GOMBANIROvol1
GOMBANIROvol1
GOMBANIROvol1
Tome 1
THÈSE
En vue de l’obtention du grade de
Titre
JURY
M. André GUICHAOUA (Directeur): Professeur émérite de Sociologie à l’IEDES, UMR IRD 201
Développement et sociétés, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
2016
1
A notre Père Gustave Gombaniro Bahati, à notre Mère Céline Mawazo Nabunyi
A nos oncles Ferdinand Bunyungu et son épouse Marie Kinja, Jean Muganda, André Musema, Jean-
Chrystosome Igwabi, Mwami Pascal Ntambuka Nsibula, ainsi qu’à nos évêques Aloys Mulindwa,
Christophe Munzihirwa, Emmanuel Kataliko, Charles Mbogha, qui tous, n’ont pas pu voir le
couronnement de leur travail
A Jean-François Baré parti dans l’autre monde sans avoir vu lui aussi l’achèvement de ce travail qu’il
avait accompagné dans ses débuts.
A nos frères et sœurs : Jean-Philippe Tembeya Gombaniro, Désiré Rutunda Gombaniro, Berthe Feza
Gombaniro, Godelive Sifa Gombaniro, Ingrid Nyota Gombaniro et toute la progéniture Rwakageyo. A
toutes les familles Ntambuka et Rubomboza
A tous ceux qui nous ont soutenu dans cette aventure scientifique depuis des décennies.
2
Remerciements
Il a fallu le concours de plusieurs personnes pour mener jusqu’au bout ce travail. Nous voulons les remercier pour
leur soutien intellectuel, humain, financier et moral.
Nos remerciements vont en premier lieu au Professeur André Guichaoua, qui a accepté de tout cœur de diriger et
de conduire ce travail jusqu’à son aboutissement. En bon connaisseur de la région des Grands-Lacs et ses
convulsions, il nous a guidé patiemment dans l’étude de l’épineuse question de l’implantation des Eglises
africaines en général et congolaises en particulier dans le contexte colonial belge et les logiques qui la sous-
tendaient, un sujet qui nous passionne depuis des décennies. Qu’il trouve ici l’expression de notre gratitude.
Nous remercions tous nos professeurs de l’Institut Catholique de Yaoundé depuis le premier cycle de sciences
sociales et de gestion, particulièrement ceux qui nous ont donné le goût de l’anthropologie et de la sociologie dans
le cadre du Master. Nous pensons particulièrement aux professeurs Claude Abé ainsi que l’illustre disparu
Séverin-Cécile Abega. C’est le lieu d’exprimer aussi toute notre reconnaissance aux pères jésuites qui, non
seulement étaient nos responsables administratifs et académiques, mais aussi nous ont aidé de plusieurs manières
et pendant des années pour que notre objectif de recherche soit atteint ce jour.
Nous devons une grande reconnaissance à Mr Sopgui Pierre-Marie et toute sa famille devenue notre famille. Ils
nous ont entouré d’une affection particulière durant nos études à Yaoundé.
Un remerciement particulier à Mlle Anne-Marie Lethuillier, à Mrs Benoît Brosset, Xavier Percier et Kévin
Brandao pour avoir accepté de relire notre texte et apporté leur expertise par des retouches techniques.
Notre devoir de reconnaissance va à l’évêque de Chartres, Mgr Michel Pansard, qui nous a accueilli dans son
diocèse depuis sept ans déjà et nous a mis dans des conditions idéales pour mener jusqu’au bout ce travail de
recherche en même temps qu’il nous a confié des responsabilités écclésiales dans son diocèse. Les mêmes
remerciements vont tout naturellement à notre évêque, Mgr François-Xavier Maroy qui nous a permis d’aller
jusqu’au bout de ce projet d’études initié par ses illustres prédécesseurs, Aloys Mulindwa, Christophe
Munzihirwa, Emmanuel Kataliko et Charles Mbogha.
Nos vifs remerciements aux paroissiens de Brou, Nogent-le-Rotrou, Le Coudray et Auneau qui nous ont soutenu
dans ce travail en nous consentant du temps qui leur était réservé. Comme il est impossible de citer tous ceux qui
nous ont accompagné, nous voudrions leur dire toute notre gratitude.
3
SOMMAIRE …………………………………………………………………………………………………………………………………………………4
Section 1 : Aperçu sur les deux millénaires d’histoire de l’Eglise catholique en Afrique .......................................43
Section 3 : Les mutations politiques en Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle ......................................76
Section 2 : Les générations successives des missionnaires dans le Vicariat Apostolique du Kivu, leurs méthodes et
objectifs spécifiques ...............................................................................................................................................113
Section 1: Le poids du passé colonial et missionnaire dans la dépendance financière des Eglises du Congo .......192
Section 2 : Nature et enjeux du soutien économico-financier de l’Etat colonial aux missions du Congo-Belge ..202
Section 3 : L’héritage occidental des structures des Eglises d’Afrique et ses effets ..............................................219
Section II : Les sources extérieures et locales des revenus financiers des Eglises du Congo ................................243
4
Section 2 : L’indépendance piégée de 1960 et ses conséquences ..........................................................................275
Section 2 : Les causes exogènes et endogènes de l’amenuisement des ressources financières des Églises du Congo
................................................................................................................................................................................341
Section 3: Les contraintes financières actuelles des Eglises locales du Congo .....................................................362
Section 2 : Nécessité d’une bonne politique de gestion des ressources humaines .................................................397
Section 3: Nécessité d’une mise en place des mécanismes de décision, d’expertise, de conception, de contrôle,
d’encadrement et d’accompagnement ....................................................................................................................412
BIBLIOGRAPHIE GENERALE……………………………………………………………………………535
5
LES ABREVIATIONS
6
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Les Églises d’Afrique, en majorité encore jeunes, sont juridiquement et financièrement dépendantes et
subventionnées par la Congrégation de l’Évangélisation des Peuples, grâce aux dons que cette dernière
reçoit de l’Église universelle à travers les Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM), les Œuvres de
Saint Pierre Apôtre et les œuvres de l’Enfance missionnaire. Elles ont été fondées par l’œuvre
évangélisatrice des missionnaires partis de l’Europe en Afrique à l’époque dite de « découverte des
nouvelles terres » par les navigateurs portugais à partir du XVe siècle (Baur, J., 2001 :254), puis par les
missionnaires ayant œuvré en Afrique sous l’autorité de la Congrégation romaine « Propaganda Fide »,
à partir du XVIIIe siècle. Elles appartiennent à la catégorie des Églises dites de « terres de mission ». Du
point de vue géographique, elles sont principalement implantées au sud du Sahara.
Dans cette étude, je veux analyser, sur le plan financier, un élément commun qui constitue un problème
à chacune des Eglises particulières du Congo dont Joseph Gbagbu Sapoa évoque « l’incapacité avérée
de vivre normalement de leurs propres ressources. » (2005 :147) Cette situation les pousse à tendre
constamment la main vers l’extérieur pour assurer leurs besoins les plus élémentaires.
Or, dépendantes depuis longtemps, à travers des dons1, des subsides venant des Églises occidentales et
des organismes de financement extérieurs, elles voient aujourd’hui ces ressources s’amenuiser au jour le
jour. Car, en Occident, les âmes généreuses disparaissent au fil du temps et beaucoup de pratiques se
transforment avec le changement de cadre de vie, la foi et les comportements.
1
Evoquant le cas de la France, dans son écrit : « L’argent de la vie des paroisses catholiques de France » (décembre 2000 :
6-12), Nicolas de Bremond d’Ars montre que les recettes, qui sont essentiellement des dons, se font selon huit modes : les
troncs et les cierges, les quêtes, les honoraires de messe, le casuel, les activités et fêtes, les cotisations, le denier de l’Eglise
et les autres ressources.
7
Cela arrive au moment où la politique d’auto-prise en charge n’a pas fait l’objet d’une grande
préoccupation de la hiérarchie, et ce depuis la première évangélisation, le principal souci des premiers
missionnaires ayant été « la propagation de la foi » pour le salut des âmes des indigènes. A quelques
exceptions près, la plupart des congrégations missionnaires d’alors ne se sont pas intéressées à l’avenir
économique des Églises qu’elles venaient de fonder en Afrique, une fois que celles-ci seraient entre les
mains des « fils du pays » qui, eux-mêmes, venaient de familles et de pays pauvres.
Par ailleurs, tout leur était assuré depuis l’Occident, soit par l’administration coloniale pour ce qui est
des missionnaires belges, soit par la collecte générale de la chrétienté en vue de soutenir les missions
étrangères pour ce qui est des missionnaires français. Chaque fois qu’ils avaient besoin de moyens
matériels et financiers, les premiers missionnaires se tournaient volontiers vers leurs pays d’origine,
faisant venir ainsi containers de pacotilles et quantités d’argent pour construire les écoles, églises,
couvents et centres de santé. Progressivement, il s’est développé dans les églises d’Afrique ce qu’on
pourrait appeler un « paternalisme religieux » qui a préparé du terrain à une certaine représentation
sociale, un imaginaire catholique sur l’Église par rapport à la richesse et à la pauvreté qu’il est difficile
aujourd’hui d’extirper de l’esprit du chrétien africain !
Mais, peu à peu, les pays d’origine des missionnaires se sont trouvés dans l’impossibilité de couvrir à
eux seuls tous les besoins des missions qui n’allaient que croissant, exclusivement dans les domaines du
religieux et du social. Ce qui obligea les missionnaires occidentaux à s’adresser à des organismes
catholiques pour les financements de leurs projets. Une fois confiées au clergé africain - lui-même
formé par les premiers missionnaires dans une « logique de tout recevoir de l’Occident -, les premières
difficultés de survie et de fonctionnement des structures apparaissent à partir des années 60.
Aujourd’hui, on observe d’un côté de véritables malentendus et suspicions de tous genres entre le clergé
local qui a hérité des structures occidentales non maîtrisées et leurs fidèles qui étaient plutôt habitués à
tout recevoir du prêtre. De l’autre, dans les programmes de formation des prêtres africains, les aspects
économiques sont quasiment absents sinon prohibés, ceux-ci étant considérés comme immoraux et
amoraux, incompatibles avec la vie spirituelle.
A l’exemple des pays africains après l’indépendance, les Églises d’Afrique sont restées tournées vers
Rome, l’Allemagne, l’Espagne, la France, etc., où des organismes de financement comme Missio,
Misereor, Kirche In Not, la Conférence Épiscopale Italienne, Manos Unidas, Secours Catholique-
Caritas France, Broederlijk Delen, etc., les ont assistées pendant des décennies. C’est la politique
d’extraversion financière des Églises d’Afrique.
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Aujourd’hui, cette assistance financière ne fait que diminuer d’année en année, étant donné
l’essoufflement des donateurs et le contexte mondial qui change les mentalités et les mœurs. Achille
Mbembe nous livre l’expérience vécue par l’Église catholique de Zimbabwe au lendemain de son
indépendance en 1980. En effet, elle s’est vue confier la gestion des ressources captées à l’extérieur
autour du programme de reconstruction et du soulagement des effets de guerre dont la logique générale
était en fait celle de l’assistance aux populations sinistrées par la guerre d’indépendance plutôt qu’à
déclencher une véritable dynamique d’accumulation (Mbembe,1989 :58). Étant due à la conjoncture
elle-même (sécheresses, crises sociopolitiques, etc.), la politique d’extraversion financière vient
consolider l’option caritative : généralement, les Églises bénéficiaires reçoivent des financements pour
les aides d’urgence, la réhabilitation de leurs principales œuvres cultuelles (églises), d’assistance sociale
(écoles, cliniques et hôpitaux, orphelinats…).
Il est vrai que cet engagement dans le social est encore indispensable en RDC dans la mesure où les
Églises, pendant plus de trois décennies, se sont vues amenées à suppléer à l’État qui s’était effacé
devant ses responsabilités2. C’était à l’issue du retrait de l’État congolais de certains espaces publics
sociaux relèvant de son droit régalien du fait de la gestion calamiteuse du pays qui a caractérisé le
régime en place, et sa mise sous surveillance économique par le biais des plans d’ajustement structurel
imposés par les institutions financières internationales, dont la Banque Mondiale. L’Église dans ce pays
a été conduite à tendre vers la récupération des fonctions qui dépassent largement celles qu’elle
s’octroyait traditionnellement, au nom du devoir de charité et de compassion. Désormais elle occupe
une surface d’influence qui, pour être maintenue et consolidée, l’oblige à raffiner ses méthodes de
captation de ressources à longue distance (Mbembe, A., 1989 : 59).
2
En RDC, l’Église s’est substituée à l’Etat devenu, depuis plus de trois décennies, absent de la vie sociale des populations.
L’archidiocèse de Bukavu emploie des milliers de salariés dans des écoles, hôpitaux, centres sociaux…devenant ainsi le
plus grand employeur de tout l’ancien Kivu (259 430 km²).
9
Ainsi, la plupart de ces initiatives et le soutien financier extérieur qui leur est accordé restent-ils coincés
dans une logique d’assistance (Mbembe, 1989 :58). Les programmes financés par les agences
européennes ne répondent que de façon minimale aux différents critères précis qui ne les dégagent pas
de cette logique d’assistance.
La conséquence de celle-ci est que, malgré le volume de financements reçus plusieurs décennies après,
les Églises d’Afrique sont toujours en besoin de financements pour les mêmes activités ou les activités
nouvelles, aucune de leurs structures n’étant parvenue à s’autofinancer. La situation d’impasse créée par
les financements extérieurs aux Églises africaines a conduit Mgr Kalilombe à s’interroger : « Quel est
l’impact sur les jeunes Églises de l’aide en ressources matérielles apportées par les Églises d’Europe et d’Amérique ? Et
s’il faut que les jeunes Églises deviennent des communautés adultes et capables de se suffire, quelles doivent être leurs
relations avec les anciennes Églises ?»3
Non seulement ces Églises manquent d’un certain dynamisme économique, mais aussi les ressources
captées de l’extérieur se tarissent au fur et à mesure et ne se renouvellent presque pas, sinon à compte-
goutte. Cela entraîne l’abandon de certains programmes en cours de réalisation.
Le cas du Zimbabwe illustre bien cela, où l’on observe, l’année qui suivit la proclamation de son
indépendance, une affluence à un rythme étonnant des agences de financement de projets dits de
développement dans le Tiers-Monde. Mais, d’une année à l’autre, les donateurs étrangers se sont
rétractés en faisant savoir que leur éventuelle participation ne pourrait se faire qu’à hauteur d’un
pourcentage réduit du coût total du projet. Il s’est amorcé une très sérieuse décrue, tous les programmes
enregistrant une baisse de leurs entrées. C’est ainsi qu’à partir de 1982, la chute des revenus tirés des
transactions avec l’extérieur et leur volatilité s’accélérèrent et que la politique d’extraversion commença
à s’essouffler : de 3 819 240 $US en 1980, les fonds extérieurs de financement des programmes reçus
par l’Église zimbabwéenne n’étaient plus que de 873 845 $US en 1982, soit une baisse de 77% en deux
ans seulement. Elle sera de 86% entre 1982 et 1986 (Mbembe, A., 1989 : 55-56).
Comme on le voit, la politique d’extraversion financière pratiquée depuis longtemps dans les Églises
d’Afrique, plus sociale qu’économique, ne les a jamais mises à l’abri des difficultés financières. Au
contraire, on constate un appauvrissement graduel de ces Églises, n’ayant pas établi des mécanismes
d’autofinancement pour pallier l’amenuisement des ressources extérieures et les insuffisances des
contributions locales.
3
Cf. Colloque d’Accra, Libération ou adaptation, la théologie africaine s’interroge, éd. Harmattan, 1977, p. 50.
10
L’investissement exclusif ou prioritaire dans le social dans lequel elles ont fait une œuvre de très grande
portée, il faut le reconnaître, pose aujourd’hui de sérieux problèmes de viabilité de leurs infrastructures
qui se dégradent et exigent de gros entretiens et réparations, sans omettre les besoins pour leur
fonctionnement courant.
En définitive, l’infirmité matérielle demeure une dimension constitutive de l’identité des Églises
d’Afrique (Mbembe, A., 1989 : 55-56) et fait que, plusieurs décennies après4, elles vivent toujours dans
une totale dépendance extérieure comme nos pays africains !
Dans cette étude, je me propose de mener des réflexions sur: « L’implantation missionnaire au
Congo-RDC : de l’assistance à l’autonomie financière. Une approche socio-historique». Il s’agit de
réfléchir sur l’ancrage de la dépendance financière de cette Eglise et les outils qu’elle se donne pour en
sortir.
La théorie de la dépendance est une théorie du champ des sciences sociales (sociologie, histoire,
économie et science politique) qui soutient que la pauvreté, l'instabilité politique et le sous-
développement des pays du Sud sont la conséquence de processus historiques mis en place par les pays
du Nord, ayant comme résultat la dépendance économique des pays du Sud (Cf. Annexe 1). Au
contraire de celles de l’Afrique centrale sous administration coloniale française qui n’ont pas été
subventionnées, les Églises catholiques congolaises souffrent d’un déficit d’auto-prise en charge
consécutif à la logique coloniale belge qui les a maintenues dans un paternalisme et une extraversion
financière dont elles doivent trouver une sortie par des potentialités dont elles disposent, par-delà le
contexte sociopolitique et économique peu favorable.
Malgré ses efforts observés depuis plusieurs décennies, l’archidiocèse de Bukavu connaît la même
expérience que les autres diocèses du Congo: pendant longtemps, il a aussi pratiqué la politique
d’extraversion financière dans laquelle l’essentiel de ses ressources financières provenaient de
l’extérieur. Alors que celles-ci diminuent aujourd’hui de façon drastique, cette Eglise locale est
confrontée à plusieurs contraintes financières internes.
En effet, ses besoins financiers liés à son fonctionnement ordinaire et aux investissements
indispensables (construction d’églises, grosses réparations des vieilles églises) ne font qu’augmenter.
4
Dans la plupart des pays africains, l’Eglise catholique a déjà célébré ou se prépare à célébrer le centenaire de
l’évangélisation.
11
Pire encore, le pouvoir d’achat de ses partenaires internes, les chrétiens, ne fait que baisser du fait du
contexte sociopolitique et économique défavorable. Malgré leur générosité, ceux-ci sont incapables de
lui assurer une certaine autonomie financière étant donné la précarité qui se sédimente dans la
population congolaise depuis plus de quatre décennies. Aussi, le maintien du personnel consacré
devient-il un casse-tête pour le diocèse5.
D’une part, le diocèse doit veiller à l’entretien, à la subsistance alimentaire et financière, à la sécurité
sociale et à la formation de son clergé, dont un nombre non moins important vieillit, devient pour ainsi
dire improductif et qu’il faut plutôt prendre entièrement en charge. D’autre part, on observe une montée
spectaculaire des vocations sacerdotales au point de faire frémir certains esprits dubitatifs. Etant donné
que ces jeunes candidats au sacerdoce sont appelés à prendre la relève des anciennes générations, leur
formation tant scientifique que morale et spirituelle exige un coût économique et financier inestimable.
A cela, s’ajoute l’obligation pour le diocèse d’assurer une juste rémunération de son personnel laïc selon
la législation sociale du pays.
Une autre difficulté à laquelle l’archidiocèse fait face, c’est le passé de son Économat général dont la
gestion, depuis plusieurs décennies, est caractérisée par le bon sens, les approximations. Les
responsables sont nommés sur base des critères non moins subjectifs, faisant fi de la compétence, de la
performance ou du souci de la rentabilité. La conséquence logique, ce sont des déficits annuels
d’exploitation et d’investissement. Ce diocèse fait face à une baisse tendancielle de ses recettes, à la
diminution drastique des subventions d’exploitation. Cette situation entraîne des tensions de trésorerie
récurrentes. Or, la période de transition économique et pastorale qu’il traverse exige une gouvernance
articulée sur des principes de saine gestion, d’efficacité économique et sociale et de compétence.
Ce sont là les contraintes tant internes qu’externes dans lesquelles l’archidiocèse de Bukavu évolue
depuis plusieurs décennies et qui se répercutent sur son rendement pastoral annuel. Au regard des
difficultés qu’il éprouve aujourd’hui à mobiliser des ressources extérieures, avec le phénomène de la
mondialisation et ses conséquences négatives, il y a un impératif pour ce diocèse d’orienter sa
philosophie de vie et d’action vers une certaine autonomie financière.
Les aides financières occidentales ne rassurant plus, il lui faut changer des méthodes de captation des
ressources, trouver des stratégies plus sûres, plus durables et efficaces.
5
Les statistiques de 2014 indiquent qu’au 20 juillet de cette année, le clergé local de l’archidiocèse de Bukavu était
composé de 192 prêtres. Au regard des tendances des dix dernières années, les estimations de 2020 nous amènent à 230
prêtres avec une moyenne de 5 prêtres ordonnés par an.
12
Si les aspects économiques ont été depuis longtemps absents ou menés de façon timide dans son action
sociale, notamment la logique de la rentabilité, de la performance…, notions restées jusque-là taboues,
leur intégration effective devient aujourd’hui un impératif, voire une nécessité en vue d’assurer sa
survie. En fait il y a une nécessité pour cette Eglise d’opérer un passage de la politique d’extraversion,
aujourd’hui précaire et volatile, à la stratégie d’autofinancement. Il est question de passer de la logique
d’assistance à celle d’auto-prise en charge à travers des mécanismes économiques appropriés et
réalistes.
Cette nouvelle dynamique a comme objectif global la recherche de solutions efficaces et durables devant
lui permettre de faire face à toutes ces contraintes financières tant internes qu’externes. C’est le rôle
généralement joué par l’autofinancement dans une institution.
Accepter de s’inscrire dans la nouvelle logique économique, comme cela s’est déjà fait dans le social,
constitue une nécessité pour l’archidiocèse de Bukavu qui n’a plus d’autre choix pour assurer la survie
de ses services et de ses hommes. En même temps, il participe à la création de la richesse nationale en
tant qu’institution citoyenne, à travers la création de l’emploi, avec un double avantage : celui de
résorber du chômage pour un grand nombre de personnes et celui de créer sa propre richesse.
L’engagement socio-économique de cette Eglise s’inscrit dans le cadre de sa mission, celle de sortir
l’homme de sa misère spirituelle et matérielle par un développement intégral: aider les citoyens
congolais à lutter contre leurs précarités matérielles qui les caractérisent, les frustrent et influent d’une
certaine manière sur leur rendement spirituel et moral.
Mais l’atteinte de l’autofinancement impose à cette Eglise l’élaboration des stratégies, notamment
celles d’une grande production, d’une part, et la mise sur pied d’une gestion rationnelle de ses
ressources humaines, à travers la formation de ses hommes et leur utilisation, le recours aux
compétences laïques. Elle exige, d’autre part, une gestion optimale de ses ressources économiques et
financières à travers un programme d’actions économiques de grande envergure, notamment la création
des investissements lourds et rentables, dans l’objectif de créer de la valeur.
13
Les Églises d’Afrique, depuis le début de leur évangélisation, ont mis plus d’accent sur l’aspect spirituel
de l’homme que sur son aspect matériel. La conséquence logique, c’est qu’elles ont ainsi créé un
homme déséquilibré car incomplet. Cette nouvelle dynamique, cette nouvelle vision de la vie sociale de
l’Église de Bukavu exige une véritable révolution de cultures et de mentalités, un changement radical de
la part des tous les acteurs qui interviennent dans l’institution : responsables hiérarchiques, clergé,
gestionnaires mandataires, chrétiens.
Car il est question ici de lutter contre des fausses pudeurs, des idées préconçues, des préjugés qui se sont
constitués au cours des âges sur la prétendue malédiction de la richesse et les fausses vertus qu’on
attribue à la pauvreté au nom de la Religion, et de regarder la réalité en face. Le contexte actuel leur
impose une nouvelle vision, plus réaliste et responsable de la pastorale et exige l’adhésion de tous les
acteurs de l’archidiocèse au processus de l’autofinancement et ses exigences. Tout le monde doit
travailler pour produire et beaucoup produire pour créer de la richesse, la valeur ajoutée. Certes, un tel
changement impose des sacrifices et des abnégations, mais les fruits escomptés sont inestimables.
Partant d’une analyse du contexte sociopolitique et historique de son implantation et à travers une
analyse socioéconomique qualitative et quantitative, mon but6 est de parvenir à me forger une opinion
sur l’enjeu de la politique de gestion des projets comme actions de développement et de savoir comment
l’archidiocèse de Bukavu ressent les défis de son autonomie financière et les moyens qu’il se donne
pour y arriver.
Il s’agit pour moi de parvenir à évaluer le processus parcouru quant au degré de prise de conscience du
problème par cette Eglise locale comme une nécessité urgente d’avoir une certaine autonomie
financière, étant donné l’amenuisement des ressources extérieures qui ne rassurent plus. L’analyse du
processus entamé par l’archidiocèse de Bukavu vers les défis de l’autofinancement, les obstacles,
blocages et freins qu’il rencontre et qui ont des racines dans le contexte sociopolitique et historique de
son implantation, d’une part, et dans le socle socio anthropologique et religieux des acteurs en présence,
d’autre part, peut aider à envisager des voies de sortie.
Mon intérêt sur le sujet part d’une triple motivation : la prise de conscience du problème durant ma
formation sacerdotale, son actualité, son originalité et sa richesse du fait des débats qu’il suscite et
auquel je suis heureux d’apporter ma modeste contribution. Je suis conscient qu’il est aussi complexe
car multidisciplinaire: historique, sociopolitique, économique, géopolitique et managérial.
6
Un objectif de recherche est la contribution que les chercheurs espèrent apporter à un champ de recherche en validant ou
en invalidant une hypothèse.
14
Ainsi que l’affirme Jean-Pierre Olivier de Sardan, « ‘Le développement’ (son langage, ses crédits, ses hommes, ses
infrastructures, ses ressources) est une donnée fondamentale du paysage africain contemporain, rural ou urbain. Que la
socio-anthropologie se donne le développement comme un objet digne d’intérêt, cela a donc plus de sens en Afrique
qu’ailleurs. » (1995:22).
A la suite de Joseph Kalamba qui a abordé la question mais dans une orientation théologique (1992 : 17-
19), la prise de conscience de malentendus et pièges situés dans la façon de considérer le problème de la
dépendance financière de Églises africaines a conduit à m’armer d’un arsenal socio-économique
approprié, afin d’éclairer la perspective fondamentale où des solutions pourront être envisagées.
Je n’y suis pas arrivé en un jour. Ma formation sacerdotale durant sept ans (1984-1991) était rendue
possible grâce à la générosité des chrétiens d’Occident, qui subventionnent jusqu’à ce jour la quasi-
totalité des petits et grands séminaires, des noviciats et scolasticats de notre pays. Comme tous les
séminaristes, nous savions vaguement que « les subsides pour notre nourriture venaient de Rome » et
que les « bienfaiteurs de l’Europe veillaient bien à notre Séminaire ».
Au grand séminaire en théologie, on nous distribuait même les adresses des « bienfaiteurs ». Nous
avions la tâche de leur écrire régulièrement et de les remercier pour l’aide accordée à l’économe de la
maison pour notre subsistance. Geste de gratitude bien compréhensible pour les Africains qui savent
remercier et même un peu trop ! Dans l’enthousiasme du moment, nous nous adonnions avec euphorie à
ce genre de pratique sans trop nous rendre compte de ses limites et de ses pièges pour la formation de
notre personnalité.
C’est avec le temps, les expériences personnelles, l’observation de la situation économique et financière
du monde due au phénomène de la mondialisation et enfin les réflexions suscitées par la lecture des
travaux de certains auteurs comme Bimwenyi Kweshi et Jean-Marc Ela que j’ai commencé à prendre
conscience des écueils de tout ce système dans lequel nous avons été éduqués en Afrique. Il a des
impasses dans lesquelles toute une génération de pasteurs risque de se retrouver. Ce n’est ni la volonté
des donateurs ni leur geste qui font tant problème, mais sa marque négative entraînant dans la tête de
beaucoup de candidats prêtres ou religieux une mentalité d’assistance chronique indispensable.
Dans le système du séminaire où nous avons été formés, nous comptions peu sur nos propres possibilités
locales, mais un peu trop sur les aumônes de l’Occident pour vivre. Peut-être qu’il faut aller plus loin en
interrogeant tout le système éducatif traditionnel en Afrique où l’enfant apprend dès le bas âge à
compter plus sur l’aide matérielle des membres du clan que sur ses propres forces.
15
S’il n’y a aucun changement substantiel qui intervient dans ce domaine, il y a de quoi s’inquiéter
sérieusement pour l’avenir matériel des maisons de formation religieuse et sacerdotale au Congo. Le cas
du Séminaire de Murhesa dont je parlais tantôt n’était au fond que le bout d’un gros iceberg.
C’est durant mon ministère pastoral au sein de l’Église locale de Bukavu que l’occasion me fut donnée
de palper l’ampleur et la nature de la dépendance inscrite dans la vie quotidienne de chacune des
institutions diocésaines. Sans l’arrivée des ressources matérielles de l’Occident, la quasi-totalité des
secteurs de la vie de l’Église locale de Bukavu souffriraient fortement dans l’immédiat. Depuis la petite
communauté chrétienne à l’échelle du village jusqu’à la paroisse (autrefois appelée « Mission
catholique »), de là jusque dans l’intendance des congrégations religieuses autochtones pour ne pas
parler des rouages centraux de l’économat diocésain, beaucoup de besoins réels et urgents ne pouvaient
être résolus sans le concours des organismes financiers d’Europe.
C’est donc, observe Kalamba Mutanga, « tout le corps organique de l’Église locale qui vivait en très grande partie
grâce aux subsides étrangers. Dans ce sens, nous nous rendîmes compte que cette dépendance n’était pas accidentelle mais
intrinsèque au fonctionnement général ; elle n’était pas seulement conjoncturelle mais aussi structurelle ; elle n’était pas
partielle mais intégrale pour une très large gamme des nécessités locales diversifiées. Et au rythme où les conditions
matérielles générales dans le pays empiraient, cette dépendance devenait tellement accrue que parler d’une autosuffisance
financière totale et immédiate dans nos Églises locales serait une chimère » (Kalamba, 1992 : 210).
Mes recherches dans les archives des organismes qui financent les Églises de notre pays m’ont bien
révélé l’étendue et la gravité de cette faiblesse. Et une conviction s’est forgée en moi progressivement
selon laquelle l’Église sur terre africaine me semblait être tout, sauf une chose : elle n’est pas encore
suffisamment africaine. Ce n’est pas la légitimité de la contribution des autres Églises à son
fonctionnement qui fait ici problème, c’est le peu d’enracinement qui lui donne l’air d’une agence
européenne, ne tenant son existence matérielle que grâce aux subventions massives de ceux-là même qui
l’avaient « implantée » sous sa forme occidentale7.
7
Ce rapport fondamental entre inculturation et autofinancement, ou si l’on veut, entre la localisation ecclésiale en Afrique
et la prise en charge matérielle est bien exprimé ici par Achille Mbembe que je rejoins sur ce point : « Tant que les Elises
apparaîtront comme des centres de distribution des produits symboliques fabriqués à l’étranger, elles subiront, de la part
des acteurs africains, une utilisation instrumentale, mais ne susciteront jamais une véritable adhésion à leur proposition…
Dans la mesure où les Eglises locales aspirent à avoir une légitimité au sein des sociétés d’accueil, elles ne peuvent pas,
sans risques, être confinées au rôle de prolongement direct des fabricants étrangers, agent ou vassal de ceux-ci. Si tel est le
cas, les sociétés indigènes se comporteront à l’égard de la marque chrétienne comme à l’égard de la grande distribution.
Là où la notoriété de la marque disparaîtra, il y aura inévitablement dérive de la vente et, par conséquent, refus d’achat »
(1988 : 196-197). Signalons toutefois que certaines affirmations catégoriques de l’auteur sur le paradigme de l’inculturation
sont à prendre avec beaucoup de circonspection.
16
Cela implique, au préalable, des mutations de l’Eglise de missions à une Église devenant africaine dans
le style de vie, le comportement économique et la façon de surgir dans le tissu socio-historique actuel de
l’Afrique. Dans ce processus profond de l’autofinancement à partir de la base, il y va du devenir de
l’Église en tant qu’Église véritablement africaine. Exigence qui cadre avec l’optique ecclésiologique de
Vatican II qui plaide pour l’émergence et la croissance des Églises pleinement locales et ouvertes. On
est ici en présence d’un défi qui est de portée avant tout identitaire.
Le problème de fonds matériels m’a conduit au fond du problème de l’Église en Afrique : devenir une
Église africaine en tirant ses ressources du terroir local en priorité, au lieu de demeurer un corps étrange
et étranger à l’histoire socioculturelle économique de l’homme. La politique ecclésiale
d’autofinancement en Afrique conduit inévitablement aux profondes transformations du modèle
d’Église, en vue de son engagement nécessaire dans la lutte contre la paupérisation sociopolitique,
économique et anthropologique de ses populations aujourd’hui.
Et, dialectiquement, la réponse que les Églises du Congo donneront à ce double défi d’identité et de
destinée déterminera le type d’infrastructure leur correspondant. La précarité matérielle et financière de
l’Église locale de Bukavu me servira de fil d’Ariane pour explorer la faiblesse de leur enracinement
dans le terroir tropical.
Par ailleurs, la question de l’autofinancement des Églises d’Afrique est d’actualité. Celle-ci occupe de
plus en plus une place importante dans l’espace public ecclésiastique. Alors que le discours sur l’argent
était encore il y a quelques décennies considéré comme tabou, les Églises d’Afrique prennent
progressivement conscience de leur précarité financière, due à la volatilité des aides extérieures. Mais
quant à savoir comment résoudre leurs difficultés financières, il existe encore beaucoup de tâtonnements
et de procédures moins réalistes.
Plusieurs approches sont envisagées par les uns et les autres dans la recherche d’une solution. Pour
certains, comme la Conférence Episcopale Nationale du Congo (la CENCO), les chrétiens doivent
prendre en charge leur Église. Pour d’autres diocèses, comme l’archidiocèse de Yaoundé 8 au Cameroun,
ils prônent la création de plusieurs sources de flux de richesse, celles en provenance des chrétiens ne
devant être qu’un appoint.
8
J’ai mené une recherche, dans le cadre de mon Mémoire de Master (2007), dans l’archidiocèse de Yaoundé autour de ce
même thème d’autofinancement.
17
Enfin, mon intérêt sur le sujet est si grand que je voudrais apporter ma modeste contribution dans un
vaste champ encore presque inexploré. Des écrits scientifiques sur l’autofinancement des Églises
d’Afrique sont rares. Le peu qui existe s’inscrit plutôt dans une orientation biblique, théologique ou
surtout canonique9.
Je suis heureux de pouvoir mener mon étude sur le sujet, mais, cette fois, dans une analyse socio-
anthropologique ou pour mieux dire, dans une analyse socioéconomique. Je pense pouvoir apporter une
autre vision, celle de la socioéconomie de l’autofinancement de l’archidiocèse de Bukavu. Première en
son genre sur ce thème de la vie matérielle des Églises du Congo dans une orientation autre que
théologique, cette dissertation a été toutefois alimentée par des travaux auxiliaires précieux réalisés dans
ce domaine, tout en gardant mon orientation spécifique.
C’est de cette façon que j’entends soutenir et encourager à ma manière les initiatives courageuses des
nouvelles autorités de cette Église particulière de Bukavu qui, depuis quelque temps, a résolument pris
l’option de l’autonomie financière pour affirmer sa maturité dans la foi et pour se mettre en marge d’une
dépendance financière humiliante et avilissante.
En effet, il serait malhonnête de ne s’arrêter qu’au passé colonial et missionnaire pour expliquer toutes
les difficultés financières des Églises locales du Congo. C’est en étudiant les traits du modèle de l’Église
de missions, ainsi que les autres facteurs « extra-ecclésiaux » qu’il peut devenir possible de saisir les
causes et la nature de ladite faiblesse dont les Églises locales du Congo font encore preuve jusqu’à ce
jour. Il faut y lier le présent, avec la part d’erreurs d’ordre structurel et conjoncturel des Africains eux-
mêmes. Ce qui équilibre le jugement dans l’analyse et la quête de nouvelles propositions comme pistes
de solution.
Car, jusques à quand les Églises catholiques d’Afrique resteront-elles des éternelles assistées ?
L’autofinancement est-il possible dans les Églises catholiques du Congo, plus particulièrement
l’archidiocèse de Bukavu ? Celui-ci a-t-il des potentialités pour s’émanciper de la logique paternaliste et
de l’extraversion financière héritée de l’administration coloniale belge et compte tenu du contexte
sociopolitique et économique nationale? Quels sont les moyens dont il dispose pour l’atteindre et les
obstacles à franchir? Qui sont les acteurs de la stratégie d’autofinancement de l’archidiocèse de Bukavu?
Son engagement dans l’économique est-il incompatible avec sa mission?
9
En 2003, le Département de Droit Canonique de l’Université Catholique d’Afrique Centrale a, sous la direction de la
Sœur Silvia Recchi, publié un excellent ouvrage sur l’autonomie financière et la gestion des biens dans les jeunes Eglises
d’Afrique, paru chez L’Harmattan en 2007.
18
Ce sont autant d’interrogations auxquelles j’essayerai de répondre tout au long de cette étude. Elles
peuvent être résumées en une seule préoccupation, qui constitue mon objet de recherche ainsi libellé :
« L’autofinancement de l’archidiocèse de Bukavu: possibilités, obstacles, freins et voies de sortie »,
avec comme questions de recherche : « L’archidiocèse de Bukavu peut-il s’autofinancer ? Si oui, par
quelles sources, par quels modes de gestion et d’après quelle philosophie ? » Pour répondre à cette
question de recherche, je suis parti des hypothèses de recherche10, celles-ci étant la réponse présumée à
la question qui oriente une recherche. Je reviendrai un peu plus loin sur le statut des hypothèses.
B. Hypothèses de travail
J’ai ainsi articulé ma réflexion autour de six hypothèses de départ formulées de la manière suivante:
1. Hypothèse principale
1. Le passage de la logique d’assistance, par la capture des ressources dans les transactions à longue
distance (politique d’extraversion) et leur redistribution locale, à la dynamique de production et
d’accumulation (stratégie d’autofinancement) peut garantir à l’archidiocèse de Bukavu une autonomie
financière pour l’accomplissement efficace et efficient de sa mission évangélisatrice.
2. Hypothèses secondaires
2. Il y a une forte corrélation positive entre le bien-être général des populations chrétiennes, leur
propension à donner et la vie matérielle de l’archidiocèse de Bukavu. En d’autres termes, sa vie
économique dépend en grande partie du degré de richesse de ses chrétiens et de leur générosité.
10
L’hypothèse est une proposition de réponse à une question posée. L’organisation d’une recherche autour d’hypothèses de
travail constitue un excellent moyen de la mener avec ordre et rigueur sans sacrifier pour autant l’esprit de découverte et de
curiosité. Davantage, un travail ne peut être considéré comme une véritable recherche s’il ne se structure pas autour d’une
ou plusieurs hypothèses. L’hypothèse, fondée sur une réflexion théorique et sur la connaissance préparatoire du phénomène
étudié (phase exploratoire), s’exprime comme une présomption non gratuite portant sur le comportement des objets étudiés.
Le chercheur qui la formule dit en fait : " Je pense que c’est dans cette direction-là qu’il faut chercher, que cette piste sera
la plus féconde ". L’hypothèse est donc une proposition concernant la valeur d’un paramètre, la loi probabiliste à l’origine
du caractère des types d’observation. C’est une proposition ou ensemble de propositions, qui constitue le point de départ de
la démonstration. Une hypothèse est donc une proposition provisoire, une présomption qui demande à être vérifiée. Il n’est
d’observation ou d’expérimentation qui ne repose sur des hypothèses. Quand elles ne sont pas explicites, elles sont
implicites, ou même inconscientes. L’hypothèse peut se présenter comme l’anticipation d’une relation entre un phénomène
et un concept capable d’en rendre compte. Elle peut également se présenter comme l’anticipation d’une relation entre deux
concepts ou, ce qui revient au même, entre deux types de phénomènes qu’ils désignent. (Quivy, Van Campenhoudt, 1988 :
129). L’hypothèse sera confrontée dans une étape ultérieure de la recherche à des données d’observation. Pour pouvoir
faire l’objet de cette vérification empirique, une hypothèse doit être falsifiable ou réfutable (K. Popper). Cela signifie
d’abord qu’elle doit pouvoir être testée indéfiniment et donc revêtir un caractère de généralité, et ensuite, qu’elle doit
accepter des énoncés contraires qui sont théoriquement susceptibles d’être vérifiés.
Cf. http://www.unige.ch/fapse/pegei/Methodologie/plan/hypothese.html[Consulté le 30 mars 2014].
19
Car le contexte sociopolitique d’un pays est déterminant pour saisir à quel point les régulations sociales,
institutionnelles et politiques sont fondamentales pour comprendre les dynamiques de développement
économique (Trigilia, 2002 :7).
En effet, l’homme étant le premier capital économique, une gestion rationnelle des ressources humaines
dans toute institution est gage de performance. Cette gestion s’entend en termes de leurs affectations
périodiques, leur « plan de carrière », la préparation à la relève, l’utilisation des compétences laïques…
5. La logique des projets, leur nature (essentiellement à caractère social) et leur mode de gestion ne sont
pas de nature à favoriser l’autofinancement de l’archidiocèse de Bukavu comme institution, mais plutôt
l’enrichissement des acteurs individuels qui les conçoivent, les pilotent et les exécutent.
En effet, l’archidiocèse de Bukavu ne vit que des projets. Toutes ses structures (services centraux,
paroisses,…) ne passent leur temps qu’à élaborer des projets à envoyer en Occident pour chercher des
financements. Cette attitude de rester le regard tourné constamment vers à l’extérieur place, d’un côté, le
diocèse dans un attentisme paternaliste au lieu de penser des mécanismes propres pour son
autofinancement et, d’un autre côté, elle permet aux acteurs privés qui animent les structures et services
diocésains d’accéder à une ascension sociale remarquée par le développement de l’esprit de recherche
pour soi.
Ainsi, observe-t-on que la plupart des acteurs intervenant dans les structures du diocèse possèdent un
standing de vie élevé par rapport à la moyenne acceptable avec des constructions immobilières frôlant
un luxe insolant (villas, voitures, terrains) au milieu des populations paupérisées, alors que leurs salaires
déclarés ne leur permettent pas de disposer de ces biens.
20
6. Les projets envoyés aux bailleurs sont pour la plupart à caractère social, car les bailleurs n’acceptent
pas de financer des projets pour des investissements à volet économique qui pourraient donc générer une
valeur ajoutée. Des modalités sont déterminées par les bailleurs qui excluent toute possibilité de
constituer un solde positif à considérer comme bénéfice en vue de l’autofinancement de l’Église. Je me
propose de présenter le double cadre méthodologique que j’ai mis en place au cours de mon travail de
terrain et qui se rattache à une perspective hypothético-déductive mais en empruntant des éléments de la
perspective ethnosociologique qu’il importe d’analyser pour comprendre les points de convergence et de
divergence entre les deux méthodes.
C. Cadre méthodologique
Pour devoir opérer un choix d’une démarche méthodologique, je me suis largement inspiré des travaux
réalisés par Sylvie Capitant (2008 :17-29) sur les usages des médias et les pratiques démocratiques au
Burkina Faso. Elle propose comme méthodologie d’enquête de travail l’approche des Usages et
Pratiques (U&P), fruit d’un va-et-vient constant entre l’observation du terrain et une réflexion théorique
pour arriver à définir les pratiques démocratiques pour lesquelles on souhaite analyser la part tenue par
les médias, elle implique aussi de décrire le contexte médiatique ainsi que le contexte spécifique, ici le
contexte politique, dans lesquels prennent place les pratiques étudiées.
Le cadre méthodologique mis en place par Sylvie Capitant au cours de son terrain s’inscrit dans la
perspective de l’ethnosociologie qui l’a conduite à résider près de trois ans sur le terrain, à observer les
acteurs en présence et les situations auxquelles ils sont confrontés, à conduire des entretiens auprès des
auteurs des pratiques démocratiques afin de recueillir leurs « récits d’expériences » quant à leurs usages
des médias. A partir de ce matériau de nature qualitative, elle a tenté d’opérer ce travail de « go-between
» dont parle Olivier Schwartz qui consiste à prendre au sérieux la « profondeur » des objets
ethnographiques et à passer du « situationnel » au « structurel ». (Capitant, 2008 :20)
« La qualité ethnographique peut s’appliquer à tout type d’enquête qui repose sur une insertion personnelle et de longue
durée du sociologue dans le groupe qu’il étudie.» (Schwartz, O., 1993 :267) Sylvie Capitant montre comment
Schwartz définit la pratique ethnographique en sciences sociales dans son article de réflexion
méthodologique, en postface de l’édition française du Hobo de Niels Anderson. Georges Lapassade,
ajoute-t-elle, dans son ouvrage de référence sur l’Ethnosociologie ne dit guère autre chose: « Aujourd’hui,
certains sociologues utilisent le même terme [l’ethnographie] pour désigner non plus, ou pas seulement, le travail de terrain
au sens strict mais, de manière plus large, une façon de pratiquer la sociologie qui s’oppose à la conception dominante
appelée ici « sociologie standard » (ou encore, parfois sociologie positiviste, quantitative etc.). On parle alors
d’ethnosociologie ». (Lapassade, 1991 :12)
21
Enfin, Daniel Bertaux désigne par perspective ethnosociologique, « un type de recherche empirique fondée sur
l’enquête de terrain et des études de cas, qui s’inspire de la tradition ethnographique pour ses techniques d’observation,
mais qui construit ses objets par référence à des problématiques sociologiques. » (Bertaux, 2005 :19 cité par
Capitant, 2008 : 20) Selon Sylvie Capitant, ces définitions indiquent que l’ethnosociologie est une façon
de pratiquer la Sociologie et d’analyser les faits sociaux caractérisée par l’usage d’outils inspirés de
l’anthropologie : une longue présence sur le terrain, une immersion dans le milieu ou le monde social
étudié, l’usage de l’observation participante, de notes et d’entretiens qualitatifs ou ethnographiques sur
lesquels Stéphane Beaud apporte d’utiles éclaircissements (Beaud 1996).
Cette approche s’inscrit à la suite d’une longe lignée de recherches aussi bien anthropologiques que
sociologiques. Elle puise ses racines dans les premiers travaux anthropologiques (Boas, Malinowsky).
Elle est héritière de l’Ecole de sociologie de Chicago, de la première génération (Roger Ezra Park) et de
la deuxième génération (Hugues). Elle a été influencée par l’interactionnisme symbolique (Blumer,
Goffman) qui va non seulement faire de l’observation ethnographique un outil central du travail
sociologique mais va aussi lui donner des bases théoriques solides. On peut révisiter les ouvrages cités
pour mieux connaître l’histoire, les filiations et les formes d’institutionnalisation de cette perspective,
que ce soit en France ou aux Etats Unis.
Je n’aborderai ici que les problèmes épistémologiques que pose l’adoption d’une telle perspective ainsi
que ses grandes lignes directrices sur lesquelles je me suis appuyé. (Beaud 1996, Lapassade 1991,
Schwartz 1993) Avec Capitant, signalons seulement que cette perspective est aujourd’hui défendue en
France par de plus en plus de chercheurs, notamment ceux pratiquant les récits de vie ou les récits de
pratiques. (Bertaux, 1976 : 2005) L’anthropologie a aussi largement contribué au renouveau de cette
approche ethnosociologique qu’à la suite de Jean-Pierre Olivier de Sardan on nomme plus
habituellement socioanthropologie. Elle défend une logique des acteurs et porte une attention
particulière aux conflits nés des différentes stratégies poursuivies par ces acteurs.
Elle ambitionne de décrire l’enchevêtrement des logiques sociales et leurs interactions mutuelles. Elle
prône dans ce sens une méthode de recherche anthropo-sociologique fondée sur une longue présence de
terrain, des observations de situation sur le long terme ainsi que d’une préoccupation des jeux d’échelle
entre le local, le national et l’international. Elle s’appuie et complète les travaux notamment de
Normann Long. (Laurent 1998, Long 1984, 1994, Olivier de Sardan 1995 :2000) Avec Capitant,
contentons-nous de préciser les grandes lignes directrices de la posture ethnosociologique que j’ai mise
en oeuvre dans mon travail de terrain.
22
2. Un « empirisme instruit»
La perspective ethnographique en sociologie est souvent critiquée pour son manque de scientificité et
pour le risque qu’elle fait courir au chercheur de se livrer à des interprétations subjectives non
vérifiables. La sociologie s’est en effet, après la guerre, établie sur les bases de la sociologie
quantitative, que ce soit aux Etats Unis ou en France. (Capitant, 2008 : 20-21). Schwartz rappelle à quel
point il était difficile dans les années 60 de légitimer l’usage d’entretiens qualitatifs comme méthode de
recherche. Cette perspective semblait être renvoyée à son empirisme, sorte de tache originelle indélébile
et irrecevable. Pourtant les travaux de chercheurs interactionnistes comme Goffman vont
progressivement réhabiliter la démarche de l’observation ethnographique qui va se pratiquer en France à
partir des années 70, puis s’autonomiser de son cadre interactionniste.
Aujourd’hui, l’usage fréquent et assumé des entretiens qualitatifs, la résurgence des récits de vie et des
observations participantes semblent redonner un nouveau blason à cette perspective. (Idem, 2008 :21)
Mais dans son article, Schwartz rappelle que l’ethnosociologie doit nécessairement procéder à une
critique de sa propre méthodologie si elle ne veut pas continuer à souffrir du doute originel qui l’a
entourée. Il propose analyse de la place de l’empirisme dans l’ethnographie et soutient que cet
empirisme est « irréductible » à l’ethnographie, mais qu’il est nécessaire : « elle ne peut pas fonctionner sans
une dimension fondamentale d’empirisme. En la sommant de renoncer à cet aspect, on la couperait de ses arrières ».
(Schwartz, 1993 : 266)
Contrairement à ce que laissent penser certains ouvrages de méthodologie, où les étapes exposées
semblent pouvoir s’appliquer de manière uniforme à tout objet de recherche, la recherche
ethnographique est faite d’adaptation, d’intuitions et d’interprétations. (Capitant, 2008 : 22) Schwartz
préconise non seulement de ne pas occulter cet empirisme, mais de l’assumer pour en évaluer toutes les
possibilités heuristiques.
Néanmoins, il faut l’encadrer par une « conscience » et « un empirisme instruit ». Il évoque ainsi avec
clarté les difficultés que pose la posture ethnographique : la construction des objets (tous les
phénomènes sociaux ne sont pas observables in situ), le paradoxe de l’observateur (comment affirmer
que l’observation décrit une réalité alors que la simple présence de l’observateur perturbe la situation
observée), l’approximation des données prises au vol ou de mémoire (sources récurrentes des pratiques
d’observation participante), l’interprétation des faits ethnographiques à laquelle procède nécessairement
le chercheur, le passage de la monographie à la sociologie, le problème de la représentativité.
23
Sans prétendre apporter des réponses à toutes ces interrogations, Schwartz propose néanmoins
d’intéressantes pistes de réflexion. Je n’en évoquerai que quelques unes ici, pour ne pas trop alourdir
mon propos. Il souligne ainsi qu’il est indispensable de « placer la situation d’enquête et ses effets au
centre de l’analyse des matériaux ». (Schwartz : 274) Comme le dit Capitant, la présence du chercheur
perturbe inévitablement la situation observée. Néanmoins, dit-t-elle, au lieu d’invalider définitivement
l’observation ethnographique pour cette raison, il faut au contraire se servir de cette « perturbation » en
l’analysant tout aussi finement que les discours recueillis ou les situations observées.
Les effets induits par l’intervention sociologique sont en effet révélateurs d’un grand nombre de
processus sociaux : image que se font les personnes rencontrées du travail mené, leur perception du
sociologue, leur volonté de taire certaines choses. Mais, observe Schwartz, ces « effets induits » ont
tendance à s’atténuer du fait d’une longue présence sur le terrain et de la place qu’occupe
progressivement le chercheur dans le contexte d’étude.
Abordant le problème de l’interprétation des matériaux, Schwartz reconnaît qu’elle ne peut être soumise
à des règles méthodologiques strictes mais qu’on peut facilement la « discipliner » et l’encadrer de
mécanismes de contrôle réduisant sa subjectivité : différentier les sources des données (entretiens,
observations, notes du chercheur), observations des récurrences, retour sur le terrain après élaboration
des interprétations, etc.
Encadrée par ces précautions, la posture ethnographique peut non seulement assumer sa méthode mais
de plus la renforcer : « Parce que l’ethnographie est régulièrement confrontée à la part de contingence et d’impureté qui
l’affecte, tant dans ses matériaux que dans ses opérations, elle ne peut pas se plier strictement à une « épistémologie de la
rigueur ». Les exigences critiques et méthodiques qu’elle développe doivent conserver suffisamment de souplesse pour
accueillir des situations qui ne s’y conforment que partiellement, tout en se montrant capable de les repérer, d’en apprécier
ou d’en limiter les effets. C’est cette impossibilité de fonctionner sous des conditions méthodologiquement pures que l’on
peut appeler « l’empirisme » de l’ethnographie. […] Au sens où nous en usons ici, qui n’est pas sans rapport avec celui qu’il
prend dans le système de Hume, l’empirisme est d’abord une philosophie du doute et de l’inquiétude, sensible aux failles,
aux formes de contingence, à ce que l’on pourrait appeler le « manque de garanties » qui caractérise intrinsèquement
certaines séquences des processus de connaissance. Il contribue à l’éveil d’une conscience critique qui, pourvu qu’elle sache
combiner vigilance et souplesse dans le traitement des « impuretés » d’une enquête, lui confère en retour la positivité d’une
« empirisme instruit ». Mais il est aussi libérateur, en ce qu’il délivre l’ethnographe de l’illusion dévastatrice qu’il lui
faudrait à tout moment se présenter au tribunal de son surmoi théorique. » (Schwartz, 1993 :308 cité par Capitant,
2008 : 23)
Tout comme Capitant, mon travail s’inscrit dans cette posture ethnosociologique défendue et « encadrée
» par Schwartz. Le travail de terrain ainsi que la restitution, l’analyse et l’interprétation de mes données
24
ont suivi ce conseil d’empirisme instruit. Ce dernier implique de préciser les protocoles de recherche
mis en place, d’évoquer les conditions de l’enquête et les effets induits par ma présence, de distinguer
les différents statuts des données et de détailler les processus de leur analyse. (Ibid. : 24)
3. Les préalables
L’ethnosociologie rappelle son héritage anthropologique en posant comme postulat de recherche une
longue présence sur le terrain de la part du chercheur. Cette présence prolongée est indispensable pour
que le chercheur s’intègre au groupe qu’il observe, qu’il en apprenne la langue et les codes, pour que les
effets induits par sa présence s’altèrent et pour que les personnes qu’il souhaite étudier lui trouvent une
place dans leur environnement mental. Cette longue présence est aussi indispensable du fait de
l’ambition intrinsèque de l’ethnosociologie : comprendre les faits sociaux de l’intérieur, selon le point
de vue des acteurs qui les vivent.
En ce qui me concerne, sur le terrain principal de ma recherche, l’archidiocèse de Bukavu, le fait d’être
connu de tous puisque c’est mon milieu socio-culturel et membre du clergé de cette Eglise m’a facilité
les contacts avec mes enquêtés. Je n’avais donc pas besoin d’une longue présence sur le terrain en tant
que chercheur pour m’intégrer au groupe que j’observais, puisque je connais les langues parlées, le
mashi, le kihavu et le swahili pour le groupe constitué de chrétiens, ou le français pour les autres
groupes constitués de prêtres, des responsables de services, les étudiants et élèves.
Mais précisons que mes trois collaborateurs étaient sur le terrain pendant une année en train de réaliser
des entretiens sur base d’un questionnaire d’enquête que je leur avais envoyé. Par contre, sur le terrain
secondaire, l’archidiocèse de Yaoundé, j’avais besoin d’une longue durée. Après un premier long séjour
académique à l’Institut Catholique de Yaoundé pour les études de gestion, de 1994 à 1999, j’y suis
revenu pour mon master-recherche en socioanthropologie, de 2005-2007 et après j’y suis resté jusque
début 2009 quand les conditions étaient réunies pour venir continuer ma thèse en France.
J’ai pu pendant tout ce temps m’imprégner du cadre de mon étude, observer les difficultés financières
dans lesquelles vit l’archidiocèse de Yaoundé, cibler les personnes avec lesquelles je devais mener un
travail plus approfondi, notamment sous la forme d’entretiens. Bien que n’étant pas Camerounais, ma
double casquette de prêtre et d’étudiant en sociologie devant réaliser un travail de recherche sur
l’autofinancement des Eglises d’Afrique m’a permis de m’intégrer très vite dans le milieu sacerdotal et
chrétien de Yaoundé.
25
4. Une logique d’analyse
L’approche ethnographique se caractérise, au delà de ces procédures d’action, par une logique d’analyse
spécifique qui repose non seulement sur un statut particulier des hypothèses mais aussi par une capacité
à passer du particulier au général, ou du « situationnel » au « structurel » selon les termes de Schwartz.
(Schwartz, 1993 : 303)
La méthode hypothético-déductive est une méthode scientifique qui consiste à formuler une hypothèse
afin d'en déduire des conséquences observables futures (prédiction), mais également passées
(rétrodiction), permettant d'en déterminer la validité. Elle est à la base de la démarche expérimentale,
théorisée en particulier par Roger Bacon en 1268 dans On Experimental Science. La question de la
vérification d'une hypothèse renvoie en particulier au problème de l'induction, au cœur de la philosophie
des sciences empiristes.
D’après Bertaux, les deux méthodes se distinguent par le statut des hypothèses. Alors que la logique
hypothético-déductive incite à fixer des hypothèses à priori et à se confronter au terrain dans le but de
vérifier ces hypothèses à l’aide de critères d’évaluation préalablement établis, « la démarche
ethnosociologique consiste à enquêter sur un fragment de réalité sociale historique dont ne sait pas grand chose à priori.
[…] Ses techniques d’observation ne cherchent pas tant à vérifier des hypothèse posées à priori qu’à comprendre le
fonctionnement interne de l’objet d’étude et à élaborer un modèle de fonctionnement sous la forme d’un corps d’hypothèses
plausibles ». (Bertaux 2005 : 22 cité par Capitant : 26)
Il ne s’agit donc pas de vérifier des hypothèses mais « de les élaborer à partir des observations et d’une réflexion
fondée sur les récurrences » (Ibid. :31) et « d’aider à la construction d’un corps d’hypothèses » (Ibid. : 27) Dans cette
perspective, le terrain est source d’un savoir plus profond. Il donne la possibilité au chercheur, par son
observation et ses questionnements, de faire émerger des catégories de compréhension du social et non
plus seulement d’homologuer des catégories subodorées. Schwartz abonde dans ce sens quand il défend
une logique « rétrodicitive », selon le terme proposé par Paul Veyne (cité par Schwartz : 301) Cette
logique consiste à partir des faits ethnographiques et de remonter jusqu’aux phénomènes qui les ont
induits, « Le but n’est pas de reconnaître, mais de découvrir ». (Ib. : 299)
26
Pour ma part, compte tenu de la nature de mon sujet, j’ai privilégié plutôt la démarche hypothético-
déductive par laquelle j’ai fixé des hypothèses à priori que j’ai confrontées au terrain dans le but de les
vérifier à l’aide de critères d’évaluation préalablement établis.
Or, ces faits ethnographiques ont une profondeur que le chercheur doit excaver selon une double
perspective : décrire les faits et les expériences vécues qu’il observe, recueille, analyse avec les
enquêtés, mais aussi comprendre les rapports d’ensemble dans lesquels ces faits s’inscrivent :
« Les situations concrètes mettent toujours en jeu des formes caractéristiques de rapports sociaux, et relèvent dans cette
mesure de logiques d’ensemble » (Schwartz : 299 cité par Capitant, 2008 : 26). Et ces logiques d’ensemble
affleurent dans les paroles et les actes des enquêtés. Pour Bertaux, c’est l’hypothèse centrale de la perspective
ethnosociologique : « les logiques qui régissent l’ensemble d’un monde social ou mésocosme sont également à l’œuvre dans
chacun des microcosmes qui le composent : en observant de manière approfondie un seul, ou mieux quelques uns de ces
derniers, et pour peu qu’on parvienne à en identifier les logiques d’action, les mécanismes sociaux et les processus de
reproduction et de transformation, on devrait pouvoir saisir certaines au moins des logiques sociales du mésocosme lui-
même ». (Bertaux, 2005 : 20)
27
émerger leurs logiques de sens sans « violer les cadres ou les ensembles effectivement vécus par les
individus » (Schwartz : 296).
Cette perspective implique donc de ne pas imposer par l’enquête des cadres de pensée préétablis par le
chercheur, d’être attentif aux cadres, conscients ou non, qui structurent les actions et les discours, de
relever les « mots des indigènes » comme le rappelle Stéphane Beaud (Beaud 1996 : 246), d’analyser
tout aussi bien les discours que les situations dans lesquelles ils ont été recueillis. Ces données ne «
sauraient déboucher sur des descriptions statistiques. […] Elles donnent à voir comment ‘fonctionne’ un monde social ou
une situation sociale » (Bertaux 2005) Cette logique impose au chercheur une grande souplesse, une grande réceptivité, et
un certain talent pour découvrir ce qui affleure derrière les mots, les actes, les gestes, les non-dits et certains silences.
(Capitant : 27)
3. Des outils
L’approche ethnosociologique utilise en général trois types d’outils que Georges Lapassade expose
ainsi : « Le travail ethnographique implique fondamentalement, l’observation participante (notion qui désigne les
observations prolongées faites sur le terrain en participant à la vie des gens), l’entretien ethnographique (qui ne se conçoit
pas en général sans dispositif d’observation participante) et l’analyse de matériaux officiels et personnels (journaux
personnels, lettres, autobiographiques et récits de vie produits conjointement par le chercheur et le sujet).» (Lapassade
1991 : 22)
Trois grands types d’outils dont chacun peut se décliner diversement. Selon Lapassade, l’observation
participante peut être périphérique, active ou complète par exemple. Ces outils sont soumis à débat.
Pour Schwartz par exemple « la notion d’observation directe que l’on considère souvent comme le trait distinctif de
l’ethnographie est inadéquate et réductrice. Elle a le tort d’occulter une spécificité majeure de ce type d’enquête qui est de
déclencher tout une dynamique des paroles et de l’écoute ». (Schwartz 1993 : 268)
Les entretiens de même peuvent se faire de différentes façons. Les ouvrages de Kauffman (Kauffman
1996) et l’article de Beaud (Beaud 1996) sont à cet égard instructifs. On voit se développer depuis
quelques années de nouvelles formes d’enquête qui relèvent de cette perspective : les récits de vie
(Bertaux 2005), les matériaux produits par la Méthode d’Analyse de Groupe.(Van Campenhoudt 2005)
Sans rentrer dans le détail de ces débats, je préciserai deux points qui m’ont guidé dans mes choix
méthodologiques. Tout d’abord, la complémentarité et la nécessaire association de ces différents outils.
En effet, Schwartz le rappelle souvent, le chercheur doit s’adapter aux faits sociaux qu’il étudie.
Certains objets se prêtent plus à l’observation qu’à l’entretien, cette caractéristique peut se modifier au
cours de l’enquête suite aux rapports et aux contacts établis par le chercheur, suite aussi à des
changements dans les situations étudiées. Comme le dit Capitant, l’important réside dans le souci
constant du chercheur d’adapter ses modes d’enquêtes et de choisir le plus adapté, mais aussi d’être
28
transparent sur ses choix et ses sources. Ceci contribue, d’après elle, à la recommandation «
d’empirisme instruit » faite par Schwartz. (Capitant : 29) Au cours de mon travail, j’ai ainsi utilisé
plusieurs outils d’enquête que j’expose avant d’aborder les résultats d’enquête.
Le deuxième point touche à un choix méthodologique relatif aux entretiens. J’ai en effet privilégié les
entretiens que Bertaux et Beaud nomment des « récits de pratiques » ou des « récits de pratiques en
situation ». (Beaud, 1996 : 21, Bertaux, 2005 :13-23) Dans ce genre d’entretien « l’accent est mis non par sur
l’intériorité (la psychologie) des sujets, mais sur ce qui leur est extérieur : les contextes sociaux dont ils ont acquis par
l’expérience une connaissance pratique. » (Bertaux, 2005 : 23)
Cherchant à comprendre comment les Eglises africaines peuvent sortir de la dépendance financière qui
les caractérisent depuis longtemps, il m’a semblé opportun de recueillir auprès des acteurs qui étaient
engagés dans cette dynamique, leur avis sur la vie matérielle de leur Eglise et, partant de leurs
expériences chrétiennes vécues soit comme contributeurs (les organismes de financement, les fidèles)
soit comme bénéficiaires (l’autorité diocésaine, le clergé), leur perception du problème et la possibilité
de le résoudre.
Comme le rappelle Bertaux « Dans la perspective ethnosociologique, les expériences vécues constituent autant de
gisements de savoirs qui ne demandent qu’à être exploitées au profit de la connaissance sociographique et sociologique » .
(Bertaux, 2005 : 48) L’auteur cite à ce moment la phrase de Schütz « Toute expérience de vie comporte une
dimension sociale » et la complète en ajoutant : « Il ne s’agit pas en effet ici de chercher à comprendre un individu donné,
mais un fragment de réalité sociale historique : un objet social » . (Ibid. :48).
Bien que Bertaux propose le récit de vie comme un outil remarquable dans une telle approche, Sylvie
Capitant, pour comprendre leurs pratiques vécues des médias au Burkina Faso, n’a pas procédé à des
récits de vie des personnes rencontrées, mais à cette récolte de savoirs pratiques, d’expériences vécues et
de situations observées, son objet social n’étant pas un élément constitutif de la diachronie de leur « vie
» (Capitant, 2008 : 30).
Comme Sylvie Capitant, mes entretiens n’insistent pas sur le parcours de vie mais sur les expériences
vécues dans les sollicitations auxquelles certains acteurs doivent répondre en termes de demandes
d’aide, de contributions financières qui leur sont demandées dans leur Eglise, d’une part, et les
difficultés auxquelles d’autres acteurs sont confrontés, d’autre part. Pour y arriver, il fallait donc
diversifier les sources d’expériences.
Cette double exigence méthodologique m’a semblé susceptible de m’aider à atteindre les objectifs que
je poursuivais, à savoir me forger une idée sur la perception des difficultés financières des Eglises du
29
Congo et les stratégies à prendre pour déclencher le processus de leur autofinancement. J’ai donc opté
pour la combinaison, toutes proportions gardées, de deux approches : l’approche ethnosociologique,
pour ses aspects ci-haut présentés, et la démarche relevant de la sociologie quantitative, ou encore
positiviste ou hypothético-déductive qui convenait le mieux à la nature de mon sujet de thèse qui
m’incitait à des constructions a priori à laquelle s’est autorisé mon travail.
E. Techniques d’observation
Mon entrée de base étant la sociologie du développement, cette étude demeure essentiellement une
réflexion sociologique et économique qui analyse les causes et les effets de la dépendance financière et
matérielle des Églises locales du Congo ainsi que la perspective fondamentale de leur issue. J’ai utilisé
une méthodologie axée sur une approche systémique, à savoir des enquêtes qualitatives, quantitatives,
l’analyse des tableaux chiffrés. En m’appuyant sur des données empiriques issues du croisement
d’observations, d’entretiens et d’analyses documentaires, j’ai voulu saisir dans cette réflexion
sociologique les logiques et les mécanismes qui façonnent le fonctionnement au quotidien des Églises
d’Afrique centrale et des Grands Lacs.
1. Le terrain d’étude
Je présenterai des données empiriques de cette situation, en partant principalement du cas de l’Église
locale de Bukavu en RDC tout en évoquant subsidiairement celui de Yaoundé pour me permettre de
comparer tant soit peu deux situations environnementales. En plus de la méthode documentaire, j’ai
interrogé des acteurs institutionnels et privés sur le terrain. J’étais ainsi conduit à fouiller et à récolter les
éléments à même de m’éclairer dans un domaine aussi névralgique et mystérieux comme celui des
finances des Églises du Congo.
Du côté africain, j’étais conscient que l’obtention des données ne serait pas facile. Mon espoir était
toutefois de bénéficier de l’apport de certaines personnes et institutions d’entraide missionnaire pour
avoir accès aux documents et chiffres utiles à mon étude.
Cet espoir n’a pas été déçu puisqu’effectivement, en mars 2011, j’ai séjourné pendant deux semaines à
Aix-la-Chapelle à la rencontre des deux grands organismes d’entraide allemands, Missio et Misereor,
qui financent la quasi-totalité des projets des Eglises africaines. Ils m’ont fourni l’essentiel des
informations nécessaires à mon étude. Il s’agit de montants d’aides accordées aux Eglises d’Afrique, en
l’occurrence celles du Congo, depuis vingt ans (1991-2010).
Mes travaux sur le terrain directement avec les enquêtés se sont étalés sur six mois et deux semaines
ainsi répartis : quatre mois à Bukavu à raison de deux en juillet-août 2011 et deux autres mois en juillet-
août 2012 ; deux mois à Yaoundé en mars-avril 2012, et les deux semaines passées à Aix-la-Chapelle en
30
mars 2011. Mais dans le cas de Bukavu, mon terrain principal, pour réaliser une étude aussi vaste en un
temps réduit, j’ai dû bénéficier du concours de trois collaborateurs qui ont mené des entretiens en mon
nom durant une année.
2. L’échantillonnage
Devant une population présentant des caractères très variés, et pour obtenir le maximum possible
d’informations recherchées dans le travail d’enquêtes tout en me rassurant de leur richesse et en évitant
une certaine répétitivité, je devais établir des normes précises pour déterminer l’échantillonnage en
veillant à ce qu’il soit le plus représentatif possible. La constitution de mon échantillonnage : mon
échantillonnage portait sur les populations ci-après:
* les projets qui ont été envoyés aux bailleurs par les structures de l’archidiocèse de Bukavu entre 1990
et 2010, cette période correspondant au moment où l’économat diocésain a commencé à connaître une
situation de trésorerie délicate, conséquence d’une gestion désastreuse commencée en 1985. J’y
cherchais les informations suivantes: les types de projets envoyés aux bailleurs (projets à caractère
social, projets à caractère économique), les réponses données par les bailleurs aux projets à caractère
économique, les montants demandés aux bailleurs comparés et ceux reçus, en vue de constater la
tendance de l’évolution de financements extérieurs sur les vingt ans.
* les prêtres en paroisse : après avoir déterminé la taille de mon échantillon représentatif de la
population du clergé diocésain, qui était alors à 176 membres, j’ai mené des enquêtes auprès d’un
échantillon de 75 prêtres, soit 42,61% du total, choisis au hasard et sans distinction entre curé et vicaire.
Je les ai interrogés sur des questions liées à l’organisation juridique et économique de leur paroisse, sur
leur situation matérielle, sur l’autofinancement de leurs paroisse et diocèse, sur la générosité des
chrétiens de Bukavu, sur la nature et la gestion des projets de développement qu’ils envoient aux
bailleurs occidentaux.
Mes enquêtes avec ce groupe portaient aussi sur les impacts de la précarité matérielle sur leur ministère,
leur opinion sur la politique d’extraversion financière par la logique des projets, et leur opinion sur les
grands défis, les freins et obstacles auxquels leur diocèse est confronté et comment il peut les résoudre,
les perspectives à court, moyen et long terme que le diocèse peut envisager pour s’inscrire dans le
processus de son autofinancement.
* les chrétiens, en distinguant le sexe mais pas l’âge. Car si certaines personnes donnaient volontiers
leur âge, il n’était pas possible de l’obtenir pour d’autres. C’est le cas surtout de jeunes filles
universitaires, celles du secondaire et même les femmes rencontrées dans des paroisses. Certaines ne
s’empêchaient pas de me rappeler ce que j’avais déjà entendu au Cameroun : « En Afrique, on ne
31
demande pas l’âge d’une femme ! » Dans cette grande population qui était pour moi la plus significative
en raison de leur degré d’implication dans la vie matérielle du diocèse par des contributions régulières
ou sporadiques qu’ils donnent ou qu’ils sont sensés donner à leur Eglise, j’ai durant mes enquêtes,
distingué, soit par questionnaire soit par guide d’entretien, trois grands groupes de chrétiens, chaque
groupe ayant plusieurs sous-groupes :
Le premier groupe comprend les responsables des services diocésains, les cadres et agents salariés,
les partenaires de l’archidiocèse de Bukavu. J’ai interrogé 8 responsables des services diocésains,
dont 6 hommes et 2 femmes. Concernant les cadres et agents salariés, 32 personnes ont été interrogées,
dont 17 hommes et 15 femmes. Quant aux acteurs majeurs partenaires du diocèse de Bukavu, soit par le
contrat de travail ou un autre type de partenariat qui les lie à ce diocèse, soit par d’autres prestations
libérales dont bénéficie directement ou indirectement le diocèse (entrepreneurs, enseignants du primaire
et du secondaire, professeurs d’université, médecins, avocats, infirmiers, etc.), 97 personnes personnes
ont été interrogées, dont 66 hommes et 31 femmes.
La majeure partie de ce premier groupe est constituée des intellectuels et lettrés, dont le niveau d’études
va, à quelques exceptions près, du Bac au doctorat. Nos entretiens portaient sur des questions liées à leur
responsabilité assumée dans l’archidiocèse de Bukavu, leur participation personnelle aux besoins de leur
Eglise diocésaine, la connaissance ou non des difficultés matérielles de cette institution religieuse, leurs
prestations rémunérées ou non dans les services diocésains, la perception qu’ils se font de leur Eglise du
point de vue socio-économico-financier. Nos entretiens portaient aussi sur leur prise de conscience de la
nécessité d’aider leur Eglise, leur opinion sur la dépendance financière de celle-ci par la logique des
projets (ses avantages et ses inconvénients) et sa possibilité à se prendre en charge à travers
l’autofinancement, les exploits et les reproches qu’ils font à leur Eglise de Bukavu, et les suggestions
éventuelles devant aider l’autorité diocésaine à amorcer le processus d’autofinancement.
Le deuxième groupe est composé d’étudiants et élèves du secondaire. Je les ai répartis en trois
catégories : les catholiques pratiquants, les catholiques non pratiquants, et les non catholique.
a) les étudiants et élèves chrétiens catholiques : 373 individus choisis au hasard : pour les étudiants, en
distinguant le sexe et non pas l’âge ou la classe (donc j’ai interrogé de la 1 ère année à la 5ème année
d’université). Pour les élèves du secondaire, je n’ai pris que ceux qui finissaient la 1ère et la Terminale.
J’ai distingué ici deux sous-catégories selon leur lieu de formation: les étudiants et élèves catholiques
pratiquants fréquentant dans les institutions supérieures et secondaires catholiques (UCB, Alfajiri,
Kitumaini, Cirezi, Wima, Nyakavogo, Kasali, …) :175 interrogés, dont 92 garçons (66 universitaires,
32
26 du secondaire) et 83 filles (49 universitaires, 34 du secondaire); les étudiants et élèves catholiques
pratiquants fréquentant dans des institutions officielles (UOB, ISDR, ISP, ISTEM, Ibanda…) ou
protestantes (UEA, Bwindi, Bangu,…) : 198 interrogés dont 70 garçons (57 universitaires, 13 du
secondaire) et 128 filles (87 universitaires, 41 du secondaire).
b) les étudiants et élèves appartenant aux différentes branches protestantes et les non croyants (rares)
fréquentant soit les institutions supérieures et secondaires catholiques ou officielles et protestantes: 51
personnes interrogées, dont 36 garçons (27 universitaires, 9 du secondaire) et 15 filles (13
universitaires, 2 du secondaire).
Avec ce deuxième groupe (étudiants et élèves), que j’ai appelé les non actifs au sens économique du
mot, en plus de certaines questions posées au premier groupe, nos échanges ont porté sur la perception
qu’ils ont de l’Eglise catholique quant à son engagement dans le social au Congo en général et à Bukavu
en particulier, le poids financier de leurs études et la mise à contribution de leurs parents pour payer les
enseignants, la perception qu’ils ont de la richesse économico-financière réelle ou supposée de l’Eglise
catholique, …
Troisième groupe rencontré lors de mes travaux de terrain est constitué des chrétiens de paroisse.
Etant donné qu’il m’était pratiquement impossible d’enquêter sur toutes les 35 paroisses que compte
l’archidiocèse de Bukavu pour trois raisons principales : la brièveté de mon séjour : deux mois
seulement pour chacune de deux ans (2001 et 2012), le manque d’assez de moyens de locomotions et les
contraintes budgétaires), l’insécurité permanente dans les paroisses rurales entretenue par des groupes
amés, j’ai dû concentrer la quasi-totalité de mes enquêtes dans les 8 paroisses des deux doyennés de
Bukavu : le doyenné de Bukavu I (Ibanda, Kadutu, Nguba, Cahi), et le doyenné de Bukavu II (Bagira,
Burhiba, Cimpunda, Ciriri).
Les enquêtes réalisées dans ces 8 paroisses, du fait de leur poids démographique et de leur position
socio-économique dans les finances du diocèse, devraient suffire pour avoir une certaine opinion sur la
question de la dépendance financière du diocèse de Bukavu et la question de son autofinancement.
Toutefois, j’ai pu réaliser quelques enquêtes complémentaires dans les paroisses rurales de Murhesa,
Kavumu, Mwanda, Kashofu, Bumpeta. J’ai été aidé par trois enquêteurs, tous enseignants dans les
institutions supérieures de Bukavu. Leur apport m’a été d’une très grande valeur.
Nous avons rencontré 864 chrétiens des 13 paroisses, dont 523 femmes et 341 hommes. Avec eux nous
avons utilisé comme méthodes d’observation, le questionnaire en grande partie fermé et dans une
moindre proportion un guide d’entretien pour ceux et celles qui avaient un niveau d’instruction
33
relativement suffisant, qui reprenait globalement les thèmes abordés avec les groupes précédents bien
sûr avec quelques adaptations compte tenu des interlocuteurs.
Comme on le voit, mon champ d’observation a été large et complexe. Je l’ai voulu ainsi pour pouvoir
arriver à obtenir les informations aussi riches et variées que possible car provenant des différents acteurs
de la vie de l’Eglise de Bukavu. Au total, j’ai réalisé des enquêtes auprès de 1 500 personnes, dont 797
femmes et 703 hommes durant les quatre mois pleins de travail pour ce qui me concernent, et une année
de travail échelonnée pour mes trois enquêteurs. Pour avoir l’information recherchée auprès de tout ce
monde, il fallait des instruments d’observation adaptés et la collecte des données.
F. Méthodes d’enquêtes
Comme le disent Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt (1988 :147), l’observation comprend
l’ensemble des opérations par lesquelles le modèle d’analyse (constitué d’hypothèses et de concepts) est
soumis à l’épreuve des faits, confronté à des données observables. Au cours de cette phase, de
nombreuses informations sont donc rassemblées. Elles seront analysées systématiquement dans une
phase ultérieure. L’observation est donc une étape intermédiaire entre la construction des concepts et
des hypothèses d’une part et l’examen des données utilisées pour les tester d’autre part. Selon ces
auteurs, pour mener à bien le travail d’observation, il faut pouvoir répondre aux trois questions
suivantes : Observer quoi ? Sur qui ? Comment ? (Ibid.)
Par exemple, pour comparer le public du théâtre à celui du cinéma, un chercheur peut compter les gens à
la sortie, observer s’ils sont jeunes ou vieux, comment ils sont habillés, etc.
Dans ce cas l’observation porte sur tous les indicateurs pertinents prévus. Elle a comme support un
guide d’observation qui est construit à partir de ces indicateurs et qui désigne les comportements à
observer ; mais le chercheur enregistre directement les informations. Les sujets observés n’interviennent
pas dans la production de l’information recherchée. Celle-ci est manifeste et prélevée directement sur
eux par l’observateur.
Dans le cas de l’observation indirecte, le chercheur s’adresse au sujet pour obtenir l’information
recherchée. En répondant aux questions, le sujet intervient dans la production de l’information. Celle-ci
34
n’est pas prélevée directement et est donc moins objective. En fait, il y a ici deux intermédiaires entre
l’information recherchée et l’information obtenue : le sujet à qui le chercheur demande de répondre et
l’instrument constitué des questions à poser.
Ce sont là deux sources de désinformations et d’erreurs qu’il faudra contrôler pour que l’information
apportée ne soit pas faussée, volontairement ou non. Dans l’observation indirecte, l’instrument
d’observation est soit un questionnaire soit un guide d’interview. L’un et l’autre ont comme fonction de
produire ou d’enregistrer les informations requises par les hypothèses et prescrites par les indicateurs
(Quivy, Van Campenhoudt, 1988 :154-156).
L’observation consiste à rassembler toutes les informations désignées par les indicateurs. La plupart des
études sur ce sujet procèdent par questionnaire. Celui-ci est un ensemble de questions couvrant tous les
indicateurs de tous les concepts impliqués par les hypothèses. Chaque question correspond à un
indicateur et a pour fonction de produire, par sa réponse, l’information nécessaire (Ibid.:157).
Dans mes investigations sur terrain, le questionnaire est l’instrument d’observation que j’ai beaucoup
privilégié car cette technique exige une élaboration plus poussée que le guide d’interview. Précise et
formelle, elle se prête particulièrement bien à une utilisation pédagogique (Ibid., 1998 :156). Selon Jean-
Philippe Durant et Robert Weil (2002 : 389-390), l’observation, technique fort ancienne et remise au
goût du jour à travers le développement des approches ethnométhodologiques ou interactionnistes,
s’avère sans doute aussi la plus difficile. Car elle demande de la part de l’observateur un effort
d’objectivation maximal, pour maîtriser les effets de sa position d’observateur : les situations sociales
courantes n’acceptent pas forcément cette position qui peut signifier indifférence à l’égard de ce qui se
passe, voire provocation. Les effets d’imposition d’une vision est propre à l’observation (idéologie
politique, normes morales, opinions, etc.).
De plus, elle demeure souvent un préalable obligé pour construire une bonne enquête par entretiens ou
par questionnaires. On a coutume de distinguer divers types d’observations selon le degré d’implication
de l’observateur : l’observation désengagée, au cours de laquelle on garde une neutralité bienveillante,
mais sans participer aux actions observées (sinon en tant qu’observateur) ; l’observation participante,
qui permet au chercheur (ou exige de lui) d’occuper une position au sein du groupe étudié et de
participer à sa vie quotidienne ou à ses moments exceptionnels (fête, cérémonies, etc.).
L’enquête d’Edgar Morin et de son équipe sur la commune bretonne de Plozevet (Commune de France :
la métamorphose de Plodemet, 1967) est le type même de l’observation désengagée ; un ou des
spécialistes débarquent sur un terrain qu’ils étudient en quelque sorte de l’extérieur. L’observation
35
menée par Laurence Wylie sur un village du Vaucluse (L.Wylie, Un village du Vaucluse, 1968) est un
exemple d’observation participante au cours de laquelle le sociologue arrive à jouer un rôle au sein de la
communauté étudiée, avec l’accord ou à la demande de celle-ci (rôle différent de celui d’observateur
mais qui le tolère).
L’observation participante est ce type d’observation qui permet au chercheur (ou exige de lui) d’occuper
une position au sein du groupe étudié et de participer à sa vie quotidienne ou à ses moments
exceptionnels (fête, cérémonies, etc.). En plus de mon avantage d’appartenir à ce diocèse, j’ai pris
activement part à des réunions, séminaires, conférences et autres cadres de concertation institutionnelle
avec plusieurs acteurs de l’archidiocèse de Bukavu sur différents sujets afférant à mon thème et à la vie
en général de l’Église africaine.
2. L’entretien semi-directif
La technique de l’entretien consiste à provoquer une conversation réglée entre un enquêté et un
enquêteur muni de consignes et le plus souvent d’un guide d’entretien. Celui-ci se présente sous la
forme d’une liste de questions ou de thèmes qui doivent obligatoirement être abordés au cours de
l’opération, soit spontanément parce que l’enquêté en parle de lui-même au cours de la séance, soit sur
la demande expresse de l’enquêteur. Le plus souvent ce dernier doit relancer l’entretien en s’aidant du
guide créé auparavant.
Il existe plusieurs types d’entretiens selon diverses modalités, dont selon le degré de liberté laissé à
l’enquêté. Dans cette catégorie, on peut citer l’entretien libre ou non directif (très rare en sociologie
souvent utilisé en psychologie et psychologie sociale : l’enquêteur lance un thème puis tous ses efforts
36
consistent à faire explorer ce thème par l’enquêté) ; l’entretien directif qui ressemble fort à une enquête
par questionnaire avec questions ouvertes c’est-à-dire sans réponses préétablies ou précédées :
l’enquêteur interroge l’enquêté au moyen d’une liste de questions établies dans un certain ordre (R.
Ghiglione et B. Matalon, 1978) ; l’entretien semi-directif, qui utilise une grille d’observation, mais
n’impose pas une standardisation de la forme et de l’ordre des questions comme dans le cas du
questionnaire.
C’est un type d’entretien fréquemment pratiqué en sociologie : il consiste à faire produire par l’enquêté
un discours plus ou moins linéaire avec le minimum d’interventions de la part de l’enquêteur. Il s’agit
de provoquer ce discours, après accord avec l’intéressé, puis de le faciliter pour explorer les
informations dont dispose l’enquêté à ce sujet, c’est-à-dire ce qu’il peut en dire. Cet entretien dit de
recherche ne doit pas être confondu avec l’entretien thérapeutique qui a pour fonction de solliciter un
discours destiné à faire disparaître des symptômes dans le cadre d’une consultation, ou encore avec
l’entretien clinique qui se veut à la fois thérapeutique et de recherche (A. Blanchet et al., 1987 : 83-84).
Pour ma part, cette technique d’enquête sociologique d’entretien semi-directif m’a permis d’ouvrir des
entretiens avec la plupart de mes interlocuteurs, à partir de questions préalablement préparées, tout en
leur laissant le temps voulu de parler, mais en veillant à ce qu’ils ne s’éloignent pas de notre propos.
C’est auprès de hautes autorités du diocèse et de gestionnaires mandataires des services centraux, des
membres des instances décisionnelles du diocèse que j’ai mené des entretiens avec un guide d’entretien.
Dans son principe, la technique du questionnaire obéit à une exigence propre. Si l’observation et
l’entretien peuvent caractériser la phase qualitative d’une recherche(en réalité phase de découverte et
37
d’exploration du domaine étudié, l’observation et l’entretien étant aussi susceptibles de quantification
lorsqu’ils sont faits en nombre suffisant), l’application d’un questionnaire à un échantillon représentatif
est réalisé en vue d’une inférence statistique, ce qui demande un travail d’éclaircissement préalable : « il
faut évidemment savoir de façon précise ce que l’on cherche, s’assurer que les questions ont un sens pour chacun, que tous
les aspects de la question ont bien été abordés, etc. » (R. Ghiglone, B.Matalon, 1978 :93 cités par J.-P. Durand,
R. Weil, 2002 :391-392).
Cette nécessité explique pourquoi l’enquête par questionnaire est souvent précédée d’une pré-enquête
menée par entretien afin de sélectionner les questions pertinentes et les types de réponses à prévoir, car
un mauvais questionnement tend à induire des réponses que le sujet n’aurait pas produites spontanément
(J.-P. Durand, R. Weil, 2002 :392). Lorsque les enquêtes préparatoires ont été effectuées, les hypothèses
posées, et le type d’approche précisé, les opérations requises sont les suivantes : la constitution d’un
échantillon de taille suffisante notamment représentatif de la population étudiée, la construction du
questionnaire, l’application du questionnaire (indirectement ou directement), la phase du dépouillement
et du traitement des réponses (qui se fait actuellement le plus souvent au moyen de procédures
informatiques grâce à un logiciel adéquat en procédant aux opérations de tri afin de présenter les
fréquences de réponses aux questions, les corrélations entre les réponses à plusieurs questions, etc.).
A propos de la construction du questionnaire, Durand et Weil reconnaissent que c’est l’opération la plus
difficile, car il faut formuler des questions pertinentes et les ordonner de façon à ne pas induire des
réponses ou une logique d’ensemble, ce qui est à la limite toujours impossible.
En effet la plupart du temps les questions sont fermées, c’est-à-dire munies de réponses prédéterminées,
parmi lesquelles le questionné fait un choix (en cochant des cases par exemple). Le fait de présenter des
réponses toutes faites ne permet pas à l’enquêté de choisir sa propre formulation. Même si la question
est ouverte (réponse libre), sa formulation elle-même peut également induire la réponse. La technique du
questionnaire est donc loin d’être une technique neutre, et tout l’art consiste non seulement à énoncer
des questions claires, mais encore à reconnaître les types de réponses nécessairement induits (J.-P.
Durand, R. Weil, 2002 :392). Les méthodes quantitatives sont très raffinées et relèvent de techniques
appelées analyse des données.
Pour élaborer mon guide d’entretien, j’ai eu à composer un questionnaire adressé à des personnes
préalablement ciblées (Cf. infra). Ayant préparé d’avance mon questionnaire et mon guide d’entretien,
le gros du travail s’est déroulé en deux temps. Dans un premier temps, je devais consulter les archives
du diocèse au secrétariat de l’archevêché, à l’économat général et chez les pères missionnaires
d’Afrique (Pères Blancs) en vue de compléter les données déjà recueillies dans la revue de littérature.
38
Dans un deuxième temps, j’avais à réaliser des entretiens avec les autorités diocésaines, les responsables
des structures diocésaines notamment l’économe général, la responsable du Bureau Diocésain des
Œuvres Médicales (BDOM), la responsable du Centre OLAME, les curés et vicaires de paroisse, des
religieux et religieuses, tant en ville qu’à l’intérieur, les agents des structures diocésaines, les chrétiens
de toutes catégories socio-professionnelles, les jeunes garçons et filles, élèves et étudiants, sans
emploi… Pour rencontrer tout ce monde, je devais me constituer un échantillonnage pour chaque groupe
(Cf. Annexes C).
G. Plan de la thèse
A travers une recherche pluridisciplinaire11, j’ai mené cette étude autour de trois grandes parties
comprenant neuf chapitres relativement équilibrés. La première partie a été consacrée à la description du
contexte sociopolitique et historique des Églises du Congo dont le souci primordial était l’implantation
missionnaire pour le salut des âmes par les sacrements (chapitres 1, 2, 3). Dans la deuxième partie, j’ai
fait une analyse de la situation socioéconomique post-missionnaire des Eglises du Congo qui voit sa
politique d’extraversion financière héritée de l’époque missionnaire et coloniale s’essouffler du fait de
l’amenuisement progressif des ressources extérieures. Ce qui lui impose aujourd’hui la nécessité de
trouver des stratégies d’autofinancement pour sa survie et celle de ses institutions (chapitres 4, 5, 6).
Dans la troisième partie, j’ai mené ma réflexion autour de défis à relever par l’archidiocèse de Bukavu
pour atteindre son autofinancement. Pour cela j’ai examiné l’ensemble des stratégies à mettre sur pied,
les obstacles éventuels à contourner découlant des acteurs internes tributaires d’une certaine
représentation sociale et, enfin, évalué les chances de succès en termes d’atouts dont dispose l’Eglise de
Bukavu pour arriver à atteindre son objectif d’autonomie financière (chapitres 7, 8, 9).
La démarche descriptive et inductive de la première partie est devenue beaucoup plus réflexive et
analytique dans la deuxième, et prospective dans la troisième. Les observations faites au départ
conduisent à la fin à l’ébauche des chemins nouveaux sur un secteur combien délicat et mouvant. Ce qui
explique le caractère modéré et pragmatique de mes propositions, tenant toujours compte de la réalité
sociale lors de mon travail de recherche sur le terrain.
11
Cette étude chevauche sur plusieurs disciplines à savoir l’histoire coloniale et religieuse, la sociologie religieuse et
l’anthropologie culturelle, la sociologie économique, la géopolitique du Congo, l’économie du développement.
39
Difficultés rencontrées
Outre celles déjà évoquées, notamment la brièveté du temps d’enquêtes (quatre mois à raison de deux
mois par an) pour glaner des données requises, sans compter les exigences sociales et familiales des
enquêtés, les contraintes budgétaires, les difficultés d’accès aux zones rurales éloignées de la ville de
Bukavu à cause du manque de transport, et de l’insécurité entretenue par des bandes armées, je dois
signaler aussi les refus de répondre auxquels mes trois enquêteurs se sont heurtés constamment durant
l’année d’enquête, le questionnaire non retourné, même dans le clergé.
Il en est de même pour mener les enquêtes auprès des interlocuteurs à profil particulier (des individus
ayant des horaires de travail décalés et donc absents de leur domicile lors de notre passage ou au lieu du
rendez-vous ; des individus qui s’estimaient non concernés ou non aptes à remplir mes questionnaires ;
des individus qui jugeaient superflu de perdre du temps à répondre à mes questions, surtout dans le
clergé)… Par ailleurs, j’ai rencontré des difficultés à pouvoir accéder à certaines données chiffrées que
les personnes ressources estimaient secrètes et donc non disponibles. C’est le cas surtout pour les projets
envoyés aux bailleurs et financés mais non réalisés.
Une autre difficulté, et non de moindre est d’ordre linguistique. Il s’agissait de trouver des termes
adéquats en langues africaines (swahili, mashi, kihavu) utilisées pour interviewer les individus ne
parlant pas français pour traduire certains concepts comme la dépendance financière,
l’autofinancement…On était obligé parfois de faire des traductions approximatives et des
périphrases… ! Malgré toutes ces difficultés, je suis content d’avoir réalisé cette étape essentielle dans le
processus de ma thèse. Les avantages réalisés sur le terrain en quatre mois pleins en plus d’une année
d’enquête menée par mes trois collaborateurs sont de loin plus importants que les difficultés
rencontrées.
40
Première partie : CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE ET
HISTORIQUE DES EGLISES DU CONGO
41
L’histoire de la deuxième moitié du XIXe siècle est très riche en événements dans le monde, tant au
niveau politique que religieux. C’est la période de grandes ambitions hégémoniques et d’expansions de
certaines puissances occidentales en rivalité dans le reste du monde. Cette période correspond aussi à
l’exploration plus systématique de l’intérieur de l’Afrique. Les côtes et, dans une moindre mesure, une
partie de l’intérieur du continent étaient déjà suffisamment connues par les Européens pour y avoir
pratiqué la traite d’esclaves depuis la fin du XVe siècle.
C’est enfin la période de la colonisation mais aussi de l’évangélisation de l’Afrique. En effet, les
sociétés de géographie qui se sont multipliées au cours du XIXe siècle supportaient mal de voir les
grandes taches blanches qui subsistaient sur les cartes de l’Afrique. L’abolition de la traite négrière qui
mit fin au commerce triangulaire, la révolution industrielle qui provoquait une demande de plus en plus
importante de matières premières, tous ces facteurs poussaient les Européens à pénétrer à l’intérieur du
continent.
Souvent financées par les sociétés de géographie, des expéditions pénétrèrent toujours plus avant au
cœur de l’Afrique. Le nouvel essor des missions en Afrique a été favorisé par une profonde modification
des conditions dans lesquelles s’est développé l’apostolat. A la suite des explorateurs, et parfois avant
eux, les missionnaires purent peu à peu pénétrer dans tout le continent et, du fait de la colonisation, se
trouvèrent dans de meilleures conditions de sécurité et de vie matérielle (Milza, P., 1994 : 37-38).
Quelle que soit son orientation, aucune recherche scientifique sérieuse sur l’Église d’Afrique en ce
début du XXIe siècle ne peut se faire sans la prise en compte de l’élan missionnaire de la fin du XIX e
siècle sur le continent, avec ses audaces, ses illusions parfois, et la foi profonde des acteurs qui se sont
engagés alors dans d’audacieux projets au nom de l’Évangile. La prise en compte du contexte politique
français et belge aussi bien qu’européen du dernier quart du XIXe siècle permet de mieux comprendre
les influences et les contraintes qui ont marqué les premières entreprises apostoliques du cardinal
Lavigerie et de sa congrégation, la Société des Pères Blancs. Leur action de l’évangélisation de
l’Afrique équatoriale a abouti à la création, entre autres, du Vicariat Apostolique du Kivu, principal
terrain de ma recherche.
42
Chapitre Ier : L’IMPLANTATION MISSIONNAIRE DE L’EGLISE CATHOLIQUE AU
CONGO
L’évangélisation du Congo en général par des congrégations missionnaires belges et du Vicariat
Apostolique du Kivu en pariculier par les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), est l’aboutissement
d’une histoire millénaire du christianisme en Afrique. Sans faire œuvre d’historien, je vais passer en
revue les grandes étapes qui caractérisent son implantation, les logiques sociales qui l’accompagnaient
ainsi que le contexte sociopolitique qui le sous-tendait pour comprendre les enjeux de sa dernière
implantation missionnaire en Afrique12 dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Section 1 : Aperçu sur les deux millénaires d’histoire de l’Eglise catholique en Afrique
Selon Dominique Arnauld, l’Afrique a marqué les débuts de l’Histoire du christianisme dans le bassin
méditerranéen (2001 : 5). Et pourtant, entre le VIIè et le XIXè siècle, c’est à peine si une allusion est
faite à la Nubie et au Royaume du Kongo! Or, dès qu’on se plonge dans l’histoire de ce continent, le
christianisme est quasiment présent à tous les siècles, quelque part en Afrique13. Par moment il est
glorieux, durant de longues périodes il est silencieux et caché, mais il n’y a pas de raison de l’ignorer.
Pendant de longs siècles le christianisme en Afrique a été voulu et dirigé par d’autres que par les
Africains, mais, si les acteurs n’ont pas été à la hauteur de la tâche et des aspirations des peuples
africains, l’Afrique, depuis le premier siècle, a fait partie de l’Histoire du Christianisme. Parent pauvre
des nations, continent pressuré, l’Afrique n’en est pas moins dans la salle du festin. Sur ce continent, se
côtoient de vieilles églises qui remontent au début de l’ère chrétienne et des églises qui en sont à fêter
leur centenaire et même leur jubilé d’or et d’argent (Arnauld, 2001 : 5).
12
J. Baur parle de deux époques différentes de l’évangélisation de l’Afrique subsaharienne. La première qualifiée de la
première évangélisation, commence en 1482 (pour ce qui est du Congo) pour être interrompue après. La seconde reprend à
partir du 18ème siècle, vers 1792 et aboutit à la fondation des Eglises diocésaines dont il est question dans cette étude (Cf.
Baur, J., 2001 : 53, 101).
13
Cf. Les index et tables des huit volumes de L’histoire générale de l’Afrique publiée par l’Unesco.
43
1. Le premier millénaire chrétien en Afrique et ses réalités: essor, déclin et survie
Au cours de cette période, l’Église s’est implantée dans tout le nord de l’Afrique, de la Mer Rouge à
l’Atlantique. Entre la fin des Actes des Apôtres et le milieu du IIe siècle, les données historiques sur
l’expansion du christianisme en Afrique septentrionale sont à peu près inexistantes. Mais il est certain
que la première « mission » chrétienne a bénéficié d’un contexte historique et géographique privilégié :
l’extension de l’Empire romain à tout le bassin méditerranéen. Un réseau serré de relations humaines,
facilité par la sécurité des routes et par l’activité des ports, permettait aux hommes et aux idées de
circuler facilement et rapidement.
Les nombreuses communautés juives de la Diaspora servirent de relais à l’évangélisation (De Benoist
J.R., 1991 : 4). Ces facilités ne doivent cependant pas faire illusion : il y a un véritable « miracle
chrétien » que Pierre de Bérulle (fondateur de l’Oratoire en France au 17è siècle), décrit ainsi : « Face à
un monde puissant, organisé, triomphant, une poignée de pauvres hommes sans instruction ni pouvoir ; l’empire éternel
établi par de pauvres pêcheurs muets comme des poissons, d’entre lesquels ils sont tirés, sans cabale et sans prudence, sans
armée et sans violence » (Ibid.).
Ce fut une période agitée où les conflits doctrinaux ont succédé aux persécutions pour menacer sans
cesse l’unité et la survie de l’Église. Ce contexte difficile a vu de grands évêques et des théologiens
africains éminents marquer de leur empreinte l’Église universelle : Cyprien de Carthage (200-258),
Athanase d’Alexandrie (295-373), Cyrille d’Alexandrie (380-444), Augustin d’Hippone (354-430), pour
ne citer que ceux-là. Les conditions culturelles et politiques de la création des communautés chrétiennes
locales ont pesé lourd sur leur survie. L’expansion arabo-musulmane du VIIe siècle a balayé les
chrétientés du Maghreb, nées dans un contexte colonial et insuffisamment enracinées dans les cultures
locales. Par contre, les communautés coptes d’Egypte et monophysite d’Ethiopie ont résisté jusqu’à nos
jours parce que leur foi, même déviante, est un élément de leur conscience nationale (Ibid. :1).
Au XVe siècle, l’Europe occidentale découvre le monde (De Benoist, 1991:21). Le siècle s’achèvera sur
l’expédition la plus connue, celle qui va permettre à Christophe Colomb d’aborder aux côtes de
l’Amérique. Mais, pendant cent ans, les navigateurs portugais, vénitiens, génois vont descendre toujours
plus vers le sud, le long de la côte occidentale de l’Afrique, et, une fois franchie la pointe méridionale
extrême du continent, faire escale sur la côte orientale avant de rejoindre l’Inde. Cette découverte, si
elle avait des motifs intéressés, était inséparable de l’extension du christianisme. Les missionnaires
accompagnèrent toujours les découvreurs et les commerçants.
44
Mais cette évangélisation souffrit de multiples rivalités : entre les nations chrétiennes, entre le Saint-
Siège et les Églises locales, et même entre les Ordres religieux. La création, en 1622, d’un organisme
central chargé de la Propagation de la Foi ne suffira pas à unifier l’effort missionnaire.
Des quatre siècles d’évangélisation de l’Afrique en ordre dispersé (1450-1850) par l’Europe occidentale,
quatre siècles d’efforts surhumains, mais sans liens entre eux, il ne restera pratiquement aucune trace au
début du XIXe siècle.
Toutes ces raisons ont été des obstacles à une évangélisation systématique et au succès d’œuvres de
longue haleine comme la formation d’un clergé valable et la promotion d’une élite chrétienne. Trop
souvent aussi la conversion au christianisme était inséparable de l’adoption des mœurs occidentales. Les
résultats obtenus ont été sans rapport avec les efforts déployés. Et les Églises nées sur les côtes
africaines au cours des XVe et XVIe siècles n’étaient pas assez enracinées pour survivre à la rupture des
liens avec l’Europe provoquée par les révolutions du XVIIIe et du XIXe siècle.
45
C’est au cours du long règne de Jean Ier (1385-1433) que le Portugal se dota de la flotte qui lui
permettrait d’avoir pendant longtemps la suprématie sur les mers. La concurrence castillane sur le
continent poussa les Portugais à regarder vers le large. La demande en produits maritimes et exotiques
augmentait en Europe. Et le vieux rêve de l’or poussait aussi les navigateurs à chercher les pays où il
existait en abondance. Avec un peu de retard, les Espagnols suivirent les traces de leurs voisins (Ibid.).
Vers l’est, la route était barrée par les royaumes musulmans, c’est-à-dire tout le maghreb actuel, le
Moyen et le Proche Orient.
Il fallait donc trouver un nouvel itinéraire vers les pays des épices et de la soie qu’étaient l’Inde et la
Chine, en contournant le continent africain. En même temps, les pays chrétiens d’Europe occidentale
espéraient pouvoir rejoindre le Prêtre Jean qui luttait contre l’Islam. La croyance en l’existence de ce
personnage mythique est sans doute née de ce que l’on savait de l’empereur d’Ethiopie. L’espoir de
pouvoir, avec son aide, prendre à revers la puissance islamique, a conduit aussi les navigateurs
lusitaniens et ibériques (Ibid.).
C’est un Vénitien, Ca da Mosto qui découvrit un archipel inhabité, situé à 400 km au large de la pointe
extrême occidentale de l’Afrique et qui, pour cette raison, a été baptisé Iles du Cap Vert. La Gambie fut
découverte en 1462. Au cours de cette année, le pape Pie II confiait au Franciscain Afonso de Bolano la
mission de Guinée : à l’époque, ce nom désignait toute la côte occidentale de l’Afrique, du Cap Vert au
Gabon (Ibid. : 25).
En 1488, des Portugais débarquèrent à l’embouchure du Sénégal et prirent le parti du roi détrôné du
nom de Behemoï. Ils l’emmenèrent au Portugal où il fut baptisé, avant de revenir l’année suivante avec
vingt- cinq bateaux pleins de soldats et de prêtres, surtout les dominicains. Il y avait espoir de pouvoir
fonder un royaume chrétien dans cette région. Dans les années suivantes, des prêtres suivirent les
Portugais qui s’installaient sur la côte du Sénégal, ainsi qu’à Cacheu et à Freetown.
46
Mais c’est avec la création du diocèse de Funchal en 1516 et surtout en 1533, avec la séparation du
diocèse de Santiago, dont le siège était aux îles du Cap Vert, que commença vraiment l’évangélisation
de la région. Le nouveau diocèse, outre l’archipel du Cap Vert, englobait le continent de l’embouchure
du Sénégal au cap des Palmes. C’est ce qu’on appelait la Haute Guinée. Les premiers évêques étaient de
tous les Grands Ordres de l’époque: Franciscains, Prêtres diocésains, religieux de l’Ordre de Saint-
Augustin (OSA), Carmes, Dominicains, Jésuites (qui y firent 40 années d’apostolat, de 1604 à 1642),
tous Portugais.
A partir du milieu du XVIIe siècle, les Capucins français et espagnols arrivent en Afrique, avec
l’avènement de la Congrégation pour la Propagation de la Foi fondée en 1622. Pendant le XVIe siècle,
des prêtres, surtout franciscains, travaillèrent dans la région de Cacheu et de Freetown au service des
quelques centaines de chrétiens appartenant au personnel des commerçants portugais. L’évangélisation
de l’Afrique occidentale au XVIIe siècle sera dominée surtout par les Capucins espagnols venus des
provinces de Castille, Navarre et Aragon sous la direction d’Antonio de Trujillo. En 1684, les
missionnaires rédigèrent un rapport condamnant formellement la traite négrière et demandèrent des
sanctions de l’Église et du roi du Portugal.
En fait, la traite négrière se révéla beaucoup plus rémunératrice. Le trafic se développait et les îles du
Cap Vert en étaient devenues la plaque tournante. En 1594, l’évêque Pedro Brandâo se plaignit au roi du
Portugal du fait que les esclaves étaient transportés dans des conditions inhumaines, que les Portugais de
la région étaient chrétiens seulement de nom et ne s’intéressaient qu’à la traite négrière… (De Benoist,
1991 : 25-26). En 1470, les Portugais abordèrent pour la première fois dans une île de la Basse Guinée,
qu’ils baptisèrent donc Sao Tomé. Ils la peuplèrent de colons et d’esclaves.
La christianisation fut assurée dès le début par les Franciscains (OFM), puis, à partir de 1494, par des
prêtres africains formés à Lisbonne. Enfin, à partir du début du XVIe siècle et jusqu’en 1594, par
l’Ordre de Saint Augustin (OSA). Le diocèse de Sao Tomé fut créé en 1534 : il englobait les îles de la
région et toute la côte, depuis le cap des Palmes jusqu’au cap des Aiguilles. Le diocèse de Sao Salvador
en fut détaché en 1596. En 1471, les Portugais arrivèrent dans une région où l’or abondait (la future
Gold Coast, aujourd’hui Ghana) ; pour cette raison, ils baptisèrent El mina l’escale où ils construisirent
un fort en 1482. L’évangélisation de la côte de l’actuel Ghana dura jusqu’au début du 18 e siècle. La côte
du Bénin fut atteinte probablement par Ruy de Sigueira en 1472, sûrement par Joâo Afonso de Aveiro
en 1486.
47
Diogo Câo découvrit l’embouchure du Zaïre en 1482, et, quatre ans plus tard, la baie où est aujourd’hui
construit le port de Walvis Bay. Il revient à Bartolomeo Dias de vaincre les appréhensions de son
équipage et de franchir, en 1488, l’extrême pointe méridionale du continent, baptisée cap des Tempêtes.
En 1498, Vasco de Gama, avant d’atteindre l’Inde à Calcutta et à Goa, faisait escale sur la côte du
Mozambique.
En 1492, Christophe Colomb naviguant vers l’Inde en passant par l’ouest aborda des terres que l’on
baptisa Indes occidentales. Pour éviter des conflits entre les deux grandes puissances maritimes, le pape
Alexandre VI, par la bulle Inter caetera du 4 mai 1493, attribua à l’Espagne « les terres fermes et îles
découvertes et à découvrir vers l’Inde à l’ouest du 45e méridien » ; au Portugal revenait tout ce qui était
à l’est de ce méridien. Les deux pays modifièrent d’un commun accord cette répartition.
Par le traité de Tordesillas, conclu en 1494, la ligne de séparation fut reportée à 100 lieues à l’ouest de la
dernière île des Açores. Grâce à ce texte, ce qui allait devenir le Brésil tombait dans le domaine
portugais, qui englobait également toute l’Afrique au sud du 20e parallèle. L’accord fut confirmé par le
pape Jules II en 1508 (Ibid. :23). Mais l’œuvre était tellement juteuse que d’autres puissances
européennes vont très rapidement entrer dans la danse et même supplanter les deux précédents. Ce fut le
cas de la France, l’Angleterre et les Pays-Bas.
48
4. Arrivée des Français, Anglais et Hollandais sur les côtes africaines
La rivalité entre l’Espagne et le Portugal sur les mers avait sa source dans la lutte que les deux pays se
livraient dans la péninsule où ils cohabitaient. En 1580, ce conflit tourna à l’avantage des Espagnols,
dont le roi joignit à sa couronne celle du Portugal. Cette tutelle fut mal acceptée et l’opposition se
répercuta dans les missions. En 1640, le Portugal reconquit son indépendance, mais cette lutte laissa des
séquelles dans les territoires africains. Les Anglais et les Français, à leur tour, avaient pris le départ pour
se constituer un domaine colonial. Leurs bateaux prenaient une part active à la traite négrière.
Ils furent de plus en plus nombreux sur les côtes africaines où Français et Anglais fondèrent de
nombreux comptoirs. La famille des Habsbourg fut un moment toute puissante en Europe. Et en la
personne de Charles-Quint, elle réunit sous une même couronne des territoires allant de la péninsule
ibérique aux Flandres en passant par l’Europe centrale. Les régions méridionales des Pays-Bas,
rassemblées en Provinces-Unies, luttèrent de 1555 à 1668 pour secouer la tutelle des Habsbourg. Elles
se dotèrent d’une flotte puissante qui alla, à son tour, commercer le long du continent africain. Tout le
XVIIe siècle est dominé par la traite négrière pratiquée essentiellement par les Pays-Bas.
C. Organisation ecclésiastique
Le pape s’était réservé le droit de créer les circonscriptions ecclésiastiques dans le domaine confié au
padroado des Portugais et à la tutelle des Espagnols. Ceux-ci avaient découvert en 1401 l’archipel des
Canaries qui devint diocèse dès 1406. En 1444, Ceuta, conquis par les Portugais en 1415, devint un
diocèse dont le titulaire avait le titre de « Primat d’Afrique ». En 1499, Alexandre VI érigea plus au sud
le diocèse de Safi qui englobait le Sénégal.
Léon X modifia cette organisation en créant à Madère en 1516 le diocèse de Funchal, qui avait
juridiction sur la côte africaine de Safi au cap Bojador. Cette juridiction passa donc de l’Ordre du Christ
à l’évêque de Funchal qui résidait en fait à Lisbonne. En 1518, on lui donna un auxiliaire pour Sao
Tomé et le Congo. En 1597, San Salvador, au Kongo, fut érigé en diocèse, détaché de Sao Tomé.
En 1612 enfin, le Mozambique devint vicariat apostolique, détaché de l’archidiocèse de Goa. A partir de
1622, la Congrégation pour la propagation de la Foi essaya, souvent sans succès, de reprendre le
contrôle de tous les territoires missionnaires. Le Portugal conserva son padroado sur ses territoires
coloniaux, Cap-Vert, Guinée Bissao, Sao Tomé et Principe, Angola, Mozambique, jusqu’à leur
indépendance en 1975 (1973/4 pour la Guinée Bissao).
49
1. L’évangélisation et la traite négrière : deux actions conjointes des Jésuites et des Dominicains
La dispersion des initiatives missionnaires, le drame de la traite négrière dans lequel certains
missionnaires furent même impliqués14 ont été des obstacles à une action concertée, poursuivie avec
constance et prenant en compte les réalités locales. Le climat et le manque de voies de pénétration vers
l’intérieur - encore inconnu des Européens - n’ont pas permis aux fondateurs d’Église de dépasser les
côtes de l’Atlantique et de l’océan Indien. Même si certaines communautés chrétiennes ont existé
pendant près de trois siècles, elles n’ont été que des enclaves sans rayonnement effectif sur les pays
environnants.
Les révolutions qui ont marqué l’histoire de l’Europe à partir de la fin du XVIIIe siècle ont mis fin à une
évangélisation menée par des hommes souvent héroïques, mais sans plan d’ensemble, malgré la
création, en 1622, de la Congrégation romaine pour la Propagation de la Foi. L’isolement des Églises
locales et leur manque d’enracinement dans les civilisations africaines ont eu pour conséquence leur
disparition momentanée. Revenant avec force et conviction sur ses accusations, Silas Cerqueira montre
que les grandes découvertes - qui allaient en général contribuer à faire éclater la « Weltanschauung =
nouvelle vision du monde » religieuse médiévale - renforcèrent au Portugal même les thèmes sociaux et
politiques de ladite Weltanschauung. Les Jésuites prirent la direction de ce travail gigantesque :
maintenir l’unité de l’Église par une trop lente adaptation « progressive » équilibrée, freiner tout
bouleversement social, forger l’armature idéologique des grands empires semi-féodaux (portugais et
espagnol).
Un des thèmes fondamentaux de cette armature idéologique était celui de la « dilatation de la Foi et de
l’Empire ». Le Jésuite Acosta légitimait l’évangélisation avec l’appui des armes à côté de
l’évangélisation more evangelico (Le dominicain Vitoria aussi. Cf. Silva Rego, 1962 :97-103).
Egalement frappant est le fait que l’idéologie missionnaire justifiait l’esclavage, sous le prétexte de la
conversion (Cf. Cerqueira, S., 1962: 468; Magalhaes Gordinho, V., 1962 : 80-104). Les Jésuites, nous
dit Silas Cerqueira qui cite Duffy (1962 :54), « souscrivaient à la croyance dominante que la meilleure façon de
convertir le Noir était de le vendre, afin qu’il puisse être introduit au christianisme par la dignité du travail dans les
plantations américaines ».
14
Dans un travail collectif mené sous la direction de Marcel Merle (1967), dont l’objet assigné à l’étude était l’analyse du
comportement des missionnaires envers la décolonisation en faisant ressortir l’illustration particulière du problème général
posé par les relations entre forces religieuses et vie politique, Silas Cerqueira, dans sa contribution « l’Église catholique
portugaise », p. 467, affirme que la raison principale de la faillite de l’effort missionnaire pendant la deuxième moitié de
XVIIe siècle par les frères Capucins dans le Royaume Kongo, était l’importance sans cesse croissante de la traite
d’esclaves, à laquelle participaient les missionnaires. Cf. Duffy, J, 1962 : 45-50, 63-67; Rego, S., 1962 : 273-275.
50
Les Jésuites, en lutte contre l’hégémonie des grands colons, y protégèrent les Indiens décimés par
l’esclavage ; c’est dans ce but qu’ils importaient des esclaves africains dont le déracinement rendait la
conversion plus facile15. Au Mozambique, les Dominicains et les Jésuites accumulaient de vastes
propriétés, percevaient l’impôt indigène, et participaient à la traite.
L’organisation des premières découvertes a probablement appartenu au riche et puissant Ordre du Christ
(Magalhaes Godinho, V., 1962: 135-137, 211-213), dont l’administrateur était l’infant Henri le
Navigateur. Tandis que la Couronne concédait à celui-ci et à l’Ordre la seigneurie sur toutes les terres à
découvrir ou à conquérir, les papes conféraient à l’Ordre le jus patronatus d’outre-mer. L’Ordre du
Christ finit par se confondre avec la Couronne portugaise et, au XVe siècle, la papauté accorda à celle-ci,
pour toujours, le droit exclusif d’évangélisation, de juridiction spirituelle et de fondation d’Églises en
Afrique et en Orient, de même que le droit de perception d’éventuels revenus ecclésiastiques et le droit
exclusif de conquête, de commerce et d’esclavage. A partir de 1560, l’Angola devint le centre d’intérêt
principal de la Couronne, des marchands d’esclaves et des Jésuites. Ceux-ci, rapporte Silas Cerqueira,
suscitaient des expéditions guerrières à l’intérieur, organisaient avec des bateaux de la Compagnie la
traite d’esclaves vers le Brésil, cherchaient à étendre leur autorité sur la base d’un système semi-féodal
d’appropriation de la terre. Ils prétendaient, renchérit-il, jouer en Angola le rôle de protecteurs de la
population autochtone comme au Brésil, à la différence que pour le jouer au Brésil, il leur avait fallu
importer les esclaves de l’Angola (Cerqueira, 1962 :467).
15
Duffy évalue à 4 000 000 le nombre des Africains « exportés » entre 1580 et 1836 (Op. Cit., : 59-63). Le R.P. Dieudoni
donne le chiffre de 15 000 000 (cité in M.P.I.A., Angola, Exploitation esclavagiste, réistance nationale, S.l., Comité
directeur du M.P.I.A., 1961 : 12). Voir aussi : Histoire générale du travail, sous la direction de Louis-Henri Parias,
notamment le T. II, L’âge de l’artisanat, par Pierre Wolf et Frédéric Mauro, Paris, Nouvelle librerie de France, 1960 : 375.
F. Mauro (1960 :280-286) évalue le nombre des esclaves africains importés au Brésil avant 1750 à près de 500 000.
51
3. Le milieu du XIXe siècle et l’idée européenne de la mission civilisatrice universelle
Au milieu du XIXe siècle, l’Europe - en pleine révolution industrielle - part à la conquête du monde.
C’est, comme le dit De Benoist, la deuxième vague d’une colonisation qui est cette fois beaucoup plus
universelle, pénétrant jusqu’au cœur des continents. Les missionnaires suivent et, souvent, précèdent le
mouvement (De Benoist, 1991 :1). Le rôle de l’Église de France est ici primordial : les trois quarts des
nombreuses congrégations religieuses fondées au cours du XIX e siècle en Europe sont nées en France;
en 1900, les deux tiers des missionnaires sont français.
A partir de Grégoire XVI (1831-1846), de grands papes vont organiser l’évangélisation persévérante et
méthodique de l’Afrique. Des milliers de missionnaires, hommes et femmes, vont dépenser leurs forces
et souvent donner leur vie pour que naissent partout des communautés chrétiennes, dont la vitalité se
révèlera par la rapidité avec laquelle germeront en leur sein des vocations sacerdotales et religieuses. En
une génération, des prêtres sont formés et reçoivent le sacerdoce. En 1939, les deux premiers évêques
africain et malgache des temps modernes sont ordonnés par le pape Pie XII.
Un siècle et demi après la reprise de l’évangélisation, les chiffres montrent que, cette fois, du grain semé
jusqu’au cœur du continent a levé une importante moisson. A la fin de l’année 1988, d’après les chiffres
fournis par Michel Dubost (1992 : 165), sur 638 121 000 Africains, 88 889 000 étaient catholiques, soit
13,9 %, répartis en 411 diocèses, ayant à leur service 369 évêques africains (et 118 étrangers) et 9 184
prêtres diocésains africains. Ces chiffres sont largement dépassés aujourd’hui. Je n’entrerai pas dans les
détails des statistiques de l’Eglise catholique en Afrique. Rappelons tout de même que l’évangélisation
de la fin du XIXe siècle n’est pas la première au Congo mais plutôt la deuxième dans l’ordre
chronologique, après la toute première qui eut lieu de 1483, avec les missionnaires catholiques portugais
venus dans le sillage de l’explorateur Diego Câo parvenu à l’embouchure du fleuve Congo en 1482, et
les missionnaires capucins italiens jusqu’à 1835.
52
La première évangélisation catholique du Congo s’est déployée en deux temps : d’abord entre 1483 et
1835, ensuite à partir de 1880. La première activité missionnaire s’est limitée à la zone côtière
occidentale, soit le pays allant de l’océan Atlantique à la rivière Inkisi. Pendant plus de deux siècles
environ, 400 missionnaires se succédèrent au Congo, depuis les Franciscains (1491) jusqu’aux
Récollets (1674) en passant par les Jésuites (1544), les Dominicains (1570), les Carmes (1584), les
Tertiaires de Saint-François (1604), tous Portugais, puis les Capucins (1645) italiens et espagnols
envoyés par la Propagande (Ndaywell, I., 1998 :345).
En m’inspirant largement des travaux de François Bontinck et du Père René Beeckmans (1980 : 389-
411) consacrés justement à la première évangélisation du Congo(1483-1835), je me limite à donner en
trois étapes les grandes lignes qui l’ont caractérisée, à savoir la christianisation du Royaume du Kongo
(1483-1543), la chrétienté congolaise à la recherche de son second souffle (1543-1645), et la « Missio
antiqua » des Capucins au Kongo (1645-1835).
On croit savoir aujourd’hui que le navigateur portugais Diogo Câo est arrivé début août 1483 à
l’embouchure du fleuve Congo, qu’il nomme Rio Poderoso (Fleuve puissant)16. Sur la rive gauche, il
plante, au nom du roi Joâo II du Portugal (1481-1495), une stèle commémorative appelée padrâo,
destinée à attester la priorité de la découverte portugaise. Ce padrâo porte la date de 1482, qui est celle
du mandat royal donné à Diogo Câo et non pas, comme on l’a pensé pendant longtemps, la date de
l’arrivée de l’explorateur17. Il semble que son aumônier de bord ait eu l’occasion d’éveiller l’intérêt de
la population locale pour la religion chrétienne. Des jeunes notables kongo furent amenés à Lisbonne, y
apprirent le portugais et reçurent en même temps une première instruction chrétienne et le baptême. Il y
eu d’échange des cadeaux entre les deux rois. Le roi Kongo avait par son ambassadeur Kasuta exprimé
à Joâo II du Portugal le désir de voir arriver dans son royaume des missionnaires.
16
C’était la pratique courante des explorateurs portugais et à leur suite, les espagnols, hollandais, anglais, etc., de
débaptiser les lieux qu’ils découvraient. Beaucoup de pays, d’endroits, … portent encore aujourd’hui ces dénominations.
Ainsi le nom de Cameroun vient du portugais Río dos Camarões signifiant «rivière aux crévettes» en raison de l’abondance
de ces crustacées dans l'estuaire du Wouri, qui a valu à ce fleuve cette appellation. Le mot Camaroes aurait ensuite évolué
en Camarones en portugais, puis Kamerun sous la colonisation allemande, enfin en Cameroon (en anglais) et Cameroun (en
français). Les côtes camerounaises furent explorées en 1472 par le Portugais Fernando Pó. C'est lui qui baptisa l'estuaire du
Wouri le Rio dos Camarões.
17
D’après Beeckmans à la suite de Bontinck, la première découverte de l’embouchure du Congo serait antérieure à 1483,
puisque le roi du Portugal en avait déjà connaissance en 1482. Cette première découverte, disent les deux auteurs, aurait
été tenue secrète à Lisbonne, en attendant que le roi puisse l’exploiter. Cf. Bontinck, F., « Le Zaïre « découvert » avant
Diogo Câo ? », dans Africa, Rome, XXXi (1976 : 347-365).
53
Or en vertu du « droit de patronage » (padroado. Cf. Annexe 2)18 qui lui avait été octroyé par plusieurs
bulles pontificales, le roi du Portugal était considéré par le Pape comme le premier responsable de
l’évangélisation des « terres nouvelles ».
Joâo considérait ce privilège comme un atout majeur pour se concilier, à la faveur du rapprochement
religieux, de solides alliances politiques, militaires et commerciales. Il mit donc sur pied une grande
expédition missionnaire qui prendra le large le 19 décembre 1490, à bord de trois caravelles.
L’expédition comprenait évidemment des prêtres, séculiers et réguliers, dont on ne connaît pas
précisément le nombre, mais aussi des gens de métier tels que maçons, charpentiers, agriculteurs …
avec leur équipement, « un modèle réduit de la société européenne, nous dit Georges Balandier, qui se
voulait ainsi exporté, afin de pouvoir façonner la société et la civilisation du Congo à son image »
(1965 :72). Il y avait aussi des militaires à bord, ainsi qu’un ambassadeur du Roi du Portugal,
qu’accompagnait Kasuta, l’ambassadeur Kongo (Beckmans, R., 1980 : 391). Ainsi commençait la
christianisation du Royaume du Kongo, dont la famille royale se trouve être les pionniers.
A la suite de la famille royale, plusieurs nobles de la Cour royale se firent baptiser. La population suivit
ses chefs et le royaume du Kongo devint officiellement un royaume chrétien à l’instar de ce qui était
arrivé quelque mille années auparavant au royaume des Francs, suite au baptême de Clovis en 496,
événement qui mérite à la France le titre de « Fille aînée de l’Église ».
18
L’origine du padroado est, selon Jean Comby (1992 : 87-99) à situer dans les motivations culturelles et religieuses du
grand départ missionnaire des temps modernes (XVe-XVIIIe siècle). Dans le passé et tout au long du XV e siècle, la papauté
avait concédé aux souverains portugais des bulles de croisade qui leur accordaient la possession des terres conquises sur les
infidèles avec le droit et le devoir de mettre en place des établissements chrétiens (églises, monastères…) dans ces mêmes
lieux. Croisade, colonisation et évangélisation sont clairement associées. Pour couper court aux éventuelles contestations
des Portugais, les souverains espagnols, Isabelle et Ferdinand, obtiennent du pape Alexandre VI Borgia, d’origine espagnol,
plusieurs bulles qui reconnaissent à l’Espagne la souveraineté sur les terres découvertes par Christophe Colomb et leur
confient la charge d’évangéliser les habitants.
54
Faisant le rapprochement entre le baptême du roi des Francs et celui du Kongo avec ce qui s’ensuivit, le
pape Paul VI a un jour déclaré que « le Zaïre est le fils aîné de l’Église en Afrique noire. » (Beckmans, R.,
1980 :392). Comme cela avait été voulu par le roi du Portugal, le baptême de la famille royale Kongo,
avec l’adoption des prénoms de la famille royale portugaise, scella en même temps entre les deux
royaumes une alliance politique, commerciale et militaire qui allait aussitôt se montrer fructueuse.
En octobre 1491, après le départ de la flotte portugaise, profitant d’une première christianisation du
royaume Kongo menée très superficiellement par les missionnaires, le parti « traditionaliste » revint à la
charge, appuyé par un fils du roi, Mpanzu Nzinga, qui avait refusé le baptême. Le roi se laissa
convaincre et revint à ses croyances ancestrales, polygamie, fétichisme.
Ce retour aux traditions ancestrales illustrait le fragile équilibre à peine instauré par une nouvelle
religion insuffisamment établie dans une contrée dont les traditions séculaires étaient encore vivement
dynamiques, homogènes et fortement ancrées dans la vie des populations africaines pour céder
facilement aux éléments apportés par une culture d’Outre-Mer. Par contre, la conversion du prince
héritier Dom Afonso avait été sincère et profonde.
A cause de l’aversion du roi contre lui, Dom Afonso dut se réfugier dans sa capitale de Mbanza Nsundi,
et avec lui les missionnaires et quelques vrais fidèles. C’est à Mbanza Nsundi aussi que naquit, vers
1495, Dom Henrique (Kinu a Mubemba), le fils de Dom Afonso, qui deviendra, en 1521, le premier
évêque noir des temps modernes19.
19
Il y eut, en Nubie médiévale, pendant plusieurs siècles, des évêques noirs. Voir P. de Meester, « Une église florissante
retrouvée au Soudan », dans Telema, Kinshasa, n° 21, janvier-mars 1980 : 19-24. Voir aussi P. de Meester, l’Église
d’Afrique, hier et aujourd’hui, Kinshasa, Ed. Saint Paul Afrique, 1980 : 189.
55
Légende ou réalité vécue ? Une version moins épique de son accession au trône royal nous est fournie
par Joseph-Gorges De Benoist qui évoque plutôt la manœuvre intrigante de la Reine Eleonor : « Mais en
1493, Joâo n’accepta pas de rester monogame, il retourna au paganisme et, avec son fils Mpanzu Akitimo Nzinga, qui avait
refusé le baptême, il prépara l’expulsion des chrétiens, de plus en plus nombreux au Soyo et au Nsundi, dont les rois étaient
restés fidèles à leur baptême. En 1506, le Mani Kongo mourut, sa veuve Léonor, restée chrétienne, cacha le décès jusqu’à ce
qu’Afonso, le Mani du Nsundi soit entré secrètement dans la capitale et ait rallié ses partisans au nom de Jésus et de
Santiago pour battre la grande armée que son frère Mpanzu Akitimo Nzinga avait rassemblée autour de la ville. Il remporta
la victoire et devint roi. Ainsi commençait l’histoire du royaume chrétien du Kongo. » (1991 : 41).
La victoire remportée de façon surprenante par le prince héritier chrétien sur son demi-frère païen fut
attribuée, tant par les Portugais que par les Kongo, à une intervention miraculeuse de saint Jacques de
Compostelle, patron des armées ibériques (Bontinck, F., 1980 : 28). Aussi a-t-on parfois attribué au
vainqueur, de son vivant, le titre de novus Constantinus, le nouveau Constantin, parce que Dom Afonso,
« par sa victoire sur Mpanzu, garda au royaume Kongo son caractère chrétien et lui assura sans doute aussi son
indépendance jusqu’au XIXe siècle » (Idem, 1979 : 16).
C’est un fait aussi que d’après plusieurs auteurs, Ndofunsu est connu dans la tradition orale Kongo
comme le plus grand roi d’autrefois. Le royaume Kongo s’étendait approximativement de l’Océan
atlantique à la rivière Kwango, et était limité au nord par le fleuve Congo et au sud par le Bengo (ou par
le Dande). La population, qui n’avait pas encore été décimée par la traite des Noirs, était estimée à
l’époque à 4 000 000, chiffre évidemment sujet à caution (Ibid. : 12).
Tout au long de son long règne, le roi allait se consacrer presque exclusivement à l’évangélisation de
son peuple et à son éducation chrétienne en profondeur. Il avait opté délibérément pour la religion
nouvelle et le modernisme, voulant calquer son État sur le Portugal. Il crée des écoles, envoie étudier au
Portugal des nobles, dont son fils Henri. Ce dernier deviendra-j’en parlerai longuement- le premier
évêque noir des temps modernes (1521). Mais, comme le fait remarquer Jean Comby, le Portugal,
comme toutes les autres nations occidentales, n’accorde pas gratuitement ses bienfaits; il exige le
monopole du commerce et veut être payé en cuivre, ivoire et surtout en esclaves.
3. Recherche de l’autonomie d’une jeune Église compromise par la traite des esclaves
Le roi voudrait l’autonomie de son Église, mais le Congo dépend de l’évêché de l’île de Sao Tomé
(1534), pivot du trafic négrier. Le roi se rend compte que le commerce - et particulièrement la traite des
esclaves - fausse complètement l’évangélisation. Les missionnaires eux-mêmes participent à la traite :
comme ils sont payés en coquillages, monnaie sans valeur à l’extérieur du royaume, ils les convertissent
en esclaves qu’ils vendent à Sao Tomé (1992 : 119). La correspondance du Mani Kongo avec le roi du
Portugal, une trentaine de longues lettres, en témoigne.
56
Il se rend progressivement compte qu’à part l’envoi « de prêtres et de quelques personnes pour
enseigner dans les écoles », il n’a rien à espérer de bon des relations commerciales avec le Portugal. Ces
citations sont empruntées à une lettre de Dom Afonso au roi du Portugal, Dom Joâo III, datée du 6
juillet 1526, dont le passage suivant résume fort bien le caractère tragique de la situation, et la volonté
d’y porter remède :
« Nous ne mesurons même pas toute l’importance de ce dommage, car les marchands enlèvent chaque jour nos sujets,
enfants de ce pays, fils de nos nobles et vassaux, même des gens de notre parenté. Les voleurs et hommes sans conscience les
enlèvent dans le but de faire trafic de cette marchandise du pays, qui est un objet de convoitise. Ils les enlèvent et ils les
vendent. Cette corruption et cette dépravation sont si répandues que notre terre en est entièrement dépeuplée. V. Altesse ne
doit pas juger que cela soit bon ni en soi, ni pour son service. Pour éviter cet abus, nous n’avons besoin en ce royaume que
de prêtres, et de quelques personnes pour enseigner dans les écoles et non de marchandises, si ce n’est du vin et de la farine
pour le saint sacrifice. C’est pourquoi nous demandons à V. Altesse de bien vouloir nous aider et nous favoriser en
ordonnant à vos chefs de factorerie de ne plus envoyer ici ni marchands, ni marchandises. C’est en effet notre volonté que ce
royaume ne soit un lieu de traite ni de transit d’esclaves, pour les motifs énoncés ci-dessus » (Jadin, L. ; Dicorato, M.,
1974 :156 Cité par Bontinck, F., 1980: 394).
Dans ses plaintes au roi du Portugal devenues récurrentes, le roi de Kongo Afonso Ier constate
amèrement que le commerce et la traite des esclaves dénaturent l’annonce de l’Évangile. Ecoutons
Georges Balandier nous les reproduire : « Nous demandons grâce à Votre Altesse de ne pas croire le mal que disent
de nous ceux qui n’ont d’autres soucis que leur commerce, de vendre ce qu’ils ont acquis injustement, qui ruinent par leur
traite notre royaume et la chrétienté qui s’y trouve établie depuis tant d’années et qui coûta tant de sacrifices à vos
prédécesseurs. Ce grand bien de la foi, les rois et les princes catholiques comme Votre Altesse travaillent à le procurer à de
nouveaux peuples. Nous sommes tenus de le conserver à ceux qui l’ont acquis. Mais cela se peut difficilement ici où les
marchandises européennes exercent une fascination telle sur les simples et sur les ignorants, qu’ils laissent Dieu pour les
accaparer. Le remède est la suppression de ces marchandises qui sont un piège du démon sur les vendeurs et sur les
acheteurs. L’appât du gain et la cupidité amènent les gens du pays à voler leurs compatriotes, sans considération qu’ils
soient chrétiens ou non. Ils les capturent, les vendent, les troquent. Cet abus est si grand que nous ne pouvons y remédier
sans frapper fort et très fort. » (Cité par Balandier, G., 1965 : 72)
En lisant cette correspondance cinq siècles après, on est plein d’admiration devant la perspicacité de
l’analyse de la situation que traverse son royaume, le sens de responsabilité et la force de caractère de ce
roi africain qui n’avait que seul souci le bien-être de son peuple et la défense de ses intérêts.
Cette lettre on ne peut plus claire du roi Dom Afonso enlève tout prétexte aux négationnistes de la traite
des Noirs par les Européens, qui allèguent que ce sont les chefs traditionnels eux-mêmes qui ont vendu
leurs propres frères aux Européens, comme si les Africains étaient venus en Europe avec des esclaves à
vendre ou pour y chercher des acheteurs.
57
Dans sa lettre, le roi parle des marchandises que les Portugais amènent dans son royaume, pourtant
interdites par lui, et qui attirent la convoitise des voleurs et hommes sans conscience, donc des gens
officieux opérant avec ou au compte des marchands portugais pour enlever et vendre chaque jour les
sujets du roi, les enfants de son peuple, les fils de ses nobles et vassaux et même des gens de sa parenté.
C’est pourquoi il demande avec insistance à son homologue portugais de ne lui envoyer que des prêtres
et des enseignants et, d’un ton autoritaire et solennel, il interdit que son royaume ne soit ni un lieu de
traite ni de transit d’esclaves. Et dire que nous ne sommes qu’au début de ce commerce qui a fait la
honte de la race humaine, car il durera pendant des siècles !
A-t-il été entendu par son homologue portugais ? Pas si sûr. L’on sait seulement que beaucoup d’autres
rois comme lui à travers le continent ont dû se battre sans succès durant des années à travers quatre
siècles contre la traite de leurs peuples, mais l’histoire du vainqueur a écrit autre chose. Evidemment,
comme l’atteste René Beeckmans, toute cette correspondance a été rédigée par Dom Afonso lui-même.
Ses professions de foi et ses préoccupations d’évangélisation étaient-elles en réalité aussi sincères qu’il
le déclarait dans ses lettres ? On pourrait en douter si on n’avait pas conservé à ce sujet un témoignage
particulièrement qualifié et éloquent.
Il s’agit d’une lettre écrite le 25 mai 1516 à Dom Manuel du Portugal par le vicaire Rui de Aguiar, qui
venait d’arriver à Mbanza Kongo comme supérieur ecclésiastique du royaume. A le lire, on voit que le
témoin a été, dès son arrivée, absolument pris d’admiration pour le zèle apostolique vraiment
exceptionnel de ce Roi qui semble avoir amplement mérité le titre d’« Apôtre du Kongo » que ses
contemporains lui avaient attribué (Beeckmans, R., 1980 : 394). Le vicaire Rui de Aguiar parle
abondamment du zèle apostolique du roi Dom Afonso (Jadin, L., Dicorato, M., 1974 : 116-118 cité
Bontinck, F., 1980 : 395. Cf. Annexe 4).
4. La foi d’une jeune Église éprouvée par un personnel missionnaire insuffisant et moins vertueux
Pourtant, on ne peut pas dire que Dom Afonso avait eu la foi facile, en quelque sorte gâtée par les
circonstances et la jouissance de son autorité royale. Au contraire, dès le lendemain de sa conversion et
de son baptême, il avait dû souffrir persécution de la part de son propre père, le roi Nzinga Nkuwu, qui
l’avait pris en aversion. Sa foi avait failli lui coûter son trône et même sa vie. Il eut aussi à subir des
humiliations répétées de la part des commerçants à son égard. Tout cela, Dom Afonso le supporta afin
de ne pas mécontenter son « frère » le roi du Portugal et d’en obtenir plus d’aide en hommes et en
matériel pour l’évangélisation et l’instruction de son peuple.
A la fin de sa vie surtout, ses lettres témoignent de sa déception devant le prix qu’il avait eu à payer aux
rois, aux fonctionnaires et aux commerçants du Portugal pour l’œuvre missionnaire. C’est finalement de
58
ce côté que sa foi a encore été le plus rudement mise à l’épreuve. Ces prêtres qu’il ne cessait d’appeler à
tout prix en renfort, ajoute-t-il, étaient dans la plupart des cas franchement décevants, souvent
scandaleux. Certains étaient des aventuriers qui ne venaient au Kongo que pour s’y défroquer plus
allègrement, y vivre de débauche, de commerce et de traite d’esclaves (Beeckmans, 1980 :396)20.
N’oublions pas qu’à cette époque, l’Église était en pleine décadence, que Martin Luther, devenu
« protestant » en 1521, était contemporain de Dom Afonso, et que la réforme du clergé « catholique »
n’a été entreprise qu’après le Concile de Trente, ouvert en 1545, soit deux ans après la mort du roi
Kongo. Dom Afonso s’est plaint à plusieurs reprises dans ses lettres au roi du Portugal, lequel répond,
sans nier les faits, en l’autorisant à prendre des sanctions à l’égard de ces prêtres défaillants, quitte à les
renvoyer, au besoin, au Portugal. Voici un témoignage objectif et qualifié, une lettre adressée le 8
janvier 1534 par Mgr della Rovere, Nonce à Lisbonne, au secrétaire d’État du pape Clément VII.
L’auteur va même jusqu’à suggérer au pape que, pour faciliter les choses et diminuer le scandale, au
Kongo les missionnaires soient autorisés « à avoir une épouse » : « A mon avis, il serait très utile que Sa
Sainteté trouve trois ou quatre hommes de bien à envoyer auprès de ce prince, car vraiment, vu ses excellentes intentions,
s’il y avait des hommes pour instruire son peuple par leurs œuvres et leurs prédications, tout le pays se convertirait
facilement. C’est un véritable miracle que cette contrée ne soit pas devenue bien pire qu’auparavant, car seuls quelques
défroqués y sont allés. Selon ce que j’ai appris par les ambassadeurs du roi du Kongo, ces prêtres servent plutôt la religion
de Margutte (=Mammon) que celle du Christ. Ils causent bien des dommages. Il serait bon qu’on y envoie des hommes qui
leur montrent le bon chemin, comme on l’a fait pour les Maronites (catholiques de rite oriental) au temps du pape Léon X
d’heureuse mémoire. A mon avis, il serait nécessaire, comme on l’a fait pour les Maronites, d’autoriser les prêtres à avoir
une épouse, car le pays est échauffant et rend les habitants moins tempérants et moins continents. » (Jadin, L. et
Dicorato, M., 1974: 195 Cité par Bontinck, F., 1980 : 396).
20
L’auteur affirme que cette participation massive et active des prêtres à la traite d’esclaves est attestée par tous les auteurs
qui ont écrit sur la première évangélisation en Afrique centrale. Silas Cerqueira, dans sa contribution « l’Église catholique
portugaise » (1962 : 467), affirme que la raison principale de la faillite de l’effort missionnaire pendant la deuxième moitié
de XVIIe siècle par les frères Capucins dans le Royaume Kongo, était l’importance sans cesse croissante de la traite
d’esclaves, à laquelle participaient les missionnaires. Le Jésuite Acosta légitimait l’évangélisation avec l’appui des armes à
côté de l’évangélisation more evangelico. Egalement frappant est le fait que l’idéologie missionnaire justifiait l’esclavage,
sous le prétexte de la conversion. Les Jésuites, nous dit Silas Cerqueira qui cite Duffy, « souscrivaient à la croyance
dominante que la meilleure façon de convertir le Noir était de le vendre, afin qu’il puisse être introduit au christianisme par
la dignité du travail dans les plantations américaines ». Au Brésil, les Jésuites en lutte contre l’hégémonie des grands
colons, y protégèrent les Indiens décimés par l’esclavage; c’est dans ce but, qu’ils importaient des esclaves africains dont le
déracinement rendait la conversion plus facile. Au Mozambique, les Dominicains et les Jésuites accumulaient de vastes
propriétés, percevaient l’impôt indigène, et participaient à la traite.
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5. Dom Henrique, fils du roi et premier évêque de l’Afrique noire des temps modernes
Certes, il y eut des missionnaires irréprochables et zélés. Dom Afonso en cite nommément quelques-uns
dans ses lettres, en faisant leur éloge. Mais il reste que si, « véritable miracle » il y eut, comme l’écrit le
Nonce de Lisbonne, c’est à la foi inébranlablement patiente et persévérante du roi du Kongo qu’on le
doit principalement.
En fait, Dom Afonso avait très tôt compris que l’évangélisation de son royaume devrait être surtout
l’œuvre des propres fils de ce pays. Une de ses préoccupations constantes était de faire prendre en
charge par le roi du Portugal la formation, religieuse surtout, de jeunes nobles Kongo dans des couvents
portugais. Il donna l’exemple en destinant son fils aîné, Dom Henrique, au sacerdoce. Il l’envoya en
1509, âgé de quatorze ans, à Lisbonne, afin, « de le faire préparer aux choses sacrées, et de le faire initier au culte
divin et à l’enseignement de la foi chrétienne (…). En souvenir d’un si grand bienfait, nous avons pensé en effet qu’à l’aube
de notre conversion nous ne pourrions offrir à Dieu de meilleures prémices que celles d’une personne de notre sang. »
(Ibid. : 67) Le jeune prince fut accueilli en 1510 au couvent des Chanoines augustiniens de Saint Eloi
pour y faire des études prolongées, portant sur toutes les matières qu’on enseignait à l’époque.
Son assiduité et son progrès étaient tels que, deux ans plus tard, le roi portugais Dom Manuel 1er suggéra
dans une lettre à son ambassadeur auprès de Dom Afonso, que Dom Henrique fasse partie d’une
ambassade du roi du Kongo au Pape et qu’il fasse en latin le discours d’ambassade au pape.
Dom Manuel ajoute qu’il « suppliera » le pape d’octroyer à Dom Henrique « la prélature principale de
son royaume », pour « qu’il commence la série des archevêques et évêques qu’il y aura dans le royaume
Kongo. » (Ibid. : 45-46). La préparation de cette ambassade Kongo à Rome fut tellement longue entre
Mbanza Kongo et Lisbonne que lorsque l’ambassadeur Dom Pedro arriva au Portugal avec la lettre
d’obédience de Dom Afonso au pape Jules II, ce dernier était déjà décédé» (Bontinck, F., 1979: 159).
Le nouveau pape, Léon X, créa le 12 juin 1514 le diocèse de Funchal (Madère) qui engloberait toutes
les « terres nouvelles » de l’Afrique soumises au padroado royal portugais, y compris le royaume du
Kongo. Cela n’empêchait cependant pas le pape de nommer un évêque auxiliaire résident à Mbanza
Kongo. Dom Manuel 1er s’employa à obtenir la nomination de Dom Henrique à ce poste. Mais le jeune
prince n’avait que 23 ans (en 1518) et, depuis le Ve Concile de Latran (1512-17), il fallait avoir 30 ans
pour être nommé évêque. Le pape était toutefois autorisé à accorder une dispense d’âge de trois ans.
Léon X décida de passer outre et, au cours du consistoire du 5 mai 1518, il fit nommer Dom Henrique
évêque titulaire d’Utique, située « in partibus infidelium », près de Carthage en Tunisie actuelle. Occupé
par l’Islam, ce diocèse n’existait plus qu’en titre. Il fut cependant précisé que Dom Henrique ne pourrait
recevoir l’ordination épiscopale qu’à l’âge de 26 ans accomplis.
60
C’est ainsi que Dom Henrique fut ordonné prêtre à Lisbonne en novembre 1520, soit dix ans après le
début de sa formation. L’année suivante, il fut ordonné évêque et nommé évêque auxiliaire de Funchal
(Madère) pour le Congo. Il revint alors enfin dans son pays, sans doute encore en 1521, accompagné de
quatre Chanoines de Saint Eloi, désignés, conformément au désir du pape, pour l’assister comme
théologiens et canonistes.
Comme on peut l’imaginer, l’homme le plus heureux du royaume, ce fut son père, le roi Dom Afonso,
qui voyait dans l’ordination épiscopale de son fils aîné une récompense divine pour sa foi profonde et sa
persévérance dans les épreuves suscitées par les prêtres portugais au Kongo à l’instar des marchands et
autres fonctionnaires. Mais le jeune évêque Kongo était revenu en fort mauvaise santé. En plus, le
manque de prêtres et l’insécurité grandissante à l’intérieur du pays durent tempérer son zèle apostolique.
Une lettre de Dom Afonso au roi du Portugal, Dom Joâo III, datée du 18 mars 1526, fait état des soucis
paternels du Roi Kongo : « Seigneur, à plusieurs reprises, notre fils l’évêque nous a demandé de le laisser aller visiter
ce royaume avec les quatre prêtres qui l’accompagnent. Ils ne suffisent pas pour célébrer une messe ; combien plus dans un
si grand royaume. Nous ne voulons pas le laisser partir, car le royaume est si grand que pour le visiter entièrement il
faudrait beaucoup plus de prêtres qui l’aident et l’accompagnent. De plus, s’il s’éloigne de nous, nous craignons qu’on ne
l’empoisonne. Cela nous causerait une très vive douleur et affliction à laquelle nous ne survivrions guère, car nous avons
une très grande affection pour ce fils et, grâce à lui, nous-mêmes et notre royaume recevons beaucoup de consolation. C’est
pourquoi nous ne le laissons pas partir et nous le retenons ici de force. Et pourtant, il le souhaite ardemment et nous l’a déjà
demandé à plusieurs reprises. Pour ces raisons, Seigneur, nous espérons que vous nous accorderez tout ce que nous
demandons dans cette lettre et nous porterez secours en tout » (Jadin, L. et Dicorato, M., 1974: 151 Cité par
Bontinck, F., 1980: 398).
Ces prêtres que le roi sage chrétien demandait, le petit Portugal n’en avait évidemment pas. Dom
Afonso insista : il fallait ordonner évêques deux de ses neveux et des prêtres congolais. Il ne fut pas
entendu. A partir de 1526, l’état de santé de Dom Henrique n’arrêta plus d’empirer. Le 18 octobre, Dom
Afonso demanda au roi du Portugal de lui envoyer deux médecins, deux pharmaciens et un chirurgien…
En même temps, Dom Afonso s’efforçait d’obtenir, par l’entremise de Joâo III, la création du diocèse du
Kongo. Il fut à deux doigts d’y parvenir : en fin 1530, Dom Henrique était invité à se rendre à Rome en
vue d’arranger cette affaire avec le pape Clément VII. Mais c’était trop tard : Dom Henrique était
mourant, et peut-être déjà mort, fin 1530. Son corps fut enterré dans l’église cathédrale de Mbanza
Kongo, dédiée au Saint Sauveur, Sâo Salvador (Bontinck, F., 1979 : 166-167).
Ce fut un coup dur pour le vieux roi Afonso, lui-même déjà souvent malade et obligé d’assister
impuissant à la dégradation morale de son royaume sous les coups portés par le commerce portugais et
la traite esclavagiste.
61
Pendant la messe de Pâques 1541, il échappa à un attentat perpétré par des Portugais mécontents de ses
dénonciations contre la traite esclavagiste qu’ils pratiquaient dans son royaume. Il mourut finalement en
1543, à l’âge de 85 ans. Son fils Pedro lui succéda, mais fut chassé du trône l’année suivante par son
cousin Diogo (de Benoist, J.-R., 1991 :42).
Après la mort de l’évêque Dom Henrique, premier évêque noir des temps modernes, il faudra attendre
quatre siècles, car il n’y eut plus d’évêque africain jusqu’à l’ordination de Mgr Kiwanuka, évêque de
Masaka en Uganda, en 1939 (Ibid : 41). Mais Dom Afonso n’avait pas lutté et souffert en vain pour la
foi chrétienne. A sa mort, la moitié du peuple Kongo avait reçu le baptême ; le catholicisme était devenu
pour ainsi dire la religion officielle du royaume et de la noblesse dirigeante; et bien que les croyances et
coutumes traditionnelles n’aient pas été christianisées en profondeur, l’existence d’une véritable élite
chrétienne s’était manifestée par un certain nombre de vocations sacerdotales et religieuses.
Enfin, et surtout, si l’implantation de la foi chrétienne au royaume Kongo doit beaucoup au zèle de
quelques missionnaires et de certains rois du Portugal – particulièrement Manuel 1er (1495-1521) – c’est
un fait indéniable que la première évangélisation de cette région d’Afrique fut principalement l’œuvre
d’un fils du pays : le roi Afonso Mvemba Nzinga, qui déjà de son vivant fut appelé par ses
contemporains l’« Apôtre du Kongo ».
L’histoire de la christianisation du royaume Kongo sous les deux premiers rois chrétiens Dom Joâo 1 er
et Dom Afonso 1er avait amplement montré à quel point la vitalité du christianisme était tributaire de
contingences diverses parmi lesquelles la personnalité du roi régnant constituait le facteur prépondérant.
Dom Diogo 1er était bien différent de son prédécesseur. Homme d’humeur versatile, de caractère
méfiant et de conduite morale peu édifiante, il commença par demander de nouveaux missionnaires…
qu’il jugea assez vite dérangeants. Les Jésuites répondirent les premiers à son appel. Fort bien accueillis
par le roi, ses fils et les grands du royaume, ils viennent s’établir en mai 1548 à Mbanza Kongo pour y
ouvrir un collège de 600 élèves. Mais ce projet s’avéra rapidement irréalisable à cause du changement
d’humeur du roi à l’égard des missionnaires. Il faut d’abord avouer qu’ils commirent des fautes.
Manquant de tact, ils firent au roi, en public et en pleine église, des remarques sur sa conduite peu
exemplaire. Lui aussi en profita pour faire, par son ambassadeur au Portugal, Diogo Gomès, un prêtre
séculier portugais né au Congo, au roi du Portugal des rapports défavorables sur Joâo Baptista, un
évêque devenu prieur du couvent des Dominicains de Sâo Salvador, qu’il finit par expulser en 1547.
62
L’année suivante, Diogo Gomès revint au Congo avec quatre jésuites qui ouvrirent à Sâo Salvador un
collège avec 600 élèves, mais vite Diogo Ier accusa ces Jésuites de l’insulter dans leurs sermons.
Finalement ce premier groupe de jésuites partit, accompagné par Diogo Gomès qui entra au noviciat et
prit le nom de Cornelio. Il informa Ignace de Loyola que le Portugal envisageait de déposer le roi Diogo
Ier. Il revint en 1553 avec d’autres jésuites pour ouvrir de nouveau une école pour 600 élèves.
Les rapports avec le roi n’étaient toujours pas bons et le souverain expulsa certains prêtres accusés de
pratiquer la traite esclavagiste, mais en même temps il demandait qu’on envoie d’autres plus âgés, ainsi
que 300 exemplaires du catéchisme en bantou que Cornelio avait fait imprimer.
Mais ce dernier lui-même eut un conflit avec le roi : il avait découvert que la femme que Diogo avait
épousée religieusement était une parente et qu’il aurait dû avoir une dispense. Il refusa la communion au
couple royal, désavoué en cela par l’administrateur apostolique, Manuel Figueira, et les autres prêtres.
En 1555, Cornelio s’en alla, l’école n’était toujours pas ouverte, et Diogo Mirâo, supérieur de ce second
groupe de Jésuites, écrivit à son tour à Ignace de Loyola en soulignant la nécessité de déposer le roi. On
peut déjà lire ici en filigrane les accointances entre l’Église et l’État qu’on verra clairement à l’œuvre
dans la dernière évangélisation de l’Afrique (deuxième moitié du XIXe siècle) sous l’administration
coloniale.
Depuis lors les Jésuites portèrent leur préférence sur Luanda, où ils avaient été invités en 1556 par le
« Grand Angola » (Inene Angola) et où ils fondèrent en 1574 un collège qu’ils maintiendront jusqu’en
1722. C’est de là que, répondant à une invitation du roi Dom Pedro, ils viendront rouvrir à Mbanza
Kongo un collège, « qui fonctionnera de 1623 à 1669 et contribuera à la formation des premiers prêtres
Kongo et des notables du royaume » (Bontinck, F., 1980 :30). En 1557, deux Franciscains débarquèrent
avec une provision de catéchisme de Cornelio et la mission de remplacer les Jésuites (trop impliqués
dans le commerce des esclaves et toujours en conflit avec le roi). En 1560, Gaspar Câo, évêque de Sao
Tomé (1554-1574) fut le premier titulaire du siège à visiter le Congo où il fut bien reçu par le roi. Celui-
ci mourut l’année suivante.
La succession de Diogo Ier fut pénible car le royaume Kongo était tombé en anarchie. Son fils Afonso II
lui succéda, mais fut assassiné quelques jours plus tard par son demi-frère qui prit le pouvoir sous le
nom de Bernardo Ier. Mais en 1567, le souverain fut tué en combattant les Yaka qui menaçaient par l’est
du royaume. Son successeur Henrique Ier subit le même sort et son fils devint roi en 1568 sous le nom
d’Alvaro Ier, qui régnera de 1568 à 1587.
63
Entre-temps, les Yaka continuaient à menacer le royaume : ils en occupèrent une grande partie ainsi que
la capitale Sâo Salvador en 1569 jusqu’en 1571. Le roi Alvaro (Ndoluvwalu) dut se réfugier sur une île
du fleuve Congo et faire appel à son « frère » du Portugal, qui envoya un corps expéditionnaire à son
secours à partir de Sâo Tomé. Rétabli sur le trône de Mbanza Kongo, Dom Alvaro Ier se montra très
bienveillant à l’égard du christianisme et envoya plusieurs ambassades au Portugal pour obtenir des
missionnaires.
L’évangélisation pouvait reprendre, avec l’entrée en lisse en 1570, de dominicains venus pour
reconstituer la chrétienté. Mais ils ne purent rester longtemps. Pendant ce temps, au Portugal, la
situation avait changé puisqu’en 1580, le Portugal était annexé par l’Espagne et le roi d’Espagne s’était
fait reconnaître comme roi du Portugal en 1581, et se considérait désormais comme héritier du
padroado.
Dès lors, Madrid prétendait envoyer au Kongo comme dans toutes les colonies portugaises les
missionnaires espagnols. En 1582, cinq carmes déchaux embarquèrent pour le Congo, mais disparurent
dans le naufrage du bateau qui les transportait ; les quatre suivants furent capturés par les Anglais alors
en guerre contre l’Espagne.
Il n’y eut finalement que trois carmes au Kongo, de 1584 à 1587. A Sâo Salvador, ils trouvèrent quatre
prêtres diocésains. Le roi les accueillit en leur disant que, jusqu’ici, les religieux arrivés au Kongo
avaient laissé leur sainteté en nord de l’Equateur (de Benoist, 1991 :42). Leur ministère itinérant fut très
fructueux : ils baptisèrent 10 000 personnes à Mbata, Mpango, Nsundi et Sâo Salvador. La tradition veut
que leur prédication ait été accompagnée de miracles. Enthousiastes, ces derniers étaient rentrés en
Europe pour y recruter d’autres confrères pour la mission au Kongo. Mais leur nouveau supérieur, Jean
de la Croix, le réformateur de la branche masculine du Carmel, en développant l'ordre des Carmes
déchaussés, s’y opposa, jugeant la vie missionnaire incompatible avec la vie contemplative du Carmel
(Bontinck, 1980 : 400).
Dom Alvaro trouva dans l’annexion du Portugal par l’Espagne une occasion favorable pour essayer
d’éliminer les contraintes résultant de l’exercice du padroado portugais, en appelant, pour cela, au pape.
Il décida donc, en 1583, d’envoyer un ambassadeur à Madrid et à Rome et choisit pour cette tâche un
commerçant portugais établi à Mbanza Kongo, nommé Duarte Lopes. Cette excellente idée eut des
conséquences heureuses, quoique différente de l’objectif premier. Mais le pauvre Dom Alvaro ne
connaîtra pas les résultats de son ambassade, car Duarte Lopes, victime d’aventures et d’innombrables
contretemps, mit cinq ans pour arriver à Rome. Dom Alvaro était déjà mort !
64
2. La création du siège épiscopal de Sâo Salvador (1596)
L’ambassadeur du roi Dom Alvaro, Duarte Lopes était venu à Rome demander pour le Kongo la
protection du Saint-Siège. Le pape Sixte V lui signifia, pour toute réponse, de s’adresser au roi
d’Espagne. Malgré son échec apparent, Duarte Lopes entreprit de raconter tout ce qu’il savait du
royaume Kongo à un écrivain italien alors très en vogue, le géographe-humaniste Filippo Pigafetta qui
publia, sur les données fournies par l’ambassadeur de Dom Alvaro, un livre intitulé « Relatione del
reame di Congo et delle circonvicine contrade » («Relation sur le royaume du Kongo et les contrées
environnantes »). L’ouvrage, qui parut en 1591, connut un gros succès et contribua grandement à faire
connaître en Europe le royaume Kongo. Il fit forte impression à la Cour pontificale, révélant pour la
première fois à toute la chrétienté l’existence de ce lointain royaume africain plein de foi et désireux de
faire acte d’obédience au Vicaire du Christ.
Le Saint-Siège était désormais sensibilisé aux problèmes de l’évangélisation des pays africains et à la
nécessité de surmonter l’obstacle du padroado qui empêchait l’envoi de missionnaires non portugais.
Sans tarder, le pape décida l’érection du siège épiscopal de Sâo Salvador (l’église cathédrale de Mbanza
Kongo avait été dédiée sous Dom Afonso au Saint-Sauveur), par division du diocèse de Sâo Tomé (de
Benoist, J.-R., 1991 : 43).
En 1613, l’année avant sa mort, Dom Alvaro II écrit à Paul V entre autres pour dénoncer les abus
commis à grande échelle par les prêtres portugais au Kongo. Il se plaint que ceux-ci n’étaient pas
seulement peu nombreux mais qu’ils arrivaient trop pauvres et n’avaient d’autres préoccupations que de
s’enrichir de manière immorale. En effet, le roi ne cessait de se plaindre auprès du Saint-Siège des
comportements des prêtres Dominicains, Jésuites et Franciscains, tous portugais, qui au lieu de
s’occuper de l’évangélisation, pratiquaient la traite des esclaves au Congo et en Angola qu’ils amenaient
au Brésil et aux Antilles (Beeckmans, R., 1980: 401).
Le roi aurait voulu que son chapelain espagnol Bras Correia fut nommé évêque de Sâo Salvador en
remplacement du Franciscain portugais Manuel Baptista Soarés, démissionnaire et régulièrement accusé
de plusieurs abus et contre-témoignages au Congo allant jusqu’au détournement de l’argent du diocèse
et de la vente des esclaves (De Benoist, J.R.,1991: 44 )21. Son successeur, Dom Alvaro III (1615-1622),
écrit en 1617 au pape Paul V, le suppliant de confirmer en faveur du Kongo « la protection et la
défense » du Saint-Siège.
21
L’auteur affirme que ces deux accusations furent vérifiées après une enquête du Secrétariat d’État du Saint-Siège en
1622.
65
A Mgr Vives, il écrit pour le confirmer dans sa mission d’ambassadeur et lui demander de s’adresser le
plus souvent possible au Saint-Siège pour la nomination des évêques et le choix des missionnaires
destinés à son pays. Le 1er juin 1618, Vives, avec l’appui de Trejo, devenu « cardinal protecteur » du
royaume du Kongo, tente et réussit un grand coup : il s’adresse au chapitre général de l’ordre des
Capucins à Rome qui décide d’envoyer au Kongo un visiteur général avec six frères espagnols.
Pour la première fois, les missionnaires non portugais allaient pouvoir partir au Kongo, avec l’avantage
de n’être pas liés aux sphères politiques et ecclésiastiques de Luanda. Dans ses lettres du 19 et 20
octobre 1619 à Mgr Vives et au pape Paul V, Alvaro III exprime sa joie de recevoir ces missionnaires
mais il s’inquiète déjà de leur retard… Car, entre-temps, le « Conseil de Portugal » avait réussi à faire
annuler le départ des Capucins espagnols au nom du padroado.
En guise de riposte, le Conseil de Portugal fait envoyer au Kongo quelques jésuites portugais de la
mission de Luanda. Il arrive à convaincre en outre le roi Philippe III d’Espagne - qui est aussi roi du
Portugal, rappelons-le - de signer un décret, le 22 septembre 1620, qui étend à toutes les terres conquises
par le Portugal l’interdiction d’entrée aux prêtres étrangers non portugais. Ensuite, Philippe III ordonna
au Cardinal de Trejo de renoncer à sa fonction de « protecteur » du royaume Kongo. Le roi avait envoyé
au pape quatre lettres par des voies différentes pour qu’elles ne soient pas toutes interceptées par les
Portugais comme ils en avaient l’habitude (en effet, les Portugais faisaient tout pour que le Saint-Siège
ne soit mis au courant des leurs dérives au Congo).
Mais ceux-ci l’apprirent et firent obstruction. Ce fut un autre Franciscain portugais, Simâo Mascarenhas
qui fut nommé en 1621, mais quand la nouvelle arriva à Sâo Salvador, le roi était déjà mort. Depuis
1618, des Capucins espagnols étaient prêts à partir pour le Congo. Avant sa mort, Alvaro III souhaitait
même qu’ils ouvrent un noviciat à Sâo Salvador, appuyé fortement dans ce projet par le cardinal Trejo,
le pape Paul V, puis son successeur, Grégoire XV, élu en 1621.
Là encore le Conseil Portugais bloqua le projet et poussa le roi Philippe III à enlever au cardinal Trejo
ses fonctions de protecteur du Congo. La correspondance entre Alvaro III et Grégoire XV était souvent
interceptée par les Portugais. Le roi d’Espagne meurt peu de temps après, le 31 mars 1621. Le pape Paul
V l’avait précédé de peu dans la tombe, le 28 janvier 1621. Le nouveau pape, Grégoire XV, reprend
l’offensive contre l’application abusive de padroado par les rois d’Espagne et du Portugal. Il crée, le 6
janvier 1622, la Sacra Congregatio de propaganda fide, la Sacrée Congrégation pour la Propagation de
la Foi, communément appelée la « Propagande», organe qui lui permettrait de contrôler les missions.
66
3. L’entrée en scène de la « Propaganda Fide » (1622)
Grégoire XV meurt sans avoir obtenu du roi d’Espagne, Philippe IV, la révocation du décret du 22
septembre 1620. Au Kongo aussi la confusion politique allait se dénouer en 1636, avec l’accession au
trône de Dom Alvaro IV (1636-1641). Le nouveau roi écrit au Pape Urbain VII pour lui faire acte
d’obédience et lui demander de désigner des « missionnaires zélés et désintéressés ».
Le pape répond favorablement en signant, le 30 juillet 1639, un « bref » qui remet en branle la
Propagande. Lisbonne essaie de prévenir le danger en s’orientant vers l’envoi de missionnaires
Augustins portugais… Mais des Capucins italiens avaient introduit une nouvelle demande auprès de la
Propagande. Celle-ci réagit et le 25 juin 1640, elle décrète la constitution d’une Préfecture apostolique
du Kongo et la confie à l’Ordre des Capucins (Beeckmans, R., 1980: 403).
Comme on l’aura remarqué, chaque reprise ou tentative de reprise de l’évangélisation a été une
démarche du roi du Kongo, inquiet de voir son peuple chrétien péricliter par manque de pasteurs.
Successivement, Lisbonne, Madrid et Rome n’ont fait que répondre à des demandes pressantes émanant
des successeurs de Dom Afonso. Ceux-ci ne se sont par ailleurs pas laissé décourager par la qualité
souvent médiocre des quelques missionnaires qui se présentèrent pendant ce siècle de succession
difficile. A la suite d’Afonso, les différents rois de Kongo en concluaient simplement qu’il fallait leur
envoyer, en plus d’un grand nombre, des missionnaires « zélés et désintéressés ».
Ces rois n’étaient d’ailleurs eux-mêmes généralement pas des chrétiens modèles, mais tout de même
des hommes de foi sincère, des chrétiens de conduite vacillante mais « fidèles » à l’héritage spirituel que
leur avait légué leur grand ancêtre dans la foi, Dom Afonso. Et l’accueil que feront les habitants du
royaume Kongo à la nouvelle vague des missionnaires capucins italiens prouve que, dans l’ensemble, la
population n’avait jamais cessé de partager la fidélité de ses rois successifs. Vraiment, au cours de ce
long siècle plutôt obscur qui suivit le décès de Dom Afonso, la chrétienté kongo n’a pas arrêté d’exister
et d’être constamment « à la recherche de son second souffle » (Ibid.)
67
Six Capucins italiens s’embarquent le 2 avril 1641 à Livourne pour Lisbonne, où ils sont effectivement
assez bien accueillis par Joâo IV et la reine. Mais l’administration portugaise fait traîner l’octroi des
passeports pour Luanda pendant des mois…jusqu’à ce que survienne un nouveau contretemps
politique : le 20 décembre 1641, la nouvelle parvient à Lisbonne que depuis le 26 août Luanda est
occupé par les Hollandais qui ont chassé les Portugais. Tout était à recommencer pour les Capucins qui
sont obligés de rentrer en Italie.
La Propagande tente alors de faire partir ses missionnaires par l’Espagne, non en direction de Luanda
mais du port de Mpinda dans l’estuaire du Congo. Le roi d’Espagne, Philippe IV, se laisse convaincre et
ordonne, le 8 décembre 1643, de mettre à disposition des missionnaires les moyens et les navires
nécessaires pour se rendre en Afrique. Finalement, les douze missionnaires capucins conduits par
Bonaventura d’Alessano – sept Italiens et cinq Espagnols – prennent le départ le 4 février 1645.
Ils arrivent en vue de Mpinda le 25 mai de la même année, en la fête de l’Ascension. Tombés sur un
navire de guerre hollandais qui arraisonne le convoi espagnol et prétend capturer les missionnaires,
ceux-ci réussissent tout de même à échapper aux garde-côtes hollandais grâce à l’intervention astucieux
du « Mani Soyo » (Beeckmans, 1980 : 404).
En effet, de 1645 à 1820, 434 Capucins vinrent travailler dans la Mission du Kongo, dont 228 laissèrent
leur vie sur place, souvent après un court séjour. La plupart de ceux qui quittèrent le pays étaient atteints
de diverses maladies. Très peu rentrèrent sains et saufs en Italie ou en Espagne, de sorte que le Kongo
finit par être appelé « cimitero dei cappucini » (cimetière des capucins).
C’est dire qu’il n’y aura en fait jamais assez de missionnaires valides pour assurer une évangélisation
en profondeur, une conversion de la société kongo, de ses structures de pensée et de comportement. Car
le royaume comptait à cette époque environ deux millions d’habitants (Filesi, De Villapadierna, 1978 :
23). Les Capucins étaient des religieux d’un style nouveau, des missionnaires enfin « zélés et
désintéressés » comme les rois Kongo les avaient toujours espérés. Aussi leur apostolat fut-il, malgré un
trop petit nombre et certaines lacunes dont je parlerai plus loin, extrêmement fécond.
68
Dès leur arrivée à Sâo Salvador, les capucins construisirent une école dirigée par le Père Bonaventura da
Sardegna qui élabora aussi les premiers éléments d’une grammaire kikongo. L’école fut assez vite
fréquentée par 600 élèves pour qui on arriva à organiser petit à petit des cours de catéchisme, chant,
grammaire, rhétorique, arts et théologie.
On créa aussi, pour la formation chrétienne en profondeur, deux « confraternités », l’une pour les
hommes, l’autre pour les femmes. Des œuvres caritatives virent le jour : aide aux malades et aide
alimentaire aux pauvres. Le roi participait activement à ces initiatives et à la pratique religieuse en
général. Les nobles de son entourage se montraient même disposés à abandonner la polygamie. Les
missionnaires entreprirent aussi la formation de catéchistes, encouragés par une population
enthousiasmée.
Entre-temps, en octobre 1646, le roi Garcia avait envoyé deux pères capucins, Giovanni Francesco da
Roma et Angel de Valencia, en Ambassade à Rome pour solliciter la désignation de trois évêques et de
quarante missionnaires. Mais la « Propagande » ne put pas, cette fois, faire fléchir le Portugal toujours
jalousement attaché à son droit de patronage exclusif. Toute tentative du pape pour contourner le
padroado était contrée par les agents portugais à Rome : le jésuite Nuno da Cunha, l’augustinien
Manuel Pacheco et le cardinal protecteur d’Espagne, Gil Carrillo Albonoz (De Benoist, 1991 : 46). Un
groupe de 18 capucins parvint cependant à prendre le large en fraude et à gagner Mpinda le 29 juin
1651. Ce renfort arrivait à point nommé pour donner du sang frais aux différentes stations missionnaires
qui s’étaient développées pendant que s’essoufflaient les capucins survivants.
Les capucins italiens pourront continuer à venir, en s’embarquant à Lisbonne munis de passeports
portugais (Bontinck, 1980, p.34). Sur place, un nouveau problème avait surgi : le roi Garcia II,
mécontent de ce que le pape ait refusé une bulle consacrant le caractère héréditaire de la succession au
trône de Sâo Salvador, s’était refroidi à l’égard des missionnaires. Son changement d’humeur obligea la
préfecture du Kongo à transférer son siège à Luanda.
69
Quelques grands missionnaires itinérants poursuivent cependant inlassablement la pénétration vers
l’intérieur jusqu’aux pays voisins, notamment au royaume de Matamba où règne la Reine Nzinga, qui se
convertira en 1656, et au royaume de Makoko, Roi des Tio (ou Teke), sur l’actuel Pool Malebo.
Le P. Jérôme de Montesarchio devient ainsi le premier européen connu à atteindre le site de l’actuelle
capitale de la RDC, en 1654, chez Ngobila, deux siècles avant Stanley (Ibid. Cité par Beeckmans, R.,
1980 : 406). Le fils de Garcia II, le nouveau roi Antonio I Afonso Vita a Nkanga (1661-1665) est hostile
aux capucins. Mais bientôt il dût faire face à la rébellion de certains chefs de province soulevés et
soutenus par les Portugais de Luanda à qui Antonio Ier, tout comme ses prédécesseurs, avait refusé une
concession minière. Il fut défait et tué dans la province d’Ambuila (Oulonga) en 1665. Décapitée
(Comby, J., 1992 :120), sa tête est amenée à Luanda (Hochschild, A., 1998 : 85).
Trois chefs s’autoproclamèrent rois, un à Sâo Salvador, un à Bula dans le nord, un troisième sur la
rivière Ambrisi (Mbridge) au sud (De Benoist, 1991 : 46). La décadence du royaume Kongo se
précipite. Le pays fut ravagé par une interminable guerre civile. En 1678, la capitale du royaume Sâo
Salvador fut brûlée et abandonnée jusqu’en 1710. Les Capucins ne se laissèrent pas découragés,
essayant de maintenir leur activité. La signature d’un traité entre Espagnols et Portugais permit
d’envoyer de nouveaux missionnaires, une centaine, en 14 expéditions. Mais leur activité fut entravée
par la guerre civile et la très forte mortalité : entre 1672 et 1700 : sur la centaine fraîchement arrivée au
Congo, 64 moururent sur place, en plus de six qui étaient déjà morts en route, avant d’avoir pu arriver
en Afrique ; 38 repartirent en Europe, il restait 5 actifs en 1700.
Un évêque avait été nommé en 1671 au siège de Sâo Salvador ; il mourut un an avant son ordination. Un
autre fut ordonné en 1673 : il mourut à Luanda un mois après son arrivée. De 1676 à 1685, il y eut un
évêque franciscain, manuel de Natividade ; il s’installa à Luanda puisque Sâo Salvador était détruit et il
ne fit une brève visite au Kongo que l’année de sa mort. Ses successeurs eurent le même comportement.
Aussi, l’émiettement de l’ancien Kongo fait-il naître la nostalgie de l’unité : surgissent des visionnaires
qui, puisant dans le vieux fond religieux comme dans le christianisme, veulent réveiller leur peuple.
En 1704, une jeune Kongo de 22 ans, prêtresse d’un culte local, Dona Béatrice Cimpa Vita, veut refaire
l’unité du Kongo. Elle fait des miracles, propose un christianisme africanisé ; elle est envoyée par Dieu,
selon elle, et par saint Antoine de Padoue pour aller à Sâo Salvador restaurer le royaume. Le Kongo est
la Terre Sainte, le Christ est noir, il est né à Sâo Salvador. Elle restaure la polygamie. Elle menace les
missionnaires (franciscains). Elle redonne vie à la capitale détruite et fait remettre les insignes royaux.
Elle imite la mort du Christ et sa résurrection. Mais quand elle met au monde un fils qu’elle attribue au
Saint Esprit et qui sera le sauveur, elle provoque sa perte.
70
Sur la pression des Capucins, le roi en exercice la fait arrêter et prononce une sentence de mort : le 2
juillet 1706, elle périt sur le bûcher « avec le nom de Jésus en bouche » (Comby, 1992 :120).
Heureusement, il y avait les catéchistes, nombreux et bien formés par les Capucins. Ils poursuivirent le
travail avec beaucoup de zèle et de succès apostolique au sein des communautés chrétiennes. Mais
l’anarchie et les guerres civiles empêchent les prêtres de visiter régulièrement ces communautés. Au
milieu du XVIIIe siècle, c’est encore une fois d’Europe que surgissent de nouveaux problèmes.
Le marquis de Pombal, l’homme fort du Portugal, adversaire acharné des ordres religieux, interdit aux
Capucins italiens l’entrée en territoires sous juridiction portugaise. En 1759, il décide le bannissement
des jésuites portugais. Il finira même par obtenir du pape Clément XIV, en 1772, la suppression de la
Compagnie de Jésus… (Beeckmans, 1980 : 406). Pombal est écarté en 1777 par la reine du Portugal.
Les missionnaires capucins italiens peuvent revenir, mais à compte-gouttes (Filesi, De Villapadierna,
1978 : 36). La liquidation de la Mission devenait inéluctable, mais le coup de grâce fut donné par le
Portugal. Par un décret du 30 mai 1834, le gouvernement portugais supprime tous les ordres religieux
masculins. Il ordonne en conséquence la confiscation et la vente des biens de la Mission.
Le 20 avril 1865, la Propagande demande aux Capucins s’ils se trouvent en mesure de reprendre et
assister leur ancienne Mission. La réponse est, à regret, négative : trop de problèmes avec le Portugal ;
pénurie de vocations missionnaires. La Propagande, par décret du 10 août 1865, décharge alors les
Capucins de la Mission du Kongo et la confie aux Sipitains (Idem: 40). Par la suite, la diplomatie
française et celle de Léopold II réussissent à faire retirer enfin au Portugal son droit de padroado sur les
territoires à ce moment attribués par la Conférence de Berlin à la France et à Léopold II.
Si le Portugal avait ouvert le Kongo au christianisme, c’est encore lui qui a donné un coup de massue à
sa propre œuvre mais aussi au Royaume Kongo que le portugais Diogo Câo trouva florissant et très bien
organisé en 1482. Grâce à son padroado, c’est le Portugal qui commença au Kongo, comme sur toutes
les côtes africaines22, la traite des Noirs dès le lendemain de l’arrivée de Diogo Câo et des premiers
22
Jean Comby rapporte qu’en continuation de la croisade, l’expansion portugaise en Afrique commence avec la prise de
Ceuta (1415). Les préoccupations « scientifiques » de l’Infant Henri le Navigateur l’amènent à organiser des expéditions de
découverte des côtes africaines. En 1434, Gil Eanès double le cap de Bojador ; en 1444, l’embouchure du Sénégal est
atteinte ; c’est la découverte des pays noirs. A Lisbonne a lieu la première vente publique d’esclaves. Comme les Indiens
n’étaient pas de bons esclaves travailleurs ainsi que l’avait pensé Christophe Colomb, l’avis de donner licence d’importer
des esclaves noirs en ces terres vint d’un jeune prêtre Las Casas en 1516. Sur fond de son avis, on remplaça les Indiens par
des Noirs importés d’Afrique dès 1500. La traite, qui avait commencé au milieu du XV e siècle entre l’Afrique et le
Portugal, prit des proportions considérables lorsqu’elle fut réglementée par Charles Quint en 1518. Le gouvernement
espagnol donne une licence d’importation, l’asiento, à des compagnies ; Anglais, Hollandais et Français participent
efficacement au trafic. Les côtes africaines deviennent un terrain de chasse à l’esclave. Les chefs locaux sont
71
missionnaires, avant l’arrivée des autres pays européens (Espagne, Hollande, Angleterre, France), et qui
dépeupla ainsi le Royaume Kongo pendant quatre siècles.
L’évangélisation des Noirs fut ainsi complètement faussée par la traite et l’esclavage. Il est terrible de
penser que le baptême signifie pour les Noirs la perte de leur liberté, de leur identité, de leur être
humain, s’exclame Jean Comby (1992 :110). La deuxième évangélisation allait se réaliser et s’épanouir
dans des conditions nouvelles et s’étendre rapidement à toute l’actuelle RDC, au point que la chrétienté
congolaise comprend aujourd’hui, plus de cent ans plus tard, la communauté catholique numériquement
la plus importante de tout le continent africain (Beeckmans, 1980 :407). Quelles auront été finalement
les causes de l’échec de la première évangélisation au Kongo ?
Les rois Kongo, conscients du fait, n’arrêtent pas de demander des bons missionnaires et en beaucoup
plus grand nombre. Les Capucins, aussi, se rendirent compte des problèmes insolubles que leur posait
leur insuffisance numérique, et cela dès le mois de juin 1645. La conjoncture politique européenne y fut
pour beaucoup : l’usage abusif du padroado par le Portugal, les difficultés nées de l’état de guerre entre
Portugais, Espagnols et Hollandais. Sur place, il y avait des incertitudes et rivalités politiques, des sautes
d’humeur de certains rois… Et surtout le climat, qui transforma ce pays de mission tellement prometteur
en un « cimetière des capucins » (Idem : 408).
instrumentalisés, forcés et menacés de mort pour servir d’intermédiaires pour vendre les Noirs de l’intérieur. Ceux qui s’y
opposaient étaient purement et simplement tués… Cf. Comby, J., 1992 : 101-109, 117.
72
2. L’ancrage insuffisant de la foi chrétienne dans l’univers culturel kongo
La seconde raison est qu’on a souvent attribué l’échec de cette première évangélisation au « caractère
inconstant » des populations et à leur attachement tenace à leurs coutumes traditionnelles. Pourtant, tel
que nous l’avons vu plus haut, ces populations au caractère « inconstant » avaient pendant des siècles,
par la voix de leurs rois successifs, réclamé avec constance remarquable des missionnaires pour les
instruire dans cette foi chrétienne à laquelle elles semblaient rester attachées envers et contre tout !
L’insuffisance chronique en personnel missionnaire avait provoqué une incapacité de consolider et
développer la vie religieuse chrétienne des populations trop sommairement évangélisées. Il eût fallu un
flux continu et vigoureux de missionnaires envoyés en renfort.
Généralement, les nouveaux arrivés pouvaient à peine combler les vides laissés par la mort, la maladie
ou le départ de leurs prédécesseurs. Dans ces conditions, les missionnaires ont été toujours trop peu
nombreux pour pouvoir convertir en profondeur la société kongo comme telle, avec ses structures de
pensée et de comportement. Il s’agit là d’un travail de très longue haleine – les deux mille ans d’histoire
du christianisme en Europe le prouvent à suffisance – qui demande des gens particulièrement bien
formés et avertis de nombreux problèmes d’acculturation et d’inculturation.
Certes, il y eut des exceptions remarquables de gens qui se firent linguistes, géographes, ethnologues.
On cite le cas du jésuite Mattheus Cardoso qui publia à Lisbonne, en 1624, le premier « catéchisme
kikongo » en édition bilingue portugais-kikongo, sous le titre de « Doctrine chrétienne ». L’ouvrage fut
déjà réédité en 1650. On cite aussi dans le domaine de l’inculturation une « instruction » surprenante de
la Propagande, en 1659, sur tout ce qui n’est pas contradictoire avec l’Évangile:
« Gardez-vous de toute tentative et de toute persuasion à l’égard de ces peuples pour les amener à changer leurs rites, leurs
usages et leurs mœurs, à moins que ceux-ci ne soient manifestement contraires à la religion et à la morale. Qu’y a-t-il de
plus absurde, en effet, que d’introduire chez les Chinois la France, l’Espagne, l’Italie et quelque pays d’Europe ? Non, ce
que vous avez à introduire, c’est la Foi, qui n’exclut ni ne lèse ni usages d’aucune nation, pourvu qu’ils ne soient pas
mauvais, la Foi qui, au contraire, veut qu’ils soient protégés.» (de Postiona, A. 1964 :376)
73
Malgré ces efforts individuels évoqués, la plupart des missionnaires qui ont mené la première action
évangélisatrice au Congo ignoraient les réalités socio-culturelles (us et coutumes) des Congolais, ni la
langue, et cela a été un handicap réel pour l’épanouissement de leur mission.
C’est ainsi que l’évangélisation des Noirs fut complètement faussée par la traite et l’esclavage. Il se créa
une très grande méfiance des Congolais vis-à-vis des missionnaires et comprirent que l’Évangile que
ceux-ci leur ont apporté n’avait été qu’un appât pour réaliser d’autres objectifs savamment planifiés
(Comby, J., 1992 :109-110). C’est ce qui justifia le retour massif de ceux qui avaient embrassé la foi
chrétienne aux coutumes ancestrales, tels que la polygamie, le fétichisme, l’art divinatoire, et beaucoup
d’autres coutumes relatives à la naissance, au mariage et à la sépulture. Il se déclencha en même temps
une campagne très virulente contre la religion importée.
Des statues des saints furent brûlées, d’autres, comme celle de saint Pierre qui était peinte en blanc sur
le portail initial de la cathédrale de Sâo Salvador et qui fut peinte en chocolat, couleur des Noirs
(Bontinck, F., 1980 :60).
Bien sûr, tous les missionnaires ne s’étaient pas engagés dans ce commerce ignominieux des hommes.
On sait même, au témoignage de Joseph Roger de Benoist, que les Capucins dénoncèrent avec forte
cette pratique qui fit la honte de l’humanité. Ils rédigèrent en 1684 un rapport envoyé à Rome
condamnant formellement la traite négrière et demandant des sanctions de l’Église contre le roi du
Portugal qu’ils tenaient pour premier responsable de traite négrière.
La Propagande étudia ce rapport à une réunion tenue le 17 février 1687; elle en approuva tous les termes
et le transmit au Saint Office, qui, à son tour, condamna en onze points l’esclavage tel qu’il était décrit
par les Capucins. Ceux-ci, armés de ces textes, refusèrent les sacrements aux négriers. En représailles,
les Portugais renvoyèrent en Espagne tous les missionnaires, et continuèrent à vendre les esclaves à tous
les pays catholiques autres que l’Espagne… (De Benoist, J.-R., 1991 :27).
74
5. Le manque de stratégie missionnaire
Une dernière cause d’échec de cette première évangélisation au Kongo tient au manque de stratégie et
de programmation par le Saint-Siège, ou si l’on veut, le manque de volonté par le Portugal en raison de
son padroado, pour former des prêtres autochtones. On peut constater avec Beeckmans que de 1483 à
1835, pas un seul séminaire- « petit » ou « grand »- n’ait été ouvert au Kongo. Cette carence est d’autant
plus marquante que les Capucins firent de sérieux efforts pour former en assez grand nombre des
catéchistes. Ceux-ci s’avérèrent, très souvent, d’excellents et fidèles animateurs des communautés
chrétiennes, même en l’absence prolongée de prêtre. Mais, comme le dit Beeckmans, aucune
communauté chrétienne ne peut durablement subsister sans prêtre (1980:410).
La première chrétienté au Congo n’a pas survécu par manque de pasteurs. Le premier évêque kongo, et
de toute l’Afrique noire des temps modernes, Dom Henrique, n’a pas eu de successeur pendant plus de
quatre siècles, jusqu’au sacre de Mgr Kimbondo, à Kisantu en 1956. Le drame, c’est encore qu’au
départ du dernier missionnaire en 1835, il ne restait que quelques prêtres africains tellement peu formés
que la chrétienté locale n’en a conservé ni trace ni souvenir (Ibid. :410-411).
Ce choc des cultures ne sera malheureusement pas une difficulté de la première évangélisation, mais
aussi elle sera d’ailleurs développée durant la deuxième évangélisation, étant donné le contexte colonial
de celle-ci. Certes, c’est souvent la cupidité qui explique la manière dont les conquérants traitent les
populations rencontrées. Mais il y a un élément plus profond et de première importance pour
l’évangélisation. Les Européens de la chrétienté entrèrent brusquement en contact avec des civilisations
dont ils n’avaient pas la moindre idée. Le choc fut brutal dans les deux sens. Conquérants et
missionnaires étaient porteurs d’un christianisme, fruit de quinze siècles de maturation. En proposant
l’Évangile, ils voulaient transmettre du même coup une civilisation chrétienne dont les normes étaient
très différentes de celles des peuples qu’ils rencontraient (Ibid. :110).
75
En définitive, le bilan des trois siècles et demi de première évangélisation au Kongo-Angola aurait été
considéré comme relativement positif au regard des efforts réels de plusieurs missionnaires et surtout
des différents rois successifs Kongo qui s’impliquèrent avec foi et détermination pour s’approprier la foi
chrétienne, si la faillite des années 1800 ne s’y était pas mêlée. En effet, bien que peu nombreux et
confrontés à plusieurs problèmes d’adaptation, ces missionnaires réalisèrent un travail remarquable,
surtout les Capucins. Installés au Congo depuis la fin de la première moitié du XVIIè siècle, les
Capucins ne quittèrent leur implantation qu’en 1835.
Au cours de deux siècles de leur apostolat, il y eut 434 missionnaires qui se succédèrent, soit une
moyenne de deux ou trois nouveaux arrivants par an ; la plupart laissèrent leur vie sur place.
L’entreprise connut des difficultés croissantes dues, entre autres, au climat politique peu encourageant
entretenu par le Portugal, à l’insuffisance du personnel - la mortalité étant fort élevée - et à des
malentendus provenant de la maîtrise insuffisante des cultures locales. Il faut ajouter que les efforts
timides pour former un clergé local ne purent aboutir à un résultat tangible, en dehors du cas
exceptionnel d’un fils de roi qui devint évêque.
Cette première expérience de christianisation s’effaça d’elle-même au début du XIXe siècle, avec
l’arrivée de Pères Français de la Congrégation du Saint-Esprit (Spiritains) qui se virent confier cette
mission par un décret de la sacrée Congrégation de la Propagande, daté du 9 septembre 1865 (Ibid.).
Qu’en sera-t-il de la deuxième évangélisation ? A-t-elle pu tirer les leçons qu’il fallait après l’expérience
de la précédente évangélisation ? Dans quel contexte sociopolitique la deuxième évangélisation du
Congo avait-elle commencé ? C’est l’objet de ma réflexion dans la section qui suit.
Section 3 : Les mutations politiques en Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle
Réalisées au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les deux fondations religieuses du cardinal
Lavigerie pour l’Afrique vont être marquées par le dynamisme remarquable, mais aussi par les limites
qui caractérisent cette époque en Europe.
La Belgique s’est constituée en État indépendant en 1830, alors que l’Italie et l’Allemagne réalisent leur
unité nationale dans les années 1860.
76
C’est aussi à cette époque que le socialisme scientifique de Marx s’élabore comme une véritable
doctrine d’action politique révolutionnaire avec la parution du Capital en 1867.
La course des puissances européennes pour l’établissement de leur pouvoir en Afrique s’inscrit dans ce
contexte de mutations politiques qui caractérise la seconde moitié du XIX e siècle. Jusqu’au début de ce
siècle, les seuls liens existant entre pays européens continent africain consistaient, pour l’essentiel, dans
le commerce des esclaves. Ce commerce se réglait sur les côtes et les Européens n’avaient aucune
connaissance des régions intérieures de cet immense continent. Seul le Portugal faisait exception avec
ses deux territoires du Mozambique et de l’Angola annexés depuis le début du XVIe siècle.
A partir des années 1850, animés des préoccupations géographiques, scientifiques, missionnaires
parfois, commerciales enfin, un certain nombre d’explorateurs de l’hémisphère nord commencent à
parcourir le continent africain, principalement les grandes régions jusqu’alors inconnues de l’Afrique
intérieure. Les puissances politiques vont suivre et, à la fin du XIXe siècle, des zones considérables du
continent africain se trouvent sous la domination de quelques pays européens qui se sont attribué à eux-
mêmes un véritable droit de tutelle, de conquête et de sujétion.
La France, l’Angleterre, l’Allemagne, puis la Belgique sont les plus engagées dans cette course. Même
si ce mouvement de conquêtes coloniales ne s’effectue pas au détriment de la seule Afrique, le continent
africain constitue cependant une proie particulièrement convoitée.
Sur ce point, les années 1880-1890 représentent une période décisive, marquée par l’engouement des
Européens à s’approprier de vastes zones de pouvoir.
Plusieurs facteurs expliquent la montée de cette expansion, facteurs à la fois économiques, politiques et
idéologiques, sans qu’il soit toujours possible de déterminer exactement lequel des trois a joué un rôle
prédominant, comme l’explique Pierre Milza : « Si les questions économiques jouent effectivement un rôle
considérable dans la poussée colonisatrice, elles sont loin d’être le seul facteur, ni même, semble-t-il, dans la période qui
s’achève en 1890, l’élément principal. C’est un peu plus tard, à partir de l’extrême fin du XIXe siècle, que les rivalités
commerciales entre grandes puissances et la recherche de débouchés pour les produits de leurs industries mettront l’accent
sur l’intérêt économique des territoires d’outre-mer. Jusqu’à cette date les questions de prestige et d’intérêt stratégique, les
considérations politiques et psychologiques, l’action personnelle et spontanée de certains hommes jouent dans le fait
colonial un rôle au moins égal aux mobiles économiques » (Milza, 1994 : 37-38).
77
Le même auteur détaille un peu plus loin les mobiles qui poussent les gouvernements, certains
explorateurs, et parfois des officiers en quête de gloire, à s’engager de plus en plus dans cette course
vers de nouvelles possessions territoriales : « Dans tous les pays colonisateurs, l’expansion a été soutenue par de
puissants courants d’opinion. Le nationalisme domine, on le sait, les courants de pensée du XIXe siècle, et la poussée
impérialiste en est une des manifestations les plus spectaculaires. Les peuples y ont vu un moyen d’affirmer leur force et leur
génie, de justifier leur orgueil national et de donner libre cours à leur volonté de puissance » (Ibid.,: 40-41 Cité par
Ceillier, 2008 : 11). Parmi ces différents explorateurs, deux vont jouer un rôle déterminant dans
l’histoire coloniale et religieuse du Congo : David Livingstone et Henri-Morton Stanley.
Pour Hochschild, « Toutes ces réactions instinctives à l’égard de l’Afrique - zèle antiesclavagiste, quête de ressources
brutes, évangélisation chrétienne et simple curiosité - sont personnifiées par un seul homme : David Livingstone. Médecin,
prospecteur, misssionnaire, explorateur et même consul britannique, il sillonna l’Afrique durant trente ans à partir du début
des années 1840. Il partit en quête des sources du Nil, dénonça l’esclavage, découvrit les chutes Victoria, chercha des
minéraux et prêcha l’Évangile. Au titre de premier homme à avoir traversé le continent d’est en ouest, il devint un héros
national en Angleterre. » (1998 : 41-42)23. En 1866, Livingstone se lança dans une nouvelle longue
expédition, à la recherche de trafiquants d’esclaves, de chrétiens potentiels, des sources du Nil et de tout
autre objet de découverte éventuel.
23
Cet auteur réfute ainsi la thèse répandue par ceux qu’il appelle « les apôtres de la civilisation européenne » en révélant
que la première traversée de l’Afrique centrale consignée, ignorée de Stanley et de la plupart des autres explorateurs blancs,
avait été effectuée par deux trafiquants d’esclaves mulâtres un demi-siècle auparavant, Pedro Baptista et Anastasio José. Ils
furent également, ajoute-t-il, les premiers à faire le voyage aller-retour.
78
Les années s’écoulant sans qu’il revienne, on commença à s’interroger sur son sort, et en 1871, James
Gordon Bennett, le directeur du New York Herald, envoya Stanley en Afrique à sa recherche. Celui-ci le
trouva : « Le 10 novembre 1871, un jeune Blanc arrive à Ujiji, un village africain sur les bords du lac Tanganyika. Tandis
que la population lui fait fête, un autre Blanc, au visage émacié et à la barbe fournie, sort d'une case et se dirige lentement
vers lui. L'intrus ôte son chapeau et lui lance cette apostrophe aussi laconique qu'immortelle: « Dr. Livingstone, I presume?
». Le missionnaire David Livingstone (58 ans) n'avait pas rencontré d'Européen depuis cinq ans et passait pour disparu...
quand il fut ainsi retrouvé par le journaliste Henry Morton Stanley, de son vrai nom John Rowlands (30 ans) »24.
Stanley lui-même relate cette rencontre : « l’homme sage et expérimenté et le jeune héros intrépide se lièrent vite
d’amitié durant leurs mois d’exploration commune. Ils longèrent en bateau l’extrêmité nord du lac Tanganyika, dans
l’espoir de découvrir le lieu d’où s’écoulait le Nil, mais eurent la déception de ne trouver que celui où affluait un autre
fleuve : le Congo. L’aîné des deux hommes légua sa sagesse à son cadet avant qu’ils ne se disent tristement adieu et ne se
séparent à jamais » (Stanley, H.M.,1878 : 54). De façon fort opportune pour Stanley, nous dit Hochschild,
Livingstone resta en Afrique et y mourut peu après, avant d’avoir eu le temps de rentrer chez lui où il
aurait fait un récit tout à fait différent de l’aventure.
Stanley sut avec ruse saupoudrer son récit de chefs pittoresques, de sultans exotiques et de serviteurs
fidèles, le tout introduit par des généralisations hâtives qui permettaient à ses lecteurs de se sentir à
l’aise dans un monde inconnu… (1998 :44). Par ses qualités d’homme spirituel et par son approche
humaniste de l’Afrique, Livingstone constitue, d’une certaine manière, une exception parmi tous les
explorateurs de cette époque. Il meurt épuisé et de maladie dans les marécages du lac Bangouélo, au
nord de la Zambie, en 1873. Ses récits de voyage et la valeur de ses observations sur les peuples qu’il a
visités, ainsi que ses qualités humaines reconnues de tous, lui ont valu un grand prestige. Sa dépouille
repose aujourd’hui dans l’église de Westminster Abbey, à Londres. D’autres ont effectivement parcouru
le continent noir, notamment Cameron et Stanley.
24
http://www.herodote.net/10_novembre_1871-evenement-18711110.php [Consulté le 10 novembre 2013]
79
enchaînés’. Il se peut que, note ironiquement Hochschild, les habitants des villages traversés par l’expédition de Stanley
aient pris celle-ci pour une caravane d’esclaves parmi tant d’autres. » (1998 :44-45)
« Au printemps de 1871, accompagné d’un chien appelé Omar, de porteurs, de gardes armés, d’un interprète, de cuisiniers,
d’un guide chargé du drapeau américain et de deux marins britanniques – au total cent quatre-vingt-dix hommes, soit la plus
importante expédition d’exploration de l’Afrique à ce jour -, Stanely partit de la côte orientale et s’enfonça à l’intérieur des
terres pour retrouver Livingstone, que les Européens n’avaient alors pas revu depuis cinq ans. ‘Où qu’il soit, déclara-t-il
aux lecteurs new-yorkais de son journal, soyez sûrs que je n’abandonnerai pas les recherches. S’il est vivant, vous entendrez
ce qu’il a à dire ; s’il est mort, je trouverai ses os et je vous les rapporterai’. Stanley dut écumer le pays pendant plus de huit
mois avant de rejoindre l’explorateur et de pouvoir prononcer la célèbre question : ‘Docteur Livingstone, je suppose ?’»
(Ibid. : 45).
Gallois, se faisant passer pour un citoyen de naissance américaine, Stanley était à lui seul l’Anglais et
l’Américain de son expédition anglo-américaine. Cette dénomination, toutefois, attestait le fait que ce
voyage, beaucoup plus onéreux et ambitieux que la recherche de Livingstone, était financé
conjointement par le puissant groupe de presse anglo-américain New York Herald de James Gordon
Bennett pour lequel il travaillait et celui du Daily Telegraph de Londres de Edward Levy-Lawson.
Parcourant par la suite le centre du continent au cours de plusieurs grandes expéditions et durant près de
vingt années, il sera, entre autres exploits, le premier à découvrir dans toute son ampleur le cours du
fleuve Congo, jusqu’à son embouchure qu’il atteindra en 1877. En effet, en 1874, accompagné de son
imposante caravane habituelle de gardes et de porteurs, il s’était enfoncé de la côte Est vers l’intérieur,
en direction de l’espace vierge le plus immense sur la carte, le cœur équatorial du continent, où aucun
Européen n’avait encore mis les pieds (Ibid. : 57). Il effectua la traversée de tout le continent africain,
d’Est en Ouest et, contrairement à Verney Lovett Cameron, seul Européen à avoir accompli cet exploit25
avant lui, Stanley était parvenu à l’embourchure du Congo.
25
Verney Lovett Cameron (Radipole, 1er juillet 1844 - 24 mars 1894) est un explorateur anglais, le premier Européen à
avoir réussi à traverser l'Afrique équatoriale, en 1875. Entré dans la Royal Navy en 1857, il participe en 1868 à la
campagne d'Abyssinie et lutte contre l'esclavagisme. La Royal Geographical Society lui confie en 1873 la mission de
rejoindre David Livingstone et de lui porter assistance. À peine parti, il rencontre la caravane de Livingstone transportant sa
dépouille. Il décide alors de continuer son expédition, arrive à Ujuji près du lac Tanganyika et y retrouve les affaires de
Livingstone. Il explore la région, découvre Nyangwe, suit le cours du fleuve Congo et atteint l'océan Atlantique le 28
novembre 1875, devenant ainsi le premier européen à avoir traversé l'Afrique d'Est en Ouest. Cf.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Verney_Lovett_Cameron [Consulté le 15 avril 2012]
80
Du lac Tanganyika, où il avait retrouvé Livingstone quelques années plus tôt, avec son groupe réduit de
porteurs zanzibarites (mais qui augmentait et diminuait au fur et à mesure du voyage pas des recrus et
des désertions ou des morts) et ses soldats, il fit route vers l’ouest durant plusieurs semaines, jusqu’à un
grand fleuve appelé localement Lualaba, l’un des principaux affluents du fleuve Congo. Il avait dû
suivre le cours même du fleuve en remontant cet affluent, qui coule du sud-est vers le nord pendant
plusieurs centaines de kilomètres26 avant de se mettre à tracer un large arc vers l’ouest dans le sens
contraire des aiguilles d’une montre pour finir par couler en direction du sud-ouest vers ses cataractes
redoutables et vers l’Atlantique (Cf. Ibid.).
Stanley était devenu de la sorte le premier homme à en tracer la carte du fleuve Congo et à résoudre le
mystère de sa source. En effet, depuis leur départ de l’île de Zanzibar, à queslques encablures de la côte
orientale, ils avaient suivi un parcours en zigzag de plus de onze mille kilomètres et avaient voyagé
pendant plus de deux ans et demi (Hochschild, A., 1998 :62)
Durant ses voyages, il envoie des correspondances de presse aux journaux anglais et américains, dont
certaines seront lues avec grand intérêt par Lavigerie. On peut mentionner notamment un article publié
dans le Daily Telegram du 15 novembre 1875, où il évoque les dispositions favorables qu’il croit
déceler en Ouganda vis-à-vis du christianisme et lance une sorte d’appel à la mission, réflexions qui
impressionneront l’archevêque d’Alger, même s’il les accueille avec prudence (Ceillier, 2008 :12).
Stanley en même temps, beaucoup plus que Livingstone, symbolise l’ambition scientifique et politique
des puissances européennes de l’époque : « Les découvertes géographiques de Stanley-synthèse de l’œuvre de ses
prédécesseurs-parce qu’elles ouvrent à l’Europe le cœur de l’Afrique, ont rendu possible le « scramble for Africa », la
« course au clocher » qui aboutira, en quelques années, au partage du continent entre les principales puissances
européennes. Par son énergie parfois burtale, son esprit réaliste, la puissance des moyens qu’il met en œuvre, ses liens
étroits avec le monde de la presse, de la politique et de l’économie, Stanley, tout comme Cecil Rhodes, symbolise l’épisode
de l’impérialisme colonial triomphant de la fin du XIXè siècle et du début du XXè siècle »27.
26
Jusque-là aucun explorateur Européen n’était jamais allé en aval de ce point de départ, et personne ne sait où menait le
Lualaba. Comme il coule vers le nord, droit en direction de l’Egypte, Livingstone avait pensé qu’il s’agissait en fait du Nil,
dont on cherchait la source depuis longtemps. Stanley, cependant, trouve le Lualaba beaucoup trop large pour constituer le
début du Nil. Un temps, il pense qu’il s’agit peut-être du Niger, dont l’embouchure, comme celle du Nil, se situe loin au
nord. Au cours de sa descente du fleuve, il acquiert peu à peu la conviction qu’il s’agit du Congo. Mais il n’en est pas
totalement persuadé, car l’estuaire où le Congo se vide dans l’Atlantique, éloigné de plus de la moitié du continent, est situé
au sud du point où ses repères célestes lui montrent qu’il se tient, sur la rive du Lualaba coulant vers le nord. Sur les cartes
européennes, tout ce qui se situe entre les deux est vierge. (Cf. Hochschild, A., 1998: 64).
27
Article Stanley, in Encyclopiedia Universalis, consulté sur Internet.
81
Hochschild indique que, comme bien des occidentaux après lui, Stanley trouva que l’Afrique était
pratiquement vide : « Pays non peuplé, la décrivait-il. Quelle colonie pourrait être installée dans cette vallée ! Voyez,
elle est assez vaste pour abriter une large population. Imaginez un clocher s’élevant là où se dresse la couronne de feuillage
sombre de ce tamarinier, et le spectacle charmant d’une ou deux dizaines de jolies cottages à la place de ces buissons
d’épines et de ces gommiers !» (1998 :76. Cf. Bierman, J., 1990:109). Et encore : « La race anglo-saxonne a déjà donné
[…] beaucoup de pères fondateurs, et lorsque l’Amérique sera remplie de leurs descendants, qui dit que l’Afrique […] ne
deviendra pas leur prochain lieu de repos ?» (Ibid.: 45. Cf. Stanley, H.-M., 1872:112-113).
On le voit, l’intention de Stanley de susciter l’intérêt des empires occidentaux à venir prendre
possession de ces vastes et vides terres africaines fertiles et verdoyantes ne souffre d’aucune ambiguité.
Toute sa presse pour décrire le continent ne consistera qu’à attirer l’Europe abordant avec confiance
l’ère industrielle, à laquelle le chemin de fer et le bateau à vapeur capable de naviguer sur l’océan
inspiraient un fort sentiment de puissance (Hochschild, A., 1998 :39).
Léopold scrutait tous les jours le Times de Londres pour y découvrir des nouvelles sur son sort. Il avait
désormais la certitude que ce vaste territoire du centre de l’Afrique, que par miracle aucune puissance
européenne ne revendiquait encore, pouvait devenir la colonie dont il se languissait. Le projet dont il
rêvait depuis si longtemps allait finalement être réalisé et Stanley en serait la vedette. (Ibid. :77)
Elikia Mbokolo, à la suite de Hochschild, affirme : « Sans Henry Morton Stanley, le fameux journaliste américain
d’origine anglaise, mieux, d’origine galloise, rendu célèbre par le périple (1869-1871) qui l’a conduit à retrouver
l’explorateur et missionnaire David Livingston, les rêves d’empire colonial du roi des Belges seraient restés lettre morte.
C’est après son grand voyage d’exploration de l’Afrique centrale d’est vers l’ouest, mené entre 1874 et 1878, que Stanley fut
approché par les émissaires de Léopold II et convaincu, moyennant de généreuses espèces sonnantes et trébuchantes, de se
mettre au service du roi.» (Ferro, 2003:433; Hochschild, 1998:43-45)
82
Ce prince ambitieux, après avoir tenté en vain d’acheter les Philippines à l’Espagne car à ce moment ni les
Espagnols, ni les Portugais, ni les Hollandais n’avaient envie de vendre, écrivit à ses fonctionnaires en s’adressant
à Lambermont, 22 août 1875 : « J’ai l’intention de découvrir en toute discrétion si quelque chose peut être accompli en
Afrique.» (Roeykens, P.A., 1955: 95-96 cité par Hochschild, A., 1998 : 57) Léopold II constata que
Livingston, Stanley et les autres explorateurs avaient réussi à émouvoir les Européens avec leurs
descriptions de négriers « arabes », convoyant des tristes caravanes de captifs enchaînés vers la côte est
de l’Afrique. Roi d’un pays dont la population ne s’intéressait pas aux colonies, il savait que toute
tentative de colonisation de sa part devrait comporter un fort vernis humanitaire.
Parmi ses objectifs, il se devait de souligner la diminution de la traite des esclaves, l’élévation morale et
les progrès de la science, et non les bénéfices. En 1876, il lança l’organisation d’une manifestation
destinée à établir son image de philanthrope et à lui permettre de faire avancer ses ambitions africaines :
une conférence d’explorateurs et de géographes dont il serait l’hôte […] A l’issue des entretiens avec
l’explorateur, Léopold découvre avec enchantement que les Britanniques ne s’intéressent que de loin
aux vastes territoires dont Cameron vient d’entamer la reconnaissance. Le bassin du fleuve Congo en
constitue apparemment la majeure partie – bien que Cameron lui-même ait voyagé très au sud du fleuve
et qu’il n’ait pas encore d’idée claire sur son cours, comme tout le monde en Europe. Cette région
devient donc l’objet des désirs du roi (Hochschild, 1998 :57).
1. La conjoncture internationale
Même si mon étude porte sur la sociologie historique de la dépendance financière des Églises d’Afrique
centrale, l’on ne peut nullement se permettre d’ignorer la conjoncture internationale de leur implantation
dans ce continent et qui ont entièrement déterminé leur cadre général de travail, notamment les aspects
économico-financiers dont les conséquences sont nettement perceptibles aujourd’hui dans le vécu
quotidien de chacune de ces Églises.
C’est pourquoi, sans m’y appesantir, je me propose de dégager ce que Allain (1985 :19) appelle
l’émergence internationale de l’Afrique noire et la convergence des diplomaties européennes mises à
contribution à la Conférence de Berlin sur « l’Afrique occidentale » pour désamorcer les conflits de
83
puissance, surgis dans cette région et susceptibles d’aggraver les tensions intereuropéennes dans une
conjoncture déjà troublée. Pendant longtemps, l'intérieur du continent africain, souvent difficile d'accès,
n'a pas intéressé les puissances européennes qui se contentaient d'y établir des escales ou des comptoirs
de commerce.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'appétit des puissances européennes est stimulé par la découverte
de richesses insoupçonnées, à l'image des mines de diamants du Transvaal découvertes en 1867. Durant
les années 1880, les visées colonisatrices européennes en Afrique s'intensifient jusqu'à créer des tensions
entre les différentes puissances. Ces luttes coloniales suscitent ainsi un débat sur la conquête de l’ancien
Royaume du Kongo (qui s’étendait sur quatre pays actuels : Angola, RDC, Congo Brazzaville et
Gabon). Le Portugal conçoit alors l’idée d’une conférence internationale pour le partage de cette région.
L’idée fut immédiatement reprise par l’Allemagne avec le chancelier Otto Bismarck qui se pose en
médiateur de la crise, profitant de l'occasion pour affirmer un peu plus le rôle central de
l'Allemagne dans le concert des nations. Il convoqua la Conférence de Berlin. Celle-ci marqua
l’organisation et la collaboration européenne pour le partage et la division de l’Afrique.
Cette conférence commença le 15 novembre 1884 et finit le 26 février 1885. À l'initiative du Portugal et
organisée par Bismarck, quatorze puissances participent au débat : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie,
la Belgique, le Danemark, l'Empire ottoman, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie,
les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Suède-Norvège ainsi que les États-Unis.
Il convient de souligner que les peuples et les rois africains sont tenus à l'écart de toutes les discussions,
ils sont tout simplement ignorés. La conférence présente un ordre du jour plus important que la simple
question congolaise. On y parle principalement de la liberté de navigation et de commerce ainsi que des
modalités d'installation sur les côtes. À cette conférence fut décidé le partage systématique de l'Afrique
et l'installation de façon durable de la colonisation de l'Afrique. La conférence de Berlin aboutit donc à
édicter les règles officielles de colonisation. Dans cette conférence, deux conceptions s'opposent. D'un
côté, Bismarck entend garantir la liberté de navigation et de commerce dans toute la zone. De l'autre,
le Portugal, soutenu par le président du conseil français Jules Ferry, conçoit les colonies comme un
monopole commercial détenu par la métropole. Finalement, la conférence établit une liberté de
commerce étendue dans les bassins du Congo et du Niger, mis à part dans le domaine du transport
d'armes.
Les frontières du nouvel État sont fixées : au total, Léopold II de Belgique reçoit, à titre personnel, deux
millions et demi de kilomètres carrés qui deviendront plus tard l'État indépendant du Congo. Au nord-
84
ouest de l'État ainsi formé, 500 000 km2 reviennent à la France (bientôt baptisé Congo-Brazzaville). La
France se voit aussi attribuer la partie intérieure du Niger dont le Royaume-Uni contrôle le delta. Du
côté allemand, on espère que les concessions territoriales faites à la France atténueront le ressentiment
né de la perte de l'Alsace-Lorraine à la suite de la guerre franco-prussienne de 1870. Le Portugal
abandonne ses prétentions au nord de l'estuaire du Congo, sauf concernant l'enclave de Cabinda.
En outre, elle établit les règles à respecter en cas de nouvelles conquêtes et précise le droit des uns et des
autres à faire du commerce dans les zones fluviales et portuaires. Jean-Claude Ceillier reconnaît qu’il est
difficile d’imaginer qu’un tel contexte international de rivalités et d’ambitions ne rejaillisse pas sur le
développement des missions. Quel que soit en effet le souci des sociétés missionnaires de se tenir au-
dessus des ambitions politiques, dit-il, la présence de pouvoirs coloniaux jaloux de leurs prérogatives
influence inévitablement les projets missionnaires et les relations entre la mission et les autorités en
place. C’est donc dans une Afrique de plus en plus sous contrôle que les Pères Blancs commenceront
leur mission d’évangélisation, en cette seconde moitié du XIXe siècle (2008 :13).
La corrélation avec la « civilisation » s’effectue par trois relais : le commerce, l’éducation, la liberté,
dont la réalisation par les Puissances contribuera au « bien-être moral et matériel des populations »,
comme le dit le préambule.
Cette formule du « bien-être », l’ambassadeur britannique l’emploie dans sa réponse à Bismarck qui ne
l’évoquait pas, pour en faire un des principes à ne pas oublier dans le débat. Il est le seul à indiquer
85
nettement les limites et, par la suite, l’ampleur des responsabilités de la Conférence : « Je me dois de
rappeler que (les Indigènes) ne sont pas représentés dans notre sein et que, cependant, les décisions de la Conférence auront
pour eux une gravité extrême » (Ibid. :30). Ainsi donc, vis-à-vis des populations indigènes « qui, pour la plupart, ne doivent
pas sans doute être considérés comme se trouvant en dehors de la communauté du droit des gens mais qui, dans l’état
présent des choses, ne sont guère aptes à défendre elles-mêmes leurs intérêts, la Conférence a dû assumer le rôle d’un tuteur
officieux. » (Ibid.)
Ce tutorat collectif s’exprime par la codification qu’acceptent les puissances pour leurs actions dans le
bassin conventionnel et qui concernent l’environnement des populations indigènes ; il tend à leur créer
un cadre d’existence, sinon de développement, mais ouvert à la tutelle que l’une ou l’autre des
Puissances parviendra à instaurer dans la zone non revendiquée par l’A.I.C.
La perception du rapport est naturellement hiérarchique, la relation conçue d’emblée comme inégale,
dans ce préalable à la future pénétration européenne, dont les règles sont à convenir. Le délégué
américain, John Kasson, fait observer, le 31 janvier 1885, que « le droit international moderne suit fermement
une voie qui mène à la reconnaissance du droit des races indigènes de disposer librement d’elles-mêmes et de leur sol
héréditaire » ; n’y aurait-il pas lieu, pour les futures occupations européennes, d’ériger en principe, pour leurs
reconnaissances internationales, « le consentement volontaire des Indigènes dont le pays est pris en possession, dans tous les
cas où ils n’auraient pas provoqué l’acte agressif ? » Audacieuse proposition qui ne donne pas lieu à débat et
que vivement écarte le président (allemand) de la séance par une phrase laconique : « c’est une question
délicate », entendons tout à fait intempestive, voire quelque peu subversive… (Ibid. :31).
« Toutes les puissances exerçant des droits de souveraineté ou une influence dans lesdits territoires, y est-il dit, s’engagent à
veiller à la conservation des populations indigènes et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles d’existence,
et à concourir à la suppression de l’esclavage et surtout de la traite des Noirs ; elles protégeront et favoriseront, sans
distinction de nationalités ni de cultes, toutes les institutions et entreprises religieuses, scientifiques ou charitables créées ou
organisées à ces fins ou tendant à instruire les indigènes et à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la
civilisation. Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs escortes, avoir et collections seront également
l’objet d’une protection spéciale. La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expressément garanties aux
86
indigènes comme aux nationaux et aux étrangers. Le libre et public exercice de tous les cultes, le droit d’ériger des édifices
religieux et d’organiser des missions appartenant à tous les cultes ne seront soumis à aucune restriction ni entrave »
(Allain, J.-C.,1985:48).
Cependant, ainsi que le relève Elikia M’Bokolo, tout le monde avait à l’esprit non pas la prétendue
« mission civilisatrice » à laquelle concourait une Europe devenue brusquement unanime, mais plutôt
les intérêts bien entendus du commerce et de l’économie de chacun des États. Au lieu de parler de
mission civilisatrice, il est plus juste, ajoute l’auteur, de parler d’asservissement des peuples et
d’exploitation des richesses de l’Afrique. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre parler le cardinal
Lavigerie quand il donne une caution spirituelle à ce double langage et à cette hypocrisie.
Au moment de lancer en 1888 une souscription destinée à financer les opérations de lutte contre
l’ « esclavagisme arabe », il prit bien soin d’indiquer à ses interlocuteurs les enjeux contrastés de cette
nouvelle croisade : « La quatrième partie de la terre, jusqu’alors fermée, s’est ouverte avec ses richesses sans nombre,
ses mines, la fertilité de son intérieur, son soleil fécondant, ses eaux abondantes. Mais il ne m’appartient pas de parler, je le
répète, ni de commerce ni d’industrie. Je ne suis que la voix criant au désert : préparez les voies du Seigneur, c’est-à-dire les
voies de la vérité et de la justice.» (Ferro, M., dir., 2003 :437)
Comme le dit Joseph Mathiam, nul du reste n’a jamais contesté l’action éducative, culturelle et sociale
de l’Église catholique en Afrique et les Africains lui vouent pour cela une reconnaissance unanime. En
même temps qu’ils menaient une action éducative et sanitaire, les missionnaires s’appliquèrent à l’étude
des langues locales.
Leur œuvre pour la promotion et l’enrichissement de dialectes africains est inestimable. Ils furent les
premiers et souvent les seuls Européens à parler ces langues et à les étudier systématiquement, à en fixer
les règles de grammaire et la syntaxe et à édicter des dictionnaires, des bibles, des catéchismes.
Plusieurs missionnaires se sont avérés des pionniers en Anthropologie, Sociologie et Ethnologie, et ont
laissé un nom dans la littérature coloniale (1985 :217). Mais pour l’auteur, l’examen de l’action de
l’Église catholique en Afrique ne peut pas éluder une critique souvent formulée contre les missionnaires
accusés de collusion, voire de complicité avec les colons et les impérialistes. J’y reviendrai dans le
troisième chapitre. C’est dans ce contexte sociopolitique mouvant en Europe et déterminant pour
l’avenir du continent africain que le cardinal Charles Lavigerie conçoit, élabore et met en exécution ses
projets longtemps nourris pour l’Afrique : l’envoi des missionnaires pour participer à cette grande
entreprise missionnaire pour la deuxième évangélisation de l’Afrique.
87
D. Les projets apostoliques du Cardinal Charles Lavigerie
L’évangélisation constituait le troisième plan - avec l’administration et le commerce - sur lequel
s’exerçait le processus de modernisation et, donc, d’accès à la culture extérieure. Les trois éléments
allaient constituer ce que Ndaywel appelle les composantes de la trinité coloniale (1998 :345).
L’enseignement dépendait de l’évangélisation et celle-ci continuait à se réaliser suivant deux optiques
distinctes, celle du catholicisme et celle du protestantisme, le premier étant subventionné par l’État
indépendant du Congo. C’est l’évangélisation catholique qui fait l’objet de mone étude. Toutefois,
j’évoquerai de temps à autres l’expérience protestante quand cela sera nécessaire.
Peu après, Lavigerie obtint de Rome leur transformation en provincariats et la création de deux
nouvelles missions : celles du Congo septentrional et du Congo méridional, qui s’étendaient sur le cours
supérieur du fleuve jusqu’à la hauteur de Stanley Pool. On était en septembre 1880. Auparavant,
Lavigerie s’était préoccupé d’intéresser la générosité internationale à son action ; ainsi avait-il sollicité
l’appui de Léopold II afin qu’il sensibilise les catholiques belges.
Le roi fut favorable à ce projet tout en souhaitant, conformément à son projet politique, que priorité soit
accordée aux prêtres missionnaires d’Afrique de nationalité belge. En effet, comme le dit Isidore
Ndaywel, l’avènement de l’État indépendant du Congo, à l’issue de la Conférence de Berlin, favorisa les
projets politiques du roi Léopold II qui jugea inopportune la présence de prêtres non belges au Congo
(Ibid. :346). C’est donc, entre autres missions principales de lutter contre l’esclavagisme mené par les
Arabes, toute cette région orientale et équatoriale de l’Afrique qui fut confiée au cardinal Lavigerie.
Mon travail ne consistant pas en une historiographie des prélats missionnaires ni de toutes les œuvres
qu’ils ont réalisées depuis 1906, je veux seulement, à travers la description de leur ministère, relever les
événements significatifs au niveau sociopolitique et religieux qui se sont succédés et qui ont marqué la
croissance de l’Église locale du vicariat apostolique du Kivu.
88
2. La fondation des premières missions dans la région des Grands Lacs
Le 15 mai 1865, Charles Lavigerie, jusqu’alors évêque de Nancy (France), arrive à Alger où il vient
d’être nommé archevêque. Il a quarante et un ans, et il restera en charge de cette Église locale jusqu’à sa
mort, en 1892. C’est dans le cadre de cette charge nouvelle qu’il fonde deux instituts missionnaires pour
l’Afrique, celui des Sœurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique et celui des Missionnaires d’Afrique
(Ceillier, J.-C., 2008 :10), futurs pères fondateurs du Vicariat apostolique du Kivu. La première équipe
de missionnaires débarque à Zanzibar, en mai 1878. Quand les missionnaires d’Afrique du cardinal
Lavigerie y arrivent, sur un fond de tableau politique et économique assez varié, une réalité s’impose
dramatiquement dans l’ensemble des régions parcourues par les caravanes arabes, celle du commerce
des esclaves. Il est contrôlé et organisé par des commerçants venus de la péninsule arabique. Ils
organisent de puissantes caravanes qui s’enfoncent profondément vers l’Ouest, puis ramènent leurs
prises vers la côte et Zanzibar où les esclaves alimentent un marché prospère.
Comme le rappelle Ceillier, les Européens n’étaient pas étrangers au trafic d’êtres humains en Afrique
pour en avoir été eux-mêmes d’actifs organisateurs aux siècles précédents, sur l’autre versant du
continent. Les traites négrières transatlantiques, qui ont duré quatre siècles, dit l’auteur, restent une
tache indélébile de l’histoire, dont les pays européens responsables ont à assumer l’incroyable
inhumanité (2008 :120). Les Pères Blancs furent les premiers Européens à pénétrer au Rwanda en 1879.
Les premières tentatives d’évangélisation ne furent pas couronnées de succès. Deux Pères furent même
tués par la population à Rumonge. Mais à partir de 1896, la mission s’implanta et se développa
rapidement. Le premier prêtre rwandais fut ordonné en 1917. En 1922, le pays était érigé en vicariat
apostolique.
Et le 14 février 1952, le Rwanda avait son premier évêque en la personne de Mgr Louis Bigirumwami,
vicaire apostolique de Nyundo. Quant au Burundi voisin, la première mission fut fondée par les Pères
Blancs en 1879 sur les bords du lac Tanganyika. Jean Robert de Benoist fait observer qu’alors que les
Allemands, maîtres du pays, collaboraient surtout avec les Tutsis, qui constituaient l’aristocratie
dominante dans les deux pays, les missionnaires, la plupart français, travaillaient à la promotion des
Hutus, qui formaient, au Burundi comme au Rwanda, la très grande majorité de la population (plus de
80%). Ils les firent surtout à travers les écoles (1991 :85). Le vicariat apostolique du Burundi fut créé
aussi en 1922, le premier prêtre fut ordonné en 1925, le premier évêque burundais fut Mgr Ntuyahaga,
ordonné vicaire apostolique d’Usumbura le 11 juin1959. Les fils de Lavigerie étant déjà aux portes de
l’est du Congo, il ne leur restait plus qu’à franchir soit les lacs Tanganyika et Kivu, soit la rivière Ruzizi
pour y commencer leur action socio-pastorale qui va durer plus d’un demi-siècle.
89
Section 4: L’arrivée des Missionnaires d’Afrique ou Pères Blancs à Bukavu
C’est dans un contexte colonial, rappelons-le, que les missionnaires arrivent en Afrique. La tâche
s’annonce ardue. Que faire pour s’attirer la sympathie des indigènes devenus par trop méfiants aux
« hommes à la peau blanche », avec les répressions sanglantes et les humiliations subies auparavant par
la cruelle force publique de l’État Indépendant du Congo de Léopold II ? En effet, les premiers
missionnaires sont des religieux belges. Ils arrivent au Kivu dans un contexte particulièrement critique.
C’est la période de l’implantation coloniale. Celle-ci ne se déroule pas sans heurt. A Bukavu, par
exemple, les esprits sont surchauffés. Le roi des Bashi, le mwami Kabare oppose une farouche
résistance à l’envahisseur blanc. Les indigènes arrêtent et tuent le lieutenant Tombeur ; toute sa suite est
massacrée. En représailles, plusieurs contrées du Bushi sont alors mises à feu et à sang. C’est ainsi que
le village de Shakishe, pour ne citer que celui-là, est pratiquement le théâtre des massacres dictés par la
folie meurtrière des colons surexcités et revanchards.
A. Les premiers contacts avec les populations autochtones Shi et les premières difficultés
C’est dans ce climat de totale désolation et de méfiance des autochtones que les agents de
l’évangélisation débarquent. Car pour les Bashi, « tous les Blancs sont les mêmes, d’ailleurs ils parlent une
langue incompréhensible pour eux. Les missionnaires, vêtus d’un habit blanc, le gandoura, avec une longue
barbe et un long cauris au coup. Ils ne sont autres que des espions au service de l’administration coloniale. Ils
sont venus et chargés de faire accepter celle-ci en se montrant plus doux et sympathiques, en saluant gentiment
les gens, en se rapprochant des populations, en leur posant beaucoup de questions pour connaître leurs langues,
leurs us et coutumes, et enfin en leur parlant d’un Dieu sauveur... »
C’est entre autres pour cette raison que pendant longtemps, beaucoup d’autochtones refuseront de se
convertir à la religion du Blanc. Cette méfiance des Bashi envers les missionnaires subsistera pendant
très longtemps. Elle sera même exacerbée par l’attitude des premiers missionnaires vis-à-vis des
coutumes ancestrales des populations. En 1908, ils étaient déjà définitivement installés.
1. Une méfiance et un malentendu dus à l’origine commune des missionnaires et des colons
Même jusque dans les années qui ont précédé les indépendances des pays africains, cette méfiance était
réelle, comme le prédit déjà à cette époque Guy Mosmans qui reconnaît que maintes circonstances l’y
invitent : « L’Église portera longtemps encore le poids d’un fait historique dont elle n’est pas responsable, mais qui a
marqué son implantation. L’évangélisation en Afrique a marché de pair avec la conquête coloniale. L’Église a parfois
soutenu le régime colonial comme étant alors indispensable pour faire régner la paix ou pour apporter la prospérité. Elle en
a souvent bénéficié dans la mesure où la colonisation a pu favoriser la dispersion des missionnaires à travers le continent
africain. Elle a bien souvent été tributaire des subsides pour ses écoles et pour ses œuvres, parfois pour ses églises. »
(1958 : 8. Cf Annexe 6)
90
Il est intéressant de voir comment les Africains avaient à cette époque-là des avis divergents sur ce que
d’aucuns ont appelé récemment les bienfaits de la colonisation. Deux figures-types peuvent être
évoquées, Mgr Maranta, un évêque ougandais, et le président ghanéen, Nkwamé Nkrumah. Le premier,
tout en se réjouissant que l’ère des colonies touche à sa fin, estime qu’un Africain, qui voit dans sa foi
catholique son plus grand trésor, voudra bien se rendre compte que la colonisation a été avant tout un
instrument dans les mains de la Providence pour gagner l’Afrique au Royaume du Christ. Même si,
ajoute-t-il, les colonisateurs pouvaient avoir des objectifs très différents, pour répandre l’Évangile, ils
n’étaient que des instruments entre les mains de Dieu. (Mosmans, G., 1958 :7)
De son côté le chef de l’État ghanéen n’hésite pas à écrire : « Le scénario commence par l’apparition des
missionnaires et d’ethnologues, de commerçants, de concessionnaires et d’administrateurs. Pendant que les missionnaires,
avec le christianisme déformé, demandent au sujet colonial ‘d’amasser des trésors du ciel où ni la mite, ni la rouille ne les
détruisent’, les commerçants, les concessionnaires et les administrateurs disposent de ses ressources minérales et agricoles,
détruisent ses arts, ses métiers et ses industries locales. » (Ibid.)
Ainsi, alors que Mgr Maranta en appelle à la foi pour trouver une explication recevable de la
colonisation, le Dr Nkrumah souligne, dans un contraste brutal, des faits dont tout Africain a souffert
d’une manière ou d’une autre. Et Alioune Diop, comme pour trancher entre les deux précédents,
souligne : « Profiter de notre docilité de chrétiens à l’autorité religieuse (qui dans les hautes sphères demeure toujours
européenne) pour nous rendre dociles à l’autorité de la politique coloniale, telle est la chance que les hommes politiques
n’ont jamais cessé d’espérer et d’exploiter. » (1957 : 145) Cela paraît à la fois tragique et injuste car le
christianisme et la colonisation n’ont aucunement un destin lié.
Dans l’Afrique noire, à l’heure actuelle, la colonisation s’avère, au plan des faits, comme un obstacle à
l’implantation de l’Église (Mosmans, G., 1958 :8). C’est cet état d’esprit qui a incité les Evêques du
Cameroun à écrire, en avril 1955, une lettre collective pour réfuter les accusations dont les évêques et
les chrétiens européens étaient victimes : « Depuis quelque temps nous éprouvons beaucoup de peine quand nous
apprenons les calomnies auxquelles, un peu partout, l’Église catholique et ses représentants sont en butte. On entend dire :
‘Il ne faut pas croire les missionnaires : ce sont des Blancs comme les autres qui ne cherchent que leurs intérêts au détriment
des Noirs. Ils ont volé aux Noirs des terrains : ils ont empêché l’évolution des Africains : ils sont les alliés des
colonialistes. »28
28
Cf. Ossama, N., 1998: 47. Mgr René Graffin, Archevêque de Yaoundé fut particulièrement accusé par certaines élites
influentes camerounaises d’être de mèche avec le pouvoir colonial pour ne pas donner l’indépendance au pays. Il fut même
pris à parti dans une église où on l’enferma pendant des longues heures avant que les forces de l’ordre ne viennent l’en
délivrer.
91
Dans bien d’autres pays, en l’occurrence le Congo belge, la hiérarchie a été amenée, en de multiples
occasions, à faire le point face aux nationalismes africains mais de telles prises de position n’ont pas
suffit à apaiser les inquiétudes des Africains et de leur donner toutes les assurances souhaitables pour
l’avenir. Mosmans révèle qu’il n’y a pas que des Africains qui en voulaient à l’Église catholique. Il
montre que dans le conflit de plus en plus aigu qui oppose colonialistes et anticolonialistes (Ibid. : 1-2)
durant la dernière décennie de la colonisation, l’Église occupe une situation particulièrement
inconfortable. Les anticolonialistes lui reprochent d’avoir partie plus ou moins liée avec les nations
colonisatrices, de ne pas vouloir efficacement l’émancipation complète et rapide des peuples africains et
de se prêter en conséquence aux manœuvres de diversion ou de retardement.
De leur côté, les colonialistes parlent avec amertume de l’ingratitude de l’Église, de son cynisme même
car, après avoir accepté sans réticences l’aide financière, en certains cas très importante (cas de
l’Afrique Belge), des gouvernements coloniaux, elle s’empresse de retirer son épingle du jeu et de fuir
le navire qui menace de couler. Certains lui reprochent de se livrer à une démagogie facile afin de garder
son « empire » sur les masses africaines (Ibid.).
Pour comprendre cette méfiance et ce mépris dont ils étaient victimes, il faut se référer à la conception
du célibataire dans les cultures bantoues. En effet, depuis longtemps dans toute l’aire bantu 29, un homme
célibataire n’avait aucune considération sociale, il n’avait pas droit à la parole dans l’assemblée lors
d’un conseil du village. Aux yeux des adultes, c’est un irresponsable et ne peut avoir aucun conseil à
donner, surtout pas aux hommes mariés. Au contraire, il constitue un danger pour le village ; c’est
pourquoi il faut éviter qu’il soit en contact avec les femmes et les filles de village.
29
On nomme Bantu un ensemble d’ethnies parlant quelques 500 langues apparentées, dites bantu. Les langues bantu
constituent le groupe linguistique le plus important d’Afrique et celui dont l’aire géographique est la plus vaste puisqu’elle
s’étend du Cameroun jusqu’en Afrique du Sud.
92
Quand, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les missionnaires entrent en contact avec les
populations autochtones du Kivu essentiellement bantu, celles-ci ont du mal à comprendre comment des
hommes aussi adultes avec leur longue barbe30 peuvent être célibataires et prétendre parler au nom du
Dieu Transcendent, que les Africains connaissaient bien du reste et le rôle d’intermédiaires que jouaient
les ancêtres entre les vivants et Dieu, rôle qu’ils refusaient catégoriquement d’attribuer à ces prêtres
blancs célibataires. A supposer qu’ils aient laissé leurs femmes et enfants en Europe pour venir seuls en
Afrique, cela ne serait pas moins critiqué car un responsable ne peut pas abandonner sa famille pendant
si longtemps pour aller vivre très loin seul.
C’est pour cela que beaucoup de parents africains, jusqu’à une époque récente, s’opposaient
radicalement à l’entrée de leurs fils dans la vie religieuse qu’ils considéraient comme anormale et
scandaleuse. Plusieurs cas sont connus dans le Vicariat apostolique du Kivu où les candidats au grand
séminaire étaient systématiquement bannis de la famille et du clan.
3. Une méfiance due à l’attitude des missionnaires face à l’organisation socioculturelle du Bushi
Un troisième élément qui a constitué une source de malentendu et donc de méfiance entre Africains et
missionnaires Pères Blancs dans le Vicariat apostolique du Kivu, comme partout ailleurs sur le
continent, c’est le non respect par les derniers des traditions et savoir-faire de l’Afrique, notamment
dans les domaines socioculturelle et économique (Elikia M’bokolo et alii, 2004 :392).
Dans sa thèse classique, Georges Balandier a bien décrit la « situation coloniale » comme « la domination
imposée par une minorité étrangère, « racialement » et culturellement différente, au nom d’une supériorité raciale (ou
ethnique) et culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement inférieure ; la mise en rapport de
civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne
s’imposant à des civilisations sans techniques complexes, à économie retardée, à rythme lent et radicalement « non
chrétienne » ; le caractère antagoniste des relations intervenant entre les deux sociétés s’explique par le rôle d’instrument
auquel est condamnée la société dominée ; la nécessité, pour maintenir la domination, de recourir non seulement à la
« force » mais encore à un ensemble de pseudo-justifications et de comportements stéréotypés, etc. » (1955 : 34-35, cité
par M’Bokolo ELikia, 2004: 292)
Ainsi le christianisme fut exporté mais non adapté, nous dit Elikia M’Bokolo, la « médecine des
Blancs » introduite sans tenir compte des compétences et des savoirs accumulés pendant des siècles ni
des systèmes locaux de représentation de la maladie, la scolarisation imposée sans lien avec le
30
La longue barbe que portaient tous les missionnaires de l’époque et leur état de célibataires paraissaient très
paradoxalement incompréhensibles aux yeux des Africains pour qui la barbe était un signe caractéristique de la sagesse, de
la maturité, vertus non reconnues aux célibataires.
93
patrimoine culturel ou le statut des enfants. Le modèle suprême était évidemment la société européenne
à laquelle les Blancs se croyaient un devoir d’amener les Noirs. Dès lors, la religion et l’éducation
s’intégrèrent à la politique coloniale pour conjuguer leurs effets avec la mise en valeur économique
(Ibid. : 2004 :292). Par ailleurs, les premiers missionnaires ont eu affaire face au mode de vie
sociopolitique et économique ainsi que les croyances religieuses des populations du Bushi.
Contrairement au malentendu non intentionnel dont parle Jean-François Baré dans ses travaux sur les
communautés autochtones de Tahiti lors du premier contact entre les civilisations insulaires isolées au
cœur de l’immense Pacifique et les Anglais, dès le début de leurs contacts (2002 :1-2), un malentendu
s’installe entre les missionnaires et les Africains.
Car les fils de Lavigerie, convaincus que les masses africaines ne connaissent pas Dieu mais vivent
plutôt dans l’ombre du paganisme et sous l’emprise de Satan, il faut vite les convertir pour arracher
leurs âmes de ses griffes et de la malédiction de leur ancêtre lointain, Cham. Pour cela, ils devront
abandonner leur religion traditionnelle et les coutumes ancestrales « rétrogrades ». Les Pères fustigent la
polygamie, la sorcellerie et le fétichisme. Ils engagent une lutte sans merci contre ces pratiques et autres
coutumes jugées par eux idolâtriques. Les garants de la tradition et les néophytes africains perdront, par
moment et par endroit, patience. Certains retourneront aux pratiques ancestrales. D’autres, par contre,
seront séduits par l’action missionnaire notamment grâce à l’assistance sociale et caritative, telle, par
exemple, les soins médicaux, l’apprentissage de nouveaux métiers. Après leur séjour à Lusenda, les
pères rencontrent au Bushi un conditionnement historique et géographique tout à fait nouveau. Ils
découvrent un peuple sédentaire, solidement enraciné dans une tradition patriarcale minutieusement
hiérarchisée.
Tous les secteurs de la vie oscillent autour des trois axes centraux : le bananier, la vache et le Mwami,
c’est-à-dire le chef traditionnel. Ce dernier incarne le pouvoir, aussi bien politique que religieux.
Contrairement à la mission de Lusenda, le Bushi n’a jamais souffert de la maladie du sommeil. Les
missionnaires sont donc obligés de revoir leur méthodologie et leur prédication. Par leur détermination
et leur courage, ils se feront peu à peu accepter comme étant différents des autres Blancs, en tenue autre
que celle des missionnaires. Tout compte fait, le parcours historique qui a porté les Missionnaires
d’Afrique au cœur du Vicariat apostolique du Kivu fut jonché de difficultés diverses. Il a fallu beaucoup
de patience, de tact, de délicatesse pour se faire accepter comme crédibles et sérieux. C’est grâce à leur
foi profonde, leur détermination et leur courage inébranlables qu’ils en viendront à bout.
94
Aucun fanatisme, aucun prosélytisme ne sauraient expliquer à eux seuls leur héroïsme jugé parfois de
téméraire. Ils avaient reçu de leurs supérieurs des directives et des consignes strictes et précises. Celles-
ci ne leur seront parfois d’aucune utilité. Car étant donné les modes de vie différents de l’Occident, les
missionnaires vont être amenés à être créatifs et penser de nouvelles stratégies pour pouvoir s’adapter et
se socialiser dans leur nouveau milieu.
En effet, les missionnaires avaient fini par comprendre la nécessité d’instaurer un système de
communication interculturelle que sont les situations de « découverte », comme celle qui, à la fin du
XVIIe siècle, institue de baroques dispositifs de communication entre communautés tahitiennes et
européennes, tel qu’elle est analysée par Jean-François Baré (2002 :3). Il s’est développé nécessairement
des relations basées sur une connaissance par définition progressive et inachevée des unes sur les autres,
sur une sorte d’anthropologie « sauvage » au sens de la Pensée sauvage selon Claude Lévi-Strauss.
Dès lors, nous dit l’auteur, l’histoire des interactions culturelles – et de ce fait, pourrait-il sembler,
l’histoire tout court – peut être vue pour partie, avec l’accélération des échanges internationaux, comme
le résultat de cette accommodation progressive de chacun sur tous les autres, comme un travail,
perpétuellement en devenir, d’appréhension de l’altérité (Ibid.). Ce regard positif de l’Africain permit
aux missionnaires de trouver des moyens de se socialiser. Ils les trouvèrent notamment dans l’amitié
avec des Chefs locaux, le recrutement des catéchistes autochtones et l’apprentissage des langues locales.
1. L’amitié avec les Chefs locaux et une collaboration prudente avec l’autorité coloniale
Les amitiés avec le sous- chef coutumier Nyangezi tout comme le Chef coutumier, Na-Ngweshe, ou le
Grand Chef coutumier (Mwami) Kabare autour duquel tout le peuple Bashi en général se retrouvait, ont
permis aux missionnaires d’éviter les erreurs de l’administration coloniale31, mais aussi d’obtenir d’eux
31
L’une des raisons d’échec de contact entre les agents de l’administration coloniale et les populations autochtones dans le
Bushi comme de partout au Congo, c’est d’avoir dans un premier temps ignoré par les premiers la place et le prestige dont
jouissaient les Chefs traditionnels auprès de leur peuple. Il suffisait d’une arrogance envers leur chef pour se voir rejeté par
ce peuple.
95
des faveurs en termes de concessions foncières. Parfois, cette relation amicale entre le missionnaire et
l’autorité locale traditionnelle aboutissait à la conversion de celle-ci au christianisme, avec comme effet
d’entraînement, l’adhésion de la population à la nouvelle religion de son chef, comme pour confirmer le
principe « cujus regio, huius religio ».
D’ailleurs, dans ses directives adressées à la première caravane à l’Afrique Equatoriale, Lavigerie
souligne cet avantage pour les missionnaires d’avoir l’amitié des chefs traditionnels. Ceillier nous donne
la recommandation du cardinal à ses missionnaires : « Dans une société violente, subdivisée en une multitude de
tribus qui vivent à l’état patriarcal, ce qui importe surtout c’est de gagner l’esprit des chefs. On s’y attachera donc d’une
manière spéciale, sachant qu’en gagnant un seul chef on fera plus pour l’avancement de la Mission, qu’en gagnant
isolément des centaines de pauvres Noirs. Une fois les chefs convertis, ils entraîneront tout le reste après eux… Dans le
principe surtout, il est important de ne s’adresser qu’aux chefs et aux tribus, auprès desquels on sera moralement certain de
trouver un accueil favorable, afin de faire une brèche plus rapide dans la masse indigène… » (2008 :63).
C’est ainsi qu’ils réussirent à convertir le sous-chef Nyangezi, à partir duquel son peuple n’eut plus de
peine à accepter le baptême du Blanc. Le Mwami Kabare Kaganda fut baptisé sous le nom
d’Alexandre. Toutefois, en ce qui concerne la collaboration avec l’autorité coloniale, le cardinal
Lavigerie recommande à ses missionnaires une grande prudence pour éviter des écueils qui pourraient
compromettre leur travail. Dans son allocution pour le départ de la neuvième caravane, le 29 juin 1890,
il leur dit ceci : « Vous allez vous trouver, dans le centre de l’Afrique, au milieu des compétitions, des divisions, des
passions, souvent légitimes, de toutes les nations engagées dans les querelles d’où dépend l’avenir africain. Ne prenez
jamais parti pour quelque cause politique que ce puisse être ; ne soutenez aucun intérêt que celui de la foi et de l’humanité ;
soyez pleins de respect pour l’autorité, partout où elle est établie ; donnez à tous également le concours de votre charité ; ne
laissez jamais mêler ni votre cause, ni votre nom à des intérêts humains ; s’il l’on vous accuse contre toute vérité, protestez
encore, n’acceptez pas qu’on méconnaisse en vous des hommes vraiment apostoliques, c’est-à-dire sachant embrasser dans
un égal amour toutes les nations d’ici-bas. Prouvez surtout, par les faits plus encore que par les paroles, que c’est là votre
seule pensée. » (Ibid. : 112-113)
Pour démontrer le caractère international que doit avoir tout missionnaire dans l’Afrique équatoriale, il
leur demande de considérer la composition même de leur famille religieuse, qui est essentiellement
internationale : « Vous n’avez, pour vous pénétrer de l’esprit de votre Société et de l’esprit de l’Église qui vous envoie,
qu’à regarder les membres dont votre troupe apostolique est composée. J’ai voulu à dessein que toutes les nations dont les
intérêts sont en présence dans notre Afrique, y fussent représentées. Ce ne sont pas seulement des Français que je vois parmi
vous, comme cela est naturel, puisque votre Œuvre est née et a fleuri sur le sol de la France ; j’y vois les noms de
l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Belgique, en un mot, de toutes les Puissances qui, jusqu’à ce jour, ont combattu pour la
civilisation africaine (…) Sans doute il faut aimer d’abord sa propre patrie ; c’est la loi de la nature. Mais il faut savoir
s’élever au-dessus de cette loi et confondre toutes les nations dans le même amour ; c’est la loi de l’Évangile, qui ne va pas
contre la nature, mais qui l’élève à une sphère plus haute, la sphère surnaturelle à laquelle Dieu vous appelle. » (Ibid.)
96
Les relations avec les chefs traditionnels n’étaient toujours pas cordiales, elles étaient même parfois
tendues. C’était généralement quand les intérêts des uns et des autres se trouvaient lésés. Pour les chefs
traditionnels, c’était quand ils estimaient que leur pouvoir était diminué, que leurs sujets étaient pris
pour aller travailler dans les champs des missionnaires, ou pour aller vivre dans le camp des catéchistes-
enseignants construit pour eux par les missionnaires quand ceux-ci estimaient que les chefs traditionnels
ne collaboraient pas pour aider à la conversion de ses populations.
En effet, des Noirs convertis au christianisme continuaient à vivre dans la société indigène sous
l’obéissance du chef, quoiqu’ils aient renoncé aux pratiques coutumières. Tant qu’ils se trouvaient
isolés, ils étaient souvent l’objet des tracasseries des leurs, surtout des vieux. Ceux-ci s’imaginaient que
l’infidélité au culte des esprits et aux pratiques superstitieuses traditionnelles leur attirerait des malheurs.
Mais, dès que ces convertis formaient un groupe, quelque peu important, ils étaient respectés et la
jeunesse pouvait se joindre à eux. Quelques-uns, toutefois, pour échapper aux railleries sociales ou pour
se trouver dans un milieu qui répondait mieux à leur idéal, venaient se fixer à proximité des missions et
y formaient, avec les orphelins formés par les missionnaires des villages chrétiens.
Les questions économico-financières n’étant jamais aisées à aborder dans l’Église catholique, même
Lavigerie en parle avec beaucoup de tact. Voici ce qu’il dit dans les directives à ses missionnaires de la
première caravane à l’Afrique équatoriale : « Puisque nous traitons des conditions matérielles, il est opportun de
dire ici quelque chose de particulier des finances de la Mission. Les besoins, surtout en commençant, seront très
considérables ; je recommande aux Supérieurs d’éviter des excès contraires dans lesquels ils pourraient tomber : l’un
consisterait à se refuser le nécessaire, l’autre à se jeter dans les dépenses superflues. Pour le logement, on se contentera de
maisons ou huttes faites à la mode du pays, mais sur le modèle de celles qu’occupent les personnes aisées et honorées, afin
de ne pas impressionner défavorablement (...). L’alimentation sera ce que le pays comporte. Comme le gibier y est très
abondant, et comme l’alimentation animale est favorable à la santé dans l’intérieur du pays, la viande pourra en être la
base… » (Ceillier, J.-C., 2008 : 67)
Un deuxième élément qui a contribué à la socialisation des missionnaires dans le Vicariat apostolique de
Bukavu, c’est le recrutement des catéchistes.
97
Ils démultipliaient en fait le travail des missionnaires, tenaient les registres et surtout entretenaient la foi
dans les villages où les missionnaires ne pouvaient que rarement passer. Dans les zones fortement
christianisées, les catéchistes, qui portaient des insignes visibles de leur fonction, étaient respectés de
tous et constituaient parfois une forme de contre-pouvoir face aux chefs protégés par l’administration
(M’Bokolo, E., 2004 :396). Aussi, les catéchistes devaient-ils préparer dans les villages les plus éloignés
l’arrivée des missionnaires. Ce sont eux qui jetteront les bases des « chapelles-écoles » et serviront
d’interprètes entre les évangélisateurs et les masses paysannes.
Ouvriers du silence, ces catéchistes, furent, sans nul doute, eux aussi de vrais pionniers de
l’évangélisation dans les Vicariat Apostolique du Kivu, de vrais fondateurs des communautés
chrétiennes. En effet, pour étendre la connaissance de la « sainte religion » dans le pays, l’aide
d’auxiliaires indigènes était indispensable pour suppléer à l’insuffisance des missionnaires pour les
travaux de l’instruction religieuse et pour l’enseignement profane à donner aux enfants.
Sans leur secours toute la mission était condamnée à végéter sur place et jamais la religion ne s’étendrait
parmi les populations d’alentour, quelque peu éloignées. Si l’on voulait faire un travail sérieux, changer
en chrétientés les centres païens où les missionnaires ne pouvaient faire que des visites rares, il fallait
pouvoir déplacer des catéchistes bien formés. Ceux-ci avaient non seulement une connaissance
relativement suffisante de la religion, mais encore le zèle et le dévouement désintéressé du missionnaire.
Ils avaient été formés spécialement aux fonctions de catéchiste et d’instituteur.
Dans tous les endroits encore inaccessibles aux missionnaires, le catéchiste était chargé de donner
quotidiennement l’enseignement de la religion aux enfants, aux adultes et les préparer au baptême. Il
parcourait tous les villages pour organiser les leçons de catéchisme, il assurait le contact entre la
communauté chrétienne du village dont il avait la charge et la mission. Il dirigeait les prières dans les
chapelles-écoles lorsque les distances étaient trop grandes pour que les fidèles puissent assister à la
messe le dimanche.
On voit toute l’importance de ces ouvriers qui avaient proprement la mission de défricher le terrain
pastoral avant de semer la Parole dans ces milieux encore païens. Ils devaient être soutenus
financièrement par les missionnaires car avec leur volume horaire journalier très chargé, ils n’avaient
plus le temps de se dédier aux travaux de champs et de leurs familles. D’autres avaient à lutter dans le
milieu du paganisme contre les moqueries des vieux polygames, les menaces de crainte d’être exclus
des biens de la famille, les invectives et les reproches des oncles très influents sur leurs neveux et nièces
pour les décourager dans leur volonté d’adhérer à la religion du Blanc.
98
De fois, les fils de chefs étaient exclus de la succession s’ils osaient embrasser le christianisme. Surtout,
si les jeunes filles refusaient la main du polygame, elles se mettaient d’office en conflit avec leur père et
étaient obligées de se tenir en cachette en complicité avec leur mère chez les oncles maternels.
Elles devaient soutenir des luttes parfois héroïques si elles voulaient rester définitivement au
catéchuménat. Il n’était pas rare que des catéchumènes, qui venaient d’être raflées au marché ou à la
rivière contre leur gré, ou encore avec leur tacite assentiment (kusholwa en mashi, kulendera en kihavu)
soit par les hommes qui les enviaient depuis longtemps, soit par leur fiancé pendant qu’elles les
accompagnaient, soient libérées par les prêtres32 qui allaient les récupérer et les arracher de ce mariage
forcé ou voulu tacitement pour les ramener à la paroisse en vue de poursuivre leur catéchisme.
Lavigerie insiste pour cela sur le devoir pour ses missionnaires de « maîtriser la langue du Noir pour le
connaître tel qu’il est non tel qu’on le décrit souvent, découvrir ses qualités, ses institutions et ses coutumes, mais aussi pour
avoir un sentiment de compassion pour ses faiblesses, ses misères morales et physiques. Que l’étude des langues indigènes
nous permette, ajoute-t-il, de nous exprimer dans le dialecte de la région où nous vivons, pour comprendre l’indigène lui-
même, et surtout pour l’aider efficacement après lui avoir ouvert son cœur. En s’appliquant sérieusement, on arrive vite à
posséder suffisamment la langue pour se faire comprendre, pour donner des raisons de sa conduite et pour entendre
l’indigène, converser avec lui afin de l’amener à la noble et haute civilisation européenne ». Car, estime l’auteur, « l’esprit
de conversation, qui est une fleur de l’humanisme chrétien, suppose chez le vrai colonial qu’il connaisse le Noir, qu’il devine
ses sentiments et ses aspirations, son âme et les états d’esprit particuliers à l’âme des populations bantoues. Le colonial doit
savoir parler suffisamment bien la langue des Noirs pour favoriser l’intercommunication, les relations entre les Blancs et les
Noirs, qui sont faits pour se compléter sur le continent africain » (1944 :207-209).
32
Plusieurs cas sont signalés dans le Vicariat Apostolique du Kivu où des prêtres sont allés, accompagnés d’un cortège
imposant de chrétiens, récupérer une catéchumène qui venait de se marier avec ou contre son gré (« Kusholwa,
kulendera »). Les plus virulents étaient, curieusement, les jeunes prêtres congolais à peine ordonnés, qui se livraient à un tel
zèle apostolique avec tout ce que cela comportait comme risque, puisque les maris et leurs familles ne se laissaient pas
souvent faire. Les noms les plus cités dans cette entreprise audacieuse sont les abbés Cyrille Kamira, Faustin-Marie
Mushambarhwa et Christophe Runyoro. Ce dernier, vers la fin de sa vie, nous a raconté en 2000 ses exploits dans ce sens
dans la paroisse de Mwanda vers les années 1952.
99
La nécessité, le devoir impérieux d’apprendre la langue des Noirs au milieu desquels on vit, pour faire
œuvre vraiment humaine, sont bien mis en lumière : « D’aucuns me diront qu’il serait préférable d’éduquer le
Noir, et de lui enseigner notre langue. La distance de notre langue à celle de l’indigène est évidemment la même que celle de
la langue de l’indigène à la nôtre. Tenant compte cependant de la différence de niveau, de l’altitude de notre civilisation, et
du degré de culture intellectuelle du Noir, il résulte que pour nous, Européens, il s’agit d’accomplir un effort descendant
comparativement à celui du Noir qui sera ascendant, partant plus pénible et plus laborieux. Pour ma part, je considère que
ce serait nous faire injure à nous-mêmes que de nous considérer comme moins aptes à nous assimiler toutes les finesses
d’une langue indigène, que le Noir ne l’est à s’assimiler celles de notre propre idiome. » (Desmet-Verteneuil, Mamba,
Kali cités par Roussel, 1944 : 208).
Pour le cardinal Lavigerie, la première condition pour entrer en contact avec les populations africaines,
est d’apprendre à parler leur langue. Chose d’autant plus difficile qu’il n’existe ni grammaire, ni
dictionnaire, ni écriture. Ainsi, dès leur arrivée au Kivu, les missionnaires devaient-ils se mettre à
rassembler un vocabulaire de la langue locale.
En 1880, environ deux ans après le départ du premier groupe, Lavigerie revient sur le sujet dans de
nouvelles instructions aux missionnaires d’Afrique Equatoriale:
« Cette étude est d’une nécessité telle que l’on peut dire qu’elle prime tout le reste, car sans la connaissance de la langue, il
est impossible de rien faire comme apostolat auprès des Noirs. Or c’est une œuvre d’apostolat que les Pères vont faire dans
le centre de l’Afrique, et point autre chose. Il est donc de leur devoir le plus impérieux de travailler sérieusement à l’étude de
la langue indigène (…) Notre intention formelle, celle du Conseil comme la mienne, est que l’étude de la langue tienne le
premier rang dans toutes les préoccupations des missionnaires, jusqu’à ce qu’ils la parlent parfaitement… » (Ceillier,
2008 : 95-96).
Ecoutons la recommandation de Lavigerie à ses fils dans laquelle il souligne l’importance de parler la
langue de ceux à qui on apporte l’Évangile. Le cardinal fixe même un temps d’apprentissage et exige
que les missionnaires fassent leurs les langues de leurs ouailles: « La connaissance de la langue indigène est
indispensable pour la prédication ; il est donc nécessaire que les missionnaires s’y forment le mieux et le plus promptement
possible. Dès qu’ils seront désignés pour la mission ils devront consacrer à cette étude tous leurs moments de loisir. Je
recommande instamment aux Supérieurs des Missions de veiller à ce que cette recommandation capitale soit mise partout en
pratique. Je désire que, dès que la chose sera possible et au plus tard six mois après l’arrivée dans la mission, tous les
missionnaires ne parlent plus entre eux que la langue des tribus au milieu desquelles ils résident » (Ibid. : 63-64).
Il exige à ses missionnaires de composer un dictionnaire grâce aux relations entre les missionnaires et
les indigènes. L’objectif de l’apprentissage des langues locales est tout aussi social que didactique
puisque désormais les missionnaires devront enseigner la doctrine chrétienne dans ces langues :
100
« Dans chaque Mission dont le dialecte n’aura pas encore été imprimé, j’ordonne également que l’un des Missionnaires, si
le Père Supérieur ne peut pas se charger de ce soin, soit appliqué, pendant une ou deux heures par jour, à la composition
d’un dictionnaire, au moyen de ses conversations avec les indigènes et des questions qu’il leur adressera sur la valeur des
différents mots. Le même Père (Supérieur) sera chargé de composer en langue vulgaire un petit catéchisme, qui ne
comprendra que les éléments les plus essentiels de la foi et de la pratique chrétienne, de façon qu’il ne s’étende pas au-delà
de sept à huit pages d’impression. On fera ensuite apprendre ce catéchisme aux Noirs et on leur expliquera avec détails.
Plus tard, on fera la même chose pour les Saints Évangiles» (Ibid.).
Le cardinal avait fait de l’étude de la langue locale une telle priorité de ses missionnaires qu’en un
certain moment il avait été « sur le point (…) de leur défendre, sous peine des censures ecclésiastiques, de parler
français entre eux, afin de les forcer à ne parler que la langue des Noirs » (Ceillier, 2008 : 64). L’objectif immédiat
était d’arriver à parler et à écrire la langue africaine, mais aussi de produire à la longue un instrument
pédagogique pour les futurs missionnaires. Pour cela, ceux-ci devaient se mettre à la composition d’un
dictionnaire et d’une grammaire. Cette obligation finit par devenir une passion personnelle des
missionnaires qui arrivèrent à écrire les langues africaines des pays des Grands Lacs. Dans le Vicariat
Apostolique du Kivu, ils arrivèrent à composer un dictionnaire en français-mashi qu’ils parlaient tous
correctement et qui devenait d’office la langue de l’évangélisation pour la partie centrale du Vicariat.
Un autre dictionnaire français-kinyarwanda fut composé pour la partie septentrionale du Vicariat, tandis
que le swahili devenait la langue régionale ou officielle, pourrait-on dire, pour l’enseignement avant
l’introduction tardive du français. C’est aux Pères A. Rommelaere, J. Peeters et D. Cooreman, qu’on
doit une traduction complète de la Bible en Kiswahili en 1990, presqu’un siècle après leur arrivée au
Kivu. Pour arriver à accomplir cette tâche de l’évangélisation en langues locales, les missionnaires
avaient aussi besoin de s’installer durablement à travers l’acquisition des terres.
101
Ce transfert s’opère en 1906. Une année avant, les Pères Auguste Léopold Hys et Louis Verstraete
venant de Moba, arrivent à Nyangezi pour une mission de prospection. Ces derniers menèrent des
pourparlers avec le chef Nyangezi, qui leur accorda la colline de Lukananda et la croix y sera plantée.
C’est le 3 septembre 1906 que le Père Joseph Van Der Haeghe envoyé par Mgr Roelens quitta Lusenda
pour Nyangezi : le voyage dura 11 jours. Accompagné de 89 personnes survivantes de la mission de
Lusenda, le 15 septembre 1906 vers 14h, il arriva à Nyangezi avec son cortège en provenance de
Lusenda pour fonder cette première mission du Vicariat Apostolique du Kivu.
Lors de son premier voyage apostolique au Congo, dans la ville de Kisangani le 6 mai 1980, le pape
Jean-Paul II a fait un hommage mérité à ces premiers missionnaires en louant leur courage et leur
sacrifice pour leurs frères africains. Ils ont tout quitté, leurs parents, leurs amis, leur pays en Europe pour
venir faire connaître le Christ en Afrique au prix de leur vie 33. Beaucoup d’entre eux ne sont pas rentrés
chez eux, morts sur le champ d’apostolat. Jean-Paul II leur en fait un vibrant hommage (Jean-Paul II, «
Summi Pontificis », 480 ; M. Impagliazzo, Il giubileo con i testimoni, 45-46. Cf. Annexe5 )
Dès leur arrivée au Kivu, les Pères Blancs achetèrent des terrains pour leur mission ou en reçurent de la
générosité de certains chefs coutumiers, les Bami, pour y construire églises et autres chapelles
secondaires, écoles, maisons d’habitation des missionnaires et centres de formation. A partir de cette
période, jusqu’aujourd’hui, l’Église catholique s’acquit au Congo, à l’instar de la Belgique vers la fin du
XIXe siècle, une très grande influence. La base de son pouvoir social était surtout dans les campagnes
mais aussi dans les grandes agglomérations où la plupart des autochtones « Evolués » étaient formés
dans des écoles missionnaires.
En effet, comme Jean-Philippe Peemans (1997 :195) l’a observé concernant l’Église catholique belge à
la fin du XIXè siècle, l’Église catholique du Congo, quoiqu’autonome, jouait à l’époque coloniale et
joue encore aujourd’hui en fait le rôle d’un quasi appareil d’État et contrôle les systèmes d’éducation et
d’assistance aux pauvres. Lavigerie invite ses missionnaires Pères Blancs à développer la production
33
Le dévouement missionnaire fut perçu dans une certaine littérature de l’époque comme une marque de sacrifice: « Qu’un
homme, à la vue de tout un peuple, sous les yeux de ses parents et des amis s’expose à la mort pour sa patrie, il échange
quelques jours de sa vie pour des siècles de gloire; il illustre sa famille et l’élève aux richesses et aux honneurs. Mais le
missionnaire dont la vie se consume au fond des bois, qui meurt d’une mort affreuse, sans spectateurs, sans
applaudissements, sans avantages pour les siens, obscur, méprisé, traité de fou, d’absurde, de fanatique, et tout cela pour
donner un bonheur éternel à un sauvage inconnu […]. De quel nom faut-il appeler cette mort, ce sacrifice? […]. Nous ne
nous piquons pas du don de la prophétie mais on ne peut pas tenir assuré, et l’expérience le prouvera, que jamais des
savants dépêchés aux pays lointains avec les instruments et les plans d’Académie ne feront ce qu’un pauvre moine parti à
pied de son couvent exécutait seul avec son chapelet et son bréviaire » (F. Chateaubriand, Œuvres complètes, II,
436. 470).
102
locale juste pour leur autosuffisance alimentaire et pour le culte : « Les plateaux de l’Afrique Equatoriale
paraissant très favorables pour la culture de la vigne, les Missionnaires s’efforceront d’en planter sans retard, afin d’avoir
le vin du Saint-sacrifice, qu’ils ne pourraient pas aisément se procurer sans cela. Ils devront aussi semer du blé pour arriver
à faire les hosties, et avoir un peu de pain sur place, au moins pour les malades. Il en est de même du bétail, pour avoir du
lait et de la viande.» (Ceillier, 2008 : 68).
Dans ses directives, il rappelle à ses missionnaires qu’ils ne doivent se désintéresser de rien, surtout pas
des richesses naturelles du pays des missions : « Dans le texte des pouvoirs que j’ai donnés aux Supérieurs des deux
missions, je leur ai imposé l’obligation de faire tenir un journal quotidien par l’un des Missionnaires. Ce journal peut être
du plus grand intérêt, surtout pendant les voyages et même en station, si l’on y rapporte fidèlement tout ce qu’on apprend
des indigènes sur l’histoire, la géographie, les mœurs, etc. de l’Afrique de l’intérieur. Ce journal n’a pas besoin d’être très
développé pour devenir une mine féconde de renseignements de toute espèce. Sauf des circonstances exceptionnelles, vingt-
cinq ou trente lignes environ suffiront chaque jour ; c’est, comme je l’ai dit, tout ou quinze minutes de travail (…), matière à
de très utiles publications qui honorent l’Église et la Mission. J’en dirai autant de quelques observations scientifiques qu’il
est possible de faire à très peu de frais, comme sont les observations d’histoire naturelle, de géographie, de géodésie, de
géologie, pour lesquelles une boussole, un baromètre, un microscope et un peu d’attention suffisent. » (Ibid.:69).
Lavigerie est conscient que les subventions reçues de l’État colonial, du moins pour ce qui concerne la
France, peuvent être interrompues à tout moment, ou que les structures mises en place grâce aux
subsides de Rome peuvent être attaquées par le vent révolutionnaire et anticlérical. Alors, il demande à
ses missionnaires de créer des structures durables et stables qui leur permettraient de rester en Afrique
dans leurs propriétés acquises si cela s’avérait nécessaire : « J’ai fait la recommandation de chercher à s’assurer
par tous les moyens la possibilité de vivre sur place, pour le cas où les Œuvres de la Propagation de la Foi et de la Sainte-
Enfance viendraient à être détruites par la Révolution française. Ce cas n’est malheureusement pas chimérique, et qu’il peut
se faire que dans un avenir très prochain, on ait à souffrir une pareille catastrophe. Que les Pères prennent très
sérieusement leurs précautions à cet égard ; ils seront obligés de se suffire sur place, et rien ne pourra plus leur venir
d’Europe ou au moins de France… » (Ibid.:117).
En effet, les missionnaires procédèrent à l’acquisition, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, de très
grandes concessions de terres fertiles. Ces terres sont restées quasi inexploitées, à part quelques petites
mises en valeur sous forme de jardins potagers. L’une ou l’autre paroisse a essayé de mettre en valeur -
et là encore ce n’était seulement que le tiers de la concession. C’est le cas de Kashofu, où, avec le père
canadien Pierre Croteaux, 500 ha furent mis en valeur en partie par la culture d’ananas et de palmiers à
huile, et en partie par la culture de quinquina, vers les années 1970, la grande concession étant restée
vierge ou plantée d’eucalyptus.
103
C. L’expansion missionnaire à Bukavu
Après leur installation effective, les Pères blancs furent progressivement rejoints par d’autres
congrégations missionnaires masculines et féminines.
Entre-temps, en février 1935, le Vicariat vit les quatre premières filles du Kivu faire leur profession
religieuse dans la « Congrégation des Filles de Marie » dont la direction était confiée aux Sœurs
Blanches. En 1966 une nouvelle Congrégation de Sœurs autochtones vit le jour: « L’Institut de la
Résurrection ». Leur formation fut confiée aux Sœurs du Saint Sépulcre de Turnhout dont quelques-unes
furent détachées dans ce but de la communauté de Walungu. Elles travaillent à la maternité et font la
catéchèse à la paroisse. Durant la décennie 1980, la dernière vague de sœurs missionnaires arrive à
Bukavu, à savoir : les sœurs franciscaines croates qui s’installent à Luhwinja et à Nkuba, les Sœurs
italiennes de Sainte Dorothée de Cemmo s’installent à Cimpunda, tandis que les Sœurs de Sainte
Dorothée de Brescia et les Sœurs de Saint Paul vont à Mbobero et à Ihusi-Kalehe, les Sœurs du Divin
Maître avec leur noviciat ainsi que les Sœurs de Sainte Gemma habitent dans la Paroisse Saint Pierre
Claver à Nkuba.
104
En 1934, Leys décida de séparer le séminaire de l’école normale, les deux institutions restant à Mugeri,
mais évoluant de manières différentes. Aux petits séminaristes, on imposa le français pour mieux les
préparer aux études du Grand Séminaire. A l’école normale, tous les cours se donnaient en swahili. En
1936, fut ouvert à Bukavu le Pensionnat Albert I, actuel Lycée Wima.
C’est aux Sœurs de la Sainte Famille venant de Kabare que fut confiée l’éducation des filles
européennes dans cette école. En 1942, le nouveau collège ouvrit ses portes aux élèves européens qui
quittaient la mission de Sainte Thérèse pour Muhumba près du Lac, fief de l’ancien chef Nyalukemba.
Les Pères Jésuites venaient de prendre la relève, mais, au début, manquant de personnel, ils furent aidés
pendant trois ans encore par une équipe de Pères Blancs. C’est l’actuel Institut Alfajiri, ancien Collège
Notre Dame de la Victoire, la plus grande et prestigieuse école de tout le Kivu, et certainement l’une des
meilleures de la RDC.
En 1947, les Sœurs Blanches ouvrirent une école normale pour filles à Mwanda qui fut transférée à
Burhale quelques années plus tard. La même année, vinrent s’établir à Costermansville (Bukavu) des
Auxiliaires laïques des Missions (A.L.M). Elles devaient s’occuper de l’assistance sociale et de
l’éducation des femmes, secteur important dont il fallait se charger. En 1949, fut créé l’Athénée Royal
de Bukavu, actuel Institut d’Ibanda, la plus grande école de Bukavu. Seuls les enfants des Blancs étaient
inscrits dans cette école. Les Frères Maristes de leur côté, sous la direction du Frère Jean, commencèrent
une grande école professionnelle à Bukavu.
C’est l’actuel Institut Technique Fundi Maendeleo (ITFM), qui donne depuis cette époque aux jeunes
Congolais une formation très pointue en mécanique automobile, menuiserie et électricité. Avec
l’approbation de Mgr Cleire, le père Georges Defour34, inspecteur des écoles, créa toute une série de
manuels pour chaque année scolaire de l’enseignement primaire. Ces manuels eurent un énorme succès,
notamment la série intitulée « J’apprends le français », qui fut rédigée par le Père R. Gripekoven. Ces
manuels furent adoptés dans beaucoup des diocèses et même à l’étranger.
34
Jusqu’il y a trois ans, Georges Defour était le seul missionnaire Père Blanc survivant de cette génération de Mgr Richard
Cleire. Ce centenaire liégeois, est une véritable icône pour l’archidiocèse de Bukavu où il avait choisi de passer le reste de
ses jours jusqu’à la mort. Car, comme il aimait le dire, son destin et celui de ce terroir où il a passé toute sa vie depuis la
tendre jeunesse, sont intimement liés. Fondateur du mouvement international « Xavéri » et Père de l’éducation à l’Institut
Supérieur de Développement Rural (ISDR), il était à Bukavu depuis 1946 et après son décès intervenu à Liège sa ville
natale, il a été ramené à Bukavu en septembre 2012 pour y être enterré, non loin de la chapelle Bandari que lui-même avait
érigée. Ainsi se rejoignaient la volonté de tous et celle du concerné, pour avoir consacré sa vie missionnaire à la formation
et l’éducation des congolais.
105
En 1949, les Pères Barnabites s’installèrent dans des bâtiments provisoires à Mugeri et commencèrent
un collège d’Humanités Gréco-Latines et Mathématiques pour Congolais. C’est l’actuel collège Saint
Paul (Institut Kitumaini). A la fin de 1950, s’ouvrit à Kabare une Ecole d’Apprentissage Pédagogique
(EAP), qui fut une nouvelle formule proposée par le Gouvernement pour former rapidement un plus
grand nombre de moniteurs possédant un Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP), vu le
développement rapide des écoles primaires. C’est l’actuel Institut Kamole.
Entre-temps, les Frères Maristes construisirent à Cibimbi un grand atelier de menuiserie mécanique qui
devait fournir tous les meubles nécessaires pour les missions et les écoles du Vicariat. Avec les aléas
historiques, cette unité de production très importante pour l’économie du diocèse n’est presque plus
opérationnelle. J’y reviendrai dans le huitième chapitre de cette étude.
Tout en s’occupant de la formation (noviciat) de leurs futurs frères africains, ces religieux dirigeaient
une école moyenne, une école de moniteurs, une école artisanale complète, un collège d’humanités
modernes et une école normale comprenant six années d’études : c’est le Groupe Scolaire Weza-
Nyangezi. A Bukavu, un centre d’études pour le développement rural fut lancé, l’Institut Social Africain
(I.S.A.). Il fut érigé en partie sur le terrain de l’ancienne mission Sainte Thérèse laquelle déménagea à
l’O.P.A.K. (Burhiba). L’I.S.A. fit de rapides progrès et son nom fut changé bientôt en «Institut
Supérieur d’Etudes Sociales» (I.S.E.S.).
Quelques années plus tard, ce centre fut intégré à l’Université Nationale du Zaïre et devint l’« Institut
Supérieur de Développement Rural » (ISDR) jusqu’à ce jour. C’est sous l’archevêque Mulindwa que le
Père Louis des Frères Prêcheurs commença en 1968 à Bukavu l’Ecole Normale Moyenne (E.N.M.).
Celle-ci sera par la suite incorporée à l’Université Nationale du Zaïre et deviendra Institut Supérieur
Pédagogique (I.S.P.), et qui sera dirigée pendant plus de vingt ans par le Père Milani des Xavériens de
Parme. Les constructions et l’équipement de ses bâtiments furent assurés par des subsides provenant de
la campagne de carême des catholiques allemands par l’intermédiaire de « Misereor » dont je parlerai
dans le quatrième chapitre.
Telle fut l’œuvre missionnaire socio-pastorale durant plus de cinquante ans de mission des Pères Blancs
dans le Vicariat apostolique du Kivu avant de confier l’Église locale au clergé autochtone. Il convient de
jeter un regard sur les objectifs et les méthodes que les missionnaires poursuivaient pour pouvoir
comprendre leur action durant plus d’un demi-siècle à Bukavu, une action dont l’objectif primordial
n’était pas la recherche d’une certaine autonomie financière à cette jeune Église, mais plutôt le salut des
âmes.
106
Chapitre II : LES OBJECTIFS ET LES METHODES MISSIONNAIRES DANS LE VICARIAT
APOSTOLIQUE DU KIVU
Le christianisme avait été depuis longtemps l’un des points d’appui des relations de l’Afrique avec
l’Europe. Mais les plus anticléricaux ou les plus laïcs parmi les Européens voyaient dans la religion un
moyen indispensable d’acculturation et de civilisation des « indigènes ». Encouragée et soutenue
pendant des siècles par les Etats, l’œuvre missionnaire continua à l’être entre les deux guerres. Mais la
sécularisation des sociétés européennes, les progrès de la laïcité et les blessures de la guerre
détournèrent les opinions publiques des Églises. A partir de 1925, le nombre de missionnaires
protestants diminua. Simultanément, le soutien financier apporté par les croyants aux missions
catholiques reculait. Ceci n’empêcha pas le mouvement missionnaire de poursuivre sa tâche et de faire
progresser le christianisme en Afrique (M’Bokolo, E., 2004 :393).
A. Objectif
L’objectif essentiel, c’était d’annoncer Jésus-Christ, de convertir les auditeurs et d’établir l’Église. Cet
objectif unique a été exprimé souvent dans une formule qui rappelait l’œuvre à accomplir, formule qui a
varié avec le temps et les équipes missionnaires. Trois étapes ont constitué cette démarche. Ainsi, en est-
on passé du « salut des âmes » à « l’évangélisation » en passant par l’« implantation ». Sans m’attarder,
je vais dire un mot, sur chacune des trois formules et leur implication socio-pastorale.
C’est ainsi que dans le contexte camerounais, par exemple, la formule du salut des âmes s’est
concrétisée à Yaoundé, au dire de Nicolas Ossama, dans la prière que tout bon chrétien Ewondo devait
réciter religieusement et dans laquelle il disait à Dieu : « Me ayi kig akuma si, to mvom si, ti mintag mi si,…= je
ne désire ni la richesse de ce monde, ni le bonheur, ni les joies de ce monde ; je ne te demande qu’une seule chose, ta grâce,
pour que je méprise toutes les joies et tous les plaisirs de ce monde, et que je n’aime que toi… » (2007 :28).
107
Bien que cette tendance ait pu s’incarner dans l’agir et les attitudes de certains missionnaires comme
orientation pastorale (Hebga, M., 1995 :175), le salut des âmes n’a pas empêché certains premiers
missionnaires, en l’occurrence les Pères Pallottins au Cameroun, de mener des activités économiques :
débroussage, plantations, élevages, briqueteries… comme nous l’avons précédemment montré, surtout à
l’époque de la mission.
2. L’ « implantation de l’Eglise »
L’« implantation de l’Eglise », elle fut, sous les papes Pie XI et Pie XII, le leitmotiv, l’objectif déclaré
de l’action missionnaire en Afrique. Il s’agissait pour eux d’implanter solidement l’Église là où elle ne
l’était pas encore. Selon Elikia M’Bokolo, cet objectif d’implantation de l’Église a eu comme effet
heureux d’éviter une formation au rabais des clergés indigènes des missions catholiques, au moment où,
entre les deux guerres, dit-il, l’ « Etale coloniale » pouvait y entraîner. Elle a permis un contrôle serré de
cette formation, par les responsables du Vatican (2004 :396). Comme danger, d’après l’auteur, l’on peut
signaler le reproductionnisme, c’est-à-dire la tendance à reproduire en terre de mission la chrétienté
d’origine du missionnaire : la fierté du missionnaire à faire admirer en terre de mission le style chrétien
de son terroir flamand, wallon, le style toscan, andalou, vendéen ou breton…
Chargés entre autres d’aider l’implantation coloniale, nous dit Elikia M’Bokolo, les missionnaires
« nationaux » étaient notablement plus encouragés que les étrangers, dont on craignait qu’ils ne
détournent les indigènes de l’objectif colonial spécifique à chaque empire, qu’ils soient plus difficiles à
manipuler, voire qu’ils ne fomentent des troubles sécessionnistes. Ainsi, par exemple, le décret de 1923
établit pour les colonies françaises que tout enseignement devait se faire en français ou en latin, par des
instructeurs ayant obtenu des diplômes français : cette mesure atteignit son objectif, limiter les missions
protestantes, en particulier allemandes, anglaises et hollandaises (Ibid.).
Dans leur conception, les occidentaux allaient en mission pour évangéliser, et l’évangélisation est
devenue, surtout depuis Vatican II, l’objectif déclaré de l’entreprise missionnaire. Le mot évangélisation
inclut, en fait, tout le processus missionnaire : il est catéchèse, il est liturgie, mais il est surtout
prédication, et prédication à partir de l’Évangile, sur le texte même de l’évangile. Il est même
engagement de l’Église dans le social, au sens large du mot. C’est de cette implication qu’est né
l’enseignement social de l’Église. Dans l’entre-deux-guerres, le rôle direct des Africains dans la
christianisation commença de s’accroître avec les projets d’ «indigénisation » des Églises africaines.
108
La baisse du soutien des Européens aux missions mais également les premières craintes de voir les
peuples colonisés lier trop étroitement l’impérialisme occidental à la foi chrétienne et les rejeter de pair,
le souhait enfin de se désolidariser des abus qu’elles commençaient à entrevoir, tout cela poussa les
Églises à vouloir s’implanter solidement dans les colonies et à s’appuyer sur les indigènes.
Il est remarquable que le catéchisme, livre de chevet des missionnaires, tout en étant un commentaire
sur l’Évangile, ne contenait guère, jusqu’aux années 60, beaucoup de références à l’Évangile même ! Si
la préoccupation majeure de la plupart des congrégations missionnaires était d’« amener les masses
d’Africains qui gisaient dans l’ombre de la mort à la lumière de la civilisation en les christianisant » (Roussel, J., 1944:
224), certains ne s’intéressaient pas moins à des questions économiques. Les missions avaient une
fonction économique non négligeable : parties d’un besoin normal d’autosuffisance, elles avaient cultivé
des jardins potagers et élevé du petit bétail.
La création des écoles, des centres de soin, le travail de plus en plus important des catéchumènes firent
passer l’exploitation agricole du stade « familial » à un stade quasi industriel : nécessité alimentaire,
souci d’aider les populations, disent les uns ; volonté de puissance, appât du gain, disent les autres ;
toujours est-il que plusieurs missions devinrent progressivement de véritables entreprises agricoles et
artisanales (menuiserie, mécanique, imprimerie, fabrique de tapis, etc.), où les fidèles servaient de main-
d’œuvre bon marché, comme en témoignent ces extraits de l’annuaire des Missions catholiques au
Congo belge, paru en 1935 :
« Les missions doivent se créer des ressources, et ce faisant, elles contribuent excellemment à la prospérité économique du
pays (…) Dans toutes les missions du lac Albert, les catéchumènes travaillent aux cultures vivrières afin de se procurer la
nourriture nécessaire ; partout, on tâche d’améliorer les méthodes et de rendement. Comme le Gouvernement pousse les
indigènes aux travaux des champs, dans toutes les écoles, les enfants ont leur jardin d’essai et d’expérience (…) Le Vicariat
de Lisala possède 800 hectares de cultures de rapport. Ce n’est guère que dans les missions que l’on trouve des jardins
potagers et des vergers ; beaucoup d’arbres fruitiers ont été introduits à l’intérieur par les catéchistes et les chrétiens (…)
Dans l’Uélé, l’avenir est prometteur au point de vue agricole ; aussi les missionnaires se préoccupent-ils de favoriser
l’éclosion du paysannat indigène souhaité par le Gouvernement » (Ibid.).
109
B. Les méthodes missionnaires
Il s’agit des façons de faire, des procédés et des manières pour toujours mieux faire, pour parvenir à des
résultats plus abondants, complets et définitifs. Les méthodes sont organisées et promues en fonction
des temps, des lieux, des impératifs, des hommes et des objectifs préalablement déterminés. Les
méthodes missionnaires ont varié dans le Vicariat Apostolique du Kivu surtout en fonction des acteurs,
des objectifs poursuivis et de l’époque.
C’est ainsi que pendant les décennies lesquelles ils ont dirigé le Vicariat Apostolique du Kivu, la
poignée des prêtres diocésains ont été formés dans la seule langue régionale, le swahili, le français étant
considéré comme une langue des privilégiés à laquelle le Noir n’avait pas à prétendre. Durant toutes les
longues et humiliantes années que durait leur formation, les grands séminaristes congolais devaient
marcher nu-pieds. Ils ne seront autorisés à porter des chaussures qu’une fois devenus diacres. Point n’est
besoin de dire qu’ils n’avaient pas le droit de manger avec leurs formateurs blancs.
Avec Mgr Leys, les lignes seront timidement poussées avec la création des structures embryonnaires de
formation pour les catéchistes et responsables des chapelles-écoles. Il faudra attendre l’avènement de
Mgr Richard Cleire pour voir impulser le système éducatif en créant des écoles secondaires aussi bien
pour garçons que pour filles, avec des programmes scolaires conformes à ceux de la Métropole. Il est
même considéré comme le pionnier de l’enseignement supérieur et universitaire au Congo. J’y
reviendrai ultérieurement.
Pour Lavigerie, transformer par les arts et métiers, et par le commerce, un pays barbare comme
l’Afrique équatoriale qui est aussi vaste que l’Europe peut paraître une œuvre de longue durée :
« Combien de siècles ne faudra-t-il pas pour faire adopter seulement par de tels peuples nos arts européens ! », s’exclame
le cardinal (de Montclos, X, 1968 :68). Selon lui, trois conditions sont requises pour réussir dans la
transformation de l’Afrique : « Élever les Africains choisis « par nous » (les occidentaux) dans des conditions qui les
110
laissent vraiment africains pour tout ce qui touche à la vie matérielle ; leur donner l’éducation qui leur permettra d’exercer,
aux moindres frais possibles pour la mission, le plus d’influence possible parmi leurs compatriotes ; entreprendre cette
œuvre dans des proportions qui lui assurent toute sa portée » (de Montclos, X., 1968 :100).
Pour cela, il faut aux jeunes Nègres, même à ceux dont on voudra faire des instituteurs ou des
catéchistes, un état qui leur permette de vivre à leurs frais de la vie africaine et, s’il se peut, un état qui
les honore, qui leur donne de l’influence et qui soit accepté sans conteste par tous, de façon à leur
permettre d’aider puissamment les missionnaires, sans être une charge pour eux. Et cet état, rassure
Lavigerie, qui est universel, universellement honoré et qui remplit toutes les conditions que l’on peut
désirer pour assurer leur existence, c’est la médecine (Ibid.).
En agissant ainsi, renchérit-il, les missions africaines ne feraient que pratiquer le moyen marqué par
Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même à ses Apôtres pour assurer les fruits de leur apostolat : « Guérissez
les malades et dites aux gens : le royaume de Dieu est là près de vous » (Ibid. ; Luc, 10, 9). Il s’agit de ce que
Lavigerie appelle, « la manière divine » d’élever leurs jeunes Nègres, un plan tendant à leur donner des
sentiments de foi, de dévouement, de zèle vraiment apostolique :
« En parlant de l’éducation matérielle de nos jeunes Nègres, j’ai dit qu’il fallait qu’elle fût africaine, essentiellement
africaine. Mais, par contre, leur éducation religieuse doit être essentiellement apostolique. Il y a, en effet, deux manières de
faire les hommes à notre ressemblance. La première est de les rendre semblables à nous par le dehors. C’est la manière
humaine, celle des civilisations philanthropes, de ceux qui disent, comme on l’a répété à la Conférence de Bruxelles, que
pour changer les Africains, il suffit de leur enseigner les arts et métiers de l’Europe. C’est croire que, lorsqu’ils seront logés,
vêtus, nourris comme nous, ils auront changé de nature. Ils n’auront changé que d’habit. Leur cœur sera aussi barbare, plus
barbare même ; car il sera aussi corrompu, et fera servir à sa corruption ce qu’il aura appris des secrets de notre luxe et de
notre mollesse. La manière divine est tout autre. C’est saint Paul qui l’a défini en disant : « Se faire tout à tous pour les
gagner tous à Jésus-Christ » (1 Co. 9,22). L’apostolat s’adresse à l’âme, c’est l’âme qu’il change, sachant que tout le reste
viendra par surcroît, et pour gagner l’âme il se condamne lui-même, s’il le faut, à abandonner toutes les habitudes
extérieures de la vie. Il se fait barbare avec les barbares, comme il est grec avec les Grecs.» (Ibid.:101-102).
Cet objectif de Lavigerie a-t-il été atteint en Afrique centrale et des Grands lacs ? Il serait difficile de
répondre par l’affirmative. Certes, les Pères Blancs ont fidèlement mis en application l’esprit de leur
fondateur. Mais l’objectif n’a pas été atteint car la philosophie de départ portait en elle-même des
limites. L’homme étant un tout cohérent, on ne saurait imaginer son développement (c’est-à-dire, selon
l’idéologie occidentale dont Lavigerie est aussi porteur, « sortir l’homme Noir de sa barbarie en le
civilisant »), en ne s’occupant que de sa seule âme, comme s’il n’était qu’âme !
111
C’est justement le travail que les Pères Blancs ont réalisé dans le Vicariat apostolique du Kivu. A part
quelques cas isolés, tel Mgr Richard Cleire, ils ne se sont pas intéressés à la question économique de
leurs missions ni de leurs chrétiens. Seul le soin de l’âme par les sacrements et les instructions
chrétiennes régulières suffisaient pour procurer aux ouailles le nécessaire à leur bien-être.
C’est dans cette philosophie qu’il faut placer l’attitude des Pères Blancs vis-à-vis des études supérieures
du clergé diocésain du vicariat qu’ils jugeaient inutiles, des structures économiques rentables quasi
inexistantes dans les missions. Cette conception édulcorée et réductrice du bien-être de l’homme noir a
eu des répercussions sur les comportements des chrétiens et de leur hiérarchie autochtone après le départ
de celle missionnaire comme je le montrerai dans le quatrième chapitre.
Mais, déjà, dans le Vicariat Apostolique du Kivu, dès l’époque des Pères Blancs, certaines langues
indigènes, en l’occurrence le Mashi pour le Centre-Est, le Kinyarwanda pour le Nord, et le Swahili pour
le Sud, l’Ouest et dans les villes, avaient été promues langues de prières et de cantiques religieux
catholiques. Les « Oburhekere Butagatifu, Missale Ntakatifu, Mwaka A, B, C » vont se multiplier, des
livres des Évangiles du dimanche furent édités, des extraits et des résumés du texte de la Bible, ainsi que
le « Endagano Mpyahya, Nouveau Testament ». Il faudra attendre les années 1990 pour éditer en
Espagne la Bible d’abord en Mashi puis en Swahili, œuvre formidable d’un groupe de prêtres et
d’anciens grands séminaristes sous la direction de l’Abbé Vincent Mulago sous l’imprimatur de Mgr
Aloys Mulindwa (1992).
112
Ce fut d’abord l’ « indigénisation», au cours des années 197035. On en vint ensuite à l’ « inculturation »,
à la fin des années 1980, dans tous les diocèses du Congo. Après plusieurs années d’hésitations, Rome
finit par autoriser que la messe soit célébrée dans ce qu’on appelle le « Rite zaïrois » qui intègre des
éléments culturels dans la célébration de la messe. Très vite, les populations chrétiennes trouvèrent en ce
rite une expression concrète de leur âme socioculturelle dans la célébration de la messe, notamment la
place donnée aux ancêtres et leur invocation comme intercesseurs aussi puissants que les saints
chrétiens auprès de Dieu.
Depuis l’agrément de ce rite zaïrois, on observe une participation enthousiaste des fidèles à la liturgie.
De sorte que, parmi les multiples messes dominicales, la messe célébrée en « Rite zaïrois » est la plus
animée et solennelle dans toutes les cathédrales du Congo. Car, non seulement la liturgie, dont le chant
dansé occupe la place centrale, est célébrée dans les langues locales36, mais aussi les chrétiens
découvrent des éléments de leur culture qui sont insérés dans la célébration de la messe.
Section 2 : Les générations successives des missionnaires dans le Vicariat Apostolique du Kivu,
leurs méthodes et objectifs spécifiques
Il y a lieu de caractériser le travail de l’évangélisation du Vicariat Apostolique du Kivu depuis ses
origines en le répartissant en quatre générations successives avec chacune des objectifs et des méthodes
spécifiques selon ses impératifs dictés eux-mêmes par le contexte sociopolitique et économique du
moment.
Pour le dire avec Marie-Joseph Lory (1958 :24), depuis 1880, des milliers de missionnaires se sont
succédé en un flot ininterrompu au Congo en se répartissant en trois générations coïncidant avec trois
moments essentiels de la mise en valeur du pays : la génération des défricheurs, la génération des
organisateurs, la génération de grands animateurs et créateurs et enfin une quatrième, la génération des
héritiers. Sans entrer dans le détail, je vais dire un mot sur chacune d’elles puisque le visage actuel de
l’Eglise catholique du Kivu répartie en six diocèses y trouve sa racine.
35
Voir ENSEMBLE N° 27 de novembre 1974 : 30-32.
36
En plus des quatre langues nationales (Kikongo, Lingala, Swahili et Tshiluba) dans la liturgie catholique, l’intégration
des langues maternelles aura été la plus grande réussite de l’action missionnaire au Congo, comme partout ailleurs en
Afrique, depuis l’époque coloniale.
113
A. La génération des conquérants et des défricheurs (1883-1906)
C’est la génération du cardinal Charles Lavigerie, fondateur de la Société des Missionnaires d’Afrique,
mais aussi la génération de Léopold II, souverain belge autoproclamé propriétaire personnel du Congo.
Cette génération connut en son milieu la guerre contre les esclavagistes et se termina au moment même
où commençait, en Europe, la première course aux armements, comme le rappelle Lory, qui fait un
éloge appuyé du travail audacieux et risqué des missionnaires de la première génération.
« Je voudrais les évoquer sans romantisme, sans parti pris et parler d’eux dignement, comme ils le méritent. Lorsqu’ils ont
relevé leur soutane pour s’enfoncer dans la savane ou la forêt, rien ne les distingue des explorateurs. Tous ont à vaincre les
mêmes difficultés pratiques. Rien ne peut s’apprendre sans un minimum d’infrastructure matérielle. Or, dans ce domaine,
tout était à improviser. Laïcs et missionnaires de la première génération furent donc appelés à collaborer étroitement à
l’œuvre d’exploration à poursuivre, de pacification à accomplir, d’aide médicale de première urgence, d’équipement
rudimentaire. Ils devaient chercher d’abord à vivre, d’abord réussir à survivre, en bravant des dangers de tous genres, en
commençant par la dure épreuve du climat (chaud dans la plupart des cas) et des maladies : la malaria et la mouche tsé-tsé
qui sévissait dans le Maniema » (Ibid.).
114
Dans ses travaux consacrés au Congo depuis le souverain belge jusqu’aux années 1990, Auguste Maurel
parle de « quatre-vingt années d’expropriations foncières par la colonisation belge et révèle qu’avant d’abandonner le
Congo à la Belgique, Léopold II s’empressa de s’enrichir en distribuant de nouvelles concessions. Environ 20 000 000 ha
furent expropriés pour le compte des sociétés privées pendant la période léopoldienne, auxquels il faut ajouter les terres
domaniales. Pour l’auteur, il s’agit donc d’un véritable partage juridique de tout le Congo entre le roi, ses familiers et les
sociétés financières.» (1992 :57-58).
Cette pratique d’expropriation à grande échelle des terres déclarées abusivement « vacantes » par le
système léopoldien est dénoncée aussi par Isidore Ndaywel pour qui le développement des
implantations missionnaires dans leur ensemble et celui des rapports entre les deux types de mission,
protestant et catholique, ne sont compréhensibles que replacés dans le cadre de la politique globale de
l’EIC, particulièrement dans celui de la politique foncière.
Pendant les cinq premières années de l’EIC, Léopold II adopta une politique de grande générosité,
accordant de vastes concessions aux entreprises commerciales pour encourager l’initiative privée dans
l’exploitation des richesses naturelles du pays. Pour encourager la « nationalisation » (la belgicisation)
de la christianisation, il afficha la même générosité à l’égard des missions catholiques dont les membres
étaient belges (1998 :350). A part Charles Lavigerie, l’acteur central sur le terrain est sans doute Mgr
Victor Roelens, premier Vicaire Apostolique du Haut-Congo. Mais son œuvre déborde la première
génération et s’étend beaucoup plus sur la deuxième génération, celle des créateurs et organisateurs.
En 1880 donc, les Pères Blancs fondèrent la première mission dans l’Ubembe, précisément à Mulweba.
Mais cette mission ne tiendra que cinq ans à cause des attaques arabes. Le Père Vyncke avait construit
dès le 2 juin 1883 une mission au sud de Kibanga. Les rescapés de Mulweba vinrent s’y installer.
115
C’est dans cette paroisse que pour la première fois les habitants du Kivu reçurent le baptême à la veille
de Noël, le 24 décembre 1883. L’insalubrité du milieu entraîna la mort sur place de six Pères en moins
de dix ans. Au mois de mai 1906, Mgr Huys, coadjuteur de Roelens, et le Père Louis Verstraete venant
de Baudouinville viennent chercher un emplacement pour fonder la première mission au Kivu.
Le personnel de tout le Vicariat était composé de 18 Prêtres et 5 Frères, soit en tout 23 missionnaires. Il
y avait aussi 13 Sœurs Blanches réparties dans trois postes. Les baptisés étaient 12 500 et les
catéchumènes 8 500. De leur coté, les protestants avaient des missions à Uvira, Kaziba, Shabunda et
Masisi. Environ 900 Blancs étaient établis au Kivu. On construisait des routes partout. Un projet de
chemin de fer Uvira-Bukavu (148 km) était en vue pour favoriser le tourisme et l’implantation des
familles européennes dans le milieu. Il a géré le Vicariat d’une superficie de 69 695 km2.
C’est sous Leys que, le 15 août 1940, soit dix ans après son arrivée au Kivu, que les deux premiers
prêtres de son Vicariat et natifs du pays furent ordonnés par lui au Petit Séminaire de Mugeri, lieu de sa
résidence. Il s’agit de l’abbé Jean Mahano et l’abbé Joseph Busimba, respectivement originaires de
Lulenga (Rugari) et Jomba, deux paroisses se trouvant dans l’actuel diocèse de Goma dont Joseph
Busimba sera le tout premier évêque.
116
En créant la CADEP, Leys voulait amener la population locale à prendre conscience de la nécessité de
l’épargne par un changement de la structure mentale et accepter de faire des sacrifices nécessaires pour
épargner, c’est-à-dire sacrifier une consommation immédiate en vue d’une consommation future
supérieure. Instituée évidemment dans toutes les missions du Vicariat, la CADEP était sous la direction
du Père Supérieur et régie par des statuts appropriés. Elle était ouverte à tous les indigènes et n’avait
aucun but lucratif.
Mgr Leys aura gouverné le Vicariat pendant quinze ans. Il fut remplacé par Mgr Richard Cleire. A sa
mort, le Vicariat comptait 12 missions où travaillaient 47 Pères et 3 Prêtres congolais, 11 Frères blancs,
47 Sœurs européennes, 15 Frères congolais, 15 Sœurs congolaises et 543 catéchistes. Il laissa un Petit
Séminaire avec 64 élèves, une École Normale avec 154 élèves et une École Moyenne qui comptait 82
élèves. Il y avait aussi un Pensionnat et un Collège pour enfants européens.
En outre, une œuvre sociale très importante avait été mise sur pied à Katana: la FOMULAC avec deux
hôpitaux, un pour les Européens et un autre pour les Congolais. Il existait aussi un mouvement
important d’Action catholique. La presse prenait son essor avec le mensuel « Hodi ». Sur une population
estimée à ce moment à 82. 000 âmes, Mgr Leys pouvait léguer à son successeur 66 962 chrétiens et 15
038 catéchumènes. Les résultats obtenus étaient encourageants, compte tenu de la pauvreté des moyens
et des difficultés provenant de la guerre. Il y avait encore beaucoup d’âmes à convertir au catholicisme
en les amenant au baptême après avoir abandonné la polygamie, la sorcellerie, le fétichisme, l’art
divinatoire, etc. Mgr Leys est véritablement le fondateur du Vicariat Apostolique du Kivu, œuvre
immense qu’il légua à son successeur, Mgr Richard Cleire.
117
A cause de la guerre, son sacre eut lieu à Bukavu. Très doué en langues, d’un esprit clairvoyant et
novateur, son engagement pour la justice sociale fut net et le démarqua radicalement de la méthode
coloniale et des idées reçues de l’époque.
L’objectif majeur de son épiscopat était d’accompagner le Vicariat apostolique du Kivu à sa maturité
responsable. Il voulait l’amener à occuper effectivement sa place dans le concert de l’Église universelle.
Quelques années plus tard, le Magistère, comme pour lui donner raison, déclarera ceci à propos du
développement des Églises indigènes : « Nous avons eu la joie d’instituer en de nombreux pays la hiérarchie
ecclésiastique et d’élever déjà plusieurs prêtres africains à la plénitude du sacerdoce, conformément au « but dernier » du
travail missionnaire qui est d’établir fermement et définitivement l’Église chez les nouveaux peuples. Ainsi, dans la grande
famille catholique, les jeunes Églises africaines prennent aujourd’hui leur place légitime, saluées d’un cœur fraternel par les
diocèses les plus anciens»37.
Mgr Cleire est reconnu dans le Vicariat comme un prélat novateur, un homme clairvoyant qui voyait
loin et grand dans l’avenir. Dans un style métaphorique qui décèle déjà sa socialisation, il multipliait ses
interventions auprès de la hiérarchie de sa congrégation pour obtenir les moyens nécessaires pour son
Vicariat : « Kivu est un garçon qui a grandi, mais qui continue de porter son costume de la première communion. Il pleure
pour en avoir un qui soit mieux adapté à sa taille. Quand les Noirs d’ici viennent demander une grande faveur, ils disent en
frappant dans les mains : vous êtes mon père, vous êtes ma mère ! Je fais la même chose auprès de vous, et avec combien
plus de raison »38.
Le Vicariat Apostolique du Kivu comprenait quatre zones fort différentes du point de vue socioculturel:
le Nord (devenu en 1961 le diocèse de Goma), la zone centrale (devenu archidiocèse de Bukavu en
1952), le Sud (devenu une partie du diocèse d’Uvira en 1962), et l’Ouest (qui fut rattaché à Kasongo en
1952). Perspicace, Mgr Cleire constata rapidement que son Vicariat devait être divisé en trois entités
sociologiques. Au Nord, les missions de Lulenga, Jomba et Bobandana, peuplées surtout de
Banyarwanda et de Bahunde. Le Sud-Est, cœur du Vicariat, avec les missions implantées de Mwanda à
Uvira en passant par le triangle Burhale, Kabare, Bukavu et Nyangezi, était peuplé surtout de Bashi,
Bahavu, Bavira et Bafuliru.
Très intellectuel lui-même, Cleire s’intéressait aux études. Il s’employa à obtenir de l’administration
coloniale la permission d’ouvrir un collège pour Congolais à Bukavu. Après de multiples démarches
difficiles, sa cause pour les autochtones finit par l’emporter. Ce collège commença à Rugari en 1949 et
fut transféré à Bukavu.
37
Cf. Pie XII, Encyclique « Fidei donum » du 21 avril 1957.
38
Cf. A.G.M. Afr., Lettre de Mgr Cleire à Monseigneur et Vénéré Père, f. 00304064.
118
Les professeurs peu nombreux étaient des Pères Blancs, mais bientôt le collège passa aux Pères
Barnabites. C’est l’actuel Institut Kitumaini, ancien Collège Saint Paul. On voit déjà l’esprit d’ouverture
du prélat qui voyait la mission comme une œuvre commune et non comme une chasse gardée de sa
seule famille religieuse, la Société des Pères Blancs.
Il revient à Mgr Cleire le mérite d’avoir introduit l’enseignement du français dans un système éducatif
où jusque-là tout était enseigné en Swahili. Cette initiative qui constituait la clé de toute son entreprise
socio-pastorale, fut jugée très audacieuse tant par sa hiérarchie religieuse que par l’administration
coloniale. Son objectif était de donner une base indispensable pour un enseignement secondaire
fructueux et universel. Il fit réformer complètement les programmes des écoles primaires du Kivu et
refaire les manuels scolaires, afin d’arriver à un niveau aux standards internationaux.
Il poursuivra le même plan pour les Petits Séminaires de Mugeri et de Mungombe et obtiendra la
reconnaissance par l’État colonial de l’enseignement donné au Petit Séminaire et son diplôme de fin
d’études. Cela signifiait pour lui la préparation de professeurs qualifiés et les dépenses en matériel
scolaire, action qu’il entreprit avec détermination.
Dans une même optique, il suggéra très tôt à la conférence des évêques du Congo (tous des européens)
de doter chacune des cinq Provinces Ecclésiastiques du Congo d’un Grand Séminaire, afin que les
séminaristes puissent être formés dans le contexte socioculturel de leur futur travail pastoral. Il essuya
alors un refus catégorique de ses compères. Mais dix ans après, en 1959, comme pour lui donner raison,
Rome autorisa la fondation du Grand Séminaire Saint Pie X-Murhesa au Kivu.
Dès le début de son épiscopat, Cleire avait transféré sa résidence de Mugeri, où son prédécesseur Mgr
Leys l’avait établie, à la ville de Bukavu alors en pleine expansion. Il voulait être présent là où se
forgeaient les plans et où l’on prenait les décisions : «Je pense résider habituellement à Constermansville, et
non à Mugeri, il y a toutes sortes de raisons pour cela et tous les confrères d’ici sont contents», confiera-t-il au
Supérieur Général.
Car, dans son esprit, dès 1945, la colonisation n’était qu’une étape provisoire. Pour lui, les Congolais
devaient être préparés à l’indépendance, spécialement en améliorant le niveau des écoles. Il considérait
que le travail principal de la mission de l’Église au Congo était non seulement de procurer à tous une vie
spirituelle équilibrée, mais aussi de préparer l’avenir en formant des sujets capables de remplir plus tard
des fonctions de cadres pour leur pays.
119
C’est encore lui, Richard Cleire qui, le premier, lança l’idée de la création d’une Université au Congo.
Lovanium fut en quelque sorte une création de son esprit. J’en parlerai dans les pages qui suivent. Bref,
Cleire avait une vision intégrale des choses et était conscient que sa mission ne se limitait pas aux seules
questions religieuses. Tous les problèmes du pays l’intéressaient, mais ceux qui concernaient les plus
pauvres et les plus humbles l’attiraient davantage. A l’époque de son Vicariat, la justice sociale était fort
malmenée au Kivu par certains colons peu scrupuleux. Il se présenta comme artisan de la justice sociale
et promoteur du développement social.
Dans son mandement de carême du 19 février 1949, resté célèbre et actuel, il intervint énergiquement
pour défendre les droits des déshérités: « Devant sa conscience et devant Dieu, personne n’a le droit de retenir le
salaire de ses ouvriers; tout chrétien sait ce que l’Ecriture dit de ce péché : il crie vengeance au ciel. Il est injuste d’imposer
par des voies détournées, un contrat de travail à un homme que son ignorance ou que sa faiblesse laissent sans défense
devant l’astuce de son employeur. Il est injuste de traiter les ouvriers de telle façon qu’ils finissent par se révolter, par
déserter ou par tomber d’inanition. Il est injuste d’empêcher les travailleurs de faire partie d’une association professionnelle
par laquelle ils pourraient défendre légitimement leurs intérêts. Il est injuste d’imposer à des travailleurs des clauses de
contrat qui lèsent les droits d’hommes et des chrétiens, de prendre à des paysans, incapables de se défendre, les maigres
champs dont ils ont besoin pour vivre, afin d’en faire un objet de lucre »39.
Il fallait s’armer d’un grand courage pour dire de telles vérités, pour en parler au Congo des années
1949, c’est-à-dire à l’apogée du règne colonial. Cette lettre jugée de subversive dans les milieux
politiques et même religieux valut à Cleire bien des ennuis. Mais sa position était prise. Inlassable
défenseur des peuples qu’il évangélisait, il s’insurgeait contre tout acte de discrimination raciale dont
étaient fréquemment victimes ses ouailles. Il affirmait ne pas comprendre qu’un homme se croie
supérieur aux autres uniquement à cause de la couleur de sa peau (Ibid.).
Cette idéologie raciale était d’application journalière au Kivu où les Européens étaient particulièrement
nombreux. Bien plus, Cleire avait foi dans les valeurs africaines et les défendait objectivement auprès de
ses confrères qui semblaient s’en douter. Il donnait comme exemples, les us et coutumes des Bashi,
Bahavu, Banyarwanda, leurs rites de mariage, leurs proverbes, ainsi que l’initiation traditionnelle
Kimbirikiti pour les jeunes garçons chez les Barega (Ibid.).
39
A.G.M. Afr., Notices nécrologiques, 1966-1968, 374.
120
Avant Richard Cleire, l’évangélisation du Vicariat était un monopole de Missionnaires d’Afrique. C’est
lui qui ouvrit les portes à toutes les autres familles religieuses : Jésuites, Barnabites, Carmes, Frères
Maristes, Moines cisterciens et bénédictins, tous vinrent s’installer soit à Goma, soit à Bukavu ou à
Uvira pour prendre part aux grands défis socio-pastoraux de l’Église catholique dans le Kivu :
enseignement scolaire, vie contemplative, chacun selon ses charismes. Comme Justin Nkunzi l’affirme,
Richard Cleire était vraiment «tout à tous». Dans une de ses lettres pastorales, il dépeignait, sans le
savoir peut-être, sa propre attitude d’esprit : « La charité ne distingue pas entre les hommes; elle ne s’arrête
ni à la race, ni à la condition sociale, ni à quelque autre différence entre les fils de Dieu » (2007:26).
Kamituga était devenu le centre de la Minière des Grands Lacs (M.G.L) et comptait une population de
plus de 10 000 âmes. Aussi Mgr Cleire décida-t-il de transférer la mission de Mungombe à Kamituga (7
mars 1948), tandis que le Petit Séminaire qui était détaché de l’École Normale quittait Mugeri pour
s’installer à Mungombe. Le 4 juillet 1948, Mgr Cleire posa la première pierre de la Cathédrale de
Bukavu40. On le voit, sous lui, l’Église de Bukavu participa à la promotion du social dans toute la
province, car estimait-il, « il s’agit pour nous, de maintenir et de développer la position de l’Église au milieu
d’une population entraînée dans le rythme d’une vie économique et sociale toute nouvelle »41.
Tous les missionnaires étaient mis à contribution pour la réussite de l’entreprise socio-pastorale du
prélat, entraînant parfois l’épuisement physique de certains d’entre eux. La première fois que les prêtres
diocésains se virent confier une responsabilité administrative (curé de paroisse) dans le Vicariat
Apostolique du Kivu, c’est sous Richard Cleire. En effet, la mission de Rugari fut dirigée par les abbés
Thomas Mudumbi et Ladislas Kanane. Cleire fonda, le 10 octobre 1950, la mission de Goma, à 41 km
au sud de Rugari. Cette ville se développa très rapidement et devint en janvier 1951 le chef-lieu du
nouveau district du Nord-Kivu.
40
Selon le compte rendu de la visite de règle du 23 au 30 novembre 1948, les constructions de la cathédrale ont démarré
avec un fond de 6 millions de francs belges dont les frais supportés par le Gouvernement, les Sociétés et les particuliers : B.
Hellemans, «Supérieur Régional : Visite de Règle», Dossier 533, Kivu 2.
41
A.G.M. Afr., «Lettre de Cleire», Dos 304.I, f. 00304045.
42
B. Fumasoni, « De Kivu et Balduinopolitano (Kasongoënsis) », 444 - 445.
121
Pour les uns, ce fut un agitateur public avec ses prises de position en faveur des indigènes. Pour
d’autres, ce fut un pasteur cohérent dans sa mission, soucieux du bien-être et de la promotion sociale des
populations congolaises. Le Kivu avait longtemps souffert d’avoir eu des pasteurs qui ne connaissaient
pas les coutumes et les langues des autochtones. «Maintenant que nous en avons un, s’exclama un
missionnaire, ce serait dommage qu’on nous l’enlève au moment où l’on commence à cueillir les premiers fruits de son
action»43. « J’aimais beaucoup mon Vicaire Apostolique, dira un autre. C’est lui qui m’a conseillé souvent, qui m’a donné
vraiment un grand amour pour les Noirs, une grande compréhension de l’évolution et de bien d’autres choses d’ici. On
sentait qu’il voyait loin, et sa conversation faisait toujours l’effet d’un bon vent frais qui vient du large »44.
Bukavu, c’était un Vicariat florissant, bien établi. Kasongo, par contre, formait une région où presque
tout était encore à faire. Dans sa lettre de réponse à l’occasion de sa nomination, il écrivait : « Je suis
heureux et fier d’être choisi pour fonder un nouveau Vicariat. Il me semble que c’est un grand honneur de pouvoir fonder
une nouvelle Église et d’être désigné pour entrer dans les fondations de ce qui fera le salut d’un si grand nombre d’âmes
[…]. Si jamais Dieu m’accorde encore un peu de temps, et bien, je ferai tout pour Kasongo, et peut-être même plus que je
n’ai fait pour Bukavu »45.
Sa nomination lui fut communiquée en janvier 1952. Mgr Durrieu, alors Supérieur Général des Pères
Blancs, en lui annonçant son transfert, lui écrivit le 17 janvier 1952 : « Depuis peu les langues ont tourné et ont
raconté beaucoup de choses. D’aucunes sont parvenues jusqu’à moi. En particulier on a voulu voir dans votre nomination à
Kasongo une sorte de blâme pour votre pastorale sociale! Il n’en a jamais été, et nulle ne part, question. Je vous en ai moi-
même félicité; je réitère au besoin mes félicitations ; et si j’avais quelque chose à dire, ce serait pour renouveler vos sages
directives, les pousser même plus loin! Alors qu’on n’aille pas faire état de cela; ce serait pure calomnie. Au besoin, vous
pouvez, si nécessaire, réaffirmer ma pensée. J’espère d’ailleurs que tous les bavardages et indiscrétions qui ont entouré cette
division cesseront complètement et aussitôt ».
Terminons cette réflexion sur Mgr Richard Cleire en brossant le bilan de ses œuvres dans le Vicariat
Apostolique du Kivu, objet de mon étude. Quand ce prélat reçoit une nouvelle nomination pour
Kasongo, en janvier 1952, le Vicariat comptait 18 postes de mission dont 3 à Kasongo, le nouveau
diocèse. Après sept ans seulement de charge pastorale, en 1951 un peu avant la division, son Vicariat
présentait le visage ci-après: 85 Misionnaires d’Afrique, dont 74 prêtres et 11 Frères, 9 prêtres africains,
20 prêtres d’autres instituts religieux ou de vie apostolique, 16 Frères africains et 39 Frères d’autres
Congrégations, 134 religieuses dont 75 étrangères et 59 congolaises.
43
A.G.M. Afr., « Lettre de P. Beukelaer à Mgr Durrieu », Doss. 533, Kivu 2, Kv. 91.1.
44
A.G.M. Afr., « Lettre de règle du Père Joseph Grosjean », Dossier 533, Kv. 99.
45
A.G.M. Afr., Notices nécrologiques, 1966-1968, 377.
122
Tout compte fait, Cleire apparaîtra comme un des grands Évêques du Congo de l’ère missionnaire.
Comme je l’ai montré ci-haut, à part le Petit Séminaire de Mugeri, fondé par son prédécesseur Leys,
c’est lui qui a construit les grandes structures sociales, en l’occurrence les écoles tant primaires que
secondaires qui font encore aujourd’hui la référence dans tout le pays.
C’est lui qui introduisit le français comme langue principale de l’enseignement de tout le système
éducatif du Kivu. Il obtint de l’administration coloniale la reconnaissance (homologation) des diplômes
délivrés par les petits séminaires et initia le projet des Grands séminaires dans les différents vicariats
apostoliques du Congo en vue de former des prêtres diocésains proches des réalités socioculturelles et
pastorales de leurs milieux. C’est lui qui lança le premier l’idée de création d’une université congolaise
pour commencer à former les élites congolaises devant prendre en main le destin de leur pays après
l’indépendance. Mais avant l’avènement, il plaida pour la préparation politique de ceux qui devaient être
associés à la gestion de leur pays, comme c’était le cas dans les colonies françaises et britanniques.
Mgr Cleire laissa également une grande et belle cathédrale qu’il consacra en novembre 1951. Dès son
arrivée à Bukavu en août 1952, Mgr Geeraerts avait très vite mesuré l’ampleur de l’activité qui
l’attendait puisque déjà, dans son rapport de juin 1953, il l’exprime avec une certaine appréhension :
« Tout avance ici avec un rythme qu’on ne peut suivre et nous nous sentons débordés, à plus d’un point de vue. » Bientôt
certains signes de surmenage se manifestèrent chez lui et moins d’un an après son arrivée à Bukavu, il
s’écroula en proie à une profonde dépression.
Cet homme qui, pendant plus de trente ans, avait porté avec efficacité de grosses responsabilités au
niveau de sa congrégation, se sentit soudain épuisé. Il dût rentrer en Belgique, le 31 janvier 1954, pour
se faire soigner mais refusa de donner une démission qui pourtant semblait s’imposer. Durant son
absence, le Vicariat fut dirigé par le Père Alphonse De Beukelaer, une autre figure emblématique de
cette deuxième génération des missionnaires Pères Blancs au Kivu. Il acceptera finalement en 1955 la
nomination de Mgr Louis Van Steene (1956-1965) comme coadjuteur avec droit de succession et ce
n’est qu’en 1957 qu’il présenta sa démission, après pratiquement deux ans seulement de ministère
épiscopal.
123
Notons aussi qu’en date du 6 janvier 1954, un décret du Saint Siège46 changea le nom de Vicariat
apostolique de Costermansville en Vicariat apostolique de Bukavu. Avec la constitution apostolique «
Cum parvulum sinapis granum » du 10 novembre 1959 de Jean XXIII, l’Église du Congo fut subdivisée
en Provinces Ecclésiastiques ayant chacune son Archidiocèse et ses diocèses suffragants. Le diocèse de
Bukavu sera le siège de la Province du Kivu et Mgr Louis Van Steene en sera le premier Archevêque.
D’une grande simplicité, il évitait les réceptions officielles47. On peut comprendre son attitude si l’on
sait qu’il ne parlait ni le kiswahili, ni le « mashi », les deux langues en usage pastoral dans la région de
Bukavu. Il ne pouvait pas entrer en contact spontané avec les gens. C’est lui qui eut la lourde
responsabilité de diriger l’Église du Kivu pendant les quatre années d’avant et d’après l’indépendance
avec tout ce qui caractérisait cette période comme ressentiment contre l’homme blanc en Afrique en
général et au Congo en particulier.
Il suffit de parcourir ses lettres pastorales pour comprendre l’état d’esprit qui prévalait au Kivu et sa
préoccupation d’assurer la cohésion sociale des acteurs en présence. En effet, dès le début de l’année
1959, l’atmosphère sociopolitique se détériora rapidement. Une lettre pastorale de Van Steene sur la
charité fraternelle48 fut adressée à tous les chrétiens du Vicariat. Plaidant pour un respect et une attention
bienveillante envers les couches qui sont victimes d’exclusion basée sur des considérations socio-
économiques, il affirma : « La supériorité technique, matérielle ou culturelle d’une race ou d’une nation n’est que
relative, provisoire et dépend de beaucoup de circonstances fortuites. Elle ne donne aucun droit de domination mais au
contraire l’obligation de communiquer les richesses aux races et aux nations moins favorisées […]».49
46
B. FUMASONI, « Decretum apostolicis Costermanspolitanus », 148.
47
Témoignage de l’Abbé Adolphe Kaningu, Procure St Jean Bosco, Bukavu, le 20 août 2010.
48
A.G.M. Afr., « Lettres pastorales du 1er dimanche de carême 1959 de Monseigneur van Steene », Dossier Congo XXX,
Misc. Afr., 999 Zai. Misc.159.
49
A.G.M. Afr., « Lettres pastorales du 1er dimanche de carême 1959 de Monseigneur Van Steene, Vicaire Apostolique de
Bukavu sur la charité fraternelle », Dossier Congo XXX, Misc. Afr., 999 Zai. Misc.159, 13.
124
C’est dans un climat particulièrement tendu que parut le 29 juin 1959 sa lettre pastorale sur l’Église et
l’avenir du Congo. Son message s’articulait autour de cinq grandes parties à savoir : l’Église guide des
chrétiens dans la vie du pays ; l’Église veut l’indépendance du Congo dans la justice et la charité ;
l’Église veut le bonheur du Congo indépendant ; l’Église veut aider le futur gouvernement congolais,
l’Église et les partis politiques. Louis Van Steene conclut ainsi sa lettre :
« Les hommes et les Gouvernements sont dans les mains de Dieu : c’est Lui qui gouverne le monde. Beaucoup de
gouvernements ont combattu Dieu et l’Église mais tous ont disparu ; l’Église est restée et restera toujours. Le Christ l’a
promis à Saint Pierre : «Les portes de l’enfer ne pourront rien contre elle». Dieu gouverne aussi le Congo: nous devons
donc le prier avec ferveur et confiance pour qu’il vous donne des chefs qui travaillent pour le bien du pays et qui observent
les lois de Dieu. »50
Le jeudi, 30 juin 1960, le Congo accéda à son indépendance. L’Assemblée de l’Épiscopat du Congo
(AEC) rédigea une lettre lue dans les églises le dimanche 26 juin, dans laquelle il soulignait l’accueil
cordial qu’il faisait à cet événement capital, l’indépendance. Durant les premières années
d’indépendance, le pays connut un malaise général. Plusieurs prêtres missionnaires et diocésains étaient
menacés, certains furent même assassinés tels que le père Renaat de Vos, le 16 février 1961 à Kadutu51
et une trentaine de Pères du Saint Esprit le 1er janvier 1962 à Kongolo. Dans sa lettre du 11 août 1961,
Louis Van Steene parla de l’érection canonique des paroisses et des doyennés, étape ultime, dirions-
nous, dans le processus de l’organisation d’un diocèse.
Durant l’année 1964, le pays connut une fois de plus des troubles très graves. Le mouvement subversif
commença au Kwilu avec un fils du terroir, Pierre Mulele, et se répandit bien vite dans tout le Congo.
C’est à Bukavu que l’avancée des mulelistes fut bloquée, grâce notamment à l’intervention du colonel
Mulamba et de la population locale.
50
A.G.M. Afr., « Lettres pastorales du 29 juin 1959 de Monseigneur Van Steene, Vicaire Apostolique de Bukavu sur
l’Église et l’avenir du Congo », Dossier Congo XXX, Misc.Afr., 999 Zai. Misc.159.
51
Cf. A.G.M. Afr., « Congo », Petit Echo, n°514, 219-226; Petit Echo, n° 515, 278-280.
125
Dans beaucoup de diocèses, des Pères Blancs et autres religieux, religieuses et abbés furent massacrés
systématiquement. Citons Wittebols, évêque de Wamba, qui fut assassiné dans des circonstances atroces
et la religieuse Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta, béatifiée par le Pape Jean-Paul II, le 4 décembre
1980. Van Steene quitta le pays le 4 juillet 1964 pour participer en septembre à la session du Concile
Vatican II. Ce fut pour lui un chemin de non-retour et désormais les activités courantes du diocèse
étaient gérées par son Vicaire Général. Des postes de plus en plus nombreux furent confiés à la direction
du clergé africain et le rythme de l’africanisation des cadres s’accéléra. Tout doucement, on vit
s’enraciner une église locale autonome.
A Bukavu, une lettre circulaire de l’archevêque adressée aux Pères Blancs et aux Abbés le 25 mars 1965
retraça la situation économique du diocèse : « Les comptes actuels du diocèse révèlent qu’il n’y avait plus de réserve et
qu’il fallait vivre au jour le jour ». Les curés furent priés lors de leur congé à effectuer des visites dans des
collèges bienfaiteurs en Belgique pour soutenir par leur générosité les Eglises d’Afrique. Il leur fut
également demandé de former les chrétiens sur le bien-fondé de la dîme. Il faut dans cette optique
observer que le prélat attire l’attention de son clergé sur «un usage apostolique des biens», surtout les
voitures et contrôler les dépenses (Cf. A.G.M. Afr., En famille, mars 1965).
Ce point est particulièrement intéressant pour moi dans la mesure où il constitue l’objet de ma présente
recherche. En effet, je cherche à comprendre pourquoi, durant tout le temps que les prélats missionnaires
ont géré le Vicariat, la question économique n’a jamais été posée, mais c’est seulement au moment où le
dernier évêque missionnaire est en fin de son ministère que cette question est évoquée en termes
d’inquiétude. Pour bien comprendre le phénomène, il faut se rappeler que les missions catholiques
belges au Congo recevaient depuis le roi Léopold II des subventions importantes de l’État colonial pour
la construction des écoles, des couvents et autres besoins sociaux.
Par ailleurs, à cette époque où l’archevêque lance un cri d’alarme, l’Église du Kivu tout comme toute
l’Église d’Afrique s’indigénise de plus en plus, avec la présence de plus en plus marquée des prêtres
diocésains et sa prise en main progressive par des évêques autochtones. Aussi, le pays vient-il d’accéder
à l’indépendance. Cela signifie que, d’une part, les subventions de l’État colonial n’existent plus, et
d’autre part, les aides que les prélats missionnaires recevaient de leurs congrégations et autres
organismes occidentaux sont, si pas automatiquement sinon progressivement coupées.
126
Désormais la hiérarchie de l’Église de Bukavu devra compter sur ses moyens propres, qui n’existent pas
du reste puisqu’aucun mécanisme d’auto prise en charge n’avait été mis en place, pour faire vivre le
diocèse avec ses besoins énormes. C’est dans ce contexte de crise économique que le diocèse va être
confié au premier évêque autochtone, Aloys Mulindwa. En effet, le 24 mai 1965, Van Steene, dont la
santé était précaire, présenta sa démission au Pape. En attendant la désignation d’un successeur, c’est
Joseph Busimba, évêque de Goma, qui fut nommé Administrateur de l’archidiocèse de Bukavu. Avec un
mandat de la Nonciature de Léopoldville, il choisit Mulindwa comme Vicaire Général. Quelques mois
après, celui-ci fut nommé le 26 janvier 1966 comme premier archevêque autochtone de Bukavu.
Ainsi s’achevait la longue période missionnaire à Bukavu qui aura duré soixante ans. On commençait
maintenant l’indigénisation de l’Église de Bukavu avec l’avènement de la génération des héritiers dont
Mulindwa aura, durant vingt-sept ans, la responsabilité d’inaugurer et de conduire, et qui aura connu à
ces jours cinq archevêques en quarante-quatre ans.
Comme il n’est toujours pas aisé d’être pionnier, et comme la transition institutionnelle n’est toujours
pas une sinécure, si la nomination du nouvel archevêque fut un événement joyeux pour le diocèse car les
populations découvraient un fils du milieu élevé à un rang si haut dans la hiérarchie catholique, ce fut en
même temps un défi à relever à tous les niveaux à un moment délicat de l’histoire du Congo en général
et de Bukavu en particulier. En effet, il fallait assurer une transition digne entre le gouvernement des
évêques missionnaires et l’avènement d’un évêque issu du clergé local.
127
C’était le temps des héritiers52. Le nouveau prélat se montra à la hauteur de sa tâche, car les structures
solides sur lesquelles repose l’archidiocèse de Bukavu aujourd’hui plongent ses racines dans l’héritage
missionnaire certes, mais c’est sans conteste aussi grâce à l’ingéniosité administrative et pastorale de
Mulindwa. Pourtant, son épiscopat s’est déroulé d’un bout à l’autre dans un contexte sociopolitique et
ecclésial très particulier. Le paysage sociopolitique du pays était encore dominé par le mouvement de la
guerre de sécession de 1960-1965. Il y avait un peu partout une agitation des partis politiques et une
recherche de positionnement politique qui portera au pouvoir le Président Mobutu pendant 32 ans.
Bukavu avait été le théâtre des émeutes dictées par l’occupation des mercenaires sous les ordres de Jean
Schramme. Au niveau ecclésial, son épiscopat coïncida avec la fin du Concile Vatican II dont les
intuitions le pousseront à convoquer un synode.
Au niveau social, l’instabilité politique avait engendré un corollaire des maux qui suscitèrent son appel
adressé aux fidèles en faveur des enfants victimes du « Bwaki », maladie de la malnutrition: « Osons
regarder en face ces misères sans nous en détourner égoïstement. Osons regarder la souffrance de ces enfants, la douleur
des pères et des mères[…]. Je vous adjure tous, gouvernants, citoyens, organisations de toutes sortes, de répondre largement
à l’appel qui vous sera fait dans les prochains jours. Nous devons extirper de notre pays ce fléau, faire le maximum pour y
arriver. J’espère ardemment que les chrétiens seront ici des exemples. Il est temps que tous et chacun mettant de côté ses
discordes, ses haines et ses passions, dans un grand élan de générosité et d’effort, nous nous mettons tous ensemble au
travail, avec tous nos frères quels qu’ils soient pour assurer à nos enfants les biens les plus indispensables et les plus
nécessaire. » (A.G.M. Afr., En famille de février 1966)
Ceux qui ont connu et travaillé avec Mulindwa reconnaissent en lui les qualités d’un homme
administratif, avisé, attentif et d’un grand cœur. Il haïssait la médiocrité et était très solennel dans tout
ce qu’il entreprenait. La traduction systématique de la Bible en mashi avait commencé depuis 1968 et
s’achèvera seulement en 1992, grâce au concours de prêtres diocésains et de laïcs.
C’était un pas décisif pour l’inculturation du message évangélique qui venait d’être atteint car,
désormais, dans le diocèse de Bukavu, la Bible traduite en Mashi était à la portée des chrétiens pour
l’approfondissement de leur foi par la Parole de Dieu lue et écoutée dans leur langue maternelle.
Mulindwa était très engagé dans la promotion et la justice sociale de la région. Sous son initiative, le
conseil presbytéral du 3 mai 1982 demanda d’inventorier les cas d’injustices et d’abus constatés le plus
fréquemment dans tous les milieux. Ces abus étaient régulièrement causés par les agents de sécurité ou
des militants du Parti unique au pouvoir, les CADERS, les militaires indisciplinés qui rançonnaient les
paisibles citoyens.
52
Cf. le titre évocateur de l’ouvrage de Luneau R. – Ela J.M., Voici le temps des héritiers, Karthala, Paris, 1981.
128
Des services étatiques comme la magistrature étaient corrompus et ne donnaient gain de cause qu’aux
plus payants, les administrateurs territoriaux peu scrupuleux. Ce fléau de la corruption avait atteint
même les chefs coutumiers qui, pourtant, étaient considérés comme dernier rempart pour la population.
Eux aussi se sont laissé attirer par le gain et se sont mis à spolier leurs populations à travers des taxes
foncières injustifiées ainsi que des taxes sur des productions agricoles. Devant la déliquescence de
l’autorité publique et coutumière, certains prêtres prirent ouvertement, à travers le diocèse et sous la
bénédiction de la hiérarchie de l’Église, la défense de petit peuple dont les droits étaient constamment
bafoués. Les cas les plus patents sont ceux de deux jeunes prêtres53 de la paroisse de Kashofu qui, par
deux fois, eurent à se confronter à l’autorité publique et coutumière pour défendre les intérêts de la
population insulaire d’Idjwi devenue la proie des appétits effrénés des dirigeants.
Mulindwa avait à cœur l’autofinancement de son diocèse. Mais son action était limitée vu la précarité de
la situation économique du pays dont les effets se faisaient sentir dans les couches sociales, crise
aggravée ou même déclenchée par des décisions étatiques du parti unique, le MPR, en 1975. Les
évêques du Zaïre durent réagir à ce désordre politique en produisant un document sur les événements
dans le pays intitulé: « Notre foi en Jésus-Christ». En voici la teneur : « Affirmer la position de l’Église du
Zaïre sur sa foi fondamentale et, également sur la nature de son caractère d’Église particulière dans la communion à
l’Église catholique universelle ; exposer comment l’Église du Zaïre voit de manière réaliste les conditions de sa contribution
à l’œuvre du développement national »54.
Donc on ne peut pas dire qu’il a existé à proprement parler des orientations de Mulindwa sur le
développement économique du diocèse, si l’on considère le développement économique comme un
programme durable à mettre en œuvre sur un horizon lointain et ininterrompu. En fait il n’y a jamais eu
un ensemble de stratégies et de politiques mises en œuvre depuis le début de l’évangélisation du Congo
en général et du Bukavu en particulier.
Quand la question est évoquée, c’est souvent de manière timide, comme si elle gênait. Dictée par des
contraintes du moment (crise), elle est même généralement noyée dans plusieurs autres orientations
d’ordre pastoral qui en ont d’ailleurs la priorité.
53
En 1992, les abbés François d’Assise Basinyize et Adrien Cishugi dans l’affaire d’expropriation foncière contre la
population, les taxes abusives sur le marché de Kashara. Cette affaire les opposa au Chef coutumier, le Mwami Roger
Ntambuka. Une année après, le même François d’Assise dût s’introduire dans la prison de la zone à Bumpeta pour être
solidaire avec un directeur d’école primaire, Mr Zaza, qui venait d’être emprisonné injustement par le commissaire de
zone….
54
A.G.M. Afr., « Assemblée plénière de l’épiscopat Zaïre : Notre foi en Jésus-Christ », Dossier R.D.Congo XXV, Misc.
Afr. 61, 999 Zai. Misc. 198.
129
C’est le cas de la question économique du diocèse insérée au programme de la quatrième session du
synode diocésain qui se déroula du 18 au 23 novembre 1991 dont la formulation elle-même ne donne
qu’une idée vague de la vision de l’Église de Bukavu sur la question : sur chacun des neuf sous-thèmes
qui constituent des chapitre des « Options et directives » du synode telles que promulguées par
Mulindwa à Pâques 1992, un seul porte sur les biens matériels :
« Notre Église s’organise en tant que Peuple de Dieu ; notre Église s’organise en moyens structurels ; notre Église
s’organise en moyens matériels ; notre Église prie et célèbre sa foi ; notre Église enseigne ; notre Église témoigne de sa foi ;
notre Église sanctifie la famille ; notre Église éduque les jeunes ; notre Église accompagne les marginaux»55.
Mais c’est à partir de Mulindwa que la question du développement économique est évoquée par les
responsables de l’Église de Bukavu. Elle figure régulièrement parmi les grands axes de sa pastorale. On
le voit dans ses différentes lettres pastorales annuelles. Mais, là encore, aucune stratégie, aucune
politique de développement de l’Église de Bukavu n’est clairement définie, aucun mécanisme concret
n’est mis sur pied pour lancer le processus du développement économique. Tout reste au niveau des
déclarations d’intentions ou de perspectives.
En effet, le troisième séminaire national organisé sur le thème « Église et développement » formula
entre autres choses le vœu de créer un fond diocésain pour le développement, alimenté par les
ressources locales provenant d’une collecte annuelle, organisée par les évêques, chacun dans son
diocèse. A Bukavu, la collecte de ce fonds fut prévue chaque année au jour de Noël. La décision avait
été bonne, mais son efficacité fut relative. Ce vœu est resté vraiment pieux car il n’a pas été suivi avec
discipline et rigueur. Aucune politique n’avait été mise sur pied pour la mise en application effective de
cette mesure qui, pourtant, était bonne et pouvait bien servir pour lancer le processus de
l’autofinancement.
Par ailleurs, les rares fois où l’on est revenu à l’idée de la création de ce fonds diocésain pour le
développement, on a mal procédé en confiant le travail à une structure inadéquate et dépourvue de toute
légitimité sur la question. C’est ainsi qu’à la demande de l’évêque, le Centre de Catéchèse, Pastorale et
Liturgie, une structure qui n’avait rien à faire avec l’économie et la finance du diocèse, lança dans tout
le diocèse l’année de partage 1981-1982. Le but à atteindre fut de contribuer à un plus grand
développement spirituel et matériel de l’homme et à sa libération de toute aliénation. Le 5 février 1985
parut la lettre pastorale de Mulindwa intitulée « Priorités pastorales de l’Église de Bukavu à l’attention de
tous les agents de l’évangélisation ».
55
Cf. Quatrième session du synode diocésain, du 18 au 23 novembre 1991.
130
Cette lettre comprenait quatre parties : l’évangélisation en profondeur et l’inculturation, la promotion de
la hiérarchie locale, le développement humain intégral et l’autofinancement, la pastorale des
communautés ecclésiales vivantes. Rien n’est dit cependant sur la réalisation de cet autofinancement.
Mulindwa publia par la suite la lettre pastorale intitulée « Pour une évangélisation intégrale ». Cette
lettre comprenait essentiellement trois grandes parties: évangélisation intégrale, inculturation et
développement - la situation socio-économique de l’archidiocèse de Bukavu - exhortation et action
pastorale. Après « les priorités pastorales » de l’année précédente, il adressa un nouveau message
(Avent 1985.Carême 1986) intitulé: « Vers une évangélisation en profondeur, promouvant l’édification d’une Église
adulte et responsable, qui trouve en son sein les ressources humaines, théologiques et matérielles ».
La méthode préconisée pour réaliser ces objectifs fut évidemment les Communautés Ecclésiales
Vivantes. Dans ce document, le prélat examina les problèmes socio-économiques : la malnutrition, la
paupérisation collective progressive, l’habitat, les maladies et les épidémies, le vol et l’insécurité. Il
fustigea ensuite les causes des maux en pointant du doigt les déficiences du système politico-
administratif, l’ignorance et le choc de la modernité, la forte croissance démographique, l’érosion, la
mauvaise répartition des terres, l’enclavement de la région du Kivu.
Il conclut son analyse par une exhortation pastorale qui déboucha sur un programme social avec trois
objectifs : la conscientisation et la formation des masses populaires, la santé et l’hygiène, l’agriculture et
l’élevage. Le prélat souligne qu’il existe un lien profond entre évangélisation intégrale, inculturation et
développement. Cependant, il ne dit nulle part par quel moyen l’on pourrait arriver à ces objectifs. Le 15
avril 1990 l’archevêque publia la lettre pastorale « Vous serez mes témoins » annonçant le Synode
diocésain56.
Ce synode avait pour but de commémorer les grandes étapes de la croissance de l’Église de Bukavu et il
se déroula en quatre sessions, chacune ayant des éléments spécifiques à traiter. L’annonce du synode fut
solennelle en ces termes : « A 60 ans de sa fondation, il est bénéfique pour notre Église diocésaine de marquer un
moment d’arrêt. En effet, ces années passées ont connu des évènements heureux et douloureux, des changements et de
profondes mutations au sein de l’Église et de la société. Nous nous devons d’en faire une sérieuse évaluation […]. C’est la
raison pour laquelle nous pensons qu’un Synode diocésain est un événement vivement attendu dans notre communauté
diocésaine. Aussi, voulons-nous, en convoquant ce Synode, accomplir notre mission de pasteur: susciter, stimuler,
encourager et orienter les nobles initiatives et les charismes divers pour le bien de l’Église de Dieu qui est à Bukavu ».
Il s’agit donc du premier synode diocésain célébré par l’Église particulière de Bukavu. La clôture du Synode interviendra
56
131
Tous les thèmes à l’ordre du jour avaient pour but de finaliser les objectifs du synode que le prélat
explique en ces termes: « Notre synode diocésain invite ainsi tout le Peuple de Dieu de l’Église qui est à Bukavu à se
mettre en marche ensemble pour envisager l’avenir avec un regard critique sur le passé en agissant sur le présent. Il
constituera pour nous tous une occasion d’un sérieux examen de conscience sur la vie et le témoignage de notre Église
diocésaine dans le contexte actuel et un regard sur les perspectives d’un avenir pour préparer le 3 e millénaire en vivant dans
la fidélité et par un témoignage la dernière décennie de l’an 2000. » (Ibid.)
Commencé en 1991, le synode diocésain s’est clôturé le 19 avril 1992. Un Comité post synodal fut
constitué, chargé de suivre les applications concrètes des options et des directives émanant du synode.
Malgré les incohérences juridiques notées dans la formulation des «Orientations et directives»
(Kulimushi, 1998 : 307-3010), on peut mettre au crédit de Mulindwa le fait d’associer la chrétienté à la
réflexion sur une nouvelle manière de penser la pastorale diocésaine dans toutes ses composantes.
La diversité des thèmes choisis et la gestion de toutes les rencontres ont montré une réelle maturité de
l’Église de Bukavu et surtout une volonté d’abandonner les sentiers battus en s’orientant sur les voies
nouvelles en affirmant :
« Notre Église doit sortir de son immobilisme et initier une pastorale de libération consistant à conscientiser, former et
informer les chrétiens sur la nécessité de s’engager dans le domaine social et à prendre courageusement des responsabilités
politiques afin de se libérer eux-mêmes et de contribuer à l’instauration d’une société dans laquelle l’homme est au centre et
prend son destin en main »57.
C’est après avoir efficacement organisé ce forum diocésain qu’en septembre 1993, Mulindwa envisagea
de démissionner de sa charge pastorale. Il était déjà d’une santé fragile et la situation financière de son
diocèse était préoccupante.
Malgré tout ce qu’il avait réalisé, il rencontra les dernières années de son épiscopat une opposition
farouche d’une partie de son clergé et ses relations avec certaines familles religieuses n’étaient plus très
cordiales58. Il finira ses jours à Bruxelles dans l’anonymat en juillet 1997.
57
Archevêché de Bukavu, Actes du Synode diocésain de Bukavu, II, 55.
58
On se rappellera de ce bras de fer engagé par la congrégation des Frères Maristes autour de la question des écoles qu’ils
géraient dans le diocèse. Ayant décidé unilatéralement d’abandonner au diocèse l’Institut Technique Fundi Maendeleo
(ITFM), à cause des difficultés de gestion qui se faisaient sentir dans cette très prestigieuse école, pour aller se concentrer
tous à l’Institut Weza à Nyangezi, l’archevêque jugea cette façon de faire comme non responsable, d’autant que le diocèse
n’avait aucun responsable à la main capable de redresser cette institution en faillite qui, pourtant faisait la fierté de toute la
région. Il leur demanda de revenir à la raison, sinon ils devaient aussi quitter Weza. Toutes les congrégations missionnaires,
appuyant sans réserve les Frères Maristes, se coalisèrent contre Mgr Mulindwa dans ce dossier, qui sentit cette adhésion
comme une grande trahison et un affront aveugle. Cela l’affecta durablement.
132
Que retenir, en définitive, de l’œuvre socio-pastorale de Mulindwa ? Il aura été un grand évêque
africain. Premier archevêque autochtone, très administratif, solennel et doté de charisme de chef, il a
dirigé l’archidiocèse de Bukavu pendant 27 ans, de 1966 à 1993. C’était un vrai père de famille.
Comme l’a dit un des prêtres de sa génération, les quelques imperfections, qui, du reste, sont l’apanage
de tout humain, décelées dans son action socio-pastorale ne devraient pas faire oublier ses grandes
œuvres59. En effet, c’est durant cette période que se consolidèrent les grandes structures diocésaines
existantes. Son épiscopat fut caractérisé par le lancement de l’expérience des Communautés Ecclésiales
Vivantes, une réalité qui fait la fierté et l’originalité de l’Église du Congo à travers toute l’Afrique,
l’inculturation, ainsi que la convocation et la tenue du synode diocésain durant lequel aucune question
se rapportant à la vie de l’Église locale n’était considérée comme tabou.
Ainsi que je l’ai dit plus haut, il aura été le premier à se pencher sur la question de l’autofinancement du
diocèse, bien qu’aucun mécanisme n’ait été préconisé pour y arriver. L’idée ayant été lancée par lui, il
appartient aux acteurs actuels en présence de l’approfondir et de la concrétiser. La présente recherche
s’inscrit dans cette perspective. Mulindwa a prôné une évangélisation en profondeur c’est-à-dire «
enraciner, incarner […] le Christ et sa Parole dans le cœur, la culture, la vie quotidienne » 60 de son
peuple. Premier héritier du patrimoine missionnaire postcolonial, il a su ingénieusement articuler son
ministère épiscopal sur les valeurs socioculturelles à la lumière de l’Evangile.
Somme toute, l’œuvre de Mulindwa est immense. Près de la moitié du clergé actuel de l’archidiocèse de
Bukavu ont été formés sous son épiscopat et ordonnés par lui. C’est avec beaucoup de respect et de
souvenirs que son nom est constamment évoqué dans le milieu sacerdotal. Tous ses prédécesseurs se
sont inspirés de ses méthodes pastorales pour conduire le diocèse.
59
Entretien avec l’abbé Adolphe Kaningu, à la procure St Jean Bosco, le 24 août 2010.
60
A. Mulindwa Mutabesha, Priorités pastorales de l’Église de Bukavu, 7.
133
Malgré sa santé fragile, Munzihirwa parcourait les paroisses et les communautés religieuses, le plus
souvent à pied, pour réconforter et prêcher la parole de Dieu. Beaucoup de chrétiens aimaient participer
à ses célébrations eucharistiques, puisque « c’était un véritable Jean Chrysostome des temps
contemporains ! »61 Il était très aimé des jeunes qui trouvaient un grand plaisir à écouter les sermons à
l’église et les conseils de ce « vieux-sage » (Ibid.). Lui-même s’appellera toujours « Mzee = vieux, en
swahili ».
Pauvre au milieu des pauvres, Munzihirwa marqua les chrétiens par la simplicité de sa vie. C’est en
qualité d’archevêque qu’il vécut le drame des millions de réfugiés rwandais qui déferlèrent sur le Sud-
Kivu à la suite des terribles événements fratricides d’avril 1994 au Rwanda. Ce contexte dictera l’action
pastorale du prélat, laissant d’office à l’ombre les acquis du Synode avec son «regard sur les
perspectives d’avenir pour préparer le troisième millénaire en vivant dans la fidélité et le témoignage
durant la dernière décennie de l’an 2000»62.
Donc, le ministère épiscopal de Munzihirwa fut marqué par une situation sociopolitique chaotique au
Congo dans laquelle il trouvera d’ailleurs la mort. La démission de la plupart des responsables
administratifs et militaires zaïrois avait pratiquement fait de lui la seule autorité à s’occuper vraiment du
sort de la population congolaise désorientée et prise en otage sur son propre sol entre deux frères
rwandais ennemis : les refugiés hutus et les tutsis, nouveaux maîtres du Rwanda. Ce qui lui attirera
d’ailleurs la haine de ces derniers qui le considérèrent comme hostile et subversif à leur plan d’envahir
le Congo.
Pendant deux ans, par ses nombreuses prises de position audacieuses, cet homme proposa un chemin de
paix pour les Grands Lacs. Il attira l’attention du monde entier sur la tragédie en cours causée par le
débarquement désordonné des réfugiés à l’Est de la RDC. Il prônait une solution digne et conforme au
droit international. Il a mené son combat dans une cohérence absolue avec ses convictions évangéliques.
Il s’était surnommé «zamu», ce qui veut dire gardien, sentinelle avec une mission particulière de veiller
sur le sort de ses brebis en démasquant l’agresseur et le voleur, d’où qu’ils viennent (Ibid.).
61
Témoignage recueilli le 26 juin 2008 à Yaoundé auprès de son confrère jésuite, le Frère Philippe Azeufack, avec qui Mgr
Munzihirwa avait fait son noviciat.
62
C. Munzihirwa, « Afrique », 912. « En ces jours, où l’on continue à creuser des fosses communes, poursuit-il dans sa
lettre pastorale, où la misère et la maladie traînent sur des milliers de kilomètres de routes, de pistes, de sentiers, de
collines, de refuge, de camps, nous sommes particulièrement interpellés par le cri du Christ sur la Croix : Père, pardonne-
leur car ils ne savent pas ce qu’ils font », 913.
134
On peut aisément découvrir la personnalité de ce prélat à travers la pertinence de ses écrits dominés par
la cohérence d’une vie simple et austère et d’une remarquable lucidité spirituelle, humaine et
intellectuelle. Dans une brochure datant de 1963, il affirmait déjà : « Un pays qui n’a pas de ces hommes
(choisis) ne peut faire un pas vers le progrès. Au contraire, il s’écroulera ou sera conquis par un peuple qui a de la sève
spirituelle qui le fait chaque jour pousser plus haut. Car les ennemis de la patrie ce ne sont pas seulement les soldats
étrangers armés jusqu’aux dents, mais aussi les enfants du pays qui ne font pas leur devoir : ces vendus, ces profiteurs, les
membres d’un parti politique qui sacrifient toute valeur au profit du parti »63.
Sociologue de formation, il publia aussi entre 1984 et 1991 neuf articles dans « Zaïre-Afrique »64 avec
une constante dans les thèmes traités : le développement, la paix, la nation, la démocratie, les valeurs
culturelles, la famille, l’éducation. Cet homme dérangeait les détenteurs du pouvoir civil. Devant la
misère socio-économique de son peuple, il s’était constitué « la voix des sans voix ». Le régime
dictatorial de Mobutu avait détruit toutes les structures sociopolitiques du pays et soumis presque toute
la population à une clochardisation indescriptible.
Ce sont des pauvres citoyens qui payaient les conséquences de la gestion calamiteuse du pays. A ces
problèmes internes, vinrent s’ajouter des situations dramatiques créées par la marée humaine de réfugiés
rwandais déversés dans le Kivu après le génocide dans leur pays en 1994. Or il n’existait plus en RDC
de structure étatique capable de gérer cet afflux massif de réfugiés qui venaient aggraver encore ce que
l’évêque dénonçait vigoureusement en affirmant : « La violation des droits de l’homme fait que notre continent est
devenu le continent des réfugiés. »65
Entre le 18 avril 1995 et le 27 octobre 1996, soit deux jours avant son assassinat, il aura écrit vingt-deux
lettres dans lesquelles il attirait en vain l’attention de la « communauté internationale » sur le drame qui
se profilait à l’est du Congo, du fait de la présence massive et agitée des réfugiés rwandais sur le sol
congolais, d’une part, et des incursions récurrentes dans les camps de réfugiés de l’armée revancharde
du nouveau pouvoir au Rwanda, d’autre part.
A part l’ouvrage de Philippe de Dorlodot qui reprend tous les messages du prélat durant les années
1994-1995, les déclarations de la Société Civile du Sud-Kivu, les groupes de réflexions « GRAPES et
Groupe Jérémie », il existe un autre dossier préparé par le même auteur (1995) et qui présente les prises
de position à Bukavu en 1995 au sujet de la tragédie rwandaise et ses corollaires.
63
C. Munzihirwa, Soleil du Kivu, 10.
64
Nous trouvons quelques extraits de ces articles, dans « In Memoriam », 453-457.
65
C. Munzihirwa, « Afrique », 912.
135
Dans sa lettre du 17 août 1994 adressée au président français François Mitterrand, il proposait certaines
dispositions à prendre pour assurer la zone de sécurité66. En janvier 1995, le cardinal Danneels et Mgr J.
Delaporte67 furent eux aussi saisis de la situation par un appel à faire pression sur le nouveau pouvoir au
Rwanda, en vue d’une solution négociée devant permettre le retour des réfugiés et sensibiliser les
milieux catholiques occidentaux sur la gravité du drame en cours ! Il ne reçut aucune réponse à toutes
ces demandes.
Le 15 mai, l’archevêque, confiant dans les institutions internationales, estime Justin Nkunzi (2007 :72),
écrivit encore au Secrétaire Général des Nations Unies68 pour poser la problématique des réfugiés
rwandais. Au niveau international, ce drame n’a ému personne et ceux qui devraient sauver des vies
humaines se sont cachés derrière leurs intérêts (Ibid.). Et la situation n’allait que se dégradant. Et il
concluait sa lettre de Noël en ces termes: « Au lieu de construire des murs idéologiques, qui séparent les ethnies,
construisons ensemble des routes et des ponts qui encouragent et unissent » 69. Mais, à qui s’adressait-il ? Il essaya de
lutter contre la guerre et l’injustice mondiale, et proclama les exigences de la paix (mais qui reste dans
les faits utopique, exemple en RDC, en Lybie, au Soudan, au Mali, en Centrafrique).
Au moment décisif de sa vie, au lieu de fuir et de se taire, il resta au milieu des siens pour partager leur
sort. Car, « Si la violation du droit, dira un autre prélat, est à l’origine du conflit, il faut au contraire affirmer que la
justice, dans la mesure où elle dit le droit, est à l’origine de la paix, car la justice rend à chacun ce qui lui est dû. Elle est en
quelque sorte la mesure de l’être et de l’avoir de chacun en société » (Monsengwo, P., L., 2004 :135)
Se référant à Mgr Claverie abattu en Algérie le 1er août 1996, à Mgr Ruhuna fauché le 9 septembre
1996 au Burundi et à Mzee Munzihirwa assassiné le 29 octobre 1996, Bruno Chenu (1996) résume pour
nous, dit-il, le seul motif de leur élimination : « Ils avaient un grand tort, ces trois évêques: ils parlaient. Haut et
fort. Et leurs assassins avaient parfaitement compris que seule la mort pouvait les faire taire. Ils ont dit la vérité. Ils
ont été exécutés. Ils ont paraphé leur ministère de pasteur de leur propre sang. » Les prophètes meurent mais
laissent des signes et des traces.
66
« Lettre de Mgr Munzihirwa Christophe au président François Mitterrand en date du 17 août 1994 ». La même lettre fut
adressée au Secrétaire Général des Nations Unies Boutros Boutros-Ghali, à Edouard Balladur et au Cardinal Etchegaray,
Président de la Commission pontificale Justice et paix. Cf. P. De Dorlodot, Les réfugiés rwandais, 110.
67
« Lettre de Mgr Christophe Munzihirwa au Cardinal Danneels », in P. De Dorlodot, Les réfugiés rwandais, 164-165.
68
Cette même lettre fut adressée au Président de la Commission européenne, au Cardinal Secrétaire d’Etat au Vatican, et au
Haut Commissaire aux Réfugiés à Genève. « La population souhaite se réconcilier et vivre en paix » mais le contexte
socio-politique était miné et cela n’était plus possible puisqu’on ne sentait guère une réelle volonté de ceux-là qui président
au destin des peuples en ce monde.
69
C. Munzihirwa, Dernière lettre de Noël, 1995. Cf. aussi « Réflexions inédites de Mzee Munzihirwa », in A. Cnockaert,
In Memoriam, 38.
136
On a retrouvé dans les archives de ce « martyr de la paix en sentinelle de Bukavu » une prière-
méditation à l’occasion de son 25e anniversaire d’ordination sacerdotale où il affirmait : « Avant mon
ordination, j’ai souhaité que cette parole éclaire mes sentiers. Depuis longtemps je supplie le Christ de m’accorder la
grâce de conserver en mon cœur ce message. Que le souvenir de Sa Croix demeure au tréfonds de mon être, pour que
je le suive avec courage comme un vrai compagnon, et sans plus jamais m’en éloigner. » (Munzihirwa, C., 17 août
1958-17 août 1983)
La fin tragique de sa vie pointait à l’horizon, dès lors qu’il s’était engagé dans la vie sociopolitique des
Grands-Lacs de la décennie 1990 mais avec une autre grille de lecture des situations sociopolitiques,
différente de celle de la communauté internationale : son sort était en quelque sorte scellé. C’est
pourquoi, le 29 octobre 1996, le soir de l’occupation de la ville, il est abattu froidement d’une balle dans
la nuque sur l’Avenue Nyawera (devenue depuis Avenue Mgr Munzihirwa), lors de la guerre des
rebelles de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la libération du Congo.
Toute la ville de Bukavu fut consternée à la nouvelle de sa mort. Les Congolais de l’Est, qui n’avaient
plus que pour seul protecteur ce vieux père, après avoir été trahis par leur armée nationale corrompue,
indisciplinée et en débandade, et abandonnés par les autorités politiques qui ont pris la fuite dans la forêt
à l’avancée des envahisseurs, se sont sentis décapités et ne savaient plus à quel sort se vouer !
Au lendemain de sa mort, quand les gens l’apprirent, la ville se vida de ses habitants qui, tous âges
confondus, prirent la fuite par l’ouest du diocèse. Certains arrivèrent même à Kinshasa à 2 000 km à
pied, après des semaines d’errance dans la forêt équatoriale congolaise, bravant toutes sortes d’obstacles
(grandes rivières, intempéries, bêtes sauvages).
D’autres moururent en cours de route épuisés physiquement ou par la maladie et la faim ou abattus
cyniquement par des rebelles qui les poursuivaient. Beaucoup d’innocents périrent ainsi dans
l’anonymat sur leur propre sol ancestral par des armées venues des pays voisins. Aucune enquête
internationale n’a été ouverte à ce jour pour porter devant la justice les auteurs de ces crimes, pas même
celui des religieux occidentaux70
70
Le 31 octobre 1996, soit deux jours après l’assassinat de Munzihirwa, quatre frères espagnols de la Congrégation des
Frères Maristes, les frères Servando Mayor Garcia (44 ans), Miguel Angel Isla Lucio (53 ans), Fernando de La Fuente (53
ans) et Julio Rodriguez Jorge (40 ans), furent assassinés par des militaires rwandais dans la Paroisse de Kabare alors qu’ils
étaient en pleine activité au service des réfugiés
137
3. Mgr Emmanuel Kataliko (1997-2000)
C’est dans ces circonstances dramatiques à Bukavu que Mgr Emmanuel Kataliko, alors évêque de
Butembo-Beni, fut nommé archevêque de Bukavu. Il est ainsi la troisième figure de la génération des
Héritiers. Je présenterai brièvement le contexte sociopolitique de son arrivée et de son action pastorale à
Bukavu en relevant l’originalité de son témoignage pastoral jusqu’à la fin de sa vie. Etant resté dans
l’orientation pastorale de son prédécesseur vu la situation sociopolitique du pays, il est exilé pendant
sept mois et deux jours dans son diocèse d’origine.
Revenu à Bukavu grâce aux pressions internationales exercées sur le Rwanda et sa branche
« congolaise » armée, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), il succombe à une crise
cardiaque en pleine réunion des évêques à Rome, le 2 octobre 2000, en sa 34e année d’épiscopat. Il fut
inhumé à la Cathédrale de Bukavu le 10 octobre 2000 à côté de son prédécesseur Munzihirwa, selon ses
propres vœux.
N’étant pas originaire du terroir, il fut bien accueilli parce qu’il avait en commun avec son prédécesseur
la simplicité et la spontanéité dans ses rencontres avec les gens. Il avait une facilité étonnante de
communiquer avec familiarité. Malgré son âge, il s’employa à l’apprentissage de la langue locale, le
Mashi. Malgré sa simplicité, ses messages pastoraux étaient d’une pertinence remarquable. Ayant choisi
la continuité socio pastorale de ses prédécesseurs, il ne supportait pas de voir de la vérité était menacée,
ce qui lui a attiré la haine.
On a reproché à l’Église durant l’épiscopat de deux évêques martyrs de prendre à l’époque et même
aujourd’hui encore la place de l’ tat. Quel devait être le comportement d’une Église responsable devant
un pouvoir qui, durant quatre décennies, a humilié et bafoué les droits de son peuple, un pouvoir qui n’a
construit aucune école, aucun hôpital, aucune nouvelle route dans plusieurs régions du pays et dont le
seul intérêt était de tenir les villes et au détriment des campagnes ?
Durant toute cette période, l’Église était la seule institution présente dans la vie des populations livrées à
l’arbitraire de quelques agents de l’administration publique.
138
L’Église au Congo s’est vue souvent contrainte de s’engager dans tous les secteurs de la vie sociale.
Kataliko l’a rappelé plusieurs fois et ce fut d’ailleurs, trois ans après, l’origine de son exil: «Devant ces
guerres, avertit le prélat, qui ont comme conséquences graves la déchéance morale, spirituelle et sociale de nos peuples,
l’Église, comme Mère et Maîtresse, ne peut se taire. Elle a l’obligation de parler et de prêcher aux hommes de notre pays
l’évangile de la dignité humaine et de la paix»71.
En plein désarroi de la guerre, le 24 septembre 1998, le prélat invite à lever le regard vers Dieu pour
« qu’il touche le cœur de tous les responsables politiques et militaires qui sont à l’origine de cette guerre et qui
l’entretiennent, pour qu’ils prennent conscience de l’énorme responsabilité qu’ils ont devant Dieu et devant le peuple. Qu’ils
comprennent que jamais le bien d’un peuple ne peut s’obtenir par la seule guerre ! Que les souffrances et le sang de tant de
victimes innocentes touchent leurs consciences et les poussent à une recherche rapide de la Paix » .
Dans « Un cri de détresse du peuple congolais aux peuples des U.S.A », lancé à la veille de Noël 24
décembre 1998, le prélat dénoncera une deuxième guerre en cours et ses raisons, mais « personne n’a prêté
oreille sûrement à cause d’une complicité et d’un sadisme à outrance. Nous avons beau nous plaindre des violations de nos
droits les plus élémentaires des personnes et des peuples, ajoute-t-il, le monde fait sourde oreille parce qu’une idéologie
plus grande a été mise en circulation à coté de laquelle tout le reste est relatif. Le génocide devenu idéologique fonctionne
comme un chèque en blanc offert par l’administration actuelle des U.S.A. aux pouvoirs actuellement en place au Rwanda et
en Ouganda pour faire n’importe quoi à toutes les communautés environnantes en toute impunité. Que cesse l’aveuglement
de l’opinion mondiale par une propagande unilatérale! La culpabilité d’omission de la communauté internationale sur les
crimes d’hier ne diminue pas sa responsabilité sur les crimes d’aujourd’hui » (Kataliko : 1999).
Contribuer à faire connaître la vérité sur ces conflits, encourager les gens à ne pas se laisser piéger par
ceux qui se servent desdits conflits pour leurs intérêts, c’est, d’après le prélat, le rôle essentiel de
l’Église. Mission passionnante, exigeante, dangereuse, mais à laquelle une Église ne peut se dérober.
C’est cette option que l’Église locale de Bukavu put adopter au prix d’un lourd tribut.
En réalité, comme son précédesseur, Kataliko gênait par ses paroles, ses actes et par la cohérence de sa
vie. Ses lettres pastorales contenaient un message manifestement embarrassant pour le mouvement
rebelle qui contrôlait par procuration la région. D’où la volonté d’imposer le silence au prélat.
71
E. Kataliko, Lettre pastorale pour l’Avent 1997. C’est dans cette pastorale que le prélat cite le fameux message de Paul VI
à l’ONU en 1965 : « Les uns contre les autres » nous ne gagnerons jamais la guerre, « les uns avec les autres » nous pouvons
«gagner la paix». Des voix s’élevèrent de partout pour condamner cet exil forcé de Kataliko. On pourrait consulter le dossier
Mgr Kataliko dans Karibu n°21, Pâques 2000 ainsi que les n° 18, 19, 20, 21, 22 qui reprennent de nombreux témoignages de
solidarité envers Mgr Kataliko en exil.
139
Conscient de ce que les barbaries humaines se nourrissent du silence, celui-ci s’opposa farouchement à
la loi du silence qu’on voulait lui imposer. Ainsi, le 24 septembre 1998, il avertissait : « La guerre risque de
détruire à la racine tout effort de dialogue, de tolérance et de fraternité. Face à la violence, souvent brutale et aveugle qui
déferle de tout coté, efforçons-nous de résister avec toute la force de notre foi sans nous laisser entraîner par un égal esprit
de violence. Répondre à la violence par la violence n’est jamais la vraie solution mais plutôt une façon de se laisser dominer
par le mal qu’on voudrait combattre ou éliminer. Face à la jalousie et au mensonge, que chacun s’abstienne de raconter des
fausses nouvelles qui peuvent semer la confusion et la nervosité dans les esprits, la déformation des paroles dites et la vérité
créent des inimitiés ».
Dans le message de l’Avent, en date du 5 décembre 1998, conscient de la gravité du moment, le prélat
renchérissait en ces termes : « L’expérience de l’histoire montre, autour de nous, comment les peuples ou des
communautés qui ont su dépasser leurs rivalités, ont construit une paix et une prospérité durables. Pourquoi croit-on qu’en
Afrique Centrale, l’accentuation des extrémismes ethniques constituerait une solution? Nous souhaitons que, à l’intérieur
comme à l’extérieur, les uns et les autres dépassent leurs peurs, leurs ambitions et leurs égoïsmes pour que les citoyens de
notre pays voisin travaillent à la réconciliation nationale, à la démocratie et à la bonne gouvernance. Nous devons
comprendre que cette paix n’est pas seulement le don de Dieu que nous implorons tous les jours avec ferveur mais qu’elle
doit être aussi et surtout le fruit de notre engagement quotidien autour des valeurs chrétiennes et humaines de la confiance,
de la justice, du travail […]. La paix n’est pas d’abord le résultat d’une lutte armée mais surtout le fruit d’un combat
humain, culturel et spirituel ardu. »
C’est surtout le message de Noël 1999 qui fut à l’origine de son exil : « Aujourd’hui comme dans le passé, nous
sommes appelés à « découvrir notre dignité d’hommes libres », disait le prélat sur un ton grave. Il ajoute :
« L’Évangile, poursuit-il, nous pousse à récuser la voie des armes et de la violence pour sortir des conflits. C’est au prix de
nos souffrances et des prières que nous mènerons le combat de la liberté, que nous amènerons également nos oppresseurs à
la raison et à leur propre liberté intérieure […]. Nous avons le sentiment que par- delà des faits isolés rapprochés à l’un ou
l’autre, à raison ou à tort, il y a une stratégie qui vise à détruire tout ce qui est considéré par le peuple comme sacré. Une
fois détruit le noyau autour duquel se construisent la cohésion et l’identité communautaire des peuples, il serait plus facile
de soumettre la population désormais sans défense et sans repères à l’arbitraire d’une idéologie et d’un système totalitaire
qui veulent s’imposer à tout prix. »
Kataliko n’hésite pas à dénoncer l’exploitation par des étrangers des ressources du pays avec la
complicité des fils du pays irresponsables et égoïstes : « Des pouvoirs étrangers avec la collaboration de certains
de nos frères congolais organisent des guerres avec des ressources de notre pays. Ces ressources qui devraient être utilisées
pour notre développement, pour l’éducation de nos enfants, pour guérir nos malades, bref pour que nous puissions vivre
d’une façon plus humaine servent à nous tuer. Plus encore notre pays et nous-mêmes, nous sommes devenus objet
d’exploitation. Tout ce qui a de la valeur est pillé, saccagé et amené à l’étranger ou simplement détruit. Les impôts collectés
qui devraient être investis pour le bien commun sont détournés. Des taxes exorbitantes n’étranglent pas seulement le grand
commerce et l’industrie, mais aussi la maman qui vit de son petit commerce. Tout cet argent prélevé sur nous, provenant de
nos productions et déposé à la banque est directement prélevé par une élite venue d’on ne sait où? » (Ibid.)
140
Ces dénonciations furent très accueillies par un peuple accroché à son pasteur, meurtri par des décennies
de misères et de guerres injustes à lui imposées. Mais elles avaient irrité les prédateurs parsemés dans la
région et allaient signer la mort du prélat qui continuait à affirmer:
« Notre message chrétien est un message d’espérance. C’est le message de Jésus lui-même. Lui le Fils de Dieu s’est fait
solidaire de notre condition humaine. Né dans la pauvreté, persécuté dès le début de son existence, réfugié à l’étranger, il
meurt sur la croix pour nous faire connaître l’amour de Dieu le Père. Jamais il ne s’est soustrait aux conséquences
auxquelles cette solidarité l’amenait. Ainsi face à la mort il ne s’est pas dérobé. Nous nous engageons avec courage, avec un
esprit ferme avec une foi inébranlable à être du côté de tous les opprimés et si nécessaire jusqu’au sang, comme l’ont déjà
fait Mgr Munzihirwa, l’abbé Claude Buhendwa, l’abbé Wabulakombe et les sœurs de Kasika, l’abbé Georges Kakuja […] et
tant d’autres chrétien. » (Ibid.)
Le 14 septembre, l’archevêque est libéré et rentre à Bukavu où il est accueilli triomphalement. Une
semaine après, il se rendit à Rome pour participer au Symposium des Conférences Épiscopales
d’Afrique et de Madagascar où, le 3 octobre en pleine réunion, il exhortera ses collègues : «Nous devons
parler, car le peuple souffre. Nous devons parler aux chefs d’État, il faut parler aux dirigeants. Nous devons adresser en
Afrique un message de réconciliation et de paix» . Puis, subitement, il tomba devant ses compères et mourut le
lendemain. Il sera inhumé à Bukavu le 10 octobre 2000 à côté de la tombe de son prédécesseur
Munzihirwa, selon ses volontés.
Il ne se remettra pas de cette mystérieuse crise. Pendant quatre ans (2001-2005), il a traversé un
véritable chemin de croix, parcourant les hôpitaux de Nairobi, de Bruxelles, de Kinshasa et de Bukavu.
Fatigué par la maladie, Charles Mbogha meurt le 9 octobre 2005 à l’Hôpital Général de Référence de
Bukavu et est inhumé aux côtés de ses prédécesseurs Christophe Munzihirwa et Emmanuel Kataliko
devant l’entrée Est de la Cathédrale. Un endroit devenu pour les fidèles, lieu de prière et de profonds
souvenirs. Comme on le voit, il n’aura pratiquement pas dirigé le diocèse sinon que par procuration.
141
5. Mgr Francois-Xavier Maroy Rusengo (2006-)
Après la mort de Charles Mbogha, Mgr François-Xavier Rusengo, alors Évêque Auxiliaire, est élu par le
collège des consulteurs comme Administrateur diocésain. Le mercredi 26 avril 2006, le Pape Benoît
XVI le nomme archevêque métropolitain de Bukavu. Son plus grand atout - et qui peut être aussi un
handicap -, c’est qu’il est un fils du terroir, à l’instar du premier archevêque autochtone Mulindwa, qu’il
connaît tout le monde et que tout le monde le connaît.
Très pragmatique, il hérite d’un diocèse meurtri par des décennies de guerres cruelles et injustes
imposées au peuple congolais de l’Est, de violences, de frustrations, bref, d’un peuple fatigué par des
multiples facettes d’humiliations. Il hérite aussi d’un diocèse appauvri confronté à bien des défis, surtout
la précarité économique des structures et des hommes, après que tout le tissu social eut été
systématiquement détruit au fil des temps. Notons aussi l’évangélisation en profondeur, la crise de la
foi, la famille, la femme, la jeunesse et l’éducation, la maladie, le chômage, la famine, la destruction de
l’écosystème sans oublier les questions brûlantes du moment que sont la paix et la bonne gouvernance
participative dans un État de droit. Avant de terminer cette première partie, présentons le diocèse de
Bukavu, objet de mon étude.
L’archidiocèse de Bukavu, dont l’élément humain principal est constitué de la ville de Bukavu, sur la
rive sud du lac Kivu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu et ancienne capitale provinciale du grand
Kivu72, occupe la partie orientale du pays, au sein d’une région magnifiquement jalonnée de montagnes
et de vallées qui s’étendent depuis les forêts de l’Urega au Sud, en limite avec le diocèse d’Uvira,
jusqu’aux premières savanes post-forestières de Kalehe. Toute la partie ouest du diocèse est forestière et
le limite avec le diocèse de Kasongo par le parc national de Hahuzi-Biega, tandis que la partie centrale
et septentrionale savanière et montagneuse le limite avec le diocèse Goma.
A l’Est, il est limité avec le Rwanda par le lac Kivu et la rivière Ruzizi, qui fait jonction entre le lac
Kivu et le lac Tanganyika, limite le diocèse de Bukavu avec le Burundi.
72
Dans le cadre d’un plan national de découpage terrirorial et de décentralisation, en 1988, le gouvernement zaïrois à
l’époque avait choisi le Kivu comme région- test, qui donna ainsi naissance à trois nouvelles provinces, à savoir le
Maniema (avec Kindu comme chef-lieu), le Nord-Kivu (avec Goma comme chef-lieu) et le Sud-Kivu (avec Bukavu
comme chef-lieu).
142
A. Situation géographique, socioculturelle et économique
Il me semble capital de décrire la situation géographique, socioculturelle et économique de mon milieu
d’étude pour bien cerner l’origine de l’encrage de l’assistance financière de l’Eglise du Congo, en
particulier l’archidiocèse de Bukavu.
1. Aspects géographiques
L’archidiocèse de Bukavu fait partie intégrante du Kivu montagneux, dans la province du Sud-Kivu, à
l’Est de la RDC. Il s’appuie sur le Graben des Grands lacs, aux bords sud-ouest du lac Kivu, à une
altitude de 1 500 mètres, entre les 2è et 3è parallèles Sud, et à l’ouest du 22è méridien. Le relief se
présente comme une suite de montagnes et collines vallonnées qui s’inclinent en une pente douce depuis
les hauteurs du pays Bushi-Buhavu jusqu’au lac Kivu.
Le climat de type tropical tempéré ne dépassant pas 22°, se caractérise par l’alternance régulière d’une
saison sèche et d’une saison de pluie. Le trait dominant de la végétation de ce territoire : seule la partie
ouest de la région à partir de 40 km de la ville de Bukavu est encore couverte de forêt, le reste étant très
peuplé et donc dépourvu de végétation, si ce n’est le maigre tapis herbeux clairsemé entre les habitations
mais surtout la bananeraie, élément socioculturel caractéristique de tout l’Est de la RDC, Rwanda,
Burundi, Ouganda.
Quant au sol, il est argileux et généralement très pauvre au sud (Kabare, Walungu, Burhale, Nyangezi,
Luhwinja, Kaziba), ce qui, bien sûr, rend le terrain peu fertile à l’agriculture, sauf les parties nord et
ouest du diocèse (Murhesa, Mudaka, Katana, Idjwi, Kalehe, Kalonge, Bunyakiri), greniers de la ville de
Bukavu. Sa population est estimée à environ 1 500 000 habitants pour une superficie de 8 815 km², d’où
une densité moyenne de 170 habitants au km², une des plus élevées du Congo et de l’Afrique centrale.
Ainsi se présente très succinctement la géographie physique de ce diocèse dont le territoire est un milieu
naturel aux aspects physiques peu variés, archaïques, ne laissant pas voir de contraste entre les paysages
de la ville et ceux de la campagne. Quant à sa géographie humaine, elle présente trois formes sociales :
politique, économique et culturelle.
2. Aspects socioéconomiques
La situation socioéconomique dans la région du diocèse de Bukavu est étroitement liée à celle que
connaît l’ensemble des autres régions du pays : un niveau économique très faible consécutivement au
sous-développement qui caractérise la RDC. Ceci est encore plus aggravé, d’une part, par l’instabilité
politique et la mauvaise gouvernance que connaît le pays depuis son accession à l’indépendance en
1960 ; d’autre part, par l’arrivée massive des réfugiés rwandais sur le territoire congolais en 1994, suivie
des guerres récurrentes imposées à la RDC dont les conséquences socioéconomiques sont inestimables,
surtout dans les régions du Kivu, et plus particulièrement dans le diocèse de Bukavu.
143
Par ailleurs, la crise mondiale récente a affecté encore douloureusement une économie qui était déjà
moribonde, comme on en trouve dans des régions affectées par des rébellions et des guerres dans bon
nombre de pays africains au sud du Sahara. Plus de 80% de la population du diocèse de Bukavu est
rurale et vit principalement de l’agriculture et de l’élevage. La partie riveraine du diocèse pratique la
pêche traditionnelle des poissons et petits-poissons sur le lac Kivu. D’autres espèces de crustacés
pêchées sur le lac Tanganyika sont largement consommées dans la ville de Bukavu. La population vit
sous un régime économique d’autosuffisance dans lequel fonctionne un fragile système d’économie de
marché auquel les gens sont intégrés de manière désarticulée.
La situation politique et économique générale de la RDC sur laquelle s’est greffé l’épineux et
dramatique problème des réfugiés rwandais ne fait qu’aggraver le sort déjà sombre de Bukavu. Certes, il
existe une classe d’hommes suffisamment nantis, parmi lesquels les hommes politiques, les officiers
supérieurs de l’armée ou de la police, les commerçants, mais la pauvreté dans la région est générale et
les problèmes qu’elle engendre sont énormes : le manque d’emplois affecte tragiquement les jeunes
diplômés des grandes écoles et universités du pays ; la délinquance juvénile est en forte croissance avec
une présence accrue et inquiétante des enfants de la rue (les mayibobo).
3. Aspects socioculturels
Bukavu, ville administrative et fortement universitaire73, est peuplée de fonctionnaires, d’étudiants, d’un
nombre moins important de commerçants par rapport à celle voisine de Goma, d’ouvriers et d’une
grande majorité de chômeurs parmi lesquels un très grand nombre de femmes au foyer et de jeunes
diplômés. 60% de cette population est composée de jeunes de moins de vingt ans et d’enfants.
73
Actuellement on compte dans la ville de Bukavu trois grandes universités (l’Université Catholique de Bukavu, UCB,
l’Université Evangélique d’Afrique, UEA, l’Université Officielle de Bukavu, UOB) et une dizaine d’Instituts Supérieurs
(dont les principaux sont l’Institut Supérieur Pédagogique, ISP, l’Institut Supérieur de Développement Rural, ISDR,
l’Institut Supérieur des Techniques Médicales, ISTM).
144
Capitale politique et administrative du Sud-Kivu, elle n’a cependant pas la plus grande importante
ressource humaine de l’archidiocèse de Bukavu, puisqu’elle ne compte que 920 200 habitants 74. Ville
cosmopolite bâtie sur le territoire de la tribu shi, trois grands groupes dominent la
population congolaise: les Bashi, les Barega et les Bahavu. En dehors de ces dominantes, il faut compter
quelques minorités, notamment les Baluba, les Bacongo, les Banande, les Bavira, les Bafulero, dont
beaucoup sont employés dans les services publics ou privés, d’autres sont des commerçants.
Depuis près de deux décennies, beaucoup d’étrangers venant d’Afrique et des autres continents y vivent
et y travaillent aussi dans les organismes internationaux et les organisations non gouvernementales
(ONG), tant nationales qu’internationales venues pour divers motifs. C’est le cas de Casques Bleus et/ou
hommes d’affaires Pakistanais, Indiens, Libanais, des coopérants et des acteurs de la vie religieuse,
membres de différentes congrégations venus de l’Europe (Italie, Espagne, France, Belgique, Croatie),
ainsi que des jeunes Rwandais et Burundais en quête d’instruction scolaire dans les écoles secondaires
et institutions d’enseignement supérieur et universitaire.
L’évangélisation de l’archidiocèse de Bukavu se fait en Mashi et en Kihavu, deux langues bantu très
voisines ne présentant comme différence que des variantes locales concernant l’intonation et certaines
locutions. C’est le Swahili qui est parlé dans les paroisses de la ville de Bukavu, car elles regroupent des
gens provenant d’autres régions et ethnies du Congo.
Cela dit, le diocèse de Bukavu présente, dans son ensemble, une homogénéité culturelle favorable à
l’inculturation du message évangélique (Kulimushi, R., 1998 :157). On se trouve ainsi confronté à une
situation culturelle dualiste et ambiguë. D’un côté, les intellectuels et les citadins souffrent d’une crise
morale et socioculturelle qui se traduit par une perte d’identité75.
74
Statistiques de l’archidiocèse de Bukavu : Janvier 2014. Les données de recensement démographiques de 2005
préparatoires aux élections générales de 2006-2007 faisaient état de 600 000 habitants, soit une augmentation de
53,33% en moins d’une décennie.
75
Ce constat est patent pour les membres de l’ethnie shi habitant la ville de Bukavu. Un très grand nombre de leurs enfants
et jeunes nés à Bukavu ne connaissent pas la langue maternelle de leurs parents ou grands-parents, le mashi, ne parlant que
français et swahili, sentant même la honte de la parler ou estimant que c’est arriéré de l’apprendre. Les parents refusent
d’envoyer leurs enfants au village par peur de la sorcellerie et d’autres dangers dont ils peuvent être victimes de la part des
jaloux. Ce mépris de sa langue maternelle et de son village du Mushi n’est pourtant pas observable dans les autres ethnies
vivant dans la ville de Bukavu (lega, nande, luba…).
145
De l’autre, les masses de paysans encore profondément enracinées dans la culture traditionnelle se
sentent désemparées devant l’agression de la modernité76. Ce constat permet de comprendre en partie les
phénomènes sociaux tels que l’exode rural, le syncrétisme religieux, la prolifération des sectes dans la
ville de Bukavu, la délinquance juvénile, le banditisme, les rébellions dans la région, etc. La culture
traditionnelle locale influence encore profondément les personnes, tant et si bien qu’à côté du droit
conventionnel de l’État, il existe un droit traditionnel ou coutumier. La légitimité de ce dernier dans la
législation congolaise n’est pas totale.
En effet, tantôt l’État le reconnaît et l’officialise, tantôt il le rejette ou s’y oppose. Le statut politique des
chefs de localités, les chefs de groupements de villages, et les chefs de collectivités, les Bami, reste flou
dans plusieurs pays africains. Le même constat est fait, dans le contexte camerounais, par Mgr
Christophe Zoa, évêque de Sangmélima, qui remarque que les chefs coutumiers se sentent lésés, déchus
de leur pouvoir et se lamentent que soient altérés, les principes immuables de la tradition des ancêtres ou
des pères fondateurs de la Nation (Zoa, C., 2006 :57).
Un autre écueil qui mérite d’être relevé s’exprime par des préjugés d’infériorité de la femme par rapport
à l’homme, inculqués, par l’éducation traditionnelle, depuis l’enfance. A la femme sont appliqués des
interdits alimentaires, notamment ceux de tous les grands mets délicieux77. Enfin, nous pouvons ajouter
la question de la dot qui reste, au Bushi comme dans toute l’Afrique centrale, un véritable cauchemar
pour les jeunes garçons et dégénère vite en une sorte de commerce transformant la femme en un objet de
vente ou d’achat. Ici, la dot est versée par le futur époux (Vincent, J.F., 1976; Binet, J., 1956; Baumann,
H. et Westermann, D., 1970). Dans le cadre de la scolarisation, devant la modicité des revenus des
parents, le choix est vite fait et sans état d’âme : on « sacrifie », on délaisse plus facilement une fille
qu’un garçon à l’idée que la fille a moins de valeur qu’un garçon, ou qu’elle ne sera pas rentable à la
famille, puisqu’elle ira enrichir la famille de son mari.
Mais peu à peu les femmes jadis exclues des assemblées de dialogue, de réflexion et de consultation en
système traditionnel, commencent à émerger socialement, même si dans des partis politiques leur poid
numérique reste infime.
76
L’abondante littérature sur le mouvement de la négritude permet de saisir la problématique suscitée par le choc des
cultures en Afrique. Le roman de Cheik Hamidou Kane, L’aventure ambiguë (Paris, Julliard, 1961), en est une des
illustrations. Voir aussi Lilian Kesteloot, Anthologie négro-africaine. Panorama critique des prosateurs, poètes et
dramaturges noirs du XXè siècle, Verviers, Gérard et Co., coll. « Marabout Université », 1967 ; Négritude et situation
coloniale, Yaoundé, Clé, coll., « Point de vue », 1970.
77
Dans les milieux traditionnels shi, la coutume interdit à la femme de manger du poulet « engoko », de l’œuf « iji » et
même du lait de vache « amarha », sous prétexte de les préserver d’une éventuelle inclinaison au vol !
146
C’est ainsi que se présentent les formes sociales politiques du territoire du diocèse de Bukavu. Il paraît
non seulement assez peuplé et cosmopolite dans la relative diversité de ses habitants, au moins en ville,
mais encore il a une double organisation sociale qui fonctionne plus ou moins en harmonie : l’ordre
traditionnel des tribus qui la composent et l’ordre conventionnel de l’État. L’espace socioculturel et
économique que je viens de décrire a eu une histoire complexe et dans lequel s’est exercée
l’évangélisation depuis plus d’un siècle.
1. La hiérarchie
Rappelons avec Richard Kulimushi (1998 :158) que l’archidiocèse de Bukavu est l’héritier juridique du
vicariat apostolique du Kivu. Celui-ci fut érigé le 26 décembre 1929, de la division du vicariat
apostolique du Haut-Congo. Devenu vicariat apostolique de Costermansville, il sera à son tour divisé
successivement le 10 janvier 1952 (érection du diocèse de Kasongo), le 30 juin 1959 (érection du
diocèse de Goma) et le 16 avril 1962 (érection du diocèse d’Uvira). Il prend le nom de Bukavu le 6
janvier 1954 et est érigé en diocèse le 10 novembre 1959.
78
Beni, d’abord mission indépendante le 9 avril 1934 par division du vicariat apostolique de Stanley-Falls, puis vicariat
apostolique le 9 février 1938, devint diocèse de Beni le 10 novembre 1959, puis Butembo-Beni à la suite du transfert du
siège à Butembo le 7 février 1967.
79
Vicariat apostolique le 23 avril 1956 par division des Vicariats Apostoliques de Kongolo et de Stanleyville, il fut érigé en
diocèse le 10 novembre 1959.
80
Cf. Estimations de la population du Sud-Kivu en 2015. Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Sud-Kivu [Consulté le 10/10/15].
81
Au vu de ce pourcentage, l’on serait tenté de dire que les chrétiens ne représentent pas grand-monde à l’est de la RDC.
Les chiffres que je donne ici ne concernent que l’archidiocèse de Bukavu, par rapport à la population du Sud-Kivu qui
comprend aussi tout le diocèse d’Uvira, une partie du diocèse de Kasongo et une partie du diocèse de Goma.
147
Les raisons de cette augmentation sont: l’essor démographique entraînant davantage de naissances, la
baisse de la mortalité infantile, le progrès de l’action sanitaire et sociale, grâce aux prestations médicales
fournies par les 11 hôpitaux et autres formations médicales (centres de santé, maternités et dispensaires,
au nombre de 124) sous gestion du Bureau Diocésain des Ouvres Médicales (BDOM), l’amélioration de
l’espérance de vie.
Enfin, malgré les chiffres annuels d’ordinations sacerdotales82 et des consécrations religieuses locales,
par rapport aux besoins pastoraux qui restent énormes, l’on ne saurait entériner l’assertion de certains
acteurs, notamment les quelques missionnaires occidentaux encore présents dans le milieu qui estiment
que l’Église locale de Bukavu a déjà suffisamment des prêtres pour continuer à en ordonner d’autres. Le
problème n’est pas tant dans la quantité (les effectifs de prêtres diocésains) que dans la qualité (leur
formation et leur encadrement spirituel et matériel). L’on observe aussi un engagement réel des laïcs
dans l’Église locale de Bukavu parmi lesquels les animateurs de services centraux, les catéchistes, les
responsables des mouvements d’apostolat des laïcs et d’associations des fidèles, les conseillers
pédagogiques des écoles catholiques.
Les données de statistiques de 2014 signalent 222 prêtres missionnaires et religieux répartis dans 10
congrégations et 192 prêtres autochtones83, 503 religieuses réparties dans 24 congrégations et 3650
communautés ecclésiales de base (CEV).
En ce qui concerne la répartition des prêtres autochtones, les campagnes se taillent la part du lion, alors
qu’elles sont totalement lésées concernant la présence des congrégations missionnaires et religieuses qui
sont concentrées dans les paroisses urbaines, en particulier les deux paroisses de la commune d’Ibanda
(la paroisse cathédrale et la paroisse de Nguba).
Les prêtres diocésains sont aidés dans leur apostolat par les Filles de Marie et les Filles de la
Résurrection, deux congrégations religieuses autochtones qui sont majoritairement présentes dans les
paroisses rurales. Leur présence auprès des populations meurtries par des attaques des rebelles et autres
groupes armés est un témoignage rès édifiant et une grande consolation. Leurs vies sont chaque jour
exposées autant que leurs frères prêtres autochtones84.
82
Depuis plus de deux décennies, il y a en moyenne cinq prêtres ordonnés chaque année dans l’archidiocèse de Bukavu.
83
Cf. La mise en place du clergé diocésain, année pastorale 2015-2016, du 25 août 2015 par l’archevêque Maroy.
84
On se souvient des massacres de Kasika de 1998 opérés par l’Armée Patriotique Rwandaise lors de la deuxième invasion
du Congo par ses deux voisins rwandais et ougandais. Trois religieuses Sœurs de la Résurrection furent tuées, un prêtre
autochtone et le chef coutumier de cette collectivité et une centaine de chrétiens, tous refugiés dans une église.
148
La concentration quasi totale en ville des congrégations missionnaires religieuses s’est accentuée à partir
de 1994 avec l’arrivée massive des réfugiés rwandais sur le sol congolais qui a marqué le début du
calvaire des populations congolaises des milieux ruraux qui sont plus qu’en ville exposés aux attaques
incessantes desdits groupes armés d’origine rwandaise et congolaise.
Du point de vue économico-financier, il y a une véritable distorsion entre les paroisses de la ville entre
elles-mêmes et par rapport à celles des campagnes. Alors qu’en ville on peut facilement récolter en
termes d’offrandes des chrétiens le dimanche jusqu’à 500 dollars américains, par exemple à la paroisse
de Kadutu ou d’Ibanda, on arrive à peine à 100 dollars dans la paroisse de Bagira.
L’écart est encore très considérable quand il s’agit des paroisses rurales comme Burhale, Kabare,
Bumpeta ou Ihusi-Kalehe où on atteint à peine 20 dollars par offrandes dominicales données par les
fidèles. Cela pose de sérieux problèmes de gestion du personnel sacerdotal et son placement par
l’autorité diocésaine, comme nous aurons le temps de l’analyser dans la troisième partie de cette étude,
au huitième chapitre. L’encadrement matériel insuffisant pour ne pas dire nul du clergé autochtone par à
la hiérarchie du diocèse risque de mettre en péril le travail pastoral de ce clergé pourtant très engagé.
2. Organisation ecclésiastique
Cette figure révèle quelques structures et groupes organisés dont les plus remarquables sont : les
doyennés, les paroisses, les postes centraux, les conseils, les associations de fidèles et des mouvements
d’action catholique. Les doyennés sont des structures de participation, constituant des cadres adaptés
entre les secteurs trop étroits et le diocèse relativement vaste et divers, pour un premier champ d’une
pastorale d’ensemble (Zoa J., 1969 : 11-12). L’archidiocèse de Bukavu compte à ce jour 37 paroisses
réparties en sept doyennés (Ibanda I, Ibanda II, Idjwi, Walungu, Kabare, Murhesa et Mwanda). Chaque
doyenné contient un certain nombre de paroisses et l’ensemble forme ce diocèse. Celui qui supervise le
doyenné est le curé-doyen, « chargé de penser et d’organiser les activités communes à toutes les paroisses de son
entité. Avec les autres curés, il a pour rôle essentiel d’étudier les problèmes d’ensemble que pose l’évangélisation du
territoire dont il est responsable, et de rechercher un dispositif pastoral aussi adapté qu’efficace »85.
C’est ainsi qu’est structuré l’archidiocèse de Bukavu. Il convient d’analyser les activités
socioéconomiques et pastorales de cette Eglise locale qui constituent en même temps ses contraintes en
termes de besoins de fonctionnement et d’investissement dont il faut chercher des ressources
importantes pour leur viabilité ou leur survie. C’est l’objet du troisième chapitre de cette thèse.
85
Cf. La mise en place du clergé diocésain, année pastorale 2014-2015, du 20 juillet 2014 par l’archevêque Maroy.
149
150
Chapitre III : L’ACTION SOCIOECONOMIQUE ET PASTORALE DE L’ARCHIDIOCESE
DE BUKAVU
L’action socioéconomique et pastorale de l’archidiocèse de Bukavu se déploie à travers les multiples
services diocésains révélant l’engagement de cette Église locale dans le social. Dans un pays où l’État
avait quasiment démissionné de ses responsabilités régaliennes durant des décennies, l’Église s’est vue
mise à contribution dès le lendemain de l’indépendance, interpellée par les conditions de vie des
populations qui se dégradaient au jour le jour.
Depuis, elle intervient efficacement dans la recherche de la paix et du bien-être des populations
abandonnées à elles-mêmes, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé mais aussi du
développement économique. Car elle est convaincue que cet engagement dans le social fait partie
intégrante de sa misssion évangélisatrice. En tout cas, l’on ne saurait parler du Congo en général et de
Bukavu en particulier sans une mention spéciale au rôle de l’Église dans son engagement
socioéconomique pour améliorer les conditions de vie des populations.
151
Enfin, la Commission diocésaine des Communications sociales a comme structures de tutelle le Service
diocésain des communications sociales (SEDICOS) et la Radio Maria travaillant en relation avec les
différents services du diocèse et d’autres supports médiatiques et de vulgarisation. Il s’agit des différents
bulletins d’information des services diocésains et missionnaires (Karibuni des Pères Blancs, Cubaka,
« Bwacire Muzire » du Centre Olame, « Marchons ensemble » du CDPCL, « Cubaka » du BDD, de
l’audiovisuel avec différents studios, et enfin les imprimeries de Mugeri et Kivu-Presse).
Ces différentes Commissions, qui ont été mises sur pied à l’issue du synode diocésain, jouent
principalement trois rôles: repérer les besoins de la population ; se préoccuper du lien entre
évangélisation et action sur les réalités ; s’impliquer davantage dans la dynamique du synode de 1990-
1992 et du mini-synode et de 1998.
Dans ce troisième chapitre de ma thèse, en partant des six commissions diocésaines ci-haut énumérées,
je présenterai dans la première section les principaux services sociaux et, dans la deuxième section, les
principaux services pastoraux de l’archidiocèse de Bukavu, en essayant chaque fois de dégager leur
impact dans le milieu. Quant à la troisième section consacrée aux entités économiques et unités de
production, je la traiterai dans le huitième chapitre de cette thèse par souci de cohérence.
Cette Commission est chargée d’étudier les possibilités de l’action de l’Église locale dans le domaine de
la santé et de l’environnement, les conditions concrètes dans lesquelles s’exerce cette activité afin de
rechercher des meilleures solutions pour que l’Église diocésaine puisse assurer efficacement ce service
aux populations.
152
Par ailleurs, elle se donne comme mission d’étudier en collaboration avec l’UCB (à travers ses faculté
de Médecine et d’Agronomie) une planification des projets de santé publique et de protection de
l’écosystème dans la région, conformément aux directives officielles en la matière. Enfin, elle doit
assurer l’application des conventions existantes et la préparation de celles qui peuvent être conclues
dans l’avenir entre le diocèse et les autres partenaires de la santé et sensibiliser les populations au bien-
fondé de la mutuelle de santé pour une prise en charge des soins médicaux. Le BDOM est la
composante la plus essentielle de la Commission diocésaine de la Santé.
Le BDOM est donc le service technique médical de l’Association diocésaine de Bukavu, dont les statuts
sont approuvés par l’Arrêté Ministériel n° 229 du 29 Août 1967. Ce service social a débuté ses activités
en 1972 sous la direction d’une religieuse belge, la sœur Denise Bouvy, remplacée en 1981 par la sœur
Jeanne Guisson. Depuis 1982, le BDOM est dirigé par Mlle Maria Masson. Jusqu’alors, le secteur
médical de Bukavu était assuré par 4 grands hôpitaux : Fomulac/Katana, Walungu, Kaziba et Kabare.
Ces grands centres hospitaliers desservaient toute la région. Ainsi Fomulac couvrait les soins et
vaccinations depuis Murhesa jusque près de Minova qui limite le Sud-Kivu au Nord-Kivu, soit un
périmètre de 150 km. Walungu et Kaziba se répartissaient le reste. Il y avait un centre de médecine
préventive à Cahi, à Kabare et le centre Olame assurait aussi les vaccinations. Les centres de santé de
Mubumbano, Burhale, Kakono, Murhesa, Birava assuraient les soins de santé pour les enfants malnutris,
lépreux et tuberculeux.
La Conférence Internationale des Soins de Santé Primaire qui avait eu lieu en septembre 1978 à Alma
Ata (U.R.S.S.) fut une grande révolution pour le secteur médical ; la politique sanitaire du Zaïre fut un
modèle théorique dans l’application des résolutions de cette conférence. Les provinces furent divisées
en zones de santé, l’État fit appel aux Églises pour renforcer la prise en charge sanitaire de la population.
L’État confia au diocèse de Bukavu la gestion des Hôpitaux Généraux de Référence (HGR) de Monvu
et Nyangezi totalement délabrés. Ce fut le début de la collaboration entre Etat et privé pour la gestion
des hôpitaux. La répartition du Sud-Kivu fut faite en 14 zones de Santé.
153
Par souci de pouvoir disposer de certains médicaments de première nécessité sur place ainsi que leur
conditionnement, en vue de répondre à moindre coût aux besoins réels des populations, une unité de
production pharmaceutique est née au sein du BDOM, appelée Pharmacie diocésaine, grâce au savoir-
faire des acteurs autochtones et aux moyens locaux disponibles. C’est depuis 1986, elle produit des
emballages plastiques, des perfusions, des seringues, des paracétamols, et autres médicaments de
première nécessité.
Les hôpitaux généraux de référence, les centres de santé et la formation des agents sont normalement
financés au moyen de projets envoyés aux bailleurs occidentaux (Allemagne, Belgique, France,
Hollande, Autriche), ce qui a permis d’améliorer peu à peu la couverture sanitaire jusqu’à plus de 20%
de la population. Les mêmes bailleurs financent la construction ou la réhabilitation des hôpitaux et des
centres de santé, ainsi que les moyens de locomotion. Ces activités locales ont évolué progressivement
tout en respectant toujours la politique nationale de la santé et en bonne collaboration avec l’Inspection
Provinciale de la Santé.
Dans les années 1990, l’épineux problème du Sida est évoqué au cours du synode diocésain et le BDOM
est responsabilisé pour intégrer le volet Sida dans ses activités. On observe un début des activités du
Comité Diocésain de Lutte contre le Sida (CODILUSI) avec 3 services. D’abord l’Information,
l’Éducation et la Communication (IEC), qui aura comme fondement « l’Éducation aux valeurs, base de
toute lutte contre le Sida ». Ensuite la prise en charge médicale qui comprend l’appui aux malades, la
sécurité des transfusions sanguines par le lancement de l’Amicale des Donneurs Bénévoles de Sang et
l’encadrement des personnes vivant avec le VIH, Groupe Sainte Thérèse.
Enfin, l’appui communautaire aux orphelins du Sida, en collaboration avec les communautés et
paroisses, est assuré et, vers la fin de la décennie, le BDOM signe avec le gouvernement congolais la
convention de gestion du complexe Hôpital Général de Référence, Clinique et Grand labo avec l’État
pour l’HGR de Bukavu (HGRB). Il s’en est suivi un vaste programme de construction de l’extension de
la Pharmacie Diocésaine et démarrage des activités dans ce nouveau bâtiment.
154
Dans la foulée, un nouveau partenariat est né entre le diocèse de Bukavu et la Fondation Médicale de
l’Université de Louvain en Afrique Centrale (FOMULAC), à l’issue duquel il y a eu un accord de
cession entre les deux partenaires. Cette institution avait fondé autrefois un hôpital à Katana, à 45 km au
nord de Bukavu. C’est le plus grand hôpital de l’ancien Kivu qui a gardé ce nom habituel, même après
la disparition de la Fondation. Le nouveau découpage de la Province du Sud-Kivu en 34 Zones de Santé
et 7 nouvelles zones de santé sont confiées au BDOM comme intervenant principal, ce qui porte à 7 le
nombre d’Hôpitaux du diocèse plus 4 Hôpitaux d’état gérés par le Diocèse.
Comme on le voit, dès les années qui ont suivi l’indépendance, l’archidiocèse de Bukavu a, mieux que
tous les autres diocèses du Congo, pris une part prépondérante dans le social des populations
abandonnées par un État irresponsable. Cela s’observe au regard de l’impact sur la pastorale du diocèse.
Par ailleurs, la Mutuelle de Santé permet l’accessibilité aux soins de qualité à toutes les couches de la
population et crée un esprit de solidarité entre la population. Son projet Sida, à travers le service
Éducation à la Vie en collaboration avec les écoles, les paroisses et les formations médicales, contribue
à l’éducation des jeunes aux valeurs et au respect de la vie et de la personne. La Pastorale de la santé
s’implante dans les paroisses ; la journée des malades est célébrée chaque année avec intégration des
Communautés Ecclésiales Vivantes (CEV) et des autres mouvements de spiritualité. Par la présence
constante du personnel médical, la réhabilitation et le maintien des structures médicales pendant la
période sombre de guerres, le BDOM a fortement contribué au maintien de la paix, à la réconciliation, à
la pacification et au retour et stabilisation de la population.
155
Ainsi, des perspectives sont-elles envisées notamment pour continuer les appuis aux zones de santé,
poursuivre l’amélioration de la couverture sanitaire et de la qualité des soins par le renforcement et
l’encadrement du personnel. Il est est s’agit aussi de l’amélioration des équipements médicaux,
l’amélioration de la gestion de toutes les ressources humaines et économiques. Il s’agit enfin de la
poursuite et l’intensification des mutuelles de santé pour une prise en charge générale des soins des
couches de populations plus pauvres, le renforcement de la solidarité en sensibilisant toutes les couches
de la société pour leur adhésion aux mutuelles de santé.
Chirurgie et Santé publique sont autant des défis qui attendent le BDOM. De même, l’idée d’intégrer à
la prise en charge médicale des personnes âgées dans les mutuelles de santé en collaboration avec la
Mutualité Chrétienne de Hainaut Picardie est envisagée, ainsi que celle de renforcer le partenariat avec
la Belgique, premier pays donateur du BDOM, de lancer la production locale des seringues à usage
unique et de renforcer la capacité de production du laboratoire pharmaceutique, de réaliser le montage
local du matériel et équipement pour l’énergie solaire afin d’améliorer l’aménagent des structures
sanitaires rurales.
En définitive, à travers le BDOM, devant l’effacement de l’État congolais dans l’espace public social,
c’est l’Église qui a pris en main le destin des populations abandonnées à elles-mêmes. Elle poursuit son
œuvre auprès des malades, des délaissés et des pauvres et c’est la mission que le BDOM, au nom de
l’Église, veut poursuivre à travers toutes ses activités : contribuer à l’amélioration du bien-être général
des populations de l’est du Sud-Kivu à travers sa présence marquée dans le domaine de la santé. Outre
le BDOM, d’autres services sont engagés dans la vie des populations. C’est notamment le Bureau
Diocésain de Développement.
156
Pour ce faire, la Commission diocésaine de Développement est chargée de fonder son action sur une
théologie capable d’articuler l’analyse scientifique et les moyens techniques sur la promotion des
personnes et des communautés humaines. Elle doit rechercher une pratique efficace de promotion de
l’homme et de la femme de l’Église locale, compte tenu des exigences de la foi chrétienne, des réalités
politiques, économiques et sociales du milieu.
Bien plus, elle est appelée à identifier les priorités des populations en veillant à la mise en œuvre des
moyens les plus appropriés pour susciter et soutenir cette action, animer la communauté diocésaine de
façon à l’ouvrir au service de la société et à la nécessité de subvenir à ses propres besoins, sans compter
continuellement les aides extérieures. Pour assurer l’impact le plus large possible à ces objectifs, la
CDD collabore avec les autres commissions diocésaines et avec les institutions d’enseignement qui
dispensent des cours ayant un lien particulier avec ses objectifs sociaux. Il s’agit principalement de
l’Université Catholique de Bukavu (UCB), l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR),
l’Institut Supérieur Pédagogique (ISP), etc.
A ses origines, le BDD-OSD était constitué de 7 secteurs principaux, à savoir, le Bureau des Œuvres
Médicales (BDOM), le Centre Olame, la Commission Diocésaine Justice et Paix, le Programme
d’Artisanat, le Centre de Réadaptation et d’Apprentissage pour Handicapés (Heri Kwetu), le Bureau de
Planification et de suivi du Programme Diocésain d’Animation et de Vulgarisation Agricoles (B.P.S.), le
Programme d’Alphabétisation des Adultes. Avec le temps, certains secteurs ont été érigés en services
autonomes, tels que le BOM et la CD Justice et Paix. En 2001, le BPS a été fermé momentanément. En
même temps d’autres secteurs ont été créés tels que le Programme Diocésain d’Encadrement des
Enfants de la Rue et le Foyer Ek’abana qui est à phase expérimentale à présent.
157
3. Le champ d’action du BDD-OSD de Bukavu
Contrairement à son homologue de Goma, le BDD-OSD, fondé en 1965, est une structure indépendante
de la CARITAS. Son champ d’action couvre tout le diocèse de Bukavu, à travers les programmes
suivants : le Centre Olame (encadrement des femmes), le PEDER (enfants travailleurs des rues), le
Foyer Ek’abana (enfants accusés de sorcellerie), le Programme d’Alphabétisation des Adultes,
l’Hydraulique rural (aménagement des sources et adduction d’eau potable), les Centres de Formation
des Jeunes (CFJ), le Programme d’Artisanat (appui aux artisans), etc.
Cet appui se manifeste dans les aspects suivants: amélioration des capacités techniques,
approvisionnement en matières premières, commercialisation des produits et gestion des revenus
familiaux. L’aspect le plus visible du programme, c’est le magasin Likembe, qui commercialise les
œuvres laissées en dépôt par les artisans.
Actuellement, le programme compte quelques 150 artisans membres, hommes et femmes entre 18 et 60
ans, tant urbains que ruraux, regroupés en 12 corps de métier. Pour la formation, des recyclages sont
offerts aux artisans membres, lesquels à leur tour accueillent des jeunes apprentis. Un autre service
social, bien qu’étant déjà détaché du BDD-OSD, par souci de cohérence, nous préférons le traiter en lien
avec ce grand ensemble, c’est le Centre de Réadaptation et d’Apprentissage pour Handicapés (Heri
Kwetu).
158
4. Le Centre HERI KWETU
Jusqu’il y a trois décennies, le diocèse de Bukavu n’avait pas de Centre pour Personnes Handicapées,
alors qu’il en existait déjà dans le diocèse voisin de Goma. Sur l’initiative des congrégations
féminines regroupées au sein de leur corporation appelée l’Union des Supérieurs Majeurs (USUMA),
la Sœur Maria Teresa Saez de la congrégation de la Compagnie de Marie fut désignée par l’évêque
Mulindwa pour s’occuper des personnes handicapées à Bukavu.
A la fin 1980, le Centre prend le nom de « Heri Kwetu = bonheur chez-nous». Peu après, l’équipe
ambulatoire du Centre pour Handicapées de Goma vient à Bukavu, pour son travail, et s’installe dans
le Centre Social de Kadutu. Le service de kinésithérapie est installé au Centre même ainsi que
l’appareillage orthopédique, tandis que les cas qui nécessitent la chirurgie sont confiés à l’Hôpital
Générale de Bukavu. A la paroisse de Kadutu, quelques jeunes handicapés apprennent à faire des
tapis. Des filles handicapées suivent la couture et la broderie dans le Centre Social de Kadutu,
d’autres reçoivent des leçons d’alphabétisation au Centre Interdiocésain. Suite aux démarches
entreprises par la sœur responsable auprès des Coordinations des Écoles Catholiques et Protestantes,
et de la Sous Division Régionale de l’Éducation Nationale, tous les enfants handicapés seront admis à
l’école, sans tenir compte de leur âge.
Depuis, le Centre accueille plusieurs élèves qui s’appliquent à l’apprentissage de métiers en atelier.
Heri Kwetu s’occupe aussi des enfants sourds. Le service ambulatoire commence à effectuer des
descentes sur terrain dans les paroisses à la recherche des enfants Handicapés mentaux à encadrer.
Grâce au don d’un chrétien d’un bâtiment et l’achat d’un terrain annexe, le Centre a pu construire
deux écoles primaires pour ses enfants sourds, handicapés mentaux : ce sont l’école primaire Heri
Kwetu et l’école primaire Aksanti kwa Mungu. Au sein du Centre, fonctionne aussi une école spéciale
pour enfants aveugles. Ces derniers sont intégrés dans l’école primaire avec les enfants voyants.
Avec l’arrivée des réfugiés rwandais en 1994, le Centre a accueilli les religieuses rwandaises
« Abisera Maria », qui y ont continué leur métier habituel, à savoir accueillir les premiers patients et
prodiguer des soins psychiatriques. Plus tard, ce sont les frères de la Charité qui s’occuperont des
soins psychiatriques dans l’extension du Centre. Et puis, un service de radiologie y a été ouvert. Ses
bailleurs de fonds sont le gouvernement belge, les organismes catholiques allemands Missio,
Misereor dont nous parlerons en long et en large dans le cinquième chapitre de cette thèse,
l’organisme belge Broederlijhdelen, la Fondation Médicale Docteur Rau (protestant).
159
Grâce à leurs aides, le Centre s’est doté des infrastructures immobilières, médicales et des outils
d’apprentissage pour ses activités. Avec ses différents services sociaux, le Centre Heri Kwetu de
l’archidiocèse de Bukavu soulage énormément les misères des personnes à mobilité réduite ou
présentant de handicaps, en contribuant ainsi à la promotion du bien-être général de l’homme dans la
société congolaise. Son impact sur la vie des populations est donc réel. Un autre service social de
grande envergure dans le diocèse de Bukavu, c’est la Caritas.
C. La Caritas diocésaine
La Caritas diocésaine est une partie importante de la Commission diocésaine de Développement.
Dansc ce diocèse, les activités de la Caritas ont pris une grande importance à partir de 1994. Les
réfugiés rwandais s’étaient déversés sur la ville de Bukavu. Devant ce grand déferlement de gens à la
recherche d’un asile, affamés, l’archevêque de Bukavu d’alors, Mgr Munzihirwa, nomma l’Abbé Pierre
Cibambo comme Directeur de la Caritas pour s’occuper de ces réfugiés.
Grâce à cette activité conjoncturelle mais génératrice des moyens considérables reçus de la communauté
internationale pour s’occuper des réfugiés rwandais, mais aussi de tous ceux qui ont subi les
conséquences de ce déferlement rwandais sur le sol congolais86, la Caritas, qui n’était qu’un petit secteur
du BDD s’occupant presque exclusivement des prisonniers, finit par acquérir une autonomie réelle qui
lui a permis de remplir avec maîtrise et efficacité sa tâche.
Jusqu’à la guerre de 1996, la Caritas a orienté l’essentiel de son action vers les réfugiés rwandais. A
partir d’octobre 1996, la Caritas Bukavu a conçu des projets pour répondre aux besoins des indigents et
des pauvres du diocèse dont le nombre n’a cessé d’augmenter depuis lors.
86
Il n’y a pas un seul espace vital du Kivu en général et du diocèse de Bukavu en particulier qui n’ait pas été affecté par
l’arrivée massive des réfugiés rwandais en 1994 avec les conséquences dramatiques qui s’en sont suivies : destruction à
grande échelle de l’écosystème, destruction du tissu social, inflation exponentielle due à une demande accrue des produits
(alimentation) et des services (logements, transports) devant une offre insuffisante.
160
2. Action sociale de la Caritas Bukavu
La Caritas est d’abord et avant tout un esprit, une façon de vivre l’Évangile de Jésus-Christ qui se
résume dans l’amour de Dieu et du prochain : tout homme mais surtout le pauvre, le petit, la veuve,
l’orphelin, l’étranger, le réfugié, le déplacé, le malade, le prisonnier. Bref, le plus vulnérable.
Globalement, la Caritas vise à apporter des réponses adaptées aux problèmes que rencontrent les
populations les plus pauvres de l’archidiocèse de Bukavu. De manière spécifique, la Caritas s’occupe de
la distribution d’une alimentation supplémentaire aux indigents et autres groupes vulnérables.
Elle lutte contre le fléau de la malnutrition grâce au suivi et au traitement des malades mal-nourris dans
les centres thérapeutiques. Elle accompagne les familles des mal-nourris dans la promotion de la
production animale et végétale à travers des microprojets productifs et générateurs des revenus en
agriculture et en petit élevage. Elle contribue à garantir, tant soit peu, la sécurité alimentaire dans la
région, soutient et accompagne des initiatives locales de développement pour la promotion de l’homme
intégral, et ceci dans un esprit de self-help.
Par ailleurs, Caritas appuie des efforts de scolarisation fournis par les parents et contribue, en
collaboration avec les formations médicales du BDOM, à l’accès aux soins des malades indigents et
chroniques. Elle répond d’une manière générale et selon ses possibilités aux appels de divers cas
sociaux ponctuels grâce à son service social.
Ses autres domaines d’intervention sont notamment une assistance sociale et urgences humanitaires
(scolarisation des orphelins, construction des cabanes, assistance aux groupes vulnérables, aide
ponctuelle, distribution des vivres et non-vivres), nutrition (prise en charge des centres thérapeutiques et
de supplémentassions), sécurité alimentaire (distribution des intrants agricoles, formation sur le tas,
production des légumes en faveur des centres nutritionnels), construction et équipement des écoles,
appui ponctuel aux initiatives locales de développement et aux Caritas paroissiales, réinsertion
socioprofessionnelle et scolaire des Enfants Associés aux Forces et Groupes Armés (EAFGA),
réhabilitation des routes de dessertes agricoles.
3. Les impacts des actions de la Caritas- Bukavu sur la vie des populations
Il est intéressant de présenter quelques réalisations de la Caritas pour mesurer la dimension sociale de ce
service de l’archidiocèse de Bukavu et son impact sur la vie sociale quotidienne des populations. En
effet, en 20 ans d’intenses activités, la Caritas diocésaine de Bukavu porte à son crédit les réalisations
suivantes : réhabilitation en terre battue du tronçon routier des paroisses Kabare-Walungu (20 km), celle
des paroisses de Mugogo,Walungu, Burhale, Mubumbano et Burhinyi, soit 75 km.
161
Caritas-Bukavu a aussi contribué à la réinsertion des Enfants Associés aux Forces et Groupes Armés, à
la prise en charge des 26 centres nutritionnels, création des cantines scolaires en vue de procurer un
repas journalier aux enfants des 25 écoles primaires à Bukavu, Walungu, Kalehe, Kabare et Idjwi. Elle
procède aussi à la distribution des vivres aux 2 285 personnes vulnérables, distribution des semences et
outils aratoires aux centres nutritionnels, aux ménages des enfants mal-nourris sortis guéris des centres
nutritionnels, avec les Caritas paroissiales, promotion de la Charité et de l’auto-prise en charge, réponse
aux urgences dans presque toutes les paroisses. Enfin, elle fait des constructions et réhabilitation des
écoles, distribution des vivres aux déplacés et retournés dans les paroisses de Walungu, Burhale,
Kaniola, Burhale, Mubumbano, Ciherano, Burhinyi, Kalonge.
Mais toutes ces réalisations ne doivent pas nous empêcher de constater que ce service né dans un
contexte particulier et opportun, à savoir l’arrivée massive des réfugiés rwandais sur le territoire
congolais avec une très forte concentration dans le diocèse de Bukavu, a créé une véritable dépendance
aux conséquences tout aussi incalculables des populations de l’est du Congo. Il est vrai que certaines
populations méritent vraiment d’être aidées étant donné le degré de leur vulnérabilité et de l’insécurité
qui caractérise leur vie87.
Mais on doit aussi se rendre à l’évidence que les aides de la Caritas sont telles dans le diocèse qu’elles
attirent même ceux qui pouvaient subvenir à leurs besoins par un travail personnel 88. Car leur région
n’est pas forcément touchée. La Caritas devrait intégrer dans son action cette dimension responsable, et
mettre en place des mécanismes de nature à favoriser une certaine autonomie alimentaire des
populations au lieu de créer dans les couches sociales une dépendance89 à grande échelle.
87
Cf. Georges Balandier, qui affirme qu'une certaine forme de dépendance est le propre de toute réalité sociale (1952 :6).
88
C’est le cas des populations de Nyangezi et d’Idjwi qui reçoivent des aides alimentaires de la Caritas alors que leurs
vallées marécageuses et collines verdoyantes sont très fertiles.
89
Dans une étude portant sur l’usage, l’abus et la dépendance, un rapport rédigé par les psychiatres Michel Reynaud,
Philippe-Jean Parquet et Gilbert Lagrue (Les Pratiques addictives, Odile Jacob, 2000) s'intéresse non plus seulement aux
substances elles-mêmes ou aux produits qui créent la dépendance, mais aux comportements des usagers. La volonté est claire
: dépasser les cloisonnements qui affectent le système de santé (par une lutte substance par substance), pour adopter une
démarche globale, centrée sur l'usager. « L'approche produit » apparaît aux intervenants et aux scientifiques comme
réductrice et, de plus, peu performante en matière de prévention et de soin. Les auteurs préconisent une approche centrée sur
les comportements, sur ce qu'ils appellent les « pratiques addictives ».
Cf. Chapelle Gaëtane, Psychotropes : une approche sociologique in Sciences Humaines. Le monde selon Bourdieu,Mensuel
N°105, mai 2000.Mis à jour le 09/06/2011 Http://www.scienceshumaines.com/psychotropes-une-approche-
sociologique_fr_401.html [Consulté le 17/02/2013].
Cf. aussi, Balandier Georges, Contribution à une Sociologie de la Dépendance, in Cahiers Internationaux de Sociologie Vol.
12, (1952), pp. 47-69, Paris, Presses Universitaires de France.
162
Pour que la Caritas arrive à couvrir régulièrement les besoins des populations demanderesses, il lui faut
des moyens colossaux. D’où les tire-t-il ? Cela requiert un partenariat solide, régulier et crédible. En
effet, la Caritas Bukavu travaille étroitement avec les Caritas paroissiales et les autres organisations
nationales et internationales intervenant dans les mêmes domaines qu’elle. C’est le cas du PAM -
Bukavu, FAO, OCHA- Bukavu, UNICEF- Bukavu et de ECHO.
La Caritas Diocésaine de Bukavu collabore avec les Caritas des autres Diocèses de la RD Congo ainsi
que celles des autres pays étrangers qui leur fournissent des ressources importantes. Citons par exemple
la Caritas Espagne, la Cafod (Caritas Angleterre), la Caritas Pologne et la Caritas Internationalis.
Aussi, elle collabore avec les organisations internationales comme Manos Unidas, Caixa et Insieme Al
Terzo Mondo.
D. Le Centre OLAME
Le Centre Olame est l’œuvre sociale de l’Église de Bukavu qui, depuis l’évêque Louis Van Steen,
s’occupe de la condition de la femme et identifie ses besoins en éducation et en formation. Il a alors mis
sur pied une structure qui s’occuperait de la promotion de la femme afin qu’elle puisse la rendre capable
de jouer pleinement son rôle « d’aide ou partenaire » auprès de l’homme dans la société.
La responsabilité de ce service d’action sociale féminine fut au début confiée par l’autorité hiérarchique
à Wivine Pauwels qui établit un réseau de foyers sociaux sur l’ensemble du diocèse. Pour mieux suivre
la trajectoire du Centre Olame, il importe de la subdiviser en quatre périodes partant des défis concrets
auxquels était confrontée la femme d’alors dans son milieu. En effet, l’on constate qu’au début, entre
1959 et 1969, il y avait une multiplicité de foyers sociaux qu’il fallait coordonner.
Ensuite, on notera la focalisation de l’action dudit centre sur les besoins réels et concrets de la
population féminine de Bukavu entre 1970 et 1979. Cette seconde étape a été comme une balise pour
l’animation au développement entre 1980 et 1989. Enfin, l’on peut procéder à l’évaluation de
l’implication de la femme congolaise dans le processus démocratique et politique sans omettre le
renforcement de sa capacité économique, de 1990 à nos jours.
163
A la suite de la forte mortalité infantile, le ministre des Affaires sociales d’alors avait exigé qu’on puisse
intégrer aux activités des foyers sociaux le programme maternel et infantile. En août 1964, les rebelles
envahissent la région. Ainsi, le centre de Murhesa, où fonctionnait la coordination des foyers sociaux,
fut déplacé à Bukavu. La rébellion de 1964 a été à la base d’une malnutrition aiguë qui a incité la
mobilisation de tous ceux qui œuvraient dans le secteur médico-social et d’autres organismes. Ce fut le
début du Comité « Anti-Bwaki » qui, à ses débuts, avait fonctionné comme une plate-forme de
concertation et de répartition des actions sur le terrain. Il fallait trouver une solution à long terme au
problème de la malnutrition et ses causes. Ainsi la campagne soja vit le jour ainsi que le lancement de
l’élevage de gros bétail à Mulume Munene dont je parlerai dans le huitième chapitre de cette thèse.
2. Une action tournée vers les besoins concrets de la population féminine (1970-1979)
L’œuvre prit désormais le nom de « Centre d’Animation Sociale Rurale » (CASR) en adoptant des
méthodes de développement communautaire. L’objectif pour cette deuxième étape était d’aider les
femmes et leurs maris à être des membres actifs et engagés dans le développement tant de leurs familles
que des groupes auxquels ils appartenaient.
A ce stade, l’action se tourna peu à peu vers les villageois et les communautés ecclésiales vivantes. Vers
1971, une attention particulière fut portée aux jeunes filles surtout de milieu rural dans des ateliers de
formation pour jeunes filles stagiaires aux métiers féminins et à l’animation rurale. A ce jour, plus de
250 jeunes filles ont été formées, la plupart d’entre elles gèrent leurs propres ateliers ou travaillent dans
des centres sociaux en paroisses.
90
1980-1989 est la décennie la plus sombre du point de vue de la gestion de l’État. Les effets néfastes de la politique de
nationalisation (« zaïrianisation ») des entreprises privées (occidentales) prônée au début de la décennie précédente par le
régime dictatorial de Mobutu se font sentir avec acuité: baisse drastique de la production minière qui constituait
pratiquement l’essentiel de l’économie zaïroise, dégradation totale du pouvoir d’achat, chômage massif et défaut de
paiement des salaires et de la dette publique et privée, corruption rampante à l’échelle nationale, dysfonctionnement
administratif dû à la destruction de l’appareil de l’État, dégradation des mœurs dans la société. Bref c’est la décennie qui a
préparé le lis à l’instabilité politique au Zaïre de la décennie suivante (1999-1999) et ses conséquences dans la sous-région
dont le génocide au Rwanda (1994) et les deux guerres d’invasion du Zaïre (1996 ; 1998-2012) directement par ses voisins,
le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda (1996) et par rébellions interposées (1998-2012).
164
En 1982, d’autres initiatives voient le jour, notamment « Arafruits », spécialisés dans la transformation
des fruits en confiture, en vin et dans la culture des plantes médicinales et épices. Dans le cadre de
l’amélioration de l’alimentation, la Biscuiterie fut mise sur pied en 1984 afin de valoriser les produits
locaux tels que le soja, le maïs, le sorgho.
Dès lors, le rôle du comité diocésain des femmes piloté par le Centre Olame était de trouver des
instruments humains et financiers pour le renforcement des capacités économiques et organisationnelles
de la femme, l’appui en organisation et en gestion. Pour mieux les préparer à s’impliquer dans la
démocratisation du pays, les femmes ont eu à suivre des sessions sur les valeurs démocratiques, les
droits humains, le leadership féminin…
Depuis 1990, une session centrale est organisée chaque année pour toutes les femmes responsables
paroissiales du diocèse. De même, la célébration de la journée internationale chaque année autour d’un
thème précis est devenue une occasion pour la femme de s’exprimer, de s’affirmer et de dénoncer les
multiples abus dont elle est victime. Avec les guerres récurrentes à l’est de la RDC, le Centre Olame a
dû mettre sur pied depuis 2002 le Service d’Écoute et d’Accompagnement des Femmes Traumatisées
(SEAFET), afin d’aider les femmes victimes de violences sexuelles à recouvrer leurs forces vitales et à
bénéficier des soins de santé appropriés.
En même temps, le Centre Olame poursuit le renforcement des capacités des animateurs des centres de
promotion féminine et l’appui des groupements de développement dans les activités génératrices de
revenus. Grâce au Comité Diocésain des femmes, les préoccupations et les problèmes prioritaires des
femmes sont canalisés en vue d’orienter efficacement leurs activités. Le bulletin « Muzire, Bwacire :
Femme, (réveille-toi), l’heure est arrivée ! » permet aux femmes d’échanger leurs expériences et de les
inciter à la culture scientifique par la documentation pour connaître ses droits et devoirs dans la société
congolaise fortement encore androtique. Un autre service social de très grande envergure où l’Église de
Bukavu rayonne depuis pratiquement un siècle, c’est le service de l’éducation piloté par la Coordination
Diocésaine des Écoles Conventionnées Catholiques.
165
E. La Coordination Diocésaine des Écoles Conventionnées Catholiques (CDECC)
Selon les résolutions du synode diocésain de 1990-1992 et le mini-synode de 1998, la CDECC est le
service de tutelle de la Commission diocésaine de l’Éducation. Celle-ci comprend les représentants de
tous les Services qui interviennent dans l’éducation au niveau du diocèse, les parents, les enseignants,
les aumôniers des Instituts Supérieurs et de l’UCB, l’aumônier diocésain des jeunes, les représentants
des aumôniers des écoles catholiques… Les objectifs de la commission sont de viser l’éducation tant
formelle (enseignement classique) qu’informelle (alphabétisation, initiations, apprentissages divers) ;
promouvoir les valeurs chrétiennes pour que nos familles, les communautés chrétiennes, les écoles
catholiques deviennent de plus en plus des milieux éducatifs ; aider au changement des mentalités pour
un épanouissement complet des jeunes, y compris ceux des écoles non-catholiques.
Comme tâches, la Coordination élabore, à partir des données fournies par ses différentes composantes
que sont les écoles, les grandes lignes du projet éducatif et le leur propose pour examen des modalités
d’application dans leurs rayons d’action respectifs. Elle organise des rencontres de réflexion sur les
problèmes de l’école et sur le sens chrétien de l’éducation. Elle propose des projets pour l’amélioration
des infrastructures des milieux éducatifs, étudie les stratégies pour sauvegarder les infrastructures
existantes, et encadre les jeunes désœuvrés.
La genèse de l’école au Congo est à situer dans le cadre politique de Léopold II. Celui-ci, comme nous
le rappelle Ndaywel, fit de l’école la condition pour avoir accès au privilège de l’État, notamment les
concessions des terres et les subsides. Alors que les missionnaires catholiques en étaient les grands
bénéficiaires, les missionnaires protestants eux furent systématiquement exclus puisque les Anglais
étaient, au dire d’Isidore Ndaywel, incapables, malgré leur bonne volonté, d’apprendre le français aux
indigènes (Ndaywel, 1998 : 351).
Les Européens ignoraient ou méprisaient les systèmes éducatifs africains : fondés sur l’oralité, souvent
organisés en stages initiatiques et marqués par des rites de passage, ils permettaient aux adultes de
socialiser les plus jeunes et de leur transmettre les savoirs nécessaires à la vie quotidienne, les
comportements sociaux et les sciences traditionnelles ou les connaissances religieuses.
166
Seuls les musulmans avaient un enseignement de type occidental. Pour les colonisateurs, la méthode
européenne de scolarisation était l’unique moyen d’accéder à la civilisation.
Jusqu’à la Première Guerre Mondiale, les missionnaires tinrent une place quasi monopolistique dans la
diffusion de l’enseignement en Afrique. Mais, à partir de cette date, les États occidentaux se
préoccupèrent d’être les moteurs du mouvement afin de contrôler l’outil et de mettre en place un
véritable système éducatif (M’Bokolo, E., 2004 :397).
Souvent noyée dans des considérations humanitaires, la politique éducative coloniale avait pour objet
principal, voire unique, le maintien et le développement du système colonial (Ibid.). L’enseignement
devait permettre à l’« indigène » d’assimiler les fondements de la culture occidentale, de les respecter et
d’en reconnaître la supériorité. Il devait également permettre de fournir à l’économie des hommes dont
elle avait besoin : techniciens, employés, auxiliaires, contremaîtres…
Les programmes étaient tournés vers les besoins de l’économie, comme l’indiquait en 1912 le vice-
gouverneur du Congo belge au ministre des Colonies : « La volonté ferme du Gouvernement est de diriger
l’indigène vers les travaux des champs. Dans ce chemin, on ne pourrait mieux travailler à l’orientation de la population vers
les travaux qu’en s’adressant, par la voie de l’instruction professionnelle agricole, aux jeunes générations aptes à s’instruire
et à comprendre, et qui formeraient plus tard les éducateurs des populations rurales.(…) Quant à l’instruction classique, elle
se réduirait à peu de choses pour les artisans et serait graduée suivant les métiers, selon qu’ils demandent plus ou moins
d’intelligence ou de connaissances. Si quelques gens avaient des aptitudes spéciales permettant de leur faire obtenir plus
tard des emplois de commis ou de genre analogue, leur instruction serait plus poussée, mais jamais elle n’atteindrait un
niveau qui permette à ces Noirs d’avoir d’eux-mêmes la trop haute opinion familière aux demi-savants » (M’Bokolo, E.,
2004 :398).
Au-delà d’une simple croyance en une incapacité des Africains à apprendre et s’instruire, les Européens
craignaient surtout que l’enseignement ne devienne un outil pervers, permettant aux Noirs de s’élever à
la hiérarchie sociale et éventuellement de devenir la source d’une contestation de l’ordre établi et de la
domination blanche. Le rapport Kervyn de 1913 exprime cette crainte:
« L’enseignement doit être avant tout professionnel, la vanité est un des défauts dominants du caractère du Noir. Dès qu’il a
un vernis de civilisation, il se croit volontiers l’égal de l’Européen, et comme l’Européen ne peut travailler de ses mains
dans la plus grande partie du Congo, l’indigène dès que lettré, est tenté de se refuser le travail manuel. D’autre part, le Noir
ayant quelque instruction, jouit de certain prestige vis-à-vis de ses congénères, et, s’il ne travaille pas, devient facilement un
facteur d’influence dissolvante, il critique les Européens, excite les Noirs contre eux en exagérant les défauts de ceux-ci et
les griefs de ceux-là, bref il devient une nuisance et un danger. Il faut donc qu’il travaille, et c’est à la moralisation du Nègre
par le travail, à savoir par le travail manuel, que doit tendre l’enseignement que nous lui donnons » (Ibid.).
167
Bref, pour amener le jeune congolais à ne pas répugner l’apprentissage d’un métier, c’est au début qu’il
doit être initié par les travaux manuels d’abord et, le plus tôt possible, par l’apprentissage. Aussi faut-il
que le programme des écoles primaires fasse, dès le commencement, large place aux travaux manuels et
professionnels, en réduisant d’autant l’enseignement littéraire91.
Partant de cette base, le système éducatif des colonies reposait sur quelques grands principes : part
prépondérante accordée dans l’emploi du temps aux travaux agricoles ou aux travaux manuels ;
importance des filières techniques et professionnelles ; sélection rigoureuse, voire barrage dans les
filières générales ; séparation souvent totale entre l’enseignement pour les Européens, celui pour les
Africains et, le cas échéant, l’enseignement pour les autres populations ; inégalité de reconnaissance
entre les « degrés » métropolitains et ceux des colonies.
La part des missionnaires se révéla également prépondérante en Afrique Équatoriale Française (AEF) où
l’administration intervenait peu, retardant ainsi la formation d’une élite moderne (la première école
secondaire, l’École Edouard Renard, ne vit le jour qu’en 1935) et moindre en Afrique de l’Ouest
Française (AOF) où l’enseignement publique était très développé (11 484 élèves dans les écoles
publiques en 1910 contre 2 962 dans les écoles missionnaires). Dans les colonies britanniques,
notamment en Ouganda et au Nyassaland (actuel Malawi), le rôle des missionnaires fut important,
l’administration jouant un rôle prépondérant à Zanzibar et au Tanganyika, ainsi que dans le domaine de
l’enseignement technique.
Une petite comparaison entre quelques puissances coloniales permet de constater que la politique
scolaire de la Grande-Bretagne dans les Colonies était basée sur cette conviction : « L’enseignement doit
être adapté à la mentalité et aux traditions des différents peuples, en conservant autant que possible tous les
éléments sains dans la mise en place de leur vie sociale » (M’Bokolo, 2004 :400).
91
Lettre du ministre des Colonies au gouverneur du Congo belge, 1913, textes cités par Kita K.M., Les fondements de
l’École au Zaïre. La formation des jeunes congolais avant 1920, Bukavu, Ceruki, 1979.
168
Forte de ce principe, l’instruction dans les colonies britanniques fut plus respectueuse des spécificités
africaines, mais aussi plus porteuse dans la constitution d’une élite. C’est ainsi qu’à partir de 1927,
l’enseignement se fit dans la langue maternelle pendant les deux premières années, puis en anglais pour
le reste de la scolarisation. Entre les deux guerres, la langue de la puissance coloniale fut préférée à toute
autre pour diverses raisons : implantation politique, acculturation, homogénéité, caractère scientifique,
facilité pour les enseignants européens, contrôle possible, préférence nationale (Ibid.). Pour ce qui est de
la France, l’enseignement en français devint obligatoire en AOF et AEF en 1922 et ce, dès les petites
classes. Dans les colonies portugaises, l’usage des langues africaines était toléré pour les explications
orales et les traductions.
La Belgique adopta une politique différente : le français était la langue utilisée (le flamand était enseigné
plus tard), mais pour les élèves destinés à ne pas dépasser l’enseignement primaire, il était estimé que
l’apprentissage du français était inutile. Ainsi, l’enseignement pour ces catégories se faisait-il en langues
vernaculaires, en particulier lingala, kikongo, luba et swahili, que les missionnaires codifièrent 92. Dans
le vicariat apostolique du Kivu, l’enseignement était fait essentiellement en swahili. C’est Mgr Richard
Cleire qui, audacieusement, changera l’ordre des choses en introduisant le français comme langue
principale dans l’enseignement. Cela ne fut guère apprécié tant par les autorités coloniales que par sa
hiérarchie religieuse.
Rappelons que Léopold II avait préconisé qu’un accord avec les missionnaires fasse l’objet d’une
convention entre le Saint-Siège et le gouvernement de l’EIC. Cette convention assurait aux missions
catholiques la possession des terres (Elikia M’Bokolo, 2004: 352). En revanche, les missionnaires
étaient tenus d’assurer l’instruction et l’apprentissage des langues « nationales belges » (le français) par
la création des écoles ; ils s’engageaient aussi à prêter leur concours à l’État, par l’exécution de travaux
d’ordre scientifique, géographique et linguistique. Ndaywel (1998 :230) voit dans cette convention la
base de l’histoire scolaire du pays ; il est l’amorce des travaux linguistiques et ethnographiques dont les
missionnaires nous ont laissé d’abondantes monographies. Enfin, l’annexion des missions au processus
de colonisation justifierait désormais les subsides octroyés par l’État colonial (Ibid.).
La convention fut annexée à la Charte coloniale du 18 octobre 1908 et a continué à régler les rapports
entre les missions et le gouvernement colonial en matière scolaire jusqu’aux années 1925-28, époque où
s’organisa l’enseignement subsidié par les conventions dites « De Jonghe ».
92
Voir à ce sujet le livre pionnier de Johannes Fabian, Language abd Colonial Power. The Appropriation of the Swahili in
the Former Belgican Congo (1880-1938), Cambridge University Presse, 1986).
169
Mais ces conventions avec les Sociétés de missions « nationales » laissèrent intacte la Convention de
1906. Une nouvelle convention entre la Belgique et le Saint-Siège concernant le Congo fut signée le 8
décembre 1953, mais elle ne fut jamais ratifiée. Aussi la Convention a-t-elle régi les rapports entre
l’Église catholique et l’État durant toute la période coloniale (Bontinck, F., 1980: 261-303 cité par
Ndaywel, I., 1998: 352). On peut lire le contenu de cette Convention dans l’Annexe 7 de cette thèse.
Parce que les missionnaires étaient engagés dans la lutte contre le « paganisme tribal » pour mener à
bien l’œuvre civilisatrice de la colonisation, l’administration coloniale regardait leur travail d’un œil à
tout le moins bienveillant. Elle attendait en retour de ces missionnaires une collaboration étroite.
Symbole de cette entente sacrée, les colonies belges reposaient sur une « trinité coloniale » (M’Bokolo,
E., 2004 : 293) composée de l’administration, de grandes compagnies et de missions, chacune des
parties collaborant étroitement avec les deux autres pour établir la puissance européenne et la
« civilisation ». Un recueil réalisé par le ministère des Colonies à l’attention des fonctionnaires et agents
du service territorial du Congo Belge précisait dans son édition de 1930 : « Les agents du gouvernement ne
travaillent pas seuls à l’œuvre de la civilisation. Les œuvres religieuses y participent dans une mesure au moins égale (…)
les agents du gouvernement, quelles sue puissent être leurs opinions, ont l’obligation stricte d’aider les missionnaires
chrétiens » (Cf. Ibid.).
Il convient de préciser que quand l’EIC prit officiellement l’initiative de l’instruction des enfants
congolais, ce fut surtout pour des raisons militaires, pour constituer une pépinière de jeunes recrues,
destinés à devenir, suivant la vocation de l’époque, des soldats-ouvriers, des combattants et
constructeurs de postes. La concrétisation de cette idée s’effectua pour la première fois lors de la
création de « colonies d’enfants indigènes », le 12 juillet 1890. L’idée du regroupement en « colonie »
provenait de la nature du recrutement visé, qui recherchait avant tout des enfants peu concernés par les
traditions claniques : esclaves, orphelins, enfants délaissés ou prétendus tels.
En effet, s’il existait un réseau d’enfants d’origine esclave, à côté de cela, beaucoup d’autres n’étaient
que faussement abandonnés. Bon nombre d’entre eux étaient recrutés de force et retenus contre leur gré
(Ndaywel, I., 1998 : 354). Plusieurs d’entre eux ont risqué la mise aux fers et la peine de la chicotte,
pour une tentative infructueuse qu’ils avaient faite de regagner leurs villages (Merlier, M., 1962 : 218).
L’orientation de la formation était essentiellement militaire. C’est à cette carrière qu’étaient destinés la
plupart des élèves. Ndaywel rapporte que sur 83 élèves qui terminèrent la formation à Nouvelle-Anvers
en 1893, 55 devinrent soldats. La même proportion était respectée à Boma : sur 57 finalistes, en 1901,
41 devinrent soldats (Ibid. : 355).
170
Les « colonies scolaires », créées par l’État pour des besoins de recrutement militaire, furent dirigées
dans un temps par des officiers. Suite à l’installation des nombreuses congrégations missionnaires, l’État
pensa nommer à leur tête des responsables religieux. C’est ainsi qu’un Frère des Écoles Chrétiennes fut
nommé à Boma, Capitale de l’EIC, et un Père de Scheut à Nouvelle-Anvers. Mais l’initiative engendra
de nouveaux problèmes. Les missionnaires chargés de la direction essayaient de trouver leur compte
dans la finalisation essentiellement militaire assignée à leur action. Ils commencèrent à se préoccuper
également de la formation religieuse de leurs protégés, en vue d’y recruter des catéchistes. Cette
ambivalence de fait, l’État fut obligé par la suite de l’assumer de façon concrète.
Isidore Ndaywell montre comment la colonie scolaire a évolué dans le temps et selon les circonstances,
à partir de 1894. Tout est parti de la création à Boma de deux types de colonies scolaires: les candidats à
la formation militaire et professionnelle et ceux qui, ayant des dispositions religieuses particulières.
Selon les impératifs du moment, les deux types de colonies scolaires suscitèrent la création d’une
« école de candidats sous-officiers comptables », la formation des candidats capables d’être admis à un
nouveau cycle de formation plus poussée, la formation des auxiliaires locaux pour l’administration
coloniale, la création d’une « école de candidats commis »… On aboutit à la nécessité de créer des
écoles primaires, car on se rendit compte que le rendement de ces auxiliaires formés pouvait être
meilleur, qu’il serait utile qu’ils disposent préalablement d’une formation générale en calcul, en dessin
et en d’autres disciplines de base (Ibid.)
La première « école primaire » fut créée à Boma le 16 décembre 1908. Elle fut suivie d’autres créations
semblables, dans des centres où fonctionnaient des écoles professionnelles : Buta, Léopoldville,
Stanleyville, Lusambo, Elisatbethville et Kabinda. L’école primaire prenait deux ans et préparait l’accès
à l’école professionnelle. Jusqu’ici, il n’a été question que de l’initiative de l’État en matière
d’instruction. Cette préoccupation fut partagée par les congrégations missionnaires, et dans des
conditions à peu près identiques.
Pour l’État, on a vu que c’est la nécessité de s’entourer d’auxiliaires militaires d’abord et professionnels
ensuite qui l’amène à reconnaître le bien-fondé de ces centres d’apprentissage militaire et professionnel.
Les missionnaires furent confrontés au même genre de problème. Leur préoccupation première fut certes
l’évangélisation, mais très vite, ils ressentirent la nécessité de s’entourer d’un corps d’auxiliaires. Il
fallait bien qu’ils sachent lire et écrire… pour faire la lecture du catéchisme et de la Bible, tenir le
registre, déchiffrer un message écrit provenant du missionnaire, etc. Les écoles ne furent donc pas
l’aboutissement du souci de « civilisation », pour reprendre les propos de Ndaywel, mais plutôt le
résultat d’une certaine quête d’efficience dans l’effort de domination et d’évangélisation (1998 :356).
171
En 1894, une colonie scolaire pour jeunes filles fut également créée à Kimwenza pour servir de
pépinière d’épouses chrétiennes aux jeunes gens élevés chez les Jésuites. Malgré son caractère
éphémère, cette première prise en charge par l’État du réseau d’enseignement catholique constitue la
genèse d’une politique qui fera recette dans la colonie. Par souci d’économie, l’État, au lieu de
développer lui-même un réseau scolaire officiel, préféra en laisser l’initiative aux confessions
religieuses à qui il allouait des subsides. Par la Convention de 1906, les missions furent encouragées
dans cette voie, bien que le principe d’allocation des subsides ne se réalisât que fort timidement (Ibid.).
Au début du siècle, les deux réseaux d’enseignement étaient donc opérationnels. Celui de l’État
concernait quelques colonies scolaires et écoles professionnelles ; celui des missions, qui se proposait de
toucher le plus grand nombre d’enfants possible, visait l’évangélisation et la formation agricole et
professionnelle. Cette dernière option intéressait de plus en plus pour répondre aux besoins croissants de
son administration. Il fallait davantage populariser la scolarisation.
En 1909, il fut déclaré que chaque district devait être doté au moins d’une « école agréée et subsidiée
par l’État ». Les conditions pour prétendre aux subsides étaient d’adopter le programme fixé et approuvé
par le gouvernement et d’accepter le contrôle régulier des inspecteurs de l’État. Grâce à ce système, bon
nombre d’écoles missionnaires furent intégrées dans un ensemble scolaire contrôlé par l’État. De
nouvelles écoles furent créées et celles qui existaient déjà furent adaptées aux nouvelles normes. Ce
vaste programme d’intégration eut pour conséquence d’étoffer davantage le tissu scolaire de grands
centres déjà connus, tels que Boma, Léopoldville, Stanleyville, Elisabethville, et insuffla un dynamisme
nouveau à des centres en plein essor : Nouvelle-Anvers, Mayumbe, Mongo, Lusambo, Niangara,
Coquilhatville, etc. Un grand nombre de nouveaux centres, généralement des capitales de districts,
prenaient de l’importance.
Mais il faut préciser que cet essor ne concernait que les grands centres car l’État réservait toujours ses
subsides pour quelques écoles situées dans des villes. L’immense réseau des écoles rurales n’était pas
concerné, à tel point qu’en 1920, il n’y avait que 12 établissements, comptant 20 311 élèves au total, soit
une moyenne de 1 693 élèves par école, qui constituaient l’enseignement missionnaire subsidié (Cf.
Kita, K.M., 1982:123-165).
Il y a lieu d’échelonner l’historique du système scolaire présenté ci-dessus sur quatre périodes, à savoir :
des origines à l’indépendance (1906-1960), de l’indépendance à l’étatisation (1960-1974), de
l’étatisation à la Convention de gestion des Écoles Nationales (1974-1977) et de la Convention à nos
jours (1977).
172
2. Les traits caractéristiques de chaque période
D’abord, des origines à l’indépendance : 1906-1960. Comme je l’ai montré précédemment, en plus de la
mission traditionnelle dévolue à l’Église d’évangéliser, elle avait aussi la charge de créer les écoles, en
contrepartie des subsides et des vastes domaines reçus de l’État, conformément à la Convention signée à
Bruxelles entre les représentants du Saint-Siège et ceux de l’EIC le 26/05/1906. Parallèlement à
l’implantation des Missions, dans le Vicariat Apostolique du Kivu, les Pères Blancs créaient les écoles
pour les aider à remplir leur tâche d’évangélisation. Tel fut le cas de la première école des catéchistes
créée à Nyangezi en 1916 et qui deviendra plus tard le Petit Séminaire de Mugeri (1922) après son
transfert à Mwanda en 1918.
Il y a lieu de rappeler que le but principal de la politique scolaire du Congo Belge était de former des
ouvriers subalternes et de bons auxiliaires de divers services de l’Administration et des entreprises, en
vue de perpétuer le système colonial. Dans cette visée, c’est aux Missionnaires que la colonie a confié
l’œuvre de l’Enseignement. Ainsi, dans les écoles officielles comme dans celles organisées par les
Missions, la direction était assurée par les Missionnaires. Au regard de cette collaboration, les
Missionnaires recevaient des subsides de fonctionnement, de construction des écoles et d’autres
avantages matériels de la colonie qui, en retour, entendait asseoir son hégémonie sur les indigènes en
bénéficiant d’une base morale.
En 1926-1927, fut créé dans l’esprit du même projet le service de l’Inspection Officielle de
l’Enseignement dirigé par un Inspecteur par circonscription ecclésiastique, nommé par le Chef de
Mission et agréé par le Gouvernement après consultation de l’Inspecteur Général et des Inspecteurs
Provinciaux. Cet Inspecteur Missionnaire était responsable de la bonne marche des écoles de sa
circonscription. Il nommait, changeait et révoquait les instituteurs. Il fixait le temps et la durée de congé
et des vacances. De même, il donnait l’horaire des classes et veillait à l’application des règlements et des
programmes, présidait aux examens pour l’obtention des certificats et des diplômes que reconnaissait la
colonie. Il envoyait annuellement à l’Inspecteur Provincial de l’Enseignement un rapport général sur les
progrès et les améliorations à introduire.
Ce rôle de l’Inspecteur Missionnaire est aujourd’hui dévolu au Coordinateur Diocésain et Provincial des
Écoles Conventionnées Catholiques. Plusieurs Inspecteurs Missionnaires se sont succédé jusqu’en 1960.
173
Citons quelques figures : les Pères Roussel93 (1926-1933), Monsmans (1933-1947), Georges Defour
(1947-1957). Ce denier vient de mourir. Il est le plus connu de tous les Inspecteurs. Il a réformé le
programme scolaire en introduisant, à la demande de Mgr Richard Cleire alors Vicaire apostolique du
Kivu, la langue française dans les écoles. Il a mis sur pied le Centre Pédagogique de Bukavu où étaient
édités les manuels scolaires ainsi que le journal des jeunes « Kindugu » et celui des enseignants
« Pedagogia ». Il a rédigé 32 manuels pour les écoles dont les plus connus sont: Mon ami Noé I & II ;
Calculons Juste I, II & III ; J’apprends le Français I, II, III & IV ; Usikie Habari I, II, III & IV. C’est la
méthode de centre d’intérêt qui était exploitée dans ces manuels. Pour l’encadrement de la jeunesse, il a
créé le mouvement Xavéri, devenu aujourd’hui un mouvement reconnu sur le plan mondial.
93
A ne pas confondre avec le Père Jean Roussel, missionnaire de Scheut, qui rédigea pour le compte du gouvernement
colonial en 1944 un livre intitulé Leçons de déontologie coloniale dans lequel il décrit dans un style plus que raciste et un
langage déshumanisant l’homme Noir et l’action civilisatrice de la Belgique et de l’Église catholique au Congo Belge.
174
La troisième période, très courte, va de l’étatisation à la Convention de gestion des Écoles
Nationales (1974-1977), pendant laquelle, la Convention du 26 mai 1906 est battue en brèche. L’État
ravit les écoles à l’Église. L’Inspecteur Diocésain, un prêtre, regagne la paroisse et ses adjoints, des laïcs
rejoignent l’Inspection officielle. Les archives de l’Inspection Diocésaine des écoles sont détruites et
d’autres emportées à la Division Régionale de l’Enseignement. Dans les écoles, le cours de religion est
supprimé et remplacé par le cours d’Education Civique et Politique où l’on enseigne le Mobutisme,
l’idéologie du Parti unique, le Mouvement Populaire de la Révolution (M.P.R.) qui prêche le recours à
l’authenticité. Les prénoms chrétiens sont remplacés par les noms zaïrois. Tous les symboles chrétiens
(crucifix, statue de la Vierge Marie, etc.) sont détruits. Avant le début des classes, les élèves exhibent les
danses et les chansons révolutionnaires en remplacement de la prière.
La conséquence immédiate était la déchéance morale dans les écoles comme dans toute la société
zaïroise. Certains enseignants et directeurs sont devenus des polygames. La corruption bat son plein. La
situation devenant intenable, puisque les écoles ne faisaient que sombrer, les parents vont solliciter à
l’Église de reprendre les écoles. Des contacts furent entrepris entre l’État et l’Église, à cet effet. Le
26/02/1977, les négociations aboutirent à la signature d’une nouvelle Convention de gestion des Écoles
Nationales, entre l’glise et l’État, qui lui rétrocède la gestion des anciennes écoles catholiques.
Iwewe Kpongo reproduit les deux articles-clé de cette convention : « Il convenu ce qui suit : Article1 : La
République confie la gestion des écoles nationales reprises en annexe, à l’Eglise qui l’accepte aux conditions ci-
dessous : Article2 : L’Eglise gère les écoles conventionnées par ses Associations sans but lucratif (A.S.B.L.). L’Evêque
du lieu d’implantation des écoles, ou le chef de la communauté, ou le Délégué Régional sont, au plan local, les
responsables de l’exécution de la convention. » (Iwewe Kpongo, 2004 : 133. Cf. Annexe 8)94
La dernière période est relative à la gestion des écoles sous la Convention de 1977 à nos jours. Après la
signature du texte de la Convention de gestion des Écoles Nationales, celles-ci furent reprises par
l’Église. Ce texte définit les attributions de l’État et celles de l’Église dans la conduite des écoles dites
alors Conventionnées. L’État est le pouvoir organisateur de toutes les écoles conventionnées. A ce titre,
il agrée les écoles et pourvoit à leur financement (salaire du personnel, frais de fonctionnement,
construction et réhabilitation des infrastructures scolaires). Par contre, l’Église est le pouvoir
gestionnaire des écoles nationales confiées par la République.
94
Cette convention de gestion des écoles conventionnées catholiques du 26 février 1977 contient 23 articles publiés dans la
brochure éditée par le Bureau de coordination nationale des écoles conventionnées catholiques, Kinshasa, 1978 : 5-13.
175
Cette gestion porte sur l’organisation interne et le fonctionnement des écoles, la gestion du personnel, la
gestion financière et l’organisation de la vie sociale des élèves.
Selon cette même Convention et pour assurer la gestion quotidienne des écoles, l’Église institue les
Coordinations au niveau correspondant de chaque échelon de l’Administration publique : nationale,
provinciale et sous-provinciale (diocésaine). Elle édicte par ailleurs un règlement d’ordre intérieur pour
la mise en application et l’adaptation des clauses de ce texte aux réalités de la confession. Le cours de
religion est réhabilité dans les écoles. Rappelons que cette Convention est consécutive au constat par
l’Etat zaïrois de son incapacité à restaurer l’éthique dans les écoles après une décennie de dépravations
morales et des dérives sociopolitiques du régime.
Bref, l’avènement des écoles dans l’archidiocèse de Bukavu a été l’œuvre des Pères Blancs. Ces
derniers n’ont pas seulement fondé les missions ou paroisses, mais aussi ils ont créé les écoles qui se
sont fort développées. Ces écoles étaient placées sous la supervision d’un Inspecteur Missionnaire qui
deviendra plus tard Inspecteur Diocésain et ensuite Coordinateur Diocésain.
La situation vécue par les écoles au fil des temps a montré que leur organisation et leur gestion ont
toujours fait l’objet d’une Convention entre l’État et l’Église. Cette Convention définit les obligations de
chaque partie.
Durant quatre décennies, le diocèse, par son service mandataire qu’est la Coordination diocésaine, s’est
investi dans l’implantation des écoles partout dans le diocèse et dans leur encadrement. Il a assuré la
formation et le recyclage des enseignants et des chefs d’établissements. Il s’est attelé à
l’approvisionnement des manuels scolaires, des programmes d’enseignement ainsi que des fournitures
scolaires et de bureaux.
Mais ses actions débordent les limites du diocèse de Bukavu puisque ses animations pédagogiques
s’étendent sur les entités relevant des Coordinations d’Uvira et de Kasongo.
176
Tableau 1 : Plan de statistiques des écoles Conventionnées catholiques de Bukavu
EFFECTIFS SCOLAIRES
NIVEAU ÉCOLES CLASSES ENSEIGNANTS
Garçons Filles TOTAL M/Cl
4
MATERNEL 11 24 512 448 960 31
40
4
PRIMAIRE 298 2 613 70 756 57 195 127 951 3 161
49
3
SECONDAIRE 103 787 16 272 10 108 26 380 1 349
34
4
TOTAL 412 3 424 87 540 67 751 155291 4 541
45
Source:Rapport de la Coordination diocésaine des Écoles Conventionnées Catholiques lors du Centenaire de l’Église de
Bukavu, en septembre 2006.
Sachant que, presqu’une décennie après, les données ci-après doivent avoir évolué, en 2006, la
Coordination Diocésaine de Bukavu organisait 412 écoles dont 11 de la Maternelle, 298 du Primaire et
103 du Secondaire. Ces écoles comprenaient au total 3 424 classes, soit 24 de la Maternelle, 2 613 du
Primaire et 787 du Secondaire. Elles étaient fréquentées dans l’ensemble par 155 291 élèves dont 87 540
garçons et 67 751 filles (43,6%). Les enseignants étaient au nombre de 4 541 répartis comme suit : 31
au niveau maternel, 3 161 au niveau primaire et 1 349 au niveau secondaire.
On aura observé à la lecture de ce tableau qu’au niveau maternel, les écoles ne sont pas encore
nombreuses : 11 seulement. Cela est dû entre autres à l’héritage du système scolaire colonial qui
n’organisait quasiment pas de degré maternel. L’école commençait avec la 1e année du primaire, à 6 ou
7 ans d’âge de l’élève. Par ailleurs, dans la maternelle, il y a presqu’autant de classes que d’enseignants,
mais avec une moyenne de 31 élèves pour un enseignant, alors qu’au niveau du primaire, ils sont 41
pour un enseignant et, au secondaire, 20 élèves pour un enseignant. Aussi, constate-t-on quela moyenne
générale de la classe pour ces trois degrés est de 45 élèves. Au niveau du primaire, elle frôle même 50
élèves, ce qui rend onéreuse la formation en termes de qualité et d’efficacité pour les acteurs en
présence : les élèves et l’enseignant. Enfin, dans chaque degré, le nombre de garçons reste élevé par
rapport à celui des filles. Si au degré du maternel cette marge n’est pas très significative puisque les
filles y représentent 46,7% des effectifs, elle tend par contre à s’agrandir au fur et à mesure que les
élèves avancent dans les études. Ainsi, au niveau du primaire, les filles sont 44,7% alors qu’au
secondaire elles ne représentent que 38,3% des effectifs.
177
4. Impact de l’action de la Coordination diocésaine sur la pastorale d’ensemble du diocèse
L’impact de la Coordination sur la pastorale d’ensemble du Diocèse est réel. Les écoles primaires et
secondaires gérées par la Coordination diocésaine sont parmi les meilleures de toute la République.
Certaines écoles secondaires, comme l’Institut Alfajiri, le Petit Séminaire de Mugeri, l’Institut
Kitumaini, le Lycée Cirezi, obtiennent, depuis des décennies et de manière ininterrompue des résultats
parfois à 100% à l’examen national du Diplôme d’Etat (désignation en RD Congo du Bac français) et
font la plupart du temps le meilleur score national. Beaucoup de hauts cadres politiques et d’élites
intellectuelles du pays ont été formés dans ces prestigieuses écoles secondaires de l’Archidiocèse de
Bukavu. Cette performance scolaire est sans aucun doute l’œuvre de l’Église à travers le dévouement et
la discipline personnelle et collective de son corps enseignant très soudé, composé d’enseignants laïcs,
de prêtres, religieux, religieuses.
En outre, le personnel œuvrant au sein des mêmes écoles est actif dans la pastorale tant du Diocèse que
des paroisses, soit comme catéchistes, auxiliaires de communion, lecteurs, choristes, etc. Faut-il signaler
que les écoles qui sont un vaste champ d’évangélisation sont également de grands pourvoyeurs de notre
Église en agents pastoraux ? Il y a de quoi affirmer qu’elles constituent les poumons pour le Diocèse. Ce
processus éducationnel culmine vers l’enseignement supérieur et universitaire dont l’emblème est assuré
aujourd’hui par une université diocésaine, l’Université catholique de Bukavu (UCB) et une dizaine
d’Instituts supérieurs.
178
C’est ainsi que les jeunes diplômés de ces prestigieuses écoles catholiques de la place devaient aller
poursuivre leurs études universitaires à plus ou moins 2 000 km, soit à Lubumbashi (majoritairement),
soit à Kinshasa ou à Kisangani. Les difficultés d’éloignement de leurs milieux familiaux, les contraintes
économiques95, les problèmes sociopolitiques et culturels96 et leurs conséquences sur le comportement
moral des étudiants du Kivu, tout cela était des défis à gérer et à surmonter par ces jeunes kivutiens. Et,
quand ils avaient terminé leurs études, ils se retrouvaient au chômage, ne pouvant pas obtenir facilement
de débouchés quand ceux-ci étaient même possibles selon leur formation reçue dans ces trois villes
universitaires, la politique étant d’embaucher prioritairement les autochtones.
Il faudra attendre la fin des années 1980 pour que l’Église du Kivu se décide à briser ce clivage social
dans la répartition des institutions universitaires entre l’Ouest et l’Est. Alors que ce dernier ne se
contentait que de trois Instituts Supérieurs, en l’occurrence l’Institut Supérieur Pédagogique (ISP),
l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR) et l’Institut Supérieur des Techniques Médicales
(ISTM) qui étaient, il faut le dire, de renommée internationale, l’Ouest du pays jouissait de l’exclusivité
de l’enseignement technique supérieur97 et universitaire98.
L’existence d’un certain nombre d’Instituts supérieurs dans la ville même de Bukavu, sa proximité de
centres de recherche de niveau international ainsi que des universités des pays voisins, offrent la
possibilité de recourir aux services des chercheurs et professeurs en provenance de ces institutions
universitaires et scientifiques.
95
Très rares étaient ceux qui bénéficiaient d’une bourse d’études, même à l’époque où il y en avait encore au Zaïre. Leurs
études étaient entièrement assurées par les faibles revenus tirés des produits de champs (bananes, manioc, ananas,
arachides, haricots) et de plantations (café, cacao, quinquina) de leurs parents.
96
Pendant des décennies, le régime du Parti Unique, le MPR, avait fortement infiltré les milieux universitaires mettant en
place une police secrète chargée de fournir à l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) des informations sur la vie au
Campus universitaire pour connaître et punir de diverses manières les détracteurs du régime décadent de Mobutu.
97
Les instituts techniques supérieurs les plus fameux au Zaïre d’alors étaient notamment l’Institut Supérieur des
Techniques Appliquées (ISTA) qui formait des ingénieurs en électronique ; l’Institut des Bâtiments et Travaux Publics
(IBTP) qui produisait de très bons architectes et ingénieurs en construction et en génie civil; l’Institut Supérieur de
Commerce (ISC) pour les hauts cadres d’entreprise en comptabilité et en finance. Le pendant de l’ISP à l’Ouest du pays
mais à l’échiquier national était l’Institut Pédagogique National (IPN). Toutes ces grandes Écoles étaient essentiellement
basées dans la capitale Kinshasa. Ce qui fait que tous les candidats à ces études venant des régions éloignées du pays
devaient s’armer d’un courage, d’une patience et d’une abnégation extraordinaires melés d’ingéniosité pour survivre dans
« la grande ville africaine de la musique et de la danse » avant d’obtenir une inscription.
98
Jusqu’en 1990, le Zaïre ne comptait que trois universités : Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani, les trois campus de
l’ancien Lovanium créé en 1954.
179
Ce sont ces éléments qui ont milité en faveur de la création de l’Université Catholique de Bukavu par
l’archevêque de Bukavu, Mgr Aloys Mulindwa, après que le projet de créer à Bukavu une université
pour tout l’ancien Kivu eut échoué à cause du court-circuitage par le diocèse de Butembo99.
Pour bien appréhender la mesure de l’enjeu social de cette institution, il nous semble indiqué de
chercher dans les éléments historiques l’origine de l’idée d’une université dans le Kivu montagneux. En
effet, déjà avant l’accession du Congo à l’indépendance, en sa session et en sa séance du 11 mars 1957,
le Conseil de la Province du Kivu avait émis le vœu de voir instaurer un établissement universitaire à
l’Institut de Recherches Scientifiques en Afrique Centrale (IRSAC) / Lwiro, près de Bukavu.
A l’aube de l’indépendance, en 1960, le premier gouvernement provincial, présidé par Jean Miruho
Bahaya, avait inscrit la fondation d’une université à Bukavu parmi les priorités de son programme
gouvernemental. En 1962, l’Université Lovanium de Léopoldville (Kinshasa) ouvre son extension
universitaire au Collège Notre-Dame de la Victoire (Alfajiri). Le but était de préparer les étudiants
finalistes de cycles courts (D4, D5) à entrer à l’Université.
En 1965, le gouvernement provincial de Dieudonné Boji Ntole favorisa l’installation par Mgr Luc
Gillon, alors Recteur Magnifique de l’Université Lovanium de Léopoldville, de la propédeutique de
Bukavu qui devait évoluer en une véritable université, capable d’accueillir 2 000 étudiants dès le début.
Après quelques années de fonctionnement, elle dut, sur décision politique, cesser ses activités. En 1971,
Mgr Edouard Massaux, Recteur Magnifique de l’Université Catholique de Louvain, sur invitation du
Président de la République, vint prospecter à Bukavu la possibilité d’ouverture d’une École de
laborantins qui pouvait évoluer en une université à Bukavu, la quatrième du pays.
99
Le projet d’une université commune aux trois Kivu était en voie de réalisation quand l’évêque de Butembo-Beni, Mgr
Emmanuel Kataliko, décida précipitamment de créer selon les prérogatives canoniques légitimes, sa propre université :
c’est l’avènement de l’Université du Graben en 1990. Désabusé, Mgr Mulindwa n’abandonna pourtant pas l’idée du projet
commun. C’est ainsi qu’une année après le Graben, il créa l’Université Catholique de Bukavu (UCB), avec les mêmes
dispositions statutaires et les mêmes objectifs sociaux : doter l’ancien Kivu d’une institution universitaire devant répondre
aux défis de l’heure correspondant aux types de formation à offrir aux jeunes du Kivu, à savoir les défis en matière de la
santé (faculté de Médecine), de l’agriculture (faculté de Sciences Agronomiques), de l’économie et de l’environnement
(faculté de Sciences Economiques et de Gestion) et en matière des contentieux et arbitrages (faculté de Droit). Ironie du
sort, sept ans après, Mgr Kataliko nommé Archevêque de Bukavu, est appelé à abandonner, du moins officiellement,
l’œuvre de sa création, l’université du Graben pour continuer à s’occuper de l’UCB, l’œuvre concurrente commencée par
Mgr Mulindwa, qu’il avait court-circuitée. C’est aussi ça l’histoire.
180
Ce décret demeure conforme à la Constitution Apostolique Ex corde Ecclesiae du 15/08/1990 relative
aux universités catholiques et aux instituts supérieurs, et à la Constitution Apostolique Sapientia
Christiana du 15/04/1979 sur les Universités et les Facultés Ecclésiastiques. Pour des raisons
historiques et de convenance institutionnelle, les signataires de l’acte fondateur ont confié la
responsabilité de l’Université aux soins de l’Archidiocèse de Bukavu, représenté par ses représentants
légaux. Il en devient ainsi le pouvoir organisateur ; il est aidé dans cette charge par un Conseil
d’Administration composé de 23 membres, l’archevêque de Bukavu en est le Grand Chancelier et le
Président.
2. Les enjeux sociaux de l’UCB et les moyens mis sur pied pour les atteindre
A l’instar des autres universités du monde, l’Université Catholique de Bukavu a comme objectif
fondamental la production du savoir scientifique. Mais comme le rappelait à l’époque la devise de
Lovanium, « Scientia Conscientia Splendet = Science sans Conscience n’est que ruine de l’âme »100,
l’UCB est convaincue que la production du savoir pur et simple ne suffit pas. Il faut encore que les
bénéficiaires de ce savoir scientifique soient enracinés dans leurs milieux sociaux et soient conscients
des enjeux sociaux, des énormes défis qui les attendent dans leurs milieux.
S’ils prennent conscience de ces enjeux et de ces défis majeurs sociaux, ils joueront le rôle de
catalyseurs, véritables acteurs du développement socio-économique attendu. Et l’orientation académique
par chaque étudiant devrait être prise en fonction, d’une part et principalement, de ses aptitudes
scientifiques personnelles, d’autre part, de son degré de prise de conscience ou de la sensibilité à ces
enjeux sociaux et les défis à relever.
100
Cette formule qui a conquis le monde entier est de François Rabelais (Près de Chinon, Indre-et-Loire, entre 1483 et 1494
– Paris, 9 avril 1553), médecin et écrivain français de la Renaissance. Rabelais est l'un des humanistes les plus connus de la
Renaissance, qui lutta pour renouveler, à la lumière de la pensée antique, l'idéal philosophique et moral de son temps.
Cf https://fr.wikiquote.org/wiki/François_Rabelais [Consulté le 10 octobre 2010].
181
C’est pour cela qu’à côté de la production du savoir scientifique classique, les initiateurs du projet
universitaire dans le Kivu ont tenu à mettre un accent particulier sur l’importance de la prise en
considération, dans la formation à offrir aux jeunes congolais, de la promotion des valeurs culturelles,
éthiques et religieuses dans la société où elle vit et se développe.
Ainsi, tout en restant conformes au programme national et aux directives de la constitution apostolique
« Ex corde Ecclesiae », les activités de recherche de l’université doivent-elles être dictées, d’une part,
par l’impératif de répondre adéquatement aux besoins réels de la région et aux aspirations profondes de
la population s’y trouvant et, d’autre part, par celui de l’apport qualitatif au savoir universel par son
ouverture au monde scientifique extérieur.
Toutes ces facultés ont atteint le niveau de 2e cycle. Certaines amorcent déjà le troisième cycle par le
Master (Économie). Un projet de création d’une Faculté de Théologie est en cours. Depuis deux
décennies, cette institution met sur le marché de l’emploi des jeunes hautement formés dans les
différents domaines de la vie sociale du pays et de la région. La plupart de médecins sortis de l’UCB
travaillent principalement dans les centres hospitaliers et médicaux des trois provinces du Kivu
(Maniema, Nord-Kivu, Sud-Kivu), dans les autres provinces du Congo dont ils sont originaires101, mais
aussi dans les pays voisins (Rwanda, Burundi) et même jusqu’au niveau de l’Afrique australe.
101
Certes, à sa création, l’UCB se voulait d’être une université pour les jeunes du Kivu sans être cloisonnée bien sûr sur la
région. Car depuis les premières promotions, on trouve des jeunes diplômés issus de toutes les provinces du Congo. Ils sont
parfois à proportion égale avec les ressorissants du Kivu dans des facultés comme la Médecine et le Droit. On y trouve
également des citoyens venant des pays voisins, surtout des Burundais, et des Rwandais dans une moindre proportion. Rien
que sur cet aspect de choses, le caractère national et international de l’UCB est indéniable.
182
Comme on le constate, depuis la création du Vicariat Apostolique du Kivu avec les premiers prélats
missionnaires, l’Église de Bukavu a pris dans son plan et son programme d’évangélisation une option
préférentielle pour le social. Et son engagement dans ce domaine n’a fait croître au fil du temps en
corrélation avec les aléas sociopolitiques du Congo depuis l’époque léopoldienne jusqu’à ces jours en
passant par la période coloniale. Qu’en est-il de son engagement dans le domaine pastoral?
1. Historique
Le CDPCL, comme organe technique et instrument précieux dans la triple mission de l’Évêque de
gouverner, d’enseigner et de sanctifier les fidèles de son entité socioreligieuse, est une né d’une décision
épiscopale pour répondre aux multiples besoins de l’Église locale. L’option prise par les premiers
missionnaires d’évangéliser dans la langue et la culture locale ainsi que les préoccupations pastorales du
moment poussèrent Mgr Louis Van Steene à créer en 1959 le Centre de Pastorale Liturgique (CEPALI).
La direction de ce centre est confiée à l’Abbé Vincent Mulago qui l’administra pendant une décennie.
183
Il est important de signaler la parution en 1962 de la première édition du Nouveau Testament en mashi.
Cette parution a suivi celle d’un fascicule de chants notés « Rhuyimbe irenge lya Nyakasane = chantons
la gloire du Seigneur » qui date de 1961. D’intenses travaux vont se poursuivre, surtout pour la
production des documents pour les célébrations liturgiques.
En 1972, l’archevêque donne une nouvelle orientation au centre, en nommant le Père Laurent Mertens
pour s’occuper spécialement de l’animation catéchétique dans le diocèse. Sa mission principale est la
conception des manuels inculturés de catéchèse sacramentelle et scolaire. Par souci de coordination par
un seul service de l’action pastorale et catéchétique, cette mission de coordination sera dévolue au
Centre qui deviendra alors le Centre Diocésain de Pastorale et de Catéchèse.
Pendant ce temps, tout en produisant les documents pastoraux et catéchétiques, le Centre va intensifier
la formation des agents pastoraux, spécialement les animateurs des Communautés Ecclésiales Vivantes
(CEV) et les catéchistes. En 1975, l’Abbé Richard Mugaruka est nommé au centre pour remplacer le
Père Laurent Mertens. L’archevêque ajoute au travail déjà dévolu au centre la mission de coordonner
aussi la liturgie au niveau diocésain. Depuis cette période, cet organe important deviendra CDPCL.
Un fait est notable dans la gestion de cette institution qui est en réalité la colonne vertébrale de l’Église
locale de Bukavu: en trente ans, de 1972 à 2002 : douze responsables se sont succédé, soit une moyenne
de deux ans et demi par mandat, ce qui nous semble insuffisant par rapport à l’importance de ce service
et à la mission à lui assignée qui nécessite plutôt une certaine stabilité pour penser les méthodes de
travail à mettre sur pied et le temps de les appliquer, de les évaluer, …
184
Pour réaliser ses activités, le CDPCL travaille par des commissions regroupées au sein du Conseil
pastoral diocésain et par les sessions groupant des équipes d’agents de l’évangélisation selon les
compétences. Cependant, une équipe permanente est affectée au Centre. Cette équipe comprend les
prêtres, religieux (ses) et laïcs. Un autre service relevant de la Commission diocésaine de la Pastorale,
c’est la Pastorale des jeunes et des vocations.
Mais le service est confronté à beaucoup de difficultés d’ordre financier : il manque de subsides tant
pour réaliser ses projets prioritaires que pour son fonctionnement courant, étant donné les faibles
contributions des paroisses pour la quête de la journée mondiale de prière pour les vocations, d’une part,
et l’incapacité des jeunes à se prendre en charge lors des sessions et retraites, d’autre part.
185
C. Service diocésain d’animation missionnaire (SDAM)
A l’issue de son Synode diocésain, l’Église de Bukavu a pris l’option de veiller « à la vitalité de sa
dimension missionnaire ». Les acquis de ce synode ont mené à la création du SDAM.
Le SDAM a vu le jour dans les années 1994 suite à l’initiative de deux prêtres missionnaires, le Père
Julien Dereymaeker, Missionnaire d’Afrique, et le Père Giuseppe Veniero, Missionnaire xavérien.
Ceux-ci étaient motivés par l’esprit selon lequel la tâche missionnaire n’est pas réservée aux
missionnaires seuls, mais à toute l’Église locale. La sensibilisation pour la préparation de la journée
mondiale des missions du 23 octobre 1994 aboutit à la réunion qui avait regroupé les missionnaires
xavériens, les Sœurs Xavériennes, les Pères Blancs et les Sœurs Blanches. Les délégués de ces quatre
congrégations missionnaires sont soutenus par le CDPCL, par des laïcs et des prêtres diocésains.
Le SDAM élabore des catéchèses pour le mois d’octobre, à partir du message du Pape pour la Journée
mondiale des missions. Ces enseignements sont envoyés à toutes les paroisses du diocèse. Il sensibilise
celles-ci pour la quête du dimanche de mission, quête prévue au soutien matériel de l’activité
missionnaire de l’Église dans le monde. Ce service élabore aussi des enseignements pour la semaine de
prière pour l’unité des chrétiens, prière qui a lieu du 18 au 25 janvier de chaque année au sein de
l’Église universelle.
C’est ainsi que se présente l’histoire religieuse de l’archidiocèse de Bukavu, l’une des circonscriptions
ecclésiastiques les plus significatives et emblématiques de l’Église chrétienne catholique au Congo, dans
la mesure où elle a donné naissance à cinq Églises particulières diocésaines dont elle reste la métropole.
Nous observons également que son histoire est spécifique et reste profondément marquée par les
différents événements sociopolitiques qu’il a connus. En effet, d’un bout à l’autre, il y a des
imbrications sociales inévitables qui ressortent clairement dans son action socio-économique et
pastorale actuelle. Ce diocèse a accueilli des centaines des milliers de refugiés rwandais après le
génocide de 1994. Depuis les deux décennies, leur présence a sérieusement affecté son tissu social,
écologique ainsi que son organisation pastorale. Tous le sud et l’ouest du diocèse sont en proie à des
exactions récurrentes, des viols collectifs des femmes et des enfants, à des profanations et des pillages
186
systématiques des églises102 par des groupes armés bien identifiés (Interahamwe) ou non… Au cours des
années, le diocèse a vu ses fils et filles, ses responsables sacrifiés pour la cause nationale. C’est dans ce
contexte qu’il faut situer l’assassinat de son évêque, Christophe Munzihirwa, le 29 octobre 1996 et l’exil
forcé de son successeur, Emmanuel Kataliko, le 02 février 2000, suivi de son décès à Rome le 2 octobre
2000 après sept mois de traumatisme et d’isolement passés loin de son diocèse.
A cela, s’ajoutent les massacres systématiques des chrétiens dans les forêts surplombant la ville,
l’assassinat des prêtres et des religieuses103. Toutes les deux dernières guerres par procuration qui ont
été imposées à la RDC et ont endeuillé le pays104 entre 1996 et 2012 sont passées par Bukavu et y ont
laissé des traces indélébiles. Les acteurs de ces guerres ont chaque fois utilisé comme armes de guerre
des viols systématiques des femmes, enfants, hommes, et ont détruit des espaces publics vitaux,
notamment le marché central de Kadutu (début juin 2004), le pillage de l’agence de la banque centrale à
Goma, le pillage des biens meubles et immobiliers (voitures, camions) et amenés au Rwanda et en
Ouganda (novembre 2012). Comme on le voit, l’archidiocèse de Bukavu porte des empreintes amères
de la situation sociopolitique de la région des Grands Lacs depuis l’époque coloniale jusqu’à
aujourd’hui, et cela influe irrémédiablement sur sa vie matérielle et freine son élan vers
l’autofinancement, objet de ma recherche. J’y reviendrai dans le huitième chapitre de cette thèse.
En guise d’une conclusion partielle, dans la première partie de cette étude, mon effort a consisté en une
description historique critique de l’implantation de l’Église catholique dans le Vicariat Apostolique du
Kivu, en situant le contexte sociopolitique et historique de cette implantation. Il s’agit du contexte
colonial, avec tout ce que cela pouvait avoir comme influence réciproque favorable et/ou défavorable
entre le système colonial belge et l’œuvre d’évangélisation missionnaire des Pères Blancs.
102
Le 03 octobre 2009 à 20h, la paroisse de Ciherano située à 25 km de la ville de Bukavu, a été attaquée par des hommes
en tenue militaire. Ils ont pillé et incendié le presbytère et pris des prêtres en otage. Le diocèse a dû payer une rançon de 5
mille dollars américains pour leur libération. Deux jours après, à 19h, il y a eu attaque et pillage du complexe scolaire de
Nyangezi dirigé par les frères maristes.
103
A part l’assassinat de l’abbé Jean-Claude Buhendwa dans un camp de refugiés rwandais le 17 novembre 1996, celui de
l’abbé Georges Kakuja dans son presbytère à Kalonge le 22 novembre 1999, les derniers en date sont l’abbé Daniel
Cizimya Nakamaga, a été vachement assassiné dans sa chambre le 6 décembre 2009 par des gens habillés en tenue militaire
à 2h du matin dans la paroisse de Kabare, à 10 km au nord-est de la ville de Bukavu, et une moniale cistercienne, la Sœur
Denise Kahambu, elle aussi abattue deux jours après par des gens habillés en tenue militaire, alors qu’elle voulait fermer la
porte de l’église.
104
On estime à ce jour à 6 millions de Congolais morts victimes de deux rebellions congolaises planifiées et soutenues par
l’extérieur, Ouganda et Rwanda interposés.
187
En effet, le système colonial belge, tel qu’il s’est développé d’abord avec l’administration léopoldienne
avec l’État Indépendant du Congo (EIC), ensuite avec l’administration coloniale belge à partir de 1908
jusqu’en 1960 en passant par la période de l’entre-deux guerres, reposait sur trois piliers qui coopéraient
étroitement à travers une structure informelle de pouvoir : l’administration coloniale, les grandes
compagnies dépendant des principaux groupes financiers métropolitains et l’Église catholique.
Et comme le reconnaît Jean-Philippe Peemans dans ses travaux sur Le Congo-Zaïre au gré du XXè
siècle : Etat, économie, société, 1880-1990, ensemble ils ont contribué à élaborer une sorte de doctrine
de politique coloniale qui, à la fois, permettait de promouvoir leurs intérêts particuliers et de poursuivre
l’objectif commun de consolidation de l’ordre colonial. Cet objectif commun fut formulé à travers la
construction d’une variante belge de l’idéologie coloniale ou le concept de « mission civilisatrice »
jouait un rôle central pour justifier la mise en œuvre d’un système de contrôle autoritaire de la société
dominée dans tous les domaines. Appuyée et soutenue financièrement par le pouvoir colonial, l’Église
au Congo s’est réellement investie dans le social, notamment l’éducation et la santé et a réalisé des
œuvres grandioses.
Cependant, un constat est quasi général pour toutes les générations des Missionnaires d’Afrique qui se
sont succédé jusqu’au dernier des prélats missionnaires à Bukavu : on note un certain désintéressement
vis-à-vis des activités économiques, c’est-à-dire de nature à générer quelques revenus, car, après les
subsides de l’administration coloniale, les missions catholiques ont continué de bénéficier des aides de
la Congrégation, des dons et legs, des fondations et même des familles personnelles des missionnaires.
A part quelques cas isolés, en l’occurrence Mgr Richard Cleire, ils n’ont pas senti ni la nécessité ni le
besoin d’entreprendre des activités à caractère économique. C’est immédiatement après l’indépendance
du Congo que le problème financier va commencer à se poser, avec le dernier des prélats missionnaires.
L’Église de Bukavu sera confiée à la hiérarchie autochtone avec ce handicap économique et financier,
puisque à’instar de sa chrétienté, elle n’a pas été préparée à la logique de production économique, mais
plutôt de la dépendance extérieure. Elle est constamment confrontée aux problèmes de viabilité que
posent les lourdes structures héritées des générations missionnaires en plus de celles qui se sont ajoutées
entretemps relevant du domaine social. La question de la recherche de mécanismes d’autofinancement
commence à se poser avec acuité.
188
Deuxième partie : ANALYSE DE LA SITUATION
SOCIOECONOMIQUE MISSIONNAIRE ET POST
MISSIONNAIRE DES ÉGLISES DU CONGO
189
Depuis l’époque missionnaire, les Églises du Congo vivent en interaction avec leur environnement
socioculturel, politique et économique. En plus de l’évangélisation qui est leur activité principale, elles
participent pleinement à la promotion sociale par des actions de développement économique du pays.
Elles se sont inscrites dans cette dynamique sociale en stimulant les structures civiles qui permettent la
réalisation de leurs ambitions, par la formation des personnes, la création des cadres de développement
social, économique et culturel.
Et pourtant, ces Églises congolaises, comme d’ailleurs toutes les autres jeunes Églises africaines 105,
malgré leur dynamisme et leurs ambitions, ne trouvent pas encore les moyens de leur autonomie
financière, considérée à juste titre comme le « talon d’Achille » dans leur naissance, leur croissance et
leur marche jusqu’à ce jour. Malgré une prise de conscience observée des communautés diocésaines et
un engagement effectif important pour subvenir à leurs besoins particuliers ou aux besoins d’un diocèse
tout entier, des questions entières restent posées pour savoir comment diminuer le poids actuel de
dépendance matérielle extrême et lourde qui pèse sur ses épaules.
Dans la deuxième partie de cette étude, je m’attellerai à éclairer ce problème épineux à partir de ses
racines lointaines et proches, locales et externes en remontant les différents domaines de leur détresse
financière. En examinant l’ancien modèle d’Églises de missions qui a été jusque là en principe comme
en fait prédominant et déterminant dans la structuration actuelle des Églises d’Afrique, je me propose de
vérifier la possibilité d’un nouveau modèle d’Église en tant que responsable de son propre destin à
prendre en mains sans bien entendu négliger l’altérité.
Car au moment où ces Églises du Congo ne peuvent plus compter durablement sur les ressources
extérieures dont elles ont vécu pendant longtemps, les contributions des fidèles, qui devraient pourtant
constituer la principale ressource pour faire fonctionner leur institution chrétienne, demeurent très
insuffisantes dues entre autres au contexte socio-économique généralement défavorable dans la plupart
des pays africains, particulièrement au Congo. Ce sont-là les contraintes tant externes qu’internes
auxquelles sont soumises les Églises du Congo.
105
Dans cette étude, je n’ai pas la prétention d’analyser les cas particuliers de chacune de ces Églises mais je veux plutôt
considérer à partir du cas de l’archidiocèse de Bukavu, sur le plan financier, un élément commun qui constitue un problème
à chacune d’elles. C’est l’incapacité (devenue quasi un défaut) de leur part de vivre normalement de leurs propres
ressources.
190
Chapitre IV: LA POLITIQUE D’EXTRAVERSION FINANCIERE DES EGLISES DU
CONGO : UN CONSTRUIT HISTORIQUE
La situation de dépendance par l’extraversion financière vécue aujourd’hui dans les Églises du Congo
comme celles d’Afrique en général résulte d’un fait historique qu’on ne peut ignorer. Ainsi que le dit
Claude Prudhomme (2004 :7-8), la double expérience de christianisme et de colonisation sont deux
réalités dont on ne saurait refuser honnêtement, froidement et objectivement de faire le rapprochement
en Afrique.
Il s’agit d’un passé qui a bouleversé l’existence des millions d’hommes et provoqué tant de tragédies,
une histoire génératrice de traumatismes et de blessures mal guéris, mais aussi de polémiques virulentes
car une réalité multiple et pleine de contradiction. Comment prétendre à un discours distancié,
s’interroge l’auteur, sans donner l’impression de refuser d’examiner les responsabilités des
missionnaires dans le système colonial, ni l’influence réelle coloniale sur le christianisme missionnaire
en Afrique ?
Cependant, cette influence mutuelle doit être observée tout en respectant autant que possible la diversité
des situations dans le temps et dans l’espace. Car au cours de son histoire le christianisme a entretenu
avec les États des rapports complexes où alternent conflits et coopération, compromis et volonté
réciproque d’instrumentalisation (Id. :7-8).
Au dire de Louis-Paul Ngongo, « Les missionnaires, fondateurs de nos Églises, ne pouvaient pratiquement rien faire
sans l’accord au moins tacite des colonisateurs. Et ceux-ci ne pouvaient rien accorder qui fût en disharmonie avec leurs
idéaux politiques et culturels. » (1978 : 19) Jean Comby abonde dans le même sens quand il affirme : « […] Les
évangélisateurs doivent œuvrer dans ce contexte. Même animés des intentions les plus pures, ils ne peuvent plus, comme
saint Paul et ses compagnons, partir seuls, leur petit balluchon sur l’épaule. Il leur faut passer par les princes, les
navigateurs et les militaires pour obtenir leur transport. » (1992 : 88)
191
Section 1: Le poids du passé colonial et missionnaire dans la dépendance financière des Eglises du
Congo
Plus d’un siècle après leur naissance, les Églises locales du Congo présentaient une forte personnalité
sur la scène continentale. Mais avec un contexte sociopolitique et économique difficile, leur situation
matérielle et financière demeurait inquiétante à ce point qu’aucun programme notable
d’autofinancement n’était effectif et efficace, si ce n’est dans de simples déclarations d’intentions.
Comme le dit Kalamba (1992 : 92), l’autonomie financière reste un talon d’Achille dans la croissance
des Églises d’Afrique noire aujourd’hui, au point qu’elles risquent de rester sur la terre africaine une
« maison d’autrui », faite seulement avec des matériaux de l’étranger sans un rapport consistant et
constant avec des communautés chrétiennes locales. La dépendance envers les Églises fondatrices
demeure non seulement un des obstacles dans la maturation progressive vers l’état adulte mais aussi une
des difficultés dans leur devenir comme « Églises africaines ».
En fait, si elles n’entament pas la dynamique de l’inculturation comme « Églises africaines » devenant
progressivement adultes et responsables d’elles-mêmes, elles risquent de rester à jamais des « Églises
mineures », nourries de l’extérieur pour tout. Or, dans la vision de Vatican II (Ad Gentes, n°19-22), c’est
à partir de leur propre terroir qu’elles ont à puiser en priorité leurs ressources humaines, matérielles et
théologiques indispensables à leur fonctionnement, sans exclure toutefois l’aide extérieure pour
l’ouverture mutuelle.
De son côté, Fabien Eboussi Boulaga lie indissolublement christianisme et Occident : « Le lien semble à la
fois indissoluble et mortel. L’Occident est ce sans quoi le christianisme ne serait pas, mais il est ce dans quoi il ne saurait
subsister sans mourir. Sans l’expansion de l’Europe, celle du christianisme est un simple futurible, une simple possibilité
intellectuelle qu’on pose après coup, quand l’histoire l’a déjà éliminée. En effet, les puissances colonisatrices emploient leur
force à ouvrir aux marchands et aux missionnaires les pays qui leur sont fermés ou hostiles, et inversement la mission semble
induire, exiger et appeler l’ensemble du système dont il fait partie. L’accueil initial fait aux évangélisateurs a besoin pour se
soutenir de l’appui technique, économique, militaire ou diplomatique de l’Europe. Sans lui, sans son ombre protectrice, tout
paraît fragile et précaire » (1978 : 187-188).
192
1. Un héritage missionnaire lourd à assumer
En regardant l’actif de l’œuvre missionnaire réalisée depuis plus d’un siècle sur le continent africain, on
ne peut qu’admirer tous les pionniers qui s’y sont attelés jusqu’au sacrifice de leur propre vie. Ils ont
sillonné le continent du Sahel jusqu’au Sud du Cap, depuis les régions côtières jusqu’à la lisière des
brousses et savanes tropicales.Toutefois l’admiration et la reconnaissance qu’ils méritent n’empêchent
pas les générations des « héritiers » d’examiner de façon critique l’œuvre réalisée par eux, en
l’appréciant avec ses ombres et ses lumières, notamment le type d’Église « implantée ».
Certes, de leurs efforts sont surgies aujourd’hui diverses Églises locales de l’Afrique noire. Mais,
comme l’évoque Hans Küng, on ne peut manquer de déplorer le caractère européen du modèle de
l’Église régnant lors de la fondation des territoires de missions : « Tandis que l’Église, à l’exemple de Paul, était
devenue hellène avec les Hellènes et barbare avec les Barbares, elle ne s’est pas faite ni arabe avec les Arabes, ni noire avec
les Noirs, ni indienne avec les Indiens, ni chinoise avec les Chinois. L’Église de Jésus-Christ, considérée dans son ensemble,
est restée une affaire européo-américaine. » (1961 : 14-15).
C’est depuis 1980 que les Églises locales du Congo ont fêté le premier centenaire de leur évangélisation,
honorée par la première visite pontificale de Jean-Paul II sur la terre africaine. Du coup, elles tournaient
la première page de leur histoire écrite surtout par les missionnaires expatriés, afin d’écrire dorénavant
de leurs propres mains la présente évangélisation.
Jean-Paul II savait ce qu’il disait à son arrivée au Congo lors du centenaire en affirmant: « C’est maintenant
le centenaire de cette évangélisation que je viens de célébrer avec vous, chers amis. Il est bon de regarder le chemin
parcouru, où Dieu n’a pas ménagé ses grâces pour le Zaïre : une pléiade d’ouvriers de l’Évangile sont venus de loin, ont
consacré leur vie pour que vous aussi, vous ayez accès au salut en Jésus-Christ. Et les fils et filles de ce pays ont accueilli la
foi. Elle a porté des fruits abondants, chez les nombreux baptisés. Des prêtres, des religieuses, des évêques, un cardinal, sont
issus du peuple zaïrois, pour animer, avec leurs frères, cette Église universelle que je représente parmi vous »106.
Dans une étude consacrée à cette dépendance des Églises d’Afrique, Richard Mugaruka stigmatise la
façon dont celles-ci ont été conçues et organisées dès leur création en ce qui concerne les finances et les
ressources matérielles : « […] Comme des succursales des Églises fondatrices qui les sustentaient. Ici et là, les Églises
avaient conçu et organisé certaines entreprises génératrices de ressources financières, mais celles-ci étaient limitées et ne
couvraient pas tous les besoins de la communauté. La majeure partie du financement provenait de l’étranger. Tout se passait
comme si les communautés chrétiennes catholiques d’Afrique devaient et pouvaient compter sur une assistance financière
perpétuelle en provenance de l’Europe » (1994 :28).
Le Pape chez nous. Discours de S.S. le Pape Jean-Paul II prononcés à l’occasion de son voyage au Zaïre et en
106
République Populaire du Congo (2-6 mai 1980), Ed. Saint Paul Afrique, Kinshasa, 1980 : 11-12.
193
Pourtant, vers les années 1960, quelques voies éparses s’étaient déjà élevées pour réclamer la pleine
maturité des Églises africaines, en affirmant qu’elle impliquait non seulement une « adaptation » du
christianisme à la maturité et aux croyances religieuses africaines, mais aussi la promotion des vocations
sacerdotales107 et une certaine autogestion. Les événements sanglants qui avaient entouré les
indépendances africaines avec une connotation franchement anticolonialiste et d’antichristianisme,
faisaient apparaître comme une urgence l’africanisme des cadres au sein de l’Église.
Donc, l’établissement d’une hiérarchie locale au sein des Églises africaines vers les années 1960 ne
correspondait pas nécessairement à la reconnaissance, à moins d’être théorique, de la maturité de celles-
ci et à leur capacité d’autogestion. Car, dans la pratique, la situation de dépendance financière des
Églises d’Afrique ne changea guère avec leur prise en mains par la hiérarchie autochtone, au contraire,
elle alla s’aggravant. La proposition formulée par certains évêques, lors du colloque d’Accra en 1974,
d’un moratoire de 5 ans sur les aides étrangères en argent et en personnel aux Églises d’Afrique pour
leur obliger à se prendre en charge ne fut qu’une parenthèse (Kalilombe, 1979 : 49ss).
Aussi, l’africanisation des ministres qui s’est poursuivie grâce à l’augmentation des vocations
sacerdotales et religieuses en Afrique ne s’est-elle pas accompagnée d’une autonomie matérielle et
financière. Bien au contraire, on a progressivement assisté à la précipitation de la dégradation de la
situation socioéconomique de la plupart des pays africains victimes autant de la mauvaise gestion
interne que du contexte macro-économique de type néocolonial. De bras séculier de l’État colonial pour
les œuvres sociales (santé et écoles), l’Église s’est constituée en principal suppléant pour contrer et
combattre les effets d’une misère populaire croissante.
107
A cette époque, dans plusieurs régions de l’Afrique, en l’occurrence au Congo-Belge, les missionnaires considéraient
que les Noirs n’avaient pas encore des aptitudes requises pour accéder aux ordres sacrés. C’est pourquoi, au moment des
indépendances des pays africains, il y avait un très petit nombre d’évêques autochtones et celui de prêtres n’était pas très
important.
194
2. Quelques chiffres sur la catholicité de l’Afrique par rapport à son besoin de financement
Pour illustrer mon propos, j’invoque le cas du financement des Églises d’Afrique en 1991 en attendant
de donner dans le prochain chapitre un tableau plus détaillé des aides accordées durant les deux
dernières décennies par les deux grands organismes occidentaux de financement, à savoir Missio et
Misereor. La revue des Pères Blancs Vivant Univers n°408, novembre-décembre 1993, p.25, nous
fournit les données suivantes : en 1991, l’Afrique comptait 664 913 000 habitants dont 92 078 000
catholiques, soit 13,8% de la population.
Tous les prêtres œuvrant sur le continent étaient au nombre de 20 399, dont 10 287 diocésains, soit
50,43% et les religieux au nombre de 10 112 soit 49,57%. Les religieux non prêtres étaient au nombre
de 6 250 dont 51,25% d’autochtones, tandis que les religieuses étaient au nombre de 42 429 dont
58,75% d’autochtones. Les évêques étaient 494 dont 382 d’autochtones, soit 77,26%. Les
circonscriptions ecclésiastiques étaient au nombre de 404 dont 63 archidiocèses et 324 diocèses. Les
catéchistes étaient 246 899. Ces chiffres impressionnants, en ce qui concerne le personnel, tranchent
avec ceux des finances.
Les financements des Églises d’Afrique proviennent essentiellement des deux sources : les organismes
d’appui à l’évangélisation et ceux qui soutiennent les initiatives de « développement ». Les premiers
sont regroupés sous l’appellation d’Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM). Ils financent chaque
année des milliers des projets dans près de 950 circonscriptions ecclésiastiques : la formation de près de
300 000 catéchistes, de 74 000 grands et petits séminaristes, la construction des églises, des chapelles,
etc. L’œuvre de la Propagation de la Foi a collecté 136 millions de dollars en 1992, dont 90% en
provenance de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Ces 90% sont destinés au Tiers Monde. En 1992,
50,57% de ce montant a été alloué à l’Afrique seule. L’œuvre de Saint Pierre Apôtre a apporté près de
21 millions de dollars américains à l’Afrique et l’Enfance Missionnaire, 5,5 millions.
Certes, tous ces montants ne représentent pas beaucoup en comparaison avec ce que les États
occidentaux consentent comme prêts à l’Afrique. En effet, en 1991, les prêts à l’Afrique sub-saharienne
dans le cadre de l’aide au développement atteignaient 16,1 milliards de dollars américains.
Cela illustre bien la persistance de l’extraversion qui caractérise le système de financement et de gestion
matérielle des Églises d’Afrique depuis leur fondation. Et pourtant, les montants ainsi collectés et
alloués ne représentent qu’une partie insuffisante du budget global dont ont besoin les Églises
d’Afrique. D’autre part, les communautés qui en bénéficient ne contribuent que très maigrement à leur
prise en charge matérielle.
195
Loin d’apporter une solution au problème, l’extraversion financière crée une espèce de cercle vicieux
dans lequel les Églises catholiques d’Afrique se trouvent enfermées : elles ne s’autofinancent pas parce
qu’elles reçoivent et elles doivent continuer à quémander parce que leurs besoins ne cessent
d’augmenter. La croissance démographique des chrétiens et donc des besoins subséquents en œuvres
pastorales et caritatives des Églises d’Afrique progresse tandis que s’amenuisent ses moyens financiers
et matériels et décroît la générosité des Occidentaux, plus tournés vers les espaces qui, selon Mugaruka
(1994 : 30-31), leur sont plus proches et familiers, notamment les pays de l’Europe de l’Est.
Ici et là apparaissent déjà les effets négatifs d’un système de financement extraverti dont les limites
étaient prévisibles, du fait même de la faillite et la précarité de nombreuses œuvres ecclésiales et même
parfois des diocèses et d’agents d’évangélisation…108 Cette précarité financière explique pourquoi, alors
qu’elles se présentent comme défenseurs des droits des pauvres et de la justice sociale, les institutions
ecclésiales en Afrique ont la réputation de mal payer leur personnel contractuel.
Comme on le voit, la dépendance financière des Églises d’Afrique par rapport à l’Occident demeure une
réalité. Elle a pour première conséquence les difficultés de suivi matériel et financier, sinon la faillite et
la dégradation qualitative des œuvres d’Église dans de nombreux diocèses. Elle a pour seconde
conséquence la tentation parfois inconsciente pour les étrangers d’utiliser cette puissance financière pour
influer sur les orientations socio pastorales des acteurs bénéficiaires de leurs aides, mais surtout de
favoriser et d’entretenir chez ces derniers une mentalité d’assistés perpétuels et de consommateurs
improductifs109.
Ainsi donc, l’africanisation des Églises africaines, en ce qui concerne le personnel et dans une moindre
mesure la pensée et le rite, ne s’accompagne pas d’une vraie autogestion et de l’autofinancement.
108
Dans la plupart des diocèses du Congo, la ressource financière de prêtres se réduit aux honoraires de messe provenant de
l’Occident et dont le montant diminue en raison de la déchristianisation qui s’observe dans les milieux des donateurs.
109
Cf. La revue Vivant Univers, n° 408, novembre-décembre 1993 : 36-37. Déjà en 1968, dans un article qui n’a pas perdu
toute son actualité, Bernard Nkuissi, théologien camerounais, signalait les dangers d’une telle dépendance des Églises du
Sud envers celles du Nord : « Première conséquence : le clergé étranger tenté d’utiliser sa puissance financière comme
moyen de pression sur le clergé local et notamment sur l’évêque indigène (…) Deuxième conséquence : pour échapper à
cette pression, l’évêque sera amené à se transformer en quêteur (…). Troisième conséquence : cette situation crée ou
renforce chez les autochtones une mentalité de consommateurs » (Bernard Nkuissi, « Problèmes d’argent », in Église
Vivante, tome XX, n°1, 1968 : 33-44). A ce sujet, Jean-François Bayart affirme : « L’aide étrangère est nécessaire à la
reproduction du monde romain ou nord-atlantique d’organisation religieuse et son contrôle est l’un des grands enjeux du
partage du gâteau ecclésial » (J.-F. Bayart, « Les Églises chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau
ecclésial », in Politique africaine, n°35, oct. 1989 : 23).
196
3. L’organisation administrative, pastorale et matérielle des congrégations missionnaires en Afrique
Jean Comby explique largement l’origine du padroado (Cf. Annexe 2). Pour rappel, dans le passé et tout
au long du XVIe siècle, la papauté avait légué au régime des patronats ibériques (Comby, 1992 : 87-99)
le mandat d’organiser la marche des territoires de mission.
Dans cette optique, seul le baptême confère un droit légitime de propriété. Par les bulles de patronat de
1508 pour l’Espagne et de 1514 pour le Portugal, le pape abandonne aux deux rois l’organisation de
l’Église dans les territoires découverts et conquis. Ils sont les « patrons », les chefs des Églises
nouvelles. Le trésor royal subvient à l’existence du clergé, à la construction des églises, aux frais du
culte, etc. Les autorités font transporter les évêques, prêtres et religieux. Le roi fonde les évêchés et
désigne les évêques. Sans doute il faut pour les nominations la ratification pontificale, mais le pape
n’intervient pas directement.
L’œuvre évangélisatrice de l’Afrique est une entreprise qui a nécessité des moyens financiers
considérables. Le système du patronat donnait une solution immédiate à l’organisation de
l’évangélisation, mais les inconvénients ne tardèrent pas à apparaître. Ayant constaté de graves abus et
défaillances dans l’exercice du mandat à leur légué d’organiser la marche des territoires de mission, le
Saint-Siège reprit des patronats ibériques les rênes de leur fonctionnement, et prit progressivement la
direction totale et effective de l’évangélisation, au terme d’une longue crise. La Sacrée Congrégation de
la Propagande vint s’occuper aussi des questions pratiques et matérielles relatives à l’organisation
concrète des pays de mission : les doter des ressources humaines et financières ainsi que des méthodes
d’apostolats nécessaires110.
Aux congrégations missionnaires engagées dans cette entreprise, la Propagande confiait la tâche de
s’occuper effectivement de l’évangélisation dans une juridiction territoriale bien déterminée, jusqu’à
l’érection de la hiérarchie locale. C’est ainsi que les congrégations missionnaires expatriées
commencèrent à se charger de l’équipement matériel des postes de missions en cherchant les moyens
financiers utiles auprès des bienfaiteurs occidentaux. Au plan de la gestion, ces mêmes congrégations
disposaient de ressources récoltées en Occident, les recevaient au nom des pays de mission et les
gardaient pour les distribuer ensuite aux postes et œuvres socio-caritatives de leurs juridictions
respectives.
110
A propos des nouvelles dispositions prises par le Concile pour l’organisation de l’activité missionnaire au niveau de toute
l’Église en général, voir Ad Gentes, 28-24. A ce sujet, on peut lire J. Greco, Direction et ordonnance de l’activité
missionnaire (n°28-34), in L’activité missionnaire de l’Église, (US 67), Paris, Cerf, 1967, 363-384. Beckmann, La
Congrégation pour la propagande de la foi face à la politique internationale, Schöneck, 1963 : 36.
197
Toute la politique pastorale reposait principalement dans leurs mains. Elles élaboraient la stratégie
concrète à suivre sur le terrain, en l’adaptant aux directives générales dictées par la Propagande. Les
objectifs et programmes d’apostolat, la répartition du personnel desservant et la fondation de nouveaux
postes de mission étaient déterminés par elles. Les plans pratiques et les méthodes de « défrichage du
terrain » étaient tracés par elles et selon elles.
En somme, l’entière organisation administrative, pastorale et matérielle des territoires de mission en
Afrique noire était confiée à ces congrégations. A vrai dire une « Église africaine » n’existait pas encore
à cette période, qu’on a coutume d’appeler « ère missionnaire ». On avait une « Église de missions »
existant par la médiation d’autrui. La revue Spiritus organisait une quête à laquelle plusieurs équipes
avaient répondu. En 1970, le « Groupe de Dakar » avait dressé un sévère diagnostic de l’Église du
Sénégal à ce sujet et un de ses membres témoignait :
« La vérité, c’est qu’il n’existe pas de structure de l’Église chez nous. L’Église sénégalaise en tant que telle n’existe pas. Elle
est illustrée par un ensemble de congrégations qui donnent l’illusion d’une Église, mais en fait elle n’a pas de réalité
autonome, elle est pensée à travers un ensemble de congrégations qui sont ici en transit, qui répercutent des mots d’ordre
venant d’ailleurs. Ce sont des corps étrangers qui nous imposent une certaine conception de la marche de l’Église… Les
structures des congrégations sont trop puissantes au Sénégal pour qu’on puisse s’en dégager et donner, esquisser la
physionomie de l’Église sénégalaise. L’Église aujourd’hui est d’abord l’ensemble de congrégations étrangères qui ne veulent
pas renoncer à aucune parcelle de leur souveraineté. »111
Kalamba en déduit que l’Église des missions en Afrique demeurait « l’Église des missionnaires
expatriés », une « Église blanche en Afrique noire ». Elle coïncidait en fait avec le monolithisme des
congrégations missionnaires occidentales jusqu’à leur avènement récent en tant que « Églises locales »,
du moins au niveau des principes (Kalamba, 1992 :30).
111
Cf. La revue Spiritus, n° 56. A l’épreuve des autres, 1974 : 181. Lire aussi P.M.V., Note spéciale, n° 12. Les Instituts
missionnaires, 1970 : 32.
198
Il était financièrement et politiquement faible et avait besoin d’un soutien de toute l’opinion belge aussi
bien que d’une reconnaissance internationale. Le soutien national pouvait s’accroître en y attirant
davantage de missions belges. Le roi Léopold II leur offrit de généreux lots de terre arable, disponibles
gratuitement et à titre définitif. Cette politique devait rendre les missions moins dépendantes de leur
base nationale et dispenser l’État de les subventionner. Bien au contraire, elles ont continué de recevoir
des appuis financiers relativement importants mais surtout des terres considérables de l’administration
coloniale.
A la suite d’un rapport d’une Commission d’enquête sur les abus dont souffraient les travailleurs
Congolais des accusations graves et préjudiciables, fournies par les missionnaires protestants et les
évêques méthodistes américains sur les « atrocités du Congo » qui en appelèrent à l’intervention du
pape, le roi acculé par le gouvernement britannique, essaya d’obtenir à nouveau le soutien des missions
catholiques. Il entreprit des négociations avec le nonce, d’où résulta la signature de la Convention du 26
mai 1906 entre le Saint-Siège et l’État libre du Congo.
Néanmoins, les protestants furent désavantagés et ils virent dans cet accord le commencement d’une
collusion entre l’administration coloniale, les missions catholiques et les sociétés industrielles (Baur, J.,
2001 : 230). Les missionnaires catholiques eux-mêmes n’étaient pas satisfaits puisque toutes les autres
requêtes n’avaient pas été accueillies et que les écoles étaient un lourd fardeau pour leurs ressources ;
elles ne reçurent des subventions régulières et effectives qu’après 1925112, car une fois que le Congo
devint une colonie, l’intérêt pour ce pays augmenta énormément en Belgique, spécialement après la
Première Guerre mondiale.
La population catholique belge, se sentant responsable de l’évangélisation d’un immense territoire
africain, s’engagea beaucoup plus dans le travail missionnaire. Ainsi, à la veille de l’indépendance, ce
pays était-il desservi par vingt-deux sociétés missionnaires en charge de diocèses, et environ cent autres
institutions religieuses, principalement des Sœurs et des Frères, en majorité belges. Cet engagement de
poids fut sûrement efficace pour faire du Congo la plus importante Église catholique en Afrique113.
112
John Baur estime que l’origine et le contenu de la Convention sont restés largement inconnus et son importance a été
très exagérée, même dans l’Histoire de Hastings. Pour la première fois, le professeur F. Bontinck en a retracé l’origine et
publié le texte dans : L’Église catholique du Zaïre : 261-304.
113
La RDC est le deuxième plus grand pays d’Afrique, après l’Algérie, avec une supercifie de 2 345 425 km². Il compte
aussi le plus grand nombre de chrétiens (35 millions en 1995), dont plus de 20 millions de catholiques qui représentent 20%
de toute l’Église catholique de l’Afrique. Le pape Paul VI a rendu hommage à ce pays en lui donnant le titre de Fils aîné de
l’Église en Afrique noire, faisant ainsi allusion à ses 500 ans d’histoire chrétienne qui ont commencé avec l’ancien royaume
chrétien du Kongo (J. Baur, 2001 : 360).
199
Mais, comme cette mission était aussi une entreprise nationale, trop souvent les Congolais virent peu de
différence entre les missionnaires et les colonisateurs. La situation conduisit à une atmosphère tendue
qui explosa à l’indépendance.
114
Cette identification entre l'œuvre d'évangélisation et l'œuvre de civilisation à l'époque missionnaire et coloniale a
souvent été soulignée par plusieurs auteurs africains. Pour un aperçu critique de ce phénomène, voir en particulier O.
Bimwenyi Kweshi, Discours théologique négro-africain problème des fondements, Pans, Présence Africaine, 1981:131-
153 (où l'auteur inscrit ce phénomène dans le processus de ce qu'il appelle l'« équivoque chrétienne en situation coloniale»).
Cf. Nsangi Ese, La saine collaboration entre l'Église et l'État Zaïrois, p 55. Pour sa part, E. K. Nyegere parle plutôt d'une
« parité entre l'évangélisation et la colonisation » (Nyegere, Les communautés ecclésiales de base et la croissance de la
personne humaine dans la communauté paroissiale au Zaïre, Rome, Pontificia Universitas Lateranense/Academia
Alphonsiana, 1992 : 113) Et dans un ouvrage encore récent, Marc Poncelet, ajoutant à ce duo un troisième élément, a
également relevé ce lien en parlant d' « un rapport étroit entre évangélisation efficace, bonne administration coloniale et
progrès des sciences ethnographiques », rapport dont, selon l’auteur, l'idée se serait exprimée dès 1910 au Congrès
catholique de Mahnes (Poncelet, M., L'invention des sciences coloniales belges, Pans, Karthala,
2008 : 173)
200
En outre, l’aide financière et administrative de l’État était destinée en exclusivité aux « missions
nationales », à savoir, les sociétés de mission qui ont leur siège en Belgique, qui sont dirigées par des
Belges. C’est donc sous le bouclier protecteur de la colonisation que les missionnaires catholiques se
mirent à parcourir le vaste territoire congolais pour annoncer l’Évangile et s’attaquer aux pratiques
« animistes », aux coutumes appelées « sauvages et païennes » des Noirs.
Même si certains missionnaires progressistes et passionnés des cultures africaines interviennent
quelquefois contre les abus de la puissance coloniale, les missionnaires européens qui débarquent au
Congo-Belge ont souvent confondu christianisme et occupation coloniale (Makobio, 2004 :20). Le
chanoine Riches décrit mieux les méthodes de travail missionnaire au Congo-Belge :
« Le christianisme est arrivé en Afrique bien plus souvent en colonisateur qu’en serviteur, et même quand il se présentait en
serviteur, c’était un serviteur qui avait des idées préconçues des services qu’il devait rendre et des personnes qu’il devait
servir. C’était un serviteur qui se sentait supérieur à celui qu’il voulait servir et donc qui estimait ne pouvoir rien recevoir et
n’avait aucune intention d’écouter » (Riches, P., 1973 : 207).
Cette attitude a conduit la plupart des missionnaires au paternalisme et à l’instauration d’un type de
christianisme européen, considéré comme le seul modèle de christianisme pour l’Afrique (Makobio,
2004 : 66).
Rappelons avec Claude Prudhomme que la colonisation est interprétée par la majorité des missionnaires
comme une chance à saisir afin de hâter la venue du Royaume de Dieu. Elle implique cependant que le
colonisateur confie aux missionnaires le soin de conduire les populations sur le chemin de la civilisation
chrétienne « la vraie, la seule civilisation. Et pour cela il faut multiplier les missions qui tiendront autant de centres d’où
partiront la bonne nouvelle et la régénération de ces contrées encore inconnues » (2004 : 93). C’est dans cette
perspective qu’il faut comprendre la politique scolaire mise en place mais qui s’avérait minimale.
3. Une politique scolaire au rabais mise en place par l’État colonial et l’Église catholique
Comme vu plus haut, il y a eu au Congo, d’abord avec le roi Léopold II mais surtout entre 1920 et 1960,
une véritable tutelle de l’État sur l’Église. Aucun autre pays, affirme John Baur, ne s’est identifié à ce
point à ses colonies que la Belgique avec le Congo, et dans aucune colonie d’Afrique autre que le
Congo, les missions catholiques n’ont été aussi étroitement liées à l’État. Ce lien si intime entre mission
et État peut s’expliquer par le double fait que presque tous les missionnaires étaient des Belges. Aussi, la
Belgique a-t-elle conçu le développement chrétien et humain au Congo comme une tâche nationale qui
nécessitait la coopération de l’Église, même si ces deux institutions différaient parfois dans leurs
objectifs. La politique reconnue était donc que le développement économique devait aller de pair avec
une action médicale, sociale et morale, le tout imprégné d’un « esprit chrétien » (G. Mosmans,
1958 :16). Il convient d’examiner la nature du soutien économico-financier dont ces missions
chrétiennes avaient bénéficié.
201
Section 2 : Nature et enjeux du soutien économico-financier de l’Etat colonial aux missions
chrétiennes du Congo-Belge
Le passé, dans le cas particulier de la RDC actuel, a été marqué par trois grandes époques, l’époque
léopoldienne (1885-1908) qui a fait du pays un État Indépendant, l’époque de la colonisation belge
(1908-1960) et l’époque de son indépendance politique acquise depuis le 30 juin 1960. Il est donc
nécessaire, pour comprendre le rôle des pouvoirs publics sur la vie économique des diocèses congolais
actuels, de le replacer successivement dans ces trois contextes. Ainsi pourra-t-on comprendre plus
aisément quelle espèce de contraintes ont pu faire peser les différents pouvoirs publics qui se sont
succédé à la tête de ce pays et qui ont irrémédiablement influé sur la vie matérielle des populations et
donc aussi des Églises (Ntoto Kikhela, 1975 : 35).
Même si le type d’appui de l’État colonial aux Missions chrétiennes a varié dans sa nature d’une période
à une autre, on peut dire que le Congo a été l’objet d’une sollicitude bienveillante de la part des autorités
belges. L’épiscopat congolais dans ce sens : « Dès les débuts, les missions assumèrent le principal de cet
effort civilisateur : elles s’occupèrent des soins aux malades, de l’amélioration des conditions de vie, de
l’enseignement »115.
C’est justement dans ce contexte socio-historique propre à l’Église de missions qu’il importe de situer
l’appui financier, social, politique et juridique de l’État colonial belge aux Missions. Cet appui a changé
de formes et de volume tout au long de périodes politiques qui ont marqué la vie de la Colonie et des
Missions au Congo.
L’on ne peut négliger sa portée et son impact véritables sur le lourd héritage matériel des Églises du
Congo aujourd’hui, qui ont bien de la peine à marcher avec des outils conceptuels propres (Kalamba M.,
1992 : 94). C’est là un des éléments principaux qui explique, pour sa part, la difficulté financière
actuelle des Églises locales du Congo après la « période de décolonisation politique et religieuse » qui a
déferlé sur le continent aux environs des années 1960.
Actes de la VIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Congo-Léopoldville (29 novembre-2 décembre 1961), Ed.
115
202
1. Une politique économique préférentielle du régime léopoldien à l’égard des missions nationales
Dans une étude très riche, Joseph Kalamba (1992 :95-102) analyse longuement les traits caractéristiques
de la position prise par le pouvoir politique régnant à l’endroit des Missions Chrétiennes concernant
leurs propriétés foncières et financières. D’abord, sous le « régime léopoldien » qui s’identifie avec
l’ÉIC (1885-1908), l’auteur stigmatise la politique foncière de l’administration du Souverain belge dans
l’expansion des « missions nationales » dans le bassin conventionnel du Congo. Il y dénonce une
politique économique préférentielle du régime léopoldien à l’égard des missions nationales (belges) et
catholiques au détriment des missions protestantes anglaises. Ensuite, il montre que la même politique
préférentielle a continué durant le « régime colonial belge » (1908-1960) concernant le soutien
proprement financier et social prêté à l’Église de missions.
En fait, l’Acte de Berlin avait esquissé les grandes lignes de la politique économique que chaque
signataire devait s’appliquer dans ses rapports avec les « institutions et entreprises religieuses ».
L’article VI, qui nous intéresse plus directement, stipulait en substance : « Toutes les puissances exerçant des
droits de souveraineté ou une influence dans lesdits territoires s’engagent à la conservation des populations et amélioration
de leurs conditions morales et matérielles d’existence et à concourir à la suppression de l’esclavage et surtout de la traite
des noirs ! Elles protègeront et favoriseront sans distinction de nationalités ni de cultes, toutes les institutions et entreprises
religieuses… »116. L’article explicite la nature de ce soutien : « Les missionnaires chrétiens… leurs escortes, avoirs
et collections seront … l’objet d’une protection spéciale. La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont
expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers. Le libre et public exercice de tous les cultes, le
droit d’ériger des édifices religieux et d’organiser des missions, appartenant à tous les cultes, ne seront soumis à aucune
restriction ni entrave. » (Cuypers, 1980 :121)
Mais la générosité de l’administration coloniale à l’égard des missions catholiques était telle que
Auguste Maurel ne s’empêche pas de mentionner les missions catholiques parmi les grands bénéficiaires
et donc les complices des expropriations foncières au Congo (1992). Dans la partie de son ouvrage Le
Congo de la colonisation belge à l’indépendance consacrée à la question agraire, un chapitre est intitulé
« Quatre-vingts années d’expropriation foncières » (57-71).
L’auteur affirme que la superficie totale expropriée aux populations par l’impérialisme belge (sur une
superficie globale de 235 millions d’hectares) reste difficile à connaître : les statistiques soigneusement
truquées divergent sur ce point. Les chiffres les plus anciens, dit-il, sont sans doute les meilleurs.
Article VI de l’accord international signé à la Conférence de Berlin. Cité par L. Cuypers, Le Congrès de Berlin (11
116
novembre 1884 - 26 février 1885) et l’évangélisation de l’Afrique équatoriale, in Annales Aequatoria, n.1, 1980 : 120).
203
En 1944, renchérit-il, les services officiels évaluaient à plus de 12 millions d’hectares les cessions et
concessions dont les missions catholiques reçurent une part non négligeable. Je n’entrerai pas dans les
détails de ces spoliations et les manœuvres qui, au dire de Maurel, ont été faites peu avant
l’indépendance du Congo pour réduire ces données à 4 millions d’hectares, tant les revendications
agraires croissantes de la paysannerie congolaise avaient semé la panique parmi les statistiques belges
(1992:70).
Ce qui explique en grande partie, d’après Kalamba (1992 :99), la bienveillance de sa politique en
matière foncière, largement favorable aux « missions nationales », c’est-à-dire aux missions catholiques
d’obédience belge. Grâce aux facilités juridiques et fiscales obtenues du souverain belge, notamment les
formalités de bail118, ces dernières pouvaient obtenir gratuitement des terres, s’y établir et organiser
leurs « œuvres socio-caritatives » et religieuses (Kalamba M., 1992 : 99). Grâce à ce régime de
concession gratuite, les missions catholiques du Congo belge trouvèrent un cadre favorable à leur
expansion territoriale et démographique maximale.
117
Cf. Feltz, G.,Une introduction à l’Histoire de l’Enseignement en Afrique Centrale (XIXème-XXème siècles) : Idéologies,
Pouvoirs et Sociétés, in Bulletin de l’Institut Historique Belge de Rome, n° 51, 1981 : 351-499.
118
Les clauses du bail furent établies : des prescriptions juridiques réglaient les modalités pratiques d’attribution. Au début,
la concession était délibérément faite au nom individuel du Supérieur Général. Des raisons pratiques de commodité et de
facilité administrative l’y obligeaient ainsi à une époque où beaucoup de congrégations missionnaires n’étaient pas encore
reconnues par l’État comme une personnalité juridique. Cette pratique semblait même opportune afin de s’octroyer comme
“privé” plus de terres que ne le permettait en ce moment-là la lettre de la loi pour des « associations » en tant que telles (L.
Cuypers, 1962, n°2 : 446-449).
204
En fait, elles multiplièrent leurs postes essaimés partout où il devenait possible de s’établir. En suivant
les mêmes méthodes d’évangélisation des pionniers, il semble qu’il y eût simultanément plusieurs
formes d’agglomérations chrétiennes fondées « en terres païennes ». L’expérience a varié selon les
lieux, les périodes et les congrégations concernées.
Par exemple pour le cas du Vicariat Apostolique du Kivu, les Pères Blancs n’ont pas suivi ce schéma
mission catholique-agglomération chrétienne indigène, puisque les dix premières missions furent créées
loin dans les zones reculées des centres d’agglomérations : Nyangezi, Mwanda, Burhale, Kabare,
Jomba, Bombanda, Rugari, Kashofu, Kasongo, Mungombe. C’est bien longtemps après - plus de deux
décennies - qu’une première mission urbaine (Sainte Thérèse, en 1932) fut créée dans la ville de
Bukavu. Le premier Vicaire Apostolique du Kivu, Mgr Edouard-Louis Antoine Leys, lui-même avait
choisi le petit séminaire de Mugeri, à 46 km de Bukavu, comme son lieu de résidence permanente. Car,
il voulait échapper aux influences négatives de la ville et aux pressions politiques, nous a confié un de
ses tout derniers élèves survivants119. Il n’allait à Bukavu, la capitale politique et administrative du Kivu,
qu’à des circonstances très rares.
Aux yeux des protestants et des libéraux, la tragédie foncière et financière du roi devenait trop
discriminatoire. Les missions catholiques recevaient de sa part de nombreuses prérogatives matérielles
et sociales beaucoup plus facilement que les autres. Cette ligne préférentielle était donc selon eux une
grave entorse aux stipulations de l’Acte de Berlin établissant sans distinction un traitement égalitaire
pour toutes les confessions chrétiennes œuvrant dans le bassin conventionnel du Congo120.
Toute cette controverse conduisit l’E.I.C. à modifier sa politique foncière préférentielle, pour limiter les
conditions d’obtention des terres à céder aux missions. Ainsi, dès 1899, plus aucune mission ne reçut de
terres en propriété, nous dit Isidore Ndaywel (1998 :351) ; les terres demandées pour les nouvelles
fondations ne purent être cédées qu’en location. C’est dans ce cadre que Léopold II ébaucha avec
habileté une « politique d’assistance socio-économique » pour les « sociétés missionnaires belges ». Ce
sont les missionnaires catholiques qui lui offraient le profil idéal voulu.
119
Entretien du 15 juillet 2010 avec Mgr Adolphe Kaningu, à la Procure Saint Jean-Bosco, Bukavu.
120
Il serait intéressant de lire le témoignage des protestants eux-mêmes sur la façon dont ils ont ressenti le système de
traitement différentiel de la Colonie à leur égard en matière économique, par rapport aux missions catholiques. Cf.
Kimpianga, M. Mahaniah, De la rivalité à l’œcuménisme: les relations entre les missions catholiques et protestantes durant
le premier siècle de l’évangélisation, 1878-1980 in Aspects du catholicisme au Zaïre : 97-117.
205
Ce faisant, le Souverain belge était beaucoup plus motivé par les intérêts d’ordre stratégique et
géopolitique que strictement « religieux » ou ecclésial. Quels étaient ses intérêts ? G. Feltz y répond
clairement : « … En premier lieu, contrecarrer l’influence des missions protestantes, c’est la raison pour laquelle Léopold
II sollicitera le concours de la congrégation anglaise d’obédience catholique des Mill Hill Fathers pour ouvrir une mission à
l’Equateur ; la deuxième raison est plutôt d’ordre politique, à savoir l’occupation effective du territoire par des Européens
de nationalité belge, en épaulant l’autorité coloniale là où l’État ne pouvait le faire faute de moyens ; la troisième raison
était de prévenir l’octroi des subsides trop considérables… Une quatrième raison consiste en l’organisation d’une structure
scolaire plus large, étendue à un plus grand nombre de jeunes, cela en conformité avec les objectifs consignés par les actes
internationaux et débattus dans les officines coloniales de l’époque » (1981 : 367-368).
206
S’il a apporté son appui financier à l’entreprise missionnaire, c’était de son propre gré en vue d’atteindre
des objectifs utiles à son action (Kalamba, 1992 :103). C’est durant la phase initiale de l’évangélisation
que l’aide de l’administration coloniale fut apportée de façon constante et notable.
L. Cuypers l’atteste clairement : « Comme les congrégations religieuses avaient accepté le travail de l’évangélisation
du Congo sur les insistances du gouvernement, celui-ci se chargea de pourvoir à l’entretien des missionnaires pendant la
première période de leur établissement jusqu’à ce qu’ils aient les moyens de se suffire à elles-mêmes. Nous ne trouvons
aucun accord conclu avec les premiers missionnaires, mais l’État s’est acquitté spontanément de l’obligation qu’il avait
contractée en invitant les missionnaires. Comme le numéraire n’existait pas dans le pays neuf, les premiers subsides ont été
octroyés sous la forme de marchandises d’échange » (1970 : 32).
On peut distinguer plusieurs rubriques, même si, en réalité, dans l’esprit des donateurs et bénéficiaires,
elles ont été le plus souvent entrelacées. La première rubrique concerne les subventions financières de la
Colonie accordées aux missions catholiques œuvrant au Congo. L’apport de l’État dans les frais
matériels et financiers occasionnés par la fondation de beaucoup de postes de mission pour l’entretien
des missionnaires et autochtones qui leur étaient confiés est indubitable.
Même si on ne peut pas avoir des chiffres exacts, il ne reste pas moins vrai que les missions ont
bénéficié directement et indirectement de son aide. Ayant fait appel au concours des missions pour
occuper l’immense Congo, le gouvernement de l’E.I.C. s’efforce de favoriser l’implantation des postes
de missions ainsi que leurs stations-satellites extérieures. C’est ainsi qu’au début, il subventionne les
constructions de beaucoup de ces installations, provisoires ou définitives.
Parfois il prenait sur son compte les charges du mobilier, de certaines chapelles, écoles et cathédrales
grâce à son propre personnel et ses moyens financiers. Avec le temps, l’État colonial belge (qui a
succédé donc au « régime léopoldien ») accordait des subventions aux missions pour construire les
écoles conventionnelles agréées, les entretenir et payer les enseignants. Cela ne sera effectivement
applicable qu’à partir de 1926, lorsque l’État belge se mit à pratiquer le principe de subsidiation directe
des écoles conventionnelles au Congo. Même insuffisant et intermittent, le financement fourni par la
Colonie aux missions catholiques pour le paiement des enseignants (européens et africains), la
construction et l’entretien des bâtiments (classes, internats…) ne reste pas moins stipulé juridiquement
comme une obligation contractée par l’État à l’endroit de l’Église121 dans ce secteur.
121
Joseph Kalamba (1992 :299) observe que ce problème avait été longuement traité à la Conférence Plénières des
Ordinaires du Congo Belge et du Rwanda-Urundi en 1945. Lire : Charges budgétaires de l’Enseignant et Traitement des
Moniteurs, in Troisième et Quatrième Conférence plénière des Ordinaires du Congo Belge et du Rwanda-Urundi, 1945-
207
Tableau 2 : Les subsides reçus par les Missions au Congo Belge avant 1925
Total pour
Année Subside général Subside Enseignement Budget total
l’enseignement
1924 2 117 000 220 500 3 432 700 166 234 000
Source : J. VAN KEERBERGHEN, Histoire de l’enseignement catholique au Kasayi 1891-1947, Ed. de l’Archidiocèse de Kananga, 1985, p. 46
On remarque que les écoles libres ne recevaient qu’une petite partie du budget de l’enseignement ; la
plus grande partie de ce budget pour l’enseignement allait aux écoles officielles de l’État.
Durant des années, l’État ne livrait qu’un subside général aux missions, dans lequel une part était
destinée aux charges matérielles de l’enseignement. Il fallut attendre 1926 pour réaliser le principe de
subsidiation directe des écoles tant confessionnelles que « officielles ».
1951, Léopoldville 1945 : 163-183. La Convention scolaire de 1925 établit les conditions permettant la reconnaissance
juridique des écoles fondées par les missions chrétiennes. J. Van Keerberghen (1985 :86-87) rapporte : “Il ne fallait aucune
agrégation préalable à l’ouverture d’une école; au contraire le Gouvernement de la Colonie poussait à l’ouverture des
écoles, afin de généraliser l’enseignement de plus en plus. N’importe quelle école ouverte au début de l’année pouvait être
présentée à la subsidiation à la fin de l’année scolaire, à condition de remplir les conditions de subsidiarité ». Celles-ci
étaient relatives au programme de cours (269 jours par an au minimum, 4 heures par jour, une heure au moins pour les
travaux manuels), à l’infrastructure (bâtiments, mobilier et fournitures classiques à délivrer par la mission), à la supervision
administrative (rapport scolaire du missionnaire-inspecteur à l’inspecteur provincial du Gouvernement), à l’effectif des
classes obligatoires (25 élèves par classe en moyenne), et aux besoins scolaires (subventions par élève, école et enseignant).
208
En fait, la Convention scolaire de 1925 permit à plusieurs missionnaires engagés dans l’enseignement
comme directeurs des « écoles centrales » ou « rurales » dans les succursales de toucher un salaire de
l’État qui était d’ailleurs modeste et irrégulier (Kalamba M., 1992 :105). Sous cette rubrique, il convient
d’ajouter le coût des biens immobiliers et mobiliers où la participation de l’État colonial ne peut être
oubliée. J. Van Keeberghen en témoigne en ces termes : « Toutes ces constructions ont été réalisées par les
missions, sans subsides, seulement avec l’argent provenant de bienfaiteurs d’Europe. Mais, une grande partie des travaux
était accomplie, gratuitement ou contre de petites gratifications en nature, par les habitats et surtout les élèves. Combien de
briques n’ont-ils pas transportées sur la tête, d’abord de l’endroit de la fabrication vers le four et après cuisson, du four à
l’endroit de construction » (1985 :51)122.
Ensuite, vint la rubrique d’exemption d’impôts dont les missions bénéficièrent pendant longtemps.
Avant la Convention avec le Saint-Siège, les missionnaires belges avaient effectivement manifesté leur
désir de jouir d’une exemption fiscale totale. « Leurs représentants, écrit à ce sujet L. Cuypers, sont d’avis que
l’œuvre des missions, dans sa totalité, est par nature d’utilité publique. Par conséquent, les établissements des missions dans
l’ensemble, terrains et bâtiments, devraient être assimilés aux écoles, hôpitaux, etc. Ces établissements sont déclarés d’utilité
publique et à ce titre exemptés d’impôts » (1985 : 133). Le roi jugea cette mesure délicate.
En fait, l’Acte de Berlin ne contraignait nullement à octroyer cette faveur. Et s’il l’accordait
gracieusement aux seules missions catholiques qui la lui demandaient, « les riches missions protestantes
qui font du commerce vont exiger la même chose et l’État pourrait être sérieusement atteint dans ces recettes »,
expliqua-t-il dans une lettre de 1890. C’est ainsi qu’en principe il ne s’y engagea pas.
Toutefois, très sensible à la cause des missions catholiques, le souverain belge augmenta volontiers leurs
subsides afin d’équilibrer le montant des impôts auxquels ils devaient rester liées. Mentionnons aussi le
transport des missionnaires et de leurs marchandises et même leur sécurité par la force publique qui
étaient généralement gratuits au cours des premières décennies. « Dès les débuts de l’existence de l’État
Indépendant du Congo et sans qu’aucun accord n’eût encore été convenu, le gouvernement montra qu’il était disposé à
faciliter la tâche des missionnaires. Pour ne pas retarder la pénétration à l’intérieur du pays, le gouvernement local mit ses
122
L’auteur apporte d’autres données intéressantes : « A la signature de la Convention en 1925, dit-il, les subsides prévus
étaient les suivants pour les écoles des candidats-commis et pour les écoles normales :- Traitement d’un instituteur
européen : 5 000 Francs par an. Traitement d’un instituteur congolais : 1 000 Francs par an. - Entretien des locaux et frais
de matériel didactique : 2 000 Francs par an pour l’ensemble de l’école.- nourriture des élèves et fournitures classiques : par
élève 200 Francs par an. – Primes de sortie pour les écoles normales : par élève qui obtient le diplôme : avec 75 % = 350
Francs, avec 50 % = 250 Francs. –Primes de sortie pour les écoles des candidats-commis : par élève qui obtient le diplôme :
avec 75 % = 600 Francs, avec 50 % = 400 Francs. Les montants donnés ci-dessus ont été affectés d’un coefficient de
majoration en fonction du coût de la vie au cours des années » (Id., 191).
209
propres bateaux à la disposition des missionnaires… » (1985 : 133)123. Et durant le déplacement, ils jouissaient en
général du logement, de la nourriture et de l’entretien dans les postes de l’État. Jusqu’à l’indépendance
nationale du pays (1960), des faveurs de ce genre n’avaient pas encore totalement disparu dans certains
services de transports publics (trains, bus, taxis, etc.). Certes, les instructions du gouvernement colonial
ne furent scrupuleusement suivies partout.
Mais, en général, cette possibilité a existé et beaucoup de congrégations en ont largement bénéficié
(Kalamba M., 1992: 105-106). Il faut aussi signaler aussi le cas des soins médicaux pris au début par
l’État Indépendant du Congo sur ses frais. Avec le temps, cette forme d’aide aurait varié et diminué. Il
n’en reste pas moins que sous le régime léopoldien bienveillant aux missions catholiques belges, « les
missionnaires et les enfants des colonies scolaires jouiront gratuitement de soins médicaux. Quoique cette forme de subside
ne soit mentionnée que pour la seule congrégation des prêtres du Sacré-Cœur, atteste Cuypers, le gouvernement l’applique à
tous les missionnaires sans distinction » (1970 : 39).
Toutefois, les missionnaires pouvaient compter sur l’appui social de l’État auprès des populations
indigènes. Celles-ci leur devaient respect et obéissance. Cette prérogative augmentait leur pouvoir tant
religieux que politique auprès des autochtones124. Ainsi, l’État colonial belge définit-il une politique
sociale généralement favorable aux agents de l’évangélisation. Il la dictait à ses fonctionnaires dans
l’administration territoriale, la leur rappelait à temps et à contretemps dans les circulaires125.
123
Avant la Convention de 1906, les missions catholiques avaient souhaité que même le titre de voyage à partir de la
métropole jusqu’au Congo et de là jusqu’à l’intérieur soit gratuit aux missionnaires belges (1970 :39).
124
Jusqu’il y a quelques décennies, on faisait chanter en Swahili les élèves d’école primaire dans l’archidiocèse de Bukavu
un chant qui exprime bien cette préséance sociale des missionnaires qui s’était même déplacée sur le terrain métaphysique :
« Padri njiani na malaika : njiani twasalimia kwanza Padiri ! Njiani twasalimia kwanza Padiri! Cheo chake, cheo chake,
cheo chake! Kikubwa sana, cheo chake, cheo chake, cheo chake ! Ce qui signifie littéralement: un prêtre sur la route avec
un ange: nous saluons d’abord le prêtre ! Nous saluons d’abord le prêtre ! Son titre, son titre, son titre ! Il est très grand
(prestigieux) son titre, son titre, son titre ! »
125
Chaque agent colonial avait l’obligation de répercuter à ses subalternes les grandes lignes de la politique sociale de la
Colonie à l’égard des missionnaires desservant au Congo selon l’esprit de l’article 9 de la Convention précitée, ‘ la
210
Surtout face aux populations noires, les missionnaires méritaient déférence et honneur spécial de la part
des administrateurs coloniaux. En cas de force majeure, l’État protège la mission et les missionnaires
contre l’hostilité ou l’agression éventuelle de tierces personnes. Quand bien même il y aurait une
infraction morale ou juridique de la part du missionnaire, on devait faire « preuve de tolérance » en
avertissant au préalable ses supérieurs légitimes. En aucun cas, il ne devait être jugé devant les
tribunaux civils, et encore moins devant les « tribunaux coutumiers » des indigènes.
Au terme de l’analyse de cette politique religieuse de l’État colonial en matière économique et sociale,
il convient de préciser deux points importants. D’abord, ces prérogatives n’avaient été concédées
collectivement aux missions qu’en vue de l’intérêt immédiat des populations autochtones pour qui le
missionnaire se dévouait, surtout dans l’amélioration des conditions matérielles de vie.
En fait, différentes œuvres socio-caritatives montées pour faire face aux besoins criants des gens avaient
conduit les congrégations à présenter telle ou telle autre doléance. Au vu des infrastructures sociales
mises en place au Congo, nul doute que les bénéficiaires de l’appui matériel et financier de l’État
colonial se sont efforcés à l’utiliser à cette fin, au point de monter en un demi-siècle un immense réseau
d’œuvres scolaires, médicales, sociales et culturelles. Certes ces « Œuvres » ont recelé beaucoup de
faiblesses tant dans leur conception, leur présentation que dans leur insertion dans le milieu social.
Financièrement parlant, elles constituent une charge onéreuse sur les épaules des Églises locales du
Congo (Kalamba, 1992 : 106). Je le relèverai dans le prochain chapitre.
Toutefois, je ne veux pas mettre en doute ni la bonne volonté des pionniers missionnaires belges au Kivu
comme dans tout le Congo ni leur dévouement exemplaire. Ils s’y sont attelés de toutes leurs forces,
habités par la conviction de pouvoir mieux servir les hommes et les femmes qu’ils ont rencontrés. Les
limites de ces œuvres socio-caritatives sont à lier beaucoup plus au cadre objectif et historique de leur
insertion qu’aux dispositions subjectives des personnes qui les portaient.
Il convient ensuite de préciser que, même s’ils ont bénéficié de prérogatives matérielles et sociales
durant l’époque coloniale, les missionnaires belges n’étaient pas à proprement parler des fonctionnaires
de l’État colonial à l’instar de ses administrateurs territoriaux. La colonie recrutait son personnel dans la
métropole. Elle le formait à sa tâche de façon appropriée et l’embauchait dans les divers secteurs de
l’administration publique. Ces agents restaient juridiquement des hommes de l’État colonial, engagés
par lui, travaillant pour lui et selon lui.
nécessité de conserver la plus parfaite harmonie entre les missionnaires et les agents de l’État ’. Cf. L. Cuypers, 1970 : 53.
Dans le même sens, J. Roussel, 1956 : 213-229.
211
Sous cet angle, on ne peut se permettre de ranger indistinctement les missionnaires dans cette catégorie,
même si leurs congrégations recevaient un certain soutien matériel, financier et social de la colonie
belge126. Les subventions leur étaient octroyées avant tout comme une « aide » et non comme un
« salaire » auquel elles auraient automatiquement droit.
Dans ce sens, les faveurs matérielles reçues pour « l’implantation » des œuvres socio-caritatives
n’impliquaient pas forcément un changement de l’identité propre des missions chrétiennes en « agences
gouvernementales ». (Kalamba, 1992 : 107) Mais, comme on le sait, dans le domaine politique une aide
n’est jamais désintéressée.
La libéralité de Léopold II, et donc de l’E.I.C., à l’égard des missions catholiques n’a pas été
négligeable et encore moins fortuite et ne pouvait donc pas manquer de produire des effets pervers. Bien
entendu, face aux remous tant internes qu’externes, cette politique de faveur a dû souvent se modifier. Et
de fait, elle se modifia sensiblement dès que le Congo devint « colonie belge » en 1908.
Toutefois, dans ses grandes lignes de base, l’administration coloniale belge est restée substantiellement
favorable aux missions catholiques. Et là où la lettre des accords officiels ne le stipulait pas
expressément, la largesse légendaire du roi et de certains hauts fonctionnaires ne manquait pas de
suppléer au silence juridique. De sorte qu’une marge considérable s’est instaurée entre les documents
formels, d’une part, et les ordres émis dans les confidences ou instructions verbales et écrites dictées aux
collaborateurs, d’autre part.
126
L’auteur souligne : « Les missionnaires ont-ils bénéficié de privilèges? Incontestablement oui, et les missionnaires
seraient bien les derniers à le nier. Certains privilèges allaient de soi, d’autres étaient ambigus. Le colonisateur belge a fait
l’expérience d’une bonne entente entre l’État et la mission. Il a confié à l’Église les œuvres d’éducation et de santé, pour
pouvoir compter, en retour, sur la reconnaissance et l’appui de l’Église ». Les autorités de l’Église ont accepté ce modus
vivendi, in P.M.V., Dossier Afrique n° 39, p. 7.
212
1. Les Missions prises dans la stratégie « géopolitique » de la Colonie
Il est loisible de signaler que tout le traitement matériel différentiel accordé aux missions catholiques
n’était pas dénué d’intérêts directs et indirects au profit de l’État colonial belge. Selon L. Cuypers qui a
suffisamment parcouru aussi bien la correspondance privée que les discours publics à ce sujet, le
gouvernement colonial apportait son concours financier aux missions catholiques pour un triple objectif
pragmatique, politique et économico-financier qu’il importe d’expliciter.
Le premier était d’ordre pragmatique dans la politique interne de Léopold II. Il fallait occuper le Congo
le plus vite possible et sur toute son étendue convenue dans l’Acte de Berlin et ainsi s’assurer de l’appui
moral du peuple belge entier. Celui-ci était au début peu enthousiasmé par les ambitions coloniales de
son roi. Aux yeux de ce dernier, les « missions nationales », c’est-à-dire catholiques belges, semblaient
les mieux indiquées pour l’épauler dans cette tâche. Tout en poursuivant leurs « fins propres », elles
contribueraient par leur présence sur le terrain et leur action multiforme à l’œuvre « civilisatrice » que
s’était assignée la Colonie. Le Souverain belge mit en œuvre toute son ingéniosité d’habile diplomate en
intéressant les congrégations missionnaires à aller massivement au Congo.
En stimulant leur enthousiasme pour ce « nouveau champ de mission », il se montrait prêt à leur faciliter
les conditions matérielles de travail. Et lorsqu’elles débarquaient sur place, il leur octroyait des terres à
mettre à profit. C’est ainsi que l’arrivée de nombreuses congrégations missionnaires au début du XXe
siècle et leur occupation maximale du territoire par l’installation des « postes de mission » un peu
partout étaient soutenues dans l’ensemble par son plan politique. Il espérait ainsi changer l’opinion
belge, jusque-là indifférente, voire réticente à son œuvre coloniale au Congo (Kalamba, 1992 :108).
Le deuxième objectif était lié à la politique extérieure du roi à l’égard des missions chrétiennes. Aider
ces dernières à s’établir, c’était en même temps s’assurer de sa mainmise dans le bassin conventionnel
du Congo face à la menace des autres nations coloniales. Pour contrebalancer leurs ambitions larvées,
on devait occuper le plus vite possible tout le territoire avec des agents à même de garantir ses visées
politiques. Dans ce sens, la pénétration du personnel ecclésiastique et civil belge à l’intérieur de la vaste
cuvette centrale étendait dans son mouvement le pouvoir de l’État auprès des populations indigènes
soumises à sa tutelle : « Il importe donc assez peu à l’État si la mission réalise ou non le but qui lui est propre, parce
que le seul fait de la présence des missionnaires constitue déjà un appui non négligeable pour l’État. Toute mission, du seul
fait que ses membres sont européens, contribue à l’étendue de l’autorité de l’État. La confession à laquelle appartiennent les
missionnaires ne joue aucun rôle dans l’appréciation des services que les missions peuvent rendre au pouvoir civil »
(Cuypers, L., 1962 :464).
213
Ainsi, selon Robert Cornevin (1972 : 44-65), à leur insu, et peut-être même sans le vouloir, les missions
chrétiennes étaient du coup embrigadées dans la stratégie générale de la colonie. Celle-ci récupéra leur
action sociale comme un atout considérable dans ses plans politiques expansionnistes.
Le troisième objectif était d’ordre économico-financier. En cédant gratuitement les terres aux missions
catholiques ou du moins en facilitant leur obtention et les conditions de vie des missionnaires, l’E.I.C.
n’aurait plus à leur verser des considérables subsides pour leur subsistance matérielle quotidienne :
« Les terres cédées aux missions allaient permettre à celles-ci de pourvoir à leurs besoins et de couvrir les dépenses faites
pour l’entretien des missionnaires. Les subsides et autres faveurs qui furent concédés aux missionnaires ne suffirent même
pas à couvrir toutes les dépenses occasionnées par les œuvres multiples qui se développaient toujours plus largement. A
mesure que les missions étaient en état de se suffire, le gouvernement était exonéré de la charge de les soutenir par d’autres
moyens » (Cuypers, L., 1962 : 467).
Il fallait parer à toutes les éventualités historiques désagréables, surtout à partir du moment où le Congo
devint juridiquement une « colonie belge ». L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de type libéral,
anticlérical et « socialiste » dans la métropole risquait de priver subitement les missions du soutien
financier et moral qui leur avait été jusque-là plus ou moins garanti. D’ailleurs la situation financière de
l’E.I.C. était elle-même précaire et commençait à causer au roi des soucis permanents pour la continuité
de l’œuvre grandiose qu’il avait entamée (Cf. NORAF, 1988 :215-264).
Il s’avéra ainsi nécessaire de doter sur place les missions des moyens matériels utiles à leur apostolat,
quitte à ce qu’elles « se débrouillent » elles-mêmes sans trop compter sur la caisse de la colonie. Cette
« coopération » économico-financière a laissé un impact considérable sur la vie générale de l’Église de
missions au Congo en général et au Kivu en particulier, comme sur son infrastructure en particulier, et
ce jusqu’à ce jour. Beaucoup de prérogatives matérielles, financières et sociales dont les Églises du
Congo bénéficient encore aujourd’hui proviennent de ces « accords » du « passé colonial ». Citons à
titre indicatif les exemptions d’impôts civils, les réductions douanières pour les objets de culte et les
instruments de travail (véhicules), les propriétés domaniales comme le droit d’usufruits des diocèses
remplaçant les congrégations missionnaires tutrices, etc. Une pareille situation n’était pas sans écueils
pour l’Église de missions. Difficultés et risques ne manquèrent pas dans ses rapports avec l’État.
214
2. Convergences et confluence: la coopération des missions à l’ordre colonial127
Vue à partir de l’environnement sociopolitique ambiant d’avant l’indépendance, l’Église de missions en
Afrique centrale demeurait pratiquement un des « piliers » de « l’ordre établi ». Cette situation a
beaucoup changé après 1960. Certes, le soutien matériel et financier que l’État colonial fournissait aux
missions n’était pas si exorbitant. Il n’en reste pas moins ambigu. Ce que l’Église gagnait
matériellement dans ce système de « coopération », elle le perdait au niveau de sa crédibilité historique
aux yeux des générations postérieures.
En fait, ces dernières l’accusent, à tort ou à raison, de « complicité » avec les colonisateurs. Comme je
l’ai déjà rappelé, en « situation coloniale », l’Église du Congo s’était étendue en grande partie grâce à
l’appui tant matériel, moral que juridique de l’État. Et, en contrepartie, elle appuyait la colonisation dans
sa raison d’être, même si, de temps en autre, elle jouait par ses agents individuellement ou
collectivement un « rôle correctif » au système qu’elle légitimait128. C’est avec le temps que l’Église prit
officiellement ses distances en désapprouvant les visées, les méthodes et actions de l’œuvre coloniale
comme contraires à l’Évangile129.
En dépit de ces progrès effectués dans sa prise de position, l’Église de missions en « Afrique belge »
restait dans son ensemble liée aux principes de base qui légitimaient l’entreprise coloniale. Ce
phénomène fut le même dans plusieurs pays de mission en Afrique (J. Roussel, 1956: 383-386).
Nonobstant les différences d’une colonie à une autre et même d’une époque à une autre, les accords
formels et informels entre l’État et l’Église incluaient aussi une certaine forme de contribution en
matière foncière et financière dont les missions devenaient bénéficiaires. C’est grâce au soutien
financier de l’État colonial, entre autres, que l’infrastructure missionnaire fut généralement solide.
127
J’emprunte ce titre de Claude Prudhomme (2004 : 79) dans son livre intitulé Missions chrétiennes et colonisations.
XVIe-XXe siècle. Cf. Annexe 9
128
La lecture approfondie de la lettre pastorale des évêques belges à l’occasion de l’annexion du Congo à la Belgique
comme sa colonie permet d’entendre la voix officielle de l’Église de la métropole sur la question de la colonisation. Cf. J.
Roussel, 1956 : 383-386.
129
La déclaration de l’Episcopat du Congo et du Rwanda-Urundi en 1925 a eu un retentissement dans les milieux des
fonctionnaires coloniaux désemparés. « Rendue publique au moment où l’administration coloniale rencontrait d’énormes
difficultés dans la recherche d’une méthode efficace de gouvernement, cette déclaration consomma le divorce entre les
éléments de la triple alliance. Mr de Schervel la présenta comme l’une des principales forces intérieures de la
décolonisation congolaise. D’une pierre l’Église catholique avait fait deux coups : en dénonçant les injustices du régime
colonial, en proclamant la légitimité de l’émancipation politique des indigènes d’une part et, d’autre part, en critiquant le
paternalisme et en exhortant les chrétiens à s’unir dans de fortes organisations syndicales, l’Église catholique prenait ses
distances par rapport à l’État et au capital (Cf. Kileshye, s.d. : 299). Cette déclaration de l’Episcopat est à lire dans R.C.A.,
septembre 1956 : 449-454. Pour plus d’informations, lire G. Monsmans, L’Église à l’heure de l’Afrique, Castermann,
1961:253.
215
Ce qui a conduit à refléter, à tort ou à raison, l’image d’une « riche Église des Blancs léguée aux prêtres
noirs » avec des conséquences réelles sur la perméabilité du message évangélique des autochtones
comme je l’analyserai dans ma prochaine publication. Précisons toutefois qu’un niveau subjectif, les
membres ont vécu leur vœu de pauvreté dans un style de vie souvent sobre et même parfois dur. C’est
au niveau collectif des congrégations comme « groupe social » que l’image d’une « Église riche » a été
plus ostensible.
Ainsi, du point de vue socio-historique, les congrégations missionnaires étrangères demeuraient au
Congo l’échantillon représentant la puissance matérielle de l’Église-institution ou plus précisément de
« l’Église catholique blanche » (Kalamba, 1992 : 109-110). Vumbi Yoka Mudimbe (1984 :78) voit trois
facteurs qui ont déterminé cette image sociale ambiguë de l’Église missionnaire léguée à l’Église
africaine : « la richesse matérielle, le pouvoir et le prestige ». Pour l’auteur, « Ordres généralement plus nantis que le
jeune clergé diocésain, beaucoup de ces familles missionnaires s’étaient dotées d’un équipement de moyens matériels de vie
et d’apostolat optimal. Avec le temps, cette « puissance économique » secréta « ensuite le pouvoir de l’argent : le destin des
œuvres d’un ordre religieux signifie des contraintes financières, l’exigence d’investissements et la rigueur dans la gestion
pour la promotion de ces œuvres qui, s’il est vrai, sont sincèrement au service des Congolais, témoignent excellemment de la
gloire et de la puissance d’un Ordre, de l’intelligence et de la générosité de clercs managers et, subsidiairement seulement,
‘de l’amour de Dieu’ »130.
130
Je prends toutefois distance devant l’identification abusive que l’auteur établit entre mission chrétienne et colonisation,
comme si en principe l’une signifie l’autre et s’y identifie par essence.
131
Voir P.M.V., Dossier Afrique, n° 39, Les relations Église-Etat au Burundi, p. 9. Lire aussi Bujo Benezet, Les ordres
religieux de l’époque postcoloniale au Zaïre. Espérance ou déception, in Aspects du Catholicisme au Zaïre, p. 145.
216
Mais, à une période où la sensibilité pour les « droits de l’homme » n’était pas encore suffisamment
aiguë dans la société comme dans l’Église elle-même, les engagements privés de l’un ou l’autre
missionnaire contre les abus flagrants du « système » méritent bien d’être loués. Ne serait-il pas injuste
d’oublier et de dévaloriser les sacrifices de tant de missionnaires qui, au nom de l’Évangile, osèrent
ramer contre les mentalités et pratiques ambiantes à l’époque ?
Même Fabien Eboussi Boulaga, dont on connaît la sévérité de jugement de l’action missionnaire en
Afrique, est tendre sur ce point : « Dans les limites que leur laisseront les pouvoirs publics au titre des libertés
démocratiques et leur propre adhésion au système et à l’idéologie, voire aux méthodes coloniales, ils auront l’occasion
fréquente de se porter en défenseurs de la dignité et de la vie des indigènes. Ils protesteront contre ce qu’on appelle alors
pudiquement les abus. Ce fait est à mettre à leur crédit, même si l’on veut en minimiser l’efficacité. Celle-ci ne fut pas
nulle… Mais il faut dire plus : c’est leur action quotidienne qui était la meilleure défense. Elle créait certaines conditions
matérielles, intellectuelles et spirituelles qui habiliteraient l’indigène à se porter à soi-même assistance, même à l’encontre
des réticences missionnaires»132.
En dépit de toutes ces initiatives courageuses bien louables, l’Église de missions en tant qu’institution
sociale s’était rangée du côté du « maître généreux». Et justement celui-ci lui prêtait d’une certaine
façon son aide, en l’occurrence matérielle et financière. Quand bien même elle réagissait contre les abus
du pouvoir politique dominant, elle se limitait le plus souvent au rôle de modération ou « régulation » à
l’intérieur du système qui la « protégeait ». Elle ne parvenait pas à jouer efficacement le rôle d’instance
critique comme « choc thérapeutique d’esprit » (J.B. Metz) en se désolidarisant de la logique essentielle
du système en place comme « pouvoir de domination ».
132
Cf. Eboussi, B., F., Pour une catholicité africaine (Etapes et organisation), in Pour un Concile Africain, 1992 : 113-152.
133
« Quand on voit les évêques défiler à tour de rôle dans les couloirs du palais présidentiel de tel pays d’Afrique, comment
ne pas concevoir la hiérarchie et le clergé comme une force politique d’appoint que les maîtres du pouvoir en temps voulu,
combien de cadeaux et d’argent pour services rendus à la National. Les évêques et le clergé évitent de critiquer ou de
contrarier le pouvoir politique et cherchent plutôt à s’attirer ses faveurs et à sauvegarder leurs privilèges » (L. Laverdière,
1987 : 523).
217
C’est ainsi que la dépendance économique partielle des missions à sa poche vient jouer un rôle influent
dans sa politique religieuse. Par le cordon ombilical de la bourse, la Colonie s’assurait la soumission de
l’Église de missions pour l’atteler autant que possible à ses vues et à ses vœux politiques. Rappelons que
ce n’est pas la première fois durant l’évangélisation de l’Afrique noire que l’ordre politique dominant
cherchait à lier les missions chrétiennes à sa remorque par le biais du soutien matériel et financier.
Durant les « missions modernes », le pape Nicolas V accordait aux princes et rois catholiques du
Portugal et de Castille le monopole non seulement de naviguer jusqu’à la côte « guinéenne », mais aussi
de « convertir les âmes au salut », en organisant eux-mêmes l’apostolat chrétien dans les nouvelles
régions « gagnées au Christ » (Kalamba, M., 1992 : 111). Ainsi, la papauté fit de ces souverains civils
(salués comme « Soldats du Christ ») « les patrons de l’évangélisation, leur imposait l’obligation d’appuyer
celle-ci financièrement, politiquement, voire militairement et leur en laissait jusqu’à un certain point la
direction »134.
Dans ce sens, leur régime facilitait aux missions catholiques les conditions matérielles de leur apostolat
dans ses colonies. Les formalités administratives de voyage (papiers de voyage, transports des
missionnaires et de leurs bagages à bord de vaisseaux), les charges matérielles de leur subsistance…
devaient être en principe assurées par les agents du roi. En échange de ces services, le Souverain
exigeait de la part de ces missionnaires un serment135 en bonne et due forme, par lequel il les liait
pratiquement à son œuvre et même à son pouvoir dans « les pays de missions ».
Et voilà que durant la mission chrétienne de la fin du XIX e et début XXe siècle, le même phénomène
s’est produit de façon raffinée et même intensive. Par le biais des finances entre autres, l’Église de
missions se liait au pouvoir colonial, comme pour prolonger le régime constantinien où l’Église et l’État
font front commun face au « monde païen » à « convertir ». Il a fallu attendre la décolonisation politique
pour voir en Afrique noire ce lien desserré. Depuis lors, les « territoires de missions » sont devenus des
« Églises locales » à part entière.
134
Cf. Thom Kerstiens, L’aliénation économique. Problème de pauvreté et de dépendance économique, in Liberté des
Jeunes Églises, 1966 : 18-19. Idem., Les logiques du don dans les organisations non gouvernementales de développement,
in Les devoirs de l’homme. De la réciprocité dans les droits de l’homme. Les actes du Vème colloque interdisciplinaire de
Fribourg, 1987, Fribourg, Editions universitaires, 1989 : 147-156. Cf. Bimwenyi Kweshi, 1987: 199-111.
135
J. Cuvilier (1936 : 69) nous donne en quelques points le résumé de ce serment (très longue). Le missionnaire doit : 1)
promettre de ne suivre le parti d’aucun prince, d’être fidèle au roi du Portugal ; 2) reconnaître les évêques nommés par le
Saint-Siège apostolique sur la présentation du roi de Portugal et ceux-là seulement ; 3) reconnaître le droit de patronat et
autres prérogatives contenues dans les lettres apostoliques, … ».
218
Evènement qui n’est pas sans retombées sur les difficultés matérielles et financières complexes des
Églises d’Afrique aujourd’hui. La troisième section examine le lourd héritage colonial des structures
ecclésiales que les Eglises locales d’Afrique sont obligées de gérer.
Section 3 : L’héritage occidental des structures des Eglises d’Afrique et ses effets
Même si les expériences varient nécessairement d’un lieu à un autre, il reste un fait : les structures des
Églises de ce continent sont l’héritage occidental. Cet héritage leur a été légué sans que les conditions de
fonctionnement de ces structures soient fondamentalement changées. C’est ce qui fait dire à Ngongo que
cette Eglise demeure, de facto, sous l’emprise du pouvoir occidental (1978 :25). Selon lui, aucune
rupture réelle ne s’est opérée en Afrique : nous continuons à vivre, dit-il, dans les structures d’une Église
colonisée. L’illusion des Églises africaines autonomes, illusion largement exploitée par l’Occident
chrétien, vient d’une double apparence : des Africains à la tête des diocèses et des liturgies inspirées des
traditions culturelles africaines. Or, et comme je l’ai noté plus haut, le pouvoir réel se mesure par le rôle
joué dans un processus décisionnel.
219
Pour ceux-ci, en utilisant ces objets, il est plus profondément question de « l’identité » du sujet humain
risquant d’être aliéné dans les moyens de sa médiation avec Dieu. Même sans faire allusion aux aspects
théologiques et sacramentels de ce problème grave comme Bimwenyi Kweshi, Joseph Kalamba, lui, y
voit les enjeux économico-politiques non négligeables (1992 : 30).
Sa vision est appuyée par Jean-Marc Ela qui voit l’Église de missions en Afrique noire comme un lieu
par excellence d’aliénation culturelle, car elle vivait de l’uniformité d’un seul rite de messe, imposant
tout un arsenal de matériel à importer tout le temps de l’Outre-mer : «…Ce rite que nous suivons, n’a pas été
choisi par nous, il porte la marque d’une culture qui n’est pas la nôtre ; il n’a pas été élaboré en fonction de notre
personnalité et du génie de notre peuple. A ce niveau l’eucharistie est dans la vie de l’Église le lieu de notre aliénation
culturelle » (J.-M. Ela, 1980 :12).
Faute d’avoir reconnu et développé très tôt l’usage des matières sacramentelles tirées de leur terroir
local, l’Église de missions s’était emprisonnée dans l’importation continuelle des biens de l’extérieur. Je
reviendrai plus tard sur ce point avec chiffres à l’appui pour l’archidiocèse de Bukavu. Au fond, cette
dépendance financière occasionnée par l’importation des matières sacramentelles d’ailleurs renforce
l’extraversion du circuit économique aussi bien au niveau des Églises que du continent noir à l’égard de
l’hémisphère nord. Pour célébrer l’eucharistie, quelles dépenses financières pour une communauté
chrétienne de la brousse du Kivu et quelles transactions et douanières épuisantes ne doit-elle pas
entreprendre au préalable ! Elle doit payer obligatoirement la farine de blé et le vin de raisin importés de
l’Occident par le canal d’une filière commerciale bien lourde. Quand bien même elle pourrait réunir
toute la somme nécessaire, l’entité concernée doit payer tout cela en devises étrangères si le marché est
direct.
Selon Kalamba (1992 : 31), ce sont des communautés chrétiennes des pays pauvres qui doivent aller
acheter des matières des sacrements et objets de culte auprès des pays riches d’Occident qui sont déjà
dominants sur la carte « géopolitique » du monde. Alors, par une étrange connivence, l’Eucharistie vient
consacrer à ce niveau une situation de dépendance et de domination politico-économique déjà elle-
même inconfortable pour les Églises d’Afrique136.
136
Dans l’archidiocèse de Bukavu, l’importation annuelle de vin de messe, élément essentiel pour le culte, pèse lourdement
sur le budget annuel qui est déjà très modeste. En considérant approximativement 2 bouteilles comme besoin de
consommation hebdomadaire de vin de messe de chacune des 37 paroisses de l’archidiocèse, au prix de 8 dollars la
bouteille, on est à 30 784 dollars US, soit 27 577 Euros (1 Euros = 1, 11532 au taux du 13 janvier 2016). Selon l’analyse de
Faustin Mweze, « Sous les apparences innocentes, cet élément cultuel (vin de messe) appauvrit l’économie locale pour
enrichir les économies et agricultures occidentales, et participe à sa façon à l’impérialisme occidental, qui s’est infiltré
jusqu’à l’Autel du Sacrifice eucharistique » (Cf. Entretien avec l’abbé Faustin Mweze, ancien économe général adjoint
(2012-2015) de l’archidiocèse de Bukavu, le 13 janvier 2016 à Paris).
220
Faute de cet enracinement où elle assumait ses propres produits comme matières valables pour les
sacrements et le culte, l’Afrique continuera de végéter dans une dépendance extérieure permanente,
occasionnée entre autres par les objets de culte.
Dans cette œuvre, Creuzer pense que c’est dans le champ même du symbole qu’il faut fouiller pour
trouver les profondes racines de toute représentation figurée. Il propose que la logique symbolique ne
doive pas être regardée comme une forme arbitraire mais comme une expression naturelle, primitive et
nécessaire, de l’intelligence humaine. Par ailleurs, ce que nous nommons « image » et « figure » n’est
pas autre chose que l’empreinte et le caractère de la forme de notre entendement. Leur caractère propre
et commun est de rassembler sous un seul point de vue, d’exprimer en un mot plusieurs propriétés d’un
même objet, de manière qu’elles se produisent instantanément et en même temps, et que l’âme les
saisisse, en quelque sorte, d’un seul coup d’œil. C’est le plus court chemin pour arriver à elle et bien
différent de la route longue et pénible qui mène l’intelligence de l’analyse à la synthèse et de la synthèse
à l’analyse.
Creuzer montre l’âme voulant s’élever plus haut, se heurtant à l’impossibilité d’exprimer en images ses
conceptions infinies, flottant entre le monde idéal et le monde sensible, se consumant en efforts pour
atteindre l’un et l’autre et engendrant la double nature du symbole qui reflète la double nature de son
origine. C’est là en effet, selon cet auteur, la base des propriétés essentielles du symbole, situé entre la
forme et l’être, entre l’expression et l’idée, un « éclair qui laisse entrevoir à nos regards un horizon sans
bornes ».
Enfin, Creuzer aborde le problème complexe des relations entre le symbole et l’art. Il distingue les
symboles mystiques plastiques et il propose une définition fondamentale : « Des idées pures, revêtues de
formes corporelles, tels sont proprement les symboles; car il faudrait, pour mettre de l’exactitude dans le langage, borner le
mot à cette acception.» (Alleau, 1997 :11). Le symbole doit être réservé aux signes reconnus comme sacrés
par une Église ou une tradition religieuse, ù un des principes que donne Alleau, tout symbole dépendant
de l’institution divine du culte dont il est l’objet, étant lié à l’existence d’une religion déterminée, ne
221
peut être interprété de façon cohérente sans se référer expressément à une tradition de témoignages et
des textes reconnus comme inspirés ou révélés surnaturellement par cette religion même.
Donc, toute interprétation cohérente d’un symbole doit être fondée sur des équations symboliques
homogènes (Alleau, 1997:36). Il convient de considérer que le symbole et le symbolisme appartiennent
l’un et l’autre à l’« univers du discours », c’est-à-dire au logos socioculturel, sinon on se retrouve dans
ce que Mgr Tchidimbo appelle une « espèce de colonie spirituelle » (1963 :92).
137
On entend par “implantation de l’Église”, le complexe processus ecclésiogénétique ou encore le processus par lequel
une communauté chrétienne naît et s’établit visiblement, avec tous les éléments caractéristiques d’une Église particulière.
Ce processus commence normalement par la première annonce de l’évangile dans le milieu non chrétien et aboutit à la
constitution complète d’une Église particulière dans ce milieu Cf. E. Nummenbmacher, « Impiatazione della chiesa », in
Dizionari missiologia, Bologna, 1993 : 279.
222
ses fruits. La conséquence d’une telle méthode missionnaire est claire : les Églises d’Afrique sont nées
comme des corps puissamment organisés et structurés mais parfaitement étrangers au milieu (Gbagbu,
2005 : 168).
Ainsi, les chrétiens africains se sont-ils retrouvés devant des institutions qui ne sont pas nées des besoins
communautaires ecclésiaux de leur milieu, mais qui sont plutôt celles du modèle européen et surtout
financées essentiellement par l’Europe (Ngongo, 1978 : 167). Cet état des choses n’était évidemment
pas de nature à favoriser la part des fidèles chrétiens africains, la participation active de chacun, qui est
pourtant essentielle, requise pour l’autofinancement ecclésiastique. La communauté, affirme à ce propos
Bimwenyi, qui ne dispose pas d’elle-même, qui est économiquement, politiquement et culturellement
dépendante ou aliénée, est un milieu impropre à l’initiative et à l’inventivité (1985 : 168).
D’où la passivité de ces fidèles, dit Jules Gbagbu (2005 : 89) en ce qui concerne leur contribution
financière à la vie économique de leurs communautés ecclésiales juridiquement constituées en Église
diocésaine mais demeurées fortement marquées par la dépendance due principalement au caractère
« hérité » de leur institution. Cette dépendance financière des Églises d’Afrique se manifeste dans le
mode de fonctionnement même de ses œuvres, dans leurs institutions à travers les édifices,
infrastructures, instruments et les équipements indispensables.
Le recours perpétuel par ces Eglises aux aumônes (Boka du Mpasi (1988 : 425), loin d’être seulement
chronique, est structurel, systématique et nécessaire. Elles sont nées handicapées, à voir la façon dont
elles ont été implantées. Il y a comme une sorte de défaut de fabrication, explique Bimwenyi Kweshi
(1981 :169). Leur dépendance financière est inscrite dans les œuvres, les institutions, les structures
pastorales héritées des missionnaires. Dans beaucoup de domaines, la pratique de l’Église de missions
s’était largement écartée de celle suivie en général par l’Église primitive. A cette époque-là, « l’art
païen » local était repris et intégré dans le christianisme, tout en lui insufflant un sens nouveau 138.
Cet effort louable d’inculturation a disparu avec le temps, dans le tumulte des conquêtes coloniales lors
de la Mission des temps modernes. Un regard attentif sur la décoration de toutes les églises et
138
Le cardinal Constantini étayera cette position avec des arguments historiques solides: « Aux premiers siècles de l’Église,
dit-il, le problème de l’art dans les missions ne se posait pas. Chacun utilisait l’art qu’il trouvait sur les lieux, avec le seul
souci de le purifier des éléments décoratifs faisant allusion aux idoles. On cherchait ensuite à donner un sens chrétien aux
formes artistiques indifférentes en elles-mêmes et susceptibles d’être interprétés dans l’esprit nouveau que le missionnaire
apportait. Ainsi la décoration par les fleurs et la vigne, l’orante (qui rappelle la Pietas ancienne), ou le bon Pasteur (qui
faisait penser à l’Hermès criophore). L’Église n’a pas hésité à revêtir d’une signification chrétienne même les
représentations d’Apollon et de la Victoire. Pourtant elle introduisit une nouvelle conception des temples sacrés ». Cf.
Constantini, L’art chrétien dans les Missions, in Histoire Universelle des Missions catholiques, t. 4 : 344.
223
cathédrales de l’ère coloniale en Afrique suffit pour s’en convaincre. Le cardinal Constantini avait vu
juste quand il déclare : « Transporter cet art, européen et médiéval, hors d’Europe, dit-il, c’est non seulement une erreur
de temps, c’est aussi une erreur de lieu, c’est de la contrebande artistique : ce serait comme déraciner une plante et la porter
sous un autre ciel et dans un autre sol : il apparaîtra aussitôt que cette plante est exotique. Il attestera par ses formes son
caractère étranger et qui bien souvent répugne au goût des natifs, à la lumière, au paysage indigène » (1987 : 346).
Tout ceci nous permet de mieux saisir l’insuffisance de l’enracinement socio-historique du modèle de
l’Église de missions en Afrique noire. Presque partout, « l’ère missionnaire » a laissé de gigantesques
édifices : églises, couvents et presbytère dont le coût matériel de leur entretien s’avère lourd pour les
pauvres communautés chrétiennes.
B. Les missionnaires occidentaux en Afrique et leur rôle influent dans l’octroi de l’aide
Bien que n’étant plus officiellement responsables de structures en Afrique, les missionnaires sont
pourtant restés très influents dans les instances décisionnelles de l’Église catholique, qu’il s’agisse du
financement des projets présentés par les Églises d’Afrique aux organismes occidentaux ou des
nominations au Vatican de la hiérarchie locale. Plusieurs auteurs estiment que l’indépendance religieuse
des Eglises, à l’instar de l’indépendance politique des pays africains, reste théorique car dépourvue d’un
pouvoir réel et d’une autonomie financière, leur dépendance vis-à-vis des missionnaires occidentaux
étant une donnée réelle.
A l’intérieur des « Églises missionnaires », les principales préoccupations portaient sur l’africanisation
des postes clés, l’adaptation de la liturgie, les projets de développement en coopération avec le nouveau
gouvernement et l’œcuménisme entre les Églises, d’abord entre les protestants eux-mêmes, puis, après
Vatican II, entre catholiques et protestants. En dépit de l’augmentation constante du nombre des
archevêques et des évêques africains, le fait de dépendre des missionnaires fut de plus en plus mal
ressenti. C’était spécialement évident dans le camp catholique où, dans la plupart des diocèses, le corps
224
missionnaire constituait encore la majorité du personnel de l’Église, et où, non seulement les finances,
mais aussi la politique pastorale, demeuraient entre les mains des expatriés (Ibid.).
Cette situation a créé un malaise croissant dans l’Église africaine qui a abouti à la Déclaration de
moratoire139 de la Conférence de toutes les Églises d’Afrique à Lusaka et aux déclarations de
l’Episcopat africain au IVème Synode des évêques, qui tous deux ont eu lieu en 1974. Leur
préoccupation commune - qui est la seconde phase de la nouvelle période - était l’autonomie du
christianisme africain, l’accent mis sur la recherche de sa propre identité par l’Église locale afin qu’elle
devienne un membre valable et non toujours subalterne dans la communion des Églises qui constituent
l’Église universelle.
Il en résulta que les nouveaux mots d’ordre furent la théologie africaine, les rites liturgiques africains, et
surtout, les structures africaines d’Église - car il devenait de plus en plus manifeste que la dépendance
des Églises d’Afrique était causée par les structures importées durant la période missionnaire (Baur, J.,
2001 :519). Il émergea une conviction largement partagée qu’il fallait édifier des structures africaines
convenables à partir de la population de base des petites communautés chrétiennes.
Dans le même temps, les dirigeants d’Église ont fait preuve d’une nouvelle indépendance envers leur
gouvernement et ont trouvé le courage d’exercer leur rôle prophétique face aux maux qui règnent dans
l’État et la Société. A ce sujet, au Congo plus qu’ailleurs en Afrique, l’épiscopat a joué un rôle
catalyseur dans la prise de conscience nationale et dans la dénonciation des dérives du pouvoir étatique.
2. De l’Église missionnaire aux Églises locales : une hiérarchie africaine politiquement faible et
financièrement pauvre
Durant la première phase de la période d’indépendance, la préoccupation majeure des Églises fut
l’installation d’une hiérarchie africaine. L’ancienne tendance missionnaire qui avait consisté à préparer
les Africains à des tâches auxiliaires ne permit pas de pourvoir de suite tous les postes de la hiérarchie
avec des personnalités africaines qualifiées. Ce fut spécialement vrai pour la plupart des premiers
évêques africains. Même si, durant la période post coloniale, c’est-à-dire toute la décennie de 1970, dans
la plupart des diocèses d’Afrique le personnel missionnaire occidental diminue de plus en plus en
139
Le moratoire est une décision légale qui suspend provisoirement l’exécution de certaines obligations conventionnelles ou
légales. En l’occurrence, le moratoire devait suspendre la dépendance des Églises africaines par rapport aux Églises
missionnaires fondatrices.
225
nombre140, nul n’ignore cependant son rôle influent dans l’orientation, la gestion économico-financière
et la politique interne et externe de l’Église en Afrique.
Cette influence se fait remarquer notamment dans la nomination d’évêques en Afrique, car ce personnel
missionnaire est très écouté au Vatican qui, on dirait, impose une présence remarquée dans les instances
décisionnelles des diocèses, alors qu’il n’existe aucun membre du clergé local dans celles des
congrégations missionnaires141. A cette présence remarquée qui peut aussi se justifier par un devoir de
reconnaissance de la part de l’autorité diocésaine concernée envers les missionnaires, on doit signaler le
rôle positif ou négatif qu’ils jouent dans la vie économique d’un diocèse car, jouissant d’une grande
confiance auprès des organismes occidentaux de financement, ils influent énormément sur les décisions
d’octroi des aides aux Églises d’Afrique. En effet, à la lecture des événements sociopolitiques et
économiques qui se déroulent sur le continent africain depuis les indépendances, force est de constater
qu’aucun pouvoir politique occidental ne s’est jamais sabordé en Afrique.
Le retrait systématique des Pères Blancs des paroisses de l’archidiocèse de Bukavu pour se concentrer
dans leur grand séminaire de la Ruzizi et dans leur maison régionale donnerait une fausse impression
qu’un changement profond s’est opéré dans la mentalité du personnel expatrié dans l’Église locale de
Bukavu. Sachant que ce sont des gens très écoutés au Vatican et chez les nonces apostoliques eux-
mêmes très influents sur les conférences épiscopales et dans les choix des évêques, on ne voit pas,
estime Ngongo, comment l’Église d’Afrique pourrait secouer le joug du pouvoir politique occidental
dans ses structures (1978 :29).
140
Cf. Annuaire de l’Église catholique 1976-1977.
141
Dans l’archidiocèse de Bukavu, les prêtres missionnaires, expatriés ou africains, sont sensiblement représentés dans les
instances décisionnelles du diocèse, en l’occurrence au collège des consulteurs, au conseil diocésain pour les affaires
économiques, etc. Cependant, il n’y a aucun prêtre diocésain présent dans les instances décisionnelles des congrégations
missionnaires. De ce fait, ils participent activement et influencent directement ou indirectement à la nomination des prêtres
diocésains qu’ils connaissent parfaitement à travers leurs personnes secrètes parmi les laïcs chargées de leur fournir des
renseignements sur chaque prêtre diocésain. Lors de mes toutes récentes enquêtes de terrain à Bukavu en juillet-août, un
prêtre n’a pas hésité de parler d’une « police secrète » pour qualifier le travail des missionnaires à Bukavu.
226
on ne peut en déduire automatiquement que colonisation et mission constituent les deux faces d’un
même phénomène. Il convient, ajoute l’auteur, de ne pas épouser sans enquête critique de fausses
évidences qui réduisent la mission à une composante de l’expansion coloniale.
La mission, en tant que diffusion à toute l’humanité d’un message révélé, est en effet constitutive de
l’histoire chrétienne. Le christianisme est « missionnaire » par nature et son expansion n’a pas toujours
été liée à une expansion politique, même à partir du règne de Constantin. Il n’est pas difficile de trouver,
de l’Antiquité à l’époque contemporaine, des entreprises autonomes de diffusion, notamment à
l’initiative des moines puis de religieux issus des ordres mendiants, qui se sont développées en dehors
de projets politiques et de soutiens étatiques, en Europe, en Afrique ou en Asie (Ibid.).
Mais, en même temps, il faut bien le reconnaître, les réussites spectaculaires des missions à partir de la
découverte des Amériques en 1492 ont eu pour cadre les aires géographiques colonisées par l’Europe
occidentale. C’est dans ce paramètre socio-historique d’hier où les Églises locales du Congo ont vu le
jour que se sont esquissés et cristallisés beaucoup de règles de jeu, de principes et de structures,
constituant aujourd’hui les contours ecclésiastiques dont elles ont héritées des prédécesseurs belges.
Pour conclure ce quatrième chapitre, ma préoccupation était de montrer que la dépendance financière
actuelle des Églises du Congo a un encrage historique : elle trouve ses racines dans le poids de leur
passé colonial et missionnaire. Même si le type d’appui de l’État colonial aux Missions chrétiennes a
varié dans sa nature d’une période à une autre, on peut dire que le Congo a été l’objet d’une sollicitude
bienveillante de la part des autorités belges.
Le type d’infrastructure qu’elles ont réussi à monter au Congo était commandé par deux raisons : « la
satisfaction des besoins individuels et collectifs et l’obligation de contribuer à l’œuvre civilisatrice du pays »
(Ntoto Kikhela, 1975 : 9) et non d’éduquer les peuples autochtones à la prise en charge de leur Église.
L’État colonial avait ressenti la nécessité de soutenir matériellement les Églises, en l’occurrence l’Église
catholique, dans la réalisation des programmes sociaux communs.
C’est justement en évoquant ce contexte socio-historique propre à l’Église de missions que j’ai voulu
circonscrire la nature et les enjeux de l’appui financier, social, politique et juridique de l’État colonial
belge aux Missions catholiques au Congo. Sans entrer dans des critiques justifiées ou non à l’endroit de
la colonisation ou de la Mission Chrétienne en général, j’ai voulu éclairer l’aspect matériel de l’apport
de l’État aux Églises, pour apprécier l’ampleur de l’impact sociologique que cet appui économique a eu
et a encore aujourd’hui sur les Églises locales congolaises, sachant que cet appui économique a changé
227
de formes et de volume tout au long de périodes politiques qui ont marqué la vie de la Colonie et des
Missions au Congo.
J’ai voulu aussi saisir les logiques qui sous-tendaient l’action missionnaire à l’époque. En effet, s’il y
avait certains missionnaires qui se souciaient de l’avenir économique de leurs Églises au Congo - tel le
cas de Mgr Richard Cleire dans le Vicariat Apostolique du Kivu comme je l’ai esquissé dans la première
partie de cette étude -, la marge de leur manœuvre de liberté était réduite du fait de l’opinion générale
chez les missionnaires globalement défavorable à l’idée, d’une part, et de l’influence de l’État qui
imposait aux missions sa politique coloniale défavorable à l’émancipation rapide des peuples colonisés,
d’autre part.
Ainsi, l’action de ces missionnaires était-elle bien encadrée par des restrictions communautaires et
étatiques pour qu’ils ne puissent pas mener librement leur orientation pastorale, telle l’éducation de leurs
fidèles africains jusqu’au niveau de la responsabilité et de l’autonomie financière notamment. Par
ailleurs, la politique généreuse de l’administration coloniale à l’égard des missions catholiques a
développé une réelle dépendance au point que l’avenir économique des Églises qu’elles venaient de
fonder n’était véritablement pour eux ni une nécessité ni une priorité.
Bien plus, étant chargées de l’œuvre de formation, ces missions catholiques n’ont pas préparé des
acteurs congolais dans la perspective de responsabilité et par ricocher d’autofinancement. Tout se passait
comme si les Églises fondées ne souffriraient d’aucun manque à l’avenir ou alors comme si elles étaient
condamnées à vivre perpétuellement des aides extérieures. Ce manque de vision de la part de l’État
colonial et des missions catholiques a entraîné les Églises nouvellement fondées dans la dépendance
financière dont elles ont du mal à se sortir aujourd’hui, plus d’un siècle après.
Dans le chapitre qui suit, je m’attellerai à une analyse économique à travers l’évaluation qualitative et
quantitative de la politique d’extraversion financière des Eglises locales congolaises, telle qu’elle a été
pratiquée depuis l’indépendance jusqu’aujourd’hui, ainsi que ses limites.
228
Chapitre V : LA DEPENDANCE FINANCIERE DES EGLISES DU CONGO
La plupart des diocèses du Congo connaissent une vulnérabilité financière réelle qui les tourne
constamment vers l’extérieur à la recherche des ressources pour leur fonctionnement. Le cardinal Joseph
Albert Malula l’avait, à son temps, stigmatisé en ces termes : « […] En matière financière, nous dépendons
tous de l’étranger » (Cf. Kalamba, 1992 : 38). A sa suite, l’épiscopat congolais actuel prend de plus en
plus conscience de cette dépendance financière, ne fût-ce qu’à travers ses déclarations d’intentions. En
effet, lors de la session des évêques, tenue au Centre Nganda-Kinshasa du 21 au 29 janvier 2005, qu’ils
ont consacrée aux défis financier et juridique dans l’Église-famille de Dieu en République
Démocratique du Congo, les évêques congolais ont reconnu la situation de dépendance financière totale
en affirmant :
« Une observation rapide de la réalisation des Églises en Afrique démontre que beaucoup de secteurs de leur vie dépendent
d’un soutien financier venant de l’extérieur, principalement des Églises du Nord. La vie de nos Églises dépend, presque
totalement, des ressources matérielles en provenance du monde occidental. Nos diocèses vivent essentiellement des subsides
ordinaires des OPM qui, aujourd’hui, connaissent une forte diminution due à de multiples facteurs. Insuffisante, cette rente
doit souvent être complétée par des subsides extraordinaires, du financement des projets et des contributions des fidèles. Les
agents de la pastorale, clercs comme laïcs, sont entretenus par de dons venant d’Occident. Nos institutions ecclésiales
comme les centres interdiocésains, les grands séminaires, les congrégations religieuses, les instituts de formation, les
mouvements d’action catholique, les centres pastoraux, les œuvres caritatives, etc., doivent leur fonctionnement à la
générosité des Églises d’Europe et d’Amérique »142.
Cette dépendance décrite par l’épiscopat congolais s’analyse en termes d’assistance économico-
financière permanente dont il convient de cerner les contours.
142
Cf. Conférence Episcopale Nationale du Congo, CENCO, 2005 : 7.
229
Section I : Une assistance économico-financière permanente
La situation de dépendance financière des Églises du Congo comme celles d’Afrique majoritairement
n’est pas nouvelle car, ainsi que nous l’ai démontré dans le chapitre précédent, même sous l’ère
missionnaire elles vivaient principalement grâce aux apports extérieurs. Ces réalités si présentes dans la
vie de la plupart des Églises du Sud démontrent leur dépendance structurelle vis-à-vis des Églises
d’Occident et des organismes de financement. La générosité de ceux-ci - qui mérite toute la gratitude
africaine, faut-il le dire, - ne dispense pas pourtant celles d’Afrique de traduire en actes la directive du
Concile Vatican II qui veut que, dès sa fondation, toute communauté chrétienne doive être constituée de
manière à pourvoir au plus tôt à ses propres besoins143.
Le Congo, qui présente aujourd’hui « la population chrétienne la plus forte et la plus nombreuse en
Afrique » (Baur, J., 2001 : 363), illustre bien cet état de fait. Pour bien appréhender les écueils de la situation
financière de ce géant chrétien au cœur de l’Afrique, il convient de voir d’abord ce qui se passe ailleurs en
faisant un aperçu sur l’organisation financière que nous considérons d’emblée comme classique ou normale.
Pour cela, je me sers du modèle d’organisation financière des Églises françaises.
Je ne veux pas faire une comparaison puisqu’il n’y a point à comparer, mais cette approche me semble
opportune à bien des égards. D’abord, puisque les Églises françaises ont une très longue tradition chrétienne
avec une organisation administrative structurée susceptible d’inspirer les Églises africaines. Ensuite, bien
qu’elles ne soient pas soumises aux mêmes contraintes financières que les Églises africaines car évoluant
dans des contextes socio-économiques différents, l’organisation financière des Églises françaises présente
des éléments susceptibles d’inspirer une organisation en Afrique qui se voudrait efficace.
143
Cf. Vatican II: L’activité missionnaire de l’Église « Ad Gentes », 15 (US 67), Paris, Cerf, 1967
230
1. Les finances des Églises locales ou diocèses
Pour aborder cet aspect, je vais explorer les travaux réalisés sous la direction Mgr Michel Dubost,
évêque d’Evry, dans Le nouveau théo. L’encyclopédie catholique pour tous (2009). Comme le prélat le dit,
l’organisation financière des Églises locales varie beaucoup d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre,
selon le développement économique de chacun d’eux, l’importance numérique de la communauté
catholique, son degré de motivation, le statut local de l’Église, etc. (Dubost, 2009:1386).
Dans certains pays de la vieille chrétienté (Allemagne, Belgique, Suisse, Italie, etc.), l’État prend en
charge le traitement des prêtres et des laïcs au service de l’Église, ainsi que l’entretien des bâtiments. En
Allemagne ou en Italie, par exemple, le financement est assuré par l’impôt, les fidèles pouvant indiquer
le culte destinataire de leur participation sur leur déclaration d’impôt.
En France, dans chaque diocèse est constituée une association diocésaine, variante de l’association
cultuelle instituée par la loi de 1905, revue selon l’accord du Conseil d’État de 1923. Chaque diocèse est
totalement indépendant et autonome dans sa gestion et dans ses finances. Les paroisses sont également
financièrement indépendantes, bien que leurs comptes soient intégrés dans les comptes des associations
diocésaines. Chaque diocèse a son budget et ses ressources. Les associations diocésaines établissent des
comptes annuels qui sont contrôlés par un commissaire aux comptes. Les églises affectées au culte et
construites avant la séparation de l’Église et de l’État en 1905 sont la propriété des communes et les
cathédrales construites avant cette date celles de l’État. Leur entretien est donc à la charge des
communes ou de l’État.
En dehors de cela, l’État français ne verse aucun financement (ni pour le traitement des prêtres, ni pour
le salaire des laïcs employés par l’Église, ni pour la vie des religieux et religieuses, ni pour l’entretien
des bâtiments propriétés des diocèses ou congrégations). L’Alsace et la Moselle constituent une
exception à cette règle. En effet, le Concordat de 1801 y est toujours en vigueur, si bien que l’État prend
en charge le traitement des prêtres de ces départements (Dubost, 2009 :1386). Concernant les ressources
des diocèses et des paroisses, les contributions des fidèles à leurs finances sont principalement
constituées d’éléments très diversifiés. D’abord, le denier de l’Église (autrefois appelé denier du culte),
contribution volontaire des fidèles, pratiquants ou non, qui joue le rôle de « cotisation » du catholique
pour l’Église.
Car, ainsi que l’affirme Philippe Simonnot, « les gens ont besoin de donner » (2008 : 20). L’auteur fait
observer une dynamique du don parfois très puissante. Dans la vie de tous les jours, scandée par les
fêtes, les anniversaires, les commémorations de toutes sortes, qui sont autant d’occasions de faire des
cadeaux aux proches, la part du don reste considérable. Certes, des événements exceptionnels, soit
231
causés par des catastrophes naturelles, tremblement de terre, inondation, tsunami, soit créés
artificiellement par la radio et la télévision pour de grandes causes, lutte contre le cancer, la lèpre, le
sida, etc., permettent de mobiliser massivement la générosité de chacun. Selon Simmonot, il y aurait
donc, sous-jacent à toute société, un gisement financier constitué de sommes, petites ou grandes, que de
braves gens sont prêts à donner pour le salut de leur âme ou de leur santé mentale ou pour tout autre
objectif. Et l’appel à la générosité se révèle dans certaines circonstances très efficient et même trop
efficient (2008 : 19). En France, la collecte du denier de l’Église s’est élevée en 2007 à 208,7 millions
d’euros (Dubost, 2009 : 1386).
Ensuite, les offrandes de messe, remises au prêtre célébrant la messe à une intention particulière. Il ne
s’agit pas d’un paiement, la messe n’ayant pas de prix. C’est une façon de s’unir à la prière du célébrant.
L’offrande conseillée est de 16 euros en vigueur depuis 2007. Cette année-là, le montant total de ces
offrandes, tous diocèses confondus, s’est élevée à 56,9 millions d’euros. Il y a aussi les offrandes reçues
à l’occasion de cérémonies, appelées « casuel »144, qui ont le même sens : baptêmes, mariages,
enterrements ne se paient pas, mais, si l’on a les moyens, on peut participer aux charges de l’Église et
aux moyens d’existence de son clergé. Leur montant annuel total en France en 2007 est de l’ordre de 72
millions d’euros.
Viennent les contributions dominicales, faites le plus souvent au profit du budget paroissial. Certaines
sont ordonnées par l’évêque à l’intention d’un service d’Église, soit diocésain (séminaire, chantiers
diocésains, etc.), soit national (Secours catholique, instituts catholiques, etc.), soit mondial (missions,
Comité catholique contre la faim et pour le développement, CCFD, etc.). Ce sont des quêtes impérées.
Leur montant total en France, en 2007, s’est élevé à 141, 7 millions d’euros. Viennent enfin les legs, qui
représentent en 2007 pour l’ensemble des diocèses de France 62,5 millions d’euros (Dubost, 2009 :
1386). Au total, les ressources de l’ensemble des diocèses français se sont élevées en 2007 à 541, 9
millions d’euros, soit en moyenne 5 210 577 euros par diocèse.
A ces ressources, il faut ajouter les revenus des placements. Le mode de répartition de ces diverses
recettes entre le diocèse et ses paroisses varie d’un diocèse à l’autre. Les catholiques ont, en outre,
donné à de grandes œuvres, telles que le Secours catholique (101 millions d’euros), la Fondation
d’Auteuil (84,9 millions d’euros), le Comité contre la faim et pour le développement-CCFD (29,8
millions d’euros), l’Aide à l’Église en détresse-AED (17,7 millions d’euros), l’Ordre de Malte (13,7
Du latin casus, ce qui est aléatoire, le casuel est une offrande versée à l’occasion de la célébration d’un sacrement
144
232
millions d’euros), les Œuvres pontificales missionnaires-OPM (9,1 millions d’euros), la Fondation
Notre-Dame (7,8 millions d’euros), la Société Saint-Vincent-de-Paul (7,6 millions d’euros) pour un total
de plus de 271 millions d’euros, sans compter les multiples associations ou fondations plus petites ou les
dons faits aux médias chrétiens. Michel Dubost estime que les catholiques français donnent plus de 600
millions d’euros par an à l’Église (2009 : 1386 b).
Finissons ce point illustratif des diocèses français en évoquant leur budget. En effet, chaque diocèse a
son budget et ses ressources, mais tous contribuent au financement des organes communs qui ont été
institués au niveau national. Les comptes sont contrôlés par un commissaire aux comptes (comme toutes
les associations qui reçoivent plus de 153 000 euros de dons, depuis la loi du 28 juillet 2005). Il existe
une certaine solidarité entre les diocèses qui participent selon leurs ressources aux dépenses nationales.
Le cas échéant, un diocèse en difficulté peut être aidé par un ou plusieurs diocèses dont la situation
financière est meilleure. Présentons dans un tableau les grandes lignes du budget des diocèses de France.
Malgré la grande diversité de l’organisation financière des diocèses, on peut considérer qu’un diocèse
moyen de 500 000 habitants a un budget d’environ 6 millions d’euros.
Le tableau ci-dessous fait apparaître clairement que les ressources des diocèses proviennent
exclusivement de la générosité des fidèles : dons, legs, offrandes et quêtes. Les dons ne progressent pas
suffisamment pour couvrir l’accroissement des charges, mettant une grande majorité de diocèses dans
une situation de fragilité matérielle. De nombreux diocèses ont ainsi un déficit d’exploitation malgré les
réductions de coûts et d’effectifs de laïcs salariés qui ont été réalisés depuis plusieurs années. C’est
souvent grâce aux legs que le budget de chaque diocèse est équilibré (Dubost, 2009 : 1386 c). Toutes ces
ressources manquent cruellement aux Églises locales du Congo, ce fils aîné de l’Église d’Afrique noire,
mais pauvre. Voici donc les principales dépenses et recettes des diocèses de France:
233
Tableau 3 : Le budget des diocèses de France en pourcentage
Achats pour le
fonctionnement du diocèse et 20 Ressources diverses : cierges,
Offrandes de messes 6
Autres charges 14
Autres revenus 6
Source : Cf. Dubost, M., (dir.), Le Nouveau théo. L’encyclopédie catholique pour tous, p. 1386c.
Rappelons que les catholiques africains ne représentent qu'un dixième des catholiques dans le monde.
L'Afrique est le continent qui connaît la plus forte croissance de catholiques. En 1978, au début du
234
pontificat de Jean-Paul II - qui a consacré à ce continent 40 voyages sur 110 -, l'Afrique comptait 50
millions de baptisés catholiques ; en 2005, ils étaient 153,4 millions, soit 17,1 % de la population
africaine totale. En 2009, lorsque le pape Benoît XVI a visité l'Afrique, l'effectif a été estimé à 158
millions145. Ces deux dernières années, leur nombre s'est accru de 3,1 % (pour une croissance
continentale de 2,5 %). Si bien qu'en 2050 l'Afrique devrait compter 322,2 millions de catholiques, sur
1,8 milliard d'habitants que ce continent attend, selon les projections des Nations-Unies.
C'est aussi sur ce continent que le nombre de prêtres et de séminaristes augmente le plus vite : 32 370
prêtres (chiffres 2008), dont la moitié est autochtone, et 23 580 séminaristes. On compte en Afrique 4
741 fidèles par prêtre (1 415 en Europe). L'Afrique n'a cependant que 15 cardinaux et 632 évêques146.
L’idée que peuvent donner les statistiques serait incomplète, si l’on ne considère pas le dynamisme
ecclésial et la vitalité théologique remarquable au sein de l’Église du Congo depuis les quatre dernières
décennies. Et pourtant, au cœur de ces exploits notables théologiques, s’inscrit l’ombre de ses faiblesses.
Il s’agit principalement de sa dépendance financière vis-à-vis des Églises occidentales pour pouvoir
assurer la réalisation matérielle de beaucoup de ses programmes et objectifs, et ce malgré les atouts
économiques qu’elle présente dans le pays.
C’est ce drame que reflète bien l’Église du Congo. Forte en beaucoup de domaines sociaux, elle est
hélas chétive en matière d’autofinancement local. On dirait bien que le Congo, « géant chrétien
d’Afrique », n’est hélas, sous cet angle, qu’un colosse aux pieds d’argile (Kalamba, J., 1992 : 39) !
Faisant une évaluation périodique de l’évangélisation au Congo, le cardinal Joseph-Albert Malula avait
brossé il y a quelques décennies un tableau pas vraiment élogieux pour décrire cet état qui, à coup sûr,
n’honore pas l’Église de son pays : « Après plus de 80 ans d’évangélisation ; 17 ans après l’établissement de la
hiérarchie autochtone (1959) ; 16 ans après l’accession de notre pays à l’indépendance, l’Église du Zaïre continue à vivre
des subsides des O.P.M. et de l’aide des Églises-sœurs des pays riches. Nous leur en sommes très reconnaissants… Or, une
Église particulière est celle qui dispose de tous les moyens propres de salut. Y compris les moyens financiers. Aujourd’hui
aucun des 47 diocèses de notre Église du Zaïre ne peut prétendre se suffire à lui-même en matière d’autofinancement ou
d’autosubsistance… Mais en matière financière, il faut avouer que nous dépendons tous de l’étranger » (1983 : 29).
On le voit bien, les acteurs de l’Église catholique prennent de plus en plus conscience de la réalité ; il
reste à savoir comment cette prise de conscience est traduite dans des actions concrètes.
145
Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Église_catholique_romaine_en_Afrique/ [Consulté le 7 février 2012]
146
Cf.http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/L-Église-catholique-en-Afrique-_NG_-2009-03-17 [Consulté
le 7 février 2012].
235
3. La prise de conscience progressive mais encore théorique de l’épiscopat congolais
Le problème de l’autofinancement des Églises locales du Congo est devenu, depuis le centenaire en
1980, une des priorités inscrites dans leurs programmes et objectifs majeurs 147, étant donné que ces
Églises n’ont hérité d’aucune expérience en ce domaine, mais, au contraire, d’un grand paternalisme.
Durant l’ère missionnaire, comme le montre Joseph Kalamba, ces Églises locales étaient tellement
habituées à tout recevoir de l’extérieur qu’elles n’étaient pas préparées à compter avant tout sur elles-
mêmes financièrement. Grâce aux aumônes provenant entre autres de leurs pays d’origine, les
missionnaires pouvaient monter sur place des structures socio-économiques utiles à leur apostolat :
service social chargé de distribuer des pacotilles, objets de piété religieuse venus d’Europe en
containers, du riz,… Les communautés chrétiennes n’y étaient pas associées et toute l’administration de
ces biens restait « l’histoire » de la hiérarchie expatriée (1992 : 39).
Il serait naïf de croire que les congrégations missionnaires ne manquaient pas de soucis pécuniaires, loin
s’en faut. Mais, de façon générale, les Églises de mission au Congo s’en tiraient tant bien que mal, grâce
principalement aux ressources matérielles provenant de l’étranger, soit données par l’administration
coloniale belge sous forme de subventions de l’État, soit par leur famille biologique ou religieuse, soit
encore par des collectes mobilisées par des associations chrétiennes nationales ou internationales de
soutien à l’action missionnaire.
Aujourd’hui, deux facteurs majeurs conduisent la hiérarchie autochtone à se pencher sur ce problème :
la rareté des ressources suffisantes depuis le passage d’une Église tenue par les missionnaires européens
aux acteurs africains dans l’évangélisation, d’une part, les effets de la crise économique grave qui
secoue le monde en général et le Congo en particulier depuis des décennies, d’autre part.
En effet, lorsque la direction passa dans les mains de la hiérarchie autochtone durant l’ère de la
« localisation », le problème matériel rebondit de façon cruciale. On s’aperçut à quel degré on dépendait
des ressources essentiellement extérieures pour le fonctionnement de l’Église locale. Cette assistance
financière ne fait que diminuer d’année en année, étant donné l’essoufflement des donateurs148 et le
contexte mondial qui change les mentalités et les mœurs.
147
L’autofinancement constitue un point capital parmi les options fondamentales de l’Église du Zaïre (…). Situées dans des
régions économiquement dépendantes, nos Églises partagent le sort de leur pays et risquent d’être perpétuellement réduites
à la mendicité et au chantage de la part de leurs bienfaiteurs » (Cf. Bimwenyi-Kweshi, 1983 : 318-319).
148
Achille Mbembe (1989 : 58) nous livre l’expérience vécue par l’Église catholique de Zimbabwe au lendemain de son
indépendance en 1980. Elle s’est vue confier la gestion des ressources captées à l’extérieur autour du programme de
reconstruction et du soulagement des effets de guerre dont la logique générale était en fait celle de l’assistance aux
populations sinistrées par la guerre d’indépendance plutôt qu’à déclencher une véritable dynamique d’accumulation.
L’année qui suivit la proclamation de son indépendance, une affluence à un rythme étonnant des agences de financement de
236
Étant due à la conjoncture elle-même (sécheresses, crises sociopolitiques, etc.), la politique
d’extraversion financière vient consolider l’option caritative : généralement, les Églises catholiques
d’Afrique reçoivent des financements pour les aides d’urgences, la réhabilitation de leurs principales
œuvres cultuelles (églises), d’assistance sociale (écoles, cliniques et hôpitaux, orphelinats…).
Cet engagement dans le social est certes indispensable dans la mesure où les Églises se voient amenées à
suppléer à l’État qui s’est effacé devant ses responsabilités. Elle amasse un pouvoir et occupe une
surface d’influence qui, pour être maintenue et consolidée, l’oblige à raffiner ses méthodes de captation
de ressources à longue distance (Mbembe, 1989 :59). Les programmes financés par les agences
européennes ne répondent que de façon minimale aux différents critères précis qui ne les dégagent pas
de cette logique d’assistance. La conséquence de celle-ci est que, malgré le volume de financements
reçus bien des décennies après, les Églises d’Afrique sont toujours en besoin de financements pour les
mêmes activités ou même de nouvelles, aucune de ses structures n’étant parvenue à se prendre en charge
financièrement.
La situation d’impasse créée par les financements extérieurs aux Églises africaines a conduit Mgr
Kalilombe à se poser un double questionnement: « Quel est l’impact sur les jeunes Églises de l’aide…en ressources
matérielles apportées par les Églises d’Europe et d’Amérique ? Et s’il faut que les jeunes Églises deviennent des
communautés adultes et capables de se suffire, quelles doivent être leurs relations avec les anciennes Églises ? »149
On comprend bien que l’autofinancement progressif est une exigence et une conséquence résultant
intrinsèquement de la croissance des Églises locales appelées à devenir adultes pour devenir une « église
authentiquement négro-africaine » comme le disait Malula : « C’est pourquoi, écrivait-il, aujourd’hui un des
problèmes majeurs du Zaïre est de trouver, dans notre pays-même, des voies et moyens d’assurer, progressivement, notre
propre autofinancement…Je veux évoquer par-là l’angoissant problème de la subsistance de nos agents d’évangélisation.
Notre grand souci est donc de mettre en place nos propres structures d’autofinancement à même de donner à notre diocèse,
des revenus stables pour la subsistance décente de nos prêtres et pour le développement de nos œuvres pastorales »
(1973 :29).
projets dits de développement dans le Tiers-Monde. Mais, d’une année à l’autre, les donateurs étrangers se rétractaient en
faisant savoir que leur éventuelle participation ne pourrait se faire qu’à hauteur d’un pourcentage réduit du coût total du
projet. Il s’est amorcé une très sérieuse décrue, tous les programmes enregistrant une baisse de leurs entrées. C’est ainsi
qu’à partir de 1982, la chute des revenus tirés des transactions avec l’extérieur et leur volatilité s’accélérèrent et que la
politique d’extraversion commença à s’essouffler : de 3 819 240 $US en 1980, les fonds extérieurs de financement des
programmes reçus par l’Église zimbabwéenne n’étaient plus que de 873 845 $US (Mbembe, A., 1989 :55-56) en 1982, soit
une baisse de 77% en deux ans seulement. Elle sera de 86% entre 1982 et 1986 (Ibid.).
149
Colloque d’Accra, Libération ou adaptation, la théologie africaine s’interroge, éd. Harmattan, 1977 : 50.
237
Si tel en est l’objectif global, la réalité sur le terrain demeure hélas autre chose dans beaucoup de cas.
C’est pourquoi, j’ai parlé d’une prise de conscience théorique de l’enjeu du problème par l’épiscopat
congolais. En effet, l’autofinancement est encore, en général, un objectif, un programme qu’on
commence à se fixer un peu partout dans les Églises du Congo puisqu’elles en ressentent la nécessité,
mais dont les résultats matériels sont encore maigres (J. Kalamba, 1992 : 40).
Et pourtant, cette quête à l’autofinancement local est une voie obligée pour assurer leur avenir, pour
affirmer leur maturité en tant qu’Églises devenant adultes, conformément à la conception
ecclésiologique de Vatican II dans son document Ad Gentes. La pensée d’Ad Gentes offre quelques
critères majeurs pour jauger et juger le développement d’une Église en croissance : « Une communauté
doit être dès le début constituée de telle manière qu’elle puisse, dans la mesure du possible, pourvoir elle-même à
ses besoins » (A.G. 15).
Cette analyse est d’une grande portée sociologique car elle permet de saisir la gravité de la faiblesse
matérielle et financière des Églises du Congo due au système paternaliste dans lequel elles sont nées et
ont évolué durant les périodes coloniale et postcoloniale. Ces Églises n’ont pas été préparées à la
logique de l’autofinancement, mais plutôt de tout attendre de l’extérieur, donc de la dépendance.
De fait, les stations missionnaires africaines furent initialement construites selon un modèle semblable :
l’église, la maison des Pères, le couvent des Sœurs, l’école, le dispensaire, les ateliers, la ferme.
Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné comme en Europe ? John Baur (2001: 453-454), montrant la
difficulté des comparaisons historiques où les dissemblances paraissent plus manifestes que les
ressemblances, trouve deux explications à cet échec : les grandes distances géographiques des territoires
confiés aux missionnaires et la différence des trajectoires historico-religieuses et culturelles de l’Afrique
par rapport à l’Europe.
238
D’abord les distances géographiques : dans les territoires confiés aux missionnaires d’Afrique, elles
étaient 20 à 40 fois plus grandes que les distances autour d’un monastère dans l’ancienne Europe, alors
que le personnel était très réduit. Dans le Vicariat Apostolique du Kivu, en 1926 - soit vingt ans après sa
création -, seulement 15 prêtres missionnaires desservaient un territoire de plus de 300 000 km² !
Les missionnaires se trouvaient face à un dilemme : ou bien ne cultiver que peu de centres et laisser
90% de la population sans l’atteindre, ou bien diviser leurs forces et établir un réseau de missions
beaucoup plus réduites qui ne rendraient que peu de service au plan économique. Sous la poussée d’une
forte concurrence missionnaire protestante, et quelquefois de l’islam, notamment dans le Kivu-
Maniema, le choix missionnaire catholique fut porté sur la seconde alternative qui se concentrait donc
sur des priorités pastorales et catéchétiques et accordait peu d’importance au développement
économique de leurs milieux d’évangélisation (Ibid.). La seconde raison que l’auteur évoque, c’est la
différence des trajectoires historico-religieuses et culturelles de l’Afrique par rapport à l’Europe. En
effet, dit-il, le processus de conversion de l’Europe a été très lent, se déroulant sur plusieurs siècles,
tandis que les événements se sont précipités en Afrique les uns après les autres. De plus, l’Europe n’a
pas fait l’expérience comme l’Afrique d’un choc de deux cultures.
En Afrique, les différences entre les missionnaires et les convertis étaient bien plus importantes et elles
ne favorisèrent pas une vie commune précoce, ni d’un côté ni de l’autre ! Les Africains étaient
convaincus qu’un partage se ferait concernant les techniques les plus avancées de la civilisation
européenne. On désirait peu améliorer l’infrastructure de l’agriculture et les métiers manuels : « Muzungu
atatuletea vitu fulani kwa kulima ao kuchimbula ma barabara …(en swahili), qui se traduit = le Blanc va nous amener
telle ou telle machine pour cultiver ou pour creuser la route… ».
Pourtant, se demande Baur, étant donné la profonde connaissance qu’avaient les missionnaires des
échanges économiques, n’auraient-ils pas pu faire davantage pour le bien-être de leur population
chrétienne africaine ? Il est aisé de répondre en invoquant les ressources réduites dont ils disposaient. Il
n’y en avait jamais assez pour couvrir les besoins constants : construction de nouvelles églises, stations,
écoles, hôpitaux. Ces priorités semblaient ne laisser aucune place aux autres activités (Ibid.).
Il y a eu d’abord avec le roi Léopold II, mais surtout entre 1920 et 1960, une véritable tutelle de l’État
sur l’Église. Aucun autre pays, affirme John Baur, ne s’est identifié à ce point à ses colonies que la
Belgique avec le Congo, et dans aucune colonie d’Afrique autre que le Congo, les missions catholiques
n’ont été aussi étroitement liées à l’État. Ce lien si intime entre mission et État peut s’expliquer par le
double fait que presque tous les missionnaires étaient des Belges et que la Belgique avait conçu le
développement chrétien et humain au Congo comme une tâche nationale qui nécessitait la coopération
de l’Église, même si ces deux institutions différaient parfois dans leurs objectifs.
239
Mais il serait hâtif d’affirmer qu’aucune de toutes les missions catholiques n’était impliquée dans le
développement économique de leur milieu d’évangélisation au Congo, notamment leur contribution
économique inhérente à toutes les activités missionnaires. Il y eut le « bénéfice » de l’éducation qui a
permis à une partie significative de la nation de gagner de l’argent par le travail salarié ou de démarrer
ses propres affaires. La politique reconnue était que le développement économique devait aller de pair
avec une action médicale, sociale et morale, le tout imprégné d’un « esprit chrétien » (G. Mosmans,
1961: 16), mais cette politique présentait un véritable paradoxe car elle portait déjà en son sein des
germes de vice.
Par contre, les pays les moins avancés sont ceux dont cette formation présente un taux très bas. Au
Congo, la politique scolaire assurée par les principaux acteurs en présence, l’Église et l’État, présentait
un véritable paradoxe dans la mesure où la formation humaine scientifique, technique et professionnelle
n’a pas constitué une préoccupation majeure pour l’administration coloniale belge. Celle qui était
donnée aux autochtones était dictée d’abord par les objectifs pastoraux des missions, d’une part, et, de
l’autre, par les intérêts socio-économiques de l’État colonial que pour l’avenir du Congo.
Comme je l’ai montré suffisamment dans le chapitre précédent, en effet, vers 1926, l’œuvre d’éducation
fut systématiquement organisée par l’administration coloniale en confiant aux missions catholiques,
essentiellement belges, toutes les écoles, l’État se chargeant de verser des subventions substantielles.
Cette politique scolaire devint la pierre angulaire de la mission catholique et un tendon d’Achille
vulnérable à la fois pour l’Église et pour l’État.
Le réseau scolaire diffusé avec ampleur sur tout le territoire se trouvait à 90% entre les mains de l’Église
catholique, le reste étant formé des écoles non subventionnées des protestants. Ce réseau fut le principal
moyen d’évangélisation, produisant de grandes vagues de conversions de masse qui firent passer le
nombre des catholiques de 10% de la population en 1930 à 40% en 1959. L’Église apparaissait comme
un organisme d’État.
240
Sur quatre prêtres dans une station missionnaire centrale, l’un d’eux était pris à plein temps comme
directeur d’école : son salaire couvrait la plupart des dépenses des autres Pères et, en tant que directeur,
il menait l’école comme une institution chrétienne ; mais, en même temps, sa tâche administrative avec
les enseignants impliquait des mesures disciplinaires, ce qui avait souvent un impact pastoral négatif (J.
Baur, 2001 : 361).
En 1924, l’action médicale fut coordonnée au Congo entre l’administration coloniale et l’Église. Le
gouvernement œuvra conjointement avec des organisations de soutien missionnaire pour financer des
hôpitaux et payer les salaires des médecins. En bien des endroits, les missionnaires ont introduit les
cultures de rente qui se sont lentement développées comme les principaux pourvoyeurs de revenu des
économies nationales, comme le café en Afrique de l’Est et le cacao en Afrique de l’Ouest.
Il y avait ensuite le travail fourni par la construction et l’entretien des bâtiments de la mission ; les
postes offerts au personnel de la mission ; le travail temporaire au jardin, dans les champs et sur les
routes. Dans certaines régions, les missions étaient les plus grands employeurs et investisseurs,
dépassant même le gouvernement (c’est le cas de l’archidiocèse de Bukavu actuellement). En plusieurs
endroits de la RDC, en particulier dans la province du Kasaï, c’est le réseau bien développé de la
mission qui a permis de maintenir les services économiques essentiels durant le chaos qui a suivi
l’indépendance.
En général, les gens ont toujours estimé les missions comme d’importants agents économiques. A
l’époque coloniale, ils disaient que telle religion était meilleure que les autres parce que ses
missionnaires avaient édifié les routes et les ponts dans les milieux. Même jusqu’aujourd’hui, les
populations apprécient l’efficacité d’une religion selon son degré d’implication dans leur vie socio-
économique et politique. C’est le cas de l’Église catholique du Congo et Bukavu en particulier au regard
de ses réalisations dans le domaine du social.
Il faut néanmoins reconnaître que tous les missionnaires n’étaient pas persuadés qu’ils avaient le devoir
d’aider leurs convertis à atteindre un développement économique et culturel. Chez les catholiques, le
principe était universellement admis, mais la pratique clopinait loin derrière. Chez les protestants, ils
étaient peu nombreux ceux qui avaient souscrit à la déclaration de l’archidiacre Farler, alors sur la fin de
l’activité missionnaire, en 1886 : « Je ne vois pas comment vous pouvez élever la vie spirituelle de l’homme
sans que vous éleviez sa vie physique pour qu’elle y corresponde » (Oliver, R., 1964 : 213). Le géant Saint
Thomas d’Aquin, dans la Somme Théologique l’avait déjà exprimé en termes sans équivoque : « Il faut
un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu ».
241
Au niveau du lien si intime évoqué entre mission et État au Congo en vue d’un développement
économique et culturel allant de pair avec une action médicale, sociale et morale, le tout imprégné d’un
esprit chrétien, le plus grand défaut du système fut qu’ensemble, fonctionnaires et missionnaires étaient
convaincus que l’éducation ne devait être diffusée qu’à un niveau élémentaire, en évitant la création
d’une « élite qui perdrait tout contact avec les masses » - un euphémisme, d’après Allary, pour dire
« une élite qui critiquerait le système colonial» (J. Baur, 2001 : 362).
Ainsi donc, l’éducation post-primaire fut limitée aux collèges qui formaient les maîtres et les maîtresses
et à un petit nombre de collèges de premier cycle et d’écoles techniques. La formation secondaire et
universitaire proprement dite n’était disponible que dans les séminaires et les futurs hommes politiques,
comme le premier président congolais, Joseph Kasavubu, ou Antoine Gizenga, ne pouvaient être que
d’anciens séminaristes (G. Monsmans, 1961 : 19).
John Baur, pour sa part, considère que la participation africaine à la Deuxième Guerre mondiale
constitue l’événement majeur dans la prise de conscience du changement sociopolitique et économique
dans toute l’Afrique. La colonie belge avait contribué à la victoire des forces alliées et confié à des
milliers d’Africains des tâches jusqu’alors réservées aux Blancs, en leur promettant une rétribution
convenable pour l’après-guerre. Ces efforts ouvrirent les yeux des Congolais sur leurs capacités et ils
exigèrent d’avoir accès à toutes les opportunités professionnelles et au mode de vie européen. Leurs
réclamations aboutirent à l’extension du système scolaire jusqu’à l’université.
La construction des écoles secondaires fut accélérée, mais, aux yeux de la plupart des colons et de
missionnaires, ce développement était trop rapide. En 1954, l’université de Lovanium fut fondée comme
institution fille de l’université belge de Louvain. Mais, en 1955, un professeur belge, Van Bilsen, élabora
encore un plan prévoyant seulement l’indépendance après trente ans.
Cette attitude « trop prudente » suivie par plusieurs missionnaires suscita un fort ressentiment dans la
jeune élite, et leur ancienne confiance dans les prêtres fit place à un profond malaise et même à de
l’hostilité (J. Baur, 2001 :361). Une poignée d’hommes clairvoyants, comme le Père Guy Mosmans, le
provincial belge des Pères Blancs, lancèrent un appel en 1956 en faveur d’un changement de perspective
pour qu’on nomme des missionnaires non belges, qu’on prépare une Église dirigée par le clergé africain
dans laquelle les missionnaires seraient des assistants, et pour une confiance totale et non paternaliste de
ces derniers envers leurs anciens protégés (Mosmans, G., 1961 : 31-37).
242
Lorsque, à la fin de 1958, les Congolais de Brazzaville, sur l’autre rive du fleuve, eurent la possibilité de
voter pour leur indépendance par rapport à la Communauté française et eurent leur propre Premier
ministre, des révoltes éclatèrent à Léopoldville au Nouvel An de 1959. Le gouvernement belge en
conclut que la meilleure solution pour apaiser la tension était d’accorder immédiatement
l’indépendance.
Ceci prouverait la bonne volonté de la Belgique et inciterait la population congolaise à traverser cette
période de transition dans une disposition positive de gratitude. C’est dans cette perspective que le jour
de la proclamation de l’indépendance, le 30 juin 1960 à Léopoldville, Baudouin, roi des Belges,
prononça son discours plein d’éloges pour la colonisation et son action civilisatrice au Congo, auquel le
Premier Ministre Lumumba répondit dans un discours historique dans lequel il releva plutôt les méfaits
de la colonisation et par lequel il signa sa mort… ! Bien que le Congo ait la scolarisation primaire la
plus élevée d’Afrique, il manquait d’une véritable élite, puisqu’il ne comptait à l’indépendance que
quinze diplômés d’université, très peu de cadres administratifs et aucun officier dans l’armée (Baur, J.,
2001 : 362).
Comme on le constate, la hiérarchie catholique congolaise, et celle de l’Église locale de Bukavu en
particulier, n’avait pas au départ d’outils, en termes de capital ni social, ni culturel ni économique de
départ pour enclencher le processus de l’autofinancement. Pour tout dire, les acteurs sociaux de la
nouvelle structure religieuse post-missionnaire au Congo ne disposaient d’aucune compétence, celle-ci
étant entendue par Anthony Giddens comme « tout ce que les acteurs connaissent (ou croient), de façon tacite
ou discursive, sur les circonstances de leur action et de celle des autres, et qu’ils utilisent dans la production et la
reproduction de l’action » (1987 :440). Chaque fois, elle est obligée de recourir aux aides extérieures
grâce aux projets élaborés et envoyés aux organismes chrétiens occidentaux.
Section II : Les sources extérieures et locales des revenus financiers des Eglises du Congo
Il n’est pas facile d’obtenir toutes les données de la situation financière tant des Églises du Congo en
général que d’une Église locale comme l’archidiocèse de Bukavu depuis leur érection jusqu’à ce jour.
D’ailleurs, ce serait une entreprise trop vaste et ambitieuse. Je me contenterai des éléments à ma portée,
recueillis auprès des organismes catholiques de financement dans le cadre de cette étude et pour elle.
Même si les chiffres récoltés ne livrent pas une vue exhaustive et définitive de l’état matériel des
dépenses et des besoins des Églises locales du Congo, ils nous aident au moins à avoir une idée
concrète150.
Je me réfère le plus souvent aux rapports de quatre organismes d’entraide que j’ai pu obtenir comme échantillon
150
représentatif : Missio-Aachen, Misereor, OPM et l’Action de Carême Suisse. Ces organismes s’imposent par la fréquence et
243
D’abord, il sera question de déterminer les sources d’où proviennent les moyens matériels et financiers
utiles à l’évangélisation des Églises du Congo ainsi que les problèmes structurels inhérents à cette
transaction. Ensuite, il me faudra identifier les lieux organiques de la vie ecclésiale du Congo « qui
occasionnent et nécessitent une importation massive et chronique des subsides étrangers pour leur
fonctionnement quotidien » (J. Kalamba, 1992 : 51).
Pour classifier les sources financières extérieures et locales, j’ai choisi de considérer le lieu de
provenance des ressources matérielles et financières comme piste et critère de distinction entre les
sources donatrices. Les premières nous viennent de la générosité des chrétiens et organismes
d’Occident ; les secondes sont tirées à partir des initiatives privées locales ou la contribution des
communautés chrétiennes.
la force quantitative de leur appui matériel et financier dans la plupart des Églises du Congo. Les autres organismes ne sont
pas oubliés ni diminués. Dans la troisième section, je situerai ces organismes. En Allemagne, je parlerai surtout de Missio-
Aachen et Missio-München, de Misereor-Aachen. En France, j’invoquerai les actions du Secours catholique-Caritas et
celles du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD). En Belgique, je mentionnerai Broederljick
Delen (branche flamande), Entraide et Fraternité (branche française) avec leurs sièges à Bruxelles. En Suisse, je penserai
surtout à l’Action de Carême et à Miva. En Hollande, les œuvres comme Cebemo et Miva qui apportent leur soutien
financier et matériel aux Églises du Congo, notamment à Luiza. En Autriche, je me réfère à Miva et en Italie aux O.P.M.
ainsi que la Conférence Episcopale Italienne (C.E.I.) à Rome.
244
Tableau 4 : Tableau synoptique des offrandes des diocèses d’Afrique à l’Église universelle (1975-1984) en $ US
1975 160 715 23 124 066 340 581 23 484 464 1 287 696 48 397 704
1976 197 299 23 014 781 436 512 24 798 006 1 066 798 50 513 396
1977 222 398 26 578 090 522 423 30 448 707 1 252 200 59 023 818
1978 254 542 30 253 939 626 220 37 573 100 1 175 373 69 883 174
1979 332 232 33 254 185 735 601 41 652 744 1 396 315 77 371 077
1980 508 519 36 308 284 813 862 36 596 153 1 587 614 75 814 432
1981 394 300 45 260 677 958 841 33 094 133 1 591 535 81 299 486
1982 391 289 43 936 193 1 055 499 31 648 939 1 351 025 78 383 896
1982 419 240 46 076 722 872 823 30 326 293 1 513 025 79 208 105
1984 242 136 49 798 851 1 050 367 38 567 678 1 168 220 90 827 252
Total 3 122 670 266 337 887 7 412 729 262 328 875 13 389 801 710 722 340
L’analyse de ce tableau amène à des observations suivantes : les plus grands contributeurs en termes
d’offrandes des Églises locales (diocèses) à l’Église universelle sont les Églises d’Amérique et
d’Europe, qui apportent respectivement 37,47% et 36,91%, soit 74,38% des offrandes données à Rome
par les Églises des cinq continents durant les dix ans étudiés. Les Églises locales des pays africains qui
apportent leur contribution matérielle de façon régulière donnent à l’Église universelle moins de 1%,
exactement 0,44%, là où leurs consœurs d’Asie et d’Océanie contribuent à concurrence de
respectivement 1,04% et 1,88%.
On remarquera que, de manière globale, ces aides provenant des Églises locales des cinq continents ont
augmenté d’année en année atteignant le double en dix ans. On constate que les cotisations données par
les pays africains sont non seulement irrégulières, mais aussi modiques, si bien que leurs Églises locales
africaines reçoivent plus qu’elles n’apportent à la caisse « commune ». C’est ce que montre le tableau
ci-dessous pour la décennie 1975-1985.
245
Tableau 5: Tableau synoptique des subsides reçus par les Églises d’Afrique : 1975-1985 (en $ US)
SUBSIDES
ŒUVRE DE SUBSIDES TOTAL
ANNEE EXTRA %
SAINT PIERRE ORDINAIRES GENERAL
ORDINAIRES
1975 2 000 000 9 773 938 8 951 155 20 725 093 41, 45
1976 2 000 000 10 162 841 9 677 693 21 840 534 43, 89
1977 2 000 000 9 691 922 9 791 227 1 483 149 41, 50
1978 2 000 000 9 829 180 12 536 036 24 365 216 41, 77
1979 2 000 000 10 327 878 16 687 537 29 015 415 40, 64
1980 2 500 000 12 780 359 18 372 554 33 652 913 41, 78
1981 3 500 000 12 909 633 18 908 791 35 318 424 45, 65
1982 3 500 000 12 585 423 20 460 088 36 545 511 45, 65
1983 4 000 000 13 062 096 21 776 597 38 838 693 46, 00
1984 4 400 000 13 454 816 18 342 577 36 197 393 44, 89
1985 4 400 000 13 704 993 18 878 890 36 983 883 44, 82
Le pourcentage représente la part qu’a reçue chaque continent de la somme générale des subsides
alloués cette année-là. Le pourcentage de l’Afrique est visiblement le plus élevé de tous les autres
continents. Le langage des chiffres confirme la réalité sur terrain : les Églises locales d’Afrique sont
parmi celles qui vivent le plus de l’aide financière étrangère. Alors qu’en 1984 elles apportaient 242 136
dollars, la même année elles recevaient 36 197 393 dollars, soit cent cinquante fois plus.
Que cela suffise pour révéler le degré de leur dépendance financière extérieure. Les subsides de toutes
les O.P.M. demeurent pour les diocèses du Congo la source financière la plus sûre, constante et
permanente pour le fonctionnement ordinaire de la plupart de leurs institutions et structures. Pour le
moment, les sources locales s’avèrent encore insuffisantes pour leur autofinancement intégral. Le
contexte sociopolitique du pays depuis des décennies explique en grande partie cette faiblesse des
ressources endogènes. Je parlerai en long et en large dans le sixième chapitre.
246
Dans tous les diocèses du Congo, l’aide matérielle des O.P.M. a commencé à s’élever sensiblement au
début des années 1970, tel qu’on peut l’observer dans le tableau synoptique des subsides accordés par la
Sacrée Congrégation de la Propagande aux différentes églises locales durant la décennie 1970-1980, qui
donne le total des subsides ordinaires et extraordinaires par an. Cette augmentation relative va de pair
avec la multiplication ou même avec la variation des besoins ressentis au fur et à mesure que le travail
de l’évangélisation s’intensifiait en profondeur et que les nouvelles structures pastorales et institutions
ecclésiastiques des jeunes Églises du Congo croissaient organiquement.
Mais, face aux nombreux besoins et aux urgences accrues que les responsables rencontrent en fait
chaque jour, « l’enveloppe de Rome » reste toujours inférieure aux dépenses effectuées en réalité. Parmi
les principales rubriques que couvre l’aide des OPM, les subsides ordinaires sont les plus normalisés.
Ceux-ci servent à pourvoir à l’entretien du diocèse dans beaucoup de ses besoins quotidiens, à savoir
l’entretien matériel et financier des prêtres autochtones pour la nourriture, le logement, les moyens de
leur apostolat et les besoins personnels. Les frais généraux de fonctionnement sont aussi censés être
couverts dans ces fonds de subsides ordinaires.
Les subsides extraordinaires servent, quant à eux, à la réalisation des projets d’intérêt « socio-caritatif »
et « pastoral ». C’est le cas notamment de la formation et du recyclage des catéchistes, de l’organisation
des sessions pastorales tant au niveau paroissial qu’au niveau diocésain, des constructions ou des
réparations des églises, séminaires et noviciats ainsi que de l’acquisition des moyens de transport pour
l’apostolat, etc. D’autres besoins relatifs aux activités socio-caritatives des Églises du Congo sont aussi
financés par les O.P.M. selon leurs ressources budgétaires disponibles. L’entretien des orphelinats,
l’apostolat des religieuses dans les milieux défavorisés sont compris dans la rubrique des « œuvres de
miséricorde ». On le voit, les Églises du Congo, tout comme l’État congolais lui-même, vivent depuis
longtemps du « caritativisme international ».
Quelques observations critiques rapides s’imposent. D’abord, ces « œuvres de charité » que Rome
finance entrent beaucoup plus dans la logique traditionnelle d’assistance sociale de l’Église auprès des
pauvres : elle ne vise pas avant tout leur conscientisation dans leurs droits envers les pouvoirs publics.
On secourt, on prend en charge les « marginalisés », mais on ne responsabilise pas davantage l’État pour
prendre en mains sa tâche dans ce domaine.
247
Ensuite, la plus grande partie des subsides que Rome verse aide, au dire de Joseph Kalamba (1992 :52),
beaucoup plus directement « l’Église-institution » que « l’Église d’en bas ». Les besoins présentés sont
beaucoup plus ceux de la « hiérarchie locale », des structures et institutions de l’Église-dirigeante qui est
censée se dévouer pour le peuple. Ce financement aide d’abord ou surtout à l’entretien des cadres
ecclésiastiques africains, et de leurs auxiliaires, les catéchistes.
C’est subsidiairement qu’il touche le peuple chrétien dans la mesure où son devoir pour l’entretien de
ses ministres est allégé. Du reste, cette aide passe par la hiérarchie sans que les collaborateurs laïcs en
soient informés ; c’est encore elle qui gère toute seule la distribution. Tout ceci met en évidence aussi
bien le peu d’enracinement de structures financières dans le peuple local que l’extrême fragilité
matérielle et financière d’une institution cléricale africaine qui ne peut vivre aujourd’hui que grâce aux
ressources étrangères, principalement.
La politique financière de ces organismes diffère énormément selon que chacun d’eux a son secteur
d’action, sa sensibilité particulière pour tel ou tel autre besoin ainsi que sa propre philosophie dans la
« coopération ecclésiale » avec ses « partenaires ». C’est ainsi que, par exemple, une œuvre comme
Missio-Aachen a le plus souvent supporté une grande partie des « activités pastorales » des personnes,
structures et institutions des Églises du Congo. C’est surtout dans les secteurs de la formation des agents
ecclésiastiques (séminaires, noviciats, clergé) et laïcs, de leur cadre matériel de vie et de leurs moyens
de travail apostolique qu’elle a le plus concentré son financement151.
Tandis que, fidèles à la répartition de secteurs d’intervention propre, Misereor et Cebemo financent
surtout les « projets de développement socio-économique » amorcés en vue de la promotion humaine.
Cf. Tableau synoptique de l’apport financier global de Missio à l’Église locale de Luiza (1975-1989) : Missio-Aachen
151
248
Beaucoup de programmes touchant le secteur de la santé, de l’agriculture, de l’élevage, etc., sont
réalisés dans les Églises locales du Congo grâce à l’intervention financière considérable de Misereor.
Des organismes comme Miva-Suisse, Miva-Hollande, Miva-Autriche apportent leur soutien dans
l’acquisition des moyens de transport comme les véhicules nécessaires à l’apostolat dans les grandes
zones rurales152. Memisa, Entraide et Fraternité et Caritas internationale opèrent, de leur côté, dans les
programmes de santé pour l’achat du matériel médical, des médicaments ou d’autres objets
d’équipement technique.
On note aussi une très grande déficience dans la location des immeubles. J’y reviendrai en long et en
large dans le huitième chapitre. La plupart des Églises du Congo ne disposent d’aucune grande unité de
production « industrielle », par manque de vision et d’intérêt économiques des responsables. Pourtant,
ces diocèses possèdent des opportunités extraordinaires dans plusieurs secteurs de production. Ils ont
hérité des domaines très étendus et fertiles qui, s’ils étaient mis en valeur de manière rationnelle et
efficace grâce à des projets d’investissement bien pensés susceptibles de générer des ressources
financières, devraient aider ces Églises congolaises à sortir de la dépendance extérieure permanente.
Cf. J. Kalamba, 1992 : 284 : Contribution financière de Miva à l’achat des moyens de transport dans l’Église locale de
152
249
A ce sujet, lors de mes travaux de recherche sur terrain dans l’archidiocèse de Bukavu, les résultats
d’enquête réalisée auprès de prêtres et autres responsables des services du diocèse nous donnent à
observer ce qui suit concernant le type de financement reçu des organismes occidentaux:
Tableau 6: Les types de projets envoyés aux organismes occidentaux par l’archidiocèse de Bukavu
Nombre % Effectif
Quant aux paroisses encore occupées par les missionnaires européens, elles jouissent généralement d’un
niveau de vie matérielle plus aisée que celles des prêtres africains. Les anciennes congrégations
diocésaines disposent déjà de certains acquis économiques, par rapport aux nouvelles qui n’ont pas de
patrimoine. Certaines paroisses, comme dans le diocèse de Luiza dans le centre du pays, essayent
timidement de lancer de nouvelles unités productives qu’elles ont montées elles-mêmes et à leur façon
(Kalamba, 1992 :54).
Ce qui n’est pas encore le cas dans le diocèse de Bukavu où, après l’arrêt d’activité de l’atelier
mécanique de Cibimbi consécutif à la vétusté de l’outil laissé par les missionnaires Pères Blancs, après
aussi la mauvaise gestion durant plusieurs décennies du garage de l’économat général. A part l’usine
Soja de Murhesa potentiellement rentable mais elle aussi victime à plusieurs reprises d’une mauvaise
gestion, aucune autre unité de production significative n’est visible si ce n’est le poulailler, le clapier
dont les unités domestiquées dépassent rarement une vingtaine.
250
Les paroisses concernées s’investissent dans le domaine agro-pastoral avec la production rudimentaire
des denrées alimentaires et les moyens de subsistance matérielle. On a souvent un potager, un verger ou
un champ de maïs et de manioc. Beaucoup se lancent dans l’élevage des poules, lapins, chèvres ou porcs
afin de répondre aux besoins de l’alimentation quotidienne. C’est cette autosuffisance alimentaire qui est
appelée dans les milieux religieux congolais « autofinancement ». Les zones rurales du Congo offrent
pourtant dans ces domaines des chances considérables pour une exploitation économique systématique
plus rentable dans l’avenir (Id. : 55).
Au niveau général du diocèse, les besoins matériels et financiers dépassent de loin les subsides
extérieurs et locaux qui sont officiellement présentés pour la redistribution. La consommation générale
des recettes augmente vertigineusement pendant que la production ou la rentabilité de certaines unités
économiques au diocèse et dans les paroisses diminuent considérablement. Entretemps, la formule
d’autofinancement des paroisses et institutions des Églises du Congo n’a pas encore porté de fruits
escomptés ou est parfois inexistante à certains endroits. Ainsi, les Églises locales du Congo doivent-elles
chaque année dépenser pour leur fonctionnement global plus qu’elles ne disposent réellement sur place.
1. Missio Aachen
C’est une Française, Marie Pauline Jaricot qui, à 23 ans en 1822, avait donné l’impulsion pour fonder
l’Association Générale pour la Propagation de la Foi à Lyon. Cette œuvre s’est répandue rapidement en
France, en Italie et en Belgique, commencée en 1832 par un médecin d’Aix-la-Chapelle le Dr Heinrich
Hahn. En 1922, le pape Pie XI élève l’Association à la dignité d’une « Œuvre Pontificale de la
Propagation de la Foi ». Depuis 1972, celle-ci s’appelle MISSIO en Allemagne. C’est est une association
qui, dès ses débuts, travaille en faveur de ce que nous désignons aujourd’hui comme « aide de
développement pour le Tiers-Monde ».
Il soutient le travail missionnaire et pastoral des Églises locales d’Afrique, d’Asie et d’Océanie et
contribue ainsi à leur indépendance au sein d’une Église mondiale aux cultures très diverses.
Aujourd’hui, Missio est un des mouvements missionnaires avec le plus grand nombre de membres. Ses
domaines d’intervention sont connus à travers l’information que nous donne la CENCO (2005 :75-76), à
savoir la formation des laïcs et des religieux, l’aide à l’organisation des programmes et sessions, le
soutien technique, l’acquisition d’immobilier, l’auto-assistance, l’aide aux enfants et l’aide d’urgence.
251
Ses moyens financiers proviennent des dons, des contributions des membres, des collectes (à l’occasion
des dimanches de mission, de l’Epiphanie, journée d’Afrique), des campagnes thématiques spécifiques
(Soudan, HIV, viols dans le Kivu, promotion de Justice et Paix), des dons pour promouvoir la formation
des prêtres, religieuses et catéchistes, des contributions directes des diocèses, des impôts de l’Église
(Association des diocèses d’Allemagne) et des testaments, honoraires et intérêts.
Le principe de coopération avec les Églises est défini par la devise « partager ce que nous sommes et
pas seulement ce que nous avons ». Les défis à relever tournent autour de la diminution des ressources
due au facteur démographique (diminution des fidèles dans les Églises, les jeunes sont plus sélectifs
concernant les dons), à la diminution depuis 2004 du montant du subside de l’Association des diocèses
allemands, au chômage en Allemagne et à une restructuration fiscale.
Missio voudrait répondre à une double obligation : assurer au donateur que le don est arrivé à
destination et demander aux destinataires l’utilisation fidèle des fonds à des fins pour lesquelles ils ont
été octroyés, et cela en dressant le rapport financier, le rapport narratif et la présentation d’autres
documents pour la demande des bourses d’études ou de fonds pour l’organisation des sessions de
formation. Voici les données statistiques des aides accordées par Missio aux Eglises du Congo pour la
durée de 1991 à 2010 :
252
Tableau 7 : Les aides accordées par Missio aux Églises locales du Congo de 1991 à 2010 (En Euros)
44 927 672, 58
Ces données en appellent à des observations suivantes : en vingt ans, les Église du Congo ont bénéficié
de manière ininterrompue des aides importantes de 44 927 672, 58 euros, soit en moyenne 2 246 383, 63
euros par an de la part de Missio. Ces aides n’ont jamais fait défaut, même pendant les périodes de
253
trouble dans le pays avec les deux rébellions de 1996 à 2003, à une époque où les partenaires se
montrent généralement réticents à donner des aides aux pays en guerre pour cause d’instabilité et ce
d’incertitude de leurs investissements. C’est dire que Missio a accepté de prendre des risques pour
accompagner la RDC dans des moments difficiles, « où l’on reconnaît les vrais amis ».
On observe aussi qu’il n’y a pas eu une évolution linéaire de ces aides ; il y a une très grande variation
temporelle, puisque le nombre des bénéficiaires aurait diminué et donc selon les ressources mobilisées
par les donateurs. On voit par exemple qu’en 1992, ceux-ci ont plus donné qu’en 2010. Cela révèle
assurément la difficulté que les donateurs commencent à ressentir pour réunir les sommes demandées
par les Églises locales congolaises.
Cependant, malgré les tendances à la baisse ou à la hausse, ces aides n’ont pas beaucoup varié d’une
année à une autre et montrent la détermination de cet organisme à accompagner les différentes structures
des Églises du Congo dans leur vie sociale. Cela montre à suffisance le degré de dépendance financière
de ces Églises congolaises. Il est à remarquer que Missio appuie toutes les structures de l’archidiocèse
de Bukavu : les paroisses, les centres pastoraux, catéchétiques et liturgiques, les institutions de
formation scolaire et universitaire ecclésiastique et profane, les congrégations religieuses autochtones et
missionnaires, les services sociaux, tous reçoivent les financements de Missio pour leur activité.
Mais seules les activités socioreligieuses, pastorales et catéchétiques sont financées. Il n’y a aucune
activité à caractère économique, c’est-à-dire génératrice des revenus, qui est financée par Missio. Au
dire du partenaire allemand interrogé, cela n’entre pas dans l’axe de la politique de cet organisme. Un
deuxième grand organisme qui finance des projets dans les Églises du Congo, c’est Misereor.
2. Misereor
Misereor est l’ oeuvre de l’Église catholique en Allemagne chargée du développement. Elle a reçu son
mandat de la Conférence des évêques. Depuis plus de 50 ans, cet organisme lutte contre la pauvreté en
Afrique, Asie, Amérique latine et Océanie et aide sans distinction les gens dans le besoin, quelles que
soient leur religion et appartenance socio-culturelle. Convaincue qu’on ne décrète pas les changements
de l’extérieur, Misereor s’appuie sur l’initiative des populations pauvres et déshéritées, sachant par
expérience qu’elles ont en elles la force d’améliorer durablement leurs conditions de vie. L’institution
s’engage, en effet, en faveur des maillons les plus faibles de la société, c’est-à-dire les pauvres, les
malades, ceux qui ont faim et qui sont défavorisés.
254
Ces populations bénéficiaires sont soutenues dans leurs efforts en vertu du principe de « l’aide à
l’autopromotion ». Les projets sont portés sur place par des organisations locales, de sorte que l’action
menée corresponde vraiment aux besoins et au mode de vie des gens.
Depuis 1958, début de son action en matière de coopération au développement, Misereor s’est
principalement concentrée sur les zones rurales. Cependant, ces vingt dernières années, les problèmes
urbains ont acquis une importance croissante dans ses activités de financement de projets. La plupart des
projets financés dans ce domaine ont trait au développement urbain, notamment aux logements sociaux.
Les projets soutenus jusqu’ici incluent des logements à faible coût, le développement des
infrastructures, des programmes de soins de santé de base en milieu urbain et des projets générateurs de
revenu. Dans le cadre du financement de ce type de projets, une attention particulière est accordée aux
femmes dans les centres urbains, principalement dans les bidonvilles. En 1995, le budget de Misereor
s’est élevé à 216 millions de dollars américains.
Contrairement à Missio, le mandat confié par les évêques allemands à l’organisme Misereor exclut
l’appui aux projets de nature pastorale ou missionnaire. «Misereor super turbam=J’ai pitié de la foule...
» (Mc 8, 2), c’est cette parole de Jésus dans l’Évangile qui a donné son nom à l’Oeuvre. L’engagement
de Misereor se caractérise par sa proximité, sa compassion à l’égard des gens se trouvant en situation de
vulnérabilité, de pauvreté sous ses multiples visages.
Depuis 1958, Misereor incarne cet engagement de l’Église catholique dans le social et, depuis 1962, le
Gouvernement allemand a aussi recours aux compétences de cet organisme. Le ministère de la
coopération économique et du développement apprécie l’approche partenariale qu’adopte Misereor ainsi
que sa proximité avec les pauvres et lui octroie chaque année une part importante de l’argent des
contribuables. Ces fonds représentent maintenant les 2/3 du budget de l‘organisme. Au coeur de cette
coopération, il y a la confiance réciproque et le respect des principes de collaboration : le ministère de la
coopération n’assortit pas l’attribution des fonds de recommandations ou de prescriptions politiques.
Parallèlement, Misereor doit veiller à ce que les fonds publics ne soient pas utilisés pour financer des
activités pastorales ou missionnaires qui, au demeurant, ne font pas partie de son mandat. Misereor
assiste ces processus en proposant des échanges d’expériences, des mises en réseau, une expertise sur
des sujets comme le développement urbain ou rural, les droits de l’homme, la santé, la paix, et bien
d’autres encore. Les organisations partenaires sont étroitement accompagnées par lui et, le cas échéant,
bénéficient d’un appui organisationnel pour leurs structures. C’est pourquoi avant d’octroyer l’aide,
Misereor se pose tout d’abord la question de la faisabilité et des effets attendus.
255
Les interventions financées par Misereor doivent satisfaire à un certain nombre d’obligations de base
qui sont, la subsidiarité, la complémentarité et la limitation dans le temps. Cela signifie que Misereor
n’apporte son aide que là où les populations et les institutions sur place se heurtent à des limites et où
elles sont tributaires d’une aide extérieure. Il n’assume pas en permanence des tâches qui sont du ressort
de l’État, mais il exhorte les gouvernements à mener une action qui réduise la pauvreté. Enfin, puisque
limité dans le temps, l’appui fourni doit effet renforcer les capacités des pauvres et leur permettre de se
prendre en charge sans créer de nouvelles dépendances.
Les principaux secteurs d’activités qui sont financés par Misereor dans les Églises du Congo,
particulièrement dans l’archidiocèse de Bukavu tels qu’ils apparaissent dans la nomenclature de cet
organisme, sont : l’éducation, formation, culture, la santé, le logement, assainissement eau, l’emploi,
agriculture, alimentation, l’État et société, l’urgence, les partenaires. Ci-dessous le tableau de ces
principales rubriques telles que réactualisées par Misereor suivant la clé de répartition utilisée dans le
cadre de l’Aide Publique au Développement(APD) de 1960 à 2010.
Tableau 8: Les principaux secteurs d’activités financés par Misereor dans les Églises du Congo
Le tableau ci-dessous fait ressortir l’enveloppe d’aides accordées les vingt dernières années (1991-2010)
par Misereor aux Églises locales du Congo, et leur pourcentage par rapport aux aides destinées aux
autres pays africains par le même organisme. L’enveloppe consacrée aux Eglises du Congo par
Misereor est presque la même de celle accordée par Missio, soit respectivement 44 927 672, 58 $ US et
42 965 917,15 $ US. Les aides reçues de Misereor par les Églises locales du Congo augmentent d’une
manière inversement proportionnelle : alors que l’enveloppe globale accordée par cet organisme à toutes
les Églises d’Afrique n’a fait que baisser de manière drastique d’année en année, passant de 28 416 664,
18 $ US en 1992 à 11 876 414, 17 $ US en 2010, soit une diminution de 41,79 % en près de vingt ans,
l’enveloppe reçue par les Églises locales congolaises n’a fait qu’augmenter chaque année, passant de
1 661 465,70 $ US en 1991 à 2 616 360, 00 $ US, soit une augmentation de 57, 47%.
256
Tableau 9: Les aides accordées par Misereor aux Églises locales du Congo de 1991 à 2010 (en Euros)
Sur l’ensemble des aides accordées par Misereor aux Églises d’Afrique, les Églises locales du Congo
reçoivent à elles seules en moyenne 10, 64%, ce qui est énorme. Pendant les trois dernières années sous
étude (2008-2010), cette moyenne était respectivement de 14,88%, 18, 54 % et 22,03 % de l’enveloppe
globale africaine de Misereor. Ceci prouve à suffisance le degré de dépendance de ces Églises locales du
Congo vis-à-vis des aides extérieures, notamment de ces deux organismes catholiques allemands Missio
et Misereor, « sans lesquelles, comme l’avait affirmé auparavant le cardinal Malula, ces Églises fermeraient
257
tout simplement les portes ! » (1983:29). L’on se rend compte que le Congo est le pays qui a la plus grande
population chrétienne d’Afrique, mais il est aussi le plus dépendant financièrement vis-à-vis de
l’Occident. Et ce qu’on constate au niveau de l’Église se vérifie aussi au niveau de l’État. Il y a une
véritable corrélation positive entre la dépendance financière extérieure de l’État Congolais et celle de
l’Église. Un autre organisme occidental donateur des Églises locales du Congo c’est l’Aide à l’Église en
Détresse.
L’Église est-elle toujours en détresse ?, pourrait-on se demander. Oui, partout dans le monde, en Asie, en
Afrique, en Amérique latine, et même en Europe, il ne fait pas toujours bon d’être disciple du Christ!
Dans de nombreux pays aujourd’hui, la liberté religieuse est menacée. Des chrétiens continuent à être
assassinés pour leur foi. D’autres sont menacés pour avoir pris la défense des petits et des pauvres. Tous
ces chrétiens forment « l’Église en détresse ». La répartition géographique des aides couvre les 5
continents par type d’aide reflète le souci de l’AED de répondre aux priorités de l’Église, tant pour
l’équipement, la formation, que pour l’aide à la subsistance.
153
Concrètement l’AED aide directement ceux qui souffrent ou qui sont dans le besoin. 1 séminariste sur 6 dans le monde
est soutenu par l’AED. Quelque 19 000 séminaristes et novices sont soutenus par l’AED chaque année dans le monde ; 800
prêtres, religieux et religieuses deviennent, grâce à des bourses, à leur des formateurs ; des communautés opprimées ou qui
sortent de la persécution et qui manquent de tout sont soutenues; des milliers de prêtres reçoivent une aide de subsistance.
Mais également, des chantiers de construction (chapelles, séminaires, couvents…), sans oublier l’aide à la motorisation, à
l’apostolat des médias, à la diffusion de livres religieux, sont financés par l’AED. L’an dernier l’organisme a dû refuser
2000 demandes d’aide qui ne répondaient pas aux critères d’octroi. Avec un peu plus de 16 millions d’euros reçus en 2009,
l’AED-France a soutenu 1030 projets à travers le monde.
258
Voici comment sont réparties les aides par type d’aide et par zone géographique :
Comme dit plus haut, le but de l’organisation est nettement pastoral ; elle répond aux demandes des
Églises locales persécutées, menacées et démunies dans 145 pays du monde. Ces demandes sont
adressées à l’Œuvre par l’intermédiaire des évêques ou par les supérieurs majeurs des communautés
religieuses. Certaines demandes transitent par les Bureaux nationaux, tel le Bureau national français qui
transmet à Königstein toutes les demandes qui lui parviennent. Les Églises locales déterminent les
priorités et le caractère de l’action pastorale. La Commission des Projets à Königstein doit aussi tenir
compte de la situation sociopolitique, économique et culturelle des projets. L’AED n’apporte pas d’aide
socio-caritative, sauf s’il s’agit de réfugiés et toujours dans un but pastoral. Elle n’apporte pas d’aide au
développement. Si les projets ne correspondent pas aux critères pastoraux énoncés ci-après, les
demandes sont soit refusées, soit orientées vers des organismes spécialisés.
259
adultes, formation des formateurs, formation universitaire, formation des cadres, soutien aux
associations locales pour l'acquisition de compétences gestionnaires, etc.
En collaboration avec les Caritas locales, le Secours Catholique finance et accompagne des projets de
développement sur le long terme. Il appuie des programmes d’aide d’urgence qui sont prolongés dans
une perspective de développement durable. Il participe activement à des collectifs internationaux pour
peser sur les décideurs politiques, économiques et financiers. Ces actions de plaidoyer internationales
entendent influer sur les enjeux liés à la mondialisation et promouvoir une vision juste et humaine du
développement. Cette confédération dont le siège est à Rome rassemble 165Caritas nationales capables
d’intervenir à tout moment dans la plupart des pays du monde.
Les Caritas agissent en étroite coopération pour apporter des réponses adaptées aux problématiques
d’urgence et de développement. L’Afrique, qui compte 90 % des pays les plus pauvres de la planète, est
le continent prioritaire de l’action du Secours Catholique. Environ un tiers du budget de l’action
internationale est consacré à ce continent. En RD Congo, le Secours Catholique accompagne les
malades du sida et scolarise les orphelins, la résolution des conflits armés issus de l’instabilité politique
et les guerres civiles dans ce pays qui ont provoqué la disparition des structures étatiques et
communautaires, ainsi qu’une crise économique majeure. Cet organisme français soutient aussi les
femmes violées pendant la guerre.
Ce sont là les quelques principaux organismes occidentaux qui soutiennent les pays et les Églises
d’Afrique, en particulier celles du Congo, parmi lesquelles l’archidiocèse de Bukavu, à travers le
financement des projets de tous genres. Leur dépendance financière est totale, au point que tous les
260
acteurs de la vie sociale en Afrique ne vivent que des projets et, du coup, ils sont devenus de grands
experts en élaboration de projets : évêque, curé, catéchiste, laïc responsable d’un service diocésain, etc.
Il faut s’inquiéter de cette double dépendance, qui n’est plus donc seulement financière, mais aussi et
surtout psychologique : au lieu de penser comment valoriser les ressources locales disponibles, tous ces
acteurs ne passent leur temps qu’à élaborer des projets soi-disant de développement pour obtenir
l’argent facile qui vient des partenaires occidentaux. Le danger est tellement grand que des demandes de
financement de projets sont répétitives et annuelles. Cette mentalité de quémander de l’argent en
Occident pour n’importe quelle taille du projet annihile toute initiative de production. Car l’on sait que
l’argent viendra toujours de Missio, Misereor, Aide à Église en Détresse, Conférence Episcopale
Italienne, Secours Catholique,…
L’argent des projets est tellement alléchant qu’il provoque régulièrement des conflits d’intérêt et des
luttes d’influence entre acteurs (clercs entre eux, clercs et laïcs responsables des services diocésains)
dans un même diocèse qui se livrent parfois une guerre sans merci, soit pour occuper des postes de
responsabilité dans le diocèse, soit pour arracher la confiance des bailleurs de fonds occidentaux sur
fond des manœuvres clientélistes et calomniatrices.
Cela renvoie aux phénomènes observés par Michel Crozier dans ses travaux lorsqu’il analyse les
stratégies des acteurs et s’interroge non seulement sur les motivations, mais sur les logiques d’acteurs
pour montrer comment, en fonction des conditions organisationnelles, les acteurs répondent en adoptant
des conduites qui leur sont favorables (1969 :5-14). L’auteur souligne l’importance des attitudes et des
systèmes culturels et, à la suite de Max Weber, l’extension et le caractère fonctionnel des bureaucraties.
Plus directement, ses travaux sur les phénomènes bureaucratiques, sur les fonctions et dysfonctions dans
les organisations, sur les relations entre patrons et syndicats, sur les attitudes et comportements des
différentes catégories s’inscrivent dans un vaste champ des recherches sur les organisations marquées,
avant 1940, par les thèses de Taylor, Fayol, E. Mayo et, après 1945, par les travaux de R. Merton,
Gouldner, Homans, March et Simon, Selzick…
Dans L’Acteur et le Système, Crozier et Friedberg (1977) mettent tout d’abord l’accent sur le fait que les
organisations ne sauraient être considérées ni comme des entités abstraites, ni comme des données quasi
naturelles et objectives. Une illusion permanente tend à naturaliser ces organisations, alors qu’elles sont
comme des constructions sociales, disent les auteurs, comme des « construits sociaux » (1977 : 13).
Donc, l’organisation n’est pas une donnée naturelle, un phénomène naturel, mais un construit d’action
collective. Celui-ci ne détermine pas totalement le comportement des acteurs.
261
Car les individus qui concourent au fonctionnement de l’organisation vont y apporter leur contribution,
dans des conditions orientées par les règles, mais pour y poursuivre leurs intérêts selon des stratégies
conformes à leur représentation de ces intérêts. Par ce concept central de stratégie, Crozier et Friedberg
(1981 :47) entendent souligner que le comportement de l’acteur dans l’organisation est un
comportement actif, jamais totalement déterminé, sans que, cependant, l’acteur ait des objectifs
parfaitement clairs et constants. Il changera d’objectifs au cours du temps, en découvrira de nouveaux,
en raison même des résultats qu’il aura obtenus (1981 :47).
Le plus inquiétant est que, malgré les aides considérables et répétitives reçues des organismes
occidentaux, le développement dans les pays bénéficiaires reste un leurre. Même quand l’objectif
déclaré des bailleurs est de lutter contre la pauvreté, celle-ci continue de sévir dans les États et les
Églises d’Afrique, et l’archidiocèse de Bukavu n’échappe pas cette triste réalité socio-économique.
Concluons ce cinquième chapitre en relevant que la question de l’autonomie financière des Églises
d’Afrique ne semble pas avoir été au centre de la préoccupation des acteurs de leur implantation. Face à
la pauvreté très probablement jugée « extrême » par rapport au progrès technologique et économique
des pays en provenance des missionnaires, ceux-ci se sont mis à assister l’évangélisé africain dans sa
pauvreté à travers de nombreuses œuvres socio-caritatives, sans que ce dernier soit suffisamment
préparé à prendre des initiatives pour sa propre promotion humaine. Les contributions des membres
locaux de l’Église étaient marginales.
La plupart des missionnaires étaient convaincus qu’ils préparaient ainsi l’avenir et ne se sont jamais
rendu compte que leur enthousiasme et la générosité de leurs bienfaiteurs allaient être la source de tant
de problèmes quasi insurmontables pour leurs successeurs locaux. Le résultat de cette méthode
missionnaire, c’est la mentalité d’« assistés et de mendiants perpétuels » observée aujourd’hui chez les
fidèles africains. Ils reçoivent plus qu’ils ne donnent. Ils attendent qu’à leur place d’autres fidèles
(d’ailleurs) financent leur Église.
Or l’autofinancement d’une Église particulière se définit par la prise en charge financière de cette Église
par ses propres fidèles, pourvu que ceux-ci soient économiquement capables de le rendre possible. A
l’époque missionnaire, les nouveaux chrétiens ne se sentaient cependant pas concernés par la vie
matérielle de leur Église locale. Au contraire, ils se réjouissaient d’avoir découvert une ‘vache à lait’
apparemment intarissable !
262
Les quelques prêtres et religieuses autochtones formés par les premiers missionnaires n’étaient jamais
associés à la gestion financière de leur communauté, tout leur était donné sans qu’ils sachent exactement
ni l’origine, ni la consistance des ressources matérielles et financières de la communauté.
Cette tendance à cacher l’information financière aux Africains est encore très présente dans la plupart
des congrégations missionnaires où les Africains ne connaissent rien de la réalité économico-financière
de leur structure ni même, pour certains, de leur communauté. Après le départ des missionnaires, les
nouveaux évêques résidentiels et leur clergé devaient faire face à une tâche impossible : gérer des
institutions extrêmement complexes et très coûteuses sans disposer des ressources nécessaires.
A plusieurs endroits, les œuvres de rapport ont disparu avec les missionnaires qui les ont fondé et gérés.
Ils étaient également obligés de dire à leurs fidèles qu’ils devaient désormais prendre eux-mêmes en
charge leur Église. Les gens furent stupéfaits et indignés. A certains endroits, ils s’insurgeaient même
contre les membres du clergé autochtone154. Finalement, l’aide massive et continue transforme les gens
en assistés qui ont besoin d’être aidés davantage et ne conduit pas à l’autonomie. (Manhaeghe, E.,
1994 :45- 46). Aujourd’hui encore, des évêques africains sont obligés de parcourir le monde occidental
en tendant la main. Ils ne rentrent presque jamais les mains vides, mais se sentent néanmoins frustrés.
En théorie, ils sont les seuls responsables de leurs Églises ; mais, en réalité, ils doivent rendre compte à
une multitude de « bienfaiteurs » étrangers. Ils ont parfois l’impression d’être condamnés à la mendicité
à perpétuité ! En considérant la situation telle qu’elle est vécue depuis l’époque coloniale et
missionnaire, il y a lieu de se demander quel type d’éducation ont reçu les Congolais, à la dépendance, à
l’auto-prise en charge ? La logique actuelle de financement des projets n’est-elle pas de nature à
favoriser une éducation à la maturité ?
C’est ce que je vais analyser dans le sixième chapitre. Et dans les chapitres suivants, je m’efforcerai
d’analyser les voies et moyens que ces Églises du Congo peuvent mettre en branle pour assurer leur
autofinancement au regard des potentialités économiques dont elles disposent. Il faut encore que le
contexte sociopolitique et économique du pays soit favorable à ces efforts vers l’auto-prise en charge, ce
qui ne semble pas être le cas pour les Églises du Congo.
154
L’auteur rapporte avoir entendu, dans un diocèse où il a travaillé, les membres d’une communauté chrétienne protester
contre la nomination d’un prêtre autochtone. Ils disaient, rapporte-t-il, à l’évêque : « Pourquoi nous avez-vous donné un
prêtre autochtone ? Il prend notre argent et le donne à sa famille. Nous voulons un prêtre blanc qui n’a pas besoin de notre
argent et qui construit des églises et des écoles pour nous ! » Ces reproches étaient évidemment aussi adressés à l’évêque
lui-même. Quand on assiste à un entretien pareil, on comprend mieux la situation peu enviable du clergé autochtone. A ce
propos, lire M. Munima, « Solidarité familiale et liberté évangélique. Quelques aspects de la situation du prêtre », in
Telema, n° 69, 1992 : 33-39.
263
264
Chapitre VI : LE CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE DU CONGO: UN FACTEUR
DEFAVORABLE A L’AUTONOMIE FINANCIERE DES EGLISE LOCALES
Si les années 1960 ont représenté pour la plupart des États africains les années du « Soleil des
indépendances », pour reprendre le titre d’un roman de l’ivoirien Ahmadou Kourouma (1968), les
années 1990 inaugureront dans leur histoire le processus de la démocratie.
De fait, après trois décennies essentiellement dominées par des régimes oppressifs, dictatoriaux et
parfois tyranniques, la fin de la guerre froide, l’avènement de la Perestroïka155 et la chute du Mur de
Berlin (symbole du clivage idéologique et politique de la guerre froide), ces trois événements
interconnectés ont produit des effets aussi sur le continent africain : le vent de la démocratie. Ce vent a
éveillé le peuple africain à l’urgence et à la nécessité de la mise sur pied des structures sociopolitiques et
économiques plus soucieuses de l’homme, plus responsables de la dignité et des droits de la personne
humaine. Tout développement endogène d’un peuple n’est possible qu’à ce prix.
C’est l’objet de ce sixième chapitre de ma thèse. Pour vérifier l’une de mes hypothèses de travail, je
montrerai qu’il y a une forte corrélation positive entre le bien-être général des populations chrétiennes,
leur propension à donner et la vie matérielle de leur Église. En d’autres termes, la santé économique de
celle-ci dépend en grande partie du degré de richesses de ses chrétiens et de leur générosité. Car, le
contexte sociopolitique d’un pays est déterminant pour saisir à quel point les régulations sociales,
institutionnelles et politiques sont fondamentales pour comprendre les dynamiques de développement
économique (C. Triglia, 2002 : 7).
155
Nom donné aux réformes économiques et sociales menées par Mikhaïl Gorbatchev en URSS d'avril 1985 à décembre
1991. Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Perestroïka [Consulté le 20 janvier 2013].
265
Section 1. La situation sociopolitique du Congo depuis l’Indépendance
Pendant près de cent ans, les Belges ont gouverné le Congo, un territoire quatre-vingt fois plus grand
que la métropole. La mise en valeur du Congo belge fut conçue essentiellement en fonction de la
Belgique et des Belges et suivant leur vision des choses (I. Ndaywel, 1998 : 378)156. Au beau milieu de
la colonisation, il était difficile d’imaginer qu’il pût en être autrement. La Belgique s’était imposée au
départ une trop grande ouverture internationale et ce, pour des raisons tactiques. L’enjeu consistait à
s’écarter systématiquement et avec méthode de cette vision par crainte de perdre la colonie ou une partie
de celle-ci. Cette crainte, ressentie dès la fin de la période léopoldienne, confirmait la nécessité de jouer
à fond la carte nationaliste. Le personnel colonial était exclusivement belge.
Pour l’évangélisation, on s’employa à soutenir les « missions nationales » par rapport aux « missions
étrangères », peu importe en principe qu’elles aient été catholiques ou protestantes, encore qu’en réalité,
comme nous l’avons déjà souligné, elles furent presque exclusivement catholiques.
Lui-même, sa famille, ses proches accumulent une fortune fabuleuse de plusieurs milliards de dollars,
sans que le peuple n’en profite. Grâce à une théorie simple « moi ou le chaos » et le soutien des
puissances occidentales dont il bénéficie, Mobutu a survécu pendant 32 ans. Il a su agiter le spectre de
l’implosion du Congo et manipuler les divisions ethniques. Ses relations avec l’Église catholique furent
marquées par des tensions et des réconciliations éphémères.
156
On consultera avec intérêt la collection des travaux locaux sur « la mise en valeur socio-économique de chaque entité
administrative, notamment sur les provinces de l’Equateur (Tshund’Olela et Kanga Egbebe), de Léopodville (Lombi
Bikandu et Kitambala Dwam’Essa), du Kasaï (Kabatanshi Mulamba et Lwinsa Tshiamba) et du Kivu (Bucyalimwe B. et
Kashamura K.R.), etc. Commencée par B. Jewsiewicki, cette recherche n’a pu encore aboutir à une synthèse d’ensemble ;
mais cette collection de mémoires de maîtrise en histoire est disponible à l’université de Lubumbashi.
266
1. Instabilité politique et déliquescence progressive du pays
La RDC a subi historiquement différents chocs ayant conduit à cette situation chaotique. Tout d’abord,
la colonisation belge, dominée par les 3 E (État, Églises, Entreprises) n’a pas préparé des cadres
administratifs devant prendre la relève après ceux de l’administration coloniale. Pour illustrer ce déficit,
au moment de l’indépendance du pays, celui-ci ne comptait que dix diplômés universitaires. Ensuite, à
la suite d’une indépendance sanglante, Mobutu soutenu par les Occidentaux, avait instauré la dictature,
avec comme corollaire la corruption remplante dans toutes les couches sociales. Le paternalisme,
l’exploitation des ressources, le culte des particularismes ethniques caractérisaient ce système. Au début
de la décennie 1990, Mobutu fut amené à libérer l’espace politique par le multipartisme qui entraîna une
certaine fragmentation de la vie politique du fait de l’imaturité des acteurs.
Un autre événement allait déclencher une longue période sombre: c’est le génocide rwandais, dont les
conséquences furent les guerres d’agression et le pillage des ressources par les États voisins. En effet, le
pays acquiert son indépendance en 1960 puis devient Zaïre sous Mobutu. Progressivement, le pays entre
en déliquescence. Les soubresauts sont permanents, depuis l’indépendance, avec la tentative de
sécession du Katanga, l’assassinat de Lumumba, l’enlisement de l’ONU dans le chaos congolais. La
dégradation des services publics et l’effondrement du niveau de vie conduisent certains à regretter le
système colonial. Après que Mobutu eut été chassé, le Rwanda et l’Ouganda déclenchèrent de nouvelles
guerres au Congo à l’issue de la prise de pouvoir par Laurent-Désiré Kabila (1996-1998 ; 1998-2003 et
2004, 2009-2012). Pas moins de huit armées nationales et vingt-et-un groupes armés irréguliers étaient
alors présents sur le sol congolais (Hugon, 2012 :195).
157
Certaines sources parlent de 73 599 190 hab. (Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/République démocratique du Congo, citant
Note CIA1 [consulté le lundi, 31 décembre 2012]. En réalité, le nombre d’habitants est difficile à établir puisque le pays
n’a plus organisé un recensement général depuis des décennies. Donc, tout nombre donné dans divers documents
statistiques ne peut être qu’approximatif.
267
On dit souvent, et c’est vrai, que la RDC est un « scandale géologique » avec des richesses du sous-sol
très importantes. L’État n’a toutefois aucun contrôle sur un territoire considérable 158 et un peu sur des
richesses attisant la convoitise des États et armées voisins et des groupes multinationaux bénéficiant de
l’absence d’État de droit. L’économie est informalisée et criminalisée. La RDC demeure l’épicentre de
conflits liés à des coalitions aux intérêts multiples. Les enjeux sont à la fois économiques et politiques
(instrumentalisation de l’ethnicité), ils ont des dimensions locales et régionales (Hugon, 2012 :196).
L’État a été dans l’incapacité d’assurer ses fonctions régaliennes.
Par mesure de prudence, la Belgique, avec l’appui de ses partenaires occidentaux, décida de confier aux
Églises catholiques la tâche de lutter contre toute propagation des idéologies marxistes-léninistes au
Congo. Ainsi, au nombre des tâches qui étaient assignées au Gouverneur général belge par la Charte
coloniale, figurait-elle celle de protéger et de favoriser les institutions religieuses (art. 5). Pour faciliter
l’évangélisation, l’Administration coloniale engagea une poursuite contre les sectes traditionnelles et
interdit les mouvements messianiques noirs susceptibles de favoriser l’émergence du communisme.
L’Islam fut étroitement surveillé, car susceptible de détacher les indigènes de la civilisation européenne
et incapable d’améliorer leur situation morale et matérielle, et même de leur faire comprendre les
avantages de la civilisation. Soulignons que la rivalité des missions catholiques et protestantes remonte à
l’État Indépendant du Congo où le roi Léopold II fit appel aux congrégations religieuses nationales pour
lutter contre l’apostolat des Baptistes et des Méthodistes (Tshimanga, 2005 :14).
Rappelons-nous, toutes les missions catholiques étaient belges, alors que toutes les missions protestantes
étaient d’origine non belge : anglaise, américaine, danoise, norvégienne, suédoise et canadienne
(Mutamba, 1998 :160). Ces dernières furent privées de concessions et de crédits, ce qui freina leur
expansion. En 1933, le Conseil Protestant du Congo accusa le gouvernement colonial d’être
complètement dominé par l’Église catholique. Jusqu’en 1946, le gouvernement belge refusa d’accorder
des subventions aux écoles protestantes. Pire encore, il élabora une instruction formelle interdisant les
élèves des écoles protestantes d’être en contact avec les élèves des écoles catholiques pour éviter que ces
derniers ne perdent la foi et tombent pour toujours dans l’empire des ténèbres (Ibid. :161).
158
Vircoulon, T., affirme qu’en raison de sa taille continentale, la RDC est un pays défi dont l’organisation territoriale
physique, administrative et politique doit être rebâtie (2008 : 19).
268
L’administration coloniale était convaincue que seule la religion chrétienne catholique, basée sur
l’autorité, pouvait être capable de changer la mentalité indigène, de donner aux Congolais une
conscience nette et intime de leur devoir, de leur inspirer le respect de l’autorité et l’espoir de loyalisme
à l’égard de la Belgique (Ibid. :135). C’est cette politique coloniale qui expliqua qu’une grande partie
d’intellectuels congolais fut formée à l’époque dans l’enseignement catholique.
Selon Tshimanga, l’interdiction formelle des activités politiques, de la lecture des ouvrages parlant
d’autres religions que la religion catholique, des ouvrages politiques en général, et surtout ceux parlant
du communisme, fut un moyen de préserver les Congolais contre un envahissement éventuel des idées
communistes dans le pays. Respect, docilité, collaboration loyale et sincère étaient les grandes vertus
que les missionnaires étaient appelés à inculquer aux Congolais, de manière à ce que ceux-ci voient,
sentent, comprennent et apprécient la dette immense qu’ils avaient envers la Belgique (2005 :15).
Rappelons qu’avant les années 50, l’Église catholique, essentiellement dirigée par des prélats
missionnaires belges et des prêtres quasi totalement belges, avait joué un rôle négatif dans la
démocratisation des institutions et dans la jouissance des libertés fondamentales au Congo belge.
Déjà, entre 1944-1947, lorsque les « évolués » congolais avaient fait connaître leurs préoccupations face
aux pratiques discriminatoires et à la privation de toutes sortes de libertés, la réaction du prélat Victor
Roelens fut vive : « Ces demi-savants qui, fiers du pauvre bagage scientifique dont leur cerveau est garni, sont tentés de
se croire les égaux des Blancs et capables de les remplacer. Ces pauvres faquins, mécontents de ce que leur prétendu mérite
n’est pas reconnu, sont fort exposés à laisser envahir leur esprit par ces idées subversives d’origine étrangère qui s’infiltrent
dans le pays où ils peuvent devenir si l’on n’y veille, des fauteurs de trouble » (Mutamba, 1998: 43).
Pour Tshimanga, la Belgique a fait le blocage du mouvement d’indépendance au Congo pour protéger
les intérêts occidentaux, et ce, à travers trois manœuvres : blocage du développement politique et de
l’émancipation des Congolais, indifférence face aux revendications des populations congolaises, volonté
inébranlable de ne pas se séparer du Congo et de le garder dans une structure autonome (2005:15-25).
Sur base de la tradition coloniale, l’édifice construit par la Belgique au Congo reposait sur quatre
piliers : l’étroite collaboration qui devait exister entre l’Administration, les Missions et les Trusts (Cf.
Hugon P., 2012 : 195); le prestige du colonisateur blanc ; le slogan « pas d’élites, pas d’ennuis » et la
proscription de la politique (Tshimanga, 2005 : 16).
269
1. L’étroite collaboration entre l’Administration, les Missions et les Trusts ou les 3 E (État, Églises,
Entreprises)
L’Administration coloniale s’appuyait sur la religion chrétienne catholique basée sur l’autorité et
considérée comme capable de changer la mentalité indigène. C’est dans cette optique que, pour faciliter
l’évangélisation, le colonisateur a poursuivi les sectes traditionnelles, en interdisant les mouvements
messianiques noirs et en renforçant la surveillance sur l’Islam pour éviter que les indigènes ne fussent
écartés de la civilisation européenne (Mutamba, 1998 :135).
Le Congo belge avait connu un pouvoir colonial paternaliste et autoritaire, voire dominateur et répressif.
Ce système était basé sur l’usage de la force et non sur le dialogue et la persuasion. Claude Prudhomme
(2005 :91) constate que la collaboration entre l’Administration et les missionnaires belges était tellement
étroite que ceux-ci ont pratiqué les mêmes méthodes dans la façon de traiter leurs fidèles congolais. Lors
de la grande campagne antiesclavagiste patronnée par le Saint-Siège qui les encourageait à pratiquer à
grande échelle le rachat d’esclaves, les pères blancs de Mgr Lavigerie furent critiqués pour leur méthode
puisqu’elle donna lieu à d’inquiétants dérapages.
Et pourtant, cette lutte initialement tournée en priorité contre la traite musulmane. Les pères scheutistes
belges en font l’amère expérience quand une enquête internationale établit, en 1906, qu’ils ont collaboré
à la création de colonies scolaires formées d’enfants prétendument abandonnés, recrutés de force pour
constituer la future milice coloniale de l’État indépendant du Congo (devenu plus tard Congo Belge).
L’auteur observe dans le comportement de missionnaires une naïveté et un manque de sens critique,
mais aussi une exportation de méthodes qui voient dans le recours à l’autorité un moindre mal et le
moyen le plus efficace de transformer les mœurs « sauvages » des populations.
Si certains missionnaires exercent courageusement une fonction de recours et de protection contre les
abus coloniaux, d’autres manifestent une grande complaisance pour la domination peu respectueuse des
individus. En toute bonne conscience, ils recourent eux-mêmes au travail forcé des enfants dans leurs
ateliers et leurs exploitations agricoles, au prétexte que celui-ci existe dans les sociétés indigènes.
Beaucoup sont dissuadés de protester par la volonté de se poser en patriotes exemplaires aux yeux de
leurs concitoyens, en un temps de luttes religieuses où pèse sur eux le soupçon d’être au service
d’autorités étrangères. Face aux dérives coloniales, ils se contentent d’exprimer dans leur
correspondance leurs critiques de manière privée ou confidentielle pour ne pas alimenter
l’anticolonialisme (Ibid.:92).
270
2. Le slogan « Pas d’élites, pas d’ennuis »
Quant aux préparations des Congolais à l’exercice du pouvoir et à la gestion des affaires publiques qui
étaient déjà en cours dans les colonies françaises et britanniques, il y avait par contre au Congo belge un
blocage total du développement politique et de l’émancipation des Congolais. La raison en était que le
pouvoir colonial belge tenait à protéger ses intérêts et craignait une ascension intellectuelle de
l’intelligentsia congolaise considérée jadis comme trop ambitieuse et dangereuse pour l’avenir de la
colonie. Ce qui justifia la célèbre formule déjà soulignée ci-dessus : « pas d’élites, pas d’ennuis ».
La création d’une élite était par conséquent considérée dans les colonies belges comme la provocation
d’une séparation d’une minorité de la masse et l’alimentation d’une contestation inutile et dangereuse
(Tshimanga, 2005 : 17). A ce sujet, Henri Depage soutiendra que : « construire des universités et accorder
des droits politiques avant d’avoir permis aux Africains d’atteindre le même niveau de vie que les Blancs serait
favoriser la formation de mécontents et d’agitateurs. » (Mutamba, 1998 :137)
Et pourtant, dans les colonies françaises et même britanniques, l’initiation à l’exercice du pouvoir et à la
pratique de la démocratie avait bien commencé depuis les années 40. A cette époque, l’on parlait déjà de
la tradition parlementaire dans les colonies françaises, notamment au Sénégal depuis Blaise Diagne.
Depuis 1946, les députés noirs représentaient déjà l’Afrique Equatoriale Française (AEF) et l’Afrique
Occidentale Française (AOF) au Parlement français. On évoquait les mérites et les capacités de certains
noirs africains. Le cas du Guyanais Félix Eboué, qui fut le premier noir à avoir été nommé Gouverneur
général de l’Afrique Equatoriale Française par le Général Charles de Gaulle le 12 novembre 1940, est
toujours resté dans les esprits. L’ascension de Léopold Sédar Senghor, qui fut député au parlement
français, marqua de nombreux Africains qui en avaient fait le modèle (Tshimanga, 2005 :17).
Pendant ce temps, il n’y avait aucun diplômé congolais ni un haut fonctionnaire de l’État dans la colonie
belge. Après l’indépendance du pays, on assistera au même phénomène dans les Églises du jeune État
congolais que dans la sphère du pouvoir : l’impréparation de la hiérarchie catholique autochtone à
l’esprit de recherche d’une prise en charge des Églises locales par elles-mêmes.
Aussi, cette hiérarchie catholique autochtone héritera-t-elle des diocèses déficitaires, soit pour certains
avec des structures économiques non adéquates et/ou non viables puisque déjà vétustes et coûteuses
(ateliers de mécanique, garages, fermes, …) qui nécessitent des renouvellements, soit pour d’autres
(diocèses) sans structures économiques du tout.
271
La hiérarchie catholique autochtone commencera ainsi la gestion des diocèses congolais dans des
conditions très difficiles, tout comme pour les dirigeants politiques congolais qui, au 30 juin 1960, ont
hérité d’un pays dont la trésorerie nationale accusait une impasse de 3 245 millions de FB ( Ndaywel, I.,
1998 : 577), alors que, selon les spécialistes, l’exécutif congolais ne pouvait survivre financièrement au-
delà du 15 août, sans une subvention de 2 milliards de FB qui lui serait allouée par la Belgique. Cette
subvention ne fut qu’une promesse (Willame, J.C., 1990 : 268).
Pour résoudre les problèmes de base pour leur apostolat, étant eux-mêmes formés dans l’esprit de
dépendance et de paternalisme, privés d’esprit d’initiative personnelle, les évêques congolais
entreprennent un processus permanent de mendicité sans précédent, soit auprès des Églises occidentales
pour obtenir des aides en termes d’intentions de messe à distribuer à leurs prêtres comme unique
rémunération159, soit auprès des organismes catholiques occidentaux de financement présentés dans le
chapitre précédent, à travers l’élaboration continuelle des projets à caractères sociaux.
159
Dans l’archidiocèse de Bukavu, les intentions de messe constituent l’unique rémunération des prêtres. Et ces intentions
sont rares, ne dépassant pas 60 euros par mois et par personne.
272
La Belgique ne voulant pas se séparer du Congo, a tout fait pour le garder dans une structure autonome
avec un semblant d’indépendance. En fait, ce pays avait suscité des intérêts économiques et financiers
importants qui ne pouvaient laisser toutes ces grandes puissances indifférentes. Accorder, dès lors,
l’indépendance à ce grand pays aux richesses incommensurables sans toutefois se rassurer de la fiabilité
du système politique dans lequel le pays allait être entraîné, était un pari fort risqué pour l’Occident au
profit éventuel des Soviétiques du fait du vide laissé par le pouvoir colonial (Tshimanga, 2005 :21-22).
Face aux nombreuses pressions exercées par l’Union soviétique et les Etats-Unis, les puissances
colonisatrices qui avaient, dans un premier temps, accusé ces deux géants de soigner leur image de
marque et de vouloir se substituer à elles, étaient tiraillées entre le souci de garder les colonies dans une
structure autonome et celui de leur accorder purement et simplement leurs indépendances. Fallait-il
sacrifier les intérêts géopolitiques et économiques occidentaux, étant donné que les colonies servaient,
d’une part, de sources d’approvisionnement en matières premières destinées à l’industrie occidentale et,
d’autre part, de terrains propices à l’installation de leurs bases militaires ? Le choix fut difficile, compte
tenu de l’importance de l’enjeu.
Une autre raison qui rendait le choix difficile entre l’autonomie et l’indépendance était le fait qu’en
pleine guerre froide, la perte des colonies allait affaiblir les pays occidentaux possesseurs des colonies,
au risque de subir de fâcheuses conséquences économiques, sociales et politiques et de s’exposer à de
nombreuses menaces du communisme (Ibid. :23). Toutefois, le souci de protéger leurs intérêts avait
amené les puissances colonisatrices à opter dans certains cas pour l’autonomie et dans d’autres pour
l’indépendance. La France et la Grande-Bretagne entreprirent une préparation progressive des
autochtones en développant leur capacité à s’administrer eux-mêmes conformément à l’article 73 de la
Charte de l’ONU. Ces deux puissances colonisatrices avaient amorcé une meilleure formation des
colonisés et une initiation à l’exercice du pouvoir, à la gestion des affaires publiques et à l’apprentissage
de la démocratie. Elles décidèrent d’en confier certaines aux autochtones de manière à leur permettre de
développer le sens du devoir, l’esprit d’initiative et d’imagination et la capacité de résoudre seuls les
problèmes de gouvernance auxquels ils devaient être confrontés plus tard.
273
C’était un projet qui imposait la cohabitation entre Belges et Congolais dans un seul État autonome,
comme c’est le cas aujourd’hui en Afrique du Sud. Il s’agissait surtout de protéger les intérêts belges au
Congo et de répondre en même temps aux inquiétudes des Belges qui résidaient dans la colonie et qui
avaient choisi de s’établir définitivement dans ce pays devenu leur seconde patrie.
Ces derniers avaient même réclamé à travers une pétition adressée au roi Baudouin en 1955,
l’instauration au Congo d’une Vice-Royauté qui devait être occupée par l’actuel roi Albert II, à l’époque
Prince de Liège (Tshimanga, 2005 :23). Toute la classe politique belge était favorable à ce projet qui
devait assurer la protection des intérêts belges et permettre aux colons établis au Congo et aux
nombreuses entreprises privées occidentales de poursuivre leurs activités en toute sécurité.
Le soutien à ce projet fut apporté par exemple par le député bruxellois de l’aile conservatrice du Parti
Social-Chrétien (PSC), M. Raymond Scheyven, lors de son séjour au Congo en septembre 1956. Ce
dernier, en voulant conquérir les Belges membres de la Chambre de Commerce de Luluabourg
(Kananga), brandit leurs intérêts en ces termes: « J’en viens au danger de fixer une limite dans le temps. Comment
peut-on dire à un capitaliste, à un technicien, venez vous installer, investissez ici votre argent, votre énergie, votre
intelligence, mais attention, dans dix ans, vingt ou trente ans, suivant le cas, cela touchera à son terme…Comment pouvez-
vous encourager un jeune à travailler au Congo si vous lui dites, en même temps, qu’il n’a même pas le temps d’une carrière
devant lui ? » (Mutamba, 1998 :272).
L’idée même de la création d’une communauté belgo-congolaise avait suscité quelques réticences
auprès de nombreux leaders politiques congolais, comme Jean Bolikango, Jacques Massa, Joseph Kasa-
Vubu, Jean-Pierre Dericoyard et beaucoup d’autres. Ils avaient trouvé que cette formule allait renforcer
la dominance des Européens et la continuité des pratiques discriminatoires. Joseph Ileo et ses amis du
journal Conscience Africaine tenaient beaucoup à l’émancipation non seulement politique, mais aussi
économique et sociale du Congo. Ils étaient convaincus qu’une telle association belgo-congolaise
constituait un frein à l’émancipation totale du peuple congolais, un moyen astucieux pour perpétuer
indéfiniment la domination ou tout au moins l’influence prépondérante d’Européens, formant une caste
de privilégiés.
N’étant donc pas rassurés que cette Communauté belgo-congolaise conçue sans eux allait réellement
créer une fraternité humaine basée sur l’égalité foncière des hommes sans distinction de races, mais
plutôt une situation congolaise du type Apartheid d’Afrique du Sud, les hommes politiques congolais
rejetèrent le projet. Ils estimaient que s’il le partenaire belge avait été sincère, une telle association aurait
dû être plutôt le fruit d’une libre collaboration entre deux nations indépendantes, liées par une amitié
durable (Ibid. : 249).
274
Tshimanga considère que ce projet pouvait être avantageux, compte tenu du fait qu’il devait associer
dans la gestion d’un nouvel État autonome et indépendant, à la fois les Belges et les Congolais. Son
échec a été lourd de conséquences dans la gouvernance du Congo Indépendant, étant donné
l’impréparation des Congolais à gérer seuls la jeune République. Elles sont encore ressenties dans la
gouvernance du pays car, depuis l’indépendance, les Congolais traînent des séquelles de leurs
insuffisances dans la conduite des affaires de l’État (Tshimanga, 2005 :25).
Toutefois, la marche vers l’indépendance était irréversible. Pour la Belgique, la question devait
désormais se poser autrement : quel type de dirigeants choisir ? Il s’avéra donc que la volonté politique
occidentale de placer les dirigeants « modérés » au pouvoir nécessitait le recours au régime autoritaire
avec comme résultat, d’une part, le renforcement et la concentration de tous les pouvoirs entre les mains
du Chef de l’État et, d’autre part, l’indépendance de ce dernier vis-à-vis du législatif.
C’est dans ce contexte que l’Occident, tiraillé entre la protection de ses intérêts et la poursuite du régime
démocratique en place depuis 1960 au Congo, avait décidé finalement de saboter le système
démocratique en place et de soutenir le régime autoritaire à partir de 1965 (Tshimanga, 2005 :42). Ainsi,
quand le pays accède à l’indépendance le 30 juin 1960, celle-ci est-elle déjà piégée dans ses germes et
les conséquences sont incalculables jusqu’à aujourd’hui pour le pays en tant qu’un tout et ses différentes
entités qui le composent, notamment les Églises locales.
A. Absence d’une volonté politique réelle pour une indépendance paisible et réussie
C’est finalement à quelques mois de l’accession du Congo à l’indépendance, plus précisément après la
Conférence de la Table Ronde politique tenue à Bruxelles du 20 janvier au 20 février 1960, que le
pouvoir colonial se décida de commencer l’initiation des Congolais à l’exercice du pouvoir,
conformément à l’une des résolutions de ladite Table Ronde.
275
Dans une très courte période allant du 20 février au 30 juin 1960, les Congolais devaient apprendre
rapidement à maîtriser le fonctionnement des institutions de transition, notamment au niveau de la
Commission politique à Bruxelles, du Collège exécutif général et des collèges exécutifs provinciaux
dont les membres devaient exercer collégialement les pouvoirs attribués autrefois au Gouverneur
général et aux gouverneurs belges de provinces.
L’on s’était vite rendu compte que leur niveau d’instruction était généralement très bas et, à une
exception près, qu’ils avaientdifficile à conduire seuls les destinées du pays. Le niveau d’instruction des
membres du gouvernement avait déjà fait entrevoir les difficultés auxquelles le pays allait être
confronté. On dénombrait 22 commis de l’administration publique et du secteur privé, 4 assistants
médicaux, 4 universitaires, 2 journalistes, 1 instituteur, 1 directeur commercial, 1 commerçant, 1
greffier-adjoint et 1 chef de secteur (Mutamba, 1998: 475).
Toutefois, dans l’euphorie qui accompagna l’indépendance du pays, les Congolais n’étaient pas
conscients de la lourde tâche qui les attendait pour faire de ce grand pays un État de droit avec respect
des libertés et droits de l’homme; protéger l’intérêt supérieur de la Nation et celui des personnes; rendre
tous les citoyens égaux devant la loi; garantir à tous les citoyens l’égalité des chances, etc. Certes, le
passage du système colonial considéré comme totalitaire vers un système démocratique, le 30 juin 1960,
n’était pas chose aisée pour les Congolais dans la mesure où ils n’étaient pas préparés à affronter seuls
une telle situation. La culture politique, la culture même des textes, la conscience nationale et la capacité
d’organisation et de gestion faisaient cruellement défaut.
A part, bien entendu, une minorité d’hommes politiques congolais qui avaient fait un apprentissage à
travers une culture personnelle (lectures, voyages d’études à l’étranger, cours par correspondance,
contacts avec d’autres africains des colonies britanniques et françaises), il y avait en général une
insuffisance des Congolais hautement qualifiés et expérimentés et un manque de culture politique. Les
Congolais étaient ainsi confrontés à de grandes difficultés de maîtriser le fonctionnement de nouvelles
institutions politiques et administratives (Tshimanga, 2005 : 44-45).
276
2. Instigation des conflits au niveau des organes exécutifs
La dualité des organes exécutifs était sciemment préparée et tous les moyens étaient nécessaires pour
écarter Patrice Lumumba du pouvoir. Cette dualité fut le point de départ de la déstabilisation de la jeune
démocratie. En consacrant l’irresponsabilité du Chef de l’État, la loi fondamentale avait contribué à
créer une situation conflictuelle entre celui-ci et le Premier ministre.
En effet, en vertu de l’article 36 de la Loi fondamentale, c’est le Premier ministre qui était chargé de
diriger la politique de l’État en accord avec son cabinet. La direction de l’action gouvernementale était
donc réservée au Conseil des ministres, responsable devant le Parlement. Dans ce contexte, le Chef de
l’État n’avait comme mission que de régner, donc irresponsable. C’est dans cette logique que Lumumba
s’était empressé de prononcer le discours historique, le 30 juin 1960, au moment de la passation des
pouvoirs entre les autorités belges et congolaises, et qui signa sa mort.
Il convient de rappeler que les protocoles belge et congolais ne prévoyaient que les discours du Roi
belge et du Chef de l’État congolais. Le discours de Lumumba ne figurait pas au programme de la
journée. Mais, contre toute attente, son allocution « improvisée » fut un véritable bouquet de feu
d’artifice du verbe nationaliste qui fut interrompu à huit fois par des applaudissements. C’était en fait
l’antithèse des allocutions que venaient de prononcer le Roi Baudouin et le Président Kasa-Vubu.
Ce discours jugé très agressif à l’égard du monarque belge, nombreux observateurs l’avaient considéré
comme une erreur politique grave par laquelle Lumumba venait de signer son arrêt de mort. D’autres
observateurs estiment que, du fait même de sa personnalité charismatique, il était déjà condamné bien
avant même la prise officielle de la fonction de Premier ministre (Tshimanga, 2005: 46).
Cette confusion des rôles avait permis de déceler le flou entretenu par la Loi fondamentale jusqu’à créer
les conflits des responsabilités et des compétences entre le Chef de l’État et le Premier ministre. La
situation conflictuelle s’amplifia avec les influences négatives exercées sur le Chef de l’État par les
membres des partis politiques de droite appartenant au Cartel d’Union Nationale et par les lobbies
étrangers. La dualité entre les deux personnalités au sommet de l’État fut le point de départ de la
déstabilisation des institutions démocratiques.
D’après Tshimanga, les puissances étrangères avaient ainsi saisi l’opportunité pour continuer à
manipuler Kasa-Vubu en l’opposant à son Premier ministre, souvent par l’entremise de Joseph-Désiré
Mobutu pour lequel elles préparaient progressivement le terrain. Certains observateurs imaginèrent
même que les attributions du Chef de l’État et du Premier ministre étaient définies sur mesure dans la
Loi fondamentale, puisque les autorités politiques belges étaient convaincues que le MNC/Lumumba
277
n’allait pas remporter les élections, compte tenu des gros moyens financiers et matériels qui allaient être
mis en jeu pour bloquer la gauche nationaliste aux fins de permettre aux partis modérés de gagner ces
élections. Dans les calculs qui étaient faits, J. Kasa-Vubu ou un autre membre des partis politiques
modérés, comme Jean Bolikango ou Joseph Ileo, allait diriger le gouvernement (Tshimanga, E.,
2005 :47). Mais la victoire du MLC/Lumumba fut une surprise pour tous ses détracteurs, et alors qu’on
s’attendait à ce qu’il réclamât le poste de Chef de l’État, Lumumba, très rusé, chercha à être Premier
ministre pour mieux contrôler la politique du pays. D’où l’embarras et les tergiversations dans sa
désignation comme formateur du gouvernement. Son discours du 30 juin 1960 n’était pas fait non plus
pour apaiser l’animosité et le ressentiment que les Belges gardaient contre lui.
3. L’indépendance et sa gestion
D’après Ndaywel (1998 :565), la célébration de l’indépendance avait un caractère ambigu : les
participants n’en étaient pas conscients, mais les auspices n’étaient guère favorables. Les interprétations
que le peuple donnait à ce mot variaient d’une personne à l’autre et devenaient parfois fantaisistes. J’y
reviendrai dans la cinquième section de ce chapitre. L’indépendance fut donc un grand moment,
évoquée avec une passion d’autant plus grande que toute la classe politique était consciente de sa
précarité.
Ces craintes étaient effectivement justifiées. Le Congo indépendant comptait trop de forces centrifuges
susceptibles de mettre à tout moment en mal sa cohésion interne. De fait, des mouvements de
revendication sociale se manifestèrent dès 1959 et se poursuivirent même après l’indépendance,
notamment par la grève à l’Office de Transport au Congo (OTRACO, 1er juillet), les troubles à Kinshasa
entre Yaka (3 juillet), et les revendications salariales à Mbandaka (4 juillet). La formation du tout
premier gouvernement de Lumumba laissa des insatisfaits parmi les représentants de certaines régions,
entre le Katanga et le Kasaï160. On était bien loin d’une véritable cohésion interne : le gouvernement se
fondait sur une situation de compromis.
Par ailleurs, l’inimitié entre le président Kasa-Vubu et le premier ministre Lumumba, déjà perceptible
lors des séances du Collège Exécutif Général et encouragée par la structure bicéphale de l’Exécutif,
constituait à elle seule un péril pour l’avenir proche du pays. En réalité, la situation n’était pas
rassurante. A Léopoldville et dans d’autres villes, la fête de l’indépendance fut intense mais de courte
durée.
160
La CONAKAT avait réclamé pour le Katanga deux portefeuilles ministériels : celui des Affaires économiques et celui
de la Défense nationale. Elle obtint le premier ; quant au second, elle dut de contenter du poste de secrétaire d’Etat.
278
Elle fut vite oubliée quand l’État fraîchement constitué connut trois grandes secousses: au lendemain du
départ des derniers invités venus participer aux festivités, les mutineries de la Force Publique éclatèrent
(mercredi 5 juillet). Elles furent suivies, six jours plus tard, de la proclamation de l’indépendance du
Katanga (lundi 11 juillet), puis celle du Sud-Kasaï (lundi 9 août). Je reviendrai sur les causes
économiques de ces deux « indépendances ».
Enfin le Président révoqua le Premier ministre, qui le révoqua à son tour (5 septembre) ; les Chambres
votèrent une motion de confiance en faveur de Lumumba révoqué et Kasa-Vubu répliqua en les
renvoyant. L’impasse était totale : l’euphorie de l’indépendance proclamée le 30 juin avait duré un mois,
et l’amitié belgo-congolaise qui se voulait le fleuron de ce système colonial ne put résister aux effets de
la crise, quelques semaines à peine après la signature du traité liant les deux pays.
En effet, la guerre qui accompagna la mutinerie provoqua surtout la première rupture des relations
diplomatiques, quatorze jours après la proclamation de l’indépendance réalisée pourtant « en plein
accord » entre les deux pays. Quelques maladresses commises peu après suffirent à compromettre les
relations belgo-congolaises… « pour au moins dix ans », d’après les estimations de l’ambassadeur de
Belgique, témoin de ces journées chaudes (De Vos P., 1975 :129). Ces hostilités surgirent
malencontreusement à une époque où le pays avait grand besoin du secours de l’ancienne métropole
pour la guider dans son entrée dans la vie internationale (Ndaywel, 1998 : 572).
161
Ralph Johnson Bunche (né le 7 août 1904 - mort le 9 décembre 1971) est un politologue et un diplomate américain qui
reçut en 1950 le Prix Nobel de la paix pour sa médiation en Palestine. Il devient ainsi la première personne de couleur à être
honoré dans l'histoire de ce prix. En 1963, il reçoit la Médaille présidentielle de la liberté du président Lyndon Baines
Johnson. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Bunche participe, avec la délégation américaine, à l'élaboration de
la Charte des Nations unies en 1945. Il participe également, du côté américain, avec Eleanor Roosevelt, à l'élaboration de
la Déclaration universelle des droits de l'homme. Au début de 1947, Bunche est entraîné dans les négociations concernant
le conflit israélo-arabe. Il devient alors assistant du comité spécial des Nations unies pour la Palestine, puis secrétaire
général de la Commission pour la Palestine des Nations unies. En 1948, il travaille avec le comte Folke Bernadotte,
médiateur de l'ONU en Palestine. En septembre, Bernadotte est assassiné par des militants juifs du Lehi. Bunche devient
alors son remplaçant, et organise les négociations qui mèneront à la signature des Accords d'armistice israélo-arabes de
279
A la suite des interventions militaires belges dans le Bas-Congo, simultanément, Kasa-Vubu et
Lumumba réclamèrent à l’ONU l’envoi d’une aide militaire directe pour protéger la jeune république
contre l’agression extérieure. Le Conseil de sécurité réuni ce jour-là, constata que la situation au Congo
risquait de compromettre le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Il décida d’envoyer une
force des Nations-Unies sur place et demanda le départ des troupes belges. Le 14 juillet, depuis Kindu,
Kasa-Vubu et Lumumba prirent le soin de prévenir l’Union Soviétique que son aide pourrait être
sollicitée si le camp occidental ne mettait pas fin à son intervention (Ndaywel, 1998 : 572-573).
Les circonstances pouvaient mener à un conflit international. Le secrétaire général, le Suédois Dag
Hammarskjöld, parvint habilement à éviter une condamnation explicite de la Belgique considérée
comme agresseur et à écarter le risque d’une participation des Grands au conflit du Congo.
On était alors en pleine période de « guerre froide ». Les Casques bleus ne proviendraient pas des pays
membres permanents du Conseil de sécurité ; ils ne seraient recrutés que dans des pays neutres, pour la
plupart afro-asiatiques. C’est ainsi que les quatorze premiers bataillons qui débarquèrent au Congo (14-
19 juillet) comptaient des Ghanéens, des Tunisiens et des Suédois (Braeckman, C. et alii, 1990 : 81-82).
La décolonisation congolaise avait cessé d’avoir pour seuls acteurs le Congo et la Belgique. A présent,
plusieurs protagonistes se trouvaient dans l’arène : la Belgique, l’ONU, les États-Unis, l’URSS, etc. La
cible privilégiée de l’internationalisation de cette crise fut le Katanga (Ndaywel, 1998 : 573).
En effet, comme le souligne Nissé Nzereka Mughendi dans son livre Les déterminants de la paix et de
la guerre au Congo-Zaïre (2011), la ruée internationale vers les ressources congolaises, y compris par le
biais de la guerre, a une profondeur historique qui ne se limite pas aux deux dernières décennies (1990-
2010), particulièrement ruineuses par leurs cruautés humaines (plus de 6 millions de Congolais morts
dans les rébellions successives à l’Est du Congo pilotées par le Rwanda et l’Ouganda depuis 1996).
1949, travaux pour lesquels il reçoit le Prix Nobel de la paix en 1950. Il continue de travailler pour l'ONU, notamment
au Congo, au Yémen, au Cachemire, et à Chypre. Il devient Secrétaire général adjoint des Nations unies en 1968. Il décède
en 1971 à New York. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ralph_Bunche [Consulté le 30/11/2013].
280
Pour l’auteur, les sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï, au moment de l’indépendance, montrent que
le syndrome lombard et la présence belge dans cette déstabilisation de la jeune République n’étaient pas
le fruit du hasard: le Katanga et le Sud-Kasaï étaient les deux provinces considérées comme les plus
riches du pays (2011 :339).
Informés du plan occidental d’utiliser les services secrets belges et américains pour empêcher Lumumba
de gouverner en vue de l’écarter du pouvoir, ils étaient alors convaincus que leur projet de sécession
allait facilement obtenir le feu vert des autorités politiques belges et américaines et qu’il ne pouvait être
bloqué avant le 30 juin 1960. Mais ce fut une erreur de calcul de la part des dirigeants katangais et des
colons belges qui soutenaient fermement ce projet, mieux, qui en étaient réellement les concepteurs. Car
la Belgique était déjà liée par le système qu’avait institué la loi fondamentale.
Pour rappel, les gouvernants belges et congolais avaient déjà prévu dans le traité de coopération des
conventions particulières qui allaient à l’avantage de deux pays, et particulièrement de la Belgique, dans
les domaines économique, administratif, judiciaire, militaire, diplomatique, culturel, scientifique et
scolaire. Les deux pays prévoyaient de s’accorder de façon réciproque et inconditionnelle le traitement
de la nation la plus favorisée pour tout ce qui concernait leurs relations commerciales, ainsi qu’en
matière de transports maritimes et d’adjudications publiques (Ibid. : 478).
Mais avec Lumumba, Premier ministre incontrôlable et devant la méfiance des Congolais quant à
l’effecticivité du traité de coopération entre les deux pays souverains, la seule solution pour rester au
Congo était de proclamer l’indépendance du Katanga. En séparant cette province minière du reste du
Congo, les acteurs de la sécession voulaient ainsi éviter le danger que présentait Patrice Lumumba pour
eux. C’est dans cet esprit qu’ils exercèrent de fortes pressions sur les dirigeants de la CONAKAT pour
pouvoir accélérer la proclamation de l’indépendance du Katanga.
281
La mutinerie des soldats congolais qui avait éclaté le 5 juillet 1960 à Léopoldville (Kinshasa), et qui
s’étendit dans tout le pays comme un feu de paille, leur donna une occasion pour pousser les
responsables katangais, eux-mêmes assoiffés du pouvoir et aigris, à proclamer la sécession du Katanga
minier le 11 juillet 1960, soit 11 jours seulement après la proclamation de l’indépendance nationale.
Comme il n’y avait plus aucune instance capable d’empêcher sa réalisation, les autorités katangaises
avaient enfin le champ libre pour mener leur projet à bien sans crainte des représailles du pouvoir
central. Les intérêts du capital international étaient en jeu. Au demeurant, Baudouin Ier lui-même, 21
jours après avoir accordé l’indépendance au Congo, déclara lors de la fête nationale belge : « Des ethnies
entières, à la tête desquelles se révèlent des hommes honnêtes et de valeur, nous ont conservé leur amitié et nous
adjurent de les aider à construire leur indépendance au milieu du chaos qu’est devenu aujourd’hui le Congo
belge » (Boissonnade E., 1990 :58-59). L’allusion à Tshombe était à peine voilée.
Cette caution discrète fut bien comprise et conforta dans sa mission l’équipe des militaires et techniciens
belges qui entouraient le président katangais. Ces « théoriciens » de la sécession du Katanga étaient tous
membres de la « Mission d’Assistance technique belge au Katanga » dont la direction fut confiée au
comte Harold d’Aspremont Lynden, l’ancien chef de cabinet adjoint du Premier ministre Eyskens, qui
fut envoyé sur place162. Son équipe comptait donc plusieurs coopérants, parmi lesquels le professeur
René Clemens de l’université de Liège, celui-là même qui rédigea la Constitution du Katanga.
Cette menace de dissidence fut prise au sérieux par le gouvernement Lumumba qui décida de maintenir
l’état d’exception au Kasaï.Toutefois, ne s’avouant pas vaincus, Albert Kalonji et ses acolytes
concrétisèrent en proclamant la sécession de la région minière du Sud-Kasaï le 9 août 1960, dans les
circonstances similaires à la sécession katangaise, sous la pression discrète des forces extérieures. A la
différence près que, au lieu de l’Union Minière, c’est la Minière BCK qui l’imposa.
162
D’Aspremont fut par la suite nommé ministre des Affaires africaines du gouvernement belge. Il fut remplacé au Katanga
par M. Rothschild.
282
Kalonji lui-même l’a expliqué du haut de la tribune de la Conférence nationale souveraine (1992).
Ecrasé par le poids des réfugiés chassés de Luluabourg comme du Katanga, Kalonji sollicita l’aide de la
Minière de la BCK à Bakwanga, l’ancêtre de la MIBA actuelle. Son président, monsieur Cravatte,
l’aurait rassuré en promettant de lui verser la part des dividendes dus à l’État sur le bénéfice et les droits
de sortie du diamant pour la période de juillet à décembre 1960, « à la seule condition de proclamer
l’indépendance et de se comporter en autorité publique pour éviter à la société de payer une seconde fois les
impôts au gouvernement central » (Ndaywel, 1998 : 576).
Comme on le voit, la sécession du Sud-Kasaï, comme celle du Katanga est une preuve d’injonction
extérieure sur fond des motivations économiques et politiques. Dans ces deux parties « rebelles » du
jeune État congolais, l’exploitation minière devint anarchique durant la sécession. Des avions venaient
chercher, chaque semaine, la totalité de la production pour la transporter en Afrique du Sud
(Boissonnade E., 1990 :55-57).
Par ailleurs, les deux sécessions avaient pour but de se venger de Lumumba : Kalonji était le premier
adversaire politique de Lumumba, en tant que porte-drapeau de dissidence du MNC. Il avait été banni
de toute participation au gouvernement central, à la grande consternation des siens. Lumumba
l’empêcha par la suite d’accéder à un poste d’importance au Kasaï. Expulsés tant d’Elisabethville que de
Luluabourg, les Luba réclamèrent, dès avant le 30 juin, la modification de l’article 7 de la Loi
Fondamentale qui autoriserait la constitution d’une septième province.
Plus grave encore, dès le 14 juin, ils mirent en place l’assemblée et le gouvernement (présidé par
Ngalula) de cette province. Avec l’indépendance, ils n’eurent qu’à se déplacer de Luluabourg à
Bakwanga163. La Belgique, qui avait offert au Congo indépendant une Loi Fondamentale, ne lui
fournissait même pas les fonds nécessaires à l’application de cette Loi. Dépourvu d’argent, Lumumba
était également presque sans armement. L’aviation de la Force Publique, on l’a dit, avait pris parti pour
les sécessionnistes (Wandewalle, 1974 :154 ; Weber G., 1983 :115). Il n’était plus question de compter
sur les munitions provenant de l’ancienne métropole, comme à l’époque coloniale, alors que le Katanga
continuait à en bénéficier. L’Armée Nationale Congolaise était en piteux état, menée par des officiers à
peine nommés, plus proches de leurs leaders régionaux que du haut commandement militaire qui était
lui-même en crise (Ndaywel, 1998 :578).
163
La déclaration de sécession (8 août) fut effectuée depuis Elisabethville, où un Traité d’alliance avait été signé avec
Tshombe. A Bakwanga, la Forminière lui prêta une villa et des voitures ; elle mit également des fonds, d’après les
témoignages de J. Ngalula et de Kadima (Muya bia L. 1980 : 173).
283
Devant faire face à la détérioration du climat politique et social dans le pays, notamment aux violations
flagrantes de la Loi Fondamentale par les dirigeants de la CONAKAT et du MNC/Kalonji, le
gouvernement Lumumba sollicita l’intervention de l’ONU pour l’aider à ramener le calme dans le pays.
Mais l’ONU, sous l’influence des États-Unis, ne donna pas satisfaction à cette demande.
Abandonné à son triste sort, P. Lumumba se rendit aux États-Unis pour y rencontrer les responsables de
l’ONU et ceux de l’Administration américaine. Sa visite là-bas n’avait servi à rien car les Américains
avaient même refusé de le recevoir. A son retour, toujours soucieux de rétablir l’ordre et la paix dans le
pays, il fit appel à l’Union Soviétique qui, au dire de Tshimanga, n’hésita pas à lui venir en aide
(2005 :50). Ce geste posé envers les Soviétiques par Lumumba lui valut la condamnation à mort car
l’Occident avait considéré cet appel lancé aux Russes comme la vente du Congo à l’Union
Soviétique164. M. Larry Devlin, Chef de la CIA au Congo à cette époque, avait même souligné que le
fait que Lumumba ait fait appel aux Communistes, il avait alors mis les intérêts de l’Occident en danger
et il fallait dans ce cas l’éliminer (Ibid.).
164
Lumumba s'adresse à l’ONU pour être aidé à reprendre le contrôle du Katanga ; si le secrétaire général des Nations
Unies Dag Hammarskjöld envoie bien des casques bleus, il ne leur donne pas l'ordre d'attaquer les sécessionnistes du
Katanga. Lumumba demande alors l’aide de l’URSS qui répond favorablement en lui envoyant notamment des techniciens,
des avions et véhicules militaires (Frank R. Villafana, 2012 :.24). Pour le président des États-Unis, Dwight Eisenhower, il
est évident que Lumumba est un communiste. Craignant qu'un bastion communiste se créé au centre de l’Afrique, le
président américain donne l'ordre à la CIA d'éliminer Lumumba mais la tentative d’empoisonnement échoue. Voyant que
son premier ministre n'arrête pas de se faire des ennemis, le président Kasavubu le démet de ses fonctions. Soutenu par le
parlement, Lumumba, à son tour, démet le président de ses fonctions. Partagée entre les deux hommes, l'ONU vote
finalement la confiance à Kasavubu. Celui-ci nomme Joseph Mobutu premier ministre pendant que Lumumba est placé en
résidence surveillée à Kinshasa le 10 octobre 1960. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_République
démocratique du Congo [Consulté le 30/11/2013]
284
Le « danger Lumumba » écarté, Mobutu devait alors se débarrasser de Kasa-Vubu qui ne présentait
aucun danger ni résistance. Il venait ainsi de réaliser un plan concocté de longue date (Tshimanga,
2005 :51).
Lumumba tenait à décoloniser les structures pour que l’indépendance ne fût pas qu’un changement
nominal et à consolider l’unité nationale qui demeurait laborieuse. Pour lui, l’État moderne restait
encore une réalité étrangère et il fallait pour cela créer rapidement une administration. Il tenait à relever
le défi de l’indépendance : « Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la
liberté, et nous faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière… Notre gouvernement va assurer
l’exercice des libertés fondamentales, supprimer toute discrimination, établir la justice sociale, et faire gagner la paix en
sollicitant l’adhésion des cœurs… Nous ne solliciterons l’aide extérieure que dans la mesure où celle-ci ne chercherait pas à
imposer une dictature. Nous allons à l’avenir observer certaines règles : respecter la vie et les biens des étrangers, dépasser
les querelles ethniques, et faire preuve d’un esprit constructif même dans l’opposition » (Souris Christian, 1983: 6-12).
De tels engagements ne seraient pas attendus d’un Chef de gouvernement communiste, comme les
détracteurs de Lumumba avaient voulu le présenter, mais bien d’un nationaliste qui tenait absolument à
son idéal démocratique. Pour Tshimanga, son indépendance d’esprit et sa grande force de caractère ne
pouvaient plaire aux Occidentaux en pleine guerre froide ; d’où sa diabolisation comme adepte du
communisme. L’auteur est convaincu qu’en cultivant une haine contre le Premier ministre congolais élu
démocratiquement et en orchestrant des manœuvres pour l’écarter du pouvoir, les puissances
occidentales avaient manqué d’une réelle volonté politique de soutenir le processus démocratique
amorcé à travers les élections nationales de mai 1960 (Tshimanga, 2005 : 52). Et c’est cela qui justifie le
titre de son ouvrage auquel je me refère dans cette étude : « L’Occident pour ou contre la démocratie en
Afrique. Cas du Congo-Zaïre » paru chez L’Harmattan.
Elles étaient pourtant convaincues, ajoute-t-il, que Lumumba était à l’époque l’homme politique
congolais le plus populaire et même le seul capable de conduire son pays dans la voie de la démocratie.
De ce fait, elles savaient bien que le fait de le chasser de force du pouvoir allait sans doute faire basculer
le pays dans les désordres et le chaos. D’autant plus que les populations congolaises, en majorité
victimes de toutes sortes de particularismes (tribalisme, régionalisme, clanisme), étaient facilement
manipulables par une classe politique congolaise immature, irresponsable et opportuniste pour créer
l’anarchie et l’insécurité (Ibid).
Et c’est ce qui arriva. En effet, l’hostilité et l’acharnement des puissances occidentales sur Lumumba ont
toujours été considérés comme ayant été, en grande partie, à la base des crises politiques qui avaient
285
éclaté en septembre 1960, puis les crises économiques et sociales qui allaient en découler et plonger
ainsi durant des décennies les populations dans une misère indescriptible jusqu’à ce jour165.
L’on assista donc au non-respect de la Loi Fondamentale, à des querelles de positionnement, à des luttes
d’influence entre politiciens sans aucun sens patriotique. Il y eut de guerres fratricides dans le pays dues
à l’institutionnalisation de la haine. Les institutions furent bloquées et l’économie paralysée ; l’Etat était
quasiment mort. La plupart des partis politiques n’avaient ni base populaire ni projet de société, mais
surtout ils manquaient d’éducation politique pour un meilleur apprentissage de la démocratie ; ce que les
puissances occidentales n’étaient pas prêtes à favoriser, puisque, selon Tshimanga (2005 :53), le
sabotage de la démocratie était le seul moyen de placer de force au pouvoir des dirigeants dociles.
Le coup d’État camouflé du 14 septembre 1960 est à situer dans ce plan d’exécution. En effet, le
Premier ministre Lumumba n’était en rien responsable de la mutinerie de l’armée qui avait éclaté en
juillet 1960. Mais Mobutu en profita pour exécuter les prémices du plan dont il était chargé de
l’application, en accusant Lumumba d’être à la base de cette mutinerie de connivence avec les
communistes. Cet ancien sergent catapulté colonel et Chef d’État-major de l’Armée nationale afficha
publiquement une arrogance et une indiscipline sans pareil à l’endroit de son autorité politique,
Lumumba. Car il se savait protégé et soutenu par les mains à peine voilées d’agents secrets belges et
américains, notamment le colonel Louis Marlière et de Larry Devlin, respectivement Chef des services
secrets belges et Chef de la CIA au Congo.
Très rassuré, le colonel Mobutu décida, le 14 septembre 1960, de bloquer les deux organes exécutifs en
plaçant le Premier ministre Lumumba en résidence surveillée et en mettant le Chef de l’État Kasa-Vubu
et les deux Chambres en congé forcé jusqu’au 31 décembre 1960. Il prit en mains la conduite des
affaires de l’État et créa un Collège des étudiants pour diriger le pays. Il considéra son acte, non pas
comme un coup d’État militaire, mais plutôt comme une simple révolution pacifique pour permettre à
l’Armée de résoudre les crises politiques qui devenaient de plus en plus aiguës.
165
Il est donc certain que la Belgique ne manqua pas d’exercer des pressions pour que Lumumba soit révoqué. Van Bilsen,
à l’époque conseiller de Kasa-Vubu, reconnaît que le Premier ministre Eyskens le chargea, le 18 août, de dire à celui-ci que
Lumumba devait être révoqué et qu’il en avait le pouvoir (Willame J.C., 1990 : 271). L’ONU, quant à elle, suite à la
mésentente survenue le 15 août entre le secrétaire général et le Premier ministre, semblait partager cet avis. En effet, les
menaces fréquentes de faire appel à Moscou, du reste peu disposée à lui fournir l’aide attendue, contribuèrent à isoler
Lumumba en cette période de « guerre froide », où le monde dit libre et le bloc soviétique s’affrontaient ouvertement dans
l’arène de l’ONU. Les pays occidentaux sentaient qu’il gagnait du pouvoir sur Kasa-Vubu et étaient peu enclins à le laisser
faire. Pour eux, le chaos du Congo était un moindre mal ; il fallait surtout éviter à tout prix que l’ex-Congo belge, vu son
importance stratégique, bascule dans le camp communiste.
286
Cette confusion et ce désordre ainsi créés déstabilisèrent la jeune démocratie au Congo et aboutirent à
l’assassinat du Premier ministre Lumumba (2005 :54).
Je n’entre pas ici dans les détails des conditions et circonstances de leur assassinat166. De nombreux
ouvrages y ont déjà consacré de larges pages sur des témoignages recueillis directement auprès de
principaux acteurs de cet assassinat. C’est le cas des révélations inédites recueillies par Christian Souris
auprès de Moïse Tshombe, ancien Président de l’État sécessionniste du Katanga, et vécues par le
journaliste lui-même167, le 14 janvier 1961. Le colonel Marlière avait déclaré que : « Lumumba avait choisi
le mauvais camp. Il était plus ou moins communiste. Il avait choisi le camp des Russes au lieu de celui de l’Occident ».
Quant à Larry Devlin qui avait reconnu avoir été chargé par le gouvernement américain pour perpétrer
le meurtre de Lumumba, il dit: « Lumumba était un danger à la fois pour le Congo et pour le reste du monde
occidental en ce sens qu’il autorisait les Soviétiques à s’installer au Congo. Nous avions donc de bonnes raisons de penser
que les Soviétiques allaient certainement prendre le contrôle du pays ». (Tshimanga, 2005 :54) Pour sa part, le
diplomate belge, Jacques Brassine, qui avait également joué un rôle important dans cet assassinat,
soulignait qu’il y avait effectivement un complot pour l’élimination physique de Lumumba, en
précisant: « Lumumba était dangereux parce qu’il n’était pas susceptible d’être ouvert à des solutions parfois que nous
aurions voulu voir se réaliser dans ce pays ».168 Tshimanga prolonge sa réflexion pour essayer de comprendre
166
Lumumba s’enfuit et tente de rejoindre ses partisans à Stanleyville mais des soldats de Mobutu le capturent. Kasavubu
et son nouveau premier ministre l'envoie par avion à son ennemi, Moise Tshombe, leader du Katanga indépendant. Le 17
juin 1961, il est exécuté par un peloton sous les yeux de ministres katangais et d'officiers belges (Ludo de Witte, 2000 :253-
258). La radio préfère annoncer que Lumumba a été victime de villageois. Cf.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_République démocratique du Congo [Consulté le 30/11/2013]
167
Déclarations du colonel Louis Marlière et de Larry Devlin, respectivement chef des services secrets belges et chef de la
CIA au Congo, reprises dans le film documentaire de Michel Noll : « Une mort de style colonial : assassinat de Patrice
Lumumba », février 2001.
168
Déclaration de François Lumumba, fils de Patrice Lumumba, faite à la presse belge à Bruxelles, in La Dernière Heure
du mercredi, 6 février 2002.
287
les vraies motivations de l’assassinat Lumumba, ainsi que la vraie sémantique de la notion des droits de
l’homme selon qu’on se trouve ou non au service de l’Occident: « Toutes ces raisons évoquées par les
Occidentaux, pouvaient-elles justifier la mise à mort d’un homme adoré par son peuple et sur lequel ce peuple comptait
beaucoup pour la conduite du pays pendant les premières années de l’indépendance ? A quel moment les droits de l’homme
sont-ils respectés ? Est-ce uniquement lorsque les intérêts de l’Occident sont protégés au détriment de ceux des peuples
autochtones ?[…] (Tshimanga, 2005 :55-56).
La mort de Lumumba a entraîné de très néfastes effets sur la gouvernance du pays et sur l’évolution de
la démocratie au Congo jusqu’à aujourd’hui, même si on y observe quelques balbutiements de
démocratie. Sans surprise, l’Occident a toujours attribué la responsabilité de l’assassinat de Lumumba
aux seuls Congolais, affirmant qu’il s’agissait d’une affaire « congolo-congolaise ». L’on sait que les
Congolais cités dans cet assassinat n’ont été que des marionnettes utilisées par l’Occident pour réaliser
son plan concocté par avance. Les déclarations des personnalités belges et américaines citées plus haut
le démontrent, de même que les tentatives de sabotage des résultats et les tergiversations du pouvoir
colonial belge qui ont suivi la victoire de la gauche nationaliste aux élections démocratiques en mai
1960 dont j’ai longuement parlé dans la précédente section.
Evidemment, la responsabilité des commanditaires occidentaux ne peut en aucun cas exonérer celle des
Congolais qui ont accepté de coopérer à l’assassinat de la démocratie au Congo par celui de Lumumba.
Par ailleurs, son assassinat jeta un froid dans une classe politique profondément divisée déjà par les
querelles de positionnement et le développement de la haine, tel qu’on l’observe même aujourd’hui avec
cette classe politique qui n’a pas mûri plus de cinquante ans après.
Pour le peuple congolais, avec la mort prématurée du leader charismatique qui était en avance par
rapport à son époque, l’avenir du Congo venait de s’assombrir. La poursuite du système démocratique
devenait très incertaine sans cet homme qui était entièrement dévoué à l’avènement d’un État de droit.
Et comme l’avait déclaré son fils François Lumumba en février 2002 à Bruxelles, en réponse aux
excuses de la Belgique pour son implication dans l’assassinat de son père, « la lutte de la Belgique contre
Patrice Lumumba était calculée, visant son élimination politique qui avait abouti à son élimination physique. Il s’agit là d’un
préjudice grave pour le peuple congolais et pour sa famille. Cet assassinat avait provoqué la fin du processus démocratique,
des millions de morts au fil des ans et le chaos que connaît toujours la RDC… Nous ne pouvons pas oublier ce qui s’est
288
passé. Jamais nous ne pourrons oublier. Imaginez ce que c’est que vivre pratiquement toute sa vie avec un père absent. Nous
avons un droit de mémoire que ces excuses ne gomment évidemment pas »169.
A partir du cas de Lumumba, il y a lieu de comprendre que les nationalistes africains qui ont été, pour la
plupart, assassinés dans différents pays, ne demandaient rien d’autre que d’être traités comme des
hommes épris d’amour pour leur pays. A l’instar, pourtant, de tous les nationalistes du monde occidental
durant les deux guerres mondiales, ils voulaient que les intérêts des Africains comptent autant que ceux
des étrangers, comme cela se passe logiquement partout dans le monde. Ils voulaient une indépendance
d’esprit et une liberté d’action dans la gestion de leurs pays.
Pleins de volonté et animés d’une idée très haute de la Nation, ils étaient capables de relever le défi des
indépendances et de sortir le continent de la spirale des problèmes sociopolitiques et économiques qui
ont suivi ces indépendances des pays d’Afrique. Leurs disparitions prématurées concoctées par les
puissances occidentales ont eu comme conséquences de retarder l’avènement de la démocratie, des
droits de l’homme, de la bonne gouvernance, et d’entraîner l’Afrique, à quelques exceptions près, dans
des guerres fratricides, le blocage pur et simple des institutions, l’institutionnalisation de la haine, dans
la paralysie économique, etc. Ce sont des disparitions qui ont laissé un vide encore difficile à combler
(Tshimanga, 2005 :59).
Après l’assassinat de Lumumba, il s’ensuivit quatre décennies de dictature, de non-État avec des
conséquences sociopolitiques et économiques incalculables. Ce sera l’objet de ma troisième section.
Philippe Hugon le dit si bien, la légitimité du pouvoir en Afrique est également externe. Plusieurs
pouvoirs autoritaires ont bénéficié de soutiens extérieurs avec une faible légitimité interne, soit pour
défendre des intérêts économiques pétroliers ou miniers, soit pour éviter un basculement dans un camp
idéologique adverse, soit par crainte du chaos. Les bailleurs de fonds ne négocient qu’avec les seuls
pouvoirs officiels, mettant souvent en œuvre des mesures en trompe-l’œil, leur permettant de maintenir
les bases de leur pouvoir réel.
Ils aident à la reconstruction des États en se spécialisant selon les secteurs (justice, police, armée, etc.)
aux dépens d’une vision cohérente. Les réseaux personnels et de solidarité l’emportent sur
l’institutionnalisation de l’État.
169
Déclaration de François Lumumba, fils de Patrice Lumumba, faite à la presse belge à Bruxelles, in La Dernière Heure
du mercredi, 6 février 2002.
289
Les pouvoirs personnalisés se caractérisent par des luttes factionnelles d’influence ou de clan, du fait de
l’acuité de la compétition des entrepreneurs politiques. Ils s’appuient souvent sur des réseaux familiaux.
Mais on observe également un maillage des sociétés en réseau et une information des faits et gestes des
« haut en haut » par les « bas du bas » (Hugon, P., 2012 :90).
Au Congo, après Lumumba, les premiers ministres se succèdent jusqu'à ce que Mobutu mène le 24
novembre 1965 un deuxième coup d’État militaire qui, cette fois, renverse le président Kasavubu.
Une fois le Premier ministre Patrice Lumumba éliminé, ce fut le tour du Chef de l’État, Joseph Kasa-
Vubu de céder sa place à Mobutu, choisi et préféré aux autres pour sa disponibilité à jouer à merveille le
jeu de l’Occident et à défendre fidèlement ses intérêts. Il fut poussé donc à prendre le pouvoir de
manière anti démocratique par un coup d’État militaire opéré grâce à la manipulation du Haut
Commandement Militaire.
1. Remplacement des organes exécutifs civils par les organes exécutifs militaires
Déjà, après la mort de Lumumba, Kasa-Vubu était maintenu comme Chef de l’État en attendant que
l’apprentissage politique de Mobutu s’achève. En fait, il exerçait depuis le 14 septembre 1960, date de
son premier coup d’État camouflé, la plénitude du pouvoir dans l’ombre avec le soutien de ses
conseillers politiques et militaires occidentaux. Rassuré, il imposait ses vues et allait parfois à l’encontre
des instructions des autorités politiques qu’il considérait, en âme et conscience, comme déjà en sursis en
attendant l’exécution des étapes finales du plan imposé par l’Occident.
Après avoir été rehaussé par le Président Kasa-Vubu le 19 novembre 1965 au rang de Lieutenant général
- le plus haut grade de l’armée nationale congolaise d’alors -, Mobutu, qui rêvait toujours de prendre la
direction du pays, trouva cette nomination insuffisante à la mesure de ses ambitions. Il décida alors une
semaine seulement après cette importante nomination de passer à l’action en faisant un coup d’État
militaire le 24 novembre 1965. Il destitua, de ce fait, Kasa-Vubu et le Premier ministre Evariste Kimba
et annula en même temps les élections présidentielles qui étaient en préparation. Les organes exécutifs
civils furent remplacés par les organes exécutifs militaires.
Comme les membres du Sénat et du Parlement élus démocratiquement n’appréciaient pas Mobutu qu’ils
rendaient responsable de la trahison de Lumumba et de l’éviction de Kasa-Vubu, les conseillers
militaires et civils occidentaux avaient alors estimé que Mobutu était devenu un otage et, non seulement
il ne pouvait pas agir librement, mais aussi il risquait même d’être écarté à son tour du pouvoir par
l’organe suprême de l’armée.
290
Ils lui demandèrent alors d’écarter progressivement et subtilement les membres de cet organe militaire
de fonctions de commandement dans l’armée et de confier à certains d’entre eux des postes
d’Ambassadeurs, et même de mettre d’autres à la retraite en les groupant dans une sorte d’institution-
bidon avec des titres honorifiques de « Compagnons de la Révolution », de manière à mieux les
contrôler et les surveiller.
C’est dans ce cadre qu’il opta pour la suppression du dualisme de l’exécutif et la création d’un exécutif
monocéphale par la fusion des postes de Chef de l’État et de Chef du gouvernement. Il se débarrassa
ainsi du Premier ministre Léonard Mulamba Nyunyi qui lui faisait ombrage en raison de ses qualités
militaires exceptionnelles et de sa popularité au sein de l’armée (Tshimanga, 2005 :63-64).
2. Abolition du système démocratique de 20 mai 1960 et instauration d’une dictature anarchique du 20 mai
1970
Après s’être débarrassé des membres du Haut Commandement Militaire devenus gênants pour la
réalisation de son plan, Mobutu décida de s’attaquer aux institutions démocratiques existantes,
notamment le Sénat et le Parlement dont les membres pouvaient aussi gêner ses actions. La plupart des
membres de ces deux Chambres étaient des personnalités qui avaient joué un rôle important dans la lutte
pour l’accession du Congo à l’indépendance.
Il abolit ainsi toutes les institutions démocratiques issues des élections démocratiques de mai 1960 et
procéda à la création d’un parti politique, « le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) », qu’il
décida d’institutionnaliser lors du congrès extraordinaire qui fut convoqué le 20 mai 1970. Le MPR
devenait un parti unique, unique non seulement au Congo mais aussi unique au monde et dans l’histoire
politique de l’humanité puisque il avait été décrété que « tout enfant congolais naissait dorénavant
membre du MPR » (Ibid.: 65), devenu par la suite « Parti-Nation » ou « Parti-État ».
Les institutions démocratiques mises en place par la loi fondamentale à l’issue des élections générales
de mai 1960, renouvelées par la Constitution de Luluabourg et 1964 et révisées et aussi respectées par la
Constitution référendaire de 1967 sous la direction du Haut Commandement Militaire, furent
systématiquement remplacées par une pléthore d’organes du MPR : Comité Central, Bureau Politique,
Comité Exécutif, Commission de discipline, Conseil Législatif, Conseil Exécutif, JMPR, CADER,
Garde Civile,… qui étaient tous des appareils de parade destinés à masquer à l’opinion publique le
caractère excessivement personnel du pouvoir au Congo, consigné même dans la Constitution taillée sur
mesure qui stipulait dans l’alinéa 2 de l’article 33 : « La doctrine du MPR est le Mobutisme, c’est-à-dire les
idées, les paroles et les actes du Guide Mobutu ».
291
Pire encore, le même article 33 de la Constitution révisée stipulait que « le fondateur du MPR était de
plein droit Président de la République ». Donc, il était l’unique candidat à chaque élection présidentielle,
puisqu’il n’y avait pas deux fondateurs du MPR. Certes, la stratégie de l’Occident a été de favoriser
l’arrivée de Mobutu au pouvoir afin de pacifier le pays après les désordres créés par l’action
manipulatrice étrangère. Il devait donc stopper l’anarchie créée et écarter la menace communiste dans le
but de préserver les intérêts occidentaux, peu importe le système politique et les moyens utilisés.
Puisque les Congolais étaient considérés comme n’étant pas prêts pour affronter les exigences de la
démocratie, il fallait un pouvoir dur et fort pour réduire les tensions sociales, forger l’unité nationale et
la cohésion sociale. On estimait même que le parti unique était censé favoriser l’unanimité des
consentements et empêcher le séparatisme, le particularisme et l’ethnicisme. Or, la réalité de terrain a
montré que pacifier un pays était une chose et le développer en était une autre (2005:67).
Mais force est de constater qu’aucun pays africain jadis ou aujourd’hui dirigé par un dictateur mis au
pouvoir n’a réellement avancé en matière de développement sociopolitique et économique170. Au
contraire tous ont régressé. Il est évident que ces auteurs occidentaux n’ont pas tenu compte des
spécificités des sociétés africaines. Ils se sont limités surtout à établir une sorte de corrélation de causes
à effets entre l’existence des crises au sein des sociétés africaines, dues au sabotage des premières
expériences du multipartisme les premières années des indépendances et à la prolifération des partis
uniques en Afrique, souvent à la suite des coups d’État militaires orchestrés par l’Occident.
170
Réfléchissant sur les régimes politiques et le développement, Philippe Hugon affirme que les tests reliant la croissance
économique, les régimes politiques et la stabilité politique donnent des résultats peu concluants. La thèse de North selon
laquelle les institutions sont le principal déterminant de la performance à long terme des économies ne semble pas vérifiée.
La démocratie, reconnaît Hugon, n’est pas nécessairement le plus efficace des systèmes institutionnels en termes
d’efficacité économique et de lutte contre la pauvreté. En revanche, dit-il, la démocratie permet de mettre en place des
contre-pouvoirs évitant des dérives, elle interdit la famine et est un facteur essentiel de sécurité et développement durable.
On note un lien entre les indicateurs de corruption, de contribution à la paix dans le monde, l’absence de ressources
pétrolières, le jeu démocratique et l’absence de conflits (Hugon, P., 2012 : 99).
292
C’était donc à partir de ces régimes autoritaires et des partis uniques mis en place que de nombreux
États africains avaient commencé à connaître une véritable descente aux enfers, étant donné
l’inexistence d’institutions démocratiques et de différents mécanismes de contrôle de pouvoir :
parlement, sénat, opposition politique, etc. Notons cependant que l’instauration des partis uniques
n’était pas mauvaise en soi171 compte tenu de l’absence d’une culture politique dans de nombreux pays
africains. Mais le mal provient du fait que les nouveaux dirigeants considérés par les puissances
occidentales comme modérés ont recouru à une domination de type patrimonial mélangeant tradition et
arbitraire. Ainsi, le choix de leurs collaborateurs se faisait-il parmi les membres de leur famille ou de
fidèles courtisans ou des clients ainsi liés à eux par des liens de loyauté personnelle.
De ce fait, l’autorité gouvernementale ne faisait aucune distinction entre ses biens propres et les biens
publics de l’État. Elle jouissait de ces biens et en disposait à sa convenance, manière propre aux régimes
autocratiques. Or l’existence du pluralisme politique constitue un espace viable et objectif pour
l’exercice de la démocratie et la liberté d’expression critique sur la gestion de la chose publique par le
pouvoir établi. Dans le monde occidental, le pluralisme politique permet la conquête, l’exercice et la
conservation des pouvoirs par le parti qui l’emporte après une compétition électorale. Dans cette optique
l’opposition politique intervient précisément pour tempérer les excès du parti ou de la coalition au
pouvoir.
Cette vision du multipartisme fut pourtant rejetée par le président Mobutu, ayant préféré le monisme
politique qui favorisait le culte de sa personnalité. Il faisait croire à l’opinion nationale et internationale
que démocratie au Congo était synonyme de tribalisme et de rébellions qu’il avait combattus dans les
premières années de l’indépendance. Pourtant, la réalité politique sous le parti unique, le MPR et les
apparences d’unité nationale, ne pouvait se vanter d’être moins tribaliste que le Congo démocratique
d’avant 1965. Ces arguments avancés pour bloquer le multipartisme furent détruits dans les années 80
par ses anciens collaborateurs devenus opposants politiques. Ils dénoncèrent les manœuvres dilatoires de
Mobutu qui faisait habilement croire à ses amis occidentaux que la démocratie au Congo était synonyme
de chaos, de rébellions et de sécession.
171
On rapporte que Lucius Quinctius Cincinnatus, ce patricien romain, né sous le règne de Tarquin le Superbe, vivait
paisiblement sur son domaine, avec sa famille, ses esclaves et ses gens, élevant son troupeau et cultivant ses terres en toute
simplicité, labourait son champ quand les envoyés du Sénat romain lui envoyèrent les insignes de la dictature. On raconte
qu’après avoir mis de l’ordre par la dictature à Rome, il se retira dans ses champs.
(http://www.apophtegme.com/POLITIQUE/cincinnatus.htm) [Consulté le vendredi, 04 janvier 2013].
293
Ces mensonges étaient montés dans l’intention de faire peur aux Occidentaux qui craignaient toujours le
basculement du Congo dans le camp communiste, une façon pour lui de les obliger à accepter le blocage
de la démocratie et à le maintenir au pouvoir malgré sa mauvaise gouvernance.
Ainsi la dictature s’installa-t-elle efficacement dans le pays et Mobutu érigea son parti unique comme
étant plutôt un mouvement d’avant-garde s’inspirant de l’exercice du pouvoir et de la pratique de la
démocratie dans la société traditionnelle congolaise : le recours à l’Authenticité. Il était pourtant le seul
qui nommait tous les membres des organes du parti unique, les rendant ainsi ses subordonnés et chacun
devait lui promettre fidélité au cours d’une cérémonie de prestation de serment favorisant ainsi
l’allégeance et la délation (Tshimanga, 2005 :70).
Il refusa de les gracier en dépit de la clémence réclamée par certains responsables occidentaux, même
par le pape Paul VI. Selon lui, le geste devait servir d’exemple et d’avertissement à tout Congolais qui
oserait par la suite tenter une action subversive, réelle ou imaginaire contre le régime. C’était le début du
règne de la terreur. Plusieurs opposants revenus d’exil furent exécutés. C’est le cas de Pierre Mulele et
de treize jeunes officiers, tous diplômés d’écoles militaires ou brevetés d’État-major, qui, en 1978,
furent arrêtés pour s’être retrouvés à un deuil et sur une liste de cotisation afin de venir en aide à leur
ami éprouvé.
294
Après un procès bidon, ils furent condamnés à mort et exécutés. Curieusement, tous ces assassinats et
disparitions se déroulaient dans une indifférence totale des ambassadeurs occidentaux présents à
Kinshasa et du monde occidental en général (Tshimanga, 2005 :71). Dissuadés par les échecs de la lutte
armée d’opposants congolais des décennies précédentes et par le poids de la répression, le 15 février
1982, dix-neuf fils du Congo, dont les fameux « treize parlementaires » représentant les neuf régions du
pays, se sont désolidarisés du régime après l’avoir servi majoritairement comme ministres durant deux
décennies (cas d’Etienne Tshisekedi).
Ils avaient profité sûrement plus de la diminution progressive de l’influence de Mobutu en Occident
avec l’accession à la présidence américaine de Jimmy Carter que de leur souci démocratique. Tout de
même, on leur reconnaît le mérite d’avoir osé défier Mobutu à l’intérieur même du Congo en annonçant
la création d’un parti politique d’opposition : l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS).
Les fondateurs de ce parti avaient justifié sa création par le souci d’instaurer la démocratie pluraliste et
de permettre ainsi à l’homme congolais de recouvrer sa liberté.
Malheureusement, ce parti politique d’opposition a très vite déçu le peuple congolais puisqu’il n’a pas
échappé aux reflexes dictatoriaux de ses fondateurs tous venus du parti unique, le MPR, dont ils furent
les co-fondateurs, avec Mobutu. Après avoir écarté systématiquement les autres membres fondateurs,
Tshisekedi est resté depuis 1982 le seul président du parti dont la gestion n’a rien de démocratique. Sans
vision politique et sans projet de société, ce parti caractérisé par une pensée unique s’illustre par des
violences, des pillages par ses membres, majoritairement des jeunes de la rue sans culture démocratique.
295
libres), alors que la démocratisation172 est un processus endogène qui suppose des combats et des
conquêtes. Elle ne peut être imposée de l’extérieur. Au-delà de ses formes institutionnelles, elle repose
sur des principes fondamentaux de liberté, de débats publics différenciés des espaces privés, d’équilibre
des pouvoirs, de jeu de contre-pouvoirs et d’indépendance entre autres de la justice (2012 :97).
Pour éviter la répétition des attaques imposées à Mobutu par la rébellion armée congolaise, les
puissances occidentales décidèrent finalement de demander à leur protégé de procéder à une ouverture
politique, une façon de l’amener à reconnaître les libertés et l’exercice de la démocratie.
C’est dans ce contexte que le Parlement, bien que constitué essentiellement de membres du parti unique,
avait commencé à exercer effectivement son rôle critique de l’action gouvernementale. Les
interpellations parlementaires se succédèrent à partir de fin 1978 et les membres du gouvernement
défilèrent devant l’Assemblée nationale pour s’expliquer devant les élus du peuple. Ces interpellations
étaient si efficaces qu’elles avaient même conduit à l’amélioration de la gestion de la chose publique et à
l’arrestation de certains ministres et hauts dirigeants des mandataires publics. L’atmosphère était au
changement radical vers un régime démocratique et à l’amélioration des méthodes de gouvernement tel
qu’imposé à l’époque par l’Occident à Mobutu (Nguza Karl I Bond, 1982 : 189).
Toutefois, le gouvernement ayant été fortement discrédité par les interpellations parlementaires, le
président Mobutu décida, dans un premier temps, un remaniement ministériel sur pression des
puissances occidentales au mois de mars 1979. Mais, à la suite d’une enquête parlementaire approfondie
qui révéla les pillages scandaleux des deniers publics et qui impliqua principalement le président
Mobutu lui-même, ce dernier, très embarrassé, se rendit vite compte que la libéralisation et la
démocratisation constituaient un danger réel pour son régime. Sentant le danger de la chute de son
régime, en 1980 il décida la fin des interpellations parlementaires, sous prétexte de ne pas tomber dans
une sorte d’anarchisme parlementaire.
172
La démocratie suppose une séparation des pouvoirs et des enjeux de contre-pouvoirs, au-delà du multipartisme et des
élections. Or, en règle générale, notamment dans les pays francophones, les Parlements sont faibles face à l’exécutif, la
justice est peu indépendante du pouvoir politique, les partis sont peu fondés sur des bases programmatiques et la presse est
politisée ou « people ». L’espace public de l’action collective renvoie à un enchevêtrement de niveaux de décisions ; donc
à des conflits de légitimité des différents décideurs collectifs et publics. La démocratisation dépasse la légitimité électorale
et met en œuvre des politiques délibératives et un espace public défini, au sens de Habermas, comme le lieu où les
interprétations et les aspirations en question se manifestent et acquièrent consistance aux yeux de chacun, s’interpénètrent,
entrent en synergie ou en conflit. La démocratie doit être à la fois représentative et participative ; elle est faite de
représentation et d’arbitrage entre les valeurs parfois conflictuelles, elle est construite par des procédures, des délibérations,
des expertises et des opinions exprimées publiquement (Hugon, P., 2012 : 97).
296
Pourtant, c’était une procédure démocratique de contrôle de gestion de la chose publique. C’est dans cet
esprit que quelques mois plus tard, le Parlement élu fut muselé et son rôle réduit à néant puisqu’il lui fut
substitué un Comité Central du parti unique, le MPR. Or tous les membres de cet organe du parti étaient
choisis parmi les fidèles collaborateurs et nommés par le président Mobutu lui-même. Au plan du
fonctionnement et de la préséance, le Comité Central n’était, en réalité, qu’une caisse de résonance, une
assemblée marionnette appelée à cautionner les décisions autocratiques du Chef de l’État, et dont les
membres se faisaient octroyer des honoraires plantureux.
C’est ainsi que le régime autoritaire de Mobutu s’est maintenu pendant trois décennies par manque de
pressions politiques pour un retour au système démocratique. Les conséquences ont été désastreuses,
tant au niveau politique qu’au niveau économique et social-culturel173 national. En effet, la classe
politique congolaise était tombée dans une véritable déliquescence car infantilisée par le régime.
Quiconque voulait avoir une ascendance politique devait s’inféoder au régime. Il s’est développé dans
tout le pays un clientélisme sans précédent en même temps que régnait un climat de terreur, de délation,
de calomnie, de règlement de compte. On vit alors magistrats, professeurs d’université, médecins,
cadres de l’administration, étudiants, toute l’intelligentsia zaïroise basculer dans une sorte de
prostitution intellectuelle, pourvu d’avoir place au soleil qu’offrait le régime.
Au niveau économique et social, les inégalités se sont creusées dans les couches sociales entre les cadres
du régime, qui se trouvaient de manière insolente et scandaleuse riches et propriétaires du jour au
lendemain, et les populations enfoncées dans une misère indescriptible. A cause de la mauvaise
gouvernance et le désordre administratif, plusieurs entreprises publiques tombèrent en faillite.
Car elles étaient gérées par des personnes incompétentes et indignes, généralement des membres du
clan, de la tribu et de la concubine du Chef de l’Etat, de ses collaborateurs et subalternes. Chacun
récupérait à loisir sa part, exactement comme le dit si bien un adage camerounais: « la chèvre broute là
où elle est attachée » ! Le tissu économique fut complètement détruit, la corruption devint endémique
dans toutes les sphères de la société.
173
La culture est, selon Philippe Hugon (2012 :59), un ensemble de valeurs, d’idées, de techniques qui donnent sens à la vie
et à la mort et par lesquels l’homme maîtrise la nature. Elle est un ensemble de modèles d’identités communes, de
significations symboliques et d’aspirations. Une civilisation se définit par son langage, ses techniques, son art, ses
croyances religieuses, son organisation économique, sociale et politique et ses institutions. La prise en compte du culturel
doit éviter les deux écueils du culturalisme (doctrine sociologique qui considère l’influence du milieu culturel en renvoyant
à des référents immuables et isolées des autres sphères de la société), figeant les traditions et l’altérité, et de
l’uniformalisme des bailleurs de fonds témoignant d’une « indifférence comparative » culturelle (Sen, A.K., 2004).
297
L’inversion des valeurs était devenue la norme à nulle autre pareille : les fonctionnaires de l’État qui
s’illustraient dans le mal se voyaient paradoxalement récompensés par une ascension politique174, tandis
que ceux qui s’efforçaient de cultiver la vertu dans une société hautement corrompue étaient virés de
leur poste. Le militaire était devenu un véritable bourreau de la population qu’il était censé protéger. La
vie sociale du Congolais se dégrada d’année en année, c’était un chaos sans précédent puisque chacun
devait se « battre » pour vivre, comme le montre pour traduire la réalité sociale l’expression « kobeta
libanga, ce qui signifie en ligala : frapper sur la pierre pour vivre ».
Avec le régime de Mobutu, durant trois décennies, de 1965 à 1996, le Zaïre s’est trouvé dans une
corruption à la fois systémique et généralisée liée à ce que Jean-François Médard appelle, « la nature
néo patrimoniale des États africains » (1991 : 22). Cette notion est le prolongement de celle de
domination traditionnelle patrimoniale de Max Weber qui repose sur l’idée de confusion du public et du
privé dans un contexte de légitimité traditionnelle (1971 : 36).
Jean-François Médard entend par « État patrimonial » le fait que, si l’État est par ses structures
formellement différencié de la société, du point de vue de son fonctionnement, les domaines du public et
du privé tendent informellement à se confondre. Dans ce cas, le dirigeant politique se comporte en chef
patrimonial, c’est-à-dire en véritable propriétaire de son royaume.
174
Sous le régime corrompu de Mobutu, il était fréquent de voir nommés aux postes de ministre, de commissaire de région
(gouverneur) des danseurs, des détourneurs de biens publics ou des délinquants séniles sexuels qui abusaient des filles
adolescentes. On se rappellera la dérision faite à l’époque par le chanteur Pépé Kallé pour les interpeller à travers sa
chanson « Tika mwana…, qui signifie en lingala : laisser l’enfant grandir ! »
175
L’auteur note que parmi les dix-neuf pays les plus pauvres du monde, qui ont récemment bénéficié d’une annulation de
leur dette, aucun n’a obtenu de note supérieure à 4 de leur Indice de Perception de la corruption.
298
C’est pourquoi le pouvoir et la richesse tendent à se confondre et la possession du pouvoir politique
ouvre la voie à l’accumulation économique. Aussi, le pouvoir étatique, au lieu d’être institutionnalisé et
de se distinguer de la personne du chef, tend-il à se confondre avec la personne de son titulaire. Philippe
Hugon relève que de tels régimes autocratiques prédateurs (avec pouvoir personnalisé peu soucieux de
la chose publique) conduisent à des perspectives à court terme, à des instabilités, à l’absence de
transparence des activités gouvernementales, à des taux d’épargne limités et à un État peu facilitateur du
développement (2012 : 99-100). L’État néo-patrimonial est une sorte d’État avorté et la corruption lui
est consubstantielle. Il repose sur le pouvoir personnel.
La plupart des chefs d’État qui ont réussi à durer au pouvoir ont bâti un véritable système autour de leur
personne, un pouvoir de patronage, distribuant alternativement la faveur et la défaveur, la grâce et la
disgrâce (Blundo, Giorgio & Médard, Jean-François, 2002 : 11). La légitimation - et donc la
reproduction de ce système de pouvoir personnel - suppose que le chef dispose d’une capacité de
redistribution qui lui permette de faire accepter le recours à la contrainte dont il use pour extraire des
ressources de la société. La gestion rationnelle – c’est-à-dire soucieuse de sa propre reproduction – d’un
État patrimonial repose sur la redistribution, mais sur une redistribution fondée sur le favoritisme ou de
type particulariste, comme c’est le cas du « welfare state ».
Si les ressources viennent à manquer ou qu’elles ne sont pas judicieusement redistribuées, l’instabilité
menace. Les États risquent alors de se transformer en États purement prédateurs, utilisant la force
uniquement pour se maintenir au pouvoir et en extraire tous les bénéfices possibles. C’est exactement ce
qu’était devenu le régime de Mobutu au crépuscule de sa vie. Le pouvoir était autocratique au profit
d’une poignée d’individus qui formaient l’entourage présidentiel. Les fortunes personnelles de Mobutu,
de ses proches parents et amis étaient scandaleuses et se chiffraient en milliards de dollars.
Les Congolais, qui espéraient que les Américains désormais informés des tergiversations de Mobutu
pour la démocratisation de son régime allaient faire pression sur leur protégé lors de sa visite à
Washington en décembre 1981, avaient vite déchanté en apprenant que le président Ronald Reagan
s’était limité à des semonces. Il accorda un sursis au chef de l’État et l’invita à mettre fin à un système
politique basé essentiellement sur la corruption et la répression. Il exigea surtout du président zaïrois
d’aller au-delà de bonnes intentions si souvent proclamées, de s’attaquer aux vrais problèmes de son
pays et de mettre fin à une misère socio-économique qui était le résultat d’une gestion désastreuse.
299
Scandalisé par l’attitude affichée au niveau du Département d’État face à la mauvaise gouvernance de
Mobutu, M. John C. Prichard de l’Église Presbytérienne des États-Unis qui avait fait sa déposition sur le
Zaïre le 1er avril 1981 aux commissions responsables du Congrès américain, avait déclaré à cette
occasion : « Le peuple zaïrois a souffert et souffre toujours cruellement sous le régime du président Mobutu…, les États-
Unis sont tellement intimement associés au président Mobutu que, lorsque sonnera l’heure du changement inéluctable, nous
serons boutés hors de ce pays. Par conséquent, la politique des États-Unis devrait s’orienter de manière à garder distance
entre nous et le président Mobutu… Notre politique devrait être celle de désengagement et de non-ingérence, parce que dans
l’opinion du peuple zaïrois, Mobutu est notre fantoche. A ses yeux, c’est nous qui l’avons mis au pouvoir, et c’est toujours
nous qui l’y maintenons » (Tshimanga, 2055 :101).
Sur le plan socio-économique, nul n’ignore les dégâts considérables causés par le pouvoir autoritaire de
Mobutu qui s’appuyait essentiellement sur le parti unique. Pendant trois décennies, ce régime dictatorial
n’a pu réussir à relever le niveau de vie des populations et à redresser la situation économique. Au
contraire, l’économie, jadis florissante pendant la colonisation, avait cessé de croître. Aucun secteur de
la vie nationale ne marchait convenablement, sauf celui de l’extraction des matières premières et leur
acheminement vers les grandes métropoles économiques du monde. On a assisté à la destruction des
infrastructures et du tissu économique et industriel. La fermeture des entreprises aussi bien publiques
que privées était progressive avec les conséquences désastreuses sur l’envolée du chômage et
l’aggravation de la misère et de l’insécurité.
Quant aux usines, les unes ont fermé à tour de rôle et d’autres ont été confrontées à une baisse sensible
de leur production. Arès le départ des expatriés, toutes les entreprises publiques qui se sont retrouvées
sous la gestion des responsables politiques d’office membres du parti unique, le MPR, et généralement
incompétents, tombèrent en faillite systématiquement l’une après l’autre du fait d’une gestion
calamiteuse. L’on a assisté au fil du temps à la fuite des capitaux du Congo vers le continent asiatique
dans des pays tels la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, Malaisie, Singapour, présentaient de
meilleures conditions d’accueil et de développement d’activités.
C. La fin d’un règne sans partage et le début de deux décennies de guerres d’agression
Lorsque Mobutu fut installé officiellement au pouvoir en novembre 1965, le pays avait déjà commencé
à sortir du chaos et à se stabiliser. Il présentait à ce temps-là le même niveau de vie de développement
que la Corée du Sud. Les sociétés minières tournaient à plein régime et demandaient davantage
d’investissements. Les investisseurs se bousculaient à la porte de la jeune République surtout après la
mort de Lumumba qu’ils craignaient en le considérant comme adepte du communisme.
300
Le nouveau Chef de l’État militaire disposait donc de tous les atouts pour réussir à faire de ce pays un
des plus riches et des plus puissants d’Afrique. Mais, c’est le contraire qui se produisit car, à sa chute en
mai 1997 après trente-deux ans de règne sans partage si ce n’était qu’avec sa famille, ses courtisans et
son clan biologique, il laissa le pays dans un état lamentable, au bord de la faillite, par rapport à ce qu’il
fut en novembre 1965.
D’aucuns pensent qu’il faudrait reconnaître à cet homme le mérite d’avoir surtout œuvré pour faire du
Congo un pays uni, solidaire et indivisible. Les partisans de cette thèse estiment que Mobutu restera, de
ce point de vue dans l’histoire du Congo, non seulement comme un des grands dictateurs du XXIe siècle,
mais aussi comme l’unificateur, le pacificateur et même l’édificateur de la conscience nationale. Car,
disent-ils, l’instauration d’un régime dictatorial par lui a essayé, avec un relatif succès, de réduire par la
terreur les tensions ethniques, en vue de bâtir une jeune nation (Nzereka, 2011:223)176. C’est d’ailleurs
grâce à cette conscience nationale forgée avec difficultés que, confronté aujourd’hui aux multiples
menaces de division de son pays, le peuple congolais est resté solidairement attaché à son unité et à
l’intégrité de son territoire.
Cette analyse est diversement appréciée car c’est la gestion calamiteuse du pays sous Mobutu, qui a
préparé toutes ces tensions sociales sur fond des revendications identitaires et géostratégiques, qu’on
observe aujourd’hui avec des guerres à répétition aux frontières-est du pays où la question de la
nationalité et de la propriété a été scandaleusement mal gérée, surtout avec les populations de souche
rwandaise177.
176
Il s’en vante dans sa défense de sa conception du pouvoir en Afrique, basé sur un triptyque « pouvoir, démocratie, parti
unique » construit, selon lui, sur le consensus ou l’unanimisme proprement africain et contraire au multipartisme conflictuel
occidental ; le degré de démocratie ne se mesurant pas par ailleurs au nombre de partis politiques. Habité par son sens de
l’humour, il commente : « La Belgique, par exemple, compte quelque huit partis pour une dizaine de millions d’habitants ;
est-elle quatre-vingt fois plus démocratique que les Etats-Unis qui n’en ont que deux pour plus de deux cents millions
d’Américains ? » ; Remilleux, J.-L., 1989 : 83-87.
177
Le déclin du régime Mobutu en 1990 a accentué très rapidement la décomposition de l’Etat, en même temps que les
acteurs politiques concouraient pour la prise ou la conservation du pouvoir. L’ancien secrétaire d’Etat américain Cohen a
pu le souligner déjà en 1993 : « Les institutions du pays ne contrôlaient plus que la capitale, en laissant « ingouvernée »
l’immensité du pays. Mobutu s’était contenté de sa DSP (Division Spéciale Présidentielle) et du contrôle de la Banque
centrale pour entretenir son réseau clientéliste et sa division militaire mono-ethnique qui lui permettaient de conserver le
pouvoir. Son retranchement à Gbadolite avait laissé un vide de gouvernance et de gouvernement au niveau des institutions
centrales du pays » (Nzereka, 2011 : 293).
301
C’est finalement vers la fin de son règne que Mobutu, resté longtemps insensible à la misère de son
peuple et ayant favorisé la corruption, l’impunité et l’insécurité dans le pays, réalisa que le système
autoritaire instauré pendant trois décennies de règne était inapproprié pour son pays et que, si c’était à
refaire, il devait recourir à une démocratie pluraliste qu’il avait pourtant étouffée. Il restera sans doute
l’un des plus beaux exemples contemporains d’un dirigeant créé par l’Occident pour servir ses intérêts
et d’un cas type d’usure du pouvoir dans la mesure où son règne n’aura débouché que sur la misère
économique et le mépris des droits de l’homme (Tshimanga, 2005 :113-114).
Les puissances occidentales étaient longtemps confrontées, pendant la guerre froide, aux chantages des
dirigeants « modérés » qu’elles plaçaient au pouvoir en Afrique et dans de nombreux pays du Sud. Ces
chantages, qui consistaient à dire « sans nous, c’est le chaos ou le communisme », amenèrent les pays
occidentaux à soutenir ces dirigeants, garants de leurs intérêts et à avaliser l’enrichissement illicite de
ces derniers au moment où leurs populations vivaient dans une misère noire. Se sachant protégés de
l’extérieur puissant, ces dirigeants continuaient à piller leur propre pays et à vivre dans une opulence
scandaleuse (multiples châteaux, villas et comptes bancaires à l’étranger, entreprises privées,
plantations, bateaux, etc.).
Comme le dit Tshimanga, la politique américaine dans le monde a toujours été faite de revirements de
ce genre : on forme et on crée les dirigeants, on les place au pouvoir pour servir les intérêts américains
et quand on n’a plus besoin d’eux, on s’en débarrasse par un limogeage, voire par une élimination
physique pour ne pas gêner des intérêts jugés en danger (Tshimanga, 2005 :117).
Depuis les années 90, deux nouveaux acteurs politiques sont mis en scène pour les intérêts
géostratégiques et économiques anglo-saxons dans les Grands-Lacs africains : Kagame du Rwanda et
Museveni de l’Ouganda.
2. Conflits d’intérêts et luttes d’influence dans la région des Grands Lacs depuis les années 1990
La RDC et le Rwanda, tous deux anciennes colonies belges avec le Burundi, entretiennent des relations
diplomatiques depuis leur accession à l’indépendance respectivement en 1960 et 1962. Mais les
relations de bon voisinage qui existaient autrefois entre les deux États avant l’arrivée au pouvoir au
Rwanda par une rébellion surarmée du Front Patriotique Rwandais (FPR) conduite par Paul Kagame,
sont en dents de scie et n'ont cessé de se détériorer ces vingt dernières années à cause de la présence
permanente des rebelles rwandais en RDC.
302
En effet, la situation n’est pas bonne entre les deux pays depuis l'arrivée au pouvoir du FPR après le
génocide de 1994 qui a fait près d'un million de victimes178 et déversé des centaines de milliers de
réfugiés rwandais au Congo, parmi lesquels les hommes armés de l’ancien régime, principalement dans
les provinces du Nord et Sud Kivu. Cet afflux massif des réfugiés a exacerbé les tensions et massacres
interethniques dans la partie Est de la RDC.
Et depuis, le pays continue de subir les conséquences de la présence quasi permanente des groupes
rebelles rwandais, notamment les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), mais
aussi et surtout l’influence politique et militaire du régime de Kigali dans les affaires intérieures de la
RDC179. Tshimanga note que les États-Unis s’étant impliqués dans le conflit rwandais durant la
décennie 1990 qui a abouti au génocide des Tutsis et à l’errance des Hutus en soutenant aveuglement la
rébellion du FPR à dominance tutsie, ils voulaient réellement arracher le contrôle de ce territoire aux
Français. C’est même cette implication des États-Unis dans le conflit rwandais qui les pousse encore
aujourd’hui à soutenir le Rwanda tombé dans leur camp et à rejeter toute accusation d’agression de la
RDC par son allié rwandais (2005 :120).
En effet, malgré des preuves diverses et accablantes fournies même par des ONG internationales et des
experts de l’ONU180, qui démontrent l’implication rwandaise et ougandaise dans des rebellions à
répétition qui écument, tuent, endeuillent, violent, et pillent l’est de la RDC, les États-Unis, avec leur
allié la Grande-Bretagne, continuent de bloquer au Conseil de Sécurité toute résolution visant à
condamner formellement le Rwanda et l'Ouganda. Ils considèrent qu’il n’y a pas eu agression au Congo,
arguant qu’il s’agit là du droit de poursuite exercé par leurs alliés rwandais et ougandais pour traquer les
178
Le professeur André Guichaoua a consacré un ouvrage très volumineux (621 pages) et d’une richesse qualitative rare sur
le génocide rwandais, intitulé Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), paru
aux éditions La Découverte, Paris, 2010. En plus de ses nombreux autres ouvrages et articles sur la région des Grands Lacs,
l’auteur séjournait à Kigali, la capitale rwandaise, lorsque survint l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel, qui a
déclenché les massacres et la guerre civile. Comme le dit René Degni-Ségui qui a préfacé l’ouvrage, il s’y exprime donc en
expert et en témoin oculaire. Parmi les multiples thèmes abordés, l’auteur analyse « le contexte social et politique » et « la
question des réfugiés et le choix de la lutte armée par le FPR » en 1990, la « guerre, comme instruments de départage des
candidats à la succession » de Habyarimana en passant par « l’attentat du 6 avril « l’évolution « des massacres au
génocide »… (p. 10).
179
Réflexion publiée vendredi, 16 novembre 2012 à Ottawa, parue dans le quotidien de Kinshasa Le Potentiel, le vendredi,
23 novembre 2012.
180
Comme le rapport d’étape et son additif, le dernier Rapport final du Groupe d’Experts publié le 12 novembre 2012 a
établi clairement et de manière péremptoire que le Gouvernement rwandais continue de violer l’embargo sur les armes; il a
fourni directement une aide militaire aux rebelles du M23, a facilité le recrutement de combattants pour le compte du
Mouvement, a incité et facilité la désertion de soldats des forces armées congolaises, a fourni au M23 des armes, des
munitions et des renseignements, et le conseille sur le plan politique.
303
anciens génocidaires hutus qui auraient constitué au Congo une base arrière pour leurs supposées ou
réelles multiples attaques perpétrées contre le Rwanda.
A en croire de nombreux observateurs, c’est plutôt la querelle d’influence et les conflits d’intérêts entre
les grandes puissances occidentales francophones et anglo-saxonnes181 qui furent le point de départ de la
propagation du conflit et de la déstabilisation de toute la région des Grands Lacs (Ibid.:121) depuis
l’arrivée au pouvoir de Museveni en Ouganda en 1988 et de Kagame au Rwanda en 1994. En effet,
immédiatement après le génocide au Rwanda, quand le FPR avait fini de s’installer au pouvoir à Kigali,
rassuré par ses parrains anglo-saxons, entre 1996 et 1997, c’est le Congo qui entra dans une longue
période de turbulences, de massacres, de viols collectifs et massifs, de pillages des richesses naturelles
congolaises, avec les mêmes acteurs régionaux et internationaux.
Un groupe rebelle dénommé « Alliance de forces démocratiques pour la libération du Congo » (AFDL),
conduit de manière fictive (Cf. Annexe 10) par Laurent-Désiré Kabila, avec le soutien militaire et
logistique du Rwanda et de l’Ouganda, avait fini par chasser le président Mobutu et s’emparer du
pouvoir. Une année après, soit en août 1998, un autre groupe rebelle dénommé « Rassemblement
congolais pour la démocratie » (RCD), composé essentiellement des tutsis-congolais, « Banyamulenge »
issus de l’AFDL, vit le jour. Cette rébellion était également soutenue par le Rwanda et l'Ouganda contre
le régime de Laurent Désiré-Kabila, leur ancien allié.
C’est le début d’un deuxième conflit qui dégénéra en une véritable guerre régionale, opposant, d’un
côté, l'armée congolaise soutenue par l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, le Tchad et, de l’autre, les
rebelles du RCD soutenus par le Rwanda et l'Ouganda. Près de six millions de Congolais ont perdu la
vie depuis en raison soit de maladies, soit de malnutrition, mais surtout des massacres interethniques
perpétrés au gré des renversements d'alliances entre belligérants. Laurent-Désiré Kabila lui-même sera
assassiné le 16 janvier 2001 dans sa résidence officielle dans des conditions encore mystérieuses.
181
La géopolitique, au sens strict, est l’étude de l’influence des facteurs géographiques sur le politique (dans la tradition de
J. Ancel, Y. Lacoste, F. Ratzel). Elle peut, de manière plus large être définie comme l’étude des forces à l’œuvre dans le
champ du politique. Elle fait partie des relations internationales : relations entre les nations, entités collectives distinctes qui
se reconnaissent mutuellement le droit d’existence. Elle concerne une pluralité d’acteurs non étatiques : collectivités
territoriales, firmes multinationales, organisations de solidarités internationales (OSI), églises, migrants, diasporas, en
interaction dans un espace transnational (Hugon, P., 2010 :5). La puissance s’exprime dans le champ interne et
international non seulement par la contrainte et la force, mais aussi par les champs culturels, linguistiques, religieux et
juridiques avec des rapports de domination et d’hégémonie, mais également des résistances, des ruses et des
réappropriations (Hugon, P. : 2012 : 59).
304
Toutes les autres rébellions qui se sont succédé depuis dans l’Est de la RDC ont été, soit créées par le
Rwanda, soit soutenues par ce dernier et composées des mêmes acteurs : les tutsi-congolais et les soldats
de l’armée rwandaise fondus dans le mouvement rebelle. On peut citer notamment le « Congrès national
pour la défense du peuple » (CNDP) créé, après les Accords de Sun City en 2003, par Laurent Nkunda
et Bosco Ntaganda, tous deux poursuivis par la justice congolaise pour crimes de guerre et crimes contre
l’humanité, enrôlement d’enfants-soldats et pillages des ressources naturelles de la RDC, le premier
étant toujours protégé par le Rwanda et le second se trouvant à présent transféré à la Cour pénale
internationale (CPI).
Il y a quelques années, le « Mouvement du 23 mars 2009 » dénommé (M23) surgissait dans le Nord-
Kivu, nés sous les cendres du CNDP lui-même né sous les cendres du RCD, ous des fabrications pure et
simple du Rwanda. C’était, comme toujours, d’anciens rebelles tutsi-congolais du RCD et du CNDP
qui avaient été intégrés dans l’armée nationale mais qui n’ont jamais accepté d’être déplacés de l’est du
Congo. Cette nième rebellion créée par le Rwanda a été détruite par l’Armée congolaise depuis 2012,
mais comme toujours, ses membres se trouvent depuis au Rwanda, protégés par le régime de Kigali au
service de qui ils opéraient dans le Nord-Kivu.
On peut dès lors comprendre leurs accointances avec le pouvoir militariste rwandais parrain de ces
rébellions, avec ses visées expansionnistes sur l’est du Congo. Ces rébellions sont accusées d’être
responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui ont causé en quatorze ans six
millions de Congolais morts, de viols des femmes et enfants et plusieurs millions de réfugiés et déplacés
internes. La publication du rapport des experts des Nations-Unies en juin 2012 et de celui du 12
novembre 2012 a mis à nu tout le soutien que le Rwanda (et l’Ouganda, dans le deuxième rapport) a
toujours apporté aux différentes rébellions qui sévissent dans l’Est de la RDC. Le Rwanda continue
d’abriter et de protèger les personnes recherchées, aussi bien par la RDC que par la Cour pénale
internationale, pour des crimes commis sur le territoire congolais.
Pour comprendre l’enjeu économique des guerres en RDC et les causes réelles de l’implication avérée
du Rwanda dans les conflits récurrents chez son grand voisin de l’Ouest, il faut évoquer ses ressources
naturelles, notamment dans l’Est, ainsi que son utilité socio-économique à l’échiquier mondial.
305
3. L’État congolais, ses ressources et son utilité socioéconomique
A qui profite l’insécurité de la RDC ? Qui aurait intérêt à voir ce pays se stabiliser? C’est ce que se
demandent souvent les Congolais qui ne comprennent pas ce silence observé dans le chef des
institutions internationales dont la vocation est d’imposer la paix dans le monde, alors que ceux qui
déstabilisent ce pays sont bien connus.
A vrai dire, la RDC est victime de la convoitise de quelques-uns des pays voisins, et principalement le
Rwanda, qui voudraient perpétuer les guerres et l’insécurité dans sa partie orientale afin de tirer profit
des ressources naturelles. Kakule Matumo, parlant de vrais acteurs des guerres de rébellions récurrentes
en RDC, démontre que la situation d’insécurité est une opportunité pour eux de piller des minerais
congolais pour les vendre au prix d’or aux multinationales des pays occidentaux basées principalement
aux USA (2000 :240-244. Cf. Annexe 11), en Angleterre, en Hollande, en Finlande pour ne citer que
ceux-là. Et ce, sous l’œil indifférent de leurs gouvernements respectifs.
Pour bien réussir sa stratégie, le Rwanda crée des groupes armés qu’il finance et entretient aux petits
oignons. A telle enseigne qu’en ce moment, il y en a près d’une trentaine dont le fameux M 23, créé il y
a bientôt un an sur les ruines du RCD et du CNDP. Non seulement il les finance, mais il les « congolise
» pour faire croire à l’opinion internationale que c’est un problème congolo-congolais.
François Bonnet n’hésite pas de qualifier l'ONU en RDC, d’une honte internationale 182. L’auteur
constate que la MONUSCO, armée sous mandat des Nations-Unies déployée au Congo depuis 1999, a
laissé se dérouler les plus épouvantables massacres jamais commis depuis la Seconde Guerre mondiale :
au moins 6 millions de personnes, selon les Nations-Unies elles-mêmes, sont mortes durant cette
période, tuées par la faim, les maladies et les combats.
182
www.mediapart.fr [consulté le 3 décembre 2012].
306
La Monusco illustre jusqu'au scandale l'impuissance, l’hypocrisie et la lâcheté de la communauté
internationale. Rappelons que cette armée est la plus grande de l’histoire avec 23 000 casques bleus183,
qui d’après François Bonnet184, a déjà coûté près de 24 milliards185 de dollars et dont le budget annuel
est d'environ 1,5 milliard de dollars186. Officiellement, ces casques bleus protègent les populations
civiles. Pourtant, les populations congolaises de l’Est sont constamment en errance sur leur territoire et
les morts n'ont jamais été aussi nombreux dans ce que les spécialistes qualifient de «première guerre
mondiale africaine».
Pour clore le chapitre, je me suis efforcé de montrer que le contexte sociopolitique et économique du
Congo depuis les années d’indépendance est un facteur défavorable à l’autonomie financière des Églises
locales et des autres institutions sociales de ce pays. Ce facteur défavorable revêt un caractère
systémique dans la mesure où nous y trouvons une conjonction des facteurs endogènes et exogènes.
L’on ne saurait donc expliquer les problèmes sociopolitiques et économiques du Congo à partir de la
seule vision interne et des seuls acteurs nationaux.
Ils requièrent aussi des considérations internationales puisque, de par sa configuration naturelle et
historique, le Congo est un pays aux enjeux internationaux majeurs et les divers acteurs internes et
extérieurs qui interviennent sur la scène politique et sociale sont, dès le départ, déterminés par cette
double contrainte.
La faiblesse de l’État congolais depuis l’indépendance s’explique du coup par cette complexité d’acteurs
du sytème dont les enjeux et les motivations187 ne sont pas forcément convergents. C’est pourquoi, je
souscris à l’idée de Philippe Hugon (2012 :208-209) qui préconise une redéfinition des principes et des
pratiques de l’aide, notamment pour la RDC.
183
Elle a été créée par la résolution 1279 du Conseil de sécurité en date du 30 novembre 1999. En 2012, l'effectif déployé
était de plus de 23 000 personnes dépasse l'effectif autorisé (22 016 personnes) Cf. Faits et chiffres - site de la
MONUSCO [archive] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission de l’Organisation des Nations unies en République
démocratique du Congo [Consulté le 30/11/2015].
184
« Un coût exorbitant pour des résultats catastrophiques, c'est le bilan affolant de la Monusco. Une nouvelle
démonstration vient d'en être faite avec l'avancée foudroyante du groupe rebelle M23 dans la région du Nord et du Sud-
Kivu, dans l'est de la RDC, ce pays grand comme l'Europe et dont les richesses minières constituent l'inépuisable carburant
des guerres. Les rebelles ont pris Goma, l'une des principales villes du pays. Sous les yeux de la Monusco ».
(www.mediapart.fr [03 décembre 2012]).
185
Chiffre actualisé au 30/11/2015, il était de 15 milliards en 2012.
186
Cf. MONUSCO, Faits et chiffres [archive] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission de l’Organisation des Nations unies en
République démocratique du Congo [Consulté le 30/11/2015]
187
Dans son ouvrage Les Organisations (1969 : V-XIV), les analyses de Michel Crozier conduisent à majorer les stratégies
des acteurs, à s’interroger non seulement sur les motivations, mais aussi sur les logiques d’acteurs pour montrer comment,
en fonction des conditions organisationnelles, les acteurs répondent en adoptant des conduites qui leur sont favorables.
307
Il estime que l’aide d’urgence à déboursement rapide doit s’accompagner de la sécurisation des flux à
long terme, du développement économique et de la reconstruction institutionnelle. Les appuis doivent se
situer à diverses échelles.
Au niveau local, il faut mobiliser les systèmes légitimes de régulation des conflits et créer des
opportunités d’emplois et de revenus et d’accès aux droits (eaux, foncier…). Au niveau national, il
s’agit de recentrer l’aide vers les préventions et la gestion des conflits, de la réformer par des actions
plus rapides et de resserrer la coordination entre bailleurs de fonds. Car ce n’est ni à l’estime, ni à
l’honneur, ni à la crédibilité de l’ONU de constater sa présence massive au Congo, la plus grande de
l’histoire avec plus de 23 000 casques bleus, pour un résultat nul avec pourtant un coût si exorbitant de
15 milliards de dollars.
Pour Hugon (2012 :210), la prévention des conflits passe évidemment par des politiques de
développement améliorant les disponibilités et les accessibilités grâce à des progrès de productivité, à
des politiques de redistribution et à un progrès des capacités des agents en termes d’accès au crédit et de
soutien des initiatives populaires.
En définitive, ce sont toutes les institutions sociales, étatiques et non étatiques, en l’occurrence les
institutions religieuses, qui subissent les conséquences du contexte sociopolitique et économique
défavorable, et ce depuis l’accession du Congo à l’indépendance. La conjugaison des facteurs eux-
mêmes systémiques rend difficile l’objectif de développement socio-économique et, par ricochet, de
l’autonomie financière de ces institutions religieuses autant que les autres institutions internes qui
composent l’État congolais.
Pour autant, doit-on affirmer de manière péremptoire que le sort de leur indépendance financière est
scellé ? Les Églises locales de la RDC n’ont-elles pas d’autres atouts en termes de stratégies à explorer
pour assurer leur autofinancement ? Les tentatives de réponse à ces questions feront l’objet de la
troisième et dernière partie de ma thèse.
308
Troisième partie : NÉCESSITE DES STRATÉGIES
D’AUTOFINANCEMENT DES ÉGLISES DU CONGO. CAS
DE L’ARCHIDIOCÈSE DE BUKAVU
309
Les Églises du Congo, comme celles d’Afrique en général, connaissent presque toutes d’énormes
difficultés pour financer elles-mêmes leur mission d’évangélisation. Pauvres dans un pays meurtri par
des décennies de guerres et mal gouverné pendant trois décennies, leurs ressources financières
proviennent substantiellement d’une assistance permanente accordée par des Eglises d’Occident
économiquement fortes ainsi que des organismes catholiques de financement. Cette situation dure
depuis leur fondation. Elle s’est fait ensuite sentir plus fortement à partir des années 1960, période
pendant laquelle elles ont été érigées en Églises diocésaines, consécutives à l’indépendance du pays.
Depuis cette période, certains acteurs majeurs, en l’occurrence l’épiscopat africain, ont tenté de réfléchir
sur leur situation matérielle précaire, mais aucune solution enviable n’a été trouvée puisque les
méthodes et les stratégies envisagées n’ont pas été adéquates.
En tant qu’institution sociale, l’Église vit en interaction avec son environnement socioculturel, politique
et économique. Dans le contexte congolais où pendant des décennies l’État avait cessé d’exercer ses
fonctions régaliennes, l’Église s’est vu obliger d’assurer des fonctions allant au-delà de ses objectifs
spécifiques, à savoir le salut chrétien des fidèles par son enseignement doctrinal. Elle participe
activement au développement humain de tous les habitants de sa région.
C’est le cas de l’archidiocèse de Bukavu, très dynamique dans le domaine du social, qui participe
pleinement à la promotion de la population congolaise longtemps abandonnée par le pouvoir politique.
Mais, malgré son dynamisme socioreligieux, cette Église locale ne trouve pas encore les moyens de son
autonomie financière. Comme pour la plupart des Eglises congolaises, ce diocèse de Bukavu, mon
terrain principal d’étude, ne peut plus beaucoup compter sur les ressources extérieures dont il vit depuis
longtemps, vu leur amenuisement progressif. Le même constat est fait pour l’archidiocèse de Yaoundé
au Cameroun, mon deuxième terrain de recherche. Or, dans les deux cas, les contributions des fidèles,
qui devaient normalement constituer la principale ressource pour faire fonctionner les structures
ecclésiales, restent elles aussi très insuffisantes du fait du faible revenu des fidèles demandeurs de l’offre
religieuse.
Dans cette dernière partie de ma thèse, après avoir montré la faiblesse de la politique d’extraversion
financière pratiquée jusque-là par la capture des ressources extérieures et les contraintes actuelles de
l’archidiocèse de Bukavu, en comparaison avec les réalités écclésiales dans l’archidiocèse de Yaoundé
(chapitre 7), je vais analyser les défis de l’autofinancement de cette Eglise locale en examinant, d’une
part, l’ensemble des stratégies à mettre sur pied, les obstacles socioculturels à contourner découlant des
acteurs internes tributaires d’une certaine représentation sociale sur la richesse de l’Eglise et, d’autre
part, les chances de succès en termes d’atouts dont dispose l’archidiocèse de Bukavu pour atteindre son
objectif d’autonomie financière (chapitres, 8, 9), signe de sa maturité de foi et gage de sa survie.
310
Chapitre VII : LA FAIBLESSE DE LA POLITIQUE D’EXTRAVERSION FINANCIERE
DES EGLISES DU CONGO ET LEURS CONTRAINTES ACTUELLES
Dans ce chapitre, je vais analyser la politique traditionnelle de captation des ressources que les Églises
du Congo ont toujours pratiquée, ses limites, les causes exogènes et endogènes de l’amenuisement des
ressources différentes, et enfin les contraintes actuelles auxquelles ces Églises locales sont confrontées
pour faire fonctionner normalement leurs structures organisationnelles et réaliser ainsi leurs objectifs
socio-pastoraux. Les expériences de terrain porteront beaucoup plus sur l’archidiocèse de Bukavu.
Quand on s’intéresse à la question financière des Églises du Congo, un constat général s’impose : l’un
des problèmes majeurs de ces Églises, c’est leur dépendance financière et matérielle vis-à-vis des
Églises et organismes d’Occident, et cela depuis l’époque missionnaire. Les Églises du Congo sont
restées tournées vers Rome, l’Allemagne, l’Espagne, la France, où des organismes de financements de
renommée mondiale comme les Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM), Propaganda Fide, Missio,
Misereor, Kirche in Not, la Conférence Episcopale Italienne, Manos Unidas, Secours Catholique-Caritas
France, Miva-Autriche… ont pendant des décennies financé, chacun selon son axe d’intervention, des
projets au Congo dans différents secteurs de la vie socioreligieuse : construction des églises, des
couvents, séminaires, des hôpitaux, dispensaires, écoles, adduction d’eau, etc.
En ce qui le concerne, pour ses nombreux besoins (moyens de locomotion, construction d’églises et
d’écoles ; œuvres de l’enfance, séminaires, activités pastorales…), l’archidiocèse de Bukavu s’adresse
aux mêmes organismes internationaux ci-haut cités.
311
1. La contingence des aides extérieures
A l’instar de toutes les autres Églises d’Afrique, l’archidiocèse de Bukavu a longtemps vécu dans cette
totale dépendance, à travers des dons, des subsides venant des Églises sœurs occidentales et des
organismes de financement extérieurs. D’après Kalamba Nsapo, c’est une conviction partagée dans les
milieux ecclésiastiques africains : si cette aide financière s’arrêtait, il y aurait lieu de se poser de
sérieuses questions sur l’avenir de ces Églises (2000 :72).
Des auteurs, comme Robert Luneau et Jean-Marc Ela, arrivent à exprimer la réalité en termes de
« perfusion » financière sous laquelle tient l’existence des Églises africaines et sans laquelle elles
risquent de s’éteindre tout simplement (1981 :121). C’est pourquoi leurs responsables hiérarchiques, à
l’instar des gouvernants politiques, sont encore obligés de se tourner vers l’Occident à la recherche de
ressources pour faire vivre leurs Églises.
En effet, pratiquement tous les évêques africains se rendent régulièrement en Europe pour y chercher
des moyens financiers. Il s’agit souvent de projets de développement présentés aux organismes
catholiques de financement, élaborés soit par les responsables des différentes structures du diocèse
(paroisse, hôpital, école, etc.), mais qui requièrent au préalable la recommandation (signature) de
l’évêque, soit par la structure qui s’occupe du développement dans chaque diocèse (Bureau diocésain de
développement, BDD), mais parrainé directement par l’évêque.
Lors de mes travaux de recherche sur le terrain en mars 2010 à Aix-La-Chapelle (Aachen) auprès de
deux principaux organismes allemands Missio et Misereror, les données suivantes sur l’intervention de
Misereor et ses partenaires dans le financement des projets en RDC depuis cinq décennies m’ont été
fournies pour montrer ce que l’amenuisement de leurs ressources est susceptible de créer comme effets
dans la viabilité des Églises du Congo, à savoir l’asphyxie.
Source : Données recueillies auprès de MISEREOR IHR HILFSWERK, Aachen, le 24 mars 2010
312
On le voit, depuis leur prise en mains par la hiérarchie autochtone qui correspond aussi à l’avènement de
l’indépendance du pays, les Églises du Congo ne vivent que des projets financés de l’extérieur et sans
lesquels ce serait une véritable asphyxie. Cela s’entend puisqu’après le départ des missionnaires, les
subventions accordées par l’administration coloniale belge aux missions se sont arrêtées.
Les nouveaux responsables (évêques, curés) devaient gérer des diocèses nouvellement fondés en déficit
(à l’époque missionnaire, on parlait de vicariats apostoliques, mais dont la notion avait une extension
beaucoup plus grande qu’un diocèse) et des structures socio-économiques (économats diocésains,
procures, garages, ateliers mécaniques et de menuiserie, hôpitaux, écoles, etc.), ainsi que des églises
devant tôt ou tard être réparées, entretenues. N’ayant pas les mêmes ressources ni les mêmes canaux
d’approvisionnement de ces ressources, les responsables africains n’avaient plus d’autre choix que
d’ouvrir cette unique voie - sûre à l’époque - de captation des ressources extérieures que sont les projets.
C’est ce qui explique le nombre imposant de projets envoyés par les Églises du Congo au seul
organisme Misereor (8 964 projets, soit une moyenne de 179 projets par an, en raison 4 projets par
diocèse). Sachant que les organismes catholiques occidentaux qui interviennent dans les financements
des Églises d’Afrique sont très nombreux, dont les plus importants par leurs contributions sont une
dizaine, on peut en extrapolant estimer à 30 projets que chaque diocèse du Congo envoie en Occident en
vue de la recherche de financement.
Or, dans le cas de Misereor dont j’ai les données exhaustives, le tableau ci-dessus indique que, sur un
total de 8 964 projets envoyés par les 47 diocèses du Congo rien qu’à ce bailleur en cinquante ans,
2 801, soit 31% seulement ont été financés et leur ont rapporté 125 148 424, 49 euros, soit 2 502 968,49
euros par an, en raison de 53 254,64 euros en moyenne donnés par cet organisme à chaque diocèse du
Congo par an, et cela depuis cinquante ans. Cela signifie que, dans l’hypothèse la plus optimiste, si à lui
seul Misereor avait réussi à financer 60% (soit 5 378) des projets envoyés par les Églises du Congo,
celles-ci auraient reçu de lui des sommes allant à 240 288 549, 2 euros, avec une moyenne de 4 805 771
euros par an, en raison de 102 250, 45 euros par diocèse reçus d’un seul bailleur, Misereor.
Et comme il y a au moins dix grands bailleurs, l’on peut sans exagérer estimer que dans cette même
hypothèse la plus optimiste de 60% de projets financés, chaque diocèse du Congo bénéficierait, comme
ressources captées de l’extérieur, d’au moins 1022 505 euros par an pour son fonctionnement. Or
l’archidiocèse de Bukavu n’a pas un budget en recettes de 500 000 euros. Ceci confirme l’idée de
perfusion financière dont parlent Robert Luneau et Jean-Marc Ela, sous laquelle vivent les Églises
d’Afrique et dont l’amenuisement ou le tarissement ne pourrait qu’entraîner leur asphyxie générale et
donc la mort.
313
Pourquoi Misereor ne finance-t-il que le tiers des projets reçus des Églises du Congo ? Cette question,
nous l’avons posée Mme Marie-Louise Vervier, responsable financier de Misereor en mars 2011, et
voici sa réponse : « Les raisons sont multiples. D’abord, le contexte international a radicalement changé. Il y a quelques
décennies, nous recevions encore de nos contributeurs beaucoup de moyens pour financer un nombre important de projets
envoyés chez-nous par les Églises d’Afrique et du Congo, mais avec la crise mondiale, beaucoup de gens qui donnaient
généreusement ont sensiblement diminué ou carrément interrompu leurs aides. Ensuite, la transition générationnelle en
Occident avec le changement des mentalités et de comportement vis-à-vis de la religion. Si les générations passées, du fait de
leur foi, étaient très engagées dans la vie de l’Église et pourvoyaient à ses besoins, tel n’est pas le cas des générations qui
ont suivi. Du fait de leur désengagement et de leur désintéressement des réalités religieuses, la part de ressources qui devait
venir de cette catégorie sociale diminue de manière significative l’assiette financière de nos organismes et se répercute sur
l’enveloppe de financement des projets des Églises d’Afrique. Une troisième raison consiste à dire qu’il y a des types de
projets que nous ne finançons pas puisqu’ils n’entrent pas dans notre axe de priorité. C’est notamment les projets à
caractère économique »188.
A la question de savoir pourquoi Misereor n’a pas inscrit ce type de projet parmi ses axes d’intervention
prioritaires, Marie-Louise Vervier m’a dit que son organisme a des réticences pour financer des projets à
caractère économique en RDC, tel que le projet portant sur la micro-finance, partant des risques
importants que présentent de tels investissements. Puisque le soutien de Misereor s’inscrit dans le cadre
d’aide au développement, il ne lui appartient pas de financer des projets d’investissement susceptibles
de générer des richesses ou des bénéfices. Misereor soutient des ONG de développement et non
l’institution ecclésiastique mais dont l’action relève de la tutelle de l’Église. Ainsi finance-t-il, à travers
ces ONG relevant de l’Église, les projets indirectement économiques en vue de susciter l’effort
d’améliorer sa propre autonomie.
Les types de projets financés par Misereor en RDC sont : la santé (à travers le BDOM), l’agriculture et
l’économie (à travers le BDD), les élections (à travers la CENCO), la formation professionnelle (à
travers l’ONG Enfants de la Rue), le Social (à travers l’APRODEPED et la commission diocésaine
Justice et Paix), la Culture et les moyens de communication sociale (à travers la Radio Maendeleo).
Puisque Misereor ne peut pas financer des projets de gros investissement pour susciter la croissance
économique en vue de la rentabilité, tel n’étant pas son rôle, les Églises du Congo devraient, selon notre
partenaire, songer à leur avenir économique. C’est pourquoi d’ailleurs le Gouvernement allemand, qui
est le grand bailleur des organismes de financement, exige de plus en plus une part significative des
partenaires du Sud.
Entretien avec Marie-Louise Vervier, Responsable Service Afrique Centrale(RDC)-Afrique de l’Ouest, Misereor Aachen,
188
314
Par ailleurs, tout en ne pensant pas quitter l’Afrique, Misereor demande à ses partenaires de s’adresser à
leurs pouvoirs étatiques pour réclamer leur part de la richesse nationale, leur dû, pour amener chaque
gouvernement à prendre ses responsabilités devant le peuple et savoir quel est son plan et son
programme d’action pour tel ou tel secteur.
Finalement, d’après l’analyse de notre partenaire, aucune Église en Afrique et au Congo n’arriverait à
s’autofinancer par les seules aides extérieures (reçues des organismes de financement), celles-ci étant
par nature contingentes, limitées. Difficile pour ces Églises de s’autofinancer si elles ne reçoivent pas
d’aide étatique, si les contributions des chrétiens ne sont pas suffisantes 189, si les congrégations oeuvrant
dans chaque diocèse ne donnent pas de leurs ressources (qui sont généralement importantes provenant
de leur organisation financière au niveau de la congrégation : gros investissements rentables, dons et
legs, actions cotées en bourses, etc.).
Donc Misereor ne finance pas des projets à caractère économique et pastoral. Pour ce dernier, c’est
difficile de trouver des organismes prêts à les financer parce que « Rome s’en occupe déjà », ce qui ne
manque pas d’irriter plus d’un responsable africain (Manhaeghe, 1994: 43). Quant aux projets à
caractère économique, c’est-à-dire susceptibles de générer de la rentabilité et ce, des revenus, ils sont
tout simplement rejetés car n’entrant pas dans l’axe prioritaire des organismes de financement. C’est du
moins ce que m’a révélé l’enquête menée auprès des 83 personnes, dont 75 prêtres et 8 autres
responsables de structures de l’archidiocèse de Bukavu, tel qu’il ressort du tableau ci-dessous :
Tableau n° 12 : Les types de projets envoyés aux organismes occidentaux de financement en 2005- 2010
Economie Social Pastoral Total Effectif
Types de projets envoyés aux bailleurs 54 129 203 386 83
Types de projets financés 0 45 43 88 83
Projets entièrement financés 0 18 21 39 83
Projets qui ont été partiellement fiancés 0 27 22 49 83
Projets qui n’ont pas été financés 54 84 160 298 83
Source : Notre enquête : Bukavu, juillet-août 2010.
On le voit, aucun projet à caractère économique n’a été financé durant les cinq années sous étude par les
organismes de financement, ce qui confirme l’idée que ce type de projets n’entre pas dans les axes
prioritaires des bailleurs.
189
En Belgique, c’est l’Etat qui paye le clergé. En Allemagne, ce sont des contribuables chrétiens qui, s’étant déclarés
comme tels, acceptent un prélèvement sur leur revenu en termes d’impôt sur le culte. J’y reviendrai plus tard pour montrer
les difficultés qu’éprouvent actuellement l’Eglise de ce pays à collecter des ressources importantes et dont les conséquences
se répercutent sur les aides accordées aux Eglises d’Afrique.
315
Au dire de 75% des personnes enquêtées, donc 62 individus sur 83, la raison est à chercher dans le souci
pour les pourvoyeurs de fonds de voir les Églises du Sud toujours dépendre éternellement d’eux, même
quand ceux-ci n’ont plus les mêmes ressources qu’avant, l’intention étant de garder une influence, une
domination sur les Églises du Sud et les contrôler.
Disons avec Norbert Elias que le pouvoir d’autrui est redoutable : il peut nous forcer à faire quelque chose, que nous
le voulions ou non. Le pouvoir est suspect. Les hommes s’en servent pour exploiter autrui à leurs propres fins. Le pouvoir
apparaît comme contraire à l’éthique : chacun devrait être en mesure de prendre lui-même ses décisions (Cf. Etienne J.,
Mendras, H., 2004 :117).
Mais le pouvoir issu de l’argent amoindrit la liberté du bénéficiaire qui doit plutôt agir selon les
conditionnalités que lui dicte le donateur. 10% seulement de l’ensemble de projets envoyés aux
différents bailleurs ont été entièrement financés, tandis que 13% ont reçu un financement partiel. Il faut
rappeler ici que, la plupart du temps, ce sont des demandes de cofinancement qui sont faites pour chaque
projet, aucun bailleur n’étant disposé à le financer seul, compte tenu du nombre important de demandes.
Sur 386 projets présentés aux bailleurs, 298, soit 77% n’ont pas été financés.
A la question de savoir si les bailleurs donnent des raisons du refus de financement, 72% des enquêtés
disent n’en avoir jamais connu. Mais le grand bailleur Misereor m’a expliqué que c’est généralement
par manque de fonds suffisants pour répondre aux besoins croissants des demandeurs congolais, ou tout
simplement puisque les projets à leur envoyés sont mal présentés, ou encore puisqu’ils n’entrent pas
dans l’axe des priorités du bailleur de fonds, ou enfin puisque le demandeur n’avait pas justifié le
financement reçu auparavant.
On le voit, les Églises du Congo ne peuvent plus compter sur les financements extérieurs pour leurs
activités, puisqu’ils sont devenus aléatoires et contingentés. Malgré tout, l’Église allemande reste
jusqu’à présent une des plus généreuses, comme nous l’avons montré, chiffres à l’appui, dans les
quatrième et cinquième chapitres de cette thèse, et elle finance aussi des projets pastoraux. Mais elle
aussi n’a plus les mêmes capacités de mobilisation de fonds au niveau national.
Selon Eric Manhaeghe et Kessel-Lo (1997 : 427), on ne s’étonne donc pas qu’elle attire pas mal de
« pèlerins » dont la dévotion à « Saint Mark » ne fait pas de doute. Les Africains eux-mêmes parlent en
ces termes de leurs efforts en vue de trouver des fonds étrangers. Ils disent également en plaisantant que
devenir évêque en Afrique, c’est entrer dans un « ordre mendiant ». Cet humour, ajoutent les auteurs,
cache un malaise, voire une certaine amertume. Certains évêques africains ont compris qu’ils doivent
compter avant tout sur leurs propres fidèles et ils ont lancé des campagnes d’autofinancement de leurs
Églises (Matondo, I., : 80. Cf. Documents du Synode africain, Ydé, 1995 : 31-33 ; 43-44).
316
2. Une transition mal préparée et une gestion difficile des structures écclésiales héritées
Avec le passage de l’ère missionnaire à celle de la « localisation ecclésiale », les difficultés financières
se sont complexifiées pour les autochtones. Comment faire marcher, avec le peu de moyens, toute cette
lourde machine héritée ? C’est le dilemme sérieux dans lequel se trouvent enfermées les Églises locales
obligées de reconduire le modèle d’Église hérité des prédécesseurs. Avec le retrait ou le départ définitif
de ceux-ci, les sources tendent à tarir. Les nouveaux « héritiers » sont dès lors réduits à les faire
fonctionner avec des moyens de bord, exposés aux incompréhensions constantes de leurs fidèles. Cette
situation exige une prise de conscience progressive de ces difficultés financières survenues dans la
période post-missionnaire et la recherche d’une émancipation, en travaillant sur le changement des
mentalités de tous les acteurs en présence, c’est-à-dire les fidèles, les clercs (candidats en formation,
prêtres), les religieux et religieuses.
Dans le Moratoire de Lusaka, il avait été stigmatisé par les participants ceci que nous rapporte Kalamba:
« En Afrique, nous ne faisons que copier ces formes étrangères, sans prendre du recul, sans nous demander si elles sont
taillées à notre mesure et si elles conviennent à l’ensemble de nos fidèles. Prenons le cas de la structure de l’église. Certes, il
faut qu’il y ait des diocèses et des paroisses, disposant de moyens adéquats. Mais faut-il que les édifices, l’équipement,
l’administration et les œuvres imitent ceux de l’Europe… ? Si nous persistons à vouloir les mêmes structures que nos amis
d’Outre-mer, alors il faut accepter de rester à jamais dépendants de l’aide extérieure, qui seule peut les soutenir et les
financer.» (Kalamba, 1992 :199).
Alors qu’elles entraient dans la « période post-missionnaire », les Églises locales du Congo gardaient
encore leurs structures économico-financières propres à la « période missionnaire ». Et, avec ces
structures, c’est surtout l’esprit véhiculé qui se trouve inadapté au nouveau paysage socio-ecclésial.
Celui-ci a ses exigences d’autofinancement, alors que l’ancien modèle missionnaire se caractérisait par
une assistance financière quasi-totale et passive. Il convient de voir comme guérir le mal à la racine qui
conduit aux « impasses structurelles » et même aux « impasses mentales » actuelles en vue de préparer
les générations futures à une autre vision de l’Eglise.
317
L’infrastructure d’accueil fait même défaut pendant que certains séminaires se remplissent de candidats
au sacerdoce. Ce sont les subsides de Rome principalement qui viennent débloquer une situation en soi
précaire et inquiétante. Avec raison, Paul VI pouvait dire : « Si on supprimait l’œuvre de Saint Pierre Apôtre, il ne
resterait plus qu’à fermer les séminaires dans les pays des missions !» (Cité par Kalamba, 1992 :200) Or, c’est dans
ces maisons de formation sacerdotale et religieuse que l’esprit de dépendance s’est forgé comme
«imaginaire collectif» des futurs acteurs d’évangélisation. Eux aussi apprennent beaucoup plus à
quémander qu’à compter avant tout sur leur capacité productive.
Lors de mes enquêtes sur terrain effectuées en juillet-août 2010 auprès des grands séminaristes de
l’archidiocèse de Bukavu, j’ai observé l’ampleur de cet imaginaire collectif, tel qu’il ressort dans le
tableau ci-dessous :
Tableau n°13 : Perception des difficultés financières de l’Eglise de Bukavu par les grands séminaristes
Aucune
Oui Non Total (en %)
réponse
11 62 3 76
Etes-vous informé des difficultés financières de votre diocèse ?
14% 82% 4% 100
76 0 0 76
Donnez-vous une contribution financière pour vos études ?
100% 0% 0% 100%
0 76 0 76
Ce que vous donnez est-il suffisant pour vos études ?
0% 100% 0% 100%
Connaissez-vous qui finance (nt) vos études au grand 57 12 7 76
séminaire? 75% 16% 9% 100%
Les 76 grands séminaristes interrogés sur leur perception des difficultés financières de leur diocèse sont
majoritairement dans les dernières classes d’études ecclésiastiques (4e, 5e, 6e année, diacres). Cela
signifie que, dans un horizon temporel très proche, ils seront sur le terrain social d’évangélisation. Dans
une faible proportion, d’autres interrogés sont au début de leur formation, donc en philosophie (1ère, 2e et
3e année).
318
Tous sont conscients que la contribution financière qu’ils donnent pour leurs études est de loin minime
par rapport à l’offre de formation : soit, 9 % du coût moyen annuel d’un grand séminariste. 82 %
affirment ne pas être informés des difficultés financières de leur diocèse. 75 % d’entre eux savent que
leurs études sont financées par les Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM), 70 % estiment qu’il n’y a
pas de raison que cette aide extérieure diminue un jour, tandis que 65 % trouvent normal que leurs
études soient financées par les subsides étrangers, puisque, d’après 70 % des enquêtés, le diocèse ou
l’institution d’accueil pour la formation ne saurait s’en passer.
Toutes ces observations permettent de révéler l’état d’esprit de ces futurs acteurs sociaux de l’Église qui
s’est forgé dans les maisons de formation sacerdotale et religieuse : un esprit de dépendance, un esprit
paternaliste, au point que c’est la loi du moindre effort, de tout recevoir, qui est observée dans leur
comportement en lieu et place de la dureté de la vie. Des habitudes, des attitudes comportementales, des
propos infantilisants et des attentes « paternalistes » ont marqué une bonne partie des candidats au
sacerdoce durant leur formation (Kalamba, 1992 : 200).
Certes, le séminaire dans sa forme actuelle demeure plus essentiellement une structure de consommation
où les activités productives sont un point quasi absent dans la vie et la formation des candidats. Mais,
justement, cet état de choses vient consacrer l’esprit de dépendance envers l’étranger au lieu de le
convertir. « Il n’y a que les enfants, les infirmes et les malades qui ont le droit de vivre aux dépens d’autrui »,
rappelle sévèrement Walbert Bühlmann (1978 : 170).
Il y a même lieu d’interroger plus radicalement le système en place. De quel type de séminaires et de
noviciats les Églises locales du Congo ont-elles vraiment besoin aujourd’hui si elles doivent assumer,
elles-mêmes avant tout, leur entretien matériel quotidien ? Dans la forme actuelle du catholicisme en
Afrique, des structures comme les petits séminaires sont maintenues, parce que Rome surtout y tient.
Les OPM versent chaque année des contributions pécuniaires pour leur subsistance. Mais leur part face
aux besoins réels est tellement insuffisante que chaque diocèse est obligé de présenter tout le temps les
problèmes matériels de ces maisons à d’autres œuvres d’entraide en Occident.
Le coût de formation d’un candidat au sacerdoce ou à la vie religieuse dans les Églises locales du Congo
s’avère bien élevé, comme le dit le Père Boisseau : « Pour avoir des prêtres, il faut des grands séminaires, des
petits séminaristes pour alimenter les grands. Quand on pense qu’un enfant sur dix entrés au petit séminaire arrive au
sacerdoce, que séminaires, petits et grands, sont entièrement à la charge de l’Église, et que les études y durent 15 ans, on est
littéralement effaré devant le « prix de revient » d’un prêtre et pourtant il faut bien y passer, à moins de nous demander si
notre conception ‘occidentale’ du sacerdoce chrétien est vraiment la seule valable » (1968 : 472 ).
319
Juste pour donner une idée du coût annuel de formation d’un prêtre dans le contexte occidental, au grand
séminaire interdiocésain d’Orléans en France, il s’élève actuellement à 18 500 euros190. Le mode de
formation des prêtres africains et leur profil posent un problème fondamental que les difficultés
financières ne font que révéler : le poids de la dépendance financière occidentale. En effet, les
séminaires dépendent presqu’entièrement des œuvres pontificales missionnaires, et spécialement de
l’œuvre de Saint Pierre Apôtre. En 2010, les OPM ont donné les Subsides ordinaires:17 236 000 $ à
l’Afrique. L’Œuvre Pontificale Saint Pierre Apôtre a subventionné au total 837 séminaires, dépendant
ou non de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples: 461 petits séminaires et 376 grands
séminaires. Le nombre des séminaristes soutenus par l’Œuvre est de 77 715, répartis ainsi : 51 592 pour
les petits séminaires et 26 123 pour les grands. L’Œuvre, ayant examiné les demandes, a accordé des
subsides, répartis ainsi: aux petits séminaires, 6 427 490 $; aux grands séminaires et aux séminaires
propédeutiques: 15 913 601 $. Elle a destiné 6 504 005,98 $ aux aides extraordinaires.
Donc, chaque petit séminaire a reçu en moyenne 13 942 $ en 2010, soit 125 $ par petit séminariste. Le
montant alloué à chaque grand séminariste en Afrique par les OPM cette année ne dépassait pas 610 $.
Pour Fabien Eboussi Boulaga, cette aide est liée à une certaine orientation de la formation des futurs
prêtres, selon l’image occidentale du sacerdoce. Le prêtre formé dans les séminaires africains doit être le
continuateur du missionnaire d’hier (1978 :165).
Or le prêtre africain d’aujourd’hui et peut-être de demain doit, selon l’auteur, vivre en agent catalyseur
pour ses frères qui ont déjà été abusés par le politicien, non en partageant avec eux leur pauvreté, mais
en les aidant à s’en sortir, en partageant avec eux joies et peines dans la rigueur qu’impose l’amour du
travail, d’un travail bien fait, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption qui engendre les
injustices dans la répartition de la richesse nationale (Ibid.) S’il est habitué dès le séminaire à compter
sur les « bienfaiteurs occidentaux », renchérit Kalamba, ne serait-il pas tenté de négliger sa formation
humaine? L’apprentissage d’un métier lui permettrait de vivre, non en privilégié, mais en tiers-mondiste
sous-développé participant activement à l’effort économique et social de son pays (Kalamba,
1992 :156). Louis-Paul Ngongo est tranchant à ce sujet : « Il faut appeler de tous nos vœux la mort du séminaire
colonial, haut lieu de la logique aristotélicienne et d’une éducation aristocratique, pour qu’à la place naissent enfin des
centres de formation d’animateurs de communautés chrétiennes, financées et dirigées par les Africains dont la hantise ne
soit pas la reproduction en dégradé de séminaires bourgeois occidentaux ! En effet, l’emprise la plus sûre et la plus durable
de l’Occident sur l’Église en Afrique consiste à moduler les structures mentales des futurs dirigeants de nos églises. »
(1978 :33).
190
Déclaration de l’évêque de Chartres, Mgr Michel Pansard, lors de l’ordination de l’abbé Pierre Abelson, le 19/10 2013.
320
B. L’esprit dépendant de la hiérarchie et de la chrétienté
Après plus d’un siècle d’évangélisation, beaucoup de chrétiens et clercs autochtones vivent encore avec
des mentalités propres à « l’époque missionnaire », un des obstacles sérieux sur la voie de la prise en
charge matérielle des Églises locales du Congo par elles-mêmes. Mais ces mentalités anachroniques
reflètent justement le modèle paternaliste qui a prédominé durant l’ère missionnaire jusqu’à laisser des
marques profondes et prégnantes.
L’évêque du diocèse de Luiza dans le Kasaï l’a stigmatisé en évoquant cette période « …quand
l’évangélisation emprunte les méthodes coloniales comme c’était le cas en Afrique et lorsqu’une hiérarchie locale prend la
relève des missionnaires expatriés, elle hérite alors d’un ensemble de structures et d’institutions mises en place par les
missionnaires selon leur propre génie et à la mesure de ‘leurs propres moyens matériels et financiers’ » (Mukeng’a
Kalond, 1990:38. Cité par Kalamba, 1992 : 192).
Abondant dans le même sens, Eboussi (1978 :168) déplore de voir les Églises d’Afrique continuer à
concevoir des actions dont le profil répond aux habitudes et aux attentes de leurs traditionnels bailleurs
de fonds qui ne tiennent pas compte des réalités locales et des besoins réels des Africains.
Décrivant la situation matérielle du clergé africain, Mgr J. Jadot peint un tableau dans lequel plusieurs
traits caractérisent l’Église du Congo : « Ce clergé vit dans des conditions misérables, là surtout où il devient
nombreux. Cette misère lui est d’autant plus difficile à supporter qu’il compare sa condition avec celle des missionnaires
étrangers et des religieux […] L’entretien du clergé diocésain constitue pour les Évêques une charge qui s’accroît sans cesse
[…] Cette charge devient d’autant plus lourde à supporter que les intentions de messe se font rares […] La misère est néfaste
pour le clergé. Elle paralyse beaucoup de prêtres. Le manque de moyens de subsistance et surtout de moyens d’apostolat,
conduit au découragement, à la passivité, parfois même à l’aigreur. Elle entraîne aux ‘ affaires’. On commence un commerce
pour le bien de la paroisse et rapidement, on se laisse prendre par l’appât du gain personnel. Elle facilite les amitiés
compromettantes avec les nantis du régime. Dans bon nombre de pays de mission, la population reproche amèrement aux
prêtres locaux de s’être liés avec les riches et d’épouser inconsciemment le parti des ‘profiteurs’. Elle porte à la jalousie
envers les missionnaires étrangers et contribue à accroître la tension qui existe entre les deux clergés » (1962 : 73-76).
321
Si telle en est en grande partie la situation matérielle des prêtres africains et les implications sociales et
morales de leur infortune financière, comment dès lors s’en tirent les Églises locales du Congo ? Elles
sont davantage tournées jusqu’à ce jour vers l’étranger afin d’attraper un peu de fonds indispensables à
la subsistance de leur personnel clérical et laïc, de religieuses et religieux y compris.
Certes, les besoins financiers diffèrent selon l’aisance du « poste de mission », les services pastoraux
concernés et les possibilités matérielles des personnes qui y œuvrent. Ces fonds viennent souvent des
subsides que les O.P.M. (Rome) et d’autres organismes missionnaires d’entraide à l’étranger accordent
chaque année, comme nous l’avons vu précédemment. Sans leurs ressources matérielles et financières,
les Églises locales du Congo auraient toutes les peines pour entretenir leur propre personnel.
Comme son nom l’indique, l’honoraire de messe est une somme d’argent versée à l’occasion d’une
messe par une personne qui souhaite que l’intention qui la préoccupe soit prononcée au cours de
l’office. Si toute messe est célébrée pour le monde entier, l’on a toujours reconnu au célébrant la
possibilité de joindre à cette intention générale telle ou telle intention particulière qui peut lui être
confiée. Il ne s’agit pas d’un paiement, la messe n’ayant pas de prix. C’est une façon de s’unir à la prière
du célébrant. L’offrande conseillée en vigueur dans les diocèses de France depuis le 1er mars 2014 est de
17 euros. En fait, le cas des « intentions de messe » illustre mieux l’extraversion financière dont les
Églises locales du Congo souffrent dans l’état actuel des choses.
Sans l’importation massive et chronique de ces « intentions de messe » d’ailleurs, beaucoup de diocèses
auraient effectivement de la peine aujourd’hui à entretenir leur propre effectif clérical. Joseph Kalamba
considère que cet état est une entorse au projet même d’enracinement de l’Eglise dans son milieu
sociologique. En effet, dit-il, l’importation permanente est un signe d’une faiblesse grave de
communautés chrétiennes africaines à pourvoir à la subsistance matérielle de leurs propres agents
d’évangélisation et pasteurs (1992 :202). La dépendance extérieure est devenue tellement « vitale » que
supprimer le transfert de ces « intentions de messe », c’est priver, automatiquement, à bon nombre de
communautés sacerdotales la principale ressource (et l’unique ressource plus ou moins permanente pour
certains diocèses comme celui de Bukavu) matérielle et financière indispensable à leur subsistance
quotidienne.
322
Car les Églises locales du Congo ne sont pas encore capables de fournir, à partir de leurs ressources
financières locales, les moyens de vie à leur propre clergé pour assurer le fonctionnement optimal
comme hier le missionnaire belge le faisait tant bien que mal dans un « poste de mission » (Ibid.).
Que l’argent pour les « intentions de messe » vienne d’ailleurs, ce n’est pas tellement cela qui pose
problème, estime Kalamba, mais c’est le caractère permanent et exclusif de cette ressource sans laquelle
des Églises du Congo ne sauraient subvenir aux besoins financiers de leur clergé. Qu’adviendra, en
effet, dans un horizon temporel relativement proche pour ces Églises locales africaines, étant donné que
ces « intentions de messe » de l’Occident commencent à tarir, voire à disparaître dans la pratique
socioreligieuse déjà en désuétude ?
C’est une question qui devrait préoccuper les institutions religieuses congolaises qui font montre d’une
sorte de ce que l’auteur appelle « maternité ecclésiale irresponsable ». D’un côté, elles engendrent à
cœur joie des ministres mais sans leur donner de moyens sûrs pour leur évangélisation; de l’autre côté,
elles ne s’occupent pas effectivement et efficacement d’eux. C’est comme s’il fallait que d’autres
« mères étrangères » viennent prendre soin de ces « fils adoptifs », tout le temps nourris grâce à la
charité des Églises d’ailleurs ! (Kalamba, 1992 :202). Il y a lieu de craindre qu'à force d'entretenir le
clergé autochtone avec les honoraires de messe de l'extérieur, les communautés chrétiennes du Congo
oublient même leur devoir primordial. Normalement, c'est à elles qu'incombent en premier lieu le devoir
de prendre en charge leur propre clergé africain, avant de compter sur la part des Églises d'ailleurs.
Bien plus, selon Kalamba, la prédominance des honoraires de messe étrangères conduit souvent bon
nombre d’acteurs sacerdotaux autochtones à minimiser ou même à oublier les besoins spirituels des
fidèles de leurs Églises locales respectives, au bénéfice des chrétiens d'ailleurs pour lesquels ils sont
tenus de dire la messe « financée »191, puisqu'il faut respecter l'intention du donateur. L'anomalie se
trouve aggravée, déclare Nkuissi, du fait que ces intentions étrangères sont en général anonymes. Ni
l'intention elle-même, ni le donateur des honoraires ne sont connus pas plus des fidèles que du prêtre.
191
J. Van Cauwelaert considère que du côté des chrétiens qui remettent les honoraires de messe, la tarification maintient en
eux la tendance à vouloir “acheter les effets salvifiques de la messe”, au lieu d'y voir une aide au ministre desservant.
“Détaché de l'offrande et présenté comme un moyen d'acquérir par l'acte du célébrant les fruits de la messe, l'honoraire
restera toujours aux yeux de nos fidèles le prix de la messe. Les distinctions des théologiens, si légitimes qu'elles soient,
n'empêchent pas que les fidèles continuent de nous demander: 'combien coûte une messe'? Combien vous dois-je pour une
messe?'” (1966: 536).
323
On peut se demander, ajoute-t-il, si dans ces messes étrangères “ad intentione dantis”, les fidèles ne
sont pas quelque peu des “spectateurs étrangers” et si leur participation et leur communion au Saint
Sacrement ne s'en trouvent pas d'autant réduites (1968: 266-267).
A la longue, on risque en Afrique de ne prier que pour de lointains riches “donateurs” au point de ne
penser d'abord aux problèmes et joies de l'assemblée locale présente, pour la simple raison qu'elle n'est
pas nantie pour “payer” des “intentions de messe”. Drôle de situation, où les pasteurs africains ne
prieront que pour les âmes d'ailleurs alors qu'à leurs propres “ancêtres” personne n'y pense ! C'est ce que
résume cette sagesse bantou luba que nous donne Kalamba: “ Katentekela bena bilowo, biende bishale
bisendame – Celui qui va arranger les calebasses des autres et les siennes restent inclinées” (1992:202).
Les évêques africains sont obligés, par la logique même du système dont ils ont hérité, de sillonner
l’Europe, l’Amérique à la quête de ressources matérielles et financières indispensables à la vie de leurs
Églises respectives192. Cette situation pénible est pratiquement un mouvement général, reflet d’un mal
structurel lié intrinsèquement au modèle d’implantation dont les communautés africaines ont hérité de
l’ère missionnaire et les pousse constamment à se tourner vers l’extérieur pour chercher des solutions à
leurs problèmes financiers193.
Ainsi considéré à partir de ce contexte socio-ecclésial et historique, l'évêque en Afrique porte tout seul
sur ses épaules les soucis matériels d'un modèle d'Église-Institution dont le poids financier reflète le
caractère défectueux de son adaptation sur le continent. C’est un poids de l'infrastructure héritée de
l’Église des missions. La plupart des clercs, nous dit J.E. Penoukou, ont été plus habitués à gérer des
institutions ecclésiastiques héritées de l'époque missionnaire qu'à inventer des voies et moyens
nouveaux pour que leurs communautés se prennent davantage elles-mêmes en charge (1996: 29-42).
Ce genre de « démarches à l’étranger » les oblige parfois à dépenser une bonne partie de leur temps, de
leur énergie physique, intellectuelle et morale. Bien sûr, c’est la vie pastorale locale qui en pâtit, puisque
les acteurs responsables sont obligés de se déplacer tout le temps à l’étranger à la recherche entre autres
des fonds utiles à l’entretien de leur personnel ecclésiastique et de différentes institutions socio-
caritatives héritées de la période missionnaire. Plus grave encore est que cette pénurie matérielle et
financière des institutions ecclésiastiques donne l’air d’entretenir l’esprit de mendicité, voulue à dessein.
192
Fabien Eboussi Boulaga (Art. Cit.: 126) se demande pour combien de temps une organisation comme le diocèse peut-elle
tenir en vivant d’une manne circonstancielle extérieure. Et encore, obtenue à quel prix ? (Cité par J. Kalamba, 1992 :341).
193
L’Episcopat du Rwanda et du Burundi le confessait tout haut : « cette situation oblige les évêques à se transformer en
mendiants et à consacrer une part importante de leur temps à des démarches étrangères à leur activité de pasteurs ». Les
missions et le problème financier, in Le Christ au Monde, p. 172.
324
Alors, comme le constate Kalamba (1992 : 203), les impasses financières des Églises locales du Congo
viennent s’incruster dans des « impasses mentales » dont il devient difficile de se guérir.
En effet, pour réussir leur établissement dans une région de leur choix, les premiers missionnaires
recrutaient la main d’œuvre nécessaire parmi les convertis de première heure venus trouver refuge sous
leur citadelle. Les « colonies scolaires » dont j’ai parlé précédemment et les « colonies des esclaves
libérés », puis les « fermes-chapelles » subsistaient en très grande partie grâce au soutien financier
octroyé aux missionnaires par l’État, leurs familles et bienfaiteurs d’Europe. Ainsi, un peu partout au
Congo les gens finirent par voir dans le missionnaire ou le religieux expatrié l’image d’un bon « Père
Noël » ou d’un « Saint Nicolas » distribuant gratuitement ses biens aux « pauvres enfants nègres »194. Et,
comme jadis, c’était le poste de mission qui demeurait la seule « voie de progrès » dans toute la
campagne, le missionnaire européen passait malgré lui comme un « riche indispensable » pour la
prospérité matérielle de la tribu où le poste de mission était implanté.
Les autochtones vivaient de son aumône pendant que lui aussi entretenait leur dépendance comme base
de son pouvoir (Kalamba, 1992 : 204). Face aux séquelles du paternalisme missionnaire, tout
programme d’autofinancement ecclésial ne pouvait que rencontrer ici un des obstacles majeurs. Avec le
temps, la concurrence entre missionnaires catholiques et protestants vint à renforcer encore davantage la
mentalité d’assistance, déjà cristallisée dans les esprits durant la période coloniale. En fait, chacun des
protagonistes religieux cherchait à gagner à sa cause le plus d’adeptes possible. Il recourait
abondamment aux offres matérielles et financières alléchantes comme « appât » pour « avoir la
population indigène » et surtout ses représentants traditionnels les plus influents du fait de leur
ascendance morale et sociale sur la population.
194
Le trait du « missionnaire bienfaiteur » est effectivement un de ceux que beaucoup d’africains ont retenu de lui. A ce
sujet, on peut lire avec intérêt les travaux de L. Laverdière qui, dans un essai de sociologie littéraire, dépeint l’image que
l’africain se fait du missionnaire (1987 : 133-247) et ceux de M. Lorenzini consacrés à l’action missionnaire catholique dans
la région du Kivu à travers l’ethnologie, la missiologie et le développement (1986 : 368-372 ).
325
Progressivement, des autochtones prirent goût au jeu miroitant dont on paie aujourd’hui le prix : « La
méthode de persuasion utilisée par les missionnaires tant protestants que catholiques, comprenait l’offre des dons tels que les
habits, les chapeaux et les couteaux aux chefs ou à une personnalité influente du village et du clan. Ainsi donc, les villages et
clans étaient divisés selon la religion que le chef du groupe acceptait en premier lieu »195.
Chez les chrétiens catholiques, certains facteurs particuliers viennent renforcer cette « mentalité
d’assistance ». En voyant l’infrastructure brillante de l’un ou l’autre poste de mission laissé par le
missionnaire, beaucoup de fidèles arrivent à la ferme conviction que le missionnaire européen
financièrement puissant doit avoir laissé toute cette richesse à ses successeurs africains. Et donc
certainement ceux-ci, en commençant par leur évêque, s’ils n’ont pas mal géré le patrimoine hérité de
l’ère missionnaire, doivent être très riches, ne manquant de rien dans leur confort. De sorte qu’ils ne
devraient demander une quelconque contribution aux fidèles pour tel ou tel besoin de la paroisse sous
peine d’être traités de voleurs, puisque « les missionnaires n’étant pas partis avec la caisse, doivent avoir
tout laissé à leurs successeurs africains ! »
Il s’est donc ainsi développé un véritable malentendu autour de la demande et de l’offre financières
entre les acteurs religieux et leurs adeptes. Car, dans l’entendement de ceux-ci, c’est le diocèse qui doit
les aider, ne leur exigeant rien comme contribution sous peine d’être considéré comme un détourneur de
biens communautaires au profit des intérêts individuels et familiaux. Parfois, ce genre d’esprit,
d’attitude et de langage qui frisent un degré de mentalité proche de l’infantilisme et même de
l’aliénation mentale sont observés majoritairement chez les chrétiens catholiques.
Pendant que les protestants et les adeptes des autres Églises africaines indépendantes comme les
Kimbanguistes étaient généralement éduqués à compter d’abord sur les propres capacités et moyens
matériels avant toute aide extérieure, les chrétiens catholiques eux levaient un peu trop les yeux vers « le
Père Supérieur de la Mission » (Ladrière, L., 1972 :193). Ainsi le missionnaire occidental a-t-il été
considéré à tort ou à raison comme une machine à produire de l’argent, voire « une vache laitière » aux
capacités inépuisables, au point que bon nombre de fidèles catholiques congolais ont aujourd’hui de la
peine à croire aux difficultés financières de leur diocèse (Kalamba,1992: 205) et qu’ils sont plutôt
scandalisés quand leur responsable religieux les sollicite pour un réaliser un projet de l’institution.
195
Dans un article intitulé De la rivalité à l’œcuménisme : Les relations entre les missions catholiques et protestants durant
le premier siècle de l’évangélisation, 1878-1980, M.M. Kimpianga montre comment ce phénomène était monnaie courante
surtout durant la période missionnaire (1980 :108). Il en est de même pour L. Laverdière qui détaille en quoi consistait ce
recrutement pastoral sur fond de corruption morale : « Pour attirer les adultes et les vieillards aux leçons du catéchisme ou
aux offices liturgiques, les missionnaires distribuent aux participants quelques feuilles de tabac, des cubes de sucre ou une
autre denrée bien appréciée… » (1987 : 103-104).
326
Cette mentalité ambiante chez beaucoup de chrétiens et responsables des communautés chrétiennes dans
les Églises locales du Congo dévoile même, à la limite, une grave méconnaissance de la nature véritable
du sacerdoce, de la vie religieuse et de l’épiscopat. Certains des chrétiens africains ne voient avant tout
dans ces fonctions et ministères que les intérêts matériels et les prérogatives sociales que la tribu peut en
tirer. Car le sacerdoce est considéré en Afrique, tant par les acteurs religieux eux-mêmes que par leurs
familles et d’autres chrétiens, comme une ascension sociale lucrative dans la mesure où l’on attend de
l’acteur religieux des services philanthropiques pour son milieu. Cette vision étriquée du sacerdoce par
les acteurs socioreligieux travestit la nature et la racine véritables de la prêtrise ou de l’épiscopat et, par
voie de conséquence, elle impacte négativement l’identité même et de sa mission évangélisatrice.
C’est ce qu’exprime l’évêque de Luiza dans le Kasaï occidental : « Comment en effet notre société ne voit dans
l’Église qu’une société à la mesure et à la façon de leur société temporelle et politique, comparant les services de l’Évangile
aux dirigeants de ce monde et classant les religieux parmi des gens nantis, socialement pourvus, qui mangent trois par jour à
la façon et au rythme des bourgeois coloniaux ![…] Loin d’être une simple nostalgie des marmites de l’époque coloniale,
n’est-ce pas là plutôt l’expression de l’idée qu’ils se font des agents de l’Évangile, des hommes de l’Église et des religieux ?
N’est-ce pas l’ignorance flagrante de l’identité de l’Église dans sa réalité intime et eschatologique ? Mais le jugement de ces
gens n’est-il pas inspiré par le visage que les acteurs religieux donnent à cette société… ? » (Mukeng’a K., 1983: 20).
Dans cette épineuse question de l’émancipation des Églises africaines et congolaises vis-à-vis des aides
extérieures, il y a lieu de souligner la présence numériquement faible des missionnaires occidentaux et
des congrégations qu’ils ont fondées, mais qui ont une très grande capacité dominatrice dans les choix
de décisions stratégiques sur les Églises africaines. De sorte qu’il n’y a que leur voix qui est entendue au
Vatican dans les grandes décisions, notamment celles liées au financement d’un projet recommandé par
tel évêque, et dans la nomination des évêques dans les diocèses africains. Le financement est octroyé ou
non selon que tel évêque est en bonne relation avec les donateurs ou avec les missionnaires.
327
1. Une présence occidentale influente et déterminante dans l’allocation des ressources
Lors de son interview à Ouagadougou par TELEMA-REDACTION sur la situation économique et
financière des diocèses d’Afrique et ses retombées sur la pastorale, le cardinal burkinabè Paul
Zoungrana évoque « le rôle d’écran et de canal sélectif subjectif joué par certains missionnaires entre nos diocèses
et les organismes d’aide, une certaine concurrence entre les Instituts Missionnaires et les diocèses » (1995 : 6).
En effet, à examiner de près la procédure employée pour l’octroi de ces subsides, on est frappé par un
autre phénomène : ce sont les instances romaines qui jugent de l’opportunité de maintenir telle structure,
de réaliser tel projet présenté par les Eglises d’Afrique pour demander leur financement. Cette
interférence jusqu’aux moindres détails dans le fonctionnement des Églises d’Afrique enlève
pratiquement tout pouvoir réel à leurs responsables ecclésiastiques.
Le prélat propose qu’un premier réajustement puisse se concevoir ici : les œuvres pontificales
missionnaires répartiraient les fonds, soit par pays, soit par conférences épiscopales. Il reviendrait à
celles-ci de juger de la priorité à accorder à tel projet, de déterminer des situations où il semble plus
urgent de construire une adduction d’eau qu’un palais épiscopal ou même une grande église-
cathédrale… Louis-Paul Ngongo observe que la situation financière d’un diocèse africain est
globalement liée à la présence du personnel missionnaire dans ses institutions, et cela à deux niveaux :
au niveau de la gestion à travers des économes diocésains missionnaires et au niveau de la recherche des
fonds. En effet, un diocèse recevra facilement de l’argent de Suisse, de Belgique, du Canada ou des
USA, s’il compte parmi son personnel des ressortissants de ces pays.
Fort de ses arrières, le missionnaire expatrié en Afrique peut alors jouer un rôle sans commune mesure
avec sa place officielle. Il fixe dans les coulisses et de façon décisive les priorités pastorales. Il dépend
de lui, ajoute l’auteur, de faire avorter telle ou telle œuvre en lui coupant les vivres (Ngongo, 1978 :38).
On ne saurait recenser, à travers l’Afrique, les œuvres et les structures ecclésiales disparues, faute de
financement, après le départ du missionnaire occidental qui en assurait le fonctionnement (Ibid.).
De même, l’impact financier de cette présence occidentale sur l’Église d’Afrique est réel : la plupart des
diocèses dont l’ensemble ou la quasi-totalité des membres du clergé ou de religieux et religieuses est
africain végètent au niveau matériel. C’est le cas des Prêtres diocésains de l’archidiocèse de Bukavu, les
Frères Serviteurs de Jésus, les Filles de Marie Reine des Apôtres et les Filles de la Résurrection. L’on
observe la même misère financière dans tous les instituts religieux missionnaires dont la totalité de
membres est d’origine africaine. C’est le cas actuellement des congrégations missionnaires des Pères
Franciscains, des Pères Barnabites.
328
Par contre, là où il y a encore présence remarquée des Occidentaux, comme chez les Pères Blancs, les
Pères Xavériens de Parme, les Jésuites, les sœurs Blanches, les sœurs Dorothées (de Cemmo et
Educatrices), les Dames de la Sainte Famille, les Carmélites Missionnaires Thérésiennes, les Picole
Figglie et les sœurs Franciscaines, la situation financière est encore enviable. On assiste alors dans
certaines régions d’Afrique à un phénomène aussi humiliant que scandaleux, parce que signe
d’aliénation: des jeunes en quête de leur vocation religieuse qui se voient découragés par les
congrégations missionnaires d’aller dans des congrégations diocésaines sur fond d’arguments
économiques196.
Il en est de même des chrétiens d’une paroisse réclamant de leur évêque africain un prêtre occidental en
lieu et la place d’un autochtone parce que celui-là dispose de moyens financiers que n’a pas celui-ci,
notamment pour scolariser leurs enfants ou pour construire une école, une église… Bien que la
hiérarchie soit établie presque partout en Afrique197, les Églises du continent dépendent encore de ce
qu’on appelle des Œuvres Pontificales Missionnaires (« Propagation de la Foi, Saint Pierre Apôtre et
Sainte Enfance ») quant à leur fonctionnement et à la création de nouvelles structures.
196
Au début des années 1990, une campagne de dénigrement sur fond d’arguments matériels avait été menée dans
l’archidiocèse de Bukavu par certains membres des congrégations missionnaires pour décourager les jeunes garçons et filles
qui voulaient s’orienter dans les congrégations diocésaines, au motif que celles-ci n’offraient pas d’ouvertures à
l’épanouissement et à des opportunités de réussite, tant elles sont pauvres. A contrario, on les incitait à entrer dans les
congrégations missionnaires internationales, avec comme offres avantageuses alléchantes tels que les voyages réguliers dans
plusieurs pays du monde, notamment en Europe, les possibilités à pouvoir aider leur famille misérable d’origine, les études
dans des pays étrangers… Paradoxalement, ces congrégations internationales qui se livraient à ce jeu marketing sont
soumises au vœu de pauvreté, ce qui fait dire avec humour aux diocésains, que les religieux et religieuses missionnaires font
le vœu théorique de pauvreté mais ce sont les séculiers qui le vivent.
197
On peut encore trouver dans la hiérarchie catholique en Afrique, des évêques occidentaux. C’est notamment dans certains
pays francophones comme la RCA, le Gabon, le Congo Brazzaville, le Cameroun, le Tchad…
329
Rappelons que le souci des premiers missionnaires catholiques en Afrique était d’occuper le plus vite
possible l’ensemble du territoire qui leur avait été confié et d’intéresser la population entière au message
qu’ils apportaient. Ils étaient toujours pressés à cause de la concurrence impitoyable des Protestants. Ils
étaient également convaincus qu’ils devaient prendre soin de tout, la population autochtone étant
considérée comme trop pauvre pour contribuer d’une façon significative au développement des
‘missions’, et les missionnaires prenaient très au sérieux leurs responsabilités dans le cadre de la
‘Commission’. Ngongo estime que « pour atténuer le caractère aliénant de l’aide qui viendrait d’autres églises, nous
ne devrions faire appel à l’extérieur que si nous pouvons assurer nous-mêmes le financement des 2/3 d’un projet. Certes
alors, nos projets seraient-ils moins grandioses, nos églises, nos salles d’œuvre, nos palais épiscopaux moins triomphalistes,
mais ils seraient nôtres ; nous pourrions leur donner une orientation originale, nous serions à même de les entretenir quand,
pour une raison ou une autre, l’Occident cesse de nous envoyer sa manne » (1978 :34).
L’auteur exhorte les Africains au réalisme et à la circonspection: « En effet, quelle réforme de structures
proposer et appliquer quand on n’a pas les moyens de sa politique ? L’Occident continue à soutenir les structures mises en
place par lui et dont nous ne serions que les gardiens. Il ne s’agit pas de couper les Églises d’Afrique du centre du
catholicisme » (Ibid.). Mais, comme le fait observer Ngongo, les liens qui nous unissent aux autres Églises,
même la romaine, doivent être avant tout des liens de charité et non de dépendance financière ou
politique (1978 :31-32).
330
La situation de leur dépendance économique inquiète de plus en plus les évêques africains, non
seulement parce qu’elle ne s’exprime pas en termes de complémentarité ou de subsidiarité, mais surtout
au regard des effets qu’elle produit dans les rapports entre les dépendants et leurs bienfaiteurs : « en
arriver à une dépendance de vie et de mort ne peut qu’exposer à de dangers très graves, empêcher toute vraie collaboration
et même porter atteinte à la réalisation authentique du plus faible » (Ibid. 161, note 191).
Dans le questionnaire préparatoire, on peut lire le n° 14 qui interroge ces Églises si elles sont
suffisamment conscientes de la nécessité, de l’urgence de parvenir à l’autosuffisance financière, ainsi
que les efforts, les initiatives, les stratégies envisagés pour l’atteindre (Cheza, M.-Dorrite, H.-Luneau,
R., 1992 : 424-425). Dans l’Exhortation apostolique post-synodale que le Pape Jean-Paul II est venu
publier le 15 septembre 1995 à Yaoundé, le chapitre V est intitulé : « Vous serez mes témoins » en
Afrique. Le n° 104 traite des « moyens matériels » dont voici le contenu intégral :
« Dans cette perspective, les Pères synodaux ont souligné qu’il est nécessaire que toute communauté chrétienne soit en
mesure de pourvoir par elle-même, autant que possible, à ses propres besoins. L’évangélisation requiert donc, outre les
moyens humains, des moyens matériels et financiers substantiels, dont bien souvent les diocèses sont loin de disposer dans
des proportions suffisantes. Il est donc urgent que les Églises particulières d’Afrique se fixent pour objectif d’arriver au plus
tôt à pourvoir elles-mêmes à leurs besoins et à assurer leur autofinancement. Par conséquent, j’invite instamment les
Conférences épiscopales, les diocèses et toutes les communautés chrétiennes des Églises du continent, chacune en ce qui la
concerne, à faire diligence pour que cet autofinancement devienne de plus en plus effectif. Par ailleurs, j’adresse un appel
aux Églises-sœurs du monde pour qu’elles soutiennent plus généreusement les Œuvres pontificales missionnaires et que, à
travers leurs organismes d’aide, puissent être consentis aux diocèses dans le besoin des financements destinés à des projets
d’investissement capables de produire des ressources, en vue de l’autofinancement progressif de nos Églises. Il ne faut
d’ailleurs pas oublier qu’une Église ne peut arriver à l’autosuffisance matérielle et financière que dans la mesure où le
peuple qui lui est confié ne subit pas une misère extrême »198.
198
LA DOCUMENTATION CATHOLIQUE, Exhortation apostolique de Jean-Paul II, L’Eglise en Afrique « Ecclesia in
Africa », aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux religieux et aux religieuses, et aux tous les fidèles laïcs, sur l’Eglise en
Afrique et sa mission Evangélisatrice vers l’An 2000, 1 er octobre 1995, n°212 : 843.
331
Ce texte peut être considéré comme fondateur et déclencheur de l’impulsion de la vie économique des
Églises d’Afrique. Dans le neuvième chapitre, j’y reviendrai en analysant les idées principales que le
pape soumet aux Eglises d’Afrique à prendre en considération comme nécessité dans la recherche de
leur autofinancement. Effectivement, les évêques congolais sont de plus en plus conscients que l’atteinte
de leur autonomie financière en appelle à une prise en charge par les fidèles des besoins matériels de
leur Église. Cela exige aussi que l’aide venant des anciennes Églises puisse s’insérer et s’inscrire dans
des projets d’ensemble élaborés par les Églises locales, au lieu d’être décidée unilatéralement et fournie
de façon ponctuelle199.
Conscients qu’ils ne peuvent pas encore se passer de l’aide des Églises occidentales, les évêques
africains plaident pour une nouvelle philosophie d’aide conduisant les Églises autochtones à ne pas
dépendre indéfiniment de l’aide financière extérieure. Cette aspiration qui cadre avec l’enseignement de
Vatican II, est une requête ecclésiologique fondamentale et non une quelconque volonté d’accumuler
des richesses. Grâce à cette autosuffisance, les Églises seront aussi en mesure de venir en aide aux
couches les plus pauvres de nos populations (Cf. 7è Assemblée plénière du SCEAM réunie à Kinshasa
du 15 au 22 juillet 1984, ibidem : 294).
Le pape Paul VI rappelle que la vocation de l’Eglise c’est contribuer à anoblir l’homme par tous les
moyens, pourvu qu’ils soient justes et honnêtes à promouvoir « le développement intégral de l’homme,
c’est-à-dire de tout homme et de tout l’homme », et non à lui prêcher une certaine médiocrité. Au lieu
que l’Église « descende » pour rejoindre l’homme dans sa misère matérielle, ce qui n’est vraiment pas
un idéal à désirer, l’Église devrait plutôt chercher à tirer l’homme de la misère pour l’élever dans la
dignité tant spirituelle que matérielle.
Car, comme dit un principe moral, « il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu ». La
pauvreté matérielle n’est pas un idéal à recommander. Dans les textes épiscopaux, il apparaît que
l’autofinancement des Églises locales est un problème qui se pose et se posera encore en Afrique,
d’autant plus que la situation économique de ce continent est toujours plus inquiétante. Le prix à payer
est celui de changements profonds, si l’on veut affronter sérieusement le problème : « A moins de changer la
structure et la forme des Églises locales, le temps ne viendra jamais où les vocations autochtones de type traditionnel
suffiront à répondre aux exigences de ces Églises ; si nous persistons à vouloir les mêmes structures que nos amis d’outre-
mer, alors il faut accepter de rester à jamais dépendants de l’aide étrangère, qui seule peut les soutenir et les financer »
(Kalilombe, P., 1979 : 56-58).
199
Déclaration des évêques d’Afrique et de Madagascar au Synode, 20 octobre 1974, in Les évêques d’Afrique parlent
(1969-1991). Documents pour le Synode africain, textes réunis par M. Cheza, H. Dorrite, R. Lunnau, Paris, Centurion,
1992 : 75.
332
Ce genre d’affirmations met en lumière un problème très profond, notamment ce que Sylvia Recchi
appelle la non-conformité du modèle d’Église bâtie en Afrique avec la réalité socio-économique des
populations de ce continent (Recchi, S., 2003 : 31). En effet, l’épiscopat africain prend progressivement
conscience que le dynamisme vers l’autofinancement pour les Églises d’Afrique exige, en même temps,
des batailles diverses, notamment une révision des structures laissées par l’Église du temps colonial, la
nécessité d’une plus grande responsabilité des fidèles afin qu’ils soient prêts à prendre économiquement
en charge leur Église, une vie du clergé plus simple et plus cohérente avec l’Evangile, ainsi que la
promotion de la justice et des droits de l’homme en Afrique (Ibid.).
Dans une enquête réalisée dans l’archidiocèse de Yaoundé, on constate la même faiblesse de la politique
de l’extraversion financière que dans les diocèses du Congo. Au fur et à mesure, les ressources
financières tirées de l’extérieur diminuent, beaucoup de projets importants pour le développement socio-
économique de ce diocèse ne sont pas financés, ceux qui sont financés ne les sont que de moitié, ce qui
met le diocèse en difficulté, obligé de laisser des chantiers inachevés ici et là parce que le financement
reçu ne suffit pas…
Pour me rendre compte de la réalité, j’ai réalisé une enquête sur un échantillon représentatif de réponses
reçues des organismes de financement à 40% de projets annuels qui leur ont été envoyés entre 2000 et
2005, et les résultats auxquels j’ai abouti sont les suivants :
Tableau 14: Financements de projets dans l’archidiocèse de Yaoundé : 2000-2005 (en euros)
Nombre de projets
Année Montants demandés Montants reçus %
envoyés
2000 01 54 873 25 564,59 47
2001 04 289 247 150 000 52
2002 04 145 890 93 911,48 64
2003 06 358 913 191 000 53
2004 25 1 879 436 1 091 917,34 58
2005 05 324 197 243 486 75
TOTAL 45 3 052 556 1 765 876,41 58
Sources : Tableau créé par l’auteur à partir des données des rapports annuels
Une triple observation mérite d’être faite au préalable : l’échantillon des projets tirés pour mon analyse
représente 40% de l’ensemble des projets annuels que le diocèse a envoyés aux bailleurs selon les
différents axes (volets): pastorale, santé, développement, éducation, investissement (constructions,
bourses pour études de spécialisation…). Mais pour certaines années, les données étaient indisponibles
que le nombre de projets étudiés a été déterminé par recoupement d’informations parcellaires recueillies
dans les archives de l’Economat diocésain.
333
C’est le cas pour l’année 2000 où je n’ai retrouvé qu’un seul projet dans les archives de la procure de
Yaoundé. Par ailleurs, les montants donnés représentent en moyenne 90% du coût total des projets
concernés car déjà diminués de la participation locale (estimée donc à 10%). Aussi, d’après les
expériences antérieures, nous prenons comme hypothèse que les montants reçus au cours d’une année
concernent des projets envoyés aux bailleurs l’année d’avant.
Il ressort que ces chiffres révèlent la faiblesse de la politique de l’extraversion financière de
l’archidiocèse de Yaoundé. Même si cette période sous étude est particulièrement difficile comme nous
le verrons tantôt, il est une évidence que les ressources extérieures ne rassurent plus. Durant les six ans,
aucun projet n’a été financé intégralement. Seule l’année 2005 a eu un financement qui approche ce qui
avait été demandé car, parmi les financements demandés, 75% de montants ont été reçus, ce qui
confirme d’ailleurs notre hypothèse, car l’année 2004, c’est-à-dire l’année de la sortie du Plan Pastoral
de l’archevêque, beaucoup de projets avaient été élaborés et les réponses sont arrivées en 2005.
Ce quinquennat correspond à la période la plus difficile depuis la prise en main de l’Église particulière
de Yaoundé par le clergé local. En effet, en cinq ans, il y a eu trois Archevêques et un Administrateur
apostolique : en 1998 : mort de Mgr Zoa ; de 1999 à 2000 : période intermédiaire avec l’Administration
apostolique de Mgr Joseph Atanga; en 1999 : nomination de Mgr André Wouking est nommé
archevêque de Yaoundé. Il meurt subitement en 2002 ; de novembre 2003 à juillet 2013 : Mgr Victor
Tonye Bakot. Le siège archiépiscopal est resté vacant à l’issue de la démission de ce dernier. C’est Mgr
Jean Mbarga qui a été nommé comme Administrateur Apostolique avant de recevoir le pallium en tant
que nouvel archevêque métropolitain le 31 octobre 2014.
Cette instabilité à la tête du diocèse a certainement perturbé la conduite des activités socio-pastorales de
ce diocèse, y compris l’élan de générosité des organismes d’aide occidentaux. Durant ce même laps de
temps,ce diocèse connaît six économes diocésains, à l’issue du séisme financier qui l’a secoué. Six
économes diocésains en sept ans, soit une moyenne d’un an de service par économe diocésain, c’est un
triste record qui ne pouvait que donner des résultats lamentables ! Il convient de rappeler que, d’après le
droit canonique, l’économe diocésain est nommé pour cinq ans par l’évêque diocésain « après qu’il ait
entendu le collège des consulteurs et le conseil pour les affaires économiques »200.
200
Can. 494 §1 : « Dans chaque diocèse l’évêque, après avoir entendu le collège des consulteurs et le conseil pour les affaires
économiques, nommera un économe vraiment compétent dans le domaine économique et remarquable par sa probité.
§2 : « L’économe sera nommé pour cinq ans, mais ce temps écoulé, il peut l’être de nouveau pour d’autres périodes de cinq
ans; durant sa charge, il ne sera pas révoqué sauf pour une cause grave estimée telle par l’évêque après qu’il ait entendu le
collège des consulteurs et le conseil pour les affaires économiques ».
334
Dans les conditions où ce diocèse s’est trouvé à partir de 1998, avec la mort de Mgr Jean Zoa et le
départ inopiné de l’économe diocésain Jean-Claude Soete, aucune disposition canonique ne pouvait être
respectée ; le diocèse était obligé de vivre au rythme des événements. Avec un tel contexte défavorable,
les financements des projets étaient quasi rares. Car les quelques projets qui ont été élaborés et envoyés
aux bailleurs occidentaux ne pouvaient pas être facilement reçus, tellement la crédibilité de
l’archidiocèse de Yaoundé avait été suffisamment entamée avec ce qui a été appelé « le crash financier
de 1998 »201. Cependant, au-delà du contexte particulièrement défavorable, un constat est général : les
financements extérieurs deviennent de plus en plus hypothétiques et ce, d’autant plus que donateurs et
destinataires n’ont pas la même vision de l’aide.
201
Mgr Victor Tonye Bakot, Besoins de financement de l’archidiocèse de Yaoundé, p. 3.
202
Entretien à la CDO avec l’Ordinaire du Lieu de l’archidiocèse de Yaoundé, le 22 mars 2012
335
Donc, contrairement à ce qui se passe ailleurs, du moins dans certaines Églises particulières de l’Afrique
centrale où aucun projet à caractère économique, rentable n’est financé, dans le cas de l’archidiocèse de
Yaoundé, aux dires de l’autorité diocésaine : « Les bailleurs montrent beaucoup d’intérêt. On constate que les
aspects économiques les touchent beaucoup. Par rapport aux aspects purement pastoraux, il y en a qu’ils ne financent pas,
ou ils demandent que l’Église particulière se prenne en charge. Quand il s’agit d’un projet purement économique, il y a une
attention soutenue. C’est par exemple la palmeraie de l’archidiocèse de Otele et de Mfou, qui a été financé par la
Conférence Episcopale Italienne, de même le volet éducatif, l’éducation des enfants de la rue, les petits métiers,…c’est un
volet formation mais qui a un aboutissement immédiat sur l’économie»203.
Mais, à la question de savoir si les montants demandés aux bailleurs sont toujours donnés, la réponse de
l’autorité diocésaine est spontanée et sèche: « Jamais ! Les bailleurs donnent rarement tout ce qu’on a demandé,
c’est très difficile. C’est pour cela que, renchérit-il, dans la sagesse de la présentation d’un projet, la contribution locale est
très importante, sachant que le bailleur donnera ‘ l’obole de la veuve’». Je ne sais pas qui d’entre nous a déjà reçu le
montant total demandé ! Ce n’est pas impossible, mais à ma connaissance, je ne connais pas un seul cas. Peut-être que les
missionnaires eux reçoivent la totalité ! » (Ibid.)
Sauf pour ceux de faibles montants, il est rare qu’un projet soit financé durant la même année de son
envoi aux bailleurs. C’est ce que corrobore l’opinion de l’autorité diocésaine à la question de savoir si la
plupart des bailleurs de l’archidiocèse de Yaoundé répondent à temps aux demandes de financement.
Les raisons avancées me semblent objectivement admissibles : « Non, dans la mesure où l’envoi du dossier est
déjà en lui-même un motif du retard. C’est-à-dire que la poste ne va pas à la vitesse de la lumière. Et quand le projet est reçu
il n’arrive pas toujours à temps, parce que les bailleurs ont leur Conseil d’Administration pour évaluer le projet. Or, celui-ci
ne se réunit pas tous les mois ! Et tout ceci fait que quand vous envoyez un projet, vous devez vous accorder a priori un
temps d’attente, qui est fait de stress, d’angoisses, et parfois c’est la réponse négative. Quant au montant, c’est parfois la
moitié de ce qu’on a demandé, le tiers… Mais ils répondent toujours, même après longtemps ». (Ibid.)
J’ai également vérifié auprès de l’Ordinaire du Lieu du diocèse de Yaoundé s’il y a des projets qui ne
sont pas financés : « Beaucoup ne sont pas financés. A titre d’exemple, un curé de paroisse avait sollicité un
cofinancement à trois organismes pour la construction du presbytère. La paroisse avait déjà réalisé les ¾ du projet estimé
à 70 millions de FCFA, soit environ 106 707 Euros. Malgré cet argument, les trois organismes n’ont donné aucun sou. Le
curé pensait que cette contribution locale très substantielle allait les impressionner et leur arracher les 25% qui restaient
pour réaliser le projet, il n’en était rien ! Il est possible qu’ils financent plus aisément des organisations interdiocésaines ou
les conférences interétatiques comme le SCEAM, l’ACERAC,…mais les financements des projets des Églises particulières
commencent à faire défaut. Quelques projets sont financés, mais l’apport de ces organismes n’est pas toujours entier,
c’est-à-dire à la mesure de la demande, ce qui rend irréalisables plusieurs projets qui pourtant étaient bénéfiques aux
populations, au fonctionnement normal des structures des Églises locales. Ils ne financent pas tous les projets mais ils
soutiennent l’Église. » (Ibid.)
203
Entretien avec l’autorité diocésaine à la CDO, Yaoundé, le 22 mars 2012.
336
A la question de savoir si les bailleurs donnent toujours les raisons de leur réponse négative, l’autorité
du diocèse invite au réalisme et à la circonspection pour interpréter le langage du bailleur : « Quand on
envoie une demande, si l’organisme vous dit : ’Nous n’avons pas pu vous soutenir pour telle raison ou pour telle autre’,
c’est déjà bien. Si l’organisme vous dit : ‘reprenez votre dossier en prenant en compte telles remarques’, c’est que le
dossier est intéressant mais il a été mal présenté. La problématique les intéresse mais elle a été mal articulée, par
exemple le montant de la demande est exagéré, à la connaissance de ce qu’ils ont comme information du coût du
projet, parce qu’ils ont leurs experts aussi. Donc quand ils refusent catégoriquement la demande ils vous disent la gentille
formule : ‘Nous avons reçu votre demande mais malheureusement vu le nombre des sollicitations que nous recevons chaque
année de par le monde entier, … nous sommes au regret de ne pas pouvoir satisfaire à votre demande, bien que nous
comprenions votre besoin… !’, une formule stéréotypée écrite d’avance qu’on sert à tous ceux qui vont recevoir une réponse
négative ! » (Ibid.)
204
Georg Simmel consacre un des six chapitres de son ouvrage Philosophie de l’argent à la contribution de l’argent au
développement de la liberté individuelle. En premier lieu grâce à sa capacité à se substituer à des biens en nature : la
dépendance purement personnelle est transformée en dépendance « chosale ». Cette propriété de l’argent explique par
exemple la préférence du paysan pour le paiement de l’impôt seigneurial en monnaie ou encore le choix de certaines jeunes
femmes d’un emploi salarié en usine au détriment d’un travail domestique pour des patrons chez qui « elles sont peut-être
mieux loties matériellement, mais se sentent moins libres, étant soumises à la subjectivité des personnes ». Il existe donc un
pouvoir désaliénant des relations monétaires, en particulier quand celles-ci concernent des individus inégaux en termes de
pouvoir. C’est parce qu’il est étranger à l’individu que l’argent libère dans une certaine mesure ce dernier : « objet
économique étranger entre tous à la personnalité », il est le seul à pouvoir séparer véritablement la personnalité du produit et
permettre le « divorce entre l’être et l’avoir » (1987 :397). Bref, pour Simmel, la monétarisation de l’économie stimule
finalement le processus d’individualisation en libérant les personnes des liens personnels dont elles sont prisonnières. Elle
permet à l’individu d’échapper à la fois aux petits groupes homogènes où sa liberté est fortement restreinte et aux obligations
sociales qui y sont la norme. Grâce à l’argent qui autorise le développement de relations impersonnelles, l’homme moderne
337
Quelques années plus tard, la Conférence des Églises de toute l’Afrique (CETA) invite les Églises
africaines à appliquer un tel moratoire. Les évêques catholiques du continent n’en voient pas la
nécessité. Ils soulignent que l’organisation de l’Église catholique diffère de celle des Églises
protestantes. En effet, l’aide aux jeunes Églises protestantes est organisée dans le cadre de relations
bilatérales entre Églises locales, tandis que dans l’Église catholique, une bonne partie de l’aide passe par
un organisme central à Rome : la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples (CEP).
Une Église locale occidentale ne peut imposer directement une approche pastorale à une Église locale
africaine. La prise de position des évêques catholiques a été sévèrement critiquée, mais on doit
néanmoins admettre qu’ils avaient bien saisi le problème. Il se pose effectivement en termes différents
pour l’Église catholique et les Églises protestantes. Cependant, les arguments qu’ils ont avancés -
« l’aide aux jeunes Églises est une forme de solidarité qui doit les conduire graduellement à l’autofinancement ; nous
voulons faire comprendre aux Églises occidentales qu’elles partagent avec nous les biens que Dieu a destinés à toute
l’Église ; ce partage n’est pas une faveur qu’elles nous accordent mais un acte de justice » - passaient sous silence la
raison principale pour laquelle ils n’attendaient pas grand-chose du moratoire.
Les Églises protestantes pouvaient, en effet, attendre du moratoire une plus grande autonomie pastorale,
car l’Église-mère ne disposait plus d’aucun moyen de pression pour imposer ses points de vue. Les
Églises qui ont appliqué le moratoire sont devenus plus indépendantes, même parfois à un prix très
élevé. Dans l’Église catholique, l’autonomie financière n’exclut pas du tout une intervention romaine.
Plusieurs Églises occidentales riches en ont fait l’expérience205.
Eric Manhaeghe pense qu’il est tout à fait illusoire de penser que l’on sera à l’abri des interventions
romaines après avoir réalisé l’autonomie financière206. Il reconnaît qu’on est évidemment vulnérable
quand on dépend financièrement du centre, mais il est inexact de dire que Rome n’intervient que dans
les Églises locales pauvres (Manhaeghe, 1994 :44). Ce n’est donc pas, dit-il, parce qu’on constate que
les pays bailleurs de fonds ou des organismes de développement-catholiques ou autres imposent leur
point de vue aux bénéficiaires de leur aide qu’il en est nécessairement de même dans l’Église
catholique.
est émancipé de nombreuses attaches, puisque son lien avec ses contemporains est médiatisé par l’argent (Damien de Blic,
Jeanne Lazarus, 2007 :42).
205
C’est le cas des interventions romaines dans l’Eglise des Pays-Bas (concile pastoral, catéchisme hollandais, nominations
d’évêques), des Etats-Unis (mise en garde après la publication du document de la Conférence épiscopale sur l’économie,
réserves sur l’usage du langage inclusif, le rôle des femmes, l’approche participative de certains évêques), de la Suisse
(nomination de Mgr Haas), etc.
206
Lire à ce propos J. Quinn, « Réflexions sur la papauté » dans La Documentation Catholique, n° 2147, 1996 : 930-943.
338
Elle vit des dons des Églises locales et ne réussit toujours pas à joindre les deux bouts. Les subventions
accordées aux Églises locales pauvres par la CEP - entité financièrement indépendante du reste de
l’administration centrale - proviennent également de dons reçus des Églises locales, y compris des plus
pauvres. La répartition se fait dans une assemblée où toutes ces Églises sont représentées (Ibid.) Cela
n’exclut évidemment pas, reconnaît l’auteur, toutes les manœuvres équivoques, mais on ne peut pas
parler de manipulations à grande échelle.
Par ailleurs, la CEP a toujours encouragé l’autofinancement des Églises locales ainsi que la formation
des ministres de culte autochtones. Elle n’y voit pas la moindre menace pour son autorité ! Elle peut
l’exercer sans recourir à des sanctions financières (Ibid.). Rappelons que la CEP a été érigée en 1622 -
appelée alors Congregatio de Propaganda Fide - précisément pour permettre aux communautés
catholiques naissantes de se développer sans trop dépendre d’un « patron » qui les mettait sous tutelle207.
Elle se heurta dès le début à des difficultés énormes, entre autres financières.
C’est dans ce contexte qu’elle a généralisé le système de la « Commission ». Elle confiait un territoire à
un institut missionnaire qui l’administrait sous son autorité tout en prenant à sa charge les finances, le
recrutement et la formation du personnel. L’on comprend pourquoi les missionnaires n’avaient pas de
gros soucis financiers comme les évêques d’aujourd’hui, puisqu’ils étaient pris en charge par l’institut
missionnaire. Cela conduisait à une situation inconfortable pour les vicaires apostoliques - représentant
directement la CEP - qui en théorie avaient plein pouvoir, mais qui en pratique dépendaient entièrement
de leur institut missionnaire dont ils recevaient le personnel et les finances.
Du point de vue institutionnel, presque tous les vicariats apostoliques sont devenus des diocèses. Ce
n’est qu’après l’abolition du système de la « Commission » en 1969 qu’on s’est rendu compte des
problèmes qu’il avait générés. Les nouveaux évêques diocésains, pour la plupart des autochtones,
devaient maintenant prendre en charge le personnel et les finances des diocèses dont ils étaient
pleinement responsables. Ils pouvaient compter sur la coopération des instituts missionnaires, mais en
établissant un contrat ou une convention avec eux, ce qui a toujours été très délicat en Afrique. Mais ces
instituts missionnaires n’étaient plus tenus que par obligation morale à aider ces nouvelles institutions
(les diocèses) nées d’eux. En dépit de leur « autorité », les diocèses n’avaient pas d’accès direct à une
partie importante des ressources provenant de l’étranger. Les évêques se rendaient compte de leur
dépendance, ce qui explique les multiples tensions et réactions exagérées de part et d’autre.
207
Le « droit de patronage » confié par le pape Alexandre VI en 1493 aux rois d’Espagne et du Portugal (traité de
Tordesillas) avait conduit à une impasse.
339
Ils affirmaient leur autorité qu’ils considéraient comme absolue et beaucoup de missionnaires ne
voulaient « céder » que le minimum nécessaire208. Dans ce climat tendu, des sources de revenus (fermes,
plantations, garages, imprimeries, etc.) furent transmises aux diocèses. Dans la plupart des cas ce fut une
catastrophe. Les nouveaux gestionnaires étaient mal préparés à gérer des entreprises modernes, l’évêque
demandait l’impossible ou intervenait maladroitement et très vite ces ressources disparaissaient.
Contrairement aux protestants, les catholiques n’avaient jamais été invités à prendre en charge leur
Église, mais avaient au contraire été habitués à tout attendre d’elle : œuvres de charité, soins médicaux,
enseignements, etc. Ajouter à cela la situation économique précaire de la plupart des pays africains dix
ans après leur indépendance. Pour Eric Manhaeghe et Kessel-Lo, le problème ne se pose donc pas
tellement en termes d’ingérence externe directe ou d’imposition d’un modèle pastoral étranger, mais
plutôt en termes de participation ou de non-participation locale. Les auteurs estiment que le premier défi
à relever par les responsables des Églises africaines, c’est de convaincre leurs fidèles de la nécessité de
participer activement à la gestion de leur propre Église.
Certes, la conscientisation est nécessaire, vu le degré de dépendance mentale et les préjugés
défavorables qui étaient déjà ancrés dans les représentations collectives des fidèles africains sur l’argent
dans le sens marxiste et la dénonciation du mammonisme209 et sur la richesse réelle ou supposée de leurs
Églises héritées des missionnaires. Je le montrerai à suffisance dans le neuvième chapitre de cette thèse.
Mais je pense que, à la lumière mon hypothèse de départ, les chrétiens congolais pourraient être
généreux envers leurs Églises s’ils avaient des ressources nécessaires. Le problème est beaucoup plus au
niveau de leur capacité limitée à participer à la vie économique de leurs Églises qu’à leur
conscientisation.
208
Pour une description plus détaillée, voir E. Manhaeghe, « Les Eglises, ‘famille de Dieu’ en acte et en vérité. Indépendance
et solidarité au plan financier » dans Telema, n° 78, 1994 : 43-53.
209
La question de l’argent occupe une place centrale dans l’œuvre de Karl Marx. Si celui-ci est l’un des principaux
contributeurs à l’élaboration d’un regard proprement sociologique sur l’argent, il reste nourri des schèmes de jugements et
des catégories théologico-morales qui ont caractérisé le discours social sur l’argent pendant des siècles. Les écrits du jeune
Marx, de la Question juive (1843) aux Manuscrits de 1844, manifestent particulièrement bien cette filiation. Ils dénoncent en
effet la transformation de l’argent en une divinité concurrente du Dieu judéo-chrétien, la dangerosité du caractère insatiable
du désir d’argent, la dénaturation provoquée par ce dernier. Voilà pour Marx le « vrai » visage de l’argent : « il est la divinité
visible, la transformation de toutes les qualités humaines et naturelles en leur contraire, la confusion et la perversion
universelle des choses ; il fait fraterniser les impossibilités » (Marx, K., 1844 : 210). Si l’argent est le vrai dieu des temps
modernes, c’est qu’il possède la qualité de tout acheter et de s’approprier tous les objets. C’est pourquoi le désir d’argent ne
sera jamais rassasié… L’argent est source d’aliénation parce qu’il est à la fois extérieur et supérieur à l’homme, c’est
pourquoi les sociétés bourgeoises sont aussi les sociétés qui connaissent un degré d’aliénation particulièrement élevé. C’est
en fait dans l’argent que se manifeste le mieux ce qu’est l’aliénation, c’est-à-dire « la domination complète de la chose
rendue étrangère sur l’homme » (Ibid.: 211). Objet de fétichisme, l’argent est pour Marx la manifestation concrète et tangible
de l’aliénation (de Blic, D., Lazarus, J., 2007 : 39-40).
340
Telle est l’impasse financière à laquelle les Églises congolaises, dont l’archidiocèse de Bukavu. Au
moment où ses partenaires extérieurs commencent à s’essouffler, ses besoins financiers ne font pourtant
qu’augmenter et ses partenaires internes sont incapables de lui assurer une certaine autonomie
financière. Quelles sont les causes de cet amenuisement progressif ? Elles sont tout aussi externes
qu’internes, les unes et les autres étant complexes. C’est l’objet d’analyse dans cette deuxième section.
Section 2 : Les causes exogènes et endogènes de l’amenuisement des ressources financières des
Églises du Congo
La question du développement socioéconomique d’un pays comme le Congo avec ses retombées sur les
structures institutionnelles internes, par exemple les Églises, ne peut être traitée comme une question
uniquement technique, isolée des différents rapports sociaux et indépendamment de la cohérence
globale des politiques mises en œuvre, de l’insertion internationale de son économie, du rapport de
l’économie nationale au marché mondial (Cf.Treillet, S., 2011: 60-63). L’amenuisement des ressources
financières des Églises du Congo, tout comme celles de l’État congolais en général, a des causes tant
exogènes qu’endogènes qu’il importe d’explorer. Qu’elles soient directes ou indirectes, proches ou
lointaines, leur impact sur la vie matérielle de l’Église universelle et ses composantes continentales,
nationales et locales n’est pas moins important.
Parmi les causes extérieures, je vais examiner principalement les domaines de l’économie mondiale, de
la sociologie religieuse (à travers sa dimension historique et sa vision moderne occidentale de la
religion), qui ont d’une manière ou d’une autre un impact réel sur la viabilité matérielle des populations
congolaises et par ricochet de leurs Églises. Quant aux causes endogènes, il s’agira beaucoup plus des
difficultés internes d’ordre sociopolitique et économique du Congo, celles liées à l’histoire de
l’implantation des Églises au Congo durant l’époque coloniale, et l’impact de cette précarité financière
sur le fonctionnement de ces Églises aujourd’hui.
341
Paul VI le dénonce au nom de la solidarité universelle et de la justice. Comment vivre dans la justice, la
solidarité, le respect mutuel des nouvelles relations internationales afin de favoriser le développement de
ces peuples et leur équitable accès aux ressources disponibles, naturelles autant que manufacturières,
sans oublier les biens et la santé, de l’éducation… ? Le pape appelle chacun à s’employer à y remédier.
Le même cri prophétique, d’angoisse et d’urgence ouvre et clôt son encyclique « Populorum progressio
= le développement des peuples », n°4 et 87 (Maugenest D., 1985: 491-492). En effet, les disparités
économiques, sociales et culturelles trop grandes entre les peuples provoquent tensions et discordes et
mettent la paix en péril.
Le terme mondialisation, comme le dit Philippe Hugon, rend compte d’une interdépendance entre cinq
processus : la globalisation financière, l’organisation mondiale de la production, la libre circulation des
marchandises, les migrations et les mouvements de population, et l’instantanéité de l’information par les
réseaux technologiques. Elle tend à faire jouer aux réseaux transnationaux un rôle important à côté des
territoires. Elle est un processus transnational caractérisé par une transformation de l’organisation
spatiale des relations économiques, sociales, politiques et technologiques, dans leur intensité, leur
rapidité et leur extension.
L’auteur cité observe que dans l’histoire longue, l’Afrique a toujours été ouverte grâce à des réseaux
efficients de commerce portant, selon les époques, sur l’or, les esclaves, les produits primaires ou les
activités plus ou moins illicites. Mais cette ouverture au monde a toujours été au détriment du continent
africain. Hugon indique les caractéristiques de l’économie africaine, à savoir une dépendance
économique, un échange inégal, des économies affrontant le vent de la concurrence, des économies
fluctuant en fonction de l’économie mondiale (2012 :136). En effet, cinquante ans après leur
indépendance, les économies africaines restaient polarisées sur les économies européennes qui
représentaient plus de 2/3 de leurs zones d’échanges commerciaux et d’origine des capitaux, avec
toutefois une réorientation récente vers l’Asie.
342
L’Afrique a peu modifié la structure de ses exportations : le premier produit primaire exporté
représentait, en 1960 comme en 2010, environ la moitié des exportations ; les exportations de produits
manufacturés ne constituent que 5% du total. La dépendance est quasi intégrale en biens d’équipements
et en biens intermédiaires, voire en biens de consommation de première nécessité. Une part élevée des
recettes publiques demeure liée, malgré les réformes en cours, aux droits de douane. Les dépendances
sont fortes en capitaux, technologies étrangères et compétences expatriées. Seule l’Afrique du Sud est
une puissance régionale ayant un système productif relativement développé.
Par ailleurs, les producteurs africains sont price takers (preneurs de prix) et non price makers (faiseurs
de prix). Dans les modèles de l’échange inégal (Treillet, S., 2011 : 56-57 ; 57-58. Cf. Annexes 12, 14),
la baisse des termes de l’échange et le partage inégal de la valeur s’expliquaient par des partages
asymétriques de progrès de productivité entre des pays à salaires différents.
L’explication actuelle renvoie à la fois au pouvoir d’achat du consommateur du « Centre » payant des
marques et au pouvoir des oligopoles (Hugon, 2012 : 137-138). Dans un monde où la valeur ajoutée
passe par le signe et l’immatériel, l’échange inégal entre le Nord et le Sud210 passe par la spécialisation
de ce dernier dans des activités de transformation matérielle par du travail à bas salaire, alors que la
chaîne de valeur ajoutée dans le Nord concerne essentiellement l’immatériel.
Bien plus, l’Afrique demeure globalement confrontée à plusieurs problèmes existant lors de
l’indépendance (subordination quasi exclusive à l’égard des exportations des produits de base, tissu
industriel embryonnaire, faibles taux d’épargne et d’investissement, rentabilité limitée du capital
productif eu égard au risque, couverture limitée des besoins de santé et d’éducation…) tout en devant
gérer le passif de la dette et répondre aux défis internes, notamment démographiques et climatiques
(Treillet, S., 2011 : 20).
La théorie du structuralisme et du paradigme Centre-Périphérie (Treillet, S., 2011 : 53-54. Cf. Annexe
13). Après avoir bénéficié des surprix coloniaux à l’exportation et des préférences commerciales,
l’Afrique affronte les vents de la compétitivité en participant très faiblement à la chaîne de valeur
internationale.
210
Tout part de la théorie du structuralisme et du paradigme Centre-Périphérie, telle que le démontre Stéphanie Treillet. Le
terme Périphérie a été forgé par les économistes structuralistes de la Commission économique pour l’Amérique latine des
Nations unies (CEPAL) dans les années 1950. La Périphérie renvoie à un Centre et souligne le fait qu’on a affaire à deux
pôles de l’économie mondiale, dont les structures sont différentes et dont l’une est dominée par l’autre sur le marché mondial
(Treillet, S., 2011 :20).
343
Les pays africains ont géré la transition d’économies administrées et protégées postcoloniales vers des
économies libéralisées et ouvertes, subissant l’érosion des préférences et affrontant les vents de la
mondialisation. Sauf rares exceptions, les économies africaines sont restées, en dépit de leurs réformes
internes, dominées par des logiques de rentes. Elles ont, en revanche, fortement diversifié leurs relations
vers les pays émergents bénéficiaires de la mondialisation. Elles ont bénéficié des révolutions
technologiques et des coûts décroissants dans l’information et la communication.
Aussi, les instabilités de la croissance africaine sont largement liées aux instabilités des termes de
l’échange, des flux d’aide et de capitaux privés, aux modes de gestion de la dette extérieure et à la
demande mondiale de produits primaires. Ainsi l’on avait noté une reprise de la croissance. Celle-ci,
supérieure à 5% par an entre 2000 et 2010, avait retrouvé les taux des années antérieures au premier
choc pétrolier (Ibid. : 137-139).
Philippe Hugon relève que l’Afrique est de moins en moins en marge des flux commerciaux et
financiers. Elle a vu, entre 1990 et 2000, sa part des échanges extérieurs passer de 51 à 65% de son PIB,
avait vu également sa part de production mondiale chuter d’un quart. Au-delà de ses diversités et de ses
mutations, l’Afrique est longtemps demeurée une économie de rente211, disposant de revenus sans liens
avec l’effort productif où le processus d’accumulation n’a pu être réellement enclenché.
Les logiques redistributives l’emportaient sur les logiques productives et l’accumulation des liens
sociaux avait la priorité sur celle des biens. Des dynamiques internes conduisent toutefois à des
insertions différenciées à l’économie mondiale (Hugon, P., 2012:123). La logique d’économie de rente
et la faiblesse des gains de productivité conduisent à une perte durable de la compétitivité extérieure.
Celle-ci rend compte de la capacité à accroître ou à maintenir pour des firmes ou des produits des
positions sur des marchés domestiques ou d’exportation.
Le poids de l’Afrique dans le commerce mondial a baissé de plus de moitié entre 1970 et 2007. Les
exportations des pays d’ASS, de 3,1% des exportations mondiales en 1970, ne représentaient plus que
1% en 2007 (dont plus de 40% pour le seul pétrole). L’Afrique se trouve à l’écart des grandes routes
maritimes et aériennes et les progrès de transport, en termes d’autonomie des vols aériens ou de
containérisation des marchandises, ont plutôt marginalisé commercialement l’Afrique. Le commerce
mondial, réalisé pour environ 2/3 par les firmes multinationales, porte de plus en plus sur des produits à
haute valeur ajoutée et sur des services aujourd’hui inclus dans les accords de l’OMC.
211
Economie de rente : économie pouvant se reproduire sans accumulation grâce à l’exploitation de ressources naturelles ou
de transferts financiers.
344
Les avantages comparatifs dynamiques sont liés à l’innovation technologique, à la mobilité du capital et
à la diffusion de nouveaux produits. Le commerce extérieur avec l’UE représentait 51% en 1990 contre
28% en 2010, mais on constate une baisse relative au profit des Etats-Unis et des pays émergents,
notamment la Chine, de l’Asie (28%), du Moyen Orient (6%), de l’Amérique latine (5%). La
détérioration des termes de l’échange a fait l’objet des controverses que Stéphanie Treillet analyse dans
ses travaux (Treillet, S., 2011 : 54-55. Cf. Annexe 15).
Quant à la globalisation financière, elle se caractérise par l’interconnexion des marchés financiers, par
un essor de nouveaux produits financiers et par des crises financières. Le capitalisme financier mondial,
dominé par le poids des actionnaires, tend à l’emporter sur le capitalisme managérial. La dérégulation a
accru l’ampleur des crises et des volatilités des prix financiers qui ne peuvent constituer des signaux
pertinents de risques et de rentabilités pour les investissements. L’essentiel des capitaux disponibles
pour financer le développement est devenu privé. Or l’Afrique a un accès limité aux marchés
internationaux de capitaux et les marchés financiers sont quasiment inexistants (excepté la place de
Johannesburg), malgré les places boursières du Ghana et du Nigeria et les bourses régionales des valeurs
immobilières à Abidjan, Douala ou Libreville.
L’Afrique est peu attractive de capitaux privés. Hormis certains secteurs, tels le pétrole, les mines,
l’agroalimentaire et les secteurs privatisés, on note un attentisme des investisseurs étrangers privés, des
maintiens de position sur des marchés en marasme et un désengagement des firmes multinationales. Les
investissements directs étrangers (10 millions de dollars) ont représenté, entre 1980 et 2005, 2% du total
mondial contre 30% pour l’Asie. Plusieurs facteurs l’expliquent, malgré les mesures d’attractivité, tels
les codes d’investissement et la privatisation ; notons l’instabilité politique, notamment en RDC,
l’étroitesse des marchés et l’importance des risques (Hugon, 2009 :50).
L’aide publique au développement, malgré une inflexion récente, a tendu à baisser après la chute du mur
de Berlin. Elle s’élève en 2008 à 40 milliards de dollars (Hugon, 2012: 140-141). Emmanuel Jarry et
Yves Clarisse (édit.) ont, à la suite des données fournies par l'Organisation de coopération et de
développement économique (OCDE), publié un article dans Reuters du 03 avril 2013. Ils relèvent que
l'aide budgétaire des pays riches aux pays pauvres a reculé de 4% en valeur réelle en 2012, après avoir
baissé de 2% en 2011. La poursuite de la crise économique et financière et les turbulences de la zone
euro ont conduit nombre d'États à donner un tour de vis budgétaire, ce qui a eu un impact direct sur
l'aide versée aux pays pauvres. Compte tenu du tarissement des flux privés, un relais s’opère par l’aide
publique au développement, APD (Adda, Smouts, 1990 ; Gabas, 1990 ; Magnard, Tenzer, 1988).
345
En 2012, l'APD versée par les membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE a atteint
125,6 milliards de dollars, soit 0,29% de leur revenu national brut (RNB) cumulé. L'APD a reculé de 4%
en valeur réelle par rapport à 2011. Depuis 2010, elle a baissé de 6% en valeur réelle (Hugon, 2012 :
141-142). Celle-ci permet de lever la contrainte financière extérieure (Hugon, 2009 :50).
L’Afrique s’est également insérée de manière croissante dans les transactions financières illicites et les
paradis fiscaux où l’argent de l’économie criminelle, des évasions fiscales des multinationales et de
transactions occultes se place ou transite. Les sorties des capitaux illicites sont également très élevées.
Philippe Hugon montre que l’Afrique est devenue un lieu de recyclage des capitaux permettant le
blanchiment de l’argent, le financement des partis politiques étrangers ou les surfacturations, source de
rentes privées et publiques (Hugon, P., 2009 : 48-49).
Un autre fardeau non moins onéreux qui a plongé l’Afrique, c’est l’endettement permanent dont parlent
Raffinot et Moisseron (2000) qui montrent que l’Afrique subsaharienne avait été, au cours des années
1980, prise dans cet engrenage de l’endettement permanent. Le ratio de la dette sur le PIB était supérieur
à 60% et le service de la dette dépassait 13% en 2006. Dans un contexte de faible valorisation de
matières premières et de taux d’intérêts très élevés, la plupart des pays emprunteurs étaient devenus des
débiteurs insolvables. Les rééchelonnements et les accès aux crédits pour honorer les intérêts ont
conduit à une accumulation d’arriérés, et ils sont placés dans la bosse de la dette extérieure évaluée à
210 milliards de dollars (Afrique du Sud exclue), qui a triplé entre 1980 et 1998, passée de 97% à 177%
des exportations de biens et services et de 27% à 61% du PNB. Le service de la dette, après
rééchelonnement, passait (en % des exportations de biens et services) de 11% à 15,1%, dont environ la
moitié sous forme d’intérêts.
Les pays les plus touchés par cet accroissement ont été les pays à revenu intermédiaire subissant la
baisse des cours en matières premières (Côte d’Ivoire, Cameroun, Congo, Gabon), ainsi que les pays
pauvres lourdement endettés (Sénégal, Madagascar et RDC). La question est celle du surendettement et
de sa non-soutenabilité (Ibid.). La dette, essentiellement publique212, rétroagit sur la dette publique
interne. Elle est, comme le reconnaît l’auteur, une épée de Damoclès.
212
La dette publique est l’ensemble des emprunts effectués par l’Etat. Si elle est à long terme, on parle de dette consolidée, à
court terme de dette flottante. La dette extérieure est constituée de l’ensemble des engagements pris par les agents
économiques d’un pays envers d’autres agents économiques extérieurs (Echaudemaison, C.-D., dir., 2009 :142).
346
L’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) a élargi l’éventail des dettes en incluant la dette
multilatérale. Si elle favorise le désendettement avec conditionnalité concernant la réduction de la
pauvreté, celle-ci n’a pourtant pas diminué, au contraire, dans des pays qui en ont bénéficié (le
Cameroun et tout récemment la RDC), puisque le panier de la ménagère y est resté très maigre. Entre
1970 et 2002, l’Afrique a emprunté près de 300 milliards de dollars, en a remboursé près de 270
milliards et doit encore 210 milliards. Hugon démontre que, pour 2 dollars d’aide, il en ressort 1 sous
forme de service de la dette. La dette est passée en moyenne de 110% du PIB (2000) à 23,8% (2008),
alors que le service de la dette passait de 20,8% des exportations à 7,2% (BAD, OCDE, 2008 cité par
Hugon, P., 2009 :49).
Sans avoir la prétention de faire une analyse économique à travers le jonglage des chiffres et des
statistiques, je voulais montrer que le contexte économique mondial n’a pas été favorable à l’Afrique,
restée en marge des évolutions du commerce mondial cependant qu’elle reste ployée sous le poids de la
dette. Les Églises de ce continent, composantes institutionnelles majeures dans chacun de ses États, en
l’occurrence au Congo, subissent le contrecoup de cette situation difficile. Outre le contexte économique
mondial défavorable au continent africain, une autre cause exogène de la précarité financière de ses
Eglises est, me semble-t-il, à chercher dans l’usure de la foi en Occident à travers l’Histoire et les
nouvelles visions socioreligieuses qui se sont créées au cours de son évolution.
Rien n’étonne, car, ainsi que le reconnaît l’auteur, dès ses débuts, au tournant des XIXe et XXe siècles,
la sociologie s'est interrogée sur le devenir du religieux dans les sociétés modernes occidentales. C'est
bien parce que les sociétés européennes changeaient profondément, suite aux révolutions politiques,
économiques (industrialisation), scientifiques, sociales et culturelles (mouvement des Lumières) qu'une
étude systématique du fonctionnement des sociétés et de leur évolution s'est imposée.
347
Dans cette volonté de cerner les contours de la nouvelle façon de vivre en société qu'impliquaient tous
ces changements, l'interrogation sur le devenir du religieux fut centrale. Loin d'être un aspect marginal
des penseurs classiques de la sociologie, la sociologie des religions fut au contraire une dimension
essentielle de leur œuvre : on le vérifie tout particulièrement chez Émile Durkheim et chez Max Weber.
Eu égard au rôle central joué par des représentations et des pratiques religieuses dans la vie antérieure
des sociétés, l'émergence des sociétés modernes signifiait-elle un réaménagement profond de la place et
du rôle du religieux, voire sa perte inéluctable d'influence ?, s’interrogent-ils. C'est tout le problème des
rapports entre religion et modernité qui se trouvait dès lors posé, la modernité apparaissant souvent
comme l'opposé de la religion, comme si plus de modernité signifiait obligatoirement moins de
religieux.
Même si les pères de la sociologie furent souvent des moralistes réfléchissant à la reconstruction de
l'ordre social bouleversé par les révolutions industrielle et politique, ils reprirent quelque chose de la
philosophie des Lumières et de la critique rationaliste en tentant de fournir une approche scientifique de
la religion. Et c'est cette constitution de la religion comme objet de science qui fut souvent marquée par
des approches réductionnistes tendant à considérer le religieux seulement comme une variable
dépendante pouvant être expliquée par diverses autres variables, comme si les religions n'avaient pas de
consistance symbolique propre. La critique rationaliste de la religion cherche à expliquer les
représentations et pratiques religieuses par divers facteurs, qu'ils soient anthropologiques (Feuerbach),
économiques (Marx), psychiques (Freud) ou sociaux (Durkheim).
Ces approches mêlèrent souvent à l'étude scientifique des religions une critique idéologique fondée sur
un projet de réforme social, voire une véritable conception alternative de l'homme et du monde.
L'influence d'une certaine analyse marxiste renforça cette tendance qui amena certains sociologues à
considérer la religion comme un épiphénomène, une superstructure n'ayant qu'une importance sociale
tout à fait secondaire. Ce réductionnisme et cette marginalisation progressive de la sociologie des
religions parmi les sciences sociales ont été encouragés par des philosophies linéaires de l'histoire qui,
d'une façon ou d'une autre, pensaient que l'avènement de la société moderne signifiait la disparition
progressive de la religion, sa liquidation à terme.
Dans les sociétés occidentales, ce point de vue fut renforcé par la perte d'emprise effective des
institutions religieuses sur la société et les personnes : la baisse de la pratique cultuelle et la crise des
vocations sacerdotales dans le monde chrétien occidental contribuaient à cautionner empiriquement
cette interprétation globale de l'évolution religieuse (Willaime, 2011 : 3-4).
348
Bref, au fil du temps, une nouvelle vision de la réalité religieuse supplante progressivement le
dogmatisme moyenâgeux et influe sur les mentalités et les réflexes de nos contemporains. Il y a de
moins en moins de chrétiens dans le monde et sur tous les continents. Les conséquences de cette
nouvelle vision du religieux se font sentir dans toutes les dimensions de la vie de l’Église, notamment la
pratique de la foi et les actes de charité qui ne sont plus dictés par un devoir moral ou une obligation
canonique, mais par un certain humanisme librement décidé. De sorte que l’Église, où qu’elle se trouve,
ne peut plus d’autorité décréter l’agir de ses ouailles pour la réalisation de tel ou tel autre objectif social,
fût-il noble, sans en référer à leur volonté souveraine.
Certes, la pratique socioreligieuse aujourd’hui est le fruit de la nouvelle vision de l’Homme et du Monde
qui s’est forgée avec le temps autour de deux facteurs déterminants : l’humanisme et les progrès
scientifiques, tels qu’analysés par Parailloux Marianne et Ferrer Damien dans leur écrit sur l’humanisme
et ses conséquences artistiques et religieuses aux XVe et XVIe siècles en Europe213.
La critique de la religion214, qui peut émaner tant de la religion elle-même que de milieux sécularisés,
remonte à l'Antiquité. De nombreuses voix se sont élevées contre la religion ; on le retrouve notamment
dans l'épicurisme (Bloch, 1997 : 37). Beaucoup de religions prétendent détenir la vérité ; or les vérités
religieuses diffèrent d'une religion à l'autre. Ces antagonismes ont donné lieu à des guerres violentes
telles que les Guerres de religion (France)215. Signalons aussi les conflits iconoclastes qui ont rythmé les
différents courants religieux monothéistes. À la fin du Moyen-âge certains critiques sont sortis du cadre
théologique.
213
www.palissy47.info.L’humanisme et ses conséquences artistiques et religieuses aux XVe et XVIe siècles en Europe
[consulté le 18 février 2013].
214
Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Critique_de_la_religion [consulté le 19 février 2013].
215
Il est important de noter que tous les conflits n'ont pas pour cause une différence de croyance religieuse. Au contraire, le
partage d'une même foi n'empêche pas les pires horreurs. Par exemple lors du génocide au Rwanda, Hutu et Tutsi sont
d'obédience catholique.
349
Au XVIIe siècle puis au XVIIIe siècle, l'idée de l'athéisme et des critiques frontales du clergé
commencèrent à se développer, notamment sous l'influence des Lumières. Elle se poursuit au XIXe
siècle par le développement des sciences qui remettent en cause le bien-fondé de la métaphysique et la
recherche d'une cause première. En parallèle des critiques littéraires, philosophiques ou scientifiques,
des mouvements politiques se sont opposés au poids des églises et du clergé pour la société prenant
parfois des formes virulentes d'anticléricalisme.
Notons que la science ne critique pas directement les divinités, car elles lui sont inaccessibles; mais
remet en cause les explications religieuses de leurs manifestations aux hommes. Avec le renouveau de la
philosophie et des sciences, de nombreux auteurs en Europe critiquent ouvertement la religion et plus
particulièrement les religions chrétiennes. En France, Auguste Comte conteste les principes
métaphysiques qui guident la pensée religieuse et semblent entrer en contradiction avec les principes de
la pensée scientifique, qui, selon lui, devrait être seule à guider les hommes vers la vérité : c’est le
positivisme, courant philosophique et parti pris méthodologique qui assignent aux sciences humaines la
démarche scientifique adoptée dans les sciences de la nature.
Le positivisme est l’analyse des seuls faits perçus par l’observation externe, expérimentation et mesure,
élaboration de lois prédictives relatives aux phénomènes observés. Ce parti pris instaure une coupure
radicale entre le monde objectif (domaine des jugements de faits) et le monde subjectif (domaine de la
conscience, de l’intuition, des jugements de valeur). Ce dernier échappe à la science. La connaissance de
l’essence des choses est illusoire, la science doit se contenter des vérités tirées de l’expérience des
phénomènes.
Selon le fondateur du positivisme, Auguste Comte, les sociétés sont entrées dans « l’âge positif » où la
science, seule autorité légitime, est garante de l’ordre social (Echaudemaison, C.-D., 2009 :386). En
Allemagne, Ludwig Feuerbach dénonce lui aussi les illusions de la religion. En Angleterre, Charles
Darwin renie sa foi à l'aune de ses découvertes scientifiques. Pour Karl Marx, «la critique de la religion
est le fondement de toute critique». Une formule devenue célèbre résume sa position sur la religion :
«C'est l'opium du peuple216.» De façon encore plus radicale, Friedrich Nietzsche développe une critique
extrême de la religion, et plus précisément du christianisme, avec son annonce de la « mort de Dieu » ou
en traitant Jésus d'idiot (1895 :214).
350
Il faut remarquer que toutes les critiques de la religion ne sont pas aussi catégoriques. Léon Tolstoï est un
écrivain qui a pris la parole pour répandre sa foi en la parole du Christ, mais qui souhaite aussi libérer le
peuple des superstitions tout en préservant les rites établis qui servent de soutien au plus grand nombre.
Sigmund Freud introduit dans la critique de la religion une perspective scientifique, en développant une
approche psychanalytique du fait religieux. Il affirme que la religion serait la névrose obsessionnelle
universelle de l'humanité ; comme celle de l'enfant, elle dérive du complexe d'Œdipe, des rapports de l'enfant
au père (1973:44). Freud partage l'idée de nombreux penseurs et philosophes que la religion est une illusion.
Cependant, l'explication qu'il propose du rôle et de la fonction de la religion et autres croyances est différente
de la métaphore vindicative et négative de Marx. Il affirme le caractère artificiel de la religion, mais lui
attribue une fonction positive apaisante pour l'âme.
Parmi les causes exogènes de la diminution drastique des ressources financières captées de l’extérieur
par les Églises du Congo, il faut citer le non usage objectif des fonds reçus ou leur affectation à d’autres
fins que celles pour lesquelles ils ont été donnés. Sous des formes diverses, cette irrégularité s’entend en
termes de détournements pur et simple par les acteurs gestionnaires institutionnels et locaux de projets
financés (pour ce qui est des Églises), mais non réalisés ou réalisés partiellement, etc.
En effet, parmi les causes externes de l’amenuisement des ressources des Églises d’Afrique, je ne saurais
oublier les expériences négatives des bailleurs de fonds avec leurs partenaires africains à certains
endroits quant à la gestion des fonds reçus. Déçus et se sentant abusés, les pourvoyeurs des fonds ont fini
par décider de réduire sensiblement leur aide ou, dans le cas extrême, l’ont purement et simplement
suspendue contre l’une ou l’autre Église. Nadège Bahiaoui217 fait une analyse sur le paradoxe entre
religion et société contemporaine (Cf. Annexe 16).
Ces expériences malheureuses ne manquent pas de produire des effets chez les bailleurs qui, déçus, se
montrent à la longue réticents à financer des projets en provenance de certaines Églises ou institutions
ecclésiastiques. A ces difficultés d’une gestion rationnelle et transparente par les bénéficiaires de l’aide,
il faut ajouter ce que Philippe Hugon appelle les faibles capacités d’absorption et d’appropriation de
cette aide qui, délégitimée, caractérisée par une forte évaporation, offre un bilan mitigé du fait de
questions d’absorption et d’appropriation, à savoir les problèmes de cohérence et de coordination entre
bailleurs, les relations complexes et complexées entre donateurs et bénéficiaires en raison des asymétries
de savoirs, de pouvoirs et d’avoirs (2009 :50).
En effet, réfléchissant sur la gestion de l’aide publique au niveau des États (et l’on peut, toutes
Cf. http://www.imanemagazine.com/religion-et-societe-contemporaine-un-paradoxe/
217
proportions gardées, mener le même raisonnement concernant les [Consulté aides et le,
les08financements
sept. 2012] reçus par les
Églises d’Afrique de leurs partenaires occidentaux),351
Hugon montre que non seulement l’aide en Afrique
se heurte aux faibles capacités d’absorption, mais aussi qu’elle est souvent détournée de ses fins et a des
effets multiplicateurs limités (pour 100 flux d’entrée, il en ressort immédiatement 60).
B. Les causes endogènes de la précarité financière des Églises du Congo
Parmi les causes internes d’ordre socioéconomique de la précarité financière des Eglises locales du
Congo, nous pouvons citer sans être exhaustif : la jeunesse et l’inexpérience de la nation congolaise ;
l’absence d’un État de droit ; les très graves déficiences du pouvoir politique, incapable d’assurer une
monnaie stable permettant l’épargne, l’investissement ainsi qu’un système bancaire efficace ; le mauvais
état des infrastructures de base et l’insécurité des biens et des personnes ; les troubles sociopolitiques
des premières années de l’indépendance congolaise dont nous avons largement parlé dans le cinquième
chapitre ; la dictature, les pillages, la mauvaise gouvernance et la corruption à partir de 1972 ;
l’utilisation irrationnelle de plusieurs ressources matérielles nationales par les Congolais eux-mêmes.
A cela s’ajoutent les complicités internes dans l’exploitation des ressources matérielles par des
puissances extérieures et les multinationales qui, à cette fin, attisent des conflits ethniques responsables
de tant de morts et de destructions à travers tout le pays depuis deux décennies.
Or les conflits conduisent à une destruction ou à une dévalorisation du capital physique (infrastructure,
équipements), du capital humain et social reposant sur la confiance, les règles ou les réseaux de
relations. Selon certaines études, les comparaisons internationales montrent que les guerres (de 7 ans en
moyenne) font chuter le revenu par tête de 15%, amputent de 2 points le taux de croissance et
conduisent à une fuite de capitaux frappant en moyenne 20% des actifs contre 9% en période de paix
(Hugon, P., 2012 : 202).
218
Cf. J. Hassens, “D’où viennent nos ressources? Une préoccupation missionnaire », dans Euntes-Dossiers, n° 9, 1992,
p.20-32. Voir aussi J.J. Bonk, Missions and Money : Affluence as a Western Problem, coll. American Society of
Missiology, n° 15, Orbis Books, New York, 1991, XXI + 170 p.
219
D’après Philippe Hugon, l’insécurité physique et humaine est au cœur du sous-développement économique et de
l’impossibilité pour l’Etat d’exercer ses fonctions régaliennes. Le concept d’insécurité est beaucoup plus large que celui de
conflit armé. Il est pluridimensionnel : économique, alimentaire, social, politique (violation des droits de l’homme). La
sécurité est l’état d’un sujet (individuel et collectif) qui s’estime non menacé ou dispose de capacités de réponse face à des
dangers réels ou anticipés. Elle est un bien public mal assuré du fait de la faiblesse, voire de la disparition des forces de
police, de gendarmerie, d’armées et de justice garantissant le respect des droits civils et politiques. Or, selon Montesquieu,
la véritable liberté publique ne peut avoir lieu que lorsque la sécurité des personnes est assurée (Hugon, 2012 :95-96).
352
Les conflits ont ainsi des effets négatifs vis-à-vis de la croissance que l’on peut analyser au niveau
macroéconomique, microéconomique et sectoriel. Ces effets très largement transfrontaliers sont mal
saisis par les statistiques élaborées dans un cadre national. Sur un échantillon de 55 pays ayant connu la
guerre de 1960 à 1999, le revenu par tête était amputé de 15% à la sortie d’une guerre, le taux de
croissance de 2 points et l’évasion du capital du double (Banque mondiale, 2003).
2. Les difficultés internes d’ordre sociopolitique au Congo et les effets du génocide rwandais de 1994
Les travaux sur le « risque pays »220 introduisent comme déterminant des exportateurs et des
investisseurs, à côté du climat des affaires et des risques financiers, les risques politiques. L’insécurité et
les risques de guerre sont une explication importante du faible investissement étranger en Afrique. Après
trois décennies de désordre politique et de dictature, le climat d’instabilité sociopolitique (pillages,
tensions, blocage des institutions) qui a suivi le discours du 24 avril 1990 libéralisant le pluralisme
politique au Congo n’a fait que décourager davantage les investisseurs tant nationaux qu’étrangers.
Ils n’y ont pas trouvé leur sécurité ni juridique ni sociopolitique, chaque alternance politique pouvant
modifier le droit à sa guise, même rétroactivement. En fait, la sécurisation des investissements est un des
défis majeurs que l’État congolais doit relever, à la fois pour relancer la croissance économique et pour
diminuer le risque de guerre lié à la poursuite des enjeux économiques. Parmi les effets de l’insécurité et
des conflits armés, Philippe Hugon inventorie différents coûts des guerres, à savoir le coût économique,
le coût humain et le coût pour la communauté internationale (2012 :20-205). L’auteur reconnaît que,
dans le coût économique des guerres, il faut considérer les effets sur les niveaux de revenu, le coût
financier de la guerre et les guerres de pauvreté, le rôle des conflits dans la faible croissance africaine.
En effet, dit-il, les pays qui ont connu une guerre civile comme la RDC ont en moyenne un revenu 50%
plus bas que ceux qui n’en ont pas connu. Les effets des conflits sur les niveaux de revenu par tête des
pays africains sont, par contre, controversés. A l’issue du génocide rwandais de 1994, le revenu par tête
a baissé de 25% (2012 : 202). S’il en est ainsi pour ce pays qui a perdu dans ce drame 800 000
personnes, il est logique de déduire que, pour le Congo qui compte à ce jour 6 000 000 de victimes221, -
220
Risque pays : risque que représente un pays pour les exportateurs et les investisseurs (cf. Credit Risk International,
société de notation des risques pays). Cf. Hugon : 2012 :203.
221
Cfr. Emission radiodiffusée « Partout ailleurs » du jeudi, 20 novembre 2014 sur France Inter de Eric VALMIR :
« Comment 6 millions de morts peuvent ils être placés sous silence médiatique ? Sur les cendres du génocide rwandais, la
seconde guerre du Congo éclate en 1998 dans la région des grands lacs à l'Est du Congo. 9 pays Africains sont impliqués.
L’Angola, le Zimbabwe, la Namibie au sud, le Rwanda l’Ouganda, le Burundi, le Congo, le Tchad, le Soudan au nord.
Une trentaine de milices locales sévit sur le terrain. Cette guerre du Congo est marquée par les séquelles du génocide
353
un génocide oublié mais sept fois et demi plus important que celui du Rwanda -, le revenu par tête a
baissé dans ce pays de 187,5%, soit une baisse sept fois et demi plus que le revenu par tête au Rwanda.
Or paradoxalement, dans ce dernier pays, depuis le génocide de 1994, le revenu par tête ne fait que
s’améliorer du fait des aides massives que le pays reçoit continuellement des bailleurs internationaux
meurtris de remords pour cette tragédie qu’ils n’avaient pas voulu empêcher.
Au même moment, en RDC, ayant subi de plein fouet les effets négatifs du génocide rwandais, le revenu
par tête ne fait que diminuer de manière drastique, du fait des guerres permanentes auxquelles le pays
est soumis depuis deux décennies dont les mobiles sont tout autant économiques que géostratégiques.
Par ailleurs, la guerre a un coût élevé en termes de dépenses militaires et d’endettement extérieur pour
les pays utilisant les armes conventionnelles. A l’exception de l’Afrique du Sud, le continent africain est
un grand importatateur des armes (Hugon, P., 2012 :203). En plus, les conflits réduisent la croissance
économique et, inversement, de nombreux pays sortant de conflits connaissent une croissance rapide.
C’est ce que l’on observe en RDC qui a atteint une croissance de 8,4% en 2015, mais cette croissance
rapide ne s’est pas encore fait sentir dans le panier de la ménagère et c’est ce qui explique la grogne
sociale actuelle et le déchaînement des partis de l’opposition actuelle contre le gouvernement Matata
Ponyo Mapon. En effet, ces relations statistiques sont peu significatives en termes de sortie de frappes à
sous-développement. Un pays en conflit peut connaître une croissance si ses ressources stratégiques sont
protégées (le cas des enclaves pétrolières), alors que le sous-développement s’accroît en termes
d’éducation, de santé ou d’aménagement du territoire.
Quant au coût humain des guerres, il engendre les morts, les déplacés et réfugiés, les handicaps, les
maladies et les famines, ce qui entraîne le coût pour la communauté internationale à travers ses
organismes humanitaires et les forces de maintien de la paix (Hugon, P., 2012 : 202-205). En effet, le
coût humain est considérable au regard du nombre de morts. On estime que les conflits entre 1945 et
1995 ont fait plus de 7 millions de morts dans six pays totalisant 160 millions de personnes, dont la
RDC avec ses 6 millions de morts entre 1998-2001222, et le Rwanda avec près d’un million lors du
génocide de 1994.
rwandais, la faiblesse de l’Etat Congolais, la vitalité militaire du nouveau Rwanda, la surpopulation de la région des grands
lacs, la perméabilité des vieilles frontières coloniales, l’accentuation des tensions ethniques due à la pauvreté, la présence
de richesses naturelles, la militarisation de l’économie informelle, la demande mondiale de matières premières minérales, la
demande locale d’armes et l’impuissance des Nations Unies » (Disponible sur le site http://www.franceinter.fr/emission-
partout-ailleurs-6-millions-de-morts-au-congo-1 jusqu’au 15/08/2017 à 18h40) [Consulté le 12 octobre 2015].
222
Cf. Rapport des Experts de l’ONU : Lettre datée du 12 novembre 2012, adressée au Président du Conseil de sécurité par
le Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du
Congo.
354
Avec 13 millions de déplacés internes et 3,5 millions de réfugiés, l’Afrique dépasse de deux fois les
chiffres de l’Asie dont la population est cinq fois plus nombreuse (Commission pour l’Afrique)223. Ce
sont les pays limitrophes des guerres qui sont les plus touchés par les flux de réfugiés. Le drame de la
RDC depuis le génocide rwandais de 1994 en est une parfaite illustration. Or, comme le déplore Hugon,
seuls les camps de réfugiés sont pris en charge par la communauté internationale, alors que l’essentiel
concerne les frais d’accueil au sein des réseaux familiaux (2012 :203-204) et des organisations sociales
comme les Églises224.
Le coût humain est également très élevé en termes d’handicaps (cf. les mines anti personnelles de
l’Angola ou les mutilations créées par les groupes de Charles Taylor au Liberia et en Sierra Leone, les
groupes rebelles rwandais du M 23, FDLR, Maï-Maï en RDC), de développement des maladies
transmissibles, notamment le sida, suite aux viols et/ou à la présence des militaires 225 et du fait de la
malnutrition ou des famines. Si les États-nations européens se sont largement constitués grâce à la
guerre (l’État fait la guerre, la guerre fait l’État), comme le conçoivent certains auteurs 226, cette réalité
ne s’applique nullement dans le contexte africain, ainsi que le constate lucidement Philippe Hugon
(2012 : 204-205). On peut, au contraire, considérer que les guerres africaines sont des facteurs essentiels
de décomposition des États et de sous-développement économique ; non seulement en raison des
destructions des hommes et des biens qu’elles entraînent, mais aussi du fait de l’insécurité dans laquelle
se trouvent les agents économiques.
223
COMMISSION POUR L’AFRIQUE, Notre intérêt commun. Rapport de la commission pour l’Afrique, Londres, 2005.
224
Lors de l’arrivée massive des réfugiés rwandais au Congo en 1994, l’Archidiocèse de Bukavu fut pratiquement saigné car
il y eut une mobilisation générale de toutes ses structures (économat général, caritas diocésaine, paroisses, …) pour venir en
aide à plusieurs réfugiés.
225
Parmi les armes de guerre les plus redoutables utilisées depuis 1996 par le Rwanda et l’Ouganda au Congo, il faut citer les
viols collectifs et systématiques par leurs militaires déjà malades du VIH/Sida commis sur des femmes et des filles
congolaises devant leurs propres membres de famille. Généralement, après avoir commis leur forfait, les bourreaux obligent
aussi aux jeunes garçons de violer leurs propres mères et aux hommes de violer leurs propres filles et ce, devant tous les
autres membres de la famille. Ainsi, par ces actes ignobles, non seulement la maladie est inoculée à grande échelle et fait
ravage parmi les membres d’une même famille, mais aussi celle-ci est laissée dans une honte, une humiliation et un
traumatisme psychologique très profonds. Les bourreaux laissant cyniquement ainsi leurs victimes, quand elles ne sont pas
par la suite achevées de balles, dans une situation traumatique sans précédent. Cf. les récits des victimes de l’occupation de la
ville de Bukavu par les rebelles rwandais du CNDP du 26 mai au 12 juin 2004.
226
La guerre serait, selon certains auteurs tels Bayart, un moyen de former les Etats, de réaliser une accumulation primitive et
de constituer les bases d’une accumulation productive ultérieure. Pour d’autres, les convulsions et désordres seraient
constitutifs de la construction d’Etats-nations et du renforcement à terme de leur légitimité.
355
Elles conduisent à généraliser les migrations et les réfugiés. Elles participent de la prolifération des
pandémies telles que le sida ; elles conduisent à une insécurité des droits de propriété227 ou d’accès aux
biens premiers. Les pillages se multiplient. Les trappes à conflits et à sous-développement228
s’autoentretiennent. Les guerres sont aussi un signe de l’affairisme, du clientélisme et du néo-
patrimonialisme liant les politiques internes à l’Afrique avec des relations extérieures plus ou moins
mafieuses (Ibid. :205). Dans son discours sur l’état de la Nation, le 15 décembre 2012, le président
Joseph Kabila a reconnu le problème de la sécurité juridique pour les investissements. Il entendait faire
de l’amélioration du climat des affaires son combat durant son dernier mandat présidentiel pour relancer
l’économie, après avoir adhéré à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
(OHADA)229.
Dans la recherche des solutions à leurs difficultés financières, les évêques congolais envisagent la mise
en œuvre de l’obligation des fidèles chrétiens congolais de financer la mission de l’Église dans la
perspective de l’autonomie financière et du bien-être considéré comme préalable à l’autofinancement.
Pour eux, il faut apprendre aux fidèles à s’assumer économiquement, en apportant chacun sa
contribution à la bonne gestion des biens dont il a charge230. Mais avec quels moyens les chrétiens
congolais arriveraient-ils à prendre à charge leurs Églises ? Une telle option devrait tenir compte des
conditions favorables nécessaires et préalables, tant d’ordre religieux que politique et socio-économique.
Or, je viens de le montrer, et même dans le chapitre précédent, ces conditions sont loin d’être réunies au
Congo, et cela depuis l’époque coloniale.
227
Le même Rapport des Experts de l’ONU cité plus haut révèle que depuis 1996, chaque fois que les militaires rwandais
occupent une ville congolaise, en plus de viols, ils prennent en même temps possession des biens immobiliers (maisons,
voitures) de leurs victimes tuées ou fugitives.
228
Il n’est un secret pour personne que la guerre récurrente à l’Est de la RDC depuis 1996 est d’abord géostratégique et
économique, avec comme acteurs principaux, les multinationales anglo-saxonnes attirées par les immenses richesses
naturelles de cette partie du pays, avec leurs répondants aux idées hégémoniques dans la sous-région (les régimes rwandais et
ougandais), et non sur fond de prétexte identitaire comme les médias internationaux tentent de l’accréditer.
229
RDC, Discours du Président de la République sur l’état de la Nation, le 7 décembre 2009 : 12-13 ; et le 15 décembre
2012 : 6-7. L’adhésion de la RDC à cette organisation créée depuis le 17 octobre 1993 avec une vocation africaine, mais qui
n’a jusqu’ici que seize membres (en général des Etats pauvres). La RDC devient ainsi, officiellement, le dix-septième Etat
membre de l'OHADA »:www.ohada.org [19/12/2012].
230
Conférence Episcopale du Zaïre(CEZ), Prise en charge matérielle de l’Eglise, n° 75-76. 99.
356
La difficulté que l’épiscopat congolais éprouve aujourd’hui à faire fonctionner son organisation
religieuse est une conséquence de l’œuvre missionnaire et de ses méthodes en ce qui concerne la prise
en charge matérielle des communautés chrétiennes congolaises. L’action missionnaire a contribué à
développer chez les acteurs congolais une mentalité d’assistés favorisée, selon les évêques du Congo,
par deux facteurs : la trop grande dépendance de l’extérieur et l’extraversion des initiatives ecclésiales
en pays de mission (Gbagbu S., J., 2005 :79). A propos de la trop grande dépendance de l’aide venue de
l’extérieur, l’épiscopat congolais note que les missionnaires catholiques ont dû leur remarquable essor
grâce à la générosité de l’Église catholique de Belgique, d’où venaient la quasi-totalité de ces
missionnaires, et à l’appui soutenu du Saint-Siège.
Tout en négligeant de stimuler des initiatives locales, les missionnaires avaient privilégié des ressources
provenant régulièrement et abondamment de l’extérieur. Cette extraversion a lourdement porté préjudice
jusqu’à aujourd’hui à la vie de l’Église au Congo puisqu’elle a créé une mentalité d’assistanat et de
dépendance dans les populations chrétiennes qu’on a du mal à éradiquer plusieurs décennies après.
357
Les responsabilités doivent être partagées entre clercs et laïcs pour une gestion concertée et transparente
des biens de la communauté des fidèles. Dans cette perspective, des laïcs doivent être associés à la
gestion des biens de l’Église selon leur dévouement, leur compétence et leur technicité en vue de la
production. Tandis que les acteurs influents dans les milieux sociaux et chrétiens, en particulier les
prêtres, les religieux et les religieuses, doivent se montrer plus inventifs dans la recherche des solutions
économiques. Il faut en outre viser la sensibilisation des fidèles congolais aux contributions
responsables. Jean-Marc Ela évoque l’idée de faire des populations non plus des « bénéficiaires » mais
des « acteurs » capables d’identifier un problème de développement231.
En réalité, aucun diagnostic sérieux et solide n’a été fait jusque-là. On se contente d’envisager des
solutions aléatoires qui ne tiennent pas compte de la contingence dans laquelle vivent les acteurs
contributeurs principaux de l’Église que sont les fidèles. Vivant dans une précarité sans précédent,
comment pourraient-ils prendre en charge de manière significative leur Église locale ? Certes, ils ont la
bonne volonté d’aider leur Église puisqu’ils l’aiment et sont conscients de sa précarité matérielle, mais
leurs revenus sont tellement médiocres qu’ils ont du mal à couvrir leurs besoins primaires de ménage.
L’épiscopat congolais le reconnaît lui-même, la réalisation de ces objectifs exige cependant d’affronter
la pauvreté effective des fidèles congolais en vue d’un développement socio-économique de tous les
citoyens congolais. Ce développement est largement conditionné par l’avènement d’un État de droit et
de la paix. Les évêques circonscrivent le cadre dans lequel ils envisagent les solutions pour une mise en
œuvre du financement de la mission de l’Église par les fidèles chrétiens congolais. Selon des évêques
congolais, la participation de tout le peuple chrétien à la production et à la gestion des biens de l’Église
et la nécessité d’un État de droit sont une comme condition sine qua non requise au développement
socio-économique de tous (Gbagbu S., J., 2005 : 81).
231
Cf. J.-M. Ela, Guide pédagogique de formation à la recherche pour le développement en Afrique, Torino 2001, p. 44.
Dans cet ouvrage, Jean-Marc Ela donne les dix tables de la loi fondamentale de la recherche participative.
358
La plupart de ces projets sont à caractère social : ils servent aux aides d’urgence, à la réhabilitation des
principales œuvres cultuelles (églises), d’assistance sociale (écoles, cliniques et hôpitaux,
orphelinats…), consolidant ainsi l’option caritative par les bailleurs et non l’incitation à la production de
la valeur ajoutée. Le travail de l’Église demanderesse consiste, dans un cycle répétitif annuel, à stocker
des ressources reçues et à les redistribuer localement aux communautés bénéficiaires, sans idée de
s’assurer une auto-prise en charge.
Force est de constater que le résultat des efforts jusque-là déployés dans cet exercice répétitif sont nuls
ou, pour être optimiste, insatisfaisants. Les projets soi-disant de développement et d’autofinancement
envoyés par les acteurs congolais à leurs bailleurs occidentaux manquent les aspects de durabilité et de
rentabilité à la fois, éléments caractéristiques pour le développement et l’autofinancement. Il s’agit juste
de trouver une solution à un problème ponctuel : subsides pour la catéchèse, fonctionnement des
services, achats des médicaments, achats des véhicules, construction d’une école. Il me semble que le
problème réside donc dans l’approche épistémologique des concepts de développement,
autofinancement, investissement employés abusivement dans les milieux ecclésiastiques par rapport à
leur réalité sémantique.
En effet, qu’est-ce que les responsables des Églises du Congo et même leurs partenaires pourvoyeurs de
fonds entendent par développement, autofinancement, investissement ? Ce qu’ils disent de ces trois
concepts correspond-il vraiment à leur réalité objective ? Je pense qu’il y a plutôt un hiatus entre les
deux. Ce qu’ils appellent développement, autofinancement ne correspond nullement dans le concret au
développement, à l’investissement et à l’autofinancement.
Sans entrer dans les détails, je vais élucider ces trois concepts. Il faut d’emblée préciser qu’il n’y a pas
de définition universelle du développement. Celui-ci est appréhendé selon qu’on se situe dans la
perspective anglosaxonne ou celle francophone. D’après les analyses de Lahsen Abdelmalki et Patrick
Mundler (1995 :16), l’école anglo-saxonne met l’accent sur le problème des équilibres entre courte
période et longue période et sur les équilibres entre les principales grandeurs de l’économie nationale :
croissance, inflation, équilibre du commerce extérieur, chômage, équilibre budgétaire,…
En ce sens, l’approche de cette école est principalement quantitative, ce qui a souvent pour conséquence
de réduire l’étude du développement à l’étude du Produit National Brut (PNB), de son évolution et de sa
répartition. De la sorte, elle confond croissance et développement. L’aspect multiforme du
développement n’est pas nié, mais les auteurs de l’école anglo-saxonne considèrent que l’examen du
PIB par habitant (Simon Kuznets, 1972) reste encore le meilleur moyen d’appréhender l’ensemble des
dimensions du développement.
359
Un peu différente est l’analyse de l’école francophone qui, tout en reconnaissant le caractère
fondamental de la croissance économique, met davantage l’accent sur l’étude qualitative des
phénomènes qui concourent au développement. Philippe Hugon (1991 :171-229) note, d’une part,
d’importantes différences d’ordre méthodologique entre les deux écoles: l’individualisme
méthodologique pour les uns, l’holisme méthodologique pour les autres.
François Perroux (1991), théoricien d’une approche du développement centrée sur l’homme (le
développement par et pour l’homme), donne cette définition du développement : « Le développement est
la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître,
cumulativement et durablement son produit réel global » (Lahsen Abdelmalki & Patrick Mundler, 1995 :17).
Le développement ne peut donc se limiter à l’expansion qui est l’augmentation (réversible) sur une
courte période d’un indicateur de dimension, ni se limiter à la croissance qui est l’augmentation durable
sur plusieurs périodes d’un indicateur de dimension. Le développement ne peut se limiter non plus au
progrès, que l’on pourrait définir comme étant tout ce qui représente un « mieux » par rapport à la
période précédente, car le progrès non accompagné d’un qualificatif n’a pas grand sens.
Finalement, un développement n’est possible que s’il y a progrès économique (lorsque le volume de
richesse s’accroît), progrès social (lorsque le bien-être de tous augmente) et progrès technique (lorsque
la productivité s’améliore grâce à la mise en œuvre de nouvelles techniques), etc. Le développement
« renvoie simultanément à des transformations, considérées comme positives, à la fois en termes d’adaptation ou
de progrès […] et en termes de produits et de satisfaction des besoins […]. Le développement implique donc des
jugements, par référence à des valeurs » (Maher El Euch, 2010).
Concernant l’investissement, d’après C.-D, Echaudemaison (2009:270), celui-ci est une opération par
laquelle une entreprise acquiert des biens de productions ; c’est un flux qui vient renouveler ou accroître
le stock de capital. Au sens large, l’investissement est l’engagement du capital dans le processus de
production. Les déterminants de la décision d’investir dépendent de quatre facteurs: d’abord, la
demande anticipée (les entreprises cherchent à ajuster leurs capacités de production à l’évolution des
débouchés) qui permet de mettre en évidence l’effet d’accélération. Ensuite, la rentabilité ou
profitabilité (l’entreprise décide d’investir si elle escompte un taux de profit supérieur au coût réel des
capitaux empruntés pour financer l’investissement).
360
Bref, l’investissement est une activité économique qui nécessite la réunion de trois éléments, à savoir :
la durée, le risque et la régularité du profit (Maher El Euch, 2010)232. Il est considéré comme une clé
de la croissance (La notion de croissance renvoie à des données d’ordre quantitatif qui ont trait à
l’augmentation des variables de production ou de revenus), car il rend plus efficace le travail humain.
Le rôle de l'investissement dans la croissance économique est généralement tenu pour acquis.
Ainsi, l'économiste Walt Rostow affirmait, en 1960, que la phase de décollage économique se
caractérise par le passage du taux d'investissement de 5% à 10%. Cet ordre de grandeur, tiré de
l'expérience des pays occidentaux lors de la première révolution industrielle, doit d'ailleurs être
augmenté, car les techniques employées sont aujourd'hui beaucoup plus gourmandes en capital
qu'au XIXe siècle (Arnaud Parienty, 2010) 233.
Quant à l’autofinancement, d’après Pierre Vernimmen (2013 : 20), il est le fait pour une entreprise de
financer son activité, et notamment ses investissements, à partir de ses capitaux propres existants, de sa
propre rentabilité (capacité d'autofinancement, réserves, plus value), de son épargne, d'une augmentation
du capital par l'achat par des actionnaires internes, et de ses amortissements comptables. La notion
d’autofinancement est définie dans un sens plus large, à savoir la capacité d’une entreprise à se financer
à travers ses capitaux propres, et de sa rentabilité. Cette interprétation inclut alors tout ou partie du
financement par capital. L’autofinancement constitue une des principales sources de financement d’une
société, conjointement au capital et aux crédits.
C’est le maintien au sein d’une entreprise des résultats positifs dégagés par son activité. Il y a donc
autofinancement si l’activité est rentable et si la décision est prise de ne pas distribuer le résultat
dégagé234. Or, les notions de développement, investissement et autofinancement telles qu’elles sont
abusivement utilisées dans les institutions religieuses du Congo et leurs pourvoyeurs de fonds
occidentaux, ne correspondent à aucun de ces déterminants que je viens d’évoquer. Comme la réalité est
biaisée, l’on ne s’étonne plus que les besoins de financement se présentent de manière répétitive puisque
l’approche utilisée dans la recherche de solution pour les résoudre est inappropriée du fait d’une
déficience épistémologique.
232
En savoir plus sur http://www.village-justice.com/articles/liens-entre-investissement,7208.html#gQVearHYvRYzerrT.99
233
Arnaud Parienty, Alternatives Economiques Poche n°046-novembre 2010 Cf. http://www.alternatives-
economiques.fr/quel-role-joue-l-investissement_fr_art_964_51562.html
Chapitre 1 234 http://www.1819.be/fr/content/qu%E2%80%99entend-ton-par-autofinancement. Cf. Entreprendre à Bruxelles -
Ondernemen in Brussel : Qu’entend-on par autofinancement ? [Mise en ligne le 24/07/2015]
361
Quels sont les besoins en termes de contraintes auxquels les Eglises du Congo doivent constamment
faire face ? C’est l’objet de la troisième section de ce chapitre.
Distinct de la demande économique (celle-ci équivaut à une demande solvable qui s’exprime sur le
marché et qui dépend par conséquent de la répartition des revenus), le besoin exprimé par l’individu ou
le groupe (besoin social) est beaucoup plus large. Il peut porter sur des biens et des services offerts sur le
marché mais inaccessibles, économiquement parlant, à ceux qui le ressentent. Il peut traduire des
exigences pour lesquelles l’offre est défaillante (équipements scolaires, transports urbains, emplois) ou
que le système est incapable de satisfaire (plein-emploi, intégration sociale). Ce faisant, on dépasse la
sphère proprement économique. Les besoins font l’objet de plusieurs classifications. On oppose souvent
les besoins primaires et les besoins secondaires. Les premiers correspondraient à ceux dont la
satisfaction est considérée comme nécessaire à la survie (protection contre le froid, en Occident).
362
Les seconds, moins impérieux, varient selon les sociétés et les finalités qu’elles se donnent. Cette
distinction est relative et prête à discussion : la frontière entre les uns et les autres n’est pas évidente ;
savoir lire et écrire est un privilège dans certaines sociétés, une nécessité impérieuse dans la nôtre. La
satisfaction des besoins élémentaires peut emprunter des modalités très diverses selon l’environnement.
Ainsi, l’univers des besoins est-il essentiellement social et culturel. Les besoins sont relatifs à une
société donnée, à son niveau de développement, à son système social. Dans toute société hiérarchisée,
ils diffèrent non seulement selon les groupes sociaux, mais sont largement réfléchis par la compétition
sociale et ses enjeux. Il est nécessaire par contre de distinguer besoins sociaux et besoins collectifs
(Ibid.). Les besoins sociaux correspondent à des exigences ressenties ou revendiquées collectivement
par un groupe social (par exemple, dans l’Eglise de Bukavu, une école pour l’éducation des enfants, un
hôpital pour les habitants d’une paroisse, une église à construire ou à réparer.
La vie matérielle du clergé à améliorer, leur sécurité sociale, etc.), tandis que les besoins collectifs
correspondent à des aspirations qui ne peuvent être satisfaites que par des réalisations collectives
(entretien de la route, lutte contre l’érosion, construction d’une « Cishagala = maison de prière » par les
chrétiens d’un village, etc.). Cela dit, voyons concrètement quels sont les besoins qui se posent en
termes de contraintes à résoudre aux Églises du Congo en tant qu’institutions hiérarchisées pour un
rendement meilleur de travail pastoral.
363
Mais Bakot ne se fait pas d’illusions. Il reconnaît qu’à ces jours, les possibilités financières du diocèse
ne peuvent pas couvrir les différentes dépenses qui s’imposent à lui. Il y a donc nécessité, ajoute-t-il, de
trouver des fonds pour équilibrer son budget235 et couvrir ces charges incompressibles.
Pour ce qui est de l’archidiocèse de Bukavu, le budget de fonctionnement atteint à peine les 500 000
dollars américains236, ce qui ne représente pas grand-chose par rapport aux besoins à couvrir. Cette
modicité du budget s’explique, d’une part, par l’amenuisement des ressources extérieures alors que
celles-ci représentent les 2/3 et, d’autre part, par le manque de mobilisation des ressources internes,
comme nous aurons l’occasion d’y réfléchir dans neuvième chapitre. Parmi les rubriques importantes
qui constituent les besoins de fonctionnement, il y a la subsistance du clergé diocésain.
Par subsistance, il ne s’agit pas d’une simple question de survie, mais d’une « honnête » subsistance,
comme le précise la législation ecclésiastique dans son can. 1254 §2. Le législateur y affirme que l’une
des fins propres des biens temporels de l’Église est de « procurer l’honnête subsistance du clergé et des
autres ministres ». Pareillement, au can. 384, il est disposé que l’évêque diocésain veillera à ce qu’il soit
pourvu aux prêtres leur honnête subsistance. L’expression « honnête subsistance » ne revêt pas tout
simplement une portée morale. La subsistance du clergé, comme le commente si bien le canoniste M.
Lopez Alarcόn, « implique aussi bien l’approvisionnement en nourriture au sens large que l’obtention des moyens
indispensables pour sa formation spirituelle, culturelle et scientifique, en tenant compte des circonstances de chaque
cas. » (Mariano, L., A., 1983: 895)
235
Cf. Document « Besoins de financement de l’archidiocèse de Yaoundé » du 13 juillet 2004, p. 3-4.
236
Durant plus de six ans, de 1999 à 2005, nous ont été membre du Conseil diocésain pour les affaires économiques,
l’instance qui devrait jouer le rôle de Conseil d’Administration dans un diocèse. Nous étions chargés d’élaborer le budget de
fonctionnement, dont le montant oscillait entre 230 000 et 250 000 de recettes pour 300 000 à 350 000 dollars de dépenses.
Ainsi, chaque année, le diocèse de Bukavu était toujours déficitaire.
364
On pourrait prolonger ce commentaire par cette recommandation faite aux évêques par le Concile
Vatican II, à savoir: « Les évêques doivent se soucier de l’état spirituel, intellectuel et matériel de leurs prêtres pour
qu’ils aient les moyens de mener une vie sainte et pieuse, et d’accomplir fidèlement et avec fruit leur ministère »
(Christus Dominus, n°16).
L’on voit que le Concile avait pleinement conscience qu’une situation de précarité matérielle pouvait
influer négativement sur la vie spirituelle et le rendement pastoral du prêtre, car, comme disent les
moralistes, il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu. Le canon 281 auquel renvoie §1 du
can. 1274 éclaire davantage la notion de subsistance des clercs. Ce canon précise : « Puisqu’ils se
consacrent au ministère ecclésiastique, les clercs méritent une rémunération qui convienne à leur condition, qui tienne
compte autant de la nature de leur fonction que des circonstances de lieux et de temps, et qui soit telle qu’ils puissent
subvenir à leurs propres besoins et assurer une rétribution équitable à ceux dont les services leur sont nécessaires »
(can. 281 §1).
Dans la subsistance du clergé, un accent particulier mérite d’être mis sur la question de la rémunération
de cette entité sociologique.
365
Autant dire que dans l’archidiocèse de Bukavu, le clergé n’a pas de rémunération en tant que telle. Ceux
qui sont en paroisse s’organisent comme ils le peuvent pour compléter ces honoraires de messe grâce
aux contributions financières venant de la quête dominicale de leurs fidèles, en plus des offrandes en
nature qui, généralement sont consistances : produits de champs (arachides, maïs, haricots, choux,
tomates, patates douces, bananes plantains, oignons), produits d’élevage (poulets, lapins, chèvres). Cela
signifie concrètement que la consistance de la ressource financière des prêtres à Bukavu dépend de leur
milieu sociologique de travail : la possibilité qu’ont les fidèles à subvenir aux besoins de leurs pasteurs.
C’est ainsi que ceux qui sont affectés dans les paroisses urbaines comme la cathédrale d’Ibanda, la
paroisse de Kadutu, celle de Nguba, Cahi, Cimpunda, (et dans une moindre mesure Bagira, Burhiba), où
les fidèles ont des revenus suffisants générés beaucoup plus par leurs activités commerciales, et d’autres
prêtres qui occupent des grandes paroisses rurales, mais riches soit en ressources agricoles comme
Kashofu, Mwanda, Murhesa, Kavumu, soit en ressources humaines comme Walungu, Kabare, Burhale,
ont un supplément financier significatif qui s’ajoute aux 50 $ mensuels d’intentions de messe donnés à
l’ensemble.
Ce supplément varie entre 100 et 200 $, selon la paroisse. On peut raisonnablement dire que l’enveloppe
financière moyenne mensuelle du prêtre dans l’archidiocèse de Bukavu se situe entre 150 et 250 $, soit
entre 115 et 192 Euros, du moins pour ceux qui sont en paroisse. Car, ceux qui sont placés dans des
services centraux du diocèse comme l’économat général, l’université catholique de Bukavu, la
commission diocésaine Justice et Paix, le Bureau diocésain de Développement (BDD), le Centre
diocésain pour la Pastorale, Catéchèse et Liturgie (CDPCL), ainsi que ceux qui travaillent dans des
services interdiocésains comme les grands séminaires, le Centre Interdiocésain pour la Pastorale,
Catéchèse et Liturgie (CIPCL) ou à la conférence des évêques de la province ecclésiastique du Kivu, ont
leurs rémunérations conséquentes gérées par eux-mêmes.
Bref, il y a une grande distorsion dans l’approche de la vie matérielle du clergé de Bukavu. Il n’y a pas
de politique commune et cohérente de rémunération, l’assiette financière de membre du clergé varie
selon son milieu sociologique de vie et de travail. Pendant que certains mènent une vie d’aisance
puisque disposant des ressources suffisantes issues de la générosité de ses fidèles ou de son salaire
professionnel, d’autres croupissent dans une grande misère, se contentant de leurs modiques sommes de
50 $ mensuels d’intentions de messe et d’un petit supplément venu des contributions des fidèles. Il
s’agit essentiellement de prêtres qui sont affectés dans des paroisses rurales pauvres où les fidèles n’ont
aucun revenu et où le travail agricole est rudimentaire.
366
Cette situation inégale engendre logiquement des comportements d’arrogance pour certains et de
frustrations pour d’autres, et conduisent généralement à des contestations dans les affectations à des
postes de nomination. Et pour arriver à obtenir « une bonne nomination », tous les coups sont permis, ce
qui crée un climat social délétère entre les membres du clergé et leur hiérarchie et/ou entre eux. J’y
reviendrai en long et en large dans le neuvième chapitre.
Du diocèse, chaque prêtre reçoit 20 000 F CFA par mois comme honoraire de messes et une allocation
de 60 000 (plus ou moins 92 euros) ou 40 000 F CFA (plus ou moins 61 euros) par trimestre, soit 20 000
(plus ou moins 31 euros) ou 13 500 F CFA (plus ou moins 21 euros) mensuels selon qu’on est en ville
ou en zone rurale. Suivant les offices ecclésiastiques, les prêtres vicaires de paroisses ont droit à 30 000
F CFA par mois, rémunération à la charge de la paroisse (De Angelis D., 2001 :104).
Selon les renseignements fournis par l’Administrateur diocésain de l’archidiocèse de Yaoundé dans sa
lettre en date du 7 février 2003, il est à retenir : les curés reçoivent de leur paroisse une rémunération qui
oscille entre 50 000 et 75 000 F CFA par mois. Les prêtres enseignants au Séminaire reçoivent une
rémunération de 50 000 F CFA par mois et les responsables des services diocésains ont droit par mois à
130 000 F CFA (Eone-Eone, O., in Recchi, S., 2003 :69), soit plus ou moins 200 euros, à peu près
identique au cas congolais. La différence réside dans le pouvoir d’achat au Cameroun qui est
notoirement meilleur qu’au Congo, puisque les acteurs chrétiens camerounais très généreux, ont dans
l’ensemble un revenu relativement stable et régulier, ce qui les rend capables de contribuer
substantiellement aux sollicitations personnelles ou privées de leur clergé et église locale.
367
Le problème financier des diocèses d’Afrique ne date pas d’aujourd’hui. Déjà au cours des années 70,
Mgr Jean Zoa, archevêque de Yaoundé, sera obligé de revenir sur le problème pour en signaler
l’urgence. Dans sa lettre du 8 septembre 1973, il écrivait : « Les difficultés matérielles dans lesquelles se débat le
diocèse sont : l’entretien du personnel apostolique, surtout indigène ; la formation permanente, le recyclage du clergé
indigène ; l’avenir et la vieillesse de ce clergé ; les activités et les structures pastorales, ainsi que le fonctionnement de nos
œuvres apostoliques ; le minimum de constructions indispensables» (Zoa, J., 1973. Cf. De Angelis D., 2001 :99).
Quarante ans après, tous ces problèmes qui préoccupaient le premier archevêque métropolitain
camerounais se posent aujourd’hui avec plus d’acuité.
Car, au moment où la situation financière ne s’est guère améliorée, les besoins n’ont fait que croître : le
clergé, qui était une vingtaine à l’époque, a déjà dépassé la centaine, et d’ici 2025, Yaoundé comptera
plus de deux cents membres. Il en est de même pour l’archidiocèse de Bukavu. Le nombre de prêtres
âgés est considérable comme nous le verrons par la suite, ce qui constitue une grande préoccupation
pour le diocèse quant à leur entretien. Les infrastructures dont l’évêque a hérité le premier des
missionnaires Spiritains sont en état de vétusté et exigent urgemment remplacement, réfections,
réparations…Sans oublier les besoins nouveaux du fait du contexte mondial, comme les moyens
modernes pour la pastorale de notre temps.
Dans un article publié en 2003, Oscar Eone Eone fait remarquer que, parmi les vingt- trois diocèses que
comptait alors l’Église catholique au Cameroun, il n’en existe aucun où l’on ne rencontre des membres
du clergé diocésain qui ne se lamentent point de leurs conditions de vie matérielle, surtout celles
relatives à leur subsistance et à leur sécurité sociale (Eone-Eone, O., in Recchi, S., 2003:59). On
constate que, ajoute-t-il, dans la plupart des diocèses au Cameroun, la question de la subsistance des
clercs est laissée à la gestion paroissiale, pour ne pas dire au pouvoir du curé qui détermine sa
rémunération et celle de son éventuel vicaire paroissial.
Dans certains diocèses, cette question est réglementée par l’évêque diocésain pour tous les clercs qui
travaillent aussi bien dans les paroisses que dans les œuvres et services diocésains (Ibid.). Dans le souci
de maîtriser les circuits financiers en vue d’une redistribution équitable entre les membres, certains
diocèses comme ceux de la province ecclésiastique de Bamenda ont mis sur pied un système de gestion,
dite de centralisation de toutes les ressources financières des paroisses et des œuvres pastorales au
niveau du diocèse sous l’administration de l’économe diocésain qui tient les comptes personnels de tous
les clercs.
368
Mais, comme l’auteur cité le constate, quel que soit cependant le système pratiqué pour pourvoir à la
subsistance des clercs, il existe presque partout un malaise ou une certaine grogne exprimée par bon
nombre de prêtres diocésains. Ces derniers trouvent très insuffisants les moyens de subsistance mis à
leur disposition. D’après certains, ces moyens sont si aléatoires qu’ils ne leur permettent pas de vivre
décemment et de s’acquitter convenablement de leur ministère sacerdotal. D’où l’engagement de
certains prêtres dans les activités à but lucratif et à la pratique du négoce ou du commerce, toutes choses
qui sont contraires aux dispositions juridiques ecclésiastiques : « Il est défendu aux clercs de faire le négoce ou
le commerce par eux-mêmes ou par autrui, à leur profit ou à celui de tiers, sauf permission de l’autorité ecclésiastique
légitime» (Code du droit canonique, canon 286).
Dans beaucoup de diocèses d’Afrique, l’unique ressource financière dont dispose le clergé diocésain, ce
sont les intentions de messe (devenues rares d’ailleurs ces derniers temps) qu’ils reçoivent de
l’extérieur ! Cela constitue un danger très réel pour ces Églises, car la vie matérielle des prêtres se
trouve être subordonnée à des intentions de messe qui sont une ressource financière très aléatoire et
d’ailleurs facultative, les ressources obligatoires pour un évêque envers son clergé étant le budget de
poste et les allocations, qui se doivent d’être une rémunération juste et stable.
Devenues son unique source de revenu, et incertaine d’ailleurs d’un trimestre à un autre selon la
disponibilité et la générosité des donateurs occidentaux qui, avons-nous déjà dit, deviennent de plus en
plus rares, c’est avec une somme modique que le prêtre africain doit s’équiper, se cultiver, pourvoir aux
requêtes de son service pastoral qui le sollicite, intervenir, qu’on le veuille ou non, dans la famille
acculée par la crise actuelle, se vêtir et se chausser…!
Les conséquences d’une telle vie financière très précaire sont incalculables, notamment sur sa vie
spirituelle personnelle elle-même influant sur son rendement pastoral. C’est ce que constate aussi Eone
Eone quand il dit: « Lorsqu’on essaie d’imaginer les besoins nécessaires pour bien mener sa vie spirituelle(l’achat des
livres spirituels, participation aux exercices spirituels telles que les récollections et les retraites annuelles, etc.), les besoins
pour la vie intellectuelle(achat des livres, des journaux et revues ; participation aux conférences intellectuelles, etc.), et les
besoins pour la vie matérielle(logement, nourriture, effets de toilette, frais de transport, etc.), on doit pouvoir saisir la
portée de l’expression honnête subsistance» (Eone Eone, O., 2003 :71).
Il serait intéressant de voir quelle perception ont de la situation matérielle dans les Eglises locales
respectives les acteurs en présence, c’est-à-dire les fidèles (donateurs) et les prêtres (bénéficiaires) de
Yaoundé et de Bukavu.
369
C. La perception de la situation matérielle de l’Eglise par les acteurs en présence
Il faut tout de suite préciser que seuls les prêtres diocésains faisaient l’objet de mon étude, la vie
matérielle des missionnaires religieux n’étant pas régie par le diocèse, mais plutôt par leurs
congrégations respectives. Cependant, j’ai interrogé de manière informelle l’un (e) ou l’autre
missionnaire pour avoir une idée sur la façon dont les problèmes financiers sont ressentis actuellement
dans les instituts de vie consacrée où les Africains sont à un nombre non moins important. De manière
globale, il y a en eux un sentiment d’insécurité grandissante puisqu’ils ne sont informés de la santé
financière actuelle de leur institution, pas plus qu’ils ne sont pas associés à sa gestion financière.
Aucune
Oui Non Total
réponse
50 0 0 50
Y a-t-il une rémunération
100% 0% 0% 100%
7 39 4 50
Est-elle suffisante ?
14% 78% 8% 100%
29 18 3 50
Pensez-vous que votre diocèse peut faire mieux ?
58% 36% 6% 100%
33 14 3 50
Estimez-vous que les chrétiens soient généreux ?
66% 28% 6% 100%
22 27 1 50
Considérez-vous qu’ils puissent faire mieux ?
44% 54% 2% 100%
Notre enquête : juillet-août 2006
Les 50 prêtres interrogés sur l’existence d’une rémunération sont, soit des curés de paroisse, soit des
vicaires. Tous confirment les informations recueillies auprès des autorités diocésaines selon lesquelles le
diocèse leur donne un pécule chaque mois ; la paroisse subvient aussi à leurs besoins ; les amis, les
connaissances. Les autorités diocésaines ajoutent que l’ingéniosité, le dynamisme de chacun là où il est
peut être aussi une source de revenu.
370
Mais cette rémunération est jugée insuffisante par plus de ¾, exactement 78% de prêtres, car ne
parvenant pas à couvrir leurs besoins les plus élémentaires. Même l’autorité reconnaît que ce qu’ils
reçoivent est loin de couvrir leurs besoins. 7 prêtres, soit 14%, affirment se contenter de ce qu’ils
reçoivent du diocèse et de leurs paroisses car ils estiment que « c’est déjà quelque chose »237. 4 prêtres
ont préféré ne pas donner leur avis. 29 prêtres interrogés, soit 58% de l’effectif, pensent que le diocèse
peut faire mieux, c’est-à-dire améliorer leur situation financière, par l’augmentation des ressources
financières.
Les modalités seront étudiées dans le neuvième chapitre. Tandis que 18, soit 36%, avouent que, dans les
conditions actuelles, « l’équation est difficile à résoudre »238, entre autres à cause du poids financier
actuel dont les nouveaux gestionnaires du diocèse ont hérité. 3 prêtres se sont abstenus de répondre à la
question. 33 prêtres interrogés, soit 66%, reconnaissent la générosité de leurs fidèles qui, malgré la
précarité de leur situation financière qui se sédimente depuis la démonétisation et la baisse des salaires,
donnent le meilleur d’eux-mêmes pour contribuer à la vie matérielle de leurs prêtres.
Donc, la situation matérielle de ceux-ci dépend pour une part importante de celle des fidèles. 14 par
contre, soit 28%, estiment que leurs fidèles ne donnent pas assez et que, d’ailleurs, ceux qui donnent ne
sont toujours pas les plus riches. 3, soit 6%, n’ont pas donné leur avis. 22 prêtres, soit 44%, considèrent
que leurs chrétiens sont capables de faire mieux, tandis que 27, soit 54%, disent que c’est difficile ; un
seul ne s’est pas prononcé.
237
Entretien du 22 août 2006 avec un curé dans une paroisse du pôle de Mvolyé.
238
Entretien du 12 août 2006 avec un curé dans une paroisse du pôle cathédrale.
371
Les enquêtes réalisées dans ces 8 paroisses, du fait de leur poids démographique et de leur position
socio-économique dans les finances du diocèse, devaient suffire pour avoir une certaine opinion sur la
question de la dépendance financière du diocèse de Bukavu et la question de son autofinancement.
Toutefois, j’ai pu réaliser quelques enquêtes complémentaires dans les paroisses de Murhesa, Kavumu,
Mwanda, Kashofu, Bumpeta.
Pour ce qui est du clergé enquêté, après avoir déterminé la taille de mon échantillon représentatif de la
population du clergé diocésain, qui est aujourd’hui à 176 membres, j’ai mené des enquêtes auprès d’un
échantillon de 75 prêtres, soit 43% de l’effectif, choisis au hasard et sans distinction entre curé et
vicaire, œuvrant aussi bien dans les paroisses urbaines que rurales. Je les ai interrogés sur des questions
liées à l’organisation juridique et économique de leur paroisse, sur leur situation matérielle, sur
l’autofinancement de leurs paroisse et diocèse, sur la générosité des chrétiens de Bukavu, sur la nature et
la gestion des projets de développement qu’ils envoient aux bailleurs occidentaux, les impacts de la
précarité matérielle sur leur ministère, leur opinion sur la politique d’extraversion financière par la
logique des projets et leur opinion sur les grands défis, les freins et obstacles auxquels leur diocèse est
confronté et comment il peut les résoudre, les perspectives à court, moyen et long terme que le diocèse
peut envisager pour s’inscrire dans le processus de son autofinancement.
Mais il faut tout de suite préciser que seuls les prêtres diocésains faisaient l’objet de notre étude, la vie
matérielle des missionnaires religieux n’étant pas régie par l’autorité diocésaine de Bukavu, mais plutôt
par leurs congrégations respectives. Cependant j’ai interrogé l’un (e) ou l’autre missionnaire pour avoir
une idée sur la façon dont les problèmes financiers sont ressentis actuellement dans les instituts de vie
consacrée où les Africains sont à un nombre non moins important. La taille de notre échantillon
représentatif est donc de 75 prêtres interrogés sur des questions liées à leur situation matérielle. Les
réponses se présentent comme suit :
372
Les mêmes questions ont été posées aux prêtres de Bukavu, les réponses données sont presque
identiques et quasi dans les mêmes proportions que ceux de Yaoundé. Sur les 75 interrogés sur
l’existence d’une rémunération dans leur diocèse, 44 prêtres soit 59%, ne reconnaissant pas avoir une
rémunération, tandis que 23 soit 31%, affirment en avoir, faisant certainement allusion aux 20 intentions
de messe reçues chaque mois équivalent à 50 dollars américains. Tous confirment les informations
recueillies auprès des autorités diocésaines selon lesquelles le diocèse ne leur a pas donné un budget de
poste ni des allocations depuis 2000 par manque de moyens.
Selon les initiatives communautaires et le dynamisme personnel, ils suppléent à la carence du diocèse et
pourvoient à leurs besoins en produisant d’autres sources de revenu, notamment par des produits de
champs, l’élevage de volailles et de caprins, d’autant plus que la plupart des paroisses de l’archidiocèse
de Bukavu ont depuis l’époque coloniale hérité de vastes étendues de terres fertiles favorables à
l’agriculture et des espaces pour l’élevage de petit bétail. Naturellement, les intentions de messe reçues
sont jugées insuffisantes par la quasi-totalité de ceux qui ont répondu, exactement 87% de prêtres, car
elles ne parviennent pas à couvrir leurs besoins les plus élémentaires.
Même l’autorité en est consciente et craint d’ailleurs que dans un avenir proche cette unique source de
revenu pour ses prêtres ne disparaisse au vu de la diminution drastique de cette ressource captée de
l’Occident au fil des ans. 7 prêtres, soit 14% affirment se contenter de ce qu’ils reçoivent du diocèse et
de leurs paroisses car ils estiment que « c’est déjà quelque chose, par rapport à plusieurs prêtres d’autres
pays qui ne reçoivent pratiquement pas grand-chose »239. 8 prêtres ont préféré ne pas donner répondre à
notre questionnaire. 58 prêtres interrogés, 78% de l’échantillon, pensent que le diocèse peut faire mieux,
c’est-à-dire améliorer leur situation financière par l’augmentation des ressources financières internes.
Les modalités seront étudiées dans le neuvième chapitre de cette thèse. Tandis que 9, soit 12%, jugent la
situation sociopolitique et économique du pays défavorable à leur diocèse pour relever le niveau de vie
de ses prêtres. 63 prêtres interrogés, soit 84%, reconnaissent la générosité de leurs fidèles malgré une
grande précarité de leur situation financière due à la baisse du revenu des classes moyennes depuis
quatre décennies, du fait d’une complexité de facteurs sociopolitiques et économiques que j’ai analysés
dans le sixième chapitre et dans les deux premières sections de celui-ci.
239
Entretien du 22 août 2006 avec un curé dans une paroisse du pôle de Mvolyé.
373
Les chrétiens devenus très pauvres du fait de la conjoncture nationale, elle-même affectée par la crise
mondiale, ont des difficultés à contribuer substantiellement à la vie matérielle de leurs prêtres. Or la
situation matérielle des prêtres dans leur diocèse dépend pour une part importante de celle des fidèles. 4
enquêtés par contre, soit 6%, estiment que leurs fidèles ne donnent pas assez et que, d’ailleurs, ceux qui
donnent ne sont toujours pas les plus riches. 8, soit 10%, n’ont pas donné leur avis.
3. Les impacts de la précarité matérielle sur le ministère des prêtres dans les deux diocèses
Une enquête aussi a été réalisée auprès des prêtres de l’archidiocèse de Yaoundé sur leur perception des
impacts de leur précarité matérielle :
Tableau 17: Les impacts de la précarité matérielle sur le ministère des prêtres
Nombre % Effectif
Il ressort de ce tableau que trois éléments se trouvent en très forte corrélation négative avec la précarité
financière du prêtre : celle-ci exerce un impact réel, une influence réelle sur son indépendance d’esprit et
ce, sur sa liberté. Cette situation le plonge dans une certaine frustration et constitue un foyer de tensions
entre confrères. En effet, 86% de prêtres interrogés sont conscients du danger qui menace leur ministère
et leur personnalité que leur précarité matérielle peut occasionner jusqu’à perdre leur indépendance
d’esprit et leur liberté d’expression.
Car, dans le dénuement on se laisse facilement prendre par des sollicitations peu orthodoxes de la part
des personnes qui ont des moyens et qui se font obtenir, en contrepartie des cadeaux matériels offerts
aux prêtres, des faveurs, comme l’admission aux sacrements alors même qu’elles ne remplissent pas les
critères exigés par l’Église et les orientations pastorales de l’Evêque. Il en est de même de la perte de
leur liberté d’expression et de leur indépendance d’esprit par rapport au pouvoir public : la fréquentation
à outrance, très mal supportée par les chrétiens240, des autorités politico-militaires pour obtenir quelques
240
Une enquête réalisée auprès de 60 chrétiens dans 20 paroisses des 4 pôles urbains de Yaoundé, montre que 77% de cet
échantillon sont contre les fréquentations à outrance jusqu’ à ‘l’inféodation’ des milieux politico-militaires et économiques
374
avantages matériels finit par les museler, « si bien que l’Evangile n’est plus actualisé, il n’y a plus de
force d’âme pour dénoncer les abus dont la société est victime »241 ! Cette situation de précarité
engendre aussi, d’après 84% de prêtres interrogés, des frustrations dans le ministère avec un sentiment
d’impuissance devant des demandes récurrentes242.
La plus forte corrélation se trouve dans les relations conflictuelles entre confrères qu’engendre la
situation de précarité matérielle : 88% de prêtres interrogés sont convaincus que les disparités entre les
niveaux de vie du même diocèse ne peuvent aucunement se justifier. « D’où vient que certains d’entre nous
possèdent des grands biens personnels (maisons, voitures, comptes bancaires bien provisionnés…) pendant que d’autres
croupissent dans la misère ? »243, s’est interrogé un vieux père.
Ces disparités créent « deux genres de conflits : d’une part, un complexe de supériorité et d’autres attitudes d’arrogance
et de mépris chez la catégorie de prêtres qui ont plus de moyens, qui ne se considèrent plus comme des « prêtres tout court,
mais des archiprêtres, faits uniquement pour des grandes nominations et pour la pastorale de la ville auprès de Grands»,
d’autre part, un complexe d’infériorité chez les moins nantis qui ne comptent que sur le peu que leur donnent le diocèse et
les fidèles »244.
Il se développe chez la dernière catégorie deux comportements symétriques: certains prêtres, admirant
leurs confrères de la haute classe245- tendance déjà observable chez les Grands Séminaristes- cherchent à
les imiter en tout, à leur ressembler, à se faire des amis dans la première catégorie, à se mettre sous leur
« parapluie »… en vue d’obtenir d’eux protection et faveurs, notamment au moment des nominations,
car ces « archiprêtres » possèdent par ailleurs une certaine influence et considération auprès de la
hiérarchie du diocèse.
D’autres prêtres, par contre, et c’est le cas général, cultivent un sentiment négatif né d’une frustration
qui finit par engendrer une certaine animosité envers l’institution ecclésiastique qu’ils considèrent
comme source d’injustices, car favorisant les uns et lésant les autres. Des conflits de division, des
attitudes de dénigrement peuvent apparaître dans une communauté (Ibid.) selon qu’on se réclame de
telle ou de telle tendance. En analysant les résultats de l’enquête donnés plus haut, même la situation de
précarité matérielle des prêtres de l’archidiocèse de Yaoundé n’incite pas au partage fraternel des biens :
39% seulement y croient.
par leurs prêtres. Sur cette question précise, comme sur d’autres d’ailleurs, les chrétiens ne sont pas tendres envers leurs
pasteurs qu’ils considèrent comme ayant trahi leur foi en fréquentant des cercles ésotériques (Rose-Croix, Franc-
maçonnerie…) et en hypothéquant leur dignité sacerdotale.
241
Témoignage d’un Curé dans une paroisse du pôle d’Etoudi, le 22 juillet 2011.
242
Entretien avec un Curé dans une paroisse de la zone rurale Mefou Nord Awae, le 26 août 2011.
243
Entretien avec un vicaire dans une paroisse de la zone rurale Mefou Sud, le 28 août 2011.
244
Entretien avec un Curé dans une paroisse de la zone rurale de Mefou Centre, le 2 septembre 2011.
245
Entretien avec un vicaire dans une paroisse de la zone urbaine de Mokolo, le 4 septembre 2011.
375
Il est tout de même heureux de constater que cette situation ne pousse pas au découragement, car 71%
trouvent plutôt leur motivation dans la situation, non par résignation, mais par réalisme, leur idéal étant
de servir le Seigneur en toutes circonstances246. Par contre, 48% estiment qu’une situation de précarité
est source de découragement. Cette situation n’est pas non plus tributaire d’une éventuelle déviation de
leur idéal sacerdotal, car 57% de prêtres interrogés considèrent que la précarité peut y mener.
Durant mon entretien avec l’autorité du diocèse, j’ai également cherché à savoir comment l’archidiocèse
de Yaoundé envisage d’améliorer les conditions de vie matérielle de son clergé :
« C’est une grande préoccupation que le diocèse a aujourd’hui. Je dois avouer que ç’a été un problème épineux depuis la
mort de Mgr Jean ZOA. Mais un des aspects que Mgr TONYE a voulu relever c’est celui-là, le bien-être matériel du prêtre,
qui n’est pas seulement un souhait, un désir mais un effort aussi, étant donné la situation actuelle de l’archidiocèse de
Yaoundé, il y a néanmoins un effort de rendre le prêtre de l’Archidiocèse de Yaoundé moins misérable, de ne pas le
clochardiser »247.
Une autre question d’aussi grande importance que celle de la subsistance qui s’impose à l’autorité
diocésaine est la sécurité sociale des clercs. Elle demeure un problème assez préoccupant pour la plupart
des Églises locales d’Afrique. Comme au Congo, justement, les prêtres ne bénéficient d’aucune prise en
charge sécuritaire, mon analyse sur ce point va beaucoup porter sur l’archidiocèse de Yaoundé où
quelques efforts ont été faits dans ce sens, le principe étant applicable dans des conditions normales aux
diocèses du Congo. Parlons maintenant de besoins d’investissement des diocèses.
246
Entretien avec un Curé dans une paroisse du pôle Cathédrale, le 28 août 2011.
247
Entretien avec l’autorité du diocèse à la CDO, le 30 août 2011.
248
Cf. La vie économico-sociale selon la Constitution pastorale sur L’Eglise dans le monde de ce temps « Gaudium et spes »
du Concile Vatican II.
376
Parmi les besoins d’investissement des Eglises, nous devons signaler la sécurité sociale, la formation et
la spécialisation du personnel sacerdotal et laïc ainsi que la gestion des carrières de ce personnel. Mais,
pour plus de commodité, je traiterai ces derniers points dans le neuvième chapitre en termes de
redynamisation des structures économiques existantes et des nouvelles perspectives comme stratégies à
adopter par les diocèses du Congo dans la recherche de leur autofinancement.
1. Notion et organisation de la sécurité sociale
Avant de réfléchir sur la sécurité sociale du clergé diocésain dans les Eglises africaines, il convient
d’abord de dire un mot sur la sécurité sociale en général et telle qu’elle est mise en pratique en
France249. Elle est définie dans le dictionnaire d’économie et de sciences sociales (C.-D.
Echaudemaison, dir., 2009: 448-449) comme étant un ensemble des organismes publics, à but non
lucratif, chargés de verser des prestations à partir des cotisations provenant d’assurés dont l’adhésion est
obligatoire. Dans le contexte français, on distingue quatre types de risques, qui forment les quatre
branches de la Sécurité sociale : la branche maladie (maladie, maternité, invalidité, décès) ; la branche
famille (dont handicap et logement…) ; la branche accidents du travail et maladies professionnelles ; la
branche retraite (vieillesse et veuvage).
D’un point de vue institutionnel, en France, la Sécurité sociale se compose des caisses de Sécurité
sociale, appartenant à divers régimes (régime général, régime agricole, régime des indépendants,
régimes spéciaux). Elles assurent l’assistance financière pour les différents risques (maladie, famille,
retraite, accidents du travail/maladies professionnelles). Sur le plan administratif, les prestations
correspondant à un type de risque (maladie, famille, vieillesse…) sont versées par des caisses qui
jouissent d’une certaine autonomie, mais qui sont placées sous la tutelle de l’État et administrées en
principe de manière paritaire par des représentants des employeurs et des salariés. Il existe de nombreux
liens entre les différents régimes pour harmoniser leurs charges.
Depuis la création de la Sécurité sociale250, les prestations versées ont progressé nettement plus
rapidement que la richesse nationale : elles représentaient environ 30% du PIB en 2000 contre 12% en
1949.
249
Mondialement connu comme le plus réussi et qui devrait inspirer tout Etat soucieux d’améliorer sa Sécurité sociale
nationale, le modèle français de la Sécurité sociale se compose, du point de vue organisationnel, d’un ensemble d’institutions
qui ont pour fonction de protéger les individus des conséquences de divers événements ou situations, généralement qualifiés
de risques sociaux.
250
En France, le système de Sécurité sociale date pour l’essentiel de l’après Seconde Guerre mondiale (même si les
assurances sociales ont été mises en place après la Première Guerre mondiale).
377
C’est dans le domaine de la vieillesse que la croissance a été la plus forte, sous l’effet de l’augmentation
du nombre de retraités, la généralisation de la retraite à 60 ans, le développement des régimes
complémentaires et l’arrivée à l’âge de la retraite de nouvelles générations qui liquident leur retraite
avec des droits plus élevés.
Le progrès des techniques médicales, l’allongement de l’espérance de vie et la généralisation de la
couverture sociale ont fait progresser les dépenses de santé. Le développement du chômage explique
aussi la croissance des prestations du risque « emploi ». Seules les dépenses consacrées à la famille ont
régressé en proportion du PIB. Enfin, les principales ressources de la Sécurité sociale en France
proviennent des cotisations sur les salaires. La faiblesse de la croissance économique pendant les années
1980 et 1990 et la montée du chômage ont entraîné un freinage des recettes qui a généré, notamment à
partir de 1992, des déficits structurels.
Cette situation a conduit à la création de nouveaux impôts (Contribution sociale généralisée, CSG,
1991et 1996), la hausse des taux de cotisation liée à l’emploi salarié et leur déplafonnement, l’extension
de l’assiette à certains revenus de remplacement. Ces mesures visant un accroissement des recettes se
sont inscrites dans une perspective de réforme globale du système de Sécurité sociale, dont l’exemple le
plus célèbre est celui du Plan Juppé en 1995. La maîtrise des dépenses de protection sociale constitue
pour les pays développés un enjeu économique et social considérable (Ibid.).
L’autre volet de la sécurité sociale qui interpelle tout l’archidiocèse de Yaoundé c’est la situation des
clercs invalides et retraités. Oscar Eone Eone en fait un constat amer : « Certains, dans cette catégorie, se sont
carrément rabattus sur leur famille naturelle pour espérer bénéficier d’un meilleur cadre de vie sur le plan matériel, car
la pension qui leur est allouée mensuellement par leur diocèse ne suffit pas à couvrir leurs divers besoins vitaux »
(2003 :66).
378
La notion de sécurité sociale ne doit pas se confondre avec l’assistance sociale, ni avec celle de la
prévoyance sociale ( Ibid., 83 :84), car ces trois notions sont gouvernées par des principes différents,
comme l’explique Gian Carlo Perone : « l’assistance sociale a la fonction de protection générique des indigents et
des citoyens en situation de besoin, dans les limites de la disponibilité financière des organismes mis en place à cet effet ; la
prévoyance sociale est destinée aux seuls travailleurs et est financée par les contributions versées par les parties
concernées ; la sécurité sociale a comme finalité de libérer du besoin tous les citoyens, y compris les salariés, soit en tant
qu’intérêt de la collectivité, soit en tant que protection spécifique de la personne humaine. » (1988 :1-5).
C’est ainsi que la sécurité sociale des clercs implique, comme le stipule le canon 281 §2, « l’assistance
sociale grâce à laquelle il est correctement pourvu à leurs besoins en cas de maladie, d’invalidité et de
vieillesse ». Etant donné que la grande majorité des clercs ne sauraient être considérés comme des
salariés au sens strict du terme et qu’ils ne cotisent donc pas à la caisse de prévoyance sociale, il est tout
à fait normal, voire nécessaire que le clergé puisse créer sa propre caisse de prévoyance sociale. Il
faudrait néanmoins signaler qu’il existe des pays où la sécurité sociale du clergé est protégée par les
organismes constitués par l’État dans le but de faire face aux situations d’infortune de ses citoyens.
Mais là où la sécurité sociale des clercs n’est pas protégée par un organisme civil, et pareillement, si
l’organisation de l’État était déficiente, comme c’est bien le cas dans plusieurs pays africains,
notamment au Congo, au point de ne pas couvrir dignement la sécurité sociale des citoyens, il revient à
la Conférence des évêques de s’occuper de la sécurité sociale des clercs au moyen d’un organisme
approprié (Eone-Eone,O., in Recchi,S., 2003 : 84).
En faisant appel directement à la responsabilité des évêques d’assurer la sécurité sociale des clercs, de
façon suffisante, le législateur canonique tient à rappeler à la hiérarchie catholique qu’elle a un devoir de
justice à accomplir à l’égard de ses fidèles serviteurs qui ne sont plus aptes à assumer un office
ecclésiastique. Cette obligation des évêques, énoncée au canon 384, constitue un droit des clercs à
bénéficier d’une assistance sociale correcte, en cas de maladie, d’invalidité ou de vieillesse (canon 281
§2).
Pour nous faire une idée sur la réalité dans l’archidiocèse de Bukavu quant à la contrainte qui s’impose à
lui au niveau de la sécurité sociale, dressons la pyramide des âges de son clergé.
379
Tableau 18: La pyramide des âges du clergé de l’archidiocèse de Bukavu
1 De 20 à 29 ans 0
2 De 30 à 39 ans 53
3 De 40 à 49 ans 66
4 De 50 à 59 ans 46
5 De 60 à 69 ans 6
6 De 70 à 79 ans 4
7 De 80 à 89 ans 1
Total 176
Source : Nos données d’enquêtes, actualisées au 31 décembre 2012
Ce tableau fait ressortir les observations suivantes : 93% du clergé de l’archidiocèse de Bukavu est jeune
et actif, dont 68 % ayant moins de 50 ans. C’est un grand atout du point de vue du travail pastoral, mais
en même temps un très grand inconvénient puisque, dans une décennie, plus de 69% de ce clergé sera en
retraite et dans deux décennies, le diocèse connaîtra un dépeuplement massif de son clergé car tous,
étant de la même génération, vieilliront au même moment. Par ailleurs, cette situation est très
inconfortable et onéreuse pour le diocèse car chacun devrait dès maintenant avoir une assurance-maladie
et une certaine sécurité financière conséquente, ce qui n’est pas le cas.
Aucune disposition n’est prise par le diocèse pour garantir à toute cette jeunesse congolaise entièrement
dévouée à la cause de l’Église locale de Bukavu une bonne vieillesse. Au contraire, c’est l’incertitude
totale, la peur du lendemain qui domine les esprits. Si, au niveau du Congo, la réalité est inexistante, il
faut louer les efforts que consent l’archidiocèse de Yaoundé, comme tous les diocèses du Cameroun,
d’appliquer les dispositions canoniques relatives à la subsistance et la sécurité sociale des clercs, même
si des améliorations sont nécessaires.
En effet, les clercs reçoivent une rémunération pour leur subsistance qui, reconnaissons-le, reste
insuffisante par rapport aux besoins réels, et une assistance du diocèse en cas de maladie ou d’invalidité
à travers un organisme spécial de la prévoyance sociale du clergé récemment créé, MARY.
Dans son effort d’apporter une solution à l’épineux problème d’entretien de son clergé diocésain, la
subsistance et la sécurité sociale sont des besoins financiers considérables que l’archidiocèse est appelé
à couvrir en plus des charges ordinaires pour son fonctionnement normal. En même temps, sa trésorerie
continue à supporter le contrecoup de son passé financier. C’est pourquoi cette Eglise est appelée à
mettre sur pied des structures de production suceptibles de créer de la valeur.
380
3. La création des nouvelles structures productives
En plus des charges susmentionnées qui constituent les besoins d’exploitation (ou de fonctionnement)
des diocèses du Congo tout comme ceux d’Afrique en général, il y a d’autres contraintes financières non
moins importantes, à savoir les besoins d’investissement pour faire face aux nécessités pastorales et
sociales. Il s’agit d’appuyer les ressources de financement traditionnelles (denier du culte, prélèvements
et impôts exceptionnels, produits générés dans certaines structures, etc.).
J’y reviendrai au chapitre suivant, quand je parlerai des stratégies que l’archidiocèse de Bukavu devrait
envisager pour augmenter sa capacité productive, en transformant son potentiel économique hérité de
l’administration coloniale généreuse en richesse financière dans l’objectif d’atteindre son
autofinancement. Mais il faut déjà préciser que ce diocèse où les conséquences des guerres récurrentes
sont incalculables, n’a pas fait d’investissements de grande envergure, par manque de capital de départ,
à part les quelques bâtiments construits de l’université catholique de Bukavu (UCB), grâce d’ailleurs au
don du gouvernement central.
Par contre, grâce à la stabilité sociopolitique que connaît le pays depuis des décennies, l’archidiocèse de
Yaoundé s’est lancé depuis le début de la décennie 2000 dans un vaste programme d’investissement en
créant des nouvelles structures socio-productives dans la recherche de son autofinancement. Dans son
document « Vade Mecum » déjà cité pour accompagner le Plan Pastoral, Mgr Victor Bakot évaluait, en
2004, les besoins de l’investissement de son diocèse à 583 millions F CFA, soit plus ou moins 888 720
euros (Tonye, B., 2004 :4), qui concernent les rubriques suivantes :
« la Bureautique : achat d’ordinateurs et consommables, achats véhicules pour les services pastoraux ; la construction
d’une aumônerie diocésaine des jeunes ; la modernisation de la Procure de l’archidiocèse de Yaoundé ; l’achat de terrains
pour la construction des nouvelles paroisses ; les projets agro-pastoraux dans les paroisses « afin de leur donner un
nouveau souffle », indique l’évêque ; le projet d’une Coopérative agricole d’approvisionnement et de redistribution aux
grands internats : collèges, séminaires, centres d’accueil et autres. » (Ibid.)
En faisant la sommation de toutes ces rubriques, Bakot en arrive à la conclusion que, pour faire face à la
crise dont il souffre, l’archidiocèse de Yaoundé avait un besoin de financement de 4 103 000 000 F
CFA, soit 6 254 573 euros, pour revenir à son équilibre ordinaire (Ibid.). L’objectif a-t-il été atteint ?
J’en doute fort. Si le montant de la dette a diminué, ce qui est déjà louable pour les nouveaux
responsables du diocèse, les autres rubriques précédemment analysées (charges de fonctionnement,
besoins d’investissement) ne sont qu’en augmentation.
381
A ces contraintes budgétaires, le prélat camerounais envisageait des additifs hors budget telles que la
création d’une caisse d’assurance-maladie diocésaine avec une gestion locale mieux adaptée aux
réalités de son Eglise locale et aux possibilités estimée à 110 000 000 F CFA, soit 167 683 euros; la
maintenance des investissements don diocèse, principalement le Sanctuaire Marial de Mvolyé.
Sa construction n’était pas encore achevée et les erreurs de construction étaient à rattraper (l’étanchéité
de la toiture), le mobilier à fournir (bancs, portes), l’aménagement extérieur à assurer (voirie et espaces
verts), tous ces travaux étaient estimés à 330 000 000 F CFA, soit 503 049 euros; une Maison d’accueil
des évêques et des prêtres invalides, malades, retraités, âgés : cet investissement était estimé à
220 000 000 F CFA, soit 335 366 euros ; terrain non compris, car une promesse de terrain avait déjà été
formulée ; la sécurisation du patrimoine foncier de l’archidiocèse estimée à 253 000 000 F CFA, soit
385 671 euros.
Bakot signale également l’urgence d’immatriculer tous les terrains, y compris celui que le diocèse
venait de recevoir, pour mieux les mettre en valeur et les protéger contre des litiges fonciers (Ibid. :5).
En faisant le récapitulatif tel que le prélat catholique lui-même l’a fait, la situation de crise, en 2004, se
présentait de la manière suivante :
Tableau 19: Les contraintes financières de l’archidiocèse de Yaoundé en 2004
I. Besoins de ressources Valeurs en Euros Estimations en francs CFA
Endettement en cours 3 353 659 Euros 2 200 000 000 F CFA
Fonctionnement budgétaire 2 012 195 Euros 1 320 000 000 F CFA
Investissements indispensables 888 720 Euros 583 000 000 F CFA
Total partiel 6 254 574 Euros 4 103 000 000 F CFA
Projets hors budget 1 006 098 Euros 660 000 000 F CFA
Sécurisation foncière 385 671 Euros 253 000 000 F CFA
Total des besoins 7 646 343 Euros 5 016 000 000 F CFA
II. Marge d’autofinancement 939 024 Euros 616 000 000 F CFA
TOTAL DES BESOINS 6 707 317 Euros 4 400 000 000 F CFA
Source : Mgr Victor TONYE BAKOT, Besoins de financement de l’archidiocèse de Yaoundé, le 13 juillet 2004, p.8.
Voilà les contraintes, non exhaustives d’ailleurs, auxquelles l’Église locale de Yaoundé avait à faire
face en 2004. La question n’est pas, dans le contexte de cette étude, de savoir si elles ont été satisfaites,
mais plutôt de savoir comment ce diocèse peut arriver à les réaliser et se mettre à l’abri de la
dépendance financière, sachant qu’une telle somme ne peut être donnée par les bailleurs occidentaux et
que les fidèles de Yaoundé sont incapables de la réunir. Entretemps, il y a aussi des infrastructures à
renouveler du fait de leur vétusté.
382
4. Le renouvellement des infrastructures
Il faut se rappeler qu’au Congo comme presque partout en Afrique, l’ère missionnaire a laissé des
gigantesques édifices : églises, couvents, et presbytères dont le coût matériel de leur entretien s’avère
lourd pour les pauvres communautés chrétiennes. Au fil des années, ces bâtiments se détériorent. Les
mûrs se lézardent et les tuiles pourrissent lentement. Un peu partout, commence à se poser de manière
pressante le problème de leur rénovation. Et comme dit Kalamba Mutanga, chaque acteur en présence
(chrétiens, prêtres, évêques, Rome et les autres organismes d’entraide en Occident) se tourne vers l’autre
pour trouver une solution en termes de rénovation. C’est « un engrenage sans issue immédiate, où nous
enferme le modèle d’Église dont les anciens pays de mission en Afrique ont hérité » (1993: 47 et 229).
Cela comporte l’instauration d’un modèle d’Église, « issu des cœurs et de la sueur des communautés
chrétiennes locales dans la période post-missionnaire en cours et qui serait donc le résultat de leur propre initiative »
(Ibid. : 32). Cela comporte aussi la nécessité de se libérer des besoins non réels, de revoir l’usage des
biens et de l’argent, de créer une administration responsable et aussi de valoriser le travail manuel à
tous les niveaux, à commencer par la formation sacerdotale et religieuse (Ibid.). Il y a plus de trois
décennies, la VIe Assemblée Générale du SCEAM251 posait le problème de l’autofinancement en termes
d’un témoignage de vie, de la part du clergé et des forces ecclésiastiques, plus conforme à l’Évangile :
« Comment pourrions-nous inviter les élites du pays à un style de vie sobre et adaptée aux réalités concrètes si nous-mêmes
nous nous laissons entraîner et séduire par des modèles étrangers dépassant de beaucoup les possibilités de la masse de nos
concitoyens ? »252.
Ce problème est davantage exposé par l’archevêque de N’Djamena, lors de la visite ad limina des
évêques du Tchad, le 13 octobre 1988 : « Une autre question qui nous préoccupe (…) est celle des ressources
financières de notre Église. Celle-ci a été fondée par des missionnaires, fils des pays les plus riches de la planète. Ils sont
venus travailler dans un pays qui se situe parmi les plus démunis. Le souci de l’efficacité les a amenés à recourir aux moyens
modernes. Ainsi, pour visiter leur paroisse qui est habituellement très étendue, les prêtres ne voyagent pas à pied comme
font les fidèles, ni même en moto, mais en voiture. A côté des fidèles vivant à la limite de la survie s’est développée une
organisation missionnaire dont les moyens et les critères de fonctionnement sont ceux de la frange la plus moderne de la
société. Les coûts de fonctionnement de cette organisation sont sans proportion avec les ressources des fidèles tchadiens. Le
résultat est là : notre Église vit essentiellement des dons des autres Églises locales. En cela, notre Église se distingue peu de
la société civile qui au Tchad ne survit aujourd’hui que grâce à l’aide extérieure. Il y a là pour nous chrétiens du Tchad, un
défi à relever, comme il y en a pour la nation tout entière »253.
251
Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar, dont le Siège est à Accra (Ghana).
252
Déclaration des évêques d’Afrique et de Madagascar au Synode, 20 octobre 1974, in Les évêques d’Afrique parlent
(1969-1991). Documents pour le Synode africain, textes réunis par M. Cheza, H. Dorrite, R. Luneau (1992 :276). Paris :
Centurion.
253
Discours de Mgr Ch. Vandame, Ibidem, p. 109.
383
Pour clore, tout au long de ce septième chapitre de ma thèse, j’ai analysé les faiblesses de la politique
d’extraversion financière pratiquée par les Églises du Congo depuis la prise en main par la hiérarchie
autochtone, laquelle avait hérité d’une situation financière très difficile. J’ai passé en revue les causes
externes et internes de cet amenuisement progressif des ressources financières qui handicapent le bon
fonctionnement des Églises du Congo et les empêchent de concevoir des plans et programmes
d’investissements et de production, alors que ceux-ci sont indispensables et urgents, l’unique voie sûre
pour amorcer le processus d’autofinancement de ces Églises locales.
J’ai abordé la question de l’infrastructure matérielle dont ont hérité les Églises d’Afrique et qui a
déterminé la construction et la présentation artistique des édifices religieux, couvents, presbytères et
évêchés. Le mode d’insertion socio-historique de l’implantation254 de ces Églises africaines y est pour
quelque chose dans le caractère essentiellement européen dont elles font preuve jusqu’à ce jour dans le
domaine de leur financement. En effet, nombre d’auteurs, pour la plupart théologiens africains, estiment
que le nœud de la problématique de la dépendance financière dont souffrent actuellement les Églises
d’Afrique se situe dans l’idée ou le mode « d’implantation » de l’Église tel qu’il a été réalisé par des
missionnaires arrivés en Afrique pour l’évangélisation au XIX e siècle (Gbagbu S.,2005:166).
L’implantation de l’Église va se réaliser différemment selon l’idée que l’on s’en fait et l’ecclésiologie
qui la soutient.
L’Église peut être comprise soit comme institution, soit comme communauté des fidèles. En fait, il
s’agit là de deux dimensions d’une même réalité : l’Église. Mais la différence peut venir de l’accent mis
sur l’une ou l’autre dimension dans la méthode utilisée pour la mise sur pied de « l’implantation de
l’Église.» Dans la perspective de « Église-communauté des fidèles », l’accent est mis sur la fondation
d’une communauté de foi qui devra ensuite se doter de structures organisationnelles et d’institutions
selon son génie propre et les exigences de la mission dans le milieu de vie, à savoir, entre autres, son
autonomie financière.
On entend par “implantation de l’Eglise”, le complexe processus ecclésio-génétique ou encore le processus par lequel une
254
communauté chrétienne naît et s’établit visiblement, avec tous les éléments caractéristiques d’une Eglise particulière. Ce
processus commence normalement par la première annonce de l’évangile dans le milieu non chrétien et aboutit à la
constitution complète d’une Eglise particulière dans ce milieu (Cf. E. Nummenbmacher, « Impiatazione della chiesa », in
Dizionari missiologia, Bologna, 1993 : 279).
384
L’« Église-institution », par contre, privilégie la mise en place d’un « modèle unique » d’institution
ecclésiale qui doit être « transplanté » et reproduit auprès des jeunes Églises par l’œuvre missionnaire.
Les missionnaires ont cru implanter l’Église en Afrique commencée à partir du XVIIIe siècle en y
transplantant le modèle organisationnel occidental aussi bien dans son personnel, dans ses œuvres que
dans ses méthodes.
Au lieu de « planter » le « grain », c’est-à-dire la Parole de Dieu, dans le terroir propre de l’Afrique pour
qu’elle germe, nourrie par le suc autochtone, on a « transplanté » un grand arbre déjà formé ailleurs,
avec ses fleurs et ses fruits. La conséquence d’une telle méthode missionnaire est claire : les Églises
d’Afrique sont nées comme des corps puissamment organisés et structurés, mais parfaitement étrangers
à leur milieu socioculturel (J. Gbagbu Sapoa, 2005 : 168). Ainsi, les chrétiens africains se sont-ils
retrouvés devant des institutions qui ne sont nées ni des besoins communautaires ecclésiaux de leur
milieu, ni de leur génie culturel et artistique, mais qui sont plutôt celles du modèle européen et financés
essentiellement par l’Europe (Ngongo, 1978 : 167).
Cet état des choses n’était évidemment pas de nature à favoriser l’implication des acteurs chrétiens
africains, la participation active de chacun et de tous dans l’édification de leur Église. Or cette
participation est essentielle, requise pour l’autofinancement ecclésiastique puisque l’Église, ne peut
atteindre son autofinancement par les seuls apports extérieurs, fussent-ils importants.
Car, par définition, l’autofinancement est un mode de financement d’un agent économique grâce à son
épargne pendant la période considérée, qui présente la caractéristique de maintenir des dirigeants de
l’entreprise (ici, les évêques), qui ne sont pas dépendants ni des créanciers, ni de nouveaux actionnaires
(Echaudemaison, 1999 : 30). A ce propos, Bimwenyi affirme que la communauté qui ne dispose pas
d’elle-même, qui est économiquement, politiquement et culturellement dépendante ou aliénée, est un
milieu impropre à l’initiative et à l’inventivité (1985 : 168).
Comment s’étonner, dès lors, s’interroge Jules Gbagbu (2005 : 89) de la passivité de ces fidèles, du
moins pour ceux qui disposent de moyens suffisants, en ce qui concerne leur contribution financière à la
vie économique des communautés ecclésiales auxquelles ils appartiennent ? Une telle passivité de la
part de ceux-là mêmes qui sont censés être la source essentielle du financement de l’Église n’a conduit
logiquement qu’à la dépendance financière de celles-ci envers les Églises fondatrices. En effet, les
communautés chrétiennes africaines, bien que juridiquement constituées en Église diocésaine, sont
demeurées fortement marquées par la dépendance due principalement au caractère « hérité » de leur
institution.
385
Cette dépendance financière des Églises d’Afrique se manifeste dans le mode de fonctionnement même
de ses œuvres, dans leurs institutions situées dans le cadre d’édifices, d’infrastructures, d’instruments et
d’équipements indispensables. Leur réalité actuelle, note Boka du Mpasi (1988 : 425), dépend du
recours perpétuel aux aumônes ; et ce recours, loin d’être seulement chronique, est structurel,
systématique et nécessaire. Elles sont nées handicapées, à voir la façon dont elles ont été implantées, il y
a comme une sorte de défaut de fabrication, explique Oscar Bimwenyi Kweshi (1981 :169). Leur
dépendance financière est inscrite dans les œuvres, les institutions, les structures pastorales héritées des
missionnaires.
C’est dire qu’elle n’est pas seulement accidentelle mais intrinsèque au fonctionnement général ; elle
n’est pas seulement conjoncturelle mais aussi structurelle ; elle n’est pas partielle mais intégrale dans
une très large gamme des nécessités locales diversifiées (Kalamba, 1993 : 18). Dans ce domaine comme
dans beaucoup d’autres, la pratique de l’Église de missions s’était largement écartée de celle suivie en
général par l’Église primitive. A cette époque-là, « l’art païen » local était repris et intégré dans le
christianisme, tout en lui insufflant un sens nouveau.
Cet effort louable d’inculturation disparut avec le temps, dans le tumulte des conquêtes coloniales lors
de la Mission des temps modernes. Il suffit de jeter un coup d’œil attentif sur la décoration de toutes les
églises et cathédrales de l’ère coloniale en Afrique pour s’en convaincre. Le cardinal Constantini avait
vu juste en déclarant: « Transporter cet art, européen et médiéval, hors d’Europe, c’est, dit-il, non seulement une erreur
de temps, c’est aussi une erreur de lieu, c’est de la contrebande artistique : ce serait comme déraciner une plante et la porter
sous un autre ciel et dans un autre sol : il apparaîtra aussitôt que cette plante est exotique. Il attestera par ses formes son
caractère étranger et qui bien souvent répugne au goût des natifs, à la lumière, au paysage indigène » (1987 : 346).
Tout ceci permet de mieux saisir l’insuffisance de l’enracinement socio-historique du modèle de l’Église
de missions en Afrique noire. Ce qui dégage clairement les implications et enjeux économico-financiers
inhérents à la situation actuelle où végètent la quasi-totalité des anciens pays de mission en Afrique,
notamment le Congo. Toutefois, cette situation de précarité peut être surmontée si les Églises du Congo
prennent à cœur l’enjeu du problème quant à leur survie, en mobilisant les potentialités économiques
locales, avec une rigueur dans l’organisation et la gestion, avec une claire vision de ce que l’on doit faire
pour atteindre l’autofinancement, moteur interne de toute organisation structurée.
Ce sera l’objet même des deux derniers chapitres de cette thèse. L’archidiocèse de Bukavu sera au
centre de cette réflexion.
386
Chapitre VIII : LES DEFIS DE L’AUTOFINANCEMENT DE L’ARCHIDIOCESE DE
BUKAVU
Lorsqu’un agent économique255 (un particulier, une entreprise, l’État) a besoin d’argent pour financer
ses dépenses (achat d’une voiture, construction d’une église, d’un hôpital…), il cherche du
financement256. Il dispose de trois modes de financement de ses activités. Tout d’abord,
l’autofinancement, ou financement interne, est une somme prélevée sur ses propres revenus : une
entreprise s’autofinance lorsqu’elle prélève sur ses profits les sommes nécessaires au financement de ses
projets. Ensuite, une entreprise peut se financer en émettant les valeurs mobilières, actions ou
obligations, auprès du public. Il s’agit d’un financement externe, en ce sens que les apporteurs de fonds
sont extérieurs à l’entreprise. Enfin, il existe une dernière forme de financement, externe elle aussi, le
financement bancaire, obtenu en empruntant auprès des banques (Pierre Bezbakh ; Sophie Gherardi,
2000 :268).
C’est le premier mode de financement des activités, c’est-à-dire l’autofinancement, qui nous intéresse
dans cette étude. Mais je précise d’emblée que je m’éloignerai le plus possible des aspects purement
techniques, c’est-à-dire comptables et calculs arithmétiques de l’autofinancement, sauf exception si je
devrais illustrer la nation par des formules mathématiques, puisque je ne fais pas un travail pratique
d’économiste ou de gestionnaire, mais d’un sociologue réfléchissant sur l’autofinancement des Églises
du Congo. Sachant que l’autofinancement s’inscrit dans la dynamique de fonds propres de l’entreprise,
de l’organisation, quelles stratégies adopter pour arriver à une certaine autonomie financière ?
Ce sera l’objet de ma réflexion dans ce huitième chapitre de m thèse : les défis de l’autofinancement de
l’Eglise de Bukavu. J’analyserai successivement l’autofinancement en tant que moteur interne du
développement de toute entité socio-économique, les différents défis qui s’imposent au diocèse de
Bukavu pour atteindre son autofinancement, à savoir une bonne politique de gestion des ressources
humaines internes et la gestion d’un plan de carrière, une mise sur pied des structures de contrôle,
d’encadrement et d’accompagnement, une nouvelle philosophie de gestion et de mobilisation des
ressources économiques du diocèse, une redynamisation des centres d’activités productrices existantes
255
Un agent économique est une personne physique ou morale, ou catégorie agrégée de personnes, désignée par sa fonction
principale dans la vie économique : les épargnants, les consommateurs, les exportateurs, les firmes multinationales, etc.
256
Par extension, le financement (opération par laquelle un agent apporte des fonds à un autre agent) de l’économie
représente l’ensemble des fonds engagés pour permettre l’activité économique d’un pays.
387
et la création de nouveaux centres d’activités productrices. Ce sont-là des préalables requis pour toute
organisation, quelle que soit sa vocation sociale, qui veut atteindre son autonomie financière.
Avant de réfléchir sur les défis qui se posent à l’archidiocèse de Bukavu et qui, s’ils sont résolus,
peuvent conduire cette organisation socioreligieuse à son autofinancement, il est utile d’appréhender le
contenu sémantique de cette notion d’autofinancement, sa formation, ses composantes et son
importance, ses limites, et enfin établir des relations entre les autres notions qui lui sont connexes, à
savoir le résultat et la trésorerie. Ceci nous aidera à comprendre à quel point l’autofinancement est un
processus de longue haleine, et une organisation comme l’Eglise de Bukavu, si elle veut atteindre une
certaine autonomie financière, doit prendre en compte plusieurs paramètres combinés les uns les autres
dans une gestion rigoureuse de toutes ses ressources tant humaines qu’économiques.
On désigne ces gains réinvestis par le terme autofinancement. Nous pouvons également opérer une
distinction entre les ressources propres et les ressources d’emprunt : les ressources propres sont celles
qui proviennent des associés ; elles comprennent le capital apporté directement par ces derniers ainsi
388
que l’autofinancement réinvesti qui figure généralement dans les réserves. Les ressources d’emprunt
sont des ressources externes, par nature, qui proviennent d’apports des prêteurs et qui se concrétisent par
des dettes financières pour l’entreprise (Ibid.).
Le solde, c’est-à-dire ce qui reste de cette rémunération des consommations intermédiaires, constitue
l’excédent brut d’exploitation (EBE). Celui-ci est en d’autres termes ce qui reste après que l’entreprise
aura rétribué tous les facteurs de production (c’est-à-dire tous ceux qui ont participé, directement ou
indirectement à la production : fournisseurs, main d’œuvre, services publics) autres que le capital. EBE
= VA – charges salariales et sociales – impôts et taxes.
Si à l’EBE on ajoute des produits financiers et produits exceptionnels et on retranche certaines charges
financières et celles exceptionnelles, les impôts sur le bénéfice et la participation des salariés, on obtient
la capacité d’autofinancement (CAF). Celle-ci provient du fait qu’au cours d’un exercice, les produits
générateurs d’un encaissement sont supérieurs aux charges génératrices de décaissement. CAF = produits
encaissables – charges décaissables. En raison des égalités comptables du compte de résultat (Cf. Annexe
28), la CAF peut se calculer à partir des résultats : CAF = Bénéfices nets + Dotations (nettes des reprises) aux
amortissements et aux provisions.
Précisons que les produits encaissables sont l’ensemble des produits d’exploitation à l’exception des
produits calculés (reprises sur amortissements et provisions, plus-values sur cessions d’éléments
d’actifs, quote-part de subvention virée au compte de résultat). De même, les charges décaissables sont
formées des charges d’exploitation hors les charges calculées (dotations aux amortissements et
provisions,…). On rappelle en effet que les charges de dotation ont le caractère de coût calculé, mais ne
sont pas décaissables. Dans la cascade des soldes intermédiaires de gestion, les dotations aux
amortissements et aux provisions, ainsi que les reprises interviennent après l’EBE et avant le calcul du
résultat d’exploitation.
Il s’ensuit que l’excédent brut d’exploitation représente bien le solde des produits encaissables et des
charges décaissables d’exploitation. Il mesure très en amont le surplus monétairepotentiel généré par
l’exploitation de l’entreprise. Ce surplus a toutefois un caractère potentiel et non réel. Les flux de
produits ne sont pas tous effectivement encaissés au cours de l’exercice.
389
D’une part, l’existence d’un crédit clients introduit un délai entre la vente et l’encaissement définitif
en provenance des clients. D’autre part, la production stockée est un flux non immédiatement
encaissable car, en fonction de la vitesse d’écoulement des stocks, les produits finis seront d’abord
vendus, puis encaissés.
Si l’ensemble des produits d’exploitation de l’EBE a vocation à être encaissable, il en est un qui fait
exception : la production immobilisée. Ce poste reprend en comptabilité la contrevaleur des coûts
correspondant aux immobilisations que l’entreprise a produites pour elle-même. Il ne s’agit donc pas
d’un produit encaissable. Le cas échéant, il faudra en tenir compte en soustrayant la production
immobilisée de l’EBE. (De la Bruslerie, 2002 : 153)
Bref, les opérations d’exploitation font naître des flux financiers ou monétaires, positifs ou négatifs. La
CAF provient du fait qu’au cours d’un exercice, les produits générateurs d’un encaissement sont
supérieurs aux charges qui ont fait l’objet d’un décaissement. Car la compensation entre ces flux permet
de dégager des excédents ou des insuffisances qui interviennent dans le financement permanent de
l’entreprise. Le flux net dégagé représente la capacité d’autofinancement de l’exercice, ou cash-flow
net (Meunier-Brochet, B., 2006 : 120).
En effet, l’autofinancement présente de nombreux avantages, qui sont souvent les seuls perçus et ils sont
réels (A.-M., Keiser, 2001 :87). Voici les principaux : l’autofinancement assure une indépendance vis-à-
vis des tiers pourvoyeurs de fonds (banques, établissements de crédit, fournisseurs, organismes
catholiques de financement pour l’Église, etc.) ; il permet une plus grande latitude au niveau de la
stratégie financière (notamment en maintenant l’existence d’un volant de sécurité au niveau du
crédit…). Par ailleurs, l’autofinancement permet de freiner l’endettement et donc le poids des charges
financières ; il permet une stratégie de prix plus compétitive par allégement des charges, autorise une
plus grande liberté en matière de choix d’investissement (exploitation, immobilisations d’expansion, de
remplacement…) ; il améliore la sécurité des financements en cas de crise conjoncturelle (lorsque le
crédit est rare et cher). Enfin, avec l’autofinancement, la valeur boursière de l’action de l’entreprise
s’améliore par l’augmentation de la situation nette.
390
Pour Hubert De la Bruslerie (2002 :157), l’autofinancement n’est pas la marque systématique d’une
augmentation de la valeur de l’entreprise. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de relation
entre l’autofinancement et le processus de création de la valeur dans l’entreprise, cela pour deux raisons.
La première relation est que l’autofinancement est par définition le flux de ressources internes qui est
réinvesti dans l’entreprise. Il n’est à l’origine d’une création de valeur que si ses réinvestissements sont
rentables. Si l’entreprise est négligente quant à son emploi au niveau du choix des investissements,
l’autofinancement ne participe pas à la création future de valeur ; dans le meilleur cas, il est la marque
d’une création de valeur passée, à hauteur du bénéfice net réalisé.
En finance, un coût ne correspond pas forcément à une charge explicite. L’autofinancement a un coût
d’opportunité en intérêts puisque les sommes pourraient être utilisées à rembourser les dettes de
l’entreprise. Il a aussi un coût en capital pour les actionnaires qui auraient pu percevoir davantage de
dividendes.
C’est par rapport à l’objectif de création de valeur des actionnaires qu’il faut apprécier
l’autofinancement car celui-ci s’inscrit dans la dynamique des fonds propres de l’entreprise. Les prêteurs
n’ont aucun droit sur ce flux de fonds. Tout réemploi de fonds internes à une rentabilité inférieure au
taux de rendement exigé des fonds propres ne participe pas à la création de valeur dans l’entreprise.
En cas d’autofinancement mal géré, l’entreprise - en fait ses dirigeants - dispose d’un flux de fonds que
ces derniers n’utilisent pas au mieux des intérêts de leurs mandants, c’est-à-dire les actionnaires. Cette
notion de flux de fonds interne discrétionnaire (free cash-flow) correspond à la situation des dirigeants
qui réinvestissent ce flux de fonds dans des projets insuffisamment rentables, voire purement
symboliques ou somptuaires. Toute la difficulté pour l’actionnaire extérieur est d’apprécier si les
réinvestissements effectués sont et seront suffisamment rentables.
391
La valeur stratégique de flexibilité est fonction de la taille du flux de ressource interne généré par
l’entreprise. Cette valeur stratégique de flexibilité explique pourquoi de fois, lors d’une acquisition
d’entreprise, un des critères d’évaluation utilisé c’est la CAF, à laquelle on applique un multiple souvent
compris entre 4 et 8 (Ibid.). Il serait néanmoins fallacieux de croire que l’autofinancement n’a que des
avantages. Il existe des inconvénients qui y sont liés.
392
4. Relations entre résultat, autofinancement et trésorerie
Les analyses de capacité pour une organisation comme l’archidiocèse de Bukavu à se financer
impliquent à la fois une étude du bénéfice, de l’autofinancement et des flux de liquidités d’exploitation.
Ces trois notions font, en fait, référence de manière explicite, au cycle de financement, sans que soient
exclus, bien sûr, les deux autres, à savoir le cycle d’exploitation et le cycle d’investissement, avec qui il
constitue les trois types de cycles d’opération dans la dynamique de l’institution.(Ibid. :4)
En effet, pour bien appréhender les relations étroites entre résultat, autofinancement et trésorerie, il nous
semble utile de réfléchir sur le cycle de financement. Le cycle de financement n’est, comme le dit Pierre
Vernimmen (2013 : 20), que le « négatif » des cycles d’exploitation et d’investissement. Qu’est-ce à
dire ? Le cycle de financement s’analyse financièrement comme la mise à la disposition de l’entreprise
de liquidités par des apporteurs externes que sont les actionnaires et les prêteurs.
Dans le cas de l’archidiocèse de Bukavu, il s’agit des Églises d’Occident et des organismes catholiques
de financement, tels que Missio, Misereor, Église en Détresse, Caritas-France, Secours Catholique,
Conférence Episcopale Italienne, etc., bref, les grands pourvoyeurs des fonds occidentaux qui financent
par millions d’euros chaque année les activités des Églises du Congo, comme je l’ai montré dans le
cinquième chapitre. Cette mise à disposition de liquidités est une ressource sur la durée de l’opération. A
l’échéance, un flux de liquidité de sens opposé vient mettre un terme à l’opération. Le caractère cyclique
vient de la durée courte, longue, voire infinie dans le cas des actionnaires, pendant laquelle l’entreprise
peut employer ces fonds.
On distingue ainsi les opérations « longues » qui constituent le cycle de financement « long » de la
structure et des opérations « courtes » lui assurant des ressources « courtes ». Au-delà de leur statut
juridique de dettes ou de capitaux propres, au-delà de leurs caractéristiques d’échéance, le point commun
des opérations (longues et courtes) de financement est leur passage rythmé et obligé par la trésorerie de
l’entreprise. La mise en place et le dénouement des opérations de financement se traduisent de manière
continue et renouvelée par des flux de liquidités. Ceux-ci, à leur tour, s’ajoutent, modifient et
contrebalancent les autres flux d’encaissement et de décaissement dans le creuset unique qu’est la
trésorerie de l’entreprise. Les trois cycles d’exploitation, d’investissement et de trésorerie sont présents
dans l’entreprise, chacun imprimant sa propre temporalité et conduisant à des séquences de flux de
liquidités. Il peut paraître artificiel de rechercher des points communs qui donnent un sens financier
commun à ces trois cycles. Ce n’est pas le cas : en amont, les deux concepts centraux de la gestion
financière qui ressortent sont le capital économique et la trésorerie.
Le capital économique, son suivi et les conditions de son emploi efficace dans le temps conduisent à une
préoccupation de rentabilité. La trésorerie, son équilibre au jour le jour, mais aussi dans le temps,
393
conduit à des préoccupations de solvabilité. Rentabilité et solvabilité constituent donc des contraintes
absolues pour la survie à terme de l’entreprise (De la Bruslerie, 2002 : 9). Rappelons que la liquidité est
l’aptitude de l’entreprise à transformer plus ou moins rapidement ses actifs en trésorerie. L’exigibilité
exprime la capacité de l’entreprise à respecter les dates d’échéance de règlement de ses dettes. Quant à
la solvabilité, elle exprime la capacité de l’entreprise à régler l’ensemble de ses dettes.
Après avoir donné un éclairage sur le cycle de financement, revenons sur les relations entre les trois
notions qui en découlent. Le résultat correspond aux flux de fonds générés par l’entreprise. Il traduit son
enrichissement, mais étant trop « entaché » de fiscalité, il est dépourvu de signification économique.
La CAF correspond au flux de liquidités potentiels dégagés par les opérations de gestion courante. Mais,
étant sujette à des fluctuations liées aux pratiques comptables et fiscales et à la politique de financement
de l’entreprise, elle ne constitue pas un indicateur structurel. En revanche, l’EBE constitue une ressource
potentielle de trésorerie qu’une entreprise tire de son activité cyclique. Retraité des décalages existant
entre les engagements d’exploitation et leurs règlements définitifs, il permettrait de connaître l’Excédent
de Trésorerie d’Exploitation (ETE) correspondant aux flux de trésorerie générés par l’exploitation
(Keiser, 2001 : 88).
Donc, il n’y a pas lieu de confondre le Résultat Net qui est une notion comptable et qui est égal au solde
des produits et des charges, et la CAF, notion financière, qui est égal au solde des encaissements et des
décaissements. La CAF permet à l’entreprise de rétribuer ses actionnaires et d’assurer son
autofinancement.
394
Mais c’est précisément parce que son coût apparent est nul, qu’il risque de détourner des ressources
financières d’emplois qui seraient plus utiles. Selon ce raisonnement, une entreprise ne devrait
autofinancer que des projets dont la rentabilité est au moins égale au coût des capitaux propres, et
remettre l’essentiel de ses bénéfices aux actionnaires sous forme de dividendes, ceux-ci arbitrant eux-
mêmes entre les investissements possibles.
L’autofinancement d’une organisation ou sa CAF permet de mesurer le montant de liquidités dégagées
par elle dans le cadre de son fonctionnement normal, c’est-à-dire hors frais d’investissement et de
financement. La CAF correspond ainsi au flux potentiel de trésorerie dégagé par l’ensemble de l’activité
annuelle de l’entreprise. Flux de trésorerie comme le cash flow, il s’en distingue par son caractère
potentiel et virtuel. Disons que la CAF correspond au cash flow corrigé de certaines dépenses ou
produits. Pour obtenir le cash flow, il faut ainsi retrancher à la capacité d’autofinancement la variation
du besoin en fond de roulement de la période. La capacité d’autofinancement est l’ensemble des
ressources engendrées par l’exploitation et dont l’entreprise peut disposer librement.
L’approche additive donne une indication de son utilisation dans l’entreprise au travers de son
affectation comptable. Elle exprime la capacité de l’entreprise à financer : la rémunération des
actionnaires en termes de dividendes (résultat distribué), le solde est donc calculé avant prise en compte
des dividendes mis en paiement ; la couverture des pertes et risques probables (provisions) ; le
développement et la croissance de l’entreprise par les investissements d’expansion (pour la partie du
résultat qui n’est pas distribuée) ; le renouvellement des immobilisations (amortissements). La CAF
tient donc compte des amortissements qui constituent de véritables réserves permettant le
renouvellement des biens. L’autofinancement, qui est le flux de fonds correspondant aux ressources
internes dégagées par l’entreprise au cours d’un exercice est, lui, calculé après avoir tenu compte du
prélèvement dû à la distribution des bénéfices : Autofinancement = CAF– Dividendes. L’autofinancement est
généralement affecté à financer les investissements, l’accroissement du besoin de financement
d’exploitation, à rembourser les emprunts et à améliorer la trésorerie.
Cette analyse du rôle de la CAF par son affectation comptable est en fait trop restrictive. Elle ne
correspond pas à la description de ce que constitue un flux de fonds dans l’entreprise : une ressource
durable librement affectable dans le cadre de décisions de gestion. La vraie nature de l’autofinancement
est de constituer une variable stratégique de l’entreprise. Le surplus monétaire potentiel dégagé par
l’entreprise dans son activité courante, et donc reproductible, est le bras armé de sa stratégie. Les
emplois imaginables dépassent la stricte liste d’affectations comptables puisqu’ils se situent
fondamentalement dans une logique globale d’emplois-ressources de l’entreprise.
395
En particulier, il ne faut pas introduire dans l’utilisation de l’autofinancement de distinction arbitraire
entre financement interne du renouvellement du capital économique et financement de la croissance.
L’autofinancement est le moteur interne du développement de l’entreprise. Il est à la fois : un
financement interne disponible pour investir et développer l’entreprise dans le sens de la stratégie
qu’elle se donne ; la garantie du remboursement d’emprunts, et donc un élément puissant de la capacité
de remboursement de l’entreprise.
C’est la raison pour laquelle on met à part la fraction de la capacité d’autofinancement qui est distribuée
aux apporteurs des capitaux (actionnaires) sous forme des dividendes. Ce qui reste est
l’autofinancement net, ressource librement affectable dans le cadre de la stratégie de développement.
Les dividendes qui constituent un emploi décaissable au cours d’un exercice ne sont pas ceux issus du
bénéfice de l’exercice, mais ceux de l’exercice précédent qui sont décaissés au cours de l’exercice
suivant. Autofinancement (année 2012) = CAF (année 2012) - dividendes distribués (au titre de l’année 2011).
En revanche, s’il est une ressource monétaire potentielle, l’autofinancement ne peut prétendre mesurer
l’enrichissement de l’entreprise ou de ses actionnaires. Il illustre le principe de conservation de son
autonomie stratégique. Il ne peut en aucun cas être assimilé à un profit économique brut de l’entreprise.
ou décaissables ou encaissables
* d’exploitation * d’exploitation
* financières * financières
* exceptionnelles * exceptionnelles
* d’exploitation d’auto-
* financières finan-
* exceptionnelles cement
De l’exercice * d’exploitation
* financiers
* exceptionnels
La CAF correspond à l’ensemble des ressources propres dégagées par l’entreprise représentant un
excédent des produits de l’entreprise (correspondant à un encaissement effectif ou futur) sur les charges
396
(correspondant à un décaissement effectif ou futur) ; ou un cumul des bénéfices avec les charges ne
correspondant pas à un décaissement effectif ou futur nettes et les produits ne correspondant pas à un
encaissement effectif ou futur(Ibid. :85). La CAF représente donc des ressources internes dont dispose
réellement l’entreprise par le biais de ses bénéfices. Elle est l’ensemble des ressources engendrées par
l’exploitation et dont l’entreprise peut disposer librement. On peut lire les éléments techniques de la
composition de l’autofiancement dans l’annexe 29. Il en est de même de ceux relatifs aux calculs de
l’autofinancement dans l’annexe 31.
Après avoir circonscrit la notion de la capacité d’autofinancement, il est dès lors important de voir
quelles sont les stratégies que l’archidiocèse de Bukavu devrait mettre sur pied pour arriver à surmonter
ses contraintes financières par les mécanismes de l’autofinancement. C’est l’objet de la deuxième
section de ce huitième chapitre de ma thèse.
En effet, l’homme étant le premier capital économique257, une gestion rationnelle de cette ressource est
un avantage compétitif réel pour atteindre ses objectifs sociaux, tant sur le court terme que pour le
moyen et le long terme. L’homme joue un double rôle dans le processus du développement
économique : d’un côté, il en est le bénéficiaire ultime, de l’autre, il constitue l’intrant essentiel dans le
mouvement de croissance et de transformation de la production qui porte le nom de développement
économique (Gillis, M., 1987 :198).
257
Dans un article publié dans la revue Alternatives Economiques, William Desmonts (1997) affirme que l’homme est le
capital le plus précieux : « Tout le monde le dit: de l'investissement dans le capital humain dépend la rentabilité et la
compétitivité d'une entreprise. Mais peu l'appliquent. Difficile en effet d'empêcher les salariés de changer d'employeur. Les
firmes japonaises y parviennent cependant, au détriment de la liberté des employés. Les salariés forment la principale
richesse de l'entreprise. L'importance croissante de l'immatériel dans la compétitivité - savoir-faire, qualité, image de
marque… Le consensus est large à ce sujet dans les écoles de management, comme parmi les consultants et les spécialistes
des ressources humaines. L'intérêt de l'entrepreneur ne serait pas de recourir aux licenciements et à la flexibilité externe,
aux contrats précaires, à l'intérim, etc. Au contraire, il lui faudrait investir dans son personnel, former, se préoccuper de
fournir une carrière et conserver ses employés même quand les affaires vont passagèrement un peu plus mal. Et cela non
pas par bonté d'âme, mais dans une logique de rentabilité et de compétitivité » Cf. http://www.alternatives-
économiques.fr/l-homme--le-capital-le-plus-précieux [Consulté le 21 juin 2013].
397
Rappelons que la valeur ajoutée représente la richesse économique créée qui découle de la mise en
œuvre par l’entreprise de facteurs de production (capital, main-d’œuvre, savoir-faire…). Cette richesse
créée peut ensuite être redistribuée aux parties prenantes à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise.
Face à cette situation, le prélat attire l’attention sur le caractère urgent d’un changement de mentalité
chez tous, à l’égard du problème du financement des œuvres d’apostolat. Les diocèses d’Afrique doivent
désormais, selon lui, former les agents pastoraux et les fidèles à compter d’abord sur leurs contributions
personnelles, afin de ne pas construire des Églises de mendiants perpétuels. Les Églises nanties
d’Europe et d’ailleurs et les Organismes ecclésiaux d’aide et de coopération doivent faire plus confiance
aux évêques d’Afrique et les soutenir en respectant les options et les priorités fixées par leurs plans
pastoraux qui ne peuvent que privilégier les œuvres d’évangélisation propre258.
La première entreprise qui s’impose aux Églises d’Afrique est le placement rationnel et objectif du
personnel clérical à des postes de responsabilité. L’analyse du travail et de l’emploi met
particulièrement en évidence la double fonction qu’exercent les humains : à la fois bénéficiaires du
développement et producteurs essentiels dans l’essor économique. Le personnel affecté à une activité
économique peut s’interpréter à la fois comme un coût et comme un profit. S’il est doté d’une
production marginale positive du fait de son ouverture à un autre emploi, il constitue un coût, au sens où
l’on entend que l’utilisation d’autres ressources productives représente un coût.
258
Telema (Lève-toi et marche), Vingtième année, n°78 Avril-Juin 2/94, 5-6
398
Ainsi que l’affirme Jean-Bernard Bruneteaux (2005 :13), la véritable richesse d’une organisation
(société, entreprise, Église, association…) repose principalement sur les compétences et le
comportement des hommes et des femmes qui la constituent, sur leur motivation, sur leur contribution
pour atteindre des objectifs fixés et sur leur faculté d’adaptation à des situations en évolution constante.
La définition des plans de formation permet de maintenir et de développer les compétences individuelles
et collectives pour le présent et pour l’avenir de l’entreprise d’après les objectifs définis par la direction
générale. La formation prend en compte les besoins de développement individuels exprimés par les
responsables hiérarchiques et les subalternes. La formation a un rôle déterminant pour développer
« l’employabilité » du personnel dans les structures qui se veulent évolutives (Ibid. :21).
Une Église qui est consciente que la réussite la réalisation de ses objectifs pastoraux dépend en grande
partie de la gestion de son personnel sacerdotal ne peut négliger de mettre un accent tout particulier sur
la mobilité des membres de son clergé et leur placement à des postes de responsabilité.
A ce sujet, durant mes travaux d’enquête de terrain, je me suis intéressé à la manière dont le personnel
clérical est géré. J’ai demandé à l’Ordinaire du Lieu s’il y avait un plan de gestion des carrières pour
les prêtres de son diocèse: « Oui. La promotion du prêtre est une des premières mesures de ce diocèse de faire en
sorte que le prêtre évolue dans son ministère et dans sa formation. A titre d’exemple, la promotion à la charge de curé est
faite de manière régulière compte tenu du nombre d’années de l’expérience pastorale et de l’âge aussi. On évite de frustrer
les gens en les recalant indûment, alors qu’ils pourraient être utiles à tel ou tel service »259.
Une telle vision positive de l’homme est particulièrement importante pour le progrès d’une organisation
comme le diocèse et ne peut manquer de porter des fruits intéressants dans l’atteinte de ses objectifs
généraux comme le rayonnement pastoral, et ses objectifs spécifiques, notamment son défi
d’autofinancement. Car, en accordant à chaque prêtre l’occasion d’exercer des responsabilités dans le
diocèse, l’autorité met tout son clergé en confiance.
Dans ce sens, on évite des frustrations chez certains qui se sentiraient comme définitivement fichés
incapables, incompétents et donc inutiles, ou d’autres définitivement fichés d’après, par exemple, les
erreurs commises dans le passé. Entretemps, il naît une sorte d’orgueil insolent chez d’autres, qui se
considéreraient comme les seuls capables d’exercer des responsabilités jusqu’à se prendre pour
indispensables et faits uniquement pour diriger. La mise en confiance de tous les acteurs ecclésiastiques
en présence permet à ces derniers de se sentir totalement intégrés dans le plan de réalisation des
objectifs sociaux définis par l’autorité et non comme un spectateur.
259
Entretien avec l’Ordinaire du Lieu à Bukavu, le 30 août 2010.
399
Par ailleurs, le fait de faire participer les gens, sans discrimination, à la gestion du diocèse, le fait de
donner à chacun la chance d’exercer une grande responsabilité à la taille du curé de paroisse le met en
confiance, car il se sent aimé de sa hiérarchie, le stimule à une rentabilité, à une productivité car motivé
par l’obligation des résultats. Car il naît en lui une éthique de responsabilité, c’est-à-dire, une prise de
conscience des exigences socioprofessionnelles et morales qui sont liées à sa responsabilité.
Au contraire, définir l’homme en fonction de ce qu’il a fait dans le temps ou en fonction des préjugés
défavorables, pire encore en fonction des critères subjectifs comme son appartenance ethnique, tribale,
clanique, etc., comme certains membres du clergé le pensent dans l’un ou l’autre diocèse du Congo,
c’est lui nier dangereusement la capacité d’évoluer, de changer, de se transformer pour être mieux et
faire mieux. Or l’homme n’est pas un être statique, mais plutôt un être ontologiquement dynamique.
Dans ses travaux de synthèse dans différentes disciplines des sciences de l’homme réalisés sur la
question de l’être humain dans deux ouvrages, « À la recherche progrès humain » et « L’autre
société » (paru en 2009 et 2011), Jacques Généreux affirme que l’être humain est donc un être social,
c’est-à-dire dont la conscience, les capacités physiques et cognitives, la sociabilité, la personnalité, la
vulnérabilité, la résilience, les manières de sentir et de penser, etc. se construisent et évoluent dans et par
la relation et la communication avec les autres.
Appréhender l’homme autrement, revient à placer l’organisation qui l’utilise dans une situation délicate
de nature à compromettre ses objectifs sociaux, étant donné que certains membres se sentiraient
injustement mis à l’écart dans la gestion de l’organisation. Il se développe en eux un sentiment très
négatif pouvant déboucher sur des conséquences désastreuses. Et il n’est jamais intéressant de faire
travailler l’homme qui a déjà le sentiment d’être l’objet d’injustice : il est démotivé, découragé et aigri et
son rendement devient faible.
Ce sont ces écueils en termes de défis que l’autorité de l’Eglise de Bukavu doit s’efforcer d’éviter dans
sa gestion de ressources humaines, en faisant participer à la gestion du diocèse tout le clergé qui a atteint
un certain âge dans le ministère. Ainsi, m’a confié l’Ordinaire du Lieu, la nomination à des charges
paroissiales ou extra-paroissiales, par exemple les services, est faite de manière régulière, pour permettre
à quelques gens psychologiquement d’avoir accès à certaines responsabilités ou à certaines dignités.
Le cas de la nomination des Chapelains dans l’archidiocèse de Yaoundé est très édifiant: l’archevêque
décide périodiquement de promouvoir des prêtres qui ont travaillé de longues années et qui, se
retrouvant à un âge avancé, partent se reposer avec la consolation d’avoir été utiles à l’Église qui l’a
perçu aussi. L’option prise par ce diocèse est encourageante dans sa stratégie de motivation du
400
personnel, car l’autorité est convaincue qu’un acteur motivé est une source de production : « De même, le
maintien du clergé dans un bon esprit. Quand le clergé n’évolue pas, il est frustré, et vous ne pouvez pas le mobiliser pour
des tâches pastorales d’avenir et les défis actuels, ce n’est pas possible. Or là, ça le dégage. L’exemple de l’abbé Thaddée
Abena à la Procure, c’est une charge qui nous honore. L’exemple aussi de Jean Marie Bodo à la MERY, c’est une charge
qui nous honore. Tout ça c’est des exemples concrets où l’Archevêque essaye de faire en sorte que son clergé respire ! Donc,
ici il est très bien inculqué dans notre mentalité que le prêtre doit évoluer. L’élément motivation est très capital pour la
réussite et la performance de quelqu’un » (Ibid.).
A côté des nominations à des postes de responsabilité dans le diocèse, l’archidiocèse doit mettre sur pied
d’autres éléments de motivation du personnel : ce sont les envois aux études, les voyages, des envois en
missions à l’étranger.
Car il n’y a plus des domaines scientifiques qui soient considérés comme incompatibles à la vie du
prêtre quand on sait que, dans son ministère, il est en interaction avec les chrétiens issus de tous
horizons scientifiques et culturels. Pour que son discours ne soit déconnecté pas de ceux de ses
interlocuteurs, il doit être lui-même bien formé et sa formation diversifiée.
D’après mon étude réalisée sur les études supérieures faites par les membres du clergé de Bukavu, leur
degré de formation académique se présente comme suit :
260
On compte actuellement 15 prêtres de l’archidiocèse de Bukavu qui se travaillent dans des structures soit interdiocésaines
(grands séminaires, conférences épiscopales), soit universitaires (université catholique du Congo).
401
Tableau n 20 : Degré de formation du clergé de Bukavu : répartition selon les diplômes obtenus
Diplôme Effectifs % Total
Doctorat domaines ecclésiastiques 17 26 176
Doctorat domaines profanes 03 06 176
Master (DEA, DES), Maîtrise domaines ecclésiastiques 22 44 176
Master (DEA, DES), Maîtrise domaines profanes 04 24 176
Licence, Baccalauréat canonique 24 48 176
Licence, Baccalauréat domaines profanes 16 32 176
Aux études universitaires 22 44 176
Notre enquête : décembre 2012
Ce tableau révèle clairement l’option stratégique qu’a prise l’archidiocèse de Bukavu pour la formation
de son clergé. Près de la moitié (48%) des prêtres de ce diocèse ont au moins un baccalauréat canonique,
soit en théologie, soit en philosophie ou en droit canonique, tandis que près du tiers (32%) ont au moins
un baccalauréat dans une science autre qu’ecclésiastique, notamment les sciences sociales (sociologie,
économie, droit, psychologie, éducation), les sciences de communication, l’informatique de gestion,
l’agronomie, la littérature…
Il est heureux d’observer que le nombre de prêtres qui ont un diplôme de deuxième cycle (maîtrise) ou
de troisième cycle (DES, DEA) est important, tant pour les études ecclésiastiques que celles appelées de
manière péjorative profanes. Les docteurs sont nombreux dans les sciences ecclésiastiques (26%), tandis
que 6% seulement représentent ceux qui ont un doctorat dans une autre étude. Le nombre de ceux qui
sont aux études est édifiant : 44%. Cela laisse entrevoir que, dans une décennie, plus de la moitié du
clergé de Bukavu aura au moins un diplôme de licence, ce qui est un élément très positif dans la
stratégie de relève.
On peut donc constater que, loin de considérer la formation universitaire de ses prêtres comme un
privilège qui n’est réservé qu’à une poignée de personnes souvent choisies selon des critères dépourvus
de toute objectivité, l’archidiocèse de Bukavu se soucie de la spécialisation de son clergé, car il est
convaincu que c’est à travers la diversité des compétences qu’il atteindra ses objectifs socio-pastoraux,
dont l’autofinancement, objet de mon étude.
L’on doit tout de même reconnaître que de ce nombre, très peu font des études dans le domaine
économique et de gestion. En effet, à ce jour, aucun prêtre n’a un doctorat dans ce domaine très capital,
tandis que deux ont un doctorat en sociologie avec une orientation en développement socio-économique.
Le diocèse devrait procéder à un renforcement des capacités de son clergé dans ces domaines pour doter
ses structures des cadres compétents en gestion économique et financière, et en ressources humaines. Il
devrait en même temps s’entourer, comme je l’analyserai dans le point suivant, des compétences laïques
indispensables pour gérer ses structures socio-économiques.
402
Or, cette Église locale a des défis réels et énormes à relever dans les domaines socio-économiques,
politiques, scientifiques, culturels… Au regard des réalités africaines actuelles dans les domaines
précités, il y va de son avantage que le diocèse de Bukavu ait des prêtres bien formés pour répondre
efficacement et avec efficience à la demande sociale. En effet, cette formation est d’autant plus
nécessaire - et pas seulement dans les disciplines théologiques - qu’aujourd’hui la ville de Bukavu en
plein essor est devenue un grand carrefour d’institutions d’études universitaires qui produisent des
cadres universitaires qui sont en interaction avec le ministère sacerdotal dans les paroisses tant urbaines
que rurales.
La formation des prêtres est un impératif pour le diocèse et doit se faire sur fond des propositions
concrètes, en tenant compte de leurs aptitudes, d’une part, et, de l’autre, des besoins de nos structures de
plus en plus croissants qui requièrent des études appropriées pour plus d’efficacité et d’efficience. Loin
de sous-estimer le bagage intellectuel du clergé de Bukavu au sortir de la formation dans les séminaires,
le réalisme exige de savoir que ce n’est pas toujours évident qu’un prêtre porteur d’un master ou d’un
doctorat en théologie se montre assez apte et compétent à gérer un service technique comme le BDD, le
BDOM, la Caritas, une institution académique de l’envergure de l’UCB, ou une unité de production
comme l’économat général…
Le bon sens a ses limites et finit par céder absolument à la logique de spécialisation, à la
professionnalisation et au métier, réalités qui caractérisent le monde moderne. Une Structure, une
Organisation qui veut aller loin et atteindre ses objectifs, doit nécessairement s’inscrire dans cette
dynamique de spécialisation de ses membres et mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. L’Église
devrait cesser ses vieilles habitudes de sous-employer les compétences de ses membres en leur faisant
faire autre chose que ce à quoi ils ont été formés.
Ailleurs, on sait bien les utiliser quand on a la chance d’avoir des gens qui ont des compétences dans des
domaines spécifiques. C’est l’institution qui en profite énormément. L’inconvénient pour le diocèse est
qu’avec le petit nombre des membres du clergé spécialisés dans des domaines spécifiques, on est
condamné à dépendre un peu trop de l’extérieur, à des cumuls de fonctions qui entraînent l’épuisement
et l’inefficacité, au recrutement d’autres acteurs qui n’ont pas nécessairement la même vision pour ce
qui est des objectifs poursuivis, ni le sens de l’Église et de sa hiérarchie. Notre monde d’aujourd’hui en
mutations profondes exige que l’on puisse, pour des raisons évidentes d’adaptation, sans cesse régénérer
ses connaissances. La formation des prêtres n’est pas un luxe, mais le gage d’un apostolat adéquat et de
l’avenir de l’Église. Or, de l’observation générale, il se pose un réel problème pour l’archidiocèse
d’élaborer une politique de planification du personnel sacerdotal.
403
Considérant les priorités à court et moyen terme par rapport au nombre de prêtres que l’archidiocèse
aura dans les années à venir, sans doute plus de 200 prêtres en 2020 selon les estimations, la question de
planification et d’une gestion rationnelle du personnel à la disposition du diocèse mérite un examen sans
complaisance pour ne pas être en déphasage par rapport aux impératifs du moment dans le monde. Dans
cette dynamique, le recours aux compétences laïques peut pallier aux insuffisances du clergé, et ce
d’autant plus que l’apport de ces acteurs dans la vitalité de l’Église est inestimable.
C’est cette équipe d’experts qui a donné une nouvelle impulsion, une nouvelle dynamique à la Procure
de Yaoundé depuis presqu’une décennie. Malheureusement, malgré ces efforts d’utiliser les
compétences professionnelles, ce diocèse a du mal à se relever du crash financier qu’il a subi vers la fin
de la décennie 1990. Les conséquences de la mauvaise gestion du riche patrimoine de ce diocèse sont
encore très ressenties jusqu’aujourd’hui et se répercutent même sur les nouvelles autorités262.
261
Cf. Compte rendu de la 8ème session du CDAE de l’archidiocèse de Yaoundé du 14 avril 2005 : 2.
262
Après une gestion calamiteuse de l’économat diocésain par le père Jean-Claude Soete, religieux de la congrégation de
Pères de la Vierge de l’Immaculée (Missionnaires de Scheut), qui abandonna sa charge d’économe laissant un déficit très
profond, l’économat fut confié à Monsieur Essomba, un haut cadre universitaire formé en gestion dont la gestion ne fut pas
aussi transparente. L’archevêque Simon Victor Tonyè Bakot qui a été placé à la tête de cet important diocèse juste après les
404
Mais ce cas ne devrait affecter en rien la bonne option pour d’autres Églises d’Afrique d’utiliser des
compétences laïques dans les divers domaines de leurs activités socio-pastorales, le problème de gestion
étant plus lié aux hommes nommés à des postes de responsabilité qu’aux principes de gestion eux-
mêmes. La logique du bon sens (et non de la compétence) comme critère de désignation des
gestionnaires, qui a toujours prévalu et prévaut encore dans la plupart de ces Églises, a des limites
évidentes. En effet, aucune organisation ne peut atteindre son objectif de l’autofinancement qu’en
mobilisant des ressources humaines très compétentes, qui maîtrisent parfaitement les outils de gestion
économique et financière dans leur complexité, notamment une analyse financière fine et rigoureuse.
Pour cela, il faut des acteurs formés dans ces domaines de gestion. Car la gestion ne se résume pas dans
le simple jeu d’enregistrement journalier des opérations comptables! Jean-Bernard Bruneteaux fait une
classification des critères de compétences à travers trois sous rubriques à savoir, des critères de
comportement : intégrité, honnêteté, ponctualité, assiduité, disponibilité, sens de responsabilité, capacité
d’écoute ; des critères personnels professionnels : créativité, initiative, capacité de travailler en équipe,
adhésion aux objectifs, organisation, gestion du temps ; des critères de performances : quantité du
travail, qualité du travail, analyse, contrôle (2005 : 92).
Conscients de cet enjeu, les deux diocèses du Cameroun ont, dans la poursuite de leur objectif de
l’autofinancement, procédé à l’embauche systématique d’un certain nombre de cadres moyens et
supérieurs dans les différentes structures du diocèse, tous pourvus d’un ou de plusieurs diplômes dans
leurs domaines spécifiques : archivistes, secrétaires de direction, comptables, chefs de services et même
directeurs. Il est important de relever que deux acteurs principaux sont au cœur de la gestion
patrimoniale d’un diocèse : l’évêque et l’économe diocésain.
L’organisation matérielle, la santé économique et financière de cette institution dépend
fondamentalement de ces deux personnages, car ils sont au cœur de la gestion en tant qu’ordonnateur
principal et final des dépenses pour l’un et mandataire des biens socio-économiques du diocèse pour
l’autre. Lors de mon enquête sur le terrain dans l’archidiocèse de Bukavu, j’ai interrogé les membres du
clergé diocésain sur leur perception quant au degré de responsabilité de la gestion économique et
financière du diocèse et son impact sur la viabilité de l’institution.
grandes turbulences, a dû lui-même démissionner le 29 juillet 2013, après dix ans de charge pastorale dans ce diocèse, alors
qu’il n’avait que 66 ans d’âge.
405
Voici les résultats auxquels je suis parvenu :
Tableau n° 21 : La responsabilité de la gestion économique et financière dans l’archidiocèse de Bukavu
Evêque Econome CDAE
Qui est le gestionnaire principal des biens matériels du diocèse ? 56 11 08
De qui dépend la bonne ou la mauvaise gestion de ces biens? 57 15 12
Qui ordonne les grandes dépenses dans votre diocèse ? 55 08 10
Qui engage votre diocèse dans les opérations économiques importantes? 59 07 09
Qui devrait réellement prendre des grandes décisions ? 16 06 53
Source : Notre enquête : juillet-août 2010
Dans ce tableau, 75% des membres du clergé de Bukavu interrogés reconnaissent que l’évêque est le
gestionnaire principal des biens matériels de leur diocèse ; 76% lui attribuent la bonne ou mauvaise
gestion de ces biens, puisqu’il en est le grand ordonnateur des dépenses, au dire de 73% du clergé
interrogé, tandis que 79% voient en lui l’unique décideur des opérations économiques importantes
comme les acquisitions et les cessions, alors que ces grandes décisions devraient, selon 71% des
interrogés, être prises par le CDAE, instance suprême d’un diocèse en matière économique dont
l’évêque est le président.
D’après ces données de l’enquête, l’évêque dans le diocèse de Bukavu s’est substitué à cette instance et
décide seul. Certains membres de son clergé observent que toutes les décisions économiques et
financières sont ses initiatives personnelles et prises non pas dans le cadre approprié, mais en
accord avec son économe général avec qui il entretient des liens extraprofessionnels jusqu’à la
camaraderie ou même la complicité. On comprend que ces membres du clergé de Bukavu voudraient
voir leur évêque agir beaucoup plus comme un manager.
406
1. Le travail de l’évêque d’un diocèse est celui du manager d’une entreprise
Nous pouvons comparer, toutes proportions gardées, l’évêque d’un diocèse à un manager d’une
entreprise. Celui-ci n’est pas un homme-orchestre, c’est un chef d’orchestre. Lorsqu’il fait lui-même une
tâche qu’il pouvait déléguer, le manager appauvrit l’entreprise. Le champ d’action du manager : les
hommes, les collaborateurs, le « capital humain » de l’entreprise. Il s’agit, entre autres, de décider,
déléguer, mobiliser, responsabiliser, gérer les conflits (…) et faire évoluer les membres de l’équipe. En
effet, un des principes essentiels à retenir est que le développement de chacun des collaborateurs assure
la réussite collective.
L’efficacité d’un manager peut donc aussi se mesurer dans sa capacité à assurer le développement de ses
collaborateurs, pour les mener le plus possible vers l’autonomisation (autonomisation s’entend ici par
rapport à la mission et non pas comme autonome dans l’entreprise). L’optimisation des capacités de
travail de son équipe est une des missions principales du manager. Elle recouvre la définition de
l’organisation du travail et des missions de chacun. Il s’agit aussi de fixer les objectifs à atteindre, de
suivre leur but de donner du sens au travail et de motiver les collaborateurs pour qu’ils soient au
maximum de leur potentiel.
Le rôle du responsable est d’harmoniser les objectifs de chacun et d’utiliser au mieux leur énergie
disponible, pour les faire tendre vers la réalisation des objectifs de l’équipe et donc de l’entité. Le rôle
du manager dans ce cadre précis est aussi de gérer les conflits et les dysfonctionnements au sein de son
équipe. Il doit se positionner comme recours dans le cas de difficultés, mais non comme un apporteur
permanent de solution. En effet, il s’agit de ne pas perdre de vue que l’autonomisation de son équipe est
un objectif important pour le manager. Le manager décide des objectifs et définit la stratégie, il assume
la responsabilité du choix entre les différentes options qui s’offrent à lui. Son objectif est de faire
progresser l’activité et il prend donc en charge l’initiation de changements, leur mise en place et
l’accompagnement de son équipe vers ces nouvelles orientations ou missions.
Dans le cadre de ses compétences managériales, le rôle du manager est d’utiliser au mieux et développer
les compétences de ses collaborateurs ; motiver les membres de son équipe, c’est-à-dire faire en sorte
que leurs objectifs personnels soient compatibles avec les objectifs globaux de l’organisation ;
communiquer, faire adhérer, réguler les tensions, gérer les conflits. Le manager doit donc connaître et
analyser ses forces, ses faiblesses et ses motivations, ainsi que celles de ses collaborateurs pour adapter
ses méthodes, son attitude en fonction des besoins réels de chacun. Au quotidien, le manager cherche à
découvrir des opportunités qui incitent ou initient le changement, l’épanouissement, l’imagination et le
dépassement de soi.
407
Il tente de nouvelles expériences, prend des risques et tient compte de ses erreurs, présente à ses
collaborateurs des développements futurs engageants et valorisants, entraîne ses collaborateurs dans une
vision commune, favorise la collaboration l’entraide en faisant la promotion de buts coopératifs et en
bâtissant la confiance au sein de l’équipe, appuie ses collaborateurs, renonce à son pouvoir, offre un
choix, développe des compétences, attribue des tâches valorisantes et offre un encouragement visible,
donne l’exemple en agissant selon les valeurs véhiculées, souligne et valorise les petites victoires : elles
démontrent un progrès constant et nourrissent l’engagement des autres face au projet, reconnaît la
contribution des collaborateurs quant au succès de chaque projet, célèbre régulièrement les
accomplissements de l’équipe. Pour manager, il n’y a pas une seule et unique manière d’agir. Il est
question de s’adapter en fonction des collaborateurs, de leur degré de maturité professionnelle, de leur
personnalité…
Toutefois, on peut identifier des « styles de management » qui se définissent à partir du degré d’intérêt
porté à l’accomplissement des tâches et/ou la qualité de la relation entretenue avec les collaborateurs.
On passe donc de l’autorité à l’autonomisation. Dans ce processus, le manager décide et annonce ses
décisions ; le manager vend ses décisions ; le manager présente ses idées et suscite des questions ; le
manager présente des ébauches de décision sujettes à changement ; le manager présente des problèmes,
rassemble les suggestions et décide ; le manager définit le cadre et demande au groupe de décider ; le
manager autorise ses collaborateurs à fonctionner à l’intérieur des limites qu’il a lui-même fixées.
Et comme on le voit, il y a une relation étroite entre le degré de maturité des collaborateurs
(compétence/motivation) et le style de management qui sera le plus adapté et le plus performant. En
effet, plus la compétence du collaborateur est élevée, moins il est nécessaire que le manager se centre
sur la tâche. D’autre part, plus la motivation est faible, plus il est nécessaire que le manager s’investisse
dans la qualité de la relation qu’il entretient avec ses subordonnés. On cherche ainsi à établir un cycle du
style de management approprié au niveau de maturité des collaborateurs. Le choix des collaborateurs est
la base de réussite ou d’échec dans l’atteinte des objectifs. C’est le cas d’un économe diocésain.
2. Le choix d’un Économe diocésain, base de réussite ou d’échec dans l’atteinte des objectifs de
l’autofinancement
Dans ses prérogatives, l’évêque délègue généralement un certain nombre de ses tâches et responsabilités
à certains collaborateurs, dont les curés de paroisse et l’économe diocésain. Je ne parlerai que de ce
dernier pour ne pas m’éloigner de mon étude. Il y a délégation lorsqu’un responsable, au terme d’un
contrat, confie à l’un de ses collaborateurs une activité ou une mission en vue d’agir en son nom.
408
Passage incontournable vers le succès mais aussi véritable défi, la délégation s’appuie sur la confiance
en l’autre et sur l’abandon d’une partie de son pouvoir au profit d’un collaborateur. Elle ne saurait de ce
fait se concevoir sans contrôle. La délégation ne saurait également se confondre avec une simple
instruction ou un ordre : confier à quelqu’un une tâche, ce n’est pas déléguer mais lui confier une
véritable mission c’est la preuve d’une possible délégation.
Quels sont les avantages de la délégation263 ? Les raisons qui amènent un dirigeant à opter pour la
délégation sont nombreuses et elles présentent de nombreux avantages d’abord pour le responsable lui-
même, ensuite pour celui qui reçoit la délégation, enfin pour toute l’entreprise. Les avantages de la
délégation concernent d’abord le manager qui, délégation engagée, va pouvoir se centrer sur d’autres
activités qu’il juge plus importantes. En effet, cela va lui permettre de mieux gérer son temps et de se
donner d’autres priorités. Au vu de la complexité de la charge épiscopale, il convient à l’évêque de
déléguer à l’économe diocésain toutes les questions liées au patrimoine de son diocèse, quitte à
s’enquérir auprès de lui périodiquement de la marche des activités.
Mais d’abord, avant qu’elle ne soit conclue et formalisée avec le délégataire, il va lui falloir choisir la
bonne personne, ce qui impliquera pour lui une démarche fort utile : celle d’identifier les compétences et
les ambitions de chacun de ses collaborateurs afin de déterminer celui qui sera le plus apte à recevoir la
délégation. Ensuite, il lui faudra cerner avec précision la mission qu’il est prêt à confier et se préparer à
expliquer au délégataire sélectionné les raisons de son choix. Il lui faudra apprendre à négocier les
termes du contrat de la délégation et le mode de contrôle afférent.
Quant aux avantages pour les collaborateurs choisis, ceux-ci auxquels une délégation a été donnée citent
souvent comme premier avantage, une véritable reconnaissance : ils se sentent reconnus au travers de
leurs compétences. Et même lorsqu’ils peuvent douter de leur capacité à y arriver, ils perçoivent très
nettement l’opportunité de faire voir à leur responsable et à leurs collègues de quoi ils sont
véritablement capables et l’occasion de se montrer dignes de la confiance qui leur est manifestée.
Il est évident pour tous que l’engagement à prendre des responsabilités est un excellent moyen de se
former à des pratiques nouvelles et à gagner en autonomie. Enfin, l’entreprise qui voit ses managers
déléguer à certains de leurs collaborateurs des missions de plus en plus importantes est une entreprise
qui grandit grâce à une gestion, au quotidien, de ses ressources humaines.
263
Cf.http://www.cci.fr/web/formation-rh/management/-/asset_publisher/4Qhk/content/1-comment-deleguer-taches-et-
responsabilites[Consulté le 04 septembre 2013].
409
L’entreprise en question devient une entreprise dans laquelle les managers apprennent à faire confiance,
s’approprient l’art de la négociation, celui du contrôle et du reporting. L’entreprise crée alors les
conditions favorables à la motivation de ses membres et à la progression collective. Le choix d’un
collaborateur relève du management opérationnel centré sur « le capital humain » de l’entreprise. Le
manager est responsable de la motivation et de l’efficacité de ses collaborateurs. Il définit ou participe à
la définition des objectifs de chacun d’entre eux, prend en charge l’organisation du travail, la répartition
des tâches, la conception des outils et procédures.
Le manager sait tirer parti au mieux des compétences de ses collaborateurs. Il développe les
compétences (savoirs, savoir-faire, savoir être), favorise les prises d’initiative, la « pro activité »,
délègue des missions véritables et non pas de simples tâches, veille à la diffusion de l’information, et
amène une forte valeur ajoutée dans sa contribution globale au fonctionnement de l’entreprise. Parmi les
principaux collaborateurs de l’évêque dont le choix doit être rigoureux et objectif, compte tenu des
enjeux et des contraintes dans l’atteinte des objectifs, en l’occurrence celui de l’autofinancement, il y a
l’économe diocésain, administrateur ordinaire du patrimoine du diocèse.
Il n’est pas superflu de rappeler les attributions d’un économe diocésain, en tant qu’administrateur
ordinaire des biens temporels du diocèse, telles que définies par le Code de droit canonique. Car ce
personnage est déterminant dans l’atteinte, et donc la réussite, des objectifs d’une Église particulière. En
effet, le canon 1284 du Code de droit canonique donne un ensemble de dispositions à respecter dans
l’administration de biens ecclésiastiques : tous les administrateurs sont tenus d’accomplir soigneusement
leur fonction en bon père de famille. Ils doivent en conséquence : veiller à ce que les biens qui leur sont
confiés ne périssent pas et ne subissent aucun dommage, de quelque manière que ce soit, en concluant
pour cela, si nécessaire, des contrats d’assurances ; veiller à garantir par des moyens valides en droit
civil la propriété des biens ecclésiastiques.
C’est aussi observer les dispositions du droit, tant canonique que civil, ou celles qui seraient imposées
par le fondateur, le donateur ou l’autorité légitime, et prendre garde particulièrement que l’Église ne
subisse un dommage à cause de l’inobservation des lois civiles ; percevoir avec soin et en temps voulu
les revenus et profits des biens, les conserver en sécurité une fois perçus et les employer selon
l’intention du fondateur ou les règles légitimes ; payer au temps prescrit les intérêts d’un emprunt ou
d’une hypothèque et veiller à rembourser à temps le capital.
Il est formellement recommandé aux administrateurs d’établir chaque année les prévisions des revenus
et dépenses ; mais il est laissé au droit particulier de les leur imposer et de déterminer de quelle manière
410
elles doivent être présentées (Ibid. :919-920, can. 1284). Le Concile Vatican II recommande aux prêtres
d’administrer les biens ecclésiastiques proprement dits conformément à ce qu’exige la nature des
choses, en observant les lois ecclésiastiques et en recourant si possible à l’aide d’experts laïcs
(Presbyterorum Ordinis, n°17 cité par Alarcon L.: 920), tandis que le canon 286 interdit aux clercs de
faire, par eux-mêmes ou par autrui, le commerce et de faire des affaires à leur profit ou à l’avantage de
tiers. Il s’agit d’importantes restrictions qui ont pour but de maintenir l’administration patrimoniale de
l’Église dans la simplicité propre au témoignage évangélique (Idem : 920).
La reddition annuelle des comptes est un instrument ordinaire de contrôle de l’administration des
patrimoines. Le canon 1284, §2, 8° oblige tous les administrateurs à préparer, à la fin de chaque année,
un compte rendu de leur administration. Les comptes présentés à l’Ordinaire du lieu seront examinés par
le CDAE qui donnera un avis opportun. Enfin, il est stipulé que les administrateurs rendent compte aux
fidèles de l’usage des biens que ceux-ci ont offerts à l’Église, selon les normes du droit particulier. Il
semblerait qu’il s’agisse plutôt d’une information concernant l’état et l’affectation de ces biens que
d’une présentation formelle des comptes de façon régulière.
Après cette longue réflexion sur l’administration des biens ecclésiastiques qui nous a permis de cerner
l’exigence de cet office de la part de ceux qui en ont reçu le mandat pour permettre à l’Église d’atteindre
ses fins socioreligieuses, il convient d’examiner maintenant la mise sur pied des structures d’expertise,
de conception, de contrôle, d’encadrement et d’accompagnement.
411
Section 3: Nécessité d’une mise en place des mécanismes de décision, d’expertise, de conception,
de contrôle, d’encadrement et d’accompagnement
Dans toute profession, l’évaluation est la base du progrès. La réussite d’une organisation passe par la
mise en place des mécanismes de contrôle, d’encadrement de d’accompagnement qui régulent les
activités socio-économiques entreprises en vue de permettre à chaque service de réaliser les objectifs qui
lui sont assignés.
1. Le rôle du Conseil diocésain pour les affaires économiques (CDAE) dans un diocèse
Assimilé, toutes proportions gardées, au « Conseil d’Administration » du diocèse et présidé par l’évêque
ou son lieutenant, c’est l’organe qui approuve les comptes annuels présentés par l’économe diocésain,
vote le budget de fonctionnement ou d’exploitation, décide des investissements du diocèse, définit toute
la politique économique et financière du diocèse. L’évêque diocésain en nomme les membres, au moins
trois personnes, pour cinq ans (c. 492).
Ce conseil est chargé de préparer le budget prévisionnel du diocèse et d’approuver le budget écoulé.
C’est à lui que l’économe diocésain doit rendre compte chaque année de sa gestion (C.494§4). Dans la
gestion économique du diocèse, il intervient de la même manière que le collège des consulteurs. Il est
chargé de contrôler l’économe. Enfin, il doit contrôler les comptes des personnes juridiques soumises à
l’autorité du diocèse (De Angelis Daniele, 2003 :117). En effet, la législation de l’Église oblige chaque
évêque diocésain d’avoir un conseil d’administration pour l’aider dans la gestion des biens de son
diocèse.
Le Concile Vatican II a insisté sur le droit et le devoir d’intervention et de collaboration des laïcs,
lorsqu’il s’agit du bien de l’Église. Selon la science, la compétence et l’autorité dont ils jouissent, ils
peuvent, et même parfois doivent donner leur avis en ce qui concerne le bien de l’Église. Car sa bonne
gestion économique nécessite d’adjoindre aux membres de la vie consacrée, des organismes institués
dans lesquels se trouvent représentés les laïcs264. Cette collaboration de prêtres et de laïcs compétents
dans la gestion des biens temporels est souhaitée comme une complémentarité, dans la mesure où
l’Église peut ne pas trouver au sein de son clergé diocésain ou missionnaire des personnes qui ont des
264
Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise « Lumen Gentium », Paris, Editions du
Centurion, 1967, n° 37a.
412
compétences requises : « Quant aux biens ecclésiastiques proprement dits, les prêtres les administreront conformément
à leur nature et selon les lois ecclésiastiques, autant que possible avec l’aide de laïcs compétents »265.
Une bonne gestion des biens temporels avec l’assistance de prêtres et de laïcs compétents en matière
financière s’avère d’autant plus efficace qu’elle ne sera pas simplement ponctuelle mais
institutionnalisée. C’est la solution adoptée par le droit canon qui impose que toute personne juridique
ait son CDAE ou au moins deux conseillers pour aider l’administrateur dans l’accomplissement de sa
charge, selon les statuts (Alarcon, L. 1999 : 916-917, can. 1280). Il s’agit, ajoute Alfred Nothum, d’une
obligation générale pour toute personne juridique, qu’elle soit privée ou publique.
Au niveau du diocèse et des paroisses, de simples conseillers ne suffisent pas : c’est proprement un
CDAE qui doit être constitué dont la structure et la compétence générale sont déterminées non par
l’évêque, comme c’est le cas pour le conseil paroissial pour les affaires économiques, mais par le Code
qui, par ailleurs, énumère les cas concrets où son avis ou son consentement sont requis pour la validité
des actes de gestion des biens ecclésiastiques (Nothum, A., 2003 : 94, can. 492-494).
On mesure toute l’importance que la législation de l’Église accorde au CDAE, jusqu’à lui conférer un
caractère obligatoire et permanent, si bien que, contrairement à ce qui se passe pour le conseil
presbytéral et le conseil diocésain pour la pastorale266, les vicaires général et épiscopal267, il ne cesse pas
pendant la vacance du siège épiscopal268. Bien plus, pour que la gestion des biens temporels soit la plus
efficace et transparente possible, le législateur n’exige pas seulement, pour l’administration ordinaire, la
nomination d’un économe diocésain, qui, lui aussi, doit être une personne compétente dans le domaine
économique et remarquable pour sa probité (can. 494§1).
265
Idem, Décret sur le ministère et la vie des prêtres « Presbyterorum ordinis », n° 17c.
266
Au titre des can. 501§2 et 513§2, « Dans chaque diocèse sera institué : * le conseil presbytéral (obligatoire), c’est-à-
dire la réunion des prêtres représentant le presbyterium qui soit comme le sénat de l’évêque, et à qui il revient de l’aider
selon le droit dans le gouvernement du diocèse, dans le but de promouvoir le plus efficacement possible le bien pastoral de
la portion du peuple de Dieu confiée à l’évêque » (can. 495§1). * le conseil diocésain de pastorale (facultatif), dans la
mesure où les circonstances pastorales le suggèrent, auquel il revient sous l’autorité de l’évêque d’étudier ce qui dans le
diocèse touche l’activité pastorale, de l’évaluer et de proposer des conclusions pratiques » (can. 511) ; * le Presbyterium :
l’ensemble des prêtres incardinés ou inscrits dans le diocèse et des autres prêtres qui sont à son service.
267
Cf. can. 481§1. Cf. Eone Eone O., Le pouvoir des vicaires généraux et épiscopaux (coll. « Cahiers de droit ecclésial »,
n°2), Presse de l’UCAC, Yaoundé (1998 : 28).
268
La vacance du siège épiscopal : « Le siège épiscopal devient vacant par la mort de l’évêque diocésain, par sa
renonciation acceptée par le Pontife Romain, par son transfert et par la privation notifiée à l’évêque » (can. 416). Cf.
Nothum A., in Recchi S., 2003 : 95.
413
Mais, pour les opérations de plus grande importance, il rend encore obligatoire, conjointement avec le
CDAE, l’avis ou le consentement du conseil presbytéral ou du collège des consulteurs. Pour Nothum, si
l’on tient compte de ce que les biens temporels appartenant à l’Église ne peuvent être utilisés que pour
réaliser les fins qui lui sont propres (can.1254) et que les administrateurs doivent rendre compte aux
fidèles de l’usage des biens que ceux-ci ont offert à l’Église (can. 1287 §2), il paraît hautement
souhaitable que l’évêque présente aussi la gestion des biens du diocèse au conseil diocésain de pastorale
et au conseil presbytéral, parce que, dit l’auteur, ces deux conseils représentent toutes « les forces
vives » du diocèse (Nothum, A., 2003 : 96).
269
Nothum, en commentant cette prudence épiscopale, estime que, tenant compte des liens très forts dans la famille élargie
africaine, le droit particulier diocésain ou même un décret de la Conférence des évêques pourraient étendre davantage cette
prohibition. Dans le Code, des prohibitions semblables existent encore pour le vicaire général (can. 478 §2), le personnel
des tribunaux (can. 1448 §§1-2) et les administrateurs des biens ecclésiastiques (can.1298). Bien que le Code ne l’impose
pas, cette prohibition devrait valoir également pour l’économe diocésain. Cf. Nothum A., 2003: 99.
414
Certains canonistes estiment que le nombre impair est préférable pour parvenir plus facilement à un
résultat clair, lors de décisions collégiales ; car le président (l’évêque) ne participe pas aux votes et, en
cas de parité, rien n’est décidé (Nothum, A., 2003 : 98, can. 127 §1).
Dans l’archidiocèse de Yaoundé, le CDAE a été institué par l’archevêque André Wouking. Avant lui,
cette instance décisionnelle du diocèse en matière économique n’existait pas. Autant dire que durant
plus de quatre décennies, ce diocèse important a fonctionné sans une instance de contrôle et
d’encadrement sur des questions économiques. La conséquence logique qui s’en est suivie fut le crash
financier de 1998 sous la gestion de l’économe diocésain Jean Claude Soete. Mais, ce prélat n’a pas eu
le temps d’animer cette instance puisqu’il est décédé très tôt.
Tirant les leçons du passé, c’est son remplaçant, Mgr Victor Tonyé Bakot à peine installé qui nomme
effectivement les premiers membres, dont le procès-verbal de la session extraordinaire du 27 mai 2004
énumère 17 membres répartis ainsi : six ecclésiastiques, neuf Conseillers parmi lesquels on peut
découvrir les noms de grandes personnalités du monde sociopolitique du pays (anciens ministres, chef
traditionnel, professeur d’université, juriste…), un Expert-Consultant et enfin le chef comptable de la
Procure de Yaoundé.
Le même procès-verbal mentionne que cette date consacre la « 1ère Session du CDAE avec les nouveaux
membres », où nous pouvons lire à la page ce qui suit : « Dans la recherche des voies et moyens en vue
d’amorcer une autre étape majeure et significative de la relance du Diocèse, dès sa prise canonique, Mgr l’Archevêque
Victor Tonye Bakot a voulu s’appuyer sur l’expérience humaine et le savoir-faire des membres du tout nouveau Conseil pour
les Affaires Economiques de l’archidiocèse de Yaoundé qu’il venait de nommer pour remettre sur pied l’archidiocèse de
Yaoundé financièrement. Il a souhaité que le nouveau conseil, grâce à ses compétences diverses et à son sens des affaires,
puisse aider l’Église-famille de Dieu à assurer une bonne gestion de son patrimoine et surtout à affronter avec méthode le
service de l’énorme dette, véritable frein dans les activités de fonctionnement et de la recherche de la capacité
d’autofinancement ».
Dans son discours de circonstance, le prélat a défini les objectifs qu’il assigne à cette instance : « Il ne
s’agit pas d’une instance académique mais d’une instance de réflexion économique, de recherche des moyens et de gestion
financière. Il y a une crise à résorber et l’urgence de parvenir à un fonctionnement normal… Les différentes problématiques
dont les enjeux sont jugés importants tout au long de ce premier mandat tournent essentiellement autour de : service de la
dette, fonctionnement ordinaire et investissement du diocèse, audit de la Procure, de la CDO, du Service diocésain de la
santé, du Secrétariat à l’Education, stratégie la plus sûre pour attirer de nouveau la confiance des usagers… ».
Cette restructuration répond au souci de l’évêque de se doter des moyens humains adéquats, capables de
l’aider à atteindre les objectifs globaux liés à la pastorale d’ensemble et ceux spécifiques relatifs à la
nécessité de l’autofinancement. Grâce à cela, le diocèse s’efforce d’obtenir un financement interne
disponible pour investir et se développer dans le sens de la stratégie qu’il se donne en même temps qu’il
lui donne la garantie du remboursement de sa dette financière.
415
Finalement, l’autofinancement apparaît comme un élément puissant de la capacité de remboursement du
diocèse. Dans son écrit intitulé « Comment financer notre année pastorale 2004 ? », Alfred Martin
Abega reconnaît que l’autofinancement est un défi permanent surtout pour un diocèse en difficulté
comme celui de Yaoundé, dont les charges incompressibles sont énormes (fonctionnement, santé des
agents apostoliques, entretien du patrimoine…). Pour lui, l’autofinancement exige des acteurs d’être
moins théoriques et plus pratiques (Abega, A., M., 2004 :1).
Ceci est positif car l’objectif d’autofinancement ne peut être atteint que par une prise de conscience
collective, qui entraîne une mobilisation générale, depuis la hiérarchie du diocèse jusqu’aux chrétiens en
passant par leurs pasteurs, lieutenants de l’évêque dans leur paroisse. En effet, l’autofinancement d’un
diocèse c’est affaire de tous les acteurs de cette institution et non une affaire du seul évêque et de son
économe diocésain. C’est dans ce sens qu’en 2003 à Yaoundé, l’évêque avait voulu s’associer des
personnalités influentes dans leurs milieux socioreligieux et professionnels, à travers un travail de
sensibilisation en mettant sur pied un comité de réflexion afin d’amener toutes les couches sociales de
l’archidiocèse à adhérer à cet objectif d’autofinancement.
Dans l’archidiocèse de Bukavu, il y a plutôt une impérieuse nécessité de créer deux bureaux
d’accompagnement et de contrôle devant jouer le rôle de cellules d’expertise pour le CDAE. Ces deux
cellules sont : le bureau administratif et juridique et le bureau économique et financier.
De sorte que sans un effort d’amélioration, l’objectif de l’autofinancement serait un leurre. En effet, le
fonctionnement rationnel de l’économat général reste un véritable défi pour l’autorité diocésaine
puisque cette structure est restée dans sa conception initiale, mise en place par les Pères Blancs où elle
était réduite à assurer un service social minimum des missionnaires dans leurs missions et dans leurs
couvents. Pour arriver à jouer son rôle d’épine dorsale économique du diocèse, il est impérieux de créer
deux bureaux qui serviraient de services d’expertise pour le CDAE: un Bureau administratif et juridique
(BAJ) pour la gestion des contentieux et un Bureau économique et financier (BEF) pour la bonne
gestion des Services centraux du diocèse.
416
1. Le Bureau administratif et juridique (BAJ) et ses attributions
Une des grandes faiblesses de l’Économat général de Bukavu, c’est le manque de transparence dans la
gestion du personnel laïc qui travaille dans les différentes structures du diocèse, surtout dans les
paroisses : il s’agit entre autres des ouvriers, cuisiniers, sentinelles, … qui œuvrent depuis plusieurs
années sans aucun contrat de travail. Il en est de même de plusieurs enseignants d’écoles primaires et
secondaires gérées par le diocèse qui, au terme de plusieurs années de service, ne sont régis par aucune
législation du travail270 de nature à leur garantir l’avenir et celui des leurs.
Or c’est grâce au contrat du travail que l’employeur et l’employé aménagent dès l’origine les rapports de
travail. L’employeur qu’est l’économat général de Bukavu utilise tout ce monde au mépris du Droit de
Travail, au sens où celui-ci se définit comme l’ensemble des règles régissant les relations individuelles
et collectives du travail entre les employeurs et les employés. Dans un CDAE du 27 novembre 2000, le
père Amato Sebastiano, économe diocésain reconnaissait que, sur une durée de cinq ans, le poste le plus
important de son budget annuel, c’est le paiement des contentieux dus aux litiges de travail. Car certains
ouvriers, encadrés par des jeunes avocats formés dans des universités de la place, parfaitement informés
de cette exploitation éhontée, ont commencé à traîner en justice l’économat général.
La grande tâche du BAJ que j’exhorte le diocèse de Bukavu de créer consistera à normaliser toutes ces
situations litigieuses avec le personnel ouvrier, enseignant, ainsi que la gestion des cadastres avec le
Titres fonciers des importants domaines du diocèse disséminés dans les différentes paroisses et qui font
régulièrement l’objet de spoliations et de convoitises. Ces situations seulement portent préjudices aux
employés, mais aussi elles entament la crédibilité du diocèse en ce qui concerne le respect des droits des
personnes et de la justice charitable. Le BAJ devra se charger de promouvoir dans ce diocèse les
objectifs généraux et spécifiques du Droit de Travail.
Les objectifs généraux s’intègrent dans la politique adoptée par l’État en matière sociale. Il s’agit avant
tout de concilier la protection du travailleur avec la sauvegarde de l’entreprise et d’assurer la paix
sociale et la stabilité politique. La protection du travailleur est assurée à travers l’aménagement des
conditions de travail (durée du travail, repos, hygiène, sécurité, maternité) et la protection des
travailleurs contre le licenciement injustifié.
270
Au Petit séminaire de Mugeri, durant trente-huit ans, le « capita, chef des ouvriers » a travaillé sans aucun contrat. Il en
est de même de ses subalternes dont certains sont engagés en théorie mais personne ne détenait un document contractuel.
Dans la même école privée appartenant à l’archidiocèse de Bukavu, beaucoup de professeurs y ont travaillé durant des
décennies sans signer aucun contrat.
417
Ils réalisent aussi la sauvegarde de l’entreprise en recherchant sa survie à travers le licenciement pour
motif économique, le chômage technique, la révision des conditions de travail, la réglementation
rigoureuse de la grève, etc.
A côté de ces objectifs généraux, le BAJ devra s’employer à promouvoir les objectifs spécifiques du
Droit de Travail, mais rechercher également la protection de l’entreprise. Cet objectif nouveau, né de
l’observation des réalités économiques, apparaît comme l’une des grandes priorités du Droit de Travail
moderne. En effet, l’entreprise demeure en Afrique comme ailleurs le moteur du développement. L’État
ne peut développer sa politique d’emploi qu’en s’appuyant sur les entreprises variées et susceptibles
d’offrir des emplois aux citoyens et aux jeunes diplômés.
Le Droit du Travail doit donc mettre à la disposition des employeurs des instruments juridiques leur
permettant de maîtriser la gestion des ressources humaines. L’expérience montre que la plus importante
cause d’échecs des entreprises congolaises et africaines réside dans la mauvaise utilisation des
ressources humaines. En effet, certains chefs d’entreprises considèrent celles-ci comme une affaire
personnelle ou familiale et ne comprennent pas la nécessité de recruter le personnel en fonction des
besoins réels de l’entreprise et la nécessité d’associer le personnel à la réalisation des objectifs de
l’entreprise.
Par ailleurs, la tâche du BAJ sera de faire respecter le code du Droit du Travail qui permet une maîtrise
de grands problèmes de gestion de l’entreprise, à savoir les problèmes de recrutement, de gestion de
l’emploi, des mouvements de personnel ou des procédures de conflits, du déroulement normal de la
carrière du travailleur, de la prise de compte de son ancienneté, de son avancement et des conditions de
son départ à la retraite.
Un autre dossier du Droit du Travail non moins délicat sur lequel le BAJ devra se pencher, c’est celui
relatif aux incidents de carrière. En effet, plusieurs éléments peuvent entraver l’exécution du contrat de
travail. Il s’agit notamment, d’une part, de la modification du contrat (qui peut intervenir dans deux
hypothèses : en cas de changement d’employeur et en cas de révision des conditions de travail) et,
d’autre part, de la suspension du contrat (le contrat de travail peut être suspendu à la suite des
événements ci-après: le départ du travailleur sous le drapeau, la fermeture de l’établissement par suite du
départ de l’employeur sous le drapeau, la maladie du travailleur, le congé de maternité, la mise à pied,
l’accident du travail et la maladie professionnelle, la nomination ou l’élection du travailleur à des
fonctions politiques ou administratives, la garde à vue ou la détention préventive du travailleur, le départ
du travailleur en congé d’éducation ouvrière, c’est-à-dire la formation syndicale, l’absence du travailleur
appelé à suivre son conjoint déplacé hors de la résidence habituelle, le chômage technique).
418
Ce sont autant d’éléments du Droit du Travail que le BAJ devra mettre à la disposition de l’employeur
qu’est l’archidiocèse de Bukavu à travers tous les gestionnaires des structures ou services centraux et
curés de paroisse à qui l’autorité diocésaine donne la délégation de gérer des employés.
Un autre cadre d’expertise à créer au sein de l’Économat général, c’est le Bureau économique et
financier (BEF) dont la mission est aussi noble que le précédent, car ils sont des services d’expertise du
CDAE chargés d’élaborer des normes générales et particulières de gestion administrative et financière à
l’intention de l’Économat général et les autres centres décisionnels hiérarchiques du diocèse (services
centraux, paroisses).
Au début des années 1970, on trouve déjà une certaine prise de conscience par l’épiscopat national du
Zaïre de son devoir en termes de tâche prioritaire, son rôle d’éduquer les composantes chrétiennes face
au développement, une nécessité impérieuse. L’épiscopat zaïrois est aussi conscient des difficultés à
surmonter pour éveiller les consciences qui avaient été annihilées par la pratique coloniale, susciter la
volonté de se développer, inviter tout le monde à travailler pour le développement du patrimoine
national en vue de construire une nation mure et responsable, digne et susceptible d’épanouir l’homme.
A ce sujet, on peut lire avec intérêt la déclaration du président de la Commission épiscopale pour le
développement, lors de son discours inaugural du Séminaire National“Église et Développement”. Il
retrace les réalités matérielles du Congo sous l’administration coloniale, mais la participation consciente
des nationaux faisait défaut (Kabangu, F., 1972 : 11. Cf. Annexe 22).
Dans le cadre de l’archidiocèse de Bukavu, c’est le BEF qui devrait jouer le rôle de la commission
diocésaine des biens matériels dont la mission est d’étudier, d’orienter, de concevoir les interventions
des organes de gestion des biens matériels dans le diocèse, pour favoriser une gestion saine et créative
271
Conférence Episcopale Nationale du Congo, Le chrétien et le développement de la Nation, n. 145 et ss.
419
des biens, pour donner des propositions concrètes, pour rentabiliser tous les secteurs et en particulier
l’Économat général (notamment le magasin, le garage, la Libreco, la menuiserie de Cibimbi, l’élevage
de Mulume-Munene, l’Usine de soja de Murhesa, les plantations du diocèse).
Le BEF doit être constitué de personnes compétentes selon un critère élargi et pluraliste (prêtres locaux,
missionnaires, religieux et laïcs), avec comme interlocuteurs immédiats les responsables de différents
secteurs de production. Ceci facilitera la concertation et la collégialité en vue de la construction de
l’Église-Famille pour un partage des biens et services dans la communion. En effet, les attributions du
BEF sont tout aussi nobles et complexes que celles du BAJ avec lequel il forme en réalité un tout
logique et complémentaire.
272
Le manuel des procédures formalise les principales procédures de gestion administrative, financièreet comptable du
programme. Il a pour objectifs de fournir un cadre formel d'exécution des opérations à caractère administratif, financier et
comptable ; décrire l'organisation administrative, financière, budgétaire et comptable du Programme ; décrire les
procédures d'exécution des dépenses dans les conditions garantissant un contrôle interne efficace, en formalisant les
contrôles à effectuer et définir les responsabilités des intervenants à chaque étape du circuit des documents ; décrire le rôle
et les tâches de l'ensemble du personnel comptable et administratif ; décrire la méthodologie à adopter pour l'atteinte des
objectifs des actions engagées avec une utilisation optimum de l'ensemble des moyens mis en œuvre tels que :le personnel,
le matériel, les ressources financières ; maîtriser les actions engagées et par conséquent comparer les moyens mis en œuvre
aux résultats techniques obtenus à travers les orientations fixées par le manuel ; contribuer à la formation du personnel
directement engagé dans l'exécution du programme ainsi que de l'ensemble des bénéficiaires de l'intervention afin de
faciliter la réalisation des objectifs du programme ; améliorer la productivité du personnel impliqué dans la gestion du
Programme.
Cf.https://www.google.fr/le manueldes procédures et de l'organisation comptable [Consulté le 1er/11/2013].
273
Au cours de son existence, une entreprise doit procéder des investissements. La rentabilité recherchée et le risque encouru ne sont pas de même
nature lorsqu'il s'agit de décider des investissements industriels, commerciaux ou sociaux (non productifs) qui répondent à des finalités différentes :
l'investissement de renouvellement ou de productivité: il doit améliorer le rapport Qualité/Prix des produits fabriqués.
L'investissement d'expansion: est lié à une volonté de développement de l'entreprise qui prévoit d'étendre le marché d'un produit
420
Parmi les ressources principales de celles-ci, le denier de l’Église (auparavant appelé denier du culte),
les quêtes ordinaires et les casuels occupent une place prépondérante. Disons un mot sur chacune
d’elles. En France, le denier de l’Église a été institué après la séparation de l’Église et de l’État pour
remplacer le budget du Culte274. Il sert à assurer la vie matérielle des prêtres, la rémunération des laïcs
en mission ecclésiale, les salaires des personnels administratifs et la formation des séminaristes.
Vu l’importance de cet élément financier parmi les ressources de l’Église, une attention toute
particulière mérite de lui être consacrée par le bureau économique et financier de l’archidiocèse de
Bukavu pour définir un cadre uniforme de sa perception de manière efficace et efficiente par les
paroisses. Car il est à constater que l’assiette du denier de l’Église est insuffisamment connue des
fidèles, cependant que d’autres ne la donnent même pas.
Lors de mes enquêtes réalisées sur le terrain en juillet-août 2010, sur les 864 chrétiens des 13 paroisses
du diocèse, dont 523 femmes et 341 hommes rencontrés, 84% (dont 53% d’hommes et 31% de femmes)
n’ont pas payé le denier d’Église depuis plus de vingt ans. A la question de savoir pourquoi, 61% des
84% déclarent n’avoir pas été sensibilisés par leur paroisse, tandis que 34% évoquent les difficultés
économiques, 5% disent ne pas le payer puisqu’ils n’ont aucune garantie que leur contribution est bien
utilisée. 88% de cette dernière tranche affirment leur volonté ferme d’aider leur Église en donnant le
denier de l’Église si leurs revenus le permettaient.
L’on voit encore ici combien la situation socioéconomique et politique du Congo influe beaucoup sur la
vie matérielle des Églises locales de ce pays, ce qui confirme notre deuxième hypothèse de travail selon
laquelle il y a une forte corrélation positive entre le bien-être général des populations chrétiennes, leur
propension à donner et la vie matérielle de l’archidiocèse de Bukavu. En d’autres termes, sa vie
économique dépend en grande partie du degré de richesses de ses chrétiens et de leur générosité. Car,
comme le dit Carlo Trigilia (2002 : 7), le contexte sociopolitique d’un pays est déterminant pour saisir à
quel point les régulations sociales, institutionnelles et politiques sont fondamentales pour comprendre
les dynamiques de développement économique.
L’archidiocèse de Bukavu peut s’inspirer des expériences de l’Association Diocésaine de Chartres pour
la collecte de cette ressource, organisée selon le calendrier suivant : envoi d’un appel aux donateurs
(croissance) ou d'en lancer un nouveau (diversification).Les investissements non productifs sont ceux qui ne représentent pas de
nécessité pour l'entreprise sur le strict plan de la rentabilité des capitaux propres (recherche, hôpital, école, église).Lorsqu'une entreprise a besoin
d'investir, elle doit résoudre successivement deux problèmes : Quel investissement réaliser ?Comment financer cet investissement ?
274
Cf. Guide administratif à l’usage des paroisses. Diocèse de Chartres, Edition 09/2013, 2.6.1 Les Ressources.
421
répertoriés en février/mars ; information plus large en paroisse par le curé à l’occasion de la messe des
Rameaux pour sensibiliser de nouveaux donateurs. Des enveloppes sont distribuées périodiquement aux
fidèles. Habituellement, l’économat envoie en paroisse la liste des donateurs « en retard » qui ont
envoyé leur participation avant cette date pour que la paroisse vérifie que le don ne soit pas resté en
paroisse. Après vérification, il est du ressort de la paroisse d’envoyer au donateur le dépliant de rappel et
de contacter de nouveaux donateurs (nouvel arrivé par exemple). La recherche de nouveaux donateurs
est vitale pour l’Église.
Tous les dons au denier de l’Église remontent à l’Economat diocésain. Les dons consentis aux
Associations Diocésaines procurent des avantages fiscaux. Pour donner droit à un reçu fiscal, le don être
effectué par chèque uniquement à l’ordre de l’Association Diocésaine de Chartres, seule habilitée à
délivrer ce reçu (Ibid.). Ainsi, le BEF pourrait tirer profit de cette expérience du diocèse de Chartres,
même si l’on sait que les deux Églises ne connaissent pas les mêmes réalités socio-économiques dans la
perception du denier de l’Église. Cette structure mettra un accent particulier sur la sécurisation de ce
fonds jugée insuffisante par les fidèles de Bukavu, la garantie qui devrait leur être donnée sur
l’utilisation de ces fonds.
La deuxième ressource importante du diocèse est constituée de quêtes ordinaires et de casuels, dont nous
avons longuement parlé plus haut. Les quêtes ordinaires faites au cours des messes du dimanche, des
fêtes ou des cérémonies sont versées dans la caisse paroissiale. Quant aux quêtes lors des funérailles,
50% de leur montant servent à dire des messes pour les défunts ; le reste est versé dans la caisse de la
paroisse. On appelle casuel les sommes données par les fidèles pour qui l’Église accomplit un service
particulier à l’occasion de la célébration d’une cérémonie : mariage, inhumation, baptême. Ces offrandes
sont versées à la caisse paroissiale. Elles permettent de couvrir les frais de cérémonie et les charges de la
paroisse. Puisque tous les fidèles n’ont pas les mêmes ressources, on ne peut pas demander un montant
fixe et égal pour tous.
Néanmoins, la référence est de 10 offrandes de messe pour un casuel de mariage ou d’inhumation, soit
170 euros, et de 5 offrandes de messe pour le casuel d’un baptême, soit 60 Euros. Mais il arrive qu’une
famille n’arrive pas à donner sa contribution. L’essentiel c’est le service d’Église à lui rendre qui ne doit
pas faire défaut pour raison financière. Souvent, le casuel d’inhumation parvient aux paroisses par le
biais des Pompes Funèbres. Notons qu’une taxe de 27%, appliquée sur le montant des quêtes et casuels,
est versée à la curie en fin de chaque trimestre. Elle est affectée à la prise en charge des services
communs du diocèse, de la vie matérielle des prêtres et à la vie des services diocésains.
422
Une autre rubrique de ressources du diocèse concerne les quêtes impérées. La quête impérée est une
quête faite dans un esprit de solidarité et d'ouverture. Dans l'année, un certain nombre de quêtes sont
affectées à des causes spécifiques (missions, vocations, aumôneries scolaires...). C’est l’évêque qui
publie les dates des impérées de l’année. Généralement, elles sont les mêmes dans tous les diocèses du
monde et sont au nombre de dix dans l’année, au profit d’œuvres en dehors de la paroisse : formation
des séminaristes, Denier de Saint Pierre, etc. Ces quêtes sont faites en fin de messe pour éviter toute
confusion avec la quête paroissiale. Leur produit remonte intégralement à la curie avec le bordereau
trimestriel, à l’exception des quêtes organisées par l’organisme destinataire s’il est présent le jour précis
(exemple : Secours Catholique). Pour les autres, l’Economat diocésain acheminera la collecte vers
l’organisme destinataire.
Pour sensibiliser les fidèles, dans sa lettre circulaire, l’évêque annonce la quête impérée et fait un
argumentaire, en expliquant aux fidèles le bien-fondé de la générosité qui leur est sollicitée.
D’autres ressources de l’Église sont les dons et legs. En effet, la paroisse peut bénéficier de recettes
extraordinaires et, parmi celles-ci, les legs et les dons. Mais il faut garder dans l’esprit que, fiscalement,
la paroisse n’a pas de statut juridique. Celle-ci peut recevoir directement un don manuel. Dans le cas
d’un don en argent associé à un reçu fiscal, ce don doit être libellé à l’ordre de l’Association Diocésaine,
seule habilitée à délivrer un reçu. Il transite par la curie avant de revenir en paroisse. Par contre, seule
l’Association Diocésaine est habilitée à recevoir des legs, en franchise de droit de mutation, donc à titre
gratuit.
L’affectation des legs peut être générale (exemple le diocèse) ou spécifique (exemple : la paroisse de…,
l’œuvre…). Un délégué Legs, nommé par l’évêque du diocèse, se tient à la disposition de toute personne
souhaitant être informée sur les démarches à suivre. En informer l’économat qui fera passer le message.
Le legs peut être universel ou particulier. Après le décès du testateur, la procédure peut durer plusieurs
mois sinon années.Si un legs est fait au bénéfice d’une paroisse, l’Association Diocésaine, après
encaissement du montant de legs, le reversera à cette dernière, déduction faite de 3% pour frais de
gestion.
Terminons cette rubrique des ressources du diocèse en évoquant les offrandes de messe. En effet, les
fidèles qui donnent une offrande de messe pour que la messe soit célébrée à leur intention contribuent au
bien de l’Église et participent par cette offrande à son souci pour le soutien de ses agents rémunérés
(clergé et laïcat au service de l’Église) et de ses œuvres. Les offrandes de messe sont remises à la
paroisse par les familles en précisant l’intention ou sont recueillies à l’occasion des inhumations par
affectation de 50% de la quête.
423
Ces offrandes de messe à célébrer sont inscrites sur un registre spécial avec la mention de l’intention.
Les sommes sont inscrites en comptabilité. Les offrandes de messe entrent dans le calcul de la
rémunération du clergé. Dans les diocèses de France, le nombre de 20 à 21 messes leur est attribué
chaque mois par la paroisse, à raison de 17 euros l’offrande de messe. Les paroisses qui recueillent des
offrandes en nombre trop important transmettent le surplus au Secrétariat de l’évêché qui assurera la
distribution auprès de ceux qui en manquent. Un compte spécial existe pour les offrandes de « messes de
binage » (cas où le prêtre dit deux messes le même jour, mais il ne perçoit qu’une offrande).
Toutes ces contributions des fidèles peuvent être difficilement réunies dans cette Afrique à économie
essentiellement agricole qu’il serait hasardeux de ne tabler uniquement sur des contributions en
numéraire. Il est nécessaire de mettre l’accent sur les formes de contributions en nature, bien que le
Code de Droit canonique les ait toutes exclues (Ludiongo, N., E. : 1990 :269). Les fidèles d’une paroisse
auraient de la peine à réunir une somme importante à remettre à leur pasteur en vue d’un besoin réel à
satisfaire (construction ou réparation de l’église, construction d’une école). Par contre, ils sont en
mesure de donner des haricots, maniocs et autres produits agricoles, qui valent exactement des grands
prix sur le marché.
L’Église congolaise, celle de Bukavu en particulier ne peut pas négliger la contribution substantielle en
nature des fidèles qui n’est malheureusement pas chiffrée. C’est un travail du BEF du diocèse de mettre
en place des mécanismes pour arriver à chiffrer en référence aux prix du marché toutes ces importantes
contributions en nature (coqs, chèvres, dindes, tomates, pommes de terre, oignons, arachides, bananes
plantains, …) apportées joyeusement par des fidèles en procession chaque dimanche lors de l’offertoire
et déposées sous l’autel pour l’alimentation de leurs pasteurs.
Ainsi, les données chiffrées de chaque paroisse permettront à l’économat diocésain de tenir une
comptabilité exacte et précise quant aux ressources du diocèse provenant des fidèles de chaque paroisse.
Celle qui en reçoit davantage devra verser une partie à l’économat pour alimenter les paroisses moins
pourvues. Selon Edouard Ludiongo (1998 :237-244), les finances ont de tout temps constitué un monde
secret, inconnu voire mystérieux. Les responsables d’Église devraient améliorer leur système de
communication pour éviter toute suspicion provenant d’un manque d’informations. Pour cela, une saine
organisation et une transparente administration du patrimoine ecclésiastique s’imposent. La création des
structures destinées à cette fin, à savoir le BEF comme organe d’expertise du CDAE, de l’économe
diocésain et du Collège des consulteurs, a toujours été exigée par les instances supérieures. Pour
l’auteur, les organismes de financement devraient changer de politique, en cherchant de financer ne fût-
ce qu’un macro-projet dans chaque Église particulière.
424
Selon lui, la croissance dans la foi doit aller de pair avec la croissance économique. Comme il faut des
agents pastoraux, dit-il, il nous faut aussi des agents économiques. Faudra-t-il alors des prêtres
ingénieurs, médecins, agronomes, juristes, chimistes, physiciens, économistes, sociologues,
anthropologues, etc. L’Église africaine a aussi besoin de tout ce monde, tout en comptant pourtant sur la
collaboration de ses fidèles laïcs. D’ailleurs, c’est ce qui explique la création des Facultés « profanes »
au sein des universités catholiques. Les acteurs et religieux et non religieux doivent travailler ensemble
dans ce noble projet de croissance économique, en partageant leurs expériences professionnelles et leur
savoir-faire, mener des initiatives communes pour permettre à leur Église d’arriver à son autonomie
financière. Solidarité et partage, tel est le baptême qui doit présider aux destinées de la croissance
économique de l’Église africaine du troisième millénaire (1990 : 270).
Afin de remédier à ces insuffisances, le BEF devra mettre en place un système de communication
intense avec les fidèles pour les rassurer que les fonds qu’ils donnent sont sécurisés et servent vraiment
à leur Église, et non pas à des individus singuliers. L’un des moyens les plus efficaces, c’est de créer un
carnet de reçus pré-numérotés avec souches qui serait mis à la disposition des paroisses, mais aussi pour
leur assurer du bon usage de leurs apports en publiant périodiquement le rapport de gestion de la
paroisse et de l’Économat général.
Comme l’a observé un membre du CDAE de Bukavu, s’il y a une transparence dans la gestion, les
chrétiens Bukavu seront sûrement motivés. J’ai dit plus haut que l’un des objectifs spécifiques assignés
au BEF, c’est l’élaboration d’un manuel des procédures, outil essentiel devant permettre à l’Économat
général, en tant qu’institution centralisatrice de la vie économique du diocèse, de définir clairement,
d’une part, les objectifs de la fonction comptable, financière et du trésorier et, d’autre part, les tâches des
responsables de ces trois services.
Quels sont les objectifs de la fonction comptable d’une institution comme l’Économat général ? Il faut
d’emblée se rappeler que la comptabilité moderne s’est considérablement développée pour donner
aujourd’hui deux systèmes principaux : la comptabilité générale, encore appelée comptabilité financière,
et la comptabilité analytique, dite de gestion. La comptabilité générale a traditionnellement un double
objectif : d’une part, recenser et enregistrer l’ensemble des charges et des produits de l’entreprise de
façon à en mesurer le résultat (profit ou perte) et, d’autre part, évaluer périodiquement tous les actifs et
toutes les dettes, pour permettre de présenter, sous forme d’états financiers, la situation patrimoniale.
Son rôle, aussi, est double car la comptabilité est un instrument à la fois d’usage interne mais aussi
externe. Elle est, en effet, non seulement un instrument de vérification et de preuve dans le domaine
juridique et fiscal, mais encore un moyen de communication externe à destination de tous les partenaires
de l’entreprise : clients, fournisseurs, salariés, pouvoirs publics ou actionnaires.
425
Quant à la comptabilité analytique, elle est un instrument de gestion interne pour les décideurs dont la
fonction est, elle aussi, double : elle doit, en premier lieu, permettre de calculer les coûts de production
et les coûts de revient de chaque produit ou de chaque secteur d’activité, aux différents stades de la
production ou de la distribution. Sa seconde mission est d’analyser les résultats et les marges par produit
ou par centre d’activité. La comptabilité analytique détermine, à partir des informations tirées de la
comptabilité générale, les différents coûts des centres d’activités, ces coûts pouvant être directs,
indirects ou semi-directs et les compare au produit de la vente. Il s’agit de l’élément de base du contrôle
de gestion qui permet, entre autres, l’élaboration des budgets et des comptes prévisionnels, la mise à
jour des indicateurs formant le tableau de bord de l’entreprise.
Quels sont les objectifs de la fonction financière dans une structure comme l’Économat général de
Bukavu ? La fonction financière occupe une place particulièrement importante dans la gestion. En effet,
toute entreprise a besoin, pour assurer sa survie ou son développement, de moyens financiers.
C’est pourquoi tout responsable financier doit, d’une part, s’intéresser à l’ensemble des activités de
l’entreprise tant à court qu’à long terme, d’autre part, remplir trois missions principales : assurer en
permanence le financement de la production au jour le jour, c’est-à-dire gérer la trésorerie ; procurer les
moyens de paiement nécessaires à la production à long terme, c’est-à-dire financer les investissements et
la croissance ; obtenir les moyens financiers au meilleur prix pour ne pas alourdir les charges de
l’entreprise.
A la fois technique et stratégique, la fonction financière joue un rôle différent selon la taille et l’activité
des entreprises. Dans les PME, les problèmes financiers les plus importants concernent le cycle
d’exploitation et donc le court terme, alors que dans les grandes entreprises leurs objectifs englobent
aussi le long terme. Cependant, toute décision financière passe par un préalable, l’établissement d’un
diagnostic financier qui est réalisé à partir d’un ensemble de techniques regroupées sous le terme
d’analyse financière. Donc, la réussite d’une entreprise passe par son organisation administrative et
technique. L’archidiocèse de Bukavu ne peut atteindre son objectif d’autofinancement qu’en se
soumettant à ces contraintes organisationnelles et aux règles universelles de gestion.
Mais l’organisation administrative et technique ne suffit pas, il faut aussi des mécanismes de contrôle,
d’encadrement et d’accompagnement, puisque la réussite d’une organisation passe aussi par la mise en
place des mécanismes de contrôle, d’encadrement de d’accompagnement en vue de s’assurer que les
procédures organisationnelles et techniques sont respectées à chaque niveau hiérarchique de
l’organigramme, pour une réalisation efficace et efficiente des objectifs qui lui sont assignés. D’où la
mise en place d’un cadre d’audit et de contrôle.
426
C. L’instauration de l’audit comptable et financier comme mécanismes de contrôle et
d’accompagnement
L'audit comptable et financier est un examen des états patrimoniaux de l'entreprise, visant à vérifier leur
sincérité, leur régularité, leur conformité et leur aptitude à refléter une image fidèle de l'entreprise. Cet
examen est effectué par un professionnel indépendant appelé « Auditeur », ancien terme français qui se
retrouve en France par exemple dans les grades d'auditeur de la Cour des comptes ou du Conseil d'État.
L’audit comptable et financier est la forme moderne de contrôle, de vérification, d’inspection, de
surveillance des comptes, en apportant une dimension critique. Il peut être interne ou externe et faire
l'objet de missions contractuelles ou légales. L’audit est souvent plus large que la notion de révision et
dépasse le domaine comptable et financier (Ibid.).
427
En effet, il a été dit qu'il n'y avait pas de bilan exact, mais seulement des bilans pessimistes ou
optimistes. Cette déclaration, à priori fort surprenante, peut s'expliquer assez aisément si l'on pense à la
part d'arbitraire qui intervient dans l'évaluation de nombreux postes. Ainsi donc, l'objectif immédiat de
l'audit (externe), selon M. Holmes dans son manuel « Auditing Principles and procedures », est
d’attester le caractère fiable des états financiers et d'émettre une opinion sur le caractère satisfaisant de
la présentation de ces documents. Les objectifs à long terme de l'audit doivent être d'apporter un guide
aux décisions futures de la direction sur toutes les questions d'ordre financier telles que contrôles,
prévisions, analyse et établissement des rapports. Ces objectifs correspondent à un seul but :
l'amélioration des résultats.
Dans toute organisation sérieuse, il est recommandé de réaliser un audit ou un contrôle des opérations
comptables et financières périodiques de ses structures selon les obligations légales. Ils contribuent à la
prévention, à la maîtrise des risques financiers de structures et à la recherche des irrégularités
éventuelles. Ils peuvent apporter un appui technique en gestion comptable et financière à des entreprises
en difficulté et peuvent coordonner l'activité d'une équipe ou gérer un service.
Exercée par des personnes compétentes dans le domaine (Commissaire aux comptes, Contrôleur
budgétaire, Contrôleur comptable et financier, Expert-comptable, Inspecteur comptable et financier,
Réviseur des comptes), l'activité de cet emploi/métier s'exerce en libéral ou salarié au sein de cabinets
d'expertise comptable, d'audit, de services comptables de grandes entreprises, de Petites et Moyennes
Entreprises et d'organismes de service public (Mairie, Préfecture, ...) en relation avec différents services
et intervenants (ressources humaines, services financiers, contrôleur de gestion, directeur général, ...).
428
Après avoir mis en place le cadre organisationnel et doté l’institution des outils de contrôle, il est
opportun de passer à la mobilisation des ressources économiques et financières pour enclencher le
processus d’autofinancement. C’est l’objet de la quatrième section de ce chapitre.
A. La gestion du patrimoine
La gestion du patrimoine constitue un grand défi pour la hiérarchie de l’archidiocèse de Bukavu. Ce défi
s’analyse en termes de l’impératif de restructurer l’Économat général, épine dorsale de la gestion
économique du patrimoine du diocèse, la centralisation de toutes les ressources financières des paroisses
et des services à l’Économat général, la sensibilisation et concertation des chrétiens dans la mobilisation
des ressources et enfin la possibilité d’un système de partage entre partenaires à travers la péréquation
des ressources financières générées par les paroisses.
Cette structure assurait également la gestion permanente des biens et approvisionnements des missions
(paroisses), centres médicaux tenues par les religieuses sœurs blanches, secteurs et écoles catholiques en
milieu rural de toute cette entité. Les principales activités qui y étaient menées sont les suivantes : un
atelier de ferronnerie pour la fabrication des charpentes, lits, fenêtres, chaises, tables pour l’équipement
en meubles des paroisses, couvents et écoles, un dépôt de ciment… Commencé à partir de 1940, il sera
dirigé par les missionnaires d’Afrique jusqu’en 1969 quand le premier prêtre diocésain, l’Abbé Aristide
Kagaragu, inaugure la prise en main de ce secteur économique très névralgique par les autochtones.
429
Mais, par deux fois, l’autorité diocésaine fera encore appel à un missionnaire pour le diriger : le Père
Piet Knoops (missionnaire d’Afrique: 1979-1983) et le père Amato Sebastiano (missionnaire Xavérien:
1994-2003). En tout, plus d’une douzaine d’économes275 dont six missionnaires religieux et huit abbés
se succéderont sur la colline de Bugabo pour s’occuper de ce secteur très capital du diocèse.
Après l’indépendance, plusieurs de ses services ont été fermés au fur et à mesure par manque de moyens
pour financer les investissements, pour renouveler l’outil de production. Actuellement, l’Économat
général comprend les unités de production suivantes qu’il gère directement : l’usine Soja ou Centre
Agricole de Murhesa, l’atelier mécanique de Cibimbi (en arrêt d’activité depuis 1992), le garage, les
magasins pour approvisionnements, la Procure saint Jean Bosco, les locations immobilières, la ferme
agro-pastorale de Mulume-Munene, les carrières de sable et la briqueterie d’Idjwi.
Toutes ces unités de production sont quasiment en faillite à cause d’un fonctionnement déficient par
manque d’intégration entre elles. Or il s’avère que le bon fonctionnement d’une entreprise, d’une
organisation, implique une spécialisation des tâches et des rôles, la création des départements, des
services autonomes…, autant d’éléments conduisant l’entreprise à « se différencier », c’est-à-dire à
développer en son sein des comportements responsables et des pratiques différentes. Les hommes, les
méthodes de gestion, les horizons, les objectifs sont très différents d’un service à un autre et les acteurs
qui sont affectés à ces différents services auront une déontologie différente, selon la nature de leurs
tâches et le rendement. Mais, pour que l’entreprise ne devienne pas une constellation de seigneuries
indépendantes et rivales, il est indispensable pour sa survie que la structure organisationnelle remplisse
sa fonction «d’intégration ».
Par intégration, on entend non seulement la coordination des parties de l’entreprise, mais également
l’adhésion des personnes aux objectifs de l’entreprise. Pour arriver à cette intégration, l’entreprise doit
se doter d’un bon organigramme. Celui-ci est la représentation graphique de la structure d’une unité
économique faisant apparaître les organes de l’unité et leurs liaisons hiérarchiques. D’après Michel
Kalika, « L’organigramme caractérise ce que l’on appelle la forme structurelle de l’entreprise, puisqu’il définit les grands
lignes de la répartition des responsabilités, le nombre de niveaux hiérarchiques ainsi que les critères de
départementalisation» (Cf.Yves Simon, Patrick Joffre, 1998).
275
Pendant les guerres de 1914-1918 ; 1940-1945, et lors de l’accession du Congo à l’indépendance, également au cours des
rébellions Muleliste en 1964 et de Jean Scrhrame en 1967, plusieurs archives ont été emportées et détruites, raison pour
laquelle la liste des Économes Généraux qui se sont succédés n’est ni exhaustive ni chronologique, surtout depuis les origines
du Vicariat apostolique du Kivu jusqu’en 1960.
430
L’Economat général de Bukavu a besoin d’être restructuré et de se doter d’un organigramme, qui
n’existe pas sinon à l’état embryonnaire, pour réaliser les objectifs sociaux qui lui sont assignés, à savoir
une gestion saine et efficace du patrimoine économique de l’archidiocèse. Cette structure, comme le
reconnaît son chef du personnel, présente des limites organisationnelles certaines au point que, à titre
d’exemple, le nombre des domaines patrimoniaux du diocèse est difficile à connaître et à identifier,
puisqu’il n’y a pas de service qui s’en occupe.
Pour avoir une information sur ces domaines, il faut s’adresser au secrétariat de l’archevêché où se
trouvent gardées toutes les archives notamment les documents fonciers276. L’on comprend bien que cette
structure ne tient pas une comptabilité organisée enregistrant tout le patrimoine du diocèse. Dans ces
conditions, il est impossible d’établir un bilan exact et d’évaluer l’actif immobilier de ce diocèse. Car il
n’y a pas une comptabilité unique, ni une unicité de caisse. Les éléments constitutifs sont éparpillés ici
et là, et chaque paroisse gère à sa guise la portion du patrimoine diocésain comme il lui sied.
Concrètement, cette structure n’a pas une évaluation exacte de ses grands domaines se trouvant dans
toutes les paroisses hérités de la période missionnaire, puisque ce travail n’a jamais été fait. Du coup, les
résultats produits ne sont ni sincères et réguliers et ne reflètent pas du tout la réalité.
Un autre défi à relever par l’Eglise de Bukavu dans la gestion et la mobilisation de ses ressources
économiques et financières en vue de l’autofinancement, c’est l’effort de centralisation de toutes les
ressources financières des paroisses et des services à l’économat général.
276
Entretien avec le chef du personnel de l’Economat général de Bukavu, le 24 juillet 2010.
277
Les principes comptables sont les objectifs, hypothèses, contraintes, règles qui gouvernent la comptabilité. Ensemble ils
forment le référentiel comptable (cadre conceptuel). Leurs enjeux se trouvent dans le fait que la comptabilité générale doit
fournir à ses différents utilisateurs (actionnaires, salariés, partenaires, administration fiscale...) une information fiable du
point de vue économique. C'est ainsi qu'en France, le Code de commerce, dans son article L123-14 dispose que : « Les
comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du
431
Tous les fonds publics doivent être gérés par le Trésor : c’est le principe de l’unité de caisse en vertu
duquel l’ensemble des ressources financières de l’État (sa trésorerie) est déposé sur un seul compte
courant au siège de la Banque de France ; c’est le compte du Trésor public. Les collectivités locales ont
une obligation de compte unique au Trésor. Cette obligation résulte de l’ordonnance organique de 1959
et pas le décret de 1962278. Par ricochet, en vertu de ce principe, tous les fonds d’une institution
hiérarchiquement structurée doivent être gérés par un seul compte au siège de cette institution.
Dans le cas d’espèce, c’est à l’Économat général de Bukavu que tous les fonds des congrégations
religieuses, services centraux et sociaux, paroisses, … devraient être logés, ce qui n’est pas le cas, les
bénéficiaires préférant loger leurs fonds ailleurs. Cela est consécutif aussi à la mauvaise gestion qui a
caractérisé cette structure depuis sa prise en main par le clergé diocésain et l’a entraînés dans une quasi
faillite. Depuis, tous les détenteurs des fonds sont devenus méfiants envers l’Economat général qui,
régulièrement, n’arrive pas à leur assurer la liquidité et la solvabilité pour mener sans inconvénient leur
action socio-pastorale. Beaucoup d’entre eux ont fermé leur compte à l’économat général, ou y gardent
juste un fonds minimal, tandis que la plupart des congrégations religieuses tiennent leurs comptes
ailleurs ou entre elles dans leurs économats provinciaux.
Cette façon de travailler a comme conséquence directe de mettre cette structure dans une situation de
trésorerie très délicate. Si les services centraux et les congrégations religieuses privent l’économat
général des moyens financiers pour son fonctionnement normal et efficace en faisant leurs dépôts
ailleurs, les paroisses du diocèse ne lui facilitent guère la tâche par leur façon de travailler et de gérer.
En effet, elles sont rares, celles qui versent la totalité de leurs ressources dans leurs comptes respectifs
ouverts à l’Économat général.
résultat de l'entreprise. » Elles sont obligatoires parce qu’elles permettent de rendre homogène la comptabilité. C’est-à-dire
que le format des bilans et comptes annuels est normalement le même pour toutes les entreprises. Ils permettent de créer un
standard pour la communication financière des entreprises. Les principes comptables sont assez stables, c’est-à-dire qu’ils
sont rarement modifiés. Les principes comptables constituent les « fondations » de la comptabilité. Toute écriture, tout
traitement comptable repose avant tout sur ces principes. Nous citons entre autres et sans les expliquer, les principaux
principes comptables : les principes de l’Image fidèle, de Sincérité, de régularité, de Prudence, de Continuité d’exploitation,
de Comparabilité et permanence des méthodes, de Coûts historiques, d’unicité de caisse, de Non-compensation,
d’Intangibilité du bilan d’ouverture, etc.
Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Principes comptables. Définition, enjeux, liste des principes comptables français. [Consulté
le 08 novembre 2013].
278
http://www.lemondepolitique.fr/cours/finances publiques/cadre-general/principes-comptables.[Consulté le 08 novembre
2013].
432
Certains économes paroissiaux préfèrent garder sur eux la liquidité parce qu’à tout moment ils peuvent
s’en servir pour payer leurs besoins selon leurs ressources, alors qu’il faut une demande écrite
préalablement adressée à l’économe général pour pouvoir obtenir un certain montant. Généralement,
celui-ci est en deçà de celui demandé, et le délai d’attente pouvant aller jusqu’à plusieurs jours, voire
des mois, selon la situation de trésorerie de ce service.
Pour lui permettre de réaliser ses objectifs qui sont d’assurer un service économique et financier de
qualité aux divers acteurs individuels et institutionnels, l’Économat général devrait centraliser toutes les
ressources financières des paroisses et des services centraux qui dépendent directement de l’autorité
diocésaine. Cela implique une rigueur et une discipline dans la gestion de la part de cette structure pour
regagner la confiance des uns et des autres, d’une part, et une discipline, une règle de conduite édictée
par l’autorité diocésaine à respecter par tous les acteurs paroissiaux (curés et économes) en ce qui
concerne le mode de gestion des ressources issues de leurs entités. Car, de l’observation générale,
chaque paroisse se donne des modalités pour gérer ses ressources et dépose dans son compte de
l’Économat général ce qui lui sied. Etant donné que les chrétiens sont les premiers contributeurs dans la
mobilisation des ressources du diocèse, leur sensibilisation et leur concertation est nécessaire.
433
Une autre forme de contributions obligatoires des fidèles à leur Église, ce sont les divers impôts ou
tributs diocésains, des taxes payables à propos de certains actes administratifs et des offrandes perçues à
l’occasion des célébrations liturgiques. Par impôt, d’après Ludiongo, il faut entendre une prestation en
numéraire, ordinaire ou habituelle, dont le montant est fixé au préalable par le législateur. L’évêque
diocésain jouit, d’après le canon 1263, de la prérogative d’imposer, par décret, un impôt aux personnes
juridiques et publiques soumises à son gouvernement, dans des conditions bien déterminées, c’est-à-dire
après l’avis du conseil presbytéral et du conseil pour les affaires économiques en tenant compte des
revenus de chaque personne juridique. Quant aux personnes physiques et aux autres personnes
juridiques, l’évêque ne peut exiger une contribution obligatoire qu’en cas de nécessité grave. En dehors
de ces deux cas, le code de Droit canonique propose d’autres voies d’acquisition, qui ne sont pas aussi
astreignantes, à savoir les taxes ou casuels et les offrandes.
Les taxes ou casuels sont les sommes que l’on doit percevoir à l’occasion de l’exécution des actes
administratifs, tels que l’établissement des documents concédant des dispenses, des grâces ou des
privilèges, la confection des différents certificats et attestations concernant l’état des personnes,
l’exécution des rescrits concédés par le Saint-Siège. Le montant des diverses taxes doit être fixé par la
conférence épiscopale provinciale ; pour l’exécution des rescrits apostoliques, le montant fixé nécessite
l’approbation du Saint-Siège (canon 1264,1’).
Les taxes pour couvrir les frais judiciaires sont fixées par l’évêque diocésain. Elles concernent les actes
de la chancellerie du tribunal, la rétribution du personnel auxiliaire, les honoraires des avocats, des
procureurs et des interprètes et chacun des actes judiciaires, c’est-à-dire la constitution du tribunal, la
litiscontestation, l’interrogatoire des parties et des témoins, l’expertise, la descente sur les lieux, etc.
(canon 1269§11-2). Quant aux offrandes, les fidèles qui bénéficient des actes ayant trait au ministère
sacerdotal contribuent par une offrande, dont le montant sera fixé par la conférence épiscopale
provinciale (canon 1264,2).
Le nouveau code de droit canon (1983) a adopté cette terminologie pour éviter toute connotation de
compensation, paiement ou rémunération des services sacrés et tout esprit de lucre ou de commerce
(Ludiongo, 1990 :265). La véritable raison d’être de l’offrande est cette contribution généreuse des
fidèles au fonctionnement du culte et à l’entretien des ministres, comme nous l’avons signalé plus haut.
C’est ainsi qu’est requise normalement une offrande pour faire célébrer une messe (canon 945), des
funérailles (canon 1181) ou généralement tous les sacrements et sacramentaux (canon 848).
434
2. Les contributions bénévoles des fidèles : quête, offrandes libres, libéralités et fondations pieuses.
Les dispositions du Code de Droit Canonique sur les contributions bénévoles des fidèles font sans doute
allusion aux différentes restrictions de liberté qui peuvent provenir du pouvoir civil. Mais j’estime
qu’elles mettent plutôt l’accent sur le sens de responsabilité qui doit animer chaque fidèle en tant que
membre de la communauté ecclésiale sensible aux besoins matériels de celle-ci. Selon la loi de l’Église,
« les fidèles ont la liberté de disposer de leurs biens temporels en tant que membres de l’Église » (canon
1261§1). Cette liberté constitue la toile de fond d’où découlent toutes les autres formes de contribution.
La libre disposition fut certainement l’unique forme de contribution qui alimentait la bourse de Judas
dont parle l’évangéliste Jean (Jn 12,6 ; 13,29).
Nombreux sont les témoignages que nous avons tant dans les Actes des Apôtres que dans les Epîtres
pauliniennes mentionnant que non seulement tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les
vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des Apôtres (Ac 4, 34-35), mais ils
étaient entièrement libres de le faire (Ludiongo, E., 1990 :264). Cette assertion est contestée par Philippe
Simonnot qui considère que la pression psychique était si forte que celui qui n’obéissait pas à la règle de
transparence fiscale, si l’on peut dire, risquait fort de mourir dès qu’il était découvert. Pression accrue
encore par la faculté qu’avaient les apôtres d’accomplir des miracles (2005 :55)279.
Comment, de nos jours, peuvent se concrétiser ces contributions bénévoles des fidèles dans une Église
locale comme l’archidiocèse de Bukavu ? Quatre ressources sont possibles : c’est à travers la quête, les
offrandes libres, les libéralités et les fondations pieuses. La quête est une collecte des fonds à grande
échelle, intéressant un grand nombre de personnes. La réglementation de la discipline en matière de
quête relève de la Conférence des évêques (canon 1265§2), mais l’Ordinaire du lieu peut prescrire des
demandes d’argent spéciales en faveur des projets déterminés, destinés aux œuvres paroissiales,
diocésaines, nationales ou universelles (Ludiongo, E., 1990 :266).
279
L’auteur convoque l’épisode malheureux de Ananias et sa femme Saphira rapporté par Luc dans les Actes des Apôtres (Ac 5, 1-
11) qui moururent devant Pierre une fois démasqués par celui-ci pour avoir caché une part de revenus de la vente de leur champ.
L’auteur rejette donc l’idée selon laquelle les dons apportés par les chrétiens à l’Eglise primitive, et la même question vaut, selon
lui, pour tout groupe religieux, étaient volontaires. « En vérité, renchérit l’auteur, la dîme ne pouvait suffire à l’Eglise naissante,
étant donné la jeunesse de son réseau. Il lui fallait un engagement financier beaucoup plus profond de ses fidèles. C’est donc de la
totalité de leurs biens que les premiers chrétiens étaient invités à se séparer. L’explication que nous donnent les Actes des Apôtres
dit bien la terreur qu’exercent les groupes religieux pour accaparer ne serait-ce qu’une partie de ce que nous avons appelé
l’exploitation de la « part bénite ». Non seulement il faut donner, mais il faut tout donner sans rien cacher sous peine d’une mort
immédiate pour soi et ses complices. Car c’est mentir à Dieu lui-même que de cacher la moindre parcelle. Par rapport à cette
menace de mort effective, comme en font l’expérience les malheureux Ananias et Saphira, certaines sectes de l’an 2000 ont des
allures presque bonhommes. « Une grande crainte saisit alors toute l’Eglise et tous ceux qui apprenaient cet événement » (Ac 5,11).
On ne s’attendait pas à moins » (Simonnot, P., 2005 :54-56).
435
Les offrandes libres que les fidèles font spontanément aux Supérieurs ou aux administrateurs des
personnes juridiques ecclésiastiques, elles sont députées, par présomption juridique, destinées au
patrimoine de l’Église, à moins qu’il n’apparaisse avec évidence qu’elles ont été faites aux personnes
concernées (canon 1267§1). Etant faites en faveur de l’Église, ces offrandes ne peuvent être refusées
que pour une raison grave ; si elles sont considérables, il faut en plus l’autorisation de l’Ordinaire du
lieu ; et si ces offrandes sont grevées d’une condition ou d’une servitude quelconque, le consentement
de l’Ordinaire est requis pour leur acceptation (canon 1267§2).
Quant aux libéralités, ce sont des dispositions à titre gratuit que peuvent effectuer les fidèles pour
accroître le patrimoine ecclésiastique. Dans l’Église, à la lecture du canon 1299§1, les libéralités sont
appelées pieuses volontés, parce qu’elles sont affectées aux fins propres de l’Église ; elles s’effectuent
par acte entre vifs (donation) ou par acte à cause de mort (legs ou testament). Juridiquement, « la
donation est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose
donnée en faveur du donataire qui l’accepte. » (Dictionnaire de Droit, T.I, V Donation, n°1 : 616)
Le legs, par contre, est une « disposition testamentaire portant sur la transmission à cause de mort de
tout ou partie des biens du testateur ; il constitue le moyen d’attribuer l’émolument successoral
autrement que la loi ne l’a décidé par les règles de la succession ad intestat » (Idem, T. II, V: Legs,
n°1:34). Le testament, lui, est généralement « l’acte par lequel une personne dispose, pour après sa mort,
de tout ou partie de ses biens » (Idem, T.II, V : Testament, n°1:745). L’actualisation de ces libéralités
doit se soumettre aux formalités juridiques en vigueur dans le pays.
En RDC, par exemple, l’art.15 du décret du 18 septembre 1965, stipule que « l’acceptation de toute
donation par acte entre vif et testamentaire au profit d’une association sans but lucratif doit être autorisée par
arrêté du ministre de la justice du gouvernement central ». Concernant les fondations pieuses, elles sont
définies par le Droit Canonique comme un ensemble de biens temporels dont les revenus peuvent servir
à célébrer des messes, à remplir certaines fonctions ecclésiastiques ou à poursuivre l’une des fins
propres de l’Église. Une troisième ressource que l’Église de Bukavu peut mobiliser ce sont les contrats.
3. Les contrats
Théoriquement, le contrat est un accord passé entre deux ou plusieurs personnes, physiques ou morales,
portant sur un objet d’intérêt juridique (Naz, R., 1935: 251). De cette définition, l’on comprend que les
contrats sont des accords volontaires entre des parties qui trouvent mutuellement profitables de
s’engager à exécuter des actions ou à respecter des règles et des procédures.
436
En amenant les individus à adopter un comportement coopératif, ils permettent de résoudre des
problèmes de coordination et de motivation : chacun peut planifier son action en fonction de ce qu’il
attend de l’autre et anticiper les gains qu’il retirera de son comportement. En procurant un gain mutuel,
les contrats rapprochent de l’optimum (Echaudemaison, C.-D., 2009 : 109). Je parle ici des contrats dans
la mesure où ils peuvent enrichir le patrimoine ecclésiastique.
Sans entrer les détails, il s’agit entre autres du commodat ou prêt à usage (c’est un contrat par lequel
l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après
s'en être servi. Cf. Code civil- Article 1875), du gage (c’est une sûreté réelle mobilière, c'est-à-dire une
garantie donnée à un créancier sur un bien meuble corporel appartenant à son débiteur. Auparavant
défini comme la sûreté par la dépossession d'un bien meuble, l'ordonnance du 23 mars 2006 a défini le
gage comme la sûreté portant sur un bien meuble corporel, sans condition de dépossession.)280, de
l’hypothèque, de l’emprunt, de l’échange, du louage, de l’emphytéose, du prêt à la consommation, etc.
Le droit canonique statue ainsi : « les dispositions du droit civil en vigueur dans un territoire, en matière de contrat,
tant en général qu’en particulier, et des modes d’extinction des obligations, seront observées avec les mêmes effets en droit
canonique pour les choses soumises au pouvoir du gouvernement de l’Église, à moins que ces dispositions ne soient
contraires au droit au droit divin ou que le droit canonique n’en décide autrement » (canon 1290). Toutes ces
ressources ne peuvent être mobilisées auprès des fidèles que s’ils sont concertés et informés de leur
utilisation rationnelle. Ils donneront davantage pour aider leur Église à atteindre son autofinancement
s’ils savent que leurs contributions vont réellement servir à ce à quoi elles sont destinées.
Si, par contre, ils ne voient aucune réalisation concrète ou que leurs contributions sont détournées pour
d’autres finalités et destinations, l’on ne s’étonnera pas qu’ils soient réticents et moins généreux. C’est
pourquoi, l’Église, qui demande des contributions aux fidèles, doit aussi en même temps s’efforcer de
mettre en place des mécanismes qui garantissent une gestion saine et transparente et associer les fidèles
à cette gestion en nommant un certain nombre de laïcs dotés de compétences en la matière dans les
organes de gestion et de décision, notamment dans le conseil pastoral, le conseil diocésain des affaires
économiques. En même temps elle doit redynamiser les centres d’activités productrices existantes.
280
Évolution de la notion de gage en droit français : dans l'ancien droit, le gage était une sûreté réelle, mobilière ou immobilière, qui
nécessitait que le constituant se dépossède de la chose remise en gage en la remettant dans les mains du créancier. À défaut, le gage
n'était pas opposable aux tiers, c'est-à-dire que le gage convenu entre les parties n'existait pas à leur égard. L'idée était que la
dépossession constituait une mesure de publicité, de nature à avertir les autres créanciers que le bien avait été affecté en garantie au
profit du créancier possédant. Cf. Annexe 20 : Le gage, le bail emphytéotique.
437
C. Redynamisation des centres d’activités productrices existantes
Si la charité était depuis l’Église primitive, pour reprendre l’idée de Philippe Simonnot, aussi la
justification de la fortune croissante de l’Église dont elle était à la fois la source et la raison d’être,
aujourd’hui les bases de l’accumulation n’étant plus ni les mêmes ni solides et assurées (2005 :12) avec
les nouvelles générations dont la religion n’est plus le principal centre d’intérêt 281, et du fait de la crise
mondiale qui n’épargne pas les fidèles, cette institution est amenée à repenser sa politique de captation
des ressources, notamment en redynamisant les centres d’activités productives existantes.
281
Pour l’auteur, le christianisme a repris du judaïsme le devoir d’aumône aux pauvres et en a fait l’impératif central de la
nouvelle morale qu’il cherchait à instituer, un kerngebot (littéralement commandement-noyau) pour reprendre l’expression
employée par Max Weber dans son analyse des premiers siècles de notre ère. Aussi, poursuit l’auteur, quand le chrétien
donne ou lègue à l’Eglise, ou quand il fait l’aumône, ce n’est pas, en principe, pour acquérir de la distance sociale ou par
patriotisme et sens civique, c’est en vue de l’autre monde (2005 :11). Or, celui-ci n’est pas tant une première préoccupation
des générations contemporaines.
282
Il très fréquent de trouver dans l’un ou l’autre magasin de l’Economat général de Bukavu une marchandise fixée à un prix
presque deux fois supérieur au prix normal offert par des points de vente de la même marchandise dans la ville de Bukavu.
Par l’application de la loi de l’offre et de la demande, les gens préfèrent logiquement acheter à des endroits qui offrent un
prix accessible. Conséquence, on trouve plusieurs produits stockés invendus avec des quantités considérables d’avaries, de
détériorations pour des produits fongibles qu’on est obligé de jeter.
438
Un garage automobile avait été construit dès l’époque missionnaire pour les réparations de ces
véhicules. Ce garage devrait être une unité de production rentable et performante pour l’archidiocèse,
d’autant qu’il recrute des jeunes mécaniciens très bien formés dans une école secondaire diocésaine,
l’Institut Technique Fundi Mandeleo, dont la renommée est reconnue dans toute la région.
Mais, à l’instar de l’atelier mécanique de Cibimbi, au lieu d’être une source de richesse pour le diocèse,
ce garage est toujours en déficit d’exploitation, d’année en année. Comme si les propriétaires des
véhicules réparés ne payaient pas leurs factures, ce qui n’est pas vrai; comme si ces véhicules étaient
réparés gratuitement, ce qui n’est pas vrai aussi ; ou comme si les pièces montées sur ces véhicules
étaient vendues au prix inférieur à leur prix d’achat, ce qui n’est pas vrai non plus ; comme si, enfin, le
personnel employé dans ce garage était payé plus que leur côut de production et leur rendement.
Bien plus, malgré le recrutement des mécaniciens bien formés à l’ITFM, ce garage n’offre pas toujours
des services de qualité aux clients qui y amènent leurs véhicules. Il est fréquent d’entendre les usagers
se plaindre qu’à la sortie de ce garage, leurs véhicules sont plus “foutus” et déficients qu’avant, certaines
pièces originales du véhicule en réparation ayant été remplacées par celles usagées prises sur des épaves,
cependant que la facture des réparations est plus qu’exorbitante. A ce sujet, selon nos enquêtes réalisées
dans l’archidiocèse de Bukavu en juillet-août 2010, sur dix-huit curés interrogés sur leur niveau de
satisfaction de la qualité de services du garage de l’Économat général, quatorze, soit 78% avouaient leur
totale insatisfaction parmi lesquels neuf, soit 64% ont déclaré avoir eu une panne technique de leur
véhicule parfois le même jour ou dans les cinq jours de sa sortie du garage de l’Économat général.
On voit bien qu’il y a un sérieux problème réel de management dans cette unité de production à
résoudre pour que non seulement elle réponde aux attentes des centaines d’usagers qui déçus, sont
obligés d’aller faire réparer, au détriment de l’Économat général, leur voiture dans d’autres garages de la
ville qui leur donnent satisfaction, mais aussi elle devienne une unité de production rentable pour
l’archidiocèse. Et elle dispose des atouts qu’il faut seulement bien manager.
Il en est de même de la Station service de l’Économat général de Bukavu qui ne rapporte rien au
diocèse. Il est même difficile de connaître les vrais exploitants de cette importante unité de production
qui devait générer beaucoup de ressources financières par la vente du carburant. Dans des conditions
objectives, tous les véhicules qui constituent le gigantesque parc automobile de l’archidiocèse devraient
acheter dans différents points d’approvisionnement en carburant. Mais cette Station service est restée
dans un stade très embryonnaire et se trouve dans un état de vétusté lamentable. Il y a manifestement un
problème de gestion de ces secteurs qui, pourtant, sont très importants et devraient être très rentables
pour le diocèse.
439
3. Le Centre Agricole de Murhesa
Le Centre agricole de Murhesa est une grande unité de production très bien structurée qui,
principalement, transforme les maïs, le sorgho et le soja en farine. Du mélange de ces trois produits, on
obtient un produit fini appelé « masoso », une onomatopée signifiant maïs, sorgho, soja très prisé à
cause de sa consistance vitaminée et calorifique. C’est ainsi que le masoso est fortement utilisé et
recommandé pour la lutte contre la malnutrition, le « kwashiorkor » dans le Bushi malnutri.
En effet, au regard de l’ampleur de la malnutrition qui caractérise le sud du diocèse de Bukavu, c’est-à-
dire une partie du territoire de Kabare et tout le territoire de Walungu, cette unité de production avait été
mise sur pied dès l’époque missionnaire pour lutter contre cette sous-alimentation chronique très
caractéristique dans le Bushi et qui s’est amplifiée avec l’arrivée massive des refugiés rwandais et
l’insécurité que des bandes armées issues de cette population ont instaurée à l’Est du Congo.
Les raisons de l'insécurité alimentaire dans cette province sont principalement de deux ordres :
l'augmentation exponentielle de la population due aux exodes des familles ayant fui l'insécurité dans les
villages ainsi que l'afflux des réfugiés venant essentiellement du Rwanda et du Burundi (deux voisins de
l'est), fuyant les guerres dans leurs pays, qui augmentent ainsi la demande. Force est de constater
qu’aucune politique agricole n’est mise sur pied par l’autorité nationale ou provinciale pour assumer ce
problème en initiant un plan d'action concerté entre des acteurs majeurs de développement en vue de
lutter contre la faim et l'insécurité alimentaire et de régler le problème urbanistique que soulève cette
grande convergence des masses populaires dans une ville de plus en plus confinée.
Cette baisse de la production, du fait de manque de politique agricole, mais aussi de soutien aux
agriculteurs, plonge la région dans une grande insécurité alimentaire pour la population de toute la
province estimée à près de 5 millions d’habitants. Pour promouvoir l'agriculture et lutter contre
l'insécurité alimentaire dans l’archidiocèse de Bukavu, à l’instar d’autres acteurs du développement
présents sur terrain, notamment les organisations non gouvernementales, le Centre Agricole de Murhesa
a mis en place un programme concerté de développement agricole ainsi que des réponses aux questions
majeures de lutte contre l'insécurité alimentaire.
C’est ainsi qu’à chaque récolte, le Centre Agricole de Murhesa organise une campagne d’achats à un
prix plus incitatif qu’au marché de Mudaka de toute la production de haricots, maïs, sorgho, soja des
paysans des villages allant de Murhesa à Katana. C’est cette production vendue au Centre Agricole de
Murhesa qui lui permet de faire un grand stockage de haricots, de maïs en vue de les vendre en l’état,
mais aussi de fabriquer en très grande quantité les masoso qu’il vend à un prix très compétitif.
440
Ses grands clients sont principalement les organismes onusiens comme le Programme Alimentaire
Mondial (PAM), le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) qui ont besoin des très grandes
quantités de haricots, de maïs ainsi que de la farine de masoso pour les distribuer dans différents camps
des réfugiés rwandais, congolais, tant sur le territoire congolais que rwandais. Une autre partie non
moins importante est aussi distribuée par le PAM aux populations victimes de la faim qui ont été forcées
de quitter les villages pour fuir les attaques de différentes bandes armées rwandaises (FDLR et
Interahamwe) et congolaises disséminées dans les territoires du Nord et Sud-Kivu.
Le Centre Agricole de Murhesa agit aussi en amont de la production en vendant des semences
améliorées à ces mêmes paysans, en vue de lui obtenir une plus grande production dont il a besoin.
Comme on le voit, le Centre Agricole de Murhesa est une unité de production génératrice de richesses
pour l’archidiocèse de Bukavu. Il suffit d’améliorer davantage l’outil de production et sa gestion. Une
autre unité de production dont dispose le diocèse c’est l’atelier mécanique de Cibimbi.
Malheureusement, après cette période, pour multiples raisons conjoncturelles (mauvaise gestion, vétusté
et non renouvellement de l’outil de production par manque de financements extérieurs, insuffisance de
la source d’énergie), l’atelier est actuellement quasi en cessation d’activités. En effet, les différents
responsables de l’atelier qui se sont succédé après le départ des pères et frères missionnaires se sont
illustrés dans une gestion chaotique. Les machines installées depuis l’époque missionnaire vers les
années 1950 sont déjà amorties du fait de l’usure et n’ont pas été remplacées car l’archidiocèse de
Bukavu n’a pas de subventions d’investissements rentables. A cela s’ajoute la baisse sensible de la
source d’énergie du fait du tarissement progressif et du manque d’entretien de l’unique rivière de
Cibimbi qui alimente le barrage hydro-électrique pour faire tourner les machines. Aujourd’hui, celles-ci
sont toutes arrêtées et il y a plus aucune commande extérieure !
441
Un autre handicap que connaît l’atelier mécanique de Cibimbi, c’est son éloignement de la ville de
Bukavu où se trouvent la quasi-totalité de ses clients. A cause de l’impraticabilité régulière ou
périodique de la route, généralement boueuse en période de pluies et très poussiéreuse en saison sèche,
les clients ne sont pas motivés de s’exposer à ces aléas climatiques, ils préfèrent passer leur commande
dans de petits ateliers mécaniques et de menuiserie à Bukavu même. Cela peut être parmi les raisons
majeures pour lesquelles les autorités diocésaines ont depuis des décennies négligé de relancer cette
unité de production, ô combien rentable si elle était rationnellement mise en service.
Une solution à ce problème au multiple faciès (surpopulation, rareté de terres, baisse de la production,
faible revenu, malnutrition) et qui annonce la dégradation irréversible des terres, est la restauration de la
fertilité des sols et l’élevage moderne du gros bétail. Il existe un contraste entre la tendance à recourir
aux dons alimentaires étrangers et les potentialités locales inexploitées. La viande et le lait étant devenus
des denrées rares et coûteuses pour le population du fait de son pouvoir d’achat très faible, la ferme
agro-pastorale de l’archidiocèse de Bukavu a comme objectif de lutter contre la malnutrition pour
répondre aux besoins largement ressentis dans la région avec une grande production alimentaire mise
sur le marché aux prix abordables.
Les impacts sociaux de la ferme de Mulume-Munene sont évidents. Bien que toute la population du
Sud-Kivu soit directement ou indirectement bénéficiaire de ce projet, les habitants des 4 territoires
(Kabare, Walungu, Kalehe, Idjwi) du Bushi-Buhavu, sont particulièrement concernés du fait de la
malnutrition qui sévit dans cette espace socioculturel. Avec une forte demande alimentaire, la ville de
Bukavu bénéficie des premières retombées du projet.
442
En effet, une unité de production et de transformation de lait devrait être installée, qui consisterait à la
traite, la pasteurisation, la conservation et l’acheminement du lait aux lieux de vente. Le lait serait vendu
auprès des consommateurs locaux. De bons produits laitiers, comme une fromagerie et une crémerie,
devaient être mis en place dans l’avenir. Un abattoir pourrait être aussi prévu, qui serait fonctionnel au
fur et à mesure que les bêtes seraient réformées ou engraissées. Il devrait fonctionner dans les mêmes
buts que la laiterie, mais aussi il permettrait une bonne collecte de sous-produits (fumier, sang, os,
peaux, cornes). Une étable devrait être construite pour l’hébergement des veaux et des vaches gestantes,
et surtout pour le suivi des essais de croisements.
Somme toute, l’impact social de la ferme agro-pastorale de Mulume-Munene est réel. Tant du point de
vue de l’intérêt économique du projet, du potentiel humain que du milieu écologique, toutes les
conditions sont réunies et restent favorables à la rentabilité de la ferme agro-pastorale. Elle est une unité
de production pour l’archidiocèse de Bukavu en quête des moyens financiers. Elle cadre avec les
priorités provinciales d’autosuffisance et de sécurité alimentaires et peut contribuer ainsi à la production
des protéines animales (lait, viande et leurs dérivés) en quantité considérable, nécessaire à la réduction
de la malnutrition endémique au Bushi, en particulier et au Sud-Kivu en général.
Aussi, se veut-elle une action de rétablissement de l’équilibre écologique dans un contexte régional de
protection de l’environnement et de l’exploitation rationnelle des ressources disponibles. Il entreprend
l’activité sylvo-pastorale, c’est-à-dire l’exploitation des pâturages et l’afforestation pour un double
objectif : la protection et la restauration des sols, d’une part, la production du lait et de la viande, d’autre
part. Il faut souligner qu’un obstacle à la réalisation de ce grand projet reste majeur : c’est la présence
des réfugiés rwandais dans cette partie du Congo depuis 1994. Tous les bétails de la ferme ayant été
systématiquement pillés par les groupes armés des FDLR, les Interahamwe, etc., à ce jour, la ferme est
quasiment inexploitée en attendant des jours favorables relancer cette unité de production très rentable et
susceptible d’apporter une part importante dans la formation de l’autofinancement de l’archidiocèse de
Bukavu, en même temps qu’elle contribue à l’amélioration de l’état de santé des populations à travers la
production du lait et de la viande, tout en créant de l’emploi à une centaine des personnes.
443
Qui habite ces immeubles ? Qu’est-ce qu’ils payent ? A quoi sont affectés les revenus de ces
immeubles ? Ce sont autant des questions que les prêtres de Bukavu se posent sans trouver de réponse.
D’après mes enquêtes sur le terrain, certaines de ces maisons seraient habitées par les membres de
famille ou des amis de certains responsables du diocèse. En tout cas, tout ce qu’on peut dire de ce
secteur d’activité, c’est qu’il échappe complètement à l’attention des prêtres du diocèse, autant que sa
gestion est calamiteuse. Pourtant, c’est un secteur qui devrait être une source de revenus importants pour
le diocèse, ce qui n’est pas le cas actuellement, étant donné la rareté et ce, la cherté des prix des loyers
dans la ville de Bukavu. En effet, en plus du fait que leur gestion reste très floue dans la comptabilité de
l’économat général, le poste relatif aux revenus locatifs ne ressort pas, sinon avec de faibles montants.
Selon les informations recueillies sur le terrain, certaines de ces maisons sont à réfectionner, car elles
sont vétustes et mal entretenues par les locataires. En visitant le bâtiment qui abrite les services de
l’Économat général hérité de l’ère missionnaire, on est frappé par sa structure organisationnelle très
simpliste à partir même de sa présentation extérieure. On y trouve huit bureaux, pas plus, et très exigus :
un petit bureau de l’économe général, celui de son secrétaire, un petit bureau pour l’économe général
adjoint dont les tâches sont d’ailleurs difficiles à définir, un petit bureau pour le chef du personnel de
l’économat général, un autre pour la comptable, un autre pour les installations de communication et
enfin une pièce relativement grande pour le magasin mais très pauvre en articles de vente.
Bref, l’Économat général de tout le diocèse compte moins de dix agents : l’économe général et son
adjoint, le secrétaire, le chef du personnel, la comptable, la caissière, le magasinier et son relai dans le
centre-ville de Bukavu (Libreco). Comme on le voit, tout est fait pour gérer non pas un patrimoine du
diocèse dans sa complexité, mais un service minimum. De sorte qu’il est judicieux de se demander si le
patrimoine du diocèse de Bukavu est géré.
444
dans les paroisses plus ou moins éloignées de la ville) qui sont de passage dans la ville de Bukavu.
Généralement, c’étaient ceux qui allaient ou revenaient d’un voyage, en l’occurrence les congés annuels
en Europe. Ces missionnaires devaient par nuitée un prix dérisoire pour la chambre et la restauration.
Puisque la Procure est un secteur de l’Économat général, selon la nature de leur séjour, le père procureur
prélevait directement sur leur compte personnel ou sur le compte de la mission où ils étaient affectés.
Actuellement, la Procure accueille généralement des prêtres diocésains, moyennant paiement de 20 $ la
nuitée, restauration comprise. Il s’agit de prêtres venant des paroisses éloignées de la ville de Bukavu
qui ont des activités à y réaliser pendant un court séjour. La Procure accueille aussi les enseignants
étrangers (Burundais, Belges) ou en provenance de Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi qui viennent pour
des prestations académiques à l’Université catholique de Bukavu (UCB). Mais aussi, des experts
internationaux en mission de travail et des touristes occidentaux en séjour dans la région y sont logés.
Ce secteur productif géré par l’Économat général de Bukavu est, comme tous les autres précédemment
décrits, en déficit permanent d’exploitation. Deux raisons majeures peuvent l’expliquer : d’une part, sa
capacité d’accueil très limitée (en tout 20 chambres) et le prix dérisoire de la nuitée (20 $), cependant
que la Procure emploie plus de cinq cuisiniers et une religieuse comme intendante, tous salariés. Le coût
d’exploitation est de loin plus important que le coût de revient. En effet, les charges mensuelles à
supporter par la Procure sont considérables par rapport à ses recettes. Il y a là encore un problème de
gestion et de management qui se pose.
445
l’association avec le bénévolat, mais cette représentation est faussée (Lewis, 1997 :166). L’offre privée
à but lucratif ne mobilise pas que des ressources marchandes, l’offre publique ne se confond pas avec
les seules ressources non marchandes, quant à l’offre associative (telle pour l’Église), elle n’est pas
limitée à un appel aux ressources non monétaires.
Compte tenu des changements intervenus dans les modalités de régulation publique, le cadre théorique
de l’économie plurielle (soit les trois pôles : économie marchande, non marchande, non monétaire)
conduit moins à répartir les prestataires dans ces trois pôles qu’à opérer les types de ressources
mobilisées par chaque type de prestataires afin de réfléchir sur les formes et les effets de leur
combinaison (Gardin, 2008).
La Loi de l’Église dispose que celle-ci, en tant qu’institution et personne morale, a le droit d’acquérir,
d’administrer, d’aliéner des biens et de contracter avec des partenaires. S’il est effectivement mis en
application, cette disposition juridique constitue un atout majeur et nécessaire aux diocèses du Congo
qui peut leur permettre de participer activement au développement socio-économique des peuples dont
ils ont la charge, en créant des emplois, en même temps qu’ils assurent leur propre autonomie
économique et financière.
En effet, d’après le Code de droit canonique de 1983, l’Église s’organise en société (c. 204, §2)
regroupant en son sein des chrétiens qui, d’une façon stable, poursuivent leur fin spécifique, en
l’occurrence la perfection de la charité ou la sanctification, en utilisant des moyens communs sous
l’égide de l’autorité. Elle est avant tout une personne morale de droit divin, comme le définit le canon
113 §1 L’Église peut être aussi considérée comme une personne juridique dans la mesure où elle reçoit
de l’État non pas l’existence, mais la reconnaissance en tant que sujet des droits et d’obligations.
Il est vrai que, dans tous les pays, il existe une réglementation pour les associations dont le droit à
l’existence est garanti par l’Organisation des Nations Unies (ONU)283. Les associations qui, par des
moyens purement humains, tendent à une fin d’ordre exclusivement temporel, sont forcément
dépendantes de l’État284. Quant aux autres, à moins qu’elles ne soient manifestement nuisibles à l’ordre
public, l’État ne peut, sans tomber dans l’arbitraire, les supprimer, ni interdire l’exercice de leurs droits.
Quoi qu’il en soit, on ne peut établir une parité entre les associations purement civiles et l’Église. Les
obligations de l’Église ont été définies entre autres dans sa triple fonction d’enseignement, de
sanctification et de gouvernement (c.1008 ; 129). Ses droits se retrouvent également ici et là dans le
Code de droit canonique, droit entre autres d’utiliser les moyens de communication sociale (c. 822§1),
283
Art.20 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et art. 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
284
Il s’agit entre autres des sociétés commerciales (Voir Dartois, 1971 : 82-109).
446
d’exiger de ses fidèles ce qui est indispensable dans la poursuite de ses fins propres (c. 1260), des droits
d’acquérir, d’administrer, de conserver ou d’aliéner des biens temporels (c. 1254), etc., en vertu de son
droit inné et ce, indépendamment du pouvoir civil, pour la poursuite des fins qui lui sont propres
(Mariano, L.,1999: 894).
447
d’identifier et de d’accorder la priorité aux besoins les plus urgents. Ce sont donc autant d’actions
légitimes que l’Église peut initier pour subvenir à ses besoins285.
Si les concessions domaniales héritées de l’administration coloniale belge constituent une source
économique très appréciable, elles ne sont pas pourtant les seules. Pour son autofinancement, l’Église,
personne juridique, peut, sans devoir chercher à enrichir ses membres en tant qu’individus, s’adonner au
Congo à des activités industrielles et commerciales à titre accessoire. L’article 1er du décret-loi du 18
septembre 1965 définit l’association sans but lucratif comme « celle qui ne se livre pas à des opérations
industrielles ou commerciales, si ce n’est à titre accessoire, et qui ne cherche pas à procurer à ses
membres un gain matériel » 286
D’après cet article, sont réputés actes de commerce : tout achat de denrées et marchandises pour les
revendre soit en l’état, soit après les avoir travaillées et mises en œuvre, ou même pour en louer
simplement l’usage : toute vente ou location qui en est la suite ; toute location de meubles pour sous-
louer et toute sous-location qui en est la suite ; toute entreprise de manufactures ou d’usines, de travaux
publics ou privés, de consommation, de transport ; toute entreprise de fournitures, d’agences, bureaux
d’affaires, établissements de vente à l’encan, de spectacles publics et d’assurances à primes ; toute
opération de banque, change ou courtage ; les lettres de change, mandats, billet ou autres effets à ordre
ou au porteur ; toutes obligations des commerçants, même relatives à un immeuble, à moins qu’il ne soit
prouvé qu’elles aient une cause étrangère au commerce.
Il s’agit aussi de toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes volontaires de
bâtiments pour la navigation intérieure et extérieure ; toute expéditions maritimes ; tout achat ou vente
d’agrès, apparaux et avitaillement ; tout affrètement ou nolisement, emprunt ou prêt à la grosse ; toutes
assurances et autres contrats concernant le commerce de mer ; tous accords et conventions pour salaires
et loyers d’équipage ; tous engagements de gens de mer, pour le service des bâtiments de commerce.
Cette nomenclature n’est évidemment pas exhaustive. En outre, il est superflu de rappeler que tous ces
actes de commerce sont dépourvus d’esprit de lucre et jouissent par conséquent de l’immunité réelle,
c’est-à-dire de l’exemption des taxes dues à l’État par les personnes physiques et morales de droit
commun (Ludiongo, E., 1990 : 260).
285
Ce que nous disons de l’Eglise en général vaut aussi pour chaque Eglise particulière, et dans le cas d’espèce l’archidiocèse
de Bukavu, mutatis mutandis. Cela s’applique également aux Instituts de vie consacrée (c.634 §1) et aux Sociétés de vie
apostolique (c. 741 §1).
286
Voir Supplément aux Codes congolais, fascicule II, Bruxelles, F. Larcier, 1970 : 187 ; ce décret-loi modifie le décret du
27 novembre 1959 dont on peut trouver le texte dans les Codes et Lois du Congo Belge, Op. Cit., vol. II : 351-353.
448
Ainsi, en plus de l’exploitation des terres et des activités commerciales et industrielles, l’archidiocèse de
Bukavu, comme chaque Église locale du Congo, trouvera, selon le droit positif du pays, la façon de
concrétiser les dispositions du canon 1259 qui, comme je l’ai signalé plus haut, offre une infinité de
possibilités. Pour se rassurer d’entreprendre des activités économiques qui soient rentables, c’est-à-dire
génératrices de richesses devant lui permettre de réaliser avec efficacité et efficience sa mission
évangélisatrice et promotrice de développement social, l’archidiocèse de Bukavu se doit d’abord de faire
un travail préparatoire d’étude approfondie de son marché réel et potentiel.
Les études de marché utilisent des techniques quantitatives, telles que le sondage, les panels, et des
techniques qualitatives, telles que les entretiens individualisés, les réunions de groupes. Les
informations peuvent être recueillies soit directement auprès des personnes qui peuvent être consultées
par l'intermédiaire d'enquêteurs (interviews en face à face à domicile ou en salle, téléphone, dans la rue )
ou de façon auto administrée (soumission d'un questionnaire papier ou d'un questionnaire-formulaire par
Internet) ; soit par recherches documentaires : compilation et analyse de toutes informations émanant de
sources existantes et pertinentes (sources primaires, publications légales et/ou financières, résultats de
processus de veille ou d'intelligence économique, travaux académiques, etc.).
Par ailleurs, les études de marché pour l’économat général de l’archidiocèse de Bukavu présentent des
enjeux réels. En effet, elles permettent à cette structure économique du diocèse de collecter et d'analyser
l'ensemble de données chiffrées (sur les produits, les marques, les catégories, les besoins génériques) qui
caractérisent un marché. Ces études lui permettent aussi d'analyser les facteurs influençant la vente
(prescripteur, leaders d’opinion, bouche à oreille producteur, distributeur puis l’environnement
institutionnel, technologique, culturel, démographique, économique et social).
Enfin ces études analysent l'espace concurrentiel pertinent du positionnement (entre produits
substituables et crédibles). Il est toujours indispensable de mesurer un marché en volume et en valeur,
c'est-à-dire par le total des sommes dépensées par les clients pour le produit ou le service considéré (car
les évolutions peuvent être différentes). La taille du parc (produits à remplacer) peut aussi être utile.
449
L’étude de marché doit correspondre à des sous-ensembles homogènes (segments): critère
géographique, caractéristique du produit, nature de l’achat, producteur ou marque. Je pense que, compte
tenu de sa configuration et son positionnement socio-économiques, son poids démographique
population, l’archidiocèse de Bukavu devrait cibler quelques centres d’activités rentables à créer. Deux
nous paraissent plus pertinents, à savoir une Centrale d’achats et une société d’assurances.
Une centrale d'achats est une structure (organisation) ayant pour objet de regrouper et de gérer les achats
(commandes) de ses affiliés (ensemble de ses membres) qui peuvent être des détaillants ou des
grossistes. La structure offre à la fois de meilleures conditions d'achat (grâce aux économies d'échelle) et
les services de promotion pour l'ensemble des membres. Cette négociation implique l'étude des produits,
la recherche de fournisseurs, la négociation des achats et, dans certains cas, les activités de répartition,
d'organisation et de documentation. Ces services sont réservés à l'usage exclusif des adhérents à la
centrale, à laquelle ils sont liés par un contrat d'une certaine durée. Ainsi, une centrale d’achat est-elle au
sens strict un organisme au statut variable (Coopérative, GIC,..) qui centralise les achats pour un
ensemble de distributeurs ou grossistes indépendants.
L’objectif essentiel de la centrale d’achat est d’obtenir de meilleures conditions commerciales grâce aux
volumes obtenus par le regroupement des achats, elle permet également de pousser davantage la
spécialisation de la fonction achat. En général, elle prend en charge la recherche et le référencement des
fournisseurs, les éventuels appels d’offres, la négociation des conditions commerciales et la réalisation
des achats. Si la centrale ne gère que la partie référencement et éventuellement une pré-négociation des
conditions commerciale, on parle alors de centrale de référencement. On distingue plusieurs types de
centrales d'achat : Centrale d'achat coopérative, Centrale d'achat intégrée, Centrale d'achat grossiste.
Il est vrai que la situation socio-économique de l’Afrique actuelle ne lui permet pas d’avoir des plus
grandes centrales d'achat du secteur de la grande distribution comme les plus grandes super-centrales
américaines ni les super-centrales européennes avec leurs dizaines de milliards d’euros de chiffres
d’affaires287. Mais l’archidiocèse de Bukavu peut, vu le nombre important des consommateurs de son
espace socio-économique, implanter une centrale d’achat coopérative et grossiste adaptée à la taille de
ses clients réels et potentiels. Un autre centre d’activités créatrices des richesses que ce diocèse pourrait
créer, ce sont les services d’assurance.
450
4. La création des Services d’Assurances
Une assurance est un service qui fournit une prestation lors de la survenance d'un risque. La prestation,
généralement financière, peut être destinée à un individu, une association ou une entreprise, en échange
de la perception d'une cotisation ou prime. Par extension, l'assurance est le secteur économique qui
regroupe les activités de conception, de production et de commercialisation de ce type de service.
Il y a deux grands types d'assurances, bien que plusieurs puissent être couverts simultanément par le
même contrat (« multirisque » dans ce cas) : l’assurance de personnes et l’assurance de dommages. Les
assurances de personnes ont pour objet de protéger la personne même de l'assuré 288. Soit « en cas de vie
» (assurance vie) sous forme de capitalisation donnant lieu au bénéfice du titulaire (ou dans certains cas
de ses ayants droit) au versement d'un capital ou d'une rente après une certaine date.
On peut y assimiler les retraites, généralement versées par tranches périodiques comme dans le cas d'une
rente. Toutefois le régime fiscal est alors différent, et il y a en général indexation sur le coût de la vie ce
qui n'est pas le cas pour la plupart des rentes. Soit « en cas de décès » (assurance décès) donnant lieu au
versement d'un capital au bénéficiaire. Soit par une assurance maladie : l'assurance complémentaire
santé, l'assurance hospitalisation, le contrat "accidents corporels". Soit en couverture d'autres risques tels
que : la garantie incapacité/invalidité de travail, la garantie dépendance.
Quant à l’assurance de dommages, elle donne droit à une indemnité, normalement égale au montant du
préjudice dû à un événement accidentel et involontaire (assurance accident), appelé « sinistre », produit :
assurance de personnes (accident corporel, invalidité, maladie, assistance voyage...). On distingue: la
Prévoyance (garantie décès, indemnités journalières garantie incapacité/invalidité de travail, rente
éducation, de conjoint...) ; l'assurance Santé aussi appelée Assurance Maladie, généralement segmentée
en France en assurance maladie obligatoire (la Sécurité sociale), assurance maladie complémentaire ou
la mutuelle (les Mutuelles, Institutions de prévoyance ou Sociétés d'assurances) ; assurance de tiers :
responsabilité civile, etc., ; assurance de biens contre les accidents, incendies, vols (automobile,
habitat...), c'est l'IARD (Incendie, Accident et Risques Divers).
D’aucuns pourraient, dans le contexte africain où cette réalité n’est pas très connue, s’interroger sur
l’intérêt d'assurance. L'intérêt d'assurance est une notion fondamentale du droit des assurances parce
qu'il qualifie le contrat d'assurance et détermine la personne qui doit recevoir la prestation promise par
l'assureur.
288
http://fr.wikipedia.org/wiki/Types_de_contrats_d'assurance [Consulté le 05 novembre 2013].
451
On trouve une définition de l'intérêt d'assurance dans l'article L.121-6 du Code des assurances : « Toute
personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer. Tout intérêt direct ou indirect à la non-
réalisation d’un risque peut faire l’objet d’une assurance'' ». L'intérêt d'assurance y est défini de manière
négative : seul celui qui a intérêt à ce que le risque ne survienne pas (intérêt à la non-réalisation du
risque) peut conclure un contrat d'assurance. C'est l'intérêt à la non-réalisation d'un incendie, d'un vol,
d'une catastrophe naturelle..., bref de tout événement incertain contre lequel on souhaite se prémunir :
dans ce cas, le souscripteur ne joue pas avec le hasard, il cherche à s'en prémunir par la conclusion d'un
contrat d'assurance.
Au contraire, celui qui n'a aucun intérêt à la non-réalisation du risque ne peut ni conclure un contrat
d'assurance ni bénéficier de la prestation promise par l'assureur. Celui qui ne redoute pas la survenance
d'un événement incertain (vol, incendie) ne fait que jouer avec le hasard. L'intérêt d'assurance permet de
distinguer, parmi les contrats aléatoires, ceux qui apportent une protection contre le hasard (assurance)
de ceux qui spéculent sur le hasard (jeu et pari). Un risque assurable par une société d'assurances doit
être : aléatoire, futur = pas de rétroactivité, licite = non contraire à la loi, involontaire = indépendant de
la volonté de l'assuré, réel = le bien assuré doit exister, suffisamment courant pour pouvoir calculer sa
probabilité, au point d'être quasi certain, car alors il ne pourrait être couvert qu'à un tarif prohibitif.
L'aléa est le caractère principal de tout contrat d'assurance et définit donc la notion de risque assurable.
L'aléa peut porter sur la survenance ou la non survenance d'un évènement (le vol), mais aussi sur la date
de réalisation d'un évènement certain (en assurance décès).
En RDC, le service d’assurance est un secteur qui souffre d’une très grande déficience. Seule la Société
Nationale d’Assurances (SONAS), une entreprise publique, exerce le monopole, avec tous les
inconvénients que cette situation représente. En proie à ses multiples carences et insuffisances, la
SONAS n'a eu qu'une emprise limitée sur le développement des activités de pareilles entités. Dès lors,
celles-ci ont souvent trouvé dans les faiblesses et carences de cette société d’assurance l'occasion de
réaliser à son grand désavantage des affaires paradoxalement faciles et prospères (Vangi, 2003).
En plus, elle ne couvre qu’une seule police : l’assurance automobile obligatoire. Cette garantie, parfois
baptisée « assurance au tiers », et « tiers transportés », couvre en principe l’assuré contre les
conséquences pécuniaires de la responsabilité qu’il peut encourir du fait des dommages corporels ou
matériels causés par les véhicules, objet de l’assurance. Mais ils sont rares, les assurés qui sont
effectivement couverts lors du dommage, ce qui fait que plusieurs se soustraient du paiement de cette
police dont le coût varie entre 150 et 450 USD. Il dépend de la puissance et la durée du véhicule.
452
D’après Emmanuel Nakasila, directeur de l’agence de recouvrement SONAS/ Gombe à Kinshasa qui a
procédé depuis 2010 au recouvrement forcé de l’assurance automobile dans cette mégapole, il est de fois
difficile de s’acquitter de ce devoir, les uns par l’ignorance de la loi, les autres jugent les frais
exorbitants et au-delà de leurs moyens. En réalité, les souscripteurs se plaignent de non couverture par
l’assureur lors de la survenance d’un sinistre. Sur la base de ce mécontentement général et comme cette
société en monopole ne recouvre que l’assurance automobile et ne semble pas préoccupée par les autres
polices, l’archidiocèse de Bukavu pourrait profiter de cette opportunité pour pénétrer ce grand marché
afin de les rendre accessibles à tous ses divers acteurs institutionnels et individuels.
Concluons ce huitième chapitre dans lequel j’ai relevé les défis qui attendent l’archidiocèse de Bukavu
s’il veut atteindre l’autofinancement. Il s’agit de gérer avec efficacité et efficience ses ressources
humaines et économiques, de mettre sur pied des mécanismes de contrôle et d’audit et de faire
fonctionner objectivement les organes de gestion et de délibération du diocèse, notamment l’économat
diocésain, épine dorsale de la vie économique du diocèse, et le conseil diocésain pour les affaires
économiques. Les avantages que génère l’autofinancement sont considérables, dans la mesure où il
assure une indépendance vis-à-vis des tiers pourvoyeurs de fonds (les organismes catholiques de
financement occidentaux), qui connaissent aujourd’hui un goulot d’étranglement.
Ce chapitre a permis de comprendre que l’atteinte de l’autofinancement exige une grande rigueur et une
expertise dans le travail : une organisation et gestion rationnelle des ressources humaines, une gestion
financière et économique efficace et efficiente. Cela suppose l’utilisation des compétences dans ces
différents domaines, ainsi que la mise en place des mécanismes de contrôle et d’encadrement de l’action
des gestionnaires. Cela suppose enfin la volonté des décideurs flexibles qui ont le sens de l’anticipation
des décisions, de la prise de décisions à temps opportun. Or l’archidiocèse de Bukavu a non seulement
la capacité juridique d’entreprendre des activités créatrices des richesses, mais aussi il a des potentialités
importantes dans tous ces domaines qui n’attendent qu’à être mobilisées.
La réflexion qui suit me permettra d’évaluer ses chances de succès ou d’échec dans le processus
d’autofinancement, au regard des dispositions des acteurs qui interviennent dans ce processus. Car le
chemin qui reste à parcourir est encore long, puisque plusieurs obstacles sont à contourner par
l’archidiocèse de Bukavu. C’est l’objet du dernier chapitre de cette thèse.
453
454
Chapitre IX : LES OBSTACLES A CONTOURNER POUR UNE VOIE DE SORTIE
VERS L’AUTONOMIE FINANCIERE
Au regard de toute la réflexion menée dans les chapitres précédents, il s’avère que le processus entamé
par les Églises du Congo, l’archidiocèse de Bukavu en particulier, dans la recherche de leur autonomie
financière par l’autofinancement, est indéniable. Mais, la conscientisation des fidèles congolais sur les
besoins financiers de leur Église se heurte à trois écueils majeurs, à savoir la paupérisation des couches
de chrétiens consécutive à la précarité même de la vie socio-économique nationale, d’une part, et d’un
certain préjugé, mieux, d’une certaine représentation sociale selon laquelle l’Église est déjà riche pour
continuer à l’enrichir par les contributions des fidèles, d’autre part. Un troisième écueil réside dans le
fait qu’une grande partie de ceux-ci estiment que leur Église, en conformité avec l’Évangile qu’elle
prêche, devrait se mettre à l’abri de la richesse au risque de dévier de sa mission salvifique. Par
conséquent, elle ne devrait pas se soucier des biens de ce monde. Dans une enquête réalisée dans
l’archidiocèse de Yaoundé, on retrouve la même vision de l’Eglise par les fidèles.
Dans ce dernier chapitre de ma thèse, je veux analyser les entraves en termes d’obstacles, blocages et
freins qui subsistent et qui sont susceptibles d’empêcher l’archidiocèse de Bukavu d’avancer afin de
rendre effectif son effort vers l’autofinancement. J’évaluerai les chances en termes de possibilités de
cette Église locale congolaise pour surmonter ces obsatcles et freins au travers des moyens dont elle
dispose en vue d’atteindre son objectif, celui d’assurer une certaine indépendance financière.
455
Dès son message au monde au cours de la première session, le 20 octobre 1962, et conformément à
l’intention du pape Jean XXIII convoquant le Concile, en plus de son occupation primordiale de l’Église
sur elle-même, le Concile entreprit aussi peu à peu de traiter de la relation de l’Église avec le
monde :« Nous apportons avec nous, disaient les évêques, de toutes les parties de la terre, les détresses matérielles et
spirituelles, les souffrances et les aspirations des peuples qui nous sont confiés… Notre sollicitude veut s’étendre aux plus
humbles, aux plus pauvres, aux plus faibles… Nous nous sentons solidaires de tous ceux qui, faute d’entraide suffisante,
n’ont pu encore parvenir à un développement vraiment humain » « Aussi, poursuivait le message, dans nos travaux,
donnerons-nous une part importante à tous ces problèmes et à une authentique communauté des peuples. » (Maugenest,
D., 1985 : 366).
Les pays africains s’émouvant encore dans le sous-développement, les Églises particulières se trouvent
aussi condamnées à vivre dans la même situation. Aussi, étant implantée dans un pays donné, l’Église
profite de la situation économique de ses membres avec qui elle partage le même destin social. Bien
qu’étant fondamentalement différents de par leurs origines, leur organisation et leurs objectifs, l’Église
et l’État sont pourtant deux institutions inséparables, ayant le même peuple comme sujet social.
En effet, les causes internes du sous-développement de l’Afrique sont tout aussi importantes que les
causes externes, même si nous savons que celles-ci influencent davantage les premières. Alors qu’elle
regorge d’immenses richesses du sol et sous-sol, l’Afrique croupit pourtant dans une misère
indescriptible. Elle est constamment pillée, aussi bien par des étrangers profitant du désordre interne que
par ses propres fils, ses dirigeants inconscients et irresponsables qui n’ont d’autres soucis que de se
maintenir au pouvoir par tous les moyens et ce malgré le rejet du peuple. Ils bafouent systématiquement
les droits élémentaires des citoyens, ils n’ont aucun sens du bien commun ni de l’amour patriotique.
Les conséquences sociales sont la précarité de la vie sociale, la misère et la corruption à grande échelle
qui gangrène toutes les couches des populations, dues à la cupidité de ceux qui participent au pouvoir et
dans les secteurs de la vie publique.
456
L’opposition politique et la société civile ne rassurent guère le peuple médusé qui les accuse de jouer le
jeu du pouvoir en place ou de l’impérialisme occidental dont l’objectif est plus d’exploiter les richesses
naturelles du pays. Entre-temps, le peuple est clochardisé, s’enfonçant d’année en année dans la misère.
Or c’est le même peuple qui constitue l’Église. Celle-ci sera toujours pauvre, tant que les pays africains
seront mal gérés et le peuple appauvri. Il est impossible de penser une Église riche au milieu d’un
peuple pauvre. D’où la difficulté pour les Églises d’Afrique de mobiliser d’importantes ressources
financières pour ses différents besoins de fonctionnement ou d’investissement en comptant sur les
chrétiens. Ceux-ci ont déjà du mal à s’assurer le minimum vital, par quoi peuvent-ils aider leur Église à
couvrir ses dépenses ordinaires et extraordinaires?
L’Église locale de Bukavu est issue de ce contexte. Elle constate la paupérisation de sa terre et la vit
avec ses chrétiens qui expérimentent au jour le jour les joies et les peines, les espoirs et les angoisses des
situations économiques, politiques et sociales de leur pays, le Congo, de leurs familles proches et
élargies. Comme son peuple, cette Église est mue par cette aspiration de voir les situations changer et
s’améliorer. Elle ne quitte jamais son contexte. Elle restera piégée dans la pauvreté tant que le peuple
congolais en général et ses fidèles seront encore pauvres. Leur sort socio-économique est étroitement
lié. Car l’Église ne peut être riche que si ses fidèles le sont.
Ainsi que le reconnaît l’autorité diocésaine, l’Église est affectée par le contexte économique général.
C’est le cas de Bukavu qui subit les contrecoups de la crise économique qui se vit au Congo depuis des
décennies, parce que l’Église n’a pas de contexte à elle, elle vit dans le même contexte que les autres
institutions. De plus, étant donné le principe de vase communiquant, les institutions s’affectent les unes
les autres289. Le pape Jean-Paul II le reconnaît, quand il souligne dans son exhortation apostolique post-
synodale « Ecclesia in Africa » n° 104, que l’Église ne pourra jamais être autosuffisante dans un pays où le
peuple vit dans une misère extrême (Zoa, J., 1997 :1).
Bref, la paupérisation des couches de chrétiens est consécutive à la situation sociopolitique d’un pays
qui détermine absolument la vie économique des populations et, par voie de conséquence, la vie
matérielle de l’Église. Celle-ci ne vit pas dans un monde qui lui est propre, en dehors de celui de ses
fidèles. Elle partage chaque jour les réalités sociales de ses membres. Mais ceux-ci sont-ils
suffisamment sensibilisés ?
289
Entretien avec l’Ordinaire du Lieu à la CDO, le 30 août 2006.
457
2. Une sensibilisation insuffisante des fidèles
Dans le contexte congolais, quand bien même les chrétiens auraient des moyens, ils ne sont pas
suffisamment sensibilisés aux difficultés financières de leur diocèse. C’est une autre faiblesse dans la
mobilisation des ressources financières qui réside dans le manque de prise de conscience de la part des
chrétiens qui le peuvent de la nécessité pour eux de contribuer à la vie matérielle de leur Église en
payant les différentes contributions tant obligatoires que bénévoles : casuels, quêtes, collectes et
offrandes, etc. Pour Edouard Ludiongo, il appartient aux pasteurs de réveiller la conscience des fidèles
sur les besoins financiers de l’Église (Ludiongo, E., 1991 : 255-273). Mais, pour le faire, reconnaît
Recchi, il faut une organisation saine, une administration transparente du patrimoine ecclésiastique et
surtout la création de structures à la mesure des possibilités du peuple (2003:37).
Certaines Conférences épiscopales d’Afrique ont porté leur attention sur le problème de l’aide
économique apportée par les fidèles à leur Église, comme essai de sa prise en charge effective. C’est le
cas des Églises du Bénin et du Rwanda, où l’on observe un effort remarquable visant la sensibilisation
des fidèles. L’Église béninoise consacre dans son droit particulier, en complément des dispositions du
Code, 8 articles au problème de la participation des fidèles aux ressources pour l’existence, l’entretien et
le développement de la vie de leur Église. Cette participation est demandée en espèces monétaires, en
dons en nature et en prestation volontaire de travail (Ibid. :38).
Un rôle important est joué par les curés, afin que « tout fidèle, du plus jeune au plus âgé, du plus pauvre
au plus riche, apporte sa quote-part au bien du culte » (De Agart, M., 1990 :741-743 cité par Recchi, S.,
2003 :38). La Conférence du Rwanda établit un cadre précis et détaillé des contributions qui
correspondent à un certain pourcentage sur les revenus mensuels pour les personnes salariées ou, dans le
cas de non salariés, à un nombre donné de journées annuelles de travail, pour les personnes (Ibid. :753-
754). Cependant, il est à remarquer que la plupart de ces Conférences n’ont rien délibéré à ce sujet, et
cela pour plusieurs raisons, parmi lesquelles les écueils que nous avons relevés plus haut.
Lors de mes enquêtes sur le terrain dans les diocèses de Bukavu et de Yaoundé en 2010 et 2012, à la
question posée de savoir si le diocèse peut compter sur la générosité permanente des fidèles, la plupart
des enquêtés ont reconnu que, par-delà la précarité sociale, un travail de fond devra être fait par la
hiérarchie du diocèse pour sensibiliser la chrétienté en communiquant suffisamment sur la réalité
financière de leur diocèse. Des questions réelles se posent aujourd’hui sur une sorte d’inadéquation du
modèle d’Église installée en Afrique qui ne résulte pas de l’expérience propre des communautés
chrétiennes africaines et qui demeure disproportionnée par rapport à leurs capacités matérielles et
financières.
458
La dépendance économique de ces Églises découvre, à son origine, l’insuffisance de l’enracinement
socio-historique du modèle de l’Église des missions en Afrique noire.
Dans le cinquième chapitre de cette thèse, j’ai relevé que les Églises d’Afrique ayant longtemps vécu
dans une totale dépendance, à travers des dons, des subsides venant des Églises occidentales et des
organismes de financements extérieurs, voient aujourd’hui leurs ressources s’amenuiser au jour le jour.
Cette situation est vue par plusieurs auteurs africains, tels que Fabien Eboussi Boulaga et Jean-Marc Ela,
comme une conséquence résultant du modèle d’Église trop occidentale dont elles ont hérité et qui
demeure étrangère à la réalité du peuple local. Ce qui a abouti à l’établissement d’une distance
sociologique et matérielle entre les cadres ecclésiastiques et les fidèles.
Comme vu précédemment, lors de mes enquêtes réalisées sur le terrain en juillet-août 2010, sur les 864
chrétiens interrogés provenant des 13 paroisses sur les 37 que comprend actuellement l’archidiocèse de
Bukavu, dont 523 femmes et 341 hommes rencontrés, 84% n’avaient pas payé le denier de l’Église, une
des ressources principales de l’Église et ce, depuis une décennie.
Les raisons avancées sont les suivantes : 192 personnes, soit 22% avouent ne pas être informées de la
situation financière précaire de leur diocèse, tandis que 647 individus, soit 75%, se basant évidemment
sur le gigantesque patrimoine immobilier, le parc automobile et les diverses structures sociales (écoles,
hôpitaux, centres de santé, œuvres de développement) géré par l’archidiocèse de Bukavu, estiment que
leur Église est suffisamment riche pour être aidée, et 25 enquêtés, soit 3% seulement, sont conscients
que leur Église locale a réellement besoin d’être aidée.
Ce faible taux s’explique par le fait la grande majorité a déjà sévèrement jugé que leur Église locale est
très riche. Le tableau suivant fait ressortir ces observations.
459
Tableau 22: Les raisons pour les chrétiens d’aider ou non leur Église locale de Bukavu
Raisons pour les chrétiens d’aider ou non financièrement leur Église Effectifs % Total
L’Église est déjà suffisamment riche 647 75 % 864
L’Archidiocèse de Bukavu a réellement besoin d’être aidé 25 3% 864
Les chrétiens ne sont pas très informés de la situation financière du diocèse 192 22 % 864
Total de répondants 864 100% 864
J’ai aussi interrogé les fidèles de l’archidiocèse de Yaoundé, mon deuxième terrain, et leurs avis
convergent, toutes proportions gardées, avec les Congolais, sur la richesse de leur Église. Par contre, ils
ne sont pas du même avis pour les autres points. Ainsi, sur 260 chrétiens interrogés sur leur degré de
sensibilité et leur prise de conscience quant à la nécessité d’aider leur Église locale, 143 personnes, soit
55% estiment qu’elle est déjà suffisamment riche290 pour avoir besoin de l’aide des chrétiens.
Contrairement aux Congolais, 70 individus, soit 27% reconnaissent que leur Église mérite d’être aidée,
tandis que, par rapport aux fidèles de Bukavu, un petit nombre seulement, 47 individus, soit 18%, se
disent ne pas être suffisamment informés sur la vie matérielle de leur Église. C’est l’analyse qui ressort
du tableau ci-après :
Tableau 23 : Les raisons pour les chrétiens d’aider ou non leur Église de Yaoundé
Raisons pour les chrétiens d’aider ou non financièrement leur Église Effectifs % Total
L’Église est déjà suffisamment riche 143 55 % 260
L’Archidiocèse de Yaoundé a réellement besoin d’être aidé 70 27 % 260
Les chrétiens ne sont pas très informés de la situation financière du diocèse 47 18 % 260
Total de répondants 260 100% 260
Notre enquête: août 2012
290
Les camerounais interrogés sont convaincus que leur diocèse de Yaoundé est riche pour être aidé car ils observent
d’innombrables richesses, tant humaines que matérielles. Les trois départements administratifs qui le constituent (Mfoundi,
Mefou et Akono, Mefou et Afamba) couvrent une superficie de 4 964Km2, pour une population de près de trois millions
d’habitants dont près d’un million et demi de catholiques. « A son arrivée en 2003, Mgr Tonyè Bakot a fait passé le denier
du culte de 2 000 à 12 000 F CFA par an, soit respectivement de 3 à 18 Euros, avant de le ramener à 7 000 F Cfa
actuellement, équivalent de 11 Euros, suites aux plaintes des paroissiens. Par ailleurs, l’archidiocèse de Yaoundé est
propriétaire d’un imposant patrimoine immobilier, le second après celui de l’Etat du Cameroun, à en croire Jeune Afrique.
Comme l’indique Mgr Zoa Obama, vicaire général, « le patrimoine de l’archidiocèse de Yaoundé est fait des acquisitions et
des cessions. Le diocèse a des terrains acquis depuis les années 1890 ». Le terrain de Mvolyé, qui en fait partie, a été acquis
en 1901. C’est un espace de 142 hectares dont un cimetière de cinq hectares qui accueille en moyenne quatre inhumations par
mois. Ce dernier rapporte la bagatelle somme de 400 000 F CFA (610 Euros) par enterrement à l’archidiocèse. Aussi,
l’archidiocèse de Yaoundé compte une centaine d’institutions scolaires et sanitaires, ainsi que des imprimeries et des
librairies. Si le coût des soins dans les hôpitaux et les dispensaires sont encore jugés abordables, ce n’est pas le cas des
écoles, collèges (collèges Vogt, Jean Tabi, La Retraite), les coûts financiers des études sont parmi les plus onéreux du pays.
460
Ce problème financier sérieux pour le continent africain, spécialement en contexte subsaharien, ne date
pas d’aujourd’hui, il a été débattu depuis la naissance de ces Églises, comme le souligne Mariangela
Mammi pour qui la solution semble cependant encore très lointaine (2003 :43). Il serait intéressant de
savoir comment les hauts responsables de l’Église en Afrique ressentent le problème. A ce sujet,
laissons Mgr Robert Sarah, alors Secrétaire de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, nous
livrer son expérience: « La dépendance financière des Églises d’Afrique est un grand problème- et source d’humiliation
pour les Africains- qui freine l’avancée de l’évangélisation. Je suis évêque, renchérit-il, depuis très longtemps. Quand nous
venons en Europe, nous sommes tout de suite pris pour des mendiants : « Que pouvons-nous faire pour vous ? », alors que
nous venons peut-être pour un échange de foi ou d’expérience pastorale. Etre évêque en Afrique est très humiliant, parce
qu’on passe la moitié du temps à quémander, pour maintenir les énormes structures que les missionnaires nous sont laissées,
en plus de faire vivre une pastorale dans un contexte difficile. » (Cité par Recchi S. (dir), 2003 : 43).
Le prélat ajoute que, dans les dernières années, il y a eu un important travail de sensibilisation pour
mobiliser les chrétiens, malgré la pauvreté, à donner ce qu’ils peuvent et des investissements ont été
faits en vue de l’autofinancement, mais les difficultés économiques de la région ne facilitent pas les
choses. Il conclut : « il faudra encore beaucoup de temps pour que la population chrétienne africaine se trouve dans des
conditions économiques et de sensibilité suffisantes pour soutenir la vie matérielle et apostolique de l’Église. » (Ibid)
Par le mot « sensibilité », Robert Sarah touche peut-être l’aspect le plus important de la situation de
dépendance financière africaine, qui met en cause la survie même de l’Église dans cette région. En effet,
en Afrique Noire, aucune Église locale ne peut couvrir régulièrement les dépenses ordinaires sans
interventions extérieures (Babe, A., 1998: 50). Si l’aide extérieure dont elle dépend venait à manquer,
beaucoup de ses structures ne pourraient plus fonctionner.
Cette dépendance blesse aussi les exigences « ecclésiologiques » fondamentales291 de l’Église locale,
laquelle, par sa nature, pour nouer des relations fraternelles avec les Églises sœurs, ne peut rester vis-à-
vis d’elles dans un état de dépendance (Matondo Kwa Nzambi, I., 1992 :394). Un minimum de biens
matériels est requis pour le développement « intégral » de la personne humaine. Dans la ligne de la
doctrine sociale de l’Église, le pape Paul VI parlait de la nécessité de « promouvoir tout homme et tout
l’homme »292.
291
Cf. Églises locales en dialogues. Insondables et imprévisibles voies de l’avenir (Symposium de Maria Laach, 31 octobre-5
novembre 1982), Ed. du Secrétariat de la C.E.Z., Kinshasa, 1984, p. 25, cit. in Kalamba Nsapo S., Les ecclésiologies
d’épiscopats africains sub-sahariens. Essai d’analyse de contenu, Editions Société ouverte, Bruxelles, 2000 : 163.
292
Pauli VI, Encyclique sur le développement des peuples Populorum progressio, 26 mars 1967, n° 14.
461
Peu avant, dans sa Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps « Gaudium et spes »,
n°71293, le Concile Vatican II294 l’avait rappelé : « Les biens extérieurs assurent à chacun une zone indispensable
d’autonomie personnelle et familiale ; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant
l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une des conditions des libertés civiles ».
Comme l’affirme Sylvia Recchi, si la surabondance et les excès de tout genre provoquent, dans les pays
riches, des dégâts physiques et moraux importants, certainement à considérer comme une forme de
pauvreté, les conséquences sont observables ou perceptibles quand il manque ce minimum vital (Recchi,
S., 2003 :161). En effet, quand l’homme souffre d’un manque cruel de certains biens, il est diminué
dans sa personne. Certains mènent une existence infra humaine parce qu’il leur manque le nécessaire.
Combien d’adultes n’auront jamais une intelligence normale parce que la quantité de protéines qu’ils
ont absorbées pendant leur petite enfance était insuffisante !
A partir d’un certain niveau de misère, l’homme est atteint dans sa capacité de se développer
physiquement, moralement, intellectuellement. Les privations risquent de le dégrader et on voit la
délinquance augmenter avec la misère des couches de la population qui n’ont aucun espoir de vie
décente. Spirituellement aussi, la misère dégrade l’homme, soit qu’elle lui enlève tout souci de moralité
et de vie intérieure, soit qu’elle le pousse à s’évader dans des pratiques avilissantes.
La misère aliène donc la liberté humaine jusqu’à l’inacceptable (Gérard S., Lefebvre P., 1985 :42). Mais
quelle idée les gens se font-ils de la richesse de l’Église ? Quelle est leur réaction quant à la situation de
l’Église : la veulent-ils riche ou pauvre ? Les réponses à ces questions sont importantes pour nous aider
à comprendre les logiques qui sous-tendent l’action de plusieurs acteurs internes africains de l’Église et
susceptibles de la freiner dans sa dynamique d’impulsion socio-économique.
293
Gaudium et spes est retenu comme l’un des deux documents clés du Concile Vatican II (avec la Constitution dogmatique
sur l’Église dans sa nature et dans sa structure « Lumen Gentium »). Il voulait essentiellement souligner l’existence d’un
« lien étroit entre l’activité concrète et la religion », tendait à l’intégration de la vie dans le monde et de la vie devant Dieu
(et en Dieu). Gaudium et spes, qui reste comme une charte majeure de la relation de la foi à la vie, de la relation de l’Église
au monde et aux divers secteurs de la vie sociale, et de la relation du chrétien à ses frères non chrétiens ou non croyants.
Cette Constitution est appelée « pastorale » parce que, s’appuyant sur des principes doctrinaux, elle entend exprimer les
rapports de l’Église et du monde, de l’Église et des hommes d’aujourd’hui.
294
Le Concile Vatican II s’est tenu entre 1959 et 1965. Convoqué par le pape Jean XXIII (mort au cours des travaux en
1963), il s’est achevé avec le pape Paul VI. Trois buts essentiels lui avaient été assignés : la réforme de l’Église, le
rapprochement de tous les chrétiens, les rapports de l’Église avec le monde. Ce Concile est appelé Vatican II car le deuxième
qui s’est tenu à la Cité du Vatican, après le premier (Vatican I) en 1860-1870 qui avait été interrompu, prorogé sine die, à la
suite du déclenchement du conflit franco-prussien, lourd de répercussions sur le sort de l’État pontifical et, par-là, sur la
liberté du Concile. Il n’avait jamais été repris ensuite…
462
B. L’imaginaire sociale sur l’identité de l’Église et sa richesse
Dans beaucoup de pays africains, au Congo en particulier, il règne encore une certaine représentation
collective et ambiguë autour de l’argent dans l’Église. La question de l’argent reste encore considérée
comme tabou dans l’imaginaire de la plupart des chrétiens, toutes catégories socioprofessionnelles
confondues. Cette représentation collective se tisse autour de deux réalités socio-économiques à
Bukavu, à savoir que l’Église est riche d’une part et, de l’autre, qu’elle ne doit pas se soucier des biens
de ce monde, c’est-à-dire ne pas rechercher la richesse, mais au contraire qu’elle doit rester pauvre.
En effet, dans les Églises particulières, le parc automobile avec des voitures parfois luxueuses des
consacrés est généralement le plus important et le plus prestigieux du milieu; les couvents, les maisons
de services sont d’un certain standing jusqu’à frôler parfois une opulence insolente ; les paroisses de
l’intérieur ont des vastes domaines fertiles qui sont généralement inexploités ou sous exploités, au
milieu des populations dépourvues de terres ! Bref, à n’en juger l’Église qu’à ces aspects extérieurs,
personne ne saurait nier sa richesse (Cf. Annexe 24). Ainsi, appréhendée comme institution, un tout
cohérent, l’Eglise est-elle indéniablement riche. Mais elle est en même temps pauvre parce que les
individus qui la composent, pris singulièrement, sont pauvres, personne d’entre eux ne pouvant se
prévaloir propriétaire des biens qu’il utilise pour rendre service à la communauté chrétienne.
Dans le contexte congolais, quand un prêtre, une religieuse responsables d’une structure de l’Église
comme la paroisse, l’hôpital, sont nommés ailleurs, ils abandonnent là-même à la paroisse, à l’hôpital,
au dispensaire, maison, voiture, ordinateur… qu’ils utilisaient pour le service. Car ces biens ne leur
appartenaient pas, ils n’en étaient que des intendants, des gestionnaires. Or un gestionnaire n’est pas un
propriétaire ! Il n’a ni pouvoir de direction, ni d’aliénation. Certes, en Occident, les prêtres disposent de
leurs biens personnels : voitures, maisons, comptes en banque, etc.
463
En Afrique, les cas de ceux qui ont leurs propres biens sont plutôt rares et font d’ailleurs l’objet des
critiques acerbes des fidèles et de leurs propres confrères. Est-ce puisqu’ils sont majoritairement pauvres
et donc incapables de se doter des moyens personnels ? C’est possible.
L’Église est, dans son essence même, plus mystique que visible et ses réalités les plus fondamentales
échappent du coup aux sens, au phénoménal. En effet, l’Église est une Église des pauvres et elle est au
service des pauvres, tous les biens que je viens d’énumérer sont des moyens pour permettre à
l’institution et à ses membres de se mettre au service des populations, notamment les pauvres.
Mais le fait de se représenter que l’Église est riche parce qu’on voit les prêtres, religieux, religieuses
rouler dans les voitures des services dont ils sont responsables constitue un obstacle majeur qui ne
manque pas de conséquences socio-économiques dans son action pastorale : ceux qui pouvaient l’aider
ne le font plus et cette privation se répercute sur les personnes vulnérables de la communauté qui sont la
préoccupation de son action socio-pastorale, c’est-à-dire les nécessiteux. Ne pas aider l’Église signifie
du coup contribuer à la misère de son prochain, puisque l’Église est au service du prochain, le pauvre,
grâce à ce qu’elle reçoit. Refuser d’aider l’Église, c’est s’inscrire dans la logique de l’égoïsme et
appauvrir la société. On aide le prochain en aidant l’Église.
Lors de mes travaux d’enquête de terrain, j’ai posé à l’Ordinaire du Lieu la question de savoir si, à son
avis, les Églises particulières d’Afrique, en l’occurrence l’archidiocèse de Bukavu ont déjà
suffisamment pris conscience de leur fragilité financière :« Oui. Tout au moins dans les instances hiérarchiques.
Chez les fidèles par contre, il y a encore du travail à faire. Le travail de l’éducation à l’observation pour voir que l’Église
n’est pas riche, que sa situation financière n’est pas aussi aisée qu’on le pense toujours. Il faut éduquer les fidèles à voir
cette situation, et à ne pas avoir une opinion meurtrière qui pourrait tuer leur Église, en se disant : « ils sont très riches et ils
peuvent se débrouiller tout seuls !» 295
En effet, l’Église n’est pas réellement riche. Ce qu’elle a ne lui appartient pas, mais elle assure juste le
rôle d’intermédiaire, de « courroie de transmission » entre les organismes de financement extérieurs et
les bénéficiaires, c’est-à-dire les couches de population. Comme vu précédemment, la politique
d’extraversion financière ne met pas l’Église à l’abri de son défaut d’autonomie matérielle. Au contraire,
elle est toujours en besoins de financement pour le fonctionnement de ses propres structures internes.
Bref, l’idée que les chrétiens se font autour de l’argent de l’Église et de la pauvreté dénote soit une
ignorance, soit une certaine malice. D’aucuns évoquent la nature atypique de l’Église qui devrait la
mettre hors du champ sociologique de l’argent et de la richesse.
295
Entretien à la Procure Saint Jean Bosco avec l’Ordinaire du Lieu de l’Archidiocèse de Bukavu, le 22 août 2010.
464
Mais cette conception asymétrique d’une Église riche et d’une Église qui doit être pauvre a un impact
positif ou négatif sur le comportement des chrétiens par rapport aux stratégies mises sur pied par
l’archidiocèse de Bukavu pour atteindre son objectif d’autonomie financière par l’autofinancement.
Puisqu’avec une telle conception, beaucoup d’acteurs ne perçoivent pas la raison d’aider leur Église
qu’ils considèrent comme riche et non intéressée par des questions matérielles, au risque de dévier de sa
mission essentielle.
2. L’Église ne doit pas rechercher les biens de ce monde, elle doit rester pauvre
Dans l’autre sens, une certaine catégorie de chrétiens considèrent que l’Église s’écarte de plus en plus de
sa mission quand elle leur demande de l’argent ou quand elle entreprend des activités à caractère
économique. Ils se déclarent scandalisés et disent que leur Église devrait se conformer à ce qu’elle
prêche, qu’elle ne devrait pas se soucier des biens de ce monde, au contraire elle devrait se mettre à
l’abri du danger de la richesse susceptible de compromettre leur salut. Cette position tranchée de
certains acteurs catholiques de Bukavu, tout comme ceux de Yaoundé, n’étonne guère car, à travers
l’histoire, on trouve des réactions similaires.
Dans leurs travaux sur la sociologie de l’argent, Damien de Blic et Jeanne Lazarus se posent dès le
début une série de questions : pourquoi l’argent fait-il, depuis la plus haute Antiquité, l’objet de
dénonciation par des autorités morales et religieuses ? Pourquoi l’évocation des revenus ou des
patrimoines individuels reste-t-elle socialement embarrassante ? Quels sont les ressorts de la confiance
placée dans les signes monétaires ? L’argent représente-t-il le meilleur moyen de différencier les
groupes sociaux ?
Ces questions figurent parmi celles que peut et doit poser une sociologie de l’argent. Les auteurs
rappellent qu’une lourde chape pèse sur l’argent, constituée par des siècles de dénonciation par les
moralistes, les philosophes, les casuistes ou les théologiens. La première tâche d’une sociologie de
l’argent doit ainsi consister aujourd’hui non à nier cet héritage, mais à l’intégrer dans l’objet d’étude,
dès lors que le sociologue se donne pour objet l’argent, en clarifiant les sources de la valeur morale,
culturelle et religieuse attribuée à l’argent. Camille Le Tallec296 consacre un article sur les raisons qui
ont poussé les évêchés à publier leurs patrimoines, cela en rapport à la polémique née autour de la
construction d’une maison diocésaine à Limbourg (sud-ouest), dont le coût a bondi en quelques années
de 5,5 millions d’euros à plus de 31 millions d’euros (Cf. Annexe 26).
296
http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/La-richesse-de-l-Eglise-catholique-allemande-suscite-la-critique-2013-10-21-
1048059#retour [Consulté le 26 novembre 2013]).
465
En affirmant la prééminence du fait social et politique de l’argent sur sa fonction économique et dans la
mesure où l’universalité du fait monétaire est aujourd’hui avérée, la distinction entre argent moderne et
argent pré-moderne conserve-t-elle une pertinence ? La place occupée par les relations monétaires
apparaît bien comme un trait caractéristique des sociétés contemporaines (l’Église y compris). Il reste à
comprendre la spécificité de l’argent dans les sociétés modernes, mais aussi ses conséquences : la
monétarisation de la vie quotidienne constitue-t-elle finalement une aliénation ou une libération de
l’individu moderne (De Blic, D., Lazarus, J., 2007 :3-4), fut-il chrétien catholique?
Ces auteurs consacrent le premier chapitre de ce livre à ce qu’ils ont appelé la condamnation morale de
l’argent (2007 :7). Ils convoquent plusieurs auteurs qui montrent que, depuis la faillite des alternatives
au libéralisme, l’argent semble être passé dans nos sociétés du statut d’objet chaud à celui d’objet froid :
il ne serait plus « tabou », l’évoquer publiquement ne serait plus une forme d’impudeur, son exhibition
serait désormais légitime. La reviviscence dans les années 1990 d’un discours fortement critique sur
l’argent, en lien avec le mouvement social, les discours altermondialistes et la critique du
néocapitalisme (Boltanski et Chiapello, 1990) montrent toutefois que le potentiel polémique de l’argent
reste élevé. Les dénonciations de l’« argent-roi » continuent d’émailler les discours électoraux et la
« finance » reste un univers socialement suspect (2007 :7).
L’argent se présente en premier lieu au sociologue sous la forme d’un objet moral, investi par des
discours sociaux normatifs, visant à légitimer son usage ou à fustiger ses effets. Une sociologie de
l’argent ne peut ignorer ces discours, affirment les auteurs. Non seulement pour que cette sociologie ne
se méprenne pas sur sa propre motivation à traiter de la question, mais surtout parce que les entreprises
de légitimation ou de dénonciation ont de puissants effets pratiques et conditionnent toute une série
d’activités sociales relatives à l’argent.
Il convient, tout particulièrement dans le cas de l’argent, de se conformer au principe de neutralité
axiologique prôné par Max Weber (1906) qui invite le sociologue à instituer un « rapport aux valeurs »
qui ne se confonde pas avec un « jugement de valeur ». Il ne s’agit pas d’évincer purement et
simplement les catégories morales constitutives du sens commun de l’argent, mais au contraire de
prendre ces catégories au sérieux en constatant leurs conséquences économiques et sociales.
Max Weber a d’ailleurs appliqué cette démarche dans son travail de mise à jour des soubassements
confessionnels des pratiques économiques. Dans cette perspective, le souci éthique n’est plus endossé
par la sociologie mais la valeur morale, culturelle et religieuse de l’argent devient partie intégrante de
l’objet de recherche.
466
Ceci dit, je suis poussé à me poser un certain nombre de questions : la pauvreté est-elle une vertu à
imiter ? Est-elle une attitude spirituelle ? En d’autres termes, la pauvreté est-elle le gage du salut
éternel ? La question peut-être posée autrement pour être intelligible : la richesse est-elle vraiment
mauvaise ?
A ce sujet, il est très fréquent d’entendre les gens se demander s’il existe, en matière économique, une
réglementation propre aux Églises d’Afrique. Car, celles-ci donnent l’impression qu’il y a des activités
qui leur seraient prescrites alors qu’elles sont autorisées dans les Églises d’autres continents. Certaines
Eglise du Nord vivent de leur savoir-faire économique : des bateaux sur la mer, des prises de
participations dans les sociétés industrielles et commerciales, des sociétés commerciales de banques et
d’assurances, des Brasseries… Quant aux Églises d’Afrique, tout semble s’expliquer par un dogmatisme
naïf mêlé d’une religiosité scrupuleuse, au nom de la fidélité inconditionnelle à la Parole du Seigneur,
qui dit qu’on ne peut pas servir à la fois Dieu et l’argent, comme les chrétiens eux-mêmes le pensent.
1. La pauvreté est-elle une vertu à recommander aux chrétiens comme gage du salut éternel?
D’après Gelin, « le salut n’est pas lié à un état sociologique ou économique ». Dans l’esprit de l’auteur,
« ce n’est pas puisqu’on est pauvre qu’on irait automatiquement au ciel ; ce n’est pas non plus puisqu’on
est riche qu’on irait en enfers » (1978 :14-15). Autant dire que Dieu n’a jamais béni la pauvreté, non
plus il n’a jamais maudit la richesse.
Il y a certainement des riches qui plaisent à Dieu par leur vie sociale charitable, tout comme il y a des
pauvres qui lui déplaisent en ne passant leur temps qu’à le maudire à cause de leur misère matérielle et à
maudire leurs prochains comme si ceux-ci étaient directement à la base de leur misère ! Bref, aucun état
sociologique n’est, en tant que tel, en relation avec le Royaume. En quoi le pauvre pourrait-il être plus
méritoire que le riche pour le ciel ? Le problème ne réside pas dans la richesse en tant que telle, mais
plutôt dans la façon dont on la recherche, la façon de l’utiliser et ce à quoi on la destine. Ne dit-on pas
ordinairement pas que l’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître ?
467
En effet, si la richesse est utilisée à de bonnes fins, c’est-à-dire servie comme moyen pour contribuer
directement ou indirectement à la réalisation des œuvres pour le progrès social et le bien-être général, si
elle permet aux hommes d’atteindre leur bien-être et de contribuer au mieux-être des autres, à la
construction de la société, cette richesse est bonne et susceptible d’être encouragée. Dans ce cas, elle est
un « bon serviteur ».
Par contre, la richesse devient dangereuse et « maudite » quand les valeurs sont inversées, en lui
attribuant des propriétés de finalité et d’absolutisation. La richesse n’est pas une finalité en soi. Vue
sous cette optique, au lieu d’être « un bon serviteur » de l’homme, elle se voit attribuer le rôle d’un
« maître » et « un mauvais maître » car elle entraîne facilement l’homme dans les vices et l’idolâtrie.
Etant regardée comme une fin en soi, l’homme court derrière elle par tous les moyens afin de l’atteindre,
même s’il faut écraser les autres297.
Par ailleurs, devons-nous signaler que parmi les auditeurs de Jésus, il n’y avait pas que des indigents,
mais aussi, par exemple, de petits propriétaires. Parmi ses apôtres, il y avait même Matthieu, un agent
du fisc (Luc 5, 27-32). On peut aussi évoquer le cas de Zachée (Luc, 19, 1-7), un homme très riche chez
qui il alla manger, ce qui énerva d’ailleurs les scribes et les pharisiens. Pourquoi ne pas aussi évoquer
dans son entourage féminin, la présence de Jeanne, femme de Kouza, intendant d’Hérode et plusieurs
autres, qui les assistaient de leurs biens » (Luc 8, 3)?
Donc, la pauvreté matérielle n’est pas un idéal ni une vertu à vanter, au contraire c’est un mal contre
lequel il faut lutter puisqu’il avilit l’homme. On s’est parfois appuyé sur la description idéalisée de la
communauté primitive, dans les Actes des Apôtres pour y voir une « Église des pauvres ». Est-ce si
sûr ? se demande Jacques Dupont (1971 : 37-63). La communauté des biens y est présentée comme un
idéal : « Tous les croyants ensemble avaient tout en commun » (Actes 2,44), « entre eux tout était
commun » (2,32). Pour Dupont, dans sa description de l’Église de Jérusalem, ce que Luc cherche à faire
voir c’est l’union des premiers chrétiens réalisait merveilleusement l’idéal de l’amitié qui leur est
familier. D’après cet idéal, des amis mettent tous leurs biens en commun : non pas au sens que chacun
renoncerait à ce qu’il possède, mais en ce qu’on met tous ses biens à la disposition de son ami. Il est
clair que cet idéal d’une amitié authentique nous oriente, non pas vers un idéal de pauvreté, mais vers un
idéal dont le nom chrétien est la charité (Ibid.).
297
La course effrénée à l’accumulation des richesses et les ambitions hégémoniques sont à la base du déséquilibre, de
l’insécurité et des injustices dans le monde, des guerres et des foyers de tensions alimentées ici et là, notamment dans les
pays du Tiers Monde qui ont des ressources naturelles. Le cas de la RDC est plus qu’éloquent, où 6 millions de Congolais
sont morts entre 1996 et 2003, sans compter ceux qui meurent chaque jour dans le silence et l’anonymat du SIDA inoculé
dans les populations de l’Est par des militaires rwandais et ougandais ! Il en est de même en Afghanistan, en Irak depuis
2003 et au Darfour soudanais.
468
2. La pauvreté est-elle un idéal à proposer ou un mal à combattre ?
Cette communauté des biens n’est d’ailleurs que l’expression d’une communion plus profonde : « La
multitude des croyants n’avait qu’un seul cœur et qu’une seule âme » (Ac. 4,32). La mise des biens en
commun n’est qu’une conséquence de la conscience qu’on a de former ensemble une seule
communauté, un corps dans lequel chacun se sait solidaire de tous. L’idéal proposé par Luc n’est ni de
pauvreté, ni de détachement, mais plus simplement et plus profondément un idéal de charité fraternelle.
Il se traduit non en amour de la pauvreté, mais en amour des pauvres ; il pousse, non à se rendre pauvre,
mais à veiller à ce que personne ne soit dans le besoin.
La pauvreté dont parlent les béatitudes ne se présente pas du tout comme un idéal proposé aux chrétiens.
Elle constitue plutôt une situation qui révolte Dieu et porte même atteinte à son honneur. Il ne peut y
avoir qu’un idéal d’amour qui conduira sans doute à s’appauvrir pour partager avec ceux qui sont dans
le besoin afin qu’ils ne soient plus pauvres. Le seul idéal, c’est celui de l’amour (Dupont, 1971:37-63).
Donc, à la question de savoir si la pauvreté est un idéal à proposer aux gens, fussent-ils chrétiens, il est
raisonnable de dire que la pauvreté est plutôt un mal contre lequel il faut lutter de toutes ses forces. Et
une Église qui se veut responsable et fidèle à sa mission devrait œuvrer dans le sens d’élever ses fidèles,
promouvoir leur « nivellement par le haut » et non leur « nivellement par le bas » à travers des discours
irréalistes vantant les vertus de la pauvreté.
La pauvreté n’est pas une vertu à vanter ou à recommander. Au contraire, il faut la combattre. Une
Église responsable et fidèle à sa mission devrait aider ses fidèles non à devenir des médiocres de la
société par leur vie économiquement précaire, mais à combattre la pauvreté, à améliorer leurs conditions
de vie, à développer leurs capacités naturelles individuelles et collectives pour s’élever, changer leur vie
sociale et celle de leurs milieux, de leur pays dont ils peuvent espérer avoir des retombées.
Rares sont, les pays du continent où l’État est vraiment conscient de son rôle essentiel et décisif dans les
processus de développement économique et social, tels que le décrit Michel Vernières, à savoir: l’État
développeur, à travers l’accumulation du capital et les incitations à l’investissement ; l’État producteur
des biens et services marchands et des biens collectifs ; l’État protecteur par la protection physique des
personnes et des biens, la protection sociale, la sécurité des transactions ; l’État programmeur, à travers
la conception de la programmation et l’exécution des programmes nationaux de développement
(Vernières, M., 2003 : 5-12). En effet, le cas de la RDC est dramatique, où les générations des
Congolais depuis les années 70 jusqu’à ces jours ne savent plus distinguer les attributs de l’État et ceux
de l’Église. Tellement celle-ci, omniprésente dans toute la vie socio-économique du Congolais, s’est,
malgré elle, substituée à l’État qui n’existait plus que de nom et pour le mal et la prédation !
469
L’archidiocèse de Bukavu, par exemple, après que l’État ait mis sous administration publique
(« zaïrianisé ») dans la décennie de 70, ses deux instituts d’enseignement supérieur les plus prestigieux
de la région, l’Institut Supérieur Pédagogique (ISP) et l’Institut Supérieur de Développement Rural
(ISDR), gère aujourd’hui plus de trois cents écoles maternelles et primaires, plus de cents écoles
secondaires, une université, cinq grands hôpitaux et plus d’une soixantaine de centres de santé, créés par
l’Église ou mis sous sa gestion.
Le nombre de ses salariés dépasse les 3 000 employés. Ces exemples, comme tant d’autres sur le
continent, montrent à suffisance que l’Église, s’il y en a une qui serait l’opium du peuple, elle ne serait
en tout cas pas celle du Congo. Au contraire, cette Église, malgré le contexte sociopolitique et
économique défavorable, contribue énormément à relever l’homme de ses misères spirituelles en
l’ouvrant au salut par la pratique évangélisatrice, et en même temps à le libérer tant soi peu de ses
contingences matérielles par des œuvres de développement socioéconomique dont elle à la charge dans
la société congolaise.
Une autre question qui a toujours préoccupé les acteurs tant internes qu’externes de l’Église, c’est de
savoir s’il y a une certaine incompatibilité entre l’économique et le spirituel, entre la création de la
richesse et la pratique de la foi.
L’argent est ici personnalisé, il devient une idole qui porte un nom caractéristique : « ce qui est sûr, sur
quoi on peut compter, ce qui dure ». Le choix est ici clairement délimité : il s’agit de savoir en quoi nous
mettons notre sécurité : en Dieu ou en l’Argent ?
470
En effet, les reproches adressés à l’argent revêtent trois formes récurrentes : une suspicion de principe
sur sa prétention à constituer un équivalent général ; une dénonciation des pathologies morales
engendrées par la convoitise qu’il suscite ; une condamnation des pratiques moralement illicites qu’il
permet, au premier rang desquelles figure l’usure. C’est ce que de Blic et Lazarus appellent « la guerre
des dieux », (2007:8). Les autorités religieuses jouent un rôle décisif dans la constitution de dispositions
soupçonneuses à l’égard de l’argent. Le christianisme, et particulièrement le catholicisme, démontrent
les auteurs, a contribué plus que tout autre à cette tendance en ne se contentant pas de dénoncer des
pratiques monétaires spécifiques, mais en mettant en cause l’argent dans son principe même.
Parmi les textes sacrés de la tradition chrétienne, les Évangiles multiplient les reproches adressés à
l’argent. Les « riches » y font l’objet d’une condamnation systématique, par la bouche de la Vierge qui
annonce qu’ils seront « renvoyés les mains vides » (Luc 1, 53) ou par celle de Jésus affirmant qu’il sera
plus difficile pour eux d’entrer dans le Royaume des Cieux qu’à un « chameau de passer par le trou
d’une aiguille » (Marc 10, 25). Plus fondamentalement, Jésus place ses auditeurs devant une alternative
qui n’admet pas d’échappatoire : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon », nom sous lequel est
personnifié l’argent chez Luc (16,13). Ces admonestations auront entre autres conséquences une
valorisation très originale de la pauvreté par la tradition chrétienne, au sein de laquelle naissent de
nombreux courants visant la recherche du dénuement absolu, contribuant parfois à des réformes
importantes de l’Église à l’image des ordres mendiants franciscains et dominicains qui se mettent en
place au XIIe siècle (De Chalendar, X., 1992 : 78-86).
Georg Simmel, dans sa Philosophie de l’argent publiée en 1900, propose une interprétation
convaincante de l’hostilité de la mentalité religieuse à l’argent ; celle-ci correspondrait à la saisie
intuitive de la nature d’équivalent général de l’argent. Dès lors que l’argent s’autonomise et se détache
des biens qu’il sert à échanger, il permet de faire équivaloir l’ensemble des objets disponibles dans le
monde.
S’élevant comme une abstraction au-dessus du monde social, il occupe le « centre où les choses les plus
opposées, les plus étrangères, les plus éloignées trouvent leur point commun et entrent en contact ».
L’argent devient alors un équivalent fonctionnel de l’idée de Dieu dont l’essence, pour le sociologue, est
la résolution de la diversité et des contradictions du monde. La crainte du « mammonisme » repose donc
sur un sentiment instinctif de l’analogie psychologique entre « la plus haute unité économique et la plus haute
unité universelle » (Simmel, 1900 :281-282). D’ailleurs, observe Simmel, dès lors que diminue le sentiment
religieux, l’argent vient prendre tout naturellement la place de Dieu (Ibid.). Et cette dénonciation de
l’argent n’est pas faite seulement par les acteurs religieux mais aussi par les acteurs politiques.
471
4. La stigmatisation de l’« argent-Dieu », l’« argent vénéré », l’« argent valeur suprême »
Il faut noter que la dénonciation du mammonisme continue d’irriguer les discours critiques sur l’argent
jusqu’à nos jours. La stigmatisation de l’« argent-Dieu », l’« argent vénéré », l’« argent valeur
suprême » fournit ainsi en France des topiques aux personnels et aux formations politiques depuis la
constitution d’une mouvance anticapitaliste au XIXe siècle.
L’alternative à Mammon n’est plus cette fois le Dieu chrétien, mais la société menacée par l’annihilation
de toute valeur morale par la polarisation des désirs sur le seul argent. Hubert Bonin (1989 :233)
rappelle comment, fondant le Parti socialiste au congrès d’Epinay en juin 1971, François Mitterrand
donne comme mot d’ordre à ce dernier la lutte contre « toutes les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt,
l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des
hommes ». Pierre Bimbaum montre que la suspicion de l’argent est également au cœur d’une identité
gaulliste fortement marquée par une mentalité antiéconomique au point que le général de Gaulle
affirmera lui-même : « Mon seul adversaire, celui de la France, n’a aucunement cessé d’être l’argent » (Bimbaum,
1979 :71).
De nombreuses utopies sociales et politiques sont elles-mêmes motivées par la crainte d’une déification
de l’argent et excluent son utilisation, depuis Thomas More jusqu’à Fourrier et Prudhon (de Blic,
Lazarus, 2007:10). Smaïn Laacher (2003) montre comment les systèmes d’échange local (SEL) qui se
multiplient en France dans les années 1990 se fondent également sur un refus de l’argent considéré
comme la « source du malheur du monde ».
En réaction à l’économie monétaire, les SEL organisent précisément un échange de biens et de services
qui met hors jeu toute intermédiation financière et construit des relations sociales qui ne sont pas
fondées sur l’appât du gain. L’embarras ou la honte, encore associés à l’argent aujourd’hui, tiennent
pour beaucoup à la floraison au cours des siècles de mises en garde faites contre la convoitise spontanée
engendrée par cet objet. « Qui aime l’argent n’est jamais rassasié d’argent », affirme dans la Bible le
livre de l’Ecclésiaste (5,9) : ce n’est pas tant l’attrait que suscite l’argent qui inquiète les moralistes de
tous les temps, c’est surtout son caractère insatiable (de Blic, Lazarus, 2007:10).
Explorant les raisons de ce souci, Paul Ricœur en propose la synthèse suivante : l’humain a non
seulement des besoins qui se limitent les uns les autres, mais également des passions dans lesquelles il
se jette tout entier. Seul l’humain a cette capacité de viser une satisfaction complète qu’il appelle parfois
« bonheur ». Or l’argent, du fait de sa neutralité, de son impersonnalité et de son pouvoir indéterminé
d’acquisition, représente l’objet « rêvé » pour un investissement total et passionnel (1992 : 56-71).
472
Pour de Blic et Lazarus, cette passion s’incarne dans la figure de l’avare. Si l’Antiquité stigmatise déjà
les avares, comme en témoigne par exemple la Marmite de Plaute (IIIe siècle av. J.-C.), le christianisme
appuie cette condamnation en faisant valoir le double malheur qui frappe celui qui aime l’argent d’un
amour excessif. Malheur pour lui-même : son avarice le destine à la mort éternelle et ne peut en outre le
rendre heureux sur terre, puisqu’en convoitant l’argent comme tel plutôt que l’utilité ou le plaisir qu’il
procure, il rend sa passion insatiable. Malheur également pour son prochain qui est privé de ses
richesses. La parabole du mauvais riche (Luc 16, 19-31), condamné pour avoir laissé dans le dénuement
le pauvre Lazare, indique que le problème posé par l’avarice, pour Jésus comme avant lui pour les
prophètes d’Israël, ne relève pas seulement du rapport de chaque individu aux biens terrestres.
C’est également un problème de justice distributive : la richesse est condamnée comme une insulte faite
aux pauvres et se trouve maudite pour cette raison (de Blic, Lazarus, 2007:11). L’avarice acquiert assez
tôt dans le monde chrétien le statut de « vice capital » et accède au cours du Moyen-Âge au statut de
péché le plus grave, en même temps que se développe l’activité marchande (Casagrande et Vecchio,
2003). Les nombreuses figures d’avares qui hantent l’Enfer de Dante en témoignent. La figure de
l’avare subsiste dans des univers moraux moins en prise avec des préoccupations directement
religieuses : les moralistes français du XVIIe siècle la reprennent volontiers à leur compte, de Molière à
La Bruyère, avant que les romanciers du XIXe siècle l’actualisent à nouveau, à l’image du père Grandet
de Balzac (Ibid.).
Comme l’observent de Blic et Lazarus, la méfiance continue à l’égard des métiers de l’argent dans les
sociétés occidentales est tout aussi remarquable que la postérité des topiques du mammonisme et de
l’avarice. Ce ne sont ni l’argent comme tel, ni des pathologies morales qui sont visées cette fois, mais
des usages monétaires spécifiques.
Pour comprendre cette posture, il faut cette fois se référer d’abord au corpus aristotélicien et notamment
aux neuvième et dixième sections du premier livre de La Politique, textes fondamentaux pour
comprendre le destin normatif de l’argent dans nos sociétés. Aristote refuse de condamner l’argent,
conséquence logique selon lui de la propension des humains à l’échange. Il déplore cependant que
l’argent tende à devenir une fin en soi au lieu de permettre simplement la satisfaction des besoins
« naturels ». L’activité économique est légitime dans la mesure où elle se donne pour objet la production
domestique (de l’oikos) et reste de ce fait dans le cadre de la « nature ». La chrématistique, dont l’objet
est l’accumulation de l’argent, représente en revanche une activité « contre nature » (Aristote, 1962, 1 :
10) : elle vise une richesse qui n’est plus issue des « fruits de la terre et des animaux » mais de l’échange
mercantile.
473
La mauvaise chrématistique ne saurait connaître aucune justification et Aristote condamne dans le
même mouvement l’ensemble des « sources et méthodes d’échange destinées à procurer le maximum de
profit ». Parmi ces pratiques, celle du prêt à intérêt est la plus détestable : il est totalement contre nature
d’obtenir un gain de la monnaie elle-même alors que la monnaie a été « inventée en vue de l’échange ».
Cette condamnation d’un instrument « contre nature » mérite d’être rappelée, tant elle a influencé la
pensée de l’argent en Occident. La scolastique se l’est ainsi largement réappropriée au Moyen-Âge,
comme en témoigne la Somme théologique de Thomas d’Aquin qui continue de distinguer l’échange
« naturel » dont l’objet est de procurer les « denrées nécessaires à la vie » de l’échange contre nature qui
consiste à « échanger argent contre argent » en vue du « gain ».
C’est dans cette perspective qu’est condamné, dès le haut Moyen Âge, le prêt à intérêt : l’Église
considère que tout prêt donnant à une restitution excédant le principal est « usuraire » et donc proscrit.
Le terme « usure » ne désigne pas alors un prêt aux intérêts excessifs, comme dans le langage
contemporain : tout prêt avec intérêt est considéré comme usuraire. La théologie y voit de plus
l’appropriation orgueilleuse d’un attribut divin : le temps (Le Golf, 1956 et 1986). Cet interdit religieux
du profit usuraire n’est pas resté sans effets.
La croissance économique du XIIIe siècle fit peser la menace d’une contradiction entre ces principes et
la réalité des pratiques de crédits ; une solution consiste à abandonner le prêt d’argent aux mains des
juifs, manière de respecter la condamnation de principe en gardant la possibilité de recourir au crédit
(Schatz-miller, 2000). Une assimilation durable de la figure du « juif » et de l’usurier se met en place,
dans laquelle l’antisémitisme puise une de ses sources récurrentes (de Blic, Lazarus, 2007:12-13). Les
activités bancaires développées ultérieurement (profits sur opérations de change, dépôts rémunérés, etc.)
restant difficilement compatibles avec un cadre théologique voulant ordonner toutes les relations
humaines selon le principe de la charité et de l’échange désintéressé, le secteur financier et le droit
bancaire sont longtemps restés sous haute surveillance ecclésiale, du moins dans des pays catholiques
comme la France ou l’Espagne (Clavero, 1996).
Les questions soulevées par les théologiens du XIIIe siècle restent longtemps actives. Charles-Albert
Michalet (1968) observe que si les choix de placement de ceux qui disposent d’une épargne se limitent
jusque dans les années 1850 à l’alternative de la simple thésaurisation ou de l’investissement foncier,
c’est parce que le prêt à intérêt reste barré par l’interdit religieux de l’usure, encore rappelé en 1745 par
le pape Benoît XIV. Il revient à Max Weber d’avoir insisté sur le conflit entre la mentalité chrétienne
traditionnelle et les pratiques capitalistes. Le sociologue allemand développe dans L’Ethique protestante
et l’esprit du capitalisme (1906) la thèse selon laquelle la rupture de suspicion traditionnelle à l’égard de
l’argent fut une condition nécessaire au développement du capitalisme.
474
Le contexte fortement « antichrématistique » qu’on vient de rappeler n’était certes pas favorable à
l’extension d’activités capitalistes reposant sur le calcul rationnel du profit et supposant donc la
possibilité d’évaluation monétaire des moyens engagés dans cette voie.
Or la Réforme ouvre à partir du XVIe siècle un espace pour une nouvelle vision du monde où la
valorisation des ressources monétaires, loin d’être proscrite, devient un devoir impératif pour l’homme.
Si cette attitude nouvelle est qualifiée par Weber de « conduite de vie ‘chrémastitique’ », elle ne
correspond cependant pas à un renversement de la position aristotélicienne. En effet, d’une manière
générale, historiquement, c’est le protestantisme, et surtout le calvinisme, qui a complètement
bouleversé l’appréciation de l’activité économique. Il reprend l’idée qui régit la règle de vie bénédictine
de « Ora et labora = prie et travaille », la transforme en « Laborare est orare = travailler c’est prier =
le travail est une forme de prière » en l’appliquant non seulement au travail de subsistance, mais encore
au travail créateur de richesse.
La réussite économique était considérée comme le signe que Dieu avait béni le travail. Puisque cette
réussite économique n’était généralement pas possible sans une ténacité et un esprit de sacrifice plus ou
moins grands (elle exigeait une vie d’où le vice était absent et où le métier était un genre de sacerdoce)
et puisque les fruits de ce succès devaient bénéficier à la communauté, l’activité économique semblait
être foncièrement bonne. Il était bon de produire des biens et des richesses.
Le protestantisme donnait ainsi à l’homme d’affaires un sens de sanctification religieuse pour ses
activités, il se faisait le champion de la diligence contre l’oisiveté, de l’économie contre la prodigalité,
de la modération et de la tempérance contre les vices qui fleurissent dans la luxure. Le gain d’argent
n’est moralement approuvé que dans la mesure où il correspond à l’investissement dans une activité
professionnelle qui a elle-même pour fin la glorification de l’œuvre divine. L’accumulation n’est de
même valorisée que dans sa dimension ascétique.
Il reste que, dans le cadre d’une théologie de la prédestination réinvestie par Calvin, la richesse ou la
réussite financière ne sont plus envisagées avec méfiance, mais deviennent au contraire un signe
privilégié de l’élection divine. Cette nouvelle orientation encourage la formation d’une accumulation
primitive déterminante pour la suite de l’histoire économique et sociale. La contribution de la Réforme
protestante à l’essor du capitalisme repose avant tout sur la levée du verrou culturel constitué par
l’éthique catholique de l’économie. L’obstacle ôté, le capitalisme déroule sa logique propre hors de tout
encadrement religieux (de Blic, Lazarus, 2007 :13-15).
475
Finalement, l’hypothèse d’une incompatibilité entre l’économique, le moral et le spirituel pose par voie
de conséquence la question de la légitimité de l’enseignement social de l’Église. Il est impossible de
comprendre l’engagement de l’Église dans l’économique sans aller aux fondements même de son
enseignement social et de celui de sa législation canonique.
Car pour l’Église, son engagement dans la vie économique n’est qu’une application de la doctrine
sociale qu’elle enseigne depuis un siècle298 et de ses principes canoniques. Sinon, à quoi serviraient cette
doctrine et ses lois s’ils n’étaient pas mis en pratique par elle-même pour qu’ils aient un impact sur elle-
même et sur la société ? Il faut reconnaître le mérite quant à leur engagement socio-économique des
Églises africaines aujourd’hui.
Bien qu’encore embourbées dans l’épineux questionnement de leur autonomie financière, même si ce
n’est pas dans la même proportion, ces Églises africaines, qu’elles soient catholiques ou protestantes,
participent très concrètement à la promotion humaine et au développement socio-économique et ce, au
bien-être des peuples : sur toute l’étendue de la RDC, on voit des hôpitaux, centres de santé, écoles
primaires et secondaires, universités privées confessionnelles qui, d’ailleurs, dans la plupart de cas sont
les meilleures structurellement et fonctionnellement organisées du pays. Même si depuis une décennie
l’État congolais devient de plus en plus visible dans la vie sociale des populations, l’engagement de
l’Église dans la vie socio-économique et morale reste très concret à travers ses œuvres sociales.
Toutefois, les acteurs de cette Église sont encore fortement marqués par la logique de consommation
dont il importe de s’émanciper pour une dynamique de production.
298
Pendant plus d’un siècle déjà, au moyen d’interventions diverses émanant des derniers Souverains Pontifes. Pour en fixer
l’origine, il faut remonter, soit jusqu’à l’Encyclique Rerum Novarum (1891), soit jusqu’à l’avènement de Léon XIII (1878).
476
A. Le manque d’implication réelle du clergé diocésain dans le processus d’autofinancement
Comme je l’ai signalé plus haut, l’autofinancement est un long processus qui exige l’implication réelle
et active de tous les acteurs. Parmi les acteurs majeurs à mettre à contribution dans ce processus, le
clergé diocésain se trouve au premier plan dans la mesure où les membres de cette composante
sociologique sont leaders d’opinions, responsables et gestionnaires. Sans leur implication réelle,
l’objectif d’autofinancement se trouverait difficilement réalisable.
Comme leaders d’opinions, ils animent, mobilisent et motivent les fidèles adhérer aux objectifs fixés par
la hiérarchie du diocèse. En tant que responsables et gestionnaires, ils contribuent par leur savoir-faire
administratif au fonctionnement du corps ecclésial et à la gestion de son patrimoine. Cela signifie
concrètement que leur adhésion timide est un obstacle réel à la réalisation des orientations pastorales de
la hiérarchie du diocèse sur son autofinancement.
Tableau n° 24: Degré d’information sur le plan pastoral de 2009-2012 par les fidèles de Yaoundé
Plus de la moitié des paroissiens interrogés ne connaissent pas le plan pastoral de 2009-2012. Cela peut
être dû à leur degré d’intégration dans la vie pastorale de leur paroisse, à leur participation et leur
fréquentation irrégulière à la messe certains dimanches ou seulement les jours de fête comme Noël et
477
Pâques, les jours de circonstances familiales (anniversaire de la mort d’un membre de famille, baptême,
première communion des enfants…). Or, comme c’est l’espace socioculturel Ewondo qui constitue
essentiellement l’archidiocèse de Yaoundé, il y a lieu de comprendre que l’ignorance de ce projet
pastoral de l’évêque, qui met une importance particulière sur l’autofinancement, est plutôt due au
manque d’information, de diffusion et de sensibilisation de la part des acteurs ecclésiastiques.
Toutefois, sur 260 paroissiens interrogés, 96, soit 37%, reconnaissent avoir déjà entendu parler du plan
pastoral de l’évêque. Il s’agit certainement de chrétiens qui sont fréquents à la messe et engagés dans
des activités paroissiales comme le conseil paroissial, les groupes de prière ou qui travaillent dans des
services diocésains. Tandis que 18 personnes, soit 7%, n’ont pas donné leur avis. Une chose est d’avoir
déjà entendu parler du plan pastoral, une autre est d’en connaître le contenu. Interrogeons encore les
paroissiens de Yaoundé:
166 paroissiens sur 260, soit 64% qui ont déjà entendu parler du plan pastoral retiennent de celui-ci les
aspects financiers : les honoraires de messe, le casuel, les différentes formes de denier qui ont augmenté
à la hausse sans que l’Église tienne compte du pouvoir d’achat des populations chrétiennes. Un bon
nombre accuse même leurs curés de passer plus de temps pendant le sermon dominical à ne parler que
de l’argent et regrettent ce glissement.
478
Jugeant la situation paradoxale, ils estiment se retrouver dans une double impasse : au moment où ils
s’appauvrissent de plus en plus du fait de la conjoncture socio-économique défavorable, l’Église leur
exige plus pour participer à sa vie matérielle. 53 interrogés, soit 20% de cette tranche, jugent que
l’archidiocèse s’engage trop dans les activités lucratives. Ils dénoncent cet engagement socio-
économique qu’ils trouvent dangereux pour la vocation de l’Église qu’ils définissent comme
essentiellement spirituelle et pastorale. 32 personnes seulement, soit 12%, reconnaissent que le plan
pastoral met l’accent sur l’évangélisation en profondeur par l’inculturation et les sacrements, tandis que
9 individus représentant 3% donnent diverses opinions sur les quatre axes qui tissent le plan pastoral de
2009-2012.
Un élément semble constituer une inquiétude des chrétiens, il s’agit du denier de l’Église, la principale
ressource des Églises, même celles d’Occident, comme je l’ai dit dans le chapitre précédent, qui a été
augmenté sensiblement. Voici la perception des chrétiens à ce sujet :
Tableau 26 : Paiement du denier de l’Église dans l’archidiocèse de Yaoundé
Paiement régulier du denier de l’Eglise Effectifs % Total
Oui 146 56 260
Non 109 42 260
Je ne sais pas 5 2 260
Total des répondants 260 100 260
Source : Notre enquête : août 2012
La majorité des paroissiens interrogés, 56 %, affirment payer régulièrement leur denier de L’Eglise,
même si dans cette frange certains estiment, comme vu plus haut qu’elle est déjà riche, mais ils aident
quand même leur Église. 42% reconnaissent ne pas le faire sinon occasionnellement, tandis que 2% ne
se prononcent pas. Pour quelles raisons ne paient-ils pas le denier du culte? Voici leurs réponses :
Tableau n 27 : Raisons de paiement du denier de l’Église dans l’archidiocèse de Yaoundé
D’après les paroissiens interrogés, près de la moitié (47%) avoue devoir payer le denier de l’Église en
vue d’accéder aux sacrements et bénéficier des services de l’Église, notamment les cultes religieux
(funérailles). L’idée d’une contrainte apparaît dans l’acte et fait ressortir une corrélation positive avec le
groupe de chrétiens dans le tableau précédent qui reconnaissaient ne payer qu’occasionnellement leur
479
denier de l’Église. Ils sont 35% qui ont une approche « ecclésiale » du denier de l’Église : ils sont fiers
de participer à la vie matérielle de leur paroisse, leur diocèse pour permettre aux prêtres de vivre, et au
diocèse de réaliser ses objectifs pastoraux, notamment son service d’aider les pauvres. 15% ont une
dimension théologico-mystique du paiement de leur denier de l’Église : se référant aux
recommandations bibliques, ils trouvent dans ce geste un moment da grâce et de sanctification
personnelle et familiale. 3% trouvent qu’il est normal de payer le denier du culte pour se mettre en ordre
vis-à-vis de leur devoir de chrétien.
On le voit, à part la première catégorie qui agit sur fond d’une certaine motivation intéressée, les trois
autres groupes interrogés (77 individus, soit 53%) ont quand même une approche très positive du denier
du culte qu’ils payent. Maintenant, intéressons-nous au taux proprement dit du denier de l’Église, qui,
rappelons-le, sous Mgr Bakot, a été multiplié par 6, passant de 2000 F CFA (3 euros) à 12 000 F CFA
(18 euros) avant d’être ramené à 7 000 F CFA (11 euros), soit le triple, et sa perception chez les fidèles.
En effet, revenant sur les éléments monétaires de son plan de financement, l’archevêque donne de
nouvelles dispositions sur les honoraires de messes, le casuel, le denier du culte, le denier exceptionnel
et le denier de construction. Ces nouvelles dispositions sont ainsi établies :
Tableau n°28: Les ressources financières des paroisses de l’archidiocèse de Yaoundé
Horaires de messe Pôles (urbains) Zones rurales
En semaine 2 000 1 500
Dimanches de fêtes 5 000 1 500
Messes en déplacement 10 000 5 000
(ou dons en nature)
Casuel
Baptême 2 000 1 000
Première communion 2 000 1 000
Confirmation 3 000 2 000
Mariage 20 000 10 000
Veillée 10 000 5 000
Enterrement 10 000 5 000
Fête 20 000 20 000
Denier du culte (annuel) 12 000 6 000
Dernier exceptionnel (annuel) 1 200 1 200
Denier de construction (annuel) 2 400 1 200
Source : Tableau conçu par nous-même à partir du Plan pastoral de l’archidiocèse de Yaoundé, 2004-2007.
Quelle perception les fidèles ont-ils de ce taux ? Le tableau ci-dessous en donne une idée.
480
Tableau n° 29 : Perception chez les fidèles de Yaoundé du taux du denier de l’Église
Taux du denier du culte Effectifs % Total
Très élevé 82 56 146
Elevé 57 39 146
Moins élevé 7 5 146
Total des répondants 146 100 146
Source : Notre enquête : août 2012
Ils sont majoritaires (56%), les paroissiens généreux envers leur Église mais qui déclarent très exorbitant
ce qu’on leur demande comme denier de l’Église. Rappelons que, d’après le plan pastoral de 2004, il
était de 12 000 F CFA par an dans les paroisses de la ville, tandis qu’il est de 6 000 F CFA par an dans
les paroisses rurales (Tonye Bakot, V., 2004 : 29). Il n’y a pas de contradiction par rapport aux résultats
des tableaux n°26 et n°27 où les gens payent le denier du culte régulièrement ou non, pour plusieurs
motivations.
Il apparaît plutôt un recoupement avec leurs plaintes observées dans l’analyse du tableau n°24 relatif à
la connaissance du contenu du plan pastoral et où ils accusaient leurs prêtres de consacrer beaucoup de
temps dans le sermon à leur parler de l’argent, au moment où leur situation économique ne va que
dégradant. 39% de ceux qui payent cette contribution obligatoire nuancent leur jugement, mais tout en
reconnaissant que le taux est tout de même élevé. Seulement 5% des paroissiens interrogés qui payent le
denier de l’Église estiment que ce qui leur est exigé n’est pas si exagéré !
Ces différentes réponses recueillies montrent à suffisance que les fidèles africains sont généralement
disposés à aider leurs Eglises puisque conscients de leur précarité matérielles, mais ils sont handicapés
par leur pouvoir d’achat. C’est pourquoi, la dépendance de ces Eglises des aides extérieures est encore
une réalité même dans la mentalité des fidèles.
Dans ses travaux consacrés à la dépendance, Albert Memmi définit celle-ci comme « une relation
contraignante, plus ou moins acceptée, avec un être, un objet, un groupe ou une institution, réels ou idéels, et qui relève de
la satisfaction d’un besoin » (Cf. Memmi A., 1979 : 18-32). Pour bien cerner la réalité de la dépendance,
l’auteur rapproche ce concept des trois autres en un double diptyque, qui lui sont fortement reliés
d’ailleurs dans un même ensemble : la sujétion et la domination, d’une part, la dépendance et la
pourvoyance, d’autre part. Dans la pratique, et le vécu de chacun, ce découpage n’a presque jamais cette
belle netteté. Le dépendant subit avec impatience l’emprise, inévitable, de son pourvoyeur :
l’adolescent, économiquement et affectivement dépendant, supporte malaisément l’ambiguïté de ses
parents, dispensateurs de biens, mais aussi contrôleurs inquiets de ses gestes. Il est difficile à un
481
pourvoyeur de ne pas tirer avantage de ses propres bienfaits : les parents trouvent plaisir, assurance et
légitimité dans leur dévouement.
Le dominant se double quelquefois d’un donateur : un patron se veut parfois un philanthrope ; certains
colonisateurs se sont conduits en protecteurs de leurs colonisés299. Le dominé peut espérer subsides et
protection de la part même de son dominant : certaines femmes…
299
Le cas de Savorgnan de Brazza avec ses Congolais.
482
sujétion, elle n’est pas toujours la fin de la dépendance (Ibid.). Entre les femmes et les hommes, on s’achemine
peut-être de la sujétion à une dépendance réciproque et consentie.
D’une manière générale, l’homme, pour survivre, a besoin de ses semblables. Il éprouve donc à leur
égard des sentiments positifs d’attraction : parce qu’il se trouve par rapport à eux dans des situations de
dépendance. La domination est l’ensemble des contraintes imposées par le dominant sur le dominé. La
sujétion est l’ensemble des réponses, actives ou passives, du dominé aux agressions du dominant.
Dans la plupart des Églises africaines, il se développe une sorte de paternalisme religieux dont le reflexe
dominant est la recherche de solutions à l’étranger pour résoudre leurs problèmes financiers locaux, à
travers l’élaboration exagérée des projets envoyés aux bailleurs. C’est ce que Schwartz, Directeur de
World Mission Associates appelle « le syndrome de la dépendance financière extérieure. »300
Réfléchissant sur la réalité des Églises africaines depuis leur implantation par les missionnaires
occidentaux, l’auteur montre qu’au seuil de ce 21ème siècle, l'un des problèmes majeurs concernant la
croissance du christianisme est la dépendance des fonds extérieurs, que beaucoup d'églises, fondées par
des missions occidentales, entretiennent. Il constate que certains acteurs religieux pensent que les
Églises « financièrement dépendantes » constituent un fait normal, et que rien ne pourra le changer. Ils
ne voient rien de mal au fait que les Églises d'Occident soutiennent d'autres Églises, dans d'autres parties
du monde. Ils ne voient pas la nécessité d'établir le principe d'autonomie financière de chaque Église, du
moment que, sur la terre, certains croyants ont plus de richesses que d'autres.
Pour Schwartz, certains occidentaux ressentent une certaine culpabilité d' « être plus aisés » et ils
nourrissent implicitement ce système, en cherchant des « partenaires » à sponsoriser. Certains
missionnaires ont vécu pendant des années avec un idéal d'autonomie financière pour les Églises
autochtones qu'ils implantaient. Mais celles-ci ont pris d'autres chemins. Avec le temps, ils se sont
résignés à pourvoir aux besoins et à solliciter de l'aide extérieure.
Dans certains cas, ces missionnaires résistent même à l'idée de couper l'aide financière extérieure, car les
projets qu'ils ont entamés s'arrêteraient ou se termineraient par un échec ! Parmi les acteurs des Églises
autochtones, dit l’auteur, certains ont été formés par des fonds extérieur, et ils continuent à recevoir un
salaire depuis l'étranger. Ils sont arrivés à la conclusion que leurs gens sont « trop pauvres » pour
300
Cf. www.wmausa.org [Consulté le 04 décembre 2013].
483
soutenir leurs Églises, notamment pour financer les projets de développement, et entretiennent le
système.
Dans d’autres cas, les étrangers organisent des voyages de visite pour quelques jours sur le continent,
puis commencent à les aider pour le salaire du pasteur, ou la construction des bâtiments, etc. Le
syndrome de dépendance se développe ainsi en un temps très court.
Comme on le voit, c’est un obstacle pastoral majeur que certains prêtres ne puissent s’intéresser aux
activités d’auto-prise en charge, développant ce qu’on pourrait appeler « le paternalisme religieux » et
ne se contentant que des maigres ressources financières et des dons en nature donnés par les fidèles. Ce
désintéressement du clergé aux activités d’autofinancement peut avoir comme source la formation de
base du prêtre durant laquelle l’évocation des réalités économiques était perçue comme immorale et
amorale, incompatible avec le spirituel.
N’ayant pas été habitués à tout recevoir de l’extérieur, certains se convainquent que ce sont les chrétiens
qui doivent les prendre en charge, alors que ceux-ci ont du mal à assurer leur propre survie et celle de
leur famille. Il n’est pas rare d’entendre des prêtres diocésains se satisfaire, après avoir célébré la messe
le matin, estimant avoir fait l’essentiel de la journée…! Par ailleurs, les idées préconçues des chrétiens
sur la richesse de l’Église, comme nous l’a confié un prêtre étudiant 301, sont alimentées par le style de
vie de plusieurs : voiture, habillement, libéralités… Cette analyse me paraît très pertinente car les
chrétiens observent avec attention le comportement socio-moral de leurs pasteurs et tirent des
conclusions, chacun selon ses dispositions et ses convictions religieuses.
Quand on parcourt les archives du diocèse, notamment les correspondances tant officielles que privées
de Jean Zoa, premier archevêque métropolitain autochtone de Yaoundé, adressées à son clergé
diocésain, une double constante domine toute la durée de son épiscopat : le souci permanent d’amener
son clergé à prendre conscience de la nécessité de rechercher par des voies et moyens justes et honnêtes
l’autosuffisance financière des paroisses et ce, du diocèse ; la nécessité de tenir une comptabilité sincère
et régulière pour une gestion financière des paroisses.
301
Entretien avec un prêtre de l’archidiocèse de Yaoundé à l’UCAC-ICY, Nkolbisson, le 20 septembre 2006.
484
Par ailleurs, dans presque toutes les paroisses de ce diocèse, le curé et l’économe paroissial sont
régulièrement en conflit, chacun se réclamant investi d’autorité et d’autonomie de gestion. L’économe
paroissial agit sans rendre compte à qui que ce soit, sauf peut-être directement à l’Ordinaire du Lieu.
Lors de mes enquêtes sur terrain, sur les 37 paroisses que compte l’Eglise de Bukavu, je n’ai trouvé
aucun rapport annuel envoyé par une paroisse à l’Économat général. Il manque aussi de mécanismes
institutionnels pour le contrôle de la gestion des comptes paroissiaux par ces différents acteurs internes.
Dans l’analyse qu’il fait de la situation de l’archidiocèse de Yaoundé, Daniel De Angelis, ancien
économe diocésain, constate deux types de problèmes fondamentaux qui émaillent la gestion des entités
paroissiales. D’abord, la négligence dans la tenue des comptes de la paroisse. Ainsi, observe-t-il, au 30
juin 1997, dans la zone urbaine seulement 27 paroisses sur 62, soit 44% avaient présenté leurs comptes
annuels, et dans la zone rurale, 28 paroisses sur 48, soit près de 59%.
Lors de mes enquêtes, la situation n’a pas beaucoup changé car sur 46 paroisses en zone urbaine, 28 ont
présenté leurs comptes en 2005, soit 61%, tandis qu’elles étaient 52 paroisses sur 80 que compte la zone
rurale, soit 65% à s’acquitter de cette obligation canonique. Cette négligence de la part des acteurs
cléricaux provient du fait qu’ils ne sentent pas la nécessité d’une gestion rigoureuse, d’autant plus qu’il
n’y a ni contraintes auxquelles ils seraient soumis, ni mécanismes institutionnels de contrôle mis en
place quant à leur gestion.
De Angelis observe aussi parfois une grande différence entre les statistiques des sacrements et les
comptes présentés dans le rapport là où celui-ci est fait. Ces statistiques, pour l’auteur, devraient donner
des montants correspondant aux recettes des paroisses. Cela n’a pas été le cas dans la majorité des
situations. D’où sa question de savoir si l’administration des sacrements n’aurait pas donné lieu au
versement des offrandes par les bénéficiaires.
L’absence de budget prévisionnel dans les paroisses, ajoute-t-il, l’absence de comptabilité et la
marginalisation du laïcat dans la gestion financière ne sont pas seulement des problèmes du clergé local,
car on retrouve la même pratique dans les paroisses gérées par des religieux. Ce problème date de
longtemps et reste l’un des points fragiles de l’Église. Une partie du clergé a toujours boudé et saboté
toute orientation épiscopale à ce sujet (De Angelis, D., 2001 :104).
S’agissant encore de l’adhésion lente du clergé à l’orientation épiscopale sur l’autofinancement, telle
qu’elle est déplorée par l’Ordinaire du Lieu, on peut lire dans sa circulaire n°3/67 du 14 février 1967, ce
que Mgr Zoa avait écrit sur un ton magistral et menaçant au sujet des questions financières :
485
« Les curés sont des gérants responsables devant l’évêque et doivent lui rendre des comptes. Il faut donc, au minimum, tenir
un Journal où l’on inscrit au jour le jour toutes les recettes et toutes les dépenses que l’on fait. Toutes les paroisses doivent
envoyer régulièrement au Père Procureur les comptes trimestriels et en fin d’année les comptes annuels. Non pas des
comptes fabriqués de toutes pièces en fin de trimestre, mais reproduisant selon les différentes rubriques toutes les opérations
réellement effectuées. Il est absolument interdit de verser à un compte courant postal ou à un compte bancaire personnel les
avoirs des paroisses. Il n’est pas permis d’ouvrir un CCP ou un compte bancaire au nom d’une paroisse sans mon accord
écrit (ceci même sur le plan légal car les paroisses n’ont pas la personnalité civile )» (Zoa, J., 1967 : 4. Cité par De
Angelis D., 2001 : 105).
Déjà une année auparavant, pour permettre à son clergé de répondre efficacement aux exigences d’une
bonne gestion financière de leur paroisse, dans sa circulaire confidentielle du 12 juin 1966, Mgr Jean
Zoa demandait qu’il y ait dans chaque paroisse un comité de gestion, présent et agissant, surtout au
moment des passations, à cause des problèmes trouvés lors du départ du curé sortant.
Dans sa circulaire n°9/66 du 26 août 1966, il demandait d’organiser des sessions de formation à la
gestion financière pour le clergé et de proposer des initiatives aux responsables du diocèse. A la même
date, l’archidiocèse de Yaoundé a élaboré un document comptable pour les passations dans les
paroisses, y compris les inventaires pour les biens meubles et immeubles. Dans sa circulaire n°28/69/3
du 20 janvier 1969, il mettait les bases du conseil paroissial actuel qui englobe le conseil pastoral et le
conseil des affaires économiques. Il mettait aussi en garde contre la tentation de transformer ce conseil
en un clan du curé et il proposait qu’il soit l’organe de représentation des villages d’une paroisse (Zoa,
J., 1969 : 5. Cité par De Angelis D., 2001 : 105).
Dans la même circulaire, le prélat faisait remarquer que le problème financier était lié au manque de
stratégie pédagogique de la part du clergé. En effet, si les fidèles devenaient compagnons de route du
clergé, pour reprendre l’expression de l’évêque, ou plutôt si le prêtre pouvait apparaître vraiment comme
étant au service de la caravane vers Dieu, alors ceux-ci (les fidèles) se comporteraient autrement à son
égard (Ibid.). Comme s’il voulait dire que les fidèles sont le fruit de leur curé.
Dans la circulaire n°4/85 du 26 janvier 1985, l’archevêque transmettait en orientations pastorales les
décisions du conseil épiscopal de septembre 1984 : établir un inventaire, constituer des conseils
paroissiaux, constituer un comité de gestion dans le conseil paroissial, envoyer les comptes à la Procure
(Zoa, J., 1985: 1. Cité par De Angelis D., 2001 : 106).
Enfin, dans la circulaire n°14/97 du 2 juin 1997, Mgr Zoa exigeait l’envoi par tous les curés des
inventaires des biens meubles et immeubles avant le 15 juillet 1997, et la circulaire n° 26/97 du 19
septembre 1997, dans laquelle il annonçait des sanctions à l’égard des curés qui ne présentaient pas de
comptes pour l’année 1996-1997 avant le 31 octobre 1997, religieux et séculiers confondus (Ibid.).
486
J’ai volontiers passé en revue les dispositions de Mgr Jean Zoa, depuis pratiquement la décennie de sa
prise canonique du siège métropolitain de Yaoundé jusqu’à sa mort (mars 1998), pour cerner le souci
réel et permanent qu’il avait de voir son clergé s’impliquer dans son objectif socio-pastoral de
l’autosuffisance financière par l’autofinancement dont la bonne gestion des biens et des hommes est un
préalable très indispensable.
Avec ce prélat, l’Église de Yaoundé s’est donné des orientations pastorales à travers son synode
diocésain. Parmi ses orientations, exprimées à travers les quatre axes, nous retrouvons l’urgence de la
prise en charge de l’Église et la recherche de son autonomie financière. Dans son message de clôture
du synode diocésain en la fête de l’Assomption 1991, l’évêque décrivait les orientations concernant les
biens temporels en ces termes: « Il importe donc de poursuivre les efforts déjà engagés dans le sens d’une meilleure
maîtrise de gestion des biens temporels, afin de promouvoir des communautés capables : de prendre des initiatives
créatrices pour produire leurs propres moyens d’existence, et de se doter des outils nécessaires à la mission ; de rendre
compte de leur gestion dans un langage cohérent, transparent et crédibles ; d’appliquer les règles du droit du travail dans
un climat de justice sociale. » (Zoa, J., 1991 : 8)
Dans sa circulaire n° 26/97 du 19 septembre 1997, l’archevêque dénonce la situation de son diocèse, en
faisant remarquer que le manque de comptabilité, le refus de la part de son clergé de rédiger l’inventaire
des biens meubles et immeubles des paroisses, le refus de verser l’argent sur le compte des paroisses
sont des attitudes qui mettent en danger les orientations pastorales exprimées dans le synode diocésain :
« Je considère ces négligences comme un refus des orientations diocésaines exprimées dans notre synode. Elles provoquent
une situation ambiguë et fragile pour une Église qui voudrait se prendre en charge » (Zoa, J., 1997 :1. Cité par De
Angelis D., 2001 :100).
Mais tous ces efforts déployés par Jean Zoa se sont trouvés handicapés par le manque d’un statut
économique clair pour le clergé. La Procure couvrait une partie des frais de sa subsistance, les paroisses
faisaient le reste. Pour De Angelis, il y avait beaucoup de différences de niveau de vie d’une paroisse à
l’autre. Il manquait aussi une centralisation des ressources paroissiales. La plupart du clergé étaient
hostiles à la tenue des comptes et des inventaires que, jusqu’à aujourd’hui, beaucoup considèrent
comme un exercice fastidieux et d’ailleurs irréaliste302. Dans cette situation, il était difficile d’entamer
une quelconque dynamique d’autofinancement et de péréquation de ressources.
302
Lors de mes enquêtes de terrain (juin-septembre 2006) pour mon travail de mémoire de Master, il m’a été dit plusieurs
fois que la comptabilité et ses exigences légales ou canoniques est réservée aux « techniciens des chiffres » mais que ce n’est
pas le travail du prêtre dont il ne voit pas de portée sur le rendement pastoral !
487
Cette situation de blocage que nous avons décrite avec De Angelis à travers les circulaires de l’évêque
Jean Zoa a pesé lourdement sur l’avenir du diocèse de manière déterminante (De Angelis, D.,
2001 :109). Une reconversion des mentalités des acteurs ecclésiastiques s’avère nécessaire.
Glenn Schwartz, réfléchissant sur la vie des Églises africaines depuis leur création, s’interroge : est-il
possible d'implanter des Églises, sans créer de dépendance financière ? Le soleil des indépendances303
qui avait dardé de ses bienfaisants rayons l’Afrique dans les années 60 semblait lui promettre des
lendemains meilleurs. « Une quarantaine d’années après ce « soleil », se demande Recchi, les conditions de vie
des Africains se sont-elles vraiment améliorées ? Le contexte ayant changé, puisque le gouvernement de l’Afrique
indépendante revient de plein droit, à ses fils, qu’en est-il exactement ? » (Recchi, S., 2001 :163 )
D’années en années, la vie devient de plus en plus difficile. La désillusion de la période post coloniale
prend, en ce début de millénaire, une tournure cruellement dramatique. La liste de maux dont souffrent
les populations africaines s’allonge toujours davantage. Les exclusions ethniques, la dilapidation du bien
commun, la négligence des droits et obligations des citoyens et des autorités politiques, la faim ; les
interminables guerres fratricides avec leur triste cortège d’exécutions sommaires, de viols, d’insécurité
croissante, de fuite des cerveaux ; l’absence de salaire, l’insalubrité, la résistance du paludisme et la
pandémie du Sida accentuent ce phénomène grandissant de la paupérisation de l’Afrique. C’est un
cercle vicieux que l’on pourrait briser si les conditions de bonne gouvernance et de formation étaient
réunies pour relever les différents défis qui, implacablement, s’imposent.
Contrairement à ce que croient certains, il n’y a aucune fatalité : l’Afrique n’est pas maudite, affirme
Recchi, elle devra seulement se réveiller de sa torpeur, de sa léthargie, se libérer des mentalités qui
l’alourdissent. En d’autres termes, les Africains devraient accepter de payer le prix du développement
(Ibid.) Dans la ligne de la doctrine sociale de l’Église, le pape Paul VI parlait de la nécessité de
« promouvoir tout homme et tout l’homme »304. Quelques années auparavant, dans sa Constitution pastorale
sur l’Église dans le monde de ce temps « Gaudium et spes », le Concile Vatican II, avait rappelé cette
vérité : « Les biens extérieurs assurent à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et
303
Titre du roman du sénégalais Ahmadou Kourouma, cf. Le Courrier, le magazine de la coopération au développement
ACP-UE, octobre 2001 : 55-56.
304
Paul VI, Encyclique sur le développement des peuples Populorum progressio, 26 mars 1967, n° 14.
488
familiale ; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant
l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une des conditions des libertés civiles. »305
Depuis plus d’un siècle, le mot d'ordre des missions a été d'établir des Églises capables de se gouverner
elles-mêmes, de s'autofinancer et de se multiplier par elles-mêmes. Mais comme je l’ai suffisamment
démontré dans la première partie de cette thèse, il est légitime de se demander comment les Églises et
organisations missionnaires (dans les confessions protestantes) ont-elles choisi d’orienter leurs fonds,
quel type d’Églises ont-elles effectivement implanté ou encouragé sur le champ missionnaire en
Afrique : est-ce que ce sont des Églises responsables et jouissant d’une autonomie financière ou plutôt
des Églises mendiantes et dépendantes constamment tournées vers l’extérieur ?
Dans leur méthode missionnaire, ont-elles donné priorité à l’évangélisation de proximité en allant à la
rencontre des fidèles sur le terrain, c’est-à-dire dans leur terroir et en les responsabilisant, ou plutôt en
entretenant la « centralisation » de toutes les activités à la mission principale où tout le monde devait
venir rencontrer le curé ? Quel type de programme d’évangélisation propose-t-on aux fidèles?
Revenant sur la pratique religieuse en Afrique, Schwartz fait un état de lieu sur les aides extérieures,
leurs avantages, mais aussi leurs inconvénients. Il relève les faits suivants : « Beaucoup pensent que pour
achever la tâche d'évangélisation mondiale, il faut prendre les ressources là où elles se trouvent, dans les pays riches. Ainsi
pense-t-on qu'il vaut mieux utiliser les ressources globales pour accélérer ce processus, parce que les ressources locales sont
plus difficiles à lever. Or, pour éviter la dépendance, il est toujours meilleur de stimuler l'utilisation des ressources locales,
même si au départ les choses semblent aller moins vite ! Quand les ressources globales remplacent les ressources locales de
façon habituelle, cela signifie que trop d'argent est envoyé vers des Églises existantes, qui devraient se prendre en charge,
alors que dans d'autres lieux l'Évangile n'est pas prêché, parce que cet argent n'est pas disponible... Les dangers d'introduire
des fonds extérieurs ne peuvent pas manquer. La dépendance financière affecte la manière dont les gens perçoivent et
reçoivent l’Évangile : ils assimilent Évangile et bénéfices matériels : il y a quelque chose de faussé à la base, dans une telle
assimilation ; ils se « convertissent » en pensant en arrière plan, recevoir des avantages matériels ; ils risquent de passer à
côté des principes de base de l'Évangile : une fois qu'ils ont reçu le salut, vont-ils comprendre la nécessité de « se donner
entièrement à Christ », et le principe de redonner à Dieu une partie de ce qu'il nous donne (la dîme) » 306 ?
305
Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, 07 décembre 1965, n° 71.
306
Glenn Schartz, La dépendance financière des églises établies par les missions : problèmes et enjeux. Cf. www.wmausa.org
[Consulté le 04 décembre 2013].
489
Habitués à tout recevoir de l’extérieur, les autochtones ont fini par se convaincre que leurs propres
ressources sont insignifiantes, nous dit Glenn Schwartz, à leurs propres yeux. Ils sont entretenus dans
une mentalité de pauvreté et reconnaissent comme tels. Pour l’auteur, l'on perpétue ainsi le syndrome de
dépendance. D’après l’analyse de Schwartz, mobiliser des fonds étrangers détruit l’initiative locale.
Cette idée correspond effectivement à ce que les économistes du développement s’accordent à dire :
aucun pays ne peut se développer par des apports ou des entrepreneurs extérieurs.
L’économie nationale, source du développement et de la croissance, est principalement bâtie sur des
initiatives locales et des entrepreneurs fils du pays, les capitaux extérieurs n’étant que d’appoint. Dans
certains cas, cela peut même tuer le marché local et les ressources disponibles sur place (ex. du marché
de céréales de la Zambie, lors d'une sécheresse en 1984). En cas de catastrophe naturelle ou de situation
d'urgence, l'apport extérieur est souvent indispensable et bénéfique.
Mais, les dons exceptionnels ne doivent pas laisser la communauté encore moins capable de se prendre
en charge, une fois que les dons sont fournis. L’auteur dénonce le fait que les donateurs (occidentaux)
n'ont pas toujours des motivations saines : ils ont besoin de déverser leurs excédents de ressources ou
bien sont animés d'une pitié mêlée de culpabilité, sans se soucier de savoir si leur aide crée de la
dépendance ou non. Il regrette de constater que les Églises des pays pauvres n'ont souvent pas assez de
maturité ou de recul par rapport aux « offres » extérieures.
Les dirigeants doivent analyser honnêtement si tel apport d'argent va améliorer la santé spirituelle de la
communauté. Pourront-ils refuser un don, s'ils peuvent réaliser leur objectif avec les ressources locales
et ainsi avoir la joie de « marcher sur leurs deux pieds » ? L'influence occidentale importe dans les
Églises des modèles et des besoins qui ne correspondent pas aux réalités du contexte matériel local (ex:
le style de constructions des bâtiments d'Église).
2. Nécessité pour les Églises de travailler sur les causes de leur fragilité économique
Comme pistes de solutions à envisager pour diminuer la dépendance financière, l’auteur propose ceci :
ceux qui envoient en mission, et donc pour l’auteur, qui créent souvent la dépendance, comme les
Églises autochtones qui bénéficient des fonds étrangers, doivent adopter une nouvelle manière de penser
en ce qui concerne les moyens de soutenir la croissance des Églises. En d’autres termes, il faut briser de
vieilles habitudes et abandonner d'anciennes pratiques qui sont devenues malsaines. Mais l’auteur
reconnaît réalistement qu’il n'y a pas de solution rapide et facile !
490
Par ailleurs, les acteurs donateurs et bénéficiaires devraient reconnaître quelles sont les causes qui
engendrent et perpétuent la dépendance et avoir le courage d'abandonner ces pratiques : il faudra pour
cela beaucoup de détermination de la part de tous ! Ils doivent aussi chercher à résoudre les difficultés
locales autrement qu'avec de l'argent étranger ! Il y a, dit-il, un grand prix à payer pour passer de la
dépendance à l'autonomie : des leaders autochtones auront à dire « non merci » à certaines propositions
de financement extérieur. D'autres devront avoir le courage de demander l'arrêt de leur soutien régulier
en provenance de l'étranger.
Ceci s'est produit en Afrique de l'Est dans les années 1970 : des dirigeants d'Églises ont décidé de ne
plus percevoir leurs salaires, versés depuis Outre-mer. Il s'est alors produit une mobilisation financière
exceptionnelle dans les Églises qui ont, non seulement soutenu leurs pasteurs, mais aussi payé leurs
bâtiments et leurs propres véhicules. Introduire des fonds étrangers pour soutenir les besoins locaux
détruit le sentiment de « propriété » et le « sentiment d’appartenance ».
L'introduction d'argent étranger et le fait que les décisions soient prises par des étrangers détruisent le
sens de la propriété chez les autochtones. Si les idées viennent de l'extérieur, les autochtones n'ont plus
besoin de donner les leurs ! Comme les expatriés veulent aller vite, les initiatives locales, souvent plus
adéquates, n'ont pas le temps de venir à la surface. Le danger est que les missionnaires sont souvent
soutenus pour ce qu'ils font (et non pour ce qu'ils sont !). Ils sont inconsciemment poussés à réaliser des
projets, « produire des résultats » en un temps donné... C'est ainsi que beaucoup de projets initiés par des
missionnaires tombent dans l'abandon, car ils sont ingérables par la suite pour les autochtones ! Un autre
danger, c’est que, lorsque l'argent vient d'ailleurs, les autochtones eux-mêmes sont poussés à initier des
choses qui plaisent aux donateurs, même si elles ne correspondent pas aux besoins prioritaires locaux, ni
aux méthodes locales.
3. Nécessité pour les Églises d’établir des principes sains de la gestion financière
Pour Schartz, il est essentiel d’enseigner et établir dans les Églises « les principes bibliques » de la
gestion financière, en reconnaissant que les Églises en bonne santé ne sont pas celles dont les leaders ou
les membres regardent constamment vers l’étranger pour recevoir leur soutien, mais plutôt vers ceux qui
ont appris la joie et la satisfaction de rendre au Seigneur quelque chose qu'Il leur a donné ! Les croyants
des Églises dépendantes doivent apprendre ce qu’est le sentiment de « vraie propriété personnelle ».
Lorsque les croyants prennent conscience qu'ils sont propriétaires de leur propre Église et de son
fonctionnement, ils ont un nouveau sens de la responsabilité. Ils vont alors trouver des ressources
491
locales qu'ils ne soupçonnaient pas auparavant. Ils auront à cœur de soutenir leur pasteur, de prendre en
charge leurs besoins matériels, etc. C'est seulement quand la « propriété locale » est bien établie que les
chrétiens découvrent la joie de soutenir par eux-mêmes. Tant que les fonds arrivent de l'étranger, les
gens cherchent toujours quelqu'un qui pourra faire ou payer à leur place...
Un des principaux défis, en Afrique, est la bonne gouvernance qui consiste à apprendre à gérer avec
compétence les phénomènes et les hommes. Axelle Kabou, dans un ouvrage au titre provocateur « Et si
l’Afrique refusait le développement ? » dans lequel l’auteur traite du manque d'envie et de l'incapacité
des africains à prendre en charge le continent africain sans dépendre de l'aide étrangère, a bien eu raison
d’affirmer qu’il était impossible de prévoir la courbe des événements à court, moyen et long terme: « Le
sous-développement de l’Afrique, quelle que soit l’époque considérée, n’est pas le produit du hasard. Tous les Africains de
notre génération (…) ont une perception plus ou moins articulée des raisons internes pour lesquelles l’Afrique s’enfonce
dans la misère et menace de n’en jamais sortir.» (Kabou, A., 1991 : 13. Citée par Recchi, S., 2001 : 163).
Plus de deux décennies après la parution de son livre, la question d’Axelle Kabou reste actuelle : « Et si
l’Afrique refusait le développement ? » D’autres acteurs de divers horizons ont élevé leur voix dans le
même sens : écrivains, artistes, économistes et autres personnalités africaines, pour inviter à une prise de
conscience responsable. Paulin Poucouta fait une lecture socio-anthropologique sans complaisance de
l’ambiguïté du vécu quotidien de la foi chrétienne en Afrique: « On loue la vivacité et la vitalité de nos
communautés, la chaleur de nos célébrations, l’accroissement des vocations, le nombre des activités de baptêmes… Mais on
connaît les drames sanglants vécus dans de nombreux pays africains où la population est majoritairement chrétienne (…) Où
sont les valeurs africaines de vie, de fraternité, de tolérance tant vantées ? L’Afrique de la vie n’est-elle pas finalement
l’Afrique d la mort ? Sous les apparences de vitalité ne cultive-t-on pas la mort ? On le voit à l’importance que l’on accorde
aux funérailles. On investit moins pour sauver la vie, signer, guérir que pour enterrer » (Poucouta, P., 1997:247 ).
Sous un autre timbre, l’ancien Directeur du FMI, Michel Camdessus, s’exprime, en bon connaisseur des
dossiers internationaux et de leurs enjeux géostratégiques politiques et économiques, au sujet de cette
situation préoccupante de l’Afrique en prédisant des catastrophes mondiales dues à la
pauvreté entretenue et en renvoyant dos à dos Africains et Occidentaux: « Quel est le principal défi du futur?
C’est sans conteste la pauvreté. Si l’on ne traite pas le problème dans toute sa dimension, le monde sera exposé à tous les
risques d’implosion. Si, par exemple, les pays industriels continuent par leurs exportations d’armes à alimenter le petit feu
permanent des conflits en Afrique, nous préparons de nouveaux drames. La lutte contre la pauvreté doit devenir, partout, la
priorité… Les pays du Sud aussi se sont engagés à lutter contre la pauvreté. S’ils ne réduisent pas les dépenses
improductives, les dépenses militaires pour se concentrer sur le développement humain, l’aide du Nord ne servira pas à
grand chose…» (Camdessus, M., 2000 :10-11).
492
La conversion des mentalités passe aussi par la mise en valeur des ressources potentielles pour qu’elles
puissent contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations.
Les acteurs responsables ont comme devoir d’apprendre aux chrétiens à voir les ressources locales.
Trois ressources au moins sont toujours à la disposition des pays pauvres : la force de travail de la
population (le Japon, qui n'a aucune ressource naturelle dans son pays, mais qui sait utiliser le travail de
sa population) ; la terre cultivable : la terre est la première ressource donnée par Dieu à l'homme, mais,
de plus en plus, l'agriculture est négligée à cause de l'urbanisation. La troisième ressource que voit
l’auteur, c’est la solidarité de la famille élargie (avec ses avantages et ses inconvénients) qui est une
ressource locale puissante, surtout pour faire face à des situations de crise (ainsi, au Ghana, 1 million
d'immigrés, chassés du Nigéria, ont pu être réintégrés, grâce aux liens familiaux).
Bref, une priorité doit toujours être donnée aux ressources locales par rapport aux ressources mondiales
ou extérieures, et non le contraire, comme c’est le cas aujourd’hui dans la quasi-totalité des Églises
d’Afrique. C'est ainsi que les croyants prennent leurs responsabilités et que leur sentiment de dignité
personnelle est le mieux préservé. Certains pensent que l'Occident est riche, donc il doit « aider » dans
tous les cas! Il est cependant préférable de mobiliser d'abord au maximum les ressources locales et
d’appliquer le principe de « proximité géographique ». Cela encourage les gens à entreprendre des
initiatives et à s'aider eux-mêmes. L'aide extérieure est indispensable dans certains cas : le défi est de
faire en sorte que les ressources et aides externes ne viennent pas détruire le peu de ressources locales
existantes et ne laissent la communauté encore plus dépendante et passive.
En définitive, la dépendance peut être vaincue, elle n'est pas irrémédiable ! Cependant, il faut un réel
réveil spirituel pour résoudre ces questions. C'est en ayant d'abord une vraie vie spirituelle que l'on
pourra mettre en place une bonne gestion. L’on voit ici l'importance d'établir des Églises qui s'auto-
suffisent sur le plan financier et qui se multiplient sur ce principe. D’où une sensibilisation accrue des
leaders des Églises autochtones à prendre une totale responsabilité de l'appropriation des projets de
l'Église locale. L'initiative locale vient d'une vision locale et du sentiment d'être propriétaire de l'œuvre.
Cela ne se réalise qu'avec des fonds locaux. Cela va moins vite au départ, mais si l'on injecte de l'argent
extérieur pour aller plus vite, on risque de développer une mentalité de parasite. Un autre obstacle non
moins dangereux contre lequel l’archidiocèse de Bukavu devra lutter pour atteindre son objectif
d’autofinancement, c’est le poids socioculturel et religieux.
493
C. Le poids socioculturel et religieux des acteurs locaux de l’archidiocèse de Bukavu
Le poids socioculturel et religieux est une variable fondamentale dans le combat pour l’autofinancement
de l’Église locale de Bukavu. J’ai déjà présenté les Bashi-Bahavu, deux tribus sœurs bantu d’Afrique
centrale établies principalement à l'extrême est de la République démocratique du Congo, sur les
territoires de Walungu, Kabare, Mwenga, Uvira, Kalehe et Idjwi. Leur ville de référence est Bukavu307.
La terre et la vache308 sont les deux richesses pour la famille et une référence sociale. Ainsi, chaque
ménage est-il détenteur d'un terrain,- acquis du Chef coutumier (Mwami) principalement ou acheté sous
sa caution-, sur lequel il établit sa résidence et y pratique les cultures nécessaires pour sa subsistance.
Car les Bashi-Bahavu sont organisés dans un système féodal décentralisé.
Les Bashi-Bahavu sont aussi éleveurs de chèvres, de poules, et de petits bétails comme les lapins. Les
dernières décennies ont vu s'accroître l'élevage des porcs. Donc, l'élevage sert à la fois comme réserve
de valeur et bien d'échange, mais aussi pour l'alimentation. Sur le plan politique, ces deux tribus sont
regroupées en plusieurs royautés souveraines correspondant chacune à une collectivité. Il en existe une
quinzaine pour les deux entités tribales Shi-Havu : Burhinyi, Kaziba, Lwindi, Ngweshe, Kabare,
Kalonge, Nindja, Ntambuka, Rubenga, Chinda, Luhwindja, Buhavu-Kalehe, Mbinga-Nord et Sud, …
Chaque royauté est dirigée par un Mwami. Dans la gestion de son pouvoir, il est secondé par un conseil
de sages (« Bajinji »), un parlement représentant non seulement sa cour, mais aussi chacun des
groupements composant sa royauté.
307
http://fr.wikipedia.org/wiki/Shi_(peuple) [Consulté le 06 décembre 2013].
308
Dans une étude intitulée Analyse sociale de la nation Shi, « Les interdits des Bashi : quelques interdits (« Miziro »). Les
interdits (« miziro ») sur la femme et le rôle du guérisseur chez les Bashi. Etude anthropologico-philosophique», Norbert
Lubanja affirme : « Le Mushi possédait (et possède jusqu’à ces jours) au moins une tête de gros bétail (la principale richesse
étant la vache), mais on trouve aussi des chèvres, des moutons et de la volaille. Le mushi est très attaché à sa vache. Celle-ci
sert non seulement à produire du lait, mais aussi à doter le mariage, à cimenter l’amitié, à lier le serviteur à son maître… Elle
est donc considérée comme principale monnaie des échanges commerciaux dans le Bushi traditionnel » Cf.
http://lubanjablog.unblog.fr/2012/05/28/analyse-sociale-de-la-nation-shi/ [Consulté le 06 décembre 2013].
494
Pour l'administration courante, chaque royauté est divisée en groupements dirigés chacun par un
représentant du Mwami, un chef de groupement, qui exerce son pouvoir par délégation. Le groupement
est à son tour subdivisé en localités ou villages, à la tête desquelles se trouve aussi un représentant du
Mwami, le chef de localité, qui lui rend directement compte sans passer par le chef de groupement.
Cependant, tout sujet est en droit d’être reçu par le Mwami et à n’importe quel jour.
C’est même une obligation pour tout sujet d’aller périodiquement présenter ses hommages au Mwami
« Kusengera » accompagné des présents, en l’occurrence la bière traditionnelle « Kasiksi » fabriquée
(« Kukanda, kurhala, n’okuhongola » à base des bananes murs et du sorhgo, et une chèvre ou un
mouton. S’il se dérobe de cette obligation féodale, le sujet s’expose à une expropriation de son lopin de
terre pour le confier aux fidèles courtisans du Mwami. Le pouvoir du Mwami est très proche des
administrés dans la mesure où il est parfaitement au courant de la vie sociale de chaque village et c'est à
celui-ci qu'il revient d'assurer la justice distributive. En effet, tous les procès coutumiers relatifs aux
conflits fonciers, aux mariages, même aux différends familiaux afférant à la question domaniale et
conjugale sont directement tranchés par la cour royale « Kusidakana n’okuburana oku bwami ». En tant
que souverain, le Mwami répartit et octroie des terres (« Kalinzi ») aux habitants309, assure la
cohabitation, organise la sécurité dans les villages et bénit les semences au mois de janvier
(« Muganuro »).
J’ai fait ce tour digressif pour pouvoir faire observer que cette culture féodale est si fortement ancrée
dans le Mushi-Muhavu que les membres du clergé local n’échappent pas à la règle. Ceux-ci
entretiennent fortement les mêmes reflexes coutumiers envers l’évêque diocésain que leurs parents
envers le Mwami.
309
Norbert Lubanja le démontre : « Toute la terre appartient au Mwami. C’est lui qui donne à chaque Mushi une portion de
terre et celui-ci en retour lui doit régulièrement reconnaissance par des travaux, des dons en nature (produits de champs ou
d’élevage). L’organisation de la force de travail : travail personnel de la terre avec quelques travaux collectif. Le roi et
l’ensemble des Baluzi ne travaillent pas, les Bashi leur donnent tout en rétribution d’action de grâces. La répartition du
produit social : chaque Mushi mange le produit de son travail et fait offrande au Mwami, le grand propriétaire, mais en même
temps le grand donateur […] Tout Mushi travaille et mange le produit de son travaille, en réservant toujours quelque chose
au Mwami à qui il doit aller le plus souvent présenter les fruits de son travail (Kusengera), donc les produits de champs et/ou
d’élevage en signe de reconnaissance pour la terre reçue (Kurhula Mwami). Aussi les démunis peuvent toujours passer chez
le Mwami pour avoir à manger, car le Mwami reçoit puis il donne» […] Donc, la propriété n’est pas assurée : seul le Mwami
possède la terre et donne (prête) à qui il veut. Tout Mushi peut, à n’importe quel moment, être chassé de la terre à lui
concédée par le Mwami, s’il arrive à lui désobéir ou à comploter contre celui-ci. Raison pour laquelle de génération en
génération, il doit faire des offrandes au Mwami et quand il meurt, son héritier, accompagné de sa mère et des sages du
village (Baganda ba Mwami) doit aller présenter sa lettre de créance chez le Mwami (Kubonwa) (Ibid.).
495
A l’instar de celui-ci, en effet, le prélat dans l’archidiocèse de Bukavu, avec des appellations très
évocatrices comme « Mwami Askofu = Roi-évêque », « Nnabadahwa = le propriétaire des prêtres ou le
dispensateur du sacerdoce », développe dans son action pastorale le clientélisme et entretient au sein de
son clergé un véritable système féodal.
Les effets du système féodal sont à coup sûr néfastes au sein de la société, puisqu’à la place de la
méritocratie, c’est plutôt la loi de médiocratie, du parasitisme et du clientélisme qui élit domicile dans la
société. A la place de la gratification par le travail et un travail bien fait, c’est la promotion par
l’allégeance au chef et le clientélisme qui sont favorisés. Par ailleurs, le système féodal crée un lit des
conflits interpersonnels et introduit des vices à grande échelle dans la société. Puisque chaque membre
cherche ses propres intérêts personnels et égoïstes, il se pratique au sein de la société une véritable
« politique de crabes dans un panier » où tous les individus s’emploient par tous les moyens à rabaisser
les autres qui veulent émerger.
310
De l’observation générale, à quelques exceptions près, tous les responsables actuels de grandes institutions socio-
économiques et pastorales du diocèse sont de l’ethnie de l’évêque.
311
« La classe qu’on peut appeler « bourgeoise », est constituée du Mwami, qui est le garant et le propriétaire de tout, et les
Baluzi qui sont d’habitude ses propres frères, participent au privilège en gérant des vastes domaines qu’ils distribuent à qui
ils veulent. Certains Baluzi vivent à la cour royale et d’autres peuvent vivre ailleurs, dans une aire du Bushi ou diriger un
groupement au nom du Mwami » (Ibid.).
312
Les Banande est un peuple bantu habitant le Nord-Kivu. Ils sont reconnus pour leur esprit d’entreprise et de solidarité
entrepreneuriale : ceux qui ont réussi à émerger économiquement, socialement, culturellement, politiquement dans la société
ont comme une obligation morale et sociale de donner une partie de leurs ressources à d’autres pour les aider à émerger. A
leur tour, une fois qu’ils ont accru leur capital de départ, ils devront aider les suivants, et ainsi de suite.
496
Alors que chez les Banande, la vie sociale est régie par une entraide mutuelle et une solidarité
responsable où chacun se soucie de la réussite de l’autre, chez les Bashi par contre, elle est régie par la
loi du «chacun pour soi », comportement sociologique désigné en Mashi sous la maxime : « Nfâ, ncire :
littéralement : meurs afin que je m’enrichisse, c’est-à-dire ta présence est une mort pour moi, et ta mort
est une opportunité de réussite pour moi ».
En fait, pendant que certains cherchent à évoluer, les autres et en grand nombre s’emploient à les tirer
par le bas à travers différentes pratiques vicieuses : des cours « chez les Grands » constituées et
entretenues des dépendants économico-financiers, des harcèlements dans les demandes d’aides, des
accusations, délations, médisances, des dénonciations calomnieuses, des vols, etc.
Un tel comportement n’est pas de nature à créer des conditions objectives pour la réalisation de
l’objectif d’autofinancement. Comme je l’ai dit plus haut, celui-ci exige l’engagement et l’adhésion de
tous les acteurs aux mêmes objectifs tels qu’ils ont été fixés par le management, la conjugaison de tous
les facteurs de production dans une combinaison harmonieuse. Or, le système féodal tel qu’il est
pratiqué au Bushi et dont les effets se répercutent sur la vie du clergé de Bukavu, n’est pas de nature à
favoriser ces exigences de l’autofinancement, puisqu’il annihile tout esprit d’initiative et d’entreprise.
Une locution proverbiale en mashi313 résume bien les logiques qui déterminent le comportement humain
dans cet espace socioculturel marqué par le système féodal : « Omushi arhali Mwami », littéralement
cela signifie un Mushi (dans le sens d’un homme quelconque), n’est pas Roi (celui-ci étant l’incarnation
de la richesse totale, c’est-à-dire du capital économique, social, culturel au sens de Pierre Bourdieu).
Cela veut signifier que seul le Roi doit être riche, le seul à posséder l’avoir et le savoir, aucun de ses
sujets ne doit chercher à avoir, à posséder, à savoir plus que lui. En d’autres termes, il faut se contenter
de ce que l’on a, bannir tout esprit d’ambition, d’émergence, d’émulation. Au contraire, il faut se
soumettre à son « roi », se mettre sous sa dépendance, attendre tout de lui.
L’on comprend pourquoi, s’agissant des membres du clergé de Bukavu qui ont été pétris dans ces
catégories mentales féodales, ils ne se sentent pas obligés d’adhérer au besoin objectif de résolution par
l’autofinancement de la précarité matérielle qui caractérise le diocèse. Puisque chacun, là où il est, se
satisfait de ce qu’il a ou reçoit du Mwami-Askofu, qu’il ne faut pas chercher à égaler au risque de
tomber en disgrâce « kugoma ». C’est la loi du moindre effort.
313
Comme l’affirme Norbert Lubanja, la langue shi comporte une infinité de proverbes renfermant la sagesse bantu (Ibid.).
497
En fin de compte, le système féodal est un véritable obstacle à l’indépendance, à l’autonomie et ce, à
l’autofinancement dans la mesure où ce système prône le « nivellement par le bas », un système qui
enracine subtilement la dépendance et la médiocrité et ne pousse pas les gens au dépassement de soi
pour être et avoir plus. Or, justement, l’autofinancement est tout le contraire de cette logique. Il pousse
les acteurs institutionnels ou individuels à se prendre en charge (indépendance ou autonomie financière
ou autofinancement) par un effort de dépassement de soi à travers la production et la rentabilité, au lieu
de tout attendre du bailleur de fonds. Pour y arriver, ces acteurs devraient aussi lutter contre un autre
obstacle sociologique réel: le poids familial sur la vie matérielle du clergé africain.
Il faudrait que les prêtres africains adoptent des projets simples selon leur possibilité. Ils doivent
accepter de vivre selon les moyens qu’ils ont et éviter de faire croire aux gens (aux fidèles) qu’ils sont
riches, alors qu’ils n’ont pas de moyens suffisants pour subvenir à leurs besoins. Ils doivent apprendre à
s’humilier et reconnaître que leur vie dépend des différents dons des fidèles. Ils apprendront aussi à
travailler de leurs propres mains314. Tel est loin d’être le cas, en tout cas dans l’archidiocèse de Bukavu,
à quelques exceptions près. Le clivage et la différenciation entre clercs et laïcs, voilà un autre obstacle
majeur qui doit être dépassé pour aspirer à l’atteinte de l’objectif d’autofinancement.
314
Cf. https://muturo.wordpress.com/2009/01/22/pour-une-prise-en-charge-materielle-et-financiere-des-eglises-dafrique
[Consulté le 14 février 2015].
498
Un clivage ou une distanciation entre eux ne peut que sérieusement compromettre l’objectif de
l’autofinancement dans la mesure où ils sont les acteurs-clé au cœur de l’action socio-pastorale d’un
diocèse. Le prêtre à lui seul ne peut rien faire comme travail ; le laïc a besoin d’être soutenu par le prêtre
pour que son action revête une spécification ecclésiastique par rapport à ses autres activités
socioprofessionnelles qui lui donnent une audience dans la société. Les deux sont mutuellement
indispensables.
C’est pourquoi leurs conflits peuvent produire des effets au-delà de leurs personnes et paralyser toute
activité entreprise par l’Église en vue de sa survie, sa visibilité dans la société et ses objectifs comme
l’autofinancement. C’est ce que je vais essayer de relever dans cette avant-dernière section de ma thèse,
en revisitant les travaux de deux auteurs : en partant des fondements historiques qui établissent ce
clivage entre clercs et laïcs tels que décrits par Walter Kasper (1990), et de la réalité concrète telle
qu’elle est vécue aujourd’hui dans l’Église, c’est-à-dire les relations clercs et laïcs, étudiée par Henri
Bourgeois (1988).
Pourtant, leur collaboration avec les clercs n’est pas acquise d’avance car il y a encore beaucoup de
barrières psycho-religieuses à lever. Bien que dans l’esprit du concile Vatican II, tous les baptisés ont
une mission commune, la relation adéquate entre clercs et laïcs ne s’est pas développée, ni dans la
théorie, ni dans la pratique de façon satisfaisante.
Walter Kasper situe l’origine du problème dans l’identité et la définition du laïc telles qu’elles sont
conçues dans l’Église depuis longtemps. Dans le langage courant, un laïc, remarque-t-il, est un non-
spécialiste, un profane. Le mot est entré très tôt avec ce sens dépréciatif dans le vocabulaire chrétien.
Déjà chez Clément de Rome (90 après J.-C.), le terme laikos, lorsqu’il apparaît pour la première fois,
désigne celui qui n’appartient pas au clergé, considéré comme un état sélectionné (Ibid. :24)315.
315
Lire aussi la réflexion de G. de Lagarde : « La distinction entre clerc et laïc apparaît clairement d'abord dans la première
lettre de Clément en 95 environ. Elle s'approfondira durant les premiers siècles et dans la chrétienté sacrale du Moyen Âge.
499
Plus tard, les laïcs furent désignés négativement comme ceux qui ne sont ni clercs, ni moines. Encore de
nos jours, on identifie l’Église au clergé et à la hiérarchie. Les laïcs sont des membres passifs, et non des
sujets responsables. Ce n’est pas sans raisons que l’on a déjà proposé d’abandonner purement et
simplement le concept de laïc, qui prête à tant de malentendus, et de la rayer de notre vocabulaire
ecclésiastique (Ibid.)
Finalement, qu’est-ce qu’un laïc ? Si l’on veut doter le terme de laïc d’un contenu théologique adéquat
et de sa signification chrétienne, il faut recourir au sens originel et biblique de laos (peuple). Dans
l’Ancien Testament, laos n’avait pas le sens commun de peuple, mais celui de peuple élu par Dieu,
séparé des peuples païens. Le laikos est celui qui appartient au peuple de Dieu, en raison d’un appel et
d’une élection particuliers. Le terme de laïc est une désignation d’honneur et de dignité pour ceux-là
qui, par le baptême, sont devenus « race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple que Dieu s’est
acquis » (I P.2, 9). Dans ce sens général, il est synonyme des termes bibliques de disciple, frère, saint,
chrétien ou fidèle du Christ. Ainsi, la ligne de séparation ne passe pas entre clercs et laïcs, mais entre
chrétien et non chrétien.
C’est dans cette intention que la Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, fait précéder les
chapitres sur la hiérarchie et sur les laïcs d’un chapitre spécial sur le Peuple de Dieu dans son ensemble,
où il est traité de la vocation et de la mission communes à tous les chrétiens, ainsi que de leur
participation au sacerdoce, commun à tous les baptisés, et au ministère prophétique, sacerdotal et royal
du Christ. De façon semblable, il présente dans un chapitre spécial la vocation de tous les chrétiens à la
sainteté avant le chapitre sur les religieux.
Les laïcs sont des membres à part entière du peuple de Dieu ; ils sont des fidèles du Christ, dont le Code de droit canonique
pour l'Église latine (1983) et celui des canons pour l'Église d'Orient (1990) ont établi les devoirs et les droits propres aux
chrétiens. Ils participent, par leur sacerdoce baptismal, de Jésus-Christ grand prêtre. Ils exercent une fonction prophétique de
témoignage, de service et de communion dans les tâches familiales, professionnelles et dans celles qu'on qualifierait
aujourd'hui de civiques ou de politiques. Une dignité « royale » leur est conférée en vertu de la résurrection du Christ.
L'esprit laïque apparaît à la fin du Moyen Âge : le « temporel » revendique son autonomie ; les princes refusent de se
soumettre au pape dans les affaires qui les concernent ; la « commune » naît, indépendante du château ou du monastère ; tout
un réseau d'activités économiques est mis en place ; l'intelligence elle-même s'affranchit de la pensée religieuse (G. de
Lagarde, La Naissance de l'esprit laïque au déclin du Moyen Âge, t. I, Bilan du XIII siècle, Paris-Louvain, 1956).
500
La conséquence en fut que les masses entrèrent dans l’Église et que le christianisme perdit ainsi son
élan. Les évêques furent assimilés aux hauts fonctionnaires de l’Empire et participèrent à leurs
privilèges (Kasper, 1990:27). La différenciation théologique intra-ecclésiale entre clercs et laïcs se
changea en une différenciation sociologique : le haut clergé devint une classe puissante et, inversement,
la majorité des laïcs devint « simplement » le peuple. Là-dessus, au cours du haut moyen-âge, les clercs
reçurent le privilège de la formation. Ainsi charisme et pouvoir se confondirent souvent et ce fut lourd
de conséquence. La protestation des moines s’éleva rapidement contre cette « mondanisation » et
l’« embourgeoisement » de l’Église. Ils prétendirent maintenir l’idéal chrétien originel en le vivant
radicalement. Tous les évêques célèbres de l’Église ancienne, tous les Pères de l’Église d’Orient et
d’Occident sortirent des monastères, lesquels eurent ainsi une influence décisive dans l’Église.
Il est vrai que le monachisme à son tour, surtout au Moyen-âge, devint une institution puissante et
influente, aussi bien sur le plan politique qu’économique, et se trouva toujours en danger de se
mondaniser lui-même. C’est surtout à partir de la Réforme grégorienne et de la Querelle des
Investitures, au XIe siècle, que l’on chercha à différencier clairement les domaines spirituels et
temporels. Mais la différence première entre chrétiens et non chrétiens, Église et monde, fut transférée
au sein de la chrétienté elle-même. On réserva aux clercs le domaine spirituel, tandis que les laïcs
reçurent le temporel.
Il en alla ainsi jusqu’à la fatale proclamation du Décret de Gratien, qui déclara qu’il y avait deux classes
de chrétiens, les spirituels et les charnels (mondains). Dans le Nouveau Testament, une telle affirmation
eut été totalement inimaginable (Ibid.). Dans le Bulle Clericis laicos (1296), le pape Boniface VIII
remarquait que les laïcs s’étaient toujours opposés aux clercs. Cette affirmation faisait sans doute
référence aux mésaventures politiques entre le pape et l’empereur ou le roi de France, mais indiquait une
tendance dangereuse. Des conflits analogues se succédèrent en de nombreuses villes épiscopales où les
princes évêques menèrent souvent bataille contre les citoyens chrétiens (Ibid.:27-28).
Cet arrière-plan nous permet de mieux comprendre le surgissement de mouvements laïcs anticléricaux
dès le haut Moyen-âge et la force qu’ils prirent par la suite à l’époque moderne. Cléricalisme et laïcisme
sont les deux faces de la même médaille. Les prétentions cléricales n’étaient pas seulement
théologiques, mais aussi politiques et économiques. Aussi les mouvements laïcs eurent des prétentions
contraires, non seulement politiques, mais aussi théologiques. Ce qui amena la théologie, du IV e Concile
de Latran (1215) au Concile de Trente inclus, à défendre contre les réformateurs la place des ministères
dans l’Église en l’isolant de manière unilatérale.
501
Et ainsi, ces positions théologiques étaient mal comprises et utilisées abusivement dans la pratique
comme fondements idéologiques d’une prise de pouvoir temporel. Dans ces conditions, l’ecclésiologie
se pervertit en « hiérarchologie », en une vision pyramidale de l’Église contraire à l’ecclésiologie de
communion de l’Ecriture sainte et de l’Église ancienne (Kasper, 1990 : 28)
En sens contraire, on trouve aussi bien sûr des exemples marquants d’évêques et de prêtres qui furent de
bons pasteurs de leur troupeau. De plus, dans la spiritualité de la fin du Moyen-âge, qu’on appelle de
devotio moderna (illustrée par l’Imitation de Jésus Christ de Thomas a Kempis), se voient dessinés les
traits d’une spiritualité nettement laïque. Erasme de Rotterdam et Thomas More furent par la suite les
représentants de cette spiritualité sur un autre plan. A la fin de l’époque moderne, une vision positive de
la vocation laïque commença à se frayer la voie. Y contribuèrent la sécularisation réalisée par la
Révolution française et l’écroulement de l’ancienne culture européenne liée au régime Césaro-papiste
lors de la première guerre mondiale.
Alors sonne l’heure des laïcs. Il n’était plus possible au clergé d’assumer la présence des chrétiens dans
le monde ; en de nombreux pays, cette présence était fortement combattue : pensons aux révoltes de
Cologne, au Kulturkampf du XIXe siècle, à la lutte des Églises sous le Troisième Reich. Ainsi, les
théologiens, les laïcs catholiques engagés et les pasteurs découvrirent à nouveau la signification de la
vie laïque pour la poursuite de la mission de l’Église dans le monde. Parmi les papes, se détache la
figure de Pie XI, qui poussa à distinguer l’Église et l’État, retira les clercs de la politique et donna
naissance, par son Encyclique inaugurale Ubi arcano (1922), à l’apostolat des laïcs. Le projet du pape
était conditionné par la situation italienne, et son objectif principal – « la participation des laïcs à
l’apostolat hiérarchique » - était lourd du danger de considérer les laïcs comme une prolongation du
clergé. Quoi qu’il en soit, c’était un pas décisif (Ibid : 29). Mais comment se présentent dans la réalité
des faits leurs rapports au sein de l’Église aujourd’hui ?
Parmi les auteurs contemporains qui ont profondément étudié les phénomènes religieux, notamment les
acteurs et leur interaction au sein de l’institution religieuse, nous pouvons retenir les travaux de Henri
Bourgeois, dans son livre intitulé Ces chrétiens que l’on appelle laïcs, écrit au moment du Synode sur
les Laïcs dans l’Église qui se tint à Rome en 1987. Dans cet ouvrage, l’auteur consacre le 1Ie chapitre,
« Les laïcs et ceux qui ne le sont pas » (1988 : 193-212), à l’analyse des rapports entre clercs et laïcs et
des débats que ces rapports suscitent dans la vie ecclésiale.
502
La question est récurrente et ces relations ont toujours besoin d’être clarifiées et ré-évangélisées, dit-il.
Le titre même introduit une question de cette catégorisation. Le sujet concerne la conversion permanente
que nécessitent toutes les pratiques, même ecclésiales. Dans ces pages, l’auteur livre un effort
d’intelligence théologique et de discernement pratique dont la finesse et la justesse peuvent être
appréciés de ceux et celles qui vivent ces relations.
Durant toute sa réflexion, on remarque l’insistance du terme « coresponsabilité ». Il note que, dans le
rapport entre les laïcs et les clercs, il y a trop souvent des formes pratiques pénibles parce que trop
autoritaires (même sous des propos de respect et de communion fraternelle). Ce qui suscite soit des
tensions polémiques soit, à l’inverse, par fatigue ou désintérêt, le glissement vers l’insignifiance
pratique (Ibid.:193). Par ailleurs, il conteste la tentation de partager les territoires entre clercs et laïcs en
accordant aux uns et aux autres une « spécificité » qui, au moins dans le cas des laïcs, apparaît ambiguë.
Le résultat, dit-il, c’est que la différence entre clercs et laïcs tend finalement à devenir obscure. Ou
seulement fonctionnelle et institutionnelle : il y aurait des clercs et des laïcs par commodité sociale ou
par habitude historique. Si bien que certains aujourd’hui estiment que cette distinction a déjà fait son
temps et qu’elle est à verser aux archives.
Contrairement à ceux à qui la question laïque semblerait sans objet, Bourgeois pense que c’est plutôt
une « bonne » question pour regarder en face actuellement un certain nombre de données ecclésiales, eu
égard à la responsabilité évangélique. Selon Bourgeois, la particularité des clercs, ce qui fait leur
différence, est à comprendre en respectant la condition commune des laïcs. Nul n’est au-dessus de
l’autre, clerc et laïc, tous les deux sont au service d’un même peuple, d’une même Église et d’une même
société, mais chacun à sa manière, avec des prérogatives spécifiques. Par conséquent, s’il est une
différence, ce ne peut être que dans l’égalité et la communion (Id. : 195).
A ce niveau, un grand effort doit encore être fourni par les membres du clergé de l’archidiocèse de
Bukavu, certainement ailleurs aussi en Afrique en général, où les laïcs sont parfois humiliés en public,
même pendant la messe. Ce qui ne manque pas de réactions véhémentes de la part des victimes et
provoque un scandale au sein de la communauté316. Une particularité qui porterait atteinte à l’unité
ecclésiale (paradoxalement sous prétexte de la servir) serait un contre-sens.
316
Nous pouvons évoquer des incidents déplorables qui ont eu lieu dans les paroisses de Bagira en 1984 et de Mwanda-
Katana en 1999 où des curés se sont emportés contre des individus nommément cités à qui ils ont exigé de sortir de l’église
503
3. La relation laïcs-clercs : un appel et du travail pour la même cause de l’Eglise.
Puisque rien de ce qui est de l’Eglise n’est étranger aux laïcs, d’après Bourgeois, c’est une fausse
solution dans la mise en œuvre de la relation clercs-laïcs, la recherche de domaines spécifiques
aboutissant à un partage du terrain. L’auteur refuse pour cette raison la « spécificité séculière » du laïcat
mise en avant par Vatican Il. Si les laïcs sont dans le monde et si les clercs sont dans l’Église, les
tensions semblent idéalement réglées, rien n’est résolu du problème réel. De la même manière, on ne
peut dire sans plus que les clercs « donnent » les sacrements et que les laïcs les reçoivent. Car les uns et
les autres, selon leur vocation propre, les célèbrent ensemble. De même, on ne peut dire sans plus que le
clergé est chargé de gouverner l’Église. Les textes officiels le disent, mais la réalité tend à d’autres
pratiques. Cette répartition des rôles aboutirait d’ailleurs à rendre impossible une coresponsabilité.
Surtout, elle ne permettrait pas de percevoir comment, dans un groupe qui a un rôle de direction en une
communauté, la signification du prêtre intervient sans s’épuiser dans le monopole du pouvoir.
Un autre partage fallacieux des domaines auquel Bourgeois s’insurge, c’est la promotion par certains
d’une « spiritualité laïque » après que l’on ait parlé, il y a quelques années, d’une théologie du laïcat. Il
se peut que, sous l’expression « spiritualité des laïcs », se tienne un appel adressé à tous les membres de
l’Église pour qu’ils vivent plus de l’Esprit là où ils sont, dans les conditions concrètes de leur existence.
Mais la formule est dangereuse, dit-il. Elle entretient une distinction excessive entre clergé et laïcat,
alors que le problème spirituel est fondamentalement le même pour tous et, en tout cas, s’élabore et se
précise pour chacun dans l’échange ecclésial. Vatican II, sans parler de « spiritualité laïque », avait
marqué que la sainteté se pluralisait selon les vocations et tous les chrétiens, clercs et laïcs avaient
vocation commune à la sainteté (LG n°41-42). Il n’y a pas une manière de croire des laïcs et une forme
de foi qui serait celle des clercs.
Certes, la foi des uns et des autres intervient quand il s’agit de comprendre et de mettre en œuvre leur
relation et leurs responsabilités. Dès lors, les laïcs et les clercs ne sont pas situés de la même manière.
Mais, ajoute-t-il, pour l’essentiel, le travail de foi qui doit s’opérer de part et d’autre est analogue. Sur ce
point, il faut éviter le schématisme. Pour les clercs comme pour les laïcs, le « travail » est, entre autres
tâches, de se rapporter à l’autre figure de l’expérience chrétienne. La différence vaut pour les uns
comme pour les autres (Ibid. :211).
avant de commencer la célébration ou de faire l’homélie. Blessés dans leur amour-propre et humiliés devant la foule de
fidèles abasourdis, ils ont opposé résistance et refusé de sortir…
504
Aujourd’hui, mieux vaut être vigilant que de laisser se dégrader les relations (Ibid. : 212). La relation
laïcs-clercs une plus grande exigence. En effet, le sacrement d’ordination a pour rôle, en principe, de
qualifier les ministres ordonnés et donc de disqualifier les distorsions de leur comportement. Il a pour
effet d’objectiver leur vie et leur visée pastorale pour qu’elles deviennent signe du Christ. Les laïcs, au
titre de leur baptême et de leur confirmation, sont en mesure d’aller à la rencontre de cette
sacramentalité d’ordination pour l’accueillir et recevoir le signe qu’elle rend possible, pour faire en sorte
aussi qu’elle remplisse son rôle. Les laïcs peuvent aider les clercs à ne pas perdre de vue l’imposition
des mains qu’ils ont reçue (Ibid.).
Si chacune de ces deux composantes sociales comprend bien son rôle au sein de l’Église, dans un
respect mutuel, un élan consensuel et en regardant dans la même direction, leur engagement socio-
économique et pastoral peut être déterminant dans l’atteinte des objectifs définis par leur Eglise et
auxquels tous les deux ont adhéré. C’est le cas de l’objectif d’autofinancement dans l’archidiocèse de
Bukavu qui implique prêtres et laïcs.
Avant de tenter de répondre à cette question ô combien compliquée car complexe, disons d’emblée qu’il
ne fait aucun doute que la situation matérielle des Églises d’Afrique a été parmi les grandes
préoccupations du Magistère de l’Église ces dernières décennies, ce qui est unique dans l’histoire de la
chrétienté. Cela apparaît clairement dans l’Exhortation apostolique post-synodale « Ecclesia in Africa »
de Jean-Paul II, déjà citée dans le septième chapitre de cette thèse, dans laquelle le pape invite les
Églises d’Afrique à s’inscrire dans la dynamique de la recherche de l’autofinancement pour assurer leur
survie et affirmer leur maturité responsable.
Ce document fondateur, comme je l’ai appelé, mérite d’être révisité pour y tirer des éléments
susceptibles d’éclairer les décisions épiscopales dans la recherche de l’autofinancement de leurs entités
ecclésiastiques.
Dans ce document que le pape Jean-Paul II est venu publier le 15 septembre 1995 à Yaoundé, le
chapitre V est intitulé : « Vous serez mes témoins » en Afrique. Le n° 104 de ce chapitre traite des
« moyens matériels ». De l’analyse de cette exhortation du pape, trois idées fondamentales peuvent être
dégagées résumées ainsi qui suit : la nécessité et l’urgence pour les Églises d’Afrique de se prendre en
charge au lieu de rester des perpétuels assistés.
505
Cela passe par la mobilisation générale, depuis la haute hiérarchie du diocèse jusqu’aux communautés
ecclésiales de base, dans le processus d’autofinancement ; le soutien encore indispensable des Églises
occidentales et des organismes de financement, au nom du principe de subsidiarité et de la communion
universelle, pour aider les Églises d’Afrique à mettre sur pied des mécanismes d’autofinancement à
travers des projets d’investissements rentables ; et enfin le lien étroit et le destin partagé entre la
sécurité financière des Églises d’Afrique avec le bien-être socio-économique de leurs peuples. Disons
un mot sur chacune de ces idées.
506
Il s’agit pour chaque Église locale de mettre en place des stratégies et mécanismes pour augmenter sa
capacité productive, en transformant son potentiel économique hérité de l’administration coloniale
généreuse en richesse financière dans l’objectif d’atteindre son autofinancement. Ce qui est requis, c’est
le changement vers une Église responsable d’elle-même, un changement qui pourrait aboutir à repenser
un autre modèle d’Église répondant aux impératifs du moment, différent de celui hérité de la période
missionnaire qui répondait à d’autres impératifs de l’époque mais devenus anachroniques.
Mais, comme les populations africaines ont un faible niveau de revenus, au point que, dans les
conditions actuelles, il leur est difficile de subvenir à tous les besoins de leurs Églises, celles-ci ont
encore besoin des soutiens extérieurs pour lancer des investissements rentables qui leur permettront
d’arriver à leur autonomie financière. En effet, le pape voudrait voir ces Églises d’Afrique ne pas
dépendre éternellement des aides extérieures qui d’ailleurs s’amenuisent de manière drastique. Ces
Églises doivent arriver à se prendre elles-mêmes en charge pour affirmer leur maturité de foi, mais, pour
y arriver, elles ont besoin des aides substantielles des Églises d’Occident pour leur donner cette
impulsion.
Le pape est conscient de la fragilité des économies africaines qui ne sont pas encore en mesure de
soutenir une forte croissance et une grande production, avec comme effet un faible pouvoir d’achat des
ménages et une faible consommation. D’où la pauvreté des Églises émanant de ces entités territoriales
sous-développées. C’est pour cela qu’il appelle les Églises-sœurs du monde, celles des pays développés
à soutenir encore les diocèses africains avec des fonds nécessaires à financer les besoins de financement
destinés à des projets d’investissements rentables, c’est-à-dire créateurs de richesses devant leur
permettre d’atteindre un jour leur indépendance financière.
Effectivement, ces Églises continuent de recevoir des aides substantielles. Quand on s’intéresse à leur
question financière, un constat général s’impose : l’un des problèmes majeurs de ces Églises d’Afrique,
507
c’est leur dépendance financière et matérielle vis-à-vis des Églises et organismes d’Occident, et cela
depuis l’époque missionnaire. Elles sont restées tournées vers Rome, l’Allemagne, l’Espagne, la France,
où des organismes de financement comme les Oeuvres Pontificales Missionnaires (OPM), Propaganda
Fide, Missio, Misereor, Kirche in Not, la Conférence Episcopale Italienne, Manos Unidas, Secours
Catholique-Caritas France, Miva-Autriche… financent depuis des décennies, chacun selon son axe
d’intervention317 des projets en Afrique dans différents secteurs de la vie socioreligieuse : construction
des Églises, des couvents, séminaires, des hôpitaux, dispensaires, écoles, adduction d’eau, etc.
En ce qui le concerne, pour ses nombreux besoins (moyens de locomotion, construction d’églises et
d’écoles ; œuvres de l’enfance, séminaires, activités pastorales…), l’archidiocèse de Bukavu s’adresse
aux mêmes organismes internationaux cités plus haut 318. Comme les autres, lui aussi vit depuis
longtemps dans cette totale dépendance, à travers des dons, des subsides venant des Églises occidentales
et des organismes de financement extérieurs. D’après Kalamba Nsapo, c’est une conviction partagée
dans les milieux ecclésiastiques africains : si cette aide financière s’arrêtait, il y aurait lieu de se poser de
sérieuses questions sur l’avenir de ces Églises (2000 :72).
Des auteurs comme Robert Luneau et Jean-Marc Ela expriment la réalité en termes de « perfusion »
financière sous laquelle tient l’existence des Églises africaines et sans laquelle elles risquent de
s’éteindre tout simplement (1981 :121). C’est pourquoi leurs responsables hiérarchiques, à l’instar des
gouvernants politiques, sont encore obligés de se tourner vers l’Occident à la recherche de ressources
pour faire vivre leurs Églises. Comme les dirigeants de leurs pays, pratiquement tous les évêques
africains se rendent régulièrement en Europe pour y chercher des moyens financiers.
317
En effet, les organismes différents sont intéressés par des projets qui rentrent dans le cadre de leurs priorités d’intervention
dans le Tiers-Monde.
318
Cf. Rapport préparé par l’archidiocèse de Yaoundé pour la Visite Ad Limina, 1999. IIIème partie : Situation économique du
diocèse, p. 32.
508
en RDC depuis cinq décennies. Ces données montrent à suffisance que les Églises du Congo vivent
essentiellement des ressources extérieures. Leur manque est susceptible de créer comme effets dans la
viabilité ces Églises une asphyxie pure et simple.
Mais tous ces projets financés sont à caractère social, pastoral. Il manque le volet économique
nécessaire à l’objectif de l’autofinancement. Dans leurs démarches et négociations, s’appuyant sur les
recommandations du pape, les responsables africains doivent désormais inclure des demandes de
financement pour des projets générateurs des ressources, donc des projets rentables. Toutefois, les
Église d’Afrique en général et du Congo en particuliers pourront-elles devenir riches au milieu des
peuples misérables ?
D’où repenser la pastorale, compte tenu des réalités sociopolitiques du pays, en recherchant des moyens
et des stratégies pour mettre en route une dynamique d’autofinancement dans le diocèse, tout en
promouvant les populations pour qu’elles améliorent leur vie. Comme l’Église reste l’institution la plus
écoutée et la plus respectée au Congo, elle devrait profiter de cette aura pour conscientiser et éduquer les
populations à faire des choix politiques judicieux et objectifs. De sorte que, lors des échéances
électorales, au lieu d’élire sur base d’appartenances sociologiques (régionales, tribales, linguistiques)
comme c’est malheureusement le cas depuis l’indépendance, elles se donnent des responsables dignes,
319
LA DOCUMENTATION CATHOLIQUE, Exhortation apostolique de Jean-Paul II, L’Eglise en Afrique « Ecclesia in
Africa », aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux religieux et aux religieuses, et aux tous les fidèles laïcs, sur l’Eglise en
Afrique et sa mission Evangélisatrice vers l’An 2000, 1 er octobre 1995, n°212, p. 843.
509
crédibles, intègres, des dirigeants qui aient le sens du bien commun et soient capables d’élever les
niveaux de vie des populations en travaillant pour le développement de la Nation. C’est une mission
noble que l’Église du Congo doit remplir, une action qu’elle doit inscrire dans son programme pastoral.
A coup sûr, elle sera parmi les grands bénéficiaires de son propre travail de conscientisation et
d’éducation des masses.
Ce texte de Jean-Paul II peut être considéré comme déclencheur de l’impulsion de la vie économique
des Églises d’Afrique. Avant lui, aucun pontife n’avait pris les problèmes économiques du continent
avec une telle mesure. Personne n’avait plaidé en sa faveur avec un tel engagement. Il appartient à ces
Églises de s’approprier ces idées du pape et de les traduire en actes. Les évêques africains sont de plus
en plus conscients que l’atteinte de l’autonomie financière en appelle à une prise en charge par les
chrétiens des besoins matériels de leur Église pour appuyer et, à la longue remplacer, les aides
extérieures qui s’amenuisent d’année en année. Cela exige aussi que l’aide venant des anciennes Églises
puisse s’insérer et s’inscrire dans des projets d’ensemble élaborés par les Églises locales, au lieu d’être
décidée unilatéralement et fournie de façon ponctuelle320.
En effet, très conscients de l’importance de l’aide accordée par de nombreuses Églises occidentales, les
évêques africains plaident afin que les Églises autochtones jouissent de leurs ressources propres et d’une
certaine maturité, sans dépendre indéfiniment de l’aide financière extérieure. Eclairés par
l’enseignement de Vatican II, les évêques voient dans cette aspiration une requête ecclésiologique
fondamentale et non une quelconque volonté d’accumuler des richesses. Grâce à l’autosuffisance, les
Églises seront aussi en mesure de venir en aide aux couches les plus pauvres de leurs populations321,
notamment par la création d’emplois et par les structures sociales (écoles, hôpitaux).
Ce que l’archidiocèse de Bukavu fait comme action dans ce sens depuis plus de deux décennies est
louable. Rappelons qu’à ce jour, il est le plus grand employeur du Kivu avec des milliers des salariés,
même si les conditions de travail ne sont pas encore idéales, comme je l’ai analysé dans le chapitre
précédent. Mais un préalable est requis : les Églises d’Afrique doivent s’inscrire dans la dynamique du
changement de leurs options socio-pastorales, puisque celles dont elles ont hérité sont caduques.
320
Déclaration des évêques d’Afrique et de Madagascar au Synode, 20 octobre 1974, in Les évêques d’Afrique parlent
(1969-1991). Documents pour le Synode africain, textes réunis par M. Cheza, H. Dorrite, R. Lunnau, Paris, Centurion,
1992, p. 75.
321
Cf. 7è Assemblée plénière du SCEAM réunie à Kinshasa du 15 au 22 juillet 1984, ibidem, p. 294.
510
B. Un préalable : le changement des options socio-pastorales
Dans leur mode de fonctionnement interne, les Églises des pays en Afrique noire accusaient une «
aliénation culturelle » radicale et intégrale. Celle-ci explique en très grande partie et comme par voie de
conséquence l’extraversion des structures financières qui les régissent. Il faut aller plus loin pour situer
cet état de choses dans le moule même qui, justement, avait présidé à leur fondation : la théologie de «
l’implantation de l’Église ». Ce modèle les avait façonnées de manière à demeurer pour longtemps des
succursales organiquement dépendantes des Églises de la métropole. Trois niveaux recèlent de façon
nette cette inadéquation structurelle propre à l’ère missionnaire.
Il y a ici toute une véritable « mutation ecclésiologique » dont les exigences et les conséquences
pratiques doivent changer aujourd’hui la physionomie des anciens territoires de mission en Afrique.
Cette conversion ecclésiale n’implique pas forcément le repli des Eglises d’Afrique sur elles-même,
mais elle signifie le début d’un processus de prise en charge des ces Églises par elles-mêmes en priorité.
Car, le passage historique « de la sous-mission à la succession », selon Angelbert Mveng, « de la tutelle
à la majorité » d’après Robert Luneau ou encore « de l’assistance à la libération » pour Jean-Marc Ela,
amorcé depuis la prise en main de l’action évangélisatrice par les acteurs autochtones, n’est pas encore
achevé tant que les Eglises africaines n’auront pas les moyens de leur action.
Même si ces Églises d’Afrique commencent à sentir la nécessité de se prendre elles-mêmes en charge, il
est bien entendu que leur lien avec les autres Églises occidentales est utile pour renforcer la communion
et l’échange d’expériences socio-pastorales. Ce qu’il y a de nouveau dans cette nouvelle dynamique,
c’est qu’elles ne sont plus à définir à partir des congrégations missionnaires expatriées, bien qu’elles
aient encore une influence très considérable dans les instances décisionnelles, tant en Afrique qu’auprès
des organismes de financement, comme je l’ai ressorti plus haut, mais bien à partir d’elles-mêmes.
511
2. Le changement des options pastorales
Rappelons que le modèle de l’évangélisation propre à l’étape initiale de la Mission était lié à un cadre
topologique et socio-ecclésial typique à la période coloniale et préconciliaire. C’est l’époque « issue
d’une ecclésiologie Tridentine : une Église hiérarchique, unique moyen de salut ». En zones rurales, le
poste de mission comme lieu résidentiel du prêtre desservant demeurait le centre de gravité de toute la
praxis missionnaire. L’Église comme « communauté de frères et sœurs dans le Christ » passait en fait à
l’arrière-plan de l’Église comme institution hiérarchique, socialement puissante avec ses bâtiments, sa
cloche qui régulait la vie des habitants et ses œuvres socio-caritatives nombreuses.
De plus, le pivot-moteur de toute cette lourde « machine » était longtemps centré sur le prêtre, le «
missionnaire européen ». Celui-ci assurait, aux yeux des fidèles bénéficiaires, le succès matériel de toute
cette entreprise. Quoi d’étonnant si les communautés chrétiennes fondées demeuraient longtemps
passives, attendant tout de leurs pasteurs ?, s’interroge Fabien Eboussi Boulaga, qui ajoute : « Dans cette
perspective, les chrétiens n’ont pas le droit de penser tout seuls : le prêtre est à la fois leur pensée et leur conscience, il lui
revient d’office, de prendre toutes les décisions » (Eboussi Boulaga, F., 1978 : 176). Cela aura des répercussions
sur la vision de l’Église riche qui s’est développée dans la représentation collective partout en Afrique,
comme je l’ai analysé au début de ce chapitre, particulièrement au Congo avec le système paternaliste
qui a caractérisé l’administration coloniale et accompagné l’action pastorale missionnaire belge.
Aujourd’hui, à Bukavu comme dans d’autres diocèses congolais, le prêtre fait face à cette représentation
collective qu’il est difficile de l’extirper de la mentalité des chrétiens afin de les inciter à participer
activement aux besoins d’autofinancement de leur Église locale. Face aux nouvelles situations sociales,
culturelles et politiques de la période depuis l’indépendance, l’ancien schéma de l’évangélisation s’est
avéré inadapté et inefficace. Les nouveaux besoins surgissent continuellement avec l’évolution du
monde et ses mutations et exigent une véritable « évangélisation en profondeur ».
Il faut pour cela une nouvelle conception ecclésiologique qui permette de promouvoir une nouvelle
pastorale, caractérisée par l’éclosion et la floraison des communautés chrétiennes de plus en plus
responsables de leur propre évangélisation. Les points forts de ce nouveau schéma, c’est
l’autodétermination pastorale des communautés chrétiennes qui devrait, par la suite, permettre
l’autonomie financière de l’Église locale si les conditions sociopolitiques et économiques du pays
étaient aussi favorables, comme je l’ai analysé dans le sixième chapitre.
512
nomme couramment « évangélisation par défrichage ». Au fur et à mesure que le travail s’intensifiait,
les voies et les stratégies initiales d’apostolat s’avéraient surannées et inadaptées aux besoins nouveaux.
Ceux-ci exigeaient vite une « évangélisation en profondeur ». Le cardinal Joseph-Albert Malula nous
décrit comment il est arrivé à bombarder les paroisses existantes pour les faire éclater en petites
communautés à taille humaine : «Jusqu’au Concile Vatican II, les structures et les orientations pastorales de
l’évangélisation étaient celles que nous avions héritées des 80 années d’évangélisation missionnaire : une pastorale
traditionnelle, conçue pour un milieu rural aujourd’hui même dépassé, organisée dans un contexte de société coloniale,
visant donc à répondre à des situations, à des mentalités et à des besoins qui ne sont radicalement plus les nôtres
aujourd’hui. Le centre de cette pastorale était la « mission » […] Toutes les activités, qu’elles soient directement
paroissiales ou qu’elles soient scolaires, sociales ou hospitalières, gravitaient autour de ce centre, à la manière d’un
monastère dans le monde chrétien occidental du Moyen-Age. Nous avions d’un côté, les donneurs des moyens de salut : les
prêtres, les frères et les sœurs, et de l’autre côté, les consommateurs de ces moyens : les fidèles recevant les sacrements. Ils
venaient à la mission un peu pour tout, non seulement pour la préparation et la réception des sacrements, mais aussi pour
toutes sortes de services ».
Le prélat zaïrois indique les résultats de ce modèle de l’Église de missions: « Nous avions une pastorale axée
sur la sacramentalisation et les pratiques religieuses ; une Église qui regroupait autour d’elle à certaines occasions les
fidèles dispersées dans la vie du monde pour leur donner la nourriture nécessaire à leur salut personnel. Une Église de
tradition dans une société en révolution ne peut qu’apparaître comme une Église étrangère aux situations, aux mentalités et
aux besoins des gens de Kinshasa aujourd’hui. » (Malula, J.-A., 1983 :178)
Tels sont les caractères d’assistance passive dans laquelle les communautés chrétiennes étaient
modelées, au point de rester non coopérantes et coresponsables de la vie chrétienne. L’ancienne
structure de la pastorale durant l’ère missionnaire était pratiquement enfermée dans
l’ecclésiocentrisme.Toute l’organisation de la pastorale reposait dans les mains du clergé exclusivement,
sans grande participation des chrétiens dans la conception, la détermination de l’évaluation des plans et
programmes. En effet, c’est autour des postes de mission comme « quartier général de l’évangélisation »
(Ibid. :179) que tout était centralisé, structuré et même téléguidé. Au fond, c’était là le point névralgique
de toute la méthodologie missionnaire dans son ossature véritable. Les communautés chrétiennes de
« l’intérieur » demeuraient en principe comme en réalité des satellites structurellement et
conjoncturellement dépendants de la « centrale » ou « station-mission » où résidait le prêtre
missionnaire desservant.
Dans le contexte de l’archidiocèse de Bukavu, chaque samedi, les catéchistes responsables des
chapelles-écoles devaient se rendre à la mission pour prendre les hosties consacrées, les textes
liturgiques et leur commentaire, les annonces paroissiales et autres écrits préparés par le prêtre qu’ils
devaient lire fidèlement et partager avec les chrétiens le lendemain dimanche. Un tel modèle qui
513
n’impliquait pas les fidèles à participer aux initiatives et à la créativité ne pouvait que donner naissance
à une chrétienté passive, attentiste, irresponsable, consommatrice L’exhortation du pape Jean-Paul II
incite à un nouveau modèle d’évangélisation où tous les acteurs de l’Église locale doivent être mis à
contribution pour produire de la richesse, créer de la valeur en vue de l’autofinancement.
Après avoir écouté le pape exhorter les Églises africaines à mettre en place des mécanismes structurels
devant leur permettre d’avoir leur autonomie financière grâce aux apports substantiels à recevoir des
Églises-sœurs d’Occident, afin qu’à leur tour ces Églises africaines aident leurs populations à sortir de
leur précarité matérielle, venons-en maintenant à l’épineuse question : l’autofinancement est-il possible
dans l’archidiocèse de Bukavu ?
Les évêques de Bukavu qui se sont succédé depuis cinq décennies ont, chacun à sa manière, mis des
mécanismes appropriés pour entraîner tous les acteurs de cette Église locale dans un processus de
maturation devant la conduire à terme sur la voie de l’autofinancement. Toutefois, il serait illusoire de
prétendre qu’elle a déjà atteint son « point d’achèvement !» Un long et laborieux chemin reste encore à
parcourir pour parvenir à cet objectif. L’autorité diocésaine interrogée en est consciente. C’est pourquoi
elle pense qu’il est primordial de fonder un socle anthropologique en allant sur le terrain sociologique de
tous les acteurs en présence, savoir quel langage leur tenir pour éviter qu’ils ne voient dans la pastorale
économique de ce diocèse une désertion de son champ social. Parmi les moyens à mobiliser pour y
parvenir, ajoute-t-elle, il y a nécessairement l’éducation des mentalités322. Celle-ci est requise de tous les
acteurs qui sont en interaction dans la vie de l’Église particulière de Bukavu : hiérarchie, clergé,
chrétiens, et même ceux qui observent de l’extérieur l’action socioéconomique de l’Église dont les
attitudes peuvent ne pas être très constructives. En effet, le développement est en grande partie tributaire
du patrimoine socioculturel. Avec l’éducation des mentalités des acteurs en présence, l’amélioration de
la situation sociopolitique et économique du Congo et un effort de bonne gouvernance qui s’observent
322
Entretien avec l’autorité diocésaine à la Procure St Jean Bosco, Bukavu, le 22 août 2010.
514
d’année en année, impulsés par de nouveaux acteurs politiques depuis plus d’une décennie, l’autorité
diocésaine est convaincue qu’à long terme l’autofinancement de l’Eglise de Bukavu est possible. C’est
ce qui ressort des entretiens que j’ai eus avec elle et dont j’analyse les éléments dans cette dernière sous-
section du dernier chapitre de ma thèse.
Pour le Prélat, tout se joue au niveau de la vision que les chrétiens ont de leur Église et c’est sur leur
mentalité, leurs logiques socioreligieuses qu’il faut travailler beaucoup, les aspects économiques du
pays n’étant qu’un supplétif: « Je ne suis pas sûr que la variable pauvreté explique à elle seule ces réticences à
donner. C’est beaucoup plus une mentalité que l’aspect micro-économique et l’aspect économique en tant que tel. Parce
qu’on donne à la mesure des moyens qu’on a, et ces petits moyens peuvent devenir plus tard toute une montagne.» (Ibid.)
Il ajoute : « Donc, l’autofinancement me semble reposer beaucoup sur la vision ecclésiologique des fidèles, la vision que
les fidèles ont de leur Église. Et si on n’arrive pas à opérer ce déclic-là, vous élaborez toutes les bonnes pastorales du
monde, les fidèles vont les bloquer parce qu’ils peuvent même aller jusqu’à vous sanctionner. Les protestants sont éduqués à
donner à l’Église. Or, ce sont les mêmes Congolais, qui ont les mêmes revenus, mais qui donnent plus à leurs Églises que les
catholiques. Ca veut dire que c’est dans la mentalité que le problème se trouve, ce n’est pas dans l’économie, les finances, la
monnaie en tant que objet de l’économie » (Ibid.)
En interrogeant l’autorité diocésaine de Yaoundé sur la vision des chrétiens camerounais sur
l’augmentation du denier de culte dont j’ai parlé plus haut, le prélat rejoint l’idée de son homologue
congolais et évoque un amalgame observé dans leur attitude, « mais un amalgame meurtrier qui nous aide à
comprendre la vision des fidèles qui voient dans l’augmentation du denier de culte une manœuvre d’extorsion de leur argent!
C’est un obstacle socio-psychologique extrêmement difficile. Les autres obstacles, économiques… ne me font pas peur, c’est
ça qui me fait peur : l’image qu’ont les gens, y compris nos fidèles, de l’Église. C’est-à-dire que tout ce que nous faisons,
nous sommes en déphasage avec ces gens-là. Ils ne comprennent pas tout ce que nous voulons dire, notre discours bien
articulé, des nuits de réflexion, des jours de travail pour l’élaboration d’un plan pastoral tombe dans ce contexte-là »323.
Entretien avec l’Autorité diocésaine à la Centrale Diocésaine des Œuvres (CDO), le 30 août 2012.
323
515
S’il y a amalgame, que faire alors? N’exige-t-il pas au diocèse de trouver des voies et moyens pour
dissiper des malentendus et des imaginaires collectifs existant autour de la richesse de l’Église et de la
pauvreté ? Le prélat de Yaoundé répond : « Il faut un travail patient et méthodique de conscientisation et
d’information, car ces représentations sociales, si elles ne sont pas éclairées par une bonne pédagogie éducative
responsable, peuvent compromettre tout objectif pour une autonomie financière » (Ibid.)
Les Églises du Congo, dont l’archidiocèse de Bukavu, ont-elles déjà suffisamment pris conscience de
leur fragilité financière ? J’ai posé cette question à l’autorité diocésaine, et voici sa réponse:
« Oui. Tout au moins dans les instances hiérarchiques. Chez les fidèles, par contre, il y a encore du travail à faire. Le travail
de l’éducation à l’observation pour voir que l’Église n’est pas riche, que sa situation financière n’est pas aussi luisante
qu’on le pense toujours. Il faut éduquer les fidèles à voir cette situation, et à ne pas avoir une opinion négative qui pourrait
tuer leur Église, en se disant : ‘ ils sont très riches et ils peuvent se débrouiller tout seuls ‘. Parce que les fidèles ont dans la
tête que l’Église a beaucoup d’argent, pourquoi lui en donner encore? Or, l’Église d’Afrique, si elle reçoit un franc de
l’extérieur, ce franc-là provient de la générosité d’autres fidèles, qui aujourd’hui, n’ont plus les mêmes moyens qu’ils
avaient hier !»324.
Ainsi, l’idée que la plupart des chrétiens congolais se font encore autour de l’argent de l’Église et de la
pauvreté dénote-t-elle soit une ignorance soit une certaine malice. D’aucuns évoquent la nature atypique
de l’Église qui devrait la mettre hors du champ sociologique de l’argent et de la richesse. Bien entendu,
cette conception asymétrique d’une Église riche (75% de personnes interrogées à Bukavu, 55% de
personnes interrogées à Yaoundé) et d’une Église qui doit être pauvre a un impact positif ou négatif sur
le comportement des chrétiens par rapport aux stratégies mises sur pied par le diocèse de Bukavu, même
par celui de Yaoundé, pour atteindre son objectif d’autonomie financière par l’autofinancement.
Puisqu’avec une telle conception, beaucoup d’acteurs ne perçoivent pas la raison d’aider leur Église,
qu’ils considèrent comme étant déjà riche et ne devant surtout pas être intéressée par des questions
matérielles, au risque de dévier de sa mission essentielle, qui est le salut des âmes et l’éducation des
moeurs.
324
Entretien avec l’Ordinaire du Lieu de l’archidiocèse de Bukavu, à la Procure de Bukavu, le 22 août 2010.
516
une grande richesse pour cette Église locale qu’elle peut exploiter et rentabiliser, c’est-à-dire amener ce
clergé à la dynamique de production de la valeur.
Pour cela, une gestion rationnelle de ce capital humain est nécessaire pour réaliser ses objectifs
d’autofinancement. En effet, la gestion des ressources humaines permet de gérer de nombreux
domaines, intervenant à tous les stades de la « vie » des collaborateurs incluant : définition des postes,
recrutement, gestion des carrières, formation, gestion de la paie et des rémunérations, évaluation des
performances, gestion des conflits, relations sociales et syndicales, motivation et implication du
personnel, communication, les conditions de travail, sélection et équité (justice distributive, interactive,
etc.)325
Afin de valoriser les compétences, la motivation, l'information et l'organisation, il est possible de donner
toute l'attention nécessaire à certains outils de gestion, en l’occurrence : le recrutement. En évaluant les
compétences et la motivation lors du recrutement, on s'assure d'avoir un personnel adéquat en nombre et
en qualification : la formation et le coaching, afin d'améliorer le niveau de compétence des
collaborateurs, mais aussi pour améliorer leur motivation326. Celle-ci peut être positive (récompense :
félicitation, prime, promotion, formation...) et négative (sanction : réprimandes, réduction ou
suppression d'une prime, rétrogradation, voire licenciement). La motivation positive et la motivation
négative ont chacune leur efficacité. La sanction peut être démotivante pour l'intéressé. Mais il faut
relativiser cette crainte, car elle fait appel au principe de responsabilité et d'exemplarité. Elle renvoie
aussi l'individu au groupe.
Ce dernier peut mal vivre des comportements non sanctionnés quand ils sont hors jeu. Ce peut être un
facteur de démotivation quand une absence de sanction traduit de fait un déséquilibre entre celui qui se
dévoue et celui qui ne fait rien. Le souci d'équité doit guider l'administrateur. De ce point de vue, la
gestion des ressources humaines doit intégrer aussi dans sa pratique administrative la notion de groupe
ou d'équipe : par la communication327 et la transparence. Il est essentiel que le collaborateur ait les
informations nécessaires à l'accomplissement de sa tâche, et qu’il ait une idée précise de l'évolution et
des objectifs de l'entreprise elle-même et de son environnement. L'optimisation de l'organisation, c'est-à-
325
Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Gestion_des_ressources_humaines/Cahier de l'université d'hiver http://www.entreprise-
personnel.com/#/entre-nous/activites/publications/etudes [Consulté le 08 décembre 2013].
326
Une formation peut constituer une récompense et, il est souvent plus motivant d'effectuer un travail que l'on sait faire. Ces
incitations visent à faire comprendre au collaborateur que son intérêt est d'effectuer travail le mieux possible.
327
Emmanuel Pateyron, réfléchissant sur le rôle de l’information dans la performance de l’entreprise, affirme que
l’information est utile pour diminuer l’incertitude dans la prise de décision. Par ailleurs, elle a pour objet d’influer sur les
comportements des membres de l’organisation pour que ceux-ci agissent conformément aux objectifs retenus, et sur le
comportement des acteurs extérieurs dans un sens favorable à l’entreprise (fournisseurs, pouvoirs publics, clients…). Cf.
Pateyron Emmanuel., « Veille stratégique » in Simon Yves-Joffre Patrick, Encyclopédie de gestion, tome 3, 2è éd., Paris,
Economica, 1997 : 3466.
517
dire l'ordonnancement des tâches et leur affectation aux personnes les plus compétentes disponibles,
permet d'améliorer l'efficacité d'exécution par l'administration du personnel.
Il est coutumier de dire qu'une bonne gestion des ressources humaines se traduit en premier lieu par une
administration fiable du personnel. Il s'agit de sécuriser son effectif en assurant un paiement rigoureux
des salaires et des primes, etc. Lorsque l'entreprise traverse une crise, le rôle des ressources humaines est
primordial. Une crise, même financière, naît souvent d'une erreur humaine. C'est le devoir des
responsables des ressources humaines de mettre en place un projet de redressement et ceci passe par la
nomination et le suivi d'une équipe d'intervention efficace. De l'identification à la sortie de crise, la
gestion des ressources humaines est la variable clé dont l'avenir de la structure peut dépendre.
L’analyse du travail et de l’emploi met particulièrement en évidence la double fonction qu’exercent les
humains : à la fois bénéficiaires du développement et producteurs essentiels dans l’essor économique.
Le personnel affecté à une activité économique peut s’interpréter à la fois comme un coût et comme un
profit. S’il est doté d’une production marginale positive du fait de son ouverture à un autre emploi, il
constitue un coût, au sens où l’on entend que l’utilisation d’autres ressources productives représente un
coût. Ainsi que l’affirme Jean-Bernard Bruneteaux (2005 :13), la véritable richesse d’une organisation
(société, entreprise, Église, association…) repose principalement sur les compétences et le
comportement des hommes et des femmes qui la constituent, sur leur motivation, sur leur contribution
pour atteindre des objectifs fixés et sur leur faculté d’adaptation à des situations en évolution constante.
La définition des plans de formation permet de maintenir et de développer les compétences individuelles
et collectives pour le présent et pour l’avenir de l’entreprise, d’après les objectifs définis par la direction
générale. La formation prend en compte les besoins de développement individuels exprimés par les
responsables hiérarchiques et les subalternes. La formation a un rôle déterminant pour développer
« l’employabilité » du personnel dans les structures qui se veulent évolutives (Ibid.:21). Une Église qui
est consciente que la réalisation de ses objectifs pastoraux dépend en grande partie de la gestion de son
personnel sacerdotal ne peut négliger de mettre un accent tout particulier sur la mobilité des membres de
son clergé et leur placement à des postes de responsabilité.
3. S’il y a une bonne gestion des ressources naturelles et leur répartition équitable
A qui profitent les ressources naturelles de la RDC ? Cette question se trouve constamment posée par la
plupart des Congolais qui croupissent dans la misère la plus criante, alors que leur pays est reconnu
comme potentiellement parmi les plus riches du monde, mais reste dépendant de l’aide internationale.
518
La troisième raison qui me donne avec l’autorité diocésaine la conviction que l’autofinancement de
l’Église de Bukavu est possible, c’est que nous sommes dans un pays extrêmement riche où il y a des
potentialités énormes. Voici à ce sujet la réflexion de l’autorité ecclésiastique de Bukavu: « Si on pouvait
les exploiter avec efficacité et efficience, par des ressources humaines fiables et responsables, et répartir avec équité la
richesse nationale qui en est produite, il est fort possible qu’on arrive à l’autofinancement. Et cette pédagogie me semble
primordiale à toute pastorale d’autofinancement.» (Ibid.)
En effet, malgré sa grande richesse du sous-sol et son sol très fertile, la RDC est l’un des pays les plus
pauvres du monde, avec des inégalités très marquées. Cette situation s'explique surtout par les différents
conflits (menés par des rébellions au service des intérêts étrangers) aux effets dévastateurs qu'a connus
le pays. A cela s’ajoute l’instabilité politique que le pays a traversée pendant plus de trente ans où l’État
a été gangrené par la corruption et la mauvaise gouvernance. Les richesses du pays n’ont jamais
vraiment profité aux populations, mais bien à une poignée d’individus de la classe politique. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle, en RDC, tout le monde veut embrasser la carrière politique puisque
c’est la seule voie pour vite s’enrichir. Dans ce pays, on ne fait pas la politique par conviction ou par
vocation mais par opportunisme.
On dit souvent, et c’est vrai, que la RDC est un « scandale géologique » avec des richesses du sous-sol
très importantes. Ce pays possède un important potentiel de ressources naturelles et minérales
incommensurables. Son économie s’est cependant drastiquement ralentie depuis le milieu des années
1980 à cause de mauvaises politiques économiques, de mauvaise gouvernance, de la corruption, de
l’insécurité avec leurs conséquences incalculables sur les populations. L’agriculture reste le principal
secteur de l’économie. Les principales ressources agricoles commerciables sont le café, le quinquina, le
thé, le bois rare et le caoutchouc.
Voici une liste, non exhaustive, des ressources minières par province : Diamant (Kasaï Oriental, Kasaï
Occidental, Bandundu, Équateur, Province Orientale), Or (Province Orientale, Maniema, Katanga, Bas-
Congo, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Équateur), Cuivre (Katanga), Étain (Katanga, Nord-Kivu, Sud-Kivu,
Maniema), Colombo tantalite ou coltan (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Katanga, Maniema), Bauxite (Bas-
Congo), Fer (Banalia, Katanga, Luebo, Kasaï-Oriental), Manganèse ( Katanga, Bas-Congo), Charbon (
Katanga), Uranium (Katanga), Pétrole ( Bassin côtier de Moanda (en exploitation), la Cuvette Centrale,
Ituri, Bandundu (indices), Nord-Kivu (indices), Gaz méthane ( Lac Kivu), Schistes bitumeux ( Mvuzi
dans le Bas-Congo), Cobalt (Katanga).
Comme on le voit, il n’y a pas une seule province du Congo qui n’ait de ressources minières, en plus du
fait que le sol est très fertile et donc favorable à l’agriculture. Mais, malgré ces réserves minières très
importantes, en 2002, 80 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté fixé à 2 dollars par
519
jour. Près de 44 % des femmes et environ 22 % des hommes n’ont aucun revenu. Les disparités
régionales sont très fortes. Les populations de l’est du pays vivaient en moyenne avec 32 dollars par an
et par habitant, alors que celles du Sud disposaient de 138 dollars et celles de la province de Kinshasa,
de 323 dollars, dix fois plus qu’à l’Est. Une décennie après, la situation n’a pas beaucoup changé, même
si le gouvernement actuel s’efforce d’améliorer la gouvernance et la mise en place des infrastructures de
base, ainsi qu’assainir le climat des affaires.
Avec des décennies de dysfonctionnement administratif et sécuritaire, l’État congolais n’a pas encore un
contrôle total sur son territoire considérable et sur ses richesses qui attisent la convoitise des États et
armées voisins, ainsi que des groupes multinationaux bénéficiant de l’absence d’État de droit. En effet,
dans un pays ravagé par des guerres d’agression étrangère à répétition depuis deux décennies, une
grande partie de l'exploitation et l'exportation de produits miniers se fait clandestinement par les
multinationales anglo-saxonnes, scandinaves et asiatiques qui y ont trouvé un « no man’s land ».
Selon Philippe Hugon, la RDC demeure l’épicentre de conflits liés à des coalitions aux intérêts
multiples. L’économie est informalisée et criminalisée. Les enjeux sont à la fois économiques et
politiques (instrumentalisation de l’ethnicité), ils ont des dimensions locales et régionales (Hugon,
2012 :196). Pendant longtemps, l’État a été dans l’incapacité d’assurer ses fonctions régaliennes.
D’après Nzereka, la faible viabilité de l’État se décline en certains paramètres observables à travers des
indicateurs bien sélectionnés, à savoir la faible capacité militaire, normative et sa faible viabilité
intérieure. La faible capacité militaire s’explique au regard de l’histoire militaire et des capacités
matérielles de l’armée congolaise. Sa faible capacité normative se manifeste par des dysfonctionnements
de l’appareil judiciaire et du maintien de l’ordre.
C’est pourquoi, l’État congolais avait toujours eu du mal à se défendre chaque fois qu’il était attaqué.
Les frustrations générées par ces faiblesses provoquent des guerres économiques, reconnaissables à
l’ampleur du pillage des ressources naturelles de la RDC. Quant à la viabilité extérieure, elle se mesure
à la qualité des liens symbolisant les intérêts partagés entre l’État congolais et les acteurs extérieurs. La
médiocrité de ses liens extérieurs s’est traduite par l’isolement du Congo au moment fort de son
agression en 1996, 1998, 2006, au profit de ses ennemis (Nzereka, 2011 :104). Les trois décennies
(1965-1996) que dura le régime de Mobutu au Zaïre, on était dans l’émergence d’une corruption à la
fois systémique et généralisée liée à ce que Jean-François Médard appelle « la nature néo patrimoniale
des États africains » (1991 : 22) selon laquelle le dirigeant politique africain, confondant les domaines
520
du public et du privé, se comporte en chef patrimonial, donc en véritable propriétaire de son royaume.
C’est pourquoi le pouvoir et la richesse tendent à se confondre et la possession du pouvoir politique
ouvre la voie à l’accumulation économique. Avec tous ces ingrédients sociopolitique, économique et
géopolitique, la RDC se trouve constamment en proie à la convoitise de quelques-uns des pays voisins,
et principalement le Rwanda et l’Ouganda qui voudraient perpétuer les guerres et l’insécurité dans sa
partie orientale afin de tirer profit des ressources naturelles. Comme le dénonce Kakule Matumo (2000),
la situation d’insécurité est une opportunité pour eux de piller des minerais congolais en toute quiétude
pour les vendre au prix d’or aux multinationales des pays occidentaux basées principalement aux
USA328, en Angleterre, en Hollande, en Finlande…
Pour clore ce dernier chapitre de ma thèse, disons qu’à l’instar d’une personne physique considérée dans
les différentes phases de sa vie (naissance, croissance, adolescence, âge adulte, maturité, vieillesse, …),
une Église naît, grandit, atteint sa maturité, devient responsable et autonome, etc. De même qu’un
homme ne devient pas adulte et autonome le jour de sa naissance, mais bien des années après, l’Église
n’atteint pas sa plénitude au moment où le diocèse est créé. C’est à travers des expériences et des
vicissitudes qu’elle se forge une personnalité et s’affirme comme sujet de son action dans la société
grâce aux outils qu’elle se donne et aux objectifs qu’elle se fixe.
Plus de cent ans après sa création, l’Eglise de Bukavu peut-il prétendre avoir grandi et atteint son âge de
maturité ? Est-il devenu responsable et jouit-il d’une autonomie car disposant des moyens de son action
pastorale ? Sinon, qu’est-ce qui lui manque aujourd’hui pour atteindre sa maturité, son autonomie
financière ? Ce sont ces questions auxquelles j’ai tenté de répondre tout au long de ce dernier chapitre.
328
Comme le constate Kakule Matumo (ancien fonctionnaire consulaire du Zaïre en France), ni le Rwanda, ni ses alliés
voisins (Ouganda, Burundi) n’ont un budget leur permettant « un effort de guerre d’un million de dollars (au minimum) par
jour pour le maintien et l’entretien de leurs troupes en RDC » (2000 : 240-244). Alors, des acteurs lointains sont cités. Pour
l’auteur, les Etats-Unis (et les groupes d’intérêts américains dans toute l’Afrique australe) seraient les organisateurs et les
mamelles financières de l’agression du Congo-Zaïre, tandis que les armes seraient fournies entre autres par l’Etat sud-
africain. De même, de jeunes entreprises (les juniors), comme American Mineral Field International (AMFI), American
Diamond Buyers, Adolphe Lundin, Banro Resource Corporation, Russel Resource Group, auraient contribué en millions de
dollars à l’effort de guerre de l’AFDL en échange de contrats et de promesses d’exploitation du portefeuille minier congolais
(Lanotte, O., 2003 : 86-87). Cette pratique que Michael Ross appelle « booty futures » serait assez rare (2004 : 337-356), au
point de faire de la RDC un cas à part. Les révélations sur les intérêts impliqués dans la guerre se sont multipliées de jour en
jour jusqu’à citer des acteurs discrets comme LA BELGOLAISE (Cf. Rapport de la Commission d’enquête parlementaire
chargée d’enquêter sur l’exploitation et le commerce légaux et illégaux de richesses naturelles dans la région des Grands
Lacs au vu de la situation conflictuelle actuelle et de l’implication de la Belgique. Motion déposée par Dallemagne, G.,
Séance plénière du Sénat 28/03/2003, p.1) et à questionner la complicité de la Banque mondiale (comme dénoncée par une
série de réactions et de commentaires après la publication du rapport Lutundula en mars 2006. « La Banque mondiale
complice du pillage de la RDC », Pressafrique, 2/03/2006, en ligne : www.pressafrique.com [01/12/2009], Kuediasala, F.
« Congo-Kinshasa : Pillage des ressources de la RDC : la CADTM implique la Banque mondiale », Le Potentiel, Kinshasa,
15 mars 2006, disponible sur : www.cadtm.org [01/12/2009]). Cf. Nzereka, 2001 : 315-316.
521
La capacité d’autofinancement est une condition essentielle pour parler de maturité des Églises
d’Afrique telles que l’archidiocèse de Bukavu. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un aspect secondaire,
comme cela a été longtemps considéré. En effet, une compréhension édulcorée de la Bible qui a prévalu
depuis les temps anciens faisait croire qu’il y avait une incompatibilité entre le spirituel et
l’économique. Par conséquent, une institution religieuse, tout comme un bon chrétien se devait de se
tenir à distance vis-à-vis des richesses de ce monde, car, si on se réfère à la Parole de Jésus, on ne peut
servir à la fois Dieu et l’argent,…
J’ai montré qu’une telle interprétation est totalement erronée et dangereuse car dénuée de toute
objectivité et de tout réalisme. L’Église, autant que les personnes physiques, ne peut pas vivre sans
moyens matériels. Sinon, comment réaliserait-elle ses fins socio-pastorales qui ne se font pas par la
seule parole, fut-elle divine ? L’autonomie ne sera pas atteinte facilement par les Églises d’Afrique. Il
leur faut parcourir un chemin qui exige des efforts, des sacrifices, des changements de mentalités, de
comportements et la création des structures inculturées. Il est évident que la dépendance économique
des Églises d’Afrique en général, et de l’archidiocèse de Bukavu en particulier, a des racines culturelles
et historiques auxquelles la pratique ecclésiale n’est pas étrangère.
C’est pourquoi la situation exige de rechercher une nouvelle approche pastorale capable de créer,
d’abord chez les agents pastoraux, le passage d’un état de dépendance à l’exercice actif d’une
responsabilité personnelle et communautaire. Cependant, le problème d’autofinancement pour ces
Églises ne peut pas être réduit seulement à des considérations prenant en compte le contexte
sociopolitique et économique de l’Afrique, contexte indiscutablement pauvre et instable. Le problème
doit être posé surtout à l’intérieur d’un discours ecclésiologique, d’évangélisation et d’enracinement du
christianisme en Afrique.
De cette conviction découle l’importance du travail d’éducation des fidèles à la pratique d’autoprise en
charge de soi-même au lieu de compter sur les aides extérieures, l’éducation de tous les acteurs internes
à tous les niveaux. Car la capacité de s’autofinancer témoigne de leur maturité ecclésiale dont, bien
évidemment, ce n’est pas le seul aspect. D’autant que, pour une pleine implantation de l’Église, il faut
considérer plusieurs éléments: le gouvernement, les personnes, les structures, la capacité
d’évangélisation, l’élaboration de la pensée théologique africaine, la dimension missionnaire.
L’autonomie des moyens est un élément, parmi d’autres, qui témoigne de l’état adulte d’une Église. La
dynamique vers un autofinancement vise à exploiter d’abord ses potentialités et ses forces propres afin
de satisfaire ses nécessités. Cette vision de l’autonomie refuse le paternalisme, mais accueille la
solidarité, l’aide fraternelle et la communion.
522
CONCLUSION GENERALE
Mon travail a développé trois parties. Dans la première partie, j’ai présenté un bref aperçu de
l’implantation de l’Eglise en Afrique, en évoquant les différentes étapes de cette implantation dans un
contexte historique (les découvertes, la traite d’esclaves) et géopolitique international (la colonisation)
spécifique. Cela a profondément orienté le mode d’action des missionnaires au Congo : cette
implantation a eu comme conséquence la dépendance totale des Eglises d’Afrique. Parce que tous les
moyens venaient d’ailleurs.
La seconde partie a présenté une Eglise ayant un statut d’Eglise particulière mais qui porte les
conséquences de la méthode de son implantation. Incapables de se prendre en charge, les Evêques des
Eglises nouvellement créées, ayant pris connaissance de la situation, se sont tournés vers l’Occident
riche pour y tirer des ressources nécessaires au fonctionnement des structures héritées des missionnaires
et à celui de leur administration. Mais chaque jour, ces responsables se rendent bien compte qu’ils ne
peuvent plus compter sur les ressources extérieures pour longtemps vu leur amenuisement progressif du
fait des mutations sociales et du contexte économique mondial difficile.
La dernière partie, en partant de la prise de conscience de la situation financière précaire des Eglises du
Congo, est une piste des résolutions à la question évoquée par notre problématique. Elle évoque
également la question de l’engagement et de l’implication de tous les acteurs institutionnels et
individuels qui interviennent dans le champ religieux (hiérarchie, clergé, fidèles laïcs) dans la poursuite
d’un objectif commun : l’autofinancement de leurs Eglises.
En définitive, il faut que les Eglises d’Afrique se prennent en charge matériellement et financièrement.
Autant ces Eglises ne peuvent plus compter pour longtemps sur les ressources extérieures, autant elles
ne doivent plus se contenter des revenus traditionnels notamment les deniers de l’Eglise, les casuels, les
différentes quêtes, les procures hôtels et autres. Il faut que les diocèses renforcent ces derniers, qui sont
actuellement d’ailleurs limités du fait du pouvoir d’achat des fidèles, en créant de sources modernes
génératrices des revenus comme des compagnies d’assurances, des supermarchés, des menuiseries, des
garages, des compagnies de transports,…, toute mettant en place une gestion rationnelle des ressources
disponibles et un ensemble de mécanismes de contrôle, d’encadrement et d’accompagnement, dans le
but de l’autofinancement.
Il est important de constater que la question de l’autosuffisance financière des Églises africaines, absente
au départ, car jadis considérée comme taboue, immorale et incompatible à la foi, est devenue depuis des
décennies un sujet d’actualité et figure désormais parmi les priorités pastorales de beaucoup de diocèses
dont l’archidiocèse de Bukavu.
523
Déjà, cette question a fait l’objet de préoccupation du pape dans l’exhortation postapostolique « Ecclesia
in Africa », n° 104, où le Souverain Pontife invite clairement des Églises d’Afrique à prendre en mains
leur destin économique. Celles-ci sont appelées à trouver des mécanismes pour se prendre elles-mêmes
en charge. En le faisant, elles feront preuve de maturité. Pour cela, chaque diocèse doit entrer dans une
logique de production des richesses. Mais, dans leur effort résolu de se prendre en charge, les Églises
d’Afrique compteront encore sur la solidarité des Églises sœurs d’Occident qui ont plus de moyens, afin
d’obtenir d’elles des financements destinés à des projets d’investissement capables de produire des
ressources. Car l’universalité de l’Église implique la solidarité et l’entraide mutuelle.
La fragilité des Églises africaines apparaît d’une façon éclatante dans leurs organisations et
l’infrastructure matérielle. Les moyens dont elles disposent pour exercer et accomplir leurs tâches sont
très précaires et relèvent presque de l’artisanat. L’argent fait défaut ! Il semble qu’on n’aime pas
beaucoup que l’Église s’appesantisse sur les « questions financières », comme pour souligner qu’il ne
faut pas se laisser distraire de la noble mission d’annoncer l’Évangile par ces « misérables contingences
terrestres. » (Nguezi Ya Kwiza, H., 1992 :16) Et pourtant, on ne peut oublier le contexte de dénuement
matériel auquel sont confrontées les Églises africaines et leurs institutions qui vivent, pour une part
essentielle, de la rente de l’aide extérieure et subissent pas mal de contraintes économiques.
Déjà au colloque d’Accra, en 1977, Mgr Kalilombe avait posé cette question : « Quel est l’impact sur les
jeunes Églises de l’aide en ressources matérielles apportées par les Églises d’Europe et d’Amérique ? Et s’il faut que les
jeunes Églises deviennent des communautés adultes et capables de se suffire, quelles doivent être leurs relations avec les
anciennes Églises ? »329 Ainsi que le constate Nguezi ya Kuiza, on n’a pas encore suffisamment réfléchi à
toutes ces questions financières qui pourtant engagent toute une ecclésiologie, toute une conception de
l’Église (1992 :17).
Pour ma part, sans dénier aux Églises d’Europe et d’Amérique l’exercice légitime de leur devoir qu’est
la charité chrétienne au travers de la solidarité financière et des actes de libre générosité envers tous les
membres besogneux de l’Église Universelle, j’estime qu’il est grand temps que des initiatives concrètes
locales soient organisées sans fausse honte au sein même de ces communautés pauvres africaines pour
soutenir les Églises et les institutions ecclésiales africaines. Une telle entreprise est d’une portée
pédagogique très grande : elle éduque à la maturité de la foi. Elle est bibliquement et théologiquement
légitime. D’ailleurs, il est reconnu que, même dans les Églises riches de l’Occident, ce sont les pauvres
qui sont plus généreux et soutiennent matériellement l’Église.
329
Colloque d’Accra (1977 : 50), Libération ou adaptation, la théologie africaine s’interroge, éd. Harmattan.
524
Partant de la question qui a constitué mon objet d’étude, à savoir si l’autofinancement de l’archidiocèse
de Bukavu est possible, je m’étais fixé un double objectif, celui d’évaluer le degré de prise de
conscience par les différents acteurs institutionnels et individuels quant à la nécessité de s’assurer
l’autofinancement, et celui d’évaluer le processus entamé par l’archidiocèse de Bukavu. Pour mener
cette étude, j’ai émis six hypothèses de départ, qui ont toutes été vérifiées.
L’hypothèse principale a été vérifiée et m’a permis de confirmer que l’archidiocèse de Bukavu et les
autres Églises du Congo ne peuvent plus compter pour longtemps sur les ressources extérieures qui ne
vont que s’amenuisant. Seul le changement des stratégies peut leur garantir une autonomie financière et
leur permettre d’accomplir efficacement leur mission multi faciale dans la société. Pour cela, plutôt que
de se tourner toujours vers les Églises occidentales et leurs organismes de financement (politique
d’extraversion financière) pour ses besoins de fonctionnement et d’investissement, l’archidiocèse de
Bukavu devra plutôt orienter ses efforts dans des activités génératrices de richesse.
La vérification de la deuxième hypothèse m’a permis de constater que dans les pays où les populations
vivent dans une misère extrême, la dynamique vers l’autosuffisance financière est un véritable défi à
réaliser. L’archidiocèse de Bukavu n’échappe pas à cette situation car la vie des populations reste encore
très marquée par les crises sociopolitiques et économiques successives qui ont secoué le Congo depuis
l’indépendance en 1960. Les réflexions menées dans les sixième et septième chapitres l’ont montré à
suffisance. D’où repenser la pastorale, compte tenu des réalités sociopolitiques du pays, en recherchant
des moyens et des stratégies pour mettre en route une dynamique d’autofinancement dans le diocèse.
La troisième hypothèse portait sur les représentations religieuses et culturelles des acteurs de
l’archidiocèse de Bukavu, en l’occurrence les chrétiens, autour de la richesse et de la pauvreté, autour
des activités rentables de l’Église. Ces représentations socioreligieuses peuvent constituer un frein et un
obstacle à la réussite de son action économique pour l’autofinancement. Les gens ne sont pas prêts à
supporter de voir l’Église s’engager dans les activités lucratives. On se réfugie derrière les dogmes et la
morale. Effectivement, mes analyses faites dans le neuvième chapitre ont confirmé ces appréhensions
des chrétiens dont la mentalité reste un véritable obstacle, un frein majeur pour s’impliquer dans la
dynamique de l’autofinancement. Dans un imaginaire catholique naïf et malicieux en même temps,
plusieurs chrétiens appréhendent mal le bien-fondé des initiatives économiques et financières dans
l’Église. Ils considèrent que leur Église s’écarte de son champ pastoral et de sa mission.
525
J’ai aussi vérifié la quatrième hypothèse relative à la situation économique de l’Église, déterminée en
partie par la politique de placement du personnel aux postes clés de responsabilité dans le diocèse, d’une
part, par les atouts en termes de compétences et de standards éthiques et déontologiques des
gestionnaires, d’autre part.
Cette question a fait l’objet de ma préoccupation dans le huitième chapitre où l’on observe que, dans
l’archidiocèse de Bukavu, il n’existe aucune stratégie objective dans le cadre de la gestion des
ressources humaines (le placement des prêtres à des postes de responsabilité de manière rotative, leur
envoi aux études et en mission), aucun recours aux compétences laïques, notamment dans le
management de l’Économat général, aucune volonté dans la création des organes de contrôle, de
décision et d’encadrement de l’action socio-économique de l’archidiocèse… Même l’instance
canoniquement obligatoire, le conseil diocésain des affaires économiques, qui devait jouer ce rôle, est
réduite à une simple rencontre informelle et irrégulière d’informations anachroniques où aucune
décision relative à la vie économique et financière du diocèse de grande importance n’est prise.
La cinquième hypothèse a été vérifiée, car j’ai observé que toutes les structures de l’archidiocèse de
Bukavu (services centraux, paroisses,…) ne passent leur temps qu’à élaborer des projets à envoyer en
Occident pour chercher des financements. Cette attitude de rester le regard tourné constamment vers
l’extérieur place le diocèse dans un attentisme paternaliste au lieu de penser des mécanismes propres
pour son autofinancement. Par ailleurs, elle permet aux acteurs privés qui animent les structures et
services diocésains d’accéder à une ascension sociale remarquée par le développement de l’esprit de
recherche pour soi. Ainsi, observe-t-on, la plupart de ces acteurs possèdent un standing de vie très élevé
par rapport à la moyenne acceptable des salariés du milieu, avec des propriétés immobilières frôlant
même un luxe insolant (villas, voitures, terrains) au milieu des populations paupérisées, alors que leurs
salaires déclarés ne leur permettent pas de disposer d’autant de richesses.
Enfin, concernant la sixième hypothèse, elle a été rejetée faute d’éléments suffisants de preuve. Certes,
dans l’archidiocèse de Bukavu, la politique des bailleurs de fonds ne serait pas de nature à favoriser
l’autofinancement, comme je l’ai analysé dans le cinquième chapitre, du fait des restrictions soumises
aux bénéficiaires des financements par ces bailleurs quant au solde éventuel des fonds reçus après
l’achèvement du projet financé. En effet, si à la fin du projet il se dégage un solde positif, l’organisation
bénéficiaire doit remettre ce solde aux bailleurs et non le considérer comme une marge
d’autofinancement.
526
Par ailleurs, aucun projet à caractère rentable n’est financé dans l’archidiocèse de Bukavu330. Cependant,
d’autres Églises locales, comme l’archidiocèse de Yaoundé, aux dires de l’autorité diocésaine, reçoivent
le financement des projets pour des investissements aussi bien sociaux qu’économiques. En effet, dans
l’enveloppe reçue chaque année de l’extérieur par ce diocèse, se trouvent aussi les financements des
projets essentiellement économiques. C’est le cas du projet de la palmeraie d’Otele financé par la
Conférence Épiscopale Italienne en 2002331. Il en est de même des projets économiques dans le diocèse
de Luiza, en RDC (Cf. Kalamba M., 1992 :148).
Il faut reconnaître que certains diocèses en Afrique jouissent encore d’une certaine crédibilité auprès des
organismes de financement occidentaux, ce qui n’est plus le cas de beaucoup d’autres où la nouvelle
génération de gestionnaires est en train de payer d’un passé pas du tout élogieux dont ils ont hérité. L’on
comprend la réticence de ces organismes, ayant été abusés et leur confiance trahie, comme je l’ai montré
dans les causes exogènes de la diminution drastique des ressources financières captées de l’extérieur.
Car ne dit-on pas que « Chat échaudé craint aussi l’eau tiède» ? Le fait de ne pas répondre aux
demandes de financement peut s’expliquer de différentes manières. C’est pourquoi, il appartient au
requérant d’interpréter leur silence !
Mes six hypothèses ayant été vérifiées, dont cinq en confirmation et une seule en infirmation, je crois
avoir atteint mon objectif qui était d’évaluer, d’une part, le degré de prise de conscience par
l’archidiocèse de Bukavu de la nécessité de se prendre en charge pour prouver sa maturité dans la foi et,
d’autre part, le processus déjà entamé par cette Église locale pour s’inscrire sur la voie de
l’autofinancement. Cette double évaluation m’a permis de répondre à la question fondamentale, objet de
mon étude : l’autofinancement est-il possible dans l’archidiocèse de Bukavu ? Tous les acteurs
interrogés qui entrent en interaction dans le processus y croient et disent que son autofinancement est
possible. Mais, quand il s’agit des voies et moyens pour y aboutir, les visions sont divergentes et parfois
même avec des accents accusateurs.
Pour les chrétiens, que j’appelle ici les acteurs principaux de l’autofinancement, en considérant leur
apport attendu de manière permanente en termes de contributions matérielles pour sa réalisation, ils
affirment que l’autofinancement de leur Église est possible si les comptes du diocèse sont transparents.
330
Durant notre mandat comme Président de l’Union des Prêtres Locaux (UPRELO) de l’Archidiocèse de Bukavu (2003-
2005), nous avons fait des projets d’autofinancement du clergé diocésain envoyés aux organismes occidentaux de
financement, avec recommandation explicite de l’archevêque, trois ans après aucun n’était financé. Certains organismes
sollicités en cofinancement ne nous ont même pas répondu. Cette expérience est vécue dans plusieurs diocèses d’Afrique.
331
Entretien avec l’autorité diocésaine à la CDO, le 30 août 2006.
527
Car ils estiment ne rien savoir de la gestion financière des ressources du diocèse : « On est prompt à
nous demander des contributions, mais on ne nous rend jamais compte de leur utilisation », s’était
exclamé un paroissien interrogé332. Cette transparence est aussi demandée par les chrétiens envers le
clergé vis-à-vis des différentes contributions qu’ils donnent en réponse aux demandes du diocèse.
Une autre catégorie de chrétiens dit que l’autofinancement de leur diocèse est possible si le diocèse
intensifie et diversifie les activités créatrices de richesses, ce qui diminuerait, espèrent-ils, les
contributions demandées aux chrétiens. C’est aussi l’avis des fidèles de l’archidiocèse de Yaoundé qui
sont convaincus que l’autofinancement de leur diocèse est possible, pourvu que celui-ci revoie ses taux
des contributions qui sont considérés comme exorbitants par rapport au pouvoir d’achat des chrétiens.
Cela décourage certains et les amène à ne plus rien donner, n’ayant pas atteint le seuil demandé.
L’élément qui semble constituer un véritable problème aux chrétiens, c’est le denier de l’Eglise qui est
passé de 1 000 F CFA en ville à 12 000 F CFA, sans que leur revenu national et donc le pouvoir d’achat
des fidèles ait augmenté. Certains chrétiens n’hésitent pas à dénoncer ce qu’ils appellent la pratique
actuelle de « vente des sacrements » par l’Église333 !
Rappelons que, pour ce qui est de l’archidiocèse de Bukavu, le denier de l’Eglise n’existe quasiment pas
et ce que donnent les fidèles comme contribution à leur Église est insignifiant, compte tenu de faibles
revenus de la plupart des ménages. Donc, dans les conditions actuelles, cette Église locale ne peut pas
compter sur cette ressource pour amorcer son autofinancement. Outres les dons de l’étranger, les
honoraires des messes, les quêtes dominicales très humbles (sauf dans les paroisses urbaines d’Ibanda et
Kadutu) constituent la principale ressource interne de cette Eglise. Autant dire qu’elle n’a à proprement
parler pas grand-chose comme sources sûres de revenus. Elle n’a pas de grands projets pouvant lui
fournir des ressources suffisantes dont elle a besoin.Tous les efforts en vue d’une prise en charge
matérielle s’émoussent dans les besoins de première nécessité et le fonctionnement.
Comment alors peut-elle entreprendre de projet à grande taille ? Laissons le temps au temps ! La réalité
sociopolitique congolaise est telle qu’elle ne favorise pas encore une stabilité économique durable et une
émergence de projets de financement. Il serait intéressant de s’investir d’abord dans les projets pouvant
combler les besoins de première nécessité. Il faut trouver ensuite une manière d’évangéliser l’espace
politique en vue de l’instauration des structures capables de favoriser une économie stable et le
332
Entretien du 26 août 2010 à la procure Saint Jean Bosco, Bukavu.
333
Entretien du 22 au 30 mars 2012 avec les fidèles dans les paroisses Cathédrale de Yaoundé, Mokolo, Melen, Etoudi,
Tsinga, Mvogmbi.
528
développement des petites et moyennes entreprises. C’est quand la politique économique du pays est
stable que le niveau de vie de la population (chrétiens et églises y compris) sera stable et élevé.
Pour le clergé de Bukavu, l’autofinancement du diocèse est possible, à condition que les chrétiens qui
ont les moyens soient encore plus généreux qu’ils ne le sont, que tous les acteurs soient informés de la
gestion financière de leur diocèse (les prêtres ne semblent pas très informés sur les activités
économiques de l’Économat général et son degré de performance) - ce qui rejoint la préoccupation
formulée par les chrétiens – et, enfin, à condition que les congrégations missionnaires, qui semblent
observer plutôt que participer à la vie matérielle du diocèse, s’impliquent concrètement dans le
processus de l’autofinancement du diocèse.
Pour l’acteur initiateur du processus, l’autorité diocésaine, l’autofinancement est possible, à condition
que « les fidèles comprennent bien qu’il s’agit d’une nécessité. Parce que les fidèles ont une mentalité assez critique et,
quand on leur parle des finances de l’Église, ils ont une idée naïve et leur critique s’abreuve de cette naïveté-là ». L’argent
de l’Église ne tombe pas du ciel, rappelle l’autorité diocésaine. L’on comprend bien la gêne des fidèles qui, durant toute
l’ère missionnaire, n’ont pas été éduqués à donner quelque chose à l’Église, mais ils doivent savoir que les choses ont
changé entretemps »334.
L’autorité diocésaine doute que la variable pauvreté explique des réticences observées chez les chrétiens
à donner. Elle estime que c’est plus une mentalité -l’aspect socio-culturel- que l’aspect économique en
tant que tel. Parce qu’on donne à la mesure des moyens qu’on a, et ces petits moyens peuvent devenir
plus tard toute une montagne. Donc, l’autofinancement, pour l’autorité diocésaine, semble reposer
beaucoup sur la vision que les fidèles ont de leur Église : une Église riche pour les uns pour qu’on
continue de l’enrichir, ou une Église qui ne doit pas se soucier des biens matériels pour les autres, au
risque de s’éloigner de sa vocation. C’est pourquoi, pour le prélat, il faut arriver à opérer un déclic dans
l’imaginaire collectif des fidèles. C’est-là que se trouve le déclic.
Faisant une analyse de la situation de son diocèse de Yaoundé, l’autorité diocésaine fait un constat :
« Les Anglophones sont éduqués à donner à l’Église... Et comme il y a réduction progressive de l’aide étrangère qui explique
l’urgence de chercher des voies et moyens locaux pour se prendre en charge, les chrétiens sont appelés à intérioriser cette
nouvelle exigence en vue de trouver ensemble avec leurs responsables des voies et moyens d’assurer l’autofinancement de
leur Eglise.» (Ibid.)
334
Entretien avec l’autorité diocésaine à la Procure St Jean Bosco, Bukavu, le 22 août 2010.
529
La deuxième raison qui fonde le prélat à croire à la possibilité de l’autofinancement de l’archidiocèse,
c’est que le pays regorge de ressources naturelles, de potentialités énormes. Si toutes ces richesses
étaient exploitées et gérées par des ressources humaines fiables et s’il y a une stabilité politique et la
paix, gage du développement durable dans un pays, conclut-il, il est fort possible qu’on arrive à
l’autofinancement. Il s’avère que le processus d’autosuffisance financière, à travers les mécanismes
d’autofinancement à entamer par tous les acteurs institutionnels et individuels de l’archidiocèse de
Bukavu, est un travail long, laborieux et complexe. En effet, pour réussir, ce processus requiert une
mobilisation générale des ressources humaines. Sont mis à contribution, tous les acteurs en interactions
dans les champs sociologique, économique, culturel et religieux de l’archidiocèse de Bukavu, chacun
selon ses compétences et son savoir-faire : chrétiens de toutes catégories socio-professionnelles, prêtres,
membres de congrégations religieuses missionnaires, décideurs politiques, et même les parties prenantes
contraignantes comme les non chrétiens, dans la mesure où leurs critiques constructives peuvent
contribuer à mener le processus à terme sans dérailler.
De tout ce qui précède, je crois que l’autofinancement de l’archidiocèse de Bukavu est possible. Trois
faits observables fondent ma conviction.
En premier lieu, on observe une prise de conscience de la hiérarchie du diocèse et un certain nombre de
prêtres quant à la contingence de la politique d’extraversion financière pratiquée jusque-là pour couvrir
ses besoins, d’une part, et à la nécessité pour cette institution de chercher des solutions durables à ses
problèmes économiques et financiers, d’autre part. Car, la prise de conscience d’un phénomène est une
étape importante dans la recherche de solution à ce phénomène par des actions concrètes. C’est, me
semble-t-il, un élément capital susceptible de déclencher le processus d’autofinancement du diocèse.
D’ailleurs, au regard des objectifs que l’archidiocèse s’est fixés dans le synode diocésain de 1992
entériné par le mini-synode de 2000 en termes d’actions à mener sur un horizon plus ou moins
rapproché (court et moyen termes), le processus entamé pour arriver à l’autofinancement est prometteur.
Ces objectifs ou actions sont à mener sur quatre plans, à savoir le plan d’investissement, le plan de
communication, le plan de gestion et le plan de financement. Certes, cette volonté fait défaut encore
chez plusieurs membres du clergé diocésain en manque de vision et d’impulsion pour des objectifs
socioéconomiques. Sur fond des discours parfois infantilisants de type « Wakristu wapashwa kukulisha
mapadri wao (en swahili), qui se traduit : les chrétiens doivent nourrir leurs prêtres !», ils restent
constamment tournés vers les pauvres chrétiens pour leur prise en charge.
Ceux-ci se sentent obligés injustement de porter le destin économique de leur Église, alors que leur
propre vie individuelle et familiale constitue déjà un véritable chemin de croix. Cette préoccupation
530
légitime des chrétiens peut être résolue par une double solution envisageable, à savoir pour l’ensemble
des chrétiens, tant de la ville que de zone rurale : demander à chacun de donner ce dont il est capable,
mais tout en déterminant un seuil en deçà duquel il ne devrait pas aller.
Une telle stratégie présente l’avantage de jouer sur « l’effet des nombres » et d’éviter l’idée de
l’exploitation et de la contrainte qui a souvent prévalu dans les milieux des chrétiens. Aussi, arriver à
cibler une catégorie de chrétiens plus nantis, puisqu’il en existe, et les sensibiliser à donner, non un
montant déterminé, mais plus, afin d’aider substantiellement leur Église en besoins financiers réels.
Cette solution présente l’avantage de l’écrémage de la catégorie dont les contributions importantes
compenseraient la faible participation observée chez un grand nombre de chrétiens puisque démunis.
Aussi, cet élan de générosité est-il gêné par leur situation socio-économique précaire du pays. L’Église
particulière de Bukavu est issue de son contexte et ne le quitte jamais. Elle constate la paupérisation de
sa terre et la vit avec ses chrétiens, qui expérimentent au jour le jour les joies et les peines, les espoirs et
les angoisses des situations économiques, politiques et sociales de leur pays, le Congo. Comme son
peuple, cette Église est mue par cette aspiration de voir les situations changer et s’améliorer. Elle restera
piégée dans la pauvreté tant que le peuple congolais en général, et les chrétiens de ce diocèse en
particulier, seront encore pauvres. Leur sort socio-économique est étroitement lié. Car l’Église ne peut
être riche que si ses fidèles le sont. Ce que ces derniers donnent à leur Église servent à relever les autres.
Rappelons que les créneaux par lesquels les Églises occidentales obtenaient les ressources qu’elles
allouaient en Afrique ont presque tari, du fait de la baisse de la pratique religieuse en Occident. A cela
s’ajoutent les effets négatifs du phénomène de la mondialisation qui a modifié la configuration
sociogéographique et économique du monde.
Si l’Afrique a suscité pendant quelques années une certaine compassion qui déclenchait l’aide spontanée
des Occidentaux envers les Africains, aujourd’hui le centre d’attention s’est déplacé vers les pays de
531
l’Est et le centre de regroupement comme l’Union Européenne doit se préoccuper naturellement de
membres moins nantis de son espace objectif que des Africains éloignés géographiquement et
culturellement.
Un troisième élément qui me fonde à croire à une possibilité d’autofinancement de l’Eglise de Bukavu,
c’est sa légitimité à s’engager dans les activités génératrices des richesses au regard des fondements
juridiques, d’une part, quant à la capacité d’une Église locale à créer les richesses pour réaliser sa
mission socio-pastorale, et au regad de la recommandation du Magistère, l’Exhortation apostolique post-
synodale « Ecclesia in Africa », n°104 de Jean-Paul II, d’autre part.
En effet, le Code du droit canonique dispose que celle-ci, en tant qu’institution et personne morale, a le
droit d’acquérir, d’administrer, d’aliéner des biens et de contracter avec des partenaires. S’il est
effectivement mis en application, cette disposition juridique constitue un atout majeur et nécessaire aux
diocèses du Congo, qui peut leur permettre de participer activement au développement socioéconomique
des peuples dont ils ont la charge, en créant des emplois, en même temps qu’ils assurent leur propre
autonomie économique et financière. Aussi, dans l’écrit du Magistère, le pape invite les Églises
d’Afrique à s’inscrire dans la dynamique de la recherche de l’autofinancement pour assurer leur survie
et affirmer leur maturité responsable.
Je le reconnais, plusieurs obstacles se trouvent encore sur le chemin de l’archidiocèse de Bukavu pour
réaliser son objectif d’autofinancement, notamment au niveau des acteurs sacerdotaux. En effet,
héritière d’une conception féodale du sacerdoce, une grande partie du clergé est encore habituée à tout
recevoir et non à produire. Elle n’est pas encore suffisamment imprégnée des orientations contenues
dans les résolutions du Synode diocésain qui a stigmatisé l’avenir incertain de la politique de
l’extraversion financière pratiquée jusque-là par l’Église de Bukavu. Par ailleurs, comme l’autorité
diocésaine elle-même le reconnaît, il est primordial de fonder un socle anthropologique entre
l’institution religieuse et les fidèles qui sont en réalité les premiers contributeurs des ressources internes.
Cela signifie qu’il faut entrer sur le terrain sociologique du fidèle pour savoir quel langage lui tenir,
parce qu’un grand nombre de fidèles n’apprécient pas l’implication économique de leur Eglise locale, la
croyant s’inscrire sur la voie de la déviation. D’où repenser une pastorale adéquate pour l’éducation des
mentalités des tous les acteurs en présence. Le développement est en grande partie tributaire du
patrimoine socioculturel. Dans la pratique de la gestion, l’archidiocèse de Bukavu peut opportunément
s’inspirer des actions déjà menées dans d’autres diocèses d’Afrique et qui ont donné des résultats
prometteurs dans le souci de maîtriser les circuits financiers en vue d’une redistribution équitable entre
les membres.
532
C’est le cas de diocèses de la province ecclésiastique de Bamenda au Cameroun qui ont mis sur pied un
système de gestion, dite de centralisation de toutes les ressources financières des paroisses et des
œuvres pastorales au niveau du diocèse sous l’administration de l’économe diocésain qui tient tous les
comptes paroissiaux et ceux du personnel sacerdotal et laïc en mission dans le siocèse. C’est le même
système de gestion qui régit les diocèses de France.
Cette politique de gestion financière a entre autres comme avantage de mettre en confiance tous les
acteurs, de lutter contre les inégalités dans la rémunération du clergé, à travers le système de
péréquation. En même temps elle limite les sources de tensions entre les membres du clergé, et la base
de contestations des décisions hiérarchiques qui donnent souvent à certains la perception d’être
privilégiés du fait d’être nommés à un poste de responsabilité (curé, etc.) ou dans une structure urbaine
ou, dans l’autre sens, d’être lésés et punis du fait d’être vicaire ou nommés dans une structure rurale.
Les Églises d’Afrique ne peuvent pas se considérer adultes tant qu’elles ne disposent pas des ressources
matérielles et financières propres pour assurer leur fonctionnement. Le Concile Vatican II développe ce
critère lorsqu’il parle de « ressources propres » dont les jeunes Églises doivent se doter pour leur travail
d’évangélisation, « en sorte que peu à peu ces Églises puissent pourvoir à leurs propres besoins et
apporter de l’aide aux autres » (Ad Gentes, n°19) Le Code de droit canonique renvoie au même discours
(can.786). Le chemin de l’implantation chez ces Églises se poursuit jusqu’au moment où leur capacité
d’autofinancement devient signe d’une croissance ecclésiologique de tout le peuple de Dieu. Pour cette
raison, le difficile processus d’autofinancement semble se situer au cœur même du projet fondamental
de l’émergence d’une Église africaine (Kalamba M., 1992 :264).
Comme je l’ai dit plus haut, une nouvelle Église n’atteint pas sa plénitude au moment où le diocèse est
créé. La capacité d’autofinancement est une condition pour parler de maturité des jeunes Églises. Il ne
s’agit pas aujourd’hui d’un aspect secondaire, comme cela a été longtemps considéré. En effet, c’en est
fini avec cette compréhension édulcorée de l’Evangile qui ferait exister une certaine incompatibilité
entre le spirituel et l’économique. En se référant aux déclarations de Jésus, « on ne peut pas servir Dieu
et l’argent » ; « il sera plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume qu’à un chameau de passer
par le trou de l’aiguille » (Mt. 23-24), il est né une interprétation totalement erronée et dangereuse,
suicidaire même qui interdirait à un bon chrétien de s’intéresser aux richesses de ce monde au risque de
perdre son âme!
L’Église, autant que les individus, ne peut pas vivre sans moyens matériels. Sinon, comment réaliserait-
elle ses fins socio-pastorales qui ne se font pas par la seule Parole ?
533
Les Eglises du Congo, dont l’archidiocèse de Bukavu en particulier, n’atteindront pas facilement leur
autonomie. Il leur faut parcourir un chemin qui exige des efforts, des sacrifices, des changements de
mentalités, de comportements et la création des structures inculturées. Leur dépendance financière a des
racines culturelles et historiques auxquelles la pratique ecclésiale n’est pas étrangère. La situation exige
de rechercher une nouvelle approche pastorale capable de créer, d’abord chez les agents pastoraux, le
passage d’un état de dépendance à l’exercice actif d’une responsabilité personnelle et communautaire.
Le problème d’autofinancement pour ces jeunes Églises ne peut pas être réduit seulement à des
considérations liées au contexte sociopolitique et économique de l’Afrique, contexte indiscutablement
pauvre et instable. Le problème doit être posé surtout à l’intérieur d’un discours ecclésiologique,
d’évangélisation et d’enracinement du christianisme en Afrique. De cette conviction découle
l’importance du travail de formation des fidèles et des communautés à tous les niveaux, car la capacité
de s’autofinancer témoigne de leur maturité ecclésiale grâce à l’implication effective du gouvernement
des structures et des personnes, à la mise sur pied des plans d’action à court, moyen et long terme, etc.
Autant dire qu’une évangélisation profonde a ses répercussions dans le dynamisme de développement
et, donc, dans le chemin vers une autosuffisance matérielle. Pour les Églises-mères, cela signifie que,
tout en continuant à assurer leur solidarité, elles ne peuvent pas réduire leur activité missionnaire à des
aides économiques en faisant tomber d’en haut, en Afrique, des solutions, des structures et des méthodes
fabriquées ailleurs (Recchi, S., 2003 : 42). L’autonomie des moyens est un élément, parmi d’autres, qui
témoigne de l’état adulte d’une Église. La dynamique vers un autofinancement vise à exploiter d’abord
ses potentialités et ses forces propres, afin de satisfaire ses nécessités. Cette vision de l’autonomie refuse
le paternalisme, mais accueille la solidarité, l’aide fraternelle et la communion.
Je ne prétends pas avoir tout dit de l’autofinancement dans les Églises du Congo, particulièrement dans
celle de Bukavu. Je suis conscient que mon étude présente des limites certaines, du fait que la question
n’a pas encore fait l’objet d’une investigation socio-anthropologique approfondie qui devrait servir de
référentiel. Mon risque est celui généralement reconnu à tout « pionnier » car, en fait, il n’est jamais aisé
d’initier. Mais, en même temps que j’assume l’entière responsabilité des imperfections de cette étude, il
naît en moi un sentiment de satisfaction pour avoir osé et déblayé le terrain pour la postérité à qui
reviendront les avantages, et moi avec, des remarques constructives qui seront formulées à mon égard.
De sorte que toutes les Églises congolaises, prennent pleinement conscience de la nécessité d’une
stratégie d’autofinancement, en vue d’une certaine indépendance financière, preuve de leur maturité
dans la foi, gage de leur liberté dans les décisions et de leur avenir économique.
534
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558
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Les tableaux
Tableau 1 : Plan de statistiques des écoles Conventionnées catholiques de Bukavu ………………………………… 176
Tableau 2 : Les subsides reçus par les Missions au Congo Belge avant 1925 ……………………………………….. 210
Tableau 3 : Le budget des diocèses de France en pourcentage ……………………………………………………...... 236
Tableau 4 : Tableau synoptique des offrandes des diocèses d’Afrique à l’Église universelle (1975-1984) ………… 247
Tableau 5 : Tableau synoptique des subsides reçus par les Églises d’Afrique : 1975-1985 ………………………….. 248
Tableau 6 : Les types de projets envoyés aux organismes occidentaux par l’archidiocèse de Bukavu …………….. 252
Tableau 7 : Les aides accordées par Missio aux Églises locales du Congo de 1991 à 2010 …………………………. 255
Tableau 8 : Les principaux secteurs d’activités financés par Misereor dans les Églises du Congo……………………. 258
Tableau 9 : Les aides accordées par Misereor aux Églises locales du Congo de 1991 à 2010……… ………………… 259
Tableau 10 : Répartition des aides par type et par zone géographique………………………………………………… 261
Tableau 11: Misereor en RDC entre 1960 et 2010…………………………………………………………………….. 319
Tableau 12 : Les types de projets envoyés aux organismes occidentaux de financement en 2005- 2010................... 322
Tableau 13 : Perception des difficultés financières de l’Eglise de Bukavu par les grands séminaristes ………….….. 325
Tableau 14 : Financements de projets dans l’archidiocèse de Yaoundé : 2000-2005 (en euros)……………………. 341
Tableau 15 : La situation matérielle des prêtres de l’archidiocèse de Yaoundé ………………………….…………… 380
Tableau 16 : La situation matérielle des prêtres de l’archidiocèse de Bukavu ……………………………..…………. 382
Tableau 17 : Les impacts de la précarité matérielle sur le ministère des prêtres ……………………………………… 383
Tableau 18 : La pyramide des âges du clergé de l’archidiocèse de Bukavu ………………………………………….. 389
Tableau 19 : Les contraintes financières de l’archidiocèse de Yaoundé en 2004……………………………………… 391
Tableau 20 : Degré de formation du clergé de Bukavu : répartition selon les diplômes obtenus …………..……….. 412
Tableau 21 : La responsabilité de la gestion économique et financière dans l’archidiocèse de Bukavu ……………. 416
Tableau 22 : Raisons pour les chrétiens d’aider ou non leur Église de Bukavu ……………………………………… 473
Tableau 23 : Raisons pour les chrétiens d’aider ou non leur Église de Yaoundé …………………………..…………. 473
Tableau 24 : Degré d’information sur le plan pastoral de 2009-2012 par les fidèles de Yaoundé ………………….. 491
Tableau 25 : Connaissance du contenu du plan pastoral 1999-2012 de l’archidiocèse de Yaoundé ……………….. 492
Tableau 26 : Paiement du denier de l’Église dans l’archidiocèse de Yaoundé ……………………………………….. 493
Tableau 27 : Raisons de paiement du denier de l’Église dans l’archidiocèse de Yaoundé …………………………… 493
Tableau 28 : Les ressources financières des paroisses de l’archidiocèse de Yaoundé ………………………………. 494
Tableau 29 : Perception chez les fidèles de Yaoundé du taux du denier de l’Église …………………………………. 494
559
560
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE ............................................................................................................................................................. 4
1. Hypothèse principale............................................................................................................................................19
2. Un « empirisme instruit»......................................................................................................................................23
3. Les préalables.......................................................................................................................................................25
3. Des outils..............................................................................................................................................................28
2. L’échantillonnage.................................................................................................................................................31
2. L’entretien semi-directif.......................................................................................................................................36
Section 1 : Aperçu sur les deux millénaires d’histoire de l’Eglise catholique en Afrique .......................................43
561
A. Les grandes phases des deux mille ans d’évangélisation de l’Afrique ................................................................43
1. Le premier millénaire chrétien en Afrique et ses réalités: essor, déclin et survie ................................................44
B. Cadre historique, politique et ecclésiastique de l’évangélisation de l’Afrique par l’Europe occidentale ...........45
4. Arrivée des Français, Anglais et Hollandais sur les côtes africaines ...................................................................49
1. L’évangélisation et la traite négrière : deux actions conjointes des Jésuites et des Dominicains ........................50
3. Recherche de l’autonomie d’une jeune Église compromise par la traite des esclaves .........................................56
4. La foi d’une jeune Église éprouvée par un personnel missionnaire insuffisant et moins vertueux .....................58
5. Dom Henrique, fils du roi et premier évêque de l’Afrique noire des temps modernes ........................................60
562
2. L’ancrage insuffisant de la foi chrétienne dans l’univers culturel kongo ............................................................73
Section 3 : Les mutations politiques en Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle ......................................76
B. Le rôle déterminant de Livingstone et Stanley dans l’histoire coloniale et religieuse du Congo ........................78
3. Léopold II, roi des Belges, achète le service de l’explorateur Stanley ................................................................82
1. L’installation de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) au Congo oriental ...............................88
2. La fondation des premières missions dans la région des Grands Lacs ................................................................89
A. Les premiers contacts avec les populations autochtones Shi et les premières difficultés ..................................90
1. Une méfiance et un malentendu dus à l’origine commune des missionnaires et des colons ...............................90
3. Une méfiance due à l’attitude des missionnaires face à l’organisation socioculturelle du Bushi ........................93
1. L’amitié avec les Chefs locaux et une collaboration prudente avec l’autorité coloniale .....................................95
563
3. L’apprentissage des langues locales.....................................................................................................................99
A. Objectif ..............................................................................................................................................................107
Section 2 : Les générations successives des missionnaires dans le Vicariat Apostolique du Kivu, leurs méthodes et
objectifs spécifiques ...............................................................................................................................................113
564
2. Mgr Christophe Munzihirwa (1994-1997) .........................................................................................................133
2. Aspects socioéconomiques................................................................................................................................143
1. La hiérarchie ......................................................................................................................................................147
C. La Caritas diocésaine.........................................................................................................................................160
3. Les impacts des actions de la Caritas- Bukavu sur la vie des populations .........................................................161
565
1. Multiplicité de foyers sociaux et nécessité de les coordonner (1959-1969) ......................................................163
2. Une action tournée vers les besoins concrets de la population féminine (1970-1979) ......................................164
2. Les enjeux sociaux de l’UCB et les moyens mis sur pied pour les atteindre .....................................................181
1. Historique ...........................................................................................................................................................183
Section 1: Le poids du passé colonial et missionnaire dans la dépendance financière des Eglises du Congo .......192
566
2. Quelques chiffres sur la catholicité de l’Afrique par rapport à son besoin de financement ...............................195
3. Une politique scolaire au rabais mise en place par l’État colonial et l’Église catholique .................................201
Section 2 : Nature et enjeux du soutien économico-financier de l’Etat colonial aux missions chrétiennes du
Congo-Belge ..........................................................................................................................................................202
A. La politique foncière de l’État colonial à l’égard des missions chrétiennes au Congo .....................................202
1. Une politique économique préférentielle du régime léopoldien à l’égard des missions nationales ...................203
1. Nature du soutien socio-économique de la Colonie aux missions catholiques et ses contreparties ...................206
Section 3 : L’héritage occidental des structures des Eglises d’Afrique et ses effets ..............................................219
B. Les missionnaires occidentaux en Afrique et leur rôle influent dans l’octroi de l’aide .....................................224
2. De l’Église missionnaire aux Églises locales : une hiérarchie africaine politiquement faible et financièrement
pauvre .....................................................................................................................................................................225
567
Section I : Une assistance économico-financière permanente ...............................................................................230
Section II : Les sources extérieures et locales des revenus financiers des Eglises du Congo ................................243
2. Misereor .............................................................................................................................................................254
568
1. L’étroite collaboration entre l’Administration, les Missions et les Trusts ou les 3 E (État, Églises, Entreprises)
................................................................................................................................................................................270
A. Absence d’une volonté politique réelle pour une indépendance paisible et réussie .......................................275
1. Courte transition du système démocratique, insuffisance politique et administrative des Congolais ................276
1. Instigation des sécessions dans deux régions minières : au Katanga et au Sud-Kasaï .......................................281
2. Imbroglio créé à la tête de l’État et irruption d’un troisième larron : Mobutu ...................................................284
3. Assassinat de Lumumba et les effets d’entrainement sur l’avenir sociopolitique du pays ................................287
1. Remplacement des organes exécutifs civils par les organes exécutifs militaires ...............................................290
2. Abolition du système démocratique de 20 mai 1960 et instauration d’une dictature anarchique du 20 mai 1970
................................................................................................................................................................................291
B. Instauration d’un régime de terreur, violation manifeste des Droits de l’Homme ...........................................294
C. La fin d’un règne sans partage et le début de deux décennies de guerres d’agression .....................................300
2. Conflits d’intérêts et luttes d’influence dans la région des Grands Lacs depuis les années 1990 ......................302
569
Troisième partie : NÉCESSITE DES STRATÉGIES D’AUTOFINANCEMENT DES ÉGLISES DU
CONGO. CAS DE L’ARCHIDIOCÈSE DE BUKAVU ...................................................................................309
A. La recherche, l’allocation et la gestion des finances dans les Églises du Congo ...............................................311
2. Une transition mal préparée et une gestion difficile des structures écclésiales héritées ....................................317
1. La logique de captation de ressources financières pour le fonctionnement des Églises du Congo ....................321
1. Une présence occidentale influente et déterminante dans l’allocation des ressources .......................................328
1. Les exigences, les priorités et les orientations des organismes de financement ...............................................335
Section 2 : Les causes exogènes et endogènes de l’amenuisement des ressources financières des Églises du Congo
................................................................................................................................................................................341
2. La baisse de la pratique religieuse en Occident, le poids de l’Histoire et les nouvelles visions socioreligieuses
................................................................................................................................................................................347
3. Le regard critique de la religion et ses répercussions sur la vie de l’Église en Occident ..................................349
2. Les difficultés internes d’ordre sociopolitique au Congo et les effets du génocide rwandais de 1994 ..............353
570
3. Difficulté liée à l’histoire de l’implantation des Églises au Congo ....................................................................356
Section 3: Les contraintes financières actuelles des Eglises locales du Congo .....................................................362
3. Les impacts de la précarité matérielle sur le ministère des prêtres dans les deux diocèses ...............................374
571
2. Définition de l’autofinancement à partir de ses composantes ............................................................................396
Section 2 : Nécessité d’une bonne politique de gestion des ressources humaines .................................................397
1. Le travail de l’évêque d’un diocèse est celui du manager d’une entreprise .......................................................407
2. Le choix d’un Économe diocésain, base de réussite ou d’échec dans l’atteinte des objectifs de
l’autofinancement...................................................................................................................................................408
Section 3: Nécessité d’une mise en place des mécanismes de décision, d’expertise, de conception, de contrôle,
d’encadrement et d’accompagnement ....................................................................................................................412
1. Le rôle du Conseil diocésain pour les affaires économiques dans un diocèse ...................................................412
2. Les activités de base des auditeurs et des contrôleurs financiers et comptables ................................................428
572
1. Les contributions obligatoires des fidèles ..........................................................................................................433
2. Les contributions bénévoles des fidèles : quête, offrandes libres, libéralités et fondations pieuses. .................435
2. L’Église ne doit pas rechercher les biens de ce monde, elle doit rester pauvre .................................................465
1. La pauvreté est-elle une vertu à recommander aux chrétiens comme gage du salut éternel? ............................467
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3. Y a-t-il incompatibilité entre l’économique et l’éthico-spirituel ? .....................................................................470
4. La stigmatisation de l’« argent-Dieu », l’« argent vénéré », l’« argent valeur suprême » .................................472
1. Adhésion timide du clergé diocésain aux orientations pastorales sur l’autofinancement ..................................477
2. Nécessité pour les Églises de travailler sur les causes de leur fragilité économique .........................................490
3. Nécessité pour les Églises d’établir des principes sains de la gestion financière...............................................491
1. La nécessité et l’urgence pour les Églises d’Afrique d’assurer leur autofinancement .......................................506
2. Le soutien des Églises d’Occident pour lancer des investissements rentables ...................................................507
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3. Le changement vers une Église responsable d’elle-même .................................................................................512
2. S’il y a une bonne gestion des ressources humaines dans le diocèse .................................................................516
3. S’il y a une bonne gestion des ressources naturelles et leur répartition équitable .............................................518
BIBLIOGRAPHIE GENERALE…………………………………………………………………………….535
575