ZCulturenationaleet Sciences de Gestionhalshs

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 52

La culture nationale en sciences de gestion

Yvon Pesqueux

To cite this version:


Yvon Pesqueux. La culture nationale en sciences de gestion. Doctorat. France. 2024. �halshs-
02750098v4�

HAL Id: halshs-02750098


https://shs.hal.science/halshs-02750098v4
Submitted on 11 May 2024

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est


archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents
entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de
teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
Yvon PESQUEUX
Hesam Université (ESDR3C)
Professeur du CNAM
E-mail [email protected] / [email protected]
Site web esd.cnam.fr

La culture nationale en sciences de


gestion
Résumé
Ce texte est organisé de la manière suivante. Après avoir présenté la question des rapports
entre culture et organisation, ce texte aborde les aspects suivants : de la culture
organisationnelle ; la culture nationale en sciences de gestion ; l’apport de Geert
Hofstede ; l’apport de Philippe d’Iribarne ; la sociologie culturelle de P. Bourdieu ;
l’apport de Fons Trompenaars ; la théorie des axiomes sociaux ; l’apport de S. C.
Schneider & J.-L. Barsoux ; les autres perspectives ; management interculturel et
différentialisme ; un focus sur la gestion internationale des ressources humaines (le
courant de la convergence, l’approche contextualiste, l’hybridation, l’approche néo-
institutionnaliste, la théorie du pouvoir) ; un focus sur management et culture africaine ;
le passage du management interculturel à la gestion de la diversité ; l’activité
internationale : l’acculturation par les structures ; un focus sur les approches théorique de
l’internationalisation des entreprises (le modèle d’Uppsala (J. Johanson & J. E. Vahlne),
l’approche dite du born global, Le modèle EPRG de H. V. Perlmutter & D. A. Heenan
(1979)) ; interculturel ou multiculturel ? ; un focus sur idéaltype, stéréotype et préjugés ;
culture et références ultimes ; un focus sur la notion de proxémie ; un focus sur
l’inculturation.

Introduction

C’est surtout à partir de la décennie 1970 que cette perspective essentialiste de


l’organisation s’est développée à partir de la notion de culture, cette perspective ayant été
à l’origine d’un développement considérable de l’usage de l’hypothèse culturaliste en
sciences de gestion. Au regard des hypothèses de travail mobilisée dans les sciences de
gestion, on est ici dans celle qui concerne plus largement la question de l’action
organisée.

La référence à la culture s’est imposée à partir du moment où les agents organisationnels


tout comme les observateurs, se sont confrontés à cela au regard de l’internationalisation
des organisations. Ils en sont venus poser la question des liens qui peuvent s’établir entre
culture organisationnelle (comme cela avait été posé dans le « moment japonais »),
culture locale et « performance ». Cette interrogation a été à la base du développement
des études interculturelles et elle est venue fonder les pratiques de management
interculturel.
Yvon PESQUEUX
1
L’issue proposée à l’existence d’interactions « culture – organisation » a reposé sur la
reconnaissance de deux niveaux de culture autour de l’organisation :
- Celui d’une « sur-culture », comme les cultures nationales qui viennent troubler le
projet universaliste du fonctionnement organisationnel, trouble devant être géré en le
posant sous l’angle du management interculturel face à la question de savoir comment
une culture organisationnelle peut en même temps s’exporter et se localiser ;
- Celui de « sous-culture(s) » qui seraient dépassées par la vocation intégratrice de la
culture organisationnelle propre à résoudre les conflits liés à la dimension humaine
du sujet.
C’est du jeu relatif qui s’opère entre une culture organisationnelle à vocation pragmatique
avec une sur-culture et des sous-cultures que se précisent les contours de la construction
d’une culture organisationnelle dans les termes de l’acculturation vers le principe d’une
culture opérante qui tienne compte des éléments invisibles liés à ces deux niveaux.

Rappelons la vision qu’H. Mintzberg a formulé dans Voyage au centre des


organisations1, ouvrage dans lequel il analyse le passage d’une structure simple ou
entrepreneuriale, à une structure bureaucratique de type mécaniste, puis une bureaucratie
professionnelle, une structure divisionnalisée en s’achevant sur la description d’une
adhocratie. Les opérateurs en sont la spécialisation, la coordination, la formalisation (dont
la planification, le contrôle et la mise en oeuvre d’un système d’information) compte tenu
des choix opérés en matière de « centralisation – décentralisation ». C’est au niveau de la
bureaucratie professionnelle qu’il est question de l’influence majeure de la culture
professionnelle d’un (ou de plusieurs) groupe professionnel au sein d’une organisation
(la culture professionnelle du personnel médical à l’hôpital, par exemple).

De la culture organisationnelle

Avant la référence à la culture nationale, il a été question de culture organisationnelle et


de culture professionnelle. Rappelons ici la définition que donne E. E. Schein de la culture
organisationnelle, définition qui fait référence : « La culture peut être définie comme un
ensemble d’hypothèses fondamentales qu’un groupe donné a inventé, découvert ou
constitué en apprenant à résoudre ses problèmes d’adaptation externe et d’intégration
interne. Ces hypothèses ont été suffisamment confirmées dans l’action de sorte qu’on
puisse les considérer comme valides, et donc les enseigner à tout nouveau membre du
groupe, en les présentant comme la manière appropriée de pouvoir, penser et sentir les
problèmes de l’action collective »2. La culture organisationnelle est spécifique à chaque
organisation et traduit les normes de comportements acceptées de façon tacite et / ou
explicite par ses membres. En général, on distingue les composantes suivantes de la
culture organisationnelle : les croyances, valeurs et normes prévalant au sein de
l’organisation, les mythes, histoires et héros et les rites collectifs. Une première définition
de la culture organisationnelle a été attribuée à E. Jaques3 en 1951 qui la considère

1
H. Mintzberg, Voyage au centre des organisations, Editions d’Organisation, Paris, 2004 (Ed. originale :
Mintzberg on Management : Inside Our Strange World, Hungry Minds Inc., New York, 1989)
2
E. E. Schein, « Organizational Culture », American Psychologist, vol. 45, n° 2, 1990, pp. 109-119.
3
E. Jaques, The Changing Culture of a Factory: A Study of Authority and Participation in an Industrial
Setting, Tavistock, London, 1951
Yvon PESQUEUX
2
comme « son mode de pensée et d’action habituel, plus ou moins partagé et qui doit être
appris et accepté ».

Initiant ce qui va fonder le raisonnement en « couches », raisonnement très souvent utilisé


en management interculturel, E. E. Schein distingue trois niveaux qui permettent
d’identifier une culture au sein d’une organisation :
- Celui des artefacts observables qui peuvent être : la technologie, le langage parlé et
écrit, l’organisation physique de l’espace ou encore les habitudes vestimentaires ;
- Celui des valeurs qui décrivent comment il faut faire, dire et penser au sein de
l’organisation ;
- Celui des hypothèses fondamentales sous-jacentes à l’ensemble désigné parfois sous
les termes de présupposés, orientations de base ou credo.
On peut rapprocher ce dernier niveau de l’élaboration collective d’une « vision du
monde ». C’est à ce titre que l’on peut lui attribuer une représentation de la culture en
« pelure d’oignons » qui part des couches explicites pour aller vers celles des éléments
moins aisés à observer de façon matérialisée.

Certains éléments composent ce qu’on appelle la surface de la culture organisationnelle :


il s’agit des mythes, héros et rites. Une activité, qu’elle soit quotidienne ou
exceptionnelle, est qualifiée de rite lorsqu’elle se déroule invariablement selon les mêmes
étapes et suivant les mêmes règles4. Tout peut donc donner lieu à rite : les manières de
finir une lettre interne, de déjeuner, etc. Les rites traduisent le plus souvent une histoire
particulière propre à l’organisation (son métier d’origine, son statut initial) et
caractérisent son identité. Pour l’organisation, « ces normes, ces principes peuvent être
utilisés pour remplacer les règles et les procédures. Ils nécessitent alors d’être
intériorisés par les individus. Cette option laisse plus de marge de manœuvre dans la
prise d’initiative individuelle et donne globalement plus de souplesse à l’organisation
pour s’adapter »5.

C’est cette perspective de la culture organisationnelle qui a conduit à l’analyser au regard


de valeurs qui sont possibles à classer suivant qu’il s’agisse de valeurs déclarées (le plus
souvent par la Direction Générale), de valeurs pratiques (qui vont venir faire sens et
fonder culturellement la substance organisationnelle) et de normes. Comme le souligne
E. Godelier6, il est important de souligner la dimension métaphorique de la culture
organisationnelle qui conduit à devoir se poser la question de ce qu’elle recouvre
(complexité, irrationalité, racines historiques ou sacré, sanctification d’un héros, etc.).
C’est pourquoi il pose la question de savoir si la culture organisationnelle se situe contre
le management ou à côté ? S’agit-il alors d’un outil de la rhétorique managériale ou d’une
référence venant fonder les dimensions latentes du management ? La culture serait alors
ce qui permettrait de se passer du héros et / ou du leader. Il faut toutefois souligner
l’importance majeure de la culture organisationnelle à la fois dans les processus
d’apprentissage et de changement du fait de la manière dont elle fonde les représentations
(qui vont plus ou moins faciliter l’apprentissage tout comme le changement
organisationnel, l’innovation, la socialisation, etc.).

4
M. Bosche, « Corporate Culture : la culture sans histoire », Revue Française de Gestion, 1984, pp. 29-
38.
5
M. Bosche, op. cit.
6
E. Godelier, La culture d’entreprise, Editions La Découverte, collection « repères », n° 410, Paris, 2006
Yvon PESQUEUX
3
Pour sa part, G. Hofstede7 a proposé une typologie de la culture organisationnelle en six
dimensions :
- Celle de la culture du processus (par différence avec la culture du résultat), la
première étant marquée par l’attention accordée aux techniques. Cette dimension est
associée à celle d’homogénéité de la perception : dans les entités « orientées
résultat », chacun perçoit sa pratique de la même manière, alors que dans les entités
« orientées processus », il existe de grandes différences dans les perceptions selon les
niveaux et les sous-unités ;
- Celle de la culture « orientée travail » (par différence avec la culture « orientée
employés »). La première focalise l’exercice de la responsabilité sur la performance
du travail alors que la seconde repose sur une focalisation vers le bien être des
employés ;
- Celle des cultures professionnelles (par différence avec les cultures paroissiales) où
le critère d’identification essentiel est focalisé sur la profession dans le premier cas et
sur l’entité du lieu de travail dans le second ;
- Celle des cultures de système ouvert (par différence avec les cultures de système
fermé) qui se réfèrent au style que l’on retrouve à la fois dans la communication
interne et externe ;
- Celle des cultures de « contrôle serré » (par différence avec les cultures de « contrôle
délié ») qui se réfère au degré de formalisation et à l’importance accordée à
l’exactitude ;
- Celle des cultures pragmatiques (par différence avec les cultures normatives) qui se
réfèrent aux modalités de prise en considération des signaux provenant de
l’environnement.

La combinaison de ces dimensions conduit à six couples « valeur / besoin individuel »


types en liaison avec six pratiques individuelles types :
- Le besoin personnel d’accomplissement (sentir que l’on est important et donc
se sentir important) au regard du professionnalisme (l’investissement des
agents organisationnels dans l’organisation) ;
- Le besoin d’un environnement « qui soutienne » en liaison avec la plus ou
moins grande distance avec le management supérieur ;
- Le machisme (pression sociale qui valorise la réussite même si cela demande
des sacrifices) en lien avec la confiance dans les collègues ;
- La dépendance au travail qui vaut avec l’importance accordée à l’obéissance
aux ordres ;
- L’aliénation (qui conduit à une ambiance délétère) en liaison avec le degré
d’hostilité qui ressort du fonctionnement organisationnel ;
- L’autoritarisme (où le respect de l’autorité est imposé) en lien avec
l’importance accordée à l’orientation vers les résultats.

Signalons le modèle descriptif de K.S. Cameron & R. E. Quinn8 qui décrivent la culture
organisationnelle à partir de deux axes : l’axe « fiabilité & discrétion – stabilité &
contrôle » et l’axe « centrage sur l’interne & intégration – centrage sur l’externe &
différenciation » afin d’en mettre en évidence 4 catégories associées à des valeurs :

7
G. Hofstede, Cultures and Organizations: Software of the Mind, Mac Graw Hill, Londres, 1991
8
K. S. Cameron & R. E. Quinn, Diagnosing and Changing Organizational Culture. Based on the
Competing Values, Jossey-Bass, 2011.
Yvon PESQUEUX
4
- La culture clanique marquée par la collaboration au regard de valeurs telles que
l’engagement, la communication, le développement professionnel ;
- La culture adhocratique marqué par la cohésion au regard de valeurs telles que la
transformation, l’agilité, l’innovation ;
- La culture hiérarchique marquée par le contrôle au regard de valeurs telles que
l’efficacité, la cohérence, l’uniformité ;
- La culture orientée vars le marché, marquée par la compétition au regard d’une
valeur telle que la rentabilité.

La référence à une culture organisationnelle construit une représentation venant mêler


une perception holistique, historiquement déterminée (quant à l’organisation), reposant
sur des éléments tels que les rituels et les symboles, socialement construite, de forme
immatérielle et difficile à modifier9. Ces perspectives tendent toutefois à faire des
habitudes une culture, ce qui ne va pas de soi ! C’est à ce titre que certains auteurs10
tendent à faire de la culture organisationnelle la métaphore d’une conception symbolique
de l’organisation et non une variable, comme dans la perspective rationnelle et
fonctionnaliste qui l’envisage dans les catégories qui viennent d’être exposées. Dans son
acception symbolique, la question posée est d’ordre compréhensif et concerne ce qu’est
la signification de l’organisation pour ses membres ou, plus globalement, ce qu’elle est
(et non ce qu’elle a, comme dans la perspective fonctionnaliste). La culture
organisationnelle peut enfin être considérée comme un ensemble émergent de « micro-
cultures » observables dans les spécialités fonctionnelles, les divisions géographiques,
les unités de travail dans une logique que l’on pourrait qualifier d’« ultra-culturaliste »
dans la mesure où l’on a alors tendance à voir de la culture partout.

Y. Bertrand11 repère six approches de la culture organisationnelle :


- L’approche mécaniste : la culture est un ensemble de faits qu’il faut gérer comme
tout autre logique de l’organisation ;
- L’approche humaniste : la culture est l’ensemble des comportements partagés par
les agents organisationnels ;
- L’approche systémique qui fait de la culture un sous-système de l’organisation ;
- L’approche politique : la culture est l’ensemble des valeurs qui font l’objet d’une
lutte de pouvoir dans une organisation ;
- L’approche symbolique : la culture est l’ensemble des symboles et des mythes,
des croyances et des valeurs partagées par des personnes et qui définissent une
organisation ;
- L’approche cognitive : la culture est l’ensemble des connaissances qui orientent
la pensée et l’action dans une organisation.

Il est également intéressant de souligner la notion de « toile culturelle » qui est bien en
filiation avec ce qui précède. Formulée par L. Heracleous & B. Langham12, ils définissent
« le paradigme de la culture organisationnelle » à partir des éléments suivants : les
histoires et mythes de l’organisation, les symboles, la répartition des pouvoirs, la
9
G. Hofstede, « Organization Culture », in M. Warner (Ed.) International Encyclopedia of Business &
Management, Routledge, vol. 4, 1996, pp. 3821-3838
10
M. Rowlinson & S. Procter, « Organizational Culture and Business History », Organization Studies,
20/3, 1999, pp. 369-396
11
Y. Bertrand, Culture organisationnelles, Presses Universitaires de l’Université du Québec, 1991
12
L. Heracleous & B. Langham, « Strategic Change and Organizational Culture at Hay Management
Consultant », Long Range Planning, vol. 29, n° 4, 1996, pp. 485-494
Yvon PESQUEUX
5
structure de l’organisation, les sources de motivation, les systèmes de contrôles, les voies
de communication et les rites et routines.

La culture organisationnelle est d’abord perçue comme un élément stabilisant du


fonctionnement. D’ailleurs, si pour G. de Terssac & C. Chabaud13, la fiabilité générale
d’un système dépend des processus de coopération que les membres du groupe de travail
mettent en oeuvre pour combiner leurs propres actions, cette combinaison nécessite la
conception d’une référence qui se doit d’être opératoire par une élaboration en commun
et basée sur des compétences partagées - la culture - qui permet de compléter la
représentation que chacun se fait de la tâche et d’ajuster les décisions de chacun en
fonction des connaissances des autres. Ce partage de connaissances réduit ainsi la
dépendance cognitive qui peut exister dans des groupes où aucun échange n’est réalisé.
On constate que les conditions d’émergence d’une coopération interindividuelle
rejoignent les enseignements des recherches sur la culture organisationnelle et sur la
culture nationale.

M. Thévenet14 propose la lecture suivante des plis de la littérature concernant la culture


organisationnelle en distinguant les auteurs qui mettent en avant que l’organisation
possède une culture et qu’elle en constitue un des sous-systèmes (en cela, la culture
organisationnelle est une variable interne15) et ceux qui mettent en avant le fait que
l’organisation « est » une culture, L. Smircich16 distinguant l’approche cognitive (qui met
l’accent sur les croyances et systèmes de représentation communs aux agents
organisationnels d’où l’importance du partage) et l’approche symbolique qui est le sens
construit dans et par l’organisation. D’autres auteurs (C. I. Barmeyer & E. Davoine17)
distinguent les auteurs pour qui la culture est orientée vers la performance en faisant une
variable stratégique (T. J. Peters & R. H. Waterman18, T. E. Deal & A. A. Kennedy) de
ceux qui en font un vecteur d’identité (R. Sainsaulieu19).

P. J. Frost20 propose une typologie en trois volets avec :


- La perspective de l’intégration qui met l’accent sur la cohérence entre ses différents
éléments ;
- La perspective de la différenciation qui met l’accent sur les différences entre les sous
cultures de l’organisation – cf. l’étude de J. Van Maanen21 sur Disneyland qui, au-delà
de l’image extérieure qui repose sur le sourire et l’amusement, montre les différences
culturelles ainsi que la hiérarchie entre les corps de métiers - guides touristiques,

13
G. de Terssac. & C. Chabaud, « Référentiel Opératif Commun et Fiabilité », in J. Leplat & G. de Terssac
(Eds), Les Facteurs Humains de la Fiabilité dans les Systèmes Complexes, Éditions Octares Entreprises,
Toulouse, 1990
14
M. Thévenet, Audit de la culture d’entreprise, Editions d’Organisation, Paris, 1987
15
T. E. Deal & A. A. Kennedy, Corporate Culture, Perseus, New York, 1982
16
L. Smircich, « Concepts of Culture and Organizational Analysis », Administrative Science Quarterly,
vol. 28, n° 3, 1983, pp. 339-358
17
C. I. Barmeyer & E. Davoine, « « Traduttore, Traditore » ? La réception contextualisée des valeurs
d’entreprise dans les filiales françaises et allemandes d’une entreprise multinationale américaine »,
Management International, vol. 18, n° 1, 2013, pp. 241-265
18
T. J. Peters & R. H. Waterman, In Search of Excellence, Harper & Collins, New York, 1983
19
R. Sainsaulieu, L’identité au travail. Les effets culturels de l’organisation, Presses de la FNSP, Paris
1977
20
P. J. Frost (Ed.), Organizational Culture, Sage, New York, 1985
21
J. Van Maanen, « The Smile Factory : Work at Disneyland » in P. J. Frost et al., Reframing Corporate
Culture, Sage, New York, 1991
Yvon PESQUEUX
6
opérateurs de manège, vendeurs de billets, etc. ;
- La perspective de la fragmentation : les cohérences coexistent et évoluent d’où le
nécessaire décryptage de ses manifestations – cf. l’étude de M. Feldman22 sur le
département américain de l’énergie avec quatre types d’ambiguïté - l’ambiguïté de
l’intention sur ce que l’organisation tente de réaliser, l’ambiguïté de compréhension sur
les décisions de l’organisation doit prendre, l’ambiguïté historique sur le passé de
l’organisation et son interprétation et l’ambiguïté organisationnelle sur les rôles et les
responsabilités des actions.

Pour T. E. Deal & A. A. Kennedy, le concept de culture se compose de quatre éléments :


les valeurs (fondement de la culture), les héros (incarnation de ces valeurs), les rites
(expression concrète de la culture) et le réseau culturel (le mode organisationnel informel
pour diffuser et communiquer les valeurs culturelles).

La culture nationale en sciences de gestion

Cette question s’est posée à partir du moment où les agents organisationnels tout comme les
observateurs, accompagnant en cela le mouvement de la culture organisationnelle, sont venus
poser la question des liens qui peuvent s’établir entre culture nationale et performance. Cette
interrogation a été à la base du développement des études interculturelles et des pratiques de
management interculturel dans la mouvance du management comparatif.

H. Löning23 propose un schéma chronologique pour ce type d’études :


- Les études de management comparatif des années 1950 à 1970 ;
- L’« analyse sociétale » issue des travaux du Laboratoire d’Economie et de Sociologie du
Travail d’Aix-en-Provence ;
- L’Ecole néerlandaise avec les travaux de G. Hofstede ;
- Les études sur la gestion des entreprises et les traditions nationales de P. D’Iribarne.

Les premières grandes études des années 1950 à 1970 peuvent ainsi être qualifiées de
fonctionnalistes dans la mesure où il s’agissait de comprendre la dimension internationale
d’entreprises devenues multinationales. Il s’agit plus de décrire comment se passent les choses
que d’expliquer pourquoi et d’aboutir à la construction de « zones » sans aller au-delà dans
l’analyse. Ces études reviennent en fait à établir des notations telles que les critères d’efficience
nationale destinées à éclairer les investisseurs sur la perméabilité locale aux investissements
internationaux. Elle a fondé, en économie politique, la thématique des IDE (investissements
directs à l’étranger).

22
M. Feldman, « The Meaning of Ambiguity : Learning from Stories and Metaphors » in P. J. Frost et
al., Reframing Organizational Culture, Sage, New York, 1991
23
H. Löning, Une approche culturelle de l’utilisation des systèmes d’information comptable et de gestion
dans différents contextes nationaux : l’exemple de la France et de la Grande Bretagne, Thèse de doctorat,
Groupe HEC, 1994
Yvon PESQUEUX
7
J. Hilaricus24 rappelle que le transfert a d’abord été fondé comme un des aspects de la théorie
de la communication (C. E. Shannon & W. Weaver25) avant que la sociologie ne s’en empare
ouvrant une dimension sociale et constructiviste.

Elle distingue :
- La conception rationaliste qui va principalement étudier les transferts de
technologie au regard d’un processus et qui dissocie connaissance théorique de
connaissance pratique ;
- La conception cognitive qui va considérer la connaissance cognitive, les
compétences et la connaissance contenue dans les « objets » du transfert et qui
confond connaissance théorique et connaissance pratique ;
- La conception organisationnelle qui va mettre l’accent sur le contexte du transfert
et ouvrir le champ à l’hypothèse culturaliste.

Le transfert est une notion qui repose sur plusieurs dimensions :


- Une dimension sociale qui met en vis-à-vis confiance et engagement d’une part,
pouvoir et dépendance de l’autre ;
- Une dimension socio-constructionniste qui tient compte de la dimension
culturelle et sociale de l’apprentissage avec la référence à la notion de
« pratique » ;
- Une dimension cognitive qui va mettre en avant la notion de « traduction » où les
intermédiaires vont occuper une place importante.

La question des transferts va donc prendre en compte des facteurs de contingence, la


technologie, le contexte culturel, le statut et les rôles des agents organisationnels, mais avec des
faiblesses dans les analyses proposées : les généralisations hâtives, une conception holiste (pour
ne pas dire en « boite noire ») de l’organisation, le postulat de la stabilité des structures
organisationnelles malgré le transfert et son univocité (d’un émetteur vers un récepteur). C’est
face à cela que des termes tels que l’improvisation, la référence à des pratiques et des praticiens
ont été mises en avant. C’est ainsi que J. Hilaricus, en se focalisant sur le processus de transfert
met en avant 3 phases en interrelations : la formalisation (de la connaissance à transférer) avec
des référents tels que la définition d’un plan de transfert, la démarche coopérative, la notion de
phase pilote et l’élaboration des supports, la combinaison (avec les connaissances existantes)
dont les référents sont la formation des collaborateurs, le plan d’adoption, la construction des
outils de diffusion et de formation et la sensibilisation et collaborateurs et l’intériorisation avec
l’adaptation locale de la connaissance transférée, la mise en œuvre, la détection des premiers
problèmes et l’improvisation / formalisation qui en résulte.

Les travaux du Laboratoire d’économétrie et de sociologie du travail d’Aix en Provence, en


particulier ceux de M. Maurice & F. Sellier & J.-J. Sylvestre menés depuis le début des années
1980 conduisent à approfondir les axes d’explication des différences culturelles. Leurs travaux
ont été couplés avec ceux de M. Warner (un anglais) et de A. Sorge (un allemand) conduisant
à reconnaître l’importance du concept de culture, sa force explicative dans l’univers des théories
de la contingence, sa validité dans la manière d’aborder les problèmes d’organisation. Ces
recherches ont également contribué au développement de méthodes empiriques nouvelles. Ils

24
J. Hilaricus, Tranferts de pratique intra-organisationnel : le cas de cinq entreprises multinationales
‘françaises’ et de leurs filiales au Brésil, thèse CNAM – Université des Antilles et de la Guyane, 2009
25
C. E. Shannon & W. Weaver, The Mathematical Theory of Communication, The University of Illinois
Press, Urbana, Illinois, 1949, ISBN 0-252-72548-4.
Yvon PESQUEUX
8
se confrontent ainsi à la perspective culturaliste de G. Hofstede dont on verra qu’il considère la
culture comme une programmation mentale reposant sur des valeurs que ces auteurs considèrent
comme étant très floues. Mais leur centre d’intérêt est principalement l’organisation du travail,
c’est-à-dire les relations industrielles, l’éducation, la formation, les différentes catégories de
personnel et les phénomènes sociaux : « L’approche des effets sociétaux est une analyse
systémique de l’action sociale, qui insiste sur les interconnections entre différentes sphères
sociales telles que la production, les relations industrielles, la formation et l’apprentissage (...).
L’approche touche à la théorie des organisations, mais ne lui est pas spécifique ; elle a des
applications à la recherche sur la stratification sociale, les relations industrielles, l’économie
du travail, ainsi que d’autres sujets »26. Il s’agit donc pour eux de se focaliser sur les modes
d’organisation du travail plus que sur les organisations et leurs modes de gouvernement.

L’apport de Geert Hofstede


G. Hofstede peut être considéré comme l’initiateur des recherches qui s’intéressent aux
interférences entre les composantes culturelles nationales et l’organisation. En 1980, il fonde
ses travaux sur une base de données concernant le personnel d’IBM soient 116 000 réponses à
un questionnaire envoyé à travers le monde dans le but d’évaluer les valeurs et les perceptions
de la situation de travail et traités par une analyse factorielle conduisant à extraire des
dimensions de la culture. Il considère la culture comme une programmation mentale des
comportements des individus ce qui conduit à l’idée que le comportement des individus puisse
être prévu par référence à des éléments de cette culture. Il suggère ainsi que les modèles de
culture se fondent sur des systèmes de valeurs qui peuvent être observés et qui peuvent
également être considérés comme étant stables. C’est ainsi que ces valeurs possèderaient à la
fois une dimension individuelle et collective : individuelle comme attributs des sujets et des
collectivités qui s’y réfèrent et collective comme il sied au concept de culture lui-même. La
mise en oeuvre des valeurs conduit aux préférences qui peuvent ainsi être constatées et ces
valeurs distinguent entre valeurs désirées et valeurs désirables.

En se confrontant à l’informel des organisations sur la base de ses hypothèses de travail, G.


Hofstede aboutit à quatre dimensions constitutives de la culture nationale susceptibles d’être
quantifiées, choix que d’aucuns critiqueraient comme étant déjà biaisé culturellement (plus une,
à destination des pays asiatiques et qualifiée de « dynamisme confucéen »).

L’aversion face à l’incertitude « mesure le degré de tolérance qu’une culture peut accepter face
à l’inquiétude provoquée par des événements futurs »27 ce qui rendrait plus difficile l’exercice
d’un gouvernement formel dans une société dont les habitants sont habitués à un climat
d’incertitude.

La distance hiérarchique ou « la perception du degré d’inégalité de pouvoir entre celui qui


détient le pouvoir et celui qui y est soumis »28 ; « la distance hiérarchique se lit aussi dans la
langue »29. Lorsque la distance hiérarchique est grande, la structure organisationnelle est
pyramidale.

26
A. Sorge & M. Warner, Comparative Factory Organization, Gower Limited, Aldeshots, Hants, 1986
27
D. Bollinger & Geert Hofstede, Les différences culturelles dans le management, Editions d’Organisation,
Paris 1987, p. 103
28
D. Bollinger & Geert Hofstede, op. cit., p. 82
29
D. Bollinger & Geert Hofstede, op. cit., p. 90
Yvon PESQUEUX
9
La masculinité ou la féminité des valeurs dominantes, qualificatifs inspirés de l’anthropologie
de M. Mead où, dans une société masculine, la domination et la réussite individuelle des
hommes seraient favorisées et valorisées alors que, lorsque les rôles sont interchangeables, la
société serait plutôt féminine ; « dans les sociétés à traits masculins, l’homme doit s’imposer et
montrer qu’il est le plus fort, tandis que la femme doit s’occuper de la qualité de la vie »30. Ce
critère met bien en évidence la différenciation sociale des rôles sexuels.

Le niveau d’individualisme concerne le type de relations qui existent entre les individus et leur
degré de dépendance vis-à-vis des groupes, entreprises auxquelles ils appartiennent. Plus un
pays serait riche et plus l’individualisme avec la légitimité accordée à l’expression égoïste de
l’intérêt personnel serait important.

Le dynamisme confucéen, qui est une dimension qui serait propre aux cultures asiatiques et
concerne l’orientation à court ou long terme. Il se caractériserait par la loyauté, le crédit accordé
aux autres, l’honnêteté vis-à-vis des membres du groupe auquel on appartient, le respect des
parents, l’importance accordée au statut, une préférence pour la frugalité et la persistance (qui
amène à considérer que le succès à long terme est plus important que le succès immédiat).

La culture nationale française, par exemple, serait caractérisée par son individualisme, sa bonne
tolérance de l’incertitude, un goût pour la distance hiérarchique et une attitude plus féminine
que masculine pour la confrontation aux problèmes, ce qui expliquerait le développement et la
légitimité des structures bureaucratiques. Les recherches de G. Hofstede ont bien sûr donné lieu
à critiques : la signification des scores, l’aspect restrictif des items insuffisants pour définir une
culture nationale, leur ambiguïté (l’individualisme chinois est-il vraiment de même nature que
l’individualisme américain ?), l’interdépendance des items, leur vocation à construire une
caricature… Il en va aussi de son utilisation prescriptive, par exemple dans le cas des « fusions
– acquisitions » où ces items servent à des diagnostics sur la base de préjugés, soit de façon
prédictive, soit sous forme de rationalisation ex post. On pourrait ainsi rétrospectivement
expliquer ainsi l’échec de la fusion « Renault – Volvo « , mais pas la réussite de la fusion
« Renault – Nissan » ni celle d’air France avec KLM ! Le culturalisme de la perspective
d’Hofstede repose sur la mobilisation de patterns qui entrent en collision avec la généralité des
méthodes de gestion. Mais au-delà des concepts, c’est plutôt la méthode de recherche et les
catégories auxquelles elle mène qui sont discutables car il semble difficilement acceptable de
réduire la culture à des catégories aussi restreintes même si G. Hofstede défend la vocation à la
supériorité de la quantification pour des sociétés modernes où nous disposerions, somme toute,
des éléments nécessaires à cette analyse quantifiée. Le projet épistémologique de G. Hofstede
est de construire une sociologie sur la base d’une méthode statistique. On pourrait dire que G.
Hofstede fait de la culture un contexte d’action là où, comme on le verra ensuite, P. d’Iribarne
en fait un contexte de sens.

D’autres auteurs ont prétendu, tout en conservant le cadre méthodologique de G. Hofstede, le


dépasser à partir d’autres items. C’est le cas de S. H. Schwartz31 qui propose de retenir 6 (10

30
D. Bollinger & Geert Hofstede, op. cit., p. 137
31
S. H. Schwartz, « Beyond Individualism / Collectivism: New Cultural Dimensions of values, in U. Kim
& H. C. Triandis & C. Kagicibasi & S.-C. Choi & G. Yoon (Eds.), Individualism and Collectivism: Theory,
Method and Application, Sage, 1994, pp. 85-99
Yvon PESQUEUX
10
ensuite dans un texte de 199732) avec l’accomplissement, l’autonomie, la bonté, le
conformisme, l’hédonisme, le pouvoir, la sécurité, la stimulation, la tradition, l’universalisme)
et des types de valeurs : le conservatisme (valeurs d’adhésion au groupe comme la sécurité, la
conformité, la tradition, etc.), l’autonomie intellectuelle et affective (qui fonde l’individu
comme sujet autonome et accorde une place centrale à l’expression de ses intérêts), la hiérarchie
(avec la plus ou moins grande importance qui lui est adressée), la maîtrise (qui encourage les
individus à changer leur environnement), l’engagement égalitaire (qui fait la promotion de ce
qui va au-delà des intérêts égoïstes) et l’harmonie (avec la nature). Ces dimensions peuvent être
ramenées à deux grands couple : « autonomie – conservatisme » et « hiérarchie – engagement
égalitaire et harmonie) ».

L’apport de Philippe d’Iribarne

P. d’Iribarne s’inscrit, par sa méthode, en réaction à cette approche avec La logique de


l’honneur33. Il plaide ainsi pour le développement de méthodes de gestion appropriées au
contexte culturel de chaque pays. Prenant acte de la référence au modèle japonais de
fonctionnement des organisations, mais se gardant du particularisme excessif du déterminisme
culturel, il défend l’idée qu’il serait nécessaire d’acclimater les méthodes de gestion. Il construit
son point de vue autour de l’observation de trois usines comparables situées dans trois pays : la
France, les Etats-Unis et les Pays-Bas. Il effectue un raisonnement identique dans chacune des
trois parties de son ouvrage : la description du fonctionnement des trois usines, une tentative
d’explication culturelle des différences constatées essentiellement par recours à l’histoire
comme fondement de ses interprétations car c’est pour lui au niveau du lieu de travail que
s’opère l’osmose entre le niveau organisationnel et le niveau culturel de la société. Il en déduit
un idéal de l’honneur en France, pays où débats et conflits d’opinions sont possibles, un idéal
de l’échange équitable construit sur une base contractuelle aux Etats-Unis et un idéal du
consensus aux Pays-Bas. Ces idéaux sont eux-mêmes le produit d’une tradition qui, pour la
France, serait liée aux trois ordres politiques de l’Ancien Régime (noblesse, clergé et Tiers
Etat), à l’appartenance à un corps, à celle de marchands pieux aux Etats-Unis et à la nécessité
de s’entendre aux Pays-Bas pour gérer le mariage de l’eau et de la terre. Chaque pays est donc
singulier et les modes de fonctionnement des organisations ont vocation à s’y adapter. Les
démarches y sont donc de type ethnographique, mais débouchent sur le singulier : singularité
de l’observation et singularité de ce qui est observé et l’on reste donc en attente du modèle
général. En effet, les traits de culture ne sont pas nécessairement intransférables. Par ailleurs,
les sous-modèles explicatifs risquent les excès de leur singularité et l’on peut craindre, en
utilisant de façon trop simpliste l’appareillage ethnographique prôné par l’auteur, de finir par
déboucher sur les caricatures des Français débrouillards et des Allemands disciplinés !

Logiques culturelles de gestion et culture nationale34 :

Pays France Etats-Unis Pays-bas

Caractéristiques de la Société d’ordres, Acte de 1620, Fonctionnement des

32
S. H. Schwartz, Values and Culture in M. D. Carr & J. F. Schumaker (Eds.), Motivation and Culture,
Routledge, New York, 1997, pp. 69-84
33
P. D’Iribarne, La logique de l’honneur, Seuil, Paris 1989
34
I. Fréchette, « Logiques culturelles de gestion et culture nationale » in J.-F. Chanlat & E. Davel & J.-P.
Dupuis (Eds.), L’nalyse interculturelle en gestion, une approche intégrée, PUL, Canada, 2008
Yvon PESQUEUX
11
société traditionnelle hiérarchie du pur et forme du contrat, institutions
De l’impur, opposi- caractère sacré du politique de
-tion noble/vil, contrat, valeurs l’Union
valeurs de distinction marchandes mélange d’indépen-
et de désintéresse- d’honnêteté, -dance et d’esprit
-ment, Etats héritage de de compromis, refus
monarchiques marchands pieux, de positions
exécutifs comme hégémoniques
mandataires

Logique culturelle logique de logique du logique du


typique l’honneur fair contract consensus

Caractéris- Sens remplir les respecter chercher à


-tiques du devoirs dictés par fidèlement les s’accorder, respecter
devoir la coutume termes du contrat les accords passés

Rapports pluralité des à l’image d’une grande résistance


hiérarchiques rapports, opacité relation client - aux pressions,
dans les relations fournisseur transparence dans
les relations

Perception du aversion envers contrôle des contrôle perçu


contrôle le contrôle résultats accepté positivement

Définition interprétation codification établies suite


des individuelle des minutieuse des aux discussions
responsabili- responsabilités droits et devoirs par
-tés le supérieur

Sanctions pas de sanctions droit de sanctionner fortement rejetées


avouées (protection selon le contrat
de l’honneur)

Qualité de dépend de la qualité relativement élevée grande étant donnée


la coopéra- des relations étant donné le l’attention
-tion personnelles caractère précis des accordée à ce que
devoirs pensent les autres

Problème conflits ouverts, part d’arbitrai- désengagement,


violence verbale -re, de subjectivité mauvais traitement
du matériel, absen-
-téisme, et turnove

Régulateur principe de mœurs sous-tendant organisation précise,


modération avec les procédures données factuelles,
(honnêteté, fairness, prévisibilité,
bonne foi, etc.) discussion

Yvon PESQUEUX
12
Logique de gérer à la française : gérer à l’américaine : gérer le consensus :
gestion connaître ce qui traiter le personnel écouter, parler,
blesse et abaisse et conformément aux consulter, expliquer.
respecter valeurs politiques S’abstenir de
l’importance de américaines violence verbale.
l’honneur d’égalité Eviter les conduites
imprévisibles

Mais P. d’Iribarne, dans un ouvrage de 199835, nous propose une série d’études de cas destinées
à valider sa méthode ethnographique sur une base beaucoup plus large que dans La logique de
l’honneur. Ces cas ont été répartis en trois ensembles : la modernisation de la gestion (avec
l’exemple d’une entreprise québécoise, d’une entreprise belge et d’une entreprise française),
les cultures face à face (« France – Suède », « France – Slovénie », « France – Suisse »), une
gestion innovante pour le Tiers Monde (Mauritanie, Cameroun, Maroc). Mais c’est surtout dans
la quatrième partie que Philippe d’Iribarne fait le point de sa réflexion sur les liens « culture
nationale - activité internationale ». Il met ainsi en évidence le fait que l’anthropologie
contemporaine privilégie la culture comme contexte d’interprétation ce qui le conduit à justifier
qu’au sein d’une même culture, pratiques, enjeux, stratégies n’ont pas la même valeur et de
proposer ainsi le recours à des références ultimes fondées par l’histoire. C’est en effet la
particularisation de ces valeurs ultimes qui permettrait de justifier les ethos spécifiques des
groupes sociaux. Mais les cultures nationales sont aussi ce qui inspire les ordres politiques et
ceci pose le problème du transfert d’une logique d’explication applicable aux institutions vers
les organisations. La culture nationale est aussi la référence qui permet de rendre intelligibles
les conflits identitaires plus que les conflits organisationnels. Le concept de culture constitue
ainsi le premier point d’entrée dans les figures de la communauté à un lieu donné et à un
moment donné. C’est à ce titre qu’il aurait quelque chose à nous dire.

P. d’Iribarne propose deux critères permettant de distinguer les cultures :


- Les rapports à la subordination qui permettent d’aborder les rapports entre « face » et
« pouvoir » et valider ainsi la variété des conceptions de l’Homme libre dans les sociétés
modernes ;
- Le sens donné à l’épreuve qui repose sur l’interprétation des sanctions et des critiques et sur
celui donné à l’échec.

Ce sont ces éléments-là qui autoriseraient à justifier une géographie des cultures à partir des
relations qui s’établissent entre langues et cultures même si cette approche ne permet pas
d’épuiser l’analyse de leur diversité. D’autres interlocuteurs ont souligné l’importance du
rapport au temps et donc la compréhension culturelle qui en est faite. Mais c’est donc bien aussi
sur la dualité « langue – communautés » politiques comme caractéristiques des liens qui
s’établissent entre habitus et socius qu’il serait possible de justifier les différences entre les
cultures et, par là même, la référence à P. Bourdieu.

La sociologie culturelle de P. Bourdieu

35
P. d’Iribarne & A. Henry & J.-P. Ségal & S. Chevrier & T. Globokar, Cultures et mondialisation, Seuil,
Paris 1998
Yvon PESQUEUX
13
En effet, même si P. Bourdieu se réfère aux différences culturelles pour distinguer et opposer
les groupes sociaux, il utilise rarement le concept anthropologique de culture. Il ne s’intéresse,
le plus souvent, qu’à une conception restreinte de la culture - les oeuvres culturelles, c’est-à-
dire les productions symboliques socialement valorisées. Comme sociologue de la culture, il
s’agit pour lui d’expliciter les mécanismes sociaux à la base des pratiques culturelles qui
dépendraient des catégories sociales. C’est pour traiter de la culture au sens ethnologique du
terme qu’il recourt au concept d’habitus vu comme « des systèmes de dispositions durables et
transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme des structures
structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et
de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée
consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre »36. A
des positions qui diffèrent dans un espace social donné correspondent des différences de style
de vie. C’est ce qui viendrait matérialiser l’intégration de la mémoire collective dans la mémoire
individuelle et structurer ainsi les comportements37.

Il parle d’un univers où les agents ne sont pas considérés d’abord comme des sujets conscients,
mais comme des agents agissants et dotés d’un sens pratique, d’un système acquis de
préférences et de capacités de perceptions. Les comportements de ces agents peuvent être
expliqués par référence à la rationalité, même s’il n’y a pas de calcul rationnel explicite et
conscient comme chez l’homo economicus. A un moment donné, il existe donc un « rapport
entre les positions sociales (concept relationnel), les dispositions (ou les habitus) et les prises
de position, les choix que les agents sociaux opèrent ». En d’autres termes, « les familles sont
des corps animés d’une sorte de conatus au sens de Spinoza, c’est-à-dire d’une tendance à
perpétuer leur être social avec tous ses pouvoirs et ses privilèges, qui est au principe des
stratégies de reproductions ». Les rapports sociaux sont plutôt des rapports de force
symboliques, mais peuvent ou ont pu être des rapports de force physique. Dans les champs
sociaux, enfin, il existe une légalité spécifique. Dans cet ouvrage (comme dans d’autres), il
s’agit de générer et prouver la validité d’une compréhension des choses à partir d’une grille de
lecture en montrant l’utilisation qui peut en être faite dans divers cas (ici la société française
des années 1970, la littérature dans les années 1880, l’Etat, les actes désintéressés, les rapports
de domination, la recherche scientifique, la morale).

C’est en effet la position dans le champ social qui influence la vision du monde, les goûts…
(l’habitus). Cet habitus, sorte de structure incorporée à l’agent influence ses choix et ses
stratégies et conforte sa position dans la « structure objective » des institutions de la société. Ce
sera, par exemple, le cas de l’école, si bien que, dans de nombreux champs sociaux, la
soumission à l’intérêt général est le meilleur moyen de défendre son propre intérêt (exemples :
la bureaucratie, la famille, etc.). Les relations de domination sont alors le fruit d’une violence
symbolique. Pour Pierre Bourdieu, la sociologie est un instrument de connaissance de soi qui
remet en question les libertés illusoires et permet de conquérir la liberté par la connaissance des
déterminismes sociaux. Un terme revient d’ailleurs souvent dans l’œuvre de P. Bourdieu : la
doxa. Celle-ci est le point de vue des dominants qui s’impose à tous comme point de vue
universel. S’il y a eu des affrontements pour créer ce point de vue, ils sont éloignés et enfouis
dans l’inconscient. En effet, « les penseurs laissent à l’état impensé (doxa) les présupposés de
leur pensée, c’est-à-dire les conditions sociales de possibilité du point de vue scolastique, qui
sont acquises au travers d’une expérience scolaire, ou scolastique, souvent inscrite dans le
prolongement d’une expérience originaire (bourgeoise) de distance au monde et aux urgences

36
P. Bourdieu, Le sens pratique, Editions de Minuit, Paris 1980, p.88
37
P. Bourdieu, raisons pratiques – Sur la théorie de l’action, Le Seuil, Paris, 1994
Yvon PESQUEUX
14
de la nécessité ». Pour comprendre, il faut donc critiquer le point de vue théorique qui neutralise
les intérêts et enjeux pratiques. Les stratégies de conformation, apparentes à l’universel,
reconnaissent la règle jusque dans sa transgression. C’est aussi accorder au groupe ce qu’il
demande c’est-à-dire l’acceptation de la représentation qu’il souhaite donner et se donner de
lui-même. Et le groupe récompense cette soumission, réelle ou fictive, du moi au nous. On peut
donc tenir pour loi anthropologique universelle l’existence de « profits d’universalisation ».
L’universalisation est une stratégie de légitimation mais elle est universellement connue. D’où
le fait que toute conduite formellement conforme à l’universel peut être soupçonnée de viser
l’appropriation de force symbolique.

L’identification des ressources liées à une culture permettrait-elle, dans l’univers de la Raison
utilitaire de l’organisation, de déboucher sur un apprentissage plus rapide à partir de
l’expérience, en valorisant un lien quasi déterministe entre habitus et socius ? Est-ce ce qui
permettrait de mettre en oeuvre localement des principes généraux liés à des méthodes de
gestion en donnant corps aux valeurs d’une institution, l’organisation, comme lieu spécifique
de coproduction de valeurs à un lieu donné et à un moment donné du fait l’interférence qui
s’opère avec les valeurs des communautés locales ? Le mode de perception de cette
coproduction reposerait ainsi sur l’examen de l’étiquette à l’oeuvre dans l’entreprise ce qui
permet de donner corps au lien « habitus – socius ».

Le jeu de la traduction de termes dont le contenu en valeur est essentiel représente ainsi un
terrain privilégié de mise en évidence de cette coproduction. P. d’Iribarne nous indique que ce
serait, par exemple, le cas pour le terme anglais fair. Il plaide aussi pour ce qu’un tel projet de
compréhension peut nous dire dans le contexte des coopérations internationales qui
s’établissent dans les entreprises car il rendrait intelligible la force des malentendus et
permettrait d’aboutir à de meilleurs ajustements mutuels.

Au-delà des différences entre sa perspective et celle de P. Bourdieu, les travaux de P. d’Iribarne
peuvent être considérés comme majeurs, même s’ils ont fait l’objet de critiques, en particulier
celle d’E. Friedberg38 qui évoque la confusion entre le fait social total et le fait de l’organisation
qui n’en est pas un car elle est bien trop en relations avec la société.

L’apport de Fons Trompenaars

Un autre auteur du domaine est F. Trompenaars39. De père hollandais et de mère française, il


s’est formé en Europe et aux Etats-Unis et il a travaillé pendant sept ans à la direction des
ressources humaines de Shell où il a commencé à réaliser un travail d’enquête sur les différences
culturelles qui apparaissent dans les contextes professionnels. Ce sont ces travaux qui l’ont
amené à rédiger l’ouvrage dont il est question ici, dans la perspective du management
interculturel. L’auteur a également publié un ouvrage40 consacré à l’application de sa méthode
à l’étude de sept pays tels que la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Japon, les Pays-Bas, le
Royaume-Uni et la Suède.

Ses postulats sont les suivants :

38
E. Friedberg, Document Ecole de Paris, 1994
39
F. Trompenaars, L’entreprise multiculturelle, Editions Maxima, Paris, 1993
40
C. Hampden & Turner & F. Trompenaars, The Seven Cultures of Capitalism, Double-day, New York, 1993
Yvon PESQUEUX
15
- La globalisation pousse les entreprises à vouloir uniformiser leurs modes de management
et à imposer à leurs filiales ces systèmes d’organisation. Mais l’expérience montre que les
paradigmes issus le plus souvent des universités américaines de management tels que le
management participatif par objectifs, la rémunération en fonction des résultats, la qualité
totale, les organisations matricielles, les centres d’évaluation, la hiérarchie plate, etc.
peuvent ne pas être appropriés à certaines cultures et sont voués à l’échec si les managers
ne prennent pas en considération les spécificités locales. L’incompréhension des différences
culturelles semble être à la source de dysfonctionnements. Il faut donc essayer de déterminer
les caractéristiques des différentes cultures nationales, de l’entreprise et des fonctions afin
de trouver des modes de gestion plus appropriés ;
- F. Trompenaars reprend la définition d’Edgar Schein pour définir la culture comme « la
manière dont un groupe de personnes résout ses problèmes ».

Pour lui, la culture est faîte de couches superposées avec :


- La couche superficielle qui est la culture observable car la plus apparente. Elle est constituée
de la langue, de l’alimentation, des immeubles, des maisons, des monuments, etc. ;
- La culture observable qui est le reflet de la couche médiane, composée des normes et des
valeurs d’un groupe d’individus. Les normes sont ce qu’un groupe admet généralement
comme étant bien ou mal. Les valeurs définissent par ailleurs l’aspiration au bien ou au mal
et servent de critère pour choisir entre plusieurs possibilités ;
- Le noyau dur de ces valeurs qui recouvre les postulats touchant à l’existence et plus
particulièrement la façon dont un groupe s’est organisé au fil du temps pour faire face à son
environnement et assurer sa survie ;
- La culture permet à un groupe de communiquer et d’aborder les problèmes de manière
spécifique, mais constitue également la base des significations que le groupe construit,
c’est-à-dire sa vision des choses. C’est pourquoi il est essentiel, pour un dirigeant,
d’identifier les spécificités de la culture d’un groupe pour comprendre sa façon de réagir et
de régler les problèmes auxquels il est confronté.

Cet ouvrage présente une analyse de l'impact des différences de culture nationale sur les
pratiques de management selon sept dimensions, dont on peut d’ailleurs discuter de l’aspect
superficiel ou profond :
- Universalisme ou particularisme des traits de culture ;
- Individualisme ou collectivisme du contenu des valeurs ;
- Objectivité ou subjectivité des modes d’appréciation ;
- Importance du degré d’engagement - diffus ou limité - envers une personne ou une
situation ;
- Importance du statut attribué ou du statut acquis ;
- Attitude à l'égard du temps ;
- Volonté de contrôle de la nature.

On retrouve donc ici la logique d’items mais d’items sensiblement différents de ceux déjà
mentionnés quand il s’agissait de traiter des enquêtes de G. Hofstede.

La typologie qu’il offre des différences culturelles repose sur le constat que l’Homme est
soumis à trois types de problématiques : sa relation avec les Autres, sa gestion du temps et la
façon dont il traite avec le monde extérieur. Les cultures apportent des réponses différentes à
ces trois types de problématiques.

Yvon PESQUEUX
16
Pour les relations avec les Autres, considérer qu’il n’existe qu’une règle universelle ou
différentes solutions s’appliquant à des cas particuliers permet de distinguer entre les
perspectives universalistes et les perspectives particularistes. Les cultures universalistes
considèrent qu’une solution qui a résolu un problème une fois doit toujours être appliquée. En
cela, il semble préférable d’appliquer la norme, la règle. Elles induisent à chercher la solution
à portée générale, quels que soient les cas particuliers. Par différence, les cultures particularistes
accordent plus d’attention aux obligations relationnelles et aux circonstances conjoncturelles.
Confrontés à un problème, les particularistes cherchent une solution adaptée à la situation
particulière.

C’est le fait d’être tourné vers l’individu ou vers l’extérieur qui permet de distinguer entre
individualistes ou collectivistes. L’auteur avance qu’il existe un lien entre les pays protestants
et les traits de culture individualiste, entre les pays catholiques latins, les pays asiatiques et les
traits de culture collectiviste. Les implications de ces deux dominantes sont multiples en matière
d’organisation. Les individualistes considèrent que les décisions doivent être prises par un seul
responsable qui en assume les conséquences. Par différence, les collectivistes cherchent un
consensus entre tous les membres du groupe concerné. La décision qui en sortira engagera toute
l'équipe.

C’est le fait d’avoir des relations objectives et neutres ou tenir compte de ses sentiments qui
permet de distinguer entre les traits de culture objectifs ou subjectifs. S’impliquer de façon
personnelle ou partiellement lui semble aussi quelque chose d’important. La part de la
personnalité et de la vie privée dévoilée aux autres dans le cadre professionnel dépend des
cultures. Par ailleurs, certains agents organisationnels changent de comportement selon le
contexte, tandis que d'autres gardent la même attitude en tous lieux. C’est le fait d’avoir une
position sociale attribuée ou acquise grâce aux réalisations qui permet de distinguer entre les
cultures à statut attribué ou à statut acquis et la reconnaissance du statut est particulièrement
déterminante en négociation.

L’attitude vis-à-vis du temps est également significative : s’agit-il de s'organiser de façon


séquentielle ou synchrone ? Au sein de certaines cultures, le temps est une série d’évènements
qui passent les uns à la suite des autres sans influence réciproque. Les activités sont organisées
en séquences successives et isolables. Ces cultures, dites séquentielles, programment
l’utilisation du temps. Elles ont élaboré des outils poussés de planification. Dans d’autres
groupes culturels, les événements suivent un cycle. Chaque heure du jour se répète, et le temps
n’est organisé qu’en cycle : jour, semaine, mois, saison, année… De plus, le passé, le présent
et le futur s’interpénètrent à tel point que, par exemple, l’expérience du passé ou les attentes du
futur influencent la vision du présent. Dans ces cultures, dites synchrones, on préfère réagir aux
circonstances plutôt que suivre un calendrier. Le cas échéant, plusieurs activités sont menées
en parallèle. Alors que les pays anglo-saxons se montrent séquentiels, les pays méridionaux
sont les plus synchrones. En général, les synchrones trouvent que les séquentiels manquent de
souplesse. Les séquentiels, quant à eux, jugent les synchrones désorganisés et sont
décontenancés par leur façon d'ignorer les files d'attente et leur manque de ponctualité.

L’attitude vis-à-vis de l’environnement se caractérise par l’existence ou non d’une volonté de


contrôler la nature ou de la laisser suivre son cours. Les cultures asiatiques feraient partie de
celles qui respectent la nature et se laissent guider par ses lois. Cette opposition culturelle se
traduit dans la stratégie de développement de nouveaux produits. Dans les cultures qui
« contrôlent », on a tendance à pousser sur le marché ses dernières avancées technologiques.

Yvon PESQUEUX
17
Dans les cultures qui « suivent », on cherche d'abord à développer le produit demandé par les
clients. Il s'agit plutôt de s'adapter à la demande du marché.

F. Trompenaars met en garde le lecteur : ceux qui ne tiennent pas compte des différences
culturelles se heurtent souvent à des malentendus, voire à des échecs. Par différence, le dirigeant
qui connaît et comprend les différences culturelles détient un avantage certain. En effet, il peut
en tirer parti pour réussir en négociation et en management international.

Pour cela, il doit :


- Admettre que ces dispositifs de gestion ne s'exportent pas toujours ;
- Reconnaître qu'il n'y a pas de modèle culturel plus efficace qu'un autre ;
- Adapter ses comportements selon le contexte culturel.

Outre le reproche déjà adressé aux travaux G. Hofstede pour ce qui concerne la réduction de
traits culturels compréhensifs en items, la limite de la méthode employée par F. Trompenaars
est liée à l’utilisation de questions binaires qui ne permettent pas de distinguer ceux qui hésitent
ou abordent la question différemment. On peut également se demander s’il est judicieux de
penser pouvoir dégager des éléments de culture à partir de réponses données par un échantillon
limité et pour lequel l’auteur lui-même admet la sous-représentativité des petites entreprises et
même des différences régionales.

La théorie des axiomes sociaux

Elle a été fondée par K. Leung (Department of Management, City University of Hong Kong) et
M. H. Bond (Department of Psychology, Chinese University of Hong Kong)41. Elle se présente
comme une alternative postérieure aux conceptualisations de G. Hofstede et de F. Trompenaars
à partir de deux objectifs : expliquer les différences culturelles par des entrées différentes des
valeurs mises en avant par les auteurs ci-dessus et offrir une triangulation de leurs résultats. Elle
ajoute les croyances aux valeurs comme déterminants possibles des comportements. Les
axiomes sociaux sont des croyances générales que les individus acquièrent tout au long de leur
socialisation, croyances occupant une place centrale dans leur processus cognitif. Pour les
attitudes, les auteurs adoptent une perspective fonctionnaliste quant au rôle des croyances et
postulent qu’elles occupent une place centrale à partir de quatre fonctions : elles facilitent la
réalisation individuelle des objectifs (rôle instrumental), elles aident les individus à protéger
l’intégrité de leur personne (rôle de protection), elles leur servent à exprimer leurs valeurs (rôle
d’expression) et à comprendre le monde (rôle cognitif). Les axiomes sociaux sont donc de
nature culturelle et de portée universelle. Ce sont des croyances sur les personnes, les groupes,
les institutions, l’environnement physique et cognitif tout comme sur les phénomènes sociaux
et reposent sur des liens établis entre des entités et/ou des concepts. Ces assertions sont du type
« les bonnes choses arrivent aux personnes bonnes ». Elles diffèrent du contenu évaluatif de la
référence aux valeurs (« la guerre est une mauvaise chose »), alors que « la guerre conduit à la
destruction de la société » est de type assertif car il y a relation entre deux entités.

Les axiomes sociaux sont au nombre de cinq :


- Le cynisme social qui est une représentation négative de la nature humaine, tout
particulièrement liée à la représentation d’une espèce humaine aisément corruptible par le
41
K. Leung & M. H. Bond, « Social Axioms: A model for Social Beliefs in Multi-cultural Perspective »,
Advances in Experimental Social Psychology, n° 36, 2004, p. 119-197
Yvon PESQUEUX
18
pouvoir et donc une défiance vis-à-vis des institutions et vis-à-vis d’une approche éthique
de la réalisation des fins ;
- La complexité sociale qui suggère qu’il n’existe pas de règles rigides, mais de nombreuses
manières de réaliser une fin donnée, ce qui débouche sur l’idée d’une apparente
inconsistance du comportement humain (donc une quasi-impossibilité de tirer des lois
générales de comportement) ;
- Le retour sur application qui est la croyance que l’effort, le savoir, la prudence et la
mobilisation des ressources ont des effets positifs et réduisent le négatif dans l’obtention
des résultats ;
- La religiosité qui repose sur la croyance en l’existence de forces supérieures et à l’aspect
positif des croyances religieuses ;
- Le destin qui est la croyance en l’aspect prédéterminé de la vie et en même temps que les
individus ont les moyens de l’influencer.

L’apport de S. C. Schneider & J.-L. Barsoux

Un autre ouvrage aborde cette question, ajoutant ici une nouvelle preuve son intérêt dans une
perspective comparable à celle de F. Trompenaars. Il s’agit de l’ouvrage de S. C Schneider &
J.-L. Barsoux42, ouvrage qui s’inscrit, lui aussi, dans la perspective du déterminisme culturel
qui serait à l’œuvre dans les catégories du management interculturel.

L’hypothèse de départ est que la culture est une énorme source d’énergie dans les relations
d’affaires et les organisations faisant intervenir plusieurs cultures. Les auteurs expliquent en
effet que, si l’environnement est commun aux organisations, il est perçu différemment selon le
filtre culturel que chacune des catégories de ces organisations utilise. La visualisation dans
l’espace de ces catégories aidera à mieux appréhender ses actions et à en prévoir les
répercussions dans des milieux culturels différents.

C’est grâce à la littérature traitant du management interculturel, ainsi que par rapprochement
d’observations et de recherches que les auteurs nous invitent comprendre les différences
culturelles. Ils n’ont pas pour objectif de définir les meilleures pratiques managériales. Ils
expliquent, avant tout, des grilles permettant d’analyser les cultures et d’extraire les
particularités culturelles. Ces grilles d’analyse seraient exploitables tant au niveau international
que régional, au niveau du métier qu’à celui du social.

Pour eux, explorer une culture, c’est comme explorer un océan avec :
- En surface, les vagues comparables aux artifices, rituels, comportements ;
- En deçà, les moyennes profondeurs, qui sont à l’origine des vagues abritent les croyances
et valeurs ;
- Les eaux profondes, difficiles à atteindre, cachent les présupposés.
La métaphore recouvre ici une identité de vue avec ce qui vient d’être souligné chez F.
Trompenaars et E. E. Schein.

Ce que nous percevrions de prime abord, ce sont donc les artifices et comportements. Il s’agit
d’éléments visibles comme les codes vestimentaires, les rites de salutations, l’architecture des
lieux, l’aménagement des bureaux, etc. Les comportements influencent également la nature des
42
S. C. Schneider & J.-L. Barsoux, Managing across Cultures, Financial Times / Prentice Hall, Londres,
1997
Yvon PESQUEUX
19
contrats. D’un côté, des contrats verbaux, de l’autre, des contrats écrits. En Europe, un litige se
règle plutôt à l’amiable, chacun veillant à préserver sa réputation. Par contre, les Américains
ont l’habitude de faire intervenir le service juridique, dès lors qu’un litige, même insignifiant,
apparaît.

Croyances et valeurs apparaîtraient ensuite. Les managers expliquent que les comportements
résultent des croyances et valeurs. Les croyances correspondent à un état de fait, les choses sont
ainsi. Les valeurs concernent l’idéal, comment les choses devraient être. Les croyances et les
valeurs se retrouvent parmi les facteurs de succès d’une organisation.

Comparés aux eaux profondes, les présupposés qui se situent à la base des croyances et des
valeurs sont définis par ces auteurs comme des dimensions. Elles permettent d’organiser et de
synthétiser notre compréhension de la culture telle qu’elle est précédemment définie : résoudre
des problèmes d’adaptation externe et d’intégration interne.

Ces dimensions culturelles conduisent à la distinction « externe – interne ». L’externe vise les
relations avec la nature, les activités humaines, la vérité et la réalité. L’intégration interne traite
les problèmes de nature humaine, les relations entre les personnes, la hiérarchie, l’opposition
« masculin – féminin » et « individualisme – collectivisme ». L’espace, le temps, le langage
relient les dimensions externes et internes. Le langage permet de décrire l’environnement
(relation avec la nature) et permet aux personnes de communiquer (relation entre les personnes).

Le jeu de la culture dans le milieu des affaires peut donc être représenté par des ensembles,
appelés sphères culturelles d’influence. La résolution des problèmes d’ordre culturel devient
vite délicate. Par exemple, dans un même pays, des entreprises de secteurs d’activité différents
doivent être approchées de manières différentes. C’est ainsi qu’un service d’ingénierie français
à Paris aura plus de points communs en termes de culture avec un service d’ingénierie japonais
de Tokyo qu’avec un service comptable français situé à Marseille. Le principal est de cerner
quelles sont les variables culturelles critiques et de mesurer leurs incidences et conséquences
sur l’organisation de l’entreprise. Cette étape est essentielle dans les entreprises internationales
(co-entreprises, acquisitions étrangères, etc.) au sein desquelles les agents organisationnels ont
à coopérer. Chaque sphère possède ses propres artifices et comportements, croyances et valeurs,
présupposés. Chacune a ses propres réflexes vis-à-vis des contraintes externes et ses propres
façons de les gérer en interne.

Pour ces auteurs, les sphères culturelles d’influence sont les suivantes :
- La culture régionale ;
- La culture sectorielle qui possède des différences très marquées. Les oppositions se situent
aussi bien au niveau des processus de décision, de la nature des marchés, des produits et de
leur réglementation, qu’au niveau technologique et qu’à celui de la nature des avantages
concurrentiels (capital, main-d’œuvre, créativité, etc.) ;
- La culture du métier ;
- La culture fonctionnelle (celle des différentes fonctions dans l’organisation) ;
- La culture organisationnelle dépend aussi du fondateur, du charisme de son patron, de son
stade de développement.

L’avantage concurrentiel proviendrait de l’interaction des sphères, certaines d’entre elles


pouvant interagir de manière négative. Les auteurs nous invitent donc à détecter les sphères

Yvon PESQUEUX
20
culturelles d’influence déterminantes de façon à éviter les menaces culturelles, afin de
bénéficier avant tout d’opportunités en termes de compétitivité.

S. C. Schneider & J.-L. Barsoux en viennent aussi à dire qu’il existe des modèles stratégiques
culturels. Dans la pratique, les managers des pays nordiques et anglo-saxons croient que
l’environnement n’est pas si incertain et qu’il peut être analysé et maîtrisé. Ailleurs, les Latins
et Asiatiques percevraient une incertitude plus forte et moins de contrôle sur les événements
futurs. Les deux auteurs en déduisent que différents présupposés culturels mènent à différents
modèles de management stratégique qui peuvent être caractérisés comme de nature controlling,
d’une part et adaptating, de l’autre.

Le modèle controlling est centralisé et formalisé, l’information provient des rapports d’activité,
du secteur économique, des consultants, elle est souvent quantitative et objective. Les
présupposés culturels font que l’environnement est prévisible. La direction prend les décisions
qui sont des événements distincts.

Le modèle adaptating, lui, est décentralisé, moins formel. Au lieu de décisions stratégiques, il
s’agit d’orientations stratégiques. Les décisions sont prises localement au fil de l’eau, tout en
respectant la « stratégie cadre ». Les présupposés culturels font que l’environnement ne peut
être connu et maîtrisé.

L’analyse est d’autant plus difficile que d’autres facteurs que purement culturels influencent
également le fonctionnement. Il y a en fait interaction entre variables culturelles et contexte
politique national. En d’autres termes, une volonté de contrôle des évènements extérieurs
accompagnée d’une organisation centralisée et formalisée, résultent d’une attitude défensive
venant interpréter les problèmes stratégiques comme des menaces. Par différence, une volonté
de s’adapter, doublée d’une organisation décentralisée et moins formalisée permettent de voir
les problèmes d’ordre stratégique comme des opportunités.

Selon que l’organisation fonctionne sur un système de tâche et non de relations entre individus,
on s’intéresse à l’individu au lieu de la communauté, et on va privilégier les actions aux
attitudes. Aux Etats-Unis, où la vision est instrumentale, où l’être humain est regardé
individuellement, les relations humaines sont vues comme ayant pour origine la psychologie.
Cela implique que les salariés sont vus comme ayant besoin d’un système de récompense, d’un
travail enrichissant. La relation « employeur – salarié » est considérée comme contractuelle,
fondée sur la réciprocité des obligations. Par contre, en Europe, la vision est sociale. On y
regarde la communauté dans son ensemble, c’est-à-dire le système social, la relation entre
partenaires sociaux. Dans ce cas, les ressources humaines ont pour origine la sociologie. Les
perspectives des relations humaines y seront donc autres.

Ils constatent aussi qu’aujourd’hui les équipes multiculturelles sont un état de fait. Au lieu de
chercher à savoir si les équipes multiculturelles sont meilleures que celles constituées d’une
seule culture, il s’agit plutôt de trouver la manière d’intégrer des personnes de cultures
différentes, d’accepter leurs différences et d’ajuster leurs zones d’interactions, ce qui est une
tâche à haut risque. Les particularités doivent être identifiées et discutées, au lieu de s’en
accommoder ou de les ignorer. Le but n’est pas en effet de neutraliser les différences, mais de
s’en servir de manière constructive.

Yvon PESQUEUX
21
Au vu de ce qui précède, on comprend que les organisations gèrent autrement aujourd’hui leurs
différences culturelles. Certaines les ignorent ou les minimisent, d’autres les utilisent. Ces
manières de traiter les particularités culturelles se retrouvent donc dans les entreprises
multinationales. Le siège entretient différents types de relations avec ses filiales. Dans certains
cas, la politique et les procédures viennent du siège. Il s’agit d’une relation ethnocentrique.
Lorsque le siège décide de ce qu’il faut faire et les filiales décident de comment le faire, on
parle de polycentrisme. Dans le dernier cas, « quoi » et « comment » sont développés dans le
cadre d’un travail conjoint entre le siège et les filiales ou même avec chacune d’elles. Cette
relation est géocentrique.

Pour les auteurs de cet ouvrage, il se pourrait enfin que le meilleur modèle pour manager la
diversité soit celui des alliances stratégiques et des co-entreprises où les directions peuvent
davantage opérer comme des fédérations. Ce schéma permet à chacune de conserver ses
suprématies nationales, tout en accomplissant des opérations difficiles et lourdes en
investissement, grâce aux alliances.

En conclusion, la mondialisation changerait pour eux la représentation du fonctionnement


international de l’entreprise en transformant des « managers – soldats » envoyés sur les champs
de bataille pour remporter des victoires purement économiques, en « citoyens du monde »
vivant du développement économique. Comme beaucoup d’autres ouvrages, celui-ci met donc
en évidence l’une des difficultés majeures rencontrées lors des échanges internationaux : la
relation interculturelle.

Les autres perspectives

D’autres références doivent être faites à des auteurs qui règnent sur une discipline du
management et qui déclinent leur légitimité dans l’application des concepts qui sont les leurs
aux perspectives culturelles. On se situerait finalement face à un retour, en quelque sorte, aux
études des années 1950 à 1970, mâtinée de néo-mercantilisme. C’est le cas, par exemple, de
l’ouvrage de M. Porter43 qui transpose les catégories de l’avantage concurrentiel, c’est-à-dire
des catégories de l’analyse stratégique à l’étude des forces et faiblesses des pays dans leur
capacité à accueillir des entreprises. Le propos en est idéologique et verse souvent dans
l’apologie des pays aux structures qui semblent libérales à l’auteur. Il en va de même de
l’ouvrage de P. Kotler44 qui propose de décliner les catégories du marketing stratégique à
l’analyse des opportunités qui s’offrent aux pays, les rendant en quelque sorte transparents aux
logiques d’entreprises. Dans les travaux de ce type, on est amené à traiter les territoires comme
on traite les produits, avec toutes les confusions que cela entraîne.

A titre de conclusion provisoire, on pourrait distingue une acception froide d’une acception
chaude de la référence à la culture en sciences de gestion. La référence froide tend à faire de la
culture un objet statique tandis que l’acception chaude - qui trouve des relais au travers de
notions telle que celle de « pratique » tend à en faire un capital en évolution. La culture se
substitue alors à la notion d’idéologique dont le contenu oppressif est ainsi relégué au second
plan.

43
M. Porter, L’avantage concurrentiel des nations, InterEditions, Paris, 1994
44
P. Kotler, The Marketing of Nations, Free Press 1997
Yvon PESQUEUX
22
Management interculturel et différentialisme
Au-delà de l’ouvrage de l’ouvrage de S. C. Schneider & J.-L. Barsoux, il est important de noter
toute une floraison d’ouvrages sur le management interculturel45 ainsi que de multiples
séminaires de training à destination des futurs expatriés. Il s’agit généralement d’ouvrages
rédigés par des consultants qui, forts de leur expérience « internationale », forment (formatent
pourrait-on dire aussi) les cadres candidats à l’expatriation aux subtilités de la culture des
Autres. Comme le signale S. Chevrier46, « des cabinets de conseil proposent des formations à
l’interculturel à l’attention des candidats à l’expatriation ou des managers internationaux. Des
manuels pratiques leur sont également destinés… Le management interculturel, qui consiste
essentiellement à animer des équipes formées de personnes de plusieurs cultures, est
aujourd’hui porté par la vague de l’internationalisation et de globalisation des économies ».
On pourrait presque parler, à ce sujet, d’expatriés « sur-entrainés » au service de l’entreprise
multinationale qui les emploie, surhommes à comparer aux primitifs qui permettraient de
qualifier l’expatriation « par le bas », celle de l’émigration. Ceci conduit à souligner l’inégalité
de situation entre les deux populations et le projet d’impérialisme culturel qui lui est inhérent.
L’argument mis en avant est donc celui de la référence au terrain qui ouvre ainsi la porte aux
stéréotypes ayant valeur de préjugés construits par référence sans distance à G. Hofstede, P.
d’Iribarne ou encore E. T Hall47. Son modèle culturel du temps distingue les cultures
monochrones, c’est-à-dire celles qui s’inscrivent dans un temps linéaire et dans la succession,
des cultures polychrones, c’est-à-dire celles qui s’inscrivent dans des temps parallèles
conduisant à sauter, de façon discontinue et brouillonne aux yeux des tenants d’une culture
monochrone d’une activité à l’autre. Il s’agit de bien formater cette « nouvelle espèce »
pourrait-on dire, celle des « managers internationaux » dans un projet d’« inclusion –
intégration ».

C’est ainsi que, dans le cadre d’une approche anthropologique que l’on peut qualifier
d’« intermédiaire » (intermédiaire entre le raisonnement en items de type pattern et approche
anthropologique), E. T. Hall & M. R. Hall48 présentent un ensemble de quatre éléments de
différenciation interculturelle propres à favoriser les comparaisons internationales pour ce qui
concerne les modes de travail et les relations professionnelles :
- Le polychronisme et le monochronisme qui fait donc référence à l’organisation du temps
(organisation séquentielle et planification ou accomplissement de plusieurs actions dans la
même période, comportement qui privilégie la réactivité). Le monochronisme
caractériserait les Anglo-saxons et le polychronisme, les Latins et les Arabes ;
- La référence au contexte qui peut être explicite ou implicite. Dans les cas de faible référence
au contexte, l’information est explicite et son organisation structurée et délivrée
formellement, alors que dans le cas d’une forte référence au contexte, l’information est
implicite ou informelle car le contexte est supposé connu. Il existerait un synchronisme
entre monochronisme et référence explicite au contexte et entre monochronisme et
référence implicite au contexte ;
- Le temps de référence (passé, présent ou futur) avec les sociétés qui se réfèrent au passé et
le respectent (avec référence aux ancêtres comme en Afrique Noire ou dans le monde

45
S. Chevrier, Le management interculturel, PUF, collection « Que sais-je ? », n° 2535
46
S. Chevrier, Le management des équipes interculturelles, PUF, collection « Sciences sociales &
société », Paris, 2000, p. 9
47
E. T. Hall, La danse de la vie, Seuil, collection « Points », Paris, 1992 (Ed. originale : 1984)
48
E. T. Hall & M. R. Hall, Guide du comportement dans les affaires internationales, Seuil, Paris, 1990
Yvon PESQUEUX
23
Chinois, par exemple), celles qui se réfèrent au présent pour en saisir les opportunités
(comme dans les pays arabes) et celles qui se réfèrent à l’avenir (comme dans les sociétés
occidentales ou, plus particulièrement, celles où la religion protestante est dominante).
- La proxémie qui caractérise la manière d’utiliser l’espace proche, jusqu’à se situer
physiquement vis-à-vis d’un interlocuteur comme dans les pays méditerranéens, à l’inverse
des pays Anglo-saxons.

Les travaux de N. J. Adler49 ont mis en avant l’existence de « mécanismes » par lesquels
la culture nationale influencerait le comportement des individus en mettant en exergue
l’interaction entre culture, valeurs, attitudes et comportements. Pour elle, la culture d’une
société est exprimée par les valeurs partagées par ses membres ; ces valeurs à leur tour
façonnent les attitudes de ces derniers et dictent les comportements à adopter face à une
situation donnée. Inversement, les comportements individuels et collectifs influencent la
culture et la société tout entière ; et le cycle recommence.

Les stéréotypes (préjugés ?) du management interculturel reposent sur le fonctionnalisme


géographique et sur le projet agonistique de l’usage de la notion en gestion (comprendre et
prendre en compte la culture seraient à même de réduire certains conflits).

C. A. Rabasso & F. J. Rabasso50 en rappellent sept :


- Le modèle anglo-saxon. Dans ce modèle, la société est composée de vainqueurs et de vaincus,
résultat de la compétitivité, du besoin d’abondance, d’individualisme et de valeurs patriotiques.
La priorité est donnée au financier au détriment du social. La communication reconnue est
écrite. Le formalisme et la bureaucratie caractérisent le système de fonctionnement, le temps
est l’élément central de la productivité.
- Le modèle latin. Pour comprendre le modèle latin, il faut évoquer le contraste entre le rôle
centralisateur de l’Etat et le comportement rebelle de ses citoyens. La logique du profit et du
bénéfice à tout prix est soumise à des critères sociaux. La notion de succès personnel est liée au
respect des traditions et aux valeurs ancestrales du groupe. Les relations sont de type
paternaliste entre le chef et ses subordonnés. La culture organisationnelle est dominée par la
créativité, un équilibre entre le social et l’économique ;
- Le (ou les) modèle(s) asiatique(s). La Chine : philosophiquement parlant, le modèle chinois
utilise les points forts contre les faiblesses des autres (stratégie militaire). Dans les
organisations, des objectifs communs doivent être partagés comme au sein d’une même famille.
Les qualités essentielles pour un manager chinois sont : le savoir, la sincérité, l’abnégation, le
courage et la fermeté. La structure organisationnelle chinoise est simple et informelle avec un
mode de prise de décision intuitif, unilatéral et autoritaire ;
Le Japon : les employés sont loyaux vis-à-vis de leur organisation dont le niveau de production
est élevé et l’organisation très hiérarchisée. Le système japonais est extrêmement compétitif,
assure la sécurité de l’emploi et fonctionne sur des décisions prises d’un commun accord entre
les personnes consultées.
La Corée : le système de valeurs est binaire, basé sur le yin et le yang et influence le
management. Mais les manifestations individualistes ne peuvent pas être détachées du groupe.
Les groupes se forment sur le principe de la confiance, et sont formels ou informels. Le système
de management est caractérisé par des décisions prises au plus haut niveau, un leadership

49
N. J. Adler, International Dimensions of Organizational Behavior, Southwestern College Publishing,
Cincinnati, 2001
50
C. A. Rabasso & F. J. Rabasso, Introduction au management interculturel – Pour une gestion de la
diversité, Ellipses, Paris, 2007
Yvon PESQUEUX
24
paternaliste, la recherche de l’harmonie de l’individu dans le groupe, la flexibilité et la
mobilité ;
- Le modèle indien. L’Inde pratique une culture dite de « haute distance », avec un mode de
management clairement hiérarchisé. Le pouvoir est très concentré et il établit des relations de
dépendance vis-à-vis du manager. L’organisation est basée sur les castes, donc sur une
segmentation sociale profonde. La culture de l’Inde est complexe et variée ; pourtant le
collectivisme est une caractéristique commune à l’ensemble du peuple indien. Les grandes
valeurs de l’Inde sont : les valeurs spirituelles, cosmiques (la nature humaine), sociales (le
groupe) et humaines (personnelles) ;
- Le modèle musulman. Quatre niveaux d’existence reflètent le monde musulman : une prise
en compte de ses intérêts personnels, des règles de conduite strictes, la prise de conscience du
mal, un esprit en parfaite harmonie avec les désirs et besoins essentiels. Ces niveaux d’existence
ont des conséquences sur le management et les différents systèmes d’organisation : stratégies
adaptées, mode de récompenses, motivation. Les idéaux de justice et de morale expliquent la
pratique répandue du marchandage. Toute forme d’incertitude doit être exclue d’un contrat ou
d’une transaction ;
- Le modèle africain. Il n’y a pas de modèle unique de management africain et diverses formes
de sociétés coexistent. Certains facteurs communautaires (aides mutuelles) sont des freins au
développement organisationnel, mais le sens de la solidarité crée de la cohésion sociale et
permet souvent d’éviter les conflits. La parole a une valeur sacrée et, associée à l’hospitalité,
offre à l’organisation des éléments d’intégration et d’adaptabilité,
- Le modèle slave. Les valeurs slaves se situent entre collectivisme et justice sociale (cf.
l’idéologie socialiste). La motivation est fondée sur les idéaux de progression collective. Le
mode de fonctionnement des entreprises est autarcique et des économies parallèles et
souterraines se développent. Avec la mort du système socialiste de l’Union soviétique, les
pratiques de management se sont libérées et transformées, bénéficiant de la loi de l’offre et de
la demande, du commerce international. Peu à peu la structure des organisations s’est
démocratisée.

Dans le domaine du management interculturel, on retrouve le plus souvent un projet


fonctionnaliste reposant sur une forme de déni de la différence culturelle. Il y est ainsi réduit à
une forme de tension entre homogénéité (le but à réaliser) et hétérogénéité (la situation
d’origine). Là encore, S. Chevrier, après avoir analysé les perspectives qui dominent dans ce
domaine en mettant l’accent sur l’importance des stéréotypes et du projet d’instrumentalisation
de la culture propose d’y ajouter la plus subtile perspective de l’étude des pratiques culturelles,
venant prendre sens dans des contextes d’interprétation, mais in fine sans doute encore
déterministe. Cette diversité est ici considérée comme pouvant créer un avantage concurrentiel
et conduit les Directions des Ressources Humaines à vouloir retenir et valoriser les minorités
laborieuses. On se situe alors dans un tolérantisme propre au volontarisme managérial
conduisant à une forme de diversification des talents et à une forme de spéculation contre les
risques identitaires. Comme le soulignent S. Point & V. Singh51, la diversité y est le plus souvent
considérée comme une multiplicité de différences. Le management interculturel ouvre la
question de la gestion de la diversité, question qui agite beaucoup les auteurs américains des
sciences de gestion, agitation devant sans doute être interprétée comme un signe du regret du
melting-pot perdu, melting pot que W. Kymlicka a aussi qualifié d’anglo-conformité52.

51
S. Point & V. Singh, « Les discours sur la diversité en Europe : une diversité de discours », Actes des
17° journées des IAE, Lyon, 13-14 septembre 2004
52
W. Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle – Une théorie libérale du droit des minorités, Editions La
Découverte, Paris, 2001
Yvon PESQUEUX
25
Remarquons d’abord la multiplicité des dimensions venant spécifier les critères permettant de
marquer ce qui est susceptible de constituer des différences (des primordialismes venant le plus
souvent garantir « objectivement » la diversité !). La Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme recense les éléments suivants : sexe, race, langue, religion, opinions politiques ou
autres, origine nationale ou sociale, appartenance à une minorité nationale, fortune, naissance
ou toute autre situation53. Actant les contours de la prolifération des droits du « moment
libéral »54, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne de 2003 prend en
considération, comme le signalent S. Point & V. Singh55, le management interculturel, la
communication, les stéréotypes nationaux, les attitudes envers les cultures régionales au sein
d’un même pays, le management des diversités raciales et ethniques, la prise en compte de la
présence des femmes, du vieillissement de la population ou encore le déclin des taux de natalité.
D. Litvin56 en signale six caractéristiques primaires - âge, ethnie, genre, capacités physiques,
race, orientation sexuelle, et huit « changeantes » - éducation, localisation géographique,
situation de famille, fortune, statut militaire, statut parental, religion, expérience de travail. Mc
Grath et al.57 ajoutent, au-delà de critères aux dimensions signalétiques et d’identification, des
dimensions socio-organisationnelles - capacités, valeurs, croyances, personnalité
archétypiques, comportements, statut de l’individu dans l’organisation.

Les constructions de pratiques de gestion des ressources humaines sur la base de la gestion des
diversités reposent sur des logiques procédurales d’équité formelle, de recensement et diffusion
des best practices (par exemple mise en place de procédures antidiscriminatoires et de
discrimination positive) sans véritable réflexion sur leurs fondements.

Dans la perspective de l’agonisme managérial, P. Dass & B. Parker58 proposent un modèle en


quatre dimensions.

Résistance Discrimination Accès et Apprentissage


& justice sociale légitimité

Prise en Ignorance La diversité est La diversi- La diversité


considération de la diver- un problème -té crée des offre un ensem-
de la -sité opérationnel à opportunités -ble de coûts et
diversité résoudre et de bénéifces
à long et moyen
terme

Actions à mettre Maintenir Assimilations des Respect et Accultura-


en œuvre le statu quo différences valorisation -tion, célébra-
des diffé - -tion du
-rences pluralisme

53
G. Timsit, La gestion de la diversité dans les pays européens – Partie 1 : les défis, Rapport ONU, 2000
54
Y. Pesqueux, Gouvernance et privatisation, PUF, collection « la politique éclatée », Paris, 2007
55
S. Point & V. Singh, op. cit.
56
D. Litvin, « The Discourse of Diversity: From Biology to Management », Organization, vol. 4, n° 2, pp.
187-210
57
J. McGrath & J. Berdahl & H. Arrow, « Traits, Expectations, Culture and Clout: The Dynamic of
Diversity in Work Groups », in S. Jackson & M. Ruderman (Eds.), Diversity in Work Teams, American
Psychology Association, Washington, 1995, pp. 17-45
58
P. Dass & B. Parker, « Strategies for Managing Human resource Diversity: From Resistance to
Learning », Academy of Management Executive, vol. 13, n° 2, 1999, pp. 68-80.
Yvon PESQUEUX
26
L’ignorance des différences relève du managérialisme instrumentaliste. La perspective de la
discrimination et de la justice sociale relève d’une conception où organisation et société sont
considérées comme deux corps séparés, la vie organisationnelle devant faire « avec » et « au
mieux » avec les différences, d’où l’idée tolérantiste de l’égalité des chances et les mesures de
discrimination positive. Avec la logique de l’accès et de la légitimité, il s’agit de valoriser les
différences par la mise en exergue de best practices au regard des critères de la Charte des
Nations Unies et des entités correspondantes. La perspective de l’apprentissage & efficacité
reconnaît l’existence de bénéfices à tirer de la gestion des différences d’où la mise en œuvre de
logiques de partage et l’approche en termes de business cases.

Peut-on parler de compétences interculturelles ? C. A. Rabasso & F. J. Rabasso rappellent


qu’elles s’inscrivent dans le cadre des compétences professionnelles. Quatre niveaux différents
de compétences professionnelles existent alors : techniques, sociales, participatives et
méthodologiques. L’interculturel repose sur la mise en œuvre de comportements communicatifs
divers en acceptant la diversité de ses participants : tolérance et attentes positives sont
essentielles. Pour développer des compétences interculturelles il faudrait de la transversalité
(fonctions multidisciplinaires), des possibilités d’interactions multiples entre les individus et un
sens développé de l’ouverture relationnelle. La compétence interculturelle serait caractérisée
par trois niveaux : émotionnel, cognitif et comportemental. Elle se traduirait par la notion
primordiale d’« adaptation transculturelle », reposant sur trois phases essentielles pour
l’individu dans son activité professionnelle que sont le diagnostic, la relation et la confrontation.

Dans le « Boundary Spanning Leadership » de C. E. & D. Chrobot-Mason59 prenne acte


de l’internationalisation des organisations, et partent du constat que nous vivons en
communautés du fait de croyances, de langues et de pratiques différentes, ce mode de vie
conduisant à construire des barrières qui limitent notre capacité à travailler avec les
Autres et à reconnaître de la richesse dans leurs différences. Il est donc difficile de créer
des liens entre ces frontières. Cette logique de la création de liens constitue leur apport
aux théories du leadership60. Il y est question de trouver une compréhension commune,
une convergence des buts et des pratiques afin d’aligner les ressources avec les objectifs
et de générer une implication des agents organisationnels au-delà des frontières entre les
groupes. Ces frontières sont au nombre de cinq : verticales (hiérarchiques), horizontales
(fonctionnelles) qui sont les plus importantes, en termes de partie prenante (réceptivité à
leur influence), démographiques (âge, sexe, race, niveau d’éducation) et géographiques
(du fait de la dimension internationale des organisations). Les pratiques dont il est
question concernent les fondements de la facilitation (nouvelles manières de travailler
ensemble, encouragement à l’apprentissage), et consistent en particulier à faciliter les
relations. Il est question de buffering (amortir les différences pour créer de la sécurité),
de reflecting (pour susciter le respect), de connecting (pour construire de la confiance),
de mobilizing (pour développer un esprit de communauté), de weaving (créer de
l’interdépendance) et de transforming (permettre de réinventer une communauté).

Par extension, le management interculturel concerne aussi tout ce qui concerne la circulation
des outils de gestion d’un pays à l’autre.

59
C. Ernst & D. Chrobot-Mason, Boundary Spanning Leadership: Six Practices for Solving Problems,
Driving Innovation, and Transforming Organizations, McGraw Hill, New-York, 2011
60
Y. Pesqueux, « A propos des théories du leadership », halshs-02524246, 30/3/2020
Yvon PESQUEUX
27
Mais des positions inverses pouvant être qualifiées d’« anticulturalistes » ont aussi été
défendues. J.-F. Amadieu constate, par exemple, que les situations organisationnelles varient
considérablement dans les entreprises d’un même pays, en tous les cas sans doute trop pour que
l’on puisse parler de traits communs.

Ce qui ressort de l’examen de ces études et de leurs critiques, c’est la difficulté du sujet,
difficulté qui peut sans doute fonder l’affirmation qu’il s’agit d’une question destinée sans doute
à rester ouverte.

Focus sur la gestion internationale des ressources humaines

La gestion internationale des ressources humaines vaut en général et dans les rapports
entre maisons-mères et filiales.

Le courant de la convergence
La courant de la convergence stipule que les meilleures pratiques de management peuvent
être appliquées de façon universelle, indépendamment des différences politiques,
idéologiques, culturelles et environnementales61. Cette approche a trouvé sa source dans
les évolutions technologiques qui sont supposées conduire les sociétés industrielles vers
des modes de fonctionnement identiques et que la globalisation et l’accroissement des
ferait disparaître les différences entre pays d’origine et pays d’accueil. Et si les
différences entre les pays diminuent, alors une approche universelle des logiques de GRH
peut être défendue. J.-C. Usunier & P. Sissmann62 qualifient cette approche de stratégie
du « rouleau compresseur ».

La vision universaliste de la gestion des ressources humaines est pourtant contestée. Se


basant sur l’échec des tentatives de convergences dans les pays du tiers monde
notamment, un groupe d’auteurs parmi lesquels P. R. Lawrence & J. W. Lorsch63
affirment que vouloir exporter des pratiques dites universelles sans tenir compte des
spécificités culturelles est source d’échec. Cette perspective serait source de difficultés
comme le chômage et l’exclusion64 et souligne l’inadaptation de ce modèle dans le
contexte africain. A. W. Faye65 préconise l’abandon pur et simple des modèles « prêt à
porter ».

L’approche contextualiste
Elle a conduit à rechercher ce qui est particulier au contexte et les variables qui
l’influencent pour les prendre en considération dans les pratiques managériales. Comme
tout système de gestion, la GRH est influencée par un ensemble de facteurs constituant
son environnement. La notion de contexte se définit comme une combinaison de variables
intra-organisationnelles (contexte interne) et de variables socio-économiques et
61
S. Chevrier, Le management des équipes interculturelles, PUF, Paris, 2000
62
J.-C. Usunier & P. Sissmann, « L’interculturel au service du marketing », Harvard l’Expansion, n° 40,
1986
63
P. R. Lawrence & J. W. Lorsch, Organization and Environment: Managing Differentiation and
Integration, Harvard Business School Press, 1967
64
J.-F. Chanlat. Cultures, nations et gestion, (numéro spécial) Management international, HEC Montréal,
2004, pp.1-7. 〈hal-00161581〉
65
A. W. Faye, « Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique Sub-saharienne : au-delà du discours
incantatoire », Symposium Euromed Marseille Ecole de Management et AGRH, 2004
Yvon PESQUEUX
28
politiques (contexte externe). Les logiques de gestion des ressources humaines sont donc
contextuelles et ne devrait pas être considérées en termes universalistes. Les
organisations évoluant dans un même environnement ne vont pas agir nécessairement de
la même façon à cause de la différence de culture et de la perception des managers quant
à la signification des évènements extérieurs.

Cependant, cette approche, selon F. Pichauld & J. Nizet66 risque de conduire à une vision
déterministe de la GRH, en l’associant à la présence de tel ou tel facteur de contingence.
Pour ces auteurs, un tel déterminisme est réducteur car la réalité est plus complexe, et
donc il est nécessaire d’intégrer dans les analyses les jeux de pouvoirs qui engendrent des
influences contradictoires et aboutissent à des compromis.

L’hybridation
L’hybridation est un processus oscillant entre convergence et contingence67. Ce
phénomène donne naissance à un nouveau modèle organisationnel, en particulier dans un
contexte international. La diffusion peut être définie comme le processus par lequel une
maison-mère essaie de maintenir sa propre pratique et ses connaissances centralisées dans
chacune de ses filiales, alors que l’adaptation relève plutôt d’un ajustement des pratiques
aux spécificités du pays d’accueil.

La diffusion des logiques RH est susceptible d’aboutir à une nouvelle configuration


combinant des logiques générales face à des caractéristiques locales. C’est là qu’apparaît
alors le phénomène d’hybridation. Des adaptations au contexte local, d’abord considérées
comme marginales, peuvent exercer une influence au point de conduire à une
configuration hybride nouvelle68.

Selon R. Boyer, l’hybridation est un concept qui permet d’aller au-delà d’une adaptation
ponctuelle à l’environnement en mettant en évidence un principe de transformation, voire
de genèse de modèles productifs par contact avec des systèmes socio-économiques
différents de ceux du pays d’origine.

L’approche néo-institutionnaliste
La thèse néo-institutionnelle soutient que les organisations finissent par adopter des
modes de fonctionnement semblables à la suite de pressions isomorphiques de différents
ordres : coercitives (contraintes financières, règlementaires, etc.) ; mimétiques (modes
managériales), normatives (formation des élites managériales, poids des associations
professionnelles, influence des consultants, etc.).

La théorie du pouvoir

66
F. Pichault & J. Nizet, Les pratiques de gestion des ressources, approches contingente et politique, Seuil,
Paris, 2000
67
R. Boyer, Evolution des modèles productifs et hybridation : Géographie, histoire et théorie,
CEPREMAP, Paris, 1998
68
P. d’Iribarne, Le Tiers-Monde qui réussit. Nouveaux modèles, O. Jacob, Paris, 2003, 273 p.
Yvon PESQUEUX
29
R. M. Cyert & J. G. March69 ont proposé une interprétation politique du fonctionnement
organisationnel en l’analysant comme le produit d’un processus à travers lequel est
obtenu l’ajustement conflictuel entre les logiques d’actions divergentes, voire opposées.

Dans leurs rapports de pouvoirs relatifs aux logiques de GRH, les agents organisationnels
font appel à tel ou tel élément des contextes internes ou externes pour justifier leur
position en mobilisant les contextes dans le cadre de leurs jeux de pouvoir70.

Sur le plan des logiques de gestion, il est question d’expatriation et d’impatriation (pour la
gestion du retour des expatriés ou pour celle des agents organisationnels que l’on fait venir).
Quand il est question de gérer le personnel local en l’absence d’expatriés, on parle d’adaptation
inversée.

Focus sur management et culture africaine

Pour P. Bakengala & Y.-F. Livian71, il existe quatre grandes perspectives théoriques pour
comprendre l’application des théories de management en Afrique :
- La perspective de divergence qui se base essentiellement sur la littérature de
management comparatif et aboutit à la conclusion que les outils de gestion
occidentales s’arrêtent à la frontière culturelle de chaque nation. Selon cette
perspective, la culture est la principale source de différences entre les pays
développés et les pays en développement.
- La perspective universaliste qui considère que la culture ne limite pas
l’application des instruments de gestion et estime qu’il existe des pratiques de
management similaires dans les organisations à travers le monde.
- La perspective de convergence qui considère que le degré d’industrialisation est
un facteur déterminant pour l’application des outils de gestion. Pour les tenants
de cette perspective, l’inapplication des outils occidentaux de gestion dans les
pays obère le développement qui est la résultante de difficultés économiques et
techniques au lieu d’être considéré comme la résultante des contraintes
culturelles.
- La perspective situationnelle ou de contingence, opposée à la perspective
universaliste, qui considère que les facteurs situationnels comme la personnalité
du dirigeant ou la nature des propriétaires (organisations privées ou publiques) et
leur hiérarchie sont des facteurs clés de l’application des outils de gestion dans
les pays en développement.

J. Nizet & F. Pichaut72 répartissent les différentes recherches empiriques sur la gestion
en Afrique en trois groupes : les thèses universalistes, qui préconisent l’adoption
immédiate des best pratices occidentales, celles du cultural lag (retard culturel) avec les

69
R. M. Cyert & J. G. March, A Behaviotal Theory of the Firm, Prentice-Hall, New York, 1963
70
F. Pichault & J. Nizet, Les pratiques de gestion des ressources, approches contingente et politique, Seuil,
Paris, 2000
71
S. P.Bakengala & Y.-F. Livian, « Le management africain introuvable : pour une approche par l’hybridité
segmentée », in P.-X Meschi & F. Prévot (Eds.), Economies émergentes pour le management international,
Vuibert, Paris, 2016
72
J. Nizet & F. Pichault, Les performances des organisations africaines : pratiques de gestion en contexte
incertain, L’Harmattan, collection « Conception et Dynamique des organisations », Paris, 2007, 297 p.
Yvon PESQUEUX
30
pays occidentaux et qui plaident pour un cultural fit africain comme E.-P. Hernandez73,
avec, en plus, les thèses néo-institutionnalistes qui élargissent le cercle des facteurs de
contingence au-delà du facteur culturel pour introduire des facteurs institutionnels,
l’évolution historique, le rôle de l’Etat, de la famille, etc.

E. Kamdem74 identifie deux types de perspectives dominantes dans la littérature de


gestion en Afrique : la perspective rationaliste & fonctionnaliste et la perspective
culturaliste & humaniste.

Le modèle circulatoire du management africain (E. Mutabazi)


Comparaison du modèle de management importé et du modèle circulatoire africain de
management75

Modèle Importé Modèle circulatoire


Approche segmentée de la vie Approche intégrative de la vie et action collective
privée/professionnelle Rationalité
Rationalité L’homme doit s’intégrer dans la nature et veiller en
L’action est segmentée et très spécialisée permanence à la qualité de ses relations avec la nature,
afin de mieux atteindre les résultats souvent les autres membres de sa communauté et leurs alliés.
chiffrés.
Développement individuel Développement du clan ou de la communauté
Primauté du profit économique comme Primauté (mais non exclusive) du profit social
objectif premier
Le temps se perd ou se gagne Le temps ne se perd jamais
Le temps est de l’argent (temps investi en Le temps se vit et se partage avec les autres (temps
priorité dans la satisfaction des besoins investi en priorité dans les relations sociales)
matériels)

Il ressort ainsi que la littérature de gestion en Afrique reste largement dominée par la
référence à l’environnement externe. En d’autres termes, si les organisations africaines
n’arrivent pas à être efficaces, c’est parce que les pratiques de gestion sont influencées
par les contraintes culturelles ou institutionnelles externes à la logique de fonctionnement
des organisations. Ce contexte externe est majoritairement saisi à partir de la culture.
Ainsi les africains mettraient davantage l’accent sur la nécessité de la convivialité dans
les organisations plutôt que sur des relations basées sur la logique de l’efficacité.

Parlant du management en Afrique, F. Pichaut indique que les voies mixtes sont les plus
nombreuses.

Pistes de recherche possibles


- Recherche conventionnelle par référence aux concepts du Nord ;

73
E.-P. Hernandez, « Entre tradition et modernité, proposition d’un modèle de management Africain »,
Gestion 2000, janvier-février 2007, pp. 21-30
74
E. Kamdem, Management et interculturalité en Afrique : expérience camerounaise, Les Presses de
l’Université Laval, 2000
75
E. Mutabazi, Face à la diversité des cultures et des modes de gestion : le modèle circulatoire de
management en Afrique, Management & Avenir, vol. 4, n° 10, 2006
Yvon PESQUEUX
31
- Prendre en compte le phénomène de l’urbanisation, l’apparition d’une classe
moyenne émergente (exemple : mythes et non mythes des « marchés africains ») ;
- Téléphonie mobile et finance et systèmes financiers africains ;
- Pratiques commerciales originales en Afrique : le « génie commercial » africain,
les rapports commerciaux à distance (relations B to B, diasporas intra-africaines,
diasporas actuelles pour « import – export », commerçants spécialisés ;
- Au regard des « périodes de mondialisation » (des routes des épices aux nouvelles
routes de la soie » au regard des stratégies contemporaines de globalisation
(exemples : trafics en monnaies, bureaux de change, bureaux à billets neufs),
globalisation et polycentrisme ;
- Regards critiques : tensions entre logiques de l’aide (pour les élites) et les marchés
populaires (qui se développent face aux « désordres » de la globalisation, des
politiques d’ajustement structurel et des logiques de projets des entités
internationales) – les astuces du « marché réel ».

Voir également
E. Kamdem & F. Chevalier & M. A. Payaud, La recherche enracinée en management –
Contextes nouveaux et perspectives nouvelles en Afrique, éditions ems, série
« Management & Société », collection « Business Sciences Institute », Cormelles le
Royal, 2020

H. Tedongmo Teko & G. Etogo (Ed.), Le pluralisme managérial en Afrique – Hommage


au Professeur Emmanuel Kamdem, ems éditions, collection « Management & Société »,
Cormelles le Royal, mars 2022

S. Simen & E. Hounkou & R. Nkakleu (Eds.), Management des organisations africaines,
diversité et développement des territoires – Mélanges en l’honneur du Professeur
Bassirou TIDJANI, ems éditions, collection « Management & Société », Cormelles le
Royal, 12 juin 2021 dont le texte de G. Causse, « L’interface entreprise / société.
Comparaison entreprise occidentale et entreprise africaine » et celui de B. L. Kouayep &
E. Perrier Ngueuleu, « La promotion de l’emploi dans l’économie informelle le cas du
Cameroun ».

La pensée managériale en Afrique : revue historique d’un objet rampant sous


influences multiples à repenser par une approche par les finalités (Dan Rani & B
Gueye, AIMS Dakar 2018)
Les auteurs ont effectué une revue de littérature thématique (corpus : revues à comité de
lecture dont les revues émergentes, non classées).
Ils mettent en avant :
Au regard d’une approche chronologique (post indépendance, ajustement structurel,
insertion dans globalisation, post crise économique), ils mettent en avant :
- Les thèmes de la période de post indépendance : chantage du Nord, inapplicabilité
des modèles du Nord, pesanteurs culturelles, peu de corpus théorique ;
- Les thèmes de la période de l’ajustement structurel : une entreprise abstraite au
service du développement, apports des modèles étrangers, s’ajuster aux meilleurs
modèles ;
- Les thèmes de la période de l’insertion dans globalisation : critique de
l’entreprise, culturalisme (localiser) / anti-culturalisme (universels de

Yvon PESQUEUX
32
l’entreprise), trans-culturalisme (purger le mauvais et conjuguer le
fonctionnement de l’entreprise avec la RSE) ;
- Les thèmes de la période post-crise économique : répondre aux injonctions
supposées universelles, hybridité, approches technicistes du management.
Alors, surdité calculée, hégémonie de l’ontologie matérialiste, culture comme variable
d’ajustement ? Les textes francophones sont moins enclins à la radicalité (cf. la référence
à un african business, une « entreprise africaine »).
Ils proposent une approche par les finalités : quête du sens, sortir du fétichisme des
« grandes revues », considérations universelles qui prennent en compte des réalités
singulières au regard de textes qui constatent par rapport à des textes qui militent.
Comment entre-t-on dans une activité mondialisée ? Des comparaison « pays
francophones – pays anglophones ».

Le passage du management interculturel à la gestion de la diversité

Dans les logiques des interférences entre « management » et « culture », la gestion de la


diversité est un phénomène en plein développement aujourd’hui. La gestion de la diversité
relève une politique volontaire de recrutement d’un minimum de salariés sur la base de critères
primordialistes (âge, race, sexe, religion, mœurs) avec des tropismes qui diffèrent selon les
pays : femmes (critère général), handicapés, seniors, minorités, etc. La gestion de la diversité
tend à se construire sur la base d’une approche tolérantiste des différences (l’indifférence à la
différence et à chacun sa niche…). Elle part du postulat du bénéfice de la diversité, sans autre
questionnement et de celui de la discrimination comprise dans les catégories de l’émotion et
non dans celle de la politique (au nom de l’américaine affirmative action). L’hétérogénéité est
présentée comme un atout.

Comme le souligne J.-F. Chanlat76, le champ de la gestion de la diversité est traversé par des
tensions : les tensions « égalité – diversité », « laïcité – diversité », « performance – diversité ».

L’activité internationale : l’acculturation par les structures

L’activité internationale vient poser le problème des choix de structure, dans une terminologie
qui nous amène à distinguer structure d’organisation.

Dans un premier temps, on qualifiera de structure, l’architecture d’une organisation et


l’organisation, par effet de miroir, une structure dans laquelle agissent les Hommes. La structure
est donc construite dans le but d’induire une organisation qui aille dans le même sens que le
projet qu’elle défend. Mais il arrive que l’organisation fonctionne différemment de ce qui est
attendu par la structure. On parlera alors de dysfonctionnement ou encore d’ambiguïté.

Il existe au moins deux bonnes raisons d’observer des divergences entre structure et
organisation :
- L’agent organisationnel concerné par la structure ne peut faire ce qui lui est demandé, aussi
bien parce qu’il ne dispose pas du savoir-faire adéquat que parce que ce qui lui est demandé
76
J ;-F. Chanlat, « Management et diversité : un regard anthropologique » in Dauphine recherches en
management – L’état des entreprises 2010, Editions La Découverte, collection « repères », n° 543, Paris,
2009
Yvon PESQUEUX
33
est insuffisamment précisé, communiqué ou compris ; la compréhension de sa position dans
l’organisation est donc floue ;
- L’agent organisationnel concerné ne désire pas effectuer ce qui lui est demandé et construit
donc un comportement qui diverge de celui qui lui est demandé.
Ajoutons qu’il voudra d’autant moins qu’il ne le peut pas.

Dans le premier cas, les réponses aux dysfonctionnements et à la réduction de l’ambiguïté sont
d’ordre instrumental, tandis que dans le second, elles sont d’ordre politique : exercice d’une
maîtrise, invitation plus ou moins abrupte à la soumission, processus idéologique de conviction,
appel à la légitimité et demande d’adhésion aux buts de l’organisation. C’est là que la donne
culturelle dans son acception idéologique est la plus importante.

C’est dans l’univers de l’activité internationale des entreprises que cette dualité « structure –
organisation » prend des contours spécifiques en exacerbant cette dualité en cas de divergence.

Nous nous référerons d’abord à N. Lugagne Delpon77 dans le parcours auquel elle nous invite
quant à la définition de ce qu’est une entreprise multinationale dans sa vocation à nous éclairer
sur le débat concernant la dualité « structure – organisation ». L’abondance des définitions
conduit à en souligner la caractéristique : l’existence de plusieurs entités distinctes situées dans
des pays différents, ce qui conduit à une dimension spécifique du problème de la coordination
et du contrôle de ces entités dispersées. Les problèmes de gouvernement qui se posent
classiquement à l’organisation se trouvent ici modifiés par ce fait-là.

Mentionnons, à titre d’exemple, la façon dont P. M. Rosenzweig & J. V. Singh78 positionnent


la question : « D’un côté une entreprise multinationale est une organisation unique qui opère
dans un environnement mondial avec la nécessité d’intégrer des opérations disséminées. D’un
autre côté, une entreprise multinationale est constituée d’un ensemble d’organisations qui
opèrent dans des environnements nationaux distincts. Ces filiales font non seulement face à un
environnement local mais aussi au contexte de l’entreprise considérée dans son ensemble, de
laquelle elles tirent des ressources et des pratiques administratives ».

Voilà donc posé le problème de l’interférence « structure – organisation » sous l’angle des
impacts de la culture nationale à partir du problème de gouvernement des entreprises
multinationales. On peut alors se poser la question de la différenciation locale des pratiques au
regard de la supposée intégration mondiale, si l’on reprend la dualité « différenciation –
intégration » telle que nous la proposent les auteurs behavioristes P. L. Lawrence & J. W.
Lorsch79. Pour eux, la différenciation se définit comme « l’état de segmentation du système
organisationnel en sous-systèmes, chacun d’eux ayant tendance à développer des attributs
particuliers en rapport avec les exigences posées par l’environnement extérieur qui leur est
propre » et l’intégration comme « le processus d’harmonisation et de coordination des efforts
entre les différents sous-systèmes pour permettre l’accomplissement de la tâche
organisationnelle commune ». Mais ici, la dimension internationale modifie la nature du
problème.

77
N. Lugagne Delpon, Unification et adaptation locale des systèmes de contrôle dans les entreprises
multinationales - le cas des filiales situées à Singapour, Thèse de doctorat, Groupe HEC, 1996
78
P. M. Rosenzweig & J. V. Singh, « Organizational Environments and the Multinational Enterprise »,
Academy of Management Review, vol. 16, n°2, 1991, pp.340-361
79
P. R. Lawrence & J. W. Lorsch, Organization and Environment, Richard Irwin, Homewood, 1967
Yvon PESQUEUX
34
La nécessité de s’adapter à des législations et des cultures nationales différentes et des
incertitudes supplémentaires comme celle des risques de change conduisent à justifier la
différence de nature liée à cette dimension internationale. Notons que les perspectives
gestionnaires ont conduit à étendre la rationalité procédurale à l’oeuvre dans les organisations
à ces perspectives internationales. Nous pouvons, à ce titre, citer des ouvrages comme ceux
d’A. Belkaoui80 qui se confronte, sous cet angle-là, aux problèmes de la gestion de l’activité
internationale. Ces auteurs nous proposent d’étendre les méthodes gestion à l’activité
internationale à partir de la primauté du risque de taux et du risque de change qui vont venir
poser des problèmes de procédures spécifiques, mais dont la compréhension est envisageable
par extension des méthodes existantes.

Mais se confronter à l’activité internationale de l’entreprise sous l’angle des procédures conduit
à devoir tenir compte du double mouvement qui s’opère, dans les filiales, entre la nécessité de
se conformer aux normes locales et celles liées à la perméabilité aux normes étrangères issues
de la société mère.

Pour simplifier, on pourrait dire qu’il existe ainsi trois modes de gouvernement dans ces
entreprises : ceux de la société mère, ceux de l’exercice de son autorité par la société mère sur
la filiale et ceux de la filiale. Le jeu social qui apparaît opère à partir de deux visions : celle du
respect de chacun de ces éléments et celui de l’unification de ces trois éléments.

Les perspectives qui permettent d’aborder ce problème consistent à se focaliser sur les moyens
utilisés par les sociétés mères pour diriger l’activité de leurs filiales ou à chercher une réponse
sur la base d’une co-construction qui s’opère entre structures, modes de gouvernement et
stratégies des entités et des agents organisationnels qui s’y trouvent. A l’exportation succèderait
ainsi la création de filiales puis de divisions internationales, de produits et de services conçus à
l’international, de structures matricielles destinées à tenir compte du croisement « produits –
services » avec les « régions » (les morceaux de continents issus de la géographie
organisationnelle) et les pays, situation aboutissant à ce qui est qualifié d’hétérarchie (mélange
de dirigeants locaux avec ceux de la nationalité d’origine de l’entreprise devenue multinational,
et enfin apparition d’une forme réseau multinational.

Au-delà de la question de de l’influence de la culture nationale sur le fonctionnement


organisationnel, tout un autre pan de littérature s’est développé sur l’internationalisation. C’est
par exemple le cas du « modèle d’Uppsala ».

Focus sur les approches théorique de l’internationalisation des


entreprises

Les approches économiques de l’internationalisation

Ruzzier et al. (2006)81 en résument ainsi les principaux courants :

80
A. Belkaoui, Multinational Management Accounting, Quorum, Westport, 1991
81
Ruzzier M. & Hisrich R. D. & Antoncic B. (2006), « SME internationalization research: past, present,
and future », Journal of Small Business and Enterprise Development, vol. 13, p. 476–497,
https://doi.org/10.1108/14626000610705705
Yvon PESQUEUX
35
- La théorie de l’internationalisation selon laquelle les entreprises étendent les
activités à l’international dans le cadre d’opérations d’intégration verticale en
amont ou en aval (Buckley et Casson, 1993, cité dans Ruzzier et al,. 2006) ;
- La théorie de l’internationalisation redevable de la théorie des coûts de
transactions pour laquelle elle est redevable de la même logique que celle du choix
entre internalisation et externalisation d’activités (Williamson, 1975 cité dans
Ruzzier et al., 2006) ;
- Le paradigme éclectique (OLI) de Dunning (1988 cité dans Ruzzier et al., 2006,
p. 481), qui met l’accent sur trois types d’avantages pour expliquer
l’internationalisation :
o Les ownership advantages (avantages de propriété) spécifiques à
l’entreprise et concernant par exemple les ressources intangibles ;
o Le localisation advantage (avantages de localisation) constitué par les
facteurs d’un pays spécifique ;
o Les international advantages (avantages internationaux) qui concernent
la capacité de gestion et de coordination en interne de l’entreprise.

Les modèles d’internationalisation des sciences de gestion

Mc Auley (1999)82 définissent des étapes qu’ils qualifient de chaîne d’établissement. Le


modèle de référence est celui qualifié de modèle d’Uppsala, modèle comportemental
développé par Johanson et Vahlne (1977). À la différence de ce courant, se positionnent
les modèles d’internationalisation sans le passage par des étapes préliminaires avec les
Born Global (Knight et Cavusgil, 200483 ; Gabrielsson et al., 200884), les International
New Ventures, entreprises à internationalisation rapide et précoce (Oviatt et Mc Dougall,
199485 ; Servantie, 200786) ainsi que les Born Again Global (Bell et al., 2001, 200387).
Les critiques à du modèle l’école d’Uppsala (1977) aont conduit à revisiter ce modèle
(2009) afin de mettre en avant l’importance de la position des entreprises dans des
réseaux, en mobilisant des relations intra- et inter-organisationnels.

L’attention accordée à l’entreprise internationale est passée de la focalisation des études


sur les entreprises multinationalles à une attention accordée aux entreprises de plus petite

82
Coviello N.E. & McAuley A. (1999) « Internationalisation and the Smaller Firm: A Review of
Contemporary Empirical Research », Management International Review, vol. 39, p. 223- 256.
83
Knight G.A & Cavusgil S. T. (2004), « Innovation, organizational capabilities, and the born-global
firm », Journal of International Business Studies, vol. 35, p. 124–141,
https://doi.org/10.1057/palgrave.jibs.8400071
84
Gabrielsson M. et al. (2008), « Born globals: Propositions to help advance the theory » International
Business Review, vol. 17, p. 385–401, https://doi.org/10.1016/j.ibusrev.2008.02.015
85
B. M. Oviatt & P. P. Mc Dougall, « Toward a Theory of International New Venture », Journal of
International Business Studies, vol. 25, n° 1, 1994, pp. 45-64.
86
Servantie V. (2007), « Les entreprises à internationalisation rapide et précoce : revue de littérature »,
Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 1, n° 6, p. 1–28, https://doi.org/10.3917/entre.061.0002
87
Bell, J., McNaughton, R., Young, S., 2001. ‘Born-again global’ firms An extension to the ‘born global’
phenomenon. Journal of International Management, vol. 7, p. 173-189 - Bell J. & McNaughton R. &
Young S. & Crick D. (2003),« Towards an Integrative Model of Small Firm Internationalisation », Journal
of International Entrepreneurship, vol. 1,p.339– 362.
Yvon PESQUEUX
36
taille (Colovic et Mayrhofer, 201188 ; Abdellatif, 201189 ; Grillat et Mérignac, 201190).
Pour ces auteurs, c’est la concurrence grandissante d’entreprises des pays dits émergents
qui a conduit à requestionner les stratégies de localisation des entreprises qui
s’internationalisent au regard dedeux types de trajectoires : une trajectoire classique par
étapes, et une trajectoire plutôt de type Born Global (Baldegger et Schueffel, 200991),
c’est-à-dire une internationalisation très rapide, dès création ou peu après.

Le modèle d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 1975, 1977)


Ce modèle dit U séquentiel, a été développé par des chercheurs de l’Université d’Uppsala
en Suède. Il est fondé notamment sur les fondamentais de la la théorie behavioriste (Cyert
et March, 1963)92. L’U- modèle fut développé par Johanson et Vahlne (1977)93. Il défend
l’idée d’un développement international incrémental, séquentiel et par étapes en posant
dans la première version du modèle, deux questions : quel marché et quelles modalités
d’internationalisation choisir ?

L’internationalisation passe par quatre stades : l’exportation, l’appel à un intermédiaire


local, la créeation d’une filiale commerciale, l’implantation d’une filiale de production.
Elle a lieu d’abord dans des zones culturellement proches au regard de ce que les auteurs
qualifient de « distance psychique », la culture représentant la variable prioritaire quant
au choix du pays. Ces auteurs mettent en avant l’importance du retour d’expérience et de
l’apprentissage.

Le modèle revisité (Johanson et Vahlne, 2009)94 met en avant l’importance des réseaux,
par référence également aux travaux sur les PME de Coviello et Munro sur les Networks
Relationships (1995, 1997)95 qui met l’accent sur l’importance de la place du réseau
d’affaires dans le processus d’internationalisation. Johanson et Vahlne (2009) mettent
également en avant l’échange de savoir-faire et d’expérience avec des partenaires, qui
ont déjà actifs sur ces marchés étrangers.

88
Colovic A. & Mayrhofer U. (2011), « La reconfiguration de l’espace mondial et les stratégies de
localisation des firmes multinationales », Management International, vol. 16, p. 11–19,
https://doi.org/10.7202/1006914ar
89
Abdellatif M. (2011), « Le contrôle des filiales à l ́étranger. Une analyse de la mobilité des cadres selon
le risque pays perçu », Revue Française de Gestion, vol. 37, p. 157–170,
https://doi.org/10.3166/rfg.212.157-170
90
Grillat M. L. & Mérignac O. (2011), « Stratégie de contrôle des activités internationales : la GIRH
comme levier clé d’intégration et de coordination des firmes multinationales », Management international,
vol. 16, p. 85–100, https://doi.org/10.7202/1006920ar
91
Baldegger R. J. & Schueffel P. (2009), « Le comportement d’internationalisation des PME suisses »,
Revue Internationale PME, vol. 22, p. 1-45.
92
R.M. Cyert & J. G. March, A Behaviotal Theory of the Firm, Prentice-Hall, New York, 1963
93
J. Johanson & J. E Vahlne, « The Internationalization Process of the Firm - A Model of Knowledge
Development and Increasing Foreign Market Commitments », Journal of International Business Studies,
vol. 8, n° 1, 1977, pp. 23-33.
94
J. Johanson & J. E. Vahlne, « The Uppsala Internationalization Process Model Revisited: From
Liability of Foreignness to Liability of Outsidership », Journal of International Business Studies, vol. 40,
2009, pp. 1411-1431
95
Coviello N. E. & Munro H. J. (1995), « Growing the entrepreneurial firm: networking for
internationalmarket development », European Journal of Marketing, vol. 29, p. 49–61.
https://doi.org/10.1108/03090569510095008 - Coviello N. E., & Munro, H. J. (1997). « Network
relationships and the internationalisation process of small software firms. », International Business Review,
vol. 6, p. 361–386, https://doi.org/10.1016/S0969-5931(97)00010-3
Yvon PESQUEUX
37
Les modèles d’innovation
Le modèle à 6 étapes de Bilkey et Tesar (1977)96 - Logiques push : absence d’intérêt pour
l’export, à une commande non sollicitée en provenance de l’étranger, exploration active
des possibilités d’exportation, expérimentation des exportations, confirmation de
l’importance de l’exportation, étude des marchés culturellement éloignés. Les variables
push sont constitutées par le management, le retour d’expérience et la distance culturelle,
c’est-à-dire des forces externes qui motivent à l’exportation et le fait que les
comportements des managers varient selon les différentes étapes.

Le modèle à cinq phases de Reid (1981)97 et Cavusgil (1980)98 - Logiques pull qui
accorde une place à l’interaction entre des dimensions individuelles et organisationnelles.
Les facteurs pull sont constitués par les expériences internationales des managers, leurs
antécédents individuels et leurs connaissances. L’accès aux informations est primordial,
car il permet de réduire les incertitudes et la complexité d’une activité internationale. Les
réseaux développés par ces individus constituent des sources d’informations.

Lescritiques adressées à ces modèles sont les suivantes : le flou aquant au passage d’une
étape à une autre, celui des facteurs organisationnels. Ces modèles s’intéressant
uniquement à l’exportation comme mode d’entrée sur les marchés étrangers.

Les modèles nonlinéaires d’internationalisation


Ils sont apparus dans les années 1990, afin de coimprendre les stratégies des entreprises
à internationalisation rapide et précoce.

Pour les entreprises born global, Knight et Cavusgil (2004)99 proposent une approche
générale, quant à la période et au niveau d’internationalisation, tout en insistant sur
l’importance des connaissances dans les ressources de l’entreprise (Gabrielsson et al.,
2008). Madsen (2013)100 définit le born global comme une entreprise manufacturière
ayant un taux d’exportation supérieur à 25 %, qui a commencé à exporter dans les trois
ans qui ont suivi sa création.

Les International New Ventures ont été définies par Oviatt et McDougall (1994) comme
des entreprises qui, dès leur création, veulent obtenir un avantage compétitif à partir de
l’utilisation de ressources et de la vente de produits dans beaucoup de pays. Ils mettent
l’accent sur le fait qu’une expansion précoce sur plusieurs marchés est possible. Cette
stratégie d’internationalisation remet en cause l’internationalisation linéaire, ainsi que

96
Bilkey W. J. & Tesar G. (1977), « The Export Behavior of Smaller-Sized Wisconsin Manufacturing
Firms », Journal of International Business Studies, vol. 8, p. 93–98,
https://doi.org/10.1057/palgrave.jibs.8490783
97
Reid S.D. (1981), « The Decision-Maker and Export Entry and Expansion », Journal of International
Business Studies, vol. 12, p. 101–112, https://doi.org/10.1057/palgrave.jibs.8490581
98
Cavusgil S. T. (1980), « On the internationalization process of firms », Marketing Opinion Advertising,
vol. 8, p. 273-281.
99
Knigh G. A. & Cavusgil S.T. (2004), « Innovation, organizational capabilities, and the born- global
firm », Journal of International Business Studies, vol. 35, p. 124–141,
https://doi.org/10.1057/palgrave.jibs.
100
Madsen T. K. (2013), « Early and rapidly internationalizing ventures: Similarities and differences
between classifications based on the original international new venture and born global literatures »,
Journal of International Entrepreneurship, vol. 11, p. 65–79, https://doi.org/10.1007/s10843-012-0099-0
Yvon PESQUEUX
38
l’impact de la distance psychique sur le niveau d’engagement à l’étranger. Svensson
(2006)101 note que la différence entre ces entreprises et les born global relève plus de la
terminologie. Ils se sont donc intéressés aux entreprises qui s’internationalisent dès les
premières années de leur création (les International New Ventures ou Born global -
Entreprise à Internationalisation Rapide et Précoce - EIRP). Ils définissent l’EIRP comme
une « organisation commerciale qui dès sa naissance cherche à tirer un avantage
concurrentiel significatif de l’utilisation de ressources (matérielles, humaines,
financières, technologiques dont l’innovation diffuse, etc.) et de la vente de produits dans
de multiples pays ». A partir de cette définition, S. Bacq & R. Coeurderoy102 repèrent
trois caractéristiques des EIRP : l’âge, l’orientation internationale et les sources de
l’avantage concurrentiel. L’EIRP tire son avantage concurrentiel de sa capacité à
mobiliser des ressources (surtout technologiques) et à réaliser des ventes au plan
international. Ainsi, à partir des ressources, humaines, technologiques, matérielles,
financières, etc., l’entreprise développe une stratégie proactive des marchés
internationaux. Par exemple, l’innovation impose la recherche d’opportunités sur
d’autres marchés.

Les Born Again Global ont été étudiées par Bell et al. (2001, 2003)103 au regard des PME
qui « s’internationalisent rapidement après une longue période durant laquelle elles
s’étaient concentrées sur le marché domestique ». L’arrivée d’un nouveau dirigeant, le
rachat de l’entreprise constituent deux facteurs importants de cette internationalisation.

L’intégration des filiales peut s’opérer sur la base d’une centralisation au siège des décisions,
par la formalisation de systèmes administratifs et par l’intégration d’autres modalités plus
informelles comme la référence à un système de valeurs commun et à des contacts personnels
entre les agents organisationnels de la mère et des filiales. On est donc face à une dualité entre
des modes impersonnels d’intégration des filiales et des modes informels dans lesquels la
dimension humaine joue un plus grand rôle. Il est nécessaire de noter, dans les modes
impersonnels d’intégration des filiales, l’existence de modalités telles que le pourcentage de
capital détenu, la dépendance technologique, l’interdépendance des activités des filiales, la
formalisation de la stratégie et les politiques de gestion des ressources humaines dans leur
vocation à faire circuler les acteurs entre les filiales, la construction de systèmes unifiés
d’information de gestion avec une sémantique commune principalement d’ordre instrumental
accordée aux indicateurs de gestion.

Les perspectives structurelles jouent un rôle essentiel et influencent l’intégration des filiales.
Les options sont multiples : une division internationale qui supervise, au niveau supérieur, les
activités internationales des filiales, une structure divisionnelle par produit qui couvre les
opérations de toutes les filiales, une structure divisionnelle géographique qui tient compte des
réalités nationales mais sur la base de coordinations régionales (la région est ici vue comme
étant au-dessus des pays), une structure matricielle qui combine hiérarchie par produit et

101
Svensson G,(2006), « A quest for a common terminology: the concept of born glocals », Management
Decision, vol. 44, p. 1311–1317, https://doi.org/10.1108/00251740610707758
102
S. Bacq & R. Coeurderoy, « La théorie de l’entreprise à internationalisation rapide et précoce à l’épreuve
des faits : évaluation de l’apport des travaux empiriques à ce champ de recherche », Revue Internationale
PME, vol. 23, n° 1, 2010, pp. 91-124.
103
Bell J. & McNaughton R. & Young S. (2001), « ‘Born-again global’ firms An extension to the ‘born
global’ phenomenon », Journal of International Management, vol. 7, p. 173-189 - Bell J. & McNaughton
R. & Young S. & Crick D. (2003.), « Towards an Integrative Model of Small Firm Internationalisation »,
Journal of International Entrepreneurship, vol. 1, p. 339– 362.
Yvon PESQUEUX
39
hiérarchie par région. Mais les réponses structurelles ne sont jamais que partielles si nous
constatons, avec C. K. Prahalad & Y. L. Doz104, que l’organisation se comprend, au-delà de la
structure formelle comme recouvrant un domaine cognitif - informations utilisées dans la
décision et représentation de l’environnement, un domaine stratégique, un domaine de
recherche de consensus entre les dirigeants autour des décisions stratégiques, un enjeu
d’exercice du pouvoir né de la confrontation et de l’équilibrage du pouvoir des agents
organisationnels et des positions, un domaine administratif, un processus de sélection, de
formation, d’établissement des budgets, etc. Le manager peut être ainsi vu comme un
personnage confronté à un monde de signes qu’il a lui-même impulsés, mais aussi à d’autres
qu’il ne sait pas comprendre et c’est là que le recours à l’idée, aux représentations peut
s’entendre comme un mode d’interprétation permettant de donner du sens, comme la façon de
repérer des signes dans les signes et de mieux comprendre le sens des pratiques locales au regard
de modes qui lui servent de révélateurs.

D’autres perspectives, globales cette fois, permettent d’aborder la multinationalité. Rappelons,


à cet égard, la classification d’H. V. Perlmutter105 qui fait figure ici de fondateur et qui distingue
les entreprises ethnocentriques, c’est-à-dire celles au sein desquelles les dirigeants sont orientés
vers la société mère, les entreprises polycentriques au sein desquelles les dirigeants sont orientés
vers les filiales et les entreprises géocentriques au sein desquelles les dirigeants sont orientés
vers l’international vu comme le respect de normes de performances instrumentales. La
perspective ethnocentrique est aujourd’hui souvent couplée à une logique technocentrique, le
système informatique venant en particulier jouer un rôle normalisateur d’ordre technique. La
notion d’entreprise holicentrique (c’est-à-dire d’une multinationalité détachée des contingences
culturelles locales de quelque nature que ce soit comme avec les cabinets d’audit
internationaux) a été ajoutée depuis. Si le regard est porté à partir des perspectives locales, on
retrouvera ici les positions de C. K. Prahalad & Y. Doz106 qui lisent l’organisation de l’activité
internationale sur la base de deux positions : la plus ou moins grande mise en dépendance de la
filiale par rapport aux ressources stratégiques de la société mère et la mise en place de tout un
système de modes d’intégration recouvrant des éléments tels que la structure, les systèmes
d’information, la culture organisationnelle et la gestion des ressources humaines. On ajoute
aujourd’hui à la série des configurations précédentes, le qualificatif d’entreprise régiocentrique
qui tend à gérer ses filiales par regroupements régionaux de pays en leur donnant une autonomie
relative au regard des régions ainsi construites. On retrouve ici l’idée implicite d’un agglomérat
culturel mâtiné de logique triadique (une conception du monde en triade) avec le pôle européen
et son ombre au Moyen-Orient et en Afrique, le pôle asiatique et son ombre en Océanie et un
pôle américain avec son ombre en Amérique Latine)107.

104
C. K. Prahalad & Y. L. Doz, The Multinational Mission : Balancing Local Demands and Global Visions,
The Free Press, New York, 1997
105
H. V. Perlmutter, « The Tortuous Evolution of the Multinational Corporation », Columbia Journal of
World Business, vol. 4, N°4, 1969, pp.9-18
106
C. K. Prahalad & Yves. L. Doz, op. cit.
107
K. Ohmae, La triade : émergence d’une stratégie mondiale de l’entreprise, Paris, 1985
Yvon PESQUEUX
40
Le modèle EPRG de H. V. Perlmutter & D. A. Heenan (1979)108

Orientation
Caractéristiques Ethnocentrique Polycentrique Régiocentrique Géocentrique
de l’entreprise
Complexité de Complexe dans Variée Indépendance Complexe et
l’Organisation le pays et régionale indépendance
d’origine, indépendante mondiale
simple dans
le pays
d’accueil
Autorité, prise Faible Fort pouvoir du Collaboration
de décision Fort pouvoir du pouvoir du siège régional sièges/filiales
siège siège et partout dans le
collaboration monde.
entre les
filiales
Evaluation Du pays Locaux Régionaux Globaux et
et contrôle d’origine locaux
Rétribution et Variable Rétribution Rétribution des
sanctions, selon les basée sur des dirigeants
incitations Fortes au siège pays : élevée objectifs internationaux
et faible dans ou faible régionaux et locaux sur
les filiales selon la l’atteinte des
performance objectifs
de la filiale locaux et
mondiaux
Communication, Flux Flux faibles Flux faibles Elevés et
flux importants et entre le siège entre le siège et multinationaux
d’informations unilatéraux du entre les les filiales et
siège vers les filiales et flux régionaux
filiales entre les élevés.
filiales entre
elles.
Identification Nationalité du Nationalité du Firme Firmes
géographique pays d’origine pays régionale mondiales
d’accueil avec des
intérêts
nationaux
Pérennisation Personnel du Personnel Personnel Les personnes
(recrutement, pays d’origine local placé régional placé les meilleures
dotation, placé sur les sur les postes sur les postes sur les postes
développement) postes clés clés dans leur clés n’importe clés partout
partout dans le propres pays. où dans la dans le monde
monde région.

108
D. A. Heenan & H. V. Perlmutter, Multinational Organization Development, Addison Wesley Longman
Publishing Co, Londres, 1979, ISBN-10: 0201029537, ISBN-13: 978-0201029536
Yvon PESQUEUX
41
Aborder le problème sous l’angle de l’entreprise multinationale conduit, comme le souligne N.
Lugagne Delpon109 à identifier des facteurs de contingence :
- La nature de l’entreprise (taille, secteur, origine nationale, variété des produits,
modes de gouvernement) ;
- Les flux entre l’entreprise mère, les filiales et les filiales entre elles (dépendance,
nature, sens et ampleur des ressources et des informations) ;
- L’environnement local de la filiale (niveau des ressources, stabilité de
l’environnement, degré de réglementation de l’activité, culture nationale) ;
- La nature de la filiale (taille, importance relative, maturité, activité, mode
d’acquisition, part du capital détenu par les tiers) ;
Mais aussi à comprendre les éléments à l’oeuvre dans les modes de pensée et d’action.

Interculturel ou multiculturel ?

Si l’on en revient à l’organisation comme communauté multiculturelle, il se pose donc le


problème du travail en équipe (vu au sens général et, à ce titre, l’entreprise multinationale est,
au sens large, un lieu de travail en équipe) qui va se caractériser par une perspective
interculturelle.

Le premier aspect à mettre en avant est l’importance de la langue comme vecteur de


communication. Dans une perspective a minima culturaliste, chaque langue est le produit et
l’origine d’une vision du monde. C’est pourquoi traduction est aussi réinterprétation. La
solution a été trouvée, comme il en va toujours ainsi, par le fait de recourir à une langue
véhiculaire réduite à la dimension d’une langue de communication. C’est aujourd’hui l’anglais.
Mais il ne faut pas oublier que l’anglais est enraciné dans une culture et déraciné si son usage
est celui de la stricte communication. Les mots racontent donc des histoires différentes à
chacun… La langue donc est le moment de la collision entre des particularismes et l’universel…
dont la communication est un premier aspect. Mais il faut prendre en compte aujourd’hui les
logiciels de traduction automatique qui font évoluer la situation.

L’interculturel est le moment de confrontation entre des éléments culturels dont chacun des
porteurs est relativement conscient (des comportements externes, des manières d’être au
monde, des coutumes, des habitudes, une langue, une histoire, etc.) et au contenu émotif très
important (valeurs et présomptions, visions du monde, modes de pensée, etc.). Mais il faut au
préalable savoir distinguer idéaltype (construit dans une perspective compréhensive) de
stéréotype (support de l’idéaltype tout comme du préjugé) et de préjugé (qui est l’usage affectif
dégradé du stéréotype), comme nous y invite l’ouvrage publié par le Centre de Documentation
Tiers-Monde110.

Focus sur idéaltype, stéréotype et préjugés

109
N. Lugagne Delpon, op. cit.
110
L. Flécheux, « Stéréotypes et préjugés : des filtres qui bloquent les relations interpersonnelles », in Se
former à l’interculturel, Centre de documentation Tiers-Monde, Editions Charles Léopold Mayer, Paris,
2000, pp. 15-18
Yvon PESQUEUX
42
Achevons cette démonstration avec la brève évocation d’autres figures avec le concept
de stéréotype (et celui de cliché qui est, pour sa part, plus graphique et celui de caricature
qui contient l’idée de sur-représentation d’une caractéristique donnée).

H. D. Doty & W. H. Glick111 mettent l’accent sur l’importance de la distinction entre les
notions de typologie et de catégorisation, notions fondatrices de celle d’idéaltype. Dans
le premier cas, la typologie, il n’y a pas d’opérateur de classification et l’idéaltype
possède d’abord un rôle figuratif tandis que le second, la catégorisation, repose sur
l’existence d’un opérateur de classification. En sciences de gestion, un idéaltype va
regrouper une combinaison donnée de « marqueurs » organisationnels (les modes de
coordination, par exemple). Il y a donc aussi de la norme avec l’idéaltype, norme
permettant de distingue le typique de l’atypique. L’idéaltype induit le comparatif,
l’identification mais par qui ? L’observateur, les acteurs de la situation… Avec
l’idéaltype, il s’agit bien de reconnaissance. Mais ce sont aussi ses traits qui le
rapprochent de la caricature… La mise en relief fondatrice de la notion chez Max Weber
en permettant la comparaison dans l’espace et dans le temps. Il s’agit donc bien d’un
moyen de connaissance.

Pour ce qui est de l’idéaltype de l’exercice du pouvoir, Max Weber112 distingue quatre
idéaux-types :
- Le type rationnel par rapport à la finalité : l’acteur social définit, mobilise et
organise des moyens pour atteindre un objectif politique, social ou économique
prédéfini ;
- Le type rationnel par rapport aux valeurs : l’adhésion aux concepts d’honneur ou
de fierté entraine un engagement qui ne calcule pas les autres effets de l’action ;
- Le type sentimental : engagé par un acteur social en fonction de ses préférences
émotionnelles n’obéissant pas forcément aux règles d’objectivité ;
- Le type traditionnel qui impose à un acteur social le respect des coutumes de sa
communauté. On retrouve dans ce contexte la prédominance des habitudes
culturelles.
L’idéaltype est une catégorie abstraite constituée de notions, de relations et de données
historiques permettant de mieux comprendre les phénomènes sociaux, sans que les
caractéristiques de cette catégorie abstraite ne se retrouvent sur tous les sujets observés.
Pour Max Weber, la sociologie ne doit pas chercher à reproduire la réalité par
l’abstraction et la généralisation mais plutôt à la reconstruire par des traits représentatifs
de faits sociaux. Le réel étant par nature infini, inépuisable et complexe, il est vain pour
la recherche scientifique, ne disposant que de concepts finis et définis, de chercher à le
reproduire. Le terme « idéal » dans la théorie ne signifie pas « parfait » car pour Max
Weber « il y a des types-idéaux de religion comme il y a des types-idéaux de bordels ».
Un idéaltype vise ainsi à bâtir un modèle d'un phénomène social et reflète donc aussi
une perspective liée au but de ce modèle. La construction d'un idéaltype consiste va relier,
dans une trame commune, des phénomènes potentiellement disparates de l'expérience.
C’est une production idéalisée, qui n'a qu'une valeur pratique pour le chercheur : il est le
support de comparaisons et de classements et constitue une utopie qui doit aider à la
réflexion.

111
H. D. Doty & W. H. Glick, « Typologies as a Unique Form of Theory Building: ypologies as a Unique
Form of Theory Building: Toward Improved Understanding and Modeling, The Academy of Management
Review, vol. 19, n° 2, apr., 1994), pp. 230-251, DOI: 10.2307/258704
112
M. Weber, Economie et société, Pocket, Paris, 2011 (Ed. originale: 1921).
Yvon PESQUEUX
43
De fait, l'idéaltype n'est pas un idéal en termes de valeurs, mais une conception en termes
de caractéristiques. Son élaboration repose sur l'observation des faits : la notion véhiculée
par un idéaltype est une idéalisation de l'idée telle qu'elle s'incarne dans les faits. Par
exemple, l'idéaltype bureaucratique est très souvent présenté comme une liste de
caractéristiques qui sont le signe d'une rationalisation autour d'une autorité du type
rationnel-légal, caractéristiques très factuelles (primauté de l'écrit, structures
hiérarchisées, etc.). Il ne s'agit donc pas de penser une idée au sens platonicien du terme,
c'est-à-dire comme une abstraction pure séparée du monde des faits variables et
contingents.

Par définition, « l'idéal type est une reconstruction stylisée dont l'observateur a isolé les
traits les plus significatifs d'une réalité, il s'agit donc d'un modèle d'intelligibilité. L'utilité
de ce modèle réside dans le fait que Weber nous livre ici un véritable outil pour étendre
le sujet de réflexion et optimaliser sa compréhension » (Essai sur la théorie de la science,
1904-1917, traduction partielle par Julien Freund, Plon, 1965, p. 181).

Le concept d'idéaltype doit à la base se comprendre par l'action sociale et ses


déterminants. L'action sociale est dans l'optique weberienne une action à laquelle
l'Homme donne un sens, c'est une action dont le sens est orienté vers autrui (autrui
singulier, pluriel ou même indéfini), et celle-ci est mise en évidence par quatre
déterminants qui passent par les formes les moins conscientes, celles qui sont à peine
sociales, vers celles qui sont les plus conscientes, les plus sociales.

La partialité dont il est question avec idéaltype, stéréotype et préjugé est le moment de
confrontation entre des éléments dont chacun des porteurs est relativement conscient (des
comportements externes, des manières d’être au monde, etc.) et au contenu émotif très
important (valeurs et présomptions, visions du monde, modes de pensée, etc.). Mais il
faut au préalable savoir distinguer idéaltype (construit dans une perspective
compréhensive) de stéréotype (« support » de l’idéaltype tout comme du préjugé) de
préjugé (qui est l’usage affectif « dégradé » du stéréotype), comme nous y invite
l’ouvrage publié par le Centre de Documentation Tiers-Monde113 en y ajoutant
l’archétype (idéaltype réduit à des dimensions schématiques) et le prototype (idéaltype
construit dans une perspective prédictive de classification). Ces notions issues du champ
lexical de l’imprimerie puis de la photographie ont pris une dimension psychologique,
sociologique et politique aujourd’hui (cf. c’est en 1922 que le terme fait son entrée dans
les sciences sociales avec W. Lippman114 dans son ouvrage Public Opinion où il rend
compte du « caractère à la fois condensé, schématique et simplifié des opinions qui ont
cours chez les gens »115. Un stéréotype signifie « une action que l’on répète sans l’avoir
soumise à un examen critique… Ils sont simplificateurs et globalisant, en ignorant les
variations ». Il évoque donc l’idée de répétition mais surtout celle de réduction de la
complexité permettant d’appréhender celle du monde qui nous entoure (une
simplification cognitive). D. Katz & K. Braly116 mettent avant leur rôle dans la réduction
des particularités à partir d’une étude sur des groupes de migrants aux Etats-Unis (une

113
L. Flécheux, op. cit.
114
W. Lippman, Public Opinion, Green Book Publication, 2010 (Ed. originale : 1922)
115
M. K. Doraï, (1988) « Qu'est-ce qu'un stéréotype ? », Enfance, Tome 41, n°3-4, 1988
116
D. Katz &K. Braly, « Racial Stereotypes of One Hundred College Students », The Journal of Abnormal
and Social Psychology, vol. 28, n° 3, 1933, pp. 280-290.
Yvon PESQUEUX
44
fonction de « mélange »). Les origines du stéréotype sont considérées comme étant issues
de deux processus : le premier de l’ordre de l’identité sociale et le second du domaine du
socio-culturel. Le préjugé « est un jugement (positif ou négatif) qui précède l’expérience,
un prêt-à-penser consacré, dogmatique, qui acquiert une sorte d’évidence tenant lieu de
toute délibération ». Il y a une composante affective dans le préjugé. En psychologie, il
existe trois dimensions du préjugé : le préjugé en tant qu'affect négatif (G. W. Allport117),
le préjugé en tant qu'attitude qui admet l’existence de préjugés positifs (C. Stangor & L.
A. Sullivan & T. E. Ford118) et le préjugé en tant qu'émotion sociale (J. C. Turner et
al.119). Tout comme l’image, le stéréotype est le support de l’ordre du discursif d’un
modèle et peut exprimer un préjugé mais aussi les engendrer. Tout préjugé est rendu
intelligible par un stéréotype, mais tout stéréotype n’est pas nécessairement un préjugé.
Le stéréotype naît de la confrontation entre deux groupes et en exprime la différence au
nom de l’un par rapport à l’autre (perspective comparative). Le stéréotype possède donc
une fonction à la fois de simplification (pour rendre possible une représentation et
exprimer les contours d’un modèle, donc fatalement réducteur), cognitive (pour aider à
comprendre) et identitaire (et c’est là qu’il peut servir à fonder une incantation, la
simplification conduisant au préjugé venant nourrir les utopies tout comme les
idéologies). Le stéréotype peut fonder les représentations au point de constituer un
mécanisme de défense au regard de la dualité qui vaut alors entre un auto-stéréotype lié
au groupe d’appartenance (facteur de cohésion et d’autant moins discutable alors),
l’hétéro-stéréotype résultant du regard d’un groupe sur un autre et désigne ce qu’une
catégorie de pense de l’autre. Pour sa part, le méta-stéréotype rassemble ce qu’on
s’imagine que les autres pensent de nous. C’est finalement quand le stéréotype devient
monotype (ou cliché), c’est-à-dire banalité que s’amorce le processus de dégradation…
La partialité commence là où le stéréotype débouche sur la dévalorisation de l’Autre. Il
est également à remarquer combien les auteurs des sciences de gestion tendent à produire
des « profils » tenant lieu le plus souvent de stéréotypes, le profil étant alors l’issue d’une
méthode de profilage. Mais, c’est là aussi toute la question de l’ambiguïté qui revient en
avant, le préjugé est aussi le lieu de fondation du typique. Associée à la notion de
stéréotype, celle de topoï (koinoi) désigne le lieu commun et représente les mécanismes
logico-psychologiques de l’argumentation au regard de la référence à des présupposés et
des croyances supposés communs à une collectivité donnée. Le préjugé construit la
frontière entre l’intérieur (les « siens » avec lesquels on se sent bien) et l’extérieur (les
« autres » avec lesquels on se sent plus ou moins mal). La référence au « sentir » montre
la dimension sensualiste de la notion et c’est ce qui l’éloigne d’une approche en Raison.

Dans l’ouvrage publié par le Centre de Documentation Tiers-Monde120, L. Flécheux


explique qu’un stéréotype signifie « une action que l’on répète sans l’avoir soumise à un
examen critique (…) Ils sont simplificateurs et globalisants, en ignorant les variations ».
P. Scharnitzky121 distingue trois types de stéréotypes en fonction de leurs objets et de leur

117
G. W. Allport, The Nature of Prejudice, Addison-Wesley, Reading, 1954
118
C. Stangor & L. A. Sullivan & T. E. Ford, « Affective and Cognitive Determinants of Prejudice »,
Social Cognition, vol. 9, n° 4, 1991, pp. 359-380
119
J. C. Turner & M. A. Hogg & P. J. Oakes & S. D. Reicher & M. S. Wetherell, Rediscovering the Social
Group: A Self-categorization Theory, Blackwell, Oxford, 1987
120
L. Flécheux, « Stéréotypes et préjugés : des filtres qui bloquent les relations interpersonnelles », in Se
former à l’interculturel, Centre de documentation Tiers-Monde, Editions Charles Léopold Mayer, Paris,
2000, pp. 15-18
121
P. Scharnitzky, Les stéréotypes en entreprise – Les comprendre pour mieux les apprivoiser, Eyrolles,
Paris, 2015
Yvon PESQUEUX
45
utilisation : l’hétérostéréotype, l’autostéréotype et le métastéréotype. L’hétérostéréotype
rassemble les informations et les croyances développées à l’égard d’un groupe auquel on
n’appartient pas. L’autostéréotype rassemble les croyances que l’on développe à l’égard
du groupe auquel on appartient. Le métastéréotype fait référence à la « représentation du
stéréotype que les autres ont du groupe auquel on appartient ». Cette typologie se fonde
sur la théorie de la dominance sociale développée par J. Sidanius J. & F Pratto122 visant
à la compréhension des relations entre les groupes sociaux, en particulier, les modalités
de construction des hiérarchies sociales. Elle repose sur le postulat selon lequel les
sociétés complexes sont organisées sur un mode hiérarchique composé d’un ou de
plusieurs groupes dominants et d’un ou plusieurs groupes dominés. Au sein des sociétés,
un consensus de supériorité de certains groupes s’établit par rapport aux autres, légitimant
ainsi les inégalités sociales, notamment les inégalités de genre. Sidanius Cette hiérarchie
entre groupes dominants et groupes dominés peut être renforcée ou atténuée au regard de
« mythes légitimateurs » entretenus par les sociétés, mythes issus des opinions, des
valeurs et des croyances.

Le préjugé « est un jugement (positif ou négatif) qui précède l’expérience, un prêt-à-


penser consacré, dogmatique, qui acquiert une sorte d’évidence tenant lieu de toute
délibération »123. Il y a une composante affective dans le préjugé. Le stéréotype peut
exprimer un préjugé mais aussi les engendrer. Tout préjugé est rendu intelligible par un
stéréotype, mais tout stéréotype n’est pas nécessairement un préjugé, puisqu’il peut être
aussi l’expression d’un idéaltype. Le stéréotype naît de la confrontation entre deux
groupes (ou de la confrontation d’un observateur avec un « objet ») et en exprime la
différence au nom de l’un par rapport à l’autre (perspective comparative). Le stéréotype
possède donc une fonction à la fois identitaire et cognitive. Le problème que vient de
poser cette brève convocation des notions d’idéaltype, de stéréotype et de préjugé est
aussi celui de savoir si les instruments de gestion tout comme les formes
organisationnelles ne pourraient finalement pas être interprétés, malgré le recours à un
même stéréotype, dans l’une des catégories comme dans l’autre. C’est d’ailleurs quand
un stéréotype devient monotype, c’est-à-dire un cliché (ou une banalité) que s’amorce le
processus dégradation… En d’autres termes, un système de contrôle de gestion, par
exemple, ne serait-il pas tout autant un préjugé qu’un idéaltype…

Comme le signalent C. Bertereau & E. Marbot & P. Chaudat124, en sciences de gestion,


il existe quelques textes sur les stéréotypes (S. Belghiti-Mahut125, V. L. Brescoll126, M.

122
J. Sidanius & F. Pratto, Social Dominance: An Intergroup Theory of Social Hierarchy and Oppression,
New York: Cambridge University Press, 1999.
123
L. Flécheux, op. cit.
124
C. Bertereau & E. Marbot & P. Chaudat, « Positionnement épistémologique et orientation de la
recherche : un focus sur l’étude des stéréotypes », ARIMHE | « RIMHE : Revue Interdisciplinaire
Management, Homme & Entreprise », vol. 1, n°34, 2019, pp. 51-66, ISSN 2259-2490
125
S. Belghiti-Mahut, « Les déterminants de l’avancement hiérarchique des femmes cadres », Revue
Française de Gestion, vol. 151, n° 4, 2004, pp. 145-160.
126
V. L. Brescoll, « Leading With Their Hearts? How Gender Stereotypes of Emotion Lead to Biased
Evaluations of Female Leaders », The Leadership Quarterly, vol. 27, n° 3, 2016, pp. 415428.
Yvon PESQUEUX
46
E. Heilman127, C. Leicht et al.128, F. Pigeyre & P. Vernazobres129, C. T. Kulik et al.130, L.
A. Rudman & J. E. Phelan131, par exemple) dont on peut noter la focalisation sur les
questions de genre.

Culture et références ultimes

La quête présentée ici est celle, difficile, qui consiste à mettre en avant des références ultimes
qui permettraient d’être utilisés comme opérateur de compréhension des traits culturels. Ce sont
ces références ultimes qui marquent les modes de pensée, mais qui doivent être soigneusement
distinguées des préjugés qui aveuglent. Et pourtant, références ultimes et préjugés suivent un
cours parallèle, les unes marquant les modes de pensée de façon considérée comme étant
positive et les autres de façon négative. Les deux éléments se trouvent, en quelque sorte, dans
un terreau commun, celui de la tradition. C’est à ce titre aussi qu’il est possible de parler de
diversité culturelle là où le projet émergeant des dirigeants des entreprises multinationales est
celui d’un multiculturalisme à réduire à un monoculturalisme tiède constitué pour l’essentiel
des valeurs dominantes des catégories de la consommation. Si l’on utilise une métaphore, on
pourrait dire que là où la diversité culturelle marque l’irréductible existence de l’Autre et donc
l’intérêt de la quête des références ultimes permettant de la comprendre, le multiculturalisme
est la négation de cet Autre au nom de la supériorité de ses préjugés. A ce titre, en s’installant
dans les catégories de la consommation, consommer des « produits globaux » ne pourraient
que, de façon interactive, conduire à une réduction de la diversité dont le concept
d’acculturation est susceptible de rendre compte. Le multiculturalisme opèrerait comme si, à
force de porter les mêmes jeans, de boire les mêmes sodas, d’écouter les mêmes tubes et de
regarder les mêmes séries TV, on parvenait à une mixture moyenne dont tout écart serait
significatif d’un retard. La quête de cette mixture commune serait renforcée par l’utilisation
idéologique du déterminisme technologique associé à l’information et à la communication à
l’extérieur de l’organisation tout comme à l’intérieur. Les cadres, agents de classe supérieure,
sont invités à oublier leurs racines si ce n’est pour en conserver des traits de folklore et sont
conduits à utiliser les mêmes méthodes dans une perspective universaliste discutable.

Références ultimes et préjugés sont donc des opérateurs culturels d’ordre idéologique et il est
nécessaire de coter ici les éléments de fonctionnement de l’idéologie, concept qui repose, lui
aussi, sur la référence à un système de valeurs.

La difficulté du recours au concept d’idéologie est ainsi liée à la difficulté d’intégrer deux
perspectives :

127
M. E. Heilman, « Description and Prescription: How Gender Stereotypes Prevent Women’s Ascent Up
the Organizational Ladder », Journal of Social Issues, vol. 57, n° 4, 2001, pp. 657-674 - M. E. Heilman
M.E. (2012), « Gender Stereotypes and Workplace Bias », Research in Organizational Behavior, n° 32,
2012, pp. 113-135.
128
C. Leicht & G. Randsley de Moura & R. J. Crisp R.J. (2014), « Contesting Gender Stereotypes
Stimulates Generalized Fairness in the Selection of Leaders, The Leadership Quarterly, vol. 25, n° 5, 2016,
pp. 1025-1039.
129
F. Pigeyre & P. Vernazobres, « Le « management au féminin » : entre stéréotypes et ambigüités »,
Management international, vol. 17, n° 4, 2013, pp. 194-209.
130
C. T. Kulik & S. Perera & C. Cregan, « Engage Me: The Mature-Age Worker and Stereotype Threat »,
Academy of Management Journal, vol.59, n° 6, 2016, pp. 21322156.
131
L. A. Rudman & J. E. Phelan, « « Backlash Effects for Disconfirming Gender Stereotypes in
Organizations », Research in Organizational Behavior, n° 28, 2008, pp. 61-79.
Yvon PESQUEUX
47
- Celle de la légitimation qui conduit à la construction de fausses consciences ;
- Et celle de la légitimité qui est justification c’est-à-dire procès de masquage des forces
qui sont alors considérées comme normales.

Avec la légitimation, on va pointer les raisons qui forcent les croyances et avec la légitimité, on
va venir pointer les raisons qui fondent le droit, les règles, l’autorité. Politisation et
« sociologisation » du concept d’idéologie viennent construire une oscillation dont il est
difficile de sortir. L’idéologie ne peut être à la fois un masque à critiquer et une logique
d’efficacité crédible.

Si l’on considère l’idéologie comme un processus (c’est-à-dire un ensemble d’« idées faits » et
d’« idées propositions » venant faire système) et compte-tenu des distinctions mises en
évidence ci-dessus, il semble possible d’ajouter une troisième perspective, celle de la
justification mimétique.

La référence est alors G. Tarde132 ou R. Girard133, sorti de sa perspective de compréhension du


monde judéo-chrétien. « Il n’y a rien ou presque, dans les comportements humains, qui ne soit
appris, et tout apprentissage se ramène à l’imitation. Si les hommes tout à coup cessaient
d’imiter, toutes les formes culturelles s’évanouiraient »134 nous dit-il. Mais en même temps,
l’imitation est réprimée volontairement, principalement pour éviter la violence liée au désir
d’un objet convoité par un autre. L’imitation est donc à la fois ciment et menace pour la
cohésion sociale, d’où le fait de la canaliser par le rite (reproduction d’un conflit passé pour le
vider de toute violence) et l’interdit (des éléments donnant lieu au désir mimétique introduisant
une rivalité), généralement en référence au sacré. En opposition au sacré, la modernité se
caractérise par un processus de désacralisation qui conduit les acteurs à se référer à une
représentation commune (le modèle) bénéficiant des attributs de la rationalité et menant à une
homogénéisation de la société, d’où la normalisation par mimétisme.

On aboutit alors à la trilogie suivante :


- L’idéologie comme « vérité en justice », approche sociologique venant s’intégrer dans
une théorie active de la connaissance vue dans une perspective culturaliste où c’est la
légitimité qui prévaut ;
- L’idéologie comme « vérité en force », approche politique où simplification et
incantation jouent sur le registre de la déformation au profit des intérêts d’une catégorie
dominante où c’est la légitimation qui prévaut ;
- L’idéologie comme « vérité en ressemblance », approche psychologique venant
construire une perspective où c’est le conformisme qui prévaut.

L’issue se trouve peut-être dans le recours au concept d’« attracteur », l’idéologie pouvant être
ainsi vue comme un attracteur héritant des trois composantes (politisation – légitimation et
passage en force, « sociologisation » - légitimité et passage en justice, conformisme et passage
en ressemblance). Là où la « vérité en ressemblance » concerne aussi bien le muticulturalisme
que la diversité culturelle, la « vérité en force » ne concernera que le multiculturalisme, les
préjugés inhérents au projet d’utilisation des méthodes de gestion identiques dans toutes les
organisations et ceux de la consommation des mêmes produits par tous et la « vérité en
légitimité » concernera la reconnaissance de la diversité.

132
G. Tarde, Les lois de l’imitation, Kimé, collection “ Vues critiques ”, Paris, 1993.
133
R. Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris, 1978
134
R. Girard, op. cit., p. 15
Yvon PESQUEUX
48
L’idéologie comme attracteur pose la question des références ultimes, références à la fois
d’ordre social et culturel pour qu’idéologie et culture fassent système. C’est pourquoi nous
proposons ici d’essayer de parvenir aux fondamentaux, c’est-à-dire aux éléments qui
permettraient d’expliquer comment nous pensons et de voir en quoi ces fondamentaux
constituent des éléments permanents susceptibles d’offrir une meilleure intelligibilité aux
moments de gestion, moments essentiellement variables et fugitifs. Le projet est qualifié de
« socio » car les communautés contemporaines sont redevables des formes d’organisation et
des systèmes de valeurs des sociétés d’aujourd’hui et il en qualifie l’aspect continuellement
évolutif. La confrontation aux données va donc venir constituer en quelque sorte le premier
niveau de la référence ultime. Il est aussi qualifié d’« histoire » car il est difficile de comprendre
les éléments qui sont à l’oeuvre aujourd’hui sans se confronter à l’histoire et à la lecture qu’elle
donne des traditions en revenant à ce qui semble avoir marqué la façon dont nous pensons les
choses. Et c’est là que se situe le deuxième niveau. Il est enfin qualifié de « compréhensif » car
il s’agit d’inscrire les deux éléments précédents - socio et histoire - dans un univers
herméneutique qui implique de devoir éclaircir les fondements des références ultimes. Il s’agit
ici de valider un détachement de la pensée pour autant qu’il s’agisse de méditations d’ordre
philosophique dans ce qu’elles nous libèrent de la subjectivité. Référence ultime signifie ici
référence fondatrice. Aux contraintes de la psychologie, on peut ainsi opposer la transcendance
des cadres de la philosophie et à l’objectivité supposée de l’observation des pratiques, on
opposera la rigueur de la méditation philosophique.

Références ultimes et idéaltype ont quelque chose à voir en commun. L’idéaltype, tout comme
la référence ultime, sont des « objets » que personne n’a jamais rencontré. Ils constituent une
aide à la compréhension de l’action et c’est à ce titre que nous en cotons l’importance ici. Mais
la référence ultime se distingue de l’idéaltype dans la mesure où elle ne vise pas seulement un
« objet social » mais aussi un « objet de connaissance », au sens philosophique du terme. Là où
l’idéaltype se situe principalement du côté de l’action, la référence ultime se situe du côté de la
connaissance.

A cet égard, on peut ainsi, par exemple pour la pensée occidentale, qualifier Aristote de
modélisateur, de même que Confucius pour la pensée chinoise. Mais nous serions moins les fils
d’Aristote ou de Confucius qu’ils ne seraient nos pères. Disons plutôt que des philosophes
comme ceux-là, mais il en va aussi de Kant dans ce qu’il nous rend évidente la dualité
« impératif catégorique - impératif hypothétique » - ces philosophes-là donc sont moins les
modélisateurs prescriptifs de nos modes de pensée et, finalement, des comportements qui en
découlent, que les formalisateurs, à un moment donné et de façon plus ou moins totalement
prédictive au point que l’on raisonne encore aujourd’hui comme ils l’ont formalisé. C’est donc
moins Aristote ou Confucius qui ont codifié des éléments qui sont ensuite devenus des traits
culturels que l’inverse et c’est en cela qu’ils sont significatifs de la culture qu’ils représentent.

Et ces éléments-là, en tant que références ultimes sont également à la source des idéologies.
C’est en ce sens que nous établissons ici une forme de continuum entre « références ultimes –
idéaltype – cultures – tradition - idéologies – préjugés », dans un processus de dégradation.
C’est aussi ce continuum comme attracteur qui rendrait si difficile la question de la culture en
permettant de la voir tout autant de façon négative (légitimation, conformisme au sens négatif
du terme) que de façon positive (légitimité, exemplarité et conformisme au sens positif du
terme) dans un curieux mélange avec le concept d’idéologie.

Yvon PESQUEUX
49
L’idéologie est aussi souvent le résultat du jugement de valeur porté sur la culture de l’Autre
au nom de la sienne ! Ce jugement résulte, fatalement en quelque sorte, des préjugés inhérents
à la notion même de culture qui, tout comme l’idéologie, est également fondée sur des valeurs.
Le « facteur temps » (et l’on revient ainsi aux références ultimes qui, elles, résistent au temps)
interviendrait ainsi pour rendre possible la distinction idéologie – culture. Les cultures qui sont
le fruit du temps lui résistent et s’en nourrissent, au travers du concept d’acculturation par
exemple. Il faut aussi lui reconnaître un aspect créatif. L’idéologie, elle, ne résiste pas au temps.
Elle possède même pour caractéristique de pourrir brutalement. Il en a été ainsi, par exemple,
de l’idéologie politique du nazisme après 1945 dont la culture allemande n’est pas restée
indemne tout en restant allemande. L’interférence « culture – idéologie » n’est pas neutre.

Ce qui pose question, c’est aussi l’interférence qui opère entre une idéologie locale (qui sera
privilégiée ici) et une idéologie professionnelle de type managérial. Mais, dans la mesure où les
concepts managériaux sont principalement issus de la culture américaine, la séparation entre
ces deux versants est souvent difficile. Et c’est bien ce qui vient fonder ce plaidoyer en faveur
du recours aux références ultimes.

Il ne faut pas sous-estimer la paresse inhérente à la convocation de l’hypothèse culturaliste en


sciences de gestion puisqu’elle amène à facilement justifier bien des choses en son nom. Cette
hypothèse est en effet plus prédictive que déterministe, et c’est là que se situe sa difficulté.

Il est également important de noter la force actuelle de l’entreprise multinationale dans sa


capacité à transcender les différences culturelles dans une sorte de force « déculturalisante ».

Focus sur la notion de proxémie


La proxémie est une notion récente qui concerne la manière dont l’individu gère son
espace en présence d’autrui et l’utilise dans sa conduite comportementale,
interrelationnelle et affective. E. T. Hall135 la définit comme « l’ensemble des
observations et des théories concernant l’usage de l’espace par l’Homme ». Un des
principaux apports de E. T. Hall est sa notion de « bulle », la surface qui entoure l’individu
et qui constitue une zone émotionnelle forte ou encore un périmètre de sécurité
individuel. Il met en évidence quatre catégories de distances interindividuelles en
fonction des intervalles qui séparent les individus, la distance intime, personnelle, sociale
et publique. A. Moles & É. Rohmer136 définissent la « loi proxémique » comme la
tendance à accorder plus d’importance à ce qui est proche qu’à ce qui s’y éloigne :
« fondamentalement, axiomatiquement, ce qui est proche est, de toutes choses égales
d’ailleurs, plus important que ce qui est loin, qu’il s’agisse d’un événement, d’un objet,
d’un phénomène ou d’un être ». Ils proposent une conception subjective de l’espace,
centrée « sur l’être individuel, unique et privilégié pour lequel les autres ne sont que les
compléments facultatifs du Moi ».

Le proverbe qui permet de comprendre l’enclave ethnique serait « qui se ressemble,


s’assemble ». Une enclave ethnique se constitue quand des personnes de la même origine
ethnique et / ou culturelle se concentrent dans une même zone, les distinctions culturelles
étant préservées, ces personnes ayant tendance à travailler ensemble pour créer des
135
E. T. Hall & M. R. Hall, Guide du comportement dans les affaires internationales, Seuil, Paris, 1990
136
A. Moles & E. Rohmer, Psychologie de l’espace, Casterman, Tournai, 1978
Yvon PESQUEUX
50
opportunités pour eux-mêmes. Elles ont été historiquement créées par les immigrants du
fait de l’hostilité ressentie vis-à-vis de la société où ils se trouvent et perdurent dans le
temps, de génération en génération. La notion est d’origine américaine137.

Focus sur l’inculturation

L'inculturation est un terme chrétien qui désigne la manière d'adapter l'annonce de


l'Évangile dans une culture donnée. Cette notion est proche, mais sensiblement différente,
de celle d'acculturation, cette dernière concernant le contact et la relation entre deux
cultures, tandis que l'inculturation concerne la rencontre de l'Évangile avec les différentes
cultures. L'acculturation est un concept anthropologique et l'inculturation un concept
théologique qui trouve son origine dès le XVIII° avec la querelle des rites qui avait
interpellé les autorités catholiques sur la liturgie utilisée par les jésuites en Chine. Dans
d'autres christianismes, l'inculturation s’est manifestée par la traduction de la Bible en
langue vernaculaire.

137
F. Barth, Ethnic Groups and Boundaries. The Social Organization of Culture Difference, Waveland
Press, New York, 1968
Yvon PESQUEUX
51

Vous aimerez peut-être aussi