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Yvon Pesqueux
Institution et organisation
Résumé
Ce texte aborde l’orthogonalité des deux concepts d’« institution » et d’« organisation »
à partir de trois arguments - politique, théorique et épistémologique – avant de conclure
sur les rapports entre les deux notions. Le texte est complété par huit focus : la tension
« isonymie - isopraxis », la perspective de J. R. Commons, un commentaire du texte de
J. W. Meyer & B. Rowan, la question du « travail institutionnel », la théorie
communicationnelle de l’institution, le changement institutionnel incrémental, le modèle
des « logiques institutionnelles », les approches en « survie institutionnelle »
(dépendance de sentier et apprentissage), l’hypocrisie organisationnelle.
Introduction
Les sciences de gestion constituent un champ de savoir autonome et reconnaissent par
conséquent l’existence d’une épistémologie fondée sur la référence au concept
d’« organisation » fondé sur la téléologie qui lui est inhérente. Il est d’abord intéressant
de souligner que cela répond à la fois aux fondements des théories des organisations et
aux perspectives gestionnaires. La logique du champ est donc à la fois réductionniste (en
isolant cette entité que l’on va qualifier d’organisation pour mieux l’analyser et la
comprendre) et prescriptive (pour « améliorer » son fonctionnement).
Les sciences de gestion sont considérées comme étant également susceptibles d’offrir un
contenu scientifique à l’explication de ce que sont les institutions, celles-ci pouvant être
étudiées au travers du prisme de l’organisation. L’organisation est alors considérée
comme le lieu de constitution d’une instance d’évaluation et de jugement et donc de
l’omniscience attribuée à ses concepts et à ses logiques (d’où le lien entre l’organisation
et question de la décision). L’évaluation et le jugement se situent en effet « en contexte ».
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1
celle qui ne l’est pas. Ce sont les modalités juridiques de l’association (le droit des
sociétés) et celles de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression (d’ordre
économique) qui la caractérisent, même s’il est aussi important de citer d’autres entités
de substance organisationnelle telles que les organisations non gouvernementales ou
encore celles de l’économie sociale et solidaire qui doivent alors légitimer leurs
différences.
L’hypothèse générale de ce texte est celle de l’orthogonalité (et non de l’opposition) entre
« institution » et « organisation ». On raisonnera donc le plus souvent par différence et
non par opposition entre les deux termes1.
1
A.-C. Martinet & Y. Pesqueux, Epistémologie des sciences de gestion, Vuibert, collection « fnege »,
Paris, 2013
2
G. Lapassade, Groupes, organisations, institutions, Economica, Paris, 2006, p. XXXVIII
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2
du caché mais que l’idéologie vise un passage « en force » par simplification, incantation,
distinction entre des facteurs « amis et des facteurs « ennemis », etc.3.
Rappelons aussi, de façon liminaire, qu’il en va aujourd’hui de même dans les deux
domaines (« institutions » et « organisations ») qui confondent, au gré des besoins,
« institution » (comprendre les institutions instituées) et « institutionnalisation »
(comprendre les modalités instituantes) tout comme l’on confond « organisation » et
« organizing ». Dans les deux cas (« institution » et « organisation »), il est également
question de considérer ces deux « objets » comme lieu de constitution de l’instance
d’observation, d’évaluation et de jugement et donc de la souveraineté (c’est-à-dire
l’aspect « non » discutable attribuée à leurs appareils, en particulier à leurs appareils de
direction. L’institution se caractérise par la place accordée à la souveraineté (c’est-à-dire
son évidence indiscutable) qui, justement, fait de l’entité visée une institution. Il s’agit,
en particulier, de la mission qui lui est propre et de la manière de la réaliser dans une
perspective où les caractéristiques économiques restent au deuxième plan, par exemple
comme pour l’hôpital. Il y a de l’obstination dans l’institution. C’est en cela que
l’institution est considérée comme créant de la certitude. L’organisation se caractérise
par l’importance majeure donnée à l’efficience de son fonctionnement. Il y a donc cette
fois de l’opportunisme au lieu de l’obstination et donc de l’incertitude et du risque.
3
« Parler de l’entreprise : modèle, image, métaphore », Revue Sciences de Gestion, n° spécial 20°
anniversaire, 8/9 septembre 1998, pp. 497-513
4
J. Von Neuman & O. Morgenstern, Theory of games and Economic Behavior, Princeton University Press,
1944
5
L. D. Phillips, Bayesian Statistics for Sovial Scientists, Nelson, London, 1973
6
R. Hogarth, Jusdgment and Choice: the Psychology of Decision, Wiley, New-York, 1984
7
N. H. Anderson, Emprical Direction in Design and Analysis, laurence Elbaum, mahwah, New Jersey,
2001
8
H. A. Simon, Administration et processus de décision, Economica, Paris, 1993 (Ed. originale : 1947)
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3
la boucle « information – décision », dans la mesure où « plus je m’informe, plus, peut-
on penser (même s’il souligne les limites de la boucle dans le cadre des décisions non
programmées) la qualité de ma décision dans sa vocation à réduire l’incertitude est
fondée ». En tous les cas, il s’agit bien de « boucler » les agents organisationnels du
niveau des décisions programmées en « ré-acteurs » et non en décideurs. J. G. March9
change la focale en substituant l’ambiguïté à l ‘incertitude. « Plus je m’informe et plus
grandes sont alors les chances de créer de l’ambiguïté », ambiguïté irréductible en
quelque sorte, et donc tout autant que l’incertitude, fondatrice de l’organisation.
Par ailleurs, les sciences de gestion conduisent vers la définition d’un champ
« autonome » de l’organisation et, au nom de l’efficience, vers la reconnaissance de
l’existence d’un sens « donné » quant à leur fonctionnement. Soulignons que cela répond
aux perspectives gestionnaires et aux fondements des théories des organisations dans une
logique à la fois réductionniste (en isolant cette entité que l’on va qualifier d’organisation
du reste de la société pour mieux l’analyser et la comprendre) et prescriptive (pour
« améliorer » son fonctionnement). Et pourtant, il n’existe pas, en miroir, de « sciences
des institutions » mais des sciences politiques, d’où le champ laissé libre aux catégories
des sciences de gestion pour investir la dimension organisationnelle des institutions.
L’entreprise (et ses catégories) serait l’organisation de référence et les sciences de gestion
seraient également susceptibles d’offrir un contenu scientifique à la compréhension de ce
que sont les institutions, celles-ci pouvant être étudiées au travers du concept
d’organisation. Par extension, l’Etat serait aussi une organisation. Les catégories
explicatives et les méthodes de fonctionnement constatées dans les organisations lui
seraient donc applicables. L’institution perd ainsi ses caractères aussi bien juridiques que
politiques et symboliques et l’on parle alors de « désinstitutionnalisation des
institutions » au regard d’une « institutionnalisation des organisations ». Par contre, en
miroir, l’« extensivité » de l’institution n’opère pas de la même manière sur les autres
éléments du continuum en laissant autonomes les notions d’individu et de groupe.
9
J. G. March, « Rationalité limitée, ambiguïté et ingéniérie des choix », Bell Journal of Economics, vol. 9,
n° 2, Automne 1978 - J. G. March & M. Feldman, « L’information dans les organisation : un signal et un
symbole », Administrative Science Quarterly, vol. 26, 1981, pp. 171-186
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l’étape de l’institutionnalisation10. Les sources de désinstitutionalisation sont liées au fait
que les individus sont dans l’incapacité de s’adapter aux obligations inhérentes à
l’institution.
C’est ce que souligne d’ailleurs P. Romelaer12 dans « Le gouvernement d’un pays comme
métaphore du gouvernement d’une entreprise » quand il commente l’ouvrage de J. G.
March & J. P. Olsen 13 qui distinguent une « approche agrégative » d’une « approche
intégrative » des institutions. Dans « l’approche agrégative », les institutions ont pour
fonction l’allocation optimale des ressources pour satisfaire les intérêts différents et
potentiellement divergents des coalitions et autres « parties prenantes ». Ces institutions
réagissent à court terme aux forces du présent. Elles ont peu le sens du passé et peu le
sens de l’avenir et mettent en avant la figure de « l’entrepreneur politique ». Il est ici
question de replier l’institution sur l’organisation. Dans « l’approche intégrative », les
institutions ont pour fonction la création d’une communauté dont les membres se
reconnaissent des valeurs partagées et internalisées (ces institutions s’appuient fortement
sur l’interprétation du passé et sur une vision d’avenir « enracinée »). La « réalité »
institutionnelle se situe bien sûr en mélange et alternance des deux car pour qu’il y ait
agrégation, il faut bien qu’il y ait intégration, mais la managérialisation de la société tend
bien à privilégier la première approche sur la seconde.
L’acception donnée ici à l’institution est caractérisée par le fait qu’elle se définit comme
ce qui participe à la réalisation du « Bien Commun » (comme dans le cas d’un hôpital)
tout en jouissant d’un statut légal et symbolique alors que l’organisation vise à réaliser
des objectifs spécifiques dans le contexte de l’efficience (comme dans les entreprises).
La référence à l’organisation conduit à mettre l’accent sur des éléments tels que la
hiérarchie, la coordination et la cohésion mais dans le cadre d’un statut juridique
conventionnel, celui du droit des sociétés, venant en constituer un des éléments du cadre
institutionnel. Mais la dissociation ainsi tracée est certainement trop abrupte quand on
doit prendre en compte le fait que l’institution se trouve être « organisée » alors que
l’organisation tend à faire pression pour modifier ses conditions d’activité soit
directement, par modification de la loi, soit indirectement, par introduction d’éléments
de soft law à l’intérieur de la hard law, dans une perspective d’institutionnalisation
comme avec la gouvernance.
10
F. Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil, Paris, 2002
11
C. Oliver. « The Antecedents of Deinstitutionalization », Organization Studies, vol. 13, n° 4, 1992, pp.
563-588
12
P. Romelaer, « Le gouvernement d’un pays comme métaphore du gouvernement d’une entreprise », in
I. Huault (Ed.), Institutions et gestion, Vuibert, collection « fnege », Paris, 2004
13
J. G. March & J. P. Olsen, Rediscovering Institutions : The Organizational Basis of Politics, Free Press
& MacMillan, New-York, 1989
14
H. Mintzberg, Voyage au centre des organisations, Editions d’Organisation, Paris, 1999
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à une réification de l’organisation dans une dimension a-historique, réductrice aussi bien
de leur diversité « formelle » que de leur nature institutionnelle et politique. Il n’y aurait
pas autre chose que des organisations ! Faire des organisations des entités « objectives »
repose sur l’idée de les considérer comme un référentiel. Il n’est pourtant pas si facile de
trouver quelque chose de commun entre la « Très Petite Entreprise », extension de la
personne, la Petite et Moyenne Entreprise marquée par la proximité avec son
environnement, la « grande » entreprise et l’entreprise multinationale qui peuvent
déterritorialiser leur activité au gré d’un fonctionnalisme géographique (les footless
activities). Par ailleurs, alors qu’elles sont dénommées comme telles quand on parle
d’« organisations internationales », il n’est pas établi de lien (ou très partiellement si l’on
ne s’intéresse qu’à leur fonctionnement) à ces institutions lorsque l’on se réfère, par
exemple, à l’ONU. Les organisations internationales sont aujourd’hui le lieu principal de
l’institutionnalisation comme avec l’Union Européenne au travers de ses directives ou la
Banque Mondiale au travers de ses recommandations dans la mesure où il ne s’agit plus
seulement d’organisations internationales mais d’institutions « supra » nationales dans la
mesure où une délégation de souveraineté de la part des Etats membres leur a été
explicitement ou implicitement attribuée, une délégation plus ou moins contrôlée
démocratiquement. A partir du moment où l’usage de la notion peut s’appliquer dans des
situations aussi disparates, peut-être est-il nécessaire de tenter d’y mettre un peu d’ordre
en proposant une cartographie de l’organisation et de ses composantes.
Avec l’organisation, il s’agit de mettre en avant ses catégories. C’est en cela qu’il est
question de parler d’« institutionnalisation » de l’organisation dont on rappellera la
définition qu’en donne J. Rojot. « L’institutionnalisation est le processus par lequel les
processus sociaux, les obligations ou le présent en viennent à prendre un statut de règle
dans la pensée et l’action sociale » 15 . Il s’agit donc de savoir en quoi et comment
l’organisation se trouve instituée.
Et pourtant, si l’on reprend l’argument d’U. Beck, dans Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère
de la mondialisation16, la mise en œuvre d’un contre-pouvoir mondial s’effectue dans
une opposition entre institutions (mues par une logique de continuité et de fiabilité) et
organisations (mues par une logique d’efficience). Dans les deux cas, on est face à la
question de la frontière « public – privé » considérée du point de vue du « public » avec
l’institution et du côté du « privé » avec l’organisation. Avec l’organisation, s’il est
question d’institutionnalisation, il ne peut être question comme cela d’institutions mais
plutôt de multiplication d’organisations aux modalités de fonctionnement identiques. U.
Beck définit l’institution comme « les règles de base ou implicites qui président à
l’exercice du pouvoir et de la domination » et, par organisation, il mentionne « les acteurs
particuliers disposant d’un certain nombre de membres, de ressources financières et de
locaux ainsi que d’un statut juridique »17. C’est dans La société du risque18 qu’il évoque
d’ailleurs l’idée d’une société industrielle instituée à la fois contre des formes sociales
traditionnelles (alors désinstitutionnalisées) et contre la nature qui doit alors être
dominée, d’où les vertus associées aux connaissances scientifiques (par
15
J. Rojot, « Théorie des organisations » in Y. Simon & P. Joffre, Encyclopédie de gestion, Economica,
Paris, 1997, p. 3363
16
U. Beck, Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, Aubier-Flammarion, Paris, 2003
17
U. Beck, op. cit., p. 27
18
U. Beck, La société du risque – Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, collection « Champs »,
Paris, 2001
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institutionnalisation des rationalisations du travail inhérentes à la société moderne). Les
dispositifs institutionnels de la rationalité instrumentale vont accompagner cette logique :
l’éducation et l’apprentissage, la pression à travailler et à l’efficience au travail. C’est la
croyance en ces vertus qui se trouve aujourd’hui interrogée, ce qu’U. Beck va qualifier
de « deuxième modernité ». Il s’agit en particulier de discuter du travail considéré comme
institution ce qui pose la question de la vie en société sans travailler alors même que le
processus de rationalisation s’étend à de nouveaux domaines de la vie sociale. Un
exemple en est la façon dont la société industrielle a standardisé la vie familiale (en
particulier au travers de la standardisation des rôles des hommes et des femmes, de la
séparation « vie professionnelle – vie privée ») alors même que cette standardisation est
remise en cause par la transformation des rapports sociaux issus de cette rationalisation.
Les champs sociaux se trouvent donc recouverts par ces imbrications.
Approfondissement de la rationalisation et doute à son sujet vont de pair.
Mais il ne faut pas oublier qu’il y a de l’organisation dans l’institution (l’institution doit
être « organisée » pour remplir sa mission), même si c’est la composante institutionnelle
qui l’emporte alors. De la même manière, il y a de l’institution dans l’organisation, mais
on se réfère alors à des aspects considérés comme « indiscutables » au sens
anthropologique de la notion d’institution.
19
J. Allouche & I. Huault, « Les ressources humaines : au-delà des instruments, les institutions », in
Encyclopédie des ressources humaines, Vuibert, Paris, 2003
Yvon PESQUEUX
7
également M. Lallement20, avec la référence à l’institution, le capitalisme comme ordre
politique se trouve fondé au travers de critères d’évaluation variables d’un espace à
l’autre, selon qu’il s’agit d’institution ou d’organisation. « De ce point de vue », nous dit-
il, « la cage d’acier de nos temps modernes s’incarne dans la multitude des rhétoriques
et des dispositifs qui teintent aux mêmes couleurs d’un techno-libéralisme triomphant
dans les multiples espaces de notre monde moderne (entreprise, politique, école,
culture…) ». L’institutionnalisation des organisations se caractériserait en quelque sorte
par la duplication d’organisations identiques, cette multiplication venant en quelque sorte
digérer l’institution à la fois comme objet générique et dans sa diversité au concret.
Pour J. Bourricaud & R. Boudon, l’institution concerne « toutes les activités régies par
des anticipations stables et réciproques »21. C’est en cela d’ailleurs que M. Lallement
indique que : « Si les modes d’analyse privilégiés varient d’un paradigme à l’autre, la
grande majorité des sociologues s’accorde pour définir les institutions – la famille,
l’école, l’Etat, le langage, le droit, le mariage, la propriété… - comme autant de vecteurs
à même d’instituer un groupe social, si ce n’est une société dans son entier »22. Il rappelle
d’ailleurs qu’E. Durkheim 23 faisait de la compréhension des institutions le but de la
sociologie. Il en va de même dans la sociologie américaine, en particulier chez T. Parsons
dont il signale la proximité de sens entre « institution » et « système » (qui indique les
prérequis fonctionnels de tout système d’action). E. Goffman 24 définit l’institution
(« totale ») comme ce qui « accapare une part du temps et des intérêts de ceux qui en
font partie et leur procure une sorte d’univers spécifique qui tend à les envelopper »,
certaines d’entre-elles étant plus totalitaires que d’autres (prisons, asiles, etc.). Pour D.
C. North, c’est un arrière-plan indicatif et structurant. « Les institutions sont les règles du
jeu dans une société ou, plus formellement, elles sont les contraintes conçues par
l’homme qui façonnent l’interaction humaine. Par conséquent, elles structurent les
incitations à l’échange humain, que celui-ci soit politique, social ou économique »25. M.
Aoki propose une définition relativement proche 26 en attribuant cinq propriétés à
l’institution : c’est une création endogène qui perdure tant qu’aucun agent n’a d’intérêt à
modifier unilatéralement son comportement, c’est un moyen de réduire l’incertitude, les
règles institutionnelles sont robustes dans le temps, il existe une diversité des institutions
car elles sont non contingentes et c’est une croyance partagée.
20
M. Lallement, « Penser les institutions : paradigmes d’hier, débats d’aujourd’hui », in R. Michele & J.-
L. Laville (Eds), La sociologie économique européenne : une rencontre franco-italienne, FrancoAngeli,
collection « Sociologa del lavoro », suppl. au n° 93, Milan, 2004, p. 62-75
21
J. Bourricaud & R. Boudon, article « institution », Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, Paris,
1981
22
M. Lallement, op. cit.
23
E. Durkheim, « Remarque sur la méthode en sociologie » (1908), in Textes, vol. 1, Minuit, Paris, 1974,
pp. 58-61
24
E. Goffman, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Minuit, Paris, 1968, p. 45-46
(Ed. originale : 1961)
25
D. C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge University Press,
Cambridge (Massachussets), 1990
26
M. Aoki, Toward a Comparative Institutional Analysis, MIT Press, Boston, 2001
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8
Tout en soulignant la nécessaire distinction à opérer entre institutions, institutionnalistes
et néo-institutionnalistes, A. Desreumaux27 reprend et commente la chronologie de W.
R. Scott28 avec :
- Les premiers institutionnalistes qui s’intéressent aux institutions « fondamentales »
(constitutions, systèmes politiques, religieux, sans lien avec l’organisation) où l’on
retrouve :
- en économie, la contestation des modèles économiques conventionnels (cf. T. B.
Veblen 29) ou leur re-fondation avec J. R. Commons30 qui fait de l’institution une
action collective en contrôle qui pèse sur les gains et les pertes pour soi et pour les
autres,
- en sociologie, la tradition de l’analyse des institutions (cf. E. Durkheim 31 , M.
Weber32).
- Les premiers travaux, principalement américains, reliant organisation et institutions
(années 40) avec :
- l’organisation considérée comme institution (cf. P. K. Selznick33),
- les structures qui légitiment l’existence des organisations (cf. T. Parsons34),
- l’analyse de la nature de la rationalité dans les organisations (cf. H. A. Simon35, R.
M. Cyert & J. G. March36).
- Les théories néo-institutionnelles là encore principalement américaines (à partir de
1970) qui regroupent une variété de courants traitant de la signification, des formes et des
champs organisationnels dans une perspective institutionnelle avec :
- en économie, la volonté de développer une théorie économique des institutions (coûts
de transaction, droits de propriété, agence, évolutionnisme) avec, par exemple, R. H.
Coase37, O. E. Williamson38, D. C. North39, R. R. Nelson & S. G. Winter40, etc.
- en sociologie, un ensemble de travaux s’appuyant sur les idées provenant de la
psychologie cognitive, des études culturelles, de la phénoménologie et de l’ethno-
méthodologie. Ces travaux mettent plus l’accent sur les cadres cognitifs que sur les
cadres normatifs et focalisent l’attention sur les systèmes de croyances dans
l’environnement des organisations (bases théoriques : H. A. Simon41, C. Geertz42, P.
27
A. Desreumaux, « Théorie néo-institutionnelle, management stratégique et dynamique des
organisations », in I. Huault (Ed.), Institutions et gestion, Vuibert, collection « FNEGE », Paris, 2004
28
W. R. Scott, Institutions and Organizations, Sage, Londres, 2001
29
T. B. Veblen, The Theory of Leisure Class, 1899, traduction française, Théorie de la classe des loisirs,
Gallimard, collection « Tel », Paris, 1978
30
J. R. Commons, « Institutional Economics », American Economic Review, December 1931, p. 649 et
suivantes
31
E. Durkheim, op. cit.
32
M. Weber, Economie et sociétés, Agora Pocket n° 171 & 172, Paris, 1995
33
P. K. Selznick, Leadership in Administration, Row & Peterson and Co., Evanston, Illinois, 1957
34
T. Parsons, The Social System, Free Press, New-York, 1951 (traduction française, Dunod, Paris, 1993)
35
H. A. Simon, Administrative Behavior: A Study of Decision-making Processes in Administrative
Organizations, The Free Press, New-York, 1945
36
R. M. Cyert & J. G. March, A Behavioral Theory of the Firm, Prentice Hall, Englewood Cliffs, New
Jersey, 1963
37
R. H. Coase, The Nature of the Firm, Economica, vol. 16, 1937, pp. 331-351
38
O.E. Williamson, The Economic Institutions of Capitalism, The Free Press, New York, 1985
39
D. C. North, op. cit.
40
R. R. Nelson & S. G. Winter, An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Massachussetts,
Harvard University Press, 1982
41
H. A. Simon, op. cit.
42
C. Geertz, The Interpretations of Cultures - Selected Essays by Clifford Geertz, Basic Books Inc., New
York, 1973
Yvon PESQUEUX
9
Berger & T. Luckman43, H. Garfinkel44, etc. ; travaux fondateurs : P. Ingram & B.
Silverman45 , J. Meyer & B. Rowan 46 , L. G. Zucker 47 , P. J. DiMaggio & W. W.
Powell48, J. W. Meyer & W. R. Scott49, etc.).
P. A. Hall & R. C. R. Taylor50 repèrent dans les théories institutionnelles (aussi bien en
économie, en science politique qu’en sociologie) trois courants bien distincts,
respectivement : l’institutionnalisme historique, l’institutionnalisme de la théorie des
organisations ou sociologique et l’institutionnalisme des choix rationnels.
43
T. Berger & T. Luckman, La construction sociale de la réalité, Masson & Armand Colin, Paris, 1996
(2° ed.)
44
H. Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1967
45
P. Ingram & B. Siverman, Advances in Strategic Management, 19 - The New Institutionalism in Strategic
Management, JAI, New-York, 2002
46
J. W. Meyer & B. Rowan, « The Structure of Educational Organizations », in J. W. Meyer et al. (Eds.),
Environments and Organizations, Jossey-Bass Inc., San Francisco, 1978
47
L. G. Zucker, « The Role of Institutionalization in Cultural Persistance », in J. P. DiMaggio & W. W.
Powell (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The University of Chicago Press, 1991
48
P. J. DiMaggio & W. W. Powell (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The
University of Chicago Press, 1991
49
J. W. Meyer & W. R. Scott, Organizational Environments: Rituals and Rationality, Sage Publications,
Berverly Hills, 1983
50
P. A. Hall & R. C. R. Taylor, « Political Science and the Three New Institutionalisms », Max-Planck-
Institut für Gesellschatsforschung, 1996
51
G. Madeiro, Papier de travail, CNAM, 2006
Yvon PESQUEUX
10
Nature de la « Anciennes » « Nouvelles »
perspective théories institution- théories
-nalistes institutionnalistes
(contestation du (le marché est
pouvoir et de l’ordre une institution)
établi et critique « sans » d’où la généralisation
Marx d’où la référence à des raisonnements en « capital »
l’institution) (humain, social, etc.)
Ceci étant, les approches institutionnalistes aussi bien anciennes que nouvelles vont lier
pouvoir et légitimité sur la base de deux registres : celui de la détention et celui de
l’exercice du pouvoir.
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11
Ceci met clairement en avant l’importance de la notion de légitimité dans les « théories
institutionnelles » aussi bien anciennes que nouvelles. Il semble d’ailleurs
particulièrement difficile, indépendamment des références néo-institutionnaliste, de se
référer à la légitimité sans rappeler la conception fondatrice de Max Weber52 pour qui
une action est légitime si l’origine du pouvoir est légitime. La légitimité ne se fonde pas
au regard de critères formels faisant référence à une cause supérieure mais en termes de
justification (une action est légitime, parce que la situation de son occurrence est
également légitime, raisonnement en corrélation classique chez Max Weber).
C’est à ce titre qu’il fonde la trilogie suivante, en détaillant les types de domination
légitime au regard d’un critère :
- rationnel (« reposant sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit
de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces
moyens – domination légale »),
- traditionnel (« reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions
valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l’autorité par
ces moyens – domination traditionnelle »),
- charismatique (« reposant sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la
vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne, ou encore émanant d’ordres
révélés ou émis par celle-ci – domination charismatique »).
Il ne saurait être question de légitimité sans parler de légitimation (et de son antonyme :
délégitimation)
T. Van Leeuwen & R. Wodack55 mettent en avant l’existence de cinq types de discours
de légitimation :
- La rationalisation dite « instrumentale » qui cherche à expliquer pourquoi une pratique
sociale existe compte-tenu de trois formes de rationalisation instrumentale : orientée vers
les buts, vers les moyens, ou vers les effets. Elle peut aussi être d’ordre conceptuel
52
M. Weber, Economie et Société, Plon, Paris, 1971 (Ed. originale 1921)
53
C. Geertz, The Interpretation of Cultures, Basic Books, New York, 1973
54
R. Suddaby, « Can Institutional Theory Be Critical ? », Journal of Management Inquiry, 2014,
https://doi.org/10.1177/1056492614545304
55
T. van Leewen & R. Wodak, « Legitimizing Immigration Control: A Discourse-Historical Analysis »,
Discourse Studies, 1999, https://doi.org/10.1177/1461445699001001005
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12
(expertise ou expérience personnelle, ces auteurs distinguant la rationalisation par la
définition, l’explication et la prédiction) ;
- La moralisation au regard d’un jugement de valeur56 ;
- La normalisation (conformité par rapport aux autres et par rapport aux habitudes et aux
conventions) ;
- L’autorisation qui se réfère à des formes d’autorites ;
- La narrativisation qui repose sur une mise en récit venant lier énonciateur et récepteur.
56
Y. Pesqueux, « Le comportement organisationnel au prisme de la régulation », halshs-02896953, 2020
57
W. R. Scott, op. cit.
58
M. Ruef & R. W. Scott, « A multi-dimensional model of organizational legitimacy: hospital survival in
changing institutional environments », Administrative Science Quarterly, vol. 43, 1998, pp. 877-904
59
M. C. Suchman, « Managing Legitimacy: Strategic and Institutional Approaches », Academy of
Management Review, vol. 20, n° 3, 1995, p. 571-610
60
W. R. Scott & J. W. Meyer, « The Organization in Societal Sectors: Propositions and Early Evidence, in
J. P. DiMaggio & W. W. Powell (Eds.), op. cit.
Yvon PESQUEUX
13
Pour M. A. Zimmerman & G. J. Zeitz61, l’organisation acquiert une légitimité normative
lorsqu’elle « démontre le bien-fondé de son existence en respectant des normes et des
valeurs telles que la profitabilité ou le traitement équitable de ses employés » compte
tenu de l’importance de ces normes. Leur typologie distingue entre une légitimité
sociopolitique (qui renvoie au développement de la confiance dans l’organisation et peut
donc être de nature normative ou réglementaire) et une légitimité cognitive. Cette
typologie conduit à quatre formes de légitimité : une légitimité sociopolitique de l’ordre
de la régulation (conformité aux règles, normes et standards légaux), une légitimité
sociopolitique normative (conformité aux valeurs sociales), une légitimité cognitive
(perceptions de l’identité et des rôles de l’organisation) et une légitimité industrielle
(issue de l’ensemble des entreprises d’un secteur).
C’est, par exemple, dans ce cadre que l’accent est mis sur les réseaux (les réseaux sociaux
essentiellement) et l’importance d’une conception relationnelle de l’organisation et de
l’institution (par référence à des « parties prenantes », par exemple), la mise en exergue
de la relation gommant la différence de nature entre « organisation » et « institution » et
rompant les frontières « intérieur – extérieur ». Dans ce cas, ni les organisations ni les
institutions n’ont de « frontières » et le réseau existe en quelque sorte « au-delà » des
agents organisationnels et institutionnels. Cette perspective contribue, par exemple, à
fonder l’acception situationniste de la confiance et la référence au volontarisme
managérial contre l’« illusion spontanéiste » de la micro-économie standard. La
légitimité (et non la souveraineté) entre en tension et/ou devient facteur d’efficacité dans
le contexte du cadre institutionnel, sociologisation opérée contre le fonctionnalisme
organisationnel au nom du poids de la société dans l’organisation et par la mise en avant
de la régulation compte tenu d’une part belle faite aux normes « privées » considérées
comme étant de nature institutionnelle. Parmi ces normes privées, il en va des modalités
managériales. On retrouve ici la référence au cadre conceptuel de l’institution de W. R.
Scott63, cadre qui est en fait dialogique quand il distingue le cadre légal (de contrainte de
l’action par les lois et les règlements qui suscitent, en miroir, sa contestation libertaire et
ultra-libérale) du « tenu pour acquis » (valeurs et normes). J. Allouche & I. Huault64
soulignent aussi les conséquences du poids des représentations (conventions et
61
M. A. Zimmerman & G. J. Zeitz, « Beyond Survival: Acquiring New Venture Growth by Building
Legitimacy », Academy of Management Review, vol. 27, 2002, P. 414-431
62
S. Zukin & P. J. DiMaggio (Eds), Structures of Capital : The Social Organization of the Economy,
Cambridge, Cambridge University Press), 2000
63
W. R. Scott, op. cit.
64
J. Allouche & I. Huault, op. cit.
Yvon PESQUEUX
14
croyances) et du mimétisme. Le raisonnement par analogie entre « institution » et
« organisation » fonde les logiques de précipitation et d’engrenage quant à l’application
des logiques organisationnelles aux institutions, ce qui permet d’expliquer la réduction
de la diversité des formes aussi bien organisationnelles qu’institutionnelles.
Ceci étant, l’« ancien » et le « nouvel » institutionnalisme ont tous les deux en commun
une certaine méfiance au sujet de l'acteur rationnel et conçoivent l’institutionnalisation
comme un processus entre l’environnement et les organisations qui détourneraient celles-
ci de la rationalité en créant une réalité éloignée de leur description formelle.
L’idée d’isomorphisme, présente dans le texte de J. W. Meyer & B. Rowan, peut être
considérée comme un élément majeur, repris par la suite dans des textes sur l’étude des
structures et de l’isomorphisme des organisations et de ses conséquences.
Une étude de la littérature, de 1977 à nos jours, fait ressortir que les travaux qui suivent
l’apport de J. B. Meyer & W. Rowan se sont essentiellement concentrés sur les
implications suivantes : l’isomorphisme et le découplage. D’autres travaux se sont aussi
consacrés à mieux définir la notion de « champ » ou à développer la logique
institutionnelle. Un panorama de ces travaux figure dans la seconde édition du SAGE
Handbook of Organizational Institutionalism73.
73
The Sage Handbook of Organizational Institutionalism, R. Greenwood & C. Oliver & R. Suddaby & K.
Sahlin, 2018, DOI : http://dx.doi.org/10.4135/9781849200387
74
C. Oliver, « Strategic Response to Institutional Processes », Academy of Management Review, vol. 16,
1991, p. 145-179
Yvon PESQUEUX
16
institutionnelles75 et la traduction comme moyen de diffusion76. Il en va aussi des travaux
sur l’entreprenariat institutionnel77, le paradoxe de l’agent embarqué78, l’hybridation79 et
l’identité de l’organisation 80 . D’autres thèmes ont été aussi étudiés comme
l’entreprenariat culturel81, la complexité institutionnelle82 ou le travail institutionnel83.
Les travaux sur le découplage constituent l’autre aspect des apports des néo-
institutionnalistes. N. Brunsson, dans The Organization of Hypocrisy84, étudie l’usage de
l’hypocrisie organisationnelle comme outil de découplage qui permet de résoudre les
tensions et contradictions au sein des organisations. P. Bromley & W. W. Powell 85
développent le concept d’internalisation de micro-niveaux et questionnent le rôle de la
complexité institutionnelle ainsi que la manière dont les membres de l’organisation la
gèrent. K. Dansou & A. Langley86 proposent la notion de « tests » qui intervient quand
les arrangements institutionnels sont mis en question au regard de trois éléments des
micro-processus : l’agence, la rationalité et la temporalité. B. Taupin 87 étudie la
maintenance institutionnelle au travers de trois aspects : le travail de confirmation, le
travail de qualification et la figure. D. Palmer et al.88 analysent comment les institutions
corrigents (ou pas) les « méfaits organisationnels ». F. Dobbin & A. Kalev 89 se
75
T. D’Aunno & R. I. Sutton & R. H. Price, « Isomorphism and External Support in Conflicting
Institutional Environments: A Study of Drug Abuse Treatment Units », Academy of Management Journal,
vol. 34, n° 3, 1991, pp. 636-661
76
B. Czarniawska-Joerges & G. Sevón, Translating organizational change, Walter de Gruyter, New York,
1996
77
C. Hardy & S. Maguire, « Institutional Entrepreneurship », in R. Greenwood, C. Oliver & K. Sahlin
& R. Suddaby (Eds.), The Sage Handbook of Organizational Institutionalism, Sage, London 2008,
pp. 198-217
78
J. Battilana & B. Leca & E. Boxenbaum, « How Actors Change Institutions: Towards a Theory of
Institutional Entrepreneurship », The Academy of Management Annals, vol. 3, n° 1, 2009, DOI:
10.1080/19416520903053598
79
J. Battilana & B. Leca & E. Boxenbaum, op. cit.
80
P. D. Glynn & A. Alexey & C. D. Voinov & P. A. W Shapiro & P. A. White, « From Data to Decisions:
Processing Information, Biases, and Beliefs for Improved Management of Natural Resources and
Environments », Earth s Future, vol. 5, n° 4, 2017, pp.356-378, https://doi.org/10.1002/2016ef000487
81
M. Lounsbury & M. A. Glynn, « Cultural entrepreneurship: stories, legitimacy, and the acquisition of
resources », Strategic Management Journal, n° 22, 2001, 22, pp. 545-564,
http://dx.doi.org/10.1002/smj.188
82
R. Greenwood & M. Raynard & F. Kodeih & E. R. Micelotta & M. Lounsbury, « Institutional
Complexity and Organizational Responses », Academy of Management Annals, vol. 5, 2011, pp. 317-371.
83
T. Lawrence & R. Suddaby, « Institutions and Institutional Work » in S.Clegg & C. Hardy & W.R. Nord
& T. Lawrence (Eds.), Handbook of Organization Studies, Second Edition, Sage, 2006
84
N. Brunsson, The Organization of Hypocrisy: Talk, Decisions and Actions in Organizations, Wiley,
1989
85
P. Bromley & W. W. Powell, « From Smoke and Mirrors to Walking the Talk: Decoupling in the
Contemporary World », Academy of Management Annals, vol. 6, n° 1, 2017,
https://doi.org/10.5465/19416520.2012.684462
86
K. Dansou, & A. Langley, « Institutional Work and the Notion of Test », M@n@gement, vol. 15, n° 5,
2012, pp. 503 - 527
87
B. Taupin, « The More Things Change... Institutional Maintenance as Justification Work in the Credit
Rating Industry », M@n@gement, vol. 15, n° 5, 2012, DOI : 10.3917/mana.155.0529
88
D. Palmer & K. Smith-Crowe & R. Greenwood, « Cambridge Companion on Organizational
Wrongdoing: Key Perspectives and New Directions », Cambridge University Press, 2016,
ISBN: 9781316338827, https://doi.org/10.1017/CBO9781316338827
89
F. Dobbin & A. Kalev, « Training Programs and Reporting Systems Won’t End Sexual Harassment –
Promoting More Women Will », Harvard Business Review, 2017
Yvon PESQUEUX
17
questionnent les programmes de diversité comme étant des cérémonies permettant de
proposer des mesures symboliques quant au recrutement du personnel.
C. Castoriadis parle de l’institution comme d’un phénomène ayant une dimension sociale
conduisant à une hétéronomie instituée95. A ses yeux, le rapport aux institutions peut être
considéré comme double : par leur contenu spécifique au regard de la division de la
société qu’elles instaurent et au regard de la société elle-même par rapport aux
institutions. Il est ainsi amené à critiquer ce qu’il qualifie de vision « économico –
fonctionnelle » de l’institution qui conduit à l’expliquer par sa fonction dans la société à
un moment donné et par son rôle dans « l’économie d’ensemble de la société » du fait de
son acception trop « causaliste – finaliste ». Il plaide pour adjoindre une dimension
symbolique à l’institution, sans occulter le fait qu’un symbolisme n’est maîtrisable que
s’il renvoie, en dernier lieu, à quelque chose qui n’est pas symbolique : la capacité
imaginaire. L’institutionnalisation tout comme l’institution trouveraient leur source dans
un imaginaire social qui permet à la société de se rassembler alors que l’acception
« économico - fonctionnelle » ne permet de comprendre que sa survie. « L’aliénation,
c’est l’autonomisation et la dominance du moment imaginaire dans l’institution, qui
entraîne l’autonomisation et la dominance de l’institution relativement à la société. Cette
autonomisation de l’institution s’exprime et s’incarne dans la matérialité de la vie
sociale, mais suppose toujours aussi que la société vit ses rapports avec ses institutions
sur le mode de l’imaginaire, autrement dit, ne reconnaît pas dans l’imaginaire des
institutions son propre produit »96. Il en va ainsi, par exemple, de l’évidence de besoins
à satisfaire qui fonde l’économie ou encore de la temporalité dans son rapport à
l’institutionnalisation du passé, du temps institué comme identitaire et du temps institué
comme imaginaire. L’institutionnalisation relève alors du tressage de ce qu’il qualifie de
Legein (distinguer – choisir – poser – rassembler – compter – dire, condition créée par ce
qu’elle conditionne) et de Teukhein (assembler – ajuster – fabriquer – construire, ce qui
signifie faire comme, à partir de, de façon appropriée à, en vue de, dont la dérivation
conduit à la technique). Tout comme M. Hauriou (cf. infra), la puissance de sa thèse
provient de sa capacité à se confronter à la genèse des institutions par la médiation de
l’imaginaire.
95
C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Seuil, collection « points – essais », n° 383, Paris,
1999, p. 163
96
C. Castoriadis, op. cit., p. 198
97
M. Hauriou, « La théorie de l’institution et de la fondation. Essai sur le vitalisme social », Cahiers de la
nouvelle journée, n° 23, Librairie Blond & Gay, Paris, 1925
M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Sirey, Paris, 1927
Yvon PESQUEUX
19
correspondant. V. Tournay98 signale les trois phases de l’institutionnalisation chez M.
Hauriou : une idée d’œuvre, c’est-à-dire une préoccupation d’ordre collectif concrétisée
au plan social, un pouvoir de gouvernement qui organise ce projet et la pérennisation de
l’idée d’œuvre. Mais il ne s’agit pas pour autant d’auto-institutionnalisation. On pourrait
parler d’institutionnalisation au travers d’une tension entre l’Etat et d’autres corps sociaux
venant prendre une dimension politique. C’est ainsi que l’on peut interpréter
l’institutionnalisation de mouvements tels que le mutualisme en santé publique en France,
à la fin du XIX° siècle.
98
V. Tournay, « Lucien Sfez et la théorie de l’institution de Maurice Hauriou : contribution pour la science
politique » in A. Gras & P. Musso (Eds.), Politique, communication et technologie. Mélanges en l’honneur
de Lucien Sfez, PUF, Paris, 2006, pp. 61-73
99
F. Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil, collection « L’épreuve des faits », Paris, 2002
100
F. Dubet, op. cit., p. 13
101
H. Draelants & C. Maroy, « Changement institutionnel et politiques publiques – Revue de la
littérature », Cahiers Know&Pol, Paris, 2007
102
F. Dubet, op. cit.
Yvon PESQUEUX
20
et de l’empowerment103). C’est cette tension qui fonde le « bricolage institutionnel »104 et
qui ouvre la question des fondements du changement institutionnel (cf. Le travail
institutionnel 105 ) où l’on retrouve la référence à l’entrepreneur institutionnel et au
processus de traduction 106 . C’est aussi ce processus qui fonde le mimétisme
institutionnel). L’institution relève donc des « évidences partagées » (taken-for-
grantedness).
S. Fernandez & H. G. Rainey 108 mettent en avant la référence à huit facteurs d’une
conduite de changement dans le secteur public : sa justification, l’existence d’une
planification, la mobilisation de soutiens afin de faire face aux résistances, l’engagement
du management supérieur, la référence à des soutiens externes, l’affectation de
ressources, l’institutionnalisation du changement, la vérification que la compréhension
du changement est acquise.
103
R. L. Jepperson, « Institutions, Institutions Effects, and Institutionnalism », in W. W. Powell & R. J.
DiMaggio (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The University of Chicago Press,
1991
104
S. J. Ball, « Big Policies / Small World : an Introduction to International Perspectives in Education
Policy », Comparative Education, vol. 34, n° 2, 1998, pp. 119-130
105
B. Leca & R. Suddaby, « Institutions and Institutional Work », in S. Clegg & C. Hardy & T. B. Lawrence
& W. R. Nord (Eds.), Handbook of Organization Studies (2° ed.), Sage, Londres, 2006, pp. 215–254 - T.
B. Lawrence & R. Suddaby & B. Leca (Eds.), Institutional Work: Actors and Agency in Institutional
Studies of Organizations, Cambridge University Press, 2009
106
J. L. Campbell, Institutional Change and Globalization, Princeton University Press, 2004
107
R. Greenwood & C. R. Hinings, « Understanding Radical Organizational Change: Bringing together the
Old and the New Institutionalism », Academy of Management Review, vol. 21, n° 4, 1996, pp. 1022-105
108
S. Fernandez & H. G. Rainey, « Managing Successful Organizational Change in the Public Sector »,
Public Administration Review, vol. 66, n° 2, 2006, pp. 168-176
109
G. Lapassade, op. cit., pp. 167-168
Yvon PESQUEUX
21
intermédiaires, ses statuts, rôles, obligations et sanctions, son « univers » et une
bureaucratie interne relais (la structure d’un établissement, par exemple). A la différence
de l’organisation qui repose sur une bureaucratie d’accaparement des ressources, la
bureaucratie de l’institution se réfère au Bien Commun même si les deux appareils
possèdent des formes similaires. Dans les deux cas, le projet de ces bureaucraties est celui
de la « domination – aliénation ». L’institution est donc à la fois un « donné » (un système
de normes) et un acte. L’institution répond à une logique à la fois fonctionnaliste (elle
remplit une fonction) et symbolique (cette fonction est considérée comme indiscutable).
110
A. Hatchuel, « Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’action collective » in
A. David & A. Hatchuel & R. Laufer (Eds.), Les nouvelles fondations des sciences de gestion – Eléments
d’épistémologie de la recherche en management, Vuibert, collection « FNEGE », Paris, 2000
111
M. C. Suchman, op. cit.
112
H. Aldrich & C. H. Fiol, « Fools Rush in ? The Institutional Context of Industry Creation », Academy
of Management Review, vol. 19, 1994, p. 645-670
T. B. Lawrence & N. Phillips, « From Moby Dick to Free Willy: Macro-Cultural Discourse and
Institutional Entrepreneurship in Emerging Institutional Fields », Organization, Vol. 11, n° 5, 2004, pp.
689–711
B. Leca & P. Naccache (2006), « A Critical Realist Aproach To Institutional Entrepreneurship »,
Organization, vol. 13, n° 5, 2006, pp. 627-651
113
C. Oliver, op. cit.
Yvon PESQUEUX
22
Les sciences de gestion tendent donc à stabiliser une notion « incertaine »,
l’organisation, en renvoyant à une utopie organisationnelle construite sur le mythe du
« vivre dedans » (les institutions) en lieu et place du « vivre avec » (les institutions tout
comme les autres organisations). C’est en ce sens qu’elles fondent aujourd’hui une
institutionnalisation de l’organisation.
Existe-t-il (ou pas) de tension entre les deux notions ? Si ce n’est pas le cas, cela
correspondrait à un refus de poser l’existence d’un antagonisme « institutions –
organisations » ce qui déclasse d’autant mieux la tension qui opère entre les lois
114
I. Huault (Ed.), Institutions et gestion, Vuibert, collection « fnege », Paris, 2004
Yvon PESQUEUX
23
(publiques) et les normes (privées). Ignorer l’existence d’une tension est alors
l’expression de la volonté de ne pas penser la frontière « public – privé ».
Et pourtant, tout en favorisant la stabilité inhérente à leur nature, les institutions peuvent
changer, même si elles le font dans le sens de leur nature (facteur de dépendance). En
effet, par nature, une institution ne peut avoir de stratégie (à défaut de quoi ce n’est plus
une institution). K. Thelen116 souligne le changement des institutions à partir de deux
processus : le changement incrémental mais profond par sédimentation au travers des
dynamiques d’adjonction et de conversion. Dans le même ordre d’idée, R. Boyer117 parle
d’hybridation entre l’introduction d’une institution « importée » et des contraintes
d’origine, cette hybridation déclenchant un processus heuristique par essais et erreurs. R.
Greenwood & R. Suddaby & C. R. Hinings118 proposent un modèle en six étapes : les
secousses (tenant aux fondements sociaux, technologiques et réglementaires de
l’institution), la désinstitutionnalisation (avec l’apparition d’entrepreneurs
institutionnels), la pré-institutionnalisation (proposition et communication de nouvelles
solutions), la théorisation (processus de légitimation), la diffusion (de la justification
115
C. Oliver, op. cit.
116
K. Thelen, How Institutions Evolve ? The Political Economy of Skills in germany, Britain, the United
States, and Japan, Cambridge University Press (USA), 2004
117
R. Boyer, « A quelles conditions les réformes institutionnelles réussisent-elles ? », Contribution au
contrat finalisé, Commissariat Général au Plan, CEPREMAP 2003-2004, http://www.cepremap.ens.fr/-
boyer/
118
R. Greenwood & R. Suddaby & C. R. Hinings, « Theorizing Change: the Role of Professional
Associations in the Transformation of Institutionalized fields », Academy of management Jornal, vol. 24,
n° 3, 2002, pp. 58-80
Yvon PESQUEUX
24
technique et politique des nouvelles données institutionnelles) et la ré-
institutionnalisation. Ce modèle est largement redevable de la trilogie proposée par K.
Lewin 119 (gel, dégel, regel) rapprochant alors ce modèle de celui du changement
organisationnel. Pour sa part, J. L. Campbell 120 s’intéresse aux « mécanismes » du
changement institutionnel en ajoutant à la notion d’isomorphisme institutionnel (P. J. Di
Maggio & w. w. Powell121) et à celle de dépendance au sentier (path dependance – les
choix du présent se font relativement à l’héritage institutionnel qui peut être conçu de
façon aussi bien positive, le passé constituant alors une ressource que de façon négative,
le passé constituant alors une source de résistance) de D. G. North 122 , la notion
anthropologique de « bricolage institutionnel » (recomposition par essais – erreurs » de
l’ancien et du nouveau) et celle de « traduction » qui est une superposition du nouveau et
de l’ancien. Au regard de la typologie de W. R. Scott & J. W. Meyer 123 (les trois
dimensions de l’institution que sont la dimension réglementaire ou coercitive, la
dimension normative et la dimension culturelle), il invite à étudier le changement
institutionnel simultanément sur les trois dimensions. P. Koleva124 propose d’associer à
la notion de path dependancy celle de « path shifting » qui met l’accent sur des
dynamiques évolutionnistes. Mais n’oublions pas, dans le même registre, l’isonymie et
l’isopraxis125.
Dans le même ordre d’idée, il faut souligner la différence de substance entre l’agent
institutionnel et l’agent organisationnel. Leurs statuts, leurs rôles, leurs marges de
manœuvre et leurs comportements se distinguent notoirement. L’agent organisationnel
de L’acteur et le système126 n’est vraiment pas le même que l’instituteur ou le médecin.
L’agent organisationnel est plus contraint du fait de la contingence organisationnelle dans
laquelle il se situe du fait de la nécessité de participer de façon plutôt visible à la
réalisation des objectifs. Mais il est aussi plus libre en termes de marge de manœuvre car
la contingence plus forte de la vie organisationnelle est aussi plus contextuelle, l’agent
organisationnel pouvant plus facilement changer d’organisation qu’un agent
institutionnel d’institution dans la mesure où sa mutation dépend plutôt de l’institution
qui « veut » le recevoir. La tension, tout comme la déviance, n’y opèrent pas de la même
manière. C’est en cela que, pour l’institution, les tenant de l’analyse institutionnelle127
parlent de falsification dont les formes (déni, forclusion, détournement, pratique du
119
K. Lewin, Field Theory in Social Science, Harper & Row, New York, 1951
120
J. L. Campbell, Institutional Change and Globalization, Princeton University Press, 2004
121 121
P. J. DiMaggio & W. W. Powell, « The Iron-Cage revisited : Institutional Isomorphism and
Collective Rationality in Organizational Field », American Sociological Review, vol. 48, 1983, pp. 147-
160
122
D. G. North, op. cit.
123
W. R. Scott & J. W. Meyer, « The Organization in Societal Sectors: Propositions and Early Evidence,
in J. P. DiMaggio & W. W. Powell (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The
University of Chicago Press, 1991
124
P. Koleva, « Enterprise Restructuring in Transition Economies and its Determinants: the Case of
Bulgaria », East-West Journal of Economics and Business, vol.6, n°1, 2003, pp. 241-262.
125
G. Erlingsdottír & K. Lindberg, « Isomorphism, Isopraxism and Isonymism - Complementary or
Competing Processes? », Working Paper Series 2005/4, Lund University, Institute of Economic Research.
126
M. Crozier & E. Friedberg, L’acteur et le système, Seuil, Paris, 1977
127
R Hess & M. Authier, L’analyse institutionnelle, PUF, collection « l’éducateur », Paris, 1994
Yvon PESQUEUX
25
contre-exemple) sont plus larges que dans la déviance organisationnelle. La dialectique
« centre – périphérie » y est à l’œuvre et la délégation constitue un échangeur de pouvoir
là où elle est un relais dans les structures organisationnelles. L’environnement
institutionnel (la société) n’est pas de même nature que l’environnement organisationnel
(les institutions). Le statut de l’individu y diffère dans le contexte d’une implication
généralisée avec l’institution. C’est sans doute la volonté d’impliquer les agents
institutionnels dans le processus de changement qui conduit à trop rapidement établir la
confusion entre le changement organisationnel et le changement institutionnel. Dans ce
dernier cas, la question de la résistance au changement ne peut se poser dans les mêmes
termes puisque l’agent institutionnel n’a de sens qu’au regard des membres de la société
et que les relations qu’ils tressent ensemble sont de l’institution. La réforme
institutionnelle ne peut comme cela se réduire à du changement organisationnel même si
l’initiative semble être formulée du sommet. L’initiative ne peut être que si la société la
génère et la reçoit à la fois. Ce n’est là aussi la limite de la ressemblance : un ministre
n’est pas un directeur général. La question des frontières de l’institution (qui se pose au
regard de la société) ne se pose pas du tout de la même manière que celle des frontières
de l’organisation (qui se pose, elle, au regard des autres organisations). Il en va de même
de la croissance dans la mesure où l’institution n’a pas à grandir ou à diminuer mais à
« être ». Peut-être serait-il plus opportun de parler de « mouvement » quand il s’agit
d’institution et que c’est alors justement l’institutionnalisation qui tient lieu de
changement institutionnel. Sur le plan idéologique d’ailleurs, au managérialisme du
changement organisationnel dans sa volonté de le codifier, de l’outiller et de dupliquer
ensuite l’usage des outils du changement correspond le réformisme du changement
institutionnel qui n’est clairement pas de même nature. Il y a donc là plus qu’une
différence de degré.
Le marché est-il une institution ? C’est bien le cas au sens canonique de l’institution
quand on pense le marché comme « marché régulateur » (au regard de « lois » du
marché). On se situe alors dans la perspective du business and society. Mais est-ce cas
quand on considère le marché comme forme sociale ? On est bien alors dans le business
in society.
Institution Organisation
CARACTERISTIQUES GENERALES
Universel Général
Yvon PESQUEUX
26
Idéologie Culture
Public Privé
Non-marchand Marchand
Raisonnable Rationnel
Des citoyens, des adhérents (pas de « parties prenantes » des « parties prenantes »
car il n’y a pas le « choix de ne pas « prendre »)
MANIFESTATIONS
« Extensivité » de
Yvon PESQUEUX
27
Naissance « fondatrice » Naissance « créatrice » par
rapport à la figure de
l’entrepreneur
Pas de référence à une stratégie mais à une politique Référence à une stratégie
Résolution du conflit par le passage du désaccord à l’accord Résolution du conflit par négociation
pour obtenir un compromis
Yvon PESQUEUX
28
Délégation comme échange d’éléments de pouvoir Délégation comme relais
de nature hétérogène de la hiérarchie avec
« responsabilisation »
de l’agent à qui on délègue (avec
la compliance et l’explanation de
l’accountability)
Les sciences de gestion tendent à stabiliser une notion « incertaine » en renvoyant à une
utopie organisationnelle construite sur le mythe du « vivre dedans » en lieu et place du
« vivre dans et avec ».
128
A. Hatchuel, « Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’action collective », in
A. David & A. Hatchuel & R. Laufer (Eds.), Les nouvelles fondations des sciences de gestion – Eléments
d’épistémologie de la recherche en management, Vuibert, collection « fnege », Paris, 2000
129
G. Erlingsdottir & K. Lindberg, op. cit.
130
P. L. Berger & T. Luckmann, The Social Construction of Reality: A Treatise, London, Penguin, 1967
(La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 1986)
131
K. Sahlin & L. Wedlin, « Circulating Ideas : Imitation, Translation and Editing » in R. Greenwood &
C. Oliver & K. Sahlin & R. Suddaby (Eds.), Sage Handbook of 0rganizational Institutionalism, 2008
Yvon PESQUEUX
29
hétérogène.
Dans cette perspective, l’institutionnalisation devient un processus actif dans lequel les
organisations ont un rôle important. Le résultat du processus d’institutionnalisation d’un
modèle ne se traduit pas forcément en isonymie, isomorphisme et isopraxis. Par
conséquent l’institutionnalisation n’aboutit pas nécessairement à l’homogénéisation d’un
champ, elle peut au contraire induire diversité et hétérogénéité aux différents niveaux
d’un champ organisationnel c’est-à-dire noms, formes organisationnelles et pratiques.
Yvon PESQUEUX
30
Focus sur J. W. Meyer & B. Rowan, dans leur article de 1977,
« Institutionalized Organizations: Formal Structure as Myth and
Ceremony »132
Cette perspective est née du courant de la sociologie de la pratique et des travaux des
auteurs du néo-institutionnalisme en mettant en avant le rôle de l’agence comme facteur
132
J. W. Meyer & B. Rowan, « Institutionalized Organizations: Formal Structure as Myth and Ceremony »,
American Journal of Sociology, vol. 83, n° 2, 1977, pp. 340‑363
133
T. B. Lawrence & R. Suddaby, « Institutions and Institutional Work » in S. Clegg & C. Hardy & T. B.
Lawrence & W. R. North, The Sage Handbook of Organization Studies, Sage Publications, Londres, pp.
215-254.
Yvon PESQUEUX
31
explicatif des comportements organisationnels. Elle met en exergue les compétences
pratiques des agents et leur créativité pour imposer leur façon de faire dans le champ
institutionnel.
Yvon PESQUEUX
32
Focus sur la théorie communicative de l’institution (communicative
institutionalism)134
Cette théorie part du constat de l’importance accordée à la dimension cognitive dans les
approches néo-institutionnalistes, importance conduisant à considérer l’institution
comme l’agrégation d’individus. La communication repose sur un ensemble de discours,
de gestes, de textes, etc. considérés au-delà de l’expression ou de la représentation des
réflexions propres aux individus ou d’une intention collective. Cette théorie effectue un
tressage entre le corpus des théories de la cognition sociale, celles de la linguistique et
des effets des médias dans la communication au regard de concepts tels que l’analyse des
discours et des audiences, des genres de communication, etc. dans le but d’en mettre en
évidence leur importance dans la genèse des institutions. La communication est
considérée comme constitutive de la conduite au regard d’une capacité cognitive à traiter
de l’information compte tenu du lien social. On retrouve ici les attendus des approches
de la performativité du langage et des institutions (l’institutionnalisme rhétorique –
rethorical institutionalism) qui repose sur l’hypothèse que la reconnaissance collective
fondant l’institution ne préexiste pas mais qu’elle est produite de façon continue. Cette
théorie considère le langage comme possédant une dimension performative où certains
agents peuvent être qualifiés de speakers et d’autres de listeners, la rencontre des deux
constituant une activité conjointe. Des aspects tels que l’ambiguïté, l’indétermination,
l’hétérogénéité entrent en ligne de compte dans les interactions. Il y est donc question
d’interactivité, le changement institutionnel résultant à la fois de micro- et de macro-
interactions (un modèle multi-niveaux- cf. les niveaux dont il était question plus haut).
Au regard des genres et des modes de communication, cette théorie met en avant les
notions de framing (modalités de connexion entre les différents niveaux – micro, méso et
macro), de rhétorique & discours et logiques (comme éléments constitutifs des tensions
« institutionnalisation – désinstitutionnalisation - réinstitutionnalisation » et quant à la
manière dont les logiques des arguments se modifient) et de catégorisation qui se
caractérise par l’existence de classes de langage et de savoirs, une catégorie débouchant
sur une compression, c’est-à-dire la réduction d’une catégorie à des traits archétypiques.
C’est la constitution d’une catégorie est enjeu d’institutionnalisation.
Deux courants se distinguent dans les études sur les logiques institutionnelles : une
approche qui considère le changement institutionnel comme une période de transition
134
J. P. Cornelissen Vu & R. Durand & P. C. Fiss & J. C. Lammers & E. Vaara, « Introduction to Special
Topic Forum Putting Communication Front and Center Institutional Theory and Analysis », Academy of
Management Review, vol. 40, n° 1, 2015, pp. 10–27. http://dx.doi.org/10.5465/amr.2014.0381
135
R. R. Alford & R. Friedland, Powers of Theory : Capitalism, the State, and Democracy, Cambridge
University Press, 1985
Yvon PESQUEUX
33
entre des périodes de stabilité relative à une logique dominante et une approche qui
considère que l’environnement institutionnel est fragmenté et contesté. Des logiques
différentes coexistent, sources de contradictions, de conflits et d’hétérogénéité dans les
pratiques et dans les croyances. Le changement institutionnel est alors considéré comme
étant continu.
Les contradictions sont quotidiennes dans les organisations 137 : par exemple, une
organisation peut mettre en place une politique de concertation concernant les décisions
organisationnelles importantes auprès des employés, mais cela ne signifie pas que les
décisions vont être influencées par cette consultation. Ou encore, les budgets sont
préparés puis votés, mais pas suivis, etc. L’hypocrisie peut être définie comme étant un
mensonge conscient.
L’hypocrisie organisationnelle consiste à consciemment embellir des situations. La
notion a été avancée par N. Brunsson dans un livre publié en 1989, dont une seconde
édition, révisée, a été republiée en 2003. Structurellement, les organisations sont poussées
à rechercher une cohérence entre leurs actes et les discours. L’hypocrisie est donc
volontaire, elle permet de masquer les tares organisationnelles, la procrastination pouvant
être un accélérateur des causes structurelles. A ce titre, il est possible de rapprocher cette
thèse de celle du « modèle de la poubelle »138.
136
P. Hall, « Policy Paradigm, Social Learning and the State, the Case of Economic Policy in Britain »,
Comparative Politics, 1993, pp. 275-296.
137
N. Brunsson, The organization of Hypocrisy : Talk, Decisions and Actions in Organizations,
Copenhagen Business School Press, 2003.
138
M. D. Cohen & J. G. March & J. P. Olsen, « A Garbage Can Model of Organizational Choice »,
Administrative Science Quarterly, vol. 17, n° 1, March 1972
Yvon PESQUEUX
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pas une solution puisqu’il ne satisfait personne. Il propose alors une hypothèse
alternative qui est l’hypocrisie. L’hypocrisie comble les demandes d’une première
coalition par les discours, les souhaits d’une seconde coalition par les décisions,
et enfin les désirs d’une troisième par l’action. Ainsi dans une certaine mesure,
l’hypocrisie contente trois demandes contradictoires de trois coalitions
différentes ;
- Les contradictions entre les idées et les actions : les idées ne coûtent pas cher,
d’autant que le temps fait souvent défaut pour les mettre en œuvre et que les
décisions sont une forme d’exercice du pouvoir et donc formulées comme telles.
L’hypocrisie organisationnelle se sert par conséquent des idées et des discours,
utilisés pour stabiliser les contradictions entre l’image projetée par l’organisation
et les actions mises en œuvre. Si les buts des décisions diffèrent de ceux des
actions, il en résulte une certaine friction. Soit la direction privilégie la rationalité
décisionnelle, soit la rationalité de l’action. Pour N. Brunnson, par différence avec
la théorie normative de la décision, la volonté d’être rationnel tend à freiner voire
à empêcher l’action. La décision n’est pas une fin en soi, ce qui compte c’est sa
traduction en action.
Selon lui, deux sphères coexistent au sein de toute organisation : celle de l’organisation
de l’action qui possède une fonction pragmatique en coordonnant les actions informelles
et celle de la substance politique de l’organisation qui crée de la légitimité vis-à-vis de
l’environnement extérieur. Le maintien du couplage entre les deux sphères est possible
via l’hypocrisie organisationnelle qui permet à chacune de conserver sa place sans gêner
l’autre. La légitimité de l’organisation est préservée à la fois en son sein et aux yeux de
son environnement. Cette hypocrisie crée de l’ambiguïté qui permet de contenter les
intérêts des différents groupes présents « dans » et « hors » de l’organisation quant à
d’interprétation des décisions en leur faveur.
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L'hypocrisie organisationnelle n'est pas seulement un écart entre la parole et l'action, c'est
aussi le reflet de tensions auxquelles sont confrontées les organisations. Il est donc
essentiel de reconnaître et d'aborder cette hypocrisie, car elle peut avoir des conséquences
profondes sur la légitimité et le succès à long terme.
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