une stratégie pour permettre à leurs enfants d’être dans
de « bonnes » classes ; cette stratégie était originale et caractéristique
de leur positionnement social, entre classes populaires et classes
moyennes. En effet, ils n’ont pas adopté les stratégies les plus élitistes
reposant sur le choix des langues (comme l’allemand première langue),
car les enfants y étaient réticents et les parents n’étaient pas tous suffisamment dotés en capital scolaire pour l’envisager (les parents Loiseau
se sont arrêtés en 4e et 3e par exemple). Mais ils ont trouvé un « truc »
plus ajusté à leurs dispositions et ont inscrit leurs enfants dans la classe
option sport, classe plus encadrée, à effectif réduit, où se sont suivis les
frères et sœurs de la placette.
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de banlieue, plus proches. Il a apprécié le quartier latin, mais toujours
avec une certaine distance. En dehors de quelques occasions de faire des
courses, les balades à la capitale et en particulier les sorties culturelles
(musées, théâtres, concerts, etc.) ne font pas partie des loisirs les plus
appréciés des jeunes du lotissement.
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La distance par rapport à Paris et le goût pour le temps passé « les
uns chez les autres » dans les lotissements ne signifient pas pour autant
que les lycéens et les jeunes étudiants circonscrivent leurs déplacements
à leur voisinage immédiat. En témoigne l’importance que tous accordent
au permis de conduire, nécessaire pour avoir une mobilité autre que celle
permise par les bus ou le RER. Après avoir contrôlé d’assez près leurs
déplacements pendant l’adolescence, leurs parents les ont même poussés
et aidés à obtenir le permis à leur majorité. Cela les décharge d’un certain
nombre de déplacements pour accompagner les enfants, et la voiture est
perçue comme plus rassurante que les transports en commun, en ce
qu’elle évite notamment la confrontation avec les « jeunes des cités ».
LES RELATIONS AMBIVALENTES AVEC LES « JEUNES DES CITÉS »
Un voisinage proche mais des rapports très limités hors du collège
Le quartier des Peupliers est limitrophe du principal grand ensemble
de Gonesse, la cité du Nord, et la seconde grande zone d’habitat social,
la cité du Sud, n’est qu’à dix minutes à pied. Mais les rapports avec les
enfants et adolescents de ces quartiers sont demeurés longtemps très
limités, les écoles primaires des différents quartiers étant distinctes.
C’est le collège qui a constitué une période centrale dans la confrontation
des jeunes du Clos des Chevreuils aux adolescents des cités, qu’ils
n’avaient guère fréquentés de près jusque-là.
Leurs modes de sociabilité et leurs loisirs leur ont en effet donné par
ailleurs peu d’occasions de rencontrer des enfants des quartiers HLM :
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C’est Gonesse et, plus précisément, ses lotissements qui ont constitué
le cœur de leur sociabilité lycéenne et étudiante. Ils évoquent ainsi les
soirées entre amis à Gonesse, en petit comité, ou les boums, même s’il
« fallait batailler » sur l’heure de retour à la maison. Les jeunes femmes
racontent aussi avoir toujours passé beaucoup de temps les unes chez
les autres pour discuter, échanger les derniers « potins » du lycée ou du
quartier. Plusieurs se décrivent comme assez casaniers, passant beaucoup de temps à regarder la télévision, à lire, ou à se retrouver entre amis.
Quant aux garçons les plus jeunes, ils évoquent les après-midi et les soirées passés à jouer à la Playstation ou à regarder des matchs de football
à la télévision.
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les jeux dans la rue étaient circonscrits aux rues pavillonnaires, et les
activités extra-scolaires les en éloignaient. Alors que le centre social de
la cité du Nord toute proche propose de multiples activités culturelles,
aucun voisin du Clos n’y est allé, privilégiant la pratique de la musique
classique au conservatoire dans la commune voisine ou encore à l’école
de musique du centre-ville. Même les pratiques sportives, localisées en
centre-ville ou dans d’autres communes, ne favorisaient pas les rencontres avec les adolescents de ces quartiers voisins.
Un cloisonnement net s’est donc opéré à l’égard des jeunes des cités
et il a été renforcé par l’expérience au collège d’une forte distance sociale
à leur égard, qui s’est exprimée à travers la crainte récurrente de la violence dans les relations.
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« Corner boys » et « college boys6 » se retrouvent donc dans les mêmes
classes pour quelques années, essentiellement au collège. Pendant les
années de lycée, c’est plutôt aux abords du lycée, en bordure de la cité
du Sud, qu’ils se croisent. Les récits de leur scolarité secondaire par les
jeunes du Clos sont marqués par l’évocation des violences entre jeunes
des cités, plus précisément entre garçons, et du comportement des plus
durs d’entre eux.
Le récit du « choc » éprouvé au collège revient dans tous les entretiens, surtout dans ceux des aînés qui ont connu le collège commun à
l’ensemble des quartiers, collège où se côtoyaient, outre les jeunes des
pavillons, des jeunes des différentes cités de la commune. Thomas
exprime d’abord avec humour qu’il est tombé des nues : il s’est trouvé
dans une classe d’élèves venant de BEP qui avaient « 17-18 ans » et c’était
le « Far West », il était au « cinéma ». Il décrit le chahut permanent de sa
classe de 3e, où il n’a « pas travaillé une seule fois », et les formes spectaculaires des « embrouilles entre quartiers » (bagarres, coups de couteau, etc.).
Si certains s’en tiennent à ces évocations générales de l’ambiance et
d’épisodes marquants pour la mémoire collective de leur génération
(comme l’« attaque » d’un bus scolaire de la cité du Nord par des jeunes
de la cité du Sud), c’est sur un mode plus personnel que d’autres évoquent des situations d’agression vécues, ainsi que le sentiment de peur
éprouvé au quotidien dans des occasions plus ordinaires. Cédric et Delphine, qui ont terminé leur scolarité secondaire dans un lycée privé de
Normandie, en internat, relient leur départ temporaire du quartier à cette
peur. Si tous deux mettent d’abord en avant leurs difficultés scolaires pour
6. Selon les expressions de Whyte (2002).
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La peur de la violence et les pratiques de mise à distance
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expliquer cette décision de leurs parents, ils la renvoient ensuite immédiatement à la peur de la violence qui entourait le lycée. Outre le choc
qu’a été pour Delphine la scène de l’attaque du bus scolaire qui visait de
jeunes lycéens de la cité du Nord, c’est aussi la peur éprouvée sur le trajet
à pied entre le lycée et la maison qui ressurgit lors de l’entretien : Cédric
s’est ainsi fait une fois « dépouiller » brutalement de sa calculatrice et de
son téléphone7.
L’évocation de la peur des agressions et le récit des comportements
violents des jeunes de cités observés au collège et au lycée montrent
qu’après une enfance très cloisonnée et protégée, la confrontation est
d’abord vécue comme une source de danger et renforce la distance envers
eux. Mais les attitudes de ces « jeunes des pavillons » sont parfois plus
nuancées et des formes de relativisation de cette image univoque laissent
entrevoir d’autres types de rapports à l’égard des jeunes des cités.
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Les récits qui rendent compte de la crainte éprouvée à l’égard des
jeunes des cités sont en effet souvent tempérés dans un second temps.
L’évocation des agressions, des vols et des bagarres est parfois suivie
d’une relativisation des violences subies. Même les plus virulents précisent qu’ils n’ont pas été eux-mêmes directement agressés, ou alors de
façon minime. L’une des personnes interviewées, qui exprime la peur des
agressions ressentie lorsqu’elle était seule dans sa voiture, souligne le
décalage entre son expérience et cette crainte : « Je sais pas si je suis
parano ou pas, mais j’étouffais ici. Il m’est jamais rien arrivé mais j’avais
toujours peur qu’il m’arrive quelque chose. »
Outre ces formes de relativisation de récits dramatisant les épisodes
les plus marquants de leur scolarité, certains de ces jeunes étudiants du
quartier pavillonnaire manifestent une attitude plus compréhensive,
exprimant une conscience rétrospective des inégalités sociales qui sont
au fondement de leur confrontation aux jeunes des cités qu’ils n’ont
côtoyés que pendant la durée du collège. Tous décrivent en effet les
formes très nettes d’« écrémage social » qui se sont produites au fil des
années et que l’allongement global de la scolarisation n’a pas fait disparaître. Julien raconte comment ses amis du primaire habitant les
pavillons en bande ou la cité du Nord ont en grande partie arrêté leurs
études, et Agnès explique que les jeunes les plus agressifs se sont « fait
virer rapidement » du collège : pour elle, leurs attitudes provocatrices et
7. Ces épisodes ne sont pas rares. La rentée scolaire 2009 a été marquée par de nombreuses
agressions aux abords du lycée, suscitant une pétition de la part de parents d’élèves et occasionnant plusieurs arrestations.
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Une image sociale de « banlieusards » qui fait problème
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parfois violentes sont ainsi « plus de la bêtise… de l’ennui quoi… » de
« gens qu’ont rien d’autre à faire ».
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Outre cette influence de goûts musicaux ou de façons de parler venus
des cités, ce sont les relations qu’ils vont avoir avec des jeunes d’autres
groupes sociaux en dehors du quartier et de la
banlieue qui vont contribuer à redéfinir le positionnement de ces jeunes adultes pavillonOutre cette influence de goûts musicaux
naires comme « banlieusards », ce qui atténue
ou de façons de parler venus des cités, ce
en partie symboliquement la distance aux
sont les relations qu’ils vont avoir avec des
jeunes des cités. À Paris ou en province, ils
jeunes d’autres groupes sociaux en dehors
découvrent ainsi qu’ils sont perçus comme
du quartier et de la banlieue qui vont
proches des jeunes des cités, alors même que
contribuer à redéfinir le positionnement
toute leur éducation les en a éloignés.
de ces jeunes adultes pavillonnaires
Pour Thomas, les séjours en colonie de
vacances ont été l’occasion d’une découverte
plus précoce du regard de « l’extérieur ».
Quand il disait venir de Gonesse, les enfants
d’autres communes lui rétorquaient : « Ah !
Garges-lès-Gonesse, la banlieue ! » Mais la prise de conscience de cette
identification s’est pleinement opérée à l’occasion de l’année qu’il a passée en classe préparatoire (hypokhâgne) à Paris. Poussé par un enseignant du lycée de Gonesse, il s’y est rendu sans mesurer d’avance l’écart
social qui le séparait des lycéens parisiens : « J’ai découvert un autre
monde, c’était un monde de fils de profs d’université, de cadres supérieurs. » Si ces rencontres ont pu être intéressantes, il a ressenti durement l’écart scolaire avec eux car il ne parvenait pas à « tenir le rythme ».
Ce jeune étudiant des pavillons qui a grandi dans la distance aux jeunes
des cités s’est trouvé ici en position de banlieusard dans ce monde parisien.
comme « banlieusards », ce qui atténue
en partie symboliquement la distance aux
jeunes des cités.
Pour Delphine et Cédric, c’est dans le lycée privé catholique où leurs
parents les ont envoyés lors de leur redoublement qu’a eu lieu cette
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Pour Thomas, les règlements de compte n’étaient pas la seule raison
de la présence des garçons des cités aux abords du lycée : pour beaucoup,
scolarisés en LEP ou n’étant plus scolarisés, c’était aussi un lieu pour
venir « draguer ». Thomas semble avoir éprouvé une certaine fascination
pour ces garçons, avec qui il avait de bonnes relations au collège. Leurs
goûts étaient souvent dominants au sein des établissements scolaires :
« C’étaient les mecs de cités qui impulsaient les façons d’être. » Les
jeunes du lotissement apprécient ainsi le rap, et en ont beaucoup écouté.
Leur socialisation au collège a donc été en partie une acculturation à des
goûts de « banlieusards » qui circulent des cités aux pavillons.
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Cette image ambivalente de « banlieusards » à laquelle ils sont renvoyés et la transformation dans le temps de leur perception des jeunes
des cités sont révélatrices de la situation d’entre-deux social des « jeunes
des pavillons ». Cette position se mesure enfin à l’indétermination de
leurs destins sociaux, toujours ouverts, y compris pour ceux qui ont
25 ans ou plus : si leurs études leur permettent d’aspirer à des formes
d’ascension qui prolongeraient celle de leurs parents, elles ne les mettent
pas pour autant à l’abri du risque de déclassement social. Le prolongement de leur ancrage dans le quartier et dans les maisons parentales
peut être analysé comme un indice de cette indétermination et de ces
risques.
RESTER DANS LE QUARTIER : LE LOTISSEMENT COMME REFUGE
Des trajectoires professionnelles et sociales incertaines
Suivis dans leur scolarité, encouragés par leurs parents, les lycéens
des trois fratries rencontrées ont poursuivi des études supérieures,
comme la plupart de leurs voisins. Mais leurs scolarités secondaires semblent avoir été très moyennes (plusieurs ont redoublé une fois), même s’ils
ont quasiment tous obtenu des baccalauréats généraux. À l’issue du baccalauréat, leurs études sont très diverses, et souvent longues, ou plus précisément prolongées faute de projet professionnel précis.
Marilyne, après son baccalauréat S option biologie, a fait des études
de biologie à l’université la plus proche jusqu’au DEA, qu’elle a obtenu
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confrontation avec un « autre monde ». Leurs goûts musicaux, vestimentaires, leur façon de parler… les distinguaient des lycéens de cette petite
ville normande, et cette différence a débouché sur une mise à l’écart des
banlieusards perçus comme des « racailles » par les provinciaux. Celleci se faisait parfois sur le mode de la moquerie, et pouvait être prise avec
humour, mais c’est aussi à des réactions racistes qu’ils se sont trouvés
brutalement confrontés (leur père est antillais) : ils ont découvert un univers où les « gens de couleur […] détonnent ». Cette confrontation leur a
fait prendre conscience de la diversité culturelle dans laquelle ils ont
grandi et à laquelle ils se montrent à présent très attachés. Cédric
énumère avec fierté la diversité des origines nationales de ses amis : Vietnamien, Algérien, Marocain, « Israëlo-Algérien » (Juif d’Algérie), Cambodgien. Et il ajoute sans moins de fierté les siennes, antillaises. Pour
ces jeunes adultes d’un lotissement de banlieue, cette diversité est ainsi
familière et valorisée comme étant plus généralement celle de « la région
parisienne», à la différence de la « province profonde ».
Dossier
Jeunes des pavillons
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sans vraiment savoir quoi entreprendre ensuite. Elle s’est engagée dans
une nouvelle formation pour travailler dans l’industrie pharmaceutique,
choix qui s’est avéré fructueux puisqu’elle a été embauchée l’année suivante comme attachée de recherche clinique (poste technique). Thomas
n’a pas trouvé de débouché aussi facilement que sa sœur. Il a commencé
des études d’histoire après sa prépa, puis s’est réorienté en sciences politiques mais a été déçu par le caractère trop théorique de l’enseignement.
Il est parti un an en Espagne avec Erasmus, et à son retour, s’est inscrit
dans un magistère de relations internationales (bac + 5) à la Sorbonne. À
l’issue de cette formation, en 2006, il a envoyé
de nombreuses lettres de candidature à des
institutions européennes et internationales,
Si leurs études leur permettent d’aspirer à
ainsi qu’à diverses associations et ONG, mais
des formes d’ascension qui prolongeraient
en vain, ce qui a provoqué son découragecelle de leurs parents, elles ne les mettent
ment. Pour gagner de l’argent, il a alors trapas pour autant à l’abri du risque de
vaillé comme intérimaire à Roissy, en tant
déclassement social.
qu’agent d’escale dans les boutiques de l’aéroport. Début 2007, il a décidé d’élargir le
champ de ses recherches dans le domaine de
la communication, mais aussi vers des emplois plus commerciaux : « Moi
ce que je veux, c’est travailler », dit-il.
Stéphanie a aussi rejoint la faculté après un an de classe préparatoire.
Cela ne lui a pas plu, et comme elle « voulait faire prof » depuis longtemps
(sa mère est institutrice), elle s’est orientée vers l’IUFM8 pour être enseignante. Agnès s’est engagée dans des études d’histoire et prépare un
mémoire de maîtrise qu’elle n’est pas certaine de mener à bien. Julien a
commencé un cursus arts et spectacles puis a rejoint un cursus de
mathématiques appliquées mais sans idée précise des débouchés.
Delphine s’est réorientée à l’issue d’un baccalauréat technique administration, et après trois ans de préparation, a été reçue à l’École nationale supérieure des arts décoratifs où elle suit une section de design
textile. Même s’il s’agit d’une école renommée, elle se destine à une formation longue aux débouchés aléatoires. Son frère, Cédric, et la petite
amie de celui-ci, Læticia, se sont inscrits en 2004 en première année de
médecine. Ils ont échoué au concours d’entrée en deuxième année et
Cédric s’est réorienté vers l’architecture.
Leurs parcours scolaires et professionnels sont donc marqués par
des résultats souvent moyens, et, à des degrés divers, par des formes
d’irréalisme social, ou du moins, par un flou quant aux débouchés professionnels – à l’exception de Stéphanie qui travaille dans une école pri8. Institut universitaire de formation des maîtres.
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Cette incertitude quant à leur destin professionnel est renforcée par
le fait que tous ont depuis le début de leurs études des « petits boulots »
réguliers. Si leurs parents les logent et leur prêtent une voiture, ces
« jobs » leur fournissent les ressources qui leur assurent une certaine
autonomie. Thomas et sa sœur ont régulièrement travaillé à l’aéroport
(vente de sandwichs), ainsi que dans des banques. Julien donne des cours
particuliers de mathématiques pendant l’année scolaire, et est recruté
l’été pour trier des chèques dans la banque qui emploie son père. Delphine, Cédric et Læticia, quant à eux, travaillent les samedis (et un jour
en semaine pour Delphine) à la Société de traitement de presse où ils
trient les revues et journaux à expédier aux abonnés. « C’est un travail
d’usine », disent-ils. Ces petits boulots sont des emplois d’ouvriers ou
d’employés non qualifiés, et l’occupation régulière de ce type d’emplois
les fait naviguer entre des univers sociaux très différents : le monde de
l’université, en médecine et Arts déco à Paris, et le monde de l’« usine »
dans une zone industrielle de Gonesse. Ces jeunes adultes qui peuvent
être perçus comme des « bourges » par les jeunes des cités font donc
plutôt partie, à ce stade de leur vie, des fractions des classes moyennes
dont les liens avec les classes populaires restent nombreux.
Dans cette situation d’incertitude, le lotissement et les maisons
parentales constituent un point d’ancrage et un lieu protecteur : leurs
sociabilités et leurs relations amoureuses y sont encore très liées.
Des séjours prolongés dans le pavillon : entre attachement et contrainte
Lors de l’enquête, beaucoup d’enfants du Clos âgés de 20 à 30 ans
vivaient toujours dans le lotissement. C’est le cas des trois fratries évoquées ici, à l’exception de Stéphanie, qui travaille dans une école de la
cité du Nord et vit dans une commune périurbaine proche. C’est également le cas de la plupart des voisins de leur âge. Cela fait donc cinq fratries parmi les huit dont les aînés sont nés entre 1979 et 1985.
Le fait qu’ils soient presque tous encore chez leurs parents n’est pas
exceptionnel du point de vue statistique, en raison du retard progressif de
la décohabitation. Ainsi, en 1997, l’âge médian de départ de chez les
parents est de 20,5 ans pour les femmes et de 22 ans pour les hommes,
et l’âge d’accès à l’indépendance résidentielle (logement qui n’est plus
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maire. Si tous auront un bagage universitaire, et si certains peuvent espérer des emplois de cadres, les risques de déclassement professionnel par
rapport à leur niveau de diplôme mais aussi par rapport à leurs parents
sont réels.
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Mais au-delà de ce facteur économique, le quartier et la maison familiale jouent un rôle protecteur pour ces jeunes adultes, du fait des multiples
attaches qu’ils y ont conservées. Beaucoup ont un ancrage familial dans
les environs, au-delà de leurs parents (grands-parents, oncles et tantes,
cousins…). Ils ont surtout un ancrage amical
dans le quartier et les communes voisines : les
Dans cette situation d’incertitude,
réseaux de « potes » et de « copines » de l’enle lotissement et les maisons parentales
fance et de l’adolescence, fondés sur l’interconstituent un point d’ancrage et un lieu
connaissance des parents, leur proximité
protecteur : leurs sociabilités et leurs
sociale et un encadrement de leurs scolarités
relations amoureuses y sont encore
et sociabilités, perdurent en partie. Les voisins
très liées.
de la rue se fréquentent régulièrement, ils s’invitent pour des repas les uns chez les autres,
assistent ensemble à des matchs, se retrouvent pour des sorties au restaurant, des barbecues.
On mesure l’importance de cet attachement au quartier à travers la
formation des couples : Agnès est en couple avec un garçon de la cité du
Sud rencontré par l’intermédiaire d’un voisin. Sa sœur, Stéphanie, qui
était partie en Savoie pour enseigner comme institutrice, est revenue à
Gonesse où elle a rencontré un garçon lors d’une soirée entre amis du
quartier. Cette relation l’a amenée à travailler à la cité du Nord, alors
qu’elle avait justement quitté la région parisienne pour s’éloigner de ce
type de quartier.
Au-delà du quartier lui-même, beaucoup d’amis de ces jeunes
pavillonnaires vivent dans des communes voisines et leurs sorties se
déroulent dans un périmètre assez rapproché : sorties au cinéma dans
un multiplex, sorties au « restau », parfois à Paris, ou au MacDonald’s,
courses dans le centre commercial, soirées au bowling ou aux fêtes de
l’école d’infirmières de Gonesse… Plusieurs ont conservé des activités
culturelles et sportives à Gonesse ou non loin : Marilyne joue toujours
avec l’orchestre du conservatoire, Agnès n’a arrêté que récemment le
basket en club. Julien, Cédric et leurs amis des lotissements connus au
9. Villeneuve-Golkap, février 2001. Sur cette question, voir l’ensemble de la revue Économie et
statistique, nos 337-338.
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financé par les parents) est de 22 ans pour les femmes et de 24 ans pour
les hommes9. Ces âges se sont légèrement élevés depuis, notamment en
région parisienne. Le séjour prolongé chez les parents tient ainsi en
grande partie pour les jeunes du Clos des Chevreuils, comme pour beaucoup de jeunes adultes, à des raisons financières : hormis un logement
en cité universitaire, aucun autre type de logement n’était dans leurs
moyens ni dans ceux de leurs parents.
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lycée jouent au football régulièrement au stade du centre-ville. Thomas
sort parfois à Paris avec ses amis de la faculté, mais passe toujours beaucoup de temps dans le quartier où il se sent « tranquille ».
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n BIBLIOGRAPHIE
CARTIER M., COUTANT I., MASCLET O., SIBLOT Y., La France des « petitsmoyens » : enquête sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte,
coll. « Textes à l’appui », Paris, 2008.
SCHWARTZ O., La notion de « classes populaires », habilitation
à diriger des recherches en sociologie, université de VersaillesSaint-Quentin-en-Yvelines, 1998.
VILLENEUVE-GOLKAP C., « Les jeunes partent toujours au même âge
de chez leurs parents », Économie et statistique, nos 337-338,
février 2001, pp. 61-80.
WHYTE W. F., Street Corner Society, La Découverte, Paris, 2002.
AGOR A DÉBATS/JEUNESSE S N° 53, ANNÉE 2009 [3]
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Les pavillons familiaux, le Clos des Chevreuils et Gonesse constituent
ainsi un cadre « tranquille », selon le terme qui revient à plusieurs
reprises, c’est-à-dire surtout sécurisant. Il permet à ces jeunes adultes
de prolonger leurs études tout en mettant à distance l’incertitude de leur
avenir professionnel. Ils ne s’y projettent pas pour autant durablement ni
n’aspirent à y reproduire le mode de vie de leurs parents. L’entre-soi prolongé dans les maisons familiales et les lotissements pavillonnaires
constitue un refuge pour des jeunes adultes qui se trouvent à la lisière
d’un avenir professionnel encore très incertain et à la croisée de mondes
sociaux divers : celui de leurs familles, d’origine populaire et pour beaucoup immigrées, celui des étudiants, notamment parisiens, et enfin,
même si c’est de façon plus marginale, celui des cités et des « petits boulots » non qualifiés.