Le travail et la technique

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Le travail et la technique - Cours de philosophie

Le travail et la technique

Les enjeux de la notion – une première définition

On s’accorde pour penser que le travail est une dimension essentielle, constitutive
de la nature humaine. D’un point de vue strictement biologique ou physiologique, il est ce qui
permet à l’homme de subvenir à ses besoins vitaux. Mais plus encore, le travail, en
s’organisant, en se diversifiant, en se divisant est ce qui éloigne l’homme de ses nécessités
vitales, en faisant que sa préoccupation pour elle n’est plus immédiate ; le travail tend à se
dépasser lui-même pour permettre l’ouverture et le développement d’autres possibilités de
l’existence humaine ; l’homme devient alors proprement humain dans la mesure où il dépasse
ainsi la vie animale. Mais une question se pose alors : l’organisation sociale que suppose le
« perfectionnement » du travail ne conduit-elle pas nécessairement à une hiérarchisation qui,
dans sa face plus sombre, peut conduire à ce que l’homme travaillant pour un autre que lui-
même, se trouve à la fois privé des fruits de son travail et de son activité même en tant qu’elle
est dirigée par un autre ? Cette question en amène une seconde : si ce même
« perfectionnement » du travail exige la production d’outils de plus en plus performants,
offrant la possibilité à l’homme d’acquérir une maîtrise sur la nature, la technique ne menace-
t-elle pas cependant d’exercer sa maîtrise sur l’homme lui-même, celui-ci se trouvant
dépossédé de ses forces propres, se voyant aliéné ? On peut ainsi comprendre pourquoi, dans
la pensée moderne, après l’ « utopie » du progrès technique, synonyme de progrès de
l’humanité, la technique fut l’objet de très vives critiques. Mais au-delà de celles-ci, ne faut-il
pas pourtant reconnaître que la technique est anthropologiquement constitutive (formatrice de
l’homme) : que l’on pense ici à l’invention du feu, au travail de la pierre taillée et même à
l’autre extrémité de l’histoire de l’humanité, à l’Internet. N’est-ce donc pas à un usage
raisonné de la technique plutôt qu’à une condamnation sans appel qu’il faut se livrer ?

L’homme et le travail
"Le salaire du travailleur ne dépasse guère sa consommation courante et ne lui assure
pas le salaire du lendemain; tandis que le capitalisme trouve dans l'instrument produit par le
travailleur un gage d'indépendance et de sécurité pour l'avenir." Proudhon, Qu'est-ce que la
propriété ?

Hegel, dans sa célèbre dialectique du maître et de l’esclave, a exposé une


conception du travail qui n’a plus dès lors cessé d’exercer son influence. C’est dans la relation
de domination et de servitude que s’ancre cette conception. Pour Hegel, l’homme ne devient
proprement humain que lorsqu’il obtient la reconnaissance d’un autre homme, c’est-à-dire
lorsque la certitude subjective qu’il a de lui-même se mue en vérité objective. L’homme veut
être reconnu en tant qu’homme, autrement dit il veut prouver à l’autre que pour la lui, la vie
purement animale, la vie des besoins, n’est rien. C’est pourquoi il est prêt à risquer sa vie dans
une lutte à mort pour la reconnaissance. Bien évidemment, si l’un des deux protagonistes
meurt, plus aucune reconnaissance n’est possible. Hegel affirme que dans cette lutte (qui n’est
pas pour Hegel une simple abstraction mais un véritable moment historique et philosophique),
l’un des deux adversaires, devant l’angoisse de la mort, abandonne le combat prouvant qu’il
tient plus à la vie animale qu’à son statut d’humain, tandis que l’autre maintient son mépris
pour la vie. Le premier devient l’esclave, le second le maître. L’esclave est donc contraint de
travailler pour le maître. On voit donc que dans un premier temps, le travail est indissociable
de la domination. Mais, et là réside l’originalité de Hegel, si le travail n’était pas
primordialement fait « au service d’un autre », alors il ne se distinguerait pas du désir animal
qui consomme l’objet, qui vise la jouissance. Or, le produit du travail de l’esclave lui est
refusé, en tant qu’il est destiné au maître. Ce produit acquiert donc une autonomie à l’égard de
l’esclave et c’est justement cette autonomie qui va faire que l’esclave pourra se reconnaître
dans le fruit de son travail, et par là se reconnaître dans ce qui lui est extérieur, passer de la
certitude subjective à la vérité objective, devenir humain. Le travail pour Hegel est donc
culture ou formation (selon le double sens du mot Bildung), c’est un processus
d’émancipation qui provoquera la disparition de la domination du maître.
Venons-en à Marx. Celui-ci hérite de Hegel la conception selon laquelle
l’histoire procède par résolution successive de contradictions, chaque résolution produisant
une nouvelle contradiction. Mais il s’oppose à l’idéalisme de Hegel, selon lequel c’est l’Esprit
(Geist) qui se réalise dans l’histoire. Marx va défend au contraire un matérialisme concentrant
sur les conditions concrète d’existence de l’homme. Sa thèse initiale est que le propre de
l’homme, par quoi il se distingue de l’animal, est son travail, celui-ci s’inscrivant tout en le
déterminant au sein d’une organisation sociale (organisation qui est donc matérielle). La
société est toujours (esclavage, féodalisme, capitalisme), selon Marx, structurée par une lutte
des classes (forme première de la contradiction) opposant les propriétaires des moyens de
production et ceux qui sont contraints de travailler physiquement. Dans le capitalisme,
l’opposition se joue entre bourgeois et prolétaires. La bourgeoisie exploite le travail des
ouvriers qui n’ont à vendre sur le marché que leur propre force de travail. C’est justement sur
celle-ci, extorquée à l’ouvrier, que l’entreprise capitaliste réalise du profit, de la plus-value.
Le travail est alors aliénation. L’enjeu de la révolution ouvrière va donc devenir de modifier
en profondeur le système économique en supprimant la propriété privée des moyens de
production. Ajoutons que pour toute une tradition marxiste, le travail sera le paradigme de
l’action humaine. Lukacs dira ainsi que le travail est la forme ontologiquement originaire de
l’activité humaine.

Travail et technique dans la Grèce antique

« La disposition à agir accompagnée de règle est différente de la disposition à produire


accompagnée de règle. De là vient encore qu’elles ne sont pas une partie l’une de l’autre, car ni
l’action n’est une production, ni la production une action. Et puisque l’architecture est un art, et est
essentiellement une certaine disposition à produire, accompagnée de règle, et qu’il n’existe aucun art
qui ne soit une disposition à produire accompagnée de règle, ni aucune disposition de ce genre qui ne
soit un art, il y aura identité entre art et disposition à produire accompagnée de règle
exacte »Aristote, Éthique à Nicomaque.
Nous n’avons pas pour le moment exposé la conception que les Grecs avaient du
travail parce que celle-ci a occupé un rôle très marginal voire inexistant dans la réflexion
moderne. On doit à Arendt d’avoir mis en valeur ce qui en faisait la spécificité et l’intérêt.
Arendt affirme que pour les Grecs, le travail était objet de mépris dans la mesure où il
soumettait l’homme à l’ordre de la nécessité de la matière et aux commandements d’autrui. À
la différence de la pensée moderne, la pensée antique considérait le travail comme ce qui était
commun à l’homme et à l’animal, et donc non proprement humain. C’est non pas parce que le
travail était réalisé par des esclaves qu’il était méprisé mais au contraire c’est parce qu’il était
considéré comme aliénant que les Grecs justifiaient l’esclavage. S’opposaient alors au travail,
la pensée, la politique ou encore la culture physique. La démocratie supposait de s’échapper
du travail pour s’adonner aux activités publiques, à la gestion de la cité ; il supposait donc le
loisir.

Ceci nous conduit à présent à traiter de la conception grecque de la technique


(tekhnê) et plus particulièrement celle d’Aristote. Pour celui-ci, il faut opposer les choses
soumises à la nécessité naturelle, qui sont objets de science (ou philosophie), et les choses
contingentes, « qui peuvent être autres qu’elles ne sont ». Parmi ces choses, il y a celles qui
sont fabriquées et sont œuvres de l’activité de production (poïesis) et celles qui sont l’œuvre
de l’action (praxis). Il n’y a aucun recoupement entre les unes et les autres bien que toutes
puissent être dites des dispositions accompagnées de règle. L’activité production, autrement
dit la technique, possède une fin qui se distingue de l’activité elle-même et qui met fin à celle-
ci : par exemple, la construction d’un bateau ne vise pas cette construction elle-même mais
son produit, le bateau ; celui-ci une fois terminé, l’activité n’a plus lieu d’être. L’action quant
à elle a sa fin en elle-même (cette fin lui est immanente) et aucune réalisation ne met fin à
l’action : par exemple, agir par générosité ne vise rien d’autre que cette générosité même et
cette action perdure au-delà de ces réalisations partielles. Est manifeste ici encore la
hiérarchie qui structure la pensée grecque, la technique, liée à la matière, étant surpassée de
très loin par la pratique éthique et politique.

Le progrès technique et la maîtrise de la nature


« Les notions générales touchant à la physique (…) m’ont fait voir qu’il est possible de
parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie
spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle
connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les
autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers
métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages
auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
nature. » Descartes, Discours de la méthode.

Le développement sans précédent des sciences et techniques à l’orée de l’âge


moderne va susciter de nombreuses réflexions philosophiques ; ce progrès promet à l’homme
une amélioration considérable de ses conditions d’existence via une maîtrise exercée sur son
environnement naturel. Descartes ne dit pas autre chose lorsqu’il envisage les possibilités
ouvertes par la science moderne. Si c’est une loi absolue que nous devions rechercher tout ce
qui procure le bien à l’homme, alors on ne peut dit-il négliger cette science nouvelle qu’est la
physique galiléenne. En effet, celle-ci à la différence de la philosophie spéculative, offre une
connaissance pratique de la nature, de telle manière que tout comme l’artisan emploie les
matériaux en vue de la réalisation de son ouvrage, les hommes sont en mesure d’user des
corps naturels pour se rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature ». L’enjeu ici n’est
pas la production de choses artificielles procurant un plaisir ne supposant plus aucun effort ;
l’objectif n’est pas la jouissance mais la conservation de la santé, dont Descartes dit qu’elle
est le premier bien de la vie, le fondement des autres biens ; la technique médicale doit aider à
rendre les hommes plus sages.

Dans La Nouvelle Atlantide, Bacon, souvent considéré comme le fondateur de


l’empirisme, présente une société utopique, l’île de Bensalem, fondée sur la recherche
technique et scientifique. En connaissant « les causes, et le mouvement secret des choses »,
l’homme peut espérer pouvoir « réaliser toutes les choses possibles ». L’île devient le lieu de
toutes les expérimentations ; sont notamment mises en œuvres des techniques de greffe sur
des arbres permettant de modifier la nature, d’en accélérer les processus, de la faire produire
des fruits « plus gros et plus sucrés ». Ces transformations imposées à la nature se révèlent
être d’une grande utilité pour l’homme, notamment du point de vue médical On peut ajouter
qu’au 20ème siècle, Bloch, dénonçant par ailleurs le détournement de la technique à des fins
guerrières, prolonge par ailleurs, dans son principe espérance, les vues de Bacon. On notera
également que Kant affirme que l’homme n’a de devoirs qu’envers l’homme (ce qui ne
signifie pas qu’il ait le droit d’être cruel avec les animaux, car c’est un devoir que de ne pas
choquer la sensibilité des autres hommes), il appuie encore l’idée selon laquelle il est légitime
que la nature devienne la propriété de l’homme. Aujourd’hui, l’apparition des technologies
nucléaires ou encore des biotechnologies, susceptibles de menacer l’homme en son intégrité,
son identité, amène à se poser de nombreuses questions quant aux bienfaits et aux limites de
la technique.

Critiques de la technique

« Le travail du paysan ne provoque pas la terre cultivable. Quand il sème le grain, il


confie la semence aux forces de croissance et il veille à ce qu'elle prospère. Dans l'intervalle,
la culture des champs elle aussi, a été prise dans le mouvement aspirant d'un mode de culture
(Bestellen) d'un autre genre, qui requiert (stellt) la nature. Il la requiert au sens de la
provocation. L'agriculture est aujourd'hui une industrie d'alimentation motorisée. L'air est
requis pour la fourniture d'azote, le sol pour celle de minerais, le minerai par exemple pour
celle d'uranium, celui-ci pour celle d'énergie atomique, laquelle peut être libérée pour des fins
de destruction ou pour une utilisation pacifique. » Heidegger, La question de la technique.

Au 20ème siècle, les perspectives critiques sur la technique se sont multipliées,


allant de la simple condamnation de ses excès jusqu’à la dénégation de son utilité pour
l’existence. Prenons comme premier exemple la pensée de Heidegger. Selon lui, la technêdes
Grecs est l’expérience première de la nature (phusis), un savoir qui révèle ou dévoile l’étant
(la chose) en tant qu’étant. La technique moderne est bien elle aussi dévoilement, mais elle
l’est en un tout autre sens. Elle est provocation, et non plus production ; la nature est « mise
en demeure de livrer une énergie » tandis que le paysan laissait les forces de croissance de la
terre se déployer d’elle-même. La nature est arraisonnée, objectivée, utilisée comme objet
d’industrie, de tourisme, etc. Une autre théorie majeure aura été celle d’Habermas. Celui-ci,
traitant indissociablement de la science et de la technique moderne, voit dans ces dernières
une manifestation et une légitimation de la rationalité propre au capitalisme. Science et
technique sont alors des instruments de domination de l’homme par l’homme et ce d’autant
plus, à une époque où l’information, qui est au fondement de la démocratie, est elle-même
devenue un produit de la technique.

Référons-nous brièvement à quelques autres philosophies ayant adopté une


perspective critique sur la technique. Tel est le cas notamment de Jonas. Pour celui-ci,
l’homme est parvenu à posséder un tel pouvoir sur la nature qu’on peut juger qu’à présent
celle-ci lui a été confiée de telle manière qu’il doit la protéger, en prendre soin. L’homme doit
accepter que ses devoirs aillent au-delà de lui-même, de ses propres intérêts. C’est pourquoi il
faut réviser les fondements de l’éthique afin de reconnaître un droit à la nature. Or ce respect
ou cette sollicitude pour la nature, la science et la technique moderne les nient résolument
dans la mesure où elles posent que la nature, en tant que soumise à la nécessité et au hasard,
est indifférente et ne mérite d’attention que si elle est une servante de
l’homme. Arendt réfléchit quant à elle aux bouleversements induits par la technique
nucléaire. À l’époque prémoderne (celle de Descartes), la technique servait à « suppléer et
multiplier les forces humaines ». À l’ère industrielle, on vit apparaître l’utilisation par
l’homme des forces naturelles comme moyens de production (ex : le moteur à combustion).
Ce qui advient avec la technique nucléaire, c’est la possibilité de « déclencher de nouveaux
processus naturels », des processus auxquels la nature elle-même n’aurait jamais donné lieu.
Arendt dit qu’à présent « nous faisons la nature », celle-ci se trouvant, à l’instar de l’histoire,
soumise aux vicissitudes de l’action humaine.

La technique en tant que constitutive de l’homme

« Cette modification du regard philosophique sur l'objet technique annonce la possibilité


d'une introduction de l'être technique dans la culture: cette intégration, qui n'a pu s'opérer ni
au niveau des éléments ni au niveau des individus de manière définitive, le pourra avec plus
de chances de stabilité au niveau des ensembles; la réalité technique devenue régulatrice
pourra s'intégrer à la culture, régulatrice par essence. Cette intégration ne pouvait se faire
que par addition au temps où la technicité résidait dans les éléments, par effraction et
révolution au temps où la technicité résidait dans les nouveaux individus techniques;
aujourd'hui, la technicité tend à résider dans les ensembles; elle peut alors devenir un
fondement de la culture à laquelle elle apportera un pouvoir d'unité et de stabilité, en la
rendant adéquate à la réalité qu'elle exprime et qu'elle règle » Simondon, Du mode
d’existence des objets techniques.

Suivant une perspective extrêmement différente de celle exposée ci-dessus,


l’anthropologie et la paléontologie ont été le lieu de réflexions essentielles sur la technique,
notamment sur ses rapports avec le développement de l’espèce humaine (phylogenèse). On se
contentera ici de citer Leroi-Gourhan. Celui-ci s’intéresse au couplage structurel entre la
physiologie humaine et les outils, plus particulièrement le silex. Selon lui, il n’y a pas lieu
d’opposer nature et culture dans la mesure où l’évolution de l’organisme est commandé par la
tendance technique de l’homme. La technique est un processus d’extériorisation ou
d’externalisation progressive des facultés corporelles de l’homme. Celui-ci se sépare de ses
pouvoirs immédiats, ceux-ci investissant les objets techniques ; mais par là même l’homme
libère en lui de nouvelles possibilités. Leroi-Gourhan écrit : « la main libère la parole » car la
construction d’outils est le moteur du développement des capacités cognitives et linguistiques.

En philosophie, Bergson a adopté une position quelque peu similaire bien qu’il n’ait pas
manqué d’insister sur la nécessité d’un « supplément d’âme », supplément moral qui réponde
à l’expansion des machines. Pour Bergson, il ne faut pas seulement dire que nos organes sont
nos instruments naturels, mais aussi que nos objets techniques sont des organes artificiels.
« L’outil de l’ouvrier continue son bras ». La technique n’est donc pas quelque chose
d’extérieur à l’homme dont il ne ferait qu’user ; c’est, au contraire un prolongement de
l’homme.
Citons enfin la pensée de Simondon. Celui-ci fait remarquer que la culture qui lui est
contemporaine s’est construite des mécanismes de défense contre la technique. Cette
« technophobie », en refusant d’étudier le sens et le mode d’existence des objets techniques, a
ainsi supposé que la technique ne contenait pas de réalité humaine. Simon entend dépasser
cette méconnaissance de l’objet technique. Ce qui, selon Simondon, est à la source de ce
« malaise », c’est que la culture s’est trouvée dépassée par l’évolution technique ; la culture ne
parvient plus à jouer son rôle de médiateur entre l’homme et son milieu. Pour surmonter la
vision technophobe, il est nécessaire de comprendre comment la technique est un mode
d’être-au-monde de l’homme comme le sont la science, l’éthique, la religion, etc. ce qui
suppose d’admettre que la technique est porteuse de sens et de signification pour l’existence
humaine.

Ce qu’il faut retenir

- Le travail et l’essence de l’homme : Pour Hegel, c’est dans le travail fait au service
d’un autre, le travail du maître pour l’esclave que s’enracine l’humanité de l’homme.
En effet, l’esclave, ne travaillant pas pour lui-même, ne jouit pas directement du
produit de son labeur ; il fait de celui-ci un objet autonome dans lequel il peut se
« contempler » au lieu de le consommer immédiatement ce qui est l’œuvre d’un désir
encore animal. Le travail est émancipateur. Pour Marx, le travail est l’essence de
l’homme, ce qui le distingue de l’animal. Dans la société capitaliste, le bourgeois,
possédant les moyens de production extorque le travail de l’ouvrier, sa force
productive. Le travail est aliénation. La révolution ouvrière consistera dès lors en une
suppression de la propriété privée des moyens de production.

- Le travail et la technique chez les Grecs : Dans la Grèce antique, le travail est
méprisé dans la mesure où il soumet l’homme à la matière et aux commandements
d’autrui. Au travail s’oppose la philosophie, la politique, le sport. D’une manière
quelque peu similaire, l’action s’oppose à la technique (Aristote). Cette dernière vise
la production de quelque chose qui lui est extérieur (ex : construire un bateau), tandis
que l’action a une fin qui réside en elle-même (ex : agir avec prudence).

- La maîtrise de la nature : À l’orée de l’âge moderne, les progrès scientifiques et


philosophiques conduisent les philosophes à penser que l’homme peut devenir
possesseur de la nature, user d’elle, notamment pour assurer la conservation de sa vie,
la santé. La nature devient le lieu d’expérimentations les plus diverses (Bacon) ;
l’homme n’ayant que des devoirs envers les autres hommes (Kant), il peut devenir
propriétaire de la nature.

- Les critiques de la technique : La technique, servante des aspirations de l’homme


n’est-elle pas porteuse des plus grandes menaces? C’est ce que pensent de nombreux
philosophes au 20ème siècle. On peut ainsi penser que la technique moderne arraisonne
la nature, lui extorque son énergie et par là même « dénature » le lien que l’homme
entretient avec elle (Heidegger). Il est également possible que la science et la
technique jouent le rôle d’idéologie, de justification de la rationalité capitaliste,
d’instrument de domination (Habermas). Ne faudrait-il pas dès lors concéder un droit
à la nature, exiger que l’homme, à présent qu’il peut la maîtriser, en prenne soin au
lieu de ne considérer que ses propres intérêts (Jonas) ? Enfin, n’y a-t-il pas des risques
énormes à partir du moment où l’homme, avec la technique nucléaire, ne trouve plus
seulement dans la technique un moyen de suppléer les forces humaines ou d’utiliser
les forces naturelles comme moyens de production mais devient capable de créer de
nouveaux processus naturels, de « faire la nature » (Arendt) ?

- La technique constitutive de l’homme : Il est peut-être tout à fait illégitime de


concevoir une opposition entre nature et culture, et donc entre nature et technique. En
effet, il y a un couplage structurel entre l’évolution de l’homme et l’évolution de ses
techniques. La technique est le moteur du développement des capacités cognitives et
linguistiques (Leroi-Gourhan). Pour le dire autrement, l’outil peut être considéré
comme un organe artificiel en ce sens qu’il est un prolongement du corps (Bergson). Il
est enfin nécessaire de contester les mécanismes de défense qui ont établi à l’égard de
la technique. On peut ainsi montrer que la technique est un mode d’être-au-monde de
l’homme au même titre que la religion, la science ou l’éthique. La technique est
porteuse de signification (Simondon).

Indications bibliographiques

Arendt, Condition de l’homme moderne, La crise de la culture ; Aristote, Éthique à


Nicomaque ; Bacon, La Nouvelle Atlantide ; Bloch, Le principe espérance ; Descartes,
Discours de la méthode ; Habermas, La science et la technique comme idéologie ; Hegel,
Phénoménologie de l’esprit ; Heidegger, La question de la technique ; Jonas, Le principe
responsabilité ; Leroi-Gourhan, Le geste et la parole ; Marx, Le capital, Manifeste du parti
communiste ; Simondon, Du mode d’existence des objets techniques

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