Lelouvier Aude 2019

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 910

AVERTISSEMENT

Ce document est le fruit d’un long travail approuvé par le jury de


soutenance et mis à disposition de l’ensemble de la
communauté universitaire élargie.

Il est soumis à la propriété intellectuelle de l’auteur : ceci


implique une obligation de citation et de référencement lors de
l’utilisation de ce document.

D’autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite de


ce travail expose à des poursuites pénales.

Contact : [email protected]

LIENS

Code la Propriété Intellectuelle – Articles L. 122-4 et L. 335-1 à


L. 335-10
Loi n° 92-597 du 1er juillet 1992, publiée au Journal Officiel du
2 juillet 1992

http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg-droi.php
http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm
THÈSE
En vue de l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE TOULOUSE


Délivré par l’Université Toulouse Capitole

École doctorale : Droit et Science Politique

Présentée et soutenue par

LELOUVIER Aude
le 19 octobre 2019

Le principe d'égalité en droit international privé : essai d'une


approche systémique

Discipline : Droit
Spécialité : Droit Privé et Sciences Criminelles
Unité de recherche : CDA (EA 780)
Directeur de thèse : Monsieur Michel ATTAL, Maître de conférences, UT1

JURY

Rapporteurs Monsieur Patrick KINSCH


Madame Petra HAMMJE

Suffragants Monsieur Pascal de VAREILLES-SOMMIERES, Président du jury


Monsieur Lukas RASS-MASSON, Examinateur
Monsieur Michel ATTAL, Directeur de thèse
L’exercice d’une thèse suscite un travail d’une grande ampleur. Même achevée, la
thèse demeure toujours perfectible. C’est pourquoi l’ouvrage ci-après constitue une version
modifiée de l’ouvrage d’origine.

En effet, la version originelle de cette thèse fût le produit de quatre années de


recherche et de rédaction consacrées à l’étude du principe d’égalité en droit international
privé sous l’angle d’une approche systémique. Bien que ce travail enrichissant ait confirmé
mon vif attrait pour la recherche, il fût parfois laborieux. Ainsi, à l’occasion de ma
soutenance de thèse, et grâce à la bienveillance des membres du jury, plusieurs défauts et
erreurs ont été soulevés.

En vertu des remarques faites par les membres du jury de soutenance, mais aussi et
surtout de l’investissement dont a fait preuve le président du jury, le Professeur de Vareilles-
Sommières, postérieurement à la soutenance, j’ai pu procéder à de nombreuses modifications
tant sur la forme que sur le fond. De ce fait, il s’agit d’une version modifiée de ma thèse, du
moins améliorée conformément aux remarques et aux corrections qui ont pu être présentées
par les membres du jury.

Ce travail ayant alors fait l’objet de plusieurs rectifications, il est nécessaire d’en
préciser la plus importante, laquelle est relative à la modification du titre de la thèse. En
effet, grâce aux conseils du Professeur de Vareilles-Sommières, j’ai pu constater que le titre
de ma thèse s’avérait trop étendu eu égard à la démonstration que j’avais choisi. C’est
pourquoi, le nouveau titre de la thèse correspond désormais à la démonstration opérée au
cœur de la thèse et s’intitule « l’égalité de traitement des situations juridiques internationales
en droit des conflits de lois : essai d’une approche systémique ».
2
L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS
JURIDIQUES INTERNATIONALES EN DROIT DES
CONFLITS DE LOIS : ESSAI D’UNE APPROCHE
SYSTEMIQUE

3
4
REMERCIEMENTS

Je tiens, en tout premier lieu, à remercier mon directeur de thèse, Michel Attal, qui par
ses conseils avisés, ses critiques, sa disponibilité sans faille, ses encouragements, et surtout
son optimisme, m’a permis d’achever ce travail de recherche.

Je remercie également les membres du jury de soutenance, Pascal de Vareilles-


Sommières, Petra Hammje, Patrick Kinsch et Lukas Rass-Masson, d’avoir accepté d’évaluer
mon travail, et de partager mon approche scientifique du principe d’égalité en droit
international privé avec la leur.

Mes remerciements s’adressent aussi aux institutions et membres du personnel de


l’Université de Toulouse, sans lesquels, la réalisation de cette thèse aurait été vaine, et plus
particulièrement à Gaëlle Le Merer pour sa gentillesse et son obligeance.

Enfin, mes remerciements vont à tous mes amis et ma famille, qui m’ont soutenue tout
au long de ces quatre années de doctorat. Je les adresse spécialement à mon oncle, Jean-
François, pour avoir relu l’intégralité de ma thèse, à Séverin, Emna, Léa, Julie et Sarah, pour
m’avoir aidée tant moralement qu’intellectuellement jusqu’à l’aboutissement de ma thèse, et à
Marie et Clément pour m’avoir épaulée dans les dernières étapes de sa finalisation.

5
6
PRINCIPALES ABREVIATIONS
aff. : affaire
AJDA : Actualité juridique du droit administratif
AJ fam. : Actualité juridique du droit de la famille
ANTR : Atelier national de reproduction des thèses diffusion/distribution
Ass. pl. : Assemblée plénière de la Cour de cassation
BJS : Bulletin joly sociétés
Bull. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
CA : cour d’appel
Cass. : Cour de cassation
C. civ. : Code civil
CE : Conseil d’Etat
CEDH : Cour européenne des droits de l’Homme
Cf. : confer
Ch. : chambre de la Cour de cassation / chapitre
chron. : chronique
Civ. : chambre civile de la Cour de cassation
CJCE : Cour de Justice des Communautés européennes
CJUE : Cour de justice de l’Union européenne
Com. : chambre commerciale de la Cour de cassation
comm. : commentaires
Cons. const. : Conseil constitutionnel
concl. : conclusions
Conv. EDH : Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales
CPC : Code de procédure civile
Crim. : chambre criminelle de la Cour de la cassation
D. actualité : Dalloz actualité
DDHC : Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen
dir. : sous la direction de

7
doctr. : doctrine
D.P. : Dalloz Périodique
éd. : édition
Fasc. : fascicule
GAJFDIP : Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé
Gaz. Pal. : La Gazette du Palais
GPA : gestation pour autrui
H.-S. : hors-série
Ibid. : Ibidem
in : dans
IR : Informations rapides
infra : ci-dessous
J.-Cl. : Jurisclasseur
JCP : Jurisclasseur périodique : Semaine juridique
JCP E. : Jurisclasseur périodique : Semaine juridique édition entreprise et affaires
JCP G. : Jurisclasseur périodique : Semaine juridique édition générale
JCP N. : Jurisclasseur périodique : Semaine juridique édition notariale
JDI : Journal du droit international (Clunet)
LEDED : L’essentiel du droit des entreprises en difficulté
obs. : observations
op. cit. : Opere citato
p. : page
P. : partie
P. A. : Les petites affiches
PMA : procréation médicalement assistée
préc. : précité
PU : presses universitaires
RCADI : Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
RCDIP : Revue critique de droit international privé

8
Rec. : recueil
Rép. cont. adm. : Répertoire de contentieux administratif
Rép. intern. : Répertoire de droit international
Rép. proc. civ. : Répertoire de procédure civile
req. : chambre des requêtes de la Cour de cassation
Rev. UE : Revue de l’Union européenne
RFDA : Revue française de droit administratif
RIDC : Revue internationale de droit comparé
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial
RTD eur. : Revue trimestrielle de droit européen
s. : suivant
S. : Recueil Sirey
soc. : société
somm. : sommaire
spéc. : spécialement
supra : ci-dessus
T. : titre / tome
TCFDIP : Travaux du Comité français de droit international privé
TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TUE : Traité sur l’Union européenne
vol. : volume

9
10
SOMMAIRE
INTRODUCTION………………………………………………………………………….…………….13
PARTIE I : LA CREATION D’UN SYSTEME UNIQUE EN DROIT DES CONFLITS DE LOIS FONDE SUR
L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES
……………………………………………………………………………………………………….. ..47
TITRE I : L’EGALITE DE TRAITEMENT ENTRAVEE PAR LA MULTITUDE DE FONDEMENTS EN
DROIT DES CONFLITS DE LOIS…………………………………………………...…..………....49

CHAPITRE I : LA NEUTRALITE DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS CONTRARIEE PAR LES


ORIGINES MIXTES DU DROIT INTERNATIONAL
PRIVE…………………………………………………………………..………...……53

CHAPITRE II : LE FRACTIONNEMENT DES SOURCES DU DROIT DES CONFLITS DE LOI EN


RUPTURE AVEC L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS
INTERNATIONALES………………………………………………...……………..….155

TITRE II : L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES SUBORDONNEE A


LA METHODE CONFLICTUELLE BILATERALE OBJECTIVE A RATTACHEMENT
UNIQUE……………………………………………………………………………...………..251

CHAPITRE I : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EGALITAIRE ETROITEMENT LIEE AUX


REGLES DE CONFLIT OBJECTIVES BILATERALES…………………….…...…………..253

CHAPITRE II : LA STRUCTURATION D’UNE METHODE BILATERALE A RATTACHEMENT


AUX LIENS LES PLUS ETROITS PAR FIDELITE A L’EGALITE DE
TRAITEMENT…………………………………………………………...………….....353

PARTIE II : LA REFORMATION DU REGIME APPLICABLE EN DROIT DES CONFLITS DE LOIS


CONFORMEMENT A L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS
INTERNATIONALES………………………………………………...………………………………...449

TITRE I : LE REGIME D’APPLICABILITE DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS A REVISITER


CONFORMEMENT A L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES
………………………………………………………………………………………….….…453
CHAPITRE I : LA RECONSTITUTION DE LA METHODE D’APPLICABILITE AU REGARD DE
L’EGALITE DE TRAITEMENT…………………………………………………..……...455

CHAPITRE II : DE LA SUPPRESSION A LA REVISION DES MECANISMES PERTURBATEURS


EN VERTU DE L’EGALITE DE TRAITEMENT………………………………………..….547

TITRE II : LE REGIME D’APPLICATION DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS A RECONSIDERER A


L’AUNE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS
INTERNATIONALES…………………………………………………………...……………....635

CHAPITRE I : LE REGIME D’APPLICATION DE LA REGLE DE CONFLIT ET DE LA LOI


COMPETENTE A PERFECTIONNER AU REGARD DE L’EGALITE DE
TRAITEMENT…………………………………………………………………………637

CHAPITRE II : LA REMISE EN CAUSE PARTIELLE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT PAR


LES MECANISMES D’EVICTION DE LA LOI MATERIELLE
APPLICABLE……………………………………………………………………….....729

CONCLUSION………………………………………………………………………………….……...847

11
12
INTRODUCTION
1. L’égalité des hommes : la fin de tout système juridique. « Si l’on recherche en
quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de
législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité »,
« la liberté, parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de
l’Etat ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle »1. Ainsi, tel que le percevait
déjà Rousseau au XVIIIème siècle, la recherche de l’égalité est consubstantielle à tout
système juridique. En effet, si « dans l’état de nature, les hommes naissent bien dans
l’égalité », « ils n’y sauraient rester » car « la société la leur fait perdre »2. C’est pourquoi tout
système juridique se fait garant de l’égalité puisque les hommes « ne redeviennent égaux que
par les lois »3. Autrement dit, si l’égalité constitue le propre de l’homme, elle ne peut être
maintenue en société qu’en vertu des dispositions législatives mises en place par un Etat.
Ainsi, depuis l’idéologie des Lumières4, chaque Etat de droit et chaque nation aspirent à cette
forme de gouvernement. Comme l’affirmait déjà Tocqueville, « l’égalité suggérait aux
hommes la pensée d’un gouvernement unique, uniforme et fort » et « c’est donc vers un
gouvernement de cette espèce que tendent les nations de nos jours »5. Tout Etat de droit tente
d’assurer à ses sujets de droit l’égalité à laquelle ils peuvent prétendre6. Toutefois, si l’égalité
est une fin à laquelle se soumet chaque Etat, elle constitue également un droit fondamental,
reconnu à une échelle supranationale au bénéfice des sujets de droit privé7. Cette extension de
l’égalité à la sphère internationale laisse supposer qu’il s’agit d’une valeur qui transcende la
sphère nationale pour s’imposer dans l’ensemble de la société internationale. En d’autres
termes, l’égalité constitue un concept auquel doit tendre toute société, c’est-à-dire même la

1
J.-J. Rousseau, Ch. XI « Des divers systèmes de Législation », in Du contrat social, Flammarion, Paris, 2001,
spéc. p. 91.
2
Montesquieu, Ch. III « de l’esprit d’égalité extrême », in De l’esprit des lois, Tome I, Ed. de Robert Derathé,
Classiques Garnier, Bibliothèque du XVIIIème siècle, Paris, 2011, Livre VIII, spéc. p. 125.
3
Ibid.
4
Voir en ce sens : E. Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, traduit par J.-F. Poirier et F. Proust, réimpression,
Flammarion, 2006, p. 43 et s., lequel définit la pensée des Lumières comme « la sortie de l’homme hors de l’état
de tutelle dont il est lui-même responsable » en expliquant que s’il est inévitable qu’un public s’éclaire, ce n’est
qu’à la condition « qu’on lui accorde la liberté » ; ainsi « pour (les) Lumières, il n’est rien requis d’autre que la
liberté ».
5
A. De Tocqueville, III « Que les sentiments des peuples démocratiques sont d’accord avec leurs idées pour les
porter à concentre le pouvoir », in Le despotisme démocratique, L’Herne, 2009, spéc. p. 26.
6
Voir en ce sens : J.-J. Rousseau, op. cit., spéc. p. 92 : « Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation
qui ne peut exister dans la pratique : Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le
régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la
législation doit toujours tendre à la maintenir ».
7
Cf. infra § 4.

13
société internationale. Par conséquent, l’égalité devrait pouvoir être garantie aux sujets de
droit privé jusque dans leurs rapports internationaux. En outre, cette égalité ne peut être
appréhendée que par la mise en place d’un système juridique8. De ce fait, l’égalité des sujets
de droit privé, pour être préservée au sein de la société internationale, ne peut être garantie
que par un système de règles juridiques spécifiques au droit international privé. Pour autant,
en droit positif, existent diverses règles régissant les situations litigieuses propres au droit
international privé. Elles devraient alors par principe, conformément à leur nature de loi,
tendre à cette valeur fondamentale qu’est l’égalité9. Or, si ce postulat philosophique implique
un idéal à atteindre par la société internationale c’est-à-dire la préservation de l’égalité des
hommes, il convient d’appréhender les notions de droit international privé et d’égalité sous un
angle plus juridique et donc positif. Ce travail suppose alors préalablement de resituer
chacune de ces notions dans leur environnement juridique par le biais d’une contextualisation
à la fois historique et comparative afin de percevoir le lien qui préexiste entre elles.
2. La systématisation du droit international privé. « L’expression de « droit
international privé » a été forgée au XIXème siècle »10. En effet, il s’agit d’une discipline
« neuve »11 puisqu’elle n’a été saisie par la doctrine qu’à partir du Moyen Âge et n’a fait
12
l’objet d’une véritable réglementation juridique qu’à compter du XIXème siècle .
Néanmoins, si la matière n’a été conceptualisée que tardivement, les conflits de lois sont
apparus dès l’époque du droit romain chaque fois que les droits de cités différentes se
confrontaient et pouvaient trouver à s’appliquer13. Historiquement, le problème du conflit de
lois est ancien, malgré sa conceptualisation tardive. Ainsi, dès le XIXème siècle, notamment
« avec la codification de 1804, la science du conflit de lois entre en sommeil en France »14 et
se répand parallèlement en Europe et aux Etats-Unis15. A compter de cette époque, le droit
international privé a fait l’objet d’une systématisation globale essentiellement fondée sur la
doctrine de Savigny consistant à résoudre le conflit de lois par l’adoption de règles de conflit

8
Cf. supra § 1 et spéc. note n° 3.
9
Voir en ce sens : J. Habermas, Ch. III « Reconstruction du droit », 1. « Le système des droits », in Droit et
démocratie : entre faits et normes, Gallimard, 1997, spéc. p. 98 : « Le concept de loi explicite l’idée, déjà
contenue dans le concept de droit, d’égalité de traitement : dans la forme des lois universelles et abstraites, tous
les sujets bénéficient des mêmes droits ».
10
B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, Economica, 7ème éd., 2013, § 2.
11
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, 10ème éd., 2013, § 3.
12
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 129.
13
Cf. infra § 42.
14
P. Graulich, Principes de droit international privé, Dalloz, 1ère éd., 1961, § 6.
15
Ibid.

14
bilatérales en leur assignant, pour chaque rapport de droit, un siège déterminé 16 . La
conception classique du conflit de lois est donc fondée sur cette doctrine tendant à préconiser
l’universalisme de la méthode c’est-à-dire un règlement uniforme des conflits de lois commun
dans tous les pays17. Cependant, au regard de « la faiblesse de plus en plus évidente du rôle
joué par les sources internationales » 18 au début du XXème siècle, le particularisme s’est
substitué à l’universalisme afin de convenir que chaque Etat possède et doit posséder son
propre système de conflit de lois19. Par conséquent, la systématisation du droit international
privé s’est construite à l’aune de ces deux conceptions 20 . En outre, désormais, le droit
international privé constitue une discipline en droit positif, laquelle se décline tant sous forme
de source nationale que de source internationale21.
3. La conceptualisation du principe d’égalité. De la même façon que la discipline
du droit international privé s’est conceptualisée tardivement, le principe d’égalité n’a été
reconnu juridiquement qu’à la fin du XVIIIème siècle. En effet, le concept d’égalité est tout
aussi ancien que celui du conflit de lois, puisque « dès l’Antiquité grecque, apparaissent les
premières tentatives de formalisation du concept d’égalité, notamment dans l’œuvre de
Platon, mais aussi et surtout dans celle d’Aristote »22. Toutefois, ce n’est qu’à la suite de la
Révolution française que le principe d’égalité fait l’objet d’une reconnaissance juridique en
intégrant le corps de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en ses
articles 1er et 623. Depuis lors, comme la discipline du droit international privé, il a intégré le
droit positif, puisqu’il constitue tant une « norme constitutionnelle » 24 en droit français 25 ,

16
P. Graulich, Principes de droit international privé, Dalloz, 1ère éd., 1961, § 7.
17
P. Mayer, Droit international privé, Domat, 6ème éd., 1998, § 69.
18
Ibid., § 72.
19
Ibid.
20
Cf. infra § 150 et s.
21
Cf. infra § 272 et s.
22
F. Mélin-Soucramanien, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du conseil constitutionnel, Economica,
1ère éd., 1997, § 1.
23
Art. 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ; art. 6 : la loi « doit être la même
pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également
admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de
leurs vertus et de leurs talents ».
24
F. Mélin-Soucramanien, op. cit., § 4.
25
Voir en ce sens : Art. 1er, 3, 11, 12, 13 et 16 du préambule de la Constitution du 27 oct. 1946 ; préambule et
art. 1, 2 et 3 de la Constitution du 4 oct. 1958.

15
qu’un droit fondamental en droit international 26 depuis son intégration dans les diverses
« conventions relatives à la protection des droits de l’Homme, qui se sont développées après
la seconde guerre mondiale »27. Ainsi, la discipline du droit international privé et le principe
d’égalité constituent deux concepts juridiques admis en droit positif, dont l’objectif est
d’assurer leur effectivité. De plus, au-delà de cette contextualisation tant historique que
législative qui les rapproche, ils se dotent d’une portée similaire au regard d’une approche
comparative. Ils ont chacun une vocation universelle et s’appliquent partout au sein de la
société internationale c’est-à-dire tant sur le plan spatial que temporel.
4. La vocation universelle du droit international privé et du principe d’égalité.
Le développement de ces notions juridiques en droit positif conduit à relever qu’ils aspirent
tous deux à l’universalisme. Si le droit international privé n’est pas uniforme puisqu’il ne fait
pas l’objet d’une réglementation identique dans chaque Etat du monde 28 , il possède une
dimension universelle dans la mesure où il a vocation à exister dans tous les pays du monde29.
En effet, « les rapports entre personnes de nationalités différentes ou au-delà des frontières
créent, en raison de l’élément étranger qu’ils impliquent, une vie privée internationale à côté
de la vie privée interne des sujets de chaque Etat »30, laquelle peut donner naissance à des
conflits internationaux qui doivent nécessairement être résolus par les règles du droit
international privé. De plus, en tant qu’« instrument de gestion de la diversité des droits, (il)
s’est ainsi vu confier une place croissante, à la mesure du développement des relations privées
internationales, la disparition même de ses causes génératrices n’étant de surcroît guère
envisageable »31. Par conséquent, le droit international privé aspire à l’universalisme dans la
mesure où il demeure indispensable pour régir les rapports internationaux des particuliers au

26
Voir notamment en ce sens : art. 20 de la Charte des droits fondamentaux ; art. 14 de la Convention
européenne des droits de l’Homme et son protocole add. n°7 ; art. 1er et 7 de la Déclaration universelle des droits
de l’Homme et du citoyen ; art. 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies ;
art. 3 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ; art. 24 de la Convention américaine relative
aux droits de l’Homme.
27
S. Robin-Olivier, « Introduction », in Le principe d’égalité en droit communautaire, Thèse, Aix-Marseille,
1999, PU Aix-Marseille, 1999, spéc. p. 21.
28
G. Cornu, « uniformisation », in Vocabulaire juridique, PUF, 12ème éd., p. 942.
29
Voir en ce sens : G. Cornu, « universel », op. cit., p. 945 : « admis dans tous les pays ; mondialement reconnu
ou ayant vocation à l’être ».
30
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 1.
31
D. Bureau et H. Muir-Watt, Le droit international privé, PUF, 1ère éd., Que sais-je ?, 2009, p. 3.

16
sein de la société internationale. Ceci ne peut être qu’accentué par le phénomène
d’« internationalisation croissante des litiges »32.
De la même façon, le principe d’égalité tend à l’universalisme depuis qu’il a intégré le
rang des droits de l’Homme33. En effet, sa nature de droit de l’homme en fait un fondement
juridique universel dans la mesure où il consiste en une prérogative considérée comme
« appartenant naturellement à tout être humain dont le droit public (…) s’attache à imposer à
l’Etat le respect et la protection »34. Ainsi, tant la discipline du droit international privé que le
principe d’égalité ont vocation à s’imposer de manière universelle au sein de la société
internationale.
5. L’ubiquité du droit international privé et du principe d’égalité. De surcroît,
ces deux concepts juridiques peuvent être qualifiés d’ubiquitaires dans la mesure où ils sont
omniprésents tant sur le plan temporel que spatial. D’une part, les problèmes soulevés par le
conflit de lois et par le principe d’égalité sont anciens puisqu’ils ont été identifiés dès
l’Antiquité35. Depuis lors, ces problèmes ont subsisté et tentent d’être solutionnés par le droit
positif. Or, si des règles de droit s’évertuent à résoudre ces problèmes, il n’empêche que ces
derniers sont demeurés et qu’ils demeureront éternellement 36 . C’est pourquoi tant le droit
international privé que le principe d’égalité sont deux concepts omniprésents sur le plan
temporel. Ainsi, ce sont deux fondements juridiques atemporels qui ne cesseront que lorsque
tout conflit de lois ou de juridictions cessera et lorsque toute inégalité entre particuliers sera
anéantie. D’autre part, les règles applicables à ces problèmes juridiques se sont développées
de telle façon qu’elles atteignent le monde entier. S’agissant du droit international privé,
chaque Etat s’est doté de ses propres règles de conflit pour résoudre les conflits de lois et les
conflits de juridictions. Or, des règles de conflit supranationales sont également apparues
notamment à l’état de région, comme les règlements européens de l’Union européenne ou les
conventions internationales émanant de la Conférence de La Haye. Ainsi, le droit

32
Voir en ce sens : J.-S. Bergé, « L’internationalisation croissante des litiges : les réponses apportées en matière
de presse et de droit d’auteur par la proposition de règlement communautaire « Rome II » », Legicom,
Cairn.info, 2004/1, n°30, p. 117 à 125.
33
Voir en ce sens : N. Belloubet, « Le principe d’égalité », AJDA 1998, p. 152 : « ce principe qui procède de
l’ordre des moyens et non des fins est devenu une référence parfois implicite mais toujours nécessaire de
l’ensemble de notre droit ».
34
G. Cornu, « droits de l’Homme », op. cit., p. 335.
35
Cf. supra § 2.
36
Voir en ce sens : P. Leroux, De l’égalité, Boussac : imprimerie de Pierre Leroux, 1848, 1ère partie, spéc. p. 4-
5 : « il est bien vrai, l’inégalité règne partout sur la terre ; nous la trouvons à quelque époque des temps
historiques que nous remontions, et le jour où elle disparaîtra est peut-être encore bien loin ».

17
international privé a gagné toute la sphère spatiale de la société internationale. De manière
similaire, le principe d’égalité s’est imposé dans chaque Etat du monde dans la mesure où il
constitue à ce jour « la pierre angulaire de la jurisprudence constitutionnelle quels que soient
les pays »37. De plus, bien que principe fondateur de la plupart des Etats de droit38, il est
également garanti par diverses sources internationales 39 afin d’assurer son effectivité à
n’importe quel endroit du monde.
6. La combinaison de fondements juridiques à dimension internationale.
Indéniablement, la discipline du droit international privé ainsi que le principe d’égalité
présentent des caractères similaires au regard de cette approche comparative. Ainsi, d’après
l’universalisme vers lequel ils tendent et l’ubiquité dont ils font état, ils constituent des
fondements juridiques primordiaux au sein de la société internationale. C’est pourquoi il est
intéressant d’opérer un lien entre ces fondements juridiques afin de déterminer si leur identité
de caractères peut se concilier, et conséquemment, s’ils peuvent répondre de leurs fonctions
respectives l’un au travers l’autre. Autrement dit, il s’agirait d’apprécier si le droit
international privé peut assurer le respect du principe d’égalité dans la mise en œuvre de ses
règles et réciproquement. De plus, ceci ne peut qu’être confirmé par le fait que « les relations
entre le droit international privé et les droits de l’Homme ou les droits fondamentaux n’ont
rien de surprenant » puisque « de façon plus ou moins diffuse, elles ont en effet toujours
existé »40.
7. Le respect du principe d’égalité en droit international privé. Toutefois, le lien
entre la discipline du droit international privé et le principe d’égalité n’a été abordé que sous
certains aspects particuliers. En effet, le principe d’égalité suscite essentiellement l’intérêt en
doctrine et en jurisprudence au regard des solutions matérielles qui sont dégagées par le droit
international privé. En d’autres termes, l’égalité, en droit international privé, est globalement
envisagé au regard du résultat produit par la règle de conflit. Par exemple, la jurisprudence
s’est montrée soucieuse du respect du principe d’égalité en matière de désunion à propos des
hypothèses de répudiation. Par conséquent, la haute cour s’est attardée à faire respecter le

37
L. Favoreu, « Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux », in Objet et portée de la
protection des droits fondamentaux – débats, Economica, PU Aix-Marseille, 1982, spéc. p. 400.
38
D. Alland et S. Rials, « égalité », in Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p. 585 et s. : « le principe
d’égalité n’est pas un principe comme les autres », « il est la charnière des systèmes politico-juridiques
modernes ».
39
Cf. supra note n° 25.
40
F. Marchadier, Les objectifs généraux du droit international privé à l’épreuve de la Convention européenne
des droits de l’Homme, Thèse, Limoges, 2005, Bruylant, 2007, § 2.

18
principe d’égalité entre époux, conformément au protocole n°7 de la Convention européenne
des droits de l’homme41. En revanche, ce principe n’a été que peu ou voire pas étudié sous
une approche différente42. En effet, la coordination du principe d’égalité avec la discipline du
droit international privé n’a que rarement ému la doctrine lorsqu’il est envisagé, non plus au
regard de la règle matérielle produite par la règle de conflit, mais au regard du résultat indirect
qui est atteint par la règle de conflit43. Ainsi, le principe d’égalité est appréhendé davantage de
manière individuelle au regard de chaque solution de fond appliquée à la situation
internationale. A contrario, il n’est que rarement confronté à une approche plus globale
consistant à s’interroger sur le résultat indirect produit par les règles de conflit. C’est pourquoi
conformément à la vocation universelle à laquelle tant la discipline que ce principe aspirent, il
serait pertinent d’investir ce nouvel axe d’étude. En effet, dans la mesure où ils usent d’un
champ d’application identique, à savoir universel, leur confrontation pourrait conduire à
s’interroger sur leur coordination au travers d’un angle différent que celui cantonné au résultat
matériel. D’ailleurs, s’est déjà posée la question de savoir quelle pourrait être l’incidence des
textes internationaux garantissant le principe d’égalité sur le droit international privé44. En
effet, si aucun de ces textes n’a été régi spécifiquement au regard du droit international privé,
« aucun de ces textes n’exclut non plus sa propre application aux règles de droit international
privé »45. Par conséquent, malgré l’autonomie de chacun de ces concepts, il semblerait que le
droit international privé ne puisse s’exempter du respect du principe d’égalité46. Or, s’il ne
peut s’y soustraire, il devrait pouvoir lui donner une effectivité plus globale, qui ne se

41
Cass., Civ. 1ère, 17 fév. 2004, RCDIP 2004 p. 423, note P. Hammje ; JDI 2004, p. 1200, note L. Gannagé ;
JCP G. 2004, II, p. 10128, note H. Fulchiron ; Dalloz 2004, p. 815, chron. P. Courbe, et p. 824, concl. F.
Cavarroc ; AJ fam. 2004, p. 140, obs. S. David ; RTD civ. 2004, p. 367, obs. J. Marguénaud ; et Cass., Civ. 1ère, 4
juill. 2018, n°17-16.102, AJ fam. 2018, p. 469, note C. Roth.
42
Voir en ce sens : G. M. Ubertazzi, « Règles de non-discrimination et droit international privé », RCADI, 1977,
vol. n°157, spéc. p. 348 : « Malgré le poids qu’il a acquis au cours de ces dernières décennies, le principe de non-
discrimination n’a pas encore gagné une place importante dans la doctrine des conflits de lois. On est même tenté
de constater que, jusqu’à ces dernières années, la plupart des spécialistes n’ont porté aucun intérêt à son égard » ;
L. G. Radicati di Brozolo, « L’influence sur les conflits de lois des principes de droit communautaire en matière
de liberté de circulation », RCDIP 1993, p. 401 : « Les rapports entre les conflits de lois et le droit
communautaire n’ont pas beaucoup retenu l’attention de la doctrine ».
43
Voir en ce sens : W. Wengler, « Les conflits de lois et le principe d’égalité », RCDIP 1963, p. 204 et p. 503 ;
P. Kinsch, « Principe d’égalité et conflits de lois », TCFDIP 2002-2004, p. 117 à 144 ; et G. M. Ubertazzi, op.
cit.
44
Ibid., spéc. p. 118.
45
Ibid.
46
Voir en ce sens : G. M. Ubertazzi, op. cit., spéc. p. 351 : « L’orientation nouvelle s’inscrit dans la tendance à
reconnaître le rôle des principes fondamentaux, dans leur ensemble, en tant qu’éléments du modèle de l’Etat de
droit », « il suffira de rappeler que, en aboutissant à reconnaître l’influence des droits fondamentaux dans le
domaine du droit international privé, la voie a été ouverte pour que soit reconnue la même influence au principe
de non-discrimination ».

19
cantonne pas aux solutions de fond appliquées aux différentes situations internationales. Il est
alors important de s’interroger sur l’effectivité de ce principe au sein de la discipline du droit
international privé. Néanmoins, il est désormais nécessaire de définir précisément tant la
notion de « droit international privé » que d’« égalité ».
8. Notion de droit international privé. Le droit international privé peut se définir
comme « la branche du droit privé dont l’objet est d’apporter un règlement approprié aux
relations privées présentant un caractère international », ce qui implique « l’élaboration et la
mise en œuvre d’un outillage normatif particulier, distinct de celui du droit commun et qui
forme le contenu de la discipline »47. Il s’agit donc d’une discipline du droit particulière en ce
sens qu’elle ne joue qu’à l’égard des litiges présentant un caractère international 48 . Par
conséquent, il faut que « le litige présente un élément d’extranéité », lequel peut tenir à la
personne des plaideurs au regard de leur nationalité ou de leur domicile, ou encore à l’objet du
litige au regard de son lieu de situation 49 . Toutefois, la situation litigieuse doit être
objectivement internationale c’est-à-dire qu’elle « met en cause deux ou plusieurs pays, par
ses éléments intrinsèques »50. En d’autres termes, « si un organe est saisi, quel qu’il soit, son
appréciation du caractère international ou non (…) de la relation ne peut varier »51. Plus que
d’être une matière propre à la sphère internationale, il s’agit d’une discipline qui se cantonne
aux personnes privées. Elle se distingue alors du droit international public depuis la moitié du
XIXème siècle52. Ainsi, « alors que le droit international public s’occupe des relations directes
entre les Etats et a pour but d’aplanir les difficultés qui sont susceptibles de se produire entre
eux à propos de leurs intérêts vitaux, le droit international privé a simplement pour but de
résoudre les conflits qui se manifestent sur le terrain de la compétence législative et
juridictionnelle des Etats » 53 . Autrement dit, le droit international privé n’est applicable
qu’aux « personnes privées impliquées dans des relations juridiques internationales »54. Enfin,

47
D. Alland et S. Rials, « droit international privé », op. cit., p. 491 et s.
48
Voir en ce sens : P. Graulich, op. cit., § 1 : « Le droit international privé a essentiellement pour objet la
recherche (d’une) réglementation des conséquences de droit privé des faits ou rapports sociaux dont tous les
éléments ne se réalisent pas dans une seule sphère juridique ».
49
H. Gaudemet-Tallon, « Compétence civile et commerciale », Rép. intern. Dalloz, 1998, p. 3.
50
P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Domat - Montchrestien, 11ème éd., 2014, § 5.
51
Ibid.
52
Voir en ce sens : G. Van Hecke, « Droit public et conflit de lois », TCFDIP 1982-1984, spéc. p. 226 : « il
semble bien établi qu’à partir de la moitié du 19ème siècle les auteurs qui traitaient du droit international privé
avaient chassé de leur horizon tout ce qui rassortissait au droit public ».
53
L. Rigaud, « XIII : Définitions », in Cours de droit international privé, Domat - Montchrestien, 2ème éd., 1943,
p. 41 et s.
54
P. Mayer, op. cit., § 2.

20
et surtout, le droit international privé constitue un droit spécial dans la mesure où il « ne prend
pas nécessairement en charge le règlement intégral de la question juridique posée » et « ne
traite que les problèmes spécifiques directement liés au caractère international de celle-ci »55.
Il s’agit alors principalement « d’un droit qui cherche à répartir les sphères juridiques » pour
« trouver le juste équilibre entre la répartition des compétences judiciaires et législatives »56.
C’est pourquoi le principe d’égalité doit pouvoir être envisagé à l’aune d’une approche
globale le confrontant au résultat indirect issu des règles de droit international privé.
Toutefois, « dans l’acception française traditionnelle de la matière, (la discipline) couvre
l’étude de quatre questions, à savoir le conflit de lois, le conflit de juridictions, la nationalité,
et la condition des étrangers » 57 . L’étendue de son champ d’application invite alors à en
limiter l’étude afin de proposer une démonstration compatible et cohérente avec celle du
principe d’égalité.
9. Cantonnement au conflit de lois. L’étude du principe d’égalité au travers du
droit international privé se confinera à une approche restrictive tendant à ne considérer que le
conflit de lois. Celui-ci « a pour objet de déterminer, à l’intention de l’organe compétent ou de
l’interprète qui en anticipe la décision, le droit sur le fondement duquel il doit résoudre une
question juridique issue d’une situation de fait comportant des liens avec plusieurs pays »58.
En d’autres termes, « il y a conflit de lois toutes les fois qu’une situation juridique pouvant se
rattacher à plusieurs pays, il faut choisir, entre les lois de ces différents Etats, celle qui sera
appelée à régir le rapport de droit considéré » 59 . Il s’agit donc d’une simple « règle de
conflit » qui « se borne à désigner la loi applicable sans résoudre l’affaire au fond »60, ou plus
précisément qui « a pour fonction de déterminer, du point de vue de l’organe saisi, la règle de
décision applicable à une question de droit issue de faits liés à plusieurs pays »61. Or, pour
parvenir à cette désignation, la règle de conflit a classiquement pour objet « la localisation des
rapports de droit » en résolvant le problème du conflit de lois par application de la loi « en

55
Ibid., § 3.
56
H. Gaudemet-Tallon, « Le pluralisme en droit international privé : richesses et faiblesses (le funambule et
l’arc-en-ciel) », RCADI, 2005, vol. n°312, § 158.
57
L. Rass-Masson, Les fondements du droit international privé européen de la famille, Thèse, Paris, Panthéon-
Assas, 2015, § 12.
58
D. Bureau et H. Muir-Watt, op. cit., spéc. p. 72.
59
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 5.
60
Ibid., § 18.
61
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 329.

21
principe la plus appropriée »62 c’est-à-dire celle avec laquelle la situation litigieuse présente
les liens les plus significatifs63. Ainsi, la règle de conflit « subordonne l’application de la loi
d’un Etat à l’existence d’un lien entre la situation internationale de l’Etat »64. Or, « c’est ce
lien, la localisation qui confère à la loi son titre d’application »65.
Toutefois, la détermination de ce lien de rattachement s’illustre au travers de
nombreuses formes, puisqu’il peut varier d’un Etat à l’autre, ou d’une région à l’autre. De la
même façon, il est susceptible de déclinaisons différentes au regard de la matière concernée,
tout comme il peut être unique ou multiple. Néanmoins, il demeure que ce lien de
rattachement reste en principe évalué au regard d’une localisation fondée sur la loi qui
présente les liens les plus significatifs. C’est pourquoi eu égard à ce principe, qui régit
intégralement les conflits de lois en droit international privé, il est intéressant de s’interroger
sur le respect du principe d’égalité. En effet, il convient de se demander si la contraction de la
loi la plus significative sous forme de règle de conflit de lois respecte le principe d’égalité. Il
s’agira alors de vérifier que le corpus de règles de conflit de lois en droit positif répond de
cette fonction localisatrice et corrélativement assure un traitement égalitaire des situations
juridiques. En d’autres termes, l’étude du principe d’égalité se cantonnera au droit des conflits
de lois. Toutefois, ce choix se justifie au regard de l’objectif poursuivi par les autres pans du
droit international privé.
10. Exclusion du conflit de juridictions. En revanche, l’étude ne sera pas élargie aux
conflits de juridictions en raison de la différence de nature qui existe entre la règle de conflit
de lois et la règle de conflit de juridictions. En effet, le conflit de juridictions concerne « à la
fois les règles relatives à la détermination de la compétence internationale directe des
tribunaux ou des autorités d’un Etat, ainsi que les règles relatives aux effets dans un Etat des
décisions rendues par les tribunaux ou autorités d’autres Etats »66. Par conséquent, l’« enjeu
est bien différent selon qu’il s’agit de poser une règle de compétence judiciaire ou une règle

62
P. Picone, « Les méthodes de coordination entre ordres juridiques en droit international privé : cours général
de droit international privé », RCADI, 1999, vol. n°276, § 5.
63
D. Allard et S. Rials, « Conflits de lois » in « Droit international privé », op. cit., p. 492-493.
64
P. M. Patocchi, Règles de rattachement localisatrices et règles de rattachement à caractère substantiel, Thèse,
Genève, 1985, Georg & Cie, 1985, § 471.
65
Ibid.
66
L. Rass-Masson, op. cit., § 13.

22
de conflit de lois »67. Effectivement, « alors que la loi applicable au fond doit avoir un rapport
étroit avec la substance même de la matière, tel ou tel tribunal pourra être estimé compétent
pour des raisons plus matérielles et contingentes (commodités d’accès pour les plaideurs,
proximité avec l’événement pour faciliter l’administration des preuves, probabilité
d’exequatur dans le pays où l’exécution de la décision aura lieu etc.) »68. Ainsi, contrairement
à la règle de conflit de lois, qui constitue une règle indirecte, orientée par sa fonction
localisatrice, la règle de conflit de juridictions est « une règle substantielle, du moins en ce
sens qu’elle n’a pas à désigner la loi compétente pour régler le problème de compétence
juridictionnelle, mais tranche directement ce problème, le tribunal français saisi de l’affaire se
déclarant compétent ou non » 69 . C’est pourquoi le conflit de juridictions, essentiellement
guidé par le principe de bonne administration de la justice, peut consacrer certaines inégalités
entre les sujets de droit comme c’est le cas avec les privilèges de juridiction70. Par conséquent,
dans la mesure où le conflit de juridictions se différencie du conflit de lois en ce qu’il répond
davantage d’une justice matérielle, il est cohérent de l’exclure du champ d’application de
notre étude puisque, par nature, il peut conduire à des inégalités entres les sujets de droit,
justifiées par l’objectif précité de bonne administration de la justice, et qu’il ne convient pas
de remettre en cause. Finalement, la nature spécifique du droit des conflits de lois, consistant
à déterminer la localisation des lois dans l’espace sur la base d’un postulat de proximité,
suscite l’idée que l’application de ce droit aux différentes situations juridiques internationales
pourrait répondre du principe d’égalité. En effet, contrairement au droit des conflits de
juridictions, les conflits de lois ne répondent pas, en principe, d’une politique matérielle, mais
seulement d’une politique de rattachement, laquelle ne conduit pas inévitablement à des
inégalités de traitement.
11. Exclusion de la nationalité et de la condition des étrangers. De surcroît,
doivent également être exclues les questions relatives à la nationalité et à la condition des

67
H. Gaudemet-Tallon, « La compétence judiciaire internationale directe à l’aube du XXIème siècle, quelques
tendances », « Clés pour siècles », Dalloz 2000, p. 126, laquelle ajoute que la règle de conflit de lois « doit
désigner une loi unique pour régir le rapport de droit en cause, rapport qui, normalement, ne saurait relever de
plusieurs lois en même temps, au contraire la (règle de conflit de juridictions) peut admettre la compétence
concurrente de plusieurs tribunaux entre lesquels le demandeur choisira ».
68
Ibid.
69
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 18.1°.
70
C. civ. art. 14 : « L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour
l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les
tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français » ; C. civ. art.
15 : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en
pays étranger, même avec un étranger ».

23
étrangers. En effet, le corpus de règles applicables à la condition des étrangers et à la
nationalité, plus que de répondre à une justice matérielle, est constitué par des règles de fond
dont l’objet permet d’une part de « déterminer les prérogatives dont peuvent bénéficier les
étrangers sur notre territoire »71 , et d’autre part, d’établir « l’allégeance d’un individu par
rapport à un Etat »72. De la même façon que le conflit de juridictions, il existe une véritable
différence de nature dans la mesure où cet ensemble de normes répond d’une justice
matérielle propre. En sus, ces règles n’ont pas le même objet que les règles de conflit dans la
mesure où elles ne visent pas « des questions de méthodes fondamentales du droit
international privé »73. Or, l’étude du principe d’égalité en droit international privé consiste à
définir si l’égalité à laquelle peuvent prétendre les sujets de droit est préservée par sa méthode
issue de son caractère spécial74. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si l’égalité, en
principe garantie aux sujets de droit, est respectée par le droit des conflits de lois, envisagé au
regard de la justice conflictuelle, laquelle ne tend qu’à la répartition des compétences
législatives. Autrement dit, l’analyse du principe d’égalité sera restreinte à l’étude du conflit
de lois eu égard au particularisme de cette science qui ne répond pas, par principe, d’une
justice substantielle comme les autres branches du droit international privé.
12. Le droit international privé envisagé sous forme de système. En tout état de
cause, si le droit international privé n’est envisagé qu’au regard du conflit de lois, il sera
également appréhendé sous forme de système, c’est-à-dire au regard de l’ensemble de ses
règles 75 . En effet, comme l’affirmait Batiffol, « le développement moderne du droit
international privé suggère l’idée qu’il tend vers un ordre de systèmes » puisque, de nos jours,
l’étude de la discipline permet de constater « l’organisation en systèmes de droit privés
internes » c’est-à-dire que « chaque droit privé interne constitue un système »76 comportant
ses propres règles de conflit. Ainsi, chaque Etat s’est doté de son propre système. Autrement
dit, la théorie générale du conflit de lois fait l’objet d’une systématisation par chaque ordre
juridique, lequel peut être autant national que régional, et dont l’objectif est sans doute de
garantir « une recherche scientifique des solutions »77.

71
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 21.
72
Ibid., § 23.
73
L. Rass-Masson, op. cit., § 14.
74
Cf. supra § 8.
75
Voir en ce sens : G. Cornu, « Système de conflits », op. cit., p. 906 : « Règles et principes relatifs aux conflits
de lois en vigueur dans un Etat (plus généralement dans un ordre juridique) considérés dans leur totalité ».
76
H. Batiffol, Les aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, 2002, § 7, 8 et 10.
77
P. Graulich, op. cit., § 7.

24
En réalité, au-delà du fait qu’il est de conception classique d’envisager le conflit de
lois sous l’angle d’un système, il est nécessaire de recourir à ce processus d’ensemble pour
analyser correctement l’effectivité du principe d’égalité en droit des conflits de lois.
Effectivement, « raisonner en termes de système ou d’ordre juridique plutôt qu’en fonction de
la règle de droit prise individuellement »78 paraît plus adapté dans la mesure où elle permet
d’envisager la discipline dans son entièreté. A contrario, une approche individuelle de chaque
règle de conflit conduirait « à la négation (…) d’un droit international »79. C’est pourquoi il
est indispensable d’envisager le droit international privé par le biais d’une approche
systémique. Ainsi, l’objet de l’étude consistera à établir si un système entier de droit
international privé, c’est-à-dire si toutes les règles qui le composent, peut respecter et garantir
l’égalité des situations juridiques internationales soumises à la discipline.
12.1. Une systématisation limitée aux situations en devenir. Si l’étude du principe
d’égalité en droit des conflits de lois invite à l’envisager de manière globale c’est-à-dire dans
un système d’ensemble, celle-ci doit se cantonner aux situations juridiques en devenir. En
effet, l’objectif est de déterminer un système complet permettant de traiter chaque situation
juridique internationale nouvelle. Par conséquent, seront nécessairement envisagées les
différentes méthodes applicables en droit des conflits de lois, et de manière plus globale, la
théorie générale des conflits de lois. Implicitement, au travers de cette étude, ne seront pas
étudiées les méthodes traitant spécifiquement de l’efficacité des situations internationales, et
notamment la méthode de la reconnaissance. Toutefois, si une méthode spécialement
applicable aux situations nouvelles est recherchée, seront parfois envisagés au cœur du régime
quelques points de droit en corrélation avec l’efficacité des situations internationales dans la
mesure où l’étude de la théorie générale des conflits de lois invite à étudier l’application de la
règle de conflit jusqu’à son stade ultime c’est-à-dire jusqu’à l’application de la loi matérielle
compétente.
Or, si la méthode la reconnaissance constitue une méthode spécifique au droit des
conflits de lois, elle sera exclue de cette démonstration. Cette méthode « est celle qui va
permettre la reconnaissance d’une situation sans vérification par l’Etat où elle est invoquée de
la loi appliquée lors de sa création »80. Elle « propose d’accepter de reconnaître les situations

78
G. Abi-Saab, « Cours général de droit international public », RCADI, 1987, vol. n°207, spéc. p. 106.
79
Ibid., spéc. p. 107.
80
P. Lagarde, « Introduction », in « La méthode de la reconnaissance est-elle l’avenir du droit international
privé ? », RCADI, 2014, vol. n°371, spéc. p. 20-21.

25
constituées conformément à un système étranger de droit international privé, et de le faire
sous la condition, ayant trait au conflit de lois, qu’elles aient été valablement constituées selon
le système étranger (…) ; elle propose par conséquent de renoncer à leur appréciation au
regard de la règle de conflit de lois de l’Etat de la reconnaissance » 81 . Toutefois, cette
méthode invite à opérer une distinction, voire une division au sein de la discipline du droit
international privé pour reprendre les propos du Professeur Lagarde. En effet, d’après celui-ci,
« la véritable division de cette discipline est entre la création des droits et leur efficacité hors
de l’ordre juridique qui leur a donné naissance »82. Par conséquent « les règles applicables à
l’efficacité des situations ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui régissent leur
création », et « c’est ce qu’illustre la méthode de reconnaissance des situations » 83 . A
contrario, « quand il s’agit de création, la situation par hypothèse n’existe pas encore, et l’on
ne saurait parler de reconnaissance »84. C’est pourquoi dans la mesure où la méthode de la
reconnaissance n’a pas vocation à traiter de la création de situations juridiques internationales,
elle sera exclue de cette démonstration qui a pour objet de rechercher un système applicable
aux situations en devenir.
12.2. Une systématisation essentiellement conceptuelle. De surcroît, organiser cette
étude au regard d’une approche systémique invite à s’interroger sur une potentialité. En effet,
il va s’agir de discuter de l’éventuelle mise en place d’un système de droit des conflits de lois
qui, tant par sa méthode, que par son régime traite chaque situation similaire de manière
égalitaire. Or, pour parvenir à atteindre ce résultat, l’angle d’attaque doit nécessairement, ou
du moins de prime abord, être théorique afin de déterminer si une méthode applicable en droit
des conflits de lois, puis son régime peuvent prétendre à une telle aspiration. Par conséquent,
l’enjeu ne consiste pas tant à établir si, en pratique, l’égalité est garantie par les règles de droit
international privé positives, mais plutôt à se questionner sur la possibilité de bâtir un système
unique propre au droit des conflits de lois garantissant ce résultat. C’est pourquoi il sera
nécessaire de repenser en amont l’intégralité du système par le biais d’une approche plus
conceptuelle que réelle. En effet, il s’agit d’une étape préalable incontournable pour savoir si

81
P. Kinsch, « L’apport de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’hommes », in La
reconnaissance des situations en droit international privé, Actes du colloque international de La Haye du 18
janv. 2013 sous la dir. de P. Lagarde, Ed. A. Pedone, 2013, p. 43 et s.
82
P. Lagarde, op. cit., spéc. p. 20-21.
83
Ibid.
84
P. Mayer, « Introduction au thème de la reconnaissance des situations : rappel des points les plus discutés », in
La reconnaissance des situations en droit international privé, Actes du colloque international de La Haye du 18
janv. 2013 sous la dir. de P. Lagarde, Ed. A. Pedone, 2013, p. 19 et s.

26
la réalisation de l’égalité au travers d’un système unique est plausible ou du moins
envisageable. Par conséquent, l’approche choisie sera inévitablement plus abstraite que
concrète. En tout état de cause, pour parvenir à théoriser ce système conformément à un
objectif d’égalité, encore faut-il établir ce qu’il faut entendre par « égalité » des situations
juridiques internationales soumises au droit des conflits de lois.
13. Notion d’égalité. Définir l’égalité s’avère une tâche difficile dans la mesure où il
s’agit d’une donnée « insaisissable »85. En effet, « l’égalité est un principe flou, une notion
hybride susceptible de tout justifier, qui inspire et légitime les politiques les plus
contradictoires »86. Ainsi s’il s’agit d’un principe qui irrigue depuis le siècle des Lumières
l’Etat de droit 87 , il « constitue (aussi) le creuset d’une pluralité de conceptions de
l’organisation des rapports sociaux »88, lequel soulève parfois des difficultés89 pour répondre
de ses entières acceptions. De surcroît, inscrit « dans un certain contexte historique et
géographique, (il) finit par s’éclater également dans des particularismes indéfinis »90. En tout
état de cause, « le critère de l’égalité est (…) un curseur mouvant, juridiquement insaisissable
comme l’est (…) l’envers du principe, à savoir la discrimination »91.
Généralement, il peut être défini largement notamment comme « principe d’après
lequel tous les individus ont, sans distinction de personne, de race ou de naissance, de
religion, de classe ou de fortune, ni, aujourd’hui, de sexe, la même vocation juridique au
régime, charges et droits que la loi établit » 92 , ou encore comme « principe juridique
fondamental, garanti tant par des actes internationaux que par la Constitution, en vertu duquel
tous les citoyens dans la même situation bénéficient des mêmes droits et sont soumis aux
mêmes obligations, sans considération de leur origine ou de leurs croyances »93. Il en ressort

85
S. Robin-Olivier, « Introduction », op. cit., spéc. p. 22.
86
Ibid.
87
CE, « Principes et réalités », in Extrait du rapport public 1996 - Sur le principe d’égalité, La Documentation
française, Paris, 1998, spéc. p. 35.
88
S. Robin-Olivier, « Introduction », op. cit., spéc. p. 22.
89
Voir en ce sens : CE, op. cit., spéc. p. 35 : « le succès même de cette construction juridique soulève des
difficultés ; car comment appliquer le même principe à l’homme non seulement en sa qualité d’être universel,
sujet de droit naturel, mais aussi en sa qualité de citoyen, sujet de droit politique, et enfin, en celle d’homo
economicus, sujet de droit économique et social ? Comment user du même concept dans des configurations si
différentes ? ».
90
H. Muir-Watt, P. II, Ch. II, S. 2 « Le dilemme de l’égalité », in « Discours sur les méthodes du droit
international privé », RCADI, 2018, vol. n°389, § 211.
91
Ibid.
92
G. Cornu, « égalité », op. cit., p. 347-348.
93
S. Guinchard et T. Debard, « égalité », Lexique des termes juridiques, Dalloz, 26ème éd., p 432.

27
que le principe d’égalité s’entend nécessairement d’une égalité devant la loi94, laquelle fait
l’objet de plusieurs principes d’interprétation 95 et d’application jurisprudentielles 96 . C’est
pourquoi le principe d’égalité s’illustre au travers de diverses hypothèses en droit
administratif français, notamment « égalité des citoyens devant la loi et les règlements ; égale
admissibilité de tous aux emplois publics ; égalité des utilisateurs du domaine public ; égalité
devant les charges publiques ; égalité devant l’impôt ; égalité des sexes », etc97. De surcroît, le
principe d’égalité se traduit également sous forme de principe de non-discrimination lequel
implique « de traiter uniformément les situations semblables et de façon différenciée des
situations elles-mêmes différentes »98. Il s’agit notamment de la conception retenue par le
droit communautaire99. Autrement dit, le principe d’égalité est susceptible de déclinaisons
multiples lesquelles attestent sans doute de sa « richesse » et « variété » 100 . La véritable
interrogation demeure alors celle de savoir ce qui est entendu par égalité en droit des conflits
de lois.
14. L’égalité au sens du droit des conflits de lois. Hauriou affirmait que « la loi a
constamment élargi son cercle d’action, l’égalité devant la loi a constamment grandi » dans la
mesure où « le nombre des hommes auxquels la loi s’est appliquée s’est augmenté, ou si l’on
veut, au lieu de deux ou trois législations différentes s’appliquant à des classes différentes
dans un même pays, il s’est établi peu à peu une législation unique, égale pour tous »101. Or, si
une loi unique, applicable aux problèmes juridiques internes, s’est développée puis est
devenue égale pour tous, peut-il en être de même pour les problèmes juridiques internationaux
relevant de la sphère privée ?
De prime abord, il convient de constater que « cantonné aux relations juridiques de
droit privé », « le principe d’égalité demeure de nature mystérieuse » puisque « doctrine et

94
Voir en ce sens : M. Hauriou, Ch. I, S. III « La théorie du progrès », in La science sociale traditionnelle,
Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts, Paris, 1896, spéc. p. 131 : « la loi est par sa forme
même une règle commune, la loi implique l’égalité devant la loi ».
95
Voir en ce sens : Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, sous la dir. de R. Cabrillac, LexisNexis, 10ème
éd., 2018, « égalité », p. 220 : « 1. Principe selon lequel les hommes doivent être égaux devant la loi, c’est-à-dire
doivent se voir appliquer les mêmes règles quels que soient leur race, leur naissance, leur religion, leur fortune
ou leur sexe. 2. Principe de répartition identique des prérogatives et des charges entre deux ou plusieurs
personnes ».
96
D. Alland et S. Rials, « égalité », op. cit., p. 585 et s.
97
B. Genevois et M. Guyomar, « Principes généraux du droit : principes de philosophie politique », Rép. cont.
adm. Dalloz, oct. 2018, § 11.
98
Ibid., § 19.
99
Ibid.
100
Ibid., § 11.
101
M. Hauriou, op. cit., spéc. p. 131.

28
jurisprudence relèvent dans ce domaine l’absence de base textuelle susceptible de fonder ledit
principe » 102 . Par extension, le principe d’égalité ne fait alors l’objet d’aucun fondement
juridique spécifique en droit international privé et plus particulièrement en droit des conflits
de lois. C’est pourquoi ce principe sera entendu au travers de ses « multiples manifestations
103
entre particuliers » impliqués dans un litige international. Or, ces manifestations
apparaissent au travers du problème des conflits de lois lesquels sont résolus à l’aune de la
justice conflictuelle104. En d’autres termes, cela signifie qu’il doit être vérifié que l’égalité des
particuliers est préservée par la justice conflictuelle spécifique au droit international privé, et
particulièrement au droit des conflit de lois. Pour cela, il convient de rappeler ce que la justice
du droit international privé assure aux sujets de droit.
14.1. L’égalité au travers de la justice conflictuelle du droit international privé.
En raison de la spécificité de la justice conflictuelle, « le droit international privé (n’est) pas
un droit de décision, mais un droit de renvoi » c’est-à-dire que « la loi applicable (n’est)
choisie qu’en raison de la force du rattachement »105. Ainsi, « le but du droit international
privé (est) neutre »106 puisqu’il consiste à répartir les compétences législatives au regard de
points de rattachement dans l’espace. L’objectif de la justice conflictuelle est alors d’assurer
aux sujets de droit un traitement de leur situation internationale conforme à sa localisation
dans l’espace. En d’autres termes, la justice conflictuelle « vise, grâce à l’utilisation de la
définition de proximité, une juste répartition entre les Etats des situations ayant un élément
d’extranéité »107. Par conséquent, « la désignation du droit applicable (…) est axée sur des
signes extérieurs au rapport juridique, tenant aux liens géographiques ou à la localisation de la
situation dans un ordre juridique étatique » 108 . C’est « ce traitement particulier que l’on
envisage lorsque l’on pose le problème (de l’égalité) mis en place par la règle de conflit »109.
De surcroît, hormis la justice conflictuelle à laquelle aspire le droit des conflits de lois, de
manière plus générale, « l’harmonie des décisions constitue l’objectif central du droit
international privé », lequel se traduit « par la recherche de la garantie qu’une situation de

102
P. Mazière, Le principe d’égalité en droit privé, Thèse, Paris 2, 1997, PU Aix-Marseille, 2003, § 12.
103
Ibid., § 9.
104
Cf. supra § 9.
105
G. M. Ubertazzi, op. cit., spéc. p. 349.
106
Ibid.
107
E. Jayme, Ch. III, 4. « Les systèmes de rattachement : la justice conflictuelle », in « Identité culturelle et
intégration : le droit international privé postmoderne », RCADI, 1995, vol. n°251, spéc. p. 94.
108
A. Bucher, La dimension sociale du droit international privé, Adi-poche, Coll. Les livres de poche de
l’académie de droit international de La Haye, 2011, § 23.
109
G. M. Ubertazzi, op. cit., spéc. p. 367.

29
droit privé sera jugée de la même façon quel que soit le lieu où siège la juridiction chargée du
litige »110. Ainsi, il s’agit de déterminer si « les situations concernées sont traitées de manière
égale » eu égard au système conflictuel de droit international privé 111 . Ceci tend alors à
envisager l’étude du principe d’égalité sous l’angle du principe de non-discrimination, et plus
précisément de l’égalité de traitement.
15. Notion d’égalité de traitement. L’égalité de traitement répond d’une « formule
de justice concrète »112, originellement issue, dans son acception philosophique, de l’idée de
justice commutative conceptualisée par Aristote 113 , qui renvoie à l’idée d’une égalité
arithmétique. En outre, elle « prescrit de traiter tous les êtres d’une catégorie de la même
façon et qui s’exprime de la manière suivante : « à chacun la même chose » »114. Autrement
dit, « le traitement, quel qu’il soit, devra être le même pour chacun et non proportionnel à
quelque caractéristique déterminée »115. Au sens juridique du terme, il convient de se référer
spécialement à la jurisprudence européenne116 dans la mesure où celle-ci s’évertue à garantir,
au sens du principe d’égalité, le principe de non-discrimination et spécifiquement l’égalité de
traitement. Au sens de la Cour de justice, l’égalité de traitement implique que « les situations
comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne
soit objectivement justifiée » 117 . Par conséquent, appliquer au droit international privé, et

110
E. Jayme, Ch. III, 1. a) « Egalité formelle et justice générale », op. cit., spéc. p. 89.
111
Ibid., lequel ajoute que : « tout autre est le problème concernant, le cas échéant, le contenu discriminatoire de
la règle matérielle applicable au cas d’espèce » ; « la distinction suit la ligne à tracer entre domaine de la règle de
conflit et domaine de la loi matérielle étrangère ».
112
E. Griffin-Collart, « Introduction », in L’égalité, vol. n° II : « égalité et justice dans l’utilitarisme », Bruylant,
1974, spéc. p. 10.
113
Voir J.-M. Carbasse, Manuel d’introduction historique au droit, PUF, 7ème éd., 2017, § 43 à propos de la
distinction entre la justice distributive et la justice commutative : « Celui qui dit le droit, ou qui rend la justice, a
ainsi pour première mission d’attribuer (tribuere) ce qui revient à chacun, ce à quoi il peut prétendre
légitimement (cuique suum). Cette conception à première vue très réductrice est empruntée à Aristote : c’est
celle de la justice distributive » ; « Aristote mettait en exergue l’idée de proportion : chacun doit recevoir selon
son mérite, celui-ci étant évalué en fonction de la part qu’il prend à la réalisation du bien commun » ; « à côté de
la justice distributive, Aristote faisait une place à la justice commutative. Cette dernière, qui règle non plus les
distributions mais les échanges (…), obéit à un autre principe plus simple à mettre en œuvre : le principe
d’équivalence (c’est-à-dire l’égalité des valeurs »). Proportionnalité dans la distribution des choses (…) ;
équivalence dans les échanges : tels sont les principes d’une bonne justice ».
114
E. Griffin-Collart, « Introduction », op. cit., Bruylant, 1974, spéc. p. 10.
115
Ibid.
116
Voir en ce sens : J. Gerkrath, « Egalité de traitement », Rép. eur. Dalloz, déc. 2002, dans lequel il est
notamment précisé que (§ 1) : « les traités fondateurs de l’Union européenne ne contiennent pas de disposition
consacrant de façon générale le principe d’égalité de traitement dans leur champ d’application » ; (§ 2) : « le
droit communautaire recèle cependant une multitude de dispositions ponctuelles qui énoncent des manifestations
spécifiques du principe d’égalité » ; (§ 7) : « la Cour de justice a jugé bon d'aller au-delà des textes en consacrant
dans le droit communautaire un principe général d'égalité ».
117
CJCE, 19 oct. 1977, Moulins et Huileries de Pont-à-Mousson c/ Office interprofessionnels des céréales, aff.
124/76 et 20/77, Rec. 1795, point 17.

30
spécifiquement au problème du conflit de lois, il convient de déterminer si le système de droit
des conflits de lois traite de manière égalitaire les sujets de droit placés dans une situation
juridique similaire. Cela signifie que le système doit tendre à traiter de manière équivalente
chaque sujet de droit dans une situation internationale identique 118 . Finalement, pour
reprendre les propos du Professeur Muir-Watt, « l’approche multilatéraliste consiste à infuser
dans un régime destiné à régir les relations privées transfrontières, les valeurs attribuées à une
société bien ordonnée », et « pour ce faire, il se constitue en une méthode de distribution (des
lois ou des cas) qui se veut à la fois politiquement innocente et fermement inféodée au
principe de l’égalité de traitement en droit (version internationaliste de l’égalité des citoyens
devant la loi) » 119 . Ainsi, l’égalité de traitement ne constitue que le propre de la justice
conflictuelle. Toutefois, il convient de rappeler que, pour que le système de droit international
privé réponde de cette justice conflictuelle (et non matérielle) tendant simplement à
déterminer quelle loi sera applicable au regard de la localisation dans l’espace de la situation
litigieuse, il suppose plusieurs préalables que sont, d’une part la neutralité du système, et
d’autre part, le respect des principes de prévisibilité juridique et de sécurité juridique.
16. La neutralité du système : corollaire indispensable au principe d’égalité. En
premier lieu, pour garantir à l’international le principe d’égalité, il convient sans doute de
respecter une certaine neutralité. Toutefois, comme l’égalité, la notion de neutralité fait l’objet
de multiples définitions. Dans son acception commune, la neutralité se définit comme « l’état
de quelqu’un, d’un groupe qui ne se prononce pour aucun parti »120. Affecté aux disciplines
juridiques, ce terme varie essentiellement au regard de la matière à laquelle il est appliqué. Par
exemple, en droit interne, les illustrations du principe de neutralité s’attachent essentiellement
au droit administratif dans la mesure où il existe un principe de neutralité des services
publics121, lequel consiste notamment à « ne faire aucune discrimination entre les usagers des
services publics en fonction de leurs opinions politiques, religieuses, philosophiques »122. En

118
Peut être opéré un parallèle avec le droit international privé anglais qui fait de la notion d’égalité un des
facteurs de sa philosophie générale ; voir en ce sens R. H. Graveson, « Aspects philosophiques du droit
international privé anglais », RCDIP 1962, p. 397, exposant que : « l’égalité de traitement des personnes, quelle
que soit leur nationalité, va sans dire » ; « l’égalité des personnes trouve son fondement dans l’existence même
du droit international privé, qui a pour but d’ordonner l’application de tel ou tel système de droit ou de
juridiction national ou étranger, en se fondant sur le seul critère de son existence comme système juridique ».
119
H. Muir-Watt, P. II, Ch. II « Enoncer l’universel », op. cit., § 191.
120
www.larousse.fr/dictionnaires/francais/neutralité.
121
Voir en ce sens : Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, op. cit., « neutralité », p. 353 : « Droit
administratif. Principe applicable à l’administration qui doit respecter les croyances et les idées politiques et
philosophiques des individus ».
122
J. Fialaire, « Compétences des collectivités territoriales : cultes », Rép. immob. Dalloz, 2017-2, § 246.

31
revanche, en droit international public, la neutralité s’entend plutôt d’une neutralité par
laquelle les Etats s’engagent à une attitude neutre 123 , et a contrario à ne pas devenir
belligérant124. Quelle que soit la matière par le biais de laquelle la neutralité est abordée, elle
relève d’une attitude consistant à ne pas prendre part. C’est semble-t-il ce qu’il ressort de ces
différentes illustrations. Néanmoins, la neutralité aspire à un sens particulier lorsqu’elle est
appliquée au droit international privé et plus particulièrement au droit des conflits de lois.
Il est considéré que l’égal traitement des situations juridiques internationales n’est
envisageable qu’à la condition que le système de droit international privé soit neutre125. Ainsi,
les règles du droit international privé doivent répondre d’une neutralité, laquelle s’entend du
« respect d’une obligation de réserve », « l’attitude consistant à se tenir à l’écart du problème
de fond dont la règle de conflit n’a à connaître que de façon indirecte aux fins de la
désignation de la loi applicable »126. En d’autres termes, pour que le système applicable au
droit des conflits de lois fonctionne, il doit ne contenir que des règles de conflit neutres. Or,
par principe, « la règle de conflit de lois se caractérise par sa neutralité » dans la mesure où
« la désignation du droit applicable à une situation transnationale se fait en fonction des liens
qu’elle entretient avec ce droit et non en fonction des dispositions substantielles de celui-ci »,
et « pour cela, la règle de conflit sélectionne la loi applicable au seul moyen d’un critère de
localisation » 127 . « Est écartée en conséquence toute démarche dont le but consisterait à
dégager directement du droit matériel le domaine d’application dans l’espace nécessaire à la
réalisation de ses objectifs » 128 . En d’autres termes, « la finalité du rattachement (est)
dépouillée de toute substance matérielle »129. La neutralité de la règle de conflit constitue

123
Voir en ce sens : Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, op. cit., « neutralité », p. 353 : « Droit
international public. Acte unilatéral par lequel un Etat renonce, ponctuellement ou de manière permanente, à
intervenir dans un conflit armé international ».
124
M. Voelckel, « Guerre », Rép. intern. Dalloz, janv. 2007, actualisé déc. 2017, § 34.
125
D’ailleurs, la réalisation du principe d’égalité, dans toute discipline, passe par la mise en œuvre d’une
législation neutre ; voir en ce sens P. Kinsch, « Droits de l’Homme, droits fondamentaux et droit international
privé », RCADI, 2005, vol. n°318, § 13 : « Le principe d’égalité est un principe formulé par tous les textes en
matière de droit de l’homme et de droit fondamentaux, qu’ils lui accordent un champ d’application général ou
limité. Sa particularité tient au fait qu’il est un mécanisme de contrôle des différenciations opérées par le
législateur dans la détermination du champ d’application des normes - alors même que le contenu de ces normes
est en lui-même parfaitement neutre par rapport aux droits de l’Homme ».
126
Y. Loussouarn, « La règle de conflit est-elle une règle neutre ? », TCFDIP 1980-1981, spéc. p. 47.
127
A. Mars, « Obligations alimentaires : la CJUE privilégie la justice conflictuelle au détriment de la justice
matérielle », RTD Eur. 2018, p. 783.
128
A. Bucher, op. cit., § 23.
129
Ibid.

32
donc le propre de la justice conflictuelle 130 . Il s’agit de « l’expression de la méthode
conflictuelle dans sa pureté originelle », telle qu’envisagée par Savigny, laquelle « présente un
caractère objectif, et dans cette mesure neutre en ce sens qu’elle est dépourvue de tout
apriorisme, de tout dogmatisme »131. Finalement, puisque la neutralité constitue le propre de
la méthode du droit des conflits de lois, il semblerait que ce préalable soit inhérent à la
matière 132 . Cependant, il s’avère que le développement des règles de conflit en droit
contemporain a conduit à remettre en cause cette neutralité de la règle.
En effet, telle qu’elle est envisagée, « la méthode des conflits de lois est altérée par de
nouveaux procédés qui se développent en son sein, telles les règles de conflit à coloration
matérielle ou les règles de conflit unilatérales, voire refoulée dans certains domaines par des
procédés concurrents, telles les lois de police ou les règles matérielles de droit
international »133. Ce phénomène, qualifiée d’« érosion »134 par le Professeur Lequette s’est
réalisé pour plusieurs raisons. Avant tout, l’effacement de la méthode conflictuelle, et
corrélativement de la justice conflictuelle, est dû à certains défauts qui lui sont propres. Ainsi,
si cette justice préconise une localisation des situations internationales fondée sur un principe
de proximité, « chaque ordre juridique donne, à travers son système de conflit de lois » des
interprétations différentes « de la notion de loi qui a les liens les plus étroits » 135 . Par
conséquent, plutôt que de conduire à une égalité de traitement des situations internationales, la
méthode a conduit à des inégalités de traitement résultant d’une divergence d’interprétation.
De surcroît, la méthode conflictuelle a subi un certain déclin en droit contemporain dans la
mesure où les circonstances politiques, sociales et économiques de la société internationale se
sont modifiées. Il a notamment fallu répondre, en Europe, « tant aux conséquences de
l’émergence de l’Etat interventionniste en matière économique et sociale qu’à l’importance

130
Voir en ce sens : T. Vignal, Droit international privé, Sirey, 4ème éd., 2017, § 86: « Ce caractère de neutralité
est de l’essence du règlement du conflit de lois : si la règle de conflit s’appuie sur des considérations
substantielles pour désigner la loi applicable, elle s’éloigne du modèle classique de localisation ».
131
Y. Loussouarn, op. cit., spéc. p. 44.
132
Pour aller plus loin, voir en ce sens : Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, op. cit., « neutralité », p.
353, lequel marque la corrélation entre les principes de neutralité et d’égalité en droit interne en précisant que le
principe de neutralité en droit administratif « complète le principe d’égalité qui régit le fonctionnement des
services publics ».
133
Y. Lequette, « Les mutations du droit international privé : vers un changement de paradigme ? Cours général
de droit international privé », RCADI, 2018, vol. n°387, § 2.
134
Ibid.
135
Ibid., § 103.

33
accrue de la dimension juridictionnelle des conflits »136. Et, c’est essentiellement à raison du
phénomène de globalisation économique137 dont est affecté l’époque contemporaine que les
règles de conflit de lois se sont orientées vers une approche davantage substantielle. En tout
état de cause, la méthode du droit des conflits de lois comprise sous l’empire de la justice
conflictuelle a été remise en cause par le droit positif.
De surcroît, cette vision classique du droit des conflits de lois aspirant à une justice
conflictuelle, s’inscrit dans une perspective universaliste. En effet, cette conception du conflit
de lois a été développée conformément à une doctrine universaliste au XIXème. En vertu de
cette théorie « le règlement des conflits de lois doit être universel, c’est-à-dire répondre en
tous lieux aux mêmes principes de solution »138 . Autrement dit, « tous les Etats devraient
appliquer les mêmes règles de conflit »139. Ainsi, le droit international privé a pu prétendre à
cet universalisme de droit à partir de cette époque. Pourtant, le droit positif atteste de l’échec
de cet universalisme de droit puisque « le réalisme oblige à constater que chaque Etat a
développé de façon autonome son propre système de droit international privé et que, d’un Etat
à l’autre, les règles de conflit diffèrent singulièrement dans leur forme et surtout dans leur
contenu »140 . Le droit des conflits de lois n’est donc jamais parvenu à devenir totalement
universel. C’est aussi pour cette raison que l’idéologie liée à la justice conflictuelle, et plus

136
H. Muir-Watt, « Aspects économiques du droit international privé : (réflexions sur l’impact de la
globalisation économiques sur les fondements des conflits de lois et de juridictions) », RCADI, 2004, vol. n°307,
§ 2.
137
Voir en ce sens et pour aller plus loin : H. Muir-Watt, « Aspects économiques du droit international privé :
(réflexions sur l’impact de la globalisation économiques sur les fondements des conflits de lois et de
juridictions) », op. cit., § 4 ; laquelle explique que ce phénomène a engendré un triple paradigme : « D’une part,
le territoire tend à perdre sa signification en tant qu’assise de l’autorité du législateur national, du fait
aussi bien de l’accélération des flux transnationaux de personnes, de biens, de valeurs, que de
l’avènement d’espaces virtuels ou purement informationnels qui semblent résister par nature à l’emprise d’une
loi étatique, voire même, lorsqu’ils sont investis de l’idéologie purement libertaire qui a vu naître l’Internet,
de toute forme de restriction juridique. D’autre part, cette transformation accompagne un vaste mouvement
de déréglementation, remettant en cause le rôle même des Etats dans la régulation des marchés qui leur
échappent en partie : on assiste à l’avènement de l’Etat « post-interventionniste », qui contribue très
largement à brouiller les frontières entre droit public et droit privé, ce dernier assumant désormais une
fonction proprement régulatrice de la vie économique. Enfin, du fait précisément de la porosité croissante
des frontières née de la libéralisation des échanges, la globalisation des économies induit une conception
renouvelée, d’ordre concurrentiel, des rapports entre législateurs nationaux, soumis désormais à l’arbitrage
tant des décisions des consommateurs sur les marchés des produits que de celles des capitaux mobiles à
la recherche de profits ».
138
S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, Coll. Hypercours, 5ème éd., 2018, § 42.
139
Ibid.
140
Ibid., § 43.

34
spécifiquement à la neutralité a en partie été délaissée141. Cependant, il demeure indispensable
de revenir à une neutralité de la méthode et spécifiquement de la règle de conflit afin de
garantir une égalité de traitement des situations juridiques internationales. En effet, il convient
de garder à l’esprit que la neutralité constitue le préalable à tout égalité de traitement des
situations internationales. Néanmoins, il convient de préciser en quoi la neutralité constitue le
corollaire d’une égalité de traitement des situations internationales en droit des conflits de
lois.
Le système spécifique au droit des conflits de lois doit être composé de règles neutres
dans la mesure où seul un système exempt de considérations substantielles peut conduire à un
droit uniforme pour les Etats qui composent la société internationale. En effet, dès lors que ne
sont pas mises en cause des données substantielles, il peut être supposé que n’importe quel
Etat adhère à un système commun. Ainsi, seul un système de règles universel peut garantir
une égalité de traitement des situations internationales. Il s’agit donc de revenir à
l’universalisme qui a déjà été prôné par la doctrine au XIXème siècle. En effet, « les intérêts
particuliers s’accommodent mal de règles de conflit nationales » puisque lorsque « ces règles
sont divergentes, il en résulte (…) des contradictions dans les solutions, parce qu’il n’est pas
rare qu’une même question soit soumise aux juridictions des différents Etats avec lesquels la
situation a des rapports »142. En d’autres termes, la loi applicable varie selon la juridiction
saisie. Or, un tel résultat semble rompre avec l’idée d’égalité de traitement des situations
juridiques internationales, et plus précisément des sujets de droit, puisque chaque justiciable
peut être traité de manière différente selon la juridiction saisie. C’est pour cette raison qu’il
convient de mettre en place un système uniforme et d’aspirer à une idéologie universaliste.
D’ailleurs, comme l’a affirmé le Professeur Malaurie, « l’objet du droit uniforme est, en effet,
d’effacer la diversité des lois »143. C’est en supprimant la diversité des systèmes que le droit
des conflits de lois peut garantir le principe d’égalité. Partant, notre étude tend à
l’universalisme, lequel était déjà défendu par Mancini et Savigny au XIXème siècle qui

141
Pour aller plus loin, voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd.,
2017, T. I, § 332, lesquels exposent notamment que : « Abandonnant l’universalisme qui l’a vu éclore, le dernier
siècle est marqué essentiellement par la rupture entre traditions européenne et nord-américaine, relative à la lace
des intérêts de l’Etat dans le règlement du conflit de lois. Pareille opposition s’est alimentée de l’influence de la
pensée juridique réaliste aux Etats-Unis, qui y a accéléré le déclin du dogme de la neutralité politique des conflits
de lois aussi bien que le décloisonnement du droit public et du droit privé ».
142
H. Batiffol, « Universalisme et particularisme », in « Les tendances doctrinales actuelles en droit international
privé », RCADI, 1948, vol. n°72, p. 9 à 33, spéc. p. 23.
143
Ph. Malaurie, « Loi uniforme et conflits de lois », TCFDIP 1964-1966, spéc. p. 83.

35
prônaient « un droit idéal universel » 144 . Toutefois, l’universalisme de droit promu au
XIXème siècle constitue un échec puisque le droit des conflits de lois ne connaît pas
aujourd’hui d’un arsenal juridique commun aux Etats du monde entier. C’est pourquoi,
l’universalisme auquel il faut tendre ne doit plus avoir pour objectif principal un
universalisme de droit, mais plutôt un universalisme de fait. L’objectif poursuivi par le
système doit consister à rechercher un système universel dans lequel chaque situation
internationale, placée dans une situation identique, soit traitée de manière identique. C’est
pourquoi, il s’agit de rechercher une structure juridique donc l’objet consiste à factuellement
traiter tous les sujets de droits dans une situation internationale identique, de manière
similaire. Or, c’est en recherchant cet universalisme de fait, que sera vraisemblablement
atteint un universalisme de droit. En tout état de cause, au-delà de mettre en œuvre un système
de droit des conflits de lois égalitaire pour chaque situation juridique internationale, il faudra
également en amont édifier un système neutre, du moins préservant la neutralité de la règle de
conflit. L’étude sera donc double puisqu’elle devra tendre au respect de la neutralité de la
règle de conflit, et à l’égalité de traitement qui doit en découler. Néanmoins, si le système de
droit des conflits de lois doit s’atteler au respect de la justice conflictuelle, cela ne signifie pas
que tout matérialisme doit être évincé de la discipline. En effet, comme l’affirmait Kegel145, la
justice du droit international privé répond à la fois de la justice conflictuelle et de la justice
matérielle. Toutefois, ce matérialisme ne doit intervenir qu’à titre exceptionnel c’est-à-dire de
manière complémentaire lorsque la justice conflictuelle s’avère impuissante à la préservation
des intérêts des particuliers 146 . De cette façon, la justice du droit international privé sera
respectée en considérant que, dans certains cas exceptionnels, la justice matérielle intervient
afin de pallier les défauts de la justice conflictuelle. Elle en constitue donc le contre-poids. En
tout état de cause, au-delà de la neutralité, atteindre l’égalité de traitement suppose également
que le droit des conflits se soumette, comme toute discipline juridique, aux principes de
prévisibilité juridique et de sécurité juridique.
17. La soumission du droit des conflits de lois aux principes de prévisibilité
juridique et de sécurité juridique. En second lieu, pour garantir l’égalité des situations

144
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 135.
145
Voir en ce sens : G. Kegel, « Internationalprivatrechtliche Gerechtigkeit », in Internationales privatrecht,
C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, 1964, p. 33 et s.
146
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 6ème éd., 2017, § 250 : « Ce
sont des relations d’indépendance, mais nullement d’opposition » ; c’est pourquoi « il peut y avoir une justice
purement localisatrice faisant totalement abstraction au stade du rattachement du contenu des lois en cause ».

36
juridiques internationales, il faut que le système de conflit de lois aspire au respect des
principes de prévisibilité juridique et de sécurité juridique. Traditionnellement, le principe de
sécurité juridique, englobant le principe de prévisibilité juridique, est défini comme un
« principe du droit de l’Union européenne selon lequel les particuliers et les entreprises
doivent pouvoir compter sur une stabilité minimale des règles de droit et des situations
juridiques »147. En effet, il s’agit originellement d’un principe européen dans la mesure où il a
été érigé par la Cour de justice en principe général de droit148, et a intégré le rang des droits
fondamentaux via le droit à un procès équitable149. Toutefois, ce principe de sécurité juridique
constitue désormais un principe constitutionnel en droit français 150 . Par conséquent, sa
reconnaissance en droit positif ne peut être remise en cause. Néanmoins, il s’agit d’un
principe intrinsèquement européen spécialement défini par la Cour de justice, laquelle
considère que celui-ci « exige que les règles de droit soient claires et précises, et vise à
garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit
communautaire » 151 . Ainsi, en application de cette jurisprudence, le principe de sécurité
juridique suppose deux considérations. D’une part, il invite à « l’accessibilité du droit pour
permettre à l’individu de bâtir des prévisions » et d’autre part, il tend à « assurer à l’individu
le respect de ses droits régulièrement acquis »152 . Toutefois, si le principe de sécurité est
défini en droit européen, il reste un concept relativement flou dont les traductions peuvent
varier d’une situation juridique à une autre, notamment au regard de la discipline en cause.
Néanmoins, il demeure que « la sécurité juridique requiert d’abord que la règle de conduite
soit clairement établie » et « exige ensuite que l’individu qui s’est conformé aux prescriptions
de la règle en vigueur soit assuré que son comportement ne sera pas sanctionné, pénalisé par
l’autorité publique »153.
En outre, tant la prévisibilité juridique que la sécurité juridique doivent être respectées
en droit international privé, et plus précisément en droit des conflits de lois, afin d’assurer une

147
S. Guichard et T. Debard, « sécurité juridique », op. cit., p 987.
148
CJCE, 6 avr. 1962, De Geus en Uitdenboderg c/ Bosch, aff. 13/61, Rec. p. 97.
149
CEDH, 28 oct. 1999, Brumarescu c/ Roumanie, n°28342/95, Dalloz 2000, somm. 187, obs. N. Fricero ; JCP
2000, I, p. 203, n°10, obs. F. Sudre ; JDI 2000, p. 127, obs. Restencourt.
150
Cons. const., 16 déc. 1999, n°99-241, JO 22 déc. 1999, p. 19041.
151
CJCE, 15 fév. 1996, Duff E. A., aff. C-63/93, Rec. I. p. 569.
152
S. Triki, « Le principe de sécurité juridique en droit international privé de la famille », JDI n°4, oct. 2017,
doctr. 12, § 2.
153
Y. Lequette, op. cit., § 31, lequel poursuit : « A le dire autrement, il faut que la règle de conduite, c’est-à-dire
la règle à laquelle les individus ont conformé leur comportement, et la règle de décision, c’est-à-dire la règle au
moyen de laquelle l’autorité publique appréciera ce comportement a posteriori, coïncident ».

37
égalité de traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale identique.
C’est pourquoi il convient d’opérer une distinction entre ces principes et de leur donner une
signification attachée à l’égalité de traitement des situations juridiques internationales en droit
des conflits de lois. Par conséquent, au cours de cette étude, il sera considéré que la
prévisibilité juridique en droit des conflits de lois s’entend de la faculté pour les sujets de droit
de pouvoir anticiper le droit applicable à leur situation juridique. Autrement dit, le droit des
conflits doit bannir l’aléa dans le traitement des situations internationales. Également, il sera
admis que la sécurité juridique en droit des conflits de lois se traduit comme la garantie pour
les sujets de droit de pouvoir se prévaloir des effets juridiques issus de l’application du droit
des conflits de lois. Ainsi, chaque situation internationale, et conséquemment chaque sujet de
droit, doit pouvoir être traité de manière indifférenciée selon l’ordre juridique en cause et
bénéficier devant chacun d’eux des mêmes droits.
En tout état de cause, le principe de sécurité juridique constitue un principe « inhérent
à tout système fondé sur une communauté de droit »154. De surcroît, tant la prévisibilité du
droit que la sécurité juridique sont propres à tout système juridique auquel se soumettent les
individus afin qu’« il n’y ait pas d’incertitude sur l’existence, le sens, la validité ou encore la
durée des dispositions juridiques applicables » 155 . D’ailleurs, Savigny l’avait déjà perçu
lorsqu’il proposait un système universel fondé sur l’idée de communauté de droit considérant
que la localisation abstraite des rapports de droit relève de « l’attente légitime des parties à
l’application d’une loi déterminée »156. C’est pourquoi, les principes de prévisibilité juridique
et de sécurité juridique, au sens du droit des conflits de lois, conduisent à la réalisation de
l’égalité des sujets de droit placés dans une situation internationale similaire, puisque
notamment ils invitent à chasser l’aléa du système de droit des conflits de lois. A contrario, si
ce système n’aspire pas au respect de ces deux principes, il laisse la voie ouverte aux solutions
imprévisibles, voire boiteuses, mais surtout variables. Or, l’aléa se situe aux antipodes de
l’égalité de traitement des situations juridiques internationales. C’est pourquoi il doit
nécessairement être évincé. Pour y parvenir, le système de droit des conflits de lois, comme le
système de droit européen, doit s’attacher à en faire un droit prévisible et sécurisé.
18. La modification des termes du sujet. Finalement, une fois les termes de l’étude
définis, et les postulats auxquels répond le principe d’égalité établis, l’orientation de la

154
Y. Petit, « Agriculture », Rép. eur. Dalloz, déc. 2002, § 154.
155
Ibid.
156
S. Triki, op. cit., § 15.

38
démonstration s’avère nettement plus restreinte que celle à laquelle elle pouvait prétendre au
regard de la densité à laquelle répond le sujet relatif à l’étude du principe d’égalité en droit
international privé. En effet, dans la mesure où la délimitation du sujet conduit à le cantonner
d’une part, à l’égalité de traitement des sujets de droit placés dans une situation juridique
internationale similaire, et d’autre part, au droit des conflits sous l’hospice de la justice
conflictuelle à laquelle il aspire, il est nécessaire de procéder à une modification des termes du
sujet. Au regard de l’ampleur du sujet d’origine, et dont l’étude actuelle ne recouvre pas
l’intégralité du champ d’application, il convient de considérer que la démonstration se limitera
désormais à l’égalité de traitement des situations juridiques internationales en droit des
conflits de lois au travers d’une approche systémique. Ainsi, la restriction du sujet permettra
d’axer la démonstration uniquement sur la théorie générale du conflit de lois afin de
déterminer si l’égalité de traitement des situations internationales peut se réaliser au travers
d’un système universel. En sus, malgré une approche plus restrictive du principe d’égalité
cantonné au droit des conflits de lois, son étude au travers du droit international privé présente
un véritable intérêt puisqu’il lui est consubstantiel.
19. L’égalité : un objectif juridique inhérent à toute discipline juridique. Hormis
les préalables auxquels répond l’égalité de traitement son étude s’avère intéressante, mais
surtout innovante en ce que ni la doctrine, ni la jurisprudence, ni le législateur ne se
préoccupent de son effectivité en matière de droit des conflits de lois. En effet, « la plupart
des spécialistes n’ont porté aucun intérêt à son égard »157, et ceux qui s’y sont employés, ont
davantage étudié le principe d’égalité sous l’angle de règles déterminées plutôt que sous
forme de ligne directrice dominant la discipline158. Pourtant, cette attitude paraît surprenante
eu égard « à l’attention que la doctrine du droit privé matériel a consacrée depuis longtemps
aux problèmes concernant l’application des droits fondamentaux de l’individu et notamment
du droit de l’individu à n’être pas discriminé »159 . En effet, d’une part, l’individu devrait
pouvoir prétendre au respect du principe d’égalité au-delà de la sphère nationale à laquelle il
se confronte chaque jour. L’effectivité de l’égalité de traitement doit légitimement être
assurée à chaque sujet de droit, c’est-à-dire à l’ensemble de ceux qui composent la société

157
G. M. Ubertazzi, op. cit., Ch. II, § 1.
158
Voir en ce sens : P. Kinsch, « Principes d’égalité et conflits de lois », op. cit., p. 177, lequel a affirmé
notamment que : « le principe d’égalité, en tant que directive générale dans l’élaboration des règles de conflit, est
sans doute une illusion » ; « il en va différemment de la confrontation de certaines règles de conflit déterminées
au principe d’égalité, en tant qu’il interdit des types déterminés de discrimination ».
159
Ibid.

39
internationale. D’autre part, elle ne doit pas prétendre qu’à une égalité dans l’application de
dispositions de fond ou de quelques règles déterminées, elle doit pouvoir s’entendre aussi
d’une égalité de traitement globale. En d’autres termes, l’égalité doit être garantie dans la
mise en œuvre de toutes les règles indirectes c’est-à-dire de toutes les règles de conflit de lois.
De surcroît, il serait incohérent d’écarter la vocation égalitariste du droit de la discipline du
droit des conflits de lois, surtout lorsque l’égalité constitue une « directive générale » dans
« l’élaboration des règles de conflit »160. Autrement dit, le respect du principe d’égalité par la
discipline ne peut être que renforcé puisqu’il relève de la nature même des règles de conflit de
lois de garantir « l’égalité de traitement des parties et l’égalité de traitement des situations
juridiques internes et internationales ».
20. L’égalité : un concept à raviver dans un monde ouvert et diversifié. Au-delà
de son caractère consubstantiel à la discipline du droit des conflits de lois, l’égalité constitue
également une nécessité dans un monde aussi diversifié que le nôtre et dans lequel les
échanges se multiplient. En effet, « les progrès de la civilisation sont allés de pair avec le
développement des échanges entre les différentes sociétés organisées »161. Par conséquent,
« de nos jours, aucune population constituée en Etat ne peut vivre confinée sur son territoire et
en complète autarcie » ; « il existe donc une vie privée internationale analogue à celle qui se
déroule à l’intérieur des différents ordres internes » 162 . En d’autres termes, si le monde
demeure depuis tout temps varié, cette diversité ne se confine plus dans chaque Etat du monde
mais se propage d’un territoire à l’autre, notamment dans le domaine juridique, et
conséquemment en droit des conflits de lois. Or, comme l’affirmait le Professeur Malaurie
« la diversité des lois est une richesse, ou une malédiction, qui frappe notre planète depuis la
Tour de Babel et qui ne cessera que le jour où tous les hommes auront partout la même loi, la
même langue et les mêmes biens, jour où nous serons tous corps glorieux, sans Etats et sans
droit, sans plaideurs, sans avocats et sans professeurs de droit »163. Ainsi, face à l’utopie d’un
droit mondial uniforme et à la persistance indéniable de différentes législations, il est d’autant
plus propice de vérifier que les règles du droit des conflits de lois préservent l’égalité de
traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale similaire. En effet, c’est

160
P. Kinsch, « Principes d’égalité et conflits de lois », op. cit., spéc. p. 119.
161
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 7.
162
Ibid.
163
Ph. Malaurie, op. cit., spéc. p. 83.

40
en raison de la variété des systèmes 164 qu’il est susceptible de s’interroger sur la mise en
échec de l’égalité de traitement notamment en ce qu’il existe « un risque de réglementation
cumulative et contradictoire, la même situation (pouvant être appréhendée) par les lois de
différents pays avec lesquels elle présente de rattachements » 165 . C’est pourquoi il est
indispensable de déterminer par le biais de quel système l’égalité de traitement des situations
internationales peut être garantie.
21. L’égalité renforcée par l’omniprésence des droits fondamentaux en droit
contemporain. En outre, la problématique relative à l’égalité de traitement en droit des
conflits de lois ne peut être que fortifiée dans une société internationale fervente des droits
fondamentaux. Tant le principe d’égalité que les droits fondamentaux pris dans leur ensemble
s’imposent dans tout Etat de droit et toute société moderne démocratique166. De nos jours, il
n’est notamment plus possible de « ne pas tenir compte de l’immense percée du droit
européen et de l’importance capitale de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme » 167 . De la même façon, il ne peut être fait abstraction des législations et
jurisprudences de l’Union européenne qui tendent à la protection des droits fondamentaux, et
plus particulièrement celles qui mettent en œuvre une politique en faveur de l’égalité de
traitement168. Par conséquent, ces droits fondamentaux exercent une influence considérable en
droit interne, mais également en droit des conflits de lois. Précisément, depuis l’apparition de
la Cour européenne des droits de l’Homme, les droits fondamentaux font l’objet d’une
véritable protection au sein des ordres juridiques internes169, et influencent nécessairement la
discipline du droit des conflits de lois170 . Ainsi, les droits fondamentaux sont aujourd’hui

164
Voir en ce sens Y. Loussouarn, op. cit., spéc. p. 84, à propos de la diversité des systèmes en droit
contemporain : « L’internationalisation des sources contribue à affranchir la règle de conflit de la dépendance
exclusive du droit interne et aussi à en accroître la complexité, car il suffit de confronter les dispositions du droit
conventionnel aux règles du droit commun pour se rendre compte que les premières sont généralement beaucoup
plus compliquées que les secondes ».
165
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 9.
166
Cf. supra § 5.
167
J. Robert et J. Duffar, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Domat – Montchrestien, 8ème éd., 2009, §
5.
168
Voir en ce sens : I. Chopin, « Le traité d’Amsterdam : enjeux et défis en matière d’égalité de traitement »,
Cultures et Conflits, n° 45, printemps 2002.
169
Cf. infra § 359.
170
Voir en ce sens : F. Marchadier, op. cit., § 3 et s. : « Cette influence se laisse (…) mesurer à l’aune de
l’autorité attachée aux arrêts de la Cour (lesquels) sont revêtus de l’autorité relative de chose jugée et ne
concernent que les Etats parties au litige. Néanmoins la doctrine s’accorde à leur reconnaître, en outre, une
autorité interprétative, en ce sens que l’interprétation des dispositions à laquelle se livrent les juges de Strasbourg
fait corps avec le texte lui-même et s’impose dès lors à l’ensemble des Etats parties » ; « l’influence de la CEDH
sur l’ordre juridique interne, tout du moins français, est accrue par la reconnaissance de sa primauté et de son
effet direct ».

41
omniprésents « tant dans l’ordre international que l’ordre interne » et impliquent
nécessairement des « relations entre le droit international privé et les droits de l’Homme »171.
Autrement dit, il découle simplement de cette logique relationnelle que l’égalité de traitement
soit garantie dans la mise en œuvre des règles du droit des conflits de lois.
22. L’égalité promue par l’actualité juridique grandissante des droits
fondamentaux. En sus du développement accru des droits fondamentaux au sein de la société
internationale, le droit international privé ainsi que le droit des conflits de lois se retrouvent
confrontés à diverses problématiques liées au respect de ces droits. En effet, l’actualité
juridique en droit international privé et en droit des conflits de lois s’associe essentiellement,
depuis quelques années, à la question des droits fondamentaux et principalement en matière
de statut personnel via les exceptions d’ordre public international et de fraude à la loi. De
nombreux exemples en jurisprudence illustrent ces hypothèses, notamment à propos de la
réserve héréditaire 172 , de la répudiation 173 , de la procréation médicalement assistée 174 ou
encore du mariage homosexuel175. Toutefois, le débat qui semble le plus émouvoir la doctrine
et la jurisprudence s’éternise autour de la gestation pour autrui, laquelle questionne d’une part
la fraude à la loi française et d’autre part le contenu de l’ordre public international français.
En tout état de cause, la gestation pour autrui a fait, et fait encore l’objet de nombreuses
interventions jurisprudentielles mettant en œuvre la confrontation qui s’opère entre droit au
respect de la vie privée de l’enfant et principe d’indisponibilité du corps humain, et qui
conditionne l’utilisation de mécanismes d’exception spécifiques au droit des conflits de lois.
Dernièrement, la Cour européenne des droits de l’Homme, à la suite d’une demande d’avis
consultatif émanant de la Cour de cassation176, s’est interrogée sur le fait de savoir s’il était
contraire au droit au respect de la vie privée de l’enfant de refuser la transcription de sa

171
F. Marchadier, op. cit., § 3 et s.
172
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 27 sept. 2017, n°16-17.198 et 16-13.151, D. actualité, 9 oct. 2017, note F.
Mélin ; RTD com. 2018, p. 110, note F. Pollaud-Dulian ; Dalloz 2018, p. 966, note S. Clavel, et p. 2384, note S.
Godechot-Patris ; AJ fam. 2017, p. 510, note A. Boiché, et p.598, note P. Lagarde ; Dalloz 2017, p. 2185, note J.
Guillaumé ; RTD civ. 2017, p. 833, note L. Usunier ; RTD civ. 2018, p. 189, note M. Grimaldi, et p. 87, note B.
Ancel.
173
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 17 avr. 2004, n°02-07.479, 01-11.549, 02-11.618, 02-15.766 et 02-17.479,
Bull. civ. I, n°46, 47, 48, 49 et 50 ; Dalloz 2004, p. 815, concl. Cavarroc, RCDIP 2004, p. 423, note P. Hammje.
174
Voir en ce sens : Cass., avis, 22 sept. 2014, n°14-70.006 et 14-70.007, JCP 2014, p. 1004, obs. J. Hauser ;
Dalloz 2014, p. 2031, note A.-M. Leroyer.
175
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 28 janv. 2015, n°13-50.059, Dalloz 2016, p. 674, note M. Douchy-Oudot ;
Dalloz 2015, p. 1408, note J.-J. Lemouland, p. 1056, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 2015, p. 359, note J.
Hauser.
176
Cass., Ass. pl., 5 oct. 2018, n°10-19.053, AJ fam. 2018, p. 613 ; Dalloz 2019, p. 663, note F. Granet-
Lambrechts ; RTD civ. 2018, p. 847, note J.-P. Marguénaud.

42
filiation maternelle à l’état civil dès lors que cette filiation ne fait pas mention de la mère
porteuse, c’est-à-dire celle qui accouche, mais de la mère d’intention. En effet, il convient de
rappeler qu’en droit français, en vertu de l’article 47 du Code civil, « la mère, pour l’état civil,
est la femme qui accouche »177. C’est pourquoi au regard de cette disposition, il ne peut être
procédé à la transcription de la filiation maternelle lorsqu’elle émane d’un procédé de
gestation pour autrui. Néanmoins, la Cour de cassation, depuis 2017178 , permet à la mère
d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint. Toutefois, malgré la voie de l’adoption ouverte,
la question s’est réitérée devant la Cour de cassation, laquelle a préféré consulter la Cour
européenne des droits de l’Homme. Cependant, celle-ci s’est prononcée dans un sens similaire
en considérant que « le droit au respect de la vie privée de l’enfant (…) requiert que le droit
interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et sa mère
d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la
« mère légale » »179. Toutefois, ce droit « ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par
la transcription sur les registres d’état civil de l’acte de naissance légalement établi à
l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère
d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent
l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de
l’enfant »180. En d’autres termes, il peut être refusé la transcription à l’état civil de la mention
de la mère d’intention tant que celle-ci peut effectivement établir cette filiation en droit
français par un mécanisme effectif. Plus précisément, il ne s’agit plus que du dernier rempart
de l’ordre public international français répondant du principe d’indisponibilité du corps
humain face au phénomène de la gestation pour autrui. Autrement dit, les questions
d’actualités en matière de filiation problématisent sérieusement la conciliation des droits
fondamentaux avec une juste application des règles du droit des conflits de lois. L’exemple de
la GPA en est la parfaite illustration puisque le droit au respect de la vie privée a réussi à faire

177
G. Kessler, « Premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’Homme, premiers dilemmes pour
les autorités françaises (à propos de la gestation pour autrui) – Cour européenne des droits de l’Homme 10 avr.
2019 », AJ fam. 2019, p. 289.
178
Cass., Civ. 1ère, 5 juill. 2017, n°16-16.901 et 16-50.025, AJ fam. 2017, p. 482 ; Dalloz 2017, p. 1737, note H.
Fulchiron, p. 1727, note Ph. Bonfils et A. Gouttenoire ; Dalloz 2018, p. 528, note F. Granet-Lambrechts.
179
CEDH, Avis consultatif, 10 avr. 2019, n°P16-2018-001, AJ fam. 2019, p. 289.
180
Ibid.

43
sauter les verrous de l’ordre public international français181, puis de l’exception de fraude à la
loi182 pour s’imposer face à une juste application des règles relevant du droit des conflits de
lois. C’est pourquoi dans la mesure où les droits fondamentaux s’immiscent au cœur des
questions relatives au droit des conflits de lois, il paraît d’autant plus pertinent de s’intéresser
à l’impact qu’a ou pourrait avoir l’égalité de traitement sur cette discipline puisqu’ils sont
implicitement liés.
23. L’égalité encouragée par le développement du contrôle de proportionnalité
dans les systèmes nationaux. En outre, la problématique relative à l’égalité de traitement en
droit des conflits de lois n’en est que plus pertinente eu égard au développement croissant du
contrôle de proportionnalité qui s’exerce au sein des juridictions nationales. En effet, en vertu
du principe de subsidiarité en droit européen183, « il appartient au juge national de se faire le
premier gardien des droits et libertés garantis par la Convention européenne » 184 . C’est
pourquoi les juridictions nationales procèdent à un contrôle de proportionnalité lequel « vise à
apprécier si une loi ne porte pas atteinte de façon disproportionnée à un droit garanti par la
Convention européenne des droits de l’Homme »185. Plus spécifiquement, ce contrôle consiste
à « faire la balance entre les droits et intérêts en présence, intérêts publics et intérêts privés,
lors de l'application de la règle à un cas particulier », et « peut conduire à écarter cette
application in casu lorsque celle-ci porterait une atteinte excessive aux droits et libertés
reconnus à l'individu »186. Par conséquent, il s’agit plus que d’un contrôle de conventionnalité
puisque le contrôle s’effectue « au regard des droits et libertés tels que garantis par les normes
internes comme par les normes européennes et internationales »187. Essentiellement, il s’agit
d’un contrôle relatif aux droits fondamentaux mais dont l’appréciation se traduit de manière
assez casuistique ou du moins concrète. C’est ainsi que le contrôle de proportionnalité
s’inscrit dans une perspective identique à la nôtre. En effet, tout comme le contrôle de

181
Cass., Civ. 1ère, 6 avr. 2011, 10-19.053 ; Dalloz 2011, p. 1585, note F. Granet-Lambrechts, p. 1995, note Ph.
Bonfils, p. 1064, note X. Labbée, p. 1522, note D. Berthiau, et p. 1001, note F. Rome ; Dalloz 2012, p. 1228,
note H. Gaudemet-Tallon, et p. 308, note J.-C. Galloux ; AJ fam. 2011, p. 265, note B. Haftel, et p. 266, note M.
Domingo ; RTD civ. 2011, p. 304, note J. Hauser ; RCDIP 2011, p. 722, note P. Hammje
182
Cass., Civ. 1ère, 13 sept. 2013, n°12-30.138, Dalloz 2013, p. 2382, note M. Fabre-Magnan, p. 2349, chron. H.
Fulchiron ; Dalloz 2014, p. 689, obs. M. Douchy-Oudot, p. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon.
183
Voir en ce sens : G. Cornu, « principe de subsidiarité », op. cit., p. 891 : « Règle directive en vertu de laquelle
la Communauté n’agit – en dehors des domaines de sa compétence exclusive – que si et dans la mesure où les
objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent
donc être mieux réalisés au niveau communautaire ».
184
H. Fulchiron, « Le contrôle de proportionnalité au service du principe de subsidiarité », Dalloz 2018, p. 649.
185
P. Rouvière, « Le contrôle de proportionnalité dans la balance du juge », RTD civ. 2017, p. 524.
186
H. Fulchiron, « Le contrôle de proportionnalité : questions de méthode », Dalloz 2017, p. 656.
187
Ibid.

44
proportionnalité, il est question de se mouvoir dans une recherche de justice concrète au
travers du prisme de l’égalité de traitement en droit des conflits de lois. Or, il semble que cette
conception de justice concrète soit celle retenue et prônée par les juridictions nationales en
matière de droits fondamentaux. En effet, depuis que le principe de proportionnalité est
reconnu en Europe, tant par le Cour européenne des droits de l’Homme188 que par la Cour de
justice de l’Union européenne 189 , « les pratiques nationales (…) ont, d'une part, étendu et
généralisé le contrôle de proportionnalité et, d'autre part, approfondi l'examen du juge dans ce
cadre »190. Par conséquent, le phénomène s’est généralisé, et désormais, la Cour de cassation
en fait également usage. Ainsi, à l’heure où les juridictions suprêmes s’amourachent d’une
justice plus concrète, l’étude de l’égalité de traitement au travers du système de droit des
conflits de lois s’y confond parfaitement.
24. Axes d’étude. Finalement, au cœur d’une société internationale divisée en
différents systèmes juridiques mais qui tend à assurer la protection des droits fondamentaux et
promeut l’idée de justice concrète, il est question de déterminer quel système et plus
précisément quelle méthode se défend de l’égalité de traitement des sujets de droit impliqués
dans une situation internationale identique. C’est pourquoi comme l’a affirmé Ago, « il s’agit
de tâcher, par un retour au point de départ des différentes conceptions, et par un examen
soigneux des tendances les plus nouvelles, de déterminer dogmatiquement les conceptions qui
puissent le mieux servir à individualiser la nature réelle des règles du droit international privé,
de sorte qu’il soit possible de donner aux problèmes les plus controversés une solution
nouvelle et plus satisfaisante »191. En effet, c’est en procédant à une étude d’ensemble des
règles et dogmes qui régissent le droit des conflits de lois qu’il sera permis de déterminer un
système un et entier garantissant a maxima l’égalité de traitement à laquelle peut prétendre
chaque sujet de droit. Toutefois, l’élaboration d’un tel système se décline évidemment en
différentes étapes dont deux essentielles. D’une part, la construction de cet édifice doit
nécessairement débuter par la détermination du statut que doit posséder la règle de droit
international privé. En d’autres termes, il est indispensable d’identifier quelle structure de la
règle est la plus à même de garantir l’égalité de traitement des situations internationales. C’est

188
CEDH, 23 juill. 1968, Affaire linguistique belge, n°1474/62, 1677/62, 1691/62, 1769/63, 1994/63 et 2126/64.
189
CJCE, 17 déc. 1970, aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, Rev. UE 2015, p. 562, étude S. Van
Raepenbusch.
190
B. Lasserre, « L’européanisation de l’office du juge : vers un jus commune procédural ? », Rev. UE 2019, p.
204.
191
R. Ago, « Introduction », in « Règles générales des conflits de lois », RCADI, 1936, vol. n°58, spéc. p. 249.

45
pourquoi il faut procéder à la création d’un statut unique de la règle de droit international
privé à la suite d’une étude approfondie des différentes règles qui régissent ou ont régi le droit
des conflits de lois. Toutefois la détermination de ce statut sera forcément conditionnée par le
principe d’égalité entendu comme une égalité de traitement des situations juridiques
internationales (partie I). D’autre part, une fois la structure de la règle édifiée à l’aune de ce
principe, il conviendra également d’établir le régime qui s’y applique en se confrontant au
régime retenu actuellement en théorie générale des conflits de lois. Ainsi, dans le
prolongement du statut unique reconnu à la règle de droit international privé, son régime ne
pourra être envisagé qu’en conformité avec le principe d’égalité de façon à retirer ou réformer
les différentes règles, voire mécanismes qui lui font défaut (partie II). En procédant de la
sorte, il est susceptible d’aspirer à l’existence d’un système entier de droit des conflits de lois
respectueux de l’égalité de traitement des sujets de droit placés dans un situation juridique
internationale identique.

46
PARTIE I : LA CREATION D’UN SYSTEME UNIQUE EN DROIT
DES CONFLITS DE LOIS FONDE SUR L’EGALITE DE

TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES

25. La confrontation de la discipline à l’égalité de traitement. Atteindre l’égalité


de traitement des situations internationales en application des règles du droit des conflits de
lois suppose, de prime abord, que le statut de ces règles soit conforme à cet objectif. Pour
répondre à ce résultat, la structure de la règle de droit, telle qu’elle a été conçue, doit garantir
un traitement identique à chaque sujet de droit dans une situation équivalente. Or, pour y
parvenir, il est nécessaire d’envisager ladite situation de façon neutre. Cependant, pour
déterminer de quelle manière cette structure peut atteindre le résultat recherché, il convient de
s’interroger sur la façon dont elle le protège depuis la conceptualisation même de la
discipline.
26. Les fondements du droit des conflits de lois confrontés à l’égalité de
traitement. Batiffol affirmait que « le droit international privé permet (…) de constater
l’organisation en systèmes de droits privés internes et de percevoir d’un point de vue propre
les raisons et les modalités de ce phénomène »192. Véritablement, la discipline est aujourd’hui
composée de différents systèmes, principalement de droits internes. Néanmoins, ce sont ces
systèmes qui conditionnent actuellement l’effectivité de l’égalité de traitement en droit des
conflit de lois. C’est ainsi que pour établir une construction juridique répondant à cet objectif,
il est nécessaire d’étudier dans un premier temps les différents fondements qui ont encadré la
matière depuis l’apparition des conflits de lois. En effet, qu’il s’agisse des origines
historiques, ou même des sources positives du droit international privé, ce sont bien ces
fondements qui ont conditionné le statut même de la règle. Il est pertinent d’établir
précisément si le système de droit des conflits de lois, tel qu’il a été envisagé à l’origine,
défendait les intérêts des particuliers, et par conséquent un traitement similaire de leur
situation juridique. C’est pourquoi il est indispensable de revenir sur les différentes assises de
la discipline, qui en raison de leur multitude, constituent a priori un obstacle à la neutralité de
la règle de droit et, par conséquent, à l’égalité de traitement des sujets de droit (titre I). Outre,
les fondements sur lesquels s’est construite la discipline, dans un second temps, l’étude de la

192
H. Batiffol, op. cit., § 11.

47
structure de la matière sera essentielle dans la détermination d’une méthode conforme à
l’égalité de traitement.
27. Les méthodes du droit des conflits de lois envisagées à l’aune de l’égalité de
traitement. Pillet avançait, au début du XXème siècle que : « aussi longtemps que durera
l’état actuel de diversité et de séparation que nous connaissons, le droit international privé en
vigueur dans chaque Etat sera celui que cet Etat reconnaît, c’est ce droit particulier qui jouira
sur le territoire de l’Etat de l’autorité dont il est question »193. En effet, en raison des multiples
sources auxquelles a pu être soumis le droit des conflits de lois, ce dernier a pu être l’objet de
nombreuses approches, et plus précisément de nombreuses méthodes propres à la discipline.
Cependant, celles-ci ne sont pas toutes orientées vers un objectif d’égalité de traitement, et
n’en font vraisemblablement que rarement une finalité ultime. Néanmoins, la recherche d’une
telle méthode est parfaitement envisageable. Si aucune méthode ne peut absolument répondre
à cette attente légitime de traitement égalitaire des sujets de droit, l’une d’entre elles peut être
réformée en ce sens. C’est pourquoi parmi les différents systèmes existants, il conviendra de
déterminer la construction la plus performante eu égard à l’objectif d’égalité de traitement,
laquelle est assurée par le recours à une méthode conflictuelle bilatérale objective à
rattachement unique (titre II).

193
A. Pillet, Principes de droit international privé, Pedone – Alliers Frères, 1903, § 29.

48
TITRE I : L’EGALITE DE TRAITEMENT ENTRAVEE PAR LA
MULTITUDE DE FONDEMENTS DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

28. Les origines idéologiques du droit des conflits de lois. Weiss affirmait que « le
droit international privé est (…) l’ensemble des règles applicables à la solution des conflits
qui peuvent surgir entre deux souverainetés à l’occasion de leurs lois privées respectives ou
des intérêts privés de leurs nationaux »194. Une telle définition atteste de la difficulté à établir
les fondements, et plus précisément les origines, sur lesquelles se fonde la discipline.
Effectivement, le droit international privé et particulièrement le droit des conflits de lois
s’organise au regard de diverses origines relevant tant du droit public que du droit privé.
29. Le publicisme. L’aspiration publiciste doit être entendue comme celle qui se
réfère à l’Etat c’est-à-dire qu’il s’agit d’une politique « au service de l’Etat »195 laquelle se
rattache à une idéologie souverainiste. Or, « La société internationale (…) est faite d’abord de
souverainetés juxtaposées dont les rivalités demeurent fortes »196. Par conséquent, « dans la
société internationale, les Etats sont (…) souverainement égaux » et « à travers l’égalité
souveraine, c’est l’indépendance de l’Etat qui est affirmée » 197 . C’est pourquoi « chaque
Etat » détient le droit « de déterminer sa propre politique comme il l’entend dans le respect
des droits, identiques, de tous les autres Etats »198. L’idéologie publiciste, plus précisément
souverainiste, s’entend donc de celle qui tend à faire de sa politique étatique une priorité.
L’intérêt public est donc placé au premier rang. Ainsi, « dans une perspective politique ou
publiciste », le conflit de lois est considéré « comme voué à la répartition dans l’espace de
souverainetés ou de volontés législatives »199.
30. Le privatisme. Au contraire, l’idéologie privatiste s’entend de celle « qui ne
concerne que les intérêts personnels des particuliers » 200 . Par conséquent, « c’est aux
personnes qu’appartient de droit la première place »201. Dès lors, « si les intérêts privés sont
privilégiés (le conflit de lois est) envisagé comme tendant à éviter que les particuliers ne

194
A. Weiss, Manuel de droit international privé, Recueil Sirey, 1920, § 6.
195
G. Cornu, « public », op. cit., p. 742.
196
A. Pellet, Ch. II, S.2, § 1. « La spécificité du droit international », in Le droit international entre souveraineté
et communauté, Pedone, 2014, p. 31 et s.
197
A. Pellet, Ch. III, S.1, § 1., II. La souveraineté dans les relations entre Etats signifie l’indépendance, op. cit.,
p. 41 et s.
198
Ibid.
199
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 338.
200
G. Cornu, « privé », op. cit., p. 723.
201
A. Weiss, Livre III, Ch. I, T. I, S.VI, « Critique de la théorie des statuts », op. cit., p. 358 et s.

49
soient écartelés entre plusieurs prescriptions contradictoires dans leurs activités
transfrontières »202. Toutefois, si le droit international privé s’adresse directement aux sujets
de droit, il suppose le rapport entre Etats souverains au travers de situations juridiques
concernant des particuliers. C’est pourquoi il est imprégné aussi bien d’aspirations publicistes
que privatistes.
31. Les sources du droit des conflits de lois. Pour autant, si la matière est influencée
par divers fondements idéologiques, elle s’est également construite au regard de nombreuses
sources, tant internationales que nationales. Cependant, l’originalité de la discipline s’illustre
au regard de la diversité des sources positives qui la régissent. Outre le caractère multiple des
sources, il apparaît que d’une part, ces sources sont directes c’est-à-dire qu’elles régissent
immédiatement la matière « sans condition préalable »203. Alors que, d’autre part, les sources
peuvent également être indirectes en ce qu’elles constituent des guides, des influences, des
directions, que le droit international privé s’engage à poursuivre par l’intermédiaire de son
propre système.
32. La diversité des fondements du droit des conflits de lois. L’accumulation des
origines et sources du droit international privé et spécialement du droit des conflits de lois
conduit indéniablement à considérer qu’il s’agit d’une discipline composée d’une multitude
d’assises, et ceci qu’elles soient de simples idéologies ou de réelles bases juridiques. Leur
étude constitue un préalable indispensable à la recherche d’un système respectueux de
l’égalité de traitement204. En effet, « contre le danger de rester à la surface des choses, le
meilleur remède est d’avoir d’abord approfondi quelque peu son propre droit pour acquérir le
sens de l’intelligibilité d’un système »205. Surtout, elle permet considérer qu’une telle diversité
engendre un effet néfaste aussi bien eu égard à la neutralité de la règle de droit qu’à l’égalité
de traitement du sujet de droit impliqué dans une situation internationale privée. C’est
pourquoi il convient de considérer d’une part que la neutralité à laquelle aspire le droit des

202
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 338.
203
G. Cornu, « effet », op. cit., p. 346.
204
Voir en ce sens : H. Batiffol, P. Ourliac et P.-C. Timbal, « Histoire du droit et droit comparé dans
l’enseignement des Facultés de droit », Dalloz, chron. XXXVI, p. 205, à propos de l’étude historique préalable à
une approche comparative : « (…) l’espoir de rendre compte des divergences des systèmes contemporains par
l’observation instantanée des différences d’états sociaux et économiques est une illusion ; comparer entre eux les
systèmes sans les comprendre préalablement par l’histoire aboutit à un échantillonnage pauvre de signification, à
des rapprochements ou des oppositions superficiels ou faux. L’histoire est première par rapport à la comparaison,
parce qu’elle fait corps avec le droit qu’elle a engendré ; l’histoire explique parce qu’elle représente une
continuité, un développement dans lequel chaque phase s’appuie sur la précédente ».
205
Ibid.

50
conflits de lois est contrariée tant par les racines publicistes archaïques que les fondements
privatistes subjectifs du droit international privé (chapitre I). De la même façon et d’autre
part, il doit être admis que le fractionnement des sources applicables au droit des conflits de
lois provoque une rupture d’égalité de traitement entre sujets de droit (chapitre II).

51
52
CHAPITRE I : LA NEUTRALITE DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS CONTRARIEE

PAR LES ORIGINES MIXTES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE

33. La systématisation de la discipline au regard du publicisme et du privatisme.


Le droit international privé est apparu sous l’Antiquité, puis a été reconnu comme matière à
part entière durant le Moyen Âge. Ainsi, depuis le droit romain jusqu’à l’époque
contemporaine, le droit international privé a été envisagé, ou du moins conceptualisé sous
l’angle de différentes idéologies dont l’impact demeure encore aujourd’hui. Jusqu’à l’Ancien
Régime, le droit international privé et conséquemment le droit des conflits de lois ont été
l’objet de deux orientations traditionnelles davantage publicistes, à savoir le territorialisme et
le personnalisme (section 1). Puis, à la fin de l’Ancien Régime, en réaction à ces doctrines
publicistes, sont apparus de nouveaux courants de pensée. Ces doctrines contemporaines ont
tenté de penser le droit international privé et spécifiquement le droit des conflits de lois en
adoptant une nouvelle approche laquelle s’est traduite d’une part, par une appréciation in
abstracto, et d’autre part, par une appréciation in concreto (section 2).

SECTION 1 : LA SYSTEMATISATION ORIGINELLEMENT PUBLICISTE DU DROIT


INTERNATIONAL PRIVE

34. Du territorialisme au personnalisme. Le droit international privé est, comme


toute autre matière, le fruit de l’histoire. Or, le passé historique du système de droit
international privé positif a toujours influencé dans une certaine mesure sa construction
notamment au regard de deux considérations principales : le territorialisme et le
personnalisme. Malheureusement, l’influence de ces idéologies, contraire au principe de
neutralité, se perçoit encore dans le système de droit des conflits de lois actuel. En effet, si ces
courants de pensée sont nés sous l’Ancien Régime (sous-section 1), ils ont par la suite été les
vecteurs du droit international privé contemporain (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LA RECONNAISSANCE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE


COMME DISCIPLINE AU TRAVERS DES DOCTRINES PUBLICISTES DE L’ANCIEN
REGIME
35. Le droit international privé, récemment qualifié comme matière en tant que telle,
du fait de sa conceptualisation plutôt tardive au Moyen Âge, a été engendré par d’anciennes
conceptions publicistes. Par conséquent, l’édification de la discipline est a priori exempte de
considérations privatistes. En effet, la première systématisation du droit international privé
s’est forgée sur la base d’une doctrine territorialiste laquelle était incontestablement issue de

53
considérations souverainistes de l’époque (§ 1). Puis, la seconde systématisation du droit
international privé s’est développée grâce à une doctrine opposée c’est-à-dire le
personnalisme, laquelle était issue de positions nationalistes de l’époque (§2).

1 § – LA PREMIERE SYSTEMATISATION DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE A L’AUNE


DU TERRITORIALISME DE L’ANCIEN REGIME

36. La discipline du droit international privé s’est développée au regard d’une unique
doctrine, à savoir le territorialisme. En effet, cette idéologie a traversé les continents et les
siècles, jusqu’à aujourd’hui. Par conséquent, la matière accorde une place relativement
conséquente aux fondements publicistes, et principalement territorialistes, qui se sont tout
d’abord développés en Europe de l’Ouest, particulièrement au XVIème siècle (A), puis se
sont propagés dans toute l’Europe et l’Amérique du Nord durant les siècles suivants (B).

A. L’ORIGINE SYSTEMIQUE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE : LE


TERRITORIALISME DE L’EUROPE DE L’OUEST AU XVIEME SIECLE

37. Le territorialisme est apparu avant tout en Europe de l’Ouest grâce ou à cause du
contexte politique de l’époque et des aspirations qui y régnaient, comme le souverainisme (1).
Cependant, ce sont ces facteurs politiques et idéologiques qui ont encadré la conceptualisation
du droit international privé en tant que dispositif propre. C’est pourquoi ce dernier, durant tout
l’Ancien Régime, s’est construit au regard de la doctrine du territorialisme (2).

1) L’amorce d’un système politisé autour du territorialisme


38. Le droit international privé s’est conceptualisé, à ses débuts, autour du
territorialisme. En effet, il est a priori la conséquence des systèmes économiques et politiques
des Etats féodaux de l’Europe de l’Ouest, et plus particulièrement de la France (a). Pour
autant, il s’est également développé dans un contexte différent en Italie grâce à la théorisation
des statuts (b).

a) Le territorialisme généré par les systèmes féodaux de l’Europe de l’Ouest


39. Le principe de territorialité des lois. A partir du IXème siècle de notre ère, s’est
installé en Europe de l’Ouest, et notamment en France, un système féodal, et ce jusqu’au

54
XIIème siècle206. En effet, « vers le IXème siècle se développa une forme nouvelle de vie
sociale, fondée, sur une économie sédentaire et concentrée sur un petit territoire autour d’un
château (…) », laquelle donna naissance à un « morcellement extrême du pouvoir
politique »207. Ce système politique a alors donné naissance au principe de la territorialité des
lois208. Ce principe a mis en place le fonctionnement suivant : « sur chaque territoire une loi et
une seule est appliquée, quels que soient les personnes en cause, les biens en jeu, les actes en
litige »209. Ainsi chaque autorité locale édictait sa propre loi et celle-ci était seule et unique à
être appliquée sur son territoire. « Il n’y (était) fait donc pas de conflit de lois car les lois
étrangères n’avaient aucune aptitude à s’appliquer à l’intérieur des limites de la
seigneurie »210.
Par conséquent, dès l’apparition de la féodalité, ainsi que de la territorialité des lois,
avait été évincée toute idée de conflit de lois avec un étranger, et donc était née l’idée selon
laquelle le droit, ou du moins la loi, est d’origine purement territoriale. Cette origine laisse
encore des traces dans le système de droit des conflits de lois actuel211. Ainsi la politique
gouvernementale a engendré une philosophie juridique, à savoir le territorialisme, qui s’est
étendue jusqu’aux matières privées et plus précisément au droit des conflits de lois.
40. La territorialité des coutumes. Ce propos se confirme lorsqu’apparaissent les
coutumes. « Dès les XIIème-XIIIème siècles, l’Europe de l’Ouest présente une mosaïque de
coutumes locales ou régionales. La zone géographique dans laquelle s’applique une coutume
donnée s’appelle son ressort ; (…) les limites des ressorts coutumiers se fixent à partir du
XIIème siècle, et elles correspondent généralement aux limites politiques : celles des
principautés territoriales ou des seigneuries secondaires » 212 . Ainsi, au regard du système
politique mis en place, il est nécessaire de constater que tout conflit de lois était exclu, et que

206
Pour aller plus loin, voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd.,
2017, T. I, § 356-1 : « Au IXème siècle, les barbares se sont fixés géographiquement : la population se stabilise
sur un territoire déterminé. Les particularismes de groupe s’estompent ; les lois elles-mêmes tendent à fusionner.
Alors apparaissent avec la féodalité des coutumes dont le champ d’application dépend non plus des personnes
qui y sont soumises, mais du territoire sur lequel elles s’appliquent ».
207
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 132.
208
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 357-1 : « La loi de la
seigneurie s’applique ainsi à tous les biens situés sur le territoire, à toutes les personnes qui y habitent, à tous les
actes qui y sont conclus ».
209
H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, Tome I, LGDJ, 8ème éd., 1993, § 13.
210
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 115.
211
Cf. infra § 140 et s.
212
J.-M. Carbasse, op. cit., § 77.

55
chaque coutume s’appliquait sur son propre territoire213. En effet, « la coutume (était) d’abord
un droit territorial, inscrit dans un ressort précis »214.
41. La naissance du territorialisme comme idéologie. En outre, les sources de
l’Ancien Droit ont été marquées par l’idéologie du territorialisme. Si le conflit de lois est
évincé durant l’époque féodale, il convient d’insister sur la teneur du principe de territorialité.
En effet, si aujourd’hui, les conflits de lois sont reconnus par notre droit positif et traités par
un système juridique propre, il n’en demeure pas moins que tout système juridique s’est
construit en fonction de ses origines. Or, il apparaît que le droit international privé, objet
d’une volonté certaine de régler les litiges internationaux entre particuliers, soit initialement
considéré comme une branche du droit international public. C’est ainsi que la discipline a été
envisagée au regard de conceptions internationales publicistes, ou du moins créée en fonction
de ces conceptions. Cependant, celles-ci ne font guère abstraction de la souveraineté et de
l’indépendance des Etats qui sont indissociables de la philosophie propre à la territorialité des
lois. Ce principe a alors laissé ses marques dans le système de droit international privé et
principalement dans l’élaboration du droit des conflits de lois. Concomitamment au système
politique féodal développé en France, l’Italie, moins encline à adopter ce système, a
développé la théorie dite des statuts, laquelle repose également sur cette idée de territorialité.

b) La conceptualisation du conflit de lois par l’avènement de la théorie italienne des


statuts
42. Le rejet du système féodal en Italie. Si la féodalité s’est installée en Europe, elle
ne s’est jamais réellement implantée en Italie. « Le nombre et la proximité des villes, élément
hétérogène à la hiérarchie des fiefs et des personnes, sont sans doute un facteur important de
ce phénomène » 215 . En effet, « ce fut au Moyen Âge que les conflits de lois firent leur
apparition. (…) Les villes marchandes de l’Italie du Nord furent le berceau du Droit
international privé comme elles avaient été celui du droit commercial » à raison de facteurs

213
Voir en ce sens : M. Foelix, Traité de droit international privé ou du conflit de lois de différentes nations,
Marescq Ainé, 4ème éd., 1866, § 5 : « Le régime féodal, qui avait pris naissance dans l’intervalle, ainsi que
l’établissement des villes, subdivisèrent la partie de l’Europe occupée par les peuples d’origine germanique en
un grand nombre de territoires plus ou moins indépendants l’un de l’autre. A cette époque du Moyen âge, chaque
province, chaque ville était régie par une coutume particulière (statutum) ».
214
J.-M. Carbasse, op. cit., § 77.
215
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 15.

56
économiques, politiques et juridiques. C’est ainsi qu’a émergé la théorie des conflits de lois216
« dont la première expression scientifique fut la doctrine italienne des statuts »217.
43. La création de statuts propres à chaque cité. Comme l’ont expliqué Batiffol et
le Professeur Lagarde, « si la féodalité ne triompha pas, l’anarchie et l’insécurité qui l’avaient
créée isolèrent aussi les villes italiennes au point de vue politique, à un degré suffisant pour
qu’elles se donnent partiellement une législation, des « statuts » propres »218. C’est ainsi que
chaque cité a créé ses propres statuts et mis en place les premières bases de la théorie du
conflit de lois219. En effet, « chaque cité considérait ses statuts comme les mieux adaptés à
régir »220. Le territorialisme s’est donc implanté de cette manière et implicitement au sein du
droit international privé, puisque chaque fois que deux ordres juridiques étaient en cause,
chaque ordre considérait que ses statuts devaient légitimement s’appliquer.
44. La naissance de la théorie générale du conflit de lois. De plus, de la théorie
italienne des statuts a découlé la théorie de l’ordre public international, laquelle opérait une
distinction entre les statuts favorables et les statuts odieux221. Est née l’idée selon laquelle « si
l’on doit appliquer, aussi bien que son droit propre, les droits d’autres provinces ou d’autres
pays, c’est sous la réserve qu’ils ne soient pas intolérables dans leurs prétentions »222. Cette
théorie avait pour objet de protéger l’ordre public local, mais est révélatrice des marques du
territorialisme dans la théorie générale du conflit de lois. D’ailleurs, le régime général positif

216
Pour aller plus loin, voir en ce sens : E. Vitta, Ch. I « La méthode conflictuelle », I. « Origine historique », in
« Cours général de droit international privé », RCADI, 1979, vol. n°162, spéc. p. 27 : « Il faut prendre comme
point de départ les écoles des postglossateurs et des statutistes qui, à partir du XIIème siècle, ont commencé à se
demander quelle est la sphère d’application des statuts » ; « Or les statutistes se posaient la question, qui est
remise maintes fois dans leurs écrits : quelle est la sphère d’application des statuts ? » ; « Cette question a été
posée pour la première fois dans la célèbre glosse d’Accursius à la Constitution impériale qui impose aux
citoyens romains la foi chrétienne » ; « Or Accursius, dans sa glosse (1228), voyait dans cela une allusion aux
limites d’application de la loi et posait la question de la loi applicable à un citoyen de Bologne, convenu en
justice à Modène. Il exprimait l’opinion qu’il ne devait pas être jugé d’après les lois de Modène, où il se trouvait,
mais d’après sa propre loi, soit la loi de Bologne » ; « C’est le début de la théorie des statuts, qui se déroule du
XIIème au XIXème siècle ».
217
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, Droit international privé, Dalloz, 9ème éd., 1970, § 275.
218
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 15.
219
Voir en ce sens : B. Ancel et H. Muir-Watt, « Du statut prohibitif (droit savant et tendances régressives), in
Études à la mémoire du Professeur Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 7 et s. ; lesquels exposent en effet que « la
norme est en Italie à cette époque fournie par le droit commun, jus commune, cet alliage du droit romain et du
droit canonique censé valoir pour l’ensemble de l’Empire romano-germanique (…) et auquel les pouvoirs
locaux, généralement municipaux, peuvent faire exception en promulguant des règles particulières, les jura
propria ou statuts ». C’est ainsi que le développement de ces statuts a conduit Bartole, dans sa glose « Quod si
Bononiensis », à établir que « le statut n’oblige que ses sujets », imposant alors « pour chaque statut municipal
(que) soit délimité le cercle de ses assujettis ».
220
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 15.
221
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 277.
222
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », J.-Cl. Droit international, 1959, Fasc. 530 A, § 14.

57
a maintenu ce concept d’ordre public local au travers du mécanisme de l’ordre public
international. Par conséquent, le droit international privé et spécialement le droit des conflits
de lois est aujourd’hui encore empreint du territorialisme italien.
45. Une première conceptualisation exempte de neutralité. Ainsi, le droit des
conflits de lois, dans sa construction juridique, a été l’objet de différents facteurs, notamment
politiques et économiques, mais surtout d’aspirations publicistes. Partant de ce constat, il
semble difficile de considérer que le système de droit des conflits de lois ait pu être conçu
sous l’égide de la neutralité puisque son histoire démontre qu’il a, originellement, été conçu
au regard d’une approche territorialiste. En sus, si le droit international privé, ou plus
exactement la théorie générale du conflit de lois, sont nés de la théorie des statuts, cette
dernière a conduit les auteurs sous l’Ancien Régime, et notamment la doctrine française, à
construire un système intégral de droit des conflits de lois sur la base du territorialisme.

2) Le territorialisme au cœur de la théorisation française du droit des conflit de lois


46. A la suite de l’essor de la théorie des statuts italienne, la doctrine française, au
XVIème siècle, s’est saisie de la théorie générale du conflit de lois. Pour ce faire, l’école
statutaire française et notamment ses deux principaux représentants ont usé de la territorialité
du droit. L’« influence exercée par (cette) conception réaliste et libérale, qui règle des
difficultés, jusqu’alors méconnues ou défigurées, a été considérable et elle se perpétue
encore »223. Ainsi, le territorialisme a été poursuivi par Dumoulin (a), puis fondé sous forme
de système par d’Argentré (b).

a) Dumoulin : la poursuite de l’école italienne des statuts


47. Le premier théoricien de l’Ecole française des statuts. Charles Dumoulin,
auteur français du XVIème siècle, est le poursuiveur de l’Ecole italienne et le premier
théoricien de l’Ecole française des statuts224. Très connu à raison de la célèbre consultation
des époux de Ganey de 1525, il a été l’un des premiers tenants de l’école de la territorialité du
droit.
48. La théorie des statuts face aux conflits de coutumes. Toutefois, à l’époque, le
système politique féodal est toujours implanté et la source principale du droit reste la
coutume. Par conséquent, « les questions abordées par les auteurs italiens se posaient en
France sous forme de conflits de coutumes » et « on ne prétendait pas comme en Italie à

223
P. Louis-Lucas, op. cit., § 14.
224
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 122.

58
l’existence d’un jus commune coiffant les différentes coutumes »225. Or, si Dumoulin était
« favorable à cette réalité des coutumes, si conforme, suivant les idées régnantes, à
l’importance de la terre, dans laquelle on voit l’élément essentiel de la richesse et de la
souveraineté » 226 , il était convaincu de la supériorité d’un droit commun coutumier en
formation227.
49. Le précurseur de la doctrine territorialiste en droit des conflits de lois
français. Outre son apport novateur en matière de rattachement des contrats, Dumoulin a
conservé l’essentiel des solutions des post-glossateurs, notamment l’application à la forme de
la règle locus regit actum ainsi que « la distinction des statuts favorables et des statuts
odieux »228. C’est principalement au regard de cette conservation des conclusions des post-
glossateurs d’origine italienne, qu’est apparu le territorialisme dans la doctrine française. En
effet, si Dumoulin a été le continuateur de la doctrine statutaire italienne, il a été le précurseur
de la doctrine de la territorialité du droit en droit des conflits de lois français. En reprenant les
solutions italiennes et notamment celle des statuts favorables et odieux, ressort l’idée que le
territoire occupe une valeur primordiale au sein du système politique et dans les litiges avec
les étrangers conformément à l’idéologie féodale de l’époque229.
Même si Dumoulin a prôné un certain « universalisme »230 à l’époque, il n’en demeure
pas moins qu’il est resté épris de la souveraineté de chaque territoire, et par conséquent de la
territorialité du droit. Une nouvelle fois, le contexte politique de l’époque, ainsi que les
conceptions publicistes qui l’accompagnent ont nécessairement eu un impact sur le droit
international privé dans la mesure où cette matière est imprégnée de l’idéologie du
territorialisme. Pour autant, celle-ci sera également fondatrice de la doctrine française de
d’Argentré.

225
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 137.
226
P. Louis-Lucas, op. cit., § 16.
227
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 137.
228
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 123.
229
Voir en ce sens : A. Bonnichon, « La notion de conflit de souverainetés dans la science des conflits de lois »,
RCDIP 1949, p. 615, « En passant, en France, la doctrine ébauchée en Italie, se trouvait en contact avec l’idée
féodale déjà spontanément appliquée que « toutes coutumes sont réelles ». On a dit bien souvent les origines de
cette conception, le morcellement des seigneuries, la prépondérance de l’élément terrien qui fait le noble et le
vilain, assise de la Société comme du droit ».
230
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 123.

59
b) D’Argentré : fondateur du système de droit des conflits de lois français territorialiste
50. Le premier théoricien d’un système territorialiste. Aujourd’hui, « d’Argentré
apparaît comme le fondateur de l’école française »231 et plus précisément comme le premier
théoricien territorialiste du système de droit des conflits de lois français. Sa doctrine est née
du contexte politique de l’époque. Au XVIème siècle, d’Argentré était magistrat au Parlement
de Bretagne, région encore imprégnée du régime féodal. Poursuivant l’indépendance de la
Bretagne, « D’Argentré a (alors) élaboré une doctrine de lutte, de défense de la coutume
bretonne, et tous les caractères de son système en découlent »232. Finalement, ce sont donc les
aspirations de l’auteur, à savoir un certain souverainisme, qui ont guidé ses propositions
doctrinales233.
51. Le conflit de lois assimilé au conflit de souverainetés. D’Argentré est considéré
comme le fondateur de la doctrine territorialiste en droit international privé car il a été le
premier à établir un système sur la base de la distinction entre statut réel et statut personnel en
faisant du statut réel le principe et du statut personnel l’exception234. Cependant, ce dispositif
de droit des conflits de lois est issu de sa vision souverainiste. En effet, d’Argentré a
considéré le conflit intercoutumier (…) comme « un conflit international » lequel se
traduisait, à son sens, par un conflit de souverainetés. Par conséquent, « d’Argentré s’est rallié
au territorialisme parce qu’il correspond à la conception politique que le juriste breton se
(faisait) du pouvoir et de l’application de la loi »235.
52. Une conceptualisation politique aux antipodes de la neutralité du droit des
conflits de lois. Au regard de la conceptualisation effectuée par d’Argentré du droit des
conflits de lois, ce sont bien les circonstances politiques d’une période donnée qui ont induit
l’auteur à opter pour le territorialisme et à l’intégrer dans sa vision du droit international
privé. De là apparaît la frontière flottante entre le droit international privé et le droit
international public. Ainsi, considérer la discipline du droit des conflits de lois comme neutre

231
P. Louis-Lucas, op. cit., § 16.
232
Y. Loussouarn, P, Bourel, P.de Vareilles-Sommières, op. cit., § 125.
233
Voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 212 : « Ce principe de territorialité
des lois était déduit des frontières du ressort dans lequel le souverain exerce ses pouvoirs. C’était une doctrine
qui se voulait spécialement adaptée aux intérêts de la coutume de Bretagne, une doctrine particulariste, qui
n’avait pas vocation à être généralisée aux autres coutumes. On parlerait aujourd’hui de doctrine souverainiste
parce que profondément attachée à préserver la population d’un pays donné des ordres édictés par les souverains
étrangers ».
234
Pour aller plus loin, voir en ce sens : A. Bonnichon, op. cit., p. 615 : « ce que d’Argentré et ses successeurs
entendent affirmer, c’est seulement ceci : la loi des choses ne peut être que la loi du lieu des choses. En d’autres
termes, les coutumes sont faites pour les choses dont l’ensemble constitue le territoire, et seulement pour elles ».
235
Y. Loussouarn, P, Bourel, P.de Vareilles-Sommières, op. cit., § 125.

60
serait erroné. Elle est le produit de l’histoire européenne, et principalement du contexte
politique, dans lequel les conflits de lois étaient envisagés comme des conflits de
souverainetés. Pourtant, envisager le conflit de lois sous l’angle de la souveraineté revient à
rompre avec toute idée de neutralité puisque ce sont des considérations publicistes qui vont
motiver la solution applicable à un litige d’ordre privé.
53. L’influence avérée de d’Argentré dans la société internationale. Or, si le
système de droit des conflits de lois n’est plus celui de d’Argentré, il est indéniable que sa
conceptualisation a eu une influence certaine sur la constitution du droit des conflits de lois
d’aujourd’hui. De plus, si à l’époque, la doctrine de d’Argentré n’a rencontré aucun succès en
France, elle a en revanche été réceptionnée en Hollande pour être la base d’une nouvelle
doctrine de droit international privé236. En outre, l’étude de la théorie de d’Argentré dans
chaque manuel de droit international privé atteste de l’influence considérable qu’a eu sa
doctrine dans l’élaboration de notre droit international privé. Ainsi, le droit international privé
s’est construit au regard d’une conception territorialiste des conflits de lois, laquelle a perduré,
tant en Europe qu’aux Etats-Unis.

B. LA PROLIFERATION DU TERRITORIALISME SUR LES TERRITOIRES


EUROPEENS ET AMERICAINS

54. Le territorialisme né en Europe de l’Ouest a su atteindre toute l’Europe et


notamment la Hollande, conduisant celle-ci à la création d’une nouvelle doctrine dite comitas
gentium (1). Puis, sur la base de cette doctrine, la philosophie s’est propagée jusque dans les
pays anglo-saxons, pour finalement s’établir largement sur les continents européen et
américain (2).

1) La doctrine territorialiste française confirmée par la théorie hollandaise de la


comitas gentium
55. Si la systématisation d’un droit des conflits de lois territorialiste est imputable à la
doctrine française, elle s’est pourtant propagée en Europe et notamment en Hollande à raison
du contexte politique de l’époque au XVIIème siècle (a). Ainsi, le territorialisme, à l’appui du
souverainisme ambiant, a su perdurer et imprégner les premières doctrines du droit
international privé pour finalement donner naissance à une nouvelle doctrine, la comitas
gentium, laquelle confirme les origines publicistes de la discipline (b).

236
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 127.

61
a) La réception du système territorialiste français par la Hollande du XVIIème siècle
56. Une réception née de l’esprit d’indépendance de la Hollande. Si la doctrine de
d’Argentré n’a pas connu de fort succès à son époque, elle a en revanche produit un réel effet
positif aux Pays-Bas principalement au XVIIème siècle. Afin de comprendre cette réception
de la doctrine territorialiste française, il convient de reprendre le contexte politique de
l’époque. En effet, « la situation politique de la Hollande était, au XVIIème siècle,
sensiblement identique à celle de la Flandre. Le territoire des Pays-Bas avait été occupé
successivement par les ducs de Bourgogne, les Espagnols, et les Autrichiens »237. Ainsi, à
cette époque, comme l’ont expliqué justement Batiffol et le Professeur Lagarde, « des villes
nombreuses dont la prospérité économique croissante et la communauté de civilisation
développaient les relations mutuelles, dans un esprit d’indépendance prononcé, manifesté par
la révolte contre l’Espagne »238. De cet esprit d’indépendance est née la vocation hollandaise
pour la doctrine française de d’Argentré. « Ils trouvèrent dans d’Argentré une inspiration
hostile au pouvoir central conforme à leur état d’esprit » 239 . Par conséquent, le contexte
politique des Pays-Bas, c’est-à-dire l’esprit indépendantiste, a donné naissance à la réception
de la doctrine territorialiste française. Une nouvelle fois, la discipline a été appréhendée au
regard d’une approche davantage publiciste que privatiste.
57. Une doctrine hollandaise fondée sur le territorialisme de d’Argentré. Aux fins
de fonder leur propre doctrine, les théoriciens hollandais ont repris la distinction des statuts
réels et des statuts personnels et ont élaboré, comme d’Argentré, l’essentiel de leur théorie sur
le territorialisme240. Néanmoins, certains auteurs, notamment Paul et Jean Voët, considéraient
la distinction des statuts sans grand intérêt puisque, au point de vue de leur domaine
d’application, il faut les dire réels, c’est-à-dire territoriaux241. Ainsi, comme l’a affirmé Louis-
Lucas, « la solution (était) commandée par la notion même de souveraineté et par la nécessité
d’assurer la sauvegarde constante de celle-ci » 242 . En vérité, l’affiliation de la doctrine
française des statuts s’est produite au regard de l’idéologie souverainiste régnant sous
l’Ancien Régime dans tous les pays européens. C’est pourquoi le droit international privé et
conséquemment le droit des confits de lois n’ont pu être conçus qu’au regard de ces

237
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 128.
238
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §17.
239
Ibid.
240
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 128.
241
A. Bonnichon, op. cit., p. 615, expliquant le point de vue de Voët : « Le statut est envisagé dès lors d’un point
de vue purement formel ; c’est un ordre du législateur, et par conséquent il perd sa force aux frontières ».
242
P. Louis-Lucas, op. cit., § 21.

62
considérations avant tout étatiques, c’est-à-dire inspirées de souverainisme et territorialisme.
De plus, si la doctrine hollandaise a réceptionné la doctrine de d’Argentré, elle a également
créé la doctrine de la courtoisie internationale.

b) Le système territorialiste prolongé par la consécration de la théorie de la courtoisie


internationale
58. La consécration de la comitas gentium en réponse au contexte international.
Une nouvelle fois, il convient de préciser le contexte de l’époque, qui justifie que les
Hollandais soient allés au-delà de la doctrine française. En sus du contexte politique évoqué
précédemment, il convient d’ajouter que « le commerce extérieur florissant des Pays-Bas
(donnait) enfin le premier rang aux conflits internationaux ». En effet, à raison de ce cadre
non plus politique mais économique, « les Hollandais, pour la première fois, se (sont placés)
directement sur le plan international » les conduisant ainsi à se pencher sur « le fondement
même de l’application des lois étrangères » 243 . Afin de justifier l’application de la loi
étrangère, les Hollandais ont donc élaboré la doctrine de la courtoisie internationale,
considérant alors que « le législateur local n’a aucune obligation juridique d’admettre la loi
étrangère ; s’il le fait, c’est au nom du principe de courtoisie internationale » 244 . Par
conséquent, comme l’ont affirmé les Professeurs Bernard Audit et d’Avout, « l’idée de
souveraineté (permettait) de justifier la prise en considération de droits acquis selon une loi
étrangère, pourvu qu’il n’en résulte aucun détriment pour la souveraineté locale, dans les cas
où la nécessité ou l’opportunité commandent de leur conférer une application
extraterritoriale : la loi étrangère était appliquée ex comitate, par courtoisie »245.
59. La courtoisie internationale motivée par le souverainisme. Les premières
doctrines du droit des conflits de lois et notamment celle relative à l’application de la loi
étrangère sont donc issues de cette idée de courtoisie internationale, indéniablement marquée
par le souverainisme 246 . L’application de la loi étrangère n’est possible que parce que le
souverain le veut bien. Et c’est bien cette critique qui a été adressée à cette doctrine. « On
pourrait se demander en effet dans quelle mesure cette notion de courtoisie ne conduit pas à la
négation du droit international privé, car admettre que le législateur et le juge appliquent la loi

243
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §17.
244
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 129.
245
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 141.
246
Voir en ce sens : M. Foelix, op. cit., § 12, à propos de la comitas gentium : « Nous le répétons, toutes les
nations sont trop jalouses de leur indépendance pour reconnaître un juge supérieur ayant par lui-même le pouvoir
de décider qu’une loi étrangère recevra son exécution dans un autre Etat » ; ainsi « l’application des lois
étrangères n’est qu’une concession, et ne saurait être exigée comme un droit ». ,

63
étrangère sans aucune obligation juridique, uniquement pour des raisons de courtoisie, n’est-
ce pas admettre leur bon plaisir ? »247. De plus, cette doctrine conduit le droit des conflits de
lois à un caractère purement national comme l’a affirmé le Professeur Bertrand
Ancel : « fondée par priorité sur des éléments publicistes, tirés du jus gentium (…), la
première de ces implications est le caractère national des règles par lesquelles chaque Etat
fixe à son gré les critères autorisant le recours à la loi étrangère »248.
60. La courtoisie internationale opposée à l’internationalisme. Ainsi, la doctrine
de la courtoisie internationale, l’une des premières doctrines du droit international privé et du
droit des conflits de lois, est donc bien fondée conformément à l’idéologie du souverainisme,
laquelle trouve son origine dans le territorialisme de d’Argentré. Or, comme le disait Louis-
Lucas, « le souverain n’a pas à commander en dehors de son territoire, mais, sur son territoire,
il doit pouvoir tout commander à tous »249. Par conséquent, l’inconvénient de ces premières
conceptualisations est de créer un obstacle à toute internationalisation du système. Pour
autant, celles-ci, accompagnées par leurs aspirations publicistes, se sont propagées en Europe
et au-delà.

2) L’accueil de la comitas gentium dans les pays anglo-saxons sous l’Ancien Régime
61. Si la prolifération du territorialisme a donné naissance à la doctrine hollandaise de
la comitas gentium, elle s’est prolongée au-delà des pays de droit civil d’origine romano-
germanique pour s’étendre aux pays anglo-saxons de tradition de common law. Par
conséquent, territorialisme et courtoisie internationale ont été réceptionnés par ces derniers
pour contribuer à l’institutionnalisation de leur propre système de droit des conflits de lois, et
ceci qu’il s’agisse de l’Angleterre (a) ou des Etats-Unis (b).

a) L’admission de la comitas gentium par l’ordre juridique anglais


62. Le système anglais originellement fervent de territorialisme. Avant d’évoquer
la réception en Angleterre de la doctrine hollandaise, il convient de rappeler que, durant la
théorisation du droit international privé en France et en Italie, l’Angleterre, pays de common
law, « n’avait pas contribué aux courants doctrinaux continentaux »250. Comme l’a expliqué le
Professeur Bertrand Ancel, « longtemps, les Cours royales de Westminster, (…), ont ignoré le

247
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 130.
248
B. Ancel, P. I, T. II, Sous-titres II, Ch. II, S.1, § 1, B. 1. a) « le caractère national du droit des conflits », in
Éléments d’histoire du droit international privé, Éd. Panthéon-Assas, 2017, p. 329.
249
P. Louis-Lucas, op. cit., § 21.
250
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 142.

64
droit international privé » et ainsi, « les lois étrangères n’avaient pas accès aux tribunaux
anglais ». « Le common law était Law of the Landes. Ainsi, ni les juges ni la loi ne
permettaient l’introduction des lois étrangères. Le régime juridique était autarcique. »251. Il
n’en demeure pas moins que si l’Angleterre ne s’intéressait pas au conflit de lois, son système
est « marqué à l’origine par le territorialisme »252. L’origine territorialiste de l’Angleterre a
donc créé un terrain favorable à la réception de la comitas gentium. En réalité, c’est à compter
de l’union de l’Ecosse à l’Angleterre en 1707, qu’ont été pris en compte les premiers conflits
de lois, l’Angleterre ne pouvant ignorer la loi écossaise253. De là, le système anglais, dont
l’origine était territorialiste, a accueilli la doctrine hollandaise notamment en recourant à la
notion de comitas gentium254.
63. Le relais de la comitas gentium en Angleterre. Comme l’a affirmé le Professeur
Ancel, « la doctrine hollandaise, pivotant autour de l’axe souveraineté-territorialité, conforme
ainsi la tradition exclusiviste des cours anglaises tout en leur laissant la maîtrise du recours
aux lois étrangères »255. En outre, même en l’absence de propagation, l’Angleterre, pays de
common law, était de tradition territorialiste, tout comme ses proches européens, ce qui a
favorisé la réception de la doctrine hollandaise par l’Angleterre, mais une nouvelle fois, pour
des raisons purement étatiques. Comme l’a affirmé le Professeur Bertrand Ancel, ce sont des
considérations publicistes, ou plus exactement souverainistes, qui ont motivé le relais de la
doctrine du comitas gentium afin d’appuyer la forte position des juridictions anglaises.
64. Le fondement européen commun du territorialisme. En résumé, quelles que
soient les traditions propres à chaque pays européen, pays de droit civil, d’origine romano-
germanique ou bien pays anglo-saxons, de common law, le fondement de leur système de
droit des conflits de lois est le même c’est-à-dire le territorialisme. La réception par les Etats-
Unis de la doctrine hollandaise n’a fait que le confirmer.

b) La comitas gentium reçue par les Etats-Unis


65. L’influence de la comitas gentium jusqu’en Amérique. « Les auteurs hollandais
ont exercé une influence directe sur les Anglais, puis les Américains »256. Contrairement à
l’Angleterre, « les conflits de lois s’élevaient à tout moment de la vie juridique aux Etats-Unis

251
B. Ancel, P. I, T. II, Sous-titres II, Ch. II, S.2, § 1, B. « La réception par le Common Law », op. cit., p. 377.
252
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 142.
253
B. Ancel, P. I, T. II, Sous-titres II, Ch. II, S.2, § 1, B. « La réception par le Common Law », op. cit., p. 378.
254
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 142.
255
B. Ancel, P. I, T. II, Sous-titres II, Ch. II, S.2, § 1, B. « La réception par le Common Law », op. cit., p. 380.
256
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §17.

65
du fait de la diversité du droit entre les Etats »257. En effet, « les treize colonies libérées de la
domination anglaise avaient conservé leur indépendance respective quant à la législation :
d’où des conflits de lois entre les Etats de l’Union »258 . Par conséquent, dès le début du
XIXème siècle, divers auteurs, épris de la cause du droit international privé, ont écrit à ce
propos, et notamment Joseph Story, lequel a eu une influence considérable sur les juridictions
américaines de l’époque.
66. Le développement du territorialisme sous la plume de Joseph Story. « Du
point de vue théorique, Story (s’est rallié) au postulat territorialiste, et (…) en (a formulé) les
principes sous forme de maximes ». Ainsi, « chaque nation possède une compétence exclusive
pour légiférer sur son territoire » et « réciproquement, aucune nation ne peut directement
affecter des biens situés hors de son territoire ou des personnes qui n’y sont pas domiciliées ».
Par conséquent, « l’effet d’une loi étrangère sur un territoire donné ne peut résulter que du
consentement de la souveraineté locale »259. La doctrine américaine a donc repris la doctrine
hollandaise, prônant le territorialisme, « qui convenait au tempérament indépendant des
Anglo-saxons, et notamment des Américains au lendemain de l’indépendance »260.
67. Des origines territorialistes demeurées contraires à la nature de la discipline.
Sans qu’il soit nécessaire d’étudier davantage la doctrine américaine, il convient d’en tirer les
mêmes conclusions. Le droit international privé systématisé en Europe ou en Amérique sous
forme de droit des conflits de lois, a bien des origines identiques à savoir le territorialisme. En
effet, grâce aux contextes politiques et économiques de l’époque, principalement orientés par
une idéologie essentiellement souverainiste, les différents systèmes de droit international
privé ont été envisagés au regard d’une approche publiciste. Ainsi, l’élaboration de la
discipline s’est faite contrairement à la nature même du droit international privé, puisqu’il
s’agit d’une matière privée. De plus, en érigeant un système sur de telles orientations, celui-ci
sera difficilement neutre, et par conséquent, difficilement universalisable. Pour autant, si les
fondements du droit international privé ont été de prime abord territorialistes, ils ont
également été imprégnés par une autre idéologie, à savoir la doctrine personnaliste.

257
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 143.
258
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §17.
259
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 143.
260
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §17.

66
§ 2 – LA SECONDE SYSTEMATISATION DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE AU REGARD
PERSONNALISME

68. Le personnalisme doit être considéré comme le second fondement juridique sur
lequel s’est construit le droit international privé et conséquemment le droit des conflits de lois.
Il est qualifié de second, car si le personnalisme est apparu en Europe occidentale dès
l’Antiquité (A), il n’a été reconnu comme fondement juridique du système de droit
international privé qu’à la fin de l’Ancien Régime (B).

A. LE PERSONNALISME DE L’EUROPE OCCIDENTALE COMME FONDEMENT


DE LA FUTURE SYSTEMATISATION DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE

69. Le personnalisme de l’Europe occidentale a pris naissance durant deux époques


successives en fonction du contexte politique et culturel. Les débuts du personnalisme
remontent à l’Antiquité, période durant laquelle le droit romain a érigé, à raison de son
caractère dominant de l’époque, un droit civil basé sur l’idée de citoyenneté (1).
Postérieurement, à la suite des invasions barbares, le personnalisme s’est davantage affirmé
durant le Haut Moyen Âge par la mise en place du système de personnalité des lois basé sur
un sentiment d’identité nationale (2).

1) Le droit romain de l’Antiquité : les prémices du personnalisme


70. Sous l’Antiquité, dès l’époque de la République, lorsque Rome est devenue
dominante, est apparu le droit civil romain que l’on peut qualifier de droit des cités, lequel ne
s’appliquait qu’à ses propres citoyens. De là a émergé le personnalisme (a). Cependant, ces
différents citoyens issus de chaque cité ont entamé des relations juridiques et ont alors été
soumis à un droit commun, le jus gentium, lequel n’a reçu qu’une application partielle dans
les matières commerciales, faisant ainsi subsister le personnalisme dans les autres types de
relations juridiques (b).

a) L’émergence du personnalisme dans les relations juridiques au regard du droit civil


romain
71. L’apparition d’un droit des cités. Le personnalisme, parallèlement au
territorialisme, est né durant l’Antiquité et principalement en droit romain. En effet, dès
l’époque de la République, « quand Rome (a soumis) à sa domination les peuples voisins »,
« elle ne les assimila pas aux citoyens de la Ville »261. S’est alors installée à Rome l’idée de

261
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §11.

67
citoyenneté, entérinée notamment avec l’édit de Caracalla de 212. De cette citoyenneté est
apparu le droit civil c’est-à-dire « le droit propre à chaque cité », « le droit civil par excellence
étant bien entendu celui de la cité romaine »262. Par conséquent, chaque citoyen appliquait le
droit propre à sa cité263. De plus, à l’origine, le droit romain coexistait « avec celui des autres
cités, et dès l’époque ancienne il (avait) fallu organiser les rapports entre Romains et
pérégrins »264. De là ont débuté les conflits de lois et notamment « lorsqu’on (a admis) à
Rome que les pérégrins devaient être soumis à leurs institutions nationales, notamment pour
leurs relations de famille et pour les questions de successions »265.
72. Du droit des cités à la personnalité des lois. En outre, de ce droit des cités s’est
formé un régime de la personnalité dans la mesure où le droit civil romain « (régissait) les
citoyens Romains de Rome et les citoyens Romains de province » et où « les lois pérégrines
(s’adressaient) aux ressortissants de ces cités et peuples »266. Ainsi les Romains se sont vus
appliquer un droit qui leur est propre267, tout comme les pérégrins. C’est pourquoi on a parlé
de « loi de l’origo » laquelle « s’appliqu(ait) à la personne et son extension » et
« détermin(ait) ainsi la jouissance des droits de l’intéressé, qui n’a accès qu’aux institutions
que cette loi connaît et non aux institutions organisées par les autres lois » 268 . Ainsi, les
origines du droit sont celles du droit des cités de l’Antiquité, lequel est marqué par une
approche personnaliste puisque chaque loi est l’attribut d’une personne ou d’un citoyen. Le
concept de personnalisme constitue un héritage de l’Antiquité. Finalement de cette nouvelle
aspiration a débuté le conflit de lois dans la mesure où droit romain et droit pérégrin se sont
trouvés nécessairement confrontés l’un à l’autre du fait des échanges et déplacements. Cette
confrontation donna alors naissance à une nouvelle sorte de droit, le jus gentium, qui a été le
précurseur du droit international privé.

262
J.-M. Carbasse, op. cit., § 36.
263
Voir notamment en ce sens : Y. Thomas, « Le droit d’origine à Rome : Contribution à l’étude de la
citoyenneté », RCDIP 1995, p. 253.
264
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 130.
265
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 113.
266
B. Ancel, P. I, T. I, Ch. III, S.1, § 2, A. « Relations d’ordre personnel », op. cit., p. 55 et s.
267
Voir en ce sens : M. Foelix, op. cit., § 3 : « Le citoyen romain était régi par le droit civil romain, par rapport à
sa personne et à ses biens, même lorsqu’il se trouvait hors de l’Empire ; les actes passés entre citoyens romains
en pays étranger devaient être appréciés selon le droit romain ».
268
Ibid.

68
b) Le maintien du personnalisme dans les relations juridiques malgré l’apparition du jus
gentium
73. L’élaboration d’un jus gentium dans les relations commerciales. Du droit des
cités a débuté le conflit de lois. Effectivement, « comme les relations privées sont naturelles et
nécessaires à l’intérieur d’une même dénomination politique, il fallut un droit des relations
entre citoyens et pérégrins : ce fut le jus gentium »269. Pour reprendre la définition d’Ulpien,
« le droit des gens est celui dont usent tous les peuples », il est « commun à tous les hommes :
les animaux n’y ont pas accès »270. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un droit international
privé, mais d’« un ensemble de règles substantielles applicables à une catégorie spéciale
d’individus » 271 . Par conséquent, est en quelque sorte créée une législation propre à la
résolution des conflits de lois272. Cependant, le jus gentium « ne réglait apparemment que les
relations commerciales »273 en sélectionnant « parmi les institutions, pratiques et usages ceux
qui convenaient le mieux au commerce international »274. En conséquence, toutes les autres
relations, non commerciales, devaient être réglées d’une manière différente. Ainsi, « les lois
pérégrines durent être « reconnues » par les juristes Romains : le préteur pérégrin, créé en 242
av. J.-C. fut chargé de les appliquer essentiellement en matière de relations de famille »275.
74. Le maintien de la personnalité des lois dans les autres relations. D’une part, le
jus gentium n’a pas réussi à englober toutes les relations juridiques entre Romains et
Pérégrins, laissant ainsi subsister un conflit de lois lequel conduisait à « l’application par un
même juge de lois différentes suivant l’origine des parties »276. Ainsi, « le juge détermin(ait)
l’empire de chaque loi »277 sur la base d’un élément de rattachement qui était donc l’origine.
Cet élément de rattachement atteste de la marque du personnalisme dès les premiers conflits
de lois sous l’Antiquité puisque tout conflit était résolu au regard de l’origine de chacune des
parties. D’autre part, la mise en place d’un système de droit matériel dans l’hypothèse d’un
conflit de lois s’avère toujours d’une extrême difficulté et demeure plus facile pour des
relations commerciales que pour celles qui sont personnelles ou familiales. Cette difficulté est

269
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §11.
270
J.-M. Carbasse, op. cit., § 36.
271
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 113.
272
M. Foelix, op. cit., § 3 : « Les rapports entre les citoyens romains et les étrangers, ou entre étrangers, furent
appréciés par les juges romains selon le jus gentium ».
273
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 130.
274
B. Ancel, P. I, T. I, Ch. III, S.1, § 2, A. « Relations d’ordre personnel », op. cit., p. 55 et s.
275
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §11.
276
Ibid.
277
Ibid.

69
issue de la diversité culturelle propre à chaque peuple ou à chaque citoyenneté dans leurs
conceptions du statut personnel et du statut familial. Il s’agit une fois encore de la marque du
personnalisme puisque ce ne sont que les matières détachées de la personne qui ont pu faire
l’objet d’une réglementation de fond. D’ailleurs, le statut personnel et le statut familial sont
aujourd’hui combinés au domicile et à la nationalité en tant que facteurs de rattachement dans
la mesure où ce sont des attributs de la personnalité.
75. L’extinction du conflit de lois durant l’Empire. Puis, « l’Empire supprima le
problème du conflit de lois, notamment en généralisant l’application du droit romain et en
modérant le jus gentium, progressivement intégré aux constitutions impériales et soumis à
l’interprétation jurisprudentielle »278. Ainsi « à l’époque de Justinien ne subsistait qu’un droit
unique (…) applicable dans tout l’Empire » 279 . « Mais le problème, éliminé des relations
intérieures à l’Empire, devait renaître quand des rapports s’établirent entre les habitants de
l’Empire et ceux du dehors, les Barbares » 280 . La naissance de ces nouveaux rapports a
conduit aux invasions barbares et au système de la personnalité des lois.

2) Le développement du personnalisme par les Barbares du Haut Moyen Âge


76. Si le personnalisme est né sous l’Antiquité, il a été réemployé durant le Haut
Moyen Âge à la suite des invasions barbares afin de devenir la base de leur système juridique
(a). C’est ainsi, qu’a été mis en place le dispositif de la personnalité des lois conduisant à
établir un système juridique de droit privé sur la base d’un sentiment d’identité nationale,
laquelle sera réemployée en droit international privé à la fin de l’Ancien Régime (b).

a) Le personnalisme favorisé par l’absence d’unité législative issue des invasions


barbares
77. Les invasions barbares. « En Occident, l’empire romain s’effondre au cours du
Vème siècle »281, et débute alors « l’invasion de l’Europe occidentale par différents peuples
barbares », « chacun de ces peuples (Wisigoths, Lombards, Burgondes, Alamans, Francs…)
ayant (leurs) propres coutumes »282. Par conséquent, en envahissant le monde romain, ils ont
apporté leurs propres lois, et étant des peuples nomades, « ils n’étaient liés à aucun

278
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 130.
279
Ibid.
280
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §11.
281
J.-M. Carbasse, op. cit., § 57.
282
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 131.

70
territoire », et « la base de l’Etat barbare était constituée par la population et non par un
territoire »283.
78. L’instauration du droit du peuple. Les barbares se sont donc « débarrassés
depuis 476, (…) de toute véritable soumission à un pouvoir central »284, le droit devenant
ainsi le droit du peuple et non plus le droit d’un territoire285. « On admit pour cette raison la
coexistence sur un même territoire de plusieurs systèmes juridiques » 286 . Par conséquent
« chacun vit (…) suivant la loi de sa nation » et « cette loi, qu’elle soit romaine, wisigothe,
burgonde, salique, ripuaire, lombarde, bavaroise, hébraïque, n’a rien de territorial mais est
personnelle à ceux auxquels elle s’applique » 287 . De là, est apparu le système de la
personnalité des lois fondé sur ce concept selon lequel le droit est le droit du peuple288.
79. La réapparition du personnalisme. Comme le territorialisme, les conceptions
juridiques du droit, puis du droit international privé, sont nées des contextes politiques d’une
époque. Le système de la personnalité des lois, dans sa concrétisation la plus extrême au
moment des invasions barbares, a été la conséquence de ces invasions par ces différents
peuples. Ainsi, le personnalisme, objet d’une politique de l’époque, s’est pourtant répandu
pour finalement devenir un des fondements de la conceptualisation du droit international
privé289. Or, tout comme le territorialisme, le personnalisme s’associe à une politique étatique
c’est-à-dire à une idéologie publiciste. Pour autant, le personnalisme a été consacré en tant
que système propre.

b) L’édification d’une société fondée sur le système de la personnalité des lois au Haut
Moyen Âge
80. La mise en place d’un système de personnalité des lois. Jusqu’à l’époque
féodale, les descendants de Clovis, les Mérovingiens, puis les Carolingiens ont mis en place
un nouveau régime juridique, celui de la personnalité des lois. « Dans un territoire où
coexistent plusieurs ethnies différentes, chacune d’entre elles conserve son droit propre, et

283
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 114.
284
B. Ancel, P. I, T. II, Introduction, I. « Le temps de la territorialité », op. cit., p. 70.
285
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 114.
286
Ibid.
287
P. Arminjon, Précis de droit international privé, Dalloz, 3ème éd., 1947, § 37.
288
Voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 357-1 :
« Au cours du Haut Moyen Âge, les barbares envahissent le monde romain et apportent leurs propres lois. Dès
lors, sur le même territoire, coexistent plusieurs systèmes juridiques. Mais chacun est soumis à sa loi nationale ;
c’est le système de la personnalité des lois. Il n’y a donc pas à proprement parler de conflit de lois, car on ne peut
pas appliquer à un individu une loi autre que celle du groupe auquel il appartient ».
289
Voir en ce sens note n°173 ; le personnalisme étant né notamment sous la plume d’Accurse lors de la
découverte de la théorie des statuts.

71
chaque personne est jugée selon le droit du groupe ethnique auquel il appartient »290. Donc,
« la loi applicable dépend(ait) de la personne intéressée »291, ou plus exactement « chacun
était soumis à sa loi nationale »292. C’est ainsi que se date le personnalisme c’est-à-dire à
l’époque du Haut Moyen Âge et qu’émerge l’idée d’intégrer la personne au sein du système
de droit privé.
81. Un système issu d’un fort sentiment d’identité nationale. En réalité, « ce
phénomène de la coexistence sur un même territoire de plusieurs lois applicables
simultanément à différentes catégories de citoyens (…) se retrouve quand (vivent) sur un
même territoire plusieurs populations d’origines, de mœurs, ou de développements trop
différents pour que l’unité législative soit praticable »293. Le contexte politique et culturel de
l’époque justifiait donc le recours à la personnalité des lois ; comme cela a été le cas à une
période de l’Antiquité. En effet, les populations « sont attachées à leurs lois qui jusqu’alors
définissaient leur condition sociale » et les Barbares « sont d’autant moins enclins à priver les
populations subjuguées du bénéfice de leurs lois qu’ils (revendiquaient) pour eux-mêmes le
droit de chacun à vivre sous sa loi, sous la loi de sa communauté d’origine, lequel participe du
sentiment d’identité et est un élément de la civilisation des anciens Germains »294.
82. L’apparition de l’idéologie personnaliste en droit international privé.
Finalement, le cadre politique de l’époque, animé d’un sentiment d’identité nationale, a
préféré opter pour un système de personnalité des lois plutôt que de territorialité. Cette
idéologie a contribué à la mise en place d’une conception personnaliste voire nationaliste du
système de droit privé, et plus tard de droit international privé. Parallèlement au
territorialisme, il semblerait donc que les moteurs des systèmes de droit des conflits de lois
soient publicistes et plus précisément soient le territorialisme ou le personnalisme. Quoi qu’il
en soit, si le personnalisme est issu de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge, il a servi de
fondements aux futures doctrines à la fin de l’Ancien Régime, puisqu’elles ont créé une
méthode propre au droit des conflits de lois sur cette base.

290
J.-M. Carbasse, op. cit., § 70.
291
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §12.
292
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 114.
293
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §12.
294
B. Ancel, P. I, T. II, Introduction, I. « Le temps de la territorialité », op. cit., p. 70 et 71.

72
B. LA RECONNAISSANCE EUROPEENNE DU PERSONNALISME EN DROIT INTERNATIONAL
PRIVE A LA FIN DE L’ANCIEN REGIME

83. La théorisation personnaliste du droit international privé, contrairement au


territorialisme, n’est intervenue que tardivement, soit à partir du XIXème siècle, en raison du
contexte politique, notamment à la suite des diverses Révolutions de l’époque (1). Pour autant
cette systématisation personnaliste du droit international privé et spécifiquement du droit des
conflits de lois a su perdurer et être diffusée durant le XXème siècle en raison des aspirations
publicistes de l’époque (2).

1) L’apparition du système personnaliste de droit des conflits de lois au XIXème


siècle
84. Si le personnalisme existe depuis l’Antiquité, il n’a été systématisé qu’au XIXème
siècle par un auteur italien, Mancini (a). Puis, en tant que nouveau fondement juridique de la
discipline, il s’est diffusé dans la foulée dans toute l’Europe (b).

a) La première systématisation personnaliste par Mancini


85. Le premier théoricien de la personnalité du droit en droit international privé.
Mancini « s’est fait le champion » du personnalisme295. En effet, sa doctrine est intervenue
postérieurement à la Révolution italienne de 1848, à la suite de laquelle les Italiens ont
souhaité « unir dans une seule nation libre les principautés d’Italie, tenues séparées par la
domination d’Etat » 296 . En outre, « le sentiment nationaliste se répandait en Europe au
XIXème siècle à mesure que différents peuples formant une communauté et jusque-là
politiquement séparés ou sous domination étrangère cherchaient à réaliser leur unité ou à
acquérir leur indépendance »297. Mancini s’est ainsi fait le défenseur du nationalisme.
« Mancini était en droit public le défendeur du principe des nationalités, d’après lequel
les Etats doivent être des communautés d’individus unis par la race, la langue, la religion, les
traditions historiques, etc., de sorte que la puissance territoriale de l’Etat n’est qu’un
despotisme quand elle ne correspond pas à la nationalité des sujets »298. Par conséquent, selon
lui, « c’est la communauté nationale, en droit international public, et, par voie de
conséquence, c’est la personnalité du droit, en droit international privé, qui seuls méritent

295
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 75.
296
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 137.
297
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 147.
298
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 137.

73
considération »299. Autrement dit, « (sa) théorie repose sur le postulat que les relations des
individus avec un Etat (et avec les lois de celui-ci) dépendent moins d’un territoire que de
l’appartenance à une nation »300.
86. Du territorialisme au personnalisme. Ainsi, Mancini a poursuivi l’ancienne
démarche qui fut celle des statutaires et notamment de d’Argentré et des Hollandais, mais a
milité pour un autre critère : la nationalité301 , car selon lui, la nationalité est le fondement du
droit des gens302. Contrairement à la doctrine territorialiste antérieure, le système de droit des
conflits de lois est alors devenu personnaliste pour faire de la loi personnelle le principe,
malgré le maintien de certaines exceptions.
87. L’avènement d’un système international en dépit de son origine publiciste. La
naissance de ce nouveau système en droit des conflits de lois, dont le principe est celui de la
loi personnelle, ne fait que confirmer l’origine publiciste de la matière. Le droit international
privé s’est, effectivement, systématisé autour de deux grandes doctrines que sont le
personnalisme et le territorialisme. Il est donc impossible de considérer que le système de
droit des conflits de lois se soit construit au regard d’aspirations neutres ou privatistes.
Néanmoins, contrairement aux autres systèmes proposés sous l’Ancien Régime, celui mis en
place par Mancini a l’avantage d’être internationaliste malgré son fondement sur le sentiment
national, puisque « l’application aux étrangers de leur loi nationale n’est pas considérée
comme l’effet d’une notion un peu vague de courtoisie, mais celui d’une véritable obligation
internationale »303. En outre, même si la doctrine de Mancini est critiquable, elle a le mérite de
prendre en compte l’étranger. De plus, l’influence de celle-ci ne peut être déconsidérée dans
la mesure où « elle (a eu) un puissant rayonnement, non seulement en Italie, mais à travers le
monde et exerça son influence non seulement sur les théoriciens du droit, mais aussi sur les
rédacteurs de bien des lois et les négociateurs de bien des traités »304. En effet, sa théorie a été
poursuivie en Europe durant tout le XIXème siècle.

299
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », J.-Cl. Droit international, 1959, Fasc. 530 B, § 6.
300
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 214.
301
B. Ancel, P. I, T. III, S.-T. I, Ch. I, S.1, § 1, « La doctrine de Mancini dans une coquille de noix », op. cit., p.
441.
302
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 75.
303
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 147.
304
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 B, § 6.

74
b) La propagation du personnalisme en droit international privé européen au XIXème
siècle
88. La réception européenne du personnalisme. En France, durant la seconde
moitié du XIXème siècle, les auteurs se sont montrés en grand nombre personnalistes305. En
réalité, « le personnalisme fut (…) professé par toute une lignée d’auteurs en Europe
continentale, notamment en Italie, en Allemagne, en Belgique (Laurent) et en France (Weiss,
Despagnet, Valéry) » 306 . Pour en prendre illustration, Arminjon a évoqué Laurent, en
affirmant qu’il a étendu la portée de ladite doctrine. Il a cité notamment une formule de
Laurent, inspirée de l’école italienne, selon laquelle « chacun peut invoquer partout la loi de
sa nation, pourvu qu’elle ne porte pas atteinte au droit public de l’Etat devant les tribunaux
duquel il en demande l’application »307. D’après lui, « la société internationale doit assurer la
coexistence des lois nationales en arrêtant l’effet de l’une quand il y a lésion pour une
autre »308. Il a alors su « faire preuve (…) de pragmatisme dans la recherche de solutions
négociées pour parvenir à l’unification du règlement des conflits de lois »309. De plus, « les
professeurs français qui ont inauguré, en 1880, l’enseignement du droit international privé,
lors de son introduction dans les facultés de droit, ont pour la plupart à cette époque, exposé la
science nouvelle à leurs étudiants, puis à leurs lecteurs, en la plaçant dans le cadre de la
théorie de « la nationalité ou de la personnalité du droit » »310.
89. Le personnalisme comme second fondement de la discipline. En résumé, la
doctrine personnaliste s’est bien diffusée en Europe au XIXème siècle dans le cadre de sa
systématisation. Le personnalisme constitue donc le second fondement sur lequel s’est
construit le droit international privé et spécialement le droit des conflits de lois. Sa diffusion
au XXème siècle en atteste davantage.

2) La diffusion du personnalisme en droit international privé durant l’Europe du


XXème siècle
90. Encore au XXème siècle, l’absence de scission nette entre les sphères publiques et
privées à l’égard du droit international privé se fait ressentir. La doctrine personnaliste ne

305
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 B, § 6.
306
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 148
307
P. Arminjon, op. cit., § 49, citant spécialement F. Laurent, Droit civil international, Ed. Paris Bruxelles : A.
Marescq Bruylant-Christophe & ce, 1880-1881, I, p. 627.
308
J.-L. Halpérin, Ch. III, 1) « Les avancées du personnalisme », in Entre nationalisme juridique et communauté
de droit, PUF, 1999, p. 88 et s.
309
Ibid,
310
P. Arminjon, op. cit., § 50.

75
s’est pas éteinte au lendemain du XIXème siècle pour perdurer durant le XXème siècle sous la
plume de nouveaux auteurs, lesquels se sont efforcés de rajeunir cette doctrine sur la base
d’arguments publicistes, comme Zitelmann (a) et Pillet (b).

a) Le maintien d’un personnalisme essentiellement étatique par Zitelmann


91. Le personnalisme conditionné par l’autorité législative de l’Etat. Zitelmann,
auteur allemand du XXème siècle, a repris les bases du personnalisme, pour fonder sa
doctrine sur la notion de droit subjectif et d’autorité législative de l’Etat. « Le droit subjectif
privé est un pouvoir conféré par l’Etat dans l’exercice de sa puissance législative au moyen de
règles impératives ou permissives » et « pour que l’Etat puisse conférer ou refuser un droit
subjectif à une personne, il est nécessaire qu’il ait sur elle, conformément au droit des gens,
un pouvoir juridique correspondant », et « cette compétence trouve sa mesure dans la
puissance effective de l’Etat sur l’objet des droits subjectifs au moment de l’acquisition ou de
la perte de ces droits »311.
En réalité, comme l’a affirmé Frankenstein, un de ses partisans de l’époque, Zitelmann
est parti de l’idée d’une communauté des Etats du point de vue du droit international public,
considérant qu’une telle communauté ne peut exister que si chaque Etat respecte l’autre. Ainsi
chaque Etat doit reconnaître aux autres le pouvoir légal de conférer des droits subjectifs.
Frankenstein a ajouté que, selon Zitelmann, « l’Etat n’a ce pouvoir légal que sur ses propres
nationaux », il « fait donc dériver de l’idée de la communauté des Etats l’idée que l’homme ne
relève que de son droit national quant à ses obligations »312.
92. Un personnalisme demeurant publiciste. Le personnalisme reste donc un
fondement du droit international privé mais dont l’utilisation est, réellement, affiliée à des
considérations publicistes. Si tel a été le cas en Allemagne, il en a été de même en France.

b) La défense d’un personnalisme souverainiste par Pillet


93. Le personnalisme en réponse au conflit de souverainetés. Aujourd’hui la
doctrine de Pillet est qualifiée de « personnalisme constructif »313. En effet, sa doctrine se
situe à mi-chemin entre le personnalisme et la nécessaire territorialité des lois314. L’auteur est
parti d’idées publicistes, ainsi « le droit international privé est une branche du droit

311
P. Arminjon, op. cit., § 54.
312
E. Frankenstein, Ch. I, III. « La tendance internationale », in « Tendances nouvelles du droit international
privé », RCADI, 1930, vol. n°33, § 4.
313
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 138.
314
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 149.

76
international public, car régler des conflits de lois, c’est régler des conflits de
souveraineté »315. En conséquence, il considère que « lorsqu’on opte pour une loi, on limite la
compétence d’un Etat au profit de celle d’un autre Etat et, s’agissant de rapports entre Etats,
toute solution rationnelle doit respecter les intérêts des deux Etats en présence »316. Pour y
parvenir, il a exposé qu’il convenait d’emprunter la solution internationale des conflits à la
nature de la loi 317 et plus précisément il a prétendu « résoudre les conflits de lois en
déterminant le but social de la loi »318.
94. La solution du conflit de lois recherchée dans le but social de la loi. Il a exposé
en conséquence que « l’harmonie, but dernier de notre science, ne peut être établie entre les
lois des peuples différents, qu’en considérant chacune d’entre elles ou bien comme territoriale
ou bien comme extraterritoriale » 319 . Pour y parvenir, il a développé sa doctrine sur la
généralité et la permanence des lois320.
95. Le retour incontesté du souverainisme. En revanche, si Pillet par son
universalisme a tenté d’établir une harmonie entre nations, d’inspiration à la fois personnaliste
et territorialiste, il a célébré le retour du souverainisme. En effet, « la théorie de Pillet est (…)
marquée par la conception de l’époque assimilant le conflit de lois à un conflit de
souverainetés, indépendamment de la nature privée des questions à résoudre »321. En résumé,
la doctrine de Pillet opère une fusion entre les deux fondements traditionnels du droit
international privé. C’est pourquoi au regard de toutes les doctrines fondatrices de la
discipline, qu’elles soient antérieures ou postérieures à l’Ancien Régime, elles défendent une
conception de la matière publiciste.
96. L’incompatibilité du souverainisme avec la neutralité du droit des conflits de
lois. L’approche souverainiste à laquelle ont été soumis les différents systèmes empêche de
créer des règles de conflit de lois neutres et plus exactement exemptes des politiques

315
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 B, § 21 ; et voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. III, 3) « Une montée en
puissance du nationalisme juridique », op. cit., p. 106 et s., lequel expose la doctrine de Pillet : « Parce qu’il
croyait que le droit international devait être unique pour toute les nations, il fut toujours un internationaliste
rattachant les conflits de lois au droit des gens et un admirateur de Savigny » ; « Il rompait le front, jusque-là uni,
entre personnalistes et internationalistes en replaçant le débat sur le terrain du droit public et des intérêts
étatiques. Déclarer que le droit international privé concernait directement la souveraineté des Etats, que les
conflits de lois étaient des « conflits de souveraineté » revenait à repousser l’idée d’une réalisation progressive
d’une communauté de droit entre Etats européens sur la base du droit privé ».
316
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 138.
317
A. Pillet, op. cit., § 107.
318
P. Arminjon, op. cit., § 55.
319
A. Pillet, op. cit., § 108.
320
Cf. infra § 171 et s.
321
B. Audit et L. d’Avout op. cit., § 149.

77
étatiques. Chaque système proposé n’est que la conséquence d’une politique donnée. Or,
l’étude du droit international privé contemporain ne fera que le confirmer. En effet, la
constitution du droit des conflits de lois est jusqu’à aujourd’hui imprégnée par ces vieilles
considérations.

SOUS-SECTION 2 : LE DEVELOPPEMENT DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE


CONTEMPORAIN SOUS L’INFLUENCE DU TERRITORIALISME ET DU
PERSONNALISME

97. Les aspirations au fondement du droit international privé ont su traverser les
différentes périodes de l’histoire. A la fin de l’Ancien Régime, et au début de la codification
du droit, la discipline ne s’est pas développée en rupture avec les doctrines de l’Ancien
Droit 322 . Par conséquent, elle a continué à être développée sur la base des doctrines
territorialistes et personnalistes que ce soit en théorie ou en pratique (§1). Puis, ce mouvement
qui a émergé dès la fin de l’Ancien Régime, s’est maintenu jusqu’à l’époque moderne (§2).

§ 1 – L’ADHESION DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE AUX PHILOSOPHIES


SOUVERAINISTES DES LA FIN DE L’ANCIEN REGIME

98. A la fin de l’Ancien Régime et postérieurement à la Révolution, un Etat nouveau


est né. Pourtant le droit international privé n’a pas fait table rase du passé et a utilisé les
fondements juridiques auxquels il a toujours eu recours. C’est pourquoi au XIXème siècle, la
tradition territorialiste issue de l’ancienne théorie des statuts est reprise en tant que
fondement, et plus précisément, en tant que source du droit des conflits de lois (A).
Cependant, l’apanage de cette discipline n’est plus demeuré uniquement territorialiste, une
place a été faite au personnalisme en raison du mouvement nationaliste qui s’est propagé en
Europe sous l’influence de la doctrine de Mancini (B).

A. LA POURSUITE DE LA PHILOSOPHIE STATUTAIRE AU XIXEME SIECLE


99. La fin de l’Ancien Régime n’a pas entraîné la chute de la tradition territorialiste
en droit international privé. Au contraire, cette doctrine a su perdurer et traverser la
Révolution pour continuer à être prônée par divers théoriciens, notamment jusqu’au XXème
siècle (1). De plus, le territorialisme a su dépasser le stade purement doctrinal pour devenir

322
Voir en ce sens : G.-R. Delaume, Les conflits de lois à la veille du Code civil, Thèse, Paris, 1946, Sirey, 1947,
et spéc. § 2, lequel expose notamment qu’à la fin de l’Ancien régime « l’esprit qui anime toute (la)
jurisprudence, c’est un esprit essentiellement nationaliste et territorialiste ».

78
une réelle source en droit international privé interne et notamment un fondement textuel et
jurisprudentiel (2).

1) L’effectivité de la doctrine territorialiste à la fin de l’Ancien Régime


100. A la fin de l’Ancien Régime, la doctrine territorialiste est toujours en vigueur.
Elle est donc réemployée au XVIIIème siècle par les auteurs français influencés par la
doctrine hollandaise du XVIIème siècle (a). Puis, elle l’est également au XIXème siècle grâce
au développement de la doctrine du droit naturel développée depuis le XVIIème siècle (b).

a) Le maintien du territorialisme en droit international privé au XVIIIème siècle


101. La reprise du principe de territorialité par la doctrine française. Le
territorialisme issu du système féodal et systématisé au Moyen Âge sous la plume de
d’Argentré a su traverser les siècles et conserver son caractère de fondement du droit
international privé à la fin de l’Ancien Régime, notamment au XVIIIème siècle grâce à
certains auteurs français, et principalement à Froland, Boullenois et Bouhier. « Ces auteurs
n’ont pas à proprement parler constitué une école indépendante » et « ont subi l’influence
concurrente de Dumoulin et d’Argentré », leurs doctrines étant variables de l’une à l’autre323.
Comme l’a affirmé Arminjon, « Froland, Boullenois et Bouhier élargirent la brèche
faite par leurs prédécesseurs du siècle précédent au principe de la territorialité qui leur
semblait cependant à eux aussi incontestable » 324 . Il en ressort qu’« ils (ont été) les
continuateurs de d’Argentré » ; « ils se (sont fait) une conception assez étroite de l’idée de
souveraineté de la loi », et « la loi n’est souveraine que dans les limites du territoire et est faite
pour être appliquée sur le territoire ; c’est l’application stricte du principe de territorialité »325.
En conséquence, la doctrine du territorialisme a traversé les siècles et a continué d’être l’appui
de la doctrine française du XVIIIème siècle, et donc de la doctrine du droit des conflits de
lois.
102. Une doctrine française imprégnée de souverainisme. De plus, les auteurs
français ont subi parallèlement l’influence directe de la doctrine hollandaise, la comitas
gentium, notamment en ce qu’« ils ne (tempéraient) l’application de la loi locale que par le jeu
de l’idée de courtoisie et qu’ils se (refusaient) à admettre qu’il y ait une obligation juridique

323
Y. Loussouarn, P. Bourel, P.de Vareilles-Sommières, op. cit., § 132.
324
P. Arminjon, op. cit., § 40.
325
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 132.

79
pour le législateur local d’appliquer la loi étrangère »326. Les auteurs français, inspirés par les
prédécesseurs français, se sont donc imprégnés de la conception souverainiste de l’Europe à la
fin de l’Ancien Régime 327 . Une nouvelle fois, cette idéologie constitue le socle de la
construction du système de droit des conflits de lois envisagé par ces auteurs. Il ne faut donc
pas oublier que jusqu’au XVIIIème siècle, le conflit de lois est toujours conçu comme « des
conflits de souverainetés »328, justifiant ainsi l’emprise du territorialisme dans les doctrines de
droit international privé. De la même manière, elles n’ont pas été épargnées par la doctrine du
droit naturel dont l’essor se situe à la fin de l’Ancien Régime.

b) L’emploi du naturalisme à l’appui d’un droit international privé territorialiste


103. La doctrine du droit naturel au XVIIème. Dès le XVIIème siècle, sous la
principale influence de Grotius et Pufendorf, apparaît la doctrine du droit naturel assimilée au
droit des gens, lequel n’est plus défini comme du temps de l’Antiquité. Pour reprendre les
propos de Hobbes, « le droit naturel et le droit des gens, proprement ainsi nommé et considéré
comme une loi qui émane d’un supérieur, n’est autre chose que le droit naturel lui-même,
appliqué, non aux hommes envisagés simplement comme tels, mais aux peuples, aux nations,
aux Etats ou à leurs chefs, dans leurs relations qu’ils ont ensemble, et dans les intérêts qu’ils
ont à ménager entre eux » 329 . Le Professeur Coujou a notamment affirmé qu’« il y a
certainement un droit des gens universel, de nécessité, obligatoire par lui-même » et « qui est
par conséquent immuable, et dont les peuples ou leurs souverains ne sauraient se dispenser,
même d’un commun accord, sans manquer à leur devoir »330.
104. L’assimilation de la courtoisie internationale à une obligation naturelle. Sur
la base de cette théorie d’une importance considérable pour l’époque, certains
internationalistes ont trouvé les fondements du droit international privé dans le sens où il
semble possible de pouvoir justifier la notion de courtoisie internationale au regard du droit

326
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 132.
327
Voir en ce sens : M. Foelix, op. cit., § 10 et 11 lequel considérait « qu’aucun Etat, aucune nation, ne peut, par
ses lois, affecter directement, lier ou régler des objets qui se trouvent hors de son territoire, ou affecter et obliger
les personnes qui n’y résident pas, qu’elles lui soient ou non soumises par le fait de leur naissance » et affirmait
que « tous les effets que les lois étrangères peuvent produire dans le territoire d’une nation dépendent
absolument du consentement exprès ou tacite de cette nation » ; « une nation n’étant point obligée d’admettre
dans son territoire l’application et les effets des lois étrangères, elle peut indubitablement leur refuser tout effet
dans ce territoire : elle peut prononcer cette prohibition à l’égard de quelques-uns seulement, et permettre que
d’autres produisent leurs effets en tout ou en partie ».
328
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 68.
329
J.-P. Coujou, Ch. VI, in Principes du droit naturel, Dalloz, 2007, § 5, p. 129 et s., citant Hobbes.
330
Ibid., § 2, p. 61 et s.

80
naturel, en tant que coutume ou plus précisément en tant qu’obligation naturelle 331 . Par
conséquent, la théorie du droit naturel a permis à certains auteurs de poursuivre, voire même
de justifier parfaitement, leur systématisation du droit international privé sur le fondement du
territorialisme. En effet, comme l’a expliqué Pillet, certains jurisconsultes avaient recours au
droit naturel, en ce sens qu’« ils cherchaient la solution du problème dans une obligation
naturelle des Etats les uns à l’égard des autres, ou dans ce qui convient le mieux à la nature
des rapports objets de notre science »332. C’est notamment le cas de Gabriel de Vareilles-
Sommières, lequel au XIXème siècle, a réaffirmé « le principe de territorialité »333. Selon lui,
la loi est territoriale, « mais cette territorialité constituant un principe international s’impose
non seulement à l’Etat de la loi duquel il s’agit, mais à tout autre »334.
105. La persistance du territorialisme en doctrine. Sans qu’il soit nécessaire
d’étudier davantage la doctrine de ce dernier auteur, il convient de considérer que le
territorialisme s’est maintenu jusqu’à la fin de l’Ancien Régime335, et même postérieurement,
en raison des considérations de l’époque, et notamment de la forte influence des doctrines du
droit naturel et du souverainisme. Or, le territorialisme n’a pas fait que perdurer au travers des
doctrines du droit international privé, il a également su intégrer le droit positif au lendemain
de la Révolution française.

2) L’illustration du territorialisme par les premières sources du droit des conflits de


lois interne dès le XIXème siècle
106. A la fin de l’Ancien Régime, en raison de l’unification du droit en France, sont
apparus les premiers textes relatifs aux conflits de lois à raison de la codification du droit
français laquelle a repris à son compte l’idéologie du territorialisme issue de la théorie des
statuts (a). De surcroît, à raison du vide juridique subsistant malgré les nouvelles dispositions
textuelles, la jurisprudence a aussi choisi d’interpréter les textes issus de la codification autour
du principe de territorialité des lois datant de l’Ancien Régime (b).

331
M. Foelix, op. cit., § 14 : « Le principe d’application des lois étrangères, dans le territoire d’une nation,
appartient, non au droit privé, mais au droit des gens : bien qu’il s’agisse au fond d’appliquer des dispositions du
droit privé, cependant cette application n’a lieu que par suite de rapports de nation à nation ».
332
A. Pillet, op. cit., § 53.
333
C. Gavalda, Les conflits dans le temps en droit international privé, Thèse, Paris, 1954, Sirey, 1955, § 39.
334
A. Pillet, op. cit., § 54.
335
Pour aller plus loin, voir en ce sens : C. Freyria, « Les conflits de coutume en matière de successions dans le
droit coutumier urbain des Flandres sous l’Ancien régime », RCDIP 1947, p. 249, lequel expose notamment le
maintien de l’idéologie durant l’Ancien régime : « Le refoulement de la lex rei sitae (…) dans les cités italiennes
et les villes français (…) n’est que partiel. Le recul de la coutume territoriale n’est observé que pour les meubles.
Le principe d’application de la loi du lieu de situation, si fortement incrusté dans la pensée française, résiste
victorieusement pour les immeubles ».

81
a) La codification du territorialisme en droit des conflits de lois français
107. La première codification du droit des conflits de lois français. À la suite de la
Révolution française, sous l’influence de Napoléon, sont apparus les Codes civil et de
procédure civile, lesquels constituent encore aujourd’hui des sources internes du droit
international privé. Il s’agit, dès 1804, de la première codification des règles de droit
international privé, notamment en droit des conflits de lois. A l’époque, « l’atmosphère
régnante interdisait de songer à une conciliation résultant d’une entente entre les Etats », par
conséquent « les codificateurs estimèrent qu’à tout le moins ils devaient donner des
indications signalant comment en France, et au regard de la France, les conflits seraient
résolus »336. Pour cela, il convenait de se référer principalement à l’article 3 du Code civil,
lequel « est très incomplet puisqu’il ne vise que les lois de police et de sûreté, les immeubles
et l’état et la capacité des personnes, ce qui laisse en dehors de son champ d’application une
grande partie des matières de droit civil »337.
108. La codification du territorialisme. En outre, les dispositions contenues à
l’article 3 du Code civil sont unilatérales, mais ont été bilatéralisées dans un souci d’équité et
opèrent « un partage entre la territorialité et la personnalité du droit »338. « En soi l’article 3 ne
constitue pas une promulgation légale du système antérieur »339. Cependant, le territorialisme,
tout comme le personnalisme, a été introduit comme fondement du droit international privé au
sein du Code civil actuel. De plus, le caractère unilatéral des dispositions de l’article 3 du
Code civil fait état des traces laissées par la philosophie souverainiste de l’époque 340 . La
doctrine territorialiste a donc bien su influencer les premières sources textuelles du droit des
conflits de lois, mais elle a davantage su s’immiscer dans la jurisprudence postérieure à la
naissance du Code civil.

b) La jurisprudence française territorialiste du XIXème siècle


109. Le territorialisme intégré à la jurisprudence. Eu égard au laconisme de
l’article 3 du Code civil, le territorialisme a pu s’imposer dans la jurisprudence française du
XIXème siècle. En effet, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, les solutions statutaires

336
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 A, § 22.
337
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 134.
338
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 A, § 22.
339
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., §274.
340
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 50 : « Du fait de l’intrusion de l’idée de souveraineté et du
territorialisme que celle-ci impose, la démarche statutiste acquiert une autorité prépondérante sur la doctrine.
C’est la théorie des statuts dont l’influence se ressent dans les premières codifications : l’article 3 du Code
Napoléon se contente de délimiter le domaine dans l’espace de la loi française ».

82
régnaient 341. Par conséquent si l’interprète n’était pas lié par les solutions de l’Ancien Droit,
il était cependant parfaitement libre de faire appel à la tradition historique, et « la
jurisprudence française ne s’en est pas privée »342.
110. La consécration d’un principe général de territorialité. Ainsi, du Code civil et
pendant un demi-siècle, « notre jurisprudence a été influencée par le principe de la
territorialité des lois », elle avait « le mérite de concilier le principe de la territorialité avec
l’existence exceptionnelle d’un statut personnel, ce qui facilitait la compréhension de l’article
3 alinéa 3, du Code civil »343 . Par conséquent si « l’alinéa 2 de l’article 3 du Code civil
soumet seulement à la loi française les immeubles sis en France », « la jurisprudence n’a pas
eu d’hésitation à étendre cette solution (…), en la considérant comme l’expression particulière
d’un principe général » 344 . Par conséquent, en sus de la doctrine, le territorialisme s’est
maintenu, mais a également intégré les règles de conflit de lois françaises positives. Pour
autant, le même phénomène s’est produit à l’égard du personnalisme.

B. LA PROMULGATION DU NATIONALISME AU XIXEME SIECLE


111. Si le territorialisme a perduré au XIXème siècle, postérieurement à la Révolution
et conformément à la tradition de l’Ancien Régime, une place a également été faite au
personnalisme en raison du mouvement nationaliste se développant en l’Italie sous l’influence
de Mancini et de ses successeurs345. Par conséquent, l’idéologie a pénétré le droit des conflits
de lois tant au regard de ses sources textuelles de droit interne au XIXème siècle (1) que des
sources jurisprudentielles et diplomatiques de l’époque (2).

1) La réception textuelle du personnalisme au XIXème siècle en droit des conflits de


lois interne
112. Le personnalisme a été, en quelque sorte, le cœur de la période révolutionnaire,
dans la mesure où il est la conséquence du développement du concept de souveraineté
nationale issu de la pensée révolutionnaire du XVIIIème siècle (a). C’est pourquoi sur la base
de cette souveraineté nationale, les codificateurs principalement européens, dès le XVIIIème
siècle, ont intégré au sein de leur code civil le personnalisme, et plus précisément le
rattachement à la loi nationale (b).

341
P. Louis-Lucas, op. cit., § 22.
342
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 134.
343
Ibid.
344
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 280.
345
Cf. supra § 82 et s.

83
a) L’avènement du rattachement à la nationalité par le concept révolutionnaire de la
souveraineté nationale
113. Le personnalisme au soutien du concept de souveraineté nationale. La
codification du droit international privé en France a engendré un partage entre territorialisme
et personnalisme. L’intégration du personnalisme a été la conséquence du mouvement
révolutionnaire mis en place et à la suite duquel s’est développé le concept de souveraineté
nationale. En effet, à la suite de la Révolution, apparaît un Etat nouveau fondé « sur la
souveraineté nationale et les droits de l’Homme »346. Par conséquent, « si l’ancienne France
était une patrie, la nouvelle France se veut tout d’abord une Nation » 347 . Ainsi, sous
l’influence des Lumières et notamment de Siéyès est apparue l’idée selon laquelle la nation
est souveraine348.
114. L’apparition de la doctrine nationaliste en droit des conflits de lois. Le
nouveau concept révolutionnaire de la souveraineté a marqué les esprits et, en parallèle, a
provoqué la mise en place d’une doctrine nationaliste grâce à la théorie italienne de Mancini.
Cette nouvelle conception de la souveraineté favorise donc l’insertion du personnalisme dans
le droit des conflits de lois aux côtés du territorialisme. Par conséquent, « si l’ancienne idée de
territorialité pouvait se maintenir sans modification, quitte cependant à être précisée, l’idée de
personnalité était appelée à changer de portée et même de sens »349. Ainsi, « la loi personnelle
de chaque intéressé devrait s’entendre essentiellement de sa loi nationale » 350 , justifiant
l’essor du rattachement à la loi nationale à partir de la Révolution. Le personnalisme, traduit
par le rattachement de la loi nationale, s’est donc imposé, en concurrence du territorialisme,
dans les doctrines du droit international privé, mais aussi dans les sources textuelles du droit
des conflits de lois en raison de la promotion d’une nouvelle idée de la souveraineté, à savoir
la souveraineté nationale, concept encore d’actualité de nos jours.

b) Le rattachement à la loi nationale intégré dans le Code civil en Europe


115. La codification française du personnalisme. Le personnalisme a été
réceptionné par les sources textuelles de droit interne en Europe, et notamment intégré dans le
Code civil. En droit français, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’article 3 du Code
civil, synthèse entre territorialisme et personnalisme, et marque de la souveraineté, a établi en

346
J.-M. Carbasse, op. cit., § 152.
347
Ibid.
348
Ibid.
349
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 A, § 22.
350
Ibid.

84
son troisième alinéa que « les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les
Français même résidant en pays étranger ». La bilatéralisation de cet article a alors conduit à
considérer que le droit des conflits de lois français soumettait le statut personnel à la loi
nationale351.
116. La codification internationale du personnalisme. Également, le personnalisme
« a naturellement inspiré le Code civil italien de 1865, puis le Code civil espagnol de 1889, le
Code civil allemand de 1900, la loi polonaise de 1926 », et même hors d’Europe, « la loi
japonaise de 1898, le Code civil brésilien de 1916, et le Code Bustamante de 1928 »352. Par
conséquent, la réception textuelle du personnalisme dans les Codes civils de divers Etats
européens, et du monde entier, suffit à considérer que le droit des conflits de lois codifié est
fondé sur des aspirations personnalistes, et plus précisément nationalistes.
117. Les sources textuelles du droit des conflits de lois d’essence souverainiste. Il
ressort de cette étude que personnalisme et territorialisme, englobés tous deux sous le prisme
du souverainisme, sont les bases classiques des sources textuelles du droit des conflits de lois
dont certains textes sont encore en vigueur aujourd’hui et applicables comme l’article 3 du
Code civil français. De surcroît, le personnalisme, tout comme le territorialisme a su
s’imposer au-delà des sources textuelles, et donc même en jurisprudence et au sein des
organisations internationales.

2) La réception jurisprudentielle et diplomatique du personnalisme au XIXème


siècle en droit des conflits de lois
118. Au-delà de la codification du personnalisme dans l’article 3 du Code civil
français, celui-ci a été reconnu par la jurisprudence française du XIXème siècle pour faire de
la loi nationale le rattachement de principe du statut personnel (a). Cependant, le
personnalisme ne s’est pas contenté d’influencer la jurisprudence, il a été vecteur d’accords
diplomatiques et a donné naissance à la Conférence de La Haye en 1893 (b).

a) L’application de la loi nationale au statut personnel en jurisprudence au XIXème


siècle
119. La consécration du principe général de personnalité. Conformément à l’article
3 alinéa 3 du Code civil, la jurisprudence du XIXème siècle, du moins « les tribunaux ont
déduit de l’article 3 alinéa 3 que le statut personnel est régi par la loi nationale » alors que le

351
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 275.
352
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 148.

85
texte vise seulement l’état et la capacité des Français. Or, les tribunaux ont considéré que le
texte « impliquait un principe général » en vertu duquel le statut personnel est soumis à la loi
nationale 353 . Ainsi, la loi nationale en tant que rattachement propre au statut personnel
s’appliquait d’une part à l’état des personnes qui « englobe les règles relatives à leur
identification individuelle et à leurs relations de famille » et d’autre part à la capacité des
personnes 354 qui « comprend les règles sur les incapacités générales et la protection des
incapables »355.
120. L’intégration du personnalisme en jurisprudence. En outre, il est apparu que,
de manière générale, « en France et en Belgique, l’influence du personnalisme se fit sentir en
jurisprudence à la fin du XIXème » 356 siècle ; et notamment en matière de successions
mobilières, lesquelles étaient régies par la loi nationale du défunt, et non pas, par la loi de son
dernier domicile, comme aujourd’hui357. Effectivement, au début du XXème siècle, la Cour
de cassation a été amenée à confondre pratiquement la loi du domicile de droit et la loi
nationale du défunt ; époque durant laquelle la doctrine « était favorable à une réforme du
droit coutumier dans le sens du rattachement de la dévolution de tous les biens héréditaires à
la loi nationale »358. En résumé, le personnalisme, traduit sous forme de rattachement à la loi
nationale, a bien été consacré par la jurisprudence aux côtés du territorialisme pour devenir un
fondement du droit des conflits de lois. Cependant, le personnalisme ne s’est pas introduit
qu’au sein de la jurisprudence relative au droit international privé, il a aussi été le précurseur
de nouvelles sources de droit international privé.

b) Le personnalisme : facteur de nouvelles sources de droit international privé au XXème


siècle
121. L’avènement de la Conférence de La Haye et de revues internationales. La
doctrine personnaliste, depuis Mancini, a eu une forte influence dépassant les sources

353
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 276.
354
Ex. : Cass., Civ. 1ère, 21 sept. 2005, n°04-10.217, RCDIP 2006, p. 100, note H. Muir-Watt ; Dalloz 2006, p.
1726, note F.-X. Morisset : « justifie légalement sa décision le tribunal qui prononce l’ouverture d’une tutelle en
faisant application de la loi française après avoir relevé que la capacité des personnes était soumise à la loi
personnelle ».
355
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 277.
356
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 148.
357
Voir en ce sens Cass., Civ. 1ère, 20 oct. 2010, n°08-17.033, D. actualité, 8 nov. 2010, note J. Burda ; RCDIP
2011, p. 53, note B. Ancel ; Dalloz 2011, p. 1664, note E. Agostini ; dans lequel la Cour rappelle que « dans le
cadre d’une succession internationale ouverte en France, les biens mobiliers du défunt sont réputés être localisés
au lieu d’ouverture de la succession, si bien que leur dévolution est régie par la loi du dernier domicile du
défunt ».
358
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 673.

86
textuelles et la jurisprudence internes359. Celle-ci a inspiré un mouvement diplomatique pour
pousser à la création de revues de droit international privé et donner naissance à la Conférence
de La Haye360. Ainsi, « en 1867, sur l’initiative de Mancini sont amorcés les pourparlers en
vue de l’élaboration d’une convention internationale destinée à régler les conflits de lois »361.
C’est ainsi que sont nées les Conventions de La Haye de 1896, de 1902 et de 1905 lesquelles
sont inspirées du personnalisme 362 , celles-ci étant « orientées vers l’extension du statut
personnel rattaché à la loi nationale » 363 . De plus, ce mouvement d’unification, sous
l’influence du personnalisme, a été appuyé par « la fondation à Gand en 1869 de la Revue de
droit international et de législation comparée, et en 1873 de l’Institut de droit international,
puis par la parution à partir de 1874, du Journal de droit international privé de Clunet »364.
122. L’influence considérable du personnalisme sur les sources du droit des
conflits de lois. Le personnalisme a donc été le précurseur d’une seconde vague de sources de
droit international privé à savoir, outre nos revues jurisprudentielles, l’organisation de la
Conférence de La Haye laquelle a permis l’élaboration de diverses conventions
internationales. Or, il est incontestable que le personnalisme a eu une nette influence sur les
sources du droit des conflits de lois aujourd’hui, puisque la Conférence de La Haye est encore
une organisation internationale au sein de laquelle les Etats recherchent l’unification des
règles de conflit de lois.
123. La consécration juridique d’une discipline politisée. En résumé territorialisme
et personnalisme, à la fin de l’Ancien Régime, ont su dépasser le stade doctrinal pour devenir

359
Voir en ce sens : H. U. Jessurun d’Oliveira, « Universalisme ou régionalisme de la Conférence de La Haye »,
RCDIP 1966, p. 347, affirmant que : « la perspective d’une unification totale du droit international privé ne
déplaisait pas aux juristes du XIXème siècle, presque tous partisans de l’école internationaliste. L’idéal de
« l’harmonie des lois » a toujours été un des puissants moteurs de l’unification des règles de conflits, même si ce
n’est qu’un idéal formel, relevant du domaine de la sécurité du droit ».
360
Pour aller plus loin, voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 116 : « (…) cette voie fut dessinée fermement par
Mancini dans un manifeste au titre fort explicite, publié en 1874, dans le premier numéro du Journal du droit
international, désigné également fréquemment sous le nom de son fondateur, le Clunet : « De l’utilité de rendre
obligatoire pour tous les Etats, sous la forme d’un ou plusieurs traités internationaux, un certain nombre de règles
générales du droit international privé pour assurer la décision uniforme des conflits entre les diverses législations
civiles et criminelles ». Etant en fait un rapport à l’Institut de droit international créé l’année précédente, ce
manifeste devait l’année suivante être appuyé par une résolution dudit Institut : « L’Institut reconnaît l’évidente
utilité, et même, pour certaines matières, la nécessité de traités, par lesquels les Etats civilisés adoptent d’un
commun accord des règles obligatoires et uniformes de droit international privé » » ; « Le projet ainsi dessiné
était « triplement universaliste ». Il devait concerner sinon tous les Etats du monde, du moins tous les « Etats
civilisés ». Il devait embrasser l’ensemble de la discipline, conflit de lois et conflit de juridictions, matières civile
et criminelle. Il reposait sur une vision d’ensemble de la société internationale qui était celle de Mancini ».
361
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 231.
362
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 75.
363
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 231.
364
Ibid.

87
les fondements du droit positif en droit des conflits de lois. Par conséquent, cette discipline a
été consacrée conformément à une politique souverainiste régnant depuis l’Antiquité. Or,
cette idéologie perdure puisqu’elle est encore soutenue par les doctrines contemporaines et
par le droit positif.

§ 2 – LA PERSISTANCE DES IDEOLOGIES SOUVERAINISTES A L’EPOQUE


CONTEMPORAINE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE

124. Le XXème siècle est marqué par une certaine résurgence des idées territorialistes
et personnalistes en raison d’un contexte politique particulier, notamment celui des guerres
mondiales. Ainsi les doctrines du XXème siècle sont essentiellement construites à l’aune de
considérations essentiellement nationalistes et territorialistes (A) tout comme le droit positif
de la même époque (B).

A. LES DOCTRINES FONDEES SUR L’INTERET NATIONAL : DU XXEME SIECLE A


AUJOURD’HUI

125. Au XXème siècle, s’est développé en Europe un intérêt tout particulier pour le
nationalisme conduisant la doctrine européenne, et notamment française, à considérer le droit
international privé de nouveau au regard du territorialisme au début du siècle (1). Finalement
au cours du XXème siècle, le droit international privé a été envisagé sur la base de
philosophies qualifiées de nationalistes car préconisant une prise en compte primordiale des
intérêts nationaux, ou plutôt étatiques (2).

1) Le retour à la tradition territorialiste au début du XXème siècle


126. Si le XIXème siècle est marqué par une forte influence du personnalisme, le
début du XXème siècle prône le retour du territorialisme. En effet, en raison du contexte
politique de l’entre-deux-guerres, orienté vers la défense des intérêts de l’Etat et de la nation
(a), le territorialisme a fait son grand retour notamment sous la plume de Niboyet (b).

a) La défense doctrinale des intérêts français issue de l’entre-deux-guerres


127. Le nationalisme politique du XXème. Si la doctrine de Mancini a conduit au
XIXème siècle à envisager un système de droit des conflits de lois à l’échelle internationale
notamment par le biais de la Conférence de La Haye, cette idée s’est rapidement éteinte
postérieurement à la Première Guerre mondiale. En effet, à la suite de cette guerre, se sont
développées en Europe, et notamment en Italie et en Allemagne, des doctrines nationalistes
pour conduire finalement à la mise en place de régimes politiques fascistes. Par conséquent,
l’entre-deux-guerres, dominé par un nationalisme politique, a également été influencé par un

88
nationalisme juridique justifiant que « l’on attache à l’« intérêt national » plus d’importance
qu’à la vision idéale d’un monde où son propre Etat doit être traité sur un strict pied d’égalité
avec les autres »365.
128. Le nationalisme juridique. Cette conception nationaliste consistait à assurer la
défense des intérêts de l’Etat, et en France, des intérêts français, pays devenu
d’immigration366. Ainsi, la plupart des auteurs au début du XXème siècle « étaient portés à
l’édification de systèmes, procédant par voie de déduction à partir de principes très généraux
sur les notions d’Etat, de souveraineté et même de droit ». De plus, la tendance de ces auteurs
était donc celle de « résoudre les conflits de lois à partir d’une conception du droit
international public » et cela primait davantage dans certains pays « en particulier
l’Allemagne et l’Italie » où « l’enseignement de la matière était, et demeure, lié à celui du
droit international public »367. Le nationalisme politique s’est donc étendu au nationalisme
juridique en raison d’opinions publicistes lesquelles étaient justifiées par le contexte de
l’entre-deux-guerres. Pour autant, si le nationalisme a animé la doctrine, il a notamment guidé
celle de Niboyet pour finalement le conduire à faire l’apologie du territorialisme.

b) Du nationalisme au territorialisme de Niboyet


129. La conception nationaliste du droit international privé de Niboyet. Ce
dernier, ancien élève de Pillet, a développé une doctrine propre au droit des conflits de lois
essentiellement territorialiste sur la base de raisons nationalistes puisque selon lui « l’objectif
de la règle française de conflit de lois doit être la défense des intérêts français » 368 . Il
considère en effet que « pour le droit international privé, l’histoire montre que les peuples
peuvent se passer d’un droit vraiment commun » et « un trop grand développement du droit
des gens serait pour eux intolérable, parce qu’il méconnaîtrait leurs intérêts politiques
irréductibles » ; « il y a, en effet, des intérêts inconciliables, et il faudrait tellement de bonne
volonté réciproque pour une entente durable que mieux ne vaut pas se faire d’illusions »369. Il
s’est donc orienté vers une conception du droit des conflits de lois unilatéraliste et finalement
nationaliste. Ainsi, il a considéré que « si, dans l’affaire, tous les intéressés sont étrangers, la

365
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 73.
366
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 236.
367
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 159.
368
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 142.
369
J.-P. Niboyet, Droit international privé français, Tome I, Sirey, 2ème éd.,1947, § 54.

89
solution doit être juridique » alors que « si, dans l’affaire, un des intéressés est français, la
solution doit être politique »370.
130. Le système territorialiste proposé par Niboyet. Il a donc estimé qu’« en raison
des conditions démographiques, la France étant un pays d’immigration, les intérêts de notre
pays sont beaucoup mieux protégés par le principe de la territorialité que par celui de la
personnalité des lois » 371 . En conséquence, « dans tous les domaines, il (recherchait) la
solution la plus conforme aux intérêts nationaux » 372 . Niboyet, animé par l’idéologie
nationaliste de l’époque, a donc fait du territorialisme la base de son système de droit des
conflits de lois. Toutefois, si le nationalisme a été l’instrument du droit international privé
principalement grâce à Niboyet, le nationalisme a pris une ampleur certaine grâce à d’autres
auteurs particularistes du XXème siècle.

2) Le maintien du nationalisme par la doctrine européenne au XXème siècle


131. En parallèle du contexte nationaliste de l’époque, s’est développée à la fin du
XIXème siècle une nouvelle doctrine nommée particulariste (a) laquelle favorise de nouveau
territorialisme et souverainisme. Ce mouvement particulariste a été diffusé jusqu’à la fin du
XXème siècle notamment sous la plume de Bartin et de Lerebours-Pigeonnière (b).

a) L’assimilation du nationalisme au particularisme de la fin du XIXème siècle


132. La nouvelle doctrine particulariste. L’apparition du nationalisme en Europe a
engendré la création d’un nouveau mouvement doctrinal à la fin du XIXème siècle et au début
du XXème siècle, à savoir le particularisme. En droit international privé, le particularisme se
traduit sur le terrain d’un règlement de conflit (de lois ou de juridictions) national, d’où la
connexité entre nationalisme et particularisme. Par conséquent, « le courant particulariste
apparaît simultanément en Italie, en Allemagne et en France dans les dernières années du
373
XIXème siècle » puisque « jusque-là, les relations privées internationales étaient
suffisamment peu intenses pour que s’épanouisse un internationalisme théorique et libéral » et
que les « déplacements massifs de population, les difficultés économiques et le
développement du dirigisme étatique en droit privé incitèrent à mettre en avant l’intérêt
national dans la solution des conflits de lois »374.

370
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 B, § 33.
371
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 142.
372
Ibid.
373
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
374
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 156.

90
133. La préconisation d’un système de droit international privé national. « Les
particularistes estiment que l’on doit rechercher le système de droit international privé qui
correspond le mieux aux intérêts français »375. Ces auteurs ont donc considéré que le droit
international privé est un droit international privé interne. Anzilotti, en Italie, enseignait que
« si les règles de droit international privé sont substantiellement internationales, elles sont
formellement internes »376. Tout comme Bartin, dans la même ligne de conduite que Kahn377,
en Allemagne, a affirmé que « nous ne disposions donc jamais, en droit international privé
positif, que de sources nationales » 378 . Ces auteurs particularistes, influencés par le
nationalisme de l’époque, ont finalement mis en œuvre un système davantage imprégné du
territorialisme. Par la suite, cette doctrine a alors été diffusée au XXème siècle notamment
sous les plumes de Bartin et de Lerebours-Pigeonnière.

b) La diffusion du nationalisme par Bartin et Lerebours-Pigeonnière au XXème siècle


134. Le particularisme de Bartin. Bartin est, aujourd’hui, considéré comme un
particulariste, car, au travers de sa célèbre théorie sur les conflits de qualifications, il a
expliqué que « le champ d’application des lois dans l’espace se déduit de la nature des
institutions internes »379 et, par conséquent, « c’est du droit interne qu’il a déduit les solutions
du droit international »380. « Bartin, en effet, était un particulariste et proposait des solutions
nationales de conflit de lois »381. Son particularisme « a d’ailleurs trouvé un appui dans son
sentiment national ; il accorde à la loi nationale un domaine nettement plus étendu que celui
qui lui est reconnu en jurisprudence, et l’influence, à l’époque, de Mancini s’est exercée sur
lui »382. Pour justifier l’application de règles internes à l’international, il a estimé que « les
règles de solution des conflits de lois ne doivent être que la « projection » sur le plan

375
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 34.
376
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
377
Pour aller plus loin sur la doctrine de Kahn, voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. III, 3) « Une montée en
puissance du nationalisme juridique », op. cit., p. 106 et s. : « Kahn affirme son positivisme et pose comme
postulat que les règles de conflits de lois appartiennent au droit interne de chaque Etat. La loi étrangère ne doit
être employée qu’en raison des prescriptions du droit national. Il en résulte une diversité de systèmes nationaux,
génératrice de difficultés telles que le renvoi ou les conflits latents, synonymes de conflits de qualification dans
le langage de Bartin. Ces conflits doivent être résolus conformément à l’ordre juridique national auquel est
soumis le juge ».
378
E. Bartin, Principes de droit international privé selon la loi et la jurisprudence française, Domat-
Montchrestien, 1930, § 55.
379
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
380
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 143.
381
Ibid.
382
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.

91
international des règles consacrées sur le plan interne »383. Finalement Bartin a promu l’idée
selon laquelle le droit international privé relèverait de sources nationales dont les origines
seraient inspirées d’un sentiment nationaliste 384 . Par conséquent, sous l’influence du
nationalisme ambiant, il a créé une doctrine essentiellement publiciste laquelle incluait autant
personnalisme que territorialisme.
135. Le particularisme de Lerebours-Pigeonnière. Celui-ci s’est inscrit dans la
même ligne particulariste en considérant notamment que « nos règles de rattachement ne sont
autre chose que des règles nationales complémentaires du droit privé français »385. Cependant,
contrairement à ses prédécesseurs, il a mis en avant l’importance des intérêts français, en
déclarant que « les règles de rattachement ont pour mission de trancher, non des conflits de
souverainetés, mais des conflits d’intérêts particuliers » 386 . Si l’auteur a maintenu son
adhésion au nationalisme par le recours à une doctrine particulariste, il a néanmoins entendu
le droit international privé comme un conflit d’intérêts particuliers, et non plus de
souverainetés. Une telle doctrine conduit enfin à penser le droit international privé et
précisément le droit des conflits de lois sur de nouvelles bases.
136. La nouvelle assimilation du conflit de lois aux conflits d’intérêts particuliers.
Lerebours-Pigeonnière est intervenu durant la seconde moitié du XXème siècle. Par
conséquent, si les dernières conceptions particularistes attestent d’une orientation
nécessairement publiciste, le droit international privé est conçu au regard d’une nouvelle
approche, bien plus conforme à sa nature. En effet, le droit international privé ne doit plus être
conçu comme un conflit de souverainetés pour répondre à sa fonction même. Cependant, il est
indéniable que toutes les doctrines relatent l’héritage idéologique du droit international privé
depuis l’Antiquité, en conservant une approche publiciste de la matière. C’est pourquoi même
si le droit international privé comme le droit des conflits de lois au début du XXème siècle

383
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 B, § 29.
384
Pour aller plus loin, voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. III, 3) « Une montée en puissance du nationalisme
juridique », op. cit., p. 106 et s. : « Il rappelait que (les règles du droit international privé) n’étaient pas imposées
par une autorité supérieure aux Etats, mais formulées par chaque Etat en fonction de l’idée qu’il se faisait de sa
souveraineté et de ses devoirs internationaux. Une telle théorie avait le mérite de relever le rôle de croyances,
aussi bien que du sentiment national, dans l’appréciation que chaque législateur de faisait de la justice
internationale. Mais elle diminuait considérablement la portée du mouvement internationaliste – qu’il s’agisse
des Conférences de La Haye ou des tentatives de la doctrine pour construire un droit rationnel internationalement
reconnu – en ramenant les conflits de lois aux sources positives du droit interne ».
385
P. Louis-Lucas, op. cit., Fasc. 530 B, § 30.
386
Ibid., § 33.

92
tend à être envisagé différemment, il reste marqué par ces différentes conceptions
souverainistes.

B. DU MAINTIEN AU DEVELOPPEMENT DES IDEOLOGIES PUBLICISTES DEPUIS LE


XXEME SIECLE
137. Au-delà de la doctrine, les aspirations publicistes suivies par le droit international
privé en droit positif depuis 1804 se sont maintenues notamment au regard des sources
textuelles du droit des conflits de lois interne (1). Néanmoins, plus que de s’être maintenues,
elles se sont développées durant toute l’époque contemporaine, que ce soit sous la plume du
législateur ou sous l’égide du juge (2).

1) La conservation des sources textuelles du droit des conflits de lois interne depuis
1804
138. Si les idéologies publicistes ont su traverser le temps en doctrine jusqu’à l’époque
contemporaine, elles ont aussi su se maintenir dans les sources textuelles du droit des conflits
de lois. En effet, en raison de l’impossible internationalisation du droit des conflits de lois à
une échelle plus que régionale (a), ses sources internes ont dû nécessairement être maintenues
pour pallier les carences subsistantes (b).

a) L’échec de l’internationalisation des sources du droit des conflits de lois à l’époque


contemporaine
139. Le maintien des sources internes. Si à l’heure actuelle, le droit international
privé s’est développé à l’échelle internationale, notamment au regard de ses sources, il
n’empêche que les sources internes du droit international privé ont été maintenues. Comme
l’a affirmé Niboyet, « le droit international privé se prête difficilement à une codification
mondiale, et il est à désirer que chacun s’en persuade »387.
140. L’impossible établissement d’un droit des conflits de lois commun. En effet,
le droit international privé est difficilement envisageable à une échelle internationale du fait
de l’impossibilité d’établir un droit commun qui conviendrait ou s’adapterait à tous les Etats
du monde entier. Par conséquent, aujourd’hui les sources du droit des conflits de lois sont
particulièrement développées à l’échelle régionale, mais ne suffisent pas à régir toutes les
situations relevant du droit international privé. Lorsque les situations ne relèvent pas du
champ d’application de desdites sources, notamment lorsque des Etats tiers sont en cause, une
autre source se doit de régir ladite situation. Or cette source ne peut être que le droit des

387
J.-P. Niboyet, op. cit., § 27.

93
conflits de lois interne en l’absence de droit commun. A l’heure actuelle, le droit des conflits
de lois de source interne régit toujours les situations qui ne peuvent être soumises au droit des
conflits de lois de source internationale. De surcroît, ce droit des conflits de lois de source
interne est toujours fortement imprégné de souverainisme.

b) La survie des dispositions du Code civil de 1804


141. Une codification inchangée. De nos jours, les dispositions textuelles de source
interne qui régissent les situations relevant du droit international privé sont toujours les
mêmes à savoir les dispositions issues du Code civil de 1804. De fait, l’article 3 du Code civil
bilatéralisé a vocation à s’appliquer encore aujourd’hui dans les situations dans lesquelles
aucun texte international n’est applicable.
142. Une codification demeurée souverainiste. Il découle de ce constat que les bases
sur lesquelles ont été construites les premières dispositions textuelles en droit international
français au XIXème siècle demeurent inchangées. Ainsi, territorialisme, personnalisme et
souverainisme sont toujours au fondement de notre droit international privé interne. Les règles
de conflit de juridictions sont elles aussi fondées sur les mêmes articles du Code de procédure
civile français du début du XIXème siècle. La volonté du législateur en droit international
privé interne reste donc encadrée par de vieilles orientations publicistes inadaptées. Cette
remarque est confirmée par les nouveaux articles du Code civil relatif au droit des conflits de
lois, ainsi que par l’intervention de la jurisprudence française.

2) Un droit des conflits de lois publiciste promu par le droit contemporain


143. Si les dispositions du Code civil de 1804 ont été maintenues en droit des conflits
de lois français en raison de l’absence d’internationalisation des sources du droit des conflits
de lois, il n’empêche que le législateur contemporain a conservé la ligne directrice du
législateur de 1804 en maintenant dans de nouvelles dispositions certaines tendances
territorialiste et personnaliste (a). De même, la jurisprudence, se présentant comme l’allié et le
suppléant du législateur français, a pallié les carences textuelles en optant pour une ligne de
conduite identique (b).

a) Les nouveaux articles du Code civil français à tendance publiciste


144. La codification contemporaine du droit des conflits de lois français. Si les
dispositions du Code civil de 1804 ont été maintenues en droit des conflits de lois, d’autres
sont intervenues et principalement en matière de statut personnel. En effet, principalement en
matière de filiation (art. 311-14 à 311-17 du Code civil) et en matière de conditions de fond

94
du mariage (art. 202-1 du Code civil), le législateur, en 1972, puis en 2013, a suivi la voie qui
avait été tracée par le législateur de 1804. Ainsi, il a choisi de faire de la loi personnelle le
rattachement principal en matière de mariage 388 et de filiation 389 . En conséquence, les
considérations du début de XIXème siècle sont toujours celles du législateur d’aujourd’hui.
De plus, et notamment au regard de l’article 202-1 du Code civil, apparaît la marque du
souverainisme français en ce sens que l’article prévoit que, quelle que soit la loi personnelle
des époux, le mariage requiert le consentement des époux au sens des articles 146 et 180 du
Code civil. Ainsi, le législateur fait de la loi personnelle le principe avec sa limite : les
dispositions d’ordre public du droit français, expression même du territorialisme et du
souverainisme.
145. Le compromis entre personnalisme et territorialisme. La même remarque peut
être effectuée à l’égard de l’article 309 du Code civil entré en vigueur en 2005, lequel est le
parfait compromis entre personnalisme et territorialisme. S’il retient la loi nationale et la loi
du domicile en tant que rattachement, il ne délimite en sus que la compétence de la loi
française. Il s’agit d’un véritable exemple, en droit contemporain, d’un droit des conflits de
lois fondé sur d’anciennes considérations publicistes. Les mêmes remarques peuvent être
faites en jurisprudence.

b) Les jurisprudences françaises contemporaines influencées par l’idéologie publiciste


146. Le souverainisme dans la jurisprudence successorale. La jurisprudence
française de la Cour de cassation a opéré dans la même lignée que le législateur français. Elle
est notamment venue pallier les carences du législateur dans les matières dans lesquelles il
n’est pas intervenu. L’exemple le plus marquant est celui des successions pour lesquelles la
jurisprudence a retenu dans deux arrêts successifs, la loi du lieu de situation de l’immeuble
pour les successions immobilières390, et la loi du domicile du défunt pour les successions
mobilières 391 . Pour favoriser l’application de la loi française, la jurisprudence a établi en

388
Voir en ce sens : CA Aix-en-Provence, 6ème ch. C., 8 mars 2016, n°15/17016 dans lequel les juges du fond
rappellent que « les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des
époux, par sa loi personnelle ».
389
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère 24 mai 2018, n°16-21.163, RCDIP 2018, p. 872, note S. Corneloup ; Dalloz
2019, p. 1016, note S. Clavel ; dans lequel la Cour rappelle qu’en matière de filiation, la loi applicable est la loi
nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant.
390
Cass., Civ., 14 mars 1837, Stewart, S. 1837, 1, p. 95 ; D.P. 1837, 1, p. 275 ; GAJFDIP, n°3.
391
Cass., Civ., 19 juin 1939, Labedan, D.P. 1938, 1, p. 97, note Lerebours-Pigeonnière ; S. 1940, 1, p. 49, note
Niboyet ; RCDIP 1939, p. 481, note Niboyet ; GAJFDIP, n°18.

95
2009392 que le renvoi en matière de succession immobilière ne serait admis qu’à condition de
créer une unité successorale avec la loi applicable aux successions mobilières. En réalité, le
but recherché est bien celui d’appliquer la loi française à l’intégralité de la succession dès lors
que la succession est ouverte en France. Par conséquent, au regard du raisonnement opéré par
la Cour de cassation et des rattachements territoriaux retenus en matière de successions, on
peut une nouvelle fois y voir l’héritage de l’histoire du droit international privé et admettre
que la jurisprudence, en tant qu’alliée du législateur, n’a fait que suivre le mouvement que ce
dernier a initié.
147. Le souverainisme dans la jurisprudence matrimoniale. De plus, selon la
jurisprudence393 relative aux effets du mariage, la loi applicable est la loi nationale des deux
époux ; à défaut de nationalité commune, celle du domicile commun et à défaut de domicile
commun, celle du juge saisi. Par conséquent, la jurisprudence française a maintenu des
rattachements issus des doctrines personnaliste et territorialiste en faisant de la lex fori le
rattachement de dernier recours.
148. Une discipline intégralement régie sur des fondements publicistes inadaptés.
Au regard de ces éléments, le droit contemporain, textuel ou jurisprudentiel, est lui aussi
construit selon des idéologies désuètes en droit international privé. Cette construction
systémique sous l’influence de considérations archaïques et inadaptées est malheureuse. En
effet, le droit international privé et spécialement le droit des conflits de lois en tant que
matière à part entière doit se construire abstraction faite du droit international public. Il s’agit
d’une discipline autonome. En résumé, l’Ancien Régime n’a pas été un facteur de rupture
avec les considérations traditionnelles sur lesquelles le droit international privé s’est
originellement construit. Ainsi du Code civil de 1804 à aujourd’hui, les sources du droit
interne se sont fondées sous l’influence d’anciennes aspirations à savoir le personnalisme et le
territorialisme, pour en établir son contenu. Par conséquent, la discipline a toujours été pensée
et construite sous l’autorité de philosophies souverainistes révolues, sans pour autant

392
Cass., Civ. 1ère, 11 févr. 2009, Riley, n°06-12.140, RCDIP 2009, p. 512, note B. Ancel ; Dalloz 2009, p. 1658,
note G. Lardeux ; Dalloz 2011, p. 1585, P. Courbe.
393
Cass., Civ. 1ère, 17 avr. 1953, Rivière, RCDIP 1953, p. 412, note Batiffol ; JDI 1953, p. 860, note Plaisant ;
JCP 1953, II, p. 7863, note Buchet ; Rabels Zeitschrift 1955, p. 520, note Francescakis ; GAJFDIP, n°26 ; et
Cass., Civ. 1ère, 19 févr. 1963, Chemouni, RCDIP 1963, p. 559, note G. H. ; JDI 1963, p. 986, note A. Ponsard,
Rec. Gén. Lois 1963, p. 315, note G. Droz ; GAJFDIP, n°31.

96
considérer que toute idéologie privatiste en a été exclue 394 . En d’autres termes, comme
l’affirmait Delaume, jusqu’à la fin du XVIIIème, « c’était la doctrine politique qui l’emportait
incontestablement sur la doctrine des juristes » 395 . Néanmoins, cette doctrine politique
rattachée au souverainisme a une mainmise sur l’élaboration du système de droit des conflits
de lois lequel entrave la neutralité du droit des conflits. Par conséquent, aucun système
universel ne peut en découler puisque les intérêts de l’Etat priment ceux des particuliers et
sont conséquemment vecteurs d’individualisation des systèmes.
149. Vers de nouvelles doctrines privatistes. En outre, le droit international privé a
dans un premier temps, principalement sous l’Ancien Régime, érigé les doctrines
personnaliste et territorialiste comme fondements juridiques de la discipline puisque le conflit
de lois était considéré comme conflit de souverainetés. Puis, dans un second temps,
postérieurement à cette période, le conflit de lois n’étant plus considéré comme un conflit de
souverainetés, la discipline s’est émancipée de ces idéologies sans pour autant les bannir.
Cependant, celles-ci étant désuètes, elles devraient être exclues de toute systématisation396.
C’est pourquoi durant la période moderne, se sont développées de nouvelles doctrines
innovantes, indépendamment de la vieille dichotomie entre territorialisme et personnalisme.

SECTION 2 : LE RENOUVELLEMENT DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS PAR UNE


SYSTEMATISATION PRIVATISTE DU CONFLIT DE LOIS

150. A la fin de l’Ancien Régime, le droit international privé, et spécialement le droit


des conflits de lois n’a pas cessé son évolution, et a d’ailleurs fait l’objet de nouvelles
approches, lesquelles ont nécessairement impacté le droit positif. Pourtant, bien qu’elles aient
exercé une influence considérable dans la construction des règles de conflit, elles demeurent
discutables sur le plan de la neutralité et de l’égalité. Toutefois, elles permettent d’extraire
certains éléments méthodologiques essentiels à la préservation de ces objectifs.
Ainsi, en réaction aux doctrines dominantes sous l’Ancien Régime, la doctrine
contemporaine a souhaité penser la matière sous un nouvel angle. Cette attitude réactionnaire

394
Voir en ce sens : F. Rigaux, « Le droit international privé face au droit international », RCDIP 1976, p. 262,
attestant de la difficile émancipation du droit international privé par rapport au droit international public, la
difficile distinction provenant « de ce que ceux qui l’ont formulée ont été tantôt des publicistes, tantôt des
privatistes ».
395
G. R. Delaume, op. cit., § 2.
396
Voir en ce sens : P. Louis-Lucas, « Territorialisme et personnalisme dans l’œuvre de Niboyet », TCFDIP
1951-1954, spéc. p. 14 : « croire à la possibilité et à l'utilité de l'énoncé de règles générales de solution des
conflits de lois, n'est pas croire que ces règles doivent se ramener à une seule, qui ne saurait être, en effet, que la
stricte territorialité du droit, ou que sa stricte personnalité ».

97
s’est produite en Europe et a conduit à envisager la discipline au regard d’une orientation tout
d’abord de manière universaliste puis finalement réaliste (sous-section 1). Ce même
mouvement s’est déroulé aux Etats-Unis mais a mené la doctrine américaine à envisager la
constitution du droit des conflits de lois sous une approche matérielle eu égard au résultat
substantiel recherché (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LES ASPIRATIONS MODERNES DU DROIT INTERNATIONAL


PRIVE EUROPEEN : DE L’UTOPISME AU REALISME

151. Au terme de l’Ancien Régime, le droit international privé ou plus exactement le


droit des conflits de lois est marqué par le territorialisme et le personnalisme. Cependant, dès
le XVIIIème siècle, la vision du droit international privé se modifie notamment avec le
développement d’une idéologie fondée sur le droit naturel 397 . Par la suite, en raison du
mouvement réactionnaire initié en Italie au XIXème siècle, de nouvelles doctrines sont
apparues. Pour rompre avec les doctrines traditionnelles, a, en premier lieu, été soutenue une
nouvelle doctrine celle de l’universalisme considérant qu’il s’agissait en réalité de l’objectif
premier du droit international privé (§1). Or, cette doctrine, qui a connu un réel succès, a
décliné au fur et à mesure de l’échec de l’internationalisation des règles du droit international
privé. Par conséquent, la doctrine européenne au début du XXème siècle a préféré privilégier
une approche réaliste du droit international privé pour mettre un terme à l’utopie issue de
l’universalisme (§2).

§ 1 – LA NOUVELLE AVERSION DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS :


L’UNIVERSALISME

152. Dès le XIXème siècle, durant le mouvement réactionnaire italien et allemand né


sous la plume de Mancini et de Savigny, une nouvelle doctrine a fait jour en Europe, celle de

397
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (les formes juridiques
de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 245 : « De l’Odyssée à Kant : l’accueil
de l’inconnu « somptueux » venu de loin fait partie du grand récit libéral qui s’est constitué au cours du XVIIIe
siècle. Au Léviathan sécuritaire se substitue l’Etat-nation moderne, bienveillant à l’égard de ses propres citoyens
et hospitalier à l’endroit des autres. Mais deux analyses politiques distinctes de l’hospitalité étatique émergent à
cette occasion, chacune exprimant une certaine conception du droit international et impliquant des conséquences
directes pour celui-ci. Ainsi, d’une part, le droit cosmopolitique plaide pour un droit naturel de déplacement
transfrontière pour tout citoyen du monde » ; « D’autre part, la version positiviste de l’hospitalité se traduit
essentiellement par un droit de séjour fixé par les nations pour leurs citoyens respectifs, sur fond de contrôles à la
frontière et du droit d’exclusion des arrivants indésirables. Des cas d’exception existent, dans lesquels peuvent
tenter de s’inscrire les populations déplacées ».

98
l’universalisme dans le prolongement de leur nationalisme 398 . Ainsi, le XIXème siècle a
permis l’émergence d’un nouveau système de droit international privé envisagé à
l’international et tendant à devenir universel (A). Cependant, les doctrines universalistes, à
raison de divers défauts de méthode ont peu perduré. Elles ont été considérées comme
irréalisables et utopiques (B).

A. LA CONCEPTUALISATION D’UN SYSTEME UNIVERSEL DE DROIT DES CONFLITS


DE LOIS CONFORMEMENT A SA NATURE

153. Le droit international privé a longtemps été fondé sur la théorie des statuts,
laquelle a entraîné une certaine réaction au XIXème siècle conduisant à fonder la discipline
sur le personnalisme. Cette révolution a été plus loin en ce qu’elle a permis d’aborder d’une
part l’universalisme à l’aune du personnalisme grâce à la doctrine italienne (1) et d’envisager
d’autre part l’universalisme sous l’office d’une méthode de règlement des conflits de lois
classique en vertu de la doctrine allemande (2).

1) La découverte de l’universalisme par la doctrine italienne du XIXème siècle


154. Mancini, au-delà d’être le premier à défendre une doctrine personnaliste du droit
des conflits de lois, a également été partisan d’un système de droit des conflits de lois à
l’international en raison de son personnalisme (a). Plus encore, cet internationalisme, du fait
d’une méthode attachée au rattachement à la loi nationale, a conduit à penser le droit
international privé et plus précisément le droit des conflits de lois à l’échelle universelle (b).

a) Le personnalisme : vecteur de l’internationalisation du droit des conflits de lois


155. Le recours à un système fondé sur le rattachement à la loi nationale. La
doctrine italienne de Mancini est apparue comme réaction à la théorie des statuts totalement
prédominante en Europe depuis plusieurs siècles. C’est pourquoi opposé au territorialisme
dominant de l’époque, Mancini a développé un système de droit des conflits de lois
personnaliste fondé « sur le principe politique des nationalités et le droit des peuples »399. Par

398
Pour aller plus loin, voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. II « Les aspirations à la communauté de droit », op.
cit., p. 47 et s. : « Les deux grandes œuvres appelées à transformer le droit international privé se situent dans le
contexte de la Révolution de 1848 et du « printemps des peuples ». C’est en 1849 que Savigny publie le tome
VIII de son Système de droit romain et c’est en 1851 que Mancini présente à l’Université de Turin une leçon
inaugurale sur la nationalité comme fondement du droit des gens, après avoir travaillé depuis 1843 sur la matière
du conflit de lois » ; « Chez ces deux juristes, passionnés par la politique, l’approfondissement du droit
international privé puise sa source dans la vigueur du sentiment national. Leur internationalisme n’est pas la
négation, mais plutôt le prolongement de leur nationalisme, d’un nationalisme à la fois viscéral et intellectuel qui
emprunte certains de ses aspects au romantisme ambiant ».
399
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 135.

99
conséquent, il a fait de la nationalité le fondement de la méthode conflictuelle en érigeant au
premier rang le rattachement à la loi nationale400. En effet, son argumentation « consistait
d’abord à observer que les lois varient nécessairement d’après les caractères de la nation à
laquelle elles sont destinées »401 et à considérer par conséquent que le droit privé est « le
miroir de la nationalité »402. En étudiant « le génie particulier et les caractères distinctifs de
chaque peuple »403, il considérait que « les droits de l’individu se forment par les mœurs et les
mœurs sont l’origine de la coutume, qui se condense elle-même dans la législation ; les
mœurs viennent ainsi se réfléchir dans les caractères propres à chaque législation ; de là cette
conséquence assez naturelle que la législation, écho des mœurs, ne convient qu’à la société
nationale, au sein de laquelle règnent lesdites mœurs »404. Par ce raisonnement, il a su établir
une concordance entre l’Etat et la nationalité justifiant la création d’un système conflictuel
fondé sur le rattachement à la loi nationale. Outre le raisonnement opéré par Mancini, celui-ci
a pensé à l’international les problèmes de conflit de lois malgré l’aspect individualiste de sa
théorie à raison du rattachement à la loi nationale. En effet, Mancini a envisagé une théorie
dans laquelle la loi étrangère faisait son entrée.
156. Du nationalisme à l’internationalisme. Pour reprendre les propos de Mancini,
« chaque souveraineté, si elle ne veut pas manquer à ses devoirs et se rendre coupable d’une
violation des lois internationales, ne peut pas légitimement refuser toute application des lois
étrangères sur son territoire, et soumettre les personnes et les rapports juridiques qui, par leur
propre nature, dépendent de ces lois, à l’action incompétente de la loi territoriale »405. Par
conséquent, comme l’ont expliqué Batiffol et le Professeur Lagarde, malgré son origine
nationaliste, la théorie de Mancini « tendait par un paradoxe apparent à un internationalisme :
exaltant la notion de nationalité, elle proclamait en même temps le devoir pour chaque
nationalité de respecter les autres ; et l’application en droit international privé des lois

400
Voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. II, 5) « Un nationaliste italien militant pour un nouveau droit des gens »,
op. cit., p. 67 et s. : « La nation constitue, pour Mancini, la « monade rationnelle de la science ». C’est une forme
nécessaire, spontanée, permanente d’organisation des « familles humaines ». L’homme est, en quelque sorte, un
animal national destiné à vivre dans des groupements fondés sur une communauté de territoire, d’origine, de
langue, de lois et de religions ».
401
A. Pillet, Ch. II « La doctrine de la personnalité du droit », in « Théorie continentale des conflits de lois »,
RCADI, 1924, vol. n° 2, p. 457 et s.
402
B. Ancel, T. III, S.-T. I, Ch. I, S.1, § 1, A., 3, b « Principe de nationalité », op. cit., p. 445 et 446.
403
Ibid.
404
A. Pillet, Ch. II « La doctrine de la personnalité du droit », in « Théorie continentale des conflits de lois », op.
cit., p. 457 et s.
405
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 70, citant Mancini, « De l’utilité de rendre obligatoires les règles générales
du droit international privé », JDI 1874, p. 228.

100
nationales étrangères »406. Par conséquent sa doctrine est nécessairement internationaliste en
ce que « l’application aux étrangers de leur loi nationale n’est pas considérée comme l’effet
d’une notion un peu vague de courtoisie, mais celui d’une véritable obligation
internationale »407. Ainsi, Mancini, en faisant entrer dans le système du droit des conflits de
lois l’application de la loi étrangère, a permis au droit des conflits de lois de
s’internationaliser conformément à sa vocation propre. Plus encore, la doctrine de Mancini a
contribué à la création d’un mouvement universaliste du droit international privé.

b) Le nationalisme : fondement d’un droit international privé universel


157. La nationalité comme fondement du droit des gens. Par son internationalisme,
Mancini nous conduit à une méthode de portée universelle. Effectivement « elle ne concerne
pas seulement le droit privé nécessairement contenu dans le Code civil du royaume d’Italie,
elle vaut pour tout système juridique national, ce qui assure l’universalité de la solution, c’est-
à-dire (…) la bilatéralité du rattachement par la nationalité »408 . Ceci se combine avec la
conception du droit international de Mancini, selon laquelle « la nationalité constituait aussi
bien le fondement du droit des gens que le fondement du droit international privé »409. Ainsi,
selon lui, « la nationalité constitue le fondement rationnel du Droit international tout
entier »410. Pour l’expliquer, il convient de reprendre les propos de Gutzwiller : « le Droit des
gens ne forme (…) qu’une partie du Droit universel du genre humain », « or, pour appliquer le
principe de ce Droit universel au Droit des gens, il faut introduire dans ce dernier une idée
spécifique, qui correspond dans l’ordre des choses créées à une réalité concrète et vivante :
c’est la coexistence des nationalités selon la loi du Droit »411.
158. Du droit des gens à l’universalisme. La théorie élaborée par Mancini l’a été sur
la base de considérations universalistes issues principalement du Droit des gens. Toutefois, il
semblerait plus exactement qu’« à partir de la nation, Mancini (a établi) les bases d’un
nouveau droit des gens » dont la communauté de droit « doit être édifiée sur le fondamental

406
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 232.
407
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 147.
408
B. Ancel, T. III, S.-T. I, Ch. I, S.1, § 1, A., 3, b « Principe de nationalité », op. cit., p. 445 et 446.
409
G. Diena, Ch. I « Mancini et sa doctrine en matière de droit international privé », in « La conception du Droit
international privé d’après la doctrine et la pratique en Italie », RCADI, 1927, vol. n°17, p. 347 et s.
410
M. Gutzwiller, Ch. IV, III. « Le principe de la personnalité du droit », in « Le développement historique du
droit international privé », RCADI, 1929, vol. n°29, p. 352 et s.
411
M. Gutzwiller, op. cit., p. 352 et s.

101
du principes des nationalités »412. Ceci explique la portée universelle de sa doctrine, le droit
des gens ayant notamment une portée identique. Il est donc parvenu à articuler « autour d’un
même principe, le principe de nationalité, droit international public et droit international
privé » et à unifier « ainsi le Droit des gens »413. De là est apparu une des premières approches
de l’universalisme en droit international privé. Or, l’universalisme découvert par Mancini
semble indispensable à tout système de droit des conflits de lois, en ce que la vocation propre
du droit international privé est internationale et donc, probablement de manière utopique,
universelle. Néanmoins, la découverte de Mancini semble critiquable dans la mesure où elle
reste le fruit d’opinions très largement politiques de l’époque. Par conséquent, il semblerait
que la vocation universelle de sa méthode soit insuffisante, puisque si elle intègre désormais
la loi étrangère, elle ne l’intègre qu’en vertu du rattachement à la loi nationale, rattachement
choisi sur la base d’aspirations souverainistes. En d’autres termes, la dimension politique du
rattachement est maintenue au regard de cette théorie. Cependant, la doctrine savignienne
semble pouvoir évincer ce défaut en conservant un système universaliste.

2) L’édification de l’universalisme par la doctrine allemande du XIXème siècle


159. Si Mancini est considéré comme un universaliste à raison de son attachement au
personnalisme, Savigny l’est aussi. Toutefois, il est traditionnellement reconnu comme le
fondateur cette doctrine. Il s’agit du premier théoricien qui envisage le droit international
privé sur des bases purement privatistes. Il propose alors pour la première fois un système à
l’international respectant les intérêts privés en cause afin que ces derniers soient traités en
toute neutralité et égalité. Il a donc élaboré un système conflictuel propre à une communauté
juridique (a) mais également un système bilatéral afin de conduire à une application
indifférente de la loi du for et de la loi étrangère (b).

a) La proposition d’une méthode conflictuelle commune aux pays romano-christianistes


160. L’exclusion du souverainisme par Savigny. Au XIXème siècle, parallèlement à
l’Italie, un auteur allemand s’est également proposé d’envisager le droit international privé, et
plus précisément le droit des conflits de lois sous une nouvelle méthode. S’inscrivant dans la

412
J.-L. Halpérin, Ch. II, 5) « Un nationaliste italien militant pour un nouveau droit des gens », op. cit., p. 67 et
s., lequel poursuit : « Chaque nation est libre de se doter de sa propre constitution et de s’organiser de manière
autonome à l’égard des autres nations. Le droit international est, à proprement parler, un droit des peuples dont
les nations sont les sujets. Il suppose donc l’existence d’un devoir juridique de respect mutuel des nations pour
assurer leur « coexistence » au sein de la vaste cité du genre humain, la cosmopolis des Anciens. Pour Mancini, il
existe, en effet, un droit humain universel dont le droit international n’est qu’une branche ».
413
B. Ancel, T. III, S.-T. I, Ch. I, S.1, § 2, A. « Le nationalisme dans l’internationalisme », op. cit., p. 450.

102
révolution du droit des conflits de lois en Europe, il a cherché un dispositif détaché de la
théorie des statuts, laquelle était omniprésente. Il a considéré qu’il convenait de se placer du
point de vue « d’une communauté de droit entre les différents peuples ».414 Par conséquent, il
est parti de cette idée en établissant une analogie « entre les conflits de lois des Etats et ceux
des lois particulières qui régissent les subdivisions territoriales de chaque Etat » et « il y (a vu)
le résultat d’une sorte d’accord amiable (tacite) entre les Etats souverains, effet non d’une
pure bienveillance, mais du développement propre du droit qui tend à rapprocher les peuples
et assimile les conflits des droits internes aux conflits des législations étrangères »415. Il a
alors rejeté la théorie de la courtoisie internationale comme principe supérieur préexistant, et a
considéré qu’il s’agissait davantage d’un accord amiable entre Etats souverains que
d’autoriser l’application de la loi étrangère416. En effet, Savigny a exclu le droit public du
droit international privé dans la mesure où sont en cause des droits subjectifs de nature privée.
Par conséquent, l’application de la loi étrangère « devait au contraire pour lui être chose
normale et facile, à tout le moins entre pays unis par une « communauté de droit » comme
l’étaient les pays d’Europe continentale »417. Savigny est donc parvenu à l’idée selon laquelle
le concept de communauté de droit s’est imposé par l’histoire et nécessairement a admis que
« l’histoire dissout l’hypothèse du conflit de souverainetés »418.
161. La préconisation d’un système uniforme sur la base d’une communauté de
droit. Il a alors établi une communauté de droit sur « le double héritage romain et chrétien,
qui doit assurer l’uniformité » 419 . Ceci se justifiait dans la mesure où, à l’époque, en
Allemagne, le droit commun en vigueur était le droit romain. Ceci a permis à Savigny de
considérer « toutes les nations héritières du droit romain comme unies », communauté
« cimentée par le christianisme »420. Sur la base de cette communauté, il a établi un système

414
F. C. von Savigny, Traité de droit romain, réimpression de la 2e éd. de Paris : Librairie de Firmin Didot
Frères, fils et Cie, 1860, et traduit par CH. Guenoux, LGDJ, 2002, § CCCXLVIII.
415
P. Arminjon, II. « Les théories allemandes, théorie de Savigny », in « L’objet et la méthode du droit
international privé », RCADI, 1928, vol. n°21, p. 454 et s.
416
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 69.
417
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 151.
418
B. Ancel, T. III, S.-T. I, Ch. II, S.1, § 1, B. « La communauté de droit », op. cit., p. 480.
419
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 69.
420
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 237.

103
uniforme applicable à tous les Etats membres de ladite communauté421. Il a donc cherché à
rompre avec les doctrines traditionnelles pour se séparer de toute considération réelle et
personnelle et ainsi « permettre une application facile et normale » dans chaque Etat « de
leurs lois respectives et selon des règles communes qui permettent d’aboutir à des solutions
uniformes quel que soit le lieu du procès »422.
162. La première conception privatiste du droit des conflits de lois. Selon la
doctrine de Savigny, il pourrait être mis en place un système de droit des conflits de lois
commun, en raison d’une culture juridique commune, conduisant à une uniformité de
méthodes et de solutions. Sa doctrine est légitime puisqu’elle tend d’une part à faire
abstraction du territorialisme et du personnalisme, et d’autre part à établir un système
commun de solutions. Le droit des conflits de lois est donc pensé pour la première fois
conformément à sa nature c’est-à-dire à l’international et sous l’angle d’une conception
privatiste423. Cependant, la théorie de Savigny n’est pas en tant que telle universelle en ce
qu’elle ne convient qu’aux « Etats de civilisation latine et chrétienne » 424 et manque
nécessairement de neutralité puisqu’elle se fonde sur le droit romain, lequel n’est pas épargné
des antiques considérations publicistes. Néanmoins, il convient d’étudier la méthode proposée
par Savigny car elle offre une méthode a priori neutre et égalitaire.

b) L’avènement d’une méthode bilatérale neutre et égalitaire


163. La proposition d’un traitement égalitaire des lois en conflit. Savigny n’a plus
envisagé les conflits de lois comme des conflits de souverainetés et a soutenu de manière

421
Pour aller plus loin, voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. II, 2) Les bases du « Système », op. cit., p. 52 et s. :
« Voulant terminer le temps des querelles de parti, il manifeste une volonté d’apaisement en concédant qu’il
convient de repousser l’autorité du droit romain dans beaucoup de matière et d’une toujours la pratique et la
théorie. Le droit romain reste, pourtant, une référence d’un grand secours pour Savigny dans la mesure où il est
symbole d’unité (…) » ; « Savigny pensait, d’abord, à l’unité entre la théorie et la pratique qui était « naturelle »
chez les jurisconsultes romains : son but était de restituer le « vrai sens » du droit romain pour aider les praticiens
et les libérer des fausses théories. Il s’agissait aussi, par l’étude scientifique du droit romain, d’abaisser les
frontières entre les pays de droit commun et les pays de législation codifiée comme la France ».
422
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 237.
423
Voir en ce sens : M.-L Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op, cit., § 216 : « Appliquée à la résolution
des conflits de lois, cette méthode le conduit à procéder, comme l’école statutaire l’avait fait empiriquement, à
l’analyse de l’objet des rapports de droit sans a priori dogmatique sur la loi à privilégier. La doctrine tend aussi à
l’universalité, du moins dans les relations entre des Etats présentant une « communauté de droit », c’est-à-dire
une communauté de valeurs. Cette communauté de valeurs justifie un droit sans frontière. Nul principe de
territorialité ou d’extraterritorialité de la loi ; Plus radicalement, plus de lien établi entre les conflits de lois et les
conflits de souverainetés étatiques, parce que l’application (ou la non-application) de leurs lois à un rapport de
droit n’implique pas la souveraineté des Etats, pas plus que l’application des lois étrangères n’y porterait
atteinte » ; « La seule implication des Etats dans la manière de résoudre les conflits de lois en droit privé, c’est de
rechercher la solution la plus satisfaisante rationnellement ».
424
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 135.

104
indifférente l’application de la loi du for et de la loi étrangère. Par conséquent, pour parvenir à
un tel résultat, Savigny a proposé « de rechercher pour chaque rapport de droit (…) le lien
juridique qui le rattache à un ordre juridique déterminé »425. Il a alors proposé pour découvrir
ce lien juridique « de déterminer pour chaque rapport de droit le domaine le plus conforme à
la nature propre et essentielle de ce rapport »426. Sa doctrine consiste donc « à rechercher pour
chaque type de rapport de droit la « sphère juridique » à laquelle il appartient selon la nature,
et ce sans distinguer selon que ce droit est le droit local ou celui d’un pays étranger »427. Par
conséquent, Savigny a prôné une méthode bilatérale avec application indifférente de la loi du
for et de la loi étrangère. Son système garantit donc une application égalitaire des lois
potentiellement compétentes.
164. Une localisation des lois dans l’espace fonction du siège du rapport de droit.
De plus, Savigny a préconisé qu’il convient pour chaque rapport de droit de lui assigner un
siège déterminé et ce siège se déduit en principe de la volonté des personnes intéressées qui se
soumettent volontairement à l’empire d’un droit déterminé 428. Ainsi l’auteur a estimé que
pour déterminer le domaine du rapport de droit, il convient de se référer à sa nature, ou plus
précisément de déterminer son siège. Il s’agit donc d’une localisation dans l’espace en vue de
soumettre chaque rapport à la loi de son siège conformément à une soumission volontaire des
sujets de droit. Par exemple, en droit des biens, s’applique la loi du lieu de situation du
meuble dans la mesure où l’acquéreur au moment de l’acquisition s’est volontairement
soumis à la loi en vigueur au moment de l’acquisition. Finalement, la localisation de ce
rapport de droit est fonction des données de la communauté juridique à savoir du droit
romain.
165. Le premier système neutre et égalitaire. La méthode conflictuelle bilatérale
basée sur une communauté de droit avec dispositif de localisation uniforme conduit d’une part
à un système neutre, et d’autre part à un traitement égalitaire des sujets de droit. Le système
est neutre en ce qu’il n’est plus envisagé comme un conflit de souverainetés, mais comme un
conflit relatif aux particuliers et à leurs intérêts privés, lesquels doivent être résolus
conformément à une localisation du rapport de droit. De surcroît, celle-ci se réalise
conformément à la nature propre du rapport de droit, donc indépendamment d’une politique

425
M. Gutzwiller, Ch. IV, II. « La théorie de Savigny et son écho dans la doctrine, la législation, la
jurisprudence », op. cit., p. 352 et s.
426
F. C. von Savigny, op. cit., § CCCXLVIII.
427
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 151.
428
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 15.

105
précise. Ainsi, Savigny ne prend pas en compte le volet « intérêt de l’Etat » comme peut le
faire Mancini. En sus, ce système conduisant à l’application indifférente de la loi étrangère et
de la loi du for confirme le caractère neutre de la méthode. C’est ainsi, qu’en application de sa
méthode, l’égalité de traitement des sujets de droit est garantie puisque l’égalité de solutions
est assurée et ceci de manière universelle429. En outre, la jurisprudence avait déjà usé de cette
méthode en bilatéralisant l’article 3 du Code civil afin de conduire à un résultat indifférent
entre la loi du for et la loi étrangère430. Par conséquent, la méthode classique savignienne a
petit-à-petit intégré le droit positif depuis le XIXème siècle431.
166. Une méthode inachevée en termes de neutralité et d’égalité. Cependant, il
serait faux de croire que cette méthode soit réellement neutre et égalitaire. Partant du postulat
que la communauté de droit est fondée sur le droit romain, la méthode conflictuelle, régie par
ce droit romain, ne peut être neutre. En effet, le droit romain s’est constitué à l’origine lui-
même grâce à une politique et une culture romaine spécifique, laquelle concevait le conflit de
lois en conflit de souverainetés. De plus, la localisation du rapport de droit, même au sein
d’une communauté de droit peut en réalité être variable d’un Etat à un autre432. L’absence
d’encadrement relatif à cette localisation peut conduire « aux applications les plus variées
suivant les données que l’on prend en considération pour apprécier le ressort qui convient à
une loi d’après la nature de la situation juridique qu’elle réglemente » 433 . La localisation
pourrait donc diverger d’un Etat à l’autre en raison de la qualification qui en sera faite ou en
raison des points de rattachement qui seront retenus 434 . Sur cette base, il est difficile de
considérer la méthode comme égalitaire.
Finalement, la méthode conflictuelle proposée par Savigny, si elle se veut universelle,
neutre et égalitaire ne l’est pas. Il n’en demeure pas moins qu’il faille évincer une telle théorie

429
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 191 : « Pour ce faire,
(l’universalisme) se constitue en une méthode de distribution (des lois ou des cas) qui se veut à la fois
politiquement innocente et fermement inféodée au principe de l’égalité de traitement en droit (version
internationaliste de l’égalité des citoyens devant la loi) ».
430
Cf. supra § 114 et s.
431
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 217 : « La théorie de Savigny, considéré comme le
père de l’actuelle méthode de la règle de conflit - baptisée « la règle savignienne » - est une bonne grille
d’analyse d’un grand nombre de solutions du droit positif. C’est la preuve de ses vertus explicatives ».
432
Cf. infra § 730 et s.
433
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 136.
434
Voir en ce sens, B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 153, « quand bien même la plupart des systèmes de conflits
de lois s’expriment sous forme de règles enchaînant une catégorie et un rattachement, leur contenu n’est pas le
même », « il dépend toujours au premier chef de l’orientation principale de chacun au regard de l’opposition
traditionnelle entre territorialisme et personnalisme qui demeure sous-jacente ».

106
puisqu’elle permet de découvrir certains préalables nécessaires à l’émergence d’une méthode
commune. Ainsi, sa structure doit d’une part, être construite conformément à la nature de la
discipline, c’est-à-dire au regard d’un conflit de lois spécifiques aux intérêts privés, et d’autre
part, sous l’égide d’une réglementation neutre cantonnée à la résolution d’un conflit de lois
dans l’espace. En outre, l’universalisme de Savigny, au regard des nouvelles bases qu’il offre
au droit des conflits de lois, a pu être soutenu par d’autres auteurs. Ceci semble tout à fait
justifié, car si des critiques sont imputables à sa théorie, celle-ci est constitutive, pour la
première fois, d’une doctrine conforme à la nature même du droit international privé.

B. L’ECHEC D’UN SYSTEME UNIVERSEL DE DROIT DES CONFLITS DE LOIS


UTOPIQUE

167. La théorie de Savigny a connu un certain retentissement auprès de la doctrine


jusqu’au XXème siècle, notamment en France. En effet, Pillet a défendu cette idée que tout
dispositif de droit des conflits de lois doit être universel et qu’il peut l’être dès lors qu’il est
fondé sur la nature des lois elles-mêmes (1). Cependant, sa proposition était irréalisable et
donc, aujourd’hui, considérée comme totalement utopique. Un autre auteur a tenté de
défendre l’universalisme sur la base d’une analyse comparative des systèmes juridiques, mais
les défauts de sa méthode ont conduit à considérer sa doctrine comme impossible (2).

1) L’utopie d’un système universaliste fondé sur la nature des lois elles-mêmes
168. Au XXème siècle, a succédé aux doctrines du XIXème siècle, la doctrine de
Pillet, qualifiée de « personnalisme constructif » laquelle propose de nouveau un système de
droit des conflits de lois universel. Pourtant, si l’auteur part de l’idée que le droit international
privé est fondé sur l’existence d’une communauté juridique entre peuples (a), sa construction
en fonction du but social des lois conduit à considérer sa théorie comme utopique notamment
en raison de l’aléa auquel elle mène (b).

a) L’universalisme préconisé par l’existence d’une communauté juridique des Etats


169. La communauté juridique des Etats justifiée par le droit international
public. Comme ses prédécesseurs, Pillet est parti de l’idée selon laquelle il existerait une
« communauté juridique entre les peuples » 435 . Cependant, de formation publiciste et
Professeur de droit international public, il considérait les conflits de lois comme des conflits

435
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 21.

107
de souverainetés436. En effet, il a affirmé que « ces questions concernent la souveraineté »437
ainsi, le droit international privé n’est donc qu’une branche du droit international public
puisqu’il n’a pour objet que de régler des conflits de souverainetés438. De plus, d’après lui, en
vertu du droit international public, il faut reconnaître le principe d’égalité des Etats,
l’équivalence de chaque législation et leur caractère interchangeable439. Le droit international
public suffit à lui seul pour justifier l’existence d’une communauté juridique entre Etats. Sur
cette base, il a alors envisagé un système de droit des conflits de lois universel.
170. La résolution du conflit de lois par le principe du moindre sacrifice. Dans
l’hypothèse du conflit de lois il s’agissait alors « de savoir dans quelle mesure la souveraineté
de l’Etat doit s’incliner devant celle de l’Etat étranger, en admettant l’application des lois de
celui-ci » 440 . Il est parti du principe selon lequel, « il n’est pas possible de respecter
intégralement les intérêts des Etats en présence car ils sont souvent divergents », « mais
chaque Etat doit respecter au maximum les intérêts des autres » 441 . Par conséquent, « le
principe de la souveraineté des Etats commande seulement à chacun d’eux le
« respect maximum » de la souveraineté des autres »442. Il a énoncé la loi du maximum443.
Pour déterminer la loi du maximum, il a commandé de suivre le principe du « moindre
sacrifice » consistant à donner la préférence à la loi de l’Etat qui a le plus grand intérêt à ce
que le but poursuivi par ladite loi soit atteint444.
171. Une doctrine empreinte de souverainisme. Finalement, il propose une méthode
universelle adaptée à une communauté de droit. Néanmoins, l’intégralité de son raisonnement
juridique est fondée sur une approche erronée de la discipline tendant à envisager le conflit de
lois comme un conflit de souverainetés. Partant, de ce fondement, son raisonnement ne saurait
être considéré comme neutre et tendant à faire abstraction du souverainisme ambiant de
l’Ancien Régime. La garantie de neutralité recherchée par Savigny ne peut être attribuée à
Pillet. D’ailleurs son système tout entier en atteste. S’il pense résoudre les conflits de lois sur
la base du but social de la loi, il ne fait que créer un système aléatoire et non pas universel.

436
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 138.
437
A. Pillet, Principes de droit international privé, op. cit., § 25.
438
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 21.
439
Ibid.
440
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 233.
441
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 138.
442
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 233.
443
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 138.
444
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 71.

108
b) Un système irréalisable fondé sur la recherche du but social de la loi par chaque Etat
172. Une méthode universelle fondée sur le but social des lois en cause. Pour
déterminer la loi du maximum, Pillet a recommandé de partir de « la nature des lois elles-
mêmes »445. Il est parti du postulat selon lequel « la souveraineté de l’Etat s’exprime, quant à
l’empire de sa législation, par deux caractères inhérents à celle-ci : la permanence et la
généralité »446. Ainsi, il a expliqué que dans l’ordre interne, les lois sont par nature continues
et générales, mais que dans l’ordre international les lois ne peuvent conserver toute la
plénitude d’effets qu’elles possèdent dans l’ordre national447. Par conséquent, lorsque se pose
un conflit de lois, il faut choisir entre ces deux caractères. Le sacrifice peut alors consister
d’une part dans la reconnaissance de la seule extraterritorialité, c’est-à-dire de la permanence,
ou d’autre part, dans le maintien de la territorialité, c’est-à-dire de la généralité448. Il s’agit
donc pour chaque matière de déterminer « ce qui est le plus essentiel, de la généralité ou de la
permanence, en fonction du « but social » des règles » 449 . Pillet considérait alors qu’en
opérant ce choix, « tous les Etats s’inspirent des mêmes idées et consacrent les mêmes
solutions, l’harmonie sera établie entre eux et il existera dans le monde une véritable
communauté internationale, un véritable droit international privé » 450 . C’est pourquoi sa
doctrine s’inscrit dans le mouvement universaliste.
173. Une méthode universelle utopique. La doctrine de Pillet semble tout à fait
louable puisqu’en recherchant le but social de la loi, le système serait d’une part
universalisable et d’autre part harmonisé au sein d’une même communauté juridique.
Cependant, sa doctrine relève de l’utopie notamment en ce que même au sein d’une
communauté juridique politiquement et culturellement similaire des divergences au regard du
but social peuvent naître. En effet, d’un Etat à l’autre, une institution peut relever de la
permanence ou de la généralité, ou plus exactement de l’extraterritorialité ou de la
territorialité. Si sur le principe son système est universalisable, le manque d’encadrement
conduira nécessairement à un aléa de solutions et à une certaine insécurité juridique. L’auteur
lui-même en avait conscience, il ajoute que « si le résultat contraire se produit et qu’une

445
P. Louis-Lucas, op. cit., §21.
446
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 233.
447
A. Pillet, Ch. IV, « La loi du moindre sacrifice », in « Théorie continentale des conflits de lois », op. cit., p.
467 et s.
448
Ibid.
449
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 71.
450
A. Pillet, Ch. IV, « La loi du moindre sacrifice », in « Théorie continentale des conflits de lois », op. cit., p.
467 et s.

109
même loi soit suivant les lieux, tantôt regardée comme territoriale, et tantôt comme
extraterritoriale, l’harmonie n’existera qu’entre les Etats qui adopteront la même solution »451.
Ainsi, son système, qualifié d’universel, relève de l’utopie.
174. Une méthode universelle dénuée de neutralité. De plus, le but social des lois
étant recherché finalement au travers de la territorialité et de l’extraterritorialité n’est que le
prolongement d’une pensée publiciste inadaptable en droit international privé. En effet, si le
système doit effectivement être pensé à l’international et notamment de manière universelle, il
n’en demeure pas moins qu’il doit également être envisagé en fonction des intérêts privés et
non pas des intérêts étatiques, ce que laisse supposer la doctrine de Pillet. Or, si le système
qu’il propose s’avère utopique, il n’est pas le seul.

2) La fiction d’un système universel fondé sur l’étude comparative des systèmes
175. Durant le XXème siècle, un autre auteur a proposé une doctrine universaliste.
Pour ce faire, il est parti du postulat selon lequel existait une communauté de droit entre
peuples de civilisation identique (a) afin de créer un système universel basé sur l’étude
comparative des institutions propres à chaque Etat (b).

a) Le postulat nécessaire d’une communauté de droit des peuples de même civilisation


176. Comme Pillet, Lévy-Ullmann est parti du postulat qu’il existe entre les peuples
de même civilisation une communauté de droit, « dont la doctrine, la jurisprudence, la
pratique et la loi positive elle-même ne sont que (…) les signes révélateurs » 452 . Pour
reprendre les propos de ce dernier d’après Marc Ancel, « cet ensemble « contribue à la
formation latente d’un Droit pareil chez les peuples de la civilisation commune, que l’on
ignore jusqu’au jour où l’œil de l’observateur le découvre et le fait luire aux yeux des
initiés »453. Ainsi la doctrine de Lévy-Ullmann se veut universaliste en ce qu’elle est fondée
sur l’idée d’une communauté de droit, mais également en ce que sa doctrine, notamment en

451
A. Pillet, Ch. IV, « La loi du moindre sacrifice », in « Théorie continentale des conflits de lois », op. cit., p.
467 et s.
452
M. Ancel, « La doctrine universaliste dans l’œuvre de Lévy-Ullmann », in L’œuvre juridique de Lévy-
Ullmann, Centre français de droit comparé, sous la direction de L. Julliot de la Morandière et M. Ancel, Les
éditions de l’épargne, 1955, p. 181 et s.
453
M. Ancel, op. cit., p. 181 et s.

110
droit international privé, se fonde sur une étude comparative des systèmes juridiques, laquelle
est favorisée par cette communauté juridique454.

b) Un universalisme limité par le recours à la méthode comparative


177. L’universalisme au travers d’une étude comparative. Lévy-Ullmann était un
comparatiste, tout comme Saleilles et Lambert, et sa méthode consistait « à propos d’un
problème donné à « en dégager les principes et voir si ces principes sont admis dans toutes les
législations, pourquoi et comment, avec quelle variété, avec quelles modalités » et ainsi « il
recherche les solutions admises dans les textes, dans les décisions judiciaires, dans les
conventions internationales, voire même dans les Congrès et discussions doctrinales et cela «
pour le plus grand nombre de pays possibles », de façon à dresser le tableau des
ressemblances et des divergences et à trouver les motifs des unes et des autres » 455 . Il
s’agissait donc d’une « confrontation objective » pour ensuite « parvenir à un ajustement et à
une adaptation des conceptions propres à chacun des systèmes en présence »456.
178. Un universalisme limité à cinq principes communs. Sur cette base, Lévy-
Ullmann a considéré qu’« un certain nombre de principes communs (…) ont été (admis) par
tous les pays civilisés » et qu’ils sont au nombre de cinq comme la territorialité du régime des
immeubles ou encore l’extraterritorialité de l’état des personnes457. Ainsi grâce à une étude
comparative des systèmes de chaque Etat, il a construit un dispositif de droit des conflits de
lois commun, fonction des règles juridiques communes à ces Etats. Cependant, comme il l’a
constaté lui-même, son étude comparative en droit des conflits de lois ne l’a conduit qu’à
admettre cinq principes communs. Par conséquent, dans les autres hypothèses où aucun
principe commun ne se dégage, il faut d’après les ressemblances entre les institutions de
chaque pays, déterminer quel est le rattachement qui s’applique à telle catégorie de
rattachement. Or, il semble, dès lors qu’aucun rattachement n’est unanime, qu’il ne soit pas
possible de considérer qu’une telle méthode conduise à une universalisation du système. En
soi, la méthode peut être universelle en ce qu’elle conduit à une étude comparative des
systèmes, mais la solution qui s’en dégage pourra nécessairement être variable d’un pays à

454
Voir en ce sens : Y. Loussouarn, « Le rôle de la méthode comparative en droit international privé français »,
RCDIP 1979, p. 307, affirmant que : « le droit international privé ayant, plus que toute autre discipline, vocation
à l’universalisme, l’intervention du droit comparé est appelée à être plus importante au plan de l’unification du
droit ».
455
M. Simon-Depitre, « La méthode universaliste en Droit international privé d’après Lévy-Ullmann, in L’œuvre
juridique de Lévy-Ullmann, Centre français de droit comparé, op. cit., p. 198, à propos du Code Bustamante.
456
M. Ancel, op. cit., p. 181 et s.
457
M. Simon-Depitre, op. cit., p. 213 et s.

111
l’autre créant ainsi un risque d’inégalité dans le traitement des sujets de droit selon le juge
saisi. De plus, une telle méthode laisse une fois encore penser que la neutralité du système est
mise de côté, chaque fois que chaque Etat ou chaque juge peut se permettre de faire prévaloir
ses intérêts et non pas ceux de ses sujets de droit. Par conséquent, comme le système de Pillet,
celui de Lévy-Ullmann est limité.
179. L’universalisme comme guide de l’esprit internationaliste. En outre, bien que
les systèmes universalistes soient critiquables dans la forme dans laquelle ils ont été proposés,
il demeure que la doctrine de l’universalisme doit bien être celle qui guide l’esprit de
l’internationaliste privatiste dans le sens où « le règlement des conflits de lois doit être
universel, c’est-à-dire répondre en tous lieux aux mêmes principes de solution »458. En effet,
le droit des conflits de lois doit être envisagé à une échelle universelle pour aboutir à une
égalité de traitement des sujets de droit. Cependant, le préalable n’est pas réellement une
communauté de droit préexistante, mais plutôt la mise en place d’une méthode neutre qui
permettrait d’évincer toute divergence de solutions et d’atteindre l’universalisme. Pour autant,
d’autres, considérant l’universalisme comme une totale utopie, ont opté pour de nouveaux
courants doctrinaux.

§ 2 – LE DECLIN DE L’UNIVERSALISME AU PROFIT DU REALISME EN DROIT DES


CONFLITS DE LIS

180. La chute de l’universalisme en droit international privé, en raison de son


caractère utopique, a suscité l’apparition d’un nouveau mouvement doctrinal au début du
XXème siècle. Considérant que tout système de droit des conflits de lois à une échelle
mondiale est inenvisageable, la doctrine européenne a construit une nouvelle méthode basée
sur des conceptions plus réalistes. De ce fait toute conceptualisation du système de droit des
conflits de lois n’est que l’objet d’une appréciation concrète des systèmes juridiques existants.
Par conséquent, il a été soutenu que le droit international privé ne pouvait être que
particulariste c’est-à-dire national (A). Puis, dans une plus large aspiration internationale, il a
été prôné un système de coordination des différents systèmes de droit international privé (B).

458
S. Clavel, op. cit., § 42.

112
A. L’APPARITION D’UN SYSTEME NATIONAL ETRIQUE SOUS L’IMPULSION DU
PARTICULARISME

181. En opposition à l’universalisme, d’autres auteurs se sont prononcés en faveur


d’un système particulariste de droit international privé c’est-à-dire promouvant un système de
conflit de lois purement national, l’universalisme étant un échec (1). Cependant, un tel
système, construit sur des solutions nationales des conflits de lois a conduit à un retour en
arrière c’est-à-dire au retour des doctrines anciennes issues de l’Ancien Régime (2).

1) La réaction particulariste face à un universalisme chimérique


182. C’est à la fin du XIXème siècle qu’est apparu le particularisme en Europe, lequel
propose un système parfaitement cohérent mais à l’opposé de tout objectif d’unification des
règles de droit. Cependant, le particularisme est la conséquence d’une réaction aux doctrines
universalistes précédentes (a). C’est pourquoi il conduit, en vertu du droit positif en vigueur, à
un système conflictuel dont les règles seraient de source nationale, mais projetées à
l’international (b).

a) L’apparition simultanée en Europe du particularisme par souci de positivisme


183. Le particularisme à défaut d’universalisme. Le nationalisme a été l’objet en
Europe à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle d’une nouvelle aspiration :
l’intérêt national 459 . Tout comme le nationalisme, le particularisme, apparu à la fin du
XIXème siècle n’est que la conséquence du contexte de l’époque. Il s’agit du produit de
l’insuccès de l’universalisme. En effet, l’universalisme apparu au XIXème siècle et soutenu
par la doctrine en droit des conflits de lois a été en quelque sorte un échec. En raison de « la
faiblesse de plus en plus évidente du rôle joué par les sources internationales »460 à la fin du
XIXème siècle et « devant la constatation de la rareté des règles positives universelles et de

459
Voir en ce sens : J.-L. Halpérin, Ch. III « l’Europe partagée entre universalisme et particularisme », op. cit., p.
88 et s., lequel expose le contexte juridique de l’époque : « La seconde moitié du XIXème siècle a vu les progrès
notables, dans le monde du droit, d’un esprit internationaliste. Sans renier leur attachement aux spécificités de
leur droit national, de plus en plus de juristes se sont ralliés aux idées qui avaient inspiré Savigny et Mancini dès
les années 1840-1850 : ils ont cru à l’existence et à l’avenir d’une communauté de droit entre les peuples, ils ont
appelé de leurs vœux l’essor d’une droit conventionnel fondé sur des principes généraux admis par le plus grand
nombre des nations. Pendant quelques décennies, cet idéal internationaliste a paru assez puissant pour susciter
des réalisations concrètes sous la forme de nouvelles codifications nationales consacrant des règles de plus en
plus détaillées aux conflits de loi ou de traités multilatéraux allant dans le sens de l’unification du droit
international privé. Mais, en retour, ces avancées ont provoqué un regain de nationalisme qui s’est manifesté,
chez les juristes, avant même que la Première Guerre mondiale n’ouvre une phase de turbulences dans l’histoire
du droit international privé. A travers des controverses souvent très techniques, ce sont des débats fondamentaux
sur la nature des lois et du droit qui ont divisé les juristes européens pendant le siècle séparant l’œuvre de
Savigny et la fin de la Seconde Guerre mondiale ».
460
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 73.

113
désaccords irréductibles sur certains points »461, une réaction particulariste s’est produite dans
un souci de positivisme.
184. La promotion de solutions nationales de conflit de lois. Cette manifestation a
eu lieu simultanément en Europe, et notamment en Italie, France et Allemagne, sous les
plumes d’Anzilotti, Bartin et Kahn 462 . Ces auteurs dits particularistes, dans un souci de
positivisme, ont considéré que « si les règles de droit international privé sont
substantiellement internationales, elles sont formellement internes »463 . Ils ont estimé pour
reprendre la doctrine d’Anzilotti, qu’« appartiennent exclusivement à l’ordre juridique interne
les règles de rattachement par lesquelles s’opère la réception du droit étranger applicable à la
solution des questions de droit international privé », donc « les règles de rattachement
n’appartiennent en aucune façon au droit international » et « n’ont de valeur que dans la
sphère du droit interne » 464 . Finalement, au regard du droit positif en vigueur, à savoir
principalement du droit des conflits de lois de source interne, les particularistes ont prôné une
solution nationale du conflit de lois. Un tel raisonnement est contraire à l’esprit du droit des
conflits de lois, et plus particulièrement à l’égalité de traitement, puisque chaque Etat applique
son propre système, la solution variant alors selon le juge saisi. Cependant, ces auteurs, et
notamment Bartin, ont proposé une projection des règles nationales à l’international.

b) La proposition d’un système de projection des règles nationales à l’international


185. La projection des règles nationales à l’international. C’est en Allemagne que
l’on considère que les bases du particularisme ont été posées. En effet, « le premier jalon du
particularisme » est imputable à Kahn lorsqu’il a découvert « en 1891 le problème du conflit
des qualifications en le résolvant par l’application de la loi du for ». En France, Bartin a
poursuivi cette étude du problème de qualification pour affirmer la doctrine particulariste465. Il
considérait que « nous ne disposons (…) jamais, en droit international privé positif, que de
sources nationales »466. « Son point de départ est l’exploration des conséquences qui résultent
dans le système de conflits de lois de chaque pays de ce que les autres pays appliquent des

461
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 155.
462
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
463
Ibid.
464
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 57, citant spécialement Anzilotti, in Teoria del
diritto int. privato passim et règles générales des conflits de lois, Recueil 1936, t. 58, p.85-86 et 90-91.
465
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
466
E. Bartin, op. cit., § 55.

114
règles de conflits différentes »467. Il a alors établi que les sources du droit international privé
sont au nombre de trois : la loi, la coutume, le traité, les deux premières étant de sources
purement nationales à son sens ; et il a ajouté pour le traité que « sa force obligatoire n’a pas
d’autre origine que celle où la loi elle-même prend sa source », « il fonctionne nécessairement
comme elle, et contracte (…) le caractère national de la loi »468. Par conséquent, Bartin a
déterminé que chaque Etat possède son propre système de conflit de lois lequel émane de
sources purement nationales. Ceci se justifie davantage dans la mesure où il est convaincu que
le droit international privé a pour mission de résoudre des conflits de souverainetés469. Sur la
base de ce constat, il a observé que toute suppression du conflit de lois semble impossible470
et a établi que les règles de conflit ne sont et ne doivent être finalement que la projection des
règles nationales sur le plan du droit international471.
186. Une doctrine fataliste contraire à l’objet de la discipline. Si la théorie de
Bartin, ou plus largement le mouvement particulariste, se justifie sur la base du raisonnement
relatif au problème de qualification, cela ne suffit pas à ériger ce raisonnement en principe
général applicable à un système entier de droit des conflits de lois472. Effectivement, le peu de
sources internationales de l’époque laisse à penser que les règles de conflit sont de sources
nationales, mais cela ne doit pas être une fatalité. L’objet du droit des conflits de lois consiste
en l’union de ses règles pour un juste traitement des sujets de droit. La critique est d’autant
plus vive que le particularisme conduit de manière indirecte aux vieilles traditions de l’Ancien
Régime.

2) L’assimilation du particularisme aux doctrines de l’Ancien Régime


187. Le particularisme est apparu au XXème siècle postérieurement au mouvement
personnaliste promu par Mancini. Cependant, cette conception uniquement nationale du
conflit de lois a conduit la nouvelle doctrine à se classer dans le rang des théories nationalistes
(a). Celles-ci ont même contribué à en faire une doctrine territorialiste (b).

467
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
468
E. Bartin, op. cit., § 55.
469
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 72.
470
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 155.
471
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 72.
472
Pour aller plus loin à propos de la doctrine de Bartin, voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 44 : « Pour
déterminant que soit l’apport de cette théorie en termes de méthode, elle ne suffit pas à expliquer que les Etats
aient juridiquement la liberté de défini comme ils l’entendent leurs règles de conflit. Cette liberté s’explique plus
simplement par le constat, aujourd’hui unanime, qu’il n’existe aucune prescription de droit international public
de nature à encadrer la définition, par les Etats, de leurs systèmes de droit international privé ».

115
a) L’esprit nationaliste imputable à la doctrine du particularisme
188. Le particularisme nationaliste. Le nationalisme, entendu comme politique
favorable au rattachement à la loi nationale, animait la doctrine en droit international privé
depuis le XIXème siècle. Cet esprit s’est propagé au XXème siècle et notamment dans les
doctrines particularistes. En effet, on retrouve notamment dans la doctrine de Bartin une
grande place pour le « sentiment national », « il accorde à la loi nationale un domaine
nettement plus étendu que celui qui lui est reconnu en jurisprudence » 473 . Il s’agit là de
l’héritage laissé par Mancini, lequel a su conquérir l’esprit des particularistes et notamment
celui de Bartin. D’ailleurs, ce dernier Bartin a résolu le problème des qualifications sur cette
base en considérant que « la qualification des institutions dépend donc toujours, en France, de
la loi française parce qu’elle dépend toujours, dans un Etat donné, de la loi de cet Etat, quelles
que soient, d’ailleurs en France comme dans un Etat quelconque, les conséquences de cette
qualification : c’est le principe même du droit international privé qui le veut ainsi » 474 .
Finalement, par ce particulariste nationaliste, le système de droit des conflits de lois demeure
envisagé au regard d’une philosophie publiciste c’est-à-dire essentiellement en lien avec
l’Etat.
189. Le retour du droit des conflits de lois publiciste. En réalité, si les
particularistes sont partis du constat réaliste que le droit des conflits est de source nationale et
qu’il ne peut en être autrement, ils ont envisagé le conflit de lois comme un conflit de
souverainetés. Par conséquent, là où Savigny avait évolué, les particularistes ont reculé, ou du
moins s’en sont tenus à la philosophie publiciste émanant de l’Ancien Régime475. Il semble
regrettable qu’au XXème siècle, le droit international privé et spécialement le droits des
conflits de lois soit encore envisagé sous un angle publiciste dans la mesure où celui-ci n’est
pas conforme à la nature même de la discipline. Il convient de soustraire ces vieilles
considérations de la doctrine du droit international privé pour obtenir un droit neutre et
universel. Pourtant, en adoptant une attitude nationaliste, les particularistes ont favorisé une
approche du droit international privé davantage territorialiste.

473
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 241.
474
E. Bartin, op. cit., § 86.
475
Voir notamment en ce sens : H. Muir-Watt, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits
acquis », RCDIP 1986, p. 425 : « Ces liens entre le droit international privé et la philosophie du droit expliquent,
il est vrai, que l’évolution historique du premier obéisse, en dépit de la diversité des solutions positives, à
certaines tendances universelles. Ainsi, le mouvement contemporain de privatisation du droit des conflits de lois
reflète l’abandon généralisé des conceptions étatistes du droit. Mais le particularisme réapparaît aussitôt dans la
façon dont chaque système appréhende et assimile les facteurs de changement en fonction de sa tradition et de sa
culture propres ».

116
b) De l’essence nationaliste au caractère territorialiste attribués au particularisme
190. Du particularisme nationaliste au particularisme territorialiste. Pour
reprendre les propos des Professeurs Bernard Audit et d’Avout, « paradoxalement le
nationalisme s’accommode plutôt mieux du territorialisme que du personnalisme »476. C’est
ainsi que les particularistes, par leur nationalisme, ont été conduits au territorialisme477. En
effet, avant Bartin, Gabriel de Vareilles-Sommières, conduit par son nationalisme s’est dirigé
sur la voie du territorialisme 478 considérant que « la loi ne peut s’appliquer en dehors du
ressort territorial de l’Etat qui l’a promulguée » ; « chaque Etat est indépendant et est libre de
faire ce qui lui plaît », ainsi « il faut partir du principe de territorialité et appliquer des lois
territoriales » 479 . La doctrine de Bartin le confirme, puisque si elle laisse un domaine
important à la loi nationale, « sa doctrine vérifie l’assertion d’après laquelle territorialisme et
particularisme sont généralement liés »480.
Également, la doctrine de Niboyet est classée au rang des doctrines territorialistes
mais considérée originellement comme nationaliste. En effet, il souhaitait garantir la défense
des intérêts français et estimait qu’il convient de rechercher « la solution la plus conforme aux
intérêts nationaux », « c’est pourquoi en matière d’état et de capacité des personnes, il
(préférait) la loi du domicile à la loi nationale »481. En réalité, il a principalement construit le
problème des conflits de lois sous l’angle de considérations politiques. A ce titre, il a expliqué
que « l’autorité du législateur sur son territoire est une question politique » et que « le choix
entre la nationalité et le domicile, par exemple, pour la détermination du statut personnel,

476
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 156.
477
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 214 : « La doctrine de d’Argentré a connu un
renouveau en France à la fin du XIXème dans la première moitié du XXème avec des auteurs comme Vareilles-
Sommières et Niboyet. Ces auteurs l’ont modernisée en la détachant de son contexte féodal et systématisée pour
faire du principe de territorialité des lois, non seulement le fondement de l’application de la loi du for aux fais et
actes réalisés sur le territoire français, mais aussi le fondement de l’application de la loi étrangère aux faits et
actes produits à l’étranger ».
478
Pour aller plus loin, voir en ce sens : Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 141,
expliquant la pensée du marquis de Vareilles-Sommières et indiquant que chaque Etat est souverain et que sa
souveraineté ne s’exerce que dans les limites de son territoire, ainsi « si le législateur et le juge français sont
conduits à faire une certaine place à la loi étrangère, c’est en vertu d’une simple idée de courtoisie », « aucune
obligation juridique d’accueillir la loi étrangère ne pèse sur eux ».
479
L. Pereznieto Castro, 7. « L’époque moderne (du XIXème siècle à nos jours) », in « Le concept de
territorialisme dans le droit », RCADI, 1985, vol. n°190, p. 300 et s., et spécialement p. 306 et 307.
480
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 143.
481
Ibid., § 142.

117
dépend entre autres éléments, de l’opportunité d’une assimilation plus ou moins rapide des
étrangers immigrés »482.
191. Le droit des conflits de lois objet de politiques étatiques. Finalement, au
regard des différentes doctrines du droit international privé, la discipline du droit des conflits
de lois est essentiellement conçue au regard d’une politique étatique. Or, il s’agit de la
difficulté principale à laquelle la matière est confrontée. La vocation propre de celle-ci est de
construire un système unique applicable à tout sujet de droit. Cependant, tant que celui-ci sera
constitué individuellement et conformément à des idéologies politiques et étatiques, cet
objectif ne sera pas atteint.
192. Vers l’exclusion du particularisme au profit de la coordination des systèmes.
De plus, « s’il est légitime de mettre au premier plan l’intérêt national dans le règlement des
matières de droit international privé, il n’est pas moins indispensable de tenir compte de
l’existence d’une vie et d’une communauté internationales, et donc de composer entre
différents intérêts pour parvenir à une certaine harmonie de solutions »483. Ainsi, s’il convient
de partir de la réalité du système pour le penser à l’international, il ne faut en aucun cas se
résoudre à le considérer comme éternellement national. C’est pourquoi pour pallier le
cloisonnement du système proposé par la doctrine du particularisme, une dernière tendance
s’est révélée en droit international privé consistant à coordonner les différents systèmes
juridiques.

B. DU PARTICULARISME A LA COORDINATION DES SYSTEMES : ENTRE


POSITIVISME ET REALISME

193. Postérieurement à l’avènement du particularisme au début du XXème siècle, une


nouvelle doctrine est apparue grâce à la méthode utilisée par les particularistes pour concevoir
le droit international privé, et conséquemment le droit des conflits de lois. En effet, partant de
l’idée que le droit international privé doit être envisagé au regard d’une analyse réaliste et plus
précisément positive, d’autres auteurs ont proposé une doctrine qualifiée de coordination des
systèmes tendant nécessairement à faire cohabiter les systèmes juridiques existants selon la
situation internationale. Pour ce faire, les uns ont adopté une approche de coordination
juridique (1), les autres, une approche de coordination fonctionnelle (2).

482
H. Batiffol, Ch. I, « Universalisme et particularisme », « Les tendances doctrinales actuelles en droit
international privé », op. cit., p. 9 et s.
483
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 156.

118
1) L’amorce d’une méthode conforme à l’objet du droit des conflits de lois au
regard de la coordination juridique
194. Durant l’entre-deux-guerres, la méthode comparative a été fortement utilisée par
plusieurs auteurs pour envisager le système de droit des conflits de lois sous un nouvel angle.
Par cette méthode, certains auteurs ont appréhendé la discipline sous forme d’une
coordination juridique du système. Pour l’envisager, il a été considéré en premier lieu que
l’objet du droit des conflits de lois était celui d’un conflit de compétences législatives (a) qui
doit finalement être résolu par le recours à la loi la plus appropriée c’est-à-dire celle qui
garantit le mieux les intérêts privés. Cependant, cette méthode s’avère insuffisante puisqu’elle
engendre un certain aléa (b).

a) Le conflit de compétences législatives enfin reconnu comme objet du droit des conflits
de lois
195. La doctrine comparative de Maury. Par le biais de la tendance comparative qui
se fait jour principalement en Europe, durant l’entre-deux-guerres, certains auteurs ont
« ouvert les voies à la connaissance comparative » et notamment Maury484. S’inscrivant dans
la suite du mouvement particulariste, il a exposé qu’il faut « tenir pour impossible
l’établissement d’un système général de solution des conflits » et a précisé que « le droit
international privé, spécialement le droit international privé comparé, est une science trop
imparfaite, trop inachevée pour que des généralisations objectives puissent être tentées avec
quelque chance de succès »485. Il considère donc que « toute théorie générale apparaît (…)
comme impossible »486. Finalement, il a rejoint en quelque sorte le postulat de Bartin selon
lequel tout système à l’international est inenvisageable. Cependant, contrairement aux
particularistes, Maury a considéré que « cela ne signifie pas qu’il ne faille tenter de dégager
des principes capables d’éclairer le législateur aussi bien que le juge »487. Sur cette base il a
proposé de distinguer les catégories juridiques fondamentales et ensuite de considérer les faits
pour les classer dans l’une de ses catégories ; et ce travail s’effectuera suivant les conceptions
du for, expression de la vérité nationale488.

484
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242.
485
J. Maury, P. I, S.II « La nature de la règle de conflit », in « Règles générales des conflits de lois », RCADI,
1936, vol. n°57, p. 407 et s., spéc. p. 416.
486
Ibid.
487
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 38.
488
Ibid.

119
196. L’assimilation du conflit de lois à un conflit de compétences législatives. De
plus, selon lui, les solutions admises seront appliquées par réciprocité puisque « de façon plus
générale, tout Etat doit, en droit international privé, accepter, pour sa souveraineté législative,
les limites qu’il édicte pour celle des autres Etats ; il doit poser des règles universelles
conformément à la maxime kantienne de morale » 489 . Ainsi, « du point de vue du droit
international public, la règle de réciprocité est une conséquence de l’égalité juridique des
Etats : la délimitation des souverainetés législatives par l’Etat qui établit son droit de conflit
ne peut, sans violer cette égalité, faire acception de la souveraineté qui va bénéficier ou
souffrir de la norme édictée »490. En d’autres termes, Maury a envisagé les conflits de lois
comme un conflit de compétences législatives et non plus comme un conflit de souverainetés,
et ceci le conduit à considérer que le droit des conflits de lois a plutôt vocation à répartir cette
compétence législative 491 qu’à établir des règles de droit matériel universelles. Ainsi, sa
conception a pu être qualifiée de coordination juridique du système.
197. Une méthode insuffisante en termes de neutralité. Il convient de partager cette
analyse du conflit de lois en ce sens qu’il est impossible d’établir un système de règles
matérielles universalisables. En revanche, il est possible de construire un système conflictuel
applicable à toute situation. La doctrine de Maury est critiquable en ce que le simple fait de
créer des catégories de rattachement dans lesquelles serait rangée chaque situation litigieuse,
selon les conceptions du for, paraît insuffisant. Il convient nécessairement d’aller plus loin en
proposant ne serait-ce qu’un facteur de rattachement, voire en mettant de côté cette analyse
selon les conceptions du for. Tout laisse croire que pour parvenir à un traitement égalitaire du
sujet de droit, le droit des conflits de lois doit être construit, abstraction faite des conceptions
du for, et en fonction de la situation litigieuse. C’est pourquoi cette conception de
coordination juridique paraît insuffisante à établir un système complet. Reste que la méthode
comparative a été soutenue par d’autres auteurs. Elle ne peut donc être évincée de la
recherche de méthode applicable au droit des conflits de lis. Elle a d’ailleurs permis la
construction d’une méthode fondée sur la loi la plus appropriée.

b) Une méthode inachevée fondée sur la recherche de la loi la plus appropriée


198. La recherche de la loi la plus appropriée selon Savatier. De l’idée que le
conflit de lois n’est autre chose qu’un problème de répartition de compétences législatives, un

489
J. Maury, op. cit., p. 407 et s., spéc. p. 424 et 425.
490
Ibid., spéc. p. 425.
491
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 39.

120
autre auteur, Savatier, a proposé de déterminer en réalité quelle est la loi la plus appropriée à
la situation litigieuse. Pour y parvenir, il a proposé d’appliquer la loi qui assure la meilleure
protection des intérêts privés ; et sur cette base, il « (a dégagé) le domaine normal de chaque
loi, dans le respect combiné des souverainetés étrangères et des nécessités nationales »492. Par
conséquent, « il (a tenu) pour acquises toute une série de solutions dont le temps et
l’observation paraissent avoir vérifié l’exactitude » et il a pu « énoncer les rattachements de
base, dont seules les délimitations exactes peuvent être discutées, alors que leur principe
même ne saurait plus l’être »493.
199. Une recherche conditionnée à une étude comparative des rattachements.
L’auteur a donc parfaitement poursuivi le raisonnement de Maury mais est allé plus loin en
proposant, sur la base d’une analyse comparative, d’établir les rattachements imputables à
telle ou telle situation. Si le conflit de lois doit bien être perçu sous la forme d’un problème de
répartition de compétence, tout comme la loi la plus appropriée doit être celle qui garantit le
mieux les intérêts privés, l’idée selon laquelle les rattachements doivent être figés et l’objet
d’une analyse comparative est à rejeter. En effet, si les bases du système de droit des conflits
de lois sont critiquées comme étant originellement publicistes notamment au regard de ses
facteurs de rattachement, ce n’est pas pour admettre aujourd’hui que ces derniers doivent être
conservés.
200. Une recherche affectée par les idéologies publicistes. Effectivement, l’analyse
du droit des conflits de lois ne peut pas conduire d’une part à l’envisager comme un problème
de répartition de compétence, résolu conformément aux intérêts privés, et d’autre part à
l’encadrer par des rattachements objet d’une analyse comparative, alors que ces derniers sont
issus de considérations historiques inadaptées494. Les rattachements doivent donc être révisés,
et ne doivent pas nécessairement être l’objet de cette analyse comparative en droit des conflits
de lois. Également, le droit des conflits de lois ne doit plus être interprété selon les
conceptions du for, il faut dépasser cette pensée comme l’avait proposé Rabel en proposant
« par l’utilisation de la méthode comparative, des concepts autonomes, différents des concepts

492
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 40.
493
Ibid.
494
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Fonction subversive du droit comparé », RIDC 2000, p. 503, laquelle
présente notamment la dimension ethnocentrique du droit comparé conduisant à une certaine subversion et
soulève la question de la partialité de la méthode : « en faisant prendre conscience des ressources culturelles de
son propre système pour générer de nouvelles réponses juridiques, le potentiel subversif de la comparaison n’est
pas encore pleinement réalisé. Tout dire, est une chose. Le dire sans partialité, n’affirmer rien que la vérité, en
est une autre ».

121
internes et dotés d’une portée universelle » 495 . Cette théorie a pu être considérée comme
utopique à l’époque, mais semble tout de même envisageable à une échelle régionale,
notamment dans l’Union européenne. De plus, ce stade de la qualification pourrait être
dépassé notamment en adoptant un rattachement unique 496 . En résumé, l’analyse de
coordination juridique proposée par ces auteurs est pertinente, mais n’est pas suffisante pour
façonner un système de droit des conflits de lois unique garantissant une égalité de traitement
des sujets de droit. Pour autant, d’autres auteurs, inspirés par cette méthode comparative l’ont
développée et ont envisagé le système de droit des conflits de lois comme une coordination
fonctionnelle.

2) L’émergence de méthodes inappropriées en droit des conflits de lois par le


recours à la coordination fonctionnelle
201. La fin du XXème siècle est marquée par une nouvelle conception du droit
international privé qui se veut plus substantielle. En effet, la doctrine relative à la coordination
juridique a permis l’apparition de nouvelles analyses, non plus juridiques, mais fonctionnelles
du droit des conflits de lois. Il a alors pu s’agir d’envisager la résolution des conflits de lois de
nouveau conformément à une approche comparative (a), ou encore de coordination des
systèmes juridiques (b).

a) La résolution fonctionnelle de conflits d’intérêts privés par une approche comparative


202. L’élaboration des règles de conflit au regard des intérêts en cause. Durant le
mouvement d’étude comparative du XXème siècle, un auteur français, Lerebours-
Pigeonnière, s’est également penché sur la question du conflit de lois, et plus particulièrement
des règles de rattachement pour opter pour une approche fonctionnelle du droit international
privé. Pour ce faire, l’auteur est parti du postulat selon lequel les conflits de lois ne sont pas
des conflits de souverainetés, mais des conflits d’intérêts particuliers497. L’auteur a donc jugé
que « le problème consiste à réglementer finalement des relations de droit privé » et par
conséquent que « notre tâche est de trouver des solutions d’abord utiles aux intérêts
particuliers »498. Il a alors procédé à l’analyse des règles de rattachement. Il estime que ce sont
« des règles nationales complémentaires du droit privé français » 499 . Ainsi, on constate le

495
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 265.
496
Cf. infra § 1113 et s.
497
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 30.
498
H. Batiffol, Ch. I, « Universalisme et particularisme », « Les tendances doctrinales actuelles en droit
international privé », op. cit., p. 9 et s.
499
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 30.

122
rapprochement avec le particularisme en raison d’une conception nationale du conflit de lois.
Cependant, l’auteur a observé que « l’élaboration de la règle de conflit, tout en tenant compte
de la teneur de la règle interne, doit aussi se pencher sur les circonstances de la vie
internationale » 500 . Partant de cette observation, Lerebours-Pigeonnière a proposé une
nouvelle approche du droit des conflits de lois consistant à prendre en compte, dans
l’élaboration du système conflictuel, différents intérêts. Ces intérêts sont les suivants : les
intérêts étatiques « recherchant le bien commun dans la législation civile », les intérêts des
particuliers « afin de répondre à leurs attentes », et les intérêts de la société internationale
« qu’il convient d’ordonner »501. En effet, il a affirmé que l’analyse du droit interne tient une
grande place dans l’élaboration des règles de rattachement, mais ce n’est pas pour autant que
les données internationales doivent être négligées « car elles permettent de faire entrer dans le
Droit international privé national ce qui peut être retenu des aspirations universelles »502.
203. Vers un système universel par recours à la méthode comparative. La
proposition faite par Lerebours-Pigeonnière de prendre en compte tous ces intérêts conduit à
établir un système relativement universel503 en ce que cette prise en compte pourrait mener à
l’élaboration de règles de rattachement applicables à l’international. Pour parvenir à un tel
dispositif, l’auteur a alors usé de la méthode comparative afin d’opérer « une synthèse des
différents facteurs qui concourent à déterminer l’élaboration des règles du droit international
privé »504. Il est convaincu qu’« il est possible de dégager de la nature des choses et des arrêts
les principes généraux qui dominent notre droit positif »505. En allant plus loin, il a précisé
qu’il convient de prendre en compte dans la construction des règles de rattachement la nature
juridique et le but social des institutions, ce qui suppose de prendre en compte « le donné et le
construit »506.
204. Le caractère inadapté de la méthode comparative. Il semble que la doctrine
proposée par l’auteur soit louable en ce qu’elle conduit à considérer le conflit de lois comme
un conflit d’intérêts privés dont la réglementation doit être fonction d’intérêts multiples. Ce
type de raisonnement conduit nécessairement à appréhender de manière plus juste les

500
H. Batiffol, Ch. I, « Universalisme et particularisme », « Les tendances doctrinales actuelles en droit
international privé », op. cit., p. 9 et s.
501
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 160.
502
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 309.
503
Ibid., § 67.
504
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242.
505
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 301.
506
Ibid., § 307.

123
situations litigieuses dans lesquelles sont impliqués les sujets de droit. De plus, cela invite à
créer un système de droit des conflits de lois à une échelle universelle. Cependant, l’approche
de l’auteur est concrète et « cantonnée sur le terrain du droit positif ». Par conséquent,
l’édification d’un dispositif sur la base d’une analyse comparative du droit positif ne peut
s’adapter aux évolutions sociétales. En effet, ce dispositif ne sera l’objet que d’une époque
donnée ce qui le rend inadaptable aux évolutions futures et donc potentiellement vétuste. En
outre, une difficulté apparaît quant à la conciliation des divers intérêts avancés par l’auteur
dans la mesure où ces intérêts peuvent tout de même varier d’un point de vue à l’autre. Ainsi,
il ne permettrait pas de dégager un ensemble législatif applicable aux Etats du monde entier.
Néanmoins, l’approche fonctionnelle du droit international privé de Lerebours-Pigeonnière
est considérablement importante en ce qu’elle envisage le conflit de lois comme un conflit
d’intérêts privés mais n’est pas suffisante dans la mesure où le recours à la méthode
comparative ne permettra pas d’établir un système universel de droit des conflits de lois mais
simplement d’ériger quelques principes généraux. Or, l’objectif du droit des conflits de lois
est nécessairement celui d’une unification de ses règles permettant de traiter tout sujet de droit
de manière identique. Néanmoins un autre auteur a proposé une approche fonctionnelle du
droit international privé, mais différente de celle de Lerebours-Pigeonnière.

b) La résolution fonctionnelle des conflits d’intérêts privés par une coordination des
systèmes
205. La méthode de coordination des systèmes. Dans la poursuite des idées de
Lerebours-Pigeonnière, Batiffol, faisant preuve de réalisme et usant de la méthode
comparative, a proposé de « coordonner les différents systèmes de conflits qui peuvent être
impliqués dans un litige » 507 . Il affirme que « le développement moderne du droit
international privé suggère l’idée qu’il tend vers un ordre de systèmes, en ce sens qu’il
travaille à la coordination de systèmes distincts coexistants, afin de soumettre à un régime
défini les relations privées qui, par leur caractère international, se présentent comme
508
s’insérant simultanément dans plusieurs systèmes différents » . Cependant, comme
Lerebours-Pigeonnière, il a préalablement constaté que, aujourd’hui, « l’ordre ainsi établi

507
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 72.
508
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 7.

124
n’est aucunement susceptible de généralisation qui lui donnerait une valeur universelle » et
que « les législateurs et juges ont la faculté de décider de leur propre initiative »509.
206. Une méthode guidée par le substantialisme. Se résolvant à une impossible
uniformisation d’un dispositif en droit des conflits de lois et dans un souci de coordination des
différents systèmes, Batiffol est convaincu que les solutions du droit international privé
« doivent rechercher l’équité et l’utilité réclamée par les intérêts privés, la première de ces
deux notions emportant un souci du respect, dans une recherche d’égalité, de toute personne,
fût-elle étrangère »510. Ainsi le résultat du conflit de lois doit être guidé par des considérations
substantielles et quelque peu philosophiques. L’idée est louable et véritable en ce que le droit
international privé doit s’efforcer de respecter ces principes fondamentaux mis en corrélation
avec les intérêts privés.
207. Une méthode soumise à l’arbitraire du juge. L’orientation choisie par l’auteur
consiste donc pour chaque tribunal, de chaque pays, à « considérer ce que, sur une question
qui l’intéresse, décide son propre droit » et « ce que décident les autres pays intéressés à la
même question, dans le dessein de la résoudre par l’adoption d’une solution conciliatrice »511.
Or la beauté de l’idée n’en fait pas un système réalisable. En effet, une telle doctrine donne,
une fois encore, un pouvoir relativement vaste au juge quant à la solution du conflit de lois.
Cette absence d’encadrement peut alors conduire à un pouvoir arbitraire du juge, et
potentiellement à une promotion des intérêts étatiques, et non plus privés.
208. Les conceptions fonctionnelles inappropriées eu égard à l’égalité de
traitement. Finalement, ces conceptions fonctionnelles du droit international privé
constituent nécessairement une évolution dans l’élaboration du système de droit des conflits
de lois. Elles ont permis, enfin, de rendre au droit des conflits de lois sa véritable orientation,
à savoir la garantie des intérêts privés. Par conséquent, il est effectivement indéniable que
toute méthode de solution au problème du conflit de lois doit être érigée de prime abord en
considération des intérêts privés, et non pas des intérêts étatiques. Cependant, si le droit des
conflits de lois doit être appréhendé conformément aux intérêts privés, il se doit de garantir à
chacun une égalité de traitement par le biais d’une approche neutre du conflit de lois. Or, les
doctrines fonctionnelles du droit international privé, se contentant d’une analyse concrète et
comparative ne peuvent aboutir à un traitement identique du sujet de droit, et ceci d’autant

509
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 46.
510
Ibid., § 102.
511
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 54.

125
moins lorsque la solution du conflit de lois est laissée entièrement aux mains du juge. Ainsi, si
le droit des conflits de lois doit être fonction des intérêts des particuliers, il doit
nécessairement tendre à l’universel.
209. Vers la réalisation de la neutralité et de l’égalité de traitement en droit des
conflits de lois. Au regard de ces diverses doctrines européennes, le droit des conflits de lois a
été pensé sous une nouvelle approche laquelle permet d’envisager un système davantage
orienté vers l’égalité et la neutralité. Cependant, ces doctrines contemporaines ne sont pas
parfaitement réalisables ce qui limite nécessairement leur portée. Néanmoins, pour répondre à
la vocation propre du droit des conflits de lois, il est important de conserver certains de leurs
traits, notamment en considérant que la discipline se doit de résoudre un conflit de
compétences législatives conformément aux intérêts privés en optant pour un système à
vocation universelle. Pour y parvenir, les différents mouvements doctrinaux existants depuis
l’Ancien Régime invitent à bannir toute forme de partialité et principalement de
considérations politiques. Le système devra nécessairement être neutre. Pourtant, durant la
période contemporaine, parallèlement à la doctrine européenne, les Etats-Unis ont connu une
révolution doctrinale consistant à adopter une approche essentiellement substantielle du
conflit de lois. Contrairement à la doctrine française, qui a fait peu de cas du résultat
substantiel, sauf à la fin du XXème siècle, la doctrine américaine a érigé celui-ci au rang de
principe. Il s’agissait d’une rupture totale avec la méthode classique dite savignienne.

SOUS-SECTION 2 : LE DROIT DES CONFLITS DE LOIS REVISITE PAR LE


MATERIALISME AMERICAIN

210. Concomitamment aux doctrines contemporaines européennes, la doctrine


américaine a proposé de nouvelles théories en réaction à la méthode classique. Ce mouvement
a été qualifié « d’impressionnisme juridique » en ce « qu’(il) procède par petites touches,
comme l’Ecole impressionniste en matière picturale » 512 . En effet, ces doctrines se
recommandent d’un réalisme poussé en « recherchant la meilleure solution dans chaque
cas »513. Par conséquent, les doctrines américaines contemporaines préconisent une approche
purement fonctionnelle du droit des conflits de lois (§1). Cependant partant d’une conception
se voulant adaptée à chaque situation, cette doctrine a proposé un système inapproprié à

512
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 185.
513
Ibid.

126
l’objet du droit des conflits de lois c’est-à-dire opposé à la mise en œuvre d’un système neutre
et universel (§2).

§ 1 – LE SYSTEME DE DROIT DES CONFLITS DE LOIS AMERICAIN


SUBSTANTIELLEMENT FONDE AU REGARD DES INTERETS PRIVES

211. La révolution américaine a donné naissance à un nouveau mouvement doctrinal


guidé par le substantialisme514. Ce dernier consiste à envisager le conflit de lois sur la base
d’une analyse concrète de la situation litigieuse permettant ainsi de viser un résultat
substantiel particulier répondant d’une politique publique 515 . Par conséquent, les doctrines
américaines ont promu un système de droit des conflits de lois dont l’objet n’est que son
résultat substantiel (A). Parmi ces doctrines, une en particulier s’est attachée à promouvoir les
intérêts des particuliers par la prise en compte des points de contact entre la situation litigieuse
et la loi applicable (B).

A. LA PROMOTION D’UN SYSTEME CONFORME A UN RESULTAT SUBSTANTIEL


ABSTRAIT

212. Afin de contrer la méthode classique et de permettre un résultat plus adapté à


chaque situation internationale, la doctrine américaine s’est évertuée à créer de nouvelles
méthodes garantissant la mise en place d’un système conformément à un résultat à atteindre.
Celui-ci s’est réalisé au regard d’objectifs publicistes, notamment en créant une doctrine
favorable à la garantie des intérêts gouvernementaux (1). Puis, il s’est davantage matérialisé
au travers d’un principe dit de justice universelle (2).

1) La méthode contestable des intérêts gouvernementaux au regard de la nature du


droit international privé
213. A la suite du mouvement révolutionnaire de la doctrine américaine, s’est mise en
place la méthode des intérêts gouvernementaux. Celle-ci a été conduite au regard d’une
orientation étatique puisque son résultat substantiel vise les intérêts gouvernementaux.
Cependant, elle a mené divers auteurs à plusieurs théories dont les résultats se sont avérés
différents, certains menant à l’application exclusive de la loi du for (a), d’autres à
l’application indifférente de la loi du for et de la loi étrangère (b).

514
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 221 : « Le dénominateur commun des doctrines
qu’on regroupe sous la bannière de « l’école américaine » est de refuser un mode abstrait de désignation du droit
compétent, et de préférer induire ce choix du résultat à atteindre ».
515
S. Clavel, op. cit., § 68.

127
a) L’application exclusive de la loi du for au regard d’intérêts politiques étatiques
214. La méthode des intérêts gouvernementaux. La révolution américaine a été le
début d’une nouvelle conception du conflit de lois, basée notamment sur la méthode
des intérêts gouvernementaux. Cette nouvelle doctrine considérait que « c’est simplement
lorsque deux ou plusieurs règles se veulent applicables à une même question que l’on est en
présence d’un « vrai conflit » et qu’une solution doit être trouvée »516. Par conséquent, « cette
doctrine propose de déterminer l’importance respective des intérêts qu’a chaque Etat en
présence à l’application de sa propre loi dans le cas considéré »517. Par exemple, « un Etat
pourrait avoir intérêt à l’application de sa loi en matière contractuelle en vue de la sécurité des
transactions »518.
Cette doctrine est classiquement attribuée à Currie, lequel a développé la théorie
suivante : les lois substantielles de tous les Etats sont traitées de la même manière, car toutes
sont appliquées selon les mêmes points de contact519. Par conséquent, pour déterminer la loi
compétente, il convient de se référer à ces points de contact. Ainsi, le raisonnement à suivre
serait tout d’abord de déterminer quelle politique sert de base à une règle de droit matériel
donnée, et ensuite, de vérifier si l’Etat a un intérêt dans l’application de cette politique en
l’espèce 520 . Ainsi, le raisonnement du juge est a priori, et surtout fondé sur un résultat à
atteindre de nature publiciste. En effet, le juge serait le protecteur des intérêts et de la
politique de l’Etat, à défaut des intérêts des particuliers521.
215. L’application exclusive de la loi du for. Cette doctrine a aussi été prônée par
d’autres auteurs, et notamment par Ehrenzweig, lequel rejoint la position de Currie
considérant que tout choix de loi devrait être fondé sur une interprétation consciente de lege
lata522. Pour aller plus loin, pour ces auteurs, « la solution du vrai conflit passe en principe par
l’application de la loi du for »523. En effet, comme l’ont expliqué Batiffol et le Professeur
Lagarde, la compétence de la lex fori se justifie, selon Currie, soit par son intérêt réel à

516
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
517
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 191.
518
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 221.
519
G. Kegel, Part. I, Ch. II « Traditional approach », in « Gouvernemental Interests : Brained Currie », RCADI,
1964, vol. n°112, p. 102.
520
G. Kegel, Part. I, Ch. V « Policy and Interest », op. cit., p. 113.
521
Pour aller plus loin, voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd.,
2017, T. I, § 358 : « Les intérêts privés ne sont pas ignorés, mais sont « subsumés » sous ceux des Etats ; assurer
la réalisation des politiques législatives, c’est donc assurer l’épanouissement des intérêts privés arbitrés
démocratiquement par les divers législateurs ».
522
A. A. Ehrenzweig, Private international law, Sijthoff, 1967, s. 39, p. 93.
523
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.

128
s’appliquer, soit, en cas de vrai conflit entre deux lois étrangères, par le défaut de pouvoir du
juge de trancher entre les intérêts légitimes en conflit de deux Etats étrangers524.
216. Le retour du souverainisme. Le droit des conflits de lois est donc fonction des
intérêts gouvernementaux c’est-à-dire d’intérêts politiques étatiques. En sus, le conflit de lois
est résolu nécessairement par la lex fori. Ainsi, si la révolution américaine s’est voulue en
rupture avec les doctrines antérieures, ce n’est pas pour autant que sa volonté a été totalement
exaucée. En effet, la doctrine des intérêts gouvernementaux fait état du retour du
souverainisme, en raison de ses aspirations publicistes, menant à l’application unique de la loi
du for. Ainsi, même les doctrines relatives à la systématisation fonctionnelle du droit des
conflits de lois sont imprégnées des anciennes considérations de l’Ancien Régime tendant à
confondre la nature même de cette discipline. Ainsi, comme l’a affirmé le Professeur Muir-
Watt, « l’isolationnisme politique » s’inscrit « au cœur même de la méthode »525. De surcroît,
ces théories prônent une fonction régulatrice de la règle de conflit consistant à « admettre que
c’est cette règle peut être utilisée au service de fonctions de régulation publique, c’est-à-dire
constituer un instrument de politique publique entre les mains des Etats »526. En tout de cause,
la doctrine des intérêts gouvernementaux a connu une certaine évolution sous la plume
d’autres auteurs.

b) Un assouplissement de l’application exclusive de la loi du for conformément aux


intérêts individuels
217. Les intérêts individuels intégrés à la méthode des intérêts gouvernementaux.
La théorie des intérêts gouvernementaux a perduré et été reprise par divers auteurs,
notamment Trautman et Von Mehren, lesquels l’ont quelque peu assouplie. En effet, ces
auteurs ont été amenés à considérer qu’il convenait de prendre en compte les intérêts étatiques
et individuels qui deviennent pertinents dans les situations multiétatiques527. Partant de cette
idée, ces auteurs étaient moins favorables à une application exclusive de la lex fori. Par
conséquent, ces auteurs ont considéré qu’il convenait d’appliquer la loi de l’Etat qui a le plus
grand intérêt à s’appliquer et a contrario, d’appliquer la loi de l’Etat dont les intérêts se
trouveraient les moins entravés si sa loi n’était pas appliquée. De plus, selon Trautman et Von

524
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
525
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes de droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 102.
526
S. Clavel, op. cit., § 71.
527
A. A. Ehrenzweig, op. cit., s. 39, p. 93.

129
Mehren, si la pesée des intérêts n’aboutit pas, « le juge est invité à élaborer une règle
matérielle adaptée à la situation ou, s’il ne le peut, à revenir à sa propre loi »528.
218. L’application indifférente de la loi du for et de la loi étrangère. L’évolution
de la doctrine a consisté à inclure les intérêts individuels dans la prise en compte des intérêts
en présence pour conduire à une application indifférente de la loi du for ou de la loi étrangère.
Un pas est donc fait vers la mise en conformité avec la nature du droit des conflits de lois.
Cependant, cette doctrine ne fait pas totalement abstraction des intérêts gouvernementaux.
Elle ne conduit pas à une doctrine fonction avant tout des intérêts des particuliers. La marque
d’un certain souverainisme est toujours présente. Toutefois, la doctrine des intérêts
gouvernementaux a permis de développer une nouvelle méthode fondée sur un autre objectif
matériel, à savoir le concept de justice universelle.

2) La méthode matérielle : l’assurance d’une justice universelle


219. Parallèlement à la doctrine des intérêts gouvernementaux, la doctrine américaine
a poursuivi un nouvel objectif, celui de la justice matérielle. Par conséquent la méthode
conflictuelle devait être fonction de ce résultat substantiel. C’est pourquoi d’une part a été
recherchée « la justice dans chaque décision » (a) et d’autre part « l’application de la
meilleure loi » (b).

a) « La justice dans chaque décision » : une méthode abstraite idéale


220. La recherche de la solution la plus juste selon Cavers. En réaction à la
doctrine des intérêts gouvernementaux, Cavers a choisi de développer une nouvelle doctrine
529
celle de « la justice dans chaque décision » . Il était convaincu que les intérêts
gouvernementaux n’offrent pas de solutions viables et que l’interprétation des règles et des
politiques doit être le point de départ pour développer de nouvelles règles de conflit. C’est
pourquoi il a proposé de venir en aide aux tribunaux en énonçant des « principes de
préférence » 530 . Sa doctrine est particulièrement liée à l’idée d’une justice matérielle
universelle. Il s’est notamment référé à la justice kantienne dans son cours de l’Académie de
La Haye en considérant que le critère d’adéquation d’une règle de conflit est de savoir si la
règle proposée mérite vraiment d’être incluse dans une loi commune à toutes les nations531.

528
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
529
Ibid.
530
A. A. Ehrenzweig, op. cit., s. 28, p. 68.
531
D. F. Cavers, Ch. IV, 4. « Principles of Preference », in « Comtempary conflicts law in American perspective
», RCADI, 1970, vol. n°131, p. 151 et s.

130
Par conséquent, il a considéré que durant tout le raisonnement conflictualiste, le juge doit être
dirigé par l’idée de justice qui « constitue l’idéal de tout juriste et dont nul ne saurait
méconnaître l’importance »532. Cette idée de justice doit nécessairement s’apprécier dans le
« résultat concret que l’application de la loi engendre dans chaque cas », l’idée étant de
« parvenir à la solution la plus juste »533. Par exemple, « en matière de responsabilité, si la loi
du lieu du dommage prévoit une réparation plus élevée que celle du lieu du domicile de la
victime ou du lieu du fait générateur du dommage, c’est cette loi qui doit s’appliquer »534.
221. D’une méthode abstraite à une méthode arbitraire. La théorie de Cavers
semble séduisante en ce qu’elle paraît totalement épargnée d’idéologies dissidentes à la nature
du droit des conflits de lois puisque l’objectif de sa méthode est une justice matérielle.
Cependant, outre l’utopie dont fait état une telle doctrine, la notion de « justice matérielle »
constitue un gouffre juridique. En effet, tout juge, quel qu’il soit, appréciera nécessairement la
notion de justice matérielle de manière subjective et par référence à sa propre conception de la
justice. Par conséquent, si l’idée est louable sur le plan des intérêts privés, il semble que cette
idée ne puisse être mise en pratique à raison de son caractère trop abstrait. En effet, cette
doctrine conduit à nationaliser chaque système conflictuel pour l’adapter à la conception que
se fait chaque Etat de la « justice matérielle ». Une telle doctrine conduit nécessairement à
l’arbitraire du juge et exclut toute idée de neutralité dans la méthode conflictuelle propre au
droit des conflits de lois. Pour autant, cette idée de justice matérielle a également été
développée par un autre auteur américain contribuant à encadrer davantage cette méthode afin
de potentiellement pallier le caractère trop abstrait de la doctrine de Cavers.

b) L’« application de la meilleure règle » selon le juge saisi


222. L’application de la better law. Contrairement à Cavers, Leflar, épris par cette
même idée de justice matérielle, a cherché à encadrer ou définir cette idée en établissant
certains objectifs tels que la prévisibilité des résultats, le maintien de l’ordre interétatique et
international, la simplification de la tâche judiciaire, la promotion des intérêts
gouvernementaux et surtout l’application de la meilleure règle535. Par conséquent, sur la base
de ces facteurs, l’idée de justice matérielle serait assurée dans la mise en œuvre de la méthode
conflictuelle. Cependant, ces facteurs ne vont pas conduire à une solution linéaire puisque

532
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 192.
533
Ibid.
534
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 221.
535
A. A. Ehrenzweig, op. cit., s. 28, p. 69.

131
« non seulement la better law risque d’être, dans l’esprit du juge, la loi du for, mais plus
fondamentalement (il paraît) choquant de laisser le juge faire, selon, ses propres convictions,
le tri entre les bonnes et les moins bonnes lois »536.
223. La résolution du conflit de lois soumise au libre arbitre du juge. Finalement
la critique adressée à la théorie de Leflar peut être attribuée à toute doctrine orientée par
l’objectif de justice matérielle puisqu’elle conduit nécessairement à laisser au juge le choix de
la bonne ou mauvaise loi et selon des facteurs ou aspirations qu’il détermine lui-même. Ainsi
le juge « ayant alors déterminé dans son for intérieur la solution la plus juste, il énoncera a
posteriori le raisonnement conflictualiste qui permet d’aboutir au résultat voulu » ainsi « la
décision n’est donc le plus souvent que la mise en forme d’un résultat prédéterminé »537 c’est-
à-dire d’un résultat laissé à l’arbitraire du juge. En conséquence, un tel système n’est pas
cause d’uniformisation puisque chaque Etat estime qu’une loi est la meilleure selon ses
conceptions personnelles.
224. L’absence d’égalité sans neutralité. Par conséquent, toutes les doctrines
fonctionnelles américaines ne peuvent satisfaire à la nature du droit des conflits de lois dans la
mesure où elles sont exemptes de neutralité. Un rapprochement peut notamment être fait avec
les règles du droit des conflits de lois conçues à l’aune des considérations archaïques de
l’Ancien Régime 538 . Pourtant, la doctrine américaine s’est développée en recourant à la
méthode de la proper law.

B. LE DEVELOPPEMENT D’UNE METHODE CONCRETE DE GROUPEMENTS DES


POINTS DE CONTACT CONFORME AUX INTERETS PRIVES

225. Parallèlement aux doctrines américaines précédentes, s’est développée une


nouvelle doctrine davantage orientée par la promotion des intérêts privés. Celle-ci est
traditionnellement qualifiée de méthode des groupements des points de contact. Il s’agit d’une
analyse concrète de la situation litigieuse permettant de lui appliquer la loi la plus adaptée (1).
Cette théorie a connu un véritable retentissement aux Etats-Unis mais n’a exercé qu’une
influence mitigée en Europe, principalement à raison de son impossible portée générale (2).

536
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
537
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 184.
538
Cf. supra § 147.

132
1) L’analyse concrète des situations litigieuses par le groupement des points de
contact
226. L’apparition de la méthode du groupement des points de contact a permis de
subordonner la règle de conflit à la prise en compte de différents points de contact avec la
situation litigieuse afin de déterminer quelle loi est la plus adaptée à résoudre cette situation
(a). Pour parvenir à ce résultat, deux méthodes ont été proposées, l’une quantitative, l’autre
qualitative. Malheureusement, malgré l’approche concrète de la méthode, celle-ci demeure
atteinte de subjectivisme (b).

a) La subordination judicieuse de la règle de conflit aux points de contact avec la


situation litigieuse
227. La recherche de la loi la plus significative. Le XXème siècle est également
marqué aux Etats-Unis par une nouvelle doctrine : « la méthode du groupement des points de
contact », laquelle est désormais fondée sur la technique, plus que sur la finalité539. Cette
nouvelle méthode est attribuée à Morris à la suite de son article « the proper law of the
tort »540 . Elle a également été soutenue par d’autres auteurs anglais, tels que Westlake et
Dicey. La doctrine de Morris fondée originellement sur la loi du délit consiste à considérer
qu’il convient de rechercher la loi applicable sur la base d’une prise en compte des éléments
localisateurs, afin de justifier la compétence de la loi applicable au regard d’un rattachement
considéré comme significatif541. Ainsi, cette loi sera celle qui semble avoir le lien le plus
significatif avec les actes et conséquences dans la situation visée 542 . En réalité, une telle
doctrine a été envisagée afin de faciliter la détermination de la loi applicable sur la base de
rattachements significatifs afin de mettre un terme à l’utilisation exclusive d’un unique facteur
de rattachement, et plus particulièrement, dans l’étude de Morris, de la « lex loci delicti »543.
Au-delà, il est considéré qu’une telle méthode permettrait de diviser les problèmes juridiques
en groupes plus petits et faciliterait ainsi une analyse adéquate des facteurs sociaux en
cause544.
228. De l’analyse concrète de la situation litigieuse à l’approche neutre du conflit
de lois. En réalité, la doctrine de Morris est celle des liens les plus étroits c’est-à-dire qu’il

539
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 189.
540
Ibid., note 1. Harvard Law Review, 1951, p. 881.
541
Ibid.
542
F. A. Mann, II. « The proper law of the tort », in « The proper law in the conflict of laws », uniset.ca, 1987.
543
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 189.
544
F. A. Mann, op. cit.

133
convient à chaque situation de fait d’attribuer la loi avec laquelle cette situation présente les
liens les plus étroits, donc les plus signifiants. Cette théorie semble, dans un souci de
neutralité et d’égalité, être celle qui prône le moins des intérêts étrangers à ceux des
particuliers, puisque serait appliquée concrètement la loi qui présente le lien le plus étroit avec
la situation. Il pourrait donc être admis que cette doctrine américaine soit la première à prôner
une neutralité de la méthode conflictuelle dont l’objet consiste seulement à déterminer le
champ d’application des lois en conflit dans l’espace. Cependant, cela est tout aussi
contestable dans la mesure où les facteurs de rattachement ne sont pas prédéterminés et dans
la mesure où d’un juge à l’autre, il peut être considéré que tel ou tel facteur est d’une plus
grande importance que l’autre. C’est pourquoi Morris a proposé l’utilisation de deux
méthodes.

b) La prise en compte subjective de points de contact au travers des méthodes


229. Les méthodes quantitative et qualitative. Morris a suggéré, afin de déterminer
la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation, d’utiliser une méthode
quantitative ou une autre qualitative. Ainsi dans la méthode quantitative, « on se contente de
compter les points de rattachement, de les additionner et de désigner la loi du pays vers lequel
le plus grand nombre de points de rattachement convergent » ; tandis que dans la méthode
qualitative, on accorde à chaque facteur de rattachement une certaine valeur qui « peut aussi
varier d’un cas à l’autre de telle sorte, que, pour l’apprécier, il faut replacer le rattachement
non seulement dans le contexte général, mais aussi dans le contexte du cas considéré »545.
230. Des méthodes insuffisantes en termes de neutralité et d’égalité. Ces deux
méthodes proposées donnent effectivement une indication sur la manière dont le juge doit
procéder pour parvenir à déterminer la loi qui présente les liens les plus étroits. Cependant, de
telles méthodes ne sont pas suffisantes pour, d’une part supprimer l’arbitraire du juge, et
d’autre part, créer une méthode de conflit totalement neutre et d’égale application. En effet,
l’absence de détermination des facteurs de rattachement pouvant être pris en compte par le
juge permet à ce dernier d’utiliser les facteurs de rattachement de son choix. De plus, laisser à
l’arbitraire du juge le soin de déterminer au cas par cas la valeur d’un critère de rattachement
contraint à évincer toute neutralité dans la méthode. Il pourrait même être jugé finalement que
la méthode quantitative semble plus justifiée en ce qu’elle évince tout jugement de valeur de
la part du juge. Toutefois, les partisans de cette doctrine considèrent que son but est de

545
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 189.

134
garantir la certitude, la prévisibilité et la flexibilité pour indiquer la loi appropriée en tenant
compte de facteurs de rattachement pertinents546. Cependant, de tels arguments peuvent être
utilisés identiquement à l’inverse. En effet, toute prévisibilité juridique ne peut être garantie
par cette méthode dans la mesure où la détermination des facteurs de rattachement
significatifs est laissée à l’arbitraire du juge, sans encadrement propre, et dans la mesure où
cette détermination se fait au cas par cas.
231. Les premières bases d’une approche neutre du conflit de lois. Par conséquent,
la doctrine de la proper law semble en tant que telle être la première doctrine sur la base de
laquelle une neutralité effective pourrait être prônée. En effet, elle permettrait d’être exempte
de tout intérêt substantiel, qu’il soit public ou privé, ne consistant qu’en une analyse concrète
de la situation en présence. Cependant, l’absence d’encadrement d’une telle méthode peut
conduire à évincer toute neutralité dans la méthode, laissant au juge le libre choix de
déterminer selon ses conceptions les facteurs de rattachement significatifs. Comme pour les
doctrines orientées par la finalité de la règle de conflit, les juges, en vertu de la loi qu’ils vont
retenir applicable sur la base de facteurs de rattachements considérés comme significatifs,
vont tendre à promouvoir les intérêts de leur Etat. Ainsi, il semble que l’étape enclenchée par
cette méthode soit celle de la neutralité, mais qu’elle ne peut en assurer son effectivité.
Néanmoins, en pratique, seule cette méthode a connu un certain succès et notamment en
Europe.

2) La réception internationale relative de la méthode de la proper law


232. Les doctrines anglo-américaines ont été réceptionnées de manière ponctuée à
l’échelle mondiale547. Le droit positif américain a plus ou moins réceptionné les nouvelles
doctrines américaines mais pour consacrer finalement dans son second Restatement la notion
de « liens les plus étroits » (a) tandis qu’en Europe, seule la méthode de la proper law a été
réceptionnée, mais son intégration au droit positif n’en a été que subsidiaire (b).

546
Thailand law forum, Choice of law in contract and Thaï private International law : a comparative study, Law
Journal of Thailand Bar Society on December, 2002.
547
Voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, 351 : « Le
« principe de proximité », porté successivement par les doctrines de Cavers, de Morris ou de P. Lagarde, trouva
sa consécration positive dans la célèbre section 6 du Second Restatement américain sur les conflits de lois ou
dans l’article 4-1 de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ainsi que dans de
nombreuses codifications contemporaines du droit international privé ».

135
a) L’intégration discutable des liens les plus étroits dans le droit positif américain
233. La réception américaine de la loi la plus significative. Les doctrines
américaines ont exercé une réelle influence sur le droit américain, et plus particulièrement la
méthode prônée par Morris. En effet, ces idées « ont été synthétisées dans le second
Restatement sur les conflits de lois, élaboré de 1952 à 1961 par l’American Law Institute, sous
l’impulsion de Reese » et « l’idée est que ces facteurs doivent en règle générale conduire à la
loi de l’État qui a le lien le plus étroit avec la question posée »548. En effet, dans le second
Restatement, « les théories examinées se sont traduites par un rejet des règles de conflit de
type traditionnel et une référence constante à la loi qui présente « le lien le plus significatif »
avec les faits et la question soulevée »549. Ainsi, le second Restatement pratique « le dépeçage
du rapport de droit en autant de questions en lesquelles il peut se diviser »550, ce qui s’inscrit
dans une perspective d’analyse précise et rigoureuse du lien significatif existant entre la loi
applicable et la situation litigieuse. En sus, « le second Restatement énonce une liste de
facteurs à prendre en considération » et notamment « la politique législative des Etats
concernés et leur intérêt relatif à régir la question », ainsi que « les nécessités des rapports
internationaux, la protection des attentes légitimes des personnes, la certitude, la prévisibilité
et l’uniformité des solutions »551. Cependant, les indications données quant à la loi applicable
ne sont pas des règles s’imposant au juge552. Ainsi les critiques applicables à la doctrine le
sont tout autant à l’égard des textes553.
234. Une réglementation insuffisamment respectueuse de la neutralité du droit
des conflits de lois. L’idée d’une méthode conflictuelle basée sur les liens plus étroits peut en
tant que telle être considérée comme un mécanisme neutre dont l’analyse passe par une
observation concrète de la situation litigieuse et des liens significatifs qu’elle entretient avec
la loi applicable. Néanmoins, au regard de la réglementation américaine, il semble que cette
méthode ne puisse en réalité être neutre. En effet, si la mise en place d’une liste prédéterminée

548
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
549
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 186.
550
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
551
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 186.
552
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
553
M. Attal et A. Raynouard, Droit international privé, Tome 1 : « Principes généraux », Larcier, 2013, § 668 :
« Le Restatement Second a donc pris en compte les méthodes américaines, sans aller jusqu’à les consacrer sous
leur forme pure. Sur cette base, chaque Etat fédéré a pu décider d’adopter intégralement ces principes, ou les
amender. Aujourd’hui, la situation n’est donc absolument pas homogène : certains Etats continuent d’appliquer
des règles de conflit de lois que l’on pourrait qualifier d’européennes ; d’autres ont résolument opté pour une
conception américaine des conflits de lois ; d’autres enfin consacrent des solutions mixtes ».

136
de facteurs de rattachement est suggérée, il apparaît que ceux choisis par le second
Restatement favorisent les intérêts privés mais aussi les intérêts publics en ce que sont pris en
compte, au même titre, les intérêts et la politique de l’Etat. Finalement, n’est plus très loin la
doctrine des intérêts gouvernementaux. Une nouvelle fois, la pratique démontre qu’il semble
presque utopique de penser que la méthode applicable au droit des conflits de lois puisse un
jour être neutre, et donc universelle. De plus, d’après le droit positif américain, le juge n’étant
pas tenu par les indications données quant à la loi applicable, la mise en œuvre de toute règle
de conflit pourrait être arbitraire et conduire à des résultats bien différents selon le juge saisi.
Ainsi, s’il faut soutenir la théorie des liens les plus étroits, il faut en rejeter son application
actuelle. C’est pourquoi sa réception et son application en Europe ont été moindres.

b) L’avènement des liens les plus étroits dans le droit positif européen
235. L’intégration européenne des liens les plus étroits en tant que correctif. Si la
méthode de la proper law a connu un réel retentissement aux Etats-Unis, cela n’a pas été le
cas en Europe. Contrairement aux autres doctrines américaines, seule cette doctrine a été
reçue en Europe, bien que « l’étude du droit positif révèle que la proper law ne s’est que très
rarement élevée au rang de principe général de solutions du conflit de lois », « elle se présente
sous la forme d’un correctif apporté à tel ou tel rattachement, lorsque ce rattachement se
révèle trop éloigné des circonstances de la cause »554.
En France, la réception de cette doctrine est inégale en droit des conflits de lois, elle a
connu un certain succès en droit des obligations mais n’a jamais réussi à intégrer le champ
d’application du statut personnel555. En revanche, en droit européen, il est notable que les
liens les plus étroits ont su intégrer le champ d’application des règlements européens en
matière de conflit de lois mais pour être davantage un correctif qu’un principe général. Tel est
notamment le cas du règlement Rome I en son article 4, lequel prévoit à la fois une clause
d’exception ainsi que le rattachement aux liens les plus étroits556. Le même procédé a été
employé avec le règlement Rome II en son article 4557. Finalement, tout comme en droit des
conflits de lois français, le rattachement des liens les plus étroits est utilisé en tant que
correctif en matière de conflits de lois, et principalement à l’égard des actes et faits juridiques,

554
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 193.
555
Ibid.
556
Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, Rome I.
557
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles, Rome II.

137
puisque tout comme en droit des conflits de lois français, ce correctif n’a pas atteint le statut
personnel.
236. Un rattachement subsidiaire politisé. Quoi qu’il en soit, les liens les plus étroits
n’ont pu acquérir une portée générale 558 , mais sont bien intégrés aux règles de conflit
européennes dans certains domaines de manière subsidiaire. Ceci semble justifié en ce sens
qu’en l’absence d’encadrement strict, il pourrait conduire à toute sorte de résultats, ce qui
serait contraire à toute prévisibilité juridique. Néanmoins, le fait de retenir ce type de
rattachement, en tant que rattachement subsidiaire, est probablement issu d’une volonté de
permettre la compétence du juge ou de la loi européen(ne). En effet, dès lors que la
compétence d’un Etat tiers est retenue, elle pourrait facilement être évincée par le recours à ce
rattachement subsidiaire lequel ne fait l’objet d’aucun encadrement. Il est donc difficile de
considérer que le recours à ce type de rattachement soit exempt de toute aspiration politique
ou du moins étatique à ce jour. Ainsi, si la méthode des liens les plus étroits pourrait s’avérer
être une méthode neutre, elle est aujourd’hui l’outil de politiques législatives, en l’occurrence
européennes.

§ 2 – L’EDIFICATION D’UNE METHODE SUBSTANTIELLE UNILATERALE EXEMPTE DE


NEUTRALITE

237. L’avènement au XXème siècle des nouvelles doctrines américaines a conduit à


envisager le droit des conflits de lois différemment en droit positif mais demeurant étranger
aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. En effet, la promotion d’un système
substantiel a provoqué le rejet de la méthode classique bilatérale (A), et conséquemment, la
mise en place d’une méthode moderne unilatérale orientée par la recherche d’un résultat
substantiel (B).

A. LE REJET DE LA METHODE BILATERALE CLASSIQUE AU REGARD DE SES


IMPERFECTIONS

238. L’apparition de la doctrine américaine n’est pas le fruit du hasard. Cette doctrine
a notamment été qualifiée de révolution américaine en ce qu’elle consistait à proposer une
nouvelle doctrine en remettant totalement en cause la méthode classique. Pour cela, la

558
Voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 346 :
« Aujourd’hui, le bilan de la révolution réaliste américaine tend à se réduire à la formulation de solutions
qu’aurait pu apporter l’affinement du raisonnement conflictuel, lequel n’est pas dépourvu au demeurant d’une
forte dimension fonctionnaliste ».

138
doctrine américaine a avancé que cette dernière était d’une part trop rigide (1), et d’autre part
trop carencée, notamment par manque d’adaptation et d’unification (2).

1) La rigidité du système classique bilatéral


239. Les Etats-Unis, tout comme l’Europe, ont construit leur système sur la base de la
méthode conflictuelle classique. Plus particulièrement, au XXème siècle, le premier
Restatement de 1934, sous l’impulsion de Beale était fondé sur la théorie des droits acquis, ou
plus précisément des vested rights559 . La réaction moderne est alors due au rejet de cette
méthode classique fondée sur la théorie des droits acquis, considérant qu’il s’agit d’un
système général et abstrait (a), mais également d’un système automatique (b).

a) L’exclusion d’un système général abstrait


240. Le rejet des caractères général et abstrait du bilatéralisme savignien. La
doctrine américaine a justifié le rejet de la doctrine classique en considérant tout d’abord que
celle-ci « formulait des règles trop générales et trop abstraites pour permettre de donner, dans
chaque cas concret, la solution la mieux adaptée » 560 . En effet, le système conflictuel de
l’époque, construit sur la base de la théorie des statuts, se traduisait par la mise en place de
règles qui « désignent une loi et une seule, puisque le problème est au fond celui de l’Etat
compétent pour créer des droits et obligations entre les particuliers » ; et « cet Etat est, suivant
un principe territorialiste, celui sur le territoire duquel s’est déroulé le dernier événement
nécessaire à la création du droit » 561 . Par conséquent, « les règles ainsi posées sont de
structure typiquement savignienne ; elles associent un rattachement à une catégorie et
conduisent indifféremment à l’application de la loi du for ou d’une loi étrangère, sous la
réserve de l’ordre public »562 ; d’où le caractère général. Le caractère abstrait se traduisait
quant à lui en l’absence de prise en compte de la situation factuelle concrète. En effet, un
rattachement unique est choisi pour telle ou telle catégorie de rattachement sans que soit pris
en compte d’autres facteurs de rattachement qui pourraient légitimement être rapportés à la
situation litigieuse.
241. La préférence a priori justifiée pour une analyse concrète. La réaction de la
doctrine américaine a donc consisté à évincer une théorie générale et abstraite, car considérée

559
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
560
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 186.
561
B. Audit, Ch. I, S. I « Les conflits de lois au milieu du XXème siècle », in « Le caractère fonctionnel de la
règle de conflit », RCADI, 1984, vol. n°186, p. 231 et s.
562
Ibid.

139
comme inadaptée en ce qu’elle ne peut promouvoir une solution adaptée à chaque situation
litigieuse563. La critique semble justifiée puisque, a priori, la méthode conflictuelle classique
s’est construite davantage sur de vieilles aspirations promouvant davantage les intérêts de
l’Etat que ceux des particuliers. Par conséquent, la méthode conflictuelle classique peut être
rejetée sur cette base. Néanmoins, admettre que le rattachement à substituer devait être celui
des liens les plus étroits basés sur une analyse purement concrète de la situation
litigieuse n’est qu’une réponse partiellement adaptée puisqu’elle constitue un facteur
d’imprévisibilité juridique, ce qui n’est pas le cas de la méthode classique564. Il conviendrait
sûrement de réadapter la méthode conflictuelle classique sur la base de considérations
conformes à la nature du droit des conflits de lois et d’intégrer le caractère concret de la
situation litigieuse dans la construction de la règle de conflit. Pour autant, ce n’est pas ce que
préconise la doctrine américaine. En sus, elle rejette la méthode classique en ce qu’elle
s’illustre comme automatique.

b) Le refus de toute automaticité du système classique


242. L’exclusion de solutions mécaniques. La doctrine américaine, poursuivant son
raisonnement, se prononçait également en faveur du rejet de tout système de droit des conflits
de lois automatique c’est-à-dire tout système dans lequel les solutions du conflit de lois
seraient mécaniques. En effet, « ils (critiquaient) la rigidité de la méthode syllogistique en
565
vigueur » . Plus précisément est repoussée la rigidité excessive du raisonnement
syllogistique consistant d’une part à qualifier la situation internationale par référence à une
catégorie de rattachement et d’autre part à appliquer la règle de conflit correspondant à cette
dite catégorie de rattachement566. Ainsi, « le juge est prisonnier de la rigueur du syllogisme »
et « à partir du moment où les prémisses ont été posées, la conclusion est inéluctable ». Par
conséquent le raisonnement juridique a consisté nécessairement en « une loi donnée qui est
toujours la même dans un domaine donné »567.

563
Voir en ce sens : M. Attal et A. Raynouard, op. cit., § 658 : « Le point de départ consiste à pointer du doigt le
fait que la méthode savignienne se préoccupe uniquement d’ordre juridiques, de législations nationales prises en
de manière abstraite, pour décider à laquelle une situation concrète doit être soumise. A aucun moment, il n’est
question des contenus desdites lois nationales. Pourtant, les différences de contenus peuvent changer la solution
du tout au tout ».
564
Cf. supra § 162 et s.
565
B. Audit, Ch. I, S. II « Les éléments de la crise », op. cit., p. 241 et s.
566
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 187.
567
Ibid.

140
243. D’un automatisme abstrait à un substantialisme concret. En outre, la doctrine
américaine était donc favorable à un raisonnement moins mécanique prenant en compte la
solution au fond. Par conséquent, elle a favorisé une appréciation in concreto de la situation
internationale en préconisant « la recherche d’une solution pragmatique au conflit de lois »568.
Une telle démarche est légitime en ce que la recherche d’un résultat substantiel peut conduire
à la prise en compte des intérêts du sujet de droit. Cependant, cette démarche conduit d’une
part à l’arbitraire du juge et à l’aléa des solutions, et d’autre part à promouvoir toute sorte
d’intérêts dont ceux de l’Etat. Il aurait sans doute été mieux de conserver la méthode
classique, en principe neutre, et fondée sur cette idée de syllogisme. Pourtant la doctrine
américaine semble convaincue du contraire considérant que ce système constitue un obstacle
à toute adaptation et unification du droit des conflits de lois.

2) Les carences imputables au système classique : adaptation et unification


244. Outre la rigidité imputable au système classique, la doctrine américaine s’est
efforcée de démontrer que celui-là était inadaptable aux solutions, et par conséquent ne
prenait pas en compte les intérêts en présence dans chaque situation (a). De plus, elle en a
déduit que ce manque d’adaptation et cette rigidité de raisonnement conduisaient
inévitablement à une impossible unification des solutions, celles-ci étant fonction des
catégories de rattachement internes (b).

a) La malheureuse absence d’adaptation des solutions à la situation litigieuse


245. Le rejet de la rigidité du système bilatéral savignien. De la rigidité du
syllogisme, la doctrine américaine a avancé que la méthode classique était inadaptée en ce
qu’elle « interdit au juge de s’interroger suffisamment sur le point de savoir si la règle de
conflit qu’il applique est ou non adaptée au cas concret qu’il doit résoudre » 569 . C’est
pourquoi la doctrine américaine s’est efforcée de créer une nouvelle méthode qualifiée de
fonctionnelle. Cette doctrine américaine a donc proposé de considérer « qu’à la désignation
d’un ordre juridique par une règle de conflit, on tend(e) à substituer une évaluation des règles
de fond en présence, en vue d’une réglementation satisfaisante de la situation concrète »570.
Ainsi, les théoriciens américains, et notamment Currie, ont admis qu’il convient d’appliquer

568
B. Audit, Ch. I, S.II « Les éléments de la crise », op. cit., p. 241 et s.
569
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 187.
570
B. Audit, Ch. I, S. II « Les éléments de la crise », op. cit., p. 241 et s.

141
la loi de l’état dont le droit substantiel conduira au meilleur résultat 571 . Finalement, cela
revient à dire que la loi applicable à la situation litigieuse doit être la loi la plus adaptée au
résultat substantiel recherché. Cependant, une fois encore, cette méthode peut conduire
indéniablement à la promotion des intérêts de l’Etat du juge saisi.
246. La remise en cause de la neutralité issue du bilatéralisme savignien. Or,
contrairement à la méthode classique, l’adaptation des solutions permettrait de mettre fin à
l’application indifférente de la loi du for et de la loi étrangère pour conduire à une application
privilégiée de la loi du for. Finalement, si la méthode savignienne semble contestable sur le
plan de la neutralité en raison de sa construction historique, elle l’est toujours plus que la
méthode contemporaine américaine qui laisse la porte ouverte à une application exclusive de
la loi du for aux mains du juge. Pourtant, outre l’inadaptation des solutions invoquées par la
doctrine américaine, celle-ci a également établi que la méthode classique empêche toute
unification des solutions.

b) L’impossible unification des solutions sur le plan international


247. Le rejet du bilatéralisme en l’absence d’unification du droit. De la rigidité du
système classique et de son inadaptation aux situations juridiques, la doctrine américaine en a
conclu que celui-ci ne permettra jamais d’aboutir à une unification des solutions sur le plan
international. En effet, à raison de la qualification lege fori, la doctrine américaine en a
critiqué son procédé considérant que « les catégories de rattachement voient leurs contours
précisés en fonction des catégories du droit interne et que les qualifications puisent leurs
racines dans la nature juridique des institutions dans ce même droit interne ». Elle a donc
relevé que cette référence automatique conduit nécessairement à une impossible unification
du droit international.
248. L’inatteignable unification du droit par les méthodes américaines. Pour
autant le recours à la méthode contemporaine classique ne permet pas davantage l’unification
des solutions. En effet, si le juge détermine la règle de droit en fonction du résultat substantiel,
la question de la qualification serait en quelque sorte un préalable à supprimer puisque
finalement seul compterait le résultat substantiel. Par conséquent abolir une telle étape
pourrait a priori conduire à une unification des solutions, mais en réalité tel ne serait pas le
cas. Cela conduirait seulement à une unification de méthode, ce qui était déjà le cas avec la
méthode classique, mais en aucun cas à une unification de résultat. Dans la mesure où le juge

571
G. Kegel, Part. I, Ch. IV, « Currie’s predecessors », op. cit., p. 110 et s.

142
va déterminer la loi la plus adaptée à la situation litigieuse, ce choix pourra varier d’un Etat à
l’autre, ne créant donc pas une unification du droit 572 . Par conséquent, l’argument est
totalement contestable en ce que l’unification du droit ne peut être reconnue que sur le plan
méthodologique que l’on utilise la méthode classique ou contemporaine.
249. La neutralité mise à mal tant par le bilatéralisme savignien que par le
substantialisme américain. En outre, les arguments utilisés par la méthode contemporaine
pour contrer le système classique lui sont tout aussi imputables et permettent de considérer
que l’un comme l’autre, que ce soit dans un raisonnement syllogisé ou dans un raisonnement
a priori, sont dépourvus de neutralité puisque les intérêts de l’Etat s’y retrouvent ou bien en
amont ou en aval. Pour autant, la doctrine américaine s’est convaincue qu’il fallait
promouvoir cette nouvelle méthode adaptable et concrète et qui pour autant n’est pas facteur
d’unification.

B. LA MISE EN PLACE D’UNE METHODE UNILATERALE CONCRETE OPPOSEE A


L’UNIFICATION DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

250. Afin de révolutionner le droit des conflits de lois, et pour parer à la rigidité et aux
carences de la théorie classique, la doctrine américaine a donc choisi d’opter pour un système
d’analyse concrète permettant ainsi de créer un système adapté et adaptable conformément à
la tradition anglo-saxonne (1). Cependant, il s’est avéré que ce nouveau système, s’il a
effectivement contrecarré la méthode classique, n’a pas permis de créer un système de droit
des conflits de lois harmonisé, mais a plutôt favorisé un système unilatéraliste (2).

1) La remarquable souplesse d’un système d’analyse concrète


251. La doctrine américaine a mis en place une nouvelle méthode conflictuelle que
l’on pourrait qualifier de système d’analyse concrète. Cependant, ce dernier est le fruit de la
tradition anglo-saxonne et plus précisément des pays de common law (a). Ainsi, cette méthode
n’est que la traduction de la technique juridique de ces pays, laquelle se traduit par une
volonté de souplesse en créant un système à la fois adapté et adaptable (b).

572
Voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 221 : « Le grief qu’en courant
pareillement ces diverses méthodes est leur inaptitude à être généralisées. Elles ne sauraient donc se substituer au
procédé classique de la règle de conflit, conçu comme un mode de sélection d’un ordre juridique. Mais elles
peuvent constituer d’utiles compléments ou tempéraments à ce procédé pour corriger les excès d’une démarche
purement abstraite ».

143
a) La création d’une méthode concrète au regard de la tradition juridique des pays
de common law
252. La consécration de la tradition anglo-saxonne par les doctrines américaines.
Le système moderne proposé par la doctrine américaine est le fruit de la tradition historique et
politique. Ainsi, il est issu de la tradition anglo-saxonne régnant aux Etats-Unis 573 . Par
conséquent, la méthode moderne repose donc sur « l’induction, le pragmatisme et
l’intuitionnisme » alors que la méthode classique, et plus exactement européenne, repose sur
« la déduction, le dogmatisme et le cartésianisme » 574 . En réalité, on peut transposer de
nouveau l’idée selon laquelle les pays civilistes et les pays de common law ne peuvent adopter
une méthode identique dans la mesure où leur tradition est différente. En effet, il ne faut pas
omettre que « les méthodes proposées pour remplacer les règles de conflit ont été conçues
dans le contexte des conflits interétatiques américains »575. Par conséquent, cette différence de
tradition s’est traduite par une « différence de technique juridique ». Pour reprendre les propos
des Professeurs Bernard Audit et d’Avout, les pays civilistes énoncent « le droit sous forme
de propositions générales, sans s’engager trop loin dans l’examen des difficultés
particulières » et se satisfont « d’une règle qui énonce un rattachement pour une catégorie
assez vaste et dont on pense pouvoir tirer la solution d’un cas donné par voie déductive »,
tandis que le pays de common law, « attachés à apporter une solution juste et rationnelle à
chaque cas d’espèce, ne se satisfont pas de cette généralité et préfèrent s’engager dans une
analyse approfondie de chaque cas en fonction de ses données propres » 576 . La doctrine
moderne s’est donc emparée de la tradition anglo-saxonne, laquelle est « réaliste et empiriste :
elle s’attache à déceler ce que font les tribunaux, au travers de ce qu’ils déclarent faire ; elle
voit dans le droit un instrument des relations sociales, obéissant à des politiques et
poursuivant certaines finalités »577.
253. Le retour de méthodes fonction d’identités politiques. Finalement, si la
doctrine moderne est en rupture avec la méthode classique au regard de son caractère abstrait,

573
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits acquis », op.
cit., p. 425 : « au XIXème siècle, à l’instar de la doctrine continentale, le droit anglo-américain considérait
comme étant indissociables le domaine de la loi et la sphère de la souveraineté qui l’édicte, et conférait par-là
même à la règle de conflit la fonction de répartir les souverainetés législatives ; En même temps, cette notion
exprime la profonde influence de la tradition juridique particulières des pays de Common law sur la structure de
leur droit international privé ».
574
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 185.
575
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 187.
576
Ibid.
577
B. Audit, Ch. I, S.II « Les éléments de la crise », op. cit., p. 241 et s.

144
elle l’a en réalité rejetée en raison de différences culturelles et historiques. Par conséquent,
une nouvelle fois, le droit des conflits de lois, ou plutôt ses méthodes sont fonction d’une
identité politique, historique et culturelle propre à chaque ordre juridique. Aucune méthode ne
serait alors neutre et la création du nouveau système américain en atteste.

b) Une méthode fonctionnelle synonyme de variabilité


254. Une méthode fonctionnelle. Pour « toutes ces doctrines, le point commun est de
faire varier la solution du conflit en fonction du contenu matériel des règles en conflit »578 et
ceci en passant par une analyse concrète de la situation internationale en présence. En effet,
on qualifie ces doctrines de « fonctionnelles » considérant que « la méthode des conflits de
lois » doit avoir comme but « de permettre une solution satisfaisante dans chaque litige pris
individuellement »579 ; et de telles solutions doivent être recherchées et trouvées par le biais
d’une analyse réaliste de la situation factuelle avec les politiques des Etats en cause580. En
d’autres termes, la doctrine américaine a préconisé une appréciation in concreto par les
juridictions, afin que toute loi déclarée compétente soit la plus adaptée à la situation.
255. Une méthode casuistique. Cette doctrine conduit à mettre en place une méthode
au cas par cas fondé sur les intérêts, ou du moins sur les résultats substantiels, visés par la
juridiction en cause. Par conséquent, cette méthode ne permet pas du tout de s’extraire des
considérations étatiques, il s’agit toujours d’une méthode encadrée par la promotion d’intérêts
publics, qui est soi-disant orientée par un résultat substantiel en faveur des intérêts privés. Or,
l’absence d’encadrement conduit à une variabilité de solutions en ce que les juridictions sont
libres de choisir entre une méthode quantitative ou qualitative, leur permettant de donner au
rattachement qu’elles souhaitent une valeur supérieure aux autres.
256. Une méthode orientée par les intérêts étatiques. La doctrine américaine n’a
donc préconisé qu’une approche alternative à la méthode classique mais ne résout en rien les
problèmes de fond de celle-ci, problèmes touchant en tout et pour tout uniquement à
l’encouragement des intérêts de l’Etat. Le problème demeure que chaque système juridique
promeut les intérêts de son propre Etat. En outre, si cette méthode est facteur d’adaptation des
solutions, elle est en revanche facteur d’inadaptation à une échelle mondiale.

578
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.
579
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 188.
580
A. A. Ehrenzweig, op. cit., s. 38, p. 89.

145
2) Un système exempt de l’objectif d’unification du droit
257. La technique juridique utilisée par la doctrine américaine, à savoir l’intégration
du résultat substantiel dans la méthode conflictuelle, a, contrairement à la fonction du droit
des conflits de lois, créé un système fragmenté. En effet, en recourant à une appréciation in
concreto, le système conflictuel devient une justice au cas par cas empêchant toute unification
des règles du droit des conflits de lois et conduisant à un certain isolement (a). Ainsi, le droit
des conflits de lois n’est pensé qu’au regard des intérêts de l’Etat du for c’est-à-dire de
manière unilatéraliste (b).

a) De solutions casuistiques à l’inexistence d’un système commun


258. Une méthode contraire à l’égalité de traitement des situations
internationales. Hormis le fait que la méthode au cas par cas conduise le juge à promouvoir
les intérêts de tel ou tel Etat, il en ressort surtout une variabilité des solutions. Cette
variabilité, qu’elle soit d’un Etat à l’autre, ou entre Etats fédérés comme aux Etats-Unis
conduit à un simple constat. Cette méthode rend impossible une unité de solutions et
indirectement conduit, à raison de cette imprévisibilité juridique, à une absence d’égalité dans
le traitement des sujets de droit. Concrètement si la méthode en tant que telle est
universalisable en ce que tout juge pourrait déterminer la loi applicable en fonction de
l’analyse concrète de la situation et du résultat substantiel visé, il n’empêche qu’aucune
harmonisation des règles du droit des conflits de lois ne pourra être menée. Cela conduirait, en
l’absence d’encadrement, à une justice au cas par cas, fonction de l’arbitraire du juge et
favorisant nécessairement la fraude. En effet, tout sujet de droit ferait en sorte de saisir le juge
qui lui permettra d’atteindre le résultat substantiel qu’il recherche.
259. Une méthode isolationniste. Par conséquent, il semble que la critique adressée à
la doctrine classique en ce qu’elle empêche toute unification à raison de l’emploi d’un
système de qualification lege fori581, puisse être retournée à la doctrine moderne également.
Comme l’ont affirmé Niboyet et Pillet à propos du caractère national des règles de conflits de
lois, « la détermination de la loi compétente ne peut pas être connue a priori », « elle dépend
du tribunal compétent, c’est-à-dire du pays où la question se pose et où le procès s’engage » et
« il en résulte beaucoup d’incertitudes dans les relations juridiques »582. Il s’agit donc bien

581
Cf. infra § 1063 et s.
582
A. Pillet et J.-P. Niboyet, Manuel de droit international privé, Recueil Sirey, 2ème fasc., 1924, § 298.

146
d’une méthode contraignant à un isolement du système de droit des conflits de lois. C’est
pourquoi cette doctrine a pu être qualifiée d’unilatérale.

b) La méthode fonctionnelle anglo-saxonne équivalente à l’unilatéralisme


260. L’assimilation du fonctionnalisme à l’unilatéralisme. L’adoption d’une telle
méthode a conduit à démontrer une impossibilité d’unification des solutions de conflit de lois
et une importante prise en compte des intérêts de l’Etat dans le choix de la solution du conflit
de lois. En outre, cela signifie qu’une telle proposition engendre un privilège à l’égard de
l’application de la loi du for, et donc implicitement, une préférence pour l’approche
unilatéraliste583. En effet, comme l’a affirmé le Professeur Bernard Audit, il s’agit d’« une
sorte de retour à l’unilatéralisme, c’est-à-dire à une méthode qui part de la loi pour déterminer
les situations entrant dans son champ d’application » 584 . Or, l’unilatéralisme est en totale
rupture avec la méthode classique bilatérale. Il conduit à ne se soucier que de la loi du for et
indirectement des intérêts de l’Etat du for. Par conséquent, il semble que cela ne soit pas dans
l’intérêt des sujets de droit que de bâtir un tel système, ou du moins ça ne l’est que pour les
sujets de droit du for. Par conséquent, aucune neutralité ni égalité de traitement ne peuvent
être espérées, puisque seuls les ressortissants de l’Etat du for sont visés par ce système, lequel
crée un cloisonnement total.
261. Neutralité et égalité de traitement exclues. Pour reprendre les propos de
Batiffol et du Professeur Lagarde, il convient donc de s’interroger « sur la constitutionnalité
d’une méthode qui rompt à ce point l’égalité entre la loi du for et les lois étrangères »585. En
effet, une telle méthode, en l’absence d’encadrement, est purement orientée vers le for c’est-à-
dire vers l’unilatéralisme et conduit à faire abstraction de toute neutralité dans l’élaboration de
la règle de droit des conflits de lois. En d’autres termes, la doctrine américaine s’est voulue

583
Voir en ce sens : F. Rigaux, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale :
Cours général de droit international privé », RCADI, 1989, vol. n° 213, § 89 : « Pour bien comprendre
l'unilatéralisme doctrinal, purement théorique — car il ne trouve appui ni dans la jurisprudence ni dans la
pratique législative ou conventionnelle — d'une poignée d'auteurs, il faut d'abord retourner aux sources
américaines d'une méthode qui, en droit international privé, opère un total renversement de la démarche suivie
par Savigny. Au lieu de localiser le rapport de droit pour déterminer la loi qui y est applicable, il y a lieu de partir
de la loi et de rechercher à quelles situations l'auteur de la norme entend que celle-ci s'applique. Au rattachement
de la situation particulière est substituée la détermination du domaine d'application de la loi dans l'espace,
compétence connexe au choix de la solution de droit matériel et qui serait exercée par chaque législateur, tel un
prolongement de sa compétence matérielle. Les règles de conflit de la lex fori se bornent à désigner les
catégories de situations auxquelles sont applicables les dispositions matérielles de la même loi, tandis que les lois
étrangères ne doivent être appliquées que pour autant qu'elles s'attribuent à elles-mêmes pareille compétence ».
584
B. Audit, Ch. I, S.II « Les éléments de la crise », op. cit., p. 241 et s.
585
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-1.

147
révolutionnaire parce qu’elle a donné à la méthode du droit des conflits de lois un caractère
concret et adapté. Cependant, les critiques émises par cette doctrine à l’encontre de la
méthode classique, bien que justifiées, n’ont pas permis d’aboutir à un système plus
performant en termes de neutralité et d’universalisation de la méthode.
262. L’avancée majeure du rattachement aux liens les plus étroits. Néanmoins le
rattachement aux liens les plus étroits est pertinent puisqu’il semble répondre à un traitement
des situations juridiques neutre et conforme aux intérêts privés. La difficulté reste de
déterminer son encadrement. C’est pourquoi si la doctrine américaine n’est pas parvenue à
résoudre les imperfections de la méthode classique, elle a tout de même permis d’envisager le
droit des conflits de lois de manière plus concrète, ce qui est indispensable pour assurer une
égalité de traitement des sujets de droit.
263. L’absence de méthode neutre et égalitaire en droit positif. Finalement, au
regard des différents mouvements doctrinaux modernes, il apparaît que la discipline du droit
des conflits de lois n’est pas parvenue à créer une méthode neutre et égalitaire. En effet,
chaque méthode est tributaire d’un contexte historique, politique et culturel. Ainsi, comme l’a
affirmé le Professeur Muir-Watt, « politiquement, l’universel libéral se heurte à la relativité
culturelle ; sa neutralité est contestée pour des raisons structurelles ; l’égalité qu’il affiche
n’est que très partielle » 586 . Néanmoins, les doctrines contemporaines permettent de
déterminer quels sont les éléments qui doivent nécessairement être investis dans la
construction du système de droit des conflits de lois pour répondre à la nature même du droit
des conflits de lois.
264. Les préalables à une méthode neutre et égalitaire. Ainsi, toute méthode
applicable au droit des conflits de lois doit avoir pour objet de garantir de prime abord les
intérêts privés dans la mesure où elle solutionne des conflits de compétences législatives,
lesquels constituent des conflits d’intérêts particuliers. Cependant, pour garantir les intérêts
privés, il convient d’organiser un système parfaitement neutre c’est-à-dire dont l’objet
consiste simplement à résoudre le conflit de lois au regard de la situation litigieuse. Autrement
dit, toute dimension substantielle doit être évincée de la résolution de ce conflit. Il s’agit du
préalable à tout universalisme, lequel constitue lui-même le prérequis à une égalité de
traitement des sujets de droit. En effet, ce dernier aspect constitue un des objectifs de la

586
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes de droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 141.

148
justice du droit des conflits de lois, puisque celle-ci ne peut garantir un résultat matériel, mais
bien un résultat structurel consistant à déterminer conformément à chaque situation quelle est
la compétence législative valable. En sus, les doctrines contemporaines apprennent donc à
envisager le droit des conflits de lois au regard de sa vocation propre en adoptant une
idéologie universaliste mais en maintenant une idéologie réaliste grâce à une approche
concrète de chaque situation litigieuse.

149
150
CONCLUSION DU CHAPITRE I :
265. La construction historique du droit des conflits de lois confrontée à la
neutralité et à l’égalité de traitement. L’étude des diverses origines du droit international
privé, qu’elles soient traditionnelles ou contemporaines, permet de considérer sur quelles
bases la matière a été édifiée afin de déterminer ce qui doit être exclu, et ce qui doit être
maintenu pour garantir un traitement neutre et égalitaire des situations internationales. Par
conséquent, il est permis de considérer que la construction de la méthode en droit des conflits
de lois a été l’objet de différents contextes politique, économique, culturel et historique. Elle
se divise donc par la multitude d’identité culturelle qui compose la société internationale587.
266. L’incompatibilité du souverainisme avec la nature de la discipline. Les
racines traditionnelles du droit international privé sont, en raison de la difficile scission avec
le droit international public, essentiellement souverainistes. Cependant, si ces racines ont
perduré dans le temps, elles ne sont pas conformes à la nature du droit international privé, et
spécialement du droit des conflits de lois. En effet, cette matière a pour vocation de traiter
avant tout du sort des particuliers puisqu’il est question d’un conflit de compétences
législatives propre aux intérêts particuliers. C’est donc, en principe, au droit international
public que revient le rôle de garantir les intérêts de l’Etat. C’est pourquoi les anciennes
considérations au fondement du droit international privé devraient être évincées pour élaborer
un système conforme à la nature même de la discipline. De plus, il apparaît que ce sont bien
ces aspirations qui empêchent la construction d’un système international puisque chaque Etat
cherche à faire prévaloir ses intérêts. Ainsi, il convient d’extraire de la méthode du droit des
conflits de lois les doctrines archaïques défendues durant la période de l’Ancien Régime dans
la société internationale.
267. L’exclusion de tout système objet de traditions ou cultures juridiques.
Néanmoins, les doctrines plus récentes, si moins influencées par les intérêts de l’Etat et plus
conformes à la nature de la matière, ne répondent également pas à une approche en

587
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 311, laquelle expose
notamment que : « il faut accepter de faire un détour intellectuel par la question lancinante de l’identité
culturelle. Sous-jacentes en effet aux discussions et crispations sur le pluralisme, sont celles qui opposent aussi
bien différentes utilisations de la culture que diverses facettes de la politique identitaire. Ethno-nationalisme,
communautarisme, essentialisation : des reproches fusent encore mutuellement de part et d’autre de l’échiquier
politique et divisent par ailleurs les sciences sociales. Or, alors même que l’identité culturelle n’est pas une
catégorie juridique, le droit est profondément affecté à son tour par la double évolution, culturelle et identitaire,
qui traverse les champs voisins » et « le droit international privé ne reste pas à l’écart de ces débats ».

151
adéquation avec la justice du droit des conflits de lois. En effet, les mouvements doctrinaux
contemporains se sont davantage adaptés à la nature de cette discipline afin de faire prévaloir
les intérêts des particuliers. Cependant, aucun système proposé n’a permis de créer un
dispositif viable à l’échelle internationale. La raison tient au fait que tous les systèmes qui ont
été proposés, qu’ils soient plutôt abstraits ou concrets, ont été conceptualisés sur la base de
traditions juridiques ou de cultures identitaires. Par conséquent, aucune méthode n’a été
construite en toute neutralité, mais en fonction de considérations substantielles propres. Or,
tant qu’aucun système de droit des conflits de lois ne sera édifié en toute impartialité c’est-à-
dire indépendamment de toute politique matérielle, aucune méthode ne pourra devenir
universelle.
268. La neutralité de la méthode préalable à l’égalité de traitement. Il serait
regrettable qu’aucune méthode en droit des conflits de lois ne puisse tendre à l’universalisme
car il s’agit de l’essence même de ce droit. Effectivement, la justice conflictuelle a pour objet
de déterminer le champ d’application dans l’espace des lois en présence en recourant à une
méthode garante d’un traitement égalitaire des situations juridiques internationales. Par
conséquent, l’étude des différents mouvements doctrinaux amène à considérer que la méthode
applicable au droit des conflits de lois doit être neutre pour parvenir à instaurer une égalité de
traitement entre sujets de droit placés dans une situation équivalente. Pour autant, cela ne
signifie pas qu’il faille mettre de côté toutes les doctrines existantes. Il est en effet pertinent de
retenir les principes de certaines d’entre elles. Il conviendra simplement de les adapter pour
évincer toutes les difficultés qu’elles engendrent et pour garantir la neutralité de la
méthode588. En effet, pour reprendre les propos du Professeur Lequette, « l’histoire apparaît
comme le conflit indéfini des instincts et des intérêts individuels ; mais le conflit de tous
contre tous a pour résultat paradoxal de limiter les instincts et intérêts de chacun par ceux de
tous les autres, de fournir à la raison l’occasion de manifester le côté sociable de l’homme et
d’aboutir à une stabilité de fait qui s’exprime dans la société civile et le droit qui la régit …
Grâce à sa dépendance à l’égard d’une législation civile, la liberté de l’individu ne peut pas
être la liberté du « faire ce qu’on veut mais se trouve orientée vers sa vraie vocation, qui est

588
Cf. infra § 632 et s., et plus spécialement § 692 et s.

152
l’universalité du bien commun » »589. C’est pourquoi, la recherche de l’universalisme de fait
doit demeurer la ligne directrice du droit des conflits de lois.
269. L’étude complémentaire des sources du droit. En outre, pour parvenir à
l’établissement d’une méthode neutre, et donc universelle, il est indispensable d’étudier, au-
delà des origines essentiellement doctrinales du droit des conflits de lois, les sources sur
lesquelles se fonde la discipline. En effet, en combinant cette étude avec celles de ses
origines, il sera possible de déterminer parfaitement ce qu’il convient de rejeter, et ce qu’il est
nécessaire de conserver pour permettre une approche neutre et égalitaire des conflits de lois.

589
Y. Lequette, op. cit., § 17 ; reprenant expressément les propos de S. Abou, Culture et droits de l’homme,
Leçons prononcées au Collège de France, mai 1990, Hachette, 1992, p. 94 et 95.

153
154
CHAPITRE II : LE FRACTIONNEMENT DES SOURCES DU DROIT DES CONFLITS DE
LOIS EN RUPTURE AVEC L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS

INTERNATIONALES

270. Les sources du droit des conflits de lois envisagées à l’aune de l’égalité de
traitement. Le droit des conflits de lois, comme toute matière, est encadré par de nombreuses
sources, lesquelles sont fortement variées au regard de leur nature. Or, si le droit des conflit de
lois manque de neutralité eu égard aux fondements juridiques sur lesquels il s’est construit, il
est intéressant de s’interroger aussi sur ses sources. Ainsi, il sera permis de considérer, si en
l’absence de système neutre, la discipline a pu, au regard de ses sources, parvenir à un
traitement neutre, mais surtout égalitaire des sujets de droit.
271. Les sources directes. Comme tout système de droit positif actuel, la discipline
est régie par des sources classiques, lesquelles sont dotées d’un effet direct à l’égard de sa
construction. Effectivement, traditionnellement ces sources sont celles du législateur et de la
jurisprudence, lesquelles tendent à s’installer au niveau international sans pour autant
supprimer toute réglementation nationale (section 1).
272. Les sources indirectes. En outre, d’autres sources, plutôt indirectes, régissent
également la discipline en ce qu’elles exercent sur celle-ci une influence considérable. Il
s’agit tant des autres sources classiques, à savoir la doctrine et la coutume, que de sources
contemporaines, notamment des objectifs internationaux (section 2).

SECTION 1 : DE L’INACHEVEMENT D’UNE REGLEMENTATION INTERNATIONALE


A LA SAUVEGARDE DE REGLEMENTATIONS NATIONALES

273. Classiquement, dans toute matière juridique, deux sources principales sont
admises, le législateur et le juge. En droit international privé, conformément à ces références
traditionnelles, deux sources primordiales se sont développées. Premièrement le droit des
conflits de lois est encadré par la législation, laquelle a une double facette dans la mesure où
elle peut être aussi bien supranationale que nationale (sous-section 1). Deuxièmement la
discipline est traitée par la jurisprudence, laquelle, tout comme son corollaire, est aujourd’hui
aussi bien supranationale que nationale (sous-section 2).

155
SOUS-SECTION 1 : DE L’ECHEC D’UNE LEGISLATION INTERNATIONALE AU
MAINTIEN INEVITABLE D’UNE LEGISLATION NATIONALE

274. Comme dans la plupart des systèmes occidentaux, le droit des conflits de lois, et
plus généralement le droit international privé est principalement fondé sur des sources
textuelles lesquelles émanent du législateur. Cependant, à la suite de divers mouvements
historiques, politiques et juridiques dont a fait objet la matière, deux formes de législation la
régissent. D’une part, à raison d’une véritable volonté de parvenir à une uniformisation du
droit international privé, s’est implantée une législation supranationale (§1). D’autre part, en
raison de leurs vocations premières à exister et perdurer, mais également de l’échec d’une
totale internationalisation des règles de droit des conflits de lois, se sont maintenues les
législations nationales (§2).

§ 1 – LA TENTATIVE D’UNIFICATION DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS PAR LE BIAIS


DE LEGISLATIONS SUPRANATIONALES

275. Le droit international privé et spécialement le droit des conflits de lois, depuis la
fin de l’Ancien Régime, est classiquement régi par des sources autres que nationales. En effet,
dans l’objectif d’une universalisation de ses règles, a été enclenché un nouveau mouvement
conduisant à penser la matière à l’international conformément à sa nature. Ainsi, la discipline
est, aujourd’hui, l’instrument de plusieurs sources supranationales (A) et plus particulièrement
du droit dérivé de l’Union européenne (B).

A. L’APPARITION DE LEGISLATIONS SUPRANATIONALES PAR LA REUNION


D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES

276. Les organisations internationales ont été les actrices d’un nouveau droit
international privé (1). Ces dernières, internationales ou régionales, ont, de surcroît, permis de
créer de nouvelles sources, c’est-à-dire des textes internationaux sur la base desquels le droit
international privé est désormais fondé (2).

1) Le droit international privé supranational embrigadé à l’état de région


277. Depuis le mouvement universaliste impulsé par Mancini et Savigny, diverses
organisations internationales ont été édifiées afin de répondre à l’une des vocations du droit
international privé, à savoir l’unification de ses règles. Pour y parvenir, ont tout d’abord été
créés des organismes à échelle internationale afin de répandre un droit international privé de
la manière la plus extensive qui soit (a). Cependant, il s’est avéré que cette volonté fût
insuffisante pour élaborer un droit international privé mondial notamment en droit des conflits

156
de lois. C’est pourquoi afin de faciliter une telle construction, d’autres organisations
internationales sont apparues, mais cette fois-ci à une échelle régionale (b).

a) L’insuccès des organisations à échelle internationale


278. L’élaboration d’un corps de règles internationales. Depuis l’avènement de la
Conférence de La Haye sous l’impulsion de Mancini, aucune autre organisation internationale
n’a été créée pour résoudre spécialement les règles de droit international privé. Néanmoins,
une autre organisation internationale, à savoir la Commission des Nations unies pour le droit
commercial international, a été édifiée en 1966 dans un but d’harmonisation du droit
commercial international.
De nos jours, la Conférence de La Haye, malgré des échecs à répétition depuis le
XIXème, a contribué à l’élaboration d’un certain corps de règles de droit international privé
sur le plan international. En effet, « dans un effort systématique d’unification des règles de
conflit de lois », « ce n’est véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale que la
Conférence de La Haye (…) a trouvé un second souffle »590. Par conséquent, depuis 1951, les
travaux de la Conférence de La Haye ont abouti à l’adoption de nombreuses conventions,
comme la Convention du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère
international d’objets mobiliers corporels ou encore la Convention du 5 octobre 1961 sur les
conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires591. La Conférence de La
Haye a donc dans une certaine mesure permis d’universaliser la méthode conflictuelle592 à une

590
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 33.
591
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 40.
592
Pour aller plus loin, voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 120 : « Transformée en organisation
intergouvernementale, pourvue d’un bureau permanent, la Conférence de La Haye devint une organisation semi-
ouverte, ce qui conduisit à un élargissement progressif du cercle des Etats participants. Centrée à l’origine
exclusivement sur l’Europe, elle réunit progressivement des pays représentant toutes les parties du monde,
Amérique latine, Amérique du Nord, Asie, Proche-Orient, Maghreb, Pacifique, et appartenant à des familles de
droit différentes, ce qui, on le verra, n’est pas sans influer sur sa démarche. Enfin, manifestation de cette
aspiration à l’universalisme, on constate un abandon de la condition de réciprocité ; les Conventions de La Haye
de deuxième génération revêtent un caractère universel, en sorte qu’elles s’appliquent sans avoir égard au fait
que la loi désignée est celle d’un Etat contractant ou non ».

157
échelle internationale parvenant ainsi à une unité de législation593. Cependant celle-ci n’est
demeurée qu’une utopie.
279. Le cantonnement des règles internationales aux questions pratiques. Si
l’uniformisation internationale a semblé apparaître grâce à la Conférence de La Haye, elle est
en réalité inachevée. Les diverses conventions émanant des travaux de ladite Conférence sont
limitées en ce qu’elles ne concernent que des sujets « d’importance pratique »594. Cet aspect
révèle l’impossibilité d’unifier les règles de conflit sur des questions juridiques qui ne sont
pas pratiques. L’exemple du statut personnel en est le meilleur. La seule difficulté de parvenir
à un accord entre le rattachement au domicile ou à la nationalité suffit à démontrer le
désaccord auquel sont confrontés les Etats réunis au sein de la Conférence de La Haye.
D’ailleurs, les premiers échecs de cette organisation internationale sont en partie dus à ces
controverses doctrinales puisque, opposés à l’inspiration personnaliste dont a émané
l’organisation, les pays de common law, d’inspiration territorialiste, s’en sont tenus à
l’écart595. Tout comme, même entre Etats participants, des « désaccords d’ordre politique et
juridique » ont eu lieu596.
280. Un cantonnement lié aux cultures juridiques des Etats. Ces difficultés
auxquelles tout organisme international en droit international privé est confronté s’expliquent
à raison des différences culturelles, historiques et politiques propres à chaque Etat. Par
conséquent, un lien doit être fait avec les origines du droit international privé puisque celles-ci
vont impacter l’unification de la matière. Ainsi, plus les considérations culturelles d’un Etat
sont effacées, plus l’unification est propice. Ceci a justifié la création de la Commission des
Nations unies pour le droit commercial international. Néanmoins, cette Commission ne traite
à ce jour que du droit commercial et d’aucune autre matière. Grâce à celle-ci, est notamment
apparue la Convention des Nations unies sur la vente internationale de marchandises de 1980
ainsi que d’autres Conventions propres au droit commercial. La nouveauté de cette

593
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 62 : « La conférence de La Haye, dans l’exercice de sa mission, a
indéniablement connu des succès importants. Elle à toucher à tous les domaines du droit, du droit des contrat, au
droit des personnes et de la famille, en passant par le droit des biens, et le droit patrimonial de la famille. Elle a
non seulement œuvré pour l’unification du conflit de lois, mais aussi pour l’unification du conflit de juridictions
et de la procédure internationale. En tout, on dénombre près de quarante conventions à ce jour, dont la destinée a
été plus ou moins favorable, certaines signées par une soixantaine d’Etats tandis que d’autres n’entraient jamais
en vigueur voire même ne recueillaient aucune signature (par ex. : Conv. du 15 nov. 1965 relative à la
concernant la compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière
d’adoption) ».
594
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 33.
595
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 43.
596
Ibid.

158
organisation internationale est la création de règles matérielles et non plus conflictuelles afin
d’unifier le droit international commercial. Il est donc possible de considérer que
l’universalisme préconisé par Savigny a, en quelque sorte, réussi à s’imposer. Il n’en demeure
pas moins que cela se cantonne au droit commercial et que cela ne peut s’étendre à toutes les
autres matières privatistes qui concernent le droit international privé.
281. La création a priori irréalisable d’un système international. Ainsi, comme l’a
affirmé Niboyet, « la méthode du droit conventionnel peut donc consister soit dans
l’unification du droit, soit seulement dans l’élaboration de règles communes destinées à
résoudre les conflits en opposition des législations »597. Le fusionnement des règles du droit
international passe donc nécessairement par la méthode conflictuelle ou la méthode matérielle
envisagée à l’échelle internationale. Cependant à raison des divergences culturelles,
historiques, économiques, politiques, mais surtout doctrinales des Etats, il paraît difficilement
envisageable de créer un système de droit des conflits de lois à l’échelle mondiale. En effet,
« en l’état actuel du monde, avec les différences de races, de civilisation, de besoins
d’expansion ou d’importation, une réglementation totale du droit international privé
conventionnelle et universelle est irréalisable » 598 . C’est pourquoi d’autres organisations
internationales ont pensé le droit international privé de manière plus restrictive, soit à une
échelle régionale.

b) La réussite limitée des organisations à échelle régionale


282. La création d’un corps de règles supranational par les communautés
régionales. En raison de l’irréalisable uniformisation du droit international privé à une échelle
mondiale, les Etats se sont tournés vers une unification plus restreinte c’est-à-dire régionale.
Ceci s’est justifié par les similitudes culturelles, politiques et juridiques de certaines régions
du monde. A ce titre, un parallèle doit être fait, une fois encore, avec les origines du droit
international privé, puisqu’une construction régionale sera nécessairement favorisée entre
pays de droit civil, tout comme cela sera également le cas entre pays de common law. Par
conséquent dès le XIXème siècle, divers organismes internationaux ont été fondés et dont
l’objet a été celui de l’élaboration d’un corpus de règles de droit international privé commun.
Ainsi, sur le continent américain est apparue l’Union panaméricaine en 1889 laquelle a donné

597
J.-P. Niboyet, op. cit, § 22.
598
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 66.

159
naissance au Code Bustamante599, un Code de droit international privé600. Également, les pays
scandinaves ont créé l’Union nordique, laquelle a élaboré diverses conventions en droit
international privé601. Parallèlement, en Europe, d’autres organisations internationales ont été
les promotrices de Conventions internationales en droit international privé, comme le
Benelux, l’Association européenne de libre-échange ou encore la Communauté européenne.
283. Le pas vers une unification régionale. En outre, à la suite de la décolonisation,
à une échelle plus réduite, c’est-à-dire bilatérale, de nombreuses conventions ont été conclues
entre Etats européens et Etats maghrébins et africains. Toutes ces conventions multilatérales
et bilatérales conduisent à considérer que le droit international privé a bien enclenché le pas
vers l’unification. Cependant, si la volonté des Etats, à une échelle régionale, est celle de la
concentration des règles du droit international privé, cette volonté crée un système à multiples
niveaux. En effet, l’unification n’est que régionale et ne permet donc pas la mise en place
d’un système universel de droit des conflits de lois. De plus, au sein même des organisations
internationales, il ne peut être établi que le droit international privé ait fait l’objet d’une
réglementation intégrale. En effet, comme cela a été le cas avec la Conférence de La Haye, les
conventions issues des organisations internationales régionales se sont cantonnées à des
domaines ou à des matières précises. En aucun cas, le droit international privé n’a fait l’objet
d’un encadrement général à l’échelle régionale, dans la mesure où « les législations
n’évoluant pas au même pas, des distorsions peuvent apparaître, dont on ne sait pas si elles
sont appelées à s’effacer ou à perdurer »602. De plus, « certaines conventions ne sont ratifiées
que par un nombre restreint d’Etats, des conflits surgiront inévitablement entre le système
conventionnel et ceux des Etats non contractants »603.
284. Vers un droit des conflits de lois à plusieurs vitesses. Finalement, comme à
l’échelle internationale, le droit international privé régional tend à s’universaliser mais pour
autant n’y parvient pas globalement en raison des différences culturelles, politiques et
juridiques de chaque Etat. De plus, même si l’unification est consacrée au regard de certaines

599
J.-P. Niboyet, op. cit., § 23.
600
Pour aller plus loin, voir en ce sens : A. M. Villela, « L’unification du droit international privé en Amérique
latine », RCDIP 1984, p. 233, laquelle affirme notamment que : « l’existence de règles de droit matériel
uniforme ne permet pas de se passer du droit international privé et en Amérique latine, c’est l’unification des
règles de droit international privé qui a été la plus grande réussite ».
601
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 34.
602
B. Audit, P. I « L’uniformisation du droit international privé vue à travers ses sources », in « Le droit
international privé en quête d’universalité : cours général », RCADI, 2003, vol. n°305, p. 35 et s.
603
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 35.

160
conventions, elle ne l’est qu’à une échelle régionale. Cela a pour incidence de créer un droit
des conflits de lois à plusieurs vitesses empêchant tout universalisme. Néanmoins, les textes
internationaux issus de ces entités régionales ont conduit à mettre en place des règles
universelles conformément à l’objet du droit international privé.

2) Un droit fractionné au regard des textes issus des organisations internationales


285. Les organisations internationales créées dans un but d’unification des règles du
droit international privé ont permis la réalisation de divers textes internationaux. Cependant
ces textes n’ont pas tous eu le même objet ni la même portée. En effet, certains d’entre eux
ont élaboré quelques règles matérielles internationales en droit commercial (a). D’autres ont
préféré davantage des règles conflictuelles régionales dans toute matière (b).

a) Les rares textes internationaux portant règles matérielles en droit commercial


286. L’élaboration de règles matérielles communes. Depuis le XIXème siècle,
chaque organisation internationale, que ce soit à l’échelle mondiale ou régionale, a produit
divers textes dont certains ont directement tendu à l’unification des règles de fond. En effet,
diverses conventions ont procédé par le biais de règles matérielles à la réglementation de
plusieurs matières comme les transports, la propriété intellectuelle, les titres de crédit, la
vente, le crédit-bail, etc. Cependant, hormis le fait que toutes les conventions de droit matériel
ne soient pas issues de la Commission des Nations unies pour le droit commercial
international, il est établi que toutes les réglementations relatives aux règles de fond en droit
international privé ne relèvent que de la matière commerciale. En effet, les seuls pans de droit
international privé ayant pu faire l’objet d’une législation au fond ne concernent que des
aspects pratiques.
287. Des règles matérielles limitées au droit commercial. Comme pour les textes
issus des Conférences de La Haye, deux raisons justifient ce cantonnement minime à une
seule et unique matière. Premièrement, la mise en place de règles de fond à l’égard du droit
commercial se justifie en ce que ce droit est facilement universalisable. En effet, les échanges
économiques du monde entier ont permis de construire un système de règles commerciales
semblables afin de faciliter les rapports entre les divers Etats du monde. Par conséquent, cette
tendance à un rapprochement législatif permet aujourd’hui de créer un corpus de règles

161
donnant directement une solution au fond en droit commercial604. A contrario, tout ce qui ne
relève pas de la sphère économique, et concerne les autres matières de droit privé ne peut faire
l’objet de réglementation au fond. Ceci s’explique à raison de l’identité de chaque Etat à
l’égard de ses propres règles de droit dans chaque matière privée. Il est difficilement
envisageable de penser que des Etats acceptent de se soustraire à leur propre identité dans un
but d’unification du droit à l’échelle mondiale. Deuxièmement, au-delà de la diversité
nationale entre chaque Etat, tout système de droit matériel doit être rejeté dans toute autre
matière que le droit commercial, voire même de manière générale, puisqu’il a pour
conséquence de figer le système et de cantonner les règles à la période à laquelle elles ont été
promues605.
288. L’inadaptation de la méthode matérielle en droit international privé. La
méthode matérielle a donc peu de succès en raison des inconvénients qu’elle procure. C’est
pourquoi le droit international privé, afin de parvenir à l’unité de ses règles, ne devrait user
que de la méthode conflictuelle 606 . En effet, « le législateur qui, dans chaque système
juridique, a édicté les règles de rattachement, (…) s’est inspiré de la condition sociale et
économique des mœurs, des usages, des traditions, des besoins du système juridique pour
lequel il légiférait, il a tenu compte de la raison d’être de l’institution en cause : mariage,
propriété, contrat, etc… telle que le concevait et le définissait la législation de ce système »607.
Cette citation d’Arminjon suffit à considérer que seule la méthode conflictuelle permet de
créer une coordination entre les systèmes de chaque Etat, sans remettre inévitablement en
cause leurs aspirations respectives.

b) Les nombreux textes régionaux portant règles conflictuelles dans toute matière
289. L’élaboration de règles de conflit communes. Parallèlement aux quelques
règles matérielles établies par conventions internationales depuis le XIXème, les organisations
internationales ont davantage eu pour rôle d’unifier le droit international privé en matière de

604
S. Clavel, op. cit., § 199 : « Les Etats ont souvent adopté collectivement des conventions internationales de
droit matériel destinées à harmoniser leur réglementation des relations internationales entre personnes privées.
Là encore, les Etats ont principalement, pour ne pas dire exclusivement, œuvré en matière de relations
économiques, en réglementant certains contrats internationaux. Les relations familiales sont restées quant à elles
essentiellement régies par les règles de droit interne, que les Etats se sont efforcés de coordonner en harmonisant,
par voie conventionnelle, les règles de droit international privé. La raison en est, on peut le penser, que les
relations familiales même « internationales » sont fortement ancrées dans un ou plusieurs ordres juridiques
nationaux, tandis que les relations commerciales internationales se développent presque indépendamment de ces
ordres juridiques ».
605
Cf. infra § 529 et s.
606
Cf. infra § 563 et s., et spécialement § 568.
607
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 18.

162
conflit de lois. En effet, « la tentative la plus importante d’élaboration de conventions
multilatérales tendant à l’unification des règles de conflit a été faite par la Conférence de La
Haye de Droit international privé »608 grâce à laquelle de nombreuses conventions ont édicté
des règles de conflit de lois dans diverses matières, lesquelles ne tenaient pas uniquement au
droit commercial. Par exemple, ont été visés les obligations alimentaires ou encore la
protection des mineurs. Ce procédé a également été employé à l’échelle régionale et a suscité
le développement d’un mouvement conventionnel de conflit de lois dans diverses matières, et
notamment en Europe. Ainsi, différents textes sont apparus dans diverses matières, et
notamment en matière de régimes matrimoniaux, de successions, etc. De plus, le processus
s’est étendu par la création de textes internationaux propres aux conflits de juridictions.
290. Le recours plus aisé à la méthode conflictuelle. Ainsi, à toutes les sphères
supranationales envisageables, les textes internationaux ont favorisé le règlement des litiges
par la méthode conflictuelle et ceci en toute discipline. Ce mouvement unificateur s’explique
en raison d’une transposition des règles de droit international privé essentiellement de
structure conflictuelle et bilatérale. Il est bien moins délicat de recourir à la méthode
conflictuelle puisqu’elle ne nécessite pas un accord entre Etats sur les règles de fond
applicables à une matière, mais seulement une entente relative aux règles permettant de mettre
un terme au conflit de lois en cause. Le consensus opéré par les Etats ne s’opère qu’à l’égard
du rattachement qui devra être choisi pour chaque discipline. Ceci est plus facilement
réalisable à une échelle supranationale et principalement régionale à raison des cultures
politiques, historiques et juridiques des Etats.
291. Une réglementation uniquement régionale. Néanmoins, si la méthode
conflictuelle est celle qui conduit le plus sûrement à une unification des règles de droit
international privé, il n’en demeure pas moins que le choix des rattachements reste une lourde
difficulté puisqu’il suppose une entente préalable entre les Etats. « Pour qu’une règle de
rattachement puisse être admise dans deux systèmes juridiques, il est donc nécessaire que
leurs législations la motivent par des raisons identiques » et « tant que cette condition ne sera
pas réalisée, il est chimérique de songer à un droit international privé uniforme »609. Ceci
justifie donc, à l’heure actuelle, que la plupart des textes internationaux en matière de conflit
de lois ne dépassent pas le stade régional. En effet, c’est à raison de leurs similitudes que les

608
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 40.
609
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 18.

163
Etats parviennent à établir des règles de droit uniformes. Il s’agit en réalité de revenir à la
conception de Savigny fondée sur l’idée d’une communauté de droit. Cependant, si sa
conception est véridique, elle ne permet de construire qu’un système de droit des conflits de
lois limité et ceci particulièrement en raison des facteurs de rattachement, lesquels diffèrent
d’une région à l’autre, ou d’une culture à l’autre610. En d’autres termes, doit être soutenu un
développement de la méthode conflictuelle en ce qu’elle seule permet, en pratique, une
universalisation du droit des conflits de lois de toutes les disciplines. Cependant, en l’état
actuel, cette méthode telle qu’elle est conçue ne permet pas la mise en place d’un système
plus que régional. Or, il est malheureux que le droit international privé n’ait pas encore
dépassé le stade régional.
292. Des sources législatives fragmentées. S’il est indéniable que le droit
international privé s’est édifié dans l’optique d’une universalisation, il n’en demeure pas
moins que ses débuts créent en réalité une justice à plusieurs niveaux. En effet, les sujets de
droit sont traités au sein de différentes sphères juridiques (internationale, régionale, nationale)
lesquelles s’articulent parfois difficilement et peuvent varier selon le point de vue duquel on
se place. En cela le système mis en place, ou du moins les systèmes, sont critiquables
puisqu’ils provoquent une insécurité juridique en mettant en place une justice à plusieurs
vitesses. Or, tel ne doit pas être la finalité du droit international privé ni du droit des conflits
de lois. Ce dernier devrait pouvoir être commun par mesure d’égalité de traitement.
Néanmoins, il semblerait que le droit de l’Union européenne tende vers une certaine
unification.

B. LES PREMICES D’UN DROIT UNIFIE AU TRAVERS DU DROIT DERIVE DE


L’UNION EUROPEENNE

293. L’étude de l’Union européenne permet de constater à une échelle plus réduite, à
savoir régionale, quelle procédure législative permet l’unification des règles de droit
international privé (1) et quels sont les résultats de cette procédure à savoir les textes qui ont
pu être élaborés (2).

610
Voir en ce sens : P. Lagarde, « La nouvelle Convention de La Haye sur la loi applicable aux successions »,
RCDIP 1989, p. 249, à propos de la difficulté d’élaborer une telle convention : « La tâche était difficile, plus
peut-être en cette matière qu’en d’autres, car la diversité des règles de conflit de lois entre Etats membres de la
conférence se doublait d’une opposition séculaire des droits matériels, tant pour la dévolution que pour la
transmission et le partage de la succession, certains droits restant fidèles à l’idée de continuation de la personne
du défunt par l’héritier tandis que d’autres adoptaient un régime de succession aux biens ».

164
1) L’illusoire réglementation commune du droit international privé au sein de
l’Union européenne
294. La création d’une communauté européenne, puis de l’Union européenne, a permis
au législateur régional de légiférer en matière de droit international privé et notamment en
droit des conflits de lois afin d’aboutir à une réglementation commune au sein des pays
membres. Par conséquent, le droit international privé et le droit des conflits de lois ont, a
priori, fait l’objet d’une communautarisation (a). Cependant, cette discipline est simplement
demeurée l’instrument d’une coopération entre Etats membres (b).

a) La communautarisation présumée du droit international privé


295. La communautarisation de la discipline depuis le Traité d’Amsterdam. Si la
Communauté européenne, notamment depuis la Convention de Bruxelles de 1968 sur la
compétence et les jugements étrangers en matière civile et commerciale, a procédé à la
construction de réglementations conventionnelles en droit international privé, cette
construction s’est affinée avec l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam de 1997. En effet,
grâce à ce traité, la coopération judiciaire en matière civile a intégré le premier pilier
permettant ainsi au droit international privé, qui faisait l’objet de conventions internationales,
de désormais faire l’objet de décisions prises dans le cadre d’institutions communautaires. Et
c’est ainsi, que se sont fortement développés les règlements européens en droit international
privé et plus particulièrement en matière de conflit de lois. Par conséquent « le traité
d’Amsterdam marque une étape importante sur la voie du droit international privé
européen »611 puisque la coopération en matière civile, ayant été transférée du troisième au
premier pilier, a bien eu pour objet de favoriser « la compatibilité des règles applicables dans
les Etats membres en matière de conflit de lois et de compétence »612.
296. Vers l’élaboration d’un droit international privé commun.
Cette communautarisation du droit international privé a permis de faciliter la construction
d’un corpus de règles communes au sein de l’Union européenne, les institutions de l’Union
pouvant désormais élaborer des règlements européens directement applicables aux Etats
membres et s’adressant directement aux sujets de droit de l’Union européenne. Par
conséquent l’absence de recours à une convention internationale au sein d’une organisation
internationale telle que l’Union européenne a facilité l’harmonisation du droit international

611
S. Lecuyer, Appréciation critique du droit international privé conventionnel : pour une autre approche de
l’harmonisation des relations privées internationales, Thèse, Paris 10, 2006, LGDJ, 2007, § 54.
612
Ibid., citant l’art. 65 du titre IV du Traité CE.

165
privé et tend à l’universalisation613. Le modèle de l’Union européenne pourrait alors être le
modèle à adopter à une échelle supranationale pour parvenir à une totale uniformité des règles
de droit international privé. De plus, « le développement des règles de conflit d’origine
européenne (…) a un impact sur les règles de conflit nationales puisque, dans leur domaine
d’application, les règles communautaires se substituent purement et simplement aux règles de
conflit des Etats membres » 614 . Cependant, si le développement des règles de conflit
européennes tend à l’universalisme, il s’agit d’un leurre dans la mesure où le droit
international privé de l’Union européenne fait l’objet d’une coopération judiciaire laquelle ne
contraint pas, de manière générale, tous les Etats membres à une adhésion, sans marge de
manœuvre, à chaque règlement européen.

b) L’unique coopération européenne en droit international privé


297. La faculté d’adhésion de certains Etats membres. Si le droit international
privé a fait l’objet d’une communautarisation au sein de l’Union européenne, celle-ci reste
limitée. Avant tout, le droit international privé peut ne pas être appliqué de manière unanime
au sein des 28 Etats membres dans la mesure où certains d’entre eux bénéficient d’une option
d’adhésion aux textes de l’Union européenne dans l’espace liberté, sécurité et justice615. En
effet, à ce jour encore, le Royaume-Uni, le Danemark et l’Irlande ne sont pas directement liés
de plein droit aux instruments négociés, ils doivent user de leur opt-in pour adhérer à un
règlement européen. Par conséquent, sur cette base, la lisibilité des règlements européens est

613
Voir en ce sens : A.-M. Rouchaud-Joët, « La compétence externe de la Communauté européenne en droit
international privé », RCDIP 2004, p. 2 : « Depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, la Communauté
s'est prévalue de cette nouvelle compétence à plusieurs reprises en adoptant divers instruments en matière de
droit international privé et, en ce faisant, s'est conférée de nouvelles compétences externes exclusives dans les
domaines relevant de ces instruments. Au fur et à mesure que la Communauté adoptera d'autres instruments, les
États membres perdront, au profit de la Communauté, de plus en plus de leur compétence externe dans les
domaines couverts par ceux-ci. Cette circonstance aura sans aucun doute une influence considérable non
seulement dans la pratique des États membres, qui avaient l'habitude dans le passé de négocier et de conclure des
accords dans ce domaine de manière assez autonome, mais également sur le mode de fonctionnement de
certaines enceintes internationales, en particulier la Conférence de La Haye de droit international privé, le
Conseil de l'Europe, l'Unidroit et la CNUDCI ».
614
S. Clavel, op. cit., § 65, laquelle poursuit en précisant que si « les règles nationales subsistent pour régir les
questions qui n’entrent pas dans le domaine d’application des règles communautaires ; (…) force est de constater
que, là où l’Union européenne est intervenue, le rôle des règles de conflit nationales est devenu très résiduel » ;
« Ce désengagement des Etats membres est d’autant plus manifeste que, empruntant à la jurisprudence de la
Cour de justice, le TFUE institue une quasi compétence exclusive de l’Union en droit international privé ».
615
Voir en ce sens : Ph. Malaurie, « Loi uniforme et conflits de lois », op. cit., p. 83-109, lequel affirmait que :
« Les brèches de l'unification sont également patentes lorsque les Etats ont assorti leur entente de réserves au
sens large du terme, accordant ainsi à certains d'entre eux une possibilité d'indépendance, source de
discordances. Mais le conflit de lois qui en résulte fait généralement entre eux l'objet d'une règle unifiée de
conflit ».

166
délicate en ce qu’ils ne s’appliqueront pas nécessairement à tous les pays membres de l’Union
européenne616.
298. La procédure particulière de coopération renforcée. De surcroît, le Traité
d’Amsterdam a permis, outre une communautarisation du droit international privé, la mise en
place d’une nouvelle procédure qui est celle de la coopération renforcée, laquelle a été
maintenue par le Traité de Lisbonne617. Il s’agit d’une procédure législative par laquelle une
directive ou un règlement ne s’applique pas aux 28 Etats membres de l’Union européenne
mais uniquement à ceux qui le souhaitent. Par conséquent, dès que neuf pays membres de
l’Union s’associent afin de mettre en œuvre un règlement européen en matière de conflit de
lois ou de juridictions, peut naître ledit texte, sans qu’il soit nécessaire que tous les Etats
membres de l’Union soient d’accord. C’est ainsi qu’ont été élaborés notamment le Règlement
Rome III en 2010 618 , et récemment les deux règlements de 2016 relatifs aux partenariats
enregistrés619 et aux régimes matrimoniaux620.
299. De l’uniformisation à l’harmonisation minimale. L’intégration d’une telle
procédure législative au sein de l’Union européenne constitue la preuve de l’absence voire
même de l’impossible harmonisation du droit international privé au sein de l’Union
européenne. La philosophie de l’organisation régionale n’est pas réellement celle d’un
universalisme privatiste européen, mais plutôt celle d’une harmonisation minimale
européenne. Or tel n’est pas l’objet du droit international privé, et plus spécifiquement du
droit des conflits de lois. La matière tend effectivement à une harmonisation de ses règles
mais dans une optique du meilleur traitement du justiciable impliquant la suppression de tout
système fragmentaire. Pourtant, aujourd’hui, au sein même de l’Union européenne, le droit
international privé fait l’objet d’une application à plusieurs vitesses.
300. L’absence d’alignement des législations nationales. De plus, les règlements
européens de droit international privé, s’ils sont d’effet direct et sont directement invocables

616
C. Brière, « Le droit international privé européen des contrats et la coordination des sources », JDI n°3, juill.
2009, doctr. 6, § 2.
617
Art. 81 du TFUE.
618
Règlement (UE) n°1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans
le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, Rome III.
619
Règlement (UE) 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le
domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière
d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.
620
Règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le
domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière
de régimes matrimoniaux.

167
par les sujets du droit ne font pourtant pas partie intégrante des droits nationaux des Etats
membres. Plus exactement, les règles de conflit établies par les textes européens ne
s’imposent pas comme règle de conflit de droit interne. Par conséquent, les relations extra-
européennes demeurent traitées par les règles de conflit nationales de chaque Etat membre.
Ceci semble a priori justifié en ce que le droit européen n’a pas vocation à régir une situation
extraterritoriale. Pour autant, dans une optique d’universalisation du droit international privé,
les Etats membres de l’Union pourraient aligner leurs propres règles de conflit nationales sur
celles du droit de l’Union afin de créer un droit uniforme. L’harmonisation du droit
international privé reste donc nettement limitée puisque certaines règles de conflit nationales
peuvent être bien différentes de celles prévues au sein de l’Union européenne, Union dont ils
font partie621. Il pourrait être envisagé qu’aux fins d’une harmonisation maximale, et non pas
minimale, les pays membres modifient leur propre législation afin d’étendre davantage leur
philosophie juridique du droit international privé. Néanmoins, l’Union européenne a permis
l’adoption de divers textes européens portant règles de conflit.

2) La multiplicité des règles de conflit européennes


301. Le législateur européen, sous l’empire de la Communauté européenne, puis de
l’Union européenne, a participé à l’édification d’un corpus de règles propres aux règlements
de situations litigieuses impliquant un élément d’extranéité. C’est pourquoi ont été élaborés
d’une part des règlements en matière de conflit de juridictions (a), et d’autre part en matière
de conflit de lois (b).

a) Une législation quasi intégrale en matière de conflit de juridictions


302. La création d’un corpus de règles de conflit de juridictions. De la
communauté européenne, puis de l’Union européenne, ont été effectués certains compromis
entre Etats membres consistant en l’élaboration d’un corpus de règles européennes propres au
conflit de juridictions. Par conséquent, existent aujourd’hui plusieurs règlements européens
traitant de la compétence ainsi que de la reconnaissance et de l’exécution des jugements. Ces
textes régissent plusieurs matières comme la matière civile et commerciale, la matière

621
Voir en ce sens : B. Oppetit, « Droit commun et droit européen », in L’internationalisation du droit :
mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 311 et s., lequel exprime notamment l’idée selon
laquelle l’unification du droit européen présente « un caractère partiel » et ne suffit pas « à fonder un véritable
système juridique commun » notamment en droit international privé ; et ajoute que « surtout, ce dont souffre cet
embryon de droit commun, c’est de son manque d’autonomie à l’égard des droits nationaux ».

168
matrimoniale, la responsabilité parentale, les successions ou encore les régimes
matrimoniaux.
303. Un corpus étendu quant à son champ d’application. Si beaucoup de matières
ont fait l’objet d’une réglementation européenne en matière de conflit de juridictions, il
n’existe pas encore une harmonie absolue dans toutes les matières du droit international privé.
Néanmoins, dans toute situation européenne ou mettant en jeu un pays membre de l’Union, il
semble qu’un texte européen ait vocation à s’appliquer en raison de la prolifération de ces
textes. En effet, il est peu de cas européens qui sont, aujourd’hui, directement traités par les
règles de conflit de juridictions nationales. Chaque situation impliquant un Etat européen,
justifie de s’intéresser au règlement européen qui concerne la situation litigieuse, puis de
recourir aux règles de conflit nationales si ledit texte n’est pas applicable.
304. Vers une harmonisation des règles de conflit. En conséquence, le droit
international privé européen a réussi à créer un corps de textes permettant de prendre en
compte tout conflit de juridictions quasiment en toute matière. De cela, il convient d’en
déduire qu’une harmonisation des règles de conflit de juridiction semble réalisable. L’étude
des règles de conflits de lois issues de l’Union européenne ne fait que le confirmer.

b) Une législation plus réduite en matière de conflit de lois


305. L’élaboration d’un ensemble de règles de conflit de lois plus restreint.
« L’unification des règles de conflit de lois des matières de tradition est un objectif louable au
niveau régional »622. C’est pourquoi la communauté européenne et l’Union européenne, ont,
parallèlement aux règles de conflit de juridictions, créé un corpus de règles en matière de
conflits de lois. Tout comme son corollaire en matière de compétence, la loi a fait l’objet
d’une véritable législation conflictuelle au sein de l’Union européenne dans diverses matières
comme les obligations contractuelles et non contractuelles623, les régimes matrimoniaux624, le

622
S. Lecuyer, op. cit., § 296.
623
Voir en ce sens : T. Kadner Graziano, « Le nouveau droit international privé communautaire en matière de
responsabilité contractuelle », RCDIP 2008, p. 445 : « Le droit international privé en matière de relations
extracontractuelles est resté pendant longtemps dans l'ombre du droit international privé des obligations
contractuelles. Alors qu'en matière contractuelle, l'unification du DIP a connu un grand succès avec l'entrée en
vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (…),
l'unification du DIP en matière extracontractuelle est restée tout au plus partielle. Il y a lieu de citer deux
Conventions de La Haye, l'une portant sur le droit applicable aux accidents de la circulation routière, l'autre
désignant pour les États membres le droit applicable à la responsabilité du fait des produits. Pour le reste, la
matière a été laissée aux droits nationaux de la coordination » ; cependant « le règlement Rome II (a introduit)
pour la première fois dans l'histoire moderne du DIP des règles de rattachement communes aux Pays membres
de l'Union européenne en matière de responsabilité extracontractuelle ».

169
divorce et la séparation de corps625, etc. Par conséquent, une grande majorité de matières fait
l’objet d’un encadrement régional. Cependant, certaines matières demeurent exclues du
champ d’application des règlements européens. Certaines d’entre elles sont l’objet d’autres
textes notamment internationaux issus de la Conférence de La Haye, comme la responsabilité
du fait des produits, et d’autres ne sont l’objet d’aucune réglementation comme le mariage.
306. La trop grande concession de souveraineté des Etats. L’harmonisation des
règles de droit international privé à l’échelle européenne en matière de conflit de lois est
moins générale qu’en matière de conflits de juridictions. Cependant, contrairement aux
conflits de juridictions, le conflit de lois est l’instrument de conventions internationales depuis
la création de la Conférence de La Haye à la fin du XIXème siècle, ce qui peut justifier la
diversité des sources en la matière. De plus, il apparaît plus difficile de s’accorder sur les
règles de conflit de lois que sur les règles de conflit de juridiction de manière générale, car si
les règles de conflit de juridiction sont également la manifestation de la souveraineté d’un
Etat, elles se traduisent par un moindre sacrifice pour les Etats. En effet, l’étude des
règlements européens laisse apparaître que ces derniers, en matière de conflit de juridictions,
donnent, la plupart du temps, compétence à plusieurs juges et non pas à un unique juge. En
revanche, en matière de conflit de lois, les règlements européens, comme toute règle de conflit
en la matière, ont pour objet de donner compétence à une loi unique et non à plusieurs626.
Ainsi, la concession demandée aux Etats ne semble pas être la même eu égard au degré de
souveraineté sacrifié, dans la mesure où le conflit de lois reste parfois perçu par ces derniers
comme un conflit de souverainetés. Ceci est amplifié notamment dans les affaires pour
lesquelles l’identité des Etats joue un rôle important, comme en matière de statut personnel.
Donc, les règles de conflit de lois sont plus difficiles à uniformiser que les règles de conflit de
juridictions puisqu’elles n’engendrent pas la même concession de souveraineté. En outre,
l’Union européenne est tout de même parvenue à créer une certaine harmonie en matière de
règles de conflit dans beaucoup de matières.
307. L’échec d’une universalisation des règles de conflit. Finalement, il apparaît
que les sources du droit international privé sont aujourd’hui internationales, mais ne le sont

624
Règlement (UE) n°2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le
domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière
de régimes matrimoniaux.
625
Règlement (UE) n°1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans
le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, Rome III.
626
H. Gaudemet-Tallon, La compétence judiciaire internationale directe à l’aube du XXIème siècle, quelques
tendances, op. cit., p. 126.

170
pas de manière générale et universelle. Par conséquent, à une échelle supranationale, s’il
semble que l’harmonisation soit plus facilement réalisable en matière conflictuelle, il n’en
demeure pas moins que cette réglementation n’est pas unique, mais plutôt multiple, se
propageant à différents niveaux, qu’ils soient internationaux ou régionaux. De surcroît, même
au sein de ces constructions législatives, aucune unité n’apparaît en ce que plusieurs niveaux
existent, que ce soit sur le plan de l’adhésion en tant que telle, ou de l’adhésion aux différents
types de règles. Néanmoins, la méthode conflictuelle semble être la méthode la plus adaptée
pour parvenir à un accord commun entre Etats puisque la pratique en atteste. Cependant, ce
sont bien les considérations propres des Etats et leur identité respective qui restent l’obstacle à
une véritable harmonisation. C’est pourquoi aujourd’hui, les sources du droit international
privé, et plus particulièrement du droit des conflits de lois maintiennent le droit national de
chaque Etat, membre ou non d’une organisation internationale.

§ 2 – LA PERSISTANCE DU PARTICULARISME PAR LE MAINTIEN DU DROIT


INTERNATIONAL PRIVE NATIONAL

308. Le droit international privé est né avant tout dans chaque Etat pris isolément. Par
conséquent, originellement les sources de ce droit ont été nationales. Pour autant, ces sources
se sont maintenues et sont finalement devenues atemporelles (A). En effet, malgré le
développement de sources internationales, les sources internes du droit international privé ont
perduré dans la mesure où elles assurent une fonction de suppléance (B).

A. LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE NATIONAL : UNE SOURCE ATEMPORELLE


CONTROVERSABLE

309. Le droit international privé a tout d’abord été encadré par des sources internes en
raison de l’inexistence d’une communauté de droit entre Etats. Ceci a nécessairement eu pour
conséquence de faire de cette source le socle de la discipline (1). Cependant, l’utilisation de ce
type de source a engendré l’élaboration d’une multitude de systèmes juridiques propres à
chaque pays de nature à créer une grande diversité parmi les sources nationales (2).

1) Le droit international privé interne : le socle de la discipline


310. Les conflits de lois apparus dès l’Antiquité, en l’absence de communauté de droit,
ont été résolus par les législations internes de chaque Etat (a). Depuis lors, chaque législation
a conservé une réglementation nationale en matière de conflit de lois pour résoudre tout litige
impliquant un élément d’extranéité (b).

171
a) Le droit international privé national comme source initiale
311. La naissance du droit international privé national en droit romain. L’histoire
du droit international privé a permis d’établir que cette discipline, apparue à l’époque du droit
romain, n’a été considérée comme matière à part entière qu’au Moyen Âge. Or, dès l’époque
du droit romain, chaque Etat, confronté à un conflit de lois, a dû établir une solution lui
permettant de résoudre ce litige. A l’époque, en l’absence de communauté internationale entre
Etats, il a été indispensable de mettre en place une réglementation permettant de résoudre les
situations litigieuses impliquant un élément d’extranéité. Ainsi, en raison d’un défaut de
communauté, la construction d’un corps de règles d’origine purement nationale était
inévitable. Sont alors apparues les premières règles de conflit de lois de source nationale. En
effet, ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que l’idée de source internationale en droit
international privé s’est manifestée.
312. La première source du droit. Par conséquent, le droit international privé interne
a bien été régi avant tout par des sources nationales dont la codification a débuté au XIXème
siècle627. Depuis lors, le caractère national des règles de conflit de lois n’a cessé de perdurer
au travers des siècles en raison de l’impossible unification du droit international privé et
spécialement du droit des conflits de lois. Si cette discipline constituait une source du droit
uniquement nationale, elle le demeure encore aujourd’hui.

627
Voir en ce sens : B. Oppétit, Ch. II, S. II, Par. 1 « Les codifications nationales », in « Le droit international
privé, droit savant », RCADI, 2008, vol. n°234 : « La codification du droit international privé opérée dans le
canton de Zurich en 1854 constitue « la première des grandes codifications du XIXe siècle qui reflète les
nouveaux mouvements de la doctrine »176; elle est due au professeur Bluntschli, également homme politique et
de gouvernement. Cette codification, la première systématique (mais ouverte car ne réglant pas tout) en notre
matière, porte l’empreinte des idées de Savigny et repose sur des notions abstraites et scientifiques: elle ne part
pas de la règle matérielle pour en déterminer le champ d’application, mais est centrée sur la détermination du
droit applicable aux relations juridiques (famille, succession, forme des actes, etc.), préfigurant la structure
moderne de la règle de conflit; de même, la notion de communauté internationale d’Etats souverains, chère à
Savigny, est sous-jacente à l’établissement par ce code de critères de rattachement quasiment identiques pour les
citoyens zurichois et les étrangers; enfin la codification zurichoise consacrait le renvoi, lui-même inventé par
Bluntschli.
Mais la plus célèbre codification du droit international privé survenue au XIXe siècle se trouve dans les
dispositions préliminaires du Code civil italien de 1865: elle est l’œuvre exclusive de Mancini, autant homme
d’Etat que savant prestigieux; elle consacre la bilatéralité complète des règles de droit international privé au nom
du principe de la personnalité du droit (chaque personne doit être traitée selon sa propre loi) et de la coexistence
des nations, et ce fondement de droit naturel devait conférer aux idées de Mancini une force expansionniste
considérable au-delà des frontières de son pays; d’autre part, dans la filiation de Savigny, la codification
italienne détermine la loi applicable en considération du rapport juridique à régir. Rarement aura été porté à un
degré aussi élevé le rayonnement d’une pensée dans les institutions d’une époque.
Le droit international privé français offre également une belle illustration de cette transmutation du droit savant
en droit légiféré : les textes ou avant-projets intervenus en la matière à l’époque contemporaine présentent tous
un caractère hautement scientifique et doctrinal tant par la personnalité de leurs auteurs que par leur contenu ».

172
b) Le droit international privé national en tant que source éternelle
313. Une source subsidiaire indispensable. Le droit international privé ne cesse
d’être encadré par des règles de conflit internes. En effet, ceci s’explique par l’irréalisable
unification du droit international privé628. La discipline étant le fruit de toutes les législations
propres à chaque pays, il a paru, et il semble encore, difficile de penser qu’un système
universel soit réalisable. Chaque système étatique s’est doté d’une législation propre, laquelle
a été l’objet d’une « différence de conceptions » ayant « motivé les institutions juridiques »,
lesquelles « se sont formées et ont évolué par l’effet de causes historiques et aussi sous
l’action des institutions politiques, sociales, économiques nationales »629. Ainsi, en l’absence
de droit international privé commun entre divers pays, « chaque pays possède son propre
système de solution de conflit, et il n’existe pas de règles s’imposant au respect de tous les
Etats »630. En conséquence, « aucun principe n’oblige un Etat à suivre telle solution plutôt
qu’une autre »631. Ainsi, « faute de législateur possible au-dessus des Etats pour régler les
conflits qui s’élèvent entre leurs législations respectives (…), il se constitue par l’accord des
Etats eux-mêmes »632. Or, il est aujourd’hui difficile de parvenir à un tel accord en raison
d’une part de l’identité propre de chaque Etat, et d’autre part de la conception souverainiste
que peut se faire chaque Etat du conflit de lois.
314. Une source éternelle. Finalement, au-delà de l’option entre l’universalisme et le
particularisme, le constat est tel que le droit international privé de source nationale ayant été
la première source de la discipline a vocation à ne jamais cesser d’exister. Ceci se justifie en
raison du caractère fragmentaire de la discipline issu de son histoire, lequel perdure encore
aujourd’hui. Néanmoins, ce caractère a suscité l’apparition de nouvelles idéologies propres au
système de droit international privé.

628
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 23.
629
Ibid.
630
J.-P. Niboyet, op. cit., § 53.
631
Ibid.
632
F. Despagnet, Précis de droit international privé, Recueil Sirey et du Journal du Palais, 5ème éd., 1909, § 21.

173
2) Le droit international privé interne : facteur de multiplication des systèmes
315. En raison du maintien du caractère national des systèmes de conflit, le droit
international privé a provoqué la création de multiples systèmes conflictuels 633 . Par
conséquent, cette multiplicité a suscité une volonté de coordination entre ces différents
systèmes (a) laquelle s’est traduite par l’avènement d’une nouvelle source de droit
international privé, à savoir le droit comparé (b).

a) La volonté de coordination des systèmes issue de la multitude de droits nationaux


316. La nécessaire coordination des systèmes nationaux. En partant du postulat
selon lequel « la matière a une nature purement interne ou nationale, et très
exceptionnellement, un caractère international » 634 , comme le font les particularistes, il
convient tout de même, conformément à l’objet du droit international privé, et plus
spécialement du droit des conflits de lois, de parvenir à une coordination des systèmes. En
effet, si l’on considère chaque système de droit international privé propre à chaque pays, il
apparaît une multitude de systèmes de conflit de lois aptes à régir une situation internationale
privée. Or, une telle affluence contrarie l’objet même du droit des conflits de lois, à savoir sa
vocation à l’unification.
317. La coordination des systèmes selon Batiffol. C’est ainsi que Batiffol a proposé
d’envisager le droit des internationale privé sous l’angle de la coordination des systèmes. Il a
notamment relevé que « la vitalité du problème des conflits de lois tient (…) à la réalité des
liens qui unissent une même situation privée à plusieurs systèmes »635. Il a donc établi que ce
problème tient à « l’articulation mutuelle des systèmes : si une situation donnée relève, par ses
différents éléments, de plusieurs systèmes distincts, leur jeu simultané va poser des problèmes
d’adaptation mutuelle »636. Par conséquent, il a considéré que « le développement moderne du
droit international privé (…) travaille à la coordination de systèmes distincts coexistants, afin
de soumettre à un régime défini les relations privées qui, par leur caractère international, se

633
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 49 et 50 : « Souvent différentes dans leurs contenus, les règles de conflit
unilatéralement adoptées par les Etats varient également dans leurs sources. Certains Etats, comme l’Allemagne,
connaissent une tradition ancienne de codification législative des règles de droit international privé, et au cours
des dernières décennies, de nombreux Etats ont adopté de véritables « codes » de droit international privé, c’est-
à-dire des ensembles cohérents de règles de conflit d’origine législative » ; « La France est indéniablement restée
en retrait de ce mouvement de codification du droit international privé. Le droit commun français, c’est-à-dire le
droit international d’origine purement interne, est pour l’essentiel le produit de l’œuvre créatrice de la
jurisprudence. Et les principes généraux consacrés par les juridictions constituent encore aujourd’hui, une part
importante du droit positif ».
634
J.-P. Niboyet, op. cit., § 53.
635
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 11.
636
Ibid., § 12.

174
présentent comme s’insérant simultanément dans plusieurs systèmes différents » 637 . Il est
donc parti du postulat que « chaque droit privé interne constitue un système »638.
318. Une coordination par souci d’harmonisation. Il en ressort que si le droit
international privé est, encore aujourd’hui, majoritairement de source nationale, il doit être
conçu dans une optique de coordination des systèmes afin de parvenir à une certaine
harmonisation de la matière, du moins en droit des conflits de lois. En d’autres termes, il
s’agirait de considérer que tout universalisme étant a priori inatteignable, il conviendrait
mieux de se contenter d’un objectif de coordination lequel serait le corollaire d’une
harmonisation des systèmes. En partant de ce postulat, le droit international privé interne
justifierait alors le développement du droit international privé comparé.

b) L’avènement du droit comparé engendré par l’abondance des systèmes nationaux


319. Le droit comparé comme source intermédiaire du droit. « Le rôle
prépondérant des sources internes en droit international privé aboutit à la formation dans
chaque pays d’un corps propre de législation, de jurisprudence et de doctrine », « il s’ensuit
qu’il y a intérêt à étudier comparativement ces différents systèmes juridiques » 639 . La
coordination des systèmes doit donc se réaliser par une étude comparative, comme l’ont
préconisé notamment Maury et Savatier 640 . Ainsi, à partir des sources internes du droit
international privé, apparaît une source intermédiaire c’est-à-dire le droit international privé
comparé. Celui-ci « cherche à démêler les causes de la diversité des solutions, à apprécier
l’adaptation de celles-ci aux problèmes à résoudre, et à étudier dans quelle mesure l’identité
des problèmes permet d’envisager une unification, ou au moins un rapprochement, des règles
et dans quel sens »641. C’est pourquoi Maury a pu affirmer qu’« une réglementation adéquate
de la vie sociale internationale est le but essentiel du droit international privé » et « cette
réglementation suppose l’étude des faits et situations du point de vue précisément de cette vie
internationale »642. Or, le droit comparé permet donc au droit international privé de se réaliser,
mais il lui permet également « d’assumer sa première fonction, à savoir la connaissance des
systèmes juridiques étrangers : tout au long du processus qui conduit à résoudre les conflits de

637
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 7.
638
Ibid., § 8.
639
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 23.
640
Cf. supra § 194 et s.
641
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 23.
642
W. Goldschmidt, « Jacques Maury et les aspects philosophiques du droit international privé », in Mélanges
offerts à Jacques Maury, Tome I, Dalloz et Sirey, 1960, p. 153 et s.

175
lois, il faut se référer au droit étranger »643. C’est pourquoi la fonction du droit comparé ne
peut être négligée.
320. La multitude de sources du droit. Le constat est triple, le droit international
privé est donc fondé par deux sources principales : le droit national et le droit supranational
dont l’intermédiaire serait le droit comparé. Ce triple niveau de source laisse penser que le
droit international privé est très diversifié, voire manque de coordination en raison de la
multiplicité de ses sources644. Par conséquent, il n’est pas unifié ni même harmonisé comme il
devrait l’être. Ceci est vraisemblablement dû au maintien des sources internes depuis
l’Antiquité. Or, celui-ci ne cessera sans doute jamais à cause du rôle de suppléant qui est
assuré par ces sources nationales.

B. LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE NATIONAL : UNE SOURCE SUPPLEANTE


INDISPENSABLE

321. Si le droit international privé national est atemporel, il l’est principalement au


regard de sa fonction de suppléance. En effet, il apparaît que celui-ci se caractérise,
aujourd’hui, aussi bien par sa subsidiarité que par sa nécessité (a). Pour autant, malgré son
rôle indispensable, il constitue un facteur d’insécurité juridique et un protagoniste du
particularisme (b).

1) De la subsidiarité à la nécessité du droit international privé interne


322. Le droit international privé de source nationale assure aujourd’hui une mission de
suppléance. En effet, d’une part, à défaut de texte supranational applicable, il assume une
fonction de subsidiarité (a) et d’autre part, à défaut de texte supranational existant, il demeure
nécessaire (b).

643
B. Fauvarque-Cosson, « Droit comparé et droit international privé : la confrontation de deux logiques à
travers l’exemple des droits fondamentaux », RIDC 2000, p. 797, laquelle poursuit : « Ainsi, le droit
international privé confère une utilité directe au droit comparé trop souvent perçu comme une discipline
académique ou spéculative. Envisagés sous cet angle de la désignation et de l’application du droit étranger, les
rapports entre droit international privé et droit comparé paraissent fort harmonieux » ; et laquelle reprend les
propos de Saleilles en ouverture du Congrès de Paris : « non plus constater les diversités mais en tirer les
conséquences et rechercher l’influence que l’étude et la comparaison des lois étrangères peuvent avoir sur le
développement du droit national ; faire du droit comparé une science autonome »
644
S. Clavel, op. cit., § 65, laquelle affirme que « l’élaboration parallèle de règles de conflit d’origine nationale,
internationale et européenne soulève des questions de coordination de ces règles de conflit entre elles, qui n’en
facilitent guère l’application, pourtant déjà réputée ardue ».

176
a) La subsidiarité du droit international privé national à défaut de texte supranational
applicable
323. Un rôle subsidiaire imposé par l’inapplicabilité des textes internationaux. Le
droit international privé interne joue un rôle de suppléance avant tout en raison de sa fonction
subsidiaire. En effet, si le droit international privé et notamment le droit des conflits de lois
est l’instrument de nombreuses sources supranationales, il n’empêche que certaines situations
litigieuses n’ont pas vocation à être régies par ces sources. Tout dépend de l’applicabilité du
texte à la situation et plus précisément de son applicabilité spatiale. Il semble sur ce point que
les textes de conflit de lois tendant à une certaine application universelle soient, dans
quasiment toutes les situations litigieuses internationales, applicables contrairement aux textes
relatifs au conflit de juridictions. Ces derniers nécessitent a contrario un rattachement dans
l’espace. Par conséquent dès lors que la situation ne présente pas un point de rattachement
avec un Etat partie ou un Etat membre, le texte n’est pas applicable. Il en résulte que le droit
international privé interne, du moins en matière de conflit de juridictions, régit toutes les
situations pour lesquelles le droit international privé de source supranationale n’est pas
applicable. Ce raisonnement s’applique donc au droit des conflits de lois. En effet, si de
manière générale, aujourd’hui les textes relatifs au droit des conflits de lois, notamment les
règlements européens, sont d’application universelle, ce n’est qu’à la condition que le juge
d’un Etat membre soit ou puisse être saisi. Les règles de conflit de lois sont donc, dans leur
application, subordonnées aux règles de conflit de juridictions. Ainsi, aucune source
supranationale n’a une vocation entière à s’appliquer quelle que soit la situation litigieuse en
cause. Ceci nécessite donc que chaque pays détienne ses propres règles de conflit, en matière
de compétence ou de loi applicable, afin de régler les litiges qui ne pourraient être soumis aux
sources supranationales.
324. Une subsidiarité justifiée par l’échec de l’universalisation. Il ne s’agit que du
résultat de l’échec de l’universalisation des règles de droit en droit des conflits de lois. Le
développement des sources supranationales n’a pas été suffisant pour conduire à une
suppression totale des règles de conflit à l’échelle nationale. De plus, il reste que le droit
international privé de source nationale est indispensable en l’absence de texte supranational.

b) La nécessité du droit international privé national à défaut de texte supranational


existant
325. Un rôle nécessaire face aux vides juridiques. Si le droit international privé
interne joue un rôle de suppléant en raison de sa fonction subsidiaire, il l’est également au
regard de son caractère nécessaire. La nécessité du droit international privé national s’illustre
177
chaque fois qu’aucun texte supranational n’a vocation à s’appliquer au regard de son champ
d’application matériel. En d’autres termes, dès lors qu’une matière n’a fait l’objet d’aucun
accord à l’échelle supranationale, il est indispensable que le droit interne intervienne pour
pallier ce vide juridique645.
326. Une nécessité à défaut d’unification des règles supranationales. Aujourd’hui,
le droit des conflits de lois n’étant pas parvenu à une absolue unification de ses règles à une
échelle supranationale, diverses matières demeurent soumises uniquement aux règles de
conflit nationales de chaque pays. Il en est notamment ainsi des règles de conflit relatives au
mariage. Ceci s’explique probablement au regard de la conception culturelle et religieuse que
chaque pays se fait de cette institution. Le droit international privé de source nationale est
alors indispensable pour régir tout litige relatif aux conditions de validité d’un mariage faisant
état d’un élément d’extranéité. Cette seconde observation résulte également de l’échec de
l’harmonisation des règles de conflit de lois à une échelle plus que nationale. Cet échec est
bien pour partie dû à la conception souverainiste du conflit de lois et aux identités respectives
de chaque pays.
327. De l’insécurité juridique au particularisme. Si le droit international privé
national est un suppléant, a priori indispensable, il maintient en réalité une certaine insécurité
juridique et participe à une conception particulariste du droit des conflits de lois, lesquelles
sont contraires à l’esprit même de la matière.

2) Le droit international privé national : facteur d’insécurité et de particularisme


328. Si le droit international privé interne ne peut faire l’objet d’une suppression, il est
moteur d’insécurité juridique dans la mesure où il peut conduire à la création de situations
boiteuses (a). Or, le caractère indispensable du droit international privé national ne suffit pas à
justifier son maintien. En réalité, une telle source perdure à raison de l’échec de
l’internationalisation, lequel est, pour partie, imputable à l’idéologie particulariste du droit
international privé et notamment du droit des conflits de lois (b).

645
Ex. : Cass., Civ. 1ère, 19 sept. 2007, n°06-15.295, RCDIP 2008, p. 99, note P. Gannagé ; dans lequel la Cour
énonce que « la loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat avant l’entrée en vigueur de la
convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux est déterminée
principalement en considération de la fixation de leur premier domicile matrimonial » c’est-à-dire par la règle de
conflit de lois française.

178
a) De l’insécurité juridique à la création de situations boiteuses
329. Une source du droit à résultats variables. « Dans chaque pays, les tribunaux et
les particuliers sont liés par les dispositions législatives formelles relatives à la solution des
conflits de lois » 646 . Ainsi, en l’absence, de normes supranationales de droit international
privé applicables, chaque juge applique ses propres normes de conflit de lois c’est-à-dire les
règles de conflit de sa juridiction c’est-à-dire relevant de son droit national. Ceci se justifie
dans la mesure où le droit interne de chaque Etat se doit de suppléer le vide juridique issu de
l’absence de sources internationales. Cependant, ce système implique une certaine insécurité
juridique. Véritablement, le défaut des sources nationales est d’imposer un résultat
complètement variable selon le point de vue duquel se place le sujet de droit. En effet, selon la
juridiction saisie, ne seront pas appliquées les mêmes règles de conflit puisque chaque
juridiction, à défaut de sources supranationales, applique ses propres règles de conflit. Il en
résulte que les solutions de chaque litige varieront nécessairement d’un pays à l’autre.
330. La création de situations boiteuses. Cette critique pouvait déjà être émise à
l’époque de la jurisprudence Caraslanis647, dans la mesure où la solution du litige consistait à
rendre valide le mariage célébré en France en vertu des règles conflit de lois françaises, alors
qu’il ne le sera pas au regard de l’ordre juridique hellénique. Ainsi, l’application par le juge
de ses propres règles de conflit conduit à créer des situations boiteuses, qui seront valables à
l’égard d’un ordre juridique et qui seront nulles à l’égard d’un autre. En sus, si cette critique a
pu être adressée en 1955 à la jurisprudence française, cela n’a pas empêché le législateur
français de participer à la création de nouvelles situations boiteuses par la promulgation de
récentes règles de conflit. En effet, l’article 202-1 du Code civil, depuis 2014, prévoit que
« deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une
d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile
ou sa résidence le permet ». Cette disposition est l’exemple le plus frappant de la variabilité
issue des règles de conflit internes. En application de cette législation, il est donc considéré
que tout mariage homosexuel est valide à partir du moment où la loi personnelle ou la loi du
domicile de l’un des membres du couple le permet. Cela signifie qu’un couple homosexuel
vivant dans un pays dans lequel le mariage homosexuel est refusé ou prohibé peut se marier si
la loi personnelle de l’un des membres du couple le permet. Ainsi, le mariage sera reconnu

646
F. Despagnet, op. cit., § 21.
647
Cass., Civ., 22 juin 1955, Caraslanis, RCDIP 1955, p. 723, note Batiffol ; Dalloz 1956, p. 73, note Chavrier ;
Journal des juristes hellènes 1956, p. 217, note Francescakis ; GAJFDIP, n°27.

179
par l’ordre juridique de la loi personnelle de l’un des époux, mais le mariage ne sera pas
reconnu par l’Etat sur le territoire duquel les époux ont leur domicile. Un tel mécanisme est
évidemment critiquable dans la mesure où le mariage ne sera valide qu’à l’égard de l’ordre
juridique dont l’un des membres du couple détient la nationalité. Ces exemples attestent que
les sources nationales, bien que nécessaires, conduisent à la création de situations boiteuses et
sont facteurs d’insécurité juridique. Le droit des conflits de lois a pour objet l’unification
laquelle devrait conduire à une égalité de traitement des sujets de droit. Or, tel n’est pas le cas.

b) De l’échec de l’internationalisation à la victoire de l’inégalité


331. L’inégalité de traitement issue de l’échec de l’internationalisation. Le constat
est tel que, aujourd’hui, le maintien du droit international privé de source interne atteste de
l’échec de l’internationalisation de la matière. Comme l’ont affirmé Batiffol et le Professeur
Lagarde, « la divergence des règles de conflits de lois est en opposition avec la notion d’un
ordre international ». Ils ont notamment expliqué que « si les règles de conflit de lois adoptées
simultanément en France et en Angleterre attribuent un champ d’application différent aux lois
respectives de ces deux pays, les unes s’attachant à la nationalité des parties, les autres au
domicile pour déterminer leur domaine, il n’y a pas répartition des compétences législatives,
mais concurrence et conflit, c’est-à-dire le contraire de l’ordre, et ce au détriment certain des
parties en cause qui risquent de voir des solutions contradictoires intervenir dans les différents
pays sur les mêmes intérêts » 648 . La conséquence de cet échec est celle d’une insécurité
juridique et d’un traitement différencié des sujets de droit selon la juridiction saisie. En outre,
le système en place ne traite pas actuellement, au regard de ses sources, les sujets de droit de
manière égalitaire c’est-à-dire équivalente.
332. Le malheureux maintien du particularisme. Si le droit international privé de
source interne est maintenu en raison de son caractère subsidiaire, il l’est aussi à raison du
développement du particularisme depuis la fin du XIXème. Si les sources nationales peuvent
conduire à l’élaboration d’un droit international privé comparé tendant à l’universalisation,
elles mènent également au maintien de l’idéologie particulariste consistant davantage à
s’attacher à un règlement des conflits purement national.
333. Le retour regrettable de l’identité nationale en société. Une telle affirmation à
l’égard du droit international privé et conséquemment du droit des conflits de lois n’est que la
conséquence des idéologies qui règnent aujourd’hui dans notre société. A ce sujet, Simone

648
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 24.

180
Veil, au regard de l’Union européenne, a affirmé que « nous vivons un paradoxe : l’Européen
d’aujourd’hui voyage beaucoup, l’euro est devenu une réalité dont la plupart se félicitent,
Internet est entré dans les mœurs et la dimension de la mondialisation domine la pensée
contemporaine. Cependant, les citoyens semblent beaucoup plus attachés à leur identité
nationale qu’il y a vingt ans, au point que partout se développent des tentations
communautaristes. (…) Pour toutes ces raisons, si je pensais il y a vingt ans que nous
parviendrons à dépasser rapidement le cadre de la nation, j’en suis aujourd’hui moins
convaincue, de sorte que l’idée que je me forge désormais de l’Union européenne s’apparente
davantage à un agrégat de poupées russes qu’à un édifice monolithique »649. Le regard apposé
par l’ancienne députée européenne renvoie aux considérations publicistes régnant sous
l’Ancien Régime et dont certains Etats se prévalent. Or, il faut rompre avec le passé et se
soustraire de ces idéologies archaïques pour mettre en place un droit neutre conduisant à un
système universel. Tant que l’objectif ne sera pas atteint, aucune égalité de traitement ne
semble être envisageable.
334. Le défaut d’internationalisation lié au souverainisme des Etats. En
conclusion, l’étude des sources textuelles du droit international privé, qu’elles soient
nationales ou supranationales conduit aux mêmes remarques. Premièrement, le
développement inachevé de sources internationales et le nécessaire maintien des sources
nationales attestent de l’échec de l’internationalisation du droit des conflits de lois conduisant
à une inégalité de traitement des sujets de droit. Deuxièmement, cet échec est celui d’une
volonté insuffisante de créer un système universel. Il est clair que les idéologies publicistes,
ou plus exactement souverainistes de chaque Etat constituent l’obstacle majeur à une
coordination, voire une unification des règles de conflit de lois. De surcroît, la difficulté se
prolonge dans l’identité nationale de chaque Etat, laquelle crée une barrière face à
l’universalisation du droit des conflits de lois. Néanmoins, si au regard des sources textuelles,
il semble que le droit des conflits de lois ne soit pas et ne puisse être universel, il pourrait le
devenir grâce au rôle fondamental joué par la jurisprudence. En effet celle-ci constitue une
autre source du droit international privé puisqu’elle se voit attribuer le rôle d’unificateur des
règles de droit.

649
S. Veil, VII « Citoyenne de l’Europe », in Une vie, éd. Stock, 2007, p. 221.

181
SOUS-SECTION 2 : D’UNE JURISPRUDENCE ACCESSOIREMENT INTERNATIONALE
AUX JURISPRUDENCES ESSENTIELLEMENT NATIONALES

335. Le droit international privé a suscité l’intervention d’un organe juridictionnel afin
que celui-ci exécute les textes et les interprète. Parallèlement à l’élaboration de sources
supranationales et de sources nationales, la jurisprudence s’est développée aussi à ces deux
niveaux. D’une part, ont été créés des organes juridictionnels supranationaux compétents en
droit international privé (§1). D’autre part, les juges nationaux se sont vus attribuer
naturellement la même compétence, leur rôle s’avérant indispensable (§2).

§ 1 – LA CREATION LOCALISEE D’ORGANES JURIDICTIONNELS SUPRANATIONAUX


COMPETENTS EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE

336. La vocation du droit international privé, à savoir l’harmonisation, invite à penser


que la discipline devrait relever de la compétence d’une juridiction internationale unique.
Néanmoins, une telle conception semble idéalisée (A). C’est pourquoi de nos jours, la matière
relève de la compétence, non pas de cours internationales, mais bien de certaines juridictions
régionales (B).

A. LA CREATION IDEALE D’UNE JURIDICTION INTERNATIONALE UNIQUE


SPECIALISEE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE

337. Pour parvenir à uniformiser le droit international privé, il paraît nécessaire


d’instituer une ou plusieurs cours internationales propres au droit international (1). Cependant,
à ce jour, aucune juridiction internationale commune et consacrée uniquement au droit
international privé n’existe (2).

1) L’institution apparente de Cours internationales propres au droit international


338. L’utopie conduit à considérer que pour que la justice soit assurée à une échelle
mondiale, il est nécessaire de recourir à une juridiction internationale commune en droit privé
(a). C’est pourquoi des Cours internationales permanentes ont été instituées (b).

a) Le recours nécessaire à une juridiction internationaliste privée commune


339. La judiciarisation internationale de la discipline. Si, comme l’a affirmé
Niboyet, « le droit international privé se prête difficilement à une codification mondiale »650
aujourd’hui, il pourrait en revanche être l’objet d’une judiciarisation à l’échelle internationale.

650
J.-P. Niboyet, op. cit., § 27.

182
Effectivement, dès le XIXème siècle, sous l’influence des conceptions universalistes de
Mancini et Savigny, apparaît l’idée selon laquelle le droit international privé doit être pensé à
l’international afin d’être universellement applicable651. Ainsi, en sus des sources textuelles,
le droit international privé devrait également être étendu à l’échelle internationale quant à ses
organes judiciaires.
340. La recherche d’une interprétation internationale uniforme. Actuellement,
tout système de droit positif connaît des sources écrites lesquelles peuvent faire l’objet d’une
interprétation. Afin d’atteindre une uniformité d’interprétation, ont été mises en place des
juridictions qui répondent à cette exigence. Par conséquent, si le droit international privé doit
être construit sur les mêmes bases que toute autre matière afin d’assurer un traitement
uniforme des sujets de droit, il doit nécessairement inviter à la constitution d’une juridiction
internationale propre aux rapports de droit privé. En effet, un tel organe judiciaire au niveau
mondial permettrait une interprétation autonome et uniforme de la matière conduisant
nécessairement à un traitement équivalent de chaque sujet de droit dès lors que sont mises en
œuvre les règles propres au droit international privé. Comme l’a affirmé Batiffol, « la
nécessité s’impose de l’intervention d’une autorité qui parle pour tous » 652 . Or, sous
l’influence d’une volonté internationaliste et de la création de la Conférence de La Haye à la
fin du XIXème siècle, le projet d’une Cour internationale commune s’est concrétisé.

b) L’établissement de Cours internationales essentiellement compétentes en droit


international public
341. La création de Cours internationales. A la suite du mouvement
internationaliste engendré par la Conférence de La Haye, a été érigée la Cour permanente
d’arbitrage de La Haye en 1899 à l’occasion de la première conférence. L’objet de cette Cour
était celui des arbitrages internationaux. Postérieurement, à la suite de la première guerre
mondiale, en 1922, est apparue la Cour permanente de justice internationale sous l’impulsion
de la Société des Nations, puis à la suite de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, elle a été
remplacée par la Cour internationale de justice en tant qu’organe des Nations unies.
Contrairement à la Cour permanente d’arbitrage, la Cour internationale de justice avait pour
objet de régler les conflits juridiques soumis par les Etats et de présenter des avis consultatifs
sur des questions juridiques.

651
Cf. supra § 153 et s.
652
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 62.

183
342. Des Cours majoritairement compétentes en droit international public. La
mise en place de ces Cours internationales, et notamment de la Cour internationale de justice,
invite à penser, comme l’a considéré Niboyet à propos de la Cour permanente de justice
internationale, qu’« une interprétation uniforme (pourrait) se substituer à celle des Etats
signataires respectifs »653. De cette manière, les règles du droit international privé seraient
uniformisées à l’échelle internationale. Or, les juridictions internationales telles que ces
dernières ont été créées sur la base du droit international public et leur « compétence concerne
en principe les matières de cette branche du droit », elles ont seulement « plus ou moins
occasionnellement tranché des questions de droit international privé »654. Par conséquent, si
les juridictions internationales ont tranché des questions de droit international privé, ces
décisions demeurent occasionnelles655. Finalement, la volonté de créer une autorité commune
dans le but d’une interprétation harmonisée s’avère plutôt un échec sur le plan du droit
international privé dans la mesure où ces Cours se sont principalement consacrées au droit
public. En sus, l’échec n’est que plus grand puisque « toutes les tentatives qui ont été faites
pour créer une instance judiciaire ouverte à tous les Etats, et revêtant un caractère obligatoire,
ont échoué »656. En effet, ces Cours sont tributaires de la volonté des Etats et ne seront donc
compétentes que si ceux-là l’ont stipulé. Ainsi, aujourd’hui, « la communauté internationale
(…) ne connaît pas d’organisation judiciaire » puisqu’ « il n’y a pas de tribunal commun, dont
la juridiction serait obligatoire pour tous les membres de cette communauté
internationale »657. En d’autres termes, à ce jour, ces juridictions, certes internationales ne
peuvent être considérées comme les représentantes d’une justice internationale commune en
droit international privé. Il convient donc de constater l’inexistence d’une juridiction
internationale unique dans une telle discipline.

2) L'inexistence d’une juridiction internationale unique en droit international privé


343. En pratique, il apparaît impossible de mettre en place un juge international
commun (a). Cependant, si à une échelle mondiale, il n’est pas envisageable d’établir une
juridiction internationale, il est possible de recourir à une juridiction dont la compétence serait
plus réduite, laquelle s’étendrait au niveau régional (b).

653
J.-P. Niboyet, op. cit., § 36.
654
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 27.
655
Ibid., § 29.
656
V. Bruns, Chap. IV « Compétence de la Cour », in « La cour permanente de justice internationale : son
organisation et sa compétence », RCADI, 1937, vol. n°62, spéc. p. 623.
657
Ibid.

184
a) L'impossible mise en œuvre d’une juridiction internationale commune spécialisée
344. L’impossible institution d’une juridiction internationale en l’absence de
communauté de droit unique. Si l’idéalisme conduit à exiger l’institution d’une juridiction
internationale unique en droit international privé, tel ne peut être le cas en pratique. Outre le
fait que les Cours mises en place aujourd’hui sont tributaires du consentement des Etats quant
aux litiges qui leurs sont soumis, les Cours, et notamment la Cour internationale de justice,
fondent leurs décisions sur leurs conventions internationales. Effectivement, l’article 38 du
Statut de la Cour internationale de justice prévoit que la mission de la Cour est de « régler
conformément au droit international les différends qui lui sont soumis » en appliquant les
conventions internationales reconnues par les Etats, la coutume internationale et les principes
généraux de droits658. Par conséquent, cela signifie donc que les différends, du moins en droit
international privé, seront résolus au regard des textes internationaux reconnus par les Etats en
litige. Ainsi, le droit international privé ne peut être représenté par un organe judiciaire
commun. Le nombre plutôt réduit de conventions internationales en droit international privé
suffit à justifier l’impossible recours à une juridiction internationale unique. En effet, « la
Cour est un organe de droit international, une juridiction de droit international ; sa fonction
consiste à trancher les différends entre Etats, à les trancher sur la base du droit
international »659. Or, pour qu’un tribunal international spécifique aux rapports de droit privé
puisse être commun à tous les Etats, il faut certainement qu’il puisse baser ses décisions sur
un corpus de règles commun. Cependant, tel n’est pas le cas660. L’universalisation des sources
textuelles est aujourd’hui un échec à l’échelle internationale.
345. Du défaut de juridiction commune aux juridictions régionales. Finalement les
critiques faites aux sources textuelles s’appliquent à la jurisprudence. En raison de la diversité
identitaire des Etats qui composent la communauté internationale, il relève d’un certain
idéalisme d’envisager la création d’un tribunal commun compétent pour résoudre tous les
litiges s’élevant en droit international privé. C’est pourquoi à défaut de juridiction
internationale commune, des tribunaux régionaux pourraient être mis en place.

b) Le recours envisageable à des juridictions régionales spécialisées


346. L’existence préalable de sources régionales. Comme l’a affirmé Grimaldi,
« l’observation des règles existantes en droit international privé permet de dire qu’un droit

658
Art. 38 du Statut de la Cour internationale de justice.
659
V. Bruns, op. cit., spéc. p. 632.
660
Cf. supra § 313, 313, 330 et s.

185
international privé universel, gouvernant les rapports entre humains, est inexistant non
seulement par l’absence d’uniformité des législations étatiques, mais surtout par la diversité
des règlements étatiques de rattachement » 661 . Ainsi, si à raison principalement des
différences identitaires de chaque Etat, aucun droit international privé unique n’a pu à ce jour
être réellement édifié, il n’empêche que cette discipline est développée à une échelle
régionale. Les règles du droit international privé peuvent alors être qualifiées de
communautaires puisqu’elles « ont une portée et une nature autres que les règles
particularistes » dans la mesure où « elles régissent des activités auxquelles est sensible la
communauté dans son ensemble, tandis que les secondes n’entrent pas dans un système de
règles suscitant l’intérêt de la communauté entière »662.
347. Des sources pouvant être assorties d’un organe judiciaire. Le fait que ces
règles communautaires aient pu être mises en place à une échelle régionale comme en
Amérique ou en Europe laisse penser que celles-ci peuvent être accompagnées d’un organe
juridictionnel judiciaire. En effet, il est légitime que les textes issus des organisations
internationales régionales soient protégés et interprétés par une institution autonome et
notamment une juridiction. C’est pourquoi si diverses organisations régionales ont pu établir
tout un corpus de règles applicables aux litiges internationaux relevant du droit privé663, ceux-
là sont parfois assortis d’un organe juridictionnel.
348. L’institution éventuelle de juridictions régionales. La volonté d’établir une
juridiction internationale autonome à l’échelle régionale est apparue principalement en
Amérique et en Europe. Pour reprendre l’exemple de l’Amérique, à la suite du mouvement
panaméricain enclenché dès le XIXème siècle, a émergé l’idée d’une Cour de justice centre-
américaine, laquelle fût établie en 1907 par le biais d’une convention. Il s’agissait d’une
« juridiction non seulement permanente, mais obligatoire » dont la « compétence était
extrêmement étendue », laquelle « portait sur les conflits de toute nature entre les
gouvernements » et « s’appliquait aux recours exercés contre les gouvernements par de
simples particuliers »664. L’instauration d’une telle cour aurait pu permettre d’assurer l’unité
des règles du droit international privé grâce à un organe autonome. Cependant, dix ans plus

661
J.-D. Grimaldi, Délimitation juridique de la communauté internationale contemporaine, Thèse, Paris, 1943,
Dalloz, 1943, § 70.
662
Ibid., § 86.
663
Cf. supra § 281 et s.
664
N. Politis, Ch. II, S. III, § 3 « La Cour de justice centre-américaine », in La justice internationale : une
introduction historique, Ed. Panthéon-Assas, 2017, p. 139 et s.

186
tard, elle cessa d’exister à raison de son caractère obligatoire lequel était finalement contesté
par les Etats parties. Ainsi, « son expérience montre de manière fort pratique qu’on ne saurait
être assez prudent dans la marche vers la justice internationale obligatoire » et qu’« il ne sert à
rien de stipuler le recours obligatoire pour tous les conflits à venir, quelles qu’en soient la
nature et la gravité, quand la conscience des Etats n’est pas encore assez mûre pour en
accepter les conséquences »665.
349. Une institution subordonnée à la volonté des Etats. De là ressort une tout autre
difficulté relative à l’établissement d’une juridiction commune régionale, qui est celle de la
soumission des Etats à l’autorité de cette cour. En effet réapparaît l’idéologie souverainiste
qui pèse un poids considérable dans l’élaboration des règles du droit international privé, mais
également dans la mise en place d’un organe juridictionnel. La pratique en atteste davantage
en ce que, aujourd’hui, aucune autre cour américaine n’a été mise en place pour permettre une
interprétation uniforme des règles internationales et principalement du droit international
privé. Cependant existe une exception : l’Europe. En effet, c’est à l’échelle régionale
européenne qu’existe, actuellement, un juge européen lequel représente un organe autonome
dont la fonction est d’assurer notamment l’interprétation uniforme du droit international privé.

B. LA REALISABLE MISE EN PLACE DE JURIDICTIONS REGIONALES


EUROPEENNES

350. Si l’institution d’une juridiction internationale unique est impossible, la création


d’un organe juridictionnel européen l’a été (1). Par conséquent, à l’échelle régionale
européenne, le droit international privé relève de la compétence suprême de la Cour de justice
de l’Union européenne. Également, à un degré européen plus large, le droit international privé
peut être l’objet de la jurisprudence d’une seconde Cour, la Cour européenne des droits de
l’Homme (2).

1) La Cour de justice de l’Union européenne : la juridiction suprême du droit


international privé européen
351. L’instauration d’une juridiction propre à l’Union européenne a contribué à
l’encadrement des règles européennes. Effectivement, le juge de l’Union européenne s’est vu
doter d’une compétence d’interprétation lui permettant de participer à l’unification des règles
de droit international privé (a). Pour autant, les compétences du juge de l’Union européenne
demeurent cantonnées à la sphère purement européenne et étatique (b).

665
N. Politis, op. cit., p. 139 et s.

187
a) L’unification du droit international privé par le pouvoir interprétatif du juge de
l’Union européenne
352. La compétence interprétative de la CJUE. L’Union européenne, depuis la
création des Communautés européennes en 1958, s’est dotée d’un organe juridictionnel, à
savoir dans un premier temps de la Cour de justice des Communautés européennes, puis dans
un second temps de la CJUE depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. L’un des rôles
de cette juridiction a été pour la CJCE, puis aujourd’hui, est pour la CJUE, l’interprétation des
textes internationaux. Grâce à cette fonction, la Cour de justice a eu l’occasion d’intervenir à
plusieurs reprises en droit international privé. En effet, l’article 267 du TFUE prévoit
notamment que « la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre
préjudiciel : a) sur l’interprétation des traités, b) sur la validité et l’interprétation des actes pris
par les institutions, organes ou organismes de l’Union »666 . Par conséquent, il est attribué
exclusivement à la CJUE le pouvoir d’interpréter les traités, mais aussi tous les actes de droit
dérivé ou originaire. « Le but de la procédure est d’harmoniser et d’unifier les interprétations
des traités de l’Union »667.
353. De l’interprétation à l’harmonisation des règles. La procédure préjudicielle
conduit à l’harmonisation des règles de droit international privé issues des textes européens
dans la mesure où la CJUE est exclusivement compétente s’agissant de leur interprétation668.
De plus, « la juridiction, qui est à l’origine du renvoi préjudiciel, est tenue par l’interprétation
qui est faite par la Cour de justice suite au renvoi, comme toutes les juridictions qui seront
conduites à appliquer le même texte »669. Par conséquent, si la compétence de la CJUE est
exclusive en matière d’interprétation des règles de droit international privé de sources
européennes, son interprétation doit également être suivie par les Etats membres de l’Union
européenne. De plus, outre la manifestation du pouvoir d’interprétation de la CJUE via le
renvoi préjudiciel, celui-ci peut également s’illustrer dans la procédure en manquement. En
effet, « le recours en manquement permet aussi à la Cour de justice de se prononcer sur des
différends relatifs à l’interprétation dans l’application du droit de l’Union entre la

666
J.-L. Sauron, Procédures devant les juridictions de l’Union européenne et devant la CEDH, Gualino, 4ème éd.,
2016, § 208.
667
Ibid.
668
Voir en ce sens, CJUE, 31 mai 2018, aff. C-335/17, D. actualité, 7 juin 2018, note F. Mélin, dans lequel la
Cour a précisé que : « la notion de « droit de visite », visée à l’article 1er, §2, a), ainsi qu’à l’article 2, points 7 et
10, du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003, doit être interprétée en ce sens qu’elle comprend le droit
de visite de grands-parents à l’égard de leurs petits-enfants ».
669
J.-L. Sauron, op. cit., § 256.

188
Commission et les Etats membres, et constitue ainsi l’une des voies, en plus de la procédure
préjudicielle, permettant d’interpréter les traités »670.
354. Une juridiction garante de l’uniformité du droit. La mise en place d’une
juridiction européenne est donc garante d’une uniformité du droit international privé
européen. En effet, la compétence exclusive de la CJUE en matière d’interprétation ainsi que
la force obligatoire de sa ligne de conduite à l’égard des Etats membres laissent songer que le
droit international privé et plus particulièrement le droit des conflits de lois peut, à l’échelle
régionale, tendre à l’universalité. Néanmoins, l’unique rôle d’interprète de la Cour de justice
ne suffit pas à faire de la discipline un droit universel à l’échelle européenne.

b) Les compétences de la Cour de justice limitées à la sphère intra-européenne


355. Le recours en manquement indirectement ouvert aux particuliers. Si la
fonction reconnue à la CJUE permet d’envisager une unification du droit international privé
européen grâce à la procédure préjudicielle, cela est davantage confirmé par la procédure de
recours en manquement d’Etat, laquelle permet de sanctionner « le manquement (d’un Etat)
par rapport à l’ensemble du droit de l’Union : droit primaire, droit dérivé et jurisprudence »671.
Par conséquent, si l’interprétation tient lieu de ligne de conduite pour les Etats membres de
l’Union, elle est également garantie par une possible sanction de la Cour de justice en cas de
non-respect. Néanmoins, la sanction d’un Etat membre par la CJUE n’est encourue que via le
recours en manquement lequel ne peut être intenté que par un autre Etat membre ou par la
Commission de l’Union européenne. Par conséquent, aucun recours direct des particuliers ne
leur est octroyé. Néanmoins, « les faits susceptibles de conduire à l’ouverture d’une procédure
en manquement sont portés à la connaissance de la Commission (…) sur plainte des
particuliers »672, laquelle sera appréciée par la Commission. Ceci permet de considérer que la
voix des particuliers peut être entendue dans l’hypothèse où une obligation européenne serait
violée par un Etat membre, mais cela ne permet en aucun cas d’affirmer que les intérêts des
particuliers, lesquels sont principalement concernés par les règles de droit international privé,
seront nécessairement garantis et protégés par l’Union européenne dans la mesure où leurs
réclamations font l’objet d’un filtre émanant lui-même de l’Union.

670
J.-L. Sauron, op. cit., § 256, « résumé », spéc. p. 66.
671
Ibid., § 163.
672
Ibid.

189
S’il est donc louable d’avoir octroyé un pouvoir de sanction à la CJUE afin que soient
respectées les obligations de l’Union européenne, ce pouvoir de sanction reste cantonné à une
sphère étatique, loin des intérêts privés. Ceci se justifie probablement au regard de la
compétence de l’Union laquelle concerne les traités et tous les actes émanant de l’Union. En
effet, le rôle de la CJUE n’est pas de se cantonner aux règles de droit international privé
européen, mais bien à toutes les obligations européennes issues des instruments européens.
Par conséquent, il n’a pu être mis en place une procédure totalement adaptée aux intérêts des
particuliers dans le cadre du droit international privé.
356. Un contrôle cantonné aux instruments européens. De plus, les deux recours
disponibles devant la CJUE ne concernent, pour l’interprétation, que les textes issus de
l’Union européenne, pour les recours en manquement, que les obligations imposées par les
instruments de l’Union européenne. Ces recours limitent donc le rôle de la juridiction aux
sources européennes. Ainsi, toute interprétation ne sera que celle d’un texte européen, en
aucun cas celle d’un texte national, puisque le droit international privé européen est
aujourd’hui consacré par des règlements européens. Par conséquent, une ligne de conduite
peut être suivie par les Etats membres quant à l’application des règlements européens, mais
ceux-là resteront complètement libres dans le traitement d’une situation internationale qui ne
permet pas l’application d’un règlement européen. Ce comportement ne sera pas non plus
sanctionné, les Etats membres n’ayant aucune obligation d’aligner l’intégralité de leur
législation nationale relative au droit international privé sur celle de l’Union européenne dans
673
les situations ne relevant pas du champ d’application d’un règlement européen .
Indéniablement, cela crée un système à double vitesse et fait état d’un manque
d’harmonisation des sources du droit international privé.
357. Les juges nationaux demeurant acteurs principaux du droit international
européen. En outre, si le droit international privé européen est en principe interprété par la
CJUE, les juges nationaux restent les principaux acteurs de la justice internationale
européenne. En effet, ce sont les juges internes qui appliquent les règlements européens en
droit international privé. En l’absence de toute interprétation de la CJUE, à l’égard des
règlements européens, il revient aux juges internes d’appliquer ces textes conformément à
l’interprétation qu’ils s’en font eux-mêmes. Ainsi, dès lors qu’un texte n’a pas fait l’objet

673
Cf. infra § 367 et s.

190
d’une interprétation par la CJUE, chaque juge national peut l’interpréter conformément à son
état d’esprit dès lors que les termes du règlement lui paraissent signifiants.
En sus, la procédure préjudicielle ne peut être mise en œuvre que par l’action du juge
national, et plus précisément « seules les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas
susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ont l’obligation de saisir la Cour de
justice »674. Le renvoi préjudiciel ne serait donc utilisé par le juge national que dans la mesure
où il estime qu’une disposition européenne du règlement européen manque de clarté, et ne
serait obligatoire que dans de rares hypothèses. En revanche, toute notion dont la signification
est estimée claire ne fera pas l’objet d’un recours préjudiciel, tout comme l’obligation de
saisir la Cour pourra être écartée chaque fois que les juridictions nationales « estiment que le
droit de l’Union européenne n’est pas nécessaire pour trancher le litige au niveau
national » 675 . Une grande marge de manœuvre est donc laissée à l’appréciation du juge
national.
358. Le rôle insuffisant de la CJUE en droit international privé. Finalement, les
recours autorisés devant la CJUE ne permettent pas une ligne de conduite totalement uniforme
puisqu’ils sont principalement à l’initiative des Etats et de leurs juges nationaux. Aucune
participation des individus n’est réellement intégrée, ce qui peut conduire à un risque
d’inégalité de traitement du sujet de droit. En effet, à partir du moment où le renvoi
préjudiciel est laissé à l’appréciation du juge national, chacun peut alors dans son système
national appliquer un règlement européen en l’interprétant à sa propre manière, ceci chaque
fois qu’il considère les termes de ce règlement clairs. Or, il n’est pas impossible que cette
interprétation diverge d’un Etat à l’autre. Si l’institution d’une Cour propre aux règles
européennes, notamment en droit international privé, constitue la première marche de
l’harmonisation de ces règles au regard de leur interprétation et de leur application, le
processus ne semble pas encore totalement abouti. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la
CJUE a été érigée afin de répondre à toutes questions européennes et non seulement à celles
propres au droit international privé. La meilleure solution serait alors de consacrer les
questions de droit international privé à une seule et unique Cour. Celle-ci serait
nécessairement plus à même de consacrer sa fonction à l’interprétation des règles de droit
international privé afin de tendre vers une unité dans l’application de ces règles. Toutefois, la

674
J.-L. Sauron, op. cit., § 227.
675
Ibid.

191
CJUE constitue le seul exemple de juridiction autonome qui tente d’unifier le droit
international privé européen. Néanmoins, le Conseil de l’Europe s’est lui aussi doté d’une
juridiction propre laquelle, si elle ne se consacre pas à l’unification des règles du droit
international privé, participe à la détermination de son champ d’application.

2) La Cour européenne des droits de l’Homme : une juridiction participative au


droit international privé européen
359. Parallèlement à l’Union européenne, une autre organisation internationale
européenne, le Conseil de l’Europe, s’est dotée d’une juridiction propre de nature à garantir
ses textes. Cette juridiction, la Cour européenne des droits de l’Homme, intervient
indirectement en droit international privé (a) mais son intervention demeure relativement
restreinte (b).

a) L’intervention indirecte de la Cour européenne en droit international privé


360. Le pouvoir interprétatif de la CEDH en matière de droits de l’Homme. La
CEDH est une institution juridique créée en 1959 comme garant de la Convention européenne
des droits de l’Homme du 4 novembre 1950. Elle a notamment pour fonction d’assurer à tout
sujet de droit la protection de ses droits fondamentaux, lesquels sont garantis par ladite
Convention et ses protocoles additionnels. Ainsi, la CEDH peut être saisie d’un recours par un
particulier après épuisement des voies de recours internes afin de condamner éventuellement
un Etat membre dans le cas où il n’aurait pas respecté ses engagements issus de la Convention
et ses protocoles. De même, à l’égard de ses textes, la CEDH détient le pouvoir de les
interpréter permettant ainsi une application uniforme au sein des Etats membres. Les pouvoirs
de la CEDH semblent donc se rapprocher de ceux de la CJUE en ce qu’un pouvoir
d’interprétation et de sanction est accordé à la juridiction. Cependant, contrairement à la
CJUE, aucune disposition garantie par la CEDH ne concerne à proprement parler le droit
international privé. En effet, « la Convention ne contient (…) aucune stipulation relative aux
relations transfrontières »676.
361. Une jurisprudence influente en droit international privé. Néanmoins, au
travers de sa jurisprudence, la CEDH participe indirectement à l’uniformisation du droit
international privé et principalement au regard de son contenu matériel ou bien au regard de
l’usage de ses mécanismes. L’exemple récent le plus marquant est bien celui relatif au recours
à la fraude à la loi ou à l’ordre public international à l’égard des enfants issus d’une gestation

676
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 62.

192
pour autrui à l’étranger. La CEDH a considéré que ces enfants devaient pouvoir bénéficier
d’une transcription à l’état civil de leur filiation biologique alors même qu’ils sont issus d’une
GPA laquelle serait interdite dans l’état de demande de transcription 677 . Grâce à cette
jurisprudence, la CEDH encadre le recours aux mécanismes d’exception propres au droit
international privé en ce qu’elle empêche leur utilisation dans une situation présentant les
conditions de mise en œuvre de ces procédés d’exception.
362. Un organe prometteur en termes d’unification. Ainsi, la CEDH participe
indirectement à l’encadrement des règles du droit international privé et ceci à une échelle
régionale visant tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Son influence est différente
de celle de la CJUE puisque contrairement à celle-ci, la CEDH tend à un encadrement du droit
international privé général dans la mesure où il ne vise pas strictement des règles de droit
international privé émanant des institutions du Conseil de l’Europe. Il concerne le droit
national de chaque Etat membre lequel doit s’aligner sur les exigences imposées par la CEDH
et notamment en droit international privé lorsque cela est le cas. Par conséquent, la CEDH
exerce une influence sur l’unification puisqu’elle sanctionne et s’impose directement au
regard des droits nationaux de chaque Etat. La participation de la CEDH à l’encadrement du
droit international privé semble donc nettement plus propice à l’harmonisation d’un système à
l’échelle régionale. Cependant, telle n’est pas la réalité en pratique notamment au regard de
l’intervention restreinte de la Cour en droit international privé.

b) L’intervention restreinte de la Cour européenne en droit international privé


363. L’alignement du droit international privé sur la jurisprudence de la CEDH.
La CEDH encadre effectivement le droit international privé grâce à la culture régionale
européenne qui a su s’imposer en matière de droits fondamentaux. Ainsi, « à partir du
moment où des Etats s’accordent sur des valeurs qu’ils considèrent si fondamentales qu’ils
décident de l’ériger sur la scène supranationale dans un traité, le juge étatique (doit) justement
faire par principe obstacle à toute reconnaissance de situations acquises sous l’empire d’une
loi étrangère ou par le truchement d’un jugement étranger méconnaissant ces valeurs dès lors
que l’individu présente un lien objectif au niveau spatial au sein duquel ces valeurs ont été

677
CEDH, 26 juin 2014, Mennesson contre France et Labassée contre France, aff. 65192/11 et aff. 65941/11,
Dalloz 2014, p. 1787, note Ph. Bonfils, p. 1806, note L. d’Avout, p. 1797, note F. Chénédé ; RTD civ. 2014, p.
616, note J. Hauser, p. 835, note J.-P. Marguénaud ; Dalloz 2015, p. 702, note F. Granet-Lambrechts, p. 1056,
note H. Gaudemet-Tallon, p. 755, note J.-C. Galloux.

193
proclamées »678. En conséquence, le Conseil de l’Europe, grâce à sa juridiction et son texte, a
pu encadrer le droit international privé pour que soient universellement appliquées les valeurs
auxquelles ont consenti les Etats membres. Les règles du droit international privé et
notamment du droit des conflits de lois sont donc appliquées en respectant ces valeurs, voire
même en les garantissant.
364. Une jurisprudence indirecte et parcellaire en droit international privé.
Cependant, le rôle de la CEDH n’est que de garantir les droits fondamentaux reconnus aux
individus. Par conséquent, si le droit international privé fait parfois l’objet d’un encadrement
par la jurisprudence de CEDH, cela ne reste qu’occasionnel. Sa fonction n’est pas d’organiser
les règles du droit international privé mais bien de garantir les libertés fondamentales de tout
individu dans toute législation nationale, ce qui peut indirectement conduire à régir le droit
international privé tout comme n’importe quelle autre discipline. Ainsi, la jurisprudence de la
CEDH en la matière n’est que « parcellaire » et « tributaire »679 du contexte dans lequel se
déroule le litige. En outre, si les décisions de la CEDH doivent inspirer les juges nationaux,
« elles ne sont pas dotées d’une autorité absolue de chose jugée » puisque « leur objet se
limite à une condamnation des Etats à réparation auprès de la personne privée lésée, auteur de
la requête » 680 . Par conséquent, « la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme n’est (…) pas assimilable à une source directe du droit international privé »681 .
Donc, si la jurisprudence de la CEDH permet une harmonisation effective du droit
international privé au sein du Conseil de l’Europe en tendant d’une part, à encadrer les droits
nationaux, et d’autre part, à entendre directement le sujet de droit, elle demeure occasionnelle
et consacrée à une tout autre discipline, celle des droits de l’Homme.
365. Une judiciarisation inachevée. En d’autres termes, les juridictions régionales
européennes mises en place actuellement participent à un réel mouvement d’uniformisation
des règles du droit international privé et conséquemment en droit des conflits de lois.
Néanmoins ce mouvement est inachevé pour diverses raisons, même si la plus probante reste
probablement celle de l’absence d’exclusivité au regard de la matière. Le système
juridictionnel mis en place traite le droit international privé encore à plusieurs niveaux, que ce

678
S. Lecuyer, op. cit., § 233.
679
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 62.
680
Ibid.
681
Ibid.

194
soit au regard des acteurs ou des textes. C’est pourquoi le juge national demeure le principal
organe d’encadrement et d’application du droit international privé.

§ 2 – LA VERITABLE EDIFICATION DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE PAR LES


JURIDICTIONS NATIONALES

366. Les juridictions internes, en droit international privé, jouent un rôle majeur, voire
prépondérant, dans la mesure où les juges nationaux sont ceux qui exécutent la loi. Leur est
confié la mise en œuvre des règles de droit international privé, lesquelles sont effectivement
appliquées, mais conduisent parfois à une variabilité de résultat (A). En outre, les juges
nationaux sont également les interprètes de la loi, ils assurent sa suppléance (B).

A. L’APPLICATION INEGALE DES REGLES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVE PAR


LES JURIDICTIONS INTERNES

367. En l’absence de juridiction internationale traitant le contentieux propre au droit


international privé, il a inévitablement relevé de la compétence du juge national de traiter tout
ce contentieux. Par conséquent, chaque juge interne devient acteur principal de la discipline
en tant que garant d’une application effective des règles de droit international privé (1).
Néanmoins, la mise en œuvre de ces règles demeure très variable selon le juge saisi (2).

1) L’application effective des règles de droit international privé par le juge national
368. Les juridictions nationales de chaque Etat sont celles en charge de régler les
différends à l’occasion desquels apparaît un élément d’extranéité. Il leur revient donc de
mettre classiquement en œuvre les règles du droit international privé prévues par le législateur
(a). Néanmoins, ce processus demeure conforme aux intérêts nationaux de l’Etat de la
juridiction saisie (b).

a) La mise en œuvre classique des règles de droit international privé par les juges
nationaux
369. L’exécution des règles du droit international privé par les juges nationaux.
Les juges nationaux, contrairement aux juges internationaux actuels, ont une mission
différente, laquelle consiste à mettre en œuvre les règles de droit international privé issues des
sources nationales et supranationales. Le juge est, de prime abord, l’exécuteur de la volonté
du législateur. Il revient donc à la jurisprudence d’appliquer la législation interne de l’Etat
auquel elle appartient682. De plus, conformément à l’évolution historique de la discipline, les

682
E. Bartin, op. cit., § 36.

195
litiges faisant état d’un élément d’extranéité ont été naturellement résolus devant les juges
nationaux. En effet, « les litiges de droit international privé apparaissent le plus souvent
comme des litiges de droit privé affectés d’un simple élément d’extranéité », « il est, dès lors,
naturel que les parties saisissent les tribunaux internes d’accès facile, accoutumés aux
problèmes de droit privé, et dont la décision sera exécutoire de plein droit »683. C’est pourquoi
« les tribunaux de l’ordre interne ont accepté de juger ces relations » considérant « qu’elles
mettaient en jeu concrètement des questions de droit privé de leur compétence » 684 . Par
conséquent, le juge national est le praticien du droit international privé puisque c’est à lui que
revient de mettre en œuvre les règles matérielles ou conflictuelles de droit international privé,
puis de trancher le litige au fond conformément à la loi désignée applicable.
370. Vers une application en principe harmonisée des règles du droit
international privé. Au premier plan de l’application effective des règles de droit
international privé se trouvent les juridictions internes. Il pourrait être supposé que ces règles,
telles qu’elles sont prévues par le législateur national et supranational, soient mises en œuvre
de manière identique d’une juridiction à l’autre conformément à la hiérarchie des normes. Le
processus intellectuel étant subordonné à la législation internationale permet de croire à une
application harmonisée de cette dernière. De plus, les décisions des juridictions nationales
étant dotées de force exécutoire devraient être exécutées de manière similaire conformément à
la législation de droit international privé. Cependant, si les juges nationaux ont pour fonction
d’appliquer les règles de droit international privé émanant des législations nationales et
supranationales, leur mise en œuvre l’est en considération des intérêts nationaux de l’Etat de
la juridiction saisie.

b) Une mise en œuvre soumise aux intérêts nationaux


371. Le cloisonnement des jurisprudences nationales. Si la jurisprudence est le
corollaire du législateur, elle rend des décisions qui sont affiliées à celui-ci. Cependant, la
jurisprudence demeurant nationale, ses solutions sont l’objet de considérations nationales et
non pas spécialement internationales. C’est pourquoi « leurs solutions doivent (…) considérer
les intérêts nationaux en cause »685. En réalité, même s’il a pu être envisagé que « l’histoire de
la jurisprudence française en matière de conflit de lois (était) terminée, puisque la

683
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 21.
684
H. Batiffol, op. cit., § 57.
685
Ibid.

196
jurisprudence, à l’avenir, (serait) internationale »686, aujourd’hui celle-ci demeure finalement
nationale en raison de l’échec de l’internationalisation globale des sources du droit
international privé. Néanmoins, même si l’internationalisation était réussie, ou bien même
s’agissant des sources internationales existantes, actuellement, « nos tribunaux, appliquant et
interprétant les décisions prises (à l’échelle internationale), n’en demeurent pas moins les
serviteurs du souverain français »687.
372. Un cloisonnement consécutif de l’absence d’unification internationale. En
l’absence d’unification internationale, il est peu probable d’estimer que les juridictions
nationales rendent chacune leurs décisions conformément aux intérêts internationaux et
subsidiairement aux intérêts nationaux. La proposition inverse s’avère davantage véridique,
notamment à raison de l’absence d’uniformisation totale des règles de droit international
privé. L’absence d’achèvement dans l’harmonisation des règles justifie, ou du moins
empêche, que les juridictions nationales fassent prévaloir les intérêts internationaux sur les
intérêts nationaux. Ceci s’explique d’autant plus qu’il appartient à des juridictions nationales,
et non internationales, de mettre en œuvre le droit international privé.
373. La persistance de l’individualisme. En outre, « nos sociétés sont profondément
marquées par un mouvement irréversible de globalisation et dans le même temps par la
montée des individualismes » 688 . C’est pourquoi si une volonté d’internationalisation se
développe nettement, elle est limitée notamment par l’individualisme persistant des sociétés
contemporaines. En réalité, il s’agit, une nouvelle fois, du souvenir laissé par les doctrines de
l’Ancien Régime. La difficulté tient implicitement au fait que chaque Etat est attaché à sa
souveraineté, son identité et sa culture notamment juridique. Ce sont ces éléments qui
constituent les obstacles à une unification du droit des conflits de lois. Les décisions des
juridictions nationales en sont également l’objet et conduisent indéniablement à une
variabilité d’application des règles de droit international privé. Par conséquent, d’une
juridiction à l’autre, les solutions peuvent différer alors même que les cas d’espèce sont
similaires.

686
H. Donnedieu de Vabres, « Conclusion », in L’évolution de la jurisprudence française en matière de conflit
des lois, Thèse, Paris, 1905, Ed. A. Rousseau, 1905, spéc. p. 629.
687
Ibid.
688
M. Cornu, « Approches juridiques de la diversité culturelle », JDI n°2, avr. 2015, biblio. 8, spéc. p. 5.

197
2) L’application variable des règles du droit des conflits de lois par les juges
nationaux
374. La ligne de conduite des juges nationaux consistant à poursuivre celle tracée par
leur législateur invite à traiter potentiellement de manière différente chaque situation
internationale selon la juridiction saisie. Cette variabilité de traitement conduit à une diversité
de solutions, laquelle apparaît à deux stades successifs c’est-à-dire lors de la mise en œuvre
des règles de conflit (a) puis des règles de fond (b).

a) La diversité de solutions dans la mise en œuvre des règles de conflit par les juges
nationaux
375. La résolution du conflit dépendante de la juridiction saisie. La résolution d’un
différend relatif à une situation internationale de droit privé suppose un raisonnement a priori
de la part de tout juge consistant à déterminer quelle est la loi applicable au litige qui lui est
soumis. Pour cela, chaque juridiction doit recourir à son système de solution de conflit de lois,
lequel peut contenir aussi bien des sources nationales que supranationales. Il s’agit donc bien
pour l’organe juridictionnel d’utiliser le système de droit positif de l’Etat auquel il appartient.
Cependant, comme l’ont affirmé Niboyet et Pillet, « la détermination de la loi compétente ne
peut pas être a priori », « elle dépend du tribunal compétent, c’est-à-dire du pays où la
question se pose et où le procès s’engage ». Il ressort bien de ces propos une idée de
« dépendance »689. Par conséquent, la solution relative à la mise en œuvre des règles de droit
international privé, probablement de règles conflictuelles, va bien dépendre du tribunal
compétent. Ainsi, « la jurisprudence en matière de conflit des lois n’est autre chose qu’un
reflet de la jurisprudence en droit interne »690.
376. Une dépendance obstacle à toute unification du droit. Le raisonnement
intellectuel conduisant à déterminer la loi compétente sera propre à chaque juridiction
conformément au système de conflit de lois applicable dans le ressort territorial de l’Etat dont
elle dépend. Par conséquent, serait considéré que dans un litige franco-espagnol, l’utilisation
des règles du droit des conflits de lois serait différente selon que le juge saisi est le juge
français ou bien le juge espagnol. Une telle pratique est totalement contraire à l’esprit
d’unification du droit des conflits de lois puisqu’ « il en résulte beaucoup d’incertitudes dans
les relations juridiques »691.

689
J.-P. Niboyet et A. Pillet, op. cit., § 298.
690
H. Donnedieu de Vabres, « Introduction », op. cit., spéc. p. 4.
691
J-P. Niboyet et A. Pillet, op. cit., § 298.

198
377. Une dépendance vectrice d’imprévisibilité juridique. Une jurisprudence
fonction uniquement de son propre système conduit, en droit des conflits de lois, à une
variabilité de solutions dans la recherche de la loi applicable. De plus, cela se confirme plus
encore au travers de la qualification lege fori consistant pour tout juge à qualifier une situation
internationale conformément à ses conceptions nationales 692 . De plus, même si, dans un
contexte de communauté régionale, les solutions peuvent davantage être similaires quant à la
détermination de la loi applicable grâce à des instruments communs, ce n’est pas pour autant
que les solutions ne restent pas variées. En effet, d’une part, dès lors que l’instrument ne
s’applique pas, sont appliquées les règles de conflit purement nationales, et d’autre part,
même lorsqu’un instrument régional est applicable, son application pourrait varier en raison
du recours à la qualification lege fori693. En outre, si la mise en œuvre des règles propres au
droit des conflits de lois peut conduire à une variabilité de solutions dans la recherche de la loi
applicable, elle peut encore conduire au même résultat lors de l’application des règles de fond.

b) La diversité de solutions dans la mise en œuvre des règles de fond par les juges
nationaux
378. La variabilité de solutions au stade de l’application de la loi compétente.
Toute situation internationale de droit privé suppose, a priori, d’être régie par des règles de
droit relevant du droit des conflits de lois pour déterminer quelle loi est compétente. Une fois
la loi applicable déterminée, le travail du juge n’est pas terminé puisque ce dernier doit
appliquer les règles matérielles c’est-à-dire la règle de fond issue de la loi considérée
compétente. Or, « alors même, que l’on suivrait dans tous les pays des règles identiques de
solution des conflits de lois, il subsisterait un nouvel obstacle, encore plus infranchissable
peut-être et qui produit un effet dissolvant : celui qui provient du défaut de communauté
juridique des législations dans leurs dispositions purement internes »694. Cet obstacle est celui
de l’ordre public international695. Effectivement, la variabilité des solutions ne concerne pas
uniquement le raisonnement a priori, mais également a posteriori. Par conséquent, chaque
fois qu’une juridiction, lorsqu’elle doit appliquer une loi étrangère, considère le contenu
matériel de cette loi comme contraire aux principes et valeurs universels et fondamentaux de
son système juridique, elle peut en écarter l’application. Est alors substituée la loi du for,

692
Cf. infra § 1007.
693
Cf. infra § 1085 et s.
694
J.-P. Niboyet, op. cit., § 325.
695
Cf. infra § 1654.

199
c’est-à-dire la loi de la juridiction saisie afin de régir la situation litigieuse. Il faut donc en
convenir que, même au stade de l’application des règles matérielles, les solutions au fond sont
variables selon la juridiction saisie, l’ordre public international étant propre à chaque Etat, et
donc à chaque juridiction. Ainsi, les tribunaux internes sont maîtres dans l’application des
règles de fond issues des règles conflictuelles.
379. Une jurisprudence en rupture avec l’égalité de traitement. La fonction de la
jurisprudence nationale, telle qu’elle est mise en place aujourd’hui, est en opposition et
constitue un obstacle à toute harmonisation, voire unification du droit des conflits de lois. La
place des intérêts nationaux et de l’identité culturelle, juridique et politique de chaque Etat est
relativement imposante dans la résolution du conflit de lois et conduit nécessairement à une
variabilité de solutions, c’est-à-dire indirectement à un traitement inégalitaire des situations
juridiques internationales. Il conviendrait davantage d’envisager le droit des conflits de lois
sous un angle supranational consistant à traiter de manière égalitaire tout individu partie à une
situation internationale équivalente. Néanmoins, si le rôle de la jurisprudence nationale est
critiquable en ce qu’elle est fortement cantonnée aux intérêts internes, il est justifié. Le rôle de
tout juge est nécessairement d’interpréter. Or, le juge national se voit aujourd’hui attribuer
cette fonction en droit international privé puisqu’il assure l’interprétation supplétive de toute
règle issue de la discipline, légitimant ainsi, son caractère indispensable.

B. L’INTERPRETATION SUPPLETIVE INDISPENSABLE DES REGLES DE DROIT


INTERNATIONAL PRIVE PAR LES JUGES NATIONAUX

380. Bien que la réalisation des règles du droit international privé par le juge étatique
puisse conduire à une variabilité de résultat, il apparaît nécessaire que ce même juge
intervienne à juste titre dans tout litige international. En effet, en tant que suppléant du
législateur, le juge national détient un pouvoir d’interprétation exclusif à l’égard des normes
juridiques de droit international privé (1). Ceci lui permet d’assurer une jurisprudence
continue et surtout novatrice (2).

1) Le pouvoir interprétatif de l’organe judiciaire exclusivement étatique


381. La jurisprudence, en tant que source du droit, assure l’interprétation des normes
juridiques textuelles notamment en droit international privé. Cette fonction est
traditionnellement attribuée au juge national (a) et elle permet d’assurer une certaine cohésion
de toutes les normes juridiques de droit international privé positives (b).

200
a) L’interprétation traditionnelle des règles de droit international privé par le juge
national
382. Le pouvoir d’interprétation de tout juge. Classiquement, dans tout système
juridique, la jurisprudence est considérée comme une source du droit, notamment au regard du
pouvoir d’interprétation reconnu au juge corrélativement à sa faculté d’appliquer la loi. Ainsi,
en l’absence de texte clair et précis, il revient à la jurisprudence le soin de déterminer le sens
du texte conformément à la volonté du législateur. En tant que fonctions traditionnelles
reconnues aux juridictions nationales, tout juge a le pouvoir d’interpréter les textes de droit
international privé. Par conséquent, « le juge ne prétend plus être l’exécuteur respectueux et
scrupuleux de la volonté du législateur » puisque « des méthodes d’interprétation de plus en
plus hardies lui ont attribué un rôle prétorien »696.
383. Une interprétation nationale en l’absence d’autorité commune. Cette fonction
reconnue aux juridictions internes en droit international privé se justifie en raison de l’absence
d’autorité commune supérieure. Comme l’a affirmé Batiffol, « il n’existe pas dans l’état
actuel du monde à proprement parler de pouvoir supérieur aux Etats, et le droit international
privé donne le spectacle d’une entreprise de nature apparemment internationale menée par
chaque Etat pour son propre compte »697. Par conséquent, si le juge est l’exécuteur de la loi, il
en est également l’interprète, mais ses fonctions ne sont aujourd’hui assurées qu’à l’échelle
nationale en raison de l’absence d’organe juridictionnel international commun.
384. Une interprétation fluctuante. Toutefois, chaque juge national s’adapte à son
temps et à sa culture. Il satisfait aux besoins nouveaux « en interprétant les dispositions
obscures dans un sens qui lui paraît moins conforme peut-être à la vérité historique qu’à la
vérité de son temps, et surtout en réglant dans le même esprit les points qui ont été laissés à sa
libre appréciation »698. Par conséquent, le pouvoir d’interprétation du juge conduira parfois à
des interprétations divergentes selon la juridiction saisie puisque « la jurisprudence évolue
librement dans le cadre si large et si souple que lui a tracé le législateur »699.
385. Une interprétation conforme aux règles de source nationale. Néanmoins, eu
égard aux sources internes, il est évident qu’il revient aux juges nationaux d’interpréter leurs
propres normes juridiques de droit international privé. Quel que soit le cas, dès lors que seront

696
H. Donnedieu de Vabres, « Introduction », op. cit., spéc. p. 2.
697
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 46.
698
H. Donnedieu de Vabres, « Introduction », op. cit., spéc. p. 2.
699
Ibid., spéc. p. 3.

201
applicables des règles de conflit de sources internes, le juge les interpréta conformément à
l’esprit de son législateur sans qu’aucune interprétation divergente ne s’y oppose. En effet, les
règles de conflit de sources internes n’étant appliquées que par les juridictions de l’Etat dont
elles relèvent ne pourront être appliquées par une juridiction étrangère. Le problème relatif au
pouvoir d’interprétation disparaîtrait donc si toutes les règles de conflit de lois étaient, à ce
jour, nationales. Or tel n’est pas le cas. En effet, chaque fois que les règles de conflit de lois
relèvent de sources supranationales, reparaît le problème du pouvoir d’interprétation du juge
puisque d’un Etat à l’autre, les interprétations de ces textes peuvent varier.

b) Le pouvoir interprétatif du juge national facteur de cohésion juridique


386. L’interprétation nationale des textes supranationaux. Chaque fois qu’est
applicable un texte de source supranationale à une situation litigieuse, le juge national
conserve son pouvoir d’interprétation à l’égard de ce texte dans le cas où il manquerait de
clarté et de précision. En effet, en l’absence de juridiction internationale commune, il revient
nécessairement aux juridictions internes d’interpréter les normes juridiques supranationales.
387. Une interprétation nécessitée en l’absence d’intervention de la CJUE.
Aujourd’hui, la CJUE s’est octroyée cette fonction interprétative à l’égard des textes émanant
de son organisation. Cependant, il est des cas dans lesquels cette Cour n’est pas intervenue.
Ceci conduit nécessairement au maintien de la fonction interprétative du juge national. En
effet, le constat est tel que « depuis qu’une législation européenne de plus en plus abondante
couvre la matière, la jurisprudence interne, d’ailleurs épaulée très fortement par la
jurisprudence européenne, a eu à résoudre de nombreuses difficultés nouvelles soulevées par
des textes constitutifs d’un ordre juridique européen en devenir, encore très lacunaire, dans le
domaine du droit international privé, quant à ses principes directeurs » 700 . Ainsi, ressort
nettement la nécessité d’une intervention des juridictions nationales. Cependant, l’Union
européenne, par sa composition de plus d’une vingtaine d’Etats, et par absence d’unification
de ses normes en droit international privé, conduit les juges de chaque Etat membre à
interpréter les règles de droit international privé de l’Union à leur propre manière.
388. Une interprétation nationale motivée par la cohésion des normes
supranationales. Ainsi, le juge national est l’interprète de toute norme juridique de droit
international privé. Cependant, dès lors que ces normes juridiques émanent d’un autre
législateur que leur propre législateur national, les interprétations peuvent diverger d’une

700
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 31.

202
juridiction à l’autre, et ceci d’autant plus que chaque juridiction interprète les textes
conformément à la volonté du législateur. Néanmoins, dans la mesure où le juge est la voix du
législateur c’est-à-dire que son interprétation doit être conforme à la volonté du législateur, il
se doit d’interpréter les textes supranationaux conformément au sens que leur a attribué le
législateur supranational. Effectivement, « le juge étatique est un acteur fondamental pour ne
pas dire le garant de la mise en œuvre du droit international privé harmonisé » 701 . C’est
pourquoi il « se voit de plus en plus assigner le rôle de rétablir, en aval, une cohérence que les
différents acteurs de la création de la norme ont été incapables d’établir en amont »702. Ainsi,
le pouvoir interprétatif des juridictions nationales peut donc conduire à une interprétation
divergente d’un Etat à l’autre principalement à l’égard des sources supranationales. En
revanche, ce même pouvoir peut également permettre une harmonisation de ces sources dans
la mesure où incombe au juge interne l’obligation d’assurer la cohésion des normes
supranationales.
389. De la fragmentation des sources textuelles à la coordination judiciaire du
système. Finalement, que ce soit au regard de l’application ou de l’interprétation des textes,
l’absence d’harmonisation et la variabilité du résultat sont dues à la diversité des sources
textuelles lesquelles sont elles-mêmes atteintes par ce manque de globalisation à l’égard du
système mis en place. Le juge interne devrait donc jouer le rôle de coordinateur du système
conforme à une approche universaliste de la discipline. C’est pourquoi il assure bien une
fonction de suppléance, d’autant plus au regard de ses autres attributs, à savoir la
complémentarité et l’unification.

2) La pouvoir novateur du juge national à l’égard des règles de droit international


privé
390. Tout juge étatique assure une fonction de suppléance en tant qu’interprète des
textes de loi, et contribue alors à la naissance de jurisprudences nouvelles. Son rôle se traduit
principalement au regard de la complémentarité garantie dans le cadre de vides juridiques (a)
et de l’unification des règles de droit assurée par la juridiction suprême (b).

a) L’intervention complémentaire du juge national dans le cadre de vides juridiques


391. L’intervention du juge interne en cas de vide juridique. Hormis le rôle
d’interprète classique reconnu au juge national à l’égard des sources textuelles de droit

701
S. Lecuyer, op. cit., § 91.
702
Ibid.

203
international privé, celui-ci assure un rôle complémentaire à celui du législateur.
Effectivement, en tant que suppléant de ce dernier, le juge national détient la mission de
trancher tout litige et ceci même en l’absence de normes juridiques applicables à la situation
contentieuse. Chaque fois qu’une telle hypothèse survient, le juge est dans l’obligation de
combler le vide juridique en question.
392. L’intervention fréquente du juge français comme source du droit. Sur ce
terrain, le juge étatique et notamment français est fortement intervenu en raison du peu de
sources nationales. En l’absence de normes juridiques textuelles, la jurisprudence française est
devenue la seconde source principale du droit international privé français703. En effet, « le
Code civil étant incomplet, elle a dû, au-delà du Code, fixer une grande partie des règles qui
constituent le droit français des conflits » 704 . Ainsi, « la source essentielle du droit
international privé français se trouve encore aujourd’hui dans la jurisprudence de la Cour de
cassation et des juridictions soumises à son contrôle »705. C’est principalement au regard de
cette fonction de complémentarité du droit que le juge national est légitimement considéré
comme une source du droit international privé.
393. Une jurisprudence imprégnée des idéologies souverainistes. En droit français,
la jurisprudence s’est donc fortement développée sur la base de l’article 3 du Code civil, pour
combler toutes les lacunes laissées par ce texte 706 . Néanmoins, il ressort de l’étude de la
jurisprudence que celle-ci, en assurant sa fonction conformément à la volonté du législateur
étatique, a fait perdurer les considérations publicistes de l’Ancien Régime opposées à
l’universalisation de la discipline. Savatier a d’ailleurs pu affirmer qu’« en réalité,
l’application du texte n’a guère été qu’un paravent, derrière lequel la jurisprudence a abrité,
soit le maintien de règles traditionnelles, soit la création de règles nouvelles inspirées par le

703
Pour aller plus loin, voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 51 : « En l’absence d’un corpus complet de rège de
conflit de lois d’origine législative, il est dans un premier temps revenu à la jurisprudence française de définir ces
règles. Certes, le droit français répudie l’idée de tout pouvoir créateur de la jurisprudence (C. civ. art. 5) ; la règle
de conflit de lois étant une règle de droit, on voit mal pourquoi le droit international privé échapperait au
principe. Reste que, le juge ne pouvant refuser de statuer au prétexte de l’insuffisance de la loi (C. civ. art. 4),
l’absence de règles de droit international privé d’origine législative appelait nécessairement une réponse de sa
part. C’est ainsi que de nombreuses règles de conflit ont été créées par la jurisprudence, sous le contrôle de la
Cour de cassation ».
704
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 134.
705
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 20.
706
Cf. supra § 140 et s.

204
respect des souverainetés étrangères, lui-même corrigé par le souci des nécessités
nationales »707.
394. Une jurisprudence variable selon le juge saisi. De plus, si la jurisprudence
nationale constitue l’unique organe contribuant expressément à la globalisation du droit, elle
peut conduire à une certaine variabilité de résultat en réponse aux vides juridiques. D’un juge
à l’autre, la solution du litige dépendra du juge saisi et pourra varier d’un Etat à l’autre.
Finalement, qu’il s’agisse du juge français ou bien de tout juge étranger, celui-ci ne manquera
pas d’être sensible aux nécessités nationales « et même aux simples intérêts nationaux »708.
Néanmoins, le juge national assure, tout de même, l’unification des règles du droit
international privé sur le plan national.

b) L’unification des règles de droit international privé garanti par l’autorité judiciaire
supérieure
395. L’unification du droit assurée par la Cour de cassation. L’atout majeur du
juge étatique en tant que source jurisprudentielle principale en droit international privé est
représenté par sa juridiction ultime. Chaque ordre juridique détient dans son ordre judiciaire
une juridiction suprême, comme la Cour de cassation en droit français, afin d’assurer
l’unification des règles de droit composant son système juridique. Particulièrement, en droit
français, « la jurisprudence de cassation occupe (…) le rôle principal sur la scène
jurisprudentielle », puisque « la Cour de cassation est la supérieure hiérarchique de
l’ensemble des tribunaux judiciaires, elle peut, par sa reconnaissance, faire accéder une
manière de juger des juges du fond au rang de règle jurisprudentielle tout en établissant de son
propre fait des règles jurisprudentielles nouvelles » 709 . Ainsi, « la Cour de cassation est
devenue responsable, en tant que juridiction, du contrôle et de l’unification de l’interprétation
du droit par les juridictions du fond afin qu’une même règle de droit ne soit pas interprétée de
manière différente par les tribunaux français »710. Cette fonction d’unification assurée par la
Cour de cassation s’applique au droit international privé en l’absence de toute Cour
internationale dont la fonction serait identique et surtout effective. Par conséquent,
l’unification du droit international privé est véritable sur le territoire français. En effet, « le

707
R. Savatier, Cours de droit international privé, LGDJ, 2ème éd., 1953, § 250.
708
Ibid., § 251.
709
M.-C. Pitton, Le rôle du jugement étranger dans l’interprétation du droit conventionnel uniforme, Thèse,
Paris 1, 2007, The Hague : Eleven international publishing, 2014, § 59.
710
Ibid., § 61.

205
rôle de la juridiction suprême est lié à la notion qu’une seule autorité s’exerçant sur un
territoire donné, ses ordres doivent recevoir une interprétation uniforme »711.
396. L’unification du droit à l’échelle nationale préservée par l’ensemble de la
jurisprudence. La jurisprudence étatique, composée de ses juges du fond et de sa Cour
suprême, constitue une source du droit international privé dont le rôle consiste à unifier la
discipline sur l’ensemble de son territoire notamment grâce au rôle qu’assure la haute
juridiction de l’ordre judiciaire.
397. Vers une judiciarisation internationale espérée. Finalement, l’unification du
droit international privé se cantonne à la sphère nationale au sein de laquelle chaque Etat
entend faire prévaloir sa politique législative. Ainsi, en l’absence de communauté
véritablement internationale, il est peu probable d’espérer une harmonisation entière de la
discipline garantissant un traitement égalitaire des sujets de droit. Néanmoins, actuellement,
chaque juridiction nationale, membre d’une organisation régionale, pourrait se conformer aux
exigences de cette organisation pour espérer une universalisation des règles au sein des Etats
membres de ladite région. De plus, si la compétence du juge national en droit international
privé est indispensable, elle n’est pas suffisante. Le système de droit des conflits de lois ne
peut traiter de manière égalitaire tout sujet de droit eu égard à la diversité des sources
textuelles712 qui ne font pas l’objet d’une véritable unité d’interprétation. C’est pourquoi il
serait nécessaire d’instaurer une juridiction internationale dont le rôle consisterait uniquement
à régler les questions d’interprétation spécifiques au droit international privé et à l’application
de ses textes.
398. De l’absence de neutralité des sources directes à l’inégalité de traitement. En
conclusion, bien que les sources directes du droit international privé soient sujettes aux
mêmes critiques, elles demeurent marquées par les aspirations souverainistes dont chaque Etat
est encore imprégné et favorisent la persistance d’un certain particularisme c’est-à-dire d’un
cloisonnement du droit des conflits de lois. Or, il s’agit d’une réaction contraire à l’esprit
universaliste de cette discipline dont la conséquence conduit à l’inégalité de traitement des
sujets de droit. C’est pourquoi la neutralité du système doit indéniablement constituer l’un de
ses fondements. Néanmoins, il ne peut être nié qu’un véritable pas a été effectué dans le sens
d’une harmonisation, laquelle reste inachevée. Il convient donc de poursuivre cette ligne

711
M.-C. Pitton, op. cit., § 61.
712
Cf. supra § 330 et s.

206
conductrice pour parvenir à une unification laquelle sera seule garante d’une égalité de
traitement des situations juridiques internationales. En effet, la difficulté principale
aujourd’hui se concrétise par les différents niveaux de normes juridiques existantes
conduisant principalement à une imprévisibilité du droit des conflits de lois. Or, il semble que
cette difficulté soit accentuée par la participation des autres sources qui régissent le droit
international privé.

SECTION 2 : DE L’INFLUENCE DES SOURCES INDIRECTES A L’INTEGRATION


D’OBJECTIFS SUPRANATIONAUX COMMUNS

399. Parallèlement aux sources directes du droit international privé qui régissent
positivement la matière, d’autres sources interviennent indirectement. En effet, certaines
sources de la discipline sont influencées par d’autres facteurs. Principalement, les autres
sources classiques du droit positif, à savoir la doctrine et la coutume, peuvent être
considérées, en droit international privé comme des facteurs d’influence traditionnels (sous-
section 1). En sus, de façon plus abstraite, d’autres moteurs sont intervenus et orientent la
réglementation de la matière. Il s’agit là des objectifs contemporains européens et
internationaux (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : DE L’INFLUENCE PREPONDERANTE DE LA DOCTRINE A


L’INCIDENCE MINIMALE DE LA COUTUME

400. Classiquement, principalement en droit français, la doctrine et la coutume sont


classées au rang des sources du droit. Un même classement peut s’opérer en droit
international privé en tant que source indirecte. En effet, si la doctrine n’est pas une
source positive, elle exerce une influence effective (§ 1). En revanche, si la coutume aurait pu
constituer une réelle source du droit, elle est en vérité dénuée de valeur juridique (§ 2).

§ 1 – L’INFLUENCE INCONTESTEE DE LA DOCTRINE EN DROIT INTERNATIONAL


PRIVE

401. La doctrine constitue, en droit international privé, une source du droit en tant que
telle puisque sa participation est indéniable dans la construction de la matière (A). De plus, au
regard des législations et des jurisprudences qui encadrent le système de droit international
privé, il apparaît que celui-ci s’est concrétisé au regard de différentes doctrines (B).

207
A. LA PARTICIPATION EFFECTIVE DE LA DOCTRINE A LA CONSTRUCTION DU
DROIT INTERNATIONAL PRIVE

402. Traditionnellement, la doctrine constitue une source de droit dans tout système de
droit positif mais sa fonction demeure simplement abstraite et consiste en la conceptualisation
de théories. Une telle mission est attribuée à la doctrine en droit international privé la
conduisant à proposer des principes généraux communs ainsi que des méthodes applicables à
la discipline (1). Cependant, sa mission ne se restreint pas seulement à cela. La doctrine
participe réellement à l’édification de la matière et son rôle s’avère indispensable (2).

1) Les principes généraux et méthodes de droit international privé conceptualisés


par la doctrine
403. La doctrine, de la même manière que dans le système de droit positif français,
constitue une source de droit. Sa mission est principalement abstraite en ce qu’elle consiste
d’une part à ériger des principes généraux de droit international privé (a) et d’autre part à
proposer des méthodes applicables à la discipline (b).

a) L’établissement de principes généraux en droit international privé par la doctrine


404. Les principes généraux établis par la doctrine. De tout temps, plus
précisément depuis l’Antiquité, le droit international privé est l’objet de la doctrine. En effet,
même avant sa consécration effective en tant que discipline propre, ce sont bien les doctrines
qui ont été l’origine des solutions dégagées en la matière 713 . Puis, au fil des siècles, la
discipline se développant nettement, celle-ci a été saisie par le législateur et corrélativement
par la jurisprudence714. Or, aujourd’hui, les sources textuelles et jurisprudentielles du droit
international privé demeurent insuffisantes principalement en raison du caractère encore
lacunaire des textes. Même si la jurisprudence constitue une source du droit en tant que telle,
« les tribunaux (…) ne statuent que sur des cas d’espèce »715. Le rôle de la doctrine s’avère
donc être celui de la formulation de principes généraux de droit international privé puisqu’ « il
faut s’élever du particulier au général »716.
405. La fonction complémentaire de la doctrine. Ainsi, le rôle de la doctrine,
pouvant être qualifié d’abstrait contrairement à celui de la jurisprudence, consiste à édifier des
principes communs à la matière. Elle joue donc un rôle complémentaire, comme la

713
Cf. supra § 96 et s.
714
Cf. supra § 105 et s.
715
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 33.
716
Ibid.

208
jurisprudence, à l’égard du législateur 717 . C’est ainsi, en tant que source du droit, que la
doctrine a notamment élaboré divers mécanismes, aujourd’hui unanimement admis en droit
international privé, comme l’ordre public international ou encore les lois de police. Il s’agit
désormais de principes généraux de droit positif. Ainsi, d’une part, chaque fois que le contenu
matériel d’une loi étrangère applicable heurte les conceptions du for, cette loi sera écartée, et
d’autre part, en présence d’une disposition impérative du for visant la protection des intérêts
politiques, économiques et sociaux, celle-ci sera d’application immédiate. Ces mécanismes
d’exception, communément admis en théorie générale des conflits de lois, ne sont que des
exemples de principes généraux émanant de la doctrine. La mission de cette dernière ne s’est
pas cantonnée à ce seul rôle, elle a également permis la formulation de méthodes propres à la
discipline.

b) La formulation des méthodes de droit international privé par la doctrine


406. Les méthodes proposées par la doctrine. Si la doctrine est intervenue afin
d’ériger des principes généraux de droit international privé, son rôle a également une nette
importance eu égard à la formulation des méthodes du droit international privé et plus
particulièrement du droit des conflits de lois. En effet, « la matière des conflits de lois se prête
comme peu d’autres à la spéculation intellectuelle et à la construction de systèmes ; cela
explique que la doctrine y joue un rôle particulier »718.
407. La systématisation de la discipline assurée par la doctrine. C’est pourquoi
depuis que le droit international privé est consacré comme une matière propre, il a fait l’objet
de diverses méthodes lesquelles ont été élaborées de d’Argentré à aujourd’hui. Ce qu’il faut
retenir principalement c’est que toutes les méthodes proposées par ces divers auteurs ont
participé à la constitution du droit international privé d’aujourd’hui et notamment du droit des
conflits de lois. En effet, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, « les contributions de la
doctrine ont été d’une importance telle qu’elles ont influencé de façon décisive le droit

717
Pour aller plus loin, voir en ce sens : O. Cachard, Droit international privé, Bruylant, 6ème éd., 2017, § 31 :
« L’influence de la doctrine est aussi bien individuelle, par le rayonnement des propositions de tel auteur reçues
et mises en œuvre par la Cour de cassation, que collective par le rayonnement de certains cercles en France, en
Europe, ou dans l’ordre international. On citera en France le Comité français de droit international privé, dont les
travaux sont publiés, et en Europe, le Groupe européen de droit international privé, dont les travaux sont
accessibles en ligne. Au plan international, l’Académie de droit international de La Haye (…) est un haut lieu de
l’activité doctrinale en droit international privé et en droit international public, donnant lieu à la publication
annuelle d’un cours général et de cours spéciaux, tandis que l’Institut de droit international émet des
recommandations ».
718
B. Ancel et L. D’Avout, op. cit., § 25.

209
719
international privé » . Les applications pratiques de la doctrine permettent de le
confirmer720. La doctrine constitue donc une source du droit international privé en ce qu’elle
permet l’édification de normes générales et de méthodes propres à la discipline. Cependant,
son rôle ne peut être simplement réduit à une pure et simple conceptualisation de la discipline.
Le rôle de la doctrine ne demeure pas purement abstrait, il se révèle concret et effectif.

2) L’intervention indispensable de la doctrine en tant que source du droit


408. Si la mission de la doctrine semble purement abstraite, ce n’est pas réellement le
cas. En effet, la doctrine participe activement à l’élaboration du droit international privé aux
côtés du législateur et de la jurisprudence (a) et, probablement, pourrait constituer l’unique
source du droit des conflits de lois susceptible de conduire à son unification (b).

a) La collaboration effective de la doctrine à l’élaboration du droit international privé


409. L’intervention nécessaire de la doctrine. Comme il l’a été constaté,
l’intervention de la doctrine s’est justifiée par le caractère lacunaire des textes en droit
international privé et par la nécessité de recourir à des principes abstraits indépendamment des
solutions concrètes rendues par la jurisprudence. Ces motifs ont appuyé le recours aux
conceptions doctrinales, mais pas uniquement. Effectivement, le rôle de la doctrine s’est
nettement développé en ce que cette dernière influence à la fois aussi bien la jurisprudence
que le législateur721.
410. L’influence véritable de la doctrine en droit positif. De nos jours, « les auteurs
guident la jurisprudence en droit international privé » du fait de « la complexité et l’ampleur
de la tâche créatrice qui (lui) incombe en l’absence de textes »722. De même, se constate « une
influence réciproque de la doctrine et de la jurisprudence »723 à l’égard du législateur. Ainsi,
« on peut constater que la doctrine de droit international occupe une place centrale dans le
développement de la matière, résultat d’un dialogue continu entre le législateur, les juges et

719
E. Jayme, 6. « Le droit non écrit », in « Les sources du droit international privé », RCADI, 1995, vol. n°251,
p. 77 et s.
720
Cf. infra § 412 et s.
721
Voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 218 : « En réalité c’est toujours la
pratique (le législateur et la jurisprudence) qui a fait apparaître les problèmes et leurs solutions (en droit
international privé). La doctrine s’est efforcée de les expliquer, voire de donner quelques impulsions et de les
systématiser. Le dialogue entre la doctrine et les praticiens a toujours été particulièrement fructueux dans cette
discipline, grâce à une écoute réciproque assez remarquable ».
722
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 33.
723
B. Ancel et L. d’Avout, op. cit., § 25.

210
les auteurs » 724 . Ceci s’est confirmé notamment grâce à la création en 1935 du Comité
français de droit international privé lequel « réunit les magistrats, praticiens et universitaires
qu’intéresse la matière » 725 . Indéniablement, la doctrine joue un rôle manifestement très
important dans le développement de la discipline. De surcroît, la doctrine pourrait constituer
l’unique source du droit des conflits de lois permettant l’application d’une méthode
universelle.

b) L’unique source d’une potentielle unification du droit des conflits de lois


411. L’échec des sources directes. Aujourd’hui, seule la doctrine peut constituer
l’unique source du droit des conflits de lois permettant l’unification de toutes ses règles à une
échelle internationale. Comme l’affirmait déjà Pillet, « il existe (…) un aussi grand nombre
(de lois) qu’il existe de pays divers et, dans chaque pays, la jurisprudence comble leurs
lacunes par l’interprétation qu’elle en donne » 726 . Par conséquent, et comme il l’a été
remarqué, le droit international privé, étant régi par de nombreuses sources à savoir des textes
et jurisprudences développés à plusieurs échelles (nationales et supranationales), conduit à
une variabilité de résultat. Les systèmes sont donc extrêmement variables eu égard à ces lois
et à leurs interprétations.
412. L’unique source en capacité de proposer un système commun. Pour remédier
à cette variabilité de résultat issue de ces diverses sources, le recours à la doctrine semble
idéal. Effectivement, « la source principale d’un droit international général sera forcément la
doctrine »727 puisque finalement il s’agit de la seule source qui propose un système complet et
non pas variable composé de plusieurs niveaux. En effet, seule la doctrine pourrait, voire peut,
proposer un système commun de droit des conflits de lois applicable à tous, comme l’ont
proposé déjà certains auteurs. La difficulté reviendrait alors à déterminer quel est le système
le plus à même de régir la discipline. C’est de cette difficulté qu’est apparue la diversité des
sources de droit positif, lesquelles se sont inspirées des différentes doctrines existantes. De
plus, l’élaboration des normes applicables en droit des conflits de lois a été trop fragmentaire
et a conduit notamment à la lacune et la variabilité. Néanmoins, la pratique atteste aujourd’hui
de la mise en œuvre des éminentes doctrines du droit international privé même si cette
application demeure fragmentaire, tout comme les autres sources de la discipline.

724
E. Jayme, op. cit., p. 77 et s.
725
B. Ancel et L. d’Avout, op. cit., § 25.
726
A. Pillet, Principes de droit international privé, op. cit., § 32.
727
Ibid., § 40.

211
B. L’INTEGRATION DE LA DOCTRINE EN DROIT POSITIF DEPUIS L’ANCIEN
DROIT
413. Les théories doctrinales développées à l’égard du droit international privé n’ont
pas été que des sources d’inspiration ou des éléments de complément aux vides juridiques
persistants. Elles ont en réalité été consacrées en tant que telles par le droit positif, tant à
l’égard des doctrines traditionnelles issues de l’Ancien Droit (1) que des doctrines
contemporaines issues de l’époque moderne (2).

1) La consécration des doctrines traditionnelles par le droit positif français


414. Originellement, le droit international privé a fait l’objet de deux courants
doctrinaux, ou du moins de deux conceptions publicistes, lesquelles ont été consacrées par le
législateur et la jurisprudence. Il s’agit d’une part du territorialisme (a) et d’autre part du
personnalisme (b).

a) La consécration du territorialisme par le législateur et la jurisprudence


415. La doctrine territorialiste de d’Argentré. La doctrine territorialiste, élaborée en
premier lieu par d’Argentré, consiste à admettre que « les coutumes (sont) par principe
d’application territoriale (…) et, exceptionnellement, personnelles » 728 . Cette doctrine,
perdurant dans le temps, consiste donc à considérer par principe que toute loi est d’application
territoriale.
416. La consécration du territorialisme en droit positif. Cette théorie doctrinale
s’est implantée tant sur le plan législatif que jurisprudentiel. La première codification du droit
international privé à l’article 3 du Code civil en est la preuve729 puisque celui-ci prévoit que
« les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont soumis à la loi française ». Sur
cette base, le législateur a donc intégré le territorialisme en tant que règle propre au droit des
conflits de lois. De plus, sous l’Ancien Droit, si « les arrêts n’étaient pas motivés » rendant
leur interprétation difficile, « il est certain cependant que la jurisprudence était favorable au
territorialisme et que la plupart des solutions qu’elle a données étaient dominées par cette
tendance » 730 . Ainsi le législateur n’a fait que consacrer une doctrine déjà admise par la
jurisprudence de l’Ancien Droit. De surcroît, la jurisprudence moderne, et postérieure au
Code civil, « a été influencée par le principe de la territorialité des lois » parce que toute la

728
B. Audit, P. II, Ch. I. « L’évolution historique des approches : les grands modèles de solution », in « Le droit
international privé en quête d’universalité : cours général », op. cit., p. 147 et s., spéc. p. 166.
729
Cf. supra § 106.
730
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 133.

212
doctrine du XVIIIème siècle en était imprégnée731. Ainsi, la jurisprudence, intervenant à titre
de complément de la législation, a su pérenniser la doctrine territorialiste. Ce mouvement
juridique s’est reproduit à l’égard de la doctrine personnaliste.

b) La consécration du personnalisme par le législateur et la jurisprudence


417. La doctrine personnaliste de Mancini. Parallèlement au territorialisme, la
doctrine personnaliste, conceptualisée par Mancini, consiste, à l’inverse, à admettre que « par
principe, dans la vie internationale, les individus doivent être régis, en tous lieux, par leur loi
nationale » 732 . Il s’agit donc de considérer que par principe toute loi est d’application
nationale.
418. La consécration du personnalisme en droit positif. Si cette doctrine n’a été
conceptualisée qu’au XIXème siècle par Mancini, elle était déjà connue sous l’Ancien
Régime. C’est pourquoi le législateur en 1804 a également consacré la loi nationale en son
article 3, lequel prévoit notamment que « les lois concernant l’état et la capacité des personnes
régissent les Français, même résidant en pays étranger ». Il s’agit d’une innovation puisque
« la loi nationale est substituée à la loi du domicile en matière d’état et de capacité des
personnes » 733 . Par conséquent, « l’interprète n’est pas lié par les solutions de l’Ancien
Droit »734 et c’est ainsi que la jurisprudence, principalement en matière de statut personnel et
familial, va développer un corpus de règles conforme à la doctrine personnaliste.
419. De l’incorporation des doctrines traditionnelles aux doctrines
contemporaines. Finalement, les doctrines traditionnelles, « avatars de la théorie statutaire »,
lesquelles « procèdent d’une analyse de la compétence de l’Etat au sens du droit international
public »735 ont influencé le droit positif et ont su pénétrer la législation et la jurisprudence
françaises. Par conséquent, si la doctrine est le seul instrument à même d’organiser un
système un et entier de droit des conflits de lois, encore faut-il que cette doctrine ne soit pas
l’objet de considérations publicistes restreignant la discipline à des aspirations souverainistes.
En outre, l’intégration de ces théories doctrinales traditionnelles dans le système de droit
positif interne dès l’Ancien Régime s’est poursuivie par l’incorporation de doctrines
contemporaines.

731
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 134.
732
Ibid., § 137.
733
Ibid., § 134.
734
Ibid.
735
B. Audit, P. II, Ch. I. « L’évolution historique des approches : les grands modèles de solution », in « Le droit
international privé en quête d’universalité : cours général », op. cit., p. 147 et s., spéc. p. 210 et 211.

213
2) L’intégration des doctrines contemporaines en droit positif
420. Dès la codification du droit international privé, législateur et jurisprudence
nationaux ont intégré les doctrines traditionnelles dans le droit positif. Or, ce processus ne
s’est pas arrêté à cette première étape. Postérieurement, ont été également consacrées les
méthodes contemporaines classiques, à savoir l’universalisme et le particularisme (a), ainsi
que les méthodes modernes américaines orientées par le substantialisme (b).

a) La consécration de l’universalisme et du particularisme parmi les sources positives


421. Les premières systématisations doctrinales. Sur la base des doctrines
territorialistes et personnalistes, se sont développés d’autres courants doctrinaux et
principalement l’universalisme et le particularisme. Chacune de ces doctrines conduit à penser
le droit des conflits de lois sous une forme de systèmes, lesquels sont bien distincts.
L’opposition de ces doctrines conduit à se demander « si les règles du droit international
privé, et plus particulièrement du conflit des lois de droit privé, sont ou devraient être
communes à l’ensemble des Etats, ou, au contraire, sont légitimes et doivent rester
particulières aux différents Etats, qui, actuellement, les formulent et les mettent en œuvre »736.
D’une part, l’universalisme se rattache au bilatéralisme lequel permet de désigner de
manière indifférente la loi du for ou la loi étrangère. Ainsi grâce au caractère bilatéral de la
règle de conflit, le droit des conflits de lois a pour objet de promouvoir un système universel,
applicable à tout système juridique. D’autre part, le particularisme se dégage de
l’unilatéralisme lequel consiste à déterminer le champ d’application de la loi du for dans
l’espace. Par conséquent, ce type de règle de conflit conduit à créer un système de droit des
conflits de lois purement étatique, lequel ne pourra être étendu à une sphère plus large.
422. Des systèmes doctrinaux insérés en droit positif. Ces doctrines ont,
aujourd’hui, intégré le droit positif, et ceci tant à l’échelle nationale que régionale. En effet, le
bilatéralisme a intégré rapidement le droit français notamment au travers de la bilatéralisation
de l’article 3 du Code civil par la jurisprudence, mais également le droit européen au regard
des divers conventions internationales et règlements européens qui prônent une telle méthode.
Celle-ci est devenue la méthode classique du règlement des conflits à tous les niveaux.
Cependant, la méthode unilatérale n’est pas totalement absente du droit positif. En effet, le
droit français maintient certaines dispositions qui ne déterminent que son champ d’application

736
H. Batiffol, « Universalisme et particularisme », in « Les tendances doctrinales actuelles en droit international
privé », op. cit., p. 9 et s., spéc. p. 9.

214
dans l’espace. Tel est le cas de l’article 309 du Code civil737 relatif au divorce. En revanche, à
l’échelle régionale, aucune disposition ne peut faire l’objet de cette méthode puisqu’il ne
s’agit pas de déterminer le champ d’application de la « loi européenne »738. Néanmoins, les
textes européens n’évincent pas totalement la doctrine particulariste en ce que certains
prévoient expressément le recours au mécanisme des lois de police ou de l’ordre public
international. C’est notamment le cas du règlement Rome I en son article 9739. Grâce à ces
mécanismes, les Etats membres peuvent faire prévaloir d’une certaine manière leur
particularisme lorsque sont concernés des dispositions impératives ou encore des principes
fondamentaux de leur ordre juridique.
423. Un socle véritablement doctrinal. En d’autres termes, chacune de ces doctrines
classiques contemporaines a pénétré le droit positif en droit des conflits de lois, lesquelles
sont fondées sur les anciennes doctrines traditionnelles. Par conséquent, il convient
d’admettre que toute doctrine reconnue en droit international privé constitue le socle sur
lequel législateur et jurisprudence vont construire les normes juridiques applicables à la
discipline, que ce soit sur le plan national ou sur le plan international. Ceci est davantage
confirmé au regard de la prise en compte des méthodes modernes américaines par le
législateur contemporain.

b) L’inclusion du substantialisme au sein des sources positives


424. La prise en compte du substantialisme en droit positif. Au cours des siècles
derniers, principalement du XXème siècle, diverses doctrines américaines se sont développées
autour de l’idée de substantialisme. Leurs théories consistent à prendre en compte dans la
construction de la méthode le résultat matériel recherché. En effet, il s’agit de la conséquence
de « l’interventionnisme croissant de l’Etat libéral » qui « a conduit à la multiplication de
régulations de marché dans le domaine du droit public avant de conférer une fonction
régulatrice au droit privé lui-même », dont le droit international privé a nécessairement subi

737
C. civ. art. 309 : « Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française : lorsque (…) ».
738
Cf. infra § 669.
739
Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, Rome I.

215
l’évolution740. Ainsi, tout comme les doctrines concurrentes modernes, la méthode américaine
s’est, elle aussi, immiscée dans le droit positif pour atteindre conflit de lois et conflit de
juridictions, et ceci tant au regard du droit interne que régional. La promotion du mariage
homosexuel à l’article 202-1 alinéa 2 du Code civil741 en atteste parfaitement, tout comme le
règlement Bruxelles II bis742 et son successeur, le règlement Bruxelles II ter743, favorisent la
saisine de tout juge d’un Etat membre. Même, à l’échelle internationale, cette méthode a été
admise. L’exemple est donné par la Convention de La Haye relative à la forme
testamentaire744, laquelle favorise la validité en la forme de tout testament.
425. La doctrine comme véritable source du droit. La reconnaissance de toutes ces
doctrines par le législateur et par la jurisprudence, que ce soit à l’échelle nationale ou
supranationale, indique que la doctrine constitue une véritable source du droit international
privé et même qu’elle en est le socle745. En contribuant à l’élaboration de la législation, elle
participe à une véritable « production normative »746. Cependant, ces diverses immigrations
doctrinales ont conduit à rendre la discipline très variable et à cristalliser toute forme

740
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 162 ; laquelle poursuit en précisant
notamment que : « Aux Etats-Unis, où celle-ci a été la plus sensible et la plus précoce, elle a conduit à ce que la
discipline intègre très largement des préceptes néo-statutistes dans les rapports inter-américains, se
reconvertissant également, dans les rapports internationaux, en un ensemble de critères de délimitation du droit
public fédéral. En Europe, où le schize du droit public et du droit privé s’est maintenue avec plus de vigueur, la
règle de conflit de lois a dû intégrer progressivement des « morceaux » de droit public dans le droit privé qu’il
répartissait, avant de se prêter au jeu des objectifs économiques du droit de l’Union ».
741
C. civ. art. 202-1 alinéa 2 : « Deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au
moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa
résidence le permet ».
742
Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, à la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, Bruxelles II bis.
743
Règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à
l’enlèvement international d’enfants (refonte), Bruxelles II ter.
744
Convention du 5 oct. 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires.
745
Voir en ce sens : B. Oppétit, Ch. I, S. II, Par. 2, A. « Situation générale de la doctrine », op. cit. : « aussi ne
faut-il guère s’étonner que ce soit plutôt chez certains « francs-tireurs », moins prisonniers des dogmes, qu’a été
exprimée à l’époque contemporaine l’idée du rôle majeur qui revient à la doctrine en droit international privé:
c’est ainsi que le grand comparatiste René David (ce n’est sans doute pas un hasard si sa formation a conduit cet
auteur à dépasser une approche purement positiviste de la matière, à l’instar de ce que K. Zweigert a appelé la
troisième école du droit international privé (die dritte Schule im internationalen Privatrecht), centrée sur la
méthode comparative) a contesté la valeur de l’identification du droit et de l’Etat dans la société internationale et
estimé qu’est dévolue à la doctrine une double mission, à la fois d’explication et de création du droit,
essentiellement en dégageant les principes généraux de solution pour les rapports juridiques internationaux qui
n’apparaissent pas manifestement liés à un pays plus qu’à d’autres; il a critiqué vivement la vision positiviste et
nationaliste qui a maintenu le droit international privé dans la mouvance des droits nationaux en accordant une
place excessive tant au procédé du conflit de lois qu’au droit conventionnel, alors qu’il appartient à la doctrine de
forger un nouveau droit commun ».
746
D. Bureau et N. Molfessis, « L’asphyxie doctrinale », in Études à la mémoire du Professeur Bruno Oppétit,
op. cit., p. 45 et s.

216
d’unification. En effet, le problème qui se pose est bien celui-ci. En insérant toutes les
doctrines depuis l’Ancien Droit comme fondement aux règles du droit international privé, la
matière est devenue excessivement diversifiée et, plus encore, imprégnée de diverses
considérations, notamment publicistes, qui n’ont plus lieu d’être à l’heure actuelle. Par
conséquent est venu le temps de faire table rase du passé et de proposer une doctrine c’est-à-
dire une méthode applicable à l’international conformément à l’objet du droit des conflits de
lois. En effet, la doctrine est la seule source du droit capable d’harmoniser et d’unifier une
telle discipline dans la mesure où aucune autorité commune n’existe encore aujourd’hui747. Il
conviendrait donc de tirer les conséquences de ce manque de cohésion pour établir une
doctrine unique à même de régir la matière uniformément et d’emporter l’assentiment de la
société internationale 748 . Pour autant, les seules normes universelles du droit international
privé qui sont implicitement reconnues aujourd’hui sont celles qui émanent de la coutume
internationale.

§ 2 – L’INCIDENCE FICTIVE DE LA COUTUME INTERNATIONALE EN DROIT


INTERNATIONAL PRIVE

426. Traditionnellement, la coutume constitue une source du droit positif. C’est


pourquoi la coutume internationale a pu être classée comme source positive du droit
international privé (A). Pourtant son existence n’est que chimérique, notamment en ce qu’elle
est dénuée de toute valeur juridique (B).

A. UNE SOURCE A PRIORI POSITIVE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE


427. La coutume internationale peut être rangée au rang de source du droit
international privé à deux titres. D’une part, les règles non écrites du droit international public
ont constitué un cadre pour l’élaboration des normes juridiques internationales privées (1).
D’autre part, le droit international privé, grâce à l’application ancienne et générale de
certaines normes a contribué à l’établissement de règles coutumières (2).

747
Voir en ce sens : D. Bureau et N. Molfessis, op. cit., p. 45 et s. : « Mandatée par le Prince, la doctrine
contribue à l’élaboration d’un droit des professeurs, qui le plus souvent séduit et, en retour, rejaillit sur
l’ensemble de ceux qui la compose. Portée par la mission confiée aux plus illustres de ses représentants, elle en
ressort renforcée dans son autorité et légitimée dans son rôle »,
748
Voir en ce sens : B. Oppétit, Ch. I, S. II, Par. 2, A. « Situation générale de la doctrine », op. cit., lequel
poursuit : « Dans un esprit voisin, on a soutenu que la communauté savante, par l’échange d’arguments et la
controverse, était seule à même, par-delà les frontières, de renouer avec le jus commune et de provoquer une
unification internationale du droit par l’intégration dans les ordres nationaux de concepts et solutions
communs ».

217
1) Les règles non écrites du droit international public : le cadre initial du droit
international privé
428. Le droit international privé constitue une branche du droit international. Pourtant,
il est considéré que la discipline est née dans le cadre du droit des gens (a) et qu’elle a évolué
conformément aux principes du droit international public (b).

a) La naissance du droit international privé dans l’environnement du droit des gens


429. Le droit des gens comme cadre au droit international privé. « Le droit
international privé puise dans le droit des gens certaines de ses notions fondamentales, celle
de la souveraineté territoriale et de la personnalité des Etats étrangers »749. Ainsi, le droit
international privé trouverait également sa source dans le droit des gens conçu et systématisé
depuis le XVIème siècle par Grotius et ses disciples750. En effet, un lien serait nécessairement
établi entre le droit international privé et le droit international public, et ces deux disciplines
auraient donc les mêmes sources juridiques 751 . A ce titre, Scelle estimait que « le droit
international dit public est seulement un cadre pour le droit international privé »752.
430. Le droit international privé soumis à une obligation naturelle. En considérant
que le droit international privé s’est construit dans le cadre du respect des principes de droit
naturel, logiquement la matière se soumet à ces principes. C’est pourquoi le droit international
privé serait, comme l’a affirmé Bartin, soumis à une obligation naturelle consistant pour
chaque Etat à limiter sur son propre territoire l’effet de ses lois internes et la compétence de
ses propres juridictions753. Ainsi, au fondement du droit international privé, demeurerait « une
obligation internationale de ne pas aller jusqu’à la territorialité absolue »754. Par conséquent,
le système de droit international privé s’est construit sur la base de cette obligation naturelle,
pouvant être qualifiée d’universelle, qui pèse sur chaque Etat de la communauté
internationale. Puis, à l’encadrement de la discipline par les principes du droit naturel, ont
succédé les principes du droit international public.

749
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 17.
750
Ibid.
751
J.-D. Grimaldi, op. cit., § 67.
752
Ibid., citant G. Scelle, « Règles générales du droit de la paix », RCADI, 1933, vol. n°46, p. 361.
753
J. Maury, op. cit., § 20, reprenant les propos de Bartin, Principes du droit international privé, op. cit.
754
Ibid., § 20.

218
b) L’évolution du droit international privé conformément aux principes du droit
international public
431. Le droit international public comme source non écrite. Aux principes du droit
naturel se sont substitués les principes du droit international public lesquels constituent
également une source non écrite du droit international privé. Il s’agit non plus de principes
issus typiquement d’un droit naturel mais de principes communs ou généraux du droit
international trouvant leur origine dans la pratique internationale. Ils consistent donc en des
règles non écrites du droit international public « dont l’existence résulte de la conduite
généralement acceptée par les Etats, dans le sentiment que l’attitude opposée soulèverait
légitimement des oppositions »755. Cela concerne donc différents principes, dont certains sont
en réalité issus du droit des gens, comme le principe de la souveraineté des Etats ou encore le
principe de l’immunité de juridiction ou d’exécution des Etats756.
432. Vers une coutume internationale. Par conséquent, les principes gouvernant le
droit international public s’imposeraient donc au droit international privé, de telle sorte que la
matière se serait construite conformément à ceux-là. Ces derniers découlant du droit naturel et
d’une pratique internationale commune constitueraient donc la coutume internationale.
D’ailleurs, certaines règles propres au droit international privé seraient également nées de
cette pratique internationale commune.

2) Les règles considérées comme coutumières en droit international privé


433. Si le droit international privé est régi indirectement par des principes publicistes
issus de la coutume internationale, celle-ci constitue également une source directe de la
matière au regard de certaines règles de rattachement (a). Pour autant, il ne s’agit pas de
règles coutumières, mais bien de règles issues d’une tradition juridique commune (b).

a) Les règles de rattachement non écrites du droit international privé


434. Les règles de rattachement coutumières. Au-delà de principes juridiques
communs d’origine publiciste, d’autres règles de droit international privé peuvent être
assimilées à la coutume internationale. En effet, certaines règles de rattachement pourraient
être classées comme règles non écrites en droit international privé. Comme l’a affirmé Pillet,
« on peut citer à l’actif de la coutume l’adoption des règles de droit international privé qui

755
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 28.
756
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 64.

219
sont aujourd’hui d’une application générale dans la communauté des nations »757. Du fait de
leur ancienneté et de leur application presque universelle, diverses règles pourraient faire
partie d’une coutume internationale notamment les règles de rattachement suivantes : locus
regit actum, la lex rei sitae de l’immeuble, ou même la lex loci celebrationis pour les
conditions de forme du mariage. Ainsi, la question s’est posée de savoir si « les règles
identiques adoptées par un certain nombre d’Etats expriment leur conviction qu’une
obligation internationale non écrite les leur impose »758.
435. Coutume ou tradition juridique ? En d’autres termes, il semblerait, bien que la
coutume internationale soit d’origine publique, qu’elle s’étende au domaine privé pour
parvenir à ériger certaines règles non écrites en droit international privé. En réalité, tel n’est
pas le cas. Il ne s’agit là que du résultat d’anciennes traditions juridiques qui ne se traduisent
pas comme une pratique internationale commune.

b) Le simple rapprochement de traditions juridiques entre Etats


436. Des règles de rattachement objet de traditions juridiques communes. S’il a
pu être considéré que certaines règles de rattachement du fait de leur ancienneté et de leur
application générale pouvaient être considérées comme des normes juridiques relevant de la
coutume internationale, tel n’est pas le cas en pratique. En effet, au regard des différents
systèmes propres à chaque Etat, il apparaît notamment que les règles de rattachement sont loin
d’être « exclusives » et que leur « domaine dépend des conceptions juridiques internes »759.
Par conséquent, si certaines règles de rattachement semblent communément admises, elles ne
sont pas des règles de droit non écrites dotées de force obligatoire à l’égard de tous les Etats
composant la communauté internationale. En réalité, il s’agit d’une tradition historique et, ou,
juridique, puisque « la tradition est, elle aussi, une source générale »760 indirecte.
437. La consécration commune du territorialisme de l’Ancien Régime. L’origine
de ces règles d’application générale se trouve dans les doctrines traditionnelles au fondement
desquelles s’est construit le droit international privé et notamment les doctrines de d’Argentré
et Dumoulin761. Ces doctrines ont été suivies, ou du moins, reprises dans toute l’Europe et se
sont propagées jusqu’à aujourd’hui sous des formes évoluées. Néanmoins, ce sont bien ces

757
A. Pillet, Principes de droit international privé, op. cit., § 42.
758
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 28.
759
Ibid.
760
A. Pillet, Principes de droit international privé, op. cit., § 41.
761
Cf. supra § 45 et s.

220
doctrines qui ont donné naissance à certaines règles traditionnelles de rattachement. Or, la
tradition ne conduit pas à donner force obligatoire à des règles de rattachement en droit
international privé. Si certaines règles sont aujourd’hui communément admises à une échelle
internationale, elles ne le sont que par l’intervention du législateur ou de la jurisprudence et
indirectement de la doctrine.
438. L’inexistence de la coutume internationale. Finalement, la coutume
internationale n’est pas une source directe du droit international privé au regard des normes
juridiques qui composent la matière. Vraisemblablement, elle n’est pas non plus une source
indirecte de la discipline puisque les principes du droit international public n’ont pas une
existence avérée, ni même une valeur juridique certaine.

B. DE L’EXISTENCE ILLUSOIRE A L’ABSENCE DE VALEUR JURIDIQUE DE LA


COUTUME INTERNATIONALE

439. Si la coutume internationale semble constituer une source indirecte du droit


international privé, son existence n’est qu’illusoire (1). En réalité, la coutume internationale,
en l’absence de consensus commun entre Etats, est dénuée de toute valeur juridique (2).

1) L’existence illusoire d’une coutume internationale en tant que source du droit


440. La coutume internationale semble s’apparenter, au regard des principes directeurs
qui la composent, à une source indirecte du droit international privé (a). Pourtant, la coutume
internationale érigeant des principes généraux et abstraits ne peut se traduire que sur le plan
d’une coutume nationale (b).

a) Une source indirecte et partielle en droit international privé


441. « Actuellement le droit international privé opère sur des notions essentielles du
jus gentium de telle manière qu’un rapprochement des deux disciplines juridiques se produit
dans leur domaine réciproque »762. C’est pourquoi les principes issus du droit international
public sont susceptibles d’encadrer, en tant que coutume internationale, le droit international
privé. Néanmoins ces sources demeurent indirectes et partielles 763 . Il ne s’agit que d’une
source indirecte puisque les principes issus du droit international public ne sont que des
principes directeurs, mais ne constituent en aucun cas des règles de droit propres à régir la
matière. De surcroît il ne s’agit que d’une source indirecte, voire partielle, dans la mesure où

762
A. Navarro, « Droit international public et droit international privé », in Mélanges offerts à Jacques Maury,
op. cit., § 7.
763
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 28.

221
« les principes de droit naturel international qui ont été dégagés de ce droit sont en effet
généralement conçus de façon différente dans chaque Etat, de sorte qu’ils n’ont pas été
réglementés et sanctionnés par une coutume internationale »764. Par conséquent, la coutume
internationale n’en est pas réellement une au sens strict du terme, il s’agit bien d’une source
purement nationale.

b) De la coutume internationale à la coutume nationale


442. Bartin affirmait, à propos de la coutume internationale que, « le consentement
unanime sur lequel elle se fonde ne porte jamais que sur des règles très générales, sur des
propositions abstraites fort éloignées de la réalité et de l’application pratiques » 765 . Par
conséquent, lorsque certains principes issus du droit international public sont communs à
plusieurs Etats, « faute d’une conscience universelle de leur nécessité, ils ne fondent en fait
qu’un droit positif à caractère interne »766. Ainsi, « la coutume internationale devient, à son
tour, une source purement nationale du droit international privé »767. Le caractère abstrait et
général des principes fondamentaux issus du droit international public conduit à soustraire la
coutume internationale des sources du droit international privé. Ces principes ne sont que des
normes communes et abstraites appliquées à l’échelle nationale selon le sens que chaque Etat
leur donne. Ceci se justifie d’autant plus dans la mesure où la coutume internationale est
dénuée de valeur juridique.

2) L’absence de valeur juridique de la coutume internationale en droit positif


443. S’il semble que l’existence de la coutume internationale soit contestable, ceci est
confirmé par son absence de force contraignante. En effet, ce n’est que grâce à la compétence
personnelle des Etats que les principes issus de la coutume internationale sont lisibles sur la
scène juridique (a). Ils sont donc dénués de toute valeur juridique en raison du défaut
d’obligation internationale qui incomberait aux Etats (b).

a) La compétence personnelle des Etats en matière de coutume reconnus par le droit


international public
444. Les principes généraux du droit international public affectés de
particularisme. En reprenant l’idée selon laquelle incombe aux Etats une obligation
internationale naturelle de ne pas aller jusqu’à la territorialité absolue, Bartin ajoute que

764
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 64.
765
E. Bartin, op. cit., § 36.
766
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 64.
767
E. Bartin, op. cit., § 36.

222
chaque Etat se réserve donc le pouvoir d’en définir le contenu768. Il faut, en réalité, aller plus
loin que cette simple obligation naturelle puisque « le droit international public reconnaît
simultanément aux Etats une compétence « personnelle », les autorisant à légiférer pour leurs
nationaux, et une compétence territoriale, qui leur permet d’édicter des normes applicables à
toutes les personnes sur leur territoire »769. Si bien que les principes généraux et abstraits issus
du droit international privé sont objet de la compétence personnelle des Etats. Ainsi, « les
conséquences et même le sens de ces règles générales sont nécessairement fixés par la
jurisprudence de chaque pays seulement » 770 . Ces principes contractent donc « le même
caractère particulariste qui s’attache à la règle issue de la législation positive écrite »771.
445. L’absence de valeur juridique des principes généraux du droit international
privé. Ces principes n’ont donc de valeur que parce que les Etats leur en donnent, mais leur
traduction juridique n’est pas commune et donc propre à chaque pays. Ceci s’explique parce
que les Etats ne se sentent pas contraints par une obligation internationale.

b) Le défaut d’obligation internationale incombant aux Etats en matière de coutume


446. L’absence d’obligation internationale entre Etats. « La cause profonde de
l’absence d’un droit positif international » vient de ce que « les Etats n’ont pas conscience
d’être tenus, vis-à-vis des autres Etats, d’adopter une règle de préférence à une autre »772. Par
conséquent, si peut être soutenue l’idée d’une obligation naturelle de ne pas outrepasser les
limites de sa propre territorialité, cela ne se justifie que par une volonté de protéger sa propre
souveraineté. C’est d’ailleurs pourquoi, « même lorsqu’ils (les Etats) élaborent des règles
identiques, le défaut d’un sentiment d’obligation internationale empêche la création d’une
coutume internationale proprement dite »773. Par conséquent, la coutume internationale n’en
est pas réellement une et ne possède aucune valeur juridique. D’ailleurs, comme l’a affirmé
Arminjon, « le droit international privé est très ancien » et « à ce moment-là, les Etats ne
s’étaient pas constitués, la notion de souveraineté n’avait pas encore été formée, il n’y avait
pas encore de droit des gens »774 . Par conséquent le droit international privé s’est créé, à
l’origine, abstraction faite des normes issues du droit naturel et notamment de celles propres à

768
J. Maury, op. cit., § 20, reprenant les propos de Bartin, Principes du droit international privé, op. cit.
769
B. Audit et L. d’Avout, op. cit. § 34.
770
E. Bartin, op. cit., § 36.
771
Ibid.
772
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 64.
773
Ibid.
774
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 17.

223
la souveraineté des Etats. A l’époque, « les règles conçues pour les conflits des coutumes et
des lois qui régissent les divisions territoriales d’un même pays ont été étendues avec ou sans
modification aux conflits de lois entre Etats »775. Par conséquent, dire que le droit des gens, en
tant que coutume internationale, est une source juridique produisant des obligations à l’égard
du droit international privé serait erroné. L’histoire de la discipline suffit à démontrer que la
simple doctrine territorialiste et donc indirectement souverainiste a justifié de respecter entre
les Etats un principe de souveraineté territoriale.
447. L’ineffectivité avérée de la coutume internationale. Ainsi, la coutume
internationale n’est pas une source du droit international privé et ceci principalement en
l’absence de principes communs stricts dotés de force obligatoire. Si la place de la
souveraineté des Etats reste un problème majeur dans l’établissement de toute source du droit
universelle, une autre difficulté perdure. Van Hecke affirmait déjà à propos du XXème siècle
que « le monde actuel est caractérisé par la nécessité de régler les relations entre trois groupes
présentant des degrés divers de cohésion : le groupe occidental américano-européen (…), le
groupe communiste et les pays de développement afro-asiatiques » considérant que « cette
nouvelle structure du monde n’a pas manqué d’influence sur le droit des gens » 776 . Il
s’interrogeait alors sur le fait de savoir si les règles traditionnelles issues de la coutume
internationale, d’origine européenne, sont toujours valables et applicables au reste du monde.
La réflexion est pertinente en ce qu’il semble quasiment impossible d’établir des principes
universels applicables à l’entièreté des Etats qui composent le monde, et davantage s’il
convient de leur donner une force obligatoire. La coutume internationale ne peut donc être
considérée comme une source du droit international privé dans la mesure où d’une part, elle
ne peut constituer, à ce jour, une source directe à l’égard de la matière, et d’autre part, en
raison de son absence de caractère obligatoire. Finalement, la doctrine semble bien être la
source idéale à la création d’un droit des conflits de lois commun. Cependant, à côté du
législateur, de la jurisprudence et de la doctrine, une autre source semble apparaître. En effet,
notamment au sein des communautés régionales, il pourrait être considéré que les objectifs
prônés par lesdites communautés constituent des sources indirectes du droit international
privé.

775
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 17.
776
G. Van Hecke, « Universalisme et particularisme des règles de conflit au XXème siècle », in Mélanges en
l’honneur de Jean Dabin, Bruylant, 1963, p. 939 et s.

224
SOUS-SECTION 2 : L’INTEGRATION CONTEMPORAINE D’OBJECTIFS
SUPRANATIONAUX COMMUNS A L’ELABORATION DU DROIT INTERNATIONAL
PRIVE

448. En dehors des sources classiques auxquelles peut prétendre toute discipline
juridique, le droit international privé subit l’influence de facteurs contemporains lesquels se
traduisent notamment par la volonté d’atteindre des objectifs spécifiques. En effet, le droit
international privé se construit, d’une part, sous l’impulsion des objectifs et standards
européens prônés par l’Union européenne (§ 1), et d’autre part, en fonction de l’aspiration
universelle propre à tout Etat de droit, à savoir la défense des droits de l’Homme (§ 2).

§ 1 - LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE EUROPEEN ORIENTEES PAR LES


OBJECTIFS ET STANDARDS DE L’UNION EUROPEENNE

449. Le droit international privé s’inscrivant dans une logique de construction


régionale est notamment influencé par la structure européenne777. Par conséquent, au regard
des objectifs communautaires de l’Union européenne, le droit international privé, et
nécessairement le droit des conflits de lois est dirigé par le principe des libertés de circulation
(A). Consubstantiellement à ces objectifs communautaires, le droit international privé est
aussi, à la fois, sous l’influence et promoteur de standards européens dont celui de
l’uniformisation du droit (B).

A. LA LIBRE CIRCULATION COMME OBJECTIF DIRECTEUR DU DROIT


INTERNATIONAL PRIVE EUROPEEN

450. Le droit de l’Union européenne est conduit par divers buts à atteindre, et parmi
eux s’y rangent les libertés de circulation lesquelles doivent nécessairement être respectées,
notamment par le droit international privé (1). Au-delà du respect qui lui est accordé, la libre
circulation a intégré directement le champ d’application du droit international privé (2).

1) Le nécessaire respect des libertés de circulation en droit international privé


451. Le droit de l’Union européenne promeut, depuis sa création, divers objectifs
notamment économiques et politiques sur lesquels le droit international privé doit s’aligner

777
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 13 : « ce qui caractérise le droit international privé européen c’est
l’emprise qu’ont sur la solution des questions de droit international privé des concepts économiques (liberté de
circulation, principe d’origine, reconnaissance mutuelle) ou des droits fondamentaux (droit au respect de la vie
familiale, …) qui n’avaient pas été conçus à l’origine dans cette perspective ».

225
(a). Réellement, ceci impose au droit international privé de se conformer à des objectifs
purement publicistes (b).

a) L’alignement du droit international privé aux objectifs économiques et politiques de


l’Union européenne
452. L’instauration d’un marché unique dans l’Union européenne. Depuis 1951,
la Communauté européenne, puis l’Union européenne, ont poursuivi un objectif économique
propre, celui d’assurer la mise en place d’un marché unique. Par conséquent, à la suite de
l’instauration d’un marché commun en 1951, a été mis en place en 1986, grâce à l’Acte
unique européen, un marché intérieur lequel constitue un « espace sans frontières intérieures
dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux
est assurée »778. En d’autres termes, les traits généraux du marché intérieur constituent un
« objectif essentiel de la Communauté européenne »779 qui se traduit par la garantie effective
des libertés de circulation. Cette protection des libertés se traduit tant sur le plan économique
que sur le plan politique, et ne cesse d’être encouragée, notamment avec la mise en place de
l’espace de liberté, sécurité et de justice consacré par le Traité de Lisbonne en 2009.
La promotion des libertés de la circulation est assurée par l’Union européenne780 au
regard des règles matérielles qui émanent de ses institutions. Par conséquent, ces règles de
l’Union ont un caractère supranational c’est-à-dire « un rang hiérarchique supérieur à celui
des normes internes » 781 . Elles s’imposent donc aux Etats membres, lesquels doivent se
conformer à ces objectifs communautaires. De surcroît, les règles de conflit de droit
international privé propres à chaque Etat membre doivent donc respecter ces objectifs
communautaires, mais plus encore participer à leur garantie782. Ainsi, ces règles ne doivent

778
A. Borràs, « Le droit communautaire et les rapports privés internationaux », RCADI, 2005, vol. n°317, § 15.
779
Ibid., § 16.
780
Ex. : CJUE, Coman, 5 juin 2018, JDI n°1, 1 janv. 2019, doctr. 2, note G. Kessler dans lequel la Cour a
consacré un droit de séjour du conjoint de même sexe du citoyen européen au nom de la libre circulation des
situations familiales au sein de l’UE.
781
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 79.
782
Voir notamment en ce sens : L. G. Radicati di Brozolo, « L’influence sur les conflits de lois des principes de
droit communautaire en matière de liberté de circulation », op. cit., p. 401, et spéc. p. 403 : « Les rapports avec
les conflits de lois pourraient se manifester aussi sous un autre angle, parce que, tout en réglant directement des
conflits de lois par le biais de normes ayant spécifiquement ce but, le droit communautaire pourrait également
influencer la solution de ces conflits d’une manière indirecte, et cela par l’effet de ses principes généraux. Parmi
ceux-ci, un rôle particulier semblerait susceptible d’être joué par les principes en matière de libre circulation,
surtout tels qu’ils ont été élaborés par la Cour de justice des Communautés européennes et utilisés dans le
contexte de la « nouvelle approche » adoptée à l’égard de la création du marché unique ».

226
pas porter atteinte « aux principes de droit de l’Union en ce qui concerne particulièrement le
marché intérieur et les libertés de circulation »783.
453. La promotion des libertés de la circulation en droit international privé. En
outre, bien que les objectifs du droit de l’Union intègrent directement ses règles matérielles, il
atteint parfois même les mécanismes du droit international privé notamment les lois de police
ou l’ordre public international784. Effectivement, les buts recherchés par l’Union européenne
peuvent être traduit comme normes impératives au sens d’une loi de police ou bien encore
comme valeurs fondamentales au sens de l’ordre public international. L’arrêt Unamar de la
CJUE de 2013785 en est l’exemple traditionnel. Dans cet arrêt, il est bien expliqué que la loi de
transposition nationale d’une directive européenne constitue une loi de police en ce que les
dispositions qu’elle transpose sont impératives puisqu’elles assurent la protection de l’agent
commercial ; laquelle constitue bien un objectif de l’Union européenne. Par conséquent, si
l’arrêt Unamar ne vise pas directement la libre circulation, le raisonnement de la CJUE peut
s’y appliquer néanmoins. Finalement, même les mécanismes du droit international privé,
demeurant pourtant nationaux, se voient soustraits au respect des principes du droit de
l’Union. Il ne s’agit alors que d’une application stricte du principe de primauté du droit
communautaire puisque « les objectifs traditionnels du droit international privé (…) sont
supplantés par les exigences relatives à la réalisation du marché intérieur »786. Autrement dit,
le droit international privé et conséquemment le droit des conflits de lois s’alignent sur les
objectifs publics européens.

b) La conformité des règles de droit international privé à des objectifs de nature


publique
454. Un droit international privé européen publiciste. Si les normes de droit
international privé sont subordonnées aux objectifs du droit européen, l’élaboration de celles-
ci est encadrée par des considérations publicistes. En effet, si le droit international privé est le
corollaire du droit européen, matière publiciste, il ne peut être considéré que le droit
international privé se consacre simplement à ses objectifs propres lesquels demeurent privés.

783
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 79.
784
J.-M. Jacquet, « L’affaiblissement du rôle de l’Etat-nation et le droit international privé », JDI n°1, janv.
2013, biblio. 2, spéc. p. 2.
785
CJUE, 17. oct. 2013, Unamar, aff. C-184/12, RTD com. 2014, p. 457, note Ph. Delebecque ; Rev. UE 2014, p.
305, note A. Cudennec et p. 376, note V. Pironon ; RTD civ. 2014, p. 107, note H. Barbier ; Dalloz 2014, p. 893,
note D. Ferrier, p. 60 et 1967, note L. d’Avout, et p. 1059, note H. Gaudemet-Tallon ; D. actualité, 24 oct. 2013,
note F. Mélin.
786
J.-M. Jacquet, op. cit., spéc. p. 2.

227
En définitive, « le système juridique européen emprunte les formes d’un fédéralisme plus ou
moins assumé » et conduit « à une lecture publiciste du conflit de lois »787.
455. Un droit international privé exempt de neutralité. Véritablement, l’Union
européenne impose sa politique publique aux Etats membres, notamment en droit
international privé. Une comparaison s’opère avec l’histoire de la discipline puisque la
matière n’a jamais pu se construire abstraction faite du contexte politique duquel elle est
issue. Par conséquent, le droit international privé conçu sous l’empire de la Communauté puis
de l’Union européenne ne peut se consacrer entièrement à ses objectifs propres dans la mesure
où il doit garantir les buts recherchés à l’échelle régionale. De plus, si cela se traduit au sein
de la réglementation positive des Etats membres, cela se traduit également au sein des
règlements européens.

2) La traduction juridique de la libre circulation en droit international privé


456. La fusion des objectifs communautaires aux objectifs du droit international privé
s’est concrétisée au travers du principe de reconnaissance mutuelle (a), lequel a été consacré
par les instruments dérivés du droit communautaire (b).

a) La libre circulation préservée par le principe de reconnaissance mutuelle


457. Le principe de reconnaissance mutuelle en matière de libre circulation. La
promotion de ces libertés communautaires a nécessairement un impact sur les rapports privés
internationaux pour répondre à « la logique d’un marché sans entraves »788. Cela se traduit sur
le terrain du principe de reconnaissance mutuelle. En effet, principalement au regard des
relations privées internationales, « le processus d’intégration européenne va apparaître comme
crédible (…) si des résultats rapides et tangibles sont accomplis dans des domaines tels que la
reconnaissance et l’exécution des décisions » 789 . Ainsi, considérant que « la diversité des
droits des Etats membres (est) un obstacle au fonctionnement du marché », l’Union
européenne et le droit communautaire se prévalent du « principe de reconnaissance mutuelle
consacré par la Cour de justice à propos de la libre circulation des marchandises (…) et
étendu à d’autres matières relevant de la libre circulation des services (…) ou des
personnes »790. En effet, si le principe de reconnaissance mutuelle « n’apparaît en réalité dans

787
J.-S. Bergé, « Le droit international privé à l’épreuve du fédéralisme européen », JDI n°4, oct. 2011, biblio.
18, spéc. p. 2.
788
A. Borràs, op. cit., § 15.
789
Ibid., § 38.
790
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 60.

228
le domaine du droit international privé communautaire qu’à partir du Traité d’Amsterdam en
1997 (…), ce principe constitue à présent la pierre angulaire (…) de l’espace européen de
justice »791. Il se traduit alors par « le besoin d’accepter les règles en vigueur dans un autre
Etat membre, quel que soit le contenu de ces règles ».
458. Un outil au secours des entraves portées aux libertés de circulation. Le
recours au principe de reconnaissance mutuelle, en droit international privé, consiste à en faire
un outil de correction sur la base duquel seraient contrecarrées toutes les entraves aux libertés
de circulation, lesquelles seraient menées par les activités des Etats membres dans le champ
d’application du conflit de lois792. Ainsi, le principe devient un correcteur aux règles de droit
international privé qui constituent un obstacle à ce principe, et donc aux libertés de
circulation. D’ailleurs, cette exception « s’est traduite dans différentes directives ainsi que
dans la jurisprudence de la Cour de justice, toujours au nom du respect des libertés (…) »793.
Ainsi, le droit international privé se doit bien de garantir les libertés de circulation. C’est
pourquoi cet objectif de libre circulation et de reconnaissance mutuelle a été intégré dans les
instruments dérivés du droit communautaire.

b) La libre circulation intégrée aux instruments dérivés du droit communautaire


459. La libre circulation des jugements insérée dans les règlements européens. Si
le droit international privé doit se soustraire au principe de reconnaissance mutuelle, il le
consacre également à l’échelle régionale grâce aux règlements européens. En effet, ces outils
de l’Union européenne ont promu la libre circulation des jugements au travers de leur
reconnaissance et de leur exécution pour en faire « une technique propre au droit international
privé, bien qu’elle se trouve au service d’une finalité différente, l’intégration
communautaire »794. En effet, chaque règlement européen, qu’il soit relatif au conflit de lois
ou de juridictions, reprend dans son préambule, et dans des termes similaires, les objectifs de
l’Union européenne et notamment celui « de maintenir et de développer un espace de liberté,
de sécurité et de justice, entre autres en facilitant l’accès à la justice, notamment par le
principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière

791
A. Borràs, op. cit., § 57.
792
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 79.
793
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 60.
794
A. Borràs, op. cit., § 68.

229
civile »795. Par conséquent, l’objectif de libre circulation des jugements, en tant qu’objectif
communautaire, notamment promu par l’espace liberté, sécurité et justice, est directement
intégré dans le corps des règles du droit dérivé de l’Union. De surcroît, les règles de conflit de
juridictions européennes, traitant directement de la thématique de circulation des jugements,
mettent en œuvre cet objectif européen. Effectivement, chaque règlement européen,
aujourd’hui, garantit la libre circulation des jugements en prônant d’une part un principe de
reconnaissance de plein droit et en tendant d’autre part à alléger au maximum la procédure
d’exequatur voire même à la supprimer. Ainsi, le droit international privé lui-même a intégré
les politiques du droit communautaire.
460. Le droit international privé conditionné par les objectifs européens. En
définitive, le droit international privé, qu’il soit de source nationale ou de source européenne,
doit s’incliner face aux buts visés par la politique de l’Union européenne. Il pourra alors
difficilement devenir une matière soustraite de toute orientation politique et détachée de la
sphère publique. De plus, une telle intégration des objectifs communautaires contraint la
discipline à se cantonner à un niveau européen. Une méthode universelle ne peut être
proposée sur cette base, puisqu’elle empêche toute autre culture juridique, politique, ou
économique d’y participer, celle-ci pouvant être en opposition avec l’identité de l’Union
européenne. En tout état de cause, la politique de l’Union européenne conduit
progressivement à l’instauration d’un standard européen.

B. LA CREATION D’UN STANDARD EUROPEEN APPLICABLE AU DROIT


INTERNATIONAL PRIVE

461. Au-delà des objectifs communautaires, l’Union européenne, en recourant à la


technique du rapprochement des législations, a participé à la réalisation d’un standard
européen (1). Celui-ci, originellement instrument, tend à devenir une finalité consubstantielle
à ladite réalisation. En effet le standard européen se concrétise par l’uniformisation du droit
européen et tend à devenir un droit unique tant en droit européen qu’en droit international
privé (2).

795
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles
I bis, considérant n°3.

230
1) La réalisation d’un standard européen par le rapprochement des législations
462. L’Union européenne, pour parvenir à la réalisation de ses objectifs
communautaires a recouru à une technique particulière consistant à rapprocher les législations
de ses Etats membres afin d’obtenir l’uniformisation de ses normes matérielles (a). Celle-ci
constitue désormais l’instrument du standard européen applicable en toute matière et
notamment en droit international privé (b).

a) La réalisation d’un standard européen d’uniformisation du droit matériel européen


463. Le rapprochement des législations nationales. Si l’Union européenne s’est
fixée des objectifs à atteindre notamment économiques et politiques et tendant principalement
à promouvoir la libre circulation, elle y est parvenue et y parvient par un moyen unique, le
rapprochement des législations. En d’autres termes, l’uniformisation des normes juridiques
européennes, notamment de droit matériel, constitue le moyen d’atteindre le standard
européen vers lequel l’Union européenne se dirige.
464. L’élaboration d’un droit matériel unifié. En effet, depuis le traité de Rome de
1957, le rapprochement des législations des Etats membres constitue la technique par laquelle
l’Union européenne cherche à atteindre ses objectifs communautaires et celle-ci est
« largement utilisé par les directives pour éliminer les obstacles au fonctionnement du marché
commun »796. Par conséquent, par le biais des directives européennes, l’Union européenne
parvient à unifier son droit matériel. Néanmoins, l’Union européenne « est aussi intervenue
indirectement pour discipliner les pratiques étatiques dans le champ du droit international
privé en posant des standards, inspirés par des objectifs (…) variables »797. Ce standard, se
traduisant par la réalisation d’objectifs propres au moyen de l’uniformisation des règles du
droit international privé, devrait conduire à l’effectivité d’un droit unique en Europe.

b) La combinaison du standard européen aux règles du droit international privé


465. Vers la disparition du droit international privé national. En imposant un
standard européen relatif à l’unification des règles du droit européen, et indirectement du droit
international privé, « l’application des règles communautaires aux situations privées
internationales exclut l’application du droit international privé de source nationale ainsi que
798
les techniques propres à celui-ci » . Finalement, en poursuivant ses objectifs

796
A. Borràs, op. cit., § 57.
797
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 78.
798
A. Borràs, op. cit., § 40.

231
communautaires, l’Union européenne tend indirectement, par la technique du rapprochement
des législations, à supprimer petit à petit les règles nationales de droit international privé.
466. La promotion d’un droit unique en tant que standard européen.
Véritablement, « le droit européen (…) s’est donné très tôt pour objectif de rapprocher les
législations nationales, y compris le droit privé » avec « cette volonté de créer une
communauté de lois » et de « faire converger les différents systèmes nationaux qui fondent
une emprise du droit européen contemporain sur le droit privé »799. Finalement, lorsque le
droit matériel de l’Union européenne, à raison du principe de primauté communautaire, se
réclame d’une application uniforme par les Etats membres, il exige un rapprochement de leurs
législations nationales. Ainsi, par le biais des directives, l’Union européenne promeut, en tant
que standard européen, un droit unique. De plus, « le phénomène se prolonge et s’amplifie au
niveau de l’impérativité internationale dont les Etats ont normalement la maîtrise par le
truchement de leurs lois de police et leur ordre public » ; « or, au niveau des lois de police
s’est instauré un contrôle de leur compatibilité au regard du droit de l’Union » et
« symétriquement se développe (…) un usage de la technique des lois de police au bénéfice
de règles impératives européennes » 800 . De même concernant l’ordre public, « il sert
désormais moins à défendre ou promouvoir les intérêts et valeurs propres à chaque Etat que
ceux qui se développent dans le cadre européen ». Finalement le standard européen organise
indirectement, par la technique du rapprochement des législations, un droit matériel européen
unique également applicable au droit privé. Or, cette technique du rapprochement des
législations a également impacté les règles de conflit des règlements européens.

2) Le standard européen « unicité du droit » intégré au droit international privé


européen positif
467. Le standard européen relatif à l’uniformisation du droit a su pénétrer les règles du
droit international privé par le recours aux règlements européens (a) et constitue,
consubstantiellement aux objectifs communautaires, une source indirecte du droit
international privé (b).

a) La standardisation du droit international privé au regard des règlements européens


468. L’unification des règles de conflit européennes. « Le standard international
privé n’est pas en tant que telle une norme juridique ; il constitue uniquement une norme

799
J.-S. Bergé, op. cit., spéc. p. 2.
800
J.-M. Jacquet, op. cit., spéc. p. 2.

232
technique » et « c’est par le truchement d’un acte juridique qu’il accède à la dignité
normative »801. Ainsi par la technique du rapprochement des législations, l’uniformisation du
droit acquiert un certain degré d’effectivité par le recours aux règlements européens lesquels
unifient les règles conflictuelles du droit international privé dans de nombreux domaines802.
469. Un droit international privé a priori unifié sur le territoire européen. Si les
règles de droit international privé de source européenne ne sont pas des règles matérielles,
elles doivent tout de même être appliquées par les Etats membres. Ainsi, les Etats de l’Union
européenne doivent appliquer de manière uniforme les règles du droit international privé
conformément aux standards européens que cette Union prône. Finalement les objectifs de
l’Union européenne et ses standards européens constituent bien une source du droit
international privé, et donc du droit des conflits de lois.

b) Le droit international privé indirectement conditionné par les objectifs et standards


européens
470. La politique européenne comme source indirecte du droit international
privé. Si le droit européen constitue une source directe du droit international privé, les
objectifs communautaires et les standards européens en constituent également une de manière
indirecte. En effet, la volonté d’atteindre certains objectifs et d’établir des standards, en
recourant à des techniques propres telles que la reconnaissance mutuelle ou le rapprochement
des législations, a nécessairement un impact dans la construction du système de droit
international privé à l’échelle européenne.
471. L’uniformisation du droit international privé cantonnée à l’échelle
régionale. Le système régional européen se construit sous l’influence des objectifs
économiques et politiques européens au moyen d’un standard européen, l’uniformisation du
droit, lequel incite à atteindre l’unicité du droit. Ainsi, si le droit international privé est orienté
par des objectifs publicistes puisque d’aspiration originellement économique et politique, il
n’en demeure pas moins qu’il est également orienté par une considération qui lui est propre :
l’unification du droit à l’échelle régionale. En effet, en recherchant à atteindre ses objectifs
communautaires, l’Union européenne a mis en place un standard européen au moyen de
diverses techniques juridiques qui la conduise à la finalité ultime du droit international privé :
l’établissement d’un droit unique. Les aspirations politiques de l’Union européenne

801
R. Bismuth et J.-M. Thouvenin, La standardisation internationale privée : aspects juridiques : (colloque,
Poitiers, vendredi 24 mai 2013), Larcier, 2014, § 4.39 et s.
802
Cf. supra § 300 et s.

233
sembleraient compatibles avec l’objectif prôné par un droit international privé égalitaire
prenant finalement en compte l’individu 803 . Cependant, cet objectif européen, bien que
louable, ne pourra a priori s’étendre au-delà de l’Europe puisque les règles de droit
international privé demeureront l’émanation d’une culture juridique européenne, laquelle ne
pourra sans doute convenir à l’intégralité de la société internationale. Néanmoins, il ne faut
pas négliger la portée d’une telle démarche qui atteste d’un universalisme potentiel. En tout
état de cause, il semble qu’une amorce vers l’universalisation du droit international privé ait
été initiée et puisse être espérée au travers des droits de l’Homme.

§ 2 – L’UNIVERSALISATION POTENTIELLE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE AU


TRAVERS D’UNE PROTECTION COMMUNE DES DROITS DE L’HOMME

472. La protection des libertés fondamentales constitue l’une des préoccupations les
plus importantes de tout Etat de droit et, à ce titre, conduit les politiques de chaque Etat en
tant que source indirecte de toute discipline juridique, et notamment du droit international
privé. Cette source, bien qu’indirecte, est, en vérité, universelle, puisque la défense des droits
de l’Homme est assurée tant au sein de l’Europe (A) qu’en dehors de celle-ci (B).

A. LA PROTECTION EFFECTIVE DES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE


473. Les droits de l’Homme font aujourd’hui l’objet d’une protection particulière
laquelle est notamment accrue au sein de l’Europe. C’est pourquoi ils sont reconnus et
garantis de manière effective tant par l’Union européenne que par le Conseil de l’Europe (1).
Sous l’influence de ce mouvement, le droit international privé s’est lui aussi engagé à en
assurer une protection positive (2).

1) La consécration juridique des droits de l’Homme avérée en Europe


474. L’Europe est garante du respect des droits fondamentaux depuis la moitié du
XXème siècle. Les libertés fondamentales sont garanties par l’Union européenne qui érige

803
Voir en ce sens : A. Bucher, « La dimension sociale du droit international privé : Cours général », RCADI,
2010, vol n°341, § 11 : « Le droit international privé européen est également marqué par certains des principes
fondamentaux qui forment la substance essentielle et la structure de l’ordre juridique de l’union européenne. Ces
principes, relevant du droit dit primaire, n’offrent pas, en général, de règles immédiatement applicables, mais ils
peuvent produire un effet réflexe qui peut se concrétiser sous forme de solutions affectant la répartition du
champ d’application des droits nationaux. il suffit d’évoquer, à ce stade, les libertés de circulation, le principe de
non-discrimination et les droits attachés à la citoyenneté européenne, dont l’incidence sur les rapports de droit
privé au sein de l’union européenne est certaine. Celle-ci n’est plus limitée par l’objectif initial de la création
d’un marché commun, aujourd’hui appelé « marché intérieur », auquel s’ajoute une « finalité sociale » . La
consécration d’un espace de liberté, de sécurité et de justice va bien au-delà de la seule intégration économique,
encadrant très largement la mobilité croissante des citoyens de l’union européenne. L’individu est ainsi plus
spécifiquement visé et sa position renforcée par les droits attachés à sa qualité de citoyen européen ».

234
leur respect comme l’un de ses objectifs (a). Pourtant, à l’origine, la défense des droits de
l’Homme est apparue sous l’impulsion du Conseil de l’Europe (b).

a) La promotion des libertés fondamentales assurée par le droit de l’Union


475. La consécration des droits de l’Homme par le TUE. Le Traité sur l’Union
européenne, en son article 2, prévoit que « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la
dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect
des droits de l’Homme » et celles-ci « sont communes aux Etats membres ». Par conséquent,
le traité par lequel l’Union européenne est consacrée fonde cette organisation sur des valeurs
fondamentales qui sont celles des droits de l’Homme, et ceci avant même la promotion des
objectifs politiques et économiques de l’Union prévus aux articles 3 et 4 du même traité.
476. La Charte des droits fondamentaux. De plus, pour asseoir les valeurs
fondamentales qu’elles prônent, l’Union européenne, par référence à l’article 6 du Traité sur
l’Union européenne, « reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés par la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 (…) laquelle a la même
valeur juridique que les traités ». Par conséquent, la Charte des droits fondamentaux, qui
contient un corpus relatif aux droits de l’Homme acquiert un rang de droit primaire et
s’impose à toutes les institutions. Ainsi, les droits de l’Homme acquièrent un rang supérieur
au sein de l’Union européenne, pour figurer comme principes de l’Union européenne
s’imposant à ses Etats membres.
477. L’adhésion à la Conv. EDH. De plus, l’article ajoute que l’Union « adhère à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales »
et considère que « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention
européenne (…) et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». L’Union s’est donc
dotée d’un arsenal conséquent relatif aux droits de l’Homme afin que ces derniers soient
appliqués universellement au sein de la région européenne.
478. La violation des droits fondamentaux sanctionnée. De surcroît, en son article
7804, le Traité sur l’Union européenne prévoit un mécanisme de sanction d’un Etat membre en
cas de violation d’un droit fondamental, sous l’impulsion d’un tiers des Etats membres, ou

804
Art. 7 du TUE : « Sur proposition motivée d’un tiers des Etats membres, du Parlement européen ou de la
Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après
approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un Etat
membre des valeurs visées par l’article 2 ».

235
bien du Parlement européen, ou encore de la Commission européenne. Ainsi, l’Union s’est
engagée à assurer l’effectivité des droits fondamentaux en mettant en place une sanction dans
le cas où le respect de ces droits serait mis en péril par l’un des Etats membres.
479. La place fondamentale accordée aux droits de l’Homme dans l’Union
européenne. Il en ressort que la place accordée aux droits de l’Homme par l’Union
européenne est fondamentale et celle-ci s’impose à tous les Etats membres. Ces derniers
devront donc se conformer aux libertés fondamentales, notamment au regard de leurs
législations nationales sous peine de sanction. Il est donc supposé que le droit international
privé se doit aussi d’être en conformité avec les droits de l’Homme garantis par l’Union
européenne en tant que valeurs fondamentales. Cependant, à l’origine « le caractère
économique de la construction communautaire avait conduit à ne reconnaître que des libertés
de nature économique »805. Ainsi « les droits reconnus étaient liés aux objectifs généraux et
aux compétences communautaires plus qu’à un souci de la protection des droits
individuels »806. C’est pourquoi la promotion des libertés fondamentales est originellement
due, au niveau européen, à une autre organisation internationale, le Conseil de l’Europe. Par
conséquent, la protection des droits de l’Homme, plus qu’un objectif garanti par l’Union
européenne, est une valeur fondamentale à laquelle aspire aujourd’hui toute l’Europe.

b) La défense des droits de l’Homme sous la large impulsion du Conseil de l’Europe


480. La Convention européenne des droits de l’Homme. Le 4 novembre 1950, à
l’initiative du Conseil de l’Europe, ses Etats membres ont signé un nouveau traité
international, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales, laquelle a pour objet d’assurer ces droits et libertés à tout individu. De plus,
depuis 1959, le Conseil de l’Europe s’est doté d’une juridiction internationale, la CEDH,
laquelle a notamment pour rôle d’assurer l’effectivité et le respect des droits individuels
garantis par la Convention européenne de 1950.
481. La protection des droits de l’Homme sous l’impulsion du Conseil de
l’Europe. La volonté de garantir les droits de l’Homme à une échelle européenne s’est donc
développée avant l’Union européenne, grâce au Conseil de l’Europe. Par conséquent « le droit
européen des droits de l’Homme, dont le texte phare – la Convention européenne des droits de

805
J. Rideau, « Introduction », in « Le rôle de l’Union européenne en matière de protection des droits de
l’Homme », RCADI, 1997, vol. n°265, p. 29 et s.
806
Ibid.

236
l’Homme du 4 novembre 1950 – a pendant longtemps bénéficié, dans ce domaine, d’un quasi-
monopole en tant que corps de règles de droit positif dont le respect est garanti par l’ouverture
de recours juridictionnels » 807 . Le Conseil de l’Europe a été le premier à se saisir de la
question des droits de l’Homme, c’est pourquoi son influence « est nettement plus diffuse que
celle de l’Union européenne »808. Ceci explique également que l’Union européenne se soit
saisie par la suite, à raison de l’influence exercée par le Conseil de l’Europe, de la question
des droits de l’Homme pour en garantir aussi le respect et l’application. Ainsi, l’Union
européenne a adhéré à la Convention européenne809.
482. Vers une défense universelle des droits de l’Homme. En outre, en référence
aux divers instruments européens dont se prévaut aussi bien l’Union européenne que le
Conseil de l’Europe, il est indéniable que les droits de l’Homme font, à ce jour, l’objet d’un
véritable arsenal juridique et qu’ils sont protégés et garantis à l’échelle européenne. De plus,
grâce au jeu des juridictions européennes et notamment de la CEDH, « le champ d’application
matériel de la Convention européenne des droits de l’Homme » subit « un élargissement
manifeste »810. Les droits de l’Homme sont donc consacrés à une échelle régionale et ont
vocation à être étendus quant à leur condition matérielle. Ceci implique nécessairement une
volonté d’ériger au premier rang un objectif de défense des libertés fondamentales. De plus, la
protection des droits de l’Homme, étant assurée par l’Union européenne, mais aussi par le
Conseil de l’Europe, lequel est composé de 47 Etats membres, fait état de la conviction de la
région européenne à l’égard de la protection des droits fondamentaux. Cette partie du monde
érige ces droits au rang de l’universel. C’est sur ce seul terrain des libertés fondamentales
qu’apparaît alors l’idée d’universalité à laquelle pourrait tendre chaque Etat du monde entier,
puisque plus que l’Union européenne, le Conseil de l’Europe participe à leur protection. La
conséquence indirecte engendrée par cette protection accrue des droits de l’Homme en Europe
s’illustre en droit international privé. En effet, les droits de l’Homme, étant fondamentaux,
sont garantis par la discipline.

807
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 80.
808
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 62.
809
Art. 6.2 du TUE.
810
J.-S. Bergé et S. Touzé, 2. « Au-delà du droit européen, le droit international de l’interprétation des traités »,
in « Au-delà du droit européen, le droit international (public et privé) », JDI n°3, juill. 2014, chron. 5, spéc. p.
10.

237
2) La protection des droits de l’Homme soutenue par le droit international privé
483. Les droits fondamentaux, bien que garantis au premier plan par le droit
international public au sein de deux institutions européennes, sont également garantis en droit
international privé. En effet, les principes fondamentaux sont d’une part intégrés dans les
règles de conflit du droit international privé (a), et sont protégés d’autre part par le mécanisme
de l’ordre public international (b).

a) Les principes fondamentaux intégrés aux règles de conflit du droit international privé
484. Le respect des droits fondamentaux par les Etats européens. « Une
convention multinationale sur les droits fondamentaux peut être l’occasion pour les Etats de
s’accorder sur certaines valeurs qui pour gagner le rang de l’effectivité, doivent être
retranscrites à une échelle de proximité locale »811. Cette citation de Monsieur Lécuyer invite
à considérer que les droits fondamentaux, ayant fait l’objet de traités internationaux à
l’échelle européenne, doivent être retranscrits à l’échelle nationale au sein de chaque Etat
membre. Toutefois, il a longtemps été considéré que le droit international privé n’avait pas
besoin de se conformer aux droits fondamentaux dans la mesure où par nature il s’agissait
d’un droit neutre et indirect812. Cette approche a été remise en cause à partir du XXème siècle
au regard de l’essor des droits fondamentaux au sein de la société internationale en arguant
notamment que « la valeur éminente des droits fondamentaux veut que ceux-ci règnent sans
partage sur toutes les règles, y compris les règles de conflit de lois »813.

811
S. Lecuyer, op. cit., § 101.
812
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 237 : « La première incidence des droits fondamentaux sur le droit
international privé concerne la nécessité pour les règles de conflits de lois d’être conformes à ceux-ci. Cette
exigence ne s’est pas imposée sans hésitation. Parmi les caractères de la règle de conflit de lois figurent en bonne
place, on l’a vu, son caractère indirect et sa neutralité. Son caractère indirect : ne résolvant pas directement la
question de droit posée, la règle de conflit de lois se contente de désigner l’ordre juridique auquel la solution sera
empruntée ; son caractère neutre : la règle de conflit de lois désigne la loi applicable en raison non de
l’excellence ou de la simple supériorité de la solution qu’elle pose mais de l’étroitesse des liens que le rapport
entretient avec un ordre juridique donné ; les lois en conflit sont tenues pour équivalentes sauf intervention de
l’exception d’ordre public international. De ce caractère purement instrumental des règles de conflit de lois, on a
longtemps déduit que leur compatibilité avec les exigences des droits fondamentaux ne pouvaient faire l’objet
d’aucun contrôle. Autrement dit, à la différence des autres règles de droit, les règles de conflit de lois
échappaient totalement à l’emprise des droits fondamentaux ».
813
Ibid., § 239, lequel poursuit : « Ensuite, on souligne que la neutralité habituellement prêtée aux règles de
conflit de lois est toute relative. Le droit international privé n’étant, selon une image chère à Bartin, que la
projection du droit civil interne au plan international, la règle de conflit de lois est dans la dépendance directe de
l’« esprit » des institutions du droit interne. C’est ainsi que la soumission des rapports de famille à la loi
nationale du mari reflète une conception du droit selon laquelle la cohésion du groupe familial est assurée par
l’attribution au mari de la qualité de chef de famille. Cette conception étant désormais contraire aux droits
fondamentaux, il devrait en aller de même du résultat de sa projection au plan international ».

238
485. La préservation des droits fondamentaux par le droit international privé. En
pratique, en droit international privé, les Etats membres de l’Union européenne et du Conseil
de l’Europe doivent nécessairement garantir les libertés fondamentales814. De nos jours, cette
protection est notamment assurée, dans l’Union européenne, par les règles de conflit du droit
international privé prévues par les règlements européens, lesquels ont directement intégré
certains principes fondamentaux issus des textes internationaux propres aux droits de
l’Homme. « Les droits de l’Homme affleurent donc le droit international privé (…) comme
principe à l’aune desquels les règles de droit international privé du for sont en permanence
évaluables »815. Le droit international privé, de source nationale ou européenne, doit donc
nécessairement être régi en considération du respect des droits de l’Homme. Cependant, il
peut également garantir certains de ces droits au travers de sa réglementation. La meilleure
illustration est le droit au procès équitable lequel se traduit sous des formes diverses et variées
au sein des règlements européens 816 . En outre, si les droits fondamentaux ont fait leur
apparition indirectement au sein des règles de conflit européennes, ils ont surtout intégré
l’ordre public international de chaque Etat membre, leur assurant ainsi une réelle assise en
droit international privé.

b) Les libertés fondamentales sauvegardées par l’ordre public international


486. Les droits de l’Homme intégrés à l’ordre public international de chaque
ordre juridique. L’ordre public international est un mécanisme par lequel toute juridiction
peut évincer une loi étrangère initialement applicable lorsque ses dispositions matérielles se
heurtent aux valeurs et principes fondamentaux de l’ordre juridique du for. Par conséquent, il
est des hypothèses où « le juge de l’un des Etats parties à la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’Homme (…) soit requit d’appliquer une norme étrangère contraire
à l’un de ces droits ou libertés »817. La question est donc de savoir si le juge de cet Etat
membre va pouvoir utiliser le mécanisme de l’ordre public international afin d’évincer cette

814
Voir en ce sens : P. Kinsch, « Droits de l’Homme, droits fondamentaux et droit international privé », op. cit.,
§ 12 : « Tous les droits de l’Homme qui peuvent avoir une incidence sur le droit privé sont susceptibles d’avoir
leur importance en droit international privé (…) : le droit de se marier et de fonder une famille ; le droit à une vie
familiale normale ; le droit au respect des biens ; le droit à la liberté d’opinion et à la liberté de presse, et ainsi de
suite ».
815
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 80.
816
Voir en ce sens l’art. 45 du règlement Bruxelles I bis : « la reconnaissance d’une décision est refusée dans le
cas où la décision a été rendue par défaut, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été notifié
ou signifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre ».
817
P. Mayer, « La Convention européenne des droits de l’Homme et l’application des normes étrangères »,
RCDIP 1991, p. 651.

239
loi étrangère incompatible avec les droits et libertés fondamentales garantis par l’Union
européenne et par le Conseil de l’Europe. La réponse est positive, puisque les droits et libertés
fondamentales protégés par la région européenne doivent l’être également par les Etats
membres qui la composent. Par conséquent, les droits de l’Homme sont aussi bien défendus
par les juges européens que nationaux et intègrent donc nécessairement les principes
fondamentaux de tout ordre juridique national relevant de l’Europe.
487. Un mécanisme moteur d’une application universelle des droits
fondamentaux. Ainsi, « en évinçant la loi ou le jugement étranger, le juge d’un Etat partie
accomplit deux choses : il défend son ordre public, qui intègre les droits de l’Homme, et il
assure le respect, par l’Etat dont il est l’organe, de son engagement international »818. Les
droits de l’Homme « alimentent » donc « l’ordre public (international) » lequel fait « obstacle
à la prise en compte des lois ou jugements étrangers qui y seraient contraires »819. Ainsi, le
droit international privé, au travers de l’un de ces mécanismes d’exception, assure
l’application universelle de principes fondamentaux. Les décisions de juridictions nationales
attestent de cette intégration des droits de l’Homme au sein de l’ordre public international du
for. Une illustration peut en être donnée au regard de la répudiation, laquelle ne peut être
reconnue par l’ordre juridique français considérant que cette institution est contraire au
principe d’égalité entre époux prévu par le protocole additionnel numéro 7 à la Convention
européenne des droits de l’Homme820. Finalement, le droit international privé pourrait donc
tendre vers une unification puisque l’universalité des droits de l’Homme garantie à l’échelle
européenne en atteste. Ceci se confirme au regard des aspirations auxquelles tendent les Etats
indépendamment de l’Europe.

B. LA DEFENSE COMMUNE DES DROITS DE L’HOMME AU-DELA DE L’EUROPE


488. La défense des droits de l’Homme reconnus à tout individu n’est pas une finalité
propre à l’Europe issue des guerres mondiales. En réalité, cette aspiration fondamentale
trouve son origine à l’échelle nationale, et notamment en France (1). Pour autant, elle s’est
étendue en Europe, mais bien au-delà encore pour devenir un objectif universel (2).

818
P. Mayer, « La Convention européenne des droits de l’Homme et l’application des normes étrangères », op.
cit., p. 651.
819
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 80.
820
Cass., Civ. 1ère, 23 oct. 2013, 12-25.802, RTD civ. 2014, p. 94, note J. Hauser.

240
1) L’aspiration fondamentale aux droits de l’Homme d’origine nationale
489. La protection des droits fondamentaux constitue un objectif commun aux Etats
européens. Cependant, cet objectif est d’origine nationale en ce qu’il constitue un but
primordial pour tout Etat de droit (a). C’est pourquoi il est aujourd’hui réalisé par tout
système de droit international privé national (b).

a) La protection des droits de l’Homme : l’objectif primordial de tout Etat de droit


490. La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. « Les
Représentants du Peuple Français, (…), ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle,
les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration,
constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits
et leurs devoirs »821. La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen constitue le premier
pilier du système sur lequel s’est fondé l’Etat de droit français, lequel reconnaît et garantit à
chaque individu des droits fondamentaux. Elle « est une pièce essentielle de notre actuel
« ordonnancement » juridique » et « la plupart des branches du droit peuvent s’y rattacher
d’une façon ou d’une autre »822. Par conséquent, cette déclaration a érigé au premier rang les
droits de l’Homme contraignant toute discipline juridique à s’y conformer.
491. Un corpus juridique français spécifique aux droits de l’Homme. La DDHC
n’a été que la première étape vers la réalisation d’un corpus juridique propre aux droits
fondamentaux. En effet, par la suite, d’autres sources juridiques sont intervenues pour élargir
le champ d’application matériel de ces droits. Ces derniers ont été complétés par les principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République, ou encore par les principes politiques,
économiques et sociaux nécessaires à notre temps, lesquels sont consacrés par le Préambule
de la Constitution de 1946. De plus, aujourd’hui, la Constitution du 4 octobre 1958, dans son
Préambule « proclame son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la
souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et
complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis
dans la Charte de l’environnement de 2004 ».
492. La place primordiale reconnue aux droits de l’Homme par l’ordre juridique
français. Sous l’impulsion de la Révolution française et des philosophes des Lumières, le
système juridique français n’a cessé de promouvoir les droits de l’Homme tant au regard de

821
Préambule de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
822
J.-M. Carbasse, op. cit., § 153.

241
l’élargissement de leur contenu matériel que de leur protection juridique. En effet, les droits
de l’Homme, aujourd’hui, partie intégrante de la Constitution française et plus précisément du
bloc de constitutionnalité se situent au sommet de la hiérarchie des normes françaises. Cette
place dominante suffit à considérer qu’il s’agit d’un objectif primordial de l’Etat de droit
français, auquel il ne peut être dérogé. C’est pourquoi il s’impose à toute discipline juridique.
493. Un objectif propre à tout Etat de droit. De surcroît, cela signifie bien que si les
droits de l’Homme constituent un objectif de l’Etat de droit, il constitue l’objectif de tout Etat
de droit. En effet, la défense des droits de l’Homme à l’échelle européenne est issue d’une
volonté commune de chaque Etat membre de protéger les droits fondamentaux reconnus à
tout individu, chaque Etat pouvant être considéré comme un Etat de droit. Ceci est confirmé
par la formule employée à l’article 6 du TUE laquelle prévoit que « les droits fondamentaux,
(…) tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, font
partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». Ce sont donc les traditions
constitutionnelles communes des Etats membres, lesquelles se réfèrent aux libertés
fondamentales, qui ont permis la construction d’un arsenal juridique à l’échelle régionale.
C’est pourquoi elles sont aujourd’hui intégrées au sein de l’Union européenne également.
Ainsi, tout Etat de droit aspire au même objectif, à savoir le respect et la garantie des droits de
l’Homme. Une universalisation du droit serait donc envisageable, puisqu’elle l’est déjà à
l’échelle européenne. Par ailleurs, les droits fondamentaux étant originellement défendus au
niveau national, ont été garantis par le droit international privé national en premier lieu.

b) La protection des droits de l’Homme assurée par tout droit international privé interne
494. Les droits de l’Homme défendus par l’ordre public international. « La
doctrine et la jurisprudence modernes s’accordent à définir l’ordre public comme un correctif
exceptionnel permettant d’écarter la loi étrangère normalement compétente, lorsque cette
dernière contient des dispositions dont l’application est jugée inadmissible par le tribunal
saisi » 823 . La question est donc de savoir au regard de quels principes ou de quelles
dispositions une loi étrangère peut paraître inadmissible. La réponse est tournée vers les droits
fondamentaux. En effet, la Cour de cassation, dans l’arrêt Lautour de 1948, a établi que
l’ordre public international français était composé des « principes de justice universelle

823
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 381.

242
considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue »824. Sur la
base de cette définition établie par la Cour de cassation, l’ordre public international français
est bien constitué par les droits de l’Homme garantis par la Constitution française puisqu’ils
sont considérés dans l’opinion française comme doués de valeur universelle.
495. Les droits de l’Homme garantis par chaque ordre juridique. Les droits de
l’Homme étant garantis par le droit international privé français au regard du contenu de son
ordre public international, il est loisible de penser qu’une telle protection est assurée
également par les autres Etats de droit, membres de l’Union européenne notamment. En effet,
chaque Etat de droit fait nécessairement des droits de l’Homme des principes à valeur
universelle composant leur ordre public international respectif. Ainsi, un pan du droit
international privé a pu faire l’objet d’une universalisation ou du moins d’une universalisation
à l’échelle régionale européenne. Néanmoins, il ne convenait pas d’être un pays européen
pour parvenir à cette universalisation, il suffit d’être un Etat de droit dont l’objectif inhérent
est celui d’un respect universel des droits de l’Homme. C’est pourquoi cette aspiration,
originellement nationale, puis devenue européenne, s’étend en réalité bien au-delà.

2) L’aspiration contemporaine universelle aux droits de l’Homme


496. Les droits de l’Homme sont des droits universels en ce qu’ils sont reconnus à tout
individu, mais aussi en ce qu’ils font l’objet d’une conscience commune qui s’étend bien au-
delà de l’Europe (a). C’est pourquoi il est possible d’espérer que le droit international privé
débute son universalisation sur la base de ces libertés fondamentales (b).

a) L’objectif universel de défense des droits de l’Homme au-delà de l’Europe


497. La conscience mondiale de défense des droits de l’Homme. Si l’Etat français
est aujourd’hui considéré comme le pays des droits de l’Homme, il serait faux de considérer
qu’il est l’unique défenseur de ces droits. En effet, tant les Etats européens que le reste du
monde s’investissent dans la poursuite de cet objectif. D’autres régions du monde sont
concernées par la protection des droits de l’Homme, notamment l’Amérique et l’Afrique,
lesquelles se sont dotées de Cours spécifiques à la discipline, la Cour interaméricaine des
droits de l’Homme issue de l’Organisation des Etats américains et la Cour africaine des droits
de l’Homme et des peuples créée en vertu de l’article 1 du Protocole de la Charte africaine des
droits de l’Homme et des peuples. Par conséquent, une conscience mondiale sur le plan des

824
Cass., Civ., 25 mars 1948, Lautour, RCDIP 1949, p. 89, note Batiffol ; Dalloz 1948, p. 357, note Lerebours-
Pigeonnière ; S. 1949, 1, p. 21, note Niboyet ; JCP 1948, II, p. 4532, note Vasseur ; GAJFDIP, n°19.

243
droits de l’Homme tend à s’imposer même si elle demeure absente dans certaines régions du
monde825, notamment en Asie826.
498. La déclaration universelle des droits de l’Homme. De surcroît, sous
l’impulsion des Nations unies, a été signée, le 10 décembre 1948, la déclaration universelle
des droits de l’Homme afin de promouvoir les libertés fondamentales sur la scène
internationale. « L’originalité de la Déclaration (…) réside dans une tendance manifeste – qui
transparaît au hasard des différents articles – à établir un compromis entre les thèses de l’Est
et les thèses de l’Ouest ».827 Par conséquent, des principes universels applicables à tous les
Etats du monde entier peuvent faire l’objet d’une réglementation internationale, et non
seulement nationale ou européenne.
499. Les prémices d’une universalisation. Finalement, les droits de l’Homme
constituent bien le seul objectif, actuellement, auquel tout Etat de droit accepte de se
conformer. Une universalisation pourrait donc être envisagée à l’aune des droits
fondamentaux828, lesquels constituent indirectement une source du droit international privé.

b) Le regain d’espoir de l’universalisation du droit des conflits de lois


500. L’universalisation du droit des conflits de lois autour de l’égalité de
traitement. Au regard de l’importance accordée aux droits fondamentaux dans l’espace
international et indirectement dans toutes les disciplines du droit, il pourrait être considéré
qu’une universalisation du droit international privé et spécialement du droit des conflits de
lois soit envisageable. En effet, partant de l’idée que les droits de l’Homme constituent une
source indirecte du droit international privé, celle-ci se développe au sein de tous les systèmes

825
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 225, reprenant notamment les propos de A. Supiot : « L’homme des
droits de l’homme est un individu abstrait, composé de raison et de liberté, que, depuis la Renaissance, la société
occidentale a progressivement mis au centre de l’univers, en considérant qu’il est à lui-même sa propre fin. Or
une telle vision de l’homme est tout à fait étrangère à de grandes civilisations qui valorisent au contraire
l’effacement de la volonté individuelle et où l’homme continue à se percevoir « comme la partie d’un tout, qui
… le dépasse, qui l’a précédé et qui lui survivra » ».
826
Ibid. : « En Asie, où la pensée juridique relative aux droits de l’homme présente certaines singularités, il
n’existe pas de conventions régionales sur les droits de l’homme, si ce n’est une convention signée en 2012 à
Phnom Penh dans le cadre de l’association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) qui n’a pas de valeur
contraignante et qui a été critiquée par les organes de l’ONU en raison des exceptions qu’elle apporte à la liste
traditionnelle des droits de l’homme ».
827
J. Robert et J. Duffar, op. cit., § 78.
828
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 225 : « Au premier abord, l’essor des droits fondamentaux apparaît
très prometteur à ceux qui appellent de leurs vœux un développement toujours plus intense des relations privées
internationales. Ces droits étant définis en considération de « l’homme en soi », abstraction faite des
particularités que lui imprime chaque société nationale, leur prise en compte ne peut semble-t-il qu’aider à percer
les compartimentages étatiques. Ils constitueraient une sorte de droit commun de l’humanité susceptible de
traduire l’ « unité au sein de laquelle existent les règles de droit comme parties constitutives du droit positif » à
laquelle fait référence Savigny et plus généralement de fournir un socle institutionnel à la mondialisation ».

244
de droit international privé existants à l’heure actuelle. C’est pourquoi le droit international
privé et spécialement le droit des conflits de lois pourrait tendre à l’universalisme au-delà de
l’Europe et de son standard européen. Néanmoins, les droits fondamentaux ne constituent
qu’un objectif universel auquel les Etats qui composent la société internationale tendent. En
aucun cas, ces droits ne peuvent permettre la construction d’un système un et entier en droit
des conflits de lois. Toutefois, ils exercent, malgré tout une véritable influence sur la
discipline, notamment au travers du mécanisme de l’ordre public international 829 . Il serait
alors possible de considérer que la discipline, si elle promeut l’effectivité des droits de
l’Homme, s’attelle à garantir une véritable effectivité de l’égalité de traitement, laquelle
constitue un droit de l’homme défendu de manière universelle. Ainsi, l’égalité de traitement
pourrait constituer le point de convergence auquel chaque Etat de droit aspire en tant
qu’objectif fondamental. En tout état de cause, si les Etats veulent respecter l’égalité de
traitement à laquelle peut prétendre chaque sujet de droit, ils doivent déterminer un système
de droit des conflits de lois commun, par lequel chaque sujet de droit verrait sa situation
internationale traiter de manière identique. Autrement dit, le standard européen, unification du
droit, pourrait implicitement dépasser la sphère régionale au travers de la promotion du
principe d’égalité. Or, pour cela il convient, d’une part de mettre un terme à la fragmentation
juridique des sources, et conséquemment d’autre part, d’organiser un système juridique neutre
auquel tout Etat pourrait adhérer sans remettre en cause ses considérations identitaires.
501. Une universalisation sous l’impulsion de la doctrine. Finalement, après avoir
pu établir que le droit international privé dans son ensemble était épargné de toute neutralité
dans la construction de son système et de ses règles de conflit, il serait judicieux d’établir une
doctrine propre au droit des conflits de lois conforme à la nature et à la fonction de la
discipline et dont l’objectif serait la réalisation du principe d’égalité sous forme d’égalité de
traitement des situations internationales. En effet, seule la doctrine peut parvenir à proposer
un système unique et global mettant un terme à une fragmentation des règles de conflit de
lois. De cette façon, en établissant un système neutre, tout Etat pourrait y adhérer, et chaque
sujet de droit serait traité de manière identique, afin que soit respectée l’égalité de traitement.

829
Cf. infra § 1746 et 1747.

245
246
CONCLUSION DU CHAPITRE II :
502. La fragmentation des sources du droit incompatibles avec l’égalité de
traitement. Le droit international privé et spécifiquement le droit des conflits de lois
constitue une matière riche et complexe au regard de ses sources, lesquelles ont alimenté sa
diversité. Actuellement, bien que la discipline soit régie en droit positif par le législateur et la
jurisprudence, elle demeure fractionnée à plusieurs échelles notamment nationale et régionale.
Il conviendrait donc de réduire au maximum ce droit fragmentaire puisqu’il tend à une
certaine inégalité de traitement830. Néanmoins, la difficulté tient au fait que tous les Etats de la
communauté internationale n’ont pas une identité juridique et culturelle similaire. C’est
pourquoi il est difficile d’élaborer un système juridique commun dans la mesure où les
exemples actuels sont politisés autour de considérations identitaires et communautaires.
503. La réalisation d’un système commun neutre et égalitaire sous l’impulsion de
la doctrine. Cependant, la doctrine pourrait constituer une source commune du droit des
conflits de lois sur la base de laquelle se fonderait le droit positif de demain. Il s’agit de
l’unique source capable de réaliser une uniformisation internationale de la discipline dans la
mesure où elle peut se défaire des sources positives réglementant déjà la discipline et proposer
un système commun neutre, c’est-à-dire vide de toute politique et simplement conforme à la
nature et à la fonction du droit des conflits de lois. De plus, pour y parvenir et emporter
l’adhésion de tout Etat de droit, elle devrait partir du postulat commun relatif à l’égalité de
traitement que chaque Etat s’efforce de réaliser. Effectivement, ce principe, étant classé parmi
les droits de l’Homme, dont la vocation est universelle, devrait constituer l’objectif commun
des Etats même en droit international privé, et conséquemment en droit des conflits de lois. Il
convient alors de déterminer quel système de droits des conflits de lois pourrait garantir tant la
neutralité que l’égalité de traitement.

830
Voir en ce sens : B. Dutoit et F. Majoros, « Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs
solutions possibles », RCDIP 1984, p. 565, à propos des difficultés rencontrées par les tribunaux en raison de la
multiplicité des sources : « ils risquent d’ignorer l’existence même de textes conventionnels devenus si
nombreux ».

247
248
CONCLUSION DU TITRE I :

504. Une discipline à multiples fondements juridiques. L’étude des origines et des
sources du droit international privé et essentiellement du droit des conflits de lois conduit
indéniablement à admettre que cette discipline fait l’objet d’une multitude de fondements
juridiques. Cependant, si la multiplicité peut s’avérer être facteur de richesse, elle provoque
également des conséquences négatives à l’égard d’un système applicable à la communauté
internationale.
505. Une discipline exempte de neutralité. Au regard des origines sur lesquelles
s’est construite la discipline, il apparaît que cette dernière a été l’objet de nombreuses
considérations tant publicistes que privatistes. En d’autres termes, la matière s’est fondée à
l’aune de différentes doctrines, lesquelles répondaient de politiques étatiques propres à chaque
Etat. Malgré certains efforts de la doctrine pour parvenir à penser le droit des conflits de lois
conformément à sa nature et à sa fonction, cette discipline n’a pas réussi à s’extraire de toutes
ces considérations orientées par la culture, la politique, l’histoire, l’identité des Etats. Par
conséquent, les résultats éconduits par les règles de conflit, encore aujourd’hui, ne répondent
pas à un traitement neutre des situations internationales. Or, de ce défaut de neutralité découle
une rupture d’égalité.
506. Une discipline facteur d’inégalité. Si le droit des conflits de lois ne respecte pas
la neutralité du système, alors il ne peut respecter l’égalité de traitement qui en découle. En
effet, dès lors que le système est construit au regard de résultats substantiels conformes à la
culture juridique et politique d’une communauté de droit, il ne peut emporter l’adhésion de
tous les Etats composant la société internationale. C’est pourquoi l’étude des sources du droit
international privé invite à constater que la discipline fait l’objet d’une véritable
fragmentation juridique, laquelle empêche la réalisation d’un traitement commun et égalitaire
des sujets de droit. Cette fragmentation n’est que la conséquence du défaut de neutralité de la
discipline issue d’une politisation matérielle régionale de celle-ci.
507. Une discipline à revisiter intégralement sous la plume de la doctrine. En tout
état de cause, afin de garantir un système de droit des conflits de lois égalitaire, celui-ci doit
être commun. En effet, pour reprendre les propos du Professeur Muir-Watt, « c’est
naturellement à travers le droit international privé, l’unique lieu du droit où la diversité
culturelle est admise à sortir de l’état de non-droit par le biais de la loi applicable (dès lors du

249
moins que la collision culturelle dépasse les frontières de la société interne), que le modèle de
l’« entre-deux » peut trouver son expression méthodologique » 831 . Or, pour que cette
expression ou plus précisément ce système soit commun, il doit nécessairement être neutre
afin que chaque Etat puisse y adhérer sans remettre en cause son identité culturelle, politique
et juridique. La seule manière de parvenir à ce résultat consiste donc à faire table rase du
passé et à élaborer une nouvelle doctrine qui pourrait emporter l’assentiment de chaque Etat.
Pour s’en convaincre, il ne faut pas oublier que chaque Etat de droit tend à garantir à ses
sujets de droit le principe d’égalité en tant que droit de l’Homme. Par conséquent, il serait
possible d’espérer, en établissant un système neutre et dont l’objectif serait de répondre à
l’égalité de traitement, que tout Etat s’y soumette. Néanmoins, il faut pour cela, déterminer
quel système, et plus précisément quelle méthode pourrait permettre de répondre à la fois de
la neutralité de la justice conflictuelle et de l’égalité de traitement qui en découle.

831
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 322.

250
TITRE II : L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS

INTERNATIONALES SUBORDONNE A LA METHODE CONFLICTUELLE

BILATERALE OBJECTIVE A RATTACHEMENT UNIQUE

508. La recherche d’une méthode neutre et égalitaire. Appréhender le droit des


conflits de lois sous l’angle de l’égalité de traitement des situations internationales implique
de rechercher une méthode qui soit avant tout neutre afin de permettre d’emporter
l’assentiment de n’importe quel Etat et de prétendre à l’universalité. C’est pourquoi après
avoir constaté que les règles de droit positives sont fortement influencées par des
considérations subjectives issues de l’histoire respective de chaque Etat, et sont relativement
morcelées, il convient d’étudier les différentes méthodes auxquelles peut se soustraire la
discipline.
509. La préférence pour la méthode conflictuelle objective bilatérale. Afin de
respecter la directive selon laquelle le droit des conflits de lois doit traiter tout sujet de droit
de manière équivalente, il est nécessaire de rechercher une méthode d’une part, neutre, et
d’autre part, égalitaire. Or, parmi les méthodes effectives en droit des conflits de lois, seule la
méthode conflictuelle objective et bilatérale est susceptible de garantir la neutralité et l’égalité
de traitement. C’est pourquoi il convient absolument d’adhérer à cette méthode au regard des
autres qui peuvent être proposées (chapitre I).
510. La structuration de la méthode choisie au regard du rattachement des liens
les plus étroits. Néanmoins, si cette méthode prime par rapport aux autres au regard de
l’égalité de traitement qu’elle préconise, il faut également, d’après sa construction
personnelle, qu’elle parvienne à assurer le même résultat. En effet, il est intéressant de se
pencher sur la structure relativement complexe de la méthode conflictuelle bilatérale dans la
mesure où celle-ci possède des caractères et une structure propres. Or, malgré sa constitution
particulière, il semble que se dégage de cette méthode bilatérale, l’amorce d’une construction
scientifique et neutre, garante de toute égalité de traitement, lorsqu’est choisi de recourir au
rattachement des liens les plus étroits (chapitre II).

251
252
CHAPITRE I : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EGALITAIRE ETROITEMENT

LIEE AUX REGLES DE CONFLIT OBJECTIVES BILATERALES

511. L’étude des méthodes. Après avoir reconnu que tout système de droit des
conflits de lois, pour traiter de manière égalitaire toute situation juridique internationale, doit
être exempt de considérations identitaires propres à chaque Etat, il convient de déterminer
quelle méthode semble garantir cet objectif d’égalité de traitement, et implicitement de
neutralité, parmi celles déjà existantes.
512. La préférence accordée à une méthode conflictuelle objective. Au regard des
règles de droit mises en place, il apparaît que plusieurs méthodes peuvent s’en dégager
notamment au regard de la construction des règles et de leur but respectif. Cependant, l’étude
de ces diverses méthodes invite à accorder une préférence pour la méthode conflictuelle
objective celle-ci étant la plus adaptée aux objectifs du droit des conflits notamment en termes
de neutralité et d’égalité de traitement (section 1).
513. Le choix d’une méthode bilatérale. En outre, bien que la méthode conflictuelle
objective soit la plus adaptée, elle peut se décliner sous différentes formes, à savoir
l’unilatéralisme et le bilatéralisme 832 . Or, seule la méthode bilatérale peut être retenue
puisqu’elle assure neutralité et égalité de traitement contrairement à la méthode unilatérale
(section 2).

SECTION 1 : LA METHODE CONFLICTUELLE OBJECTIVE ADAPTEE AUX


OBJECTIFS DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

514. Le droit des conflits de lois se traduit sur le plan juridique sous différentes
formes. Premièrement, la discipline peut opter pour deux types de méthode en termes de
structure. Il peut s’agir autant de règles matérielles que de règles conflictuelles. En droit
positif, ces deux méthodes ont été retenues. Néanmoins, si celles-ci doivent être combinées, il
convient de donner la préférence à la méthode conflictuelle conformément à l’objectif
d’unification du droit des conflits de lois (sous-section 1).

832
Voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 346 :
« L’histoire méthodologique du droit international privé est celle d’un remarquable chassé-croisé, dans le temps
et dans l’espace, entre les deux démarches dont Savigny a formalisé l’opposition au XIXème siècle. La première
invite en effet à partir de la loi elle-même pour définir, en fonction de ses propres finalités ou visées politiques,
son champ dans l’espace, tandis que la seconde prend pour point de départ la situation ou la question litigieuse
pour découvrir ensuite, compte tenu des liens qu’elle comporte avec différents ressorts législatifs eu égard à
l’ensemble des intérêts en jeu, la loi qui semble pouvoir la régir de la façon la plus appropriée ».

253
515. Deuxièmement, lorsque l’on décline la méthode conflictuelle, celle-ci peut
également prendre deux formes. Elle peut adopter deux types d’approches l’une objective,
l’autre subjective. Si, une fois de plus, ces deux déclinaisons de la méthode conflictuelle sont
consacrées en droit positif et qu’elles doivent être coordonnées, il est favorable de préconiser
une approche objectiviste à laquelle serait intégrée l’approche subjectiviste afin de préserver
un traitement égalitaire des situations juridiques (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LA PREFERENCE ACCORDEE A LA METHODE CONFLICTUELLE


CONFORMEMENT A L’OBJECTIF D’UNIFICATION DU DROIT DES CONFLITS DE
LOIS

516. La discipline du droit des conflits de lois connaît aujourd’hui deux méthodes
principales 833 . D’une part existe la méthode qualifiée de matérielle, laquelle consiste à
déterminer la solution au fond, directement applicable au litige. Cependant, principalement au
regard des défauts qu’elle présente, cette méthode se voit reconnaître inévitablement une
place restreinte au sein du système de droit des conflits de lois (§ 1). D’autre part est utilisée
la méthode dite conflictuelle, laquelle consiste à désigner la loi applicable, c’est-à-dire une loi
interne, à la situation. En raison des réels avantages que présente cette méthode, notamment
en termes d’égalité et d’harmonisation, mais aussi de la souplesse dont elle fait état, elle
domine sur la scène internationale au détriment de la méthode matérielle (§ 2).

§ 1 - LA PLACE RESTREINTE DES REGLES MATERIELLES EN DROIT DES CONFLITS DE


LOIS

517. La méthode matérielle, tant utilisée par le législateur interne que le législateur
international, ne présente qu’une place restreinte dans le système de droit des conflits de lois.
Théoriquement, il est considéré, en principe, que les règles matérielles sont dotées d’une
valeur supérieure à celles des règles conflictuelles (A). Néanmoins, pratiquement, ces règles
substantielles présentent divers inconvénients tels qu’ils conduisent à réduire conséquemment
leur valeur à l’égard des règles conflictuelles (B).

833
Voir notamment en ce sens : F. Rigaux, « La méthode des conflits de lois dans les codifications et projets de
codification de la dernière décennie », RCDIP 1985, p. 3 : « Pour rudimentaire qu’elle soit, la distinction la plus
fondamentale qu’on puisse proposer en droit international privé est celle qui sépare la règle de conflit de lois de
la règle de droit matériel. Alors que celle-ci énonce en termes généraux la conséquence juridique qui s’attache à
l’hypothèse légale, celle-là désigne l’ordre juridique national auquel doit être empruntée la solution applicable à
une situation privée internationale. Pareil contraste est loin d’épuiser la complexité méthodologique du droit
international privé ».

254
A. LA SUPERIORITE DE PRINCIPE DES REGLES MATERIELLES A L’EGARD DES
REGLES CONFLICTUELLES

518. Par principe, il est admis que les règles matérielles possèdent une valeur
supérieure à l’égard des règles conflictuelles (1). Pourtant, les règles matérielles attestent
plutôt, concrètement, d’un rang inférieur (2).

1) La supériorité théorique des règles matérielles


519. La méthode matérielle, à raison de sa fonction substantielle, est classée a priori
au premier rang, notamment par rapport à la méthode conflictuelle. Effectivement, les règles
matérielles ont vocation à primer dans l’application des règles de droit international privé (a)
et participent nécessairement à garantir un traitement identique du sujet de droit (b).

a) La primauté d’application des règles matérielles


520. La primauté des règles matérielles. Les règles matérielles, tant les conventions
internationales d’uniformisation du droit substantiel que les lois de police, ont vocation à
primer sur toute autre règle de droit international privé. Plus précisément, c’est en raison de la
règle d’applicabilité qui est assortie à ces règles matérielles que leur est octroyée une primauté
834
en termes d’applicabilité sur la règle de conflit . En effet, il est considéré
« traditionnellement que leurs règles d’application dans l’espace remplacent les règles de
conflit de lois »835. Par conséquent, dès lors qu’une règle matérielle a vocation à s’appliquer à
une situation juridique internationale, elle prime. Les règles de conflit de lois susceptibles de
s’appliquer à cette situation juridique internationale n’auront vocation à jouer que dans
l’hypothèse où la règle matérielle elle-même n’aurait pas ce titre en raison du défaut de l’une
de ses conditions d’applicabilité.
521. L’autorité supérieure des règles matérielles. La méthode matérielle se voit
donc reconnaître une autorité supérieure à celle de la méthode conflictuelle en termes

834
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 210 et 212, laquelle précise que « les règles matérielles de droit
international privé prétendent saisir des situations juridiques internationales, normalement soumises à la méthode
conflictuelle » parce que « certains Etats, dont la France, semblent considérer que l’existence – dans leur ordre
juridique – de règles substantielles particulièrement adaptées aux situations internationales justifie que le juge du
for en fasse une application directe aux situations internationales dont il est saisi, sans détour par la règle de
conflit ».
835
S. Corneloup, « L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois », JDI n°1, janv. 2012, biblio. 4.

255
d’applicabilité 836 . Ceci semble justifié dans la mesure où la méthode matérielle règle
directement la situation litigieuse au fond permettant ainsi une égalité de traitement du sujet
de droit.

b) Le traitement identique des sujets de droit issu du recours aux règles matérielles
522. Une méthode d’unification du droit. La méthode matérielle s’entend de
« règles régissant directement le fond du droit »837. Par conséquent, en droit des conflits de
lois, une telle méthode permet d’appliquer à tout sujet de droit les mêmes règles dans une
situation litigieuse identique. Elle participe donc à traiter tout sujet de droit de la même façon
conformément à l’objectif d’égalité de traitement. Pour parvenir à ce résultat, la méthode
matérielle doit s’entendre comme celle qui prône l’unification du droit. En effet, « les règles
matérielles n’acquièrent leur pleine valeur sur le plan international que si elles concourent
efficacement à l’unification du droit »838.
523. Une méthode propice à l’égalité de traitement. Employée comme source
internationale, il s’agit de la méthode la plus performante pour conduire à une égalité de
traitement puisque, d’une part, elle prime sur la méthode conflictuelle, et d’autre part, elle
emporte unification du droit des conflits de lois. Ainsi, tout sujet de droit se verra
légitimement appliquer une solution au fond laquelle sera identique dans une situation
similaire malgré des éléments d’extranéité différents. Cependant, cette méthode ne constitue
qu’un idéal à atteindre. En effet, la pratique atteste de l’infériorité des règles matérielles par
rapport aux règles conflictuelles. L’utilisation de la méthode matérielle relève donc de
l’utopie.

2) L’infériorité pratique des règles matérielles


524. Si la méthode matérielle semble la plus à même de garantir l’égalité entre les
sujets de droit, la pratique atteste du contraire. En effet, d’une part, les règles matérielles sont
peu nombreuses (a) et d’autre part, elles se cantonnent uniquement aux matières pratiques (b).

836
Voir en ce sens : O. Cachard, op. cit., § 347 : « La principale caractéristique des règles matérielles de droit
international privé est qu’elles peuvent être appliquées directement par la juridiction saisie d’un différend
présentant un élément d’extranéité » ; « En effet, les conventions, comme la Convention de Vienne sur la vente
internationale de marchandise, définissent explicitement leurs propres critères d’application, ratione materiae,
ratione personae et ratione loci. En vérifiant ces différents critères posés par la convention, il est possible de
déclencher son application sans passer par la règle de conflit de lois, même si, en l’occurrence, la Convention de
Vienne se veut également applicable quand la loi d’un Etat partie est désignée par la règle de conflit ».
837
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 96.
838
Ibid.

256
a) La proportion infime de règles matérielles en droit positif
525. Une méthode subordonnée à l’intervention d’un législateur international.
Les Professeurs Mayer et Heuzé affirmaient à propos des règles matérielles que
« l’élaboration et l’application de ces règles ne présentent pas de particularité notable par
rapport à celles des règles substantielles de droit commun » 839 . Toutefois, ces règles
matérielles propres au droit des conflits de lois se distinguent des lois de police nationales
dans la mesure où elles ne constituent pas des normes matérielles impératives en raison d’une
règle d’applicabilité spéciale. En tout état de cause, ces règles matérielles émanent d’un
législateur pour établir des règles de fond, comme le législateur national. Cependant, pour que
ladite méthode participe à une politique d’unification, il convient que ses règles soient érigées
à l’international c’est-à-dire par un législateur international.
526. Le succès restreint de la méthode matérielle. En l’absence de législateur
international effectif840, il est constaté que la méthode matérielle a connu un succès relatif. Par
conséquent, peu de textes internationaux issus de conventions internationales établissent des
règles régissant directement au fond des situations litigieuses privées. En effet, à ce jour, les
règles matérielles internationales sont numériquement inférieures par rapport aux règles de
conflit de lois. Si les conventions internationales s’y rangent et principalement la Convention
des Nations-Unis sur la vente internationale de marchandises 841 , certaines règles émanent
également du « droit spontané » contenant le droit corporatif, les usages ou encore les contrats
types842. En réalité, les autres règles considérées comme matérielles sont des lois de police,
lesquelles sont de source législative ou jurisprudentielle, mais demeurent nationales. En effet,
« un certain nombre d’arrêts ont posé des règles matérielles de droit international »843. Ces
règles étant de source interne ne participent pas à l’unification du droit des conflits de lois et
favorisent au contraire son individualisation. Par conséquent, les règles matérielles
internationales étant très infimes, notamment en comparaison aux règles conflictuelles,
semblent peu favorables à un système harmonieux et égalitaire. Le cantonnement de ces
règles à certaines matières le confirme.

839
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 136.
840
Cf. supra § 330 et s.
841
Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, 1980, Vienne.
842
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 104.
843
Ibid., § 100.

257
b) Le cantonnement des règles matérielles aux matières pratiques
527. Des règles matérielles commerciales. Outre que les règles matérielles
demeurent assez minces à l’heure actuelle, elles se cantonnent également à un domaine
restreint et pratique, à savoir le commerce international. En effet, les conventions
internationales « concernent presque exclusivement des matières relatives au commerce
international, qu’il s’agisse des conventions sur la vente internationale d’objets mobiliers
corporels, de celles relatives au droit maritime, à la propriété industrielle ou aux effets de
commerce »844.
528. Une méthode limitée aux affaires internationales. La méthode matérielle ne
s’applique donc qu’aux matières pratiques touchant aux affaires internationales. En effet, de
manière générale, le droit des Etats de la communauté internationale est sensiblement proche
afin de faciliter les échanges commerciaux internationaux. C’est pourquoi il a été susceptible
d’harmonisation dans cette matière. Néanmoins, cela n’est pas la seule raison. Aujourd’hui,
les conventions internationales tendant à l’élaboration d’un droit privé uniforme émanent
principalement de deux institutions, la CNUDCI et l’Unidroit, lesquelles ont pour mission la
création d’un droit uniforme, notamment en commerce international. Ceci justifie
l’élaboration plus importante de règles matérielles en droit commercial. Par conséquent, les
autres matières, principalement toutes celles qui sont exclues du droit des affaires ou du droit
commercial ne font que rarement l’objet d’une réglementation internationale de fond.
529. La portée limitée de la méthode en termes d’égalité. Au regard de la maigre
proportion des règles matérielles internationales et de leur cantonnement au commerce
international, la méthode substantielle est insusceptible de satisfaire aux exigences
égalitaristes du droit des conflits de lois. En effet, il semble que si, théoriquement, la méthode
répond à ces exigences, elle ne peut y parvenir en pratique, notamment en raison de son
utopique universalisation.

B. LA VALEUR REDUCTIBLE DES REGLES MATERIELLES


530. Se convaincre que le recours aux règles matérielles est le meilleur moyen de
parvenir à une égalité de traitement des situations internationales n’est qu’une conviction
théorique et illusoire. En effet, si cette méthode semble la plus à même de parvenir à une
unification, tel n’est pas réellement le cas. D’une part, le recours aux règles substantielles

844
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 105.

258
conduit à une rigidité extrême du système issue d’une application restreinte et d’une
incapacité d’adaptation (1), et d’autre part se traduit comme un échec en pratique, imputable à
la souveraineté et l’indépendance de chaque Etat (2).

1) Le caractère excessivement rigide des règles matérielles


531. Si la méthode matérielle peut paraître idéale en termes d’universalisation des
règles de droit, tel n’est pas le cas en pratique. En effet, son étude conduit à reconnaître un
caractère excessivement restreint à son champ d’application tant matériel que spatial (a) ainsi
qu’un caractère d’inadaptation aux évolutions de la communauté internationale (b).

a) Un champ d’application matériel et spatial restreint


532. Un champ d’application réduit. S’il a pu être considéré que la méthode
matérielle se réfère principalement au commerce international, son champ d’application est
davantage réduit tant sur le plan matériel que sur le plan spatial.
533. Un champ d’application matériel quasi inexistant. A propos de son champ
d’application matériel, seules « les matières qui relèvent du droit du commerce
international » 845 ont fait l’objet de règles matérielles. Cependant, ces règles qui ont été
juridicisées à l’échelle internationale demeurent cantonnées à des objets très précis. En effet,
pour reprendre l’exemple de la Convention des Nations unies846, celle-ci ne concerne que les
contrats de vente internationale de marchandises. Par conséquent, elle ne vise que des contrats
ayant pour objet de la marchandise et ne s’applique qu’à la formation du contrat847. Ainsi, au
regard des divers textes portant règlement matériel des litiges internationaux, il apparaît que
même dans le domaine du commerce, ces règles demeurent cantonnées à un champ
d’application restreint. De plus, aujourd’hui, la communauté internationale est animée par un
« sentiment profond que le milieu du commerce international doit avoir ses règles propres » et
cela « conduit à une professionnalisation du droit »848 . C’est pourquoi l’uniformisation du
droit commercial passe davantage par les usages, l’arbitrage, les contrats-types, et appelle
« une « résurrection » de la lex mercatoria »849. En d’autres termes, si l’on retire les règles du
droit commercial qui ne relèvent pas du droit des conflits de lois en tant que tel, il apparaît

845
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 106.
846
Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, 1980, Vienne.
847
Cass., Com., 16 janv. 2019, n°17-21.477, D. actualité, 7. fév. 2019, note F. Mélin, dans lequel la Cour
rappelle que les juges du fond ont exactement énoncé que « la Convention de Vienne régit exclusivement la
formation du contrat de vente entre le vendeur et l’acheteur ».
848
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 106.
849
Ibid.

259
que la méthode matérielle n’a quasiment pas d’existence propre dans la discipline. Ceci se
confirme au regard de son champ d’application spatial.
534. Un champ d’application spatial limité. La méthode matérielle suppose le
recours à une convention internationale puisque celle-ci « est génératrice de liens dans
l’espace » 850 . Elle permet donc de regrouper différents Etats du monde dans l’objectif
d’établir un corpus de règles de fond pour telle ou telle discipline. Cependant la difficulté tient
au rassemblement de divers Etats dans un objectif de rapprochement de leurs législations.
Pour y parvenir, pourrait être utilisée une méthode comparative des législations. Or, comme
l’a affirmé Maury, « le droit international privé comparé, est trop imparfait, trop inachevé
pour que des généralisations objectives puissent être tentées avec quelque chance de
succès »851. Par conséquent, si la méthode comparative ne peut être empruntée, alors seuls les
Etats dont les législations sont identiques peuvent se rapprocher. En l’état actuel, les
conventions internationales de droit matériel attestent, par leur infime proportion, de
l’impossible rapprochement des législations des Etats et donc de la portée réductible d’une
telle méthode dans l’espace. Ainsi, la méthode matérielle ne pourrait être utilisée que par des
Etats dont les législations sont similaires. Ceci a nécessairement pour conséquence de réduire
considérablement la portée du droit des conflits de lois dans l’espace. D’ailleurs, « la seconde
moitié du XXème siècle a connu un développement manifeste du droit international privé
conventionnel » mais « plus les conventions internationales se sont développées, plus les
différents niveaux spatiaux ont connu eux-mêmes et connaissent de manière croissante des
expériences propres de réglementation du droit international privé » 852 . Dès lors, aucune
réglementation matérielle ne s’est imposée de manière généralisée sur la scène internationale
afin de créer un droit des conflits de lois. La méthode matérielle ne semble donc pas être
adaptée au droit des conflits de lois, ce que confirme la rigidité dont elle fait état.

b) Le caractère inadapté des règles matérielles aux évolutions internationales


535. Une méthode empruntée au législateur national. Si la méthode matérielle
consiste à donner la solution au fond d’un litige, elle n’est que le reflet de la méthode
employée par tout législateur interne. En effet, tout législateur organise son système juridique
en donnant des règles de fond applicables à une situation. Il a donc pu être imaginé que la
même méthode soit utilisée en droit des conflits de lois. Dès l’époque des comparatistes, à la

850
S. Lecuyer, op. cit., § 55.
851
J. Maury, op. cit., § 81.
852
S. Lecuyer, op. cit., § 70.

260
moitié du XXème siècle, Maury a envisagé l’hypothèse selon laquelle « un droit spécial
interne, un vrai système de droit matériel (pourrait) être édicté pour les situations étrangères à
la vie interne », puis avait finalement considéré qu’« il est infiniment peu probable qu’un Etat
moderne ait la volonté de recourir à un tel système »853. Si, à l’époque, Maury a considéré que
le législateur de l’époque ne pouvait recourir à une telle méthode, un parallèle peut être
effectué avec notre système actuel.
536. Une méthode atteinte de rigidité en droit des conflits de lois. Recourir à la
méthode matérielle est actuellement une possibilité réalisable puisque la pratique en atteste.
Cependant, cette pratique n’est pas désirable puisque si le législateur national peut y recourir à
l’égard de ses sujets de droit sans difficulté, tel n’est plus le cas lorsqu’il s’agit d’une question
de droit international privé. Le recours à une telle méthode dans cette discipline implique
nécessairement une rigidité. En effet, le problème de cette technique tient principalement à
l’absence de législateur international. A la différence du législateur national, la méthode
matérielle en droit des conflits de lois suppose un consensus de plusieurs législateurs
nationaux indirectement, c’est-à-dire de plusieurs Etats par le biais d’une convention
internationale. Hormis ce processus de rapprochement par lequel les Etats doivent avant tout
passer, la difficulté tient en l’inadaptabilité de la législation matérielle internationale. En droit
interne, le législateur, à lui seul, peut réformer son propre droit pour l’adapter aux évolutions
politiques, économiques, sociales, etc. Tel ne sera pas le cas d’une législation matérielle
internationale, puisque celle-ci suppose un nouveau rapprochement des divers Etats. La
législation matérielle internationale, inadaptable aux diverses évolutions que peut connaître la
communauté internationale, présente donc un caractère de rigidité qu’il convient de rejeter.
537. Une méthode incompatible avec le droit des conflits de lois. En réalité, la
méthode en cause conduit à un certain « isolationnisme »854 et se situe en contradiction avec
l’esprit du droit international privé qui est celui d’une organisation harmonisée des relations
internationales privées, laquelle suppose la prise en compte des évolutions qui apparaissent

853
J. Maury, op. cit., § 39.
854
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 250.

261
sur la scène internationale855. Finalement, « la méthode des règles matérielles ne saurait de
toute manière concerner que des problèmes particuliers », et « on ne peut guère envisager (…)
un code complet des relations civiles et commerciales internationales, dont le domaine propre
ne serait pas facile à définir, et qui éliminerait toute prise en compte des droits étrangers »856.
La méthode matérielle ne semble donc pas être adaptée à la discipline du droit des conflits de
lois puisqu’elle ne pourra permettre une égalité de traitement des sujets de droit. C’est
pourquoi le recours à cette méthode constitue un échec aujourd’hui.

2) L’échec du recours à la méthode matérielle en droit des conflits de lois


538. Au-delà de la rigidité que présente la méthode matérielle, celle-ci constitue
simplement un échec en droit des conflits de lois. En effet, le recours à ce procédé de règles
substantielles est d’une part difficile en ce qu’il suppose une concession de compétence des
Etats participants (a) et d’autre part impossible en l’absence d’identité commune
internationale (b).

a) Le recours malaisé à la méthode matérielle en raison de la concession de compétence


des Etats
539. Une méthode soumise à la volonté souveraine des Etats. En dehors des
inconvénients inhérents à la méthode matérielle en tant que telle, son recours est également
difficile. En effet, à raison de sa vocation substantielle, il est plus délicat d’obtenir une entente
entre Etats conduisant à une concession de leur compétence. Dans la société internationale,
chaque Etat demeure souverain. Par conséquent, dans l’ordre international, les Etats
« coexistent et les pouvoirs de chacun y sont nécessairement bornés par ceux, égaux de tous
les autres »857. La souveraineté demeure donc « la source des compétences étatiques, mais
celles-ci ne sont concevables que pour autant qu’elles sont compatibles avec celles des autres

855
Pour aller plus loin, voir en ce sens H. Bauer, « Les traités et les règles de droit international privé matériel »,
RCDIP 1966, p. 537, confirmant le caractère inadapté des règles matérielles à la justice du droit international
privé : « le remplacement des règles de conflit par des règles de droit international privé matériel applicables à
toutes les relations internationales quelle que soit leur localisation n’est pas un procédé acceptable pour la
solutions des conflits de systèmes et de lois, parce qu’une telle solution fait abstraction de l’existence de
différentes justices territoriales, ou, plus précisément, de l’expression différente que peut trouver la justice dans
les différents systèmes juridiques. Le système juridique qui retient une telle méthode de solution refuse
d’apprécier les systèmes juridiques étrangers et leurs lois matérielles, et ne prend en considération que des
éléments de fait placés à l’étranger. Par là il refuse d’apprécier les conceptions de justice que se font (…) les
systèmes étrangers, et les conséquences qui en dérivent ».
856
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 250.
857
A. Pellet, Ch. III, S.1, § 1, II. « La souveraineté dans les relations entre Etats signifie l’indépendance », op.
cit., p. 41 et s.

262
Etats souverains »858. Tout Etat est souverain et possède des compétences étatiques propres.
La friction se pose donc au regard de leurs compétences étatiques.
540. Une méthode assimilée à un sacrifice des Etats. La méthode matérielle consiste
à « édicter des règles uniformes de droit matériel » c’est-à-dire « un droit commun aux Etats
signataires, et (…) international » 859 . Le procédé suppose que les Etats établissent
communément une législation matérielle internationale. Pour atteindre ce résultat, les Etats
doivent nécessairement abandonner une partie de leurs compétences étatiques propres à
certaines matières du droit privé. En effet, une législation collective internationale suppose
une concession réciproque et commune de tous les Etats participants. Or, les Etats, attachés à
leur souveraineté, sont, en pratique, réticents à cette méthode puisqu’elle les contraint à
abandonner une partie de leur compétence législative dans certaines matières de droit privé.
Ils sont donc enfermés par la suite par la législation matérielle conjointe établie avec d’autres
Etats. C’est pourquoi le recours à cette technique est limité. L’utilisation de ce procédé
conduit à un grand sacrifice pour les Etats puisqu’il concerne directement le contenu propre
de leur législation et non pas son domaine d’application860. Cette limitation n’en est que plus
étendue par le préalable que requiert la méthode, à savoir une identité commune
internationale.

b) Le recours impossible à la méthode matérielle dû à l’absence d’identité commune


541. L’absence d’identité commune internationale. Arminjon affirmait que
« l’unification du droit international privé (…) est irréalisable ; des obstacles insurmontables
s’y opposent et s’y opposeront vraisemblablement toujours »861. Il précisait que « le premier
de ces obstacles est la différence de conceptions qui ont motivé les institutions juridiques dans
chaque législation » puisque « ces institutions se sont formées et ont évolué par l’effet de
causes historiques et aussi sous l’action des institutions politiques, sociales, économiques
nationales sur lesquelles elles ont d’ailleurs réagi »862. Or, cette affirmation de la moitié du
XXème siècle est toujours applicable aujourd’hui. En effet, chaque Etat possède une identité
propre en raison de différents facteurs (politiques, économiques, historiques, culturels,
sociaux), et chacun a fondé sa législation étatique sur la base de ces éléments identitaires. Par

858
A. Pellet, Ch. III, S.1, § 1, II. « La souveraineté dans les relations entre Etats signifie l’indépendance », op.
cit., p. 41 et s.
859
J.-P. Niboyet, op. cit., § 22.
860
Ibid.
861
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 23.
862
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 23.

263
conséquent, il n’existe pas en tant que telle une identité commune internationale. Or, la
méthode matérielle suppose, pour parvenir à une entente entre Etats, une certaine similitude
identitaire afin d’élaborer une législation commune.
542. L’impossible établissement d’une législation internationale commune. Ainsi,
le recours à ce procédé n’est possible qu’à l’égard de certains points juridiques fragmentaires
sur lesquels les Etats ont une vision similaire et parviennent à s’accorder. Ceci implique qu’en
aucun cas une législation matérielle internationale ne puisse un jour exister. Le préalable à un
tel résultat est celui d’une identité commune internationale. Or, cela est inenvisageable
puisque tout Etat, souverain et indépendant, est doté d’une identité propre. « Un trop grand
développement » d’un droit commun matériel serait pour les Etats « intolérable, parce qu’il
méconnaîtrait leurs intérêts politiques irréductibles et constituerait une cage dont grande serait
la tentation de s’envoler » 863 . En d’autres termes, le recours à la méthode matérielle est
difficile, voire quasiment impossible. Cette méthode est celle du législateur national, et non
d’une prétendue législation internationale.
543. Le rejet de la méthode matérielle. Il convient finalement de rejeter la méthode
matérielle en droit des conflits de lois et de déterminer une méthode capable de respecter
l’identité et les compétences de chaque Etat, mais également d’emporter unification du droit
des conflits de lois eu égard à son champ d’application matériel. C’est pourquoi il serait sans
doute préférable de recourir à des règles indirectes ne résolvant pas le litige au fond comme
les règles conflictuelles.

§ 2 - LA PLACE DOMINANTE DES REGLES CONFLICTUELLES EN DROIT DES CONFLITS


DE LOIS

544. La méthode conflictuelle, par les avantages qu’elle présente par rapport à la
méthode matérielle, s’est imposée et généralisée en droit positif. De nos jours, elle atteste
d’une incontestable supériorité par rapport aux règles matérielles (A). Ce phénomène est
justifié par les finalités qu’elle permet d’atteindre, c’est-à-dire flexibilité et unicité (B).

A. L’INCONTESTABLE SUPERIORITE DES REGLES CONFLICTUELLES


545. En principe, les règles conflictuelles, conformément au système juridique en
place, possèdent un rang inférieur à celui des règles matérielles. Pour autant cette infériorité
n’est qu’illusion (1). En vérité, les règles conflictuelles détiennent et conservent une place

863
J-P. Niboyet, op. cit., § 54.

264
prédominante dans le système de droit des conflits de lois positif et ceci depuis l’Ancien
Régime (2).

1) L’illusoire infériorité juridique des règles conflictuelles


546. Conformément à la hiérarchie des normes, et aux règles d’applicabilité spéciales,
les règles conflictuelles se rangent à une place inférieure par rapport à celle des autres types
de règles (a). Cependant, au regard de la maigreur de ces dernières, les règles conflictuelles
détiennent vraisemblablement une place supérieure et dominante (b).

a) L’infériorité d’application théorique des règles conflictuelles


547. L’application subsidiaire des règles de conflit. Francescakis affirmait que « le
conflit de lois ne représente pas le type unique de réglementation des rapports internationaux,
puisqu’aussi bien il fonctionne concurremment avec deux autres types de règles, celles visant
l’extension de sa propre loi interne du for et celles visant directement une réglementation
matérielle des rapports internationaux »864.
Actuellement, le droit international privé peut effectivement être encadré par trois
types de règles : la règle matérielle, la règle conflictuelle et la loi de police. Si la règle
matérielle consiste à régir directement au fond la solution d’un litige international, les lois de
polices « sont les règles impératives qui, selon le droit du pays dont elles émanent, sont
applicables quelle que soit la loi désignée par la règle de conflit de ce pays »865. Ces trois
types de règles pouvant régir tout rapport international privé, il convient de préciser que lois
de police et règles matérielles priment sur les règles conflictuelles quelle que soit la situation
litigieuse. Ainsi, les règles de conflit n’ont vocation à s’appliquer qu’à défaut de règles
matérielles ou de lois de police applicables.
548. L’autorité inférieure des règles de conflit. En application de la hiérarchie des
normes, et en vertu de la règle d’applicabilité spéciale reconnue aux lois de police, les règles
de conflit ont donc une place inférieure par rapport aux autres règles applicables en droit des
conflits de lois. Il devrait donc être considéré qu’elles se situent à un rang d’application
inférieur et qu’elles n’ont donc pas vocation à devenir le principe à l’aune duquel se
développe la discipline. Pourtant, au regard du droit positif applicable, il apparaît que ces
règles constituent davantage le principe que l’exception.

864
Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, Thèse, Paris,
1957, Sirey, 1958, § 124.
865
P. Mayer, « Lois de police », Rép. intern. Dalloz, 1998, § 1.

265
b) La supériorité d’application pratique des règles conflictuelles
549. Le nombre réduit de règles matérielles et lois de police. Si les règles de conflit
s’appliquent à titre secondaire dans tout litige international de droit privé, la réalité atteste
d’une utilisation récurrente des règles conflictuelles pour résoudre ces litiges. En effet, les
règles matérielles sont relativement restreintes et se cantonnent au commerce international et
les lois de police ont vocation à sauvegarder « l’organisation politique, sociale, ou
économique du pays »866. Par conséquent, les règles matérielles ne régissent que des situations
très particulières, tout comme les lois de police qui, se limitant à un objectif de protection
propre à un Etat en particulier, ne se mesurent pas en grande quantité. Par conséquent, ces
règles ne primant pas sur la scène internationale, le champ libre est laissé aux règles
conflictuelles.
550. La vocation supérieure d’application des règles de conflit. Finalement, dans la
mesure où la majorité des situations litigieuses n’est pas régie par les règles matérielles ou les
lois de police, les règles conflictuelles ont une vocation supérieure à s’appliquer à l’égard de
ces dernières. Ceci est confirmé par la place prédominante qu’elles occupent dans le droit
positif actuel.

2) La prédominance des règles conflictuelles en droit positif


551. Le droit international privé positif et singulièrement le droit des conflits de lois
est principalement encadré par la méthode conflictuelle. C’est pourquoi les règles
conflictuelles sont énormément diversifiées que ce soit en nombre ou en variété (a).
Cependant, cette diversité conduit à relativiser le recours à cette méthode eu égard à l’égalité
de traitement du sujet de droit (b).

a) La large proportion et variété des règles conflictuelles


552. Les règles types du droit des conflits de lois. En l’absence de règles matérielles
applicables aux litiges relevant du droit des conflits de lois, les règles conflictuelles se sont
imposées comme règles classiques. De plus, historiquement, la méthode conflictuelle a
« comme point de départ les écoles des postglossateurs et des statutistes qui, à partir du
XIIème siècle, ont commencé à se demander quelle (était) la sphère d’application des statuts

866
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 121, citant Francescakis.

266
(lois) »867. Ainsi, traditionnellement, ce sont les règles de conflit qui régissent les situations
internationales de droit privé depuis l’Ancien Régime jusqu’à aujourd’hui.
553. Des règles diverses et variées. Au regard des règles de conflit positives, celles-ci
sont sensiblement nombreuses et concernent toutes les matières de droit privé. En effet, les
règles de conflit sont multiples dans la mesure où elles se sont développées dans un premier
temps en tant que source interne dans chaque Etat, et se développent désormais à l’échelle
régionale, notamment au sein de l’Union européenne ou de la Conférence de La Haye. De la
même manière, elles ont vocation à encadrer toutes les matières de droit privé. Ainsi, toute
catégorie de rattachement confondue est nécessairement encadrée par une règle de conflit que
celle-ci soit interne ou internationale. Par exemple, les faits juridiques sont encadrés par le
règlement Rome II concernant la loi applicable868, et à l’inverse, l’institution du mariage est
encadrée par des règles de conflit internes et en France notamment par l’article 202-1 du Code
civil. Néanmoins, toute matière de droit privé trouve son homologue en droit international
privé, lequel s’illustre par une règle de conflit. Par conséquent, il est incontestable que la
méthode conflictuelle s’est imposée en droit des conflits de lois et qu’elle constitue la
méthode de principe. Néanmoins, le recours à cette méthode semble discutable notamment au
regard de l’égalité de traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale
équivalente.

b) Le discutable recours aux règles conflictuelles en termes d’égalité de traitement


554. De la grande variété des règles à l’insécurité juridique. La méthode
conflictuelle s’impose naturellement en droit des conflits de lois puisque la méthode
matérielle n’est pas parvenue à s’institutionnaliser comme législation internationale
commune. Cependant, dans l’état actuel du droit international privé, les règles conflictuelles
qui régissent les situations litigieuses provoquent indirectement de de l’insécurité juridique.
En effet, au regard des nombreuses sources dont émanent ces règles, le raisonnement
intellectuel menant à la solution se complexifie énormément et réclame connaissance et
maîtrise de toutes les règles de conflit existantes. Ainsi, les règles de conflit émanent de
diverses organisations régionales, mais également du droit interne de chaque Etat, pour
lesquels « les règles de conflit ont une origine non légale, mais jurisprudentielle » ce qui

867
E. Vitta, Ch. I « La méthode conflictuelle », I. « Origine historique », op. cit., p. 26 et s.
868
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles, Rome II.

267
conduit à rendre « la règle de conflit souvent incertaine, parfois imprévisible » 869 .
Aujourd’hui, le système tel qu’il est conçu, à raison de sa grande variété, ne contribue pas à
un traitement égalitaire du sujet de droit puisque, du fait de l’insécurité juridique qu’il
procure, les sujets de droit pourraient être traités différemment selon l’ordre juridique
compétent, alors même qu’ils se trouvent dans une situation similaire.
555. Une méthode perfectible favorable à l’égalité de traitement. Cependant, ce
n’est pas parce que le système actuel n’est pas performant qu’il ne peut le devenir. En effet, la
méthode conflictuelle est la seule méthode permettant de réaliser un système universel en
droit des conflits de lois susceptible de garantir une égalité de traitement de tout sujet de droit.
Néanmoins, comme l’affirmait Arminjon, « pour qu’une règle de rattachement puisse être
admise dans deux systèmes juridiques, il est (…) nécessaire que leurs législations la motivent
par des raisons identiques » et il ajoutait que « tant que cette condition ne sera pas réalisée, il
est chimérique de songer à un droit international privé uniforme » 870 . Cette remarque
s’applique encore aujourd’hui. Pour parvenir à un droit uniforme, la méthode conflictuelle
doit être le produit d’une motivation identique de tout Etat. Il convient donc de déterminer
quelle peut être cette motivation commune. Une fois celle-ci déterminée, la technique
permettrait désormais une appréhension équivalente de la situation de chaque sujet de droit
puisque chacun serait traité selon cette méthode conflictuelle universelle. Celle-ci désignerait
alors telle ou telle loi applicable, et le sujet de droit y serait soumis. Toute insécurité juridique
serait évincée. Finalement, hormis la possibilité de la méthode de pouvoir tendre, tout comme
la méthode matérielle, à établir un droit uniforme, son emploi doit être privilégié, car elle
seule peut assurer à terme une égalité de traitement des sujets de droit réalisable. Son recours
est donc indispensable au regard des nombreux avantages qu’elle présente.

B. UNE METHODE INDIRECTE VECTRICE DE FLEXIBILITE ET D’UNIVERSALITE


DU DROIT

556. Contrairement aux règles matérielles, les règles conflictuelles sont corollaires
d’une grande flexibilité justifiant davantage son recours (1). De plus, son utilisation paraît
indispensable puisqu’il s’agit de la seule méthode permettant une unification du droit des
conflits de lois laquelle constitue le préalable à toute égalité de traitement (2).

869
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 93.
870
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 23.

268
1) La flexibilité issue des règles conflictuelles
557. La méthode conflictuelle est incontestablement plus flexible que la méthode
matérielle. D’une part, son champ d’application est bien plus extensif (a), et d’autre part, elle
met fin au caractère inadapté de la méthode matérielle (b).

a) Le champ d’application extensif des règles conflictuelles


558. Une méthode à caractère universel. Il est établi que la méthode conflictuelle « a
été appliquée de façon constante dans les divers pays par la jurisprudence interne qui est le
plus souvent la source principale du droit international privé » 871 . Par conséquent, il est
affirmé qu’elle présente « un caractère universel »872. En effet, « la règle de conflit du type
savignien demeure (…) globalement le modèle pour les auteurs européens, ainsi que pour les
législateurs nationaux qui d’abord en Europe de l’Est, puis à partir des années soixante-dix, en
Europe occidentale, ont entrepris la codification ou la recodificiation de la matière, et enfin
pour les négociateurs de conventions internationales, principalement dans le cadre de la
Conférence de La Haye de Droit international privé ou celui des Communautés
européennes ».873
559. Un champ d’application spatial étendu. Il est indéniable que la méthode
conflictuelle détient une place incontestable en droit international privé et en droit des conflits
de lois, tant au regard de son champ d’application spatial que de son champ d’application
matériel. En reconnaissant que la méthode conflictuelle est utilisée par tout législateur interne
pour encadrer ses règles en droit des conflits de lois, celle-ci a été intégrée unanimement au
sein de la communauté internationale. De plus, au sein des institutions régionales, voire
internationales, notamment l’Union européenne et la Conférence de La Haye, la méthode
conflictuelle est devenue l’instrument nécessaire à la construction du système de droit des
conflits de lois. Par conséquent, cette méthode s’est indéniablement imposée dans l’espace
international en tant que méthode principale.
560. Un champ d’application matériel vaste. Également, si la méthode conflictuelle
régit le droit international privé interne, elle le régit intégralement c’est-à-dire en toute
matière de droit privé. Or, une telle remarque peut aussi être faite à l’égard du droit
international privé supranational. Au regard des sources supranationales, notamment les

871
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 90.
872
Ibid.
873
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 242-2.

269
conventions internationales issues de la Conférence de La Haye ainsi que les règlements
européens de l’Union européenne, la méthode conflictuelle s’est effectivement implantée dans
diverses matières de droit privé. Contrairement à la méthode matérielle, elle ne s’est pas
cantonnée au droit commercial, mais s’est imposée dans toute autre matière, même dans des
matières proprement identitaires comme le statut personnel puisqu’il existe aujourd’hui des
règlements européens en matière de séparation de couple portant sur la compétence et la loi
applicable874. De la même manière existe un règlement européen en matière d’obligations
alimentaires propre à la compétence et à la loi applicable875. Or, si la méthode conflictuelle a
pénétré le statut personnel, elle a également intégré les autres matières de droit privé, tant sur
le plan national que supranational.
561. La méthode de principe du droit international privé. La méthode conflictuelle
constitue donc bien la technique principale du droit international privé et plus
particulièrement du droit des conflits de lois puisque son champ d’application, tant spatial que
matériel, est vaste. De plus, le recours à cette méthode est encore plus pertinent dans la
mesure où il met fin au caractère inadaptable des règles matérielles.

b) La meilleure adaptabilité des règles conflictuelles


562. L’exclusion du substantialisme nécessaire à l’adaptabilité des règles. Dans
son Traité de droit romain, Savigny affirmait que « le droit positif a pour essence de n’être
jamais stationnaire et d’offrir une succession continuelle de développements organiques ;
aussi lui donne-t-on pour caractère de varier dans le temps » 876 . Cette considération vaut
encore aujourd’hui. Il convient donc que le droit des conflits de lois dans sa construction
puisse s’adapter à ces évolutions et ces variations. Or, la méthode matérielle ne permet pas au
droit des conflits de lois de s’adapter au temps 877 . En revanche, la méthode conflictuelle
semble pouvoir permettre à cette discipline de s’adapter à toute évolution. Le problème de la
méthode matérielle tient en ce que celle-ci a pour objet d’établir le contenu du droit

874
Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, Bruxelles II bis ;
Règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement
international d’enfants (refonte), Bruxelles II ter ; Règlement (UE) n°1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010
mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de
corps, Rome III.
875
Règlement (CE) n°4/2009 du Conseil du 18 déc. 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la
reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.
876
F. C. von Savigny, op. cit., § CCCXLIV.
877
Cf. supra § 535.

270
applicable. Par conséquent, il convient, pour rendre adaptable la technique de droit des
conflits de lois que celle-ci soit exempte de règles substantielles. Elle doit donc se cantonner à
déterminer simplement le domaine d’application de la loi ou du juge compétent dans la
situation litigieuse, « et ceci indépendamment de toute considération du contenu des règles en
présence »878.
563. L’adaptabilité des règles indirectes en droit des conflits de lois.
Effectivement, en supprimant de la discipline du droit des conflits de lois toute règle
matérielle, la méthode deviendrait adaptable. La méthode conflictuelle répond bien à cette
définition puisqu’elle consiste à déterminer le domaine d’application de la loi applicable et/ou
du juge compétent. Par conséquent, elle est susceptible de moindre évolution et ne contraint
aucunement aux adaptations nécessitées par les évolutions politiques, économiques, sociales,
etc. Ainsi, si des Etats doivent modifier leur législation matérielle à raison de diverses
évolutions, ils ne seront pas contraints ou embrigadés par une convention internationale.
L’avantage de recourir à la méthode conflictuelle est donc de supprimer ce défaut
d’inadaptation imputable aux règles de fond. De plus, rares sont les évolutions susceptibles de
modifier des règles conflictuelles. Dans la mesure où la méthode conflictuelle n’est
susceptible de se modifier qu’à l’égard du rattachement qu’elle propose, ses transformations
sont plutôt rares. Ceci s’explique dans la mesure où le choix du ou des rattachements est
plutôt le choix d’un rapprochement identitaire entre Etats que celui d’une politique législative
adaptée au contexte dans lequel la convention internationale a été conçue. Par conséquent, la
méthode conflictuelle semble être l’instrument le plus adapté au droit des conflits de lois. En
outre, son recours est facilité par le peu de préalables qu’elle exige.

2) Le recours aux règles conflictuelles : corollaire de toute unification du droit


564. La méthode conflictuelle constitue l’unique méthode permettant d’atteindre une
universalisation du droit des conflits de lois. En effet, dans la mesure où elle exige un moindre
sacrifice des compétences étatiques, l’unification de la discipline ne peut être que facilitée (a).
De plus, ne nécessitant pas une condition identitaire stricte, l’unification du droit des conflits
de lois peut inéluctablement être envisagée et espérée (b).

878
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, Thèse, Paris 2, 1985, Lille : ANRT, 1986, § 57.

271
a) Le moindre sacrifice des Etats à l’égard de leur compétence : l’unification facilitée
565. La fonction indirecte des règles de conflit. « Le conflit de lois n’est pas conçu
comme le heurt d’intérêts législatifs exprimés dans la divergence de règles concrètes, mais
prend la forme d’un concours d’ordres juridiques mis en cause du fait des liens géographiques
ou politiques qui les rattachent à la situation litigieuse » 879 . Par conséquent, la méthode
conflictuelle consiste à « rechercher la valeur respective de ces liens » 880 et à déterminer
quelle loi ou quel juge est compétent, indépendamment de toute considération ou règle
matérielle.
566. Le moindre sacrifice des Etats par recours à la méthode conflictuelle. La
méthode conflictuelle peut être utilisée plus facilement dans un but d’unification.
Contrairement à la méthode matérielle, les règles conflictuelles ne nécessitent pas de
concession de compétences des Etats à l’égard de divers pans de droit privé. En réalité, les
Etats ne doivent concéder qu’une moindre partie de leurs compétences puisqu’ils ne
s’engagent qu’à l’égard de règles indirectes et non pas de règles de fond. Par conséquent, ils
demeurent libres de modifier le contenu de leur droit étatique. La méthode conflictuelle incite
donc vraisemblablement davantage les Etats à s’unifier à une échelle supranationale
puisqu’elle ne demande pas un large sacrifice à l’égard de leurs compétences, et préserve
mieux leur souveraineté. C’est pourquoi il est préférable de recourir à cette technique pour
parvenir à une unification du droit des conflits de lois laquelle constitue le préalable à toute
égalité de traitement.

b) L’identité respective des Etats ignorée : l’universalisation envisagée


567. L’absence d’une identité commune nécessaire. Savigny constatait déjà dans
son Traité de droit romain que « la nature du droit positif (…) n’est pas la même pour
l’humanité tout entière, mais (…) varie avec les peuples et les Etats, et au sein de chaque
peuple est l’œuvre en partie des idées générales, en partie de certaines forces spéciales »881.
En effet, chaque Etat, chaque peuple, possède une identité qui lui est propre, laquelle conduit
nécessairement à ériger une législation en fonction de cette identité. Or, la méthode matérielle
est difficile à mettre en œuvre à l’international puisqu’elle suppose une identité commune ou
du moins similaire des Etats participants. A l’inverse, la méthode conflictuelle ne requiert pas
une identité commune ou identique. En effet, dans la mesure où la méthode conflictuelle n’a

879
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 57.
880
Ibid.
881
F. C. von Savigny, op. cit., § CCCXLIV.

272
pour objet d’établir des règles substantielles lesquelles touchent nécessairement au contenu
des législations internes, il est inévitablement plus simple de rapprocher des législations dans
le seul but de construire des règles dont l’objet est de déterminer un champ d’application dans
l’espace. En effet, l’objet de la méthode conflictuelle exige un rapprochement minime des
identités de chaque Etat mais en aucun cas une aussi grande similitude que celle exigée à
l’égard de règles de fond. D’ailleurs la pratique en atteste, les pays européens ont su
rapprocher leurs législations sur le fondement du conflictualisme en droit international privé
parce qu’ils ont une histoire et une culture proche. Cependant, la proximité n’étant pas
l’identité, ils n’ont pu élaborer que peu de règles matérielles.
568. La préservation de l’identité des Etats. De plus, Savigny affirmait que « c’est
(la) diversité des droits positifs qui rend si nécessaire et si importante la délimitation de leur
empire respectif » 882 . Véritablement, la méthode conflictuelle répond à cette exigence
puisqu’elle consiste à déterminer le champ d’application de la loi applicable. Surtout,
contrairement à la méthode matérielle, elle préserve l’identité des Etats. Elle permet donc
d’établir des règles spécifiques au droit des conflits de lois sans préalable de similitudes
identitaires, mais également de protéger l’identité de chaque Etat. Elle réalise un compromis
indispensable à la réalisation d’un droit des conflits de lois unifié.
569. L’unique méthode en capacité d’assurer l’uniformisation du droit. Le
recours aux règles conflictuelles est donc facilité par une absence de préalable et favorisé par
le respect de la souveraineté et de l’identité des Etats. Finalement, « (cette) méthode est la
plus féconde, pour ne pas dire la seule efficace, que le droit des conflits ait jamais
connue »883. Il s’agit bien de la seule méthode permettant la réalisation d’un droit des conflits
de lois unifié au regard des avantages qu’elle présente. En conclusion, dans la mesure où la
méthode conflictuelle est l’unique méthode permettant de répondre à un objectif de flexibilité
et d’adaptabilité, et permettant de parvenir à une unification internationale grâce au respect
identitaire et souverainiste qu’elle assure, elle est incontestablement la technique en vertu de
laquelle le droit des conflits de lois doit se développer. Néanmoins, pour parvenir à garantir
une égalité de traitement du sujet de droit, la méthode conflictuelle doit indéniablement faire
l’objet d’une unification internationale. A l’heure actuelle, le caractère fragmentaire qui lui est
imputable conduit à un résultat inverse, une inégalité de traitement. C’est pourquoi il convient

882
F. C. von Savigny, op. cit., § CCCXLIV.
883
E. Gaudemet, « La théorie des conflits de lois dans l’œuvre d’Antoine Pillet et la doctrine de Savigny », in
Mélanges Antoine Pillet, Reproduction de diverses études et notes de jurisprudence, Sirey, 1929, p. 89 et s.

273
de s’interroger sur la nature de cette méthode afin de déterminer de quelle façon elle doit se
décliner.

SOUS-SECTION 2 : LE CHOIX D’UNE METHODE ESSENTIELLEMENT OBJECTIVE


PAR RESPECT DE LA FONCTION LOCALISATRICE DE LA DISCIPLINE

570. L’objectivisme et le subjectivisme. Le droit des conflits de lois envisagé sous la


forme de la méthode conflictuelle conduit à s’interroger sur le système adopté en recourant à
cette méthode. En effet, la méthode conflictuelle a pour fonction de localiser un rapport de
droit pour déterminer quelle sera la loi applicable. Cette fonction peut s’illustrer sous la forme
de deux systèmes : l’objectivisme et le subjectivisme. L’objectivisme consiste à localiser un
rapport de droit en l’absence de toute considération attachée à la volonté des parties au litige.
C’est pourquoi il est possible de considérer qu’il s’agit d’analyser concrètement la situation
litigieuse. A contrario, le subjectivisme consiste à localiser le rapport de droit conformément à
la volonté des parties. Par conséquent, lorsqu’il convient de déterminer dans quel ressort se
situe le rapport de droit, la volonté des parties est nécessairement prise en compte.
571. La confrontation des méthodes à l’égalité de traitement. En adoptant une
approche conceptuelle de la méthode conflictuelle, une intégration de ces deux systèmes
semble justifiée puisqu’elles conduisent chacune à respecter la fonction localisatrice de ladite
méthode, et par conséquent à assurer une égalité de traitement des situations internationales (§
1). Cependant, au regard du droit positif, il apparaît en pratique que si les deux systèmes sont
consacrés, le subjectivisme se voit accorder une place trop importante dont l’effet pourrait
consister à détourner la neutralité à laquelle doit répondre la règle de conflit et à évincer
l’égalité de traitement recherchée. C’est pourquoi seul l’objectivisme devrait posséder une
place de choix (§ 2).

§ 1 – LE RECOURS MESURE A L’OBJECTIVISME ET AU SUBJECTIVISME AU REGARD


DE LA LOCALISATION DU RAPPORT DE DROIT

572. La méthode conflictuelle supposant une approche localisatrice du rapport de droit


permet de recourir aux théories objectiviste et subjectiviste. Or, la difficulté est de mesurer la
légitimité du recours à chacune de ces techniques, conformément aux objectifs de neutralité et
d’égalité de traitement, puisqu’elles présentent toutes deux des intérêts respectifs (A).
Néanmoins, malgré les intérêts que chacune de ces méthodes réunit, elles restent soumises à
de nombreuses frontières qui constituent un obstacle à une localisation neutre du rapport de
droit conforme à la fonction de la méthode conflictuelle (B).

274
A. LE RECOURS LEGITIME A L’OBJECTIVISME ET AU SUBJECTIVISME
573. La détermination du rapport de droit consiste, en droit des conflits de lois, à
établir où se situe dans l’espace cette situation litigieuse. Néanmoins, il faut que cette règle
demeure neutre pour permettre une égalité de traitement des sujets de droit884. Or, en droit
positif, deux approches sont proposées, lesquelles présentent chacune des intérêts propres.
Tout d’abord, la localisation du rapport de droit peut se traduire par une approche objective
c’est-à-dire une analyse concrète de la situation orientée par l’idée de proximité (1). Puis, la
localisation du rapport de droit peut également s’entendre d’une appréciation subjective
laquelle se cantonnerait à la volonté des parties (2).

1) L’intérêt d’une approche spatiale objective fondée sur le principe de proximité


574. Le droit des conflits de lois se doit de préserver les intérêts privés autant que
l’intérêt général en adoptant une solution neutre. Pour parvenir à ce résultat, le système de
droit des conflits de lois doit alors être fondé sur une appréciation purement objective de la
situation juridique (a). Cependant, pour atteindre cet objectif, il convient que cette
appréciation, menant à une localisation concrète et objective du rapport de droit, soit régie par
le principe de proximité (b).

a) Les intérêts privés et généraux préservés par une localisation objective


575. La conciliation des intérêts privés et généraux. « La localisation objective
paraît être la directive générale propre à concilier les différents intérêts que doit satisfaire le
885
droit international privé » . En effet, les règles du droit international privé et
particulièrement du droit des conflits de lois doivent en premier lieu « rechercher l’équité et
l’utilité réclamée par les intérêts privés » dans « une recherche d’égalité de toute personne » et
en second lieu « auront égard aux intérêts généraux de la collectivité dans laquelle s’insèrent
les relations en cause »886. Seule la localisation objective d’une situation litigieuse paraît être à
même de respecter à la fois les intérêts des particuliers tout autant que l’intérêt général. En
effet, lorsque la loi applicable est celle qui a « les relations les plus réelles avec leurs intérêts
permanents »887. De même, l’intérêt général assurant « l’homogénéité et l’autorité de sa loi »

884
Cf. supra § 16.
885
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 266.
886
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 102.
887
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 266.

275
est préservé dès lors que « chaque législation s’applique aux relations dont l’élément essentiel
est rattaché au territoire sur lequel elle s’applique »888.
576. L’objectivisme par respect de l’égalité entre sujets de droit. Effectivement, en
analysant concrètement toute situation litigieuse, les éléments objectifs retenus conduisent à
l’application d’une loi mais surtout permettent de considérer que tout sujet de droit sera traité
de manière équivalente c’est-à-dire en fonction d’une appréciation objective de la situation.
Quelle que soit la situation litigieuse, chaque sujet de droit sera soumis au même
raisonnement c’est-à-dire celui consistant à déterminer où objectivement se localise le rapport
de droit litigieux. Par exemple, dans le cadre d’un délit complexe, peuvent être pris en compte
les différents territoires sur lesquels se sont produits les conséquences du dommage, de la
même façon que peuvent être pris en compte les autres points de rattachement de la situation
internationale, notamment le lieu du fait générateur, mais aussi le domicile des parties et leur
nationalité. En tout état de cause, cette objectivité permet également en théorie à tout sujet de
droit, de déterminer au préalable, quelle loi sera applicable à sa situation litigieuse au regard
des éléments objectifs qui la composent.
577. L’objectivisme par respect de la compétence législative des Etats. En outre,
l’application d’une loi sur la base d’une localisation objective de la situation litigieuse permet
de justifier légitimement la compétence législative d’un Etat à l’égard d’un litige
international. Parce que des éléments objectifs convergent à l’égard de l’ordre juridique d’un
Etat, sa compétence législative est retenue. Par conséquent les intérêts de l’Etat sont préservés
puisque l’autorité de sa propre loi est assurée dès lors que celle-ci a vocation à régir une
situation internationale objectivement localisée dans son champ d’application spatial. « Or la
Justice internationale privée n’a pas à préférer les uns aux autres, les intérêts des parties aux
intérêts dont l’Etat a la garde »889.
578. L’effectivité des intérêts remise en cause par la diversité des rattachements.
Cependant, affirmer que la localisation objective est la plus à même de préserver les intérêts
privés et l’intérêt général ne suffit pas à en garantir leur effectivité en pratique. Toute situation
litigieuse peut comporter divers éléments de rattachement, lesquels, objectivement, pourraient
justifier la compétence législative de tout Etat. D’après Wengler, « en présence de
rattachements à plusieurs Etats, aucun des systèmes juridiques intéressés et en tout cas aucun

888
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 266.
889
J.-C. Pommier, Principe d’autonomie et loi du contrat en droit international privé conventionnel, Thèse, Paris
2, 1990, Economica, 1992, § 19.

276
d’eux seulement ne peut être déterminant » 890 . Par conséquent, la question est de savoir
« comment trouver le rattachement qui doit être regardé comme le seul élément de
rattachement à préférer afin de déterminer le droit applicable parmi les différents droits
nationaux entrant en ligne de compte ? »891. La réponse est sans doute le rattachement aux
liens les plus étroits.

b) L’appel à une localisation de proximité par analyse objective concrète


579. Le rattachement de proximité conforme à la localisation objective du
rapport de droit. Afin de garantir efficacement une localisation objective de toute situation
litigieuse, il convient de se référer à une localisation de proximité c’est-à-dire que la loi
applicable doit nécessairement être celle qui est la plus proche de cette situation. Il découle de
l’idée de justice et d’égalité internationales que, par principe, la loi applicable doit être celle
« de l’Etat le plus intimement lié au rapport juridique litigieux » 892 . Par conséquent, le
principe de proximité, en tant que « loi du pays avec lequel il présente les liens les plus
étroits »893, doit être retenu comme facteur de rattachement de toute règle de conflit.
580. Les objectifs du droit des conflits de lois garantis par le rattachement
proximité. En effet, le principe de proximité permet de préserver une localisation objective
du rapport de droit, indépendante de toute considération subjective et permet surtout de
satisfaire divers objectifs et notamment : « l’uniformité des solutions et l’élimination des
situations boiteuses ; le respect des attentes légitimes des parties ; l’équilibre entre les intérêts
respectifs des Etats à régir la situation, (…) ; la « justice » de la solution du conflit de
lois »894. Le principe de proximité constitue donc la directive à l’aune de laquelle doit être
construit le droit des conflits de lois. En effet, ce principe possède la capacité de concilier les
intérêts garantis par le droit des conflits de lois, mais également de promouvoir ses

890
W. Wengler, « L’évolution moderne du droit international privé et la prévisibilité du droit applicable »,
RCDIP, 1990, p. 657.
891
Ibid.
892
J.-C. Pommier, op. cit., § 7.
893
P. Lagarde, P. I « Le principe de proximité dans les conflits de lois », in « Le principe de proximité dans le
droit international privé contemporain : cours général de droit international privé », RCADI, 1986, vol. n°196, §
4.
894
Ibid., § 4.

277
objectifs895. En outre, il permet d’atteindre une égalité de traitement des sujets de droit dans la
mesure où il s’agit d’une formule universalisable basée sur une analyse concrète 896 de la
situation juridique au regard d’éléments objectifs897.
581. Une consécration partielle du principe de proximité en droit positif.
Cependant, le droit positif n’a pas réellement consacré le principe de proximité par le
rattachement propre « des liens les plus étroits »898. Actuellement, le principe de proximité se
traduit par la détermination du rattachement qui présente le lien le plus étroit avec une
matière. D’ailleurs, en matière contractuelle, « la directive générale de solution des conflits de
lois commande d’appliquer la loi avec laquelle le contrat présente les liens les plus étroits »
qui se traduit, généralement, comme « la loi du lieu d’exécution de la prestation
caractéristique du contrat »899. La consécration du rattachement aux liens les plus étroits n’est

895
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 49 : « Il faut appliquer la loi avec laquelle le rapport juridique
entretient les liens les plus significatifs, celle dans l’ordre juridique de laquelle il se localise objectivement » ;
« C’est, pour parler le langage contemporain, faire appel à l’idée de « proximité » » ; « Une telle directive
présente un triple mérite. C’est d’abord une directive neutre, de bon sens pourrait-on dire, en sorte qu’elle est
acceptable par tous les Etats. Elle répond donc pleinement au programme précédemment tracé, à savoir que
chaque législateur, se pensant comme législateur universel, utilise une règle qui est de nature à être l’objet d’un
consensus des autres Etats. Il en résulte qu’une telle directive est la plus propre à favoriser l’ harmonie
internationale des solutions et par là même la continuité de traitement des situations juridiques. En évitant les
commandements contradictoires et en faisant en sorte que règle de conduite et règle de décision coïncident, elle
concourt à l’émergence de l’embryon de sécurité juridique nécessaire pour que se constitue au plan international
une sorte d’ordre juridique a minima. C’est ensuite une directive qui est de nature à sauvegarder l’autorité des
lois de chaque Etat. L’idée de localisation objective conduit, en effet, à insérer chaque situation juridique dans
l’ordre juridique qui a naturellement vocation à la régir, en sorte que chaque Etat est assuré que sa loi
s’appliquera aux situations qui lui sont le plus étroitement liées. En revanche, lui échapperont celles qui n’ont
avec lui qu’un lien ténu ou accidentel. Mais il n’y a alors pas d’inconvénient à cela car ces situations sont par
rapport à cet ordre juridique tout à fait périphériques. C’est dire qu’une telle démarche permet de préserver la
cohésion de l’ordre interne. C’est enfin une directive qui est de nature à satisfaire les intérêts des personnes
privées dans la mesure où l’application de la loi du milieu social dans lequel la situation s’insère de manière
prépondérante est de nature à répondre à leur attente et à leur éviter l’intervention d’un droit dont l’application
serait pour elles tout à fait inattendue ».
896
Voir en ce sens : A. Bucher, « La dimension sociale du droit international privé : Cours général », op. cit., §
35 : « Les nombreuses codifications récentes montrent que la règle bilatérale de rattachement est dépouillée de
toute référence au contenu et à la nature du rapport juridique. dans la conception que l’on s’en fait de nos jours,
elle a pour but de déterminer le « lien le plus étroit » ou, selon l’expression de paul Lagarde, la « proximité ».
L’effet normatif de ces expressions consiste surtout à assurer une plus grande flexibilité dans l’application des
règles de conflit de lois » ; « La souplesse introduite par ces concepts réside dans la diversification des solutions
et non, nécessairement, dans la méthode d’y aboutir et de concevoir la nature et la fonction des règles de conflit
de lois. en effet, ces règles demeurent destinées à la justice du droit international privé dans sa dimension «
neutre » et détachée de la justice du droit matériel. Le critère du « lien étroit » et le principe de proximité ne
tiennent pas compte de la teneur matérielle des lois en conflit ».
897
Ibid., § 52, à propos de l’approche concrète : « on peut rechercher in concreto, au cas par cas, avec quel ordre
juridique la relation concernée entretient les liens les plus étroits : « toute relation se manifestant par des signes
extérieurs, c’est à l’endroit de plus grande condensation de ces signes qu’elle se localise ». Autrement dit, on
essaiera de déterminer vers quel ordre juridique converge le maximum d’indices de rattachement. On procèdera
à une pesée des indices afin d’identifier le « centre de gravité » de la relation ».
898
Cf. infra § 926 et s.
899
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 237.

278
donc que partielle et ne se traduit pas encore comme principe général. Ceci s’explique sans
doute dans la mesure où le droit des conflits de lois ne semble pas faire prévaloir qu’une
localisation objective du rapport de droit, mais également subjective.

2) L’intérêt limité d’un examen spatial subjectif


582. Il est considéré que le recours à une appréciation subjective dans la détermination
spatiale d’une situation litigieuse présente davantage d’intérêts, ou du moins d’autres intérêts,
qu’une approche objective. D’une part, la localisation subjective du rapport de droit assure
une garantie effective des intérêts privés (a). D’autre part, elle favorise la sécurité et la
prévisibilité du droit (b).

a) La localisation subjective de la situation litigieuse conforme à l’intérêt des parties


583. La localisation subjective corollaire de la volonté des parties. La localisation
du rapport de droit, écartée de tout objectivisme ou subjectivisme pur, consiste à déterminer
dans quel ressort territorial s’inscrit la situation litigieuse. Si cette détermination peut être
objective, c’est-à-dire consister en une analyse concrète de l’espèce en cause, elle peut
également être subjective. La localisation dite subjective est celle qui consiste à considérer
que le rattachement retenu est celui de l’autonomie de la volonté. En effet, en retenant une
conception dualiste des situations et des règles de conflit, il est admis deux situations
différentes « selon que l’on peut prêter ou non une intention aux parties quant à la loi
applicable »900. Ainsi, selon le cas, la directive varie entre le respect de l’intention des parties
ou le recours à une localisation objective901. Sur la base de cette conception dualiste, il a été
« à peu près universellement » admis que « pour résoudre le conflit de lois en matière
contractuelle » le principe est celui « attribuant compétence à la loi d’autonomie » 902 . Le
raisonnement est fondé sur « un principe de localisation de l’obligation par sa source »903
c’est-à-dire qu’il convient de localiser la source du contrat pour établir la situation spatiale du
rapport de droit. Par conséquent, il convient de se référer à la loi d’autonomie puisque « d’un
commun accord, les parties ont localisé le contrat en un lieu donné »904. C’est ainsi que « la
loi de ce lieu s’applique »905.

900
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 234.
901
Ibid.
902
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 244.
903
Ibid.
904
Ibid.
905
Ibid.

279
584. Une localisation respectueuse des intérêts privés et étatiques. Il est tout à fait
acceptable de considérer que la loi d’autonomie est un rattachement à part entière, et d’autant
plus en matière contractuelle, lorsque l’on considère que les parties ont fixé le ressort
territorial de leur rapport contractuel d’un commun accord au moment de leur engagement
respectif. De plus, le recours à la volonté des parties en tant que rattachement s’est justifié par
la difficulté de recourir à une localisation objective. En effet, celle-ci consiste à analyser « les
situations par des critères de nature « spatiale », en se fondant sur des circonstances occupant
une place visible dans l’espace » alors que « les contrats se soustraient naturellement à ce
procédé en raison de leur nature immatérielle »906. Par conséquent, la difficulté de recourir à
une approche concrète à l’égard de toute situation contractuelle justifie de prendre en compte
la volonté des parties. En outre, le droit des conflits de lois a notamment pour fonction de
protéger les intérêts des particuliers puisque sa mission est bien de régir leurs relations
juridiques. Le recours à la loi d’autonomie permet alors de garantir ces intérêts puisque d’une
part, « elle leur permet de désigner la loi qu’elles estiment la mieux adaptée à l’opération
qu’elles concluent », et d’autre part, « elle facilite les échanges en permettant aux parties de
choisir la loi qu’elles estiment appropriée »907. C’est ainsi que « l’autonomie de la volonté
constitue (…) un outil que le législateur peut remettre entre les mains des particuliers, là où
les intérêts de ceux-ci sont prédominants, pour remédier à l’imperfection de la règle de conflit
ou à l’indétermination du principe de proximité »908. La localisation subjective pourrait donc
constituer un facteur de localisation plus à même de répondre aux objectifs du droit des
conflits de lois puisqu’elle permet à la fois de déterminer la situation spatiale du rapport de
droit et qu’elle répond aux intérêts légitimes des parties.
585. Les intérêts privés mieux garantis par une localisation objective. Néanmoins,
il est excessif de considérer que la localisation subjective garantisse mieux que la localisation
objective les intérêts protégés par le droit des conflits de lois en recourant à une analyse
fondée uniquement sur l’autonomie de la volonté. Comme l’a affirmé Batiffol, « la
satisfaction des intérêts privés peut et doit être regardée comme le mode premier et normal de
réalisation de l’intérêt général » 909 . En effet, « longtemps cantonnée dans le domaine des
contrats et des régimes matrimoniaux, l’autonomie de la volonté pénètre aujourd’hui

906
P. M. Patocchi, op. cit., § 229.
907
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 235.
908
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 269.
909
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 116.

280
progressivement dans d’autres branches du droit » et, ainsi, « contribue à la satisfaction des
intérêts généraux du droit international privé »910. Ainsi, considérer qu’une localisation
subjective favorise davantage les intérêts privés qu’une approche objective est donc dépourvu
de valeur. L’analyse subjective du rapport de droit ne peut donc être préférée sur cette base.
Cependant, elle pourrait être défendue au regard de la sécurité juridique et de la prévisibilité
juridique qu’elle assure.

b) Prévisibilité et sécurité du droit favorisées par l’autonomie de la volonté


586. Prévisibilité et sécurité juridiques garanties par l’autonomie de la volonté.
Le reproche principal adressé à l’analyse concrète d’une situation juridique fondée sur le
principe de proximité « est d’entraîner une certaine imprévisibilité des solutions »911. C’est
pourquoi à l’inverse, une analyse subjective du rapport de droit a pu être soutenue. En effet,
« l’autonomie de la volonté est une règle qui favorise la sécurité et la prévisibilité du droit,
davantage que bien des rattachements objectifs »912. Ainsi, tant la sécurité juridique que la
prévisibilité juridique sont donc garanties, car la loi choisie par les parties constitue « un
critère dont la concrétisation est particulièrement aisée à déterminer » contrairement à une
localisation objective qui suppose « la prise en considération des particularités de chaque
espèce ». En effet, en l’absence d’encadrement d’une approche concrète de la situation
litigieuse basée sur les liens les plus étroits, il apparaît certainement que la sécurité juridique
et plus particulièrement la prévisibilité juridique puissent être mises à mal. Néanmoins, il
n’est pas parfaitement justifié de considérer que le recours à l’autonomie de la volonté
garantisse réellement sécurité et prévisibilité juridiques.
587. Des garanties à relativiser. « La sécurité juridique des parties à un contrat
consiste en la possibilité de concevoir et d’ajuster leurs actes et comportements en fonction
des normes juridiques applicables au rapport de droit visé »913. De ce fait en droit des conflits
de lois, « cette sécurité est assurée par la certitude de la règle de conflit et la prévisibilité de la
loi applicable à leur relation juridique »914. Il en ressort, notamment en matière contractuelle,
que ces deux garanties s’analysent par le recours à l’autonomie de la volonté quelle que soit la
situation juridique. Néanmoins, ce constat ne vaut qu’à l’égard d’une approche large du

910
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 269.
911
Ibid.
912
P. M. Patocchi, op. cit., § 243.
913
J.-C. Pommier, op. cit., § 12.
914
Ibid.

281
rapport de droit, ou plus précisément du rapport contractuel. En effet, si ces objectifs semblent
atteints par le recours à la loi d’autonomie, ce n’est pas réellement le cas si le raisonnement se
poursuit au-delà de cette simple alliance entre matière contractuelle et volonté des parties.
Ainsi, « des divergences liées au régime de la loi applicable en présence d’une volonté
concordante déclarée par les parties »915 vont nécessairement apparaître. Par conséquent, ces
divergences vont nécessairement remettre en cause les objectifs visés. Il convient donc de
relativiser les garanties qu’offre l’autonomie de la volonté à l’égard du droit des conflits de
lois. Il serait préférable de simplement admettre que « dans les systèmes, où le rattachement
objectif assure la prévisibilité du droit de manière insuffisante, l’autonomie de la volonté
manifeste sa supériorité sur ces rattachements ». A contrario, cela signifie que dans
l’hypothèse où la prévisibilité juridique ainsi que la sécurité juridique sont assurées par la
localisation objective, il ne serait pas nécessaire de recourir à une approche subjective du
rapport de droit.
588. L’insertion de l’autonomie de la volonté au sein de la localisation objective.
De ces considérations, il faut plutôt combler les lacunes qui sont imputées à la localisation
objective. En effet, la localisation subjective n’aboutit pas à un meilleur système que celui
produit par la localisation objective. Tout comme l’analyse objective, l’analyse subjective
permet de garantir les intérêts des parties. De plus, si elle semble protéger davantage sécurité
et prévisibilité juridiques, ce n’est que dans l’hypothèse où l’analyse objective ne le
permettrait pas. Il devrait donc être préféré de recourir à une analyse objective incluant
comme critère d’analyse la volonté des parties.
En effet, « la volonté des parties est un facteur très important, mais ce n’est pas le
seul »916. Par conséquent, la détermination spatiale du rapport juridique doit demeurer une
analyse objective et concrète, fondée sur le principe de proximité, mais incluant la volonté des
parties. En combinant, ou plutôt en insérant l’autonomie de la volonté c’est-à-dire une
approche subjective, dans un raisonnement purement objectif relatif au ressort territorial d’un
rapport juridique, il est permis d’atteindre doublement les objectifs de sécurité et de
prévisibilité juridiques. De même, les intérêts des parties, mais également l’intérêt général,
seront protégés. De la sorte, le rôle du juge consistera à vérifier « la localisation du contrat

915
J.-C. Pommier, op. cit., § 14.
916
P. M. Patocchi, op. cit., § 189.

282
sans être nécessairement lié par la volonté exprimée des parties » 917 . Néanmoins, si la
combinaison de ces deux systèmes semble être la parfaite adéquation pour garantir les intérêts
privés, la prévisibilité juridique et la sécurité juridique, et donc, une égalité de traitement des
sujets de droit, des limites s’y opposent.

B. LE RECOURS LIMITE A L’OBJECTIVISME ET AU SUBJECTIVISME


589. Si la coordination des systèmes objectivistes et subjectivistes peut parvenir à un
traitement neutre et égalitaire des sujets de droit, demeurent des difficultés auxquelles ils sont
confrontés. Effectivement, tout d’abord ces deux systèmes rencontrent des obstacles
communs à toute localisation universelle du rapport de droit conformément à la méthode
conflictuelle (1). Puis, chacun des systèmes connaît des limites personnelles qui s’opposent,
une fois encore, à une localisation effective du rapport de droit (2).

1) Les obstacles communs à une technique de localisation universelle


590. La localisation du rapport de droit, issue d’une pensée conflictuelle, qu’elle soit
objective ou subjective, connaît certaines limites qui freinent l’harmonisation du droit des
conflits de lois. Ces obstacles consistent, premièrement, en un détournement de la localisation
du rapport de droit par le recours à des règles à finalité substantielle (a), et deuxièmement en
un encerclement de cette localisation par des dispositions impératives étatiques (b).

a) Le détournement de la localisation par recours aux règles à finalité substantielle


591. La neutralité déjouée par les règles de conflit à caractère substantiel. Par
principe, le droit des conflits de lois, quel que soit le type de localisation retenue, rejette
« toute appréciation directe du contenu des lois en conflits » et « suppose la neutralité de la
règle de conflit »918. Cependant, le droit des conflits de lois positif porte parfois atteinte à
cette neutralité en recourant à des considérations substantielles 919 . En effet, au regard
notamment de la matière contractuelle, « le droit international privé conventionnel (…) ne
néglige pas, (…), les objectifs de la justice matérielle »920.
592. La localisation du rapport de droit perturbé par le substantialisme. La
localisation issue du raisonnement conflictualiste « peut être mise en échec par les Etats eux-
mêmes lorsque, pour obtenir dans l’ordre international un certain résultat qui leur paraît

917
P. M. Patocchi, op. cit., § 189.
918
J.-C. Pommier, op. cit., § 8.
919
O. Cachard, op. cit., § 327.
920
J.-C. Pommier, op. cit., § 8.

283
souhaitable, ils adoptent une règle de conflit non neutre, qui a pour objectif avoué de désigner
un ordre juridique qui permettra d’obtenir le résultat matériel souhaité par l’auteur de la règle
de conflit »921. En effet, et surtout en matière contractuelle, « la pratique législative nationale
et conventionnelle témoigne depuis quelques années de l’existence de différentes règles de
rattachement ayant pour but de garantir l’application des règles matérielles protégeant la
partie faible »922. Par conséquent, ces considérations matérielles, notamment en matière de
travail et de consommation, encadrent les règles de conflit, qu’elles soient objectives ou
subjectives, et limitent donc ces deux types de systèmes. Au regard de ces règles, « la
protection de la partie faible se réalise dans le cadre d’une gamme relativement variée de
solutions, laquelle s’étend entre l’exclusion pure et simple de l’autonomie de la volonté et son
maintien assorti à des conditions diverses ». Il n’est donc plus question d’une localisation
objective procédant d’une analyse neutre et concrète puisque la règle de conflit est fonction de
considérations substantielles propres au consommateur ou au travailleur. Il en demeure de
même de la localisation subjective qui n’est plus la traduction pure et simple de l’autonomie
de la volonté, celle-ci étant parfaitement encadrée au regard des objectifs substantiels visés
par le droit international conventionnel923.
593. L’harmonisation du droit freinée par le substantialisme. La localisation du
rapport de droit, que celle-ci soit objective ou subjective, est irrémédiablement limitée par les
considérations substantielles sur lesquelles sont construits les textes internationaux. Les
objectifs poursuivis par les Etats, dans les conventions internationales, peuvent paraître « en
soi légitimes »924. Cependant, ils constituent des freins à l’harmonisation contrairement à la
logique de localisation du rapport de droit.
La localisation du rapport de droit notamment objective permet, sur la base d’un
principe de proximité, d’être déterminée au regard des liens les plus étroits. De même, la
localisation subjective permet d’établir le rapport de droit conformément à la volonté des
parties. Par conséquent, ces deux types de rattachement consistent à situer un rapport de droit
dans l’espace indépendamment de toute aspiration matérielle. En recourant à des
rattachements purement conflictuels, une universalisation des règles est envisageable. A
l’inverse, en créant des règles conflictuelles à coloration matérielle, il est certain que

921
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 269.
922
P. M. Patocchi, op. cit., § 270.
923
Voir en ce sens l’article 6 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin
2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, Rome I.
924
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 269.

284
l’adhésion des Etats demeurera limitée puisque chaque Etat, doté d’une identité propre, ne
sera pas obligatoirement convaincu par les mêmes objectifs que ceux visés par une convention
internationale dans telle matière. Finalement, dès lors que des considérations substantielles
entrent en jeu dans la construction de tout système propre au droit des conflits de lois, alors
l’uniformité, corollaire de l’égalité de traitement, est nécessairement limitée. Or, si les règles
de conflit conventionnelles peuvent en être exemptes, elles demeureront toujours
soumises quant à leur résultat à l’ordre public international. De plus, elles restent susceptibles
d’éviction par des dispositions impératives.

b) L’encerclement de la localisation par les dispositions impératives étatiques


594. La localisation perturbée par le mécanisme des lois de police. En sus des
aspirations matérielles auxquelles sont soumis les systèmes de localisation, ils sont également
encerclés ou du moins encadrés par des dispositions impératives. En recourant au mécanisme
des lois de police, des dispositions impératives s’appliquent à la situation juridique quel que
soit le rattachement retenu. Effectivement, qu’il s’agisse d’une localisation objective ou
subjective, il n’est pas exclu de considérer « d’un contrat donné qu’il n’est pas suffisamment
détaché de l’Etat édictant une disposition impérative pour que celle-ci soit sacrifiée au souci
de la participation au commerce international, et donc de faire prévaloir sur la désignation
d’une loi étrangère l’autorité d’une disposition interne évincée » 925 . Ce mécanisme est
notamment prévu dans le règlement Rome I et ceci, quel que soit le système retenu c’est-à-
dire en présence ou en l’absence de choix de lois 926 . Par conséquent, « l’intérêt des
contractants doit céder le pas à l’intérêt de chaque Etat à appliquer ses règles impératives à
certains contrats »927. Chaque fois qu’une situation litigieuse peut être rattachée au territoire
d’un Etat, les dispositions impératives édictées par celui-ci sont susceptibles de s’appliquer, et
ceci, quelle que soit la règle de conflit retenue. Ainsi ces dispositions impératives constituent
un autre obstacle à l’harmonisation des règles de conflit basée sur une fonction localisatrice.
595. Un mécanisme perturbateur compatible avec une localisation objective en
termes de prévisibilité juridique. Cependant, elles représentent nettement plus un obstacle à
l’égard du système subjectif en termes de prévisibilité. En effet, le système objectif, basé sur
une analyse concrète, devrait permettre de déterminer avec le territoire de quel Etat la
situation juridique est rattachée, et par conséquent, quelles seront les dispositions impératives

925
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 235.
926
En ce sens, voir les articles 3, 4 et 9 du règlement Rome I.
927
P. M. Patocchi, op. cit., § 269.

285
susceptibles de s’appliquer. Or, tel n’est plus le cas dans un système subjectif puisque ce ne
sont pas seulement les dispositions impératives de la législation de l’Etat pour laquelle les
parties ont opté qui sont susceptibles de s’appliquer, mais bien celles avec lesquelles se
rattache la situation juridique. Ainsi, au regard des obstacles communs auxquels sont
confrontés les systèmes de localisation, il apparaît tout de même préférable de maintenir une
localisation objective, celle-ci assurant davantage la prévisibilité du droit. Néanmoins,
d’autres limites sont imputables à ces systèmes, mais cette fois-ci individuellement.

2) Les limites individuelles de chaque technique de localisation


596. Si les systèmes objectifs et subjectifs de droit international privé connaissent des
limites communes, ils sont également confrontés à des limites propres. D’une part, le système
objectif est confronté à une difficulté issue de l’absence de définition de la proximité
conduisant à cantonner l’analyse concrète à deux extrêmes c’est-à-dire à un excès de rigidité
ou bien de souplesse (a). D’autre part, le système subjectif octroyant une liberté totale aux
parties quant au choix de la loi applicable dénature totalement la fonction localisatrice de
toute règle de conflit (b).

a) L’imprécision du rattachement de proximité en l’absence de définition juridique


597. L’imprécision du rattachement de proximité. Le Professeur Lagarde a affirmé
que « c’est dans le domaine des contrats, lorsque les parties n’ont pas choisi d’un commun
accord la loi applicable, que l’on est parvenu, pour la première fois, semble-t-il, à dégager la
solution d’un rapport de droit, en l’espèce, le contrat, devait être régi par la loi du pays avec
lequel il présente les liens les plus étroits »928. Plus généralement, la localisation objective
d’un rapport de droit implique de déterminer à l’égard de quel territoire il est le plus proche.
Ainsi, sur le principe, le recours à la notion de proximité est parfaitement légitime puisqu’elle
implique objectivité et neutralité à l’égard de la détermination de la loi applicable et conduit,
en théorie, à un traitement identique des situations juridiques. Cependant, le recours aux liens
les plus étroits a pu créer une certaine imprévisibilité juridique dans la mesure où son contenu
n’est pas défini. Par conséquent, notamment en matière contractuelle, le législateur a convenu
d’associer un rattachement propre à une étape du contrat ou à un type de contrat considérant
qu’il s’agirait alors du rattachement présentant le lien le plus étroit. A titre d’exemple, en

928
P. Lagarde, P. I « Le principe de proximité dans les conflits de lois », in « Le principe de proximité dans le
droit international privé contemporain : cours général de droit international privé », op. cit., § 7.

286
Europe, le règlement Rome I, en son article 4, prévoit par exemple que « le contrat de vente
de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle ».
598. Un rattachement objet d’un éventuel encadrement rigide. Il ressort de ces
réglementations européennes que le législateur a pris parti de déterminer quel est à son sens,
le rattachement qui présente les liens les plus étroits. Or, ce type de raisonnement a été adopté
dans d’autres matières que celles des actes juridiques, notamment en matière délictuelle,
puisque la règle de rattachement prévoit que « les suites d’un accident d’automobile
présentant des rattachements avec plus d’un Etat sont déclarées régies par la loi du lieu de
l’accident » 929 . Le choix opéré par le législateur constitue une limite à une localisation
purement objective du rapport de droit. La localisation objective consiste en une analyse
concrète de la situation. Or, en confinant un rattachement rigide à une situation, il est peu
probable que ce rattachement constitue celui présentant les liens les plus étroits dans toute
situation juridique. Le résultat est tel que « l’élément de rattachement indiqué par le
législateur lui-même pour certaines questions concrètes doit être présumé être le rattachement
le plus fort sans possibilité de prouver le contraire »930.
599. Un rattachement objet d’un potentiel encadrement souple. Néanmoins,
« certaines législations modernes ont effectivement pris acte de la relativité des rattachements
et prévu des clauses d’exception pour le cas où une autre loi que celle désignée par la règle
apparaîtrait mieux indiquée dans les circonstances » 931 . C’est pourquoi l’article 4 du
règlement Rome I prévoit une clause d’exception en son paragraphe 3 en établissant que
« lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens
manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet
autre pays s’applique ». Grâce au mécanisme des clauses d’exception, la localisation concrète
et objective du rapport de droit semble donc maintenue. Toutefois, comme l’a exprimé
Monsieur Patocchi, « il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une fuite pure et simple dans une clause
générale, puisque le critère du lien le plus étroit a été concrétisé pour chaque type de contrat
(…), toutefois l’existence d’une clause échappatoire en matière de contrats témoigne dans ce
contexte d’une attitude où la prudence se mêle au scepticisme »932.

929
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 167.
930
W. Wengler, « L’évolution moderne du droit international privé et la prévisibilité du droit applicable », op.
cit., spéc. p. 2.
931
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 167.
932
P. M. Patocchi, op. cit., § 230.

287
600. Vers un juste encadrement des liens les plus étroits. Effectivement l’insertion
d’une clause d’exception au sein d’une réglementation conflictuelle pallie la rigidité
consacrée par un rattachement strict représentant, a priori, le lien le plus fort avec le rapport
juridique en cause. A l’inverse, la clause d’exception engendre une extrême souplesse.
Autrement dit, dès lors que des liens plus étroits peuvent faire échec au rattachement strict
retenu par le droit positif, l’imprévisibilité juridique va réapparaître. Il serait préférable de
retenir comme rattachement principal les liens les plus étroits pour garantir une localisation
objective et concrète, mais de l’associer à une définition ou du moins un encadrement quant à
son contenu conformément à la matière à laquelle il s’applique. Autrement dit, chaque
catégorie de rattachement devrait se voir assigner des points de rattachement conformément à
sa nature. Par exemple, en matière de statut personnel, il pourrait s’agir de la nationalité et du
domicile puisqu’ils constituent les éléments intrinsèques de la personne, mais pourrait y être
ajouté le centre des intérêts de la personne. En tout état de cause, il s’agirait d’opérer un
compromis entre souplesse et rigidité. Tel n’est pas le cas encore aujourd’hui, c’est pourquoi
toute localisation purement concrète et objective est limitée par le droit positif. De même que
l’est toute localisation subjective.

b) La dénaturation de la fonction localisatrice par liberté totale de choix de loi


601. L’autonomie de la volonté comme rattachement de localisation du rapport
de droit. La localisation subjective, contrairement à une approche concrète et objective du
rapport de droit, consiste à déterminer le lieu de situation duquel dépend un rapport de droit
conformément à la volonté des parties. Ainsi, notamment en matière contractuelle, la
détermination de la loi applicable est fonction de l’autonomie de la volonté c’est-à-dire que le
rattachement retenu est la loi choisie par les parties. Par exemple, l’article 3 du règlement
Rome I prévoit que « le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». Par conséquent, le
législateur européen a préféré le subjectivisme à l’objectivisme en matière contractuelle. De
plus, il a également prévu dans ce même article que « par ce choix, les parties peuvent
désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ». En donnant
la possibilité aux parties d’opter pour le dépeçage de leur contrat, le subjectivisme est
totalement consacré à l’instar de l’objectivisme.

288
S’il est admis que le contrat, qu’il soit l’objet d’une approche objective ou subjective,
est régi par une loi933, il n’en demeure pas moins que cette loi est objet de la volonté des
parties. Il peut être soutenu que cette loi, en tant que loi d’autonomie, constitue bien un
procédé de localisation du rapport de droit, c’est-à-dire que la localisation du contrat se situe
sur le territoire de « la loi sous l’empire de laquelle se déroule l’ensemble des opérations
contractuelles » 934 conformément à ce qu’ont prévu les parties. Au contraire, l’admission
d’une liberté totale de choix de loi ainsi que d’une possibilité de dépeçage du contrat par les
parties « laisse ainsi le sentiment que ces dernières peuvent jouer avec la loi et tenir à l’écart
de leur opération les dispositions légales qui leur paraissent inopportunes »935.
602. L’autonomie de la volonté comme rattachement à finalité substantielle. Le
subjectivisme peut donc exercer une fonction localisatrice, comme à l’inverse, exercer une
fonction purement matérielle qui serait conforme au résultat recherché par les parties. En
effet, « si la volonté exerce une fonction conflictuelle, sa spécificité réside dans son caractère
subjectif non localisateur par rapport aux autres rattachements, eux localisateurs et objectifs,
des autres règles de conflit »936. Par conséquent, le subjectivisme implique que « la résolution
du conflit de lois s’effectue principalement par le facteur de rattachement de la volonté, en
ayant égard à un résultat matériel consistant en la satisfaction des parties au contrat dans leur
désignation de la loi applicable au contrat » 937 . Finalement, en pratique, le subjectivisme
conduit à exclure toute localisation du rapport de droit pour préférer la recherche d’un résultat
substantiel. Or, il est contraire à l’esprit du droit des conflits de lois de retenir une approche
matérielle puisqu’elle s’oppose à toute neutralité et égalité de traitement des situations
internationales. Par conséquent, la volonté des parties peut constituer un facteur
d’appréciation dans la détermination de la proximité de la situation juridique avec un
territoire938, mais en aucun cas ne devrait constituer le seul critère de rattachement. Toutefois,
il est nécessaire d’envisager dans son ensemble tous les systèmes subjectifs et objectifs mis en
place par le droit positif afin de déterminer quelle approche est la meilleure en termes de
neutralité et d’égalité de traitement.

933
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 248.
934
P. M. Patocchi, op. cit., § 187.
935
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 248.
936
J.-C. Pommier, op. cit., § 10.
937
Ibid.
938
Cf. supra § 582 et s.

289
§ 2 – LE RECOURS CONSEILLE A UN OBJECTIVISME TEINTE DE SUBJECTIVISME EN
DROIT POSITIF

603. En droit des conflits de lois positif, tant l’objectivisme que le subjectivisme ont
été consacrés par les législations relatives à la matière. Ainsi, le système subjectif est consacré
dans diverses législations de droit des conflits de lois. Pourtant, son recours paraît discutable
notamment au regard de l’étendue de son champ d’application matériel (A). Parallèlement, le
système objectif a également été retenu dans tous les textes relatifs à la discipline. Or,
contrairement au subjectivisme, cette reconnaissance juridique est indispensable, voire
primordiale (B).

A. LE RECOURS CONTROVERSABLE AU SUBJECTIVISME EN DROIT POSITIF


604. Le subjectivisme s’est fortement développé grâce à la matière contractuelle et
notamment en vertu de sa nature supplétive. Ceci a contribué à l’utilisation traditionnelle du
principe de l’autonomie de la volonté en matière de droits disponibles (1). En outre, cet essor
de la volonté des parties, principalement en matière contractuelle, s’est fortement propagé en
transposant maladroitement les arguments propres aux droits disponibles aux droits
indisponibles (2).

1) L’utilisation traditionnelle du subjectivisme en matière de droits disponibles


605. En adoptant une analyse pratique du droit des conflits de lois, il est établi que
l’autonomie de la volonté, qu’elle soit absolue ou encadrée, a été consacrée par le droit positif
en matière de droits disponibles (a). De plus, l’intégration du subjectivisme dans les matières
relatives aux droits disponibles semble parfaitement justifiée au regard du respect de la
volonté des parties (b).

a) D’une autonomie de la volonté absolue à une autonomie de la volonté encadrée


606. L’autonomie de la volonté en matière contractuelle. Classiquement, le
rattachement de l’autonomie de la volonté est consacré en matière contractuelle, et notamment
par la sphère juridique européenne en droit des conflits de lois. Le règlement Rome I prévoit,
en son article 3, une liberté de choix totale à l’égard des parties quant à la loi applicable. Par
conséquent, « le contrat est soumis à la loi choisie, et le choix des parties est un critère dont la
concrétisation est particulièrement aisée à déterminer »939. De plus, « la justification positive

939
P. M. Patocchi, op. cit., § 243.

290
fondamentale du principe de l’autonomie de la volonté » se situe au regard de « l’intérêt des
parties »940.
607. L’autonomie de la volonté étendue en matière de droits disponibles. Au
regard de ces considérations, à savoir l’intérêt des parties et la facilité de concrétisation du
rapport de droit, le principe de l’autonomie de la volonté s’est étendu à d’autres matières
similaires c’est-à-dire celles relatives aux droits disponibles. En effet, la matière délictuelle
ainsi que les régimes matrimoniaux, en tant que droits disponibles, ont consacré la théorie
subjectiviste. Le règlement Rome II941, en son article 14, offre une liberté de choix totale aux
parties quant à la loi applicable, du même ordre que le règlement Rome I. La Convention de
La Haye relative aux régimes matrimoniaux de 1978942 , en son article 3, et le règlement
régimes matrimoniaux de 2016943, en son article 22, prévoient une liberté de choix des parties,
mais cette fois-ci encadrée. Dès lors, les parties ont la liberté de choisir la loi applicable
conformément aux options de choix qui sont offertes par le texte international.
608. Une autonomie de la volonté fréquemment totale. En pratique, le
subjectivisme a donc su pénétrer le droit positif en intégrant les sources internationales
dédiées aux droits disponibles. Néanmoins, le subjectivisme s’est concrétisé au moyen d’une
liberté de choix davantage absolue qu’encadrée, qui n’est donc limitée que par le mécanisme
des lois de police, et qui peut alors contourner l’objectif de localisation du rapport de droit
recherché par la règle conflictuelle944. Toutefois, le recours au subjectivisme est justifié en la
matière, même s’il serait préférable de l’encadrer. En effet, « dans les systèmes de conflit
consacrant des rattachements rigides, l’avantage de l’autonomie n’est pas tant la sécurité que
sa faculté de prendre en considération les particularités du cas d’espèce »945. C’est pourquoi la
volonté des parties doit nécessairement être prise en compte dans le cadre de droits
disponibles puisqu’il s’agit de droits « dont on peut librement disposer » 946 et donc
susceptibles de diverses particularités.

940
P. M. Patocchi, op. cit., § 242.
941
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles, Rome II.
942
Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
943
Règlement (UE) n°2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le
domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière
de régimes matrimoniaux.
944
Cf. supra § 600 et 601.
945
P. M. Patocchi, op. cit., § 243.
946
G. Cornu, « disponible », op. cit., spéc. p. 317.

291
b) L’autonomie de la volonté justifiée en matière de droits disponibles
609. Un rattachement corollaire de la liberté contractuelle en droit interne. Le
recours à l’autonomie de la volonté, au-delà des intérêts qu’il peut présenter, se justifie
conformément à la nature du rapport juridique en cause. En partant de l’origine, c’est-à-dire
de la matière contractuelle, il apparaît que « la justification de la faculté de choix de la loi
applicable, au moment où le principe en fut proclamé, était (…) liée à l’exaltation du rôle de
la volonté dans le droit » 947 . De cette façon, « cette faculté fut considérée (…) comme le
prolongement de la liberté contractuelle en droit interne » 948 . Par conséquent, c’est en
accordant liberté conflictuelle et liberté contractuelle qu’est né le rattachement à l’autonomie
de la volonté.
610. Un rattachement conforme à la nature des droits en cause. Comme l’explique
Monsieur Patocchi, « l’autonomie conflictuelle permet le choix par les parties de la loi
applicable au contrat » et « la liberté contractuelle permet aux parties d’aménager librement le
régime contractuel dans les limites du droit impératif »949. C’est ainsi qu’« au fur et à mesure
que l’autonomie privée (s’est) manifestée dans le droit interne, les rattachements impératifs
(ont perdu) leur raison d’être et l’idée d’autonomie conflictuelle (s’est) fait jour »950. Ainsi, le
principe de liberté contractuelle a pu justifier la naissance du principe de l’autonomie de la
volonté en matière contractuelle. En effet, la liberté conflictuelle est le reflet de la liberté
contractuelle en droit interne puisque les parties choisissent librement la loi applicable à leur
rapport juridique avec pour unique limite « les règles internationalement impératives dont le
système du for impose le respect »951. Ainsi, conformément à la nature des droits en cause, à
savoir des droits disponibles, il est juste de considérer que les parties puissent maîtriser la loi
applicable à ces droits puisque par définition elles peuvent en disposer952. « Là où l’autonomie

947
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 235.
948
Ibid.
949
P. M. Patocchi, op. cit., § 240.
950
Ibid.
951
Ibid., § 241.
952
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 64 : « La liberté contractuelle qui règne en droit interne se prolonge,
comme naturellement, au plan international, par la liberté de choisir la loi applicable au contrat, tout
particulièrement à une époque où les règles étaient en ce domaine généralement supplétives de volonté, en sorte
que le problème de l’autorité de la loi ne présentait que peu d’acuité. Ce libre choix présente le mérite d’assurer
aux parties une très grande sécurité juridique en faisant coïncider la règle de décision du juge avec la règle sur
laquelle les parties ont modelé leur conduite ; il donne toute latitude aux contractants pour choisir une loi
appropriée à la teneur de leur projet et qui en facilite la réalisation ».

292
a libre jeu, les parties sont libres dans leur choix de la loi applicable et dans la détermination
des critères présidant à ce choix »953.
De plus, depuis le principe de liberté contractuelle de 1804, le « dirigisme
contractuel » a connu un développement universel 954 conduisant donc nécessairement à
promouvoir le rattachement de l’autonomie de la volonté en droit international privé et
particulièrement en droit des conflits de lois. Ce développement a conduit à étendre le
principe à toutes les matières relatives aux droits disponibles c’est-à-dire aux délits et aux
régimes matrimoniaux. Or, il semble que le raisonnement retenu à l’égard de la matière
contractuelle soit transposable aux délits et aux régimes matrimoniaux puisqu’il s’agit
également de droits disponibles. Par conséquent, la nature de ces droits peut justifier le
recours au subjectivisme c’est-à-dire le désir d’inclure la volonté des parties dans la
détermination de la loi applicable au rapport de droit, sans qu’il soit nécessaire d’affirmer
qu’une liberté totale soit reconnue. Pourtant, le droit positif fait appel au principe de
l’autonomie de la volonté en matière de droits indisponibles.

2) L’appel critiquable au subjectivisme en matière de droits indisponibles


611. La frénésie de la doctrine de la liberté contractuelle, engendrant celle de
l’autonomie de la volonté, s’est étendue en toute matière. Par conséquent, la volonté des
parties est désormais prise en compte même dans les matières relatives aux droits
indisponibles, mais demeure nécessairement encadrée (a). Pour autant, le recours à
l’autonomie de la volonté dans une telle matière est contestable en ce qu’il est contraire à la
nature même des droits indisponibles (b).

a) La volonté des parties nécessairement encadrée à l’égard des droits indisponibles


612. L’autonomie de la volonté étendue aux droits indisponibles. Comme l’a
affirmé le Professeur Bernard Audit, « la volonté des parties (a) été prise en considération
depuis une période ancienne des conflits de lois, selon l’idée que lorsqu’elle est admise à
s’exprimer dans les rapports internes elle peut aussi bien l’être en présence d’un conflit de
lois »955. C’est pourquoi si l’autonomie de la volonté s’est répandue en matière contractuelle,
conformément à la nature disponible de ces droits, elle s’est également propagée en matière
de droits indisponibles. A l’inverse des droits disponibles, les droits indisponibles sont ceux

953
P. M. Patocchi, op. cit., § 241.
954
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 235.
955
B. Audit, Ch. II « Le conflit de lois », in « Le droit international privé en quête d’universalité : cours
général », op. cit., § 297.

293
« dont on ne peut disposer »956 . Ainsi, l’autonomie de la volonté s’est étendue à d’autres
matières que les contrats, les délits et les régimes matrimoniaux. Elle a notamment pénétré la
matière successorale et la matière matrimoniale. En abordant ces deux matières, celles-ci sont
régies toutes deux par un règlement européen lequel prévoit un système subjectif limité.
D’une part, le règlement européen relatif aux successions donne la possibilité au défunt de
choisir la loi applicable à sa succession, mais restreint ce choix à sa loi nationale957. En réalité,
le choix s’opère entre le système objectif, qui offre le rattachement à la loi du domicile, et le
système subjectif, qui permet d’opter pour la loi nationale du défunt. D’autre part, le
règlement européen relatif à la loi applicable au divorce et à la séparation de corps958 donne la
possibilité aux époux de déterminer la loi applicable à leur divorce ou séparation de corps
pourvu que cette loi soit parmi l’une des quatre prévues dans l’article 5 du texte. Les
rattachements retenus sont, à cet égard, la loi du domicile, la loi nationale et la loi du for.
613. Un rattachement encadré de manière arbitraire. Il en ressort que les droits
indisponibles sont aussi atteints par le subjectivisme mais celui-ci demeure limité dans la
mesure où si les parties ont la possibilité de déterminer la loi qu’elles souhaitent appliquer au
rapport litigieux, ce choix demeure restreint. Cependant, le choix des rattachements retenus et
offerts aux parties peut sembler contestable. La limitation de la volonté des parties par
l’adoption de critères de rattachement arbitraires est contraire à l’esprit même du principe de
l’autonomie de la volonté. Effectivement, il est difficilement justifiable de considérer que tel
rattachement serait le plus conforme à ce que les parties ont souhaité.
En observant les critères de rattachement retenus par les systèmes subjectifs propres à
chaque matière, un lien peut être fait avec le principe de proximité. Par exemple, en reprenant
le règlement succession, les rattachements proposés sont le domicile et la nationalité. Or,
nécessairement une succession se rattache à la personne du défunt, donc aussi bien à sa
nationalité, qu’à son domicile. Par conséquent, ce sont les critères de localisation du rapport
de droit qui ont justifié le recours au rattachement de la loi nationale dans le système subjectif.
Ainsi, le subjectivisme limité serait donc fonction de la localisation du rapport de droit
conformément au principe de proximité. Au regard des droits indisponibles, le principe

956
G. Cornu, « indisponible », op. cit., spéc. p. 485.
957
Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes
authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, spéc. art. 22.
958
Règlement (UE) n°1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans
le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, Rome III.

294
d’autonomie de la volonté serait en quelque sorte vidé de sa substance puisqu’il serait encadré
par l’objectivisme. En réalité, il ne s’agit que de la conséquence du recours au subjectivisme
en matière de droits indisponibles.

b) L’antinomie de l’autonomie de la volonté et des droits indisponibles


614. L’autonomie de la volonté à tout prix par souci de prévisibilité juridique. A
l’origine le principe de l’autonomie de la volonté est apparu en matière contractuelle dans la
mesure où « le droit des contrats était pour l’essentiel de caractère supplétif, de sorte que la
possibilité de désigner la loi applicable dans un contrat international fut proclamée sans
difficulté dans un certain nombre de législations »959 . De plus, il s’agissait d’une matière
dotée de rares règles impératives internes, ce qui justifiait le possible recours à la volonté des
parties 960 . Or, contrairement à la matière contractuelle, les matières relatives aux droits
indisponibles notamment les questions personnelles et familiales se manifestent à raison du
caractère impératif d’un certain nombre de règles internes961. Par conséquent, en vertu de cette
impérativité, les Etats ont un intérêt « à l’application de leur loi en matière de droit privé »962.
C’est pourquoi traditionnellement, les matières relatives aux droits indisponibles n’ont pas été
l’objet de la volonté des parties. La justification du recours à l’autonomie de la volonté se
trouve alors dans le souci de prévisibilité du droit applicable. Comme l’a expliqué le
Professeur Bernard Audit, recourir au subjectivisme, à l’égard de tout acte juridique, et
notamment en matière de contrat de mariage ou encore de succession, conduit à estimer que
« donner aux intéressés le choix de la loi assure la prévisibilité des solutions mieux que les
rattachements présentés comme objectifs », « l’idée n’est ici que de permettre aux parties de
lever elles-mêmes l’incertitude sur la loi applicable, toute idée de facilitation du commerce
international étant absente »963.
615. La prévisibilité juridique aussi bien assurée par l’objectivisme. Le recours à
l’autonomie de la volonté en matière de droits indisponibles n’est a priori admis qu’en vertu
de la prévisibilité du droit que ce critère de rattachement assure. Or, si la prévisibilité du droit
constitue un argument en faveur du recours à l’autonomie de la volonté, il n’est pas le seul.
Par conséquent, justifier le recours à un rattachement sur ce seul argument semble discutable.

959
B. Audit, Ch. II « Le conflit de lois », in « Le droit international privé en quête d’universalité : cours
général », op. cit., § 297.
960
Ibid.
961
Ibid., § 296.
962
Ibid.
963
Ibid., § 300.

295
En effet, en matière contractuelle, d’autres arguments justifient le recours à l’autonomie de la
volonté, le principal étant de considérer qu’« aucune des lois auxquelles se rattache un contrat
international ne peut revendiquer un titre exclusif à le régir ». Par conséquent, dans un souci
de participation de chaque Etat au commerce international et d’absence de détermination
préalable de la loi applicable sur des critères objectifs, le contrat doit être soumis à
l’autonomie de la volonté. Ces arguments ne sont pas transposables en matière de droits
indisponibles. Dire que le recours au subjectivisme permet de garantir une prévisibilité du
droit qui n’est pas assuré par le droit objectif est erroné. En effet, au regard des règlements
européens mis en place aujourd’hui dans ces matières, il apparaît que le droit objectif est
parfaitement à même d’assurer la prévisibilité de la loi applicable puisque chaque texte
prévoit quelle sera la loi applicable à telle question juridique. En sus, certains textes, et
notamment le règlement Rome III, prévoient des rattachements identiques pour les systèmes
objectifs et subjectifs. Ce parallélisme anéantit davantage l’argument de la prévisibilité
puisque dans tous les cas, les parties sont soumises à des rattachements similaires et non pas
différents selon le système applicable.
616. L’autonomie de la volonté non conforme à la nature des droits indisponibles.
En outre, le recours au subjectivisme est d’autant plus contestable qu’il s’agit de droits
indisponibles. En effet, parallèlement au caractère impératif de ces droits, ceux-là ne peuvent
faire l’objet d’une libre disposition c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être l’objet de la volonté des
parties. Il est donc, par définition, contraire à la nature même de ces droits, de les soumettre à
la volonté des parties. De plus, si l’on se réfère simplement à l’office du juge964 en droit
international privé, le droit positif français prévoit que seuls les droits indisponibles sont
soumis d’office à l’application des règles de droit international privé. A l’inverse, les droits
disponibles peuvent y être soumis, mais il ne s’agit que d’une faculté. Si un parallèle est opéré
avec l’autonomie de la volonté, il semble bien plus certain que celle-ci ne puisse jouer qu’en
matière de droits disponibles, lesquels, étant soumis à la volonté des parties, peuvent ne pas
être soumis à l’application des règles du droit international privé si les parties ne le soulèvent
pas. Or, les droits indisponibles, dans la mesure où les parties ne peuvent en disposer, sont
nécessairement soumis aux règles du droit international privé, même si les parties ne l’ont pas
soulevé. Cela suffit à justifier l’exclusion de l’autonomie de la volonté en matière de droits
indisponibles. Ces derniers doivent demeurer soumis à un système objectif, c’est-à-dire à un

964
Cf. infra § 1449 et s.

296
rattachement fonction de proximité, et ceci conformément à la nature de ces droits. Si une
distinction juridique s’opère entre deux types de droits, c’est pour que les règles qui leur sont
applicables leur correspondent. Ainsi, il n’est pas bon de croire que les règles applicables à
une catégorie puissent s’étendre à une autre. Le système subjectif ne doit donc se cantonner
qu’aux droits disponibles. C’est pourquoi le système objectif demeure indispensable en droit
des conflits de lois.

B. L’EMPLOI CAPITAL DE L’OBJECTIVISME EN DROIT POSITIF


617. La réglementation du droit des conflits de lois consacre aujourd’hui tant le
subjectivisme que l’objectivisme. Pour autant, elle laisse une place principale au système
subjectif pour caractériser a priori le système objectif de supplétif (1). En réalité, le système
subjectif n’est que le reflet du système objectif au regard de la méthode conflictuelle
empruntée (2).

1) Le caractère a priori supplétif du système objectif


618. L’intégration du subjectivisme en droit des conflits de lois a conduit à placer ce
système au premier rang pour ne rendre le recours à l’objectivisme que subsidiaire (a).
Cependant, si le système objectif n’est employé qu’à défaut de recours au système subjectif, il
demeure indispensable en l’absence de tout système subjectif (b).

a) La subsidiarité du système objectif à défaut de recours au système subjectif


619. Le rang supplétif accordé au système objectif. Si le recours au subjectivisme
est discutable, il n’en demeure pas moins que celui-ci a été consacré dans divers instruments
européens que ce soit en matière de droits disponibles ou de droits indisponibles. Chaque
texte dans lequel est prévu un système subjectif en a fait son principe c’est-à-dire que par
principe, il est fait référence à la loi choisie par les parties et ce n’est qu’à défaut de choix de
loi, par exception, que s’appliquera le système objectif. Par conséquent, la loi d’autonomie
prévue par l’article 3 du règlement Rome I prime, et ce n’est que dans l’hypothèse où les
parties n’ont pas opté pour une loi que l’article 4 dudit règlement s’applique en tant que
système objectif. Par conséquent, l’objectivisme est devenu le suppléant du subjectivisme.
Désormais, « seule la règle de conflit objective (…) est supplétive, non la loi substantielle
choisie par les parties comme applicable, ni celle évincée d’un commun accord par elles,
inapplicable de ce fait malgré sa désignation par la règle de conflit objective »965.

965
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 249.

297
620. Le rang de principe reconnu au système subjectif. Ainsi, le droit des conflits
de lois, dans chaque matière pour laquelle l’autonomie de la volonté est devenue le principe
abandonne son approche localisatrice pour ne devenir qu’une exception. Le système serait
donc construit sur la volonté des parties et aboutirait à une certaine sécurité juridique issue de
la prévisibilité du droit applicable. Il serait alors préférable de supprimer toute considération
objective ou localisatrice. Cependant, ceci demeure impossible puisque d’une part, en
l’absence de choix de lois, il est nécessaire de recourir à un rattachement objectif par défaut et
d’autre part, en l’absence de système subjectif, le recours à l’objectivisme devient
indispensable.

b) L’indispensable besoin du système objectif en l’absence de système subjectif


621. Le recours indispensable au système objectif. En présence d’un système
subjectif, « la loi choisie se substitue à la loi qui aurait été applicable s’il n’y avait eu de
choix »966. Or, lorsqu’aucun système subjectif n’est prévu, cela signifie qu’ont été mis en
place des rattachements objectifs pour réglementer la situation litigieuse. Le recours au
système objectif est alors indispensable puisque toutes les matières de droit privé ne prévoient
pas le recours à un système subjectif. Ainsi, en l’absence de subjectivisme, l’objectivisme
couvre toutes les hypothèses. Il serait donc légitime de penser que l’objectivisme demeure le
principe et le subjectivisme l’exception, puisque le subjectivisme n’est pas le principe
applicable à toute matière de droit privé. En outre, le système objectif demeure indispensable
puisqu’il est le seul à même de s’appliquer à toute situation litigieuse.
622. L’harmonisation partielle du droit issue du système subjectif. De plus, si le
subjectivisme ne permet pas la création d’un système uniforme applicable quelle que soit la
matière juridique concernée, il ne crée pas une réelle harmonisation même dans les matières
auxquelles il s’applique. En effet, « bien que le principe de l’autonomie de la volonté soit reçu
presque quasi unanimement, l’universalisme en matière contractuelle est resté un vieux rêve
impossible : l’accord n’est que de façade, occultant des divergences notables sur, par
exemple, la portée, le régime du principe de l’autonomie de la volonté, sans parler de la
désignation de la loi normalement applicable à défaut d’élection de droit »967. Par conséquent,
« l’harmonie ne peut être que partielle, limitée dans l’espace aux pays qui ont des intérêts

966
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 249.
967
J.-C. Pommier, op. cit., § 26.

298
communs, et notamment celui de développer le commerce international que commandait
l’environnement économique et politique d’après la Seconde Guerre mondiale »968.
623. Le rejet du subjectivisme par mesure de neutralité et d’égalité de traitement.
Il en ressort que le subjectivisme n’est pas à même de répondre à l’objectif d’égalité de
traitement issu de l’uniformisation de la réglementation du droit des conflits de lois puisqu’il
ne permet pas l’assentiment de tous les Etats. Une nouvelle fois, ce sont des considérations
économiques et politiques, propres au commerce international, qui ont justifié le recours au
subjectivisme et ont conduit à une harmonisation partielle. Or, il convient de rappeler que dès
lors que l’harmonisation du droit des conflits de lois est fondée sur des considérations
particulières, notamment politiques et économiques, elle est nécessairement limitée à des
Etats d’identité similaire. Ainsi, la pratique même du subjectivisme atteste de l’indispensable
recours à l’objectivisme puisqu’il s’agit du seul outil utilisable à un niveau supérieur, c’est-à-
dire universel. C’est d’ailleurs probablement pour cela que les systèmes objectifs et subjectifs
sont en pratique relativement proches l’un de l’autre.

2) Le parallélisme des systèmes de localisation au regard de la méthode conflictuelle


624. Si subjectivisme et objectivisme sont chacun consacrés au regard du droit positif
comme système propre, ils sont pourtant sensiblement reliés. D’une part, leur lien se traduit
au regard des règles conflit de lois en tant que telles, puisque les systèmes sont consacrés de
manière similaire sur le plan du conflit de lois et sur le plan du conflit de juridictions (a).
D’autre part, leur liaison se traduit sous la forme d’une identité réciproque, puisqu’en réalité
le subjectivisme n’est qu’une traduction juridique de l’objectivisme (b).

a) L’identité de systèmes entre les règles de conflit de lois et de juridictions


625. Le parallélisme entre les conflits de lois et de juridictions. S’il a pu être
affirmé qu’en matière de conflits de lois, les matières de droit privé, qu’elles concernent des
droits disponibles ou indisponibles, ont été saisies par le subjectivisme, elles l’ont également
été sur le plan du conflit de juridictions. En effet, en consultant les règlements européens en
matière de compétence, il apparaît que la volonté des parties est prise en compte même à
l’égard de la juridiction compétente.
626. Le subjectivisme en matière de droits disponibles. S’agissant des droits
disponibles, et plus particulièrement de la matière civile et commerciale, le règlement

968
J.-C. Pommier, op. cit., § 26.

299
Bruxelles I bis offre la possibilité aux parties de prévoir une clause attributive de juridiction
afin de désigner le juge compétent en cas de litige969. Par conséquent, il est laissé le choix aux
parties de déterminer la juridiction compétente en cas de litige, la seule limite étant constituée
par la désignation d’une juridiction d’un Etat membre. En opérant un parallèle avec le
règlement Rome I, il apparaît que conflits de juridictions et conflits de lois s’alignent donc en
faveur de l’autonomie de la volonté c’est-à-dire en fonction de la volonté des parties
conformément à leur engagement contractuel.
627. Le subjectivisme en matière de droits indisponibles. S’agissant des droits
indisponibles, notamment de la matière matrimoniale, le règlement Bruxelles II bis ne donne
pas la possibilité aux époux de déterminer par une clause attributive de juridiction le juge
compétent à l’égard de leur séparation970. Cependant, l’article 3 du même règlement prévoit
une série de rattachements alternatifs fondés sur le domicile et la nationalité et permettant, en
principe, de reconnaître la compétence de plusieurs juges. De cette manière, les époux ont,
généralement, un choix à opérer conformément aux rattachements qui leurs sont proposés. En
opérant aussi un parallèle avec le règlement Rome III, il apparaît que, comme en matière de
conflit de lois, la volonté des parties est prise en compte, mais cette volonté est fortement
restreinte et se cantonne à deux rattachements : la nationalité et le domicile. Contrairement à
la matière contractuelle, la volonté des parties est intégrée indirectement dans l’objectivisme.
628. Le maintien du système objectif. Le subjectivisme a donc su pénétrer autant le
conflit de lois que le conflit de juridictions avec une portée identique selon qu’il s’agisse de
droits disponibles ou indisponibles. Néanmoins, la remarque relative à la nécessité de
maintenir l’objectivisme demeure. En effet, que ce soit le règlement Bruxelles I bis ou le
règlement Bruxelles II bis, ou encore sa refonte, le règlement Bruxelles II ter 971 , ils
conservent chacun un système objectif, nécessaire au bon fonctionnement du droit
international privé. Cela signifie bien que, quel que soit le plan sur lequel se place le droit
international privé (loi ou compétence), il n’est pas possible de faire du subjectivisme un

969
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles
I bis, spéc. art. 25.
970
Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, Bruxelles II bis.
971
Règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à
l’enlèvement international d’enfants (refonte), Bruxelles II ter.

300
principe universel applicable à la réglementation du droit international privé. L’identité du
subjectivisme à l’égard de l’objectivisme le confirme.

b) L’identité des systèmes : du subjectivisme à l’objectivisme


629. L’identité des systèmes objectif et subjectif. En reprenant les règlements
européens prévoyant un double système, c’est-à-dire subjectif et objectif, il apparaît une
certaine identité entre ces systèmes, dont l’illustration est parfois flagrante. Sans qu’il soit
nécessaire de reprendre l’exemple du règlement Rome III972, il suffit de consulter le règlement
européen relatif aux régimes matrimoniaux973. En son article 22, le règlement prévoit que les
parties peuvent choisir la loi de résidence habituelle ou la loi nationale ; tout comme il prévoit
en son article 26, qu’à défaut de choix de lois, la loi applicable sera celle de résidence
habituelle, à défaut la loi nationale et à défaut la loi des liens les plus étroits. Par conséquent,
il en résulte que le système subjectif mis en place aujourd’hui n’est que le reflet du système
objectif. Néanmoins, il semble que cette affirmation ne fonctionne que lorsqu’il s’agit d’un
système subjectif encadré.
En analysant la construction du règlement Rome I relatif à un système subjectif
illimité, il est tout de même possible de considérer qu’il existe une sorte d’identité avec le
système subjectif. En effet, l’article 4 du règlement établit un système objectif lequel se
subdivise selon chaque type de contrat auquel est attribué un rattachement particulier. Or, en
regardant chacun de ces rattachements, il apparaît que le règlement a été construit à l’aune
d’une « directive générale de solution des conflits de lois » laquelle « commande d’appliquer
la loi avec laquelle le contrat présente les liens les plus étroits »974, afin de ne pas surprendre
les attentes des parties. Pour ce faire, le règlement a retenu pour chaque contrat le
rattachement correspondant à la prestation caractéristique de ce contrat, et ceci dans un but de
prévisibilité du droit applicable. Le système objectif de la matière contractuelle est donc
fonction des liens les plus étroits et de la prévisibilité du droit applicable. Il serait alors
possible de considérer que l’article 3 du règlement s’inscrit dans cette même optique. Cet
article prévoit qu’en matière contractuelle, les parties sont libres de choisir la loi applicable à
leur rapport de droit. La raison d’une telle liberté est due au fait qu’il convient, en matière

972
Cf. supra § 614.
973
Règlement (UE) n°2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le
domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière
de régimes matrimoniaux.
974
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 237.

301
contractuelle, de permettre aux parties d’anticiper le droit applicable à leur rapport de droit ;
mais principalement au fait que l’autonomie de la volonté en matière contractuelle s’analyse
nécessairement comme représentant le rattachement des liens les plus étroits. Par conséquent,
une telle analyse conduit à mettre en parallèle, les systèmes subjectifs et objectifs même
lorsque la liberté de choix est la plus totale. Tout système subjectif qu’il soit encadré ou non
ne serait donc que la traduction juridique d’un système objectif laissé aux mains des parties.
630. Vers l’insertion du subjectivisme dans l’objectivisme. Une telle traduction se
justifie au regard de la fonction localisatrice à laquelle est tenu tout rattachement. Le système
subjectif, en se basant sur le système objectif, conserve donc la fonction localisatrice
corollaire de tout objectivisme. Sur ce point, il est donc défendable de reconnaître le système
subjectif. Cependant, ceci ne permet en aucun cas de créer un système universel, mais tout au
contraire de complexifier la construction du droit des conflits de lois en recourant au
subjectivisme de manière différente selon la matière concernée. C’est pourquoi il est
préférable de recourir à un unique système purement objectif. Ceci ne signifie pas qu’il faille
se dispenser de prendre en compte l’autonomie de la volonté. En effet, celle-ci peut être
exploitée différemment qu’au travers d’un choix de loi des parties. Elle peut notamment être
la traduction juridique des liens les plus étroits selon la matière concernée.
Finalement, dans un objectif d’universalisation du droit des conflits de lois, il est
préférable de recourir à un système objectif dans la mesure où grâce à sa fonction
objectivement localisatrice, il peut parvenir à accorder tout Etat. De plus, il supprimerait une
complexité de système qui peut nécessairement engendrer une inégalité de traitement à raison
de sa difficile application. Néanmoins, il ne convient pas de retirer au subjectivisme tous ses
avantages, mais plutôt de parvenir à l’intégrer au sein même du système objectif. Le
subjectivisme doit être fonction de l’objectivisme.
631. Le recours indiscutable à la méthode conflictuelle. En conclusion, si les
méthodes du droit international privé ou plus précisément du droit des conflits peuvent être
variées, il convient de n’en retenir qu’une seule. Il doit nécessairement s’agir de celle qui
respecte les différents objectifs du droit des conflits de lois c’est-à-dire celle qui préserve les
intérêts des particuliers en leur assurant un traitement identique dans une situation similaire.
Par conséquent, pour parvenir à un tel résultat, la technique doit nécessairement conduire à
une unification des règles applicables en droit des conflits de lois. C’est pourquoi seule la
méthode conflictuelle est à même de répondre à ces exigences.

302
632. La préférence pour une méthode objective teintée de subjectivisme. En sus, si
la méthode conflictuelle doit être retenue, elle peut adopter deux orientations conformément à
la localisation du rapport de droit. Néanmoins, il convient nécessairement de retenir une
approche plus objective, c’est-à-dire concrète et neutre, pour permettre, une nouvelle fois, une
approche identique de chaque situation juridique afin de respecter l’égalité de traitement des
situations internationales . Cependant, il ne convient pas d’exclure tout subjectivisme, mais
simplement de l’intégrer à cette approche objectiviste dans la mesure où l’autonomie de la
volonté constitue un point de rattachement au même titre que les autres. En outre, si la
méthode maîtresse du droit des conflits de lois doit être conflictuelle et objective, il convient
encore de se demander quelle sera la forme de règle conflictuelle la plus à même de répondre
aux objectifs du droit des conflits de lois et notamment d’opérer un choix entre deux
orientations : l’unilatéralisme et le bilatéralisme.

SECTION 2 : L’APPEL AU BILATERALISME PAR CHOIX D’UNE METHODE NEUTRE


ET EGALITAIRE

633. Le droit des conflits de lois connaît deux méthodes principales que sont la
méthode matérielle et la méthode conflictuelle. Pourtant, à la suite du développement de la
méthode conflictuelle, sont apparues deux autres formes c’est-à-dire deux théories pouvant
être qualifiées de conflictuelles. Dans un premier temps, le droit des conflits de lois a opté
pour une méthode conflictuelle unilatérale en conformité avec l’idée de conflit de
souverainetés de l’époque. Cependant, cette méthode n’a que peu réussi à s’intégrer dans les
sources du droit international privé, c’est-à-dire tant en doctrine qu’en jurisprudence. C’est
pourquoi aujourd’hui la place de l’unilatéralisme en droit des conflits de lois est relativement
amoindrie (sous-section 1). Dans un second temps, la matière a donné naissance à une
seconde construction de la méthode conflictuelle, à savoir le bilatéralisme. Au regard des
avantages que présente la mise en place d’un système bilatéral, celui-ci a été nettement
consacré en droit positif, que ce soit au regard de la théorie que de la pratique. Ainsi, le
bilatéralisme est devenu omniprésent en droit des conflits de lois (sous-section 2).

303
SOUS-SECTION 1 : LA METHODE UNILATERALE COMME REPONSE INSUFFISANTE
A L’UNIVERSALISATION DU DROIT

634. L’unilatéralisme, en tant que méthode reconnue en droit des conflits de lois,
consiste à déterminer le champ d’application dans l’espace de la loi du for975. Cette doctrine
s’est rapidement développée dès les origines du droit international privé pour répondre au
problème du conflit de lois lequel était envisagé comme un conflit de souverainetés. C’est
pourquoi l’unilatéralisme a de prime abord été fondé sur une conception publiciste, puis
finalement, conformément à la nature du droit international privé, sur une idéologie privatiste.
Cependant, malgré la qualité des arguments avancés en faveur de cette doctrine, celle-ci sera
toujours constitutive d’un frein à l’universalisation d’un système de droit des conflits de lois
(§ 1). C’est pourquoi l’unilatéralisme, en pratique, s’est traduit comme un échec au regard de
l’infime proportion de règles unilatérales. Néanmoins, il a su exercer une influence indirecte
sur certains mécanismes et sur certaines règles spécifiques au droit des conflits de lois (§ 2).

§ 1 – LE REJET DE L’UNILATERALISME EN TANT QUE FREIN A L’UNIVERSALISATION


DU DROIT

635. La méthode unilatérale, développée comme méthode de règlement des conflits de


lois sous l’Ancien Régime, s’est construite sur la base de deux fondements successifs. Tout
d’abord, la doctrine a défendu les intérêts de l’Etat, puis conformément à la nature du droit
international privé, a préféré les intérêts des individus (A). Puis, au regard de ces assises,
l’unilatéralisme a été défendu sur le plan doctrinal par différents auteurs. Pour autant, la
doctrine est demeurée imparfaite à résoudre tous les conflits de lois pouvant naître à
l’occasion d’un litige (B).

A. DE LA DEFENSE DES INTERETS DE L’ETAT A CELLE DES INTERETS PRIVES


636. L’unilatéralisme s’est construit à l’aune de la naissance du droit international
privé en tant que matière c’est-à-dire au moment de l’émergence de la théorie des statuts. Par
conséquent, le droit international privé, et spécialement le droit des conflits de lois,
originellement territorialiste, a influencé les méthodes qui en sont issues et notamment celle

975
Pour aller plus loin, voir en ce sens : F. Rigaux, « La méthode des conflits de lois dans les codifications et
projets de codification de la dernière décennie », op. cit., p. 3, notamment : « chaque législateur détermine le
domaine d’application dans l’espace de ses propres règles de droit matériel, et il se déclare prêt à accueillir les
normes émanant de tous les autres ordres juridiques dans les limites spatiales qui, en chacun de ceux-ci, les
affecteraient dès l’origine » ; « Le fonctionnement d’un tel système postule un principe universel de conflit de
lois, selon lequel tout ordre juridique arrête le domaine spatial de chacune de ses normes et applique les règles de
droit étranger aux situations relevant du domaine que ces règles mêmes se sont ainsi assignées ».

304
de l’unilatéralisme. Cette dernière s’est donc construite sur la base d’idéologies souverainistes
et territorialistes, lesquelles sont parfaitement contestables au regard de l’objet du droit
international privé (1). C’est pourquoi à la suite du déclin du souverainisme, l’unilatéralisme
s’est doté de nouvelles bases pour faire de l’harmonie des solutions le résultat à atteindre (2).

1) Les origines contestables de l’unilatéralisme : souverainisme et territorialisme


637. L’unilatéralisme a vu le jour sous l’Ancien Régime, sous l’impulsion des
tendances publicistes qui régnaient, c’est-à-dire indépendamment de considérations
privatistes. Par conséquent, cette doctrine a été élaborée conformément à l’idée selon laquelle
le conflit de lois se traduit comme un conflit de souverainetés (a). Or, l’unilatéralisme a en
réalité été l’objet de la théorie des statuts essentiellement fondée sur des aspirations
territorialistes (b).

a) L’unilatéralisme au service du respect des souverainetés


638. Une doctrine fondée sur le conflit de souverainetés. La doctrine de
l’unilatéralisme s’est originellement construite à partir du concept de souveraineté. Les
théories unilatéralistes sont parties du postulat selon lequel les conflits de lois sont
l’expression de conflits de souverainetés976. La société internationale étant « faite d’abord de
souverainetés juxtaposées dont les rivalités demeurent fortes »977, il convenait de résoudre les
conflits de lois conformément à une approche unilatérale. Le droit privé ne devait alors poser
« que des règles unilatérales, c’est-à-dire délimitant le champ d’application de la loi du
for »978.
639. Une doctrine héritière de la théorie des statuts. Réellement, la doctrine
unilatéraliste se présente « comme l’héritière directe de la théorie des statuts » selon laquelle
le conflit de lois représentait « un conflit entre des lois envisagées comme l’expression d’un
pouvoir » 979 . Ainsi, « les statutaires se donnaient pour hypothèse que les divers pouvoirs
promulguant des lois devaient être répartis en définissant les diverses relations que ces lois
pouvaient se donner pour objet »980. En mettant la théorie des statuts au service de la doctrine,
chaque Etat, dans une situation privée internationale, devait donc simplement déterminer si sa
propre loi avait vocation à s’appliquer à la situation litigieuse. Il ne s’agissait alors que d’une

976
P. Picone, « La méthode traditionnelle des conflits de lois », op. cit., § 6.
977
A. Pellet, Ch. II, S.2, §1. « La spécificité du droit international », op. cit., p. 31 et s.
978
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 253.
979
P. Gothot, I. « Les fondements du système unilatéraliste », in « Le renouveau de la tendance unilatéraliste en
droit international privé », RCDIP 1971, p. 209 et s.
980
Ibid.

305
délimitation dans l’espace du champ d’application de la loi du for. Sur ce fondement,
« chaque pays posséd(ait) son propre système de solution de conflit, et il n’exist(ait) pas de
règles s’imposant au respect de tous les Etats » 981 . Ainsi, toutes les règles du droit
international privé propres au conflit de lois seraient de sources internes et n’auraient qu’une
portée limitée, c’est-à-dire cantonnée au champ d’application de la loi du for. De ce fait, « la
matière a une nature purement interne ou nationale, et, très exceptionnellement, un caractère
international »982.
640. Une doctrine contraire à la nature de la discipline. Finalement, comme l’a
affirmé le Professeur Muir-Watt, à propos des doctrines unilatéralistes, « l’indépendance des
souverainetés oblige à restituer à la loi étrangère les moyens de sa propre désignation » et
« elle fonde par la même le lien indissociable entre droit matériel et règle de conflit qui est
l’essence même de l’unilatéralisme » 983 . L’unilatéralisme revient donc nécessairement à
penser le droit des conflits de lois comme un conflit de souverainetés, et non pas d’intérêts
privés, ce qui demeure contraire à l’esprit de la matière. Cependant, ceci s’explique par les
considérations territorialistes à l’origine même de la doctrine.

b) L’unilatéralisme inspiré du territorialisme de l’Ancien Régime


641. L’application de la lex fori en vertu du territorialisme. Si la doctrine
unilatéraliste est construite à l’aune du concept de souveraineté, elle est plus précisément le
reflet de la conception territorialiste régnant sous l’Ancien Régime. En d’autres termes, la loi
du for a nécessairement vocation à s’appliquer dès lors que la situation litigieuse se déroule
sur son territoire. Effectivement, « le principe de la territorialité procède de l’idée que la loi
du lieu où survient le fait territorial, considérée comme la plus intéressée, est en même temps
celle qui est la plus à même d’imposer sa compétence »984. Pour reprendre un exemple de
Maury au sujet de la comitas gentium, « quand un procès vient devant le tribunal d’un pays,
plus généralement peut-être quand la consécration juridique d’une situation est demandée aux
autorités d’un Etat, ces autorités, ce tribunal ne peuvent obéir qu’à leur souverain territorial »
et « la seule loi applicable est la lex fori »985. Il ajoute que celle-ci se compose de règles de
conflit qui « sont exclusivement nationales, territoriales » 986 . Ceci signifie bien que

981
J.-P. Niboyet, op. cit., § 53.
982
Ibid.
983
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 70.
984
Ibid., § 71.
985
J. Maury, op. cit., § 12.
986
Ibid.

306
conformément aux principes de souveraineté et de territorialité, dès lors qu’un fait se déroule
sur le territoire d’un Etat, celui-ci a pleinement compétence, qu’il s’agisse de compétence
juridictionnelle ou législative.
642. Une doctrine contraire à un système neutre et uniforme. La doctrine
unilatéraliste, née de considérations publicistes, ne peut respecter les objectifs du droit des
conflits de lois, notamment la protection des intérêts privés puisque ce sont les intérêts de
l’Etat qui priment sur ceux des particuliers. De plus, le raisonnement fondé sur le principe de
la territorialité ne permet pas de régler toute situation internationale litigieuse. La méthode
consiste « à rechercher où le fait se situe » c’est-à-dire « quel est le pays avec lequel il a un
contact matériel »987. Or, comme l’avait remarqué Niboyet, « la recherche du pays territorial
exige une localisation dans l’espace au sujet de laquelle chaque Etat peut avoir ses critères qui
sont ceux qu’il tire de ses concepts juridiques en général »988. Par conséquent, « le choix de
l’attache territoriale ne peut être opéré qu’en considération de la nature de la question
litigieuse »989. Le recours au système unilatéral, fondé sur le principe d’effectivité se trouve
donc limité, au regard des conceptions juridiques que chaque Etat appliquera à l’égard de
toute situation litigieuse. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une doctrine neutre dont la
vocation pourrait tendre à l’universalisme.
643. Vers une redéfinition des fondements de l’unilatéralisme. Ainsi, au regard des
inconvénients que présentaient les doctrines unilatéralistes issues de l’Ancien Régime, celles-
ci ont été mises en échec avec l’apparition des doctrines universalistes de Mancini et
Savigny990 . Celles-ci ont amorcé un nouveau mouvement de pensée du droit international
privé consistant à ne plus envisager le conflit de lois comme un conflit de souverainetés991.
Ainsi, en raison des reproches adressés à la doctrine unilatéraliste au regard de ses origines,
celle-ci s’est dotée de nouveaux fondements et de nouvelles aspirations, notamment
l’harmonisation des solutions.

2) Le recours à l’unilatéralisme légitimé par la coordination des ordres juridiques


644. A la suite du déclin de l’assimilation du conflit de lois au conflit de
souverainetés, les tenants de l’unilatéralisme ont dû se résoudre à trouver de nouveaux

987
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 74.
988
Ibid., § 75, citant Niboyet, in Traité de droit international privé, T. III, p. 227, n°929.
989
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 75.
990
P. Picone, op. cit., § 6.
991
Cf. supra § 152 et s.

307
fondements justifiant le recours à une telle théorie. C’est pourquoi conformément aux
objectifs du droit des conflits de lois, ils ont défendu l’unilatéralisme au regard du résultat
poursuivi, à savoir l’harmonie des solutions (a). Cependant, le choix d’une nouvelle aspiration
comme fondement de la théorie n’a pas suffi à écarter toutes les difficultés auxquelles est
confrontée la méthode (b).

a) La nouvelle aspiration de l’unilatéralisme : l’harmonie des solutions


645. L’avènement d’un unilatéralisme privatiste. Concurrencé par la méthode
bilatérale, l’unilatéralisme a été rangé « au rang de simple construction théorique »992 . En
effet, « sans rupture de continuité », le bilatéralisme a su, « limiter le conflit de souverainetés
des prémisses de la méthode de solution »993. Par conséquent, l’unilatéralisme, une fois cette
considération admise, a été contraint de trouver de nouveaux fondements à l’appui de sa
défense. Par conséquent la doctrine est passée d’un unilatéralisme publiciste à un
unilatéralisme privatiste.
646. Une méthode orientée par l’harmonie des solutions. Ainsi, « lorsque l’idée de
souveraineté appliquée au droit international privé a commencé à perdre de son crédit,
l’unilatéralisme a trouvé un meilleur appui dans le souci de respecter les prévisions des
parties, qui ont compté sur l’application d’un certain droit »994. Les tenants de l’unilatéralisme
ont alors soutenu que la théorie avait pour objectif « l’harmonie internationale des
solutions » 995 . L’unilatéralisme a donc « été présenté sous une forme autre » dont « la
directive fondamentale demeure la coordination des ordres juridiques, qui permet l’uniformité
et la continuité de la vie juridique des individus »996. Les reproches adressés à l’unilatéralisme
de l’Ancien Régime ont disparu avec cette nouvelle approche consistant à ranger au premier
rang les intérêts privés et à favoriser l’un des objectifs propres du droit des conflits de lois, à
savoir l’harmonisation des règles. Par conséquent, l’unilatéralisme pourrait désormais être
soutenu en tant que méthode du droit des conflits de lois. Néanmoins, si les aspirations
auxquelles tend la doctrine sont louables, celles-ci ne sont pas devenues effectives. « Une
démarche unilatéraliste consiste à ne fixer le champ d’application dans l’espace d’une loi
interne que d’après les règles de rattachement de son ordre juridique d’appartenance »997 .

992
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 94.
993
Ibid.
994
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 253.
995
Ibid.
996
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 171.
997
Ibid.

308
Cependant, si une telle méthode pourrait a priori favoriser l’harmonie des solutions
notamment grâce à la prévisibilité qu’elle procure, elle ne crée pas une parfaite homogénéité.
En effet, diverses faiblesses lui sont imputables.

b) Une nouvelle aspiration inatteignable en pratique


647. La lacune et le cumul propres à l’unilatéralisme. Quel que soit l’objectif
auquel aspire l’unilatéralisme, deux principaux obstacles s’y opposent en pratique. Ces
derniers, « identifiés depuis longtemps » sont « la lacune et le cumul » 998 . En effet,
l’unilatéralisme peut conduire à l’hypothèse de la lacune, c’est-à-dire qu’« aucune des lois
étrangères dont on recherche la volonté d’application n’accepte de s’appliquer »999. Il peut
également mener à l’hypothèse du cumul selon laquelle plusieurs lois se veulent applicables.
Que ce soit dans l’un ou l’autre cas, l’unilatéralisme ne conduit donc pas à une harmonie des
solutions. En effet, « une véritable harmonie n’est jamais atteinte que lorsqu’une loi et une
seule se veut applicable »1000.
648. L’harmonie des solutions remise en cause. Dans les deux hypothèses, la théorie
propre de l’unilatéralisme, consistant à se cantonner au champ d’application qu’une loi
s’assigne, sera dépassée. Dans le cas de la lacune, la solution est de procéder à « une
extension du champ d’application de la loi du for »1001, tandis que dans le cas du cumul, il
conviendra « de donner la préférence à sa propre loi lorsque celle-ci est en cause » 1002 .
Finalement, dans ces hypothèses, la méthode de l’unilatéralisme, telle qu’elle est entendue, est
écartée, ou du moins n’est pas respectée 1003 . Par conséquent, si la nouvelle aspiration de
l’unilatéralisme, l’harmonie des solutions, rend la doctrine plus légitime, elle ne résout donc
pas les difficultés issues de la méthode, lesquelles court-circuitent ce nouvel objectif. Même si
les fondements de l’unilatéralisme peuvent justifier le recours à cette méthode, sa mise en
œuvre l’en empêche. Pour autant, divers auteurs ont soutenu le recours à cette doctrine pour
construire le système de droit des conflits de lois.

998
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 253.
999
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 148.
1000
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 172.
1001
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 148.
1002
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 172.
1003
Voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 229, lesquels exposent que pou
résoudre ces conflits positifs et négatifs, de nombreuses solutions ont été proposées mais aucune d’elles n’est
« parfaitement cohérente avec les postulats théoriques de la méthode unilatéraliste, puisqu’elles aboutissent à
conférer au droit du for le soin de décider de l’applicabilité du droit étranger ».

309
B. LES QUELQUES RESISTANTS CONTEMPORAINS EN FAVEUR DE
L’UNILATERALISME

649. Malgré les faiblesses attribuées à l’unilatéralisme, certains auteurs ont tout de
même défendu cette doctrine, considérant qu’elle pourrait devenir le fondement d’un système
de droit des conflits de lois. D’une part, l’unilatéralisme a été défendu en France, par Niboyet,
sur le fondement d’une idéologie classique c’est-à-dire essentiellement territorialiste (1).
Cependant, après la remise en cause des conceptions souverainiste et territorialiste,
l’unilatéralisme a connu un regain de nouveauté grâce à Quadri en Italie, puis à Gothot en
France. Selon eux, la doctrine doit être pensée compte tenu des intérêts privés (2).

1) La défense de l’unilatéralisme classique au service du respect des souverainetés


650. L’unilatéralisme a été soutenu, notamment en droit français, par un auteur en
particulier au début du XXème siècle, Niboyet. Celui-ci a défendu cette doctrine considérant
son recours parfaitement justifié en droit des conflits de lois conformément au principe de
l’indépendance des souverainetés (a). Cependant, si sa théorie semble convaincante,
notamment en ce qu’elle permettrait la mise en place d’un système unifié, elle demeure
contestable. Elle doit être rejetée dans la mesure où elle est fondée sur une conception
contraire à la nature même du droit international privé (b).

a) Le recours à l’unilatéralisme justifié par l’indépendance des souverainetés


651. Une défense doctrinale à l’aune du conflit de souverainetés. Si la doctrine
unilatéraliste a connu peu de succès, elle a tout de même été défendue par Niboyet durant la
première moitié du XXème siècle. L’auteur est parti du postulat selon lequel « le droit
international privé n’est pas du droit privé » pour considérer que la réglementation des
institutions dans les rapports internationaux « appartient, dans tous les cas, à la discipline du
droit public » 1004 . Par conséquent, conformément aux origines de l’unilatéralisme, le
théoricien envisageait la discipline du droit des conflits de lois sur la base de considérations
publicistes. C’est pourquoi il a considéré que « les règles de solution des conflits sont toujours
de droit public » et ont « pour but de déterminer l’empire des lois en présence, de séparer les
pouvoirs souverains respectifs »1005. Le conflit de lois était donc traduit comme un conflit de

1004
J.-P. Niboyet, op. cit., § 56.
1005
Ibid., § 60.

310
souverainetés. Son unilatéralisme s’est alors forgé sur l’idée du respect des souverainetés
conformément à sa conception classique1006.
652. Une défense doctrinale en faveur du principe de territorialité. Afin de
respecter l’autorité souveraine de chaque Etat, il a usé de l’unilatéralisme pour considérer que
« notre loi peut statuer sur la compétence française, mais elle n’a aucune qualité pour le faire
au sujet de la compétence étrangère »1007. Par conséquent, son système consiste à ne prendre
en considération la règle de conflit française que lorsqu’elle désigne sa propre loi1008. Niboyet
a poursuivi son raisonnement en considérant que « dans chaque pays, les règles de solution
des conflits, dont l’objet est de fixer l’étendue de la souveraineté locale, sont essentiellement
territoriales »1009. De ce fait, « un juge français ne peut statuer sur l’étendue d’application de
la loi française qu’à la lumière des règles françaises de solution des conflits ; tandis
qu’inversement, le juge d’un pays étranger ne peut résoudre les conflits qui se présentent à lui,
au sujet de sa loi, qu’à la lumière, des règles de sa lex fori »1010. Toute sa doctrine est donc
élaborée autour du principe de territorialité et de l’idée de souverainisme1011.
653. Une défense doctrinale demeurée inadaptée à la nature de la discipline. En
considérant le conflit de lois comme un conflit de souverainetés, l’unilatéralisme de Niboyet
semble justifié. En partant du principe que les règles de solution de conflit de lois sont
encadrées par le respect des souverainetés de chaque Etat, celles-ci sont nécessairement
territoriales et ne peuvent donner compétence à une loi autre que la leur. A ce titre, la doctrine
de Niboyet est pertinente et défendable. Cependant, sa théorie se heurte à un obstacle
imposant, à savoir la nature du droit international privé. Effectivement, celle-ci est discutable
en ce qu’elle se fonde sur un postulat erroné c’est-à-dire en reconnaissant dans le conflit de
lois un conflit de souverainetés. Par conséquent, l’unilatéralisme de Niboyet est en opposition
avec l’esprit même de la discipline.

1006
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, 357-8 : « Selon les traits
saillants de sa pensée, le conflit de lois met en présence d’un conflit de souverainetés nationales ; la loi française
doit l’emporter en principe sur la loi étrangère devant les tribunaux ; la territorialité est la règle, l’extra-
territorialité l’exception ».
1007
J.-P. Niboyet, op. cit., Tome IV « La territorialité », § 1109.
1008
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 148.
1009
J.-P. Niboyet, op. cit., Tome IV « La territorialité », § 1109.
1010
Ibid.
1011
Voir en ce sens : Ph. Francescakis, « Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce
international », RCDIP 1975, p. 564 : « ce qui caractérise l’unilatéralisme de Niboyet, en particulier, ce n’est pas
seulement de préconiser la formulation de règles de conflit unilatérales, c’est en outre, de s’opposer à leur
bilatéralisation », « ainsi de ce que le statut personnel des Français est régi par la loi française, les unilatéralistes
se refusent à tirer la conclusion que le statut personnel des étrangers est régi par leur loi nationale ».

311
b) Le rejet de l’unilatéralisme classique contraire à la nature du droit international privé
654. Un système orienté essentiellement par le droit public. En envisageant le
conflit de lois comme conflit de souverainetés, Niboyet a considéré que les conflits s’élevant
au regard du droit international privé étaient en réalité intégralement liés à une idéologie
publiciste. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a pu étendre son raisonnement à celui du conflit de
juridictions en admettant que « seule la règle française de conflit peut déterminer la
compétence d’une autorité française », « puisque celle-ci ne saurait recevoir d’ordres, ni tenir
ses pouvoirs d’une souveraineté étrangère »1012. Par conséquent, comme l’a présenté Gothot,
la théorie de Niboyet consiste à penser que « chaque Etat indépendant et souverain va poser
ses règles de droit international privé en vue de réaliser le but social des lois qu’il édicte ;
mais aucun n’est là pour connaître, apprécier et assurer la réalisation du but social d’autres
lois que les siennes »1013. Finalement, la philosophie du théoricien repose sur des présupposés
publicistes. Or considérer les questions du droit international privé sous l’angle du droit
public est une erreur. C’est pourquoi les théories unilatéralistes, dont la conception du conflit
de lois était assimilée à celle d’un conflit de souverainetés, ont « été en grande partie et
justement pour cette raison mises en échec et dépassées par la version de la méthode classique
théorisée par Savigny »1014, à savoir le bilatéralisme.
655. Un système inconforme à la préservation des intérêts privés.
Vraisemblablement, l’obstacle qui réside dans la théorie de Niboyet tient à ne pas opérer de
distinction entre le droit public et le droit privé et à confondre leur domaine d’application.
Effectivement, « il faut distinguer soigneusement le problème du conflit de lois de celui de la
détermination du champ d’application dans l’espace des lois françaises ». Il convient de ne
pas omettre « la différence de nature » 1015 entre ces deux matières. D’une part, « le droit
public (…) organise des systèmes de règles dans l’intérêt direct de la société », et d’autre part,
« le droit privé intéresse la société de façon beaucoup plus médiate » c’est-à-dire
« indirectement à travers les intérêts particuliers »1016. En partant du propre de chacune de ses
disciplines, il n’est pas envisageable de construire le droit international privé sur des bases
identiques à celle du droit public, ou du droit international public, tout simplement
puisqu’elles n’ont pas la même nature, et donc le même objet. Le droit international privé, s’il

1012
J.-P. Niboyet, op. cit., Tome IV « La territorialité », § 1109.
1013
P. Gothot, I. A. « L’unilatéralisme dans la tradition statutaire », op. cit, p. 209 et s.
1014
P. Picone, op. cit., § 6.
1015
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 162.
1016
Ibid.

312
doit respecter les règles du droit public, doit être élaboré conformément à sa nature, à savoir
les intérêts privés. C’est pourquoi « si l’on admet systématiquement que le juge n’appliquera
jamais que sa propre loi, le conflit de lois ne se pose même pas »1017. Or, il est incontestable
que depuis l’Antiquité, les conflits de lois existent et se sont toujours développés tant avec le
déplacement des personnes que des biens.
656. Vers un unilatéralisme modernisé. L’unilatéralisme de Niboyet ne peut donc
être une doctrine qui sert favorablement la discipline du droit international privé dans la
mesure où elle est organisée au regard de concepts incompatibles1018. C’est pour cela que
« lorsque l’idée de souveraineté appliquée au droit international privé a commencé à perdre de
son crédit, l’unilatéralisme a trouvé un meilleur appui dans le souci de respecter les prévisions
des parties, qui ont compté sur l’application d’un certain droit »1019.

2) La proposition d’un système unilatéral universel protecteur des intérêts privés


657. A la suite de l’échec de l’unilatéralisme classique au regard de son fondement
souverainiste, s’est développée une nouvelle doctrine dont la conception est fondée
conformément à la nature et à l’objet du droit international privé, à savoir les intérêts des
particuliers (a). Malgré le mérite de cette doctrine de proposer un système orienté autour des
intérêts privés, celle-ci reste atteinte de divers maux, et notamment par la lacune et le cumul
(b).

a) Une doctrine fondée sur l’attente légitime des individus à l’égard de leur ordre
juridique personnel
658. L’exclusion du conflit de souverainetés. Au regard des critiques adressées à la
doctrine classique de l’unilatéralisme, il a fallu trouver à cette conception de nouveaux
fondements juridiques conformes à l’esprit du droit international privé. Il convenait donc
d’exclure toute référence aux conflits de souveraineté et de prendre en compte la nature même
de la discipline1020. En effet, comme l’a affirmé le Professeur Muir-Watt, « c’est (…) sur le
terrain des objectifs d’ordre privé assignés à tout système de solution, visant notamment à
assurer la continuité de la vie juridique des particuliers, que Quadri entendait justifier

1017
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 162.
1018
Voir en ce sens : Ph. Francescakis, « Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce
international », op. cit., p. 554, dans lequel l’auteur précise qu’« aucun pays au monde ne consacre, par sa
législation ou par sa jurisprudence, cette doctrine ».
1019
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 253.
1020
Cf. supra § 653 et 654.

313
l’unilatéralité de la règle de conflit »1021. Quadri est parti du postulat selon lequel « le droit
international privé, quelle que soit son acception, n’est que du droit interne » 1022 et,
abstraction faite du concept de souveraineté, entendait le conflit de lois comme le « désordre
créé dans la vie des particuliers, par la diversité des lois s’adressant à eux »1023. Il a considéré
que « l’indication des personnes, des biens, des faits ou des actes que la loi veut régler, forme
l’objet de la loi et contribue à sa définition même, mais ne concourt pas à fixer la souveraineté
du pouvoir qui l’édite »1024. Par conséquent, la règle de droit serait, selon lui, fonction d’« une
certaine réalité sociale et s’adresse toujours à des individus déterminés » lesquels sont en
« attente » face à « l’attitude de l’Etat »1025. « La conscience des individus d’appartenir à un
ordre déterminé » deviendrait le critère d’applicabilité de loi1026. Ainsi, « parce qu’(existerait)
cette double relation entre l’individu et la loi (…) s’(imposerait) le respect de cette norme,
sous peine de bouleverser l’équilibre de la vie en société »1027.
659. L’unilatéralisme commandé par l’attente légitime des parties. En reprenant la
doctrine unilatéraliste de Quadri, le curseur s’est déplacé puisque le fondement de la théorie
est l’attente légitime des individus à l’égard de leur situation, et cette attente correspond
nécessairement à l’application des règles de droit de l’ordre juridique auquel ils
appartiennent1028. De plus, comme l’a affirmé Gothot, défenseur de la théorie de Quadri, « la
conséquence en est que là où un seul commandement a été donné aux individus, le plus sûr
moyen de n’entraîner aucune perturbation est de respecter ce commandement, de n’appliquer
donc aucune autre loi que celle se voulant applicable, de le faire le plus exactement et le plus
fidèlement »1029. Il en ressort que la doctrine de Quadri s’inscrirait en toute conformité avec
l’objet du droit international privé à savoir les intérêts des particuliers, et, en sus, supprimerait
en réalité toute hypothèse de conflit en tant que telle. De surcroît, Gothot a démontré que « si
un législateur étatique édicte et pense une règle de droit international privé qui n’est pas

1021
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 94.
1022
R. Quadri, Ch. I. I. C, in Cours général de droit international public, T. 113, Académie de droit
international, Recueil des cours, 1964, pp. 239-483.
1023
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 95.
1024
P. Gothot, I. A. « L’unilatéralisme dans la tradition statutaire », op. cit., p. 209 et s.
1025
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 97.
1026
Ibid., citant R. Quadri, Lezioni di Diritto internazionale privato, 3ème éd., Naples, 1961, p. 149.
1027
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 99.
1028
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 31, laquelle expose notamment que « la doctrine unilatéraliste
contemporaine (Quadri, Gothot) justifie la méthode par des motifs plus sociologiques : : la norme étatique n’est
pas abstraite, au contraire elle vise un groupe social défini, en considération de ses spécificités (notamment
culturelles). Il serait donc légitime que le domaine d’application de la loi épouse les contours du groupe en
considérations duquel l’Etat a implicitement légiféré ».
1029
P. Gothot, I. A. « L’unilatéralisme dans la tradition statutaire », op. cit., p. 209 et s.

314
universelle comme si elle l’était, il en vient nécessairement à la comprendre et à l’interpréter
de manière en quelque sorte impérialiste », c’est-à-dire qu’« il la fait aboutir au particularisme
et au nationalisme le plus exacerbé »1030.
660. Un unilatéralisme a priori conforme à la nature de la discipline. Les tenants
de cette théorie parviennent donc à justifier le recours à l’unilatéralisme notamment en
exposant les raisons pour lesquelles le bilatéralisme devrait être exclu, le législateur interne ne
pouvant se substituer à un législateur supranational sans adopter une position impérialiste1031.
Il est indéniable que les justifications apportées à l’unilatéralisme ont le mérite de rendre de
nouveau cette doctrine défendable sur le plan du droit international privé. En effet, grâce à
Quadri, l’unilatéralisme pourrait conduire le droit international privé et spécifiquement le
droit des conflit de lois à être établi uniquement au regard des intérêts privés, voire même à
supprimer toute hypothèse de conflit. La problématique demeure alors de savoir si le système
de droit des conflits de lois pourrait tendre à l’universalité.

b) L’échec récurrent de l’unilatéralisme au regard de ses faiblesses insurmontables


661. La persistance de la lacune et du cumul. Si l’unilatéralisme nouveau prôné par
Quadri et Gothot paraît à même de répondre aux conflits que suscitent le conflit de lois, voire
même semble créer un système universel de droit international privé, la pratique en est
autrement. En effet demeurent deux problèmes que sont la lacune et le cumul1032. Le système
unilatéraliste proposé par Quadri ne conduit pas à évincer ces deux obstacles propres à la
doctrine unilatéraliste. C’est pourquoi Quadri s’est proposé de les résoudre. D’une part, à
propos du cumul, il a estimé que s’appliquerait la loi « dont l’effectivité est la plus grande au
regard des circonstances concrètes », mais dans le cas où « l’une des lois en présence est celle
du for, le conflit (…) se résout en faveur de cette dernière »1033. D’autre part, à propos de la
lacune, Quadri s’étant abstenu à ce sujet, Gothot a proposé d’étendre le domaine d’application

1030
P. Gothot, I. A. « L’unilatéralisme dans la tradition statutaire », op. cit., p. 209 et s.
1031
Pour aller plus loin, voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 228 : « La
méthode unilatéraliste se veut plus respectueuse de la cohérence des ordres juridiques. Elle présume qu’il y a un
lien entre les normes matérielles d’un système juridique et les règles de droit international privé relatives à leur
extension dans les relations internationales. Comme il appartient au législateur de définir les faits et les
personnes auxquels s’applique sa loi, il lui appartiendrait de définir les conditions d’application internationale de
celle-ci. La foi en un tel lien présuppose que la loi est façonnée en fonction de ses destinataires (nationaux ou
étrangers, résidents ou non), lesquels en retour nourrissent des attentes sur son applicabilité. C’est la dimension
sociologique des rapports de droit, dimension qui se manifeste aussi bien en droit interne qu’en droit
international privé ».
1032
Cf. supra § 646.
1033
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 101.

315
d’une loi au-delà des cas qu’elle envisage et ceci conformément à l’intérêt des parties1034. Par
conséquent, « la loi qui sera ainsi étendue à l’espèce soit celle dont les parties ont elles-mêmes
envisagé l’application »1035.
662. Des problèmes solutionnés par le bilatéralisme. Ainsi, les auteurs, conscients
des défauts imputables à leur doctrine, ont proposé des solutions pour résoudre ces difficultés.
Cependant, en s’attardant sur les propositions faites par ces auteurs, chacune d’elles s’inspire
de la doctrine bilatéraliste indirectement. En effet, la loi qui va être appliquée est fonction de
critères de localisation, que ceux-là soient subjectifs ou objectifs, mais en aucun cas, la loi qui
sera appliquée, dans ces hypothèses, ne sera nécessairement la loi du for. Ceci démontre bien
que le système de droit des conflits de lois tendra toujours à prendre en compte la localisation
du rapport de droit, lequel ne peut être traité qu’au regard d’une idéologie bilatéraliste.
663. Le mérité d’une doctrine fondée en faveur des intérêts privés. Néanmoins, si
la doctrine unilatéraliste de Quadri reste contestable sur le plan pratique, elle demeure
pertinente d’un point de vue purement théorique, principalement au regard du fondement sur
lequel elle est basée. En effet, il paraît judicieux de considérer le droit international privé et
plus particulièrement le droit des conflits de lois sous l’angle des intérêts privés et notamment
de l’attente légitime des parties. Il conviendrait donc de proposer un système bilatéral fondé
sur une conception purement privatiste. C’est pourquoi les règles de rattachement devraient
être fonction des intérêts des particuliers, c’est-à-dire, comme l’a affirmé Arminjon, inspirées
« des vues de justice et d’utilité qui justifient toutes les dispositions du droit », et viser « à
protéger la liberté des parties, à rendre leur activité plus aisée et plus efficace, à faciliter leurs
transactions, à ne pas déjouer leurs prévisions, tout en défendant les droits des tiers »1036.
664. L’introduction fragmentaire de l’unilatéralisme en droit positif. En outre, si
l’unilatéralisme est nouvellement envisagé conformément à la nature du droit international
privé, et spécialement du droit des conflits de lois, il n’a su s’imposer que de manière
fragmentaire en droit positif notamment en raison des faiblesses qui lui sont imputables.

§ 2 – L’INFLUENCE INDIRECTE DE L’UNILATERALISME EN DROIT POSITIF


665. Si l’unilatéralisme doit être rejeté en théorie, il l’a quasiment été en pratique. Le
droit des conflits de lois a opté davantage pour une philosophie bilatéraliste conduisant à un

1034
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 102.
1035
Ibid.
1036
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 91.

316
succès relativement très faible de l’unilatéralisme en termes de règles de conflit (A).
Néanmoins, si l’unilatéralisme n’a pas été consacré strictement, il a tout de même réussi à
influencer certains mécanismes ou certaines règles particulières en droit des conflits de
lois (B).

A. LE FAIBLE SUCCES DE L’UNILATERALISME EN DROIT POSITIF


666. Il est considéré qu’« une règle de conflit est de forme unilatérale lorsqu’elle
délimite le champ d’application de la seule loi du for ». Partant de cette définition technique
de l’unilatéralisme, les règles unilatérales en droit des conflits de lois sont de faible
importance en pratique (1). Néanmoins, ceci est justifié par la difficulté de mise en œuvre
qu’elles présentent (2).

1) La maigre proportion de règles unilatérales


667. Si l’unilatéralisme a su s’imposer en théorie, tel n’a pas été le cas en pratique. Au
regard des sources du droit positives, il n’existe que quelques règles unilatérales en droit
international privé national (a), et aucune en droit international privé supranational (b).

a) Les quelques règles unilatérales de droit international privé interne


668. Les règles unilatérales bilatéralisées. En pratique, il apparaît que « les
conceptions unilatérales de conflit ne se sont pas (…) affirmées avec un caractère de
généralité »1037. Néanmoins, l’unilatéralisme a intégré certaines règles de conflit de source
interne. En droit international privé français, les premières règles de conflit étaient
unilatérales. Le Code civil français, en son article 3, prévoit que « les immeubles, même ceux
possédés par des étrangers, sont régis par la loi française » et que « les lois concernant l’état et
la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ».
Cependant, si en apparence, l’unilatéralisme semble avoir été le fondement de ces règles, tel
n’est pas le cas. En réalité, il ne s’agit que de « formulations unilatérales » puisque « celles-ci
ont été appliquées bilatéralement » 1038 . Comme l’ont expliqué Batiffol et le Professeur
Lagarde, tant au regard du code civil français que du BGB allemand, « les juges ont eu le
sentiment que le conflit de deux lois étrangères de droit privé (…) est un problème

1037
P. Picone, op. cit., § 6.
1038
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 253.

317
suffisamment homogène au conflit de la loi française et d’une loi étrangère pour qu’il puisse
être résolu par les mêmes règles »1039.
669. La quasi-inexistence de règles unilatérales non bilatéralisables. Ainsi, sont
seules unilatérales, les règles qui ne peuvent être bilatéralisées c’est-à-dire qui n’ont pas une
fonction de « désignation des lois étrangères » 1040 . Effectivement, « une règle est (…)
véritablement unilatérale lorsque son auteur a indiqué qu’elle ne devait pas être bilatéralisée
ou lorsqu’elle est techniquement insusceptible de l’être »1041. En application de cette stricte
définition technique des règles unilatérales, il apparaît que presqu’aucune règle n’est
unilatérale en tant que telle. En droit français, l’exemple classique de ce type de règle se
trouve à l’article 310 du Code civil, lequel prévoit que « le divorce et la séparation de corps
sont régis par la loi française : lorsque (…) »1042. Il s’agit de l’un des seuls cas dans lequel le
législateur a prévu expressément que seule la loi française serait applicable dans telle ou telle
hypothèse1043. La formulation retenue par le législateur met nécessairement en échec toute
tentative de bilatéralisation et participe d’une politique « particulariste et nationaliste »1044. De
plus, « l’article 309 s’efface au profit du règlement (UE) n°1259/2010 » faisant pour partie

1039
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 253.
1040
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 175.
1041
Ibid.
1042
Voir en ce sens : Y. Loussouarn, « L’évolution de la règle de conflit de lois », TCFDIP, H.-S., 1988, spéc. p.
90 : « Ce texte est tout entier animé de l'esprit unilatéraliste. Cet esprit se manifeste déjà dans les alinéas 1 et 2
en ce sens que non seulement ces dispositions ne prévoient que l'application de la loi française, mais aussi parce
qu'elles sont impossibles à bilatéraliser, toute tentative en ce sens conduisant à un télescopage entre elles. Mais
surtout l'alinéa 3 est l'expression pure et simple de l'unilatéralisme puisqu'il fonde l'application de la loi étrangère
sur le fait qu'elle se veuille compétente et qu'il cherche à résoudre par le retour à la loi française, loi du for, l'un
des deux problèmes fondamentaux que soulève l'unilatéralisme : celui de l'impasse (aucune des lois étrangères
ne se reconnaît compétence), mais il laisse intact l'obstacle qui surgit en cas de cumul (plusieurs lois étrangères
se reconnaissent compétence). Une telle carence signe sa condamnation en même temps que celle de
l'unilatéralisme qui le supporte ».
1043
Voir en ce sens : Ph. Francescakis, « Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce
international », op. cit., p. 554, dans lequel l’auteur affirme, qu’à l’époque de l’élaboration du texte : « la
systématisation législative du droit international privé ne fut en fait jamais ressentie en France comme une
nécessité ».
1044
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 115 : « En vertu de ce texte, celle-ci est applicable lorsque les deux
époux sont de nationalité française ou sont tous deux domiciliés en France, peu important alors qu’ils aient ou
non une nationalité commune étrangère. Le but n’est plus de soumettre à la loi française des familles en fait
françaises, mais de permettre à des couples étrangers vivant en France d’y divorcer « à la française ». Le résultat
en est une règle de droit international privé particulariste et nationaliste qui se situe aux antipodes des objectifs
poursuivis par le paradigme conflictuel et qui réduit à rien la voie savante en la matière ».

318
perdre à l’article 309 du Code civil son effectivité1045. Finalement, en droit international privé
français, il n’existe que de très rares règles purement unilatérales. Or, ce phénomène s’étend
aux règles de droit international supranationales.

b) L’absence de règles unilatérales en droit international privé supranational


670. L’absence de règles unilatérales supranationales. En droit international privé
supranational, notamment européen, il n’existe pas de règles véritablement unilatérales. En
effet, aucune règle de conflit européenne ne prévoit que dans telle catégorie de rattachement,
sera applicable « la loi européenne ». Chaque règle de conflit européenne retient simplement
un rattachement bilatéral, ou à l’échelle supranationale, la méthode matérielle.
671. Un unilatéralisme européen uniquement politique. Une partie de la doctrine,
notamment Monsieur Boden, ou encore Monsieur Lefranc, soutient pourtant que le droit
communautaire dérivé, c’est-à-dire notamment les règlements européens, obéissent à la
méthode unilatéraliste 1046 . Le raisonnement serait celui d’un unilatéralisme non plus
technique, mais politique consistant à considérer que le droit communautaire dérivé, bien que
formulé par des règles bilatérales, ait une vocation unilatérale politique. Ce type
d’unilatéralisme « conduit à se désintéresser de la loi étrangère » notamment « en restreignant
l’application des lois tierces »1047. Ainsi, « la Communauté », ou plutôt, aujourd’hui l’Union
européenne, « adopte un certain exclusivisme juridique », puisque « le droit communautaire
se préoccupe seulement de déterminer sa propre applicabilité dans l’espace, sans avoir à se
soucier de celle d’autres ordres juridiques concurrents ». Or, il est vrai qu’il serait
parfaitement possible de considérer que dans la mesure où le droit européen dérivé ne se
concentre que sur l’applicabilité de son propre droit, il conduit à admettre un certain
unilatéralisme. Toutefois, il ne faut pas confondre applicabilité et méthode. Le droit européen
dérivé ne se soucie que de l’applicabilité de son propre droit c’est-à-dire de ses propres règles
de conflit. Cela ne signifie aucunement qu’il s’agisse d’unilatéralisme. L’unilatéralisme
concerne la méthode par laquelle est construite une règle de conflit en tant que telle. Les

1045
O. Cachard, op. cit., § 321, lequel poursuit en précisant les quelques règles unilatérales françaises : « De
même, l’article 311-15 du Code civil soumettant les effets de la possession d’état en France à la loi française ne
saurait être bilatéralisé. Enfin, l’article 16 de la loi du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport
maritime, abrogé à l’occasion de la publication du Code des transports, était également inspiré par la méthode
unilatérale en soumettant à la loi française les transports au départ ou à destination d’un port français quand ils
ne relevaient pas d’une convention internationale ».
1046
D. Boden, « S. Francq, L’applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit
international privé », RCDIP 2006, p. 264.
1047
D. Lefranc, « La spécificité des règles de conflit de lois en droit communautaire dérivé », RCDIP 2005, p.
413.

319
règles de conflit européennes sont aujourd’hui toutes construites sur une méthode bilatérale.
Aucune règle unilatérale ne figure dans les textes et notamment les textes européens.
L’applicabilité des sources européennes ne peut donc se confondre avec l’unilatéralisme. Il ne
s’agit là que d’une détermination dans l’espace du champ d’application d’une source de droit.
Le même raisonnement serait sinon imputable à toute source de droit. Chaque source de droit,
en termes d’applicabilité, doit déterminer son champ d’application spatial, ce qui ne conduit
pas à considérer qu’il s’agisse d’unilatéralisme au sens technique du terme. En définitive, le
droit international privé de source supranationale ne connaît pas de règles unilatérales au sens
strict. Ainsi en l’absence de règles unilatérales, il est confirmé que ce système ne convient pas
au droit international privé. En effet, ce résultat se justifie principalement en raison de la
difficulté de mise en œuvre de telles règles.

2) Le difficile recours aux règles unilatérales


672. Hormis la rareté des règles unilatérales en pratique, cette méthode est tout
simplement, difficile à mettre en œuvre. En effet, la méthode unilatérale, en comparaison à la
méthode bilatérale, introduit trop de complexité pour justifier son utilisation en droit
international privé de source interne (a). De surcroît, elle est impossible à mettre en œuvre en
droit international privé de source supranationale (b).

a) Le recours plus aisé à la méthode bilatérale en droit international privé interne


673. La doctrine unilatérale en principe exempte de tout bilatéralisme.
L’unilatéralisme technique s’entend de « la répudiation de toute bilatéralisation des règles de
conflit fondée sur un raisonnement analogique, et en la désignation de la loi étrangère
applicable par un procédé différent »1048. Par conséquent, au regard des législations internes
de droit international privé, il paraît difficile de mettre en œuvre cette conception et ceci pour
deux raisons.
674. Le recours nécessaire au bilatéralisme pour les situations étrangères au for.
Premièrement, la question se pose de savoir, si l’on retient un système de règles unilatérales,
comment déterminer la loi applicable à une situation totalement étrangère au territoire du for.
La doctrine unilatéraliste, et notamment Gothot propose alors d’appliquer « la loi qui a elle-
même inclus dans son champ d’application les faits ou actes ayant entraîné le rapport qu’il
s’agit de juger » c’est-à-dire que l’application de la loi étrangère serait fondée sur sa « volonté

1048
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 147.

320
d’application »1049. Le reste de la doctrine a simplement proposé de bilatéraliser les règles
unilatérales, ce qu’a effectivement fait la jurisprudence notamment à l’égard de l’article 3 du
Code civil. Or, si la méthode bilatérale l’a emporté sur la méthode unilatérale, c’est
simplement à raison du fait qu’elle permet de surmonter les obstacles imputables à la méthode
unilatérale, à savoir la lacune et le cumul. En effet, malgré les solutions proposées par les
tenants de l’unilatéralisme, celles-ci ne permettent tout de même pas de surmonter ces
obstacles 1050 . Par conséquent, cette première raison peut sembler suffisante pour ne pas
recourir à l’unilatéralisme en pratique.
675. Le recours à la loi du for rarement indispensable. Deuxièmement,
l’unilatéralisme technique suppose que le législateur ait la volonté d’empêcher toute
bilatéralisation des règles de conflit qu’il a mises en place. Ainsi, lorsque des règles
unilatérales ont été prévues par le législateur, « l’adoption de règles de rattachements non
bilatéralisables répond à la volonté du législateur d’étendre le domaine d’application de sa loi
au détriment des lois étrangères ». Par conséquent, lorsque le législateur souhaite intégrer une
règle unilatérale à sa législation, il le fait dans l’optique d’imposer la loi du for à tel ou tel
domaine d’application. Or, il apparaît peu de cas dans lesquels le législateur a recouru à ce
type de règles puisqu’il existe peu d’hypothèses pour lesquelles il soit nécessaire de recourir à
une telle méthode.
676. L’impérativité de la loi du for assurée par les mécanismes exceptionnels. De
plus, lorsque le législateur souhaite imposer sa propre législation, il n’a pas réellement besoin
de le prévoir via une méthode unilatérale puisque d’une part, les lois de police permettent à la
loi française de s’appliquer immédiatement dès lors que celle-ci a vocation à protéger les
intérêts économiques, politiques, sociaux de l’ordre juridique français, et d’autre part, l’ordre
public international permet de substituer la loi française à la loi étrangère chaque fois que les
dispositions matérielles de cette dernière paraissent choquantes à l’égard de l’ordre juridique
français. Finalement, il n’est pas utile de recourir à la méthode unilatérale puisque les
mécanismes d’exception du droit des conflits de lois peuvent assurer la même fonction. Cette
deuxième raison semble justifier également le rejet d’une telle méthode sur le plan pratique en
droit interne. Or, une autre explication est imputable à l’éviction de la méthode unilatérale,
mais cette fois-ci à l’échelle supranationale.

1049
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 147.
1050
Ibid.

321
b) L’impossible emploi de la méthode unilatérale à l’échelle supranationale
677. L’échec de l’unilatéralisme en l’absence d’une loi européenne. Si la méthode
unilatérale est difficilement praticable en droit international privé de source interne, elle l’est
davantage en droit international privé de source supranationale. En prenant l’exemple de
l’Union européenne, on peut considérer que la méthode unilatérale lui est inapplicable. En
effet, pour avoir recours à l’unilatéralisme technique à l’échelle européenne, il faudrait que les
règles de conflit, prévues par les règlements européens, désignent la loi européenne, puisqu’il
s’agit bien de déterminer le champ d’application de la loi du for. Or, l’Union européenne ne
peut se doter d’une telle méthode puisqu’il n’existe pas de loi européenne en tant que telle, et
que l’entité juridique qu’elle constitue reste encore aujourd’hui discutée. Si l’Union
européenne proposait un système juridique commun à tous les Etats membres, alors il serait
possible de parler de loi européenne. En réalité, si un jour une telle hypothèse se produit, le
système juridique mis en place proposera sans doute des règles matérielles directement
applicables aux Etats membres, lesquels ne connaîtront plus de conflit de lois intra-européen.
678. Le rejet de l’unilatéralisme en tant que système. En d’autres termes, en s’en
tenant à la définition stricte de l’unilatéralisme, il n’est pas possible, sur un plan pratique de
recourir à une telle méthode. Il apparaît qu’il ne s’agit pas d’une méthode globale permettant
une véritable universalisation aboutissant à un traitement égalitaire des sujets de droit, malgré
qu’elle puisse être orientée en faveur des intérêts privés. C’est pourquoi il est préférable de
recourir à la méthode bilatérale. Néanmoins, l’unilatéralisme, lorsqu’il n’est plus entendu
dans son sens strict, a pu constituer une source d’inspiration pour certaines règles propres au
droit des conflits de lois.

B. LE SUCCES TACITE DE L’UNILATERALISME


679. Si l’unilatéralisme a été un échec en pratique au regard de la mise en place de
règles unilatérales strictes, il a, en revanche, réussi à s’immiscer indirectement et
implicitement dans le système de droit des conflits de lois. Effectivement, d’une part,
l’unilatéralisme s’est illustré au travers du mécanisme des lois de police (1) et d’autre part au
regard de règles de conflit à caractère substantiel (2).

1) L’unilatéralisme implicite issu des lois de police


680. L’unilatéralisme, n’existant que peu, voire pas, en termes de règles de conflit, a
tout de même réussi à inspirer certaines règles spécifiques au droit des conflits de lois que
sont les lois de police (a). De cette façon, le droit des conflits de lois peut se prévaloir d’un
unilatéralisme modéré au service des intérêts privés (b).

322
a) L’illustration de règles unilatérales au travers des lois de police
681. Les lois de police comme règles unilatérales. En droit international privé, il est
classiquement admis le recours au mécanisme d’exception des lois de police. Dès lors que
dans un litige international, une loi de police a vocation à s’appliquer, celle-ci joue
immédiatement c’est-à-dire sans même rechercher la loi applicable conformément à la règle
de conflit de lois qui régit la situation. Par conséquent, ce type de loi peut s’analyser comme
une règle unilatérale qui serait d’application immédiate par rapport aux règles de rattachement
bilatérales, classiquement aptes à régir la situation1051.
682. Des lois internes d’application territoriales. En effet, les lois de police
appellent deux remarques. Tout d’abord, les lois de police sont « d’application territoriale »
c’est-à-dire que leur « application n’est assurée que de la part des autorités de l’Etat qui
l’édicte » ; et « le critère qui déclenche son application est lié au but qu’elle poursuit, et qu’il
convient (…) d’identifier pour chacune » 1052 . Par conséquent, dès lors qu’un point de
rattachement se présente avec un ordre juridique, les dispositions matérielles de cet ordre
juridique, si elles sont considérées comme lois de police, auront vocation à s’appliquer
immédiatement. Or, cette vocation territoriale n’est pas sans rappeler les fondements
classiques de la doctrine unilatéraliste. Comme l’a affirmé Niboyet, « la loi de police est une
loi territoriale évidemment », notamment parce qu’elle a « pour but de réglementer des faits
intéressants le territoire français »1053. De plus, ces lois s’identifient au regard des intérêts
qu’elles protègent, lesquels sont principalement des intérêts publics. Selon Francescakis, il
s’agirait « des lois dont l’observation est nécessaire à la sauvegarde de l’organisation
politique, sociale et économique du pays »1054. Par conséquent, au-delà d’être territoriales, les
lois de police ont vocation à assurer les intérêts de l’Etat, elles sont donc fonction de la
politique législative de chaque Etat. Ainsi, dans la mesure où « le rôle de la politique
législative » est « insensible dans la détermination de l’applicabilité des lois ordinaires de
droit privé selon la démarche savignienne », elle « est au contraire un élément décisif de la
caractérisation de la loi de police comme de la détermination de ses critères d’efficacité dans

1051
P. Lalive, S. II « Comparaisons entre les méthodes », in « Tendances et méthodes en droit international
privé : cours général », RCADI, 1977, vol. n°155, spéc. p. 135, citant Francescakis.
1052
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 180.
1053
J.-P. Niboyet, op. cit., Tome IV, § 1110 et 1111.
1054
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 178, citant Francescakis.

323
l’espace »1055. Ainsi, les fondements classiques de la doctrine unilatérale se retrouvent dans le
mécanisme des lois de police.
683. Une démarche unilatérale exempte de bilatéralisme. De plus, les lois de police
traduisent une véritable intégration de l’idéologie unilatéraliste parce qu’elles conduisent à
exclure tout bilatéralisme. En effet, lorsqu’une loi de police est applicable, « la méthode
bilatéraliste est mise à l’écart » puisqu’« au lieu de partir de la relation juridique pour
déterminer la loi applicable, le juge déclare applicable la disposition considérée en fonction de
ce qu’il estime être son but et sa volonté d’application »1056. Par conséquent, « la démarche est
typiquement unilatéraliste »1057.
684. Une intégration incontestée de l’unilatéralisme en droit des conflits de lois.
Finalement, le mécanisme des lois de police est celui qui a permis d’intégrer, à côté d’une
méthode classique bilatérale, une démarche proprement unilatérale. D’ailleurs, ce mécanisme
d’exception, originellement reconnu par le droit international privé interne, est également
admis en droit international privé conventionnel, notamment dans les règlements
européens 1058 . La pratique reconnaît donc l’idéologie de l’unilatéralisme au travers de ce
mécanisme. Ainsi, le droit des conflits de lois a su intégrer un unilatéralisme modéré à son
système de façon à préserver, à titre complémentaire, les intérêts privés.

b) Le recours à un unilatéralisme modéré en faveur des intérêts privés


685. Des lois protectrices des intérêts privés. Intégrer les fondements classiques de
l’unilatéralisme pour justifier le recours aux lois de police peut sembler inapproprié dans la
mesure où ils s’apparentent au souverainisme. En effet, le droit international privé a vocation
à traiter des intérêts privés, et non des intérêts de l’Etat. Par conséquent, les intérêts des
particuliers devraient être garantis en priorité. Néanmoins, il faut relativiser le propos. Dans la
mesure où les lois de police sont essentiellement fonction de la politique législative d’un Etat,
celles-ci peuvent être celles qui encadrent les intérêts privés. C’est notamment le cas par
exemple des lois françaises relatives au consommateur. Elles sont considérées comme des lois
de police parce qu’elles protègent l’intérêt du consommateur. La critique doit donc être
nuancée, même s’il n’en demeure pas moins que ce mécanisme peut constituer un obstacle à

1055
P. de Vareilles-Sommières, « Lois de police et politiques législatives », RCDIP 2011, p. 207.
1056
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 178.
1057
Ibid.
1058
Voir en ce sens : art. 9 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008
sur la loi applicable aux obligations contractuelles, Rome I.

324
l’harmonisation du système, notamment eu égard aux défauts qui lui sont imputables
principalement en termes d’identification1059.
686. Des dispositions unilatérales complémentaires à la discipline. Toutefois si le
mécanisme des lois de police est l’objet d’une politique législative étatique, il constitue un
outil complémentaire au droit international privé dont le régime, s’il était mieux encadré par
le droit positif, pourrait permettre de conserver une harmonie des solutions voire même de
permettre un traitement égalitaire des sujets de droit 1060 , malgré le caractère national et
exceptionnel de ces lois. C’est pourquoi dans la mesure où l’unilatéralisme ne peut conduire à
édifier un système de droit des conflits de lois global, il est préférable qu’il se traduise sous
cette forme dans la mesure où il peut effectivement participer, sous l’impulsion d’une
politique législative interne, à la préservation des intérêts privés1061. Ainsi, l’unilatéralisme a
pu pénétrer la discipline du droit des conflits de lois au travers des lois de police sans qu’il
soit nécessaire d’en contester le recours au regard du rôle complémentaire que ces lois
peuvent assurer. Néanmoins, l’unilatéralisme semble s’être également intégré dans cette
discipline au travers de règles substantielles, lesquelles sont cette fois-ci nettement plus
contestable en termes de respect des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement.

2) L’unilatéralisme au travers des règles de conflit de nature substantielle


687. Plus que les dispositions matérielles nationales, l’unilatéralisme s’est poursuivi
indirectement dans l’élaboration de certaines règles de conflit lesquelles sont qualifiées de
substantielles (a). Le recours à une philosophie unilatéraliste au regard de règles de conflit
consiste vraisemblablement à prendre en compte le but social de la loi ou du moins sa finalité,
ce qui est discutable au regard de la mise en place d’un système universel de droit
international privé (b).

a) La démarche unilatéraliste engendrée par le substantialisme


688. Les règles de conflit à caractère substantiel. En parallèle des lois de police,
certaines règles de conflit contiennent elles-mêmes des dispositions à finalité matérielle.
Ainsi, pour reprendre l’exemple donné par les Professeurs Bernard Audit et d’Avout,
traditionnellement, la forme du mariage est régie par la loi du lieu de célébration1062. Pour
autant, le Code civil, en son article 170, impose « aux Français se mariant à l’étranger de faire

1059
Cf. infra § 1191 et s.
1060
Cf. infra § 1199 et s.
1061
Cf. supra § 657, 657 et 658.
1062
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 176.

325
précéder leur union de la publication » des bans en France1063. Par conséquent, la règle de
conflit, à savoir la lex loci celebrationis est assortie « d’une précision fixant son champ
d’application dans l’espace » ; ainsi « la norme est auto-limitée »1064.
689. Une démarche nationaliste. Le recours, en droit international privé interne, à ces
« règles substantielles auto-limitées » ne s’assimilent pas à des lois de police puisque la règle
de conflit n’est pas évincée par l’application de cette norme, mais la démarche unilatéraliste
est présente. En effet, l’application de la règle de conflit est encadrée par les règles de l’ordre
juridique du for dont dépend le national de cet Etat. Ainsi, le critère de la démarche n’est plus
territorial, comme il l’est avec les lois de police, mais devient national pour suivre les
nationaux dans leurs déplacements. C’est ainsi que le droit des conflits de lois consacre
indirectement, une nouvelle fois, la méthode unilatérale au travers de quelques règles
substantielles « auto-limitées » en droit international privé interne. En outre, le raisonnement
pourrait potentiellement être étendu au droit international privé conventionnel et notamment
européen. En consultant le droit dérivé européen, qu’il s’agisse de directives ou de
règlements, il apparaît que la démarche unilatéraliste est aussi adoptée par l’Union
européenne.
690. Une démarche étendue à l’Europe. Au regard des différents textes européens, il
est établi que « les règles (européennes) de conflit de lois issues du droit privé ont une finalité
matérielle manifeste, parce qu’elles cherchent à garantir aux sujets un certain niveau de
protection » et « à éradiquer toute entrave » à la libre circulation qui constitue la « seconde
finalité matérielle » des règles de conflit européennes1065. Par conséquent, il ne s’agit plus de
règles « auto-limitées » mais de règles de conflit purement et simplement substantielles. Or,
ces règles sont contenues soit par des directives, constitutives de dispositions matérielles en
tant que telles, soit par des règlements, constitutifs de règles de conflits. Quelle que soit
l’hypothèse, l’objectif est le même, c’est-à-dire garantir à tous les sujets de droit européens la
politique de l’Union européenne. En effet, l’intégration d’un objectif substantiel peut être
considérée comme une démarche unilatéraliste puisqu’il est question d’obtenir un résultat
conforme à l’idéologie d’un ordre juridique donné. Il s’agit désormais de penser la démarche
unilatéraliste à l’échelle de l’ordre juridique européen, et non plus de chacun de ses Etats
membres. Finalement, l’unilatéralisme s’est imposé au travers de ces règles à caractère

1063
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 176.
1064
Ibid.
1065
D. Lefranc, op. cit., p. 413.

326
substantiel tant à l’échelle nationale que régionale. Toutefois, en termes d’universalisation, il
semble que cette méthode soit parfaitement discutable.

b) Le substantialisme contraire à l’universalisme de la méthode


691. Des règles de conflit fonction d’un but social. Donner à une règle de conflit un
résultat à atteindre, ou l’accompagner d’un résultat à atteindre conduit à considérer que
chaque règle propre au droit des conflits de lois aurait un objectif à remplir. Il s’agit en réalité
des thèses préconisées par Niboyet et Pillet selon lesquelles, une loi ne peut être conçue « sans
un résultat à atteindre », et c’est pourquoi « l’autorité compétente n’édicte une loi qu’en vertu
d’une certaine fin qu’elle se proposait »1066. Ils ont pu expliquer que « cette fin, il faut que
dans les rapports internationaux, comme dans les rapports nationaux, on puisse la réaliser,
sinon le but social de la loi ne sera pas atteint »1067. Par conséquent, l’adoption de règles en
droit des conflits de lois consisterait, implicitement et nécessairement, en la réalisation d’une
finalité choisie par le législateur. De la même façon, pourrait être fait un parallèle avec la
théorie de Currie1068 selon laquelle une loi n’a vocation à s’appliquer que si elle présente des
points de contact avec un Etat qui a un intérêt dans l’application de la politique prônée par
cette dite loi au regard de ses dispositions matérielles.
692. L’exclusion du substantialisme nécessaire à l’universalisation du système. Or
si ces doctrines prônent des règles de conflit à caractère substantiel, il ne faut pas oublier que
tout matérialisme est contraire à une méthode neutre du droit des conflits de lois dont l’objet
consiste à localiser un rapport de droit objectivement pour déterminer la compétence des lois
en conflit. Par conséquent, l’intégration de ces règles à caractère substantiel en droit positif
favorise nécessairement le cloisonnement des systèmes puisque le résultat est fonction d’une
politique matérielle à laquelle certains Etats adhèrent, mais surtout à laquelle certains Etats
n’accepteront jamais d’adhérer. Ainsi, si l’unilatéralisme peut s’illustrer au travers du
mécanisme exceptionnel des lois de police, il ne devrait s’en tenir qu’à cela. En effet, tout
substantialisme doit être rejeté par les règles de conflit afin de permettre une globalisation du
système et conséquemment une égalité de traitement. C’est pourquoi seul le bilatéralisme
semble être capable de répondre à cette exigence.

1066
J.-P. Niboyet et A. Pillet, op. cit., § 291.
1067
Ibid.
1068
Cf. supra § 213.

327
SOUS-SECTION 2 : LA METHODE BILATERALE COMME UNIQUE REPONSE A
L’UNIVERSALISATION DU DROIT

693. Le bilatéralisme est la méthode conflictuelle par laquelle la règle de conflit


désigne indifféremment la loi du for ou la loi étrangère. Cette méthode a été théorisée au
XIXème siècle par l’auteur allemand Savigny1069. Sa pensée a connu un succès incontestable,
et a, par conséquent, été consacrée pour faire du bilatéralisme le fondement de toute méthode
en droit des conflits de lois (§ 1). De plus, à la suite de la reconnaissance théorique du
bilatéralisme, celui-ci a intégré le droit positif, pour devenir la méthode en droit des conflits
de lois contemporain. Néanmoins, malgré les nettes qualités que reflète cette doctrine, elle
demeure inachevée au regard des objectifs que doit atteindre la discipline (§ 2).

§ 1 – LA CONSECRATION DU BILATERALISME EN TANT QUE METHODE UNIVERSELLE


694. L’imputabilité de la doctrine bilatéraliste est classiquement attribuée au romaniste
allemand Savigny1070. Le raisonnement du théoricien consistait à recourir à un système de
conflit fondé sur une méthode bilatérale laquelle constituerait, ou plutôt constitue, une
méthode universelle et objective (A). C’est pourquoi la méthode bilatérale savignienne est
depuis devenue le principe fondateur de tout système de droit des conflits de lois garant des
objectifs qui lui sont inhérents, à savoir la neutralité et l’égalité (B).

A. LE SYSTEME BILATERAL COMME NOUVELLE METHODE OBJECTIVE


UNIVERSELLE

695. A la suite des traditions issues de l’Ancien Régime consistant essentiellement à


établir des règles de conflit sur la base d’idéologies territorialistes ou personnalistes, l’auteur
allemand Savigny a proposé un nouveau système de droit des conflits de lois fondé sur le
bilatéralisme. L’innovation résulte de ce que, d’une part, la méthode envisagée se voulait
objective et neutre au regard de la localisation du rapport de droit conformément à sa nature
(1) ; et d’autre part, le système serait fondé sur la classification des rapports de droit en vertu
des principes et règles issus de la communauté juridique des peuples de tradition romano-
chrétienne (2).

1069
Cf. supra § 162 et s.
1070
Ibid.

328
1) La localisation objective du rapport de droit conformément à sa nature
696. Pour mettre en place sa méthode bilatérale, Savigny a proposé de localiser le
rapport de droit en cause en recherchant son siège conformément à sa nature (a). Ainsi, pour
la première fois, dans l’histoire du droit international privé et particulièrement du droit des
conflits de lois, est envisagée une approche neutre et objective (b).

a) La recherche du siège du rapport de droit conformément à sa nature


697. La recherche de compétence entre la loi du for et la loi étrangère. Au
XIXème siècle, Savigny, propose une nouvelle méthode, différente des précédentes,
consistant à admettre indifféremment la compétence de la loi du for ou de la loi étrangère. Il
s’agit du premier auteur qui se détache du débat entre personnalisme et territorialisme régnant
depuis l’Ancien Régime1071. Sa théorie « a pour but de délimiter l’empire respectif des droits
positifs dans le temps et dans l’espace » d’un rapport de droit donné1072. Pour expliquer son
idée, l’auteur allemand a constaté préalablement que « l’objet direct et immédiat régi par les
règles du droit est la personne » dans son existence générale, et que celle-ci par « ses actes
libres (…) forme les rapports de droit ou contribue à les former » 1073 . C’est pourquoi la
personne « veut dominer les choses ; et, en abordant l’espace déterminé occupé par ces
choses, elle s’expose à entrer dans les domaines d’un droit étranger »1074. Par conséquent,
Savigny est parti du postulat selon lequel une situation litigieuse privée peut dépasser le
simple cadre interne. Sur cette base, il a considéré que « pour chaque cas donné, la règle à
appliquer est désignée principalement par la soumission de la personne dont il s’agit à
l’empire d’un droit déterminé, mais qu’en outre les modifications les plus importantes et les
plus variées peuvent provenir du rapport que des choses, des actes ou des liens de famille
déterminés, établissent avec d’autres droits positifs » 1075 . Ainsi, selon lui, « lorsqu’une
relation privée dépasse le cadre de la vie interne d’un pays, il faut la soumettre aux
dispositions internes de l’un des pays avec lesquels elle se trouve en contact »1076.
698. La compétence de la loi fonction de la nature du rapport de droit. Pour
parvenir à déterminer le siège du rapport de droit, il convient de « déterminer pour chaque

1071
P. Arminjon, « Notions historiques », in « L’objet et la méthode du droit international privé », op. cit., spéc.
p. 454.
1072
Ibid.
1073
F. C. Von Savigny, op. cit., § CCCXLV.
1074
Ibid.
1075
Ibid.
1076
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 136.

329
rapport de droit le domaine du droit le plus conforme à la nature propre et essentielle de ce
rapport » 1077 . Ainsi, selon sa doctrine, pour toute situation litigieuse privée, il doit être
déterminé le siège de son rapport de droit conformément à sa nature. En effet, « il faut
rechercher (pour chaque rapport de droit) le domaine du droit auquel il appartient par sa
nature, où il a son siège »1078. L’application d’une telle méthode conduit nécessairement à une
application indifférente de la loi du for ou de la loi étrangère. La détermination de la loi
compétente n’est donc que fonction de la localisation du siège du rapport de droit
conformément à sa nature, c’est-à-dire de manière objective. De plus, le processus s’avérerait
d’autant plus objectif dans la mesure où Savigny y intègre la localisation subjective puisqu’il
considère que les parties se soumettent volontairement à l’empire d’un droit déterminé1079. En
d’autres termes, sa méthode invite à envisager la localisation du rapport de droit
conformément à une localisation objective à laquelle est assortie une part de subjectivisme1080.

b) La localisation neutre et objective du siège du rapport de droit


699. L’application indifférente de la loi du for et de la loi étrangère. La doctrine
proposée par Savigny est extrêmement séduisante en termes d’égalité de traitement
puisqu’elle permet d’une part, une application indifférente de la loi du for et de la loi
étrangère, et d’autre part, de rechercher la loi compétente conformément à un raisonnement
neutre c’est-à-dire exempt de toute considération politique.
700. Une localisation neutre du rapport de droit vectrice d’universalisme. En
considérant que la détermination de la loi applicable passe par l’appréciation du siège du
rapport de droit conformément à sa nature, Savigny a proposé de déterminer la loi compétente
selon un processus de localisation objective. En effet, si l’on reprend, purement et simplement
sa théorie, son raisonnement fait preuve d’une totale neutralité. La localisation du rapport de
droit serait objective et son rattachement ne serait plus fonction de considérations politiques,
économiques et culturelles de l’ordre juridique du for, mais fonction de la nature même du
rapport de droit. Toutefois, son analyse ne procéderait pas vraisemblablement d’une
localisation concrète ou abstraite du rapport de droit, mais seulement de l’idée de soumission
volontaire à ce rapport1081. En tout état de cause, en partant du postulat selon lequel le siège

1077
F. C. Von Savigny, op. cit., § CCCXLVIII.
1078
P. Arminjon, « Notions historiques », in « L’objet et la méthode du droit international privé », op. cit., spéc.
p. 455, citant Savigny.
1079
Cf. supra § 163.
1080
Cf. supra § 629 et s.
1081
Y. Lequette, op. cit., § 52.

330
d’un rapport de droit se détermine conformément à sa nature, il serait possible d’envisager
que la nature du rapport de droit soit une notion universelle permettant alors la création d’un
système de conflit unifié.
701. Un système conforme à l’objet du droit des conflits de lois. En outre, en
proposant un système de localisation objective du rapport de droit c’est-à-dire de la situation
litigieuse, Savigny a, pour la première fois, inventé un système en conformité avec la fonction
du droit international privé et spécifiquement du droit des conflits de lois. Comme l’a
expliqué Batiffol, « le droit international privé cherche à déterminer le champ d’application
respectif des divers systèmes juridiques en présence dans une situation donnée » ; et a ajouté
que « la réponse la plus simple consiste à donner compétence à la loi en vigueur sur le
territoire où la situation se localise objectivement »1082. Savigny est donc parvenu à proposer
une méthode permettant de déterminer le champ d’application dans l’espace des lois en
conflit, au regard d’une situation litigieuse, et ceci en la localisant objectivement
conformément à sa nature. Finalement, sa théorie est la première à envisager un système de
conflit répondant à la fois à la fonction du droit des conflits de lois et à son objet. Il serait
donc possible de déterminer le champ d’application des lois dans l’espace en fonction d’un
critère objectif ou neutre qui permettrait alors la mise en œuvre d’un système universel et
conséquemment égalitaire. Néanmoins, la méthode proposée par Savigny pour déterminer le
siège du rapport de droit semble remettre en cause la neutralité de la règle de conflit.

2) Une méthode fonction d’une communauté juridique romano-chrétienne


702. Pour permettre la localisation objective de tout rapport de droit selon Savigny, il
convient de se référer aux données essentielles de la communauté de droit des peuples fondée
sur le droit romain et le christianisme (a). Ainsi, au regard de ces données, chaque rapport de
droit fait l’objet d’une classification permettant de déterminer objectivement et communément
sa localisation (b).

a) L’analyse des rapports de droit au regard d’une communauté juridique des peuples
703. Le siège du rapport de droit fonction d’une communauté de droit. Si la
méthode de Savigny consiste à déterminer le siège du rapport de droit conformément à sa
nature, la question se pose alors de savoir comment déterminer « la nature » d’un rapport de
droit, pour ensuite en établir son siège. Ainsi, l’auteur allemand, pour établir un processus

1082
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 103.

331
commun de détermination du rapport de droit, a constaté qu’il suffisait de reprendre des
données communes qui sont établies par « une communauté de droit entre les différents
peuples »1083. Il a effectivement considéré qu’il existait une communauté de droit basée sur
deux données principales : le christianisme et le droit romain. Par conséquent, grâce à leur
diffusion, « les distinctions caractéristiques des peuples » sont devenues « moins saillantes »
et ont conduit à un rapprochement des législations modernes1084.
704. Vers l’organisation d’un système commun. En reconnaissant l’existence d’une
communauté de droit des peuples, l’auteur a estimé qu’il était possible de déterminer
communément quelle est la nature de chaque rapport de droit. Pour cela, « Savigny s’attachait
aux sources communes des législations internes »1085. En quelque sorte, il s’agit de partir d’un
tronc commun pour réaliser un système uniforme pour tous les Etats de cette communauté. En
fondant sa théorie de telle manière, Savigny mit en place « une méthode de solution des
conflits de lois », « d’inspiration résolument privatiste », tendant à « devenir universelle »1086.
En effet, si le système propre au droit des conflits de lois peut être construit grâce à un tronc
commun réunissant toutes les données communes des législations modernes des Etats parties
à la communauté, alors le système deviendrait uniforme et universel. L’approche de l’auteur
est nécessairement convaincante. Par conséquent, au regard de la communauté de droit des
peuples de son époque, il a pu déterminer pour chaque rapport de droit son siège
conformément à sa nature.

b) La classification des rapports de droit conformément aux ordres du droit romain


705. La détermination de la loi applicable conformément aux ordres du droit
romain. En partant du postulat selon lequel il existe une communauté juridique des peuples
basée sur le droit romain et le christianisme, il ne reste qu’à déterminer, conformément aux
données issues de cette communauté, quel est le siège d’un rapport de droit au regard de sa
nature. Il convient donc de consulter, selon Savigny, le droit diffusé par la communauté pour
déterminer quelle est la nature de tel rapport de droit, pour ensuite traduire son siège. La
première étape consistait donc à reprendre le système de droit romain lequel connaissait
depuis longtemps d’une « vue synthétique du droit privé » par laquelle les problèmes étaient

1083
F. C. Von Savigny, op. cit., § CCCXLVIII.
1084
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 136.
1085
P. Lerebours-Pigeonnière, Précis de droit international privé, Dalloz, 1946, § 36.
1086
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 151.

332
classés dans des ordres et principalement « personnes, choses, contrats, actions » 1087 . Par
conséquent, le raisonnement intellectuel consistait, pour chaque situation juridique, « à
rechercher pour chaque type de rapport de droit la « sphère juridique » à laquelle il appartient
selon sa nature »1088. Il s’agissait donc de classifier les rapports de droit, et ceci était possible
grâce aux différentes catégories existantes au regard du droit romain universellement
appliqué. Ensuite, une fois le rapport de droit classé dans un « ordre » établi par le droit
romain, la seconde étape supposait d’assigner à chaque catégorie de rapports de droit un siège
déterminé conformément à sa nature1089. « Le siège du rapport de droit devait (alors) être
identifié par l’élément considéré comme le plus caractéristique »1090. Il s’agit donc de la phase
de localisation objective du siège juridique du rapport de droit. En d’autres termes, l’auteur
allemand a inventé une méthode selon laquelle, d’une part, il faut opérer un classement des
rapports de droit dans « un ordre », et d’autre part, assigner à chaque catégorie de rapport de
droit un élément caractéristique permettant sa localisation.
706. Une méthode neutre et universelle. La méthode proposée par Savigny serait
universelle en ce qu’elle permettrait à la fois de créer une classification des rapports de droit
commune, basée sur le droit romain, et à la fois, d’attribuer, conformément au droit romain et
au christianisme, un élément caractéristique de localisation à chacune de ces catégories. La
méthode bilatérale de Savigny présente, en théorie, tous les avantages légitimement
recherchés par le droit international privé et le droit des conflits de lois. Un tel système permet
de traiter tous les sujets de droit de manière neutre et égalitaire. En effet, dans la mesure où le
système est universel, il serait donc commun à tous ceux qui y sont soumis et serait fondé
indépendamment des considérations propres et identitaires de chaque Etat, c’est-à-dire sur la
base d’une localisation objective commune. Ainsi, la philosophie de Savigny est conditionnée
par les deux aspirations indispensables qui doivent guider le droit des conflits de lois, c’est-à-
dire la neutralité et l’égalité de traitement. C’est pourquoi le bilatéralisme est devenu le
principe fondateur de tout système en droit des conflits de lois.

1087
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 238.
1088
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 152.
1089
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 348, lesquels exposent
précisément que : « La méthode repose d’abord sur la classification, ou la recherche de la nature du rapport de
droit afin de l’intégrer au sein d’une catégorie prédéterminée (ex. : la catégorie délits), pour procéder ensuite, en
considération des besoins spécifiques induits de cette nature, à sa localisation selon son élément le plus
caractéristique (ex. : le lieu de survenance du délit) dans le ressort d’un législateur donné ».
1090
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 152.

333
B. LE BILATERALISME SAVIGNIEN AU SOUTIEN D ’UN SYSTEME NEUTRE
ET EGALITAIRE

707. La méthode bilatérale proposée par Savigny a connu un certain retentissement à


son apparition. Effectivement le bilatéralisme proposé par Savigny était la première doctrine
permettant de mettre un terme aux inconvénients incurables des autres doctrines positives (1).
C’est ainsi que cette doctrine fût reconnue et consacrée par une majorité de la doctrine pour
devenir le fondement essentiel de toute méthode de droit des conflits de lois (2).

1) La fin des obstacles imputables aux autres doctrines par recours au bilatéralisme
708. La méthode bilatérale proposée par Savigny constitue certainement une
innovation sur le plan théorique, mais également une solution dans la mesure où elle met fin
aux difficultés issues des autres doctrines depuis la naissance du droit international privé. Il
permet d’abandonner les théories territorialiste et personnaliste de l’Ancien Régime pour
préférer la neutralité du règlement du conflit de lois (a), et justifie l’exclusion de
l’unilatéralisme en mettant un terme à ses vices c’est-à-dire la lacune et le cumul (b).

a) L’abandon des théories de l’Ancien Régime grâce à la naissance de la neutralité


709. Le renversement du personnalisme et du territorialisme. Originellement,
depuis la théorisation du droit international privé, l’organisation de tout système était fondée
autour de deux idéologies : territorialisme et personnalisme. Le raisonnement consistait donc
dans un premier temps à fixer la politique de l’Etat, c’est-à-dire territorialisme ou
personnalisme, pour ensuite, élaborer des règles de conflit conformément à l’orientation
choisie par cet Etat. Toute approche objective des conflits de lois était bannie, et toute
tentative d’unification impossible. La doctrine proposée par Savigny est venue remettre
totalement en question cette manière d’envisager les conflits de lois en droit international
privé. En recourant à la classification des rapports de droit en fonction de leur nature et à
l’idée de localisation objective du rapport de droit conformément à leur nature, l’auteur a
opéré un revirement de pensée dont l’effet est de « dépolitiser le conflit de lois »1091. En effet,
« ce n’est pas la volonté d’un législateur mais la nature de la question de droit (privé) qui
détermine la loi applicable »1092. La méthode est bien renversée puisque tout conflit de lois

1091
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 152.
1092
Ibid.

334
n’est plus fonction de la volonté du législateur, mais fonction du rapport de droit lui-même
puisque celui-ci dépendra « du territoire auquel le rattachent certains de ses éléments »1093.
710. La création d’une méthode conflictuelle entièrement neutre. La nouveauté
consiste essentiellement à rendre la méthode de désignation de loi applicable totalement
neutre c’est-à-dire indépendante des considérations propres à chaque Etat. Par conséquent, la
vision préconisée par Savigny tend « à accréditer l’idée selon laquelle la règle de conflit
constituerait un simple « droit de classement » ou de répartition »1094. C’est pourquoi cette
manière de penser le conflit de lois doit être soutenue car seule une méthode neutre peut
permettre l’adhésion commune de tous les Etats. Outre la condamnation du territorialisme et
du personnalisme, le bilatéralisme de Savigny met également fin aux problèmes issus de
l’unilatéralisme.

b) L’exclusion des problèmes spécifiques à l’unilatéralisme


711. La suppression des problèmes liés à la lacune et au cumul. Le bilatéralisme
soutenu par Savigny conduit à mettre de côté tous les obstacles issus de l’unilatéralisme. En
effet, l’unilatéralisme conduit à deux problèmes essentiels : la lacune (hypothèse dans laquelle
aucune loi ne se veut applicable) ou le cumul (hypothèse dans laquelle plusieurs lois se
veulent applicables). Le bilatéralisme préconisé par l’auteur allemand supprime ces obstacles.
Il consiste à envisager le problème du conflit de lois comme « une collision des lois sur un
plan supérieur » au regard duquel « chaque Etat doit (…) être prêt à appliquer les lois
étrangères aussi bien que ses propres lois »1095. Pour résoudre ce conflit, il convient donc
d’appliquer simplement « le droit local auquel appartient le rapport de droit litigieux »1096. En
considérant d’une part que la loi étrangère est autant applicable que la loi du for, et d’autre
part, que la situation litigieuse sera régie par le droit local auquel elle appartient, la doctrine
de Savigny met un terme aux problèmes liés à l’unilatéralisme. Dès lors qu’il est fait
application d’une telle méthode, aucune lacune et aucun cumul ne sont possibles. En effet, si
un rapport juridique est régi par la loi de l’Etat sur le territoire duquel il est localisé

1093
P. Arminjon, « Notions historiques », in « L’objet et la méthode du droit international privé », op. cit., spéc.
p. 455.
1094
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 127, faisant référence à Niboyet pour
l’expression de « droit de classement ».
1095
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 15.
1096
Ibid.

335
conformément à sa nature, il sera nécessairement régi par une loi qui demeurera unique. Il
s’agirait alors d’une solution naturelle qui s’imposerait d’elle-même1097.
712. Le remède à l’uniformisation du droit. De plus, outre les problèmes récurrents
de l’unilatéralisme auxquels met fin le bilatéralisme savignien, celui-ci permet un résultat qui
ne peut être atteint par une optique unilatérale, celui de l’uniformisation d’un système de droit
des conflits de lois. Par conséquent, le bilatéralisme constitue la seule voie en mesure de
répondre aux objectifs de la justice conflictuelle. C’est pourquoi la doctrine de Savigny a
connu et connaît encore un succès important.

2) L’imposante reconnaissance doctrinale du bilatéralisme savignien


713. La méthode bilatérale proposée par Savigny a connu un réel succès et a exercé
une influence durable en Europe de manière directe ou indirecte1098. En effet, les successeurs
de Savigny ont dans une large mesure repris le concept de communauté de droit pour
l’intégrer implicitement ou non à leur théorie du conflit de lois (a). De plus, une majorité de la
doctrine s’accorde, depuis Savigny et aujourd’hui encore, pour recourir à une approche
analytique du conflit de lois (b).

a) L’intégration du concept de communauté de droit au sein de la doctrine


714. La diffusion du concept de communauté de droit. La nouvelle doctrine
proposée par Savigny à l’égard des conflits de lois a connu un net retentissement en Europe et
a notamment influencé directement ou indirectement les nouvelles théories de droit
international privé qui lui ont succédé principalement en raison d’un point particulier : l’idée
de communauté de droit. Ses disciples ont écarté « la construction personnelle du romaniste
pour ne retenir que le principe de la communauté de droit »1099. En effet, différents auteurs ont
conservé l’idée que grâce à une communauté de droit existante entre différents Etats, il serait
possible de construire un système de conflit de lois commun.
Parmi ses successeurs, à la fin du XIXème, Despagnet a défendu l’idée d’une
communauté de droit en partant du constat, à l’époque, qu’il existait déjà « une grande

1097
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes de droit international privé (des formes
juridiques sur l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 156 : « De façon quelque
peu paradoxale, la solution naturelle s’imposerait pour des raisons normatives, au vu du risque du chaos et
d’indétermination des solutions : si chacun suivait ses prétentions ou appétits (qu’il faut supposer alors
contingents et non universels), la seule issue consiste donc à une solution unique et acceptable par tous » ; « Il
s’agit ainsi de subordonner l’application de toutes les lois en concours à un même principe, de les soumettre à un
même rattachement ».
1098
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 240.
1099
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 136.

336
tendance, sinon à l’uniformité absolue, du moins à une assimilation très sensible (…) dans
l’évolution générale des législations modernes »1100. C’est pourquoi il a également affirmé
que « faute de législateur possible au-dessus des Etats pour régler les conflits qui s’élèvent
entre leurs législations respectives aussi bien que pour régler tous les autres rapports qui
peuvent se former entre eux, (le droit international privé) se constitue par l’accord des Etats
eux-mêmes, soit d’une manière tacite sous la forme de coutumes, soit d’une façon expresse et
par le moyen de traités » 1101 . Ainsi, c’est en raison du rapprochement des législations
modernes, c’est-à-dire d’une communauté de droit, que les Etats peuvent s’accorder pour
mettre en place un système de droit international privé commun.
De plus, cette idée de communauté de droit a su dépasser les siècles pour être reprise
indirectement dans différentes doctrines, et notamment par les doctrines modernes. Il suffit
d’évoquer à ce titre la méthode comparative proposée notamment par Maury qui conduit
indirectement à ériger en règles de conflit les règles communes aux Etats comparés1102. De
même, les positivistes se sont indirectement inspirés de l’idée de communauté de droit en
insistant sur l’idée de coordination des législations entre Etats. Batiffol affirmait que « la
coordination de systèmes nécessaire aux relations privées internationales s’effectue
normalement dans le monde actuel par l’initiative de chaque Etat »1103. Ainsi, le propre du
droit international privé est la coordination des systèmes, ce qui suppose implicitement l’idée
de communauté de droit entre Etats, que celle-ci soit déjà existante ou soit simplement en
devenir, puisque la coordination passe nécessairement, une fois encore, par un rapprochement
des législations, qui sera facilité par leurs similitudes.
715. Une communauté de droit comme préalable à toute unification du droit.
Finalement, le concept de communauté de droit au fondement des règles du droit des conflits
de lois a imprégné directement ou indirectement une majeure partie des doctrines du droit
international privé. La raison tient à l’objet même du droit des conflits de lois qui se traduit
principalement par sa vocation à l’unification, dont le préalable serait une communauté de
droit. Effectivement, le raisonnement est pertinent en ce qu’une communauté de droit permet
plus facilement la construction d’une méthode ou d’un système commun de droit des conflits
de lois. Néanmoins, l’idée de communauté de droit ne doit plus nécessairement s’entendre

1100
F. Despagnet, op. cit., § 9.
1101
Ibid., § 21.
1102
Cf. infra § 194 et 195.
1103
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 57.

337
strictement comme du temps de Savigny. Il s’agit effectivement aujourd’hui d’opérer une
approche positive par le biais de laquelle sera mise en place une méthode commune aux Etats.
Il n’en demeure pas moins que le concept de communauté est celui qui permet de garantir
l’égalité de traitement du sujet de droit. En effet, si une réglementation émane d’une
communauté, alors elle sera identique pour tous les sujets de droit. C’est pourquoi ce
préalable doit être maintenu comme fil conducteur à toute méthode en droit des conflits de
lois. De surcroît, la doctrine a également repris la méthode analytique proposée par Savigny.

b) Le recours à la méthode analytique comme fondement doctrinal avéré


716. La reprise d’un méthode analytique objective. La méthode analytique
proposée par Savigny a séduit ses successeurs en raison de son caractère scientifique. Valéry
félicitait le « grand mérite » de la théorie de Savigny dans la mesure où elle permettait « de
dégager nettement cette idée que la solution des conflits de lois doit dépendre, non pas de
décisions plus ou moins arbitraires, dictées par des considérations intéressées ou bien prises
quelque peu au hasard, mais de l’application d’un certain nombre de principes qui tracent aux
juges la voie qu’ils doivent suivre » 1104 . En d’autres termes, le recours à une approche
objective de la situation internationale consistant en une localisation objective du siège du
rapport de droit à la suite d’une classification de ce rapport a séduit la doctrine majoritaire. En
effet, cette méthode s’est imposée sous des « applications les plus variées suivant les données
que l’on prend en considération pour apprécier le ressort qui convient à une loi d’après la
nature de la situation juridique qu’elle réglemente »1105. La plupart de la doctrine considérait
donc que tout rapport de droit devait être classé dans une catégorie et, pour reprendre les
propos de Valéry, « tout rapport de droit international (devait) être régi, à chacun des points
de vue sous lesquels il peut être envisagé, par la loi qui convient le mieux à sa nature »1106.
Finalement, quelle que soit la manière de traduire la nature du rapport de droit, la méthode en
tant que telle est maintenue. Par conséquent, « il demeure acquis que c’est la détermination
des rattachements les plus sûrs qui constitue la science même des conflits de lois »1107.
717. Une méthode scientifique conforme aux objectifs de neutralité et d’égalité de
traitement. Le soutien de la méthode analytique par la majorité de la doctrine est

1104
J. Valéry, Manuel de droit international privé, Fontemoing et Cie, 1914, § 361.
1105
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 136.
1106
J. Valéry, op. cit., § 377.
1107
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 20, citant la doctrine
d’Arminjon.

338
parfaitement justifié dans la mesure où seule une approche scientifique et objective permet un
juste traitement des sujets de droit des conflits de lois1108. En effet, la neutralité du système est
seule à même d’emporter l’adhésion d’une majorité d’Etat et de favoriser un traitement
égalitaire de tous. Ceci est confirmé par l’approche bilatéraliste de Savigny, laquelle conduit à
la désignation de la loi du for ou de la loi étrangère de manière indifférente en application
d’un raisonnement scientifique1109. Au regard des garanties en termes de neutralité et d’égalité
de traitement apportées par le bilatéralisme de Savigny, sa méthode a dépassé le stade
doctrinal pour devenir le fondement classique des règles du droit des conflits de lois.

§ 2 – LA POURSUITE DU BILATERALISME EN DROIT POSITIF DEMEUREE INACHEVEE


718. La modernité de la pensée de Savigny pour l’époque a influencé fortement la
doctrine, mais a surtout permis d’envisager, en droit positif, le droit des conflits de lois sous
une nouvelle forme. C’est pourquoi la méthode bilatérale, telle que préconisée par l’auteur
allemand, a été consacrée par les législations et jurisprudences, dans la mesure où elle
répondait enfin aux objectifs du droit des conflits de lois (A). Néanmoins, si cette méthode
demeure la plus à même de respecter les objectifs ou plus précisément l’objet de la discipline,
elle fait encore preuve de diverses lacunes auxquelles il convient de remédier pour créer une
structure parfaitement universelle (B).

A. LE RECOURS AU BILATERALISME EN DROIT POSITIF PAR RESPECT DES


OBJECTIFS DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

719. La doctrine de Savigny a connu un succès remarquable. C’est pourquoi la


méthode bilatérale proposée par celui-ci est devenue la forme traditionnelle de systèmes de
conflit de lois positifs (1). Ceci est parfaitement justifié sur un plan pratique plus que
théorique dans la mesure où son approche scientifique et universelle est en adéquation avec
les objectifs poursuivis par le droit des conflits de lois (2).

1108
Voir en ce sens les propos du Professeur Muir-Watt à propos des vertus de la méthode ; H. Muir-Watt,
« Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes juridiques de l’inter-altérité) : Cours général
de droit international privé », op. cit., § 160 : « Les vertus de la méthode conflictuelle, celles-là même du droit
libéral tout entier, peuvent être regroupées sous l’étiquette de la neutralité, à laquelle la théorisation classique du
droit international privé a toujours attribué une place centrale. Elles recouvrent ainsi aussi bien l’impartialité que
l’égalitarisme que l’abstraction, la technicité, l’indifférence à l’égard du fond et l’innocence politique ».
1109
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 161 : « Chez Savigny, la
neutralité du droit libéral signifiait en effet que celui-ci se bornait à ouvrir et encadrer les espaces
d’épanouissement de la liberté individuelle, mais se gardait bien d’orienter les préférences des citoyens. En droit
international privé, la détermination du siège du rapport de droit suivant une consigne identique ».

339
1) La méthode bilatérale comme forme traditionnelle des systèmes de droit positif
720. L’influence exercée par Savigny dans le domaine du droit des conflits de lois a
dépassé le stade doctrinal pour devenir le fondement traditionnel de tout type de système de
droit des conflits de lois. C’est pourquoi le bilatéralisme a été unanimement consacré par les
systèmes nationaux (a), puis a été intégré dans des systèmes internationaux (b).

a) La consécration unanime de la méthode bilatérale par les systèmes nationaux


721. L’admission du bilatéralisme en droit français. En réponse au développement
doctrinal de la méthode savignienne au XIXème siècle, le droit positif français s’est
accoutumé de celle-ci. En effet, si le Code civil de 1804 prévoit en son article 3 des règles de
conflit de type unilatéral, elles se sont rapidement bilatéralisées grâce à l’intervention de la
1110
jurisprudence , avant même que Savigny théorise le bilatéralisme sous forme
d’universalisme1111. En outre, dès l’apparition de la doctrine de Savigny au XIXème siècle,
« tandis que les premières codifications civilistes portaient (…) la marque de la théorie des
statuts, les codifications postérieures à Savigny s’exprimèrent sous forme de règles de
conflit » 1112 principalement bilatérales. Il suffit à ce titre de consulter les autres règles
composant l’arsenal juridique du droit international privé interne pour l’affirmer. De plus, ces
règles sont majoritairement de sources jurisprudentielles. Par conséquent, l’influence de la
jurisprudence, favorable au bilatéralisme, a conquis le système de droit international privé
français. A ce titre, on peut citer par exemples, les jurisprudences Labedan1113 et Stewart1114
relatives aux successions, lesquelles établissent des règles de conflit bilatérales pour les
successions mobilières et immobilières.
722. La poursuite du bilatéralisme par tout ordre juridique. Le phénomène ne
s’est pas cantonné au droit international privé français, il a envahi le reste du monde.
Aujourd’hui, « la règle de conflit bilatérale demeure le mode d’expression privilégié des
solutions de conflit de lois, comme en témoignent les codifications les plus récentes dans le

1110
Cf. supra § 114 et s.
1111
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 51 : « Et il est vrai que les dispositions du Code civil français de
1804, formulées en termes statutaires, ont pu être interprétées sous forme d’une règle de rattachement sur le
modèle savignien, c’est-à-dire d’une règle de conflit de lois bilatérale. Il n’a, au demeurant, pas fallu attendre
Savigny pour que la conversion s’opère. C’est, en effet, par le célèbre arrêt Busqueta rendu par la Cour de Paris
le 13 juin 1814 que la jurisprudence française a décidé que la capacité relève de la loi nationale, ce qui tendrait à
montrer la perméabilité entre les deux modes de raisonnement. Mais il est vrai aussi que le raisonnement en
termes savigniens favorise beaucoup plus l’adoption par chaque Etat, agissant en tant que « législateur universel
», de solutions qui permettent un règlement harmonieux des relations privées internationales ».
1112
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 153.
1113
Cass., Civ., 19 juin 1939, Labedan, préc.
1114
Cass., Civ., 14 mars 1837, Stewart, préc.

340
monde entier »1115. En résumé, le bilatéralisme a pénétré tous les droits internationaux privés
internes pour devenir la méthode de principe. La raison tient à la nouvelle vision de la
discipline qui ne constitue désormais plus un conflit de souverainetés. Ainsi, la volonté de
chaque Etat d’accepter la compétence de la loi étrangère conduit à considérer que la
détermination de cette compétence doit dépendre d’une méthode scientifique par laquelle
aussi bien la loi étrangère que la loi du for peut être compétente. Le résultat doit être fonction
d’une appréciation objective de la situation litigieuse. C’est pourquoi le droit international
privé interne a adopté la méthode bilatérale. Pourtant, si la méthode de Savigny est consacrée
par les législateurs nationaux uniquement, elle ne conduit pas à une communauté de droit.
Toutefois, grâce à cette consécration unanime par les ordres juridiques nationaux, certains
Etats se sont réunis pour créer une communauté de droit dotée de règles de conflit bilatérales.

b) L’adoption de la méthode bilatérale dans plusieurs systèmes internationaux


723. La réception du bilatéralisme en droit supranational. A la fin du XIXème
siècle, la doctrine française, notamment Despagnet, constatait déjà que « se (formait), ou
plutôt (…) se (dégageait) peu à peu un droit commun des peuples comprenant les règles
rationnelles qui servent à indiquer la loi applicable à tel rapport de droit donné »1116. Ainsi,
sous l’impulsion des Conférences de La Haye, sont apparues des Conventions internationales
propres au droit international privé dans des domaines particuliers promulguant au rang
international la méthode bilatérale 1117 . Puis, postérieurement, grâce à la Communauté
européenne et à l’Union européenne, des conventions internationales et des règlements
européens sont apparus pour mettre en place des règles de conflit de lois bilatérales
communes pour régir les situations soumises au territoire européen.
724. La concrétisation du concept de communauté de droit. En réalité, de la mise
en place de systèmes bilatéraux internes, a succédé l’union de ces systèmes en un seul à
l’échelle internationale. Par conséquent, la communauté de droit prônée par Savigny a su
s’imposer concrètement en droit positif puisque, encore aujourd’hui, des communautés
régionales établissent des règles communes (bilatérales) à même de résoudre tout type de
conflit de lois. Cette méthode a donc été défendue tant sur le plan théorique que sur le plan
pratique et demeure la méthode de principe à laquelle recourent les législateurs. Ce résultat

1115
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 153.
1116
F. Despagnet, op. cit., § 105.
1117
Cf. supra § 277 et s.

341
semble parfaitement logique au regard des avantages fournis par une telle méthode sur le plan
pratique, et non plus seulement théorique.

2) L’emploi d’une méthode conforme aux objectifs du droit des conflits de lois
725. La défense du bilatéralisme de Savigny sur le plan pratique tient à deux raisons
principales parfaitement justifiées. D’une part, le recours à sa méthode est fondé à raison de
son approche scientifique qui conduit à la mise en place d’un système souple et égalitaire (a).
D’autre part, son idéologie universaliste permet d’envisager la création d’une communauté de
droit internationale (b).

a) La méthode analytique garante d’un système souple et égalitaire


726. Une méthode souple en raison de son caractère scientifique. Le recours à la
méthode bilatérale par la majorité des systèmes nationaux se justifie principalement pour deux
raisons particulières. Premièrement, en recourant à un système portant règles conflictuelles,
les différents systèmes nationaux s’assurent une méthode souple et adaptée. En effet, en
recourant aux règles conflictuelles, celles-ci sont nécessairement plus ajustables aux
évolutions que celles-ci soient politiques, économiques ou autres. Mais plus précisément, il
est préférable de recourir à la méthode proposée par Savigny car elle défend un traitement des
situations objectif c’est-à-dire que la détermination des règles de conflit devra dépendre de la
nature du rapport de droit et non pas de considérations propres au législateur d’un Etat. Ainsi,
c’est bien parce que le bilatéralisme savignien propose une approche scientifique du
traitement des situations litigieuses privées internationales que les systèmes nationaux s’en
sont dotés. Le traitement objectif garantit, davantage que le simple recours à une méthode
conflictuelle, la souplesse du système. Si les règles de conflit sont exemptes de considérations
subjectives, alors elles seront encore plus adaptées à toute situation.
727. Une méthode égalitaire respectueuse des intérêts privés. Deuxièmement, en
utilisant la méthode bilatérale, les systèmes nationaux font de la loi étrangère l’égal de la loi
du for1118. En d’autres termes, ils admettent que la loi étrangère doit être traitée à valeur égale
de la loi du for conformément aux problèmes issus du droit des conflits de lois, lesquels
relèvent bien de la sphère privée et ne peuvent se traduire comme des conflits de
souverainetés. Cela signifie que les Etats adoptent une position en respect avec la nature du
droit des conflits de lois qui consiste à protéger les intérêts privés, lesquels ne peuvent être

1118
Cf. infra § 764 et s.

342
garantis que par un système traitant sur un même pied d’égalité loi étrangère et loi du for.
L’adoption d’une position contraire nuit nécessairement aux intérêts des particuliers. Si un
individu ne peut se voir attribuer une loi conformément à la localisation du rapport de droit
dont il est l’objet à raison de considérations souverainistes de l’Etat du for, alors il verra
nécessairement ses intérêts propres lésés. Tout individu doit être traité conformément à sa
situation et de manière objective. Seule la méthode bilatérale est à même d’assurer ce résultat,
c’est pourquoi les systèmes nationaux y ont recouru. De plus la consécration de cette méthode
par les ordres juridiques internes conduit indirectement à la création d’une communauté de
droit internationale.

b) La méthode analytique créatrice d’une communauté de droit internationale


728. Vers la création d’une communauté de droit internationale. La volonté des
Etats d’organiser les règles du droit des conflits de lois conformément à la méthode bilatérale
permet de construire les fondements d’une communauté internationale. En effet, si la base de
chaque système interne est constituée par la méthode bilatérale, alors un système de droit des
conflits de lois commun a vocation à prendre forme. Si tous les systèmes de droit international
privé nationaux sont rapprochés, il serait envisageable de créer un système commun dans les
matières pour lesquelles les législations modernes sont proches. Par conséquent, le recours à
la méthode bilatérale sur un plan pratique semble d’autant plus justifié. Une méthode neutre,
souple, adaptée, et commune à tout système peut permettre la création d’une communauté de
droit international privé, ou plutôt son développement, puisque, indirectement, si tous les
systèmes ont adopté une telle méthode, alors existe déjà une communauté juridique. Par
conséquent, « il n’est pas exigé que l’on se livre à un dépouillement systématique des droits
du monde entier mais que l’on soit seulement attentif aux travaux de ceux qui tentent de
dégager les traits communs des droits internes » 1119 . Ainsi, c’est en reprenant les traits
communs des différents systèmes bilatéralistes nationaux, qu’un système de droit des conflits
de lois commun peut exister. Ainsi, « par cette vision d’un fonds de droit commun, le droit
international privé rejoint les préoccupations universalistes » 1120 défendues par Savigny
correspondant à l’âme de la discipline.
729. Une méthode malheureusement atteinte de heurts. Néanmoins si la méthode
de Savigny est la plus adaptée et la plus favorable à un traitement neutre et égalitaire de tout

1119
Ph. Francescakis, « Droit naturel et droit international privé », in Mélanges offerts à Jacques Maury, op. cit.,
§ 34.
1120
Ibid.

343
sujet de droit, elle n’est pas parfaite. Le bilatéralisme connaît en vérité de nombreux heurts
qu’il convient de résoudre pour en faire une méthode ajustée à la discipline et respectueuse
des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement.

B. UN BILATERALISME CARENCE PORTANT ATTEINTE A L’EGALITE DE


TRAITEMENT

730. La doctrine de Savigny fait l’objet de certaines lacunes ayant pour objet de
remettre en cause la neutralité de la règle de conflit et conséquemment l’égalité de traitement
qui en découle. Or, celles-ci sont imputables aux deux concepts qu’il a développés. Tout
d’abord, si sa méthode analytique est louable notamment en ce qu’il s’agit d’une méthode
scientifique, elle conduit indirectement, non plus à l’universalisme, mais bien au
particularisme dans le traitement des situations litigieuses (1). Puis, si l’idée de communauté
de droit développée par Savigny est très séduisante, elle constitue en réalité un obstacle à
l’universalisation du droit des conflits de lois, mais demeure surmontable (2).

1) De l’universalisme au particularisme provoqué par la méthode analytique


731. Si la théorie de Savigny prône un universalisme, elle conduit, en pratique, à un
résultat contraire notamment à un certain particularisme. D’une part, le processus de
classification des rapports de droit implique nécessairement une phase de qualification
laquelle est fonction des conceptions nationales (a). D’autre part, la détermination du siège du
rapport de droit conformément à sa nature conduit à une multiplicité de résultats dans la
mesure où elle est également l’objet de l’idéologie que s’en fait chaque ordre juridique (b).

a) La qualification du rapport de droit selon les conceptions des droits nationaux


732. La classification du rapport de droit par une qualification nationale. La
doctrine de Savigny propose d’opérer une classification des rapports de droit selon leur
nature. Conformément à l’esprit de cette théorie, notre droit positif reconnaît de manière quasi
unanime des catégories de rattachement en droit international privé dans lesquelles se range
tout rapport de droit. En effet, en adoptant une « conception institutionnelle de (la) réalité »,
« le droit international privé admet qu’il existe sur le plan de la vie internationale des
institutions (…) » 1121 qui deviennent des catégories de rattachement et pour chacune
desquelles sont prévues des règles de conflit qui leur sont propres. En d’autres termes, des
catégories universelles, issues de la communauté juridique internationale, sont apparues et il

1121
Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, op. cit., § 19.

344
convient dans chaque cas d’y ranger chaque rapport de droit. Cependant, une difficulté a été
soulevée, celle de la qualification. Chaque fois qu’un rapport de droit doit être rangé dans une
catégorie de rattachement, il convient de procéder à la qualification de ce rapport de droit. Or,
cette qualification est opérée au regard des droits internes de chaque ordre juridique.
L’approche est nécessairement matérielle. Néanmoins, cela pose une réelle difficulté puisque
d’un ordre juridique à un autre, un rapport de droit peut être qualifié différemment c’est-à-dire
rangé dans une catégorie de rattachement différente, et se voir appliquer une règle de conflit
divergente.
733. Une qualification favorable au particularisme. Aujourd’hui, la qualification
s’opère conformément à la loi du for, parce que « si les règles de conflit employaient des
notions indépendantes de tout droit interne déterminé, on aboutirait à un droit international
privé qui risquerait de n’être en accord avec aucun droit interne »1122. Par conséquent, en
pratique, l’observateur d’une situation juridique privée va ranger celle-ci dans une catégorie
de rattachement en référence à son ordre juridique personnel. C’est donc la facilité de ce
processus extrêmement pratique qui a conduit à retenir une qualification lege fori.
Néanmoins, ce recours est contestable dans la mesure où, lorsque Savigny prônait
l’universalisme, c’est plutôt le particularisme qui a primé 1123 . La lacune de la théorie de
Savigny tient donc à ce problème de qualification qui n’est toujours pas résolu en droit positif.
La qualification lege fori est contraire à toute idée d’universalisation d’un système et à toute
philosophie d’homogénéisation. Ainsi, la structure de système proposée par Savigny, à savoir
la classification du rapport de droit, est pertinente mais ne permet pas, telle qu’elle est
envisagée aujourd’hui, un traitement unifié ou égalitaire du sujet de droit. De plus, « quand
bien même la plupart des systèmes de conflits de lois s’expriment sous forme de règles
enchaînant une catégorie et un rattachement, leur contenu n’est pas le même » 1124 . Par
conséquent, même après le processus de classification, des divergences peuvent apparaître au
regard du choix du rattachement.

1122
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 17.
1123
Cf. infra § 738 ; si le particularisme prend le pas sur l’universalisme, ce n’est qu’en raison du fait que la
communauté de droit envisagée par Savigny se cantonnait volontairement à la communauté du Saint-Empire
romain germanique laquelle était uniquement soumise en droit romain à l’époque.
1124
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 153.

345
b) La détermination du siège du rapport de droit selon les idéologies de chaque Etat
734. Le siège du rapport de droit variable d’un Etat à l’autre. Weiss affirmait que
« toute relation peut avoir et doit avoir plusieurs termes, ayant chacun peut-être un siège
différent » et que « la nature intrinsèque du rapport à apprécier (…) ne sera pas toujours aisée
à apprécier »1125. Or, selon Savigny, la règle de conflit est fonction de la localisation objective
du siège du rapport de droit conformément à sa nature. Cependant, l’appréciation de ce siège
peut différer d’un Etat à l’autre, c’est-à-dire s’analyser différemment selon l’ordre juridique
en cause. L’exemple le plus classique est celui du statut personnel pour lequel sa nature
impliquerait de choisir la loi la plus intrinsèque à la personne. Or, le débat demeure entre la
loi nationale et la loi du domicile de l’individu. Chaque Etat a alors adopté la règle de
rattachement à l’égard de laquelle il se sentait le plus proche conformément à sa politique
législative.
735. Un choix de rattachement vecteur de particularisme. Le grand tort de Savigny
est donc d’avoir proposé une formule extensible ou simplement trop large. En effet, « le siège
des situations peut être, suivant les mentalités, placé dans des lieux différents » 1126 . Par
conséquent, comme pour le problème de qualification, le problème du choix de rattachement
ne conduit plus à une universalisation du système, mais plutôt à l’inverse. Par conséquent, la
méthode proposée par Savigny, si elle demeure fondée sur des bases essentielles à tout
traitement neutre et égalitaire du justiciable, n’est pas assez approfondie pour parvenir à ce
résultat. Cependant, l’erreur de Savigny est sans doute d’avoir considéré l’intégralité de son
système sur l’idée de communauté de droit, qui malgré les avantages qu’elle présente a priori
constitue en réalité un frein, voire une utopie.

2) Les obstacles surmontables engendrés par l’exigence d’une communauté de droit


736. Tout le système savignien est construit sur l’idée que les règles de conflit de lois
ne sont que la reproduction de législations communes issues d’une communauté de droit déjà
établie. Cependant, en fondant son système sur ce concept, l’auteur allemand n’a créé que
l’illusion d’un système neutre et égalitaire puisqu’en réalité il se confine autour d’une culture
régionale (a). Par conséquent, l’existence d’une communauté de droit ne doit pas constituer un
préalable à l’édification d’un système universel. A contrario, la communauté de droit doit être
le but auquel tend la construction du système applicable au droit des conflits de lois (b).

1125
A. Weiss, T. II, S. V « Critiques des théories allemandes », op. cit., p. 365 et s.
1126
P. Louis-Lucas, « Droit international privé français », op. cit., Fasc. 530 B, § 19.

346
a) L’illusoire égalité de traitement dans un système confiné par une culture régionale
737. Une communauté de droit fondée sur une culture romano-chrétienne. La
doctrine de Savigny est fondée sur l’idée de communauté de droit. En effet, celui-ci
considérait qu’au regard de législations communes basées sur une culture romano-chrétienne,
il serait possible de créer un système de conflit de lois universel, ou du moins commun à cette
communauté de peuples. Ainsi, « l’aspect substantiel de cette communauté, observable dans
le fait que le droit privé romain est demeuré l’armature des lois de droit privé de tous ces
Etats, peut être utilisé pour inspirer (des) règles communes »1127. Cette idée de communauté
de droit est louable en ce qu’elle permettrait de construire un système universel en droit des
conflits de lois. Cependant, elle soulève de sévères difficultés.
738. Une communauté imprégnée des idéologies archaïques de la culture romano-
chrétienne. Premièrement, la communauté de droit envisagée par Savigny est celle illustrée à
son époque c’est-à-dire une communauté occidentale fondée sur des traditions issues du droit
romain et du christianisme. Or, s’il a pu être considéré que la méthode bilatérale est, en tant
que telle, une méthode abstraite de tout subjectivisme, la considération de la communauté de
droit dans laquelle Savigny l’établit vient remettre en cause cette neutralité. En effet, si le
système est construit sur des fondements bilatéralistes mais qu’il demeure le fruit de traditions
historiques et culturelles, il est finalement peu probable que les règles du droit des conflits de
lois soient neutres, mais bien fonction de ces anciennes traditions, qui ne sont pas
nécessairement favorables aux intérêts des particuliers. En effet, il a pu être constaté que les
règles anciennes du droit des conflits de lois sont plutôt fonction des intérêts de l’Etat que de
ceux des individus. C’est pourquoi il serait sans doute préférable finalement d’évincer l’idée
de communauté de droit comme base à la construction du système de droit des conflits de lois.
739. Une communauté de droit uniquement régionale. Deuxièmement, en prônant
l’idée de communauté de droit, Savigny, qualifié d’universaliste, aurait dû être considéré
comme régionaliste puisque la communauté de droit qu’il évoque est celle propre à
l’Occident. Par conséquent, son système n’a rien d’universaliste, il ne permet de créer qu’un
système régional réunissant des Etats de cultures identiques. Il a vraisemblablement anticipé
la mise en place des réglementations issues des organisations régionales depuis le XXème
siècle. Toutefois, il semblerait que si l’auteur est considéré comme universaliste, son intention

1127
P. Gothot, « Simples réflexions à propos de la saga du conflit de lois », in Le droit international privé : esprit
et méthodes : Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005.

347
demeurait celle d’établir un système juridique auquel se soumettraient la population issue du
Saint-Empire romain germanique. C’est pourquoi sa doctrine ne visait, en réalité, qu’une
communauté de droit, celle soumise au droit romain sur le territoire du Saint-Empire. Son
idée de communauté de droit n’est donc pas si pertinente puisqu’en vérité elle conduit à
cantonner le système de droit des conflits de lois à des régions dans lesquelles les Etats ont
des cultures identiques. Il conviendrait donc plutôt d’envisager une communauté de droit
internationale dans laquelle tout Etat pourrait être partie.

b) L’éviction de toute communauté de droit préexistante


740. L’abandon de toute communauté de droit existante en amont. S’il est
possible de considérer que le préalable à tout universalisme est l’existence d’une communauté
de droit, l’analyse de la doctrine de Savigny a permis de remettre en cause cette idée dans la
mesure où les communautés de droit existantes sont fondées sur la base de traditions ou de
cultures communes, lesquelles ne peuvent donc s’étendre à l’international, et ne peuvent être
totalement neutres. De plus, cette idée est confortée par le fait que même au sein de
communautés régionales, des difficultés apparaissent au regard de la mise en œuvre de la
méthode analytique. Pour reprendre l’exemple du statut personnel, malgré la culture proche
de la France et du Royaume-Uni, il n’empêche que l’une est favorable à la loi nationale et
l’autre à la loi du domicile. Ainsi, même à l’intérieur des communautés, des divergences
persisteront et ceci essentiellement à raison des cultures identitaires de chaque ordre juridique.
Il convient d’en tirer un premier constat. Il ne faut pas rechercher en amont l’existence d’une
communauté de droit. Pour évincer toutes les difficultés engendrées par l’idée d’une
communauté de droit déjà existante, il faut simplement bannir cette idée en tant que préalable
nécessaire à toute construction d’un système universel.
741. Vers un objectif de communauté de droit en aval. En revanche, la seconde
conclusion qu’il faut en tirer est la suivante : il convient d’établir une communauté de droit en
aval. Par conséquent, le concept de communauté de droit doit être une fin et non plus un
moyen comme l’avait déjà perçu Batiffol en préconisant la coordination des systèmes1128. La
difficulté sera désormais de parvenir à la création d’une communauté de droit. Or, si l’on ne

1128
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 43 : « L’idée que le droit international privé revêtait une double
nature de droit national par ses sources et de droit supraétatique par ses objectifs, en sorte que législateur et
jurisprudence devaient, tout en travaillant dans un cadre national, exercer une mission supraétatique, était, en
effet, à l’époque professée par nombre d’auteurs, à l’égard desquels Henri Batiffol reconnaissait expressément sa
dette ».

348
peut partir des sources communes aux législations étatiques, il convient donc de créer un
système adaptable à tout Etat, c’est-à-dire un système auquel tout Etat pourrait adhérer. Pour
atteindre cet objectif, il faut nécessairement créer un système parfaitement neutre pour éviter
aux Etats de devoir faire des concessions à l’égard de certaines de leurs politiques. Cela
signifie qu’il convient de proposer un système permettant aux Etats de conserver leurs
idéologies. Les traditions ne doivent pas être un obstacle à l’adhésion de l’Etat à la
communauté.
742. L’édification d’une communauté de droit par le biais du bilatéralisme.
Construire une communauté de droit propre au droit des conflits de lois implique de garantir
la neutralité de la règle de conflit. Or, il a été démontré que seule la méthode bilatérale permet
d’assurer la mise en œuvre de cet objectif. C’est pourquoi cette communauté doit construire le
système de droit des conflits de lois sur la base du bilatéralisme. De plus, l’avantage de cette
méthode est, en sus de la neutralité, de garantir une égalité de traitement des sujets de droit en
appliquant indifféremment la loi du for et la loi étrangère. Par conséquent, il est indispensable
de recourir à cette méthode pour, d’une part créer une communauté de droit internationale, et
d’autre part respecter l’objet même du droit des conflits de lois.
Finalement, au regard du droit positif, il est établi que, de manière générale, chaque
législateur a préféré opter pour le bilatéralisme, contrairement à l’unilatéralisme.
Vraisemblablement, le législateur a opéré le choix qui était le plus adapté à la discipline du
droit des conflits de lois dans la mesure où seule la méthode bilatérale permet de respecter ses
objectifs, et principalement une homogénéisation des règles de droit. C’est pourquoi il
convient de retenir une méthode conflictuelle bilatérale inspirée de la doctrine de Savigny
mais de la perfectionner afin qu’elle ne puisse conduire à un particularisme contraire aux
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement.

349
350
CONCLUSION DU CHAPITRE I :
743. La préférence accordée à une méthode conflictuelle objective bilatérale. En
conclusion, au regard des méthodes proposées en droit des conflits de lois, il est préférable de
retenir une méthode conflictuelle objective bilatérale laquelle répond le mieux aux objectifs
de neutralité et d’égalité de traitement.
744. La méthode conflictuelle comme premier préalable à toute unification. La
méthode conflictuelle est nécessairement la plus adaptée et principalement au regard de la
souplesse qu’elle offre. En effet, la méthode matérielle supposant un accord préalable sur le
fond ne peut que s’avérer inadaptée à toute idée d’homogénéisation. Seule une technique
emportant désignation du champ d’application dans l’espace d’une loi peut permettre un
consensus commun des Etats composant le monde entier. De plus, la mise en place d’un
système commun suppose de rendre celui-ci souple au regard des évolutions que peut
connaître chaque Etat, que celles-ci soient politiques, économiques ou sociales. Seule la
méthode conflictuelle est donc à même de répondre à cette flexibilité car elle ne suppose pas
d’établir des règles de fond susceptibles d’évolution.
745. La méthode objective comme second préalable à toute unification. En outre,
la méthode conflictuelle doit également s’avérer objective, c’est-à-dire consister à déterminer
tout rapport de droit en fonction de sa localisation concrète de proximité. Il s’agit du second
préalable à une harmonisation du système. En établissant une donnée objective,
nécessairement neutre, applicable de manière identique pour chaque cas similaire, il serait
possible de parvenir à accorder tous les Etats sur le traitement des situations litigieuses entre
particuliers. Il s’agirait alors de mettre en place un système commun traitant objectivement et
égalitairement tout individu en fonction d’un litige donné par le biais d’une démarche
scientifique. De plus, la loi applicable serait nécessairement celle qui peut légitimement le
plus prétendre à être appliquée puisqu’elle sera celle qui présente les liens les plus étroits avec
la situation. Néanmoins, les éléments permettant de déterminer la loi qui présente les liens les
plus étroits doivent être déterminés en fonction des intérêts privés. C’est pourquoi il ne faut
pas faire totalement abstraction d’une approche subjective. Celle-ci doit obligatoirement être
prise en compte dans la localisation du rapport de droit.
746. La méthode bilatérale comme dernier préalable à toute unification. Pour
peaufiner encore la méthode, il convient d’opter pour une approche bilatérale puisque la
méthode conflictuelle peut se décliner sous deux formes. Or, l’unilatéralisme est à éviter dans
la mesure où il empêche la création d’un système universel, et favorise un système national

351
autocentré. En effet, comme l’a affirmé le Professeur Lequette, pour aspirer à l’universalisme,
il convient de se positionner en tant que « législateur universel » 1129 . C’est pourquoi il
convient de recourir au bilatéralisme, lequel permet de mettre en place une méthode neutre
mettant sur un pied d’égalité loi du for et loi étrangère et applicable à une échelle
internationale. Il s’agit de la seule solution à même de répondre à l’un des objectifs du droit
des conflits de lois, à savoir l’unification de ses règles. Par conséquent, la méthode proposée
par Savigny doit bien être le socle sur lequel doit se construire le système, même si celui-ci
devra s’extraire des carences de ladite doctrine.
747. Une méthode respectueuse des objectifs de neutralité et d’égalité de
traitement. Ainsi, si la méthode du droit des conflits de lois est construite sur une idéologie
conflictualiste, bilatéraliste et objectiviste, alors pourrait apparaître un système commun dans
lequel toutes les règles de conflit sont unifiées et emportent l’adhésion de tous les Etats. Ce
n’est donc que par ce biais que pourront être assurées neutralité et égalité de traitement c’est-
à-dire les autres objectifs auxquels aspire la discipline. Néanmoins, pour concrétiser cette
approche, il faut encore déterminer quels doivent être les caractères et la structure de la règle
de conflit bilatérale, et quels doivent être les rattachements qui s’y lient.

1129
Y. Lequette, op. cit., § 47 : « En l’absence de société internationale constituée en ordre juridique autonome
disposant de ses règles propres, il revient à chaque Etat de réglementer les relations privées internationales au
moyen du seul matériau dont il dispose, l’emprunt aux droit internes. Chaque Etat doit alors agir en « législateur
international », en « législateur universel », c’est-à-dire en se plaçant « à un point de vue multilatéral », ce qui
implique de rechercher quel est le mode de règlement qui est susceptible de conduire à un traitement d’ensemble
harmonieux des relations privées internationales, car acceptable par les autres Etats ».

352
CHAPITRE II : LA STRUCTURATION D’UNE METHODE BILATERALE A

RATTACHEMENT AUX LIENS LES PLUS ETROITS PAR FIDELITE A L’EGALITE DE

TRAITEMENT

748. La recherche d’une méthode entièrement neutre et égalitaire. La méthode


conflictuelle bilatérale, au regard des autres méthodes applicables en droit des conflits de lois,
est la plus performante dans la réalisation de l’égalité de traitement des sujets de droit. Or,
pour qu’elle le demeure, il convient que les éléments qui la composent le soient également.
749. Les caractères et la structure de la méthode bilatérale à l’aune de l’objectif
d’égalité de traitement. La règle de conflit bilatérale possède des caractères et une structure
qui lui sont propres. Ceux-là sont essentiels à la réalisation de la justice conflictuelle dans la
mesure où ils préconisent l’établissement d’une méthode totalement neutre et scientifique.
Cependant, cette méthode n’est pas parfaitement achevée et demeure une esquisse qu’il
convient absolument de compléter, notamment en introduisant une appréciation concrète de la
localisation, pour réaliser à la fois neutralité de la règle de conflit et égalité de traitement des
situations internationales (section 1).
750. Les rattachements des règles de conflit bilatérales confrontés aux aspirations
du droit des conflits de lois. En outre, si la règle de conflit bilatérale est construite à partir
d’éléments structurels particuliers, elle se voit assigner un rattachement par catégorie de
rattachement. Or, la diversité des rattachements auxquels la règle de conflit a pu être affectée
a conduit le droit des conflits de lois à modifier sa vision de la localisation. En effet,
inopportunément, la discipline est passée d’une localisation neutre et abstraite à une
localisation individualisée et arbitraire du rapport de droit, sans pour autant parvenir à la
réalisation d’un compromis fonctionnel (section 2).

SECTION 1 : L’EBAUCHE D’UNE METHODE PARFAITEMENT CONFORME A LA


JUSTICE CONFLICTUELLE

751. S’il peut être considéré que la méthode conflictuelle bilatérale constitue la
méthode la plus adaptée pour assurer neutralité et égalité de traitement au regard des autres
méthodes, ceci ne peut qu’être confirmé par l’étude de ses caractéristiques. En effet, la règle
de conflit bilatérale classique présente des caractères propres, lesquels demeurent
indispensables à la création d’une règle neutre et universelle (sous-section 1). Cependant, ces
caractères sont restés insuffisants et inaptes à régir toute situation juridique principalement par
souci de rigidité. C’est pourquoi la règle de conflit contemporaine s’est dotée d’une nouvelle

353
structure et principalement d’un nouveau caractère c’est-à-dire un caractère substantiel. Or, le
recours à cette forme récente est parfaitement contestable à raison de son approche
matérialiste. Il s’avère que cette méthode est totalement incompatible avec la justice
conflictuelle (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LES CARACTERES PROPRES ET TRADITIONNELS DE LA REGLE


BILATERALE GARANTS DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

752. La construction de la méthode de conflit classique s’est traduite sous l’apparence


d’un système bilatéral en raison des avantages qu’il peut présenter1130. Plus particulièrement,
cette méthode, érigée comme fondement classique de la règle de droit en droit des conflits de
lois, présente des caractères qui lui sont propres et qu’il convient de rappeler dans la mesure
où ce sont ces derniers qui permettent d’en faire la méthode la plus adaptée aux objectifs du
droit des conflits de lois. En effet, les règles de conflit bilatérales classiques possèdent avant
tout un caractère indirect, lequel constitue le gage d’un traitement neutre et égalitaire des
situations juridiques (§ 1). De plus, ces mêmes règles adoptent une allure particulière, laquelle
se traduit par des règles à rattachement simple propres à chaque catégorie de rattachement.
Celles-ci ont été élaborées sur la base d’une approche purement scientifique et conduisent
alors à un traitement universel des situations juridiques (§ 2).

§ 1 – L’ADOPTION D’UNE METHODE INDIRECTE GAGE D’UN TRAITEMENT NEUTRE


ET EGALITAIRE

753. La méthode conflictuelle bilatérale est considérée comme la plus adaptée pour
répondre aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement qui doivent être garantis par le
droit des conflits de lois. Or, il s’avère que sa structure le confirme. En effet, sa fonction
indirecte consistant à déterminer le champ d’application des lois dans l’espace assure le
respect de la neutralité de toute législation (A). De même, le résultat assuré par la méthode,
c’est-à-dire la désignation objective d’une loi unique parmi les lois en présence, garantit, une
nouvelle fois, la neutralité et même l’égalité de traitement (B).

A. LA DETERMINATION DU CHAMP D’APPLICATION DES LOIS DANS L’ESPACE


CONFORME A LA NEUTRALITE DE LA REGLE

754. Le bilatéralisme, en tant que méthode, possède des caractères spécifiques,


notamment un caractère indirect qui consiste à établir le champ d’application des lois en

1130
Cf. supra § 706 et s.

354
conflit dans l’espace. Cette spécificité de la méthode implique que le raisonnement sur lequel
est fondée la méthode soit neutre, c’est-à-dire exempt à la fois de dispositions matérielles (1),
et de considérations substantielles (2).

1) La délimitation dans l’espace de la loi applicable sans recours aux règles de fond
755. La méthode conflictuelle bilatérale présente un caractère indirect en ce qu’elle
conduit à désigner, dans une situation juridique, quelle sera la loi applicable. Ce caractère
évince alors toute forme de matérialité dans le traitement des situations litigieuses, ce qui est
nécessaire pour pallier les difficultés que soulève la méthode matérielle (a). En sus, ce
caractère assure également la réalisation des objectifs du droit des conflits de lois puisqu’il
conduit à envisager la mise en place d’un système universel (b).

a) L’exclusion de tout matérialisme par désignation indirecte de la loi applicable


756. Le caractère indirect de la règle de conflit. Il est considéré que « la loi
applicable aux rapports privés dans la vie internationale est déterminée par le règlement du
conflit de lois qui consiste dans un ensemble de règles de rattachement (…) soumettant
chaque rapport de droit tantôt à la loi du tribunal saisi, tantôt à une loi étrangère » 1131 .
Effectivement, le conflit de lois est essentiellement résolu par la méthode conflictuelle, et doit
le demeurer notamment parce que celle-ci présente un caractère indirect. La règle
conflictuelle est une règle indirecte en ce qu’« elle ne résout pas la question de fond à
l’occasion de laquelle le conflit s’élève, mais désigne la loi apte à la résoudre celle à laquelle
va être empruntée la règle de décision »1132. Par conséquent, cette méthode propre au droit des
conflits, qualifiée de « droit de classement »1133 s’oppose à la méthode matérielle qui consiste
à régir directement le rapport de droit au fond1134. Le but du législateur n’est donc pas, en
droit des conflits de lois, d’ériger des dispositions matérielles directement applicables à la

1131
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 193.
1132
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 165.
1133
Ibid.
1134
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 208 : « On dit que la règle est indirecte, par
opposition aux autres méthodes du droit international privé qui indiquent immédiatement une solution matérielle
donnée ».

355
situation litigieuse1135, mais bien « de soumettre à une règle de droit une situation de fait et
(…) un rapport international »1136.
757. L’exclusion de toute règle matérielle. Le caractère indirect de la méthode
conflictuelle possède l’atout considérable de mettre fin aux difficultés soulevées par la
méthode matérielle1137. En effet, le recours à la méthode matérielle semble difficile dans la
mesure où « les lois varient d’une nation à l’autre » puisque « les nations obéissent fatalement
(…) aux influences particulières sous lesquelles chacune d’elles se trouve placée et au premier
rang desquelles il faut faire figurer la race, le climat, les traditions, la situation économique, le
régime politique et la religion »1138 . En raison des différences identitaires de chaque Etat,
aucun droit des conflits de lois matériel et universel ne peut exister. C’est pourquoi il est
nécessaire de recourir à la méthode conflictuelle qui présente un caractère indirect. Ceci se
confirme dans la mesure où si elle ne conduit pas à uniformiser matériellement le droit des
conflits de lois, elle pourrait l’unifier méthodiquement.

b) L’approche universelle du droit par désignation indirecte de la loi applicable


758. Vers l’unification du droit grâce au caractère indirect de la règle.
Contrairement aux règles matérielles, « les règles de conflit au sens strict tendent (…) à
satisfaire (l’) exigence de « coordination » des systèmes au niveau du choix de la loi
applicable, en exerçant leur fonction habituelle – du moins lorsqu’elles prennent la forme
classique de règles « bilatérales » - de rendre applicables, pour la réglementation de chaque
cas qui soulève un problème de conflit de lois, les règles matérielles du for ou celles d’une loi

1135
Voir en ce sens : A. Bucher, « La dimension sociale du droit international privé : Cours général », op. cit., §
14 : « simplement « localisatrice », la règle de conflit joue un rôle indirect, assurant le passage de l’état de fait
vers la solution apportée au fond, mais sans s’intéresser au contenu de celle-ci pour marquer ce détachement du
droit matériel, on dit que le raisonnement se fait en deux étapes. on choisit d’abord le système juridique
compétent à l’aide d’un point de rattachement. Ce n’est qu’ensuite que ce système est examiné pour sélectionner
et appliquer les règles matérielles pertinentes. Pourtant, il est indéniable qu’en réalité cette opération, conçue en
deux étapes, forme un tout. Le cas litigieux demande à être tranché par des règles matérielles aptes à ce faire.
Lorsqu’il présente un élément d’extranéité, la règle de conflit joue un rôle de relais, ou d’intermédiaire, vers ces
règles. placée dans ce processus, la règle de conflit ne dit pas qu’elle serait, intrinsèquement, indifférente à ce qui
se situe en amont et en aval de son intervention. Ce détachement est le fruit d’une conception de son rôle et de sa
finalité ».
1136
J. Maury, op. cit., § 38.
1137
Cf. supra § 529 et s.
1138
F. Despagnet, op. cit., § 9.

356
étrangère »1139. La méthode conflictuelle bilatérale est donc, à raison de son caractère indirect,
le préalable à toute unification du système.
759. L’universalisation d’une méthode neutre en droit des conflits de lois. Parce
qu’elle supprime les divergences concernant les règles de fond de chaque Etat, elle permet
d’envisager un accord des Etats à propos de règles indirectes et non plus directes. Par
conséquent, la méthode conflictuelle bilatérale est le seul outil à même de permettre
l’universalisation du système en droit des conflits de lois. Or, si le caractère indirect de cette
méthode permet de tendre à une union internationale, il assure également la mise en œuvre
d’une méthode neutre, c’est-à-dire exempte des considérations étatiques. Ainsi, neutralité et
universalité étant réalisées, la méthode conduirait à l’égalité de traitement des situations
internationales. Toutefois, il faut également que la règle de conflit ne prenne également pas en
compte la loi qui sera désignée.

2) La délimitation dans l’espace de la loi applicable exempte de considérations


substantielles
760. La méthode conflictuelle bilatérale en présentant un caractère indirect conduit en
principe à déterminer la compétence des lois en conflit dans l’espace, sans que soit prise en
compte la loi qui sera désignée (a). C’est pourquoi elle conduit à faire abstraction de tout
substantialisme et, par conséquent, à garantir tous les autres caractères du droit des conflits de
lois notamment l’universalité et la neutralité (b).

a) L’absence de prise en compte de la loi désignée


761. L’exclusion du substantialisme dans la désignation de la loi applicable.
Despagnet affirmait que se dégageait « peu à peu un Droit commun des peuples comprenant
les règles rationnelles qui servent à indiquer la loi applicable à tel rapport de droit donné »1140.
Effectivement, de manière générale, le droit des conflits de lois est régi par la méthode
conflictuelle bilatérale qui consiste à déterminer quelle est la loi applicable à une situation
litigieuse. Il s’agit d’une méthode indirecte puisqu’elle ne consiste qu’à déterminer le champ
d’application dans l’espace des lois potentiellement applicables à une situation privée
internationale. Si la méthode conflictuelle ne peut se confondre avec la méthode matérielle,
elle ne peut pas non plus, à raison de sa nature, et plus particulièrement de son caractère

1139
P. Picone, Ch. II « La méthode de coordination des ordres juridiques basée sur le choix de la loi applicable »,
in « La méthode de la référence à l’ordre juridique compétent en droit international privé », RCADI, 1986, vol.
n°197, § 6.
1140
F. Despagnet, op. cit., § 105.

357
indirect, se confondre avec une approche substantialiste. La méthode conflictuelle bilatérale
établit quelle sera la loi compétente sans aucune considération de la loi désignée1141. Son
caractère indirect conduit à ne pas s’occuper du fond, « c’est-à-dire à ne rechercher le contenu
de la loi applicable, qu’une fois celle-ci désignée »1142.
762. Une exclusion indispensable corollaire de neutralité. Le processus de
raisonnement opéré par la méthode conflictuelle bilatérale ne fait que répondre à la fonction
du droit des conflits de lois qui consiste bien à « résoudre les conflits entre les lois matérielles
des différents ordres juridiques, pour l’appréciation dans l’abstrait d’un même fait social »1143.
Par conséquent, le caractère indirect de la méthode est essentiel en ce qu’il répond du rôle de
la discipline consistant à trancher un conflit s’élevant au regard du champ d’application de
plusieurs lois dans l’espace. C’est pourquoi les règles de conflits bilatérales sont
nécessairement exemptes de considérations substantielles1144. Elles permettent, grâce à leur
caractère indirect, de garantir d’autres caractères propres au droit des conflits de lois, et
principalement celui de la neutralité1145.

b) L’assurance d’une méthode neutre universelle


763. Si la méthode conflictuelle bilatérale, grâce à son caractère indirect, conduit à
écarter toute prise en compte de la loi désignée, dès lors qu’elle est mise en œuvre, elle permet

1141
Voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I, § 359 :
« Classiquement, la neutralité prêtée à la règle de conflit bilatérale dans sa fonction répartitrice des compétences
législatives conduit à l’appréhender comme une sorte de panneau indicateur, se contentant de signaler l’ordre
juridique au sein duquel sera recherchée la solution du litige, en toute indifférence à l’égard de son résultat
concret. Les diverses étapes de sa mise en œuvre sont alors perçues comme revêtant un caractère mécanique, ou
du moins obéissant aux exigences inexorables – bien que diversement interprétées – du respect des souverainetés
qu’elles répartissent. La règle de conflit épuisant sa fonction dans la désignation du droit compétent,
l’application concrète des règles substantielles de celui-ci ne relèverait plus même du droit international privé, à
la seule exception de l’irréductible prise en considération de l’ordre public ».
1142
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 204.
1143
P. Picone, Ch. II « La méthode de coordination des ordres juridiques basée sur le choix de la loi applicable »,
in « La méthode de la référence à l’ordre juridique compétent en droit international privé », op. cit., § 6.
1144
Voir en ce sens : A. Bucher, « La dimension sociale du droit international privé : Cours général », op. cit., §
23 : « La désignation du droit applicable étant ainsi détachée du droit matériel, elle est axée sur des signes
extérieurs au rapport juridique, tenant aux liens géographiques ou à la « localisation » de la situation dans un
ordre juridique étatique. Le rattachement à l’ordre juridique applicable s’opère sans aucun regard sur le contenu
de celui-ci » ; « Le droit international privé est ainsi isolé du droit matériel, chacun de ces deux domaines suivant
une justice différente. ainsi, les règles de conflit, dans leur conception dogmatique tout au moins, sont coupées
de considérations se référant au droit matériel. est écartée en conséquence toute démarche dont le but consisterait
à dégager directement du droit matériel le domaine d’application dans l’espace nécessaire à la réalisation de ses
objectifs. La finalité du rattachement s’est vue dépouillée de toute substance matérielle ».
1145
Voir en ce sens : Y. Loussouarn, op. cit., spéc. p. 46 : « la règle de conflit serait neutre parce que la
localisation des rapports de droit présenterait un caractère mécanique sur lequel ne passerait aucun souffle de
l'esprit, que n'animerait aucune préoccupation autre que celle de l'appréciation de l'intensité respective des
rattachements ».

358
alors de créer une entente universelle entre les Etats. En effet, si la méthode est exempte de
toute considération matérielle eu égard au résultat recherché, aucun Etat ne peut refuser
d’adopter la méthode puisqu’elle ne remet pas en question les législations de chaque Etat eu
égard à telle ou telle catégorie de rattachement. Par conséquent, la méthode bilatérale grâce à
son caractère indirect assure la neutralité de la méthode, lequel constitue un préalable
nécessaire à tout universalisme et conséquemment à toute égalité de traitement. C’est
pourquoi il résulte de l’application de cette méthode une véritable égalité de traitement entre
sujets de droit.

B. LA DESIGNATION DE LA LOI COMPETENTE SOUS L’EGIDE DE L’EGALITE ET


DE L’UNIVERSALISME

764. La méthode conflictuelle bilatérale, en raison de son caractère indirect, et


conséquemment neutre, amène à déterminer quelle est la loi compétente au regard des lois en
présence, et ceci en respectant l’objectif d’égalité de traitement (1). De plus, conformément à
ces mêmes objectifs, la méthode aboutit à désigner une unique loi applicable (2).

1) La détermination de la loi compétente respectueuse de l’égalité de traitement


765. Lorsque la règle de conflit bilatérale est appliquée à une situation d’espèce, elle
conduit, en raison de son caractère indirect, et conformément à sa structure neutre, à retenir
soit la compétence de la loi du for, soit la compétence de la loi étrangère (a). Ce procédé
conduit, pour chaque espèce, à traiter de la même manière tout sujet de droit (b).

a) L’application potentielle de la loi du for ou de la loi étrangère


766. L’application indifférente de la loi du for ou de la loi étrangère. La méthode
conflictuelle bilatérale consiste, en raison de son caractère indirect, à déterminer quelle loi
sera applicable à une situation juridique donnée parmi les lois en présence. En effet, « en
présence de cas caractérisés par des points de contact avec plusieurs ordres juridiques (…) il
vient tout naturellement à l’esprit de se demander lequel parmi ces ordres juridiques doit en
fournir la réglementation »1146. Par conséquent, au regard des lois en présence, pourra être
retenue aussi bien la compétence de la loi du for que celle de la loi étrangère.
767. Le résultat d’une méthode neutre et scientifique. Au-delà de sa nature
conflictuelle, et de son caractère indirect, la méthode applicable en droit des conflits de loisirs
doit présenter plus particulièrement un caractère bilatéral afin que chaque situation juridique

1146
E. Vitta, Ch. I « La méthode conflictuelle », 2. « Justification rationnelle : différentes théories », op. cit.,
spéc. p. 31.

359
soit soumise à la loi qui est scientifiquement compétente, que celle-ci soit la loi étrangère ou
la loi du for. En effet, en recourant à une telle logique, le traitement de la situation
internationale est parfaitement objectif puisque la règle de conflit bilatérale ne conduira pas à
favoriser, en principe, l’application d’une loi par rapport à une autre. Ceci a alors pour
conséquence de traiter égalitairement les sujets de droit.

b) De l’indifférence du résultat à l’égalité de traitement des sujets de droit


768. L’égalité de traitement entre la loi du for et la loi étrangère. Il est
classiquement admis que « le recours au procédé de la règle de conflit de lois bilatérale (…)
met sur le même pied droit du for et droit étranger »1147. La méthode conflictuelle bilatérale a
donc pour objet de traiter de manière identique loi du for et loi étrangère. Cependant, si cette
méthode garantit l’égalité en termes d’application de la loi du for et de la loi étrangère, elle
favorise alors aussi l’égalité de traitement des sujets de droit.
769. L’égalité de traitement assurée aux sujets de droit. En effet, le caractère
bilatéral de la méthode permet à tout sujet de droit d’être traité de manière identique c’est-à-
dire par la loi qui se veut applicable objectivement à la situation, et non pas par une loi qui se
veut applicable par favoritisme étatique. Une nouvelle fois, c’est bien grâce à la neutralité de
la méthode que l’égalité de traitement peut être assurée à tout sujet de droit. Si le traitement
juridique de ces derniers est structuré par des règles indirectes, et conséquemment neutres,
alors chacun sera traité, en principe de manière identique en fonction de la situation à laquelle
il est soumis. C’est pourquoi un tel système tend à l’universalité, notamment parce qu’il
permet de ne retenir qu’une seule loi applicable.

2) De l’unicité de loi applicable à l’universalité du système


770. Lorsque la règle de conflit bilatérale est mise en œuvre, elle conduit à ne
reconnaître la compétence que d’une seule loi c’est-à-dire sans préférence pour l’une des lois
en litige (a). L’unicité de loi applicable invite à considérer que toute règle de conflit présente
un caractère de neutralité qui est le préalable indispensable à la création d’un système
universel (b).

1147
P. Picone, « La méthode de la référence à l’ordre juridique compétent en droit international privé », op. cit., §
51.

360
a) L’exclusion de tout privilège de compétence entre les lois en présence
771. L’application imposée d’une loi unique. La méthode conflictuelle bilatérale en
permettant l’application de la loi du for ou de la loi étrangère sur la base d’un raisonnement
purement objectif, c’est-à-dire sans prise en compte de considérations substantielles, conduit à
une égalité de traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale identique.
En réalité, elle permet bien plus. Si l’étude de la méthode est plus approfondie, il apparaît que
celle-ci impose l’application d’une loi unique, ce qui a pour conséquence d’exclure une
« application cumulative des lois en présence » 1148 . Or, comme l’affirmait le Professeur
Lequette, il est primordial d’exclure de la méthode une application cumulative puisqu’« un tel
système conduirait à faire prévaloir systématiquement sur chaque point les exigences de la loi
la plus stricte »1149. Par conséquent serait opéré un favoritisme en fonction d’un Etat, ce qui
empêcherait nécessairement de construire un système neutre et traitant de manière égalitaire
tout sujet de droit. La situation de ce dernier serait appréhendée en fonction des lois en
présence, et non plus de son emplacement géographique. Ainsi, les situations juridiques
privées seraient de nouveau fonction des politiques législatives de chaque Etat en cause.
Aucune universalité ne serait permise.
772. L’exclusion de tout lex forisme. De plus, l’application de la loi étrangère ou de
la loi du for, sans prise en considération de la loi désignée, conduit à évincer tout « lex
forisme »1150. Une nouvelle fois, comme l’exposait le Professeur Lequette, il est préférable
d’évincer tout lex forisme du raisonnement conflictualiste dans la mesure où « l’application
systématique et exclusive de sa propre loi aux rapports privés internationaux qui lui sont liés »
entraînerait « un risque considérable de discontinuité radicale dans le traitement de la
situation », et « l’harmonie internationale des solutions et avec elle la sécurité juridique
minimale nécessaire à l’existence d’un ordre juridique seraient manifestement hors de
portée »1151. Tout lex forisme constitue un obstacle à l’unification du droit des conflits de lois
et donc indirectement à une variété de résultats lesquels seront fonction de l’ordre juridique

1148
P. Picone, « La méthode de la référence à l’ordre juridique compétent en droit international privé », op. cit., §
47.
1149
Ibid.
1150
Y. Lequette, op. cit., § 47.
1151
Ibid.

361
compétent. C’est pourquoi il convient de soutenir la méthode conflictuelle bilatérale 1152 ,
puisque, en appliquant une loi unique sur la base d’un raisonnement objectif, elle évince les
deux principaux obstacles à l’universalisation du droit des conflits de lois, à savoir le cumul et
le lex forisme.

b) L’universalité de la méthode confirmée par l’unicité de loi applicable


773. De la neutralité à l’universalité de la méthode. Si par principe, toute règle de
droit en tant que règle de fond, ne peut être neutre, il n’en va pas de même d’une règle de
conflit, qui par nature, est indirecte. Effectivement, « il ne faut pas confondre l’objet de la
règle de conflit et les intérêts qu’elle met en jeu… La conception régulatrice privatiste tend
(…) à concevoir la règle de conflit de lois comme un procédé direct de réglementation des
rapports entre particuliers (alors qu’) elle résout un problème préalable, celui de savoir dans
quelle loi un ordre de l’ordre juridique du for, le juge, puisera une base de raisonnement
applicable à ces rapports »1153 . Par conséquent, une règle de conflit, par nature, peut être
neutre au regard du caractère indirect qu’elle présente, c’est-à-dire dès lors qu’elle adopte une
forme bilatérale consistant à désigner, indépendamment de toute aspiration étatique, la loi du
for ou la loi étrangère. C’est pourquoi grâce à son caractère indirect, la règle de conflit
conduit à une unité de loi applicable, laquelle atteste de l’éventuelle mise en œuvre d’un
système universel. C’est en imposant une méthode neutre que tout Etat peut y adhérer. Or, le
résultat issu de la règle de conflit, à savoir l’unité de loi applicable, excluant nécessairement le
cumul de lois et le lex forisme, atteste de sa neutralité. C’est pourquoi l’unicité de la loi
applicable confirme qu’il s’agit de la seule règle en capacité de créer un système universel.
Or, il convient de rappeler qu’ « en droit international privé, le désir de coexistence
harmonieuse est projeté en quelque sorte au-delà de l’Etat, à travers l’idéal d’un ordre

1152
Voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 227 : « La méthode bilatéraliste
est séduisante puisqu’elle postule l’équivalence des lois étrangères et de la loi du for. Le choix du droit
applicable s’opère sans prévalence de principe du droit du for. Elle est lavée du soupçon de chauvinisme qui
entache les méthodes favorisant le « lex forisme ». Elle est fondée théoriquement sur l’idée que tout ordre
juridique contient une réglementation matérielle applicable à toute situation juridique et sur le relativisme des
règles de droit international privé. Aucun critère de répartition des compétences législatives des Etats n’est dicté
par le droit international public. Chaque système national peut décider librement de faire application ou non,
dans une situation concrète, d’une loi étrangère en raison des liens – qui lui apparaissent les plus déterminants –
entre cette situation et cette loi étrangère ».
1153
Y. Lequette, op. cit., § 48, citant D. Sindres, La distinction des ordres et des systèmes juridiques dans les
conflits de lois, Thèse, Paris 1, 2007, LGDJ, 2008, p. 146.

362
juridique bien coordonné, égalitaire dans la répartition des lois et fondé sur un accueil pondéré
de l’altérité »1154.
774. Les objectifs de neutralité et d’égalité garantis par le caractère indirect de la
règle. En conclusion, le caractère indirect de la règle de conflit constitue la pierre angulaire
d’un droit des conflits de lois respectueux des objectifs de neutralité et d’égalité et dont la
vocation tendrait à l’universalisme. Néanmoins, si le caractère indirect de la règle de conflit
assure le respect de ces objectifs, il faut également que ceux-là soient respectés au stade de la
localisation du rapport de droit notamment au regard du rattachement choisi.

§ 2 – LE RECOURS A LA METHODE OBJECTIVE ABSTRAITE GARANTE D’UN


TRAITEMENT EGALITAIRE

775. Classiquement, la méthode conflictuelle bilatérale présente d’autres caractères


que celui relatif à sa fonction indirecte. C’est pourquoi elle possède un caractère spécifique de
neutralité dans la mesure où son rôle consiste à localiser objectivement toute situation
juridique. Il s’agit donc d’une approche purement scientifique indispensable à certifier
l’égalité de traitement de tout sujet de droit placé dans une situation internationale équivalente
(A). De plus, elle revêt une allure particulière se traduisant par l’utilisation d’un rattachement
simple. Cette apparence implique un processus de localisation abstrait et unique qui demeure
nécessaire à la création d’un traitement universel et équivalent des situations juridiques (B).

A. LA REALISATION DES OBJECTIFS DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS PAR


RECOURS A UNE LOCALISATION OBJECTIVE

776. La méthode conflictuelle bilatérale fonctionne grâce à une approche localisatrice


de la situation juridique sur la base d’éléments objectifs. Cette analyse constitue, en réalité,
une méthode scientifique à même d’assurer la neutralité de la méthode et le traitement
égalitaire des sujets de droit (1). En outre, elle aboutit à la préservation des intérêts de tous,
c’est-à-dire tant ceux de l’Etat que ceux des personnes privées (2).

1) Neutralité et égalité certifiées par une approche scientifique des situations


internationales
777. La méthode conflictuelle bilatérale constitue une méthode objective qui assure
l’effectivité de son caractère neutre (a). De plus, elle institue une méthode scientifique qui
rend possible la concrétisation d’une égalité de traitement des sujets de droit (b).

1154
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes de droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 138.

363
a) La réalisation de la neutralité grâce à la localisation objective
778. Une localisation fonction du principe de proximité. Il a été considéré que la
méthode conflictuelle bilatérale consiste, pour établir quelle est la loi applicable, à rechercher
la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation juridique. Il est donc fait « appel à
l’idée de proximité »1155 pour localiser le ressort dans lequel se situe une situation juridique.
Conformément à cette idée de localisation par la proximité, il s’agit d’apprécier une situation
objectivement, en recherchant avec l’ordre juridique de quel Etat, elle présente des points de
contact. L’applicabilité de la loi dépend donc simplement de la situation spatiale du rapport
litigieux en cause. L’objectivité de cette localisation du rapport de droit conduit à confirmer la
neutralité de la méthode1156. Il s’agit donc bien d’« une directive neutre (…) en sorte qu’elle
est acceptable par tous les Etats »1157.
779. Une localisation objective conforme à la neutralité de la méthode. Au regard
de cette approche scientifique, en principe, si la règle de conflit est élaborée au préalable alors
« la solution d’un conflit de lois (sera) indépendante de l’autorité étatique, en particulier
juridictionnelle, devant laquelle (le litige) s’élève » 1158 . De plus, comme l’affirmait le
Professeur Lequette, « il en résulte qu’une telle directive est la plus propre à favoriser
l’harmonie internationale des solutions et par là même la continuité de traitement de situations
juridiques » 1159 . Par conséquent, une nouvelle fois, la méthode conflictuelle bilatérale en
procédant à une localisation objective de la situation juridique assure la neutralité de sa
méthode, laquelle constitue le préalable nécessaire à l’universalisation du droit des conflits de
lois. En outre, l’utilisation de cette technique objective a en réalité permis d’élaborer une
méthode purement scientifique qui justifie alors une équivalence de traitement pour chaque
sujet de droit.

b) L’égalité concrétisée par une localisation scientifique


780. Une localisation objective équivalente. La localisation objective du rapport de
droit a engendré la naissance d’une méthode qualifiée d’« analytique », c’est-à-dire d’une
méthode scientifique inspirée par la doctrine de Savigny à l’origine1160. Il s’agit d’apprécier

1155
Y. Lequette, op. cit., § 48.
1156
S. Clavel, op. cit., § 26 : « Elle est (…) neutre puisqu’elle ne cherche pas à privilégier une solution
substantielle donnée ; ell est donc indifférente à la teneur de la loi applicable ».
1157
Y. Lequette, op. cit., § 48.
1158
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 165.
1159
Ibid.
1160
Cf. supra § 163.

364
au cas par cas, de manière mécanique le ressort spatial dans lequel se situe le cas d’espèce.
Par conséquent, il s’agit bien d’une méthode scientifique, c’est-à-dire un raisonnement fondé
sur des règles objectives conduisant à obtenir un résultat scientifique, objectif, mais surtout
équivalent. En effet, en adoptant un raisonnement scientifique, cela signifie que chaque sujet
de droit est traité de manière identique quelle que soit la situation.
781. Une méthode scientifique préalable à l’égalité de traitement. Ainsi, la
méthode scientifique, exempte de tout subjectivisme, est bien la seule pouvant conduire à un
traitement équivalent de tout sujet de droit. C’est pourquoi la méthode conflictuelle bilatérale
doit conserver son caractère spécifique de neutralité afin de demeurer objective, et plus
précisément scientifique. Il s’agit du préalable nécessaire pour parvenir à traiter de manière
identique toute personne qui doit se soumettre aux règles du droit des conflits de lois. Dès
lors, les intérêts de tous pourront être sauvegardés.

2) Les intérêts de tous protégés par une approche scientifique des situations
internationales
782. En recourant à une méthode neutre et objective, c’est-à-dire scientifique, les
règles conflictuelles bilatérales, conformément aux fonctions du droit des conflits de lois,
respectent les intérêts de l’Etat (a), et satisfont les intérêts des personnes privées (b).

a) Les intérêts de l’Etat respectés


783. L’autorité des Etats préservée. La méthode conflictuelle bilatérale, et plus
généralement le droit des conflits de lois, « cherche à déterminer le champ d’application
respectif des divers systèmes juridiques en présence dans une situation donnée » en donnant
« compétence à la loi en vigueur sur le territoire où la situation se localise objectivement »1161.
Au regard de cette approche, la compétence d’un Etat n’est reconnue que lorsqu’une situation
litigieuse relève de son ressort spatial au regard d’un examen objectif. Par conséquent, il doit
être considéré que la méthode conflictuelle bilatérale tend à préserver les intérêts de l’Etat
dans la mesure où sa compétence sera légitimement admise chaque fois qu’une situation
relève de son ressort territorial. En d’autres termes, le procédé conduit « à sauvegarder
l’autorité des lois de chaque Etat », puisque grâce à la localisation objective « chaque Etat est
assuré que sa loi s’appliquera aux situations qui lui sont le plus étroitement liées »1162.

1161
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 103.
1162
Y. Lequette, op. cit., § 48.

365
784. Les intérêts étatiques garantis par le caractère neutre de la localisation. Le
raisonnement conflictualiste de forme bilatérale implique pour chaque Etat, conformément « à
la condition de socialité des Etats et le fait qu’ils doivent nécessairement vivre ensemble »1163,
l’assurance que son autorité et ses intérêts seront respectés. La neutralité de la méthode est
donc la seule à même de garantir les intérêts de chaque Etat. Or, il s’avère que si la méthode
applicable au droit des conflits de lois ne doit pas être fonction des intérêts de l’Etat, il
n’empêche qu’elle doit les préserver. En sus, elle doit protéger les intérêts des personnes
privées.

b) Les intérêts privés satisfaits


785. Une localisation conforme aux intérêts privés. Outre le respect des intérêts de
l’Etat grâce au respect de son autorité, la localisation objective avalise les intérêts des
personnes privées, puisque leurs « intérêts se centralisent naturellement au lieu de leur
objet » 1164 . De plus, grâce à son caractère mécanique et scientifique, elle garantit aux
particuliers un traitement identique c’est-à-dire égalitaire qui ne sera fonction que d’éléments
objectifs.
786. Une localisation garante d’égalité. Batiffol affirmait que les solutions du droit
international privé « doivent rechercher l’équité et l’utilité réclamée par les intérêts privés, la
première de ces deux notions emportant un souci du respect, dans une recherche d’égalité, de
toute personne, fût-elle étrangère » 1165 . Il apparaît que grâce à la méthode conflictuelle
bilatérale, toute personne est traitée avec respect en termes d’égalité puisqu’elle est considérée
objectivement et scientifiquement quelle que soit sa situation.
787. Une localisation prévisible. Hormis l’égalité de traitement qui est assurée au
sujet de droit, prévisibilité juridique leur est aussi garantie grâce, une nouvelle fois, à cette
approche scientifique. En effet, « l’application de la loi du milieu social dans lequel la
situation s’insère de manière prépondérante est de nature à répondre à leur attente et à leur
éviter l’intervention d’un droit dont l’application serait pour elles tout à fait inattendue »1166.
Ainsi, comme les intérêts de l’Etat, les intérêts des personnes privées sont garantis par la
neutralité de la méthode et principalement par son approche purement scientifique.

1163
E. Vitta, Ch. I « La méthode conflictuelle », 3. « Suite : Théorie de l’ordre juridique », op. cit., spéc. p. 35.
1164
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 267.
1165
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 102.
1166
Y. Lequette, op. cit., § 48.

366
788. Le maintien indispensable du caractère neutre de la localisation. La méthode
du droit des conflits de lois doit donc maintenir ce caractère de neutralité puisque celui-ci
aboutit à une étude scientifique des rapports de droit, à même de préserver les intérêts de tous,
et ceci conformément aux fonctions de la discipline. En sus, la méthode doit présenter un
ultime caractère qui se traduit par une localisation abstraite du rapport de droit.

B. LA REALISATION DES OBJECTIFS DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS PAR


RECOURS A UNE LOCALISATION ABSTRAITE

789. Le recours à la méthode conflictuelle classique s’opère sous une forme


particulière. En effet, la règle de conflit s’élabore, en principe, par l’utilisation d’un
rattachement simple c’est-à-dire qu’un unique rattachement sera retenu pour une catégorie de
rattachement, et ainsi déterminera la loi compétente. Or, une telle édification de la règle de
conflit présente de réels avantages puisqu’elle permet d’une part de garantir les principes
directeurs du droit des conflits de lois, à savoir la neutralité et l’égalité de traitement (1), et
d’autre part de préserver les objectifs fondamentaux du droit commun positif c’est-à-dire
prévisibilité et sécurité juridiques (2).

1) Neutralité et égalité garanties par la règle de conflit à rattachement unique


790. La méthode classique du droit des conflits de lois s’illustre sous une forme
particulière qui se traduit par une règle de conflit à rattachement unique. Le recours au terme
unique suppose que la règle de conflit présente deux caractères distincts. D’une part, la règle
de rattachement présente un caractère abstrait, lequel est a priori garant de la neutralité de la
méthode (a). D’autre part, elle se décline sous l’apparence d’un rattachement simple qui
constitue le préalable absolu à toute égalité de traitement du sujet de droit (b).

a) La neutralité de la méthode a priori assurée par le caractère abstrait de la règle


791. Le caractère abstrait de la règle. La méthode conflictuelle bilatérale présente
d’autres caractères que ceux d’être indirecte et neutre. Il s’agit également d’une méthode
abstraite1167, ou plus précisément dont le rattachement est abstrait1168. Ce caractère suppose de
rechercher « pour chaque type de rapport de droit dans quel ordre juridique, il se localise

1167
Y. Lequette, op. cit., § 52, à propos de l’approche abstraite : « on recherche pour chaque type de rapport de
droit dans quel ordre juridique, il se localise naturellement, objectivement, en usant d’un contact adéquat,
abstraitement défini. Chaque ordre juridique regroupe à cette fin les rapports de droit dans des catégories
auxquelles il affecte un rattachement approprié ».
1168
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 165.

367
naturellement, objectivement, en usant d’un contact adéquat, abstraitement défini »1169. Pour
atteindre ce résultat, « chaque ordre juridique regroupe (…) les rapports de droit dans des
catégories auxquelles il affecte un rattachement approprié »1170.
792. La détermination d’un rattachement objectif. En d’autres termes, chaque
rapport de droit est rangé dans une catégorie de rattachement à laquelle il convient d’attribuer
un rattachement répondant objectivement à la nature de ce rapport de droit 1171 . Ainsi,
l’approche abstraite, conduisant à établir un rattachement sous l’égide de l’objectivité,
répondrait à son corollaire, la neutralité. En effet, comme l’affirmait Batiffol, « si on veut
bâtir un droit international privé indépendant de tout droit privé interne, on aura un ensemble
de règles abstraites qui ne s’inspireront d’aucune conception humaine déterminée »1172. Si une
règle de rattachement est abstraite, c’est-à-dire déterminée en fonction de la nature du rapport
de droit, alors elle sera neutre, et permettra d’emporter l’adhésion de tous les Etats.
793. Une détermination malaisée. Néanmoins, il a déjà été considéré que déterminer
la nature du rapport de droit ne peut en réalité être totalement objectif dans la mesure où
chaque Etat, ou plutôt chaque région s’est dotée de sa propre culture juridique 1173 . Par
conséquent, en adoptant une approche purement abstraite, il sera difficile d’atteindre
l’universalité puisque l’identification du rattachement ne sera pas vraisemblablement
objective.
794. Le caractère abstrait préféré au caractère concret. Cependant, il est considéré
que la méthode conflictuelle bilatérale ne peut posséder un caractère concret dans la mesure
où le processus consiste à rechercher « au cas par cas, avec quel ordre juridique la relation
concernée entretient les liens les plus étroits »1174 ce qui conduirait à la « ruine (de toute)
sécurité juridique »1175. Effectivement, utiliser le rattachement des liens les plus étroits est
difficilement praticable en termes de sécurité juridique car il conduirait à faire dépendre la
solution du juge saisi. Or, il ne faut pas pour autant évincer toute idée de proximité du
raisonnement conflictualiste. La solution serait probablement de trouver un consensus entre

1169
Y. Lequette, op. cit., § 52.
1170
Ibid.
1171
Cf. supra § 697.
1172
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 17.
1173
Cf. supra § 731 à 738.
1174
Y. Lequette, op. cit., § 52.
1175
Ibid., § 53.

368
l’approche abstraite et l’approche concrète afin de maintenir la neutralité de la méthode qui
constitue le préalable nécessaire à toute universalité.
795. La combinaison souhaitée des caractères abstrait et concret. En d’autres
termes, la méthode conflictuelle bilatérale possède un caractère abstrait qui lui est nécessaire
en ce qu’il prône l’objectivité dans la résolution des conflits de lois, mais qui demeure
insuffisant pour l’atteindre en raison des cultures juridiques régionales dominantes. C’est
pourquoi il convient sans doute de combiner ce caractère abstrait avec une approche concrète
en termes de localisation du rapport de droit. En opérant un consensus entre ces approches, il
devrait être possible d’établir une méthode réellement neutre qui emporte l’adhésion de tous
les Etats. Il faudra donc déterminer par quel moyen il est possible de parvenir à un tel résultat
au regard du rattachement choisi1176. Néanmoins, il est certain qu’il convient de retenir un
rattachement unique pour atteindre une égalité de traitement des sujets de droit.

b) L’égalité de traitement des sujets de droit promue par un rattachement simple


796. Les règles de conflit classiques à rattachement simple. En principe, la méthode
conflictuelle bilatérale classique est construite sous forme de règle de conflit à rattachement
simple c’est-à-dire qu’un seul rattachement est retenu pour déterminer laquelle de la loi
étrangère ou de la loi du for sera applicable à la situation d’espèce. Ainsi, « chacune d’elles
désigne la loi applicable (…) au moyen de circonstances qui révèlent que cette loi (…) est la
plus propre à fournir une juste et utile solution à la question à résoudre »1177. De plus, « cette
circonstance de rattachement normale est le territoire où les personnes en cause sont
domiciliées, celui où elles agissent, c’est le territoire où le tribunal saisi exerce sa juridiction,
c’est au contraire la nationalité des parties »1178 . Effectivement, comme Arminjon a pu le
présenter, en principe, toute règle de rattachement issue de la méthode conflictuelle bilatérale
possède un rattachement simple, c’est-à-dire unique, conformément à la nature du rapport de
droit, et qui peut se traduire sous diverses déclinaisons comme la loi du domicile, la loi
nationale, la loi du lieu de situation d’objet du litige, etc.
797. De l’unicité du rattachement au traitement égalitaire des sujets de droit. Le
caractère unique de la règle de rattachement présente un avantage considérable. En effet, dès
lors que chaque catégorie de rattachement se voit attribuer un rattachement simple, alors tout

1176
Cf. infra § 864 et s.
1177
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit. § 90.
1178
Ibid., § 92.

369
sujet de droit se verra appliquer la même règle de conflit. Chacun étant soumis à telle
catégorie de rattachement pour tel litige, alors il se verra appliquer, comme aux autres, la
même règle de conflit. Ainsi, en maintenant les caractères de la règle de conflit bilatérale, et
notamment en recourant à un rattachement simple, les objectifs de neutralité et d’égalité
peuvent être atteints1179. De plus, le recours à ce type de rattachement permet également de
garantir aux sujets de droit l’intégralité de leurs intérêts puisque seront aussi préservés la
prévisibilité et la sécurité juridiques.

2) Prévisibilité et sécurité juridiques renforcées par la règle de conflit à


rattachement simple
798. Recourir à un rattachement simple au travers de la méthode conflictuelle
bilatérale n’entraîne pas qu’un impact au regard de la neutralité du système et de l’égalité de
traitement du sujet de droit. Les effets vont bien au-delà, puisque les règles de rattachement
simple sont facteurs de prévisibilité juridique (a) et gages de sécurité juridique (b).

a) Les règles de conflit à rattachement simple facteurs de prévisibilité juridique


799. Le rattachement simple synonyme de prévisibilité juridique. Les règles de
rattachement classiques ont été consacrées en droit positif sous forme de rattachement simple
dans le respect de la méthode conflictuelle bilatérale préconisée par Savigny. Or, « le
législateur qui (les a édictées) n’en a pas cherché les raisons dans des considérations a priori,
il s’est inspiré, pour le faire, des vues de justice et d’utilité qui justifient toutes les dispositions
du droit ; il a visé à protéger la liberté des parties, à rendre leur activité plus aisée et plus
efficace, à faciliter leurs transactions, à ne pas déjouer leurs prévisions, tout en défendant les
droits des tiers »1180. Cette affirmation d’Arminjon est parfaitement transposable aux règles
classiques à rattachement simple puisque, principalement, si elles assurent, grâce à la méthode
bilatérale les intérêts de tous, elles préservent plus particulièrement la prévisibilité juridique.
800. L’unique forme de rattachement garante de prévisibilité juridique.
Effectivement, en recourant à un rattachement unique, toute partie à un litige, ou tout sujet de
droit peut anticiper quelle sera la loi applicable à sa situation. Aucune surprise ne saurait
apparaître à l’occasion d’un litige quant à la loi applicable. En revanche, s’il s’agissait de

1179
Voir en ce sens : W. Wengler, « Les conflits de lois et le principe d’égalité », op. cit., p. 202 : « la tendance
dominante du droit international privé positif est d’attribuer compétence pour résoudre chaque problème à une
seule loi, sans tenir compte du résultat dans l’espèce concrète », « la justification en est surtout que c’est le
meilleur moyen de réaliser l’égalité des situations internationales et internes ».
1180
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 91.

370
rattachements multiples, la prévisibilité juridique pourrait être remise en cause, puisque
plusieurs lois pourraient être applicables. Par conséquent, il est essentiel de retenir un
rattachement simple dans la mesure où il facilite les prévisions des parties, mais aussi la
sécurité juridique.

b) Les règles de conflit à rattachement simple gages de sécurité juridique


801. Le rattachement simple préalable à l’harmonie internationale. Batiffol et le
Professeur Lagarde considéraient que « si chaque législation s’applique aux relations dont
l’élément essentiel est rattaché au territoire sur lequel elle s’applique, on peut escompter, ou
espérer, une convergence dans l’appréciation de l’élément essentiel qui aboutira à une
répartition des compétences exempte de lacunes et doubles emplois, et évitant par suite les
contradictions dans les solutions données à un même litige »1181. Cette affirmation doit être
transposée à la méthode conflictuelle bilatérale classique à rattachement simple. En
construisant une règle conflictuelle neutre sur la base d’un rattachement simple, toute
difficulté devrait être épuisée, et toute harmonie internationale devrait exister.
802. Le rattachement simple corollaire de sécurité juridique. En outre, « la
détermination des circonstances qui rendent telle ou telle loi compétente doit se faire (…)
pour obtenir un résultat pratique » 1182 . Recourir à un rattachement unique conduit à une
solution pratique et concrète, l’égalité de tous, mais également à la sécurité juridique. Si dans
toutes les situations, pour telle catégorie de rattachement, un seul rattachement est applicable,
toute personne sera protégée par le système qui sera parfaitement sécurisé sur le plan
juridique. Une nouvelle fois, en adoptant une démarche neutre et scientifique, insusceptible
d’aléas grâce à un rattachement unique, les principes directeurs de tout droit positif pourront
également être garantis, c’est-à-dire prévisibilité juridique et sécurité juridique. Or, il paraît
indispensable que le droit des conflits de lois, comme toute branche du droit, garantisse ces
objectifs aux côtés de la neutralité et de l’égalité de la méthode pour assurer l’effectivité de
ces derniers.
803. Le maintien nécessaire des caractères classiques de la règle de conflit
bilatérale. En conclusion, les caractères propres de la règle de conflit classique constituent les
fondements principaux à la création d’une méthode neutre et universelle. C’est pourquoi il
convient de les conserver comme fondements de tout nouveau système en droit des conflits de

1181
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 266.
1182
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 91.

371
lois. Pour autant, l’évolution du droit international privé, et précisément du droit des conflits
de lois, a laissé apparaître de nouveaux caractères imputables à la règle de conflit moderne.

SOUS-SECTION 2 : LA MODERNISATION DES CARACTERES DE LA REGLE


BILATERALE EN DISCORDE AVEC L’EGALITE DE TRAITEMENT

804. L’apparition des règles modernes à caractère substantiel. Parallèlement aux


règles de conflit classiques, s’est développée une nouvelle forme de règles de conflit
contemporaines qualifiées de règles de conflit à caractère substantiel1183. Elles se traduisent
sous la forme de règles à rattachements multiples. Par conséquent, la structure de la règle de
conflit s’est modifiée afin d’imposer une nouvelle approche des situations juridiques
internationales, laquelle serait désormais plus concrète, mais fonction d’un résultat matériel à
atteindre1184. Ces règles auraient donc pour objet de mettre à l’écart le caractère abstrait de la
règle de conflit traditionnelle (§ 1).
805. La remise en cause de l’objectif d’égalité de traitement. Or, la mise en place
de cette méthode modernisée, en vertu de son aspiration à la fois substantielle et concrète, a
conduit à faire disparaître les caractères classiques de la méthode conflictuelle. Par
conséquent, elle favorise une analyse matérielle individualisée de chaque situation
internationale et met un terme à toute neutralité et conséquemment à toute égalité de
traitement des situations juridiques internationales (§ 2).

§ 1 – L’INSTAURATION D’UNE LOCALISATION CONCRETE DES SITUATIONS


INTERNATIONALES PAR SOUCI DE SPECIALISATION

806. Si classiquement la règle de conflit de loi s’illustre sous la forme bilatérale à


rattachement simple, conformément à la philosophie savignienne, elle a évolué vers de
nouvelles formes. C’est pourquoi d’une règle de conflit à rattachement simple, celle-ci s’est
transformée en règle de conflit à rattachements multiples dans une optique de spécialisation

1183
Voir en ce sens : B. Oppetit, « Le développement des règles matérielles », TCFDIP, H.-S., 1988, spéc. p.
130 : « C'est, en effet, dans le jeu même et l'utilisation du procédé de la règle de conflit que la progression du
droit international privé matériel paraît sensible : la règle de conflit, caractérisée dans sa pureté originelle par sa
seule mission de désigner la loi compétente sans considération de son contenu ni de la solution concrète à
laquelle elle conduit, se trouve de plus en plus infléchie par l'influence de considérations matérielles l'orientant
désormais vers la recherche d'objectifs concrets ».
1184
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 121, à propos de l’essoufflement de la neutralité de la règle de
conflit : « C’est ainsi que cherchant à atteindre un résultat matériel précis, plusieurs conventions délaissent le
paradigme conflictuel dont la neutralité n’est pas en harmonie avec la fin qu’elles poursuivent pour lui préférer
des règles de conflit à coloration matérielle. Ainsi en va-t-il des conventions relatives à la loi applicable aux
obligations alimentaires ou à la forme des dispositions testamentaires ».

372
de la règle (A). Cette nouvelle forme de règle de conflit a engendré une forte diversification
des règles de conflit à rattachements multiples conduisant à rendre la loi applicable en
fonction du résultat visé par la règle de conflit (B).

A. LA SPECIALISATION DES REGLES DE CONFLIT MODERNES A


RATTACHEMENTS MULTIPLES

807. Les règles de conflit classiques ont connu un réel retentissement en droit
international privé positif, mais celui-ci est demeuré restreint principalement à cause de son
caractère abstrait (1). C’est pourquoi en adoptant une approche plus concrète, les règles de
conflit se sont spécialisées et sont passées d’un rattachement simple à des rattachements
multiples (2).

1) Le succès limité de la règle de conflit classique en raison de son caractère abstrait


808. Au regard des avantages et des objectifs que garantit la méthode conflictuelle
bilatérale classique, celle-ci a été consacrée en droit positif, tant sur le plan national
qu’international mais n’a pourtant pas permis d’engendrer une universalisation du droit (a).
En effet, sa réussite est demeurée limitée par le maintien du caractère abstrait de la méthode,
lequel a conduit à une critiquable cristallisation de la localisation du rapport de droit (b).

a) La prospérité de la méthode bilatérale classique cantonnée à l’échelle nationale


809. La méthode bilatérale à rattachement simple consacrée en droit positif.
Depuis la codification des règles de conflit, il apparaît que la méthode conflictuelle bilatérale
classique a connu un certain succès. Elle a tout d’abord été consacrée à l’échelle nationale,
notamment dans le système de droit international privé français, que ce soit par le législateur
ou par la jurisprudence. Il peut être évoqué notamment l’article 3 du Code civil qui applique à
la capacité et à l’état des personnes la loi nationale, ou encore les jurisprudences relatives aux
successions qui appliquent pour les meubles la loi du dernier domicile du défunt, et pour les
immeubles la loi du lieu de situation 1185 . En outre, si la méthode a été consacrée par le
législateur français, elle a également été consacrée par le législateur européen. Il suffit de

1185
Cass., Civ., 19 juin 1939, Labedan, préc. ; Cass., Civ., 14 mars 1837, Stewart, préc.

373
reprendre, à titre d’exemple, le récent règlement relatif aux successions qui retient que la loi
applicable à la succession du défunt est la loi de son dernier domicile1186.
810. Vers une volonté d’universalisation du droit. S’il en existe d’autres exemples,
il faut surtout retenir que la méthode conflictuelle classique a bien intégré le droit positif, qu’il
soit national ou supranational, dans la mesure où cette méthode présente divers avantages déjà
évoqués1187. De surcroît, cette consécration juridique invite à penser que tout organe juridique
s’est épris des considérations propres à la discipline et plus particulièrement à sa vocation
universelle. En effet, en recourant à cette technique, il semble que les acteurs du droit positif
en matière de conflit de lois ont souhaité agir dans une optique d’uniformisation de la
discipline. C’est pourquoi ont sans doute été conservés les caractères propres de la méthode.
811. La reprise des caractères classiques de la règle. En observant les règles de
conflit classiques de droit positif, il est admis que celles-ci ont bien respecté les caractères
propres de la méthode. Que ces règles soient nationales ou internationales, elles sont bien
construites sur un modèle indirect conduisant à désigner aussi bien la loi du for que la loi
étrangère. Également, elles ont été érigées sur des bases neutres puisque, pour chaque
catégorie de rattachement, il a été déterminé un rattachement unique considéré comme la
réponse légitime à la nature du rapport de droit. Par exemple, le règlement succession retient
comme rattachement la loi de dernière résidence habituelle 1188 dans la mesure où il a été
considéré que ce critère de rattachement répond le plus naturellement et avec la plus grande
proximité à la catégorie de rattachement que sont les successions. Ainsi tous les caractères de
la méthode ont été maintenus.
812. L’absence de neutralité et d’universalisation du droit. Pour autant, en
pratique, aucune universalisation ne s’est produite. En vérité, peu de règles supranationales
ont consacré la méthode. Celle-ci s’est principalement traduite dans les législations internes.
De ce fait, aucune égalité de traitement du sujet de droit ne peut être soutenue, sauf à une
échelle régionale qui demeure minime. En approfondissant le raisonnement a contrario, il

1186
Art. 21 du règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la
compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des
actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen : « sauf
disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’Etat dans
lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès ».
1187
Cf. supra § 752 et s.
1188
Art. 21 du règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la
compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des
actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

374
semblerait donc que la méthode ne soit pas réellement neutre puisque tous les Etats qui
composent le monde n’y ont pas adhéré. En réalité, le problème s’est cantonné autour du
caractère abstrait de la méthode.

b) La cristallisation de la localisation issue du caractère abstrait


813. La cristallisation du rapport de droit. Le Professeur Bernard Audit exposait
qu’« il est unanimement reconnu que si un conflit de lois doit être résolu par attribution de la
situation à une loi donnée, cette attribution doit se faire autant que possible à la loi avec
laquelle la situation présente les liens les plus étroits »1189. Il ajoutait que « le propre de la
méthode de la règle de conflit est de cristalliser cette localisation par un rattachement donné
pour une catégorie plus ou moins vaste de rapports juridiques »1190, et ceci conformément au
siège du rapport de droit, comme le préconisait Savigny. Ainsi, pour reprendre les termes du
Professeur Audit, la méthode classique « cristallise » la localisation par un rattachement
simple à une catégorie de rattachement.
814. Une cristallisation propre à une localisation abstraite. Or, le problème vient
du caractère abstrait de la méthode en ce qu’elle conduit à fixer la méthode c’est-à-dire à
déterminer pour chaque catégorie de rattachement quel sera l’élément de rattachement à
retenir conformément à sa nature. Cependant, en recourant à ce système, celui-ci ne peut
tendre à l’universel puisque la détermination du rattachement ne pourra probablement jamais
être indépendante de considérations culturelles et identitaires propres à chaque Etat ou région.
Le siège du rapport de droit d’une succession pourrait s’entendre pour certains pays du lieu du
dernier domicile du défunt, comme il pourrait s’entendre du lieu de situation des biens
composant la succession. En réalité, aucun de ces rattachements n’a un titre supérieur à
s’appliquer. C’est pourquoi les deux pourraient être susceptibles d’être retenus, ce que ne
permet pas le caractère abstrait de la méthode. Par conséquent, en raison de sa force
d’immobilisation des critères de rattachement, elle n’emportera pas universalisation du droit,
comme en atteste la pratique aujourd’hui. C’est pourquoi il pourrait être pertinent d’intégrer
une analyse concrète de la situation internationale répondant de la loi qui présente les liens les
plus étroits.

1189
B. Audit, Ch. II « La réduction de la crise : conceptualisme et fonctionnalisme dans le procédé de la règle de
conflit », in « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p.
272.
1190
Ibid.

375
815. L’avènement d’une méthode modernisée à rattachements multiples. En
outre, le droit positif a été marqué par les difficultés soulevées par le recours à une méthode
conflictuelle bilatérale à rattachement simple. Dès lors, « la nécessité de veiller à l’effectivité
de la localisation n’a pas seulement suggéré un déplacement de l’angle visuel allant vers des
techniques plus casuistiques ; il a par là même contribué au déclin des rattachements uniques
et à l’élaboration de rattachements complexes »1191.

2) La création de règles de conflit modernes objet d’une localisation concrète


816. A la suite du succès de la méthode savignienne, celle-ci a subi certaines
modifications. Au regard de la rigidité dont fait preuve la méthode en retenant un
rattachement simple pour chaque grande catégorie de rattachement, les théoriciens de
l’époque moderne ont proposé de recourir plutôt à de nouvelles règles de conflit à
rattachements multiples, celles-ci étant plus flexibles (a). L’objectif de cette multiplication
tant des règles de conflit que des rattachements était alors de répondre à un objectif de
spécialisation dans le traitement des situations juridiques (b).

a) De la rigidité du rattachement simple à la flexibilité des rattachements multiples


817. Le développement des règles à rattachements multiples. Traditionnellement,
« dans sa fonction de répartition traditionnelle, la règle de conflit incarne la présomption que,
quels que soient les rattachements effectifs d’une situation donnée, le rattachement
prédéterminé conduira à l’ordre juridique dont elle est la plus proche »1192. Pourtant, « les
codifications récentes révèlent une augmentation presque spectaculaire du nombre de règles
de rattachement, dont le domaine respectif se rétrécit »1193. L’époque contemporaine a subi un
bouleversement au regard de ses règles de conflit puisque sont consacrées davantage de règles
de conflit lesquelles se déclinent, principalement, par des rattachements multiples.
818. Une réponse à la rigidité des règles à rattachement simple. En effet, la
méthode classique dont la forme était un rattachement simple est apparue comme rigide
puisqu’elle aboutissait « à ignorer les circonstances d’espèce » 1194 . En d’autres termes, la
méthode classique ne permettait pas de répondre objectivement à des situations juridiques
complexes. Le reproche adressé à la règle de conflit classique tient à son caractère mécanique
qui a été principalement soulevé au regard de la matière délictuelle. Celle-ci peut se décliner

1191
P. M. Patocchi, op. cit., § 465.
1192
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 167.
1193
P. M. Patocchi, op. cit., § 467.
1194
Ibid., § 466.

376
sous l’égide de divers rattachements et notamment le lieu du fait dommageable qui peut
s’entendre tant du lieu du fait générateur que du lieu où le préjudice a été subi. C’est pourquoi
la doctrine moderne s’est soulevée contre la théorie classique puisqu’elle a estimé que chaque
catégorie de rattachement devait être affinée et chaque facteur de rattachement assoupli.
Ainsi, chaque catégorie de rattachement devrait être « assortie de facteurs de rattachement
complexes »1195.
819. La multiplication de règles de conflit concrètes. Le législateur s’est alors saisi
de cette philosophie moderne pour la consacrer, notamment à l’international. Désormais, si
l’on consulte les règlements européens, par exemple le règlement Rome II en matière
délictuelle1196, il est inscrit, en son article 4, que la règle de conflit se décline sous l’égide de
multiples rattachements. Par conséquent, la règle de conflit moderne s’est en quelque sorte
évincée de son caractère abstrait pour consacrer une approche plus concrète des situations
juridiques.

b) La spécialisation des règles de conflit en vertu d’une localisation concrète


820. L’insuffisance des règles classiques en droit des conflits de lois
contemporain. L’apparition des règles de conflit à rattachements multiples dans le droit
positif n’est pas seulement due à la rigidité de la règle de conflit classique à rattachement
simple. En effet, la doctrine savignienne se suffisait à elle-même lorsque le droit des conflits
de lois n’était encore que peu développé et se cantonnait aux grandes règles de rattachement
comme le statut personnel ou le statut réel. Cependant, il aurait fallu que « le rattachement
affecté à chaque catégorie conforte efficacement chaque pilier de l’ordre civil » 1197 et
davantage lorsque ces piliers peuvent concerner des situations juridiques complexes ou plus
précisément spéciales.
821. La spécialisation des règles modernes. Les règles de conflit modernes se sont
alors érigées autour d’un « principe de spécialisation » 1198 . Par conséquent, la règle de
rattachement est spécialisée c’est-à-dire qu’elle a pour fonction plus ou moins directe des
considérations matérielles. D’une part, elle peut être directement issue du droit matériel

1195
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 54.
1196
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles, Rome II.
1197
Y. Lequette, op. cit., § 54.
1198
P. M. Patocchi, op. cit., § 467.

377
lorsqu’elle s’exprime « par des critères rigides »1199, et d’autre part elle est indirectement issue
du droit substantiel lorsque les critères sont plus relatifs. Néanmoins, la méthode moderne a
pour objectif « une meilleure localisation » des situations juridiques, malgré qu’elle contienne
des considérations substantielles1200.
822. Une réponse justifiée par le développement de la discipline. Il semble
parfaitement louable de souhaiter une spécialisation de la règle de conflit dans les matières, ou
plus précisément dans les catégories de rattachement, qui visent des situations juridiques
complexes. C’est pourquoi pour reprendre l’exemple du règlement Rome II en matière
délictuelle 1201 , si des rattachements multiples ont été attribués à la loi commune aux
obligations non contractuelles, chaque délit de nature particulière s’est aussi vu attribuer un
rattachement spécifique. Par exemple, l’article 7 retient une règle de conflit spéciale pour
l’atteinte à l’environnement, ou encore l’article 8 prévoit quelle sera la loi applicable à
l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Par conséquent, les règles de conflit modernes,
dans une optique de spécialisation, justifiée par l’évolution de la discipline, ont pu recourir à
un procédé moins rigide en considérant que « la désignation opérée par (la règle de conflit) ne
constitue qu’une présomption simple de localisation du rapport de droit »1202. Dans la mesure
où les situations juridiques peuvent être spéciales, les catégories de rattachement doivent se
spécialiser. Également, si ces mêmes situations sont complexes, les règles de rattachement
doivent l’intégrer dans la localisation du rapport de droit. Il est parfaitement légitime
d’envisager une approche plus concrète en termes de localisation du rapport de droit 1203 .
Autrement dit, le droit contemporain s’est en quelque sorte détachée de la conception
purement classique de la méthode bilatérale1204. Cependant, le recours à des rattachements

1199
P. M. Patocchi, op. cit., § 467.
1200
Ibid.
1201
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelle, Rome II.
1202
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 167.
1203
Voir en ce sens : M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 245 : « Il faut trouver les critères
de désignation qui définissent les liens les plus significatifs entre la situation considérée et la loi applicable » ;
« La nouveauté est la conscience accrue du caractère très contingent des critères et l’idée qu’un critère unique
peut très difficilement suffire à localiser une catégorie de rapports de droit définie de manière abstraite » ; « d’où
le développement de la technique des rattachements multiples ».
1204
Pour aller plus loin, voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd.,
2017, T. I, 351 : « Le législateur lui-même accentua ensuite la relativité intrinsèque de la méthode bilatéraliste en
introduisant en matière de filiation des rattachements alternatifs, permettant de choisir entre plusieurs la solution
substantielle la plus favorable. Parallèlement, le droit conventionnel ainsi que les très nombreuses codifications
opérées dans d’autres pays, firent une place croissante au principe de la loi des liens les plus étroits, soit en
autorisant une appréciation judiciaire au cas par cas, soit en assortissant la règle de conflit de mécanismes
d’auto-correction, telles les clauses d’exception ».

378
multiples en droit positif ne consiste pas en une localisation purement objective, mais est
plutôt fonction de considérations substantielles conditionnant un certain résultat à atteindre.

B. LA SPECIALISATION DES REGLES DE CONFLIT MODERNES EN FONCTION DU


RESULTAT VISE

823. La multiplication des règles de conflit et de leurs rattachements a réalisé un


double effet en droit des conflits de lois. D’une part, l’utilisation de rattachements multiples a
incité à l’extension du champ d’application des lois applicables, puisque plusieurs lois, grâce
à plusieurs rattachements, peuvent potentiellement être compétentes conformément à une
situation juridique (1). D’autre part, la multiplication des facteurs de rattachements,
contrairement à cette amplification, a conduit à un resserrement du champ d’application des
lois applicables, pour ne rendre compétentes que certaines lois, voire une seule par souci de
favoritisme (2).

1) L’extension du champ d’application des lois applicables


824. La nouvelle forme des règles de conflit a eu pour objet de détourner la fonction
initiale des règles de conflit classiques conduisant à l’application d’une loi unique. En effet,
l’invocation du principe de spécialisation a conduit à l’instauration de clauses d’exception,
lesquelles érigent en rattachement ultime la loi des liens les plus étroits (a). De même,
l’évolution des règles de conflit a justifié la mise en place de rattachements multiples
alternatifs lesquels donnent potentiellement compétence à plusieurs lois (b).

a) Le rattachement ultime aux liens les plus étroits


825. L’instauration de clauses échappatoires. En observant les règles de conflit
modernes, il apparaît que le principe de spécialisation a eu pour effet de multiplier les règles
de conflit, ainsi que les rattachements de ces dernières. Plus particulièrement, ont été
élaborées « des clauses générales dites « échappatoires » ayant vocation à corriger tous les
éléments de rattachement précis établis par la loi en droit international privé de l’Etat du
for »1205. Il s’agit donc d’une clause « d’exception » puisqu’elle « fait du rattachement énoncé
une simple présomption quant à la désignation de la loi avec laquelle la situation présente la
relation la plus étroite »1206. Par conséquent, chaque fois qu’une loi présenterait des liens plus
étroits avec la situation juridique que celle désignée par la règle de conflit de lois principale,

1205
W. Wengler, « L’évolution moderne du droit international privé et la prévisibilité du droit applicable », op.
cit., spéc. p. 3.
1206
B. Audit, Ch. II, S. III, § 2, B. « La pratique des rattachements multiples ou souples », in « Le caractère
fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p. 362.

379
la clause d’exception pourra jouer. C’est pourquoi « certaines législations modernes ont
effectivement pris acte de la relativité des rattachements et prévu des clauses d’exception pour
le cas où une autre loi que celle désignée par la règle apparaîtrait mieux indiquée dans les
circonstances » 1207 . Ainsi, dans les matières particulièrement complexes, notamment la
matière délictuelle et la matière contractuelle, les règlements européens ont mis en œuvre
cette clause d’exception. L’article 4.3. du règlement Rome I1208 prévoit, par exemple, que
« lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens
manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet
autre pays s’applique ».
826. La multiplication des lois compétentes. La législation moderne conflictuelle du
droit des conflits de lois consacre donc cette nouvelle forme de rattachement tendant à
constituer une exception à la méthode classique. L’optique est d’intégrer davantage une
approche concrète de la situation juridique et finalement d’étendre en quelque sorte le nombre
de lois potentiellement compétentes. Néanmoins, les termes des règlements européens
appellent à une limitation du recours de la clause d’exception, puisqu’ils retiennent la loi qui
présente les liens « manifestement » plus étroits. Ainsi, l’utilisation de la clause ne serait pas
illimitée, mais bien encadrée. Il n’empêche que l’insertion de ce nouveau procédé dans le
règlement des conflits de lois conduit à multiplier le nombre de lois supposées compétentes. Il
en est de même lorsque les règles de conflit de lois recourent aux rattachements alternatifs.

b) Les rattachements alternatifs en faveur de la validité de l’institution


827. Les règles de conflit modernes à rattachements alternatifs. Les règles de
conflit de lois modernes ont de manière générale évolué vers la forme de règles à
rattachements multiples. Parmi leurs déclinaisons, « des règles de plus en plus nombreuses
formulent des rattachements alternatifs, autorisant à appliquer une loi ou une autre »1209. Par
conséquent, la règle de conflit prévoit plusieurs rattachements à l’égard d’une catégorie de
rattachement, lesquels seront applicables de manière alternative, c’est-à-dire au choix des
parties concernées. Ce type de règle s’est développé tant sur le plan national que sur le plan
international. Sont souvent évoquées parmi les règles de conflit françaises celles relatives à la
filiation, notamment l’article 311-17 du Code civil, qui retient une option de rattachement à

1207
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 167.
1208
Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, Rome I.
1209
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 168.

380
l’égard de la reconnaissance de paternité. De même, à l’international, l’exemple classique est
celui de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 relative à la forme des testaments qui
retient une multitude de rattachements alternatifs quant à la validité du testament. Quelle que
soit l’hypothèse, ces rattachements dits alternatifs ont pénétré certainement les règles de
conflit modernes.
828. Des règles au profit de la validité de l’institution. L’appel au « rattachement
alternatif (…) traduit une préférence pour la validité de l’institution »1210. Il s’agit donc de
permettre à toute institution d’être validée c’est-à-dire, pour reprendre l’exemple de la
filiation, de favoriser la reconnaissance de paternité. Par conséquent, comme pour les clauses
d’exception, le but est de permettre à un large panel de lois d’être applicables, afin que la loi
(ou les lois) favorisant la validité de l’institution puisse(nt) être appliquée(s)1211. Finalement,
il s’agit donc bien d’élargir le champ d’application des lois applicables.
829. L’extension incontestable du champ d’application des lois compétentes.
Ainsi, les règles de conflit modernes, contrairement aux règles de conflit classiques qui
conduisent à une unique loi applicable, tendent davantage à envisager la compétence de
plusieurs lois, dans l’objectif de favoriser certaines institutions. Pourtant, certaines règles de
conflit contemporaines produisent un effet inverse tendant plutôt à restreindre le champ
d’application des lois applicables.

2) Le resserrement du champ d’application des lois applicables


830. Contrairement aux règles de rattachement alternatifs, ou à la clause échappatoire,
les nouvelles règles de conflit peuvent, au lieu d’étendre le champ d’application des lois
applicables, l’assujettir à certaines lois voire à une seule loi. En effet, les règles de conflit
contemporaines peuvent tout d’abord se décliner en rattachements hiérarchisés lesquels
aboutissent à faire prévaloir la loi la plus favorable à la validité de l’institution (a).
Néanmoins, elles peuvent aussi s’illustrer en rattachements cumulatifs, lesquels tendent à
restreindre le champ d’application des lois applicables en raison d’une certaine hostilité à
l’égard du résultat obtenu (b).

1210
B. Audit, Ch. II, S. III, § 2, B. « La pratique des rattachements multiples ou souples », in « Le caractère
fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p. 362.
1211
Voir en ce sens : M. Jorge, Les rattachements alternatifs en droit international privé, Thèse, Paris 1, 1988,
Lille : ANRT, 1989, et spéc. § 8 : « dans les règles à rattachement alternatifs le problème n’est pas seulement
celui de la délimitation de la compétence des lois », « il s’agit d’assurer la réalisation d’un objectif de droit
matériel, voulu par l’auteur de la règle ».

381
a) Les rattachements en cascade objet de la loi la plus favorable à la validité de
l’institution
831. Les règles de conflit modernes à rattachements hiérarchisés. Les règles de
rattachements modernes multiples ont pour objet de retenir plusieurs rattachements pour une
catégorie de rattachement. Néanmoins si ces rattachements peuvent être alternatifs, c’est-à-
dire tous compétents, ils peuvent aussi être encadrés, c’est notamment le cas des
rattachements dits hiérarchisés. Dans cette hypothèse, les rattachements sont multiples, mais
font l’objet d’une hiérarchie c’est-à-dire qu’ils s’appliquent en cascade. Le second
rattachement n’est applicable que si le premier rattachement fait défaut. Ces rattachements
ont, comme les rattachements alternatifs, été intégrés aux réglementations modernes. A titre
d’exemple, il est possible d’évoquer la législation relative à la loi applicable à la
responsabilité du fait des produits issue des articles 4 et 5 de la Convention de La Haye1212.
L’article 5 prévoit notamment que « nonobstant les dispositions de l’article 4, la loi applicable
est (…) ». Par conséquent, il apparaît bien une hiérarchie entre les règles de rattachement,
puisque l’article 5 prévaut sur l’article 4. Ce n’est que dans l’hypothèse où la situation
juridique ne permet pas de retenir l’article 5 que s’appliquera alors l’article 4 de la
Convention.
832. La recherche de la loi la plus favorable. Contrairement aux rattachements
alternatifs, les rattachements en cascade restreignent l’application des lois proposées puisque
celle-ci sera conditionnée. Il pourrait alors être considéré qu’il s’agit d’un retour vers la
méthode classique consistant à ne retenir qu’une seule loi applicable. Néanmoins, l’usage de
cette forme de règle de conflit est plus complexe. En effet, « les rattachements sont
hiérarchisés ou successifs en ce sens que si le premier désigné ne procure pas un résultat
souhaité l’on recourra à un autre »1213. C’est sur ce point que les rattachements en cascade ne
sont pas si éloignés des rattachements alternatifs. S’ils conduisent à encadrer le champ
d’application de la loi applicable, c’est essentiellement pour encourager l’application d’une
loi qui s’avérera la plus favorable à la situation litigieuse. De plus, en prévoyant d’autres
rattachements, la règle de conflit, même hiérarchisée, favorise tout de même la validité de
l’institution.
833. Un resserrement justifié par la validité de l’institution. En d’autres termes, les
rattachements multiples hiérarchisés encadrent davantage le champ d’application des lois

1212
Convention du 2 oct. 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits.
1213
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 168.

382
applicables à une situation litigieuse, mais comme les rattachements alternatifs, favorisent la
validité de l’institution à laquelle ils s’appliquent. Cependant, toutes les règles à rattachements
multiples n’ont pas nécessairement pour résultat de favoriser la validité d’une institution.

b) Les rattachements cumulatifs par souci d’hostilité eu égard au résultat


834. Les règles de conflit modernes à rattachements cumulatifs. La multiplicité des
rattachements peut conduire à la mise en place de règles à rattachements cumulatifs, lesquels
produisent cette fois-ci un effet restrictif. Cette forme de règles implique que « soient
satisfaites les conditions de deux ou plusieurs lois » 1214 . Par conséquent, parmi les
rattachements retenus par les règles de conflit, ceux-là doivent être cumulés pour que la loi
soit applicable. En reprenant l’exemple de la Convention de La Haye sur la loi applicable à la
responsabilité du fait des produits, l’article 4 prévoit que « la loi applicable est la loi interne
de l’Etat sur le territoire duquel le fait dommageable s’est produit si cet État est aussi : a)
(…) ou ; b) (…) ou ; c) (…) ». Par conséquent, la loi du lieu du fait dommageable ne sera
applicable que si un autre élément de rattachement se situe sur le territoire de ce même Etat. Il
s’agit donc de restreindre l’application de la loi applicable.
835. La traduction d’une hostilité à l’égard d’une institution. Plus précisément,
« les rattachements cumulatifs (…) sont un moyen d’exprimer en matière de conflit de lois
l’hostilité qu’un Etat peut éprouver à l’encontre de telle ou telle institution » 1215 . Par
conséquent, il s’agit plus exactement d’une « hostilité envers le résultat » 1216 . Ainsi,
contrairement aux rattachements alternatifs et hiérarchisés, les rattachements cumulatifs
peuvent avoir vocation à restreindre le champ d’application des lois applicables pour, cette
fois-ci, éviter la validité de l’institution. Toutefois, cela n’est le cas que lorsque ces
rattachements sont matériellement connotés. En effet, tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit
simplement de rattachements complexes.
836. La remise en cause de la localisation abstraite en faveur d’un résultat à
atteindre. Finalement, en comparaison avec la méthode classique, le recours aux
rattachements multiples s’y oppose puisqu’il ne conduit pas à appliquer une unique loi
applicable, mais en réalité à répondre à un principe de spécialisation eu égard à la diversité
des situations internationales. Néanmoins, la fonction de la règle de conflit s’est déplacée vers

1214
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 168.
1215
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 206.
1216
B. Audit, Ch. II, S. III, § 2, B. « La pratique des rattachements multiples ou souples », in « Le caractère
fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p. 362.

383
le résultat à atteindre ce qui paraît sans doute contestable en termes de neutralité. Il convient
alors de s’interroger sur l’effet de cette nouvelle fonction puisque si elle remet en cause le
caractère abstrait de la règle de conflit, elle évince également le caractère neutre de la règle de
conflit classique.

§ 2 – L’EXCLUSION D’UNE LOCALISATION NEUTRE ET EGALITAIRE GENEREE PAR


UNE LOCALISATION SUBSTANTIELLE INDIVIDUALISEE

837. La nouvelle fonction de la règle de conflit contemporaine s’illustre par un résultat


à atteindre. Or, l’objet de ce résultat consiste à appliquer la loi considérée comme la plus
favorable au rapport de droit conformément à une politique substantielle (A). Cependant, cette
nouvelle attribution emporte éviction des caractères classiques de la règle de conflit.
L’incidence est conséquente puisque toute volonté d’égalité de traitement des situations
internationales est écartée (B).

A. LA RECHERCHE DE LA LOI LA PLUS FAVORABLE EN VERTU D’UNE POLITIQUE


MATERIELLE

838. L’utilisation d’une nouvelle méthode conflictuelle s’est justifiée par une récente
idéologie consistant à rendre applicable, non plus la loi qui présente les liens les plus étroits,
mais plutôt la meilleure loi en utilisant de multiples rattachements (1). Effectivement, il
s’agissait de faire prévaloir « des objectifs de droit matériel » 1217 . Ceux-là impliquent de
rendre compétente la loi la plus favorable eu égard aux intérêts des particuliers, lesquels
demeurent politisés (2).

1) De l’application de la meilleure loi grâce aux rattachements multiples


839. Les règles de conflit modernes ont adopté une nouvelle structure en se déclinant
en rattachements multiples. Ce nouvel aspect de la règle a pour conséquence de transformer
les règles conflictuelles localisatrices en règles à finalité substantielle (a) dont le but serait
d’organiser la compétence de la loi la plus favorable (b).

a) Les règles de conflit contemporaines à finalité substantielle


840. L’instauration de règles à caractère substantiel. Les règles à rattachement
multiples, quelle que soit leur déclinaison, conduisent à atteindre un résultat particulier
tendant soit à favoriser soit à entraver la validité d’une institution. L’usage de ce type de
règles implique que « la localisation n’est plus le motif de l’application de la loi applicable »,

1217
P. M. Patocchi, op. cit., § 498.

384
il s’agit en vérité du « résultat du rattachement »1218. En d’autres termes, la règle de conflit de
lois est fonction d’un résultat matériel. Comme l’expliquaient Batiffol et le Professeur
Lagarde, « la localisation objective peut (…) être mise en échec par les Etats eux-mêmes
lorsque, pour obtenir dans l’ordre international un certain résultat qui leur paraît souhaitable,
ils adoptent une règle de conflit non neutre, qui a pour objectif avoué de désigner un ordre
juridique qui permettra d’obtenir le résultat matériel souhaité par l’auteur de la règle de
conflit »1219. Ces règles de conflit sont alors qualifiées de « substantielles » puisque ce sont
des règles de rattachement qui sont fonction d’un résultat à atteindre. Les règles de conflit
contemporaines ont donc consacré une nouvelle fonction à la méthode conflictuelle puisque
« la justice du rattachement (classique) s’est harmonisée avec la justice du résultat »1220.
841. Le substantialisme permis par la multiplicité des rattachements. Désormais
la méthode conflictuelle poursuit, au-delà de la localisation, une finalité substantielle. « La
multiplication des critères de rattachement en vue de la réalisation d’un résultat déterminé
témoigne parfaitement de l’évolution de la règle de conflit, vers une nature « hybride » entre
rattachement localisateur étroit et indication du résultat » 1221 . Par conséquent, la règle de
conflit à rattachements multiples est orientée vers un résultat à atteindre, mais ce résultat est
nécessairement celui de la loi la plus favorable.

b) La recherche de la loi la plus favorable parmi les lois applicables


842. La consécration de la doctrine américaine de Cavers. « De plus en plus, les
règles de conflit s’ouvrent à des considérations matérielles, poursuivant des objectifs
concrets »1222. En effet, la conception moderne du droit des conflits de lois invite à envisager
la méthode conflictuelle sous un nouvel angle, notamment prôné par les doctrines
américaines 1223 , et principalement celle de Cavers. Selon sa théorie, « le juge doit tenir
compte à la fois des liens plus ou moins étroits des diverses législations en présence avec la
situation litigieuse, et du contenu de ces lois »1224. En d’autres termes, le juge doit donc tenir
compte « pour effectuer (son) choix, de la solution substantielle à laquelle il conduit ». La
législation moderne du droit des conflits de lois a donc consacré l’idéologie avancée par

1218
P. M. Patocchi, op. cit., § 472.
1219
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 269.
1220
J.-C. Pommier, op. cit., § 8.
1221
S. Lecuyer, op. cit., § 291.
1222
B. Audit, Ch. II, S. III, § 2, C. « Introduction de considérations matérielles dans les règles de conflit », in
« Le caractère fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p. 363.
1223
Cf. supra § 209 et s.
1224
V. Heuzé et P. Mayer, op. cit., § 138.

385
Cavers consistant à préférer une loi par rapport à une autre en fonction d’un résultat
substantiel.
843. L’application de la meilleure loi. En réalité, le choix opéré par le juge doit
conduire à l’application de la meilleure loi1225. Il faut entendre par meilleure loi que la règle
de conflit doit conduire à l’application de la loi la plus favorable. En effet, en reprenant toutes
les sortes de rattachements multiples, il apparaît que leur fonction est de favoriser un résultat.
Il s’agit en vérité « de désigner la loi la plus favorable »1226. La loi la plus favorable s’illustre
à travers une règle de conflit qui favorise expressément « un certain résultat et surtout une
certaine personne » 1227 . Or, il s’agit bien de la finalité poursuivie par les rattachements
multiples, qu’ils soient alternatifs, cumulatifs, ou hiérarchisés. En résumé, les règles de conflit
contemporaines, influencées par les doctrines américaines modernes, sont des règles de conflit
substantielles visant à donner compétence à la loi la plus favorable. La question que soulèvent
ces nouvelles règles est propre à la qualification de loi la plus favorable. Le problème se pose
de savoir ce qu’il faut entendre par loi la plus favorable, ou du moins à partir de quels
éléments il peut être déterminé qu’il s’agit de la loi la plus favorable, afin de déterminer si le
caractère neutre de la règle de conflit peut se maintenir via ce nouveau type de règles.

2) La loi la plus favorable au regard des intérêts privés défendus par chaque Etat
844. La méthode conflictuelle substantielle consiste à donner compétence à la
meilleure loi c’est-à-dire la loi la plus favorable. Ce raisonnement devrait alors amener à
reconnaître l’application de la loi la plus favorable conformément aux intérêts des particuliers
(a). Or, il s’avère que le rattachement à la loi la plus favorable s’entend de la meilleure loi
applicable eu égard à la politique législative de chaque Etat (b).

a) La loi prétendument la plus favorable conformément aux intérêts privés


845. La loi la plus favorable eu égard aux intérêts privés. Afin de fonder les règles
de conflit contemporaines sur l’idéologie de la loi la plus favorable, il faut déterminer quels
étaient le sens et la portée de ce critère de rattachement. De manière générale, il est considéré
que « le critère de la better law constitue la réplique du principe général du lien le plus étroit
sur le terrain des règles de rattachement à caractère substantiel »1228. En instaurant un parallèle

1225
Cf. supra § 221.
1226
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 206.
1227
B. Audit, Ch. II, S. III, § 2, C. « Introduction de considérations matérielles dans les règles de conflit », in
« Le caractère fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p. 363.
1228
P. M. Patocchi, op. cit., § 497.

386
avec la localisation objective, laquelle conduit à garantir les intérêts des particuliers en
recourant à une méthode scientifique, il peut être supposé que l’approche matérielle du
rapport de droit doive nécessairement être conforme aux intérêts privés. En effet, dans le
cadre d’une méthode conflictuelle substantielle mettant en place une multiplicité de
rattachements, « la règle de conflit ne remplit plus seulement une fonction de répartition, mais
participe comme les règles de fond à la réglementation des intérêts privés ». Par conséquent,
la mise en œuvre de ces nouvelles règles de conflit implique de considérer que la loi
compétente sera la loi la plus favorable au regard des intérêts privés. Ainsi, quelle que soit la
situation, les règles de conflit à rattachements multiples doivent donc être fonction des intérêts
des particuliers.
846. La loi la plus favorable eu égard à la conception de chaque ordre juridique.
Cependant, si « l’intérêt – bien compris – des parties est réputé convergent, (il) apparaît plus
en relief dans la préoccupation de l’ordre juridique le plus efficace, où l’intérêt général
étatique trouve aussi son compte »1229 . En vérité, la loi la plus favorable ne s’entend pas
uniquement à l’égard des intérêts privés, mais également à l’égard des intérêts de l’Etat.

b) La loi véritablement la plus favorable au regard des politiques législatives étatiques


847. La loi la plus favorable au regard d’une politique étatique de droit matériel.
Si la loi la plus favorable pourrait viser réellement les intérêts privés, ce n’est pas le cas.
Effectivement, les règles de conflit à rattachements multiples favorisent indirectement les
intérêts privés, mais au sens de la politique de chaque Etat. Plus précisément, les règles de
conflit à caractère substantiel ont pour but « la réalisation d’une politique de droit matériel
propre aux relations internationales »1230. Le but de cette nouvelle méthode est d’atteindre un
résultat qui consistera à appliquer la loi la plus favorable à la réalisation d’une politique
législative étatique. Par conséquent, en servant cette politique, les intérêts des particuliers
pourraient être garantis également, mais ils demeurent au second plan. Par exemple,
« l’adoption de rattachements alternatifs recouvre (…) le plus souvent une faveur envers la loi
du for »1231. La mise en œuvre d’une telle règle de rattachement conduira donc à appliquer la
loi du for afin d’obtenir le résultat souhaité par le législateur. Les règles de rattachements
multiples sont donc fonction des politiques législatives étatiques. Autrement dit, elles

1229
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 270.
1230
P. M. Patocchi, op. cit., § 503
1231
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 169.

387
répondent d’une justice matérielle, et elles peuvent aussi bien être fonction de politiques
législatives régionales comme au sein de l’Union européenne.
848. Vers l’irrespect des objectifs de neutralité et d’égalité en raison de la
politisation de la discipline. En remarquant que les règles de conflit contemporaines
consistent à atteindre un résultat particulier, sous couvert de la loi la plus favorable, et
conformément à une politique législative substantielle, il apparaît que la méthode conflictuelle
classique est remise en cause eu égard à ses caractères spécifiques. Par conséquent, il
semblerait que les règles de conflit contemporaines conduisent à évincer tout respect des
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement.

B. L’EGALITE DE TRAITEMENT EVINCEE PAR LA PROMOTION D’UNE JUSTICE


MATERIELLE

849. L’utilisation de la méthode conflictuelle moderne ne demeure pas sans


répercussion sur le système applicable au droit des conflits de lois. Elle provoque l’éviction
des caractères fondamentaux de la règle de conflit classique, ce qui transforme la justice du
droit des conflits de lois en justice matérielle (1). Or, une telle modification engendre des
conséquences pratiques néfastes supprimant intégralement toute chance d’égalité de
traitement entre sujets de droit (2).

1) Le passage d’une justice du droit des conflits de lois à une justice matérielle
850. L’apparition des règles de conflit modernes, sous l’égide d’une approche
substantielle des situations litigieuses, a vidé la méthode classique de ses caractères essentiels.
En effet, l’élaboration de règles de conflits dont l’objectif à atteindre est un résultat matériel a
conduit à la remise en cause du caractère indirect de la règle de conflit (a). En sus, en
recherchant précisément l’application de la loi substantiellement la plus favorable, la
neutralité de la localisation a été totalement anéantie (b).

a) La remise en cause du caractère indirect de la règle de conflit


851. Le caractère indirect des règles de conflit classiques. En principe, la règle de
conflit classique bilatérale est déterminée par son caractère indirect lequel implique
« l’existence d’une règle distincte, indépendante ou « extérieure » à la règle, de droit matériel
qui fournira (…) la solution de la question posée »1232 . C’est pourquoi par le biais d’une
approche localisatrice, les règles de conflits bilatérales traditionnelles sont qualifiées de

1232
P. Lalive, Ch. III, S. III, C. « Caractéristiques du procédé », op. cit., spéc. p. 104.

388
répartitrices puisque leur fonction est de répartir la compétence des lois en conflit dans
l’espace indépendamment de leur contenu matériel. Or, les nouvelles règles de conflit de lois
n’assument plus cette fonction.
852. La subordination du caractère indirect à un critère de droit matériel.
Effectivement, « avec la pluralité de rattachements, la règle de conflit ne remplit plus (…) une
fonction de répartition »1233 et doit être considérée « comme un facteur de perturbation de la
localisation objective »1234 puisque son but est « d’obtenir le résultat voulu par l’auteur de la
règle de conflit » 1235 . Par conséquent, contrairement aux règles classiques, les règles
contemporaines tiennent compte du contenu matériel de la loi applicable, puisqu’un résultat
particulier doit être atteint par le biais de la règle de conflit. Plus précisément, « le
dénominateur commun à toutes les règles de rattachement à caractère substantiel consiste
dans la mise en œuvre d’un critère de droit matériel dans la détermination de la loi
applicable »1236. Ainsi, la méthode demeure indirecte puisqu’elle ne désigne pas directement
des dispositions matérielles applicables à la situation, mais ce caractère est tout de même
remis en cause puisqu’il ne s’agit plus simplement de répartir la compétence des lois en
conflit. Il s’agit en réalité de donner compétence à une loi au regard de son contenu matériel.
C’est pourquoi parmi « l’éventail (…) de lois potentiellement applicables », « la loi applicable
est déterminée en fonction de l’effet de droit matériel que la règle de rattachement entend
promouvoir dans les relations internationales, et la réalisation de cet intérêt l’emporte sur la
localisation »1237.
853. Le passage d’une justice conflictuelle à une justice matérielle. Le caractère
indirect ainsi que la fonction localisatrice du rapport de droit sont donc remis en cause par les
règles de conflit à rattachement multiples. Plus précisément, la justice conflictuelle serait
remplacée par une justice substantielle. En effet, « la justice du droit international privé (…)
essaie par des principes posés a priori de délimiter l’empire des lois en conflit dans l’espace »
tandis que « la justice matérielle conduit à sélectionner directement celles des règles
substantielles internes en conflit pouvant mener au résultat le plus juste »1238. Par conséquent,
en modifiant le caractère indirect de la règle de conflit classique, la justice du droit des

1233
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 169.
1234
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 204.
1235
Ibid.
1236
P. M. Patocchi, op. cit., § 492.
1237
Ibid., § 498.
1238
J.-C. Pommier, op. cit., § 7.

389
conflits de lois a évolué pour défendre une justice davantage matérielle. Par conséquent, la
méthode conflictuelle perd son second caractère qui est indissociable du premier c’est-à-dire
sa neutralité.

b) La suppression du caractère neutre de la règle de conflit


854. Le caractère neutre des règles de conflit classiques. Par nature, la règle de
conflit classique bilatérale est neutre c’est-à-dire qu’elle assure, par son caractère indirect, une
fonction de localisation objective, indépendante de toute considération subjective, et
répondant surtout d’une logique de proximité1239. Ainsi, conformément à la justice du droit
des conflits de lois, « aucune appréciation directe du contenu des lois en conflits »1240 n’a lieu
lors de l’élaboration de la règle de conflit conformément à son caractère neutre. C’est
pourquoi ces règles, par principe, déterminent la loi applicable conformément à des éléments
de localisation objectifs et au principe de proximité. Or, l’avènement des règles de conflit
modernes, en prenant en compte le résultat matériel procuré par l’application de la règle de
conflit ont remis en cause la neutralité de la règle. Par conséquent, « il n’existerait plus une
séparation totale entre la notion du Juste dans la justice de droit international privé et la justice
matérielle »1241.
855. La disparition du caractère neutre en faveur d’une localisation subjective.
Les nouvelles règles de conflit sont qualifiées de substantielles dans la mesure où elles sont
orientées « vers un résultat matériel », elles cessent « alors incontestablement d’être
neutre(s) »1242, puisqu’il n’est plus question d’une localisation de proximité. Désormais, les
règles de conflit contemporaines inversent le raisonnement en comparaison aux règles
classiques. Traditionnellement, « la règle de conflit demeure essentiellement fondée sur des
facteurs (…) de rattachement entre lesquels il convient de choisir sans que l’on tienne compte
de la teneur respective des lois en conflit »1243. De ce fait, le contenu de la loi applicable n’est
recherché qu’une fois la loi matérielle désignée1244. Or, l’utilisation des règles de conflit à
caractère substantiel conduit, à l’inverse, à vérifier « le contenu des lois en conflit pour

1239
Cf. supra § 777 et s.
1240
J.-C. Pommier, op. cit., § 8.
1241
Ibid.
1242
B. Audit, Ch. II, S. III, § 2, C. « Introduction de considérations matérielles dans les règles de conflit », in
« Le caractère fonctionnel de la règle de conflit : (sur la crise des conflits de lois) », op. cit., spéc. p. 363.
1243
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 204.
1244
Ibid.

390
déterminer la loi applicable »1245. Toute neutralité est donc évincée puisque la détermination
de la loi applicable est fonction d’une appréciation subjective consistant à choisir la loi la plus
favorable au regard d’une politique législative déterminée.
856. Vers l’anéantissement de tous les objectifs du droit des conflits de lois. Or, en
remettant en cause le caractère indirect de la règle de conflit classique, les règles de conflit à
rattachements multiples ont supprimé également toute la neutralité sur laquelle était fondée la
méthode classique. Cette éviction conduit nécessairement à remettre en cause les autres
objectifs de la discipline, et surtout l’égalité de traitement des sujets de droit.

2) L’effacement progressif des objectifs du droit des conflits de lois


857. Les règles de conflit contemporaines, en retirant les caractères fondamentaux de
la règle de conflit classique, ont produit de lourdes conséquences, lesquelles réduisent à néant
les objectifs de la discipline. D’une part, elles engendrent une fragmentation juridique
empêchant toute universalisation et conséquemment toute égalité de traitement (a). D’autre
part, elles entraînent à la fois imprévisibilité juridique et insécurité juridique (b).

a) L’égalité de traitement réduite à néant par la fragmentation du droit


858. Le substantialisme opposé à l’universalisme. La suppression des caractères
fondamentaux de la méthode conflictuelle classique engendre des conséquences néfastes pour
la discipline du droit des conflits de lois, et principalement elle bloque l’accès à tout
universalisme. En effet, il convient de rappeler que la neutralité de la règle de conflit constitue
le préalable à tout universalisme, et donc à toute égalité de traitement. Dans la mesure où la
règle de conflit à caractère substantiel est exempte de neutralité, elle ne peut permettre de
réaliser une uniformisation du droit. Si « une règle de droit est le fruit d’un compromis, (…) la
notion de faveur est antinomique à celle de droit »1246. La méthode conflictuelle à caractère
matériel consiste à donner compétence à la loi la plus favorable c’est-à-dire à rechercher
« dans chaque cas (…) la meilleure loi »1247. Cependant, le curseur d’appréciation de cette loi
peut différer d’un Etat à l’autre ou d’une région à l’autre. Effectivement, « tous les systèmes
peuvent ne pas approuver la préférence substantielle marquée dans un domaine donné » ce qui

1245
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 204.
1246
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 169.
1247
Ibid.

391
constitue « un obstacle à la reconnaissance internationale des droits comme à un
rapprochement des systèmes par voie de convention »1248.
859. La remise en cause de l’égalité de traitement. L’introduction des
considérations substantielles dans la détermination de la loi applicable implique que « chaque
Etat cherche à exporter ses propres conceptions touchant au fond du droit et l’expérience
révèle que, dans la grande majorité des cas, l’utilisation des règles à caractère substantiel
débouche sur l’application de la loi du for »1249. Par conséquent, le recours à ce type de règles
a pour effet de fragmenter la législation du droit des conflits de lois. Toute
« internationalisation du conflit de lois » 1250 devient donc impossible et toute « harmonie
internationale des solutions »1251 évincée. Ainsi l’égalité de traitement est remise en cause
puisqu’aucune universalisation ne peut plus être espérée, mais il est également affecté au
regard du traitement de la loi du for et de la loi étrangère puisque la tendance consiste à
donner compétence à la lex fori1252. En vérité, l’égalité de traitement ne peut qu’être effacée
puisque les caractères préalables de la méthode classique ont disparu. Or, de la remise en
cause de ces caractères, découlent aussi l’imprévisibilité juridique et l’insécurité juridique.

b) L’imprévisibilité juridique et l’insécurité juridique favorisées


860. La fragmentation juridique synonyme d’imprévisibilité juridique. Les règles
de conflit à caractère substantiel « constituent une source d’incertitude quant à la solution du
conflit de lois »1253. Elles tendent à créer une certaine imprévisibilité juridique dans la mesure
où elles ont pour effet de provoquer la fragmentation du droit. Effectivement, « toute règle de
droit privé tend à réaliser un équilibre entre les multiples intérêts qui s’affrontent dans les
relations entre individus ». Cependant « cet équilibre (peut) être situé en un point différent par
les divers législateurs », ce qui signifie qu’« aucune solution n’est évidente, que la pesée est
complexe, que peut-être les intérêts en présence ne sont pas partout les mêmes »1254. Ainsi, en
recourant à des considérations matérielles, le résultat est fonction de son observateur, et

1248
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 169.
1249
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 207.
1250
Ibid.
1251
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 270.
1252
Voir en ce sens : W. Wengler, « Les conflits de lois et le principe d’égalité », op. cit., p. 202, à propos des
rattachements alternatifs : « cette dernière inégalité apparaît d’abord dans tous les cas où la règle de conflit, au
lieu de donner sans équivoque compétence à la loi de tel ou tel Etat, laisse l’un des adversaires choisir entre les
droits A et B, qu’indiquent les critères de rattachement X et Y, celui qui sera appliqué, et par conséquent opter
généralement en fonction de ses intérêts » ; « le juge peut d’ailleurs se voir conférer le soin de déterminer la
législation favorable à la partie qu’il s’agit d’avantager ».
1253
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 207.
1254
V. Heuzé et P. Mayer, op. cit., § 138.

392
surtout de la politique législative de chaque Etat, ce qui constitue un obstacle à la prévisibilité
juridique.
861. La propagation de l’insécurité juridique. De plus, la mise en œuvre de ces
règles de conflit à rattachements multiples soulève d’autres difficultés. Il a pu être soulevé
notamment qu’en présence de règles à rattachements alternatifs, il n’a pas été déterminé s’il
revenait au juge ou aux parties de déterminer la loi compétente1255. Il a également été avancé
que ces règles à rattachements multiples peuvent « conduire au dépeçage d’une institution au
plan de la compétence législative, car il est fréquent qu’une loi soit plus favorable sur un point
et le soit moins sur un autre »1256. Finalement, en introduisant un curseur d’appréciation fondé
sur l’idéologie de la faveur, le système applicable au droit des conflit ne peut qu’être bancal et
varié d’un ordre juridique à l’autre, que celui-ci soit national ou régional. Or, cette diversité
engendre, outre la fragmentation législative, de l’insécurité juridique.
862. Le rejet du substantialisme par respect de la justice conflictuelle. Les
conséquences engendrées par la méthode conflictuelle contemporaine sont néfastes à la justice
du droit des conflits de lois. Or, dans un objectif d’égalité de traitement, cette discipline doit
poursuivre une justice conflictuelle puisque son objet consiste à déterminer quelle est la loi
applicable dans l’espace à propos d’une situation litigieuse. Il s’agit de sa fonction naturelle, il
convient donc de la préserver en rejetant les règles à caractère substantiel puisqu’elles ne
peuvent que constituer un obstacle à toute universalisation et toute égalité de traitement.
863. Le maintien incontestable des caractères classiques de la règle de conflit. En
conclusion, au regard de la structure complète de la règle de conflit bilatérale, il apparaît que
celle-ci détient des caractères spécifiques, lesquels ont subi certaines évolutions au fil des
siècles et sous l’influence des doctrines contemporaines. Cependant, l’étude des caractères
classiques de la méthode conflictuelle bilatérale invite à considérer que ces derniers sont
indispensables à la création d’un système universel et égalitaire. En effet, dans la mesure où
l’approche du conflit de lois proposée est essentiellement fondée sur une idéologie de
neutralité et d’objectivité, il apparaît que ces caractères sont les plus à même d’emporter
l’adhésion unanime de tous les Etats à un système unique de droit des conflits de lois.
864. L’introduction d’une appréciation concrète de la localisation conforme à la
spécialisation des situations internationales. Néanmoins, parmi les caractères classiques de

1255
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 207.
1256
Ibid.

393
la méthode, l’un d’eux doit être remis en cause, à savoir le caractère abstrait. Effectivement,
au regard des inconvénients qu’il présente, il a déjà été évincé par l’adoption de nouvelles
règles de conflit dont la structure a varié afin de répondre à un principe de spécialisation. Or,
ces nouvelles formes de règles doivent être écartées dans la mesure où elles provoquent
l’individualisation des règles de conflit de lois puisqu’elles sont exemptes de neutralité.
Cependant, l’idée selon laquelle ces règles doivent se spécialiser et introduire une
appréciation concrète de la situation internationale notamment au regard du rattachement
choisi est pertinente. Ceci permettrait de mettre un terme à la rigidité du rattachement, et
éviterait toute subjectivité. L’appréciation in concreto d’une situation juridique est corollaire
de toute objectivité fondée sur un principe de proximité. A chaque catégorie de rattachement
devrait alors correspondre un rattachement simple répondant d’une localisation de proximité
appréciée de façon concrète. C’est pourquoi il est nécessaire d’envisager tous les types de
rattachement pouvant être retenus afin de déterminer quel rattachement sera le plus à même
de répondre à cette localisation, laquelle devra nécessairement préserver la neutralité de la
méthode et l’égalité de traitement qui en découle.

SECTION 2 : LA MAIGRE PROPORTION DE RATTACHEMENTS REPONDANT DE


L’EGALITE DE TRAITEMENT

865. La confrontation des grandes catégories de rattachement à l’objectif


d’égalité de traitement. L’étude approfondie de la méthode bilatérale conduit à envisager les
différents types de rattachement auxquels peut avoir recours la règle de conflit afin de
déterminer si leur emploi se conforme aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement
prônés par ladite méthode. Or, il s’avère que ces rattachements peuvent se distinguer en deux
catégories, d’une part, les rattachements classiques, d’autre part, les rattachements modernes.
866. Les rattachements traditionnels. Originellement, les règles de conflit se sont
construites en recourant aux rattachements traditionnels issus de l’Ancien Régime dans la
mesure où ils s’avéraient parfaitement conformes et adaptés à la systématisation du droit des
conflits de lois de l’époque. Cependant, ils demeuraient approximatifs, et fondés sur des
considérations relativement anciennes. Par conséquent, ils étaient insuffisants pour permettre
l’édification d’un système précis et complet (sous-section 1).
867. Les rattachements contemporains. En réponse à cette approximation, les règles
de conflit contemporaines ont évolué alors en recourant à des rattachements davantage
individualisés. Cependant, la spécialisation des règles de conflit modernes n’a pas été
suffisante pour créer un corpus de règles parfaitement neutre conformément au caractère de la

394
méthode bilatérale. Ainsi, aucun système universel n’est apparu de cette évolution (sous-
section 2).

SOUS-SECTION 1 : DES RATTACHEMENTS TRADITIONNELS INSUFFISANTS A UNE


SYSTEMATISATION DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

868. En droit positif, certaines règles de conflit de lois se réfèrent à des rattachements
dits classiques ou traditionnels dans la mesure où ces rattachements émanent de l’Ancien
Régime et datent. Par conséquent, certains rattachements, notamment la loi personnelle et la
loi territoriale, systématisés par d’Argentré, constituent des règles positives. En effet, ce sont
des rattachements simples et abstraits qui répondent à la nature du rapport de droit en cause,
conformément à l’approche préconisée par Savigny (§ 1). Pourtant, si ces rattachements
classiques paraissent adaptés à une méthode de localisation scientifique, ils sont, en vérité
atteints de nombreuses imperfections qui conduisent à repenser les fondements du système (§
2).

§ 1 – DES REGLES DE RATTACHEMENT ABSTRAITES CONFORMES A LA NATURE DU


RAPPORT DE DROIT

869. Historiquement, les premières règles de conflit bilatérales classiquement admises,


se sont révélées sous la forme de rattachements simples, lesquels ont traversé les siècles pour
être encore sollicités par le droit positif. Principalement, sous l’Ancien Régime, d’Argentré a
opéré une division entre deux catégories de rattachement et leur a attribué un rattachement
unique. Ces deux règles de rattachements classiques ont été les fondements sur lesquels a été
construit le droit des conflits de lois. C’est pourquoi d’une part, la catégorie de rattachement
du statut personnel est, par principe, régi par la loi personnelle. Cependant, si ce rattachement
est maintenu, il ne peut répondre avec justesse à une approche scientifique du rapport de droit
(A). De la même façon, et d’autre part, la catégorie de rattachement relative au statut réel est
encadrée par la loi territoriale qui a naturellement vocation à s’appliquer. Cependant, comme
son homologue, ce rattachement doit être condamné à raison de son caractère trop abstrait qui
condamne toute approche expérimentale (B).

A. LA LOCALISATION VARIABLE ISSUE DU RATTACHEMENT ABSTRAIT A LA LOI


PERSONNELLE

870. Le statut personnel, depuis l’Ancien Régime, est classiquement rattaché à la loi
personnelle. Néanmoins, ce rattachement a soulevé de nombreuses difficultés dans la mesure
où il est fonction des attributs de la personnalité (1). Pour autant, il a été consacré en droit

395
positif comme rattachement de principe à l’état des personnes. Cependant, au regard des
formes sous lesquelles il peut se décliner, son application est demeurée hétérogène (2).

1) Un rattachement fonction des attributs de la personnalité


871. Classiquement, la catégorie de rattachement relative à l’état des personnes est
régie naturellement par le rattachement à la loi personnelle (a). Cependant, l’application de ce
rattachement est variable dans la mesure où il peut aussi bien s’entendre de la loi nationale
que de la loi du domicile (b).

a) La vocation naturelle du statut personnel à être régi par la loi personnelle


872. L’admission de principe du rattachement à la loi personnelle.
Postérieurement à la scission classique et historique opérée à l’origine par d’Argentré entre le
statut personnel et le statut réel1257, il a été unanimement considéré en droit des conflits de lois
que le statut personnel est soumis à la loi personnelle1258. Effectivement, si à l’origine les
règles de conflit de lois ont été fondées sur les doctrines issues de l’Ancien Régime, elles ont
perduré avec le temps. Or, s’il a pu être considéré que ces règles sont exemptes de neutralité
et, essentiellement fondées sur des considérations territorialistes ou personnalistes, elles ont
pourtant pu être justifiées par la doctrine.
873. Une localisation fonction de la personne. Afin d’admettre de manière unanime
le rattachement à la loi personnelle à l’égard de la catégorie de rattachement du statut
personnel, la doctrine s’est appliquée à démontrer que le processus de localisation c’est-à-dire
de détermination du rapport de droit dont l’objet relève du statut personnel conduit à retenir
applicable la loi personnelle1259. En effet, l’apparition de la doctrine de Savigny a conduit à
une volonté de créer un système neutre basé sur la localisation du rapport de droit. Par
conséquent, à l’égard du statut personnel, il a été considéré que la localisation serait « fondée
sur le sujet du rapport de droit »1260 c’est-à-dire la personne. C’est ainsi que « dans l’ensemble

1257
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 125.
1258
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 234.
1259
P. Louis-Lucas, « Le problème de la loi applicable à l’état et à la capacité des personnes », TCFDIP 1946-
1948, spéc. p. 96 : « si la personne humaine ne relève pas de la loi du pays où on discute de son statut, c'est pour
relever d'une loi qui n'est plus une loi territoriale, mais une loi personnelle, sa loi personnelle, parce que c'est
cette loi qui a envers elle un titre souverain » ; « le domaine naturel, même si on entend le réduire au maximum,
de la personnalité du droit semble bien demeurer celui du statut même de l'être humain ».
1260
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 218.

396
des pays du monde, la localisation des rapports de droit relevant du statut personnel s’effectue
en fonction de la personne, c’est-à-dire du sujet dudit rapport »1261.
874. Une localisation conforme au statut personnel. Localiser le rapport de droit en
fonction du sujet de droit s’explique, en matière de statut personnel, au regard de la catégorie
de rattachement elle-même. Effectivement, c’est parce que la notion d’état des personnes vise
aussi bien le statut individuel que le statut familial qu’elle doit être régie par la loi
personnelle. Plus précisément, la discipline touchant essentiellement au statut du sujet de droit
en tant que tel, la loi personnelle a vocation à s’appliquer naturellement et objectivement.
Cependant, retenir la loi personnelle comme unique rattachement est insuffisant dans la
mesure où la notion de loi personnelle est variable, mais aussi dans la mesure où la loi
applicable à la personne peut répondre de différents objectifs. C’est pourquoi, elle s’illustre au
travers de deux éléments de rattachement que sont la nationalité et le domicile1262.

b) La notion divisée de loi personnelle


875. De la nationalité au domicile. En matière de statut personnel, « la détermination
de la loi applicable s’effectue (…) en liaison avec un attribut de la personnalité de son
titulaire » c’est-à-dire « la nationalité ou le domicile »1263. Par conséquent, « les différents
systèmes juridiques sont (…) partagés entre adeptes de la loi nationale et partisans de la loi du
domicile »1264. C’est ainsi qu’« à partir du XIXème siècle et jusqu’à la fin du XXème se sont
opposés (ces) deux critères »1265. De manière générale, de nos jours, en vertu de leur culture
juridique, « la plupart des pays du continent européen, du Moyen-Orient et d’Extrême-

1261
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 219.
1262
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 55 : « Fondamentalement, l’idée de statut personnel répond à la
considération qu’il serait malsain qu’un individu voit son état changer selon le pays où il se trouve : marié dans
un pays et célibataire dans un autre, capable dans un pays et incapable dans un autre, ayant pour père telle
personne dans un pays et telle autre personne dans un autre. S’agissant de qualités inhérentes à la personne, qui
lui sont liées de manière « intime, nécessaire et permanente », il est infiniment souhaitable qu’il existe une
continuité de traitement, ce qui suppose que la même loi s’applique malgré les déplacements de la personne
concernée d’un pays à l’autre. Autrement dit, il faut retenir un rattachement qui permet de parvenir à une
permanence de la loi applicable. A quoi s’ajoute une autre considération, celle de l’importance que revêt en la
matière l’autorité des lois. L’état des personnes étant traditionnellement indisponible, les Etats ne pourraient
admettre que les individus qui leur sont étroitement liés puissent se soustraire à l’application des dispositions qui
les définissent. C’est ainsi, comme le soulignait Henri Batiffol, que la monogamie n’aurait aucun sens dans les
pays qui la connaissent s’il suffisait de franchir une frontière pour contracter régulièrement un mariage
polygamique. Afin de satisfaire à cette double exigence de permanence du statut et d’autorité de la loi, deux
rattachements sont traditionnellement utilisés dans les systèmes laïcs : la nationalité ou le domicile. La
nationalité est un rattachement d’allégeance, le domicile un rattachement territorial. Tous deux répondent aux
impératifs précédemment relevés car la localisation par la nationalité comme la localisation par le domicile
s’inscrivent dans la durée ».
1263
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 218.
1264
Ibid., § 220.
1265
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 195.

397
Orient » 1266 se positionnent en faveur de la loi nationale, tandis que les « pays anglo-
américains et scandinaves ainsi que la plupart des Etats d’Amérique latine »1267 défendent la
loi du domicile. De surcroît, « on souligne traditionnellement que le rattachement par le
domicile est utilisé par les pays qui ont à faire face à une immigration importante,
l’application de la loi du milieu social effectif préservant l’homogénéité du droit applicable
sur le territoire et favorisant l’intégration des étrangers », « à l’inverse, les pays d’émigration
sont portés à privilégier le rattachement par la nationalité car, dit-on, cela leur permet de
conserver des liens avec leurs ressortissants partis s’établir à l’étranger »1268.
876. Une division vectrice d’inégalité de traitement. En d’autres termes, la méthode
de Savigny a permis d’établir pour une catégorie de rattachement un rattachement unique, à
savoir la loi personnelle, laquelle se traduit soit par la loi nationale soit par la loi du domicile.
Selon le litige en cause, tout sujet de droit sera bien soumis à sa loi personnelle, mais, en
fonction du système de conflit qui jouera, il se verra appliquer sa loi nationale ou la loi de son
domicile. Par conséquent, si d’apparence le statut personnel semble traiter tout sujet de droit
de la même manière en retenant le rattachement à la loi personnelle, cela n’est qu’un leurre
puisqu’en vérité, le sujet de droit sera soumis à l’un ou l’autre des attributs de sa personnalité.
C’est ainsi que l’égalité de traitement cesse puisque la loi applicable sera en réalité fonction
du système conflictuel applicable à la situation d’espèce. Malgré la rupture d’égalité
provoquée par la division quant au rattachement du statut personnel sur le plan doctrinal, la
loi personnelle a bien été consacrée en droit positif.

2) Une application en droit positif demeurée hétérogène


877. L’influence de la doctrine sur le droit positif fût incontestable puisque les
législateurs nationaux ont reconnu la loi personnelle comme rattachement à la catégorie du
statut personnel. Néanmoins, cette reconnaissance n’a pas permis une universalisation du
rattachement en pratique (a). De même, si celui-ci a été consacré à l’international, il s’est
traduit sous des formes nombreuses et variables (b).

1266
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 220.
1267
Ibid., § 220.
1268
Y. Lequette, op. cit., § 56.

398
a) L’illusoire universalisation du rattachement à la loi personnelle par les droits
nationaux
878. Un rattachement divisé entre ces deux attributs par les droits nationaux. Le
rattachement de la loi personnelle à l’état des personnes est relativement ancien puisqu’il date
de la première systématisation des règles de conflit à l’époque de d’Argentré. La loi
personnelle possédant deux attributs s’est répandue sous la forme de deux rattachements : la
nationalité et le domicile. Néanmoins, chaque système juridique en droit des conflits de lois
s’est doté de son propre rattachement. C’est pourquoi sous l’Ancien Régime, les Etats,
essentiellement de tradition territorialiste1269, ont opté pour le rattachement du domicile. Puis,
avec l’avènement du personnalisme1270 à la fin de l’Ancien Régime et de la codification du
droit, certains Etats ont plutôt choisi de rattacher le statut personnel à la loi nationale. Ainsi,
les règles de conflit internes de droit positif diffèrent d’un Etat à l’autre en matière de statut
personnel.
879. Des attributs fonction de la culture juridique des Etats. De manière globale,
les pays européens de tradition civiliste ont choisi le rattachement à la nationalité en matière
de statut personnel. Il est possible de citer, à titre d’exemple, la règle de conflit espagnole qui
retient également la loi nationale1271. De même, d’autres pays, par l’effet de la colonisation ou
de l’imitation, ont retenu la nationalité comme rattachement à la loi applicable au statut
personnel, notamment en Amérique latine, en Chine, au Japon, ou encore dans les Etats
francophones d’Afrique1272. En revanche, d’autres Etats, de tradition différente, à savoir les
pays de common law, ont préféré donner compétence à la loi du domicile. En effet, à la fin de
l’Ancien Régime, ces pays ne ressentant pas « le besoin d’unifier leur droit par une
codification » 1273 ont maintenu la tradition fondée sur l’idéologie du territorialisme. C’est
pourquoi le Royaume-Uni et les pays de common law ont conservé le rattachement au
domicile1274. De même, dans « les colonies de peuplement (…) la loi locale s’est appliquée au

1269
Cf. supra § 35 et s.
1270
Cf. supra § 67 et s.
1271
C. civ. espagnol, art. 9 : « La loi personnelle correspondant aux personnes physiques est déterminée par leur
nationalité. Cette loi régira la capacité et l’état civil, les droits et devoirs de famille et la succession pour cause de
mort. »
1272
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 202.
1273
Ibid., § 203.
1274
Ibid.

399
titre de loi du domicile » 1275 . Ainsi, « les Etats-Unis, le Canada, l’Australie pratiquent le
rattachement au domicile »1276.
880. Neutralité et d’égalité de traitement mis à mal. Finalement, le statut personnel
est bien soumis en droit positif à la loi personnelle mais se décline en deux rattachements :
domicile et nationalité. Par conséquent, le monde est divisé en deux strates, l’une favorable à
la loi du domicile, l’autre à la loi nationale. C’est ainsi qu’aucune égalité de traitement du
sujet de droit ne peut être garantie puisque ce traitement variera selon les Etats impliqués. En
sus, il s’agit, une nouvelle fois, de la conséquence d’un manque de neutralité. Le choix des
rattachements opéré en matière d’état des personnes est l’objet de la culture juridique des
Etats et conséquemment de la politique législative qu’ils poursuivent1277. C’est pourquoi le
rattachement retenu en matière de statut personnel varie selon le type de tradition retenu.
Cette discipline est donc divisée entre deux régions du monde, les pays civilistes et les pays
de common law. Pourtant, malgré cette division des régions, ce rattachement a fait l’objet
d’une unification à l’international.

b) Un rattachement international universel sous réserve de formes variables


881. L’extension à l’international d’un rattachement en faveur de la nationalité.
Postérieurement à l’Ancien Régime et aux premières systématisations du droit des conflits de
lois par les législateurs nationaux, la discipline a été saisie par des organisations
internationales1278. De cette manière, le statut personnel a fait l’objet d’une réglementation à
l’échelle supranationale, et notamment par le biais de la Conférence de La Haye. Dans le
prolongement des législations internes relatives au statut personnel, la Conférence de La Haye
a maintenu la loi personnelle comme rattachement à la discipline, mais a opéré un choix entre
nationalité et domicile. Dans la mesure où il « rassemblait (…) les principaux pays d’Europe
continentale », le rattachement à la loi nationale « fut (…) systématiquement adopté dans les
différentes conventions élaborées en matière de conflit de lois (…) qui avaient pour objet les

1275
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 203.
1276
Ibid.
1277
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 311, laquelle évoque à propos de l’identité
culturelle que : « la lutte séculaire entre la nationalité et le domicile les préfigure et y participe, car s’y joue la
part à faire à la nature ou à la culture, à la naissance ou à la sociologie, dans la détermination du lien
d’appartenance d’un individu à l’égard d’une communauté politique ».
1278
Cf. supra § 274 et s.

400
rapports de famille » 1279 . C’est ainsi que le débat fût tranché en faveur de la nationalité.
L’avènement d’un système universel aurait pu être propice. Cependant, tel n’a pas été le cas.
882. L’échec de l’universalisation du rattachement à la loi nationale.
Premièrement, le critère de la nationalité a posé des difficultés à l’égard des personnes
apatrides. C’est pourquoi face à cette difficulté, « les auteurs et la jurisprudence (…) ont
estimé que (ce) statut relevait de la loi domicile »1280. Ainsi, le domicile a été consacré comme
rattachement par la Convention de New York du 28 septembre 1954 sur le statut des
apatrides1281. Deuxièmement, si, jusqu’à la Première Guerre mondiale, la Conférence de La
Haye était composée de pays d’Europe occidentale, cela n’a plus été le cas après la Seconde
Guerre mondiale, puisque le Royaume-Uni, les Etats-Unis et d’autres pays de common law y
ont également participé1282. Par conséquent, le courant fût inversé et le critère de la nationalité
ne fut plus adapté.
883. La réalisation d’un compromis entre les attributs en Europe. De manière
générale, si le statut personnel a eu vocation à être régi à une échelle internationale, aucune
unification à l’égard d’un seul rattachement n’a en réalité abouti. Une seconde tentative a été
opérée par l’Union européenne. En effet, l’organisation internationale a élaboré des
règlements européens en matière de séparation de couple. Au regard de l’article 8 du
règlement Rome III1283, la loi applicable au divorce et à la séparation de corps est celle de
« résidence habituelle des époux », puis à défaut celle de la nationalité des deux époux. Par
conséquent, le règlement européen a opéré un compromis en retenant les deux rattachements :
nationalité et domicile. Il ne s’agit pourtant pas d’une universalisation puisque les
rattachements sont hiérarchisés. Par conséquent, l’Union européenne a choisi de faire primer
le rattachement du domicile sur celui de la nationalité. De plus, le règlement est le fruit d’une
coopération renforcée, ce qui implique que l’Union européenne n’a pas réussi à créer un texte
regroupant de manière unanime l’aval de tous ses Etats membres. De cette manière, la portée
du compromis réalisé par l’Union est en vérité limitée. En outre, l’Union européenne n’est pas
réellement parvenue à un accommodement entre domicile et nationalité, mais plutôt à un
ajustement puisqu’elle n’a pas réemployé le terme de domicile, notion de droit, mais de

1279
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 209.
1280
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 230.
1281
Ibid.
1282
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 209.
1283
Règlement (UE) n°1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans
le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, Rome III.

401
résidence habituelle, notion de fait1284 . Ainsi, l’Union n’a pas réalisé un compromis entre
deux rattachements purement abstraits, mais un ajustement afin d’adopter une localisation
concrète du rapport de droit, prenant davantage en compte la réalité de la situation
internationale.
884. La prise en compte des éléments intrinsèques au rapport de droit nécessaire
à toute universalisation. Il convient alors d’en déduire qu’aucun compromis ne peut être
réalisé puisque, au regard de la localisation objective du rapport de droit, nationalité et
domicile, en sont les éléments intrinsèques en matière de statut personnel. Il s’agit de deux
éléments juridiques pouvant être pris en compte pour déterminer quelle est la loi qui présente
les liens les plus étroits avec l’individu. L’adoption du critère de résidence habituelle ne
participe qu’à une spécialisation du droit conforme à une approche de proximité plus
concrète. Ainsi, pour parvenir à une universalisation du droit, les éléments intrinsèques à
chaque rapport de droit devraient être pris en compte. Par conséquent, le statut personnel
devrait prendre en compte la nationalité, le domicile, mais aussi d’autres éléments
intrinsèques à la personne comme le centre autour duquel elle fait graviter ses intérêts. En tout
état de cause, le statut réel a été encadré d’une manière similaire à celle du statut personnel.

B. LA LOCALISATION MARGINALE ISSUE DU RATTACHEMENT ABSTRAIT A LA


LOI TERRITORIALE

885. De la même façon que le statut personnel, le statut réel s’est vu attribuer un
rattachement unique, dont l’application est demeurée naturelle et extensible à d’autres
catégories c’est-à-dire les statuts « mixtes ». C’est pourquoi le rattachement à la loi territoriale
a été retenu à l’égard de ses catégories conformément à la localisation de l’objet du litige ou
de la source de l’obligation (1). Également, comme la loi personnelle, ce critère de
rattachement a été consacré sur le plan théorique, et le plan juridique. Cependant, les mêmes
critiques lui ont été reprochées puisqu’il demeure trop abstrait et se révèle inadapté à toutes
les catégories de rattachement (2).

1) Un rattachement fonction de l’objet du litige ou de la source de l’obligation


886. Parallèlement au statut personnel, le statut réel s’est doté d’un rattachement
propre en conformité avec sa nature, à savoir la lex rei sitae (a). Ce rattachement, applicable à

1284
Voir en ce sens : Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 232, à propos de la
notion de résidence habituelle : il s’agit d’« un simple instrument de localisation et traduit à cet égard
l’intégration de la personne à un milieu social ».

402
l’objet du litige, s’est étendu à d’autres catégories de rattachement, pour s’appliquer
naturellement à la source des obligations (b).

a) Le rattachement naturel du statut réel à la lex rei sitae


887. L’héritage du territorialisme de d’Argentré. Comme le statut personnel,
l’encadrement du statut réel est issu de « la grande distinction bipartite » systématisée par
d’Argentré1285. Ainsi, il a été considéré que la loi applicable au statut réel est la lex rei sitae. Il
s’agit de l’héritage de la « tradition territorialiste, dont le principe était la soumission à la loi
locale de la plupart des relations juridiques se rattachant au territoire »1286. Depuis lors, la
règle de conflit applicable au statut réel est demeurée.
888. Un rattachement conforme au lieu de situation du bien. De la même manière
que pour le statut personnel, la doctrine s’est efforcée de démontrer ce qui justifiait de retenir
la loi du lieu de situation comme rattachement à la catégorie de rattachement du statut réel.
Dans la mesure où cette règle de conflit est issue des traditions de l’Ancien Régime, elle
pouvait paraître critiquable puisqu’elle manquait incontestablement de neutralité. Or,
conformément à la doctrine savignienne, la doctrine a pu entériner ce rattachement en
expliquant qu’il s’agit de localiser l’objet du rapport de droit. En effet, « lorsque le caractère
d’un droit tend à conférer à son objet une importance majeure, c’est en fonction de ce dernier
que s’effectue la localisation »1287 . Ce processus est parfaitement juste dans la mesure où
l’objet du rapport de droit, en matière de statut réel, est un bien, qu’il soit meuble ou
immeuble. Il paraît donc logique, dans une approche localisatrice, de se référer au lieu de
situation de ce bien qui répond ainsi à une certaine « homogénéité dans l’espace »1288. Ce
rattachement répond à la nature du rapport de droit qui est en cause.
889. Un critère de rattachement extensif. Dans la mesure où la lex rei sitae est
parfaitement conforme à la catégorie de rattachement des statuts réels, elle n’a cessé d’être
défendue. Néanmoins, l’insuffisance de la distinction bipartite opérée par d’Argentré, a

1285
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 125.
1286
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 212.
1287
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 218.
1288
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 58 : « Alors que, s’agissant du statut personnel, c’est le souci de
permanence, c’est-à-dire d’homogénéité temporelle qui commande la détermination du rattachement, s’agissant
du statut réel, c’est le besoin d’homogénéité dans l’espace, d’homogénéité locale qui prévaut. On entend par là
qu’il est souhaitable que tous les biens qui sont situés sur un même territoire, dans le ressort du même ordre
juridique, soient soumis à la même loi, quel que soit le domicile ou la nationalité des personnes, titulaires de
droits sur ces biens. Et autant l’hésitation est permise en ce qui concerne le rattachement susceptible d’assurer la
permanence du statut personnel, autant il paraît s’imposer avec la force de l’évidence en ce qui concerne
l’homogénéité du statut réel ».

403
conduit à créer d’autres règles de rattachement pour les rapports juridiques ne pouvant être
classés dans les catégories des statuts réel et personnel. C’est pourquoi partant du
rattachement au lieu de situation de l’objet du litige, celui-ci a été étendu à la source de
l’obligation.

b) L’extension du rattachement à la lex rei sitae à la source du rapport de droit


890. L’application de la lex rei sitae aux actes et faits juridiques. Dans cette idée de
localisation, et pour répondre à d’autres catégories de rattachements, principalement les faits
juridiques et les actes juridiques, la lex rei sitae a été repensée pour ces rapports d’obligations.
Par conséquent, la localisation n’est plus fondée sur l’objet du rapport de droit mais sur la
source du rapport de droit. De cette façon la source de l’obligation est devenue déterminante
dans la sélection de la loi applicable. En partant de ce postulat sont apparues deux règles
traditionnelles. D’une part, les actes juridiques se sont vus soumis au principe locus regit
actum. Par conséquent, « les contrats ont été considérés comme exclusivement soumis à la loi
du lieu où ils étaient passés »1289. D’autre part, les faits juridiques se sont vus appliquer la lex
loci delicti conformément à une localisation objective du rapport de droit1290. Ainsi, « la règle
soumettait les délits à la loi du lieu de leur survenance »1291.
891. Un rattachement conforme au lieu de situation de la source de l’obligation.
L’établissement de ces deux règles historiques répond, tout comme la catégorie du statut réel,
à l’idée de localisation du rapport de droit conformément à sa nature. En effet, le rattachement
qui doit naturellement s’appliquer aux obligations est celui de leur source. A priori, ces
rattachements anciens répondent simplement d’une approche objective et scientifique des
rapports juridiques. Cependant, il convient de s’interroger sur la réduction, ou du moins sur le
cantonnement de ces rattachements uniques à leur catégorie de rattachement. Leur unicité
pourrait ne pas répondre parfaitement à l’idée de localisation la plus proche à raison de la

1289
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 227.
1290
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 68 : « L’application de la lex loci delicti a, en effet, été très
largement consacrée en droit international privé comparé. Outre qu’elle permet une répartition objective des
compétences, une telle solution repose sur de solides justifications. En raison de l’impossibilité de localiser le
rapport de droit par ses sujets ou son objet, c’est le seul rattachement qu’offre objectivement la matière.
Cherchant à rétablir l’équilibre entre deux patrimoines, la responsabilité civile relève du droit applicable au lieu
même où cet équilibre s’est trouvé rompu. Mais surtout l’équilibre entre la liberté d’agir et la sécurité des
individus que recherchent les règles de la responsabilité civile ne peut être atteint que si elles s’appliquent à
l’ensemble des accidents survenus sur le territoire ; il faut pour que les comportements de tous s’harmonisent et
ne soient nuisibles à aucun que chacun règle ses actions conformément à la loi du lieu où il agit ».
1291
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 244.

404
complexité de certaines situations, notamment en matière d’obligations. Pour autant, ces
règles de rattachement ont réussi à traverser le temps pour être consacrées par le droit positif.

2) La consécration juridique de la lex rei sitae malgré son caractère inadapté


892. De la même façon que le statut personnel, les règles de rattachement issues du
statut réel, défendues par la doctrine, ont été juridiquement reconnues en droit des conflits de
lois. D’une part, le rattachement à la loi territoriale a été érigé comme rattachement de
principe à l’égard des catégories de rattachement relatives à l’objet ou à la source du rapport
de droit par les systèmes nationaux (a). Puis, ce rattachement a fait l’objet d’une spécialisation
par les systèmes supranationaux, laquelle s’avérait nécessaire, mais demeurait arbitraire (b).

a) Une reconnaissance de principe en droit international privé interne


893. L’attribution de la lex rei sitae au statut réel en droit positif. Indéniablement,
le rattachement de la loi territoriale à la catégorie de rattachement du statut réel s’est imposé
en droit positif français. En effet, ce dernier « se prononce en faveur de la soumission du
statut réel à la lex rei sitae, la règle s’appliquant indistinctement au statut des meubles et à
celui des immeubles »1292. Dès 1804, le Code civil, en son article 3, soumet les immeubles à la
loi dans le ressort duquel ils se situent 1293 . En revanche, s’agissant des meubles, « les
premières codifications (…) n’ont pas formulé de règle de rattachement concernant les
1294
meubles » . « Cependant, à mesure que la question du statut des meubles pris
individuellement était envisagée, la solution retenue en différents pays fut de les soumettre,
comme les immeubles, à la loi du lieu de leur situation »1295. Par conséquent, le rattachement
à la loi territoriale en matière de statut réel fut consacré unanimement par les systèmes
conflictuels de droit interne. La même remarque peut être effectuée à l’égard des actes
juridiques et des faits juridiques.
894. L’extension de la règle aux actes et faits juridiques en droit positif. S’agissant
des actes juridiques, si la règle locus regit actum n’a pas été consacrée par le Code civil
français, « elle fut appliquée en différents domaines » et « est très largement consacrée en
droit positif comparé »1296. De la même manière, à propos des faits juridiques, la lex loci
delicti, qui n’a pas été consacrée par le Code civil français, a été reconnue par la Cour de

1292
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit.,
1293
C. civ. art. 3 : « Les immeubles, même ceux possédés par les étrangers, sont régis par la loi française ».
1294
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 221.
1295
Ibid.
1296
Ibid., § 240.

405
cassation1297, et « a été le plus fréquemment consacrée en droit comparé »1298. Par conséquent,
le rattachement à la loi territoriale s’est ancré dans le droit positif national pour chaque
catégorie de rattachement avec une forme qui lui est propre et qui semble être conforme à sa
nature1299.
895. Un rattachement inadapté à la spécialisation des situations internationales.
Cependant, si la loi territoriale peut constituer le fondement de ces catégories de rattachement,
les déclinaisons sous lesquelles elle s’est illustrée se sont avérées insuffisantes. En effet, en
matière de statut réel, la lex rei sitae a soulevé des difficultés en matière de biens incorporels
puisque ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’une localisation matérielle. De même, les meubles
étant susceptibles de déplacement dans l’espace et certains étant par principe mobiles, la lex
rei sitae est devenue inadaptée en tant que telle. Par conséquent, le rattachement à la lex rei
sitae en matière de statut réel a dû être adapté à ces situations. Le même constat a pu être
effectué à l’égard des actes juridiques et des faits juridiques. En effet si « les actes juridiques
sont régis quant à leur forme par la loi du lieu où ils sont passés »1300, cette règle n’est pas
parfaitement transposable quant à leur fond, notamment dans la mesure où le lieu de
formation et d’exécution de l’acte peut différer. De la même façon, en matière de faits
juridiques, la Cour de cassation est intervenue pour préciser que la lex loci delicti s’entend
aussi bien du lieu du fait générateur du dommage que du lieu où le préjudice a été ressenti1301.
Par conséquent, le rattachement à la loi territoriale a fini par être inadapté face à la
spécialisation des situations juridiques. Finalement, ce rattachement a été consacré par les
systèmes nationaux, mais a été contraint à une certaine spécialisation dans le but de respecter
la nature du rapport de droit en cause. Or, ce processus a été poursuivi à l’échelle
internationale.

1297
Cass., Civ., 25 mars 1948, Lautour, préc.
1298
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 245.
1299
Voir en ce sens, Cass., Com., 4 nov. 2014, n°12-27.072, D. actualité, 19 nov. 2014, note X. Delpech, dans
lequel la Cour a considéré que « la responsabilité du banquier tiré, auquel il est reproché d’avoir payé un chèque
irrégulièrement endossé, est de nature extracontractuelle », et conséquemment que « la loi applicable est celle du
lieu du fait dommageable ».
1300
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 284.3°.
1301
Cass., Civ. 1ère, 14 janv. 1997, Gordon, n°94-16.861, RCDIP 1997, p. 504, note J.-M. Bischoff ; Dalloz
1997, p. 177, note M. Santa-Croce ; JCP 1997, II, p. 22903, note H. Muir Watt; et par ex. Cass., Civ. 1ère, 27 mai
2010, n°09-65.906, RCDIP 2010, p. 702, note D. Bureau ; Dalloz 2011, p. 1445, note H. Kenfack ; dans lequel la
Cour a considéré qu’« en cas de délit complexe, il s’entend aussi bien du lieu du fait générateur du dommage que
de celui de réalisation de ce dernier ».

406
b) Une spécialisation nécessaire en droit international privé supranational
896. Un rattachement spécialisé en fonction de la nature du meuble. Si en matière
de statut réel, la règle de rattachement lex rei sitae a été admise unanimement en droit
international privé interne, d’autres règles de rattachement ont été établies pour les meubles
incorporels et les meubles mobiles par nature. Tout d’abord, les meubles incorporels ne
peuvent avoir une localisation évidente, par conséquent ils appellent un traitement
particulier1302. C’est pourquoi d’autres solutions que celle applicable au statut réel peuvent
être retenues, et « en particulier la protection du droit selon la loi du pays où cette protection
est invoquée » 1303 . De cette manière, divers textes internationaux ont été adoptés pour
encadrer cette catégorie de rattachement particulière comme la Convention de Berne1304 ou
encore la Convention de Paris 1305 . Puis, pour les meubles mobiles par nature, la même
démarche a été empruntée. Des textes internationaux ont également été adoptés pour adapter
le droit des conflits de lois à ces catégories de biens particuliers. C’est le cas de la Convention
de Genève relative aux aéronefs1306.
897. Un rattachement spécialisé en fonction du contrat et du délit. En outre, ce
phénomène d’adaptation s’est propagé à l’égard des actes juridiques et des faits juridiques.
Selon le règlement Rome I, les actes juridiques, et plus particulièrement les contrats, sont
régis, quant au fond, par une loi particulière selon le type de contrat en cause 1307 . Par
conséquent, eu égard à l’inefficacité de la loi territoriale en matière de contrats, le droit de
l’Union européenne s’est permis d’octroyer à chaque type de contrat un rattachement qui lui
est propre. Également au regard du règlement Rome II1308, les faits juridiques sont toujours
régis par la lex loci delicti mais le règlement est venu encadrer sa définition. Par conséquent,
en vertu de l’article 4 dudit règlement, la loi applicable est en réalité celle sur le territoire
duquel « le dommage survient ». Ainsi, il est mis un terme à la duplicité de rattachements
issue de la règle de conflit ancienne.

1302
B. Audit et L. D’Avout, op. cit., § 852.
1303
Ibid., § 224.
1304
Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques révisée à Paris le 24 juill. 1971.
1305
Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle révisée à Stockholm le 14 juill. 1967.
1306
Convention de Genève relative à la reconnaissance internationale des droits sur aéronefs du 19 juin 1948.
1307
Voir art. 4 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, Rome I.
1308
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles, Rome II.

407
898. Un rattachement arbitraire malgré sa spécialisation. Finalement si le
rattachement à la loi territoriale s’est maintenu, il s’est avéré inadapté face à la complexité et
la spécialisation de certaines situations internationales. C’est pourquoi une analyse concrète
du rapport de droit s’est imposée dans ces domaines tendant à modifier cet unique
rattachement. Cependant, malgré cette spécialisation conforme à la nature du rapport de droit,
il semble que les rattachements retenus par certains textes internationaux demeurent
arbitraires. C’est pourquoi malgré l’apparente neutralité des règles de conflit, celles-ci sont
une nouvelle fois soumises à la culture régionale qui s’impose. De cette façon, aucune
universalisation en ce domaine n’est apparue, et aucune égalité de traitement n’est garantie.
En vérité, les règles de rattachement traditionnelles sont simplement affectées par certaines
carences qui empêchent d’atteindre un véritable respect de la neutralité de la méthode et de
son résultat c’est-à-dire l’égalité de traitement.

§ 2 – DES REGLES DE RATTACHEMENT LACUNAIRES EN TERMES DE LOCALISATION


OBJECTIVE

899. La scission de principe entre statut personnel et statut réel ne permet pas de
résoudre tous les conflits de lois. En effet, cette distinction est critiquable dans la mesure où
les deux rattachements qu’elle retient, en raison de leur caractère très abstrait, sont atteints de
nombreux vices (A). De plus, il est des situations dans lesquelles ces rattachements, ou ceux
qui en sont issus, sont défaillants. Par conséquent, il est classiquement admis de recourir au
rattachement de la loi du for pour pallier cette carence. Pourtant ce choix s’avère assez
malencontreux notamment au regard de la philosophie dont il s’inspire (B).

A. DES RATTACHEMENTS VICIES PAR LEUR CARACTERE ABSTRAIT


900. L’utilisation des règles de rattachement classique est justifiée dans leur acception
abstraite puisqu’elles se conforment naturellement à leur catégorie de rattachement. Pourtant,
en étudiant en profondeur ces règles de conflits, il apparaît que leurs rattachements sont
affectés par de nombreuses carences (1). En réalité, ces dernières sont imputables à des
défauts inhérents que présentent ces règles de conflit abstraites et auxquels il convient de
remédier (2).

1) Les carences imputables aux rattachements traditionnels


901. Si les rattachements traditionnels sont conformes à la nature des rapports de droit
qui leur sont soumis, ils sont néanmoins atteints par de nombreuses carences. D’une part, les
déclinaisons du rattachement à la loi personnelle ne sont en vérité pas conformes à la nature

408
du rapport de droit en matière d’état des personnes (a). D’autre part, le rattachement à la loi
territoriale est insuffisant dès lors qu’il dépasse le stade de situations juridiques simples pour
s’appliquer à d’autres, plus complexes (b).

a) Le rattachement à la loi personnelle inapproprié en matière de statut personnel


902. Un rattachement divisé contraire à une localisation scientifique du rapport
de droit. S’il est incontestable que le statut personnel est aujourd’hui soumis par nature à la
loi personnelle, il est établi que ce rattachement se décline sous diverses formes,
principalement la nationalité et le domicile. Il a pu être considéré que les déclinaisons de la loi
applicable à l’état des personnes impliquent pour chaque système juridique interne de
déterminer laquelle de ces déclinaisons lui convient le mieux 1309 . Or, au-delà du frein à
l’unification que crée ce choix, cette division du rattachement de la loi personnelle constitue
une entrave à la méthode classique conflictuelle. Effectivement, la méthode conflictuelle
savignienne préconise une approche scientifique du rapport de droit c’est-à-dire consistant à
localiser quelle loi présente les liens les plus étroits avec la situation juridique. Par principe, et
conformément à sa nature, le statut personnel présente les liens les plus étroits avec la loi
personnelle de l’individu. La loi personnelle de chaque individu est composée de divers
éléments et notamment des attributs de la personnalité que sont le domicile et la nationalité.
Par conséquent, pour déterminer la loi applicable à un individu en matière de statut personnel,
il convient « de déterminer si des attaches significatives relient les individus » avec un Etat en
tenant compte « d’autres liens tout aussi significatifs qu’ils pourraient entretenir avec d’autres
pays »1310. Il convient ainsi d’établir « le pays de référence » de ces individus1311 au regard de
tous ses attributs personnels. Cependant, en appliquant les règles de conflit telles qu’elles sont
établies en droit positif, le choix est opéré entre le domicile ou la nationalité. Ainsi, ce n’est
pas la loi qui présente les liens les plus étroits qui est retenue, mais arbitrairement la loi
nationale ou la loi du domicile. Si chacun de ces rattachements présente des avantages, aucun
d’eux n’est plus légitime que l’autre au titre de la loi qui présente les liens les plus étroits1312.

1309
Cf. supra § 874.
1310
M. Hunter-Henin, Pour une redéfinition du statut personnel, Thèse, Paris 1, 2001, PU Aix-Marseille, 2004, §
599.
1311
Ibid.
1312
Voir en ce sens : M. Hunter-Henin, « Droit des personnes et droits de l’Homme : combinaison ou
confrontation ? », RCDIP 2006, p. 743, qui ajoute que si « traditionnellement (…) les questions d'état des
personnes et de droit de la famille sont régies par la loi personnelle, entendue comme loi nationale, des
intéressés », « le rattachement, aujourd'hui ébranlé, à la nationalité est cependant affecté de défauts et
dérogations multiples qui nuisent à la stabilité et l'unité de la matière ».

409
En réalité, ils n’en sont que des composants qui permettent de déterminer quelle loi est la plus
significative.
903. Un rattachement abstrait incompatible avec une localisation de proximité.
Plus précisément, le recours à la nationalité ou au domicile, outre le choix arbitraire, est
d’autant plus opposé à une approche localisatrice et concrète dans la mesure où ces deux
rattachements sont des notions purement juridiques et ne prennent en aucun cas compte de la
situation factuelle en tant que telle. Or, une approche concrète de la situation juridique semble
indispensable pour déterminer la loi qui présente les liens les plus étroits. C’est pourquoi il
faut se féliciter de l’introduction de la notion de « résidence habituelle » au sein des règles de
conflit européennes. L’intégration de ce concept permet de traiter les situations juridiques
avec une approche plus concrète. Pourtant, de la même façon que les rattachements à la
nationalité ou au domicile, le choix de recourir à la résidence habituelle est également
arbitraire. En d’autres termes, si le rattachement à la loi personnelle est conforme à la nature
du rapport de droit en matière d’état des personnes, ses déclinaisons ne peuvent se cantonner à
un unique attribut de la personnalité. Chaque rattachement issu de ses attributs n’est pas, en
soi, contraire à la nature du rapport de droit, mais il n’y est pas totalement conforme dans la
mesure où il évince d’autres éléments intrinsèques à la nature de ce rapport de droit. Cette
méthode n’est donc pas scientifique et, par conséquent, ne permettra pas d’établir un système
neutre et universel. Une analyse similaire peut être effectuée à l’égard de la loi territoriale.

b) Le rattachement à la loi territoriale insuffisant eu égard aux situations complexes


904. Un rattachement dépassé en droit positif. Si la lex rei sitae est le rattachement
naturellement applicable en matière de statut réel, son application demeure tout de même
limitée. En effet, sous l’Ancien Régime, cette règle de conflit était parfaitement justifiée dans
la mesure où la propriété était essentiellement immobilière et les meubles n’étaient envisagés
que sous leur forme corporelle. Or, il a pu être constaté que la loi du lieu de situation ne
s’adapte plus aussi parfaitement bien aujourd’hui, puisque de plus en plus de biens sont
mobiles par nature, et que sont apparus des biens incorporels1313. C’est pourquoi « il semble
préférable de s’en tenir à l’observation (selon laquelle) un rapport de droit n’est naturellement
localisé que par son objet quand celui-ci est un bien corporel »1314.

1313
Cf. supra § 895.
1314
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 283.

410
905. Un rattachement trop abstrait pour répondre d’une localisation scientifique.
Comme la loi personnelle, la loi territoriale est insuffisante à déterminer quelle sera la loi
applicable, car il s’agit d’une notion trop abstraite. C’est pourquoi la lex rei sitae ne peut se
limiter qu’à la catégorie des biens corporels. Ainsi, le statut réel ne devrait sûrement plus être
régi par cet unique rattachement pour l’intégralité de sa discipline. Il serait préférable de créer
des sous-catégories de rattachement plus adaptées à chaque situation d’espèce. Par exemple, il
suffirait simplement d’établir deux sous-catégories de rattachement, l’une relative aux biens
corporels, l’autre aux biens incorporels. Le but de ce procédé serait de répondre à une analyse
plus précise en termes de localisation du rapport de droit. En affinant les catégories du statut
réel, il serait possible, pour chaque catégorie de déterminer quelle sera la loi qui présente les
liens les plus étroits, tout en conservant le même fil conducteur : la loi territoriale. En effet,
établir des sous-catégories permet de conserver l’idée selon laquelle celles-ci émanent d’une
unique et même catégorie, celle du statut réel, dont la nature est conforme à une approche
territoriale du rapport de droit.
906. Un rattachement insuffisamment conforme à une localisation de proximité
en droit positif. Le même cheminement pourrait être effectué à l’égard des actes juridiques
pour déterminer la loi applicable au fond. Il semble que l’Union européenne ait déjà entamé
cette démarche dans la mesure où chaque contrat se voit appliquer un rattachement qui lui est
propre. Cependant, chaque contrat, étant soumis à un rattachement unique, n’est pas
nécessairement soumis à la loi qui présente les liens les plus étroits. C’est pourquoi le
règlement Rome I prévoit une clause d’exception mettant en jeu les liens les plus étroits1315.
Or, le raisonnement devrait être inverse. Le rattachement applicable devrait être celui des
liens les plus étroits, lequel devrait être encadré par des attributs préalablement définis et
conformes à sa catégorie ou sous-catégorie de rattachement. En effet, la ligne directrice du
législateur doit être par principe, la loi qui présente les liens les plus étroits, et non pas
l’exception. Ceci se justifie dans la mesure où seule une approche purement objective et
scientifique du rapport de droit permet d’atteindre l’universalisme. Cependant, le législateur
européen en adoptant des critères de rattachement de manière arbitraire constitue un frein à
l’universalisation du droit.

1315
Art. 4.3 du règlement Rome I : « Lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat
présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet
autre pays s’applique. ».

411
La même remarque peut être faite à l’égard des faits juridiques puisque le règlement
Rome II réserve également le jeu des liens les plus étroits en son article 4. En sus ce
règlement peut être soumis aux mêmes critiques que celles applicables au statut personnel
puisque le règlement retient que la lex loci delicti s’entend de la loi du pays où le dommage
survient. Le législateur a donc opéré un choix entre la loi du fait générateur et la loi où le
préjudice est ressenti. Or, un tel choix ne devrait pas être opéré puisque la lex loci delicti peut
s’entendre sous ses deux acceptions. Comme en matière de statut personnel, pour déterminer
la loi qui présente les liens les plus étroits, les attributs de la loi du lieu du délit devraient
constituer un faisceau d’indices permettant de déterminer quelle est la loi compétente. Ceci
éviterait d’opérer un choix entre deux rattachements qui sont légitimement applicables.
907. Des rattachements abstraits incompétents pour déterminer la loi des liens les
plus étroits. En résumé, tant les rattachements issus du statut personnel que ceux du statut
réel ne sont pas parfaitement adaptés. Ils répondent difficilement à une approche objective et
scientifique des situations juridiques internationales. En vérité ces insuffisances imputables à
la scission entre statut personnel et statut réel sont dues à des défauts plus profonds.

2) Les défauts inhérents à l’utilisation des rattachements classiques abstraits


908. Si les rattachements classiques affectés aux catégories de rattachement des statuts
personnel et réel sont atteints de diverses carences, ils sont vraisemblablement accablés par
certains défauts qui leurs sont propres. C’est en raison de leur manque de neutralité c’est-à-
dire de leur subjectivisme que ces rattachements connaissent de nombreuses insuffisances (a).
Or, l’adoption de ces rattachements sur la base de considérations identitaires et culturelles
conduit à la fragmentation du droit des conflits de lois (b).

a) Des rattachements identitaires atteints de subjectivisme


909. Des rattachements abstraits exempts de neutralité. Historiquement lois
personnelle et réelle sont issues des traditions régnant sous l’Ancien Régime, à savoir le
territorialisme puis le personnalisme. Or, ces deux rattachements, même issus d’aspirations
idéologiques de l’époque, peuvent être considérés comme issus d’une méthode scientifique en
ce qu’ils répondent parfaitement à la nature même des rapports de droit auxquels ils sont
soumis. Par conséquent, la neutralité de ces rattachements ne peut être remise en cause dans
leur principe. En revanche, dans leur application, ces rattachements peuvent être contestés. En
effet, à raison de leur caractère abstrait ou inadapté, ces rattachements ont dû être affinés sous
forme de nouveaux rattachements. Cependant, c’est en adoptant ces nouvelles formes que la
neutralité de la règle de conflit a été évincée.

412
910. Des rattachements fonction de considérations étatiques. Pour reprendre
l’exemple du domicile et de la nationalité. Certains Etats vont être favorables à la loi nationale
en arguant qu’il s’agit d’un rattachement présentant un caractère de « stabilité » et de
« certitude »1316, tandis que d’autres seront adeptes de la loi du domicile considérant qu’elle
correspond mieux à l’intérêt de l’émigré1317, puisqu’elle « soumet l’individu à la loi du milieu
dans lequel il vit »1318. Par conséquent, le choix entre l’un et l’autre rattachement ne s’opère
qu’en fonction des considérations étatiques c’est-à-dire identitaires et culturelles de chaque
Etat. Effectivement « le bilatéralisme du statut personnel est l’un de ces partis pris
méthodologiques dont le poids historique dispense presque de justifications », « mais derrière
le principe du bilatéralisme, se cachent des approches unilatéralistes »1319.
911. Des rattachements non conformes à la nature du rapport de droit. En réalité,
si les lois personnelle et réelle peuvent être justifiées conformément à la nature du rapport
juridique auxquelles elles s’appliquent, il ne peut en être de même à l’égard de leurs
déclinaisons. Le choix entre nationalité et domicile n’est en aucun cas neutre, mais bien
l’objet de considérations idéologiques et historiques propres à chaque Etat. C’est pour cela
que les pays anglo-saxons, conformément à leur tradition juridique et historique, sont
favorables à la loi du domicile, et à l’inverse les pays civilistes à la loi nationale. Par
conséquent, en déterminant un rattachement abstrait propre à une catégorie de rattachement,
le législateur a laissé une brèche dans laquelle il s’est engouffré pour établir des règles de
conflit, qui ne sont pas par principe contraires à la nature du rapport de droit, mais qui en
aucun cas n’y sont parfaitement conformes. La ligne conductrice du législateur doit
nécessairement demeurer objective et scientifique pour parvenir à un système à vocation
universelle traitant de manière égalitaire tout sujet de droit. Or, en optant pour une approche
différente, les règles de conflit se sont fragmentées.

b) Des rattachements subjectifs favorables à la fragmentation du droit


912. La fragmentation du droit engendrée par une localisation abstraite et
subjective. Adopter des règles de conflit sur la base de traditions historiques et culturelles
constitue un obstacle à l’unification du droit des conflits de lois. C’est pourquoi il serait
préférable de revenir à une approche plus scientifique à même d’emporter l’assentiment de

1316
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 196.
1317
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 225.
1318
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 200.
1319
M. Hunter-Henin, Pour une redéfinition du statut personnel, op. cit., § 595.

413
tout Etat. De plus, si, en droit positif européen, certains textes ont réussi à être élaborés en
matière de statut personnel, ils ne sont que très rares et, parfois, n’emportent même pas
l’approbation de tous les Etats membres de l’Union européenne. Au contraire, en matière
d’actes juridiques et de faits juridiques, l’association des Etats a été plus prépondérante, et
ceci probablement à raison des clauses d’exception prévues par les règlements.
913. Vers une localisation concrète et objective du rapport de droit conforme au
principe de proximité. Il en ressort que les règles de rattachement classiques, notamment à
raison de leur caractère abstrait, ont pour défaut de mettre de côté la méthode scientifique et
objective préconisée par le bilatéralisme classique. Le principe doit bien être celui de la loi
des liens les plus étroits envisagée de manière plus concrète à l’aune du principe de
proximité 1320 . Il convient simplement d’encadrer chaque rattachement conformément à la
nature de la catégorie de rattachement auquel se rattache le rapport de droit. Seule une
méthode neutre et basée sur une approche localisatrice du rapport de droit peut permettre un
traitement universel et donc égalitaire du sujet de droit. C’est pourquoi les règles de conflit de
principe issues de l’Ancien Régime se révèlent inadaptées, ou du moins mal adaptées à la
société contemporaine. Il en est de même des règles de conflit subsidiaires traditionnelles,
notamment du rattachement à la loi du for.

B. DES RATTACHEMENTS SUPPLEES ARBITRAIREMENT PAR LA LEX FORI


914. Il est des hypothèses dans lesquelles aucun rattachement prévu par la règle de
conflit ne peut être déterminé dans une situation d’espèce. Pour répondre à un objectif de
sécurité juridique, il a été inévitable d’établir un rattachement suppléant. Pour cela, il est de
principe de recourir à la loi du for considérant que son recours est a priori nécessaire (1).
Pourtant, son utilisation semble plutôt contestable tant elle s’inspire d’une idéologie
davantage unilatéraliste (2).

1320
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 25, laquelle expose notamment que le schéma classique imaginé par
Savigny « repose sur un rattachement fixe ou rigide, opéré en considération d’un élément dont la qualité
particulièrement localisatrice au regard de la nature du rapport de droit envisagé est reconnue in abstracto »,
tandis que la seconde méthode, « théorisée par la doctrine contemporaine sous l’appellation « principe de
proximité », repose sur un rattachement souple qui requiert du juge l’identification in concreto de la loi qui
présente les liens les plus étroits avec le rapport de droit. Il n’y a donc pas formellement d’élément de
rattachement prédéterminé, mais une simple directive offerte au juge ». Ainsi, c’est en raison de la souplesse
qu’offre le rattachement aux liens les plus étroits, par rapport à la méthode classique, qu’il convient de soutenir
une localisation concrète du rapport de droit sous l’office du principe de proximité. De cette façon, la rigidité de
la règle de conflit disparaît et elle permet d’aspirer plus largement à l’universalisme. D’ailleurs, elle poursuit en
ajoutant que « si le rattachement rigide confère plus de prévisibilité et donc de sécurité juridique aux parties, il
risque ponctuellement de conduire à l’application d’une loi qui répond insuffisamment aux exigences de
proximité ».

414
1) Le recours subsidiaire a priori nécessaire à la loi du for à défaut de rattachements
915. La loi du for constitue un rattachement subsidiaire auquel il est recouru lorsque
tous les rattachements prévus par la règle de conflit font défaut (a). Il est alors considéré que
ce choix de rattachement suppléant est parfaitement nécessaire à la résolution des situations
juridiques litigieuses (b).

a) L’application subsidiaire de la loi du for en cas de déficience des rattachements


916. La vocation subsidiaire de la lex fori. Classiquement, il est reconnu à la loi du
for « une vocation subsidiaire » d’application1321. En pratique, il est des cas dans lesquels les
rattachements prévus par la règle de conflit ne permettent pas de retenir la compétence d’une
loi parce que ces rattachements en l’espèce font défaut. C’est pourquoi il est donné à la loi du
for une compétence subsidiaire. Celle-ci peut être reconnue expressément par la règle de
conflit. Il peut être fait référence à la jurisprudence Rivière1322 de la Cour de cassation selon
laquelle « les effets du mariage sont soumis à la loi nationale commune des époux et, à défaut
de nationalité commune, à la loi de leur domicile commun, la loi du for s’appliquant en
l’absence de domicile commun » 1323 . Dans cette hypothèse, la jurisprudence a prévu
explicitement qu’en cas de défaillance des éléments de rattachement imputables aux effets du
mariage, serait applicable la loi du for.
917. Une vocation subsidiaire générale. En réalité, il est communément admis que la
loi du for a vocation à s’appliquer dès lors que les éléments de rattachement d’une règle de
conflit font défaut. Il n’est pas nécessaire que la règle de conflit prévoie ce rattachement
subsidiaire. Les hypothèses les plus fréquentes visent le statut personnel, notamment lorsque
le rattachement retenu est celui de la nationalité1324. Par exemple, un apatride, en l’absence de
nationalité, se référera à la loi du for et non pas à la loi nationale. C’est pourquoi par principe,
« la loi française a vocation à régir toute relation privée »1325. De plus, si les hypothèses sont
fréquentes en matière de statut personnel, elles peuvent se décliner dans d’autres catégories de
rattachement. Il est en effet possible que la localisation de l’objet du litige ou de la source de
l’obligation soit indéterminée au regard de l’élément de rattachement retenu par la règle de

1321
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 346.
1322
Cass., Civ. 1ère, 17 avr. 1953, Rivière, préc.
1323
Y. Lequette, op. cit., § 57.
1324
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 347.1°.
1325
Ibid., citant l’arrêt Bisbal, Cass. Civ. 1ère, 12 mai 1959, RCDIP 1960, p. 62, note Batiffol ; JDI 1960, p. 810,
note Sialelli ; Dalloz 1960, p. 610, note Ph. Malaurie ; JCP 1960, II, p. 11733, note Motulsky ; GAJFDIP, n°32-
34.

415
conflit, il conviendra donc d’appliquer à ce rapport de droit la loi du for. Il semblerait donc
que l’application subsidiaire de la loi du for soit une nécessité.

b) La vocation subsidiaire de la loi du for a priori justifiée par nécessité


918. Un rattachement facteur de sécurité juridique. L’application subsidiaire de
principe de la loi du for, en cas de défaillance des rattachements applicables, est parfaitement
défendable. En effet, dans l’hypothèse d’un vide juridique, il est absolument nécessaire de
prévoir un rattachement de secours pour pallier les carences qui se sont produites. En termes
de sécurité juridique, il est indispensable de prévoir un rattachement subsidiaire pour garantir
à chaque situation juridique une solution effective. De plus, le choix de la loi du for comme
rattachement suppléant peut se défendre puisqu’elle « n’a pas de limite spatiale » et « peut
englober tous les faits qui viennent à la connaissance du juge, quel que soit le lieu où ils sont
nés » 1326 . Par conséquent, partant de ce postulat, l’application de la loi du for serait
parfaitement justifiée. En sus, il est des cas où « la localisation dans l’espace peut aussi, tout
en étant établie, faire défaut comme élément de rattachement parce qu’elle ne donne
compétence à aucune loi », « c’est le cas de la haute mer »1327.
919. Un rattachement contraire à une approche localisatrice du rapport de droit.
Cependant, le recours à la loi du for est en parfaite opposition avec une approche conflictuelle
bilatérale indispensable à toute égalité de traitement. En effet, le choix de la loi du for ne peut
conduire qu’à une solution arbitraire, qui dépendra simplement du juge saisi. Par conséquent,
il semble que le choix de recourir à ce rattachement soit limité.
920. Un rattachement consécutif à la rigidité des rattachements abstraits. Une
nouvelle fois, le rattachement subsidiaire à la loi du for est nécessaire parce que les
rattachements positifs sont des critères de rattachement, la plupart du temps, arbitraires et
rigides. L’exemple du statut personnel est le plus adapté puisque, dans la mesure où la règle
de rattachement retient soit la loi nationale, soit la loi du domicile, alors il est indispensable de
prévoir un rattachement subsidiaire dans le cas où l’un de ces rattachements fait défaut. Or, si
le rattachement à l’état des personnes consistait en la loi des liens les plus étroits, laquelle
serait encadrée par un faisceau d’indices, comprenant notamment nationalité et domicile, il
semblerait qu’il ne soit plus nécessaire de recourir à la loi du for en tant que rattachement
subsidiaire. Aucun vide juridique ne pourrait se produire puisque la détermination de la loi

1326
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 134.
1327
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 348.

416
applicable aboutirait nécessairement, et ceci en vertu d’une analyse du faisceau d’indices mis
en place, ou plus précisément des points de contact existants. Finalement, le rattachement à la
loi du for est nécessaire parce que la plupart des rattachements positifs ne répondent pas
réellement à un objectif de localisation du rapport de droit, ou du moins, ils y répondent de
façon trop arbitraire. C’est pourquoi le recours à la loi du for en tant que rattachement
subsidiaire est parfaitement contestable.

2) Le contestable recours à la loi du for en tant que rattachement subsidiaire


921. Utiliser le rattachement à la loi du for comme complément en cas de défaillance
des rattachements de la règle de conflit est vraisemblablement critiquable. D’une part, un tel
procédé conduit à favoriser les intérêts de l’ordre juridique du for et de ses sujets, mais en
aucun cas à avantager les intérêts privés de manière générale (a). D’autre part, le recours à ce
rattachement, par l’individualisme dont il s’inspire, provoque inéluctablement une
fragmentation du droit des conflits de lois et plus précisément du traitement des situations
juridiques internationales (b).

a) Un rattachement favorable aux intérêts de l’ordre juridique du for


922. Un rattachement orienté uniquement par les intérêts du for. Le recours à la
loi du for en tant que rattachement subsidiaire est parfaitement contestable dans la mesure où
il s’oppose parfaitement à la méthode classique bilatérale. Il pourrait même être considéré que
le recours à ce rattachement est plutôt d’inspiration unilatéraliste. Effectivement, en retenant
comme critère de rattachement subsidiaire la loi du for, la règle de conflit aura nécessairement
tendance à favoriser les intérêts de son propre ordre juridique. Retenir la loi du for comme
rattachement revient à garantir les intérêts de l’ordre juridique du for, et indirectement des
individus qui le composent. En revanche, ce rattachement n’aura pas, par principe, vocation à
garantir les intérêts privés de tout sujet de droit. Comme l’a affirmé Lerebours-Pigeonnière,
« dans la réglementation de l’ordre juridique de la vie privée, qui dépend de sa souveraineté,
(…), l’Etat a l’obligation naturelle de faire régner un ordre conforme à la justice et à la morale
et non pas l’obligation de subordonner a priori l’ordre juridique applicable par ses tribunaux à
celui d’autres Etats déterminés »1328. Par conséquent, l’application subsidiaire de la loi du for
aura pour conséquence de régir le rapport de droit en cause conformément aux intérêts de

1328
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 45.

417
l’ordre juridique du for, peu importe que d’autres ordres juridiques puissent être mis en cause
dans la mesure où la situation litigieuse présenterait des points de contact avec ces derniers.
923. Un rattachement arbitraire exempt de neutralité. Il paraît critiquable de
considérer que sous prétexte qu’un rattachement n’est pas applicable, soit appliquée la loi du
for alors que la situation litigieuse présenterait des points de rattachement avec d’autres ordres
juridiques. Il s’agit incontestablement d’un rattachement arbitraire et exempt de neutralité
dont la vocation tend à léser les intérêts des particuliers, puisque chaque situation
internationale est traitée de manière différente d’un ordre juridique à l’autre.

b) Un rattachement réfractaire à l’universalisation du droit


924. Un rattachement unilatéral vecteur d’inégalité de traitement. Dans
l’hypothèse où chaque système juridique retient comme rattachement subsidiaire la loi du for,
cela signifie que chaque ordre juridique, dès lors que sa règle de rattachement ne peut être
mise en œuvre en raison d’un défaut de rattachements, appliquera sa propre loi. Il s’agit d’un
retour de la philosophie unilatéraliste au sein du système conflictuel. Or, la conséquence
néfaste d’un tel système est de construire un système totalement fragmentaire et tourné vers
une certaine individualisation du droit. Chaque ordre juridique appliquera sa propre loi, et par
conséquent chaque sujet de droit sera traité de manière différente en fonction du tribunal qu’il
aura saisi. L’égalité de traitement est alors de nouveau impactée et conduit à sa rupture. C’est
pourquoi le rattachement à la lex fori de manière subsidiaire doit être rejeté.
925. La réformation nécessaire des rattachements classiques. Finalement, de
manière générale, les rattachements classiques, notamment en raison de leur caractère abstrait,
doivent être rejetés puisqu’ils ne sont pas neutres et ne respectent pas une localisation
scientifique du rapport de droit fondé sur une idée de proximité. Par conséquent, ils motivent
une inégalité de traitement des situations internationales et empêchent toute universalisation
du droit. C’est pourquoi il convient de réformer ces rattachements en adoptant une
localisation concrète du rapport de droit répondant du principe de proximité afin d’atteindre
l’égalité de traitement recherchée. En tout état de cause, ces rattachements ont évolué de
façon à être plus individualisés.

SOUS-SECTION 2:
L’INDIVIDUALISATION DES RATTACHEMENTS
CONTEMPORAINS IRRESPECTUEUSE D’UNE LOCALISATION OBJECTIVE

926. Le droit des conflits de lois s’est doté de diverses règles de conflit depuis
l’instauration des rattachements classiques entre loi personnelle et loi réelle. En effet, au

418
regard des difficultés que ne pouvait résoudre le recours à ces règles de conflit classiques, les
règles de rattachement modernes se sont construites sous l’égide de nouveaux principes : la
spécialisation et la proximité (§ 1). Par conséquent, les règles de rattachement positives sont,
en principe, spécialisées et individualisées, conformément à une localisation concrète du
rapport de droit. Cependant, elles tendent, malheureusement à devenir des règles de
rattachement partiales (§ 2).

§ 1 – L’AVENEMENT DE RATTACHEMENTS FONDES SUR LES PRINCIPES DE


SPECIALISATION ET DE PROXIMITE

927. Au regard des carences imputables à la scission des statuts réel et personnel, les
règles de rattachement traditionnelles ont subi des évolutions, et ont justifié la création de
nouvelles règles. Or, pour pallier les défauts des règles traditionnelles, les règles
contemporaines ont été avant tout individualisées de manière à adapter toutes les règles de
droit aux situations juridiques internationales (A). De plus, pour mettre un terme aux
difficultés que pouvait poser le caractère abstrait des règles classiques, les règles modernes
ont été élaborées à l’aune d’une nouvelle directive : le principe de proximité. C’est ainsi que
les règles de rattachement contemporaines sont issues, en principe, d’une localisation concrète
du rapport de droit (B).

A. L’ELABORATION D’UN CORPUS DE REGLES DE RATTACHEMENT


INDIVIDUALISEES

928. Si le droit des conflits de lois a été encadré par des règles de rattachement
classiques, il a ensuite été entrepris par des règles plus contemporaines. En effet,
postérieurement à l’Ancien Régime, une approche moderne des règles de conflit est apparue
pour donner naissance à une nouvelle conception des règles de rattachement. Il s’agit
désormais d’individualiser chaque règle de rattachement en fonction d’une catégorie de
rattachement spécifique conformément à la nature du rapport de droit en cause (1). Or, cette
nouvelle appréhension du droit des conflits de lois s’est propagée en droit positif. Par
conséquent, les règles de conflit contemporaines se sont développées sur les bases des règles
classiques pour les dépasser par la suite (2).

1) L’individualisation des rattachements en fonction d’une catégorie spécifique


929. Si les rattachements classiques se sont imposés en droit positif et ont laissé des
traces, des rattachements plus contemporains ont vu le jour. En effet, en adoptant une
approche plus moderne des règles de rattachement, celles-ci ont fait l’objet d’une
individualisation conformément à la nature du rapport de droit auquel elles s’appliquent (a).

419
De cette manière, chaque règle de rattachement moderne a été conçue en fonction de la
catégorie de rattachement à laquelle elle répond (b).

a) La singularisation des rattachements conformément à la nature du rapport juridique


930. L’individualisation du rattachement d’après la doctrine de Savigny.
Originellement, le droit des conflits de lois s’est fondé sur la base d’une scission entre statuts
réel et personnel. Au regard de cette distinction s’est construite « une méthode analytique (…)
qui reste assez grossière puisqu’elle part d’une classification des lois ou « statuts » en deux ou
trois catégories seulement »1329. C’est pourquoi la méthode ne pouvait qu’évoluer notamment
grâce à l’intervention de Savigny. La doctrine savignienne préconisait de déterminer pour
chaque rapport de droit, son siège, conformément à sa nature. Dès lors, le théoricien, à
l’époque, a examiné « les différentes catégories de rapports de droit caractérisant les systèmes
modernes d’origine romaniste (état des personnes, droits réels, obligations, successions,
mariage, puissance paternelle, tutelle) et, pour chacune d’entre elles, il (a déterminé) le
système juridique auquel elle est logiquement reliée »1330. C’est ainsi qu’est apparue l’idée
selon laquelle chaque rapport de droit devait être individualisé conformément à sa nature.
Chaque situation juridique doit donc être rattachée à une catégorie de rattachement à laquelle
correspond un rattachement propre.
931. Une individualisation conforme à la nature du rapport de droit.
Conformément à la doctrine de Savigny, le droit positif moderne s’est détaché de la simple
trilogie de catégories de rattachement pour reconnaître d’autres catégories de rattachement. Il
s’agissait donc d’individualiser les règles de conflit conformément à la nature du rapport de
droit. Par conséquent, le juge, dans chaque situation juridique, va consulter son système de
droit des conflits de lois lequel est composé de règles de rattachement visant respectivement
1331
une catégorie de situations internationales . Or, ces catégories de rattachement
correspondent, en principe, aux piliers de l’ordre civil qui soutiennent la société1332. Ainsi,
pour chaque catégorie, un rattachement particulier doit lui être approprié, et ceci
conformément à sa nature.

1329
P. Lalive, Ch. III, S. III, D. « Méthode et objet du rattachement », op. cit., p. 112
1330
E. Vitta, Ch. I, I. « Origine historique », op. cit., p. 29.
1331
P. Lalive, Ch. III, S. II, B. « La règle nationale de droit international privé matériel a-t-elle un caractère
« indépendant » ? », op. cit., p. 96.
1332
Y. Lequette, op. cit., § 54.

420
b) Un rattachement approprié à la fonction de sa catégorie de rattachement
932. L’individualisation d’un rattachement propre à chaque catégorie de
rattachement. En principe, en application de la doctrine de Savigny, « la règle de conflit
incarne la présomption que, quels que soient les rattachements effectifs d’une situation
donnée, le rattachement prédéterminé conduira à l’ordre juridique dont elle est la plus
proche »1333. Par conséquent, l’approche moderne des règles de conflit, fondée sur la doctrine
savignienne, consiste à déterminer pour chaque catégorie de rattachement, par une localisation
abstraite du rapport de droit, le rattachement le plus proche. Le rattachement doit être le plus
adéquat pour désigner la loi applicable à un type de rapport juridique 1334 . C’est pourquoi
si « la règle de conflit de lois se (matérialise) par un enchaînement catégorie-rattachement »,
« il est évident qu’il existe un lien étroit, voire une sorte d’interaction, entre les deux »1335.
C’est ainsi que le rattachement choisi sera celui considéré comme le plus proche au regard de
la catégorie de rattachement à laquelle il appartient. Ainsi, en individualisant chaque
rattachement en fonction de sa catégorie de rattachement, il est apparu, en droit positif, que le
« rapport de droit peut (…) être localisé en tenant compte, soit de son sujet, soit de son objet,
soit de sa source »1336.
933. Une individualisation plus conforme à la réalité des situations
internationales. Théoriquement, cette nouvelle approche de la construction de la règle de
conflit ne peut être que félicitée dans la mesure où elle favorise une approche plus réaliste,
c’est-à-dire objective, des situations juridiques. L’individualisation des situations juridiques
dans des catégories de rattachement propres ne peut que favoriser un traitement plus juste du
sujet de droit. C’est pourquoi cette méthode a été poursuivie en droit positif pour compléter
les rattachements classiques déjà appliqués.

2) Les rattachements classiques approfondis par la création de rattachements


spécifiques
934. Au regard de la méthode proposée par Savigny, les législateurs se sont saisis de
sa philosophie pour proposer de nouvelles règles de conflit. C’est ainsi, qu’en s’appuyant sur
sa doctrine, les règles de rattachement classiques ont été approfondies par le droit positif (a),
mais également que de nouvelles règles de rattachements ont été élaborées. Ces dernières ont

1333
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 167.
1334
Y. Lequette, op. cit., § 54.
1335
Ibid.
1336
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 218.

421
alors été créées spécifiquement par rapport à la catégorie de rattachement à laquelle elles se
rattachent (b).

a) L’approfondissement des règles de rattachement classiques par le droit positif


935. L’individualisation des rattachements classiques. L’étude des règles de conflit
modernes permet de constater que les règles de conflit traditionnelles n’ont pas été éradiquées
par le droit positif. En effet, notamment en matière de statut réel et de statut personnel, les
règles classiques sont maintenues1337. Cependant, si les règles classiques ont été maintenues,
elles ont tout de même été individualisées pour répondre plus parfaitement à la nature
juridique du rapport de droit en cause. Cela a notamment été le cas, en matière de statut réel, à
l’égard des biens incorporels ou des biens mobiles par nature1338.
936. La spécialisation du statut personnel en sous-catégories. Plus particulièrement
la catégorie du statut personnel est l’exemple parfait. Si dans son principe, la catégorie du
statut personnel est régie par la loi personnelle, elle fait aujourd’hui l’objet de sous-catégories
de rattachement qui se divisent de la manière suivante : le nom, la capacité, le couple, et la
filiation. Par conséquent, pour chacune de ces sous-catégories est attribuée une règle de
rattachement qui lui est propre. Plus précisément, même parmi ces sous-catégories de
rattachement, d’autres sous-catégories peuvent avoir été envisagées pour répondre
précisément à la nature du rapport de droit. Si l’on prend la catégorie de rattachement relative
au couple, elle possède une catégorie propre au mariage, qui possède elle-même deux sous-
catégories, l’une relative à la formation et l’autre aux effets du mariage. Puis, parmi la
catégorie propre à la formation du mariage, se trouvent deux autres catégories, l’une relative
aux conditions de forme, l’autre aux conditions de fond1339. Un tel découpage est nécessaire,
car formation et effets du mariage possèdent une nature différente, tout comme les conditions
de forme et les conditions de fond du mariage n’ont pas une nature identique. C’est pourquoi
il semble justifié d’avoir recours pour chacune de ces catégories à une règle de rattachement
spécifique, c’est-à-dire une règle de rattachement qui lui est propre. Ce procédé employé à

1337
Cf. supra § 871 et 886.
1338
Cf. supra § 895.
1339
C. civ. art. 202-1 : « Les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour
chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le
consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180. Deux personnes de même
sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat
sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet » ; art. 202-2 : « Le mariage est valablement
célébré s'il l'a été conformément aux formalités prévues par la loi de l'Etat sur le territoire duquel la célébration a
eu lieu ».

422
l’égard des règles de conflit traditionnelles s’est développé plus généralement pour permettre
la création de règles de rattachement propres aux nouvelles catégories de rattachement issues
de la mise en œuvre de la méthode savignienne.

b) L’attribution d’un rattachement spécifique à chaque catégorie de rattachement


937. La spécialisation des rapports de droit en catégorie de rattachement dès
l’Ancien Régime. Si le système applicable en droit des conflits contemporain s’est construit
sur les fondements issus de l’Ancien Régime, il s’est prolongé par la création de catégories de
rattachement spécifiques. Si aux côtés des statuts réel et personnel, sont apparus les catégories
de rattachement des actes juridiques et des faits juridiques, d’autres ont également émergé. En
effet, dès l’époque de d’Argentré, celui-ci s’était aperçu « qu’il était impossible de classer
toutes les institutions en fonction de la distinction bipartite du statut réel et du statut
personnel »1340. C’est pourquoi il avait envisagé « une troisième catégorie, celle des statuts
mixtes dans laquelle il faisait entrer les statuts concernant à la fois les personnes et les
biens »1341. En vérité, le droit contemporain a donné à ces catégories dites mixtes une réelle
effectivité.
938. Une spécialisation accentuée en droit contemporain. A titre d’exemple,
certaines situations juridiques comme les obligations alimentaires sont difficiles à classer dans
la mesure où elles touchent à la fois des droits extrapatrimoniaux et des droits patrimoniaux.
De plus, les obligations alimentaires peuvent toucher à différents rapports de droit, il peut
s’agir d’une obligation alimentaire entre époux comme d’une obligation alimentaire entre
parents et enfants. C’est pourquoi la Cour de cassation, à l’occasion d’un litige entre époux
camerounais « a intégré la contribution aux charges du mariage à la catégorie des obligations
alimentaires telle que conçue par la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires » impliquant toute exclusion à « la catégorie (…) des
effets du mariage »1342. Par conséquent, cet exemple permet de démontrer que les obligations
alimentaires de quelle que façon qu’elles se représentent, constituent une institution
particulière en droit international privé, auxquelles il convient d’accorder une catégorie de
rattachement propre. C’est ainsi qu’en droit positif, les obligations alimentaires constituent

1340
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. De Vareilles-Sommières, op. cit., § 125.
1341
Ibid.
1342
M. Farge, « Internationalisation et européanisation des sources du droit international privé de la famille », in
Le droit international privé de la famille, sous la dir. de P. Murat, Dalloz action Droit de la famille, 2016/2017,
7ème éd., § 510.14, se référant spécialement à l’arrêt suivant : Cass., Civ. 1ère, 6 nov. 1990, n°88-15.496, Bull.
Civ. I, n°232.

423
une catégorie de rattachement spécifique de premier rang, c’est-à-dire au même titre que les
actes juridiques ou le statut réel.
939. Une spécialisation étendue nécessitée par la diversité des situations
internationales. Les obligations alimentaires ne constituent qu’un exemple. En effet, le droit
positif a poursuivi la création d’autres catégories de rattachement comme celles des
successions, des régimes matrimoniaux, ou encore des faillites dans la mesure où les
situations internationales se sont complexifiées. Ainsi, le droit international privé et
notamment le droit des conflits de lois s’est spécialisé en catégories de rattachement pour
permettre la création de règles de rattachements correspondant profondément à la nature du
rapport de droit en cause. De plus, le raisonnement s’est prolongé puisque les rattachements
contemporains attribués à toutes ces catégories de rattachements ont été élaborés, en principe,
objectivement, en tant que rattachement proximité.

B. UNE INDIVIDUALISATION MODERNISEE PAR UNE LOCALISATION CONCRETE


DE PROXIMITE

940. La conception contemporaine du conflit de lois consiste à individualiser les


situations juridiques dans des catégories juridiques qui leur correspondent plus
spécifiquement. Cependant, cela vise également à leur attribuer un rattachement qui leur
correspond plus spécialement. C’est pourquoi la méthode implique d’élaborer des
rattachements fondés sur le principe de proximité, lequel assurera une justice équitable des
situations juridiques internationales (1). Pourtant, malgré les avantages que présente la
localisation concrète du rapport de droit, ces rattachements de proximité incitent à un aléa des
solutions imputables aux différentes appréciations faites par chaque ordre juridique de cette
proximité (2).

1) Des rattachements de proximité : l’assurance d’une justice équitable


941. Si l’approche moderne des règles de rattachement consiste à spécialiser ces règles
en fonction d’une catégorie de rattachement spécifique, elle aboutit également à individualiser
chaque rattachement conformément au principe de proximité, lequel consiste à rechercher la
loi qui présente concrètement les liens les plus étroits avec le rapport de droit (a). Or, la
création de rattachements de proximité est souhaitable en ce qu’ils favorisent un traitement
objectif et scientifique des situations juridiques internationales (b).

a) Des rattachements individualisés de proximité


942. L’intégration du principe de proximité à la méthode savignienne. L’approche
moderne du droit international privé consiste à élaborer une méthode de conflit basée sur
424
l’idéologie de Savigny selon laquelle à chaque catégorie de rattachement correspond un
rattachement unique déterminé conformément à la nature du rapport de droit. Il s’agit alors de
déterminer « le siège du rapport de droit (…) considéré comme le plus caractéristique »1343.
Cependant, l’analyse préconisée par Savigny est abstraite puisqu’il s’agit d’une approche
exempte de toute considération d’espèce, et plus précisément d’une construction purement
juridique. Or, à raison de son défaut de réalisme, il a été proposé et défendu notamment par le
Professeur Lagarde, de recourir à un rattachement de proximité.
943. La recherche de la loi qui présente les liens les plus étroits par le biais d’une
démarche concrète. Il s’agit donc de conserver la méthode de Savigny, mais de préciser son
contenu en ajoutant une directive relative au principe de proximité. Celle-ci se traduirait de la
manière suivante : « un rapport de droit est régi par la loi du pays avec lequel il présente les
liens les plus étroits »1344. En vérité, « le principe de proximité ne rejette pas a priori l’analyse
de la nature du rapport de droit, mais il ne l’estime pas suffisante »1345. C’est pourquoi « à la
démarche abstraite de Savigny » est substituée « une démarche concrète »1346. L’application
de cette nouvelle directive conduit donc la méthode moderne à appliquer à chaque catégorie
de rattachement individualisée, un rattachement conforme à la nature de cette catégorie, mais
aussi qui présente les liens les plus étroits avec le rapport de droit concerné.
944. Une localisation concrète en réponse aux carences d’une localisation
abstraite. Cette approche concrète se justifie parfaitement puisqu’il a pu être considéré que la
méthode classique possédait de nombreuses lacunes, notamment au regard du caractère
abstrait qu’elle présente et de son manque de spécialisation 1347 . Par conséquent, la
spécialisation des catégories de rattachement et l’individualisation des rattachements en
fonction de la nature du rapport de droit sous l’angle d’une approche concrète présentent des
avantages certains. Plus particulièrement, ces procédés de raisonnement permettent de
garantir l’égalité de traitement des sujets de droit.

b) Des rattachements garants d’une localisation scientifique des situations juridiques


945. La préservation d’une localisation neutre et objective. Dans le prolongement
de la doctrine savignienne, la méthode moderne préserve les bienfaits de la méthode

1343
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 152.
1344
P. Lagarde, op. cit., § 4.
1345
Ibid.
1346
Ibid.
1347
Cf. supra § 899 et s.

425
classique. En effet, l’intégration du principe de proximité ne revient en aucun cas à remettre
en cause l’approche objective et scientifique des situations juridiques internationales. La
spécialisation des règles de rattachement ne modifie aucunement la manière d’appréhender les
litiges relevant du droit des conflits de lois. Il s’agit toujours de localiser objectivement, c’est-
à-dire en toute neutralité, où se situe le rapport de droit en cause. Seulement avec la
spécialisation des catégories de rattachement et l’individualisation des rattachements
conformément au principe de proximité, les défauts de la méthode classique disparaissent et
principalement son caractère abstrait. Par conséquent, la méthode moderne semble s’être
parfaitement ajustée au regard des défauts imputables à la méthode classique.
946. L’assurance d’une égalité de traitement des sujets de droit. Si une méthode
objective et scientifique est le préalable à toute égalité de traitement1348, une méthode concrète
le confirme davantage. En effet, toutes les divergences pouvant être issues du caractère
abstrait disparaissent. L’analyse concrète d’une situation, étant objective et méthodique,
suppose qu’aucune divergence ne puisse, en principe, apparaître. Par conséquent, si les règles
de rattachement sont élaborées sur la base de rattachements neutres émanant d’une étude
concrète des situations juridiques internationales, le système est susceptible
d’universalisation. L’approche moderne des règles de rattachements serait donc la méthode
idéale pour garantir une égalité de traitement du sujet de droit. Cependant, elle est, elle aussi,
atteinte par certaines lacunes.

2) Des rattachements de proximité inaptes à résoudre l’aléa de solutions


947. Si le rattachement à la loi des liens les plus étroits présente de nombreux
avantages, il est également atteint de certaines carences. En effet, la coalition du principe de
proximité avec la nature du rapport de droit est impuissante à assurer l’unification des règles
de rattachements simples (a) et insuffisante à organiser les règles de rattachements des
situations juridiques complexes (b).

a) L’impossible unification des rattachements de proximité


948. Une localisation insuffisante à l’établissement d’un système universel. Si
l’approche contemporaine des règles de conflit semble parfaite en liant, au cœur de la
localisation, nature du rapport de droit et principe de proximité, en réalité, elle ne permettra
pas nécessairement l’établissement d’un système universel. En effet, la « localisation connaît

1348
Cf. supra § 742 et s.

426
des limites tenant, d’une part, au fait que la détermination de la localisation, qui n’est jamais
purement matérielle, peut être inspirée par des considérations diverses et, d’autre part, qu’elle
repose sur des notions de droit privé plus ou moins étroitement liées à un système juridique
donné »1349.
949. Une localisation concrète synonyme d’insécurité juridique. Tout d’abord,
l’instauration d’une approche concrète visant à déterminer les liens les plus étroits ne
permettra pas une unification des règles applicables au droit des conflits de lois dans la
mesure où « l’approche concrète prive (…) l’idée même de localisation de l’essentiel (de ces
vertus) » puisque « rechercher au cas par cas la loi qui a les liens les plus étroits ruine la
sécurité juridique »1350. Effectivement, « l’appréciation de l’étroitesse des liens est susceptible
de varier d’un interprète à l’autre, et ceci d’autant plus que la pesée peut être de l’un à l’autre
plutôt quantitative que qualitative »1351. La difficulté de recourir à une approche concrète est
que les points de rattachement peuvent être appréciés différemment d’un Etat à l’autre. Ainsi,
il serait difficile d’établir des règles de conflit qui emportent nécessairement l’assentiment de
tous les Etats.
950. Une localisation demeurant soumise à l’orientation des Etats. De plus, le
maintien d’une approche fondée sur la nature du rapport de droit dans la détermination du
rattachement paraît, elle aussi, contestable dans la mesure où cette approche peut également
varier d’un Etat à l’autre. « Il dépend toujours au premier chef de l’orientation principale de
chacun au regard de l’opposition traditionnelle entre territorialisme et personnalisme, qui
demeure sous-jacente »1352. Par conséquent, certains pays selon leurs traditions seront plus
favorables à un rattachement qu’à un autre1353. En outre, si la méthode présente des lacunes à
l’égard des règles de conflit visant des situations juridiques simples, ces carences s’accentuent
davantage dans les situations juridiques complexes.

b) L’insuffisance des rattachements de proximité


951. La difficile détermination des rattachements de proximité eu égard aux
situations juridiques complexes. Il a pu être considéré que les règles de conflit positives en
matière délictuelle et contractuelle sont contestables dans la mesure où elles retiennent une

1349
B. Audit, Ch. II « Le conflit de lois », in « Le droit international privé en quête d’universalité : cours
général », op. cit., § 266.
1350
Y. Lequette, op. cit., § 53.
1351
Ibid.
1352
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 153.
1353
Cf. supra § 878 et 879.

427
règle de rattachement fixe. En effet, il serait souhaitable, au regard de la complexité de leur
structure juridique que ces règles soient davantage spécialisées conformément au principe des
liens les plus étroits 1354 . Ces situations étant complexes ne peuvent être régies par un
rattachement trop large, c’est-à-dire trop abstrait, mais ne peuvent pas non plus être confinées
dans un rattachement unique.
952. L’exemple des actes juridiques. En prenant l’exemple des actes juridiques, les
critiques imputables aux règles de conflit visant des situations juridiques simples leur sont
également applicables. En effet, les actes juridiques et, particulièrement, les contrats sont des
institutions complexes parce qu’ils sont composés par de nombreux éléments objectifs, qu’ils
peuvent être de nature différente et qu’ils peuvent être étudiés durant deux phases : la
formation et l’exécution du contrat. Par conséquent, il est relativement difficile, pour les
contrats de déterminer quel critère de rattachement correspond à leur nature. Tout comme il
est relativement difficile de déterminer quelle est la loi qui présente les liens plus étroits avec
un contrat au regard de la diversité des éléments qui le composent. Ces difficultés émanent du
fait que chaque ordre juridique peut, pour cette institution complexe, appréhender de manière
totalement différente sa façon de déterminer le rattachement qui lui sera imputable.
953. La recherche d’un compromis fondé sur le principe de proximité. « Le
principe de proximité consiste (…) à trouver un équilibre entre la flexibilité et la rigidité,
entre l’impossibilité de généraliser un rattachement générique faisant régir les obligations
contractuelles et extracontractuelles par le droit des liens les plus étroits, ce qui sacrifierait
toute prévisibilité de solution, et l’inopportunité d’un critère de rattachement localisateur
unique »1355. Effectivement, ces situations juridiques, étant complexes, ne peuvent être régies
par une directive trop large qui serait celle des liens les plus étroits, tout comme elles ne
peuvent être régies par un rattachement unique qui se révélerait inadapté. Par conséquent, la
solution serait de conserver une approche moderne consistant à spécialiser les catégories de
rattachement, par exemple par type de contrat, et à individualiser pour chacune d’elles, une
règle de rattachement qui lui serait propre. Celle-ci devrait, afin de garantir une approche
scientifique objective concrète, être la loi qui présente les liens plus étroits. Cependant, afin
d’évincer toute insécurité juridique, il convient d’encadrer cette loi qui présente les liens les
plus étroits au regard d’un faisceau d’indices (c’est-à-dire d’éléments de rattachement) qui

1354
Cf. supra § 924.
1355
S. Lecuyer, op. cit., § 268 évoquant la doctrine du Professeur Lagarde.

428
correspondrait à la nature même du rapport de droit en cause. Il s’agirait de concilier les
principes de la méthode moderne sous un nouvel angle. En outre, la conception moderne du
droit des conflits de lois a favorisé l’inauguration de nouveaux rattachements, lesquels se
détachent peu à peu de la méthode objective.

§ 2 – DE RATTACHEMENTS INDIVIDUALISES AUX RATTACHEMENTS PARTIAUX


954. En théorie l’approche moderne consiste à établir une règle de rattachement
conforme à la nature de l’institution en cause et représentant concrètement la loi qui présente
les liens les plus étroits. En pratique, le législateur a tenté de mettre en œuvre cette doctrine
notamment en spécialisant les règles de conflits applicables aux situations juridiques
complexes. Cependant, l’instauration de ces nouveaux rattachements est inachevée puisqu’ils
ne répondent pas véritablement du principe de proximité (A). De plus, parallèlement au
développement de la doctrine moderne, le droit des conflits de lois a subi l’influence d’autres
idéologies régnant depuis l’Ancien Régime. C’est pourquoi ont également été consacrés des
rattachements partiaux lesquels se dispensent directement ou indirectement d’une fonction
localisatrice du rapport de droit orientée par le principe de proximité (B).

A. LA SPECIALISATION INACHEVEE DES RATTACHEMENTS CONTEMPORAINS


955. Face à l’introduction du concept de proximité au sein des règles de conflit
classiques, les nouvelles règles de rattachements ont fait l’objet d’une spécialisation, et plus
particulièrement au regard des situations juridiques complexes. D’une part, une nouvelle
conception de la règle de conflit en matière d’actes juridiques a été établie en recourant à un
rattachement quelque peu rigide, à savoir la prestation caractéristique du contrat (1). D’autre
part, la catégorie des faits juridiques a fait l’objet d’une nouvelle appréhension en dissociant
les éléments géographiques du délit. Cependant, celle-ci conduit à une certaine variabilité de
résultats (2).

1) Le recours rigide à la prestation caractéristique du contrat en matière d’actes


juridiques
956. L’approche moderne des règles de conflit a conduit, en matière contractuelle, à
davantage spécialiser la règle de conflit. C’est pourquoi un rattachement particulier a été
retenu, celui de l’élément caractéristique du rapport de droit (a). Pourtant, le recours à ce
rattachement, s’il paraît conforme à la nature de l’institution, s’avère d’une extrême rigidité et
en opposition avec toute idée de proximité (b).

429
a) Le recours à l’élément caractéristique du rapport de droit
957. La détermination du siège du contrat. En matière d’actes juridiques, et plus
particulièrement de contrat, il convient, comme pour les autres règles de conflit « de
déterminer le siège du contrat »1356. Dès lors, en application de la méthode moderne, « la
directive générale de solution des conflits de lois commande d’appliquer la loi avec laquelle le
contrat présente les liens les plus étroits » 1357 . L’objectif est alors de « singularise(r) un
rattachement prédéterminé qui représente dans tous les cas l’élément le plus significatif »1358.
958. Une détermination malaisée eu égard à la nature immatérielle du contrat.
Cependant, comme l’a affirmé Monsieur Patocchi, « la difficulté du rattachement des contrats
tient à la double raison que le droit international privé localise d’une part souvent les
situations par des critères de nature « spatiale », en se fondant sur des circonstances occupant
une place visible dans l’espace, et d’autre part que les contrats se soustraient naturellement à
ce procédé en raison de leur nature immatérielle »1359. Cette difficulté s’est ressentie en droit
positif. En effet, longtemps, au regard d’une approche objective et spatiale des contrats, le
rattachement retenu était celui du lieu de conclusion ou du lieu d’exécution du contrat1360. Or,
en raison de la nature immatérielle du contrat, il s’est avéré que ces rattachements pouvaient
se révéler parfaitement inadaptés, notamment parce qu’ils pouvaient être inexistants comme
multiples.
959. Le rattachement à la prestation caractéristique du contrat conforme à sa
nature. Pour pallier les défauts de la méthode classique combinée au principe de proximité, il
a été proposé de « soumettre le contrat à la loi du lieu d’exécution de la prestation
caractéristique du contrat »1361. Cette proposition a été adoptée par différentes législations et a
conduit « à formuler des règles de conflit pour les différents contrats usuels » 1362 . C’est
d’ailleurs la formule utilisée par le règlement Rome I même si celui-ci préfère la résidence
habituelle de la partie qui fournit la prestation caractéristique à celui de l’exécution de la
prestation1363. Par conséquent, afin d’établir une règle de rattachement fixe, les législateurs
ont préféré créer un nouveau rattachement fondé sur l’élément caractéristique du contrat. Le

1356
P. M. Patocchi, op. cit., § 183.
1357
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 237.
1358
Ibid.
1359
P. M. Patocchi, op. cit., § 229.
1360
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 237.
1361
Ibid.
1362
Ibid.
1363
Ibid.

430
concept peut sembler justifié dans la mesure où la prestation caractéristique du contrat répond
de la nature même des actes juridiques. De plus, une telle solution assure une parfaite sécurité
juridique dans la mesure où les solutions seront identiques pour chaque type de contrat.
Néanmoins, il faut douter de la pertinence d’un rattachement aussi rigide.

b) L’excessive rigidité du recours à un rattachement spécifique en matière contractuelle


960. Un rattachement susceptible d’aléa. L’idée de recourir à la prestation
caractéristique du contrat en tant que rattachement de la règle de conflit paraît en soi
pertinente puisque l’élément caractéristique est conforme à la nature du rapport de droit en
cause. Cependant, comme il l’a été proposé, il s’agirait du rattachement au lieu d’exécution de
la prestation caractéristique. Or, le recours à ce rattachement n’abolit pas les difficultés
soulevées par le recours au rattachement du lieu d’exécution du contrat dans la mesure où le
lieu d’exécution de cette prestation peut se décliner sur le territoire de différents pays1364.
C’est la raison pour laquelle le règlement Rome I a préféré le critère de la résidence habituelle
puisque ce rattachement ne pourra se localiser dans plusieurs Etats 1365 . Ainsi l’aléa de
solutions disparaîtrait.
961. Un rattachement susceptible d’arbitraire. Cependant, à l’aléa se substitue
l’arbitraire. En effet, recourir à la loi de résidence habituelle revient à opérer un choix
arbitraire pour ce rattachement, lequel conduira, comme il l’a déjà été constaté, à ne pas traiter
la situation juridique objectivement. C’est le retour de l’approche abstraite de la situation
juridique. Celle-ci se voit attribuer un rattachement qui ne correspond pas nécessairement, ou
du moins qui n’est pas adapté à la situation juridique de l’espèce. En réalité, il s’agit purement
et simplement du retour à la méthode classique évincée de toute idée de proximité.
962. Un rattachement extrêmement rigide. Or, comme l’a affirmé le Professeur
Lagarde à propos du principe de proximité, « si aucune place ne lui est faite par la règle de
conflit en matière de contrat, la règle se sclérose. Elle se fossilise. C’est le triste spectacle que
nous donnent les droits qui conservent en la matière des règles législatives à rattachements
fixes »1366. Par conséquent, les règles européennes en recourant à un rattachement fixe, certes
spécialisé, ne répondent pas d’une attitude concrète et adaptée aux situations juridiques
internationales, mais plutôt d’une rigidité extrême.

1364
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 237.
1365
Ibid.
1366
P. Lagarde, op. cit., § 24.

431
963. Un rattachement éloigné du principe de proximité. De plus, l’échec n’en est
que plus puissant lorsqu’il est constaté le recours à une clause d’exception. En effet, si « le
critère du lien le plus étroit a été concrétisé pour chaque contrat (…) l’existence d’une clause
échappatoire en matière de contrats témoigne (…) d’une attitude où la prudence se mêle au
scepticisme »1367. Finalement, si une clause d’exception organisant le recours aux liens les
plus étroits est prévue, c’est bien que le rattachement retenu pour chaque contrat ne répond
pas parfaitement au principe de proximité qu’il devrait respecter.
964. Le retour d’une localisation exempte de neutralité. Les règles de conflit en
matière contractuelle sont donc critiquables puisqu’elles ne conduisent pas réellement à traiter
toute situation juridique internationale via une analyse objective, neutre et concrète du rapport
de droit. Il s’agit en réalité d’une approche arbitraire sous couvert du principe de proximité.
Or, le même constat s’applique aux faits juridiques.

2) Le recours variable aux éléments géographiques du délit en matière de faits


juridiques
965. De la même manière que les actes juridiques, les faits juridiques ont subi
l’influence de l’époque contemporaine puisque leurs règles de conflit ont aussi fait l’objet
d’une spécialisation. Pour parvenir à ce résultat, il a été opéré une dissociation géographique
des éléments matériels du délit (a). Pourtant, si cette dissociation est à-propos, elle conduit, en
pratique, à une diversité des solutions (b).

a) La dissociation géographique des éléments matériels du rapport de droit


966. La spécialisation du rattachement exigée en présence de délits complexes.
L’évolution du droit des conflits de lois a conduit à spécialiser certaines règles de
rattachement et tel a été le cas de la lex loci delicti face aux situations juridiques
complexes1368. En effet, il est des espèces dans lesquelles « le dommage et le fait générateur
peuvent survenir dans des ressorts distincts »1369. Dans ces hypothèses, il convenait d’établir
une règle de rattachement spécifique qui corresponde, pour chaque situation, à la loi qui
présente les liens les plus étroits. C’est pourquoi « les solutions retenues marquent très
nettement le déclin du système traditionnel fondé sur un rattachement unique et rigide et
révèlent de nouvelles orientations guidées davantage par le souci de tenir compte soit, au

1367
P. M. Patocchi, op. cit., § 230.
1368
Cf. supra § 892 et s.
1369
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 252.

432
niveau de l’affirmation du principe général, des circonstances propres à la situation litigieuse,
soit, au niveau des statuts spéciaux, de la nature du délit considéré »1370. Par conséquent, le
droit positif a spécialisé ses règles de conflit en fonction de la nature de certains délits, puis a
établi un système propre aux cas généraux1371.
967. Une spécialisation de proximité fondée sur les éléments géographiques du
délit. S’il peut être considéré que le rattachement à la loi du lieu du délit est parfaitement en
conformité avec la nature de l’institution, elle ne peut être caractérisée, en tant que telle,
comme la loi qui présente les liens les plus étroits. En effet, dans la mesure où elle se
caractérise tant par la loi du lieu du dommage que par celle du fait générateur, elle n’est qu’un
rattachement purement abstrait. Par conséquent, en appliquant le principe de proximité à
l’institution des délits, il convient de considérer que la loi qui présente les liens les plus étroits
s’entend aussi bien de la loi du lieu du dommage que du lieu du fait générateur. C’est
pourquoi les systèmes de droit positif ont consacré ces rattachements puisqu’ils opèrent une
confusion entre méthode classique et méthode moderne. Ainsi, certains systèmes juridiques,
comme le système français, retiennent une règle de conflit alternative, impliquant ainsi la
compétence de l’une ou l’autre loi. D’autres systèmes ont opéré un choix pour l’un ou l’autre
rattachement comme le système européen qui a retenu la loi du lieu du dommage dans le
règlement Rome II.
968. Une spécialisation conforme à une localisation concrète. Les systèmes de droit
positif ont donc saisi la difficulté issue de ces situations juridiques complexes et les ont
traitées en dissociant leurs éléments géographiques. Cette spécialisation ne peut être que
saluée dans la mesure où une approche plus concrète des rapports de droit ne peut être que
bénéfique pour traiter justement et égalitairement tout sujet de droit. Néanmoins, cette
spécialisation n’est pas suffisante dans la mesure où elle laisse perdurer les mêmes difficultés
que celles imputables à la matière contractuelle.

1370
P. Bourel, « Du rattachement de quelques délits spéciaux en droit international privé », RCADI, 1989, vol.
n°214, § 24.
1371
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 69, exposant notamment les objections soulevées face au caractère
trop général de la lex loci delicti : « On a néanmoins objecté à ce rattachement son caractère artificiel lorsque le
fait générateur survient au sein d’un groupe homogène en déplacement dans un autre pays ; la lex loci delicti ne
désigne plus alors l’ordre juridique dans le contexte social duquel l’accident est enraciné. On lui a objecté
également que fait générateur et dommage peuvent parfois survenir dans des ressorts différents ; conduite et
dommage se réalisant en plus d’un Etat, les attentes des intéressés portent en ce cas sur des lois différentes ».

433
b) La diversité de solutions engendrée par la dissociation géographique des éléments
969. Une spécialisation demeurant critiquable. Adapter ses règles de conflit
conformément à une approche moderne du droit des conflits de lois impliquant la prise en
compte du principe de proximité est une démarche recommandable puisqu’elle invite à une
localisation concrète de la situation juridique. Cependant, les règles de rattachement
proposées en matière délictuelle ne sont pas assez spécialisées ou le sont trop.
970. De la diversité de solutions à la rupture d’égalité. D’une part, en retenant un
système alternatif entre la loi du lieu du dommage et la loi du lieu du fait générateur, les
règles de conflit impliquent nécessairement une diversité de solutions. Chaque sujet de droit
choisira la loi qui lui semble la plus favorable, mais indirectement une faveur sera accordée à
l’une des parties1372. Finalement, l’égalité de traitement des sujets de droit sera donc évincée.
971. Un rattachement susceptible d’arbitraire. D’autre part, en opérant un choix
entre l’un ou l’autre rattachement, la règle de conflit devient de nouveau arbitraire1373. En
effet, dans la mesure où ces deux lois sont légitimement applicables au regard d’une approche
objective des situations juridiques, le choix entre celles-ci par le législateur ne peut être que
subjectif. Par conséquent, le législateur optera pour le rattachement qui présente, à son sens le
plus d’intérêt. C’est la démarche qui a été adoptée par le législateur européen, celui-ci
considérant que les intérêts fournis par la loi du lieu du dommage sont indéniables par rapport
à la loi du lieu du fait générateur1374. Finalement, cela revient à émettre une nouvelle fois la
même critique. Le recours à ce critère arbitraire n’est pas adapté puisqu’il empêchera
nécessairement une plus grande unification dans la mesure où tout Etat ne préférera pas
forcément le même rattachement. De plus, les mêmes remarques que celles faites aux actes
juridiques peuvent être rappelées puisque le règlement européen relatif aux obligations non
contractuelles prévoit également le jeu d’une clause d’exception1375.

1372
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 252.
1373
Voir en ce sens : D. Bureau, « De la loi applicable aux délits complexes, notamment les naufrages », RCDIP
2007, p. 405, à propos d’un arrêt Cass., Civ. 1ère, 27 mars 2007, Soc. Bureau Veritas SA c. Soc Groupama
transport, Dalloz 2007, p. 1074, obs. I. Gallmeister, H. Kenfack, L. d’Avout et P. Courbe : « La première
question, celle de la localisation, est en apparence fort simple : où situer le fait générateur du dommage d'une
part, le lieu de sa réalisation d'autre part ? Simple, elle ne l'est cependant qu'en apparence ; et l'on sait bien, à
l'épreuve de l'expérience, combien cette localisation paraît même assez souvent tributaire du résultat estimé
souhaitable - quitte à résoudre le problème du délit complexe par sa réduction à une figure de délit simple - (v.
ainsi : Cass. Civ. 1ère, 8 fév. 1983, JDI 1984, p. 123, note G. Légier ; Cass. Civ. 1ère, 14 janv. 1997, Gordon,
n°94-16.861, préc. ; il n'est pas certain qu'il en ait été ici autrement ».
1374
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 256.
1375
Cf. supra § 959 et s.

434
972. Une spécialisation inachevée eu égard au principe de proximité. Il en ressort
que la spécialisation des règles de conflit en matière de faits juridiques est pertinente, mais
n’est pas suffisante 1376 . En effet, le raisonnement est inachevé. Le principe de proximité
encadre la règle de conflit mais pas de manière intégrale. Or, il a été déjà été proposé par la
doctrine américaine, d’opérer un compromis en déterminant, en l’espèce, laquelle de la loi du
lieu du dommage et de la loi du lieu du fait générateur, présente le plus de points de contact
avec la situation juridique 1377 . Cette proposition est convaincante puisqu’elle serait plus
appropriée. Elle permettrait de finaliser le raisonnement entamé par le droit positif et
d’aboutir à un traitement totalement concret de la situation. Ainsi serait nécessairement
appliquée la loi avec laquelle la situation juridique présente les liens les plus étroits.
973. La proposition d’un rattachement unique à la loi des liens les plus étroits
véritablement encadré. En d’autres termes, il convient, quelle que soit la catégorie de
rattachement, de transformer l’approche qui est faite des règles de rattachement. Le principe
doit être la loi qui présente les liens les plus étroits, mais ce principe doit faire l’objet d’un
encadrement strict. Ainsi, en matière de faits juridiques, la loi applicable serait la loi qui
présente les liens les plus étroits. Cette loi peut s’entendre aussi bien de la loi du lieu du
dommage que de la loi du lieu du fait générateur. La détermination de la loi applicable sera
fonction des points de contact que présente la situation juridique avec les lois potentiellement
applicables. Il conviendra enfin de déterminer quels sont les points de contact qui peuvent être
pris en compte pour chaque catégorie de rattachement. Une telle approche conduirait à une
analyse purement objective des situations juridiques et parfaitement adaptée. L’encadrement
du rattachement de la loi des liens les plus étroits permettrait ainsi de garantir une certaine
sécurité juridique. Pourtant, cette proposition n’a pas été celle retenue par le législateur. En
effet, si celui-ci a choisi de spécialiser ses règles de conflit, il a également fait le choix de
créer de nouveaux rattachements répondant aux nouvelles aspirations de l’époque moderne.

B. LA CREATION DE RATTACHEMENTS CONTEMPORAINS PARTIAUX


974. Postérieurement à l’Ancien Régime, le droit des conflits de lois a subi de
nouvelles influences, le conduisant à la création de nouveaux types de rattachement. Dans un
premier temps, les règles de conflit se sont imprégnées des idéologies subjectivistes du

1376
Par ex., certains délits, à raison de leur particularité demeurent insuffisamment spécialisés et suscitent des
difficultés de localisation ; voir en ce sens : M. Lehmann, « Proposition d’une règle spéciale dans le Règlement
Romme II pour les délits financiers », RCDIP 2012, p. 485.
1377
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 253.

435
XIXème siècle pour créer le rattachement de l’autonomie de la volonté en matière
contractuelle (1). Puis, dans un second temps, les règles de conflit se sont dotées d’une
nouvelle fonction. Elles ont élaboré des rattachements dits substantiels lesquels ont totalement
remis en cause le caractère neutre de la règle de conflit bilatérale (2).

1) L’introduction de l’autonomie de la volonté : l’essor du subjectivisme


975. Avec l’évolution de la société, et notamment l’exaltation de la volonté au
XIXème siècle, le droit des conflits de lois a consacré un nouveau rattachement, à savoir
l’autonomie de la volonté en matière contractuelle. Il s’avère que l’instauration de ce nouveau
rattachement est en conformité avec une localisation abstraite du rapport de droit (a) mais en
parfaite inadéquation avec le principe de proximité (b).

a) La consécration de l’autonomie de la volonté conformément à une localisation


abstraite
976. La consécration de l’autonomie de la volonté en tant que rattachement. Si
originellement les contrats étaient rattachés à la loi du lieu de leur conclusion, ils ont été, dès
le XIXème siècle, rattachés à la loi de l’autonomie de la volonté. En effet, grâce à
l’émergence d’une « philosophie juridique exaltant la volonté », « tant en doctrine qu’en
jurisprudence, la volonté des parties fut reconnue comme le principe de rattachement du
contrat à une loi »1378. Par conséquent, les règles de conflit se sont dotées de règles de nature
subjectiviste dans la mesure où elles donnent à la volonté des parties une valeur de
rattachement. De cette manière, ce sont les parties au contrat qui choisissent la loi qui lui est
applicable.
977. Un rattachement conforme à une localisation abstraite. D’un point de vue
théorique, il pourrait être considéré que le recours à la loi d’autonomie ne soit pas en
contradiction avec l’approche classique des règles de conflit en droit des conflits de lois. En
effet, la loi choisie par les parties pour régir leur contrat semble répondre à la nature même de
cette institution dans la mesure où la volonté des parties est bien au cœur de l’institution
même. D’ailleurs, Batiffol a proposé, pour justifier ce rattachement, « un compromis » entre
objectivisme et subjectivisme1379. Ainsi, il a exposé que le recours à l’autonomie de la volonté
préserve la théorie de la localisation dans la mesure où « c’est parce que, d’un commun

1378
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 228.
1379
P. M. Patocchi, op. cit., § 187.

436
accord, les parties ont localisé le contrat en un lieu donné que la loi de ce lieu s’applique »1380.
Cette théorie est parfaitement justifiée au regard d’une approche classique de la localisation
du rapport de droit. En revanche, sa théorie perd de sa vigueur en application d’une approche
moderne fondée sur le principe de « proximité ». C’est notamment sur ce point que le recours
à ce rattachement semble contestable.

b) L’inadéquation de l’autonomie de la volonté avec le principe de proximité


978. Un rattachement incompatible avec une localisation de proximité. Au regard
d’une approche abstraite de localisation du rapport de droit, le recours à l’autonomie de la
volonté peut se justifier. Cependant, au regard d’une analyse concrète de la situation
juridique, cela est plus contestable. En effet, en application du principe de proximité, rien ne
justifie de considérer que la loi de l’autonomie de la volonté soit la loi qui présente les liens
les plus étroits avec la situation juridique. D’autres éléments peuvent être pris en compte, et
notamment la loi du lieu de conclusion du contrat. Par conséquent, ériger en tant que
rattachement de principe la loi de l’autonomie de la volonté, notamment au sein du règlement
Rome I, institue une faveur pour un règlement de conflit davantage subjectiviste. Une
nouvelle fois, il pourrait être considéré qu’il s’agit d’un choix plutôt arbitraire, puisque ce
rattachement n’est pas le seul qui peut s’entendre de la loi la plus proche. De plus, le risque de
ce rattachement est bien d’inciter les parties à choisir la loi qui leur sera la plus favorable en
fonction du litige.
979. Le recours préférable à un subjectivisme modéré. En outre, il serait plus
judicieux, comme pour l’hypothèse des faits juridiques, de repartir de la méthode américaine
consistant à « déterminer la loi applicable au contrat à la fois en fonction de ses éléments
objectifs et de la volonté exprimée le cas échéant par les parties » 1381 . Il s’agit donc de
localiser le contrat au regard des éléments qui le composent, que ces derniers soient objectifs
ou subjectifs. Finalement cela revient à considérer que tout subjectivisme ne doit pas être
banni de l’appréciation des règles de rattachement, mais qu’il doit être modéré1382. Il convient
de faire de l’autonomie de la volonté un point de contact à prendre en compte dans
l’appréciation des liens les plus étroits. En opérant de cette manière, la méthode de
localisation serait neutre (et non plus arbitraire). Elle pourrait alors emporter adhésion de tout

1380
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 244.
1381
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 232.
1382
Cf. supra § 629.

437
Etat. Cependant, il convient que chaque Etat ait la volonté de s’extraire de tout
substantialisme.

2) L’instauration de rattachements substantiels affranchis de toute neutralité


980. Postérieurement à l’intégration du subjectivisme dans les règles du droit des
conflits de lois, la discipline s’est également dotée de nouvelles règles dites à caractère
substantiel. Or, cette nouvelle structure a tendance à favoriser l’application de la loi du for (a),
et évince le caractère de principe de la règle de conflit bilatérale, à savoir la neutralité (b).

a) Des rattachements substantiels préconisant le retour de la lex fori


981. Des rattachements orientés par un résultat. Aux côtés de l’autonomie de la
volonté, un autre facteur de perturbation de la localisation objective se fait ressentir1383. Il
s’agit des règles de conflit à caractère substantiel. Dans cette hypothèse, les règles de
rattachement ne sont pas élaborées conformément à la localisation du rapport de droit, qu’elle
soit abstraite ou concrète, mais par rapport à la volonté de l’Etat. Ainsi, ce dernier adopte
« une règle de conflit non neutre, qui a pour objectif avoué de désigner un ordre juridique qui
permettra d’obtenir le résultat matériel souhaité par l’auteur de la règle de conflit »1384. Il
s’agit donc bien de favoriser un résultat1385.
982. La recherche de la lex fori. Plus précisément, il s’agit d’un retour en force de
l’application de la loi du for. Par exemple, il apparaît que « l’application aussi systématique
de la loi du for est largement répandue lorsqu’il s’agit de constituer une situation juridique par
l’intermédiaire d’une autorité publique, notamment de conférer un nouveau statut à deux
individus qui le sollicitent, tel que celui d’époux, de partenaire enregistré, de divorcé, et de
parent ou d’enfant adopté »1386. Existe bien une volonté pour l’Etat de favoriser l’application
de la loi du for dans les situations pour lesquelles l’intervention de l’autorité publique est
requise. Par conséquent, la prééminence accordée à la loi du for, en tant que loi de
substitution, fait son retour au travers des règles à caractère substantiel. En d’autres termes,
« la règle bilatérale classique, qui au moyen du critère de rattachement le plus significatif,
rend applicable, du moins en principe, la seule loi de l’Etat que ce critère désigne, à

1383
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 269.
1384
Ibid.
1385
Cf. supra § 857.
1386
G. Paolo Romano, « La bilatéralité éclipsée par l’autorité », RCDIP 2006, p. 457, § 1.

438
l’exclusion de toute autre loi (…) perd du terrain dans le droit international privé
contemporain »1387.
983. L’éviction de toute approche localisatrice. Ainsi, le recours au substantialisme
évince toute approche de localisation du rapport de droit afin de favoriser l’application de la
loi du for en principe. Or, le recours à ce procédé au sein des règles de rattachement est
d’autant plus contestable qu’il existe des mécanismes spécifiques au droit des conflits de lois
qui permettent de protéger les dispositions du for considérées comme impératives ou
fondamentales. C’est de cette façon que la justice conflictuelle est contrebalancée par la
justice matérielle lorsque cela s’avère nécessaire. En tout état de cause, le substantialisme ne
conduit qu’à la fragmentation du droit des conflits de lois.

b) Des rattachements en rupture avec les objectifs de neutralité et d’égalité


984. De l’absence de neutralité à l’absence d’égalité de traitement. Le
substantialisme est en opposition avec l’idée même de neutralité puisqu’il a tendance à
favoriser l’application d’une loi particulière, et principalement de celle du for. Par conséquent,
le manque de neutralité conduira nécessairement à une rupture d’égalité puisque l’application
d’une loi sera favorisée. Ainsi, le sujet de droit sera traité de la même manière devant un
unique ordre juridique, mais en l’absence de toute conformité avec sa situation juridique au
regard de sa localisation. En outre, il ne s’agira que d’une égalité de traitement limitée
puisque la création de ces règles a tendance à fragmenter le système applicable en droit des
conflits de lois. En effet, les Etats vont difficilement s’associer à l’égard de règles issues de
considérations subjectives propres à un Etat. C’est pourquoi l’égalité de traitement des sujets
de droit placés dans une situation internationale similaire sera de nouveau mise à mal puisque
l’égalité s’arrêtera à un seul ordre juridique. Si le sujet de droit saisit un autre ordre juridique,
la solution sera potentiellement différente puisqu’aucune unification ne sera parvenue entre
ces différents ordres juridiques.
985. La préconisation du rattachement aux liens les plus étroits par mesure
d’égalité de traitement. Ainsi, l’étude des différents rattachements dont a pu user la méthode
bilatérale permet de déterminer quel serait le rattachement le plus adéquat à régir toute

1387
G. Paolo Romano, « La bilatéralité éclipsée par l’autorité », op. cit., § 1.

439
situation juridique conformément aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement 1388 .
Ainsi, pour maintenir la neutralité issue de la règle de conflit, il convient que le rattachement
retenu réponde d’une localisation de proximité conforme à la nature du rapport de droit. C’est
pourquoi, ce rattachement ne peut être que celui des liens les plus étroits. Néanmoins, eu
égard à la spécialisation des situations juridiques, cette appréciation doit nécessairement être
concrète, toute appréciation abstraite étant insuffisante. Toutefois, afin de bannir l’insécurité
juridique à laquelle il aspire et l’imprévisibilité qu’il engendre, il est nécessaire d’établir au
préalable un faisceau d’indices composés de points de rattachement, lequel sera propre à
chaque catégorie de rattachement, pour permettre au juge de déterminer la loi compétente1389.
Afin de rendre cette démonstration moins conceptuelle, il convient nécessairement de
proposer un exemple. Conformément à cette proposition, chaque catégorie de rattachement,
tant le statut personnel que le statut réel, que les actes juridiques, que les faits juridiques ou
autres, retiennent une seule et unique règle de conflit c’est-à-dire la loi des liens les plus
étroits. Toutefois, pour chacune d’elle, cette règle de conflit est encadrée par un faisceau
d’indices propres à la nature du rapport de droit en cause, et conséquemment de la catégorie
de rattachement en jeu. Par exemple, en matière d’actes juridiques, peuvent être pris en
compte plusieurs éléments de rattachement propres à la matière contractuelle. Ainsi le
faisceau d’indices sera composé de différents points de rattachement comme l’autonomie de
la volonté, le domicile des parties, mais aussi le lieu de formation du contrat, ou encore le lieu
d’exécution du contrat. En effet, il convient d’encadrer ce faisceau d’indices conformément à
la nature du rapport de droit, à savoir la matière contractuelle, et cet encadrement est
nécessaire afin de cantonner la localisation de ce rapport à une approche d’ordre scientifique,
mais demeurant soumise à une certaine sécurité juridique. Ainsi, la loi applicable sera celle
avec le territoire duquel elle présente le plus de points de rattachement au regard d’une
analyse concrète. En tout état de cause, la loi des liens les plus étroits constitue un

1388
Voir en ce sens : W. Wengler, « L’évolution moderne du droit international privé et la prévisibilité du droit
applicable », op. cit., p. 657, lequel exposait notamment la difficulté de retenir un unique facteur de rattachement
lorsque les points de rattachements sont multiples dans l’espace : « Mais s’il existe des rattachements à plusieurs
pays dont la compétence pour déterminer le droit matériel applicable à une question contentieuse apparaît
plausible et licite au regard du droit international public, la science juridique n’a cessé de se poser depuis des
siècles la question de savoir si et avec quels arguments un des rattachements existants peut se révéler le seul
élément de rattachement valable pour déterminer les normes de droit privé applicables. On n’a que rarement
avancé l’idée, compréhensible en soi, qu’en présence de rattachements à plusieurs Etats, aucun des systèmes
juridiques intéressés et en tout cas aucun d’eux seulement ne peut être déterminant ».
1389
Ibid. : « le rattachement « le plus fort » à un ordre juridique ne doit plus être cherché dans la forme d’un seul
élément de rattachement mais peut consister dans l’addition de tous les éléments de rattachement existants à un
Etat déterminé ».

440
rattachement neutre, permettant d’emporter l’adhésion de tout Etat, et qui, conséquemment,
traite chaque sujet de droit de manière égalitaire puisqu’il s’agit d’un rattachement
universalisable.

441
442
CONCLUSION DU CHAPITRE II :
986. La mise en conformité de la méthode bilatérale avec l’égalité de traitement.
Le préalable à un traitement égalitaire des sujets de droit se caractérise par le recours à la
méthode conflictuelle bilatérale. Cependant, si parmi les différentes méthodes proposées, la
méthode bilatérale est vainqueur, il faut encore que sa structure réponde aux objectifs de
neutralité et d’égalité de traitement.
987. Le maintien des caractères classiques de la méthode bilatérale et le recours à
un rattachement simple. L’étude des caractères de la méthode bilatérale ainsi que sa
structure confirment que le choix de cette méthode est le plus performant pour répondre des
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. C’est pourquoi afin de les préserver, il
convient de conserver ces caractères notamment son caractère indirect et son caractère neutre.
Toutefois, son caractère abstrait doit être remis en cause dans la mesure où, par manque de
réalisme, il conduit à remettre en cause le caractère neutre de la règle de conflit et
conséquemment conduit à une inégalité de traitement. C’est pourquoi doit lui être substitué un
caractère concret, favorable à une appréciation réaliste et scientifique des situations
internationales. Si tous ces caractères sont réunis, est créé un terrain neutre, favorable à une
universalisation, préalable de toute égalité de traitement. De surcroît, pour maintenir
parfaitement cette égalité de traitement, il convient de recourir pour chaque règle de conflit à
un rattachement unique puisque les rattachements multiples constituent des rattachements
arbitraires et facteurs d’aléas.
988. Le recours encadré au rattachement des liens les plus étroits. Néanmoins, s’il
convient de retenir un rattachement simple pour chaque règle de conflit, celui-ci doit répondre
d’une localisation scientifique du rapport de droit c’est-à-dire neutre et objective. C’est
pourquoi il doit nécessairement se traduire sous la forme des liens les plus étroits pour
répondre du principe de proximité qui dirige toute idée de localisation spatiale. En sus, sa
détermination sera nécessairement concrète afin de répondre du réalisme de chaque situation
internationale. Cependant, afin de bannir tout risque d’arbitraire et d’insécurité juridique,
chaque catégorie de rattachement devra être dotée d’un faisceau d’indices propres à la nature
du rapport de droit en cause et sur la base duquel le juge pourra déterminer quantitativement
la loi compétente. Ainsi, l’égalité de traitement sera préservée et il sera envisageable d’aspirer
à un système universel.

443
444
CONCLUSION DU TITRE II :

989. La méthode conflictuelle, objective et bilatérale compatible avec l’égalité de


traitement. Finalement, l’étude des méthodes applicables en droit des conflits de lois,
conformément aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement, conduit à considérer que
la méthode doit nécessairement être conflictuelle, objective, et enfin bilatérale. Il s’agit des
trois préalables nécessaires au respect de la neutralité de la méthode et de l’égalité de
traitement qui en découle dans la mesure où ils préservent, chacun, au travers de leur fonction,
l’objet du droit des conflits de lois. En d’autres termes, la méthode conflictuelle objective et
bilatérale permet de garantir au droit des conflits de lois, conformément à son objectif, une
localisation dans l’espace des rapports de droit de manière neutre, c’est-à-dire indépendante
des considérations identitaires et culturelles auxquelles aspire chaque Etat. Il s’agit donc de
l’unique méthode permettant, potentiellement, une universalisation de la discipline dans la
mesure où elle ne réclame aucunement des Etats une concession de compétences ou de
politiques législatives.
990. La méthode bilatérale indirecte, neutre et concrète respectueuse de l’égalité
de traitement. En outre, en partant du postulat que la méthode conflictuelle objective
bilatérale constitue le préalable à un traitement neutre et égalitaire des sujets de droit, il faut
encore que la structure propre de cette méthode y tende également. C’est pourquoi eu égard à
l’étude de la méthode bilatérale, il convient de maintenir ses caractères propres, notamment
ses caractères indirect et neutre. Toutefois, il faut substituer à son caractère abstrait, un
caractère concret pour répondre d’une localisation de proximité plus réaliste et adaptée aux
situations internationales. De cette façon, la neutralité de la méthode sera préservée puisque la
localisation des rapports de droit demeurera scientifique et permettra d’emporter l’assentiment
des Etats, nécessaire à toue égalité de traitement.
991. Le rattachement unique aux liens les plus étroits garants de l’égalité de
traitement. Néanmoins, il faudra nécessairement que chaque règle de rattachement se dote
d’un rattachement unique aux liens les plus étroits, de façon à permettre une universalisation
du droit, à laquelle peut prétendre n’importe quel Etat. Cependant, dans une optique de
prévisibilité juridique mais également de sécurité juridique, il sera indispensable d’établir
pour chaque catégorie de rattachement un faisceau d’indices permettant au juge de
déterminer, par le biais d’une appréciation concrète et quantitative, la loi compétente.
992. La réalisation d’une méthode universelle attachée à l’égalité de traitement.
Finalement, il paraît donc envisageable de créer un système universel répondant d’une

445
véritable neutralité et produisant conséquemment une réelle égalité de traitement. Il convient
pour cela de faire table rase du passé et de recourir à une méthode unique : la méthode
conflictuelle objective bilatérale à rattachement aux liens les plus étroits.

446
CONCLUSION DE LA PARTIE I :
993. La double démarche nécessaire au respect de l’égalité de traitement.
Envisager le droit des conflits de lois conformément à l’objectif d’égalité de traitement
implique deux démarches successives. D’une part, il convient de faire table rase du passé, et
d’autre part d’établir une méthode conforme à ces objectifs.
994. La réformation entière et obligatoire de la discipline par le biais de la
doctrine. En effet, l’étude des multiples fondements imputables au droit international privé, et
plus particulièrement au conflit de lois, invite à considérer qu’il s’agit d’une discipline
exempte de neutralité. C’est pourquoi elle n’a jamais réussi à s’universaliser dans la mesure
où elle est depuis toujours l’objet des différentes considérations qui animent chaque Etat. Par
conséquent, elle n’aspire aujourd’hui à aucune égalité de traitement des sujets de droit placés
dans une situation internationale équivalente puisqu’elle fait l’objet d’une fragmentation
juridique entre les différents ordres juridiques. En outre, il convient nécessairement, pour
garantir un traitement égalitaire aux sujets de droit, de créer un système universel lequel ne
peut émerger que d’une approche parfaitement neutre de la matière. C’est pourquoi il faut
solliciter de la doctrine, seule source du droit universalisable, qu’elle détermine un système
neutre propre au droit des conflits de lois répondant de la nature et de l’objet de la discipline.
995. La préconisation d’une méthode conflictuelle, objective et bilatérale à
rattachement aux liens les plus étroits. La réalisation de ce système respectueux des
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement doit nécessairement passer par le recours à
une méthode conflictuelle, objective et bilatérale puisqu’il s’agit de la seule méthode qui
réponde, par le biais d’une approche scientifique, à la fonction du droit des conflits de lois
c’est-à-dire à une répartition des lois dans l’espace de manière totalement neutre et objective
en traitant chaque loi sur un même pied d’égalité. C’est pourquoi il convient également de
maintenir les caractères classiques de la méthode bilatérale notamment ses caractères indirect
et neutre. En revanche, doit être écarté son caractère abstrait pour lui substituer un caractère
concret afin de garantir une localisation du rapport de droit réaliste et conforme au principe de
proximité. De surcroît, la méthode bilatérale, pour préserver l’égalité de traitement, doit se
traduire sous la forme d’une règle à rattachement unique aux liens les plus étroits. De cette
façon, la localisation des rapports de droit demeurera neutre, mais pourra tendre à
l’universalisme de façon à respecter l’égalité de traitement. Toutefois, pour préserver
prévisibilité juridique et sécurité juridique, il est nécessaire d’encadrer ce rattachement pour
chaque catégorie de rattachement en lui attribuant un faisceau d’indices spécialisés.

447
996. D’un système conflictuel égalitaire à un régime potentiellement égalitaire.
Finalement, il est envisageable de songer que le droit des conflits de lois puisse se soumettre
au respect de l’égalité de traitement des situations juridiques internationales en adoptant un
modèle de règle de conflit unique c’est-à-dire une règle de conflit à rattachement aux liens les
plus étroits. Néanmoins, si ce statut de règle peut tendre au respect de l’égalité de traitement,
il faut que son régime s’y conforme également.

448
PARTIE II : LA REFORMATION DU REGIME APPLICABLE EN
DROIT DES CONFLITS DE LOIS CONFORMEMENT A L’EGALITE

DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES

997. La mise en conformité du régime applicable au droit des conflits de lois avec
l’égalité de traitement des situations internationales. Afin de garantir une égalité de
traitement aux sujets de droit placés dans une situation internationale identique, le système
applicable en droit des conflits de lois règle doit s’apparenter à une règle de conflit bilatérale.
Fort heureusement, l’ensemble des règles applicables en droit des conflits de lois qui régit la
société internationale se compose essentiellement de ce type de règles. Néanmoins, si le statut
de la règle de conflit bilatérale tend à protéger les objectifs de neutralité et d’égalité, il faut
que son régime s’y conforme également1390. Or, dans la mesure où le droit des conflits de lois
constitue une discipline spécifique, celle-ci se voit attribuer un régime particulier sous l’égide
de la théorie générale du conflit de lois, et qu’il convient de diviser en deux étapes
successives.
998. La confrontation du régime d’applicabilité de la règle à l’égalité de
traitement. Premièrement, le régime applicable en droit des conflits de lois débute par
l’applicabilité de celle-ci. Il s’agit d’un encadrement juridique permettant de déterminer pour
chaque situation juridique internationale, parmi les règles de conflit potentiellement
compétentes, laquelle est applicable. Pour parvenir à cette détermination, diverses étapes
doivent être respectées, à commencer par la qualification de la situation internationale. Puis,
une fois la qualification terminée, il convient de rechercher conformément à la hiérarchie des
normes, quelle règle de conflit s’applique, et de vérifier, s’il s’agit d’une norme
supranationale, que ses conditions d’applicabilité sont remplies. A la fin de ces étapes, la
phase d’applicabilité s’achève et la règle de conflit applicable est déterminée, excepté dans le

1390
Voir en ce sens : Ph. Francescakis, « Une lecture demeurée fondamentale : les « Règles générales des
conflits de lois » de Jacques Maury », RCDIP 1982, p. 4, à propos de la règle de conflit : « il y a lieu de
considérer cette règle comme commandant une série irréversible de « stades » d’interprétation : qualification,
détermination du critère de rattachement, désignation de la loi applicable compte tenu de la complication
introduite par le renvoi, application de la loi étrangère, éviction éventuelle de celle-ci par l’ordre public ou la
fraude à la loi ».

449
cas où une loi de police s’imposerait1391. Néanmoins, à ce régime d’applicabilité de principe,
s’opposent également des exceptions c’est-à-dire des éléments perturbateurs, lesquels ont
pour effet de bouleverser la phase d’applicabilité. Ceux-là sont au nombre de trois et
s’illustrent au travers du mécanisme du renvoi, ainsi que des conflits de lois dans le temps et
dans l’espace. Ainsi, ils peuvent avoir pour conséquence de modifier le résultat en principe
issu de la phase d’applicabilité. Par conséquent, ces principes et exceptions réunis constituent
la première étape du régime applicable en droit des conflits de lois.
En outre, si cette étape est primordiale dans le traitement de toute situation juridique
internationale, il convient de vérifier que les principes et exceptions qui la régissent
s’inscrivent dans une optique de respect de l’objectif spécifique d’égalité de traitement. Or, au
détriment de la structure accordée à toute règle de conflit, son régime d’applicabilité demeure
en inadéquation avec cet objectif. C’est pourquoi devrait être procédé à une quasi totale
réformation de cette première partie du régime propre au droit des conflits de lois (titre I).
999. La confrontation du régime d’application de la règle à l’égalité de
traitement. Secondement, une fois la règle de conflit déterminée, il convient de passer à la
seconde étape du régime c’est-à-dire à l’application de cette règle de conflit et des
conséquences qui en découlent. Or, comme son homologue, cette phase dispose d’un
encadrement de principe, et peut être contrariée par certaines exceptions. Ainsi, ont été mises
en place des règles de principe quant à l’application de la règle. Plus particulièrement, un
encadrement spécifique a été établi quant à l’office du juge s’agissant de la règle de conflit.
Puis, des règles propres ont également été édictées pour organiser différents points de droit au
stade de l’application de la loi matérielle compétente. C’est pourquoi différentes règles
répondent au statut accordé à la loi étrangère, à la charge de la preuve ou encore au contrôle
disciplinaire effectué par la haute cour. Cependant, ce régime de principe applicable au stade
de l’application de la règle de conflit peut être remis en cause par des mécanismes considérés
comme exceptionnels en droit des conflits de lois. Il s’agit de l’ordre public international ainsi
que de l’exception de fraude à la loi, lesquels ont pour objet de perturber l’application
traditionnelle de la règle de conflit légitimement applicable. Ainsi, comme le régime

1391
Ex : Cass., Civ. 1ère, 19 sept. 2018, n°18-20.693, Dalloz 2018, p. 2384, note S. Godechot-Patris et p. 2280,
note C. Bahurel ; Dalloz 2019, p. 1016, note S. Clavel ; RCDIP 2019, p. 224, note E. Gallant ; JDI n°1, janv.
2019, 2, note F. Monéger ; dans lequel la Cour a écarté les règles de conflit au profit d’une loi de police française
en considérant que « la liberté d’organiser ses funérailles ne relève pas de l’état des personnes mais des libertés
individuelles et de la loi du 15 novembre 1887 qui en garantit l’exercice est une loi de police applicable aux
funérailles de toute personne qui décède sur le territoire français ».

450
d’applicabilité, au regard de ses principes et exceptions, le régime d’application de la règle de
conflit constitue la seconde étape du régime propre au droit des conflits de lois.
Or, une nouvelle fois, ce régime d’application de la règle de conflit doit être confronté
aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement prônés par la règle de conflit bilatérale.
En effet, il est indispensable, pour assurer l’effectivité de ces objectifs, qu’ils soient garantis
jusqu’à leur stade ultime c’est-à-dire jusqu’à l’application de la règle matérielle compétente.
Fort heureusement, contrairement à la phase d’applicabilité, la phase d’application de la règle
de de conflit semble mieux s’adapter au respect de ces objectifs et notamment à l’égalité de
traitement. Toutefois, si tout n’est pas à balayer, il reste de nombreux points de droit à
reconsidérer pour atteindre une parfaite égalité de traitement (titre II).

451
452
TITRE I : LE REGIME D’APPLICABILITE DU DROIT DES CONFLITS DE
LOIS A REVISITER CONFORMEMENT A L’EGALITE DE TRAITEMENT

DES SITUATIONS INTERNATIONALES

1000. La mise en œuvre de la méthode bilatérale encadrée par son régime. « En


droit international privé, les corps de règles en conflit correspondent à des systèmes juridiques
différents, qui sont eux-mêmes en principe l'expression de sociétés politiques différentes »1392.
Par conséquent, il revient au droit des conflits de lois de régler ce conflit en recourant,
conformément à une approche neutre et égalitaire, à la méthode conflictuelle bilatérale.
Cependant, il ne suffit pas de considérer que la méthode conflictuelle doit être retenue pour
résoudre la difficulté, il faut également la mettre en œuvre.
1001. La détermination de la règle de conflit applicable au stade de
l’applicabilité. Il convient de partir du préalable selon lequel « le conflit naît entre deux ou
plusieurs systèmes juridiques de ce que la situation en cause présente, eu égard à certains de
ses éléments, des contacts avec chacun de ces systèmes »1393. Par conséquent, au regard du
caractère international de la situation, il convient de rechercher la règle de droit qui s’y
applique. Cependant, dans la mesure où la situation internationale se rattache à deux voire
plusieurs ordres juridiques, il a été nécessaire d’assortir la méthode applicable au droit des
conflits de lois d’un régime afin d’encadrer la détermination de la règle de droit applicable au
cas d’espèce. Par conséquent, cette méthode fait l’objet d’un régime relatif à l’applicabilité
des règles de conflit.
1002. La confrontation des différentes étapes de l’applicabilité à l’égalité de
traitement. Cette procédure d’applicabilité de la règle de conflit fait l’objet de différentes
étapes. Elle débute tout d’abord par une phase dite de qualification permettant de ranger la
situation dans une catégorie de rattachement. Puis, au regard de cette catégorie, il convient de
rechercher la règle applicable conformément à la hiérarchie des normes et aussi à la
vérification de différentes conditions d’applicabilité. Par le biais de ces différentes étapes, il
sera alors possible d’établir quelle règle de droit s’applique à la situation. Néanmoins, ce
résultat pourra être perturbé par l’application impérative de lois de police qui évinceront
l’application de la règle de conflit traditionnellement applicable. Ainsi, si ce régime

1392
P. Gothot et P. Lagarde, « Conflits de lois : principes généraux », Rép. intern. Dalloz, janv. 2006, § 2.
1393
Ibid.

453
d’applicabilité de la règle de conflit est indispensable afin d’encadrer la méthode conflictuelle
en droit des conflits de lois, elle peut tout de même être discutable sous l’angle de l’égalité de
traitement. En effet, une étude approfondie de chacune des étapes de raisonnement conduit à
considérer ce régime d’applicabilité comme controversé eu égard aux objectifs défendus par
la méthode conflictuelle classique et notamment eu égard à l’égalité de traitement des
situations internationales (chapitre I).
1003. Le contrôle des éléments perturbateurs eu égard à l’égalité de traitement.
Toutefois, la règle de conflit peut voir son jeu totalement faussé par certains éléments
perturbateurs. En effet, au moment où la règle de droit applicable est désignée, classiquement
une règle de conflit, sa mise en œuvre peut être contrariée par trois éléments que sont le
renvoi, ainsi que les conflits de lois dans le temps et dans l’espace. Ces trois mécanismes sont
traditionnellement admis au sein du régime applicable à la méthode de droit des conflits de
lois. Ils constituent en quelque sorte des exceptions au résultat issu de la mise en œuvre
traditionnelle de la méthode d’applicabilité. Or, il paraît nécessaire de confronter tant les
principes qui régissent la méthode d’applicabilité que ses exceptions à l’égalité de traitement.
Ainsi, une analyse approfondie de ces éléments, que ce soit au regard de leur admission qu’au
regard de leur régime, pourrait être partiellement voire totalement remise en cause dans une
optique de respect de l’égalité de traitement préconisée par la méthode conflictuelle (chapitre
II).

454
CHAPITRE I : LA RECONSTITUTION DE LA METHODE D’APPLICABILITE AU

REGARD DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1004. Les phases classiques de l’applicabilité. Chaque situation internationale de


droit privé est soumise à un régime particulier en droit des conflits de lois, lequel consiste
d’une part à qualifier le cas d’espèce pour le ranger dans une catégorie de rattachement, et
d’autre part à déterminer quelle règle de droit lui sera alors appliquée. Ainsi, le raisonnement
du juriste procède en deux phases. Premièrement, il s’agit d’identifier la situation
internationale. Secondement, il s’agit de déterminer quelle règle de droit sera applicable à
cette situation internationale.
1005. L’identification de la situation internationale. Tout d’abord, l’identification
de la situation internationale renvoie au problème de qualification. Celui-ci consiste à savoir
« selon quelle loi le juge doit qualifier l’objet du litige pour déterminer la loi qui est
applicable quand les différentes lois en conflit adoptent des qualifications différentes »1394.
Deux méthodes se sont alors opposées, mais la préférence a été donnée par défaut à la
qualification lege fori. Pourtant, ce choix peut s’avérer critiquable dans la mesure où cette
dernière méthode met en péril le traitement égalitaire des situations internationales, lequel ne
peut être garanti en l’absence de qualification internationale (section 1).
1006. La détermination de la règle de conflit applicable. Une fois le problème de
qualification résolu, la situation est rattachée à une catégorie de rattachement, laquelle est liée
à des règles de droit qui lui sont propres. Néanmoins, face à la diversité de ces règles, il est
nécessaire de procéder, ensuite, à la détermination de la règle de droit applicable. Celle-ci fait
l’objet d’une méthode en plusieurs étapes, supposant de respecter la primauté de chaque
norme tant au regard de leur source que de leur caractère impératif, ainsi que de vérifier leur
applicabilité à la situation internationale. Or, cette appréhension de la situation internationale
pour déterminer la règle de droit applicable fait état de plusieurs lacunes lesquelles conduisent
à un traitement aléatoire des situations internationales défavorable à l’égalité de traitement
entre sujets de droit (section 2).

1394
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 291.

455
SECTION 1 : LE RECOURS PAR DEFAUT A LA QUALIFICATION LEGE FORI EN
L’ABSENCE DE QUALIFICATION INTERNATIONALE

1007. Le problème de qualification. La qualification 1395 constitue une étape


préalable à l’application des règles de droit en droit des conflits de lois. Cependant, elle peut
soulever un problème de qualification lequel naît « de la divergence des dispositions internes
des lois en concours » c’est-à-dire « lorsque deux législateurs internes auront chacun d’un
rapport une conception différente » 1396 . Or, ce problème de qualification, pour reprendre
l’expression de Bartin, laisse entendre qu’il est impossible d’arriver à la suppression des
conflits de lois1397. C’est pourquoi il doit nécessairement être résolu.
1008. Les méthodes de qualification. Classiquement, deux méthodes
d’interprétation peuvent être retenues lesquelles conduisent à un résultat différent1398. D’une
part, il peut s’agir de la qualification lege causae qui consiste à interpréter les règles de
conflits conformément aux conceptions de la loi du for et de la loi étrangère. D’autre part, il
peut également s’agir de la qualification lege fori laquelle ne prend en compte que les
conceptions de l’ordre juridique saisi. Au regard de ces deux procédés d’interprétation, le
pragmatisme de la qualification lege fori doit être préféré à l’aléa de la qualification lege
causae (sous-section 1). Néanmoins, la méthode de qualification la plus adaptée à un objectif
d’égalité de traitement des sujets de droit ne peut se déduire de ces types de qualification

1395
Pour aller plus loin sur la notion de « qualification », voir : W. Wengler, « Réflexions sur la technique des
qualifications en droit international privé », RCDIP 1954, p. 661 : « on sait aujourd’hui que la qualification en
droit international privé n’est pas autre chose que la qualification telle qu’on la rencontre dans les autres
domaines du droit » ; « la qualification juridique d’un objet quelconque est la réponse à la question de savoir si
l’objet qualifié est compris dans une notion faisant partie d’une certaine règle juridique » ; « toute question
concrète de qualification d’un objet concret (…) aboutit à une question abstraite, désignée généralement comme
une question d’interprétation ».
1396
F. D’Héré, P.I, « Généralités », in Des problèmes posés par la qualification des rapports juridiques en droit
international privé, Thèse, Aix-Marseille, 1938, Domat-Montchrestien, 1938, spéc. p. 17.
1397
E. Bartin, « De l’impossibilité d’arriver à la suppression définitive des conflits de lois », JDI 1897, p. 225 ;
lequel expose le problème de qualification au travers d’un exemple consistant à retenir deux règles de conflit de
lois identiques en matière de successions : « L’accord de ces deux Etats sur les deux règles de droit international
que met en jeu la prétention de la veuve, ferait disparaître toute espèce de doute sur la loi qu’il conviendrait de
lui appliquer, parce que cet accord se doublerait d’un accord préalable sur la nature de la prétention de la veuve.
Mais il peut fort bien arriver, en fait, que cet accord préalable n’existe pas, que la loi du second Etat rattache
cette prétention à la dévolution héréditaire du patrimoine du de cujus, tandis que la loi du premier la rattache, au
contraire, au régime des biens entre époux. Par conséquent, nos deux Etats ont beau s’entendre sur les deux
règles de droit international que cette prétention met en jeu, il suffit de supposer que chacun d’eux la qualifie
différemment pour qu’à un accord théorique sur ces deux règles de principe se substitue un dissentiment
irréductible sur la solution à donner au conflit ».
1398
Ibid. : « Ce qui fait l’originalité et tout à la fois la subtilité du problème, c’est que, suivant la qualification à
laquelle on s’attache pour fixer la nature de la prétention litigieuse, la loi interne applicable à cette prétention
variera ».

456
classiques. En effet, la condition d’une qualification égalitaire se traduit inévitablement par le
recours à une qualification autonome, et plus précisément internationale (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LE PRAGMATISME DE LA QUALIFICATION LEGE FORI


PREFERE A L’ALEA DE LA QUALIFICATION LEGE CAUSAE

1009. Classiquement, l’interprétation des règles de conflit se fait par le biais de la


qualification lege causae ou bien de la qualification lege fori. Cependant, dans la poursuite
d’un objectif de traitement égalitaire des sujets de droit, il est inévitable de rejeter tout aléa
dans l’interprétation de la règle de conflit (§1). C’est pourquoi par souci de pragmatisme, il
est préférable de recourir à la qualification lege fori, laquelle est seule capable de garantir
cette égalité de traitement (§2).

§ 1 – LE REJET DE L’ALEA DANS L’INTERPRETATION DE LA REGLE CONFORMEMENT


A L’EGALITE DE TRAITEMENT

1010. Conformément à l’objectif d’égalité de traitement recherché, il convient, pour


interpréter toute règle de conflit d’exclure tout aléa dans le processus de qualification. C’est
pourquoi au regard du fonctionnement que présente la qualification lege causae, celle-ci doit
indubitablement être évincée par souci de sécurité juridique (A). En outre, si elle présente de
nombreux dysfonctionnements au regard de son régime, elle présente aussi un certain
antagonisme avec tout système de structure conflictuelle (B).

A. L’EVICTION DE LA QUALIFICATION LEGE CAUSAE PAR MESURE DE SECURITE


JURIDIQUE

1011. Le recours à la qualification lege causae a pu être défendu en doctrine. Pour


autant, il n’a jamais intégré le droit positif pour deux raisons principales. D’une part, cette
méthode est critiquable dans la mesure où elle conduit à un cumul de qualifications lequel n’a
pas pour objet de résoudre le problème de qualification, mais plutôt de l’amplifier (1). D’autre
part, plus que critiquable, la méthode est contestable au regard du cercle vicieux qu’elle
provoque puisque ce dernier conduit à une qualification incertaine (2).

457
1) Le critiquable recours à la qualification lege causae au regard du cumul de
qualifications
1012. La qualification lege causae, par volonté de combattre l’isolationnisme1399 ,
conduit à cumuler les qualifications des lois potentiellement applicables à une situation
donnée. Cependant, ce procédé est difficile à mettre en œuvre et conduit à alourdir la tâche du
juge (a). De plus, un tel raisonnement est facteur de dénaturation du rapport de droit laquelle
ne peut être tolérée en termes de sécurité juridique (b).

a) Un procédé d’interprétation largement alourdi par l’usage d’une double qualification


1013. Une double qualification. La qualification lege causae consiste dans l’absolu
« à demander la qualification au droit étranger éventuellement applicable au rapport de droit
faisant l’objet du litige » 1400 . Il s’agit, lorsque la loi étrangère trouve à s’appliquer,
d’envisager « le cas tel qu’il est dans le droit étranger » et « c’est en fonction de ses caractères
propres » que sera déterminé le rattachement applicable1401. En vérité, « l’argument principal
en faveur de la qualification lege causae est que chaque loi devrait entrer en jeu avec ses
propres qualifications »1402. En effet, conformément à une approche plutôt universaliste du
droit des conflits de lois, chaque loi, potentiellement applicable, devrait être prise en compte
dans le processus de qualification de la situation juridique. De plus, cela « permettrait de
respecter l’intégrité de la loi étrangère lors de sa désignation et de son applicable
concrète »1403.
1014. Une qualification universaliste. La défense de la qualification lege causae est
parfaitement louable puisqu’elle s’inscrit dans une démarche universaliste tendant à englober
l’intégralité du rapport de droit, c’est-à-dire toutes ses composantes1404. C’est pourquoi elle a
été défendue en Europe, principalement par Despagnet en France, par Wolff en Allemagne,
ainsi que par Pacchioni en Italie 1405 . Conformément à une approche universaliste, l’idée
consiste à « appliquer chaque loi avec ses propres qualifications »1406. Par conséquent « le

1399
H. Batiffol, op. cit., § 16.
1400
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 264.
1401
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 256.
1402
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 268
1403
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit, op. cit., § 178.
1404
Voir en ce sens : J. Mestre, « Le mariage en France des étrangers de statut confessionnel », RCDIP 1977,
spéc. p. 683 : « Qualifier une institution, c’est l’analyser, en rechercher l’esprit, en déterminer la nature juridique.
Comment dès lors le faire sans se référer à la législation qui la connaît et la règlemente ? ».
1405
Y. Loussouarn, P. Bourel, et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 264.
1406
E. Fohrer-Dedeurwaeder, « Qualification en droit international privé », J.-Cl. Droit international, 17 août
2015, Fasc. 531, § 42.

458
juge devrait appliquer les qualifications proposées par chacune des lois en concours, sans
qu’aucun conflit ne s’élève puisque chacune a son propre domaine d’application »1407. En
effet, « comme l’écrivait Wolff, « examiner l’applicabilité de la loi étrangère sans prendre en
compte ses classifications, c’est renoncer à regarder cette loi étrangère telle qu’elle est » »1408.
1015. Une qualification soulevant des difficultés pratiques. Il est vrai que pour
adopter une démarche internationale conforme à un esprit universaliste et égalitariste, il
convient de qualifier la situation internationale conformément aux lois en cause. Ainsi, grâce
à la qualification lege causae « chaque loi doit s’appliquer avec toutes ses qualifications »1409.
Cependant ce raisonnement est relativement ambitieux à mettre en œuvre. En pratique, il
semble difficile d’appliquer deux qualifications, lesquelles peuvent potentiellement différer.
Comme l’affirmait Batiffol, le procédé conduit « à des cumuls ou à des lacunes » qui seront
résolus « par des moyens de fortune »1410. En effet, en procédant à une double qualification, la
tâche du juge sera alourdie puisqu’elle consistera à admettre un cumul de qualifications.
Chacune des qualifications permettra alors de déterminer la ou les règles de conflit
applicables. Par conséquent, le rôle du juge ne sera plus de « résoudre » le conflit de
qualifications, mais plutôt de le « transposer » 1411 . Cependant, au-delà de la difficulté
d’application engendrée par le cumul, la qualification lege causae est parfaitement illusoire en
pratique et par conséquent peu souhaitable.

b) Les risques de dénaturation du rapport de droit


1016. Une qualification en pratique illusoire. Si louable soit-elle l’idée de
« respecter les systèmes nationaux dans leur nature propre », elle demeure vaine en pratique.
Effectivement, si la double qualification est difficile à mettre en œuvre et alourdit le travail du
juge, elle conduit, vraisemblablement à un résultat factice. Il est donc considéré qu’« un tel
cumul est théoriquement concevable, mais pratiquement illusoire »1412.
1017. Le risque de dénaturation des lois en présence. En pratique, il est
impossible de mettre en œuvre cette double qualification, car des inconciliabilités ou des
incompatibilités entre les deux qualifications vont nécessairement apparaître. Par conséquent,
en abandonnant « à une loi étrangère » le « contenu d’une catégorie donnée », cela « revient à

1407
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 42.
1408
Ibid.
1409
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 16.
1410
Ibid.
1411
Ibid.
1412
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 264.

459
porter atteinte à l’intégrité d’une autre catégorie du for »1413. En effet, la qualification lege
causae suppose de prendre en compte les conceptions du for, au même titre que les
conceptions du droit étranger, afin que chacune d’elles soit satisfaite. Cependant, en pratique,
le procédé aboutira nécessairement à léser les conceptions du for au profit de celles du droit
étranger. En effet, puisque le problème de qualification n’est pas tranché dès l’origine, il
contraint, a posteriori, le juge à résoudre le cumul par une sorte d’adaptabilité des
conceptions du for aux conceptions étrangères. Ainsi, l’approche universaliste perd tout son
sens puisque chaque conception ne pourra être véritablement appliquée. « Le contenu des
catégories du for une fois déterminé, (…) ne peut être remis en cause pour satisfaire une
conception étrangère différente »1414. Or, par le biais de cette méthode, « la qualification des
faits peut conduire à dénaturer une loi, en la rendant compétente malgré la qualification
divergente qu’elle retient »1415.
1018. Une qualification susceptible de résultats variables. En outre, comme
l’affirmait Arminjon, « subordonner les règles de rattachement de la lex fori aux règles de
qualification d’une loi étrangère serait donc les dénaturer complètement en leur assignant
d’autres fins en leur faisant produire d’autres effets que ceux en desquels elles ont été
édictées » 1416 . Finalement, plus que difficile à mettre en œuvre, le recours à la double
qualification n’est pas souhaitable puisqu’il aurait pour effet de dénaturer les règles de conflit.
Il ne s’agirait donc plus d’un système offrant légitimement une sécurité juridique aux
particuliers, mais plutôt d’un système nécrosé par des applications variables et déformées des
règles de conflit. C’est pourquoi la qualification lege causae, bien que défendable en son
principe, est contestable au regard de sa mise en œuvre. Elle crée une certaine insécurité
juridique qui ne peut être admise dans un système de traitement égalitaire des sujets de droit
placés dans une situation juridique similaire. En sus, son recours peut d’autant moins être
défendu au regard de l’éventualité d’application de la loi étrangère.

2) L’emploi contestable de la qualification lege causae au regard de son caractère


incertain
1019. Le recours à la qualification lege causae, plus que critiquable, est
véritablement contestable. En effet, il s’agit d’une méthode particulièrement dangereuse dans

1413
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 268.
1414
Ibid.
1415
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 178.
1416
P. Arminjon, Précis de droit international privé, op. cit., § 160.

460
la mesure où elle se fonde sur l’application éventuelle de la loi étrangère (a). De plus, ce
risque se double d’un caractère illégitime face à la vocation première de la loi du for à
s’appliquer (b).

a) Une méthode dangereuse fondée sur l’éventuelle application de la loi étrangère


1020. Une qualification hypothétique. Le processus de qualification consiste, en
principe, à qualifier préalablement les faits, puis définitivement les règles de droit1417, et plus
précisément les règles de conflit. En adoptant ce raisonnement en deux étapes, la qualification
lege causae a pu s’imposer d’elle-même. En effet, en analysant les faits bruts, un élément
d’extranéité c’est-à-dire un élément étranger à l’ordre juridique du for ressort. Par conséquent,
il peut être supposé que loi du for et loi étrangère ont toutes deux vocation à s’appliquer à la
situation d’espèce. C’est pourquoi il peut sembler légitime de qualifier les faits conformément
aux conceptions du for et de la loi étrangère. Cependant, « la qualification repose sur le sens
de la règle de conflit »1418. Or, à ce stade, il ne peut être déterminé quelle sera la loi applicable
à l’espèce même si, au regard des faits, les deux lois pourraient potentiellement s’appliquer.
Cela signifie que l’argument consistant à considérer que, dans la mesure où chacune des lois
peut prétendre à une soi-disant application, la qualification doit dépendre de celles-ci, n’est
pas valable. Effectivement, si l’on reprend le raisonnement étape par étape, la qualification
lege causae conduit à interpréter le sens d’une règle de conflit conformément à l’esprit d’une
loi qui n’est pas encore désignée applicable. Ainsi, la méthode « se heurte à l’objection du
cercle vicieux, (…) car elle présuppose que (la loi étrangère) est applicable, alors que son
application n’est qu’éventuelle et dépend précisément de la qualification qui sera
donnée »1419. Plus exactement, « une qualification ne (peut) être demandée à une loi dont on
ignore encore à ce stade, si elle sera déclarée applicable, car la qualification est une condition
de sa détermination qui doit, par conséquent, être résolue sans elle »1420.
1021. Une qualification illégitime. Visiblement, la qualification lege causae, en sus
de conduire à une possible dénaturation de la loi applicable, n’a aucun titre légitime à être
employée. Il n’est pas logique d’interpréter une règle de conflit conformément aux
conceptions d’un ordre juridique dont les dispositions législatives n’ont pas nécessairement
vocation à s’appliquer. Une nouvelle fois, en termes de sécurité juridique, ce procédé de

1417
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 182.
1418
B. Ancel, « Qualification », RDI 1998, § 41.
1419
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 264.
1420
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 44.

461
qualification est contestable parce qu’injustifié sur le plan juridique. Cette lacune conduit
indéniablement à mettre à mal l’égalité de traitement qui devrait être garantie à chaque sujet
de droit puisque l’étape de la qualification est fondée sur un raisonnement hâtif et dangereux.
C’est pourquoi seules les conceptions du for constituent un élément de certitude au stade de la
qualification.

b) Une méthode illégitime face à la vocation première d’application de la loi du for


1022. Véritablement, au stade de la qualification des faits, la seule certitude qui soit
est la saisine de l’ordre juridique du for. Par conséquent, si l’interprétation de la règle de
conflit se veut logique, alors ce sont bien les conceptions du for qui ont une vocation première
à s’appliquer1421. C’est pourquoi l’utilisation de la qualification lege causae est d’autant plus
contestable. En effet, les conceptions du droit étranger ont un titre moins légitime à
s’appliquer que celles du for. Or, l’étape de la qualification ne peut reposer sur un
raisonnement incertain alors qu’une autre méthode peut prétendre à une application plus
justifiée. Par conséquent, les caractères dangereux et incertain imputables à la qualification
lege causae invitent à rejeter cette méthode puisqu’elle ne peut assurer une égalité de
traitement des sujets de droit dans la mesure où elle s’oppose à toute sécurité juridique. De
plus, elle s’avère inadaptée dans les systèmes conflictuels de droit positif.

B. LA QUALIFICATION LEGE CAUSAE ANTAGONISTE AU SYSTEME CONFLICTUEL


BILATERAL

1023. Bien que, théoriquement, le recours à la qualification lege causae soit exclu
par souci de sécurité juridique, ceci ne peut être que confirmé par la contrariété qu’elle
présente dans un système de nature conflictuelle. En effet, cette méthode s’avère incompatible
avec l’ancien concept de conflits de souverainetés (1). Or cette incompatibilité demeure
transposable même à une époque où le conflit de lois n’est plus considéré comme un conflit
de souverainetés. De plus, sa mise en œuvre est parfaitement en inadéquation avec les règles
de conflit positives (2).

1) La qualification lege causae incompatible avec l’ancien concept de conflit de


souverainetés
1024. Originellement, le droit international privé compris sous l’angle du conflit de
lois et conçu comme un conflit de souverainetés, tendait au rejet de la qualification lege

1421
Cf. supra § 1019 ; infra § 1040 et 1041.

462
causae. Si, de nos jours, la discipline est conçue comme un conflit de compétences
législatives et non plus de souverainetés, les arguments à l’appui de cet ancien raisonnement
demeurent valables et transposables. D’une part, la qualification lege causae pouvait conduire
à l’irrespect de la souveraineté des Etats c’est-à-dire à outrepasser les pouvoirs
d’interprétation de l’ordre juridique saisi (a). D’autre part, seule la qualification lege fori
pouvait garantir la souveraineté des Etats, c’est-à-dire assurer une interprétation légitime
conforme aux conceptions de l’ordre juridique saisi (b).

a) L’irrespect de la souveraineté des Etats par le recours à la qualification lege causae


1025. Une qualification contraire au respect des souverainetés. Si la question de
la qualification a été tranchée en 1955 par la Cour de cassation1422, elle a été, bien avant,
l’objet de débats doctrinaux qui ont évolué parallèlement au développement de la discipline
du droit des conflits de lois. C’est pourquoi à l’origine, la question de la qualification a été
envisagée au regard de l’idée d’un conflit de souverainetés. De cette manière, la qualification
lege causae était nécessairement écartée puisqu’elle ne respectait pas la souveraineté de l’Etat
étranger. Comme l’affirmaient Pillet et Niboyet, « chaque Etat possède son propre droit
international privé, de sorte que les conflits ne se résolvent pas partout de la même
manière » 1423 . De plus, « chaque pays possède ses propres qualifications, de même qu’il
possède ses propres règles de conflits de lois ». Par conséquent, en vertu du principe
d’indépendance des Etats, la qualification des règles de conflit retenue ne peut être que celle
de l’ordre juridique saisi. Ainsi, la qualification lege causae impliquant de qualifier
conformément à une loi étrangère contrevient au respect de la souveraineté de chaque Etat.
1026. Une qualification rejetée par mesure de sécurité juridique. Si considérer
que le conflit de lois s’analyse en un conflit de souverainetés est désuet, il n’en demeure pas
moins que le raisonnement s’avère pertinent. Il semble, effectivement, contestable de
considérer qu’une autorité saisie puisse interpréter une règle de conflit conformément à une
conception étrangère dont elle n’a pas véritablement connaissance. Ceci contribue
nécessairement à créer un climat particulier dans lequel les qualifications pourraient être
incertaines. C’est pourquoi les partisans du conflit de souverainetés proposaient plutôt de
recourir à la qualification lege fori.

1422
Cass., Ch. civ., 22 juin 1955, Caraslanis, préc.
1423
A. Pillet et J.-P. Niboyet, op. cit., § 300.

463
b) La souveraineté des Etats seule garantie par la qualification lege fori
1027. L’éviction de la qualification lege causae par conformité d’interprétation.
Au regard de cette ancienne conception du conflit de lois, il est considéré que « face à une
opposition entre souverain du for et souveraineté étrangère, entre qualification lege causae et
qualification lege fori, le juge ne peut que respecter le choix de son souverain » 1424 . Si
l’affirmation n’est plus transposable en tant que telle, car les conflits de lois ne sont plus
conçus comme des conflits de souverainetés, mais plutôt comme de simples conflits de
compétences législatives, l’affirmation ne doit pas être totalement écartée. En effet, pour une
parfaite interprétation de la loi, celle-ci ne peut être interprétée que par ses organes judiciaires.
C’est pourquoi toute qualification lege causae doit bien être écartée.
1028. Le recours à la qualification lege fori par conformité d’interprétation. En
outre, Bartin, partisan de la qualification lege fori, affirmait que « la qualification des
institutions dépend (…) toujours, en France, de la loi française parce qu’elle dépend toujours,
dans un Etat donné, de la loi de cet Etat, quelles que soient, d’ailleurs, en France comme dans
un Etat quelconque, les conséquences de cette qualification » 1425 . Cette affirmation est
véridique. Seules les autorités de l’Etat qui ont édicté une règle de conflit sont à même de
l’interpréter conformément à la volonté du législateur. C’est pourquoi a priori, seule la
qualification lege fori devrait être retenue puisqu’elle permet d’interpréter une règle de conflit
conformément à l’autorité saisie, et ainsi de qualifier chaque règle de conflit en toute sécurité
juridique.
1029. La qualification lege causae incompatible avec l’égalité de traitement des
situations internationales. Finalement, la qualification lege causae s’avère
vraisemblablement inadaptée dans un système de règles conflictuelles puisqu’elle ne garantit
aux sujets de droit aucune sécurité juridique. Or, celle-ci demeure un préalable nécessaire à
toute égalité de traitement. L’aléa de la qualification doit véritablement être rejeté. Ceci se
confirme au regard de son inadaptation dans le système de positif.

2) L’inadéquation de la qualification lege causae avec les règles conflictuelles


positives
1030. L’interprétation des règles de conflit selon la qualification lege causae se
trouve en inadéquation avec le système de droit positif et ceci pour deux raisons. D’une part,

1424
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 43.
1425
E. Bartin, op. cit., § 86.

464
elle est foncièrement impraticable dans un système de règles bilatérales (a). D’autre part, elle
n’est réalisable que dans un système de règles unilatérales (b).

a) La qualification lege causae impraticable dans un système de règles bilatérales


1031. Une qualification potentiellement contradictoire. S’il a pu être considéré
que le recours à la qualification lege causae peut être souhaité afin que loi du for et loi
étrangère soient chacune prise en compte dans l’interprétation de la règle de conflit, cette
méthode est pourtant impraticable. En effet, Madame Fohrer-Dedeurwaeder affirme à ce titre
que la qualification lege causae « est irréalisable dans un système bilatéraliste » notamment
lorsque « la qualification française et celle de la lex causae (…) se contredisent »1426. C’est
pourquoi « dans un système bilatéraliste complet et exclusif, elle ne peut qu’être vouée à
l’échec »1427. Effectivement, dans la mesure où les qualifications de chaque ordre juridique
peuvent diverger, il sera impossible dans un système bilatéraliste de créer une interprétation
unique et uniforme sauf à rogner sur les conceptions des deux ordres juridiques en cause pour
concilier les interprétations propres à chacun d’eux. Il ne s’agira pas d’une véritable
qualification conforme à l’esprit de chaque législateur.
1032. Une qualification impossible en présence de règles bilatérales. Par
conséquent, aucune solution ne permet de résoudre le recours à la qualification lege causae
dans un système de conflit bilatéral. Or, cela constitue nécessairement un obstacle à la
réalisation de l’égalité de traitement, puisque le système bilatéral en est le fondement.
Véritablement, la qualification lege causae ne peut être praticable que dans un système de
conflit unilatéral.

b) La qualification lege causae réalisable dans un système de règles unilatérales


1033. Une qualification praticable dans un système unilatéraliste. En effet,
comme l’ont affirmé Batiffol et le Professeur Lagarde, « la qualification lege causae pourrait
se concevoir dans un système unilatéraliste, la situation considérée étant soumise à l’ordre
juridique qui la fait entrer dans son champ d’application, défini par ses propres
qualifications » 1428 . C’est pourquoi le Professeur Bertrand Ancel a pu exposer que
« l’unilatéralité des règles de rattachement présenterait, du point de vue de la qualification,
l’inestimable avantage de faire descendre le problème du plan international au plan

1426
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 47.
1427
Ibid., § 49.
1428
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 295.

465
interne »1429. Ainsi, « il ne saurait être question de procéder, à partir de la catégorie d’une de
ces règles, à une classification des dispositions substantielles relevant d’un ordre juridique
étranger » 1430 . Réellement, la qualification lege causae n’est donc praticable que dans un
système de conflit unilatéraliste puisque la règle de conflit n’a pour objet que de déterminer le
champ d’application dans l’espace de la lex fori. De cette manière, l’interprète de la règle de
conflit se contente de qualifier selon les conceptions de l’ordre juridique du for puisque la
règle de conflit unilatérale ne concerne que la lex fori. Ainsi, il est mis un terme aux
difficultés qui peuvent apparaître dans un système conflictuel bilatéral.
1034. Une qualification d’inspiration unilatéraliste à rejeter. De surcroît, la
qualification lege causae est « d’inspiration unilatéraliste, puisque chaque système est appelé
à déterminer à travers ses propres qualifications, le champ d’application de ses dispositions
matérielles » 1431 . Or, il a pu être considéré que le système conflictuel unilatéral demeure
parfaitement inconciliable avec l’objectif d’égalité de traitement des sujets de droit1432. Par
conséquent, l’analyse se transpose à l’égard de la qualification lege causae puisqu’elle est
d’essence unilatéraliste. De plus, le droit positif est principalement régi par des règles de
conflit bilatérales, lesquelles s’avèrent incompatibles avec la qualification lege causae. Par
conséquent, au regard de la nature de la qualification lege causae et de la structure des règles
de droit positif, il semble parfaitement légitime de rejeter le recours à cette méthode.
1035. Une qualification unilatérale synonyme de qualification lege fori. En sus,
recourir à la qualification lege causae dans un système adapté, à savoir composé de règles
unilatérales, revient en quelque sorte à qualifier lege fori puisque « l’application de cette
dernière exclut celle de toute loi étrangère »1433. Finalement, la qualification lege causae mène
nécessairement à la qualification lege fori. Elle constitue effectivement sa traduction dans un
système de règles de conflit unilatérales, et invite à son utilisation dans un système de règles
de conflit bilatérales. C’est pourquoi a priori, la qualification lege fori doit être retenue et
notamment au regard de la composition actuelle du droit positif.

1429
B. Ancel, Les conflits de qualifications à l’épreuve de la donation entre époux, Thèse, Paris 2, 1974, Dalloz,
1977, § 147.
1430
Ibid.
1431
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 49.
1432
Cf. supra § 745.
1433
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 295.

466
§ 2 – LE CHOIX FONCTIONNEL DE LA QUALIFICATION LEGE FORI PAR PRESERVATION
DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1036. Le recours à la qualification lege fori constitue la méthode la plus adaptée en


comparaison avec la qualification lege causae. Il s’agit d’une méthode pragmatique justifiant
son adoption par le droit positif. Son utilisation est parfaitement cohérente puisqu’elle permet
de garantir à la fois une véritable sécurité juridique ainsi qu’une homogénéité d’interprétation
(A). De plus, elle constitue un procédé adapté, et même adaptable, puisqu’elle permet d’une
part l’intégration de la lex causae et s’accommode d’autre part aux règles de conflit
supranationales (B).

A. LA QUALIFICATION LEGE FORI ENCOURAGEE PAR LA SECURITE JURIDIQUE


ET L’HOMOGENEITE D’INTERPRETATION

1037. Conformément à un objectif d’égalité de traitement entre sujets de droit,


l’emploi de la qualification lege fori semble parfaitement cohérent. L’application de cette
méthode sécurisée se justifie par l’antériorité de l’ordre national sur l’ordre international (1) et
permet, heureusement, une interprétation univoque des règles de conflit (2).

1) La qualification lege fori justifiée par l’antériorité de l’ordre national sur l’ordre
international
1038. Face aux défauts imputables à la qualification lege causae, il a pu être préféré
de recourir à la qualification lege fori en arguant de l’antériorité de l’ordre national sur l’ordre
international. Réellement, la légitimité du recours à cette méthode est attribuée à la
« projection du droit interne sur le plan international » (a), et se trouve également commandée
par la certitude du rattachement à la loi du for (b).

a) La projection du droit interne sur le plan international


1039. La projection du droit interne sur le plan international selon Bartin. Dans
la mesure où la qualification lege causae ne peut être retenue dans un système de règles de
conflit bilatérales, le droit positif préconise de recourir à la qualification lege fori notamment
parce que le droit international privé, a pu être considéré comme « une projection du droit
interne sur le plan international » 1434 à l’époque où Bartin a découvert les problèmes de
qualification 1435 . Originellement, « les tribunaux se trouvant dans l’obligation de créer de
toutes pièces un système de droit international privé, sont partis du droit civil » pour créer des

1434
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 11.
1435
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 22.

467
catégories de rattachement correspondant « aux grandes catégories de notre droit civil
interne »1436. En effet, le droit des conflits de lois principalement de source nationale jusqu’au
XXème siècle a conduit à envisager la qualification conformément aux catégories de
rattachement retenues par l’ordre juridique du for. Ce procédé est parfaitement logique
puisque toute règle de conflit de source nationale doit être interprétée conformément à l’esprit
de son législateur 1437 . Par conséquent, l’interprétation des situations internationales est
demeurée conforme à ce système ancien. Pourtant, cela pourrait paraître contestable puisque
le droit positif s’est construit à l’aune de sources internationales.
1040. La légitimation de la qualification lege fori par l’antériorité de l’ordre
interne sur l’ordre international. En outre, il est considéré que « la qualification lege fori
est la conséquence inéluctable du caractère national des systèmes de solution de conflits de
lois »1438. En effet, « puisqu’il appartient à la règle de conflit française de désigner le droit
étranger auquel elle offre la compétence, le tribunal doit, en présence d’un cas concret,
délimiter le domaine d’application de la loi déclarée compétente par la règle de conflit de son
pays même lorsqu’elle n’attribue pas compétence à la loi française »1439. Cela signifie que le
tribunal applique la règle de conflit de laquelle il dépend, mais ceci vaut, quelle que soit sa
source. Par conséquent, l’argument relatif à l’antériorité de l’ordre interne a pu effectivement
être transposé en droit positif. De cette manière, il est toujours admis que l’ordre national est
antérieur à l’ordre international et notamment au stade de la qualification. Ainsi, « une
institution est (…) créée à partir d’éléments hétérogènes et, en cela, elle est internationale ;
mais elle est nationale par sa source et sa construction, car elle trouve son homogénéité dans
la cohésion et l’équilibre que lui donne le système de règles de conflit de l’ordre du for »1440.
La qualification lege fori a alors naturellement vocation à s’appliquer en amont, quelle que
soit la source de la règle de conflit, et dans tout système de conflit bilatéraliste. De plus, cette
affirmation se prolonge par l’application à laquelle peut seule prétendre la lex fori dans une
situation relevant du droit des conflits de lois.

1436
P. Lerebours-Pigeonnière et Y. Loussouarn, op. cit., § 11.
1437
Voir en ce sens : E. Bartin, « De l’impossibilité d’arriver à la suppression définitive des conflits de lois », op.
cit., p. 225 : « (…), à défaut d’un législateur placé au-dessus des Etats pour leur imposer des règles de conflit ou
pour fixer dans le détail le sens de celles qu’ils adoptent, il n’appartient qu’au législateur interne de chaque Etat,
lorsqu’il se fait l’interprète du droit international privé rationnel, en s’appropriant telle ou telle règle de conflit,
de marquer la mesure dans laquelle il se l’approprie. Les Etats étrangers dont les institutions bénéficieront de ces
règles de conflit n’ont pas plus le droit d’en fixer en détail le sens qu’ils n’ont eu le droit de les imposer ».
1438
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 263.
1439
Ibid.
1440
B. Ancel, Les conflits de qualification à l’épreuve de la donation entre époux, op. cit., § 163.

468
b) Le rattachement certain à la loi du for
1041. La vocation naturelle et certaine de la lex fori. Bien que l’ordre national soit
considéré comme antérieur à l’ordre international au regard de l’application des règles de
conflit de l’ordre juridique saisi, cette antériorité se déduit aussi de la vocation naturelle de la
lex fori à s’appliquer. Effectivement, « tant qu’aucune loi n’est désignée pour régir le fond du
litige, la seule loi en vertu de laquelle le juge puisse décider est celle de son for »1441. Plus
précisément, « à raison de la place occupée par la qualification dans le processus du
raisonnement conflictuel, il est inconcevable qu’elle soit soumise à une loi autre que la lex
fori »1442. Au stade de l’interprétation de la règle de conflit qui constitue l’étape préalable à la
solution du conflit de lois, « la loi étrangère n’a aucun titre à s’appliquer au moment où l’on
qualifie » et, « à raison du caractère préalable de la qualification, le seul rattachement dont la
certitude apparaisse au moment où la qualification doit être donnée est le rattachement
juridictionnel »1443.
1042. Une qualification motivée par la sécurité juridique. La qualification lege
fori se justifie d’autant plus par la légitimité à laquelle peut prétendre la lex fori en termes
d’application au regard de la situation d’espèce. Par conséquent, la qualification lege fori
semble être la méthode d’interprétation la plus à même de répondre à une logique d’égalité de
traitement des sujets de droit puisque d’une part, elle s’applique à juste titre, conformément
aux règles de conflit applicables par l’ordre juridique saisi, et d’autre part, elle légitime son
recours par la certitude du rattachement, à savoir la lex fori. L’interprétation pourra désormais
être prévisible et sécurisée par l’antériorité de l’ordre interne sur l’ordre international. Hormis
l’assurance d’une certaine sécurité juridique, le recours à la qualification lege fori garantit
également l’homogénéité des interprétations.

2) La qualification lege fori justifiée par une interprétation univoque


1043. La qualification lege fori offre plus que la sécurité juridique puisqu’elle invite à
la mise en place d’une interprétation univoque des règles de conflit. En effet, l’homogénéité
des qualifications est permise par le recours au rattachement juridictionnel (a). De plus,
l’uniformité d’interprétation est assurée par la suppression du conflit de qualifications (b).

1441
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 293.
1442
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 263.
1443
Ibid.

469
a) L’homogénéité d’interprétation réalisée par le recours au rattachement juridictionnel
1044. La qualification lege fori exigée au regard de l’ordre juridique saisi. S’il a
pu être justifié de recourir à la qualification lege fori par l’antériorité de l’ordre national sur
l’ordre international et surtout au regard de la certitude de rattachement imputable à l’ordre
juridique saisi, il convient d’aller encore plus loin. « Si, au regard de nos tribunaux, le
règlement de tout conflit dépend en premier lieu de la règle de conflit française, cette dernière
ne peut être interprétée qu’en recourant aux définitions, aux notions que notre droit
international privé prend en considération » 1444 . Cela signifie que dans la mesure où
l’interprétation des règles de conflit porte sur celles applicables par l’ordre juridique du for,
elle ne peut être réalisée qu’à l’aune des conceptions de l’ordre juridique saisi 1445 . C’est
pourquoi « selon Bartin, pour fixer les catégories de droit, le juge devait se servir
1446
exclusivement des constructions intellectuelles dégagées par son droit interne » .
Véritablement, il s’agit d’une question de cohérence. Puisqu’il revient au juge saisi
d’interpréter les règles de conflit applicables, il doit nécessairement le faire compte tenu des
conceptions de son ordre juridique. Les règles de conflit applicables dans un ordre juridique
donné ne peuvent être interprétées que par l’autorité judiciaire propre à cet ordre juridique et
conformément à ses conceptions. Outre la cohérence du raisonnement, ceci permet de garantir
une homogénéité d’interprétation.
1045. L’assurance d’une interprétation homogène. En effet, tout juge n’est pas
apte à qualifier une règle de conflit conformément aux conceptions d’un ordre juridique
étranger puisqu’il n’en a pas les connaissances requises. Par conséquent, par souci de
cohérence et de sécurité juridique, le juge du for ne peut interpréter que conformément aux
conceptions de son ordre juridique. Ainsi, l’homogénéité des interprétations devrait être
assurée, aucune interprétation divergente ne devant a priori apparaître. De plus, le même
constat peut s’effectuer à l’égard de l’effet que produit la qualification lege fori.

b) L’uniformité d’interprétation assurée par la suppression des conflits de qualifications


1046. La résolution du problème de qualification. La qualification lege fori
présente un avantage incontestable par rapport à la qualification lege causae car elle a pour

1444
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 263.
1445
Ex. : Cass., Civ. 1ère, 20 oct. 2010, n°08-17.033, préc., dans lequel la Cour énonce que « justifie sa décision
la cour d’appel qui qualifie, par application de la loi du for, les parts sociales d’une société immobilière de biens
mobiliers, leur situation à l’étranger étant sans incidence sur leur dévolution conformément à la loi française du
lieu d’ouverture de la succession ».
1446
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 33.

470
effet de trancher le conflit de qualifications. Contrairement à la qualification lege causae qui
ne résout pas le problème de qualification, la qualification lege fori y met un terme en
considérant que l’interprétation ne sera faite qu’à l’égard des conceptions d’un seul ordre
juridique. Par conséquent, toutes les critiques imputables à la qualification lege causae
disparaissent et l’uniformité de la qualification sera indéniablement assurée.
1047. L’assurance d’une qualification uniforme. Finalement, si la sécurité
juridique est assurée par le recours à la qualification lege fori, l’homogénéité de la
qualification l’est également. Or, ce sont des préalables indispensables à la réalisation de
l’égalité de traitement des sujets de droit. Ainsi, la qualification lege fori semble présenter les
qualités requises à la réalisation de cet objectif, d’autant plus qu’elle constitue un mécanisme
adapté, mais également adaptable eu égard aux systèmes conflictuels.

B. LE RECOURS A LA QUALIFICATION LEGE FORI MOTIVE PAR SON


ADAPTABILITE

1048. La qualification lege fori, outre les qualités qu’elle présente, constitue
également une méthode adaptée et adaptable. Effectivement, elle ne constitue pas une
méthode strictement nationale dans la mesure où elle intègre dans son raisonnement la lex
causae. Or, ceci paraît indispensable en vue de garantir une méthode parfaitement complète
(1). De plus, elle a réussi à s’adapter au phénomène de régionalisation des règles de conflit et
de la sorte maintenir l’homogénéité d’interprétation (2).

1) Une qualification adaptée par l’intégration complémentaire de la lex causae


1049. Bien que la qualification lege fori consiste à interpréter les règles de conflit
conformément aux conceptions de l’ordre juridique du for, elle n’en exclut pas pour autant
toute prise en compte de la loi étrangère. En effet, l’analyse des institutions étrangères
constitue un préalable nécessaire à la qualification lege fori en vue de garantir une
interprétation juste et conforme à la situation d’espèce (a). En outre, parallèlement, la
qualification lege fori n’empêche pas le recours à la qualification en sous-ordre à titre
complémentaire, laquelle suppose de se référer à la lex causae (b).

a) L’analyse préliminaire des institutions étrangères par concordance aux situations


d’espèce
1050. Le cas particulier des institutions étrangères. La qualification lege fori
constitue la méthode la plus sécurisée et la plus à même de garantir une interprétation
uniforme des règles de conflit par l’ordre juridique saisi. Pour autant, cela ne signifie pas
totalement que toute qualification lege causae soit exclue. Effectivement, il est des cas où

471
l’ordre juridique saisi peut se retrouver face à une institution étrangère des conceptions du for.
Par conséquent, « lorsqu’il s’agit d’une institution ou d’une technique étrangère inconnue du
droit français, (l’analyse) ne peut être menée que selon la loi étrangère qui est la loi organique
de l’institution »1447. Il s’agit de l’exemple de la célèbre affaire Bartholo, dans laquelle « la
quarte du conjoint pauvre ne pouvait être analysée que par référence à la loi maltaise »1448.
Comme l’expliquait Lerebours-Pigeonnière, la démarche est la suivante : « quand nous
décidons d’appliquer une loi étrangère, nous envisageons le cas tel qu’il est dans le droit
étranger et c’est en fonction de ses caractères propres que nous déterminons le rattachement
commandé par le droit international privé »1449.
1051. La prise en considération du droit étranger en amont de la qualification.
Ainsi, même en recourant à la qualification lege fori, les concepts du droit étranger peuvent
être pris en compte. De cette manière, « la qualification comporte (…) deux phases : une
phase préparatoire d’analyse qui, le cas échéant, prendra en considération la loi étrangère et
une phase de jugement selon la loi du for »1450. A ce sujet, Raape évoquait précisément un
processus de « subsomption sous la règle de conflit » par lequel « l’Etat étranger caractérise
ses règles, l’Etat du for les classe » 1451 . Il faut « déterminer les caractéristiques et
conséquences juridiques de l’institution »1452 afin de pouvoir la ranger dans les catégories du
for. Par conséquent, « cette analyse peut imposer d’entrer assez précisément dans le détail des
dispositions étrangères »1453.
1052. Une qualification adaptée quelle que soit la situation internationale.
Finalement, si la qualification lege fori permet d’inclure les institutions étrangères à l’ordre
juridique du for, elle constitue une méthode adaptée puisqu’elle permet d’interpréter toute
règle de conflit quelles que soient les circonstances de l’espèce. Par conséquent, elle constitue
un processus globalisant qui s’applique à toute situation. Il s’agit d’un caractère
particulièrement important dans la mesure où aucune situation ne sera exclue par le recours à

1447
Y. Loussouarn, P. Bourel, et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 272.
1448
Ibid.
1449
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 256.
1450
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 294.
1451
L. Raape, « Les rapports juridiques entre parents et enfants comme point de départ d’une explication pratique
d’anciens et de nouveaux problèmes du droit international privé », RCADI, 1934, vol. n°50, § 91.
1452
S. Clavel, op. cit., § 87.
1453
Ibid. ; laquelle reprend notamment l’exemple des unions homosexuels contractées à l’étranger expliquant
que « de nombreux pays ont consacrés des unions civiles entre personnes de même sexe, sans toutefois leur
attribuer un régime juridique équivalent à celui du mariage ». C’est pourquoi une analyse précise du droit
étranger s’avère nécessaire.

472
cette méthode. L’égalité de traitement sera donc préservée. De plus, la qualification lege fori
n’empêche pas de recourir aussi à une qualification en sous-ordre.

b) L’appel secondaire à une qualification en sous-ordre par complémentarité


1053. La qualification en sous-ordre. Il est des situations dans lesquelles les
qualifications peuvent être soumises à la qualification lege causae, que « Bartin appelait
« qualifications en sous-ordre » parce qu’elles ne commandent pas la détermination de la loi
applicable »1454. En effet, ce dernier « réservait une exception à la qualification lege fori dans
le domaine réel, en considérant que la souveraineté du for devait s’effacer devant celle du lieu
de situation du bien à qualifier pour des raisons de sécurité juridique »1455. Véritablement, le
raisonnement opéré par Bartin était de considérer que « quand le droit international privé
français décide que le régime des biens relève de la loi du lieu de leur situation, (…), il
abandonne à la lex rei sitae, (…), toutes les définitions et classifications des institutions
rentrant dans le groupe délimité par lui » 1456 . Il en serait de même à l’égard de « la
qualification française des formes qui rend compétente la loi étrangère du lieu de
rédaction »1457. Ainsi, la qualification lege causae serait prise en compte, mais cette fois-ci
plus en amont de la qualification.
1054. Des qualifications secondaires complémentaires. Véritablement, il ne s’agit
pas d’une exception à la qualification lege fori parce qu’il s’agit de qualifications en sous-
ordre c’est-à-dire de qualifications secondaires. Cette qualification ne vise que les hypothèses
dans lesquelles la qualification ne détermine pas la solution du conflit de lois. Elle ne
concerne que les cas pour lesquels « la compétence législative n’est pas influencée par la
qualification donnée »1458. C’est pourquoi elles ne peuvent être contestées, car ce ne sont pas
des qualifications internationales, issue de la qualification lege fori, mais des qualifications
internes qui se situent en marge du droit international privé. Elles sont donc relativement
hypothétiques 1459 . Néanmoins, il n’empêche qu’elles justifient de nouveau une prise en
compte de la lex causae aux côtés de la qualification lege fori. Ces qualifications s’inscrivent
en complément de la qualification lege fori et signifient que, lorsque la solution du conflit de

1454
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 274.
1455
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 73.
1456
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 274.
1457
Ibid.
1458
Ibid.
1459
Ibid.

473
lois n’a pas besoin d’être déterminée par une méthode de qualification propre, alors la
situation sera qualifiée conformément à la lex causae en cause
1055. Une qualification a priori adaptée à la diversité des situations
internationales. En outre, la lex causae n’est pas totalement exclue du processus de
qualification lege fori et peut faire l’objet d’une analyse au préalable ou être utilisée en
parallèle lorsque la méthode de la qualification lege fori n’a pas vocation à s’appliquer. Par
conséquent, quelle que soit l’hypothèse, la qualification lege fori intègre parfaitement les
conceptions du droit étranger sans pour autant laisser en suspens le problème de qualification.
Il s’agit donc d’une méthode adaptée puisque seront finalement et indirectement prises en
compte les conceptions propres à chaque ordre juridique dès que cela s’avère nécessaire.
Ainsi, les intérêts des particuliers ne devraient pas pouvoir être lésés et l’égalité de traitement
assurée. Bien qu’elle soit adaptée, la qualification lege fori est aussi adaptable.

2) Une qualification adaptable aux règles de conflit supranationales


1056. La qualification lege fori est également une méthode adaptable puisqu’elle a su
répondre à la production de nouvelles règles de conflit de sources supranationales et
essentiellement européennes. D’une part, elle a su s’adapter via la création de qualifications
communes insérées dans les textes internationaux (a) et, d’autre part, par le recours à une
interprétation autonome produite par un organe judiciaire autonome (b).

a) La création de qualifications communes compatibles avec la qualification lege fori


1057. L’établissement de qualifications communes dans les textes
internationaux. Initialement, à l’époque où Bartin a découvert le problème de qualification et
qu’il s’est positionné en faveur de la qualification lege fori, les règles de conflit étaient
essentiellement de source nationale. Pour autant, la qualification lege fori n’a pas constitué un
véritable obstacle lors de la création de règles de conflit supranationales, et notamment
européennes. Dans le cadre de l’Union européenne, ou de la Conférence de La Haye, les
rédacteurs des règlements et conventions se sont efforcés de donner eux-mêmes « les
qualifications essentielles »1460. Par exemple, « la Convention de La Haye de 1984 relative à
la loi applicable au trust et à sa reconnaissance a pris soin de définir dans son article 2 cette
institution » 1461 . Par conséquent, les rédacteurs « cherche(nt) à éviter le problème des
qualifications en construisant les règles de rattachement à partir de concepts qui ne sont pas

1460
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 269.
1461
Ibid.

474
chargés de significations fixes et divergentes dans les différents ordres juridiques
internes »1462 . Ainsi, le procédé consiste à créer des qualifications communes au sein des
conventions internationales ou règlements européens, lesquels « prennent soin de définir les
termes employés par (eux), et cela de manière exhaustive, soit encore par élimination de
certaines matières »1463. Le but est alors de « couper court aux hésitations que suscitent les
questions cavalières »1464.
1058. Des qualifications préservant la qualification lege fori. En précisant en
quelque sorte, au sein des textes, la qualification européenne ou internationale retenue, le juge
du for pourra donc toujours qualifier lege fori puisque les règles de conflit supranationales, au
regard de la hiérarchie des normes, font partie intégrante du droit positif. Il s’agit donc de
conceptions qui doivent être parfaitement intégrées au sein de l’ordre juridique du for.
Cependant, afin d’éviter une divergence d’interprétations à l’égard de règles de conflit
applicables dans plusieurs Etats, les textes internationaux prévoient eux-mêmes la
qualification retenue. « L’objectif recherché se comprend aisément : c’est une uniformisation
de l’application des textes »1465. Il s’agit de « limiter l’incidence des conceptions propres à
chaque système juridique national sur leur interprétation, et, par suite, éviter des disparités
dans leur mise en œuvre »1466.
1059. La qualification lege fori adaptable aux règles de conflit supranationales.
Finalement, la qualification lege fori fait preuve d’adaptabilité puisqu’elle ne soulève pas de
difficultés à l’égard de l’application des règles de conflit supranationales. De plus, elle
s’insère parfaitement dans le système des règles de conflit supranationales et tend à une
certaine uniformisation des interprétations. Elle s’inscrit dans une perspective d’égalité de
traitement du sujet de droit, puisque, quelle que soit la source de la règle de conflit applicable,
celle-ci ne fera pas l’objet d’une interprétation aléatoire. De plus, cette stabilité assurée par la
qualification lege fori est garantie, au niveau supranational, par l’existence d’un organe
judiciaire autonome.

1462
G. Van Hecke, « Universalisme et particularisme des règles de conflit au XXème siècle », op. cit., p. 939 et
s.
1463
B. Ancel, « La qualification », op. cit., § 65.
1464
Ibid.
1465
M. Audit, « L’interprétation autonome du droit international communautaire », chron., JDI n°3, juill. 2004, §
12.
1466
Ibid.

475
b) L’apparition d’une interprétation supranationale autonome conciliable avec la
qualification lege fori
1060. L’interprétation autonome de la CJUE. Il arrive que « les précisions
données par le législateur européen concernant le sens des catégories employées par les règles
de conflit qu’il édicte ne (soient) pas toujours suffisantes » 1467 . C’est pourquoi l’Union
européenne s’est dotée d’un organe judiciaire, à savoir la Cour de justice de l’Union
européenne. Son rôle consiste, « dans le cadre de ses pouvoirs d’interprétation du droit de
l’Union », à « préciser le sens des notions »1468 contenues dans les règlements européens et
certains instruments internationaux 1469 . Or, toute interprétation faite par la CJUE est
« autonome » c’est-à-dire que « le seul fait pour celle-ci de donner à un texte une signification
particulière confère à son interprétation une nature autonome, en ce sens que les juridictions
des Etats membres seront alors contraintes de mettre en œuvre ledit texte en se pliant à
l’interprétation résultant de la jurisprudence communautaire et sans pouvoir substituer à celle-
1470
ci leur propre interprétation ». De cette manière, « est prévenu le risque d’une
interprétation plurale des règles et concepts communautaires »1471.
1061. L’assurance d’une interprétation uniforme grâce à la qualification lege
fori. En outre, la création d’un organe judiciaire dont l’une des fonctions est l’interprétation
des règlements européens permet, en l’absence de qualifications communes insérées dans les
textes, de garantir une nouvelle fois une interprétation uniforme1472, laquelle sera appliquée
par les juridictions nationales. Par conséquent, les juges nationaux feront des interprétations
européennes les leurs c’est-à-dire qu’ils les intégreront à leurs propres conceptions. Par
conséquent, la qualification lege fori semble donc bien la méthode la plus adaptée puisqu’elle
garantit, quelle que soit la règle de conflit applicable, une véritable uniformité
d’interprétation, laquelle est assurée directement par les juges nationaux et indirectement par
le juge européen.

1467
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 269.
1468
Ibid.
1469
CJUE, 7 juin 2018, aff. C-83/17, D. actualité, 19 juin 2018, note F. Mélin : « la CJUE interprète l’article 4
du Protocole de La Haye du 23 nov. 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires et détermine les
conditions d’applicabilité de la loi du for ».
1470
M. Audit, op. cit., § 17.
1471
B. Ancel, « La qualification », op. cit., § 69.
1472
Ex : CJUE, 1er mars 2018, aff. C-558/16, JDI n°4, oct. 2018, p. 20, dans lequel « la Cour résout une difficulté
de qualification classique concernant certains droits du conjoint survivant » à propos du champ d’application
matériel du règlement « successions » ; « la méthode de qualification (…) ne diffère pas de celle naguère utilisée
par nos tribunaux en ce qui concerne l’objet à qualifier ».

476
1062. La qualification lege fori corollaire de l’égalité de traitement. Finalement la
qualification lege fori constitue la méthode à préconiser dans un système de conflit
bilatéraliste puisqu’elle assure une véritable sécurité juridique mais aussi parce qu’elle
garantit une homogénéité de qualification et ceci quelle que soit la source de la règle de
conflit. Pourtant, si la qualification lege fori semble assurer l’égalité de traitement des sujets
de droit au regard des caractères qu’elle présente, ceci n’est qu’une apparence.

SOUS-SECTION 2 : L’ABANDON DE LA QUALIFICATION LEGE FORI AU PROFIT


D’UNE QUALIFICATION AUTONOME CONDITIONNEE PAR L’EGALITE DE
TRAITEMENT

1063. Si la préférence a été accordée en droit positif à la qualification lege fori par
rapport à la qualification lege causae, c’est parce qu’elle présente incontestablement bien plus
d’avantages, lesquelles s’inscrivent, a priori, dans l’idéologie de la méthode conflictuelle.
Cependant, si, de prime abord, ces bienfaits semblent réaliser l’égalité de traitement, il ne
s’agit que d’un résultat relatif. En effet, une étude plus approfondie de la qualification lege
fori invite à considérer que celle-ci provoque davantage une inégalité de traitement entre les
sujets de droit, qu’elle ne permet une interprétation identique (§ 1). Par conséquent, à défaut
de ce choix malencontreux, il serait préférable, voire envisageable, de recourir à une
qualification internationale, seule corollaire de l’égalité de traitement (§ 2)

§ 1 – L’INEGALITE DE TRAITEMENT ENGENDREE PAR LE RECOURS A LA


QUALIFICATION LEGE FORI

1064. La qualification lege fori présente un désavantage particulier dans la mesure où


elle favorise une inégalité de traitement vis-à-vis des sujets de droit. En effet, elle fait état de
nombreuses insuffisances qui mettent à mal toute sécurité juridique et conduisent à une
véritable hétérogénéité des interprétations (A). De plus, l’emploi de cette méthode est d’autant
plus contestable dans la mesure où elle est nécessairement orientée par les intérêts de l’ordre
juridique du for, ce qui conduit inévitablement à remettre en cause l’égalité de traitement (B).

A. DE L’ILLUSOIRE SECURITE JURIDIQUE A L’HETEROGENEITE DES


INTERPRETATIONS

1065. De prime abord, la qualification lege fori semble la méthode la plus adaptée en
droit des conflits de lois. Cependant, cette méthode est atteinte par certains vices. D’une part,
certaines imperfections lui sont classiquement imputées lesquelles conduisent finalement à
une hétérogénéité d’interprétation devant les juges nationaux (1). D’autre part, cette méthode

477
est, en vérité, incompatible avec les règles de conflit supranationales. En effet, en l’absence
d’interprétation commune, la qualification lege fori jouera nécessairement, et mènera
indéniablement à une diversité de qualifications d’un Etat à l’autre (2).

1) De l’homogénéité à l’hétérogénéité d’interprétation


1066. En principe, la qualification lege fori constitue la méthode la plus à même de
garantir une homogénéité d’interprétation des règles de conflit. Par exception, il arrive que
certaines institutions soient irréductibles à une seule catégorie de rattachement et remettent en
cause ce résultat (a). Pour remédier à cette carence, il a été proposé de déformer les catégories
de rattachement du for. Malheureusement, cette démarche est insuffisante pour assurer une
parfaite homogénéité d’interprétation (b).

a) L’irréductibilité de certaines institutions à une seule catégorie de rattachement


1067. L’impossible classement d’une institution étrangère. « L’expérience révèle
qu’une institution inconnue du droit français n’est pas nécessairement réductible à une
catégorie unique »1473. Si parfois, en analysant la lex causae, il est possible de classer une
institution étrangère dans les catégories du for, d’autres fois, cette méthode s’avère impossible
à employer. En effet, il arrive que l’institution étrangère invoquée soit insusceptible d’être
rapportée, « que ce soit positivement ou négativement à une institution française »1474.
1068. L’exemple du trust. Classiquement est utilisé l’exemple du trust anglo-saxon
lequel consiste en un « démembrement de la propriété entre le trustee et le bénéficiaire » et
« est utilisé à de multiples finalités » 1475 . Il s’agit d’une institution étrangère qui semble
irréductible à tout classement dans les catégories du for parce qu’elle peut se traduire sous
l’égide de diverses fonctions1476. Par conséquent, en pratique, « la jurisprudence tend à forcer
ses catégories de rattachement afin de l’insérer dans l’une d’elles, selon sa fonction dans le

1473
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 263.
1474
B. Ancel, « La qualification », op. cit., § 44.
1475
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 263.
1476
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 87 : « S’il est, en effet, un constat sur lequel on s’accorde à propos
du trust, c’est celui de la multiplicité des fonctions auxquelles il peut être employé » ; « Et de fait, le trust peut
être utilisé aussi bien pour assurer la protection des intérêts pécuniaires des incapables, pour surmonter l’absence
de connaissances nécessaires à la gestion d’un patrimoine de la part de son titulaire, pour gérer les intérêts des
époux et notamment le sort du domicile conjugal en cas de rupture du lien matrimonial, pour régler les relations
patrimoniales lors de la rupture d’un concubinage, que pour remplir les fonctions qui sont en France
traditionnellement confiées aux fondations, voire aux personnes morales. C’est dire que les catégories juridiques
susceptibles d’accueillir cette institution sont extraordinairement diverses si on l’envisage à la lumière de ses
fonctions. Plus encore, la situation se complique du fait que le même trust peut avoir été constitué pour remplir
plusieurs fonctions ».

478
cas d’espèce »1477 . Ainsi, « utilisé à des fins multiples, le trust n’est pas réductible à une
catégorie unique »1478. De cette manière, « son assimilation à une institution connue du for
varie au cas par cas, suivant la finalité qu’il poursuit »1479.
1069. Une qualification au cas par cas. L’exemple du trust permet de considérer
que la qualification lege fori n’est pas une méthode si parfaite qu’elle en a l’air puisqu’elle
peut conduire, en vérité, à une interprétation totalement variable lorsque l’institution étrangère
n’est réductible à aucune catégorie du for. Par conséquent, l’homogénéité de qualification
peut être mise à mal, ce qui impactera nécessairement l’égalité de traitement des sujets de
droit. De plus, si le recours à la qualification lege fori s’avère, en réalité, inadaptable à toute
institution en cause, elle entraîne parfois la déformation des catégories de rattachement du for.

b) La réponse insuffisante de la déformation des catégories de rattachement du for


1070. La déformation des catégories de rattachement face à l’irréductibilité de
certaines institutions. Face à cette difficulté que peuvent soulever les institutions étrangères,
il a pu être préconisé par la doctrine « d’élargir ou d’assouplir nos catégories de
rattachement »1480 afin de pouvoir accueillir ces institutions étrangères. Grossièrement, cela
signifie que « la nécessité de classer dans les catégories du for des institutions étrangères plus
ou moins hétérogènes conduit à envisager une (…) déformation des catégories du droit
interne »1481. Il s’agit donc, afin de garantir la qualification de toute institution au sein d’une
catégorie de rattachement, d’internationaliser les concepts de l’ordre juridique interne c’est-à-
dire ses catégories de rattachement. A priori, la démarche intellectuelle semble parfaitement
louable puisqu’elle permettrait l’intégration de toute institution étrangère au sein des
catégories de rattachement du juge saisi. Cependant, deux objections s’élèvent contre cette
méthode de déformation.
1071. La persévérance d’une qualification casuistique. D’une part, au regard de la
jurisprudence de droit positif, il apparaît que ce procédé n’empêche pas la qualification au cas
par cas de certaines situations. Le trust demeure l’exemple le plus concret. Par conséquent,
« l’assimilation du trust à une catégorie du for (est) variable selon les circonstances de chaque
espèce » et conduit à « une déformation (de l’institution) en même temps que la catégorie du

1477
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 103.
1478
Ibid.
1479
Ibid.
1480
Ibid., § 101.
1481
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 297.

479
for » 1482 . En aucun cas, la déformation des catégories de rattachement du for ne résout
explicitement le problème, puisque l’interprétation du trust demeure variable et donc
hétérogène.
1072. Le déplacement du problème de qualification au stade de l’application de
la règle. D’autre part, la déformation des catégories de rattachement ne constitue pas une
véritable solution. Elle consiste à permettre l’intégration d’institutions étrangères donc
inconnues du droit français. Si parfois, la démarche est légitime dans des cas pour lesquels
l’institution étrangère mérite d’être justement interprétée au regard des catégories de
rattachement du droit français, tel n’est pas toujours le cas. L’exemple traditionnellement
invoqué est celui des unions polygamiques. Grâce à l’élargissement des catégories de
rattachement internes, le mariage polygamique a pu être intégré à la catégorie propre au
mariage. Cependant, comme l’a affirmé le Professeur Bertrand Ancel, « le choix de
l’élargissement de la catégorie a son coût et (…) les incompatibilités qu’il dépasse au départ
de la démarche conflictuelle, au stade de la qualification, ne se dissolvent pas d’elles-mêmes
mais, au contraire, se retrouvent à l’arrivée, au stade de la mise en œuvre du droit matériel
désigné » 1483 . De cette façon, le mariage polygamique est classé parmi les catégories de
rattachement de l’ordre juridique du for, mais sera écarté par la suite par le jeu de l’ordre
public international. De cette manière, le problème est déplacé, mais n’est pas résolu1484.
1073. Une méthode de qualification insuffisante. Finalement, la qualification lege
fori n’est pas parfaitement adaptable face aux institutions inconnues du droit du for. Elle peut
soulever des difficultés auxquelles elle ne parviendra jamais à remédier parce que ses
conceptions sont par essence incompatibles avec certaines institutions. Or, cette difficulté peut
conduire à une certaine hétérogénéité d’interprétation des règles de conflit, ce qui n’est pas
souhaitable dans un système de droit des conflits de lois garant d’une égalité de traitement des
sujets de droit. De plus, si la qualification lege fori semblait se concilier parfaitement avec les
règles de conflit supranationales, il ne s’agissait que d’une apparence.

2) Une qualification incompatible avec les règles de conflit supranationales


1074. Si la qualification lege fori ne constitue pas un obstacle à l’interprétation des
règles de conflit supranationales sous l’égide d’une qualification commune, elle est en

1482
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 105.
1483
B. Ancel, « La qualification », op. cit., § 46.
1484
Ibid.

480
revanche inconciliable avec celle-ci en l’absence d’interprétation commune. Or, en pratique,
de nombreux textes internationaux ne déterminent pas les qualifications relatives à leurs corps
et invitent alors à utiliser la qualification lege fori. Cette conséquence est malencontreuse
puisque la règle de conflit, objet d’un accord international, ne peut être interprétée
conformément aux conceptions du for (a). Pourtant cette carence peut être comblée par le
recours à une autorité judiciaire telle que la CJUE. Néanmoins, il s’avère qu’en pratique ces
règles de conflit supranationales ne font pas l’objet d’une interprétation uniforme. Est alors
laissée la place à la qualification lege fori (b).

a) Le recours subsidiaire à la qualification lege fori malgré des qualifications communes


1075. Le retour de la qualification lege fori à défaut de qualifications communes.
La qualification lege fori ne constitue pas un obstacle à l’interprétation des règles de conflit
supranationales notamment dans la mesure où certains textes internationaux prévoient eux-
mêmes des qualifications communes au sein de leur instrument 1485 . Cependant, « les
conventions internationales récentes s’efforcent, malheureusement trop rarement, de donner
1486
elles-mêmes les qualifications essentielles » de leurs textes . Par conséquent, si,
véritablement il s’agit d’une méthode louable, elle n’est que peu mise en œuvre en pratique.
Or, si les textes internationaux ne prévoient pas eux-mêmes leurs propres qualifications, il
revient alors à l’ordre juridique saisi d’interpréter ces règles de conflit supranationales1487.
Logiquement, le juge saisi ne devrait pas qualifier uniquement selon ses propres conceptions,
mais conformément aux conceptions de l’organisation internationale qui a mis en place le
texte supranational. Ainsi, tout règlement européen doit être interprété conformément à
l’esprit de l’Union européenne. Cependant, il est incontestable que, dans la mesure où
l’interprétation est laissée à l’appréciation des juges nationaux, elle pourra être divergente
d’un Etat à l’autre, malgré la nécessaire conformité avec les conceptions de l’Union
européenne. De plus, la tâche sera nécessairement plus difficile dans la mesure où le droit de
l’Union « est loin d’avoir investi tout le champ du droit privé par des règles
substantielles »1488. Par conséquent, « en l’absence d’un droit substantiel européen dans un

1485
Cf. supra § 1055 et s.
1486
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 269.
1487
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 11 avr. 2018, n°16-24.653, D. actualité, 4 mai 2018, note F. Mélin ; Dalloz
2018, p. 1934, note L. d’Avout ; dans lequel la Cour précise le champ d’application de la Convention de
Lugano : « une action visant à déterminer le propriétaire d’un immeuble situé en France est une action réelle
immobilière au sens de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007, même s’il y a éventuellement lieu
d’apprécier la fictivité de la société qui se présente de qualité de propriétaire ».
1488
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 269.

481
domaine donné, il n’est pas possible de prendre appui sur un tel droit pour construire une
qualification européenne utile aux conflits de lois »1489. Une nouvelle fois, l’homogénéité des
qualifications pourrait être mise à mal. La qualification lege fori s’imposera alors d’elle-
même, mais cette fois-ci conformément au droit national, sans prendre en compte le droit
régional. En effet, celui-ci étant indéterminé ne fait donc pas partie intégrante des conceptions
de l’ordre juridique du for.
1076. Le retour de la qualification lege fori à raison de qualifications lacunaires.
De plus, si certaines conventions internationales ou certains règlements européens prévoient
des qualifications communes, « ces définitions, énumérations et précisions se font cependant
souvent par recours à des termes juridiques, concepts ou catégories, qui ne sont pas définis à
leur tour »1490. De cette manière persiste « le problème du contenu de ces termes et de leurs
rapports avec le droit interne » 1491 . Finalement, les difficultés liées à la qualification
demeurent puisque les qualifications communes retenues n’offrent pas « à l’interpréter
(comme) une véritable référence interne »1492. Toute unification d’interprétation ne peut alors
être espérée.
1077. Le retour à l’hétérogénéité d’interprétation entre ordres juridiques. Une
fois encore, les procédés mis en place par le droit positif sont incomplets et tendront
nécessairement à des divergences d’un système à l’autre et en l’occurrence en termes
d’interprétation de la règle de conflit. La qualification lege fori semblait donc être une
méthode adaptable aux règles de conflit supranationales, mais véritablement favorise les
divergences d’interprétation à l’égard de règles de conflit issues d’une sphère régionale. Ceci
se confirme au regard de l’insuffisance du rôle de la CJUE.

b) Le recours nécessaire à la qualification lege fori à défaut de qualifications autonomes


uniformes
1078. La défaillance de la CJUE dans son rôle d’interprète. Si les textes
internationaux ne font pas état de qualifications communes, les règlements européens ont
l’avantage de pouvoir être interprétés par une Cour spécifique, à savoir la CJUE, et
« l’efficacité du procédé est attestée par une longue série de décisions »1493. Par conséquent, il

1489
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 269.
1490
B. Ancel, « La qualification », op. cit., § 66.
1491
Ibid.
1492
Ibid.
1493
B. Ancel, « La qualification », op. cit., § 69.

482
pourrait être considéré que la Cour de justice pallie les défauts imputables aux règlements
européens. Cependant, cela n’est pas réellement le cas.
1079. Une méthode d’interprétation variable. Premièrement, en l’absence de droit
substantiel européen recouvrant intégralement le champ d’application du droit privé, la
méthode d’interprétation de la Cour est parfois contestable, car elle tient compte de différents
facteurs. En effet, parfois, elle procède « à une analyse empirique fondée, soit sur
l’observation des droits substantiels des Etats membres, soit sur l’utilisation éventuelle du
concept litigieux dans un texte de droit européen matériel, soit encore sur la finalité des textes
qu’elle interprète »1494. Or, en procédant de la sorte, la Cour de justice néglige « les objectifs
du droit international privé » 1495 et risque, à terme, de conduire « à un éclatement des
catégories, une même notion se retrouvant dotée de sens différents selon l’instrument en
cause » 1496 . Ainsi, la manière dont sont interprétés les règlements européens peut être
contestée puisqu’elle ne permet pas nécessairement une interprétation uniforme, c’est-à-dire
conforme à un droit européen, mais plutôt à une interprétation fonction de l’instrument en
cause.
1080. Des divergences d’interprétation subsistantes entre juges nationaux et
européen. Deuxièmement, en recourant à la qualification lege fori devant les juges nationaux,
et à une qualification autonome européenne, des dissensions risquent d’apparaître. « Il est fort
probable que les conflits de catégories ne soient pas tranchés de façon semblable par la Cour
de justice et par les juges nationaux appelés à fixer leur compétence internationale de droit
commun »1497. Il s’agit de l’exemple classique des chaînes translatives de propriété, lesquelles
sont de nature contractuelle pour le juge français et de nature délictuelle pour le juge
européen. Une nouvelle fois, si la qualification lege fori n’empêche pas une interprétation
autonome des règles de conflit supranationales, elle n’est pas si adaptable qu’elle y paraît. En
effet, le double niveau de normes juridiques et d’interprètes va nécessairement conduire à
certaines divergences d’interprétations, lesquelles ne peuvent donc garantir une homogénéité
de qualification, ce qui est regrettable.
1081. Une interprétation autonome lacunaire. Troisièmement, comme pour les
textes internationaux qui prévoient des qualifications communes, les interprétations

1494
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 133.
1495
Ibid.
1496
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 269.
1497
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 134.

483
autonomes de la Cour « pour définir un concept appellent eux-mêmes une interprétation » et
« les juges nationaux sont alors contraints de recourir au sens qu’en donne leur propre cadre
juridique »1498. Par conséquent, la qualification du droit européen peut demeurer lacunaire1499
et finalement être abandonnée aux juges nationaux. Il peut être supposé que les qualifications
varient d’un Etat à l’autre. Tout comme cela sera le cas lorsque la Cour de justice n’aura pas
été saisie d’un recours préjudiciel en interprétation à l’égard d’une de ses règles de conflit.
1082. Une interprétation autonome résiduelle. Dernièrement, si la Cour de justice
interprète de manière autonome, elle ne qualifie que le texte qui lui est soumis. Plus
précisément, « les qualifications qu’elle dégage au regard (d’une convention) ne préjug(ent)
pas de celles qui pourraient l’être au regard d’une autre convention ou d’un droit commun
étatique »1500. Ainsi, les qualifications retenues à l’égard d’une convention ne s’étendent pas à
une autre, notamment entre conflit de lois et conflit de juridictions. Par conséquent, les
interprétations autonomes de la CJUE n’ont pas pour objet de créer des qualifications
européennes et encore moins des catégories de rattachement communes. Or, ceci est
parfaitement regrettable puisque le raisonnement, plus qu’autonome, est véritablement
individualiste. L’homogénéité n’est recherchée qu’à l’égard du texte en tant que tel, mais pas
du droit substantiel européen pris dans sa généralité. Ceci s’explique par le fait que « la Cour
de justice utilise (…) une méthode d’interprétation téléologique en se fondant essentiellement
sur la finalité des textes qu’elle interprète et sur les objectifs du droit communautaire »1501.
1083. De l’échec d’une qualification commune à l’hétérogénéité des
qualifications nationales. Finalement, malgré l’institution d’une Cour spécifique dont la
fonction principale est l’interprétation, aucune qualification européenne n’a su s’insérer en
droit positif. Par conséquent, persiste pour chaque Etat membre la qualification lege fori, qui,
adaptée pour des règles de conflit nationales, ne l’est plus pour des règles de conflit
supranationales dès lors que celles-ci en sont l’objet. La porte aux interprétations divergentes
est ouverte en l’absence d’unification des qualifications à une échelle régionale. De cette
façon, l’homogénéité des qualifications ne sera pas atteinte. Le recours à la qualification lege
fori ne peut donc fonctionner, conformément à une idéologie d’égalité de traitement des sujet

1498
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 140.
1499
Voir en ce sens : CJUE, 15 nov. 2018, aff. C-308/17, D. actualité, 29 nov. 2018, note F. Mélin, dans lequel
la CJUE se penche de nouveau sur la notion de matière civile et commerciale utilisée par le règlement BI bis
dont « la difficulté tenant à (sa) définition (…) est récurrente ».
1500
E. Fohrer-Dedeurwaeder, op. cit., § 145.
1501
T. Azzi, « Bruxelles I, Rome I, Rome II : regard sur la qualification en droit international privé
communautaire », Dalloz 2009, p. 1621, § 22.

484
de droit, que dans un système de règles de conflit nationales. De plus, son emploi est d’autant
plus contestable qu’elle est en vérité exempte de toute neutralité.

B. D’UNE INTERPRETATION ORIENTEE A UNE QUALIFICATION DISPARATE


1084. La méthode de la qualification lege fori, plus que critiquable à l’égard des
défauts qu’elle présente est parfaitement contestable, et ceci pour deux raisons. D’une part, il
s’agit d’une méthode exempte de neutralité dans l’interprétation des règles de conflit (1).
D’autre part, il s’agit d’un procédé contraire à toute égalité de traitement à raison de
l’hétérogénéité qu’il provoque (2).

1) La qualification lege fori : une méthode exempte de neutralité


1085. La qualification lege fori semble présenter certains mérites, mais elle ne peut
en aucun cas garantir une interprétation neutre des règles de conflit de droit positif. D’une
part, il s’agit d’une qualification fonction de l’ordre juridique saisi (a) et d’autre part, d’une
qualification objet d’un résultat matériel (b).

a) Une qualification fonction de l’ordre juridique saisi


1086. Une qualification adaptée aux seules règles de l’ordre juridique saisi. La
qualification lege fori consiste à interpréter la règle de conflit applicable conformément à
l’ordre juridique saisi. C’est pourquoi « la première tendance de nombreux auteurs fut de
demander au droit français toute définition, toute classification d’une institution
juridique »1502. En effet, originellement, le droit des conflits de lois était construit sur la base
de règles de conflit de source nationale. Par conséquent, lorsque le juge français était saisi, il
appliquait conformément au droit positif et à la hiérarchie des normes, les règles de conflit
françaises. De cette façon, il semble tout à fait logique que le juge français interprète ses
propres règles de conflit conformément aux conceptions de son ordre juridique. Cependant,
« l’intervention exclusive de la qualification nationale (…) n’a de raison d’être que pour la
délimitation du sens français de nos règles de rattachement »1503.
1087. Une qualification non transposable aux règles des autres ordres
juridiques. Le recours à la qualification lege fori n’est valable que pour des règles de conflit
de source nationale puisque le juge saisi interprétera ses propres normes juridiques. Or, dans
un système plus étendu spécifique au droit des conflits, les règles de conflit peuvent, et sont

1502
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 256.
1503
Ibid.

485
devenues supranationales. Par conséquent, la qualification lege fori ne peut être employée à
l’égard de ces règles. La seule hypothèse dans laquelle la qualification lege fori pourrait être
admise serait qu’une qualification commune soit créée à l’égard de ces règles de conflit
supranationales, et que celle-ci s’impose aux ordres juridiques en cause. Ainsi, la qualification
commune ferait partie intégrante de l’ordre juridique du for, et le juge saisi pourrait qualifier
lege fori. Cependant, tel n’est pas le cas en pratique1504.
1088. Une qualification vectrice de divergences d’interprétation. En l’absence de
qualifications communes, la qualification lege fori conduit nécessairement à une divergence
d’interprétation selon le juge saisi. La difficulté principale réside dans le fait que chaque juge
va interpréter ces règles de conflit conformément aux conceptions de son ordre juridique et
non conformément aux conceptions de l’ordre juridique supranational, ou plus précisément de
l’organisation internationale, qui a mis en place la règle de conflit supranationale. Ainsi, si la
qualification lege fori semblait adaptée, elle ne l’a été qu’à l’époque des règles de conflit
nationales. Aujourd’hui, elle invite à interpréter en fonction de l’ordre juridique saisi, et non
pas en fonction de l’objectif poursuivi par la règle de conflit. Par conséquent, elle ne garantit
pas une interprétation neutre des règles de conflit, mais plutôt fonction de l’ordre juridique
saisi. De plus, elle traduit généralement l’expression d’une politique législative.

b) Une qualification objet d’une politique législative nationale


1089. L’expression d’un résultat à atteindre. Qualifier lege fori peut conduire à
interpréter les règles de conflit de deux manières différentes. Francescakis considérait qu’elle
peut être « une opération relativement concrète, c’est-à-dire comme une opération
contemplant directement des institutions, mais ne visant que la sauvegarde de la cohésion de
celles-ci »1505, mais elle peut également être « une opération absolument concrète menée pour
conduire à un résultat en soi désirable »1506.
1090. Une méthode susceptible de mettre en échec la neutralité de la règle.
Réellement, la qualification lege fori peut permettre au juge saisi de mettre en œuvre sa
propre politique législative c’est-à-dire que le résultat matériel recherché pourra avoir une

1504
Cf. supra § 1075 et s.
1505
Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, op. cit., § 23.
1506
Ibid.

486
influence sur la qualification1507. Effectivement, « la référence au droit interne du for » peut
permettre de « vérifier si un conflit de qualifications révèle ou non un véritable conflit
d’intérêts » 1508 . Ainsi, « lorsque l’ordre du for n’a qu’un intérêt mineur à imposer sa
conception, le respect des liaisons systématiques de la loi effectivement applicable au rapport
litigieux peut être préféré à la poursuite du droit interne du for »1509. Par conséquent, cela
signifie que la méthode de la qualification lege fori constitue un outil aux mains du juge lui
permettant d’atteindre le résultat qu’il souhaite. Or, un tel procédé est nécessairement exempt
de toute neutralité. Ainsi, si la règle de conflit peut être effectivement neutre, sa neutralité
peut être remise en cause dès l’étape de la qualification. Or, ceci est contestable dans la
mesure où sans neutralité, aucune égalité de traitement ne peut être assurée.

2) La qualification lege fori : un procédé aux antipodes d’une égalité de traitement


1091. La qualification lege fori, constituant une méthode susceptible de mettre en
échec la neutralité de la règle de conflit, ne peut garantir une égalité de traitement des sujets
de droit. Par conséquent, elle conduit à une fragmentation juridique (a) et invite à la fraude à
la loi (b).

a) Une qualification instigatrice de fragmentation juridique


1092. Inévitablement le manque de neutralité dans l’interprétation des règles de
conflit conduit à une fragmentation de l’interprétation. D’une part, si l’interprétation est
fonction de l’ordre juridique saisi, cela signifie que d’un Etat à l’autre, à propos de la même
règle de conflit, la qualification pourra diverger. D’autre part, si l’interprétation est influencée
par un résultat matériel, cela signifie qu’une règle de conflit pourra recevoir une qualification
différente d’une période à une autre, par un même ordre juridique, selon la politique
législative du moment. Par conséquent, il serait préférable de commencer à envisager une
méthode plus neutre que la qualification lege fori afin de favoriser une uniformisation de
l’interprétation des règles de conflit. Sans cela, aucune égalité de traitement des sujets de droit
ne pourra être assurée. Cette position doit être soutenue d’autant plus que la qualification lege
fori invite les sujets de droit à la fraude.

1507
A. Papaux, P. II, T. 4, Ch. 2, S. 2, S-S. 2, § 1, C. « De l’influence du résultat matériel sur la qualification »,
in Essai philosophique sur la qualification juridique : de la subsomption à l’abduction, Thèse, Lausanne, 2002,
LGDJ, 2003, spéc. p. 463.
1508
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 208.
1509
Ibid.

487
b) Une qualification incitatrice à la fraude à la loi
1093. Dans la mesure où la qualification lege fori conduit parfois à des situations
dans lesquelles une règle de conflit peut être interprétée différemment d’un ordre juridique à
un autre, elle invite les justiciables à la fraude à la loi. En effet, « un rattachement unique (est)
prédéterminé pour chaque catégorie » et « du choix de celle-ci dépend inéluctablement le
droit applicable ». Cependant, « lorsqu’il y a hésitation sur la catégorie, un juge dispose (…)
d’une certaine latitude pour orienter le résultat vers la solution qui lui paraît la plus juste ».
Ces affirmations amènent à considérer que dans toutes les hypothèses où la qualification lege
fori peut, selon le cas d’espèce, conduire à des interprétations très variables pour une même
règle de conflit, selon le juge saisi, alors une porte est laissée ouverte à la fraude à la loi.
Effectivement, si une règle de conflit est interprétée différemment d’un ordre juridique à
l’autre, alors le justiciable saisira le juge dont la qualification conduit à l’application de la
règle de conflit qui lui est la plus favorable. Finalement, l’hétérogénéité d’interprétation
engendrée par la qualification lege fori en tant que méthode est accentuée par la possibilité
qu’elle laisse au justiciable de l’étendre encore davantage. C’est pourquoi il serait préférable
de recourir à une qualification autonome, seule capable de garantir une égalité de traitement
des sujets de droit.

§ 2 – LE RECOURS ENVISAGEABLE A UNE QUALIFICATION


INTERNATIONALE COROLLAIRE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1094. Afin de défendre l’égalité de traitement des situations internationales au stade


de la qualification des règles de conflit, il convient nécessairement de rechercher à quel
procédé il serait préférable de recourir, notamment en analysant les caractères qui lui seraient
indispensables, ainsi que la méthode qui a pu ou peut être proposée (A). Cependant, au regard
de cette analyse tant théorique que pratique, la réalisation d’une qualification garante de
l’égalité de traitement ne peut passer que par une qualification de droit international privé (B).

A. LES CARACTERES PREALABLES A UNE QUALIFICATION GARANTE D’EGALITE


1095. Pour combattre les lacunes de la qualification lege fori à l’égard de l’égalité de
traitement, il faut appréhender différemment la méthode d’interprétation des règles de conflit.
En effet, celle-ci doit présenter des caractères préalables que sont l’autonomie et l’universalité
(1). Une fois ces caractéristiques admises, la méthode doit également faire l’objet d’une
construction, laquelle passera inévitablement par l’élaboration d’une communauté de droit
issue d’une approche comparative des différentes institutions existantes (2).

488
1) D’une qualification autonome à une qualification universelle
1096. Pour mettre un terme à l’inégalité de traitement qui est engendrée par le
système de droit positif au regard de la qualification des règles de conflit, il faut que la
méthode retenue présente deux caractères indispensables. D’une part, l’interprétation doit
nécessairement être autonome (a), et d’autre part, doit inéluctablement être universelle (b).

a) Une qualification nécessairement autonome


1097. Une qualification neutre préalable à toute égalité de traitement. Pour
construire une méthode de qualification en capacité d’assurer l’égalité de traitement des sujets
de droit, celle-ci doit être neutre. Afin d’atteindre ce résultat, il convient d’établir une
procédure d’interprétation parfaitement indépendante des conceptions de l’ordre juridique
saisi. En effet, l’ordre juridique du for, en qualifiant selon ses propres conceptions, ne pourra
jamais interpréter les règles de conflit de façon neutre.
1098. Une qualification corollairement autonome. Une méthode de qualification
neutre suppose alors que cette dernière soit autonome, c’est-à-dire détachée des conceptions
de l’ordre juridique saisi. Véritablement, il s’agit de la thèse soutenue par Rabel, lequel
considérait que « le juge ne devrait pas être prisonnier de la qualification par référence à une
loi déterminée, mais devrait dégager, (…), des concepts autonomes différents des concepts
internes »1510. Il s’agit donc de « s’affranchir de tout système national dans la définition des
catégories »1511. En effet, en opérant une qualification autonome, c’est-à-dire indépendante
des conceptions nationales, il s’agirait de procéder à une qualification internationale1512. Par
ce biais, aucune dénaturation ne serait plus susceptible d’arriver puisque l’interprétation ne
serait plus fonction d’un ordre juridique précis, mais serait autonome. Il conviendrait donc de
« dégager des notions suffisamment générales, en réalité suffisamment neutre, par rapport à
un droit interne donné, pour qu’elles puissent s’adapter à tous les droits positifs, en intégrant
les rapports les plus variés élaborés en vertu d’institutions étrangères »1513. La qualification
autonome constitue donc le préalable à la mise en œuvre d’une interprétation neutre laquelle

1510
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 265.
1511
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 269.
1512
Voir en ce sens : L. Meriggi, « Les qualifications en droit international privé », RCDIP 1933, p. 201,
exposant que : « La qualification du phénomène à régler doit donc être déterminée, non d’après la lex fori, non
d’après la loi étrangère, mais d’après les conceptions de la règle de conflit, c’est-à-dire d’après le droit
international ».
1513
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 203.

489
est indispensable à assurer une égalité de traitement. Par conséquent, si la qualification doit
être autonome, elle sera indubitablement universelle.

b) Une qualification inéluctablement universelle


1099. Une qualification universelle. Afin de mettre en place une méthode de
qualification autonome, il faut « façonner des catégories juridiques abstraites dans lesquelles
toutes les institutions de tous les droits nationaux viendraient s’inscrire sans hésitation »1514.
Les concepts seraient donc autonomes, mais devraient être « dotés d’une portée
universelle »1515. C’est ce que préconisait effectivement Rabel, lequel considérait que « les
concepts utilisés dans les règles de rattachement doivent (…) avoir une signification
autonome qui tient compte des besoins propres de la vie internationale »1516. Par conséquent,
il préconise une interprétation autonome des règles de conflit, laquelle serait purement
internationale, c’est-à-dire universelle au sens qu’elle pourrait accueillir toute institution et
ceci abstraction faite des conceptions internes de l’ordre juridique saisi.
1100. Une qualification simultanément neutre et égalitaire. La thèse préconisée
par Rabel s’inscrit parfaitement dans un esprit universaliste lequel est le plus favorable à une
égalité de traitement du sujet de droit. En effet, si d’une part l’interprétation est neutre, et
d’autre part universelle, alors chaque sujet de droit sera traité de manière identique. C’est
pourquoi ces deux caractères sont indispensables en vue de l’élaboration d’un régime de droit
des conflits de lois favorable à une égalité de traitement. Cependant, encore faut-il que cela
soit possible à mettre en œuvre.

2) Une qualification réalisable par le biais d’une communauté de droit issue d’une
étude comparative
1101. Pour garantir l’égalité de traitement durant le processus de qualification
juridique de la situation internationale, il convient avant tout de faire dépendre cette méthode
de l’édification d’une communauté de droit internationale (a). De plus, pour y parvenir, il faut
nécessairement recourir à une approche comparative des institutions positives (b).

a) Une qualification basée sur l’édification d’une communauté de droit internationale


1102. Une qualification issue d’une communauté de droit. Mettre en place une
qualification autonome suppose de créer une qualification universelle c’est-à-dire

1514
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 269.
1515
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 265.
1516
G. Van Hecke, « Universalisme et particularisme des règles de conflit au XXème siècle », op. cit., p. 939 et
s.

490
internationale à laquelle se rattacherait une communauté de droit. Or, il n’existe, en droit
positif, aucune communauté de droit universelle1517. En effet, seules quelques communautés
régionales existent, et principalement la communauté européenne. Par conséquent, il pourrait
au moins être espéré une qualification européenne. Cependant, dans la mesure où
l’universalité de la qualification ne peut, tout comme le système applicable au droit des
conflits de lois en tant que tel, émaner d’une communauté de droit1518, il faudrait plutôt que le
système et son régime tendent à la création de cette communauté. Par conséquent, il faut
trouver une méthode qui construise une communauté de droit internationale, à laquelle chaque
Etat pourrait s’identifier. Il conviendra, comme le préconisait Rabel, « d’élaborer et
d’interpréter les règles de rattachement dans un esprit international »1519.
1103. La création nécessaire d’une communauté de droit internationale. Le
préalable à une interprétation universelle serait alors la création d’une communauté de droit
internationale dont le but serait de satisfaire la justice du droit des conflits de lois et
notamment les intérêts des particuliers impliqués dans un litige international. Il s’agirait donc
de « délimiter l’empire des lois en conflit dans l’espace » conformément aux intérêts privés, et
indéniablement dans une perspective d’égalité de traitement 1520 . C’est pourquoi afin de
parvenir à un tel résultat, il a été préconisé de recourir à la méthode comparative.

b) Une qualification construite au regard d’une approche comparative des institutions


1104. L’instauration d’une communauté de droit par l’intermédiaire d’une
approche comparative. Francescakis estimait vraie l’affirmation de Rabel, selon laquelle « la
règle de conflit ne se rapporte pas à un phénomène de la lex fori, avec lequel ceux du droit
étranger seraient à comparer, mais au contraire directement à ce qu’il y a de commun dans
tous ces phénomènes » 1521 . Effectivement, Rabel préconisait un « système séduisant (…)
selon lequel les catégories du droit international privé devraient être exclusivement formées
sur l’observation du droit comparé, et constituer une synthèse des différentes législations,
indépendant du droit du for et ayant une valeur universelle » 1522 . La création d’une
qualification autonome et universelle reposerait donc sur l’instauration d’une communauté de

1517
Cf. supra § 738.
1518
Cf. supra § 739 et s.
1519
G. Van Hecke, « Universalisme et particularisme des règles de conflit au XXème siècle », op. cit., p. 939 et
s.
1520
J.-C. Pommier, op. cit., § 7.
1521
Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, op. cit., § 19,
citant spécialement Rabel, « Le problème de la qualification », RCDIP, 1933, p. 23.
1522
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 297.

491
droit internationale par l’intermédiaire d’une approche comparative des différents
systèmes1523. Ainsi en comparant les conceptions de chaque ordre juridique, il serait possible
d’établir des catégories de rattachement autonomes et universelles1524.
1105. L’assurance d’une parfaite égalité de traitement. La proposition de cette
méthode présente de véritables mérites puisque d’une part, elle permet « de supprimer les
conflits de qualifications dans la mesure (…) où les juges des différents pays dégageraient les
mêmes concepts » 1525 ; et d’autre part, « d’éviter les risques de dénaturation d’institutions
étrangères inconnues du droit du for et qu’il est impossible de couler dans le moule que
constituent les catégories de rattachement de la lex fori »1526. De cette façon, au regard des
mérites que présente cette méthode, l’égalité de traitement serait inévitablement assurée
puisque le système ne serait plus nécrosé par des divergences d’interprétation. Cependant,
bien que la thèse de Rabel s’inscrive parfaitement dans une idéologie d’égalité de traitement,
elle a bien souvent été considérée comme utopique.

B. D’UNE QUALIFICATION AUTONOME A UNE QUALIFICATION DE DROIT


INTERNATIONAL PRIVE

1106. Malgré le caractère attrayant dont fait état la doctrine de Rabel, celle-ci est
impraticable. En effet, la recherche d’une qualification autonome et universelle paraît
expérimentalement utopique. Elle se cantonne en droit positif à l’échelle régionale (1).
Néanmoins, une autre analyse pourrait être proposée consistant à recourir à une qualification
de droit international privé sous l’égide d’une règle de conflit universelle des liens les plus
étroits (2).

1) Une qualification autonome et universelle expérimentalement utopique


1107. En théorie, la qualification autonome et universelle s’inscrit parfaitement dans
une conception de traitement égalitaire du sujet de droit. Cependant, elle s’avère impraticable.
D’une part, il n’est pas possible de recourir à une qualification universelle en l’état actuel des

1523
Voir en ce sens : E. Rabel, « Le problème de qualification », RCDIP 1933, p. 1, lequel affirmait que :
« Libérons les droits de conflit des liens de la lex fori, et ils s’ajusteront l’un à l’autre grâce à la comparaison des
droits. Ils le feront plus sûrement et plus rapidement, en tous cas sur une plus large échelle que ne peuvent le
faire les traités entre Etats, dont les difficultés dans les dernières années ont trop souvent rendu vains les efforts
les plus louables ».
1524
Ibid., lequel ajoutait : « en ce qui concerne (…) le droit international privé désirable, de l’avenir, il ne devra
pas être une législation déterminée où l’on devra puiser la définition des notions employées par la règle de
conflit, mais il faudra au contraire former des notions spéciales qui ne sont identiques ni avec les notions du droit
interne du juge saisi, ni avec les notions d’un droit interne quelconque ».
1525
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 265.
1526
Ibid.

492
relations internationales (a). D’autre part, il n’a pu être établi des qualifications autonomes par
le simple recours à la méthode comparative (b).

a) L’impossible qualification universelle en l’état des relations internationales actuelles


1108. L’échec d’une communauté de droit internationale en droit positif. Si la
thèse de Rabel est très séduisante en ce qu’elle garantit neutralité d’interprétation et égalité de
traitement des sujets de droit, elle n’est pourtant pas viable. En effet, en l’état actuel des
relations internationales, il n’est pas possible de mettre en place une interprétation universelle.
« L’absence de communauté juridique entre les lois en conflit oblige précisément à renoncer à
construire la règle de conflit sur la base d’un fonds commun d’institutions »1527. Une nouvelle
fois, comme a pu être critiquée l’idée de « communauté de droit » développée par Savigny1528,
il n’existe pas en tant que telle une communauté internationale unifiée dans laquelle se
développe un système de conflit de lois commun. Or, son absence empêche l’institution d’une
qualification universelle. Les différences culturelles, politiques, historiques et identitaires de
chaque Etat empêcheront nécessairement de classer de manière parfaitement similaire chaque
institution dans une catégorie de rattachement. C’est pourquoi Batiffol a pu affirmer qu’« il
s’agit de respecter le fait que, les relations privées internationales n’étant pas soumises à un
droit substantiel propre, mais à un droit interne qu’il faut choisir pour le faire fonctionner
simultanément avec d’autres, le problème est la coordination des droits internes » 1529 . Il
préconise donc une coordination des différents systèmes pour parvenir à la recherche d’une
« société internationale », « en l’absence de société constituée »1530.
1109. Des communautés de droit cantonnées à l’échelle régionale. En pratique,
certaines communautés sont tout de même apparues, notamment la communauté européenne
laquelle a réussi à coordonner les différents droits nationaux de ses Etats membres. Par
conséquent, « dans le cadre de l’uniformisation du droit international privé au sein de l’Union
européenne, (…) les textes formulent en général aujourd’hui des définitions uniformes ou
délimitent expressément l’objet des dispositions communes (…) afin d’assurer l’homogénéité
de leur application d’un Etat membre à l’autre »1531. Il faut espérer que ce mouvement perdure
voire se développe davantage. Cependant, tant qu’un effort d’unification ne sera pas effectué

1527
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 203.
1528
Cf. supra § 735 et s.
1529
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 17.
1530
Ph. Francescakis, « Droit naturel et droit international privé », in Mélanges offerts à Jacques Maury, op. cit.,
§ 12, évoquant H. Batiffol.
1531
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 269.

493
en vue d’élaborer un système de conflit universel, aucune interprétation commune ne peut
véritablement être espérée.
1110. L’absence de qualification universelle en l’absence de communauté.
Finalement aucune qualification universelle ne peut apparaître en l’absence de communauté
internationale au sein de laquelle un effort d’élaboration de catégories de rattachement
communes serait effectué à l’égard d’un système de règles de conflit commun. Il apparaît que
d’un Etat à l’autre, les institutions peuvent être véritablement différentes, surtout lorsqu’elles
se rapportent à des règles de conflit de lois nationales. C’est pourquoi si le recours à la
méthode comparative est subtil, il n’est pas pour autant suffisant.

b) L’insuffisance de la méthode comparative à l’établissement de qualifications


autonomes
1111. Une méthode limitée en l’absence de système de conflits de lois commun.
Dans l’optique d’élaborer une qualification autonome, il est effectivement possible de recourir
à la méthode comparative. Cependant, si cette méthode peut permettre dans l’ensemble
d’élaborer des catégories de rattachements autonomes, elle n’est réellement pas satisfaisante.
Comme l’affirmait Batiffol, « on peut esquisser des catégories en fonction du droit comparé
qui tiennent compte de la variété des institutions, mais si une même institution est conçue
différemment dans deux systèmes, de sorte que la solution de conflit soit différente, il paraît
difficile de choisir sans une conception internationale du droit civil qui n’existe pas »1532.
Effectivement, en l’absence d’un système commun de conflit de lois, il semble difficile de
décider quelle conception devra primer sur l’autre. C’est pourquoi la méthode comparative ne
permettra jamais la construction absolue de qualifications communes.
De surcroît, « à supposer que les tribunaux disposent de semblables éléments, l’étude
comparative des différentes législations ne leur permettrait que rarement de ramener sans
subjectivisme, voire sans arbitraire, les concepts à un dénominateur commun puisque, par
définition, c’est lorsqu’il existe des qualifications divergentes que le conflit de qualifications
se pose »1533. Par conséquent, une nouvelle fois, en l’absence de communauté juridique de
droit international privé, le juge, même en recourant à la méthode comparative, pourrait être
conduit à manquer d’impartialité dans son interprétation.

1532
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 17.
1533
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 265.

494
1112. Une méthode impraticable en l’absence d’ordre judiciaire commun. En
droit positif, la méthode comparative n’a jamais pu garantir une interprétation autonome
puisqu’il n’existe pas un organe judiciaire commun aux Etats composant la société
internationale. Néanmoins, il existe tout de même la CJUE, laquelle peut assurer une
qualification autonome. Cependant, celle-ci n’émane pas nécessairement d’une approche
comparative du droit de ses Etats membres 1534 . Par conséquent, l’étude comparative des
institutions de droit interne est un outil dont peut faire usage le juge, mais en aucun cas la
méthode ultime qu’il doit utiliser.
1113. Une méthode utopique en pratique. En outre, il apparaît que la méthode
proposée par Rabel, bien que séduisante, soit difficile à mettre en pratique et notamment au
regard de l’absence de communauté de droit internationale 1535 . Néanmoins, il est possible
d’espérer une qualification uniforme dans un système de droit commun éventuel.

2) La proposition d’une qualification de droit international privé spécifique à une


méthode conflictuelle unique
1114. Dans la mesure où la théorie de Rabel est impraticable, il pourrait être proposé
un système particulier dans lequel serait garantie l’égalité de traitement au stade de la
qualification. En recourant à une construction juridique dans laquelle le conflit de lois serait
uniquement résolu par le rattachement aux liens les plus étroits, le problème de qualification
serait, a priori, supprimé (a). Néanmoins, la classification de la situation internationale
s’avérera tout de même indispensable. Pour autant, elle pourrait faire l’objet d’une
qualification de droit international privé (b).

a) La suppression du problème de qualification par recours au rattachement des liens les


plus étroits
1115. Le recours à un système unifié autour de la loi des liens les plus étroits.
Batiffol considérait que « si on veut bâtir un droit international privé indépendant de tout droit
privé interne, on aura un ensemble de règles abstraites qui ne s’inspireront d’aucune

1534
Cf. supra § 1078.
1535
Pour aller plus loin, voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd.,
2017, T. I, § 398, à propos de la méthode proposée par Rabel : « Sa proposition, qui postule la possibilité de
dégager des notions suffisamment générales ou neutres par rapport à un droit déterminé pour qu’elles puissent
s’adapter à tous les droits internes en intégrant les rapports les plus variés, est généralement jugée utopique en
raison de l’irréductibilité de différences affectant les conceptions nationales. Ou, plus précisément, le recours à
une conception commune universellement acceptable est de nature à engendrer en aval des « irritants
juridiques » conduisant à des problèmes d’adaptation dans la mise en œuvre concrète de la loi ainsi désignée « de
haut ».

495
conception humaine déterminée ; il s’agirait de règles combinatoires, indifférentes au contenu
des systèmes à combiner »1536. En partant de ce constat, il faut approfondir le raisonnement en
considérant qu’il faut effectivement élaborer un système indépendant des conceptions de
droits internes pour parvenir à une unification totale des Etats de la société internationale. En
effet, pour créer une communauté de droit internationale, les règles qui la composent ne
doivent pas mettre en cause des considérations politiques, historiques, culturelles, etc. C’est
pourquoi il convient de reprendre l’idée selon laquelle le système de droit des conflits de lois
doit être composé par une unique règle de conflit qui est la loi des liens les plus étroits1537. Par
conséquent, pour chaque espèce, sera recherchée la loi qui présente les liens les plus étroits
avec la situation et ceci quelle que soit l’institution en jeu.
1116. La mise en place d’une communauté de droit internationale. En adoptant
une pareille construction juridique, il peut exister une communauté de droit internationale
dont la structure et le régime seraient unifiés. Effectivement, l’adoption d’une unique règle de
rattachement, n’impliquant pas de « conceptions humaines » pour reprendre les termes de
Batiffol, aura pour effet d’inviter chaque Etat à s’y soumettre sans concession de sa part, mais
conduira surtout à supprimer le conflit de qualifications.
1117. La suppression du problème de qualification par recours à une règle de
conflit unique. Si une seule règle de conflit s’applique intégralement à tout litige, cela
signifie que le juge n’aura plus à interpréter la règle de conflit pour déterminer dans quelle
catégorie de rattachement, il doit ranger l’institution en cause. Par conséquent, les catégories
de rattachement seraient en quelque sorte supprimées pour ne laisser subsister qu’une seule et
unique règle de rattachement universellement applicable à toute situation d’espèce. De cette
manière, tout sujet de droit serait traité de manière identique puisque lui serait appliqué
toujours la même règle de conflit, laquelle ne serait susceptible d’aucun conflit de
qualification puisque le problème serait supprimé. De même toute dénaturation de la règle de
conflit serait évincée. Néanmoins, le problème serait indirectement déplacé au regard de la
détermination des points de contact.

1536
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 17.
1537
Cf. supra § 985, 986 et 987.

496
b) La classification de la situation juridique grâce à une qualification de droit
international privé
1118. La réapparition du problème de qualification par le classement en
catégories de rattachement. En supposant qu’une communauté de droit internationale puisse
s’établir autour d’un système commun lequel serait uniquement régi par la loi des liens les
plus étroits, il conviendra tout de même d’encadrer cette règle de conflit. En effet, il a pu être
considéré que chaque litige sera soumis à la loi des liens les plus étroits, mais que pour
chaque catégorie de rattachement, sera établie une liste de points de contact permettant au
juge de déterminer quelle loi présente les liens les plus étroits avec la situation litigieuse. De
cette manière, le problème de qualification se posera toujours puisqu’il conviendra de
déterminer dans quelle catégorie de rattachement il faut classer l’espèce en jeu.
1119. La mise en place de grandes catégories de rattachement par le biais d’une
étude comparative. Pour établir un système commun sur lequel chaque Etat pourrait se
fonder, il semble pertinent de reprendre la doctrine de Rabel selon laquelle, par le biais d’une
méthode comparative, il serait possible de dégager des catégories de rattachement
autonomes1538. En effet, aujourd’hui, les grandes catégories de rattachement font l’objet d’une
réception commune par n’importe quel Etat. Il ne serait donc pas impossible d’élaborer des
catégories de rattachement communes lesquelles seraient suffisamment extensives pour
accueillir toute institution. De plus, chaque catégorie de rattachement serait composée de
points de contact, lesquels pourraient alors être déterminés aussi par une approche
comparative. Ceci permettrait davantage de prendre en compte les différentes conceptions de
chaque Etat, puisque tout rattachement pourrait être pris en compte dans la détermination de
la loi des liens les plus étroits. Ainsi, et à titre d’exemple, existeraient comme catégories de
rattachement, le statut personnel, le statut réel ou encore les successions et les régimes
matrimoniaux. En effet, par le biais d’une approche comparative, il semblerait que ces
catégories de rattachement se dégagent nettement sur la scène internationale.
1120. La qualification doublement encadrée par le curseur des liens les plus
étroits. Le véritable problème demeurera pour le juge de classer l’institution en cause dans
une des catégories de rattachement. Des divergences d’interprétation pourraient

1538
Voir en sens : Y. Loussouarn, « Le rôle de la méthode comparative en droit international privé français », op.
cit., p. 307, affirmant que : « sur le plan général le recours à la méthode comparative apparaît comme un
préalable à tout rapprochement des règles de conflit, car son utilisation permet seule de déceler les fausses
uniformités qu’un examen superficiel est impuissant à révéler ».

497
inévitablement subsister, même si demeurera toujours applicable la loi qui présente les liens
les plus étroits. Pour atténuer ces différences de qualification, il conviendrait pour le juge saisi
d’interpréter conformément non plus aux conceptions du for, mais aux conceptions de la
communauté internationale de laquelle il fait partie. Or, la justice du droit des conflits de lois
consiste à déterminer le champ d’application dans l’espace des lois en conflit, dont le curseur
est celui des liens les plus étroits. Ainsi, le raisonnement pourrait être double. D’une part, le
juge saisi devrait déterminer avec quelle catégorie de rattachement, la situation présente les
liens les plus étroits. Par exemple, si la situation internationale relève un problème juridique
en référence avec la liquidation des biens d’une personne défunte, il est évident que ce
problème présente un lien étroit avec la catégorie des successions. D’autre part, une fois la
catégorie de rattachement attribuée, le juge devrait déterminer quelle loi présente les liens les
plus étroits avec la situation d’espèce, conformément aux points de contact retenus par la
catégorie de rattachement choisie. Par exemple, en matière de successions, les points de
rattachements retenus pourraient inévitablement être le lieu de situations des biens, la
nationalité du défunt ainsi que son lieu de dernière résidence habituelle. En tout état de cause,
il peut être espéré que tout arbitraire du juge soit exclu puisqu’il interprétera les règles de
conflit conformément aux conceptions du droit des conflits de lois. De surcroît, un traitement
équivalent sera assuré aux sujets de droit, puisque chacun verra sa situation analysée de
manière identique et soumise à la loi des liens les plus étroits.
1121. Le recours absolu à une qualification internationale par respect de
l’égalité de traitement. Finalement, les méthodes classiques utilisées pour interpréter les
règles de conflit ne sont pas actuellement capables de garantir parfaitement une égalité de
traitement. C’est pourquoi il faut espérer que le droit des conflits de lois se dote d’une
nouvelle méthode et ne se cantonne plus à ces procédés d’interprétation classiques. Pour
adapter son régime à un objectif d’égalité, il faudra nécessairement envisager l’interprétation
des règles de conflit sous une optique internationale dont la ligne de conduite sera neutre et
consistera, conformément à la justice conflictuelle, à traiter chaque sujet de droit de manière
équivalente, quelle que soit la situation juridique à laquelle il prend part. En outre, une fois
l’étape de la qualification résolue c’est-à-dire lorsque la situation internationale a été
identifiée, elle doit être appréhendée au regard des différentes sources de droit auxquelles elle
peut être soumise. C’est pourquoi le stade suivant celui de la qualification consiste à
déterminer, conformément à la catégorie de rattachement retenue, quelle règle de conflit sera
applicable à l’espèce soumise.

498
SECTION 2 : LA DETERMINATION LACUNAIRE ET ALEATOIRE DE LA REGLE DE
DROIT APPLICABLE

1122. L’établissement de la règle applicable. Postérieurement à l’étape de


qualification, il convient de déterminer, selon la catégorie de rattachement retenue, quel texte
est potentiellement applicable. Pour cela, il convient d’opérer une recherche coordonnée entre
les règles de conflit émanant des différents systèmes puis de déterminer l’applicabilité du
texte sélectionné au regard de conditions strictement encadrées et limitées. En empruntant une
telle démarche, celle relative à la détermination de la règle applicable devrait être identique,
quel que soit l’observateur de la situation internationale (sous-section 1).
1123. L’exception des lois de police. Cependant, il se peut que ce traitement
classique auquel se soumet la situation internationale soit déjoué par le jeu des lois de police.
En effet, ce contournement s’avère parfois nécessaire afin d’assurer la complémentarité des
règles applicables en droit des conflits de lois. Néanmoins, pour maintenir l’égalité de
traitement dans l’appréhension de la situation internationale, le recours aux lois de police doit
indéniablement être uniforme et ne concerner que des dispositions de source nationale (sous-
section 2).

SOUS-SECTION 1 : L’ENCADREMENT STRICT ET COORDONNE DE


L’APPLICABILITE EXIGE PAR L’EGALITE DE TRAITEMENT

1124. Le traitement classique de toute situation internationale suppose d’abord de


qualifier la situation juridique c’est-à-dire de déterminer dans quelle catégorie de rattachement
elle peut être rangée. Ensuite, après cette identification, il faut déterminer quel texte a
vocation à s’appliquer à cette situation. Pour cela, il faut d’une part rechercher la règle de
conflit potentiellement applicable parmi les ordres juridiques en cause. Néanmoins, afin que
ce traitement demeure harmonisé, il faut préférer une coordination juridique des systèmes à la
traditionnelle hiérarchie des normes (§ 1). Puis, d’une part, une fois le texte potentiellement
applicable déterminé, il faut vérifier son applicabilité. Or, pour que cette analyse des
conditions d’applicabilité préserve l’égalité de traitement des sujets de droit, il faut
nécessairement que ces conditions soient strictement encadrées et limitées à leur champ
d’application respectif (§ 2).

499
§ 1 – DE LA HIERARCHIE DES NORMES A LA COORDINATION JURIDIQUE DES
SYSTEMES

1125. Postérieurement à la qualification de la situation internationale c’est-à-dire au


classement de celle-ci dans une catégorie de rattachement, il convient de déterminer quelle
règle de conflit est potentiellement applicable au cas d’espèce. Pour rechercher quelle règle de
conflit va primer sur les autres, il convient de les appréhender au prisme de la hiérarchie des
normes (A). Or, dans la mesure où celle-ci est d’essence nationale, elle favorise une certaine
incohérence juridique qu’il convient d’évincer au profit d’un droit organisé et coordonné entre
les différents systèmes (B).

A. LA REGLE APPLICABLE DIVERSEMENT APPREHENDEE AU PRISME DE LA


HIERARCHIE DES NORMES

1126. Afin d’établir dans chaque cas d’espèce quelle règle de droit est applicable, le
juriste doit préalablement déterminer quel texte sera potentiellement applicable en vertu des
normes admises par l’ordre juridique saisi. Pour cela, il convient de rechercher quelle norme
juridique est applicable conformément à la traditionnelle hiérarchie des normes. Néanmoins,
l’approche employée peut diverger en fonction du système constitutionnel concerné (1). Cette
dissension s’explique par le fait que la hiérarchisation des règles supranationales est
appréhendée par une conception nationale laquelle conduit, en réalité, à un traitement
inadapté à la multiplicité des ordres juridiques existants (2).

1) La recherche du texte applicable fonction du système constitutionnel retenu


1127. Chaque situation internationale est régie par une règle de droit. Afin de
déterminer le texte applicable à chaque situation d’espèce, il convient de se référer à la
hiérarchie des normes, laquelle peut être appréhendée de deux manières différentes (a). Cette
double perception de la hiérarchie des normes, facteur d’insécurité juridique, est justifiée par
la divergence de conceptions des systèmes constitutionnels (b).

a) Une recherche subordonnée à une double appréhension de la hiérarchie des normes


1128. La hiérarchie des normes en droit français. Traditionnellement, pour
déterminer de quelle manière une situation internationale est régie, il convient de vérifier quel
texte est applicable en vertu de la hiérarchie des normes. En droit positif français, il est
considéré que la Constitution française de 1958 se situe au sommet de la hiérarchie des

500
normes, puis que lui succèdent les engagements internationaux 1539 , et enfin les normes
internes 1540 . Par conséquent, la Constitution prime sur les normes internationales, mais en
vertu des articles 55 et 88-1 de la Constitution, les normes internationales ainsi que le droit
européen priment sur les normes nationales notamment législatives.
1129. La hiérarchie des normes en droit européen. Néanmoins, il est considéré au
regard de l’Union européenne que ce n’est pas la constitution des Etats qui domine la
hiérarchie des normes, mais bien le droit primaire européen. En effet, depuis l’arrêt Costa
contre Enel de 19641541, la Cour de justice reconnaît la primauté du droit européen sur toutes
les dispositions, y compris celles de nature constitutionnelle.
1130. La double théorisation de la hiérarchie des normes. Par conséquent, au
regard des ordres juridiques nationaux et de l’ordre juridique européen, deux théories relatives
à la hiérarchie des normes s’appliquent lesquelles déplacent en quelque sorte la position
accordée aux dispositions constitutionnelles de chaque Etat. Il apparaît qu’une telle
ambivalence est contraire à la sécurité juridique dans la mesure où la hiérarchie des normes
serait fonction de la conception choisie par le juge saisi. Ceci s’explique par la persistance
d’un débat doctrinal au sein des systèmes constitutionnels.

b) Une perception double résultant de systèmes constitutionnels divergents


1131. Monisme et dualisme. Il existe deux façons d’appréhender la hiérarchie des
normes en droit positif parce que les systèmes constitutionnels font l’objet de deux théories
doctrinales. D’une part, certains systèmes constitutionnels sont qualifiés de monistes comme
le système français parce qu’ils considèrent leur ordre juridique comme un et entier c’est-à-
dire que toute norme internationale ne peut être reconnue et appliquée que parce que la
Constitution française a autorisé l’Etat à signer et ratifier le traité qui la contient. D’autre part,
d’autres systèmes constitutionnels sont considérés comme dualistes c’est-à-dire qu’ils

1539
CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran, n°200286 et 200287, Dalloz 1998, p. 1094, note D. Alland et p. 1081, note
C. Maugüé ; AJDA 1998, p. 962, note F. Raynaud ; RFDA 1999, p. 77, note O. Gohim, p. 67, note B. Mathieu et
p. 57, note L. Dubouis ; RTD civ. 1999, p. 232, note N. Molfessis ; Dalloz 2000, p. 152, note E. Aubin ; AJDA
2014, p. 114, note P. Fombeur ; et Cass., Ass. pl., 2 juin 2000, Fraisse, n°99-60.274, Dalloz 2000, p. 865, note
B. Mathieu ; RTD civ. 2000, p. 672, note R. Libchaber ; Dalloz 2001, p. 1636, note B. Beigner.
1540
CE, 20 oct. 1989, Nicolo, n°108243, RFDA 1990, p. 267, note D. Ruzié ; RCDIP 1990, p. 125, note P.
Frydman et p. 139, note P. Lagarde ; RTD com. 1990, p. 193, note C. Debbasch ; Dalloz 1990, p. 57, note R.
Kovar et p. 135, note P. Sabourin ; AJDA 2014, p. 100, note M. Long ; et Cass., Ch. mixte, 24 mars 1975,
Jacques Vabre, n°73-13.556, Lebon, T. 917 ; Dalloz 1975, p. 496, concl. Touffait ; AJDA 1975, p. 567, note N.
Boulouis ; JDI 1975, p. 802, note D. Ruzié ; RCDIP 1976, p. 347, note J. Foyer et D. Holleaux ; Dalloz 1979, p.
620, note Castgnède.
1541
CJCE, 15 juill. 1964, Costa contre Enel, Aff. 6-64, Rec. 1964, p. 1141 et s. ; Rev. UE 2015, p. 554, étude Y.
Petit, p. 562, étude S. Van Raepenbusch, p. 570, étude A. Vauchez, et p. 649, étude J.-D. Mouton.

501
distinguent deux ordres à savoir l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international.
Selon ces derniers, le droit international vit et peut être invoqué grâce aux seuls actes de
transposition que les Etats adoptent. Par conséquent, le monisme fait primer la Constitution au
contraire du dualisme qui projette au premier rang les normes internationales. « La différence
ultime entre les systèmes constitutionnels dits monistes et les systèmes constitutionnels dits
dualistes réside dans l’existence ou non d’une procédure spéciale d’« incorporation » des
normes d’origine internationale »1542.
1132. Le cloisonnement des ordres juridiques. Cette différence de philosophie est
critiquable en ce qu’elle pourrait conduire à un résultat divergent selon la position doctrinale
adoptée. Effectivement, « les méthodes et solutions juridiques de type « hiérarchie des
normes » mises en œuvre au niveau national ne sont pas les mêmes que celles éventuellement
mises en œuvre au niveau international ou européen »1543. Fort heureusement, la discipline du
droit international privé ne subit pas de graves conséquences de cette discordance doctrinale
dans la mesure où dans chaque situation, quel que soit le système constitutionnel en cause,
sera recherché en premier lieu si une norme internationale est applicable, puis, à défaut, en
second lieu seront appliquées les normes nationales. Néanmoins, ce manque de cohésion va
nécessairement favoriser une certaine fragmentation juridique, voire un véritable
cloisonnement des ordres juridiques 1544 . Toutefois, l’absence d’unité entre les différents
ordres juridiques s’explique principalement par une vue purement nationaliste des systèmes
juridiques. En effet, le problème est originellement lié au fait que la hiérarchie des normes soit
d’essence nationale.

2) Une hiérarchisation nationale malgré l’existence de règles supranationales


1133. L’ambivalence de traitement des situations internationales en fonction des
théories doctrinales est due à l’apparition dans la société internationale d’une pluralité
d’ordres juridiques (a). Cependant, face à cette utilisation de la hiérarchie des normes à
l’international, classiquement d’essence nationale, aucune hiérarchisation commune n’a su
pénétrer le droit positif laissant demeurer une certaine incohérence juridique (b).

1542
E. Lagrange, Ch. III, I. C. « Les dispositifs constitutionnels d’articulation des rapports entre normes
d’origines différentes », in « L’efficacité des normes internationales concernant la situation des personnes
privées dans les ordres juridiques internes », RCADI, 2012, vol. n°356., spéc. p. 380.
1543
J.-S. Bergé, « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit à
différents niveaux », JDI n°1, janv. 2013, doctr. 1, § 2.
1544
Cf. infra § 1141.

502
a) Une hiérarchie à plusieurs niveaux au regard de la multiplicité d’ordres juridiques
1134. Une dualité doctrinale issue de la pluralité d’ordres juridiques.
L’apparition de cette dualité doctrinale est récente et n’est que la conséquence d’une pluralité
d’ordres juridiques. En effet, avant l’apparition de textes internationaux, et surtout de
l’internationalisation du droit, la question de la hiérarchie des normes soulevait moins de
difficultés. C’est principalement « dans le contexte historique de l’après-guerre (que) s’est
développée, presque sans restriction en Occident, cette certitude que seul le renforcement
d’une société internationale fortement organisée et normativement prééminente à l’égard des
1545
Etats (…) pourrait préserver le monde » . C’est en raison de ce phénomène
d’internationalisation que sont apparus de nouveaux ordres juridiques. Il n’est plus question
de la simple coordination d’ordres juridiques nationaux. Désormais, la société internationale
est composée de plusieurs niveaux que sont les ordres juridiques nationaux, régionaux et
internationaux. Par conséquent, « pour une même situation, un même cas, plusieurs droits,
définis dans un contexte national, international et européen, peuvent ainsi être successivement
mobilisés à différents niveaux, de sorte que ce n’est pas une construction hiérarchique, mais
plusieurs, que le juriste doit apprendre à manier »1546.
1135. Une hiérarchie nationale inadaptable à l’international. Or, une hiérarchie
des normes d’essence nationale ne semble pas pouvoir s’adapter aux problèmes plus que
nationaux. En effet, « tout le problème réside dans l’organisation de nivaux spatiaux qui
diffèrent par leurs méthodes et leurs auteurs, mais qui produisent des normes et des règles qui
sont appelées à cohabiter dans la mesure où elles ont un objet commun : le sujet de droit
privé, dans sa vie, ses activités et son patrimoine » 1547 . Pourtant, malgré un manque de
cohérence certain, la hiérarchie des normes a été étendue à l’international. Néanmoins, ce
n’est que la conséquence de l’absence de hiérarchie des normes commune.

b) Une hiérarchie étendue à l’international en l’absence de hiérarchie commune


1136. L’absence de hiérarchie internationale. Véritablement, la hiérarchie des
normes d’essence nationale n’a pas permis l’élaboration d’une hiérarchie des normes

1545
E. Picard, « Droit international : rapports avec le droit interne », Rép. cont. adm. Dalloz, 2008, § 28.
1546
J.-S. Bergé, « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit à
différents niveaux », op. cit., § 2.
1547
S. Lecuyer, op. cit., § 62.

503
commune pouvant s’inscrire dans un contexte international 1548 . Ceci s’explique dans la
mesure où « un rapport de primauté existe entre la sphère interne et la sphère de droit
(européen) » et dans la mesure où « un rapport de hiérarchie est, à l’opposé, difficilement
perceptible entre la sphère internationale et une sphère régionale (européenne) qui a
initialement pris appui sur l’ordre international pour mieux ensuite s’en départir »1549. Ainsi,
la primauté du droit interne et l’absence de hiérarchie entre les niveaux supranationaux a
conduit à partir de la hiérarchie des normes classiquement reconnue en droit interne pour
l’étendre aux normes internationales selon des conceptions différentes 1550 . Or, il serait
préférable d’établir une hiérarchie, ou du moins une coordination commune des règles.
1137. La place éventuellement laissée à l’aléa de solutions. Aujourd’hui, « la
variété des situations juridiques mondiales fait qu’aucune lettre – moniste, dualiste ou même
pluraliste – des rapports de systèmes ne s’impose définitivement sur les autres » 1551 . Par
conséquent, « selon le contexte dans lequel ces situations évoluent, selon le résultat recherché
par le juriste, l’approche peut basculer d’un état à l’autre »1552. Cela signifie qu’en l’absence
de hiérarchie commune, il peut être laissé place à l’incohérence juridique c’est-à-dire aux
aléas des solutions et à la fragmentation des décisions1553.

1548
Par ex. Cass., Civ. 1ère, 30 avr. 2014, n°13-11.932, RTD eur. 2015, p. 348-18, note P. Dalmazir ; Dalloz
2015, p. 1056, note H. Gaudemet-Tallon ; dans lequel la Cour a dû se prononcer sur la primauté d’application de
textes internationaux : « la Convention de La Haye, du 4 mai 1971, sur la loi applicable en matière d’accidents
de la circulation routière n’ayant pas été conclue exclusivement entre des Etats membres de l’UE, mais
également entre des Etats tiers, cette Convention n’entre pas dans les prévisions de l’art. 28§2 du règlement
Rome II, de sorte que les règles de conflit de lois posées par ce règlement ne prévalent pas sur celles issue de
cette Convention, à laquelle la France est partie ».
1549
S. Lecuyer, op. cit., § 62.
1550
Voir en ce sens : L. Gannagé, « Le droit international privé à l’épreuve de la hiérarchie des normes
(l’exemple du droit de la famille) », RCDIP 2001, p. 1 : « pour des raisons liées à l’histoire du droit international
privé, la solution de ces conflits s’est longtemps opérée loin des exigences de la pyramide des normes. La
hiérarchie des méthodes de réglementation a été conçue, en effet, par les internationalistes en contemplation de
règles de droit émanant le plus souvent d’une source unique législative ou jurisprudentielle ».
1551
J.-S. Bergé, « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit à
différents niveaux », op. cit., § 4.
1552
Ibid.
1553
Voir en ce sens : L. Gannagé, « Le droit international privé à l’épreuve de la hiérarchie des normes
(l’exemple du droit de la famille) », op. cit., p. 1 : « Si la multiplication des sources du droit international privé
accroît la fréquence du recours à la hiérarchie des normes, la réception de celle-ci dans le domaine des conflits
de lois ne se produit pas toujours sans heurts ni frictions. D’une part, en effet, l’objet même de la matière,
certains des intérêts qu’elle prend en charge, en particulier ceux de l’ordre interne et de l’ordre international, sont
également appréhendés par la pyramide des normes qui risque d’en proposer une organisation différente. D’autre
part, l’origine doctrinale et jurisprudentielle des solutions du conflit de lois a conduit à imposer une certaine
lecture du pluralisme des méthodes de réglementation qui pourrait se trouver déformée par l’agencement rigide
des règles de droit international privé qui résulte de la hiérarchie des normes ».

504
B. LA PREFERENCE ACCORDEE A UNE COORDINATION DES SYSTEMES
1138. Si l’étape préalable au traitement d’une situation internationale consiste à
respecter la hiérarchie des normes, il est considéré que celle-ci s’applique conformément à
une idéologie nationaliste. Or, le recours à une hiérarchisation plutôt nationale du droit
international conduit inévitablement à une potentielle fragmentation juridique (1). C’est
pourquoi il serait préférable de l’évincer pour préférer un droit organisé et coordonné au sein
de la société internationale. Il s’agit du prérequis nécessaire à toute égalité de traitement (2).

1) Une hiérarchisation nationale facteur de fragmentation juridique


1139. Envisager le droit international privé sous l’angle d’une hiérarchisation
nationale conduit à promouvoir la fragmentation juridique, puisque cette façon de procéder
invite à privilégier le souverainisme à l’instar de l’internationalisme (a) et favorise
l’incohérence entre les différents niveaux d’ordres juridiques (b).

a) La primauté accordée au souverainisme face à l’internationalisme


1140. Une hiérarchisation contraire à un esprit internationaliste. Le problème de
la hiérarchisation du droit, pris dans sa globalité, est qu’il s’agit d’une « opération pensée au
niveau national et de manière fragmentée, c’est-à-dire ordre juridique par ordre
juridique »1554. Or, il est parfaitement regrettable de constater que la hiérarchisation du droit
international privé soit pensée à une échelle nationale. Il s’agit là d’un contresens. En effet,
aujourd’hui, la société internationale est composée des ordres juridiques internes, mais
« l’Etat peut être concurrencé par des ordres juridiques distincts de lui, qui ne sont pas des
ordres juridiques étatiques » 1555 . La difficulté qui demeure est de rendre efficients ces
nouveaux ordres juridiques, notamment l’ordre juridique européen, dans un contexte
international dans lequel la hiérarchisation du droit est déterminée par une conception
nationale. Cette philosophie conduit nécessairement à endiguer une certaine idéologie
souverainiste, parfaitement contraire à l’esprit même du droit international privé, et plus
exactement du droit des conflits de lois.
1141. Une hiérarchisation propice au maintien du nationalisme. La transposition
d’une hiérarchisation nationale à l’international ne s’inscrit pas dans une logique
institutionnelle qui suppose le rassemblement des Etats dans une organisation internationale,

1554
J.-S. Bergé, « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit à
différents niveaux », op. cit., § 1.
1555
J.-M. Jacquet, op. cit., spéc. p. 1.

505
mais favorise, au contraire, une logique relationnelle qui « tend à pérenniser la primauté de la
souveraineté de l’Etat »1556. Par conséquent, cette hiérarchisation conduit à promouvoir une
juxtaposition des souverainetés au lieu d’une véritable coordination des ordres juridiques. Il
est fortement regrettable que la hiérarchisation demeure nationale, car elle favorise une vision
nationale du droit international privé. Cependant, une telle approche de la discipline se situe
aux antipodes d’un traitement égalitaire des sujets de droit placés dans une situation
internationale équivalente. Plus le droit international privé et notamment le droit des conflits
de lois est traité sous l’égide de l’universalité, plus il tend à l’égalité de traitement. Or, en
adoptant une philosophie marquée par le souverainisme, la hiérarchisation du droit
international privé conduit à une certaine incohérence entre les différents niveaux d’ordres
juridiques.

b) L’incohérence favorisée entre les différents niveaux d’ordres juridiques


1142. La seconde difficulté engendrée par une hiérarchisation essentiellement
nationale du droit international privé consiste en une certaine incohérence entre les différents
niveaux d’ordres juridiques. Selon la doctrine choisie, le niveau des ordres juridiques est
susceptible de mouvance. Par conséquent, « l’interpénétration des niveaux spatiaux normatifs
de droit international privé progresse sans qu’un véritable rapport de cohérence ne s’en
dégage » 1557 . Or, « la hiérarchisation du droit ne doit pas être appréhendée seulement de
manière cloisonnée, système par système, niveau par niveau » 1558 . Effectivement, le
cloisonnement des systèmes aboutit indéniablement à une incohérence entre les différents
ordres juridiques. Cela est parfaitement regrettable dans la mesure où une telle appréhension
du droit ne garantit pas la sécurité juridique et peut inviter à un traitement différencié selon
l’ordre juridique en cause. C’est pourquoi il faut « réfléchir sur les rapports entre les différents

1556
R.-J. Dupuy, « Communauté internationale », Rép. intern. Dalloz, 1998, § 11.
1557
S. Lecuyer, op. cit., § 62.
1558
J.-S. Bergé, « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit à
différents niveaux », op. cit., § 2.

506
niveaux spatiaux normatifs »1559 afin de procéder à une hiérarchisation globale seule capable
de garantir un traitement uniforme à tout sujet de droit dans un contexte international1560.

2) La recherche d’une organisation juridique commune vectrice d’égalité


1143. Pour permettre un traitement uniformisé des situations internationales, il
convient de se détacher d’une philosophie nationaliste de la hiérarchie des normes, laquelle ne
s’applique qu’à un seul ordre juridique. C’est pourquoi il pourrait être envisagé de mettre en
place une hiérarchisation commune des normes composant la société internationale.
Néanmoins, cette hiérarchisation paraît quelque peu idéaliste (a). Par conséquent, il serait
préférable de se détacher de l’idéologie propre à la hiérarchisation pour retenir une logique de
systèmes sous l’angle des concepts de primauté et de suprématie (b).

a) L’idéale mise en place d’une hiérarchie des normes commune


1144. Une hiérarchie des normes internationales par mesure d’égalité.
Actuellement, la difficulté réside dans la double application qu’il peut être fait de la hiérarchie
des normes dans le contexte international. Or, comme l’a affirmé le Professeur Bergé, « dans
la perspective plus large d’une application potentiellement mondiale du droit, la
1561
hiérarchisation du droit doit également être considérée à d’autres niveaux » .
Effectivement, la hiérarchisation du droit, au regard du droit international privé, suppose de
prendre en compte les différents ordres juridiques existants c’est-à-dire les systèmes
internationaux, régionaux et internes. Ainsi, afin de garantir une hiérarchisation du droit à
l’échelle mondiale, dans un souci d’égalité de traitement des sujets de droit, il serait
préférable d’établir une hiérarchie des normes commune, c’est-à-dire internationale dans
laquelle les normes de chaque ordre juridique s’inséreraient. De cette manière, le traitement
des situations internationales serait soumis à une hiérarchie des normes identique et aucune
difficulté ne pourrait alors apparaître quant à la place de la norme au sein de ladite hiérarchie.

1559
S. Lecuyer, op. cit., § 62.
1560
Pour aller plus loin, voir en ce sens : B. Dutoit et F. Majoros, op. cit., p. 565, lesquels exposent notamment
que : « même lorsque les juges connaissent toutes les conventions de nature à s’appliquer à une espèce donnée,
ils devront affronter le piège redoutable de textes souvent mal ajustés les uns par rapports aux autres. De telles
hypothèses sont loin de relever de la chimère puisque, de 1975 à 1979, trente-six arrêts consacrés à la solution de
conflits de conventions ont été recensés dans six pays européens seulement (Belgique, France, Italie, Pays-Bas,
République fédérale d’Allemagne, Suisse). Dans ces conditions, la nécessité d’élaborer une théorie générale des
conflits de conventions en droit privé apparaît de plus en plus impérieuse ».
1561
J.-S. Bergé, « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit à
différents niveaux », op. cit., § 1.

507
L’équivalence d’application préserverait alors nécessairement l’égalité de traitement des
sujets de droit.
1145. Une hiérarchisation irréalisable. Cependant, si l’universalisme guide la
pensée égalitariste du droit international privé, il ne peut être transposé à tout procédé
juridique, notamment à celui de la hiérarchie des normes. L’idée d’une hiérarchie des normes
commune est louable, mais ne paraît pas véritablement réalisable. De prime abord, il pourrait
simplement être considéré que les normes internationales priment sur les normes régionales
lesquelles priment sur les normes internes. Cependant, la classification ne peut être aussi
simple. D’une part, aucun motif juridique ne permet de faire prévaloir les normes
internationales sur des normes régionales. En effet, une norme régionale, parce que relevant
de la sphère des normes supranationales, peut avoir autant de légitimité qu’une norme
internationale pour être appliquée en premier lieu. D’autre part, une telle hiérarchisation est
limitée dans la mesure où elle prend en compte les normes émanant de véritables ordres
juridiques issus d’organisations internationales mais ne prend pas en compte les nouveaux
ordres juridiques externes tels que la lex mercatoria ou encore la lex sportiva1562. Ces deux
raisons principales conduisent à revenir au point de départ issu de la traditionnelle hiérarchie
des normes consistant à considérer que les normes supranationales priment sur les normes
nationales dans leur globalité ou non selon le système constitutionnel retenu. Par conséquent,
une hiérarchisation commune est irréalisable dans la mesure où existe une multiplicité
d’ordres juridiques qui se juxtaposent les uns avec les autres. La hiérarchie des normes est un
procédé qui s’applique à un seul ordre juridique et qui ne peut être transposé à la coordination
de plusieurs ordres juridiques. C’est pourquoi il pourrait être préférable d’appréhender les
situations internationales sans recours à une hiérarchisation.

b) La préférence pour une logique de systèmes fondée sur le principe de primauté


1146. De la hiérarchie des normes à une approche de systèmes. Pour mettre un
terme au problème issu de la hiérarchisation, le Professeur Bonnet a proposé de ne plus
« penser les rapports entre les ordres juridiques à travers le prisme de la hiérarchie des
normes » mais de « changer de paradigme et de privilégier une approche par rapports de
systèmes »1563.

1562
J.-M. Jacquet, op. cit., spéc. p. 2.
1563
G. Le Floch, « Repenser les rapports entre les ordres juridiques », JDI n°1, janv. 2014, biblio. 2, spéc. p. 2.

508
1147. Une logique de systèmes fondés sur la distinction entre primauté et
suprématie. Pour se détacher de la logique issue de la hiérarchie des normes, il propose
d’opérer une distinction entre primauté et suprématie. D’une part, la primauté renvoie à « la
supériorité de ce qui est premier » et la suprématie « à l’autorité, à ce qui est le plus au-
dessus ». Il explique alors que « la primauté ne peut être plurielle et induit nécessairement un
rapport hiérarchique et de subordination »1564. C’est pourquoi il affirme que « la primauté doit
être reconnue au droit de l’Union européenne et la suprématie aux constitutions nationales ».
Comme l’a affirmé le Professeur Le Floch, « cette construction présente l’intérêt de garantir la
primauté du droit de l’Union européenne en faisant sauter le verrou constitutionnel en
préservant la suprématie de la constitution » 1565 . Effectivement, cette proposition est
pertinente parce qu’elle met fin au débat doctrinal entre le monisme et le dualisme. Par
conséquent, le traitement des sujets de droit pourrait être parfaitement uniforme et chaque
ordre juridique respecté.
1148. Une coordination des systèmes réalisable. Ainsi, dans la mesure où toute
hiérarchisation semble irréalisable à une échelle mondiale, cette logique de rapports entre
systèmes pourrait être une solution parfaitement envisageable. Il ne s’agit plus de hiérarchiser
en tant que tels les ordres juridiques, mais plutôt de les coordonner entre eux. La démarche
consiste plutôt à faire primer la norme qui est supérieure sans pour autant remettre en cause
l’autorité de chaque ordre juridique.
1149. Une coordination protectrice de l’égalité de traitement. De cette manière,
les traditionnels débats relatifs à la hiérarchie des normes seraient clos et par conséquent,
aucune divergence d’application ne pourrait avoir lieu. De plus, il serait simplement considéré
que les normes supranationales priment sur les normes nationales, lesquelles demeurent
suprêmes au sein de leur Etat. L’enjeu est donc double. D’une part, l’égalité de traitement des
sujets de droit placés dans une situation internationale équivalente serait respectée par
l’absence de discordance entre chaque système. D’autre part, la suprématie de chaque ordre
juridique interne serait préservée et maintenue face à l’apparition d’ordres juridiques
supranationaux étrangers. En outre, si l’appréhension des situations internationales doit
consister indéniablement à déterminer de prime abord si un texte supranational est

1564
G. Le Floch, op. cit., spéc. p. 2
1565
Ibid.

509
potentiellement applicable, à raison de la primauté des normes supranationales, il convient
ensuite de vérifier ses conditions d’applicabilité.

§ 2 – LE RESSERREMENT DES CONDITIONS D’APPLICABILITE AUTOUR DU PRISME DE


L’EGALITE DE TRAITEMENT

1150. Conformément à la hiérarchie des normes actuellement pratiquée, il convient


de déterminer quel texte international est potentiellement applicable à la situation. Une fois
cette recherche effectuée, il faut vérifier son applicabilité au regard de trois conditions que
sont les conditions matérielle, temporelle et spatiale. Si ces conditions sont remplies, le texte
sera applicable. A contrario, à défaut de texte international applicable, s’appliquera
obligatoirement le droit international privé interne de l’ordre juridique saisi. Ces conditions
d’applicabilité des textes internationaux, à l’exclusion de la condition temporelle qui ne donne
qu’une date d’entrée en vigueur des dispositions, impactent dans leur mise en œuvre le
traitement de chaque situation d’espèce. En effet, l’applicabilité de la condition matérielle
traduit une véritable internationalisation de celle-ci (A). De la même façon, l’applicabilité de
la condition spatiale dans toute situation internationale illustre une volonté d’universalisation
des textes laquelle conduirait à un traitement inégalitaire des sujets de droit (B).

A. VERS UNE INTERNATIONALISATION DE LA CONDITION D’APPLICABILITE


MATERIELLE

1151. Chaque situation internationale peut être potentiellement régie par un texte
international. Néanmoins, afin de le découvrir, il convient de déterminer si la situation
internationale relève du champ d’application matériel du texte international potentiellement
applicable. C’est pourquoi les textes internationaux afin d’assurer l’uniformité d’application
de leurs textes ont encadré strictement leur propre champ d’application matériel (1). En sus,
les textes internationaux grâce à la diversité des domaines matériels qu’ils englobent tendent à
créer une uniformisation du contentieux international (2).

1) Le strict encadrement de la condition matérielle par souci d’application uniforme


1152. Pour déterminer si un texte est applicable au regard de sa condition matérielle,
le juge doit déterminer si la situation juridique qui lui est soumise entre dans le champ
d’application matériel du texte international. C’est pourquoi pour faciliter la tâche du juge, et
favoriser un traitement harmonieux de chaque cas d’espèce, les textes internationaux ont
strictement délimité leur champ d’application matériel (a). En outre, la Cour de justice, grâce
à ses interprétations autonomes, a permis un encadrement encore plus strict de ce champ
d’application (b).

510
a) Un champ d’application strictement délimité par les textes internationaux
1153. Un champ d’application encadré par les textes internationaux. Afin de
déterminer si un texte international a vocation à régir une situation juridique, il convient
d’établir si cette dernière relève de son champ d’application matériel c’est-à-dire si elle fait
partie de la matière visée par le texte international. Fort heureusement, dans un souci de
sécurité juridique, « la plupart des conventions internationales ont (…) pris soin de définir les
matières qu’elles englobent » 1566 . Effectivement, conventions internationales et règlements
européens prennent soin de définir le champ d’application matériel de leur texte en précisant à
quelle matière il s’applique, et quelles sont les matières exclues. Par exemple, le règlement
Rome I1567 prévoit en son article 1er qu’il s’applique « aux obligations contractuelles relevant
de la matière civile et commerciale » et que sont exclus « l’état et la capacité juridique des
personnes physiques, etc ».
1154. L’assurance d’une application uniforme. Grâce à cette stricte délimitation du
champ d’application matériel du texte, la tâche du juge est plus simple puisqu’il n’a qu’à
déterminer pour chaque situation juridique si celle-ci relève de ce champ d’application
matériel strictement encadré. Il s’agit d’un véritable atout puisque la précision des textes
quant à leur champ d’application matériel conduit nécessairement à traiter uniformément tout
sujet de droit. De plus, ceci ne peut être que confirmé par les définitions autonomes qui sont
faites à l’égard de ce champ d’application matériel.

b) Un champ d’application spécialement défini de manière autonome


1155. Un champ d’application défini par la CJUE. Pour accompagner cette
délimitation textuelle stricte, il arrive également, notamment à l’égard de règlements
européens, que la Cour de justice ait pris l’initiative de donner une définition autonome aux
matières visées par certains textes. Par exemple, à l’égard de la Convention de Bruxelles1568,
la Cour de justice, dans l’arrêt Martin Peters 1569, a considéré que la matière contractuelle

1566
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 54.
1567
Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, Rome I.
1568
Convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire à l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale.
1569
CJCE, 22 mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82, Rec. p. 987, concl. Mancini ; RCDIP 1983, p. 663, note H.
Gaudemet-Tallon ; JDI 1983, p. 834, obs. A. Huet.

511
devait faire l’objet d’une définition autonome, puis dans l’arrêt Jacob Handte1570, a considéré
qu’« il n’y a pas d’hypothèses contractuelles s’il n’existe aucun engagement librement assumé
d’une partie envers une autre ». Par conséquent, la Cour a rigoureusement défini ce qu’il
fallait entendre par « matière contractuelle » au sens de la Convention de Bruxelles afin
d’assurer l’uniformité d’application du texte, de la même façon qu’elle a pu y procéder en
matière de conflit de lois1571.
1156. L’assurance d’une interprétation uniforme. Cela signifie que la
détermination du champ d’application matériel des textes internationaux peut faire l’objet
d’une certaine uniformisation. Par conséquent, tout juge adoptera la même attitude lorsqu’il
lui reviendra la tâche de déterminer si la situation litigieuse relève du champ d’application du
texte international, il n’aura qu’à se référer à la lettre du texte et à la définition autonome qui
en a été faite par la Cour de justice. De plus, ces définitions autonomes s’appliquent
également aux textes qui lui succèdent. Par exemple, la définition autonome de la matière
contractuelle s’applique au règlement Bruxelles I1572, puis Bruxelles I bis1573, successeurs de
la Convention de Bruxelles. Il peut donc être espéré que la tâche du juge au regard de la
vérification de la condition matérielle des textes internationaux tende à une uniformisation du
contentieux international à même de garantir l’égalité de traitement.

2) Vers une uniformisation du contentieux international assurée par la condition


matérielle
1157. Dans la mesure où le champ d’application matériel des textes internationaux
est assurément encadré, il a également été fortement étendu. Les textes internationaux ont
proliféré avec l’intention politique d’englober n’importe quelle situation juridique et ceci,
quel que soit son domaine d’application matériel (a). Si l’effort d’uniformisation est réussi au

1570
CJCE, 17 juin 1992, Jacob Handte, Aff. C-26/91, JCP 1992, II, p. 21927, note C. Larroumet ; JCP E. 1992,
II, p. 363, note P. Jourdain ; RCDIP 1992, p. 726, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD eur. 1992, p. 709, note P. de
Vareilles-Sommières.
1571
Voir en ce sens, CJUE, 20 déc. 2017, Soha Sahyouni c/ Raja Mamisch, aff. C-372/16, D. actualité, 25 janv.
2018, note A. Devers : « l’article 1er du règlement (UE) n°1259/2010 du 20 déc. 2010, mettant en œuvre une
coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, doit être
interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal
religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement ».
1572
Règlement (CE) n°44/2001 du 22 déc. 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles I.
1573
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles
I bis.

512
regard de la condition matérielle des textes internationaux, il demeure toujours limité par le
fléau de l’interprétation (b).

a) La vocation politique des textes internationaux à englober toute situation juridique


1158. La prolifération des textes internationaux en toute matière. Au regard des
sources supranationales, qu’il s’agisse aussi bien des conventions internationales émanant de
la Conférence de La Haye ou des règlements européens issus de l’Union européenne, il
apparaît une véritable volonté d’englober l’intégralité des contentieux internationaux, quel
que soit leur domaine matériel. En effet, de la Conférence de La Haye, ont émané diverses
conventions relatives à différentes matières ou catégories de rattachement. Il peut être évoqué
par exemple, la convention relative à la responsabilité des produits défectueux 1574 , la
convention relative aux régimes matrimoniaux 1575 ou encore la convention relative aux
obligations alimentaires 1576 . De même, de la Communauté européenne, puis de l’Union
européenne, sont apparus différents textes internationaux. Tout d’abord, de nombreuses
conventions internationales ont été élaborées dans les matières les plus traditionnelles comme
la matière civile et commerciale. Puis, avec le passage dans le premier pilier de la coopération
judiciaire en matière civile depuis le Traité d’Amsterdam, une certaine prolifération des
règlements européens en droit international privé s’est fait ressentir et ne cesse de croître. Il
est possible d’évoquer de nombreux règlements lesquels recouvrent quasiment l’intégralité
des catégories de rattachement. Il est possible de citer les plus récents, notamment le
règlement Bruxelles I bis1577 ou encore le règlement successions1578.
1159. Une vocation universelle à englober tout contentieux. Ce net développement
de textes internationaux invite à penser que chaque observateur d’une situation internationale
pourra potentiellement appliquer à l’espèce soumise un texte international puisque quasiment
toute matière fait l’objet d’une législation internationale en droit international privé. Par
conséquent, il serait possible de considérer que l’applicabilité matérielle des textes
internationaux présente une certaine vocation universelle tendant à traiter chaque sujet de

1574
Convention de La Haye du 2 oct. 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits.
1575
Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
1576
Convention de La Haye du 23 nov. 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires.
1577
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles
I bis.
1578
Règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes
authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

513
droit de manière identique. En d’autres termes, au regard de la densité des textes
internationaux actuelle, il semble que presque toute situation juridique pourrait relever d’un
texte international quant à son champ d’application matériel. D’ailleurs, cette démarche se
combine parfaitement avec la mise en place de champs d’application strictement définis,
laquelle tend également à l’uniformisation 1579 . Il s’agit bien, conformément à la volonté
politique des législateurs internationaux, du début de l’universalisation du conflit de lois seul
à même de garantir l’égalité de traitement des sujets de droit. Néanmoins, un bémol subsiste
lorsqu’il est question d’interprétation.

b) Une uniformisation matérielle limitée par le fléau de l’interprétation


1160. Une interprétation supranationale insuffisante. La volonté politique des
organisations internationales à englober toute situation juridique, quel que soit son domaine
d’application matérielle est véritable. Le constat est aussi bien issu de la prolifération des
textes dans une multitude de matières que de l’effort de délimitation qui peut être fait à
l’égard de chaque discipline pour chaque texte. Néanmoins, cette volonté d’application est
limitée par les problèmes que peut soulever le processus de qualification. D’une part, il
n’existe pas une véritable uniformisation des champs d’application matériels des textes en
matière de conflit de lois et de conflit de juridictions1580. D’autre part, en l’absence d’organe
supranational, ou de son intervention, il est laissé libre cours à l’interprétation des juges
nationaux quant à la délimitation du champ d’application matériel1581. Par conséquent, ces
deux facteurs constituent les limites imputables à l’universalité recherchée par la condition
matérielle.
1161. Une uniformisation du droit envisageable sur le plan matériel. Il ne s’agit
donc pas de remettre en question ce procédé des conditions d’applicabilité, mais simplement
de constater qu’au travers de la recherche d’applicabilité de la condition matérielle des textes
internationaux, est bien promue une volonté d’uniformisation des conflits de lois, voire des
conflits de juridictions, même si celle-ci est encore limitée par certains obstacles. En vérité, ce
constat invite à considérer que l’uniformisation est parfaitement envisageable sur le plan
matériel conformément à l’égalité de traitement. Elle l’est en revanche nettement moins sur le
plan spatial.

1579
Cf. supra § 1151 et 1152.
1580
Cf. supra § 1074 et s.
1581
Cf. supra § 1077 et s.

514
B. LA VOCATION EXTENSIVE DE LA CONDITION SPATIALE CONTRAIRE A
L’EGALITE DE TRAITEMENT

1162. Si l’applicabilité de la condition matérielle laisse penser qu’une uniformisation


du droit international privé est envisageable, il faut encore que cette condition se cumule avec
la condition spatiale. En effet, il paraît indispensable, pour appliquer un texte, de vérifier que
la situation internationale présente un rattachement dans l’espace avec le territoire d’un Etat
membre ou partie au texte, et ceci dans un souci de sécurité juridique (1). Or, en pratique ce
champ d’application spatial a fait l’objet d’une véritable extension dans chaque instrument
international dans un objectif d’universalisation du droit. Cependant, cette vocation extensive
du champ d’application spatial tend à évincer toute neutralité du système et à rompre avec
toute égalité de traitement (2).

1) L’indispensable rattachement avec le territoire d’un Etat membre ou partie


1163. Afin de déterminer si un texte international est applicable à une situation
internationale, il convient de vérifier que celle-ci relève de son champ d’application dans
l’espace. La règle est « tantôt d’applicabilité universelle, tantôt elle est assortie de
critères » 1582 . Effectivement, dans un souci de sécurité juridique, en matière de conflit de
juridictions, sera exigé la recherche d’un point de rattachement avec un Etat membre ou partie
(a), tandis qu’en matière de conflit de lois, l’applicabilité des textes sera classiquement
universelle (b).

a) La légitime exigence d’un rattachement en matière de conflit de juridictions


1164. En matière de conflit de juridictions, les textes internationaux, ou plus
exactement les règlements européens, exigent un rattachement avec le territoire d’un Etat
membre pour rendre le texte applicable à la situation juridique. Par exemple, le règlement
Bruxelles I bis1583 n’est applicable qu’à la condition, en vertu de l’article 4, que le domicile du
défendeur se situe sur le territoire d’un Etat membre. Par conséquent, si une telle condition
fait défaut le règlement ne sera pas applicable. Ainsi, pour chaque texte relatif aux conflits de
juridictions, doit être établi un point de rattachement avec le territoire d’un Etat membre ou

1582
J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet et J.-M. Thouvenin, La fragmentation du droit applicable aux
relations internationales : regards croisés d'internationalistes privatistes et publicistes : actes de la journée
d'études organisée le 16 avr. 2010 par le CEDCACE, le CEDIN et le CEJEC, Pedone, 2011, Coll. des Cahiers
internationaux, § 16.
1583
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles
I bis.

515
partie, afin de justifier l’applicabilité du texte. En effet, il paraît indispensable que les textes
internationaux, et notamment les règlements européens, ne puissent être appliqués qu’à la
seule condition qu’il existe un véritable lien avec le territoire d’un Etat membre. A contrario,
appliquer ces textes internationaux à une situation juridique ne présentant aucun lien avec la
situation juridique consisterait indirectement à violer la souveraineté des Etats tiers dans la
mesure où le litige relèverait légitimement de leur ressort. Ainsi, dans un souci de sécurité
juridique, il semble incontestable d’établir un point de rattachement dans l’espace avec un
Etat membre ou partie pour permettre l’application d’un texte international. Or, si cela est le
cas en matière de conflit de juridictions, le conflit de lois a préféré une application universelle.

b) Un champ d’application spatial d’apparence universel en matière de conflit de lois


1165. Des textes d’application universelle. Contrairement aux textes internationaux
relatifs au conflit de juridictions, ceux relatifs aux conflits de lois sont classiquement
d’application universelle. De plus, les textes propres au conflit de lois sont autant
internationaux que régionaux puisque plusieurs émanent de la Conférence de La Haye et
d’autres de l’Union européenne. Or, quelle que soit la source, ces textes sont d’application
universelle.
1166. Des textes conditionnés au conflit de juridictions. Sur le principe, il pourrait
paraître contestable de considérer que ces textes sont d’application universelle dans la mesure
où ils n’auraient pas un titre légitime à s’appliquer dans l’espace. Cependant, considérer qu’un
texte est d’application universelle signifie seulement que toute loi, c’est-à-dire même la loi
d’un Etat tiers, peut être applicable à la situation internationale en cause. Néanmoins, le texte
n’est pas applicable à défaut de rattachement avec le territoire d’un Etat membre ou d’un Etat
partie véritablement. En réalité, cela signifie qu’à partir du moment où le juge d’un Etat
membre ou partie au texte international a été saisi ou peut être compétent, alors ce texte est
applicable, et ceci de manière universelle, c’est-à-dire quelle que soit la loi applicable.
Finalement, un point de rattachement est indéniablement exigé par la saisine d’un organe
judiciaire d’un Etat membre ou partie, dont la compétence sera elle aussi justifiée par un point
de rattachement qui sera exigé par un autre texte international, ou à défaut par le droit
international privé interne. C’est pourquoi conflit de lois et conflit de juridictions sont
indéniablement liés.
En aucun cas, les textes internationaux ne peuvent être appliqués sans qu’il existe au
préalable un point de rattachement avec le territoire d’un Etat membre ou partie et ceci afin de
garantir la sécurité juridique et de préserver la souveraineté de chaque Etat. De plus,

516
l’exigence d’un point de rattachement dans l’espace favorise une application linéaire des
textes et équivalente, quel que soit l’observateur de la situation internationale. Par conséquent,
la mise en œuvre des règles de conflit semble justifiée et conduire au respect des objectifs de
neutralité et d’égalité de traitement puisque l’applicabilité des textes est fonction d’un point
de rattachement précis. Aucun arbitraire ne semble pouvoir entrer en jeu, de la même façon
que les juges paraissent n’appliquer les textes internationaux qu’en présence de ce
rattachement. Néanmoins, il semble, en combinant la tendance à l’universalisation issue de la
condition matérielle, que la condition spatiale invite à étendre de plus en plus le champ
d’application des textes internationaux pour régir des situations tierces.

2) L’accroissement contestable de la condition spatiale à toute situation


internationale
1167. Si le recours à un texte international implique indubitablement de vérifier si la
situation internationale relève de son champ d’application spatial, il apparaît que les textes
actuels ont tendance à englober n’importe quelle situation internationale et ceci, quelle que
soit sa localisation (a). Cependant, cette vocation extensive a conduit à englober des situations
internationales tierces aux États membres ou parties aux textes internationaux. Or, un tel
résultat conduit inévitablement à une inégalité de traitement des sujets de droit en fonction du
juge saisi (b).

a) La vocation extensive de la condition spatiale à englober toute situation internationale


1168. Une vocation universelle des textes extrême. En droit positif, il est possible
de constater que depuis les années 2000 une véritable prolifération de règlements européens
s’est produite avec une fâcheuse tendance à permettre l’application de ces textes quelle que
soit la situation internationale. En effet, les règlements européens sont guidés par ce concept
d’application universelle.
1169. Une application des textes en l’absence de rattachement avec le litige.
D’une part, si un point de rattachement est exigé avec le territoire d’un Etat membre ou partie,
il n’est en aucun cas exigé un lien entre le litige en tant que tel et le territoire d’un Etat
membre ou partie. Véritablement, l’applicabilité des textes est conditionnée par la désignation
de la juridiction saisie. Le règlement Bruxelles I bis1584 n’est applicable que si le domicile du

1584
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles
I bis.

517
défendeur est situé sur le territoire d’un Etat membre c’est-à-dire que l’applicabilité du texte
est conditionnée par la saisine de la juridiction du domicile du défendeur. De la même façon,
les textes internationaux en matière de conflit de lois sont conditionnés par la juridiction
saisie. Cela signifie donc qu’une certaine universalisation des règles est en marche puisque
l’applicabilité dans l’espace des textes ne se cantonne pas à un lien entre le litige et le
territoire d’un Etat membre ou partie.
1170. Une application des textes conditionnée par la politique européenne.
D’autre part, à la lecture des récents règlements européens, il semble que l’Union européenne
cherche à faire des règlements européens l’unique norme applicable. En effet, certains
règlements ont vocation à englober n’importe quel cas d’espèce. Par exemple, le règlement
relatif aux obligations alimentaires 1585 permet nécessairement de saisir le juge d’un Etat
membre puisque le règlement est applicable si le créancier ou le débiteur est domicilié sur le
territoire d’un Etat membre. Par conséquent, le règlement sera applicable, et pourra alors être
appliqué le Protocole de La Haye1586 pour la loi applicable. Il en est de même du règlement
successions1587 qui permet, via un nombre de règles assez dense, la saisine du juge d’un Etat
membre, et qui elle-même justifie l’application des règles conflictuelles relatives à la loi
applicable, qui sont contenus par le même texte.
1171. Une universalisation fonction de l’élitisme européen. Au regard de ces
éléments, il serait donc possible de considérer que l’applicabilité spatiale des textes
internationaux, conformément au mouvement engendré aussi au regard de la condition
matérielle, tende à englober toute situation internationale, quel que soit son lieu de situation
dans l’espace. Ainsi, les textes internationaux auraient vocation à créer une universalisation
des règles conflictuelles du droit international privé pour devenir la norme applicable à
n’importe quelle situation juridique conformément à une idéologie élitiste. Or, si l’idée
semble louable, elle n’est néanmoins pas justifiée et invite, en vérité à une rupture d’égalité.

b) Une extension de la condition spatiale aux situations internationales tierces


1172. Une vocation extra-européenne. Véritablement, sur le plan pratique, la
position adoptée par les récents textes internationaux invite à penser que « puisque seul

1585
Règlement (CE) n°4/2009 du Conseil du 18 déc. 2009 relatif à la compétence, la loi applicable, la
reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.
1586
Protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires du 23 nov. 2007.
1587
Règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes
authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

518
importe le lien d’une situation juridique avec le territoire de (l’Union européenne), toutes les
situations à cheval sur ce territoire et sur l’étranger tombent sous l’empire du droit
(européen) »1588. Effectivement, « le droit (européen) affecte indubitablement des situations
qui ne sont pas simplement intra-(européennes) » mais peut « concerner aussi des situations
« semi-(européennes) », c’est-à-dire qui possèdent un lien de rattachement, à la fois avec
(l’Europe) ou avec un ou des pays tiers » 1589 . Par conséquent, il semble bien que les
règlements européens n’aient pas une vocation uniquement intra-européenne mais bien extra-
européenne. Cependant, cette manière d’appréhender le droit international privé est
contestable à deux niveaux.
1173. Une vocation politique exempte de neutralité. D’une part, il semble que cette
vocation soit essentiellement politique. Il s’agit d’une volonté de l’Union européenne
d’embrasser toute situation internationale afin d’étendre son propre droit au-delà du territoire
qu’elle couvre. En effet, « dans tous les cas, le droit (européen) se préoccupe seulement de
déterminer sa propre applicabilité dans l’espace, sans avoir à se soucier de celles d’autres
ordres juridiques concurrents »1590. Or, il apparaît que cette vision auto-centriste de l’Union
européenne manque de neutralité mais surtout a vocation à restreindre essentiellement le droit
des conflits de lois aux conceptions que l’Union européenne s’en fait. Cependant, il est admis
que le droit des conflits de lois pour être universel doit avant tout être neutre1591.
1174. Une vocation source de fragmentation juridique. D’autre part, cette manière
d’appréhender la discipline implique « un dédoublement potentiel des règles européennes de
droit international privé, selon que la situation de fait internationale présente des éléments de
localisation à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne »1592. Or, ce dédoublement est
« source de fragmentation du droit applicable » et n’est « jamais neutre », puisque « quand le
dédoublement est admis, il n’est pas facile (…) de faire le partage entre les situations de fait
considérées comme appartenant à l’espace interne européen et les situations de fait
externes »1593. Par conséquent, cette manière d’appréhender les situations internationales au

1588
D. Lefranc, op. cit., p. 413.
1589
Ibid., citant M. Fallon, « Libertés communautaires et règles de conflit de lois », in Les conflits de lois et le
système juridique communautaire, sous la direction de H. Muir-Watt, A. Fuchs et E. Pataut, Dalloz, 2004, coll.
Thèmes et commentaires, p. 31, spéc. n° 23, p. 54.
1590
D. Lefranc, op. cit., p. 413.
1591
Cf. supra § 988.
1592
J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet et J.-M. Thouvenin, op. cit., § 17.
1593
Ibid., § 17 et 18.

519
regard de la condition spatiale des règlements européens conduit, par manque de neutralité, à
une véritable fragmentation juridique, source d’inégalité de traitement.
1175. Une vocation source d’inégalité de traitement. Selon le juge saisi c’est-à-
dire intra-européen ou extra-européen, la solution d’un litige impliquant un Etat tiers pourrait
complètement différer dans la mesure où l’appréhension de la situation internationale par les
juridictions de l’Etat tiers pourra être complètement différente. Ainsi, il ne faut pas davantage
s’introduire dans un mouvement d’universalisation des règles de droit international privé
européennes puisqu’elles peuvent conduire à une véritable inégalité de traitement selon le
juge saisi. De plus, il semble peu probable que l’application imposée de règles de droit
international privé dans des situations touchant aux Etats tiers puisse un jour être acceptée par
ces derniers, notamment lorsque des véritables divergences identitaires se font ressentir.
1176. Le retour exigé d’un encadrement strict des conditions d’applicabilité.
Finalement, si la vérification des conditions d’applicabilité des textes internationaux est
indispensable pour juger de leur application, le contenu de ces conditions peut parfois
conduire à une variabilité de traitement des situations juridiques internationales. Dans un
souci d’égalité de traitement, il serait préférable que chaque domaine soit strictement
cantonné et surtout le champ d’application spatial, lequel ne devrait pouvoir permettre
l’application des textes internationaux que lorsqu’il existe un véritable lien entre la situation
juridique internationale et le territoire d’un Etat membre ou partie. Pour autant, il arrive qu’il
ne soit pas nécessaire de rechercher quelle règle conflictuelle est potentiellement applicable
dans la mesure où celle-ci est évincée par l’application d’une loi de police.

SOUS-SECTION 2 : LE CONTOURNEMENT ADMIS DE LA REGLE APPLICABLE PAR


RECOURS UNIFORME AUX LOIS DE POLICE

1177. Par exception à la méthode traditionnelle conflictuelle, il arrive que soit


appliquée une loi de police, laquelle évincera directement l’application de la règle
conflictuelle. Ce mécanisme, admis en droit positif, est indispensable à la discipline du droit
des conflits de lois malgré son identification confuse défavorable à l’égalité de traitement (§
1). Néanmoins, si son recours est légitime, il doit, dans une optique de traitement équivalent
de chaque situation, permettre l’application de toute loi de police nationale, quelle que soit
son origine (§ 2).

520
§ 1 – LE MECANISME INDISPENSABLE DES LOIS DE POLICE AU MEPRIS DE SON
IDENTIFICATION CONFUSE

1178. Le mécanisme des lois de police constitue un mécanisme d’exception dans la


mesure où il a pour effet d’évincer les règles de droit normalement applicables. Cette
impérativité reconnue aux lois de police, qui leur permet une application immédiate, est
toutefois discutable dans un système conflictuel bilatéral (A). Néanmoins, si son recours est
justifiable, son utilisation actuelle est plus contestable dans la mesure où l’identification des
lois de police est relativement lacunaire. Or, ceci a pour conséquence d’entraîner un
traitement aléatoire des situations internationales (B).

A. L’APPLICATION IMMEDIATE DE LOIS DE POLICE A PRIORI DISCUTABLE


1179. Classiquement, les règles applicable en droit des conflits de lois peuvent être
évincées en amont par le mécanisme des lois de police, lequel est doté d’un pouvoir
d’application immédiat à la situation internationale. Cependant, le recours à ce procédé
semble parfaitement incompatible dans un système conflictuel bilatéral puisqu’il s’agit de
normes impératives de source nationale (1). Cependant, il s’avère que son utilisation est
indispensable afin de garantir la mise en place d’un système de droit des conflits de lois
cohérent avec les ordres juridiques internes (2).

1) L’incompatible recours aux normes nationales impératives dans un système


conflictuel
1180. Le mécanisme des lois de police présente une certaine particularité dans la
mesure où il s’agit de dispositions considérées comme impératives et d’application
immédiate. En réalité, ce sont des dispositions impératives parce qu’elles sont l’objet d’une
politique législative nationale. Cependant, confondre impérativité et politique législative
provoque l’éviction de toute neutralité dans le traitement des situations internationales (a). De
plus, conditionner l’impérativité de dispositions législatives à des considérations politiques
mouvantes conduit indéniablement à créer de l’imprévisibilité juridique dans le traitement de
ces mêmes situations (b).

a) L’impérativité critiquable de normes objet d’une politique législative


1181. L’éviction des règles de conflit. Par exception à l’application des règles de
droit, notamment des règles conflictuelles, il arrive qu’une loi de police s’applique
immédiatement et impérativement. En effet, « l’option que le jeu de (la) méthode
(conflictuelle) implique entre la loi du for et la loi étrangère entraîne comme conséquence

521
que, dans certains cas, elle conduit à l’application de la loi étrangère alors pourtant que celle
de la loi du for s’impose pour des raisons impérieuses »1594.
1182. Le caractère impératif des lois de police. Le mécanisme des lois de police
implique l’éviction des règles conflictuelles pour appliquer directement la loi de police d’un
ordre juridique impliqué dans la situation d’espèce et ceci en vertu de
considérations impératives. Ainsi, « l’autorité saisie considère les intérêts défendus par sa loi
trop étroitement impliqués, eu égard aux rattachements de la situation, pour que cette loi
souffre le cas échéant d’être écartée par le jeu normal de la règle de conflit »1595. Il faut donc
bien entendre que « les lois de police sont dictées par des impératifs tels qu’il est
inconcevable que la loi du for ne soit pas appliquée à partir du moment où un rattachement
pertinent existe »1596.
1183. Une impérativité motivée par une politique législative. En d’autres termes,
dès lors que l’un des ordres juridiques en cause considère que le jeu des règles de conflit
pourrait entraver sa politique législative qu’il considère comme impérative, alors il pourra
imposer l’application de sa propre loi de police1597. Par conséquent, les lois de police sont
fonction des intérêts que l’Etat considère comme impératifs. Cela signifie que « la politique
législative constitue une donnée clé dans la définition des lois de police »1598.
1184. Une exception exempte de neutralité. Il s’agit donc d’un mécanisme
d’exception dont la mise en œuvre est parfaitement exempte de neutralité. La fonction même
des lois de police est d’assurer l’effectivité d’une politique législative interne 1599 . Par
conséquent, il est impossible de considérer que cette exception à la traditionnelle méthode
conflictuelle constitue un mécanisme neutre s’inscrivant dans une discipline traitant sur un

1594
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 168.
1595
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 177.
1596
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 168.
1597
Voir en ce sens : G. Sperduti, « Les lois d’application nécessaire en tant que lois d’ordre public », RCDIP
1977, p. 258 : « Bref, les lois d’ordre public ont pour effet de rendre caduque la désignation du droit étranger par
les règles locales de droit international privé », « voici comment cela se produit : puisque la sphère d’application
desdites lois, établie dans son étendue pour des raisons de publica utilitas, interfère dans la sphère affectée à un
droit étranger par le droit international privé local et que, d’autre part, l’application de ces mêmes lois s’impose
dans leur propre sphère d’une manière contraignante, il s’ensuit que la désignation du droit étranger finit, dans la
mesure de cette interférence, par être annulée ».
1598
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., p. 207, § 25.
1599
Voir en sens : P. de Vareilles-Sommières, op. cit., p. 207 : « Aujourd'hui encore mal cerné le rôle de la
politique législative, insensible dans la détermination de l'applicabilité des lois ordinaires de droit privé selon la
démarche savignienne, est au contraire un élément décisif de la caractérisation de la loi de police comme de la
détermination de ses critères d'efficacité dans l'espace ».

522
pied d’égalité loi du for et loi étrangère1600. La préférence est accordée à une loi interne à
raison des considérations impérieuses. Cependant, outre l’absence de neutralité du procédé,
celui-ci conduit à une véritable imprévisibilité dans le traitement des situations juridiques
internationales.

b) L’impérativité contestable de normes fonction de considérations politiques mouvantes


1185. Des normes fonction d’une politique législative évolutive.
Malheureusement, l’application des lois de police étant subordonnée à une politique
législative conduit à une véritable imprévisibilité juridique. En effet, à chaque situation
internationale à laquelle est soumis le juge, celui-ci devra « commencer par se demander si sa
propre loi est une loi de police et si en conséquence elle requiert impérativement d’être
appliquée »1601 et ceci en fonction de la politique législative jugée impérative à un moment
donné 1602 . Par conséquent ce mécanisme soulève plusieurs difficultés en termes de
prévisibilité juridique.
1186. Une exception synonyme d’imprévisibilité juridique. Tout d’abord, comme
l’ont affirmé Batiffol et le Professeur Lagarde, « cette méthode (…) perturbe de toute
évidence le règlement de la situation (internationale) par les chevauchements de règles qu’elle
entraîne »1603. En effet, pour chaque situation, il faudra se demander, quelle règle conflictuelle
s’applique parmi les sources applicables, mais aussi s’interroger sur la possible application
immédiate d’une loi de police. Ensuite, dans la mesure où les lois de police sont fonction
d’une politique législative, elles ne sont pas rattachées à un « critère de portée générale »1604.
Par conséquent, « il est impossible de considérer qu’il existe (…) un bloc homogène des lois
de police », et « tout effort de systématisation est nécessairement voué à l’échec »1605. Cette
absence d’uniformisation des lois de police conduit inévitablement à promouvoir une certaine

1600
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 183 : « Sortant du paradigme
du droit privé et n’étant pas internationalement fongibles, elles ne font pas partie de la communauté de droits et
ne se prêtent pas par conséquent à la méthode de recherche du siège du rapport de droit ».
1601
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 168.
1602
Voir en ce sens : P. Lagarde, « La loi française sur la vente des navires francisés est une loi de police »,
RCDIP 2005, p. 55, dans lequel l’auteur expose, au regard d’un arrêt de la Cour de cassation (Cass., Com., 14
janv. 2004, Dalloz 2005, p. 1992, obs. P. Courbe et H. Chanteloup), que : « L'article 10 de la loi française du 3
janv. 1967, qui prescrit à peine de nullité, pour la forme des actes relatifs à la propriété des navires francisés, la
rédaction d'un écrit comportant les mentions propres à l'identification des parties et du navire, constitue une loi
de police du for au sens de l'article 7-2 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ».
1603
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 254.
1604
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 178.
1605
Ibid.

523
imprévisibilité voire insécurité juridique1606. Enfin, dans la mesure où le juge suit une certaine
politique législative à l’instant où il statue, il est « guidé (…) par des directives très souples
(qui) lui ouvrent un large pouvoir d’appréciation qui comporte nécessairement un risque
d’arbitraire »1607. Ainsi, la mise en œuvre du mécanisme pourrait être aléatoire et fonction du
juge saisi. En d’autres termes, considérer qu’un mécanisme est l’objet d’une politique
législative conduit forcément à perturber toute prévisibilité juridique. De cette manière,
l’égalité de traitement peut être mise à mal, dans la mesure où le déclenchement du
mécanisme est fonction de considérations impérieuses mouvantes et propres à chaque Etat.
Pourtant, le recours au mécanisme des lois de police est tout de même justifiable en droit des
conflits de lois.

2) L’appel impérieux aux normes nationales impératives dans tout système de droit
des conflits de lois
1187. Le recours au mécanisme des lois de police peut paraître surprenant dans un
système de méthode conflictuelle bilatérale puisqu’il est subordonné à des politiques
législatives. Néanmoins, l’utilisation de ces normes est particulière dans la mesure où elles
relèvent d’une méthode indépendante et d’inspiration unilatéraliste laquelle permet alors une
application équivalente chaque fois qu’un ordre juridique impliqué dans le cas d’espèce
applique ses lois de police (a). En outre, si le mécanisme est exempt de neutralité, son recours
se justifie par souci de cohérence au sein de chaque ordre juridique interne et de
complémentarité avec les règles de conflit (b).

a) Une application équivalente subordonnée à l’implication de chaque ordre juridique


1188. L’expression de la méthode unilatéraliste. Le mécanisme des lois de police
semble rompre avec toute idée de neutralité et d’égalité de traitement dans la mesure où il est
l’objet de phénomènes politiques mouvants. Néanmoins, si le procédé en tant que tel présente
le défaut d’être relativement très malléable en fonction d’une époque donnée, il ne remet pas
pour autant en cause la méthode conflictuelle bilatérale classique. Par conséquent, les règles
de conflit sont préservées et leur structure neutre n’est pas remise en cause. En vérité, il
convient de considérer « les lois de police comme l’expression d’une méthode particulière

1606
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 170, qui par la définition qu’elle donne des lois de police fait état de
l’imprévisibilité juridique à laquelle elles conduisent : « une loi de police est une disposition substantielle, que
rien ne distingue le plus souvent des autres dispositions substantielles « ordinaires » ».
1607
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 178.

524
totalement distincte de la méthode conflictuelle classique » 1608 . Effectivement, les lois de
police sont « d’inspiration unilatéraliste » 1609 dans la mesure où « au lieu de partir de la
relation juridique pour déterminer la loi applicable, le juge déclare applicable la disposition
considérée en fonction de ce qu’il estime être son but et sa volonté d’application ». De cette
façon, « la méthode bilatérale est mise à l’écart » 1610 . Il s’agirait donc « d’une catégorie
particulière de normes (…) dont l’application dans l’espace s’effectuerait en fonction de
critères propres prenant leur source dans la considération de la norme elle-même et non dans
les situations concrètes qu’elle est appelée à régir »1611.
1189. Une application équivalente des lois de police de chaque ordre juridique.
En outre, les lois de police constituent une catégorie de normes spécifiques de source interne
et dont le caractère est impératif. Ces normes s’apparentent alors à un élément perturbateur au
règlement du conflit de lois. Or, dans la mesure où celui-ci se traduit sous une inspiration
unilatéraliste, son contenu est fixé par chaque ordre juridique national. Par conséquent,
l’imprévisibilité du mécanisme est quelque peu déjouée puisque dès lors que tel ordre
juridique est impliqué dans une situation internationale, ses lois de police sont appliquées.
Ainsi, si les lois de police ne peuvent constituer une catégorie homogène quant à leur contenu
puisqu’elles sont l’objet de politiques législatives, elles peuvent en revanche être appliquées
de manière équivalente. En d’autres termes, chaque ordre juridique possède ses propres lois
de police, par conséquent, chaque fois qu’il sera impliqué dans un litige international, celles-
ci seront appliquées à l’instar des règles conflictuelles si elles ont vocation à protéger la
politique législative de l’Etat en cause. De cette façon, si la malléabilité du contenu peut
amener à s’interroger sur l’aléa dans la détermination des lois de police, son application peut
demeurer prévisible puisque chaque fois qu’un ordre juridique est concerné seront appliquées
ses lois de police. Cependant, si l’égalité de traitement, au regard de l’application du
mécanisme en tant que tel est préservée, la neutralité reste mise à mal. Celle-ci n’est pas
remise en cause au regard de la méthode conflictuelle bilatérale classique, mais au regard du
recours au mécanisme des lois de police. Or, il est considéré que les procédés de source
unilatéraliste sont difficilement neutres 1612 . Pour autant, il paraît justifié de recourir dans

1608
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 178.
1609
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 177.
1610
Ibid., § 178.
1611
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 168.
1612
Cf. supra § 687 et s.

525
certains cas au mécanisme malgré l’objectif de neutralité poursuivi par la discipline du droit
des conflits de lois.

b) Les intérêts privés complémentairement garantis par les ordres juridiques nationaux
1190. La protection des intérêts privés assurés par les lois de police. Si l’égalité
de traitement des sujets de droit peut être assurée par une application uniforme des lois de
police chaque fois que leur ordre juridique est engagé, il n’en est pas de même à l’égard de
l’objectif de neutralité. Toutefois, il est considéré que les lois de police sont nécessaires parce
qu’elles ont pour objectif « de protéger les intérêts de la collectivité à travers une catégorie de
personnes (les salariés, les locataires, les consommateurs, les emprunteurs, les mineurs en
danger…) ; ou encore d’imposer l’application uniforme de la loi sur le territoire afin d’assurer
la sécurité des transactions tout en épargnant des vérifications aux tiers »1613. Il s’agit donc de
protéger des intérêts défendus par un ordre juridique lesquels ne seraient pas aussi bien
préservés par le droit des conflits de lois1614. Par exemple, « en matière d’état des personnes,
les dispositions tendant à la protection de l’enfance en danger seront le plus souvent
appliquées dans un pays donné indépendamment de la loi applicable à l’autorité parentale ou
la tutelle selon la règle de conflit »1615. En réalité, « au-delà du souci de protection du mineur
(cela traduit) la poursuite d’une certaine politique visant à maintenir le bon ordre dans le
pays » 1616 . Par conséquent, les lois de police seraient nécessaires pour la sauvegarde de
certains intérêts que l’Etat considère comme primordiaux1617.
1191. Le rôle complémentaire des lois de police en droit des conflits de lois. Cette
approche du droit des conflits de lois par le recours aux lois de police semble parfaitement
critiquable dans la mesure où il évince toute idée d’uniformisation des règles et écarte tout
concept de neutralité. Cependant, le mécanisme des lois de police assure un rôle de

1613
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 177.
1614
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 77 : « il convient d’insister sur le fait que les lois de police
constituent une pièce essentielle du règlement des relations privées internationales. En relevant l’existence de «
lois d’une nature positive rigoureusement obligatoire », Savigny avait eu la juste intuition qu’il est des lois dont
l’impérativité est telle qu’elles ne sauraient obéir à la méthode des conflits de lois car celle-ci présuppose une
certaine indifférence au contenu des lois en présence, laquelle fait précisément défaut dans une telle hypothèse ».
1615
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 177.
1616
L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé : étude de droit
international privé de la famille, Thèse, Paris 2, 1998, LGDJ, 2001, § 390.
1617
Voir en ce sens : G. Sperduti, op. cit., p. 258 : « il est naturel que les règles de droit international privé se
conforment aux exigences d’ordre public du système dont elles font partie et que par conséquent, d’une part,
elles n’entrent en fonction que dans les conditions et dans la mesure que permettent les lois locales d’ordre
public et que, d’autre part, elles exercent avec succès leur fonction à l’égard du droit étranger pour autant que les
lois étrangères désignées par elles ne contrastent pas avec les principes fondamentaux dont s’inspire le système
du for dans les réglementations juridiques que lui-même opère ».

526
complément. En vérité, il est nécessaire au bon fonctionnement de la discipline. Les lois de
police sont indispensables pour garantir un traitement cohérent des situations internationales
dans un ordre international en cours d’achèvement 1618 . En effet, « la précarité de l’ordre
international, encore en devenir, permet de comprendre que les ordres juridiques nationaux
puissent répugner à consentir des sacrifices importants au profit des intérêts de la vie
internationale toutes les fois qu’ils ne sont pas certains que ces sacrifices porteront leurs fruits
au sein même de l’ordre international » 1619 . Il s’agit donc d’une intervention nationale
complémentaire capable d’assurer la protection des intérêts des sujets de droit que l’ordre
international ne serait pas, à l’heure actuelle, en capacité de défendre. « Dans beaucoup de
cas, l’application « immédiate » d’une disposition impérative est rendue nécessaire parce que
le rattachement prévu par la règle de conflit bilatérale pour la catégorie dont la situation relève
ne permet pas d’en assurer une application conforme à son but »1620. En d’autres termes, les
lois de police viennent contrebalancés au nom de la justice matérielle, les points sur lesquels
la justice conflictuelle n’est pas en mesure de protéger suffisamment les intérêts privés.
Par conséquent, afin de ne pas mettre en péril les intérêts de la collectivité nationale, le
recours aux lois de police est nécessaire. Comme l’a affirmé le Professeur Gannagé à propos
de la protection du mineur, « c’est bien la défense de l’ordre social qui pourrait se trouver
compromise si la prévention de la délinquance juvénile, mais aussi la protection des jeunes
adolescents se trouvait soumise sur un même territoire à des règles de droit différentes »1621.
Ainsi, il semble que par souci de cohésion et de complémentarité, le mécanisme des lois de
police soit inévitable dans tout système de droit des conflits de lois. Ce sont ces raisons qui
justifient d’inclure dans le régime d’applicabilité du droit des conflits de lois le mécanisme

1618
Voir en ce sens : Y. Lequette, op. cit., § 78 : « Il n’en reste pas moins que, même réduites à la condition de
dispositions d’exception, les lois de police jouissent à l’égard de la méthode de la règle de conflit d’une priorité
d’application qui, si elle favorise la cohésion des ordres internes, paraît être de nature à éloigner de la satisfaction
des objectifs qui sont traditionnellement pris en charge sous couvert de l’ordre international. Mais il ne faudrait
pas exagérer la portée d’une telle remarque. La primauté des lois de police trouve, en effet, un fondement solide
dans le principe déjà relevé de l’antériorité de l’ordre interne par rapport à l’ordre international et celui de la
cohésion des ordres internes qui lui est corrélatif. Les Etats étant traditionnellement les communautés de vie
sociale les mieux organisées et donc les plus aptes à favoriser le développement de rapports humains paisibles et
harmonieux, il faut veiller à ce que les rapports internationaux s’insèrent dans le contexte des droits internes sans
les affecter. On a vu que les règles de conflit de lois sont modelées à cet effet sur les piliers de l’ordre civil afin
que les rapports internationaux, ainsi calibrées, s’intègrent à l’ordre interne sans l’ébranler. Mais lorsque les
intérêts essentiels de la société qu’il a en charge sont directement en jeu, l’ordre interne peut être admis à faire
prévaloir en priorité ses propres dispositions ».
1619
G. Sperduti, op. cit., p. 258.
1620
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 180.
1621
L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé : étude de droit
international privé de la famille, op. cit., § 390.

527
des lois de police lesquelles demeurent indispensables à la préservation des intérêts
particuliers. Néanmoins, si le mécanisme est justifié et peut, potentiellement, être appliqué de
manière équivalente dès lors que la loi de police d’un ordre juridique est en cause, il faut
encore être en mesure de pouvoir l’identifier.

B. L’EGALITE DE TRAITEMENT REMISE EN CAUSE PAR UNE IDENTIFICATION


LACUNAIRE DES LOIS DE POLICE

1192. Si le recours au mécanisme des lois de police est justifié en droit des conflits de
lois, il faut tout de même pouvoir identifier ces règles. Cependant, en droit positif,
l’identification des lois de police demeure parfaitement confuse et aléatoire dans la mesure où
il n’existe pas de véritable encadrement de la notion (1). Or, cet encadrement est l’assurance
d’un traitement équivalent des situations juridiques internationales (2).

1) Une identification aléatoire et confuse en l’absence d’encadrement de la notion


1193. Pour recourir au mécanisme des lois de police, il faut pouvoir identifier ces
dernières. Or, en droit positif, il apparaît qu’aucune définition stricte ni aucun critère
d’identification des lois de police n’a réussi à s’imposer (a). Ceci est parfaitement regrettable
dans la mesure où leur détermination est quasi unanimement soumise au libre arbitre du juge
saisi (b).

a) L’absence de définition stricte et de critères d’identification des lois de police


1194. L’absence de définition et de critères d’identification. Classiquement les
lois de police sont fonction de politiques législatives d’un ordre juridique interne. Par
conséquent, « le critère qui déclenche son application est lié au but qu’elle poursuit, et qu’il
convient d’identifier pour chacune »1622. Néanmoins, pour reconnaître une loi de police, celle-
ci doit nécessairement faire l’objet d’une définition et/ou de critères d’identification. Or, il
apparaît que ni définition positive ni critères d’identifications strictes n’existent à l’heure
actuelle1623.
1195. De nombreux critères ont été proposés, certains formalistes, d’autres
techniques, et d’autres encore finalistes1624. Cependant, aucun de ces critères n’est considéré
comme celui qui permet d’identifier une loi de police. Néanmoins, la théorie moderne des lois

1622
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 180.
1623
Par ex. : comme l’a affirmé A. Potocki, « dans le domaine des transports, la doctrine n'est pas unanime et les
décisions retenant la qualification de loi de police sont très minoritaires », in « Définition de la loi de police en
matière de transport », RCDIP 2010, p. 720.
1624
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 169 et s.

528
d’application immédiate se réfère classiquement à un critère finaliste et notamment à « la
formule de Francescakis » selon laquelle « les lois de police sont des lois dont l’observation
est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays ;
leur caractère distinctif réside dans cette idée d’organisation » 1625 . Néanmoins, si cette
définition donne une indication sur l’objectif poursuivi par une loi de police, elle n’en permet
pas véritablement l’identification et demeure profondément abstraite. Cependant, certains
textes internationaux ont tenté de donner aux lois de police une définition comme le
règlement Rome I en son article 91626 succédant à la Convention de Rome. Il s’agit de « la
première tentative jamais effectuée » pour donner une définition aux lois de police « par une
législation de droit international privé »1627. Néanmoins, « la définition proposée (correspond)
à des standards extrêmement généraux » qui laisse, une nouvelle fois, une latitude importante
au juge saisi »1628 quant à la détermination de ces dispositions impératives. Par conséquent, si
l’Union européenne a cherché à encadrer le mécanisme des lois de police par le recours à une
définition, elle n’y est pas parvenue.
1196. L’impossible identification stricte des lois de police. Actuellement, « les lois
de police ne se découvrent pas par la simple mise en œuvre d’un critère synthétique et elles ne
s’appliquent pas par le seul effet d’une définition abstraite » 1629 . Par conséquent, « les
contours des lois de police sont impossibles à définir de façon nette parce qu’il n’y a pas de
différence de nature entre les lois de police et les autres lois »1630. De plus, « dans les Etats
modernes, on peut dire que toute loi (sauf peut-être les lois supplétives) tend pratiquement à
garantir des intérêts économiques ou sociaux ou si l’on préfère, des intérêts publics »1631. La
difficulté est considérable puisque les lois de police ne sont donc pas concrètement
identifiables au regard d’un critère ou d’une définition stricte. Or, la conséquence de cette
absence d’encadrement peut inévitablement conduire à un aléa dans la détermination des lois

1625
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 175.
1626
Art. 9 du règlement Rome I : « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé
crucial par un pays pour la sauvegarde des intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou
économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que
soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ».
1627
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 2.
1628
Ibid., § 3.
1629
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 180.
1630
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 178.
1631
Ibid.

529
de police selon la conception adoptée. D’ailleurs, en pratique, les lois de police sont
essentiellement déterminées par le juge saisi1632.

b) Une détermination quasi unanimement soumise au libre arbitre du juge


1197. Dans la mesure où il n’existe pas de définition stricte ou de critères
d’identification des lois de police, il arrive, fort heureusement, « que le législateur précise lui-
même le domaine d’application nécessaire de ses lois de police »1633. Par exemple, c’est le
cas de l’article 311-15 du Code civil qui prévoit que la possession d’état produit les
1634
conséquences prévues par la loi . Cependant, il s’agit d’hypothèses relativement
restreintes1635 et « plus fréquemment, c’est au juge qu’il revient à la fois de qualifier une règle
de loi de police et d’en déterminer le domaine d’application nécessaire » 1636 . Ainsi, cette
absence d’encadrement juridique consiste à laisser au juge tout libre arbitre quant à
l’identification des lois de police1637. De cette manière, « suivant ses convictions, le juge peut
trouver des lois de police partout, ou au contraire n’en trouver aucune » 1638 . Cette liberté
laissée au juge est parfaitement regrettable, car ce dernier aura le pouvoir d’évincer toute règle

1632
Voir en ce sens : CA de Metz, 28 mars 2019, n°19/00138, dans lequel les juges du fond ont considéré que les
dispositions de l’article L.341-2 du Code de la consommation relatif aux cautionnements ne constituait pas une
loi de police au sens de l’article 9§1 du règlement Rome I, rappelant notamment que « le caractère d’ordre public
en droit interne français de ces dispositions est en outre insuffisant à leur conférer le caractère de loi de police au
sens (du règlement Rome I) ».
1633
P. Mayer, « Lois de police », op. cit., § 12.
1634
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 266 : « La différence par rapport à une règle de
conflit unilatérale, c’est que cette règle ne gouverne pas une institution déterminée, mais un aspect d’une
institution et uniquement dans certaines situations : les effets des règles françaises sur la possession d’état quant
l’enfant ou les (ou l’un des) parents de l’enfant sont domiciliés en France. Pour les autres aspects de la filiation et
dans les autres situations, la filiation est régie par la loi désignée par les règles de conflit. L’article 311-15 déroge
bien à la méthode conflictuelle, pour étendre une solution du droit matériel français à un certain type
prédéterminé de situations internationales ».
1635
Voir en ce sens : Ph. Francescakis, « Quelques précisions sur les « lois d’application immédiate » et leurs
rapports avec les règles de conflits de lois », RCDIP 1966, p. 1, exposant que : « les règles écrites de ce genre
sont rares » ; « habituellement, le législateur ne se donne pas le temps de réfléchir sur les incidences
internationales des lois, voire évite peut-être sciemment de le faire par crainte de s’engager dans des prévisions
qu’il ne maîtrise pas ».
1636
P. Mayer, « Lois de police », op. cit., § 13.
1637
Voir en ce sens, Cass., Com., 13 juill. 2010, n°10-12.154, D. actualité, 23 juill.2010, note X. Delpech ; RTD
com. 2010, p. 779, note B. Bouloc ; RCDIP 2010, p. 720, note A. Potocki ; Dalloz 2010, p. 2323, note L.
d’Avout et p. 2339, note V. Da Silva ; Dalloz 2011, p. 1445, note H. Kenfack et p. 1374, note F. Jault-Seseke ;
dans lequel la Cour a considéré que « l’article L.132-8 du code de commerce conférant au transporteur routier
une action en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire institués garants du
paiement du prix du transport n’est pas une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de
l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que
soit la loi applicable et de constituer une loi de police ».
1638
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 178.

530
de conflit dès qu’il le désire sous prétexte de l’application d’une loi de police 1639 .
Indéniablement, la mise en œuvre du système de droit des conflits de lois sera faussée et toute
égalité de traitement mise à mal. L’application des lois de police sera conditionnée par le juge
saisi et fonction de l’ordre juridique en cause1640. Pour garantir l’égalité de traitement des
sujets de droit placés dans une situation internationale équivalente, il est donc indispensable
d’encadrer cette notion.

2) L’indispensable encadrement de la notion par mesure d’égalité


1198. Pour pallier les défauts existants quant à l’identification des lois de police, il
serait préférable d’établir des références strictes permettant la détermination de ces lois de
police, laquelle devrait faire l’objet d’une motivation par le juge pour des raisons de sécurité
juridique (a). Cependant, dès lors que l’identification des lois de police est laissée à
l’appréciation du juge, l’égalité de traitement peut être mise à mal. Il conviendrait plutôt que
le législateur se charge lui-même d’attribuer la qualification de loi de police aux dispositions
qu’il considère impératives (b).

a) L’établissement de références strictes devant être motivée par le juge


1199. L’encadrement strict de la définition des lois de police de Francescakis.
Afin d’éviter tout aléa dans l’identification et l’application des lois de police, il est
absolument nécessaire d’encadrer cette notion. En effet, « la définition des lois de police
demeure, aujourd’hui encore, plus un idéal à atteindre qu’une étape définitivement franchie,
sur laquelle il n’y aurait plus à revenir »1641. En droit positif, la doctrine moderne définit les
lois de police conformément à la définition qui en a été faite par Francescakis1642. Cependant,
sa théorie renvoie à « un caractère très général et même flou de la notion »1643. C’est pourquoi
dans la mesure où « la notion de sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou

1639
Voir en ce sens : P. Mayer, « Les lois de police », TCFDIP, H.-S., 1988, spéc. p. 108 : « la notion de « loi de
police » étant nécessairement très vague, on pourrait craindre en effet que le juge ne trouve des lois de police
partout, compte tenu de sa préférence pour ses propres lois. Certes, la même crainte a été émise à l'égard de
l'exception d'ordre public ; mais le danger serait plus grand avec les lois de police, parce qu'il serait moins gênant
de décider au départ de ne pas appliquer la loi étrangère, que de l'écarter en raison de son contenu ».
1640
Voir en ce sens : O. Cachard, op. cit., § 333 : « Si la jurisprudence et la doctrine allemande adoptent une
vision étroite des lois de police, la jurisprudence française entend assez largement les intérêts protégés. Sans
nous risque à l’inventaire incomplet d’une jurisprudence pointilliste qui refuse parfois cette qualification de loi
de police, signalons l’intérêt collectif des salariés français protégé par l’institution du comité central d’entreprise
ou par la rédaction du contrat de travail en langue française, l’intérêt collectif des consommateurs et des
épargnants protégés par diverses règles de forme et de compétence juridictionnelle », etc.
1641
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 9.
1642
Cf. supra § 1194.
1643
P. Lalive, Ch. IV, S. I, C. « Spécificité de cette notion ? », op. cit., spéc. p. 125.

531
économique du pays (est) suffisamment souple », « des lois de pur droit privé (ont pu) sans
trop d’artifice être rattachées à la catégorie des lois de police »1644. Par conséquent, il convient
de restreindre cette définition donnée par Francescakis ou du moins de l’encadrer plus
précisément afin que toute loi ne puisse être considérée comme une loi de police. Il faudrait
alors établir une définition stricte de la notion et l’assortir de critères permettant sa
détermination. De cette manière, le juge devrait déterminer si d’une part la loi supposée de
police rentre dans le champ d’application de cette définition, et d’autre part si elle remplit les
différents critères qui lui sont imputables. De plus, par souci de sécurité juridique, il serait
souhaitable que chaque fois que le juge identifie une loi de police, il motive sa décision en
faisant apparaître dans quelle mesure la définition et les critères d’identification sont
respectés. Ainsi, la liberté qui était laissée au juge au regard de la détermination des lois de
police ne serait plus.
1200. Une définition commune certainement utopique. Si un tel encadrement
parvient à exister, toute égalité de traitement serait assurée puisque tout aléa serait balayé.
Cependant, une nouvelle fois, la difficulté demeure dans l’établissement d’une définition
commune et de critères d’identification communs. Si les Etats qui composent la société
internationale ne parviennent pas à cet établissement commun, alors d’une certaine manière
l’appréhension des lois de police demeurera nationale et maintiendra un aléa. Si un juge
national vérifie l’existence d’une loi de police par rapport à la définition qu’il s’en fait et à ses
propres critères d’identification, alors une loi étrangère serait considérée ou non comme loi de
police par rapport à cet ordre juridique, quand bien même le résultat serait différent pour un
autre ordre juridique. Il semble probablement très utopiste d’espérer un jour une définition
commune, tout comme des critères d’identification communs. C’est pourquoi afin de mettre
un terme à tout aléa dans la détermination des lois de police, il serait préférable de demander
au législateur d’y remédier.

b) La dénomination de loi de police attribuée directement par le législateur


1201. La solution la plus évidente et la plus à même de respecter toute égalité de
traitement serait plus simplement que chaque législateur détermine quelles sont ses lois de
police. Plus précisément, la meilleure initiative serait qu’à chaque fois qu’il considère l’une de
ses lois comme impérative, il précise au sein de cette disposition qu’il s’agit d’une loi de
police. De cette façon, chaque juge n’aurait aucune hésitation sur le fait de savoir si une loi de

1644
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 13.

532
police s’applique à la situation juridique, et notamment lorsqu’il s’agit d’une loi de police
étrangère. Ainsi, tout aléa serait totalement évincé et toute situation juridique internationale
serait traitée de manière identique sans résultat variable. Pour cela, il faut nécessairement que
le mécanisme demeure national et qu’il traite sur un pied d’égalité loi étrangère et loi du for.

§ 2 – L’APPLICATION DE TOUTE LOI DE POLICE NATIONALE CONFORMEMENT A


L’EGALITE DE TRAITEMENT

1202. Si le recours au mécanisme des lois de police est justifié, il doit s’appliquer,
quelle que soit l’origine de cette loi de police. Pourtant, l’application des lois de police est
fortement controversée. Cependant, l’applicabilité de la loi de police du for est tout aussi
légitime que celle de la loi de police étrangère (A). En revanche, si les lois de police ont
vocation à être appliquées, quelle que soit leur origine, il faut qu’elles demeurent nationales.
En effet, le caractère national des lois de police constitue un élément clé du traitement
égalitaire des sujets de droit (B).

A. L’APPLICATION SUR UN PIED D’EGALITE DES LOIS DE POLICE DU FOR ET


ETRANGERE

1203. L’application des lois de police est controversée quant au point de savoir s’il
faut ou non appliquer les lois de police étrangères. Véritablement, l’application des lois de
police ne doit être conditionnée que par l’applicabilité de celles-ci à la situation internationale
(1). C’est pourquoi les lois de police étrangères, tout comme les lois de police du for, sont
légitimement applicables dès qu’elles se rattachent à la situation internationale (2).

1) Un mécanisme conditionné par l’applicabilité des lois de police à la situation


internationale
1204. Traditionnellement, les lois de police appliquées par les juridictions sont les
lois de police du for parce que leur applicabilité à la situation internationale semble
parfaitement évidente (a). Cependant, l’applicabilité des lois de police n’est pas justifiée parce
qu’elles sont celles de l’ordre juridique saisi, mais bien par un point de rattachement avec la
situation internationale (b).

a) L’applicabilité présumée des lois de police du for à la situation internationale


1205. L’application de la loi de police du for justifiée par le rattachement
juridictionnel. « Il n’est guère contesté que le juge d’un for donné doit appliquer les lois de
police de ce for lorsque celles-ci entendent couvrir effectivement la situation litigieuse dont il

533
est saisi »1645 . Classiquement, il est considéré qu’« il y a lieu d’appliquer la loi de police
locale (…) parce qu’il existe un lien entre le rapport de droit envisagé et le pays du for »1646.
Par conséquent, le juge saisi appliquera toujours ses propres lois de police dans la mesure où
la situation internationale qui lui est soumise présente un lien de rattachement avec son
territoire.
1206. La détermination plus aisée des lois de police du for. En outre, la
détermination des lois de police, en droit positif, est essentiellement fonction de la politique
législative de chaque Etat. Or, « en droit des conflits de lois, les considérations tirées de
l’efficacité de la politique législative mise en œuvre par une loi de police jouent un plus grand
rôle dans l’applicabilité de cette dernière lorsqu’il s’agit d’une loi de police du for, que
lorsque c’est une loi de police étrangère »1647. S’il semble parfaitement logique que la loi du
for ait vocation à s’appliquer, elle n’a pas pour autant une place plus légitime.
1207. Une détermination fonction de l’accessibilité à la politique législative d’un
Etat. En vérité, il ne faut pas défendre l’idée selon laquelle la loi de police du for aurait plus
de légitimité que les autres lois de police à s’appliquer parce qu’elle est la loi de l’ordre
juridique saisi. Il faut simplement considérer qu’« en présence d’une loi de police du for, les
données tirées de l’efficacité de la politique législative mise en œuvre par la loi de police
bénéficient d’un monopole au stade de la détermination de son applicabilité par le juge »1648.
Par conséquent, il ne s’agit que d’une question d’accessibilité à la politique législative
poursuivie par un ordre juridique. Il est indéniablement plus simple pour le juge du for
d’appliquer ses propres lois de police dans la mesure où il est à même de juger quelle
politique législative considérée comme impérative est poursuivie par son propre ordre
juridique. Tandis que la tâche sera plus difficile lorsqu’il s’agira d’une loi de police étrangère.
Par conséquent, les lois de police du for n’ont pas un titre supérieur à s’appliquer, elles sont
simplement plus faciles à déterminer, au regard de leur applicabilité, puisqu’elles relèvent de
la politique législative de l’ordre juridique saisi. En vérité, les lois de police ne doivent être
appliquées qu’à la condition de présenter un lien de rattachement avec la situation
internationale.

1645
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 55.
1646
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 180.
1647
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 54.
1648
Ibid., § 57.

534
b) L’applicabilité des lois de police fonction d’un rattachement avec la situation
internationale
1208. Si les lois de police du for ont vocation à s’appliquer puisqu’elles sont
nécessairement applicables à la situation juridique, c’est à raison du rattachement qu’elles
présentent avec cette situation. « En effet, lorsqu’un tribunal français est amené à rechercher
si la loi de police française est applicable à une situation donnée sur laquelle il a à statuer, il
doit nécessairement fonder sa décision sur un critère d’applicabilité » 1649 . Or, ce critère
d’applicabilité ne peut être qu’un point de rattachement qui peut « revêtir des formes
variées »1650. Ainsi, il peut s’agir de « prendre en considération l’accomplissement de l’acte
ou du fait dans le pays ou encore l’existence dans cet Etat du domicile ou de la résidence de
l’intéressé »1651. Quel que soit le rattachement impliqué, il convient de considérer qu’une loi
de police n’est applicable qu’à la condition de présenter un point de rattachement avec la
situation internationale en cause 1652 . Il s’agit du préalable nécessaire à toute égalité de
traitement, et plus précisément de la justification de l’application des lois de police étrangères.

2) L’application légitime des lois de police étrangères demeurant conditionnée


1209. Les lois de police étrangères ont vocation à être appliquées par les juridictions
nationales au même titre que les lois de police du for (a). Cependant, si leur reconnaissance
est totalement justifiée, leur mise en œuvre est plus complexe. En effet, leur application est
circonstanciée par leur applicabilité à la situation internationale laquelle n’est pas présumée
contrairement aux lois de police du for (b).

a) L’application des lois de police étrangères au même titre que les lois de police du for
1210. Une vocation d’application identique. « Dès lors que dans un pays donné on
prête un caractère nécessaire à l’application de certaines lois, la question se pose du sort à
réserver à ce type de dispositions lorsqu’elles émanent d’un ordre juridique étranger »1653. En
effet, si les lois de police sont classiquement celles du for, elles peuvent également être des

1649
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 180.
1650
Ibid.
1651
Ibid.
1652
Ex : Cass., Com., 20 avr. 2017, n°15-16.922, JDI n°1, janv. 2018, 4, note Brière ; RCDIP 2017, p. 542, note
D. Bureau ; RDI 2018, p. 221, note H. Périnet-Marquet ; Dalloz 2017, p. 2054, note L. d’Avout ; Dalloz 2018, p.
966, note S. Clavel ; dans lequel la Cour a considéré qu’« en l’absence de tout critère de rattachement à la France
qui soit en lien avec l’objet poursuivi, tels que le lieu d’établissement du sous-traitant, mais également du lieu
d’exécution de la prestation ou la destination finale des produits sous-traités lesquels sont tous rattachés à l’Italie,
la condition du lien de rattachement à la France exigée pour faire, conformément à l’article 7 de la Convention
de Rome du 19 juin 1980, une application immédiate à l’opération litigieuse des dispositions des articles 12 et
13-1 de la loi du 31 déc. 1975 n’est pas remplie ».
1653
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 181.

535
lois de police étrangères. Néanmoins, dans la mesure où l’applicabilité de ces dernières est
moins évidente que celles des lois de police du for, leur application peut parfois être
contestée. En effet, « pendant longtemps, en raison du rapprochement que présentent les lois
de police avec le droit public, la question a pu être considérée comme tombant sous le coup
du principe d’inapplicabilité du droit public étranger » 1654 . Cependant, « ce principe est
largement répudié en doctrine et battu en brèche en droit positif »1655 dans la mesure où « les
notions de loi de police et de loi de droit public ne sont pas identiques et qu’au demeurant
l’application des lois de droit public à des situations de droit privé est souvent
inéluctable » 1656 . Par conséquent, tout argument publiciste contre leur application est
désormais écarté. Ainsi, dans la mesure où toute opposition de nature souverainiste à
l’application des lois de police étrangères est écartée, celles-ci ont, tout autant que les lois de
police du for vocation à s’appliquer. Effectivement, « les raisons de fond qui conduisent le
législateur ou le juge du for à imposer l’application de ses lois de polices à certaines situations
existent aussi, mutatis mutandis, pour les législateurs étrangers »1657. Par conséquent, il ne
serait pas acceptable de considérer « qu’un juge n’aurait aucun compte à tenir de celles (les
lois de police) qui sont en vigueur à l’étranger »1658. C’est pourquoi « la Cour de cassation
française, dans plusieurs arrêts, n’a pas hésité à appliquer des dispositions étrangères
réunissant les caractères requis pour être traitées de lois de police »1659.
1211. Un traitement égalitaire des lois de police conforme à l’esprit bilatéraliste.
Puisqu’aucun argument ne permet de s’opposer à l’application des lois de police étrangères et
que celles-ci sont reconnues en droit positif, il convient de féliciter cette attitude des
juridictions internes. De cette manière, celles-ci adoptent une position juste dans le sens où
elles traitent sur un même pied d’égalité les lois de police du for et les lois de police
étrangères considérant que chaque disposition impérative d’un Etat possède un titre légitime à
être appliqué à une situation internationale avec laquelle existe un lien. Cependant, la
difficulté ne réside pas dans l’admission des lois de police étrangères, mais plutôt dans leur
identification.

1654
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 181.
1655
Ibid.
1656
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 254.
1657
Ibid.
1658
Ibid.
1659
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 181.

536
b) Une application circonstanciée des lois de police étrangères à leur applicabilité à la
situation internationale
1212. L’identification malaisée des lois de police étrangères. Si l’admission des
lois de police n’est plus contestée, en revanche, « il semble acquis que le régime de
l’applicabilité des lois de police étrangères ne s’aligne purement et simplement sur celui des
lois de police du for »1660. Le critère d’applicabilité des lois de police tenant à la politique
législative de l’Etat est plus difficile d’utilisation lorsqu’il s’agit d’une loi de police étrangère.
Contrairement à la loi de police du for, « le juge du for n’est pas a priori soumis au législateur
étranger et n’a pas de raison d’accepter mécaniquement (…) tant la revendication de
compétence législative à laquelle correspond l’éviction d’une telle loi visant le cas dont le
juge est saisi, que les solutions auxquelles aboutissent au cas d’espèce l’application de ladite
loi »1661.
1213. Un nécessaire encadrement des conditions d’applicabilité des lois de police
étrangères. Effectivement, il est difficile de réclamer du juge du for qu’il applique
mécaniquement à la situation internationale qui lui est soumise toute disposition étrangère
jugée comme loi de police dans la mesure où celle-ci n’est pas l’objet de sa propre politique
législative. C’est pourquoi que les lois de police soient expressément prévues par le
législateur étranger ou non, il est nécessaire d’encadrer l’application des lois de police
étrangères par le biais de deux autres critères d’applicabilité. Comme l’a affirmé le Professeur
de Vareilles-Sommières, les lois de police étrangères ne peuvent être appliquées par l’ordre
juridique du for qu’« à la double condition que le lien retenu par le législateur étranger
comme devant exister entre une situation et l’Etat au nom duquel il légifère pour déclencher
l’applicabilité de la loi édictée à la situation en cause se révèle pertinent aux yeux du for, et
que le contenu de la politique législative suivie par la loi demeure compatible avec les valeurs
et exigences du for telles qu’elles se formulent dans son ordre public international »1662. En
effet, il est indispensable pour permettre l’application des lois de police étrangères qu’il existe
un lien de rattachement véritable avec l’ordre juridique étranger pour que ses propres
dispositions impératives soient logiquement appliquées. Tout comme celles-ci devront
nécessairement être compatibles avec les valeurs fondamentales de l’ordre juridique saisi.
Finalement, si par principe, les lois de police étrangères sont admises, elles doivent être

1660
P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 58.
1661
Ibid.
1662
Ibid., § 62.

537
appliquées lorsqu’elles ont une réelle prétention à s’appliquer justifiée par un lien de
rattachement véritable. Néanmoins, deux difficultés peuvent apparaître.
D’une part, dans la mesure où les lois de police sont rarement nommées par le
législateur, il sera probablement difficile de déterminer l’existence d’une loi de police
étrangère pour l’ordre juridique du for. C’est pourquoi il est absolument nécessaire que le
législateur se contraigne à la tâche de les nommer expressément. Tant que cela ne sera pas le
cas, les divergences d’application demeureront et l’égalité de traitement sera mise à mal.
D’autre part, il est possible que deux lois de police aient vocation à s’appliquer
simultanément. Le juge devra alors inévitablement trancher entre l’une et l’autre. Il a été
proposé de résoudre le problème « en appréciant la valeur des politiques législatives
respectivement suivies, les titres d’application de chaque loi et leur intérêt relatif à recevoir
application »1663. Il semble que ces critères laissent une liberté relativement grande au juge
dans le choix de la loi de police applicable. C’est pourquoi il serait préférable de trancher le
débat au regard des liens les plus étroits. En effet, devrait être appliquée la loi de police qui a
le titre le plus légitime à s’appliquer compte tenu des points de rattachement qui existent avec
la situation internationale. Il s’agirait de conserver une certaine neutralité de raisonnement. Le
juge du for applique les lois de police quelle que soit leur origine, mais ceci à raison du ou des
points de rattachement qu’elles présentent avec une situation juridique donnée. Ainsi, la
neutralité de la mise en œuvre est préservée et toute égalité de traitement l’est également. En
outre, pour que le mécanisme des lois de police demeure neutre et favorise l’égalité de
traitement, il faut que celles-ci demeurent de source nationale.

B. L’APPLICATION DES LOIS DE POLICES UNIQUEMENT DE SOURCE NATIONALE


1214. Si les lois de police sont à l’origine de source nationale, l’apparition de l’Union
européenne est venue en perturber les fondements. En effet, il a été envisagé la possibilité
d’établir des lois de police régionales permettant ainsi de prétendre à leur uniformisation, et
donc un meilleur respect du principe d’égalité (1). Cependant, les lois de police
dites européennes ne sont jamais véritablement apparues, permettant ainsi de maintenir, fort
heureusement, le caractère national des lois de police (2).

1663
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 183.

538
1) L’uniformisation des lois de police grâce à leur source régionale
1215. Les lois de police, classiquement nationales, ont pu être étendues à l’ordre
juridique supérieur à savoir l’ordre juridique régional européen (a). Cette démarche a conduit
à envisager la possibilité d’uniformiser l’utilisation du procédé des lois de police tant au
regard de leur identification que de leur application (b).

a) L’extension du mécanisme des lois de police à l’ordre juridique régional européen


1216. La reconnaissance textuelle de lois de police européennes. Le mécanisme
des lois de police, originellement de source nationale, a dû s’intégrer au droit des conflits de
lois nouveau et notamment régional. C’est pourquoi il a été pris en compte par certains textes
européens, comme le règlement Rome I1664, en son article 9. Cependant, cette intégration a
seulement consisté à reconnaître la possibilité pour les Etats de recourir à leurs lois de police
en matière d’obligations contractuelles. De cette façon, l’ordre juridique régional reconnaît
explicitement le procédé d’éviction des règles de conflit.
1217. La reconnaissance jurisprudentielle de lois de police européennes. En
outre, l’Union européenne est allée encore plus loin en reconnaissant l’existence de lois de
police européennes. En effet, dans l’arrêt Ingmar, la Cour de justice a laissé entendre que
« certaines règles de droit européen dérivé » devraient être envisagées comme de « véritables
lois de police européennes »1665. En l’espèce, la Cour a considéré que certaines dispositions
émanant d’une directive européenne, dont l’objet était la protection de l’agent commercial
après la cessation de son contrat, présentaient un caractère impératif. Par conséquent,
l’impérativité de ces dispositions impliquait que celles-ci soient appliquées dans la mesure où
l’agent commercial exerçait son activité dans un Etat membre alors même que le commettant
était établi dans un pays tiers et que, en vertu de la clause au contrat, celui-ci était régi par la
loi de ce pays tiers. Ainsi, dans l’arrêt Ingmar 1666 , la Cour de justice fait application du
mécanisme des lois de police à l’égard de normes européennes considérant que ces dernières
sont impératives parce qu’elles poursuivent un but de protection de l’agent commercial. Par
conséquent, il doit être fait application de ces directives à toute situation internationale avec
laquelle existe un lien de rattachement sur le territoire d’un Etat membre. De cette façon, les

1664
Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, Rome I.
1665
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 183.
1666
CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar, Aff. C-381/98, Rec., I, p. 9305 ; RCDIP 2001, p. 107, note L. Idot ; JCP 2001, I,
p. 328, note Bernardeau.

539
lois de police pourraient aussi bien être nationales que supranationales. L’utilisation du
mécanisme des lois de police européennes pourrait être positive puisqu’elle permettrait une
uniformisation dans l’utilisation du procédé.

b) Une identification et une application uniforme par reconnaissance de lois de police


européennes
1218. En considérant qu’il peut exister des lois de police européennes en droit des
conflits de lois, il est possible d’envisager que les lois de police deviennent un bloc
homogène. En effet, dans la mesure où les Etats membres de l’Union européenne sont soumis
à la politique législative de celle-ci, il serait plus simple que l’Union elle-même détermine ses
propres lois de police. De cette façon, chaque Etat appliquerait les mêmes lois de police
lesquelles correspondraient à une politique législative régionale uniforme. Toute divergence
d’application et toute difficulté d’interprétation serait évincée. Ainsi, toute situation
internationale serait traitée de manière identique au sein de l’ordre juridique régional. Il
s’agirait donc des prémices d’une utilisation uniformisée du mécanisme des lois de police.
Cependant, la Cour de justice n’a pas réellement, et fort heureusement, reconnu l’existence de
lois de police européennes.

2) Le maintien incontesté de lois de police uniquement de source nationale


1219. Si la Cour de justice a laissé entendre qu’il existait en droit des conflits de lois
des lois de police européennes, elle est revenue sur sa position pour considérer qu’en réalité la
protection de la politique législative européenne était assurée par les lois de transposition
nationale de ses Etats membres (a). Cette position adoptée par la Cour de justice est
bienvenue dans la mesure où les lois de police doivent absolument demeurer nationales afin
de garantir une certaine harmonie parmi ces règles, laquelle demeure nécessaire à tout
traitement égalitaire des sujets de droit (b).

a) La politique législative européenne protégée par les lois de transposition nationales


1220. Si l’arrêt Ingmar a pu soulever un doute quant à l’existence de lois de police
européennes, l’arrêt Unamar1667 est venu mettre un terme à cette idée. Dans cette espèce, la
Cour de justice a considéré que ce ne sont pas les directives européennes en tant que telles qui
constituent des lois de police mais ce sont les lois de transposition nationales des Etats qui
constituent des lois de police. Par conséquent, il n’est plus question de lois de police

1667
CJUE, 17. oct. 2013, Unamar, aff. C-184/12, préc.

540
européennes mais bien de lois de police nationales. Simplement, ce sont les Etats qui assurent
au travers des lois de transposition la politique législative européenne. Néanmoins, chaque
Etat, par sa loi de transposition, respecte et donne vigueur aux directives européennes, mais
peut également, par le contenu matériel de cette loi de transposition, prévoir une protection
supérieure à celle qui est octroyée par la directive. Ainsi, en accordant une protection
supérieure, l’Etat considère que cette loi de transposition constitue une loi de police dans son
ordre juridique, qu’il conviendra d’appliquer à l’espèce1668. Or, dans l’arrêt Unamar, la loi de
transposition du for a été appliquée en tant que loi de police dans la mesure où la loi de
transposition de l’autre Etat membre offrait une protection moins élevée. Par conséquent, la
Cour de justice a considéré qu’il n’existe pas de lois de police européennes, mais seulement
des lois de police nationales. De plus, au regard de la marge de manœuvre accordée aux Etats
membres dans la mise en œuvre des lois de transposition, il apparaît que les lois de police sont
totalement appropriées par l’Etat au regard de sa propre politique législative. Le point de
départ est bien le respect de la politique législative de l’Union européenne, mais celle-ci peut
être poursuivie à un niveau bien supérieur par l’Etat membre lui-même, ce qui rend d’autant
plus la loi de police nationale. En outre, la démarche adoptée par la Cour de justice est louable
dans la mesure où il est préférable que les lois de police demeurent nationales.

b) L’indispensable maintien de lois de police uniquement nationales


1221. Le cantonnement nécessaire des lois de police à une source nationale.
L’objectif du mécanisme des lois de police est de pallier les défauts que peut engendrer la
méthode conflictuelle lorsque des intérêts impérieux sont en cause. Ainsi, chaque fois que la
méthode conflictuelle n’est pas à même de garantir une justice protectrice de certains intérêts
considérés comme primordiaux, il convient d’appliquer les lois de police propres à chaque
Etat pour pallier ce résultat. Les juges nationaux sont donc les acteurs principaux dans la mise
en œuvre des lois de police. C’est pourquoi au regard de la fonction de ce mécanisme, il
convient de le maintenir à une échelle nationale.

1668
Voir en ce sens : CJUE, 17 oct. 2013, Unamar, aff. C-184/12, préc., dans lequel la Cour rappelle que « la loi
d’un Etat de l’Union choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale peut être écartée par le juge d’un
autre Etat membre en faveur de la loi du for s’il constate de façon circonstanciée que dans le cadre de la
transposition de la direction du 18 déc. 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant
les agents commerciaux, le législateur du for a jugé crucial d’accorder à l’agent commercial une protection allant
au-delà de la protection minimale prévue par cette directive, peu important que la loi choisie par le parties soit
conforme à cette dernière ».

541
1222. Le rejet de toute extension à une source régionale. Le mécanisme des lois de
police a pour fonction de répondre à une politique législative propre à chaque Etat 1669. Il
pourrait être alors considéré que les lois de police européennes soient nécessaires afin de
protéger la politique législative de l’Union européenne. Cependant, la politique législative de
l’Union européenne est assurée par chaque Etat membre au sein de leur ordre juridique
interne. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de recourir à des lois de polices européennes.
De plus, si certaines normes européennes sont considérées comme des lois de police
européennes, aucune marge de manœuvre ne sera plus accordée aux Etats au regard de la
transposition de ces lois dans leur ordre juridique interne. Or, ceci serait fort regrettable
puisque certains Etats peuvent octroyer une protection bien supérieure à celle reconnue par la
norme européenne. En sus, cela reviendrait à contraindre les Etats dans l’exercice de leur
politique législative et ils n’auraient plus de libre arbitre quant à la détermination de leurs
propres lois de police.
En outre, si l’Union européenne souhaite imposer des règles qu’elles considèrent
comme d’application immédiate, elle pourrait recourir à la méthode matérielle pour régir
directement au fond les situations internationales. Or, si cela n’est pas le cas aujourd’hui c’est
qu’aucun consensus général n’a pu apparaître sur la question donnée. C’est pourquoi doit être
écartée l’idée d’utiliser le mécanisme des lois de police en remplacement. D’ailleurs, l’arrêt
Unamar en atteste puisqu’il établit qu’il n’existe pas de lois de police européennes, mais que
ce sont bien les Etats qui, par leurs lois de transposition nationales, créent des lois de police,
lesquelles sont nationales et peuvent prévoir un degré de protection différent d’un Etat à
l’autre. De cette façon, les lois de police doivent nécessairement demeurer nationales car elles
ne font pas, en réalité, l’objet d’un consensus européen et contraindraient les Etats dans
l’étendue de la protection accordée.
Enfin, reconnaître des lois de police européennes inviterait à créer une deuxième
catégorie de règles face aux lois de police nationales. De nouvelles difficultés apparaîtraient
nécessairement dans la mesure où plusieurs lois de police pourraient se confronter. Dans
l’hypothèse où une loi de police européenne et une loi de police nationale auraient vocation à
s’appliquer, il faudrait nécessairement trancher en faveur de l’application de l’une d’elles.

1669
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 177 : « Les lois de police, rappelons-le, s’appliquent impérativement
parce que leur respect est jugé nécessaire à l’efficacité d’une politique publique de l’Etat qui les a édictées. Or
cette efficacité n’a rien à gagner à appréhender des situations sans lien avec le for ; les lois de police ne doivent
donc s’intéresser qu’aux seules situations qui présentent avec le for un lien suffisant pour que leur application
puisse servir les objectifs d’intérêt général qu’elles poursuivent ».

542
Cependant, la difficulté serait de choisir le critère pour résoudre le problème. Aussi bien, il
pourrait être considéré, en vertu de la hiérarchie des normes que les lois de police
européennes priment sur les lois de police nationales, aussi bien il pourrait être défendu l’idée
selon laquelle la loi de police offrant la meilleure protection est celle qui doit être appliquée.
1223. Les lois de police nationales corollaires de l’harmonisation du droit des
conflits de lois. Tous ces éléments invitent donc à considérer que les lois de police doivent
demeurer nationales dans un souci d’harmonisation du droit des conflits de lois mais aussi
d’uniformisation. Si les lois de police demeurent nationales, la seule difficulté qui demeurera
tiendra à leur identification. Si cette lacune réussit à être surmontée, alors la méthode du droit
des conflits de lois sera contrainte par un mécanisme d’exception préservant l’égalité des
sujets de droit placés dans une situation internationale équivalente.
1224. La réformation conseillée des règles gouvernant la détermination du droit
applicable. Finalement, la détermination de la règle applicable doit voir son régime quelque
peu réformé par respect de l’égalité de traitement. C’est pourquoi il serait nécessaire, dans le
principe, de procéder à une coordination des ordres juridiques sous l’égide d’un principe de
primauté, de la même façon qu’il serait préférable d’encadrer strictement les champs
d’application des textes internationaux portant règlement du conflit de lois. De surcroît, quant
au cas exceptionnel des lois de police, il convient surtout de s’accorder à ce que le législateur
national résolve ses problèmes d’identification. En procédant à ces quelques révisions, tant
neutralité et égalité de traitement que prévisibilité juridique seraient garantis.

543
544
CONCLUSION DU CHAPITRE I :
1225. La révision de la méthode d’applicabilité au regard de l’égalité de
traitement. Pour conserver les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement des sujets de
droit, et conséquemment des situations internationales, qui peuvent être promus par la
méthode du droit des conflits de lois, il faut également que ceux-là soient respectés par son
régime notamment au regard de la méthode d’applicabilité de la règle de droit, et
particulièrement de la règle de conflit. Or, son étude fait état de nombreuses incompatibilités
avec ces objectifs qu’il convient nécessairement de résoudre.
1226. De l’éviction de la qualification lege fori à l’adoption d’une qualification
internationale. L’identification de la situation internationale selon les conceptions du for
constitue la méthode la plus adaptée au regard des autres méthodes proposées en droit positif.
Cependant, celle-ci ne préserve pas les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement prônés
par un système bilatéral. C’est pourquoi dans un objectif de traitement neutre et uniforme, il
doit être recouru à une qualification indépendante de celles déjà existantes. La qualification
lege fori doit alors être abandonnée pour une qualification internationale c’est-à-dire une
méthode selon laquelle il ne serait nécessaire de dégager que les grandes catégories de
rattachement communes par le biais d’une étude comparative. Or, ce résultat peut
vraisemblablement être atteint par la mise en place d’une règle de conflit unique à
rattachement aux liens les plus étroits. Ainsi, l’égalité de traitement serait respectée puisque
d’une part, la méthode de qualification serait commune aux Etats dans la mesure où elle ne
répondrait qu’à l’objet du droit des conflits de lois sans remettre en cause l’identité des Etats,
et d’autre part, elle conduirait à une qualification uniforme entre Etats.
1227. Vers un encadrement plus strict des règles relatives à la détermination du
droit applicable. En outre, si la qualification doit être révisée, la phase de détermination de la
règle applicable doit l’être également pour répondre des objectifs de neutralité et d’égalité de
traitement puisque leur construction juridique actuelle fausse le jeu de toute égalité de
traitement. C’est pourquoi en premier lieu, la détermination de la règle applicable au sein des
différentes sources du droit international privé doit être envisagée au regard d’une approche
coordonnée des systèmes, encadrée par un principe de primauté de manière à faire primer la
norme considérée comme supérieure sans pour autant remettre en cause la souveraineté de
chaque autorité étatique. Par ce biais, chaque situation sera traitée de manière identique. En
second lieu, il convient d’encadrer strictement les conditions d’applicabilité des textes
internationaux afin d’éviter tout risque d’arbitraire au moment de leur application par les

545
juges nationaux. Le champ d’application de ces conditions doit se suffire à lui-même afin
d’évincer tout aléa de solutions selon le juge saisi. L’objectif doit être de mettre fin à toute
politisation de la discipline et d’éradiquer tout traitement inégalitaire des justiciables. En
dernier lieu, le jeu exceptionnel des lois de police doit être maintenu eu égard au rôle
complémentaire qu’il assure en matière de protection des intérêts privés. Cependant, il est
nécessaire de remédier à son problème d’identification, notamment par le biais du législateur,
afin de pouvoir garantir une application neutre et égalitaire de ces dispositions impératives par
les juges nationaux.
1228. Des règles d’applicabilité controversables corrigibles. Finalement, la
méthode d’applicabilité de la règle de droit demeure controversable dans la mesure où sa
constitution actuelle conduit dans plusieurs cas à mettre en échec l’égalité de traitement,
notamment en recourant à des mécanismes au regard desquels la neutralité de la méthode
n’est pas respectée. Toutefois, ces controverses peuvent être solutionnées pour répondre de
ces objectifs. En outre, cette phase d’applicabilité peut être perturbée ultérieurement par
certains mécanismes juridiques, lesquels remettent en cause une nouvelle fois cet objectif
d’égalité de traitement.

546
CHAPITRE II : DE LA SUPPRESSION A LA REVISION DES MECANISMES

PERTURBATEURS EN VERTU DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1229. La perturbation du jeu classique de la phase d’applicabilité. Les règles de


conflit font l’objet d’un régime spécifique afin d’être mises en œuvre, lequel débute
notamment par la qualification de la situation internationale. En effet, « le jeu des
qualifications et de l’intégration aux catégories de rattachement fait partie du procédé normal
de rattachement et peut conduire à l’application de la loi étrangère »1670. Cependant, « il peut
se faire que cette règle normale de rattachement ne puisse pas jouer », notamment lorsqu’il
« existe une antinomie entre les différentes règles de conflit »1671. C’est pourquoi le régime
général comprend des éléments perturbateurs dont trois viennent contrarier la mise en œuvre
classique de la règle de conflit.
1230. Le renvoi. En premier lieu, l’utilisation de la règle de conflit classique peut
être remise en cause par le mécanisme du renvoi. Dans le cadre de ce mécanisme perturbateur
admis en droit français, la règle de conflit n’a plus pour objet de désigner la loi matérielle
applicable. Elle conduit à désigner les règles de conflit de lois contenues par la loi étrangère
reconnue applicable. Par conséquent, il conviendra d’opérer un renvoi à la loi du for ou à la
loi étrangère désignée par les règles de conflit de lois étrangères. En d’autres termes, le renvoi
a pour effet de remettre en cause la désignation opérée par la règle de conflit dans son rôle
classique. Eu égard, à l’effet provoqué par le mécanisme du renvoi, notamment quant au
résultat obtenu, il est nécessaire de le confronter à l’égalité de traitement. Or, cette analyse
invite à considérer que la défense de ce mécanisme semble malaisée et qu’il serait sans doute
préférable de l’abolir (section 1).
1231. Les conflits de lois dans le temps et dans l’espace. En second lieu, la règle de
conflit peut faire l’objet d’un conflit de lois dans le temps dans la mesure où il est possible
que deux règles de conflit successives aient vocation à s’appliquer à la situation d’espèce. Par
conséquent, il conviendra nécessairement de trancher entre l’application de la règle de conflit
nouvelle et de la règle de conflit ancienne. En outre ce problème se subdivise en deux
catégories que sont d’une part, le véritable conflit de lois dans le temps, et d’autre part, le
conflit de lois dans l’espace. Ainsi, la difficulté peut consister en un changement de
législations du droit international privé dans un ordre juridique donné. Il s’agira alors de

1670
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 11.4°.
1671
Ibid.

547
déterminer, conformément à un conflit de lois dans le temps, laquelle de la loi ancienne ou
nouvelle est applicable. Il peut encore s’agir d’un changement de rattachement dans l’espace.
Plus précisément, il peut également se produire l’hypothèse selon laquelle un élément de
rattachement fait l’objet d’une modification dans l’espace laquelle invite à s’interroger sur
l’application de la règle de conflit. En d’autres termes, il conviendra de se demander si la
situation internationale est régie par la règle de conflit ancienne ou la règle de conflit
nouvelle. En outre, ces conflits de lois dans le temps et dans l’espace peuvent avoir également
pour vocation de modifier le résultat éconduit par la règle de conflit. C’est pourquoi il est
également important de les confronter à l’égalité de traitement, afin d’établir quelles solutions
sont compatibles avec sa protection (section 2).

SECTION 1 : DE LA DEFENSE A L’ABOLITION DU RENVOI EN REPONSE AU


SYSTEME BILATERAL

1232. Parmi les mécanismes perturbateurs de la règle de conflit, s’inscrit en premier


lieu le renvoi. Il s’agit de l’hypothèse d’un « conflit négatif » qui se déroule « lorsque, dans
un cas donné, chacune des règles de conflit attribue compétence, non à sa propre loi interne
mais à une loi étrangère » 1672 c’est-à-dire que « notre droit international privé propose la
compétence à une loi étrangère et le droit international privé étranger décline l’offre qui lui est
faite »1673. Ainsi, dans ce cas, il convient de se demander si la loi étrangère est applicable dans
ses règles matérielles, ou alors dans ses règles conflictuelles. Si le renvoi est admis, il faudra
l’appliquer dans ses règles conflictuelles.
Face à la complexité du mécanisme du renvoi, de nombreux débats doctrinaux se sont
élevés en faveur et en défaveur de son admission et de sa mise en œuvre. C’est pourquoi ce
mécanisme a pu être défendu tend en doctrine qu’en jurisprudence. Néanmoins celle-ci reste
relativement malaisée face à une logique d’égalité de traitement des sujets de droit placés
dans une situation internationale similaire (sous-section 1). En effet, si le renvoi présente
certains avantages, il présente aussi de nombreux défauts qui demeurent incurables. De cette
manière, son exclusion est davantage souhaitée afin de garantir un traitement égalitaire des
sujets de droit qu’il n’est pas aujourd’hui capable d’assurer (sous-section 2).

1672
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 285.
1673
Ibid.

548
SOUS-SECTION 1 : LA DEFENSE MALAISEE DU RENVOI DANS UNE LOGIQUE
D’EGALITE DE TRAITEMENT

1233. Le mécanisme du renvoi a fait l’objet de nombreuses théories doctrinales


s’exprimant en faveur de son admission. Cependant, il est toujours demeuré impossible
d’élaborer une argumentation justifiant absolument sa légitimité notamment au regard des
défauts qu’il peut parfois présenter (§ 1). Pour autant, au regard des différents atouts qui
peuvent caractériser le mécanisme du renvoi en droit des conflits de lois, celui-ci a fait l’objet
d’une reconnaissance juridique en droit positif (§ 2).

§ 1 – LA LEGITIMITE RELATIVE DU RENVOI EU EGARD AUX DOCTRINES


FAVORABLES A SON ADMISSION

1234. Afin de défendre le mécanisme du renvoi, de nombreux auteurs ont développé


des théories consistant à exposer les différents arguments à l’appui de son admission. D’une
part, s’est développée une doctrine majoritairement d’inspiration publiciste. Cependant, une
telle conception s’avère intolérable dans un système de règles de conflit bilatérales (A).
D’autre part, à l’époque contemporaine, de nouvelles doctrines, d’inspiration privatiste, ont
été soutenues. Celles-ci sont alors quasiment parvenues à légitimer le recours au renvoi.
Néanmoins, une justification totale à l’appui de son admission demeure inexistante (B).

A. L’INTOLERABLE DEFENSE DU RENVOI VIA DES ARGUMENTS PUBLICISTES


1235. Comme la discipline du droit des conflits de lois, le renvoi a avant tout été
défendu au regard de considérations d’ordre publiciste. En effet, la discipline ayant été
envisagée originellement comme un conflit de souverainetés a nécessairement influencé
certaines doctrines à propos de son régime. C’est pourquoi le renvoi a classiquement été
défendu à l’aune de la théorie erronée du renvoi-délégation (1), puis à l’époque moderne, au
travers de l’idéologie unilatéraliste qui demeure inadaptée dans un système conflictuel
bilatéral (2).

1) La théorie erronée du renvoi-délégation


1236. Classiquement le renvoi a pu être justifié en doctrine en considérant qu’il
s’agissait de la conséquence même d’une délégation de compétence opérée par l’ordre
juridique du for à l’ordre juridique étranger (a). Cependant, dans la mesure où la mise en
œuvre des règles de conflit n’est en aucun cas assimilable à une délégation de compétence,
cette théorie a nécessairement été écartée pour justifier le recours au mécanisme du renvoi (b).

549
a) Le renvoi objet d’une délégation de compétence de la part de l’ordre juridique du for
1237. Une délégation de compétence au législateur étranger. Classiquement, le
renvoi a pu être défendu selon une conception nommée renvoi-délégation. Selon celle-ci, « le
renvoi est la conséquence d’une application directe et nécessaire de la règle de conflit
étrangère » et « résulte d’une délégation de compétence accordée au système juridique
étranger » 1674 . Il s’agit plus précisément de considérer que « lorsque la règle de conflit
française attribue compétence à la loi étrangère, elle confie au législateur étranger une
délégation de compétence qui recouvre à la fois la loi interne étrangère et le droit international
privé étranger qui sont indissociables à raison de l’indivisibilité existant entre eux »1675.
1238. Un renvoi fondé sur l’indivisibilité du droit étranger. Cette doctrine repose
sur « l’indivisibilité du droit étranger déclaré compétent »1676 c’est-à-dire que « les règles du
droit interne et les règles de conflit forment (…) un tout indivisible » dans lequel « les
secondes n’ont d’autre objet que de délimiter le champ d’application des premières »1677. Par
conséquent, « lorsqu’une loi étrangère est compétente, il faut (…) l’appliquer telle qu’elle est,
c’est-à-dire en tenant compte de ses dispositions de droit international privé » 1678 .
L’application des règles de conflit étrangères pourra alors renvoyer à l’application de la lex
fori. Ainsi, cette doctrine consiste à considérer que le mécanisme du renvoi n’est que l’objet
d’une délégation de compétence consentie par l’ordre juridique du for. Il est alors tout à fait
légitime, au regard de cette délégation de compétence, que l’application des règles de conflit
étrangères lui rende la pareille. Cependant, si cette justification semble de prime abord
pertinente, elle n’en est pas moins contestable.

b) L’absence de délégation de compétence dans la mise œuvre des règles de conflit


1239. Une utilisation abusive de la délégation de compétence. Justifier le
mécanisme du renvoi par une délégation de compétence lui accorde une véritable légitimité
puisqu’il n’est que la conséquence logique de ce que l’ordre juridique du for accorde à l’ordre
juridique étranger. Cependant, pour que l’intégralité de cette doctrine fonctionne, il faut que la
théorie d’une délégation de compétence soit elle-même fondée. En effet, celle-ci doit être
remise en cause dans la mesure où « en désignant le droit étranger, la règle de conflit du for

1674
J. Derruppé, « Etude théorique du renvoi », J.-Cl. Droit international, 1993, Fasc. 532-1, § 18.
1675
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 300.
1676
J. Derruppé, op. cit., § 19.
1677
Ibid.
1678
Ibid.

550
ne peut être comprise comme conférant un pouvoir normatif à l’autorité étrangère »1679. En
vérité, « cette thèse fait une utilisation abusive de l’idée de délégation de compétence »1680.
1240. Un renvoi fondé sur l’idéologie désuète du conflit de souverainetés.
Aujourd’hui, chaque Etat établit ses propres règles de conflit de lois parce que « en l’absence
d’un souverain international, chaque Etat se voit reconnaître le droit de résoudre seul le conflit
des lois » 1681 . Pour autant, il ne s’agit pas de règles assimilables à une délégation de
compétence lorsqu’elles conduisent à désigner un ordre juridique étranger. Ce sont
simplement des règles qui expriment « l’opinion de chaque pays sur la meilleure façon de
répartir la compétence des diverses lois du monde et non pas uniquement de ses propres
lois » 1682 . C’est pourquoi l’argument selon lequel l’ordre juridique du for consent une
délégation de compétence ne peut être retenu. Il s’agit d’un argument de conception publiciste
construit en considération de l’ancienne idéologie du conflit de souverainetés. Dès lors,
retenir un mécanisme en considération d’une approche erronée du conflit de lois semble
suffire à évincer cette théorie. En outre, si chaque ordre juridique retient cette même
conception, aucune situation ne sera résolue par le recours au mécanisme puisque « si le droit
étranger renvoie au droit du for, celui-ci lui retourne, par hypothèse, la compétence et il se
produit ainsi un mouvement continuel de va-et-vient »1683. Par conséquent, en l’absence de
solution viable, la théorie du renvoi ne peut être que rejetée puisqu’elle créera un système
juridique sans fin.
1241. Une théorie erronée eu égard à la fonction des règles de conflit. De plus,
retenir « l’indivisibilité des règles matérielles et des normes en conflit » pour justifier
l’application des règles de conflit étrangères n’est pas pertinent, car ces règles n’ont pas la
même fonction. En effet, les règles de conflit ont pour objet de délimiter le champ
d’application dans l’espace des lois internes. Leur utilisation conduit à désigner la loi
applicable dans ses dispositions matérielles. Par conséquent, une fois l’ordre
juridique étranger désigné, « il ne peut pas y avoir obligation pour un juge de suivre un
système adopté par un autre législateur que le sien » 1684 . Ainsi, fonder le recours au
mécanisme du renvoi sur l’hypothèse d’une délégation de compétence n’est pas judicieux, car

1679
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 300.
1680
Ibid.
1681
J. Derruppé, op. cit., § 24.
1682
Ibid.
1683
Ibid., § 25.
1684
Ibid., § 24.

551
il ne s’agit pas d’une vérité. Il n’y a en aucun cas délégation de compétence d’un ordre
juridique à un autre lorsque sont mises en œuvre les règles de conflit. C’est pourquoi cette
théorie n’a pu être retenue par le droit positif. Pourtant, cette conception a pu inspirer une
autre doctrine soutenue par Niboyet.

2) La modernisation du renvoi au travers de l’unilatéralisme


1242. Postérieurement à la théorie du renvoi-délégation, Niboyet a défendu une
doctrine elle aussi fondée sur des considérations publicistes. En effet, il a réussi à défendre le
recours au mécanisme du renvoi par référence à l’indépendance des souverainetés et plus
précisément par l’appel à la notion d’ordre public (a). Cependant, sa conception d’essence
unilatéraliste ne peut en aucun cas justifier le renvoi dans un système conflictuel bilatéral
neutre (b).

a) Le renvoi à la loi du for commandé par le respect des souverainetés


1243. Un renvoi justifié par le respect des souverainetés. A la théorie du renvoi-
délégation a succédé une autre théorie d’essence publiciste promue par Niboyet. Pour celui-ci
« le fait que le conflit de lois recouvre un conflit de souverainetés commande ainsi
l’abstention de la règle de conflit dès lors que le rapport litigieux échappe à la compétence
législative du souverain du for »1685. Sa conception est fondée sur l’idée que le conflit de lois
traduit un conflit de souverainetés. Il se fonde spécifiquement sur la doctrine de Von Bar
selon laquelle « imposer une compétence à qui n’en veut pas, ce n’est pas le traiter en
égal »1686. Par conséquent « comme tous les Etats sont égaux et doivent se respecter les uns et
les autres, il ne peut y avoir de compétence imposée »1687.
1244. Le retour à la lex fori commandé par le concept d’ordre public. Partant de
ce postulat, il poursuit son raisonnement sur la base du concept d’« ordre public » pour
justifier le mécanisme du renvoi. Selon lui, « toutes les fois que la loi étrangère désignée ne
reçoit pas de l’Etat étranger compétence dans le cas envisagé, « notre compétence doit s’y
étendre en vertu de l’ordre public parce qu’il n’est pas possible qu’une situation juridique
possédant quelque attache avec la France demeure sans réglementation » 1688 . Ainsi, il
considère que l’application de la lex fori est justifiée par le concept d’ordre public. En effet,

1685
H. Muir-Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, op. cit., § 70.
1686
Ibid., citant L. Von Bar, Annuaire de l’institut de droit international, éd. Abrégée, 1900, T. IV, p. 541.
1687
Ibid.
1688
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 304, citant Niboyet, Traité de droit
international privé, t. III, p. 471 et s.

552
ce dernier « s’opposant à ce qu’un rapport de droit soit apatride commande donc le retour
systématique à la lex fori »1689. En d’autres termes, l’application de la lex fori est justifiée
chaque fois que la situation internationale présente un rattachement avec l’ordre juridique du
for pour des raisons d’ordre public. Cette conception s’accorde parfaitement d’une vision du
droit international privé fondée sur un conflit de souverainetés puisque l’indépendance des
souverainetés oblige à restituer à la loi du for sa propre compétence. Tout comme la doctrine
du renvoi-délégation présente l’avantage de justifier parfaitement le mécanisme du renvoi.
Cependant, une telle conception n’est plus acceptable dans un système de droit des conflits de
lois moderne.

b) L’incompatibilité du renvoi d’essence unilatéraliste dans un système bilatéraliste


1245. Un renvoi adapté à un système unilatéraliste. La doctrine de Niboyet
relative au renvoi est critiquable parce qu’elle se fonde avant tout sur une conception erronée
du conflit de lois tendant à le considérer comme un conflit de souverainetés plutôt qu’un
conflit de compétences législatives. Or, il a déjà été considéré que le droit international privé,
et plus précisément le droit des conflits de lois ne doit pas être envisagé au regard de ce
concept de conflit de souverainetés pour sauvegarder la neutralité de la discipline1690. En sus,
en s’appuyant sur l’indépendance des souverainetés, la théorie de Niboyet conduit
indubitablement « par le jeu d’un raisonnement abstrait, à la compétence immédiate et
systématique de la lex fori »1691. L’objet de sa méthode consiste à rendre applicable la lex fori
quelle que soit la situation internationale dès lors que celle-ci peut se rattacher à l’ordre
juridique du for. Or, une telle conception n’est plus adaptée dans un système de droit des
conflits de lois prônant une méthode conflictuelle bilatérale. Cependant, Niboyet s’inscrit
dans le mouvement des unilatéralistes, ce qui explique sa volonté d’appliquer avec une
certaine « brutalité »1692 la lex fori. Il ne cherche qu’à déterminer le champ d’application dans
l’espace de cette dernière.
1246. Un renvoi incompatible dans un système bilatéraliste. En outre, justifier le
renvoi au regard de l’indépendance des souverainetés ou d’une idéologie unilatéraliste doit
nécessairement être rejeté. Il ne peut s’agir d’un système fonctionnel puisqu’il est orienté sur
lui-même. En aucun cas, une neutralité dans l’utilisation du renvoi ne pourra être assurée,

1689
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 304.
1690
Cf. supra § 265 et s.
1691
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 304.
1692
Ibid.

553
comme aucune égalité de traitement ne pourra être garantie dans la mesure où le droit
international privé est incompatible avec toute idéologie publiciste. Tout mécanisme
imputable au régime du droit des conflits de lois, doit, comme sa méthode, être détaché de
toute conception purement souverainiste et/ou unilatéraliste pour être, d’une part, justifié au
regard des objectifs du droit des conflits de lois, et d’autre part, pour garantir neutralité et
égalité de traitement1693. C’est pourquoi d’autres doctrines ont été développées conformément
aux objectifs du droit des conflits de lois pour défendre le recours au mécanisme du renvoi.

B. LA DEFENSE A PRIORI LEGITIME DU RENVOI AU REGARD DES OBJECTIFS DU


DROIT DES CONFLITS DE LOIS

1247. Parallèlement aux arguments publicistes invoqués à l’appui du renvoi, d’autres


doctrines ont choisi de justifier le recours au mécanisme du renvoi au regard des objectifs du
droit des conflits de lois. En effet, a eu lieu « une longue période plutôt euphorique pendant
laquelle les auteurs (ont défendu) le recours à ce mécanisme de solution des conflits de
lois »1694. A ce titre, deux conceptions modernes se sont développées en considérant que le
renvoi pourrait être appliqué par souci d’harmonisation du droit des conflits de lois (1) ou de
coordination des règles de conflit (2).

1) Le renvoi défendu sous l’égide de l’harmonisation du droit des conflits de lois


1248. L’époque contemporaine s’est accompagnée de différentes doctrines
défenderesses du renvoi, dont l’une, développée par Lerebours-Pigeonnière, permettait par le
biais d’un règlement subsidiaire de justifier le mécanisme en ce qu’il assure l’harmonie des
règles de conflit (a). Cependant, en l’absence de conceptualisation générale, cette théorie
conduit en pratique à une véritable incertitude juridique (b).

a) Le renvoi règlement-subsidiaire facteur d’harmonisation


1249. L’élaboration d’une règle de conflit de second rang. Parallèlement à la
conception moderne développée par Niboyet, un autre théoricien, Lerebours-Pigeonnière a
proposé une nouvelle doctrine au soutien du mécanisme du renvoi. Néanmoins, celle-ci « tend
à justifier le renvoi d’une manière qui échappe au grief d’abandon de la souveraineté du
for » 1695 . Cette fois-ci, le renvoi ne semble plus envisagé au travers d’un conflit de
souverainetés, mais plus vraisemblablement au travers d’un conflit de compétences

1693
Cf. supra § 265 et s., et § 742 et s.
1694
P. Courbe, « Retour sur le renvoi », in Le monde du droit : écrit rédigés en l’honneur de Jacques Foyer,
Economica, 2008, p. 241 et s.
1695
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 281.

554
législatives. Comme Niboyet, l’auteur considérait que lorsque la règle de conflit a désigné un
droit étranger, il faut consulter son droit des conflits de lois « pour savoir s’il accepte ou non
l’offre de compétence qui lui est faite »1696. Cependant, pour résoudre le conflit négatif, la
solution proposée était différente. En effet, il estimait que, « quand le droit international privé
étranger rend la loi étrangère inapplicable au cas envisagé par notre règlement, il nous faut
désigner une autre loi au moyen d’une règle de conflit subsidiaire puisque notre droit
international privé ne se désintéresse pas de cette désignation et ne se réfère à cette fin ni au
droit international privé, ni à la jurisprudence étrangère »1697. Il y aurait donc « élaboration
d’une règle de conflit française de second rang »1698 laquelle permettrait, en cas de refus de
compétence de l’ordre juridique étranger, de renvoyer à la loi française.
De plus, pour justifier la pertinence de son raisonnement, Lerebours-Pigeonnière s’est
employé à démontrer que « s’il faut tenir compte du désistement étranger, c’est parce qu’il
faut prendre en considération les besoins du commerce international et les intérêts généraux
des Etats »1699. C’est pourquoi au nom de ces objectifs, « il faut que le droit du for fournisse
une nouvelle solution, à la place de sa règle de conflit normale qui ne peut jouer »1700. Il
s’agira de proposer « une règle de conflit subsidiaire »1701.
1250. Le renvoi au service de l’harmonisation du droit. L’atout principal de cette
doctrine consiste à s’inscrire dans un objectif d’harmonisation du droit des conflits de lois
dans la mesure où le mécanisme du renvoi consisterait à résoudre des situations dans
lesquelles le droit étranger n’a pas reconnu sa compétence, et pour lesquelles aucune loi n’est
alors considérée comme applicable. La doctrine de Lerebours-Pigeonnière pourrait donc
justifier l’existence du renvoi puisqu’elle s’inscrit en toute conformité avec l’esprit même du
droit international privé. En effet, elle « concourt à (l’) harmonisation, puisque la recherche
d’un règlement subsidiaire a précisément pour objet de remédier au défaut de communauté,
donc d’harmonie, existant entre la règle de conflit étrangère et la nôtre »1702. Il serait donc
souhaitable d’admettre le renvoi au titre d’une telle théorie puisqu’elle respecte l’essence du
droit des conflits de lois et garantit ses objectifs. De plus, si l’harmonisation n’est pas
l’universalisation, elle s’inscrit tout de même dans un esprit de communauté, lequel est un

1696
Y. Lequette, « Renvoi », Rép. intern. Dalloz, 1998, § 22.
1697
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 302.
1698
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 22.
1699
J. Derruppé, op. cit., § 53.
1700
Ibid., § 50.
1701
Ibid.
1702
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, § 302.

555
préalable nécessaire à toute égalité de traitement. Néanmoins, si cette conception semble être
la plus à même de justifier le mécanisme du renvoi, elle présente en réalité de véritables
défauts.

b) Le renvoi règlement-subsidiaire atteint d’incertitude juridique


1251. Une théorie insusceptible de généralisation. La théorie de Lerebours-
Pigeonnière paraît séduisante notamment en ce qu’elle assure, en théorie, l’harmonie du droit
des conflits de lois. Or, en pratique, tel n’est pas le cas. En effet, sa doctrine a été élaborée à
l’aune de deux matières que sont « la condition des personnes et (…) la succession
mobilière »1703. Cependant, l’auteur n’a jamais élaboré de règlement « complet » alors qu’« il
a donné à sa thèse une portée générale »1704. Cette lacune laisse douter de la portée générale
qu’il accorde à sa théorie dans la mesure où l’inachèvement de l’élaboration des règles
subsidiaires conduit inévitablement à une « incertitude juridique »1705. En effet, « il demeure
que la lex fori est déclarée applicable à défaut de tout autre règlement subsidiaire », « mais ce
n’est là qu’un expédiant insuffisant », « car le justiciable ne saura pas, tant que le règlement
subsidiaire n’aura pas été défini, si l’on n’imposera pas un rattachement subsidiaire préférable
à celui de la lex fori » 1706 . En d’autres termes, l’absence de généralisation de sa théorie
conduit à une véritable insécurité juridique pour les sujets de droit, et inévitablement à un aléa
des solutions.
1252. Une théorie insusceptible de résoudre le problème du renvoi. De plus, il a
également été soulevé que cette théorie ne s’inscrit pas totalement dans un objectif
d’harmonisation dans la mesure où il est possible que « le règlement subsidiaire (conduise) lui
aussi à un droit qui refuse sa compétence, la règle de conflit subsidiaire (étant) inapplicable
tout comme l’était la règle de conflit normale, il (faudra) alors un nouveau règlement
subsidiaire »1707. Ainsi, le système pourrait conduire à un « nouveau problème de renvoi »,
lequel n’est pas conforme à l’une des finalités du droit des conflits de lois c’est-à-dire à
l’harmonisation.
1253. L’absence de règle de conflit secondaire en droit positif. De surcroît, l’idée
selon laquelle le renvoi serait l’objet d’une règle de conflit subsidiaire n’est pas aujourd’hui

1703
J. Derruppé, op. cit., § 55.
1704
Ibid.
1705
Ibid., § 57.
1706
Ibid.
1707
Ibid., § 58.

556
admise en jurisprudence. Il semble que le droit positif se soit convaincu que la règle de conflit
« est unitaire » puisqu’aucune « distinction entre un règlement principal et un règlement
subsidiaire »1708 n’est opérée. Ainsi, le droit positif n’a pas souhaité se référer à cette théorie
pour justifier le renvoi, puisque celle-ci s’avère complexe à mettre en œuvre.
1254. Le rejet d’un renvoi vecteur d’insécurité juridique. Au regard de ces divers
éléments, la théorie de Lerebours-Pigeonnière doit être rejetée dans la mesure où elle conduit
à une insécurité juridique susceptible de mettre à mal l’égalité de traitement dont tout sujet de
droit peut se prévaloir. Néanmoins, une autre conception plutôt en faveur de la coordination et
non plus de l’harmonisation a été proposée par Batiffol.

2) Le renvoi soutenu à l’aune de la coordination des systèmes


1255. La défense du renvoi a été promue plus récemment par Batiffol pour lequel
l’utilisation du mécanisme se justifie par souci de coordination des systèmes. En effet,
considérer le renvoi à l’aune de la coordination en fait un outil adapté à un système de droit
des conflits de lois neutre et égalitaire (a). Malheureusement, si d’un point de vue théorique il
s’agit de la meilleure argumentation à l’appui du renvoi, en pratique certaines difficultés
subsistent et notamment celle du chassé-croisé (b).

a) Le renvoi coordination adapté à un système neutre et égalitaire


1256. Le renvoi coordination de Batiffol. Une autre théorie du renvoi a été
proposée par Batiffol, laquelle « procède d’un esprit tout à fait différent » 1709 . L’auteur,
« soucieux de parvenir à l’harmonisation des différents systèmes de droit international privé, a
cherché à résoudre le conflit négatif par la coordination des règles française et étrangère de
conflit »1710. Il considère, de prime abord, qu’il est possible de « concevoir sans contradiction
que le législateur, édictant lui-même la règle de conflit, prévoie, au moins dans certains cas,
une coordination éventuelle de sa règle avec la règle de conflit étrangère »1711. Il considère en
effet que « la règle étrangère n’entre pas en jeu par miracle, mais par la désignation de notre
règle de conflit ; il y a donc coordination des deux règles »1712. De plus, pour justifier l’emploi
du renvoi, il ajoute que « la coordination s’impose lorsque la règle de conflit du for désigne

1708
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 303.
1709
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 23.
1710
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 305.
1711
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 304.
1712
Ibid.

557
un droit étranger non unifié »1713. Ainsi, « le juge doit résoudre un conflit interne étranger et la
démarche naturelle est de s’en remettre, si elle existe, à la règle de conflit interne
étrangère »1714. En d’autres termes, au regard de cette théorie, « on considère que la règle de
conflit française, désigne d’abord le droit interne étranger et ensuite la règle de conflit
étrangère en vue de sa possible articulation avec le système étranger »1715.
1257. Une théorie respectueuse des objectifs du droit des conflits de lois. La
doctrine proposée par Batiffol est particulièrement pertinente en ce qu’elle respecte la nature
même de la règle de conflit ni ne remet en cause son caractère unitaire, et également en ce
qu’elle préconise la coordination de systèmes laquelle a pour finalité l’harmonisation du droit
des conflits de lois1716. En considérant que « les règles de conflit du for et de la loi étrangère
(opèrent) successivement et se (coordonnent) » sans qu’« aucune n’élimine l’autre » 1717 ,
Batiffol « rend compte du droit positif (…) en lui donnant un fondement cohérent »1718. En
sus, en détachant sa conception de toute vocation subsidiaire de la règle de conflit française à
s’appliquer, Batiffol « laisse subsister le renvoi au second degré que l’explication de
Lerebours-Pigeonnière exclut »1719. En effet, loin l’idée de considérer que la lex fori doit être
appliquée par respect des besoins du commerce international et des intérêts des Etats, il
considère que le mécanisme du renvoi n’est justifié que par souci de coordination des
systèmes. Or, attribuer le rôle d’un mécanisme à cet objectif est parfaitement conforme à
l’esprit de la discipline du droit des conflits de lois et constitue le préalable nécessaire à une
méthode parfaitement neutre. C’est pourquoi sa doctrine est d’autant plus louable.
Ainsi, le renvoi constituerait un mécanisme de coordination des systèmes respectant
intégralement chaque règle de conflit. Il s’agirait « d’une articulation de deux systèmes,
articulation qui laisse conserver à la règle de renvoi son caractère de règle étrangère »1720. Par
conséquent, sa conception prône les mêmes objectifs que celles de Lerebours-Pigeonnière

1713
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 304.
1714
Ibid.
1715
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 23.
1716
Voir en ce sens : Y. Lequette, « Les mutations du droit international privé : vers un changement de
paradigme ? Cours général de droit international privé », op. cit., § 130 : « Détachée du conflit de souverainetés,
la règle de conflit de lois se voit ainsi confier la mission de localiser au mieux les rapports individuels dans la
perspective d’un règlement satisfaisant des intérêts en jeu, c’est-à-dire en favorisant l’harmonie internationale
des solutions dont la rupture est porteuse de discontinuité et d’imprévisibilité dans la vie internationale des
particuliers, tout en veillant à ce que soit préservée la cohésion de l’ordre interne du for. Or à ces différents
points de vue, le renvoi coordination tel que préconisé par Henri Batiffol rend d’appréciables services ».
1717
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 23.
1718
Ibid., § 26.
1719
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 305.
1720
Ibid.

558
mais est exempte des défauts qui lui sont imputables. Ainsi, la défense du renvoi peut être
justifiée au regard de cette théorie qui s’inscrit dans une optique d’harmonisation des règles
de conflit et qui ne remet pas en cause la méthode classique du droit des conflits de lois.
Cependant, il faut qu’elle conduise à une harmonie des solutions en pratique.

b) Le renvoi coordination vicié par l’objection du chassé-croisé


1258. La doctrine de Batiffol est très satisfaisante dans la mesure où elle réussit à
justifier le recours au renvoi de manière parfaitement légitime. Néanmoins, une difficulté
subsiste. En effet, puisque la méthode du renvoi consiste simplement en ce que la règle de
conflit étrangère rentre en jeu par désignation de la règle de conflit du for, elle peut conduire à
un certain chassé-croisé. Ainsi, « à l’argument de la coordination, on a cependant opposé que
dans le cas de désignation réciproque de deux lois, loin d’aboutir à l’harmonie des solutions,
le jeu du renvoi donne lieu à un chassé-croisé »1721. Par conséquent, si les fondements imputés
par Batiffol à la théorie du renvoi semblent être les plus adaptés pour justifier sa légitimité, ils
ne font pourtant pas sauter les obstacles auxquelles ce mécanisme peut conduire. Or, il
apparaît que ce problème de chassé-croisé doit être totalement exclu afin que l’harmonie des
solutions soit garantie à tout sujet de droit dans un souci d’égalité de traitement. Néanmoins,
et par souci de coordination des systèmes, le renvoi a été admis en droit positif.

§ 2 – LA RECONNAISSANCE DU RENVOI EN DROIT POSITIF EN RAISON DE SES


DIFFERENTS ATOUTS

1259. Malgré l’absence d’une théorie doctrinale parfaitement à même de justifier


l’admission du renvoi en droit des conflits de lois, le mécanisme a tout de même été reconnu
en droit positif. En effet, la jurisprudence française l’a consacré dans la mesure où il peut
permettre la réalisation des finalités du droit des conflits de lois (A). C’est pourquoi il a
également fait l’objet d’une admission généralisée notamment grâce au pragmatisme dont il
fait état (B).

A. L’ADMISSION DU RENVOI PAR LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE AU REGARD


DES FINALITES DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

1260. Au regard des nombreux débats doctrinaux existants à l’égard du mécanisme


du renvoi, il a été « disséqué une jurisprudence qui lui est favorable » 1722 . La Cour de

1721
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 283.
1722
P. Louis-Lucas, « Le renvoi dans le projet de la commission de réforme du Code civil », TCFDIP, 1948-
1952, p. 33 et s.

559
cassation a décidé de consacrer le mécanisme dans son principe par souci d’harmonisation des
règles de conflit, mais aussi de réalisme (1). Puis, au-delà d’une admission de principe, la
haute cour l’a reconnu sous toutes ses formes considérant que le renvoi ne fait que répondre
aux objectifs du droit des conflits de lois que sont l’homogénéité et l’uniformité de ses règles
(2).

1) Une consécration par souci d’harmonie et de réalisme


1261. Si les fondements imputables à la défense du renvoi peuvent toujours être
remis en cause au regard de certaines objections, la jurisprudence s’est pourtant accordée à
admettre le mécanisme du renvoi en droit positif afin de garantir l’harmonisation des règles de
conflit (a). En outre, il semble que la jurisprudence ait simplement consacré le renvoi par
souci de réalisme (b).

a) La reconnaissance du renvoi motivée par l’harmonisation des règles de conflit


1262. L’admission de principe du renvoi par l’arrêt Forgo. « Le point de départ
de l’admission du renvoi par la jurisprudence française réside dans l’arrêt Forgo rendu le 22
juin 1878 par la chambre civile de la Cour de cassation »1723. Il s’agit de la première fois que
la Cour de cassation a admis le renvoi en acceptant « le renvoi opéré à la loi matérielle
française par la règle bavaroise de conflit de lois »1724.
1263. Une admission justifiée par l’harmonie des législations. Si dans cette
situation internationale, la Cour de cassation n’a pas précisé quelle raison justifiait
l’admission du renvoi en droit positif, il est supposé que l’effet escompté en est tout
simplement le motif. Effectivement, « la Cour de cassation a accueilli le renvoi proprement
dit (…) parce que la prise en considération du droit international privé (étranger) lui
fournissait le moyen d’harmoniser les deux législations divergentes » 1725 et de donner
compétence à la loi française. Par conséquent, le renvoi a été admis en droit positif par souci

1723
J. Derruppé et E. Agostini, « Le renvoi dans la jurisprudence française », J.-Cl. Droit international, 1994,
Fasc. 532-2, § 2.
1724
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 300.
1725
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 306.

560
d’harmonisation1726. La consécration du renvoi dans la jurisprudence française semble donc
avoir été un véritable apport pour la méthode du droit des conflits de lois puisqu’elle a pour
objet d’harmoniser les règles de conflit. De plus, la Cour de cassation a pu estimer que
l’admission du renvoi en droit positif n’était que la conséquence d’une réalité.

b) L’admission du renvoi par réalisme à l’égard des situations internationales


1264. L’assurance d’un droit coordonné. Ce n’est qu’en 1910, dans l’arrêt Soulié,
que la Cour de cassation a donné au renvoi une justification en considérant que « la loi
française de droit international privé ne souffre d’aucune manière du renvoi qui est fait à la loi
interne française par la loi de droit international étranger ; qu’il n’y a qu’avantage à ce que
tout conflit se trouve ainsi supprimé, et à ce que la loi française régisse d’après ses propres
vues des intérêts qui naissent sur son territoire »1727. Au regard de cette affirmation, la Cour
de cassation rappelle l’intérêt d’user du mécanisme du renvoi, notamment en ce qu’il permet
la suppression de tout conflit négatif, ce qui conduit nécessairement à une véritable
coordination du droit des conflits de lois. En effet, « la Cour de cassation entendait sans doute
marquer que grâce au renvoi au premier degré, on parviendrait à l’harmonie internationale,
car la solution serait la même dans les deux pays »1728.
1265. L’assurance d’un droit réaliste. De surcroît, elle justifie son recours en
considérant qu’il ne s’agit que de consacrer une réalité. En d’autres termes, c’est parce qu’une
situation naît sur le territoire français qu’elle a légitimement intérêt à être régie par le droit
français grâce au renvoi opéré par la règle de conflit étrangère vers l’ordre juridique français.
Comme l’ont affirmé Batiffol et le Professeur Lagarde, « si le système correspond à une
certaine réalité qui s’impose à ceux qui décident, comment cette réalité peut-elle apparaître
incohérente à l’analyse ? »1729. Finalement, dans la mesure où le recours au renvoi s’impose
de lui-même, il suffirait à se justifier lui-même par souci de cohérence. Il ne serait qu’un

1726
Voir en ce sens : B. Ancel, « Limitation de la mise en œuvre du renvoi en matière de succession
internationale », RCDIP 2009, p. 512, à propos de l’admission du renvoi en matière de succession immobilière :
« celui-ci offrait à l'origine une réponse au conflit de systèmes, il devient désormais, en matière de succession
immobilière (…) l'instrument d'une éventuelle unification de la succession. Il n'est plus appelé à résoudre le
problème de l'unité des solutions en l'état de la pluralité des systèmes de conflit, mais à résoudre le problème de
l'unité de la succession en l'état de la dualité des règles françaises de conflit et le dispositif retenu consacre ainsi
cette dualité de désignation tout en la réprouvant pourvu qu'un appui lui soit fourni par le conflit de
systèmes » afin de donner entièrement compétence à la loi française.
1727
Cass., Req., 9 mars 1910, Soulié, RCDIP 1910, p. 870 ; JDI 1910, p. 888 ; D.P. 1912, I, p. 262 rapp. Denis ;
S. 1913, I, p. 105, note E. A.
1728
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 28.
1729
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 303.

561
mécanisme voué à l’harmonisation du droit des conflits de lois. C’est pourquoi il a été admis,
quel que soit son degré.

2) Une consécration globale conformément aux objectifs du droit des conflits de lois
1266. Considérant que le mécanisme du renvoi a fait l’objet d’une reconnaissance de
principe par la Cour de cassation, celui-ci a été admis sous toutes ses déclinaisons depuis
l’arrêt Forgo (a). Ce choix opéré par la haute cour se justifie conformément aux objectifs
poursuivis par le mécanisme dans la mesure où ceux-ci sont identiques à ceux du droit des
conflits de lois c’est-à-dire l’homogénéité et l’uniformité (b).

a) L’admission jurisprudentielle du renvoi sous ses différentes déclinaisons


1267. La reconnaissance du renvoi au premier et au second degrés. Si la Cour de
cassation a consacré le mécanisme du renvoi dans son arrêt Forgo1730, elle a véritablement
admis le renvoi au premier degré qui se produit « lorsque la règle de conflit étrangère de l’Etat
dont la loi interne est compétente d’après la règle de conflit du for, désigne la loi interne de ce
dernier for comme devant être applicable »1731. Les hypothèses de renvoi au premier degré se
sont révélées fréquentes par la suite en jurisprudence. Cependant, la Cour de cassation ne s’est
pas contentée de cette seule hypothèse. Par l’arrêt De Marchi della Costa de 19381732, la haute
cour a également reconnu juridiquement le renvoi au second degré. Il s’agissait cette fois de
l’hypothèse dans laquelle « la règle de conflit étrangère du pays dont la loi interne est
applicable en vertu de la règle de conflit française, attribue compétence non à la loi française,
mais à une loi tierce qui se reconnaît compétente »1733 . Or, « à l’occasion d’un renvoi au
premier degré (…) la Cour de cassation a d’abord admis le principe du renvoi au second
degré, énonçant que les juges du fond avaient justement reconnu « le caractère en principe
obligatoire du renvoi fait par la loi nationale d’un étranger à la loi d’un autre Etat pouvant être
le cas échéant la législation française »1734. Même s’il s’agissait d’une hypothèse de renvoi au
premier degré, la Cour de cassation a bien consacré le renvoi au second degré. Sa
jurisprudence postérieure l’a d’ailleurs confirmé notamment dans l’affaire Zagha1735.

1730
Cass., Civ., 24 juin 1878, Forgo, S. 1878, 1, p. 429 ; Dalloz 1879, I, p. 56 ; JDI 1879, p. 285, et GAJFDIP,
n°7.
1731
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 287.
1732
Cass., Civ., 7 mars 1938, De Marchi della Costa, RCDIP 1938, p. 472, note Batiffol, et GAJFDIP, n°16.
1733
Ibid.
1734
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 287, citant Cass. Civ., 7 mars 1938, de Marchi della Costa, préc.
1735
Cass., Civ., 15 juin 1982, Zagha, RCDIP 1938, p. 300, note J.-M. Bischoff ; Dalloz 1983, I, p. 322, obs. B.
Audit et p. 431, note Agostini ; JDI 1983, p. 595, note Lehmann.

562
1268. Une garantie globale des objectifs du droit des conflits de lois. En admettant
le principe du renvoi et plus précisément ses deux formes juridiques, qui se traduisent par le
renvoi au premier degré et le renvoi au second degré, la jurisprudence a souhaité garantir, au-
delà de l’harmonisation des règles de conflit, l’uniformité des solutions.

b) Un mécanisme en réponse aux finalités du droit des conflits de lois


1269. L’homogénéité des règles de conflit garantie par le renvoi au premier
degré. Il a pu être constaté au travers de l’arrêt Forgo que le renvoi est un mécanisme dont
l’objet est de garantir l’harmonie entre les règles de conflit. Or, dans cette espèce, il s’agissait
d’un renvoi au premier degré. L’avantage incontestable du renvoi au premier degré consiste à
« faire appliquer par le juge sa propre loi »1736. Le but de l’institution est de faciliter la tâche
du juge en supprimant tout conflit négatif. Par conséquent, l’avantage du renvoi au premier
degré consiste bien à assurer une certaine homogénéité dans la mise en œuvre des règles de
conflit, laquelle ne serait pas perturbée par un conflit négatif ni par l’absence de parallélisme
entre la compétence du juge et la loi applicable. Néanmoins, le renvoi au premier degré ne
conduira jamais à une uniformité de solutions. Cependant, le renvoi au second degré peut lui y
conduire.
1270. L’uniformité des solutions assurée par le renvoi au second degré. Batiffol
et le Professeur Lagarde ont expliqué que si « la règle de conflit du pays désigné par celle du
juge saisi renvoie à la loi d’un pays tiers dont la règle de conflit admet son application,
l’application de cette loi satisfait aux systèmes de conflit des trois pays considérés »1737. Par
conséquent, « la loi appliquée sera la même quel que soit celui de ces trois pays dont les juges
seront saisis » et ainsi sera assurée « l’uniformité des solutions »1738.
1271. Un mécanisme au service de la sécurité juridique. Finalement, la position de
la Cour de cassation s’inscrit, au regard du droit des conflits de lois, dans une optique
d’« homogénéité de l’ordre juridique français » 1739 en écartant tout conflit négatif et en
unissant juge et loi, puis d’uniformité des solutions. Par conséquent, la haute cour invite à
considérer que l’admission du renvoi est indispensable à la réalisation de ces deux objectifs et
garantit plus efficacement la sécurité juridique dans le traitement des situations
internationales. Comme l’a affirmé le Professeur Lequette, « le renvoi apparaît conforme à la

1736
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 305.
1737
Ibid., § 306.
1738
Ibid.
1739
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 28.

563
finalité du droit des conflits, ce qui devrait lui conférer une valeur et une portée générale »1740.
Cette raison a suffi à justifier sa reconnaissance de principe tant au premier qu’au second
degré. En sus, au regard des buts qu’il poursuit, le renvoi constitue, a priori, un mécanisme
conforme à l’idéologie d’égalité de traitement puisqu’il sert l’homogénéité et l’uniformité.
C’est pourquoi l’admission du renvoi s’est ensuite généralisée.

B. L’ADMISSION GENERALISEE DU RENVOI EN DROIT POSITIF EU EGARD A SON


PRAGMATISME

1272. Il apparaît que, corrélativement à la consécration jurisprudentielle du renvoi


par la Cour de cassation, ce mécanisme a fait l’objet d’une reconnaissance générale en droit
positif. En effet, à ce jour, le renvoi est admis de manière quasi unanime par la société
internationale (1). Par conséquent, il semble que le recours au renvoi s’impose de lui-même
au regard des avantages qu’il présente. Néanmoins, ce sont plutôt des raisons attachées à son
caractère pragmatique qui ont davantage justifié son recours de manière globale (2).

1) La reconnaissance juridique quasi unanime du renvoi


1273. Si le renvoi a été admis par l’ordre juridique français grâce à la Cour de
cassation au regard des divers avantages qu’il peut présenter, il a aussi été accueilli par la
plupart des ordres juridiques internes (a). Or, cet accueil ne s’est pas restreint aux ordres
juridiques nationaux puisqu’il s’est propagé jusqu’au niveau supranational. C’est pourquoi le
mécanisme peut aussi être prévu par des textes internationaux (b).

a) L’accueil du renvoi par la plupart des ordres juridiques internes


1274. Si le renvoi a connu une consécration de principe en droit français, il a
également été accueilli par de nombreux ordres juridiques internes. C’est le cas de la plupart
des pays européens comme l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche ou encore le
Portugal1741. En outre, l’accueil du renvoi ne s’est pas arrêté à l’Europe, puisqu’il a aussi été
reconnu en Israël ou encore en Turquie1742. Or, au regard de cette admission relativement
large par les différents ordres juridiques internes, il doit être considéré que les avantages du
renvoi « ne sont pas illusoires »1743. De plus, « le ralliement récent de l’Italie (réforme de
1995), traditionnellement hostile au renvoi, en est un indice supplémentaire »1744. Il semble

1740
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 28.
1741
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 302.
1742
Ibid.
1743
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 223.
1744
Ibid.

564
donc que, eu égard aux avantages qu’il peut présenter, le renvoi se soit développé dans
quasiment tout système juridique interne. En effet, comme l’a affirmé Savatier, « le renvoi est
(…) admis par presque toutes les jurisprudences étrangères »1745. Or, il a également réussi à
intégrer la sphère supranationale.

b) La prescription du renvoi par certains textes internationaux


1275. Le renvoi dans les instruments internationaux. Parallèlement à l’admission
du renvoi par les différents ordres juridiques nationaux, certains textes internationaux ont
également prévu son recours. Effectivement, « nombreuses sont les conventions
internationales qui le consacrent », et notamment « les Conventions de La Haye antérieures de
la Première Guerre mondiale, le Code Bustamante et les Conventions de Genève de 1930 et
1931 sur les effets du commerce » 1746 . De la même façon, certains règlements européens
consacrent le renvoi comme c’est le cas du règlement successions1747 en son article 34 lorsque
la règle de conflit a pour effet de désigner la loi d’un Etat tiers en l’absence de choix de loi.
Toutefois, cette admission reste ponctuelle à l’échelle internationale1748.
1276. L’admission généralisée du renvoi. Ces différentes consécrations du
mécanisme du renvoi par les ordres juridiques nationaux et supranationaux invitent à
considérer que le recours au mécanisme s’impose de lui-même au regard des avantages qu’il
présente. C’est pourquoi il faut considérer que le recours à ce mécanisme, comme l’a été celui
de la qualification lege fori, a été commandé par un certain pragmatisme. Comme l’a affirmé
le Professeur Bernard Audit, « le renvoi a été analysé comme un « expédient » mis en œuvre
pour parvenir à un résultat jugé satisfaisant »1749.

2) Le recours au renvoi réellement imputable à son caractère pragmatique


1277. La prolifération du renvoi aux différents ordres juridiques composant la société
internationale invite à considérer que le renvoi s’est en réalité propagé grâce à son caractère
pragmatique. En effet, s’il semble assurer les objectifs du droit des conflits de lois, il garantit
avant tout le respect de l’homogénéité de la loi interne (a). Par voie de conséquence, il permet

1745
R. Savatier, op. cit., § 331.
1746
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 297
1747
Règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes
authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.
1748
Cf. supra § 1299.
1749
B. Audit, Ch. II « La réduction de la crise : conceptualisme et fonctionnalisme dans le procédé de la règle de
conflit », in « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit », op. cit., § 2, spéc. p. 326.

565
alors d’évincer tout aléa de solutions et favorise donc un traitement a priori égalitaire des
sujets de droit (b).

a) L’homogénéité de la loi interne respectée par le fonctionnement du renvoi


1278. Le renvoi au service de l’homogénéité de la loi interne. Si les avantages que
présente le renvoi1750 peuvent venir au soutien de l’admission en droit positif du mécanisme
du renvoi, la raison la plus probante est sans doute celle du pragmatisme. En effet, l’utilisation
du renvoi par les juridictions internes se justifie essentiellement pour des raisons pratiques.
Indirectement, la volonté d’admettre le renvoi, notamment au premier degré, consiste à
permettre au juge saisi d’appliquer sa propre loi. Il s’agit véritablement de l’objectif poursuivi
parce qu’il présente « un avantage pratique évident » 1751 . S’il peut être considéré que
l’application de la loi du for conduit à évincer tout conflit négatif et à aligner compétence du
juge et loi applicable 1752 , il doit surtout être estimé que « l’intérêt général de l’Etat
représentant de l’ordre interne est de faire respecter sa loi, notamment en maintenant son
homogénéité, et en évitant donc, quand la chose est possible, l’intrusion d’éléments législatifs
étrangers, plus ou moins conciliables avec celui du for »1753. Par conséquent, comme l’ont
affirmé Batiffol et le Professeur Lagarde, l’utilisation du mécanisme du renvoi permet de
garantir l’homogénéité de la loi interne. Ainsi, si « le renvoi introduit la règle de conflit
étrangère, élément hétérogène par rapport au jeu normal de la règle de conflit du for ; (…) en
revanche, la loi interne du for va s’appliquer intégralement »1754.
1279. L’homogénéité de la loi interne préférée à celle des règles de conflit.
Finalement, le renvoi s’impose de lui-même dans tout ordre juridique, puisque « les tribunaux
ont toujours eu le sentiment que l’homogénéité de la loi interne importait plus que celles des
règles de conflit »1755. S’il peut être considéré que le renvoi au premier degré a pour fonction
de rendre plus homogène la mise en œuvre des règles de conflit par un ordre juridique
national, en vérité, cette homogénéité vise plus précisément la loi interne c’est-à-dire tant les
dispositions matérielles que conflictuelles de cet ordre juridique. Par conséquent, afin
d’assurer cet objectif, le renvoi a nécessairement été admis par le système français. Or, en
assurant l’homogénéité de la loi interne, le renvoi évince tout aléa de solutions.

1750
Cf. supra § 1262 et s.
1751
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 305.
1752
Cf. supra § 1268 et 1269.
1753
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 305.
1754
Ibid.
1755
Ibid.

566
b) Le renvoi justifié par le traitement a priori égalitaire des situations internationales
1280. L’exclusion de l’aléa des solutions. Dans la mesure où chaque ordre juridique
admet le renvoi et l’encadre, toute solution aléatoire va nécessairement être évincée. En effet,
chaque juge qui use du renvoi applique en principe sa propre loi. De cette manière, en
l’absence d’application d’une loi étrangère, toute erreur dans l’interprétation ou dans
l’application de la loi étrangère n’est plus envisageable. Par conséquent, le pragmatisme du
mécanisme invite à la sécurité juridique au regard des situations internationales, mais surtout
à l’harmonisation ou du moins à la coordination des solutions entre systèmes particularistes.
1281. Un recours uniformisé du renvoi au sein de la société internationale. De
plus, l’admission généralisée du renvoi par les différents ordres juridiques composant la
société internationale devrait conduire à une utilisation relativement uniformisée du renvoi,
notamment lorsque celui-ci est prévu par un texte international. En effet, si les « traités ont
pour but (…) de créer une règle de conflit commune », « le renvoi ne fait pas obstacle à ce
résultat, car si l’un des pays renvoie à un autre, tous les pays de l’union devront accepter ce
renvoi » 1756 . Par conséquent « la même loi (…) sera appliquée dans tous les pays
contractants » 1757 . Ainsi, au-delà de l’absence d’aléa dans le traitement des situations
internationales au regard de l’application de la loi matérielle, l’admission généralisée du
renvoi va conduire, quelle que soit la juridiction saisie, à admettre la compétence d’une même
loi. Or, un tel résultat ne peut être que félicité afin d’atteindre une véritable égalité de
traitement.
1282. Un mécanisme consacré conformément à son pragmatisme. En outre, si le
mécanisme du renvoi n’a pas pu être parfaitement défendu par une théorie doctrinale, il a pu
être consacré en droit positif grâce aux avantages qu’il présente, mais principalement au
regard de son caractère pragmatique. Cette reconnaissance juridique semble justifiée dans la
mesure où elle conduit à assurer un traitement égalitaire des situations internationales même
lorsque celles-ci sont soumises à cet élément perturbateur. Pourtant, cette égalité, parfois
garantie, peut vraisemblablement être mise à mal par le renvoi. C’est pourquoi il serait
préférable d’écarter ce mécanisme afin de garantir une totale égalité de traitement aux sujets
de droit.

1756
J. Derruppé, « Le renvoi dans les conventions internationales », J.-Cl. Droit international, 1993, Fasc. 532-3.
1757
Ibid.

567
SOUS-SECTION 2 : L’EXCLUSION SOUHAITEE DU RENVOI PAR MESURE
D’EGALITE DE TRAITEMENT

1283. Si le mécanisme du renvoi reçoit un certain aval par la doctrine et la


jurisprudence, il est toutefois contestable notamment au regard de l’objectif d’égalité de
traitement qui doit être garanti en droit des conflits de lois. C’est pourquoi de nombreuses
voix, fondées sur des objections tant théoriques que pratiques, se sont légitimement élevées à
l’encontre de son utilisation (§ 1). Au regard des divers défauts que peut présenter le
mécanisme, des remèdes ont été proposés pour lutter contre son caractère défectueux.
Cependant, ces derniers s’avérant insuffisants invitent au rejet unanime du renvoi afin de
respecter la méthode conflictuelle bilatérale classique (§ 2).

§ 1 – LA REMISE EN CAUSE DU RENVOI AU TRAVERS D’OBJECTIONS THEORIQUES ET


PRATIQUES

1284. Si le renvoi est admis en théorie générale des conflits de lois, il n’en reste pas
moins contestable. En effet, diverses objections doivent être élevées à son encontre. Certaines
sont théoriques dans la mesure où le mécanisme est incompatible avec la méthode
conflictuelle (A). D’autres sont simplement pratiques puisque l’application du renvoi favorise
l’imprévisibilité juridique (B).

A. LES OBJECTIONS THEORIQUES FONDEES SUR LE RESPECT DE LA METHODE


CONFLICTUELLE

1285. Si le mécanisme du renvoi a pu être soutenu par la doctrine au regard


d’arguments théoriques, il n’en reste pas moins pour autant discutable. En effet, son rejet est
parfaitement justifié dans la mesure où d’une part il est incompatible avec la fonction même
des règles de conflit (1) et d’autre part où il conduit à des solutions incurables contraires aux
objectifs de la méthode conflictuelle (2).

1) Le rejet indiscutable du renvoi face à la fonction des règles de conflit


1286. Il suffit pour attaquer le mécanisme du renvoi de considérer que celui-ci ne
respecte en aucun cas la fonction de la règle de conflit. Grâce à la doctrine prônée par les
particularistes, fondée sur le principe de souveraineté, et tendant à l’exclusion du renvoi (a), il
est apparu que ce dernier n’est en vérité que l’émanation d’une confusion terminologique.
C’est pourquoi il doit à ce titre être fermement rejeté (b).

568
a) L’exclusion controversable du renvoi par respect du principe de souveraineté
1287. Le rejet du renvoi au regard d’arguments publicistes. Le mécanisme du
renvoi a été manipulé à l’aune du principe de souveraineté pour en justifier le rejet. Les
tenants de cette doctrine, que sont notamment Pillet et Bartin, considèrent que « chaque pays
adopte ses propres règles de conflit ; c’est donc que le législateur entend trancher lui-même
les conflits de lois »1758. Leur philosophie consiste à considérer que lorsque la règle de conflit
française a désigné la loi applicable, le conflit est définitivement tranché. Il suffit d’appliquer
la loi désignée dans ses règles matérielles.
1288. Le rejet du renvoi par respect des souverainetés. Pour appuyer leur
opposition au mécanisme du renvoi, Bartin part du principe qu’« en édictant des règles de
conflit bilatérales, le législateur ne se contente pas de délimiter le domaine dans l’espace du
droit français mais exprime l’opinion qu’il se fait du meilleur aménagement de ces
souverainetés »1759. Partant de ce constat, les tenants de cette doctrine considèrent que « l’Etat
abdiquerait sa souveraineté s’il abandonnait à la règle étrangère de conflit le soin de
déterminer le champ d’application de sa propre loi »1760. Ainsi, lorsque la règle de conflit
française est appliquée, il convient de respecter le résultat indiqué par souci de souveraineté.
1289. Le respect des souverainetés au soutien de l’admission et du rejet du
renvoi. Cette théorie semble a priori valable au regard d’une idéologie particulariste
imprégnée de considérations souverainistes. Cependant, conformément à une approche plutôt
universaliste consistant à se détacher du concept de conflit de souverainetés, cette doctrine
semble mal adaptée. De plus, comme l’a démontré le Professeur Lequette, « la controverse
montre combien la notion de souveraineté est inapte à fonder la solution des conflits de
systèmes » 1761 . Effectivement, ce concept est utilisé aussi bien à l’appui que contre le
mécanisme du renvoi. Ce seul constat suffit à écarter toute position relative au renvoi fondée
sur le principe de souveraineté. Néanmoins, un point est pertinent dans la doctrine de Bartin
puisque sa doctrine tend à rappeler la fonction même de la règle de conflit bilatérale qui
consiste à désigner la loi applicable à une situation internationale, cette loi pouvant être aussi
bien la loi du for que la loi étrangère. Par conséquent, il pourrait plutôt être considéré que le
renvoi n’est que le fruit d’une confusion terminologique.

1758
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 301.
1759
Y. Lequette, « Le renvoi de qualifications », in Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec, 1990, § 8.
1760
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 301.
1761
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 19.

569
b) L’opposition ferme à un mécanisme émanant d’une confusion terminologique
1290. Une confusion entre règle de conflit et loi matérielle. En soutien aux
objections du renvoi, il a pu être avancé que celui-ci constitue « un faux problème qui en
réalité ne se pose pas et dont la naissance procède d’une confusion entre le droit international
privé (règle de conflit) et le droit interne (loi matérielle) »1762. En effet, lorsqu’une situation
présente un caractère international, les règles de droit international privé, à savoir
essentiellement les règles de conflit, lui sont appliquées. Or, à ce stade, certains « se pose(nt)
la question de savoir s’il faut entendre par loi étrangère les seules dispositions de droit interne
de pays étranger ou bien s’il faut également tenir compte des règles de conflit étrangères et,
plus généralement, de la teneur du système de droit international privé étranger »1763. Ainsi,
du fait de « cette ambiguïté linguistique », est apparu « un incident (dans) l’interprétation de
la règle de conflit du for »1764 permettant en quelque sorte d’admettre l’existence du renvoi.
1291. Un mécanisme irrespectueux de la fonction de la règle de conflit. Or,
véritablement, « lorsque le juge français est confronté à un problème de conflit de lois, il se
réfère à sa propre règle de conflit », laquelle « lui donne la solution et le conflit de lois est
réglé »1765. En effet, en respectant la fonction même de la règle de conflit conformément à sa
nature bilatérale, celle-ci n’a que pour objet de déterminer la loi applicable à la situation
internationale et en aucun cas n’a pour fonction de désigner les règles de conflit du droit
étranger. Cet argument semble parfaitement recevable pour justifier le rejet total du renvoi. Il
s’agit d’un outil créé par la pratique parce qu’il présente certains avantages, mais qui ne
respecte aucunement la nature même des règles de droit et spécialement des règles de
conflit1766. A ce titre, il n’est pas justifiable sur le plan théorique. De plus, ce mécanisme a été
véritablement construit de toute pièce pour satisfaire des intérêts pratiques qui ne servent pas
véritablement le droit des conflits de lois ni l’égalité de traitement des situations

1762
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 291.
1763
Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, op. cit., § 69.
1764
Ibid.
1765
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 291.
1766
Voir en ce sens : P. Louis-Lucas, « Le renvoi dans le projet de la commission de réforme du code civil », op.
cit., spéc. p. 35, lequel exposait l’excentricité du mécanisme du renvoi : « Qu'est-ce donc que ce circuit juridique
qui est conservé, qui est consacré ?... Qu'est-ce que ce phénomène de la transmission de la compétence
législative et, éventuellement, de la compétence juridictionnelle ?... Phénomène surprenant à première vue,
puisque le juge français, auquel le droit international privé français, au service duquel il est, commande
d'apprécier la capacité d'un Anglais d'après la loi anglaise, va, finalement, l'apprécier d'après la loi française,
parce que cet Anglais est domicilié en France, et que le droit international privé anglais, au service duquel le juge
français n'est pas, donne compétence à la loi du domicile ».

570
internationales. C’est d’ailleurs pourquoi son utilisation est atteinte par de nombreux vices qui
n’ont jusqu’à lors jamais été résolus en droit positif.

2) La création de solutions incurables par le recours au mécanisme du renvoi


1292. Au-delà des doctrines en défaveur du renvoi, d’autres arguments théoriques
peuvent également inviter à son rejet. En effet, il a pu être avancé que le mécanisme peut
conduire à une hypothèse de chassé-croisé entre les règles de conflit conduisant à une parfaite
incohérence de solutions (a). Cependant, il a surtout été démontré que le renvoi pouvait
conduire à un cercle vicieux dans l’application des règles de conflit ou à une application sans
fin. Or, ces hypothèses s’inscrivent en totale contradiction avec la fonction même de la
méthode conflictuelle (b).

a) L’incohérence du mécanisme face à l’hypothèse du chassé-croisé


1293. En pratique, le mécanisme du renvoi présente un défaut en particulier dans la
mesure où il peut conduire à un « chassé-croisé des solutions » 1767 . Pour reprendre un
exemple des Professeurs Bernard Audit et d’Avout, cela peut viser l’hypothèse suivante : « si
un juge anglais saisi du statut personnel d’un Anglais domicilié en France fait jouer le renvoi
sous couvert de coordination, il applique la loi anglaise alors qu’un tribunal français, dans le
même esprit, appliquera la loi française »1768. Par conséquent, le mécanisme du renvoi peut
conduire la juridiction du for, si le renvoi est exclu, à appliquer la loi étrangère, et la
juridiction étrangère à appliquer la loi du for. A l’inverse, dans l’hypothèse où le renvoi serait
admis, la juridiction du for appliquerait la loi du for, et la juridiction étrangère, sa loi
étrangère. Or, il est parfaitement regrettable que le renvoi puisse conduire à ce genre de
situations dans la mesure où la situation ne sera tout simplement pas régie de la même
manière selon le point de vue choisi1769. Néanmoins, l’hypothèse du chassé-croisé se réalise
rarement dans la mesure où elle « suppose que les autorités des deux pays intéressés (soient)

1767
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 291.5°.
1768
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 283.
1769
Voir en ce sens : F. Rigaux, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale :
Cours général de droit international privé », op. cit., § 100 : « Le premier vice consiste à donner à la norme
primaire de la lex fori une interprétation qui fait désigner à l'intérieur du droit étranger qu'elle déclare applicable
non point le droit matériel mais plutôt la règle de conflit qu'aurait appliquée le juge étranger, alors que cette règle
de conflit reçoit une interprétation différente consistant à désigner le droit matériel de la lex fori, ce qui arrête le
mouvement. Si le juge saisi s'était avisé de donner à la loi renvoyante l'interprétation grâce à laquelle elle a été
appliquée, le pendule se balancerait indéfiniment entre les deux ordres juridiques. Le second vice de la théorie du
renvoi est le caractère illusoire — ou, à tout le moins, fragile — de l'harmonie juridique atteinte grâce à ce
procédé. Si l'on suppose que la même situation soit concurremment soumise aux juges des deux pays et qu'ils
fassent tous deux application du renvoi, l'un et l'autre déclareront applicable leur propre droit matériel interne.
Une harmonie factice est atteinte si un juge fait application du renvoi, l'autre non ».

571
saisies simultanément » 1770 . Cependant, en pratique, d’autres problèmes peuvent être
engendrés par l’utilisation du renvoi. Il s’agit du cercle vicieux, et parfois de la chaîne infinie.

b) L’incompatibilité de résultat au regard du cercle vicieux ou de la chaîne infinie


1294. Les hypothèses de cercles vicieux ou de chaînes infinies. L’ultime difficulté
auquel est confronté le renvoi en pratique est celle du cercle vicieux ou de la chaîne sans fin.
Il s’agit d’hypothèses qui se déroulent, en principe, lorsque la situation internationale fait
l’objet d’un renvoi au second degré. Dans l’hypothèse du cercle vicieux, « le renvoi au second
degré aboutit à une loi dont la règle de conflit désigne la loi ou une des lois précédemment
consultées »1771. Mais il se peut également, dans le cadre d’une chaîne infinie, que « la règle
de conflit de pays tiers refuse la compétence offerte à sa loi interne », et « qu’elle renvoie à la
loi d’un autre pays, et ainsi de suite, de telle sorte qu’à la limite il est concevable que l’on
fasse le tour du monde sans découvrir de loi qui accepte de s’appliquer » ; tout comme « il se
peut (…) que la règle de conflit du pays tiers (…) considère comme compétente la loi du pays
initialement désignée par la règle de conflit du for ou l’une des lois intermédiaires »1772. Par
conséquent, il est possible, en recourant au renvoi au second degré que le renvoi s’opère
indéfiniment ou alors qu’il tourne en rond sur lui-même. Quel que soit le cas, ce genre
d’incidents ne peut être toléré puisqu’ils sont facteurs d’insécurité juridique pour les sujets de
droit. De plus, s’il est considéré que le mécanisme du renvoi est le fruit de l’indivisibilité des
règles matérielles et des règles de conflit 1773 , alors l’hypothèse du cercle vicieux serait
théoriquement imputable également au renvoi au premier degré. Ainsi, au regard de cette
conception, « si le droit étranger renvoie au droit du for, celui-ci retourne, par hypothèse, la
compétence et il se produit un mouvement continuel de va-et-vient »1774.
1295. Un résultat incompatible avec la fonction de la méthode conflictuelle. Quel
que soit le cas, chacun traduit une « source de conflit insoluble »1775 qui ne peut être viable
dans le système applicable au droit des conflits de lois. Une nouvelle fois, si aucune confusion
n’était opérée entre les règles matérielles et les règles conflictuelles, aucune situation
internationale ne pourrait être soumise à une infinité de règles de conflit ou à des règles de
conflit faisant l’objet d’un cercle vicieux. Ces défauts incurables imputables à la théorie du

1770
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 283. .
1771
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 308.
1772
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 291.6°.
1773
Cf. supra § 1246 et s.
1774
J. Derruppé, « Etude théorique du renvoi », op. cit., Fasc. 532-1, § 25.
1775
Y. Lequette, Renvoi, op. cit., § 38.

572
renvoi invitent à en rejeter son application en droit positif puisqu’elle n’est pas compatible
avec la philosophie de la méthode conflictuelle et conduit à remettre en cause sa juste
application. Or, au regard de l’utilisation pratique qui est faite du renvoi, d’autres objections
peuvent lui être imputées tendant à son rejet définitif.

B. L’APPLICATION SELECTIVE DU RENVOI CONTRAIRE A LA PREVISIBILITE


JURIDIQUE

1296. Hormis les objections théoriques imputables au mécanisme du renvoi, celui-ci


fait également l’objet de critiques davantage pratiques. Malgré le bon nombre d’avantages,
notamment pragmatiques, dont il peut faire preuve, il présente un désavantage manifeste
quant à son régime dans la mesure où son application est nettement sélective, voire même
instable (1). Or, une telle mise en œuvre du mécanisme par les différents ordres juridiques
conduit indubitablement à des solutions aléatoires, lesquelles favorisent l’imprévisibilité
juridique (2).

1) Un mécanisme d’application sélective : le régime instable du renvoi


1297. Si le mécanisme du renvoi est admis dans son principe, son application est
autrement différente dans la mesure où elle fait l’objet d’une certaine sélection qui en fait un
mécanisme au cas par cas. La mouvance dans le régime du renvoi est due au fait qu’il est
fonction de l’objectif poursuivi par la règle de conflit (a). Par conséquent, son application est
parfaitement variable d’un domaine à l’autre (b).

a) Un régime mouvant fonction de l’objectif de la règle de conflit


1298. Une application sélective du renvoi. En pratique, le renvoi présente le
désavantage de faire l’objet d’une application pouvant être considérée comme sélective, c’est-
à-dire conditionnée par la règle de conflit elle-même.
1299. Une application conditionnée à un rattachement abstrait. Tout d’abord, le
mécanisme du renvoi ne s’accommode que des règles de conflit dont le rattachement retenu
par cette dernière est abstrait. En effet, « lorsque la règle de conflit prescrit d’appliquer la loi
du pays avec lequel la situation a les liens les plus étroits (…) le renvoi doit logiquement être
écarté »1776 afin de ne pas déjouer la localisation précise qui doit être effectuée du rapport de
droit. « En revanche, si la règle de conflit (…) se contente (…) d’un critère abstrait (par
exemple le lieu du délit) (…), il n’y a pas de raison d’écarter un renvoi qui est alors conforme

1776
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 311.

573
au sens de la règle de conflit »1777. Par conséquent, le renvoi ne peut être qu’un « mécanisme
de correction » qui ne joue que lorsqu’on « est en présence d’une règle de conflit de type
traditionnel utilisant un rattachement abstraitement défini »1778.
De surcroît, bien qu’admis en droit positif, tant en droit interne que par le droit
1779
supranational, « le renvoi paraît voué à une certaine désuétude » . En effet,
« traditionnellement exclu lorsque le règle de conflit autorise les parties à désigner la loi
applicable, pour ne pas déjouer les prévisions des parties, ou lorsque la règle de conflit est à
coloration matérielle, pour ne pas la détourner de son objectif, il est en outre quasi-
systématiquement délaissé dans les conventions internationales et les règlements européens de
droit international privé »1780. Ceci s’explique dans la mesure où « dès lors que l’objectif de
coordination des ordres juridiques est atteint par l’harmonisation des règles de conflit, l’usage
du renvoi aux mêmes fins ne se justifie plus et son abandon constitue un facteur de
simplification bienvenue » 1781 . En d’autres termes, le renvoi se fond dans une société
internationale aspirant au particularisme. A contrario, le renvoi a vocation à disparaître dans
un système universaliste. C’est pourquoi il faut préconiser sa suppression dans un système
promoteur d’égalité de traitement.
1300. Une application conditionnée au résultat escompté. En outre, « le
mécanisme général du renvoi (est) affecté par le résultat auquel il (peut) aboutir »1782. En
effet, « il est généralement admis que le renvoi doit être écarté lorsque son résultat est
incompatible avec l’objectif poursuivi par la règle de conflit »1783. De la même manière, il est
possible que le renvoi soit admis « en présence d’une règle de conflit à finalité matérielle (…)
lorsque le résultat souhaité par le droit du for ne peut être atteint que par ce moyen »1784.
Ainsi, objet du résultat matériel recherché, « tantôt le renvoi sera écarté à raison de son
résultat ; tantôt il sera accepté en fonction de son résultat »1785. L’arrêt Forgo en est l’exemple
type puisque l’application du renvoi à la situation internationale « avait pour effet de faire
échoir à l’Etat français une succession importante »1786. Ces deux considérations invitent alors

1777
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 311.
1778
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 49.
1779
S. Clavel, op. cit., § 109.
1780
Ibid.
1781
Ibid.
1782
E. Agostini, « Le mécanisme du renvoi », RCDIP 2013, p. 545, § 14.
1783
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 316.
1784
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 311.
1785
E. Agostini, op. cit., § 14.
1786
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 285.

574
à penser que le mécanisme du renvoi est fonction de la règle de conflit selon que celle-ci soit
abstraite ou à caractère substantiel 1787 . Dans la mesure où le mécanisme n’est donc pas
généralisable, il fait l’objet d’une application sélective dont les frontières paraissent bien
poreuses. De cette manière, le renvoi n’est applicable que dans certaines matières.

b) Un régime variable d’un domaine d’application à l’autre


1301. L’admission du renvoi dans certains domaines. Si la question du renvoi est
tranchée dans son principe, il reste qu’« aucun accord ne s’est dégagé quant au traitement à lui
réserver »1788. Par conséquent « l’admission ou le rejet du renvoi dépendent de la matière dans
laquelle la question s’élève »1789. Au regard du droit positif français, il se dégage une règle
particulière selon laquelle « la jurisprudence exclut le renvoi dans l’application de la loi
d’autonomie, c’est-à-dire en matière de contrats et de régimes matrimoniaux »1790. Afin de ne
pas déjouer les règles de conflit applicables à ces matières lesquelles sont astreintes à
l’autonomie de la volonté, il est nécessaire d’exclure le renvoi puisqu’il viendrait perturber les
prévisions des parties. De la même manière, le domaine de la forme des actes juridiques est
exclu dans la mesure où « la règle locus regit actum » a pour « objectif essentiel (…) de
garantir la validité d’un acte juridique lorsque les parties l’ont passé dans les formes prévues
par la loi du lieu de conclusion »1791. A contrario, s’il est un domaine où le renvoi est admis
c’est celui des successions puisqu’il a fait l’objet d’un véritable encadrement jurisprudentiel
depuis l’arrêt Forgo 1792 jusqu’à l’arrêt Riley 1793 qui consacre le renvoi à condition qu’il
conduise à l’unité de la loi applicable. Toutefois, si « les domaines prédilection du renvoi ont

1787
M. Attal et A. Raynouard, op. cit., § 794 et 795.
1788
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 288.
1789
Ibid.
1790
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 226.
1791
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 320.
1792
Cass., Civ., 24 juin 1878, Forgo, préc.
1793
Cass., Civ. 1ère, 11 fév. 2009, Riley, préc.

575
pendant longtemps été le statut successoral et le statut personnel », « de multiples facteurs
conduisent à réduire aujourd’hui très sensiblement ce domaine »1794.
1302. L’admission du renvoi incertaine dans certaines matières. En outre, il est
des domaines qui restent soumis à de véritables incertitudes, comme celui de la filiation.
Effectivement, depuis la réforme de la filiation par la loi du 3 janvier 1972, la question reste
en suspens de savoir si la filiation demeure partiellement soumise au mécanisme du renvoi,
notamment l’article 311-14 du Code civil1795. Par conséquent, si la jurisprudence de second
degré s’est prononcée en défaveur du renvoi, la question n’a toujours pas été tranchée par la
Cour de cassation1796. Or, ce questionnement des juristes invite à constater l’étanchéité du
mécanisme du renvoi. Il existe des domaines pour lesquels il est impossible de déterminer en
amont si les règles de conflit vont faire l’objet d’un renvoi. Finalement, que ce soit le système
français ou les autres, « beaucoup (…) n’ont pas une position absolument univoque »1797 sur
l’application qui est faite du renvoi. Cette attitude est regrettable dans la mesure où elle
conduit indubitablement à un aléa de solutions1798.

2) Une application aléatoire astreinte à l’imprévisibilité juridique


1303. L’absence de régime encadré du renvoi conduit à traiter de manière assez
aléatoire les situations internationales. En effet, d’une part, son application est totalement
soumise à la libre appréciation du juge saisi (a), et d’autre part, elle invite les sujets de droit
au forum shopping (b).

1794
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, op. cit., § 355, précisant notamment : « Pour les successions
mobilières, c’est la consécration jurisprudentielle de la compétence de la loi du dernier domicile du défunt, qui
supprime l’hypothèse antérieurement fréquent du renvoi de la loi nationale à la loi du domicile. Avec l’entrée en
vigueur du règlement européen sur les successions internationales, les occasions de faire jouer le renvoi en cette
matière seront encore plus réduites. Dans le domaine de l’état et la capacité des personnes, c’est l’émergence de
nouvelles règles de droit international privé, dont la nature n’est pas toujours compatible avec le mécanisme du
renvoi. Et dans les domaines subsistants, il faut encore soustraire toutes les questions relevant du champ
d’application d’une convention internationale ou d’un règlement de l’Union européenne, lesquels sont de plus en
plus nombreux et excluent presque toujours le renvoi, tels que les règlements Rome II en matière délictuelle et
Rome III en matière de divorce ».
1795
Voir en ce sens : Ph. Malaurie, « La législation de droit international privé en matière de statut personnel »,
TCFDIP 1975-1977, spéc. p. 187 : « C'est une question discutée que de savoir si la désignation de la loi de la
mère par l'article 311-14 admet le renvoi. On connaît le syndrome : ceux qui sont hostiles aux nouveaux
rattachements de l'établissement de la filiation sont pour le renvoi, ceux qui y sont favorables sont contre le
renvoi. Ce qui fait penser à un autre syndrome contemporain : ceux qui sont contre l'avortement sont pour la
peine de mort, ceux qui sont pour l'avortement sont contre la peine de mort ».
1796
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 615.
1797
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 288.
1798
Voir en ce sens : W. Wengler, Les conflits de lois et le principe d’égalité, op. cit., p. 202 : « L’acceptation du
renvoi (…) détermine à son tour une répartition inégale des champs d’application entre les différents systèmes de
droit privé ».

576
a) Un outil soumis à la libre appréciation du juge dans sa mise en œuvre
1304. Un mécanisme vecteur d’insécurité juridique. Rigaud affirmait que « le
renvoi doit être rejeté (…) parce qu’il augmente dans les affaires privées internationales
l’insécurité – déjà due à la diversité des règles de conflit – par des combinaisons, entre ces
règles, appuyées sur des raisonnements dont le point de départ est vicieux, dont les
conséquences sont surtout imprévisibles, puisqu’on ne sait pas d’avance jusqu’où le juge ira
ou s’arrêtera pour opérer son choix de la loi applicable »1799.
1305. Un mécanisme soumis à l’arbitraire du juge. La position adoptée par Rigaud
est juste dans la mesure où la manière dont le mécanisme du renvoi est utilisé conduit à en
faire un mécanisme aux mains du juge. Ainsi, l’accueil et le rejet du renvoi « vont (…)
dépendre du sens des règles de conflit du for qui déclenchent le mécanisme »1800. Or, ce sont
« les considérations présid(ant) au choix du rattachement dans une matière donnée (qui vont)
inspirer la solution au problème du renvoi »1801. En estimant que l’application du renvoi ne
joue qu’à l’égard de règles à rattachement abstrait afin de parvenir à un résultat déterminé, il
semble bien qu’il s’agisse d’un mécanisme soumis à l’arbitraire du juge saisi. C’est pourquoi
en droit positif, la délimitation du domaine d’application du mécanisme est difficile. De plus,
cette manière de procéder empêche une véritable harmonisation dans l’emploi du mécanisme
du renvoi1802. D’ailleurs, « le droit positif comparé révèle une palette d’attitudes, jusque dans
les codifications récentes ». Aucune solution commune ne se dégage si ce n’est l’admission
du renvoi dans son principe1803.
1306. Un rejet souhaité. Le régime parfaitement incomplet auquel est soumis le
renvoi invite donc à le rejeter puisqu’il conduit à un aléa de solutions et à une véritable
imprévisibilité juridique dans le traitement des situations internationales. De plus, dans la

1799
L. Rigaud, op. cit., spéc. p. 546 et s.
1800
E. Agostini, op. cit., § 3.
1801
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 288.
1802
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 15 mai 2018, n°17-11.571, D. actualité, 28 mai 2018, note F. Mélin ; Dalloz
2018, p. 2384, note S. Godechot-Patris ; Dalloz 2019, p. 1016, note S. Clavel ; dans lequel le renvoi est
conditionné par les règles de conflit du pays renvoyant puisque la Cour considère que « lorsqu’une succession
comporte des immeubles situés dans l’un et l’autre des deux pays dont le défunt a la nationalité, le renvoi opéré
par la loi du lieu de situation de l’immeuble impose que le critère de rattachement à la loi nationale du défunt soit
apprécié selon les règles de conflit de lois prévues par la loi du pas renvoyant ».
1803
Voir en ce sens à propos de l’amoindrissement de son domaine : J. Foyer, « Requiem pour le renvoi ? »,
TCFDIP 1980-1981, spéc. p. 107 : « A examiner l'état du renvoi en 1980, on se dit qu'il souffre d'une maladie de
langueur, d'une anémie, d'une paralysie qui s'étend peu à peu à tout son organisme. Cette constatation ne serait
peut-être pas trop inquiétante s’il ne s'agissait que d'un mal français atteignant seulement les règles de conflit de
lois d'origine interne. Mais le mal plus profond a gagné également les règles de conflit d'origine
conventionnelle ».

577
mesure où aucune solution uniforme ne peut être dégagée à l’international, le mécanisme
pourrait inciter au forum shopping.

b) Un procédé vecteur de forum shopping


1307. L’incitation au forum shopping. Le renvoi ne peut faire l’objet d’une
application harmonisée dans un cas donné puisque chaque ordre juridique traite selon ses
conceptions le mécanisme. Celui-ci est alors inutile puisqu’il favorise le forum shopping. En
effet, dans la mesure où chaque Etat use du renvoi comme bon lui semble selon le résultat
matériel qu’il souhaite atteindre, aucune harmonie ne peut naître. Or, si le régime du renvoi
est mouvant selon l’ordre juridique en cause, il est supposé que les sujets de droit préfèrent
saisir l’ordre juridique qui leur permet d’atteindre le résultat qu’ils recherchent eux-mêmes.
Par conséquent, hormis la liberté de pouvoir laissée au juge, l’absence d’encadrement du
régime du renvoi va conduire les sujets de droit au forum shopping.
1308. L’abolition du renvoi par respect de l’égalité de traitement. De tels défauts
imputables au mécanisme du renvoi confirment son rejet. En effet, il favorise l’imprévisibilité
juridique et l’insécurité juridique, lesquelles doivent être absolument évincées dans un
système neutre et égalitaire de droit des conflits de lois. Néanmoins, certaines solutions ont
été proposées afin de tenter de mettre fin aux carences imputables au renvoi.

§ 2 – LE REJET PRECONISE DU RENVOI DANS UN SYSTEME BILATERAL EN


L’ABSENCE DE REMEDES SUFFISANTS

1309. Dans la mesure où le régime du renvoi est atteint par de nombreux défauts,
certaines doctrines ont tenté d’y remédier. Néanmoins celles-ci se sont avérées insuffisantes
face à la défectuosité incurable du régime du renvoi (A). C’est pourquoi conformément aux
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement, il convient de se prononcer pour un rejet
unanime du mécanisme par respect de la méthode conflictuelle bilatérale (B).

A. DES SOLUTIONS DOCTRINALES INSUFFISANTES FACE AUX DEFAUTS DU


RENVOI

1310. Dans la mesure où le renvoi, tel qu’il est conçu aujourd’hui, présente de
nombreuses carences, certains auteurs se sont souciés d’y remédier. De cette façon, une
approche fonctionnelle a pu être proposée afin d’encadrer strictement le régime du renvoi
c’est-à-dire de déterminer dans quelles hypothèses celui-ci devrait jouer. L’objectif était d’en
faire un mécanisme dont l’application demeure exceptionnelle. Cependant, en faisant
dépendre sa mise en œuvre d’une idéologie fonctionnelle, les défauts imputables au

578
mécanisme se sont nécessairement maintenus (1). Également, une autre doctrine a prôné une
application harmonisée du renvoi par les différents ordres juridiques en recourant à un double-
renvoi. Or, malgré l’avantage de l’uniformité que présente cette conception, celle-ci ne
constitue que les prémices d’une méthode adaptée à l’utilisation du renvoi (2).

1) La proposition d’un renvoi exceptionnel guidé par une approche fonctionnelle


1311. Pour remédier à la variabilité d’application du renvoi, une utilisation
exceptionnelle du renvoi a été proposée en fonction du but poursuivi par la règle de conflit
(a). Malgré la tentative d’encadrement, il ne s’agit véritablement que d’une approche
artificielle ne remédiant pas à l’imprévisibilité juridique provoquée par la mise en œuvre du
renvoi (b).

a) Une utilisation exceptionnelle en fonction du but poursuivi par la règle de conflit


1312. Une application à titre exceptionnel. Face aux difficultés que soulève la mise
en œuvre du renvoi, certains auteurs ont tenté de proposer des méthodes d’encadrement dans
l’application du renvoi. En effet, afin de limiter son recours et de n’en faire qu’un mécanisme
exceptionnel, Francescakis s’est résolu à une approche qualifiée de fonctionnelle. Ainsi, « le
principe serait non l’admission du renvoi mais son rejet, le renvoi ne jouant qu’à titre
exceptionnel dans des hypothèses limitativement énumérées » 1804 . Une telle conception
s’inscrit parfaitement avec l’objectif de prévisibilité juridique qui n’est pas atteint au regard
des applications actuellement faites du renvoi.
1313. Une application fonction du résultat recherché. Francescakis partait du
postulat selon lequel « le fonctionnement de la règle de conflit apparaît (…) comme
constamment dominé par la considération concrète du résultat à atteindre » 1805 . Ainsi, il
considérait que « le renvoi devrait (…) être limité aux hypothèses dans lesquelles le but que
l’on se propose d’atteindre en rend l’application nécessaire »1806. Cette nécessité dépendrait
alors « du point de savoir si l’Etat étranger a un intérêt à l’application de sa propre loi interne
ou à celle de la loi étrangère par sa règle de conflit »1807. Or, « constatant que le renvoi n’a été
admis qu’en matière de successions et de statut personnel dans le sens nationalité-domicile »,
Francescakis « préconisait de le cantonner à ces cas » 1808 . Sa doctrine a fait l’objet « ces

1804
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 30.
1805
Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, op. cit., § 269.
1806
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 310.
1807
Ibid.
1808
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 30.

579
dernières années d’un profond renouvellement » consistant à considérer qu’« il conviendrait
de procéder à une interprétation téléologique de chaque règle de conflit afin de déterminer si
le renvoi est reçu ou non »1809.
1314. Une doctrine source de prévisibilité juridique. La méthode proposée par
Francescakis répond aux exigences de prévisibilité juridique qui font défaut dans l’utilisation
actuelle du renvoi. Il est effectivement indispensable que le régime du renvoi soit encadré afin
d’écarter toute application aléatoire du mécanisme. Cependant, si sa doctrine semble garantir
une mise en œuvre stricte, cela n’est qu’un artifice puisque le régime est fonction du but
poursuivi.

b) Une approche fonctionnelle vraisemblablement artificielle


1315. Un renvoi aux mains du juge. La proposition faite par Francescakis de retenir
le renvoi comme un mécanisme d’exception et non plus de principe, limité à des hypothèses
strictes, est parfaitement louable. Cependant, le processus de détermination de ces hypothèses
l’est nettement moins dans la mesure où il est fonction du but poursuivi par la règle de conflit.
En effet, la méthode proposée revient à laisser au juge le pouvoir de décider quels sont les cas
dans lesquels le renvoi doit s’appliquer. Par conséquent, le juge français, « pour déterminer
s’il doit appliquer le renvoi » doit « rechercher, dans chaque cas, si le législateur étranger a
intérêt à l’application de sa loi interne ou d’une autre loi ». Cette méthode consisterait à
fortement alourdir la tâche du juge en déterminant au cas par cas si le renvoi doit s’appliquer.
Or, il semble qu’une telle manière de procéder soit inenvisageable en droit positif.
1316. Le retour de l’imprévisibilité juridique. D’une part, une analyse au cas par
cas de chaque règle de conflit se concilie relativement mal avec la mouvance actuelle des
législations du droit des conflits de lois. Ainsi, l’application du renvoi serait en perpétuelle
évolution et ne ferait finalement pas l’objet d’un véritable encadrement. D’autre part, en
optant pour une appréciation casuelle de chaque règle de conflit, les situations internationales
sont, une nouvelle fois, soumises à l’arbitraire du juge. De cette manière, aucune solution
uniforme ne pourra se dégager au sein d’une communauté puisque chaque juge déterminera
l’application du renvoi selon les intérêts qu’il cherche à atteindre. Finalement, cette doctrine
conduit aux mêmes critiques qui ont pu être faites en considérant que le renvoi était le propre
des règles de conflit substantielles. La méthode préconisée par Francescakis va

1809
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 31.

580
nécessairement conduire à l’imprévisibilité juridique1810. En outre, cette manière d’envisager
le renvoi conduit implicitement à remettre en cause la théorie générale du conflit de lois pour
préconiser une simple approche casuistique. Or, il semble qu’il ne soit pas souhaitable
d’écarter le régime traditionnellement applicable à la méthode conflictuelle afin de garantir
une application neutre et égalitaire du droit international privé. C’est pourquoi une doctrine,
exempte de considérations substantielles a également été proposée afin d’y remédier.

2) Les prémices d’un système harmonisé par l’éventuel recours au double renvoi
1317. Malgré les défauts subsistants à l’égard du régime applicable au renvoi dans
chaque ordre juridique interne, la doctrine anglo-saxonne a tout de même envisagé de
proposer un système permettant de garantir une utilisation du renvoi harmonisée, quelle que
soit la juridiction saisie (a). Or, si cette méthode présente l’avantage incontestable
d’uniformiser l’application du renvoi, elle n’est malheureusement pas susceptible de
généralisation (b).

a) Le recours souhaité au renvoi anglo-saxon garant de l’harmonisation des solutions


1318. La théorie du double renvoi. Face au manque d’harmonisation dont fait état
le mécanisme du renvoi au regard de son application, une autre doctrine s’est développée dite
du double renvoi ou foreign court theory sous la plume de Dicey1811 et Westlake1812. Cette
doctrine considérait que « le droit international privé anglais se désintéresse de la
réglementation des conflits lorsqu’il n’attribue pas compétence à la loi anglaise et que, dans
l’esprit du droit anglais, les dispositions internes du droit international privé et la portée
internationale du droit interne anglais (…) sont indivisibles » 1813 . Les auteurs ont alors
développé le concept selon lequel « le droit coutumier anglais accepte de se conformer à
l’attitude adoptée par la jurisprudence de l’Etat auquel il (offre) la compétence législative » ;
et « si cette jurisprudence admet la compétence de la lex fori, grâce au renvoi du droit
international privé anglais, telle la jurisprudence française, une cour anglaise acceptera le

1810
Voir en ce sens : Y. Lequette, « Les mutations du droit international privé : vers un changement de
paradigme ? Cours général de droit international privé », op. cit., § 131 : « Il est permis de penser qu’une telle
approche, extrêmement périlleuse pour la sécurité juridique et les prévisions des parties puisqu’elle permet à
chaque juge d’admettre ou non le renvoi au gré de ses conceptions, ne s’impose nullement. Il est, en effet,
toujours possible de raisonner en la matière en termes de principe et d’exceptions en synthétisant ceux-ci autour
d’idées-force ».
1811
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 309.
1812
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 259.
1813
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 311.

581
renvoi de son propre droit international privé à la loi matérielle française »1814. En d’autres
termes, « l’acceptation par le juge anglais du renvoi opéré par la loi étrangère va dépendre du
point de savoir si le juge étranger accepterait lui-même le renvoi opéré par la loi
anglaise »1815.
1319. Une théorie vectrice d’harmonisation des solutions. Le raisonnement
intellectuel consiste « pour la juridiction britannique à rechercher ce qu’aurait fait le juge
étranger, placé dans les mêmes circonstances et à calquer son attitude sur la sienne »1816. Cette
méthode devrait donc être préconisée puisqu’elle présente « l’avantage incontestable de
permettre une certaine harmonisation des résultats malgré la contrariété des règles de
conflit » 1817 . En effet, si cette doctrine ne résout pas les difficultés liées à l’absence
d’encadrement du régime du renvoi à l’échelle nationale, elle permet toutefois de créer un
système harmonisé au sein duquel les décisions rendues seraient équivalentes, quelle que soit
la juridiction compétente. Il pourrait donc s’agir des débuts d’une procédure d’encadrement
du renvoi puisque la prévisibilité juridique serait nettement plus protégée. En effet, si la
détermination du régime du renvoi reste à peaufiner dans chaque ordre juridique interne, son
application de principe pourrait quant à elle, faire l’objet d’une application uniforme.
Cependant, malgré l’avantage que cette méthode peut présenter, elle est insusceptible de
généralisation.

b) Une méthode insusceptible de généralisation


1320. Une théorie de portée limitée. Si la doctrine du double renvoi peut constituer
le socle sur lequel doit se fonder le régime du renvoi, elle est malheureusement insusceptible
de généralisation. D’une part, pour que ce système « puisse être appliqué dans un pays donné,
il faut que les autres aient une position établie en matière de renvoi »1818. D’autre part, « il
n’est viable que si l’autre pays intéressé ne l’applique pas », « sinon les juges de deux pays
passeraient leur temps à s’interroger mutuellement »1819. Par conséquent, au regard de ces

1814
P. Lerebours-Pigeonnière, op. cit., § 259.
1815
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 309.
1816
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 311.
1817
Ibid.
1818
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 283.
1819
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 311.

582
deux considérations, cette méthode n’est pas généralisable. De ce fait, aucun traitement
harmonisé des situations internationales ne pourra être garanti grâce à cette méthode1820.
1321. Un mécanisme éternellement variable. Finalement, il semble que le
problème ultime auquel est confronté le renvoi soit sa variabilité. En effet, aucun fondement
théorique ne permet de justifier son recours. Sa pratique s’est imposée d’elle-même malgré les
défauts qu’il peut présenter, et malgré l’absence d’encadrement dont il fait encore état. Au
regard de ces nombreuses défaillances, le mécanisme n’est pas à même de garantir la
neutralité de la méthode conflictuelle ni un traitement égalitaire des sujets de droit et ceci,
quels que soient les remèdes proposés. C’est pourquoi pour garantir les objectifs du droit des
conflits de lois, il serait préférable d’évincer tout simplement le recours à ce mécanisme.

B. LE REJET UNANIME DU RENVOI PAR RESPECT DE LA METHODE BILATERALE


1322. Le mécanisme du renvoi doit être évincé dans un système de droit des conflits
de lois construit sur une méthode conflictuelle bilatérale dans la mesure où il ne respecte
aucune de ses caractéristiques. D’une part, le renvoi doit être rejeté par respect de l’approche
neutre et de proximité du rapport de droit garantie par la méthode (1). D’autre part, il doit

1820
Voir en ce sens l’illustration de F. Rigaux, « Les situations juridiques individuelles dans un système de
relativité générale : Cours général de droit international privé », op. cit., § 100 : « Le second vice est plus sérieux
que le premier. La contribution du renvoi à l'harmonie juridique implique en effet que chacun des juges ait une
conception figée du fonctionnement de l'autre système : la règle de conflit étrangère est tenue pour une norme
statique que le juge étranger n'aurait pas appliquée avec la modalité du renvoi. S'efforçant de surmonter ce
handicap, plusieurs décisions judiciaires anglaises ont fait application du double renvoi. A la loi renvoyante est
incorporée l'attitude que le juge du pays dont elle émane aurait adoptée à l'égard du renvoi. Ainsi, la dévolution
de la succession mobilière d'une Anglaise domiciliée en Italie est faite selon le droit matériel italien, l'article 30
des dispositions préliminaires du Code civil italien excluant le renvoi, tandis que le statut personnel d'un Anglais
domicilié en Allemagne est déterminé selon le droit matériel anglais parce qu'un juge allemand aurait pratiqué un
renvoi simple commandé par l'article 27 EGBGB32. Les deux solutions réalisent effectivement l'harmonie
juridique parce que le législateur étranger paraît procurer au juge anglais une attitude figée à l'égard du problème
du renvoi. A la vérité, l'harmonie n'est sûrement atteinte qu'à l'égard d'une loi — telle la loi italienne — qui
prohibe le renvoi. Dans ces conditions, le renvoi simple pratiqué par le juge anglais se combine avec le-refus du
renvoi posé par le législateur étranger. A l'égard d'un droit qui, comme le fait le droit allemand, accepte le
principe du renvoi, l'harmonie reste fragile car rien n'empêche une interprétation jurisprudentielle de ce principe
qui inclurait elle aussi le double renvoi. Dans une telle hypothèse et aussi face à un pays dans lequel, comme en
Angleterre, le renvoi est une création jurisprudentielle, la généralisation du double renvoi conduirait au blocage
du mécanisme. Affronté à un tel système, le juge qui pratique lui-même le double renvoi serait placé dans la
situation de deux personnes dont le comportement est régi par une étiquette rigoureuse et qui, devant pénétrer
par la même porte, refuseraient obstinément l'une et l'autre de passer la première. Ou encore celle de deux
personnes dont l'une invite l'autre à dîner et qui prétendraient toutes deux laisser à l'autre le choix du vin. A
certains moments, la courtoisie commande de faire céder son propre code de politesse devant la conception que
l'autre entend faire prévaloir. Si ingénieuse qu'elle ait pu paraître, la théorie du double renvoi introduit dans le
système de la lex fori une mobilité qui ne saurait être partagée par le droit qui y fait face. Le renvoi au premier
degré suppose nécessairement que soit imputée au système de la loi renvoyante une fixité que l'hypothèse même
du renvoi dénie dans le chef du tribunal saisi ».

583
également l’être afin d’assurer un traitement universel et égalitaire des sujets de droit placés
dans une situation internationale équivalente (2).

1) Le rejet du renvoi par respect d’une localisation neutre de proximité


1323. Traditionnellement, la règle de conflit bilatérale se caractérise par sa neutralité
qui constitue le préalable à toute égalité de traitement du sujet de droit. Or, le mécanisme du
renvoi est parfaitement incompatible avec ce caractère puisque sa mise en œuvre conduit à le
remettre en cause (a). De plus, la méthode conflictuelle bilatérale conduit, par souci de
neutralité, à localiser le rapport de droit conformément à une approche concrète de proximité.
Cependant, le mécanisme du renvoi est également inconcevable avec ce type de règle de
conflit (b).

a) Un mécanisme incompatible avec le caractère neutre de la règle de conflit bilatérale


1324. L’incompatibilité du renvoi avec la neutralité de la règle de conflit. La
fonction classique du droit des conflits de lois consiste à déterminer le champ d’application
dans l’espace des lois potentiellement applicables via la méthode conflictuelle. Pour résoudre
cette question, il est considéré que la méthode conflictuelle doit être bilatérale par souci
d’universalisme et d’égalitarisme 1821 . Or, comme l’a affirmé le Professeur Lequette, le
bilatéralisme est caractérisé par sa neutralité puisque « la règle de conflit traditionnelle opère
le choix entre les lois en présence, en faisant abstraction de leur contenu »1822. Effectivement,
toute règle de conflit bilatérale, pour respecter l’égalité de traitement des sujets de droit, se
doit au préalable d’être neutre1823. Or, l’usage du renvoi est parfaitement incompatible avec le
caractère neutre de la méthode conflictuelle bilatérale. Ainsi, « même si la règle de conflit est
neutre, le mécanisme général du renvoi sera affecté par le résultat auquel il pourra
aboutir »1824. Par conséquent, le mécanisme du renvoi conduit à évincer le caractère neutre de
la règle de conflit puisque son objet est de favoriser ou d’écarter un certain résultat. De cette
façon, le mécanisme du renvoi doit nécessairement être rejeté puisqu’il est incompatible avec
une méthode conflictuelle bilatérale défendant l’égalité de traitement.
1325. Une confusion terminologique confirmée. De plus, ce propos ne fait que
confirmer la doctrine selon laquelle le renvoi ne serait issu que d’une confusion

1821
Cf. supra § 742 et s.
1822
Y. Lequette, « Renvoi », op. cit., § 40.
1823
Cf. supra § 16.
1824
E. Agostini, op. cit., § 14.

584
terminologique entre règle de conflit et loi matérielle1825. La fonction du droit des conflits de
lois, et plus particulièrement de la méthode conflictuelle, consiste à déterminer quelle est la
loi matérielle applicable à une situation internationale donnée. En aucun cas, il ne s’agit de
désigner une règle de conflit de lois étrangère. Une telle confusion n’est entretenue que dans
le seul but de justifier le recours au mécanisme du renvoi lequel tend à fausser le jeu classique
de la règle conflictuelle pour atteindre un résultat substantiel. En outre, si le mécanisme du
renvoi est incompatible avec le caractère neutre de la règle de conflit bilatérale classique, il
l’est plus généralement avec la fonction localisatrice concrète.

b) Un mécanisme inconcevable au regard d’une localisation concrète du rapport de droit


1326. L’impossible conciliation du renvoi avec les rattachements concrets.
Précisément, pour conserver le caractère neutre de la règle de conflit bilatérale au travers de la
localisation du rapport de droit dans l’espace, il convient de lui attribuer un rattachement
concret. Ce rattachement doit conduire à déterminer quelle loi a la prétention la plus légitime
à s’appliquer à la situation internationale en termes de proximité. C’est pourquoi par souci de
neutralité et d’égalité de traitement, doit toujours être recherchée la loi qui présente les liens
plus étroits1826. Or, le renvoi s’accommode des règles de conflit abstraites. Par conséquent, il
ne s’accorde pas avec une philosophie concrète du rapport de droit. Lorsque la règle de conflit
conduit à rechercher la loi qui présente les liens les plus étroits, « le renvoi doit logiquement
être écarté » 1827 puisque « plus une règle de conflit est précise, plus elle répugne au
renvoi »1828. En effet, « on ne comprendrait pas (…) que l’effort demandé au juge de procéder
à une localisation ponctuelle minutieuse de la situation soit anéanti par l’application de la
règle de conflit de l’état ainsi désigné, qui renverrait à une loi avec laquelle, par hypothèse, la
situation aurait des liens moins étroits »1829.
1327. Un mécanisme incompatible avec une localisation de proximité. De
surcroît, la pratique du renvoi ne fait que confirmer son incompatibilité avec la loi des liens
les plus étroits. En effet, classiquement le renvoi, notamment au premier degré, conduit à
appliquer la loi du for. Or, « le principe de proximité traditionnel serait respecté si on pouvait

1825
Cf. supra § 1289 et s.
1826
Cf. supra § 987.
1827
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 311.
1828
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 292.
1829
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 311.

585
dire que la loi du for est, dans l’abstrait, la loi la plus proche »1830. Cependant, « celle-ci (n’)
est (que) la conviction de l’Etat que le for juge la plus proche de l’espèce »1831. En aucun cas
la loi du for ne constitue par principe la loi qui présente les liens les plus étroits. Par
conséquent, le mécanisme du renvoi ne s’inscrit aucunement dans une optique de traitement
de proximité. Or, dans la mesure où la localisation du rapport de droit doit nécessairement être
concrète pour conserver la neutralité reconnue à toute règle de conflit bilatérale, le renvoi ne
peut être admis. Il en serait autrement si les règles de conflit abstraites étaient défendues
puisqu’il s’agit de son terrain de prédilection.
1328. L’abolition du renvoi conseillée par respect des caractères de la méthode
bilatérale. Ainsi le mécanisme du renvoi est totalement incompatible avec le caractère
neutre de la règle de conflit bilatérale classique, et plus précisément avec une approche de
proximité au travers de la localisation du rapport de droit. Or, ce sont les préalables
nécessaires à une égalité de traitement. Par conséquent, le renvoi doit être rejeté à ce titre. En
sus, outre l’irrespect de la neutralité de la méthode, il ne respecte pas non plus dans sa mise en
œuvre l’égalité de traitement des sujets de droit.

2) Le rejet du renvoi par mesure d’égalité de traitement et d’universalisme


1329. Le renvoi, en raison de son absence de neutralité, conduit à une variabilité
d’application puisque celle-ci est fonction du résultat substantiel visé par l’ordre juridique du
for. Par conséquent, il s’agit d’un procédé sélectif contraire à toute égalité de traitement (a).
En outre, ce caractère aléatoire issu d’une approche matérialiste constitue un obstacle à une
éventuelle universalisation du mécanisme (b).

a) Un procédé sélectif fonction du résultat substantiel visé par l’ordre juridique du for
1330. Un mécanisme aléatoire. L’étude du renvoi, qu’elle soit théorique ou
pratique, conduit à constater qu’il s’agit d’un procédé aléatoire dans la mesure où il est orienté
par les intérêts de l’ordre juridique du for. Ainsi, le renvoi est un mécanisme sélectif qui est
fonction d’un résultat substantiel, lequel peut varier d’un ordre juridique à l’autre. De cette
façon, « le renvoi se justifie dans certaines matières et doit être écarté dans d’autres, en
fonction d’une analyse propre à chacune » 1832 . Son application est donc fragmentaire

1830
T. Ballarino et G. Paolo Romano, « Le principe de proximité chez Paul Lagarde », in Le droit international
privé : esprit et méthodes : Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, op. cit., § 9.
1831
Ibid.
1832
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 292.

586
puisqu’elle est fonction de l’ordre juridique saisi, du résultat matériel visé ou encore de la
matière concernée.
1331. Un mécanisme contraire à l’égalité de traitement. Néanmoins, dans la
majorité des cas, le renvoi a pour objet de conduire le juge du for à appliquer la loi du for.
L’objectif de chaque ordre juridique serait donc « de fortifier la loi interne (du for) en
éliminant l’intrusion de la loi étrangère » dans la mesure où cette solution « fortifie sa
cohérence et son autorité en éliminant la loi interne étrangère »1833. Finalement, tout ordre
juridique rechercherait, dans le mécanisme du renvoi, la simple application de la loi du for. Il
serait presque possible de considérer que l’application du mécanisme n’est plus sélective.
Cependant, elle conduit à un cloisonnement complet de chaque système dont chacun ne
souhaite que l’application de sa propre loi. Il serait parfaitement contraire à l’égalité de
traitement des situations internationales de procéder de cette façon puisque d’un ordre
juridique à l’autre, la solution serait totalement variable. De plus, cette application sélective
et/ou cloisonnée du renvoi exclut toute idée d’universalisme de la méthode du droit des
conflits de lois.

b) Un procédé aléatoire excluant toute application universelle


1332. Un obstacle à l’unification du droit. Dans la mesure où la mise en œuvre du
renvoi est aléatoire, elle constitue un obstacle à une unification des Etats à l’égard de son
application. Si son admission semble pouvoir être universelle, son application ne le sera
jamais puisqu’elle est fonction d’un résultat substantiel et sera soumise au libre arbitre du juge
saisi. C’est pourquoi « la tendance contemporaine à tenir compte du résultat de l’application
des règles de conflit ne peut qu’accentuer le relativisme de l’attitude à l’égard du renvoi ». En
effet, le caractère fragmentaire du renvoi est totalement contraire à un esprit universaliste
tendant à l’égalité de traitement des sujets de droit. Par conséquent, une nouvelle fois, le
renvoi ne se concilie pas avec une méthode conflictuelle bilatérale classique dont l’objectif est
d’atteindre un certain universalisme afin de garantir une égalité de traitement. En effet, « la
situation de renvoi rend manifeste le caractère illusoire du versant substantiel de ce
bilatéralisme des origines, c’est-à-dire l’universalité du critère d’une telle action »1834.

1833
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 131.
1834
G. Paolo Romano, Le dilemme du renvoi en droit international privé, Thèse d’habilitation, Saint-Gall, 2014,
LGDJ, 2014, 1ère éd., § 110.

587
En sus, il convient de rappeler que le renvoi a principalement vocation à ne jouer que
dans les systèmes considérés comme particularistes afin de permettre une harmonisation du
conflit de lois1835. Ainsi, il s’agit d’un mécanisme au service de la coordination des systèmes.
Or, il serait nécessairement moins justifié dans un système universel puisque l’harmonisation
des solutions serait inhérente à la nature même de celui-ci et que la règle de conflit pointerait
en principe toujours dans la même direction. C’est pourquoi sa suppression doit d’autant plus
être sollicitée puisqu’il s’agirait d’un mécanisme vraisemblablement superfétatoire au sein
d’un système universel.
1333. Le recul du droit positif à l’égard du renvoi. En outre, il semble que le droit
positif se soit ravisé à l’égard d’une utilisation fréquente du renvoi en droit des conflits de
lois. Il apparaît que « les Conventions de La Haye postérieures à la Seconde Guerre mondiale
excluent normalement le renvoi puisqu’elles se réfèrent expressément à la loi interne du pays
qu’elles désignent » ; « de même, les règlements européens édictés depuis le début des années
2000 excluent de façon générale le renvoi » 1836 . Cette attitude adoptée par les ordres
juridiques régionaux ne fait que vérifier que le renvoi a tendance à s’éteindre dès lors qu’un
pan du droit parvient à s’uniformiser. C’est pourquoi, cette démarche doit être poursuivie. Le
seul point pouvant être universalisé à l’égard du renvoi est son exclusion en droit positif.
1334. Le rejet du renvoi nécessaire au respect de l’égalité de traitement.
Finalement, afin de respecter l’égalité de traitement, au regard d’une méthode conflictuelle
bilatérale classique, le renvoi doit absolument être rejeté. Il ne s’agit que d’une vue de l’esprit
construite afin de favoriser certains résultats substantiels. Il ne peut constituer un mécanisme
respectueux de la neutralité de la méthode, comme il ne peut être garant d’une égalité de
traitement, car seul son principe pourrait faire l’objet d’une admission unanime. Dans la
mesure où il conduit à une application individuelle et aléatoire, il doit être effacé du système.
Tant que ce mécanisme d’exception subsistera, des divergences de traitement entre sujets de
droit placés dans une situation équivalente persisteront. Tout dépendra du résultat substantiel
recherché par le juge saisi.

1835
Cf. supra § 1279 et s.
1836
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 297.2°.

588
SECTION 2 : LES CONFLITS DE LOIS DANS LE TEMPS ET L’ESPACE REFORMES AU
REGARD DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1335. Hormis le mécanisme du renvoi, la méthode conflictuelle peut être perturbée au


stade de la désignation de la règle de conflit de lois par deux autres éléments. Il s’agit des
hypothèses de conflits de lois dans le temps et de conflits de lois dans l’espace, lesquelles
invitent à s’interroger sur l’application de la règle de conflit ancienne ou nouvelle au cas
d’espèce. Ces mécanismes perturbateurs, tout comme le renvoi, ont fait l’objet de nombreuses
doctrines, et sont encadrés par le droit positif. Cependant, il convient de les analyser au regard
des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement afin de rechercher la méthode qui en est la
plus respectueuse. Or, il apparaît qu’une résolution du conflit de droit transitoire international
compatible avec la méthode conflictuelle bilatérale est envisageable (sous-section 1). De la
même façon, cette conformité à ladite méthode peut s’étendre au conflit mobile grâce à son
abolition qui est susceptible d’être engendrée par le recours à la méthode bilatérale à
rattachement aux liens les plus étroits (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LA RESOLUTION DU CONFLIT DE LOIS DANS LE TEMPS


CONFORMEMENT A LA FONCTION DU DROIT TRANSITOIRE

1336. Bien que la méthode conflictuelle traditionnelle puisse être perturbée par le
mécanisme du renvoi, elle peut également l’être par un conflit de droit transitoire
international. Il s’agit de l’hypothèse selon laquelle se produit « un conflit dans le temps » qui
« affecte la règle de droit international privé » 1837 . Plus précisément, il est question d’un
changement de législations internationales c’est-à-dire que la règle de conflit applicable à la
situation d’espèce a fait l’objet d’une modification législative. Ainsi, pour résoudre ce conflit,
il convient de se demander laquelle de la règle de conflit nouvelle ou de la règle de conflit
ancienne doit s’appliquer. C’est pourquoi de nombreuses doctrines ont été proposées pour
résoudre le conflit de droit transitoire. Cependant, chacune d’elles s’avère incompatible avec
la nature de la règle de conflit bilatérale classique (§ 1). Par conséquent, il serait préférable de
se tourner vers la réalisation de règles communes conformes à l’égalité de traitement des
sujets de droit (§ 2).

1837
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 323.

589
§ 1 – DES SOLUTIONS CLASSIQUES INCOMPATIBLES AVEC LA NATURE DE LA REGLE
BILATERALE

1337. Face au problème de droit transitoire que peut soulever le droit international
privé, notamment en matière de conflits de lois, de nombreuses doctrines ont été proposées
afin de trouver une méthode permettant de résoudre les conflits de lois dans le temps. D’une
part, des solutions considérées comme traditionnelles ont été défendues. Cependant, celles-ci
se sont avérées inappropriées aux objectifs promus par le droit des conflits de lois (A). C’est
pourquoi et d’autre part, a ensuite été recherchée une méthode uniforme compatible avec la
structure de la règle de conflit bilatérale classique. Cependant, les résultats du droit positif se
sont révélés insatisfaisants (B).

A. DES SOLUTIONS TRADITIONNELLES INAPPROPRIEES AUX OBJECTIFS DU


DROIT DES CONFLITS DE LOIS

1338. Pour solutionner le conflit de droit transitoire, diverses réponses peuvent être
données puisque le débat se déroule entre l’application de la règle de conflit ancienne ou
nouvelle. Néanmoins, il semble qu’une méthode absolue entre l’application unique de l’une
ou l’autre s’avère impertinente et injustifiée (1). C’est pourquoi il convient de recourir à une
approche intermédiaire dans laquelle tant l’une que l’autre aurait vocation à s’appliquer.
Cependant, il semble que les doctrines intermédiaires soient inefficaces face à la résolution du
conflit de droit transitoire (2).

1) L’impertinence de toute solution drastique entre règle de conflit nouvelle ou


ancienne
1339. Pour résoudre le conflit de droit transitoire, il pourrait être opéré un simple
choix entre règle de conflit nouvelle et règle de conflit ancienne. Cependant, un raisonnement
aussi radical est peu souhaitable dans la mesure où d’une part l’application immédiate de la
règle de conflit nouvelle conduit à l’insécurité juridique (a) et d’autre part la survie de la règle
de conflit ancienne s’avère injustifiée (b).

a) L’insécurité juridique issue de l’application immédiate de la règle de conflit nouvelle


1340. Le recours au principe d’application immédiate de la règle nouvelle. Au
regard du conflit dans le temps auquel peut être sujette une règle de conflit, une partie de la
doctrine « a préconisé l’application immédiate de la règle nouvelle, quelle que soit la date des

590
faits dont le juge doit connaître » 1838 . Cette théorie a été essentiellement défendue par
Niedner, lequel a été le premier à justifier « l’application systématique de la règle de conflit
nouvelle »1839. Il considérait que « les règles du conflit de lois appartiennent au droit public et
que les lois de droit public reçoivent une application générale immédiate, abstraction faite de
tout droit prétendument acquis à leur encontre »1840. Selon lui, « le propre des règles de droit
public est d’être applicables « immédiatement » et exclusivement à toutes les espèces
pendantes ou futures » ce qui conduit à « une véritable application rétroactive »1841. Ainsi,
dans la mesure où les règles de conflit s’identifient, à son sens, comme des lois de droit
public, elles doivent faire l’objet d’un traitement identique en matière de conflit transitoire. En
assimilant les règles de conflit de lois aux lois d’ordre public, il semble parfaitement justifié
de recourir à cette doctrine et d’appliquer au conflit transitoire des règles de droit international
privé, le principe d’application immédiate de la règle nouvelle. Cependant, ce raisonnement
ne vaut qu’à condition de considérer que les règles de conflit sont assimilables à des lois
d’ordre public.
1341. Une solution fondée sur le concept erroné de conflit de souverainetés. En
vérité, cette doctrine « repose sur l’idée que les conflits de lois sont des conflits de
souverainetés »1842. Or, il s’agit d’une conception du droit international privé « (…) dépassée
(et) qui n’est plus défendue aujourd’hui »1843 . En effet, « il est difficile d’admettre que le
conflit des lois appartienne par lui-même et exclusivement au droit public ». Le droit
international privé constitue bien une branche autonome du droit international, tout comme le
droit international public. De plus, son objet consiste à déterminer le champ d’application
dans l’espace des lois en conflit, mais il ne s’agit en aucun cas de trancher un conflit de
souverainetés1844. C’est pourquoi ce seul argument suffit à évincer la doctrine de l’application
immédiate de la règle nouvelle à toute espèce.
1342. Une solution synonyme d’insécurité juridique. Néanmoins, il serait
insuffisant de considérer qu’une théorie doit seulement être écartée parce que sa justification
est erronée de nos jours. En outre, l’emploi d’une telle méthode consistant à appliquer

1838
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 315.
1839
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits transitoires internationaux », J.-Cl. Droit international, 7 nov. 2014, Fasc.
533-1, § 20.
1840
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 315.
1841
C. Gavalda, op. cit., § 82.
1842
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 20.
1843
Ibid.
1844
Cf. supra § 720 et s.

591
immédiatement la règle nouvelle, quelle que soit la date de constitution des faits ne pourrait
être retenu. Son application conduirait à « des conséquences dangereuses pour la sécurité
juridique des particuliers »1845. Cette doctrine invite à appliquer rétroactivement toute règle de
conflit nouvelle. Par conséquent, même si des faits se sont déroulés sous l’empire de la règle
de conflit ancienne, ils sont soumis à la règle de conflit nouvelle postérieurement c’est-à-dire
dès son entrée en vigueur. Ainsi, règne nécessairement une insécurité juridique pour les sujets
de droit. C’est pourquoi cette théorie ne peut être retenue à l’égard du conflit transitoire en
droit international privé et conséquemment en droit des conflits de lois. De la même façon, la
solution inverse consistant à maintenir l’application de la règle de conflit ancienne ne peut
également être admise.

b) L’application radicale irréaliste de la règle de conflit ancienne


1343. Une solution inadaptée à la réalité des situations internationales. Par
raisonnement a contrario, il ne serait également pas pertinent de retenir comme méthode la
survie de la règle de conflit ancienne, quelle que soit la date de la situation d’espèce. En effet,
la survie de la règle de conflit ancienne peut parfois s’expliquer dans certains cas notamment
en matière contractuelle puisqu’il peut être supposé que les parties aient eu la volonté de
soumettre l’intégralité du contrat à cette règle. Cependant, ce raisonnement n’est pas
transposable à toute matière. En effet, si la règle de conflit ancienne doit s’appliquer
légitimement à des situations acquises ou pour les effets futurs des contrats, il semble plus
contestable qu’elle ait un titre légitime à s’appliquer à des faits nouveaux. Si dans ce cas la
méthode ne met pas en échec la sécurité juridique, elle n’a pourtant aucun titre à s’appliquer.
Aucune raison ne peut justifier que la règle de conflit ancienne s’applique à des faits
nouveaux sauf à considérer les espèces relevant de la matière contractuelle. Les faits
nouveaux sont en principe régis par la règle de conflit nouvelle c’est-à-dire celle en vigueur
au moment où ils se produisent, et ceci conformément à la réalité de la situation
internationale. L’application de la règle de conflit ancienne ne peut être qu’une exception à ce
principe.
1344. Le rejet de toute solution drastique. Tout comme l’application immédiate de
la règle de conflit nouvelle, la survie de la règle de conflit ancienne n’est pas une méthode
adaptée au conflit transitoire du droit des conflits de lois. Il en ressort simplement qu’une
solution drastique entre ces deux méthodes n’est pas opportune. Un consensus doit

1845
C. Gavalda, op. cit., § 83.

592
nécessairement être opéré entre celles-ci. C’est pourquoi des doctrines intermédiaires ont été
proposées pour solutionner le conflit de droit transitoire en droit des conflits de lois.

2) L’inefficacité de solutions intermédiaires à la résolution du conflit transitoire


1345. Au regard de l’évidente exclusion des doctrines radicales invitant à ne retenir
que la règle de conflit ancienne ou nouvelle, des doctrines intermédiaires, c’est-à-dire plus
nuancées, sont apparues. Cependant, elles se sont avérées, elles aussi, impropres à résoudre le
problème du conflit de droit transitoire. Il a été proposé d’établir une méthode en fonction
d’un contact avec le système du for. Néanmoins, cette doctrine s’est révélée relativement
incertaine tant sur le plan théorique que pratique (a). De plus, il a été également envisagé de
recourir à une démarche unilatérale consistant à consulter en amont les lois substantielles en
cause. Malheureusement, celle-ci n’a pu faire abstraction des défauts qui lui sont
classiquement imputables (b).

a) La méthode du contact avec le système du for entachée d’incertitude


1346. La méthode tempérée du contact avec le for de Kahn. Face à la radicalité de
la doctrine de Niedner laquelle soutient une application immédiate et exclusive de la règle de
conflit nouvelle, Kahn a proposé une méthode intermédiaire maintenant le principe de
l’application immédiate de la loi nouvelle tout en l’assortissant d’une exception. Selon lui,
« la règle ancienne sera appliquée si la situation litigieuse s’est trouvée en « contact » avec le
pays du juge saisi, et si elle conduit à l’application de la loi de ce juge »1846. Par conséquent,
« il faut que la situation juridique litigieuse ait eu, à l’époque où la règle de conflit ancienne
était en vigueur, un contact avec le for »1847. A contrario, « la règle ancienne n’aurait aucune
vocation à intervenir et la règle nouvelle pourrait seule s’appliquer »1848. Ainsi, en proposant
cette méthode, Kahn a ajouté un tempérament à l’application immédiate de la règle de conflit
nouvelle, lequel paraissait indispensable puisqu’il existe des situations dans lesquelles la
survie de la règle de conflit ancienne semble justifiée. L’exemple le plus typique est celui de
la matière contractuelle. Cependant si la démarche est bienvenue, la proposition n’est pas
véritablement fondée d’un point de vue théorique, et également contestable sur le plan
pratique.

1846
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 315.
1847
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 22.
1848
Ibid.

593
1347. Une méthode incertaine. D’une part, la méthode est incertaine puisqu’elle est
fonction « d’un contact entre un rapport de droit et un ordre juridique » lequel « peut être
indéfiniment discuté » 1849 . En l’absence de précisions sur ce contact, il semble que sa
détermination soit soumise au libre arbitre du juge, lequel pourrait au choix, opter pour la
règle de conflit nouvelle ou ancienne. D’autre part, l’argument selon lequel « l’existence d’un
contact entre la relation privée et la règle de conflit ancienne ne peut suffire à justifier
l’application de celle-ci »1850. En effet, l’existence d’un seul contact entre la relation en cause
et la règle de conflit ancienne n’est pas un motif suffisant permettant de considérer que la
règle de conflit ancienne possède un titre plus légitime à s’appliquer que la règle de conflit
nouvelle. De la même façon, l’absence de contact avec la règle de conflit ancienne ne justifie
pas « l’application automatique de la règle de conflit nouvelle » 1851 . En vérité, il faut
simplement constater que la référence à la notion de contact avec la règle de conflit, qu’elle
soit ancienne ou nouvelle, n’est pas pertinente. Ce n’est pas le contact avec une règle de
conflit qui en justifie nécessairement son application. C’est pourquoi en l’absence d’une
véritable assise théorique et de l’incertitude provoquée par cette méthode, il est préférable de
l’écarter. Néanmoins, une autre doctrine intermédiaire a également pu être proposée laquelle
est dorénavant fonction de données substantielles.

b) La méthode unilatérale de consultation des lois substantielles affectée de carences


1348. La méthode de consultation des lois substantielles de Héron. Dans la même
optique de réalisation d’un compromis entre règles de conflit nouvelle et ancienne, une autre
théorie a été proposée par Héron consistant à prendre en compte « l’énoncé des lois
substantielles désignées par les règles de droit international privé »1852. L’auteur expose que
« la solution consiste à appliquer dans un premier temps l’ancienne et la nouvelle règles de
conflit à titre provisoire »1853. Puis, « dans un deuxième temps, il faut détecter dans chaque
ordre juridique les règles substantielles susceptibles de s’appliquer au cas du demandeur, et
dans un troisième temps, sélectionner parmi ces règles substantielles celles qui visent des faits

1849
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 24.
1850
Ibid., § 25.
1851
Ibid.
1852
J. Héron, « L’application dans le temps des règles de conflit », RCDIP 1987, p. 305, lequel considère que :
« toutes les normes de droit international privé ne se présentent pas comme des règles strictement indirectes » ; «
Indiscutablement, cette situation caractérise la règle de conflit par excellence qu’est la règle de conflit bilatérale.
Mais, à côté de celle-ci, il existe d’autres règles de conflit, au sens large, comme les règles unilatérales, les règles
alternatives ou les lois de police ; dans certaines de ces règles peuvent apparaître des aspects substantiels
susceptibles de modifier les données du problème ».
1853
Ibid.

594
qui se sont réellement produits au moment où est en vigueur la règle de conflit qui désigne ces
règles substantielles »1854.
1349. Une méthode unilatérale entachée par ses défauts habituels. Cependant, la
méthode proposée par Héron, outre sa difficulté de mise en œuvre, est altérée par deux défauts
que sont le concours des règles de conflit applicables, ou à l’inverse l’hypothèse de la lacune.
L’auteur n’a envisagé qu’un remède pour le cas du concours en considérant qu’il conviendrait
d’appliquer « la loi désignée par la règle de conflit ancienne en raison d’une nécessité logique
tenant à l’écoulement irréversible du temps » 1855 . Véritablement, il ne s’agit pas d’une
méthode réalisable en pratique. Hormis sa complexité de mise en œuvre, elle laisse subsister
les défauts classiques d’une « démarche unilatéraliste »1856 que sont le cumul et la lacune.
C’est pourquoi elle doit être écartée 1857 . Il convient nécessairement de déterminer une
méthode applicable de manière intégrale à toute situation d’espèce c’est-à-dire ne laissant pas
subsister des hypothèses de cumul et de lacune. Ainsi, en écartant toute idéologie
unilatéraliste, il convient de rechercher une solution plus compatible avec les idéaux du
bilatéralisme.
1350. Vers une solution énoncée par le droit interne. Néanmoins, si la doctrine
proposée par Héron est difficile à mettre en œuvre, elle consiste à réduire « le conflit
transitoire international à un conflit transitoire de règles matérielles » en considérant que la
règle de conflit n’est qu’une « norme d’application »1858. Or, ce postulat a été repris par de
nombreux auteurs italiens, lesquels considéraient que « les règles de conflit sont « formelles »
en ce sens qu’elles ne sont pas susceptibles de donner naissance à des droits subjectifs »
puisqu’elles ont pour objet les lois qui régissent les relations entre individus 1859 . Par
conséquent, ces derniers considéraient que « le conflit transitoire trouve (…) sa source dans la
succession des normes matérielles » issues des règles de conflit mises en cause 1860 . C’est
pourquoi Anzilotti admettait que le conflit transitoire, « ne pouvant être confié au droit
international privé, qui ne s’occupe pas des droits subjectifs, (il) appartient au droit interne,
lequel, en raison de l’application de la règle de conflit en vigueur, est celui de la loi

1854
J. Héron, op. cit., p. 305.
1855
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 28.
1856
Ibid.
1857
Cf. supra § 660 et s.
1858
B. Ancel, « Conflits de lois dans le temps », Rép. intern. Dalloz, déc. 2000, § 18.
1859
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 29.
1860
Ibid.

595
nouvellement désignée »1861. De manière générale, grâce à ces théories italiennes, il a pu être
considéré que le conflit de droit transitoire doit être réglé par le droit interne, qu’il s’agisse du
droit transitoire du système juridique désigné par la nouvelle règle de conflit ou par le droit
transitoire du for1862. Cependant, celles-ci n’ont pas été et ne peuvent être retenues dans la
mesure ou si les règles de conflit ne créent pas directement des droits subjectifs, elles assurent
tout de même leur naissance indirectement. Malgré l’absence de positivité de ces doctrines,
elles ont permis le développement d’une doctrine majoritaire se voulant universelle et
permettant ainsi la réalisation d’une méthode a priori conforme au système conflictuel
bilatéral.

B. UNE METHODE MAJORITAIRE UNIFORME INCOMPATIBLE AVEC LA REGLE DE


CONFLIT

1351. Postérieurement au développement de différentes doctrines, l’une d’elles a


réussi à emporter l’assentiment d’une majorité d’auteurs, et par conséquent a été consacrée
par la jurisprudence française. Cette méthode consiste en une transposition des règles du droit
transitoire interne au conflit transitoire international (1). Cependant, si cette méthode présente
de nombreuses qualités, elle demeure inconciliable avec l’objet et le caractère de la règle de
conflit classique (2).

1) La transposition des règles du droit transitoire interne au conflit transitoire


international
1352. Afin de déterminer une méthode uniforme et viable en comparaison aux
doctrines déjà existantes, il a été envisagé de piocher une solution dans le droit interne. C’est
pourquoi il a été proposé de transposer les règles du droit transitoire interne au conflit
transitoire international. Ainsi, a été majoritairement admis l’application des principes
généraux du droit transitoire interne (a) et de manière plus relative celles de règles spéciales
du droit transitoire interne (b).

a) L’application majoritaire des principes généraux du droit transitoire interne


1353. La transposition des règles du conflit transitoire interne. Grâce à ce
raisonnement juridique selon lequel le conflit de droit transitoire doit être réglé par le droit
interne, s’est développée une opinion doctrinale majoritaire selon laquelle le conflit transitoire
est réglé par « la transposition des règles du droit transitoire interne au conflit dans le temps

1861
B. Ancel, « Conflits de lois dans le temps », op. cit., § 17
1862
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 29.

596
des règles de conflit dans l’espace »1863. Effectivement, il est considéré que « la succession
dans le temps des règles de conflit est (…) assimilable dans sa structure à la succession dans
le temps des règles matérielles »1864. Les raisons imputables à cette assimilation sont diverses.
Tout d’abord, est opérée une analogie entre la règle de conflit et la règle de droit privé interne
considérant que toutes deux font « naître des droits subjectifs »1865. Ensuite, il est avancé que
« la modification d’une règle de conflit met les parties dans la même situation qu’un conflit de
lois internes dans le temps »1866. Enfin, est invoquée l’unité des législations entre droit interne
et droit international privé puisque « la solution du conflit transitoire doit obéir à des
impératifs identiques »1867. Par conséquent, dans la mesure où « il s’agit de trancher un litige
entre particuliers, (…) la solution du conflit transitoire doit obéir aux mêmes principes ». De
cette manière, les règles du conflit de droit transitoire interne doivent être nécessairement
transposées aux règles du conflit de droit transitoire international.
1354. Une méthode universelle conforme aux objectifs de la discipline. A priori,
cette justification semble parfaitement valable puisqu’elle a pour objet de créer une méthode
applicable en quelque sorte de manière universelle et dont l’objet est de garantir une certaine
homogénéité des législations en soumettant le problème du conflit transitoire à des objectifs
identiques. Ce raisonnement se conforme davantage aux finalités du droit des conflits de lois
puisqu’il semble respecter la structure de la règle de conflit et vise à assurer l’unité des
législations et l’uniformité d’application.
1355. Une méthode de droit positif débattue. C’est pourquoi le droit positif
français fait application de cette doctrine et soumet le conflit transitoire international aux
règles du droit transitoire français. Par conséquent, les règles de conflit sont soumises aux
principes de non-rétroactivité et d’application immédiate de la loi nouvelle prévus par l’article
2 du Code civil. En effet, « à défaut de solution donnée par l’auteur de la règle de conflit, les
tribunaux ont dû (…) appliquer les règles du droit transitoire interne, sans que la nature –
conventionnelle ou interne – de la règle de conflit ait d’influence sur la solution » 1868 .
Cependant, « cette communauté de vue ne saurait toutefois masquer certaines divergences qui
apparaissent dans la mise en œuvre de cette solution ». En effet, le débat demeure de savoir

1863
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 33.
1864
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 316.
1865
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 33.
1866
Ibid.
1867
Ibid.
1868
Ibid., § 67.

597
s’il convient d’appliquer uniquement les principes généraux du droit transitoire interne, ou s’il
convient d’appliquer également les règles de droit transitoire interne spéciales.

b) L’application relative des règles de droit transitoire interne spéciales


1356. Le débat sur l’application des règles transitoires spéciales. L’application
des règles de droit transitoire interne au conflit transitoire international soulève une
interrogation consistant à savoir s’il faut appliquer uniquement les principes généraux du droit
interne ou également ses règles spéciales. Il s’agit de règles particulières qui ménagent
l’entrée en vigueur d’une loi matérielle. Certains considèrent que « le conflit né du
changement de la règle de conflit doit être résolu à l’aide des règles du droit transitoire de la
matière de droit interne que ces règles de conflit ont pour objet »1869. D’autres considèrent que
« certaines règles spéciales du droit interne (doivent s’écarter puisqu’elles visent) des raisons
propres au droit interne qui ne valent pas pour les règles de conflit »1870.
1357. La position alternative de la Cour de cassation. Véritablement, la
jurisprudence de la Cour de cassation a opté pour une position alternative à l’égard des règles
spéciales de droit transitoire. En effet, s’agissant du divorce, celle-ci « a pris nettement
position dans le sens que les règles transitoires spéciales de la loi du 11 juillet 1975 sur le
divorce concernent seulement le droit interne et ne régissent pas la règle de conflit de
lois »1871. Puis, postérieurement, « dans le domaine de la filiation », la Cour de cassation a fait
application des règles spéciales de droit transitoire en « se référant, (à) l’article 311-14 du
Code civil, qui (…) consacre le principe général du droit transitoire interne de l’effet
immédiat de la loi nouvelle aux enfants nés avant son entrée en vigueur »1872. Par conséquent,
il semble que certaines règles spéciales du droit transitoire puissent être appliquées au conflit
transitoire international. En réalité, cette application se produirait « lorsque la règle de conflit
nouvelle est une règle à finalité matérielle »1873.
1358. Une méthode globale vectrice d’uniformisation. Il en ressort que, de manière
générale, il est admis par la doctrine et par la jurisprudence française que le conflit transitoire
international soit réglé par les principes généraux du droit transitoire interne et par les règles
spéciales du droit transitoire interne lorsque celles-ci se rapportent à des règles de conflit à

1869
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 34.
1870
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 316.
1871
Ibid.
1872
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 325.
1873
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 316.

598
coloration matérielle. Il s’agit d’un système viable qui pourrait s’inscrire dans la logique du
droit des conflits de lois puisqu’il permet de garantir un système uniforme. Néanmoins, il
semble que celui-ci présente quelques incompatibilités avec la méthode conflictuelle
bilatérale classique.

2) Une transposition inconciliable avec la règle de conflit bilatérale


1359. Malgré les avantages que présente la transposition des règles du droit
transitoire interne au conflit transitoire international, celle-ci fait état de quelques défauts. Il
semble hâtif de considérer que les règles de droit interne sont assimilables à des règles
conflictuelles dans la mesure où elles possèdent un objet différent (a). De plus, au-delà de leur
fonction respective, les règles de droit interne peuvent être parfaitement incompatibles avec le
caractère neutre des règles de conflit classiques (b).

a) La non-assimilation des règles de droit interne aux règles conflictuelles


1360. L’impossible analogie entre règles matérielles et règles conflictuelles. Si la
méthode de transposition des règles du droit transitoire interne présente l’avantage de
l’uniformité, il ne faut pas omettre le fait que les règles du droit transitoire interne visent des
règles matérielles et non des règles conflictuelles. Par conséquent, justifier le recours à la
transposition des règles internes aux règles conflictuelles par le fait qu’elles conduisent à la
création de droits subjectifs semble peu pertinent. L’objet de ces règles n’est pas identique, les
unes conduisent à régler la solution directement au fond, les autres à déterminer le champ
d’application dans l’espace des lois en conflit. C’est pourquoi il ne peut être opéré purement
et simplement une transposition des règles du droit transitoire interne au conflit transitoire
international. Le problème devrait plutôt être pris dans le sens inverse. C’est bien parce que
les règles du droit transitoire interne ont pour objet de régler un problème de conflit dans le
temps qu’elles peuvent être éventuellement appliquées à un problème de conflit transitoire
international. En effet, « le conflit transitoire de droit international privé est identique dans
son essence au conflit transitoire de droit interne » puisque « deux règles se succèdent dans un
même ordre juridique »1874. Cependant, il faut que cette transposition de règles transitoires
respecte l’objet des règles de conflit.
1361. Le nécessaire rejet des règles transitoires spéciales. La différence de finalité
entre les règles matérielles et les règles conflictuelles invitent à rejeter toute application des

1874
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 243.

599
règles transitoires spéciales puisque celles-ci sont nécessairement conçues en fonction d’un
objectif matériel du droit interne lequel ne concerne pas, en principe, la règle de conflit. De
nombreux auteurs s’accordent à exclure les règles transitoires spéciales et justifient
« l’exclusion des dispositions transitoires spéciales par l’idée qu’elles sont généralement liées
à la teneur des règles substantielles nouvelles, de sorte que si l’on appliquait ces dispositions
aux règles de conflit nouvelles, elles pourraient désigner des lois contraires au but recherché
par le législateur »1875. En effet, les règles transitoires spéciales traitent de règles matérielles
en tant que telles et ne concernent pas expressément des règles conflictuelles. Par conséquent,
afin de respecter l’objet même des règles conflictuelles, il serait préférable d’écarter
l’application des règles transitoires spéciales. De plus, cette éviction est d’autant plus justifiée
par le souci de compatibilité avec la neutralité de la règle de conflit bilatérale.

b) L’inadéquation des règles de droit interne avec la neutralité de la règle de conflit


1362. Une méthode en contradiction avec le caractère neutre de la règle de
conflit. Si la transposition des règles de droit interne aux règles de conflit est contestable au
regard de leur objet, elle peut l’être encore au regard de la neutralité classiquement reconnue à
la règle de conflit bilatérale. En effet, il est totalement incompatible avec le caractère neutre
de la règle de conflit d’admettre la transposition de règles transitoires spéciales dont l’objet
est de garantir un certain résultat matériel.
1363. Le rejet confirmé des règles transitoires spéciales. Comme l’ont affirmé
Batiffol et le Professeur Lagarde, « lorsque la règle de conflit nouvelle est une règle de conflit
à finalité matérielle, l’application des règles transitoires spéciales de la loi interne est plus
indiquée »1876. Certes, dans un système conflictuel admettant des règles de conflit à caractère
substantiel, il serait compatible d’admettre la transposition des règles transitoires spéciales.
Cependant, pour que le système applicable en droit des conflits de lois soit neutre et traite tout
sujet de droit de manière égalitaire, il doit être exempt de ce type de règles. Par conséquent,
au regard de l’inconciliabilité des règles transitoires spéciales avec la neutralité de la règle de
conflit bilatérale, celles-ci doivent définitivement être écartées du conflit transitoire
international.
1364. Une méthode irrespectueuse de l’égalité de traitement. En d’autres termes,
au regard des différentes doctrines existantes et du droit positif, il semble que la résolution du

1875
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 42.
1876
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 316.

600
conflit transitoire international soit encore insuffisante. C’est pourquoi il faut nécessairement
s’orienter vers une solution permettant la réalisation de l’égalité de traitement.

§ 2 – VERS LA DETERMINATION DE REGLES COMMUNES CONFORME A L’EGALITE DE


TRAITEMENT

1365. Dans la mesure où chaque doctrine proposée pour résoudre le conflit de droit
transitoire international ne permet pas de satisfaire aux exigences de la règle de conflit
bilatérale, il est nécessaire de mettre en place des solutions communes favorisant le respect de
la neutralité de la méthode et par voie de conséquence de l’égalité de traitement. Ainsi, il a pu
être envisagé de déterminer des règles matérielles communes spécifiques au conflit de droit
transitoire international. Cependant, une telle démarche ne peut qu’être taxée d’idéalisme (A).
Par conséquent, il serait préférable d’opter pour la création d’une méthode universelle dont la
solution consisterait simplement à appliquer les règles de droit transitoire de l’ordre juridique
en cause (B).

A. LA RECHERCHE IDEALISTE D’UN REGLEMENT MATERIEL COMMUN


1366. La solution la plus adaptée à l’uniformité consiste à résoudre le conflit de lois
dans le temps par le recours à des règles matérielles. C’est pourquoi il est nécessaire de
déterminer des principes généraux communs propres à la résolution de tout conflit de droit
transitoire (1). Néanmoins, si cette démarche est réalisable, elle demeure limitée. En effet,
l’établissement de principes généraux communs n’est que relatif (2).

1) La détermination de principes généraux communs propres à la résolution de tout


conflit de droit transitoire
1367. Pour réaliser parfaitement l’égalité de traitement des sujets de droit placés dans
une situation internationale similaire, il est toujours préférable de recourir à des règles
matérielles communes lesquelles s’appliqueront sans différence à chaque sujet de droit. Le
conflit de droit transitoire devrait donc être encadré par des principes généraux communs de
droit transitoire (a). C’est pourquoi ont été dégagés, afin de résoudre communément les
conflits de lois dans le temps, les principes généraux du droit transitoire interne (b).

a) La mise en place de règles matérielles par le biais de principes généraux communs de


droit transitoire
1368. Pour parvenir à une solution neutre et égalitaire, l’idéal serait d’organiser un
règlement matériel du conflit de droit transitoire international. Il s’agirait de prévoir des règles
de fond propres au problème du droit transitoire qui peut survenir à l’occasion de la
succession de règles de conflit. En effet, il devrait être recherché un encadrement commun
601
dans la mesure où la question qui se pose est celle de savoir si la règle nouvelle ou la règle
ancienne doit être appliquée. Ainsi, en établissant des règles matérielles communes c’est-à-
dire des principes généraux applicables à tout conflit de droit transitoire international, chaque
ordre juridique réglerait de la même manière le conflit de lois dans le temps qui lui est
soumis. De cette façon, chaque sujet de droit serait traité de manière identique. La seule
méthode permettant de dégager ces principes sera nécessairement celle d’une approche
comparative, telle que préconisée par Maury, afin d’établir une nomenclature des principes
généraux qui régissent le droit transitoire. C’est pourquoi certains auteurs se sont efforcés de
proposer une méthode fondée sur les principes généraux du droit transitoire.

b) La résolution du conflit de lois dans le temps par le recours aux principes généraux
du droit transitoire interne
1369. L’application des principes généraux du droit transitoire. Afin de proposer
une solution au conflit de lois dans le temps, certains auteurs, notamment les Professeurs
Mayer et Heuzé, se réfèrent aux « principes généraux du droit transitoire interne »1877. Il ne
s’agit plus véritablement d’une transposition des règles du droit transitoire interne, mais d’une
application de « principes généraux du droit transitoire » lesquels sont appliqués par l’ordre
juridique interne. Dans la mesure où il s’agit de principes généraux, ils doivent être appliqués
au droit transitoire international puisqu’ils ont pour objet de déterminer quelle règle sera
compétente dans l’hypothèse où deux règles de droit se succéderaient.
1370. L’application de principes exempts de considérations substantielles. Pour
justifier leur raisonnement, ils considèrent cette méthode compatible avec la méthode
conflictuelle classique c’est-à-dire « fondée sur les caractères neutre et indirect de la règle de
conflit de lois » dans la mesure où ces principes généraux « font eux-mêmes abstraction du
contenu des règles substantielles en conflit »1878. Il est vrai que les principes généraux du droit
transitoire interne ont, en principe, pour seul objet de résoudre un conflit de lois dans le
temps, abstraction faite du résultat matériel qui sera éconduit. C’est pourquoi s’il ne s’agit pas
d’une transposition des règles du droit transitoire interne en tant que telle, cette doctrine mène
au même résultat qui consiste à appliquer les principes généraux du droit transitoire interne.
Or, rien ne permet de contester l’application de ces principes au droit transitoire international.
Il faut considérer que ces principes généraux visent tout droit transitoire et ne tiennent en

1877
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 26.
1878
Ibid.

602
aucun cas compte de la structure de la règle, c’est-à-dire qu’elle soit matérielle ou
conflictuelle.
1371. Des principes régis par trois règles fondamentales. Ainsi, les Professeurs
Mayer et Heuzé ont considéré que le droit transitoire est régi par « trois idées fondamentales »
qui sont les suivantes : « application immédiate de la loi nouvelle, réserve des situations
définitivement acquises (et) maintien de la loi ancienne pour les effets futurs des
contrats »1879. Selon ces auteurs, il existerait donc des principes généraux de droit transitoire
c’est-à-dire des principes communs qui « valent aussi bien, de façon générale, pour les règles
de conflit que pour les règles substantielles »1880.
1372. La reconnaissance du caractère autonome du droit transitoire. L’idée
proposée par ces auteurs est très séduisante puisqu’elle positionne le droit transitoire comme
une branche autonome qui ne s’apparente pas à la méthode conflictuelle ou à la méthode
matérielle, il s’agit d’un droit autonome régi par des principes généraux communs, lesquels
ont vocation à s’appliquer, quelle que soit la nature de la règle. Cependant, cette proposition
se limite à ces trois principes et ne peut être parfaitement généralisable au droit des conflits de
lois, ni même à l’ensemble de la société internationale.

2) La relativité des principes généraux communs de droit transitoire


1373. S’il semble possible de dégager des principes généraux de droit transitoire
applicables à l’ensemble des conflits de lois dans le temps, cet établissement est en réalité
limité. En effet, la coïncidence des principes généraux du droit transitoire interne aux règles
transitoires internationales n’est en vérité que partielle (a). De plus, il est parfaitement
irréalisable de songer à la mise en place de principes communs encadrant totalement les
conflits de lois dans le temps en l’absence de communauté juridique internationale (b).

a) La coïncidence partielle des principes généraux du droit transitoire interne aux règles
de droit transitoire international
1374. Une coïncidence relative des principes internes aux règles internationales.
Si la théorie des principes généraux du droit transitoire interne des Professeurs Mayer et
Heuzé est très séduisante, elle ne constitue qu’une coïncidence. Les auteurs s’étaient aperçus
des limites de la théorie et avaient constaté « qu’il existe des principes distincts de droit

1879
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 244.
1880
Ibid.

603
transitoire international, coïncidant partiellement avec ceux du droit transitoire interne »1881.
En effet, certains principes ne sont propres qu’au droit interne et ne peuvent être étendus au
droit international. Les Professeurs Mayer et Heuzé font notamment cas de deux principes
internes qui doivent être écartés selon lesquels d’une part, « la loi nouvelle peut, lorsqu’elle
est d’ordre public s’appliquer à des situations qui normalement devraient rester soumises à la
loi ancienne »1882, et d’autre part, « l’application de la loi nouvelle aux effets extracontractuels
en cours »1883. En effet, ils soutiennent, pour le premier cas, qu’« il n’y a aucun inconvénient,
en cas de modification du droit international privé, à ce que (ces situations) restent régies par
la règle de conflit ancienne »1884. De la même manière pour le second cas, ils exposent qu’il
pourrait être « grave de rendre brutalement applicable une loi totalement différente, parce
qu’édictée par un autre législateur, de celle qui gouvernait jusque-là (l’institution) »1885. Ils en
concluent alors que « pour ces deux raisons, le principe de survie de la règle ancienne est plus
fort en droit international privé qu’en droit interne »1886.
1375. Une méthode à portée limitée. Finalement, il peut exister des principes
généraux de droit transitoire, mais la détermination de principes communs demeure très
limitée. En effet, elle ne peut en aucun cas résulter d’une analyse approfondie des principes
généraux de droit interne puisque par définition ils sont conçus par rapport à la conception des
règles matérielles du droit interne et en aucun cas par rapport à la conception des règles
conflictuelles du droit international privé. Par conséquent, si les règles de droit transitoire ont
toujours pour objet de trancher un conflit de lois dans l’espace, elles ne peuvent toutes être
appliquées en tant que principes généraux dans la mesure où certaines d’entre elles ont été
conçues à l’aune d’une conception de droit matériel propre à chaque Etat. C’est bien parce
que le droit transitoire ne fait l’objet que d’une réglementation étatique ou régionale qu’aucun
régime commun n’a pu émerger dans la discipline du droit international privé et spécialement
du droit des conflits de lois.

1881
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 244.
1882
Ibid.
1883
Ibid.
1884
Ibid.
1885
Ibid.
1886
Ibid.

604
b) L’impossible établissement de principes généraux communs en l’absence de
communauté juridique internationale
1376. L’exclusion de règles matérielles communes en l’absence de communauté
internationale. Finalement, au regard de la méthode proposée par les Professeurs Mayer et
Heuzé, il apparaît que les règles de droit transitoire font essentiellement l’objet de
réglementations internes. C’est pourquoi il n’est pas véritablement possible d’élaborer des
principes généraux communs sauf à se référer aux trois idées fondamentales de leur théorie.
Ainsi, chaque ordre juridique se dote de ses règles internes de droit transitoire et en fait
application lorsqu’un conflit de lois dans le temps se présente. Une nouvelle fois, c’est parce
qu’il n’existe pas une communauté juridique internationale, ni un organe judiciaire commun,
qu’il ne peut exister de législation matérielle commune entre les Etats. Néanmoins, certaines
conventions internationales prévoient elles-mêmes l’agencement de leurs règles de conflit
avec les règles anciennes. Il s’agirait alors des prémices d’une législation matérielle commune
de droit transitoire. Cependant, ces règles propres au conflit transitoire ne sont pas générales,
puisqu’elles se cantonnent à une sphère régionale et ne s’appliquent qu’au texte dont elles
sont l’objet.
1377. La recherche d’une méthode commune préférée à l’établissement de règles
matérielles. Par conséquent, force est de constater qu’il semble une nouvelle fois difficile de
proposer des solutions matérielles au conflit de lois dans l’espace, dans la mesure où une
approche comparative ne peut conduire qu’à l’établissement de quelques principes généraux
insuffisants à garantir les conceptions du droit international privé, et particulièrement du droit
des conflits de lois. Ainsi, en l’absence de communauté de droit internationale, il serait
préférable de rechercher une méthode commune et non plus des règles matérielles c’est-à-dire
des principes généraux communs. Si la réalisation d’une telle méthode est viable, l’égalité de
traitement garantie par la méthode conflictuelle sera respectée.

B. LA CREATION D’UNE METHODE UNIVERSELLE PAR APPLICATION DU DROIT


TRANSITOIRE DE L’ORDRE JURIDIQUE EN CAUSE

1378. L’étude des différentes doctrines relatives au conflit de lois dans le temps en
droit des conflits de lois invite à rechercher une méthode universelle capable de respecter les
objectifs de la méthode conflictuelle bilatérale. C’est pourquoi il pourrait être envisagé de
recourir à une application du droit transitoire de l’ordre juridique dont dépendent les règles en
conflit (1). Celle-ci serait alors à même d’assurer la neutralité et l’égalité de traitement
garanties par la méthode conflictuelle classique (2).

605
1) L’application du droit transitoire de l’ordre juridique des règles en conflit
1379. Au regard des défauts qui peuvent être imputés aux diverses doctrines
proposées, ainsi qu’à l’impossible mise en œuvre d’une méthode matérielle de droit
transitoire, il doit être recherché une méthode applicable à tous, abstraction faite de
dispositions matérielles communes. Pour cela, il suffit d’appliquer les règles de droit
transitoire de l’ordre juridique dont émanent les règles conflictuelles en conflit. Cette méthode
pourrait être applicable par chaque ordre juridique conformément à la fonction du droit
transitoire (a). Néanmoins elle ne devrait être appliquée qu’au regard de ses principes
généraux par souci de conformité avec l’unité de la législation conflictuelle (b).

a) Une méthode unique applicable par chaque ordre juridique conformément à la


fonction du droit transitoire
1380. Les objectifs du droit transitoire. Dans la mesure où il semble impossible de
mettre en place des règles matérielles communes relatives au droit transitoire en droit
international privé, notamment en droit des conflit de lois, tout comme il paraît souhaitable
d’écarter une transposition pure et simple du droit transitoire interne au droit transitoire
international, il convient de rechercher une méthode commune qui pourrait convenir à tout
ordre juridique et qui garantirait une véritable sécurité juridique. Pour cela, il convient de
considérer au préalable, comme a pu le faire notamment Roubier, que « les situations
juridiques de droit international privé sont absolument identiques (…) aux situations du droit
interne ; car la présence ou l’absence d’élément étranger dans une situation juridique, par quoi
se marque leur seule différence, n’intéresse pas le droit transitoire, qui analyse les situations
juridiques uniquement d’après leur développement dans la durée » 1887 . Il faut donc
absolument partir du postulat selon lequel tout droit transitoire, qu’il soit interne ou
international, a pour seul objectif de résoudre un conflit de lois dans le temps, qu’il s’agisse
de règles matérielles ou de règles conflictuelles1888. De plus, il convient de prendre en compte
« la fonction essentielle » du droit transitoire qui consiste à « sauvegarder l’unité de la
législation »1889, et ceci, quelle que soit la législation considérée. Par conséquent, la méthode
doit être recherchée à l’aune de ces objectifs.

1887
P. Roubier, Le droit transitoire : conflits de lois dans le temps, Dalloz et Sirey, 2ème éd., 1960, § 107, spéc. p.
577.
1888
Voir en ce sens : P. Level, Essai de systématisation du conflit de lois dans le temps, Thèse, Paris, 1957,
LGDJ, 1959, § 7 : « la science du droit transitoire répond aux mêmes objectifs et aux mêmes préoccupations que
la science du droit en général ».
1889
C. Gavalda, op. cit., § 47.

606
1381. L’application du droit transitoire de chaque ordre juridique à ses propres
règles. Il serait donc pertinent de considérer que chaque ordre juridique doit appliquer aux
règles de conflits dans le temps, les règles de droit transitoire de l’ordre juridique dont elles
émanent. En effet, dans la mesure où les règles de conflit font partie intégrante de la
législation d’un ordre juridique donné, il semble qu’il soit plus pertinent de considérer que
celles-ci soient soumises, en matière de droit transitoire, aux règles transitoires de l’ordre
juridique dont elles sont issues. Par exemple, en droit français, lorsqu’une règle de conflit fait
l’objet d’une modification législative, son application en droit transitoire, doit être régie par
les règles du droit transitoire français. Ainsi, l’unité de législation de chaque ordre juridique
sera préservée conformément à l’objectif du droit transitoire.
1382. Une méthode universalisable. De plus, il semblerait que cette méthode soit
universalisable dans la mesure où toute règle de conflit se rattache, au regard de sa source, à
un ordre juridique propre. Dans le cadre de règles de conflit régionales, il suffira simplement
de consulter le texte international qui prévoit l’application transitoire de ces normes. Si le
règlement de ce conflit n’est pas prévu au sein du texte, alors il reviendrait subsidiairement à
l’ordre juridique national, d’appliquer ses propres règles de droit transitoire, puisque les règles
de conflit régionales font partie intégrante de sa législation nationale. Néanmoins, il ne s’agit
là que d’hypothèses rares dans la mesure où cette « désignation législative expresse » figure
essentiellement « dans des conventions internationales et dans les règlements européens »
contrairement au « législateur national » qui ne pose que très « rarement des règles transitoires
expresses »1890. Toutefois, si chaque ordre juridique doit appliquer à la règle de conflit qui lui
est soumise les règles du droit transitoire interne de l’ordre juridique duquel elle émane, cette
application doit rester mesurée.

b) L’application des seuls principes généraux soucieux du respect de l’unité de la


législation conflictuelle
1383. Une application cantonnée aux principes généraux. Il apparaît au regard des
différentes doctrines exposées que si chaque ordre juridique applique les règles du droit
transitoire interne, il ne peut le faire qu’à la condition de ne retenir que ses principes
généraux. En effet, ces derniers, quasiment identiques d’une législation à l’autre, reflètent
l’essence même du droit transitoire. Comme l’a affirmé Roubier, la fonction essentielle du
droit transitoire, à savoir, l’unité de la législation, est assurée « par l’effet immédiat attribué

1890
J. Foyer et P. Courbe, op. cit., § 50.

607
aux lois nouvelles et tempérée par le respect de certains droits subjectifs (non-
rétroactivité) »1891.
1384. L’application des principes propres à la préservation de l’unité de la
législation. Ainsi, les principes généraux du droit transitoire, appliqués par chaque ordre
juridique interne, peuvent être appliqués à chaque conflit de droit transitoire international,
seulement dans la mesure où ils respectent l’objectif du droit transitoire à savoir le maintien
de l’unité de la législation. Par conséquent, il convient nécessairement d’écarter toutes les
règles qui desserviraient l’unité de la législation relative aux règles de conflits de lois. C’est
pourquoi il ne peut être procédé à une pure et simple transposition des règles du droit
transitoire interne. Ces règles ne doivent être appliquées qu’aux règles de conflit qui émanent
du même ordre juridique et ne peuvent être mises en œuvre qu’à la condition de garantir
l’unité de la législation conflictuelle. Il s’agit de la nuance qui doit être opérée entre les règles
du droit transitoire interne et les règles du droit transitoire international. De cette manière, les
règles transitoires internes spéciales devront être écartées puisqu’elles ont pour objet d’assurer
l’unité de la législation de dispositions matérielles qui n’ont pas nécessairement à voir avec la
législation conflictuelle relative à la même institution. Ainsi, pour reprendre l’exemple du
droit français, en cas de modification de la législation conflictuelle, les problèmes de droit
transitoires seront uniquement régis par les principes généraux du droit français, prévu par
l’article 2 du Code civil. En effet, il faut absolument que l’application des règles du droit
transitoire interne coïncide avec l’objectif du droit des conflits de lois1892. En adoptant une
telle méthode, il serait possible de parvenir à une méthode commune favorisant le respect du
bilatéralisme classique en respectant neutralité et égalité de traitement.

1891
C. Gavalda, op. cit., § 47.
1892
Voir en ce sens : P. Lagarde, « Le droit transitoire des règles de conflit après les réformes récentes du droit
de la famille », TCFDIP 1977-1980, p. 89-112, lequel affirmait également que : « Ce qui est vrai dans la théorie
classique, c'est cette affirmation que la succession dans le temps de règles de conflit de lois est assimilable, dans
sa structure, à la succession dans le temps de règles matérielles et qu'elle pose donc un problème de droit
transitoire soumis normalement aux principes généraux du droit transitoire. Toute la difficulté est de savoir ce
qu'on veut dire en disant que le conflit dans le temps des règles de conflit de lois est soumis aux principes
généraux du droit transitoire, et c'est là qu'une réinterprétation de la théorie classique est peut-être nécessaire.
Dire que le conflit transitoire international est soumis aux principes généraux du droit transitoire, cela veut dire
que deux règles de conflit se sont succédé et que la seconde doit en principe s'appliquer immédiatement mais
sans rétroactivité. Cela ne veut pas dire que l'on suivra nécessairement les règles de droit transitoire de la matière
de droit interne que ces nouvelles règles de conflit ont pour objet, car il n'est pas sûr que les règles transitoires du
droit interne soient elles-mêmes conformes aux principes généraux du droit transitoire. Il se peut en effet que les
nécessités du droit interne aient conduit à infléchir ces principes généraux par l'adoption de règles transitoires
spéciales prévoyant soit la rétroactivité de la loi nouvelle, soit plus fréquemment la survie plus ou moins
prolongée de la loi ancienne. Ces nécessités ne se retrouvent pas nécessairement en droit international privé et
autorisent une discordance de solutions du conflit transitoire interne et du conflit transitoire international ».

608
2) Une méthode en accord avec les objectifs de la méthode conflictuelle bilatérale
1385. L’avantage d’une méthode unique, fondée sur la fonction essentielle du droit
transitoire, est de conduire à une parfaite conciliation entre la résolution du conflit de lois
dans le temps et la méthode conflictuelle bilatérale. Il s’agirait d’une solution, d’une part,
conforme au caractère neutre de la méthode (a), et d’autre part, garante de l’égalité de
traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale équivalente (b).

a) Une solution conforme à la neutralité de la méthode conflictuelle


1386. Conformément au caractère neutre que présente la méthode conflictuelle
bilatérale, cette méthode commune de droit transitoire le respecterait. En effet, si celle-ci est
fonction de l’objectif essentiel du droit transitoire, à savoir l’unité de législation, tout en
respectant les objectifs du droit des conflits de lois, alors la neutralité de la méthode
conflictuelle sera respectée. C’est pourquoi il convient, une nouvelle fois, d’écarter les règles
du droit transitoire interne qui sont motivées par un résultat substantiel. Celui-là ne vise que la
politique législative matérielle de l’ordre juridique concerné, mais ne doit pas s’étendre aux
règles conflictuelles de droit international privé de cet ordre juridique, sauf à considérer que le
législateur l’ait lui-même envisagé. Effectivement, toute méthode conflictuelle classique,
corollaire d’une égalité de traitement, ne peut faire l’objet, même au stade du conflit de lois
dans le temps, d’une politique substantielle. L’application de règles transitoires spéciales
pourrait conduire à fausser le résultat traditionnellement recherché par la règle de conflit
bilatérale classique. C’est pourquoi même à ce stade, toute recherche matérielle doit être
écartée. Ainsi, la solution du conflit transitoire international sera tranchée à l’aune de la
fonction essentielle du droit transitoire, à savoir l’unité législative, et se conformera à
l’encadrement prévu par l’ordre juridique dont il dépend. De cette façon, la méthode sera
nécessairement appliquée de manière neutre sans rechercher un résultat matériel spécifique,
mais aussi pourra être appliquée par n’importe quel organe juridique.

b) Une solution garante de l’égalité de traitement des sujets de droit


1387. Dans la mesure où la méthode proposée peut être considérée comme neutre au
sens où aucun résultat substantiel ne sera particulièrement recherché, si ce n’est l’objectif
d’unité législative du droit transitoire, les bases d’une méthode universelle sont posées. En
effet, cette méthode présente l’avantage d’être applicable, quelle que soit la juridiction saisie.
Il suffira seulement à celle-ci d’identifier l’origine des règles de droit en conflit pour trancher
le problème de conflit dans le temps par application des règles de droit transitoire de l’ordre
juridique dont elles relèvent. Par conséquent, la sécurité juridique sera assurée par la mise en

609
œuvre d’une telle procédure, mais aussi l’égalité de traitement entre sujets de droit. En effet,
chaque fois que la solution du droit transitoire n’est pas assortie à la règle de conflit, chaque
juge appliquera cette méthode. Par conséquent, tout sujet de droit sera traité de manière
identique, quelle que soit la juridiction saisie, tout ceci en respectant l’objectif de la méthode
conflictuelle classique à savoir la localisation du rapport de droit de manière neutre. Ainsi, le
conflit de lois dans le temps doit donc être résolu à l’aune du droit transitoire en tant que
discipline autonome afin de préserver l’égalité de traitement issue de la neutralité de la règle
de conflit. Toutefois, un autre conflit peut se présenter en droit des conflits de lois. Il s’agit du
conflit de lois dans l’espace, ou plus précisément du conflit mobile, lequel ne fait pas cette
fois-ci figure d’une discipline spécifique.

SOUS-SECTION 2 : L’ABOLITION DU CONFLIT MOBILE PAR LE RECOURS A LA


METHODE BILATERALE A RATTACHEMENT AUX LIENS LES PLUS ETROITS

1388. Parallèlement à l’hypothèse du conflit de lois dans le temps classique, peut


apparaître un conflit de lois dans l’espace. Il s’agit du conflit mobile lequel « surgit toutes les
fois qu’à la suite d’une modification de l’élément localisateur d’une situation d’après la règle
de conflit à elle applicable, l’on est conduit à hésiter entre la compétence de la loi telle qu’elle
résulte de l’élément localisateur avant sa modification et la compétence de la loi telle qu’elle
résulte de l’élément localisateur après sa modification » 1893 . Face à ce problème, de
nombreuses doctrines dites classiques ont été développées. Cependant, chacune de ces
doctrines doit être évincée dans la mesure où aucune n’est compatible avec le particularisme
imputable au conflit mobile (§ 1). C’est pourquoi la résolution du conflit mobile n’est
concevable que si elle s’inscrit en conformité avec la règle de conflit bilatérale classique (§ 2).

§ 1 – L’EVICTION DE DOCTRINES CLASSIQUES ANTAGONISTES AVEC LE


PARTICULARISME DU CONFLIT MOBILE

1389. Dans l’objectif de résoudre le conflit mobile, plusieurs doctrines dites


classiques ont été prônées. D’une part, il a été proposé de recourir à la célèbre doctrine des
droits acquis soutenue par Pillet. Cependant, son recours paraît relativement limité face à la
réalité des conflits de lois (A). D’autre part, il a été soutenu de procéder à une analogie entre
les règles applicables au conflit de droit transitoire et les règles applicables au conflit mobile.

1893
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 328.

610
Néanmoins, cette méthode fait état d’une certaine imperfection face à la résolution des
conflits de loi dans l’espace (B).

A. LE RECOURS RELATIVEMENT LIMITE A LA DOCTRINE DES DROITS ACQUIS


1390. Classiquement, le conflit mobile a pu être résolu, en doctrine, par la célèbre
théorie des droits acquis attribuée à Pillet. Son recours pouvait paraître justifié dans la mesure
où il conduit à une véritable stabilité des institutions et des droits (1). Cependant, elle s’avère
parfaitement incompatible avec la vivacité dont fait état le conflit de lois (2).

1) Le recours à la doctrine des droits acquis par souci de stabilité des institutions
1391. Traditionnellement, pour trancher la question du conflit mobile, il a été proposé
de recourir à la doctrine des droits acquis c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle il convient de
conserver et de respecter les droits régulièrement acquis dans un pays (a). En effet, une telle
méthode permet de trancher le problème tout en garantissant la stabilité des droits et
institutions (b).

a) Le maintien des droits régulièrement acquis à l’étranger


1392. La doctrine des droits acquis. Pour résoudre le problème du conflit mobile,
une doctrine particulièrement célèbre a été développée par Pillet, lequel considérait que « tout
droit régulièrement acquis dans un pays doit être respecté dans les autres » 1894 . Plus
précisément sa philosophie consistait à admettre que « toutes les fois qu’un droit a été
régulièrement acquis dans un pays quelconque, ce droit doit être respecté et les effets qu’il
produit doivent lui être garantis dans un autre pays, faisant partie comme le premier de la
communauté internationale »1895. Ainsi, en vertu du respect international des droits acquis,
« la situation formée sous l’autorité d’un Etat doit développer tous ses effets sous la même
autorité ; elle doit rester soumise malgré le changement de nationalité, de domicile ou de
situation d’un bien »1896.
1393. Le maintien de la loi ancienne. Sa doctrine consiste à maintenir sous l’empire
de la loi ancienne la situation internationale ayant fait l’objet d’un conflit mobile. Par
conséquent, celle-ci « conduit non seulement à exclure tout effet rétroactif de la loi du pays
dans lequel un individu transfère son domicile ou transporte ses biens ainsi que celle dont il

1894
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 318-1.
1895
A. Pillet, Introduction : « Du respect international des droits régulièrement acquis », in « La théorie générale
des droits acquis », RCADI, 1925, vol. n° 8, spéc. p. 492.
1896
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », J.-Cl. Droit international, 19 fév. 2015, Fasc. 533-2, § 49.

611
acquiert la nationalité, mais prévient tout effet immédiat de cette même loi sur les effets futurs
d’une situation acquise sous l’empire de la loi ancienne »1897.
1394. Une méthode neutre et universelle. Ainsi, Pillet met fin au conflit mobile en
considérant que « tout droit régulièrement acquis dans un pays doit être respecté dans les
autres »1898. Il s’agit a priori d’une méthode satisfaisante dans la mesure où elle semble à la
fois neutre et universelle. En effet, en estimant que tout droit régulièrement acquis dans un
pays doit être reconnu et effectif dans les autres, il ne semble pas que le caractère neutre de la
méthode conflictuelle soit remis en cause puisque finalement il s’agirait de donner vigueur à
la solution initialement dégagée par la méthode conflictuelle. De plus, cette méthode peut être
appliquée par n’importe quel ordre juridique puisqu’elle consiste simplement pour chaque
Etat à reconnaître et respecter les droits acquis à l’étranger. Outre ses avantages considérables,
elle représente une garantie de stabilité des droits et institutions.

b) Le maintien de la stabilité des droits et institutions


1395. La stabilité des droits et institutions garantie. Si la doctrine des droits acquis
respecte en principe les dogmes de la méthode conflictuelle, elle présente également
l’avantage d’assurer « la stabilité des droits ou institutions dans l’ordre international, ainsi
qu’un certain maintien des ensembles législatifs »1899. En recourant à la doctrine des droits
acquis, toute situation internationale ne serait pas perturbée par un conflit mobile c’est-à-dire
par le déplacement dans l’espace d’un élément de rattachement. Effectivement, si une solution
inverse était retenue, il serait possible que la situation internationale soit traitée d’une manière
différente à la suite du conflit mobile. Par exemple, « le titulaire d’une sûreté sur un meuble
(pourrait perdre) le bénéfice de celle-ci au motif que l’objet a été déplacé à l’étranger »1900.
1396. Sécurité juridiques assurée. Au regard de l’avantage que présente la doctrine
des droits acquis, un autre auteur, Bartin, « parvenait à des résultats analogues », « sans avoir
recours aux conceptions de Pillet »1901. Or, si le raisonnement de Pillet ne l’a pas convaincu,
son résultat en revanche l’a séduit notamment parce qu’« il mettait l’accent sur le maintien
nécessaire de la stabilité des institutions dans les relations internationales »1902. Effectivement,
le caractère de stabilité s’avère être une priorité en droit international privé dans la mesure où

1897
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 331.
1898
Ibid.
1899
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., §294.
1900
Ibid.
1901
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 331.
1902
Ibid.

612
il garantit aux sujets de droit la sécurité juridique. Par conséquent, la doctrine des droits
acquis pourrait constituer une réponse au conflit de lois dans l’espace dans la mesure où elle
semble respectueuse de ses caractères, et où elle assure pleinement la stabilité des droits et
institutions. Cependant, malgré ses avantages incontestables, cette doctrine est totalement
incompatible avec la vivacité du conflit de lois.

2) Une doctrine incompatible avec la vivacité du conflit de lois


1397. La théorie des droits acquis développée par Pillet présente des avantages
incontestables. Cependant ces mêmes avantages constituent aussi des inconvénients eu égard
à la vivacité du conflit de lois. En effet, cette méthode est d’une part, inadaptée à la réalité du
conflit de lois (a), et d’autre part, inconciliable avec le bilatéralisme (b).

a) Une méthode inadaptée à la réalité du conflit de lois


1398. Une méthode figée. Si la doctrine des droits acquis présente l’avantage de
garantir la stabilité des institutions et des droits, elle traduit également un redoutable
inconvénient dans la mesure où cette solution a pour effet « de figer la situation juridique en
la maintenant sous l’empire d’une loi désignée en fonction d’un rattachement révolu »1903. Il
est parfaitement illogique, voire même contraire à la méthode conflictuelle bilatérale, de
maintenir une situation juridique « le cas échéant sous l’empire d’une loi avec laquelle elles
ont perdu tout lien significatif »1904. Ainsi, le vice dont est atteinte la théorie des droits acquis
est celui de ne pas se conformer à la réalité de faits qui lui est opposée. De plus, il est
considéré que, « lorsque l’option ouverte à l’internationaliste se circonscrit à un choix entre
un rattachement actuel et un rattachement passé, la préférence doit, en règle générale, être
donnée au premier »1905. Ainsi, « toute solution contraire pêche par manque de réalisme »1906.
1399. La négation du conflit mobile. De plus, l’argument de la stabilité des
institutions, s’il « mérite d’être pris en considération », « vaut surtout en dehors de
l’hypothèse du conflit mobile, car dans ce dernier, c’est la volonté des individus qui entraîne
la modification de l’élément de rattachement dont on ne saurait méconnaître l’incidence sur la
compétence législative »1907. En vérité, la doctrine des droits acquis conduit à « nier la notion
même de conflit mobile, puisque le droit acquis ne subit aucune incidence du fait du

1903
Ibid., § 332.
1904
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 294.
1905
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 332.
1906
Ibid.
1907
Ibid.

613
changement ultérieur du rattachement »1908. Finalement, « le souci de la stabilité des relations
juridiques conduit en réalité à transformer le conflit mobile en conflit immobile, ce qui est
exagérément conservateur »1909. Ainsi, dans la mesure où la doctrine des droits acquis ne peut
s’adapter à la réalité du conflit de lois, et notamment à sa vivacité qui peut notamment résulter
du conflit mobile, elle est inadaptée 1910 . Cette incompatibilité est issue de son essence
unilatéraliste.

b) Une méthode inconciliable avec le bilatéralisme


1400. Une méthode envisagée à l’aune du respect des souverainetés. Il convient
de noter que pour justifier sa doctrine, Pillet s’est fondé sur « le respect mutuel des
souverainetés »1911. Cela signifie que par souci du respect de la souveraineté des Etats, « il
convient de respecter le droit acquis conformément à une loi étrangère, avant que le
mouvement subi par ce droit ne l’ait placé sous l’empire de la règle de conflit du for »1912. Par
conséquent, les fondements sur lesquels a été construite la doctrine des droits acquis sont
d’inspiration publiciste. Or, il semble que construire une théorie à l’aune d’une idéologie
fondée sur le conflit de souverainetés ne puisse être compatible avec la véritable signification
du conflit de lois.
1401. Une méthode unilatéraliste. En outre, la doctrine de Pillet s’inscrit dans le
mouvement de l’unilatéralisme. C’est d’ailleurs pourquoi, un autre fervent de l’unilatéralisme,
à savoir Niboyet 1913 , était partisan de cette théorie. Or, Madame Souleau-Bertrand a
brillamment démontré que « la notion de droit acquis trouv(e) sa place la plus adaptée » dans
« un système unilatéraliste »1914. Comme elle l’expose, « au sein d’un système de règles de
conflit unilatérales, l’élément de rattachement peut uniquement désigner la loi du for »1915.
C’est pourquoi « un dédoublement de la désignation opérée par le facteur de rattachement en

1908
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 53.
1909
Ibid.
1910
Pour aller plus loin, voir en ce sens : S. Cigoj, « Les droits acquis, les conflits mobiles et la rétroactivité à la
lumière des Conventions de La Haye », RCDIP 1978, p. 1, lequel expose notamment que : « Les théories
contraires des droits acquis soutiennent surtout qu’il n’existe pas de problème des droits acquis. Il n’y a pas, dans
la règle du respect international des droits acquis, un principe nouveau et original du droit international privé,
juxtaposé aux autres solutions qui constituent le système du conflit des lois. Cette règle n’est que la dernière
conséquence du principe de la correspondance des solutions de conflit et du caractère interne des rapports de
droit ».
1911
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 294.
1912
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 49.
1913
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 294.
1914
M. Souleau-Bertrand, Le conflit mobile, Thèse, Paris 1, 2003, Dalloz, 2005, § 254.
1915
Ibid., § 255.

614
raison de sa mobilité n’est donc pas envisageable »1916. Ainsi, tout conflit mobile ne peut
émaner d’un système unilatéraliste puisque « l’application d’une loi étrangère ne peut jamais
résulter d’une norme de droit international privé du for »1917. La doctrine des droits acquis
correspond donc parfaitement au système unilatéral puisque la doctrine tend à nier l’existence
du conflit mobile, lequel ne peut avoir lieu dans un système unilatéral. Cependant, dans la
mesure où l’hypothèse du conflit mobile doit être réglée au regard de la méthode conflictuelle
bilatérale, seule à même de garantir l’égalité de traitement, il convient d’écarter la doctrine
des droits acquis. Celle-ci est inévitablement incompatible avec le bilatéralisme puisqu’elle
est d’essence unilatéraliste. Ceci explique pourquoi cette doctrine ne peut se conformer à la
réalité du conflit de lois. Par conséquent, la solution du conflit mobile doit être déterminée à
l’aune du bilatéralisme pour être réaliste.
1402. Une méthode rejetée par le droit positif. D’ailleurs, le droit positif français,
notamment la Cour de cassation n’a jamais consacré cette théorie à l’égard de cas relatifs au
conflit mobile. Cette doctrine n’a trouvé écho qu’en matière d’effets des jugements
puisqu’« elle l’applique a fortiori aux effets en France des actes accomplis à l’étranger par des
personnes privées »1918 . En effet, il s’agit bien de l’unique hypothèse où les droits acquis
doivent être respectés c’est-à-dire lorsque des droits ont été régulièrement acquis à l’étranger,
ils doivent pouvoir être reconnus et exécutés par l’ordre juridique du for. Néanmoins, il s’agit
véritablement de situations dans lesquelles il n’est pas question d’un conflit de lois, la
situation internationale étant déjà acquise. En outre, la doctrine des droits acquis ne saurait
être considérée comme la solution propre à régler l’hypothèse d’un conflit de lois dans
l’espace. C’est pourquoi il a plutôt été proposé de recourir à une analogie avec les règles
relatives au droit transitoire.

B. L’ANALOGIE IMPARFAITE OPEREE ENTRE CONFLIT MOBILE ET CONFLIT


TRANSITOIRE

1403. Face à l’absence de réalisme de la théorie des droits acquis et aux défauts qui
lui sont imputables, une doctrine plus moderne est apparue sous la plume de Batiffol, laquelle
a connu un véritable succès en droit positif. Elle consiste à assimiler le conflit mobile au
conflit de droit transitoire dans la mesure où il s’agit d’un conflit de lois dans le temps (1).

1916
M. Souleau-Bertrand, op. cit., § 255.
1917
Ibid.
1918
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 318.

615
Cependant, cette assimilation paraît quelque peu hâtive puisqu’il s’avère que l’application des
règles transitoires internes à la résolution du conflit mobile demeure incompatible (2).

1) L’assimilation du conflit mobile au conflit de droit transitoire


1404. Considérant que le conflit mobile constitue un conflit de lois dans le temps
puisqu’il s’agit bien de déterminer, laquelle de la loi nouvelle ou de la loi ancienne trouve à
s’appliquer, une partie de la doctrine a proposé de recourir à une analogie avec les règles du
droit transitoire. C’est pourquoi en droit positif, est opérée une transposition des solutions du
conflit de droit transitoire au conflit mobile (a), laquelle paraît justifiée au regard des objectifs
poursuivis par le droit transitoire interne (b).

a) La transposition des solutions du conflit de droit transitoire au conflit mobile


1405. L’analogie des règles du droit transitoire au conflit mobile. Postérieurement
à la théorie des droits acquis, une autre doctrine a été développée sous la plume de
Batiffol1919. Il s’agit de « la thèse la plus couramment admise en doctrine » et « elle repose sur
le présupposé de l’analogie du conflit mobile et du conflit transitoire interne, dont on déduit
en conséquence la référence aux règles internes du conflit de lois dans le temps »1920. Cette
analyse consiste donc à transposer « en tant que de raison, les principes de solution dégagés
pour ce type de conflit : non-rétroactivité de la loi nouvelle, interdisant de remettre en cause
les modes d’acquisition des droits et leurs effets échus ; mais application immédiate de cette
loi aux effets à venir, sous réserve des contrats en cours »1921.
1406. Une analogie justifiée par la nature de conflit dans le temps. Afin de
justifier le recours à une telle analogie, Batiffol considérait que « le conflit mobile constitue
un conflit dans le temps dont la différence avec le conflit transitoire interne ne paraît pas
devoir emporter de divergences dans le régime d’ensemble »1922. En effet, il estime que « vis-
à-vis du droit subjectif considéré la situation se présente de la même manière dans les deux
cas : deux lois se sont trouvées successivement applicables, et il s’agit de déterminer dans
quelle mesure les conséquences de la situation initiale se trouvent régies par la loi
nouvelle »1923. Par conséquent, dans la mesure où le conflit mobile peut s’assimiler comme un
problème similaire à celui du conflit transitoire, il convient de lui transposer les mêmes règles

1919
M. Souleau-Bertrand, op. cit., § 263.
1920
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 42.
1921
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 295.
1922
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 320.
1923
Ibid.

616
de résolution retenues en droit positif. Ce raisonnement est parfaitement recevable dans la
mesure où il est légitime d’appliquer à tout type de conflit de lois dans le temps des règles
similaires. C’est d’ailleurs pourquoi le droit positif a consacré cette théorie. En effet, « les
solutions du droit transitoire interne se sont transposées à ce jour de manière générale sans
difficulté dans les conflits mobiles du droit international »1924. La positivité reconnue à cette
doctrine par la jurisprudence française s’explique sans doute par les objectifs qui peuvent être
atteints par la mise en pratique des principes généraux du droit transitoire interne.

b) Un procédé avantageux au regard des objectifs poursuivis par le droit transitoire


interne
1407. La préservation de l’unité de législation. Les principes généraux du droit
transitoire ont pour fonction essentielle d’assurer l’unité de législation1925. Par conséquent,
cette fonction qui constitue un véritable avantage en droit transitoire va pouvoir se transposer
à l’hypothèse du conflit mobile. C’est pourquoi il est admis que « le principe de l’effet
immédiat de la loi nouvelle est justifié en droit transitoire interne par la double préoccupation
d’assurer, d’une part, l’unité de la législation interne, d’autre part, la sécurité juridique »1926.
Ainsi, par analogie, dans le cadre d’un conflit mobile, seraient assurées l’unité de la
législation interne de l’Etat nouveau, mais surtout la sécurité juridique à laquelle peut
prétendre chaque sujet de droit. Effectivement, « ce double souci se retrouve en droit
international privé où ils imposent l’emprise de la loi de l’Etat actuellement compétente sur
les effets à venir d’une situation formée sous l’autorité de la loi d’un autre Etat »1927. De cette
façon, l’unité de législation est assurée, d’une part, dans la mesure où « l’Etat qui a cessé
d’être compétent n’a aucune aptitude à régir les effets futurs d’une situation qui échappe
désormais à son autorité », et d’autre part, « dictée par l’impératif de sécurité du commerce
juridique de l’Etat dans lequel vient s’intégrer une situation formée au-dehors »1928.
1408. La protection des objectifs du droit des conflits de lois. En outre, dans la
mesure où l’analogie des règles de droit transitoire aux règles du conflit mobile a pour effet de
lui transmettre des avantages identiques, lesquels sont conformes aux objectifs du droit des
conflits de lois, il semble parfaitement justifié de recourir à cette procédure. Cependant, il
s’avère que cette analogie ne correspond pas parfaitement aux deux hypothèses visées dans la

1924
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 320.
1925
Cf. supra § 1382 et s.
1926
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 334.
1927
Ibid.
1928
Ibid.

617
mesure où s’il s’agit de conflits de lois dans le temps, l’un constitue spécifiquement un conflit
dans l’espace.

2) L’incompatibilité des règles du droit transitoire interne avec la résolution du


conflit mobile
1409. La doctrine de Batiffol permet de mettre fin aux défauts de la théorie des droits
acquis et favorise l’unité de législation ainsi que la sécurité juridique. Cependant, malgré les
avantages qu’elle présente, sa méthode se révèle limitée dans la mesure où demeure une
incompatibilité des règles du droit transitoire interne avec la résolution du conflit mobile. En
effet, cette difficulté est issue de la différence de nature qui existe entre le conflit mobile et le
conflit transitoire (a), laquelle conduit à ne pouvoir appliquer que le seul principe
d’application immédiate de la loi nouvelle (b).

a) La différence de nature entre le conflit mobile et le conflit transitoire


1410. La nature spécifique de conflit de lois dans l’espace. Si la doctrine et la
jurisprudence admettent de manière générale que les problèmes issus du conflit mobile
doivent être soumis aux règles du droit transitoire interne, cette procédure n’est pourtant pas
totalement justifiée. Il apparaît que ces deux types de conflits sont bien des conflits de lois
dans le temps, mais le conflit mobile constitue plus particulièrement un conflit dans l’espace.
Dans chacune des hypothèses, il s’agit de déterminer laquelle de la loi ancienne ou nouvelle
est applicable. Cependant, dans le cadre du conflit mobile, ne s’opposent pas « à proprement
parler une loi ancienne et une loi nouvelle puisqu’aucune des deux lois n’est abrogée par
l’autre », et elles présentent « un caractère international puisque les deux lois en conflit
émanent d’Etats différents »1929. Effectivement, le conflit mobile « n’est pas suscité comme »
le conflit transitoire « par un législateur unique décidant de remplacer une règle par une autre
estimée préférable »1930 . Par conséquent, le problème ne se pose pas à un stade identique
puisque le conflit transitoire concerne une législation unique tandis que le conflit mobile met
en jeu deux législations de droit international dont aucune ne fait l’objet d’une abrogation.
C’est pourquoi au regard de cette différence de nature entre les conflits, il pourrait paraître
contestable d’assimiler les règles du droit transitoire au conflit mobile.
1411. Un problème spécifique de droit des conflits de lois. Cependant, à cette
objection, Batiffol invitait à considérer que, sous l’angle du droit subjectif considéré, « la

1929
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 334.
1930
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 295.

618
situation se présente de la même manière dans les deux cas » puisque « deux lois se sont
trouvées successivement applicables »1931. A ce titre, il estimait que « la circonstance que le
changement de législation dans le conflit mobile (ait) pu dépendre de la volonté des parties ne
paraît pas de nature à modifier la solution de principe » 1932 issue du droit transitoire.
Effectivement en considérant les deux types de conflit comme des conflits de lois dans le
temps, le recours aux principes généraux du droit transitoire est totalement justifié.
Cependant, il serait tout de même réducteur de cantonner l’approche du conflit mobile à un
simple conflit de lois dans le temps. En opérant un tel raisonnement, il est fait « abstraction de
la source du conflit » et est repoussée « toute prémisse formaliste pour aborder la difficulté
prioritairement du point de vue des intérêts privés en cause » 1933 . Or, le conflit mobile,
contrairement au conflit transitoire, constitue un véritable problème de droit des conflits de
lois dans l’espace. Il s’agit, d’un conflit de lois dans l’espace, dans la mesure où il s’agit de
déterminer quelle loi va être applicable à la situation. La seule différence avec le conflit de
lois classique s’analyse au regard de la modification de l’élément de rattachement. Il s’agira
de déterminer quelle loi est applicable avant, puis après la modification de cet élément. En
effet, l’hypothèse du conflit mobile est liée à « la constitution » de « la règle de conflit de lois
ou de rattachement » elle-même1934. Il s’agit d’un problème spécifique au droit des conflits de
lois, et plus largement de droit international privé, lié au facteur de rattachement retenu par la
règle de conflit.
Ainsi, « la figure du conflit mobile ne tourne pas autour d’un droit subjectif que deux
soleils distincts viendraient éclairer l’un après l’autre pour lui conférer deux physionomies
différentes, entre lesquelles, il faudrait choisir »1935. Par conséquent, l’adoption d’une doctrine
purement privatiste paraît gênante dans la mesure où n’est pas pris en compte la dimension
internationale du conflit mobile. Le problème ne s’expose pas de la même façon dans le cadre
du droit transitoire puisqu’il fait l’objet d’une certaine autonomie, le droit transitoire
constituant une branche à part entière, quelle que soit la règle de droit soumise. Ainsi, « le
conflit mobile apparaît donc bien comme un conflit original, dont le caractère international ne
doit pas être occulté »1936. D’ailleurs, « la jurisprudence elle-même a attiré l’attention sur la

1931
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 320.
1932
Ibid.
1933
B. Ancel, « Conflits de lois dans le temps », op. cit., § 60.
1934
F. Rigaux, « Le conflit mobile en droit international privé », RCADI, 1966, vol. n° 117, § 11.
1935
B. Ancel, « Le conflit mobile par M. Souleau-Bertrand », RCDIP 2006, p. 452.
1936
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 77.

619
spécificité des intérêts en jeu dans le conflit mobile, qui ne met aucunement en cause un
impératif de cohérence d’une législation unique, mais tend à départager deux lois qui
coexistent dans l’espace »1937.
1412. L’impossible assimilation du conflit mobile à un conflit simplement
transitoire. En admettant la différence de nature entre ces deux types de conflit, la
transposition des règles de droit transitoire, par définition de source interne, ne peut être
compatible avec un problème de nature international. En effet, en droit positif, le conflit
transitoire est réglé par la transposition des dispositions du droit transitoire interne, laquelle
est dans son principe contestable1938. Or, une telle assimilation est d’autant plus critiquable
pour le conflit mobile dans la mesure où les règles du droit transitoire interne émanent d’un
législateur unique alors que le conflit de lois dans l’espace implique deux législateurs
différents. C’est pourquoi les dispositions d’un ordre juridique interne ne peuvent être
compatibles, simplement au regard de leur source, avec l’hypothèse du conflit mobile mettant
en jeu deux ordres juridiques différents. D’ailleurs, cette méthode est limitée autant en théorie
qu’en pratique.

b) L’unique transposition du principe d’application immédiate de la loi nouvelle au


conflit mobile
1413. L’application limitée des principes généraux du droit transitoire. Dans la
mesure où le conflit transitoire fait preuve d’une certaine autonomie à l’égard du conflit
mobile malgré leur similitude en tant que conflit de lois dans le temps, l’application de ses
règles aux conflits dans l’espace est nécessairement limitée. En effet, « la transposition aux
conflits mobiles des solutions du droit transitoire interne n’a jamais pu être complète »
puisqu’« en droit interne, (…), le législateur peut écarter l’effet immédiat de la loi nouvelle,
soit en prévoyant, une rétroactivité de celle-ci, soit en admettant une survie de la loi

1937
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I., § 424 ; lesquels poursuivent
en expliquant que : « Le conflit mobile en est venu progressivement à être envisagé comme une question
d’interprétation de la règle de conflit dont le facteur de rattachement s’est concrétisé successivement dans le
ressort de deux ordres juridiques différents, en fonction des finalités poursuivies dans chaque domaine.
L’infléchissement est d’abord devenu apparent en présence de règles de conflit « engagées ». En 1949, en
matière d’établissement de la filiation, l’arrêt Verdier a ainsi permis à l’enfant dont la loi nationale avaient
changé en cours d’instance, de choisir celle des deux lois successivement désignées par la règle de conflit (dans
sa teneur antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 311-14 du Code civil) qui lui était la plus favorable » ; « En
revanche, lorsque la règle de conflit tend seulement à donner effet à la loi qui entretient les liens les plus étroits
avec la question litigieuse, indépendamment de son contenu, l’actualisation du rattachement s’impose afin d’en
conserver sa valeur localisatrice ». Or, c’est cette dernière approche à laquelle il convient d’adhérer puisque
l’égalité des situations juridiques internationales n’est atteignable que par le biais de règles de conflit neutres.
1938
Cf. supra § 1350 et s.

620
ancienne »1939. Or, « dans le conflit mobile, ces dérogations ne peuvent être transposées telles
quelles, car la législation antérieure étant étrangère n’est pas à la disposition du législateur
dont le système régit désormais la situation »1940.
1414. Le rejet des règles transitoires spéciales. De la même façon, les règles de
droit transitoire spéciales n’ont aucun titre à s’appliquer à l’hypothèse du conflit mobile. Ces
règles émanent de la politique législative de chaque Etat, et ne sont pas spécifiquement prises
à l’égard de potentiels conflits mobiles. Par conséquent, au regard de la substantialité dont
elles sont imputées, elles ne devraient pouvoir être transposées au conflit mobile. D’une part,
dans la mesure où le conflit mobile n’apparaît que dans le cadre d’un litige international
mettant en jeu des règles conflictuelles, par nature neutres, il ne serait pas logique d’admettre
leur transposition puisqu’elles auraient pour effet de fausser la localisation effectuée par les
règles de conflit en jeu. D’autre part, les règles transitoires spéciales émanant d’un unique
législateur ne peuvent, par définition, être transposées à un conflit dans lequel seraient
impliqués deux ordres juridiques différents. Cette incompatibilité s’explique simplement par
le fait que les règles de conflit transitoires sont créées pour résoudre un conflit de nature
interne, alors que les règles du conflit mobile doivent être appréhendées conformément à la
nature internationale du litige. De cette manière, le seul principe qui peut être transposé est
celui de l’application immédiate de la loi nouvelle. D’ailleurs, ceci permet de rappeler que
même dans l’hypothèse du conflit transitoire international, l’application pure et simple des
règles du droit transitoire interne peut être contestée1941.
1415. La promotion du réalisme par Batiffol. En sus, il convient de noter que la
doctrine de Batiffol tendait surtout essentiellement à « prôner l’application immédiate de la loi
nouvelle pour régler les conflits mobiles » afin de « voir la loi désignée par la nouvelle
concrétisation du rattachement régir immédiatement les effets futurs de la situation créée sous
l’empire de la loi désignée par la concrétisation ancienne de l’élément de rattachement »1942.
Finalement, il s’agissait plutôt de promouvoir une « solution réaliste » 1943 opposée à la
doctrine des droits acquis. Toutefois, il devrait plutôt être considéré que l’application
immédiate de la loi nouvelle constitue un principe réaliste qui peut être appliqué à la
résolution du conflit mobile au lieu de transposer simplement les règles du droit transitoire

1939
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 61.
1940
Ibid.
1941
Cf. supra § 1350 et s.
1942
M. Souleau-Bertrand, op. cit., § 284.
1943
Ibid.

621
interne qui ne peuvent, par définition, être compatibles avec les règles régissant le conflit
mobile. Au regard de l’insuffisance de cette doctrine, il convient de rechercher d’autres
solutions propres à la résolution du conflit mobile conformes à sa nature propre.

§ 2 – UNE CONCEVABLE RESOLUTION DU CONFLIT MOBILE CONFORME A LA REGLE


BILATERALE

1416. Puisqu’aucune des doctrines classiques ne permet de répondre du


particularisme du conflit mobile, celui-ci devrait être résolu eu égard à la règle de conflit elle-
même. C’est pourquoi la résolution du conflit de lois dans l’espace pourrait procéder d’une
interprétation de la règle de conflit. Malheureusement, une telle méthode est empreinte de
variabilité (A). En outre, l’hypothèse du conflit mobile pourrait être résolue par la règle de
conflit elle-même, voire même simplement supprimée par celle-ci (B).

A. LE DENOUEMENT ESPERE DU CONFLIT MOBILE PAR INTERPRETATION DE LA


REGLE DE CONFLIT

1417. Afin de résoudre les difficultés liées à l’absence de conformité entre les
solutions proposées et le conflit mobile, il convient plutôt de rechercher une réponse au regard
de la finalité même de la règle de conflit (1). De cette façon, le conflit mobile sera appréhendé
au regard de sa véritable nature internationale et de la nature des règles en litige. Cependant,
en recourant à une méthode finaliste, le résultat sera laissé à l’arbitraire du juge (2).

1) La recherche d’une solution au regard de la finalité de la règle de conflit


1418. Face aux critiques qui peuvent être émises à l’égard de la transposition des
règles du droit transitoire interne au conflit mobile, des doctrines modernes se sont
développées afin de résoudre le problème par interprétation de la règle de conflit de lois (a).
C’est pourquoi il a été proposé, plus précisément, de se référer aux quatre fondements
spécifiques de la règle de conflit (b).

a) La résolution du conflit mobile par interprétation de la règle de conflit


1419. Une solution fonction de l’interprétation de la règle de conflit. Afin de
résoudre le conflit mobile conformément à une approche internationaliste, certains auteurs ont
proposé de déterminer la solution par « interprétation de la règle de conflit elle-même »1944.
Dans la mesure où « le conflit mobile doit être considéré comme un problème d’application
de la règle de conflit de lois », « c’est (…) à cette règle de préciser dans chaque cas d’espèce

1944
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 296.

622
le moment caractéristique de la circonstance de rattachement »1945. La détermination de ce
moment caractéristique a fait l’objet de plusieurs propositions doctrinales notamment sous la
plume de Fahmy et de Graulich. Selon Fahmy, il faut « prendre en compte les considérations
d’opportunité et de technicité qui viennent à la base de la règle de conflit lors de son
élaboration »1946. Ainsi, au regard de ces considérations, il pourra être déterminé, en fonction
de la règle de conflit, le moment caractéristique escompté par le rattachement choisi. Pour
d’autres, et notamment Graulich, la différence de rattachements doit être (ou est) opérée au
regard « des objectifs poursuivis par la règle de conflit »1947. Par conséquent, le conflit mobile
peut être résolu par « analyse des objectifs spécifiques poursuivis par la règle de conflit »1948.
1420. Une approche internationaliste du conflit de lois dans l’espace. En adoptant
cette position, les auteurs préconisent une approche internationaliste du conflit mobile par
interprétation de la règle de conflit. Or, une telle méthode semble plus à même de répondre
aux objectifs du droit des conflits de lois et se conforme à la nature propre, c’est-à-dire
internationale, du conflit mobile. C’est pourquoi cette doctrine a été poursuivie par Madame
Souleau-Bertrand pour être encadrée par quatre fondements.

b) L’interprétation de la règle de conflit au regard de ses quatre fondements


1421. A la suite du développement de cette analyse moderne, il a été proposé une
approche plus approfondie par Madame Souleau-Bertrand. En effet, elle considère
qu’« interpréter la règle de conflit pour régler le conflit mobile ne suffit pas, et la proposition
mérite d’être affinée »1949. Pour cela, il convient d’analyser le ou les éléments de rattachement
qui permettent de déceler l’éventualité d’un conflit mobile, afin d’identifier le « fondement de
la règle de conflit », duquel il sera possible de déduire la solution du conflit mobile1950. C’est
pourquoi elle « propose une analyse finaliste fondée sur les objectifs du droit international
privé, en fonction de quatre fondements de la règle de conflit de lois, c’est-à-dire les principes
de proximité, d’autonomie de la volonté, qui fonctionnent souvent de pair, les règles de conflit
à finalité matérielle, et le principe de souveraineté » 1951 . Par conséquent, il s’agirait de
déterminer quel fondement juridique est imputable à la règle de conflit en cause pour trancher

1945
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 86.
1946
M. Souleau-Bertrand, op. cit., § 318.
1947
P. Graulich, Introduction au droit international privé, Liège, Fac. de Droit, d’Economie et de Sciences
sociales, 1978, t. I, n°371, p. 253
1948
M. Souleau-Bertrand, op. cit., § 320.
1949
Ibid., § 378.
1950
Ibid., § 380.
1951
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 92.

623
l’hypothèse du conflit mobile. Cette position est louable dans la mesure où elle s’inscrit dans
une posture absolument internationaliste et où la recherche de la solution est déterminée
conformément au fondement de la règle de conflit en cause. Il s’agit donc de la théorie la plus
à même de respecter la nature internationale du conflit mobile, mais aussi l’objectif poursuivi
par la règle de conflit, à savoir la localisation du rapport de droit. Cependant, une difficulté
demeure dans la mesure où cette interprétation sera soumise au libre arbitre du juge.

2) Une approche finaliste du conflit mobile fonction de l’arbitraire du juge


1422. Si l’approche internationaliste du conflit mobile s’inscrit en toute conformité
avec sa nature spécifique, elle ne parvient pourtant pas aux résultats souhaités. Dans la mesure
où cette méthode est fonction de l’interprétation qui en sera faite par le juge, elle concourt à
une variabilité de solutions (a), laquelle met nécessairement à mal la neutralité de la méthode
conflictuelle (b).

a) La variabilité de solutions issue de l’approche internationaliste du conflit mobile


1423. Malheureusement, si la thèse internationaliste se prête mieux que les autres
doctrines à la résolution du conflit mobile, elle encourt la critique de la variabilité de
solutions. Madame Souleau-Bertrand avait déjà relevé que les approches internationalistes
traditionnelles, telles que celles préconisées par Fahmy et Graulich, étaient trop casuistiques.
En effet, elle considérait qu’« affirmer que le conflit mobile doit se résoudre par interprétation
de la règle de conflit – soit de chaque règle de conflit – et poser une méthode générale a priori
pour la solution de cette question sont des propositions contradictoires »1952. Ainsi, le manque
d’encadrement de la méthode finaliste invitait à une trop grande marge d’appréciation des
juges quant à la fonction de la règle de conflit en cause. En outre, la doctrine proposée par
Madame Souleau-Bertrand ne condamne pas toute approche casuistique. Malgré les quatre
fondements qu’elle relève et impute à la règle de conflit, « cette recherche de solution
spécifiquement internationaliste des conflits mobiles comporte nécessairement une marge
d’imprévisibilité »1953. En effet, « le législateur ou le juge qui détermine la loi compétente
dans le temps est conduit à faire un choix au cas par cas »1954. Par conséquent, la solution du
conflit mobile, selon le juge saisi, empruntera « tantôt au souci de respect des droits acquis,
tantôt à celui d’efficacité de la loi actuelle, en fonction des objectifs particuliers à la matière,

1952
M. Souleau-Bertrand, op. cit., § 348.
1953
J. Foyer et P. Courbe, « Conflits mobiles », op. cit., § 92.
1954
Ibid.

624
tels qu’ils s’expriment dans le rattachement retenu pour la règle de conflit »1955. En d’autres
termes, la méthode internationaliste conduit à une variabilité de résultat et écarte toute
prévisibilité juridique. De plus, elle remet en cause la neutralité de la méthode conflictuelle.

b) Le caractère neutre de la méthode conflictuelle mis à mal par l’aléa de solutions


1424. Dès lors que la règle de conflit doit faire l’objet d’une interprétation pour
trancher un conflit mobile, en l’absence d’encadrement strict, sa neutralité va nécessairement
être remise en cause. En effet, la variabilité de solutions implique que la localisation du
rapport de droit ne sera plus neutre, mais fonction du juge saisi, et pourra différer d’une
juridiction à l’autre. Or, un tel résultat n’est pas souhaitable puisque le défaut de neutralité
conduit nécessairement au défaut d’égalité de traitement des situations internationales C’est
pourquoi le conflit mobile doit être résolu par la règle de conflit elle-même.

B. DE LA RESOLUTION A LA SUPPRESSION DU CONFLIT MOBILE PAR LA REGLE


DE CONFLIT

1425. Au regard de la défaillance des différentes solutions attribuées au conflit


mobile, il serait préférable que la règle de conflit résolve elle-même le problème. C’est
pourquoi elle devrait déterminer son propre critère spatio-temporel afin de trancher chaque
hypothèse de conflit de lois dans l’espace. Cependant, cette procédure ne peut être qu’illusoire
(1). Il faudrait plutôt que la règle de conflit ait pour objet d’évincer le conflit mobile. Or, un
tel résultat ne peut être atteint qu’en recourant à une règle de conflit bilatérale unique (2).

1) La résolution illusoire du conflit mobile par la détermination d’un critère spatio-


temporel
1426. Dans la mesure où aucune méthode proposée ne satisfait aux exigences de
l’égalité de traitement, il serait sans doute préférable que la règle de conflit résolve elle-même
le conflit mobile. Elle pourrait y parvenir en attribuant à chaque fois, conformément à sa
catégorie de rattachement, un facteur temps (a). Cependant, si cette procédure paraît idéale,
elle est en inadéquation avec la réalité des situations internationales (b).

a) La fixation du facteur temps par la règle de conflit elle-même


1427. La détermination d’un critère spatio-temporel pour chaque règle.
L’hypothèse du conflit mobile se présente « lorsque la règle de conflit a été énoncée sans la

1955
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 296.

625
précision temporelle nécessaire » 1956 . Par conséquent, « le juge qui se heurte à un conflit
mobile doit compléter l’énoncé de la règle en apportant la précision temporelle qui lui paraît
convenir à la catégorie de rattachement concerné, tout en veillant à ce que cette précision soit
cohérente avec le critère spatial déjà retenu »1957. En d’autres termes, le conflit mobile ne
survient que du fait que la règle de conflit ne contient pas, parfois, de précision temporelle. La
résolution du conflit mobile devrait alors relever du rôle du législateur en droits des conflits
de lois. Ainsi, « l’auteur de la règle de conflit devrait (…) systématiquement affecter à chaque
catégorie de questions de droit un critère de rattachement spatio-temporel »1958.
1428. La résolution universelle du conflit mobile. Si le législateur, chaque fois
qu’il établit une règle de conflit, indique au regard du rattachement choisi, son facteur temps,
alors plus aucun problème de conflit mobile ne pourrait être engendré. Par exemple, en
matière de statut personnel, le législateur français pourrait préciser que la nationalité est
appréciée conformément au problème de droit en cause, c’est-à-dire eu égard au moment où
ce problème de droit s’est posé. De cette manière, tout sujet de droit serait traité de manière
identique, puisqu’à chaque règle de conflit correspondrait un facteur temps permettant de
résoudre tout conflit dans l’espace à la suite de la modification de l’élément de rattachement.
D’ailleurs, il existe déjà certaines règles qui prévoient au regard du rattachement choisi le
facteur temps. Par exemple, « en matière de statut réel mobilier, un fondement primordial du
rattachement à la lex rei sitae est l’apparence qui résulte de la situation du meuble »1959. Par
conséquent, « ce facteur incite à faire prévaloir la loi de la situation actuelle sur celle de la
situation ancienne »1960. C’est pourquoi en droit positif, la Cour de cassation retient qu’en
matière de droits réels mobiliers, « la loi française est seule applicable aux droits réels dont
sont l’objet des biens mobiliers situés en France »1961. Ainsi, la Cour de cassation fait, en
réalité, application du facteur temps prévu par la règle de conflit consistant à appliquer la loi
actuelle sur le territoire duquel se situe le meuble. Néanmoins, si cette méthode paraît
véritablement adaptée pour trancher le problème du conflit mobile et pour respecter l’égalité
de traitement entre sujets de droit, elle s’avère malheureusement difficile à mettre en œuvre.

1956
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 252.
1957
Ibid.
1958
Ibid.
1959
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 296.
1960
Ibid.
1961
Cass., Civ. 1ère, 3 févr. 2010, n°08-19.293, RCDIP 2010, p. 485, note C. Cohen ; Dalloz 2011, p. 1374, note
F. Jault-Seseke.

626
b) Une procédure en inadéquation avec la réalité des situations internationales
1429. En droit positif, il existe certaines règles de conflit pour lesquelles le législateur
a prévu un facteur temps. Cependant, il est véritablement beaucoup de cas pour lesquels ce
facteur n’apparaît pas, et où il revient à la jurisprudence de le déterminer1962. En effet, « le
choix de l’élément temporel dépend de considérations diverses » et « chaque catégorie de
rattachement, appelle, en fonction de ses caractéristiques propres, un critère de rattachement
spatio-temporel particulier »1963. Ainsi, au regard de chaque catégorie de rattachement, il sera
difficile de déterminer un unique facteur temps dans la mesure où une catégorie de
rattachement fait l’objet de considérations diverses. En retenant un tel facteur, cela aurait pour
conséquence de figer la règle de conflit c’est-à-dire qu’elle pourrait ne pas répondre à la
réalité à laquelle correspond la situation internationale. Cela conduirait aux mêmes défauts
que la doctrine des droits acquis puisque le problème du conflit mobile serait tranché par une
unique solution qui, dans certains cas, pourrait ne pas correspondre à la réalité. Par exemple,
« en matière de statut personnel, l’idée essentielle de permanence milite à première vue pour
le maintien de la loi sous l’empire de laquelle des droits ont été constitués »1964. Cependant,
« le principe d’application de la loi avec laquelle la situation présente les liens les plus étroits
implique au contraire que soient tirées les conséquences d’un changement effectif de
situation », notamment « lorsque l’intéressé change de nationalité ou de domicile » 1965 . Il
s’agit de l’exemple même dans lequel il semble difficile de trancher pour un critère temporel
fixe puisque deux considérations opposées président à la règle de conflit. Ainsi, le choix du
facteur temps par le législateur sera nécessairement arbitraire dans la mesure où il ne pourra
répondre à toutes les considérations dont dépend la catégorie de rattachement. Une nouvelle
fois, la neutralité de la règle de conflit sera mise à mal. Finalement, il s’agit d’une méthode
incompatible avec les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. Il serait donc
préférable de se cantonner à une règle de conflit bilatérale unique pour résoudre
définitivement le problème du conflit mobile.

1962
Voir en ce sens : CA de Douai, 21 mai 2015, n°14/04430 dans lequel les juges du fond ont considéré qu’« en
matière de divorce c’est au jour de l’introduction de l’instance qu’il faut se placer pour résoudre le conflit
mobile, c’est-à-dire la modification dans le temps de l’élément de rattachement retenu par la règle de conflit » ;
Cass. Civ. 1ère, 15 mars 1988, n°86-12.089, Dalloz action Droit de la famille, 2016, n°531-81, sous la dir. De P.
Murat ; dans lequel la Cour a estimé qu’« en l’absence de précision de (la convention franco-polonaise du 5 avr.
1967) sur le conflit mobile résultant du changement de nationalité, la loi à prendre en considération ne peut être
que celle de l’enfant au jour de sa naissance ».
1963
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 252.
1964
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 296.
1965
Ibid.

627
2) L’éviction du conflit mobile par le recours à une règle de conflit unique
1430. Puisqu’il n’est pas envisageable de réclamer de la règle de conflit qu’elle
prévoit elle-même pour chaque catégorie de rattachement, un critère spatio-temporel, il serait
préférable qu’elle évince simplement le problème du conflit mobile. Effectivement, en
recourant à un rattachement unique, notamment celui des liens les plus étroits, il serait
possible de supprimer toute hypothèse de conflit mobile (a). Or, une telle conséquence serait
félicitée dans la mesure où chaque situation internationale ferait l’objet d’un traitement
identique (b).

a) La suppression du conflit mobile par le rattachement unique aux liens les plus étroits
1431. Afin de garantir l’égalité de traitement, il est préconisé de recourir à une règle
de conflit bilatérale à rattachement unique, à savoir celui des liens les plus étroits. En
considérant que la méthode du droit des conflits de lois est conçue de cette façon, plus aucun
problème de conflit mobile ne serait engendré. D’une part, si l’élément de rattachement est en
lui-même les liens les plus étroits, il n’est pas en tant que tel susceptible de déplacement dans
l’espace comme pourrait l’être la nationalité, le domicile ou encore l’objet du litige. Par
conséquent, aucun problème de conflit mobile ne pourrait exister. D’autre part, même si le
rattachement aux liens les plus étroits ne peut, en principe, conduire à un conflit dans
l’espace, il présente l’avantage d’être respectueux de la réalité de la situation internationale à
un instant précis. Ainsi, il s’agira véritablement de déterminer la loi qui présente les liens les
plus étroits au regard de l’institution en jeu et du moment qui doit en être apprécié. En
d’autres termes, une différence pourra être opérée selon qu’il s’agisse de déterminer la loi
applicable à la constitution et aux effets passés d’un droit, tout comme aux effets futurs que ce
droit produira. La loi applicable sera déterminée au regard des liens que présentait la situation
internationale à un instant précis et conformément aux considérations qui peuvent entrer en
jeu pour chaque catégorie de rattachement. Par exemple, dans le cadre d’un divorce, il
conviendra de recherche la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation
internationale au moment du divorce. Ainsi, même si le domicile ou la nationalité des époux
ont fait l’objet d’une modification, celle-ci ne sera analysée qu’au moment où la procédure en
divorce est entamée. De cette manière, les solutions pourront diverger d’une catégorie à
l’autre pour respecter les considérations propres de chacune de ces catégories. Par exemple, il
pourra être considéré que les meubles restent soumis à la lex rei sitae dans la mesure où ils
présentent un lien étroit avec le territoire sur lequel ils sont situés et a contrario, les contrats
resteront soumis à la loi sous laquelle ils ont été conclus dans la mesure où ils sont étroitement

628
liés à la loi à laquelle ils ont été soumis. Ainsi, le problème du conflit mobile est évincé et
l’égalité de traitement est préservée.

b) L’assurance d’un traitement identique des situations internationales


1432. La préservation des objectifs de neutralité et d’égalité par la suppression
du conflit mobile. En supprimant le conflit mobile par le recours au rattachement aux liens
les plus étroits, les objectifs de neutralité et d’égalité seront garantis. La neutralité de la règle
de conflit est nécessairement conservée par la localisation neutre et concrète du rapport de
droit qui sera opérée à l’égard de la situation internationale1966. L’égalité de traitement des
sujets de droit est aussi protégée puisque, en supprimant le conflit mobile, toute situation
internationale sera appréhendée de la même manière. Chaque situation sera simplement
soumise à la loi des liens les plus étroits. Il ne sera plus nécessaire de rechercher une méthode
propre à résoudre le conflit mobile. Une nouvelle fois, cette méthode présente l’avantage
d’être universalisable et de garantir un traitement commun des situations internationales.
Ainsi, le conflit mobile ne peut être résolu, tout comme le renvoi, que par son éviction du
régime général de la méthode conflictuelle, laquelle n’est possible que par le recours à une
méthode conflictuelle bilatérale à rattachement unique aux liens les plus étroits. De cette
manière, neutralité et égalité de traitement seront préservées.
1433. Une résolution accessible des conflits de lois dans le temps et l’espace
conforme à l’égalité de traitement. En conclusion, si les conflits de lois dans le temps et
dans l’espace constituent des mécanismes perturbateurs au stade de la désignation de la règle
de conflit, il demeure possible de les résoudre conformément à l’égalité de traitement garantie
par toute règle de conflit bilatérale classique. Néanmoins, la solution ne peut être identique
d’un conflit à l’autre, ces conflits n’ayant pas la même nature. C’est pourquoi le conflit de lois
dans le temps doit être résolu à l’aune de sa nature c’est-à-dire du droit transitoire, tandis que
le conflit de lois dans l’espace doit être solutionné conformément à sa nature internationale.

1966
Cf. supra § 988 et s.

629
630
CONCLUSION DU CHAPITRE II :
1434. Des mécanismes perturbateurs impropres à satisfaire l’égalité de
traitement. Finalement, au regard des différents éléments perturbateurs à la mise en œuvre de
la règle de conflit, il semble qu’un seul de ces mécanismes puisse faire l’objet d’une
résolution respectant l’égalité de traitement conformément à la méthode bilatérale.
1435. L’abolition du renvoi en droit positif. En premier lieu, le renvoi doit être
rejeté puisqu’aucune qu’aucune théorie doctrinale ne peut justifier véritablement son
admission et son utilisation. En outre, en pratique, seule son admission est susceptible de
généralisation. En aucun cas, son application ne peut tendre à l’universalité, elle demeurera
nécessairement individuelle et aléatoire. C’est pourquoi il convient de le rejeter dans la
mesure où il ne peut conduire à aucune égalité de traitement des sujets de droit placés dans
une situation internationale identique. En effet, dans la mesure où il s’agit d’un mécanisme
fonction d’un résultat substantiel, il anéantit toute neutralité dans la résolution du conflit de
lois et par voie de conséquence toute égalité. Ainsi, pour garantir ces objectifs, l’unique
solution consiste à l’abolir.
1436. La résolution du conflit de lois dans le temps à l’aune de sa nature propre.
En second lieu, le conflit de lois dans le temps, c’est-à-dire le conflit transitoire international,
doit être résolu à l’aune de la fonction propre au droit transitoire consistant à préserver l’unité
de la législation, et en droit international, de la législation de droit des conflits de lois. C’est
pourquoi tout conflit de droit transitoire international, pour préserver le jeu des règles de
conflit, doit être résolu par les règles de droit transitoire qui émanent du législateur concerné
par le conflit. Ainsi, les règles de conflit, objet du conflit de lois dans le temps, seront résolues
conformément au droit transitoire de l’ordre juridique dont elles émanent. Néanmoins, toutes
les règles de droit transitoire substantielles devront nécessairement être écartées afin que soit
préservée la neutralité des règles de conflit nécessaire au traitement égalitaire des sujets de
droit. De cette manière, le conflit de lois dans le temps sera résolu conformément à sa nature
et permettra de préserver les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement issus de la
méthode bilatérale.
1437. La suppression du conflit mobile par le recours au rattachement unique
des liens les plus étroits. En dernier lieu, le conflit de lois dans l’espace doit, lui aussi, faire
l’objet d’une abolition. Il s’agit d’un véritable problème de droit international qui ne peut se
confondre avec un simple problème de droit transitoire puisque deux règles de conflit de
source différente ont vocation à s’appliquer. Par conséquent, la solution du conflit de lois dans

631
l’espace doit logiquement découler ou coïncider avec la méthode conflictuelle. Cependant,
contrairement au renvoi, la suppression du conflit mobile se produit d’elle-même en adoptant
la méthode bilatérale au rattachement des liens les plus étroits puisqu’elle conduit à supprimer
tout conflit de lois dans l’espace, puisque ce rattachement n’est pas susceptible de
modification. Il invite simplement, pour chaque cas d’espèce, à déterminer, en fonction de
l’institution en cause, et du moment dans lequel elle s’inscrit, la loi qui présentait les liens les
plus étroits. Par voie de conséquence, en l’absence de conflit mobile, les objectifs de
neutralité et d’égalité seront préservés.

632
CONCLUSION DU TITRE I :

1438. L’inadéquation de la phase d’applicabilité de la règle avec l’égalité de


traitement. En conclusion, si toute situation internationale fait l’objet d’une phase
d’applicabilité afin de déterminer quelle règle de droit sera appliquée, il n’en demeure pas
moins que cette étape s’avère actuellement en inadéquation avec l’égalité de traitement.
1439. La reconstitution de l’ensemble des règles d’applicabilité conformément à
l’égalité de traitement. D’une part, les règles classiques qui régissent cette phase dans son
principe sont controversables dans la mesure où elles ne tendent pas spécialement à préserver
la neutralité et l’égalité de traitement que garantit la méthode bilatérale. En effet, tant l’étape
de l’identification que l’étape de la détermination de la règle doivent être révisées pour
répondre de ces principes. S’agissant de l’identification c’est-à-dire de la qualification, il est
nécessaire d’abandonner toute méthode lege fori pour se diriger vers une qualification
internationale, laquelle serait élaborée à l’aune de l’unique règle de conflit au rattachement
des liens les plus étroits. Ainsi, le problème de qualification serait réduit aux seules grandes
catégories de rattachement, lesquelles seraient établies par le biais d’une étude comparative.
En outre, il s’agit de la seule solution permettant de préserver les objectifs de neutralité et
d’égalité de traitement de la méthode bilatérale puisqu’elle consiste en une qualification
neutre, fondée sur des données objectives, et égalitaire puisque commune. Également,
s’agissant de la détermination de la règle, il est nécessaire de procéder à un encadrement plus
strict de ses règles. Particulièrement, il doit être procédé à une logique d’identification de la
règle applicable sous l’égide d’un principe de primauté qui s’avère plus conforme à la
discipline du droit des conflits de lois que le concept de hiérarchie des normes. De la même
manière, les conditions d’applicabilité des textes internationaux doivent être plus
rigoureusement encadrées afin d’évincer tout aléa d’application.
1440. De la modernisation à la suppression des éléments perturbateurs par
respect de l’égalité de traitement. D’autre part, les mécanismes perturbateurs de la phase
d’applicabilité sont également contestables puisqu’ils ne répondent pas non plus des objectifs
de neutralité et d’égalité de traitement. C’est pourquoi il convient de les mettre en conformité,
voire simplement de les supprimer. En effet, le renvoi, malgré son admission générale,
demeure un mécanisme à applications variables, dont celles-ci demeurent conditionnées
essentiellement par le résultat à atteindre. Il doit alors simplement être supprimé dans la
mesure où il consiste à remettre en cause la fonction même de la règle de conflit, mais plus
généralement les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. En revanche, s’agissant du

633
conflit de lois dans le temps, il doit seulement être régi différemment pour répondre de ces
principes. C’est pourquoi ne consistant qu’en un problème de droit transitoire, il doit
simplement être résolu par les règles de droit transitoire de l’ordre juridique dont émanent les
règles en conflit. Par exception, toute règle spéciale doit être écartée afin de préserver la
neutralité de la discipline. Enfin, le conflit mobile, comme le renvoi, a vocation à être aboli.
Néanmoins, cet anéantissement n’est que la conséquence du recours à une méthode unique
aux rattachements des liens les plus étroits puisque ce rattachement évince toute hypothèse de
conflit de lois dans l’espace. De la sorte, la remise en cause des objectifs de neutralité et
d’égalité de traitement n’aura plus lieu d’être.
1441. L’espoir d’un régime d’applicabilité fidèle à l’égalité de traitement. En
conclusion, si la phase d’applicabilité, tant dans ses règles de principe que ses règles
d’exception, ne répond pas véritablement aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement
garantis par la méthode bilatérale, elle peut toutefois être révisée. En effet, eu égard à
l’analyse de chaque encadrement juridique, il semble possible de les moderniser afin que la
justice du droit des conflits de lois soit respectée et principalement l’égalité de traitement qui
en découle. Il peut être espéré que ces derniers soient un jour garantis de manière effective.
Néanmoins, si cela est envisageable eu égard aux règles d’applicabilité, encore faut-il que cela
soit également le cas pour les règles d’application.

634
TITRE II : LE REGIME D’APPLICATION DU DROIT DES CONFLITS DE
LOIS A RECONSIDERER A L’AUNE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

DES SITUATIONS INTERNATIONALES

1442. La confrontation de l’égalité de traitement au régime d’application de la


règle de conflit. Le raisonnement conflictualiste s’opère en deux temps dans la mesure où il
débute par une phase d’applicabilité de la règle de conflit, et se poursuit par l’application de la
règle de conflit et des conséquences qui en découlent. Or, s’il a pu être considéré qu’au stade
de l’applicabilité de la règle de droit, certains points doivent être révisés pour répondre aux
buts poursuivis par la justice conflictuelle, il pourrait en être de même au stade de
l’application de cette règle.
1443. Le régime d’application de principe de la règle. Lorsque la règle de droit,
c’est-à-dire généralement la règle de conflit, est considérée comme applicable, il convient en
principe de l’appliquer ainsi que les effets qui en découlent. Précisément, la règle de conflit
doit conduire, en principe, à appliquer une loi matérielle, laquelle se voit reconnaître
compétente grâce au rattachement retenu par ladite règle de conflit. Cependant, ces différentes
étapes de l’application invitent à s’interroger sur le régime qui l’encadre. En effet, à ce stade
du raisonnement conflictualiste, différentes questions juridiques peuvent être soulevées. Tout
d’abord, il est nécessaire de s’interroger sur la question de l’office du juge afin de déterminer
si, en droit international privé, et notamment en droit des conflits de lois, le juge doit d’office
appliquer les règles de conflit. Ensuite, l’application de la règle de conflit soulève la question
de la charge de la preuve du contenu de la loi compétente. Enfin, cela conduit à se demander
si l’application faite par les juges du fond de la règle de conflit puis de la loi matérielle
compétente est susceptible de sanction par la haute cour. En d’autres termes, tous les points de
droit d’ordre procédural relevant classiquement d’une hypothèse de droit interne se soulèvent
également en droit des conflits de lois. Cependant, eu égard à la spécificité de la matière, ils
prennent un aspect particulier et sont l’objet d’un encadrement juridique spécifique. Or, il est
intéressant de constater que si nécessairement il doit s’agir de règles particulières eu égard à la
spécificité de la discipline, cet encadrement juridique de principe reste encore à parfaire. En
effet, l’égalité de traitement est parfois remise en cause au stade de l’application de la règle de
conflit (chapitre I).
1444. Les mécanismes perturbateurs à l’application de la règle. En outre, ce
régime spécifique s’applique dans sa globalité eu égard à une application exempte de

635
perturbations. Cependant, l’application de la règle de droit peut dans son stade ultime c’est-à-
dire au moment de l’application de la loi compétente être perturbée. Ainsi, il existe deux
hypothèses dans lesquelles la loi normalement désignée par la règle de conflit va faire l’objet
d’une éviction et remettre en cause le résultat en principe issu de la méthode conflictuelle. Il
s’agit de deux mécanismes d’éviction de la loi compétente que sont d’une part, l’ordre public
international, et d’autre part, la fraude à la loi. Ils constituent deux mécanismes perturbateurs
à la méthode conflictuelle puisqu’ils ont pour objet de remettre en cause son résultat. C’est
pourquoi dans la mesure où ces mécanismes exceptionnels, spécifiques à l’application de la
loi compétente, s’inscrivent a priori dans une direction opposée à celle prônée par la méthode
conflictuelle, il est intéressant de les confronter à celle-ci. Or, il s’avère que si, effectivement
ces mécanismes perturbateurs ont pour conséquence de remettre en cause la méthode
conflictuelle et par conséquent l’égalité de traitement qui en découle, cette remise en cause
n’est toutefois que partielle. Par conséquent, ils ne constituent pas, en tant que tels, des
exceptions à rejeter du système applicable en droit des conflits de lois, mais plutôt à réformer
(chapitre II).

636
CHAPITRE I : LE REGIME D’APPLICATION DE LA REGLE DE CONFLIT ET DE LA
LOI COMPETENTE A PERFECTIONNER AU REGARD DE L’EGALITE DE

TRAITEMENT

1445. Les étapes successives au stade de l’application de la règle de conflit.


Lorsque le raisonnement conflictualiste conduit à l’application de la règle de droit, celle-ci
fait nécessairement l’objet d’un encadrement. Or, ce dernier se subdivise en deux régimes
spécifiques dans la mesure où l’application de la règle de droit conduit à la mise en œuvre de
deux règles successives. Premièrement, les juges du fond vont faire application,
principalement, de la règle de conflit, sauf règle matérielle ou loi de police. Secondement, ils
vont, grâce à la règle de conflit, faire application de la loi compétente c’est-à-dire la loi du for
ou la loi étrangère. Afin de ne pas laisser au juge une totale liberté dans le maniement de ces
règles, chacune de ses étapes est construite sous l’égide de règles spécifiques à la discipline.
1446. L’application de la règle de conflit. S’agissant des règles de conflit, celles-ci
font l’objet d’un régime juridique propre en matière d’office du juge. En effet, il a été
nécessaire d’établir des règles juridiques eu égard à l’office du juge afin de déterminer dans
quel cas celui-ci a l’obligation d’appliquer les règles du droit international privé et
conséquemment les règles relevant du droit des conflits de lois. L’office du juge s’est alors
construit, en jurisprudence, pour conduire à l’application de grandes lignes directrices, mais
parfois aussi par quelques exceptions. Or, le régime retenu, que ce soit dans son principe ou
ses dérogations, ne présente que très peu de compatibilité avec le droit international privé
compris sous l’angle d’une justice conflictuelle. Ainsi, eu égard aux objectifs de neutralité et
d’égalité de traitement promus par la méthode conflictuelle, il serait pertinent d’inviter la
jurisprudence à modifier les règles applicables en la matière (section 1).
1447. L’application de la loi matérielle compétente. Concernant l’application de la
loi matérielle par les juges du fond, elle fait également l’objet d’un encadrement juridique
particulier. Dans la mesure où peut potentiellement être impliquée une loi étrangère, il a été
nécessaire d’établir des règles spécifiques en droit international privé, et particulièrement en
droit des conflits de lois. C’est pourquoi le statut accordé à la loi étrangère, ainsi que la charge
de la preuve sont spécialement réglementés en la matière. De la même façon, les censures
pesant sur les décisions des juges du fond relatives à l’application de la loi étrangère, bien que
restreintes, sont spécifiques à la discipline. En outre, quelle que soit l’hypothèse, il semble
que l’application de la loi matérielle fasse l’objet d’un régime plus respectueux de la méthode

637
conflictuelle que celui applicable aux règles de conflit. Malgré quelques hypothèses
exceptionnelles, ce régime favorise nettement plus l’égalité de traitement (section 2).

SECTION 1 : LE CHANGEMENT CONSEILLE DE REGIME D’APPLICATION DE LA


REGLE DE CONFLIT

1448. Les règles de principe en matière d’office du juge. Lorsque la situation


présente un caractère international, elle doit en principe être soumise aux règles du droit
international privé. Néanmoins, il est des hypothèses dans lesquelles les parties font silence
sur l’internationalité du litige. C’est pourquoi il a été nécessaire d’encadrer l’office du juge en
droit international privé afin de déterminer, en principe, dans quels cas le juge a l’obligation
d’appliquer les règles de conflit à la situation juridique qui lui est soumise. Cependant, malgré
l’effort de structuration de cet office, il semblerait qu’il doive être remis en cause eu égard au
respect de la discipline. En effet, il s’agit d’un cadre juridique qui se concilie mal avec
l’idéologie de la méthode conflictuelle. Par conséquent, il devrait être révisé pour se
conformer à l’égalité de traitement (sous-section 1).
1449. Les contrariétés à l’office du juge. En outre, si l’office du juge fait l’objet
d’un régime de principe, il peut également être contrarié par certaines exceptions constituées
par la vocation subsidiaire de la lex fori en cas de défaillance des éléments de rattachement,
ou bien par le recours des parties à un accord procédural. Or, il s’avère également que ces
exceptions, bien que fondées dans leur principe, ne coïncident également pas avec les
objectifs de la justice conflictuelle. Il serait donc préférable de les évincer afin de garantir aux
sujets de droit neutralité et égalité de traitement. Or, une telle suppression demeure
parfaitement plausible en choisissant d’adopter la méthode conflictuelle des liens les plus
étroits (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : LA REMISE EN CAUSE DE L’OFFICE DU JUGE CONFORMEMENT


A L’EGALITE DE TRAITEMENT

1450. L’office du juge en droit international privé fait l’objet d’un régime propre
lequel a été construit sur la base des fondements juridiques spécifiques à cette discipline.
Néanmoins, si cet office perdure depuis de nombreuses années sous l’égide de la
jurisprudence de la Cour de cassation, il semble que les fondements retenus soient tout de
même relatifs dans la mesure où ils se concilient mal avec la matière du droit international
privé et particulièrement du droit des conflits de lois (§ 1). C’est pourquoi il serait préférable
de mettre un terme à l’office du juge actuel pour se doter d’un nouveau cadre juridique plus

638
adapté au statut de la règle de conflit traditionnelle, garante des objectifs de neutralité et
d’égalité de traitement (§ 2).

§ 1 – LA RELATIVITE DES FONDEMENTS JURIDIQUES RETENUS EN MATIERE


D’OFFICE DU JUGE

1451. Dans la mesure où toute règle de droit fait nécessairement l’objet d’un
encadrement juridique en matière d’office du juge, la question s’est également posée en droit
international privé. C’est pourquoi afin d’établir un cadre propre à la discipline, la
jurisprudence a construit un édifice spécifique en fonction de la nature des droits en cause
(A). Cependant, cette réglementation juridique crée, en théorie, de l’insécurité juridique et
invite à traiter différemment chaque situation internationale (B).

A. UN OFFICE DU JUGE CONSTRUIT AU REGARD DE LA NATURE DES DROITS EN


CAUSE

1452. En l’absence d’encadrement juridique propre à l’office du juge en droit


international privé, il a été nécessaire de créer des normes juridiques permettant d’organiser
l’application des règles de droit international privé par les juges du fond. C’est pourquoi
l’office du juge a fait l’objet d’une structuration jurisprudentielle durant plusieurs années dont
le critère d’application s’est finalement cantonné aux droits indisponibles (1). Néanmoins, sur
la base de ce critère, la Cour de cassation a édifié un régime spécifique à l’office du juge en
droit international privé au regard de la nature des droits en cause (2).

1) La création jurisprudentielle d’un office du juge cantonné aux droits


indisponibles
1453. En l’absence d’office du juge préexistant en droit international privé, la Cour
de cassation s’est engagée sur ce terrain. Or, la construction de cet office du juge a fait l’objet
d’une longue et rude évolution jurisprudentielle (a). Néanmoins, elle a permis d’aboutir à un
office strictement encadré au regard de l’unique critère des droits indisponibles (b).

a) La difficile construction d’un office du juge spécifique en droit international privé


1454. La question tardive de l’office du juge en droit international privé. Si les
problèmes de droit international privé surgissent depuis le droit romain, les questions de son
encadrement notamment procédural ne se sont posées que tardivement. S’il est apparu qu’en
principe, dans un litige international, sont appliquées les règles du droit international privé,
s’est aussi posée la question de savoir si les règles du droit international privé devaient être
appliquées lorsque l’internationalité du litige n’était pas soulevée par les parties. Par
conséquent, afin de répondre à cette problématique relative à l’office du juge, la jurisprudence
639
française, à défaut d’intervention législative, s’est dotée de son propre arsenal juridique.
Ainsi, l’office du juge en droit international privé a fait l’objet d’une évolution
jurisprudentielle qu’il convient d’évoquer afin de comprendre la position de la jurisprudence
actuelle.
1455. L’évolution jurisprudentielle de l’office du juge. Dans un premier temps, la
Cour de cassation a considéré dans son arrêt Bisbal de 1959 que « les règles françaises de
conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent l’application d’une loi étrangère, n’ont
pas un caractère d’ordre public, en ce sens qu’il appartient aux parties d’en réclamer
l’application, et qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la loi
étrangère »1967. Par conséquent, à l’époque, la Cour de cassation considérait que l’application
des règles de conflit de lois n’était que facultative. Le raisonnement de l’époque se justifiait
sans doute par des « considérations pragmatiques »1968. En effet, l’argument invoqué à l’appui
de cette jurisprudence consistait à considérer que « non seulement les parties, mais parfois
leurs conseils et mêmes les juges ne sont pas avertis des conséquences de l’élément
international de la situation »1969. De plus, « lorsqu’ils le sont, il peut sembler parfois que la
détermination du contenu de la loi étrangère éventuellement applicable présentera des
difficultés hors de proportion avec l’enjeu du litige, et surtout de nature à prolonger indûment
celui-ci »1970.
Cependant, cette jurisprudence a fortement été décriée notamment en ce que
« l’appréciation de la loi étrangère était laissée à la discrétion du juge (créant) une inégalité
devant la justice »1971 et « méconnaissant le principe selon lequel toute loi, dès lors que ses
conditions d’application sont remplies, est obligatoire pour le juge, même si elle n’est que
facultative pour les parties qui peuvent alors renoncer à son application »1972. Par conséquent,
au regard de ces critiques, et de « l’évolution du contexte » notamment de « l’accroissement
des relations internationales » 1973 , la jurisprudence de la Cour de cassation a opéré un

1967
Cass. Civ. 1ère, 12 mai 1959, Bisbal, RCDIP 1960, p. 62, note H. Batiffol, JDI 1960, p. 810, note J.-B.
Sialelli ; Dalloz 1960, p. 610, note Ph. Malaurie ; JCP 1960, II, p. 11733, note H. Motulsky ; GAJFDIP, n°32-
34.
1968
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 323.
1969
Ibid.
1970
Ibid.
1971
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 329.
1972
Ibid.
1973
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 323.

640
revirement de jurisprudence avec les arrêts Rebouh et Schule de 19881974. Ainsi, « la Cour de
cassation (a censuré) pour violation de la loi des décisions qui avaient appliqué la loi française
dans des circonstances où la règle de conflit donnait compétence à des lois étrangères,
reprochant aux juges du fond de n’avoir pas recherché « au besoin d’office » quelle suite la loi
étrangère donnait à la demande alors que l’article 12 alinéa 1er du Code de procédure civile
oblige le juge à trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables »1975. Par conséquent, il a été « impos(é) au juge l’application d’office de la règle
de conflit de lois, sans limiter le devoir du juge aux seuls cas où cette dernière désignait la loi
française ou bien était invoquée par une des parties »1976. Cependant, « peut-être à nouveau
sensible aux inconvénients pratiques de la solution Bisbal, tout en l’assortissant de deux
tempéraments » 1977 , avec la jurisprudence Coveco de 1990 1978 . Au travers de cette
jurisprudence, la Cour de cassation a opéré un retour en arrière en considérant que le juge
n’avait l’obligation d’appliquer les règles de conflit de lois qu’« aux seuls litiges portant sur
des droits indisponibles ou régis par une règle de conflit d’origine conventionnelle »1979.
Or, la jurisprudence Coveco, moins contraignante que les jurisprudences Rebouh et
Schule, a également été remise en cause au regard du tempérament relatif à la source de la
règle de conflit. En effet, « l’origine conventionnelle d’une règle est sans influence sur son
autorité » puisque « le principe de supériorité du traité sur la loi interne ne trouve application
qu’en cas de conflit entre deux normes »1980. Ainsi, il ne paraît pas justifié d’encadrer l’office
du juge au regard de la source en cause puisqu’en aucun cas les règles de conflit
internationales n’ont une valeur supérieure par rapport aux règles de conflit nationales. Elles
font simplement l’objet d’un principe de primauté en termes d’application. C’est pourquoi la
Cour de cassation a pris acte de cette confusion1981. De plus, « fréquemment (…) les matières

1974
Cass. Civ. 1ère, 11 oct. 1988, Rebouh, RCDIP 1989, p. 368 et chron. Y. Lequette, p. 277 ; JDI 1989, p. 349,
note D. Alexandre et chron. D. Bureau, 1990, p. 317 ; Rép. Defrénois 1989, p. 310, obs. J. Massip ; et GAJFDIP
n°74-78 ; Cass. Civ. 1ère, 18 oct. 1988, Schule, RCDIP 1989, p. 368 et chron. Y. Lequette, p. 277 ; JDI 1989, p.
349, note D. Alexandre et chron. D. Bureau, 1990, p. 317 ; JCP 1989, II, p. 21259, note J. Prévault ; et
GAJFDIP, n°74-78.
1975
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 324.
1976
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 358.
1977
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 324.
1978
Cass. Civ. 1ère, 4 déc. 1990, Coveco, RCDIP 1991, p. 558, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; JDI 1991, p. 371,
note D. Bureau ; et GAJFDIP, n° 74-78.
1979
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., 358.
1980
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 324.
1981
Voir en ce sens : A. Ponsard, « L’office du juge et l’application du droit étranger », RCDIP 1990, spéc. p.
611 : « L’obligation du juge d’appliquer d’office la règle de droit international privé joue d’abord quelle que soit
la source de cette règle ».

641
dans lesquelles les parties ont la libre disposition de leurs droits (…) font l’objet de règles de
conflit conventionnelles (…), de sorte ce second critère était exposé à être paralysé par le
premier dans la plupart des cas »1982. C’est alors le 26 mai 1999, au travers de deux arrêts1983
que « la Cour de cassation a restreint le domaine de l’application d’office au seul cas où les
parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits »1984. En effet, elle a énoncé dans l’arrêt
Mutuelle du Mans, à propos d’un litige relatif à un recours en garantie, que « s’agissant de
droits dont les parties ont la libre disposition, la cour d’appel a légalement justifié sa décision
sur le fondement de la loi française, dès lors qu’aucune des parties n’avait invoqué la
Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour revendiquer l’application d’un droit
étranger »1985.
1456. L’office du juge établi depuis la jurisprudence Mutuelle du Mans. Depuis
ces jurisprudences de 1999, il semblerait que la position de la Cour de cassation se cantonne à
cette position consistant à ne rendre l’office du juge obligatoire qu’en matière de droits
indisponibles. Il est cependant important de relever que la jurisprudence de la Cour de
cassation a été relativement mouvante à l’égard de l’office du juge. Comme l’affirmait
1986
Lerebours-Pigeonnière, « la jurisprudence avan(çait) en « dents de scie » » . Par
conséquent, on peut supposer qu’aujourd’hui, dans la mesure où la jurisprudence s’est
stabilisée, elle assure une véritable sécurité juridique en matière d’office du juge aux sujets de
droit impliqué dans une situation internationale. De plus, cet office du juge semble
parfaitement encadré au regard du critère des droits indisponibles.

b) L’élaboration d’un office du juge au regard de l’unique critère des droits


indisponibles
1457. De la matière aux droits litigieux. La jurisprudence, depuis l’arrêt Mutuelle
du Mans, a stabilisé sa position quant à l’office du juge en droit international privé et assure
de cette façon une certaine sécurité juridique aux sujets de droit. De plus, cet objectif est
également garanti par le critère choisi par la jurisprudence consistant à conditionner l’office
du juge aux droits indisponibles. En effet, auparavant, notamment au regard de la

1982
A. Ponsard, op. cit., spéc. p. 611.
1983
Cass., Civ. 1ère, 26 mai 1999, Mutuelle du Mans, n°96-16.361, RCDIP 1999, p. 707, note H. Muir-Watt ;
Gaz. Pal. 2000, n°61 et 62, p. 39, obs. M.-L. Niboyet ; et GAJFDIP, n°74-78 ; Cass., Civ. 1ère, 26 mai 1999,
n°97-16.684, RCDIP 1999, p. 707, note H. Muir-Watt ; JCP 1999, II, p. 10192, note F. Mélin ; Rép. Defrénois
1999, p. 1261, note J. Massip, et GAJFDIP, n°74-78.
1984
Ibid.
1985
Cass., Civ. 1ère, 26 mai 1999, Mutuelle du Mans, préc.
1986
J. Maury, « La condition de la loi étrangère en droit français », TCFDIP, 1948-1952, p. 135.

642
jurisprudence Coveco, il était question de rendre l’office du juge obligatoire dans les
« matières » indisponibles. Or, avec la nouvelle formule issue de l’arrêt Mutuelle du Mans,
« la jurisprudence (…) retient une distinction fondée sur la nature des droits litigieux »1987.
Par conséquent, elle « suggère de distinguer plutôt selon la nature des droits en cause eu sein
d’une matière donnée »1988. Ainsi, la Cour de cassation a réduit le curseur pour affiner le
raisonnement applicable en matière d’office du juge en droit international privé.
1458. Un encadrement juridique strict vecteur de sécurité juridique. Recourir à
la notion de « matière indisponible » est trop confus dans la mesure où « une matière donnée
n’est pas uniformément impérative ou supplétive » 1989 . En effet, « lorsqu’au sein d’une
matière donnée coexistent des règles de deux types, l’attraction risque de se faire le régime
des premières » 1990 . Or, une telle appréhension des règles de conflit pourrait conduire
indirectement à les dénaturer. C’est pourquoi la position adoptée par la Cour de cassation est
justifiée et souhaitée puisqu’elle encadre strictement l’office du juge autour d’un critère plus
précis à savoir la notion de « droits indisponibles ». De cette façon, elle a pu mettre en place
un régime spécifique à l’office du juge en droit international privé.

2) La spécificité de l’office du juge en droit international privé au regard de la


nature des droits en cause
1459. Depuis 1999, la Cour de cassation a maintenu l’office du juge en droit
international privé autour d’un régime spécifique lequel opère une distinction entre les
pouvoirs du juge au regard de la nature du droit en cause (a). Or, ce régime, par principe, se
justifie parfaitement par la nature même des droits en cause (b).

a) Un régime distinct selon la nature du droit en cause : de la faculté à l’obligation


1460. En faisant du critère des droits indisponibles le fondement de la construction
relative à l’office du juge en droit international privé, la Cour de cassation a bâti un régime
propre à la discipline. De cette manière, dès lors qu’il est question de droits indisponibles, « le
juge a non seulement la faculté, mais plus encore le devoir d’appliquer, le cas échéant
d’office, la règle de conflit et la loi étrangère à laquelle cette dernière peut conduire »1991. Par
conséquent, dans le cas où les parties se seraient tues quant à l’internationalité du litige, le

1987
M. Farge, « Détermination du droit applicable », in Le droit international privé de la famille, op. cit., §
512.230.
1988
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 325.
1989
Ibid.
1990
Ibid.
1991
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 359.

643
juge saisi doit d’une part relever l’internationalité du litige, et d’autre part, a l’obligation de
lui appliquer les règles du droit international privé dès lors que sont en cause des droits
indisponibles1992. A contrario, en matière de droits disponibles, « le juge n’est pas tenu, en cas
de silence des parties, de trancher le conflit de lois »1993. Il en a seulement la faculté, mais en
aucun cas l’obligation 1994 . En d’autres termes, « pour les droits indisponibles, la règle de
conflit de lois est impérative, pour les parties et pour le juge, qui doit la mettre en œuvre et
appliquer le droit étranger compétent »1995 tandis que « pour les droits disponibles, les parties
ont la faculté de renoncer au conflit de lois, et le juge n’est pas tenu de mettre en jeu la règle
de conflit désignant le droit étranger »1996. De cette façon, le régime applicable à l’office du
juge est strictement encadré ce qui permet de renforcer la sécurité juridique à laquelle peuvent
prétendre les justiciables. De la même façon, il garantit aux sujets de droit la prévisibilité
juridique quant au traitement de leur situation. De plus, ce régime s’avère parfaitement
cohérent avec la nature des droits en cause.

b) Un régime a priori justifié par la nature du droit en cause


1461. La distinction opérée entre les règles de conflit devant s’appliquer
obligatoirement et celles devant s’appliquer facultativement se justifie par la nature même des
droits en cause. En effet, en considérant que les règles de conflit relatives aux droits
indisponibles sont d’office applicables, la Cour de cassation rapproche « la notion d’ordre
public (…) au sens le plus général » des droits indisponibles, pour considérer que « les parties
ne pouvant disposer de leur droit (divorce, filiation, par exemple) la loi qui définit ces droits
est impérative, qu’elle soit française ou étrangère ». Ainsi, « ni les parties, ni les juges ne
peuvent l’éluder ». En d’autres termes, la nature des droits litigieux justifie l’application
d’office ou non des règles de conflit. Par conséquent, dès lors que ces droits sont d’ordre
public, alors ils doivent nécessairement être régis d’office par les règles de droit international

1992
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 16 mars 2016, n°15-14.365, Dalloz 2017, p. 1011, note H. Gaudemet-
Tallon ; à propos d’une nullité de mariage dans lequel la Cour rappelle qu’« il incombe au juge français, pour les
droits indisponibles, de mettre en œuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette
règle »
1993
H. Muir-Watt, « Loi étrangère », Rép. intern. Dalloz, 2009, § 37.
1994
Voir en ce sens : B. Ancel, « S'agissant de droits disponibles, le juge n'est tenu d'appliquer le droit étranger
que s'il est expressément invoqué », RCDIP 2003, p. 462 : « S'agissant de droits disponibles, le juge n'est tenu de
mettre en œuvre la règle de conflit adéquate et d'appliquer le droit étranger que dans la mesure où ce droit est
expressément invoqué par une partie et non si, les parties ayant fondé leur argumentation sur le droit français,
l'une d'elles fait référence au droit étranger en une simple allégation de laquelle aucune demande n'est déduite ».
1995
J.-P. Ancel, « L’invocation d’un droit étranger et le contrôle de la Cour de cassation », in Vers de nouveaux
équilibres entre ordres juridiques : liber amicorum Hélène Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 7.
1996
Ibid., p. 6.

644
privé applicables. Cela signifie bien que, s’agissant des droits indisponibles, dans la mesure
où les parties ne peuvent en disposer, elles ne peuvent donc faire échec aux règles de droit
international privé qui s’y appliquent. En revanche, en matière de droits disponibles,
puisqu’elles peuvent librement disposer de ceux-là, les parties ne sont pas soumises à une
application obligatoire des règles de droit international privé. Finalement, au regard du critère
retenu, il semblerait que l’office du juge conçu par la Cour de cassation soit parfaitement
légitime et qu’il assure la sécurité juridique. Cependant, il s’avère que l’encadrement retenu
par la Cour de cassation à l’égard de l’office du juge fait l’objet de diverses contestations
remettant en cause ses atouts.

B. UN OFFICE DU JUGE SYNONYME D’INSECURITE JURIDIQUE ET D’INEGALITE


DE TRAITEMENT

1462. En réalité, si l’office du juge semble, a priori, construit sur des bases solides et
encadrées, il s’avère qu’il ne garantit ni sécurité juridique ni égalité de traitement d’un point
de vue théorique. En effet, une analyse approfondie conduit à considérer que le critère relatif à
la disponibilité des droits est inadapté en droit international privé (1), et par conséquent le
régime relativement hasardeux pour les règles de droit international privé (2).

1) Le critère inadapté des droits indisponibles en droit international privé


1463. Véritablement, le critère retenu par la Cour de cassation relatif à la nature des
droits en cause manque de pertinence pour deux raisons. D’une part, ce concept demeure
parfaitement incertain au sein même de l’ordre juridique interne, ce qui rend
incontestablement son identification difficile (a). D’autre part, et par conséquent, la
transposition de ce critère en droit international privé conduit finalement les juges du fond à
une analyse nationale en vertu des conceptions du for (b).

a) L’incertitude constante du critère dans chaque ordre juridique interne


1464. Une distinction floue entre droits disponibles et indisponibles. La Cour de
cassation semble, a priori, avoir établi un régime applicable à l’office du juge favorisant
prévisibilité et sécurité juridiques. Cependant, il ne s’agit que d’une illusion dans la mesure où
le critère sur la base duquel a été construit ce régime est relativement incertain1997. En effet, il

1997
Voir en ce sens : P. Lagarde, « Le juge doit appliquer d’office la convention de Rome du 11 juin 1980 »,
RCDIP 2005, p. 465, dans lequel l’auteur félicite la Cour de cassation (Cass., Civ. 1ère, 31 mai 2005, Dalloz
2006, p. 1729, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke) d’avoir rappelé « aux juges du fond la seule méthode à suivre
pour déterminer la loi applicable au contrat : l'application de la Convention de Rome », alors qu’il pourrait être
considéré que la matière contractuelle relève des droits disponibles.

645
est classiquement admis que « le critère de la disponibilité ou indisponibilité des droits acquis
évoque l’opposition entre les matières patrimoniales, d’une part, l’état et la capacité des
personnes, d’autre part »1998. Néanmoins, il n’est pas fait une parfaite assimilation entre ces
types de droits c’est-à-dire que les droits disponibles/indisponibles ne coïncident pas
parfaitement avec les droits patrimoniaux/extrapatrimoniaux en droit interne. De ce fait, il
s’agit déjà en droit interne d’une « distinction (…) incertaine »1999. Par conséquent, dans la
mesure où cette distinction n’est pas d’une clarté absolue dans l’esprit du juge, il paraît
difficilement souhaitable de vouloir transposer cette distinction à l’office du juge en droit
international privé.
1465. L’incertitude engendrée par le critère de l’indisponibilité des droits. En
effet, si la différence entre la nature des droits n’est pas nette alors le juge saisi
pourra politiser son office en considérant que certaines règles de conflit relèvent des droits
indisponibles ou inversement afin de favoriser sa politique législative. Or, comme l’a affirmé
le Professeur Muir-Watt, « dans le cas des intérêts privés, (…) la jurisprudence a été (plutôt)
instable ». Or, elle précise qu’« aujourd’hui, dans le dernier état de sa jurisprudence, la
politique actuelle de la Cour régulatrice semble freiner la privatisation du conflit de lois en cas
de droits disponibles, pour renforcer corrélativement l’office du juge »2000. Ceci atteste donc
parfaitement de l’éventuelle instabilité jurisprudentielle qui peut être due à la malléabilité de
la notion. Finalement, « en tout état de cause, quel que soit le mode de raisonnement retenu
(matière par matière ou droit par droit), la notion de libre disponibilité génère l’incertitude, et
il aurait été préférable de ne pas l’ériger en principe directeur de l’office du juge »2001. De
plus, outre l’incertitude qui existe relativement à la distinction en droit interne, le régime
établi par la Cour de cassation invite à s’interroger à l’aune de quelle loi devra véritablement
être appréciée la nature des droits en cause.

b) L’identification nationale des droits en cause en vertu des conceptions du for


1466. Un critère soumis aux conceptions internes du juge saisi. Si le critère relatif
à la disponibilité des droits pose des problèmes d’identification en droit interne, il va en poser
davantage en droit international privé. En effet, « la nouvelle primauté accordée au paramètre

1998
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 325.
1999
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 358.
2000
H. Muir-Watt, « Loi étrangère », op. cit., § 4.
2001
B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits et conflits de lois, Thèse, Paris 2, 1994, LGDJ, 1996, §
63.

646
de la nature des droits litigieux aura immanquablement pour effet de remettre sur le tapis la
question ardue de la loi applicable à la détermination de leur disponibilité » 2002 . Or, « il
semblerait naturel de consulter la loi compétente sur ce point ». La nature du droit en cause
devrait être déterminée conformément à la loi compétente par souci de réalisme et de
cohérence. Cependant, ce n’est pas ce qui se produit en pratique puisque soit « le juge qui est,
par hypothèse, inconscient du caractère international du litige en raison du silence des parties,
(…) le traitera (…) comme purement interne »2003 ; soit par « difficulté d’appréciation peu
compatible avec le souci pratique de ménager les juges du fond », ceux-ci seront tentés par
« la dispense d’appliquer d’office la loi étrangère »2004. Ainsi, l’approche opérée par les juges
du fond sera cantonnée aux conceptions du for et/ou conduira à favoriser l’application de la
loi du for par facilité.
1467. La remise en cause du critère en vertu de l’égalité de traitement. Eu égard
aux résultats que peut produire le critère actuellement mis en place en matière d’office du
juge, il serait préférable de le remettre en cause. Le droit international privé ne peut être
l’objet d’un critère d’identification dont la définition ne peut être que nationale puisqu’elle
conduit nécessairement à favoriser l’application de la loi du for. Une telle position est
contraire à une mise en œuvre neutre des règles de droit international privé, et
particulièrement celles relevant du droits des conflits de lois, laquelle s’inscrit dans un respect
des objectifs de neutralité et d’égale application entre loi du for et loi étrangère. De plus, le
régime applicable en matière d’office du juge est tout autant critiquable que l’est le critère
relatif à la nature des droits en cause.

2) Un régime hasardeux pour les règles de droit international privé


1468. Dans la mesure où le critère de disponibilité des droits est inadapté en droit
international privé, il conduit inévitablement à un régime hasardeux pour les règles de droit
international privé. De la sorte, celles-ci sont soumises à l’aléa issu de la tendance
internationaliste du juge saisi (a), lequel invite nécessairement au forum shopping (b).

a) L’aléa issu de la tendance internationaliste du juge saisi


1469. Un critère vecteur d’insécurité juridique. En l’absence d’encadrement relatif
à la notion de droits disponibles, il a été considéré que l’office du juge serait variable d’un

2002
H. Muir-Watt, « De la nature, disponible ou non, des droits litigieux comme paramètre exclusif de l’office du
juge dans l’application de la loi étrangère », RCDIP 1999, p. 707.
2003
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 358.
2004
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 325.

647
ordre juridique à l’autre puisque d’une part, chaque ordre juridique se fera sa propre
conception de la disponibilité des droits, et d’autre part, chaque ordre juridique appréciera son
office probablement par rapport à sa loi interne et non par rapport à la loi étrangère applicable.
Ce constat va nécessairement avoir pour conséquence de conduire à une véritable insécurité
juridique puisque le résultat pourra être très variable d’un ordre juridique à l’autre. Or, ce
phénomène pourrait être encore plus accentué dans la mesure où au sein même d’un ordre
juridique, la solution pourrait varier d’une juridiction à une autre. En effet, même si l’ordre
juridique français analyse l’office du juge conformément aux conceptions du droit français, il
semblerait que cela ne suffise pas à unifier le droit international privé sur le territoire français
dans la mesure où même en droit français, la notion demeure incertaine.
1470. Un critère fonction de la tendance internationaliste du juge saisi. Par
conséquent, une double fragmentation juridique existera à des échelles différentes c’est-à-dire
à la fois au sein d’un même ordre juridique et entre ordres juridiques. Ainsi, dans son
application, l’office du juge sera simplement objet de la tendance internationaliste du juge
saisi2005. En outre, cela signifie que les solutions relatives à cet office seront variables d’une
juridiction à l’autre. Chaque juge sera libre de déterminer si la règle de conflit concerne des
droits disponibles ou non, et par conséquent s’il l’applique d’office ou non. Or, il n’est pas
souhaitable que les règles de droit international privé soient objet d’un aléa puisqu’il s’agit
d’une contrariété à l’égalité de traitement entre les sujets de droit. De plus, cet aléa invite au
forum shopping.

b) L’incitation au forum shopping


1471. L’invitation à la fraude. Si le régime actuellement établi en matière d’office
du juge conduit à un aléa de solutions en fonction du juge saisi, il incite nécessairement au
forum shopping. Chaque sujet de droit peut être tenté de saisir la juridiction qui fera droit au
résultat souhaité. Ainsi, dans le cas où une juridiction pourrait taire le caractère international
de la situation considérant qu’il s’agit de droits disponibles, ou simplement par souci de
facilité, alors qu’une autre considérerait l’inverse, le sujet de droit aura le choix entre ces

2005
Voir en ce sens : F. Jault-Seseke, « L’office du juge dans l’application de la règle de conflit de lois en
matière de contrat de travail », RCDIP 2005, p. 253 laquelle affirme notamment à propos de la jurisprudence de
la Cour de cassation que : « La mise en œuvre de la disposition de l'article 6 de la Convention de Rome paraît
échapper, sous le couvert de la disponibilité des droits, au contrôle de la Cour de cassation et relever d'un
pouvoir souverain des juges du fond, qui se fait volontiers divinatoire lorsqu'il s'agit de découvrir des choix de
loi implicites, de déterminer le lieu d'exécution habituelle ou celui de l'établissement d'embauché ou encore de
déclencher la clause d'exception, bien qu'une telle orientation qui côtoie la dénaturation et ruine l'effectivité de la
règle de conflit, soit condamnable ».

648
juridictions. De cette façon, il pourra saisir celle qui lui permettra de parvenir au résultat
escompté. Or, il n’est pas souhaitable, dans quelque système que ce soit, que les règles de
droit soient l’objet de fraude opérée par les justiciables.
1472. Un critère malléable contraire à l’égalité de traitement. Finalement, le
recours au critère de la disponibilité des droits pour déterminer l’office du juge est critiquable
dans la mesure où il s’agit d’une notion trop malléable susceptible d’avoir des conséquences
fâcheuses en termes de sécurité juridique, lesquelles seraient contraires à toute égalité de
traitement. C’est pourquoi il est nécessaire de rechercher un encadrement juridique qui se
marie mieux avec la règle de conflit classique et les objectifs qu’elle prône.

§ 2 – LA RECHERCHE D’UN OFFICE DU JUGE ADAPTE A LA REGLE DE CONFLIT


TRADITIONNELLE GARANTE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1473. Au regard de la dangerosité que présente l’office du juge en droit international


privé en termes de sécurité juridique, doivent être recherchés les éléments qui sont
véritablement incompatibles avec les règles de conflit c’est-à-dire avec le droit des conflits
(A). L’identification de ces éléments conduira vraisemblablement à une révision de l’office du
juge afin que ce dernier concorde avec les objectifs de neutralité et d’égalité (B).

A. DES REGLES PROPRES A L’OFFICE DU JUGE INCOMPATIBLES AVEC LA


DISCIPLINE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE

1474. Dans l’objectif de vider l’office du juge de ses vices en droit international
privé, il convient tout d’abord de relever que celui-ci s’avère parfaitement désuet au regard de
la modernisation du droit international privé (1). De la même manière, il s’agit d’un
encadrement absolument impertinent au regard de la spécificité de la discipline du droit
international privé (2).

1) Un office du juge désuet au regard de la modernisation de la discipline


1475. Outre les aspects théoriques qui invitent à douter de la performance de l’office
du juge actuel, il paraît également désuet d’un point de vue pratique dans la mesure où il
présente diverses incohérences au regard de la diversification récente des règles de conflit (a).
Ce phénomène invite alors à un resserrement de l’office du juge conforme à l’arsenal
juridique du droit international privé (b).

a) Un office du juge incohérent avec la diversification récente des règles de conflit


1476. Un office envisagé à l’aune de règles de conflit classiques. La méthode
relative à l’office du juge depuis 1999 présente des inconvénients majeurs, outre sa

649
construction de principe, dans la mesure où elle a été élaborée à l’aune des règles de conflit
classiques c’est-à-dire abstraction faite de la nouvelle structure des règles de conflit modernes
et de leurs sources. Il semble que l’office du juge préconisé par la Cour de cassation soit plus
facile à mettre en œuvre à l’égard d’une règle conflictuelle bilatérale classique à rattachement
simple qu’à l’égard d’une règle conflictuelle bilatérale moderne à rattachements multiples
et/ou à caractère substantiel.
1477. Un office inadapté aux règles de conflit modernes. En effet, « la
diversification moderne des règles de conflit quant à leur structure complique leur éventuelle
application d’office par le juge »2006. Le travail du juge s’amplifie inévitablement puisque
« les règles à forme alternative appellent (un travail plus complexe) que les règles de conflit
de facture bilatérale classique »2007 afin de déterminer s’il est question de droits indisponibles.
Plus vraisemblablement, dans la mesure où la structure des règles de conflit s’est modifiée, le
juge sera souvent invité, dans l’hypothèse de règles à caractère substantiel, à rechercher « la
teneur des lois en présence afin de déterminer le résultat auquel elles conduisent »2008. Or, « si
une règle de conflit alternative donne le choix à une partie, le juge ne saurait lui en imposer un
autre ; mais il pourrait attirer son attention sur l’existence du choix et même peut-être sur le
fait que celui opéré n’est pas le plus conforme à ses intérêts »2009. En d’autres termes, si le
travail du juge se complexifie, il sera conduit par le résultat substantiel recherché par la règle
de conflit, mais aussi par les parties. Ainsi, l’office du juge serait fonction d’un résultat
substantiel.
1478. Un office vecteur d’aléa eu égard à la modernisation de la discipline. De
plus, « s’agissant des règles de conflit de lois issues des règlements européens (…) les Etats
membres jouissent de l’autonomie procédurale »2010. Par conséquent, l’office du juge en droit
positif, s’il se complexifie et qu’il se lie au résultat substantiel visé, demeurera variable.
Chaque juge déterminera, à sa propre façon, quelle loi est la plus à même de rendre au
justiciable le résultat espéré, et ainsi de déterminer si la règle de conflit est applicable d’office
ou non. La méthode ne va donc qu’aggraver l’aléa de solutions déjà existant à l’égard des
règles de conflit classiques. En vérité, théorie et pratique invitent plutôt à évincer le critère de

2006
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 326.
2007
Ibid.
2008
Ibid.
2009
Ibid.
2010
Ibid., § 325.

650
disponibilité des droits et à resserrer l’office du juge conformément au droit international
privé.

b) Le resserrement juridique souhaité de l’office du juge


1479. La nécessaire réformation de l’office du juge. Dans la mesure où les règles
actuellement appliquées à l’office du juge en droit international privé sont incompatibles avec
les nouvelles règles de droit international privé, il serait préférable d’opérer un resserrement
des règles autour de l’office du juge. En effet, celui-ci doit indubitablement faire l’objet d’une
évolution juridique. Comme l’a affirmé le Professeur Muir-Watt, « il est fort probable que le
droit communautaire (induise) des changements importants dans l’état actuel du droit positif »
dans la mesure où « l’avènement d’instruments de droit dérivé communautaire va sans doute
conduire à un renforcement de l’office du juge national » eu égard aux « objectifs sociétaux
portés par les règles de conflit »2011. De même, « il est également probable que la mise en
œuvre d’un droit fondamental, notamment du droit d’accès à la justice, (soit) de nature à
induire un renforcement de l’office du juge du for lorsque l’action en justice imposée en vertu
d’un droit d’accès au juge postule la mise en œuvre d’une loi étrangère ».
1480. Une réformation nécessitée par son incompatibilité avec l’évolution de la
discipline. Véritablement, l’auteur ne fait que mettre en lumière l’incompatibilité qui existe
entre l’office du juge actuellement conçu avec les nouvelles règles de conflit issues de
l’Union européenne. C’est pourquoi au regard de ses propos, l’office du juge devrait
effectivement faire l’objet d’un renforcement plus conforme à toutes les règles de conflit qui
composent la discipline du droit international privé. Plus profondément, il doit être réformé
afin d’une part, d’être applicable quelle que soit la règle de conflit concernée, et d’autre part,
de respecter les objectifs du droit des conflits de lois c’est-à-dire la neutralité et l’égalité de
traitement. De cette façon, il faut en amont revoir la manière d’appréhender les règles de
conflit du droit international privé dans l’optique de mettre un terme à l’encadrement
relativement tangent auquel elles sont assorties.

2) Un encadrement juridique impertinent au regard de la spécificité du droit


international privé
1481. Au-delà du fait que l’office du juge soit conçu au regard d’un critère
contestable et qu’il manque d’adaptabilité, il ne fait tout simplement pas l’objet d’un
encadrement juridique pertinent au regard de la particularité que présente la matière du droit

2011
H. Muir-Watt, « Loi étrangère », op. cit., § 7.

651
international privé. En effet, d’une part, la Cour de cassation relègue la règle de conflit à un
rang supplétif par rapport aux autres règles de droit. Or, une telle appréhension de ces règles
est inadmissible dans n’importe quel ordre juridique (a). D’autre part, elle fait totalement
abstraction du caractère international de la situation. Ce raisonnement ne peut être toléré
puisqu’il a nécessairement pour conséquence de mettre un terme à l’effectivité dont doivent se
prévaloir les règles de conflit (b).

a) La relégation inadmissible de la règle de conflit à un rang supplétif


1482. L’assimilation des règles de conflit à un rang supplétif. Si les règles
imputables à l’office du juge sont discutables tant au regard de ses fondements que de son
adaptabilité, c’est parce que les règles du droit international privé ne sont pas reconnues à leur
juste valeur. En effet, en considérant que certaines règles sont obligatoires pour le juge et que
d’autres ne le sont pas, les règles de droit international privé, c’est-à-dire principalement de
conflit sont reléguées à un rang supplétif par rapport aux règles de droit2012. Ainsi, « ne pas
imposer cette application revient à faire de la règle de conflit – dans sa forme bilatérale – une
règle dépourvue de sanction, une lex imperfection ou encore facultative »2013.
Motulsky considérait, à ce sujet, qu’« en reconnaissant à la règle de conflit un
caractère impératif, on lui attribue la nature d’une norme juridique ; mais en la traitant comme
facultative, on lui dénie ce caractère »2014. Or, « il n’y a pas de règle de droit facultative pour
le juge »2015 puisqu’« impérative ou supplétive, une règle de droit devient applicable et donc
obligatoire pour le juge dès lors que ses conditions d’application sont réunies »2016. Comme
l’affirmait Motulsky, « elle est toujours obligatoire pour le juge, ou elle n’est pas une règle de
droit »2017. Par conséquent, en opérant une distinction dans l’office du juge à propos d’une
application obligatoire ou facultative des règles de conflit à son égard, la Cour de cassation
tend à reléguer ces règles à une échelle inférieure à celle des règles de droit.
1483. La reconnaissance de la règle de conflit comme véritable règle de droit.
Cependant, les règles de droit international privé, bien qu’elles présentent un caractère

2012
Voir en ce sens : Y. Lequette, « L’abandon de la jurisprudence Bisbal (à propos des arrêts de la Première Ch.
civile des 11 et 18 oct. 1988) », RCDIP 1989, p. 279, lequel affirmait notamment que : « la jurisprudence Bisbal
méconnaissait que la règle de conflit de lois était une règle de droit français applicable à ce titre d’office sans
qu’il fût besoin de se demander si elle était ou non d’ordre public ».
2013
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 322.
2014
H. Motulsky, « La condition de la loi étrangère en France », in Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz,
1965, § 10.
2015
Ibid.
2016
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 322.
2017
H. Motulsky, op. cit., § 10.

652
particulier dans la mesure où elles ont pour fonction essentielle de déterminer le champ
d’application dans l’espace des lois en conflit (et non de résoudre au fond le litige), elles font
partie intégrante de tout ordre juridique. Par conséquent, elles sont des règles de droit, et ceci,
au même titre que les règles de fond issues du droit interne et/ou du droit supranational. De ce
constat, il convient d’en déduire que « la mise en jeu de la règle de droit objectivement
applicable s’impose au juge parce qu’il s’agit d’une règle de droit »2018. Cela signifie bien que
« respecter la norme, pour le juge, c’est l’appliquer d’office »2019.
1484. La confusion de l’office du juge avec les caractères supplétif et impératif
des règles de droit. En vérité, il semblerait que l’office du juge en droit international privé se
soit construit sur un raisonnement quelque peu erroné dans la mesure où apparaît une
confusion avec les caractères impératif et supplétif qui sont reconnus aux règles de droit.
Comme l’expliquait Motulsky, « une règle supplétive peut, certes, être écartée par la volonté
des particuliers ; elle est, dans ce sens, facultative ; mais si une telle volonté ne s’est pas
manifestée, le juge est tenu de respecter cette norme, toute « dispositive » qu’elle puisse
être »2020. Ainsi, l’office du juge en droit international privé serait confondu avec la faculté
dont les parties peuvent parfois se prévaloir pour écarter une règle de droit supplétive. Or, les
pouvoirs du juge doivent être parfaitement distingués de ceux des parties et les règles de droit
international privé doivent retrouver leur rang de règles de droit afin d’être traitées
conformément à leur nature première. En outre, l’état de la jurisprudence en matière d’office
du juge ne fait que confirmer que le problème est pris à contrepied. En effet, « l’application
d’office de la loi étrangère (…) a donné et donne encore lieu à une jurisprudence abondante et
malheureusement très fluctuante et incertaine »2021. Il s’agit sans doute là des conséquences
issues d’un régime construit sur des bases relativement erronées. C’est pourquoi il faut
absolument repenser l’office du juge en droit international privé pour rendre aux règles de
droit international privé leur juste valeur de règles de droit, mais également prendre en compte
leur nature particulière.

b) L’abstraction intolérable du caractère international de la situation


1485. La spécialité des règles de conflit à raison de l’extranéité du litige. Si les
règles de droit international privé sont des règles de droit, elles sont aussi, essentiellement, des

2018
H. Motulsky, op. cit., § 11.
2019
Ibid.
2020
Ibid., § 10.
2021
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 357.

653
règles de conflit c’est-à-dire qu’elles ont pour objet de s’appliquer à une situation
internationale de laquelle ressort un ou plusieurs éléments particuliers. C’est pourquoi ces
règles de droit sont considérées comme spéciales. Or, le Professeur Mayer a considéré que
l’élément d’extranéité possédait « une position procédurale spéciale (…) qui conditionne le
droit applicable » 2022 . Selon lui, l’élément d’extranéité constitue un fait qui conditionne
« l’existence même, le contenu même de la majeure du syllogisme » c’est-à-dire qu’« il s’agit
de faire entrer dans le syllogisme, en tant que majeure, une règle de droit plutôt qu’une
autre »2023 . Ainsi, l’élément d’extranéité, spécifique aux situations internationales, invite à
l’application d’office des règles de conflit. En d’autres termes, « contrairement aux autres
faits (…), l’élément d’extranéité n’est pas à la disposition des parties » et « dès lors, on peut
obliger le juge à relever d’office l’élément d’extranéité sans contrevenir au principe
dispositif »2024. Il faut voir dans ce raisonnement que l’élément d’extranéité constitue un fait
spécial qui ne relève pas des éléments de fait « à la disposition des parties ». Or, il s’agit
d’une remarque pertinente dans la mesure où véritablement les éléments d’extranéité
conditionnent le déclenchement du droit international privé. C’est pourquoi ils ne peuvent être
traités comme de simples faits classiques sur lesquels les parties fondent leurs prétentions. Il
s’agit de faits spéciaux qui commandent effectivement la mise en œuvre des règles de conflit.
1486. L’élément d’extranéité comme élément spécifique au statut procédural de
la discipline. Les règles de conflit constituent des règles de droit et leur application est
conditionnée par l’existence d’un élément d’extranéité. Par conséquent, même s’il s’agit d’un
élément de fait en principe, il s’agit d’un élément spécifique au statut procédural du droit
international privé. C’est pourquoi il doit être traité de manière différente par rapport aux
autres faits, et être relevé d’office, quelle que soit la situation, afin que les règles de droit
international privé, c’est-à-dire les règles de droit de l’ordre juridique saisi, soient appliquées,
comme n’importe quelle autre règle de droit. En imposant au juge de relever d’office
l’élément d’extranéité, son office en droit international privé correspondra et respectera la
nature même des règles de droit international privé. D’ailleurs, certains auteurs relevaient
qu’en adoptant cette formule, la structure même des règles de conflit bilatérales serait
respectée puisqu’« une véritable égalité de traitement entre la loi étrangère et la loi

2022
P. Mayer, « L’office du juge dans le règlement des conflits de lois », TCFDIP, 1975-1977, p. 234.
2023
Ibid., p. 250.
2024
B. Fauvarque-Cosson, op. cit., § 259.

654
française »2025 serait engendrée. En effet, en adoptant un office du juge fonction de la nature
internationale du litige, loi du for et loi étrangère seront traitées de manière identique. Ainsi, il
pourrait éventuellement être mis fin à l’inégalité de traitement existante entre ces lois avec la
jurisprudence actuelle. Véritablement, en considérant d’une part que la jurisprudence actuelle
n’est pas adaptée aux règles de droit international privé, et d’autre part qu’elle ne traite pas
ces règles conformément à leur nature, il est absolument nécessaire d’envisager une révision
de l’office du juge.

B. LA REVISION DE L’OFFICE DU JUGE SUGGEREE PAR L’EGALITE DE


TRAITEMENT

1487. Dans la mesure où l’office du juge actuellement pratiqué par la jurisprudence


présente des défauts véritablement regrettables, il convient de le réviser. C’est pourquoi il est
nécessaire d’établir un office du juge compatible avec les préceptes du droit international
privé, lequel devra toutefois demeurer conforme aux principes directeurs du procès (1). De
cette façon, il sera mis fin à la distinction relative à la disponibilité des droits pour rendre aux
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement toute leur vigueur (2).

1) L’application obligatoire des règles de conflit respectueuse des principes


directeurs du procès
1488. Au regard de tous les éléments défectueux imputables à l’office du juge actuel,
il est inéluctable de procéder à son remplacement afin de rendre l’intégralité des règles de
droit international privé obligatoires (a). L’admission de cette application d’office des règles
de conflit s’inscrit simplement en toute conformité avec les principes directeurs du procès (b).

a) Le remplacement de l’office du juge par l’application obligatoire des règles de conflit


1489. La révision intégrale de l’office du juge. Les nombreux défauts imputables à
l’office du juge établi par la Cour de cassation, tant sur le plan théorique que sur le plan
pratique, invitent à plusieurs considérations afin d’encadrer l’office du juge en droit
international privé. Tout d’abord, il s’avère que l’office du juge ne doit en aucun cas être
fondé sur une distinction relative à la nature des droits en cause. En effet, eu égard à
l’insécurité juridique et à l’aléa de solutions qu’elle engendre, elle doit tout bonnement être
supprimée de l’office du juge. Ensuite, il est nécessaire d’abolir l’idée selon laquelle les règles
de droit international privé doivent être traitées différemment de n’importe quelle autre règle

2025
B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz,
5ème éd., 2006, n°33-35, spéc. p. 269.

655
de droit. Il s’agit de règles de droit dont l’application doit être identique à celles des règles de
fond. Enfin, doit être prise en compte la particularité de leur mise en œuvre procédurale
laquelle est conditionnée par l’élément d’extranéité. Il doit être admis qu’il s’agit d’un fait
spécial, qui n’est pas aux mains des parties, mais de celles du juge, lequel se doit de relever
d’office leur existence. Son office doit donc être relatif à cet élément d’extranéité afin que les
règles de conflit soient appliquées comme toute autre règle de droit.
1490. Un office du juge fidèle au caractère international des situations
litigieuses. En résumé, cela signifie que l’office du juge ne doit plus être conditionné par la
nature des droits en cause mais par le caractère international que présente la situation soumise
au juge saisi. Ainsi, dès lors que la situation est internationale, le juge doit le relever d’office,
et par conséquent, toute règle de conflit sera appliquée d’office. Une fois que les règles de
conflit seront appliquées, réapparaîtra la question de la disponibilité des droits, puisque les
règles de conflit elles-mêmes prennent en compte la nature des droits en cause pour permettre
aux parties, dans le cadre de droits disponibles, de déjouer le jeu classique de ces règles, afin
de laisser l’autonomie de la volonté prévaloir. De cette manière, l’office du juge serait plus
respectueux de la discipline du droit international privé et de ses règles. La différence entre
règles impératives et règles supplétives ne se poserait qu’à un stade postérieur. En outre, ce
système se justifie au regard des principes directeurs du procès et les respecte.

b) L’application d’office des règles de conflit conformément aux principes directeurs du


procès
1491. Une application d’office au nom des principes directeurs du procès. Il
convient de préciser qu’en adoptant le principe selon lequel les règles de conflit doivent être
appliquées d’office par le juge, ce cadre se conformerait simplement aux principes directeurs
du procès et aux règles de droit applicables en droit processuel français. En effet, en
considérant à la fois que les règles de conflit doivent être appliquées au même titre que les
règles de droit, et qu’elles doivent être appliquées parce que le juge se doit de relever
obligatoirement un élément d’extranéité, sont respectés l’article 12 du Code de procédure
civile, ainsi que le principe du dispositif.
1492. Une application d’office conforme à l’article 12 du CPC. D’une part,
l’article 12 du CPC prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit
qui lui sont applicables ». Par conséquent, il convient que le juge tranche tout litige
international conformément aux règles de droit applicables c’est-à-dire conformément aux
règles de droit international privé. Ainsi, il s’agit « d’appliquer d’office la loi parce qu’elle est

656
la loi, et non pas parce qu’elle est d’ordre public »2026. Les règles de conflit sont appliquées
obligatoirement parce qu’elles sont des règles de droit, et non parce qu’elles présentent un
caractère impératif.
1493. Une application d’office conforme au principe du dispositif. D’autre part,
pour que les règles de conflit soient appliquées, il convient que le juge, dans le silence des
parties relève d’office le ou les éléments d’extranéité qui conditionnent leur mise en œuvre.
Néanmoins, il pourrait être considéré qu’il s’agisse d’une méthode contraire au principe du
dispositif lequel octroie la maîtrise des faits aux parties. Cependant, « l’office du juge ne se
définit pas uniquement par une interdiction (celle de puiser des éléments de faits hors du
dossier) et par une obligation (celle de statuer conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables) puisqu’« entre deux, il y a une place pour un pouvoir, celui de prendre en
considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien
de leurs prétentions »2027. Or, lorsqu’il s’agit de faits présentant un caractère spécial consistant
à conditionner l’état procédural des règles de droit international, il semble que son relevé soit
justifié par sa spécificité même. Il ne s’agit plus d’un fait quelconque, mais d’un fait spécial
lié à l’application des règles de conflit. Il leur est en quelque sorte indissociable.
De plus, cette méthode ne conduira pas à remettre en cause le principe du dispositif
dans la mesure où « relever d’office l’élément d’extranéité est pour le juge le moyen de
remplir sa fonction de serviteur de la loi, sans modifier la nature, et sans élargir l’objet du
différend qui lui est soumis »2028. Par conséquent, le principe du dispositif ne serait en aucun
cas remis en cause puisque la matière litigieuse déterminée par les parties ne sera pas étendue.
Elle sera simplement analysée différemment.
1494. Une application d’office sous l’hospice du contradictoire. Enfin, si « la loi
étrangère (est) du droit au regard de l’office du juge, ce dernier est obligé d’appliquer la loi
compétente quand bien même les parties ne l’y inviteraient point, sous réserve cependant des
droits de la défense, qui l’obligent, le cas échéant, à interpeller les plaideurs »2029. « Il est donc
nécessaire que le juge fasse connaître aux parties le droit étranger qu’il a à appliquer, et leur

2026
H. Motulsky, op. cit., § 12.
2027
B. Fauvarque-Cosson, op. cit., § 258.
2028
Ibid., § 259.
2029
H. Motulsky, « L’office du juge et la loi étrangère », in Mélanges offerts à Jacques Maury, op. cit., spéc. p.
337 et s., § 62.

657
donne la possibilité d’assurer la défense de leurs intérêts selon ce droit »2030. Ainsi, si l’article
12 du Code de procédure civile et le principe du dispositif justifient l’application d’office des
règles de conflit, et sont respectés, doit être préservé a contrario le principe du contradictoire
à l’égard des parties2031, lequel demeure protégé sous l’égide du droit au procès équitable2032.
C’est pourquoi comme tel est le cas en droit positif, « le principe du contradictoire, (…)
s’impose au juge dès lors qu’il prend l’initiative de soulever le conflit de lois (et) de
déterminer la règle de conflit applicable »2033. Ainsi, en imposant que toutes les règles de
conflit soient obligatoires pour le juge, sont respectés les principes directeurs du procès dans
leur intégralité, mais également sont préservés les objectifs spécifiques à la méthode
bilatérale, à savoir neutralité et égalité de traitement.

2) L’extinction de la distinction conforme aux objectifs de neutralité et d’égalité de


traitement
1495. La suppression de la distinction relative à l’office du juge en droit positif se
justifie au regard de la nature même de la règle de conflit, mais également des principes
directeurs du procès. Cependant, cette abolition présente bien d’autres avantages puisque
d’une part, elle préserve le principe de neutralité (a), et d’autre part, elle garantit un traitement
égalitaire dans la mise en œuvre de la règle de conflit par le juge (b).

a) Le principe de neutralité préservé par le déclenchement d’office de la règle de conflit


1496. En considérant que le juge, dès lors que la situation présente un caractère
international, doit appliquer les règles du droit international privé, à savoir les règles de
conflit, la neutralité de la méthode sera nécessairement préservée. En effet, « admettre cette
directive c’est justement imposer au juge d’appliquer d’office le droit étranger, c’est adopter
le système qui correspond parfaitement à l’idée à la base du conflit des lois dans l’espace, et

2030
M. K. Yasseen, « L’office du juge dans l’application du droit étranger et la preuve de ce droit », RCADI,
1962, vol. n°109, spéc. p. 566.
2031
Voir en ce sens : CA de Paris, 11 sept. 2018, n°16/19913 dans lequel les juges du fond ont veillé au respect
du principe du contradictoire et de l’égalité des armes dans un litige de droit international privé, en considérant
en l’espèce que : « la circonstance que l’arbitrage ait eu lieu en anglais, alors que ce n’est pas la langue
maternelle de l’appelant, ne peut être regardée comme une atteinte aux principes de la contradiction et de
l’égalité des armes dès lors qu’elle a été choisie par les parties dans une relation commerciale à caractère
international et que des délais procéduraux raisonnables (…) ont été fixés pour l’instruction de la cause ».
2032
CEDH, 22 janv. 2019, Rivera Vazquez et Calleja Delsordo c/ Suisse, n°65048/13, D. actualité, 7. fév. 2019,
note A. Bolze, dans lequel la Cour rappelle que « la décision prise par le Tribunal fédéral de priver les requérants
de représentation, sans les informer et sans qu’ils aient été entendus pour remédier à l’irrégularité a porté atteinte
à leur droit à un procès équitable ».
2033
H. Muir-Watt, « Loi étrangère », op. cit., § 5.

658
met mieux en valeur les règles de conflit »2034. Ainsi, si pour chaque situation internationale,
les règles de conflit sont appliquées, aucune préférence ne sera adressée à la loi du for ou à la
loi étrangère, de la même façon que la loi applicable sera déterminée conformément à une
approche de localisation du rapport de droit. En aucun cas les conceptions propres d’un ordre
juridique ne seront prises en compte comme cela peut être le cas aujourd’hui avec un office
opérant une distinction selon qu’il s’agisse de droits disponibles ou indisponibles. Finalement,
il s’agit simplement de respecter la fonction même du droit des conflits de lois consistant à
déterminer le champ d’application dans l’espace des lois en conflit sous l’égide de la
neutralité. De plus, l’application d’office de toutes les règles de conflit garantit l’égalité de
traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale identique.

b) L’égalité de traitement garantie par la mise en œuvre d’office de la règle de conflit


1497. Si l’application d’office des règles de conflit permet de préserver la neutralité
de la méthode, elle garantit également l’égalité de traitement. Si chaque juge applique
d’office, dès lors que la situation présente un caractère international, les règles de conflit qui
lui sont applicables, alors chaque situation sera traitée de manière identique, quelle que soit la
juridiction saisie. Si aucune distinction n’est opérée entre droits disponibles et indisponibles,
il sera mis fin à l’aléa de solutions émanant de l’incertitude de la notion. Chaque règle de
conflit sera appliquée à juste titre, tout comme n’importe quelle autre règle de droit, dès lors
qu’elle peut légitimement entrer en jeu c’est-à-dire chaque fois que la situation présente un
caractère international. En d’autres termes, seule l’application d’office de toutes les règles de
conflit, dès lors que la situation révèle des éléments d’extranéité, paraît justifiée et à même de
respecter les aspirations prônées par la méthode conflictuelle classique. Néanmoins, cela ne
vaut que lorsque la règle de conflit ne fait pas l’objet de contrariétés au stade de sa mise en
œuvre par le juge.

SOUS-SECTION 2 : LA LEVEE DES EXCEPTIONS A L’OFFICE DU JUGE PAR


RECOURS A LA LOI DES LIENS LES PLUS ETROITS

1498. Classiquement les règles de droit international privé, c’est-à-dire


essentiellement les règles de conflit, sont mises en œuvre par le juge conformément à son
office. Cependant, il se produit parfois certaines situations dans lesquelles le déclenchement
de la règle de conflit est perturbé. D’une part, celui-ci peut s’avérer impossible à raison

2034
M. K. Yasseen, op. cit., spéc. p. 565.

659
d’obstacles qualifiés d’insurmontables, qui se traduisent par une absence d’éléments de
rattachement. Or, il ne s’agit là que d’un qualificatif, lequel est absolument surmontable grâce
à la méthode conflictuelle (§ 1). D’autre part, l’application de la règle de conflit peut
également être déjouée par le recours des parties à un accord procédural, lequel s’avère
discutable au regard de la méthode conflictuelle (§ 2).

§ 1 – L’IMPOSSIBLE EXECUTION DE LA REGLE DE CONFLIT A RAISON D’OBSTACLES


A PRIORI INSURMONTABLES

1499. L’office du juge dans son application classique peut être perturbé lorsque la
règle de conflit retenue à l’égard de la situation internationale possède des éléments de
rattachement qui font défaut en l’espèce. Afin de remédier à ce type d’obstacles, la
jurisprudence a naturellement considéré qu’il convenait d’appliquer subsidiairement la lex fori
(A). Or, si cette vocation peut être défendue, elle s’avère toutefois critiquable en termes de
légitimité et de réalisme. Par conséquent, il serait préférable de lui substituer un autre
rattachement, voire tout simplement de supprimer ce rattachement subsidiaire en adoptant une
méthode universelle garante de l’égalité de traitement (B).

A. LA VOCATION SUBSIDIAIRE NATURELLE DE LA LOI DU FOR EN CAS DE


DEFAILLANCE DES ELEMENTS DE RATTACHEMENT

1500. Il est des cas dans lesquels le juge est contraint d’appliquer la lex fori parce que
les éléments de rattachement retenus par la règle de conflit initialement applicable sont
défaillants (1). Or, par mesure de nécessité, il a été admis par la jurisprudence, que la loi de la
juridiction saisie devait s’appliquer à titre subsidiaire (2).

1) L’inapplication de la règle de conflit en cas de défaillance des rattachements


1501. Si l’office du juge peut faire l’objet de certaines contrariétés, il convient d’en
étudier les hypothèses et leurs solutions en amont, afin d’en comprendre l’opportunité dans un
système conflictuel classique. Ainsi, il apparaît qu’il est fait application subsidiaire de la lex
fori en cas de défaillance du rattachement retenu par la règle de conflit (a). Néanmoins, il
semble que cette application soit limitée à certaines catégories de rattachement (b).

a) L’application subsidiaire de la lex fori en cas de défaillance du rattachement


1502. L’application de la lex fori à défaut de rattachement. Il arrive que
l’exécution de la règle de conflit par le juge s’avère impossible. En effet, il se peut que,
lorsque le juge fait application de la règle de conflit, il se heurte à un obstacle issu de la
défaillance des éléments de rattachement. Par conséquent, « la loi étrangère compétente ne

660
peut être déterminée parce que les éléments de rattachement font défaut »2035. Face à cette
situation, la jurisprudence, depuis les arrêts Bisbal2036, puis Masson2037, a admis le principe de
vocation subsidiaire de la loi du for c’est-à-dire que la loi du for est « appliquée chaque fois
que dans diverses circonstances accidentelles, il est pratiquement impossible d’éviter que la
règle de conflit échoue dans la désignation de la loi applicable »2038. Il ne s’agit donc que
d’une « compétence subsidiaire » laquelle « n’est qu’une vocation (qui) ne se manifeste que
dans la mesure où la méthode adéquate de règlement de conflit ne permet pas d’établir un
rattachement à la loi d’un Etat membre déterminé »2039.
1503. L’application de la lex fori à titre subsidiaire. L’office du juge peut donc
être perturbé par la défaillance de l’élément de rattachement retenu par la règle de conflit.
C’est pourquoi la jurisprudence, face à ce type d’hypothèses, a résolu la difficulté par le
recours subsidiaire à la loi du for. En effet, si les situations internationales sont en principe
soumises aux règles de conflit de l’ordre juridique dont elles relèvent, elles ne peuvent, par
exception, n’être encadrées par aucune loi lorsque le rattachement retenu fait défaut. Ceci
justifie donc qu’il faille appliquer, subsidiairement, une autre loi qui selon la jurisprudence
française est celle du for. Fort heureusement, la vocation subsidiaire de la loi du for ne se
limite qu’à quelques cas particuliers.

b) L’application subsidiaire limitée de la lex fori à certaines catégories de rattachement


1504. La défaillance des rattachements limitée à certaines catégories de
rattachement. En général, « la défaillance des éléments de rattachement se présente
essentiellement pour le statut le personnel » notamment parce qu’il existe « des apatrides,
dont l’état et la capacité doivent (…) être régis par une loi »2040. Il s’agit des cas dans lesquels,
« le rattachement n’existe pas en l’espèce » 2041 . Or, ce domaine se cantonne au statut
personnel. Il peut également s’agir de cas dans lesquels « le rattachement existe mais est
inconnu » notamment lorsqu’on « ignore la situation dans l’espace à un moment donné » d’un
meuble2042. Ou bien, il peut encore être question de l’hypothèse dans laquelle le rattachement

2035
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 346.
2036
Cass. Civ. 1ère, 12 mai 1959, Bisbal, préc.
2037
Cass., Civ. 1ère, 5 nov. 1991, Masson, RCDIP 1992, p. 314, note Muir-Watt.
2038
P. Gothot et P. Lagarde, op. cit., § 101.
2039
J.-G. Mahinga, « L’office du juge français et la règle de conflit », P. A., 16 mai 2008, n°99, p. 16, à propos
de l’arrêt suivant : Cass., Civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-19.659, Dalloz 2009, p. 1557, note P. Courbe.
2040
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 347.
2041
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 176.
2042
Ibid.

661
est connu « mais n’est pas de nature à désigner un ordre juridique » 2043 . Il s’agit du cas
où « un bien se trouve dans un espace non soumis à la souveraineté d’un Etat (haute mer) ou
disputé entre deux Etats »2044.
1505. Des hypothèses de défaillance réduites. Il semble donc que les hypothèses
dans lesquelles le rattachement peut faire défaut se cantonnent au statut personnel et au statut
réel mobilier. En effet, à l’inverse, « pour le statut réel immobilier, l’élément de rattachement
ne saurait faire défaut »2045 puisque l’immeuble est nécessairement localisable. Finalement, il
semble que les catégories de rattachement concernées par une possible défaillance des
éléments de rattachement soient relativement réduites. C’est pourquoi eu égard à ces quelques
exceptions, la jurisprudence s’est contentée d’un principe général d’application subsidiaire de
la loi du for plutôt que d’une solution casuistique selon le problème en cause. En outre,
l’établissement de ce principe par la jurisprudence constituait une nécessité à la réussite d’un
système de droit des conflits de lois fonctionnel.

2) L’application subsidiaire de la loi de la juridiction saisie par nécessité


1506. Le choix opéré en faveur d’une application subsidiaire de la lex fori semble se
justifier au regard de la juridiction saisie, c’est-à-dire au regard du rattachement que présente
la situation internationale avec la juridiction (a). Or, outre cet argument pertinent,
l’application subsidiaire de la lex fori assure au sujet de droit une véritable sécurité juridique
dans la mesure où pour chaque litige il y a une solution (b).

a) L’application subsidiaire de la lex fori en tant que rattachement juridictionnel


1507. Le recours à la lex fori justifié par le rattachement juridictionnel. Il
importe de considérer que le recours à la lex fori de manière subsidiaire se justifie. Dans la
mesure où la règle de conflit initialement applicable n’a pas vocation à s’appliquer en raison
de la défaillance du rattachement retenu, il convient d’appliquer la loi du for puisqu’il s’agit
de la loi de la juridiction saisie. Plus précisément, la compétence de la lex fori découle
simplement du rattachement juridictionnel à la juridiction du for. En effet, « la circonstance
qu’un tribunal est saisi transforme la relation juridique qui lui est soumise en un rapport
juridique »2046. Par conséquent « en raison de cet aspect judiciaire pris par le rapport, (…)
l’Etat dont le tribunal est saisi (…) aurait à le surveiller en y appliquant sa propre loi, comme

2043
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 176.
2044
Ibid.
2045
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 347.
2046
P. Gothot et P. Lagarde, op. cit., § 103.

662
il l’applique, en principe, à tout rapport venant à se localiser dans l’espace dont il a la
charge »2047. Il s’agirait en quelque sorte d’une vocation naturelle de la loi du for à s’appliquer
à la situation qui lui est soumise.
1508. La vocation naturelle et universelle de la lex fori. Foncièrement, il suffit
seulement de considérer que dans la mesure où le rattachement retenu fait défaut, il convient
de retenir le rattachement juridictionnel, lequel peut s’appliquer à n’importe quelle situation.
De plus, il est possible d’avancer aussi l’argument selon lequel la loi du for a une « vocation
universelle » c’est-à-dire qu’elle permet « au juge auquel (la) situation est soumise
d’appliquer la loi française, car elle représente un modèle de comportement toujours
convenable, à défaut d’une autre mieux adaptée » 2048 . En d’autres termes, au regard du
rattachement juridictionnel que présente la situation internationale avec la juridiction saisie,
ainsi que de la vocation universelle de la loi du for, ces éléments suffisent à considérer
l’application subsidiaire de la loi du for comme légitime. En outre, celle-ci assure au droit des
conflits de lois et aux sujets de droit un traitement sécurisé.

b) L’application subsidiaire de la loi du for par mesure de sécurité juridique


1509. Un traitement sécurisé de toute situation internationale. L’application
subsidiaire de la loi du for s’avère d’autant plus pertinente en ce qu’elle assure une véritable
sécurité juridique aux sujets de droit. En effet, il paraîtrait inconcevable, lorsque le
rattachement de la règle de conflit applicable fait défaut, que la situation ne soit pas résolue
par une quelconque solution. Ainsi, en appliquant la loi du for, la solution « montre que
l’objectif final du problème n’est pas de répartir des compétences législatives, mais de
résoudre des questions civiles ou commerciales ». Si les sujets de droit, dans une situation
internationale, sont soumis aux règles du droit international privé, ils saisissent avant tout les
juridictions dans le but de régler les problèmes de fond auxquels ils sont confrontés. C’est
pourquoi en appliquant la loi du for, ils ne devront pas faire face à un vide juridique. Leur
litige fera bien l’objet d’un encadrement juridique.
1510. Un traitement similaire de chaque situation internationale. En outre,
l’application subsidiaire, mais générale de la loi du for conduit à traiter tous les sujets de droit
de manière identique devant les juridictions françaises. Ainsi, quelle que soit la règle de
conflit en cause, dès lors que son rattachement fait défaut, le sujet de droit se verra appliquer

2047
P. Gothot et P. Lagarde, op. cit., § 103.
2048
Ibid., § 102.

663
la lex fori. Par conséquent, tout effet de surprise est écarté et chacun est traité de manière
équivalente. Ainsi, il va sans dire que l’application subsidiaire de la loi du for semble
relativement cohérente et présente de nombreux avantages en termes de sécurité juridique.
Néanmoins, si cette solution paraît légitime, elle est toutefois contestable à raison de son
manque de réalisme eu égard aux situations internationales.

B. DE LA SUBSTITUTION A LA SUPPRESSION DU RATTACHEMENT SUBSIDIAIRE A


LA LEX FORI

1511. En réalité, si le recours subsidiaire à la lex fori peut être défendu, il est tout de
même critiquable au regard de son manque de légitimité et de réalisme qui pourrait alors le
conduire à être substitué aux liens les plus étroits (1). Néanmoins, il serait possible, plutôt que
d’opérer cette substitution, de simplement le supprimer en adoptant la méthode universelle à
rattachement unique aux liens les plus étroits (2).

1) Le recours illégitime et irréaliste à la lex fori en tant que rattachement subsidiaire


1512. Malgré les justifications et les avantages imputables à l’application subsidiaire
de la loi du for en cas de défaillance des éléments de rattachement, son recours est toutefois
contestable tant au regard de la situation internationale que du principe même de la méthode
conflictuelle. L’application de la lex fori ne peut être considérée comme légitime en termes de
rattachement eu égard aux différents points de rattachement constituant la situation
internationale (a). Afin de correspondre à la réalité du cas d’espèce, et à l’idéologie de la
méthode conflictuelle, il serait préférable de recourir à un rattachement subsidiaire en faveur
des liens les plus étroits (b).

a) L’absence de légitimité de la lex fori en termes de rattachement


1513. Si le recours subsidiaire à la lex fori peut se justifier en termes de sécurité
juridique, il est toutefois critiquable en termes de points de rattachement. Certes, dès lors
qu’une situation internationale est soumise à une juridiction, elle présente un rattachement
juridictionnel avec celle-ci. Néanmoins, il est possible de s’interroger sur le fait de savoir si ce
rattachement est pertinent eu égard à la situation considérée. En effet, l’aspect pragmatique du
recours subsidiaire à la lex fori ne doit pas forcément primer face à son absence de légitimité
au regard de la situation internationale. D’ailleurs, et à titre d’exemple, en matière de statut
personnel, dans l’hypothèse d’une personne apatride, le rattachement subsidiaire à la loi
nationale n’est pas en premier lieu la loi du for, mais bien la loi du domicile ou de résidence

664
connue2049 . Une telle solution semble plus légitime que le recours à la loi du for dans la
mesure où il est admis que les attributs relatifs à la catégorie du statut personnel se constituent
au travers de la nationalité et du domicile. Par conséquent, il pourrait être préféré d’opter pour
une solution plus légitime, c’est-à-dire véritablement réaliste, conformément à l’objectif du
droit des conflits de lois, lequel consiste à localiser de manière neutre et au travers du principe
de proximité la situation juridique.

b) L’application plus réaliste du rattachement aux liens les plus étroits


1514. L’abandon de la lex fori comme rattachement subsidiaire. Afin de garantir,
en cas de défaillance des éléments de rattachement, une localisation neutre, mais réaliste du
rapport de droit, il convient d’abandonner le principe selon lequel la lex fori aurait vocation
subsidiaire à s’appliquer. En effet, « si la situation juridique est née à l’étranger et n’a aucune
attache avec la France, hormis le fait qu’elle y est soumise à ses juges, le choix de la loi
française est particulièrement malvenu »2050. En vérité, « il est toujours possible d’imaginer un
rattachement subsidiaire qui conviendrait mieux »2051.
1515. Le recours subsidiaire à la loi des liens les plus étroits. En considérant, dans
le cas où le rattachement retenu par la règle de conflit fait défaut, que le rattachement
subsidiaire corresponde davantage à la réalité de la situation juridique, il faut nécessairement
retenir le rattachement aux liens les plus étroits. En retenant ce rattachement comme
rattachement subsidiaire sont conservés les avantages que présentait la lex fori. L’application
subsidiaire de ce rattachement peut également être générale et garantir un traitement sécurisé
puisqu’aucun litige ne peut pas faire l’objet d’une impasse. De plus, l’application de ce
rattachement permet de répondre à la réalité de la situation internationale, et plus
vraisemblablement de l’approche prônée par la méthode conflictuelle classique. Ainsi, si le
rattachement retenu par la règle de conflit fait défaut, le rattachement subsidiaire prend le
relais pour assurer une localisation du rapport de droit au regard de la proximité qu’il présente
avec le territoire d’un Etat dans l’espace. Il ne s’agit donc plus d’un choix arbitraire motivé
seulement par un rattachement juridictionnel.
1516. La garantie d’un traitement neutre et égalitaire. En adoptant le
rattachement subsidiaire aux liens les plus étroits, la neutralité de la méthode conflictuelle est

2049
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 347.
2050
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., § 177.
2051
Ibid.

665
préservée, tout comme l’égalité de traitement est assurée. Effectivement, loi étrangère et loi
du for sont traitées sur un pied d’égalité, ce qui n’était pas le cas avec le recours subsidiaire à
la lex fori. De la même façon que chaque sujet de droit est traité de manière identique.
D’ailleurs, cette solution ne semble pas totalement contradictoire eu égard à certaines
législations européennes de droit international privé. A titre d’exemple, le règlement Rome I
prévoit une série de rattachements spécifiques à chaque type de contrat dans son article 4 aux
paragraphes 1 et 2, mais prévoit que « lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la
base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens
les plus étroits »2052. Le règlement a donc opté pour le rattachement aux liens les plus étroits
en tant que rattachement subsidiaire. Or, cette démarche s’avère pertinente dans la mesure où
il semble plus conforme d’appliquer à un contrat la loi avec laquelle il présente les liens les
plus étroits que la lex fori. En d’autres termes, par souci de réalisme, mais également de
neutralité et d’égalité, devrait être retenu le rattachement subsidiaire aux liens les plus étroits.
En vérité, en adoptant une méthode conflictuelle à rattachement unique, le problème est réduit
à néant.

2) Le recours suggéré à la méthode universelle des liens les plus étroits


1517. Véritablement, plutôt que de substituer un rattachement subsidiaire à un autre,
il serait préférable de tout bonnement supprimer ce rattachement subsidiaire en recourant à
une méthode conflictuelle à rattachement unique aux liens les plus étroits (a). De cette façon,
les préceptes de la méthode conflictuelle seraient respectés et les objectifs de neutralité et
d’égalité réalisés (b).

a) La suppression du rattachement subsidiaire par recours à un rattachement unique


1518. S’il paraît plus pertinent et réaliste de substituer à la lex fori, le rattachement
aux liens les plus étroits, il serait encore plus intéressant de recourir à une règle de conflit de
lois unique dont le rattachement serait celui des liens les plus étroits. De cette façon, la
question même d’un rattachement subsidiaire en cas de défaillance des éléments de
rattachement est supprimée. Le rattachement aux liens les plus étroits empêche la création de
situations dans lesquelles le rattachement n’est pas possible à déterminer. Toute situation
internationale présente des points de rattachement avec le territoire d’un ou plusieurs Etats. Il
suffit donc simplement de déterminer avec lequel elle présente des liens plus étroits. Or, dans

2052
Art. 4§4 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, Rome I.

666
le cas où le seul lien présent s’illustre au travers du rattachement juridictionnel, alors la
vocation subsidiaire se dirigera en faveur de la lex fori. En sus, la sécurité juridique est
garantie, car aucun sujet de droit ne peut être confronté à une règle de conflit qui ne peut lui
être appliquée parce que son rattachement fait défaut. Cette méthode est donc la plus à même
de garantir l’égalité de traitement.

b) Le retour de l’égalité de traitement par abolition du rattachement subsidiaire


1519. En supprimant simplement la nécessité de recourir à un rattachement
subsidiaire en adoptant une méthode conflictuelle à rattachement unique aux liens les plus
étroits, les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement sont préservés 2053 . En effet, la
suppression de la vocation subsidiaire de la lex fori invite à protéger la neutralité de la
méthode en maintenant une approche localisatrice de proximité du rapport de droit. De la
même façon, chaque sujet de droit est traité de manière équivalente et peut se voir attribuer
tant la loi du for que la loi étrangère. Toutefois, si cette méthode semble être la plus
performante en termes de neutralité et d’égalité de traitement, la pratique en est éloignée.
C’est pourquoi à défaut, il serait tout de même préférable, dans un premier temps, d’évincer la
vocation subsidiaire de la loi du for pour lui substituer la vocation subsidiaire des liens les
plus étroits. En outre, si l’office du juge classique peut être contrarié par la défaillance des
éléments de rattachement, il peut aussi être perturbé par l’accord procédural que peuvent
conclure les parties au moment du litige.

§ 2 – L’EVICTION DE LA REGLE DE CONFLIT APPLICABLE PAR LE RECOURS


DISCUTABLE A L’ACCORD PROCEDURAL

1520. Si la mise en œuvre classique de la règle de conflit par le juge peut être
perturbée par la défaillance des rattachements, elle peut également l’être par les parties. En
effet, il est reconnu à celles-ci le droit de recourir, dans certains cas, à un accord procédural
dont l’objet consiste à rendre compétente une loi autre que celle désignée par la règle de
conflit normalement applicable. Or, cette permission, qui consiste à fausser le jeu classique de
la règle de conflit, est vraisemblablement autorisée par la nature des droits en cause (A).
Néanmoins, malgré les justifications imputables à son recours, cet instrument demeure aux
antipodes d’une méthode conflictuelle neutre et égalitaire (B).

2053
Cf. supra § 988 et s.

667
A. LA MISE A L’ECART DE LA REGLE DE CONFLIT AUTORISEE PAR LA NATURE
DES DROITS EN CAUSE

1521. Parallèlement à la défaillance des rattachements, l’accord procédural peut


également constituer un élément perturbateur de l’office du juge. En effet, l’accord procédural
peut conduire, contrairement à l’application qui peut être faite par le juge des règles de droit
international privé, à remettre en cause la loi normalement applicable. Néanmoins, ce procédé
demeure parfaitement compatible avec la construction actuelle de l’office du juge (1). De
plus, l’admission de l’accord procédural au sein de cet encadrement juridique se justifie au
regard de la nature des droits en cause c’est-à-dire les droits disponibles (2).

1) La remise en cause de la loi applicable compatible avec l’office du juge


1522. En droit positif, la remise en cause de la loi initialement applicable est admise
dans l’hypothèse d’un accord procédural, lequel consiste à fausser le résultat éconduit en
principe par la règle de droit international privé (a). Néanmoins, l’admission jurisprudentielle
de ce type d’accord s’installe en parfaite cohérence avec les règles actuelles pratiquées en
matière d’office du juge (b).

a) L’éviction du résultat éconduit par la règle de conflit grâce à l’accord procédural


1523. L’admission jurisprudentielle de l’accord procédural. L’office du juge peut
être perturbé par la production d’un accord procédural lequel a été consacré par la Cour de
cassation depuis l’arrêt Hannover International de 1997 2054 . L’accord procédural permet
« aux plaideurs (…) de demander l’application au fond du litige d’une loi différente de celle
que désigne la règle de conflit de lois »2055. En effet, la Cour de cassation, sur la base de
l’article 12 alinéa 3 du Code de procédure civile2056, a autorisé les parties « à substituer une
autre règle à celle qui est normalement applicable »2057.
1524. Une reconnaissance cantonnée aux droits disponibles. Ainsi, dès lors que les
parties ont la libre disposition de leurs droits2058, elles peuvent, à l’occasion d’un litige, passer
un accord exprès permettant d’appliquer à leur différend une autre loi que celle désignée par

2054
Cass., Civ. 1ère, 6 mai 1997, Hannover International, n°95-15.309, RCDIP 1997, p. 514, note B. Fauvarque-
Cosson ; JDI 1997, p. 804, note D. Bureau ; GAJFDIP, n°84.
2055
D. Bureau, « L’accord procédural à l’épreuve », RCDIP 1996, p. 587.
2056
« Toutefois, (le juge) ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu
d’un accord exprès, et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de
droit auxquels elles entendent limiter le débat ».
2057
B. Fauvarque-Cosson, op. cit., § 102.
2058
Cass., Civ. 1ère, 19 avr. 1988, Roho, n°85-18.715, RCDIP 1989, p. 68, note H. Batiffol ; Dalloz 1988,
somm. 345, obs. B. Audit.

668
la règle de conflit normalement applicable par le juge. Pour cela, l’accord procédural doit
revêtir une forme « d’accord exprès » c’est-à-dire qu’il doit être « simplement clair ou
manifeste »2059. De plus, il doit porter sur des droits dont les parties ont la libre disposition,
dont la nature sera appréciée « strictement (au regard) du seul objet du litige soumis au
juge »2060. Il s’agit d’une « approche analytique »2061 dont l’objet consiste à ne pas se référer
purement et simplement à des matières disponibles, mais à décortiquer, dans chaque cas, s’il
est question d’un droit (et non d’une matière) disponible. En outre, il est parfaitement reconnu
la possibilité pour les parties d’écarter le jeu des règles de conflit par le biais d’un accord
procédural. En d’autres termes, cela signifie que l’office du juge tel qu’il est conçu en droit
positif français peut être contrarié par la volonté des parties. Néanmoins, il semble que cette
contrariété soit cohérente avec la construction du système actuel.

b) La cohérence de l’accord procédural avec l’office du juge


1525. Il est admis que les règles de conflit relatives à des droits indisponibles doivent
obligatoirement être appliquées par le juge dans l’hypothèse du silence des parties. A
contrario, lorsque ces règles se réfèrent à des droits disponibles, le juge n’a pas l’obligation
de les appliquer. Dans la mesure où le juge n’est pas obligé d’appliquer les règles de conflit
parce qu’il s’agit de droits disponibles c’est-à-dire de droits dont les parties peuvent librement
disposer, il semble cohérent d’admettre que celles-ci aient la possibilité de conclure un accord
procédural à l’occasion d’un litige. En effet, puisque les règles de conflit en matière de droits
disponibles ne sont pas obligatoires, il paraît logique que les parties puissent conclure un
accord dont l’effet consistera à appliquer une autre loi que celle normalement applicable. De
plus, même si les parties ne concluent pas un accord procédural, si elles ne soulèvent pas
l’internationalité du litige, et que le juge n’use pas de sa faculté d’appliquer les règles du droit
international privé, il est tout aussi probable que le résultat soit différent que celui escompté
par l’application des règles de droit international privé. En effet, dans cette hypothèse, sera
appliquée la loi du for alors qu’il ne s’agit pas nécessairement de la loi applicable en vertu des
règles de conflit. Par conséquent, dans la mesure où les règles de conflit relatives aux droits
disponibles sont par nature facultatives, il est totalement correct d’admettre les accords
procéduraux au regard de l’office du juge actuel. De plus, outre l’adéquation de cette

2059
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 327.
2060
P. Hammje, « L’accord procédural des époux sur la compensation du divorce », RCDIP 2010, p. 344.
2061
Ibid.

669
reconnaissance juridique avec l’office du juge actuel, l’admission de l’accord procédural se
justifie par la nature même des droits en cause.

2) L’admission de l’accord procédural au regard de la nature des droits en cause


1526. Inséré dans une construction juridique spécifique à l’office du juge en droit
international privé, le recours à l’accord procédural semble parfaitement justifié pour d’autres
raisons que celle de la cohérence. En effet, l’accord procédural est admis au regard de la prise
en compte naturelle de l’autonomie de la volonté en matière de droits disponibles (a). Ainsi,
eu égard à la volonté des parties, l’accord procédural doit être reconnu afin de constituer un
correctif au pouvoir facultatif du juge en matière de droits disponibles (b).

a) La prise en compte naturelle de l’autonomie de la volonté


1527. L’accord procédural justifié par la libre disposition des droits en cause. La
reconnaissance de l’accord procédural se justifie par la vocation naturelle de laisser une part
d’autonomie à la volonté des parties au regard des droits dont elles ont la libre disposition. En
effet, au regard de la jurisprudence établie par la Cour de cassation, « le champ d’application
(de l’accord procédural) n’est pas limité à la matière contractuelle (…) mais s’étend à tout
différend portant sur un droit disponible »2062. Dans la mesure où les parties possèdent la libre
disposition de leurs droits, il est naturel que leur volonté soit prise en compte quant à la loi qui
sera appliquée à leur situation internationale. C’est pourquoi sous couvert de l’autonomie de
la volonté, il est admis que les parties puissent conclure un accord procédural à l’occasion
d’un litige lorsque celui-ci vise des droits disponibles.
1528. L’accord procédural justifié par la prise en compte de la volonté des
parties. De plus, si les règles de droit international privé sont écartées en matière de droits
disponibles, et que le jeu de la méthode conflictuelle est faussé, c’est bien parce qu’il est
laissé ou plus précisément qu’il doit être laissé une place à l’autonomie de la volonté. Or, si
celle-ci entache la fonction conflictuelle en détournant son objectif de localisation, elle assure
à l’inverse une fonction substantielle permettant aux parties d’atteindre le résultat auquel elles
pouvaient légitimement prétendre. Ainsi, ce sont la nature des droits en cause qui justifient, au
regard de l’autonomie de la volonté, d’admettre la possibilité de recourir à un accord
procédural. En outre, il s’agit également d’un correctif au pouvoir facultatif du juge.

2062
C. Kohler, « L’autonomie de la volonté en droit international privé : un principe universel entre libéralisme
et étatisme », RCADI, 2013, vol. n°359, § 25.

670
b) Le correctif au pouvoir facultatif du juge en matière de droits disponibles
1529. Si l’admission de l’accord procédural s’inscrit en parfaite cohérence avec la
construction de l’office du juge actuel, ce n’est pas seulement à raison du fait que le juge n’a
pas l’obligation d’appliquer les règles de droit international privé en matière de droits
disponibles. Il s’agit, plus précisément, d’un correctif au pouvoir facultatif dont peut user le
juge de soulever la règle de droit international privé dans l’hypothèse du silence des parties à
propos d’un litige relatif à des droits disponibles. En effet, « le caractère facultatif de la règle
de conflit en matière de droits disponibles va de pair avec la possibilité laissée aux parties
d’exclure d’un commun accord l’application de la règle de conflit » 2063 . Ainsi, il a été
considéré que, dans la mesure où le juge n’a pas l’obligation d’appliquer la règle de droit
international privé en matière de droits disponibles, il semble parfaitement cohérent de laisser
la possibilité aux parties de conclure un accord procédural. De surcroît, puisque le juge
possède la faculté d’appliquer tout de même la règle de conflit, il doit être permis aux parties
de contrecarrer ce pouvoir en recourant à un accord procédural. Ceci se justifie au regard de la
nature des droits en cause, lesquels étant à la libre disposition des parties, doivent garantir la
prise en compte de leur volonté. En outre, ces règles étant considérées par nature facultatives
au regard de l’office du juge actuel, elles ne peuvent être imposées aux parties. Ainsi, la
construction juridique de l’office du juge basée sur la distinction des droits disponibles et
indisponibles justifie l’admission de l’accord procédural en droit positif. Cependant, si son
recours est motivé par l’encadrement juridique existant, il est toutefois contestable au regard
de la méthode conflictuelle protectrice des objectifs de neutralité et d’égalité.

B. UN INSTRUMENT AUX ANTIPODES DES OBJECTIFS DE LA METHODE


BILATERALE

1530. Bien que l’accord procédural présente de nombreux avantages et s’accorde


bien avec les règles applicables à l’office du juge, il demeure un outil procédural particulier
qui peut être remis en cause eu égard aux imperfections qui lui sont inhérentes (1). C’est
pourquoi afin de respecter l’égalité de traitement, il serait sans doute préférable que ce
mécanisme soit tout simplement évincé de la méthode conflictuelle (2).

2063
A. Frignati et H. Muir-Watt, « Loi étrangère : autorité de la règle de conflit de lois », Rép. intern. Dalloz, avr.
2017, § 45.

671
1) Un outil procédural à éradiquer eu égard à ses malformations inhérentes
1531. Si l’accord procédural constitue un instrument cohérent et compatible avec
l’office du juge, il n’en demeure pas moins atteint par des imperfections qui conduisent à le
remettre en cause en droit positif. D’une part, il s’avère que sa réalisation est
vraisemblablement confuse et complexe (a). D’autre part, il constitue une option procédurale
relativement contestable eu égard au caractère obligatoire de toute règle de droit (b).

a) La réalisation confuse et complexe de l’accord procédural


1532. Les incertitudes issues de l’accord procédural. Malheureusement si l’accord
procédural coïncide et répond de l’office du juge en droit français, il soulève de nombreuses
difficultés quant à son régime. En effet, si son admission de principe ne fait plus l’objet de
discussion, sa mise en œuvre semble relativement floue à l’égard de différents points. Par
conséquent diverses interrogations sont suscitées à propos de l’accord procédural, notamment
les suivantes : « celui-ci étant lié à la libre disposition des droits, faut-il déterminer ce
caractère en contemplation de la lex fori ou de la lex causae ? Les parties peuvent-elles écarter
seulement la règle de conflit du for, ou peuvent-elles désigner une autre loi ? L’accord doit-il
être exprès ou peut-on se contenter d’un accord certain ? La dérogation demeure-t-elle
concevable lorsque la matière est régie par une convention internationale ? »2064. Ainsi, toutes
ces problématiques conduisent à considérer que le régime de l’accord procédural fait encore
l’objet de nombreuses incertitudes.
1533. Les interrogations issues du critère de droits disponibles. Premièrement, le
problème de la référence à la disponibilité des droits relatif à l’office du juge se transcrit à
l’hypothèse de l’accord procédural. En effet, se pose la question de savoir selon quelle loi
doivent être identifiés les droits disponibles c’est-à-dire la loi du for en tant
qu’« interprétation de la règle de conflit » ou la loi étrangère en tant que loi « qu’il s’agit de
faire respecter »2065. Plus fondamentalement, « cela revient à se demander à quoi les parties
renoncent exactement : la règle de conflit ou la loi éventuellement désignée »2066. De plus, si
un choix est opéré en faveur de l’une ou l’autre loi, il demeure que l’identification reste
relativement complexe puisqu’il n’existe pas de définition spécifique des droits disponibles

2064
D. Bureau, « L’accord procédural à l’épreuve », op. cit., § 3.
2065
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 327.
2066
Ibid.

672
permettant une reconnaissance parfaite 2067 . Les défauts imputables à l’office du juge se
présentent également pour l’accord procédural2068. En outre, afin de déterminer la nature des
droits, la Cour de cassation a considéré qu’il fallait se livrer à une approche analytique selon
les droits en cause c’est-à-dire par référence au seul objet du litige soumis au juge. Or, une
telle méthode « tend à compliquer la mise en œuvre de l’office du juge » et en pratique
« conduit au dépeçage d’un même litige, soit du fait de la coexistence en celui-ci de droits
disponibles et indisponibles, soit du fait des contingences procédurales d’un degré à
l’autre »2069. Par conséquent, la mise en pratique de l’accord procédural eu égard à la notion
de droits disponibles complexifie véritablement la tâche du juge et invite à un traitement
variable selon la juridiction saisie.
1534. L’effet incertain de l’accord procédural. Deuxièmement, demeure le
problème de savoir si l’accord procédural a pour objet d’évincer la règle de conflit applicable,
ou en vérité le résultat auquel conduit la règle de conflit normalement applicable. Ce
problème découle du fait de l’incertitude quant à la loi de référence pour l’appréciation de la
disponibilité des droits en cause. Or, il s’avère qu’en pratique, l’accord procédural a sans
doute pour effet d’écarter la règle de conflit puisque la disponibilité des droits est appréciée eu
égard à la lex fori et conformément au caractère facultatif attribué aux règles de conflit en
matière de droits disponibles. Il s’agit toutefois d’une supposition laquelle demeure
contestable en ce qu’elle privilégie l’approche de l’ordre juridique saisi et bloque tout
traitement égalitaire quelle que soit la juridiction saisie.
1535. La forme controversée de l’accord procédural. Troisièmement et
dernièrement, d’autres questions ont pu être soulevées quant à la forme que doit revêtir
l’accord procédural et au fondement juridique à son appui. Originellement, l’accord
procédural, en droit international privé interne, a été fondé sur l’article 12 alinéa 3 du Code de
procédure civile, lequel exige un accord exprès. Or, l’avènement des conventions
internationales, prévoyant la possibilité de faire échec, lors du procès à leur application, est

2067
Voir en ce sens : P. Hammje, « L’accord procédural des époux sur la compensation du divorce », op. cit., p.
344 : « Depuis les jurisprudences Mutuelle du Mans (Cass., Civ. 1ère, 26 mai 1999, n°96-16.361, préc.) et
Hannover international (Cass., Civ. 1ère, 6 mai 1997, n° 95-15.309, préc.), le critère de répartition de l'office du
juge et du pouvoir des parties face à la règle de conflit de lois, tient exclusivement à la libre disponibilité des
droits litigieux. Sans donner de définition de l'évanescente notion de droit disponible, la Cour de cassation
précise (…) les modalités d'appréciation du critère. La nature disponible ou non des droits dépend strictement du
seul objet du litige soumis au juge » dont l’appréciation demeure « fractionnée ».
2068
Cf. supra § 1473 et s.
2069
P. Hammje, « L’accord procédural des époux sur la compensation du divorce », op. cit., p. 344.

673
venu remettre en cause ce régime interne. En effet, il semblerait que la jurisprudence soit allée
« au-delà des bornes posées à l’article 12 alinéa 3 (…) en se déliant des contraintes imposées
par cet article » puisque la Cour de cassation, dans l’arrêt Hannover International, « a pu
admettre que l’accord procédural pouvait résulter de la simple concordance des conclusions
des parties, ce qu’exclut l’article 12 alinéa 3 en droit interne »2070. Ainsi, si originellement
l’encadrement juridique de l’accord procédural se contentait de l’article 12 alinéa 3 du Code
de procédure civile, cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. En réalité, il semblerait que le
droit international privé ait conduit à opérer une distinction, relativement floue entre l’accord
procédural de droit interne fondé sur cet article du Code de procédure civile, et l’accord
procédural de droit international qui peut être fondé par des règles du droit international privé
interne et du droit international privé supranational. Par conséquent, « le traitement dualiste
des accords procéduraux en droit interne et en droit international oblige donc les juges, tant
qu’il persistera, à analyser avec précision la nature de l’accord sur le droit applicable qu’ils
auront relevé, pour en déterminer l’efficacité »2071. De cette manière, l’accord procédural, en
droit international privé ne sera recevable que lorsqu’il aura pour objet de viser « l’application
d’une loi différente de celle qui serait résultée de l’application de la règle de conflit
applicable »2072. Au regard de ces remarques, outre la complexité du raisonnement relative
aux droits disponibles, le juge devra également distinguer s’il s’agit bien d’un accord
procédural de droit international privé ou de droit interne. De plus, il devra également se
demander si l’accord procédural de droit international privé est valable conformément à une
disposition internationale contenue dans un règlement européen ou une convention
internationale. A défaut, il devra fonder son raisonnement sur la jurisprudence de la Cour de
cassation qui demeure relativement incertaine puisqu’il n’est plus de droit positif de
considérer que l’article 12 du Code de procédure civile soit le fondement juridique de l’accord
procédural de droit international, mais bien de droit interne.
1536. Un régime confus vecteur d’aléa. Il ressort de tous ces éléments que le
régime applicable à l’accord procédural est à la fois confus et compliqué à mettre en œuvre.
Ce manque d’encadrement est critiquable dans la mesure où il invite à un aléa de solutions
puisqu’en fonction du juge saisi, l’analyse de ces différents points sera totalement variable. En

2070
A. Frignati et H. Muir-Watt, op. cit., § 47, spéc. à propos de l’arrêt suivant : Cass., Civ. 2ème, 14 sept. 2006,
n°05-10.086, Dalloz 2007, p. 1380, note P. Julien.
2071
M.-N. Bachellier, « De la distinction nécessaire entre l’accord procédural interne et l’accord procédural
international, en présence même d’éléments d’extranéité », Gaz. Pal., 13 déc. 2001, n°347, p. 13.
2072
Ibid.

674
outre, toutes ces incertitudes sont sûrement dues à la confusion originelle entre le caractère
facultatif et supplétif des règles de droit international privé.

b) Une option procédurale contestable au regard du caractère obligatoire des règles de


conflit
1537. Une option procédurale issue du caractère confus des règles de conflit en
matière d’office du juge. En admettant à l’origine l’accord procédural en droit international
privé sur la base de l’article 12 alinéa 3 du CPC, le pouvoir accordé aux parties, relativement
au principe du dispositif, a été largement étendu. En effet, « loin de leur offrir la simple
faculté de limiter le débat, ce texte leur permet d’obliger le juge à régler le litige par référence
à des règles de droit qui, dans la rigueur des principes, ne sont pas applicables » 2073 .
Toutefois, cette façon d’envisager l’accord procédural en droit international est possiblement
issue d’une confusion déjà existante au sein de l’office du juge.
Il est considéré, au regard de l’office du juge que certaines règles sont, à son égard,
obligatoires et d’autres facultatives. Or, il est contestable de considérer que certaines règles
sont facultatives à son égard, dans la mesure où, en principe, toute règle de droit est
fondamentalement obligatoire pour le juge 2074 . En revanche, certaines règles de droit sont
impératives, et d’autres supplétives, laissant la possibilité aux parties, pour les règles
supplétives de les écarter en déterminant au préalable par le biais d’une clause de quelle
manière seront régies leurs relations. Malheureusement, il semblerait que le régime de
l’accord procédural se soit construit à l’aune de l’office du juge. Ainsi, parce que certaines
règles de droit international privé, notamment de conflit, sont considérées comme facultatives,
elles peuvent être écartées par les parties via l’accord procédural. Est opérée une sorte
d’amalgame entre le caractère facultatif des règles de conflit à l’égard de l’office du juge et le
caractère supplétif qui pourrait être reconnu à l’égard de ces mêmes règles. Cette confusion a
alors conduit à construire un système entier relatif à l’office du juge et à l’accord procédural
sur des bases potentiellement contestables puisque les règles de droit international privé sont
avant tout, par définition, toutes obligatoires pour le juge. En aucun cas, elles ne sont
facultatives. Par conséquent, l’assimilation postérieure de règles facultatives à des règles
supplétives que les parties peuvent légitimement écarter semble quelque peu hâtive.

2073
B. Fauvarque-Cosson, op. cit., § 102.
2074
Cf. supra § 1481 et s.

675
1538. L’amalgame de l’accord procédural avec l’accord de fond. Véritablement,
l’accord procédural en droit international ne constitue pas une extension de l’accord
procédural en droit interne, lequel consiste pour les parties à passer un accord « sur les
qualifications et points de droit venant limiter le débat judiciaire »2075. Il s’agirait plutôt d’une
sorte de confusion avec l’accord de fond qui consiste lui aussi à déterminer le droit applicable
à la situation internationale, si ce n’est que celui-ci se prend « hors contentieux, lors de la
naissance ou pendant le temps des relations, le plus souvent contractuelles » 2076 entre les
parties. Or, il pourrait être contesté sur le plan procédural de recourir à une sorte d’accord de
fond au moment du litige dans la mesure où celui-ci a pour objet d’outrepasser l’un des
principes directeurs du procès, à savoir le principe du dispositif. De plus, il semblerait que
cette question soit d’autant plus litigieuse que les matières faisant l’objet de droits
disponibles, en droit international privé, laissent la possibilité aux parties de choisir quelle
sera la loi applicable à leurs relations juridiques2077.
1539. Vers une suppression souhaitée de l’accord procédural. Finalement, tant au
regard des difficultés de mise en œuvre de l’accord procédural que de sa justification relative
issue du caractère facultatif des règles de conflit, il semble qu’il soit quelque peu contestable
quant à son maintien en droit positif. En effet, outre l’amalgame dont il est issu, il demeure en
tout état de cause, relativement difficile à réaliser en pratique. Par conséquent, il est
susceptible d’aléa en termes d’application, mais aussi de favoritisme en fonction de la
politique législative prônée par le juge saisi ou l’ordre juridique en cause. Simplement au
regard de ces considérations, il serait sans doute préférable d’en faire un usage très mesuré,
voire même de le supprimer. Or, il semble qu’en abolissant l’office du juge actuel, il soit
également envisageable de supprimer l’accord procédural de droit international.

2) L’éviction suggérée de l’accord procédural par respect de l’égalité de traitement


1540. En considérant un système un et entier construit sur une méthode conflictuelle
unique consistant à retenir le rattachement aux liens les plus étroits quelle que soit la situation
en jeu, il serait envisageable de supprimer l’accord procédural (a). Or, cette abolition

2075
M.-N. Bachellier, op. cit., p. 13.
2076
Ibid.
2077
Par ex. art. 3 du règlement (CE) n°591/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelle, Rome I, lequel prévoit que « Le contrat est régi par la loi choisie par les
parties ».

676
permettrait de préserver la fonction conflictuelle du droit international privé, et
conséquemment, neutralité et égalité de traitement (b).

a) La suppression de l’accord procédural par la méthode unique des liens les plus étroits
1541. En reprenant le concept selon lequel toutes les règles de conflit doivent être
appliquées dans la mesure où elles sont des règles de droit, et en considérant que la méthode
conflictuelle doit s’en tenir au rattachement unique aux liens les plus étroits 2078 , il serait
possible d’envisager l’abandon de l’accord procédural de droit international. En effet, si dans
chaque situation internationale est appliquée l’unique règle de conflit des liens les plus étroits,
il n’est plus nécessaire de recourir à l’accord procédural. Or, si le droit des conflits de lois
retient cette règle de conflit, elle doit être encadrée par un faisceau d’indices propres à la
catégorie de rattachement en cause. Ainsi, pour les matières où les parties possèdent la libre
disposition de leurs droits, l’un des facteurs de rattachement à prendre en compte est par
nature celui de l’autonomie de la volonté. Il s’agit d’un critère de rattachement primordial
dans la détermination des liens les plus étroits. Par conséquent, en admettant que la loi qui
présente les liens les plus étroits, en matière de droits disponibles, prenne en compte
l’autonomie de la volonté, il n’est plus véritablement nécessaire de donner la possibilité aux
parties de recourir à un accord procédural au moment du litige puisque leur volonté est prise
en compte quoi qu’il en soit. De cette manière la vocation naturelle à prendre en compte la
volonté des parties en matière de droits disponibles est respectée malgré l’absence d’accord
procédural. En outre, en recourant à la méthode unique des liens les plus étroits, est également
respectée la méthode conflictuelle.

b) L’abolition de l’accord procédural nécessitée par la justice conflictuelle


1542. Une abolition justifiée par la fonction localisatrice de la discipline. En
adoptant la méthode unique des liens les plus étroits, l’autonomie de la volonté sera prise en
compte en matière de droits disponibles, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un accord
procédural. Cependant, cette méthode ne va pas se contenter de prendre en compte le facteur
de rattachement tenant à l’autonomie de la volonté, elle va respecter la justice conflictuelle en
permettant une approche, non plus substantielle, mais localisatrice du rapport de droit. Ainsi,
cette technique sera plus à même de traiter de manière réaliste la situation internationale qui
lui est soumise. En effet, le risque en recourant à un accord procédural consiste pour les

2078
Cf. supra § 985, 986 et 987.

677
parties à rendre une loi applicable qui ne présente aucun rattachement avec la situation
internationale. Par conséquent sera privilégiée la justice substantielle à la justice conflictuelle.
Or, une telle conception est contraire à l’esprit de la discipline qui tend à soumettre le rapport
de droit à une loi avec laquelle il présente un lien. Plus précisément, l’accord procédural
pourrait finalement ouvrir la voie à la fraude à la loi en appliquant une loi parfaitement
étrangère à la situation internationale.
1543. Une abolition souhaitée au regard de l’égalité de traitement. De surcroît, la
suppression de l’accord procédural mettra un terme à l’aléa qu’il peut engendrer. Tout comme
pour l’office du juge, sera supprimée l’éternelle interrogation relative à la disponibilité des
droits en cause et ainsi les solutions divergentes n’auront plus lieu d’être. Finalement, le
recours à la méthode des liens les plus étroits permettra de préserver la justice conflictuelle à
laquelle aspire le droit des conflits de lois consistant à analyser de manière neutre le rapport
de droit et à appliquer une méthode équivalente, quelle que soit la situation.
1544. La réformation inévitable du régime d’application de la règle de conflit.
En conclusion, le régime applicable à la règle de conflit au moment de son déclenchement est
contestable sous l’angle des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. En effet, qu’il
soit question de l’office du juge, de la vocation subsidiaire de la lex fori, ou encore de l’accord
procédural, chacun de ces points de droit se concilie mal avec l’idéologie que prône la
méthode conflictuelle dans la mesure où ils engendrent un gros risque d’arbitraire du juge et
d’aléa dans le traitement des situations internationales. C’est pourquoi afin de respecter la
neutralité de la méthode, et l’égalité de traitement qu’elle implique, ce régime devrait
intégralement être remis en cause. De plus, si le régime relatif à la règle de conflit au stade de
sa mise en œuvre est critiquable, il convient de s’interroger également sur le régime
applicable à la loi matérielle désignée par la règle de conflit. En effet, l’application
traditionnelle de la loi étrangère par le juge fait, elle aussi, l’objet d’un encadrement
spécifique en droit international privé, lequel doit également être analysé sous l’angle d’une
méthode conflictuelle neutre et égalitaire.

SECTION 2 : LE MAINTIEN QUASI UNANIME DU REGIME D’APPLICATION DE LA


LOI MATERIELLE COMPETENTE

1545. Si la mise en œuvre de la règle de conflit par les juges du fond fait l’objet d’un
encadrement, l’application de la loi matérielle qui en découle en fait également l’objet. D’une
part, est appliqué un régime spécifique à l’application de la loi matérielle par les juges. En
d’autres termes, dans la mesure où il peut s’agir de la loi étrangère, des règles spécifiques ont

678
nécessairement dû s’imposer notamment eu égard au statut accordé à la loi étrangère, ainsi
qu’au régime imputable à la charge de la preuve. Or, il s’avère que dans l’ensemble, sauf
certaines exceptions, ces règles propres au droit international privé sont plutôt enclines à
favoriser l’égalité de traitement entre les justiciables (sous-section 1). D’autre part,
l’application de la loi matérielle par les juges du fond est contrôlée par la haute juridiction en
droit international privé et peut conduire à la censure de leurs décisions. Une nouvelle fois,
puisque la loi applicable peut indubitablement être une loi étrangère, il a été également
essentiel d’organiser un régime particulier en matière de censure dans l’application de la loi
étrangère. Comme pour l’application de la loi étrangère, cet encadrement juridique s’inscrit
dans une perspective d’égalité de traitement respectueuse de la méthode conflictuelle.
Néanmoins, au regard de certaines exceptions, ce contrôle peut s’y avérer réfractaire (sous-
section 2).

SOUS-SECTION 1 : L’APPLICATION DE LA LOI MATERIELLEMENT DESIGNEE


ENCLINE A L’EGALITE DE TRAITEMENT

1546. Au stade de l’application de la loi matérielle désignée par la règle de conflit,


l’égalité de traitement est relativement peu mise à mal puisque le régime applicable tant au
statut reconnu à la loi étrangère qu’à la charge de la preuve est vecteur de traitement
équivalent pour les justiciables devant les juridictions (§ 1). Néanmoins, il existe certaines
hypothèses exceptionnelles pour lesquelles un régime dérogatoire subsiste notamment au
regard de l’établissement du contenu de la loi étrangère. Eu égard à ces différentes exceptions,
l’égalité de traitement est parfois mise à mal dans la mesure où les effets de la méthode
conflictuelle sont biaisés. C’est pourquoi il serait préférable d’y remédier afin de préserver
l’égalité de traitement, laquelle est garantie en principe au stade de l’application de la loi
matérielle compétente (§ 2).

§ 1 – LA DEFENSE DE LA JURIDICITE DE LA LOI ETRANGERE ET DE


L’ETABLISSEMENT DE SON CONTENU PAR LE JUGE

1547. Au stade l’application de la loi matériellement désignée par la règle de conflit,


il convient une nouvelle fois de respecter l’égalité de traitement à laquelle peuvent prétendre
les sujets de droit. Or, celle-ci est assurée par le statut juridique attribuée à la loi étrangère,
lequel permet une application uniforme de la loi matérielle désignée (A). De plus, elle est
également garantie par la rationalité du régime pratiquée en matière de charge de la preuve
puisque celui-ci s’est construit sous l’égide du principe d’égal accès au droit (B).

679
A. L’APPLICATION UNIFORME DE LA LOI MATERIELLE DESIGNEE EN TANT QUE
REGLE DE DROIT

1548. La règle de conflit « prescrit au juge l’application soit d’une loi étrangère, soit
de la loi française »2079. Or, s’est posée la question du statut qui devait être accordé à la loi
étrangère lorsqu’elle est désignée comme matériellement applicable. Incontestablement, celle-
ci doit être appliquée en tant que règle de droit (1). Il s’agit du préalable nécessaire à un
traitement neutre et égalitaire des situations internationales (2).

1) L’application incontestée de la loi étrangère comme règle de droit


1549. Si la règle de conflit peut conduire à appliquer la loi étrangère, une
interrogation a pu être soulevée quant à la considération donnée à celle-ci. Néanmoins, il
semble qu’au regard de son statut de règle de droit, la loi étrangère ne puisse être assimilée à
un fait (a). Par conséquent, elle doit nécessairement être reconnue comme du droit (b).

a) La loi étrangère statutairement inassimilable à un fait


1550. La loi étrangère anciennement assimilée à du fait. Il a été longtemps
considéré que lorsque la règle de conflit avait pour conséquence de désigner la loi étrangère,
celle-ci était appliquée comme du fait. Ainsi, la jurisprudence française opérait une distinction
entre la loi française et la loi étrangère en établissant « un ensemble de directives » qui
« conduisait à traiter la loi étrangère autrement que la loi française et, ce faisant, à accréditer
l’idée que la loi étrangère n’est pas une règle de droit »2080. En effet, en considérant, d’une
part, que le contenu de la loi étrangère devait être établi par les parties, et d’autre part, que
l’interprétation faite par les juges du fond de la loi étrangère ne pouvait être contrôlée par la
Cour de cassation, la loi étrangère n’était pas assimilée à du « droit »2081. Ainsi, étant traitée
comme un fait, « il n’y avait qu’un pas (à franchir) » pour « dire qu’elle était un fait »2082.
1551. La force juridique de la loi étrangère issue des règles de conflit nationales.
Néanmoins, il semble quelque peu hâtif de considérer que la différence de régime dans
l’application de la loi étrangère et de la loi du for constitue une raison suffisante pour reléguer
la loi étrangère au rang de fait. La divergence de traitement ne peut conduire à soustraire la loi
étrangère de toute sa force juridique. C’est pourquoi « de nombreux juristes ont été choqués
par l’affirmation selon laquelle la loi étrangère ne serait pas une règle de droit et s’accordent

2079
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 323.
2080
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 350.
2081
Ibid.
2082
Ibid.

680
(…) à admettre que, même étrangère, la loi renferme une certaine dose de juridicité »2083.
Cette position était déjà soutenue au XXème siècle notamment par Bartin lequel considérait
que lorsque « la loi étrangère s’applique en France, elle s’y applique parce que le législateur
français – ou la jurisprudence française qui le supplée – considère cette application comme
juste, comme répondant à un principe de droit »2084 . En effet, « la règle de conflit du for
lorsqu’elle désigne une loi étrangère, donne l’ordre aux autorités du for de ne pas écarter la loi
étrangère désignée au seul motif de son extranéité »2085. De ce constat, Bartin en tirait deux
conséquences. D’une part, « le système français du conflit des lois reste dans la plus étroite
dépendance de la souveraineté française et de la loi française, parce que c’est d’elles qu’il
tient sa force obligatoire pour le juge français »2086. D’autre part, « la loi étrangère, lorsqu’elle
est appliquée, en conséquence du système français du conflit de lois, par le juge français, doit
être appliquée par lui comme il appliquerait, dans le même cas, la loi française, avec les
mêmes garanties, et s’il y a lieu, avec les mêmes réserves »2087. Véritablement, l’approche de
Bartin relative au statut accordé à la loi étrangère est juste. Dans la mesure où la loi étrangère
est appliquée par le juge français grâce à l’application de ses propres règles de conflit, elle
doit être traitée comme la loi française. Il faut en déduire que la différence de régime qui peut
être imputée à la loi française et à la loi étrangère n’est pas issue de leur différence de statut,
l’une étant plus une règle de droit que l’autre. En réalité, la seule raison pour laquelle cette
divergence perdure se trouve dans le fait que la loi étrangère est étrangère à l’ordre juridique
français. C’est pourquoi elle fait nécessairement l’objet d’un régime quelque peu différent de
la loi française. En aucun cas, cette différence ne remet en cause son statut de règle de droit.
1552. La force juridique de la loi étrangère issue des règles de conflit
supranationales. En outre, si au XXème siècle, Bartin, unilatéraliste, préconisait déjà de
traiter la loi étrangère comme la loi française dans la mesure où son application est issue de la
mise en œuvre de la règle de conflit du for, l’affirmation n’en est que plus vraie au regard du
développement des règles de conflit régionales et notamment européennes. En effet, si la loi
étrangère doit être traitée de la même manière que la loi française, notamment parce que la loi
étrangère est appliquée grâce aux règles de conflit françaises, ce raisonnement s’applique
davantage lorsque les règles de conflit sont régionales. Dans le cas où la loi étrangère serait

2083
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 350.
2084
E. Bartin, op. cit., § 79.
2085
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 351, spéc. note 1.
2086
E. Bartin, op. cit., § 79.
2087
Ibid.

681
appliquée par l’ordre juridique français par le biais de règles de conflit européennes, il
paraîtrait parfaitement incohérent de traiter différemment la loi étrangère et la loi du for.
Instinctivement, les règles de conflit du for ont certainement tendance à favoriser l’application
de la loi du for, comme le préconisait d’ailleurs Bartin2088. En revanche, les règles de conflit
européennes, faisant partie d’une communauté de droit, ont pour objet de désigner la loi
applicable conformément à une approche conflictuelle bilatérale. Elles n’ont pas pour objet de
désigner la loi de certains Etats par rapport à d’autres. Par conséquent, il semblerait
totalement injustifié de considérer la loi étrangère comme du fait contrairement à la loi du for.
Ainsi, la loi étrangère doit tout simplement être considérée comme du droit.

b) La loi étrangère nécessairement considérée comme du droit


1553. La loi étrangère synonyme de règle de droit. Raisonnablement, la loi
étrangère doit être traitée comme du droit. Comme l’affirmait Holleaux, « quand le juge du
fait doit juger un procès international, (…) il applique la loi étrangère, le droit étranger
exactement au même titre que la loi française ; il n’a aucunement le sentiment d’appliquer une
règle différente et encore moins l’impression de se référer à une circonstance de fait ; il a le
sentiment qu’il applique le code civil italien, suisse, comme le code civil français ; il a
psychologiquement, intellectuellement, le sentiment évident d’accomplir une opération
exactement identique »2089. Par conséquent, « il y a (…) du point de vue psychologique du
juge, une identité ». En effet, le juge, lorsqu’il applique la loi étrangère, l’applique en tant que
règle de droit, au même titre que la loi française. En aucun cas, il ne traite la loi étrangère
comme une circonstance de fait.
1554. La loi étrangère nouvellement considérée comme du droit. Ainsi, il
convient de partir du principe selon lequel « que la loi appliquée soit la française ou une loi
étrangère, la règle de droit est toujours la majeure du syllogisme judiciaire, par sa position
dans le litige elle remplit toujours la même fonction ; les faits constituant la mineure du
syllogisme »2090. Dans la mesure où la loi étrangère constitue une règle de droit, au même titre
que la loi du for, elle doit être considérée comme du droit par l’ordre juridique du for. C’est
pourquoi la Cour de cassation a « en définitive jugé opportun de reprendre à son compte
l’affirmation que la loi étrangère est bien une règle de droit, soustraite au régime procédural

2088
Cf. supra § 133.
2089
D. Holleaux, intervention in « La condition de la loi étrangère en droit français » de J. Maury, op. cit., p.
123-124.
2090
P. Mayer, « L’office du juge dans le règlement des conflits de lois », op. cit., p. 235.

682
du fait conçu pour le procès interne »2091. Désormais le droit positif a pris acte du véritable
statut de la loi étrangère qui doit légitimement être considérée comme du droit, comme toute
règle de droit. Or, une telle estimation revêt une importance en droit international privé afin
de préserver l’égalité de traitement issue de la méthode conflictuelle au stade de l’application
de la loi matérielle.

2) L’application de la loi étrangère comme règle de droit par mesure d’égalité de


traitement
1555. En attribuant à la loi étrangère le même rang que la loi du for, à savoir le statut
de règle de droit, toute loi matérielle désignée par la règle de conflit sera obligatoirement
applicable par le juge afin de respecter une égalité de traitement des sujets de droit (a). De la
même manière, par souci d’égalité de traitement, conformément à la méthode bilatérale, loi du
for et loi étrangère seront appréhendées sur un même pied d’égalité (b).

a) L’application obligatoire de la loi reconnue matériellement applicable


1556. L’application obligatoire de la loi compétente conformément à l’office du
juge revisité. Il paraît important de reconnaître à la loi étrangère son véritable statut dans la
mesure où toute loi matérielle désignée par la règle de conflit doit obligatoirement être
appliquée par le juge. En effet, c’est en considérant que la loi étrangère, en tant que loi
matérielle, était assimilable à un fait, que « le juge du fond n’était pas tenu de l’appliquer
d’office ». Or, dans la mesure où les règles de conflit constituent des règles de droit de l’ordre
juridique saisi, elles doivent obligatoirement être appliquées par le juge et produire leurs
effets, c’est-à-dire conduire à l’application de la loi matérielle compétente. De plus, cela n’a
pas pour conséquence d’évincer la volonté des parties, dès lors que celles-ci voient leur avis
pris en compte par la règle de conflit elle-même au regard du rattachement retenu2092.
1557. Un caractère obligatoire protecteur de la neutralité de la règle de conflit.
Ainsi, en reconnaissant à la règle de conflit le statut de règle de droit2093, tout comme à la loi
étrangère possiblement désignée, l’office du juge doit conduire obligatoirement à appliquer la
loi matérielle issue de la règle de conflit en jeu. Il s’agit du préalable nécessaire à une
méthode neutre. En effet, chaque juge appliquera donc nécessairement la règle de conflit en
jeu, et la loi applicable qui en découle. Aucun libre arbitre du juge ne pourra être pris en

2091
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 351.
2092
Cf. supra § 629.
2093
Cf. supra § 1482.

683
compte dans le traitement de la situation internationale. De la sorte, la subjectivité du juge
sera écartée, et toutes les situations seront traitées de manière identique sous couvert de
l’égalité de traitement. En outre, l’application obligatoire de la loi matérielle désignée, en tant
que règle de droit, conduit à traiter de manière identique loi étrangère et loi du for.

b) L’application sur un pied d’égalité de la loi du for et de la loi étrangère


1558. Le même traitement accordé à la loi du for et à la loi étrangère. En
reconnaissant le même statut à la loi du for et à la loi étrangère c’est-à-dire en les traitant
toutes deux comme des règles de droit, est respectée l’idéologie de la méthode conflictuelle
consistant à placer sur un même pied d’égalité loi du for et loi étrangère. C’est pourquoi il
demeure important de considérer la loi étrangère comme du droit et non comme un fait.
L’objectif de la méthode conflictuelle bilatérale consiste bien à régir les rapports de droit
conformément à une approche localisatrice laquelle peut conduire indifféremment à appliquer
la loi du for ou la loi étrangère, lesquelles seront appliquées dans leurs dispositions matérielles
au même titre.
1559. Neutralité et égalité de traitement garanties. Finalement, en accordant à la
loi étrangère le statut auquel elle peut légitimement prétendre en tant que règle de droit, sont
respectés les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement issus de la méthode conflictuelle.
En effet, l’égalité de traitement des sujets de droit ne peut passer que par une application
équivalente de la loi étrangère et de la loi du for. En sus, si le traitement de la loi étrangère par
le droit positif coïncide avec les aspirations prônées par la méthode conflictuelle bilatérale, il
faut également qu’il en soit de même au regard de l’établissement du contenu de la loi
étrangère.

B. LA RATIONALITE DU REGIME DE LA CHARGE DE LA PREUVE SOUS L’EGIDE DE


L’EGAL ACCES AU DROIT

1560. Hormis la question du statut reconnu à la loi étrangère, celle-ci a dû être


encadrée eu égard à l’établissement de son contenu. C’est pourquoi par mesure de cohérence
avec l’office du juge et le statut juridique reconnu à la loi étrangère, est établi par la Cour de
cassation un régime spécifique en droit international privé, lequel fait peser la charge de la
preuve sur le juge (1). Ce régime, plus que rationnel, assure aux justiciables, un égal accès au
droit, auquel ils peuvent légitimement prétendre (2).

1) Le régime cohérent de la charge de la preuve en droit international privé


1561. Si le régime imputable à la charge de la preuve a subi diverses évolutions en
droit international privé, il est aujourd’hui relativement cohérent. D’une part, en transmettant
684
la charge de la preuve au juge, il s’aligne de manière parfaitement compatible à l’office du
juge (a). D’autre part, il s’inscrit en toute conformité avec le statut juridique qui est reconnu à
la loi étrangère (b).

a) Le régime de la charge de la preuve compatible avec l’office du juge


1562. La charge de la preuve anciennement imputable aux parties. Le régime
applicable à la charge de la preuve en droit international privé a fait l’objet d’une évolution
jurisprudentielle parallèlement à celle que subissait l’office du juge. Ainsi, il était
communément admis depuis la jurisprudence Lautour2094 que l’établissement du contenu de la
loi étrangère incombait aux parties. De plus, il était considéré « sous l’empire (…) de la
jurisprudence Bisbal » que ce principe « était tempéré en raison des dangers de dénaturation
du droit étranger qu’il implique »2095. Plus vraisemblablement, à l’époque, l’office du juge
offrait une simple faculté au juge de faire application des règles de droit international privé
lorsque celui-ci relevait le caractère international de la situation qui lui était soumise. C’est
pourquoi il semblait assez peu cohérent de lui imposer d’établir le contenu de la loi étrangère
dans la mesure où il n’avait pas l’obligation d’appliquer les règles de conflit. A contrario,
lorsque les parties soulevaient l’application des règles de droit international privé et que ces
dernières conduisaient à l’application de la loi étrangère, il leur incombait en conséquence
d’en établir la teneur.
1563. La charge de la preuve nouvellement imputable au juge. Puis, par la suite,
la jurisprudence relative à l’office du juge s’est modifiée à plusieurs reprises pour finalement
imposer, depuis l’arrêt Mutuelle du Mans, au juge d’appliquer obligatoirement les règles de
droit international privé en matière de droits indisponibles. C’est pourquoi quelques années
après la stabilisation de cette jurisprudence, la Cour de cassation a changé de cap pour
s’aligner sur l’office du juge de droit positif. Ainsi, depuis l’arrêt Sporting2096 de 2002, puis
les arrêts Itraco2097 et Aubin2098 de 2005, « le juge est tenu de rapporter par tous moyens, avec
le concours des parties (…) le contenu du droit étranger »2099. Désormais, la charge de la

2094
Cass., Civ., 25 mai 1948, Lautour, préc.
2095
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 330.
2096
Cass., Civ. 1ère, 18 sept. 2002, Sporting, n°00-14.785, RCDIP 2003, p. 87, note H. Muir-Watt ; Dalloz 2003,
p. 1513, note G. Lardeux.
2097
Cass., Com., 28 juin 2005, Itraco, n°02-14.686, RCDIP 2005, p. 645, note B. Ancel ; Dalloz 2005, p. 2748,
note H. Kenfack ; Dalloz 2006, p. 1495, note P. Courbe ; RTD com. 2005, p. 872, note Ph. Delebecque.
2098
Cass., Civ. 1ère, 28 juin 2005, Aubin, n°00-15.734, RCDIP 2005, p. 645, note B. Ancel ; Dalloz 2005, p.
2748, note H. Kenfack et p. 2883, note N. Bouche ; Dalloz 2006, p. 1495, note P. Courbe.
2099
C. Delaporte-Carré, « Le juge et la preuve du contenu de la loi étrangère », D. actualité, 5 janv. 2007.

685
preuve, en droit international privé, incombe au juge. Néanmoins, ce dernier peut réclamer le
concours des parties dans l’établissement du contenu de la loi étrangère2100.
1564. L’alignement harmonieux de la charge de la preuve et de l’office du juge.
L’alignement opéré par la Cour de cassation entre la charge de la preuve et l’office du juge
semble parfaitement cohérent. En effet, « si l’on admet que le juge a le devoir de relever
d’office l’applicabilité de la loi étrangère, il faut également admettre qu’il ne peut rester
inactif au stade de l’établissement concret de la teneur de la loi désignée »2101. C’est pourquoi
« lorsqu’il est tenu de reconnaître la vocation d’une loi étrangère à intervenir ou même
lorsqu’il prend l’initiative de reconnaître cette vocation alors qu’il n’y était pas tenu, le juge
doit procéder à la mise en œuvre effective de cette loi »2102. En effet, le raisonnement s’est
renversé depuis la jurisprudence Mutuelle du Mans. Puisque le juge a l’obligation désormais
d’appliquer les règles de droit international privé en matière de droits indisponibles, il doit,
par conséquent, établir le contenu de la loi étrangère lorsque celle-ci est désignée. Il s’agit
simplement de cohérence2103.
1565. Un régime applicable quelle que soit la nature des droits en cause.
Toutefois, il convient de remarquer que la Cour de cassation ne semble plus distinguer selon
qu’il s’agisse de droits disponibles ou indisponibles en matière de la charge de la preuve.
Ainsi, quels que soient les droits en cause, le juge doit établir le contenu de la loi étrangère
lorsque celle-ci est applicable. Comme a pu l’affirmer le Professeur Muir-Watt, « le
développement des obligations de recherche incombant au juge du fond brouille la

2100
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 1er juin 2016, n°15-13.221, D. actualité, 17 juin 2016, note F. Mélin ; Dalloz
2017, p. 74, note T. Wickers et p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon ; dans lequel la Cour rappelle qu’« il incombe
au juge français, qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher la teneur, soit d’office, soit à la
demande d’une partie qui l’invoque, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à
la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ».
2101
F. Mélin, La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, Thèse, Reims, 2002, PU Aix-Marseille,
2002, § 191.
2102
Ibid., § 192.
2103
Voir en ce sens : T. Vignal, op. cit., § 161 : « Le lien avec le statut procédural de la règle de conflit de lois
apparaît ici avec un relief particulier. Si le juge avait l’obligation d’appliquer d’office la règle de conflit mais que
les parties conservaient l’entière maîtrise de la preuve, l’applicabilité d’office demeurerait bien souvent sans
aucune portée : il suffirait que les parties ne fassent aucun effort pour établir le contenu de la loi étrangère pour
que celle-ci, in fine, ne s’applique pas » ; « Il est dès lors indispensable que le juge doive lui-même, au besoin
d’office, établir le contenu de la loi étrangère ; et de fait, cette solution a été consacrée par la jurisprudence ».

686
distinction » 2104 qui est opérée entre les droits disponibles et indisponibles au regard de
l’office du juge. En effet, il n’est pas opéré un parfait parallèle sur l’office du juge puisqu’en
matière de charge de la preuve, l’obligation faite au juge joue, quels que soient les droits en
cause. Par conséquent, cette position opérée par la Cour de cassation invite à remettre une
nouvelle fois en cause l’office du juge. Il s’agit d’un argument en faveur d’un office du juge
absolu, c’est-à-dire consistant à rendre obligatoire l’application de toutes les règles de droit
international privé par le juge. En effet, il convient de rappeler, comme l’affirmait Monsieur
Mélin, qu’« en refusant d’imposer de manière globale au juge l’obligation de reconnaître la
vocation des lois étrangères à intervenir ainsi que l’obligation de les appliquer, la
jurisprudence pose des obstacles à la réalisation de certains des objectifs du droit international
privé » et notamment celui selon lequel « la loi appliquée doit être celle qui entretient les
relations les plus étroites avec les intérêts en jeu »2105. En outre, si l’office du juge demeure
inadapté en droit international privé, le régime de la charge de la preuve lui semble nettement
plus fidèle. En vérité, si l’évolution jurisprudentielle se marie en parfaite cohérence avec celle
propre à l’office du juge, elle paraît simplement fondée eu égard au statut désormais reconnu
à la loi étrangère.

b) La charge de la preuve conforme au statut juridique de la loi étrangère


1566. Un régime né du statut juridique reconnu à la loi étrangère. Dans leur traité
de droit international privé, Batiffol et le Professeur Lagarde affirmaient déjà que « le droit
comparé révèle une hésitation, selon que la loi étrangère est perçue comme un élément de fait
ou de droit, entre les systèmes qui confient aux parties le soin de prouver le contenu de la loi
étrangère et ceux qui font obligation au juge de la rechercher d’office »2106. Or, il est admis
par l’ordre juridique français que la loi étrangère doit être considérée comme du droit. Par
conséquent, la Cour de cassation, en reconnaissant le véritable statut de la loi étrangère, c’est-
à-dire de règle de droit, ne pouvait qu’aligner son arsenal juridique relatif à la charge de la
preuve. En effet, lorsque la loi étrangère était estimée comme du fait, il semblait logique qu’il

2104
H. Muir-Watt, « Des devoirs du juge dans l’application de la loi étrangère », RCDIP 2003, p. 87, § 5,
laquelle expose que : « Aujourd'hui, le développement des obligations de recherche incombant au juge du fond
brouille la distinction - sans pour autant la faire disparaître. En effet, (…) les arrêts rapportés (Itraco et Aubin)
semblent montrer que dans les litiges d'intérêt privé, l'obligation du juge reste tributaire d'une initiative des
parties, au-delà de l'allégation, mais en deçà de la preuve complète de la loi étrangère. L'équilibre est malaisé.
Soit, en effet, le conflit de lois - et partant les obligations du juge du fond - existent dès le relevé de l'extranéité,
soit on laisse l'intérêt privé jouer pleinement son rôle régulateur. Entre deux chaises, la position adoptée par la
Cour de cassation paraît bien inconfortable ».
2105
F. Mélin, op. cit., 177.
2106
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 331.

687
incombe aux parties d’en rapporter la preuve. Or, à partir du moment où elle est considérée
comme du droit, la charge de la preuve doit nécessairement reposer sur le juge. Il convient de
se rappeler que, si en droit français, la charge de la preuve incombe aux parties, il ne leur est
pas demandé de rapporter la preuve du droit français, mais bien des faits qu’elles allèguent.
Ainsi, la charge de la preuve en droit international privé doit respecter simplement l’adage
selon lequel « la Cour connaît le Droit »2107.
1567. La traduction procédurale de la fonction du juge. Lorsque « la norme
applicable est d’origine française (…) le juge doit rechercher personnellement la règle
juridique qui va trouver application et (…) il ne peut être fait grief aux parties de ne pas avoir
éclairé la juridiction sur le sens et la portée de celle-ci »2108. Il s’agit simplement d’appliquer
les principes qui régissent le procès et qui consistent à considérer que le juge applique le droit
tandis que les parties ont la maîtrise des faits. De ce fait, si la loi étrangère constitue du droit,
alors le juge doit en établir la teneur. En effet, « le juge a et doit avoir la maîtrise de la
détermination concrète de la matière juridique »2109. De surcroît, cela participe à éviter tout
déni de justice 2110 . C’est pourquoi même en droit international privé, il incombe au juge
d’établir le contenu de la loi étrangère. De surcroît, cela permet de garantir aux sujets de droit
une égalité de traitement.

2) L’égal accès au droit assuré par le régime de la charge de la preuve


1568. Grâce au régime applicable en matière de charge de la preuve, l’égalité de
traitement est préservée. En effet, en admettant que celle-ci incombe au juge, il est mis fin à la
rupture d’égalité qui était engendrée lorsque l’établissement du droit étranger incombait aux
parties (a). Désormais, l’égalité d’accès au droit est assurée aux sujets de droit conformément
à la fonction de service public de la justice (b).

a) La rupture d’égalité engendrée par l’établissement du droit étranger par les parties
1569. La différence de moyens matériels à disposition des parties. Dès lors que la
charge de la preuve du droit étranger incombe au juge, est assurée une égalité de traitement
des justiciables. En effet, antérieurement, lorsque les parties devaient établir le contenu de la
loi étrangère, l’égalité de traitement était mise à mal au regard des moyens matériels auxquels
chacune des parties pouvait avoir accès. Contrairement à l’accessibilité des normes à l’égard

2107
F. Mélin, op. cit., § 192, « juris novit curia ».
2108
Ibid., § 193.
2109
Ibid.
2110
M. Attal et A. Raynouard, op. cit., § 830.

688
du juge, celle-ci peut être plus variable pour les parties dans la mesure où elles n’ont pas de
moyens mis spécifiquement à leur disposition pour l’établissement de la loi étrangère.
Classiquement, il est possible d’établir le droit étranger en recourant à des certificats de
coutumes lesquels émanent « d’autorités officielles » et sont accessibles « à la demande d’un
plaideur » 2111 . Cependant, « il(s) ne contien(nent) que des renseignements très généraux,
essentiellement des traductions de textes, et le plus souvent sur des questions ne prêtant pas à
contestation »2112. De plus, « ils sont sollicités par une partie et rémunérés par elle »2113. Par
conséquent, « même dans un débat véritablement contradictoire, il peut exister un
déséquilibre de moyens matériels entre les parties, tel que l’une d’elles parviendra à faire
prévaloir une version du droit étranger qui n’est pas la plus fidèle »2114.
1570. La charge de la preuve imputable aux parties vectrice d’inégalité. Ainsi, il
peut être supposé que l’établissement du contenu de la loi étrangère sera avant tout fonction
de la situation économique respective de chaque partie. Or, il serait une erreur de considérer
que l’établissement du droit soit fonction d’un critère financier, lequel peut engendrer une
rupture d’égalité dans le rapport de la preuve de la loi étrangère. De surcroît, « le certificat de
coutume, outre qu’il entraîne des frais, n’offre pas toute garantie de compétence et
d’impartialité » 2115 . Effectivement, plus que le problème de la situation économique des
parties, celles-ci, au regard des renseignements, qui leur seront fournis, n’auront certainement
pas pu rapporter des preuves considérées comme suffisantes pour établir le contenu du droit
étranger. Il se peut que les renseignements transmis manquent de précisions, mais également
que leurs conseils aient des compétences relativement variables eu égard à la discipline du
droit international privé. Ainsi, le litige sera tranché à l’aune d’un droit étranger
potentiellement peu représentatif du droit positif pratiqué par l’Etat en cause. Par conséquent,
les solutions seront fonction des preuves rapportées par les parties, et varieront d’une
juridiction à l’autre. Or, il ne peut être toléré que la justice soit fonction de l’établissement fait
par les parties du droit étranger.
1571. La fin de la jurisprudence Lautour justifiée par l’égalité de traitement. En
sus, le propre de la justice doit bien consister à traiter tout justiciable de manière équivalente
au regard du droit applicable. C’est pourquoi il était préférable d’abolir la jurisprudence

2111
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 333.
2112
Ibid.
2113
Ibid.
2114
Ibid., § 330.
2115
Ibid., § 333.

689
antérieure afin de garantir aux parties une égalité de traitement au regard des moyens qui sont
mis à leur disposition. Ainsi, en considérant que l’établissement du contenu de la loi étrangère
est imputable au juge, l’égalité des sujets de droit est garantie.

b) L’égal accès au droit des justiciables garanti par le service public de la justice
1572. Un objectif spécifique au service public de la justice. Admettre que la charge
de la preuve du droit étranger soit imputable au juge semble évident dans la mesure où il est
question de normes juridiques et non de données factuelles. Il s’agissait simplement de mettre
en conformité le régime de la preuve avec le rôle du juge. En effet, « le juge (est) au service
des justiciables, non l’inverse »2116. De la même façon, « l’institution judiciaire est un service
public où l’intérêt collectif doit prédominer »2117. Or, comme l’affirmait Monsieur Mélin, « la
sauvegarde de l’intérêt collectif n’est guère compatible avec l’opinion selon laquelle
l’initiative privée devrait être le moteur du procès, surtout lorsque le débat concerne le droit,
et a fortiori le droit étranger »2118. En d’autres termes, c’est bien parce qu’il est question de
droit, et non plus de fait, qu’il revient au juge d’établir le contenu du droit étranger parce qu’il
représente un service public dont l’une des fonctions est d’assurer l’égalité des justiciables.
1573. Un objectif garanti par la fonction du juge. Comme il a pu être
considéré2119, toutes les parties ne sont pas aptes à mener des recherches sur le droit étranger
applicable et « n’ont pas la possibilité de s’adresser aux conseils les plus qualifiés et les plus
familiers des mécanismes du droit international privé et des systèmes juridiques étrangers » ;
tout comme elles « n’ont pas non plus les ressources financières permettant de conduire
jusqu’à leur terme des recherches relatives à un système juridique étranger » 2120 . C’est
pourquoi « le juge (a) l’obligation de déterminer la norme compétente » afin de garantir, eu
égard à l’accès au droit, « que tous les plaideurs (aient) des chances égales de voir leurs
prétentions consacrées »2121. Ainsi, il était inévitable d’attribuer au juge la charge de la preuve
du droit étranger puisqu’il est compétent, au regard de sa fonction, pour établir le contenu du
droit étranger. En effet, les problématiques relatives aux ressources et à l’accessibilité sont
écartées pour laisser place à une égalité de tous devant la justice, même en droit international

2116
F. Mélin, op. cit., § 194.
2117
Ibid.
2118
Ibid.
2119
Cf. supra § 1567 et 1568.
2120
F. Mélin, op. cit., § 195.
2121
Ibid.

690
privé. Il revient simplement au juge d’établir le contenu du droit étranger parce que l’égalité
d’accès au droit relève de ses fonctions.
1574. Le régime d’application de la loi compétente conforme à l’égalité de
traitement. Finalement, le régime applicable en matière de traitement de la loi étrangère et de
charge de la preuve en droit international privé est, au regard de la jurisprudence actuelle, le
système le plus adapté au respect de l’égalité de traitement. C’est pourquoi il convient de le
conserver. Néanmoins, il est certaines situations dans lesquelles ce régime est susceptible de
rupture d’égalité à l’égard des justiciables.

§ 2 – L’APPLICATION UNIFORME DE LA LOI MATERIELLE APPLICABLE


EXCEPTIONNELLEMENT SUSCEPTIBLE DE RUPTURE D’EGALITE

1575. Si la loi matérielle applicable semble, a priori, traitée dans son ensemble
conformément à l’égalité de traitement, celle-ci est parfois mise à mal dans certains cas
exceptionnels. D’une part, cela vise le cas dans lequel se produit une défaillance dans
l’établissement de la loi étrangère. C’est pourquoi il convient de rechercher une solution
neutre consistant à recourir de manière subsidiaire à la loi des liens des plus étroits (A).
D’autre part, cela concerne l’hypothèse de l’accord procédural dans lequel le régime de la
charge de la preuve est remis en cause, lequel invite une nouvelle fois à préconiser sa
suppression (B).

A. LA DETERMINATION D’UNE SOLUTION NEUTRE EN CAS DE DEFAILLANCE


DANS L’ETABLISSEMENT DE LA LOI ETRANGERE

1576. Il est des hypothèses dans lesquelles il s’avère impossible de rapporter le


contenu de la loi étrangère. Face à cette difficulté, la jurisprudence de la Cour de cassation a
considéré que le problème devait être résolu par application du principe de vocation
subsidiaire de la lex fori (1). Néanmoins, si cette solution peut se justifier au regard du régime
applicable en matière de charge de la preuve, il demeure contestable sur le plan de la
neutralité à laquelle doit être soumis le rapport de droit. C’est pourquoi afin de garantir
neutralité et égalité de traitement, il convient de substituer à la vocation subsidiaire de la lex
fori, la loi des liens les plus étroits (2).

1) La vocation subsidiaire de la lex fori en cas d’impossible rapport de la preuve


1577. « Le devoir de recherche du juge du fond a désormais pour seule limite,
également commune à toutes les catégories de contentieux, l’impossibilité matérielle

691
d’accéder au contenu de la loi étrangère »2122. Pour remédier à cette limite, il a été nécessaire
d’écarter la solution consistant à rejeter la prétention des parties conformément au nouveau
régime applicable en matière de charge de la preuve (a). C’est pourquoi par mesure de
sécurité juridique, il a été choisi d’appliquer plutôt la lex fori à titre subsidiaire (b).

a) L’exclusion du débouté conformément à la charge de la preuve


1578. L’application subsidiaire de principe de la lex fori. Dans l’hypothèse où le
contenu de la loi étrangère ne peut être établi, il a fallu déterminer une solution afin de mettre
un terme au litige en question. Au regard de cette difficulté, « deux solutions sont
possibles »2123. L’une « consiste à rejeter la prétention de la partie qui avait la charge de la
preuve c’est-à-dire à la débouter », l’autre « est de substituer la loi du for à la loi étrangère, au
nom du principe de vocation subsidiaire ou générale de la lex fori ». Par conséquent,
longtemps la jurisprudence a oscillé entre ces deux solutions pour résoudre le problème lié à
l’établissement du contenu de la loi étrangère lorsque celui-ci s’avérait impossible.
Néanmoins, la jurisprudence a tranché définitivement en 2006 le débat pour considérer que
« si le juge français qui reconnaît applicable une loi étrangère se heurte à l’impossibilité
d’obtenir la preuve de son contenu, il peut, même en matière de droits indisponibles, faire
application de la loi française à titre subsidiaire »2124. Par conséquent, la solution de principe
consiste à considérer qu’en cas d’impossibilité de rapporter la preuve du droit étranger, la lex
fori s’applique à titre subsidiaire.
1579. Le rejet cohérent du débouté. Cette solution admise par la Cour de cassation
semblait s’imposer eu égard au nouveau régime applicable en matière de charge de la preuve.
A l’heure où la preuve du contenu de la loi étrangère n’est plus imputable aux parties, il
semblait parfaitement contradictoire d’admettre encore un potentiel débouté de leurs
prétentions. En effet, « lorsque cette recherche était essentiellement l’affaire des parties, le
juge devait s’assurer avec un soin particulier de l’impossibilité pour la partie invoquant une
loi étrangère d’établir le contenu du droit étranger (…) ; à défaut, le rejet de la demande, ou
de la prétention était justifié »2125. C’est bien parce qu’il incombait aux parties d’établir le
contenu de la loi étrangère que celles-ci pouvaient être déboutées de leurs demandes à titre de

2122
H. Muir-Watt, « A défaut de preuve de la loi étrangère, la loi française s’applique à titre subsidiaire »,
RCDIP 2007, p. 575.
2123
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 363.
2124
Cass., Civ. 1ère, 21 nov. 2006, Enfant Mikhaïl, n°05-22.002, Dalloz 2007, p. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-
Seseke ; RCDIP 2007, p. 575, note H. Muir-Watt.
2125
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 336.

692
sanction. Or, dans la mesure où ce régime a été évincé par la jurisprudence de la Cour de
cassation. C’est pourquoi il était effectivement préférable de trancher le débat en faveur de la
loi du for afin de garantir une véritable sécurité juridique aux justiciables.

b) L’application subsidiaire de la lex fori par sécurité juridique


1580. Le recours naturel à la vocation subsidiaire de la lex fori. L’application
subsidiaire de la loi du for s’est imposée d’elle-même par mesure de sécurité juridique. En
modifiant le régime imputable à la charge de la preuve, la jurisprudence a nécessairement
impacté la solution relative à l’impossibilité d’établir le contenu de la loi étrangère. En effet,
dans la mesure où désormais il est demandé au juge de rapporter la preuve du droit étranger, il
n’est plus possible de sanctionner la défaillance de celle-ci par le recours au débouté. Ainsi,
« dans un système où c’est le juge qui a l’obligation d’appliquer et de rechercher d’office la
loi étrangère, la défaillance de celle-ci – qui est aussi une défaillance du juge – ne doit pas
pénaliser le demandeur »2126. Par conséquent « tout rejet pur et simple de la prétention n’est
donc pas acceptable » 2127 . Dans la mesure où il n’incombe plus aux parties d’établir le
contenu de la loi étrangère, « le rejet de la demande constituerait un déni de justice, plaçant en
quelque sorte le rapport juridique hors du droit » 2128 . Ainsi, pour ne pas arriver à des
hypothèses de déni de justice favorisant l’insécurité juridique, « il était cohérent (…) de ne
plus faire assumer par l’une des parties le risque du doute subsistant au terme d’une activité
qu’elle n’est plus chargée de mener elle-même à titre principal »2129.
1581. Un recours ferveur de sécurité juridique. En d’autres termes, la solution
relative à la vocation subsidiaire de la loi du for s’est imposée d’elle-même, et par mesure de
sécurité juridique, au regard du régime applicable à la charge de la preuve en droit
international privé. Néanmoins si elle garantit la sécurité juridique, elle n’est sans doute pas
nécessairement la meilleure solution au regard de l’égalité de traitement recherchée par la
méthode conflictuelle.

2) La substitution de la loi des liens les plus étroits à la lex fori


1582. La jurisprudence a tranché le débat relatif au défaut d’établissement du contenu
de la loi étrangère en faveur de l’application subsidiaire de la lex fori puisque la solution
relative au débouté s’avérait incohérente avec le régime de la charge de la preuve actuel. De

2126
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 332.
2127
Ibid.
2128
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 336.
2129
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 363.

693
cette façon, l’application de la lex fori s’est imposée naturellement eu égard à sa vocation
subsidiaire. Néanmoins, cette vocation demeure contraire à la neutralité qui domine la
méthode conflictuelle (a). C’est pourquoi il est suggéré de recourir à une nouvelle technique
consistant à appliquer subsidiairement la seconde loi qui présente les liens les plus étroits (b).

a) L’application naturelle de la lex fori : une vocation contraire à la neutralité de la


méthode conflictuelle
1583. L’application classique du principe de vocation subsidiaire de la lex fori.
Le recours subsidiaire à la lex fori en cas d’établissement impossible du contenu de la loi
étrangère consiste en une solution naturelle, c’est-à-dire qui s’est imposée d’elle-même. En
effet, « le recours à la loi du for au cas où la loi étrangère compétente conserverait son
mystère à l’issue d’une tentative d’exploration demeurée vaine paraît (…) la solution
naturelle » 2130 puisqu’il appartient désormais au juge de déterminer le contenu de la loi
étrangère. Dès lors « que le juge est lui-même tenu dans tous les cas de participer à la
recherche du droit étranger, il est à même de constater le cas échéant le caractère
pratiquement insurmontable des difficultés, et devra seulement s’assurer que les diligences
nécessaires ont été faites avant d’en tirer les conséquences en appliquant la loi française »2131.
En d’autres termes, c’est parce que les parties ne peuvent plus être déboutées de leurs
prétentions que naturellement l’application subsidiaire de la loi du for a été choisie par la
jurisprudence.
En outre, si le choix s’est naturellement opéré en faveur de la lex fori à titre subsidiaire
parce que la charge de la preuve relève désormais de la compétence du juge, cette solution est
véritablement issue de la vocation subsidiaire de la lex fori. En effet, il est considéré, en droit
international privé que, la loi du for possède une vocation subsidiaire c’est-à-dire qu’elle
représente la loi applicable, à titre subsidiaire, en cas de défaillance dans la mise en œuvre de
la règle de conflit. C’est pourquoi cette solution en matière d’établissement de la preuve s’est
naturellement imposée. Le raisonnement consiste à considérer que « l’échec dans la
détermination du contenu de la loi applicable manifeste un dysfonctionnement de la règle de
conflit, dont le facteur de rattachement n’aboutit, au cas d’espèce, à aucune disposition

2130
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 363.
2131
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 336.

694
applicable, ce qui, habituellement, conduit à la mise en place d’un facteur de rattachement
subsidiaire qui peut, en cas de besoin, désigner la loi du for »2132.
1584. Une application de principe contestable en termes de neutralité.
Néanmoins, s’il est communément admis que la lex fori s’applique à titre subsidiaire en cas de
défaillance dans la mise en œuvre de la règle de conflit, cette généralité est toutefois
critiquable. En effet, il convient de rappeler que l’application subsidiaire de la loi du for n’est
justifiée que par un rattachement juridictionnel2133. Vraisemblablement, il est probable que la
situation internationale, qui est soumise à la loi du for, présente des points de rattachement
avec d’autres ordres juridiques. C’est pourquoi en termes de neutralité, il semble que cette
vocation naturelle et subsidiaire de la lex fori soit contestable. Il serait préférable de respecter
les préceptes imposés par la méthode conflictuelle en adoptant une autre solution.

b) Le recours suggéré à la seconde loi qui présente les liens les plus étroits
1585. L’application subsidiaire de la loi des liens les plus étroits. Malgré
l’oscillation de la jurisprudence entre deux solutions c’est-à-dire le débouté ou la lex fori, il
était également envisageable d’opter pour une autre technique. Il convient de maintenir
l’exclusion du débouté dans la mesure où les parties ne sont plus tenues de rapporter le
contenu de la loi étrangère. De la même façon, il faut exclure l’application subsidiaire de la
loi du for dans la mesure où il s’agit d’un choix arbitraire qui peut n’être motivé que par un
rattachement juridictionnel. Il ne fait donc pas nécessairement état de la réalité de la situation
internationale. C’est pourquoi il serait préférable d’appliquer à titre subsidiaire, la loi avec
laquelle la situation présente les liens plus étroits. Il s’agirait donc d’appliquer « la loi
subsidiairement compétente, c’est-à-dire avec laquelle la situation présente les liens de second
rang »2134. En d’autres termes, il s’agirait d’appliquer la loi « considérée comme plus proche
de la loi étrangère normalement applicable »2135.
1586. Une application subsidiaire conforme à l’égalité de traitement. En sus, il
est probable que « celle-ci (soit) fréquemment la loi du for, du fait même des liens qui
justifient la compétence juridictionnelle »2136. Néanmoins, la loi du for sera appliquée parce
qu’elle présente de véritables liens avec la situation internationale et non parce qu’elle

2132
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 363.
2133
Cf. supra § 1512.
2134
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 337.
2135
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 332.
2136
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 337.

695
possède une vocation naturelle et subsidiaire à s’appliquer. Quelle que soit la loi qui sera
désignée, celle-ci sera dotée d’une véritable légitimité en termes d’application. En effet,
conformément à la méthode conflictuelle classique, le rapport de droit sera régi au regard
d’une approche localisatrice, c’est-à-dire neutre. De cette façon, les objectifs de neutralité et
d’égalité de traitement de la méthode conflictuelle seront préservés puisque la situation
internationale sera encadrée de manière réaliste et non arbitraire. Finalement, si les principes
établis à l’égard du traitement de la loi étrangère et du régime de la charge de la preuve
doivent être conservés, le règlement du problème relatif à l’établissement de la loi étrangère
doit être révisé. Or, pour respecter l’égalité de traitement, il faut opter pour une application
subsidiaire de la loi qui présente les liens les plus étroits. Toutefois, une autre exception
propre à l’accord procédural peut remettre en cause l’égalité de traitement.

B. L’EGALITE DE TRAITEMENT MISE A MAL PAR LA CHARGE DE LA PREUVE EN


MATIERE D’ACCORD PROCEDURAL

1587. Si la preuve du contenu de la loi étrangère s’avère parfois difficile pour le juge
et les parties, elle peut également faire l’objet d’un régime d’exception en matière d’accord
procédural. En effet, la charge de la preuve semble être modifiée lorsque les parties
choisissent la loi applicable à leur litige. Or, cette différence de traitement est contestable
puisqu’elle constitue un frein à l’égalité de traitement (1). C’est pourquoi il convient de
remettre en cause ce régime afin de préserver l’égalité de traitement issue de la méthode
conflictuelle (2).

1) Le régime contestable de la preuve en matière d’accord procédural


1588. Si en principe la charge de la preuve incombe au juge, celle-ci semble a priori
et par exception imputable aux parties (a). Or, cette différence de régime avec les situations
régies classiquement par une règle de conflit provoque une rupture d’égalité entre les sujets de
droit placés dans une situation identique (b).

a) La charge de la preuve incombant aux parties en matière d’accord procédural


1589. La portée limitée de la jurisprudence Sporting à la mise en œuvre des
règles de conflit par le juge. Depuis les arrêts Sporting2137, puis Itraco et Aubin2138, il est
admis que la charge de la preuve incombe au juge, quelle que soit la nature des droits en

2137
Cass., Civ. 1ère, 18 sept. 2002, Sporting, n°00-14.785, préc.
2138
Cass., Com., 28 juin 2005, Itraco, n°02-14.686, préc. ; et Cass., Civ. 1ère, 28 juin 2005, Aubin, n°00-15.734,
préc.

696
cause. Néanmoins, celui-ci peut demander le concours des parties pour y procéder.
Véritablement, la Cour de cassation, dans les arrêts Itraco et Aubin, a considéré qu’il
« incombe au juge qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office,
soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et
personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au
droit positif étranger »2139. En adoptant cette formule, il a été considéré que le juge, quelle que
soit la nature des droits en cause, se voyait attribuer la charge de la preuve. Cependant, la
formule de la Cour de cassation fait explicitement référence aux problématiques liées à
l’office du juge. En effet, en employant la formule « soit d’office, soit à la demande d’une
partie », la haute cour vise l’office du juge actuel. En d’autres termes, le juge doit rechercher
le contenu de la loi étrangère, lorsque celle-ci est appliquée d’office en matière de droits
indisponibles ou lorsque celle-ci est appliquée à la demande de l’une des parties en matière de
droits disponibles. Par conséquent, la formule consiste indéniablement à considérer que le
juge doit rechercher la teneur de la loi étrangère lorsque celle-ci émane de l’application d’une
règle de conflit que celle-ci ait été appliquée d’office par le juge ou à la demande des parties.
En revanche, cela n’implique pas nécessairement que cette règle vise l’accord procédural
lequel consiste en un accord entre les parties dont l’objet est de choisir la loi applicable au
litige, mais surtout d’évincer la règle de conflit normalement applicable. C’est pourquoi au
regard de la formule employée par la Cour de cassation, il serait possible de s’interroger sur la
portée de cette jurisprudence à son égard.
1590. La charge de la preuve de l’accord procédural soumise à la jurisprudence
ancienne. En appliquant strictement la formule de la Cour de cassation, il devrait être
considéré que l’accord procédural demeure soumis à la jurisprudence ancienne puisque
l’accord procédural n’est pas issu de la mise en œuvre d’une règle de conflit. C’est pourquoi il
devrait être opéré un retour en arrière jusqu’à l’arrêt Lautour2140 dans lequel « la Cour de
cassation confia (…) la charge de la preuve de la loi étrangère à l’auteur d’une prétention
régie par cette loi »2141. En effet, à l’origine, la jurisprudence relative à la charge de la preuve
en droit international privé ne se souciait pas des fondements juridiques et notamment des
règles de conflit à l’appui de l’invocation de la loi étrangère. Il peut donc être opéré un

2139
Cass., Com., 28 juin 2005, Itraco, n°02-14.686, préc. ; et Cass., Civ. 1ère, 28 juin 2005, Aubin, n°00-15.734,
préc.
2140
Cass., Civ. 1ère, 25 mai 1948, Lautour, préc.
2141
P. Rabourdin et H. Muir-Watt, « Loi étrangère : établissement du contenu de la loi étrangère », Rép. intern.
Dalloz, avr. 2017, § 14.

697
parallèle avec l’accord procédural puisque celui-ci n’émane pas d’une règle de conflit et est
invoqué par les parties. Ainsi, en matière d’accord procédural, il semblerait que la charge de
la preuve incombe aux parties. Toutefois, certains pourraient considérer que l’accord
procédural, relevant des droits disponibles, doit y être assimilé et admettre que la charge de la
preuve incombe au juge. Cependant, au regard du raisonnement opéré par la Cour de
cassation, il semble que cette admission puisse être discutable. C’est pourquoi il est possible
de considérer que l’accord procédural reste à la charge des parties quant à l’établissement du
droit étranger. Or, une telle solution est contestable, notamment sur le plan de l’égalité de
traitement.

b) La rupture d’égalité engendrée par la charge de la preuve de l’accord procédural


1591. La réintroduction d’une rupture d’égalité entre les parties. Si le régime de
la charge de la preuve en matière d’accord procédural incombe aux parties, une rupture
d’égalité pourrait apparaître entre les parties qui ont recours à un accord procédural et celles
qui n’y ont pas recours. En effet, lorsque les parties sont soumises aux règles de conflit, que
celles-ci aient été appliquées d’office ou à leur demande, la charge de la preuve incombe
nécessairement au juge. En revanche, si les parties choisissent de recourir à un accord
procédural, conformément à la possibilité qui leur est offerte, elles doivent établir le contenu
de la loi qu’elles invoquent. Par conséquent, elles sont traitées différemment selon le cadre
auquel elles sont soumises. En effet, dans le cas où la charge de la preuve incombe au juge,
même si celui-ci peut solliciter le concours des parties, celles-ci ne pourront pas voir leurs
prétentions rejetées. Le juge devra nécessairement « résoudre la question litigieuse »2142. En
revanche, dans le cas de l’accord procédural, il serait possible de considérer un retour de
l’ancienne jurisprudence au regard de laquelle, en cas de défaillance dans l’établissement du
contenu de la loi étrangère par les parties, celles-ci voient leurs prétentions rejetées.
1592. L’égalité d’accès à la justice de nouveau mise à mal. De plus, hormis cette
différence de régime, il est indéniable que l’accessibilité à la justice sera de nouveau mise à
mal. En effet, il ne faut pas oublier que même en présence d’accord procédural, la loi
étrangère demeure du droit et ne peut être traitée comme du fait. C’est pourquoi
l’établissement de son contenu relève de la compétence du juge, conformément à sa

2142
P. Rabourdin et H. Muir-Watt, op. cit., § 27.

698
fonction2143. Il ne devrait donc pas être opéré de distinction entre l’office du juge et l’accord
procédural par souci d’égalité de traitement entre les parties.

2) La remise en cause de la charge de la preuve de l’accord procédural par mesure


d’égalité de traitement
1593. Le régime applicable à l’accord procédural en matière de charge de la preuve
est contestable au regard de la rupture d’égalité qu’il engendre avec les situations
internationales classiques. Néanmoins, il s’avère que celle-ci est atténuée en pratique dans la
mesure où les accords procéduraux ont principalement pour effet de désigner la lex fori (a).
Cependant, il serait plus simple, afin de garantir l’égalité de traitement, de supprimer l’accord
procédural du droit international privé pour préférer une méthode dans laquelle toute règle de
conflit serait appliquée d’office (b).

a) Une rupture d’égalité atténuée en pratique


1594. Une rupture d’égalité théorique. Au regard de la rupture d’égalité de
traitement engendrée par la différence de régime pratiquée entre l’accord procédural et
l’application de la règle de conflit, doit être relevée l’impertinence de cette différence. En
effet, quelle que soit la méthode conduisant à l’application de la loi étrangère, celle-ci
demeure légitimement applicable. De plus, quelle que soit l’hypothèse, la loi étrangère
constitue toujours une disposition juridique laquelle doit être traitée de manière identique.
C’est pourquoi elle devrait être appréhendée par le juge, quelle que soit la situation, et ceci
afin de préserver l’égalité de traitement entre situations internationales.
1595. Une rupture d’égalité atténuée par la désignation de la loi du for.
Néanmoins, il convient de remarquer qu’en pratique, « c’est en faveur de la loi du for que
(s’opère) la renonciation » en matière d’accord procédural, « les parties s’abstenant
d’invoquer la loi étrangère »2144. Ainsi, si, en théorie, l’accord procédural permet aux parties
de choisir une loi étrangère applicable à leur litige, en pratique, l’accord procédural désigne
généralement la loi du for. C’est d’ailleurs l’hypothèse explicitement visée par la
2145
jurisprudence Karl Ibold rendue la même année que la jurisprudence Hannover
International. Par conséquent, dans la mesure où l’accord procédural a essentiellement pour
effet de désigner la lex fori, les problématiques relatives à la charge de la preuve disparaissent

2143
Cf. supra § 1570 et 1571.
2144
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 327.
2145
Cass., Civ. 1ère, 1er juill. 1997, Karl Ibold, n°95-15.557, RCDIP 1998, p. 60, note P. Mayer.

699
puisque les parties n’auront plus à établir le contenu du droit étranger. Le juge appliquera son
propre droit et la question de la preuve sera évincée. Finalement, si en théorie pouvait exister
une rupture d’égalité, celle-ci semble disparaître en pratique dans la mesure où les accords
procéduraux sont essentiellement reconnus au profit de la lex fori. En vérité, ce phénomène
s’explique à raison du fait que, en pratique, les parties, ne soulevant pas l’application du droit
international privé, invoquent la lex fori au fondement de leurs prétentions. Par conséquent,
les juges du fond en déduisent que la volonté des parties était, par le biais d’un accord
procédural tacite, d’appliquer la lex fori. En outre, si la rupture d’égalité relative à la charge
de la preuve demeure incertaine, voire théorique, elle pourrait tout simplement être évincée en
supprimant l’accord procédural international du système applicable en droit des conflits de
lois.

b) La rupture d’égalité supprimée par abolition de l’accord procédural


1596. Le retour de l’égalité de traitement par suppression de l’accord
procédural. Vraisemblablement toutes les interrogations persistantes à l’égard de la charge
de la preuve en matière d’accord procédural pourraient tout simplement être supprimées en
abolissant l’accord procédural. En effet, il apparaît que celui-ci constitue un élément faussant
les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement prônés par la méthode conflictuelle2146.
Ainsi, il serait préférable de rendre toutes les règles de conflit d’office applicables et de
supprimer l’accord procédural afin de garantir ces objectifs et surtout un traitement identique,
quelle que soit la situation internationale2147.
1597. Des exceptions à remettre en cause au regard de l’égalité de traitement. En
d’autres termes, le régime applicable dans son ensemble au statut reconnu à la loi étrangère et
à la charge de la preuve favorise considérablement l’égalité de traitement. Néanmoins,
certaines exceptions suscitent parfois une rupture d’égalité. C’est pourquoi elles devraient être
remises en cause, voire supprimées. En outre, l’égalité de traitement est aussi assurée, en
principe, par le contrôle qui peut être opéré à l’égard du juge dans l’application de la loi
matériellement désignée.

2146
Cf. supra § 1540 et 1541.
2147
Cf. supra § 1542.

700
SOUS-SECTION 2 : LE CONTROLE DU JUGE DANS L’APPLICATION DE LA LOI
DESIGNEE INCIDEMMENT REFRACTAIRE A L’EGALITE DE TRAITEMENT

1598. En principe, la Cour de cassation assure aux sujets de droit et aux justiciables,
par le biais de différents contrôles, une juste application de la loi française par les juges du
fond. Or, l’avènement du droit international privé, a suscité des interrogations relatives à ce
contrôle lorsqu’il est question d’appliquer la loi étrangère à la suite du déclenchement des
règles de conflit. Afin de garantir a minima une bonne application de la loi étrangère par les
juges du fond, la haute cour s’est octroyée la possibilité de censurer leurs décisions par le
biais du seul contrôle de légalité. Par conséquent, les sanctions relatives à la mise en œuvre du
droit international privé par les juges du fond semblent être réduites, mais demeurent toutefois
efficaces (§ 1). Par exception, la Cour de cassation se refuse parfois à sanctionner la mauvaise
application de la règle de conflit par les juges du fond en leur permettant de recourir à la
théorie de l’équivalence. Néanmoins, il semble que cette admission soit nettement discutable
au regard des préceptes prônés par la discipline du droit international privé, et plus
spécifiquement du droit des conflits de lois (§ 2).

§ 1 – LE CONTROLE RELATIF DE LA HAUTE JURIDICTION A L’EGARD DE


L’APPLICATION DE LA LOI ETRANGERE

1599. A l’issue de l’exécution de la méthode conflictuelle, il est possible que le juge


applique la loi étrangère. Néanmoins, cette application est susceptible de contrôles
spécifiques, dans la mesure où la loi étrangère ne peut être soumise, comme la loi du for, aux
cas d’ouverture classiques de pourvois en cassation. Or, par mesure de cohérence avec le droit
étranger, la Cour de cassation s’accorde à exclure les pourvois fondés sur la violation de la loi
étrangère (A). En revanche, et par respect de la méthode conflictuelle, elle s’autorise à
recevoir les pourvois relatifs à la motivation des décisions (B).

A. L’EXCLUSION COHERENTE DES POURVOIS FONDES SUR LA VIOLATION DE LA


LOI ETRANGERE

1600. Lorsqu’une loi étrangère est appliquée par les juges du fond, « la question se
pose de savoir si l’interprétation qu’elle a reçue peut donner lieu à un pourvoi en
cassation »2148. Or, il est classiquement admis que les pourvois fondés sur la violation de la loi
étrangère sont irrecevables, ce qui semble contestable eu égard aux divergences

2148
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 339.

701
d’interprétation qui peuvent être générées (1). Néanmoins, dans la mesure où il est question
de la loi étrangère, il paraît conforme à l’égalité de traitement de rejeter les pourvois relatifs à
l’interprétation de celle-ci (2).

1) L’irrecevabilité contestable des pourvois fondés sur la violation de la loi


étrangère
1601. Les pourvois pour violation de la loi étrangère sont écartés par la Cour de
cassation dans la mesure où celle-ci considère que l’interprétation de la loi étrangère est
soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond. Néanmoins, cette position peut
s’avérer contestable en termes de sécurité juridique (a). De plus, elle semble justifiée par une
assimilation erronée de la loi étrangère aux contrats (b).

a) L’interprétation de la loi étrangère soumise à tort à l’appréciation souveraine des


juges du fond
1602. Le rejet du contrôle de la violation de la loi étrangère. Il est admis depuis
longtemps que la Cour de cassation se refuse à contrôler la violation de la loi étrangère2149.
Ainsi, « si la Cour de cassation s’assure que le juge du fond a bien appliqué la loi étrangère
compétente, elle se refuse en revanche à vérifier si ce dernier a déterminé correctement le
contenu réel et le sens de la loi étrangère » 2150 . Par conséquent sont exclus trois cas
d’ouverture à cassation que sont, la violation « par refus d’application, par fausse application
2151
ou par fausse interprétation » . En effet, « la Cour de cassation considère que
l’interprétation de la loi étrangère relève du pouvoir souverain des juges du fond »2152. Cela
signifie que « les juges du fond déterminent donc souverainement, d’une part, quelles sont les
règles législatives, coutumières ou jurisprudentielles, qui constituent (la loi étrangère
applicable) et, d’autre part, quelle interprétation il convient d’en donner »2153.
1603. Un rejet communément admis en Europe. De plus, « le principe selon lequel
l’application de la loi étrangère n’est pas soumise au contrôle de la Cour suprême est, sans
aucun doute, le plus répandu » 2154 . C’est pourquoi il est suivi depuis longtemps « en
Allemagne, en Belgique, en Espagne, en France, en Grèce, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en

2149
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 339.
2150
J. Boré et L. Boré, « Pourvoi en cassation », Rép. proc. civ. Dalloz, déc. 2015, § 267.
2151
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 365.
2152
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 340.
2153
J. Boré et L. Boré, op. cit., § 267.
2154
H. Lewald, « Le contrôle des Cours suprêmes sur l’application des lois étrangères », RCADI, 1936, vol.
n°57, § 8, spéc. p. 281.

702
Roumanie, en Suisse »2155 . Le refus de contrôler la violation de la loi étrangère est donc
communément admis par tout ordre juridique. D’ailleurs la jurisprudence de la Cour de
cassation à ce sujet demeure constante puisqu’elle a récemment refusé de contrôler
l’application faite par les juges du fond de la loi étrangère en matière de filiation 2156 .
Néanmoins, en considérant que la loi étrangère est insusceptible de pourvoi en cassation pour
violation, plusieurs contestations peuvent s’élever.
1604. La remise en cause des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement.
D’une part, en admettant que l’interprétation de la loi étrangère relève des pouvoirs
souverains des juges du fond, pourrait être mise à mal la sécurité juridique. En effet, le libre
arbitre du juge va de nouveau entrer en jeu et aucun contrôle ne pourra être effectué. Par
conséquent, la neutralité de la méthode conflictuelle pourrait être évincée à son dernier stade
d’application. Mais, plus vraisemblablement, pourrait exister une rupture d’égalité entre les
sujets de droit puisque d’une juridiction à une autre l’application de la loi étrangère est
susceptible de varier. D’ailleurs, il est arrivé que « la Cour de Bordeaux (ait pu), par exemple,
relever, quatre causes de divorce dans une loi étrangère alors que la Cour de Rennes n’en
(compta) que trois »2157. C’est pourquoi « il n’est pas difficile de démontrer que, dans l’intérêt
des justiciables et d’une bonne administration de la justice, il (soit) extrêmement désirable que
l’application des lois étrangères soit soumise à la censure de l’instance suprême »2158.
1605. Le retour de l’assimilation de la loi étrangère à du fait. D’autre part, en
considérant que l’interprétation de la loi étrangère est soumise à l’appréciation souveraine des
juges du fond, il serait possible d’envisager qu’il s’agisse d’un retour en arrière pour
considérer que la loi étrangère constitue du fait et non plus du droit puisque ce sont bien les
faits qui sont soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi, il est contestable de
maintenir cette carence en matière de cas d’ouverture à cassation, notamment eu égard au
respect des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. Et ceci se confirme lorsque la
raison invoquée à l’appui de cette jurisprudence assimile la loi étrangère aux contrats.

2155
H. Lewald, op. cit., § 8, spéc. p. 281.
2156
N. Ni Ghairbhia, Rappel interprétation souveraine par les juges du fond de la loi étrangère applicable à la
filiation, Gaz. Pal., 4 avr. 2017, p. 58, se référant spécialement à l’arrêt suivant : Cass., Civ. 1ère, 4 janv. 2017,
n°16-10.754.
2157
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 365.
2158
H. Lewald, op. cit., § 7., spéc. p. 279.

703
b) L’assimilation erronée de la loi étrangère aux contrats en termes d’application
1606. L’analogie opérée entre la loi étrangère et les contrats. Afin de justifier que
la loi étrangère soit soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, il a pu être opéré
une assimilation de celle-ci aux contrats. En effet, il convient de rappeler que « la Cour de
cassation estime que l’interprétation de la volonté des parties à un contrat relève de
l’appréciation souveraine des juges du fond et se refuse à exercer tout contrôle en ce
domaine »2159. Ainsi, pour opérer un parallélisme entre la loi étrangère et le contrat, certains
considèrent que c’est parce que l’ordre juridique français reconnaît une valeur juridique au
contrat ou à la loi étrangère que ceux-là produisent des effets. Le contrat « crée pour les
parties une norme de conduite obligatoire », « mais (…) le contrat n’a en définitive de valeur
que par la volonté du législateur »2160 en vertu de l’ancien article 1134 du Code civil. De la
même façon, « la loi étrangère est créée par le législateur étranger, mais (…) ne s’applique en
France que par la volonté du souverain français »2161. Par conséquent, dans la mesure où c’est
le système français qui permet d’appliquer en France la loi étrangère, tout comme il donne
force obligatoire aux contrats, alors loi étrangère et contrats sont assimilables. Et, puisque les
contrats sont soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, la loi étrangère doit l’être
aussi.
1607. Une analogie réductrice du statut de la loi étrangère à rejeter. Néanmoins,
il semble qu’une telle assimilation soit tout de même abrupte. Elle reviendrait à réduire le
statut juridique de la loi étrangère. C’est pourquoi cette justification a fait l’objet de
nombreuses critiques. Il ne peut être opéré un mimétisme entre ces notions dans la mesure où
« le contrat n’a pas, en principe, de valeur générale » et « qu’il doit en conséquence être
interprété en fonction de l’intention des parties », tandis que « la loi étrangère est une règle
générale susceptible de s’appliquer à un nombre indéfini de cas et la détermination de son
contenu est en définitive moins contingente que celle de la volonté des contractants »2162. En
effet, le contrat est susceptible d’applications multiples contrairement à une norme législative,
quelle que soit sa source géographique. Vraisemblablement, la justification pouvant être
retenue à l’appui de l’absence de contrôle dans l’interprétation de la loi étrangère n’est pas
valable. Par conséquent, il devrait être considéré tant au regard de l’assimilation de la loi

2159
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit. § 365.
2160
Ibid.
2161
Ibid.
2162
Ibid.

704
étrangère aux contrats, que de l’insécurité juridique engendrée par l’absence de contrôle dans
l’application de la loi étrangère, que la position de la Cour de cassation doit être révisée.
Cependant, il s’avère que celle-ci est, en réalité, parfaitement fondée tant au regard de la
préservation du droit étranger dans son application que du rôle de la haute cour.

2) L’irrecevabilité des pourvois pour violation de la loi étrangère conforme à


l’égalité de traitement
1608. Si, a priori, la fermeture des pourvois pour violation de la loi étrangère semble
contraire à l’égalité de traitement, tel n’est pas le cas. En effet, le rejet de ces pourvois est
justifié par respect du droit étranger tel qu’il est mis en œuvre dans l’ordre juridique étranger
c’est-à-dire afin d’éviter toute divergence d’interprétation (a). De plus, ce cas d’exclusion
coïncide avec la mission de la Cour de cassation et s’inscrit en conformité avec celle-ci (b).

a) Le rejet du contrôle de l’interprétation de la loi étrangère par respect du droit


étranger effectif
1609. Le rejet du pourvoi pour violation de la loi étrangère par sécurité
juridique. Réellement, la raison pour laquelle la Cour de cassation refuse de contrôler
l’interprétation faite par les juges du fond de la loi étrangère n’est en rien due au statut
juridique de la loi étrangère c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une réflexion fondée sur une
assimilation à un fait ou aux contrats. En vérité, si la Cour de cassation rejette les pourvois
pour violation de la loi étrangère c’est afin de préserver la sécurité juridique. Si elle « se
mêlait de contrôler l’interprétation des lois étrangères, (…) elle pourrait, (…), donner de la loi
étrangère l’interprétation qui lui paraîtrait plausible ou utile, mais elle risquerait de se trouver
en opposition avec l’interprétation reçue à l’étranger, ce qui ne donnerait pas grande autorité à
ses vues, et serait contraire à l’idée que la loi étrangère appliquée en France doit être celle qui
est en fait en vigueur à l’étranger »2163. Il est effectivement possible que la Cour de cassation
puisse commettre des « erreurs d’interprétations (…) sur la base de documents
imparfaits »2164. Par conséquent, « si la Cour de cassation acceptait de contrôler l’application
d’une loi étrangère, elle s’exposerait à en donner une interprétation différente de celle que les
juges du fond ont constatée et ainsi à se placer en contradiction avec l’autorité étrangère »2165.
1610. La préservation de l’égalité de traitement devant les juges du fond.
Finalement, « le refus de la Cour suprême s’explique bien davantage par la crainte de donner

2163
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 337.
2164
J. Boré et L. Boré, op. cit., § 268.
2165
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 340.

705
de la loi étrangère une interprétation qui ne soit pas conforme à celle des juges étrangers ». En
d’autres termes, la loi étrangère n’est pas assimilée à un fait, elle demeure bien considérée
comme du droit lequel doit être respecté conformément à sa mise en pratique par l’ordre
juridique étranger. De la même manière, c’est par mesure de sécurité juridique que la Cour de
cassation refuse de contrôler l’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond. Ainsi,
afin de préserver l’égalité de traitement dans l’application du droit étranger par les juges du
fond, la Cour de cassation exclut de sa compétence le pourvoi pour violation de la loi
étrangère. Par conséquent, ce sont des raisons louables qui ont motivé la position de la Cour
de cassation. Malgré la subsistance de certaines divergences d’application, il semble que la
solution retenue par la Cour de cassation soit la plus à même de garantir l’égalité de
traitement des sujets de droit dans l’application de la loi étrangère. De plus, hormis cette
faveur accordée à l’équivalence d’interprétation, il ne relève aucunement du rôle de la Cour
de cassation de contrôler le droit étranger.

b) L’exclusion des pourvois pour violation de la loi étrangère conforme à la mission de


la Cour de cassation
1611. L’unité du droit français assurée par la Cour de cassation. Au-delà de la
divergence d’interprétations qui pourrait être engendrée par un contrôle de la Cour de
cassation sur l’interprétation du droit étranger, ce contrôle « l’amènerait à s’engager dans des
recherches de fait qui ne sont pas de son rôle »2166. En effet, la Cour de cassation a toujours
fondé sa position relative au rejet des pourvois pour violation de la loi étrangère sur « l’objet
de sa mission », notamment depuis « l’arrêt Seitz du 15 avril 1861 »2167. Or, « juge de droit, la
Cour suprême a pour rôle de contribuer à l’élaboration du droit français en interprétant la loi
ou en comblant des lacunes »2168. Plus précisément, « la mission de la Cour de cassation est
d’assurer l’unité de la jurisprudence ».2169 Par conséquent, le rôle de la Cour de cassation est
d’interpréter le droit français et d’en assurer l’unité. En aucun cas, la mission de la Cour de
cassation ne consiste à interpréter et unifier le droit étranger. C’est pourquoi si « la haute
juridiction (cherchait) l’interprétation adoptée à l’étranger, (…) elle jouerait un rôle qui n’est
pas le sien dans l’état actuel de son statut »2170. En effet, « la Cour de cassation examine

2166
G. Légier, « La Cour de cassation ne contrôle pas l’application de la loi étrangère par les juges du fond »,
RCDIP 1994, p. 506.
2167
Ibid., se référant spécialement à l’arrêt suivant : Cass. Ch. req., 15 avr. 1861, Seitz, S. 1861, 1, p. 722.
2168
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 365.
2169
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 337.
2170
Ibid.

706
exclusivement si les juges ont donné aux questions qui leur étaient posées des réponses
conformes à un droit qu’elle connaît ou a mission d’élaborer, mais dont elle n’a pas à
demander la teneur »2171.
1612. L’interprétation du droit étranger exclue de la mission de la haute cour.
Ainsi, la Cour de cassation ne peut simplement pas se livrer à un contrôle d’interprétation de
la loi étrangère parce que cela ne relève pas de sa fonction relative à l’unicité du droit
français. « Si une telle mission était étendue à la loi étrangère, elle conduirait la Cour de
cassation à dire le droit étranger, à donner sa propre interprétation de la loi étrangère » alors
que « ce n’est pas l’objectif poursuivi ». Par conséquent, la Cour de cassation ne peut assurer
une mission qui n’est pas la sienne, ce qui implique de rejeter les pourvois pour violation de la
loi étrangère. De cette façon, et pour cette raison, la sécurité juridique est garantie aux sujets
de droit, puisque chaque Cour suprême doit respecter sa mission afin de ne pas empiéter sur le
rôle des autres et ne pas mettre à mal la linéarité de leur droit.
1613. Le légitime refus du contrôle de violation de la loi étrangère. Au regard du
rôle de la Cour de cassation et de la volonté de celle-ci de préserver le droit étranger des
divergences d’interprétations, il semble légitime que la haute cour refuse de contrôler
l’interprétation faite par les juges du fond de la loi étrangère. Néanmoins, certaines
interprétations du droit étranger demeureront variables d’une juridiction à l’autre à raison
d’une mauvaise connaissance du droit étranger par les juges du fond. Par conséquent, si la
Cour de cassation tente de protéger au mieux l’égalité de traitement des sujets de droit, il ne
s’agit pas d’une défense infaillible. Fort heureusement, afin de compenser ces quelques
défaillances du système, il est tout de même admis que la Cour de cassation puisse contrôler
la motivation faite par les juges du fond.

B. LA RECEVABILITE DES POURVOIS FONDES SUR LA MOTIVATION PAR RESPECT


DE LA METHODE CONFLICTUELLE

1614. Malgré la non-admission de pourvois relatifs à la violation de la loi étrangère,


la Cour de cassation reconnaît que l’application de la loi étrangère peut être soumise à une
certaine censure, laquelle s’illustre au travers du contrôle de légalité (1). De cette façon, les
objectifs de neutralité et d’égalité sont protégés et garantis conformément à la méthode
conflictuelle (2).

2171
Ibid.

707
1) L’application de la loi étrangère soumise à la censure du contrôle de légalité
1615. Si la Cour de cassation, par conformité à sa fonction, s’oppose au contrôle de
l’interprétation faite par les juges du fond de la loi étrangère, ces derniers ne se voient pas
conférer « toute discrétion pour statuer »2172. En effet, « la Cour de cassation exerce aussi une
fonction disciplinaire à l’égard des décisions de justice »2173. C’est pourquoi sans contrevenir
à sa mission, elle peut vérifier la légalité de la décision notamment par le biais d’un contrôle
des motifs (a) ou bien de la dénaturation de la loi étrangère (b).

a) L’insuffisance des motifs sanctionnée en droit international privé


1616. Le contrôle de la suffisance des motifs compatible avec la mission de la
Cour de cassation. Si la haute juridiction ne se reconnaît pas la mission de sanctionner la
violation de la loi étrangère, elle s’octroie en revanche le pouvoir de contrôler la suffisance
des motifs. En effet, « bien que les juges du fond soient en toutes matières souverains pour
constater les faits, ils sont tenus d’énoncer ceux qu’ils retiennent pour fonder leurs décisions,
c’est-à-dire de motiver celles-ci »2174. Par conséquent, « les juges doivent en toutes matières
répondre aux conclusions des parties, et la Cour de cassation apprécie si la réponse est digne
de ce nom, c’est-à-dire suffisamment motivée »2175 . Dans la mesure où il est question de
suffisance des motifs, la haute cour les contrôle même en droit international privé2176. Cette
attitude ne paraît pas surprenante puisqu’elle n’est pas, cette fois-ci, incompatible avec la
mission de la Cour de cassation, et puisqu’elle ne peut conduire à une divergence
d’interprétation du droit étranger. Au contraire, il s’agit vraisemblablement d’assurer aux
sujets de droit la sécurité juridique à laquelle ils peuvent prétendre et de garantir une
application effective du droit étranger.
1617. Un contrôle limitant le pouvoir d’appréciation souverain des juges du
fond. La recevabilité de ce cas de pourvoi en cassation en droit international privé permet
alors à la Cour de cassation de « censurer l’insuffisance des motifs donnés par les juges à
l’appui de leur interprétation de la loi étrangère, même en l’absence de conclusions soutenant

2172
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 341.
2173
Ibid.
2174
Ibid., § 342.
2175
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 341.
2176
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 23 sept. 2015, n°14-17.542, dans lequel la Cour a condamné la Cour
d’appel pour insuffisance des motifs, au visa de l’article 455 du CPC considérant que celle-ci n’avait pas
répondu aux conclusions des parties qui soutenaient notamment que le code CEMAC issu de la Convention de
Hambourg est une loi de police.

708
une autre interprétation » 2177 . De la même façon, elle peut également « censurer une
interprétation en contraste caractérisée, sans justification, avec le sens apparent du texte
étranger », tout comme « elle pourra aussi intervenir dans les divergences d’interprétation
apparemment soutenables d’un même texte ou d’une même jurisprudence étrangère par les
cours d’appel » 2178 . Ainsi, en ouvrant ce contrôle relatif à la suffisance des motifs, une
première limite est imposée au pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond. En effet,
« si le contrôle des motifs ne permet (…) pas à la Cour régulatrice d’affirmer le sens véritable
de la loi étrangère », elle peut « requérir les juges du fait de rechercher une interprétation
suffisamment prouvée pour qu’elle puisse être imposée » 2179 . Il s’agit d’ailleurs d’une
jurisprudence constante au travers de laquelle la Cour vérifie que « les juges du fond précisent
les dispositions du droit étranger auxquelles ils se référent »2180 , comme dans un arrêt de
20102181. Ainsi, la Cour de cassation ne s’est pas contentée de laisser les pleins pouvoirs aux
juges du fond en matière d’application de la loi étrangère puisqu’elle peut contrôler leur
motivation. Or, ce contrôle ne s’arrête pas à la suffisance des motifs puisqu’elle vérifie
également que la loi étrangère n’a pas été dénaturée.

b) La dénaturation de la loi étrangère spécialement réprimée en droit international privé


1618. Le contrôle de dénaturation par la Cour de cassation. Il est considéré « de
jurisprudence constante (que) les juges du fond sont souverains dans l’interprétation du droit
étranger sauf » dans une hypothèse, celle de la « dénaturation »2182. En effet, depuis l’arrêt
Montefiore de 19612183, la Cour de cassation se refuse « de contrôler l’existence d’une fausse
interprétation de la loi étrangère par les juges du fond » dans la mesure où ils « apprécient
souverainement l’interprétation de la loi étrangère, sous réserve des cas d’erreur manifeste,
sanctionnés pour dénaturation, dans lesquels était méconnu le sens clair et précis d’un
texte » 2184 . Par conséquent, la haute cour s’autorise à sanctionner la dénaturation à la

2177
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 341.
2178
Ibid.
2179
Ibid.
2180
E. Mouial-Bassilana, « Contrôle de la motivation des juges du fond dans l’application de la loi étrangère »,
LEDED, sept. 2010, n°8, p. 6.
2181
Cass., Com., 6 juill. 2010, n°09-12.993.
2182
V. Egea, « Dénaturation de la loi étrangère en matière de paternité naturelle », D. actualité, 3 nov. 2008,
spéc. à propos de l’arrêt suivant : Cass., Civ. 1ère, 22 oct. 2007, n°07-14.934, RCDIP 2009, p. 53, note H. Muir-
Watt.
2183
Cass., Civ. 1ère, 21 nov. 1961, Montefiore, RCDIP 1962, p. 329, note P. Lagarde ; JDI 1962, p. 686, note
Goldman ; JCP 1962, II, p. 12521, note Louis-Lucas ; Dalloz 1963, p. 37, note Ph. Francescakis, et chron. Ph.
Francescakis, p. 7 ; GAJDFIP, n°36.
2184
M. Menjucq, « Dénaturation de la loi étrangère : un nouveau fondement », Dalloz 1998, p. 104.

709
différence de la fausse interprétation qui doit, quant à elle, être assimilée à une mauvaise
interprétation de la loi étrangère et non à une erreur grossière.
1619. Le développement de la dénaturation depuis 1997. Néanmoins, il s’avère
que si la dénaturation a été consacrée par l’arrêt Montefiore, son utilisation ne s’est faite
qu’avec « parcimonie » jusqu’en 19972185. Depuis, « un accroissement sensible des cassations
pour dénaturation » s’est fait ressentir2186. Ceci s’explique dans la mesure où jusqu’en 1997,
la Cour de cassation assimilait la dénaturation en droit international privé à la dénaturation
contractuelle fondée sur l’ancien article 1134 du Code civil consistant à considérer que la
dénaturation s’analyse dans le fait de donner un sens contraire à une clause claire et précise.
Or, depuis une jurisprudence de 1997, la Cour de cassation reconnaît à la dénaturation en droit
international privé une véritable autonomie puisqu’elle fonde désormais, au visa de l’article 3
du Code civil, « le contrôle de dénaturation de la loi étrangère sur la violation de la règle de
conflit »2187. Ainsi, « elle distingue la dénaturation de la loi étrangère de la dénaturation du
contrat » 2188 . Depuis lors, la jurisprudence pour dénaturation de la loi étrangère s’est
fortement développée. Il est possible d’évoquer à ce titre un arrêt de 2006 dans lequel la Cour
de cassation a censuré une décision pour dénaturation de la loi étrangère au visa de l’article 3
du Code civil2189.
1620. Un contrôle protecteur de la bonne mise en œuvre de la méthode
conflictuelle. La reconnaissance d’une autonomie au cas d’ouverture relatif à la dénaturation
de la loi étrangère semblait inévitable. En effet, la dénaturation de la loi étrangère doit être
sanctionnée parce que « la méprise sur la teneur de la loi étrangère empêche la règle de conflit
de se réaliser » 2190 . Comme l’a affirmé le Professeur Muir-Watt, « l’erreur dénaturante
commise dans l’application de la loi (étrangère) n’est pas sanctionnée pour la raison que le
texte législatif produit (…) est réputé exprimer le sens véritable du droit positif étranger, mais
parce que pareille erreur constitue une violation directe du droit international privé du for, qui
en rendant applicable cette loi entend la désigner dans son intégrité, c’est-à-dire, telle qu’elle

2185
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 369.
2186
Ibid.
2187
M. Menjucq, « Dénaturation de la loi étrangère : un nouveau fondement », BJS, déc. 1997, n° 12, p. 1062,
spéc. à propos de l’arrêt suivant : Cass., Com., 1er juill. 1997, SA Africatours c/ Diop, n°95-15.262, RCDIP 1998,
p. 292, note H. Muir-Watt ; Dalloz 1998, p. 104, note M. Menjucq.
2188
Ibid.
2189
Cass., Civ. 1ère, 14 fév. 2006, M.G. Brianti c. Consorts Brianti, RCDIP 2006, p. 833, note S. Bollée.
2190
H. Muir-Watt, « Contrôle par le juge de cassation de la dénaturation de la loi étrangère », RCDIP 1998, p.
292, § 3.

710
existe réellement à l’étranger » 2191 . Ainsi, une nouvelle fois, la Cour de cassation s’est
octroyée le pouvoir de contrôler la légalité des décisions appliquant la loi étrangère sans
contrevenir à sa mission spécifique. De la même façon, en adoptant ce cas d’ouverture à
cassation propre à la discipline du droit international privé, elle repousse les divergences
d’interprétation du droit étranger et protège la mise en œuvre des règles de conflit de son
ordre juridique. Finalement, la dénaturation n’est que le résultat issu de la protection de la
méthode conflictuelle. En effet, la Cour de cassation, afin d’assurer l’effectivité de ses règles
de conflit lorsqu’elles sont appliquées, veille à la bonne application de leur résultat respectif
grâce à la dénaturation.
1621. Le retour à la sécurité juridique. Ainsi, si la Cour de cassation ne sanctionne
pas la violation de la loi étrangère par les juges du fond, elle ouvre tout de même à la
discipline du droit international privé, et plus particulièrement au droit des conflits de lois,
deux pourvois en cassation que sont l’insuffisance des motifs et la dénaturation de la loi
étrangère. De cette manière, l’égalité de traitement issue de la méthode conflictuelle paraît
préservée puisqu’est instaurée une certaine sécurité juridique2192.

2) L’égalité de traitement garantie par le contrôle de légalité


1622. L’insuffisance des motifs et de la dénaturation de la loi étrangère garantissent à
la méthode conflictuelle une exécution sécurisée, et par conséquent une protection des
objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. D’une part, ces sanctions constituent le
contrepoids à l’irrecevabilité de pourvois pour violation de la loi étrangère. De cette manière,
le jeu de la méthode conflictuelle sera protégé jusqu’à son stade ultime (a). D’autre part, ce
contrôle permet de préserver les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement dans la
mesure où il accorde une protection étendue aux règles de conflit (b).

a) Le contrepoids à l’irrecevabilité de pourvois pour violation de la loi étrangère


1623. La compensation à l’exclusion des pourvois pour violation de la loi
étrangère. Dans la mesure où la Cour de cassation se permet de contrôler la légalité des
décisions pratiquant le droit international privé, il convient de considérer qu’elle crée une
sorte de contrepoids à l’absence de pourvois en cas de violation de la loi étrangère. En effet, la
sanction de l’insuffisance des motifs et de la dénaturation de la loi étrangère compense

2191
H. Muir-Watt, « Contrôle par le juge de cassation de la dénaturation de la loi étrangère », op. cit., § 3.
2192
Voir en ce sens : Y. Loussouarn, « Le contrôle de l’application de la loi étrangère par la Cour de cassation »,
TCFDIP, 1962-1964, spéc. p. 146, lequel affirmait que : « la Cour suprême se doit de veiller à ce que (…) la
théorie de la dénaturation (demeure) un instrument indispensable » à la préservation de l’unité du droit français.

711
l’irrecevabilité des pourvois pour violation de la loi étrangère et limite le pouvoir
d’appréciation des juges du fond. De cette façon, la sécurité juridique qui semblait disparue
est réhabilitée à l’égard des sujets de droit.
1624. La sanction nécessaire de la violation des règles de conflit françaises. De
plus, lorsque la Cour de cassation a opéré un changement de fondement juridique en matière
de dénaturation, elle a fondé celui-ci sur l’article 3 du Code civil en référence à une violation
de la loi. Or, ce choix peut paraître surprenant dans la mesure où les pourvois pour violation
de la loi étrangère sont exclus en droit international privé. Cependant, « cette évolution doit
être approuvée car elle est tout à fait logique » puisque « lorsque la règle de conflit conduit à
l’application de la loi étrangère, elle impose que celle-ci soit appliquée dans son contenu exact
sans être dénaturée par le juge »2193 . Ainsi, « la dénaturation de la loi étrangère constitue
indirectement une violation de la règle de conflit »2194. En d’autres termes, la dénaturation
constitue bien l’ultime contrepoids à l’absence de pourvois pour violation de la loi étrangère.
Cela signifie bien que si la Cour de cassation, conformément à sa mission, ne peut pas
sanctionner une violation de la loi étrangère, elle peut en revanche sanctionner une violation
de la loi française, parmi laquelle figurent les règles de conflit 2195 . De cette façon,
l’application correcte de la loi étrangère est tout de même contrôlée. Il s’agit là d’un
paramètre important dans la mesure où cette protection assure aux justiciables une mise en
œuvre des règles de conflit neutre et égalitaire du début à la fin du raisonnement. Le juge du
fond ne peut donc pas faire librement application des règles de conflit, ni de la loi étrangère à
son bon vouloir. Pèse sur lui, jusqu’à l’application de la loi étrangère, un risque de sanction
pour dénaturation de la loi étrangère2196. De cette façon, il peut être supposé que la neutralité

2193
M. Menjucq, op. cit., BJS, déc. 1997, n° 12, p. 1062.
2194
Ibid.
2195
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 14 avr. 2010, n°09-14.335, Dalloz 2010, p. 2868, note O. Boskovic ; Dalloz
2011, p. 1374, note F. Jault-Seseke ; dans lequel la Cour a considéré qu’« une cour d’appel ne peut refuser à une
partie née au Cameroun d’une mère camerounaise de se prévaloir de l’article 311-17 du Code civil pour établir
sa filiation paternelle en application de la loi ivoirienne, loi nationale de celui qui est mentionné comme son père
dans son acte de naissance, au motif que cet article ne définit pas une règle de conflit de lois mais se contente de
poser les conditions de validité de la reconnaissance au regard de la loi française, alors qu’il incombe au juge de
rechercher si la mention du nom du père dans l’acte de naissance de l’enfant vaut reconnaissance au regard de la
loi ivoirienne désignée par (l’article 311-17 du Code civil) ».
2196
Voir en ce sens : Cass., Com., 2 nov. 2016, n°14-22.114, Dalloz 2017, p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon, et
p. 613, note C. Witz ; RCDIP 2017, p. 404, note O. Boskovic ; dans lequel la Cour a sanctionné les juges du fond
pour violation de l’art. 7.2 de la Convention de Vienne : « qu’en statuant ainsi, alors que la Convention de
Vienne, si elle impose à l’acheteur un délai pour dénoncer un défaut de conformité, ne comporte aucune règle de
prescription, la cour d’appel, qui ne s’est pas référée sur ce point à la loi désignée, par les règles de conflit, a
violé le texte susvisé ».

712
de la méthode est respectée puisque le libre arbitre du juge est fortement encadré2197. De la
même manière, l’égalité de traitement sera garanti puisque, grâce à cette sanction,
l’application de la loi étrangère ne pourra fortement diverger d’une juridiction à l’autre. En
sus, ce contrôle assure au mieux la sécurité juridique au regard de son étendue.

b) Une protection étendue de la règle de conflit accordée par le contrôle de légalité


1625. Un contrôle élargi au-delà des dispositions législatives. Bien que le cas
particulier de la dénaturation constitue un contrepoids à l’absence de pourvois pour violation
de la loi étrangère, son rôle est d’autant plus conséquent en termes de sécurité juridique, qu’il
ne vise pas uniquement les dispositions législatives. En effet, « la Cour de cassation indique
expressément qu’elle est prête à sanctionner aussi bien une dénaturation de la loi qu’une
dénaturation de la jurisprudence étrangère »2198. De cette façon, elle élargit « les chances de
succès d’un grief fondé sur ce vice »2199 et favorise la réalisation effective et sécurisée du
droit étranger.
1626. Une meilleure prise en compte du droit étranger. Finalement, malgré
l’absence de contrôle de violation de la loi étrangère, il semble que la Cour de cassation soit
parvenue à suffisamment veiller à la bonne application des lois étrangères issues de la mise en
œuvre des règles de conflit de l’ordre juridique français. En effet, au regard de sa fonction
propre, il « semble que le principe d’une absence de contrôle de l’interprétation donnée par le
juge du fond à la loi étrangère s’impose » notamment dans la mesure où « le contrôle de la
dénaturation constitue une limite suffisante au principe du pouvoir souverain d’interprétation
dont bénéficie les juges du fond » 2200 . De surcroît, « ce contrôle est (…) d’autant plus
satisfaisant qu’il s’accompagne d’un contrôle des motifs organisé dans des conditions
rigoureuses »2201. Finalement, la jurisprudence de la Cour de cassation « traduit une évolution
de notre droit vers une meilleure prise en compte du droit étranger compétent selon la règle de
conflit » 2202 . Or, il s’agit là d’un phénomène positif dans la mesure où le raisonnement

2197
Ex. : Cass., Civ. 1ère, 24 sept. 2014, n°13-20.049 et 13-25.556, Dalloz 2015, p. 1056, note H. Gaudemet-
Tallon ; dans lequel la Cour a considéré que : « dénature la loi étrangère applicable l’arrêt qui retient que l’article
114 du Code de la famille marocain est contraire au principe d’égalité des époux et à l’ordre public international,
alors que cet article sur le divorce consensuel précise que les époux peuvent consentir d’un commun accord au
principe de mettre fin à leur relation conjugale ».
2198
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 371, spéc. à propos de l’arrêt suivant :
Cass., Civ. 1ère, 3 juin 2002, Société nationale de recouvrement, JDI 2004, p. 520, note F. Mélin.
2199
Ibid.
2200
F. Mélin, « Loi étrangère », JDI n° 2, avr. 2004, spéc. p. 11.
2201
Ibid.
2202
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 371.

713
conflictualiste ne s’arrête pas au seul déclenchement de la règle de conflit, mais perdure
jusqu’à l’application dans ses dispositions matérielles de la loi étrangère. C’est pourquoi il
convient d’encadrer cette application jusque devant la Cour de cassation.
1627. Un traitement sécurisé des situations internationales jusqu’à l’application
de la loi matérielle compétente. Ainsi, s’il semblait que la sécurité juridique soit mise à mal
par l’absence de sanction en cas de violation de la loi étrangère, il s’avère que ce n’est pas le
cas grâce aux sanctions imputables à l’insuffisance des motifs et la dénaturation de la loi
étrangère. Ainsi, les objectifs de neutralité et d’égalité sont garantis du début à la fin de la
méthode conflictuelle2203, c’est-à-dire de la règle de conflit à l’application de la loi étrangère.
De cette façon, il n’est pas nécessaire de remettre en cause le contrôle effectué par la Cour de
cassation dans la mesure où elle participe d’une meilleure justice conflictuelle. Toutefois,
cette protection est remise en cause par l’exception de l’équivalence des droits.

§ 2 – L’ABSENCE DISCUTABLE DE CENSURE DE LA MAUVAISE APPLICATION DE LA


REGLE DE CONFLIT

1628. Parallèlement aux sanctions que peuvent encourir les juges du fond, il est un
cas particulier dans lequel la Cour de cassation admet que le juge puisse valablement
appliquer une autre loi que celle normalement compétente. Il s’agit de l’exception
d’équivalence des droits, laquelle, par dérogation, ne fait pas l’objet d’une censure de la part
de la Cour de cassation dans la mesure où elle constitue une protection spéciale accordée aux
justiciables (A). Cependant, malgré son caractère apparemment protecteur, il s’agit d’une
exception incompatible avec la méthode et le régime applicables en droit des conflits de lois.
C’est pourquoi conformément à l’égalité de traitement, cette exception ne devrait plus en
constituer une afin que l’application de la loi étrangère soit parfaitement respectée (B).

A. LA PROTECTION DES SUJETS DE DROIT SPECIALEMENT GARANTIE PAR LA


THEORIE DE L’EQUIVALENCE

1629. L’exception spécifique à l’équivalence des droits constitue un instrument de


protection des situations internationales dont peut user le juge. En effet, la théorie de
l’équivalence a été reconnue en droit positif afin de répondre à un objectif de sécurité
juridique que les sujets de droit peuvent légitimement exiger (1). De cette façon, en

2203
Cf. supra § 1625.

714
reconnaissant cette exception, objet d’une appréciation in concreto, les juges du fond assurent
aux justiciables une véritable justice matérielle (2).

1) Le recours à la théorie de l’équivalence par sécurité juridique


1630. L’exception d’équivalence des droits s’est imposée en droit positif afin de
garantir aux justiciables une certaine sécurité juridique dans le traitement de leur litige. En
effet, en l’absence de remise en cause du résultat substantiel, la jurisprudence a donc choisi de
la reconnaître juridiquement (a) et ceci pour des raisons procédurales favorables aux
justiciables (b).

a) La reconnaissance jurisprudentielle de l’équivalence des droits en considération du


résultat substantiel
1631. L’admission de l’équivalence des droits en droit positif. Il est
traditionnellement reconnu par la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment depuis
l’arrêt Compagnie royale belge de 19992204, l’exception d’équivalence des droits. En d’autres
termes, « la Cour de cassation (refuse) de censurer des juges du fond pour avoir appliqué une
loi étrangère alors que la loi française aurait été compétente, ou pour s’être abstenus de choisir
entre l’une et l’autre, au motif dans les deux cas d’équivalence au fond entre les deux lois
d’où l’absence d’intérêt pour le demandeur au pourvoi »2205. Précisément, les juges du fond
peuvent appliquer une autre loi que celle qu’ils auraient dû appliquer, à condition que cette
dernière conduise au même résultat substantiel que la loi initialement applicable. « Il y a ainsi
équivalence lorsque le juge estime que, malgré les différences de forme entre la règle
étrangère et la règle française, il y a similitude de résultats »2206. Par conséquent, dès que
l’équivalence substantielle est constatée par les juges du fond, leur décision n’encourt pas de
sanction. Il s’agit donc d’une équivalence « purement matérielle et concrète, qui enregistre
l’identité des répartitions des droits et obligations entre les intéressés auxquelles procèdent
respectivement les lois en présence »2207.
1632. Une admission justifiée par l’identité de résultats substantiels. La Cour de
cassation ne sanctionne pas l’erreur d’application relative à la loi applicable lorsqu’il s’agit
d’un cas d’équivalence des droits. Ce choix peut paraître surprenant dans la mesure où les

2204
Cass., Civ. 1ère, 13 avr. 1999, Compagnie royale belge, Dalloz 2000, p. 268, note E. Agostini ; JCP 2000, II,
p. 2061, note G. Légier ; RCDIP 1999, p. 698 note B. Ancel et H. Muir-Watt.
2205
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 328.
2206
Ph. Malaurie, « L’équivalence en droit international privé », Dalloz 1962, 36ème cahier, chron., p. 37 et s.
2207
B. Ancel et H. Muir-Watt, « Application de la règle de conflit en cas d’équivalence des lois applicables et
appliquées », RCDIP 1998, p. 698, § 5.

715
juges du fond commettent tout de même une erreur dans l’application de la loi normalement
compétente. Cependant, cette absence de sanction se justifie parce que le résultat substantiel
entre la loi initialement applicable et la loi appliquée est identique. C’est pourquoi cette
jurisprudence s’est pérennisée et que la Cour de cassation a pu réaffirmer que « l’équivalence
entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de conflit – en ce sens que la situation de
fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois –
justifie la décision qui fait application d’une loi autre que la loi compétente »2208. En outre, si
la théorie de l’équivalence se justifie au regard du résultat substantiel en cause, elle se défend
davantage au regard de l’avantage procédural qu’elle procure.

b) L’équivalence des droits motivée par des raisons procédurales


1633. Vraisemblablement la raison pour laquelle l’exception d’équivalence des droits
est admise est d’ordre procédural. Comme l’a affirmé le Professeur Muir-Watt,
« l’équivalence des lois en conflit semble servir la cause toute pragmatique de l’économie
procédurale, en ce qu’elle permet d’empêcher la censure pour violation purement formelle de
la règle de conflit » 2209 . Si l’équivalence des droits n’était pas reconnue par la Cour de
cassation, les décisions des juges du fond encourraient censure sans un véritable intérêt. En
effet, les décisions seraient remises en cause pour mauvaise application de la loi applicable et
chaque litige serait rejugé à l’aune de la loi véritablement applicable, mais le résultat
substantiel demeurerait identique. Par conséquent, hormis un rallongement de la procédure, il
semble que censurer les décisions du juge du fond ne présente aucun intérêt. En sus, « cette
jurisprudence permet d’écarter les pourvois dilatoires en présence d’un « faux conflit »2210.
Par conséquent, la reconnaissance de cette exception s’est imposée d’elle-même par mesure
de sécurité juridique puisqu’elle protège les sujets de droit et conséquemment les justiciables
de procédures à rallonge ou dilatoires2211. Ainsi, au regard des avantages procéduraux que
procure la théorie de l’équivalence, il semble logique de l’admettre en droit positif puisqu’elle
paraît favoriser les sujets de droit.

2208
Cass., Civ. 1ère, 11 janv. 2005, n°01-02.473, Dalloz 2005, p. 2924, note J.-G. Mahinga ; RCDIP 2006, p. 85,
note M. Scherer.
2209
H. Muir-Watt, « En présence de deux droits équivalents sur le point en litige, il ne peut être fait grief au juge
de ne pas choisir la loi applicable », RCDIP 2001, p. 513, § 1.
2210
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 328.
2211
Voir en ce sens : O. Cachard, op. cit., § 555 à propos de l’équivalence protectrice de la censure, notamment
au regard d’un arrêt Cass., Civ. 1ère, 13 avril 1999, n°96-22.487, RCDIP 1999, p. 698, note H. Muir-Watt et B.
Ancel, dans lequel la Cour de cassation applique la théorie de l’équivalence relevant une « identité de
conséquences juridiques de l’application des deux lois ».

716
2) L’équivalence concrète admise en réponse aux objectifs d’une justice matérielle
1634. En reconnaissant juridiquement la théorie de l’équivalence, la Cour de
cassation s’engage à assurer aux justiciables une meilleure justice substantielle dans la mesure
où le résultat matériel qu’ils ont cru juste ne sera pas remis en cause (a). Néanmoins, afin que
ce dispositif soit utilisé à bon escient, celui-ci est strictement encadré et surtout susceptible
d’être sanctionné pour dénaturation (b).

a) L’assurance d’une meilleure justice substantielle aux justiciables


1635. Le sauvetage de décisions encourant cassation. Au regard de la
jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’équivalence des droits, le Professeur
Gaudemet-Tallon a pu affirmer que « le seul avantage pratique de ce recours à la théorie de
l’équivalence dans le procès intenté en France est d’éviter la cassation et donc aussi de
décourager des pourvois dilatoires »2212. En effet, au regard des diverses jurisprudences de la
Cour de cassation, il apparaît que la théorie de l’équivalence a été essentiellement consacrée
dans l’objectif de garantir aux sujets de droit une meilleure justice substantielle.
1636. Un sauvetage en réponse d’une justice matérielle. L’équivalence des droits a
été admise par la Cour de cassation pour des raisons substantielles consistant à sauver des
décisions dans lesquelles la loi appliquée n’était pas la loi désignée par la règle de conflit. Par
conséquent, afin de garantir aux justiciables une meilleure justice substantielle, il leur est
assuré, qu’en cas d’équivalence de résultats, la décision qui les concerne ne sera pas remise en
cause. Finalement, il s’agit donc d’un simple dispositif fonction d’un objectif de justice
substantielle, garantissant aux justiciables, le résultat matériel auquel ils peuvent légitimement
prétendre en application des règles du droit international privé. Afin que cette théorie réponde
à cet objectif, mais qu’elle ne fasse pas l’objet d’un abus par les juges du fond, elle demeure
encadrée.

b) Le recours abusif au dispositif sanctionné par la dénaturation


1637. Une mise en œuvre encadrée de la théorie. Si la théorie de l’équivalence a
été consacrée afin de sauver des décisions de la censure, il n’en demeure pas moins que son
recours reste encadré. D’une part, il a été précisé que les juges du fond ne peuvent y recourir
que dans la mesure où ces derniers constatent explicitement l’équivalence substantielle2213.

2212
H. Gaudemet-Tallon, « De nouvelles fonctions pour l’équivalence en droit international privé ? », in Le droit
international privé : esprit et méthodes : Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, op. cit., spéc. p. 303 et s.
2213
Cf. supra 1629 et 1630.

717
Ainsi, « pour que l’exception soit véritablement justifiée, il convient (…) d’apprécier
l’équivalence in concreto »2214. D’autre part, les décisions recourant à l’équivalence des droits
sont susceptibles d’être sanctionnées pour dénaturation. C’est pourquoi il faut « faire preuve
d’une rigueur suffisante dans l’appréciation de l’équivalence » pour empêcher que
« l’exception d’équivalence (dégénère) notamment en un moyen commode de justifier
l’application de la loi du for au détriment de la loi étrangère normalement applicable » et
conduise potentiellement à une censure pour dénaturation de la loi étrangère.
1638. Un recours favorable aux sujets de droit. Par conséquent, dans la mesure où
l’équivalence des droits fait l’objet d’un encadrement afin d’éviter que son recours ne
devienne abusif, il semble que rien ne s’oppose à son admission en droit positif. En effet, il
s’agit d’un mécanisme favorable aux sujets de droit qui répond à des objectifs de justice
matérielle. Néanmoins, s’il répond d’une justice substantielle, il faut toutefois qu’il réponde
également de la justice conflictuelle.

B. UNE EXCEPTION DEFAILLANTE AU REGARD DE LA JUSTICE CONFLICTUELLE


1639. Si l’équivalence des droits constitue une exception à l’office du juge admise en
droit positif, elle présente pourtant certaines contradictions avec la justice conflictuelle à
laquelle prétend la discipline. En effet, il s’agit vraisemblablement d’un dispositif contraire à
la méthode conflictuelle classique (1). C’est pourquoi il devrait être supprimé du droit positif
et ceci d’autant plus qu’il est inadapté au système actuel applicable en droit des conflits de
lois (2).

1) Une exception contraire à la méthode conflictuelle classique


1640. Malgré les avantages que présente l’équivalence des droits en termes de justice
substantielle, celle-ci s’avère irrespectueuse de l’autorité de la règle de conflit (a). C’est
pourquoi elle remet également en cause les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement
garantis par la méthode conflictuelle (b).

a) L’équivalence des droits irrespectueuse de l’autorité de la règle de conflit


1641. Si l’équivalence des droits semble répondre de la justice matérielle à laquelle
peut prétendre tout justiciable, elle ne garantit pas en revanche les objectifs de la justice
conflictuelle. En effet, « le principe même de l’exception d’équivalence semble en

2214
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 328.

718
contradiction avec l’affirmation d’un regain d’autorité de la règle de conflit » 2215 . En
admettant l’équivalence des droits, le droit positif autorise les juges du fond à appliquer une
loi autre que celle normalement désignée par la règle de conflit2216. Par conséquent, cela a
pour effet de remettre en cause l’autorité de la méthode conflictuelle puisqu’une mauvaise
utilisation de celle-ci peut être exempte de sanction. Or, il semble tout de même douteux de
considérer qu’en droit des conflits de lois doit davantage être privilégiée une justice matérielle
qu’une justice conflictuelle. Il convient de rappeler que, pour garantir aux sujets de droit un
traitement de leur situation internationale neutre et égalitaire, il est nécessaire de respecter les
exigences qu’impose la justice conflictuelle 2217 . Néanmoins, il pourrait être admis que si
l’équivalence des droits ne respecte pas la méthode conflictuelle dans sa mise en œuvre, elle
ne fausse toutefois pas son résultat. Dans la mesure où l’équivalence des droits n’est admise
qu’en présence de résultats substantiels équivalents, alors le résultat issu de la méthode
conflictuelle est malgré tout respecté. Cependant, si, a priori, la méthode conflictuelle semble
garantie dans son résultat ultime, il s’avère que l’équivalence des droits remet toutefois en
cause l’égalité de traitement prônée par cette méthode.

b) La remise en cause de l’égalité de traitement


1642. La neutralité mise à mal par la théorie de l’équivalence. Le Professeur
Gaudemet-Tallon a mis en évidence le manque de neutralité que pouvait provoquer
l’équivalence des droits dans le système du conflit de lois. Ainsi, pour illustrer son propos,
elle expliquait que « si l’équivalence est fort utile lorsqu’il s’agit de conférer l’exequatur en
France à un jugement étranger, c’est qu’en ce cas, on a déjà « un résultat » bien réel » puisque
« la situation concrète (…) découle du jugement étranger ». Par conséquent, « il est assez
facile de savoir si on serait arrivé au même résultat par application de la loi désignée par la

2215
A. Frignati et H. Muir-Watt, op. cit., § 166.
2216
S. Godechot-Patris, « Retour sur la notion d’équivalence au service de la coordination des systèmes »,
RCDIP 2010, p. 271 : « De l'équivalence en droit international privé on peut certes en attendre le meilleur mais
on peut aussi légitimement en craindre le pire » ; « à postuler ainsi l'équivalence des lois en conflit, on voit
germer les dangers d'une telle affirmation, qui à terme peut conduire à un recul de la méthode conflictuelle. En
témoigne d'ailleurs l'une des plus récentes applications du mécanisme : au nom de l'équivalence des lois en
conflit, la Cour de cassation a en effet pu considérer qu'il n'y avait pas lieu de sanctionner les juridictions
inférieures qui avaient appliqué une loi autre que celle désignée par la règle de conflit du for. L'assouplissement
de l'office du juge peut sembler assez radical ; plus encore la Cour de cassation laisse ainsi entendre que
l'obligation pour le juge de mettre en œuvre la règle de conflit n'existerait qu'en présence d'un « vrai conflit ».
Conduisant à une mise à l'écart de la règle de conflit du for, le mécanisme de l'équivalence favoriserait partant un
recul de la méthode conflictuelle et ne serait finalement qu'une manifestation d'un lex forisme hautement
critiquable ».
2217
Cf. supra § 14 et s., et § 861.

719
règle de conflit française »2218. En revanche, « dans l’instance directe en France, on n’a encore
aucun résultat ; on ne peut que raisonner sur des hypothèses de résultat, sur des résultats
virtuels »2219. En d’autres termes, lorsque l’équivalence est admise sur la base d’une décision
étrangère, il demeure assez simple pour le juge de constater que le droit étranger fait l’objet
d’une équivalence avec le droit français. Or, lorsque l’équivalence est utilisée au stade de la
loi applicable, le juge se prononce sur la base de résultats substantiels qui n’ont, en réalité, pas
encore été mis en pratique. Par conséquent, « la démarche est plus aléatoire et risque d’être
entachée d’un grand subjectivisme » 2220 . En effet, lorsque le juge doit constater une
équivalence issue d’un jugement étranger, il n’a en aucun cas besoin d’analyser le droit
étranger pour déterminer le résultat auquel il conduit, puisque ce résultat figure déjà dans le
jugement réclamant exequatur. A contrario, lorsque le juge doit relever une équivalence
substantielle entre la loi du for et la loi étrangère, il doit analyser le droit étranger et
déterminer à quel résultat il va conduire. C’est pourquoi une véritable part de subjectivisme
pourrait réapparaître dans le traitement de la situation internationale. En effet, le juge ne va
pas se contenter d’appliquer la méthode conflictuelle, il va cette fois-ci rendre une décision en
fonction des résultats substantiels en jeu. Indéniablement, la neutralité de la méthode
conflictuelle sera donc remise en question puisque celle-ci doit, en principe, faire abstraction
de tout matérialisme. Par conséquent, pourront apparaître des solutions différentes d’une
juridiction à une autre.
1643. De l’insécurité juridique à l’inégalité de traitement. Ainsi, malgré la
possibilité de remettre en cause l’équivalence des droits par la voie de la dénaturation, « la
sécurité juridique est sérieusement mise à mal »2221. La dénaturation n’a pour objet que de
sanctionner une interprétation contraire d’un texte clair et précis. Or, il se pourrait que
l’équivalence des droits conduise à des solutions différentes d’une juridiction à une autre sans
que les juges du fond commettent une dénaturation de la loi étrangère, mais simplement en
fassent une mauvaise ou une fausse interprétation afin d’appliquer la loi du for. De cette
façon, il est, une nouvelle fois, envisageable que le recours à l’équivalence des droits remette
en cause l’égalité de traitement qui doit être assurée aux sujets de droit, et aux justiciables en
droit des conflits de lois. C’est pourquoi dans la mesure où cette théorie semble s’inscrire en

2218
H. Gaudemet-Tallon, « De nouvelles fonctions pour l’équivalence en droit international privé ? », op. cit., p.
303 et s.
2219
Ibid.
2220
Ibid.
2221
Ibid.

720
contradiction avec les objectifs d’une justice conflictuelle, son recours devrait être remis en
cause.
1644. L’insuffisante protection de la dénaturation. En outre, il convient de
rappeler que l’absence de sanction en cas de violation de la loi étrangère est justifiée et que le
contrôle de légalité des décisions du juge fond suffit à respecter la méthode conflictuelle,
notamment au regard des objectifs de neutralité et d’égalité2222. Cependant, cette affirmation
ne peut être transposée en matière d’équivalence des droits. Dans l’hypothèse classique
d’application de la loi étrangère, les juges du fond ont pour rôle d’appliquer la loi étrangère.
Aucune marge de manœuvre ne leur est offerte. En revanche, dans le cadre de l’équivalence
des droits, la théorie consiste à admettre que le juge n’applique pas, par le biais d’une règle de
conflit, la loi étrangère. Son rôle est d’apprécier le résultat substantiel auquel conduit la loi
étrangère et la loi du for. Il n’est donc plus question d’application de la loi étrangère, mais
d’appréciation de son résultat substantiel. C’est pour cette raison, parce qu’une part de
subjectivisme est admise que la dénaturation ne constitue plus une censure suffisante. En
effet, il est question d’analyser deux résultats substantiels différents pour déterminer si
l’équivalence des droits est constituée. Or, l’introduction de cette appréciation pourra
nécessairement conduire à favoriser l’application de la loi du for sans pour autant que soit
constituée une dénaturation de la loi étrangère. De cette façon, les résultats pourront diverger
d’une juridiction à l’autre, de manière plus sensible que dans le cadre d’une simple
application du droit étranger. La différence tient essentiellement au fait qu’entre en jeu la
possibilité d’appliquer la loi du for dans le cadre de l’équivalence des droits, tandis que ce
n’est pas le cas lorsque le juge se contente d’appliquer la loi étrangère applicable. En sus, si
l’équivalence s’inscrit en contradiction des objectifs prônés par la méthode conflictuelle, il
s’avère également que ce dispositif n’est plus si pertinent qu’il n’y paraît dans le système de
droit des conflits de lois actuel.

2) La suppression requise d’une exception inadaptée en droit des conflits de lois


1645. En analysant l’équivalence des droits au regard de l’application actuelle des
règles et du régime propres au droit des conflits de lois, cette exception ne s’y insère pas
correctement. D’une part, il s’agit d’une exception complexe à exécuter et incohérente avec la
mise en œuvre classique des règles de conflit (a). D’autre part, elle doit être considérée

2222
Cf. supra § 1620 et s.

721
comme désuète eu égard au nouveau régime applicable en matière de la charge de la preuve
(b).

a) Une exception complexe et incohérente avec la mise en œuvre de la règle de conflit


1646. L’alourdissement de la tâche du juge à intérêt restreint. L’équivalence des
droits impose aux juges du fond de constater l’équivalence. Par conséquent, le processus
consiste pour le juge à rechercher le résultat auquel conduit la loi étrangère, pour ensuite
considérer que ce résultat est bien équivalent à celui d’une autre loi, en général la loi du for,
dont il va faire application. Le travail du juge va donc nécessairement être rude et en quelque
sorte alourdi. Or, il semble que ce processus soit quelque peu incohérent. « On voit assez mal
l’intérêt concret qu’aurait (le juge du fond), ayant tranché le conflit de lois et pris
connaissance au fond de la loi normalement applicable, d’en appliquer délibérément une
autre » 2223 . En effet, il faut que le juge justifie « en vertu d’une motivation adéquate,
l’équivalence de la loi incompétente qu’(il) décide néanmoins d’appliquer » 2224 . Par
conséquent, il est difficile de percevoir l’intérêt pratique de l’équivalence des droits puisqu’il
réclame du juge un travail double. Celui-ci consiste d’abord à rechercher le résultat
substantiel auquel conduit la loi étrangère initialement applicable, puis à rechercher le résultat
substantiel auquel conduit la loi qu’il souhaite appliquer pour ensuite constater l’équivalence
et enfin appliquer la loi qu’il souhaitait appliquer si l’équivalence est constituée. Il serait sans
doute plus simple de se contenter d’appliquer seulement la loi étrangère désignée applicable
par la règle de conflit. Le travail du juge serait nettement moins alourdi. De plus, il semble
incohérent de ne pas procéder de la sorte dans la mesure où le résultat substantiel sera
identique, quel que soit le cas. Il vaudrait donc mieux que soit correctement appliquée la règle
de conflit par le juge du fond afin de rendre compétente la loi normalement applicable
puisque, comme l’a affirmé le Professeur Malaurie, « une règle n’est pas susceptible d’à-peu-
près, elle s’applique ou ne s’applique pas » 2225 . En outre, il s’agirait d’une manière de
répondre d’une certaine célérité de la justice conformément au droit à un procès équitable.
1647. Un alourdissement légitimé par la seule éviction de toute censure. En
vérité, ce n’est que pour sauver des décisions dans lesquelles les juges du fond ont commis
une erreur dans l’application de la règle de conflit qu’est admise la théorie de l’équivalence.
Elle ne sert qu’à épargner certaines décisions de la censure dans le cas où les juges du fond

2223
A. Frignati et H. Muir-Watt, op. cit., § 168.
2224
Ibid.
2225
Ph. Malaurie, « L’équivalence en droit international privé », op. cit., p. 37 et s.

722
auraient commis une erreur de droit c’est-à-dire n’auraient pas correctement utilisé les règles
du droit international privé. De plus, elle a parfois même été utilisée en l’absence de véritables
équivalence substantielle2226. Ainsi, dans la mesure où l’équivalence des droits constitue un
mécanisme complexe dont le recours semble relativement peu cohérent avec l’application des
règles de conflit, sa suppression devrait être envisagée. De plus, il s’agit aujourd’hui d’un
dispositif désuet au regard du régime applicable en matière de charge de la preuve.

b) Une exception désuète eu égard au régime applicable en matière de preuve


1648. L’équivalence des droits fondée sous l’empire de la jurisprudence
ancienne. L’arrêt de principe reconnaissant juridiquement la théorie de l’équivalence en droit
positif date de 19992227. Or, à l’époque, l’établissement du contenu de la charge de la preuve
incombait aux parties depuis l’arrêt Lautour2228. Par conséquent, il était considéré que « tant
que la preuve de la loi étrangère (n’était) pas apportée à la satisfaction du juge du fond, celui-
ci (était fondé) à statuer au regard du droit français » 2229 . En effet, sous la jurisprudence
antérieure, et notamment depuis l’arrêt Amerford de 1993 2230 , en matière de droits
disponibles, le juge n’avait l’obligation de trancher le conflit de lois que lorsque la partie qui
invoquait l’application du droit étranger en rapportait la preuve, et que son contenu était
effectivement différent de la loi française. « La règle exigeait de celui qui entend introduire
dans le procès le droit étranger qu’il démontre l’intérêt de cette démarche en établissant que
l’application de celui-ci commande une issue différente de celle qui se déduit de l’application
de la loi française » 2231 . A défaut, « la règle de conflit et donc la loi étrangère étaient
maintenues hors-jeu et, malgré son caractère international, l’affaire ne relevait que du droit
interne »2232. Il était donc envisageable que le juge du fond statue en vertu de la loi française,
en matière de droits disponibles, parce que le contenu de la loi étrangère n’était pas ou
insuffisamment rapporté pour établir sa différence. A titre d’illustration, il est possible

2226
O. Cachard, op. cit., § 556 se référant à un arrêt Cass. Civ. 1ère, 3 avril 2001, n°99-17.649, RCDIP 2001, p.
513, note H. Muir-Watt ; affirmant que « La motivation de l’arrêt laisse entrevoir une conception différente de
l’équivalence. La Cour semble admettre une conception moins concrète et plus littérale de l’équivalence, se
contentant de l’équivalence des textes en présence. On peut douter que le faux conflit soit véritablement
caractérisé ».
2227
Cass., Civ. 1ère, 13 avr. 1999, Compagnie royale belge, préc.
2228
Cass., Civ., 25 mars 1948, Lautour, préc.
2229
H. Muir-Watt, « En présence de deux droits équivalents sur le point en litige, il ne peut être fait grief au juge
de ne pas choisir la loi applicable », op. cit., p. 513, § 6.
2230
Cass., Com., 16 nov. 1993, Amerford, RCDIP 1994, p. 332, note P. Lagarde ; JDI 1994, p. 98, note J.-B.
Donnier ; GAJFDIP n°82-83.
2231
B. Ancel et Y. Lequette, op. cit., n°82-83, § 5.
2232
Ibid.

723
d’évoquer une jurisprudence de 2001 dans laquelle les juges du fond ont appliqué la loi
française à défaut de la loi espagnole invoquée par le défendeur2233.
1649. L’équivalence des droits contestée au regard de la jurisprudence actuelle.
Cependant, depuis 2002 2234 et plus précisément 2005 2235 , la charge de la preuve incombe
désormais au juge. Il paraît alors absurde d’admettre encore l’équivalence des droits. En effet,
puisque le juge doit établir le contenu de la loi étrangère, il doit nécessairement à la suite
appliquer la loi étrangère, et ceci qu’elle soit différente ou non du contenu de la loi française.
De la même manière, lorsque la règle de conflit est invoquée par l’une des parties, il se doit de
la mettre en œuvre et d’appliquer la loi matérielle qui en découle. Par conséquent, ce n’est que
dans le cas où le contenu de la loi étrangère ne pourrait être rapporté, qu’il appliquera la loi
française à titre subsidiaire, mais en aucun cas sur le fondement de l’équivalence des droits.
Ainsi, puisque la théorie de l’équivalence répondait bien des conséquences qui pouvaient
découler de la jurisprudence Amerford, elle pouvait être défendue sur un plan pratique. Or, au
regard du droit positif actuel, l’équivalence des droits semble moins justifiée puisque la
charge de la preuve incombe désormais au juge et que celui-ci ne peut rejeter la prétention
d’une partie au motif qu’elle n’a pas établi le contenu de la loi étrangère, ou que celui-ci est
différent de la loi française. Il est désormais dans l’obligation d’appliquer la règle de conflit
invoquée et la loi matérielle qui en découle. Par conséquent, si en matière de droits
disponibles, l’une des parties invoque l’application du droit étranger, le juge devra en établir
son contenu. Ce n’est qu’à défaut d’établissement que la loi du for sera compétente.
1650. Le rejet exigé de la théorie de l’équivalence par respect de la méthode
conflictuelle. Au regard du caractère désuet qui peut être imputé à la théorie de l’équivalence,
il semblerait que celle-ci ne présente plus une grande utilité sauf à sauver des décisions qui
sont juridiquement fausses. C’est pourquoi dans la mesure où elle est contraire aux préceptes
prônés par la méthode conflictuelle, ainsi qu’aux objectifs de la justice conflictuelle, il serait
sans doute préférable d’abolir son utilisation. De plus, étant relativement complexe à exécuter,
et incohérente avec l’emploi de la règle de conflit, sa suppression semble s’imposer d’elle-
même. En outre, dans le cas où toutes les règles de conflit deviendraient intégralement

2233
Cass., Civ. 1ère, 3 avr. 2001, M.X. c. Mme White et autres, RCDIP 2001, p. 513, note H. Muir-Watt.
2234
Cass., Civ. 1ère, 18 sept. 2002, Sporting, n°00-14.785, préc.
2235
Cass., Com., 28 juin 2005, Itraco, n°02-14.686, préc. ; et Cass., Civ. 1ère, 28 juin 2005, Aubin, n°00-15.734,
préc.

724
obligatoires 2236 , conformément à leur nature, il serait indispensable de supprimer cette
exception qui n’est pas respectueuse de la méthode conflictuelle. En aucun cas son objectif ne
devrait être déjoué, comme les erreurs juridiques tolérées. Il s’agit d’un préalable
indispensable à une méthode de droit des conflits de lois neutre et égalitaire.
1651. Un régime d’application de la loi étrangère essentiellement conforme à
l’égalité de traitement. Finalement, tant au regard du régime applicable à l’application de la
loi matériellement désignée, que du contrôle opéré eu égard à la mise en œuvre de celle-ci par
les juges du fond, l’égalité de traitement, dans son ensemble, est respectée et garantie. Reste
quelques cas exceptionnels, pour lesquels elle demeure mise à mal et qu’il convient alors
d’effacer du système juridique de droit des conflits de lois afin de respecter la méthode
conflictuelle dans son intégralité, et surtout à son résultat ultime.

2236
Cf. supra § 1488.

725
726
CONCLUSION DU CHAPITRE I :
1652. Un régime d’application partiellement incompatible l’égalité de
traitement. Finalement, le régime d’application des règles de conflit, et conséquemment de la
loi matérielle compétente, suscite quelques critiques en termes de respect de la méthode
conflictuelle dans la mesure où diverses atteintes sont portées à la neutralité de la règle et à
l’égalité de traitement qui en découle. Néanmoins, une nette différence s’opère entre les règles
relatives à l’application de la règle de conflit, et les règles relatives à l’application de la loi
matérielle désignée.
1653. La remise en cause évidente du régime d’application de la règle de conflit.
En premier lieu, le régime relatif à la règle de conflit doit être entièrement réformé
puisqu’aucune de ses composantes ne répond de la justice conflictuelle. C’est pourquoi il
serait préférable que désormais l’office du juge soit régi par le principe selon lequel toute
règle de conflit doit d’office être appliquée par le juge dans la mesure où il s’agit d’une règle
de droit. De la même façon, les exceptions à l’office du juge doivent être remises en cause.
D’une part, l’accord procédural doit être supprimé dans la mesure où l’autonomie de la
volonté peut faire partie intégrante de la règle de conflit notamment en matière de droits
disponibles. D’autre part, la vocation subsidiaire de la lex fori doit, une nouvelle fois, être
écartée au profit de la loi des liens les plus étroits conformément à une localisation
scientifique du rapport de droit. En optant pour ces différentes évolutions, tout arbitraire du
juge, ainsi que tout aléa des solutions sont évincés. Ainsi, au stade de l’application de la règle
de conflit, les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement de la méthode conflictuelle
peuvent être respectés.
1654. Le maintien global du régime d’application de la loi matérielle. En second
lieu, le régime relatif à l’application de la loi matérielle, contrairement à celui de la règle de
conflit, est plus respectueux des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. En effet, eu
égard au résultat spécifique éconduit par la méthode conflictuelle, le statut de la loi étrangère
et le régime de la charge de la preuve ont fait l’objet d’un encadrement spécifique. Or, dans
l’ensemble, sauf les quelques exceptions subsistantes, ce régime préserve la méthode
conflictuelle. En effet, grâce à ces règles, neutralité et égalité de traitement sont garantis
notamment dans la mesure où la loi étrangère est traitée comme l’égal de la loi française. De
plus, cette garantie est prolongée au travers du contrôle de légalité opéré par la Cour de
cassation qui permet de contrôler la juste application de la loi étrangère par les juges du fond.
En d’autres termes, la quasi-intégralité de ce régime est à conserver. Seules quelques

727
exceptions doivent être remises en cause notamment celles relatives à la charge de la preuve
puisqu’elles tendent à évincer le résultat issu de la méthode conflictuelle, et à traiter les
parties de manière différente. Néanmoins, doit surtout être supprimée l’équivalence des droits
qui, de faible intérêt, a vocation à tolérer une mauvaise application de la règle de conflit et
dont les conséquences peuvent être aléatoires.
1655. Le renouvellement espéré de l’entier régime d’application conformément à
l’égalité de traitement des situations internationales. En conclusion, le régime
actuellement pratiqué eu égard à l’application de la règle de conflit et de la loi matérielle n’est
pas parfaitement harmonieux en termes de respect de la justice conflictuelle. Toutefois, les
points sur lesquels la neutralité et l’égalité de traitement sont contrariées, sont susceptibles
d’être solutionnés par l’évolution de leurs règles, ou simplement par suppression dans leur
principe. C’est pourquoi une fois encore, il convient d’espérer que le régime d’application de
la règle de conflit, et de la loi matérielle, s’active au respect de l’égalité de traitement.
Cependant, ce regain d’espoir pourrait être remis en cause par les mécanismes d’éviction de la
loi matérielle applicable.

728
CHAPITRE II : LA REMISE EN CAUSE PARTIELLE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT
PAR LES MECANISMES D’EVICTION DE LA LOI MATERIELLE APPLICABLE

1656. La confrontation des mécanismes perturbateurs à l’égalité de traitement.


Hormis le régime propre à l’application de la loi matérielle désignée compétente, il existe
deux mécanismes d’éviction spécifiques au stade de la loi matériellement désignée. Ces
mécanismes ont pour objet de perturber l’application classique de la règle de conflit.
Toutefois, leur emploi n’apparaît qu’après application de la loi matérielle compétente dans la
mesure où leur existence n’est révélée qu’à ce stade du raisonnement. En sus, ces deux
mécanismes ont pour effet d’évincer la loi matériellement applicable à la situation
internationale. C’est pourquoi, ils constituent des éléments perturbateurs au stade de la loi
matérielle applicable, à propos desquels il convient de se demander s’ils contribuent au
maintien de la neutralité et de l’égalité de traitement garanties par la méthode conflictuelle, ou
plutôt s’ils ont pour effet de les amoindrir.
1657. L’ordre public international. Le droit des conflits de lois admet de longue
date l’exception d’ordre public. Il s’agit d’« un moyen dont les parties, voire le juge,
disposent pour tenir en échec une solution qui, dans la rigueur des principes, devrait être
2237
consacrée » . Ainsi, le mécanisme a pour fonction d’évincer la loi matérielle
compétente « parce qu’elle est contraire à l’ordre public »2238 de l’ordre juridique saisi. En
d’autres termes, à raison de considérations substantielles, c’est-à-dire pour des raisons de
justice matérielle, il est possible que la loi matériellement désignée par la règle de conflit soit
évincée. Par conséquent, il s’agit d’un mécanisme dont l’objet consiste, exceptionnellement, à
réduire à néant l’effet classique de la règle de conflit. Or, a priori, l’ordre public international
est contraire à l’esprit du droit des conflits de lois, mais demeure indispensable, son recours
étant impérieux. Toutefois, il est susceptible d’affinement notamment afin d’assurer un
meilleur respect de la justice conflictuelle (section 1).
1658. La fraude à la loi. Il est également admis en droit des conflits de lois, comme
dans toute discipline juridique, l’exception de fraude à la loi. Ainsi, « notre jurisprudence se
refuse à admettre que les individus puissent utiliser les règles de conflit aux fins de se
soustraire aux dispositions légales de fond normalement applicables »2239 . Par conséquent,

2237
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 375.
2238
Ibid.
2239
Ibid., § 411.

729
cette exception a pour fonction de sanctionner les comportements frauduleux dont l’objet a
consisté à manipuler une règle de conflit pour rendre compétente une autre loi que celle
légalement applicable. Donc, contrairement à l’ordre public international, il s’agit d’un
mécanisme exceptionnel dont le rôle est d’assurer la juste application de la méthode
conflictuelle. C’est pourquoi son admission ne peut être remise en cause. Il constitue
l’accessoire, en tant que gardien, de la règle de conflit. Malheureusement, il s’avère que cette
protection accordée à la méthode conflictuelle n’est que symbolique et tend à remettre
régulièrement en cause son respect (section 2).

SECTION 1 : LE RECOURS IMPERIEUX A UN ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL


AFFINE EU EGARD AU RESPECT DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

1659. L’ordre public international constitue une exception spécifique à la discipline


du droit des conflits de lois et notamment à la règle de conflit. En effet, en droit positif, il est
« universellement (admis) que l’application d’une loi étrangère ne saurait en aucun cas être
tolérée si elle avait pour but, pour résultat, de troubler « l’ordre public » du pays dans lequel
cette application est demandée »2240. Par conséquent, l’exception a pour objet d’évincer la loi
étrangère désignée applicable par la règle de conflit, et de lui substituer la loi du for, chaque
fois que les dispositions matérielles de la loi étrangère ont pour effet de troubler les valeurs
considérées comme d’ordre public international par l’ordre juridique saisi. Il semblerait donc
que l’ordre public international ait pour effet de réduire à néant l’effet de la règle de conflit, et
indirectement l’objectif du droit des conflits de lois consistant à localiser en toute neutralité le
rapport de droit. Cependant, l’admission de l’ordre public international, dans sa version
traditionnelle, demeure inéluctable dans tout système de droit positif, notamment au regard de
la régularité des situations internationales. Toutefois son recours doit demeurer exceptionnel
pour préserver au maximum l’approche localisatrice du droit des conflits de lois. Pourtant,
divers reproches peuvent lui être adressés tendant à évincer arbitrairement l’esprit
conflictualiste à de nombreuses reprises au profit d’un certain substantialisme (sous-section
1). Fort heureusement, l’ordre public international traditionnel ne s’inscrivant pas
suffisamment dans le respect de la règle de conflit, a fait l’objet d’une réformation en droit
contemporain. Celle-ci tend alors à favoriser un meilleur respect de la méthode conflictuelle
et conséquemment des objectifs du droit des conflits de lois (sous-section 2).

2240
R. Bireaud, Contribution à l’étude de l’ordre public en droit international privé, Thèse, Aix-Marseille, 1932,
Imprimerie d’éditions Roubaud, 1932, spéc. p. 1.

730
SOUS-SECTION 1: L’ADMISSION DE L’ORDRE PUBLIC
INTERNATIONAL TRADITIONNEL MALGRE SES DEFAUTS

1660. L’ordre public international constitue un mécanisme particulier, mais


relativement ancien puisqu’il était déjà employé au Moyen Âge. Or, cet ordre public
international, dans sa version qui pourrait être qualifiée de classique ou traditionnelle,
constitue un mécanisme indispensable en droit des conflits de lois. Néanmoins, son concept
reste encore perfectible notamment au regard du respect de la discipline (§ 1). De plus, si son
admission ne doit pas être remise en cause par le droit positif, son régime en revanche pourrait
l’être. Dans sa version traditionnelle, le régime imputable à l’ordre public international est
quasiment antinomique avec les exigences du droit des conflits de lois et plus particulièrement
celles de la méthode conflictuelle (§ 2).

§ 1 – L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL : UN MECANISME INDISPENSABLE A


PERFECTIONNER

1661. Si le mécanisme de l’ordre public international constitue une exception à la


méthode conflictuelle, son recours s’avère pourtant indispensable en droit des conflits de lois.
En effet, son utilisation se légitime parfaitement dans tout système, notamment eu égard à la
fonction qu’il assure (A). Cependant, si son admission ne doit pas être remise en cause, il est
certains points sur lesquels il demeure critiquable. Il reste un mécanisme complexe à identifier
puisque la détermination des cas d’ordre public international peut être qualifiée de délicate
malgré les caractères qu’il présente. Il s’agit donc d’une étape encore à parfaire (B).

A. LA LEGITIME RECOURS A L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL DANS TOUT


SYSTEME

1662. L’ordre public international constitue une exception à la méthode conflictuelle


dans la mesure où il a pour effet d’évincer la loi matériellement désignée applicable.
Néanmoins, cette exception se justifie dans la mesure où elle a pour objet de protéger les
valeurs fondamentales de l’ordre juridique du for qui pourraient être remises en cause par
application des dispositions matérielles de la loi désignée (1). De plus, son recours s’avère
d’autant plus juste dans la mesure où il ne peut être employé que s’il présente un rattachement
avec la situation internationale en cause (2).

1) L’ordre public international au soutien des valeurs fondamentales de l’ordre


juridique du for
1663. Si le mécanisme de l’ordre public international est admis en droit positif, il
pourrait sembler contestable puisqu’il a pour effet de remettre en cause le résultat issu de la
731
méthode conflictuelle. Néanmoins, la reconnaissance de cette exception s’avère indispensable
afin que soient respectées les valeurs considérées comme fondamentales par chaque ordre
juridique au stade de l’application matérielle de la loi désignée, l’objectif étant de maintenir la
paix sociale (a). C’est pourquoi par souci de réalisme et de cohérence, l’ordre public
international de référence ne peut se limiter qu’à celui du for (b).

a) Le recours à l’ordre public international au regard du maintien de la paix sociale


1664. Un mécanisme en réponse à un trouble social. L’ordre public international
constitue un mécanisme perturbateur au règlement du conflit de lois lequel se justifie chaque
fois que « l’on se trouve en présence d’une situation qui contient quelque chose d’anormal, de
dangereux, qui crée un trouble grave »2241. En effet, chaque fois que la loi étrangère désignée
par la règle de conflit conduit à une solution qui aboutirait à « un mal »2242, il faut l’écarter par
le recours à l’ordre public international. Par conséquent, « cette notion est (…) liée à une sorte
de pathologie du droit »2243.
1665. Un mécanisme de longue date. Véritablement, « l’ordre public est un produit
de l’histoire politique des civilisations »2244. En effet, ce mécanisme est apparu au « Moyen
Âge, mais son élaboration théorique s’est faite en plusieurs étapes »2245. En outre, « à l’origine
de la théorie des statuts, Bartole et ses émules, procédant empiriquement, faisaient souvent
dépendre leurs décisions d’une appréciation de la valeur positive des statuts, étendant
volontiers le champ d’application dans l’espace d’un statut dont ils jugeaient les dispositions
favorables, restreignant au contraire les statuts odieux à l’intérieur des limites de leurs
territoires » 2246 . Au regard de cette idée, le mécanisme s’est développé sous la plume de
différents auteurs pour être finalement systématisé dans sa conception actuelle par Bartin en
France et Von Bar en Allemagne2247.
1666. Un mécanisme nécessaire à la préservation de tout ordre juridique. En
réalité, la conceptualisation de l’ordre public international a perduré en droit positif parce
qu’il s’agit d’un mécanisme nécessaire en droit des conflits de lois. En effet, de la même

2241
M. C. Moldovan, L’ordre public en droit international privé, Thèse, Paris, 1933, Librairie de jurisprudence
ancienne et moderne, 1932, § 1.
2242
Ibid.
2243
Ibid.
2244
F.-X. Train et M.-N. Jobard-Bachellier, « Ordre public international - Notion d’ordre public en droit
international privé », J.-Cl. Droit international, 1992, Fasc. 534-1, § 5.
2245
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 354.
2246
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 374.
2247
P. Lagarde, « Ordre public », Rép. intern. Dalloz, déc. 1998, § 5.

732
manière que les lois de police, ce mécanisme pourrait être rejeté dans la mesure où il constitue
un élément perturbateur de la méthode conflictuelle2248. Or, si les lois de police doivent être
admises afin de respecter les intérêts de l’État, l’ordre public international doit être retenu afin
de préserver les valeurs considérées comme fondamentales par un ordre juridique2249. Il s’agit
là de l’expression de la souveraineté de l’Etat, laquelle s’avère indispensable tant pour l’une
que pour l’autre exception. En effet, « si dans un cas donné, (la teneur d’une loi étrangère)
heurte les conceptions fondamentales de l’ordre juridique du for, son application effective
peut constituer un trouble »2250. C’est pourquoi il convient de recourir à l’exception de l’ordre
public international puisque son existence « répond à une nécessité »2251. D’ailleurs, comme
l’a affirmé le Professeur Lagarde, « en admettant l’application des lois étrangères, le
législateur ne peut donner un blanc-seing à l’ensemble des législateurs de l’univers, et quelle
que soit l’évolution ultérieure de leurs civilisations respectives »2252. Le mécanisme doit donc
être admis dans la mesure où il est nécessaire à la préservation des valeurs fondamentales
prônées par l’ordre juridique du for 2253 , lequel a « une fonction éminente (consistant à)
préserver la paix sociale »2254. C’est pourquoi « pour éviter ce que Raape appelait un « saut
dans l’inconnu », il faut réserver au juge la possibilité de repousser une loi dont le contenu se
révélerait inadmissible »2255.
1667. Un mécanisme substantiel conciliable avec la justice conflictuelle. L’ordre
public international constitue alors une exception à la méthode conflictuelle justifiée par la
justice matérielle. En sus, l’intervention du substantialisme semble cohérente puisque l’ordre
public international n’intervient qu’après l’analyse concrète du résultat éconduit par la loi

2248
Cf. supra § 1179 et s.
2249
Ex. : Cass., Civ. 1ère, 19 oct. 2016, n°15-50.098, JDI n°1, janv. 2017, 2, note F. Monéger ; Dalloz 2017, p.
470, note M. Douchy-Ouzot, p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon et p. 1082, note J.-J. Lemouland ; Dalloz 2016,
p. 2549, note D. Sindres ; RTD civ. 2017, p. 102, note J. Hauser ; RCDIP 2017, p. 535, note E. Gallant ; dans
lequel la Cour fait jouer l’ordre public international dans l’hypothèse d’un mariage bigame impliquant un
Français : « le ministère public peut, en considération de l’attente à l’ordre public international causée par le
mariage d’un Français à l’étranger sans que sa précédente union n’ait été dissoute, s’opposer à la demande de
transcription de l’acte de mariage sur les registres consulaires français, même si le mariage étant célébré depuis
plus de trente ans, l’action en nullité absolue pour cause de bigamie, était prescrite ».
2250
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 367.
2251
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 6.
2252
Ibid.
2253
Voir en ce sens : P. Kinsch, « Droits de l’Homme, droits fondamentaux et droit international privé », op. cit.,
§ 150 : « En fait, la défense des droits de l’Homme en droit international privé est tout aussi ancienne que le
développement du droit international privé moderne. La défense des droits de l’Homme contre la loi étrangère
repose sur les valeurs que véhiculent les droits de l’Homme ; elle est dès lors indépendante du statut normatif, en
droit positif national, des droits de l’Homme ».
2254
M. C. Moldovan, op. cit., § 2.
2255
Ibid.

733
désignée applicable. C’est pourquoi le passage de la justice conflictuelle à la justice matérielle
s’impose de lui-même, de la même façon que l’éviction de tout trouble à la paix sociale.
Ainsi, le recours à l’exception paraît d’autant plus justifié même s’il fausse le jeu de la
méthode conflictuelle puisqu’il ne vise pas véritablement la règle de conflit, mais le résultat
substantiel auquel mène l’application de la loi étrangère. De cette façon, la neutralité de la
méthode n’est pas remise en cause. En revanche, son résultat concret l’est dans l’objectif de
garantir aux sujets de droit un traitement de leur situation internationale conforme à l’ordre
public international saisi. Par conséquent, l’égalité de traitement à laquelle pouvaient
prétendre les sujets de droit peut être altérée en fonction de l’ordre juridique en cause.
Toutefois, il s’agit d’une exception nécessaire à la discipline du droit des conflits de lois afin
de garantir la paix sociale, et conséquemment la régularité des situations internationales2256.
Ainsi, il n’est plus question de contester son admission, mais plutôt de considérer qu’elle doit
être régie en préservant au mieux la méthode conflictuelle. Ainsi, si « la notion introduit un
élément perturbateur dans le jeu des règles de conflit (…) il est souhaitable que les juges n’en
usent qu’avec discernement »2257. C’est pourquoi ces derniers doivent avant tout se contenter
de l’analyser à l’aune des conceptions fondamentales du for.

b) Un mécanisme nécessairement limité à l’ordre juridique de référence du for


1668. L’effet réflexe de l’ordre public international. Si l’exception de l’ordre
public international est justifiée en ce qu’elle est nécessaire à la préservation des valeurs
fondamentales du for, elle ne peut l’être qu’à condition d’être envisagée au regard de l’ordre
juridique du for. En effet, le processus se divise en plusieurs étapes consistant notamment
pour « le juge, après avoir considéré la loi étrangère normalement applicable et examiné les
circonstances concrètes de son application à l’espèce, (à) confronter le résultat (…) obtenu
avec un ordre juridique de référence »2258. Or, ce dernier ne peut être que l’ordre juridique du
for. En effet, « en droit international privé, une loi étrangère est contraire à l’ordre public
quand elle heurte des principes jugés essentiels du droit du for »2259. Par conséquent, la mise

2256
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 4 nov. 2010, n°09-15.302, D. actualité, 18 nov. 2010, note I. Gallmeister ;
RTD civ. 2011, p. 115, note J. Hauser ; Dalloz 2011, p. 1374, note F. Jault-Seseke ; dans lequel la Cour a estimé
que « le jugement de divorce étranger qui met à néant l’exercice conjoint de l’autorité parentale et interdit au
père que sa « maîtresse » se trouve en présence des enfants sauf s’il se marie avec elle porte atteinte à des
principes essentiels du droit français fondés sur l’égalité des parents dans l’exercice de l’autorité parentale et sur
le respect de la vie privée et familiale ».
2257
M. C. Moldovan, op. cit., § 2.
2258
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 46.
2259
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 363.

734
en œuvre de l’exception ne peut être subordonnée qu’à une analyse des conceptions de l’ordre
juridique du for2260. Il s’agit de l’effet réflexe de l’ordre public du for2261.
1669. L’exclusion de toute référence à l’ordre juridique étranger. A contrario,
cela signifie que l’ordre juridique de référence ne peut en aucun cas être un ordre juridique
étranger. Cela se justifie dans la mesure où c’est « dans l’ordre juridique du for qu’il s’agit
d’insérer la loi en application de laquelle le juge rendra sa décision »2262. Par conséquent, c’est
parce les effets de la loi étrangère risquent de ne pouvoir s’insérer dans l’ordre juridique du
for sans heurts qu’il est nécessaire de recourir au mécanisme de l’ordre public international.
En procédant à une solution inverse, le mécanisme serait nettement plus contestable puisque
la loi matérielle désignée serait évincée sans que cela soit forcément nécessaire. La nécessité
ne découle pas seulement du caractère fondamental reconnu à certaines valeurs de l’ordre
juridique saisi, mais également d’un certain réalisme et d’une véritable cohérence juridique.
Effectivement, au regard de la situation internationale en cause, il ne peut être appliqué une
loi étrangère dont les effets ne pourraient se produire dans l’ordre juridique du juge saisi.
C’est pourquoi l’ordre public international est d’autant plus indispensable en droit des conflits
de lois.
1670. Une référence unique propice à l’égalité de traitement. En outre, si
l’exception ne peut être employée qu’au regard du seul ordre juridique du for, elle invite à une
égalité de traitement des sujets de droit puisque leur situation internationale ne sera soumise
qu’à l’ordre public international du for, et non aux ordres publics internationaux étrangers.
L’utilisation du mécanisme devrait donc conduire à une application prévisible et identique de
l’exception pour chaque ordre juridique. De cette manière, chaque sujet de droit pourrait
déterminer dans quelles situations la loi matérielle sera évincée. En sus, si l’ordre public
international représente une nécessité en droit des conflits de lois, il se justifie spécialement
par la détermination d’un rattachement entre le rapport de droit avec l’ordre juridique saisi.

2260
Voir en ce sens : CA de Paris, 16 janv. 2018, n°15/21703 dans lequel les juges du fond rappellent que
« l’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge (…) s’entend de la conception qu’en
a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la
méconnaissance même dans un contexte international ».
2261
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 366.
2262
Ibid.

735
2) L’ordre public international observé au regard d’un rattachement avec l’ordre
juridique du for
1671. Si le mécanisme de l’ordre public international constitue une exception
indispensable motivée par des considérations substantielles, elle demeure toutefois liée dans
sa mise en œuvre à la justice conflictuelle 2263 . C’est pourquoi son emploi se justifie, en
théorie, par la proximité existante entre l’ordre juridique du for et le rapport de droit c’est-à-
dire par l’Inlandsbeziehung (a). Toutefois, le droit positif français se cantonne à subordonner
l’utilisation de l’ordre public international au seul rattachement juridictionnel (b).

a) Une exception a priori conditionnée par l’Inlandsbeziehung


1672. L’existence de liens suffisants avec l’ordre juridique saisi. Durant la
conceptualisation de l’ordre public international, un auteur allemand, Kahn, a développé une
théorie spécifique à la fin du XIXème siècle nommée Inlandsbeziehung. Cet auteur avait
remarqué que « l’éviction au profit de la loi du for de la loi étrangère apparemment
compétente ne se produisait que s’il existait un lien de rattachement entre la situation soumise
au juge et le for »2264. Selon lui, ce lien « correspondait (…) à un rattachement subsidiaire
conditionnant l’application de certaines règles matérielles du for et corrigeant dans cette
mesure l’insuffisance des règles de conflit positives »2265 . En d’autres termes, d’après cet
auteur, l’ordre public international ne pouvait être déclenché qu’à la condition qu’il existe un
lien de rattachement entre la situation internationale et l’ordre juridique saisi2266.
Cette doctrine a traversé le temps et consiste aujourd’hui à considérer que « le lien
avec le territoire est simplement un élément qui révèle l’atteinte à l’ordre public du for
provoquée par l’application de la loi étrangère »2267. Plus précisément, cette doctrine consiste
à considérer que « l’exception d’ordre public constitue un mécanisme relatif dont le jeu

2263
Cf. supra § 1665.
2264
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 359.2°.
2265
Ibid.
2266
Pour aller plus loin, voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd.,
2017, T. I., § 472, lesquels développent le mécanisme d’Inlandsbeziehung en considérant que : « Ce dernier
mécanisme, qui est à la fois publiciste et unilatéraliste, recouvre une délimitation de la vocation de l’Etat du for à
imprimer ses propres conceptions à une situation internationale entretenant par hypothèse des liens substantiels
avec un autre ordre juridique dont la loi a été reconnue applicable a priori. L’intervention des droits
fondamentaux au nom de l’ordre public de l’Etat du for serait alors tributaire de l’intensité des liens qu’entretient
celui-ci avec la situation litigieuse, sachant que l’assise de l’ordre juridique de référence – Etat ou ensemble
fédérés d’Etats – doit être alignée sur la portée spatiale de la norme dont est issue la valeur ainsi protégée ».
2267
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 359.2°.

736
dépend de l’intensité de la perturbation créée par l’application de la loi étrangère »2268. Par
conséquent, le jeu de l’ordre public international est subordonné au(x) rattachement(s) qui
peu(ven)t exister avec la situation internationale. De cette manière, le recours au mécanisme
n’est pas arbitraire et se trouve légitimé. De plus, cette théorie est intéressante dans la mesure
où elle fait réapparaître l’idée de proximité qui préside la méthode conflictuelle.
1673. Une exception subordonnée au principe de proximité. L’introduction de la
proximité dans le déclenchement de l’ordre public international est pertinente puisqu’elle
répond du réalisme de la situation internationale concernée. En effet, si la méthode
conflictuelle doit par principe conduire à appliquer la loi qui présente les liens les plus étroits
avec la situation internationale, l’ordre public international ne doit pas, a contrario, être
appliqué lorsqu’il est trop éloigné géographiquement de cette situation internationale. En
d’autres termes, cela signifie que « le lien avec le territoire devient (…) une des composantes
de la relativité de l’exception de l’ordre public, puisqu’elle conduit à accepter que certaines
situations, éloignées du for, soient régies par une loi étrangère choquante et à le refuser pour
d’autres, proches du for »2269. Or, il semble que cette manière d’envisager le recours à l’ordre
public international soit parfaitement fondée dans la mesure où, constituant une exception à la
méthode conflictuelle, son recours doit demeurer cohérent et nécessaire. Ainsi, si la situation
géographique s’éloigne de l’ordre juridique du for, il semble que la nécessité de son recours
perde de son effectivité et qu’il ne soit plus nécessaire d’évincer le résultat issu de la règle de
conflit. Finalement, l’emploi du recours à l’ordre public international constituerait une
exception spécifique au droit des conflits de lois dont l’application serait guidée, tout comme
pour la méthode conflictuelle, par le principe de proximité. La méthode conflictuelle serait
alors davantage préservée puisque moins renversée. Néanmoins, si en théorie, l’ordre public
international doit être employé par référence aux liens étroits existants entre l’ordre juridique
du for et le rapport juridique, il semble que cela soit remis en cause par la Cour de cassation.

b) Une exception uniquement subordonnée au rattachement juridictionnel


1674. Le rattachement suffisant à la juridiction du for. Par principe, le droit
positif français admet l’exception de l’ordre public international. Cependant, « la Cour de
cassation n’a jamais posé en règle générale que l’éviction de la loi étrangère par l’exception
d’ordre public était subordonnée à la constatation par les juges du fond de l’existence d’un

2268
N. Joubert, La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique, Thèse, Paris 1, 2002, LexisNexis, 2008, §
158.
2269
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 359.2°.

737
lien de la situation avec la France »2270. Par conséquent, l’ordre public international pour être
employé par les juges du fond ne suppose pas le constat par ces derniers d’un lien étroit avec
le territoire français. A contrario, cela signifie que le seul rattachement juridictionnel avec le
territoire français peut suffire à déclencher le mécanisme de l’ordre public international. En
effet, dans la mesure où les juges ne doivent pas motiver le recours à l’exception eu égard aux
rattachements que présente la situation avec le territoire français, il semble, par déduction que
l’ordre public international peut être déclenché dès lors que les juridictions françaises sont
saisies.
1675. Un rattachement insuffisant à justifier le déclenchement de l’exception.
Vraisemblablement, il peut paraître justifié que l’ordre public international se déclenche dès
lors qu’il existe un rattachement juridictionnel puisqu’en principe la décision aura vocation à
s’appliquer sur le territoire du for. Néanmoins, si, dans une situation internationale, cet unique
rattachement justifie son recours, il est peu probable que la décision ait vocation à produire
des effets sur le territoire du for. C’est en cela que l’absence de détermination de liens étroits
avec l’ordre juridique saisi semble contestable. En effet, en considérant que l’ordre public
international peut être mis en œuvre à raison du seul rattachement juridictionnel, sa légitimité
est mise à mal puisque son objectif est de mettre fin à un trouble. Or, pour que ce trouble soit
effectif, il faut que la situation internationale présente spécifiquement un lien étroit avec
l’ordre juridique du for. Par conséquent, cette absence de caractérisation de la proximité
écarte le mécanisme des idéaux prônés par la discipline du droit des conflits de lois. Ainsi,
son recours semble plus contestable et ne respecte plus le principe de proximité auquel se
soumet le système de droit des conflits de lois. C’est pourquoi il serait préférable que la
jurisprudence se tourne vers un ordre public de proximité uniquement2271. De plus, si l’ordre
public international demeure indispensable à la discipline du droit des conflits de lois, il
pourrait éventuellement être contesté eu égard à la détermination de son contenu.

B. LA DETERMINATION DELICATE DES CAS D’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL


1676. Si le recours à l’ordre public international s’avère indispensable en droit des
conflits de lois afin de garantir la paix sociale, il n’en reste pas moins que sa détermination
demeure délicate. En effet, la notion d’ordre public international s’avère insaisissable et de
surcroît rend conséquemment son contenu indéfinissable et aléatoire (1). Cependant, si le

2270
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 360.
2271
Cf. infra § 1718 et s.

738
concept engendre une véritable insécurité juridique, celle-ci est également issue de deux
caractères spécifiques qui lui sont consubstantiels. Il s’agit de la variabilité et de la relativité,
lesquels sont commandés par la « nécessité »2272 du mécanisme (2).

1) Le contenu indéfinissable et aléatoire de l’ordre public international


1677. L’ordre public international constitue un mécanisme indispensable en droit des
conflits de lois. Cependant, son utilisation paraît toutefois controversable dans la mesure où la
notion d’ordre public international demeure insaisissable et engendre de nombreuses
ambiguïtés (a). Par conséquent, étant indéfinissable, elle invite à une application aléatoire par
les juges du fond (b).

a) L’ordre public international : une notion insaisissable


1678. Un contenu indéfinissable. Si le déclenchement de l’ordre public international
classique peut faire l’objet de discussions, la détermination de son contenu aussi2273. En effet,
« savoir ce dont se compose cet ordre public demeure une des questions les moins bien
élucidées du droit international privé contemporain »2274. Comme l’a affirmé le Professeur
Lagarde, « c’est à vrai dire la question la plus spectaculaire de l’ordre public, la seule souvent
qu’un grand nombre d’ouvrages et particulièrement de thèses de doctorat consacrées au sujet
s’efforcent de résoudre »2275. Ainsi, « pas moins de cinquante définitions de l’ordre public ont
été dénombrées »2276 et pourtant, « cette question n’a jamais été résolue, et les auteurs les plus
sérieux renoncent désormais à en chercher la clef »2277. Comme l’a affirmé le Professeur de
Vareilles-Sommières, « l’emploi des termes « ordre public » pour étiqueter ce à quoi on
confronte la loi étrangère compétente dans le cadre de l’exception d’ordre public donne lieu à
beaucoup d’ambiguïté »2278. Néanmoins, la Cour de cassation a tenté d’en définir le contenu.

2272
Cf. supra § 1663 et s.
2273
Voir en ce sens : P. Louis-Lucas, « Remarques sur l’ordre public », RCDIP 1933, p. 393, précisant à ce
propos que : « La notion d’ordre public, malgré les innombrables et minutieuses études qu’elle a suscitées,
demeure incertaine et largement discutée. Alors qu’elle semble constituer la clé de tant de problèmes juridiques
et qu’elle est si souvent, en tout cas, l’ultima ratio du juge, ni son sens, ni sa portée, ni sa légitimité n’ont réussi à
s’imposer. Elle est encore à la recherche de son exacte valeur et, si l’on peut dire, de son propre équilibre ».
2274
P. de Vareilles-Sommières, « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi
étrangère », RCADI, 2014, vol. n°371, § 31.
2275
P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Thèse, Paris, 1957, LGDJ, 1959, §
149.
2276
P. de Vareilles-Sommières, « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi
étrangère », op. cit., § 31.
2277
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 149.
2278
P. de Vareilles-Sommières, « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi
étrangère », op. cit., § 31.

739
1679. La définition floue de la jurisprudence. En effet, il est classiquement admis,
depuis l’arrêt Lautour2279, que les dispositions matérielles d’une loi étrangère « ne sont pas
contraires à l’ordre public international français par cela seul qu’elles diffèrent des
dispositions impératives du droit français, mais uniquement en ce qu’elles heurtent des
principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur
internationale absolue ». De plus, « la Cour de cassation se réfère aujourd’hui couramment
aux « principes essentiels du droit français » » 2280 . Par conséquent, au regard de la
jurisprudence de la Cour de cassation, il semblerait que l’ordre public international protège les
principes et valeurs considérés comme fondamentaux et universels par l’ordre juridique
français. Néanmoins, si le cadre paraît établi, il n’en demeure pas moins complètement flou.
La question reste de savoir ce qu’il convient d’entendre par principes et valeurs fondamentaux
et universels. Il pourrait alors être considéré au regard de cette définition que sont visés les
droits fondamentaux c’est-à-dire les droits de l’Homme, mais également « la sauvegarde de
certaines politiques législatives »2281. Cependant, s’il est possible de considérer que l’ordre
public international vise ces deux domaines, leur détermination n’en reste pas moins
totalement incertaine.
1680. Un contenu insaisissable synonyme d’insécurité juridique. Finalement, tant
en jurisprudence qu’en doctrine, la notion d’ordre public demeure insaisissable. Or, il ne peut
être que constaté « l’insécurité juridique résultant de l’imprécision de la notion »2282. En effet,
cette indétermination ne peut être que synonyme d’insécurité juridique, laquelle doit être
rejetée dans un système égalitaire de droit des conflits de lois. Malheureusement, il semblerait
que le mécanisme soit soumis au libre arbitre du juge, lequel peut en faire application à son
bon vouloir. Ainsi, l’ordre public international est soumis à un aléa considérable.

b) L’ordre public international : une notion vectrice d’aléas


1681. Une notion appréciée de manière casuistique. Dans la mesure où l’ordre
public international demeure insusceptible de définition, il fait l’objet d’une appréciation au
« cas par cas »2283. Par conséquent, la seule possibilité pour déterminer le contenu de l’ordre

2279
Cass., Civ., 25 mars 1948, Lautour, préc.
2280
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 371, spéc. à propos de l’arrêt suivant : Cass., Civ. 1ère, 6 avr. 2011, 10-
19.053, préc.
2281
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 363.
2282
F. Cadet, Les transformations méthodologiques de l’ordre public en droit international de la famille : étude
comparée France/Espagne, Thèse, Toulouse 1, 2001, Lille : ANRT, 2003, § 319.
2283
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 382.

740
public international consiste à « dresser le catalogue des cas d’ordre public, tâche ingrate et
peu brillante qui seule permet une relative prévisibilité des tribunaux »2284. Or, même s’il est
envisageable d’établir une liste des cas d’ordre public, la tâche ne sera pas aisée. D’une part,
« l’éventail des matières au sein desquelles l’exception d’ordre public est susceptible de jouer
est très largement ouvert » 2285 et d’autre part, comme l’a affirmé le Professeur Poillot-
Peruzzetto, « il s’agit d’un concept à dimension variable et qui ne se laisse pas appréhender
par une liste exhaustive »2286. Cela signifie que le travail sera rude, mais demeurera inachevé,
voire variable, puisque la notion est susceptible de plusieurs acceptions.
1682. Une appréciation guidée à rebours par la Cour de cassation. La seule ligne
directrice qui peut être suivie est donc celle de la jurisprudence. Ainsi, grâce aux arrêts de la
Cour de cassation, certains principes sont classés explicitement dans le contenu de l’ordre
public international. Par exemple, peuvent y être rangées « la reconnaissance de la
personnalité juridique à tout individu, l’indisponibilité du corps humain, l’égalité civile, la
liberté matrimoniale »2287, etc. Néanmoins, si certains principes font indéniablement partie de
l’ordre public international, d’autres font l’objet de vives interrogations. Ainsi, longtemps la
doctrine s’est interrogée sur le fait de savoir si la réserve héréditaire était d’ordre public
international. Or, le débat n’a été tranché qu’en 20172288 par la Cour de cassation pour l’en
exclure. En d’autres termes, le contenu de l’ordre public international demeure et demeurera
sans doute au cas par cas selon le principe en cause. Ceci est toutefois malheureux dans la
mesure où l’appréciation casuistique peut conduire à un certain aléa dans le recours au
mécanisme par les juges du fond tant que la Cour de cassation n’est pas intervenue2289.
1683. La confusion entretenue avec les lois de police. De plus, l’insaisissabilité de
la notion invite à certaines confusions, notamment avec les lois de police. En effet, dans la
mesure où l’ordre public international peut avoir pour objet de protéger certaines politiques
législatives, tout comme les lois de police, un amalgame pourrait s’opérer entre les deux.

2284
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 149.
2285
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 383.
2286
S. Poillot-Peruzzetto, « Ordre public et droit communautaire », Dalloz 1993, p. 179.
2287
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 371.
2288
Cass., Civ. 1ère, 27 sept. 2017, 16-17.198 et n°16-13.151, préc.
2289
Voir en ce sens : J. Maury, « L’ordre public en droit international privé français et en droit international privé
allemand », RCDIP 1954, p. 7, à propos de l’ordre public international : « l’imprécision forcée d’une telle règle
fait dépendre son application des juges et en dernier ressort, car il s’agit d’une règle de droit, des cours ou
tribunaux suprêmes » ; « et l’on conçoit, par suite, que les jurisprudences nationales soient plus ou moins larges
dans cette appréciation, admettent plus ou moins facilement le jeu de l’ordre public, l’éviction de la loi
normalement compétente ».

741
D’ailleurs, le problème est amplifié par le fait que l’identification des lois de police est
également relativement complexe et imprécise 2290 . Or, en pratique, de véritables erreurs
peuvent apparaître notamment « dans le domaine patrimonial » puisque de nos jours, « la
réglementation impérative en matière économique et sociale » s’est fortement développée,
laquelle renvoie alors à un « ordre public économique »2291.
La confusion qui peut naître entre les lois de police et l’ordre public international est
parfaitement regrettable dans la mesure où ces deux mécanismes sont différents. En effet, les
lois de police interviennent au début du raisonnement conflictualiste pour évincer la règle de
conflit tandis que l’ordre public international intervient a posteriori c’est-à-dire pour évincer
la loi matérielle applicable. Surtout, « dans le conflit opposant la loi de police et la loi
désignée par la règle de conflit ordinaire, cette dernière loi est (…) défaite pour des raisons
d’origine défectueuse (sa simple désignation par la règle de conflit ordinaire étant en effet
incapable de consacrer sa compétence sur la question de fond en cause puisque la méthode
conflictuelle classique est tenue en échec par la loi de police) et non pour des raisons de
contenu inacceptable »2292. A l’inverse, l’ordre public international a pour objet d’opposer loi
ordinaire du for et loi étrangère compétente simplement parce que « le contenu de la loi
étrangère ainsi reconnue compétente (est) inacceptable aux yeux du for »2293 . En d’autres
termes, ce ne sont pas les mêmes raisons qui motivent le recours à chacun de ces mécanismes,
et c’est la raison pour laquelle, il serait préférable qu’une confusion ne soit pas entretenue.
Cela est important dans la mesure où les conséquences ne seront pas les mêmes selon le
mécanisme choisi. En reconnaissant à un principe le statut de loi de police, la règle de conflit
sera à chaque fois écartée. En revanche, en intégrant un principe à l’ordre public international,
la loi étrangère ne sera évincée que si elle ne s’y conforme pas.
1684. L’indéniable risque d’aléa des solutions. Finalement, au regard de
l’appréciation casuistique qui peut être faite de l’ordre public international et des erreurs qui
peuvent en découler, son utilisation peut inévitablement être soumise à un aléa. En effet,
l’insaisissabilité de la notion peut conduire les juges du fond à une application relativement
variable du mécanisme tant que la Cour de cassation n’est pas intervenue. Or, ceci paraît
regrettable puisque l’aléa s’oppose à l’égalité de traitement des sujets de droit, puisque toute

2290
Cf. supra § 1192 et s.
2291
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 371.
2292
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 380.
2293
Ibid.

742
sécurité juridique est écartée. Cependant, il semblerait que la variabilité du contenu de
l’exception ne puisse un jour disparaître au regard des caractères spécifiques qu’il présente.

2) Les caractères consubstantiels à la fonction de l’ordre public international


1685. Malgré l’absence de définition de l’ordre public international, ce dernier
présente toutefois deux caractères spécifiques qui se justifient par sa fonction c’est-à-dire par
la nécessité de son intervention. C’est pourquoi d’une part, l’ordre public international
constitue un instrument variable dans la mesure où il répond d’un principe d’actualité (a). Et
d’autre part, il consiste en un outil relatif puisqu’il fait l’objet d’une appréciation in concreto
pour chaque situation internationale (b).

a) Un outil variable au credo de l’actualité


1686. La variabilité de l’ordre public international. Si l’ordre public international
s’avère difficilement déterminable dans son contenu, il est également variable2294. En effet,
« le contenu de l’ordre public international peut changer, dans un Etat, à raison de l’évolution
des institutions et des conceptions »2295. Par conséquent, cette évolution va inévitablement
impacter le contenu de l’ordre public international. En effet, comme l’a relevé Pillet, il
convient de considérer qu’à raison de la nécessité dont fait état le mécanisme, il doit
également être actuel 2296 . Il s’agit de l’actualité de l’ordre public international dont la
reconnaissance n’est plus contestée. Ainsi, « la Cour de cassation affirme que la définition de
l’ordre public (inter)national « dépend dans une large mesure de l’opinion qui prévaut à
chaque moment en France » »2297 . Cela signifie que « la loi du for prise comme ordre de
référence est la loi dans sa teneur au moment où le juge statue »2298. En d’autres termes, « au
cas où la notion française de l’ordre public a varié entre la naissance du litige et le procès,

2294
Voir en ce sens : M. de Angulo Rodriguez, « Du moment auquel il faut se placer pour apprécier l’ordre
public international », RCDIP 1972, p. 370 : « il arrive aussi parfois que l’idée que le for se fait de ses propres
éléments fondamentaux, en raison de la contingence des choses humaines, change dans le temps ; et, en
conséquence, à une série de principes réputés comme intangibles succède une autre série de principes de sens
différent et même contraire » ; « il suffit de penser, en France, par exemple, aux régimes juridiques successifs
qu’ont connus la filiation illégitime, ou le « cours forcé » en matière de contrat, et à leur incidence sur l’ordre
public français ».
2295
J. Maury, P. I, Ch. II, § 1, 2) « L’actualité de l’ordre public », in L’éviction de la loi normalement
compétente : l’ordre public international et la fraude à la loi, Universidad de Valladolid, 1952, spéc. p. 121
2296
A. Pillet, II. « De la détermination des lois d’ordre public et de leur caractère exceptionnel », in L’ordre
public en droit international privé, F. Allier père et fils et L. Larose et Forcel, 1890, spéc. p. 41.
2297
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 163, spéc. Cass., Civ., 22 mars 1944, D.C., 1944, p. 145, note
Lerebours-Pigeonnière.
2298
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 364.

743
jurisprudence et doctrine sont unanimes à affirmer que c’est la conception de l’ordre public au
moment du procès qui doit prévaloir »2299.
1687. Une exception évolutive à raison de son caractère actuel. Le caractère
d’actualité de l’ordre public international est donc de droit positif. Cependant, ce caractère
implique, en sus de l’insaisissabilité de la notion, que le contenu soit variable.
Vraisemblablement, l’ordre public international est évolutif puisque son appréciation dépend
du moment auquel est saisie la juridiction. Or, la variabilité de l’ordre public international ne
fait qu’affaiblir l’égalité de traitement à laquelle devraient pouvoir prétendre les sujets de
droit. Cependant, la vocation de l’ordre public international est de répondre d’une justice
matérielle et notamment des troubles qui pourraient être causés dans l’ordre juridique du
for2300. Effectivement, « la fonction de l’ordre public est d’empêcher le trouble qu’apporterait
l’application ou la reconnaissance de normes étrangères dont le contenu heurte les
2301
conceptions dominantes dans l’ordre du for » . Par conséquent, « il s’agit (…)
nécessairement des conceptions en vigueur au moment où le juge statue »2302 . De ce fait,
l’ordre public international est susceptible de variabilité au fil des évolutions d’une société,
mais celle-ci se justifie au regard de la nécessité de reconnaître le caractère actuel de l’ordre
public international.
1688. Le caractère exceptionnel de l’ordre public international préservé par son
actualité. Le déclenchement de l’exception ne se justifie que parce que les dispositions
matérielles de la loi étrangère heurtent les conceptions fondamentales du for à une époque
donnée. Il s’agit donc d’une hypothèse exceptionnelle qui ne peut être mise en œuvre qu’au
regard des principes considérés comme fondamentaux à un moment donné par un ordre
juridique donné. Or, il s’avère que l’actualité de l’ordre public international sert davantage le
droit des conflits de lois qu’elle ne le dessert. En effet, si l’ordre public international était figé,
son application ne serait plus véritablement exceptionnelle, mais plutôt de principe chaque
fois que son contenu serait heurté. En d’autres termes, le mécanisme jouerait même si, en

2299
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 163.
2300
Ex. : Cass., Civ. 1ère, 28 nov. 2006, n°04-14.646, corrélativement au développement accru du droit à un
procès équitable, la Cour a jugé qu’« est contraire à la conception française de l’ordre public international la
reconnaissance d’une décision étrangère lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir
d’équivalent à la motivation défaillante et il incombe au demandeur de produire ces documents », « dès lors c’est
à bon droit qu’une cour d’appel qui n’est pas tenue de suppléer la carence d’une partie, retient qu’un jugement
étranger non motivé est contraire à l’ordre public international ».
2301
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 376.
2302
Ibid.

744
pratique, aucun trouble n’est imputé à l’ordre juridique du for. Ainsi, le recours à l’ordre
public international ne serait plus véritablement justifié par des raisons substantielles
légitimes, et encore moins par un caractère de nécessité.
1689. Une variabilité mesurée diminuant les risques d’imprévisibilité. En sus, si
l’actualité de l’ordre public international en fait un mécanisme d’application variable, cette
variabilité demeure tout de même très mesurée. En effet, si l’évolution de la société peut
conduire à modifier le contenu de l’ordre public international, ces modifications ne sont pas
réellement imprévisibles pour les sujets de droit. Dès lors que les mœurs de la société
évoluent et de nouveaux droits intègrent le rang de droits de l’Homme, il est certain que ces
droits participeront à l’ordre public international. Par conséquent, toute anticipation à l’égard
de la modification du contenu de l’ordre public international n’est pas exclue 2303 . En
revanche, lorsqu’il sera question de politiques législatives, la prévisibilité sera moins
évidente. Cependant, le problème relatif à la variabilité ne sera pas vraiment dû au caractère
d’actualité de l’ordre public international, mais sera la conséquence de l’absence de définition
de la notion. Ainsi, la détermination du contenu sera vaine, mais ne sera pas réellement due à
l’actualité, mais bien à l’insaisissabilité de la notion. Il semblerait donc que la variabilité de
l’ordre public international ne soit pas réellement de nature à remettre en cause la prévisibilité
juridique à laquelle peuvent légitimement prétendre les sujets de droit.
1690. Le maintien nécessaire du caractère actuel de l’ordre public international.
En outre, malgré la variabilité qui peut être issue de l’actualité de l’ordre public international,
ce caractère doit être maintenu afin de répondre de la fonction même du mécanisme tendant à
évincer un trouble effectif à l’ordre juridique saisi. De plus, l’actualité de l’ordre public
international permet à ce mécanisme de demeurer exceptionnel eu égard à la méthode
conflictuelle. Or, ceci ne peut qu’être renforcé par l’appréciation in concreto qui est faite par
les juges du fond de la situation internationale.

b) Un outil relatif astreint à une appréciation in concreto


1691. Une exception soumise à une appréciation in concreto de la situation
internationale. Si l’ordre public international peut être taxé de variabilité, il peut également

2303
Voir en ce sens : H. Gaudemet-Tallon, « De la conformité des dommages-intérêts punitifs à l’ordre public »,
RCDIP 2011, p. 93, laquelle expose notamment l’acceptation progressive des dommages et intérêts punitifs par
l’ordre public international français : « Au vu de ces évolutions du droit interne, des prises de position du droit
communautaire, et enfin des travaux de la Conférence de La Haye, il devient impossible au juge national de dire
que les punitive damages sont, par principe, contraire à l'ordre public du for ».

745
être caractérisé par sa relativité. Le mécanisme consiste à évincer les dispositions d’une loi
étrangère contraires à l’ordre public international du for. Cependant, « après avoir porté son
examen sur le contenu de la loi étrangère désignée par la règle de conflit, le juge doit encore,
avant d’évincer cette loi au nom de l’ordre public, prendre en considération les circonstances
de l’espèce »2304. Cela signifie que « la seule teneur du droit étranger ne justifie pas qu’il soit
repoussé lorsque son application ne consacre pas ce qu’elle peut avoir de choquant »2305 .
Ainsi lorsqu’est entendue « loi étrangère écartée au nom de l’ordre public », « ce n’est pas la
norme générale, applicable à une série d’espèces »2306. Il s’agit de « la norme individualisée,
concrétisée par les circonstances de l’espèce » et plus précisément de « la solution juridique
que le droit étranger donne au problème litigieux »2307. En d’autres termes, la mise en œuvre
de l’ordre public international s’apprécie in concreto selon la situation internationale en cause.
Or, en recourant à une appréciation au cas par cas de chaque situation internationale, la
prévisibilité de l’ordre public international est de nouveau mise à mal. En effet,
« l’intervention de l’ordre public dépend moins de la teneur même de la loi étrangère que de
l’importance de la perturbation que son application en France est de nature à engendrer ».
Néanmoins, il semble que l’appréciation in concreto s’impose d’elle-même.
1692. Un caractère préservant a maxima le jeu de la méthode conflictuelle. D’une
part, l’ordre public international répond de la justice matérielle, laquelle s’analyse de manière
concrète. Or, il semblerait incohérent de recourir à l’exception de l’ordre public international,
alors qu’en l’espèce, l’application concrète des dispositions de la loi étrangère ne cause pas de
véritables heurts à l’ordre juridique du for. D’autre part, en appréciant l’ordre public
international de manière concrète, la justice conflictuelle sera mieux préservée. En effet, dans
la mesure où l’ordre public international répond d’objectifs substantiels, il ne peut être
apprécié in abstracto. Si tel était le cas, l’emploi de l’ordre public international serait sans
doute plus mécanique. Par conséquent, il constituerait une exception automatique à la
méthode conflictuelle sans que son application soit inévitablement nécessaire dans l’ordre
juridique du for. De la même façon, son recours serait sans doute plus fréquent, et la méthode
conflictuelle évincée chaque fois qu’une loi étrangère semblerait a priori contraire à l’ordre
public international du for.

2304
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 358.
2305
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 367.
2306
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 140.
2307
Ibid.

746
1693. La conservation de la variabilité et de la relativité du mécanisme. Par
conséquent, cela signifie que l’ordre public international doit demeurer variable et relatif afin
de préserver son caractère exceptionnel. En effet, l’objet du mécanisme est d’évincer les
troubles concrets qui pourraient résulter de l’application de la loi matériellement désignée à
une époque donnée. En aucun cas, l’objet de l’ordre public international n’est de remettre en
cause, par principe, le résultat issu de la règle de conflit chaque fois que la loi étrangère
désignée semblerait incompatible avec les conceptions de l’ordre juridique du for. Il ne s’agit
que d’un mécanisme d’application circonstancié qui contribue au maintien de la paix sociale.
C’est pourquoi il doit demeurer circonstancié afin de n’être employé que par nécessité. De
cette manière, la méthode conflictuelle sera mieux préservée, tout automatisme étant rejeté.
1694. L’assurance d’un recours circonstancié exceptionnel. Finalement, l’ordre
public international présente des caractères spécifiques justifiés par des considérations
matérielles légitimes. Malgré la variabilité et la relativité qu’ils entraînent, ils s’avèrent
indispensables à un emploi circonstancié du mécanisme. En effet, l’exception ne peut être
acceptée qu’à la condition que son utilisation soit justifiée en l’espèce. En revanche, il serait
préférable que la jurisprudence, voire le législateur s’investisse à définir la notion d’ordre
public international pour réduire son imprévisibilité en termes d’application. Néanmoins, si le
recours à l’ordre public international constitue une exception indispensable en droit des
conflits de lois, ses effets sont nettement plus controversables.

§ 2 – LE REGIME QUASI ANTINOMIQUE DE L’EXCEPTION AVEC LES OBJECTIFS DU


DROIT DES CONFLITS DE LOIS

1695. Le mécanisme de l’ordre public international ne peut être remis en cause dans
son principe. En revanche, au regard de son régime, il paraît nettement plus contestable dans
la mesure où les effets qu’il produit s’inscrivent aux antipodes des idéaux de la discipline du
droit des conflits de lois. En théorie, le mécanisme présente un effet substitutif dont l’objet
consiste à substituer la loi du for à la loi étrangère. Or, cet effet s’avère absolument
incompatible avec la méthode conflictuelle (A). Néanmoins, en pratique, la jurisprudence a
tenté d’affiner le régime du mécanisme, et conséquemment de rendre à la méthode
conflictuelle le respect auquel elle peut prétendre. Cependant, cet effort n’a pas suffi à
paralyser toutes les hypothèses où égalité et sécurité juridique sont mises à mal. C’est
pourquoi les applications de l’ordre public international par la jurisprudence sont relativement
controversables (B).

747
A. L’EFFET SUBSTITUTIF INCOMPATIBLE AVEC LA METHODE CONFLICTUELLE
1696. L’ordre public international a pour effet d’évincer la loi étrangère, puis de lui
substituer la loi du for. L’effet d’éviction n’a pas besoin d’être remis en cause dans la mesure
où il n’est que la conséquence issue de la fonction du mécanisme. Il est nécessaire d’écarter la
loi étrangère incompatible avec l’ordre public international du for. Face à ce
dysfonctionnement issu de la règle de conflit, il est obligatoire de prévoir un rattachement
subsidiaire afin de ne pas commettre un déni de justice. Toutefois, ce rattachement
subsidiaire, attaché à l’effet substitutif de l’ordre public international, ne répond pas dans sa
forme actuelle à l’idéologie du conflictualisme. En effet, cette substitution s’opère aujourd’hui
en faveur de la lex fori au détriment de la loi des liens les plus étroits (1). De surcroît, elle
invite à certaines contestations dans la mesure où son étendue demeure indéterminée (2).

1) La malheureuse substitution de la lex fori au détriment de la loi des liens les plus
étroits
1697. Le mécanisme de l’ordre public international est indispensable à la discipline
afin de garantir la paix sociale. C’est pourquoi il doit inévitablement avoir pour effet
d’évincer la loi étrangère. Cependant, face à cette éviction, une loi de substitution doit être
choisie pour combler le vide juridique auquel est confrontée la situation internationale. Or, le
recours à la lex fori demeure parfaitement incompatible avec la fonction de la règle de conflit
(a). C’est pourquoi il serait préférable d’opter pour le rattachement aux liens les plus étroits
afin de préserver la neutralité et l’égalité de traitement garanties par la méthode conflictuelle
(b).

a) L’incompatibilité du recours à la lex fori par respect de la méthode conflictuelle


1698. La substitution de principe de la lex fori. « L’ordre public en droit
international privé a pour effet général (…) d’évincer la loi étrangère »2308. Cet effet « qui
s’attache au jeu du mécanisme de l’exception d’ordre public lorsque la contrariété de la loi
étrangère à l’ordre public est établie est caractéristique de ce mécanisme » puisqu’« il s’agit
d’éviter que le juge du for ne consacre, pour le cas dont il est saisi, un résultat qui répugne à
l’Etat au nom duquel il se prononce »2309. Cependant à cet effet d’éviction, s’ajoute un effet
substitutif. En effet, « lorsque le juge est appelé à statuer sur une demande que sa règle de

2308
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 389.
2309
P. de Vareilles-Sommières, « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi
étrangère », op. cit., § 96.

748
conflit soumet à une loi étrangère dont l’application est, in casu, contraire à l’ordre public
international du for, l’effet négatif ne suffit pas, le juge doit chercher un droit de
remplacement à substituer à la loi étrangère évincée »2310. Il s’agit de l’effet positif. Or, en
droit français, la substitution s’opère en faveur de la lex fori. En effet, cette solution
s’applique depuis le Moyen Âge puisqu’à l’époque de la théorie des statuts, période durant
laquelle primait le principe de territorialité, il était considéré que « chaque Etat étant
souverain sur son territoire, l’application d’une loi étrangère sur ce territoire a un caractère
exceptionnel et, en cas d’éviction de cette loi pour des raisons d’ordre public, il y a lieu de
revenir à la règle générale, c’est-à-dire à l’application de la loi du for »2311. Aujourd’hui, ce
concept est dépassé. C’est pourquoi désormais, dans la mesure où « la situation présente un
lien suffisant avec l’ordre juridique du for », il est logique qu’elle « soit soumise à ses
autorités » 2312 . Par conséquent, c’est à raison du lien suffisant que présente la situation
internationale avec l’ordre juridique du for qu’est substituée la loi du for. Il s’agit
vraisemblablement d’une nouvelle manifestation de sa vocation subsidiaire2313.
1699. Une substitution contraire à l’égalité de traitement. Cependant, le recours à
la lex fori comme rattachement subsidiaire est contestable. Effectivement, l’argument
permettant de justifier l’application par substitution de la loi du for consiste à se référer au
lien suffisant qui existe entre la situation internationale et l’ordre juridique du for. Néanmoins,
il a été considéré qu’en droit français, le rattachement juridictionnel à lui seul suffisait à
déclencher le mécanisme de l’ordre public international. Par conséquent, il serait logique que
la loi du for ait vocation à se substituer à la loi étrangère. Or, d’une part le déclenchement de
l’ordre public international sur cette base est infondé2314 et d’autre part l’objet de la règle de
conflit consiste à désigner la loi la plus proche du rapport de droit. Ainsi, si l’ordre public
international, à raison de son aspiration substantielle tendant au maintien de la paix sociale,
doit nécessairement conduire à une éviction de la loi étrangère, il ne doit pas a contrario
favoriser l’application d’une loi matérielle et en l’occurrence de la lex fori. Cependant, en
considérant que le seul rattachement juridictionnel suffit à justifier le recours au mécanisme
ainsi que l’application par substitution de la lex fori, l’objectif de la méthode conflictuelle est
entravé. Ainsi, « l’effet d’éviction est (…) en harmonie avec l’analyse de l’exception d’ordre

2310
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 367.
2311
Ibid.
2312
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 377.
2313
Ibid.
2314
Cf. supra § 1674.

749
public en termes de contrôle de la régularité substantielle internationale, autant l’effet de
rattachement vient troubler cette harmonie puisqu’il tend à faire de l’exception d’ordre public
un outil également orienté vers la sélection de la loi compétente »2315. Or, telle ne doit pas être
la fonction de l’ordre public international puisque celui-ci doit simplement préserver la
situation internationale des troubles auxquels elle peut être confrontée. Par conséquent, il est
critiquable de recourir à la lex fori par substitution puisque le résultat est orienté2316. De cette
façon, la neutralité de la méthode conflictuelle est mise à mal et indirectement l’égalité de
traitement. C’est pourquoi il serait préférable de préconiser un autre rattachement.

b) Le recours substitutif aux liens les plus étroits conforme à l’égalité de traitement
1700. Le recours aux autres dispositions de la loi étrangère. S’il est de droit
positif d’appliquer la lex fori par substitution, le grief selon lequel cette solution a pour effet
« de fausser la règle de conflit française par l’introduction perturbatrice de la lex fori » a déjà
été soulevé2317. C’est pourquoi certains tribunaux, notamment l’Allemagne, ont proposé, au
lieu d’évincer la loi étrangère, d’appliquer d’autres dispositions de la loi étrangère, lesquelles
seraient compatibles avec l’ordre juridique saisi2318. Il est vrai qu’une telle solution présente
« l’avantage de maintenir l’ensemble du litige sous l’empire de la loi (étrangère) », mais « au
prix d’une véritable dénaturation de cette dernière »2319. Par conséquent, une telle solution
semble peu souhaitable en droit positif.
1701. La substitution conseillée de la loi des liens les plus étroits. En revanche,
une nouvelle fois, il serait préférable de remplacer le recours substitutif à la lex fori par le
rattachement aux liens les plus étroits. En effet, si l’intervention de l’ordre public international
se justifie dans son effet d’éviction pour des raisons substantielles tendant à la régularité de la
situation internationale, son effet substitutif ne doit pas quant à lui être l’objet de

2315
P. de Vareilles-Sommières, « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi
étrangère », op. cit., § 96.
2316
Voir en ce sens Ph. Francescakis, « Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ? », TCFDIP 1966-1969,
spéc. p. 157 : « (…) l'utilisation du modèle nationaliste tend à trop augmenter les cas d'éviction de la loi
étrangère. Celle-ci peut passer l'épreuve des grands principes parce qu'ils ne concernent pas l'aménagement de
détail des institutions. Elle sera bloquée, au contraire par tout article du Code, par toute disposition législative
auxquels on attribuera le qualificatif d'ordre public » ; « Avec cette observation on voit poindre le reproche
qu'encourt la conception dite « classique ». C'est qu'elle est désarmée contre une irruption excessive de la loi du
for, contre une invasion du nationalisme. Voilà de quoi on se plaint, spécialement en ce qui concerne le droit
international privé français dans lequel le nombre réduit des règles de conflit, leur caractère synthétique, leur
archaïsme aussi, sont faits pour favoriser l'emploi de l'ordre public en tant qu'instrument conduisant à
l'application de la loi française ».
2317
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 391.
2318
Ibid.
2319
Ibid.

750
considérations matérielles tendant à l’application d’une loi en particulier. Cet effet doit être
fonction de l’idéologie de la méthode conflictuelle, afin de respecter les objectifs de neutralité
et d’égalité de traitement. Par conséquent, la loi de substitution doit être celle qui présente,
hormis la loi étrangère évincée, les liens les plus étroits avec la situation internationale. Il
pourra tout de même s’agir de la lex fori dans l’hypothèse où le seul lien avec le for serait le
rattachement juridictionnel. Par exemple, dans l’hypothèse où en matière de filiation, la loi
applicable, conformément à l’article 311-14 du Code civil, est celle de la loi personnelle de la
mère au jour de la naissance de l’enfant, et que celle-ci désigne une loi matérielle
incompatible avec les conceptions de l’ordre public international, devra lui être substituée la
loi des liens les plus étroits. Or, en matière de filiation dont la catégorie de rattachement
relève du statut personnel, il convient de s’attarder sur la personne. Par conséquent, la loi des
liens les plus étroits pourrait être recherchée eu égard à la loi personnelle de l’enfant, mais
aussi à son domicile. En tout état de cause, de cette manière la justice conflictuelle demeure
préservée malgré l’exception qui lui est imputée.

2) Le rejet d’un effet substitutif indéterminé quant à son étendue


1702. Si l’effet de rattachement à l’égard de la lex fori est contestable, l’étendue de sa
substitution l’est également dans la mesure où celle-ci est variable tant au regard de la
doctrine que de la jurisprudence. Elle s’avère donc génératrice d’inégalité pour les sujets de
droit (a). C’est pourquoi afin de remédier à cette difficulté, il faut opter pour une substitution
totale, mais à condition qu’elle s’opère en faveur de la loi la plus proche (b).

a) L’étendue fluctuante de la substitution génératrice d’inégalité


1703. S’il est de principe de reconnaître à l’ordre public international un effet
substitutif, son étendue fait l’objet de certaines discussions tant en jurisprudence qu’en
doctrine. Ainsi, deux positions s’affrontent dont « l’une consiste à limiter l’effet de
substitution de l’ordre public à la seule disposition de la loi étrangère dont le contenu est jugé
inadmissible et l’autre à opérer une substitution générale »2320. De la même manière, pendant
longtemps, « la jurisprudence française (…) a eu tendance à substituer la loi française à la
totalité du litige, dès que la loi étrangère normalement compétente présente un caractère
contraire à l’ordre public français »2321. Néanmoins, la jurisprudence, durant le XXème siècle
a également choisi de limiter cette substitution au strict nécessaire, notamment avec

2320
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 392.
2321
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 186.

751
l’importante jurisprudence Fayeulle 2322 au cours de laquelle la Cour de cassation « a pu
décider, en matière de filiation naturelle, que la loi allemande n’était contraire à l’ordre public
international français qu’en ce qui concerne l’admissibilité des modes de preuves, en sorte
que la substitution de la loi française devait être limitée à cette question, sans s’étendre aux
effets de la filiation » 2323 . Cependant, si cette jurisprudence a pu laisser penser à un
revirement, tel n’est pas le cas. Au regard de la jurisprudence postérieure, différentes
solutions ont été opérées quant à l’étendue de la substitution. Cette fluctuation tant doctrinale
que jurisprudentielle est parfaitement regrettable dans la mesure où d’une part, elle est
génératrice d’imprévisibilité et d’insécurité juridiques pour les sujets de droit, et d’autre part,
elle favorise l’inégalité de traitement puisque chaque situation internationale sera
potentiellement traitée de manière différente. C’est pourquoi il serait préférable de trancher ce
problème juridique.

b) La substitution cohérente au tout de la loi la plus proche


1704. La détermination de l’étendue de la substitution par mesure d’égalité de
traitement. Afin de garantir sécurité juridique et égalité de traitement, il convient
nécessairement de trancher la question relative à l’étendue de la substitution. Or, il semblerait
que « parce qu’il est fait exception à l’application de la loi compétente, la substitution doit de
préférence être limitée à ce qui est nécessaire »2324. En effet, dans la mesure où l’intervention
de l’ordre public international est exceptionnelle, elle doit le rester. L’objectif doit consister à
fausser le moins possible le jeu de la méthode conflictuelle. Néanmoins, il est des situations
dans lesquelles, il demeure impossible de cantonner l’effet substitutif au strict minimum. En
effet, « l’exigence d’une cohérence minimale peut conduire à étendre la substitution de la lex
fori à la loi étrangère à des mesures qui (…) apparaissent comme le corollaire nécessaire de
celles visées par l’exception d’ordre public »2325. Ainsi, par souci de respect de la méthode
conflictuelle, et de cohérence juridique, il semblerait qu’il soit préférable de limiter l’étendue
de la substitution au strict nécessaire. Cependant, cette proposition se justifie dans la mesure
où l’effet substitutif a pour objet de donner compétence à la lex fori, laquelle n’a pas
véritablement un titre légitime à s’appliquer si ce n’est au regard de sa vocation subsidiaire.

2322
Cass., Civ., 8 nov. 1943, Fayeulle, Dalloz 1944, p. 65, note Savatier ; RCDIP 1926, p. 271, note H. Batiffol ;
JCP 1944, II, p. 2522, note Lerebours-Pigeonnière.
2323
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 368.
2324
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 377.
2325
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 392, spéc. à propos de l’arrêt suivant :
Cass. Civ. 1ère, 15 mai 1963, Patino, JCP 1963, II, p. 13365, note H. Motulsky ; JDI 1963, p. 1016, note Ph.
Malaurie ; RCDIP 1964, p. 532, note P. Lagarde, GAJFDIP, n°38-38.

752
Vraisemblablement, si l’effet substitutif de l’ordre public international s’opérait en faveur de
la loi la plus proche, il serait sans doute préférable que l’étendue de la substitution s’opère
pour le tout.
1705. Une substitution au tout conditionnée par l’application de la loi des liens
les plus étroits. D’une part, le jeu de la méthode conflictuelle ne serait pas remis en cause
puisque serait appliquée la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation
internationale et d’autre part, la cohérence juridique serait préservée puisque cette loi serait
appliquée dans son ensemble. En effet, le Professeur Lagarde a pu affirmer à ce sujet que
« très souvent il arrive que l’intégration d’une loi étrangère dans l’ordre juridique du for
aboutisse à un résultat incohérent qui ne peut être évité que par une modification de la règle
de conflit, c’est-à-dire par une attribution de compétence à la loi du for : c’est la fonction de
l’ordre public »2326. Cependant, « si le fonctionnement de la règle de conflit peut entraîner
certaines incohérences, le fonctionnement de cette règle de conflit exceptionnelle qu’est
l’ordre public peut en faire autant » 2327 . Par conséquent, « dans ces cas, il faut que la
substitution de la lex fori à la loi étrangère normalement compétente soit totale ou qu’elle ne
soit pas », « sinon on appliquera à un problème juridique un découpage de textes et de
solutions absolument dépourvus de liens entre eux » 2328 . Effectivement, l’étendue de la
substitution ne peut faire l’objet d’un découpage dans la mesure où la situation internationale
sera régie par différentes dispositions émanant d’Etats différents. Un tel procédé paraît
contestable en termes de cohérence et de sécurité juridiques. Cependant, pour opérer une
substitution au tout et de surcroît préserver le jeu de la méthode conflictuelle, l’effet
substitutif doit s’opérer en faveur de la loi des liens les plus étroits. A l’inverse, en appliquant
la lex fori, la cohérence juridique sera certainement garantie pour certaines hypothèses, mais
le jeu de la méthode conflictuelle totalement mis à l’écart.
1706. Une application jurisprudentielle au service d’un but matériel.
Actuellement, la jurisprudence « ne semble pas très ferme en la matière », mais « révèle
cependant une tendance à étendre l’effet de la substitution de l’ordre public »2329. De cette
manière, la jurisprudence tend à garantir une certaine cohérence et sécurité juridiques aux
sujets de droit. Néanmoins, elle favorise incontestablement la compétence de la lex fori. Par

2326
P. Lagarde, « Ordre public », op. cit., § 188.
2327
Ibid.
2328
Ibid.
2329
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 393.

753
conséquent, il est probable qu’un but matériel soit recherché derrière cette position
jurisprudentielle. C’est pourquoi il devrait être recouru à la loi la plus proche. Fort
heureusement, si l’effet de rattachement retenu par le système de droit positif est critiquable,
il semble mesuré par la distinction pratiquée par la jurisprudence entre l’ordre public effet
atténué et l’ordre public effet plein.

B. LES APPLICATIONS CONTROVERSABLES DE L’EXCEPTION PAR LA


JURISPRUDENCE

1707. En théorie, l’effet substitutif reconnu à l’ordre public international ne préserve


pas au mieux la méthode conflictuelle. Cependant, face à cet effet négatif de l’ordre public
international, la jurisprudence a consacré l’effet atténué du mécanisme. Or, cette admission
jurisprudentielle ne peut être que félicitée dans la mesure où, en pratique, l’effet atténué
favorise le caractère exceptionnel de l’ordre public international (1). Néanmoins, malgré les
efforts effectués par la jurisprudence, demeurent certains cas dans lesquels l’ordre public
international contribue à maintenir l’inégalité de traitement ou l’insécurité juridique à l’égard
des sujets de droit (2).

1) Le caractère exceptionnel du mécanisme approfondi par l’effet atténué


1708. La Cour de cassation, depuis la jurisprudence Rivière de 1953, admet que « la
réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant
qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou qu’il s’agit de laisser se produire
en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger »2330. En reconnaissant cette
distinction entre l’effet plein et l’effet atténué de l’ordre public international, la Cour de
cassation a participé à un approfondissement de son caractère exceptionnel lequel invite au
respect de la méthode conflictuelle. C’est pourquoi elle lui a octroyé un régime conforme à sa
fonction (a), lequel contribue à un effacement du potentiel impérialisme de la lex fori (b).

a) La reconnaissance de l’effet atténué conformément à la fonction de l’ordre public


1709. Une appréciation circonstanciée affinée par l’effet atténué. L’ordre public
international a pour objet de mettre fin à un trouble qui pourrait être engendré par
l’application de dispositions matérielles étrangères dans un ordre juridique donné. Ce
potentiel trouble est mesuré à l’aune d’une appréciation in concreto2331 dans la mesure où il
s’agit de déterminer « la conséquence sociale qu’aurait l’application de la norme considérée

2330
Cass., Civ., 17 avr. 1953, Rivière, préc.
2331
Cf. supra § 1690 à 1693.

754
sur la société française » 2332 . Or, la reconnaissance d’un effet atténué à l’ordre public
international participe à cette appréciation concrète du trouble à la société2333. En effet, en
admettant que l’ordre public puisse ne pas s’opposer à l’effet en France de situations créées à
l’étranger alors qu’il s’opposerait à la création de ces situations en France2334, la fonction
exceptionnelle de l’ordre public international est respectée. Il s’agit de préserver la cohérence
du mécanisme et d’éviter qu’il ne devienne un automatisme2335.
1710. L’effet atténué au service de la préservation de la méthode conflictuelle. Il
est certain que « la différence d’intensité de « l’ordre public (…) confirme de façon
saisissante que l’ordre public ne saurait se mesurer à la seule comparaison in abstracto de la
loi étrangère et de la loi du for, mais que la nécessité de sa réaction doit s’apprécier en
fonction du résultat produit par l’application de la loi étrangère dans notre pays »2336. L’effet
atténué de l’ordre public international doit être conservé en ce qu’il permet de maintenir le
mécanisme au rang d’exception, laquelle ne peut être justifiée que par un véritable trouble à la
paix sociale. C’est pourquoi par exemple, en matière de polygamie, l’ordre public
international se refusera, dans son effet plein, à proclamer une union polygamique en France,
mais en revanche, acceptera de laisser produire les effets en France d’un mariage
polygamique valablement contracté à l’étranger2337. Ainsi, l’effet atténué constitue bien une
application du mécanisme conforme avec les objectifs qu’il prône. Par conséquent, il s’inscrit
également dans la préservation de la méthode conflictuelle puisque son but est d’affiner le
recours à l’exception aux seules hypothèses où cela est réellement nécessaire. Ainsi, l’effet
atténué participe à un certain effacement de l’impérialisme de la lex fori.

b) L’effacement du potentiel impérialisme de la lex fori


1711. L’admission de l’effet atténué par la jurisprudence de la Cour de cassation
permet certainement un effacement de l’impérialisme qui pourrait être issu de la lex fori. En
effet, en affinant le critère de mise en œuvre de l’ordre public international par le recours à

2332
B. Rémy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé, Thèse, Paris
1, 2006, Dalloz, 2008, § 635.
2333
Ex. : Cass., Civ. 2ème, 14 fév. 2007, n°05-21.816, dans lequel la Cour rappelle, à propos du versement d’une
pension de réversion dans le cadre d’une bigamie valable à l’étranger, que : « l’ordre public français ne fait pas
obstacle à l’acquisition de droits en France sur le fondement d’une situation créée sans fraude à l’étranger en
conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé ».
2334
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 361.
2335
Cf. supra § 1691 et 1692.
2336
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 399.
2337
Cass., Civ. 1ère, 3 janv. 1980, Bendeddouche, RCDIP 1980, p. 331, note H. Batiffol ; JDI 1980, p. 327, note
M. Simon-Depitre ; Dalloz 1980, p. 549, note E. Poisson-Drocourt ; GAJFDIP n°61.

755
l’effet atténué, le mécanisme de l’ordre public international ne s’applique que s’il cause un
trouble effectif à la société française. Par conséquent, si son recours était déjà mesuré grâce à
une appréciation in concreto, il l’est davantage par la reconnaissance de l’effet atténué. De
cette façon, l’application de la lex fori est elle aussi plus mesurée, empêchant ainsi son effet
substitutif d’être utilisé à tout-va. La lex fori voit donc son monopole plus restreint, ce qui
contribue nécessairement à préserver la méthode conflictuelle. Cependant, l’appréciation in
concreto et l’effet atténué ne suffisent pas en pratique à garantir aux sujets de droit une
parfaite égalité de traitement ni la sécurité juridique à laquelle ils peuvent prétendre.

2) L’inégalité et l’insécurité entretenues par certains cas d’ordre public


international
1712. En pratique, si l’ordre public international tend à devenir un mécanisme
casuistique a maxima, il fait parfois l’objet d’applications pouvant être considérées comme
contestables. D’une part, il conduit parfois à une certaine rupture d’égalité laquelle pourrait
émaner d’une certaine subsistance du règne de la lex fori (a). D’autre part, il provoque parfois
l’insécurité juridique dans la mesure où il peut avoir pour effet de créer des situations
boiteuses (b).

a) L’inégalité engendrée par la subsistance du règne de la lex fori


1713. Le recours à l’ordre public international par faveur pour la lex fori.
Malgré l’effort de la jurisprudence pour donner à l’ordre public international un caractère
exceptionnel justifié par les circonstances de l’espèce, il demeure certaines hypothèses dans
lesquelles la loi du for semble s’imposer. Il a été considéré que « l’effet atténué de l’ordre
public est aujourd’hui fréquemment invoqué en matière de polygamie » 2338 afin de laisser
produire en France les effets d’une union polygamique contractée valablement à l’étranger.
Cependant, la position de la jurisprudence française semble diverger lorsqu’est impliquée une
épouse française. En effet, à deux reprises, la Cour de cassation a considéré que « le partage
des droits patrimoniaux suite à un mariage polygamique est refusé lorsque l’une des épouses
est de nationalité française »2339. Ainsi, dans deux arrêts l’un de 19882340, l’autre de 20112341,
la Cour de cassation a nié « tout effet en France au mariage polygamique dès que la première

2338
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 362.
2339
F. Cadet, op. cit., § 336.
2340
Cass., Civ. 1ère, 6 juill. 1988, RCDIP 1989, p. 71, note Y. Lequette.
2341
Cass., Civ. 1ère, 1er déc. 2011, 10-27.864, RCDIP 2012, p. 339, obs. P. Lagarde.

756
épouse était française »2342. Dans chacune de ces situations, il était question de savoir si le
mariage polygamique, valablement contracté à l’étranger, pouvait produire effet en France,
afin que la seconde épouse puisse percevoir la pension de réversion de l’époux décédé. Or, la
haute cour a refusé de reconnaître cette union au nom de l’ordre public international chaque
fois que la première épouse était française.
Au regard de ces deux espèces, il pourrait être envisagé que l’ordre public
international a joué dans son effet plein dans la mesure où, contrairement aux autres mariages
polygamiques, est impliquée une épouse de nationalité française. En effet, la polygamie étant
prohibée en droit français, il pourrait être considéré qu’elle ne peut produire d’effet dès lors
que la première épouse possède la nationalité française. Néanmoins, cet argument semble
toutefois contestable dans la mesure où en pratique l’ordre public international français ne
sera, concrètement, pas plus atteint s’il reconnaît les effets produits par une union
polygamique totalement étrangère que par une union polygamique (valide) impliquant une
épouse française. Concrètement, dans ces deux espèces, cela impliquait pour l’Etat français de
verser deux fois la pension de réversion de l’époux défunt puisque deux épouses étaient
impliquées. A contrario, en opposant l’ordre public international, la pension de réversion
n’était versée qu’à l’épouse française. Ainsi, au regard des conséquences pratiques que
pouvait engendrer la reconnaissance de l’union polygamique par l’Etat français, il semble tout
de même difficile d’admettre que celle-ci aurait produit des effets contraires aux valeurs
considérées comme fondamentales par la société française. Vraisemblablement, l’objectif était
sans doute de refuser les effets de la loi étrangère pour favoriser les effets de la loi française
tendant à ne verser qu’une seule pension de réversion. Il pourrait être considéré que des
motivations d’ordre financier aient influé sur le recours à l’ordre public international.
1714. Un favoritisme synonyme de rupture d’égalité. En outre, cela signifie bien
que, malgré la conformité du régime de l’ordre public international à sa fonction, le règne de
la lex fori peut toutefois réapparaître. Or, ceci est regrettable puisqu’est finalement opérée une
rupture d’égalité entre les mariages polygamiques étrangers et les mariages polygamiques
impliquant une épouse française. Le mécanisme demeurerait donc encore perfectible et
devrait être seulement mis en œuvre lorsqu’il existe un véritable trouble à la société française.
De plus, il paraît également critiquable en pratique puisqu’il peut conduire à la création de
situations boiteuses.

2342
I. Fadlallah, « Polygamie », Rép. intern. Dalloz, mars 2013, § 38.

757
b) L’insécurité juridique provoquée par la création de situations boiteuses
1715. Les situations boiteuses issues du recours à l’ordre public international.
De la même façon que la qualification lege fori peut conduire à la création de situations
boiteuses, l’ordre public international le peut également. Il suffit pour le constater de se
référer au mariage homosexuel et notamment à l’arrêt du 28 janvier 2015 dans lequel la Cour
de cassation a considéré que « la loi marocaine, qui s’oppose au mariage de personnes de
même sexe, est manifestement incompatible avec l’ordre public, (…) dès lors que, soit la loi
personnelle, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le
permet »2343. Par conséquent, dans cette espèce, au nom de l’ordre public international, un
mariage homosexuel a été autorisé dans la mesure où la loi nationale de l’un des époux, à
savoir la loi française, autorisait ledit mariage tandis que la loi personnelle marocaine de
l’autre époux le prohibait. Cela signifie que désormais, « le mariage entre personnes de même
sexe est d’ordre public international » et que « la loi étrangère qui le prohibe doit être écartée
dès lors que le mariage est célébré en France »2344.
En établissant cette jurisprudence, la Cour de cassation a rangé le mariage homosexuel
dans les rangs de l’ordre public international français, ce qui ne paraît pas contestable en soi.
Néanmoins, son application à des cas dans lesquels la loi nationale de l’un des époux prohibe
le mariage homosexuel semble nettement plus critiquable. Grâce à la jurisprudence de la Cour
de cassation, les deux futurs époux vont pouvoir se marier en France et leur union sera
reconnue comme valide par l’ordre juridique français. Cependant, dans la mesure où est
impliquée une personne de nationalité marocaine, celle-ci ne pourra jamais faire reconnaître
son union dans le pays de sa nationalité. Par conséquent, l’utilisation de l’ordre public
international va conduire à des situations boiteuses puisque vraisemblablement l’institution ne
sera pas valide à l’égard de tous les ordres juridiques en cause. L’emploi de l’ordre public
international peut donc parfois être vecteur d’insécurité juridique pour les sujets de droit.
Néanmoins, ceux-là demeureront traités de manière équivalente par l’ordre juridique français.
1716. Un mécanisme potentiellement vecteur d’insécurité juridique. Cette
jurisprudence permet simplement de constater que le mécanisme de l’ordre public
international conduit parfois à une certaine insécurité juridique lorsqu’il a pour effet de créer
des situations boiteuses. Ainsi, son recours peut se traduire sous des formes relativement

2343
Cass., Civ. 1ère, 28 janv. 2015, 13-50.059, préc.
2344
H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke, « Droit international privé », Dalloz 2015, p. 1056.

758
dangereuses en termes de sécurité juridique. De plus, ce genre de solutions invite à la fraude à
la loi dans la mesure où elle peut inciter les sujets de droit à rechercher l’acquisition de droits
en France au nom de l’ordre public international, droits auxquels ils ne peuvent prétendre
dans leur propre ordre juridique. Par conséquent, si l’ordre public international peut être
vecteur d’inégalité de traitement, il peut également être facteur d’insécurité juridique. C’est
pourquoi il serait préférable que la jurisprudence en fasse une application plus mesurée. En
outre, si l’ordre public international classique s’avère nécessaire, mais se voit attribuer de
nombreuses critiques à raison des divers défauts qu’il peut présenter, il tend toutefois à se
moderniser.

SOUS-SECTION 2 : LA MODERNISATION DE L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL


RESPECTUEUSE DE LA REGLE DE CONFLIT

1717. Si l’ordre public international, dans sa version classique, se maintient en droit


positif depuis le Moyen Âge, il a pu être l’objet de différentes évolutions notamment au cours
du XXème siècle. En effet, dans la mesure où l’ordre public international classique se voit
attribuer certains défauts, il s’est modernisé afin de répondre davantage de sa fonction propre.
C’est pourquoi il s’est transformé dans certains cas en ordre public de proximité. Or, le
recours à cette nouvelle forme d’ordre public international ne peut être que félicité dans la
mesure où il respecte davantage que dans sa version classique la règle de conflit (§ 1). De
plus, parallèlement à cette évolution, le mécanisme a également subi une modification quant à
l’élaboration de son champ d’application matériel et spatial puisqu’il tend notamment à se
régionaliser, principalement en Europe. Or, cette communautarisation, tant qu’elle préserve
l’ordre public international interne, permet aussi de protéger au mieux la règle de conflit (§ 2).

§ 1 – VERS UN RECOURS A L’ORDRE PUBLIC DE PROXIMITE CONFORMEMENT A LA


METHODE CONFLICTUELLE

1718. L’ordre public international, tel qu’il est conçu classiquement en droit des
conflits de lois, a subi une évolution au cours du XXème siècle tendant à créer une branche
spéciale consacrée à l’ordre public de proximité. En recourant à ce nouveau type d’ordre
public, « la perturbation de l’ordre juridique du for (…) est fonction de l’intensité des liens de
la situation particulière avec lui » 2345 . Il s’agit de la réapparition de la théorie de
l’Inlandsbeziehung. Or, ce retour ne peut être que réjouissant dans la mesure où la

2345
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 374.

759
modernisation de l’ordre public international, assurée par l’insertion du principe de proximité,
tend en théorie à préserver davantage la justice conflictuelle (A). Toutefois, en pratique, le
champ d’application de l’ordre public de proximité demeure malencontreusement relatif (B).

A. LA JUSTICE CONFLICTUELLE ASSUREE PAR LA REFORMATION DE L’ORDRE


PUBLIC INTERNATIONAL

1719. Le XXème siècle a vu le principe de proximité s’insérer au sein du mécanisme


de l’ordre public international. Or, cette introduction dans le système de droit des conflits de
lois ne peut être que réjouissante dans la mesure où l’ordre public de proximité répond mieux
aux objectifs de la discipline (1). En sus, au regard des deux manifestations spécifiques de
l’ordre public de proximité, l’exception fait l’objet d’un véritable affinement quant à son
régime, lequel favorise amplement la préservation de la règle de conflit (2).

1) L’introduction du principe de proximité conformément aux objectifs du droit des


conflits de lois
1720. La modernisation de l’ordre public international a conduit à intégrer le principe
de proximité. Or, cette insertion s’inscrit en parfaite conformité avec la réalité de la situation
internationale c’est-à-dire eu égard au lien qu’elle présente avec le for (a). Par conséquent,
cette nouvelle facette de l’ordre public international favorise davantage le respect de la
méthode conflictuelle (b).

a) La référence au concept de proximité par mesure de réalisme


1721. L’insertion du principe de proximité en jurisprudence. Dès la fin du
XXème siècle, le recours à l’ordre public international s’est modifié grâce à la jurisprudence.
« La Cour de cassation a en effet commencé à considérer que, sur certaines questions, l’ordre
public était susceptible de s’effacer, non en considération du respect des droits acquis à
l’étranger (…) mais en fonction du rattachement plus ou moins important avec la situation du
for » 2346 . Ainsi, la haute cour a consacré en droit positif l’ordre public international de
proximité issu de l’Inlandsbeziehung de Kahn. L’apparition de cette forme d’ordre public ne
peut être que félicitée dans un système de droit des conflits de lois prônant la justice
conflictuelle.
1722. Le recours au principe de proximité adapté à la réalité des situations
internationales. L’ordre public international ne peut être appliqué qu’à condition d’avoir

2346
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 402.

760
pour objet d’évincer une loi étrangère dont les conséquences, au regard d’une appréciation
concrète de la situation internationale, conduiraient à perturber l’ordre juridique du for. Or, le
recours à l’ordre public international ne peut être admis que parce qu’il s’analyse à l’aune
d’une appréciation in concreto. En recourant à l’ordre public international de proximité, il
apparaît alors que « cette exigence s’inscrit dans la continuité de l’obligation faite au juge
d’apprécier in concreto le résultat de l’application de la loi étrangère et l’atteinte que ce
résultat concret porte à un principe fondamental »2347. Effectivement, « condamner une loi
étrangère ou même le résultat de son application sans vérifier l’existence d’une certaine
connexion du litige avec l’ordre juridique du for équivaut à une condamnation abstraite de la
loi étrangère qui ne tient pas compte du caractère relatif de l’exception de l’ordre public »2348.
L’intérêt de l’ordre public de proximité est donc établi puisque « l’ordre juridique du for (ne
peut être) atteint par l’application d’une loi étrangère dès lors que le litige en question ne
présente pas de liens suffisants avec le for »2349. Ainsi, l’intégration de la proximité au sein de
l’ordre public international demeurait et demeure encore nécessaire à une utilisation
appropriée de l’exception. L’exigence d’un lien suffisant contraint à n’appliquer le
mécanisme qu’à titre exceptionnel c’est-à-dire que lorsque véritablement les conséquences
seront concrètement néfastes pour la société du for. Ainsi, l’ordre public international,
conformément à la justice matérielle qu’il protège, répond du réalisme de la situation
internationale. Il ne doit être employé qu’à la condition de créer véritablement un trouble à
l’ordre juridique saisi au regard des rattachements qu’il présente avec celui-ci.
1723. L’affinement de l’exception d’ordre public international par l’insertion du
principe de proximité. L’ordre public de proximité met en place des conditions d’application
plus strictes, mais qui correspondent à la fonction du mécanisme. Ainsi, l’exception n’est
déclenchée que si, concrètement, elle crée un trouble à la société du for, au regard des liens
suffisants qui l’unissent avec le for. C’est pourquoi l’ordre public de proximité doit être
défendu puisqu’il assure une application plus juste que celle de l’ordre public classique qui
correspond à une approche encore plus concrète de la situation litigieuse. D’ailleurs,
envisager l’ordre public international de cette manière répond au développement du contrôle

2347
N. Joubert, op. cit., § 177.
2348
Ibid.
2349
Ibid.

761
de proportionnalité en essor depuis ces dernières années 2350 . De plus, l’ordre public
international de proximité « permet d’apporter (des limites) à un certain impérialisme français
auquel correspond peu ou prou l’ordre public ordinaire »2351. Par conséquent, si l’ordre public
de proximité permet d’affiner son propre recours en se conformant au réalisme de la situation
internationale, il permet également de faire céder l’impérialisme de la lex fori. En effet,
l’exigence d’un lien suffisant avec l’ordre juridique du for va restreindre l’application du
mécanisme aux seuls cas dans lesquels ce lien existe. De cette manière, l’emploi du
mécanisme ne pourra pas être arbitraire ni employé afin de faire prévaloir l’application de la
lex fori sur celle de la loi étrangère. Finalement, en se conformant au réalisme de la situation
internationale, l’ordre public international de proximité respecte davantage la méthode
conflictuelle.

b) L’intégration de la proximité au service de la méthode conflictuelle


1724. L’assurance d’une meilleure justice conflictuelle. Si le principe de proximité
constitue un des éléments constitutifs de la méthode conflictuelle, il a de plus en plus
« vocation à intervenir non plus pour inspirer, mais pour corriger la règle de conflit de lois
lorsque, (…) celle-ci désigne une loi (…) dont l’application risque de conduire à une solution
injuste ou boiteuse »2352. C’est pourquoi le principe de proximité a été étendu au mécanisme
de l’ordre public international afin de mettre un terme à des situations troublant la paix
sociale. Or, l’appel à la proximité tend à favoriser davantage le respect de la justice
conflictuelle. En effet, si l’ordre public international se justifie en tant que nécessité
indispensable à un traitement régulier des situations internationales, son recours doit demeurer
exceptionnel et par conséquent justifié. En exigeant, en sus d’une appréciation in concreto des
conséquences résultant de l’application de la loi étrangère, qu’il existe un lien suffisant entre
la situation internationale et l’ordre juridique du for, le résultat de la règle de conflit ne sera
écarté que parce que cela s’avère véritablement nécessaire. Par conséquent, l’intégration de la
proximité va avoir pour effet d’affiner le recours à l’ordre public international, mais ceci en

2350
D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, § 472 lesquels opèrent un
parallèle entre l’ordre public de proximité et le contrôle de proportionnalité : « On peut se demander si le
contrôle de proportionnalité qui accompagne nécessairement la mise en œuvre des droits fondamentaux
n’implique pas lui-même une appréciation de la proximité dans les situations transfrontières. Autrement dit, il
faut se demander si une mesure nationale qui porte atteinte à une valeur protégée, met en œuvre les moyens les
moins contraignants pour réaliser le but (légitime) poursuivi et s’ils sont proportionnés à celui-ci ».
2351
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 406.
2352
P. Lagarde, P. I « Le principe de proximité dans les conflits de lois », in « Le principe de proximité dans le
droit international privé contemporain : cours général de droit international privé », op. cit., § 4.

762
toute conformité avec sa fonction. Autrement dit, pour reprendre les propos du Professeur
Muir-Watt, il s’agit de rendre à l’ordre public international sa relativité et d’accepter plus
largement l’altérité2353. De cette façon, la justice conflictuelle est davantage respectée, la règle
de conflit ne pouvant être écartée que lorsqu’un impact néfaste sera véritable pour l’ordre
juridique du for.
1725. L’effacement du caractère automatique de l’ordre public international
classique. En outre, l’ordre public international classique peut être qualifié d’universel « en ce
sens que toute situation portée à la connaissance du for et soumise à une loi étrangère est
couverte, quels que soient ses liens avec le for ». Par conséquent, il « interfère assez
brutalement avec les lois étrangères qui n’y sont pas conformes ». Cependant, « l’idée que
toute loi étrangère compétente non conforme soit systématiquement visée (…) est parfois un
peu gênante ». En effet, l’ordre public international classique tend parfois à devenir un
automatisme. Or, un emploi mécanique de l’ordre public international est contraire à sa
fonction même et porte atteinte à la méthode conflictuelle sans que cela soit nécessaire. En
revanche, lorsque l’ordre public international intègre le principe de proximité, il ne peut être
automatique puisqu’il exige la constatation d’un lien suffisant avec l’ordre juridique du for.
C’est pourquoi l’ordre public de proximité préserve davantage la justice conflictuelle
puisqu’il s’élève contre toute utilisation mécanique de l’exception. Par exemple, en matière de
filiation, la loi étrangère qui prohibe l’établissement de la filiation naturelle ne peut être
écartée au nom de l’ordre public international français que si l’enfant réside en France ou
possède la nationalité française 2354 . Ainsi, l’ordre public international ne joue qu’à la
condition qu’il existe un lien suffisant avec le territoire français lequel s’analyse sous l’angle
de la nationalité ou de la résidence de l’enfant. En effet, il semble justifié de considérer que si
l’enfant ne réside pas en France ou n’en possède pas la nationalité, alors l’ordre juridique

2353
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 182 : « Y a-t-il un paradoxe à reconnaître la
relativité de valeurs qualifiées par ailleurs d’essentielles, ou est-ce au contraire manquer de respect à l’égard de
l’altérité que de ne pas doser la vocation de valeurs culturelles du for ? » ; « La voie de la relativité consiste à
réintroduire des considérations de proximité dans le jeu de l’exception d’ordre public à travers le prisme de
l’Inlandsbeziehung (ou la notion de « liens suffisants avec l’ordre juridique ». Ce dernier mécanisme signifie une
limite à la vocation de l’Etat du for à imprimer ses propres conceptions à une situation internationale entretenant
par hypothèse des liens substantiels avec un autre ordre juridique dont la loi a été reconnue applicable a priori.
L’intervention des droits fondamentaux au nom de l’ordre public de l’Etat du for serait alors tributaire de
l’intensité des liens que celui-ci entretient avec la situation litigieuse. Si de tels liens n’existent pas, l’intrusion
des valeurs de l’Etat du for serait injustifiée ».
2354
Cass., Civ. 1ère, 10 mai 2006, 05-10.299, Dalloz 2006, p. 2890, note G. Kessler ; Dalloz 2007, p. 1751, note
P. Courbe ; et Cass. Civ. 1ère, 26 oct. 2011, 09-71.369, Dalloz 2012, p. 1228, note H. Gaudemet-Tallon.

763
français ne sera pas réellement c’est-à-dire concrètement perturbé par une loi qui prohibe
l’établissement de la filiation naturelle. De cette façon, l’ordre public international français
n’intervient que si cela est véritablement nécessaire et préserve a maxima le jeu de la règle de
conflit. De surcroît, si l’ordre public de proximité doit être approuvé tant à raison de sa mise
en conformité avec le réalisme de la situation internationale que de son respect pour la justice
conflictuelle, il constitue également un mécanisme correcteur des défauts de l’ordre public
international classique.

2) Une exception affinée au travers des manifestations spécifiques de l’ordre public


de proximité
1726. « L’ordre public de proximité intervient indifféremment au stade de la création
et de la reconnaissance en France de la situation »2355 afin d’affiner l’utilisation du mécanisme
dans le respect de la méthode conflictuelle. Selon le stade auquel il intervient, l’ordre public
de proximité peut constituer soit un complément à l’ordre public international ordinaire (a)
soit un correctif à l’effet atténué de l’ordre public international (b).

a) L’ordre public de proximité : complément de l’ordre public ordinaire


1727. Un correctif à l’ordre public international classique. Il peut être considéré
que l’ordre public de proximité constitue un correctif à l’ordre public international ordinaire
dans la mesure où il va intervenir pour protéger « des principes auxquels le droit français tient
plus que dans les seuls cas où la loi française est désignée comme applicable par la règle de
conflit, sans pour autant y tenir au point de les imposer en toutes circonstances à toutes lois
étrangères compétentes »2356. Cela signifie que certains principes de droit français, sans pour
autant relever explicitement de l’ordre public international classique, pourront être classés au
rang de l’ordre public de proximité pour ne repousser la loi étrangère que lorsqu’il existe un
lien de proximité suffisant avec la France2357.
1728. Un véritable complément à l’ordre public international classique.
Cependant, en intervenant au stade de la création des droits, certains considèrent que l’ordre
public de proximité « joue le rôle d’un facteur de renforcement du contenu de l’ordre public

2355
D. Sindres, « Vers la disparition de l’ordre public de proximité ? », JDI n°3, juill. 2012, doctr. 10, § 5.
2356
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 403.
2357
Voir en ce sens : CA de Paris, 27 fév. 2019, n°17/17990, dans lequel les juges du fond ont fait jouer l’ordre
de proximité comme complément en considérant que « le principe d’égalité des filiations en droit français et
l’existence de liens d’Alice Furth avec la France, même si ces liens sont en devenir compte tenu de sa minorité,
conduisent à écarter la loi malgache ne reconnaissant pas de droit successoral à l’enfant adultérin, pour appliquer
la loi française en ses lieu et place ».

764
lorsqu’il permet d’en augmenter le contenu » 2358 et d’autres, à l’inverse, qu’il « porte en
germe un risque d’affaiblissement de l’ordre public international du for »2359. En vérité, il
semble que l’ordre public de proximité se distingue de l’ordre public international classique
lorsqu’il intervient au stade de la création des droits. Il protège certains principes français qui
ne sont pas érigés au rang de principes fondamentaux et dont l’intervention serait automatique
via l’effet plein de l’ordre public. Par conséquent, il s’agit d’une catégorie particulière dans
laquelle sont contenues des valeurs juridiques françaises qui doivent être relativisées eu égard
au rattachement que présente la situation internationale avec la France. Ainsi, les droits
considérés comme fondamentaux sont maintenus au rang de l’ordre public international
classique. En revanche, certains principes qui ne relèvent pas des droits fondamentaux
pourront être protégés sans pour autant être classés au rang de l’ordre public international
classique.
A titre d’illustration, il est classiquement évoqué la jurisprudence De Pedro de
19812360 au cours de laquelle la Cour de cassation a considéré que la loi étrangère qui prohibe
le divorce « est contraire à la conception française actuelle de l’ordre public international qui
impose la faculté pour un Français domicilié en France de demander le divorce ». Ainsi, par
cet arrêt la Cour de cassation n’a pas classé le divorce au rang d’un droit fondamental, mais
comme un principe juridique du droit français relevant de l’ordre public de proximité. En
d’autres termes, un Français domicilié en France ne peut se voir priver du droit de divorcer
par une loi étrangère légitimement applicable. Par conséquent, la Cour de cassation n’a pas
étendu le champ de l’ordre public international ordinaire, mais a permis la préservation d’une
valeur juridique française dès lors qu’est impliqué un Français résidant en France.
1729. Un complément préservant a maxima la méthode conflictuelle.
L’avènement de l’ordre public de proximité en tant que correctif à l’ordre public international
ordinaire ne peut être que souhaité dans la mesure où il permet d’une part une protection plus
étendue des valeurs juridiques françaises, et d’autre part dans la mesure où il ne joue qu’à la
condition d’être justifié par les circonstances de l’espèce. En vérité, si l’ordre public de
proximité se distingue de l’ordre public international classique, les principes relevant de l’une
de ces catégories peuvent toutefois être déplacés de l’une à l’autre. Pour autant, cela ne

2358
J. Guillaumé, « Ordre public international - Intervention de l’ordre public international », J.-Cl. Civil, 30 mai
2018, Fasc. 42, § 55.
2359
D. Sindres, op. cit., § 5.
2360
Cass., Civ. 1ère, 1er avr. 1981, De Pedro, JDI 1981, p. 812, note D. Alexandre ; Dalloz 1982, IR 69, obs. B.
Audit ; Gaz. Pal. 1981, 2, p. 629, note Lisbonne ; Defrénois 1982, p. 248, obs. J. Massip.

765
signifie nullement que sont remis en cause les principes considérés comme fondamentaux par
l’ordre juridique français. En vérité, cela permet simplement de conduire à un affinement du
mécanisme dont l’objet serait de préserver au maximum la règle de conflit. En effet, « l’ordre
public de proximité, en limitant les interventions de l’exception de l’ordre public, préserve le
rayonnement de la règle de conflit de lois face à l’influence grandissante des droits
fondamentaux ; ce faisant, il favorise l’harmonie internationale des solutions là où le lex
forisme induit par le jeu de l’exception d’ordre public la remet en cause »2361. Finalement,
l’ordre public de proximité joue un rôle complémentaire de l’ordre public international
classique puisqu’il permet d’intervenir dans des domaines pour lesquels l’ordre public
international classique ne peut intervenir, mais aussi parce qu’il invite à un affinement du
régime d’application du mécanisme tendant à ne l’employer que lorsque cela est justifié par
des rattachements avec l’ordre juridique du for. Par conséquent, le procédé s’inscrit bien dans
la préservation de la méthode conflictuelle.
1730. La substitution totale en faveur d’un ordre public de proximité.
Néanmoins, si l’ordre public de proximité s’inscrit en complément de l’ordre public
international classique pour en affiner son application conformément au respect de la méthode
conflictuelle, il serait sans doute préférable qu’il s’y substitue totalement. En effet, plutôt que
de scinder les principes en deux catégories d’ordre public international, l’une de proximité,
l’autre ordinaire, chaque principe considéré comme fondamental par l’ordre juridique du for
doit être employée à l’aune du principe de proximité. En opérant de cette manière, la méthode
conflictuelle est totalement préservée puisque tout effet automatique de l’ordre public
international est supprimé. Il s’agit donc de faire correspondre la réalité de la situation
internationale à la véritable perturbation qui peut être engendrée dans l’ordre juridique du for.
En outre, si, à l’heure actuelle, l’ordre public de proximité joue un rôle complémentaire, il
constitue également un correctif à l’effet atténué de l’ordre public international.

b) L’ordre public de proximité : correctif à l’effet atténué


1731. Un correctif à l’effet atténué de l’ordre public international classique. En
principe, l’effet atténué de l’ordre public international intervient au stade de l’efficacité de
droits régulièrement acquis à l’étranger et doit « conduire le juge français à renoncer à la
réaction de l’ordre public »2362. Cependant, « les contacts de la situation avec le for peuvent

2361
D. Sindres, op. cit., § 20.
2362
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 409.

766
être tels que la solution consacrée à l’étranger demeure choquante » 2363 et conduisent à
réactiver l’ordre public international eu égard à la proximité que présente la situation
internationale avec l’ordre juridique du for. Par conséquent, « l’ordre public de proximité
(devient) un facteur de renforcement de la sauvegarde de l’ordre public international du
for »2364.
A titre d’illustration, il est souvent évoqué la jurisprudence propre à la répudiation
puisqu’auparavant « l’ordre public atténué permettait d’accueillir en France les répudiations
unilatérales prononcées à l’étranger quand des garanties procédurales et pécuniaires étaient
accordées à l’épouse »2365. Cependant, grâce à l’ordre public de proximité, et « par cinq arrêts
en date du 17 février 20042366, la Cour de cassation a durci sa position en refusant l’accueil
des répudiations étrangères sur le fondement du principe d’égalité des époux, dès lors que les
époux, ou du moins la femme, sont domiciliés en France »2367. De plus, cette jurisprudence
demeure constante et a été réaffirmée par un arrêt du 4 juillet 2018 de la Cour de cassation
dans lequel elle a considéré que « le divorce par répudiation ne peut produire aucun effet en
France »2368.
1732. Une substitution totale à l’ordre public de proximité confirmée. Une
nouvelle fois, l’ordre public de proximité en constituant un correctif à l’effet atténué de
l’ordre public international classique permet d’affiner son régime d’application. L’ordre
public de proximité répond finalement de la cohérence juridique. Il permet d’exclure
l’application automatique de la distinction opérée entre l’ordre public effet plein et l’ordre
public effet atténué puisque si celle-ci présente un intérêt, celui-ci demeure limité. En effet, il
est important que l’exception puisse jouer même à l’égard de droits régulièrement acquis
lorsque ces droits vont causer un trouble à la paix sociale parce que la situation internationale
en cause présente des liens étroits avec l’ordre juridique saisi. Une nouvelle fois, il s’agit de
coordonner l’ordre public international avec la réalité de la situation internationale. Ainsi, que
l’ordre public de proximité joue un rôle de complément de l’ordre public international
ordinaire, ou qu’il corrige le jeu de l’effet atténué, il a essentiellement pour objet de
restreindre l’emploi de l’exception à une application strictement nécessaire. Or, cela ne peut

2363
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 409.
2364
J. Guillaumé, op. cit., § 54.
2365
Ibid.
2366
Cass., Civ. 1ère, 17 fév. 2004, préc.
2367
J. Guillaumé, op. cit., § 54.
2368
Cass., Civ. 1ère, 4 juill. 2018, n°17-16.102, préc.

767
être que louable puisque l’ordre public international ne peut être un dispositif automatique. De
cette façon, l’ordre public de proximité tend à préserver au mieux la règle de conflit, son
intervention n’étant exigée que lorsque cela est véritablement nécessaire c’est-à-dire tant au
regard des valeurs en cause que des liens que présente la situation internationale avec l’ordre
juridique saisi. Cependant, si la modernisation de l’ordre public international au travers du
principe de proximité est souhaitée, elle demeure limitée. En effet, il s’agit d’une catégorie à
part dont l’utilisation demeure relative en pratique.

B. LE CHAMP D’APPLICATION RELATIF DE L’ORDRE PUBLIC DE PROXIMITE


1733. L’ordre public de proximité semble présenter de nombreuses vertus dans la
mesure où il a pour objet de préserver au maximum la méthode conflictuelle et puisqu’il
comble les lacunes de l’ordre public international classique. Néanmoins, son champ
d’application demeure relatif. En effet, si son recours est encadré par l’instauration en
jurisprudence de rattachements spécifiques (1), son domaine matériel est excessivement
restreint puisqu’il se cantonne à une seule catégorie de rattachement (2).

1) Le recours à l’ordre public de proximité assujetti à des rattachements spécifiques


1734. Afin de garantir une application mesurée de l’exception, et conforme à sa
fonction d’ordre public de proximité, il semble nécessaire d’opérer une prédétermination des
rattachements attestant de la proximité entre la situation litigieuse et le for (a). De cette façon,
le mécanisme ne sera employé que parce que son recours se justifie au regard des
rattachements présents dans l’espace. C’est pourquoi la jurisprudence de la Cour de cassation
s’est fort heureusement évertuée à identifier les rattachements de proximité (b).

a) La prédétermination nécessaire des rattachements de proximité


1735. L’ordre public de proximité ne se déclenche qu’à la « condition que les
conditions de proximité requises de la situation avec le for soient réunies »2369. En d’autres
termes, il faut être en présence de liens spatiaux suffisants entre la situation internationale et
l’ordre juridique du for. En effet, si des liens suffisants unissent la situation litigieuse à l’ordre
juridique saisi, l’intervention de l’ordre public international se déclenche, mais surtout se
justifie. Ce n’est que parce qu’il existe une proximité entre les deux que l’ordre public
international joue, de façon à n’être employé que lorsque cela est réellement nécessaire.
Cependant, le déclenchement de l’ordre public de proximité invite à s’interroger sur

2369
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 405.

768
l’identification des « liens que la situation doit entretenir avec le for »2370. Ainsi, « s’agit-il de
la nationalité des intéressés, de leur domicile ou de leur résidence habituelle, de leur lieu de
naissance ? »2371. Le problème réside donc essentiellement dans la détermination des liens
suffisants. En l’absence d’encadrement relatif à l’identification de ces liens, une grande
variabilité d’application peut apparaître quant à l’emploi de l’ordre public de proximité. Par
conséquent, la limite de l’ordre public de proximité se situe au stade de son identification
lorsqu’il s’agit de déterminer la proximité pour chaque cas d’espèce. Il semble peu
souhaitable de se contenter d’un système exempt d’encadrement juridique dans la mesure où
chaque juge serait libre d’employer l’exception comme bon lui semble au regard de
rattachements qu’il détermine lui-même. En sus, cela pourrait avoir pour conséquence de
conduire à une prolifération des cas d’ordre public de proximité au détriment de la méthode
conflictuelle. C’est pourquoi l’ordre public de proximité « impose un effort de définition et
d’affinement des liens pertinents dans les différentes hypothèses dans lesquelles il est fait
appel à ce mécanisme »2372. Dès lors, dans chaque cas où l’ordre public de proximité a pu être
employé, la jurisprudence a établi quels étaient les rattachements pouvant déclencher son
intervention.

b) L’heureuse identification des rattachements de proximité par la jurisprudence


1736. L’établissement des rattachements requis par la jurisprudence. Au regard
de la jurisprudence de la Cour de cassation, il semble que pour chaque hypothèse dans
laquelle est intervenu l’ordre public de proximité, la haute juridiction se soit efforcée à
préciser les rattachements qui établissent la proximité. Par exemple, en matière
d’établissement de filiation naturelle, la Cour de cassation a considéré que l’ordre public de
proximité ne peut jouer qu’à condition que l’enfant réside en France ou possède la nationalité
française2373. De la même manière, « en matière de divorce, la Cour de cassation a limité
l’éviction de la loi étrangère ne prévoyant la séparation de corps que si l’époux qui demande
le divorce en France est français et domicilié en France »2374. Par conséquent, chaque fois que
l’ordre public de proximité intervient pour évincer une loi étrangère, les conditions de
rattachement requises sont établies par la jurisprudence. Or, si un tel encadrement pourrait
s’avérer strict, il permet toutefois de limiter le recours de l’ordre public de proximité dans la

2370
D. Sindres, op. cit., § 15.
2371
Ibid.
2372
Ibid.
2373
Cf. supra § 1724.
2374
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 405.

769
mesure où le mécanisme ne peut être employé qu’à la condition de présenter des
rattachements réels avec le territoire français. De plus, ces rattachements semblent a priori
justifiés dans la mesure où, au regard des exemples précités, en matière de statut personnel,
les rattachements au domicile et à la nationalité sont les corollaires de la discipline2375.
1737. L’identification du référent par la jurisprudence. En outre, afin de mettre
un terme à la difficulté qui pourrait apparaître quant à l’identification du référent2376 à l’égard
duquel est apprécié la proximité, la jurisprudence s’est également chargée de préciser dans
chaque cas, à l’égard de quelle personne devait procéder l’analyse. Ainsi, en matière de
filiation, la proximité s’apprécie à l’égard de l’enfant2377, tout comme en matière de divorce,
la proximité s’apprécie à l’égard du demandeur à l’action 2378 . De cette façon, la Cour de
cassation instaure un régime précis relatif au déclenchement de l’exception. Or, ceci ne peut
être que félicité dans la mesure où la jurisprudence contribue à affiner le recours à ladite
exception, permettant une nouvelle fois de préserver a maxima la méthode conflictuelle.
1738. L’imprécision du moment d’appréciation de la proximité. Cependant, si le
régime jurisprudentiel mis en place permet d’évincer l’arbitraire du juge, il est insuffisant.
Une incertitude quant à son domaine d’intervention perdure. En effet, demeure une
« difficulté (…) d’ordre temporel » 2379 puisqu’il n’est pas nécessairement précisé à quel
instant s’apprécient les éléments de rattachements retenus. Or, cela paraît contraignant dans la
mesure où le rattachement peut varier selon le moment retenu. Par exemple, dans le cadre
d’un établissement de filiation naturelle, le domicile peut avoir varié entre le jour de la
naissance de l’enfant et le jour de l’introduction de l’instance. En d’autres termes, le régime
de l’ordre public de proximité n’est pas encore parfaitement régi dans la mesure où les
imprécisions d’ordre temporel laissent subsister des doutes quant à son application. La
variabilité d’application entre de nouveau en jeu. Il serait donc souhaitable afin de parfaire le
régime applicable à l’ordre public de proximité que la Cour de cassation s’engage à répondre
aux difficultés d’ordre temporel. De cette manière, l’emploi du mécanisme serait parfaitement
encadré et demeurerait exceptionnel. En outre, l’identification spatiale des liens suffisants
participe d’une mise en œuvre mesurée et justifiée de l’ordre public de proximité. Pourtant,
son champ d’application matériel pourrait attester du contraire dans la mesure où il ne semble

2375
Cf. supra § 871 et s.
2376
J. Guillaumé, op. cit., § 59.
2377
Ibid.
2378
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 405.
2379
J. Guillaumé, op. cit., § 58.

770
pas véritablement répondre à la fonction de nécessité à laquelle doit s’accommoder le
mécanisme.

2) La fâcheuse restriction du domaine matériel de l’ordre public de proximité


1739. Si le champ d’application spatial de l’ordre public de proximité est
relativement bien organisé, son champ d’application matériel semble, quant à lui, strictement
encadré. En effet, son domaine d’intervention se cantonne au statut personnel, ce qui paraît
regrettable eu égard à l’intérêt que présente le mécanisme (a). En réalité, il semblerait qu’en
pratique, l’ordre public de proximité puisse potentiellement faire l’objet d’un détournement
dont le but consisterait en un retour au lex forisme (b).

a) Le cantonnement regrettable de l’ordre public de proximité au statut personnel


1740. L’intervention fréquente de l’ordre public de proximité en matière de
statut personnel. « De même que la jurisprudence fixe les rattachements requis avec le for
pour que la réaction de l’ordre public de proximité se déclenche, elle précise aussi, dans le
silence du législateur, quelles sont les solutions françaises qui sont promues dans l’ordre
international à travers l’ordre public de proximité »2380. Or, si classiquement, l’ordre public
international ordinaire trouve son « terrain d’élection » dans le droit des personnes et de la
famille2381, l’ordre public de proximité également. En effet, « les premières illustrations du
mécanisme de l’ordre public de proximité ont eu lieu dans le domaine du statut
personnel »2382. Cependant, depuis lors, l’ordre public de proximité n’a concerné aucune autre
matière. Ainsi, « à ce jour, l’ordre public de proximité a uniquement été mis en œuvre en
matière familiale », notamment en matière de divorce, de mariages bigames, de filiation et de
répudiation2383. En d’autres termes, les domaines pour lesquels l’ordre public de proximité est
intervenu originellement se sont pérennisés. C’est ainsi que, par un arrêt du 27 septembre
2017, la Cour de cassation a validé la décision de la Cour d’appel de Paris qui a fait jouer
l’ordre public de proximité en matière de filiation pour évincer la loi étrangère, dans la
mesure où l’enfant en cause résidait en France2384.
1741. L’ordre public de proximité remis en cause par son champ d’application
restreint. Le domaine de l’ordre public de proximité, au regard de la jurisprudence, se limite

2380
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 406.
2381
M. Lamarche, « Ordre public et droit des personnes et de la famille demeurent consubstantiels », Revue
Droit de la famille, n°7-8, Juill. 2014, alerte 29.
2382
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 408.
2383
J. Guillaumé, op. cit., § 53.
2384
Cass., Civ. 1ère, 27 sept. 2017, 16-19.654, P.A., 31 janv. 2018, n°23, p. 12, note P.-L. Niel.

771
donc au statut personnel. Ce cantonnement du domaine de l’ordre de proximité invite à un
emploi mesuré du mécanisme puisque tout domaine ne peut être concerné. Ainsi, la variabilité
de résultat est petit à petit écartée. Néanmoins cette stricte application de l’ordre public de
proximité invite à douter de l’intérêt du mécanisme. En effet, l’ordre public de proximité,
dans sa fonction, constitue un outil compatible avec la méthode du droit des conflits de lois
dans la mesure où il n’a pour effet de se déclencher que lorsque cela est nécessaire.
Cependant, cette nécessité s’analyse tant sur le plan matériel, comme l’ordre public
international ordinaire, que sur le plan spatial. Par conséquent, l’ordre public de proximité se
concilie en principe mieux avec la discipline du droit des conflits de lois puisqu’il constitue
une exception justifiée par les circonstances de l’espèce. Or, en considérant que l’ordre public
de proximité ne s’applique qu’en matière de statut personnel, pour quelques hypothèses
spécifiques, sa fonction est remise en cause. Il devient plus difficile d’en percevoir l’intérêt
dès lors qu’il se limite à une unique matière et pour quelques cas précis. De plus, il n’est
jamais bon de figer le recours à l’ordre public international, même s’il se traduit sous forme
d’ordre public de proximité, puisqu’il est par nature variable quant à son contenu, et donc
nécessairement quant à son domaine2385. Finalement, l’ordre public de proximité ne semble
répondre qu’en théorie aux exigences que préconise la discipline du droit des conflits de lois.
En vérité, en pratique, son domaine d’application invite à considérer qu’il pourrait devenir un
outil au service d’une politique législative.

b) Le potentiel détournement de la fonction de l’ordre public de proximité


1742. Un mécanisme protecteur de droits subjectifs. En regardant de plus près les
cas dans lesquels l’ordre public de proximité est employé, il apparaît que « ce mécanisme tend
en réalité à protéger un droit subjectif de l’individu » comme « le droit de l’enfant français ou
vivant en France d’établir sa filiation »2386. Ainsi, l’ordre public de proximité intervient afin
de protéger des droits subjectifs qui, a priori, ne composent pas l’ordre public international
ordinaire c’est-à-dire des droits qui ne sont pas érigés au rang de droits fondamentaux. Par
conséquent, l’ordre public de proximité permet une intervention qui ne pourrait avoir lieu en
recourant à l’ordre public international ordinaire.
1743. Un mécanisme employé en faveur de la loi française. En regardant
précisément les matières dans lesquelles s’applique l’ordre public de proximité, il pourrait être

2385
Cf. supra § 1685 et s.
2386
J. Guillaumé, op. cit., § 56.

772
supposé que l’ordre public de proximité a été employé en France afin de garantir des valeurs
françaises qui ne peuvent être érigées au rang de droits fondamentaux. En effet, en observant
que l’ordre public de proximité ne joue qu’en matière de statut personnel, lorsqu’est impliqué
un national Français ou un résident Français, il pourrait être considéré que l’ordre public de
proximité, tel qu’utilisé par la jurisprudence, a pour objet de préserver spécialement l’ordre
juridique français c’est-à-dire la loi française et non généralement l’ordre juridique du for.
1744. Le détournement de la fonction de l’ordre public de proximité. Le
cantonnement du mécanisme au statut personnel renforce l’idée selon laquelle l’ordre public
de proximité se met au service d’une politique législative spécifique au statut personnel. En
effet, d’autres droits subjectifs sont garantis aux Français et ne font pourtant pas partie du
domaine d’application de l’ordre public de proximité. Ainsi, l’ordre public de proximité
permet à la société française de protéger des droits subjectifs qui ne peuvent être protégés par
aucun autre mécanisme en droit des conflits de lois. L’ordre public de proximité, tel qu’il est
conçu en pratique, est donc détourné de sa fonction puisqu’il ne tend plus à protéger des
valeurs fondamentales mais des droits subjectifs garantis par l’ordre juridique français afin de
permettre un retour à la loi française. S’opère alors un dangereux parallèle avec les lois de
police puisqu’il s’agit de permettre une application de la lex fori chaque fois qu’est impliqué
un Français ou une personne domiciliée en France. En effet, le but consiste à appliquer la loi
française chaque fois qu’est en cause une personne de nationalité française ou domiciliée en
France. Or, il ne doit pas être oublié que l’ordre public international, ordinaire ou de
proximité, a pour objet de garantir la préservation des valeurs fondamentales de l’ordre
juridique du for, et non pas de l’ordre juridique français.
1745. Un détournement maintenu par le cantonnement regrettable au statut
personnel. Néanmoins, cette faveur accordée à l’ordre juridique français en matière de statut
personnel chaque fois qu’est impliquée une personne de nationalité française ou domiciliée en
France, se justifie parce que les rattachements retenus sont le propre du statut personnel. En
vérité, tant que l’ordre public de proximité ne sera pas intervenu dans d’autres domaines,
permettant de vérifier que les rattachements choisis sont conformes à la matière en cause, le
débat ne pourra être tranché. De cette façon persiste un doute quant à la véritable raison de
l’emploi de l’ordre public de proximité par la jurisprudence. En outre, le cantonnement de
l’ordre public de proximité est regrettable puisqu’il a pour effet de limiter la portée d’un
mécanisme largement adapté au respect de la méthode conflictuelle. Par conséquent, il serait
préférable à l’avenir que l’ordre public de proximité se développe davantage en tant

773
qu’exception spécifique au droit des conflits de lois et protégeant n’importe quel droit. Il ne
devrait pas être opéré une différence selon les valeurs considérées ou non comme
fondamentales. Il devrait simplement être considéré que l’ordre public international ne se
déclenche que lorsqu’il existe un lien suffisant avec l’ordre juridique du for. De cette façon,
l’automatisme pouvant être issu de l’ordre public international ordinaire serait abandonné afin
de respecter la réalité de la situation internationale. Dès lors, la méthode conflictuelle serait
préservée dans une large mesure, de la même façon que les valeurs fondamentales seraient
protégées chaque fois qu’elles sont véritablement mises en péril. En sus, une nouvelle portée
pourrait être reconnue à l’ordre public de proximité dans la mesure où l’ordre public
international tend à devenir supranational.

§ 2 – VERS UNE REGIONALISATION DESIREE DU CHAMP D’APPLICATION MATERIEL


ET SPATIAL DE L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL INTERNE

1746. Si le droit contemporain a promu une nouvelle branche de l’ordre public


international au travers du principe de proximité, il a également subi une certaine évolution
quant à sa structure. En effet, au regard de l’internationalisation du droit international privé,
mais également des droits et libertés fondamentaux, l’ordre public international s’est vu
reconnaître progressivement une portée, non plus nationale, mais régionale. Ainsi, s’est
élaboré, notamment en Europe, un ordre public international régional, lequel semble a priori
conforme aux exigences du droit des conflits de lois puisqu’il tend à garantir au mieux la
règle de conflit (A). Cependant, si l’ordre public régional, et essentiellement l’ordre public
européen, présente de nombreux avantages, il engendre certaines difficultés en termes
d’application, dans la mesure où il se double des ordres publics internationaux internes. C’est
pourquoi il semble que cette exception régionale demeure fatalement limitée par la
sauvegarde, parfaitement légitime, de l’ordre public international national (B).

A. VERS LA RECONNAISSANCE D’UN ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL REGIONAL


CONFORME AUX EXIGENCES DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS

1747. Traditionnellement, l’ordre public international est par nature national. En


d’autres termes, l’ordre public international est propre à chaque Etat et ne peut s’analyser qu’à
l’aune de cet ordre juridique national. Cependant, la nature de l’ordre public international a
évolué à raison de l’apparition de sources internationales (1). C’est pourquoi au regard de
cette mutation, s’est mis en place un ordre public international européen qui semble s’inscrire
de manière compatible avec la méthode conflictuelle (2).

774
1) L’évolution de la nature de l’ordre public international par l’apparition de
sources internationales
1748. A partir du XXème siècle, la nature de l’ordre public international s’est
modifiée puisque celui-ci s’est universalisé sur le plan international à raison de l’apparition de
divers textes internationaux spécifiques aux droits fondamentaux (a). Cependant, cette
universalisation du mécanisme au sein de la société internationale est demeurée ineffective en
l’absence de véritable communauté juridique (b).

a) L’universalisation de l’ordre public international au regard des textes internationaux


1749. L’évolution de la nature de l’ordre public international. Il est « admis de
longue date (…) qu’il rev(ient) en principe à chaque droit interne de fixer, seul et pour lui-
même uniquement, le contenu et le champ d’application de « son » ordre public
international » 2387 . Il est considéré que figurent dans le contenu de l’exception les droits
« fondamentaux ». Or, « l’idée de justifier le recours à l’ordre public par un appel à des
valeurs universelles ou de droit naturel est ancienne »2388. C’est pourquoi il peut être observé
que la plupart « des formulations les plus traditionnelles de l’exception d’ordre public
international (…) reposent bien souvent sur des présupposés jusnaturalistes (…) que l’on
marie toutefois (…) à la conception purement nationale de l’ordre public international »2389.
Par conséquent, en partant du postulat selon lequel l’ordre public international est constitué
par les droits naturels lesquels sont substantiellement universels, le mécanisme a fait l’objet
d’une certaine évolution quant à sa nature. En effet, « la spécificité de cet ordre public
universel a pris plus de consistance à partir du moment où ses sources ont commencé à
devenir internationales » 2390 lesquelles ont introduit l’idée d’un ordre public international
supranational et non plus seulement national.
1750. L’apparition d’un ordre public international supranational. Effectivement,
postérieurement à la Seconde Guerre mondiale, les droits de l’Homme se sont
internationalisés via de nombreux textes régionaux, mais également grâce à la Déclaration
universelle des droits de l’Homme2391 laquelle possède une portée internationale s’étendant à
58 Etats. Or, comme l’avait déjà perçu Lerebours-Pigeonnière, l’intégration de ce texte au

2387
M. Forteau, « L’ordre public « transnational » ou « réellement international » : L’ordre public international
face à l’enchevêtrement croissant du droit international privé et du droit international public », JDI n°1, janv.
2011, doctr. 1, § 6.
2388
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 365.2°.
2389
M. Forteau, op. cit., § 21.
2390
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 365.2°.
2391
Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 déc. 1948.

775
sein de l’ordre juridique international a nécessairement eu pour conséquence de modifier « les
modes d’évaluation de l’ordre public à partir du seul droit du for » 2392 . A partir de cette
internationalisation des sources relatives aux droits de l’Homme, est a priori apparu un ordre
public international d’ordre supranational. Dès lors le contenu du mécanisme se serait
internationalisé pour former une catégorie de droits supranationaux auxquels ne peuvent
déroger les lois étrangères dans leur application matérielle.
1751. Vers la disparition de l’exception d’ordre public. En procédant à cette
internationalisation des sources relatives aux droits fondamentaux, il pourrait être considéré
que la méthode conflictuelle ne pourra plus être confrontée à l’ordre public international. En
effet, le déclenchement de « l’ordre public suppose un défaut de communauté juridique entre
la loi normalement compétente et la loi du for » 2393 . Or, si la société internationale se
conforme à respecter les droits fondamentaux, puisque ceux-là sont universels et
internationalisés, il peut être supposé que vraisemblablement les législations de n’importe
quel Etat seront respectueuses des droits de l’Homme. Par conséquent, si l’ordre public
international a tendance à s’internationaliser, il a également vocation à disparaître puisque
finalement les droits de l’Homme sont logiquement protégés par tout Etat de droit2394. De
cette façon, il pourrait être imaginé que la méthode conflictuelle serait totalement préservée,
voire écarterait l’exception de l’ordre public international de son régime puisque celui-ci
s’avérerait inutile en pratique. Cependant, si ces droits sont considérés comme universels et
qu’ils font l’objet d’une internationalisation, ils ne sont pas en réalité effectifs au sein de toute
la société internationale dans la mesure où il existe un défaut de communauté juridique.

2392
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 365.2°.
2393
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 383.
2394
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (les formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 204 : « Désormais, dans
beaucoup de cas, les valeurs affirmées au nom de l’ordre public international prennent la forme des droits de
l’homme. En Europe, le respect de ceux-ci s’impose en tous les cas aux Etats qui sont parties soit à la
Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) soit, pour certains d’entre eux (et lors de la mise en
œuvre du droit dérivé de l’Union), à la Charte de l’Union européenne, de sorte que la marge laissée aux principes
qui seraient purement nationaux est très étroite. Au-delà des polémiques politiques que suscite cette emprise, la
controverse méthodologique porte désormais sur le point de savoir si les droits de l’homme absorbent
l’exception d’ordre public international, ou vice versa. Les exemples d’intégration, ou de confluence, sont en
tout cas très nombreux. Si la composante procédurale des droits fondamentaux se superpose avec une facilité
relative à celle de l’ordre public procédural de source nationale, renforçant le cas échéant sur ce point la
protection accordée au défendeur dans le procès593, le site d’une modification plus radicale est celui du respect
de la vie privée (article 8 CEDH, article 7 Charte UE) combinée avec la non-discrimination (article 14 CEDH,
article 21 Charte UE) ».

776
b) L’ineffectivité d’un ordre public universel à raison du défaut de communauté juridique
1752. Vraisemblablement, si le contenu de l’ordre public international se réfère aux
droits naturels qui possèdent une vocation universelle, ces droits ne se voient reconnaître cette
portée que de manière théorique. En effet, l’internationalisation de ces droits n’a pas eu
véritablement pour objet de créer un arsenal juridique effectif en matière de droits
fondamentaux auquel tout Etat devrait être contraint. D’une part, la Déclaration universelle
des droits de l’Homme « n’a pas valeur de traité international » 2395 , et d’autre part, son
application n’est pas assurée par un organe judiciaire. Par conséquent, en pratique, cette
déclaration n’est que symbolique. Ce phénomène s’explique à raison du défaut de
communauté juridique au sein de la société internationale2396. Ainsi, l’idée que l’ordre public
international pouvait devenir commun à toutes les nations est réduite à néant. De la même
façon, il n’est plus envisageable de considérer que la méthode conflictuelle puisse être
parfaitement respectée dans la mesure où l’ordre public international aurait pu à terme être
exclu de son propre régime2397. Néanmoins si un ordre public international commun à toutes
les nations n’a pas vu le jour, un ordre public international européen semble se dessiner.

2) L’avènement d’un ordre public européen compatible avec la méthode


conflictuelle
1753. Si aucun ordre public universel n’a pu apparaître à ce jour, en revanche, s’est
créé un véritable ordre public international européen. Cependant, l’avènement de celui-ci a pu
susciter diverses inquiétudes invitant à considérer que l’ordre public européen aurait tendance
à diminuer les fonctions du droit des conflits de lois (a). Or, en réalité, celles-ci, et notamment
la justice conflictuelle, sont nettement mieux préservées par la mise en place de cet ordre
public puisqu’il tend à se constituer comme un ordre public européen de proximité (b).

a) Le droit des conflits de lois diminué par la création d’un ordre public européen
1754. La construction d’un ordre public régional. Si certains textes internationaux
ont consisté en la consécration internationale des droits de l’Homme, mais ne sont pas
effectifs en pratique, d’autres en revanche sont spécialement protégés et appliqués par leurs
Etats membres ou parties. En effet, si les textes internationaux n’ont pas une véritable portée
dans la société internationale c’est à raison du défaut de communauté juridique et de l’absence
d’organe judiciaire. Cependant, à une échelle plus réduite c’est-à-dire à l’échelle régionale,

2395
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 365.2°.
2396
Cf. supra § 1751.
2397
Cf. supra § 1750.

777
certains textes relatifs aux droits de l’Homme ont permis de construire un réel ordre public
régional dans la mesure où ils sont véritablement protégés dans cet ordre juridique régional
par un organe judiciaire. Il s’agit de l’ordre juridique européen lequel s’est créé grâce à la
Conv. EDH laquelle est spécialement protégée par la CEDH. Par conséquent, s’est instauré au
niveau régional, un dispositif juridique spécifique aux droits de l’Homme et commun à tous
les Etats, dont l’effectivité est garantie par un organe judiciaire 2398 . Or, « l’influence de
l’Europe (…) se ressent (…) sur l’ordre public tel que conçu en droit international privé »2399.
En effet, « l’affirmation d’un ordre public international d’ordre supranational est (…)
largement portée par une jurisprudence très instigatrice de la Cour de justice de l’Union
européenne » 2400 puisque, notamment dans l’affaire Krombach 2401 , la Cour de justice « a
admis que le juge interne puisse invoquer les droits fondamentaux issus de la Conv. EDH, en
tant qu’ils font partie des principes généraux communautaires, au titre de l’exception d’ordre
public international »2402.
1755. La consécration d’un ordre public international européen. De plus, hormis
cette affirmation par la jurisprudence de l’Union, il convient simplement de rappeler que les
Etats parties à la Convention européenne sont simplement tenus de la respecter. Cela signifie
que « l’ordre public européen (intervient) de façon plus indirecte, sur la base du principe que
la fixation par la France de son ordre public ne saurait se faire au détriment d’engagements
internationaux auxquels elle a souscrit (…) ou d’obligations qui pèsent sur elles comme
imposées par des règles supérieures »2403. Par conséquent, tant Etat partie à la Convention
européenne qu’Etat membre de l’Union européenne, la France, comme les autres Etats
concernés, doit respecter la Convention européenne sous peine de sanction tant par la CEDH
que par la CJUE. En d’autres termes, les droits de l’Homme constituant des droits
fondamentaux vont donc nécessairement intégrer l’ordre public international de chaque Etat
européen2404. Ainsi, est consacré un ordre public européen, lequel « prime bel et bien le droit

2398
Cf. supra § 359 et s.
2399
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 388.
2400
M. Forteau, op. cit., § 46.
2401
CJCE, 28 mars 2000, Krombach, aff. C-7/98, RTD civ. 2000, p. 944, obs. J. Raynard ; RCDIP 2000, p. 481,
note H. Muir-Watt ; JDI 2001, p. 690, obs. A. Huet ; RSC 2000, p. 686, note L. Idot.
2402
M. Forteau, op. cit., § 46.
2403
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 388.
2404
Voir en ce sens : P. Mayer, « La Convention européenne des droits de l’Homme et l’application des normes
étrangères », op. cit., p. 651 : « L’expression « ordre public européen » signifie d’abord un ordre public que
chaque Etat européen fait sien ; à ce titre, il s’intègre dans l’ordre juridique de l’Etat, et plus particulièrement,
dans sa catégorie des principes d’ordre public international ».

778
interne des Etats membres », et « à ce titre, il est légitime de considérer que les juridictions
internes sont dans l’obligation (…) d’en faire respecter le contenu par les personnes
privées »2405.
1756. La dangerosité de l’ordre public européen à l’égard du droit des conflits
de lois. Indéniablement s’est donc mis en place un ordre public international européen. De
cette façon, il pourrait alors être considéré que, si cet ordre public n’est pas universel, il est
tout de même régional, ce qui permettrait ainsi de limiter son recours. En effet, si le contenu
de l’ordre public international est commun sur tout le territoire européen, il pourrait être
considéré que son emploi sera très restreint sur le territoire européen d’une part, et d’autre
part, sera plus prévisible à l’égard des Etats tiers. Par conséquent, la création de ce nouvel
ordre public aurait pour objet de participer à la création d’une véritable communauté juridique
en droit des conflits de lois. Pourtant, certains auteurs soutiennent une position inverse, et
notamment le Professeur Lequette2406. En effet, il pourrait être considéré qu’en recourant à un
ordre public international européen, « une loi étrangère (soit) écartée dès lors qu’elle ne
connaît pas tel ou tel droit de l’homme, la décision rendue sur le fondement de cette loi
constituant nécessairement la violation de ce droit et par là même de l’ordre public »2407. En
d’autres termes, « la crainte de certains, aujourd’hui, est que tout devienne « droit de
l’homme » »2408 puisque « certains droits inconnus des systèmes juridiques il y a peu encore,
du jour au lendemain, sont susceptibles de devenir des normes fondamentales auxquelles il
n’est pas possible de déroger »2409. Par conséquent, le recours à l’ordre public international
européen serait dangereux puisqu’il conduirait à évincer à la fois automatiquement et au
maximum la loi étrangère compétente 2410 . « Le danger est celui de l’absolutisme ou de

2405
M. Forteau, op. cit., § 47.
2406
Y. Lequette, « Le droit international privé et les droits fondamentaux », Dalloz 1997, p. 75.
2407
E. Fohrer, L’incidence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’ordre public international
français, Mémoire, Paris 2, Bruylant, 1999, § 107.
2408
Ibid., § 108.
2409
Ibid., § 107.
2410
Pour aller plus loin, voir en ce sens : T. Vignal, op. cit., § 184 : « Cette intégration (des sources européennes)
ne se fait pas toutefois sans difficultés, pour plusieurs raisons. D’abord parce que le caractère relativement vague
de ces droits fondamentaux permet de les invoquer à tout propos ; il y a alors un risque d’absolutisme, toute loi
étrangère considérée comme contraire à l’un de ces droits étant susceptible d’être évincée » ; « Ensuite, parce
qu’il y a eu parfois la tentation d’appliquer directement les textes de la Convention européenne des droits de
l’homme, sans même examiner le contenu de la loi étrangère ; le risque est alors que le juge se borne à constater
l’applicabilité du droit fondamental en cause et impose son application sans même tenir compte des
circonstances de l’espèce. On s’éloigne alors sensiblement à la fois de la technique de l’exception d’ordre public
et de son esprit, qui consiste à examiner au cas par cas les dispositions de la loi étrangère ainsi que le résultat que
produirait leur application, pour lui opposer ou non l’exception d’ordre public. Celle-ci est imprégnée d’un esprit
de relativisme qui est quelque peu absent des droits fondamentaux de source européenne ».

779
l’impérialisme des droits fondamentaux » 2411 . Or, ceci serait de nature « à l’emporter sur
l’esprit d’ouverture du droit international privé, qui s’exprime, précisément, dans toutes ses
nuances, au travers de la variabilité de la mise en œuvre de l’exception d’ordre public
international » 2412 . C’est pourquoi afin de ne pas se diriger vers un recours mécanique à
l’exception dont le contenu serait trop extensible, il convient d’encadrer son champ
d’application tant matériel que spatial. De cette façon, le droit des conflits de lois sera
davantage respecté. Or, il semblerait que la jurisprudence s’évertue à répondre de ces
exigences.

b) Le droit des conflits de lois garanti par l’ordre public européen de proximité
1757. L’absence d’éviction automatique de la loi étrangère. S’il a pu être soutenu
que l’ordre public européen peut conduire à évincer de manière répétitive toute loi étrangère,
tel n’est pas véritablement le cas. En effet, au regard de la jurisprudence européenne, ainsi que
de la jurisprudence interne, il apparaît que l’ordre public européen n’a pas conduit à une
éviction systématique de la loi étrangère.
1758. Un champ matériel européen encadré. D’une part, si le contenu de l’ordre
public européen peut se voir reprocher d’être évolutif, son actualité et sa variabilité lui sont
consubstantielles. Le propre de l’ordre public international est d’être évolutif dans la mesure
où l’ordre public international renvoie aux valeurs considérées comme fondamentales à une
époque donnée. C’est pourquoi il semble difficile de considérer la critique selon laquelle, le
contenu de l’ordre public international serait mouvant. Par conséquent, si au regard de la
jurisprudence de la CEDH, de nouveaux droits sont protégés, ce n’est que la conséquence
d’une évolution sociétale de la communauté européenne dans son ensemble. De plus, la
jurisprudence européenne « tend à préciser le contenu des droits inscrits dans le texte de la
Convention ». C’est pourquoi celle-ci « doit faire l’objet d’une attention particulière par le
juge national confronté à une norme étrangère dont il doute de sa conformité avec les valeurs
considérées comme essentielles par son for, parce qu’elle peut constituer pour lui d’utiles
informations afin d’apprécier cette norme » 2413 . Par conséquent, grâce à l’encadrement
procuré par la jurisprudence européenne, tout droit n’a pas vocation à devenir droit de

2411
J. Guillaumé, op. cit., § 83.
2412
M. Forteau, op. cit., § 25.
2413
E. Fohrer, L’incidence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’ordre public international
français, op. cit., § 114.

780
l’homme et à intégrer l’ordre public international européen. De cette façon, celui-ci est du
mieux possible encadré quant à son champ d’application matériel.
1759. Un emploi mesuré par l’effet atténué. D’autre part, l’ordre public européen
étant envisagé comme l’ordre public interne, c’est-à-dire en tant que mécanisme exceptionnel,
fonctionne de manière identique. Ainsi, la jurisprudence européenne « a admis que la
Convention européenne des droits de l’Homme ne pouvait pas toujours jouer dans son effet
plein et pouvait, dans certaines circonstances, avoir un effet atténué »2414. En d’autres termes,
cela signifie que l’ordre public européen est relativisé, tout comme l’ordre public interne,
chaque fois que sa réaction serait trop grande à l’égard de droits valablement acquis à
l’étranger. De cette façon, l’ordre public européen, tout comme l’ordre public interne, ne peut
constituer un automatisme puisque sa réponse peut varier selon l’intensité du trouble causé à
l’ordre public.
1760. La sollicitation d’un ordre public de proximité européen. Néanmoins, il a
pu être considéré que la meilleure façon d’employer l’ordre public international sans que
celui-ci ne devienne mécanique et dans l’objectif qu’il respecte au plus la méthode
conflictuelle consiste à recourir au principe de proximité2415. Or, le Professeur Hammje a émis
l’idée selon laquelle l’ordre public international devrait faire l’objet d’un affinement depuis
l’intégration des droits fondamentaux issus de la Convention européenne. Afin de déclencher
l’ordre public international, elle préconise « de partir du droit de l’homme dont la violation est
alléguée puis de rechercher quel champ d’application dans l’espace il s’assigne afin d’évincer
ou non le droit étranger en principe applicable en vertu de la règle de conflit de lois du
for »2416. Or, le raisonnement proposé par celle-ci semble renvoyer à celui qu’emploie parfois
la Cour de cassation lorsqu’elle utilise l’ordre public de proximité.
Ainsi, il s’agit de déterminer en amont, au regard de la valeur fondamentale en cause,
quels sont les points de rattachement dans l’espace qui peuvent déclencher l’ordre public

2414
E. Fohrer, L’incidence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’ordre public international
français, op. cit., § 116.
2415
Ibid., § 82, se référant à : P. Hammje, La contribution des principes généraux du droit à la formation du
droit international privé, Thèse, Paris 1, 1994, Lille : ANRT, 1995, n°798 et s.
2416
Ibid.

781
international2417. Toutefois, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, il semble
que les rattachements dans l’espace soient plutôt déterminés à l’aune de la catégorie de
rattachement en cause que du droit fondamental en lui-même2418 . En vérité, la distinction
entre une détermination au regard de la catégorie de rattachement ou de la valeur
fondamentale en cause est poreuse. Les deux concepts sont inévitablement liés dans la
détermination des rattachements spatiaux. En effet, les catégories de rattachement sont
nécessairement liées à certaines valeurs fondamentales. Par conséquent, la détermination des
points de rattachement dans l’espace doit tant passer par l’un que l’autre concept. A titre
d’exemple, tous les droits fondamentaux relatifs à la personne et à la famille sont
nécessairement liés à la catégorie de rattachement du statut personnel. Par conséquent, il peut
être supposé à bon droit que la proximité de la situation, en tant que condition de
déclenchement de l’ordre public international, sera déterminée sans doute en tenant compte du
domicile et de la nationalité2419.
1761. Vers la consécration d’un ordre public européen par la Cour de cassation.
En outre, quoi qu’il en soit, il semble effectivement que l’ordre public européen ne devrait
pouvoir être déclenché que lorsqu’il existe une véritable proximité avec le territoire d’un Etat
membre. De cette façon, sa fonction exceptionnelle serait maintenue et préserverait davantage
le respect de la méthode conflictuelle2420. Or, il pourrait être considéré que la jurisprudence de
la Cour de cassation participe à faire de l’ordre public européen, un ordre public de proximité.
En effet, dans un arrêt du 4 juillet 2018, la Cour de cassation a considéré qu’« une répudiation
prononcée en Algérie est contraire à l’ordre public international dès lors que les époux de
nationalité algérienne sont domiciliés sur le territoire d’un Etat contractant, même s’ils sont

2417
Voir en ce sens : P. Hammje, « Droits fondamentaux et ordre public », RCDIP 1997, p. 2, laquelle expose
cette thèse qui préconise d’adapter le fonctionnement de l’ordre public international « aux nécessités de la
défense des droits fondamentaux. Or cette adaptation se fera directement à partir des exigences des principes
fondamentaux, celles-ci dictant la mesure de la modulation à apporter aux conditions de déclenchement. La
principale conséquence de cette approche se manifeste au stade de l’appréciation des liens avec le for. En effet,
l’Inlandsbeziehung ne devra pas être déterminée de façon générale et abstraite, mais découler de ce que postule
le droit fondamental lui-même. Il ne suffira donc pas d’examiner la situation en elle-même et les différents
points de contact qu’elle présente avec le for, pour en retenir un, telle la nationalité. Il faut partir du droit
fondamental dont la violation est alléguée et rechercher quel champ d’application dans l’espace il s’assigne ».
2418
Cf. supra § 926 et s.
2419
Cf. supra § 871 et s. et § 1735.
2420
Cf. supra § 1672.

782
séparés » 2421 . « Ce faisant, la Cour de cassation consacre l’existence d’un ordre public
européen de proximité »2422.
1762. Une consécration favorable à l’idéologie conflictualiste. La consécration
d’un ordre public européen de proximité par la Cour de cassation doit être félicitée. En effet,
de cette façon, la jurisprudence française invite à la construction d’un ordre public européen
affiné dont le déclenchement est condition d’une proximité prédéterminée avec le territoire
d’un Etat membre. Ainsi, la jurisprudence respecte la fonction exceptionnelle du mécanisme
tendant à n’être déclenché que lorsqu’il existe concrètement un lien suffisant avec l’ordre
juridique en cause. De plus, elle participe à la création d’une véritable communauté de droit
au sein de laquelle la règle de conflit sera mieux préservée. En effet, il semble parfaitement
logique que toute loi étrangère contraire à un droit de l’homme européen soit écartée dès lors
qu’il existe une proximité avec le territoire d’un Etat membre puisque, quel que soit ce
territoire, celui-ci usera du mécanisme de l’ordre public international. En d’autres termes, la
solution demeurera inchangée, quel que soit l’ordre juridique national européen en cause. Par
conséquent, l’instauration d’un ordre public de proximité participe véritablement à la création
d’une communauté de droit au sein de laquelle l’ordre public international n’est déclenché
qu’à la condition de présenter un véritable lien avec cette communauté. De cette manière,
l’ordre public international demeurera exceptionnel, mais permettra surtout un plus grand
respect de la règle de conflit. Il pourrait même être envisagé que le recours à l’ordre public
international soit exclu à terme par les ordres juridiques nationaux européens dès lors qu’est
appliquée une loi européenne. Ainsi, l’ordre public européen de proximité participe à une
universalisation du droit des conflits de lois en Europe, tendant à favoriser le respect de la
règle de conflit. D’ailleurs, le Professeur Hammje l’avait déjà perçu puisque celle-ci
considérait que « l’affinement de l’exception d’ordre public, s’il est justement compris,
contribue à limiter le déclenchement de l’ordre public à la défense de valeurs essentielles et
œuvre par là même au développement de solutions d’esprit internationaliste »2423. Finalement,
l’avènement de l’ordre public européen se concilie relativement bien avec l’esprit du droit des
conflits de lois puisqu’il tend à favoriser le respect de la discipline grâce à une

2421
Cass., Civ. 1ère, 4 juill. 2018, n°17-16.102, préc.
2422
M. Farge, « Consécration d’un ordre public européen de proximité et répudiation musulmane », Revue Droit
de la famille n°11, nov. 2018, comm. 270.
2423
P. Hammje, « Droits fondamentaux et ordre public », op. cit., § 47.

783
communautarisation de l’ordre public international. Néanmoins, la mise en place de cet ordre
public européen reste à parfaire. C’est pourquoi il soulève certaines difficultés.

B. UNE EXCEPTION REGIONALE LIMITEE PAR LA SAUVEGARDE DES ORDRES


PUBLICS NATIONAUX

1763. Malgré les nombreux avantages que procure la consécration d’un ordre public
européen notamment eu égard à la méthode conflictuelle, il fait également état de nombreux
défauts tendant à réformer son emploi. En effet, principalement, l’ordre public européen se
concilie difficilement avec l’ordre public national, ce qui provoque une certaine dénaturation
du mécanisme (1). C’est pourquoi afin de résoudre cette difficulté, il doit être considéré que le
maintien de l’ordre public international interne, qui s’impose naturellement, s’avère
indispensable pour garantir une application juste de l’exception (2).

1) La conciliation imparfaite de l’ordre public européen avec l’ordre public interne


1764. Si l’apparition d’un ordre public européen présente de nombreux avantages,
son recours reste toutefois limité dans la mesure où il ne se concilie pas toujours parfaitement
avec les ordres publics nationaux. D’une part, l’identification des droits fondamentaux de la
Convention européenne peut provoquer des conséquences néfastes pour les ordres juridiques
nationaux dans la mesure où elle conduit parfois à une fragmentation juridique ou à des
incompatibilités juridiques (a). D’autre part, la force contraignante des droits fondamentaux
européens invite malheureusement à imposer aux ordres juridiques nationaux une
hiérarchisation entre ces droits et leurs principes nationaux considérés comme fondamentaux
(b).

a) La difficile identification des droits fondamentaux de la Convention européenne


1765. La persistance de lacunes quant au contenu de la Conv. EDH. L’ordre
public européen, conçu sous l’angle de l’ordre public de proximité, peut constituer un outil
adapté en droit des conflits de lois puisqu’il exclurait tout absolutisme des droits
fondamentaux et préserverait a maxima la méthode conflictuelle. Cependant, certaines
difficultés demeurent quant au contenu des droits fondamentaux prévus par la Convention
européenne. « En effet, malgré les efforts des rédacteurs de la Convention européenne des
droits de l’Homme, cette dernière demeure il est vrai, encore lapidaire en raison de l’énoncé
souvent très général des droits qu’elle entend protéger ». Ainsi, en raison de ce caractère
lacunaire qui lui est imputée, la Convention européenne ne se suffit pas à elle-même pour
établir le contenu de l’ordre public international européen. C’est notamment la raison pour
laquelle, il a pu lui être opposé le reproche de l’absolutisme. Or, si le contenu de l’ordre

784
public international est variable parce qu’évolutif, il doit autant que possible demeurer
identifiable. Fort heureusement, la jurisprudence européenne s’emploie à établir les contours
des droits fondamentaux que protège la Convention européenne 2424 . Pour autant, si la
jurisprudence se hâte à cette rude tâche, des difficultés demeurent. En effet, d’un droit
fondamental, d’autres en découlent. Par exemple, du droit au respect de la vie privée et
familiale émane un droit à la détermination de soi pour les transsexuels. Cela signifie que
chaque droit contenu par la Conv. EDH peut englober d’autres droits fondamentaux qui ne
peuvent être découverts que par la jurisprudence européenne. Or, il semble qu’il s’agisse de la
limite du système.
1766. La fragmentation juridique consécutive. Il ne faut pas oublier que l’ordre
public international est mis en œuvre par les juges nationaux et non par les juges européens.
Par conséquent, cela signifie que les juges nationaux sont astreints à faire respecter les droits
fondamentaux tels que conçus par la Conv. EDH et sa jurisprudence, mais sont également
contraints par l’imprécision des droits fondamentaux tels qu’ils sont conçus par le texte. En
pratique, cela pourrait donc engendrer une certaine fragmentation juridique tendant à des
applications différentes de certains droits fondamentaux par chaque ordre juridique national,
chaque fois que la jurisprudence européenne ne s’est pas prononcée à ce propos2425. De cette
façon, la communauté de droit européenne propre aux droits fondamentaux serait remise en
cause et les bienfaits de l’ordre public européen relativement réduits.
1767. L’acceptation de situations intolérables aux yeux du for. A contrario, cela
signifie également que le contenu des droits fondamentaux ne pourrait plus être déterminé que
par la jurisprudence européenne, à laquelle serait subordonné chaque juge national. Or, il
semble que tel soit déjà le cas puisque la jurisprudence européenne a pu condamner à
plusieurs reprises ses Etats membres en considérant qu’il ne respectait pas l’un des droits
fondamentaux prévus par la Convention, à tout le moins de la manière dont la jurisprudence
l’entend. Ainsi, « il en résulte que les Etats perdent progressivement leur souveraineté dans la
gestion des rapports privés internationaux, puisqu’ils sont parfois contraints d’accueillir des
situations créées à l’étranger, essentiellement au nom du droit au respect de la vie privée

2424
Cf. supra § 1757.
2425
Voir en ce sens : S. Poillot-Peruzzetto, « Ordre public et lois de police dans l’ordre communautaire »,
TCFDIP 2002-2004, spéc. p. 70 : « Si les mécanismes d'ordre public et de lois de police sont prolongés dans
l'ordre communautaire, leur substance est par là-même modifiée par cette prolongation. Dès lors, en adoptant un
point de vue purement national, les mécanismes d'ordre public et de lois de police sont perturbés par l'ordre
communautaire et il en résulte un désordre conceptuel puisque sous le même terme, la réalité du mécanisme est
différente ».

785
consacrée par l’article 8 de la Convention européenne, alors même que ces situations portent
atteinte à l’ordre public international du for »2426. C’est notamment le cas de la gestation pour
autrui qui peut désormais produire effet en France2427 alors que celle-ci est interdite sur le
territoire français considérant qu’elle est contraire à l’indisponibilité du corps humain qui
constitue une valeur fondamentale en droit français. En outre, cela implique que la
dépendance de l’ordre public interne à l’égard de l’ordre public européen conduit d’une part à
une perte de souveraineté, mais surtout et d’autre part, à tolérer des situations inacceptables
aux yeux de l’ordre juridique saisi. Finalement, en procédant de la sorte, la jurisprudence
européenne tend à unifier le contenu de ses droits, mais au détriment des conceptions de
l’ordre international public du for.
1768. La mauvaise conciliation entre l’ordre public européen et les ordres
publics nationaux. En d’autres termes, la mise en place de l’ordre public européen est limitée
puisque ce dernier se concilie relativement mal avec l’ordre public national. En effet, il peut
entraîner une fragmentation juridique au sein des différents Etats membres à raison de
l’imprécision imputable à ses droits fondamentaux, comme il peut entraîner des
incompatibilités juridiques au sein d’un ordre juridique. C’est pourquoi il est possible de
douter du recours à un ordre public régional, d’autant plus qu’il peut également créer un
problème spécifique de hiérarchie entre les droits fondamentaux.

b) La hiérarchisation des droits contraire à la fonction de l’ordre public international


1769. L’apparition d’une hiérarchisation des valeurs fondamentales. Plus
particulièrement, si la création de l’ordre public européen peut engendrer de véritables
incompatibilités juridiques au sein d’un même ordre juridique, elle a pour conséquence
d’entraîner une certaine hiérarchie parmi les droits fondamentaux. Or, l’ordre public
international a vocation à protéger les valeurs fondamentales de l’ordre juridique du for. Par
conséquent, « ce mécanisme, tel qu’il est compris par le droit français, a vocation à assurer le
respect de toute norme en vigueur en France, quel que soit son niveau dans la hiérarchie »2428.
En d’autres termes, l’ordre public international a pour fonction d’assurer le respect de toutes
les valeurs qu’il considère fondamentales. Cependant, en matière de droit au respect de la vie

2426
J. Guillaumé, op. cit., § 89.
2427
CEDH, 26 juin 2014, Mennesson contre France et Labassée contre France, aff. 65192/11 et aff. 65941/11,
préc.
2428
P. Mayer, « La Convention européenne des droits de l’Homme et l’application des normes étrangères »,
op.cit., p. 651.

786
privé 2429 et notamment de gestation pour autrui, la jurisprudence européenne est venue
remettre en cause ce postulat.
1770. L’exemple de la gestation pour autrui. En effet, la jurisprudence de la
CEDH, notamment depuis les arrêts Mennesson et Labassée2430, considère que la filiation
biologique d’enfants nés d’une gestation pour autrui valable à l’étranger doit pouvoir être
transcrite sur les registres d’état civil des Etats membres de l’Europe. Plus précisément, elle
considère que le refus de transcrire la filiation biologique consiste en une violation du droit au
respect de la vie privée prévu par l’article 8 de la Convention européenne dans la mesure où la
filiation biologique « relève de l’identité d’être humain »2431 . De plus, la CEDH dans ces
arrêts rappelle qu’il relève de « l’intérêt supérieur de l’enfant » de voir sa filiation biologique
établie et reconnue par toute autorité étatique 2432 . Cependant, antérieurement à cette
jurisprudence de la CEDH, la Cour de cassation a refusé de transcrire la filiation biologique
d’enfants nés d’une gestation pour autrui valable à l’étranger en considérant que l’ordre public
international s’y opposait2433. En effet, le droit français prévoit à l’article 16-7 du Code civil le
principe d’indisponibilité du corps humain lequel fait a priori partie de l’ordre public
international français. Or, postérieurement aux jurisprudences Mennesson et Labassée, la
Cour de cassation a été contrainte de revoir sa position le 3 juillet 20152434 pour faire droit à la

2429
H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (les formes juridiques de l’inter-
altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 205, à propos du droit au respect de la vie privée :
« Ce dernier tandem exerce une influence radicale sur l’orientation des politiques des Etats membres en matière
personnelle et familiale, puisque tout droit conféré (ou obligation imposée) par la législation de l’un d’eux doit
l’être à l’ensemble des bénéficiaires (ou destinataires) potentiels, sauf raison « particulièrement solide et
convaincante » : la marge d’appréciation nationale est étroite dès lors qu’une différence de traitement est en jeu.
C’est par ce biais qu’ont accédé à la reconnaissance sociale diverses catégories de personnes définies par leur
situation inégalitaire : les transsexuels, les enfants privés de filiation et de nationalité, des adoptants de même
sexe… des conquêtes qui signalent toutes des évolutions de la perception sociale de l’égalité. Ce qu’il importe en
revanche de constater à présent, précisément au regard de ce dernier point, c’est que même sous la forme des
droits de l’homme, on est loin de l’universalité imaginée de la justice » ; § 206 : « En effet, protéger une valeur
au nom de ces droits, c’est aussi encourir le risque de procéder à une forme de normalisation sociale, tout en
occultant au demeurant d’autres solidarités. Il y a là la conséquence de la vocation exclusive des droits de
l’homme (bien au-delà du seul contexte régional européen) à incarner désormais « la dernière utopie politique
» ».
2430
CEDH, 26 juin 2014, Mennesson contre France et Labassée contre France, aff. 65192/11 et aff. 65941/11,
préc.
2431
J. Guillaumé, op. cit., § 92.
2432
Ibid.
2433
Cass., Civ. 1ère, 6 avr. 2011, n°10-19.053, préc.
2434
Cass., Ass. pl., 3 juill. 2015, n°15-50.002 et n°14-21.323, AJ fam. 2015, p. 364, note A. Dionisi-Peyrusse ;
Dalloz 2015, p. 1773, note D. Sindres, p. 1481, note S. Bollée, p. 1819, note H. Fulchiron et p. 1919, note Ph.
Bonfils ; Dalloz 2016, p. 674, note M. Douchy-Oudot, p. 1045, note H. Gaudemet-Tallon et p. 857, note F.
Granet-Lambrechts ; RCDIP 2015, p. 885 ; RTD civ. 2015, p. 581, note J. Hauser ; JDI 2016, p. 105, note J.
Guillaumé ; Dalloz 2015, p. 1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon.

787
transcription de filiations biologiques d’enfants nés d’une gestation pour autrui valable à
l’étranger.
1771. Une hiérarchie entre les valeurs fondamentales françaises et européennes.
La Cour de cassation en s’alignant sur la position de la CEDH, parce qu’elle y est contrainte,
opère une hiérarchie parmi les valeurs fondamentales défendues par l’ordre public
international français. En d’autres termes, il semblerait que le droit au respect de la vie privée
prime sur le principe d’indisponibilité du corps humain. Par conséquent, il n’est plus possible
de considérer que l’ordre public international a pour fonction de faire respecter les droits
fondamentaux sans qu’aucune hiérarchie ne soit opérée entre ces droits. En effet, l’exemple
de la gestation pour autrui en atteste. Finalement, le mécanisme de l’ordre public international
est en quelque sorte dénaturé puisqu’il n’a plus pour objet de permettre le respect de toutes les
valeurs considérées comme fondamentales par l’ordre juridique saisi sans engendrer de
hiérarchie. En réalité, ce phénomène est dû à l’existence de deux ordres juridiques distincts
c’est-à-dire l’ordre public européen et l’ordre public interne. Tant que ces deux ordres
juridiques seront distincts, apparaîtront nécessairement ce type de difficultés. Par conséquent,
pour que la fonction du droit des conflits de lois soit respectée, il faudrait soit que l’ordre
public européen absorbe entièrement l’ordre public interne, soit que les droits fondamentaux
européens se contentent d’intégrer l’ordre public interne tout en laissant à chaque Etat une
marge de manœuvre dans la mise en œuvre de son ordre public international.
1772. La conservation exigée des valeurs fondamentales internes au détriment
de l’ordre public européen. Vraisemblablement, il ne faut pas oublier que l’ordre public
international est d’essence interne et que sa fonction consiste à évincer un trouble à la paix
sociale au sein de l’ordre juridique saisi. Or, s’il existe véritablement un ordre juridique
européen, il ne peut exister une exception d’ordre public international européenne dans la
mesure où le droit des conflits de lois n’est mis en œuvre que par les ordres juridiques
nationaux. Par conséquent le mécanisme doit être mis à disposition des ordres juridiques
nationaux, lesquels doivent être en mesure de préserver les valeurs qu’ils considèrent comme
fondamentales. En effet, il ne faut pas oublier que si l’Europe peut être considérée comme un
ordre juridique supranational, il n’en demeure pas moins que chaque Etat qui la compose
conserve sa souveraineté. Or, le mécanisme de l’ordre public international est issu de
considérations publicistes fondées sur la souveraineté des Etats, lesquels peuvent, à ce titre,
écarter toute norme étrangère qui s’avérerait contraire aux valeurs fondamentales qu’ils

788
prônent. Finalement, cela signifie que si un ordre public européen est en germe, il reste limité,
mais devra le demeurer.

2) Le maintien indispensable et naturel de l’ordre public international interne


1773. La construction européenne a pu susciter l’avènement d’un ordre public
européen. Cependant, celui-ci ne peut et ne doit pas pour autant conduire à évincer l’ordre
public interne. En effet, celui-ci, eu égard à sa fonction spécifique, doit rester national. Ceci
s’explique dans la mesure où subsistent des particularismes nationaux propres à chaque Etat,
lesquels doivent pouvoir être revendiqués par chacun d’eux au titre de l’ordre public
international (a). C’est pourquoi il doit simplement être considéré que les valeurs
fondamentales européennes doivent être fusionnées au sein de l’ordre public interne aux côtés
des principes considérés comme universels et fondamentaux par l’ordre juridique du for (b).

a) La subsistance des particularismes nationaux conformément à la nature de l’exception


1774. L’ordre public national demeurant acteur principal. Si se construit petit à
petit un ordre public européen, celui-ci ne pourra en principe jamais évincer l’ordre public
interne. La première raison tenant à cela revient à constater que l’acteur principal de l’ordre
public international est l’ordre juridique du for c’est-à-dire un ordre juridique national. Par
conséquent, dans la mesure où l’ordre public international est déclenché par les juges du fond
et en aucun cas par les juges européens, il paraît justifier de considérer que l’ordre public
international demeure d’essence nationale.
1775. Un ordre public international conditionné par une conception locale des
valeurs fondamentales. La seconde raison tient au fait que, comme l’a établi la Cour de
cassation dans l’arrêt Lautour2435, l’ordre public interne français n’intervient que « sous la
seule réserve de principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme
doués de valeurs internationales absolues ». En d’autres termes, la Cour de cassation, dans sa
jurisprudence, établit que l’ordre public international relève d’une conception locale c’est-à-
dire purement nationale des valeurs et principes considérés comme fondamentaux et
universels. Ainsi, si l’ordre public français est astreint d’intégrer dans son contenu les droits
fondamentaux européens, il demeure tout de même libre de la conception qu’il se fait des
droits et valeurs considérés comme universels et fondamentaux dans l’application du
mécanisme. Or, ceci semble parfaitement logique puisque l’ordre public international a pour

2435
Cass., Civ., 25 mars 1948, Lautour, préc.

789
objectif de répondre à un trouble concrètement effectif au sein de l’ordre juridique saisi. C’est
pourquoi il est évident que c’est à l’ordre juridique national de juger du contenu de son ordre
public international ainsi que de l’atteinte qui y est portée2436.
1776. La persistance avérée des particularismes nationaux. De plus, l’ordre public
européen ne saurait créer un ordre public international complet pour chaque Etat qui compose
l’Europe. En effet, dans la mesure où l’Europe, ni même l’Union européenne, ne constituent
des ordres juridiques autonomes, chaque Etat, demeurant souverain, conserve ses
particularismes nationaux. C’est pourquoi l’ordre public international ne saurait devenir
totalement européen. Chaque ordre public interne fait l’objet de différences, puisqu’à raison
de l’identité propre de chaque Etat, certains principes peuvent être rangés comme droits
fondamentaux pour certains et pas pour d’autres. Par exemple, longtemps la doctrine s’est
interrogée sur le fait de savoir si la réserve héréditaire, particularisme du droit français, faisait
partie de l’ordre public international français. Or, si la Cour de cassation a récemment tranché
le débat par la négative 2437 , il semble que cette interrogation témoigne de l’existence des
particularismes nationaux, lesquels peuvent conséquemment parfois intégrer le rang de l’ordre
public international. C’est pourquoi il ne saurait être considéré que l’ordre public européen
puisse évincer l’ordre public interne. Plus exactement, pour respecter la nature même du
mécanisme, il ne convient pas que l’ordre public international devienne européen. Finalement,
il serait préférable d’opérer une fusion entre les deux au profit de l’ordre public interne.

b) La fusion requise des valeurs fondamentales européennes avec l’ordre public interne
1777. La fusion de l’ordre public européen et de l’ordre public interne. L’ordre
public européen peut se voir opposer certaines restrictions quant à sa portée. C’est pourquoi il
doit vraisemblablement demeurer limité afin de respecter la fonction de l’ordre public
international. En effet, chaque État, à raison de sa souveraineté, doit être en mesure de faire
respecter les valeurs qu’il considère comme fondamentales. Par conséquent, il serait sans
doute préférable d’opérer une fusion entre l’ordre public européen et l’ordre public interne.
Réellement, il n’existe pas à proprement parler un ordre public international européen. Ce
n’est que le contenu de cet ordre public qui peut être qualifié d’européen. Or, l’effectivité de

2436
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 7 oct. 2015, n°14-14.702, D. actualité, 20 oct. 2015, note F. Mélin ; Dalloz
2016, p. 1045, note H. Gaudemet-Tallon ; dans lequel la Cour de cassation use de l’ordre public international
spécifiquement français en considérant que « n’est pas contraire à l’ordre public international français, l’article
1600, d, du code civil allemand qui ne soumet pas l’exercice de l’action en contestation judiciaire de paternité à
un délai de prescription ».
2437
Cass., Civ. 1ère, 27 sept. 2017, n°16-17.198 et 16-13.151, préc.

790
cet ordre public européen est subordonnée à sa mise en œuvre par les ordres publics
nationaux. Par conséquent, l’ordre public international demeure interne, mais son contenu est
soumis à des sources européennes communes. Ainsi, il doit être établi que l’ordre public
international reste national, mais qu’il peut intégrer parmi ses valeurs fondamentales celles de
l’Europe lorsqu’il en est membre. De cette façon, le recours à l’ordre public international sera
davantage harmonisé sur les territoires européens, mais permettra de maintenir les
particularismes nationaux auxquels doit également répondre le mécanisme. L’ordre public
international doit donc rester un mécanisme autonome aux mains des ordres juridiques
nationaux. En effet, le but de ce mécanisme consiste à stopper tout trouble à la paix sociale
qui pourrait se constituer au sein de son ordre juridique. C’est pourquoi il doit toujours être
envisagé sous l’angle de l’ordre juridique saisi et non sous l’angle de l’ordre juridique
européen.
1778. L’absence de force contraignante de la Conv. EDH à l’égard de l’ordre
public international. En outre, il convient de préciser que l’ordre public international, en tant
que mécanisme spécifique au droit des conflits de lois, ne devrait pas être confondu avec les
droits fondamentaux invocables par tout sujet de droit devant la justice. Par conséquent, si la
Conv. EDH peut être intégrée au contenu de l’ordre public international, elle ne devrait pas
être contraignante pour les Etats dans le jeu de l’ordre public international, mais uniquement
pour ce cas, puisqu’elle peut conduire à de véritables incompatibilités juridiques2438, voire
même à valider des situations de fraudes à la loi2439. Cet effet contraignant met parfois en péril
la fonction de l’ordre public international alors que celle-ci consiste à protéger l’ordre
juridique national. Néanmoins, cette remarque ne s’applique qu’à l’ordre public international
en droit des conflits de lois. En aucun cas, il ne s’agit de remettre en cause l’effet direct de la
Conv. EDH et ses interventions à l’issue d’un recours individuel.
1779. L’ordre public de proximité national préféré. En vérité, s’il doit être
défendu que l’ordre public international doit demeurer interne c’est afin de préserver sa
fonction a maxima. Plus la fonction de l’exception est préservée, plus son intervention
demeure exceptionnelle et cohérente, de la même façon qu’elle préserve au mieux la méthode
conflictuelle. Par conséquent, l’avènement de l’ordre public européen procure des avantages
incontestables tendant notamment à harmoniser son recours sur les territoires européens, et à

2438
Cf. supra § 1763 et s.
2439
Cf. infra § 1873.

791
terme à sa disparition dans le règlement des conflits de lois entre Etats européens. Cependant,
ceci ne se produira probablement jamais à raison des particularismes nationaux, lesquels
doivent être protégés par le mécanisme puisqu’il s’agit de sa fonction. Ainsi, il doit
simplement être espéré que l’ordre public international demeurera un mécanisme national afin
que sa mise en œuvre soit toujours nécessaire eu égard au trouble qu’il pourrait engendrer
dans l’ordre juridique saisi. De plus, il faut également souhaiter que l’ordre public
international tende à terme à devenir un ordre public de proximité afin de justifier d’autant
plus son recours. Mais, il peut être envisagé que son contenu tende à s’universaliser autour de
droits fondamentaux communs afin de favoriser une harmonie d’application, qui pourra se
doubler du principe de proximité avec le territoire européen. De cette façon, la méthode
conflictuelle sera mieux préservée malgré l’atteinte que lui portera éternellement l’ordre
public international.
1780. L’affinement de l’exception d’ordre public nécessaire par respect de
l’égalité de traitement. Finalement, l’ordre public international constitue un mécanisme
exceptionnel tendant à infléchir la méthode conflictuelle, et indirectement la neutralité et
l’égalité de traitement auxquelles peut prétendre légitimement chaque sujet de droit.
Cependant, ce sont des exigences impérieuses qui justifient son recours. En effet, par respect
de la paix sociale et de la régularité des situations internationales, il semble qu’il soit
inconcevable de contester son recours. De plus, celui-ci s’avère, au vu de ses fonctions, positif
pour les sujets de droit puisqu’il leur garantit un traitement régulier de leur situation juridique.
En outre, afin de préserver l’égalité de traitement, il convient d’une part que l’emploi de ce
mécanisme demeure exceptionnel, notamment en adoptant une approche affinée et
circonstanciée, afin que le résultat issu de la règle de conflit soit largement préservé. C’est
pourquoi si ses caractères propres doivent être maintenus, il doit nécessairement répondre du
principe de proximité et demeurer national. Toutefois, un autre mécanisme exceptionnel peut
intervenir au stade de la loi matérielle désignée, à savoir l’exception de fraude à la loi.

SECTION 2 : L’EXCEPTION DE FRAUDE A LA LOI SYMBOLE DU RESPECT DE LA


REGLE DE CONFLIT

1781. L’exception de fraude à la loi constitue un mécanisme spécifique et


exceptionnel en droit des conflits de lois. Or, contrairement à l’ordre public international, il
s’inspire de considérations conflictualistes. C’est pourquoi tant dans son principe que son
régime, elle tend à favoriser le respect des règles de conflit et conséquemment de l’égalité de
traitement des sujets de droit placés dans une situation internationale identique (sous-section

792
1). En outre, l’exception a originellement vocation à s’appliquer en matière de conflit de lois
dans le but de préserver la bonne application des règles de conflit. Cependant, afin d’assurer
une large répression des comportements frauduleux portés à la règle de conflit, l’exception a
été élargie en matière d’exécution des jugements. Pourtant, il semblerait que cet élargissement
ne suffise pas à garantir une condamnation effective des attitudes frauduleuses. En effet, les
illustrations jurisprudentielles attestent d’un certain relâchement en termes de sanction. Par
conséquent, et malheureusement, l’extinction de l’exception de fraude à la loi s’est
enclenchée (sous-section 2).

SOUS-SECTION 1 : L’EFFECTIVITE DE LA REGLE DE CONFLIT RENFORCEE PAR


L’EXCEPTION DE FRAUDE A LA LOI

1782. Face aux comportements frauduleux qui peuvent apparaître dans toute
discipline, le droit des conflits de lois a choisi de se doter d’une exception de fraude à la loi
afin de sanctionner toute attitude frauduleuse à l’égard de la règle de conflit. Or, cette
reconnaissance ne pouvait être qu’inévitable afin de garantir aux sujets de droit la juste
application de la méthode conflictuelle (§ 1). Néanmoins, si l’admission de principe du
mécanisme et de sa sanction est justifiée, il faut également que son déclenchement réponde de
la discipline du droit des conflits de lois. C’est pourquoi sa mise en œuvre est heureusement
conditionnée par le conflictualisme afin que l’exception soit à la fois corollaire et garante des
règles de conflit (§ 2).

§ 1 – LA FRAUDE A LA LOI INEVITABLEMENT RECONNUE ET REPRIMEE EN DROIT


DES CONFLITS DE LOIS

1783. Le droit des conflits de lois, comme toute autre discipline juridique, est
susceptible de fraude de la part des sujets de droit. C’est pourquoi la fraude à la loi a été
consacrée en droit des conflits de lois afin de garantir le respect des règles de conflit ainsi que
de l’application de la loi matérielle compétente. Par conséquent, sa reconnaissance sous forme
d’exception de fraude à la loi ne peut être considérée que bien fondée (A). De plus, cette
légitimité se confirme au travers de sa répression. En effet, par souci d’adéquation et
d’adaptation à la matière, il a été choisi de recourir à l’inopposabilité. Toutefois, les bienfaits
d’une telle sanction sont mis à mal par l’imprécision de son étendue (B).

A. LE BIEN-FONDE DE L’EXCEPTION DE FRAUDE A LA LOI


1784. Contrairement à l’ordre public international, l’exception de la fraude à la loi est
bien fondée au regard de la justice conflictuelle. En effet, si elle consiste en une exception à la

793
méthode conflictuelle, elle tend surtout au respect de la règle de droit normalement applicable.
C’est pourquoi il ne peut être que réjouissant que la fraude à la loi soit devenue une exception
spécifique en droit des conflits de lois puisqu’elle préserve ses règles (1). Ainsi, en tant que
gardienne de la règle de conflit, l’exception de fraude à la loi constitue un corollaire à l’égalité
de traitement (2).

1) La fraude à la loi élargie au droit des conflits de lois par respect de ses règles
1785. Traditionnellement, la fraude à la loi est sanctionnée en droit français au regard
de l’adage fraus omnia corrumpit. Or, ce fondement a fait l’objet d’une extension pour
s’appliquer également au droit des conflits de lois (a). De cette façon, est reconnue
spécifiquement dans cette discipline, l’exception de la fraude à la loi, laquelle contribue à
garantir le résultat issu de la règle de conflit (b).

a) L’extension de l’adage fraus omnia corrumpit au droit des conflits de lois


1786. L’adage fraus omnia corrumpit. Classiquement, en droit interne, s’applique
l’adage fraus omnia corrumpit, c’est-à-dire la fraude corrompt tout. Celui-ci « traduit un
principe général du droit français » selon lequel « la fraude fait exception à toutes les
règles »2440. Il est alors question de fraude à la loi « chaque fois que le sujet tente d’interposer
entre lui-même et la règle qui doit s’imposer à lui une norme inconciliable avec la
première » 2441 . Par conséquent, dans la mesure où la fraude a pour objet de déjouer
l’application de dispositions législatives normalement applicables, elle doit être réprimée2442.
Or, il semble que « le vieil adage fraus omnia corrumpit coiffe les différentes disciplines
juridiques »2443. D’ailleurs, « il fait aussi peu de doute que la fraude à la loi soit inséparable du
droit international privé »2444.
1787. L’extension de l’adage au droit des conflits de lois. Dans le cadre du droit
des conflits de lois, la fraude à la loi consiste à manipuler la règle de conflit afin de se voir
appliquer une loi matérielle différente que celle en principe applicable. C’est pourquoi « la

2440
B. Audit, La fraude à la loi, Thèse, Paris 2, 1971, Dalloz, 1974, § 1.
2441
Ibid., § 2.
2442
Voir en ce sens : P. Louis-Lucas, « La fraude à la loi étrangère », RCDIP 1962, p. 1, exposant que : « La
fraude, quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle se produit, vicie ce qu’elle atteint. La tricherie
n’est jamais tolérable. Son influence ne saurait être limitée à certains domaines, à l’exclusion des autres. Toute
situation ne méritant la protection du droit que si elle est saine, c’est-à-dire exacte dans sa réalité et convenable
dans sa prétention, les déformations arbitraires qui la défigurent doivent être déjouées à concurrence de la
mauvaise foi qui les inspire et des injustices qu’elles causeraient. C’est ainsi que la simulation ne saurait
emporter qu’un effet limité et que la fraude n’en saurait emporter aucun ».
2443
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 411.
2444
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », Rép. intern. Dalloz, déc. 1998, § 1.

794
jurisprudence se refuse à admettre que les individus puissent utiliser les règles de conflit aux
fins de se soustraire aux dispositions légales de fond normalement applicables »2445. Pour cela,
la jurisprudence s’emploie à recourir à « l’exception de fraude à la loi » spécifique à la
discipline laquelle permet de sanctionner la fraude en recourant à l’inopposabilité. Or, il
semble que « la maxime fraus omnia corrumpit (…) justifie assez bien l’inefficacité de l’acte
frauduleux à laquelle aboutit la mise en œuvre de l’exception de fraude à la loi en droit
international privé, et sert de fondement juridique aux décisions sanctionnant la fraude à la
loi »2446. En d’autres termes, l’extension de l’adage latin du droit interne au droit des conflits
de lois est tout à fait justifiée puisqu’il est question de mettre un terme à une situation
frauduleuse c’est-à-dire qui ne respecte pas les règles issues du droit des conflits de lois. C’est
pourquoi, l’exception de fraude à la loi est admise de longue date 2447 . Elle permet ainsi
d’assurer un traitement des situations internationales sécurisé, exempte de toute fraude.
Cependant, le recours à cette exception paraît d’autant plus pertinent que celle-ci,
contrairement à l’ordre public international, a pour objet de sauvegarder le résultat issu de la
règle de conflit.

b) L’exception de fraude à la loi garante du résultat de la règle de conflit


1788. La répression de la fraude à la loi en droit des conflits de lois a pour objet de
mettre fin à une situation frauduleuse. Cependant, elle a précisément pour but de garantir une
application régulière de la méthode conflictuelle. En effet, « les règles de conflit ne doivent
pas être utilisées par les particuliers pour échapper aux dispositions légales de fond »2448. Par
conséquent, la protection qu’assure l’exception de fraude à la loi à la méthode conflictuelle,
garantit aux sujets de droit un traitement neutre et égalitaire. Puisque, la bonne application de
la règle de conflit est protégée jusqu’à son stade ultime c’est-à-dire l’application de la loi
matérielle, alors la méthode conflictuelle n’est pas remise en cause, tout comme les objectifs

2445
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 411.
2446
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 2.
2447
Voir en ce sens : B. Oppétit, Ch. II, S. I, Par. 2, A. « Les adages ou maximes juridiques », op. cit. : « La
maxime fraus omnia corrumpit se présente comme un adage supra leges qui exerce son autorité ad inhibendum,
c’est-à-dire en modifiant, au nom de la morale, le fonctionnement normal de l’ordre juridique; on est ici aussi en
présence d’une maxime d’origine savante et sans doute très ancienne: un fragment d’Ulpien, au Digeste,
envisage la fraude fiscale, et un texte de Beaumanoir, au XIe siècle, traite de la fraude à propos des conventions
de mariage, et paraissent déjà rattacher ces applications à un principe général. C’est au droit international privé
qu’est revenu, dans les temps modernes, d’apporter une consécration solennelle à l’adage en introduisant la
théorie de la fraude à la loi pour paralyser toute modification volontaire d’un rapport de droit dans le seul but de
le soustraire à la loi normalement compétente ».
2448
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 370.

795
qui la gouvernent. Ainsi, il semble que l’exception de fraude à la loi garantisse au mieux
l’égalité de traitement.

2) L’exception de fraude à la loi corollaire de l’égalité de traitement


1789. L’exception de fraude à la loi constitue un mécanisme spécifique au droit des
conflits de lois dont la fonction consiste à préserver le résultat issu de la règle de conflit. C’est
pourquoi cette exception joue quelle que soit la loi matérielle désignée c’est-à-dire tant la loi
du for que la loi étrangère (a). De cette façon, chaque loi est traitée sur un même pied
d’égalité, ce qui conduit nécessairement à traiter chaque sujet de droit de manière équivalente,
peu importe la loi compétente (b).

a) La répression équitable de la fraude à la loi du for et à la loi étrangère


1790. Une sanction anciennement cantonnée à la fraude à la loi du for. Si
l’exception de fraude à la loi vise à garantir le résultat issu de la règle de conflit, il faut
toutefois que sa sanction s’applique tant à l’égard d’une fraude à la loi du for qu’à la loi
étrangère2449. Or, il a pu être considéré qu’« en droit international privé, l’exception de fraude
à la loi ne joue pas normalement en faveur d’une loi étrangère » 2450 . En effet, une telle
limitation de la fraude à la loi avait été admise par la Cour de cassation dans l’arrêt
Mancini2451 à propos d’une Italienne qui s’est fait naturaliser française pour échapper à la
prohibition du divorce consacrée à l’époque par la loi italienne »2452. Par conséquent, en droit
des conflits de lois, l’exception de fraude à la loi ne pouvait être invoquée qu’à l’encontre
d’une fraude à la loi du for. Or, il semblerait que cette jurisprudence soit parfaitement
critiquable au regard de la discipline même du droit des conflits de lois.
1791. La sanction de la fraude à la loi française et à la loi étrangère nécessitée
dans un système bilatéral. Il convient de rappeler que « chaque droit national, subissant la
concurrence des lois étrangères, est susceptible d’être évincé par le recours frauduleux à l’une

2449
Voir en ce sens : P. Louis-Lucas, « La fraude à la loi étrangère », op. cit., p. 1, précisant notamment que : « il
n’y a pas à distinguer entre fraude à la loi française et fraude à la loi étrangère, entre fraude envers tel ou tel droit
positif, et même entre fraudes envers des règles juridiques formulées dans des lois ou envers des exigences
juridiques moins nettes comme celles qui résultent de coutumes, moins fermes, comme celles qui résultent de
jurisprudences, ou moins discernables, comme celles qui résultent des principes généraux du droit. Car ces
variétés révèlent seulement que la notion de fraude est si fondamentale qu’elle pénètre les divers milieux
juridiques pour y exercer une semblable action. Et c’est cette action qui compte ».
2450
B. Audit, La fraude à la loi, op. cit., § 11.
2451
Cass., Civ. 1ère, 5 fév. 1929, S. 1930, 1, p. 81, note Audinet ; JDI 1929, p. 1258.
2452
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 415.

796
d’elles »2453. De plus, le droit des conflits de lois a pour objet de trancher, par le biais d’une
méthode conflictuelle bilatérale, sur la compétence de ces lois en concurrence. Or, « dans un
système de droit international privé qui, comme le système français, s’exprime en premier
chef sous forme de règles de conflit bilatérales, il serait peu cohérent de rester indifférent
devant la violation délibérée des lois étrangères » 2454 . En effet, dans la mesure où le
bilatéralisme peut conduire indifféremment à désigner la loi du for ou la loi étrangère, il
semblerait plus logique de considérer que l’exception de fraude à la loi puisse être retenue tant
à l’égard de l’une que de l’autre2455. En ne retenant que la fraude à la loi du for, la discipline
du droit des conflits de lois perd de son intérêt puisque son résultat n’est pas véritablement
préservé. En d’autres termes, seule l’application de la lex fori est protégée. Or il semblerait
que cette démarche s’inscrive dans une approche unilatéraliste, laquelle se concilie mal avec
le bilatéralisme. Néanmoins, il semblerait que cette jurisprudence ait pu se justifier à l’époque
dans la mesure où la loi étrangère n’était pas encore considérée comme l’égale de la loi du
for2456.
Depuis lors, certains « auteurs préconisent la prise en considération de la fraude à la
loi étrangère »2457. En effet, comme l’a affirmé Maury, « la notion de fraude à la loi joue de
façon générale, quelle que soit la loi contre laquelle la fraude est dirigée »2458. Cette position
doctrinale se justifie dans la mesure où la position jurisprudentielle n’était pas « satisfaisante
dans l’optique d’un aménagement harmonieux des relations internationales » 2459 . Ainsi,
« l’objet même de la discipline des conflits de lois étant d’assurer la coexistence harmonieuse
des lois nationales en attribuant à chacune les situations qui lui reviennent, il serait en soi
difficilement justifiable de rester par principe indifférent devant la violation délibérée des lois

2453
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 305.
2454
B. Audit, « Fraude à la loi », J.-Cl. Droit international, 20 déc. 2006, Fasc. 535, § 16.
2455
Voir en ce sens : G. de La Pradelle, « La fraude à la loi », TCFDIP 1971-1973, p.117-145 : « Lorsqu'il s'agit
de réprimer la fraude, la logique du système français interdit de distinguer entre loi du for et loi étrangère car ce
système utilise des règles de conflit bilatérales qui sont l'unique voie d'accès à la loi compétente : ainsi, au
moment où se pose le problème de la fraude, c'est-à-dire, dans chaque cas d'espèce, lorsque l'on examine la
réalité des éléments de rattachement, on ne peut pas légitimement savoir si la loi applicable est ou non étrangère
; dans ces conditions, la loi immédiatement fraudée n'est pas la loi interne qui sera « découverte » au terme du
raisonnement, mais la disposition de conflit dont les points de rattachement ont été manipulés et le remède à la
fraude réside dans le caractère impératif que l'on reconnaîtra à cette disposition de conflit ».
2456
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 415.
2457
B. Audit, La fraude à la loi, op. cit., § 12.
2458
J. Maury, P. II, § 3 « Effet et portée de la fraude à la loi », in L’éviction de la loi normalement compétente :
l’ordre public international et la fraude à la loi, op. cit. spéc. p. 169.
2459
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 415.

797
étrangères »2460. Par conséquent, dans une approche bilatéraliste du traitement des situations
internationales, il est nécessaire de reconnaître l’exception de fraude à la loi tant à l’égard de
la loi du for que de la loi étrangère. Il s’agit, en réalité, de prolonger le principe selon lequel
loi du for et loi étrangère sont traitées sur un même pied d’égalité.
1792. Une sanction équivalente de la fraude à la loi du for et à la loi étrangère.
C’est pourquoi la Cour de cassation a modifié sa position dès lors qu’elle a considéré que la
loi étrangère était l’égale de la lex fori. Désormais se manifeste « une tendance très nette de
nos tribunaux à accueillir l’exception de fraude à la loi étrangère au moins dans l’hypothèse
où la fraude consiste à éluder la loi étrangère normalement compétente au profit non de la loi
française, mais d’une autre loi étrangère »2461. Par exemple, a pu être retenue une fraude à la
loi étrangère dans le cadre d’une adoption par un Français d’un enfant Brésilien2462 ou encore
Marocain2463. Or, cette nouvelle position de la jurisprudence de la Cour de cassation ne peut
être que félicitée dans la mesure où elle permet de respecter la méthode conflictuelle
bilatérale, mais plus précisément où elle assure à la loi du for et à la loi étrangère un
traitement similaire. De cette façon, l’exception de fraude à la loi favorise l’égalité de
traitement des sujets de droits.

b) Du traitement égalitaire des lois à celui des sujets de droits


1793. Une sanction garante de l’égalité de traitement des situations
internationales. En réprimant tant la fraude à la loi du for qu’à la loi étrangère, ces lois sont
traitées sur un même pied d’égalité conformément aux préceptes qui gouvernent le
bilatéralisme. Plus encore, ce traitement équivalent des lois conduit nécessairement à un
traitement égalitaire des sujets de droit placés dans une situation internationale identique. En
effet, quelle que soit la loi désignée applicable, celle-ci sera protégée par l’exception de
fraude à la loi. Aucune distinction ne sera opérée selon qu’il s’agisse de la loi du for ou de la
loi étrangère. Par conséquent, l’exception de fraude à la loi tend, une nouvelle fois, à garantir
l’égalité de traitement.
1794. Une égale sanction justifiée par une discipline incitatrice à la fraude. De
plus, il paraît d’autant plus justifié de retenir que l’exception de fraude à la loi joue quelle que
soit la loi matérielle désignée dans la mesure où « c’est dans les rapports internationaux que

2460
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 305.
2461
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 415.
2462
CA Paris, 19 sept. 1995, RCDIP 1996, p. 112, note H. Muir-Watt.
2463
CA Nouméa, 25 juin 2012, n°11/579.

798
(la fraude) est le plus à craindre en raison du phénomène de la frontière »2464. En effet, « les
individus à la recherche d’un moyen de se soustraire à l’application d’une loi impérative qui
les contrarie ne manqueront pas d’envisager les possibilités qu’offrent les lois étrangères »2465.
C’est pourquoi « la fraude à la loi trouve son domaine d’élection en le droit international
privé » puisqu’« ensemble le droit des conflits de lois et la fraude à la loi trouvent leur
principale raison d’être un même phénomène : la multiplicité internationale des lois de droit
privé »2466. Ainsi, dans la mesure où le droit international privé, et particulièrement le droit
des conflits de lois, constitue le terrain le plus favorable à la fraude à la loi, eu égard à toutes
les lois qu’il peut solliciter, il paraît d’autant plus sérieux de considérer que la fraude à la loi
soit sanctionnée, quelle que soit la loi en cause. En d’autres termes, cela permet de garantir
une certaine sécurité juridique aux sujets de droit dans le traitement de leur situation
internationale et plus particulièrement d’être traités de manière équivalente, quelle que soit la
loi applicable. Néanmoins, si l’exception de fraude à la loi respecte, dans son principe, la
méthode conflictuelle bilatérale, ainsi que l’égalité de traitement des sujets de droit, il
convient de vérifier que sa sanction s’y engage aussi.

B. L’INOPPOSABILITE : UNE SANCTION ADAPTEE A PEAUFINER QUANT A SON


REGIME

1795. Si le mécanisme de l’exception de fraude à la loi constitue un outil de


protection de la méthode conflictuelle, sa sanction s’avère spécifique en droit des conflits de
lois. En effet, conformément à la discipline, la répression de la fraude à la loi se traduit sous la
forme d’une inopposabilité (1). Néanmoins, s’il s’agit d’une sanction adaptée à la matière, un
débat quant à son étendue perdure. C’est pourquoi par mesure de sécurité juridique, mais
surtout de cohérence juridique, il devrait y être mis un terme (2).

1) L’inopposabilité : une répression conforme au droit des conflits de lois


1796. En droit positif, il est retenu comme sanction spécifique à l’exception de fraude
à la loi en droit des conflits de lois l’inopposabilité. Si ce choix peut paraître surprenant, il se
conforme au principe d’indépendance des souverainetés (a). De plus, cette sanction est
d’autant plus légitime au regard des conséquences qu’elle engendre puisqu’elle conduit à
l’application des dispositions législatives normalement compétentes (b).

2464
B. Audit, La fraude à la loi, op. cit., § 5, citant Niboyet, Traité de droit international privé, T. 3, op. cit., §
1080.
2465
Ibid., § 5.
2466
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 8.

799
a) Le choix de l’inopposabilité au regard du principe d’indépendance des souverainetés
1797. Le choix de l’inopposabilité comme sanction. « D’après un principe commun
à toutes les législations, nul n’est reçu à invoquer en sa faveur des effets juridiques résultant
de l’existence ou de l’inexistence d’un certain fait, toutes les fois que l’on a soi-même
provoqué ou empêché l’accomplissement par des procédés contraires aux bonnes mœurs et la
bonne foi »2467. C’est pourquoi la fraude à la loi doit effectivement être sanctionnée. Or, « en
droit civil interne, la maxime fraus omnia corrumpit signifie que la fraude a pour effet de
détruire complètement l’acte qui en est entaché » 2468 . C’est pourquoi certains auteurs
soutiennent que « l’acte invoqué (objet de la fraude) doit être considéré comme nul c’est-à-
dire qu’il ne produira aucun effet »2469. Pourtant, il semblerait qu’en droit international privé,
« la jurisprudence ne (dénie) pas toute valeur à l’acte frauduleux » 2470 mais qu’elle le
considère seulement inopposable.
1798. L’inopposabilité justifiée par respect de l’indépendance des souverainetés.
La sanction de l’inopposabilité peut paraître contestable dans la mesure où une telle sanction
s’avère plus légère que la nullité. Or, dans le cadre d’une fraude à la loi, il peut être tout à fait
légitime d’admettre la nullité comme sanction conformément à ce qui est pratiqué par le droit
national. Cependant, « en droit international, la sanction ne peut être aussi complète »2471.
C’est en raison de la discipline dont il est question que la répression s’opère en faveur de
l’inopposabilité. En effet, « quelle que soit la rigueur dont on veuille faire preuve, il ne
dépend pas de l’Etat français de décider si l’acte est valable dans le pays étranger ou il a été
accompli » 2472 . Ainsi, « du fait que la fraude implique pratiquement l’intervention d’une
autorité publique étrangère, le principe d’indépendance des souverainetés interdit à l’autorité
de l’Etat requis d’annuler l’acte de l’autorité d’origine »2473. Par conséquent, dans l’optique
d’un véritable respect des souverainetés entre Etats, « la sanction (de la) fraude à la loi doit
être la privation de l’effet recherché »2474. En d’autres termes, conformément au principe de
souveraineté, la sanction ne peut que conduire à rendre l’acte frauduleux inopposable à
l’égard de l’ordre juridique devant lequel il est invoqué. L’inopposabilité, si elle constitue une

2467
G. S. Maridakis, « Réflexions sur la question de la fraude à la loi d’après le droit international privé », in
Mélanges offerts à Jacques Maury, op. cit., spéc. n°VII.
2468
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 416.
2469
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 13.
2470
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 375.
2471
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 416.
2472
Ibid.
2473
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 13.
2474
Ibid.

800
sanction moins complète, constitue la répression la mieux adaptée à la discipline du droit
international privé puisqu’elle permet de maintenir l’harmonie entre les Etats en empêchant
un ordre juridique d’outrepasser ses compétences. De plus, au regard des conséquences
qu’elle engendre, son admission s’inscrit en parfaite adéquation avec l’objectif poursuivi par
le droit des conflits de lois c’est-à-dire l’application des dispositions législatives compétentes.

b) L’inopposabilité légitimée par l’application des dispositions législatives compétentes


1799. La sanction de l’inopposabilité se justifie au regard du principe de
souverainetés en droit international privé. Or, lorsque l’inopposabilité de l’acte frauduleux est
prononcée, la situation juridique devra toutefois être résolue par les juges du fond. C’est
pourquoi « le juge qui (emploie l’exception) pourra (…) traiter le rapport de droit à
l’accession duquel la fraude a été fomentée, sans tenir compte de la modification qu’a
apportée le fraudeur »2475. En d’autres termes, cela signifie que la sanction de l’inopposabilité
est d’autant plus justifiée qu’elle conduit à traiter la situation internationale telle qu’elle aurait
dû l’être en l’absence de fraude. De cette manière, l’inopposabilité respecte davantage la
discipline du droit des conflits de lois en ce qu’elle permet un retour au résultat issu de la
règle de conflit c’est-à-dire un retour à la loi compétente. En effet, il aurait pu être considéré
que l’ordre juridique saisi substitue la lex fori. Or fort heureusement, l’inopposabilité de l’acte
conduit à un simple retour à la légalité c’est-à-dire à une application des dispositions
législatives compétentes. En outre, l’inopposabilité se présente comme la meilleure répression
à la fraude à la loi en droit des conflits de lois. Néanmoins, elle suscite quelques
interrogations quant à son étendue.

2) La nécessaire clôture du débat sur l’étendue de l’inopposabilité


1800. Malheureusement, l’étendue de l’inopposabilité fait l’objet de nombreux
débats. Or ces controverses contribuent à alimenter une certaine insécurité juridique en
pratique à l’égard des sujets de droit (a). C’est pourquoi notamment par souci de cohérence
juridique, il serait préférable que la jurisprudence se contente d’une unique solution tendant à
rendre intégralement inopposable l’acte frauduleux (b).

a) L’étendue de l’inopposabilité controversée : facteur d’insécurité juridique


1801. Si le débat sur la répression de la fraude à la loi en droit des conflits de lois est
clos, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de son étendue. En effet, il semblerait que la

2475
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 64.

801
doctrine s’oppose sur ce point. D’une part, « certains auteurs sont favorables à une inefficacité
de la fraude limitée aux seuls résultats que son auteur en attendait »2476, tandis que, d’autre
part, « d’autres estiment au contraire qu’au moins lorsqu’il s’agit d’un acte juridique, l’acte
frauduleux »2477 ne peut produire aucun effet. Or, il semblerait également que la jurisprudence
française soit « peu significative »2478 en la matière et tende parfois à donner raison à l’une ou
l’autre doctrine. Ainsi, à titre d’exemple, le Professeur de Vareilles-Sommières a pu exposer
qu’« en matière de naturalisation frauduleuse, à tout le moins, (la jurisprudence) paraît bien
admettre que la nationalité délaissée subsiste globalement et non pas dans le seul champ du
droit des conflits »2479 alors que « dans un cas où le mariage a été célébré en fraude au droit de
la nationalité, seul l’effet acquisition de nationalité a été remis en cause, l’union frauduleuse,
maintenue, conservant ses autres effets »2480. Ainsi, selon le cas en cause, la jurisprudence
fluctue quant à l’étendue de l’inopposabilité. Or, il paraît contestable, en termes de sécurité
juridique, que la jurisprudence de la Cour de cassation ne soit pas stable quant à l’étendue de
la sanction. Il pourrait s’agir d’un facteur d’inégalité de traitement entre les sujets de droit
puisque ceux-là pourraient voir leur situation différemment régie selon le juge saisi. C’est
pourquoi il serait préférable de trancher le débat notamment en faveur d’une inopposabilité
totale de l’acte frauduleux.

b) L’inopposabilité intégrale de l’acte motivée par la cohérence juridique


1802. Afin que tout sujet de droit soit traité de la même façon, l’étendue de
l’inopposabilité doit être fixée par la Cour de cassation. Or, ce choix doit s’opérer en faveur
d’une inopposabilité totale de l’acte. En effet, s’il est possible de faire « valoir que la sanction
(doit être) exactement mesurée à la violation commise », « cette conception paraît
excessivement théorique »2481. Comme l’a affirmé le Professeur Bernard Audit, « si le statut
étranger a été recherché dans un but unique, ce qui constitue en principe l’hypothèse même
d’une fraude, et que ce résultat est refusé, c’est sans doute aggraver inutilement la sanction
que de maintenir les effets de l’acte étranger pour le reste »2482. En d’autres termes, il serait

2476
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 68.
2477
Ibid.
2478
Ibid.
2479
Ibid., se référant spécialement aux arrêts suivants : Cass., req., 16 déc. 1845, S. 1846, 1, p. 100 et Cass. Civ.,
19 juill. 1875, Dalloz 1876, 1, p. 5 ; S. 1876, 1, p. 289, note Labbée.
2480
Ibid. ; spéc. Cass., Civ. 1ère, 17 nov. 1981, Dalloz 1982, p. 573, P. Guiho ; JCP 1982, II, p. 19842, note M.
Gobert.
2481
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 9.
2482
Ibid.

802
possible de considérer que la seule cohérence juridique suffit à motiver une sanction intégrale.
C’est pourquoi « la doctrine dominante est favorable à la sanction frappant l’ensemble de
l’acte frauduleux » puisqu’elle « présente l’avantage d’être à la fois mieux adaptée et d’une
mise en œuvre plus facile »2483. Ainsi, il serait plus adéquat, afin de répondre d’un objectif de
sécurité juridique, mais également dans un souci de cohérence juridique et de traitement
facilité, de recourir à une sanction complète. Or, il semble que certains auteurs soutiennent
qu’en réalité la Cour de cassation se soit prononcée en ce sens puisque dans l’arrêt de principe
relatif à la fraude à la loi, à savoir l’arrêt Princesse de Bauffremont2484, elle a retenu que « la
princesse est demeurée française »2485. En tout état de cause, afin de préserver la sécurité
juridique et l’égalité de traitement, il convient, dans un souci de cohérence juridique, que la
jurisprudence maintienne sa position conformément à l’arrêt de principe de 1878. De cette
façon, tant l’exception dans son principe que sa sanction sont respectueuses de la méthode
conflictuelle et de l’égalité de traitement qui en découle. Néanmoins, il faut que les conditions
de mise en œuvre de l’exception s’y conforment également.

§ 2 – LE DECLENCHEMENT DE L’EXCEPTION CONDITIONNE PAR LE


CONFLICTUALISME

1803. L’exception de fraude à la loi en droit des conflits de lois s’impose simplement
par la fonction qu’elle assure. Néanmoins, si l’inopposabilité constitue la sanction la plus
adaptée au droit des conflits de lois, encore faut-il que ses conditions de mises en œuvre se
conforment également à la discipline. Toutefois, il a semblé parfaitement cohérent d’opérer
un report des conditions internes de fraude à la loi en droit des conflits de lois s’agissant de
l’élément moral et de l’élément légal (A). En revanche, il a été indispensable, eu égard à la
spécificité de la règle de conflit, d’exiger un élément matériel propre afin que celui-ci en soit
le corollaire et conséquemment le garant (B).

A. LE REPORT DES CONDITIONS INTERNES DE LA FRAUDE A LA LOI EN DROIT


DES CONFLITS DE LOIS

1804. Si l’exception de fraude à la loi constitue un mécanisme d’exception propre au


droit des conflits de lois, certaines de ses conditions de mise en œuvre sont fortement
inspirées de celles exigées en droit interne. C’est pourquoi il convient d’une part de rapporter

2483
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 416.
2484
Cass., Civ., 18 mars 1878, Princesse de Bauffremont, S. 1878, 1, p. 193, note Labbée ; Dalloz 1878, 1, p.
201, concl. Charrins ; JDI 1878, p. 505 ; GAJFDIP, n°6.
2485
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 416.

803
la preuve d’un élément moral c’est-à-dire d’une intention frauduleuse, laquelle permet de
maintenir, notamment au regard de l’appréciation in concreto qui en est faite, un traitement
sécurisé et égalitaire de chaque situation juridique (1). D’autre part, il est nécessaire de
rapporter la preuve d’un élément légal, c’est-à-dire le détournement d’une disposition
législative, laquelle ne peut, par nature, qu’être impérative. De cette manière, l’identification
des cas frauduleux demeure cohérente et insusceptible d’aléa (2).

1) La preuve de l’élément moral de la fraude conforme à l’égalité de traitement


1805. L’élément moral ou l’intention frauduleuse constitue l’un des trois éléments
constitutifs de l’exception de fraude à la loi. Néanmoins, en droit des conflits de lois, son
établissement peut susciter quelques critiques dans la mesure où, en théorie, il pourrait
conduire à un risque d’arbitraire (a). Cependant, en pratique, la jurisprudence s’emploie à
apprécier in concreto chaque hypothèse de fraude à la loi au regard d’éléments objectifs,
permettant de préserver la sécurité juridique et l’égalité de traitement (b).

a) Le risque d’arbitraire émanant de l’établissement de l’intention frauduleuse


1806. L’intention frauduleuse. « La notion de fraude à la loi réprime les tentatives
de faire appliquer une loi étrangère pour échapper à une disposition impérative de la loi dont
le juge doit défendre l’autorité »2486. Elle suppose donc l’existence d’un élément moral qui se
traduit par une intention frauduleuse. En effet, « l’élément caractéristique de la fraude est
l’intention de (détourner) la loi »2487. En d’autres termes, l’intention frauduleuse signifie que
« l’intéressé a utilisé les règles de conflit « dans le seul but » de se soustraire à la loi
normalement compétente » 2488 . Ainsi, dans chaque situation juridique pour laquelle une
fraude est soupçonnée, il convient d’en établir l’intention frauduleuse. Par conséquent,
l’élément moral est établi « lorsque la soustraction à des dispositions impératives n’a pas été
une simple conséquence du changement introduit dans la situation, mais son but même, les
autres effets de ce changement demeurant de simples accessoires sans conséquences »2489. A
titre d’illustration, les mariages célébrés en fraude à la loi supposent la preuve de deux
éléments constitutifs de l’intention frauduleuse. Ces derniers « sont le consentement au
mariage exclusif de toute intention matrimoniale et la volonté d’échapper à une

2486
H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé, op. cit., § 131.
2487
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 372.
2488
Ibid.
2489
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 11.

804
réglementation impérative concernant un domaine totalement étranger à l’institution »2490 du
mariage.
1807. Le difficile établissement des mobiles. Cependant, il a pu être considéré par
une partie de la doctrine que « l’intention ne peut être découverte que si l’on scrute les
mobiles des agissements du fraudeur » puisqu’il s’agit « d’un facteur d’insécurité juridique à
raison de la part d’arbitraire que les recherches d’intention comportent nécessairement, et
parce qu’il est souvent difficile de savoir, parmi tous les déterminants possibles de l’action,
s’il en est un qui a joué un rôle exclusif, ou même à défaut celui qui a joué le rôle
principal »2491. Or, il est vrai que cette critique semble pertinente dans la mesure où l’intention
frauduleuse paraît difficilement identifiable eu égard à la définition qui en est établie. Il
semble contraire à toute sécurité juridique de subordonner l’intention frauduleuse à des
mobiles dont la preuve se rapporte difficilement. Il serait peut-être préférable d’affiner la
notion ou d’établir un faisceau d’indices à partir duquel l’intention frauduleuse pourrait être
établie. Néanmoins, si l’intention frauduleuse, telle qu’elle est définie, laisse supposer un
risque d’arbitraire, il semble que la Cour de cassation, au regard de sa jurisprudence, s’évertue
à évincer ce risque.

b) L’appréciation in concreto de l’intention frauduleuse au regard d’éléments objectifs


1808. L’intention frauduleuse établie par des éléments objectifs. « S’il est exact
que l’intention frauduleuse est parfois difficile à prouver (…), elle sera dans d’autres
hypothèses manifeste soit en raison de l’aveu du fraudeur (…), soit eu égard aux
circonstances objectives qui entourent la manœuvre, et qui peuvent former autant d’indices du
but poursuivi par le fraudeur »2492. C’est pourquoi « la jurisprudence attache une importance
particulière à certains indices tirés de l’attitude du plaideur soupçonné de fraude » 2493 et
qu’elle établit l’intention frauduleuse de l’intéressé « à partir d’éléments objectifs »2494. En
effet, afin de constater l’élément moral de la fraude à la loi, la jurisprudence s’emploie à
déterminer si l’auteur de la fraude entretient un véritable lien « avec l’ordre juridique qui lui a
permis de changer de statut »2495. Par exemple, « dans le cas, qui s’est le plus fréquemment

2490
S. Lebreton, « Réflexions sur la sanction des mariages célébrés en fraude à la loi, à partir de la critique de
l’article 190-1 du Code civil », JCP N., n°24, 18 juin 1999, p. 967, § 12.
2491
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 11.
2492
Ibid., § 56.
2493
Ibid., § 57.
2494
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 11.
2495
Ibid., § 12.

805
présenté, de fraude par changement de nationalité ou de domicile, cela ressortira du fait que
l’intéressé n’a pas changé son cadre de vie et continue d’entretenir les liens les plus étroits
avec la nationalité ou l’établissement formellement répudiés »2496. En d’autres termes, sur la
base d’une analyse objective de la situation spatiale, les juges du fond peuvent être en mesure
de déterminer l’élément intentionnel. Finalement, en recourant à cette appréciation objective
de la situation, les juges du fond évincent le risque d’arbitraire qui peut leur être opposé. Ce
sont bien des déductions objectives, eu égard aux circonstances de l’espèce, qui permettent
d’établir l’intention frauduleuse, et non spécifiquement une analyse des mobiles.
1809. Le maintien nécessaire d’une appréciation casuistique. De plus, il
semblerait qu’il soit nécessaire de préserver cette appréciation concrète, mais surtout
souveraine des juges du fond, dans la mesure où chaque situation frauduleuse est différente.
Par conséquent, une analyse casuistique de chaque situation est nécessaire. La seule
restriction doit consister à encadrer leur appréciation au regard d’éléments objectifs
permettant de déduire l’intention frauduleuse. Ceci se justifie d’autant plus que pour chaque
situation, l’appréciation objective de la situation spatiale ne peut pas toujours suffire à établir
l’intention frauduleuse. En revanche, d’autres éléments objectifs peuvent le permettre. Par
exemple, l’intention frauduleuse peut être établie par le fait de « demander le bénéfice de la
loi rendue applicable par la manœuvre, très peu de temps après la réalisation de celle-ci »2497
ou encore « à saisir un juge étranger dont on peut attendre un jugement différent de celui que
rendra le juge du for, alors qu’une instance est pendante devant ce dernier »2498. En outre, cela
signifie que l’intention frauduleuse ne doit pas faire l’objet d’une appréciation stricte sur la
base d’un raisonnement abstrait. En raison de la diversité des situations juridiques, cette
condition doit demeurer soumise à une appréciation souveraine et in concreto des juges du
fond. Néanmoins, cette appréciation ne doit être fondée que sur des éléments objectifs afin
d’évincer tout risque d’arbitraire du juge. Or, il semble que la jurisprudence s’attelle déjà à
cette tâche. Il convient donc de maintenir cette attitude afin de traiter chaque situation de
manière équivalente, et en toute sécurité juridique. Également, conformément à n’importe
quelle fraude, celle-ci requiert un élément légal.

2496
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 11.
2497
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 57, se référant spécialement à l’arrêt suivant : Cass.,
Civ., 5 fév. 1929, préc.
2498
Ibid., se référant spécialement à l’arrêt suivant : Cass. Civ. 1ère, 6 juin 1990, RCDIP 1991, p. 593, note P.
Courbe.

806
2) La preuve d’un élément légal exigée au regard de l’impérativité des dispositions
fraudées
1810. Si l’exception de la fraude à la loi pour être mise en œuvre requiert d’établir
l’intention frauduleuse de son auteur, elle exige également un élément légal. Cependant, s’il
convient d’établir une fraude à une disposition législative, que ce soit en droit interne ou en
droit international privé, l’exception ne sera déclenchée que si la fraude est constituée à
l’égard de dispositions impératives (a). En revanche, et dans cette seule hypothèse,
l’exception sera écartée si la fraude est invoquée à l’égard de dispositions considérées comme
totalement supplétives en droit des conflits de lois (b).

a) Une exception déclenchée par le détournement de dispositions impératives


1811. Le détournement exigé de dispositions impératives. Toute fraude à la loi
suppose un élément légal c’est-à-dire une loi à frauder. Cependant, s’il ne fait plus aucun
doute qu’en droit des conflits de lois, tant la loi du for que la loi étrangère peuvent faire
l’objet d’un détournement2499, tout type de loi ne peut a priori être concerné. En effet, dans
toute matière, il est constant d’admettre que la fraude à la loi ne s’opère qu’à l’égard de
dispositions impératives c’est-à-dire de lois qui sont considérées comme impératives pour les
parties dans la mesure où elles s’imposent à elles-mêmes. En effet, par principe, l’impérativité
de ces dispositions en sanctionne tout contournement. C’est pourquoi l’élément légal de la
fraude suppose un détournement de dispositions légales impératives. Or, ce raisonnement,
parfaitement cohérent eu égard au caractère impératif de ces normes, vaut quelle que soit la
discipline. Par conséquent, il s’applique au droit des conflits de lois. De cette manière, toutes
les règles de conflit pour lesquelles les parties n’ont pas la faculté de choisir la loi applicable
constituent des dispositions impératives auxquelles doivent se soustraire les parties. C’est
pourquoi « en droit positif, le grief de fraude à la loi a été principalement invoqué en matière
de statut personnel, à la suite d’un changement de nationalité ou de domicile »2500. En effet,
les règles de conflit du statut personnel ne tenant pas compte de la volonté des parties
constituent des règles impératives qui peuvent faire l’objet d’une fraude.
1812. L’exclusion des dispositions supplétives. Ainsi, s’il ne fait pas de doute que
la condition légale de la fraude suppose que soient contournées des dispositions impératives, a
contrario, les dispositions supplétives ne peuvent faire l’objet d’une fraude. Effectivement,

2499
Cf. supra § 1791.
2500
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 21.

807
les dispositions supplétives sont celles qui peuvent être licitement écartées par les parties.
Elles ne s’appliquent alors qu’à défaut de manifestations des parties dans la loi applicable. Par
conséquent, cela revient à considérer que les dispositions supplétives renvoient aux
dispositions pour lesquelles la volonté des parties est prise en compte. Or, traditionnellement,
la matière contractuelle constitue la discipline dans laquelle la volonté des parties prime. En
droit français, il semble alors possible de contourner les dispositions supplétives propres à la
matière contractuelle sans qu’une sanction soit encourue. En opérant un parallèle avec le droit
international privé, il pourrait alors être envisagé que la matière contractuelle soit exempte de
fraude à la loi puisqu’elle est a priori fondée sur le principe de l’autonomie de la volonté.
1813. La difficile identification des dispositions supplétives en droit des conflits
de lois. Cependant, si l’identification des dispositions impératives semble relativement aisée,
celle des dispositions supplétives peut l’être nettement moins. Le droit des conflits de lois
contient plusieurs règles de conflit, outre la matière contractuelle, pour lesquelles la volonté
des parties participe à la détermination de la loi applicable. Néanmoins, cette participation ne
consiste pas nécessairement en une consécration pure et simple d’une disposition supplétive
dans la mesure où cette volonté ne peut constituer qu’un facteur dans la détermination de la
loi applicable. Ainsi, pour tous les cas où la volonté des parties est prise en compte, il ne
convient pas de considérer qu’il s’agit d’une disposition supplétive susceptible d’être écartée
par la volonté des parties. Par exemple, le règlement Rome III retient comme loi applicable en
son article 52501, quatre rattachements différents. Dans cette hypothèse, l’exception de fraude à
la loi n’est pas écartée puisqu’elle peut toujours être constituée par la manipulation d’un
critère de rattachement malgré le choix de lois proposé. Par conséquent, la prise en compte de
la volonté des parties par une règle de conflit ne doit pas conduire nécessairement à la
considérer comme supplétive.
1814. La maigreur des dispositions véritablement supplétives. Pourtant, certains
ont pu soutenir que cette liberté dans le choix de la loi applicable a pour effet de « chasse(r) la
fraude »2502. Or, cette affirmation se justifie dans la mesure où le choix de lois consiste à

2501
Art. 5 du règlement du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une
coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, Rome III :
« Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant
qu’il s’agisse de l’une des lois suivantes : a) la loi de l’Etat de résidence habituelle des époux au moment de la
conclusion de la convention ; ou b) la loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que
l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou c) la loi de l’Etat de la nationalité de
l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou d) la loi du for ».
2502
S. Clavel, « La place de la fraude en droit international privé contemporain », TCFDIP 2010-2012, p. 255.

808
repousser a maxima les cas dans lesquels pourrait être envisagée une fraude à la loi puisque
les parties vont pouvoir choisir, parmi plusieurs lois, celle qui leur convient le mieux.
Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que toute fraude puisse être écartée. En effet,
il se peut que ni la loi de la nationalité, ni la loi de résidence habituelle, ni la loi du for ne
conviennent aux parties, elles pourraient alors faire en sorte de modifier leur résidence
habituelle, voire même saisir une juridiction dont la lex fori leur est favorable. Ainsi, même si
ces cas de fraude paraissent hypothétiques, ils demeurent envisageables. C’est pourquoi il ne
convient pas de ranger ces règles de conflit au rang des règles supplétives. Elles doivent
demeurer protégées par le recours à l’exception de fraude à la loi et ne pas permettre aux
parties de choisir sciemment une loi dont l’objet serait d’évincer des dispositions impératives.
En sus, il ne serait pas pertinent de considérer que la possibilité de choisir la loi applicable
parmi des lois prédéterminées s’entende d’une fraude à la loi puisque ces lois sont sans doute
représentatives du lien significatif qu’il peut exister avec la situation juridique.
1815. Des dispositions supplétives cantonnées au rattachement unique à
l’autonomie de la volonté. La fraude à la loi suppose un élément légal impliquant le
détournement de dispositions impératives par souci de cohérence juridique. Cependant, si
cette identification demeure évidente tant sur le plan interne qu’international, il ne peut être
opéré un parallèle similaire à l’égard des dispositions supplétives dans la mesure où ces
dernières s’illustrent de manière plus particulière en droit international privé. C’est pourquoi
afin de maintenir un régime sécurisé à l’exception de fraude à la loi, il convient de considérer
que seules les règles de conflit retenant pour unique rattachement l’autonomie de la volonté
sont susceptibles d’être considérées comme supplétives.

b) Une exception seulement écartée par une disposition totalement supplétive


1816. La fraude à la loi indirectement tolérée en matière contractuelle. Comme
l’a affirmé le Professeur de Vareilles-Sommières « la notion de loi supplétive prend un sens
particulier en droit international privé des contrats parce que c’est le principe d’autonomie
qui, en matière, tient lieu de règles de conflit »2503. En effet, en considérant qu’en matière
contractuelle, la règle de conflit s’octroie comme rattachement unique l’autonomie de la

2503
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 26.

809
volonté, il semblerait qu’aucune fraude à la loi ne puisse alors être retenue2504. C’est pourquoi
il a pu être opposé notamment par les tenants d’une théorie objectiviste que le principe
d’autonomie de la volonté pourrait conduire les parties à s’affranchir des dispositions
impératives nationales « par désignation d’une loi à leur convenance »2505. Ainsi, les parties
pourraient opter pour une loi n’ayant aucun lien avec la situation juridique de manière à
évincer des dispositions impératives contraignantes.
Cette objection paraît relativement justifiée dans la mesure où il semble contraire de
considérer que les parties puissent recourir à une loi avec laquelle il n’existe aucun
rattachement dans une simple optique frauduleuse. En effet, il est opposé à la discipline même
du droit des conflits de lois de donner la possibilité aux parties de choisir une loi qui ne
présente aucun lien avec la situation internationale, son objectif étant de localiser le rapport de
droit2506. C’est pourquoi il serait sans doute préférable de limiter cette liberté « au choix d’une
loi présentant un lien avec le contrat »2507 afin de respecter le but poursuivi par le droit des
conflits de lois, et de surcroît, empêcher toute fraude à la loi. Néanmoins, l’autonomie de la
volonté constitue un facteur de rattachement consubstantiel à la matière contractuelle. Dès
lors, il peut sembler admissible de considérer qu’il s’agisse de l’élément de rattachement
unique auquel se cantonne la règle de conflit. Cependant, demeure l’objection relative à une
éventuelle fraude. Toutefois, il semblerait que l’Union européenne se soit rangée du côté du
principe d’autonomie de la volonté puisque le règlement Rome I relatif aux obligations
contractuelles2508 prévoit en son article 3 que « le contrat est régi par la loi choisie par les
parties ». Par conséquent, le principe de l’autonomie de la volonté prime et laisse supposer
que toute fraude à la loi puisse avoir lieu. Dans la mesure où il s’agit d’une règle supplétive,
cette conséquence demeure cohérente.
1817. Une intention frauduleuse limitée par les lois de police. Il paraît tout de
même contestable que la volonté de parties puisse leur permettre de donner compétence à une
loi avec laquelle le contrat ne présente aucun lien significatif dans le seul objectif d’écarter

2504
Voir en ce sens : R. Savatier, « Les aspects de droit international privé de la Communauté économique
européenne », TCFDIP 1960-1962, spéc. p. 18, lequel affirmait que : « l'autonomie de la volonté, c'est le
pouvoir, pour des hommes qui ne sont pas nécessairement des juristes, de faire le contrat à leur guise, sans
technique juridique ».
2505
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 46.
2506
Cf. supra § 988.
2507
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 415.
2508
Art. 3 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, Rome I : « Le contrat est régi par la loi choisie par les parties ».

810
des dispositions impératives contraignantes. Or, en vérité, l’intention frauduleuse des parties
peut être écartée malgré l’autonomie qui leur est accordée au regard de la loi applicable. Cette
limite est apportée par les lois de police qui s’imposent aux parties 2509 . En effet, si le
règlement Rome I érige l’autonomie de la volonté au rang de principe, il réserve le jeu des
lois de police en son article 92510. Ainsi, grâce à cet article, le règlement limite les hypothèses
de fraude à la loi puisque finalement d’une part, les dispositions impératives de l’ordre
juridique saisi, et d’autre part, les dispositions impératives de l’ordre juridique où doivent être
exécutées les obligations du contrat, pourront être appliquées malgré un choix de loi différent.
De cette manière, les cas de fraude à la loi sont quasiment neutralisés.
En sus, le Professeur Bernard Audit exposait que « la liberté de choix de la loi
applicable n’exclut pas (nécessairement) que le grief de fraude puisse être élevé à l’encontre
du choix de la loi »2511 . Pour autant, il constatait une « absence de décision sanctionnant
comme frauduleux un choix de la loi applicable »2512. Or, selon lui si la jurisprudence n’a pas
à faire à ce genre d’hypothèses, c’est en réalité parce que « l’opposition d’intérêts des parties
au contrat réduit les risques de collusions frauduleuses entre elles », mais également « parce
que le respect d’une loi évincée par le choix des parties (est) assuré en recourant aux notions
(…) de loi internationalement impérative ou de police »2513. En d’autres termes, cela signifie
que ranger la matière contractuelle au rang de règles supplétives ne va pas nécessairement
favoriser les fraudes à la loi puisque celles-ci sont contrecarrées par le respect des lois de
police.
1818. La conservation d’un traitement différencié selon la nature des
dispositions. Finalement, il ne saurait être remis en cause la supplétivité de la matière
contractuelle. En effet, c’est « en raison même de son caractère supplétif (que) la compétence
de cette loi n’est précisément pas protégée contre le choix d’une autre loi par les parties, qui

2509
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes du droit international privé (des formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé, op. cit., § 184 : « (…) ces lois, dont le
nombre a considérablement augmenté avec le développement de la régulation publique des marchés (droit de la
concurrence ou antitrust, droit des marchés financiers) ont été perçues et présentées comme la contrepartie du
maintien de la volonté privée comme rattachement en matière contractuelle5. Leur présence permet précisément
de dispenser le principe d’autonomie de toute condition de lien avec l’Etat dont la loi a été choisie ».
2510
Art. 9.2 et 9.3 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, Rome I : « 2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter
atteinte à l’application des lois de police du juge saisi. 3. Il pourra également être donné effet aux lois de police
du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où
lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale ».
2511
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 47.
2512
Ibid.
2513
Ibid.

811
ne saurait être considéré comme frauduleux ». En revanche, chaque ordre juridique protège
ses dispositions impératives matérielles en matière contractuelle, lesquelles pourront être
opposées aux parties malgré un choix de loi différent. De cette manière, les hypothèses de
fraude à la loi pouvant être issue de la liberté accordée aux parties sont relativement
restreintes. En outre, il convient de conserver, par mesure de cohérence juridique, la
distinction qui s’opère entre les dispositions impératives et les dispositions supplétives à
l’égard de l’élément légal. Néanmoins, les règles de conflit supplétives doivent être identifiées
avec justesse, et ne peuvent être que celles pour lesquelles le principe est celui de l’autonomie
de la volonté. Ainsi, les autres règles de conflit, même celles prenant en compte l’autonomie
de la volonté, doivent être respectées et sont protégées par l’exception de fraude à la loi. Il
s’agit simplement d’accorder aux sujets de droit, une protection juridique cohérente dans le
traitement de leur situation internationale. C’est pourquoi d’ailleurs, l’identification des
dispositions impératives et supplétives doit être claire afin qu’il n’y ait pas de doute quant à
l’utilisation de l’exception. L’égalité de traitement demeure de cette façon préservée jusqu’au
stade de l’application de la loi compétente. Hormis les conditions communes à toute fraude à
la loi, l’exception spécifique au droit des conflits de lois requiert un élément matériel
particulier lequel répond à la fonction même du mécanisme c’est-à-dire le respect de la règle
de conflit.

B. LA SPECIFICITE DE LA REGLE DE CONFLIT GARANTIE A MAXIMA PAR


L’ELEMENT MATERIEL DE L’EXCEPTION

1819. Si le droit des conflits de lois s’est doté du mécanisme exceptionnel de la


fraude à la loi pour sanctionner les comportements frauduleux au regard de la discipline, il a
été contraint de l’encadrer par un élément constitutif particulier. En effet, l’élément matériel
de la fraude est spécifique en droit des conflits de lois afin de répondre à l’objectif même de
l’exception c’est-à-dire le respect absolu de la règle de conflit et de son résultat (1). Cet
élément matériel doit donc être maintenu au regard des vertus qu’il présente. Toutefois si cet
élément matériel se justifie au regard de la spécificité de la règle de conflit, son intervention
pourrait être diminuée en recourant à une méthode bilatérale à rattachement unique. De cette
façon, sans remettre en cause cet élément matériel, les cas de fraude à la loi seraient plus
réduits (2).

812
1) La préservation absolue de la règle de conflit au regard de l’étendue de l’élément
matériel
1820. La fraude à la loi suppose un élément matériel lequel s’illustre de manière
particulière en droit des conflits de lois. En effet, si « la fraude à la loi implique l’existence
d’une manœuvre de la part de son auteur », elle s’exprime au travers de « deux principes »2514.
Ainsi, conformément aux attitudes frauduleuses à l’égard de la méthode conflictuelle, la
répréhension joue à l’égard de tout comportement consistant à modifier volontairement un
élément de rattachement (a). Cependant, afin d’accroître la protection à laquelle peut
légitimement prétendre cette méthode, la répression a été élargie aux attitudes tenant à
manipuler intentionnellement les qualifications (b).

a) La répréhension classique de la modification volontaire d’un élément de rattachement


1821. La manipulation d’un élément de rattachement. Une fraude à la loi peut être
constituée « non seulement lorsque le rapport juridique est transformé de manière à tomber,
avec toutes les apparences de la légalité, sous l’emprise d’une autre règle de droit également
en vigueur dans le même pays, mais tout aussi bien lorsque les parties suscitent un lien de
rattachement entre le rapport et un autre pays, de manière que, en vertu de la règle de droit
international privé, le rapport semble devoir être régi d’après la loi en vigueur dans cet autre
pays »2515. Précisément, la fraude en droit des conflits de lois suppose la constitution d’un
élément matériel qui s’illustre par le « déplacement du facteur de rattachement »2516. En effet,
« la première tentation du fraudeur peut être d’agir sur l’élément localisateur du rapport de
droit tel qu’identifié par le facteur de rattachement employé par la règle de conflit » afin de
parvenir à « l’application d’une loi autre que la loi normalement compétente »2517.
1822. Une manipulation exigée depuis la jurisprudence Princesse de
Bauffremont. L’exception de la fraude à la loi, telle qu’elle a été consacrée par la
jurisprudence de la Cour de cassation, suppose alors l’existence d’une manipulation de
l’élément de rattachement pour être reconnue. Il s’agit de l’hypothèse consacrée par la Cour
de cassation dans l’affaire Bauffremont, dans laquelle « la manœuvre employée (…) pour
frauder la loi française fut une naturalisation étrangère »2518. Par conséquent, pour sanctionner
une fraude à la loi au sens du droit des conflits de lois, il doit être démontré la modification

2514
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 29.
2515
G. S. Maridakis, op. cit., p. 231 et s., spéc. VII.
2516
J.-M. Jacquet, « Contrats », Rép. intern. Dalloz, déc. 1998, § 226.
2517
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 413.
2518
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 33.

813
artificielle d’un critère de rattachement pour faire échapper à sa loi naturelle un
contentieux2519. Toutefois, si « la fraude à la loi s’analyse (…) en une modification volontaire
(dans un but illicite) de l’élément localisateur, et suppose évidemment pour pouvoir exister
que la règle de conflit soit fondée sur un facteur de rattachement dont la localisation dépend
de façon directe ou indirecte de la volonté des individus »2520. « L’exemple classique est celui
de la nationalité, élément de rattachement du statut personnel » qui consiste à changer de
nationalité « pour échapper à une prohibition de la loi personnelle »2521. En revanche, « la
fraude est pratiquement impossible lorsque la volonté de l’individu n’intervient normalement
pas dans la détermination du rattachement : ainsi le lien de situation d’un immeuble ou celui
de survenance d’un accident » 2522 . Ainsi, ne sont susceptibles de fraude à la loi que les
éléments de rattachements qui peuvent faire l’objet d’une modification spatiale.
1823. Un élément matériel en réponse à la fonction de l’exception. En outre,
l’élément matériel classique, constitutif d’une fraude à la loi, paraît parfaitement cohérent et
pertinent eu égard à la fonction de l’exception de fraude en droit des conflits de lois. En effet,
son objectif consiste à garantir le résultat normalement issu de la règle de conflit et par
conséquent à sanctionner tout comportement ayant pour but d’éluder ce résultat2523. Or, il
semble que la manipulation volontaire d’un élément de rattachement traduise explicitement ce
comportement. C’est pourquoi il doit demeurer un élément constitutif de l’infraction de
manière à répondre parfaitement à la fonction de l’exception. Ainsi, en sanctionnant le
détournement intentionnel des facteurs de rattachement, la méthode conflictuelle ainsi que son
résultat sont légitimement protégés. Néanmoins, il semblerait qu’en ne retenant que cet
élément matériel, d’autres fraudes puissent échapper à la sanction. C’est pourquoi l’élément
matériel de l’exception de fraude à la loi a été élargi à la manipulation de la qualification.

b) La répression contemporaine de la manipulation intentionnelle des qualifications


1824. La manipulation d’une catégorie de rattachement. Si l’élément matériel de
la fraude à la loi consiste en principe en une manipulation volontaire d’un élément de

2519
Voir en ce sens CA Aix-en-Provence, 5 déc. 2018, n°17/12717.
2520
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 413.
2521
H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., § 371.1°.
2522
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 9.
2523
Voir en ce sens : W. Wengler, Les conflits de lois et le principe d’égalité, op. cit., p. 202, appuyant cette
justification par rapport à la rupture d’égalité que peut engendrer la fraude à la loi : « l’égalité des parties est (…)
compromise si l’on choisit comme critère de rattachement un facteur concernant directement et uniquement l’un
des adversaires et sur lequel ce dernier à la possibilité d’agir afin de modifier la localisation et de provoquer
l’application du droit la plus favorable à ses intérêts ».

814
rattachement, « une espèce a cependant donné l’occasion de constater qu’une fraude pouvait
être opérée en agissant non directement sur le rattachement, mais sur la qualification du
rapport de droit, élément premier de la règle de conflit »2524. En effet, dans l’affaire Caron de
19852525, la Cour de cassation a considéré que l’élément matériel de la fraude à la loi pouvait
se traduire par une exploitation de la catégorie de rattachement2526. Cette hypothèse consiste à
jouer sur les qualifications, de sorte que celle retenue pour le rapport de droit entraîne « sa
soumission à une règle de conflit désignant une loi plus propice aux objectifs du fraudeur que
celle normalement compétente »2527. La consécration jurisprudentielle de ce nouvel élément
matériel paraît fondée puisqu’elle sanctionne une seconde forme de fraude à la loi eu égard au
respect de la règle de conflit. Dès lors que la fraude consiste à manipuler la méthode
conflictuelle, en l’occurrence la qualification, ce comportement doit être réprimé. C’est
pourquoi il est tout à fait logique d’avoir intégré cette attitude frauduleuse parmi l’élément
matériel de la fraude à la loi. Il s’agit, une nouvelle fois, de protéger a maxima le respect de la
méthode conflictuelle.
1825. La fraude à la loi doublée d’un forum shopping. De plus, certains auteurs
affirment également que l’élément matériel de la fraude à la loi peut renvoyer à des
« manœuvre(s) ou agissements sur les données du litige de façon à créer les conditions de la
compétence du juge recherché » 2528 pour « obtenir un jugement par application de la loi
désignée par sa règle de conflit de lois, au détriment de celle désignée par la règle de conflit
du juge normalement compétent ». Il s’agit donc de l’hypothèse où le fraudeur exploite « la
diversité des systèmes nationaux de droit international privé » pour organiser une fraude à la
loi, laquelle se double d’un forum shopping. Véritablement, cette hypothèse consiste avant

2524
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 8.
2525
Cass., Civ. 1ère, 20 mars 1985, Caron, n°82-15.033, JCP G. n°26, 25 juin 1986, II, p. 20630, note F.
Boulanger ; RCDIP 1986, p. 66, note Y. Lequette.
2526
« La Cour d’appel, qui a retenu la manipulation de la règle de conflits consistant, par une série d’opérations
harmonisées, à modifier l’élément de rattachement constitué à l’origine par la nature immobilière du bien situé
en France, devenu ensuite bien meuble, afin d’écarter l’application de la loi successorale française prévoyant une
réserve, a ainsi caractérisé l’existence de la fraude ».
2527
Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., § 413.
2528
P. de Vareilles-Sommières, « Jugement étranger : matières civile et commerciale », Rép. proc. civ. Dalloz,
sept. 2013, § 127.

815
tout en une fraude au jugement 2529 , laquelle peut également être sanctionnée en droit
international privé au titre des conflits de juridictions. Néanmoins, cette hypothèse fait état de
la fermeté de la discipline à l’égard des comportements frauduleux.
1826. Un élément matériel étendu au service du respect de la règle de conflit. Il
ressort du champ d’application de l’élément matériel que celui-ci est relativement étendu
puisqu’il se réfère à tout comportement consistant à agir sur la méthode conflictuelle pour
permettre l’application d’une loi autre que celle normalement désignée par la règle de conflit.
Or, cette large répréhension ne peut être que félicitée dans la mesure où elle conduit
inévitablement à un plus grand respect de la méthode conflictuelle. De cette façon, chaque
situation internationale demeure soumise à une véritable sécurité juridique laquelle garantit un
traitement égalitaire à tout sujet de droit. Néanmoins, si l’élément matériel spécifique à la
discipline du droit des conflits de lois répond à la préservation de la méthode conflictuelle, il
semble que celle-ci pourrait davantage être respectée en ne retenant qu’un unique
rattachement aux liens les plus étroits.

2) L’envisageable diminution des cas de fraude à la loi grâce à la méthode bilatérale


à rattachement unique
1827. Si l’exception de fraude à la loi en droit des conflits de lois constitue un outil
de protection de la méthode conflictuelle, elle pourrait se rendre moins nécessaire s’il était
choisi de recourir à la méthode bilatérale à rattachement unique. De cette manière la règle de
conflit et son résultat seraient davantage préservés. En effet, en utilisant l’unique rattachement
aux liens les plus étroits, la fraude à la loi pourrait théoriquement être évincée (a). Cependant,
l’utilisation de ce rattachement ne peut conduire en pratique qu’à une restriction des cas de
fraude, laquelle doit tout de même être encouragée (b).

a) L’éviction éventuelle de la fraude à la loi par le rattachement aux liens les plus étroits
1828. Dans la mesure où l’élément matériel de la fraude à la loi consiste
légitimement en la manipulation volontaire d’un élément de rattachement ou de la
qualification, il serait judicieux de recourir à une méthode conflictuelle unique afin de bannir
toute fraude à la loi. C’est pourquoi il faudrait appliquer la théorie selon laquelle toutes les

2529
Voir en ce sens : P. de Vareilles-Sommières, « Le forum shopping devant les juridictions françaises »,
TCFDIP 1998-2000, spéc. p. 50 : « indépendamment même des nombreuses options de compétence que les
règles de conflit de juridictions laissent fréquemment aux plaideurs, l'unilatéralisme qui règne (hors droit
conventionnel) en droit de la compétence internationale favorise largement cette possibilité de choix, puisqu'il
permet même qu'une compétence qu'un ordre juridictionnel s'attribuerait pourtant comme exclusive, soit
néanmoins concurrencée par la compétence d'un autre ordre, niant l'exclusivisme du premier ».

816
règles de conflits, quelle que soit la catégorie de rattachement, retiennent pour unique
rattachement la loi de liens les plus étroits2530. En retenant cet unique facteur de rattachement,
il semblerait qu’aucune fraude ne soit envisageable. En effet, le rattachement aux liens les
plus étroits n’est pas susceptible de fraude dans la mesure où ce rattachement s’apprécie à
l’aune de plusieurs points de rattachement. Par conséquent, il ne peut faire l’objet d’une
simple manipulation par un sujet de droit. De la même manière, en retenant ce facteur comme
unique rattachement à toutes les règles de conflit de lois, aucune manipulation de la
qualification ne serait désormais possible. De cette façon, l’exception de fraude à la loi, bien
que justifiée en droit positif, ne serait plus nécessaire. En d’autres termes, le recours à cette
méthode permettrait de garantir de manière absolue un traitement sécurisé et égalitaire à
chaque sujet de droit. Cependant, il ne s’agit là que d’une approche théorique. En pratique, il
semblerait que cette méthode permette seulement de restreindre les hypothèses de fraude à la
loi.

b) La restriction des hypothèses de fraude par recours aux liens les plus étroits
1829. La simple restriction des cas de fraude à la loi. Si en théorie la méthode
conflictuelle bilatérale à rattachement unique pourrait permettre d’évincer toute fraude à la
loi, cela ne peut vraisemblablement pas être le cas en pratique. En effet, pour retenir une
méthode fondée sur les liens les plus étroits et éviter un trop grand risque d’arbitraire de la
part du juge, il serait nécessaire que chaque catégorie de rattachement se voie attribuer un
faisceau d’indices propres contenant les points de rattachement pouvant être pris en compte eu
égard à la matière concernée 2531 . Par conséquent, la fraude à la loi pourrait toujours se
constituer par la manipulation de ces différents points de rattachement pour permettre à une
loi d’être appliquée plutôt qu’une autre. Ce comportement frauduleux ne serait pas exclu,
mais plus complexe. Il ne s’agirait donc plus de manipuler un seul élément de rattachement
mais plusieurs afin de modifier la loi qui présente les liens les plus étroits. De plus, en
établissant une liste de faisceau d’indices spécifiques à chaque catégorie de rattachement, la
modification de la qualification réapparaît également. En effet, malgré qu’un rattachement
unique s’applique au droit des conflits de lois, celui-ci fait l’objet de différentes illustrations
selon la catégorie de rattachement en cause. Ainsi, un fraudeur pourrait tenter de manipuler la
qualification afin que la loi des liens les plus étroits ne soit pas analysée au regard des points

2530
Cf. supra § 987.
2531
Ibid.

817
de rattachement en principe applicables. En d’autres termes, le recours à la méthode
conflictuelle bilatérale à rattachement aux liens les plus étroits n’aura pas nécessairement pour
effet d’évincer la fraude à la loi. En revanche, cette méthode contribue à restreindre les
hypothèses de fraude, celles-ci étant relativement plus complexes à mettre en œuvre. C’est
pourquoi l’avènement d’une telle méthode demeure compatible avec une volonté de préserver
la méthode conflictuelle puisqu’elle tend à affiner les cas de fraude à la loi.
1830. Une exception conforme favorable à l’égalité de traitement. En outre,
l’exception de fraude à la loi, telle qu’elle est aujourd’hui conçue en droit des conflits de lois,
doit être maintenue puisqu’elle favorise le respect de la règle de conflit et le résultat qui en
émane. Elle s’inscrit donc bien dans une perspective de sécurité juridique et d’égalité de
traitement à l’égard des sujets de droit. En pratique, ses illustrations semblent relativement
variées et invitent à être considérées sous l’angle du respect de la méthode conflictuelle et de
l’égalité de traitement qui en découle.

SOUS-SECTION 2 : D’UNE LARGE REPREHENSION DE LA FRAUDE A LA LOI A SON


INOPPORTUNE EXTINCTION

1831. L’exception de fraude à la loi en droit des conflits de lois constitue


incontestablement un outil de protection de la méthode conflictuelle qu’il convient de
conserver. Toutefois, hormis l’hypothèse dans laquelle la fraude à la loi se produit en matière
de conflit de lois, celle-ci peut également s’étendre à l’exécution des jugements. C’est
pourquoi la condamnation de la fraude à la loi a été élargie au contrôle d’exequatur en droit
français afin de garantir jusque dans la circulation des jugements une bonne application des
règles de conflit (§ 1). Cependant, si conflit de lois et exécution des jugements s’efforcent en
théorie à réprimer les comportements frauduleux en droit des conflits de lois, la pratique
atteste du contraire. En effet, au regard du peu d’illustrations jurisprudentielles dans lesquels
l’exception de la fraude à la loi est retenue, il apparaît une certaine tolérance à l’égard des
attitudes frauduleuses. En d’autres termes, au détriment du respect de la méthode
conflictuelle, s’amorce la disparition de l’exception de fraude à la loi (§ 2).

§ 1 – LA CONDAMNATION ETENDUE DE LA FRAUDE A LA LOI GRACE AU CONTROLE


D’EXEQUATUR EN DROIT FRANÇAIS

1832. Il a pu être considéré que l’élément matériel de la fraude à la loi se révèle par
une manipulation de la diversité des systèmes nationaux. En effet, contrairement aux
hypothèses classiques de fraude à la loi, consistant en la manipulation d’un élément de

818
rattachement ou d’une catégorie de rattachement, ce comportement frauduleux consiste à
saisir une juridiction dans le but de se voir appliquer des règles de conflit différentes de celles
normalement applicables. Par conséquent, l’objectif consiste à rendre applicables des règles
de conflit qui ne sont pas, en principe compétentes, dans le but d’atteindre un résultat
substantiel différent. Il s’agit donc de l’hypothèse dans laquelle la fraude à la loi se constitue
par un forum shopping. Or, il semblerait que cette hypothèse ait longtemps été réprimée par le
juge de l’exequatur notamment grâce au contrôle de la loi appliquée. Néanmoins, cette
répréhension pourrait être considérée comme relative dans la mesure où cette condition est
désormais supprimée du contrôle d’exequatur (A). Cependant, il s’avère que la jurisprudence
de la Cour de cassation entend maintenir la répression de la fraude à la loi, quelle que soit la
forme par laquelle elle s’illustre, grâce aux conditions spécifiques du contrôle d’exequatur
interne (B).

A. LA REPREHENSION RELATIVE DE LA FRAUDE A LA LOI CONSTITUEE PAR UN


FORUM SHOPPING

1833. La fraude à la loi peut s’illustrer au travers du cas particulier du forum


shopping. C’est pourquoi elle peut, sous cette forme, également faire l’objet d’une répression,
laquelle a été initiée par la jurisprudence de la Cour de cassation (1). En effet, afin de
respecter le résultat issu de la méthode conflictuelle, il semble justifié que la haute juridiction
réprime ce type de comportement. Pourtant, cette condamnation paraît avoir malheureusement
été remise en cause en droit positif par une récente évolution de la jurisprudence (2).

1) La répression jurisprudentielle de la fraude à la loi initiée par un forum shopping


1834. Malgré les hypothèses classiques dans lesquelles la fraude à la loi se traduit par
la manipulation de la règle de conflit, il en existe une particulière qui s’illustre au travers d’un
forum shopping. C’est pourquoi la jurisprudence a nécessairement étendu le champ
d’application de l’élément matériel à ce cas spécifique (a) pour qu’il puisse être condamné
grâce au contrôle d’exequatur exercé par les juges du fond (b).

a) L’élargissement nécessaire de l’élément matériel au forum shopping


1835. La fraude à la loi constituée par une fraude au jugement. Si la fraude à la
loi se traduit classiquement, dans son élément matériel, par la modification d’un élément de
rattachement ou par la manipulation d’une catégorie de rattachement, elle peut s’illustrer

819
également au travers d’un forum shopping 2532 . Dans cette hypothèse, la fraude s’entend
« comme le fait d’avoir délibérément recherché une décision à l’étranger, dans le but
d’obtenir un certain résultat, avec ou sans utilisation d’une règle de conflit »2533. Ainsi, le
fraudeur crée « les conditions d’un examen de son rapport de droit par un tribunal dont le
système de droit international privé désigne un droit autre que celui qui est normalement
compétent »2534. Or, s’il n’est pas question d’une fraude à la loi dans son sens classique au
regard de l’élément matériel, il s’agit tout de même d’une fraude à la loi dont l’objet consiste
à détourner l’application des règles de conflit normalement applicables2535.
1836. Un comportement réprimé par la jurisprudence. Dans la mesure où ce type
de comportement, doublé d’un forum shopping, demeure frauduleux, la jurisprudence
s’attache à le sanctionner comme elle a pu y procéder dans l’affaire Weiller2536. En effet, dans
cette hypothèse, « en déplaçant son domicile, l’épouse française créa un chef de compétence
judiciaire au Nevada permettant d’obtenir l’application du droit du divorce au Nevada désigné
par la règle de conflit de cet Etat, au lieu du droit français applicable aux époux français »2537.
Il paraît parfaitement logique, eu égard au respect des règles de conflit qui régissent en
principe un rapport de droit, que ces hypothèses frauduleuses soient sanctionnées. Cependant,
dans la mesure où l’Etat devant lequel se déroule la fraude applique valablement ses règles de
conflit, la sanction de la fraude ne peut que consister en une absence d’effectivité de la
décision rendue par cet Etat devant l’ordre juridique fraudé.

b) La condamnation de la fraude à la loi assurée par le contrôle d’exequatur


1837. Afin de sanctionner la fraude à la loi issue d’un forum shopping, la
jurisprudence de la Cour de cassation s’attache à contrôler les jugements qui réclament
exequatur sur le territoire français. Ainsi, afin de garantir que la décision rendue à l’étranger

2532
Cf. supra § 1824.
2533
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 66.
2534
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 49.
2535
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 20 juin 2012, n°11-30.120, D. actualité, 11 juill. 2012, note M. Kebir ;
Dalloz 2013, p. 1503, note F. Jault-Seseke ; RCDIP 2012, p. 900, note H. Gaudemet-Tallon ; dans lequel la Cour
a considéré que « l’autorité de chose jugée conférée, par une convention bilatérale, à un jugement de divorce
algérien ne peut faire obstacle à la recevabilité de l’action en contribution aux charges du mariage lorsque la
juridiction étrangère a été saisie dans le seul but d’échapper aux conséquences du jugement français » puisque
« de telles circonstances constituent une fraude au jugement ».
2536
Cass., Civ., 22 janv. 1951, Weiller, RCDIP 1951, p. 167, note Ph. Francescakis ; JCP 1951, II, p. 6151, note
S. et T. ; Dalloz 1952, J, p. 35 ; S. 1951, 1, p. 187 ; Gaz. Pal. 1951, 1, p. 210 ; GAJFDIP, n°24-25.
2537
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., § 49.

820
soit exempte de fraude, la haute cour vérifie plusieurs conditions depuis l’arrêt Munzer2538.
Parmi ces conditions figure avant tout l’absence de fraude à la loi. Par conséquent, le juge de
l’exequatur est contraint de vérifier que la décision rendue par l’Etat étranger l’a été en
absence de fraude à la loi c’est-à-dire, au sens strict de la fraude, en l’absence d’une
manipulation de la règle de conflit issue de l’élément de rattachement ou de la catégorie de
rattachement. De plus, le juge de l’exequatur doit également contrôler la loi appliquée. « Cette
condition de régularité internationale (conduit) le juge français à refuser tout effet au
jugement étranger qui (aurait) appliqué au litige une loi autre que celle désignée par les règles
françaises de conflit de lois »2539. Ainsi, au regard de ce filtre, il est possible de sanctionner la
fraude à la loi issue du forum shopping c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle la fraude
consiste à saisir un tribunal pour obtenir l’application de règles de conflit autres que celles
normalement applicables. Grâce à ces deux filtres, la jurisprudence de la Cour de cassation
opère un contrôle strict à l’égard de la fraude à la loi, quelle que soit la forme sous laquelle
elle se manifeste. Cependant, il semblerait que cette rigueur ait été remise en cause en 2007
lors de la suppression du contrôle de la loi appliquée.

2) La remise en cause de la condamnation de la fraude à la loi issue du forum


shopping
1838. La jurisprudence de la Cour de cassation a opéré un revirement jurisprudentiel
en 2007 en supprimant la condition relative au contrôle de la loi appliquée. Or, ce changement
paraît regrettable dans la mesure où il invite à une absence de sanction de la fraude doublée
d’un forum shopping (a). Toutefois, il semble que ce choix jurisprudentiel s’explique
parfaitement dans la mesure où il tend à favoriser le respect des solutions nationales de conflit
de lois (b).

a) La suppression regrettable du contrôle de la loi appliquée


1839. Si la répression de la fraude à la loi issue d’un forum shopping était assurée par
le contrôle de la loi appliquée, cela a été remis en cause par la jurisprudence Cornelissen de
2007 2540 . En effet, par cet arrêt, la Cour de cassation a abandonné le contrôle de la loi

2538
Cass., Civ. 1ère, 7 janv. 1964, Munzer, RCDIP 1964, p. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964, p. 302, note B.
Goldman ; JCP 1964, II, p. 13590, note M. Ancel ; GAJFDIP, n°41.
2539
A. Huet, « Effets en France des jugements étrangers subordonnés à leur régularité internationale », J.-Cl.
Droit international, 14 nov. 2015, Fasc. 584-40, § 6.
2540
Cass., Civ. 1ère, 20 févr. 2007, Cornelissen, n°05-14.082, Dalloz 2007, p. 891, note P. Chauvin, p. 1751, note
P. Courbe, et p. 1115, note L. d’Avout ; JCP G. 2007, act. 107, note Bruneau ; JDI 2007, comm. 19, p. 1195,
note Train ; RCDIP 2007, p. 988, note B. Ancel et H. Muir-Watt.

821
appliquée. Désormais, le contrôle d’exequatur ne se cantonne plus qu’à trois conditions, dont
l’absence de fraude à la loi. Cependant, en abandonnant le contrôle de la loi appliquée, il est
susceptible de considérer que ne seront plus sanctionnés les comportements frauduleux issus
de la saisine d’un tribunal puisque ne sera plus vérifiée l’application des règles de conflit. Or,
il semble relativement regrettable que ce comportement frauduleux ne soit pas sanctionné
puisqu’il consiste bien à détourner la méthode conflictuelle. Néanmoins, la suppression du
contrôle de la loi appliquée se justifie par un plus grand respect de la méthode conflictuelle.

b) Une suppression conforme aux solutions nationales de conflits de lois


1840. Une suppression motivée par le respect de chaque système.
Vraisemblablement, la suppression du contrôle de la loi appliquée se justifie par son
inadaptation aux systèmes conflictuels en droit des conflits de lois et principalement au regard
de « la relativité courante des solutions nationales des conflits de lois »2541 . En effet, « la
tendance qui se dégage depuis le XIXème siècle est celle d’une spécialisation constante du
droit international privé dans la plupart des pays, et ainsi d’un particularisme grandissant des
règles de rattachement »2542. C’est pourquoi depuis lors, chaque Etat s’est doté de ses propres
règles de conflit pour régir les conflits de lois. Chaque Etat applique alors à ses justiciables les
règles de conflit de lois en vigueur sur son territoire. Par conséquent, il paraît parfaitement
incohérent que juge de l’exequatur français vérifie qu’une décision rendue par un tribunal
étranger ait correctement appliqué les règles de conflit françaises alors qu’il est évident que ce
tribunal a tranché le litige conformément aux règles de conflit de lois en vigueur dans son
Etat. En vérité, il s’agit simplement de respecter la souveraineté de chaque Etat, et par
conséquent, de tolérer que chaque Etat applique sur son territoire ses propres règles de conflit
de lois. En l’absence de règles communes, il ne peut incomber au juge français de vérifier la
bonne application par le juge étranger de ses règles de compétence. Il s’agirait d’un
dépassement de compétence contraire à l’indépendance de chaque Etat. Ceci explique sans
doute les raisons pour lesquelles la Cour de cassation a été contrainte d’opérer un revirement
de jurisprudence.
1841. Une suppression garante de l’égalité de traitement. Néanmoins, en
supprimant cette condition, la Cour de cassation invite à respecter davantage la méthode
conflictuelle. En effet, en ne pouvant opposer le filtre du contrôle de la loi appliquée, il sera

2541
L. d’Avout et S. Bollée, « L’abandon du contrôle de la loi appliquée par les jugements étrangers », Dalloz
2007, p. 1115.
2542
Ibid.

822
évidemment plus simple de faire produire effet au résultat issu d’une règle de conflit
valablement applicable. De cette manière le résultat issu de la règle de conflit compétente aura
vocation à s’appliquer également, quel que soit le territoire en cause. Il ne se cantonnera pas à
la sphère juridique dans laquelle la décision a été rendue. Or, ceci ne peut être qu’approuvé
puisque cela permet à chaque sujet de droit de se voir appliquer les dispositions matérielles
issues de la règle de conflit compétente, quelle que soit sa position géographique. Ainsi, cela
favorise l’égalité de traitement des sujets de droit. De plus, cela contribue à diminuer le
cloisonnement qui peut s’instaurer entre chaque système national de conflit de lois. En outre,
si la suppression du contrôle de la loi appliquée laisse supposer que la fraude à la loi ne sera
plus sanctionnée, cela n’est pas réellement le cas. La répréhension de la fraude est maintenue
au regard des autres conditions spécifiques du contrôle d’exequatur.

B. LA REPREHENSION EFFECTIVE DE LA FRAUDE A LA LOI QUELLE QUE SOIT SA


FORME

1842. Dans la mesure où la Cour de cassation a supprimé en 2007 le contrôle de la loi


appliquée, il pourrait être considéré qu’elle a également choisi d’abandonner tout contrôle à
l’égard de la règle de conflit mise en œuvre par le juge étranger. Cependant, il s’avère que le
contrôle de la loi appliquée est partiellement maintenu conformément au respect de la
méthode conflictuelle permettant ainsi de sanctionner les cas de fraude à la loi classiques (1).
De la même manière, les comportements frauduleux issus d’un forum shopping demeurent
condamnables au regard du filtre relatif à la compétence indirecte du juge étranger. Ainsi, la
sanction de la fraude à la loi est pérennisée grâce au contrôle d’exequatur (2).

1) Le contrôle de la loi appliquée partiellement conservé conformément au respect


de la méthode conflictuelle
1843. Si la régularité internationale des décisions étrangères ne suppose plus de
contrôler la loi appliquée, le juge de l’exequatur veille toutefois à la bonne mise en œuvre des
règles de conflit au moyen d’une autre condition. En effet, la vérification de l’absence de
fraude à la loi supplée en partie à la fonction anciennement assurée par le contrôle de la loi
appliquée (a). Or, cette condition réalise un compromis juridique tendant au respect des
souverainetés de chaque Etat, mais également de la méthode conflictuelle (b).

a) Le contrôle de la loi appliquée suppléée par l’absence de fraude à la loi


1844. Malgré la suppression du contrôle de la loi appliquée, le contrôle de
l’exequatur suppose de respecter l’absence de fraude à la loi. Cette condition suppose que le
juge de l’exequatur vérifie pour chaque décision étrangère que celle-ci ne soit pas le résultat

823
d’une fraude à la loi. Ainsi, au regard de cette condition, le juge de l’exequatur peut
« sanctionner une fraude par recours à une loi étrangère incompétente »2543. Or, le juge de
l’exequatur peut réprimer tant une fraude à la loi du for qu’à la loi étrangère 2544 . Par
conséquent, dans le cas où une telle fraude serait constatée, « la mise en œuvre de la condition
examinée conduit (…) à refuser de reconnaître effet à la décision »2545. Ainsi, en examinant
l’absence de fraude à la loi, le juge va contrôler que la règle de conflit mise en œuvre n’a pas
été l’objet d’un comportement frauduleux consistant à modifier un élément de rattachement
ou à manipuler une catégorie de rattachement. De cette manière, le juge de l’exequatur vérifie
indirectement la bonne application des règles de conflit par le juge compétent sans que celle-
ci ne soit analysée qu’au regard du système français. De cette manière, le contrôle de la loi
appliquée perdure au travers du contrôle de la fraude à la loi afin de garantir au mieux le
résultat issu de la méthode conflictuelle.

b) Le respect des souverainetés et de la méthode conflictuelle assuré par le contrôle de


fraude à la loi
1845. Si la jurisprudence de la Cour de cassation a supprimé le contrôle de la loi
appliquée, il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre licite des règles de conflit reste
examinée par les juges du fond. De cette manière, l’inconvénient issu du contrôle de la loi
appliquée, tendant à l’irrespect de la souveraineté des Etats, disparaît tandis que l’application
correcte des règles de conflit compétentes demeure étudiée par les juges du fond au regard du
contrôle de l’absence de fraude à la loi. Ainsi, la Cour de cassation a su opérer une sorte de
compromis juridique permettant à la fois de balayer les défauts du contrôle d’exequatur,
contraires à l’esprit du droit international privé, pour maintenir des points d’examen
parfaitement cohérents avec le respect des souverainetés et aussi de la méthode conflictuelle.
En effet, désormais, le filtre de la fraude à la loi assure cette double fonction. Toutefois, si le
mécanisme de la fraude à la loi supplée au rôle du contrôle de la loi appliquée, il ne permet de
sanctionner la fraude à la loi que dans sa fonction traditionnelle c’est-à-dire lorsque la règle de
conflit elle-même a fait l’objet d’une manipulation frauduleuse. A contrario, il semblerait que
cette condition ne permette pas de retenir explicitement une fraude à la loi initiée par un

2543
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 76.
2544
Voir en ce sens, Cass., Civ. 1ère, 17 déc. 2014, n°13-21.365 et 13-24.295, Dalloz 2015, p. 1056, note H.
Gaudemet-Tallon ; RCDIP 2015, p. 443, note S. Laval ; D. actualité, 21 janv. 2015, note F. Mélin ; dans lesquels
la Cour a jugé que « doit être rejetée, la demande d’exequatur d’un jugement étranger, dès lors que le juge
étranger a été saisi par une partie qui a tenté, par une présentation fallacieuse de la situation existante,
d’accréditer l’idée que la résidence familiale était demeurée établie sur le sol étranger ».
2545
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 80.

824
forum shopping dans le cas où cette fraude ne consisterait pas en une manipulation de la règle
de conflit, mais simplement de la saisine des tribunaux. Fort heureusement, une autre
condition du contrôle d’exequatur prend la relève pour sanctionner ce type de comportements.

2) La sanction de fraude à la loi pérennisée par le contrôle d’exequatur


1846. S’il a pu être envisagé que la fraude à la loi provoquée par un forum shopping
puisse être exempte de sanction, tel n’est pas le cas en pratique. En effet, la répression de ce
comportement frauduleux est désormais assurée par le contrôle de la compétence indirecte du
juge pouvant s’opposer à l’exécution de la décision (a). De cette façon, la Cour de cassation
promeut la condamnation de la fraude à la loi jusque dans la circulation des jugements (b).

a) La fraude à la loi doublée d’un forum shopping réprimée par la compétence indirecte
du juge
1847. La condition de la compétence indirecte du juge étranger. Si le contrôle
d’exequatur de la fraude à la loi ne tend pas explicitement à sanctionner les comportements
frauduleux issus d’un forum shopping, sa répression est toutefois assurée par une autre
condition, malgré la suppression du contrôle de la loi appliquée. En effet, parmi les conditions
du contrôle d’exequatur figure le respect de la compétence indirecte du juge étranger2546. Ce
point de contrôle a fait l’objet d’un encadrement jurisprudentiel depuis l’arrêt Simitch de 1985
dans lequel la Cour de cassation a énoncé que « toutes les fois que la règle française de
solution de conflit de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français,
le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d’une manière
caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été
frauduleux »2547 . Ainsi, la compétence indirecte du juge étranger suppose pour le juge de
vérifier d’une part qu’il existe un véritable lien de rattachement caractérisé entre le juge
étranger et la situation internationale, et d’autre part qu’il n’est pas question d’une fraude au
jugement. Or, c’est au regard de ces deux conditions que pourra être sanctionnée une fraude à
la loi doublée d’un forum shopping.

2546
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 28 mars 2018, n°17-10.626 et 17-13.220, dans lequel la Cour rappelle
qu’« en l’absence (…) de convention internationale, le juge français doit s’assurer, pour accorder l’exequatur,
que trois conditions sont réunies soit la compétence du juge étranger, la conformité de la décision à l’ordre
public international français, de fond et de procédure, et l’absence de fraude à la loi ».
2547
Cass., Civ. 1ère, 6 fév. 1985, Simitch, n°83-11.241, RCDIP 1985, p. 369 ; JDI 1985, p. 460, note A. Huet ;
Dalloz 1985, p. 469, note J. Massip et IR 497, obs. B. Audit ; RCDIP 1985, p. 243, chron. Ph. Francescakis ;
GAJFDIP, n°70.

825
1848. Une condition au service de la répression des fraudes issues d’un forum
shopping. En effet, il convient de rappeler que, souvent, « l’absence de lien objectif est (…)
ce qui permet d’établir l’intention frauduleuse d’une personne »2548. Ainsi, dans le cadre d’une
fraude à la loi classique, il est souvent fait état de l’absence d’effectivité de la modification de
la situation internationale, eu égard à l’élément de rattachement manipulé, pour prouver
l’intention frauduleuse2549. Or, il en sera de même dans le cadre d’une fraude à la loi initiée
par un forum shopping. Ainsi, en constatant « l’absence de lien antérieurement à
l’intervention du juge »2550, aucun lien de rattachement caractérisé ne pourra être établi, de
sorte que la condition relative à la compétence indirecte du juge fera défaut. Par conséquent,
la décision ne sera pas susceptible d’exequatur. De cette manière, en sus des hypothèses de
fraude à la loi classiques, le juge de l’exequatur peut sanctionner, grâce à la compétence
indirecte du juge étranger, les fraudes à la loi issue d’un forum shopping. En d’autres termes,
le contrôle d’exequatur assure à la méthode conflictuelle une protection étendue c’est-à-dire
au-delà de la simple application des règles de conflit, mais également dans la circulation des
jugements qui les mettent en œuvre.

b) La condamnation de la fraude à la loi étendue à la circulation des jugements


1849. La répression étendue des cas de fraude à la loi. Si l’on peut parfois douter
de la répression de la fraude à la loi au regard des nombreux cas dans lesquels elle n’est pas
réprimée2551, il semble toutefois que sa condamnation soit relativement étendue puisqu’elle
peut jouer au-delà de la seule mise en œuvre des règles de conflit par un ordre juridique, c’est-
à-dire également dans le cadre de la circulation des jugements. Or, dans ce cadre, les juges du
fond veillent tant à contrôler l’absence de fraude à la loi au sens classique du terme, que
l’absence de fraude à la loi issue d’un forum shopping. Ainsi, une double protection est
octroyée à la méthode conflictuelle permettant de maintenir ses effets légitimes, et de
l’exempter de fraude jusqu’à l’exécution du jugement qui la met en œuvre. C’est pourquoi ces
points de contrôle ne peuvent être que félicités puisqu’en assurant le respect de la méthode
conflictuelle, le contrôle d’exequatur garantit également aux sujets de droit un traitement
égalitaire de leur situation internationale dès lors que l’exécution est sollicitée sur le territoire

2548
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 303.
2549
Cf. supra § 1807.
2550
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 303.
2551
Cf. infra § 1850 et s.

826
français. Ainsi, la solution devra être identique pour chaque sujet de droit dès lors qu’est
employée la règle de conflit compétente.
1850. Une répression restreinte à l’exequatur en droit international privé
interne. Toutefois, il convient de rappeler que ce contrôle d’exequatur ne s’applique qu’en
France et demeure national. Ainsi, ce filtre ne joue que pour les demandes d’exequatur qui
échappent aux situations intra-européennes lesquelles sont essentiellement régies par des
règlements européens. Or, ces textes s’investissent à supprimer toute procédure préalable à
l’exequatur et à en réduire les points de contrôle. Par exemple dans le règlement Bruxelles I
bis2552, les motifs de refus d’exécution d’une décision émanant d’une juridiction d’un Etat
membre ne mentionnent aucunement l’hypothèse de fraude à la loi. Par conséquent, les
règlements européens n’accordent pas la même vigilance à l’égard de la fraude à la loi dès
lors que la situation internationale est intra-européenne. En d’autres termes, là où la Cour de
cassation tente de garantir une égalité de traitement entre chaque sujet de droit au regard de
son contrôle d’exequatur, l’Union européenne la remet en cause. En effet, en effaçant le
contrôle de la fraude à la loi, il est possible que certaines situations soient l’objet de fraude à
la loi, sans que celle-ci puisse empêcher une décision d’être exécutoire. De plus, cela favorise
un traitement inégalitaire, en termes d’exequatur, entre les situations intra-européennes et
extra-européennes. En outre, il semble possible de douter de la véritable effectivité de
l’exception de fraude à la loi, malgré les efforts faits par la jurisprudence française pour en
assurer la pleine efficacité. Les applications jurisprudentielles attestent de cette relativité.

§ 2 – LA DISPARITION DE LA FRAUDE A LA LOI ANNONCEE PAR SES ILLUSTRATIONS


JURISPRUDENTIELLES

1851. Si le droit positif s’évertue à sanctionner, en principe, l’exception de fraude à la


loi, tant en matière de conflit de lois que d’exécution des jugements, la pratique atteste d’un
certain relativisme en termes de répression. En effet, il est de nombreux cas pour lesquels la
fraude à la loi est évincée, et conséquemment, permettant de douter de sa véritable effectivité.
Ainsi, l’éviction de la fraude à la loi par la jurisprudence se justifie par des considérations
tenant à la réalité juridique de la situation internationale (A). Également, les aspirations de la

2552
Art. 45 et 46 du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale, Bruxelles I bis.

827
justice matérielle conduisent à rendre ineffective toute sanction de comportements
véritablement frauduleux (B).

A. LA RELATIVITE DE LA FRAUDE A LA LOI AU REGARD DE LA REALITE


JURIDIQUE DE LA SITUATION INTERNATIONALE

1852. Si en théorie, l’exception de la fraude à la loi constitue un mécanisme favorable


au respect du conflictualisme, en pratique, elle n’y participe que de manière relative dans la
mesure où elle fait les frais de la réalité de la situation internationale. Ainsi, la fraude à la loi
s’efface souvent face à la reconnaissance d’un conflit mobile par la jurisprudence (1). De
surcroît, sa sanction est fragilisée dans le cadre de certaines circonstances notamment à raison
de l’écoulement du temps ou de fraudes patentes (2).

1) Le conflit mobile préféré à la fraude à la loi en jurisprudence


1853. L’exception de la fraude à la loi est en principe mise en œuvre par les juges du
fond. Cependant, il semble qu’il s’agisse d’un mécanisme doté d’une portée limitée dans la
mesure où il ne se cantonne qu’aux rattachements qui peuvent être l’objet de modifications
dans l’espace (a). Néanmoins, la rareté des cas jurisprudentiels se justifie plutôt par la
préférence qui est donnée à l’effectivité de la situation juridique soupçonnée frauduleuse (b).

a) Un mécanisme cantonné aux uniques rattachements susceptibles de modification


1854. Le cantonnement de la fraude à la loi à certaines catégories de
rattachement. L’exception de fraude à la loi ne peut être empruntée que sous réserve de la
présence de ses éléments constitutifs. Or, il apparaît au regard du droit positif que les
hypothèses de fraude se cantonnent vraisemblablement à des cas particuliers. Principalement,
la fraude à la loi a pu être invoquée en matière de statut personnel, à la suite d’un changement
de nationalité ou de domicile2553. En effet, le statut personnel constitue le terrain d’élection de
la fraude à la loi dans la mesure où d’une part il s’agit d’une matière impérative et d’autre part
ses éléments de rattachements principaux sont la nationalité et le domicile. Par exemple, il a
pu être observé « certains cas d’acquisition de la nationalité française pour échapper à une loi
étrangère ignorant le divorce »2554. Également, en matière de statut personnel, mais aussi de
forme des actes, la règle locus regit actum a pu faire l’objet de fraude notamment en matière

2553
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 21.
2554
P. de Vareilles-Sommières, « Fraude à la loi », op. cit., se référant spécialement à l’arrêt suivant : Cass. Civ.,
5 fév. 1929, préc.

828
de célébration du mariage2555. De la même manière, le statut réel mobilier et les successions
ont également pu être utilisés dans l’objectif de frauder la loi étrangère en modifiant
volontairement les qualifications2556. Ainsi, il est considéré que l’exception de fraude à la loi
joue en matière de statut personnel, de statut réel et de forme des actes.
1855. Un cantonnement justifié par les rattachements retenus. Le cantonnement
de la fraude à ces matières se justifie au regard des rattachements retenus par chacune de ces
disciplines. En effet, la nationalité, le domicile, le lieu de situation d’un meuble et le lieu de
conclusion des actes constituent des rattachements susceptibles de modification, mais surtout
susceptibles de manipulation par les parties. Par conséquent, chaque fois qu’un de ces
rattachements est retenu par une règle de conflit, celle-ci est susceptible de fraude. Pour
autant, il semblerait que « les applications jurisprudentielles de l’exception de fraude (soient)
presque inexistantes » 2557 . En effet, s’il existe quelques jurisprudences mettant en œuvre
l’exception de fraude à la loi, celles-ci sont relativement maigres. Or, ceci s’explique
essentiellement à raison du fait que même les rattachements susceptibles de fraude n’en
provoquent pas nécessairement une dès lors qu’ils font l’objet d’une modification. Par
conséquent, cette raréfaction jurisprudentielle permet de douter de l’effectivité du mécanisme.

b) Une exception écartée face à l’effectivité de la situation juridique


1856. La réalité de la situation internationale préférée à la fraude. Si par principe
les éléments de rattachement susceptibles de modification peuvent conduire à une fraude à la
loi, la pratique l’infirme partiellement. En effet, il ne convient pas de remettre en doute le fait
que ces éléments de rattachement peuvent conduire à une fraude à la loi, mais encore faut-il
qu’ils ne consistent pas en une simple hypothèse de conflit mobile2558. Ainsi, « contrairement
à une affirmation courante, il ne saurait y avoir fraude à déplacer un meuble pour le soumettre
à une autre loi »2559. C’est pourquoi « il est sans exemple que la jurisprudence ait appliqué
l’exception de fraude à la loi à une telle hypothèse » 2560 . En réalité, il semble qu’« un

2555
S. Lebreton, op. cit., p. 967.
2556
Cass., Civ. 1ère, 20 mars 1985, Caron, n°82-15.033, préc.
2557
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 301.
2558
Voir en ce sens : D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I., § 433 :
« Liés tous deux au phénomène de la mobilité, la fraude à la loi et le conflit mobile entretiennent des relations
étroits, au point que la fraude est parfois identifiée à la création d’un faux conflit mobile, du moins quand elle
porte sur le changement du seul facteur de rattachement, tandis qu’il est généralement admis qu’ils ont les
mêmes domaines de survenance possible. Pareille assimilation est sujette à caution cependant, car la fraude ne
peut concerner que les rattachements dont la définition même laisse place à une manipulation volontaire ».
2559
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 300.
2560
Ibid.

829
déplacement effectif de l’élément de rattachement retenu par la règle de conflit exclut la
fraude et ne soulève qu’une question de conflit mobile »2561. En d’autres termes, dès lors que
la modification peut être considérée comme effective, alors aucune fraude à la loi ne saurait
être constatée2562. Or, il est consubstantiel au déplacement d’un meuble d’être effectif. De
cette façon, aucune fraude à la loi ne peut être envisagée. De la même façon, ne peut être
condamné un changement de nationalité ou de domicile lorsque celui-ci est effectif 2563 et
surtout « en l’absence d’élément intentionnel caractérisé » 2564 . Ainsi, il ne saurait être
reproché à une personne « un changement de nationalité » dès lors que celui-ci s’accorde avec
« son nouveau cadre de vie »2565.
1857. L’intention frauduleuse comme élément distinctif. Par conséquent,
l’intention frauduleuse constitue l’élément de différenciation entre la fraude à la loi et le
conflit mobile2566. Or, il semble que l’effectivité d’une situation juridique favorise sa licéité.
C’est pourquoi du moins en matière de déplacement de meubles, la fraude à la loi n’est que
théorique. Aucune jurisprudence n’a validé cette théorie puisqu’en pratique le déplacement
est inévitablement effectif. En sus, en matière de forme des actes, il est également peu de cas
pour lesquels la fraude à la loi est reconnue dans la mesure où la règle locus regit actum ne
présente un caractère obligatoire qu’en matière extrapatrimoniale. A contrario, en matière
patrimoniale, elle possède un « caractère facultatif (qui) va à l’encontre d’une intervention de
la fraude à la loi »2567. Ainsi, il convient surtout de retenir que « de manière générale, il n’y a
pas de fraude à se soustraire effectivement du champ d’application d’une loi ; l’essence de la

2561
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 300.
2562
Voir en ce sens : Cass., Civ. 1ère, 3 fév. 2010, n°08-19.293, préc., dans lequel la Cour rappelle que « la loi
française est seule applicable aux droits réels dont sont l’objet des biens mobiliers situés en France ». En
l’espèce, le peintre Arman, décédé en 2005, avait remis en 2000 à un restaurateur sept tableaux qui ont été placés
sur les murs d’un restaurant à New-York, puis rapportées en France en 2007.
2563
Voir en ce sens D. Bureau et H. Muir-Watt, Droit international privé, PUF, 4ème éd., 2017, T. I., § 433 :
« Sont exclus du champ de la fraude les rattachements qui intègrent une exigence d’effectivité, comme le
domicile. Il n’est donc pas utile d’invoquer la fraude pour déjouer une déclaration de domicile artificiel ou
simulé : il suffit de constater que celui-ci n’existe pas parce qu’ineffectif, En revanche, le changement – par
définition effectif – de domicile peut évidemment donner lieu à un conflit mobile ».
2564
B. Bourdelois, « Mariage », Rép. intern. Dalloz, sept. 2011, § 133.
2565
Ibid.
2566
Voir en ce sens : S. Clavel, op. cit., § 131, laquelle expose « la difficulté inhérente » liée à l’admission de la
fraude à la loi tendant à l’établissement de l’intention frauduleuse ; « la modification dans le temps de l’élément
de rattachement retenu par la règle de conflit est une situation banale, pour ne pas dire courante. Il ne saurait
donc être question de stigmatiser tout changement affectant l’élément de rattachement, ce changement pouvant
résulter des circonstances purement fortuites et légitimes. En revanche, il n’est pas admissible que certains
individus procèdent volontairement à cette manipulation dans une intention frauduleuse ».
2567
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 44.

830
fraude réside dans une discordance entre les déclarations et les actes »2568. Ceci explique sans
doute pourquoi les jurisprudences accueillant l’exception de fraude à la loi en droit
international privé se font rares. Cependant, si en pratique, l’exception de fraude à la loi
semble s’effacer au profit du conflit mobile, elle est d’autant plus remise en cause par la
tendance à l’anéantissement de sa sanction.

2) La perte d’effectivité de la sanction au regard de l’écoulement du temps et des


fraudes patentes
1858. Si le domaine de l’exception de fraude à la loi paraît restreint, l’effectivité de
sa sanction l’est parfois aussi. En effet, contrairement au respect du résultat issu de la règle de
conflit, la sanction de la fraude à la loi est parfois anéantie par la réalité des situations
juridiques (a). De la même façon, l’égalité de traitement est remise en cause par la variabilité
de la sanction en cas de fraude patente (b).

a) La sanction de la fraude à la loi anéantie par la réalité des situations juridiques


1859. La victoire de l’écoulement du temps. L’exception de fraude à la loi, fondée
en son principe, voit parfois son effet réduit en raison de circonstances liées au temps. En
effet, « il est souvent difficile de remettre en cause une situation qui, bien qu’irrégulièrement
constituée au regard des principes du for, a suffisamment développé ses effets pour que
l’inconvénient de ne pas la reconnaître l’emporte sur le désir de sanctionner les
intéressés » 2569 . Cela signifie que « l’écoulement du temps » constitue un « facteur de
consolidation »2570 des situations frauduleuses. En d’autres termes, l’appréciation de la fraude
à la loi se subordonne également à « l’effectivité du changement » qui sera examiné au regard
de « l’écoulement du temps » 2571 . Par conséquent, l’exception ne produira pas d’effet
« lorsqu’un divorce a été obtenu dans les conditions les plus irrégulières, mais qu’il a été suivi
du remariage d’un époux, voire des deux, et que des enfants sont nés de ces unions »2572.
Ainsi, la réalité de la situation juridique l’emporte sur la répression de la fraude à la loi.
1860. L’exemple du tourisme procréatif. Or, un lourd contentieux semble se
développer à ce propos en matière de filiation puisque ces dernières années, s’est développé

2568
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 300.
2569
Ibid., § 306.
2570
B. Bourdelois, op. cit., § 66.
2571
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 59.
2572
Ibid., § 17.

831
un certain « tourisme procréatif »2573. Ainsi, de nombreux couples profitent de législations
étrangères pour bénéficier de moyens de procréation interdits en France. Cependant, « les
tribunaux n’ont souvent connaissance de la fraude commise qu’au bout de nombreuses
années »2574. Par conséquent, « l’enfant a dès lors eu le temps de tisser des liens affectifs avec
ses parents de fait »2575. C’est pourquoi au regard de l’écoulement du temps, les tribunaux
sont contraints de considérer que « l’illicéité de la situation de fait (sera) effacée par la
possession d’état de parent, même si celle-ci trouve sa source dans une fraude à la loi »2576.
Ainsi, une nouvelle fois, la réalité de la situation juridique familiale de fait l’emporte sur son
illicéité. De surcroît, cette problématique s’avère d’autant plus négative dans le sens où « les
individus ont souvent conscience » de leur attitude frauduleuse 2577 . Par conséquent, « de
nombreux couples attendent (…) que la situation soit bien établie avant de se faire connaître
des tribunaux »2578. En d’autres termes, cela signifie que la fraude à la loi pourrait constituer
un mécanisme juridique aux mains des sujets de droit, lesquels seraient libre d’en disposer eu
égard à l’écoulement du temps.
1861. Une victoire nécessitée par la sécurité juridique. Il peut sembler dommage
d’admettre de ne pas sanctionner des situations juridiques issues d’une fraude à la loi.
Cependant, il doit être considéré que la remise en cause de ces situations par l’exception de
fraude à la loi pourrait être plus contraignante et créer une véritable insécurité juridique. C’est
pourquoi au nom de la sécurité juridique, il paraît indispensable de laisser produire les effets
de ces situations encrées dans le temps. Néanmoins, la reconnaissance de ces situations
frauduleuses participe à un anéantissement de la règle de conflit. En effet, le résultat émanant
en principe de la règle de conflit sera évincé définitivement. Par conséquent, une certaine
rupture d’égalité peut être engendrée entre les personnes soumises véritablement à la règle de
conflit et celles régies par la loi étrangère issue de la fraude. Or, il semblerait que
l’écoulement du temps ne constitue pas l’unique hypothèse dans laquelle l’exception de
fraude à la loi ne joue pas.

2573
G. Kessler, « résumé », in « La consolidation de situations illicites dans l’intérêt de l’enfant », Revue Droit
de la famille, n°7/8, juill. 2005, étude 16.
2574
Ibid.
2575
Ibid.
2576
Ibid., § 2.
2577
Ibid.
2578
Ibid.

832
b) La sanction de la fraude à la loi susceptible de variabilité en cas de fraude patente
1862. La sanction aléatoire des fraudes patentes. Hormis l’hypothèse dans laquelle
la fraude peut être consolidée par l’effet du temps, « il arrive (également) qu’une fraude
patente soit dénoncée par une partie qui y a participé en toute connaissance de cause »2579.
Cependant, « ayant cessé d’y trouver avantage, elle invoque elle-même l’irrégularité commise
afin de rentre l’acte étranger inopposable » 2580 . Comme l’a affirmé le Professeur Bernard
Audit, l’adage nemo auditur devrait s’appliquer à cette hypothèse puisque « dans la mesure où
la sanction réside dans une inopposabilité, on peut effectivement répondre que les auteurs de
la fraude ne peuvent l’invoquer »2581. Cependant, puisque l’état des personnes constitue le
« terrain d’élection de la fraude »2582, « le souci de faire prévaloir la régularité juridique paraît
devoir l’emporter sur celui de punir l’intéressé »2583. C’est pourquoi « la jurisprudence est
amenée à adopter l’une ou l’autre attitude, vraisemblablement en fonction de l’équité du
cas »2584. Ainsi, « lorsque l’état des personnes est en cause, le principe semble bien que les
tribunaux sanctionnent la fraude sans s’arrêter au fait que le demandeur y a participé »2585.
1863. Une sanction soumise à l’équité du juge. Dans ce cas particulier, il semble
effectivement qu’il soit nécessaire de procéder par équité. En effet, d’une part, il paraît
parfaitement logique d’appliquer l’adage nemo auditur afin qu’aucun sujet de droit ne puisse
se prévaloir de sa propre fraude. Mais, d’autre part, il paraît également légitime de considérer
qu’en matière d’état des personnes, celle-ci ne puisse dépendre d’une telle considération. En
effet, la régularité de la situation internationale doit l’emporter en matière d’état des
personnes afin de correspondre avec la réalité juridique. Ainsi, l’équité semble s’imposer
d’elle-même afin de trancher sur ces hypothèses de fraudes patentes. Cependant, l’équité
conduit à rompre l’égalité de traitement à laquelle peuvent prétendre les sujets de droit. En
effet, en reconnaissant que dans le cadre de fraudes patentes, la sanction soit casuistique au
regard de l’équité, il semblerait qu’une rupture d’égalité se produise entre les sujets de droit.
Ainsi, selon la matière en cause et les circonstances de l’espèce, les solutions pourront être
divergentes. Néanmoins, il semble qu’aucune autre solution ne puisse mieux répondre à cette

2579
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 15.
2580
Ibid.
2581
Ibid.
2582
Ibid.
2583
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 304.
2584
B. Audit, « Fraude à la loi », op. cit., § 15., citant spécialement l’arrêt suivant : Cass., Crim., 11 juin 1996,
Dalloz 1997, p. 576, note E. Agostini ; Dalloz 1998, somm. p. 576, obs. B. Audit.
2585
Ibid.

833
hypothèse particulière afin de préserver la sécurité juridique et finalement une certaine
effectivité du mécanisme. De cette façon, la fraude à la loi n’est pas laissée à la disposition
des sujets de droit.
1864. La sanction partielle des cas de fraude à la loi en jurisprudence. En outre,
tant au regard des cas d’écoulement du temps que des hypothèses de fraude patente, il
apparaît que la sanction de la fraude à la loi ne s’impose pas strictement et qu’elle peut subir
certains aléas dans certaines circonstances. Ainsi, si, en théorie, la sanction de la fraude à la
loi permet de préserver le résultat issu de la règle de conflit, en pratique, cette protection est
nuancée. Ainsi, l’égalité de traitement subit quelques scléroses au stade de l’application
concrète du mécanisme exceptionnel. Néanmoins, celles-ci s’imposent à raison de la réalité
juridique et principalement de la sécurité juridique à laquelle doivent être soumis les sujets de
droit. De surcroît ces empiètements sur la force juridique de la sanction semblent s’étendre
lorsqu’il est question de droits fondamentaux.

B. LA SANCTION INEFFECTIVE DES FRAUDES FACE A LA DOMINATION DE LA


JUSTICE MATERIELLE

1865. Hormis les cas pour lesquels la fraude à la loi ne produit pas d’effets pour des
raisons de sécurité et réalité juridiques, elle ne produit également pas de conséquences dans
certains domaines afin de faire prévaloir la justice matérielle sur la justice conflictuelle. C’est
pourquoi le droit positif concède la réception de situations filiales frauduleuses en France en
vertu de l’intérêt supérieur de l’enfant (1). Or, cette attitude tendant à évincer la fraude au
profit des droits fondamentaux conduit progressivement à l’extinction de l’exception et ceci à
raison d’une nette propagation du substantialisme en droit des conflits de lois (2).

1) La réception de situations filiales frauduleuses au nom de l’intérêt supérieur de


l’enfant
1866. Si, classiquement, l’exception de fraude à la loi voit ses effets atténués en
raison de la réalité de la situation juridique, cet affaiblissement s’étend au cas particulier de
situations internationales frauduleuses en matière de filiation (a). Or, si la réalité de la
situation familiale pourrait éventuellement être invoquée, c’est à l’appui des droits
fondamentaux et notamment de l’intérêt supérieur de l’enfant que la reconnaissance de ces
situations est autorisée (b).

a) L’admission de situations internationales frauduleuses en matière de filiation


1867. L’admission de fraudes à la loi française en matière de filiation. Au-delà
des cas pour lesquelles la sanction de la fraude à la loi est relativisée eu égard à la réalité de la

834
situation internationale, il est également d’autres hypothèses pour lesquelles le mécanisme est
écarté. Particulièrement en matière de filiation, la France accueille des cas de fraude à la loi
française et leur donne pleinement effectivité sur le territoire français.
1868. L’exemple de la procréation médicalement assistée. Premièrement, en
matière de PMA, le droit français n’offre actuellement la possibilité de recourir à ce procédé
qu’aux couples hétérosexuels. C’est pourquoi de nombreux couples féminins homosexuels ont
recours à une procréation médicalement assistée à l’étranger. Or, « le procédé qui consiste à
bénéficier à l’étranger d’une assistance médicale à la procréation interdite en France, puis à
demander l’adoption de l’enfant, conçu conformément à la loi étrangère mais en violation de
la loi française, constitue une fraude à celle-ci » et devrait par conséquent empêcher
« l’adoption de l’enfant illégalement conçu »2586. Or, depuis deux avis de la Cour de cassation
de 2014, celle-ci considère que « le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la
forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle
au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès
lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de
l’enfant »2587. Par conséquent, la Cour de cassation écarte l’exception de fraude à la loi et
reconnaît l’ouverture de l’adoption alors que l’enfant est issu d’un processus frauduleux.
1869. L’exemple de la gestation pour autrui. Deuxièmement, en matière de
gestation pour autrui, le droit français ne permet pas de recourir à ce procédé. Par conséquent,
comme pour la PMA, certaines personnes ou couples ont recours à une GPA à l’étranger.
Ainsi, il s’agit de recourir à une GPA interdite en France pour ensuite réclamer la
transcription de la filiation sur les registres d’état civil français. Or, si l’enfant est conçu
conformément au droit étranger, il l’est en revanche en violation de la loi française. C’est
pourquoi il est question d’une fraude à la loi. Pourtant, une nouvelle fois, la Cour de cassation
a considéré en 20152588, que « la transcription de la filiation biologique (est autorisée) si l’acte
de naissance ne comporte pas d’irrégularités formelles »2589. Ainsi, la Cour de cassation a
donné effectivité en France à une situation en fraude à la loi française.
1870. Des fraudes admises au regard de la régularité de la situation familiale. Au
regard de ces deux hypothèses particulières relatives au statut personnel, il semble sans doute

2586
P. Reigné, « résumé », in « L’assistance médicale à la procréation, l’adoption et la fraude à la loi », Revue
Droit de la famille, n°7-8, juill. 2014, comm. 113.
2587
Cass., avis, 22 sept. 2014, n°14-70.006 et 14-70.007, préc.
2588
Cass., Ass. pl., 3 juill. 2015, n°15-50.002 et n°14-21.323, préc.
2589
F. Sudre, « GPA : bis repetita », JCP N. n°37, 16 sept. 2016.

835
possible de faire un lien avec la réalité juridique de la situation internationale. En effet, si ce
n’est pas l’écoulement du temps qui joue cette fois-ci, il semble que la régularité de la
situation internationale et plus particulièrement familiale l’emporte sur l’exception de fraude à
la loi. Par conséquent, une fois encore, le mécanisme exceptionnel est déjoué, de façon à
remettre en cause la loi normalement applicable en vertu du droit des conflits de lois
1871. . Ainsi, la fonction assignée à l’exception de fraude à la loi est de nouveau
balayée. Pourtant, cette éviction de la fraude à la loi semble être justifiée en droit positif par
les droits fondamentaux reconnus à tout sujet de droit.

b) La reconnaissance de situations frauduleuses au nom des droits fondamentaux


1872. Des fraudes tolérées au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. En réalité, si
la Cour de cassation a adopté ces différentes postions en matière de filiation, c’est en vertu de
l’intérêt supérieur de l’enfant. S’agissant de la PMA, la Cour de cassation fait droit à la
demande d’adoption considérant en réalité que celle-ci est conforme à l’intérêt supérieur de
l’enfant et au droit au respect de la vie privée et familiale de faire droit à la demande
d’adoption de l’épouse de la mère de l’enfant. S’agissant de la GPA, la Cour de cassation
reconnaît la possibilité de transcrire la filiation biologique considérant également que cela
relève de l’intérêt supérieur. Plus précisément, la Cour de cassation s’est vraisemblablement
alignée sur la position de la CEDH, qui en 20142590, a considéré qu’« en présence d’un lien
biologique avec le père, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant que les Etats retranscrivent
sur les registres d’état civil la filiation établie à l’étranger d’enfant né d’une telle
pratique »2591, et dont la position a été réaffirmée en 20162592.
1873. Une sanction ineffective au nom des droits fondamentaux. Par conséquent,
c’est en vertu de l’intérêt supérieur de l’enfant c’est-à-dire de son droit au respect de la vie
privée, qu’il convient de reconnaître sur le territoire français des situations filiales émanant

2590
CEDH, 26 juin 2014, Mennesson contre France et Labassée contre France, aff. 65192/11 et aff.
65941/11, préc.
2591
L. Lorenzini, « Gestation pour autrui : entre ordre public et intérêt supérieur de l’enfant », JDI n°3, juill.
2017, doctr. 10.
2592
CEDH, 14 janv. 2016, Mandet c/ France, N°30955/12, D. actualité, 8 fév. 2016, note V. Lefebvre ; Dalloz
2016, p. 257, et p. 1966, note Ph. Bonfils ; Dalloz 2017, p. 729, note F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2016, p.
331.

836
d’un processus frauduleux eu égard à la loi française2593. Ainsi, en sus des hypothèses dans
lesquelles l’exception de fraude à la loi est remise en cause, s’y greffent ces cas particuliers en
matière de filiation. Ainsi, il pourrait être ajouté à cette liste que les droits fondamentaux
peuvent justifier l’absence de sanction de fraude à la loi. La protection accordée à la méthode
conflictuelle par l’exception de fraude à la loi s’affaiblit alors davantage. Néanmoins, cette
mise en cause des droits fondamentaux n’est pas si surprenante puisque certaines situations
frauduleuses ne font pas l’objet de sanction en raison de considérations substantielles.

2) L’extinction propice de l’exception face à la propagation du substantialisme


1874. Réellement, les jurisprudences relatives aux situations filiales frauduleuses
viennent remettre en cause la posture de l’exception de fraude à la loi face aux droits
fondamentaux. Or, il semblerait que ces droits fondamentaux permettent, dans une autre
mesure, de reléguer la fraude à la loi derrière la justice matérielle (a). C’est pourquoi et
malheureusement, cette exception tend inévitablement à disparaître, et ceci en défaveur du
respect de la méthode conflictuelle (b).

a) La relégation de la fraude à la loi face à la justice matérielle


1875. Si l’éviction de la fraude à la loi peut se justifier par la prédominance de
certains droits fondamentaux au regard des intérêts en cause, elle peut également être
envisagée au regard du respect de l’ordre public international. En effet, dans certains cas, « le
défaut de sanction d’une fraude à la loi étrangère » a pu s’expliquer « parfois par sa
contrariété, plus ou moins avouée, aux conceptions locales ou par des motifs politiques »2594.
La sanction qu’engendre la fraude à la loi peut conduire à appliquer une loi qui serait
contraire aux conceptions fondamentales de l’ordre juridique du for. C’est pourquoi la
répression peut être légitimement écartée dans ce cas, afin de permettre un traitement
juridique de la situation internationale compatible avec l’ordre juridique saisi. En d’autres
termes, cela signifie que si les droits fondamentaux peuvent entrer en jeu pour écarter
l’exception de fraude à la loi, l’ordre public international le peut également. Ainsi, au regard
de certaines considérations de justice matérielle, il semblerait que la fraude à la loi puisse être

2593
Voir en ce sens : H. Muir-Watt, « Discours sur les méthodes de droit international privé (des formes
juridiques de l’inter-altérité) : Cours général de droit international privé », op. cit., § 131, laquelle expose la
difficulté de sanctionner une gestation pour autrui par l’inopposabilité dans la mesure où « l’inopposabilité de
l’acte revient à punir les enfants pour les pêchés de leurs parents » et poursuit : « Le dilemme d’ordre moral est
donc un point aveugle méthodologique du droit international privé : seule le « comme si » - c’est-à-dire
l’adoption fictive d’une vue surplombante afin d’évaluer globalement l’ensemble des intérêts en cause sans
occulter l’une ou l’autre catégorie – pourrait permettre d’en sortir ».
2594
B. Audit et L. d’Avout, op. cit., § 306.

837
écartée. Par conséquent, ce mécanisme tend à disparaître au profit de considérations
substantielles a priori estimées plus importantes que la répression de situations frauduleuses.

b) La disparition annoncée de l’exception de fraude à la loi en droit positif


1876. Une répression minime susceptible de rupture d’égalité. Toutes ces
hypothèses consistant à prendre en considération certaines valeurs fondamentales, et plus
vraisemblablement des aspirations d’ordre substantiel invitent à la disparition de l’exception
de la fraude à la loi. En effet, au regard des nombreuses atténuations qu’elle connaît quant à
son application, qu’il s’agisse de l’écoulement du temps, de l’effectivité de la situation
juridique, des fraudes patentes ou encore des droits fondamentaux, il semblerait que sa
fonction soit reléguée à un rang inférieur. En vérité, ces cas exceptionnels, tendant à se
généraliser, invitent à ranger la fraude à la loi « au magasin des accessoires juridiques
inutiles »2595, voire à considérer que « plus rien n’est frauduleux »2596. Or, cette attitude tend à
remettre en cause la méthode conflictuelle. La justice matérielle a donc pris le pas sur la
justice conflictuelle en droit des conflits de lois. Il est regrettable que l’exception de fraude à
la loi perde autant de vigueur dans la mesure où elle constitue un outil protecteur de la
méthode conflictuelle. Par conséquent, puisque le résultat frauduleux de la règle de conflit fait
l’objet de peu de sanctions, l’égalité de traitement entre les sujets de droit est rompue.
Certains seront soumis à la loi véritablement compétente, tandis que d’autres seront soumis à
la loi fraudée.
1877. La réactivation de la sanction par respect de l’égalité de traitement. En
conclusion, en théorie, l’exception de fraude à la loi, ainsi que son régime constituent un outil
de protection de la règle de conflit. En effet, outre quelques imperfections, le mécanisme, tant
dans son principe que son régime, répond des exigences de la justice conflictuelle et
notamment des objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. De plus, cette protection est
relativement étendue puisqu’elle s’applique au conflit de lois et à l’exécution des jugements.
Cependant, les applications jurisprudentielles de fraude à la loi sont restreintes en raison d’un
certain laxisme toléré pour diverses raisons notamment de nature substantielle. Ainsi, dans la
mesure où cette ineffectivité de la sanction tend à remettre en cause le respect de la règle de
conflit, ainsi que l’égalité de traitement qui en découle, il serait sans doute préférable d’y

2595
J. Foyer, « Filiation », Rép. intern. Dalloz, juill. 2015, § 245.
2596
S. Clavel, op. cit., p. 255 et s.

838
remédier. Pour cela, il serait plus simple, comme cela semble être le cas pour la PMA2597, que
le législateur aligne sa position conformément à celle de la jurisprudence afin que des
situations considérées comme frauduleuses, mais tolérées, ne le soient plus.

2597
Voir en ce sens : projet de loi bioéthique 2019 présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019 portant
réforme de la PMA notamment afin de l’ouvrir aux couples femmes homosexuelles.

839
840
CONCLUSION DU CHAPITRE II :
1878. L’alignement des éléments perturbateurs sur l’égalité de traitement des
situations internationales. Le régime de l’application de la loi matérielle désignée peut être
perturbé par deux exceptions que sont l’ordre public international et la fraude à la loi.
Toutefois, au regard de leurs fonctions respectives, il ne convient pas d’en contester leur
admission en droit positif. En revanche, leur régime respectif peut être remis en cause dans la
mesure où il ne préserve pas a maxima l’égalité de traitement garantie par la méthode
conflictuelle.
1879. L’affinement du régime de l’ordre public international. D’une part, l’ordre
public international doit demeurer un mécanisme exceptionnel employé avec précaution
lorsque cela est véritablement nécessaire c’est-à-dire lorsqu’au regard des circonstances de
l’espèce, son intervention s’avère obligatoire afin de mettre un terme au trouble social créé
dans l’ordre juridique saisi. C’est pourquoi le déclenchement de l’exception doit être le plus
possible circonstancié. Par conséquent, il doit faire l’objet d’un affinement par rapport à son
régime actuel. Ainsi s’il convient de conserver ses caractères et son effet atténué, il faut
absolument qu’il consiste en un ordre public international de proximité. Il s’agit de la seule
façon de garantir un recours strictement nécessaire au mécanisme, par exception à la méthode
conflictuelle. Celle-ci ne sera écartée que lorsque de véritables conditions matérielles, mais
surtout spatiales justifient d’écarter le résultat issu de la règle de conflit. De cette manière,
l’égalité de traitement ne sera écartée que lorsque la régularité de la situation internationale
dans l’ordre juridique saisi le justifie vraiment. Toutefois, pour que le jeu de la méthode
conflictuelle soit davantage préservé, l’effet substitutif du mécanisme doit se produire en
faveur de la loi qui présente les liens les plus étroits, excepté la loi désignée applicable.
1880. La réactivation de l’exception de fraude à la loi. D’autre part, la fraude à la
loi doit également être maintenue dans la mesure où elle constitue une exception au service du
respect de la règle de conflit. C’est pourquoi son régime ne doit pas spécialement être révisé
hormis la question de l’étendue de sa sanction. En revanche, son effectivité en pratique est
remise en cause pour diverses raisons imputables à la réalité de la situation internationale ou à
certaines considérations substantielles. Or, ces diverses entorses au mécanisme remettent en
cause le résultat issu de la règle de conflit et conséquemment l’égalité de traitement. C’est
pourquoi il convient d’agir sur ce point pour rendre à l’exception de la fraude à la loi son
véritable rang. Toutefois, eu égard aux divers cas jurisprudentiels pour lesquels la fraude à la
loi est tolérée, il semblerait qu’il revienne simplement au législateur d’aligner sa législation

841
sur la position adoptée par la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment à propos du
tourisme procréatif. Ainsi, l’exception de fraude à la loi pourrait, de nouveau, être employée
lorsqu’il existe une véritable fraude qui ne peut être tolérée par l’ordre juridique français. Par
conséquent, neutralité et égalité de traitement retrouveraient également leur place.
1881. La préservation de l’égalité de traitement au stade final de la règle de
conflit. Finalement, même lorsque le régime de la loi matérielle applicable est perturbé par
l’ordre public international ou la fraude à la loi, il peut demeurer conforme à l’égalité de
traitement qui découle de la méthode conflictuelle. Ainsi, cet objectif est garanti jusqu’au
stade ultime de l’application de la règle de conflit.

842
CONCLUSION DU TITRE II :

1882. La reconsidération du régime d’application à l’aune de l’égalité de


traitement. En conclusion, le régime d’application de la règle de conflit, tant au regard de son
encadrement de principe, que des exceptions par lesquelles il peut être affecté, doit faire
l’objet d’une certaine réformation afin de se conformer à l’égalité de traitement qui est
promue par la méthode conflictuelle.
1883. Une réformation partielle du régime de principe. S’agissant du régime
d’application classique, il convient d’être nuancé puisqu’il n’est que partiellement
incompatible avec les objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. En effet, seul le régime
d’application de la règle de conflit doit être remis en cause de manière évidente. Les règles
applicables en matière d’office du juge ne respectent pas actuellement ces objectifs dans la
mesure où la jurisprudence appréhende, sans doute, de la mauvaise façon la nature de ces
règles. C’est pourquoi il convient de réformer entièrement ce régime en considérant que toute
règle de conflit constitue une règle de droit qui doit obligatoirement être appliquée par le juge,
et qu’à défaut d’application possible, y sera substituée la loi des liens les plus étroits. En
adoptant ce régime, la neutralité de la règle et préservée, et l’égalité de traitement garantie aux
sujets de droit au stade de l’application de la règle de conflit. En revanche, le régime
d’application de la loi matérielle compétente est globalement bien encadré par la
jurisprudence et participe à la protection de ces deux objectifs. Par conséquent, seules
quelques modifications à l’égard de cas exceptionnels doivent être envisagées, notamment la
suppression de la théorie de l’équivalence. Ainsi, le régime d’application classique de la règle
de conflit doit faire l’objet d’une révision, mais celle-ci n’est que partielle. Il est alors possible
d’espérer que ce régime garantisse à l’avenir l’égalité de traitement des situations
internationales.
1884. Une réformation localisée des mécanismes d’éviction. S’agissant des
exceptions au régime d’application, celles-ci doivent être maintenues en droit positif eu égard
à leur fonction respective. Néanmoins, leur utilisation actuelle en jurisprudence invite à les
reconsidérer eu égard aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement. C’est pourquoi
l’ordre public international doit demeurer exceptionnel, c’est-à-dire strictement justifié eu
égard aux circonstances matérielles, mais surtout spatiales. Il doit alors nécessairement
constituer un ordre public de proximité afin d’écarter la méthode conflictuelle uniquement
lorsque cela est exigé par la régularité de la situation internationale dans un ordre juridique.
De la même manière, pour garantir aux sujets de droit une justice véritablement conflictuelle,

843
la loi substituée doit être celle des liens les plus étroits. En d’autres termes, le régime de
l’ordre public international doit s’inspirer de celui de la méthode conflictuelle pour demeurer
une exception. Ainsi, la neutralité de la règle de conflit et l’égalité de traitement qui en
découle ne sont écartées que lorsque la régularité de la situation l’impose effectivement. En
revanche, s’agissant de la fraude à la loi, il n’est pas question de remettre en cause son régime
qui favorise le respect des règles de conflit. Toutefois, il convient d’intervenir quant à la
question de son efficacité en jurisprudence, puisqu’elle tend à s’effacer pour diverses raisons.
Il est alors préconisé que le législateur s’aligne sur la position de la jurisprudence afin de
rendre légales des situations frauduleuses tolérées, et ainsi rendre à cette exception toute sa
vigueur. De cette façon, l’égalité de traitement retrouve de manière consécutive sa place aux
côtés du respect de la neutralité de la méthode conflictuelle.
1885. Un régime d’application à remodeler dans son ensemble au regard de
l’égalité de traitement. Finalement, le régime d’application de la règle de conflit dans son
ensemble ne répond que limitativement de la justice conflictuelle. C’est pourquoi différents de
ses points de droit doivent être reconsidérés à l’aune de l’égalité de traitement. Toutefois, si la
tâche est malaisée, elle demeure accessible. Il peut être espéré que le régime d’application de
la règle de conflit s’aligne donc sur les exigences de la justice du droit des conflits de lois.

844
CONCLUSION DE LA PARTIE II :
1886. La réformation du régime de la règle de conflit conformément à l’égalité
de traitement. Finalement, eu égard à l’étude du régime applicable en théorie des conflits de
lois, si le statut de la règle de conflit bilatérale peut conduire au maintien de la neutralité de la
règle et à l’égalité de traitement qui en découle, il n’en est pas de même de son régime
actuellement encadré par des règles spécifiques à la théorie générale du conflit de lois. En
effet, pour parvenir à une mise en conformité de ces objectifs, il convient de réformer tant la
phase d’applicabilité que la phase d’application.
1887. La révision intégrale du régime d’applicabilité. S’agissant de l’applicabilité
de la règle de droit c’est-à-dire de la règle de conflit, cette phase doit être quasi intégralement
remise en cause dans la mesure où elle s’inscrit en totale inadéquation avec les objectifs de
neutralité et d’égalité de traitement issus de la règle de conflit. En effet, qu’il s’agisse de son
régime de principe, ou de ses exceptions, ils possèdent tous des caractères dont les
conséquences sont néfastes pour la réalisation de ces objectifs. Ainsi, la qualification doit être
révisée au profit d’une qualification internationale fondée sur une méthode unique des liens
les plus étroits. En sus, la détermination de la règle de conflit applicable parmi les sources en
vigueur doit se produire à l’aune d’un principe de primauté, tout comme les champs
d’application matériel et spatial des textes internationaux doivent être strictement encadrés.
De la même manière, les lois de police, si elles doivent être maintenues, doivent faire l’objet
d’une identification par le législateur. Ainsi, toutes les règles de principe doivent être
réformées pour répondre de la neutralité de la méthode et de l’égalité de traitement qui en
découle. Or, ce constat est identique eu égard aux éléments perturbateurs puisqu’ils ne
respectent pas dans leur conception actuelle ces deux objectifs. C’est pourquoi par respect de
la méthode conflictuelle, le mécanisme du renvoi doit être supprimé, tout comme le conflit de
lois dans le temps doit être résolu par le droit transitoire de l’ordre juridique dont émane les
règles en conflit. En revanche, le conflit mobile semble pouvoir être éradiqué en adoptant
simplement la méthode à rattachement unique aux liens le plus étroits. En d’autres termes, le
régime d’applicabilité de la règle de conflit doit intégralement être révisé puisqu’aucune de
ses règles ne respecte la méthode conflictuelle et, par conséquent l’égalité de traitement
recherchée. Toutefois, l’étude de ce régime invite à considérer que cette révision est abordable
en droit positif.
1888. Le renouvellement partiel du régime d’application. En revanche, le régime
d’application de la règle de droit applicable, c’est-à-dire de la règle de conflit et de la loi

845
matérielle, ne doit faire l’objet que d’une modernisation partielle. En effet, eu égard à ses
règles de principes, seul le régime d’application de la règle de conflit doit être globalement
changé afin que l’office du juge respecte la nature de règle de droit à laquelle prétend toute
règle de conflit. Ainsi, chaque règle doit obligatoirement être appliquée par le juge et, à
défaut, ne doit être appliqué subsidiairement que la loi des liens les plus étroits. En revanche,
le régime d’application de la loi matérielle, tel que conçu par la jurisprudence, respecte ces
principes dans son ensemble. C’est pourquoi seules quelques modifications annexes doivent
être effectuées telles que la suppression de la théorie de l’équivalence. De la même façon, les
exceptions de ce régime d’application doivent être maintenues eu égard au rôle qu’elles
assurent. Néanmoins, elles doivent être renouvelées pour répondre davantage des objectifs de
neutralité et d’égalité de traitement. L’ordre public international doit être révisé afin que son
régime ne soit construit qu’à l’aune du principe de proximité. Également, l’exception de la
fraude à la loi doit être réactivée dans la mesure où elle fait l’objet d’un effacement en
pratique. En conclusion, le régime d’application doit être revu, mais sa modernisation semble
tout à fait envisageable. Par conséquent, ce régime peut véritablement garantir l’égalité de
traitement des situations internationales.
1889. Un régime garant de l’égalité de traitement accessible. Finalement, qu’il
s’agisse de l’applicabilité ou de l’application de la règle de conflit, le régime retenu en théorie
générale des conflits de lois contrevient, et parfois fortement, au respect des objectifs de
neutralité et d’égalité de traitement normalement garantis par la méthode conflictuelle
bilatérale. C’est pourquoi si le statut de la règle de droit doit être celui d’une règle de conflit
bilatérale à rattachement unique aux liens les plus étroits, son régime doit être totalement
refondé à l’aune de ces objectifs afin d’assurer une égalité de traitement des situations
internationales. Néanmoins, l’étude du régime invite à penser que cette réformation soit
parfaitement accessible en droit positif.

846
CONCLUSION
1890. L’absence de conformité du droit des conflits de lois avec l’égalité de
traitement des situations internationales. Confronter la discipline du droit des conflits de
lois à l’égalité de traitement des situations internationales revient à considérer que celle-ci ne
s’y conforme pas, tant au regard de sa méthode que de son régime. C’est pourquoi il convient
d’admettre deux postulats différents afin que cette discipline puisse à l’avenir répondre de
cette aspiration.
1891. La substitution d’une méthode conflictuelle objective bilatérale à
rattachement aux liens les plus étroits. Il est nécessaire de refonder la discipline sur un
socle nouveau en opérant table rase du passé afin d’exclure toute considération subjective de
sa méthode ainsi que toute fragmentation juridique. C’est pourquoi il revient à la doctrine
d’établir une méthode unique conforme à la nature et à l’objet du droit des conflits de lois afin
qu’elle puisse être appréhendée par n’importe quel Etat. Toutefois, pour qu’une telle méthode
soit susceptible d’universalisation, elle doit nécessairement être conflictuelle, objective,
bilatérale et à rattachement unique aux liens les plus étroits. En effet, dans la mesure où cette
méthode est neutre puisque scientifique, elle permet d’emporter l’assentiment de tout Etat. De
plus, puisqu’elle est fondée à l’aune du principe de proximité, appréciée de manière concrète
dans chaque situation internationale, elle répond de l’idéologie prônée par la justice
conflictuelle du droit des conflits de lois consistant à déterminer la compétence de chaque loi
dans l’espace. De surcroît, en adoptant une méthode bilatérale, traitant chaque loi sur un pied
d’égalité, et en optant pour un rattachement unique aux liens les plus étroits, il est certain que
cette méthode permet de garantir, en sus de la neutralité de la règle de conflit, l’égalité de
traitement qui en découle. Ainsi, en recourant à ce statut unique de règle, la neutralité de la
méthode est préservée et permet de créer un terrain favorable à l’universalisme, lequel assure
conséquemment à l’égalité de traitement une véritable effectivité. Toutefois, si la création de
ce statut ravive l’espoir que la méthode en droit des conflits de lois puisse être neutre et
égalitaire, il faut également que son régime s’y conforme.
1892. La modernisation du régime applicable en théorie générale du conflit de
lois sous l’égide de l’égalité de traitement. S’il doit être procédé à un changement complet
de méthode, il doit également être opéré une réformation du régime applicable à la règle de
conflit. En effet, ce régime fait état de nombreux défauts dans la mesure où il ne répond pas
de façon régulière à la justice conflictuelle et donc à l’égalité de traitement des situations
internationales. C’est pourquoi pour respecter les objectifs de neutralité et d’égalité, le régime
847
doit s’aligner sur l’idéologie de la justice conflictuelle afin que les règles applicables soient
neutres et orientées par une approche scientifique fondée sur le principe de proximité. Ainsi,
le régime doit maintenir la neutralité de la méthode et conséquemment promouvoir un régime
d’application universelle. De plus, le statut de la règle de conflit, notamment en tant que règle
de droit, doit être respecté. En outre, cela signifie que le régime doit faire l’objet d’une
sérieuse réformation, excepté quant aux règles relatives à l’application de la loi matérielle
compétente. Toutefois, si cette modernisation du régime, justifiée par le respect de l’égalité de
traitement des situations internationales, s’avère ambitieuse, elle n’en est pas moins vaine.
Pour être réalisable, il suffit, par le biais de révisions et suppressions, d’organiser ce régime
autour d’une seule ligne conductrice, celle de la justice conflictuelle classiquement promue
par le droit des conflits de lois.

848
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES GENERAUX
ALLAND D. et RIALS S.
- Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003
ANCEL B. et LEQUETTE Y.
- Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz,
5ème éd., 2006
ANZILOTTI D.
- Teoria del diritto internazional privato passim et règles générales des conflits de lois,
Recueil 1936, t. 58
ARMINJON P.
- Précis de droit international privé, Dalloz, 3ème éd., 1947
ATTAL M. et RAYNOUARD A.
- Droit international privé, Tome 1 : « Principes généraux », Larcier, 2013
AUDIT B. et AVOUT L. (d’)
- Droit international privé, Economica, 7ème éd., 2013
BARTIN E.
- Principes de droit international privé selon la loi et la jurisprudence française,
Domat-Montchrestien, 1930
BATIFFOL H. et LAGARDE P.
- Droit international privé, Tome I, LGDJ, 8ème éd., 1993
BUREAU D. et MUIR-WATT H.
- Le droit international privé, PUF, 1ère éd., Que sais-je ?, 2009
- Droit international privé, PUF, 4ème éd. , 2017, Tome I
CABRILLAC R.
- Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, LexisNexis, 10ème éd., 2018
CACHARD O.
- Droit international privé, Bruylant, 6ème éd., 2017
CARBASSE J.-M.
- Manuel d’introduction historique au droit, PUF, 7ème éd., 2017
CLAVEL S.
- Droit international privé, Dalloz, Coll. Hypercours, 5ème éd., 2018
CORNU G.
- Vocabulaire juridique, PUF, 12ème éd.
849
DESPAGNET F.
- Précis de droit international privé, Recueil Sirey et du Journal du Palais, 5ème éd.,
1909
EHRENZWEIG A. A.
- Private international law, Sijthoff, 1967
FOELIX M.
- Traité de droit international privé ou du conflit de lois de différentes nations, Marescq
Ainé, 4ème éd., 1866
GRAULICH P.
- Principes de droit international privé, Dalloz, 1ère éd., 1961
- Introduction au droit international privé, Liège, Fac. de Droit, d’Economie et de
Sciences sociales, 1978, t. I
GUINCHARD S. et DEBARD T.
- Lexique des termes juridiques, Dalloz, 26ème éd.
KEGEL G.
- Internationales privatrecht, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, 1964
LAURENT F.
- Droit civil international, Ed. Paris Bruxelles : A. Marescq Bruylant-Christophe & ce,
1880-1881
LEREBOURS-PIGEONNIERE et LOUSSOUARN Y.
- Droit international privé, Dalloz, 9ème éd., 1970
LOUSSOUARN Y., BOUREL P. et VAREILLES-SOMMIERES P. (de)
- Droit international privé, Dalloz, 10ème éd., 2013
MAYER P.
- Droit international privé, Domat, 6ème éd., 1998
MAYER P. et HEUZE V.
- Droit international privé, Domat - Montchrestien, 11ème éd., 2014
NIBOYET M.-L. et GEOUFFRE DE LA PRADELLE G.
- Droit international privé, LGDJ, 6ème éd., 2017
NIBOYET J.-P.
- Droit international privé français, Tome III, Sirey, 1944
- Droit international privé français, Tome I, Sirey, 2ème éd.,1947
- Droit international privé français, Tome IV, Sirey, 2ème éd.,1947
PILLET A.
- Principes de droit international privé, Pedone - Alliers Frères, 1903

850
PILLET A. et NIBOYET J.-P.
- Manuel de droit international privé, Recueil Sirey, 2ème fasc., 1924
QUADRI R.
- Lezioni di Diritto internazionale privato, 3ème éd., Naples, 1961
RIGAUD L.
- Cours de droit international privé, Domat - Montchrestien, 2ème éd., 1943
ROBERT J. et DUFFAR J.
- Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Domat - Montchrestien, 8ème éd., 2009
SAURON J.-L.
- Procédures devant les juridictions de l’Union européenne et devant la CEDH,
Gualino, 4ème éd., 2016
SAVATIER R.
- Cours de droit international privé, LGDJ, 2ème éd., 1953
VALERY J.
- Manuel de droit international privé, Fontemoing et Cie, 1914
VIGNAL T.
- Droit international privé, Sirey, 4ème éd., 2017
WEISS A.
- Manuel de droit international privé, Recueil Sirey, 1920

OUVRAGES SPECIAUX, THESES, MEMOIRES, MONOGRAPHIES, COURS ET TRAVAUX


COLLECTIFS
ABI-SAAB G.
- « Cours général de droit international public », RCADI, 1987, vol. n°207
AGO R.
- « Règles générales des conflits de lois », RCADI, 1936, vol. n°58
ANCEL B.
- Les conflits de qualifications à l’épreuve de la donation entre époux, Thèse, Paris 2,
1974, Dalloz, 1977
- Éléments d’histoire du droit international privé, Éd. Panthéon-Assas, 2017, p. 329
AUDIT B.
- La fraude à la loi, Thèse, Paris 2, 1971, Dalloz, 1974
- « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit », RCADI, 1984, vol. n°186
- « Le droit international privé en quête d’universalité : cours général », RCADI, 2003,
vol. n°305

851
ARMINJON P.
- « L’objet et la méthode du droit international privé », RCADI, 1928, vol. n°21
BATIFFOL H.
- « Les tendances doctrinales actuelles en droit international privé », RCADI, 1948, vol.
n°72
- Les aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, 2002
BERGE J.-S., FORTEAU M., NIBOYET M.-L. et THOUVENIN J.-M.
- La fragmentation du droit applicable aux relations internationales : regards croisés
d'internationalistes privatistes et publicistes : actes de la journée d'études organisée le
16 avr. 2010 par le CEDCACE, le CEDIN et le CEJEC, Pedone, 2011, Coll. des
Cahiers internationaux
BIREAUD R.
- Contribution à l’étude de l’ordre public en droit international privé, Thèse, Aix-
Marseille, 1932, Imprimerie d’éditions Roubaud, 1932
BISMUTH R. et THOUVENIN J.-M.
- La standardisation internationale privée : aspects juridiques : (colloque, Poitiers,
vendredi 24 mai 2013), Larcier, 2014
BORRAS A.
- « Le droit communautaire et les rapports privés internationaux », RCADI, 2005, vol.
n°317
BOUREL P.
- « Du rattachement de quelques délits spéciaux en droit international privé », RCADI,
1989, vol. n°214
BRUNS V.
- « La cour permanente de justice internationale : son organisation et sa compétence »,
RCADI, 1937, vol. n°62
BUCHER A.
- La dimension sociale du droit international privé, Adi-poche, Coll. Les livres de
poche de l’académie de droit international de La Haye, 2011
- « La dimension sociale du droit international privé : Cours général », RCADI, 2010,
n°341
CADET F.
- Les transformations méthodologiques de l’ordre public en droit international de la
famille : étude comparée France/Espagne, Thèse, Toulouse 1, 2001, Lille : ANRT,
2003

852
CAVERS D. F.
- « Comtempary conflicts law in American perspective », RCADI, 1970, vol. n°131
COUJOU J.-P.
- Principes du droit naturel, Dalloz, 2007
DELAUME G.-R.
- Les conflits de lois à la veille du Code civil, Thèse, Paris, 1946, Sirey, 1947
DIENA G.
- « La conception du Droit international privé d’après la doctrine et la pratique en Italie
», RCADI, 1927, vol. n°17
DONNEDIEU DE VABRES H.
- L’évolution de la jurisprudence française en matière de conflit des lois, Thèse, Paris,
1905, Ed. A. Rousseau, 1905
FAVOREU L.
- Objet et portée de la protection des droits fondamentaux - débats, Economica, PU
Aix-Marseille, 1982
FOHRER E.
- L’incidence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’ordre public
international français, Mémoire, Paris 2, Bruylant, 1999
FRANCESCAKIS Ph.
- La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, Thèse,
Paris, 1957, Sirey, 1958
FRANKENSTEIN E.
- « Tendances nouvelles du droit international privé », RCADI, 1930, vol. n°33
FAUVARQUE-COSSON B.
- Libre disponibilité des droits et conflits de lois, Thèse, Paris 2, 1994, LGDJ, 1996
GANNAGE L.
- La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé : étude de droit
international privé de la famille, Thèse, Paris 2, 1998, LGDJ, 2001
GAVALDA C.
- Les conflits dans le temps en droit international privé, Thèse, Paris, 1954 Sirey, 1955
GAUDEMET-TALLON H.
- « Le pluralisme en droit international privé : richesses et faiblesses (le funambule et
l’arc-en-ciel) », RCADI, 2005, vol. n°312
GRIFFIN-COLLART E.
- L’égalité, vol. n° II : « égalité et justice dans l’utilitarisme », Bruylant, 1974

853
GRIMALDI J.-D.
- Délimitation juridique de la communauté internationale contemporaine, Thèse, Paris,
1943, Dalloz, 1943
GUTZWILLER M.
- « Le développement historique du droit international privé », RCADI, 1929, vol. n°29
HABERMAS J.
- Droit et démocratie : entre faits et normes, Gallimard, 1997
HALPÉRIN J.-L.
- Entre nationalisme juridique et communauté de droit, PUF, 1999
HAMMJE P.
- La contribution des principes généraux du droit à la formation du droit international
privé, Thèse, Paris 1, 1994, Lille : ANRT, 1995
HAURIOU M.
- La science sociale traditionnelle, Librairie de la société du recueil général des lois et
des arrêts, Paris, 1896
HERE F. (d’)
- Des problèmes posés par la qualification des rapports juridiques en droit
international privé, Thèse, Aix-Marseille, 1938, Domat-Montchrestien, 1938
HUNTER-HENIN M.
- Pour une redéfinition du statut personnel, Thèse, Paris 1, 2001, PU Aix-Marseille,
2004
JAYME E.
- « Les sources du droit international privé », RCADI, 1995, vol. n°251
- « Identité culturelle et intégration : le droit international privé postmoderne », RCADI,
1995, vol. n°251
JORGE M.
- Les rattachements alternatifs en droit international privé, Thèse, Paris 1, 1988, Lille :
ANRT, 1989
JOUBERT N.
- La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique, Thèse, Paris 1, 2002, LexisNexis,
2008
KANT E.
- Qu’est-ce que les Lumières ? traduit par J.-F. Poirier et F. Proust, réimpression,
Flammarion, 2006
KEGEL G.
- « Gouvernemental Interests : Brained Currie », RCADI, 1964, vol. n°112

854
KINSCH P.
- « Droits de l’Homme, droits fondamentaux et droit international privé », RCADI,
2005, vol. n°318
KOHLER C.
- « L’autonomie de la volonté en droit international privé : un principe universel entre
libéralisme et étatisme », RCADI, 2013, vol. n°359
LAGARDE P.
- Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Thèse, Paris, 1957, LGDJ,
1959
- « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain : cours
général de droit international privé », RCADI, 1986, vol. n°196
- « La méthode de la reconnaissance est-elle l’avenir du droit international privé ? »,
RCADI, 2014, vol. n°371
LAGRANGE E.
- « L’efficacité des normes internationales concernant la situation des personnes privées
dans les ordres juridiques internes », RCADI, 2012, vol. n°356
LALIVE P.
- « Tendances et méthodes en droit international privé : cours général », RCADI, 1977,
vol. n°155
LECUYER S.
- Appréciation critique du droit international privé conventionnel : pour une autre
approche de l’harmonisation des relations privées internationales, Thèse, Paris 10,
2006, LGDJ, 2007
LEROUX P.
- De l’égalité, Boussac : imprimerie de Pierre Leroux, 1848
LEQUETTE Y.
- « Les mutations du droit international privé : vers un changement de paradigme ?
Cours général de droit international privé », RCADI, 2018, vol. n°387
LEVEL P.
- Essai de systématisation du conflit de lois dans le temps, Thèse, Paris, 1957, LGDJ,
1959
LEWALD H.
- « Le contrôle des Cours suprêmes sur l’application des lois étrangères », RCADI,
1936, vol. n°57
MARCHADIER F.
- Les objectifs généraux du droit international privé à l’épreuve de la Convention
européenne des droits de l’Homme, Thèse, Limoges, 2005, Bruylant, 2007

855
MAURY J.
- « Règles générales des conflits de lois », RCADI, 1936, vol. n°57
- L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et la fraude
à la loi, Universidad de Valladolid, 1952
MAZIERE P.
- Le principe d’égalité en droit privé, Thèse, Paris 2, 1997, PU Aix-Marseille, 2003
MELIN F.
- La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, Thèse, Reims, 2002, PU
Aix-Marseille, 2002
MELIN-SOUCRAMANIEN F.
- Le principe d’égalité dans la jurisprudence du conseil constitutionnel, Economica,
1ère éd., 1997
MOLDOVAN M. C.
- L’ordre public en droit international privé, Thèse, Paris, 1933, Librairie de
jurisprudence ancienne et moderne, 1932
MONTESQUIEU
- De l’esprit des lois, Tome I, Ed. de Robert Derathé, Classiques Garnier, Bibliothèque
du XVIIIème siècle, Paris, 2011
MUIR-WATT H.
- La fonction de la règle de conflit de lois, Thèse, Paris 2, 1985, Lille : ANRT, 1986
- « Aspects économiques du droit international privé : (réflexions sur l’impact de la
globalisation économiques sur les fondements des conflits de lois et de juridictions) »,
RCADI, 2004, vol. n°307
- « Discours sur les méthodes du droit international privé », RCADI, 2018, vol. n°389
OPPETIT B.
- « Le droit international privé, droit savant », RCADI, 2008, vol. n°234
PAOLO ROMANO G.
- Le dilemme du renvoi en droit international privé, Thèse d’habilitation, Saint-Gall,
2014, LGDJ, 2014, 1ère éd.
PAPAUX A.
- Essai philosophique sur la qualification juridique : de la subsomption à l’abduction,
Thèse, Lausanne, 2002, LGDJ, 2003
PATOCCHI P. M.
- Règles de rattachement localisatrices et règles de rattachement à caractère
substantiel, Thèse, Genève, 1985, Georg & Cie, 1985
PELLET A.
- Le droit international entre souveraineté et communauté, Pedone, 2014
856
PEREZNIETO CASTRO L.
- « Le concept de territorialisme dans le droit », RCADI, 1985, vol. n°190
PICONE P.
- « La méthode de la référence à l’ordre juridique compétent en droit international privé
», RCADI, 1986, vol. n°197
- « Les méthodes de coordination entre ordres juridiques en droit international privé :
cours général de droit international privé », RCADI, 1999, vol. n°276
PILLET A.
- L’ordre public en droit international privé, F. Allier père et fils et L. Larose et Forcel,
1890
- « La théorie générale des droits acquis », RCADI, 1925, vol. n° 8
PITTON M.-C.
- Le rôle du jugement étranger dans l’interprétation du droit conventionnel uniforme,
Thèse, Paris 1, 2007, The Hague : Eleven international publishing, 2014
POLITIS N.
- La justice internationale : une introduction historique, Ed. Panthéon-Assas, 2017
POMMIER J.-C.
- Principe d’autonomie et loi du contrat en droit international privé conventionnel,
Thèse, Paris 2, 1990, Economica, 1992
QUADRI R.
- Cours général de droit international public, T. 113, Académie de droit international,
Recueil des cours, 1964, pp. 239-483
RAAPE L.
- « Les rapports juridiques entre parents et enfants comme point de départ d’une
explication pratique d’anciens et de nouveaux problèmes du droit international privé »,
RCADI, 1934, vol. n°50
RASS-MASSON L.
- Les fondements du droit international privé européen de la famille, Thèse, Paris,
Panthéon-Assas, 2015
REMY B.
- Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé,
Thèse, Paris 1, 2006, Dalloz, 2008
RIDEAU J.
- « Le rôle de l’Union européenne en matière de protection des droits de l’Homme »,
RCADI, 1997, vol. n°265

857
RIGAUX F.
- « Le conflit mobile en droit international privé », RCADI, 1966, vol. n° 117
- « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale : Cours
général de droit international privé », RCADI, 1989, vol. n° 213
ROBIN-OLIVIER S.
- Le principe d’égalité en droit communautaire, Thèse, Aix-Marseille, 1999, PU Aix-
Marseille, 1999
ROUBIER P.
- Le droit transitoire : conflits de lois dans le temps, Dalloz et Sirey, 2ème éd., 1960
ROUSSEAU J.-J.
- Du contrat social, Flammarion, Paris, 2001
SAVIGNY F. C.
- Traité de droit romain, réimpression de la 2e éd. de Paris : Librairie de Firmin Didot
Frères, fils et Cie, 1860, et traduit par CH. Guenoux, LGDJ, 2002
SCELLE G.
- « Règles générales du droit de la paix », RCADI, 1933, vol. n°46
SINDRES D.
- La distinction des ordres et des systèmes juridiques dans les conflits de lois, Thèse,
Paris 1, 2007, LGDJ, 2008
SOULEAU-BERTRAND M.
- Le conflit mobile, Thèse, Paris 1, 2003, Dalloz, 2005
TOCQUEVILLE A.
- Le despotisme démocratique, L’Herne, 2009
UBERTAZZI G. M.
- « Règles de non-discrimination et droit international privé », RCADI, 1977, vol. n°157
VAREILLES-SOMMIERES P. (de)
- « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi
étrangère », RCADI, 2014, vol. n°371
VON BAR L.
- Annuaire de l’institut de droit international, éd. Abrégée, 1900, T. IV
VITTA E.
- « Cours général de droit international privé », RCADI, 1979, vol. n°162
VEIL S.
- Une vie, éd. Stock, 2007

858
YASSEEN M. K.
- « L’office du juge dans l’application du droit étranger et la preuve de ce droit »,
RCADI, 1962, vol. n°109

ARTICLES, CHRONIQUES, RAPPORTS, FORUMS ET COMMUNICATIONS


AGOSTINI E.
- « Le mécanisme du renvoi », RCDIP 2013, p. 545
ANCEL B.
- « Qualification », RDI 1998, § 41
- « Conflits de lois dans le temps », Rép. intern. Dalloz, déc. 2000
- « S'agissant de droits disponibles, le juge n'est tenu d'appliquer le droit étranger que
s'il est expressément invoqué », RCDIP 2003, p. 462
- « Le conflit mobile par M. Souleau-Bertrand », RCDIP 2006, p. 452
- « Limitation de la mise en œuvre du renvoi en matière de succession internationale »,
RCDIP 2009, p. 512
ANCEL B. et MUIR-WATT H.
- « Application de la règle de conflit en cas d’équivalence des lois applicables et
appliquées », RCDIP 1998, p. 698
- « Du statut prohibitif (droit savant et tendances régressives), in Études à la mémoire
du Professeur Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 7

ANCEL J.-P.
- « L’invocation d’un droit étranger et le contrôle de la Cour de cassation », in Vers de
nouveaux équilibres entre ordres juridiques : liber amicorum Hélène Gaudemet-
Tallon, Dalloz, 2008, p. 7
ANCEL M.
- « La doctrine universaliste dans l’œuvre de Lévy-Ullmann », in L’œuvre juridique de
Lévy-Ullmann, Centre français de droit comparé, sous la direction de L. Julliot de la
Morandière et M. Ancel, Les éditions de l’épargne, 1955, p. 181 et s.
ANGULO RODRIGUEZ M.
- « Du moment auquel il faut se placer pour apprécier l’ordre public international »,
RCDIP 1972, p. 370
AUDIT B.
- « Fraude à la loi », J.-Cl. Droit international, 20 déc. 2006, Fasc. 535
AUDIT M.
- « L’interprétation autonome du droit international communautaire », chron., JDI n°3,
juill. 2004

859
AVOUT L. (d’) et BOLLEE S.
- « L’abandon du contrôle de la loi appliquée par les jugements étrangers », Dalloz
2007, p. 1115
AZZI T.
- « Bruxelles I, Rome I, Rome II : regard sur la qualification en droit international privé
communautaire », Dalloz 2009, p. 1621
BACHELLIER M.-N.
- « De la distinction nécessaire entre l’accord procédural interne et l’accord procédural
international, en présence même d’éléments d’extranéité », Gaz. Pal., 13 déc. 2001,
n°347, p. 13
BALLARINO T. et PAOLO ROMANO G.
- « Le principe de proximité chez Paul Lagarde », in Le droit international privé : esprit
et méthodes : Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005
BARTIN E.
- « De l’impossibilité d’arriver à la suppression définitive des conflits de lois », JDI
1897, p. 225
BATIFFOL H., OURLIAC P. et TIMBAL P.-C.
- « Histoire du droit et droit comparé dans l’enseignement des Facultés de droit »,
Dalloz, chron. XXXVI, p. 205
BAUER H.
- « Les traités et les règles de droit international privé matériel », RCDIP 1966, p. 537
BELLOUBET N.
- « Le principe d’égalité », AJDA 1998, p. 152
BERGE J.-S.
- « L’internationalisation croissante des litiges : les réponses apportées en matière de
presse et de droit d’auteur par la proposition de règlement communautaire « Rome II »
», Legicom, Cairn.info, 2004/1, n°30
- « Le droit international privé à l’épreuve du fédéralisme européen », JDI n°4, oct.
2011, biblio. 18, spéc. p. 2
- « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application
du droit à différents niveaux », JDI n°1, janv. 2013, doctr. 1
BERGE J.-S. et TOUZE S.
- « Au-delà du droit européen, le droit international (public et privé) », JDI n°3, juill.
2014, chron. 5
BODEN D.
- « S. Francq, L’applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du
droit international privé », RCDIP 2006, p. 264

860
BONNICHON A.
- « La notion de conflit de souverainetés dans la science des conflits de lois », RCDIP
1949, p. 615
BORE J. et BORE L.
- « Pourvoi en cassation », Rép. proc. civ. Dalloz, déc. 2015
BOURDELOIS B.
- « Mariage », Rép. intern. Dalloz, sept. 2011
BRIERE C.
- « Le droit international privé européen des contrats et la coordination des sources »,
JDI n°3, juill. 2009, doctr. 6
BUREAU D.
- « L’accord procédural à l’épreuve », RCDIP 1996, p. 587
- « De la loi applicable aux délits complexes, notamment les naufrages », RCDIP 2007,
p. 405
BUREAU D. et MOLFESSIS N.
- « L’asphyxie doctrinale », in Études à la mémoire du Professeur Bruno Oppétit, Litec,
2009, p. 45
CHOPIN I.
- « Le traité d’Amsterdam : enjeux et défis en matière d’égalité de traitement »,
Cultures et Conflits, n° 45, printemps 2002
CIGOJ S.
- « Les droits acquis, les conflits mobiles et la rétroactivité à la lumière des Conventions
de La Haye », RCDIP 1978, p. 1
CLAVEL S.
- « La place de la fraude en droit international privé contemporain », TCFDIP 2010-
2012, p. 255
CONSEIL D’ETAT
- Extrait du rapport public 1996 - Sur le principe d’égalité, La Documentation
française, Paris, 1998
CORNELOUP S.
- « L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois », JDI n°1, janv. 2012,
biblio. 4
CORNU M.
- « Approches juridiques de la diversité culturelle », JDI n°2, avr. 2015, biblio. 8, spéc.
p. 5

861
COURBE P.
- « Retour sur le renvoi », in Le monde du droit : écrit rédigés en l’honneur de Jacques
Foyer, Economica, 2008, p. 241 et s.
DELAPORTE-CARRE C.
- « Le juge et la preuve du contenu de la loi étrangère », D. actualité, 5 janv. 2007
DERRUPPE J.
- « Etude théorique du renvoi », J.-Cl. Droit international, 1993, Fasc. 532-1
- « Le renvoi dans les conventions internationales », J.-Cl. Droit international, 1993,
Fasc. 532-3
DERRUPPE J. et AGOSTINI E.
- « Le renvoi dans la jurisprudence française », J.-Cl. Droit international, 1994, Fasc.
532-2
DUPUY R.-J.
- « Communauté internationale », Rép. intern. Dalloz, 1998
DUTOIT B. et MAJOROS F.
- « Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs solutions possibles »,
RCDIP 1984, p. 565
EGEA V.
- « Dénaturation de la loi étrangère en matière de paternité naturelle », D. actualité, 3
nov. 2008
FADLALLAH I.
- « Polygamie », Rép. intern. Dalloz, mars 2013
FALLON M.
- « Libertés communautaires et règles de conflit de lois », in Les conflits de lois et le
système juridique communautaire, sous la direction de H. Muir-Watt, A. Fuchs et E.
Pataut, Dalloz, 2004, coll. Thèmes et commentaires, p. 31
FARGE M.
- « Internationalisation et européanisation des sources du droit international privé de la
famille », in Le droit international privé de la famille, sous la dir. de P. Murat, Dalloz
action Droit de la famille, 2016/2017, 7ème éd.
- « Détermination du droit applicable », in Le droit international privé de la famille,
sous la dir. de P. Murat, Dalloz action Droit de la famille, 2016/2017, 7ème éd.
- « Consécration d’un ordre public européen de proximité et répudiation musulmane »,
Revue Droit de la famille n°11, nov. 2018, comm. 270
FAUVARQUE-COSSON B.
- « Droit comparé et droit international privé : la confrontation de deux logiques à
travers l’exemple des droits fondamentaux », RIDC 2000, p. 797

862
FIALAIRE J.
- « Compétences des collectivités territoriales : cultes », Rép. immob. Dalloz, 2017-2
FREYRIA C.
- « Les conflits de coutume en matière de successions dans le droit coutumier urbain des
Flandres sous l’Ancien régime », RCDIP 1947, p. 249
FOHRER-DEDEURWAEDER E.
- « Qualification en droit international privé », J.-Cl. Droit international, 17 août 2015,
Fasc. 531
FORTEAU M.
- « L’ordre public « transnational » ou « réellement international » : L’ordre public
international face à l’enchevêtrement croissant du droit international privé et du droit
international public », JDI n°1, janv. 2011, doctr. 1
FOYER J.
- « Requiem pour le renvoi ? », TCFDIP 1980-1981, p. 1077
- « Filiation », Rép. intern. Dalloz, juill. 2015
FOYER J. et COURBE P.
- « Conflits transitoires internationaux », J.-Cl. Droit international, 7 nov. 2014, Fasc.
533-1
- « Conflits mobiles », J.-Cl. Droit international, 19 fév. 2015, Fasc. 533-2
FRANCESCAKIS Ph.
- « Droit naturel et droit international privé », in Mélanges offerts à Jacques Maury,
Tome I, Dalloz et Sirey, 1960
- « Quelques précisions sur les « lois d’application immédiate » et leurs rapports avec
les règles de conflits de lois », RCDIP 1966, p. 1
- « Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ? », TCFDIP 1966-1969, p. 157
- « Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce international »,
RCDIP 1975, p. 564
- « Une lecture demeurée fondamentale : les « Règles générales des conflits de lois » de
Jacques Maury », RCDIP 1982, p. 4
FRIGNATI A. et MUIR-WATT H.
- « Loi étrangère : autorité de la règle de conflit de lois », Rép. intern. Dalloz, avr. 2017
FULCHIRON H.
- « Le contrôle de proportionnalité : questions de méthode », Dalloz 2017, p. 656
- « Le contrôle de proportionnalité au service du principe de subsidiarité », Dalloz 2018,
p. 649
GANNAGE L.
- « Le droit international privé à l’épreuve de la hiérarchie des normes (l’exemple du
droit de la famille) », RCDIP 2001, p. 1

863
GAUDEMET E.
- « La théorie des conflits de lois dans l’œuvre d’Antoine Pillet et la doctrine de
Savigny », in Mélanges Antoine Pillet, Reproduction de diverses études et notes de
jurisprudence, Sirey, 1929, p. 89 et s.
-
GAUDEMET-TALLON H.
- « Compétence civile et commerciale », Rép. intern. Dalloz, 1998, p. 3
- « La compétence judiciaire internationale directe à l’aube du XXIème siècle, quelques
tendances », « Clés pour siècles », Dalloz 2000, p. 126
- « De nouvelles fonctions pour l’équivalence en droit international privé ? », in Le droit
international privé : esprit et méthodes : Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde,
Dalloz, 2005, p. 303 et s.
- « De la conformité des dommages-intérêts punitifs à l’ordre public », RCDIP 2011, p.
93
GAUDEMET-TALLON H et JAULT-SESEKE F.
- « Droit international privé », Dalloz 2015, p. 1056
GENEVOIS B. et GUYOMAR M.
- « Principes généraux du droit : principes de philosophie politique », Rép. cont. adm.
Dalloz, oct. 2018
GERKRATH J.
- « Egalité de traitement », Rép. eur. Dalloz, déc. 2002
GODECHOT-PATRIS S.
- « Retour sur la notion d’équivalence au service de la coordination des systèmes »,
RCDIP 2010, p. 271
GOLDSCHMIDT W.
- « Jacques Maury et les aspects philosophiques du droit international privé », in
Mélanges offerts à Jacques Maury, Tome I, Dalloz et Sirey, 1960, p. 153 et s.
GOTHOT P.
- « Le renouveau de la tendance unilatéraliste en droit international privé », RCDIP
1971, p. 209 et s.
- « Simples réflexions à propos de la saga du conflit de lois », in Le droit international
privé : esprit et méthodes : Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005
GOTHOT P. et LAGARDE P.
- « Conflits de lois : principes généraux », Rép. intern. Dalloz, janv. 2006
GRAVESON R. H.
- « Aspects philosophiques du droit international privé anglais », RCDIP 1962, p. 397

864
GUILLAUME J.
- « Ordre public international - Intervention de l’ordre public international », J.-Cl.
Civil, 30 mai 2018, Fasc. 42
HAMMJE P.
- « Droits fondamentaux et ordre public », RCDIP 1997, p. 2
- « L’accord procédural des époux sur la compensation du divorce », RCDIP 2010, p.
344
HERON J.
- « L’application dans le temps des règles de conflit », RCDIP 1987, p. 305
HOLLEAUX D.
- Intervention in « La condition de la loi étrangère en droit français » de J. Maury,
TCFDIP, 1948-1952, p. 123-124
HUET A.
- « Effets en France des jugements étrangers subordonnés à leur régularité internationale
», J.-Cl. Droit international, 14 nov. 2015, Fasc. 584-40
HUNTER-HENIN M.
- « Droit des personnes et droits de l’Homme : combinaison ou confrontation ? »,
RCDIP 2006, p. 743
JACQUET J.-M.
- « Contrats », Rép. intern. Dalloz, déc. 1998
- « L’affaiblissement du rôle de l’Etat-nation et le droit international privé », JDI n°1,
janv. 2013, biblio. 2
JAULT-SESEKE F.
- « L’office du juge dans l’application de la règle de conflit de lois en matière de contrat
de travail », RCDIP 2005, p. 253
JESSURUN D’OLIVEIRA H. U.
- « Universalisme ou régionalisme de la Conférence de La Haye », RCDIP 1966, p. 347
KADNER GRAZIANO T.
- « Le nouveau droit international privé communautaire en matière de responsabilité
contractuelle », RCDIP 2008, p. 445
KESSLER G.
- « La consolidation de situations illicites dans l’intérêt de l’enfant », Revue Droit de la
famille, n°7/8, juill. 2005, étude 16
- « Premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’Homme, premiers
dilemmes pour les autorités françaises (à propos de la gestation pour autrui) – Cour
européenne des droits de l’Homme 10 avr. 2019 », AJ fam. 2019, p. 289

865
KINSCH P.
- « Principe d’égalité et conflits de lois », TCFDIP 2002-2004, p. 117 à 144
- « L’apport de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’hommes », in La
reconnaissance des situations en droit international privé, Actes du colloque
international de La Haye du 18 janv. 2013 sous la dir. de P. Lagarde, Ed. A. Pedone,
2013, p. 43
LA PRADELLE G.
- « La fraude à la loi », TCFDIP 1971-1973, p.117-145
LAGARDE P.
- « Le droit transitoire des règles de conflit après les réformes récentes du droit de la
famille », TCFDIP 1977-1980, p. 89-112
- « La nouvelle Convention de La Haye sur la loi applicable aux successions », RCDIP
1989, p. 249
- « Ordre public », Rép. intern. Dalloz, déc. 1998
- « La loi française sur la vente des navires francisés est une loi de police », RCDIP
2005, p. 55
- « Le juge doit appliquer d’office la convention de Rome du 11 juin 1980 », RCDIP
2005, p. 465
LAMARCHE M.
- « Ordre public et droit des personnes et de la famille demeurent consubstantiels »,
Revue Droit de la famille, n°7-8, juill. 2014, alerte 29
LASSERRE B.
- « L’européanisation de l’office du juge : vers un jus commune procédural ? », Rev. UE
2019, p. 204
LE FLOCH G.
- « Repenser les rapports entre les ordres juridiques », JDI n°1, janv. 2014, biblio. 2
LEBRETON S.
- « Réflexions sur la sanction des mariages célébrés en fraude à la loi, à partir de la
critique de l’article 190-1 du Code civil », JCP N., n°24, 18 juin 1999, p. 967
LEFRANC D.
- « La spécificité des règles de conflit de lois en droit communautaire dérivé », RCDIP
2005, p. 413
LEGIER G.
- « La Cour de cassation ne contrôle pas l’application de la loi étrangère par les juges du
fond », RCDIP 1994, p. 506
LEHMANN M.
- « Proposition d’une règle spéciale dans le Règlement Romme II pour les délits
financiers », RCDIP 2012, p. 485

866
LEQUETTE Y.
- « L’abandon de la jurisprudence Bisbal (à propos des arrêts de la Première Ch. civile
des 11 et 18 oct. 1988) », RCDIP 1989, p. 279
- « Le renvoi de qualifications », in Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec,
1990
- « Le droit international privé et les droits fondamentaux », Dalloz 1997, p. 75
- « Renvoi », Rép. intern. Dalloz, 1998
LORENZINI L.
- « Gestation pour autrui : entre ordre public et intérêt supérieur de l’enfant », JDI n°3,
juill. 2017, doctr. 10
LOUIS-LUCAS P.
- « Remarques sur l’ordre public », RCDIP 1933, p. 393
- « Le problème de la loi applicable à l’état et à la capacité des personnes », TCFDIP
1946-1948, p. 96
- « Le renvoi dans le projet de la commission de réforme du Code civil », TCFDIP,
1948-1952, p. 33 et s.
- « Territorialisme et personnalisme dans l’œuvre de Niboyet », TCFDIP 1951-1954, p.
14
- « Droit international privé français », J.-Cl. Droit international, 1959, Fasc. 530 A et
B
- « La fraude à la loi étrangère », RCDIP 1962, p. 1
LOUSSOUARN Y.
- « Le contrôle de l’application de la loi étrangère par la Cour de cassation », TCFDIP,
1962-1964, p. 146
- « Le rôle de la méthode comparative en droit international privé français », RCDIP
1979, p. 307
- « La règle de conflit est-elle une règle neutre ? », TCFDIP 1980-1981, p. 47
- « L’évolution de la règle de conflit de lois », TCFDIP, H.-S., 1988, p. 90
MAHINGA J.-G.
- « L’office du juge français et la règle de conflit », P. A., 16 mai 2008, n°99, p. 16
MALAURIE Ph.
- « L’équivalence en droit international privé », Dalloz 1962, 36ème cahier, chron., p.
37 et s.
- « Loi uniforme et conflits de lois », TCFDIP 1964-1966, p. 83 à 109
- « La législation de droit international privé en matière de statut personnel », TCFDIP
1975-1977, p. 187
MANCINI
- « De l’utilité de rendre obligatoires les règles générales du droit international privé »,
JDI 1874, p. 228

867
MANN F. A.
- « The proper law in the conflict of laws », uniset.ca, 1987
MARIDAKIS G. S.
- « Réflexions sur la question de la fraude à la loi d’après le droit international privé »,
in Mélanges offerts à Jacques Maury, Tome I, Dalloz et Sirey, 1960, spéc. n°VII
MARS A.
- « Obligations alimentaires : la CJUE privilégie la justice conflictuelle au détriment de
la justice matérielle », RTD eur. 2018, p. 783
MAURY J.
- « La condition de la loi étrangère en droit français », TCFDIP, 1948-1952, p. 135
- « L’ordre public en droit international privé français et en droit international privé
allemand », RCDIP 1954, p. 7
MAYER P.
- « L’office du juge dans le règlement des conflits de lois », TCFDIP, 1975-1977, p.
234 et s.
- « Les lois de police », TCFDIP, H.-S., 1988, p. 108
- « La Convention européenne des droits de l’Homme et l’application des normes
étrangères », RCDIP 1991, p. 651
- « Lois de police », Rép. intern. Dalloz, 1998
- « Introduction au thème de la reconnaissance des situations : rappel des points les plus
discutés », in La reconnaissance des situations en droit international privé, Actes du
colloque international de La Haye du 18 janv. 2013 sous la dir. de P. Lagarde, Ed. A.
Pedone, 2013, p. 19
MELIN F.
- « Loi étrangère », JDI n° 2, avr. 2004
MENJUCQ M.
- « Dénaturation de la loi étrangère : un nouveau fondement », BJS, déc. 1997, n° 12, p.
1062
- « Dénaturation de la loi étrangère : un nouveau fondement », Dalloz 1998, p. 104
MERIGGI L.
- « Les qualifications en droit international privé », RCDIP 1933, p. 201
MESTRE J.
- « Le mariage en France des étrangers de statut confessionnel », RCDIP 1977, p. 683
MOTULSKY H.
- « L’office du juge et la loi étrangère », in Mélanges offerts à Jacques Maury, Tome I,
Dalloz et Sirey, 1960, p. 337 et s.
- « La condition de la loi étrangère en France », in Mélanges offerts à René Savatier,
Dalloz, 1965

868
MOUIAL-BASSILANA E.
- « Contrôle de la motivation des juges du fond dans l’application de la loi étrangère »,
LEDED, sept. 2010, n°8, p. 6
MUIR-WATT H.
- « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits acquis », RCDIP
1986, p. 425
- « Contrôle par le juge de cassation de la dénaturation de la loi étrangère », RCDIP
1998, p. 292
- « De la nature, disponible ou non, des droits litigieux comme paramètre exclusif de
l’office du juge dans l’application de la loi étrangère », RCDIP 1999, p. 707
- « Fonction subversive du droit comparé », RIDC 2000, p. 503
- « En présence de deux droits équivalents sur le point en litige, il ne peut être fait grief
au juge de ne pas choisir la loi applicable », RCDIP 2001, p. 513
- « Des devoirs du juge dans l’application de la loi étrangère », RCDIP 2003, p. 87
- « A défaut de preuve de la loi étrangère, la loi française s’applique à titre subsidiaire »,
RCDIP 2007, p. 575
- « Loi étrangère », Rép. intern. Dalloz, 2009
NAVARRO A.
- « Droit international public et droit international privé », in Mélanges offerts à
Jacques Maury, Tome I, Dalloz et Sirey, 1960
NI GHAIRBHIA N.
- Rappel interprétation souveraine par les juges du fond de la loi étrangère applicable à
la filiation, Gaz. Pal., 4 avr. 2017, p. 58
OPPETIT B.
- « Le développement des règles matérielles », TCFDIP, H.-S., 1988, p. 130
- « Droit commun et droit européen », in L’internationalisation du droit : mélanges en
l’honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 311 et s.
PAOLO ROMANO G.
- « La bilatéralité éclipsée par l’autorité », RCDIP 2006, p. 457
PETIT Y.
- « Agriculture », Rép. eur. Dalloz, déc. 2002
PICARD E.
- « Droit international : rapports avec le droit interne », Rép. cont. adm. Dalloz, 2008
POILLOT-PERUZZETTO S.
- « Ordre public et droit communautaire », Dalloz 1993, p. 179
- « Ordre public et lois de police dans l’ordre communautaire », TCFDIP 2002-2004, p.
70

869
PONSARD A.
- « L’office du juge et l’application du droit étranger », RCDIP 1990, p. 611
POTOCKI A.
- « Définition de la loi de police en matière de transport », RCDIP 2010, p. 720
RABEL E.
- « Le problème de qualification », RCDIP 1933, p. 1
RABOURDIN P. et MUIR-WATT H.
- « Loi étrangère : établissement du contenu de la loi étrangère », Rép. intern. Dalloz,
avr. 2017
RADICATI DI BROZOLO L. G.
- « L’influence sur les conflits de lois des principes de droit communautaire en matière
de liberté de circulation », RCDIP 1993, p. 401
REIGNE P.
- « L’assistance médicale à la procréation, l’adoption et la fraude à la loi », Revue Droit
de la famille, n°7-8, juill. 2014, comm. 113
RIGAUX F.
- « Le droit international privé face au droit international », RCDIP 1976, p. 262
- « La méthode des conflits de lois dans les codifications et projets de codification de la
dernière décennie », RCDIP 1985, p. 3
ROUCHAUD-JOËT A.-M.
- « La compétence externe de la Communauté européenne en droit international privé »,
RCDIP 2004, p. 2
ROUVIERE P.
- « Le contrôle de proportionnalité dans la balance du juge », RTD civ. 2017, p. 524
SAVATIER R.
- « Les aspects de droit international privé de la Communauté économique européenne
», TCFDIP 1960-1962, p. 18
SIMON-DEPITRE M.
- « La méthode universaliste en Droit international privé d’après Lévy-Ullmann, in
L’œuvre juridique de Lévy-Ullmann, Centre français de droit comparé, sous la
direction de L. Julliot de la Morandière et M. Ancel, Les éditions de l’épargne, 1955,
p. 198 et s.
SINDRES D.
- « Vers la disparition de l’ordre public de proximité ? », JDI n°3, juill. 2012, doctr. 10

870
SPERDUTI G.
- « Les lois d’application nécessaire en tant que lois d’ordre public », RCDIP 1977, p.
258
SUDRE F.
- « GPA : bis repetita », JCP N. n°37, 16 sept. 2016
THAILAND FORUM LAW
- Choice of law in contract and Thaï private International law : a comparative study,
Law Journal of Thailand Bar Society on December, 2002
THOMAS Y.
- « Le droit d’origine à Rome : Contribution à l’étude de la citoyenneté », RCDIP 1995,
p. 253
TRAIN F.-X. et JOBARD-BACHELLIER M.-N.
- « Ordre public international - Notion d’ordre public en droit international privé », J.-
Cl. Droit international, 1992, Fasc. 534-1
TRIKI S.
- « Le principe de sécurité juridique en droit international privé de la famille », JDI n°4,
oct. 2017, doctr. 12
VAN HECKE G.
- « Universalisme et particularisme des règles de conflit au XXème siècle », in
Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, Bruylant, 1963
- « Droit public et conflit de lois », TCFDIP 1982-1984, p. 226
VAREILLES-SOMMIERES P. (de)
- « Fraude à la loi », Rép. intern. Dalloz, déc. 1998
- « Le forum shopping devant les juridictions françaises », TCFDIP 1998-2000, p. 50
- « Lois de police et politiques législatives », RCDIP 2011, p. 207
- « Jugement étranger : matières civile et commerciale », Rép. proc. civ. Dalloz, sept.
2013
VILLELA A. M.
- « L’unification du droit international privé en Amérique latine », RCDIP 1984, p. 233
VOELCKEL M.
- « Guerre », Rép. intern. Dalloz, janv. 2007, actualisé déc. 2017
WENGLER W.
- « Réflexions sur la technique des qualifications en droit international privé », RCDIP
1954, p. 661
- « Les conflits de lois et le principe d’égalité », RCDIP 1963, p. 204 et p. 503
- « L’évolution moderne du droit international privé et la prévisibilité du droit
applicable », RCDIP, 1990, p. 657

871
JURISPRUDENCES
JURISPRUDENCE FRANÇAISE :
• COURS D’APPEL :
CA Paris, 19 sept. 1995, RCDIP 1996, p. 112, note H. Muir-Watt
CA Nouméa, 25 juin 2012, n°11/579
CA de Douai, 21 mai 2015, n°14/04430
CA Aix-en-Provence, 6ème ch. C., 8 mars 2016, n°15/17016
CA de Paris, 16 janv. 2018, n°15/21703
CA de Paris, 11 sept. 2018, n°16/19913
CA Aix-en-Provence, 5 déc. 2018, n°17/12717
CA de Paris, 27 fév. 2019, n°17/17990
CA de Metz, 28 mars 2019, n°19/00138
• COUR DE CASSATION :
Cass., Civ., 14 mars 1837, Stewart, S. 1837, 1, p. 95 ; D.P. 1837, 1, p. 275 ; GAJFDIP, n°3
Cass., req., 16 déc. 1845, S. 1846, 1, p. 100
Cass. Ch. req., 15 avr. 1861, Seitz, S. 1861, 1, p. 722
Cass. Civ., 19 juill. 1875, Dalloz 1876, 1, p. 5 ; S. 1876, 1, p. 289, note Labbé
Cass., Civ., 18 mars 1878, Princesse de Bauffremont, S. 1878, 1, p. 193, note Labbé ; Dalloz
1878, 1, p. 201, concl. Charrins ; JDI 1878, p. 505 ; GAJFDIP, n°6
Cass., Civ., 24 juin 1878, Forgo, S. 1878, 1, p. 429 ; Dalloz 1879, I, p. 56 ; JDI 1879, p. 285,
et GAJFDIP, n°7
Cass., Req., 9 mars 1910, Soulié, RCDIP 1910, p. 870 ; JDI 1910, p. 888 ; D.P. 1912, I, p.
262 rapp. Denis ; S. 1913, I, p. 105, note E. A.
Cass., Civ. 1ère, 5 fév. 1929, S. 1930, 1, p. 81, note Audinet ; JDI 1929, p. 1258
Cass., Civ., 7 mars 1938, De Marchi della Costa, RCDIP 1938, p. 472, note Batiffol, et
GAJFDIP, n°16
Cass., Civ., 19 juin 1939, Labedan, D.P. 1938, 1, p. 97, note Lerebours-Pigeonnière ; S. 1940,
1, p. 49, note Niboyet ; RCDIP 1939, p. 481, note Niboyet ; GAJFDIP, n°18
Cass., Civ., 8 nov. 1943, Fayeulle, Dalloz 1944, p. 65, note Savatier ; RCDIP 1926, p. 271,
note H. Batiffol ; JCP 1944, II, p. 2522, note Lerebours-Pigeonnière
Cass., Civ., 22 mars 1944, D.C., 1944, p. 145, note Lerebours-Pigeonnière
Cass., Civ., 25 mars 1948, Lautour, RCDIP 1949, p. 89, note Batiffol ; Dalloz 1948, p. 357,
note Lerebours-Pigeonnière ; S. 1949, 1, p. 21, note Niboyet ; JCP 1948, II, p. 4532, note
Vasseur ; GAJFDIP, n°19
Cass., Civ., 22 janv. 1951, Weiller, RCDIP 1951, p. 167, note Ph. Francescakis ; JCP 1951,
II, p. 6151, note S. et T. ; Dalloz 1952, J, p. 35 ; S. 1951, 1, p. 187 ; Gaz. Pal. 1951, 1, p. 210 ;
GAJFDIP, n°24-25

872
Cass., Civ. 1ère, 17 avr. 1953, Rivière, RCDIP 1953, p. 412, note Batiffol ; JDI 1953, p. 860,
note Plaisant ; JCP 1953, II, p. 7863, note Buchet ; Rabels Zeitschrift 1955, p. 520, note
Francescakis ; GAJFDIP, n°26
Cass., Civ., 22 juin 1955, Caraslanis, RCDIP 1955, p. 723, note Batiffol ; Dalloz 1956, p. 73,
note Chavrier ; Journal des juristes hellènes 1956, p. 217, note Francescakis ; GAJFDIP, n°27
Cass. Civ. 1ère, 12 mai 1959, Bisbal, RCDIP 1960, p. 62, note H. Batiffol, JDI 1960, p. 810,
note J.-B. Sialelli ; Dalloz 1960, p. 610, note Ph. Malaurie ; JCP 1960, II, p. 11733, note H.
Motulsky ; GAJFDIP, n°32-34
Cass., Civ. 1ère, 21 nov. 1961, Montefiore, RCDIP 1962, p. 329, note P. Lagarde ; JDI 1962,
p. 686, note Goldman ; JCP 1962, II, p. 12521, note Louis-Lucas ; Dalloz 1963, p. 37, note
Ph. Francescakis, et chron. Ph. Francescakis, p. 7 ; GAJDFIP, n°36
Cass., Civ. 1ère, 19 févr. 1963, Chemouni, RCDIP 1963, p. 559, note G. H. ; JDI 1963, p.
986, note A. Ponsard, Rec. Gén. Lois 1963, p. 315, note G. Droz ; GAJFDIP, n°31
Cass. Civ. 1ère, 15 mai 1963, Patino, JCP 1963, II, p. 13365, note H. Motulsky ; JDI 1963, p.
1016, note Ph. Malaurie ; RCDIP 1964, p. 532, note P. Lagarde, GAJFDIP, n°38-38
Cass., Civ. 1ère, 7 janv. 1964, Munzer, RCDIP 1964, p. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964, p.
302, note B. Goldman ; JCP 1964, II, p. 13590, note M. Ancel ; GAJFDIP, n°41
Cass., Ch. mixte, 24 mars 1975, Jacques Vabre, n°73-13.556, Lebon, T. 917 ; Dalloz 1975, p.
496, concl. Touffait ; AJDA 1975, p. 567, note N. Boulouis ; JDI 1975, p. 802, note D. Ruzié ;
RCDIP 1976, p. 347, note J. Foyer et D. Holleaux ; Dalloz 1979, p. 620, note Castgnède
Cass., Civ. 1ère, 3 janv. 1980, Bendeddouche, RCDIP 1980, p. 331, note H. Batiffol ; JDI
1980, p. 327, note M. Simon-Depitre ; Dalloz 1980, p. 549, note E. Poisson-Drocourt ;
GAJFDIP n°61
Cass., Civ. 1ère, 1er avr. 1981, De Pedro, JDI 1981, p. 812, note D. Alexandre ; Dalloz 1982,
IR 69, obs. B. Audit ; Gaz. Pal. 1981, 2, p. 629, note Lisbonne ; Defrénois 1982, p. 248, obs.
J. Massip
Cass., Civ. 1ère, 17 nov. 1981, Dalloz 1982, p. 573, P. Guiho ; JCP 1982, II, p. 19842, note
M. Gobert
Cass., Civ., 15 juin 1982, Zagha, RCDIP 1938, p. 300, note J.-M. Bischoff ; Dalloz 1983, I, p.
322, obs. B. Audit et p. 431, note Agostini ; JDI 1983, p. 595, note Lehmann
Cass. Civ. 1ère, 8 fév. 1983, JDI 1984, p. 123, note G. Légier
Cass., Civ. 1ère, 6 fév. 1985, Simitch, n°83-11.241, RCDIP 1985, p. 369 ; JDI 1985, p. 460,
note A. Huet ; Dalloz 1985, p. 469, note J. Massip et IR 497, obs. B. Audit ; RCDIP 1985, p.
243, chron. Ph. Francescakis ; GAJFDIP, n°70
Cass., Civ. 1ère, 20 mars 1985, Caron, n°82-15.033, JCP G. n°26, 25 juin 1986, II, p. 20630,
note F. Boulanger ; RCDIP 1986, p. 66, note Y. Lequette
Cass. Civ. 1ère, 15 mars 1988, n°86-12.089, Dalloz action Droit de la famille, 2016, n°531-
81, sous la dir. De P. Murat
Cass., Civ. 1ère, 19 avr. 1988, Roho, n°85-18.715, RCDIP 1989, p. 68, note H. Batiffol ;
Dalloz 1988, somm. 345, obs. B. Audit

873
Cass., Civ. 1ère, 6 juill. 1988, RCDIP 1989, p. 71, note Y. Lequette
Cass. Civ. 1ère, 11 oct. 1988, Rebouh, RCDIP 1989, p. 368 et chron. Y. Lequette, p. 277 ; JDI
1989, p. 349, note D. Alexandre et chron. D. Bureau, 1990, p. 317 ; Rép. Defrénois 1989, p.
310, obs. J. Massip ; et GAJFDIP n°74-78
Cass. Civ. 1ère, 18 oct. 1988, Schule, RCDIP 1989, p. 368 et chron. Y. Lequette, p. 277 ; JDI
1989, p. 349, note D. Alexandre et chron. D. Bureau, 1990, p. 317 ; JCP 1989, II, p. 21259,
note J. Prévault ; et GAJFDIP, n°74-78
Cass. Civ. 1ère, 6 juin 1990, RCDIP 1991, p. 593, note P. Courbe
Cass. Civ. 1ère, 4 déc. 1990, Coveco, RCDIP 1991, p. 558, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; JDI
1991, p. 371, note D. Bureau ; et GAJFDIP, n° 74-78
Cass., Civ. 1ère, 5 nov. 1991, Masson, RCDIP 1992, p. 314, note Muir-Watt
Cass., Com., 16 nov. 1993, Amerford, RCDIP 1994, p. 332, note P. Lagarde ; JDI 1994, p. 98,
note J.-B. Donnier ; GAJFDIP n°82-83
Cass., Crim., 11 juin 1996, Dalloz 1997, p. 576, note E. Agostini ; Dalloz 1998, somm. p.
576, obs. B. Audit
Cass., Civ. 1ère, 14 janv. 1997, Gordon, n°94-16.861, RCDIP 1997, p. 504, note J.-M.
Bischoff ; Dalloz 1997, p. 177, note M. Santa-Croce ; JCP 1997, II, p. 22903, note H. Muir
Watt
Cass., Civ. 1ère, 6 mai 1997, Hannover International, n°95-15.309, RCDIP 1997, p. 514, note
B. Fauvarque-Cosson ; JDI 1997, p. 804, note D. Bureau ; GAJFDIP, n°84
Cass., Civ. 1ère, 1er juill. 1997, Karl Ibold, n°95-15.557, RCDIP 1998, p. 60, note P. Mayer
Cass., Com., 1er juill. 1997, SA Africatours c/ Diop, n°95-15.262, RCDIP 1998, p. 292, note
H. Muir-Watt ; Dalloz 1998, p. 104, note M. Menjucq
Cass., Civ. 1ère, 13 avr. 1999, Compagnie royale belge, Dalloz 2000, p. 268, note E. Agostini
; JCP 2000, II, p. 2061, note G. Légier ; RCDIP 1999, p. 698 note B. Ancel et H. Muir-Watt
Cass., Civ. 1ère, 26 mai 1999, Mutuelle du Mans, n°96-16.361, RCDIP 1999, p. 707, note H.
Muir-Watt ; Gaz. Pal. 2000, n°61 et 62, p. 39, obs. M.-L. Niboyet ; et GAJFDIP, n°74-78
Cass., Civ. 1ère, 26 mai 1999, n°97-16.684, RCDIP 1999, p. 707, note H. Muir-Watt ; JCP
1999, II, p. 10192, note F. Mélin ; Rép. Defrénois 1999, p. 1261, note J. Massip, et GAJFDIP,
n°74-78
Cass., Ass. pl., 2 juin 2000, Fraisse, n°99-60.274, Dalloz 2000, p. 865, note B. Mathieu ; RTD
civ. 2000, p. 672, note R. Libchaber ; Dalloz 2001, p. 1636, note B. Beigner
Cass., Civ. 1ère, 3 avr. 2001, M.X. c. Mme White et autres, RCDIP 2001, p. 513, note H.
Muir-Watt
Cass., Civ. 1ère, 3 juin 2002, Société nationale de recouvrement, JDI 2004, p. 520, note F.
Mélin
Cass., Civ. 1ère, 18 sept. 2002, Sporting, n°00-14.785, RCDIP 2003, p. 87, note H. Muir-Watt
; Dalloz 2003, p. 1513, note G. Lardeux
Cass., Com., 14 janv. 2004, Dalloz 2005, p. 1992, obs. P. Courbe et H. Chanteloup

874
Cass., Civ. 1ère, 17 fév. 2004, RCDIP 2004 p. 423, note P. Hammje ; JDI 2004, p. 1200, note
L. Gannagé ; JCP G. 2004, II, p. 10128, note H. Fulchiron ; Dalloz 2004, p. 815, chron. P.
Courbe, et p. 824, concl. F. Cavarroc ; AJ fam. 2004, p. 140, obs. S. David ; RTD civ. 2004, p.
367, obs. J. Marguénaud
Cass., Civ. 1ère, 17 avr. 2004, n°02-07.479, 01-11.549, 02-11.618, 02-15.766 et 02-17.479,
Bull. civ. I, n°46, 47, 48, 49 et 50 ; Dalloz 2004, p. 815, concl. Cavarroc, RCDIP 2004, p. 423,
note P. Hammje
Cass., Civ. 1ère, 11 janv. 2005, n°01-02.473, Dalloz 2005, p. 2924, note J.-G. Mahinga ;
RCDIP 2006, p. 85, note M. Scherer
Cass., Civ. 1ère, 31 mai 2005, Dalloz 2006, p. 1729, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke
Cass., Com., 28 juin 2005, Itraco, n°02-14.686, RCDIP 2005, p. 645, note B. Ancel ; Dalloz
2005, p. 2748, note H. Kenfack ; Dalloz 2006, p. 1495, note P. Courbe ; RTD com. 2005, p.
872, note Ph. Delebecque
Cass., Civ. 1ère, 28 juin 2005, Aubin, n°00-15.734, RCDIP 2005, p. 645, note B. Ancel ;
Dalloz 2005, p. 2748, note H. Kenfack et p. 2883, note N. Bouche ; Dalloz 2006, p. 1495,
note P. Courbe
Cass., Civ. 1ère, 21 sept. 2005, n°04-10.217, RCDIP 2006, p. 100, note H. Muir-Watt ; Dalloz
2006, p. 1726, note F.-X.
Cass., Civ. 1ère, 14 fév. 2006, M.G. Brianti c. Consorts Brianti, RCDIP 2006, p. 833, note S.
Bollée
Cass., Civ. 1ère, 10 mai 2006, 05-10.299, Dalloz 2006, p. 2890, note G. Kessler ; Dalloz
2007, p. 1751, note P. Courbe
Cass., Civ. 2ème, 14 sept. 2006, n°05-10.086, Dalloz 2007, p. 1380, note P. Julien
Cass., Civ. 1ère, 21 nov. 2006, Enfant Mikhaïl, n°05-22.002, Dalloz 2007, p. 1751, obs. P.
Courbe et F. Jault-Seseke ; RCDIP 2007, p. 575, note H. Muir-Watt
Cass., Civ. 1ère, 28 nov. 2006, n°04-14.646
Cass., Civ. 2ème, 14 fév. 2007, n°05-21.816
Cass., Civ. 1ère, 20 févr. 2007, Cornelissen, n°05-14.082, Dalloz 2007, p. 891, note P.
Chauvin, p. 1751, note P. Courbe, et p. 1115, note L. d’Avout ; JCP G. 2007, act. 107, note
Bruneau ; JDI 2007, comm. 19, p. 1195, note Train ; RCDIP 2007, p. 988, note B. Ancel et H.
Muir-Watt
Cass., Civ. 1ère, 27 mars 2007, Soc. Bureau Veritas SA c. Soc Groupama transport, Dalloz
2007, p. 1074, obs. I. Gallmeister, H. Kenfack, L. d’Avout et P. Courbe
Cass., Civ. 1ère, 19 sept. 2007, n°06-15.295, RCDIP 2008, p. 99, note P. Gannagé
Cass., Civ. 1ère, 22 oct. 2007, n°07-14.934, RCDIP 2009, p. 53, note H. Muir-Watt
Cass., Civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-19.659, Dalloz 2009, p. 1557, note P. Courbe
Cass., Civ. 1ère, 11 févr. 2009, Riley, n°06-12.140, RCDIP 2009, p. 512, note B. Ancel ;
Dalloz 2009, p. 1658, note G. Lardeux ; Dalloz 2011, p. 1585, P. Courbe

875
Cass., Civ. 1ère, 3 févr. 2010, n°08-19.293, RCDIP 2010, p. 485, note C. Cohen ; Dalloz
2011, p. 1374, note F. Jault-Seseke
Cass., Civ. 1ère, 14 avr. 2010, n°09-14.335, Dalloz 2010, p. 2868, note O. Boskovic ; Dalloz
2011, p. 1374, note F. Jault-Seseke
Cass., Civ. 1ère, 27 mai 2010, n°09-65.906, RCDIP 2010, p. 702, note D. Bureau ; Dalloz
2011, p. 1445, note H. Kenfack
Cass., Com., 6 juill. 2010, n°09-12.993
Cass., Com., 13 juill. 2010, n°10-12.154, D. actualité, 23 juill.2010, note X. Delpech ; RTD
com. 2010, p. 779, note B. Bouloc ; RCDIP 2010, p. 720, note A. Potocki ; Dalloz 2010, p.
2323, note L. d’Avout et p. 2339, note V. Da Silva ; Dalloz 2011, p. 1445, note H. Kenfack et
p. 1374, note F. Jault-Seseke
Cass., Civ. 1ère, 20 oct. 2010, n°08-17.033, D. actualité, 8 nov. 2010, note J. Burda ; RCDIP
2011, p. 53, note B. Ancel ; Dalloz 2011, p. 1664, note E. Agostini
Cass., Civ. 1ère, 4 nov. 2010, n°09-15.302, D. actualité, 18 nov. 2010, note I. Gallmeister ;
RTD civ. 2011, p. 115, note J. Hauser ; Dalloz 2011, p. 1374, note F. Jault-Seseke
Cass., Civ. 1ère, 6 avr. 2011, 10-19.053 ; Dalloz 2011, p. 1585, note F. Granet-Lambrechts, p.
1995, note Ph. Bonfils, p. 1064, note X. Labbée, p. 1522, note D. Berthiau, et p. 1001, note F.
Rome ; Dalloz 2012, p. 1228, note H. Gaudemet-Tallon, et p. 308, note J.-C. Galloux ; AJ
fam. 2011, p. 265, note B. Haftel, et p. 266, note M. Domingo ; RTD civ. 2011, p. 304, note J.
Hauser ; RCDIP 2011, p. 722, note P. Hammje
Cass. Civ. 1ère, 26 oct. 2011, 09-71.369, Dalloz 2012, p. 1228, note H. Gaudemet-Tallon
Cass., Civ. 1ère, 1er déc. 2011, 10-27.864, RCDIP 2012, p. 339, obs. P. Lagarde
Cass., Civ. 1ère, 20 juin 2012, n°11-30.120, D. actualité, 11 juill. 2012, note M. Kebir ;
Dalloz 2013, p. 1503, note F. Jault-Seseke ; RCDIP 2012, p. 900, note H. Gaudemet-Tallon
Cass., Civ. 1ère, 13 sept. 2013, n°12-30.138, Dalloz 2013, p. 2382, note M. Fabre-Magnan, p.
2349, chron. H. Fulchiron ; Dalloz 2014, p. 689, obs. M. Douchy-Oudot, p. 1059, obs. H.
Gaudemet-Tallon
Cass., Civ. 1ère, 23 oct. 2013, 12-25.802, RTD civ. 2014, p. 94, note J. Hauser.
Cass., Civ. 1ère, 17 déc. 2014, n°13-21.365 et 13-24.295, Dalloz 2015, p. 1056, note H.
Gaudemet-Tallon ; RCDIP 2015, p. 443, note S. Laval ; D. actualité, 21 janv. 2015, note F.
Mélin
Cass., Civ. 1ère, 30 avr. 2014, n°13-11.932, RTD eur. 2015, p. 348-18, note P. Dalmazir ;
Dalloz 2015, p. 1056, note H. Gaudemet-Tallon
Cass., avis, 22 sept. 2014, n°14-70.006 et 14-70.007, JCP 2014, p. 1004, obs. J. Hauser ;
Dalloz 2014, p. 2031, note A.-M. Leroyer
Cass., Civ. 1ère, 24 sept. 2014, n°13-20.049 et 13-25.556, Dalloz 2015, p. 1056, note H.
Gaudemet-Tallon
Cass., Com., 4 nov. 2014, n°12-27.072, D. actualité, 19 nov. 2014, note X. Delpech

876
Cass., Civ. 1ère, 28 janv. 2015, n°13-50.059, Dalloz 2016, p. 674, note M. Douchy-Oudot ;
Dalloz 2015, p. 1408, note J.-J. Lemouland, p. 1056, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ.
2015, p. 359, note J. Hauser
Cass., Ass. pl., 3 juill. 2015, n°15-50.002 et n°14-21.323, AJ fam. 2015, p. 364, note A.
Dionisi-Peyrusse ; Dalloz 2015, p. 1773, note D. Sindres, p. 1481, note S. Bollée, p. 1819,
note H. Fulchiron et p. 1919, note Ph. Bonfils ; Dalloz 2016, p. 674, note M. Douchy-Oudot,
p. 1045, note H. Gaudemet-Tallon et p. 857, note F. Granet-Lambrechts ; RCDIP 2015, p. 885
; RTD civ. 2015, p. 581, note J. Hauser ; JDI 2016, p. 105, note J. Guillaumé ; Dalloz 2015, p.
1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon
Cass., Civ. 1ère, 23 sept. 2015, n°14-17.542
Cass., Civ. 1ère, 7 oct. 2015, n°14-14.702, D. actualité, 20 oct. 2015, note F. Mélin ; Dalloz
2016, p. 1045, note H. Gaudemet-Tallon
Cass., Civ. 1ère, 16 mars 2016, n°15-14.365, Dalloz 2017, p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon
Cass., Civ. 1ère, 1er juin 2016, n°15-13.221, D. actualité, 17 juin 2016, note F. Mélin ; Dalloz
2017, p. 74, note T. Wickers et p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon
Cass., Civ. 1ère, 19 oct. 2016, n°15-50.098, JDI n°1, janv. 2017, 2, note F. Monéger ; Dalloz
2017, p. 470, note M. Douchy-Ouzot, p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon et p. 1082, note J.-J.
Lemouland ; Dalloz 2016, p. 2549, note D. Sindres ; RTD civ. 2017, p. 102, note J. Hauser ;
RCDIP 2017, p. 535, note E. Gallant
Cass., Com., 2 nov. 2016, n°14-22.114, Dalloz 2017, p. 1011, note H. Gaudemet-Tallon, et p.
613, note C. Witz ; RCDIP 2017, p. 404, note O. Boskovic
Cass., Civ. 1ère, 4 janv. 2017, n°16-10.754
Cass., Com., 20 avr. 2017, n°15-16.922, JDI n°1, janv. 2018, 4, note Brière ; RCDIP 2017, p.
542, note D. Bureau ; RDI 2018, p. 221, note H. Périnet-Marquet ; Dalloz 2017, p. 2054, note
L. d’Avout ; Dalloz 2018, p. 966, note S. Clavel
Cass., Civ. 1ère, 5 juill. 2017, n°16-16.901 et 16-50.025, AJ fam. 2017, p. 482 ; Dalloz 2017,
p. 1737, note H. Fulchiron, p. 1727, note Ph. Bonfils et A. Gouttenoire ; Dalloz 2018, p. 528,
note F. Granet-Lambrechts
Cass., Civ. 1ère, 27 sept. 2017, n°16-17.198 et 16-13.151, D. actualité, 9 oct. 2017, note F.
Mélin ; RTD com. 2018, p. 110, note F. Pollaud-Dulian ; Dalloz 2018, p. 966, note S. Clavel,
et p. 2384, note S. Godechot-Patris ; AJ fam. 2017, p. 510, note A. Boiché, et p. 598, note P.
Lagarde ; Dalloz 2017, p. 2185, note J. Guillaumé ; RTD civ. 2017, p. 833, note L. Usunier ;
RTD civ. 2018, p. 189, note M. Grimaldi, et p. 87, note B. Ancel
Cass., Civ. 1ère, 27 sept. 2017, 16-19.654, P.A., 31 janv. 2018, n°23, p. 12, note P.-L. Niel
Cass., Civ. 1ère, 28 mars 2018, n°17-10.626 et 17-13.220
Cass., Civ. 1ère, 11 avr. 2018, n°16-24.653, D. actualité, 4 mai 2018, note F. Mélin ; Dalloz
2018, p. 1934, note L. d’Avout
Cass., Civ. 1ère, 15 mai 2018, n°17-11.571, D. actualité, 28 mai 2018, note F. Mélin ; Dalloz
2018, p. 2384, note S. Godechot-Patris ; Dalloz 2019, p. 1016, note S. Clavel

877
Cass., Civ. 1ère 24 mai 2018, n°16-21.163, RCDIP 2018, p. 872, note S. Corneloup ; Dalloz
2019, p. 1016, note S. Clavel
Cass., Civ. 1ère, 4 juill. 2018, n°17-16.102, AJ fam. 2018, p. 469, note C. Roth
Cass., Civ. 1ère, 19 sept. 2018, n°18-20.693, Dalloz 2018, p. 2384, note S. Godechot-Patris et
p. 2280, note C. Bahurel ; Dalloz 2019, p. 1016, note S. Clavel ; RCDIP 2019, p. 224, note E.
Gallant ; JDI n°1, janv. 2019, 2, note F. Monéger
Cass., Ass. pl., 5 oct. 2018, n°10-19.053, AJ fam. 2018, p. 613 ; Dalloz 2019, p. 663, note F.
Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2018, p. 847, note J.-P. Marguénaud
Cass., Com., 16 janv. 2019, n°17-21.477, D. actualité, 7. fév. 2019, note F. Mélin
• CONSEIL D’ETAT :
CE, 20 oct. 1989, Nicolo, n°108243, RFDA 1990, p. 267, note D. Ruzié ; RCDIP 1990, p.
125, note P. Frydman et p. 139, note P. Lagarde ; RTD com. 1990, p. 193, note C. Debbasch ;
Dalloz 1990, p. 57, note R. Kovar et p. 135, note P. Sabourin ; AJDA 2014, p. 100, note M.
Long
CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran, n°200286 et 200287, Dalloz 1998, p. 1094, note D. Alland et
p. 1081, note C. Maugüé ; AJDA 1998, p. 962, note F. Raynaud ; RFDA 1999, p. 77, note O.
Gohim, p. 67, note B. Mathieu et p. 57, note L. Dubouis ; RTD civ. 1999, p. 232, note N.
Molfessis ; Dalloz 2000, p. 152, note E. Aubin ; AJDA 2014, p. 114, note P. Fombeur
• CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
Cons. const., 16 déc. 1999, n°99-241, JO 22 déc. 1999, p. 19041
JURISPRUDENCE EUROPEENNE :
• COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES :
CJCE, 6 avr. 1962, De Geus en Uitdenboderg c/ Bosch, aff. 13/61, Rec. p. 97
CJCE, 15 juill. 1964, Costa contre Enel, aff. 6-64, Rec. 1964, p. 1141 et s. ; Rev. UE 2015, p.
554, étude Y. Petit, p. 562, étude S. Van Raepenbusch, p. 570, étude A. Vauchez, et p. 649,
étude J.-D. Mouton
CJCE, 17 déc. 1970, aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, Rev. UE 2015, p. 562,
étude S. Van Raepenbusch
CJCE, 19 oct. 1977, Moulins et Huileries de Pont-à-Mousson c/ Office interprofessionnels
des céréales, aff. 124/76 et 20/77, Rec. 1795, point 17
CJCE, 22 mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82, Rec. p. 987, concl. Mancini ; RCDIP 1983,
p. 663, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1983, p. 834, obs. A. Huet
CJCE, 17 juin 1992, Jacob Handte, aff. C-26/91, JCP 1992, II, p. 21927, note C. Larroumet ;
JCP E. 1992, II, p. 363, note P. Jourdain ; RCDIP 1992, p. 726, note H. Gaudemet-Tallon ;
RTD eur. 1992, p. 709, note P. de Vareilles-Sommières
CJCE, 15 fév. 1996, Duff E. A., aff. C-63/93, Rec. I. p. 569

878
CJCE, 28 mars 2000, Krombach, aff. C-7/98, RTD civ. 2000, p. 944, obs. J. Raynard ; RCDIP
2000, p. 481, note H. Muir-Watt ; JDI 2001, p. 690, obs. A. Huet ; RSC 2000, p. 686, note L.
Idot
CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar, aff. C-381/98, Rec., I, p. 9305 ; RCDIP 2001, p. 107, note L. Idot
; JCP 2001, I, p. 328, note Bernardeau
• COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE :
CJUE, 17. oct. 2013, Unamar, aff. C-184/12, RTD com. 2014, p. 457, note Ph. Delebecque ;
Rev. UE 2014, p. 305, note A. Cudennec et p. 376, note V. Pironon ; RTD civ. 2014, p. 107,
note H. Barbier ; Dalloz 2014, p. 893, note D. Ferrier, p. 60 et 1967, note L. d’Avout, et p.
1059, note H. Gaudemet-Tallon
CJUE, 20 déc. 2017, Soha Sahyouni c/ Raja Mamisch, aff. C-372/16, D. actualité, 25 janv.
2018, note A. Devers
CJUE, 1er mars 2018, aff. C-558/16, JDI n°4, oct. 2018, p. 20
CJUE, 31 mai 2018, aff. C-335/17, D. actualité, 7 juin 2018, note F. Mélin
CJUE, Coman, 5 juin 2018, JDI n°1, 1 janv. 2019, doctr. 2, note G. Kessler
CJUE, 7 juin 2018, aff. C-83/17, D. actualité, 19 juin 2018, note F. Mélin
CJUE, 15 nov. 2018, aff. C-308/17, D. actualité, 29 nov. 2018, note F. Mélin
• COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME :
CEDH, 23 juill. 1968, Affaire linguistique belge, n°1474/62, 1677/62, 1691/62, 1769/63,
1994/63 et 2126/64
CEDH, 28 oct. 1999, Brumarescu c/ Roumanie, n°28342/95, Dalloz 2000, somm. 187, obs. N.
Fricero ; JCP 2000, I, p. 203, n°10, obs. F. Sudre ; JDI 2000, p. 127, obs. Restencourt
CEDH, 26 juin 2014, Mennesson contre France et Labassée contre France, aff. 65192/11 et
aff. 65941/11, Dalloz 2014, p. 1787, note Ph. Bonfils, p. 1806, note L. d’Avout, p. 1797, note
F. Chénédé ; RTD civ. 2014, p. 616, note J. Hauser, p. 835, note J.-P. Marguénaud ; Dalloz
2015, p. 702, note F. Granet-Lambrechts, p. 1056, note H. Gaudemet-Tallon, p. 755, note J.-
C. Galloux
CEDH, 14 janv. 2016, Mandet c/ France, N°30955/12, D. actualité, 8 fév. 2016, note V.
Lefebvre ; Dalloz 2016, p. 257, et p. 1966, note Ph. Bonfils ; Dalloz 2017, p. 729, note F.
Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2016, p. 331
CEDH, 22 janv. 2019, Rivera Vazquez et Calleja Delsordo c/ Suisse, n°65048/13, D.
actualité, 7. fév. 2019, note A. Bolze
CEDH, Avis consultatif, 10 avr. 2019, n°P16-2018-001, AJ fam. 2019, p. 289
TEXTES
Préambule de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789
Statut de la Cour de justice internationale instituée par la Charte des Nations unies de juin
1945

879
Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946
Convention de Genève relative à la reconnaissance internationale des droits sur aéronefs du
19 juin 1948
Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 déc. 1948
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et libertés fondamentales du 4
nov. 1950
Préambule de la Constitution du 4 oct. 1958
Convention du 5 oct. 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions
testamentaires
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies du 16 déc. 1966
Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle révisée à Stockholm le 14
juill. 1967
Convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire à l’exécution des
décisions en matière civile et commerciale
Convention américaine relative aux droits de l’Homme du 22 nov. 1969
Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques révisée à Paris le
24 juill. 1971
Convention du 2 oct. 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits
Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux
Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11
avr. 1980, Vienne
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples du 27 juill. 1981
Traité sur l’Union européenne du 7 déc. 1992, Maastricht
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 déc. 2000
Règlement (CE) n°44/2001 du 22 déc. 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Bruxelles I
Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, à la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale, Bruxelles II bis
Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 sur la loi
applicable aux obligations non contractuelles, Rome II
Protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires du 23 nov. 2007
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne du 13 déc. 2007, Lisbonne
Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, Rome I
Règlement (CE) n°4/2009 du Conseil du 18 déc. 2008 relatif à la compétence, la loi
applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière
d’obligations alimentaires

880
Règlement (UE) n°1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une coopération
renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, Rome III
Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la
compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation
et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat
successoral européen
Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2012
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale, Bruxelles I bis
Règlement (UE) 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération
renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de
l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés
Règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération
renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de
l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux
Règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (refonte), Bruxelles II
ter
Projet de loi bioéthique 2019 présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019

881
882
INDEX ALPHABETIQUE
(Les numéros renvoient aux paragraphes)

Conflit
A de compétences législatives, 194, 195
de coutumes, 47
Accord de fond, 1537 de souverainetés, 50, 636 s.
Accord procédural, 1519 s. Conflit de lois dans le temps, 1230, 1335
Actes juridiques, 889 s., 951, 955 s. Conflit mobile, 1387 s.
Applicabilité Contrôle de la loi appliquée, 1838 s.
éléments perturbateurs, 1002, 1228 à 1230 Contrôle de légalité, 1614 s., 1621 s.
étapes, 1001, 1003 à 1005 Convention européenne des droits de l’Homme, 359,
régime, 997 476 s., 1757 à 1764
unilatéralisme européen, 670 Coopération renforcée, 297
Autonomie de la volonté Coordination fonctionnelle, 200 s.
accord procédural, 1525 s. Coordination juridique
droits disponibles, 604 s. des systèmes, 1124 s.
droits indisponibles, 610 s. du système, 193 s.
fraude à la loi, 1809 s. Cour de justice de l'Union européenne, 350 à 357
localisation subjective, 582 s. Cour européenne des droits de l’Homme, 358 à 363,
rattachement, 600, 601, 974 s. 1753 s.
Cours internationales, 340, 341
B Courtoisie internationale, 57 s.
Coutume (source), 425 s.
Better law, 221 à 222 Critère spatio-temporel (conflit mobile), 1425 s.
Bilatéralisme Cumul, 646, 647, 660, 710
droit positf, 719 s.
méthode conflictuelle, 692 s.
savignien, 706 s.
D
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, 490
C Dénaturation, 1617 à 1620
Divorce, 1356, 1727 et 1853
Caractère (de la règle de conflit) Doctrine (source), 400 s.
indirect, 755 s., 986 Double qualification, 1012
neutre, 776 s. Droit dérivé de l'Union européenne, 292 s.
Catégories de rattachement Droit des cités, 70, 71
classification, 731 Droit des gens, 156, 157, 428
individualisation, 930 s. Droits acquis, 1391 s.
méthode comparative, 1118 Droits disponibles
qualification lege fori, 1069 s. accord procédural, 1522 s.
spécialisation, 821 office du juge, 1458 s.
Cercle vicieux (renvoi), 1293-1294 subjectivisme, 604 s.
Charge de la preuve, 1559 s., 1571 à 1573 Droits fondamentaux
Charte des droits fondamentaux, 475 actualité juridique, 21
Chassé-croisé (renvoi), 1257, 1292 Conv. EDH, 359 s.
Clauses échappatoires, 824 fraude à la loi, 1865 s.
Codification, 106, 107, 114 à 116, 140 s. objectif universel, 496 s.
Communauté de droit omniprésence, 20
communauté de droit internationale, 727, 740, 741 ordre public international, 493, 494, 1677, 1678, 1748
Lévy-Ullmann, 175 s.
qualification, 1101 s. textes internationaux, 473 s.
Savigny, 159 s., 702 s., 735 s. textes nationaux, 488 s.
Compétence indirecte du juge, 1846, 1847 Droits indisponibles
Conditions d'applicabilité office du juge, 1452 s.
condition matérielle, 1150 à 1160 subjectivisme, 610 s.
condition spatiale, 1161 à 1175

883
Droits subjectifs (ordre public de proximité), 1741 à renvoi, 1242 s.
1744 unilatéralisme, 640
Dualisme, 1130 vocation subsidiaire, 915 s., 1499 s., 1575 s.
Lex loci delicti
E délits complexes, 965
faits juridiques, 893 s.
Elément d'extranéité Morris, 226
définition du droit international privé, 8 Lex rei sitae, 885 s.
office du juge, 1484, 1485 Liberté contractuelle, 608, 609
Elitisme européen, 1170 Libre circulation, 449 s.
Etat de droit, 754 Localisation
Exequatur abstraite, 788 s.
fraude à la loi, 1836 s. concrète, 805 s., 912, 939 s.
théorie de l'équivalence, 1641 Lois de police
du for, 1204 s.
étrangères, 1208 s.
F européennes, 1215 s.
Faits juridiques, 889 s., 964 s. nationales, 1220 à 1223
Filiation, 21, 826, 827, 1301, 1356, 1739, 1769, 1859,
1865 s. M
Forum shopping
fraude à la loi, 1824, 1832 s. Manipulation
office du juge, 1470 catégorie de rattachement, 1823 à 1825
renvoi, 1306 élément de rattachement, 1820 à 1821
Fraude à la loi, 1657, 1781 s. Mariage, 329, 935, 1071, 1712 s.
Fraude patente, 1861 à 1863 Méthode analytique
méthode requise, 724 s.
Savigny, 715, 716
G Méthode comparative
Gestation pour autrui, 1769, 1770, 1868 Batiffol, 204 s.
Lerebours-Pigeonnière, 200 à 203
Lévy-Ullmann, 176 s.
H Maury, 194 à 196
Hiérarchie des normes, 1124 s. Rabel, 1106 s.
Savatier, 197 à 199
Méthode conflictuelle (définition), 515
I Méthode de consultation des lois substantielles, 1347 à
Inlandsbeziehung, 1671, 1720 1349
Inopposabilité (sanction fraude à la loi), 1794 s. Méthode de contact avec le sysrtème du for, 345, 346
Insuffisance des motifs, 1615, 1616 Méthode de groupement des points de contact, 225 s.
Intention frauduleuse, 1804 à 1808 Méthode des intérêts gouvernementaux, 213 à 217
Intérêt supérieur de l'enfant, 1870, 1871 Méthode matérielle (définition), 515
Monisme, 1130

J
N
Juridictions régionales, 349 s.
Jus gentium, 72 à 74 Nationalisme
Justice conflictuelle (ou de droit international privé), 11, internationalisme, 155 s.
14 s., 266, 267, 853 juridique, 127
Justice matérielle, 218 s., 848 s. Niboyet, 128
particularisme, 130 s., 187 s.
politique, 126
L Naturalisme, 102 s.
Lacune, 646, 647, 660, 710
Lex fori O
méthode des intérêts gouvernementaux, 814-815
ordre public international, 1696 s. Objectivisme, 573 s., 588 s., 616 s.
qualification lege fori, 1040, 1041 Office du juge, 1445 à 1447 s.

884
Ordre public international 1656, 1658 s. lege causae, 1009 s.
de proximité, 1717 s., 1759, 1778 lege fori, 1035 s.
effet plein/ effet atténué, 1707 s., 1730, 1731 unilatérale, 1032 à 1034
effet réflexe, 1667 à 1669
effet substitutif, 1695 s.
R
européen, 1745 s.
internes, 1772 à 1775 Rattachement juridictionnel
lois de police, 1204
P office du juge, 1506, 1507
ordre public international, 1673, 1674
Particularisme qualification lege fori, 1040 s.
Bartin, 133 Rattachement simple, 789 s., 986
Lerebours-Pigeonnière, 134 Rattachements contemporains, 866, 925 s., 954 s.
nationaliste, 187 Rattachements multiples, 815 s.
territorialiste, 189 alternatifs, 826 à 829
Pays civilistes, 251, 910 cumulatifs, 833 à 835
Pays de common law, 251, 281, 878, 881 hiérarchisés, 830 à 832
Personnalisme substantiels, 837 s.
codification, 114 à 116, 417 Rattachements traditionnels, 865, 867 s., 900 s.
droit des cités, 70 à 71 Règle de droit
jurisprudence, 118, 119, 417 loi étrangère, 1552, 1553
loi nationale, 154 règle de conflit, 1481 s.
Mancini, 84 à 86 Règles conflictuelles, 543 s.
personnalité des lois, 75 s. Règles de conflit à caractère substantiel (modernes),
Pillet, 92 à 95 590 à 592, 803 s., 853 s., 980 s
seconde systématisation, 67 s. Règles de conflit classiques, 795 s., 850 s.
Pourvois Règles matérielles, 516 s.
motivation, 1613 s. Règles transitoires spéciales, 1355 s., 1413
violation de la loi étrangère, 1599 s. Renvoi
Prestation caractéristique du contrat, 955 à 963 approche fonctionnelle, 1310 s.
Prévisibilité et sécurité juridiques au premier degré, 1266 à 1268
droit transitoire, 1379 au second degré, 1266 à 1269, 1293
préalables, 17 double renvoi, 1317 à 1320
qualification lege fori, 1042 s. renvoi règlement-subsidiaire, 1248 s.
règle de conflit à rattachement simple, 797 s. renvoi-délégation, 1235 s.
Principe d'application immédiate, 1412
Principe de proximité
S
localisation, 573 s., 777 s., 912
ordre public international, 1673, 1718 s. Siège du rapport de droit, 696 s., 733
rattachement, 940 s. Situations boîteuses, 329, 1714
Principe de reconnaissance mutuelle, 456 à 459 Sources directes, 270
Principes directeurs du procès, 754 Sources indirectes, 271
Privatisme Sources nationales
définition, 29 Bartin et Kahn, 184, 185
systématisation privatiste, 149 s. juridictions, 365 s.
Problème de qualification, 1004 législations, 308 s.
Procréation médicalement assistée, 1867, 1870 Sources supranationales
Publicisme juridictions, 334 s.
définition, 28 législations, 274 s., 1157
systématisation publiciste, 33 s. règles conflictuelles, 559
Souveraineté nationale, 112
Q Souverainisme
conflit de souverainetés, 50 à 94
Qualification courtoisie internationale, 58 et 59
autonome, 1095 s. hiérarchie des normes, 1135 s.
casuistique, 1070 méthode des intérêts gouvernementaux, 215
de droit international privé, 1105 s. sources jurisprudentielles, 145 s.
en sous-ordre, 1052 à 1054 sources textuelles, 116, 141 à 144

885
unilatéralisme, 636 s. lex rei sitae, 886 s.
Spécialisation (rattachements), 805 s., 926 s. Niboyet, 128, 129
Standard européen, 471 s. particularisme, 189
Statut personnel première systématisation, 35 s.
catégorie de rattachement, 935 territorialité des lois, 38 s.
codification, 114 à 116, 143 unilatéralisme, 640
fraude à la loi, 1853 s. Théorie de l'équivalence, 1628 et s.
jurisprudence, 118 à 119 Théorie italienne des statuts, 41 s.
loi personnelle, 869 s., 900 s. Tourisme procréatif, 1859
ordre public international, 1739 s.
Statut réel
U
fraude à la loi, 1853, 1854
lex rei sitae, 886 à 888, 891 s. Unilatéralisme
loi territoriale, 903 s. droit positif, 664 s.
source du rapport du droit, 889, 890 fonctionnalisme, 259
Subjectivisme, 581 s., 603 s. méthode conflictuelle, 633 s.
Successions privatiste, 643 s.
jurisprudence successorale, 145 publiciste, 636 s.
renvoi, 1274, 1300 Unité de législation (droit transitoire), 1379 à 1381,
Système féodal, 38 à 44 1406
Universalisme
T doctrine allemande, 158 s.
doctrine italienne, 151 s.
Territorialisme droit international privé, 4
codification, 106, 107, 414, 415 principe d'égalité, 4, 499
comitas gentium, 53 s.
d'Argentré, 49 à 52
V
Dumoulin, 46 à 48
jurisprudence, 108, 109, 414, 415 Vides juridiques, 324, 390

886
TABLE DES MATIERES
PRINCIPALES ABREVIATIONS ...................................................................................................................... 7
SOMMAIRE ........................................................................................................................................................ 11
INTRODUCTION ............................................................................................................................................... 13
PARTIE I : LA CREATION D’UN SYSTEME UNIQUE EN DROIT DES CONFLITS DE LOIS FONDE
SUR L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES ................................... 47
TITRE I : L’EGALITE DE TRAITEMENT ENTRAVEE PAR LA MULTITUDE DE FONDEMENTS DU DROIT DES CONFLITS
DE LOIS.............................................................................................................................................................. 49
CHAPITRE I : LA NEUTRALITE DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS CONTRARIEE PAR LES ORIGINES MIXTES DU
DROIT INTERNATIONAL PRIVE ....................................................................................................................... 53
Section 1 : La systématisation originellement publiciste du droit international privé............................................... 53
Sous-section 1 : La reconnaissance du droit international privé comme discipline au travers des doctrines
publicistes de l’Ancien Régime ........................................................................................................................... 53
1 § – La première systématisation du droit international privé à l’aune du territorialisme de l’Ancien Régime
....................................................................................................................................................................... 54
A. L’origine systémique du droit international privé : le territorialisme de l’Europe de l’Ouest au
XVIème siècle .......................................................................................................................................... 54
1) L’amorce d’un système politisé autour du territorialisme ........................................................... 54
a) Le territorialisme généré par les systèmes féodaux de l’Europe de l’Ouest ........................... 54
b) La conceptualisation du conflit de lois par l’avènement de la théorie italienne des statuts .... 56
2) Le territorialisme au cœur de la théorisation française du droit des conflit de lois ...................... 58
a) Dumoulin : la poursuite de l’école italienne des statuts.......................................................... 58
b) D’Argentré : fondateur du système de droit des conflits de lois français territorialiste .......... 60
B. La prolifération du territorialisme sur les territoires européens et américains ................................ 61
1) La doctrine territorialiste française confirmée par la théorie hollandaise de la comitas gentium. 61
a) La réception du système territorialiste français par la Hollande du XVIIème siècle .............. 62
b) Le système territorialiste prolongé par la consécration de la théorie de la courtoisie
internationale.................................................................................................................................. 63
2) L’accueil de la comitas gentium dans les pays anglo-saxons sous l’Ancien Régime .................. 64
a) L’admission de la comitas gentium par l’ordre juridique anglais ........................................... 64
b) La comitas gentium reçue par les Etats-Unis ......................................................................... 65
§ 2 – La seconde systématisation du droit international privé au regard personnalisme ................................ 67
A. Le personnalisme de l’Europe occidentale comme fondement de la future systématisation du droit
international privé ..................................................................................................................................... 67
1) Le droit romain de l’Antiquité : les prémices du personnalisme ................................................. 67
a) L’émergence du personnalisme dans les relations juridiques au regard du droit civil romain 67
b) Le maintien du personnalisme dans les relations juridiques malgré l’apparition du jus gentium
69
2) Le développement du personnalisme par les Barbares du Haut Moyen Âge ............................... 70
a) Le personnalisme favorisé par l’absence d’unité législative issue des invasions barbares ..... 70
b) L’édification d’une société fondée sur le système de la personnalité des lois au Haut Moyen
Âge 71
B. La reconnaissance européenne du personnalisme en droit international privé à la fin de l’Ancien
Régime ...................................................................................................................................................... 73
1) L’apparition du système personnaliste de droit des conflits de lois au XIXème siècle ............... 73
a) La première systématisation personnaliste par Mancini ......................................................... 73
b) La propagation du personnalisme en droit international privé européen au XIXème siècle ... 75
2) La diffusion du personnalisme en droit international privé durant l’Europe du XXème siècle ... 75
a) Le maintien d’un personnalisme essentiellement étatique par Zitelmann .............................. 76
b) La défense d’un personnalisme souverainiste par Pillet ......................................................... 76
Sous-section 2 : Le développement du droit international privé contemporain sous l’influence du territorialisme
et du personnalisme ............................................................................................................................................. 78

887
§ 1 – L’adhésion du droit international privé aux philosophies souverainistes dès la fin de l’Ancien Régime
....................................................................................................................................................................... 78
A. La poursuite de la philosophie statutaire au XIXème siècle ........................................................... 78
1) L’effectivité de la doctrine territorialiste à la fin de l’Ancien Régime ........................................ 79
a) Le maintien du territorialisme en droit international privé au XVIIIème siècle ..................... 79
b) L’emploi du naturalisme à l’appui d’un droit international privé territorialiste ..................... 80
2) L’illustration du territorialisme par les premières sources du droit des conflits de lois interne dès
le XIXème siècle ................................................................................................................................. 81
a) La codification du territorialisme en droit des conflits de lois français .................................. 82
b) La jurisprudence française territorialiste du XIXème siècle................................................... 82
B. La promulgation du nationalisme au XIXème siècle...................................................................... 83
1) La réception textuelle du personnalisme au XIXème siècle en droit des conflits de lois interne. 83
a) L’avènement du rattachement à la nationalité par le concept révolutionnaire de la
souveraineté nationale .................................................................................................................... 84
b) Le rattachement à la loi nationale intégré dans le Code civil en Europe ................................ 84
2) La réception jurisprudentielle et diplomatique du personnalisme au XIXème siècle en droit des
conflits de lois ..................................................................................................................................... 85
a) L’application de la loi nationale au statut personnel en jurisprudence au XIXème siècle ...... 85
b) Le personnalisme : facteur de nouvelles sources de droit international privé au XXème siècle
86
§ 2 – La persistance des idéologies souverainistes à l’époque contemporaine en droit international privé .... 88
A. Les doctrines fondées sur l’intérêt national : du XXème siècle à aujourd’hui................................ 88
1) Le retour à la tradition territorialiste au début du XXème siècle ................................................. 88
a) La défense doctrinale des intérêts français issue de l’entre-deux-guerres .............................. 88
b) Du nationalisme au territorialisme de Niboyet ....................................................................... 89
2) Le maintien du nationalisme par la doctrine européenne au XXème siècle................................. 90
a) L’assimilation du nationalisme au particularisme de la fin du XIXème siècle ....................... 90
b) La diffusion du nationalisme par Bartin et Lerebours-Pigeonnière au XXème siècle ............ 91
B. Du maintien au développement des idéologies publicistes depuis le XXème siècle ...................... 93
1) La conservation des sources textuelles du droit des conflits de lois interne depuis 1804 ............ 93
a) L’échec de l’internationalisation des sources du droit des conflits de lois à l’époque
contemporaine ................................................................................................................................ 93
b) La survie des dispositions du Code civil de 1804 .................................................................. 94
2) Un droit des conflits de lois publiciste promu par le droit contemporain .................................... 94
a) Les nouveaux articles du Code civil français à tendance publiciste ....................................... 94
b) Les jurisprudences françaises contemporaines influencées par l’idéologie publiciste ........... 95
Section 2 : Le renouvellement du droit des conflits de lois par une systématisation privatiste du conflit de lois ..... 97
Sous-section 1 : Les aspirations modernes du droit international privé européen : de l’utopisme au réalisme ... 98
§ 1 – La nouvelle aversion du droit des conflits de lois : l’universalisme ...................................................... 98
A. La conceptualisation d’un système universel de droit des conflits de lois conformément à sa nature
99
1) La découverte de l’universalisme par la doctrine italienne du XIXème siècle ............................ 99
a) Le personnalisme : vecteur de l’internationalisation du droit des conflits de lois .................. 99
b) Le nationalisme : fondement d’un droit international privé universel .................................. 101
2) L’édification de l’universalisme par la doctrine allemande du XIXème siècle ......................... 102
a) La proposition d’une méthode conflictuelle commune aux pays romano-christianistes....... 102
b) L’avènement d’une méthode bilatérale neutre et égalitaire .................................................. 104
B. L’échec d’un système universel de droit des conflits de lois utopique ......................................... 107
1) L’utopie d’un système universaliste fondé sur la nature des lois elles-mêmes .......................... 107
a) L’universalisme préconisé par l’existence d’une communauté juridique des Etats .............. 107
b) Un système irréalisable fondé sur la recherche du but social de la loi par chaque Etat ........ 109
2) La fiction d’un système universel fondé sur l’étude comparative des systèmes ........................ 110
a) Le postulat nécessaire d’une communauté de droit des peuples de même civilisation ......... 110
b) Un universalisme limité par le recours à la méthode comparative ....................................... 111
§ 2 – Le déclin de l’universalisme au profit du réalisme en droit des conflits de lis .................................... 112
A. L’apparition d’un système national étriqué sous l’impulsion du particularisme .......................... 113
1) La réaction particulariste face à un universalisme chimérique .................................................. 113
a) L’apparition simultanée en Europe du particularisme par souci de positivisme ................... 113

888
b) La proposition d’un système de projection des règles nationales à l’international ............... 114
2) L’assimilation du particularisme aux doctrines de l’Ancien Régime ........................................ 115
a) L’esprit nationaliste imputable à la doctrine du particularisme ............................................ 116
b) De l’essence nationaliste au caractère territorialiste attribués au particularisme .................. 117
B. Du particularisme à la coordination des systèmes : entre positivisme et réalisme ........................ 118
1) L’amorce d’une méthode conforme à l’objet du droit des conflits de lois au regard de la
coordination juridique ....................................................................................................................... 119
a) Le conflit de compétences législatives enfin reconnu comme objet du droit des conflits de lois
119
b) Une méthode inachevée fondée sur la recherche de la loi la plus appropriée ....................... 120
2) L’émergence de méthodes inappropriées en droit des conflits de lois par le recours à la
coordination fonctionnelle ................................................................................................................. 122
a) La résolution fonctionnelle de conflits d’intérêts privés par une approche comparative ...... 122
b) La résolution fonctionnelle des conflits d’intérêts privés par une coordination des systèmes
124
Sous-section 2 : Le droit des conflits de lois revisité par le matérialisme américain ......................................... 126
§ 1 – Le système de droit des conflits de lois américain substantiellement fondé au regard des intérêts privés
..................................................................................................................................................................... 127
A. La promotion d’un système conforme à un résultat substantiel abstrait ....................................... 127
1) La méthode contestable des intérêts gouvernementaux au regard de la nature du droit
international privé.............................................................................................................................. 127
a) L’application exclusive de la loi du for au regard d’intérêts politiques étatiques ................. 128
b) Un assouplissement de l’application exclusive de la loi du for conformément aux intérêts
individuels .................................................................................................................................... 129
2) La méthode matérielle : l’assurance d’une justice universelle................................................... 130
a) « La justice dans chaque décision » : une méthode abstraite idéale ..................................... 130
b) L’« application de la meilleure règle » selon le juge saisi .................................................... 131
B. Le développement d’une méthode concrète de groupements des points de contact conforme aux
intérêts privés.......................................................................................................................................... 132
1) L’analyse concrète des situations litigieuses par le groupement des points de contact.............. 133
a) La subordination judicieuse de la règle de conflit aux points de contact avec la situation
litigieuse ....................................................................................................................................... 133
b) La prise en compte subjective de points de contact au travers des méthodes ....................... 134
2) La réception internationale relative de la méthode de la proper law ......................................... 135
a) L’intégration discutable des liens les plus étroits dans le droit positif américain ................. 136
b) L’avènement des liens les plus étroits dans le droit positif européen ................................... 137
§ 2 – L’édification d’une méthode substantielle unilatérale exempte de neutralité ...................................... 138
A. Le rejet de la méthode bilatérale classique au regard de ses imperfections .................................. 138
1) La rigidité du système classique bilatéral .................................................................................. 139
a) L’exclusion d’un système général abstrait ........................................................................... 139
b) Le refus de toute automaticité du système classique ............................................................ 140
2) Les carences imputables au système classique : adaptation et unification................................. 141
a) La malheureuse absence d’adaptation des solutions à la situation litigieuse ........................ 141
b) L’impossible unification des solutions sur le plan international .......................................... 142
B. La mise en place d’une méthode unilatérale concrète opposée à l’unification du droit des conflits
de lois143
1) La remarquable souplesse d’un système d’analyse concrète ..................................................... 143
a) La création d’une méthode concrète au regard de la tradition juridique des pays de common
law 144
b) Une méthode fonctionnelle synonyme de variabilité ........................................................... 145
2) Un système exempt de l’objectif d’unification du droit ............................................................ 146
a) De solutions casuistiques à l’inexistence d’un système commun ......................................... 146
b) La méthode fonctionnelle anglo-saxonne équivalente à l’unilatéralisme ............................. 147
Conclusion du chapitre I :....................................................................................................................................... 151
CHAPITRE II : LE FRACTIONNEMENT DES SOURCES DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS EN RUPTURE AVEC
L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES................................................................ 155
Section 1 : De l’inachèvement d’une réglementation internationale à la sauvegarde de réglementations nationales
................................................................................................................................................................................ 155

889
Sous-section 1 : De l’échec d’une législation internationale au maintien inévitable d’une législation nationale
.......................................................................................................................................................................... 156
§ 1 – La tentative d’unification du droit des conflits de lois par le biais de législations supranationales ..... 156
A. L’apparition de législations supranationales par la réunion d’organisations internationales ........ 156
1) Le droit international privé supranational embrigadé à l’état de région .................................... 156
a) L’insuccès des organisations à échelle internationale .......................................................... 157
b) La réussite limitée des organisations à échelle régionale ..................................................... 159
2) Un droit fractionné au regard des textes issus des organisations internationales ....................... 161
a) Les rares textes internationaux portant règles matérielles en droit commercial ................... 161
b) Les nombreux textes régionaux portant règles conflictuelles dans toute matière ................. 162
B. Les prémices d’un droit unifié au travers du droit dérivé de l’Union européenne ........................ 164
1) L’illusoire réglementation commune du droit international privé au sein de l’Union européenne
165
a) La communautarisation présumée du droit international privé............................................. 165
b) L’unique coopération européenne en droit international privé ............................................. 166
2) La multiplicité des règles de conflit européennes ...................................................................... 168
a) Une législation quasi intégrale en matière de conflit de juridictions .................................... 168
b) Une législation plus réduite en matière de conflit de lois ..................................................... 169
§ 2 – La persistance du particularisme par le maintien du droit international privé national ....................... 171
A. Le droit international privé national : une source atemporelle controversable ............................. 171
1) Le droit international privé interne : le socle de la discipline .................................................... 171
a) Le droit international privé national comme source initiale ................................................. 172
b) Le droit international privé national en tant que source éternelle ......................................... 173
2) Le droit international privé interne : facteur de multiplication des systèmes............................. 174
a) La volonté de coordination des systèmes issue de la multitude de droits nationaux............. 174
b) L’avènement du droit comparé engendré par l’abondance des systèmes nationaux ............. 175
B. Le droit international privé national : une source suppléante indispensable................................. 176
1) De la subsidiarité à la nécessité du droit international privé interne .......................................... 176
a) La subsidiarité du droit international privé national à défaut de texte supranational applicable
177
b) La nécessité du droit international privé national à défaut de texte supranational existant .. 177
2) Le droit international privé national : facteur d’insécurité et de particularisme ........................ 178
a) De l’insécurité juridique à la création de situations boiteuses .............................................. 179
b) De l’échec de l’internationalisation à la victoire de l’inégalité ............................................ 180
Sous-section 2 : D’une jurisprudence accessoirement internationale aux jurisprudences essentiellement
nationales .......................................................................................................................................................... 182
§ 1 – La création localisée d’organes juridictionnels supranationaux compétents en droit international privé
..................................................................................................................................................................... 182
A. La création idéale d’une juridiction internationale unique spécialisée en droit international privé
182
1) L’institution apparente de Cours internationales propres au droit international ........................ 182
a) Le recours nécessaire à une juridiction internationaliste privée commune ........................... 182
b) L’établissement de Cours internationales essentiellement compétentes en droit international
public............................................................................................................................................ 183
2) L'inexistence d’une juridiction internationale unique en droit international privé..................... 184
a) L'impossible mise en œuvre d’une juridiction internationale commune spécialisée ............ 185
b) Le recours envisageable à des juridictions régionales spécialisées ...................................... 185
B. La réalisable mise en place de juridictions régionales européennes ............................................. 187
1) La Cour de justice de l’Union européenne : la juridiction suprême du droit international privé
européen ............................................................................................................................................ 187
a) L’unification du droit international privé par le pouvoir interprétatif du juge de l’Union
européenne ................................................................................................................................... 188
b) Les compétences de la Cour de justice limitées à la sphère intra-européenne...................... 189
2) La Cour européenne des droits de l’Homme : une juridiction participative au droit international
privé européen ................................................................................................................................... 192
a) L’intervention indirecte de la Cour européenne en droit international privé ........................ 192
b) L’intervention restreinte de la Cour européenne en droit international privé ....................... 193
§ 2 – La véritable édification du droit international privé par les juridictions nationales ............................. 195

890
A. L’application inégale des règles de droit international privé par les juridictions internes ............ 195
1)
L’application effective des règles de droit international privé par le juge national ................... 195
a) La mise en œuvre classique des règles de droit international privé par les juges nationaux . 195
b) Une mise en œuvre soumise aux intérêts nationaux ............................................................. 196
2) L’application variable des règles du droit des conflits de lois par les juges nationaux .............. 198
a) La diversité de solutions dans la mise en œuvre des règles de conflit par les juges nationaux
198
b) La diversité de solutions dans la mise en œuvre des règles de fond par les juges nationaux 199
B. L’interprétation supplétive indispensable des règles de droit international privé par les juges
nationaux ................................................................................................................................................ 200
1) Le pouvoir interprétatif de l’organe judiciaire exclusivement étatique ..................................... 200
a) L’interprétation traditionnelle des règles de droit international privé par le juge national ... 201
b) Le pouvoir interprétatif du juge national facteur de cohésion juridique ............................... 202
2) La pouvoir novateur du juge national à l’égard des règles de droit international privé ............. 203
a) L’intervention complémentaire du juge national dans le cadre de vides juridiques ............. 203
b) L’unification des règles de droit international privé garanti par l’autorité judiciaire supérieure
205
Section 2 : De l’influence des sources indirectes à l’intégration d’objectifs supranationaux communs ................. 207
Sous-section 1 : De l’influence prépondérante de la doctrine à l’incidence minimale de la coutume ............... 207
§ 1 – L’influence incontestée de la doctrine en droit international privé ..................................................... 207
A. La participation effective de la doctrine à la construction du droit international privé................. 208
1) Les principes généraux et méthodes de droit international privé conceptualisés par la doctrine 208
a) L’établissement de principes généraux en droit international privé par la doctrine.............. 208
b) La formulation des méthodes de droit international privé par la doctrine ............................ 209
2) L’intervention indispensable de la doctrine en tant que source du droit .................................... 210
a) La collaboration effective de la doctrine à l’élaboration du droit international privé ........... 210
b) L’unique source d’une potentielle unification du droit des conflits de lois .......................... 211
B. L’intégration de la doctrine en droit positif depuis l’Ancien Droit .............................................. 212
1) La consécration des doctrines traditionnelles par le droit positif français ................................. 212
a) La consécration du territorialisme par le législateur et la jurisprudence ............................... 212
b) La consécration du personnalisme par le législateur et la jurisprudence .............................. 213
2) L’intégration des doctrines contemporaines en droit positif ...................................................... 214
a) La consécration de l’universalisme et du particularisme parmi les sources positives........... 214
b) L’inclusion du substantialisme au sein des sources positives ............................................... 215
§ 2 – L’incidence fictive de la coutume internationale en droit international privé ..................................... 217
A. Une source a priori positive en droit international privé.............................................................. 217
1) Les règles non écrites du droit international public : le cadre initial du droit international privé
218
a) La naissance du droit international privé dans l’environnement du droit des gens ............... 218
b) L’évolution du droit international privé conformément aux principes du droit international
public............................................................................................................................................ 219
2) Les règles considérées comme coutumières en droit international privé ................................... 219
a) Les règles de rattachement non écrites du droit international privé ...................................... 219
b) Le simple rapprochement de traditions juridiques entre Etats .............................................. 220
B. De l’existence illusoire à l’absence de valeur juridique de la coutume internationale.................. 221
1) L’existence illusoire d’une coutume internationale en tant que source du droit ........................ 221
a) Une source indirecte et partielle en droit international privé ................................................ 221
b) De la coutume internationale à la coutume nationale ........................................................... 222
2) L’absence de valeur juridique de la coutume internationale en droit positif ............................. 222
a) La compétence personnelle des Etats en matière de coutume reconnus par le droit
international public....................................................................................................................... 222
b) Le défaut d’obligation internationale incombant aux Etats en matière de coutume ............. 223
Sous-section 2 : L’intégration contemporaine d’objectifs supranationaux communs à l’élaboration du droit
international privé ............................................................................................................................................. 225
§ 1 - Les sources du droit international privé européen orientées par les objectifs et standards de l’Union
européenne ................................................................................................................................................... 225
A. La libre circulation comme objectif directeur du droit international privé européen.................... 225
1) Le nécessaire respect des libertés de circulation en droit international privé ............................ 225

891
a) L’alignement du droit international privé aux objectifs économiques et politiques de l’Union
européenne ................................................................................................................................... 226
b) La conformité des règles de droit international privé à des objectifs de nature publique ..... 227
2) La traduction juridique de la libre circulation en droit international privé ................................ 228
a) La libre circulation préservée par le principe de reconnaissance mutuelle ........................... 228
b) La libre circulation intégrée aux instruments dérivés du droit communautaire .................... 229
B. La création d’un standard européen applicable au droit international privé ................................. 230
1) La réalisation d’un standard européen par le rapprochement des législations ........................... 231
a) La réalisation d’un standard européen d’uniformisation du droit matériel européen............ 231
b) La combinaison du standard européen aux règles du droit international privé ..................... 231
2) Le standard européen « unicité du droit » intégré au droit international privé européen positif 232
a) La standardisation du droit international privé au regard des règlements européens............ 232
b) Le droit international privé indirectement conditionné par les objectifs et standards européens
233
§ 2 – L’universalisation potentielle du droit international privé au travers d’une protection commune des
droits de l’Homme ....................................................................................................................................... 234
A. La protection effective des droits de l’Homme en Europe ........................................................... 234
1) La consécration juridique des droits de l’Homme avérée en Europe ......................................... 234
a) La promotion des libertés fondamentales assurée par le droit de l’Union ............................ 235
b) La défense des droits de l’Homme sous la large impulsion du Conseil de l’Europe ............ 236
2) La protection des droits de l’Homme soutenue par le droit international privé ......................... 238
a) Les principes fondamentaux intégrés aux règles de conflit du droit international privé ....... 238
b) Les libertés fondamentales sauvegardées par l’ordre public international ........................... 239
B. La défense commune des droits de l’Homme au-delà de l’Europe .............................................. 240
1) L’aspiration fondamentale aux droits de l’Homme d’origine nationale .................................... 241
a) La protection des droits de l’Homme : l’objectif primordial de tout Etat de droit ................ 241
b) La protection des droits de l’Homme assurée par tout droit international privé interne ....... 242
2) L’aspiration contemporaine universelle aux droits de l’Homme ............................................... 243
a) L’objectif universel de défense des droits de l’Homme au-delà de l’Europe ....................... 243
b) Le regain d’espoir de l’universalisation du droit des conflits de lois ................................... 244
Conclusion du chapitre II : ..................................................................................................................................... 247
CONCLUSION DU TITRE I :........................................................................................................................... 249
TITRE II : L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES SUBORDONNE A LA METHODE
CONFLICTUELLE BILATERALE OBJECTIVE A RATTACHEMENT UNIQUE ............................................................. 251
CHAPITRE I : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EGALITAIRE ETROITEMENT LIEE AUX REGLES DE CONFLIT
OBJECTIVES BILATERALES .......................................................................................................................... 253
Section 1 : La méthode conflictuelle objective adaptée aux objectifs du droit des conflits de lois ......................... 253
Sous-section 1 : La préférence accordée à la méthode conflictuelle conformément à l’objectif d’unification du
droit des conflits de lois .................................................................................................................................... 254
§ 1 - La place restreinte des règles matérielles en droit des conflits de lois ................................................. 254
A. La supériorité de principe des règles matérielles à l’égard des règles conflictuelles .................... 255
1) La supériorité théorique des règles matérielles .......................................................................... 255
a) La primauté d’application des règles matérielles.................................................................. 255
b) Le traitement identique des sujets de droit issu du recours aux règles matérielles ............... 256
2) L’infériorité pratique des règles matérielles .............................................................................. 256
a) La proportion infime de règles matérielles en droit positif................................................... 257
b) Le cantonnement des règles matérielles aux matières pratiques .......................................... 258
B. La valeur réductible des règles matérielles................................................................................... 258
1) Le caractère excessivement rigide des règles matérielles .......................................................... 259
a) Un champ d’application matériel et spatial restreint ............................................................ 259
b) Le caractère inadapté des règles matérielles aux évolutions internationales ........................ 260
2) L’échec du recours à la méthode matérielle en droit des conflits de lois ................................... 262
a) Le recours malaisé à la méthode matérielle en raison de la concession de compétence des
Etats262
b) Le recours impossible à la méthode matérielle dû à l’absence d’identité commune ............ 263
§ 2 - La place dominante des règles conflictuelles en droit des conflits de lois ........................................... 264
A. L’incontestable supériorité des règles conflictuelles .................................................................... 264
1) L’illusoire infériorité juridique des règles conflictuelles ........................................................... 265

892
a) L’infériorité d’application théorique des règles conflictuelles ............................................. 265
b) La supériorité d’application pratique des règles conflictuelles............................................. 266
2) La prédominance des règles conflictuelles en droit positif ........................................................ 266
a) La large proportion et variété des règles conflictuelles ........................................................ 266
b) Le discutable recours aux règles conflictuelles en termes d’égalité de traitement ............... 267
B. Une méthode indirecte vectrice de flexibilité et d’universalité du droit ....................................... 268
1) La flexibilité issue des règles conflictuelles .............................................................................. 269
a) Le champ d’application extensif des règles conflictuelles.................................................... 269
b) La meilleure adaptabilité des règles conflictuelles ............................................................... 270
2) Le recours aux règles conflictuelles : corollaire de toute unification du droit ........................... 271
a) Le moindre sacrifice des Etats à l’égard de leur compétence : l’unification facilitée ........... 272
b) L’identité respective des Etats ignorée : l’universalisation envisagée .................................. 272
Sous-section 2 : Le choix d’une méthode essentiellement objective par respect de la fonction localisatrice de la
discipline ........................................................................................................................................................... 274
§ 1 – Le recours mesuré à l’objectivisme et au subjectivisme au regard de la localisation du rapport de droit
..................................................................................................................................................................... 274
A. Le recours légitime à l’objectivisme et au subjectivisme ............................................................. 275
1) L’intérêt d’une approche spatiale objective fondée sur le principe de proximité ...................... 275
a) Les intérêts privés et généraux préservés par une localisation objective .............................. 275
b) L’appel à une localisation de proximité par analyse objective concrète ............................... 277
2) L’intérêt limité d’un examen spatial subjectif ........................................................................... 279
a) La localisation subjective de la situation litigieuse conforme à l’intérêt des parties ............ 279
b) Prévisibilité et sécurité du droit favorisées par l’autonomie de la volonté ........................... 281
B. Le recours limité à l’objectivisme et au subjectivisme ................................................................. 283
1) Les obstacles communs à une technique de localisation universelle ......................................... 283
a) Le détournement de la localisation par recours aux règles à finalité substantielle................ 283
b) L’encerclement de la localisation par les dispositions impératives étatiques ....................... 285
2) Les limites individuelles de chaque technique de localisation................................................... 286
a) L’imprécision du rattachement de proximité en l’absence de définition juridique ............... 286
b) La dénaturation de la fonction localisatrice par liberté totale de choix de loi ...................... 288
§ 2 – Le recours conseillé à un objectivisme teinté de subjectivisme en droit positif .................................. 290
A. Le recours controversable au subjectivisme en droit positif ......................................................... 290
1) L’utilisation traditionnelle du subjectivisme en matière de droits disponibles .......................... 290
a) D’une autonomie de la volonté absolue à une autonomie de la volonté encadrée ................ 290
b) L’autonomie de la volonté justifiée en matière de droits disponibles................................... 292
2) L’appel critiquable au subjectivisme en matière de droits indisponibles ................................... 293
a) La volonté des parties nécessairement encadrée à l’égard des droits indisponibles ............. 293
b) L’antinomie de l’autonomie de la volonté et des droits indisponibles ................................. 295
B. L’emploi capital de l’objectivisme en droit positif....................................................................... 297
1) Le caractère a priori supplétif du système objectif.................................................................... 297
a) La subsidiarité du système objectif à défaut de recours au système subjectif....................... 297
b) L’indispensable besoin du système objectif en l’absence de système subjectif ................... 298
2) Le parallélisme des systèmes de localisation au regard de la méthode conflictuelle ................. 299
a) L’identité de systèmes entre les règles de conflit de lois et de juridictions .......................... 299
b) L’identité des systèmes : du subjectivisme à l’objectivisme ................................................ 301
Section 2 : L’appel au bilatéralisme par choix d’une méthode neutre et égalitaire ................................................. 303
Sous-section 1 : La méthode unilatérale comme réponse insuffisante à l’universalisation du droit .................. 304
§ 1 – Le rejet de l’unilatéralisme en tant que frein à l’universalisation du droit .......................................... 304
A. De la défense des intérêts de l’Etat à celle des intérêts privés ...................................................... 304
1) Les origines contestables de l’unilatéralisme : souverainisme et territorialisme ....................... 305
a) L’unilatéralisme au service du respect des souverainetés ..................................................... 305
b) L’unilatéralisme inspiré du territorialisme de l’Ancien Régime .......................................... 306
2) Le recours à l’unilatéralisme légitimé par la coordination des ordres juridiques....................... 307
a) La nouvelle aspiration de l’unilatéralisme : l’harmonie des solutions .................................. 308
b) Une nouvelle aspiration inatteignable en pratique................................................................ 309
B. Les quelques résistants contemporains en faveur de l’unilatéralisme........................................... 310
1) La défense de l’unilatéralisme classique au service du respect des souverainetés ..................... 310
a) Le recours à l’unilatéralisme justifié par l’indépendance des souverainetés ........................ 310

893
b) Le rejet de l’unilatéralisme classique contraire à la nature du droit international privé ....... 312
2)
La proposition d’un système unilatéral universel protecteur des intérêts privés........................ 313
a) Une doctrine fondée sur l’attente légitime des individus à l’égard de leur ordre juridique
personnel ...................................................................................................................................... 313
b) L’échec récurrent de l’unilatéralisme au regard de ses faiblesses insurmontables ............... 315
§ 2 – L’influence indirecte de l’unilatéralisme en droit positif .................................................................... 316
A. Le faible succès de l’unilatéralisme en droit positif ..................................................................... 317
1) La maigre proportion de règles unilatérales .............................................................................. 317
a) Les quelques règles unilatérales de droit international privé interne .................................... 317
b) L’absence de règles unilatérales en droit international privé supranational ......................... 319
2) Le difficile recours aux règles unilatérales ................................................................................ 320
a) Le recours plus aisé à la méthode bilatérale en droit international privé interne .................. 320
b) L’impossible emploi de la méthode unilatérale à l’échelle supranationale .......................... 322
B. Le succès tacite de l’unilatéralisme .............................................................................................. 322
1) L’unilatéralisme implicite issu des lois de police ...................................................................... 322
a) L’illustration de règles unilatérales au travers des lois de police.......................................... 323
b) Le recours à un unilatéralisme modéré en faveur des intérêts privés ................................... 324
2) L’unilatéralisme au travers des règles de conflit de nature substantielle ................................... 325
a) La démarche unilatéraliste engendrée par le substantialisme ............................................... 325
b) Le substantialisme contraire à l’universalisme de la méthode.............................................. 327
Sous-section 2 : La méthode bilatérale comme unique réponse à l’universalisation du droit............................ 328
§ 1 – La consécration du bilatéralisme en tant que méthode universelle ...................................................... 328
A. Le système bilatéral comme nouvelle méthode objective universelle .......................................... 328
1) La localisation objective du rapport de droit conformément à sa nature ................................... 329
a) La recherche du siège du rapport de droit conformément à sa nature................................... 329
b) La localisation neutre et objective du siège du rapport de droit ........................................... 330
2) Une méthode fonction d’une communauté juridique romano-chrétienne .................................. 331
a) L’analyse des rapports de droit au regard d’une communauté juridique des peuples ........... 331
b) La classification des rapports de droit conformément aux ordres du droit romain ............... 332
B. Le bilatéralisme savignien au soutien d ’un système neutre et égalitaire ..................................... 334
1) La fin des obstacles imputables aux autres doctrines par recours au bilatéralisme .................... 334
a) L’abandon des théories de l’Ancien Régime grâce à la naissance de la neutralité ............... 334
b) L’exclusion des problèmes spécifiques à l’unilatéralisme ................................................... 335
2) L’imposante reconnaissance doctrinale du bilatéralisme savignien .......................................... 336
a) L’intégration du concept de communauté de droit au sein de la doctrine............................. 336
b) Le recours à la méthode analytique comme fondement doctrinal avéré ............................... 338
§ 2 – La poursuite du bilatéralisme en droit positif demeurée inachevée ..................................................... 339
A. Le recours au bilatéralisme en droit positif par respect des objectifs du droit des conflits de lois 339
1) La méthode bilatérale comme forme traditionnelle des systèmes de droit positif ..................... 340
a) La consécration unanime de la méthode bilatérale par les systèmes nationaux .................... 340
b) L’adoption de la méthode bilatérale dans plusieurs systèmes internationaux ...................... 341
2) L’emploi d’une méthode conforme aux objectifs du droit des conflits de lois .......................... 342
a) La méthode analytique garante d’un système souple et égalitaire ........................................ 342
b) La méthode analytique créatrice d’une communauté de droit internationale ....................... 343
B. Un bilatéralisme carencé portant atteinte à l’égalité de traitement ............................................... 344
1) De l’universalisme au particularisme provoqué par la méthode analytique............................... 344
a) La qualification du rapport de droit selon les conceptions des droits nationaux................... 344
b) La détermination du siège du rapport de droit selon les idéologies de chaque Etat.............. 346
2) Les obstacles surmontables engendrés par l’exigence d’une communauté de droit .................. 346
a) L’illusoire égalité de traitement dans un système confiné par une culture régionale............ 347
b) L’éviction de toute communauté de droit préexistante......................................................... 348
Conclusion du chapitre I :....................................................................................................................................... 351
CHAPITRE II : LA STRUCTURATION D’UNE METHODE BILATERALE A RATTACHEMENT AUX LIENS LES PLUS
ETROITS PAR FIDELITE A L’EGALITE DE TRAITEMENT.................................................................................. 353
Section 1 : L’ébauche d’une méthode parfaitement conforme à la justice conflictuelle ......................................... 353
Sous-section 1 : Les caractères propres et traditionnels de la règle bilatérale garants de l’égalité de traitement354
§ 1 – L’adoption d’une méthode indirecte gage d’un traitement neutre et égalitaire ................................... 354

894
A. La détermination du champ d’application des lois dans l’espace conforme à la neutralité de la règle
354
1) La délimitation dans l’espace de la loi applicable sans recours aux règles de fond ................... 355
a) L’exclusion de tout matérialisme par désignation indirecte de la loi applicable .................. 355
b) L’approche universelle du droit par désignation indirecte de la loi applicable .................... 356
2) La délimitation dans l’espace de la loi applicable exempte de considérations substantielles .... 357
a) L’absence de prise en compte de la loi désignée .................................................................. 357
b) L’assurance d’une méthode neutre universelle .................................................................... 358
B. La désignation de la loi compétente sous l’égide de l’égalité et de l’universalisme ..................... 359
1) La détermination de la loi compétente respectueuse de l’égalité de traitement ......................... 359
a) L’application potentielle de la loi du for ou de la loi étrangère ............................................ 359
b) De l’indifférence du résultat à l’égalité de traitement des sujets de droit ............................. 360
2) De l’unicité de loi applicable à l’universalité du système.......................................................... 360
a) L’exclusion de tout privilège de compétence entre les lois en présence ............................... 361
b) L’universalité de la méthode confirmée par l’unicité de loi applicable ................................ 362
§ 2 – Le recours à la méthode objective abstraite garante d’un traitement égalitaire ................................... 363
A. La réalisation des objectifs du droit des conflits de lois par recours à une localisation objective 363
1) Neutralité et égalité certifiées par une approche scientifique des situations internationales ...... 363
a) La réalisation de la neutralité grâce à la localisation objective ............................................. 364
b) L’égalité concrétisée par une localisation scientifique ......................................................... 364
2) Les intérêts de tous protégés par une approche scientifique des situations internationales ....... 365
a) Les intérêts de l’Etat respectés ............................................................................................. 365
b) Les intérêts privés satisfaits.................................................................................................. 366
B. La réalisation des objectifs du droit des conflits de lois par recours à une localisation abstraite . 367
1) Neutralité et égalité garanties par la règle de conflit à rattachement unique.............................. 367
a) La neutralité de la méthode a priori assurée par le caractère abstrait de la règle .................. 367
b) L’égalité de traitement des sujets de droit promue par un rattachement simple ................... 369
2) Prévisibilité et sécurité juridiques renforcées par la règle de conflit à rattachement simple ...... 370
a) Les règles de conflit à rattachement simple facteurs de prévisibilité juridique .................... 370
b) Les règles de conflit à rattachement simple gages de sécurité juridique .............................. 371
Sous-section 2 : La modernisation des caractères de la règle bilatérale en discorde avec l’égalité de traitement
.......................................................................................................................................................................... 372
§ 1 – L’instauration d’une localisation concrète des situations internationales par souci de spécialisation . 372
A. La spécialisation des règles de conflit modernes à rattachements multiples ................................ 373
1) Le succès limité de la règle de conflit classique en raison de son caractère abstrait.................. 373
a) La prospérité de la méthode bilatérale classique cantonnée à l’échelle nationale ................ 373
b) La cristallisation de la localisation issue du caractère abstrait ............................................. 375
2) La création de règles de conflit modernes objet d’une localisation concrète ............................. 376
a) De la rigidité du rattachement simple à la flexibilité des rattachements multiples ............... 376
b) La spécialisation des règles de conflit en vertu d’une localisation concrète......................... 377
B. La spécialisation des règles de conflit modernes en fonction du résultat visé .............................. 379
1) L’extension du champ d’application des lois applicables .......................................................... 379
a) Le rattachement ultime aux liens les plus étroits .................................................................. 379
b) Les rattachements alternatifs en faveur de la validité de l’institution................................... 380
2) Le resserrement du champ d’application des lois applicables ................................................... 381
a) Les rattachements en cascade objet de la loi la plus favorable à la validité de l’institution . 382
b) Les rattachements cumulatifs par souci d’hostilité eu égard au résultat ............................... 383
§ 2 – L’exclusion d’une localisation neutre et égalitaire générée par une localisation substantielle
individualisée ............................................................................................................................................... 384
A. La recherche de la loi la plus favorable en vertu d’une politique matérielle ................................ 384
1) De l’application de la meilleure loi grâce aux rattachements multiples..................................... 384
a) Les règles de conflit contemporaines à finalité substantielle ................................................ 384
b) La recherche de la loi la plus favorable parmi les lois applicables ....................................... 385
2) La loi la plus favorable au regard des intérêts privés défendus par chaque Etat ........................ 386
a) La loi prétendument la plus favorable conformément aux intérêts privés ............................ 386
b) La loi véritablement la plus favorable au regard des politiques législatives étatiques.......... 387
B. L’égalité de traitement évincée par la promotion d’une justice matérielle ................................... 388
1) Le passage d’une justice du droit des conflits de lois à une justice matérielle .......................... 388

895
a) La remise en cause du caractère indirect de la règle de conflit ............................................. 388
b) La suppression du caractère neutre de la règle de conflit ..................................................... 390
2) L’effacement progressif des objectifs du droit des conflits de lois ............................................ 391
a) L’égalité de traitement réduite à néant par la fragmentation du droit ................................... 391
b) L’imprévisibilité juridique et l’insécurité juridique favorisées ............................................ 392
Section 2 : La maigre proportion de rattachements répondant de l’égalité de traitement ....................................... 394
Sous-section 1 : Des rattachements traditionnels insuffisants à une systématisation du droit des conflits de lois
.......................................................................................................................................................................... 395
§ 1 – Des règles de rattachement abstraites conformes à la nature du rapport de droit ................................ 395
A. La localisation variable issue du rattachement abstrait à la loi personnelle.................................. 395
1) Un rattachement fonction des attributs de la personnalité ......................................................... 396
a) La vocation naturelle du statut personnel à être régi par la loi personnelle .......................... 396
b) La notion divisée de loi personnelle ..................................................................................... 397
2) Une application en droit positif demeurée hétérogène............................................................... 398
a) L’illusoire universalisation du rattachement à la loi personnelle par les droits nationaux.... 399
b) Un rattachement international universel sous réserve de formes variables .......................... 400
B. La localisation marginale issue du rattachement abstrait à la loi territoriale ................................ 402
1) Un rattachement fonction de l’objet du litige ou de la source de l’obligation ........................... 402
a) Le rattachement naturel du statut réel à la lex rei sitae ......................................................... 403
b) L’extension du rattachement à la lex rei sitae à la source du rapport de droit ...................... 404
2) La consécration juridique de la lex rei sitae malgré son caractère inadapté .............................. 405
a) Une reconnaissance de principe en droit international privé interne .................................... 405
b) Une spécialisation nécessaire en droit international privé supranational.............................. 407
§ 2 – Des règles de rattachement lacunaires en termes de localisation objective ......................................... 408
A. Des rattachements viciés par leur caractère abstrait ..................................................................... 408
1) Les carences imputables aux rattachements traditionnels.......................................................... 408
a) Le rattachement à la loi personnelle inapproprié en matière de statut personnel .................. 409
b) Le rattachement à la loi territoriale insuffisant eu égard aux situations complexes.............. 410
2) Les défauts inhérents à l’utilisation des rattachements classiques abstraits ............................... 412
a) Des rattachements identitaires atteints de subjectivisme ...................................................... 412
b) Des rattachements subjectifs favorables à la fragmentation du droit.................................... 413
B. Des rattachements suppléés arbitrairement par la lex fori ............................................................ 414
1) Le recours subsidiaire a priori nécessaire à la loi du for à défaut de rattachements .................. 415
a) L’application subsidiaire de la loi du for en cas de déficience des rattachements ................ 415
b) La vocation subsidiaire de la loi du for a priori justifiée par nécessité ................................. 416
2) Le contestable recours à la loi du for en tant que rattachement subsidiaire ............................... 417
a) Un rattachement favorable aux intérêts de l’ordre juridique du for ...................................... 417
b) Un rattachement réfractaire à l’universalisation du droit ..................................................... 418
Sous-section 2 : L’individualisation des rattachements contemporains irrespectueuse d’une localisation
objective ............................................................................................................................................................ 418
§ 1 – L’avènement de rattachements fondés sur les principes de spécialisation et de proximité.................. 419
A. L’élaboration d’un corpus de règles de rattachement individualisées .......................................... 419
1) L’individualisation des rattachements en fonction d’une catégorie spécifique.......................... 419
a) La singularisation des rattachements conformément à la nature du rapport juridique .......... 420
b) Un rattachement approprié à la fonction de sa catégorie de rattachement ............................ 421
2) Les rattachements classiques approfondis par la création de rattachements spécifiques ........... 421
a) L’approfondissement des règles de rattachement classiques par le droit positif................... 422
b) L’attribution d’un rattachement spécifique à chaque catégorie de rattachement .................. 423
B. Une individualisation modernisée par une localisation concrète de proximité ............................. 424
1) Des rattachements de proximité : l’assurance d’une justice équitable ....................................... 424
a) Des rattachements individualisés de proximité .................................................................... 424
b) Des rattachements garants d’une localisation scientifique des situations juridiques ............ 425
2) Des rattachements de proximité inaptes à résoudre l’aléa de solutions ..................................... 426
a) L’impossible unification des rattachements de proximité .................................................... 426
b) L’insuffisance des rattachements de proximité .................................................................... 427
§ 2 – De rattachements individualisés aux rattachements partiaux .............................................................. 429
A. La spécialisation inachevée des rattachements contemporains..................................................... 429
1) Le recours rigide à la prestation caractéristique du contrat en matière d’actes juridiques ......... 429

896
a) Le recours à l’élément caractéristique du rapport de droit.................................................... 430
b) L’excessive rigidité du recours à un rattachement spécifique en matière contractuelle ....... 431
2) Le recours variable aux éléments géographiques du délit en matière de faits juridiques........... 432
a) La dissociation géographique des éléments matériels du rapport de droit ............................ 432
b) La diversité de solutions engendrée par la dissociation géographique des éléments ............ 434
B. La création de rattachements contemporains partiaux .................................................................. 435
1) L’introduction de l’autonomie de la volonté : l’essor du subjectivisme .................................... 436
a) La consécration de l’autonomie de la volonté conformément à une localisation abstraite ... 436
b) L’inadéquation de l’autonomie de la volonté avec le principe de proximité ........................ 437
2) L’instauration de rattachements substantiels affranchis de toute neutralité ............................... 438
a) Des rattachements substantiels préconisant le retour de la lex fori....................................... 438
b) Des rattachements en rupture avec les objectifs de neutralité et d’égalité ............................ 439
Conclusion du chapitre II : ..................................................................................................................................... 443
CONCLUSION DU TITRE II : ......................................................................................................................... 445
CONCLUSION DE LA PARTIE I :......................................................................................................................... 447
PARTIE II : LA REFORMATION DU REGIME APPLICABLE EN DROIT DES CONFLITS DE LOIS
CONFORMEMENT A L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES . 449
TITRE I : LE REGIME D’APPLICABILITE DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS A REVISITER CONFORMEMENT A
L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES .................................................................... 453
CHAPITRE I : LA RECONSTITUTION DE LA METHODE D’APPLICABILITE AU REGARD DE L’EGALITE DE
TRAITEMENT ............................................................................................................................................... 455
Section 1 : Le recours par défaut à la qualification lege fori en l’absence de qualification internationale ............. 456
Sous-section 1 : Le pragmatisme de la qualification lege fori préféré à l’aléa de la qualification lege causae .. 457
§ 1 – Le rejet de l’aléa dans l’interprétation de la règle conformément à l’égalité de traitement ................. 457
A. L’éviction de la qualification lege causae par mesure de sécurité juridique ................................ 457
1) Le critiquable recours à la qualification lege causae au regard du cumul de qualifications ...... 458
a) Un procédé d’interprétation largement alourdi par l’usage d’une double qualification........ 458
b) Les risques de dénaturation du rapport de droit.................................................................... 459
2) L’emploi contestable de la qualification lege causae au regard de son caractère incertain ....... 460
a) Une méthode dangereuse fondée sur l’éventuelle application de la loi étrangère................. 461
b) Une méthode illégitime face à la vocation première d’application de la loi du for .............. 462
B. La qualification lege causae antagoniste au système conflictuel bilatéral.................................... 462
1) La qualification lege causae incompatible avec l’ancien concept de conflit de souverainetés .. 462
a) L’irrespect de la souveraineté des Etats par le recours à la qualification lege causae .......... 463
b) La souveraineté des Etats seule garantie par la qualification lege fori ................................. 464
2) L’inadéquation de la qualification lege causae avec les règles conflictuelles positives ............ 464
a) La qualification lege causae impraticable dans un système de règles bilatérales ................. 465
b) La qualification lege causae réalisable dans un système de règles unilatérales .................... 465
§ 2 – Le choix fonctionnel de la qualification lege fori par préservation de l’égalité de traitement ............. 467
A. La qualification lege fori encouragée par la sécurité juridique et l’homogénéité d’interprétation 467
1) La qualification lege fori justifiée par l’antériorité de l’ordre national sur l’ordre international 467
a) La projection du droit interne sur le plan international......................................................... 467
b) Le rattachement certain à la loi du for .................................................................................. 469
2) La qualification lege fori justifiée par une interprétation univoque ........................................... 469
a) L’homogénéité d’interprétation réalisée par le recours au rattachement juridictionnel ........ 470
b) L’uniformité d’interprétation assurée par la suppression des conflits de qualifications ....... 470
B. Le recours à la qualification lege fori motivé par son adaptabilité ............................................... 471
1) Une qualification adaptée par l’intégration complémentaire de la lex causae ........................... 471
a) L’analyse préliminaire des institutions étrangères par concordance aux situations d’espèce 471
b) L’appel secondaire à une qualification en sous-ordre par complémentarité ......................... 473
2) Une qualification adaptable aux règles de conflit supranationales ............................................ 474
a) La création de qualifications communes compatibles avec la qualification lege fori ........... 474
b) L’apparition d’une interprétation supranationale autonome conciliable avec la qualification
lege fori ........................................................................................................................................ 476
Sous-section 2 : L’abandon de la qualification lege fori au profit d’une qualification autonome conditionnée par
l’égalité de traitement ........................................................................................................................................ 477
§ 1 – L’inégalité de traitement engendrée par le recours à la qualification lege fori .................................... 477

897
A. De l’illusoire sécurité juridique à l’hétérogénéité des interprétations........................................... 477
1)
De l’homogénéité à l’hétérogénéité d’interprétation ................................................................. 478
a) L’irréductibilité de certaines institutions à une seule catégorie de rattachement .................. 478
b) La réponse insuffisante de la déformation des catégories de rattachement du for ................ 479
2) Une qualification incompatible avec les règles de conflit supranationales ................................ 480
a) Le recours subsidiaire à la qualification lege fori malgré des qualifications communes ...... 481
b) Le recours nécessaire à la qualification lege fori à défaut de qualifications autonomes
uniformes ..................................................................................................................................... 482
B. D’une interprétation orientée à une qualification disparate .......................................................... 485
1) La qualification lege fori : une méthode exempte de neutralité ................................................. 485
a) Une qualification fonction de l’ordre juridique saisi ............................................................ 485
b) Une qualification objet d’une politique législative nationale ............................................... 486
2) La qualification lege fori : un procédé aux antipodes d’une égalité de traitement ..................... 487
a) Une qualification instigatrice de fragmentation juridique .................................................... 487
b) Une qualification incitatrice à la fraude à la loi.................................................................... 488
§ 2 – Le recours envisageable à une qualification internationale corollaire de l’égalité de traitement......... 488
A. Les caractères préalables à une qualification garante d’égalité .................................................... 488
1) D’une qualification autonome à une qualification universelle................................................... 489
a) Une qualification nécessairement autonome ........................................................................ 489
b) Une qualification inéluctablement universelle ..................................................................... 490
2) Une qualification réalisable par le biais d’une communauté de droit issue d’une étude
comparative ....................................................................................................................................... 490
a) Une qualification basée sur l’édification d’une communauté de droit internationale ........... 490
b) Une qualification construite au regard d’une approche comparative des institutions........... 491
B. D’une qualification autonome à une qualification de droit international privé ............................ 492
1) Une qualification autonome et universelle expérimentalement utopique .................................. 492
a) L’impossible qualification universelle en l’état des relations internationales actuelles ........ 493
b) L’insuffisance de la méthode comparative à l’établissement de qualifications autonomes .. 494
2) La proposition d’une qualification de droit international privé spécifique à une méthode
conflictuelle unique ........................................................................................................................... 495
a) La suppression du problème de qualification par recours au rattachement des liens les plus
étroits............................................................................................................................................ 495
b) La classification de la situation juridique grâce à une qualification de droit international privé
497
Section 2 : La détermination lacunaire et aléatoire de la règle de droit applicable ................................................. 499
Sous-section 1 : L’encadrement strict et coordonné de l’applicabilité exigé par l’égalité de traitement ........... 499
§ 1 – De la hiérarchie des normes à la coordination juridique des systèmes ................................................ 500
A. La règle applicable diversement appréhendée au prisme de la hiérarchie des normes ................. 500
1) La recherche du texte applicable fonction du système constitutionnel retenu ........................... 500
a) Une recherche subordonnée à une double appréhension de la hiérarchie des normes .......... 500
b) Une perception double résultant de systèmes constitutionnels divergents ........................... 501
2) Une hiérarchisation nationale malgré l’existence de règles supranationales ............................. 502
a) Une hiérarchie à plusieurs niveaux au regard de la multiplicité d’ordres juridiques ............ 503
b) Une hiérarchie étendue à l’international en l’absence de hiérarchie commune .................... 503
B. La préférence accordée à une coordination des systèmes ............................................................. 505
1) Une hiérarchisation nationale facteur de fragmentation juridique ............................................. 505
a) La primauté accordée au souverainisme face à l’internationalisme ...................................... 505
b) L’incohérence favorisée entre les différents niveaux d’ordres juridiques ............................ 506
2) La recherche d’une organisation juridique commune vectrice d’égalité ................................... 507
a) L’idéale mise en place d’une hiérarchie des normes commune ............................................ 507
b) La préférence pour une logique de systèmes fondée sur le principe de primauté ................. 508
§ 2 – Le resserrement des conditions d’applicabilité autour du prisme de l’égalité de traitement ............... 510
A. Vers une internationalisation de la condition d’applicabilité matérielle ....................................... 510
1) Le strict encadrement de la condition matérielle par souci d’application uniforme................... 510
a) Un champ d’application strictement délimité par les textes internationaux.......................... 511
b) Un champ d’application spécialement défini de manière autonome .................................... 511
2) Vers une uniformisation du contentieux international assurée par la condition matérielle ........ 512
a) La vocation politique des textes internationaux à englober toute situation juridique ........... 513

898
b) Une uniformisation matérielle limitée par le fléau de l’interprétation.................................. 514
B. La vocation extensive de la condition spatiale contraire à l’égalité de traitement ........................ 515
1) L’indispensable rattachement avec le territoire d’un Etat membre ou partie............................. 515
a) La légitime exigence d’un rattachement en matière de conflit de juridictions...................... 515
b) Un champ d’application spatial d’apparence universel en matière de conflit de lois ........... 516
2) L’accroissement contestable de la condition spatiale à toute situation internationale ............... 517
a) La vocation extensive de la condition spatiale à englober toute situation internationale...... 517
b) Une extension de la condition spatiale aux situations internationales tierces ....................... 518
Sous-section 2 : Le contournement admis de la règle applicable par recours uniforme aux lois de police........ 520
§ 1 – Le mécanisme indispensable des lois de police au mépris de son identification confuse.................... 521
A. L’application immédiate de lois de police a priori discutable...................................................... 521
1) L’incompatible recours aux normes nationales impératives dans un système conflictuel ......... 521
a) L’impérativité critiquable de normes objet d’une politique législative ................................ 521
b) L’impérativité contestable de normes fonction de considérations politiques mouvantes ..... 523
2) L’appel impérieux aux normes nationales impératives dans tout système de droit des conflits de
lois 524
a) Une application équivalente subordonnée à l’implication de chaque ordre juridique .......... 524
b) Les intérêts privés complémentairement garantis par les ordres juridiques nationaux ......... 526
B. L’égalité de traitement remise en cause par une identification lacunaire des lois de police ......... 528
1) Une identification aléatoire et confuse en l’absence d’encadrement de la notion...................... 528
a) L’absence de définition stricte et de critères d’identification des lois de police ................... 528
b) Une détermination quasi unanimement soumise au libre arbitre du juge ............................. 530
2) L’indispensable encadrement de la notion par mesure d’égalité ............................................... 531
a) L’établissement de références strictes devant être motivée par le juge ................................ 531
b) La dénomination de loi de police attribuée directement par le législateur ........................... 532
§ 2 – L’application de toute loi de police nationale conformément a l’égalité de traitement ....................... 533
A. L’application sur un pied d’égalité des lois de police du for et étrangère .................................... 533
1) Un mécanisme conditionné par l’applicabilité des lois de police à la situation internationale .. 533
a) L’applicabilité présumée des lois de police du for à la situation internationale ................... 533
b) L’applicabilité des lois de police fonction d’un rattachement avec la situation internationale
535
2) L’application légitime des lois de police étrangères demeurant conditionnée ........................... 535
a) L’application des lois de police étrangères au même titre que les lois de police du for ....... 535
b) Une application circonstanciée des lois de police étrangères à leur applicabilité à la situation
internationale................................................................................................................................ 537
B. L’application des lois de polices uniquement de source nationale ............................................... 538
1) L’uniformisation des lois de police grâce à leur source régionale ............................................. 539
a) L’extension du mécanisme des lois de police à l’ordre juridique régional européen............ 539
b) Une identification et une application uniforme par reconnaissance de lois de police
européennes.................................................................................................................................. 540
2) Le maintien incontesté de lois de police uniquement de source nationale ................................. 540
a) La politique législative européenne protégée par les lois de transposition nationales .......... 540
b) L’indispensable maintien de lois de police uniquement nationales ...................................... 541
Conclusion du chapitre I :....................................................................................................................................... 545
CHAPITRE II : DE LA SUPPRESSION A LA REVISION DES MECANISMES PERTURBATEURS EN VERTU DE
L’EGALITE DE TRAITEMENT ........................................................................................................................ 547
Section 1 : De la défense à l’abolition du renvoi en réponse au système bilatéral .................................................. 548
Sous-section 1 : La défense malaisée du renvoi dans une logique d’égalité de traitement ................................ 549
§ 1 – La légitimité relative du renvoi eu égard aux doctrines favorables à son admission ........................... 549
A. L’intolérable défense du renvoi via des arguments publicistes .................................................... 549
1) La théorie erronée du renvoi-délégation .................................................................................... 549
a) Le renvoi objet d’une délégation de compétence de la part de l’ordre juridique du for ....... 550
b) L’absence de délégation de compétence dans la mise œuvre des règles de conflit .............. 550
2) La modernisation du renvoi au travers de l’unilatéralisme ........................................................ 552
a) Le renvoi à la loi du for commandé par le respect des souverainetés ................................... 552
b) L’incompatibilité du renvoi d’essence unilatéraliste dans un système bilatéraliste.............. 553
B. La défense a priori légitime du renvoi au regard des objectifs du droit des conflits de lois......... 554
1) Le renvoi défendu sous l’égide de l’harmonisation du droit des conflits de lois ....................... 554

899
a) Le renvoi règlement-subsidiaire facteur d’harmonisation .................................................... 554
b) Le renvoi règlement-subsidiaire atteint d’incertitude juridique............................................ 556
2) Le renvoi soutenu à l’aune de la coordination des systèmes ..................................................... 557
a) Le renvoi coordination adapté à un système neutre et égalitaire .......................................... 557
b) Le renvoi coordination vicié par l’objection du chassé-croisé ............................................. 559
§ 2 – La reconnaissance du renvoi en droit positif en raison de ses différents atouts................................... 559
A. L’admission du renvoi par la jurisprudence française au regard des finalités du droit des conflits de
lois 559
1) Une consécration par souci d’harmonie et de réalisme.............................................................. 560
a) La reconnaissance du renvoi motivée par l’harmonisation des règles de conflit .................. 560
b) L’admission du renvoi par réalisme à l’égard des situations internationales........................ 561
2) Une consécration globale conformément aux objectifs du droit des conflits de lois ................. 562
a) L’admission jurisprudentielle du renvoi sous ses différentes déclinaisons........................... 562
b) Un mécanisme en réponse aux finalités du droit des conflits de lois ................................... 563
B. L’admission généralisée du renvoi en droit positif eu égard à son pragmatisme .......................... 564
1) La reconnaissance juridique quasi unanime du renvoi .............................................................. 564
a) L’accueil du renvoi par la plupart des ordres juridiques internes ......................................... 564
b) La prescription du renvoi par certains textes internationaux ................................................ 565
2) Le recours au renvoi réellement imputable à son caractère pragmatique .................................. 565
a) L’homogénéité de la loi interne respectée par le fonctionnement du renvoi ........................ 566
b) Le renvoi justifié par le traitement a priori égalitaire des situations internationales ............ 567
Sous-section 2 : L’exclusion souhaitée du renvoi par mesure d’égalité de traitement....................................... 568
§ 1 – La remise en cause du renvoi au travers d’objections théoriques et pratiques .................................... 568
A. Les objections théoriques fondées sur le respect de la méthode conflictuelle .............................. 568
1) Le rejet indiscutable du renvoi face à la fonction des règles de conflit ..................................... 568
a) L’exclusion controversable du renvoi par respect du principe de souveraineté .................... 569
b) L’opposition ferme à un mécanisme émanant d’une confusion terminologique .................. 570
2) La création de solutions incurables par le recours au mécanisme du renvoi.............................. 571
a) L’incohérence du mécanisme face à l’hypothèse du chassé-croisé ...................................... 571
b) L’incompatibilité de résultat au regard du cercle vicieux ou de la chaîne infinie................. 572
B. L’application sélective du renvoi contraire à la prévisibilité juridique......................................... 573
1) Un mécanisme d’application sélective : le régime instable du renvoi ....................................... 573
a) Un régime mouvant fonction de l’objectif de la règle de conflit .......................................... 573
b) Un régime variable d’un domaine d’application à l’autre .................................................... 575
2) Une application aléatoire astreinte à l’imprévisibilité juridique ................................................ 576
a) Un outil soumis à la libre appréciation du juge dans sa mise en œuvre ................................ 577
b) Un procédé vecteur de forum shopping................................................................................ 578
§ 2 – Le rejet préconisé du renvoi dans un système bilatéral en l’absence de remèdes suffisants ................ 578
A. Des solutions doctrinales insuffisantes face aux défauts du renvoi .............................................. 578
1) La proposition d’un renvoi exceptionnel guidé par une approche fonctionnelle ....................... 579
a) Une utilisation exceptionnelle en fonction du but poursuivi par la règle de conflit.............. 579
b) Une approche fonctionnelle vraisemblablement artificielle ................................................. 580
2) Les prémices d’un système harmonisé par l’éventuel recours au double renvoi ....................... 581
a) Le recours souhaité au renvoi anglo-saxon garant de l’harmonisation des solutions ........... 581
b) Une méthode insusceptible de généralisation ....................................................................... 582
B. Le rejet unanime du renvoi par respect de la méthode bilatérale.................................................. 583
1) Le rejet du renvoi par respect d’une localisation neutre de proximité ....................................... 584
a) Un mécanisme incompatible avec le caractère neutre de la règle de conflit bilatérale ......... 584
b) Un mécanisme inconcevable au regard d’une localisation concrète du rapport de droit ...... 585
2) Le rejet du renvoi par mesure d’égalité de traitement et d’universalisme ................................. 586
a) Un procédé sélectif fonction du résultat substantiel visé par l’ordre juridique du for .......... 586
b) Un procédé aléatoire excluant toute application universelle ................................................ 587
Section 2 : Les conflits de lois dans le temps et l’espace réformés au regard de l’égalité de traitement................. 589
Sous-section 1 : La résolution du conflit de lois dans le temps conformément à la fonction du droit transitoire
.......................................................................................................................................................................... 589
§ 1 – Des solutions classiques incompatibles avec la nature de la règle bilatérale ....................................... 590
A. Des solutions traditionnelles inappropriées aux objectifs du droit des conflits de lois ................. 590
1) L’impertinence de toute solution drastique entre règle de conflit nouvelle ou ancienne ........... 590

900
a) L’insécurité juridique issue de l’application immédiate de la règle de conflit nouvelle ....... 590
b) L’application radicale irréaliste de la règle de conflit ancienne ........................................... 592
2) L’inefficacité de solutions intermédiaires à la résolution du conflit transitoire ......................... 593
a) La méthode du contact avec le système du for entachée d’incertitude ................................. 593
b) La méthode unilatérale de consultation des lois substantielles affectée de carences ............ 594
B. Une méthode majoritaire uniforme incompatible avec la règle de conflit .................................... 596
1) La transposition des règles du droit transitoire interne au conflit transitoire international ........ 596
a) L’application majoritaire des principes généraux du droit transitoire interne ...................... 596
b) L’application relative des règles de droit transitoire interne spéciales ................................. 598
2) Une transposition inconciliable avec la règle de conflit bilatérale............................................. 599
a) La non-assimilation des règles de droit interne aux règles conflictuelles ............................. 599
b) L’inadéquation des règles de droit interne avec la neutralité de la règle de conflit .............. 600
§ 2 – Vers la détermination de règles communes conforme à l’égalité de traitement .................................. 601
A. La recherche idéaliste d’un règlement matériel commun ............................................................. 601
1) La détermination de principes généraux communs propres à la résolution de tout conflit de droit
transitoire........................................................................................................................................... 601
a) La mise en place de règles matérielles par le biais de principes généraux communs de droit
transitoire ..................................................................................................................................... 601
b) La résolution du conflit de lois dans le temps par le recours aux principes généraux du droit
transitoire interne ......................................................................................................................... 602
2) La relativité des principes généraux communs de droit transitoire ............................................ 603
a) La coïncidence partielle des principes généraux du droit transitoire interne aux règles de droit
transitoire international ................................................................................................................ 603
b) L’impossible établissement de principes généraux communs en l’absence de communauté
juridique internationale ................................................................................................................ 605
B. La création d’une méthode universelle par application du droit transitoire de l’ordre juridique en
cause 605
1) L’application du droit transitoire de l’ordre juridique des règles en conflit............................... 606
a) Une méthode unique applicable par chaque ordre juridique conformément à la fonction du
droit transitoire ............................................................................................................................. 606
b) L’application des seuls principes généraux soucieux du respect de l’unité de la législation
conflictuelle.................................................................................................................................. 607
2) Une méthode en accord avec les objectifs de la méthode conflictuelle bilatérale ..................... 609
a) Une solution conforme à la neutralité de la méthode conflictuelle ....................................... 609
b) Une solution garante de l’égalité de traitement des sujets de droit....................................... 609
Sous-section 2 : L’abolition du conflit mobile par le recours à la méthode bilatérale à rattachement aux liens les
plus étroits ......................................................................................................................................................... 610
§ 1 – L’éviction de doctrines classiques antagonistes avec le particularisme du conflit mobile .................. 610
A. Le recours relativement limité à la doctrine des droits acquis ...................................................... 611
1) Le recours à la doctrine des droits acquis par souci de stabilité des institutions........................ 611
a) Le maintien des droits régulièrement acquis à l’étranger ..................................................... 611
b) Le maintien de la stabilité des droits et institutions.............................................................. 612
2) Une doctrine incompatible avec la vivacité du conflit de lois ................................................... 613
a) Une méthode inadaptée à la réalité du conflit de lois ........................................................... 613
b) Une méthode inconciliable avec le bilatéralisme ................................................................. 614
B. L’analogie imparfaite opérée entre conflit mobile et conflit transitoire ....................................... 615
1) L’assimilation du conflit mobile au conflit de droit transitoire ................................................. 616
a) La transposition des solutions du conflit de droit transitoire au conflit mobile .................... 616
b) Un procédé avantageux au regard des objectifs poursuivis par le droit transitoire interne... 617
2) L’incompatibilité des règles du droit transitoire interne avec la résolution du conflit mobile ... 618
a) La différence de nature entre le conflit mobile et le conflit transitoire ................................. 618
b) L’unique transposition du principe d’application immédiate de la loi nouvelle au conflit
mobile .......................................................................................................................................... 620
§ 2 – Une concevable résolution du conflit mobile conforme à la règle bilatérale ....................................... 622
A. Le dénouement espéré du conflit mobile par interprétation de la règle de conflit ........................ 622
1) La recherche d’une solution au regard de la finalité de la règle de conflit ................................ 622
a) La résolution du conflit mobile par interprétation de la règle de conflit............................... 622
b) L’interprétation de la règle de conflit au regard de ses quatre fondements .......................... 623

901
2)
Une approche finaliste du conflit mobile fonction de l’arbitraire du juge ................................. 624
a) La variabilité de solutions issue de l’approche internationaliste du conflit mobile .............. 624
b) Le caractère neutre de la méthode conflictuelle mis à mal par l’aléa de solutions ............... 625
B. De la résolution à la suppression du conflit mobile par la règle de conflit ................................... 625
1) La résolution illusoire du conflit mobile par la détermination d’un critère spatio-temporel ...... 625
a) La fixation du facteur temps par la règle de conflit elle-même ............................................ 625
b) Une procédure en inadéquation avec la réalité des situations internationales ...................... 627
2) L’éviction du conflit mobile par le recours à une règle de conflit unique ................................. 628
a) La suppression du conflit mobile par le rattachement unique aux liens les plus étroits........ 628
b) L’assurance d’un traitement identique des situations internationales ................................... 629
Conclusion du chapitre II : ..................................................................................................................................... 631
CONCLUSION DU TITRE I :........................................................................................................................... 633
TITRE II : LE REGIME D’APPLICATION DU DROIT DES CONFLITS DE LOIS A RECONSIDERER A L’AUNE DE
L’EGALITE DE TRAITEMENT DES SITUATIONS INTERNATIONALES .................................................................... 635
CHAPITRE I : LE REGIME D’APPLICATION DE LA REGLE DE CONFLIT ET DE LA LOI COMPETENTE A
PERFECTIONNER AU REGARD DE L’EGALITE DE TRAITEMENT...................................................................... 637
Section 1 : Le changement conseillé de régime d’application de la règle de conflit ............................................... 638
Sous-section 1 : La remise en cause de l’office du juge conformément a l’égalité de traitement ...................... 638
§ 1 – La relativité des fondements juridiques retenus en matière d’office du juge....................................... 639
A. Un office du juge construit au regard de la nature des droits en cause ......................................... 639
1) La création jurisprudentielle d’un office du juge cantonné aux droits indisponibles ................. 639
a) La difficile construction d’un office du juge spécifique en droit international privé ............ 639
b) L’élaboration d’un office du juge au regard de l’unique critère des droits indisponibles ..... 642
2) La spécificité de l’office du juge en droit international privé au regard de la nature des droits en
cause .................................................................................................................................................. 643
a) Un régime distinct selon la nature du droit en cause : de la faculté à l’obligation ................ 643
b) Un régime a priori justifié par la nature du droit en cause.................................................... 644
B. Un office du juge synonyme d’insécurité juridique et d’inégalité de traitement .......................... 645
1) Le critère inadapté des droits indisponibles en droit international privé ................................... 645
a) L’incertitude constante du critère dans chaque ordre juridique interne ................................ 645
b) L’identification nationale des droits en cause en vertu des conceptions du for .................... 646
2) Un régime hasardeux pour les règles de droit international privé.............................................. 647
a) L’aléa issu de la tendance internationaliste du juge saisi...................................................... 647
b) L’incitation au forum shopping ............................................................................................ 648
§ 2 – La recherche d’un office du juge adapté à la règle de conflit traditionnelle garante de l’égalité de
traitement ..................................................................................................................................................... 649
A. Des règles propres à l’office du juge incompatibles avec la discipline du droit international privé
649
1) Un office du juge désuet au regard de la modernisation de la discipline ................................... 649
a) Un office du juge incohérent avec la diversification récente des règles de conflit ............... 649
b) Le resserrement juridique souhaité de l’office du juge......................................................... 651
2) Un encadrement juridique impertinent au regard de la spécificité du droit international privé . 651
a) La relégation inadmissible de la règle de conflit à un rang supplétif.................................... 652
b) L’abstraction intolérable du caractère international de la situation ...................................... 653
B. La révision de l’office du juge suggérée par l’égalité de traitement ............................................. 655
1) L’application obligatoire des règles de conflit respectueuse des principes directeurs du procès 655
a) Le remplacement de l’office du juge par l’application obligatoire des règles de conflit ...... 655
b) L’application d’office des règles de conflit conformément aux principes directeurs du procès
656
2) L’extinction de la distinction conforme aux objectifs de neutralité et d’égalité de traitement .. 658
a) Le principe de neutralité préservé par le déclenchement d’office de la règle de conflit ....... 658
b) L’égalité de traitement garantie par la mise en œuvre d’office de la règle de conflit ........... 659
Sous-section 2 : La levée des exceptions à l’office du juge par recours à la loi des liens les plus étroits .......... 659
§ 1 – L’impossible exécution de la règle de conflit à raison d’obstacles a priori insurmontables ............... 660
A. La vocation subsidiaire naturelle de la loi du for en cas de défaillance des éléments de
rattachement............................................................................................................................................ 660
1) L’inapplication de la règle de conflit en cas de défaillance des rattachements .......................... 660
a) L’application subsidiaire de la lex fori en cas de défaillance du rattachement ..................... 660

902
b) L’application subsidiaire limitée de la lex fori à certaines catégories de rattachement ........ 661
2)
L’application subsidiaire de la loi de la juridiction saisie par nécessité .................................... 662
a) L’application subsidiaire de la lex fori en tant que rattachement juridictionnel ................... 662
b) L’application subsidiaire de la loi du for par mesure de sécurité juridique .......................... 663
B. De la substitution à la suppression du rattachement subsidiaire à la lex fori ................................ 664
1) Le recours illégitime et irréaliste à la lex fori en tant que rattachement subsidiaire .................. 664
a) L’absence de légitimité de la lex fori en termes de rattachement ......................................... 664
b) L’application plus réaliste du rattachement aux liens les plus étroits ................................... 665
2) Le recours suggéré à la méthode universelle des liens les plus étroits....................................... 666
a) La suppression du rattachement subsidiaire par recours à un rattachement unique .............. 666
b) Le retour de l’égalité de traitement par abolition du rattachement subsidiaire ..................... 667
§ 2 – L’éviction de la règle de conflit applicable par le recours discutable à l’accord procédural ............... 667
A. La mise à l’écart de la règle de conflit autorisée par la nature des droits en cause ....................... 668
1) La remise en cause de la loi applicable compatible avec l’office du juge ................................. 668
a) L’éviction du résultat éconduit par la règle de conflit grâce à l’accord procédural .............. 668
b) La cohérence de l’accord procédural avec l’office du juge .................................................. 669
2) L’admission de l’accord procédural au regard de la nature des droits en cause ........................ 670
a) La prise en compte naturelle de l’autonomie de la volonté .................................................. 670
b) Le correctif au pouvoir facultatif du juge en matière de droits disponibles.......................... 671
B. Un instrument aux antipodes des objectifs de la méthode bilatérale ............................................ 671
1) Un outil procédural à éradiquer eu égard à ses malformations inhérentes ................................. 672
a) La réalisation confuse et complexe de l’accord procédural .................................................. 672
b) Une option procédurale contestable au regard du caractère obligatoire des règles de conflit675
2) L’éviction suggérée de l’accord procédural par respect de l’égalité de traitement .................... 676
a) La suppression de l’accord procédural par la méthode unique des liens les plus étroits....... 677
b) L’abolition de l’accord procédural nécessitée par la justice conflictuelle ............................ 677
Section 2 : Le maintien quasi unanime du régime d’application de la loi matérielle compétente .......................... 678
Sous-section 1 : L’application de la loi matériellement désignée encline à l’égalité de traitement ................... 679
§ 1 – La défense de la juridicité de la loi étrangère et de l’établissement de son contenu par le juge .......... 679
A. L’application uniforme de la loi matérielle désignée en tant que règle de droit ........................... 680
1) L’application incontestée de la loi étrangère comme règle de droit .......................................... 680
a) La loi étrangère statutairement inassimilable à un fait ......................................................... 680
b) La loi étrangère nécessairement considérée comme du droit ............................................... 682
2) L’application de la loi étrangère comme règle de droit par mesure d’égalité de traitement ...... 683
a) L’application obligatoire de la loi reconnue matériellement applicable ............................... 683
b) L’application sur un pied d’égalité de la loi du for et de la loi étrangère ............................. 684
B. La rationalité du régime de la charge de la preuve sous l’égide de l’égal accès au droit.............. 684
1) Le régime cohérent de la charge de la preuve en droit international privé ................................ 684
a) Le régime de la charge de la preuve compatible avec l’office du juge ................................. 685
b) La charge de la preuve conforme au statut juridique de la loi étrangère .............................. 687
2) L’égal accès au droit assuré par le régime de la charge de la preuve......................................... 688
a) La rupture d’égalité engendrée par l’établissement du droit étranger par les parties ............ 688
b) L’égal accès au droit des justiciables garanti par le service public de la justice................... 690
§ 2 – L’application uniforme de la loi matérielle applicable exceptionnellement susceptible de rupture
d’égalité ....................................................................................................................................................... 691
A. La détermination d’une solution neutre en cas de défaillance dans l’établissement de la loi
étrangère ................................................................................................................................................. 691
1) La vocation subsidiaire de la lex fori en cas d’impossible rapport de la preuve ........................ 691
a) L’exclusion du débouté conformément à la charge de la preuve .......................................... 692
b) L’application subsidiaire de la lex fori par sécurité juridique .............................................. 693
2) La substitution de la loi des liens les plus étroits à la lex fori .................................................... 693
a) L’application naturelle de la lex fori : une vocation contraire à la neutralité de la méthode
conflictuelle.................................................................................................................................. 694
b) Le recours suggéré à la seconde loi qui présente les liens les plus étroits ............................ 695
B. L’égalité de traitement mise à mal par la charge de la preuve en matière d’accord procédural ... 696
1) Le régime contestable de la preuve en matière d’accord procédural ......................................... 696
a) La charge de la preuve incombant aux parties en matière d’accord procédural.................... 696
b) La rupture d’égalité engendrée par la charge de la preuve de l’accord procédural............... 698

903
2) La remise en cause de la charge de la preuve de l’accord procédural par mesure d’égalité de
traitement........................................................................................................................................... 699
a) Une rupture d’égalité atténuée en pratique ........................................................................... 699
b) La rupture d’égalité supprimée par abolition de l’accord procédural ................................... 700
Sous-section 2 : Le contrôle du juge dans l’application de la loi désignée incidemment réfractaire à l’égalité de
traitement .......................................................................................................................................................... 701
§ 1 – Le contrôle relatif de la haute juridiction à l’égard de l’application de la loi étrangère ...................... 701
A. L’exclusion cohérente des pourvois fondés sur la violation de la loi étrangère............................ 701
1) L’irrecevabilité contestable des pourvois fondés sur la violation de la loi étrangère................. 702
a) L’interprétation de la loi étrangère soumise à tort à l’appréciation souveraine des juges du
fond 702
b) L’assimilation erronée de la loi étrangère aux contrats en termes d’application .................. 704
2) L’irrecevabilité des pourvois pour violation de la loi étrangère conforme à l’égalité de traitement
705
a) Le rejet du contrôle de l’interprétation de la loi étrangère par respect du droit étranger effectif
705
b) L’exclusion des pourvois pour violation de la loi étrangère conforme à la mission de la Cour
de cassation .................................................................................................................................. 706
B. La recevabilité des pourvois fondés sur la motivation par respect de la méthode conflictuelle ... 707
1) L’application de la loi étrangère soumise à la censure du contrôle de légalité .......................... 708
a) L’insuffisance des motifs sanctionnée en droit international privé....................................... 708
b) La dénaturation de la loi étrangère spécialement réprimée en droit international privé ....... 709
2) L’égalité de traitement garantie par le contrôle de légalité ........................................................ 711
a) Le contrepoids à l’irrecevabilité de pourvois pour violation de la loi étrangère ................... 711
b) Une protection étendue de la règle de conflit accordée par le contrôle de légalité ............... 713
§ 2 – L’absence discutable de censure de la mauvaise application de la règle de conflit ............................. 714
A. La protection des sujets de droit spécialement garantie par la théorie de l’équivalence ............... 714
1) Le recours à la théorie de l’équivalence par sécurité juridique .................................................. 715
a) La reconnaissance jurisprudentielle de l’équivalence des droits en considération du résultat
substantiel .................................................................................................................................... 715
b) L’équivalence des droits motivée par des raisons procédurales ........................................... 716
2) L’équivalence concrète admise en réponse aux objectifs d’une justice matérielle .................... 717
a) L’assurance d’une meilleure justice substantielle aux justiciables ....................................... 717
b) Le recours abusif au dispositif sanctionné par la dénaturation ............................................. 717
B. Une exception défaillante au regard de la justice conflictuelle .................................................... 718
1) Une exception contraire à la méthode conflictuelle classique ................................................... 718
a) L’équivalence des droits irrespectueuse de l’autorité de la règle de conflit.......................... 718
b) La remise en cause de l’égalité de traitement ....................................................................... 719
2) La suppression requise d’une exception inadaptée en droit des conflits de lois ........................ 721
a) Une exception complexe et incohérente avec la mise en œuvre de la règle de conflit.......... 722
b) Une exception désuète eu égard au régime applicable en matière de preuve ....................... 723
Conclusion du chapitre I :....................................................................................................................................... 727
CHAPITRE II : LA REMISE EN CAUSE PARTIELLE DE L’EGALITE DE TRAITEMENT PAR LES MECANISMES
D’EVICTION DE LA LOI MATERIELLE APPLICABLE ....................................................................................... 729
Section 1 : Le recours impérieux à un ordre public international affiné eu égard au respect de l’égalité de traitement
................................................................................................................................................................................ 730
Sous-section 1 : L’admission de l’ordre public international traditionnel malgré ses défauts ........................... 731
§ 1 – L’ordre public international : un mécanisme indispensable à perfectionner ....................................... 731
A. La légitime recours à l’ordre public international dans tout système ........................................... 731
1) L’ordre public international au soutien des valeurs fondamentales de l’ordre juridique du for . 731
a) Le recours à l’ordre public international au regard du maintien de la paix sociale ............... 732
b) Un mécanisme nécessairement limité à l’ordre juridique de référence du for ...................... 734
2) L’ordre public international observé au regard d’un rattachement avec l’ordre juridique du for
736
a) Une exception a priori conditionnée par l’Inlandsbeziehung ............................................... 736
b) Une exception uniquement subordonnée au rattachement juridictionnel ............................. 737
B. La détermination délicate des cas d’ordre public international .................................................... 738
1) Le contenu indéfinissable et aléatoire de l’ordre public international ....................................... 739

904
a) L’ordre public international : une notion insaisissable ......................................................... 739
b) L’ordre public international : une notion vectrice d’aléas .................................................... 740
2) Les caractères consubstantiels à la fonction de l’ordre public international .............................. 743
a) Un outil variable au credo de l’actualité ............................................................................... 743
b) Un outil relatif astreint à une appréciation in concreto ......................................................... 745
§ 2 – Le régime quasi antinomique de l’exception avec les objectifs du droit des conflits de lois .............. 747
A. L’effet substitutif incompatible avec la méthode conflictuelle ..................................................... 748
1) La malheureuse substitution de la lex fori au détriment de la loi des liens les plus étroits ........ 748
a) L’incompatibilité du recours à la lex fori par respect de la méthode conflictuelle ............... 748
b) Le recours substitutif aux liens les plus étroits conforme à l’égalité de traitement .............. 750
2) Le rejet d’un effet substitutif indéterminé quant à son étendue ................................................. 751
a) L’étendue fluctuante de la substitution génératrice d’inégalité ............................................ 751
b) La substitution cohérente au tout de la loi la plus proche..................................................... 752
B. Les applications controversables de l’exception par la jurisprudence .......................................... 754
1) Le caractère exceptionnel du mécanisme approfondi par l’effet atténué ................................... 754
a) La reconnaissance de l’effet atténué conformément à la fonction de l’ordre public............. 754
b) L’effacement du potentiel impérialisme de la lex fori .......................................................... 755
2) L’inégalité et l’insécurité entretenues par certains cas d’ordre public international .................. 756
a) L’inégalité engendrée par la subsistance du règne de la lex fori .......................................... 756
b) L’insécurité juridique provoquée par la création de situations boiteuses ............................. 758
Sous-section 2 : La modernisation de l’ordre public international respectueuse de la règle de conflit.............. 759
§ 1 – Vers un recours à l’ordre public de proximité conformément à la méthode conflictuelle ................... 759
A. La justice conflictuelle assurée par la réformation de l’ordre public international ....................... 760
1) L’introduction du principe de proximité conformément aux objectifs du droit des conflits de lois
760
a) La référence au concept de proximité par mesure de réalisme ............................................. 760
b) L’intégration de la proximité au service de la méthode conflictuelle ................................... 762
2) Une exception affinée au travers des manifestations spécifiques de l’ordre public de proximité
764
a) L’ordre public de proximité : complément de l’ordre public ordinaire ................................ 764
b) L’ordre public de proximité : correctif à l’effet atténué ....................................................... 766
B. Le champ d’application relatif de l’ordre public de proximité ..................................................... 768
1) Le recours à l’ordre public de proximité assujetti à des rattachements spécifiques ................... 768
a) La prédétermination nécessaire des rattachements de proximité .......................................... 768
b) L’heureuse identification des rattachements de proximité par la jurisprudence ................... 769
2) La fâcheuse restriction du domaine matériel de l’ordre public de proximité ............................. 771
a) Le cantonnement regrettable de l’ordre public de proximité au statut personnel ................. 771
b) Le potentiel détournement de la fonction de l’ordre public de proximité............................. 772
§ 2 – Vers une régionalisation désirée du champ d’application matériel et spatial de l’ordre public
international interne ..................................................................................................................................... 774
A. Vers la reconnaissance d’un ordre public international régional conforme aux exigences du droit
des conflits de lois .................................................................................................................................. 774
1) L’évolution de la nature de l’ordre public international par l’apparition de sources internationales
775
a) L’universalisation de l’ordre public international au regard des textes internationaux......... 775
b) L’ineffectivité d’un ordre public universel à raison du défaut de communauté juridique .... 777
2) L’avènement d’un ordre public européen compatible avec la méthode conflictuelle ................ 777
a) Le droit des conflits de lois diminué par la création d’un ordre public européen ................. 777
b) Le droit des conflits de lois garanti par l’ordre public européen de proximité ..................... 780
B. Une exception régionale limitée par la sauvegarde des ordres publics nationaux ........................ 784
1) La conciliation imparfaite de l’ordre public européen avec l’ordre public interne .................... 784
a) La difficile identification des droits fondamentaux de la Convention européenne ............... 784
b) La hiérarchisation des droits contraire à la fonction de l’ordre public international ............ 786
2) Le maintien indispensable et naturel de l’ordre public international interne ............................. 789
a) La subsistance des particularismes nationaux conformément à la nature de l’exception...... 789
b) La fusion requise des valeurs fondamentales européennes avec l’ordre public interne ........ 790
Section 2 : L’exception de fraude à la loi symbole du respect de la règle de conflit .............................................. 792
Sous-section 1 : L’effectivité de la règle de conflit renforcée par l’exception de fraude à la loi ....................... 793

905
§ 1 – La fraude à la loi inévitablement reconnue et réprimée en droit des conflits de lois ........................... 793
A. Le bien-fondé de l’exception de fraude à la loi ............................................................................ 793
1) La fraude à la loi élargie au droit des conflits de lois par respect de ses règles ......................... 794
a) L’extension de l’adage fraus omnia corrumpit au droit des conflits de lois ......................... 794
b) L’exception de fraude à la loi garante du résultat de la règle de conflit ............................... 795
2) L’exception de fraude à la loi corollaire de l’égalité de traitement ........................................... 796
a) La répression équitable de la fraude à la loi du for et à la loi étrangère ............................... 796
b) Du traitement égalitaire des lois à celui des sujets de droits................................................. 798
B. L’inopposabilité : une sanction adaptée à peaufiner quant à son régime ...................................... 799
1) L’inopposabilité : une répression conforme au droit des conflits de lois ................................... 799
a) Le choix de l’inopposabilité au regard du principe d’indépendance des souverainetés ........ 800
b) L’inopposabilité légitimée par l’application des dispositions législatives compétentes ....... 801
2) La nécessaire clôture du débat sur l’étendue de l’inopposabilité ............................................... 801
a) L’étendue de l’inopposabilité controversée : facteur d’insécurité juridique ......................... 801
b) L’inopposabilité intégrale de l’acte motivée par la cohérence juridique .............................. 802
§ 2 – Le déclenchement de l’exception conditionné par le conflictualisme ................................................. 803
A. Le report des conditions internes de la fraude à la loi en droit des conflits de lois....................... 803
1) La preuve de l’élément moral de la fraude conforme à l’égalité de traitement .......................... 804
a) Le risque d’arbitraire émanant de l’établissement de l’intention frauduleuse ...................... 804
b) L’appréciation in concreto de l’intention frauduleuse au regard d’éléments objectifs ......... 805
2) La preuve d’un élément légal exigée au regard de l’impérativité des dispositions fraudées...... 807
a) Une exception déclenchée par le détournement de dispositions impératives........................ 807
b) Une exception seulement écartée par une disposition totalement supplétive ....................... 809
B. La spécificité de la règle de conflit garantie a maxima par l’élément matériel de l’exception ..... 812
1) La préservation absolue de la règle de conflit au regard de l’étendue de l’élément matériel ..... 813
a) La répréhension classique de la modification volontaire d’un élément de rattachement ...... 813
b) La répression contemporaine de la manipulation intentionnelle des qualifications.............. 814
2) L’envisageable diminution des cas de fraude à la loi grâce à la méthode bilatérale à rattachement
unique ................................................................................................................................................ 816
a) L’éviction éventuelle de la fraude à la loi par le rattachement aux liens les plus étroits ...... 816
b) La restriction des hypothèses de fraude par recours aux liens les plus étroits ...................... 817
Sous-section 2 : D’une large répréhension de la fraude à la loi à son inopportune extinction ........................... 818
§ 1 – La condamnation étendue de la fraude à la loi grâce au contrôle d’exequatur en droit français ......... 818
A. La répréhension relative de la fraude à la loi constituée par un forum shopping .......................... 819
1) La répression jurisprudentielle de la fraude à la loi initiée par un forum shopping ................... 819
a) L’élargissement nécessaire de l’élément matériel au forum shopping ................................. 819
b) La condamnation de la fraude à la loi assurée par le contrôle d’exequatur .......................... 820
2) La remise en cause de la condamnation de la fraude à la loi issue du forum shopping ............. 821
a) La suppression regrettable du contrôle de la loi appliquée ................................................... 821
b) Une suppression conforme aux solutions nationales de conflits de lois ............................... 822
B. La répréhension effective de la fraude à la loi quelle que soit sa forme ....................................... 823
1) Le contrôle de la loi appliquée partiellement conservé conformément au respect de la méthode
conflictuelle ....................................................................................................................................... 823
a) Le contrôle de la loi appliquée suppléée par l’absence de fraude à la loi ............................. 823
b) Le respect des souverainetés et de la méthode conflictuelle assuré par le contrôle de fraude à
la loi824
2) La sanction de fraude à la loi pérennisée par le contrôle d’exequatur ....................................... 825
a) La fraude à la loi doublée d’un forum shopping réprimée par la compétence indirecte du juge
825
b) La condamnation de la fraude à la loi étendue à la circulation des jugements ..................... 826
§ 2 – La disparition de la fraude à la loi annoncée par ses illustrations jurisprudentielles ........................... 827
A. La relativité de la fraude à la loi au regard de la réalité juridique de la situation internationale... 828
1) Le conflit mobile préféré à la fraude à la loi en jurisprudence .................................................. 828
a) Un mécanisme cantonné aux uniques rattachements susceptibles de modification .............. 828
b) Une exception écartée face à l’effectivité de la situation juridique ...................................... 829
2) La perte d’effectivité de la sanction au regard de l’écoulement du temps et des fraudes patentes
831
a) La sanction de la fraude à la loi anéantie par la réalité des situations juridiques .................. 831

906
b) La sanction de la fraude à la loi susceptible de variabilité en cas de fraude patente ............ 833
B.
La sanction ineffective des fraudes face à la domination de la justice matérielle ......................... 834
1) La réception de situations filiales frauduleuses au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant......... 834
a) L’admission de situations internationales frauduleuses en matière de filiation .................... 834
b) La reconnaissance de situations frauduleuses au nom des droits fondamentaux .................. 836
2) L’extinction propice de l’exception face à la propagation du substantialisme .......................... 837
a) La relégation de la fraude à la loi face à la justice matérielle ............................................... 837
b) La disparition annoncée de l’exception de fraude à la loi en droit positif ............................ 838
Conclusion du chapitre II : ..................................................................................................................................... 841
CONCLUSION DU TITRE II : ......................................................................................................................... 843
CONCLUSION DE LA PARTIE II : ....................................................................................................................... 845
CONCLUSION.................................................................................................................................................. 847
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 849
INDEX ALPHABETIQUE ............................................................................................................................... 883
TABLE DES MATIERES ................................................................................................................................ 887

907

Vous aimerez peut-être aussi