1044-Article Text-3712-6-10-20220807
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ISSN: 2665-7473
Volume 5 : Juillet 2022
JOUALY Dounia
Enseignant chercheur
Faculté de Management
Université Mundiapolis de Casablanca
Maroc
[email protected]
Résumé
Le concept de la responsabilité sociétale de l’entreprise fait l’objet depuis son émergence
jusqu’à nos jours, d’une ascension remarquable et d’un intérêt généralisé autant de la part de la
société civile, des gouvernements, des organisations internationales, des agences de notation et
des entreprises qui souhaitent voir se promouvoir des stratégies et des pratiques intégrant
explicitement des critères sociaux et environnementaux.
En effet, la responsabilité sociétale de l’entreprise est un phénomène qui ne fait pas l’unanimité
mais qui use bien évidemment d’une place grandissante dans le monde des affaires.
Notre recherche a pour objectif de souligner l’importance et la pluralité des définitions
attribuées à la notion de RSE mais également de nous éclairer sur les différentes conceptions
de la RSE en passant de l’approche éthique, à l’approche utilitariste puis à l’approche basée sur
la soutenabilité.
Abstract
Since its emergence, the concept of corporate social responsibility has been the subject of a
remarkable rise and widespread interest on the part of civil society, governments, international
organizations, rating agencies and companies who wish to see strategies and practices that
explicitly integrate social and environmental criteria promoted.
Indeed, corporate social responsibility is a phenomenon that is not unanimously accepted, but
which is clearly gaining ground in the business world.
The objective of our research is to highlight the importance and plurality of definitions
attributed to the notion of CSR, but also to shed light on the different conceptions of CSR by
moving from the ethical approach, to the utilitarian approach and then to the approach based on
sustainability.
Introduction
Qualifié de nouveau paradigme ou d’une mode managériale, l’histoire affirme plutôt que la
naissance du concept de RSE remonte même jusqu’au code d’Hammourabi qui soulevait déjà
une grande préoccupation quant au rôle et aux responsabilités des différents acteurs
économiques (Pasquero, 2007). Cependant, l’approche contemporaine de la RSE présente
incontestablement des origines américaines dont la trajectoire couvre plus d’une centaine
d’années (Pasquero, 2013).
Née sous la forme de pratiques d’entreprises dès le 19ème siècle, l’idée de RSE revêtira la forme
d’une doctrine au cours du 20ème siècle et finira ensuite par être théorisée comme concept à
partir des années 1950. Elle illustre la continuité d’une réflexion philosophique et managériale
sur la mission de l’entreprise) au sein de la société qui s’est progressivement cristallisée dans
les débats académiques (Gond, 2006).
En outre, l’apparition de la notion de RSE au sein des milieux académiques est attribuée
généralement à Bowen (1953). Son ouvrage célèbre « Social Responsibilities of the
Businessman » constitue l’un des premiers efforts systématiques d’analyse des discours et des
comportements liés à la responsabilité sociale (Gond et Igalens, 2008).
Certes, le concept de RSE fait l’objet d’intenses débats fortement entachés de résonances
idéologiques depuis de nombreuses années (Bowen, 1953 ; Friedman, 1962 ; Sethi, 1975 ;
Carroll, 1979 ; Epstein, 1987 ; Freeman, 1984 ; Wood, 1991). Pour certains, « la responsabilité
sociale des entreprises est de faire des profits » (Friedman, 1962,1970)1, pour d’autres, elle
porte sur l’idée de responsabilité légale, pour d’autres encore elle signifie un comportement
éthique (Zenisek, 1979).
Finalement, si les définitions proposées diffèrent selon l’étendue du champ d’exercice de la
responsabilité sociale retenue, il existe au moins un trait commun à ces modèles : l’entreprise
choisit de son propre fait d’œuvrer dans le cadre éthique, social en vigueur alors qu’elle est
contrainte d’être performante sur le plan économique et d’exercer ses activités dans le cadre
légal et réglementaire. Ainsi, pour Jones (1980), « la responsabilité sociale de l’entreprise est
la notion selon laquelle les entreprises ont une obligation envers des acteurs sociaux autres
que les actionnaires et au-delà de prescriptions légales ou contractuelles ».
1
« The social responsibility of business is to make a profit »
Une fois les contours de la responsabilité sociale délimités, les travaux de recherche se sont
attachés à caractériser la capacité de l’entreprise à maîtriser son engagement social et à en
obtenir des résultats satisfaisants. C’est dans ce cadre-là que la notion de RSE s’impose dans la
littérature comme un champ d’investigation à part entière et qu’elle acquiert une certaine
légitimité.
Ces différents constats nous poussent à nous interroger sur les origines de cette notion et à
retracer son évolution dans le temps.
Ce faisant, ce papier a pour objet de tracer les principales étapes ayant caractérisé la naissance
et l’essor du concept de la RSE et de répondre aux principales questions suivantes : Comment
la notion de développement durable a –t- elle émergé ? Comment le concept a-t-il été défini et
progressivement théorisé ? Qu’en est-t-il de son évolution historique ?
Pour répondre à ces questions, nous allons présenter dans un premier lieu, les principales
considérations à l’origine de la RSE pour ensuite décrire les différentes étapes ayant caractérisé
la naissance et l’essor de cette notion.
A partir de la fin du 19ème siècle, les controverses générées par les abus du libéralisme
économique ont suscité un large débat sur la légitimité du capitalisme américain et ont posé
donc les jalons d’un long débat relatif à la conciliation entre intérêt public et intérêt privé
(Pasquero, 2007).
Au cours des années 1860-1870, les critiques adressées à l’encontre du comportement de la
grande entreprise, matérialisées aussi bien par l’essor d’immenses « trusts » que par la
divulgation de leur débordement sur le plan économique et social, donnèrent lieu à un ensemble
de réformes sociales et caractérisent l’avènement des premiers codes de conduite.
La question sociale se fait donc de plus en plus sentir avec l’arrivée des hommes d’affaires
responsables et des grands industriels philanthropes (Naigeon de Boer, 2008).
Tel est le cas du patron de la Standard Oil, John D. Rockefeller, qui réalise l’importance des
bonnes « relations publiques » et d’Andrew Carnegie qui publia en 1889 un article sur les
« devoirs de l’homme de bien » et fonda ainsi les préceptes du mouvement de « l’évangile
sociale » (Gond et al, 2012).
De son côté, Henry Ford, considéré comme l’un des pionniers de la RSE et comme un
entrepreneur visionnaire, prônait l’idée selon laquelle l’industrie doit d’abord servir les intérêts
de la société que ceux de ses actionnaires (Pasquero, 2007). Il annonça de ce fait en 1920 que
« l’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionner
une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison
d’être ».
Dans l’essor de la seconde révolution industrielle, la vision des gestionnaires quant à la prise
en charge de la main d’œuvre prend forme dans une sorte de « paternalisme industriel » et qui
s’inscrit dans une tradition de philanthropie coopérative. La RSE représente donc une
symbolisation de la thèse de Max Weber (1964) sur les affinités électives entre éthique
protestante et esprit du capitalisme. Les pays anglo-saxons constituèrent donc un terrain propice
à la prolifération de la RSE. L’Europe du 19ème siècle s’est largement inspirée de l’expérience
américaine et a connu l’émergence d’un courant religieux défendant la doctrine selon laquelle
les classes dirigeantes ont une responsabilité envers les classes dirigées (Naigeon de Boer,
2008).
En 1884, l’abrogation de la loi « Le Chapelier » en France et l’autorisation des syndicats
ouvriers annonce le recul du paternalisme religieux. Dès lors, l’Etat providence vient remplacer
l’Etat gendarme dans le but d’apporter une réponse publique aux conséquences sociales de
l’industrialisation. Ballet et de Bry (2001) cite donc le passage de « l’entreprise-providence à
l’Etat-providence ». Plus tard, le grand krach boursier de 1929 et l’avènement de la Grande
dépression contribuèrent à une perte de prestige social des dirigeants des entreprises et donc par
une mise en berne des discours relatifs à la responsabilité sociale (Gond et al, 2012).
La fin du 19ème siècle est également marquée par l’apparition d’un courant dit populaire qui
s’est élaboré à la suite de la dénonciation des méfaits attribués aux grandes entreprises et qui a
été à l’origine de l’émergence d’un mouvement d’activisme social et des différents mouvements
syndicaux et de réforme de l’entreprise (défense des consommateurs, défense des travailleurs,
défense des petits actionnaires, des droits civique, de l’environnement...etc).
Durant cette époque, un ensemble de menaces de types interventionnistes ont été adoptées afin
de stabiliser l’environnement socio-économique. De plus la création de plusieurs organismes
Les débats sur le rôle de la grande entreprise ont pour origine également l’éthique de la société
américaine et du monde des affaires (Pasquero, 2005). De son côté, Max Weber s’est attaché à
montrer qu’au niveau de la déontologie du travail des individus, il est recommandé de
considérer comme norme sociale insurmontable, le travail loyal et soutenu. Epstein (2002)
avance que cette éthique a deux fondements, à savoir : la dimension religieuse et l’idéalisme.
La société américaine considère qu’une entreprise est loyale et honnête tant qu’elle reste fidèle
à ses engagements sociaux envers les acteurs de la société auxquels elle doit sa réussite
(Pasquero, 2005). L’entreprise qui réussit donc doit faire preuve de loyauté et mettre en
évidence sa qualité philanthropique envers le milieu qui l’a nourrie.
Un exemple concret de comportement philanthropique issu de la morale protestante dominante
est celui d’un grand industriel, Henry Ford, perçu comme l’un des pionniers du développement
des pratiques socialement responsables au sein du capitalisme américain.
Défendant les causes sociales, de puissants groupes de pressions se sont constitués et ont abouti
à la mise en place d’un certain nombre de réglementations publiques ayant permis de remodeler
le comportement des entreprises dans le but de défendre les intérêts des différentes parties
prenantes.
La société américaine a constitué un terrain propice et a connu les conditions favorables pour
le développement des questionnements en matière de RSE (Dubrion, 2010). D’ailleurs, quatre
facteurs d’ordre socioculturel ont été à l’origine de cet engagement américain quant aux
questions sociétales (Pasquero, 1997 ; 2004). Le premier facteur renvoie à l’individualisme.
En effet, la RSE a pour objectif de concilier entre les intérêts des actionnaires et ceux de la
société civile d’une manière générale. Le deuxième facteur reprend le précepte du pluralisme
démocratique selon lequel la RSE, concept porteur de changement social, est nourri par
d’importants groupes de pressions2.
2
Il s’agit des médias, des associations d’affaires, de l’Etat et du personnel politique.
Le troisième facteur concerne le moralisme. La société américaines ancrée par des traditions
moralistes, constitue un champ favorable au développement de la RSE et y voit une incarnation
pratique de ses principes religieux sur le plan socio-économique.
Le quatrième facteur consacre l’utilitarisme voire le pragmatisme de la RSE. Cette pratique
pour les affaires présente un double avantage. D’un côté, elle sert à freiner des enjeux de grande
ampleur. D’un autre, elle aspire à des transformations sur différents volets. Aux Etats-Unis, la
preuve à l’appui l’emporte toujours sur le discours. En se préoccupant de la préservation de la
société, les entreprises et les managers américains montrent que leurs pratiques vont de pair
avec les valeurs qu’ils proclament et qu’ils méritent ainsi le respect de leurs parties prenantes
(Pasquero, 2013).
A travers son célèbre ouvrage intitulé « Social Responsibilities of the Businessman », Howard
Bowen, économiste et adepte du courant keynésien, instaure les premières bases de la RSE
(Gond et Igalens, 2008). D’ailleurs, nombreux sont ceux qui dénommèrent Bowen comme « le
père fondateur de la RSE moderne » (Baba, Moustaquim et Bégin, 2016).
L’ouvrage de Bowen est né suite à une large série de discours, où « les discussions portant sur
les responsabilités sociales de l’entreprise sont non seulement devenues acceptables dans les
dans les cercles dirigeants, mais même à la mode » (Bowen, 1953). Ce livre constitue à la fois
une enquête, une réflexion critique et un ensemble de propositions sur un phénomène en vogue
(Acquier, Gond et Pasquero, 2011). C’est également un œuvre de paradoxes étant donné que son
titre insiste clairement sur les responsabilités sociales des individus (et non celles des entreprises),
mais ces responsabilités sont placées dans un cadre institutionnel et démocratique fortement
normé (Pasquero, 2013). La RSE constitue donc un objet d’étude. Carroll (1999) considère ainsi
que l’œuvre de Bowen transpose la RSE du monde des affaires en champ académique (Colombo,
2013).
Bowen avait pour finalité d’examiner ces avancées sur les principales responsabilités sociales
de l’entreprise tenues par une grande partie d’actionnaires américains, très euphoriques après
la guerre, et par conséquent, de les compléter par les grands apports des courants de critique
sociale. De plus, son analyse se situe à un niveau macroéconomique et évalue la capacité de la
RSE à élever le niveau de bien-être dans la société (Gond et Igalens, 2012).
Entre l’entreprise et la société, Bowen rejoint la société et se préoccupe principalement de la
maximisation du bien être social plutôt que de la profitabilité de l’entreprise (Marens, 2006).
A travers son ouvrage, Bowen met en éclairage des idées résumant les polémiques développées
par des économisyes institutionnalistes de la période de l’entre-deux guerres notamment celles
Wesley Mitchell ou John R. Commons. Bowen insiste aussi sur la séparation, au sein des
entreprises américaines, entre la propriété et le contrôle (Berle et Means, 1932).
Le mode de gouvernance aurait renforcé la socialisation des « managers professionnelsé et par la
suite leur sensibilité à la société qui les entoure (Gond et Igalens, 2012). Le recueil de Bowen se
distingue par la proposition d’une première définition de la responsabilité sociale qui se présente
comme « les obligations des hommes d’affaires de suivre les politiques, de prendre les décisions,
ou de suivre les orientations qui sont désirables en termes d’objectifs et de valeurs par notre
société ».
Bien que l’ouvrage de Bowen ait constitué une véritable avancée en matière de recherches portant
sur la responsabilité sociale, il fût certes l’objet d’une série de critiques.
En 1999, Carroll avançait que les principes incarnés dans cet œuvre présentaient beaucoup de
similarités avec de nombreux écrits de la pensée managériale répandue lors des années 1930 et
1940. Dans ce sens, Acquier et al (2005), ont affirmé que cet ouvrage illustrait de nombreuses
croyances jugées révolutionnaires durant cette période dans l’environnement outre-atlantique. De
plus, en 1978, l’auteur lui-même a émis des critiques portant sur le caractère idéaliste et normatif
de son propre ouvrage.
En effet, la notion de RSE a connu une diffusion progressive en passant par de nombreuses phases
où chacune retrace une approche particulière de ce concept.
Nombreux sont les auteurs qui attribuent à Howard Bowen la paternité du concept moderne de la
RSE suite à la publication en 1953 de son ouvrage séminal « Social Responsibilities of the
Businessman » (Pasquero, 2013). Ce livre fondait les premières pierres de cette doctrine (Carroll,
1970, 1999 ; Wood, 1991).
Cette période fût marquée par d’autres publications comme le livre de Peter Drucker en « the
practice of management » dans lequel l’auteur présume que les intérêts économiques de la firme
convergent avec les enjeux sociaux.
D’une part, Drucker développe une approche qui vise à sensibiliser les dirigeants sur la nécessité
de prendre en compte les conséquences de leurs pratiques. D’autre part, l’auteur rejette la logique
smithienne qui stipule que la recherche continue de la maximisation des profits mène au bien-être
collectif. D’autres contributions, basées sur les apports de Bowen, sont venus pour enrichir les
réflexions qui portent sur la notion de RSE. On cite, dans ce cadre-là, les travaux de plusieurs
auteurs tels que Richard Eells (1956), Morrell Heald et de Benjamin M. Selekman.
3.2. Les années 1960 : Vers une vision structurée et formalisée de la RSE
Les années soixante furent marquées par l’enrichissement de la littérature sur le concept de la RSE.
Plusieurs auteurs ont conduit des travaux dans le but d’affiner leurs connaissances sur la
signification exacte de cette notion. Davis (1960) considérait que « la RSE renvoie aux décisions
et actions qui sont partiellement basées sur plus que des intérêts économiques ou techniques
directes de l’entreprises ». L’auteur jugeait que les entreprises sont dans l’obligation d’inscrire
leurs objectifs économiques en concordance avec les exigences de la société et conduiront ainsi à
l’amélioration de l’intérêt général (Carroll, 1999).
En 1963, McGuire proposait une nouvelle définition considérant que « l'entreprise..avait outre se
s obligations légales et/ou économiques, des responsabilités envers la société, lesquelles vont au-
delà de ces obligations » (Carroll et Shabana, 2010).
En 1963, McGuire proposait une nouvelle définition considérant que « l'entreprise avait outre ses
obligations légales et/ou économiques, des responsabilités envers la société, lesquelles vont au-
delà de ces obligations » (Carroll et chabana, 2010).
Une autre approche défendue par Davis et Blomstrom (1966) selon laquelle la RSE se réfère à
« l’obligation des dérigeants de considerer les effets de leurs actions sur le systéme sociétal dans
son ensemble.Ces dirigeants appliquent la RSE lorsqu’ils considérent que les actions de la firme
risquent d’affecter des intérêts des autres personnes.
Ansi, il doivet regarder au délà des intérêts économiques et techniques de leurs firmes » (Cité par
Zahm et Mouchet, 2012).
Dans son ouvrage qui s’intitule « Coporate Social Responsabilities », Clarenc C.Walton (1967) a
développé une nouvelle approche de la RSE selon laquelle les entreprises s’engagent de manière
volontaire dans une démarche socialement responsable et qu’elles sont conscientes des coûts
générés et des répercussions de leur engagement sociétal.
Par ailleurs, cette période s’est caractérisée également par d’importants chamboulements d’ordre
social qui dénonçaient les pratiques abusives des grandes entreprises. Ces mouvements de
contestations ont permis de mettre en place un certain nombre de réglementations. Carson (1962,
cité par Acquier et Aggeri, 2008) dénonçait les dommages en raison de l’usage des pesticides.
Parallèlement, Nader (1965, cité par Acquier et Aggeri, 2008) accusait les constructeurs
automobiles en raison de l’absence des normes sécuritaires dans la conception de leurs produits.
Cette montée en puissance du mouvement des activistes s’est manifestée par la naissance des
agences de protection des consommateurs tels que « Amnesty International » et « Greenpeace »
ce qui a donc poussé les entreprises à remettre en question leurs pratiques d’affaires.
3.3. Les années 1970 : Construction de la RSE dans une logique managériale
Au cours de ces années, un nombre considérable de travaux sur la RSE a enrichi la sphère
académique. En 1970, Morrell Heald a publié un écrit intitulé “ The Social Responsabilities of
Business : Company and Community” qui se présente comme une sorte de synthèse des réflexions
aussi bien théoriques que pratiques ayant porté sur la RSE durant la première moitié du 20ème
siècle (Cité par Carroll,1999).
Heald développa particulièrement un rappel des programmes visant la collectivité ainsi que les
stratégies et les considérations socialement responsables des managers des entreprises de l’époque.
En 1971, la plus grand société savante en management (Academy of management) a créé une
section spéciale intitulée « Social Issues in Management ». Cette année fût également marquée par
l’apparition de l’ouvrage « Business in Contemporary Society : Framework and Issues », de son
auteur Harold Johnson qui a été le premier à présenter ce qu’il a appelé « compromis
conventionnel ». Cette désignation concerne toute entreprise dont l’objectif est de concilier les
intérêts des différentes parties prenantes.
En 1971, une contribution phare a été soulevée par le Committee for Economic Development
(CED) à travers sa célèbre publication « Social Responsibilities of Business Corporation ».
Le CED considérait que le contrat social entre l’entreprise et la société civile évoluait d’une
manière considérable et impressionnante : l’entreprise se doit d’assumer des responsabilités plus
larges envers la société qu’auparavant et de dispenser plus de valeurs humaines.
L’entreprise a pour mission de contribuer davantage à l’amélioration de la qualité de vie des
américains que de leur fournir simplement des quantités en biens et services. Dans la mesure où
l’entreprise existe pour servir la société, son futur dépendra de la qualité de sa réponse aux
éventuels besoins de la société.
Dans le cadre d’une enquête menée auprès de l’opinion publique en 1970 par Opinion Research
Corporation, les deux tiers des répondants estiment que l’entreprise a une obligation morale qui
consiste à subventionner les grandes institutions afin d’instaurer le progrès social même si ça sera
au détriment de sa rentabilité. Le CED a développé ainsi un modèle triple concentrique pour une
définition de la RSE (figure n°1) :
avec les attentes sociétales) de la proactivité sociale, qui permet à l’organisation d’anticiper sur
les demandes sociales (Cité par Anne Barraquier (2014).
Cette période fût marquée par l’apparition d’une nouvelle préoccupation pour l’entreprise, qui
va au-delà de l’éthique et la morale des managers, mais qui concerne plutôt les modes de
réponse aux exigences de la société. Dès lors, le concept de réceptivité sociale des entreprises
développée par Rose-Ackerman (1975) fit son immersion dans le monde académique dans la
perspective de remédier aux insuffisances pratiques de la RSE. Cette vague de réceptivité
sociétale a permis de relancer le débat autour de la RSE en l’orientant davantage vers une
approche managériale qui privilégie le processus de réponse (Boussoura, 2012).3
En 1979, Carroll a élaboré un modèle de performance sociale de l’entreprise en quatre parties
et dont les composantes concernent aussi bien les attentes capitalistes que sociales.
Cette phase caractérise la migration des travaux se focalisant sur des essais de définition de la
RSE vers des recherches portant sur le développement des thèmes amternatifs, il s’agit des
concepts intégrateurs tels que la perfomance sociétale de l’entreprise, la réceptivité, la citoyenneté
d’entreprise, l’éthique des affaires et la théorie des parties prenantes. Cette période qui s’étend
sur les années quatre-vingt et quatre-vigt-dix, correspond à une phase de développement des
thèmes alernatifs (les années 80 : « The 1980s : Fewer Definitions, and Alternative Themes » et
les années 90 « The 1990s : CSE Further Yields to Alternative Themes ») (Cité par Carroll, 1979).
Tout d’abord, en 1980, Jones a défini la RSE comme l’obligation des entreprises vis-à-vis des
parties prenantes autres que les actionnaires et au délà de ce qui est prescrit par la loi.
Cette définition fait ressortir deux principaux constats : le premier constat est que cette obligation
doit être volontaire et que tout comportement influencé par les contraintes de la loi ou de tout
contrat syndical est considéré comme étant involontaire.
Le second constat est que l’obligation est plus large et va au-delà de l’obligation classique des
actionnaires mais elle concerne aussi les clients, les employés, les fournisseurs et les autres
parties prenantes.
3
Les apports d’Ackerman (1975) et d’Ackerman et Bauer (1976) ont contribué au développement d’outils et
d’instruments qui ont permis à la firme de maîtriser son environnement et de former une réponse appropriée
(Cité par Boussoura, 2012).
Au cours de la méme année, une nouvelle organisation internationale, la Society for Business
Ethics (SBE), a vu le jour et a regroupé des chercheus oeuvrant dans le domaine de l’éthique des
affaires.
Frank Tuzzolino et Barry Armandi (1981) vont se baser sur la théorie des besoins du psychologue
Abraham Maslow (1954) et sur la définition avancée par Carroll (1979) à la définition de la
notion de RSE afin de développer un modèle des besoins hiérarchiques organisationnels dont le
but n’est pas de définir la RSE mais d’expliquer que les organisations, à l’instar des individus,
ont des besoins qu’elles cherchent à satisfaire (Carroll, 1979).
Dalton et Cosier (1982) ont conduit un travail similaire en élaborant un modèle représentant une
matrice 2 x 2. Cette matrice donne lieu à la représentation de la RSE selon quatre facettes dont
chacune se place au niveau de l’un des quadrans à savoir : légal, illégal, responsable et
irresponsable. Cette date a connu également le lancement de la revue empirique « Journal Of
Business Ethics ».
En 1983, Strand ambitionne d’appliquer l’analyse systémique aux notions de responsabilité et de
réceptivité et de les intégrer dans un système global.
La période des années quatre-vingt a été marquée également par l’émergence de la théorie des
parties prenantes qui a été introduite par Freeman (1984) dans son célèbre ouvrage « Strategic
Management : A Stakeholder Approach ». L’auteur a développé la « roue de vélo », dans laquelle
il inclut tous les acteurs qui peuvent influencer l’entreprise ainsi que ceux qui ne sont pas
influencés directement par les activités de celle-ci, mais qui peuvent en ressentir les effets de
manière indirecte (Mullenbach-Servayre, 2007). Cette théorie trouve ainsi des applications
pratiques commodes avec l’identification des acteurs constituant l’environnement économique
et social de la firme (Capron, 2003).
Wartick et Cochran (1985) ont repris l’idée des trois catégories de Carroll (responsabilité sociale,
réponse sociale et enjeux sociaux) et de Strand (1983) et ont proposé d’en faire des principes de
gestion, des processus de gestion et des politiques de gestion.
De son côté, Epstein (1987) a considéré que la RSE est la résultante des décisions
organisationnelles portant sur des questions bien déterminées qui présentent plus d’avantages
que d’inconvénients sur les différentes parties prenantes de l’entreprise .
En 1991, une nouvelle société savante autonome « l’International Association for Business and
Society (IABS) est créée et dont les travaux sont consacrés au thème des relations entre entreprise
et société.
En outre, cette période s’est caractérisée par l’abondance des travaux portant sur le
développement des modèles théoriques. En 1991, Wood reprend la conception de la performance
sociétale de l’entreprise (PSE) formulée par Carroll (1979) pour construire son modèle de
responsabilité sociétale sur trois dimensions et qu’elle decline sur 3 dimensions : le principes de la
responsabilité sociale des entreprises, le principe de la réactivité sociale des entreprises et les
résultats du comportement des entreprises.
Swanson (1995) a proposé de rapprocher entre le modèle de PSE et la modélisation de la prise de
décision. D’après Swanson (1995), la PSE est assimilée à un processus de prise de décision social
et éthique. Sa version réorientée du modèle de Wood (1991) confère un intérêt particulier à la
culture organisationnelle qui va influencer la prise en considération des valeurs lors des
orientations employés et des managers et par la suite dans les processus de sensibilité sociétale
(Gond, 2003).
De son côté Clarkson (1995) a mobilisé le cadre de la théorie des parties prenantes pour concevoir
son modèle de la PSE et la définit comme la capacité à gérer et à satisfaire les stakeholders (Gond,
2003).
D’autres auteurs ont porté un intérêt particulier à l’examen de l’impact de la PSE sur
d’autres..construits. Il s’agit des travaux de Johnson et Greening (1999) qui se sont intéressés à
l’examen..du lien entre la PSE et les investisseurs institutionnels. Parallélement, les travaux de
Roman et al. (1999) se sont intéressés à l’étude de la relation entre la PSE et la PFE et qui ont
majoritairement indiqué une corrélation de nature positive.
Toutefois, Acquier et Aggeri (2008) affirment que le développement approfondi de ces modèles
de PSE représente davantage un effort fédérateur et de mise en cohérence
d’approches..hétérogènes. Plus précisément, la PSE censé être le fondement des modèles (à travers
le
développement d’une approche de performance incluant des critères sociétaux), est
certes..négligée de l’étude (Boussoura, 2012).
Par ailleurs, cette phase s’est distinguée également par une prolifération du rythme des recherches
et par l’abondance des définitions et des conceptualisations du concept. Boussoura (2012) énumère
à ce propos, les travaux de Donaldson et Preston (1995) et Jones et Wicks (1999) sur la distinction
entre les approches normative, descriptive et instrumentale de la SHT, ainsi que les travaux de
Mitchell et al. (1997) et de Agle et al. (1999) sur la problématique d’identification des SH.
3.6. Les années 2000 : Vers une approche plus démocratique et internationale de la
RSE
Longtemps considéré comme une curiosité américaine (Pasquero, 2013), le concept de RSE est
devenu une politique officielle affectant 15 pays et 370 millions d’habitants.
La diffusion du concept de la RSE en dehors des États-Unis s’explique par la propagation du
capitalisme de marché à travers le monde (Pasquero, 2002 ; 2004).
En s’internationalisant, la notion de RSE s’est penchée vers les enjeux planétaires. Le poids des
grandes organisations (ONU, OIT) ou des grands groupes de pression internationaux ont fait
que certaines dimensions telles que le travail des enfants, les droits humains, la qualité des
relations de travail…etc. sont considérées comme étant partie intégrante dans l’environnement
de la RSE.
De surcroît, de nouvelles pratiques hybrides (commerce équitable, investissement responsable,
financement collaboratif) mobilisant conjointement valeurs et marché sont venues concurrencer
les vieilles pratiques où la RSE apparaissait comme étant une pratique volontaire souvent peu
différente des relations publiques.
En effet, si la RSE se mondialise c’est qu’elle est portée par trois facteurs amplificateurs dont
l’action est aussi durable qu’universelle (Pasquero, 2002, 2004) :
- Le premier facteur amplificateur se réfère à une certaine poussée libertaire qui apparaît aussi
bien par un retrait de l’État en tant qu’institution de réglementation du marché et d’une
autorégulation par celui-ci, que par l’accroissement de l’initiative individuelle et du libre arbitre
en tant que système de valeurs (Davis et Blomstrom, 1966).
Le second facteur amplificateur incarne la poussée technologique, dont le rythme s’accélère
mais dont les bénéfices s’accompagnent de plus en plus de défis sociétaux que ce soit dans le
domaine environnemental, éthique ou politique. Cette nouvelle tendance génère de nouveaux
questionnements éthiques qui entrent mal dans les catégories traditionnelles (Beck, 1986).
Enfin, le troisième facteur amplificateur réside dans la mondialisation qui a généré des
problèmes qui dépassent les frontières des pays et dont la solution incombe aux différents
acteurs majeurs, parmi lesquels les entreprises assument la responsabilité des conséquences de
leurs actions.
Sous un autre angle, certains auteurs inscrivent les années deux mille dans une phase de
marchandisation et de marginalisation du sens premier de la RSE (Acquier et Gond, 2006 ;
Acquier et Aggeri, 2008). Dans ce sens, la RSE est considérée comme un marché privilégié
pour les agences de notation, les consultants et les investisseurs où se sont multipliées de
nombreuses activités lucratives liées à la RSE telle que la notation sociétale et
environnementale (Acquier et Aggeri, 2008). Certains auteurs qualifient donc la RSE comme
étant un secteur d’activité (The Economist, 2005, cité par Acquier et Gond, 2006) ou un «
marché de la vertu » (Vogel, 2005).
Conclusion
Cette étude a permis de présenter le concept de RSE sous toutes ses formes, partant de la génèse
et l’historique du mouvement aux fondements théoriques de la RSE et à démontrer qu’il s’agit
d’une préoccupation managériale qui ne date pas d’hier.
En effet, nos sociétés sont marquées, depuis quelques années, par une prise de conscience
vertigineuse d’importants risques environnementaux et sociaux. Tous les acteurs s'interrogent
sur les évolutions nécessaires de leurs pratiques et nombreuses sont les institutions à reconnaitre
à la RSE son importance et la nécessite de la considérer comme une composante majeure de
leurs stratégies.
Comme nous avons pu le constater, la RSE est un concept très subjectif, elle est perçue de
différentes façons, selon l’idéologie et le courant de pensée.
Selon certains auteurs, elle comporte trois dimensions : psychologique, écologique et financière
(Chanlat J.-F. cité par Bournois F. et Bourion C., 2008).
En définitive, nous pouvons dire que bien que la recherche dans le champ de la RSE soit
complexe et qu’il faut souvent y distinguer la théorie de l’idéologie, d’un côté, puis la théorie
de la pratique, de l’autre, ce sujet fût très à la mode dans les pays développés à la fin du siècle
dernier et continue à intéresser les chercheurs puisqu’il s’est étendu de l’environnement proche
de l’entreprise à l’environnement au sens large du globe terrestre pour toucher l’univers toute
entier.
BIBLIOGRAPHIE