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Institution et organisation

Yvon Pesqueux

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Yvon Pesqueux. Institution et organisation. Doctorat. France. 2024. �halshs-02498914v3�

HAL Id: halshs-02498914


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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
Yvon PESQUEUX
Hesam Université (ESDR3C)
Professeur du CNAM
E-mail [email protected] / [email protected]
Site web esd.cnam.fr

Institution et organisation
Résumé

Ce texte aborde l’orthogonalité des deux concepts d’« institution » et d’« organisation »
à partir de trois arguments - politique, théorique et épistémologique – avant de conclure
sur les rapports entre les deux notions. Le texte est complété par huit focus : la tension
« isonymie - isopraxis », la perspective de J. R. Commons, un commentaire du texte de
J. W. Meyer & B. Rowan, la question du « travail institutionnel », la théorie
communicationnelle de l’institution, le changement institutionnel incrémental, le modèle
des « logiques institutionnelles », les approches en « survie institutionnelle »
(dépendance de sentier et apprentissage), l’hypocrisie organisationnelle.

Introduction
Les sciences de gestion constituent un champ de savoir autonome et reconnaissent par
conséquent l’existence d’une épistémologie fondée sur la référence au concept
d’« organisation » fondé sur la téléologie qui lui est inhérente. Il est d’abord intéressant
de souligner que cela répond à la fois aux fondements des théories des organisations et
aux perspectives gestionnaires. La logique du champ est donc à la fois réductionniste (en
isolant cette entité que l’on va qualifier d’organisation pour mieux l’analyser et la
comprendre) et prescriptive (pour « améliorer » son fonctionnement).

Les sciences de gestion reposent sur le postulat implicite du continuum « individu –


groupe – communauté - entreprise – organisation » voire, par extension « institutions –
Etat – société » que l’on peut réduire à un fragment, l’organisation. L’entreprise est la
manifestation concrète majeure de l’organisation.

Les sciences de gestion sont considérées comme étant également susceptibles d’offrir un
contenu scientifique à l’explication de ce que sont les institutions, celles-ci pouvant être
étudiées au travers du prisme de l’organisation. L’organisation est alors considérée
comme le lieu de constitution d’une instance d’évaluation et de jugement et donc de
l’omniscience attribuée à ses concepts et à ses logiques (d’où le lien entre l’organisation
et question de la décision). L’évaluation et le jugement se situent en effet « en contexte ».

D’un point de vue politique, l’organisation (et sa manifestation concrète privilégiée,


l’entreprise) est une entité de la société civile, donc une manifestation de la liberté
d’association. Elle est constitutive de la société civile économique, par différence avec

Yvon PESQUEUX
1
celle qui ne l’est pas. Ce sont les modalités juridiques de l’association (le droit des
sociétés) et celles de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression (d’ordre
économique) qui la caractérisent, même s’il est aussi important de citer d’autres entités
de substance organisationnelle telles que les organisations non gouvernementales ou
encore celles de l’économie sociale et solidaire qui doivent alors légitimer leurs
différences.

L’intrusion du management comme référence majeure du fonctionnement de nos sociétés


pose la question de la désinstitutionnalisation de l’institution et, en miroir, celle de
l’institutionnalisation de l’organisation, dans une perspective évolutionniste duale et
adressée comme inéluctable pour laquelle la rationalisaté inhérente au phénomène
organisationnel est considérée comme suffisante pour valoir comme de
l’institutionnalisation. Les modalités managériales se situent en effet entre
institutionnalisation (du fait de la généralisation de ses pratiques dans les « objets
sociaux ») et cadre institutionnel (ce qui les entoure), y compris en termes de
gouvernance. Elle repose sur le présupposé d’une normativité qui ferait de l’organisation
le lieu de l’efficience, de la créativité, et de l’institution le lieu de l’inefficacité, du
conservatisme, les catégories organisationnelles pouvant être considérées comme
salvatrices de cette inefficacité. Cette situation ambiguë est liée à la définition vague de
l’institution et de l’organisation et à leur positionnement réciproquement problématique.
Il est donc nécessaire d’essayer de faire le point de ce qui se joue entre institution et
organisation en essayant de tracer les contours qui opèrent entre les deux, d’autant que la
convocation de l’institutionnalisme contemporain est aujourd’hui courante pour qui
s’intéresse aux rapports entre management, gouvernance et régulation. C’est le processus
qui conduit à rendre publiques des normes privées en se dispensant de la preuve de leur
représentativité.

Et pourtant, l’institutionnalisation ne débouche pas forcément sur l’institution tout


comme l’organizing ne débouche pas forcément sur l’organisation, le knowing sur le
knowledge et la socialisation sur la société, etc.

L’hypothèse générale de ce texte est celle de l’orthogonalité (et non de l’opposition) entre
« institution » et « organisation ». On raisonnera donc le plus souvent par différence et
non par opposition entre les deux termes1.

Institution et organisation : argument politique

Il faut souligner, avec G. Lapassade2, la corrélation entre le détournement des citoyens


des institutions et le détournement de ces mêmes citoyens des idéologies.
L’institutionnalisation de l’organisation vient pourtant poser la question des rapports
entre idéologie et organisation au travers de la question du managérialisme. Rappelons
déjà que l’idéologie est à l’institution ce que la culture est à l’organisation, c’est-à-dire

1
A.-C. Martinet & Y. Pesqueux, Epistémologie des sciences de gestion, Vuibert, collection « fnege »,
Paris, 2013
2
G. Lapassade, Groupes, organisations, institutions, Economica, Paris, 2006, p. XXXVIII
Yvon PESQUEUX
2
du caché mais que l’idéologie vise un passage « en force » par simplification, incantation,
distinction entre des facteurs « amis et des facteurs « ennemis », etc.3.

Rappelons aussi, de façon liminaire, qu’il en va aujourd’hui de même dans les deux
domaines (« institutions » et « organisations ») qui confondent, au gré des besoins,
« institution » (comprendre les institutions instituées) et « institutionnalisation »
(comprendre les modalités instituantes) tout comme l’on confond « organisation » et
« organizing ». Dans les deux cas (« institution » et « organisation »), il est également
question de considérer ces deux « objets » comme lieu de constitution de l’instance
d’observation, d’évaluation et de jugement et donc de la souveraineté (c’est-à-dire
l’aspect « non » discutable attribuée à leurs appareils, en particulier à leurs appareils de
direction. L’institution se caractérise par la place accordée à la souveraineté (c’est-à-dire
son évidence indiscutable) qui, justement, fait de l’entité visée une institution. Il s’agit,
en particulier, de la mission qui lui est propre et de la manière de la réaliser dans une
perspective où les caractéristiques économiques restent au deuxième plan, par exemple
comme pour l’hôpital. Il y a de l’obstination dans l’institution. C’est en cela que
l’institution est considérée comme créant de la certitude. L’organisation se caractérise
par l’importance majeure donnée à l’efficience de son fonctionnement. Il y a donc cette
fois de l’opportunisme au lieu de l’obstination et donc de l’incertitude et du risque.

C’est au regard de l’essence opportuniste de l’organisation que la décision peut être


considérée comme un de ses descripteurs, compte tenu de modèles de prise de décision
dont les deux grandes références sont les suivantes :
- Les modèles probabilistes avec le modèle de l’utilité subjectivement espérée qui
combine « incertitude » et « préférences » (J. Von Neuman & O. Morgenstern4)
et le modèle bayesien qui consiste à réviser une opinion antérieure compte tenu
des informations actuelles pour parvenir à une opinion finale (un choix) (L. D.
Phillips5).
- Les modèles cognitifs avec le modèle des processus de traitement (R. Hogarth6)
où c’est la chaîne des processus mis en œuvre pour traiter les informations qui
importe et le modèle de l’intégration de l’information (N. H. Anderson7) qui met
en relations les « données » du monde extérieur (le registre objectif) avec la
transcription donnée par le décideur sous forme de valeurs personnelles (registre
subjectif).
Dans les deux cas, la décision est anthropo-centrée par référence à un personnage central :
le décideur qui est considéré comme plutôt autonome. C’est d’ailleurs une des raisons
essentielles de la convocation des catégories des sciences de la décision dans les sciences
de gestion, la décision y étant toujours implicitement considérée comme un choix
tranchant, cette conception dédouanant de l’absence de la référence à une théorie de
l’autonomie et de la volonté du sujet. C’est de cette centralité accordée à la décision que
naît l’idée de stratégie. C’est aussi à cela que H. A. Simon8 se confronte quand il construit

3
« Parler de l’entreprise : modèle, image, métaphore », Revue Sciences de Gestion, n° spécial 20°
anniversaire, 8/9 septembre 1998, pp. 497-513
4
J. Von Neuman & O. Morgenstern, Theory of games and Economic Behavior, Princeton University Press,
1944
5
L. D. Phillips, Bayesian Statistics for Sovial Scientists, Nelson, London, 1973
6
R. Hogarth, Jusdgment and Choice: the Psychology of Decision, Wiley, New-York, 1984
7
N. H. Anderson, Emprical Direction in Design and Analysis, laurence Elbaum, mahwah, New Jersey,
2001
8
H. A. Simon, Administration et processus de décision, Economica, Paris, 1993 (Ed. originale : 1947)
Yvon PESQUEUX
3
la boucle « information – décision », dans la mesure où « plus je m’informe, plus, peut-
on penser (même s’il souligne les limites de la boucle dans le cadre des décisions non
programmées) la qualité de ma décision dans sa vocation à réduire l’incertitude est
fondée ». En tous les cas, il s’agit bien de « boucler » les agents organisationnels du
niveau des décisions programmées en « ré-acteurs » et non en décideurs. J. G. March9
change la focale en substituant l’ambiguïté à l ‘incertitude. « Plus je m’informe et plus
grandes sont alors les chances de créer de l’ambiguïté », ambiguïté irréductible en
quelque sorte, et donc tout autant que l’incertitude, fondatrice de l’organisation.

Il y a de l’universel dans l’institution là où il y a du général dans l’organisation.


L’institution peut se désinstitutionnaliser alors que l’organisation ne se désorganise pas
mais change (ou disparait), en devenant une « autre » organisation. Mais il n’y a pas
d’organisation sans organizing ni d’institution sans institutionnalisation. C’est en cela
qu’il est possible de parler de « tension » entre la perspective de l’institution
(institutionnalisation comprise) et celle de l’organisation (organizing compris). Se référer
à une logique managériale relève du managérialisme tout comme se référer à une logique
institutionnelle relève de l’institutionnalisme. Les problèmes commencent quand il est
question de croiser les deux logiques, en projetant le managérialisme sur
l’institutionnalisme.

Par ailleurs, les sciences de gestion conduisent vers la définition d’un champ
« autonome » de l’organisation et, au nom de l’efficience, vers la reconnaissance de
l’existence d’un sens « donné » quant à leur fonctionnement. Soulignons que cela répond
aux perspectives gestionnaires et aux fondements des théories des organisations dans une
logique à la fois réductionniste (en isolant cette entité que l’on va qualifier d’organisation
du reste de la société pour mieux l’analyser et la comprendre) et prescriptive (pour
« améliorer » son fonctionnement). Et pourtant, il n’existe pas, en miroir, de « sciences
des institutions » mais des sciences politiques, d’où le champ laissé libre aux catégories
des sciences de gestion pour investir la dimension organisationnelle des institutions.

L’entreprise (et ses catégories) serait l’organisation de référence et les sciences de gestion
seraient également susceptibles d’offrir un contenu scientifique à la compréhension de ce
que sont les institutions, celles-ci pouvant être étudiées au travers du concept
d’organisation. Par extension, l’Etat serait aussi une organisation. Les catégories
explicatives et les méthodes de fonctionnement constatées dans les organisations lui
seraient donc applicables. L’institution perd ainsi ses caractères aussi bien juridiques que
politiques et symboliques et l’on parle alors de « désinstitutionnalisation des
institutions » au regard d’une « institutionnalisation des organisations ». Par contre, en
miroir, l’« extensivité » de l’institution n’opère pas de la même manière sur les autres
éléments du continuum en laissant autonomes les notions d’individu et de groupe.

Si l’institutionnalisation caractérise un ordre social en raison de ses effets de stabilité et


de persistance, la désinstitutionalisation est appréhendée comme un désordre par
déplacement d’une situation de permanence vers une situation de non reproduction de
l’ordre social. Mais il est inenvisageable de parler de déclin institutionnel sans passer par

9
J. G. March, « Rationalité limitée, ambiguïté et ingéniérie des choix », Bell Journal of Economics, vol. 9,
n° 2, Automne 1978 - J. G. March & M. Feldman, « L’information dans les organisation : un signal et un
symbole », Administrative Science Quarterly, vol. 26, 1981, pp. 171-186
Yvon PESQUEUX
4
l’étape de l’institutionnalisation10. Les sources de désinstitutionalisation sont liées au fait
que les individus sont dans l’incapacité de s’adapter aux obligations inhérentes à
l’institution.

C. Oliver 11 propose trois grandes sources de désinstitutionalisation : des pressions


politiques (conséquence de l’usure de l’utilité des institutions en place), des pressions de
type fonctionnaliste (liées au doute sur la valeur instrumentale des pratiques
institutionnalisées) et des pressions sociales (remise en question des liens sociaux qui
sont aussi les canaux par lesquels les pressions institutionnelles passent).

C’est ce que souligne d’ailleurs P. Romelaer12 dans « Le gouvernement d’un pays comme
métaphore du gouvernement d’une entreprise » quand il commente l’ouvrage de J. G.
March & J. P. Olsen 13 qui distinguent une « approche agrégative » d’une « approche
intégrative » des institutions. Dans « l’approche agrégative », les institutions ont pour
fonction l’allocation optimale des ressources pour satisfaire les intérêts différents et
potentiellement divergents des coalitions et autres « parties prenantes ». Ces institutions
réagissent à court terme aux forces du présent. Elles ont peu le sens du passé et peu le
sens de l’avenir et mettent en avant la figure de « l’entrepreneur politique ». Il est ici
question de replier l’institution sur l’organisation. Dans « l’approche intégrative », les
institutions ont pour fonction la création d’une communauté dont les membres se
reconnaissent des valeurs partagées et internalisées (ces institutions s’appuient fortement
sur l’interprétation du passé et sur une vision d’avenir « enracinée »). La « réalité »
institutionnelle se situe bien sûr en mélange et alternance des deux car pour qu’il y ait
agrégation, il faut bien qu’il y ait intégration, mais la managérialisation de la société tend
bien à privilégier la première approche sur la seconde.

L’acception donnée ici à l’institution est caractérisée par le fait qu’elle se définit comme
ce qui participe à la réalisation du « Bien Commun » (comme dans le cas d’un hôpital)
tout en jouissant d’un statut légal et symbolique alors que l’organisation vise à réaliser
des objectifs spécifiques dans le contexte de l’efficience (comme dans les entreprises).
La référence à l’organisation conduit à mettre l’accent sur des éléments tels que la
hiérarchie, la coordination et la cohésion mais dans le cadre d’un statut juridique
conventionnel, celui du droit des sociétés, venant en constituer un des éléments du cadre
institutionnel. Mais la dissociation ainsi tracée est certainement trop abrupte quand on
doit prendre en compte le fait que l’institution se trouve être « organisée » alors que
l’organisation tend à faire pression pour modifier ses conditions d’activité soit
directement, par modification de la loi, soit indirectement, par introduction d’éléments
de soft law à l’intérieur de la hard law, dans une perspective d’institutionnalisation
comme avec la gouvernance.

C’est à la critique de la primauté accordée à l’organisation que nous invite d’ailleurs H.


Mintzberg dans Voyage au centre des organisations14. Les sciences de gestion conduisent

10
F. Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil, Paris, 2002
11
C. Oliver. « The Antecedents of Deinstitutionalization », Organization Studies, vol. 13, n° 4, 1992, pp.
563-588
12
P. Romelaer, « Le gouvernement d’un pays comme métaphore du gouvernement d’une entreprise », in
I. Huault (Ed.), Institutions et gestion, Vuibert, collection « fnege », Paris, 2004
13
J. G. March & J. P. Olsen, Rediscovering Institutions : The Organizational Basis of Politics, Free Press
& MacMillan, New-York, 1989
14
H. Mintzberg, Voyage au centre des organisations, Editions d’Organisation, Paris, 1999
Yvon PESQUEUX
5
à une réification de l’organisation dans une dimension a-historique, réductrice aussi bien
de leur diversité « formelle » que de leur nature institutionnelle et politique. Il n’y aurait
pas autre chose que des organisations ! Faire des organisations des entités « objectives »
repose sur l’idée de les considérer comme un référentiel. Il n’est pourtant pas si facile de
trouver quelque chose de commun entre la « Très Petite Entreprise », extension de la
personne, la Petite et Moyenne Entreprise marquée par la proximité avec son
environnement, la « grande » entreprise et l’entreprise multinationale qui peuvent
déterritorialiser leur activité au gré d’un fonctionnalisme géographique (les footless
activities). Par ailleurs, alors qu’elles sont dénommées comme telles quand on parle
d’« organisations internationales », il n’est pas établi de lien (ou très partiellement si l’on
ne s’intéresse qu’à leur fonctionnement) à ces institutions lorsque l’on se réfère, par
exemple, à l’ONU. Les organisations internationales sont aujourd’hui le lieu principal de
l’institutionnalisation comme avec l’Union Européenne au travers de ses directives ou la
Banque Mondiale au travers de ses recommandations dans la mesure où il ne s’agit plus
seulement d’organisations internationales mais d’institutions « supra » nationales dans la
mesure où une délégation de souveraineté de la part des Etats membres leur a été
explicitement ou implicitement attribuée, une délégation plus ou moins contrôlée
démocratiquement. A partir du moment où l’usage de la notion peut s’appliquer dans des
situations aussi disparates, peut-être est-il nécessaire de tenter d’y mettre un peu d’ordre
en proposant une cartographie de l’organisation et de ses composantes.

Avec l’organisation, il s’agit de mettre en avant ses catégories. C’est en cela qu’il est
question de parler d’« institutionnalisation » de l’organisation dont on rappellera la
définition qu’en donne J. Rojot. « L’institutionnalisation est le processus par lequel les
processus sociaux, les obligations ou le présent en viennent à prendre un statut de règle
dans la pensée et l’action sociale » 15 . Il s’agit donc de savoir en quoi et comment
l’organisation se trouve instituée.

Et pourtant, si l’on reprend l’argument d’U. Beck, dans Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère
de la mondialisation16, la mise en œuvre d’un contre-pouvoir mondial s’effectue dans
une opposition entre institutions (mues par une logique de continuité et de fiabilité) et
organisations (mues par une logique d’efficience). Dans les deux cas, on est face à la
question de la frontière « public – privé » considérée du point de vue du « public » avec
l’institution et du côté du « privé » avec l’organisation. Avec l’organisation, s’il est
question d’institutionnalisation, il ne peut être question comme cela d’institutions mais
plutôt de multiplication d’organisations aux modalités de fonctionnement identiques. U.
Beck définit l’institution comme « les règles de base ou implicites qui président à
l’exercice du pouvoir et de la domination » et, par organisation, il mentionne « les acteurs
particuliers disposant d’un certain nombre de membres, de ressources financières et de
locaux ainsi que d’un statut juridique »17. C’est dans La société du risque18 qu’il évoque
d’ailleurs l’idée d’une société industrielle instituée à la fois contre des formes sociales
traditionnelles (alors désinstitutionnalisées) et contre la nature qui doit alors être
dominée, d’où les vertus associées aux connaissances scientifiques (par

15
J. Rojot, « Théorie des organisations » in Y. Simon & P. Joffre, Encyclopédie de gestion, Economica,
Paris, 1997, p. 3363
16
U. Beck, Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, Aubier-Flammarion, Paris, 2003
17
U. Beck, op. cit., p. 27
18
U. Beck, La société du risque – Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, collection « Champs »,
Paris, 2001
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6
institutionnalisation des rationalisations du travail inhérentes à la société moderne). Les
dispositifs institutionnels de la rationalité instrumentale vont accompagner cette logique :
l’éducation et l’apprentissage, la pression à travailler et à l’efficience au travail. C’est la
croyance en ces vertus qui se trouve aujourd’hui interrogée, ce qu’U. Beck va qualifier
de « deuxième modernité ». Il s’agit en particulier de discuter du travail considéré comme
institution ce qui pose la question de la vie en société sans travailler alors même que le
processus de rationalisation s’étend à de nouveaux domaines de la vie sociale. Un
exemple en est la façon dont la société industrielle a standardisé la vie familiale (en
particulier au travers de la standardisation des rôles des hommes et des femmes, de la
séparation « vie professionnelle – vie privée ») alors même que cette standardisation est
remise en cause par la transformation des rapports sociaux issus de cette rationalisation.
Les champs sociaux se trouvent donc recouverts par ces imbrications.
Approfondissement de la rationalisation et doute à son sujet vont de pair.

Mais il ne faut pas oublier qu’il y a de l’organisation dans l’institution (l’institution doit
être « organisée » pour remplir sa mission), même si c’est la composante institutionnelle
qui l’emporte alors. De la même manière, il y a de l’institution dans l’organisation, mais
on se réfère alors à des aspects considérés comme « indiscutables » au sens
anthropologique de la notion d’institution.

Il est donc nécessaire de distinguer :


- le niveau intra-organisationnel de l’institutionnalisation avec la thématique des
routines organisationnelles,
- le niveau inter-organisationnel de l’institutionnalisation qui se situe dans une
perspective d’auto-institutionnalisation de l’organisation, les normes privées (du
domaine de l’organisation) étant considérées comme devant être légitimes sur le plan
public ; il en va ainsi, par exemple, des normes qualité et surtout des normes
techniques qui tendent à rapprocher l’inter-organisationnel et de l’inter-opérable
connotant ainsi de « connectivité » et donc de logique d’« association », de
« coopération », de « collaboration », de « mutualisation » cette perspective de
l’institutionnalisation de l’organisation.
- le niveau supra-organisationnel qui est celui de l’institution stricto sensu.
L’institutionnalisation de l’organisation relève alors d’un projet de synchronisation de
ces trois niveaux. Les modalités techniques de la discussion interfèrent d’ailleurs avec les
modalités de légitimation de chacune des logiques d’institutionnalisation suivant qu’il
s’agit de modalités « ouvertes » (démocratie délibérative et / ou argument de la
participation et de la diversité) ou « fermées » (club d’experts, lobby et argument
d’expertise). Si l’on remarque l’importance donnée à une sorte de marchandage dans ces
processus d’institutionnalisation, on trouve ici un des signes de l’extensivité (ou encore
de la porosité de l’institution) aux catégories de l’organisation.

Comme le soulignent J. Allouche & I. Huault19, « le concept d’institution appliqué au


droit, à l’économie ou à la sociologie dans sa dimension institutionnaliste ne recouvre ni
les mêmes réalités empiriques, ni les mêmes fondements théoriques ». Comme le souligne

19
J. Allouche & I. Huault, « Les ressources humaines : au-delà des instruments, les institutions », in
Encyclopédie des ressources humaines, Vuibert, Paris, 2003
Yvon PESQUEUX
7
également M. Lallement20, avec la référence à l’institution, le capitalisme comme ordre
politique se trouve fondé au travers de critères d’évaluation variables d’un espace à
l’autre, selon qu’il s’agit d’institution ou d’organisation. « De ce point de vue », nous dit-
il, « la cage d’acier de nos temps modernes s’incarne dans la multitude des rhétoriques
et des dispositifs qui teintent aux mêmes couleurs d’un techno-libéralisme triomphant
dans les multiples espaces de notre monde moderne (entreprise, politique, école,
culture…) ». L’institutionnalisation des organisations se caractériserait en quelque sorte
par la duplication d’organisations identiques, cette multiplication venant en quelque sorte
digérer l’institution à la fois comme objet générique et dans sa diversité au concret.

Pour J. Bourricaud & R. Boudon, l’institution concerne « toutes les activités régies par
des anticipations stables et réciproques »21. C’est en cela d’ailleurs que M. Lallement
indique que : « Si les modes d’analyse privilégiés varient d’un paradigme à l’autre, la
grande majorité des sociologues s’accorde pour définir les institutions – la famille,
l’école, l’Etat, le langage, le droit, le mariage, la propriété… - comme autant de vecteurs
à même d’instituer un groupe social, si ce n’est une société dans son entier »22. Il rappelle
d’ailleurs qu’E. Durkheim 23 faisait de la compréhension des institutions le but de la
sociologie. Il en va de même dans la sociologie américaine, en particulier chez T. Parsons
dont il signale la proximité de sens entre « institution » et « système » (qui indique les
prérequis fonctionnels de tout système d’action). E. Goffman 24 définit l’institution
(« totale ») comme ce qui « accapare une part du temps et des intérêts de ceux qui en
font partie et leur procure une sorte d’univers spécifique qui tend à les envelopper »,
certaines d’entre-elles étant plus totalitaires que d’autres (prisons, asiles, etc.). Pour D.
C. North, c’est un arrière-plan indicatif et structurant. « Les institutions sont les règles du
jeu dans une société ou, plus formellement, elles sont les contraintes conçues par
l’homme qui façonnent l’interaction humaine. Par conséquent, elles structurent les
incitations à l’échange humain, que celui-ci soit politique, social ou économique »25. M.
Aoki propose une définition relativement proche 26 en attribuant cinq propriétés à
l’institution : c’est une création endogène qui perdure tant qu’aucun agent n’a d’intérêt à
modifier unilatéralement son comportement, c’est un moyen de réduire l’incertitude, les
règles institutionnelles sont robustes dans le temps, il existe une diversité des institutions
car elles sont non contingentes et c’est une croyance partagée.

Institutions et organisations : un état des lieux du courant


institutionnaliste – argument théorique

20
M. Lallement, « Penser les institutions : paradigmes d’hier, débats d’aujourd’hui », in R. Michele & J.-
L. Laville (Eds), La sociologie économique européenne : une rencontre franco-italienne, FrancoAngeli,
collection « Sociologa del lavoro », suppl. au n° 93, Milan, 2004, p. 62-75
21
J. Bourricaud & R. Boudon, article « institution », Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, Paris,
1981
22
M. Lallement, op. cit.
23
E. Durkheim, « Remarque sur la méthode en sociologie » (1908), in Textes, vol. 1, Minuit, Paris, 1974,
pp. 58-61
24
E. Goffman, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Minuit, Paris, 1968, p. 45-46
(Ed. originale : 1961)
25
D. C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge University Press,
Cambridge (Massachussets), 1990
26
M. Aoki, Toward a Comparative Institutional Analysis, MIT Press, Boston, 2001
Yvon PESQUEUX
8
Tout en soulignant la nécessaire distinction à opérer entre institutions, institutionnalistes
et néo-institutionnalistes, A. Desreumaux27 reprend et commente la chronologie de W.
R. Scott28 avec :
- Les premiers institutionnalistes qui s’intéressent aux institutions « fondamentales »
(constitutions, systèmes politiques, religieux, sans lien avec l’organisation) où l’on
retrouve :
- en économie, la contestation des modèles économiques conventionnels (cf. T. B.
Veblen 29) ou leur re-fondation avec J. R. Commons30 qui fait de l’institution une
action collective en contrôle qui pèse sur les gains et les pertes pour soi et pour les
autres,
- en sociologie, la tradition de l’analyse des institutions (cf. E. Durkheim 31 , M.
Weber32).
- Les premiers travaux, principalement américains, reliant organisation et institutions
(années 40) avec :
- l’organisation considérée comme institution (cf. P. K. Selznick33),
- les structures qui légitiment l’existence des organisations (cf. T. Parsons34),
- l’analyse de la nature de la rationalité dans les organisations (cf. H. A. Simon35, R.
M. Cyert & J. G. March36).
- Les théories néo-institutionnelles là encore principalement américaines (à partir de
1970) qui regroupent une variété de courants traitant de la signification, des formes et des
champs organisationnels dans une perspective institutionnelle avec :
- en économie, la volonté de développer une théorie économique des institutions (coûts
de transaction, droits de propriété, agence, évolutionnisme) avec, par exemple, R. H.
Coase37, O. E. Williamson38, D. C. North39, R. R. Nelson & S. G. Winter40, etc.
- en sociologie, un ensemble de travaux s’appuyant sur les idées provenant de la
psychologie cognitive, des études culturelles, de la phénoménologie et de l’ethno-
méthodologie. Ces travaux mettent plus l’accent sur les cadres cognitifs que sur les
cadres normatifs et focalisent l’attention sur les systèmes de croyances dans
l’environnement des organisations (bases théoriques : H. A. Simon41, C. Geertz42, P.

27
A. Desreumaux, « Théorie néo-institutionnelle, management stratégique et dynamique des
organisations », in I. Huault (Ed.), Institutions et gestion, Vuibert, collection « FNEGE », Paris, 2004
28
W. R. Scott, Institutions and Organizations, Sage, Londres, 2001
29
T. B. Veblen, The Theory of Leisure Class, 1899, traduction française, Théorie de la classe des loisirs,
Gallimard, collection « Tel », Paris, 1978
30
J. R. Commons, « Institutional Economics », American Economic Review, December 1931, p. 649 et
suivantes
31
E. Durkheim, op. cit.
32
M. Weber, Economie et sociétés, Agora Pocket n° 171 & 172, Paris, 1995
33
P. K. Selznick, Leadership in Administration, Row & Peterson and Co., Evanston, Illinois, 1957
34
T. Parsons, The Social System, Free Press, New-York, 1951 (traduction française, Dunod, Paris, 1993)
35
H. A. Simon, Administrative Behavior: A Study of Decision-making Processes in Administrative
Organizations, The Free Press, New-York, 1945
36
R. M. Cyert & J. G. March, A Behavioral Theory of the Firm, Prentice Hall, Englewood Cliffs, New
Jersey, 1963
37
R. H. Coase, The Nature of the Firm, Economica, vol. 16, 1937, pp. 331-351
38
O.E. Williamson, The Economic Institutions of Capitalism, The Free Press, New York, 1985
39
D. C. North, op. cit.
40
R. R. Nelson & S. G. Winter, An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Massachussetts,
Harvard University Press, 1982
41
H. A. Simon, op. cit.
42
C. Geertz, The Interpretations of Cultures - Selected Essays by Clifford Geertz, Basic Books Inc., New
York, 1973
Yvon PESQUEUX
9
Berger & T. Luckman43, H. Garfinkel44, etc. ; travaux fondateurs : P. Ingram & B.
Silverman45 , J. Meyer & B. Rowan 46 , L. G. Zucker 47 , P. J. DiMaggio & W. W.
Powell48, J. W. Meyer & W. R. Scott49, etc.).

P. A. Hall & R. C. R. Taylor50 repèrent dans les théories institutionnelles (aussi bien en
économie, en science politique qu’en sociologie) trois courants bien distincts,
respectivement : l’institutionnalisme historique, l’institutionnalisme de la théorie des
organisations ou sociologique et l’institutionnalisme des choix rationnels.

A l’instar de G. Madeiro51, on peut distinguer les « anciennes » théories institutionnelles


(focalisées sur la contestation du pouvoir et de l’ordre établi) des « nouvelles » (focalisées
sur la résolution des défaillances du marché qui est lui-même considéré comme une
institution et sur la reproduction des structures sociales compte tenu des pressions
institutionnelles dans une perspective allomorphique) comme l’indique le tableau
suivant :

43
T. Berger & T. Luckman, La construction sociale de la réalité, Masson & Armand Colin, Paris, 1996
(2° ed.)
44
H. Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1967
45
P. Ingram & B. Siverman, Advances in Strategic Management, 19 - The New Institutionalism in Strategic
Management, JAI, New-York, 2002
46
J. W. Meyer & B. Rowan, « The Structure of Educational Organizations », in J. W. Meyer et al. (Eds.),
Environments and Organizations, Jossey-Bass Inc., San Francisco, 1978
47
L. G. Zucker, « The Role of Institutionalization in Cultural Persistance », in J. P. DiMaggio & W. W.
Powell (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The University of Chicago Press, 1991
48
P. J. DiMaggio & W. W. Powell (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The
University of Chicago Press, 1991
49
J. W. Meyer & W. R. Scott, Organizational Environments: Rituals and Rationality, Sage Publications,
Berverly Hills, 1983
50
P. A. Hall & R. C. R. Taylor, « Political Science and the Three New Institutionalisms », Max-Planck-
Institut für Gesellschatsforschung, 1996
51
G. Madeiro, Papier de travail, CNAM, 2006
Yvon PESQUEUX
10
Nature de la « Anciennes » « Nouvelles »
perspective théories institution- théories
-nalistes institutionnalistes
(contestation du (le marché est
pouvoir et de l’ordre une institution)
établi et critique « sans » d’où la généralisation
Marx d’où la référence à des raisonnements en « capital »
l’institution) (humain, social, etc.)

Critique de Mise en exergue


Politique place centrale d’une souveraineté
(critique de la attribuée à supra-nationale
souveraineté) l’Etat (exemple :
Banque
Mondiale, etc.)

Economique Critique du modèle Importance de la loi,


(autour du modèle économique standard de la culture
de la micro-économie (exemple : J. R. pour le déve-
standard) Commons,T. B. Veblen) -loppement
(exemple : D. C.
North)
économie des
coûts de
transaction (où
marché =
institution de
référence)
(O. E. Williamson)

Sociologique Equivalence de Analyse du pouvoir


(institution considérée définition entre dans l’institution
comme une société et institution « comme dans
organisation) (exemple : Durkheim, l’organisation »
Weber) puis équivalence DiMaggio &
de définition entre institution W. W. Powell)
et organisation (exemple : L’entrepreneur
P. K. Selznik, T. Parsons institutionnel
et la notion de système) (T. B. Lawrence & N.
Phillips, B. Leca & P. Naccache)
où l’entrepreneur constitue la
figure instituante privilégiée dans
la mesure où ce serait lui qui,
bien que socialement « contraint »
mais compte tenu de ses intérêts et
de ses compétences, mettrait en
relation le niveau macro sociétal
avec le niveau micro sociétal
(l’institution)

Ceci étant, les approches institutionnalistes aussi bien anciennes que nouvelles vont lier
pouvoir et légitimité sur la base de deux registres : celui de la détention et celui de
l’exercice du pouvoir.

Yvon PESQUEUX
11
Ceci met clairement en avant l’importance de la notion de légitimité dans les « théories
institutionnelles » aussi bien anciennes que nouvelles. Il semble d’ailleurs
particulièrement difficile, indépendamment des références néo-institutionnaliste, de se
référer à la légitimité sans rappeler la conception fondatrice de Max Weber52 pour qui
une action est légitime si l’origine du pouvoir est légitime. La légitimité ne se fonde pas
au regard de critères formels faisant référence à une cause supérieure mais en termes de
justification (une action est légitime, parce que la situation de son occurrence est
également légitime, raisonnement en corrélation classique chez Max Weber).

C’est à ce titre qu’il fonde la trilogie suivante, en détaillant les types de domination
légitime au regard d’un critère :
- rationnel (« reposant sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit
de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces
moyens – domination légale »),
- traditionnel (« reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions
valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l’autorité par
ces moyens – domination traditionnelle »),
- charismatique (« reposant sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la
vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne, ou encore émanant d’ordres
révélés ou émis par celle-ci – domination charismatique »).

Il ne saurait être question de légitimité sans parler de légitimation (et de son antonyme :
délégitimation)

La légitimation comme plus-value de croyance (Max Weber), comme logique


d’intégration (C. Geertz53)

Pour ce qui est de la légitimité, R. Suddaby54 propose la typologie suivante :


- La légitimité comme caractéristique que possède l’organisation et sur laquelle elle peut
agir ;
- La légitimité comme perception ce qui en fait une construction sociale dont l’essence
va dépendre du niveau auquel elle est abordée (individuel, organisationnel, social) ;
- La légitimité comme processus, ou légitimation (ou délégitimation), c’est-à-dire une
négociation permanente entre différentes entités ; c’est un processus de construction de
sens (un processus actif) où le point focal est alors l’individu d’où l’idée de quête de
légitimité.

T. Van Leeuwen & R. Wodack55 mettent en avant l’existence de cinq types de discours
de légitimation :
- La rationalisation dite « instrumentale » qui cherche à expliquer pourquoi une pratique
sociale existe compte-tenu de trois formes de rationalisation instrumentale : orientée vers
les buts, vers les moyens, ou vers les effets. Elle peut aussi être d’ordre conceptuel

52
M. Weber, Economie et Société, Plon, Paris, 1971 (Ed. originale 1921)
53
C. Geertz, The Interpretation of Cultures, Basic Books, New York, 1973
54
R. Suddaby, « Can Institutional Theory Be Critical ? », Journal of Management Inquiry, 2014,
https://doi.org/10.1177/1056492614545304
55
T. van Leewen & R. Wodak, « Legitimizing Immigration Control: A Discourse-Historical Analysis »,
Discourse Studies, 1999, https://doi.org/10.1177/1461445699001001005
Yvon PESQUEUX
12
(expertise ou expérience personnelle, ces auteurs distinguant la rationalisation par la
définition, l’explication et la prédiction) ;
- La moralisation au regard d’un jugement de valeur56 ;
- La normalisation (conformité par rapport aux autres et par rapport aux habitudes et aux
conventions) ;
- L’autorisation qui se réfère à des formes d’autorites ;
- La narrativisation qui repose sur une mise en récit venant lier énonciateur et récepteur.

Les théories néo-institutionnaliste ont une conception utilitaro-pragmatique liée à une


différence de contexte intellectuel (les Etats Unis cette fois) et d’époque (la fin du XX°
siècle), conception où l’intérêt individuel et la volonté occupent une place centrale. La
légitimité dont il est question est « socio-constructionniste ».

Ces théories sont aujourd’hui souvent mobilisées contre l’individualisme


méthodologique de la tradition économique en mettant l’accent sur l’importance des
niveaux sociaux mais aussi contre l’utilitarisme de la pensée économique néo-
institutionnelle en soulignant l’importance de la dimension symbolique tout comme celle
de la dimension cognitive et du poids des représentations (dimension normative), par
rapport à la dimension fonctionnelle et mécaniste de l’organisation (coordination et
contrôle). Elles reposent sur un foisonnement de typologies conduisant à une forme de
théorie générale de la conformité.

W. R. Scott57 analyse la légitimité à partir de trois dimensions : réglementaire (lois et


mécanismes coercitifs qui permettent d’assurer l’ordre et la stabilité), normative qui
repose sur les valeurs sociales, et cognitive qui se réfère à des procédures. M. Ruef & R.
W. Scott 58 ont ajouté une autre typologie en distinguant la légitimité managériale
(logiques organisationnelles issues, entre autres, de la gestion des ressources humaines,
des pratiques de comptabilité) de la légitimité technique (notamment la formation des
employés, les procédures de travail et la gestion de la qualité).

M. C. Suchman59, s’appuyant principalement sur les travaux de W. R. Scott & J. W.


Meyer60 distingue entre trois formes de légitimité normative en fonction de la position de
l’évaluateur : la légitimité « conséquentielle » dont l’évaluation repose sur ce que produit
l’organisation, la légitimité procédurale dont l’évaluation repose sur les techniques et les
procédures et la légitimité structurale dont l’évaluation repose sur l’examen des
structures. Mais il reprend la trilogie précédente en la reformulant au regard d’une
dimension pragmatique (qui renvoie à la poursuite des intérêts personnels, poursuite
faisant partie de la légitimité des organisations, d’une dimension morale (évaluation
normative de l’organisation et de ses activités au regard d’un bien-être collectif) et
dimension cognitive (accepter l’organisation considérée comme nécessaire et inévitable.

56
Y. Pesqueux, « Le comportement organisationnel au prisme de la régulation », halshs-02896953, 2020
57
W. R. Scott, op. cit.
58
M. Ruef & R. W. Scott, « A multi-dimensional model of organizational legitimacy: hospital survival in
changing institutional environments », Administrative Science Quarterly, vol. 43, 1998, pp. 877-904
59
M. C. Suchman, « Managing Legitimacy: Strategic and Institutional Approaches », Academy of
Management Review, vol. 20, n° 3, 1995, p. 571-610
60
W. R. Scott & J. W. Meyer, « The Organization in Societal Sectors: Propositions and Early Evidence, in
J. P. DiMaggio & W. W. Powell (Eds.), op. cit.
Yvon PESQUEUX
13
Pour M. A. Zimmerman & G. J. Zeitz61, l’organisation acquiert une légitimité normative
lorsqu’elle « démontre le bien-fondé de son existence en respectant des normes et des
valeurs telles que la profitabilité ou le traitement équitable de ses employés » compte
tenu de l’importance de ces normes. Leur typologie distingue entre une légitimité
sociopolitique (qui renvoie au développement de la confiance dans l’organisation et peut
donc être de nature normative ou réglementaire) et une légitimité cognitive. Cette
typologie conduit à quatre formes de légitimité : une légitimité sociopolitique de l’ordre
de la régulation (conformité aux règles, normes et standards légaux), une légitimité
sociopolitique normative (conformité aux valeurs sociales), une légitimité cognitive
(perceptions de l’identité et des rôles de l’organisation) et une légitimité industrielle
(issue de l’ensemble des entreprises d’un secteur).

La perspective néo-institutionnaliste en sciences de gestion met l’accent sur la dialogique


efficacité économique (au nom de la rationalité des agents et de la rationalité procédurale)
et sur l’importance de structures sociales plus larges. Il en va ainsi de la logique de
l’encastrement dans laquelle S. Zukin & P. DiMaggio 62 distinguent encastrement
politique (du social et du marché), encastrement culturel (qui est la reprise de l’hypothèse
culturaliste), encastrement cognitif (poids des représentations) et encastrement structurel
(l’institution est alors considérée comme un système durable de relations sociales).
L’institution viendrait créer la certitude qui irait en contrepoids de l’incertitude créée par
l’organisation. On retrouve, par exemple, cette acception dans la notion de
« développement durable », le développement étant considéré comme étant de l’ordre de
l’organisation (l’entreprise) et le durable comme étant de l’ordre de l’institution.

C’est, par exemple, dans ce cadre que l’accent est mis sur les réseaux (les réseaux sociaux
essentiellement) et l’importance d’une conception relationnelle de l’organisation et de
l’institution (par référence à des « parties prenantes », par exemple), la mise en exergue
de la relation gommant la différence de nature entre « organisation » et « institution » et
rompant les frontières « intérieur – extérieur ». Dans ce cas, ni les organisations ni les
institutions n’ont de « frontières » et le réseau existe en quelque sorte « au-delà » des
agents organisationnels et institutionnels. Cette perspective contribue, par exemple, à
fonder l’acception situationniste de la confiance et la référence au volontarisme
managérial contre l’« illusion spontanéiste » de la micro-économie standard. La
légitimité (et non la souveraineté) entre en tension et/ou devient facteur d’efficacité dans
le contexte du cadre institutionnel, sociologisation opérée contre le fonctionnalisme
organisationnel au nom du poids de la société dans l’organisation et par la mise en avant
de la régulation compte tenu d’une part belle faite aux normes « privées » considérées
comme étant de nature institutionnelle. Parmi ces normes privées, il en va des modalités
managériales. On retrouve ici la référence au cadre conceptuel de l’institution de W. R.
Scott63, cadre qui est en fait dialogique quand il distingue le cadre légal (de contrainte de
l’action par les lois et les règlements qui suscitent, en miroir, sa contestation libertaire et
ultra-libérale) du « tenu pour acquis » (valeurs et normes). J. Allouche & I. Huault64
soulignent aussi les conséquences du poids des représentations (conventions et

61
M. A. Zimmerman & G. J. Zeitz, « Beyond Survival: Acquiring New Venture Growth by Building
Legitimacy », Academy of Management Review, vol. 27, 2002, P. 414-431
62
S. Zukin & P. J. DiMaggio (Eds), Structures of Capital : The Social Organization of the Economy,
Cambridge, Cambridge University Press), 2000
63
W. R. Scott, op. cit.
64
J. Allouche & I. Huault, op. cit.
Yvon PESQUEUX
14
croyances) et du mimétisme. Le raisonnement par analogie entre « institution » et
« organisation » fonde les logiques de précipitation et d’engrenage quant à l’application
des logiques organisationnelles aux institutions, ce qui permet d’expliquer la réduction
de la diversité des formes aussi bien organisationnelles qu’institutionnelles.

La perspective néo-institutionnelle permet, au-delà du marché et de l’autonomie de


l’agent organisationnel, d’aborder la pluralité de leurs motifs d’actions au-delà de la seule
rationalité instrumentale dans un contexte où l’institution est vue comme
« environnement » politique, culturel, cognitif, dans le cadre d’un horizon temporel plus
« long » que celui de l’organisation. L’analyse institutionnelle se situerait en contrepoint
de l’analyse sociologique des organisations qui « oublie » les institutions pour se
focaliser sur le pouvoir et les acteurs (cf. M. Crozier & E. Friedberg65). A l’inverse, la
sociologie institutionnaliste « oublie » les acteurs dans une perspective holiste (cf. J.
Meyer & B. Rowan 66 ). Elle offrirait alors une sorte de théorie institutionnelle de
l’environnement organisationnel.

Dans ce corpus, J. Allouche & I. Huault67 distinguent :


- Les auteurs qui se situent dans la tradition économique comme O. E. Williamson68
qui fait du capitalisme et du marché le cadre institutionnel où le marché devient la
forme ultime d’organisation politique et sociale de ceux qui proposent une conception
instrumentale des institutions comme R. R. Nelson & S. G. Winter69.
- Les auteurs qui se situent dans la tradition sociologique et qui font des institutions un
moyen de coordination sociale (outre J. Meyer & B. Rowan70, on trouve également,
par exemple, P. J. DiMaggio & W. W. Powell71). P. J. Meyer & B. Rowan assimilent
les règles institutionnelles à des mythes considérés comme des « réalités »
socialement construites. P. J. DiMaggio & W. W. Powell identifient trois processus
d’isomorphisme pour expliquer la conformité organisationnelle propre à fonder la
légitimité des formes ainsi construites : le processus mimétique qui se caractérise par
l’adoption de modèles d’organisation identiques au regard de l’expérience et de la
croyance du bien-fondé de leur forme, le processus coercitif au regard de la pression
hétéronome des autres institutions et autres organisations du champ social et le
processus normatif où la norme sert de critère pour établir une base cognitive
légitime. R. S. Scott 72 a proposé une vision plus déterministe des relations
« institution – organisation ». Il en dresse une typologie dans laquelle il distingue la
force (exercice d’un pouvoir coercitif), la contrainte (variante moins autoritaire, mais
qui « force » les choix organisationnels), la persuasion (au travers, par exemple, d’un
système d’incitations), l’adhésion (choix organisationnel « positif »), la rémanence
(persistance de traits d’origine de l’époque de la fondation de l’organisation), la
65
M. Crozier & E. Friedberg, L’acteur et le système, Seuil, Paris, 1977
66
J. Meyer & B. Rowan, « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and Ceremony »,
American Journal of Sociology, vol. 83, pp. 340-363
67
J. Allouche & I. Huault, « Les ressources humaines, au-delà des instruments, les institutions », in
Encyclopédie des ressources humaines, Vuibert, Paris, 2003, pp. 743-754
68
O. E. Williamson, op. cit.
69
R. R. Nelson & S. G. Winter, An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Massachussetts,
Harvard University Press, 1982
70
J. Meyer & B. Rowan, op. cit.
71
P. J. DiMaggio & W. W. Powell, « The Iron-Cage revisited : Institutional Isomorphism and Collective
Rationality in Organizational Field », American Sociological Review, vol. 48, 1983, pp. 147-160
72
R. S. Scott, « The Adolescence of Institutional Theory », Adminstrative Science Quarterly, vol. 32, 1987,
pp. 493-511
Yvon PESQUEUX
15
cooptation (les agents organisationnels « emmènent » avec eux les logiques
institutionnalisées et les éléments de structure organisationnelle en liaison avec
l’environnement et tendent à reproduire certaines des caractéristiques de cet
environnement) et la dérivation (certaines des croyances de l’environnement se
trouvent importées dans l’organisation et participent ainsi à la construction d’une
vision commune).
Mais soulignons l’impasse qui est faite sur la dimension politique et anthropologique de
l’institution. L’encastrement culturel (qui est en fait ni plus ni moins que la reprise de
l’hypothèse culturaliste) fait ainsi l’impasse sur la dimension politique de l’idéologie en
occultant la question de la souveraineté attribuée sans discussion aux organes de direction
au nom du volontarisme managérial ainsi que sur la dimension rituelle et mythique des
logiques managériales. Une telle double impasse permet en effet de ne pas reconnaître le
conflit dans l’organisation (et donc dans l’institution si on raisonne par extension), si ce
n’est comme « maladie » à diagnostiquer et à soigner, maladie souvent « contractée » de
l’extérieur par l’organisation (en provenance de l’institution alors ?). Alors que l’Etat
institué est profondément lié à la question du conflit (c’est la souveraineté qui lui est
attribué qui réduit le conflit sans discussion, suscitant les résistances ad hoc à cette Raison
d’Etat), le néo-institutionnalisme « sociologise » la théorie du conflit en substituant la
légitimité (contrainte « soft » en quelque sorte) à la souveraineté (contrainte « hard ») sur
la base d’une conception affaissée (c’est-à-dire non conflictuelle) de la société civile qui
se trouve ainsi contenir un ensemble de « parties prenantes » et donc sans référence à une
société politique. Ce cadre est in fine fondé sur la dissociation entre organisation et
environnement (cf. allomorphisme).

Ceci étant, l’« ancien » et le « nouvel » institutionnalisme ont tous les deux en commun
une certaine méfiance au sujet de l'acteur rationnel et conçoivent l’institutionnalisation
comme un processus entre l’environnement et les organisations qui détourneraient celles-
ci de la rationalité en créant une réalité éloignée de leur description formelle.

L’idée d’isomorphisme, présente dans le texte de J. W. Meyer & B. Rowan, peut être
considérée comme un élément majeur, repris par la suite dans des textes sur l’étude des
structures et de l’isomorphisme des organisations et de ses conséquences.

Une étude de la littérature, de 1977 à nos jours, fait ressortir que les travaux qui suivent
l’apport de J. B. Meyer & W. Rowan se sont essentiellement concentrés sur les
implications suivantes : l’isomorphisme et le découplage. D’autres travaux se sont aussi
consacrés à mieux définir la notion de « champ » ou à développer la logique
institutionnelle. Un panorama de ces travaux figure dans la seconde édition du SAGE
Handbook of Organizational Institutionalism73.

Les premiers auteurs à avoir approfondi la notion d’isomorphisme, sont P. J. DiMaggio


& W. W. Powell qui, dans leur article de 1983, « The Iron Cage Revisited: Institutional
Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », proposent trois
mécanismes de diffusion : coercitif, normatif, et mimétique. Mais d’auteurs poursuivi ces
travaux avec : la théorie de la dépendance des ressources74, la gestion des demandes multi

73
The Sage Handbook of Organizational Institutionalism, R. Greenwood & C. Oliver & R. Suddaby & K.
Sahlin, 2018, DOI : http://dx.doi.org/10.4135/9781849200387
74
C. Oliver, « Strategic Response to Institutional Processes », Academy of Management Review, vol. 16,
1991, p. 145-179
Yvon PESQUEUX
16
institutionnelles75 et la traduction comme moyen de diffusion76. Il en va aussi des travaux
sur l’entreprenariat institutionnel77, le paradoxe de l’agent embarqué78, l’hybridation79 et
l’identité de l’organisation 80 . D’autres thèmes ont été aussi étudiés comme
l’entreprenariat culturel81, la complexité institutionnelle82 ou le travail institutionnel83.

Les travaux sur le découplage constituent l’autre aspect des apports des néo-
institutionnalistes. N. Brunsson, dans The Organization of Hypocrisy84, étudie l’usage de
l’hypocrisie organisationnelle comme outil de découplage qui permet de résoudre les
tensions et contradictions au sein des organisations. P. Bromley & W. W. Powell 85
développent le concept d’internalisation de micro-niveaux et questionnent le rôle de la
complexité institutionnelle ainsi que la manière dont les membres de l’organisation la
gèrent. K. Dansou & A. Langley86 proposent la notion de « tests » qui intervient quand
les arrangements institutionnels sont mis en question au regard de trois éléments des
micro-processus : l’agence, la rationalité et la temporalité. B. Taupin 87 étudie la
maintenance institutionnelle au travers de trois aspects : le travail de confirmation, le
travail de qualification et la figure. D. Palmer et al.88 analysent comment les institutions
corrigents (ou pas) les « méfaits organisationnels ». F. Dobbin & A. Kalev 89 se

75
T. D’Aunno & R. I. Sutton & R. H. Price, « Isomorphism and External Support in Conflicting
Institutional Environments: A Study of Drug Abuse Treatment Units », Academy of Management Journal,
vol. 34, n° 3, 1991, pp. 636-661
76
B. Czarniawska-Joerges & G. Sevón, Translating organizational change, Walter de Gruyter, New York,
1996
77
C. Hardy & S. Maguire, « Institutional Entrepreneurship », in R. Greenwood, C. Oliver & K. Sahlin
& R. Suddaby (Eds.), The Sage Handbook of Organizational Institutionalism, Sage, London 2008,
pp. 198-217
78
J. Battilana & B. Leca & E. Boxenbaum, « How Actors Change Institutions: Towards a Theory of
Institutional Entrepreneurship », The Academy of Management Annals, vol. 3, n° 1, 2009, DOI:
10.1080/19416520903053598
79
J. Battilana & B. Leca & E. Boxenbaum, op. cit.
80
P. D. Glynn & A. Alexey & C. D. Voinov & P. A. W Shapiro & P. A. White, « From Data to Decisions:
Processing Information, Biases, and Beliefs for Improved Management of Natural Resources and
Environments », Earth s Future, vol. 5, n° 4, 2017, pp.356-378, https://doi.org/10.1002/2016ef000487
81
M. Lounsbury & M. A. Glynn, « Cultural entrepreneurship: stories, legitimacy, and the acquisition of
resources », Strategic Management Journal, n° 22, 2001, 22, pp. 545-564,
http://dx.doi.org/10.1002/smj.188
82
R. Greenwood & M. Raynard & F. Kodeih & E. R. Micelotta & M. Lounsbury, « Institutional
Complexity and Organizational Responses », Academy of Management Annals, vol. 5, 2011, pp. 317-371.
83
T. Lawrence & R. Suddaby, « Institutions and Institutional Work » in S.Clegg & C. Hardy & W.R. Nord
& T. Lawrence (Eds.), Handbook of Organization Studies, Second Edition, Sage, 2006
84
N. Brunsson, The Organization of Hypocrisy: Talk, Decisions and Actions in Organizations, Wiley,
1989
85
P. Bromley & W. W. Powell, « From Smoke and Mirrors to Walking the Talk: Decoupling in the
Contemporary World », Academy of Management Annals, vol. 6, n° 1, 2017,
https://doi.org/10.5465/19416520.2012.684462
86
K. Dansou, & A. Langley, « Institutional Work and the Notion of Test », M@n@gement, vol. 15, n° 5,
2012, pp. 503 - 527
87
B. Taupin, « The More Things Change... Institutional Maintenance as Justification Work in the Credit
Rating Industry », M@n@gement, vol. 15, n° 5, 2012, DOI : 10.3917/mana.155.0529
88
D. Palmer & K. Smith-Crowe & R. Greenwood, « Cambridge Companion on Organizational
Wrongdoing: Key Perspectives and New Directions », Cambridge University Press, 2016,
ISBN: 9781316338827, https://doi.org/10.1017/CBO9781316338827
89
F. Dobbin & A. Kalev, « Training Programs and Reporting Systems Won’t End Sexual Harassment –
Promoting More Women Will », Harvard Business Review, 2017
Yvon PESQUEUX
17
questionnent les programmes de diversité comme étant des cérémonies permettant de
proposer des mesures symboliques quant au recrutement du personnel.

M. Bonnafous-Boucher90 rappelle les différentes références de l’analyse de l’institution :


- Instituer, c’est d’abord fonder au regard de lois, c’est-à-dire établir une règle valide
pour tous (cf. le « rationnel légal » de Max Weber91 ou encore la « convention » de L.
Boltanski & L Thévenot92), la problématique de l’institution étant liée à celle de la
fondation et de la vie publique. L’acception peut alors en être aussi bien sociologique
que politique.
- Instituer est donner des gages de stabilité quant aux modalités d’exercice de la vie
publique.
- Instituer est ériger des principes communs à quelque chose (sens dérivé des deux
premiers).
- Instituer est organiser une collectivité humaine au regard d’une fin supérieure, une
collectivité au sein de laquelle les individus acceptent ou subissent l’existence d’une
autorité commune. L’institution est ce qui résulte de la fondation et se caractérise par
des modalités juridiques, des compétences au regard d’une mission et des moyens
humains, techniques et financiers dans la perspective de donner un contenu au Bien
Commun. C’est en cela qu’elle diffère de l’organisation dont les modalités se trouvent
être plus contextuelles et relevant donc du privé. La contingence se pose dans
l’organisation alors qu’elle ne se pose pas dans l’institution. Mais c’est aussi à cause
de ces éléments que les perspectives néo-institutionnelles relient explicitement ou
implicitement « institution » et « socialisation » alors que l’on ne relie pas comme
cela « organisation » et « socialisation ». A ce titre, à chaque lieu physique de la
socialité correspond une dimension institutionnelle. Au logement, correspond
l’institution domestique, à l’éducation, l’école, etc. L’institution est alors le lieu
venant réunir usages et règles dans la réalisation d’une même finalité.
- Mais au sens anthropologique du terme, comme le signale M. Douglas93, l’institution
va bien au-delà dans la mesure où elle constitue « la réponse conférée au faisceau
hétérogène de choses que l’on considère comme éléments d’un même ensemble ».
C’est en cela que, d’un point de vue anthropologique (tout comme selon le point de
vue politique), l’institution relève de ce qui est « public ». L’institution apparaît quand
on ne se pose plus la question de savoir d’où vient la manifestation visée. Elle dépasse
ainsi la vision de J. Meyer & B. Rowan94 qui caractérisent l’institution par l’existence
de rituels symboliques destinés à construire un rythme (ou une « trace
anthropologique », en quelque sorte) au regard du temps.
- Instituer, c’est inscrire des formes sociales dans des normes qui leur préexistent, ce
qui permet de les rendre autonomes par rapport aux relations sociales. C’est le cas,
par exemple, des relations marchandes dans les représentations dominantes de la
société qui leur accorde actuellement une telle importance.
- L’institution, c’est l’ensemble des règles autour desquelles les individus ont trouvé
des compromis explicites permettant de stabiliser leurs relations comme dans les
approches de l’école de la régulation.
90
M. Bonnafous-Boucher, « Des catégories du gouvernement à celles de la gouvernance », Papier de
travail, CNAM, 2004
91
M. Weber, op. cit.
92
L. Boltanski & L. Thévenot, Les économies de la grandeur, Gallimard, collection « nrf », paris, 1991
93
M. Douglas, Comment pensent les institutions, Editions La Découverte, Paris, 1986, p. 72 (traduction
par A. Abeillé de How Institutions Think ?, Syracuse University Press, New-York, 1986)
94
J. Meyer & B. Rowan, op. cit.
Yvon PESQUEUX
18
L’examen de cette liste conduit à mettre en évidence l’effet zoom inhérent au concept
d’institution. A titre d’exemple, on peut dire que « la » banque est une institution tout
comme le serait le capitalisme, « une » banque n’étant alors qu’une de ses manifestations
au concret, qui plus est sous la forme d’une organisation. C’est un des aspects difficiles
de la notion. Mais il permet aussi de fonder les trois facettes de l’institution : la facette
régulatrice (avec des règles et des sanctions), la facette normative (qui crée des
obligations) et la facette cognitive (qui canalise la manière de penser).

C. Castoriadis parle de l’institution comme d’un phénomène ayant une dimension sociale
conduisant à une hétéronomie instituée95. A ses yeux, le rapport aux institutions peut être
considéré comme double : par leur contenu spécifique au regard de la division de la
société qu’elles instaurent et au regard de la société elle-même par rapport aux
institutions. Il est ainsi amené à critiquer ce qu’il qualifie de vision « économico –
fonctionnelle » de l’institution qui conduit à l’expliquer par sa fonction dans la société à
un moment donné et par son rôle dans « l’économie d’ensemble de la société » du fait de
son acception trop « causaliste – finaliste ». Il plaide pour adjoindre une dimension
symbolique à l’institution, sans occulter le fait qu’un symbolisme n’est maîtrisable que
s’il renvoie, en dernier lieu, à quelque chose qui n’est pas symbolique : la capacité
imaginaire. L’institutionnalisation tout comme l’institution trouveraient leur source dans
un imaginaire social qui permet à la société de se rassembler alors que l’acception
« économico - fonctionnelle » ne permet de comprendre que sa survie. « L’aliénation,
c’est l’autonomisation et la dominance du moment imaginaire dans l’institution, qui
entraîne l’autonomisation et la dominance de l’institution relativement à la société. Cette
autonomisation de l’institution s’exprime et s’incarne dans la matérialité de la vie
sociale, mais suppose toujours aussi que la société vit ses rapports avec ses institutions
sur le mode de l’imaginaire, autrement dit, ne reconnaît pas dans l’imaginaire des
institutions son propre produit »96. Il en va ainsi, par exemple, de l’évidence de besoins
à satisfaire qui fonde l’économie ou encore de la temporalité dans son rapport à
l’institutionnalisation du passé, du temps institué comme identitaire et du temps institué
comme imaginaire. L’institutionnalisation relève alors du tressage de ce qu’il qualifie de
Legein (distinguer – choisir – poser – rassembler – compter – dire, condition créée par ce
qu’elle conditionne) et de Teukhein (assembler – ajuster – fabriquer – construire, ce qui
signifie faire comme, à partir de, de façon appropriée à, en vue de, dont la dérivation
conduit à la technique). Tout comme M. Hauriou (cf. infra), la puissance de sa thèse
provient de sa capacité à se confronter à la genèse des institutions par la médiation de
l’imaginaire.

M. Hauriou97 a proposé une alternative à la tradition dominante de la sociologie politique


qui considère l’Etat comme un groupe institutionnel relié au reste de la société au travers
de l’action publique en proposant que l’institution puisse être considérée comme une
grande œuvre à but collectif et en contestant que l’Etat puisse être l’unique source du droit

95
C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Seuil, collection « points – essais », n° 383, Paris,
1999, p. 163
96
C. Castoriadis, op. cit., p. 198
97
M. Hauriou, « La théorie de l’institution et de la fondation. Essai sur le vitalisme social », Cahiers de la
nouvelle journée, n° 23, Librairie Blond & Gay, Paris, 1925
M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Sirey, Paris, 1927
Yvon PESQUEUX
19
correspondant. V. Tournay98 signale les trois phases de l’institutionnalisation chez M.
Hauriou : une idée d’œuvre, c’est-à-dire une préoccupation d’ordre collectif concrétisée
au plan social, un pouvoir de gouvernement qui organise ce projet et la pérennisation de
l’idée d’œuvre. Mais il ne s’agit pas pour autant d’auto-institutionnalisation. On pourrait
parler d’institutionnalisation au travers d’une tension entre l’Etat et d’autres corps sociaux
venant prendre une dimension politique. C’est ainsi que l’on peut interpréter
l’institutionnalisation de mouvements tels que le mutualisme en santé publique en France,
à la fin du XIX° siècle.

F. Dubet 99 parle de « programme institutionnel » qu’il définit, ni comme un type


d’institution, ni comme un type de culture mais comme « un mode de socialisation, ou,
pour être plus précis, un type de relation à autrui, celui que l’instituteur, le prêtre ou le
médecin pouvaient mettre en œuvre avec leurs élèves, leurs fidèles ou leurs malades »100.
Le programme institutionnel est à l’institution ce que l’organizing est à l’organisation. Il
emprunte à des ordres réguliers (églises, hôpitaux, écoles) dans une architecture de
sanctuaire, mêlant ainsi en quelque sorte sacré et profane. Pour les personnels concernés
c’est, aux yeux de l’auteur, la vocation qui tient lieu de motivation en conférant un sens
aux actes. Mais il souligne aussi le déclin actuel du programme institutionnel (fin du
monopole qui lui était conféré, emprise des logiques organisationnelles, affaissement de
la légitimité accordée à l’intérêt général comme catégorie politique transcendante,
fragmentation des publics visés, etc.). Le travail sur autrui qui caractérise le programme
institutionnel devient un travail comme un autre, le déclin de l’institution entrant en phase
avec la montée en puissance de la relation de service telle qu’elle est comprise dans
l’économie des services. L’expérience de la relation de service privé (venant
désinstitutionnaliser la relation de service public) serait alors au cœur de la dualité
« désinstitutionnalisation de l’institution – institutionnalisation de l’organisation ».

H. Draelants & C. Maroy101 rappellent la trilogie de F. Dubet102 quant à la définition de


l’institution qui distingue trois significations : l’institution comme synonyme
d’organisation, l’institution comme terme générique recouvrant les institutions politiques
(la vision classique des sciences politiques) et, dans la logique de Durkheim, l’institution
comme fait social stabilisé (l’école, la justice, l’église, etc.). Il notent aussi, pour ce qui
concerne l’institutionnalisme, l’institutionnalisme historique (l’institution est la référence
centrale de la régulation et le poids des règles normatives avec la mise en avant de la
notion de convenance - appropriateness), l’institutionnalisme de la théorie des
organisations ou institutionnalisme sociologique (un individu est marqué par les
représentations de son environnement de même que les organisations doivent s’adapter
aux attentes institutionnelles) et l’institutionnalisme du choix rationnel (avec le débat
« homo sociologicus – homo economicus » et la critique des modèles de l’acteur
rationnel). C’est l’autonomie de l’institution qui fonde sa substance avec la mise en avant
de la dépendance de sentier (path dependance) sachant qu’il y a à la fois de la contrainte

98
V. Tournay, « Lucien Sfez et la théorie de l’institution de Maurice Hauriou : contribution pour la science
politique » in A. Gras & P. Musso (Eds.), Politique, communication et technologie. Mélanges en l’honneur
de Lucien Sfez, PUF, Paris, 2006, pp. 61-73
99
F. Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil, collection « L’épreuve des faits », Paris, 2002
100
F. Dubet, op. cit., p. 13
101
H. Draelants & C. Maroy, « Changement institutionnel et politiques publiques – Revue de la
littérature », Cahiers Know&Pol, Paris, 2007
102
F. Dubet, op. cit.
Yvon PESQUEUX
20
et de l’empowerment103). C’est cette tension qui fonde le « bricolage institutionnel »104 et
qui ouvre la question des fondements du changement institutionnel (cf. Le travail
institutionnel 105 ) où l’on retrouve la référence à l’entrepreneur institutionnel et au
processus de traduction 106 . C’est aussi ce processus qui fonde le mimétisme
institutionnel). L’institution relève donc des « évidences partagées » (taken-for-
grantedness).

R. Greenwood & C. R. Hinings mettent en avant l’interrelation entre changement


institutionnel radical et changement organisationnel de leurs entités107 en argumentant
sur le fait que les approches institutionnelles font l’impasse sur les forces de changement
internes à l’organisation, ce qui ne permet pas de comprendre pourquoi une institution
(ou une de ses parties) change alors que d’autres ne changent pas. Leur modèle repose
sur la mise en avant du contexte institutionnel de l’action (de substance
organisationnelle). Il y est question de différences de degrés d’insatisfaction et
d’implication selon les domaines de l’institution conduisant aux situations types
suivantes : le statu quo, l’indifférence, la concurrence en termes d’adhésion, leur
modification.

S. Fernandez & H. G. Rainey 108 mettent en avant la référence à huit facteurs d’une
conduite de changement dans le secteur public : sa justification, l’existence d’une
planification, la mobilisation de soutiens afin de faire face aux résistances, l’engagement
du management supérieur, la référence à des soutiens externes, l’affectation de
ressources, l’institutionnalisation du changement, la vérification que la compréhension
du changement est acquise.

G. Lapassade 109 propose une fresque marquant l’évolution du sens du concept


d’institution. Il signale ainsi qu’au temps de K. Marx, la notion recouvre essentiellement
les systèmes juridiques, le droit, la loi, institutions et idéologies constituant la
superstructure de sociétés où les forces productives et les rapports de production
constituent les infrastructures. Puis la sociologie s’en empare avec E. Durkheim qui en
fait une science des institutions alors qu’aujourd’hui on se référerait plutôt à des pratiques
institutionnelles qui se développent dans des domaines tels que la psychiatrie, la
pédagogie, etc. Ces institutions sont fondées sur des dimensions structurelles « internes »
(des routines tels que les rythmes scolaires dans l’institution scolaire, etc.) et des
techniques institutionnelles (travail en équipe, Conseils de classe, etc.) et un système
institutionnel « externe » avec une bureaucratie « externe » au sommet, ses relais

103
R. L. Jepperson, « Institutions, Institutions Effects, and Institutionnalism », in W. W. Powell & R. J.
DiMaggio (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The University of Chicago Press,
1991
104
S. J. Ball, « Big Policies / Small World : an Introduction to International Perspectives in Education
Policy », Comparative Education, vol. 34, n° 2, 1998, pp. 119-130
105
B. Leca & R. Suddaby, « Institutions and Institutional Work », in S. Clegg & C. Hardy & T. B. Lawrence
& W. R. Nord (Eds.), Handbook of Organization Studies (2° ed.), Sage, Londres, 2006, pp. 215–254 - T.
B. Lawrence & R. Suddaby & B. Leca (Eds.), Institutional Work: Actors and Agency in Institutional
Studies of Organizations, Cambridge University Press, 2009
106
J. L. Campbell, Institutional Change and Globalization, Princeton University Press, 2004
107
R. Greenwood & C. R. Hinings, « Understanding Radical Organizational Change: Bringing together the
Old and the New Institutionalism », Academy of Management Review, vol. 21, n° 4, 1996, pp. 1022-105
108
S. Fernandez & H. G. Rainey, « Managing Successful Organizational Change in the Public Sector »,
Public Administration Review, vol. 66, n° 2, 2006, pp. 168-176
109
G. Lapassade, op. cit., pp. 167-168
Yvon PESQUEUX
21
intermédiaires, ses statuts, rôles, obligations et sanctions, son « univers » et une
bureaucratie interne relais (la structure d’un établissement, par exemple). A la différence
de l’organisation qui repose sur une bureaucratie d’accaparement des ressources, la
bureaucratie de l’institution se réfère au Bien Commun même si les deux appareils
possèdent des formes similaires. Dans les deux cas, le projet de ces bureaucraties est celui
de la « domination – aliénation ». L’institution est donc à la fois un « donné » (un système
de normes) et un acte. L’institution répond à une logique à la fois fonctionnaliste (elle
remplit une fonction) et symbolique (cette fonction est considérée comme indiscutable).

En accord avec A. Hatchuel110, l’institutionnalisation de l’organisation peut être définie


comme opérant sur le plan des mentalités (comme avec les représentations du rôle de
l’entreprise et de ses liens avec la société), celui des discours (comme avec la manière,
par exemple, de parler de la gouvernance « dans » et « hors » de l’entreprise), celui des
pratiques (comme, par exemple, celles qui sont spécifiques à la gouvernance de
l’entreprise et proposées hors de l’entreprise) et celui des institutions (comme celles qui
participent à la formation des managers, celles qui « font émerger » des normes
institutionnalisantes comme l’ISO et celles qui légitiment comme, par exemple, les
différents « regroupements » qui prônent des normes en matière de gouvernance), celui
des mythes et des rites soit du fait d’outils de gestion dont la validation est considérée
comme nécessaire (un système de reporting mensuel, par exemple), soit du fait de
pratiques spécifiques constitutives de la culture et de l’identité organisationnelles (une
charte graphique, par exemple), et enfin celui des savoirs (comme sur la compréhension,
par exemple, de la gouvernance de l’entreprise).

M. C. Suchman111 propose une typologie des stratégies de légitimation en fonction de


trois niveaux de légitimité (pragmatique, normative et cognitive) et de trois stratégies
types (adaptation, sélection et manipulation). La figure de l’« entrepreneur
institutionnel » 112 est considérée comme étant à même d’initier le processus de
changement institutionnel considéré comme étant de même nature que le changement
organisationnel. Possédant des ressources stratégiques, ils auraient, en les mobilisant, le
pouvoir d’influencer le contexte institutionnel à partir de trois modalités : création d’une
institution, son maintien, sa désinstitutionnalisation113. Les opérateurs peuvent viser la
reconstruction des règles pour accéder aux ressources matérielles avec des logiques telles
que l’advocacy (le plaidoyer persuasif), le vesting (la prise d’autorité) et le defining. Pour
influencer les systèmes de croyance, les processus sont du type « construction
d’identités », « changement de normes », construction de réseaux ». Pour s’adresser à la
dimension cognitive, les leviers sont du type mimicry (mimétisme), theorizing et
éducation.

110
A. Hatchuel, « Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’action collective » in
A. David & A. Hatchuel & R. Laufer (Eds.), Les nouvelles fondations des sciences de gestion – Eléments
d’épistémologie de la recherche en management, Vuibert, collection « FNEGE », Paris, 2000
111
M. C. Suchman, op. cit.
112
H. Aldrich & C. H. Fiol, « Fools Rush in ? The Institutional Context of Industry Creation », Academy
of Management Review, vol. 19, 1994, p. 645-670
T. B. Lawrence & N. Phillips, « From Moby Dick to Free Willy: Macro-Cultural Discourse and
Institutional Entrepreneurship in Emerging Institutional Fields », Organization, Vol. 11, n° 5, 2004, pp.
689–711
B. Leca & P. Naccache (2006), « A Critical Realist Aproach To Institutional Entrepreneurship »,
Organization, vol. 13, n° 5, 2006, pp. 627-651
113
C. Oliver, op. cit.
Yvon PESQUEUX
22
Les sciences de gestion tendent donc à stabiliser une notion « incertaine »,
l’organisation, en renvoyant à une utopie organisationnelle construite sur le mythe du
« vivre dedans » (les institutions) en lieu et place du « vivre avec » (les institutions tout
comme les autres organisations). C’est en ce sens qu’elles fondent aujourd’hui une
institutionnalisation de l’organisation.

Pour une critique de la convocation du néo-institutionnalisme en


sciences de gestion – argument épistémologique

Avec le néo-institutionnalisme, tout comme l’organisation, l’institution est considérée


comme « objet » à comprendre et comme « forme » sociale donnée. Y-a-t-il alors
différence de nature ou bien continuum entre les deux « objets » ? Aux sciences de
gestion correspondraient les sciences des institutions où la référence juridique serait plus
importante.

Or, le néo-institutionnalisme dédouane les prescriptions qui conseillent aux institutions


de prendre la même forme que les organisations puisqu’elles agiraient dans le cadre des
mêmes logiques de fonctionnement. Il en irait ainsi de l’explication (ou de l’injonction)
à la déshérence de la forme « publique », la société anonyme étant finalement susceptible
d’offrir un cadre plus efficient. L’institutionnalisation des organisations considérée
comme la réduction de la diversité des formes et des pratiques tend de ce fait à se
rapprocher de l’idéologie dans l’idée de « passage en force » au travers de modalités
standardisées de fonctionnement et de l’incantation opérée autour de ces modalités.

L’institution peut-elle être considérée comme l’« arrière-plan » de l’organisation qui


serait alors l’« avant-plan » ? Les institutions « agiraient » au service de
l’institutionnalisation de l’organisation. L’institution servirait alors in fine de théorie de
l’environnement organisationnel dans une hiérarchie trouble des figures de la « sur- » et
de la « sous- » socialisation, l’institution tout comme l’organisation pouvant être
réciproquement considérées comme « sur- » ou bien « sous- » socialisantes. L’institution
permettrait d’éviter l’apesanteur d’un interactionnisme sans institution (I. Huault114). La
référence à l’institution répondrait ainsi à l’un des points aveugles des théories des
organisations en offrant une sorte de support à la « contingence non contingente » qui
permet de parler de l’organisation en tant que telle. C’est ainsi que l’institution se trouve
mobilisée au même titre que d’autres cadres conceptuels, qu’il s’agisse de cadres liés à
des champs de savoirs (philosophie, économie, sociologie, etc.) ou des cadres
conceptuels (interaction, acte d’entreprise, décision, etc.) et qu’elle sert donc souvent de
fondement à un interactionnisme qui se trouverait autrement éthéré. Et sans doute est-ce
là qu’il est possible de rappeler la représentation de l’organisation comme « système
ouvert » en tant que version plus « primitive » de l’interaction au regard de la référence
qui est faite aujourd’hui à l’institution.

Existe-t-il (ou pas) de tension entre les deux notions ? Si ce n’est pas le cas, cela
correspondrait à un refus de poser l’existence d’un antagonisme « institutions –
organisations » ce qui déclasse d’autant mieux la tension qui opère entre les lois

114
I. Huault (Ed.), Institutions et gestion, Vuibert, collection « fnege », Paris, 2004
Yvon PESQUEUX
23
(publiques) et les normes (privées). Ignorer l’existence d’une tension est alors
l’expression de la volonté de ne pas penser la frontière « public – privé ».

C’est en particulier le cas pour tout ce qui concerne le changement, en particulier la


perspective tendant à confondre « changement institutionnel » et « changement
organisationnel » en réduisant le changement institutionnel aux deux logiques
d’adjonction et de conversion par référence à la figure d’un « entrepreneur
institutionnel » qui reprend la double dimension du leader des théories du leadership
(l’entrepreneur institutionnel l’est car il l’est à la fois en tant que personne – dimension
personnologiste, et parce qu’il est reconnu comme tel par les autres – dimension sociale).
On est bien alors plus dans une théorie de l’ordre venant donner d’autres formes au
« vieux » fonctionnalisme organisationnel. C’est la référence à des « chocs » (en
particulier « technologiques ») qui constitue d’ailleurs l’argument principal de cette
confusion : au nom d’un choc technique comme ceux qui sont aujourd’hui redevables des
« technologies de l’information et de la communication », il serait impossible de faire
autrement que d’y répondre de façon identique tant dans l’institution que dans
l’organisation. Les mêmes causes produisent les mêmes effets ! Mais, comme le propose
C. Oliver 115 , le changement organisationnel suppose-t-il un processus préalable de
désinstitutionnalisation ? Rappelons qu’il propose de distinguer trois sources de
pressions qui émanent de l’environnement ou de l’organisation : des forces politiques,
fonctionnelles ou sociales qui permettent d’expliquer que certaines pratiques
institutionnalisées soient remises en question soit progressivement (par dissipation), soit
brutalement (par rejection). Alors, le changement institutionnel peut-il être pensé comme
le changement organisationnel et vice versa ? Si c’est le cas, il y a d’autant mieux
confusion entre institution et organisation de même qu’entre marché et institution. Et
pourtant, le changement organisationnel repose sur une référence explicite à l’existence
d’une stratégie (ou au moins d’un discours stratégique) et d’un volontarisme managérial.

Et pourtant, tout en favorisant la stabilité inhérente à leur nature, les institutions peuvent
changer, même si elles le font dans le sens de leur nature (facteur de dépendance). En
effet, par nature, une institution ne peut avoir de stratégie (à défaut de quoi ce n’est plus
une institution). K. Thelen116 souligne le changement des institutions à partir de deux
processus : le changement incrémental mais profond par sédimentation au travers des
dynamiques d’adjonction et de conversion. Dans le même ordre d’idée, R. Boyer117 parle
d’hybridation entre l’introduction d’une institution « importée » et des contraintes
d’origine, cette hybridation déclenchant un processus heuristique par essais et erreurs. R.
Greenwood & R. Suddaby & C. R. Hinings118 proposent un modèle en six étapes : les
secousses (tenant aux fondements sociaux, technologiques et réglementaires de
l’institution), la désinstitutionnalisation (avec l’apparition d’entrepreneurs
institutionnels), la pré-institutionnalisation (proposition et communication de nouvelles
solutions), la théorisation (processus de légitimation), la diffusion (de la justification

115
C. Oliver, op. cit.
116
K. Thelen, How Institutions Evolve ? The Political Economy of Skills in germany, Britain, the United
States, and Japan, Cambridge University Press (USA), 2004
117
R. Boyer, « A quelles conditions les réformes institutionnelles réussisent-elles ? », Contribution au
contrat finalisé, Commissariat Général au Plan, CEPREMAP 2003-2004, http://www.cepremap.ens.fr/-
boyer/
118
R. Greenwood & R. Suddaby & C. R. Hinings, « Theorizing Change: the Role of Professional
Associations in the Transformation of Institutionalized fields », Academy of management Jornal, vol. 24,
n° 3, 2002, pp. 58-80
Yvon PESQUEUX
24
technique et politique des nouvelles données institutionnelles) et la ré-
institutionnalisation. Ce modèle est largement redevable de la trilogie proposée par K.
Lewin 119 (gel, dégel, regel) rapprochant alors ce modèle de celui du changement
organisationnel. Pour sa part, J. L. Campbell 120 s’intéresse aux « mécanismes » du
changement institutionnel en ajoutant à la notion d’isomorphisme institutionnel (P. J. Di
Maggio & w. w. Powell121) et à celle de dépendance au sentier (path dependance – les
choix du présent se font relativement à l’héritage institutionnel qui peut être conçu de
façon aussi bien positive, le passé constituant alors une ressource que de façon négative,
le passé constituant alors une source de résistance) de D. G. North 122 , la notion
anthropologique de « bricolage institutionnel » (recomposition par essais – erreurs » de
l’ancien et du nouveau) et celle de « traduction » qui est une superposition du nouveau et
de l’ancien. Au regard de la typologie de W. R. Scott & J. W. Meyer 123 (les trois
dimensions de l’institution que sont la dimension réglementaire ou coercitive, la
dimension normative et la dimension culturelle), il invite à étudier le changement
institutionnel simultanément sur les trois dimensions. P. Koleva124 propose d’associer à
la notion de path dependancy celle de « path shifting » qui met l’accent sur des
dynamiques évolutionnistes. Mais n’oublions pas, dans le même registre, l’isonymie et
l’isopraxis125.

Pour ce qui est de l’apprentissage institutionnel, la question de la durée vient jouer un


rôle essentiel toujours du fait du même postulat de départ que pour le changement
institutionnel : les institutions sont des lieux de stabilité.

Dans le même ordre d’idée, il faut souligner la différence de substance entre l’agent
institutionnel et l’agent organisationnel. Leurs statuts, leurs rôles, leurs marges de
manœuvre et leurs comportements se distinguent notoirement. L’agent organisationnel
de L’acteur et le système126 n’est vraiment pas le même que l’instituteur ou le médecin.
L’agent organisationnel est plus contraint du fait de la contingence organisationnelle dans
laquelle il se situe du fait de la nécessité de participer de façon plutôt visible à la
réalisation des objectifs. Mais il est aussi plus libre en termes de marge de manœuvre car
la contingence plus forte de la vie organisationnelle est aussi plus contextuelle, l’agent
organisationnel pouvant plus facilement changer d’organisation qu’un agent
institutionnel d’institution dans la mesure où sa mutation dépend plutôt de l’institution
qui « veut » le recevoir. La tension, tout comme la déviance, n’y opèrent pas de la même
manière. C’est en cela que, pour l’institution, les tenant de l’analyse institutionnelle127
parlent de falsification dont les formes (déni, forclusion, détournement, pratique du

119
K. Lewin, Field Theory in Social Science, Harper & Row, New York, 1951
120
J. L. Campbell, Institutional Change and Globalization, Princeton University Press, 2004
121 121
P. J. DiMaggio & W. W. Powell, « The Iron-Cage revisited : Institutional Isomorphism and
Collective Rationality in Organizational Field », American Sociological Review, vol. 48, 1983, pp. 147-
160
122
D. G. North, op. cit.
123
W. R. Scott & J. W. Meyer, « The Organization in Societal Sectors: Propositions and Early Evidence,
in J. P. DiMaggio & W. W. Powell (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis, The
University of Chicago Press, 1991
124
P. Koleva, « Enterprise Restructuring in Transition Economies and its Determinants: the Case of
Bulgaria », East-West Journal of Economics and Business, vol.6, n°1, 2003, pp. 241-262.
125
G. Erlingsdottír & K. Lindberg, « Isomorphism, Isopraxism and Isonymism - Complementary or
Competing Processes? », Working Paper Series 2005/4, Lund University, Institute of Economic Research.
126
M. Crozier & E. Friedberg, L’acteur et le système, Seuil, Paris, 1977
127
R Hess & M. Authier, L’analyse institutionnelle, PUF, collection « l’éducateur », Paris, 1994
Yvon PESQUEUX
25
contre-exemple) sont plus larges que dans la déviance organisationnelle. La dialectique
« centre – périphérie » y est à l’œuvre et la délégation constitue un échangeur de pouvoir
là où elle est un relais dans les structures organisationnelles. L’environnement
institutionnel (la société) n’est pas de même nature que l’environnement organisationnel
(les institutions). Le statut de l’individu y diffère dans le contexte d’une implication
généralisée avec l’institution. C’est sans doute la volonté d’impliquer les agents
institutionnels dans le processus de changement qui conduit à trop rapidement établir la
confusion entre le changement organisationnel et le changement institutionnel. Dans ce
dernier cas, la question de la résistance au changement ne peut se poser dans les mêmes
termes puisque l’agent institutionnel n’a de sens qu’au regard des membres de la société
et que les relations qu’ils tressent ensemble sont de l’institution. La réforme
institutionnelle ne peut comme cela se réduire à du changement organisationnel même si
l’initiative semble être formulée du sommet. L’initiative ne peut être que si la société la
génère et la reçoit à la fois. Ce n’est là aussi la limite de la ressemblance : un ministre
n’est pas un directeur général. La question des frontières de l’institution (qui se pose au
regard de la société) ne se pose pas du tout de la même manière que celle des frontières
de l’organisation (qui se pose, elle, au regard des autres organisations). Il en va de même
de la croissance dans la mesure où l’institution n’a pas à grandir ou à diminuer mais à
« être ». Peut-être serait-il plus opportun de parler de « mouvement » quand il s’agit
d’institution et que c’est alors justement l’institutionnalisation qui tient lieu de
changement institutionnel. Sur le plan idéologique d’ailleurs, au managérialisme du
changement organisationnel dans sa volonté de le codifier, de l’outiller et de dupliquer
ensuite l’usage des outils du changement correspond le réformisme du changement
institutionnel qui n’est clairement pas de même nature. Il y a donc là plus qu’une
différence de degré.

Le marché est-il une institution ? C’est bien le cas au sens canonique de l’institution
quand on pense le marché comme « marché régulateur » (au regard de « lois » du
marché). On se situe alors dans la perspective du business and society. Mais est-ce cas
quand on considère le marché comme forme sociale ? On est bien alors dans le business
in society.

Il s’agit moins d’opposer point par point « institution » et « organisation » que de


marquer ce qui, à la fois les différencie et les met « en tension »

Institution Organisation

CARACTERISTIQUES GENERALES

Sociologie, sciences politiques, Sciences de gestion


Philosophie politique

Universel Général

Participe à la réalisation du Réalisation d’objectifs


« Bien Commun » par la production spécifiques dans le contexte
de « biens publics » de l’efficience par la
production et la vente de « biens privés »

Contrat social Contrat privé

Yvon PESQUEUX
26
Idéologie Culture

Public Privé

Non-marchand Marchand

Société politique Société civile

Raisonnable Rationnel

Obstination, conservation Opportunisme, efficience

Volonté générale Intention

Non contingence (logique de la vocation) Contingences (logique de la


motivation)

Certitude Incertitude, risque

Nature coercitive et force d’obligation Nature coercitive et force d’orientation

Perspective de l’être Perspective de la croissance

Institution comme constitutive d’un Organisation comme


« droit » (objectif politique) constitutive d’une offre (objectif
économique)

Des citoyens, des adhérents (pas de « parties prenantes » des « parties prenantes »
car il n’y a pas le « choix de ne pas « prendre »)

Territorialité « radicale » dans les frontières Territorialité relative traduite en


de l’Etat souverain localisation / délocalisation

Implication « généralisée » et Implication


« totalisante » « professionnelle » et
« partielle »
Lieu privilégié de la « extensivité » de l’organisation et
socialisation lieu de socialisation
contingente

MANIFESTATIONS

L’administration comme manifestation L’entreprise comme


concrète privilégiée manifestation concrète
privilégiée

Statut légal et symbolique Statut juridique


et conventionnel

Dimension fonctionnelle et symbolique Le fonctionnalisme de la dualité


« spécialisation –
coordination »

Bureaucratie d’accaparement des Bureaucratie d’accaparement


ressources au regard du « Bien Commun » des ressources au regard
d’objectifs

« Extensivité » de

Yvon PESQUEUX
27
Naissance « fondatrice » Naissance « créatrice » par
rapport à la figure de
l’entrepreneur

Pas de référence à une stratégie mais à une politique Référence à une stratégie

Business in society Business and society

Affrontement (entre programmes politiques) Confrontation (entre des intérêts)

Focalisation sur la résolution des conflits Focalisation sur la résolution


(conflict-solving) des problèmes (thématique du
problem-solving)

Conflit à résoudre Conflit à éviter

Le conflit comme « substance » de l’institution Le conflit comme « accident » de la


vie organisationnelle (avec un début et
une fin)

Résolution du conflit par le passage du désaccord à l’accord Résolution du conflit par négociation
pour obtenir un compromis

Institutionnalisation / Changement ou disparition


désinstitutionnalisation

Réforme plutôt incrémentale compte tenu Changement à la fois


de conditions politiques, sociales et incrémental et par saut
économiques (par « saut » = révolution) compte tenu de conditions
économiques et techniques

Inertie institutionnelle Résistance au changement

Apprentissage « institutionnel » plutôt Apprentissage organisationnel


incrémental à la fois incrémental et par saut

« un » temps « long » « des » temps « courts » superposés et


successifs

Relation de service public Relation de service privé


(traitement équivalent des usagers) (traitement personnalisé
des clients, des employés,
des fournisseurs, etc.)

Frontières établies par rapport à l’expression Frontières établies par


de la volonté générale rapport aux autres
organisations

Marge de manœuvre établie au regard Marge de manœuvre établie


de la dialectique « centre – au regard des éléments de
périphérie » dans l’exercice contingence
du pouvoir organisationnelle

Limitation de l’autonomie par inspection Limitation de l’autonomie par contrôle


(principe de souveraineté et omniscience de de gestion, c’est-à-dire contrôle
l’inspecteur) interne et/ou contrôle externe (principe
d’indépendance au nom de l’expertise
de l’expert)

Yvon PESQUEUX
28
Délégation comme échange d’éléments de pouvoir Délégation comme relais
de nature hétérogène de la hiérarchie avec
« responsabilisation »
de l’agent à qui on délègue (avec
la compliance et l’explanation de
l’accountability)

Raisonnement en « qualification » dans une logique Raisonnement en « compétences » dans


de protection de mise en fragilité

Rémunération « codifiée » Rémunération négociée

Conclusion sur les rapports « organisation – institution »

Appliquée aux organisations, l’institutionnalisation peut être définie comme128 opérant


sur le plan des mentalités (comme par exemple avec les représentations du rôle de
l’entreprise et de ses liens avec la société), celui des discours (comme par exemple avec
la manière de parler de la responsabilité sociale de l’entreprise), celui des pratiques
(comme par exemple celles qui sont spécifiques à la responsabilité sociale de l’entreprise)
et des institutions (celles qui participent à la formation des managers, celles qui font
émerger et celles qui légitiment comme, par exemple, pour les normes de la responsabilité
sociale de l’entreprise) et celui des savoirs (comme, par exemple, sur la compréhension
de la responsabilité sociale de l’entreprise).

Les sciences de gestion tendent à stabiliser une notion « incertaine » en renvoyant à une
utopie organisationnelle construite sur le mythe du « vivre dedans » en lieu et place du
« vivre dans et avec ».

Focus sur isonymie, isopraxis et la prise en compte du rôle des agents et


de l’hétérogénéité des pratiques

G. Erlingsdottir, K. Lindberg 129 , K. Sahlin, chercheurs scandinaves, s’inspirent des


travaux issus de la tradition néo-institutionnaliste américaine mais aussi des travaux
publiés à la même époque dans des revues telles que l’Academy of Management Review,
notamment de ceux de J. G. March, P. L. Berger & T. Luckmann130 mais également de
B. Latour, M. Callon et Knorr-Cetina sur la science et les technologies131. Cette « école
scandinave » s’intéresse à la dynamique des formes organisationnelles et à la circulation
des idées. Elle souligne qu’en circulant, les idées ne restent pas inchangées mais sont
traduites, transformées et que, de ce fait, elles n’aboutissent pas seulement à
l’homogénéisation d’un champ organisationnel mais également à rendre celui-ci

128
A. Hatchuel, « Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’action collective », in
A. David & A. Hatchuel & R. Laufer (Eds.), Les nouvelles fondations des sciences de gestion – Eléments
d’épistémologie de la recherche en management, Vuibert, collection « fnege », Paris, 2000
129
G. Erlingsdottir & K. Lindberg, op. cit.
130
P. L. Berger & T. Luckmann, The Social Construction of Reality: A Treatise, London, Penguin, 1967
(La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 1986)
131
K. Sahlin & L. Wedlin, « Circulating Ideas : Imitation, Translation and Editing » in R. Greenwood &
C. Oliver & K. Sahlin & R. Suddaby (Eds.), Sage Handbook of 0rganizational Institutionalism, 2008
Yvon PESQUEUX
29
hétérogène.

G. Erlingsdottir & K. Lindberg analysent le processus d’institutionnalisation de trois


concepts managériaux (l’assurance qualité, l’accréditation et la chaine de soins) au sein
du secteur suédois de la santé entre 1994 et 1999. Ils montrent que les processus
d’institutionnalisation de ces trois concepts ne poursuivent pas les mêmes logiques de
traduction. Pour l’assurance qualité, le résultat du processus d’institutionnalisation auprès
des hôpitaux suédois est l’isonymie (c’est à dire que les hôpitaux utilisent le même
concept d’assurance qualité), le polymorphisme (l’assurance qualité prend différentes
formes en fonction des établissements hospitaliers, les procédures ne sont pas
homogènes) et le polypraxisme (les pratiques liées à l’assurance qualité sont hétérogènes
en fonction des établissements hospitaliers). Dans le cas de l’accréditation des
laboratoires médicaux, le résultat du processus d’institutionnalisation est l’isonymie,
l’isomorphisme et l’isopraxis et dans le cas de la chaîne de soins, le résultat est le
polynymisme, l’isomorphisme et l’isopraxis.

L’isonymie signifie des noms identiques, l’isomorphisme (des formes similaires) et


l’isopraxis (des pratiques identiques). Ces concepts ne sont pas forcément liés.
L’isonymie n’implique pas forcément l’isomorphisme et l’isopraxis et inversement.

Dans cette perspective, l’institutionnalisation devient un processus actif dans lequel les
organisations ont un rôle important. Le résultat du processus d’institutionnalisation d’un
modèle ne se traduit pas forcément en isonymie, isomorphisme et isopraxis. Par
conséquent l’institutionnalisation n’aboutit pas nécessairement à l’homogénéisation d’un
champ, elle peut au contraire induire diversité et hétérogénéité aux différents niveaux
d’un champ organisationnel c’est-à-dire noms, formes organisationnelles et pratiques.

Focus sur la conception institutionnaliste de J. R. Commons

La conception institutionnaliste de J. R. Commons articule institution et organisation au


nom de leur proximité :
- Les notions d’institution et d’organisation sont indissociables comme les deux faces
d’une même pièce où la structure organisationnelle porte l’exigence d’efficacité et
l’institution celle de légitimité).
- L’institution surplombe l’organisation au regard du concept de going concern (action
collective liée à la participation collective de tous les agents à l’œuvre dans une
institution donnée et à l’articulation des différentes entités institutionnelles par
référence à un but commun) dans la mesure où l’institution, pour « être » doit
fonctionner et dans la mesure où l’action collective prime sur l’action individuelle au
regard de la hiérarchie « ordre public - ordre privé », l’Etat étant l’institution ultime
venant garantit les droits et les devoirs des agents et des autres institutions.
Le concept de going concern envisage l’institution comme étant sous-tendue par un
processus d’institutionnalisation au regard de trois aspects : deux premiers aspects
constitutifs des organisations (pour exister, l’organisation doit d’abord être instituée c'est-
à-dire avoir une existence juridique et posséder des règles de fonctionnement), le
troisième aspect en est la permanence dans le temps).

Yvon PESQUEUX
30
Focus sur J. W. Meyer & B. Rowan, dans leur article de 1977,
« Institutionalized Organizations: Formal Structure as Myth and
Ceremony »132

Pour eux, tous produits, services, techniques, politiques et programmes fonctionnent


comme de puissants mythes adoptés par de nombreuses organisations du fait de leur
environnement institutionnel plutôt que par les besoins de leurs activités propres.

De ce point de départ, leur réflexion se déploie en quatre étapes.


- Dans la première partie, ils décrivent les théories des origines des structures formelles
et du principal problème que ces théories rencontrent.
Dans la deuxième partie, ils discutent d’une source alternative de structures formelles :
les mythes intégrés dans un cadre institutionnel.
- Dans la troisième partie, ils argumentent que les organisations influencées par les
environnements institutionnalisés présentent un écart entre leurs structures formelles et
leurs activités courantes.
- Dans la dernière partie, ils abordent les pistes de recherche qu’ouvre leur article.
L’isomorphisme d’une organisation est d’autant plus grand que son succès dépend de sa
conformité.

La principale conséquence du texte de J. W. Meyer & B. Rowan est le renouveau de


l’institutionnalisme qui conduira à la création d’un nouveau courant qui qualifié de néo-
institutionnalisme et qui souligne, entre autres, la mise en évidence de structures
formelles isomorphes dans les organisations et l’explication par le mythe de la mise en
place de ces structures formelles. En adoptant une structure formelle qui respecte les
prescriptions des mythes de l'environnement institutionnel, une organisation démontre
qu’elle agit sur des objectifs collectivement évalués de manière appropriée et, de ce fait,
a accès à plus de ressources et augmente ainsi ses chances de survie.

Focus sur la notion de « travail institutionnel »

La notion de « travail institutionnel » été introduite pour caractériser « les activités


délibérées menées par des individus ou des organisations visant à créer, maintenir ou
transformer les institutions » (T. B. Lawrence & R. Suddaby 133 ). A la différence du
caractère individualiste de l’entrepreneur institutionnel, ils mettent en avant le caractère
émergent des processus institutionnels. Ils à établir comment l’évolution des institutions
est le résultat d’interactions complexes entre des agents ayant des intérêts à la fois
contradictoires et complémentaires, ce qui vaut également pour les logiques
institutionnelles.

Cette perspective est née du courant de la sociologie de la pratique et des travaux des
auteurs du néo-institutionnalisme en mettant en avant le rôle de l’agence comme facteur

132
J. W. Meyer & B. Rowan, « Institutionalized Organizations: Formal Structure as Myth and Ceremony »,
American Journal of Sociology, vol. 83, n° 2, 1977, pp. 340‑363
133
T. B. Lawrence & R. Suddaby, « Institutions and Institutional Work » in S. Clegg & C. Hardy & T. B.
Lawrence & W. R. North, The Sage Handbook of Organization Studies, Sage Publications, Londres, pp.
215-254.
Yvon PESQUEUX
31
explicatif des comportements organisationnels. Elle met en exergue les compétences
pratiques des agents et leur créativité pour imposer leur façon de faire dans le champ
institutionnel.

Trois grandes catégories de travaux institutionnels sont mises en avant : la création, le


maintien, et la transformation de logiques institutionnelles (T. B. Lawrence & R.
Suddaby). Le travail de création s’appuie sur les activités de définition, d’acquisition, de
construction d’identité, de changement des associations professionnelles, de changement
de réseaux normatifs, d’imitation, de théorisation, d’éducation (advocacy, defining,
vesting, constructing identities, changing normative associations, changing normative
networks, mimicry, theorizing, educating) et donc de lobbying. Le travail de maintien
s’appuie sur les activités de facilitation, des jeux politiques, d’alerte, de valorisation et de
diabolisation, de construction des mythes, d’encastrement et de routinisation (enabling
work, policing, deterring, valourizing and demonizing, mythologizing, embedding and
routinizing). La transformation se produit par absence de sanctions, effacement des
fondations morales et du mépris des présomptions et croyances (disconnecting sanctions,
disassociating moral foundations, undermining assumptions and belief).

Les principales formes de travail institutionnel


Formes Actions
Plaider en faveur du projet
Définir
Motiver
Construire des identités
Changer les associations normatives
Créer des
Construire des réseaux d’acteurs sanctionnant le non-respect
institutions
de l’institution
Coupler les nouvelles pratiques avec d’anciennes
Elaborer et théoriser les relations de cause à effet
Fournir aux acteurs les connaissances et les compétences
nécessaires pour s’approprier l’institution
Créer des règles pour soutenir les institutions
Maintenir l’ordre par le contrôle
Dissuader
Maintenir des
Valoriser et diaboliser
institutions
Création de mythes autour de l’origine et de l’histoire de
l’institution
Encastrer et rendre routinier
Déconnecter sanctions et pratiques
Déstabiliser des
Dissocier les pratiques de leurs fondements moraux
institutions
Remettre en cause les présupposés et les croyances
T. B. Lawrence & R. Suddaby, « Institutions and institutional work », in S. R. Clegg & C. Hardy, & T. B.
Lawrence (Eds.), Handbook of Organization Studies (2nd edition, pp. 215) Sage, Londres, 2006

Yvon PESQUEUX
32
Focus sur la théorie communicative de l’institution (communicative
institutionalism)134

Cette théorie part du constat de l’importance accordée à la dimension cognitive dans les
approches néo-institutionnalistes, importance conduisant à considérer l’institution
comme l’agrégation d’individus. La communication repose sur un ensemble de discours,
de gestes, de textes, etc. considérés au-delà de l’expression ou de la représentation des
réflexions propres aux individus ou d’une intention collective. Cette théorie effectue un
tressage entre le corpus des théories de la cognition sociale, celles de la linguistique et
des effets des médias dans la communication au regard de concepts tels que l’analyse des
discours et des audiences, des genres de communication, etc. dans le but d’en mettre en
évidence leur importance dans la genèse des institutions. La communication est
considérée comme constitutive de la conduite au regard d’une capacité cognitive à traiter
de l’information compte tenu du lien social. On retrouve ici les attendus des approches
de la performativité du langage et des institutions (l’institutionnalisme rhétorique –
rethorical institutionalism) qui repose sur l’hypothèse que la reconnaissance collective
fondant l’institution ne préexiste pas mais qu’elle est produite de façon continue. Cette
théorie considère le langage comme possédant une dimension performative où certains
agents peuvent être qualifiés de speakers et d’autres de listeners, la rencontre des deux
constituant une activité conjointe. Des aspects tels que l’ambiguïté, l’indétermination,
l’hétérogénéité entrent en ligne de compte dans les interactions. Il y est donc question
d’interactivité, le changement institutionnel résultant à la fois de micro- et de macro-
interactions (un modèle multi-niveaux- cf. les niveaux dont il était question plus haut).
Au regard des genres et des modes de communication, cette théorie met en avant les
notions de framing (modalités de connexion entre les différents niveaux – micro, méso et
macro), de rhétorique & discours et logiques (comme éléments constitutifs des tensions
« institutionnalisation – désinstitutionnalisation - réinstitutionnalisation » et quant à la
manière dont les logiques des arguments se modifient) et de catégorisation qui se
caractérise par l’existence de classes de langage et de savoirs, une catégorie débouchant
sur une compression, c’est-à-dire la réduction d’une catégorie à des traits archétypiques.
C’est la constitution d’une catégorie est enjeu d’institutionnalisation.

Focus sur le changement institutionnel incrémental et le modèle des


« logiques institutionnelles »
Le terme de « logique institutionnelle » a été introduit en 1985 par R. R. Alford & R.
Friedland135 pour décrire les pratiques et croyances contradictoires qui existent dans les
institutions du faut des interrelations entre les niveaux individuels, organisationnels et
social en mettant l’accent sur les ressources symboliques et les contradictions entre
institutions.

Deux courants se distinguent dans les études sur les logiques institutionnelles : une
approche qui considère le changement institutionnel comme une période de transition
134
J. P. Cornelissen Vu & R. Durand & P. C. Fiss & J. C. Lammers & E. Vaara, « Introduction to Special
Topic Forum Putting Communication Front and Center Institutional Theory and Analysis », Academy of
Management Review, vol. 40, n° 1, 2015, pp. 10–27. http://dx.doi.org/10.5465/amr.2014.0381
135
R. R. Alford & R. Friedland, Powers of Theory : Capitalism, the State, and Democracy, Cambridge
University Press, 1985
Yvon PESQUEUX
33
entre des périodes de stabilité relative à une logique dominante et une approche qui
considère que l’environnement institutionnel est fragmenté et contesté. Des logiques
différentes coexistent, sources de contradictions, de conflits et d’hétérogénéité dans les
pratiques et dans les croyances. Le changement institutionnel est alors considéré comme
étant continu.

Focus sur le changement institutionnel et les approches en survie


institutionnelle (dépendance de sentier) et apprentissage

La survie institutionnelle est associée à des éléments de transformation institutionnelle


qui maintiennent l’institution en compatibilité avec un contexte évolutif au regard de
tensions quant au changement institutionnel : (spontané versus induit, top-down imposé
par le sommet versus bottom-up impulsé par le bas, informel versus formel).

P. Hall136 distingue trois formes de changement, correspondant aux trois composantes


des politiques publiques : les objectifs, les instruments et le niveau d’utilisation des
instruments. A partir de cette distinction, il constate que les logiques d’apprentissage
permettent d’expliquer les ajustements instrumentaux effectués par les experts et
fonctionnaires en fonction des leçons qu’ils tirent du passé.

Focus sur l’hypocrisie organisationnelle

Les contradictions sont quotidiennes dans les organisations 137 : par exemple, une
organisation peut mettre en place une politique de concertation concernant les décisions
organisationnelles importantes auprès des employés, mais cela ne signifie pas que les
décisions vont être influencées par cette consultation. Ou encore, les budgets sont
préparés puis votés, mais pas suivis, etc. L’hypocrisie peut être définie comme étant un
mensonge conscient.
L’hypocrisie organisationnelle consiste à consciemment embellir des situations. La
notion a été avancée par N. Brunsson dans un livre publié en 1989, dont une seconde
édition, révisée, a été republiée en 2003. Structurellement, les organisations sont poussées
à rechercher une cohérence entre leurs actes et les discours. L’hypocrisie est donc
volontaire, elle permet de masquer les tares organisationnelles, la procrastination pouvant
être un accélérateur des causes structurelles. A ce titre, il est possible de rapprocher cette
thèse de celle du « modèle de la poubelle »138.

L’hypocrisie organisationnelle naît des contradictions inhérentes à la vie


organisationnelle avec :
- Les contradictions interindividuelles : dans les organisations, il est admis que le
compromis, quitte à céder sur quelques points, est la solution la plus satisfaisante
pour la stabilité des relations. Or, pour N. Brunnson, trouver un compromis n’est

136
P. Hall, « Policy Paradigm, Social Learning and the State, the Case of Economic Policy in Britain »,
Comparative Politics, 1993, pp. 275-296.
137
N. Brunsson, The organization of Hypocrisy : Talk, Decisions and Actions in Organizations,
Copenhagen Business School Press, 2003.
138
M. D. Cohen & J. G. March & J. P. Olsen, « A Garbage Can Model of Organizational Choice »,
Administrative Science Quarterly, vol. 17, n° 1, March 1972
Yvon PESQUEUX
34
pas une solution puisqu’il ne satisfait personne. Il propose alors une hypothèse
alternative qui est l’hypocrisie. L’hypocrisie comble les demandes d’une première
coalition par les discours, les souhaits d’une seconde coalition par les décisions,
et enfin les désirs d’une troisième par l’action. Ainsi dans une certaine mesure,
l’hypocrisie contente trois demandes contradictoires de trois coalitions
différentes ;
- Les contradictions entre les idées et les actions : les idées ne coûtent pas cher,
d’autant que le temps fait souvent défaut pour les mettre en œuvre et que les
décisions sont une forme d’exercice du pouvoir et donc formulées comme telles.
L’hypocrisie organisationnelle se sert par conséquent des idées et des discours,
utilisés pour stabiliser les contradictions entre l’image projetée par l’organisation
et les actions mises en œuvre. Si les buts des décisions diffèrent de ceux des
actions, il en résulte une certaine friction. Soit la direction privilégie la rationalité
décisionnelle, soit la rationalité de l’action. Pour N. Brunnson, par différence avec
la théorie normative de la décision, la volonté d’être rationnel tend à freiner voire
à empêcher l’action. La décision n’est pas une fin en soi, ce qui compte c’est sa
traduction en action.

Selon lui, deux sphères coexistent au sein de toute organisation : celle de l’organisation
de l’action qui possède une fonction pragmatique en coordonnant les actions informelles
et celle de la substance politique de l’organisation qui crée de la légitimité vis-à-vis de
l’environnement extérieur. Le maintien du couplage entre les deux sphères est possible
via l’hypocrisie organisationnelle qui permet à chacune de conserver sa place sans gêner
l’autre. La légitimité de l’organisation est préservée à la fois en son sein et aux yeux de
son environnement. Cette hypocrisie crée de l’ambiguïté qui permet de contenter les
intérêts des différents groupes présents « dans » et « hors » de l’organisation quant à
d’interprétation des décisions en leur faveur.

L’hypocrisie organisationnelle est souvent dénoncée et rattachée à l’immoralité ou au


mensonge. Or, N. Brunnson souligne les bienfaits de l’hypocrisie car elle concerne les
contradictions entre les discours, les décisions et les actions en étant en même temps un
mode de gestion de ces mêmes contradictions. Elle permet, du côté de la sphère de
l’action, de générer une idéologie mobilisatrice et, du côté de la sphère politique, de
satisfaire les exigences d’ordre moral et éthique. Par cette double hypocrisie, interne et
externe, la direction peut laisser les pratiques efficaces se développer au sein de
l’organisation d’action en les cachant à l’environnement. En revanche, pour que ce
management perdure, l’hypocrisie ne doit pas être démasquée sous peine de faire
imploser le système de découplage et d’être rejetée par l’environnement, comme on l’a
vu avec le Diesel Gate.

Avec le temps et avec l'évolution des attentes sociales et environnementales, l'hypocrisie


organisationnelle est devenue visible et critiquée. Christensen et al. ont souligné
l'importance de comprendre comment l'hypocrisie organisationnelle peut influencer la
confiance des parties prenantes, en particulier dans le contexte de la durabilité. Selon eux,
lorsque les organisations prétendent publiquement adopter des pratiques durables mais
échouent à mettre en œuvre ces pratiques de manière cohérente, cela peut sérieusement
éroder la confiance des consommateurs, des investisseurs et d'autres parties prenantes.
Cette érosion de la confiance peut avoir des conséquences à long terme sur la réputation
et la viabilité financière d'une organisation.

Yvon PESQUEUX
35
L'hypocrisie organisationnelle n'est pas seulement un écart entre la parole et l'action, c'est
aussi le reflet de tensions auxquelles sont confrontées les organisations. Il est donc
essentiel de reconnaître et d'aborder cette hypocrisie, car elle peut avoir des conséquences
profondes sur la légitimité et le succès à long terme.

N. Brunsson, N. (1993), « The necessary hypocrisy », International Executive, Vol. 35,


n° 1, 1993, pp. 1-9.
N. Brunsson, « Ideas and actions: Justification and hypocrisy as alternatives to control »,
in S. B. Bacharach & P. Gagliardi & B. Mundell. (Eds.), Studies of Organizations in the
European Tradition, Greenwich University Press, 1995.
N. Brunsson, The organization of hypocrisy, Copenhagen Business School Press, 2002.
N. Brunsson, Mechanisms of hope: Maintaining the dream of rational organization,
Copenhagen Business School Press, 2006.
N. Brunsson, The consequences of decision-making, New York, Oxford University Press,
2007.
N. Brunsson & J.-P. Olsen, Organizing organizations, Oslo, Fagbokforlaget, 1998.
L. T. Christensen & M. Mette & O. Thyssen, « The polyphony of Corporate Social
Responsibility: deconstructing transparency and accountability and opening for identity
and hypocrisy », in G. Cheney & S. May & D. Munshi. (Eds.), Handbook of
Communication Ethics, Taylor & Francis, 2010, pp. 457-474.

Yvon PESQUEUX
36

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