jeudi 23 avril 2015

Gilbert Sinoué : L'HOMME QUI REGARDAIT LA NUIT, Flammarion, 2012


L'histoire de la rencontre entre deux personnes qui souffrent, l'une dans sa chair, poliomyélite, l'autre dans son âme, une culpabilité insurmontable.

Suite à une opération qui a mal tourné, un chirurgien français (d'origine égyptienne, tout comme Gilbert Sinoué), se retire sur l'île de Patmos pour essayer d'échapper à ses Erynies. Mais, on le sait depuis l'antiquité, ces dernières ne nous lâchent jamais et nous forcent à des exploits, contre nous-même surtout, avant de nous laisser retrouver la paix de l'âme. 

Le roman est agréable à lire, mais pourquoi ai-je toujours eu l'impression que je devinais, avant les personnages, ce qui allait leur arriver ? Pourquoi faut-il attendre la toute fin de l'histoire pour être un peu "surprise" ? Pourquoi, alors que le sujet est profondément humain, ai-je tout le temps eu l'impression d'un alignement de bons sentiments, de déballage de grandes vérités ? 

"C'est pourtant simple, mon ami. Nous avons toujours une vie à sauver. Sans doute pas totalement, pas définitivement, mais elle existe. Tous les jours, sans le savoir, nous passons à côté de futurs suicidaires.
Lorsqu'il avait prononcé ces mots, jamais le docteur Papadakis n'aurait pu imaginer combien il disait vrai."

Décidément, je n'ai pas croché ! Et peut-être encore moins du fait du décor, l'île de Patmos, avec une impression de papier mâché, comme si le Routard avait pris la peine de rester un peu plus longtemps en Grèce et avait pris la peine de lire Kazantzakis. 

mercredi 22 avril 2015

Emmanuel Carrère : LE ROYAUME, P.O.L. Ed. 2014


Emmanuel Carrère, s'attaque ici à une des faces les plus intimes de sa personnalité, son rapport avec la religion et plus particulièrement la catholique.

Dans une première partie il nous raconte, non sans humour, comment, pendant trois longues années, il s'est efforcé d'être catholique. Il a cherché dans cette religion le soulagement à un mal-être et à une insatisfaction lancinante. Il se convertit et se lance à corps perdu dans la recherche du mérite de la communion. Son programme journalier est bien réglé. Après avoir emmené son fils à l'école, passé une heure à la piscine, il rejoint son studio :

"La première heure est vouée à saint Jean. Un verset à la fois, en garde à ce que mon commentaire ne tourne pas au journal intime, avec introspection psychologique et souci de garder trace.(...) De mon mieux, je chasse l'idée du livre à venir, je me concentre résolument sur l'Evangile. Même si le Christ m'y parle de moi, c'est à lui et non à moi que je veux désormais m'intéresser.
(Quand je relis ces cahiers aujourd'hui, je saute ces réflexions théologiques auxquelles j'attachais tant d'importance, comme on saute, dans Jules Vernes, les exposés de géographie. Ce qui m'intéresse et souvent m'effare, c'est évidemment, ce que je dis de moi)."

Cette crise, comme il l'appelle lui-même se terminera à la Pâques orthodoxe, car après toute une période de doute. "L'Evangile devient lettre morte".

Mais Emmanuel Carrère ne s'arrête pas là. Une dizaine d'années plus tard, il s'interroge sur la foi et décide de mener une enquête sur les origines de cette religion, sur les écrits qui la fondent et sur cette "histoire d'un guérisseur rural qui pratique des exorcismes et qu'on prend pour un sorcier. Il parle avec le diable, dans le désert. Sa famille voudrait le faire enfermer. Il s'entoure d'une bande de bras cassés qu'il terrifie par des prédictions aussi sinistres qu'énigmatiques et qui prennent tous la fuite quand il est arrêté."

Pour ce faire, il reprend les Actes des Apôtres, les Épîtres de Paul, dont il dresse un portrait en dissident, d'un Luc quasi romancier. Il compare les textes attribués aux quatres Evangélistes. Il en souligne les contradictions, les divergences. Il se fait historien en analysant l'évolution de ce qui, dans ce milieu du premier siècle, ressemble plus à une secte qu'à une religion. 

"Luc parfois se contente de recopier Marc, mais la plupart du temps il fait ce que je viens de montrer. Il dramatise, il scénarise, il romance. Il ajoute des "il leva les yeux", "il s'assit", pour rendre les scènes plus vivantes. Et quand quelque chose ne lui plaît pas, il n'hésite pas à le corriger.
J'ai parlé, pour certains détails de l'Evangile, de leur "accent de vérité". C'est un critère auquel je crois, tout en reconnaissant qu'il est très subjectif. Un autre critère est celui que les exégètes appellent "le critère d'embarras" : quand une chose devait être embarrassante à écrire pour son rédacteur, il y a de fortes chances qu'elle soit vraie. Exemple : l'extrême brutalité des relations de Jésus avec sa famille et ses disciples, Ce qu'en dit Marc, il y a tout lieu de le croire. Ce qu'en fait Luc, moins. Le premier raconte que les siens sont venus chercher Jésus pour le faire enfermer, le second qu'ils n'ont pas pu l'approcher à cause de la foule. Le premier, qui était pourtant le secrétaire de Pierre, montre Jésus repoussant celui-ci en le traitant de Satan, le second coupe la scène, comme il coupe ou arrange toutes celles où les disciples apparaissent comme une bande d'abrutis- sauf quand elles visent Jean, contre qui il avait une dent."

Mon billet est bien plus long que d'habitude, mais il faut dire que l'ouvrage compte quand même quelques 630 pages et qu'il y aurait encore bien d'autres choses à souligner. 

C'est une livre passionnant, dans lequel on sent le plaisir que l'auteur a eu à l'écrire "de bonne foi" comme il aime à le dire en conclusion.