Module R1 - Les Bases de La Psychosociologie Appl

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MODULE R1 - LES BASES DE LA PSYCHOSOCIOLOGIE

APPLICABLES EN RECHERCHE APPLIQUÉE


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LA PSYCHOSOCIOLOGIE
I.b - La MéthodeAPPLICABLES
Expérimentale
ENEnRECHERC
Psychos

Chapitre I : La Psychologie Sociale

I.b - La méthode expérimentale en psychosociale


En psychologie, la méthode expérimentale est utilisée pour établir un lien de causalité entre des variables qui reflètent
des processus mentaux ou des comportements. Elle implique, dans sa forme la plus simple, de manipuler une variable
indépendante et de mesurer l’effet produit par cette manipulation sur une variable dépendante, tout en contrôlant les
variables externes qui pourraient potentiellement avoir une influence. L’effet est mesuré, dans un premier temps, à
l’aide de statistiques descriptives avant de déterminer, à l’aide de statistiques inférentielles, s’il se généralise à la
population parente.
Nous débuterons ce chapitre par une brève présentation des principes de l’analyse descriptive et inférentielle en psychologie. Nous
définirons, ensuite, les trois grands types de variables : les variables indépendantes, externes et dépendantes. Nous préciserons
notamment la di"érence entre les variables indépendantes provoquées et les variables indépendantes invoquées. Puis, nous exposerons
les principaux plans expérimentaux utilisés en psychologie – les plans à groupes indépendants (plan inter-sujets) et les plans à mesures
répétées (plan intra-sujets). Nous aborderons, enfin, les biais liés à l’expérimentateur et aux participants qui peuvent survenir dans les
expériences en psychologie.

I. – Analyse descriptive et inférentielle des données


Afin de déterminer si la variable indépendante a un e"et sur la variable dépendante, le chercheur doit mener deux types d’analyse
statistique. Dans un premier temps, l’e"et est mesuré à l’aide de statistiques descriptives. Dans un second temps, l’e"et est généralisé ou
non à la population parente en fonction des résultats de l’analyse statistique inférentielle.

1. Analyse descriptive des données


Ces statistiques descriptives permettent d’obtenir une synthèse des données recueillies par le chercheur à l’aide d’indices de tendances
centrales (moyenne, médiane, mode), de dispersion (étendue, variance, écart-type) et d’associations (coe#cient de corrélation).

L’indice de tendance centrale, le plus couramment utilisé, est la moyenne qu’on obtient en divisant la somme des scores de chaque
individu par le nombre d’individus. Supposons que les QI au WISC de cinq enfants soient respectivement de 105, 105, 109, 114 et 119, la
moyenne est obtenue de la manière suivante : (105 + 105 + 109 + 114 + 119) ÷ 5 = 110,2 points de QI. Le deuxième indice de tendance
centrale est la médiane. Elle est la valeur qui divise les scores de l’échantillon en deux parties égales. Ici, elle est de 109 points de QI. La
médiane est parfois préférée à la moyenne, car cet indice de tendance centrale est moins sensible à la présence de scores qui divergent
fortement des autres scores recueillis.
Imaginons, par exemple, que le chercheur recueille sur un autre échantillon d’enfants les QI suivants : 105, 105, 109, 114 et 147. La
moyenne obtenue sur ce groupe sera de 116 points de QI, mais la médiane restera de 109 points, comme dans le premier groupe
d’enfants. On voit bien ici comment un seul score de QI (147) peut influencer la moyenne de ce second groupe d’enfants et donner
l’impression trompeuse que ce groupe a un QI moyen plus élevé que le premier. Le troisième indice de tendance centrale est le mode.
Dans un ensemble de scores, c’est celui qui est le plus fréquent. Dans les deux groupes d’enfants, le mode est de 105.

Une fois que les indices de tendance centrale sont calculés, le chercheur évalue la façon dont les scores sont dispersés dans son
échantillon. L’indice de dispersion le plus simple est l’étendue des scores observés. L’étendue s’obtient en soustrayant le score observé le
plus faible au score observé le plus élevé. Dans le premier groupe d’enfants, l’étendue des QI est donc de : 119 – 105 = 14 points de QI,
alors que l’étendue est de 147 – 105 = 42 points de QI dans le second groupe. Le chercheur peut aussi calculer l’écart-type, qui est l’écart
moyen des scores par rapport à la moyenne observée dans l’échantillon. La variance donne sensiblement la même information que
l’écart-type, la variance étant l’écart-type au carré [2] Pour une présentation des formules mathématiques qui permettent…. Ces indices
permettent, notamment, d’évaluer le degré d’homogénéité des scores des participants. En e"et, plus l’écart-type (ou la variance) est faible
et plus les scores des participants tendent à être homogènes. Dans les deux groupes d’enfants, dont les données fictives de QI ont été
présentées plus haut, l’écart-type est respectivement de 6,07 points de QI pour le premier et de 17,72 pour le second. Les enfants du
premier groupe ont donc tendance à obtenir des QI plus similaires que ceux du second. Si une simple lecture des QI individuels des
enfants permet d’obtenir facilement cette information, ce n’est pas le cas quand le chercheur recueille un très grand nombre de données.
L’écart-type est alors l’indice qui permet au chercheur d’estimer la distribution des scores dans son échantillon.

Armés de ces premières analyses statistiques descriptives, le chercheur détermine si la variable indépendante a un e"et sur la variable
dépendante dans l’échantillon qu’il a étudié. Le chercheur doit ensuite estimer dans quelle mesure ce qu’il observe se généralise à la
population parente dont sont issus les individus de l’échantillon étudié. L’analyse inférentielle des données permet au chercheur d’obtenir
cette information.

2. Analyse inférentielle des données


Cette analyse consiste à tester l’hypothèse dite « nulle » (ou « H0 ») selon laquelle il n’y aurait pas de di"érence entre les moyennes des
scores observées dans les deux conditions expérimentales (ou une absence de corrélations entre les scores de deux tests dans le cadre
de la méthode corrélationnelle). L’hypothèse alternative (ou « H1 ») est l’hypothèse testée par le chercheur selon laquelle il existe une
di"érence entre les moyennes des scores dans les deux conditions expérimentales (ou une corrélation entre les scores des deux tests).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser intuitivement, l’analyse inférentielle consiste non pas à déterminer si l’hypothèse alternative
est vraie, mais si l’hypothèse nulle peut être rejetée. Il faut bien comprendre cet aspect de l’analyse inférentielle. Elle permet de rejeter
avec un certain degré de confiance l’hypothèse nulle, mais, en toute rigueur, elle ne permet pas de prouver que l’hypothèse alternative
est vraie.

Ce degré de confiance est déterminé par le seuil de significativité du test statistique inférentiel utilisé, seuil qui se définit par la probabilité
alpha (α) de rejeter l’hypothèse nulle par erreur. Par convention, cette probabilité est fixée à α = 0,05 en psychologie, mais rien n’empêche
le chercheur d’utiliser des seuils plus conservateurs où α = 0,01 ou 0,001. Quand le test inférentiel est significatif à α = 0,05, il y a 5 % de
chances que le chercheur se trompe en rejetant l’hypothèse nulle (ou 1 % si le seuil est fixé à α = 0,01). Si le test inférentiel est significatif,
le chercheur peut alors généraliser l’e"et observé à la population parente dont sont issus les individus de son échantillon. Dans toutes les
recherches en psychologie, un chercheur ne peut conclure à l’e"et d’une variable indépendante sur la variable dépendante (ou à une
relation entre deux variables) que si le test inférentiel est significatif. La probabilité qu’un test soit significatif (de rejeter l’hypothèse nulle)
est en partie déterminée par sa puissance statistique, qui est dépendante du nombre de participants : plus ce nombre augmente et plus
la probabilité de rejeter l’hypothèse nulle, si elle doit être e"ectivement rejetée, augmente. L’ouvrage de Howell permettra au lecteur de
se familiariser à l’ensemble des analyses inférentielles des données utilisées en psychologie [3]

II. – Les différents types de variables


1. Les variables indépendantes
Dans toute expérience en psychologie, le chercheur étudie l’e"et d’au moins une variable sur un comportement. Cette variable est la
variable indépendante. En règle générale, elle est manipulée par le chercheur mais, nous le verrons, dans certains cas, elle peut aussi être
une caractéristique inhérente aux individus qui participent à l’expérience. Une variable indépendante possède au moins deux modalités
(ou deux « niveaux »). L’e"et de la variable indépendante sur le comportement du participant est mesuré en comparant les données des
individus obtenues dans chacune des modalités de cette variable.

Afin d’illustrer la façon dont ces di"érentes modalités sont définies et la manière de mesurer l’e"et de la variable, attardons-nous sur la
tâche de Stroop couleur conçue par John R. Stroop en 1935 [4]. Dans cette tâche, les participants doivent identifier la couleur de l’encre
avec laquelle est imprimé un mot dans deux conditions expérimentales. Dans la condition dite « congruente », la couleur dénommée par
le mot et la couleur de l’encre sont congruentes (« ROUGE » écrit en rouge). Dans la condition dite « incongruente », la couleur de l’encre
et la couleur dénommée par le mot sont incongruentes (« ROUGE » écrit en bleu). Stroop manipule ici une variable indépendante, «
condition » à deux modalités (congruente versus incongruente) dont l’e"et peut être mesuré en comparant les temps de réaction (qui
constituent la variable dépendante) dans la condition congruente et ceux dans la condition incongruente. Dans cette tâche, les
participants mettent classiquement plus de temps à déterminer la couleur de l’encre avec laquelle est imprimé le mot dans la condition
incongruente que dans la condition congruente. Pour la plupart des chercheurs [5], cet « e"et Stroop » traduit le coût cognitif lié à la
nécessité d’inhiber la lecture du mot écrit pour identifier la couleur de l’encre dans la condition incongruente.

Il existe une multitude de variables indépendantes, sans doute autant que d’expériences imaginées par les chercheurs. Néanmoins, ces
variables indépendantes peuvent être classées en trois grandes catégories selon qu’elles concernent la situation expérimentale, la tâche
ou les consignes. Les variables indépendantes situationnelles concernent des manipulations de l’environnement où l’expérience est
menée. En psychologie sociale, une variable situationnelle peut être le nombre et le statut des pairs qui sont présents pendant que le
participant e"ectue l’expérience. Certaines études ont, par exemple, mis en évidence que l’« e"et Stroop » peut être modulé par la
présence de pairs [6]. La variable indépendante étant ici le nombre de pairs à deux modalités (seul versus présence d’un pair). Les
variables indépendantes liées à la tâche concernent typiquement une manipulation des conditions expérimentales, comme dans la tâche
de Stroop (condition congruente versus incongruente). Enfin, les variables indépendantes peuvent aussi être liées aux consignes données
aux participants. Dans une étude classique sur la mémoire épisodique [7], les chercheurs demandent aux participants de mémoriser une
liste de mots en donnant comme consigne à certains d’entre eux de juger de la police de caractère utilisée pour imprimer ces mots, à
certains de juger d’une propriété sonore qui les accompagne et à d’autres du sens de chacun d’entre eux. La variable indépendante
manipulée est la consigne à trois modalités (police versus son versus sens). Dans cette expérience, les participants qui jugent du sens des
mots en mémorisent plus que ceux qui jugent de leurs propriétés sonores, qui à leur tour mémorisent plus de mots que ceux qui jugent
de la police de caractère. Cette étude suggère que la mémorisation des informations est dépendante de la profondeur du traitement de
l’information lors de l’encodage de celle-ci.

Les variables indépendantes di"èrent également selon qu’elles sont provoquées ou invoquées. Les premières sont manipulées par le
chercheur. Les variables indépendantes situationnelles, liées à la tâche ou aux consignes présentées dans le paragraphe précédent, sont
typiquement des variables provoquées. Les secondes concernent les caractéristiques des participants comme leur âge, leur sexe, leur
latéralité ou encore leur niveau d’anxiété. Un chercheur qui veut étudier l’e"et de l’une de ces variables devra sélectionner les participants
en conséquence.

Dans certaines expériences, le chercheur peut étudier l’e"et d’une même variable indépendante sur un comportement en manipulant
directement cette variable (provoquée) ou en sélectionnant des individus qui possèdent telle ou telle caractéristique (invoquée). Des
chercheurs se sont, par exemple, intéressés à l’e"et que produit l’anxiété sur les performances dans une tâche de Stroop
émotionnel [8] Dans cette tâche, les participants doivent déterminer la couleur de l’encre avec laquelle sont imprimés des mots ayant un
contenu émotionnel plus ou moins fort. Les participants mettent en règle générale plus de temps pour identifier la couleur de l’encre
dans une condition où les mots sont de valence émotionnelle négative que dans une condition où les mots sont de valence émotionnelle
neutre. Dans leur étude, Richards et ses collaborateurs se sont intéressés à l’e"et de l’anxiété sur cet « e"et Stroop émotionnel ». Dans
leur première expérience, l’e"et de l’anxiété est étudié en utilisant une variable invoquée. À l’aide d’un inventaire, ils mesurent l’anxiété
des participants pour les répartir dans deux groupes, l’un d’anxiété forte et l’autre d’anxiété faible. Dans la seconde expérience, l’e"et est
évalué à l’aide d’une variable provoquée. Une procédure d’induction émotionnelle est utilisée pour créer deux groupes de niveau
d’anxiété di"érents. Cette procédure consiste à montrer des photographies qui représentent des scènes de violences ou des paysages. À
la suite de cette induction émotionnelle, les participants qui ont vu des photographies négatives (représentant des scènes de violences)
sont e"ectivement plus anxieux que les participants qui ont vu des photographies neutres (figurant des paysages). Dans les deux
expériences, les chercheurs observent un « e"et Stroop émotionnel » qui augmente chez les participants anxieux.

Le lecteur peut légitimement se demander pourquoi, dans cette étude, les chercheurs ont pris la peine d’utiliser une procédure
d’induction émotionnelle alors même que les résultats de la seconde expérience sont identiques à ceux de la première. C’est qu’ils
avaient besoin de s’assurer que la modulation de l’« e"et de Stroop émotionnel » était bien causée par la manipulation du niveau
d’anxiété des participants et non par d’autres variables. Cette seconde expérience permet donc aux chercheurs d’établir un lien de cause
à e"et entre le niveau d’anxiété et la capacité à inhiber des informations émotionnelles non pertinentes véhiculées par les mots. De fait, si
la causalité est directe dans les cas où le chercheur manipule une variable indépendante provoquée, elle est beaucoup plus di#cile à
établir quand les chercheurs utilisent une variable indépendante invoquée.

2. Les variables externes


Dans la méthode expérimentale, et c’est ce qui la distingue clairement des autres méthodes, le chercheur ne se limite pas à manipuler
une variable, il doit aussi contrôler, dans la mesure du possible, l’ensemble des variables externes qui pourraient a"ecter l’e"et de la
variable indépendante sur la variable dépendante. Ces variables externes sont très nombreuses. Elles peuvent être liées à la répartition
non aléatoire des participants dans les di"érents groupes expérimentaux, à l’heure de la journée où l’expérience a lieu, aux
caractéristiques des chercheurs qui e"ectuent les passations ou encore à des événements qui se produisent en dehors du laboratoire
mais qui peuvent influencer la façon dont le participant e"ectuera l’expérience. Il est impossible de contrôler l’ensemble des variables
externes. Le chercheur contrôle donc les variables dont il suspecte qu’elles peuvent modifier les résultats de son expérience.

Le chercheur doit, par exemple, toujours contrôler les variables externes qui corrèlent avec la variable indépendante. Elles sont les plus
problématiques, car elles vont typiquement empêcher le chercheur d’établir un lien causal entre la manipulation d’une variable
indépendante et l’e"et observé sur la variable dépendante. Pour illustrer ce problème, prenons un exemple fictif. Imaginons qu’un
chercheur veuille comparer l’e"et d’un entraînement massé (s’entraîner une fois de manière intensive) par rapport à un entraînement
distribué (s’entraîner plusieurs fois dans le temps de manière moins intensive) sur les capacités à inhiber des informations non
pertinentes dans la tâche de Stroop couleur. Le chercheur décide de constituer trois groupes de participants. Le premier jour de
l’expérience, tous les groupes viennent au laboratoire e"ectuer une tâche de Stroop couleur. Le deuxième jour, les trois groupes
s’entraînent à e"ectuer cette tâche. Le groupe 1 s’entraîne une seule fois pendant trente minutes. Le groupe 2 s’entraîne trente minutes
par jour pendant deux jours. Le groupe 3 s’entraîne trente minutes par jour pendant trois jours. Le quatrième jour, les trois groupes
reviennent au laboratoire et e"ectuent une nouvelle fois la tâche de Stroop couleur. Le chercheur observe que l’amélioration des
performances dans la tâche entre la première et la deuxième passation est plus importante dans le groupe 3 que dans les deux autres
groupes. Il en conclut qu’un entraînement distribué améliore plus e#cacement la capacité à inhiber des informations non pertinentes
qu’un entraînement massé.

Le lecteur se sera sans doute rendu compte, à cet exemple, que la conclusion du chercheur est un peu hâtive. Au moins deux variables
ont en e"et été confondues dans cette étude fictive qui empêche le chercheur de conclure qu’un type d’entraînement est plus e#cace
qu’un autre. D’une part, les entraînements proposés aux trois groupes ne di"èrent pas uniquement quant à leur distribution dans le
temps (1 versus 2 versus 3 jours) mais aussi quant à leur durée totale (30 minutes versus 60 minutes versus 90 minutes). D’autre part,
l’intervalle entre la fin de l’entraînement et la seconde passation du Stroop n’est pas constant pour les trois groupes (3 versus 2 versus 1
jour) : il diminue systématiquement avec la distribution des entraînements dans le temps (1 versus 2 versus 3 jours). Le chercheur n’a
donc aucun moyen d’attribuer l’augmentation des performances entre la première et la seconde passation du Stroop à l’une de ces trois
variables indépendantes.

Pour minimiser l’e"et des variables externes, la stratégie consiste à essayer de maintenir constantes les variables externes tout en
manipulant la variable indépendante d’intérêt. Dans l’exemple précédent, le chercheur proposerait par exemple à chacun des groupes de
s’entraîner au total quatre-vingt-dix minutes, mais pendant un, deux ou trois jours, et il maintiendrait constant le délai entre la première
et la deuxième passation du Stroop couleur au laboratoire. Il existe d’autres stratégies que nous aborderons plus en détail dans la partie
consacrée aux biais et aux limites de la méthode expérimentale.

3. Variables dépendantes
Ces variables dépendantes correspondent aux comportements observés par les chercheurs. C’est sur elles qu’on étudie l’e"et des
variables indépendantes. Le chercheur doit donc décider parmi une multitude de variables dépendantes celles qui sont les plus à même
de rendre compte des comportements ou des processus psychologiques qui l’intéressent. Le choix est guidé par l’opérationnalisation que
le chercheur propose d’un concept donné.

Un chercheur qui étudie la créativité peut l’opérationnaliser en considérant, par exemple, que la créativité d’un individu est définie par le
nombre de catégories de réponses qui ne sont pas celles qu’a données la majorité des participants dans une tâche de génération d’idées
innovantes. C’est l’opérationnalisation de la créativité choisie par certains chercheurs dans la tâche de l’œuf, où le participant doit
proposer le plus de solutions pour qu’un œuf lâché à 10 mètres de hauteur ne se casse pas en tombant sur le sol [9]. Ce n’est, et de loin,
pas la seule opérationnalisation de la créativité qui ait été proposée. Certains chercheurs considèrent par exemple que la créativité ne
peut être mesurée qu’en demandant à des experts d’évaluer l’originalité d’une œuvre que le participant a créée [10].

Le choix de la variable peut aussi être guidé par les contraintes inhérentes au répertoire comportemental des participants. Par exemple,
les chercheurs qui étudient les compétences cognitives des nouveau-nés et des bébés ne peuvent leur demander ni de verbaliser leur
réponse ni de répondre en appuyant sur un bouton. Ils utilisent par conséquent des variables comportementales comme
l’enregistrement de la succion non nutritive, du rythme cardiaque enregistré à l’aide d’un électrocardiogramme ou du temps de regard,
pour étudier les compétences cognitives des bébés. Le choix de ce type de variable dépendante implique généralement d’utiliser un
paradigme d’habituation et de réaction à la nouveauté. Dans une première phase, appelée « phase d’habituation », le chercheur
enregistre la durée totale de la phase où le bébé regarde un stimulus (par exemple un visage ou un son) qui lui est présenté. Le
chercheur interrompt cette phase quand le temps de regard à un essai donné est de 50 % inférieur au temps de regard enregistré sur les
trois premiers essais. Dans la seconde phase de l’expérience, le chercheur présente deux types de stimulus, des stimuli nouveaux et des
stimuli auxquels le bébé a été familiarisé et mesure le temps de regard du bébé pour chaque type de stimulus. S’il regarde plus
longtemps l’un des deux types de stimulus, le chercheur en conclut qu’il est capable de les discriminer. Cette méthode et les méthodes
associées, par exemple de violation des attentes (méthode dans laquelle on enregistre le temps de regard du bébé en réponse à une
situation qui est en contradiction avec les principes physiques de notre environnement), ont permis de mettre en évidence que le bébé
est capable, dès 4 mois, de comprendre certains principes du monde physique qui l’entoure, comme le principe de solidité des objets
[11], et d’e"ectuer des opérations arithmétiques d’addition et de soustraction simples [12].

Le choix d’une variable dépendante peut également être guidé par la nature de ce qui est mesuré par le chercheur. La réponse
électrodermale permet d’avoir des informations sur la réaction émotionnelle d’un participant en enregistrant à la surface de sa peau la
résistance électrique, résistance qui semble être un marqueur de l’activité du système nerveux autonome [13]. En mesurant la réponse
électrodermale dans une tâche de prise de décision financière, l’Iowa Gambling Task (IGT), les neuroanatomistes Hanna et Antonio
Damasio ont notamment mis en évidence que la capacité des individus à choisir de manière avantageuse dans un contexte d’ambiguïté,
contexte où ils ne sont pas informés des probabilités associées à leur choix, était en partie guidée par un apprentissage émotionnel [14].
Pour mettre au jour que des processus émotionnels guident les décisions des individus, leur équipe a enregistré la réponse
électrodermale des participants au cours de l’Iowa Gambling Task. Dans cette tâche, les participants piochent des cartes dans quatre tas.
Chacune des cartes leur fait gagner ou perdre de l’argent. L’objectif des participants est de gagner le plus d’argent possible en piochant
100 cartes parmi ces quatre tas. Pour ce faire, ils doivent progressivement inférer, sur la base des gains et des pertes obtenus après
chaque sélection d’une carte, que deux tas sur les quatre sont avantageux sur le long terme. L’équipe de chercheurs a observé que la
réponse électrodermale augmente juste avant que les participants ne choisissent une carte dans un tas désavantageux ; ce qui suggère
que les choix des participants peuvent être en partie guidés par des processus de nature émotionnelle.

Il faut bien comprendre qu’un même « construit » (comme l’anxiété) peut être tour à tour une variable indépendante, dépendante ou
externe. Elle est par exemple une variable indépendante dans l’expérience qui évalue l’e"et de l’anxiété sur les performances dans la
tâche de Stroop émotionnel. Mais, dans cette même expérience, elle est aussi une variable dépendante quand, à l’aide d’un inventaire, les
chercheurs mesurent le niveau d’anxiété éprouvée avant et après l’exposition à des scènes de violence. Ainsi ils s’assurent que la
procédure d’induction émotionnelle a fonctionné. Enfin, elle peut être dans certains cas une variable externe qu’il faut contrôler.

III. – Les plans expérimentaux


En psychologie, il existe deux grands types de plan expérimental : les plans à groupes indépendants et les plans à mesures répétées.
Dans les premiers, les participants ne sont soumis qu’à certaines modalités de la variable indépendante (on parle de variables
indépendantes « inter-sujets ») alors que, dans les seconds, les participants sont soumis à toutes les modalités de la variable
indépendante (on parle de variables indépendantes « intra-sujets »). Dans certaines expériences, le chercheur combine ces deux plans
expérimentaux en intégrant des variables indépendantes inter-sujets et intra-sujets. Dans ce qui suit, nous présenterons ces deux types
de plan et les biais expérimentaux propres à chacun d’eux.

1. Les plans à groupes indépendants


Ce type de plan implique de créer autant de groupes de participants que de modalités de la variable indépendante provoquée. Si celle-ci
possède trois modalités comme dans l’expérience consacrée à l’e"et de la profondeur de traitement de l’information sur la mémorisation
de mots [15], trois groupes de participants doivent être testés. On se souvient que, dans cette expérience, chaque groupe avait pour
consigne de mémoriser les mots, l’un en jugeant de leur police de caractère, l’autre en jugeant d’une caractéristique sonore, le dernier en
jugeant de leur sens.

Ce type de plan expérimental est nécessairement utilisé quand le chercheur étudie l’e"et de certaines variables indépendantes
invoquées, par exemple l’e"et du sexe ou du genre sur certaines capacités cognitives. En psychologie développementale, ce type de plan
renvoie à l’approche transversale, par opposition à l’approche longitudinale, qui adopte un plan à mesures répétées. Le chercheur utilise
ce type de plan quand le participant doit être absolument naïf par rapport à la variable indépendante manipulée. C’est, par exemple, le
cas dans des études qui s’intéressent à l’e"et du contexte émotionnel sur les comportements des individus : nous avons parlé
précédemment de celle au cours de laquelle les chercheurs induisent de l’anxiété chez certains participants [16] par une présentation
d’images émotionnelles afin d’évaluer l’e"et de l’anxiété sur la capacité à inhiber le contenu émotionnel des mots dans une tâche de
Stroop. On voit mal comment l’anxiété des participants aurait pu être manipulée autrement qu’en créant deux groupes de participants
sans diminuer grandement l’e"et potentiel de cette induction émotionnelle.

Ce type de plan permet donc de s’assurer que le participant est naïf par rapport à la variable indépendante manipulée. Ce point est
important, comme nous le verrons, pour limiter les biais relatifs à la demande expérimentale. Néanmoins, cette approche nécessite le
recrutement d’un très grand nombre de participants (en raison de la variabilité interindividuelle entre les groupes) pour que la puissance
statistique de l’étude soit su#sante, laquelle détermine en partie la probabilité de détecter, si elles existent, des di"érences entre les
groupes (voir l’analyse inférentielle des données présentée précédemment).

Un cas particulier de plan à groupes indépendants concerne les études qui évaluent l’e#cacité d’un traitement, d’une thérapie, d’un
programme scolaire ou d’une intervention pédagogique. Dans ce type d’étude, le chercheur recrute au moins deux groupes de
participants : le groupe expérimental soumis à la thérapie et le groupe contrôle qui n’y est pas soumis. Le problème de ce type
d’approche est d’évaluer dans quelle mesure l’e"et observé reflète l’e"et d’une intervention en particulier et non pas un e"et plus général
relatif au fait d’avoir été soumis à une intervention indépendamment de la nature de celle-ci. Pour contrôler ce biais potentiel, le
chercheur doit également proposer au groupe contrôle une intervention en tout point similaire à celle qu’il a proposée au groupe
expérimental, exception faite de la variable indépendante manipulée.

Les études qui se sont intéressées à l’amélioration de la mémoire de travail – qui nous permet de maintenir et de manipuler des
informations pendant quelques dizaines de secondes – constituent un bon exemple des problèmes liés au choix de l’intervention
destinée au groupe contrôle. Dans ces études, le groupe expérimental s’entraîne typiquement un quart d’heure à vingt minutes par jour,
cinq jours par semaine, pendant cinq semaines, alors que le groupe contrôle n’est soumis à aucun entraînement (simple test-restest).
Dans l’une de ces études [17], les chercheurs observent que non seulement la mémoire de travail des participants du groupe
expérimental s’est améliorée avant et après entraînement, mais que leur intelligence fluide (celle qui nous permet de penser de manière
abstraite et logique) s’est également perfectionnée. En revanche, dans des études où les participants du groupe contrôle e"ectuent un
programme d’entraînement d’une autre nature ou dont la di#culté est adaptée en temps réels aux performances, on observe des
améliorations moindres pour la mémoire de travail et inexistantes pour l’intelligence fluide [18].

Les plans à groupes indépendants, qu’ils incluent ou non un groupe contrôle comme dans l’exemple précédent, nécessitent que les
groupes soient équivalents en tous points, exception faite de la variable indépendante manipulée. Le chercheur doit notamment
s’assurer que les deux groupes ne di"èrent pas sur toute variable (par exemple, l’âge des participants ou la proportion d’hommes et de
femmes) susceptible de modifier l’e"et de la variable indépendante sur la variable dépendante. Il dispose de deux
procédures a priori pour créer des groupes de participants équivalents ou homogènes.

La première, et nous en avons déjà parlé, consiste à assigner aléatoirement les participants à chacun des groupes. Cette procédure ne
permet pas de contrôler que tous les participants des di"érents groupes ont exactement les mêmes caractéristiques, mais simplement
que les variables externes sont réparties à peu près de manière équivalente entre les groupes. Cette procédure est utilisée quand le
chercheur a accès à un très grand nombre de participants.

La seconde procédure consiste à e"ectuer un appariement des participants sur un certain nombre de variables, notamment, sur les
variables indépendantes invoquées qui covarient potentiellement avec la variable indépendante manipulée par le chercheur. Par
exemple, dans une étude sur les biais de raisonnement chez des patients schizophrènes, les chercheurs ont pris soin d’apparier chaque
patient avec un participant sain sur la base de son âge, de son sexe et de son niveau d’étude [19]. Les chercheurs ont choisi d’apparier les
deux groupes sur ces variables indépendantes invoquées, car elles peuvent avoir un e"et sur les capacités de raisonnement des
individus. De manière surprenante, les chercheurs ont mis en évidence que, dans un problème de falsification de règles conditionnelles
(règles de type « si… alors… »), ces patients sont moins sujets à des biais de raisonnement que les individus sains. Cette seconde
procédure permet donc de créer des groupes équivalents quand le chercheur n’a accès qu’à un nombre limité de participants.

Il existe, également, et notamment quand une procédure d’échantillonnage aléatoire a été mise en œuvre, des analyses statistiques qui
permettent a posteriori de contrôler des di"érences systématiques sur les caractéristiques des participants des di"érents groupes [20].

2. Les plans à mesures répétées


Dans ce type de plan, les participants sont soumis dans leur ensemble à toutes les modalités de la variable indépendante manipulée par
le chercheur. Il bénéficie d’un avantage pratique sur le plan à groupes indépendants. Le chercheur ne recrute qu’un seul groupe de
participants pour l’intégralité des modalités de la variable indépendante. Les études longitudinales en psychologie du développement
sont fondées sur ce type de plan. Une même cohorte d’individus est testée à plusieurs reprises dans le temps [21]. Il est également
particulièrement adapté quand la population parente comporte peu d’individus, comme dans le cas des experts (grands maîtres aux
échecs, prix Nobel…) ou des patients atteints de pathologies rares.

Ce type de plan a été utilisé dans une étude consacré à l’e"et que l’expertise aux échecs peut produire sur la mémorisation de la position
des pièces sur un échiquier [22]. Les chercheurs ont donc recruté un échantillon de joueurs d’échecs aux niveaux d’expertise di"érents et
leur ont demandé de mémoriser la position des pièces sur un échiquier. Dans une condition, les pièces étaient positionnées de manière
aléatoire, alors que, dans l’autre, la disposition des pièces correspondait à celle d’une partie réelle. La variable indépendante « Position
des pièces » possède donc deux modalités (aléatoire versus structurée), manipulée en intra-sujets. Les résultats mettent en évidence que
la mémorisation de la position des pièces augmente avec l’expertise des joueurs, mais uniquement quand ces pièces sont positionnées
de manière cohérente avec les positions des pièces dans une partie réelle.

Le choix d’un plan à mesures répétées n’est pas guidé uniquement par des considérations pratiques : une étude dans laquelle une
variable est manipulée en intra-sujets possède plus de puissance statistique (car la variabilité interindividuelle entre les groupes est
inexistante), c’est-à-dire une probabilité plus grande de rejeter l’hypothèse nulle si elle est fausse, qu’une étude où la même variable est
manipulée en inter-sujets.

Le choix d’un plan à mesures répétées peut aussi être dicté par les hypothèses du chercheur. Dans la tâche de Stroop couleur, par
exemple, le chercheur teste l’hypothèse selon laquelle les individus mettraient plus de temps à identifier la couleur dans laquelle est
imprimé un mot quand cette couleur est incongruente avec la couleur dénommée par le mot que lorsqu’elle est congruente. Utiliser des
groupes indépendants limiterait non seulement la portée des conclusions mais empêcherait également de calculer l’amplitude de l’e"et
Stroop, qui est un marqueur intra-sujet classique de l’e#cience du contrôle inhibiteur. Cet exemple illustre un autre avantage de ce type
de plan. Il permet de combiner, comme préconisé par Cronbach dès 1957 [23], la méthode expérimentale de comparaison de moyennes
et la méthode corrélationnelle d’études des di"érences interindividuelles.

Quand on utilise ce type de plan, un biais doit classiquement être contrôlé, directement lié au fait que les participants sont soumis à
toutes les conditions expérimentales. Par conséquent, l’ordre dans lequel ils e"ectuent les di"érentes conditions expérimentales peut
potentiellement avoir un e"et sur la variable dépendante. Dans la tâche de Stroop couleur, commencer par la condition où la couleur de
l’encre avec laquelle est imprimé un mot est congruente avec la couleur dénommée par le mot renforce la propension à lire les mots. Ce
renforcement va rendre de fait plus di#cile d’inhiber cette lecture dans la condition où la couleur de l’encre avec laquelle est imprimé un
mot est incongruente avec la couleur dénommée par le mot. Pour contrôler cet e"et d’ordre, le chercheur dispose d’une procédure : le
contrebalancement.

Dans sa forme la plus simple, le contrebalancement consiste à créer tous les ordres possibles de passation des di"érentes conditions
expérimentales (« contrebalancement complet »). Dans le cas de notre exemple, il y a deux ordres de passation possibles : commencer
par la condition congruente puis e"ectuer la condition incongruente ou inversement. Chaque participant sera aléatoirement a"ecté à l’un
ou l’autre des deux ordres de passation de manière à ce qu’autant de participants de l’échantillon e"ectuent la tâche dans l’un ou l’autre
de ces ordres.

Imaginons maintenant que la variable indépendante n’ait pas deux modalités mais dix modalités comme dans une tâche de rotation
mentale [24]. Dans cette tâche, deux objets tridimensionnels sont présentés visuellement et les participants doivent déterminer s’ils sont
identiques indépendamment de leur orientation dans l’espace. Les chercheurs manipulent l’écart angulaire entre les deux objets (de 0° à
180° avec un pas de 20°). Cette variable indépendante « écart angulaire » possède donc dix modalités et est manipulée en intra-sujets.
Dans cette expérience, les temps de réponse des participants augmentent linéairement avec l’augmentation de l’écart angulaire entre les
deux objets, comme si les participants imaginaient la rotation des objets. Si les chercheurs avaient présenté les dix conditions
expérimentales (écarts angulaires) tout en contrôlant les e"ets d’ordre par un contrebalancement complet, il leur aurait fallu
3 628 800 participants pour tous les 3 628 800 ordres possibles, condition évidemment impossible à satisfaire. La solution consiste à
utiliser un contrebalancement non pas total mais partiel. Un carré latin permet aux chercheurs de choisir parmi l’ensemble des ordres
possibles, ceux qui sont les plus représentatifs. Les ordres sont choisis de manière que (1) chaque modalité de la variable apparaisse une
fois dans chacune des positions possibles de chaque ordre et (2) qu’une modalité donnée précède et suive les autres modalités
exactement une fois [25] . Cette procédure, dans le cas d’une variable à dix modalités aboutit à définir dix ordres.

Il existe bien évidemment des études qui combinent les plans à groupes indépendants et à mesures répétées en manipulant certaines
variables indépendantes en inter-sujets et d’autres en intra-sujets comme dans les études sur l’entraînement de la mémoire de travail
présentées précédemment.

IV. – Les biais de l’expérimentateur et du participant


Outre ceux qui ont déjà été abordés dans le cadre de la présentation des plans expérimentaux, il existe deux grands types de biais dans
la méthode expérimentale, liés pour l’un à l’expérimentateur et pour l’autre au participant. Le biais introduit par l’expérimentateur est
comparable à celui qui l’est par l’observateur [26]. L’expérimentateur, sans s’en rendre compte, peut donner aux participants de subtils
indices sur l’objectif de l’étude. Les participants peuvent en réaction modifier leurs comportements pour se conformer à ses attentes.

Un biais associé au biais de l’expérimentateur est introduit par la situation expérimentale elle-même. On parle alors de « biais des
caractéristiques de la demande ». Un participant qui se doute par lui-même de l’objectif d’une étude, ou du groupe auquel il appartient,
aura tendance à adapter son comportement en fonction de ce qu’il croit comprendre de la tâche. Ce biais a été décrit en détail par Orne
et Scheibe en 1964 [27]. Dans cette étude, les deux chercheurs expliquent aux volontaires qu’ils participent à une recherche sur la
privation sensorielle. Dans les études classiques, le participant est placé dans une salle dépourvue de toute stimulation sensorielle
(isolation phonique, lumière limitée, immobilisation, etc.). Cette privation prolongée peut entraîner une désorientation spatiale et, chez
certains participants, des hallucinations.

Dans l’expérience qui nous intéresse les participants sont placés dans une salle bien éclairée où ils peuvent percevoir les bruits extérieurs
et où ils doivent résoudre une série de problèmes arithmétiques. L’idée d’Orne et Scheibe est de manipuler subtilement l’environnement
de manière à faire croire à certains volontaires (ceux du groupe expérimental) qu’ils participent à une expérience de privation sensorielle.

Les participants de ce groupe sont donc reçus par un homme en blouse blanche, la salle comporte un bouton rouge pour signaler s’ils ont
un problème, l’expérimentateur prend leur tension et leur pouls et leur demande de bien faire attention à ce qu’ils ressentent au cours de
cette expérience, notamment à leurs émotions et à des impressions de désorientation spatiale.

Les participants du groupe contrôle sont quant à eux reçus par un expérimentateur habillé de façon décontractée, la pièce ne contient
pas de bouton d’alarme, la tension et le pouls des participants sont mesurés mais on les informe qu’on a procédé de même avec le
groupe expérimental. Étonnamment, alors même que la situation expérimentale ne permet pas d’induire des e"ets classiques de
privation sensorielle, les participants du groupe expérimental font état de désorientation, de sentiment d’étrangeté et d’hallucination. La
démonstration est éclatante : les caractéristiques de la situation peuvent parfois biaiser les comportements des participants.

Pour contrôler ces deux types de biais expérimentaux, le chercheur peut mener son expérience en double aveugle. Dans ce genre
d’expérience, il ne teste pas lui-même les participants, il fait plutôt appel à un expérimentateur naïf quant à l’objectif de l’expérience. Il
conçoit son paradigme expérimental de telle manière que ni l’expérimentateur ni le participant ne puissent déterminer la condition
expérimentale à laquelle le participant est assigné. Cette procédure standard en médecine est souvent lourde à mettre en place en
psychologie. Quand le chercheur ne peut pas faire appel à un expérimentateur naïf, il utilise, a minima, une procédure en simple aveugle
où le participant ne sait pas à quelle condition expérimentale il a été assigné. Cette procédure n’est évidemment pas adaptée aux plans
expérimentaux à mesures répétées. Si ces deux procédures ne peuvent être utilisées, le chercheur doit être extrêmement attentif à la
formulation de la consigne pour minimiser le risque de voir les participants inférer ses hypothèses. Il doit aussi faire en sorte que sa
situation soit la plus standardisée possible, c’est-à-dire qu’elle soit la même pour tous les participants, excepté pour les caractéristiques
de la situation manipulées par le chercheur. L’informatisation des tâches en psychologie a permis de contrôler en partie ces deux biais,
sans pour autant les éliminer complètement. Le chercheur doit donc rester vigilant. Il peut également déterminer en partie si les résultats
de son étude sont biaisés, en e"ectuant un débriefing expérimental dans lequel il demande à chaque participant ce qu’il a compris de la
tâche et quelles sont, selon lui, les hypothèses de l’étude.

Notes
Notes

[2]

Pour une présentation des formules mathématiques qui permettent de les calculer, voir D.C. Howell, Statistical Methods for Psychology,
Belmont, Thomson Wadsworth, 2013.

[3]

D.C. Howell, Statistical Methods for Psychology, op. cit.

[4]

J.R. Stroop, « Studies of Interference in Serial Verbal Reactions », Journal of Experimental Psychology, vol. 18, 1935, p. 643-662.

[5]

M.M. Botvinick, T.S. Braver, D.M. Barch, C.S. Carter, J.D. Cohen, « Conflict Monitoring and Cognitive Control », Psychological Review,
vol. 108, 2001, p. 624-652.

[6]

P. Huguet, M.P. Galvaing, J.M. Monteil, F. Dumas, « Social Presence E"ects in the Stroop Task. Further Evidence for an Attentional View of
Social Facilitation », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 77, 1999, p. 1011-1027.

[7]

F.I. Craik, E. Tulving, « Depth of Processing and the Retention of Words in Episodic Memory », Journal of Experimental Psychology General,
vol. 104, 1975, p. 268-294.

[8]

A. Richards, C.C. French, W. Johnson, J. Naparstek, J. Williams, « E"ects of Mood Manipulation and Anxiety on Performance of an Emotional
Stroop Task », British Journal of Psychology, vol. 83, 1992, p. 479-491.

[9]

M. Agogué, N. Poirel, A. Pineau, O. Houdé, M. Cassotti, « The Impact of Age and Training on Creativity. A Design-theory Approach to Study
Fixation E"ects », Thinking Skills and Creativity, vol. 11, 2014, p. 33-41.

[10]

B.A. Hennesy, T.A. Amabile, « Creativity », Annual Review of Psychology, vol. 61, 2010, p. 569-598.

[11]

R. Baillargeon, « Object Permanence in 3 1/2 and 4 1/2 Month-old Infants », Developmental Psychology, vol. 23, 1987, p. 655-664.

[12]

K. Wynn, « Addition and Subtraction by Human Infants », Nature, vol. 358, 1992, p. 749-750.

[13]
J.T. Cacioppo, L.G. Tassinary, G. Bernston, Handbook of Psychophysiology, New York, Cambridge University Press, 2007.

[14]

A. Bechara, H. Damasio, D. Tranel, A. Damasio, « Deciding Advantageously Before Knowing the Advantageous Strategy », Science, vol. 275,
1997, p. 1293-1294.

[15]

F.I. Craik, E. Tulving, « Depth of Processing and the Retention of Words in Episodic Memory », art. cité.

[16]

A. Richards, C.C. French, W. Johnson, J. Naparstek, J. Williams, « E"ects of Mood Manipulation and Anxiety on Performance of an Emotional
Stroop Task », art. cité.

[17]

S.M. Jaeggi, M. Buschkuehl, J. Jonides, W.J. Perrig, « Improving Fluid Intelligence with Training on Working Memory », Proceedings of the
National Academy of Sciences, vol. 105, 2008, p. 6829-6833.

[18]

A.B. Morrisson, J.M. Chein, « Does Working Memory Training Work ? The Promise and Challenges of Enhancing Cognition by Training
Working Memory », Psychonomic Bulletin & Review, vol. 18, 2011, p. 46-60.

[19]

E. Mellet, O. Houdé, P. Brazo, B. Mazoyer, N. Tzourio-Mazoyer, S. Dolfus, « When a Schizophrenic Deficit Becomes a Reasoning Advantage
», Schizophrenia Research, vol. 84, 2006, p. 359-364.

[20]

Pour une présentation exhaustive de ces analyses complémentaires, voir D.C. Howell, Statistical Methods for Psychology, op. cit.

[21]

Voir T.E. Mo#tt et alii, « A Gradient of Childhood Self-control Predicts Health, Wealth, and Public Safety », art. cité.

[22]

F. Gobet, H.A. Simon, « Recall of Random and Distorted Positions. Implications for the Theory of Expertise », Memory & Cognition, vol. 24,
1996, p. 493-503.

[23]

J.L. Cronbach, « The Two Disciplines of Scientific Psychology », art. cité, p. 671-684.

[24]

Comme dans une célèbre tâche de rotation mentale conçue en 1971 : voir R. Shepard, J. Metzler, « Mental Rotation of Three-dimensional
Objects », Science, vol. 71, 1971, p. 701-703.

[25]

R.E. Kirk, Experimental Design. Procedures for the Behavioral Sciences, Belmont, Brooks/Cole, 1968.

[26]

Voir supra.

[27]

Voir M.T. Orne, K.E. Scheibe, « The Contribution of Non Deprivation Factors in the Production of Sensory Deprivation E"ects. The
Psychology of the “Panic Button” », Journal of Abnormal and Social Psychology, 1964, vol. 68, p. 3-12.

Chapitre I.a - Introduction, Chapitre I.c - La Psychologie Sociale


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