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Jade Chaput
LA COLLEGIALITE
DANS LE PROCES CIVIL
23 mai 2019
par
Jade CHAPUT
MEMBRES DU JURY :
3
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements vont à Monsieur le Professeur Jean-Jacques Lemouland pour m’avoir
confié ce sujet, épaulée et fait confiance durant ces années.
Je remercie également ma mère que je ne remercierai d’ailleurs jamais assez pour tout ce qu’elle a
fait.
Mon père, qui m’a toujours soutenue,
Ma famille,
Mes amis et plus particulièrement Alice, Margaux, Ghizlène et Bastien pour avoir vécu cette
aventure à mes côtés.
5
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
AJ Actualité juridique
AJDA Actualité juridique du droit administratif
AJDI Actualité juridique de droit immobilier
Alii. Autres (auteurs)
Art. Article
Ass. Plén. Arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation
BICC Bulletin d’information de la Cour de cassation
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)
Bull. Joly Bulletin Joly
CA Cour d’appel
C./ Contre
C. civ. Code civil
C. com. Code de commerce
C. trav. Code du travail
CCC Cahiers du Conseil Constitutionnel
CE Arrêt du Conseil d’Etat
CEDH Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
Chr. Chronique
Com. Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation
Concl. Conclusions
Crim. Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Ch. Mixte Arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation
Civ. 1èree Arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation
Civ. 2ème Arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation
Civ. 3ème Arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation
CJCE Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
COJ Code de l’organisation judiciaire
Coll. Collection
Comm. Commentaire
Cons. Constit. Décision du Conseil Constitutionnel
7
CPC Code de procédure civile
CSM Conseil Supérieur de la Magistrature
D. Recueil Dalloz
Dir. Sous la direction
Dr. et proc. Revue droit et procédures
Dr. soc. Droit social
Ed. Edition
Fasc. Fascicule
Gaz. Pal. Gazette du Palais
Ibid. Au même endroit
Infra Ci-dessous
IR Informations rapides
J-Cl. Juris-classeur
J-Cl. pr. civ. Juris-classeur procédure civile
JCP G La semaine juridique, édition générale
JCP N Juris-classeur périodique, édition notariale
JCP S La semaine juridique, édition sociale
JORF Journal officiel de la République française
Lebon Recueil des décisions du Conseil d’Etat
LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence
LPA Les petites affiches
N° Numéro
Obs. Observations
Op. cit. Ouvrage cité
Pan. Panorama
Procédures Revue procédures
PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille
PUF Presses universitaires de France
QPC Question prioritaire de constitutionalité
RDP Revue de droit public
Rec. Recueil
Rép. proc. civ. Répertoire de procédure civile Dalloz
Req. Requête
Rev. arb. Revue de l’arbitrage
8
Rev. huiss. Revue des huissiers de justice
RFDC Revue française de droit constitutionnel
RFEA Revue française d’études américaines
RFFP Revue française de finances publiques
RG proc. Revue générale des procédures
RIDC Revue internationale de droit comparé
RJ Com. Revue de jurisprudence commerciale
RJO Revue juridique de l’Ouest
RLDC Revue Lamy droit civil
RRJ Revue de la recherche juridique, droit prospectif
RSC Revue de science criminelle et de droit comparé
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
RTDH Revue trimestrielle des droits de l’homme
S. Suivants
Soc. Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation
Somm. Sommaire
T. Tome
TGI Tribunal de grande instance
V. Voir
Vol. Volume
9
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CONCLUSION GENERALE
11
INTRODUCTION
1. « La collégialité n’est pas seulement une forme, une modalité, une organisation. Si elle n’était que cela elle
n’aurait sans doute pas vocation à demeurer le principe. Elle est aussi, pour les magistrats, un esprit, une façon
d’être, une discipline »1. En effet, la prise d’une décision de justice peut être attribuée à une « formation
de jugement composée de plusieurs juges »2, autrement dit, à une collégialité. C’est en cela qu’elle apparaît
d’abord comme une modalité ou un mode d’organisation des juridictions. Elle est ensuite une façon
d’être puisque sa composition pluripersonnelle nécessite d’être à l’écoute des autres juges tout en
étant pondérée. Elle représente plusieurs vertus comme en témoigne son maintien dans le droit
contemporain en dépit des contraintes humaines et financières qu’elle implique. Ce sont ses
inconvénients qui font qu’elle est fréquemment remise en cause alors qu’elle est une réponse
ancienne à l’administration de la justice.
2. La justice n’a pas été rendue de la même manière selon les différentes phases qui ont marqué
l’histoire de France. La césure la plus importante de la conception de la justice se situe à la
Révolution, période donnant naissance à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26
août 1789. Dans le cadre de son article 16, « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas
assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». « Dans l’ancienne France, la justice
émane du roi. A partir de la Révolution, elle émane du peuple français, hormis le temps des monarchies du XIXème
siècle »3. Concernant la collégialité, il convient de remonter plus loin dans l’histoire de l’Hexagone,
du Moyen-Âge jusqu’au début de la Révolution, puisque ces périodes marquent ses prémices mais
aussi son rayonnement.
Au Moyen-âge, des juridictions initialement composées d’un seul juge vont ensuite devenir
collégiales4. Il s’agit des justices royales subalternes. Elles désignent les prévôts composant un
tribunal de base et les représentants du roi qui ont pour mission de les contrôler, les baillis, ou
autrement appelés, les sénéchaux5. Outre les juridictions royales subalternes, l’organisation
juridique comprend des juridictions supérieures, la plus connue étant le Parlement. Il n’a jamais
1
D. LABETOULLE, « titre préliminaire », Jurisclasseur Justice administrative, LexisNexis, 2002.
2
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, 10e éd., coll. LexisNexis, 2019, p. 102.
3
J. FOYER, Histoire de la justice, Que sais-je ? PUF, 1996, p. 7.
4
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires : actes du colloque tenu à Bordeaux, 20 et 21 septembre 2007, Université Montesquieu-
Bordeaux IV, Bruylant, 2010.
5
T. RENOUX, S. DENIS et C. BEGORRE-BRET ET ALII, La justice en France, La Documentation Française, 2013, p. 8.
13
cessé d’être collégialement composé6 alors qu’il a été un élément clé de l’administration de la justice.
A ses débuts, il permet aux féodaux qui sont des anciens avocats, de se réunir pour délibérer sur
les affaires relatives au royaume.
C’est sous l’Ancien Régime, lorsque le Parlement dispose de la justice déléguée7, que cette
institution connaît un nouvel aménagement. La justice est déléguée parce que le roi ne peut pas la
rendre à lui seul au regard du nombre conséquent d’affaires. Il lui faut donc le soutien des tribunaux.
Les Parlements se trouvent au sommet de cette restructuration8. Ils ont pour prérogative de statuer
en appel et en dernier ressort9 sur les affaires tranchées par les juridictions inférieures. Seul est
ouvert le pourvoi en cassation devant le Conseil du roi pour aller à l’encontre de ses arrêts10. Son
mode d’organisation est repensé puisqu’il est composé de plusieurs chambres. La grand’chambre a
notamment une compétence générale civile. La chambre des enquêtes comprend un conseiller
rapporteur ayant pour mission d’instruire le procès civil avant qu’il ne soit porté devant la
grand’chambre, tandis que la chambre des requêtes permet de saisir les autres chambres11. Seule
peut donc émettre des arrêts la grand’chambre. « Au XVIIe siècle, la Grand’chambre, outre le premier
président, compte neuf présidents à mortier, ainsi appelés en raison du couvre-chef qui est l’insigne de leur dignité,
deux conseillers d’honneur ecclésiastiques, l’archevêque de Paris et l’abbé de Cluny, trente-trois conseillers, dont douze
clercs. Les princes du sang et les ducs et pairs y ont séance et voix délibérative. Cinq chambres des enquêtes avec trois
présidents et trente-deux conseillers ; deux chambres des requêtes avec trois présidents et dix à douze conseillers »12.
A cette époque, les baillis et sénéchaux ne statuaient plus à juge unique mais collégialement
à la suite d’un édit de 1523 pris sous François Ier. Il en est de même concernant les tribunaux de
prévôté à la suite d’un édit d’avril 1578 pris par Henri III13. L’Ancien Régime est également le
berceau d’une juridiction qui a su perdurer encore aujourd’hui tout en gardant une composition
collégiale. Il s’agit du tribunal de commerce14 initialement dénommé tribunal consulaire du fait de
6
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit. et J. FOYER, Histoire de la justice, Que sais-je ?, op. cit., p. 30.
7
T. RENOUX, S. DENIS et C. BEGORRE-BRET, op. cit., p. 8.
8
B. GARNOT, P. BASTIEN, H. PIANT et alii, La justice et l’histoire, Bréal, p. 33.
9
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, 4e éd., coll. LexisNexis, 2013, p. 310 : « Un jugement rendu en dernier ressort est un jugement qui
n’est pas susceptible d’appel. Seul un pourvoi en cassation est alors envisageable ».
10
J. FOYER, Histoire de la justice, Que sais-je ?, op. cit., p. 29.
11
Ibid.
12
Ibid., p. 30.
13
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 25-26.
14
« Tribunal de commerce », Dalloz avocats, sept. 2016 : sa création a eu lieu à la suite d'un édit pris en 1563 par le roi Charles IX
pour ensuite être confortée par une ordonnance de 1673. Sa consécration résultera toutefois du Code qui lui est spécialement dédié
en 1807.
14
la qualité de ses juges. La multiplication des litiges entre gens de négoce nécessitait d’instaurer cette
juridiction avec en son sein des juges issus du milieu marchand. Sa composition comprenait
ordinairement « un juge assisté de deux consuls, et accompagné de quatre commerçants dont la compétence ne va
pas au-delà d’un rôle de conseil »15. L’Ancien Régime marque ainsi la prééminence accordée à la
collégialité.
C’est en 1789 qu’une nouvelle ère apparaît et que l’administration de la justice change
fondamentalement. Les Parlements prennent une place de plus en plus importante. Cette
omniprésence va être à l’origine de leur disparition à la suite d’un décret du 3 novembre 1789 pris
par les députés de l’Assemblée nationale constituante, qui craignaient un empiètement de
compétences de leur part16. Certains considèrent que « la Révolution française, la crainte de l’absolutisme,
de l’arbitraire et de l’équité des Parlements de l’Ancien Régime ont fait apparaître la collégialité judiciaire, et dans
le même ordre d’idée, la séparation des pouvoirs »17. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que la collégialité
est née sous la Révolution. Or, les édits pris sous François 1er et Henri III retranscrivent par
exemple que la collégialité est née avant cette période18. Force est toutefois de constater que c’est
bien la crainte du passé qui a été à l’origine d’une profonde réorganisation de l’administration de la
justice. Une nouveauté tenait au fait que le roi n’avait plus de pouvoir de nomination sur les juges,
alors que le maintien de la juridiction consulaire se justifiait parce que son système y était déjà
électif19.
A côté des modifications liées à la nomination des juges, la loi du 16-24 août 1790 fait place
à un système judiciaire dans lequel une distinction est effectuée entre les affaires selon qu’elles
relèvent du domaine civil ou criminel. S’y adjoint une structure faisant intervenir deux degrés de
juridiction. En matière civile, les prévôtés sont remplacés par des juges de paix qui comme leur
nom l’indique ont pour prérogative de concilier les parties. L’appel des procès civils est quant à lui
porté devant les tribunaux de district, ces derniers remplaçants les anciens baillages20. Dans cette
organisation, « aucune juridiction n’échappe à la collégialité. Du juge de paix assisté de deux assesseurs ayant voix
délibérative au tribunal de district statuant en première instance à trois juges et à quatre juges en appel, en passant
par les tribunaux de commerce composés de cinq juges mais qui doivent rendre leurs jugements « au nombre de trois
15
B. GARNOT, P. BASTIEN, H. PIANT et alii, La justice et l’histoire, op. cit., p. 74.
16
L. SOULA, Les cours d’appel. Origines, histoire et enjeux contemporains, coll. L’Univers des Normes, Presses Unisersitaires de Rennes,
2016, p. 12.
17
C. DOST, Collégialité et juge unique dans le droit judiciaire français, Bordeaux 4, 1999.
18
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 25.
19
J. FOYER, Histoire de la justice, Que sais-je ?, op. cit., p. 59.
20
op. cit., p. 13.
15
au moins », ou enfin le tribunal criminel, dont la formation de jugement est composée d’un président, de trois juges
assesseurs et d’un jury, tous rendent des décisions collégiales »21.
21
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 39.
22
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 11e éd., Quadrige, PUF, 2016, p. 582.
23
Ibid.
24
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, 26e éd., Dalloz, 2018-2019, p. 661 et G. CORNU,
Vocabulaire juridique, 11ème éd., op. cit., p. 631.
25
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, op. cit., p. 331.
26
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 780.
27
L’office du juge, Colloque, Paris, Palais du Luxembourg, Les colloques du Sénat, 29 et 30 septembre 2006.
28
P. EFTHYMIOS, « Les pouvoirs d’office du juge dans la procédure civile française et dans la procédure civile grecque », RIDC,
1987, p. 705. S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 389 : "la jurisdictio désigne le pouvoir du juge de dire le droit, de trancher un
litige. L'imperium en est le complément nécessaire. Il est le pouvoir de commandement du juge, celui sans lequel la jurisdictio n'aurait aucun sens : il permet
au juge d'ordonner, d'imposer le respect de ses décisions".
16
sein du rapport produit par l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice dirigé par Monsieur Antoine
Garapon, ledit groupe de travail a proposé de reformuler ces critères afin qu’ils soient plus précis29.
A titre d’illustration, six offices ont été établis au regard de leur objet30. L’office jurisprudentiel
permet de dire le droit en prenant en considération les décisions antérieurement rendues par les
juges, qu’ils soient nationaux ou européens. Il se rapporte essentiellement à la Cour de cassation.
L’office processuel consiste à trancher les affaires de manière équitable. Il s’applique alors ici devant
l’ensemble des juridictions comme l’office de vérité qui consiste à « établir la vérité des faits de manière
indépendante, procédurale et argumentée ». L’office tutélaire permet d’assurer une protection des
personnes fragilisées. Tandis que l’office sanctionnateur et libéral se rapportent davantage à la
matière pénale puisqu’ils consistent par exemple à punir les infractions en s’assurant de la bonne
insertion de la personne condamnée.
29
L’imprécision de cette notion est par exemple retranscrite par : B. BERNABE, Le travail du juge. L’office du juge et la liturgie du juste,
n°147, Cahiers philosophiques, avr. 2016.
30
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, Rapport à Madame la
garde des Sceaux, ministre de la Justice, Institut des hautes études sur la justice, mai 2013, p. 20.
31
Voir sur cette thématique P. SERRE, La dualité juridictionnelle à l’épreuve de l’érosion de la distinction entre le droit public et le droit privé,
Thèse de doctorat en droit privé, Université Aix-Marseille, 5 déc. 2016.
32
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, op. cit., p. 371.
33
Ibid., p. 372. Dans un autre sens, le terme « judiciaire » désigne ce « qui relève de la justice, par opposition au législatif ou à l’exécutif » : J-
L. ALBERT, D. ASQUINAZI-BAILLEUX, L. D’AVOUT et alii, Lexique des termes juridiques, 24e éd., Dalloz éditions, 2016, p. 619.
34
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 328 : « le droit civil est le droit de l’individu à chaque moment de sa vie, dans son individualité
et ses rapports aux autres. C’est le droit de la famille, de la propriété et des obligations (contrat et responsabilité) ».
35
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 331 : le droit pénal correspond à la « branche du droit qui détermine les infractions,
les conditions de la responsabilité pénale et les peines applicables aux délinquants. Les dispositions fondamentales de cette matière sont contenues dans le
Code pénal ».
36
Pour approfondir ce thème voir M. RIGAUD, Le juge unique en droit administratif français au regard des garanties de bonne justice, Thèse de
droit public, Universités de Toulon et du Var, 8 juil. 2002.
37
Pour plus d’informations, S. TEISSIER, Le juge unique en matière pénale, Thèse de doctorat en droit, Université Paris 1, 2003.
17
civil et plus particulièrement, du procès civil. Certes, il aurait été intéressant d’effectuer une
approche processuelle en intégrant ces domaines mais le sujet d’étude s’est révélé extrêmement
vaste, d’où la nécessité de les soustraire bien que cela puisse paraître arbitraire.
Le terme de procès s’inscrit dans la notion plus large de procédure, issue du latin procedere
qui signifie stricto sensu « aller en avant, s’avancer »38. Il s’interprète de deux manières39. La première
conception correspond à celle du langage courant. Il s’agit des formalités à accomplir sans qu’il y
ait nécessairement un contentieux. Ce n’est pas cette signification qui est retenue, mais celle
correspondant aux formalités à accomplir pour qu’une juridiction puisse apporter une décision aux
justiciables. Elle concerne les parties au litige en ce qu’elles devront accomplir certaines modalités
pour obtenir justice tel que fournir des documents aux juges dans les délais requis. Elle intéresse
aussi les juges compte tenu du fait qu’ils doivent respecter certaines règles pour rendre la justice
conformément au droit à un procès équitable40. La procédure civile correspond quant à elle au
« rameau de la procédure ayant pour objet de déterminer les règles d’organisation judiciaire, de compétence,
d’instruction des procès et d’exécution des décisions particulières aux tribunaux civils de l’ordre judiciaire »41. Plus
précisément, elle se définie comme la « procédure suivie, en matière civile, commerciale, prud’homale, rurale
et sociale devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Cette procédure est de type accusatoire, elle obéit essentiellement
au principe d’initiative (le déclenchement du procès ou son arrêt dépend des parties), au principe dispositif (la matière
litigieuse est l’affaire des parties)42 et au principe du contradictoire43 »44. Selon l’ancienne garde des sceaux,
ministre de la Justice, Madame Christiane Taubira, la procédure civile correspond plus
familièrement à la justice du quotidien. La procédure dans le sens retenu s’applique donc devant
des juridictions, du latin « jurisdictio, de jus dicere » qui signifie littéralement dire le droit45.
38
C. CHAINAIS, F. FERRAND et S. GUINCHARD, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, 33e éd., Dalloz, 2016, p. 3.
39
S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, 32e éd., coll. Dalloz, 2014, p.
1.
40
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, 9e éd., coll. LexisNexis, LexisNexis, p. 409.
Le droit à un procès équitable correspond au « droit de tout justiciable à accéder à un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, à être
entendu par lui équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, et à voir la décision rendue par celui-ci dûment exécutée ».
41
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 12e éd., Quadrige, PUF, 2018, p. 812.
42
C’est un “principe selon lequel les parties à un procès civil ont la pleine maîtrise de la matière litigieuse. Il a pour corollaire le principe d’indisponibilité
de la matière litigieuse pour le juge. Dans la conception originaire, il en résulte que les parties ont la maîtrise des faits dans le procès, et que le juge à celle
du droit (Da mihi factum, tibi dabo jus, « donne-moi le fait, je te donnerai le droit ») ». S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique
des termes juridiques, op. cit., p. 885.
43
Il correspond au « principe naturel de l’instance en vertu duquel toute personne doit être informée de l’existence d’un procès engagé contre elle et doit
être en mesure de discuter librement les prétentions, les arguments et les preuves de son adversaire. Le respect du principe du contradictoire est la condition
indispensable de la liberté de la défense » : S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 885.
44
Ibid. p. 894.
45
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 11ème éd., op. cit., p. 588.
18
5. Le terme de juridiction est polysémique puisqu’il est aussi bien synonyme de juge ou
tribunal, qu’il renvoie à des cours46. Tous trois permettent de faire référence à la collégialité. En
effet, une juridiction peut comprendre plusieurs juges, alors que ces derniers représentent un
tribunal ou une cour. C’est en cela que la collégialité est aussi une notion polymorphe. Ce caractère
nécessitait de redessiner les contours de la notion de collégialité. L’hétérogénéité qui l’anime ne
doit pas être perçue comme un frein à sa compréhension. Au contraire, le fait qu’elle soit le plus
souvent méconnue en procédure civile, mais aussi l’absence de définition précise, ne font que
renforcer l’intérêt de ce sujet. S’y ajoutent ses inconvénients importants puisque la collégialité
nécessite un coût conséquent et du temps. Dès lors, son maintien est-il encore justifié ? L’actualité
suscitée est aussi une autre source d’intérêt. Aucune donnée chiffrée n’est apportée par ses
définitions concernant le nombre exact de membres qui doivent être mobilisés pour qu’elle soit
caractérisée. Cette absence tient d’abord à sa mission qui consiste à apporter une décision aux
parties. Une décision s’entend comme « tout jugement, quel que soit son auteur (arbitre, tribunal de première
instance, cour d’appel, Cour de cassation) »47. Bien que les magistrats du parquet et du siège interviennent
en procédure civile, les premiers seront écartés de notre étude car c’est uniquement aux magistrats
du siège qu’il revient la fonction de juger48, les magistrats du parquet étant assimilés au Ministère
public. La prise de décision est apparue comme la pierre angulaire, le fil conducteur de la recherche,
puisqu’elle est la résultante de la fonction de juger, cette prérogative étant dévolue aux juges et aux
magistrats. Si une formation collégiale suppose la réunion de plusieurs juges en vue de trancher un
litige, la décision apportée au justiciable doit faire l’objet d’une seule solution et non d’autant de
solutions qu’il y a de juges présents. En d’autres termes, la collégialité correspond – ordinairement
– à une « technique par laquelle une décision unique est prise par une pluralité de juges à l’issu d’un délibéré qui
doit demeurer secret »49. Ordinairement, car il sera proposé dans cette étude une autre définition de la
collégialité. L’unité de décision va être l’aboutissement d’échanges, de communication entre les
juges qui correspondent au délibéré. Le délibéré est le « nom donné aux délibérations des juges qui décident
de la règle applicable au litige entre l’audience et le prononcé du jugement »50. Il y a trois formes de délibérés.
La situation la plus complexe est celle dans laquelle les juges vont renvoyer l’affaire à une date
ultérieure afin de débattre plus vivement du dossier dont ils ont à traiter51. Les deux autres
46
Ibid.
47
Ibid. p. 302.
48
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit., p. 632.
49
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires : actes du colloque tenu à Bordeaux, op. cit. p. 20.
50
A. BOLZE, « Le délibéré ou les mystères de la fabrication du droit », Gaz. Pal., Lextenso, n° 49, 18 fév. 2003, p. 4.
51
Article 450 CPC.
19
situations correspondent aux jugements rendus sur-le-champ c’est-à-dire que les juges vont se
prononcer le jour même sur le litige qu’on leur a soumis, contrairement à la première situation. Ici,
les juges vont soit délibérer derrière la chaire, donc dans la salle d’audience, sans pour autant que
les délibérés soient audibles par les personnes présentes. Soit ils vont se déplacer dans une salle le
plus souvent attenante à celle de la salle d’audience, appelée chambre du conseil, là encore, sans
qu’un individu extérieur puisse normalement y assister. Sont uniquement présents lors de cette
phase les juges qui avaient en principe déjà participé aux débats52, afin d’exclure toute forme
d’arbitraire mais aussi certains acteurs judicaires comme le Ministère public, les justiciables, ou les
personnes venues assister au procès. La règle est que la majorité des voix l’emporte conformément
à l’article 449 du Code de procédure civile, alors que l’article L 121-2 du Code de l’organisation
judiciaire dispose que « sauf disposition particulière, les juges statuent en nombre impair ». La référence à
l’imparité permet d’exclure les formations qui seraient composées de deux juges et d’en conclure
qu’une collégialité est caractérisée lorsqu’elle comprend au minimum trois juges. Cette absence de
reconnaissance s’inscrit dans un souci d’efficacité. Il est vrai que si deux juges étaient d’accords
quant à la solution à prononcer, il n’y aurait pas de difficulté. Par opposition, s’ils n’étaient pas
d’accords, il y aurait inévitablement une situation de blocage car aucune décision ne pourrait être
apportée aux justiciables. Cette situation impliquerait de recourir à un juge supplémentaire afin
qu’une majorité des voix soit dégagée en reprenant le modèle proposé par l’unique juridiction de
procédure civile sur notre territoire faisant intervenir un nombre pair de juges, à savoir, le conseil
de prud’hommes53. Cette organisation serait contraignante à mettre en oeuvre. L’absence de
précision numérique tient au fait que la composition de la collégialité varie selon les juridictions.
Elle peut être paire ou impaire comme l’illustre parfaitement à lui seul le Tribunal de grande
instance54. S’adjoint à ce critère quantitatif celui relatif à la qualité de ces juges. Ce peut être des
juges permanents ou occasionnels, des professionnels du droit ou des « hommes de terrain » en ce
qu’ils n’ont pas des connaissances juridiques mais pratiques, comme les juges des tribunaux de
commerce ou du conseil de prud’hommes, alors que sa composition peut aussi être échevinale55.
52
Article 447 CPC.
53
Le juge venant en « renfort » est le juge départiteur.
54
Si en principe conformément à l’article L 212-1du Code de l’organisation judiciaire, la collégialité est de mise concernant cette
juridiction, une exception se rencontre. En effet, il résulte de l’article R 212-9 du même code que le président du tribunal de grande
instance ou un magistrat délégué peuvent décider qu’une affaire sera jugée à juge unique.
55
C. PUIGELIER, Dictionnaire juridique, 2e éd., coll. Paradigme, Bruylant, 2017, p. 360. L’échevinage est un « principe selon lequel une
juridiction est composée de magistrats professionnels et de magistrats non professionnels ».
20
6. Si sa composition ne répond pas à un modèle unique, ses missions aussi diffèrent comme
en témoigne les prérogatives attribuées à la Cour de cassation. Elle correspond à la plus grande
collégialité de la matière civile56 en sachant que sa composition répond - toujours - à une
organisation collégiale57. Elle comprend six chambres58 placées sous l’autorité d’un président. Il y
a trois chambres civiles, une chambre commerciale, financière et économique, une chambre sociale
et une chambre criminelle. Une formation restreinte de trois magistrats est compétente lorsque la
solution à donner au pourvoi59 s’impose. Si finalement tel n’est pas le cas, l’affaire est renvoyée60 à
une formation de cinq magistrats61, ce qui retranscrit un renforcement de la collégialité lorsque
l’enjeu devient plus important. Cette constatation se confirme au regard de l’assemblée plénière qui
permet de réunir jusqu’à dix-neuf membres, tandis que la chambre mixte fait intervenir des
magistrats appartenant à au moins trois chambres de la Cour de cassation62.
7. Bien qu’elle prenne plusieurs formes, un critère général permet de réunir tous ces aspects. Il
tient au fait que la collégialité puisse être directe ou indirecte. En somme, la collégialité peut être
ou non aménagée. Les collégialités directes sont celles qui ne posent pas de difficultés particulières
puisque les juges présents aux débats vont ensuite délibérer ensemble. Tous sont donc
physiquement présents au même moment pendant ces différentes phases procédurales. Ce sont
celles qui sont admises par la communauté des juristes. Par opposition, les collégialités indirectes
ont pour objectif de renforcer la célérité de la procédure en démembrant la collégialité
traditionnelle. Elles correspondent aux situations dans lesquelles un juge sera initialement seul
pendant une phase procédurale et qu’il intégrera ensuite la collégialité. Tel est par exemple le cas
du juge rapporteur63.
56
Article L 411-1 COJ : « Il y a, pour toute la République, une Cour de cassation ». Son unicité se justifie par sa mission consistant à
uniformiser le droit sur l’ensemble du territoire. A l’inverse, déléguer cette prérogative à plusieurs cours donnerait lieu à des
interprétations disparates. L’importance de ses missions justifie le nombre important de conseillers qu’elle comprend.
57
Bien que sa collégialité soit parfois remise en cause à la suite de l’intervention d’un conseiller rapporteur, alors qu’il ne s’assimile
pas à un juge unique.
58
Article L 421-1 COJ.
59
Le pourvoi en cassation correspond au « recours contre une décision en dernier ressort porté devant la Cour de cassation et fondé sur la violation
de la loi, l’excès de pouvoir, l’incompétence, l’inobservation des formes, le défaut de base légale, la contrariété de jugements, la perte de fondement juridique
ou le défaut de motifs » : S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 855. Les décisions de
première instance sont appelées des « jugements » tandis que celles de la cour d’appel et de la Cour de cassation sont dénommées
des « arrêts ».
60
Article L 431-1 alinéas 1 et 2 COJ.
61
Article R 431-5 COJ.
62
Article L 421-4 alinéa 1 COJ.
63
Cette possibilité est contenue dans l’article 786 du Code de procédure civile.
21
8. Cet aménagement permet de renforcer la célérité de traitement du litige. La quête
d’efficience est d’ailleurs une justification essentielle du recours au juge unique64. C’est une quête
en ce qu’elle retranscrit le fait que cette recherche est perpétuelle. Si s’intéresser à la collégialité dans
le procès civil pourrait a priori sembler réducteur, à l’intérieur même de la procédure civile, une
dichotomie apparaît puisque la prise de décision peut aussi bien être collégiale qu’unitaire. De ce
fait, la collégialité et l’unicité apparaissent comme étant des formations consubstantielles ou plutôt
duales65. En effet, s’interroger sur la meilleure façon d’administrer la justice revient nécessairement
à confronter les deux solutions s’offrant à elle, à savoir, recourir à la collégialité ou à l’unicité des
juridictions ? Cela nécessite de prendre en considération le coût que représente ces juridictions mais
aussi le temps qu’elles impliquent. Ces formations ne sont pas aussi opposées qu’elles pourraient
le laisser penser. Leur mission est identique, le juge unique devant apporter une seule décision aux
justiciables après en avoir délibéré avec lui-même66 grâce à la dialectique du jugement. En
conséquence, leur différence tient au nombre de juges qui prennent la décision. Cette proximité
nécessite d’apporter des précisions le concernant, quand bien même il n’apparaît pas explicitement
au sein du sujet67.
S’il est acquis qu’en principe un juge implique moins de dépenses que lorsqu’ils sont au
minimum trois68, sa rapidité d’intervention implique davantage de considération. C’est par exemple
elle qui justifie le fait que le filtrage des demandes devant la Cour européenne des droits de
l’Homme soit attribué à un juge unique69 au visa de l’article 27 de la Convention européenne des
droits de l’homme70. Cette rapidité se comprend de deux manières. La première se rapporte à son
64
C. PARISI, « L’extension du système de juge unique en Europe », vol. 59, n°3, RIDC, 2007, p. 652. S’adjoint à cet argument le fait
que l’unicité représente généralement un coût de fonctionnement moins élevé qu’une collégialité.
65
Y. STRICKLER, « Le juge unique en procédure pénale », Petites affiches, Gaz. Pal., no 35, 18 février 2002, p. 9. Selon Monsieur
Strickler, la confrontation entre juge unique et collégialité est dépassée, l’important étant qu’un tiers mette fin à un conflit et ce, quel
que soit le nombre de juges mobilisés.
66
Crim. 8 juill. 1971, n° 70-92447, Bull. crim., n° 226, p. 549. Dans cette décision, les juges de cassation ont reconnu qu’un juge
unique peut également délibérer. L’attendu de principe dispose en effet que « le verbe délibérer s’entend de l’action consistant à procéder à un
examen conscient et réfléchi avec soi-même aussi bien qu’avec d’autres, en vue d’une décision à prendre ».
67
Pour davantage d’approfondissement M. NAUDET-SENECHAL, Le juge unique, essai d’une théorie générale, Thèse pour le Doctorat
d’Etat en droit, Université Panthéon-Assas (Paris II), 6 sept. 2000.
68
L’exception concerne la collégialité du tribunal de commerce où les juges exercent leur fonction à titre gratuit comme le prévoit
l’article L 722-16 du Code de commerce.
69
COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME, Premier bilan de la section de filtrage : accélération du traitement des affaires provenant des
Etats gros pourvoyeurs de requêtes.
70
R. OLLARD, « Irrecevabilité des requêtes individuelles par la CEDH : quand l’hôpital se moque de la charité », Gaz. Pal. Lextenso,
17 mai 2016, n° 18, p. 46 : Cette compétence était auparavant attribuée à un comité de trois juges. Cependant, cette dévolution au
profit du juge unique ne fait pas l’unanimité. Par exemple, Monsieur Ollard avance que généralement le recours au juge unique tient
à l’absence de complexité que revêt l’affaire ou la faiblesse des enjeux. S’ajoute à cela qu’il est accepté parce que la collégialité est de
22
mode d’établissement moins contraignant qu’une collégialité. Il est plus difficile de réunir au moins
trois juges qu’un seul. D’aucuns recommandaient alors de recourir au juge unique « afin d’accroître la
capacité des tribunaux »71. La seconde se rapporte à ses prérogatives en sachant que ce sont les
attributions des affaires urgentes qui témoignent particulièrement de la rapidité dont il peut faire
preuve. Dans sa thèse rédigée il y a – plus de cent ans –, Monsieur Leroy justifiait que l’urgence de
certaines situations demandait de déroger à un procès ordinaire tout en ayant recours à un juge
unique. Il affirmait que « l’unité de juge en cette matière est bien un principe, qui se maintiendra tant qu’il y
aura des référés à juger, la nature urgente de ces affaires ne pouvant s’adapter à la lenteur des collèges de juges » 72.
Cette affirmation est notamment partagée par Messieurs Roland et Boyer qui déclaraient que « le
juge unique est plus adapté chaque fois qu’une situation critique appelle une mesure immédiate et provisoire
permettant d’attendre la solution définitive, qui interviendra plus tard au fond »73. Bien qu’ils fassent preuve
d’une certaine célérité, celle-ci est parfois critiquée au regard du respect des garanties du droit à un
procès équitable ce qui permet d’exprimer les exigences des justiciables. De la même manière,
d’après Monsieur Perrot, « juge unique et collégialité constituent les deux termes d’une alternative où, trop
souvent, l’efficacité immédiate le dispute à la raison. Les impératifs d’une rapide administration de la justice sont les
alliés les plus sûrs du juge unique. Mais, au fond d’eux-mêmes, les juristes français n’oublient pas ce que, dans le
Cid, Corneille fait dire à Don Fernand : « l’affaire est importante et, bien considérée » « mérite en plein conseil d’être
délibérée » »74. La lenteur n’est-elle pas dans certains cas nécessaires pour contrer d’éventuelles
précipitations ?
9. Juger prend du temps. Bien que des aménagements ont été apportés en démembrant des
collégialités ou en instaurant un juge unique de l’urgence, les citoyens semblent avoir acquis la
maxime selon laquelle « un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ». A fortiori, le droit lui-même
incite à recourir aux modes alternatifs de règlement des conflits75. Ils correspondent à l’ensemble
mise à partir du second degré. Or, il souligne qu’aucune de ces raisons ne justifient ici son intervention, d’autant plus que la décision
du juge unique est ici définitive.
71
COMMISSION EUROPEENNE POUR L’EFFICACITE DE LA JUSTICE, Compendium de bonnes pratiques pour la gestion du temps dans les procédures
judiciaires, Strasbourg, 6 et 8 déc. 2006, p. 23.
72
G. LEROY, Le juge unique et la réforme de notre organisation judiciaire, thèse, Université de Paris, faculté de droit, 1907, p. 44.
73
H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, 3e éd., coll. Litec, 1992, p. 368.
74
R. PERROT, « Le juge unique en droit français », vol. 29, n° 4, Rev. Int. Droit Comparé, 1977.
75
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 36. Au début,
ils n’ont pas reçu le succès escompté. Les raisons de cet échec s’expliquaient par la réserve des professionnels du droit quant à leur
utilisation, ou résultait de la culture française elle-même, dans laquelle les citoyens pourraient préférer porter leur différend devant
une juridiction plutôt que de s’organiser entre eux. Le rapport relatif aux juridictions du XXIème siècle avait d’ailleurs suggéré que
cette résolution des conflits soit confiée à des professionnels y étant spécialement formés afin qu’ils soient plus facilement acceptés
(D. MARSHALL, R. BOMETON, A. CARON-DEGLISE et alii, « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et
proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux métiers de la justice, Rapport à Madame la garde des sceaux, ministre de la Justice, déc.
23
« des procédés visant à résoudre les différends, conflits ou litiges, de manière amiable et négociée, sans intervention de
nature juridictionnelle, notamment par la voie de la conciliation ou de la médiation […] Ils constituent un mode non
juridictionnel de règlement des différends »76. En conséquence, le décret numéro 2015-282 du 11 mars
2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la
résolution amiable des différends prévoit par l’intermédiaire de l’article 56 du Code de procédure
civile que l’assignation en justice précise « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable
du litige ». S’adjoint à cette disposition l’article 127 du même Code qui dispose que « s’il n’est pas
justifié, lors de l’introduction de l’instance […] des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable
de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ». Le fait qu’il s’inscrive
dans le livre premier relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions permet de mettre
en exergue la volonté de favoriser ce mode de règlement des litiges afin d’éviter que les demandeurs
saisissent automatiquement les tribunaux. Dans cette continuité, tout justiciable devra connaître
devant le conseil de prud’hommes une phase de conciliation obligatoire en passant par son bureau
de conciliation et d’orientation77. Plus récemment, l’article 4 de la loi de modernisation de la justice
du XXIème siècle78 a rendu cette phase obligatoire devant le tribunal d’instance.
10. Bien que cette tendance connaisse un essor considérable, ces modes alternatifs de règlement
des conflits ne seront pas appréhendés79, à l’exception de l’arbitrage. L’arbitrage est défini comme
un « mode dit parfois amiable ou pacifique mais toujours juridictionnel de règlement d’un litige par une autorité (le
ou les arbitres) qui tient son pouvoir de juger, non d’une délégation permanente de l’Etat ou d’une institution
internationale, mais de la convention des parties (lesquelles peuvent être de simples particuliers ou des Etats) »80.
L’arbitrage correspond à une justice alternative81. Une première justification de son intégration
tient à la différenciation retenue par Messieurs Clay et Cadiet selon laquelle « le jugement et la sentence
arbitrale ont ceci en commun qu’ils s’imposent, alors que le résultat d’une médiation ou d’une conciliation, qui peut
prendre la forme d’une transaction, est toujours le produit d’un accord. D’un côté, une solution imposée, de l’autre
2013, p. 28).Voir également E. BARRET, Les modes alternatifs de règlement des conflits en droit du travail, Thèse de doctorat en droit,
Université Bordeaux 4, 2006 et M. ROQUES, Le développement des modes alternatifs de règlement des conflits extrajudiciaires : le rôle des parties et
du juge, mémoire, Université de Toulouse, 2016-2017.
76
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT, D. ASQUINAZI-BAILLEUX et L. D’AVOUT, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 738.
77
Articles L 1454-1 et L 1454-1-1 C. trav.
78
Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, JORF n° 0269 du 19 nov. 2016, texte n° 1.
79
Lorsqu’il sera par exemple traité des litiges relatifs au conseil de prud’hommes, cela signifie que la phase de conciliation obligatoire
n’aura pas abouti.
80
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 79.
81
L. CADIET et T. CLAY, Les modes alternatifs de règlement des conflits, 2e éd., coll. Connaissance du droit, Dalloz, 2017, p. 45.
24
une solution négociée »82. Dès lors, c’est un mode alternatif de règlement des conflits revêtant une
supériorité par rapport à ceux couramment admis83. La seconde justification tient aux termes du
sujet et à l’expression de procès civil. Cette étude s’intéresse aux relations conflictuelles entre les
parties qui nécessitent un dénouement par de tierces personnes, à savoir les juges, à la suite d’un
procès. Le procès correspond à une « difficulté de fait ou de droit soumise à l’examen d’un juge ou d’un
arbitre »84. Cette définition ne fait pas l’unanimité puisque certains considèrent qu’un procès
correspond uniquement au « mode de règlement des litiges devant le juge étatique »85 excluant dès lors
l’arbitrage. Cette conception est justifiée selon son auteure par le fait que l’Etat apparaît au centre
du procès ce qui n’est pas le cas en présence d’une justice consensuelle86. Or, bien qu’il soit un
« mode non étatique de règlement des litiges »87, un arbitre possède un pouvoir juridictionnel à l’instar du
juge étatique88. S’ajoute à cela qu’outre la collégialité dont il peut faire l’objet, les dispositions le
concernant son contenues au sein du Code de procédure civile, plus précisément dans son livre IV,
qu’il soit interne ou international. La spécificité de ce mode de règlement de litige explique toutefois
qu’il ne soit analysé qu’à partir de notre seconde partie afin d’insister sur l’indépendance des arbitres
quant à leur prise de décision compte tenu des débats à l’origine de cette pratique. Celle-ci s’avère
être particulière puisqu’à la différence des autres juges, ils se trouveront directement choisis par les
justiciables.
L’étude sera consacrée aux situations dans lesquelles les juges – imposent – une solution en
faisant usage de leur pouvoir juridictionnel. Ceci revient à appréhender les juridictions du premier
et second degré89 de la matière civile, mais aussi, les juridictions arbitrales et la Cour de cassation.
11. L’organisation judiciaire contemporaine se justifie parce qu’elle est en adéquation avec notre
système politique, tandis qu’autrefois, un adage consistait à associer le juge unique à un juge inique.
Comme l’affirme Madame Cohendet, la collégialité permet de renforcer « le sentiment de confiance en
82
Ibid., p. 45.
83
Ibid., p. 68.
84
J-L. ALBERT et al., Lexique des termes juridiques, p. 865.
85
F. BRUS, Le principe dispositif et le procès civil, thèse, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 26 mars 2014, p. 14.
86
Ibid.
87
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit., p. 43.
88
Civ. 2ème, 13 avril 1972, n° 70-12774, Bull. civ, n° 91, p. 71.
89
Les juridictions du premier degré correspondent à celles de première instance. Ce sont celles qui connaîtront en premier l’affaire,
tandis que le second degré se rapporte à la cour d’appel, en ce qu’elle connaîtra le litige à un niveau procéduralement plus élevé que
le premier.
25
la justice, tellement important dans une démocratie »90. La collégialité s’adjoint en effet à des mécanismes
de la procédure civile qui ont déjà une résonnance démocratique. Qu’une partie puisse saisir une
juridiction pour faire valoir ses prétentions, qu’elle puisse se défendre au moyen du contradictoire,
que les décisions soient motivées et qu’elles fassent l’objet d’une publicité afin d’évincer les doutes
relatifs à l’arbitraire, tous ces éléments tendent à s’inscrire dans cette conception.
Dans un autre ordre d’idée, la collégialité est elle même synonyme de démocratie de par
son fonctionnement. Le fait qu’une décision soit prise à plusieurs personnes à la suite d’un vote et
que la majorité des voix l’emporte permet de s’inscrire dans cette lignée.
Certains perçoivent aussi une référence à la démocratie dans la disposition contenue au sein
de l’article 454 alinéa 1 du Code de procédure civile. Elle impose qu’il figure sur les décisions de
justice la mention suivant laquelle le « jugement est rendu au nom du peuple français » ce qui pourrait
laisser penser qu’il y aurait une « justice du peuple ». La subtilité tient au fait que si la justice est
bien rendue au nom du peuple français, la collégialité telle qu’elle est entendue dans notre système
judiciaire « semble bien rester étrangère à toute véritable représentation »91.
12. Outre son adéquation à la démocratie, la collégialité revêt plusieurs avantages92. Ils s’avèrent
d’ailleurs si importants qu’il convient – de reconnaître la collégialité comme un principe –. Leur
multiplicité fait que leur retranscription n’est pas exhaustive. D’abord, la collégialité permet
d’aboutir à une décision éclairée grâce aux échanges qui vont avoir lieu pendant les délibérés. A
plusieurs, les probabilités que les juges omettent un élément essentiel de l’affaire sont amoindries.
Elle permet également de conforter leur impartialité93 grâce au contrôle que les membres pourront
effectuer les uns sur les autres. Cette pratique permettrait de contrecarrer d’éventuels préjugés.
Enfin, la collégialité permet d’assurer l’indépendance94 de ses juges grâce au principe de l’anonymat
des décisions de justice. Elle est d’ailleurs un principe général du droit95 compte tenu des garanties
qu’elle revêt.
90
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », vol. 68, n° 4, Rev. Fr. Droit Const, PUF,
2006.
91
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit.
92
C. DOST, Collégialité et juge unique dans le droit judiciaire français, op. cit., p. 7.
93
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème Ed., coll. PUF, Quadrige, 2014, p. 521. L’impartialité correspond à une « absence de parti
pris, de préjugé, de préférence, d’idée préconçue, exigence consubstantielle à la fonction juridictionnelle dont le propre est de départager des adversaires en
toute justice et équité ».
94
Ibid. p. 536. L’indépendance correspond à la « situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre ses décisions en
toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions ».
95
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit , p. 202.
26
13. C’est en cela qu’elle est consacrée au sein de plusieurs textes internes. Des dispositions sont
contenues au sein du Code de l’organisation judiciaire, du Code de procédure civile, du Code civil,
de celui du commerce ou encore, du travail. Les exigences attendues des juges pour qu’ils
accomplissent leur mission sont quant à elles incluses dans le Recueil des obligations
déontologiques des magistrats96. La collégialité, qui nécessite une prise de décision à plusieurs,
requiert également de s’intéresser aux jugements et arrêts qu’elle a pu rendre, tandis que la qualité
de juge nécessite d’appréhender les sanctions disciplinaires prises à leur encontre par le Conseil
supérieur de la magistrature dans l’exercice de leur mission.
Une approche pratique nécessite également de s’intéresser à la communication de données
chiffrées concernant la collégialité. Elle permet d’évaluer son coût de fonctionnement, les coûts
adjacents et son efficacité. Pour ce faire, il convient de prendre en considération des documents
fournis par le Ministère de la Justice97, la Cour des comptes98, les rapports d’activités des
juridictions99 ou les revues de dépenses100. Les allocutions de Monsieur Bertrand Louvel101,
Premier président de la Cour de cassation, ont aussi permis d’apprécier cette thématique, à l’instar
des rapports qui y ont été consacrés comme ceux de Messieurs Bas102 et Bouvier103.
14. A côté des textes et d’une analyse propre au droit français, il convient de faire référence à la
Convention européenne des droits de l’homme et plus particulièrement à son article 6 paragraphe
1 relatif au droit à un procès équitable. Il énonce que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la
loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle
d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la
moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs
ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le
96
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, Dalloz, 2010.
97
Voir notamment M. CHABANNE, E. DION, C. KISSOUN-FAUJAS et alii, Les chiffres-clés de la Justice 2017, Ministère de la Justice.
98
COUR DES COMPTES, La réforme de la carte judiciaire : une réorganisation à poursuivre, Rapport public annuel, n° 2, févr. 2015.
99
Tribunal de Grande Instance d’Albi. Activités 2015, Audience solennelle de rentrée, 22 janvier 2016.
100
M. WEILL, B. MENAY, R. DAUVERGNE, C-M. HOREAU et alii, Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions, coll. Revues de
dépenses, janv. 2017.
101
Voir par exemple B. LOUVEL, Autonomie budgétaire de l’autorité judiciaire : ouverture du groupe de travail, Cour de cassation, 10 oct.
2016, p. 3.
102
M. BAS, Rapport d’information sur le redressement de la justice, Sénat, n° 495, 4 avr. 2017.
103
M. BOUVIER, N. MAZIAU, A. DUMONT et alii, Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ?, Rapport au Premier président
de la Cour de cassation et au Procureur général près cette cour, Cour de cassation, juil. 2017.
27
tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la
justice ». Il correspond ainsi à « la pierre angulaire des procédures juridictionnelles. Il faut l’entendre comme le
droit à un procès équilibré entre toutes les parties (aequus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la
jurisprudence de la Cour EDH, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal ; le droit à un tribunal
indépendant et impartial ; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement rendu
dans un délai raisonnable ; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue »104. Si ce texte de la Convention
européenne des droits de l’homme est incontournable, il ne fait pourtant aucune référence directe
à la collégialité des juridictions. Cette absence d’indication justifie que ces garanties soient vérifiées
alors qu’il « traduit aussi bien un impératif de justice (impartialité et indépendance du juge, égalité des armes) qu’un
impératif d’efficacité (célérité des procédures) »105. Bien que l’appréhension du procès équitable puisse
paraître descriptive, celle-ci s’avère impérative étant donné que tous les détenteurs du pouvoir
juridictionnel doivent respecter les exigences qui y sont attenantes. A fortiori, le respect de ces
garanties permet de justifier le recours actuel à la collégialité.
15. Au-delà des textes, les législations étrangères sont également de nature à fournir des
indications intéressantes, que les pays appartiennent à l’Union européenne ou non. La collégialité
est-elle une exclusivité française ? Fonctionne-t-elle de la même manière ? Les réponses sont
négatives comme en témoigne une juridiction européenne, à savoir, la Cour européenne des droits
de l’homme, ou un système juridique tel que celui de la Common law106. La communication de la
décision des collégialités ne répond pas à un modèle identique. Certaines rédactions retranscrivent
les opinions de chacun des juges, dites opinions séparées, tandis que d’autres ne font connaître que
la solution adoptée par la majorité. L’opinion séparée est définie « comme l’exposé officiel et par écrit de
l’avis personnel d’un juge à l’égard d’une décision au délibéré de laquelle il a participé, soit pour approuver la décision
prise mais pour d’autres motifs (« opinion concordante »), soit pour désapprouver ladite décision et la motivation qui
la sous-tend (« opinion dissidente »)107. Concernant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est
l’article 45 (2) de la Convention européenne des droits de l’homme108 qui reconnaît la possibilité
pour les membres du collège de communiquer leurs potentielles opinions séparées. Celles-ci vont
104
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT, D. ASQUINAZI-BAILLEUX et L. D’AVOUT, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 898.
105
X. LAGARDE, « L’achèvement du procès, principale utilité de l’appel », Gaz. Pal. Lextenso, hors-série n° 3, 31 oct. 2016, p. 13.
106
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit., p. 111 : « Système juridique des pays
anglo-saxons dont la caractéristique principale est d’avoir instauré la jurisprudence comme source principale du droit, la loi n’étant que secondaire, par
opposition aux pays de Civil Law ou pays Romano-germaniques ».
107
F. RIVIERE, Les opinions séparées des juges à la Cour européenne des droits de l’homme : essai d’analyse théorique, Thèse de droit public,
Montpellier I, 2004, p. 5.
108
« Si l’arrêt n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son opinion séparée ».
28
donc être publiées en sachant que la jurisprudence de cette Cour connaît un rayonnement
considérable et qu’elle est accessible par tous, aussi bien par les termes employés que par le moyen
de la diffuser qui n’est autre qu’internet. A travers la collégialité qui caractérise cette juridiction « le
jugement motivé se voit empreint d’une autorité renforcée »109. Dès lors, « la collégialité semble assurer à la
production juridictionnelle et jurisprudentielle européenne une légitimité certaine et une force de persuasion plus grande
auprès des différents auditoires de la Cour »110. Les opinions séparées sont aussi reconnues dans les pays
de Common law par opposition au droit français où la collégialité doit être perçue comme une
entité dans laquelle on ne peut connaître la position de ses membres quant à la décision prise. La
différence est importante notamment du fait de l’admission des opinions - dissidentes - des juges
qui témoignent un véritable désaccord.
16. En effet, la collégialité française est la voix d’une seule juridiction. L’important « est que la
décision prise soit l’œuvre du Collège dans son ensemble, peu importe qu’elle ait été adoptée à l’unanimité ou à une
forte ou courte majorité. La collégialité est en quelque sorte à la démocratie ce que la métonymie est aux figures de
style : elle prend la partie pour le tout ; elle dissout l’individualisation dans le collectif »111. En conséquence, elle
ne saurait faire connaître les éventuelles opinions individuelles de ses membres. C’est ainsi que la
collégialité est définie comme un « principe en vertu duquel la justice est rendue par plusieurs magistrats qui
prennent leurs décisions à la majorité absolue des voix »112. Le vocable de juges aurait cependant été plus
adapté compte tenu de sa portée qui s’avère être plus générale que celle de magistrats. Interprétée
strictement elle pourrait sous-entendre que le terme de collégialité ne peut pas s’appliquer en
présence de juges, ce qui n’est pas le cas. Par contre, elle permet de retranscrire la finalité de la
collégialité, à savoir, prendre une décision à plusieurs. Le silence concernant la position de chaque
juge est rattaché au secret du délibéré alors que ce secret ne porte pas le nom de secret des délibérés
mais - du - délibéré ce qui retranscrit là encore, une unité. C’est en cela que « l’idée de collégialité désigne
un auteur collectif qui excède la somme des juges qui composent le collège »113. Ce secret est consacré par l’article
448 du Code de procédure civile qui dispose que « les délibérations des juges sont secrètes ». Il se rencontre
également au sein du serment que les juges doivent prononcer. D’après l’article 6 alinéa 2 de
l’ordonnance numéro 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
109
A. SCHAHMANECHE, La motivation des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, A. Pedone, Publications institut international
des droits de l’homme, Institut René Cassin de Strasbourg, 2014, p. 241.
110
Ibid.
111
J-J. MENURET et C. REIPLINGER, La collégialité, valeurs et significations en droit public, Bruylant, 2012, p. 17.
112
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 202.
113
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 155.
29
magistrature, ils doivent déclarer : « je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des
délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». Cette disposition résulte d’une
modification apportée par la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle. Avant cela, ce
secret devait être religieusement gardé, terme que cette loi a supprimé. La suppression de ce terme
est-elle une avancée vers la reconnaissance des opinions séparées ?
Si les modalités de la collégialité diffèrent d’une juridiction à l’autre, il serait possible de
s’inspirer des modèles étrangers afin de rationaliser les collégialités en procédure civile française
tout en respectant notre culture juridique et ses grands principes. Ainsi, Monsieur Robert Badinter
a « toujours considéré qu’il y avait entre la justice d’un Etat, d’un pays, d’une nation, et sa culture particulière, des
rapports étroits. Il y a un certain attachement aux formes traditionnelles de la justice pas seulement parce qu’il y a
une sorte d’esprit conservateur qui règne volontiers dans le corps judiciaire – il n’y a qu’à voir les cérémonies – mais
simplement parce que c’est lié à une très longue histoire. C’est une façon de juger qui correspond à une longue tradition.
Et cela a laissé dans la culture du pays, de la société, une marque, une empreinte profonde »114.
17. Apporter des modifications à la collégialité des juridictions est d’ailleurs d’actualité comme
en témoigne de nombreux rapports, réformes, ou projets de réformes. L’objectif est immuable
puisqu’il consiste à repenser l’organisation judiciaire afin de favoriser son efficacité. Autrement dit,
« mieux administrer doit permettre de mieux juger »115. Pour ce faire, différentes approches ont été
envisagées. Certaines viennent directement remanier la collégialité tandis que d’autres propositions
ne la concernent pas prioritairement mais les répercussions sur elle sont directement perceptibles.
Certains auteurs ont repensé la collégialité en s’intéressant à la place qu’elle devrait occuper
au sein du système judiciaire comme le rapport Coulon de 1997 relatif aux « Réflexions et
propositions sur la procédure civile ». Il y était avancé que la collégialité devait être maintenue en
appel puisqu’à « l’élévation du conflit doit correspondre un examen par une composition élargie à trois juges. La
collégialité marque la gradation du procès entre la première instance et l’appel, et la hiérarchie des juridictions des
premier et second degrés. Elle garantit en outre une préunification de la jurisprudence, sous le contrôle de la Cour de
cassation ». Plus récemment, il était suggéré au sein de la vingt-sixième proposition du rapport de
Madame Agostini et de Monsieur Molfessis rendu le 15 janvier 2018116 de restaurer la collégialité
114
« Pour une justice économique efficiente en Europe - Réflexions conclusives, par Robert Badinter », Gaz. Pal., Lextenso, no
239, 26 août 2008, p. 58.
115
L. RASCHEL, « Quelles réformes pour l’administration du recours ? », Gaz. Pal., Lextenso, n° 3, 31 oct. 2016, p. 50.
116
F. AGOSTINI, N. MOLFESSIS, S. LEMOINE et alii, Chantiers de la Justice, Amélioration et simplification de la procédure civile, Ministère de
la Justice, 15 janv. 2018, p. 34.
30
aux fins d’assurer la qualité et l’efficacité de la décision de justice117. La complexité des contentieux
civils, l’échange des points de vue qu’elle suscite lors de la phase du délibéré, ou encore
l’accompagnement des juges moins expérimentés dans leur mission juridictionnelle en sont, pour
ses auteurs, des arguments de maintien118. Le Conseil national des barreaux est favorable à cette
proposition119. Il y était aussi suggéré d’instaurer la collégialité en première instance lorsque la
représentation est obligatoire afin de ne plus considérer cette phase de la procédure « comme une
simple étape »120. Comme l’affirme justement Monsieur Théron, dans une conception parfaite, « les
recours devraient n’être qu’accidentels […]. Le procès devrait idéalement se résumer à une seule instance »121.
D’autres se sont intéressés à la composition même des collégialités afin de proposer des solutions
pour qu’elles soient plus efficientes. Tel est le cas des discussions relatives à l’instauration de
l’échevinage. Cette conception se rencontre notamment dans le rapport sur « Les juridictions du
XXIème siècle » présidé par Monsieur Marshall. Il était préconisé au sein de ses propositions 19 et
30 d’instaurer l’échevinage aussi bien au tribunal commercial et social122, donc en première
instance, qu’en seconde instance, en introduisant ce modèle devant les chambres commerciales et
sociales de la cour d’appel123 prioritairement afin d’asseoir ce principe. Toujours dans cette
continuité, il convient d’évoquer le rapport « portant réforme des tribunaux de commerce » dans
lequel il était avancé que l’adjonction d’un magistrat professionnel au sein de cette juridiction
permettrait d’aboutir à un enrichissement réciproque de ses membres124. Cette restructuration de
la collégialité n’a pourtant jamais eu lieu malgré sa récurrence. D’autres réflexions plus générales
consistaient quant à elles à revoir la répartition des rôles des acteurs judiciaires, notamment des
117
Pour une présentation d’ensemble de ce rapport voir J. THERON, « Améliorer et simplifier la procédure civile », JCP G,
LexisNexis, 26 fév. 2018, n° 9-10, p. 402.
118
F. AGOSTINI, N. MOLFESSIS, S. LEMOINE, S. EL NOUCHI-LATOUCHENT et P. LE DONNE, Chantiers de la Justice, Amélioration et
simplification de la procédure civile, op. cit., p. 34.
119
C. FERAL-SCHUHL, Chantiers de la Justice, votes du CNB sur les propositions transmises à la chancellerie, assemblée générale du Conseil national
des barreaux, Conseil national des barreaux, 16 et 17 février 2018, p. 9.
120
F. AGOSTINI, N. MOLFESSIS, S. LEMOINE et alii, Chantiers de la Justice, Amélioration et simplification de la procédure civile, op. cit.
121
J. THERON, « Améliorer et simplifier la procédure civile. Comment regagner la confiance des justiciables ? », op. cit., p. 9.
122
D. MARSHALL et al., « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et proximité, s’adapte à l’attente des citoyens,
et aux métiers de la justice, op. cit. p. 62.
123
Ibid., p. 71.
124
P. GIROD, Rapport portant réforme des tribunaux de commerce, n° 178, Sénat, 2001-2002, p. 60.
31
greffiers125 qui « sont des techniciens de la procédure »126. Une de leurs prérogatives aurait consisté à ce
qu’ils aient une compétence générale s’agissant de la mise en état des affaires civiles, « le juge étant
réservé au rôle d’arbitre des conflits »127. Bien qu’elle n’ait pas reçu application, cette suggestion aurait pu
revêtir des conséquences positives sur les collégialités. En effet, d’après un principe de procédure
civile, les fonctions juridictionnelles doivent être séparées. A ce titre, un juge ne doit pas intervenir
dans une même affaire en y effectuant des missions différentes tel qu’il était établi dans l’arrêt
Procola128. Ce principe ne reçoit pourtant pas application devant le juge de la mise en état129. La
délégation de la mise en état d’une affaire au profit du greffier aurait certes permis de mettre fin au
récurrent débat consistant à remettre en cause son impartialité à la suite de son intégration dans la
collégialité130. Une autre réflexion menée par l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice consistait à
reconnaître trois types de collégialités131. « Il y la « collégialité de discussion », qui vise à ce qu’un échange
intervienne entre les juges ; le rapport propose que celle-ci s’exerce à propos d’une « série d’affaires présentant toutes
les mêmes caractéristiques ». Il y a la « collégialité procédurale » : le juge ou les parties devraient pouvoir la demander,
afin que la décision ne soit pas l’œuvre d’un seul – ce qui ne sera pas toujours aisé en raison du manque de juges - ;
il y a enfin la « collégialité temporelle » : il s’agirait, pour un magistrat qui quitte ses fonctions, de laisser à son
successeur un recueil de textes et de décisions, permettant d’assurer une continuité des pratiques »132.
18. A côté des rapports, donc des réflexions suscitées par la collégialité, des réformes permettent
de concrétiser l’actualité de la thématique. Ces réformes s’avèrent d’ailleurs parfois surprenantes,
car elles viennent repenser des conceptions qui apparaissaient, du fait de leur ancienneté,
125
P. DELMAS-GOYON, F. BOBILLE, J-F. BOHNERT et alii, « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, Rapport à
Madame la garde des sceaux, ministre de la Justice, déc. 2013, p. 103. Des discussions quant à l’opportunité de la reconnaissance de
cette fonction sont disponibles dans le document suivant : « La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les
actes du débat national, Débat, Maison de l’Unesco, 10-11 janv. 2014.
126
Article 4 alinéa 1 du « décret n° 2015-1275 du 13 octobre 2015 portant statut particulier des greffiers des services judiciaires ».
127
N. FRICERO, A. VAN LANG, C. MARIE et alii, Les injonctions du juge, actes du 24ème Colloque des Instituts d'Etudes Judiciaires des
23 et 24 mars 2007, Bruylant 2009, p. 88.
128
CEDH, 28 sept. 1995, Association Procola contre Luxembourg, n° 14570-89 : il était reconnu une absence d’impartialité car
des conseillers étaient intervenus à différents niveaux de l’affaire en occupant des fonctions distinctes.
129
R. CABRILLAC, C. ALBIGES, P. BLACHER et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit., p. 304. C’est un « juge du tribunal
de grande instance, spécifiquement chargé de veiller à la mise en état des affaires et de statuer sur la plupart des incidents ».
130
En outre, une scission procédurale est perceptible au sein de la matière civile. Si certains estiment que les fonctions d’instruction
et de jugement sont bien délimitées en matière pénale contrairement au procès civil où la frontière peut être perméable, une nuance
doit être apportée. En effet, l’article 782 du Code de procédure civile reconnaît que pour matérialiser le fait que l’instruction est
close, le juge de la mise en état doit réaliser une ordonnance de clôture. Les phases d’instruction et de jugement sont donc bien
scindées.
131
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 78 et
s.
132
L. RASCHEL, « Les métamorphoses de l’office du juge », Gaz. Pal. Lextenso, 31 juil. 2014, n° 212.
32
pleinement ancrées au point qu’elles ne puissent être modifiées. Là encore, certaines concernent
directement la collégialité tandis que d’autres viennent indirectement en renforcer l’efficacité.
La collégialité a ainsi été directement confortée par la réforme de la carte judiciaire des
juridictions de première instance achevée en 2011. Cette carte n’avait pas connu un tel remaniement
depuis 1958133 soit depuis plus de soixante ans. Cette modification d’ampleur tient au fait qu’il
« existait un consensus du monde judiciaire sur la nécessité de réformer cette carte, devenue obsolète au regard des
évolutions démographiques et des enjeux économiques et sociaux de ce début du XXIème siècle »134. Outre l’idée
consistant à garantir une meilleure répartition des tribunaux de première instance sur le territoire,
il s’agissait de répartir de manière plus efficace les moyens humains y étant rattachés. En d’autres
termes, il s’agissait notamment « de garantir, par une plus juste répartition des effectifs, la collégialité »135.
Une autre réforme a permis de créer une collégialité à la suite de la loi Macron136 en reconnaissant
un élargissement des compétences du bureau de conciliation et d’orientation du conseil de
prud’hommes. Dorénavant, si une partie ne comparaît pas personnellement ou par son
représentant alors qu’elle n’a pas de motif légitime, il est reconnu au bureau de conciliation et
d’orientation de pouvoir statuer en tant que bureau de jugement137. Il ne pouvait le faire avant, ce
qui faisait perdre du temps. Plus indirectement, la réforme de la procédure d’appel en matière
civile138 a aussi eu des répercussions sur la collégialité des juridictions supérieures. Elle prévoit que
l’appel ne porte plus en principe sur l’ensemble de l’affaire mais concerne des chefs de jugement
expressément critiqués139. Cette disposition permet d’accroître l’efficacité de la collégialité de la
cour d’appel140 puisqu’elle n’aura plus qu’à se concentrer sur des points litigieux précis. Cette
reconsidération avait par exemple été envisagée aussi bien dans les rapports dirigés par Messieurs
133
N. BORVO COHEN-SEAT et Y. DETRAIGNE, La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée, Rapport d’information, n° 662,
Sénat, p. 9.
134
Ibid.
135
Ibid., p. 69.
136
Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, JORF n° 0181 du 7 août 2015 p. 13537,
texte n° 1.
137
Article L 1454-1-3 C. trav.
138
Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, JORF n° 0109 du 10 mai 2017, texte
n° 113.
139
Article 562 CPC : « L’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La
dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ».
140
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, « Juridiction de droit commun de l’ordre judiciaire chargée d’examiner les
appels interjetés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré », p. 156.
33
Garapon141 que Delmas-Goyon142. Cette étude intègre également la réforme entrée en vigueur
depuis le 1er janvier 2019 instaurée par la loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle,
consistant à unifier les contentieux autrefois attribués au tribunal des affaires de sécurité sociale et
à celui du contentieux de l’incapacité. Cette réunification au sein d’un pôle social du tribunal de
grande instance amenait à s’intéresser à sa composition. Plus récemment, puisqu’entrée en vigueur
le 25 mars 2019, une autre réforme concerne là encore directement la composition des tribunaux.
Elle prévoit que lorsqu’une formation collégiale est incomplète en première instance, le président
de cette formation puisse statuer à juge unique si les parties ont donné leur accord. Si les parties
refusent que l’audience soit tenue, ce report ne peut avoir lieu qu’une seule fois. Par contre, s’il
s’avère que la composition est de nouveau incomplète, il est prévu qu’il statue à juge unique.
19. D’autres sujets en discussion témoignent une nouvelle fois de l’actualité de la collégialité des
juridictions. Tel est le cas du « projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice » dont l’adoption est en principe prévue dans les prochains mois, bien que certaines de ses
mesures soient controversées143. Son article 53 aurait pour conséquence de modifier l’organisation
judiciaire, spécialement les juridictions de première instance puisqu’il s’agirait de fusionner le
tribunal d’instance avec celui de grande instance. Cela implique d’appréhender dans cette recherche
ses répercussions sur la collégialité. L’argument justifiant son instauration se rapporte à la lisibilité
de l’organisation judiciaire. En effet, il n’y aurait plus qu’une seule juridiction compétente en
première instance en matière civile144.
Un autre projet de réforme s’inscrivant dans une volonté d’accélérer le rendu de la justice
consiste à établir un filtrage des pourvois de la Cour de cassation. Cette reconnaissance viendrait
restreindre l’accès à cette collégialité pour qu’elle puisse se concentrer uniquement sur les cas
litigieux jugés les plus importants. Trois critères alternatifs d’admission seraient pris en
considération. Ils seraient « fondés sur l’intérêt que présente une affaire pour le développement du droit,
l’unification de la jurisprudence, ou bien encore la préservation d’un droit fondamental auquel il serait gravement
porté atteinte » 145. Cette limitation d’accès aux voies de recours puise son inspiration dans les modèles
étrangers tel que l’Allemagne ou la Belgique146.
141
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 141.
142
P. DELMAS-GOYON et al., « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., proposition n° 31, p. 86.
143
T. COUSTET, « Fusion des tribunaux d’instance : la Chancellerie dessine le cadre », Dalloz actualité, 28 janv. 2019.
144
MINISTERE DE LA JUSTICE, Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
145
B. LOUVEL, La réforme du traitement des pourvois, Cour de cassation, 20 mars 2018.
146
Sur cette thématique voir notamment : La sélection des recours par les Cours suprêmes européennes, 28 novembre 2014.
34
D’autres discussions consistent à vouloir introduire dans notre système judiciaire une
justice prédictive afin de renforcer la célérité du rendu de la justice. Elle reviendrait à prévoir « la
solution donnée à un litige à partir de moyens informatiques »147. A en lire l’article de Monsieur Dondero
consacré à cette thématique, le droit serait en train de prendre une autre tournure, une autre
dimension puisqu’il est fait référence à l’intelligence artificielle, au mouvement de BigData ou
encore à la montée de LegalTech148. Si l’ambition n’est a priori pas d’ôter au juge son autonomie
mais de lui apporter une aide quant à sa prise de décision, elle suscite des inquiétudes. Des
interrogations se posent d’abord quant au devenir des voies de recours149 ce qui revient à
s’interroger sur le devenir des collégialités puisqu’elles sont actuellement compétentes pour les
traiter. S’il était toujours proposé la même solution pour un cas donné, l’appel ou le pourvoi en
cassation n’auraient plus d’intérêt puisque la décision apportée serait semblable à la première. Des
interrogations se posent ensuite quant à l’avenir même des juges150. La machine pourrait-elle à
terme les remplacer ? Serait-ce la solution pour administrer au mieux la justice rapidement et à
moindre coût ? Ces craintes sont partagées si l’on se réfère aux dires de Monsieur Mainguy. D’après
lui, « il n’est pas inenvisageable d’utiliser des outils informatiques pour faciliter la tâche du juge, au stade des
formations de filtrage par exemple lorsque se posent des problèmes de recevabilité d’un recours, et encore sous la
vérification d’un juge humain. Imaginer cependant que la machine pourrait remplacer les juges humains dans des
procès relève de la science fiction politique »151. Ce projet de réforme permet d’illustrer que la quête
d’efficience du système judiciaire est toujours d’actualité mais qu’elle doit être réalisée à bon escient
compte tenu des risques qu’elle représente pour la justice. Par cette introduction, pour reprendre
le terme de Madame Amrani-Mekki, le droit pourrait également se voir « désubstantialiser » puisque
la solution proposée ne serait plus nécessairement juridique152 celle-ci étant l’œuvre des machines.
20. Devant cette progression numérique et cette mutation du droit, une question se pose. Si la
collégialité a su traverser les époques, a-t-elle encore des chances de perdurer ? La tendance semble
plutôt être en faveur du juge unique, voire à la restriction de l’accès aux juges comme en témoigne
le développement des modes alternatifs de règlement des différends et la nécessaire tentative de
147
J-C. MARIN, Colloque « La justice prédictive », Cour de cassation, 12 février 2018, p. 2.
148
B. DONDERO, « La justice prédictive », Le blog du professeur Bruno Dondero, 10 février 2017.
149
F. GUERANGER, « Réflexions sur la justice prédictive », n° 13, Gaz. Pal., Lextenso, 3 avr. 2018, p. 15.
150
SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, « Les chantiers de la justice Numérique, Procédure civile et Réseau des juridictions : réaction
du Syndicat de la magistrature », Gaz. Pal., Lextenso, n° 5, 6 fév. 2018, p. 76.
151
D. MAINGUY, « Regard prédictif sur la justice prédictive », blog, 14 mars 2017.
152
S. AMRANI-MEKKI, « Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique : des liaisons dangereuses ? », Gaz. Pal., Lextenso,
n° 28, 31 juil. 2018, p. 50.
35
conciliation. Elle pourrait aussi être à l’origine de leur suppression tel qu’il a été vu avec le projet
de réforme ayant pour ambition d’introduire une justice prédictive dans notre système judiciaire.
Schématiquement, la tendance est aux situations dans lesquelles il n’y aurait plus qu’un seul juge,
ou à celle dans lesquelles il n’y en aurait plus du tout. La collégialité s’inscrit donc à contre-courant
de ce mouvement actuel. Pourtant, notre réponse s’est avérée positive. La collégialité est vouée à
perdurer. La raison de son maintien tient aux garanties qu’elle représente. Sa préservation nécessite
qu’elle soit consolidée et rationalisée. Elle peut tout d’abord être consolidée parce que le périmètre
qui lui est accordé en procédure civile reste important. La clarification de sa notion a permis
d’établir que contrairement à ce qui est souvent avancé, la collégialité n’est pas en train de
disparaître et de devenir une exception de notre organisation judiciaire. Au contraire, elle reste
encore le principe compte tenu de la place majoritaire qu’elle occupe ce qui implique de la
reconnaître comme tel. Dès lors, il convient d’aller à l’encontre de plusieurs affirmations consistant
à dire que « pas à pas, petit à petit, par touches successives, lentement mais sûrement, discrètement voire
subrepticement, le principe de collégialité des juridictions se fait grignoter, écorner, rédimer... au point que son existence
même est aujourd’hui menacée. Chaque réforme ne semble enlever qu’une petite pierre à l’édifice »153. Elle peut
ensuite être rationalisée en repensant ses aspects économiques ou en améliorant la qualité relative
à la prise de décision de ses membres. Concernant ce dernier point, il convient de s’inspirer des
modèles étrangers tout en respectant les grands principes chers à notre culture. La communication
des opinions dissidentes - entre juridictions - pourrait en être une solution. Si cette consécration et
ces remaniements sont à envisager c’est parce que la collégialité permet de garantir des exigences
fondamentales liées à l’incontournable droit à un procès équitable contenues au sein de la
Convention européenne des droits de l’homme. La collégialité est un facteur d’impartialité et une
garantie d’indépendance. L’utilisation du terme de facteur n’est pas anodine. Au regard de sa
définition, un facteur correspond à un « agent, élément qui concourt à un résultat »154. Par analogie, le fait
d’être à plusieurs permet d’aboutir à plus d’impartialité et d’indépendance quant à la prise de
décision. Pour exemples, concernant l’impartialité des membres d’un collège, celle-ci est plus
difficile à remettre en cause puisqu’on « voit mal que le caprice de l’un épouse parfaitement celui des
autres »155. Pour Madame Oudoul, la « discussion à plusieurs apporte une plus-value à la décision, au délibéré,
elle augmente la probabilité d’une décision plus respectueuse de l’impartialité. Cela ne veut pas dire que le juge unique
153
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
154
Dictionnaire Larousse.
155
« Réflexions croisées la motivation », Le Lamy Droit civil, n° 89, 1 janv. 2012.
36
sera partial, mais que le risque de partialité est plus grand qu’en présence d’un tribunal collégial »156. Cette
affirmation est matérialisée dans le célèbre film « Douze hommes en colère » bien qu’il se rapporte
à la matière pénale. Il retranscrit la situation dans laquelle des jurés pensent qu’un individu est
coupable d’un assassinat sans nécessairement remettre en cause leur première impression. Seul un
homme demande davantage de sérieux, et par les discussions suscitées, tous vont adopter une autre
opinion sur l’affaire. S’agissant de l’indépendance des juges, le Recueil des obligations
déontologiques des magistrats prévoit qu’un juge unique peut demander de recourir à une
collégialité quand elle est procéduralement possible, lorsqu’il est soumis à des pressions157. En
conséquence, la collégialité apparaît comme une formation plus protectrice. L’exigence de respecter
un délai raisonnable peut quant à elle connaître des ajustements afin d’être améliorée. Les solutions
sont donc multiples.
21. Il convient dès lors de redéfinir la notion de collégialité (1ère Partie) pour ensuite démontrer
l’intérêt de la collégialité (2nde Partie).
156
A. OUDOUL, L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH, Thèse pour le doctorat
mention droit privé, Université d'Auvergne, 5 déc. 2016, p. 166.
157
Article a. 12, CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, op. cit.
37
1ère PARTIE :
LA NOTION DE COLLEGIALITE
22. Si la collégialité est un mode d’organisation des juridictions qui a su traverser différentes
époques, encore faut-il savoir à quoi elle correspond, comment elle se comprend ? Son maintien
dans le droit positif français contemporain tient à l’histoire. La crainte de l’arbitraire du fait de la
réunion d’un pouvoir entre les mains d’un seul homme est en effet toujours présente158. C’est donc
sous la Révolution que les juges ont acquis l’exclusivité de leur prérogative, à savoir, celle de juger.
Elle résulte plus précisément de la séparation des pouvoirs issue de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789. Si cette crainte, vieille de plus de deux cent ans n’était plus, cela
signifierait-il ipso facto que la collégialité n’aurait plus de raison d’être ? Son maintien ne saurait
s’expliquer que par ses raisons historiques. Il tient aussi de façon non exhaustive aux garanties du
droit à un procès équitable qu’elle permet d’assurer, à sa conformité à la démocratie et au sentiment
de confiance qui s’y rattache. Elle revêt également un aspect pédagogique puisqu’elle permet, du
fait de sa composition pluripersonnelle, d’affiner les compétences techniques des juges qui la
composent159. Cet apport est d’ailleurs essentiel au regard de la complexité que revêt la fonction
de juger.
23. Au sein du Vocabulaire juridique dirigé par Monsieur Cornu, la collégialité est définie
comme un « système d’organisation judiciaire selon lequel les décisions de justice sont en principe prises après
délibération en commun par plusieurs magistrats, par opposition au système du juge unique »160. L’expression
problématique est celle qui consiste à reconnaître que les décisions d’une juridiction collégiale sont
en principe prises après délibération. Cette rédaction laisse supposer qu’une dérogation est
envisageable. Or, la clé de voûte de la collégialité réside dans l’échange d’opinions qu’elle - implique
- entre ses membres. En son absence, sa composition pluripersonnelle n’aurait plus d’intérêt.
24. Cette étude permet de proposer des éléments de consolidation de la notion de collégialité
(Titre 1) en déterminant la place qu’elle occupe en procédure civile afin de lui octroyer sa juste
158
M. NAUDET-SENECHAL, « L’enfant et le juge unique », Petites affiches, Gaz. Pal., no 53, 3 mai 1995, p. 81.
159
F. DE LA VAISSIERE, « Quelques réflexions simples sur “le juge unique” », Gaz. Pal., Lextenso, no 6, 6 janvier 2000, p. 2.
160
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8ème éd., op. cit., p. 160.
39
valeur. Il convient en outre de renforcer sa qualité, ce qui nécessite de s’intéresser aux éléments de
rationalisation de la collégialité (Titre 2) afin qu’elle soit en mesure de perdurer.
40
Titre 1 – Les éléments de consolidation de la notion de
collégialité
25. La disposition qui consacre aujourd’hui la collégialité en procédure civile est l’article L 121-
2 du Code de l’organisation judiciaire. Aux termes de ce dernier, « sauf disposition particulière, les juges
statuent en nombre impair ». Plus précisément, que faut-il entendre par le terme statuer ? S’agit-il du
moment où les juges sont présents à l’audience ou du moment où ils se retirent pour délibérer ?
Autrement dit, à partir de quelle phase procédurale une collégialité est véritablement caractérisée ?
La signification retenue est celle contenue au sein du petit Larousse qui énonce que statuer revient
à « décider d’une question en vertu de l’autorité que l’on détient »161. Par analogie, la collégialité est donc
caractérisée pendant les délibérés puisque c’est lors de cette étape que les juges vont user de leur
autorité pour décider de la suite à donner à un litige. Utiliser le terme de collégialité en dehors de
cette phase procédurale n’est pas une faute de langage mais il ne revêt pas la même signification.
En dehors du délibéré, la collégialité fait référence à un groupement de juges tandis que pendant
les délibérés, elle se comprend par sa finalité, à savoir, un groupement de juges ayant pour mission
de prendre une décision ensemble.
26. C’est d’ailleurs pendant les délibérés que la collégialité va déployer un maximum de ses
vertus. Elle est ordinairement assimilée à une « garantie de justice éclairée, impartiale et indépendante »162
en sachant que ces mérites font l’objet d’une large acceptation163. Ces garanties vont d’ailleurs
perdurer au-delà de la prise de décision comme l’illustre l’anonymisation des décisions collégiales.
Elle va permettre d’assurer l’indépendance des juges qui en sont à l’origine.
27. Il revenait de rendre plus intelligible la notion de collégialité ce qui a nécessité de redéfinir
ce qu’est un juge unique. Un juge unique est un juge qui rend une décision de manière indépendante
sur le fond d’une affaire. Les deux critères essentiels sont l’indépendance de la prise de décision et
le fond du litige en sachant qu’ils sont cumulatifs. Cette clarification a permis de constater que le
périmètre du juge unique est limité (Chapitre 1) ce qui implique de reconnaître la collégialité
comme principe (Chapitre 2).
161
C. NIMMO et S. AUVERGNAT, Le petit Larousse illustré, Ed. 2017, p. 1098.
162
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, 25e éd., Dalloz, 2017-2018, p. 215.
163
Voir par exemple : M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
41
Chapitre 1 – Le périmètre limité du juge unique
28. Deux solutions s’offrent afin d’administrer une juridiction. Il peut y être instauré une
collégialité ou un juge unique, c’est en cela que ces notions sont consubstantielles. L’attribution
d’une affaire à un de ces deux modes d’organisation n’est pas nécessairement définitive. Ils peuvent
connaître des interactions ce qui peut compliquer leur lisibilité. Tel est par exemple le cas lorsqu’une
affaire est attribuée à un juge unique devant le tribunal de grande instance. L’article 802 du Code
de procédure civile prévoit qu’il a la faculté de la renvoyer à une collégialité lorsqu’il rencontre une
difficulté de traitement. Ainsi, traditionnellement, la répartition des litiges tient à leur nature mais
aussi à leur complexité164.
29. Le juge unique est défini comme un « magistrat qui, constituant par lui-même une juridiction, statue
seul (non en collège) soit, au fond, comme juge du principal […] soit par décision provisoire : c’est le cas en général
du juge des référés »165. Si le juge unique constitue une juridiction, afin d’éviter les confusions, il faut
savoir qu’une juridiction regroupe plusieurs juges uniques et non un seul juge unique. S’adjoint à
cela qu’en « matière civile, le tribunal peut être appelé à statuer à « juge unique », ce qui signifie qu’un seul juge
va instruire l’affaire, assister aux débats, délibérer de l’affaire et rendre une décision »166. Il est aussi défini
comme un « juge qui exerce ses fonctions seul : le juge d’instance, le juge de la mise en état, le juge des enfants, le
juge de l’exécution, le juge délégué aux affaires familiales, le président et le premier président statuant en référé, le
juge des loyers, le TGI pour le contentieux des accidents de la circulation exercent ainsi leurs pouvoirs juridictionnels
ou gracieux. Le Code de procédure civile permet de soumettre les affaires civiles relevant d’un TGI (sauf en matière
disciplinaire et en matière d’état de la personne) à un juge unique […]. Signalons encore que, devant le TGI et la
cour d’appel, le magistrat chargé du rapport peut, si les avocats ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre
les plaidoiries, quitte à en rendre compte à la formation collégiale dans son délibéré. A la Cour EDH, un très grand
nombre de requêtes, celles qui donnent lieu à une procédure non contradictoire et sans juge rapporteur, sont examinées
par un juge unique et non par un comité de 3 membres »167. Cette définition n’est pas entièrement
convaincante.
164
M. DOUENCE et M. AZAVANT, Institutions juridictionnelles, 2e éd., coll. Cours dalloz, Dalloz, 2014, p. 114.
165
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 12e éd., Quadrige, PUF, 2018, p. 587.
166
Article L 212-2 COJ, Code de procédure civile commenté, Lamyline.
167
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, 26e éd., Dalloz, 2018-2019, p. 647.
43
30. L’éclaircissement de sa définition a permis de constater que son périmètre est limité puisque
plusieurs qualifications de juges uniques sont erronées (Section 1). Par conséquent, il revient
d’infirmer l’argument selon lequel « on pourrait dire qu’on assiste aujourd’hui à une certaine contagion du juge
unique »168. Ce constat nécessite de déterminer leur place dans le procès civil (Section 2).
168
C. PARISI, « L’extension du système de juge unique en Europe », op. cit., p. 648.
44
Section 1 - Des qualifications de juges uniques erronées
31. Pour comprendre ce qu’est un juge unique il paraît plus aisé de déterminer ce qu’il n’est pas.
Il s’agit de se reporter à son antonyme, la collégialité, puisque tout ce qui ne relève pas du juge
unique incombe à cette formation et inversement. S’il est enseigné que la collégialité correspond à
une composition faisant intervenir plusieurs juges, il ne peut être perçu dans toutes situations où
plusieurs juges interviennent, l’existence d’une collégialité. La technicité tient au fait qu’un juge
unique peut demander l’avis à des collègues concernant une affaire. S’il peut être orienté dans sa
prise de décision, il ne peut être reconnu dans cette situation qu’une collégialité est caractérisée.
L’admettre reviendrait à voir la collégialité pratiquement partout, étant donné que dans la pratique
les juges vont souvent avoir recours à ces procédés. En conséquence, le juge unique n’est pas un
individu nécessairement solitaire et isolé169.
32. Le nombre de juges consultés dans une affaire, ou le fait qu’ils aient délibéré, ne sont pas
des facteurs assez significatifs afin de qualifier un juge comme étant unique. Il appartient de
démontrer que le critère déterminant tient à l’indépendance de la prise de décision concernant le
fond de l’affaire. En effet, l’absence de prise de décision indépendante au fond constitue un
obstacle à la qualification de juge unique (§1). Dans cette continuité, les rapporteurs ne sauraient
être valablement qualifiés de juges uniques (§2) en sachant que l’utilité de la collégialité est
majoritairement remise en cause à la suite de leur intervention.
33. Certaines collégialités vont être aménagées afin qu’elles puissent se concentrer sur la prise
de décision finale. Pour ce faire, l’instruction de l’affaire est confiée à un juge. Dans cet objectif,
plusieurs prérogatives sont reconnues au juge de la mise en état devant le tribunal de grande
instance ou au conseiller de la mise en état près la cour d’appel. Le fait qu’ils remplissent des
missions communes justifie qu’ils fassent l’objet d’une étude conjointe (A). A ce titre, ils peuvent
169
Afin d’éviter les situations dans lesquelles le juge unique serait seul et isolé, il est préconisé par les auteurs qu’il soit entouré
d’une équipe et que le dialogue entre les juges soit favorisé : L. CADIET et L. RICHER, Réforme de la justice, réforme de l’Etat, PUF, 31
janv. 2018.
45
concilier les parties170, contrôler le déroulement loyal de la procédure171 ou statuer sur les incidents
mettant fin à l’instance172. L’intervention du juge départiteur est quant à elle tout autre puisqu’il a
vocation à intervenir au sein du conseil de prud’hommes lorsqu’une égalité des voix entre ses
conseillers se produit. Néanmoins, il correspond aussi à une collégialité aménagée sans qu’il ne
puisse être qualifié de juge unique (B).
34. S’ils peuvent dans certaines hypothèses prendre des décisions de façon indépendantes, le
juge de la mise en état (1) qui intervient au premier degré, et le conseiller de la mise en état (2) qui
a quant à lui vocation à intervenir au second degré, ne peuvent pourtant pas être caractérisés
comme étant des juges uniques.
35. La mise en état d’une affaire n’est pas obligatoire. Cette dernière a lieu lorsque le dossier se
révèle par exemple complexe. Dans le langage courant, l’affaire emprunte ici un circuit long par
opposition au circuit court. Dans le premier, l’instruction nécessite l’intervention du juge de la mise
en état tandis que ce n’est pas le cas dans le second. Le choix d’opter pour tel ou tel circuit relève
du président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée. Le juge de la mise en état est un « juge
du tribunal de grande instance, spécifiquement chargé de veiller à la mise en état des affaires et de statuer sur la
plupart des incidents »173. Le terme veiller permet de rappeler qu’en matière civile les parties ont un
rôle actif à jouer conformément à l’application du principe dispositif174. Le juge de la mise en état
est donc un magistrat ayant pour mission de diriger l’instruction d’une affaire civile tel qu’il est
établi par l’article 763 alinéa 1 du Code de procédure civile. Il dispose que « l’affaire est instruite sous
le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle a été distribuée ». Les fonctions qui lui sont reconnues
sont nombreuses. Sa mission consiste notamment à « veiller au déroulement loyal de la procédure,
spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces. Il peut entendre les avocats
et leur faire toutes communications utiles. Il peut également, si besoin est, leur adresser des injonctions »175. Adresser
170
Article 768 CPC.
171
Article 763 CPC.
172
Article 771 CPC.
173
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2019, op. cit., p. 312.
174
Voir sur ce point F. BRUS, « Le principe dispositif et le procès civil », op. cit.
175
Article 763 al. 2 et 3 CPC.
46
des injonctions, statuer sur les incidents mettant fin à l’instance, pouvoir prendre une ordonnance
de radiation non susceptible de recours176, pourraient laisser penser qu’il est un juge unique compte
tenu de l’autorité qui s’y rattache. En effet, le prononcé de la radiation d’une affaire permet de
mettre définitivement fin à l’instance. Cependant, la qualification de juge unique implique qu’une
décision soit prise de manière indépendante concernant le fond de l’affaire et non uniquement ses
aspects procéduraux. Il ne peut donc être caractérisé de juge unique au regard de ces prérogatives.
Celles-ci s’avèrent d’ailleurs toujours encadrées et limitées au domaine procédural comme en
témoigne ses autres pouvoirs.
36. Concernant la prise en charge des plaidoiries, à la lecture de l’article 779 du Code de
procédure civile, deux situations apparaissent. Dans la première, le juge de la mise en état
reste cantonné à son rôle consistant à diriger l’instruction pour qu’une fois terminée, l’affaire soit
plaidée devant le tribunal, de préférence à une date proche de la clôture177. Cette situation ne pose
pas de difficulté quant à la collégialité qu’elle implique. Dans cette hypothèse, le juge de la mise en
état bénéficie de tous les éléments utiles afin qu’il soit apporté une solution au litige. Il va donc y
avoir clôture de l’instruction. Dans la seconde, « le président ou le juge de la mise en état, s’il a reçu délégation
à cet effet, peut également, à la demande des avocats, et après accord, le cas échéant, du ministère public, autoriser le
dépôt des dossiers au greffe de la chambre à une date qu’il fixe, quand il apparaît que l’affaire ne requiert pas de
plaidoiries »178. Cette prise de décision accordée au juge de la mise en état sur demande des avocats
est importante car les plaidoiries permettent d’entendre les parties et d’appréhender au mieux le
litige. Cet aménagement est issu du décret du 28 décembre 2005179. « Le président de la chambre, à
l’expiration du délai prévu pour la remise des dossiers, informe les parties du nom des juges de la chambre qui seront
amenés à délibérer et de la date à laquelle le jugement sera rendu »180. Dans une affaire181, M. X faisait valoir
que « le dépôt des dossiers ne peut remplacer les plaidoiries que si les avocats le demandent » et venait rappeler
la règle de principe. Cependant, M. X estimait que cette demande préalable des avocats n’avait pas
été effectuée, ce que n’avait pas retenue la Cour de cassation puisqu’en « mentionnant que les parties
avaient été autorisées à déposer leur dossier […] il résultait que l’autorisation avait été sollicitée ». Cette solution
176
Article 781 alinéa 1 CPC.
177
Article 779 al. 1 CPC.
178
Ibid., al. 3 CPC.
179
Décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 "relatif à la procédure civile, à certaines procédures d’exécution et à la procédure de changement de
nom", JORF n° 302 du 29 déc. 2005, p. 20350, texte n° 67.
180
Article 786-1 CPC.
181
Civ. 2ème, 10 février 2011, n° 09-70577, Bull. civ. 2011, II, n° 37.
47
permet d’établir qu’il y a une présomption concernant la démarche des avocats mais aussi celle du
juge de la mise en état. S’il a été admis que les parties puissent déroger aux plaidoiries, c’est parce
qu’au préalable l’accord du juge de la mise en état a été demandé et accepté. Cet attendu permet
d’affirmer l’autorité du juge de la mise en état en ne remettant pas en cause son acquiescement. Il
est vrai que cette décision « rend difficile toute contestation de la partie qui fait valoir que le juge de la mise en
état a considéré à tort qu’il y avait eu une demande des parties en faveur du dépôt des dossiers. Elle repose cependant
sur un raisonnement déductif qu’il est difficile de discuter »182. A contrario, s’il avait été admis que le juge de
la mise en état n’avait pas correctement rempli son rôle, il y aurait eu un impact sur sa légitimité du
point de vue du justiciable. Si la démarche de déroger aux plaidoiries appartient aux avocats, c’est
au juge de la mise en état d’établir si cela va être opportun. Par conséquent, bien qu’il ne puisse pas
agir d’office, son pouvoir permet de le maintenir en place en tant que maître de la procédure183.
Cette qualité est d’ailleurs retranscrite par le premier alinéa de l’article 762 du Code de procédure
civile qui dispose que « toutes les affaires que le président ne renvoie pas à l’audience sont mises en état d’être
jugées ». L’expression de « mises en état d’être jugées » renvoie à sa mission procédurale.
37. La troisième situation pose davantage de difficulté car elle est à l’origine de la remise en
cause de l’utilité même de la collégialité du fait de l’intervention particulière du juge de la mise en
état. L’article 786 du Code de procédure civile énonce que « le juge de la mise en état ou le magistrat
chargé du rapport peut, si les avocats ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend
compte au tribunal dans son délibéré ». Cette disposition a pour objectif d’assurer une célérité car un seul
juge pourra être présent, à la place de plusieurs. Or, des auteurs ont souligné que « la qualité c’est
d’assurer la réalité d’un vrai débat judiciaire devant une formation collégiale au cours duquel chacun sera
entendu »184. Pour d’autres, cette reconnaissance délèguerait la prise de décision au juge de la mise
en état, ôtant à la collégialité sa fonctionnalité. Ou encore, le fait de renoncer à une audience aurait
pour conséquence d’enlever « une plus-value lorsque les juges siègent en collégialité »185. Un arrêt de la
deuxième chambre civile de la Cour de cassation de 1991 venait établir « qu’il résulte des mentions de
l’arrêt que les débats ont eu lieu devant un seul magistrat qui a fait rapport à la formation collégiale ; que ces mentions
suffisent à établir qu’il a été satisfait aux exigences de l’article 786 du nouveau Code de procédure civile »186. Une
182
F. MELIN, « Mise en état et autorisation de déposer les dossiers au greffe », Dalloz actualité, 20 janv. 2016.
183
G. COUCHEZ et X. LAGARDE, Procédure civile, 17 ème, Sirey, Dalloz, 2014, p. 304.
184
J-F. LACHAUME et al., « Les stratégies de l’urgence et la réponse juridictionnelle », Petites affiches, Gaz. Pal., no 52, 14 mars
2001, p. 18.
185
Union syndicale des magistrats, « Les chantiers de la justice Numérique, Procédure civile et Réseau des juridictions : réaction
du Syndicat de la magistrature », op. cit., p. 79.
186
Civ. 2ème, 10 juillet 1991, n° 89-12792, Bull. civ. 1991, II, n° 218, p. 115.
48
autre affaire de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation datant de 1978 est venue établir
« que si le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l’audience, c’est à la double
condition de constater que les avocats ne s’y opposent pas et d’entendre les plaidoiries »187. Cette solution s’est
d’ailleurs vue réaffirmée dans un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation
en 1989188. Cependant, une troisième condition se rajoute aux précédentes : le juge de la mise en
état doit rendre compte de l’affaire aux autres membres189. Cette exigence est essentielle puisqu’elle
conditionne la prise de décision finale à la collégialité. C’est en cela qu’elle est préservée.
Quant à la différence avec la demande de dépôt des plaidoiries, elle réside dans le fait qu’elle
était introduite par les avocats et qu’elle devait être acceptée par le juge de la mise en état. En
l’espèce, c’est l’inverse qui est caractérisé, c’est au juge de la mise en état d’obtenir l’accord des
avocats. C’est lui qui est à l’origine de l’initiative. Pour autant, ce juge n’a pas vocation à apporter
une décision de façon indépendante aux justiciables. Il n’est donc pas un juge unique.
38. Certains considèrent que l’intervention d’un seul juge qui a pour mission d’établir un compte
rendu aux autres membres du collège permet simplement d’apporter à la solution de l’affaire une
« apparence collégiale »190. Elle « ne trompe guère les praticiens et les justiciables qui savent bien que ce ne sera que
dans des cas exceptionnels que les deux juges qui n’auront, par hypothèse, ni entendu les avocats, ni étudié le dossier,
manifesteront une opinion inverse de celle de leur collègue rapporteur. Le secret du délibéré devient un rideau de gaze
très transparente »191. Les références à la transparence et à l’apparence permettent de montrer le côté
éphémère que revêt cette collégialité aménagée pour ses détracteurs. S’adjoint à cela des projets
consistant à confier la mise en état à un greffier192. Cet aménagement pourrait là encore s’expliquer
par les réticences suscitées par l’intégration du juge de la mise en état dans la future collégialité
compte tenu de sa maîtrise du dossier. Or, tel qu’il a justement été souligné par Monsieur Puyo,
dans ces conceptions la neutralité de ladite formation serait facilement renversable car il suffirait
que le juge de la mise en état intervienne pour que le doute s’installe quant à l’impartialité des autres
membres du collège193. Il ne peut peser une telle suspicion sur ces juges. Afin de mettre fin à ces
187
Civ. 2ème, 14 décembre 1978, n° 77-12166, Bull. civ., n° 273, p. 209.
188
Com. 27 juin 1989, n° 87-18633, Bull. civ. 1989, IV, n° 201, p. 134.
189
Civ. 2ème, 18 oct. 1989, n° 88-16632 88-17051, Bull. civ. II, n° 186, p. 95.
190
J-F. BURGELIN, Les petits et grands secrets du délibéré, 11 oct. 2001, coll. D., p. 2755.
191
Ibid.
192
N. FRICERO, A. VAN LANG, C. MARIE et alii, Les injonctions du juge, op. cit., p. 88.
193
Y. PUYO, Le principe processuel d’impartialité, Mémoire de D.E.A de droit privé, Université des sciences sociales de Toulouse, 2000-
2001, p. 102.
49
dissensions, pour certains, il convient de généraliser le juge unique devant le tribunal de grande
instance194 en lui permettant de pouvoir recourir exceptionnellement à une collégialité195. Son
instauration prend exemple sur l’efficacité du juge des référés alors qu’il est reconnu que les recours
pourraient être plus importants certes, mais qu’ils justifieraient le maintien de la collégialité en
appel196. Cette proposition ne convainc pas. Il est vrai que le juge des référés a des pouvoirs
conséquents mais ses décisions revêtent une portée provisoire à la différence de celles apportées
par les juges uniques traditionnels. Ensuite, il ne peut être proposé de mettre en place un système
en sachant qu’il ne serait peut-être pas bénéfique, au motif que l’appel permet de contrecarrer les
éventuels mal-jugés.
39. La première chambre civile de la Cour de cassation197 est aussi venue apporter diverses
précisions concernant la faculté pour le juge de la mise en état de tenir seul l’audience. Monsieur X
avançait que la formation ayant délibéré sur son contentieux était irrégulière car les débats avaient
eu lieu devant un président rapporteur et un conseiller, ce dernier n’ayant pas participé au délibéré.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 447 du Code de procédure civile, « il appartient aux juges devant
lesquels l’affaire a été débattue d’en délibérer ». Pour autant, la solution de la Haute juridiction était la
suivante : « les plaidoiries peuvent être entendues, avec l’accord des avocats, par le juge de la mise en état ou le
magistrat chargé du rapport, rien n’interdit qu’elles le soient par deux magistrats, dès lors qu’il est ensuite rendu
compte à la formation collégiale dans son délibéré, peu important que le magistrat « assistant » le président rapporteur
n’en fasse pas partie ». En d’autres termes, cette décision vient établir que l’article 786 du Code de
procédure civile autorisant au juge de la mise en état de tenir seul l’audience pour entendre les
plaidoiries, ne doit pas s’interpréter de façon stricte. S’il fait directement référence à un seul juge, il
est possible aussi qu’ils soient deux. Les magistrats du quai de l’Horloge ont apporté une donnée
numérique afin d’éviter les dérives et les situations compliquées à gérer. Il est vrai qu’il aurait pu
être utilisé l’expression « rien n’interdit qu’elles le soient par plusieurs magistrats ».
Cette solution est riche d’enseignements car elle permet d’établir une double dérogation à
l’application de l’article 447 du Code de procédure civile. Dans la première, il est admis que des
juges n’ayant pas assisté aux débats puissent délibérer. Dans la seconde, celle qui est directement
issue de l’arrêt, elle vient établir que tous les juges ayant assisté aux débats ne sont pas obligés de
194
J-M. COULON, E. BONNET, et B. COZE, « Réflexions et propositions sur la procédure civile », Petites affiches, Gaz. Pal., no 19,
12 février 1997, p. 4.
195
F. DE LA VAISSIERE, « Quelques réflexions simples sur “le juge unique” », op. cit., p. 2.
196
Ibid.
197
Civ. 1ère, 3 fév. 2004, n° 01-11898, Bull. civ. 2004, I, n° 28, p. 25.
50
participer aux délibérés. La présence d’un d’eux suffit. Par conséquent, ces deux situations sont à
l’inverse l’une de l’autre. Cette solution permet également d’insister sur le fait que l’important est
que la décision soit l’œuvre de la collégialité.
Si le juge de la mise en état n’est pas qualifiable de juge unique, il en est de même concernant
son homologue devant la cour d’appel, le conseiller de la mise en état.
40. Le juge de la mise en état du tribunal de grande instance remplit un rôle semblable au
conseiller de la mise en état. Celui-ci n’est alors plus dénommé comme juge mais comme conseiller
car il va intervenir devant la cour d’appel. Le conseiller de la mise en état est un « magistrat de la cour
d’appel sous le contrôle duquel l’affaire est instruite au niveau du second degré, comme elle l’est en première instance
sous la direction du juge de la mise en état »198. Plusieurs pouvoirs lui sont reconnus comme celui
d’ordonner sous peine d’astreinte que les parties communiquent certains documents utiles199.
D’après l’article 945-1 du Code de procédure civile, « le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les
parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend compte à la cour dans son
délibéré ». Pour des raisons identiques à celles du juge de la mise en état du tribunal de grande
instance, il ne peut être qualifié de juge unique. En effet, il devra rendre compte de ce qui s’est
produit aux autres membres de la collégialité. Ce n’est pas une faculté pour lui mais une obligation.
Celui-ci aurait été considéré comme un juge unique si sa prise de décision avait été indépendante.
En outre, « dès lors qu’un arrêt porte que le rapporteur était présent aux débats et au délibéré, cette constatation
entraîne présomption que ce magistrat a rendu compte des débats aux autres magistrats composant la cour d’appel
lors du délibéré »200. Il est donc là aussi présumé que le conseiller a agi conformément aux prérogatives
qui lui sont reconnues.
41. Cette absence de caractérisation du conseiller de la mise en état comme juge unique a été
confortée dans une saisine pour avis de la Cour de cassation. Un conseiller de la mise en état de la
quatrième chambre de la cour d’appel de Versailles avait demandé par ordonnance un avis à la
Haute juridiction afin qu’il soit apporté une précision quant à ses prérogatives. Ce dernier voulait
« savoir si le conseiller de la mise en état est compétent […] pour statuer sur une exception de procédure ou un
198
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 235.
199
Article 943 alinéa 3 CPC.
200
Com. 20 janvier 1998, n° 95-16345.
51
incident qui n’a pu être soulevé devant les premiers juges, en raison de la non-comparution devant eux de la partie
concernée, et qui est susceptible de mettre fin à l’instance en entraînant la nullité du jugement frappé d’appel ». La
Cour de cassation a émis un avis le 2 avril 2007201 et a considéré que « le conseiller de la mise en état,
dont les attributions ne concernent que les exceptions de procédure et les incidents relatifs à l’instance d’appel, n’est
pas compétent pour statuer sur une exception de procédure relative à la première instance ». Ainsi, « la compétence
exclusive du conseiller de la mise en état pour statuer sur les exceptions de procédure ou sur les incidents mettant fin
à l’instance […] ne s’applique qu’aux exceptions et aux incidents relatifs à la procédure pendante devant la cour et
non à celles et ceux qui affectaient la procédure de première instance ; le conseiller de la mise en état n’est pas juge
d’appel de la décision de première instance »202. Cet avis permet de rappeler que la mission du conseiller
de la mise en état est strictement encadrée, aussi bien dans l’instance dans laquelle il intervient que
dans ses pouvoirs. Ce conseiller n’est pas un juge unique pour deux raisons. La première tient au
fait qu’il ne peut pas connaître l’appel d’une décision à l’instar d’un autre juge. La seconde tient au
fait qu’il n’apporte pas une décision aux justiciables de manière indépendante en dehors de ses
aspects procéduraux. Pourtant, la saisine pour avis « permet, en matière civile, à une juridiction de saisir la
Cour de cassation, pour connaître son avis sur une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse
d’interprétation et se posant dans un grand nombre de litiges »203. En recevant cette saisine, cela signifie que
la Cour de cassation considère que ce juge est une juridiction, donc un juge unique ? Or, il ne saurait
revêtir ce qualificatif à l’instar du juge départiteur.
42. Il pourrait être pensé à tort que le juge départiteur est un juge unique puisqu’il a vocation à
intervenir devant le conseil de prud’hommes lorsqu’aucune décision n’a pu être prononcée par les
conseillers. Son adjonction doit permettre de mettre fin à cette situation. En effet, il ne pourrait
être avancé aux justiciables qu’aucune solution ne sera apportée à leur litige car les conseillers n’ont
pas réussi à faire pencher la solution d’un côté ou de l’autre. Bien qu’il soit admis que le juge
départiteur puisse statuer seul, les formalités qui s’imposent à lui font obstacle à sa caractérisation
en tant que juge unique (1). Cette absence de caractérisation est renforcée par la nature de la
juridiction prud’homale qui reste inchangée à la suite de son intervention (2).
201
Avis n° 0070007P du 2 avril 2007 relatif à la mise en état des procédures civiles, Cour de cassation.
202
Rapport de M. MOUSSA conseiller rapporteur sur l'avis n° 0070007P du 2 avril 2007 cité ci-dessus.
203
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, 26e éd., Dalloz, 2018-2019, p. 329.
52
1. L’absence de caractérisation du juge départiteur en tant que juge unique
43. Le conseil de prud’hommes est une juridiction d’exception204 dite paritaire205 en sachant
que cette parité entraîne parfois des difficultés concernant la prise de décision de la collégialité. Les
juridictions paritaires ont été « instituées pour trancher certains litiges opposant des personnes appartenant à des
catégories professionnelles différentes relativement au contrat qui les lie, dans lesquelles siège en nombre égal (mais
parfois sous la présidence d’un magistrat de l’Etat) des juges appartenant à la même catégorie que chacun des
adversaires »206. Le bureau de jugement est collégial puisqu’il fait intervenir deux conseillers salariés
et un même nombre d’employeurs207. Ce ne sont pas des magistrats professionnels. Leur mission
consiste à trancher les contentieux du travail existants entre salariés et employeurs208. Le président
revêt l’une ou l’autre de ces qualités, à tour de rôle, afin qu’une même représentativité soit assurée.
Il en est de même concernant la fonction de vice-président209. La collégialité paire du bureau de
jugement implique que la décision soit prise à la majorité absolue210. Un magistrat professionnel
du tribunal de grande instance211, le juge départiteur, a vocation à apporter son concours
lorsqu’aucune majorité n’a pu être dégagée. En cas d’égal partage des voix, l’affaire sera renvoyée
devant la même formation mais elle sera présidée par ce nouveau juge. L’audience devra être tenue
dans le mois du renvoi. Cependant, en présence d’une formation de référé, l’urgence justifie que
l’audience se tienne dans un délai maximum de quinze jours à compter dudit renvoi212.
Deux situations sont à différencier. La première ne pose pas de difficultés particulières car
tous les membres de la formation vont aussi bien être présents lors des débats qu’aux délibérés. La
solution est prise collégialement. Par contre, la seconde situation ne fait plus appel à l’ensemble des
membres du collège puisque l’article L 1454-4 du Code du travail prévoit que le juge départiteur
pourra statuer seul. Dans cette hypothèse, doit-il être considéré comme un juge unique ? Au regard
de la définition précédemment apportée s’agissant du terme statuer, cette réponse devrait être
positive. Pourtant, il ne s’interprète pas de la même manière au regard des formalités attenantes à
204
« Les juridictions d’exception ont une simple compétence d’attribution et ne connaissent que des affaires qui lui ont été confiées par un texte précis ; tel
est le cas pour les tribunaux d’instance, les tribunaux de commerce, les conseils de prud’hommes, les tribunaux paritaires des baux ruraux, les tribunaux
des affaires de sécurité sociale » : S. Guinchard et al., Lexique des termes juridiques, 26e éd., Dalloz, 2018-2019, p. 653.
205
Article L 1421-1 C. trav.
206
G. CORNU, P. MALINVAUD, M. CORNU et alii, Vocabulaire juridique, 11ème, coll. PUF, 2016, p. 736.
207
La collégialité caractérise aussi le bureau de conciliation et d’orientation comme il sera vu postérieurement.
208
G. CORNU, P. MALINVAUD, M. CORNU et alii, Vocabulaire juridique, 11ème, op. cit., p. 242.
209
Article L 1423-4 C. trav.
210
Article R 1454-23 alinéa 1 C. trav.
211
Article L 1454-2 C. trav.
212
Article R 1454-29 C. trav.
53
cette situation. Une réponse est apportée à l’appui d’un arrêt de la chambre sociale de la Cour de
cassation de 1996213. Il ressortait que le juge départiteur devait en l’absence de tous les conseillers
prud’homaux obtenir l’avis de ceux présents. Cette mention devait apparaître au sein du jugement.
Il pourrait être avancé que le juge départiteur s’assimile à un juge unique puisqu’il n’est pas tenu
par les avis des conseillers présents. Cependant, un juge unique n’a pas l’obligation de mentionner
dans la décision qu’il apporte qu’il a demandé l’avis de ses confrères, bien au contraire. Cette
contrainte matérialise le fait que sa décision n’est pas prise de façon indépendante. Si tel était le cas,
à l’instar du juge unique, seul son nom apparaîtrait sur la décision sans que cette mention ne lui soit
imposée.
Cette absence de caractérisation en tant que juge unique se confirme ensuite par la nature de la
juridiction prud’homale qui reste inchangée à la suite de son intervention.
44. S’il avait été établi concernant la juridiction prud’homale214 que l’organisation paritaire n’était
pas échevinale lorsqu’il n’y avait pas de magistrats professionnels parmi les conseillers, une
difficulté concernait la collégialité faisant intervenir un juge départiteur. L’interrogation consistait
à savoir si l’ajout d’un professionnel venait modifier la nature de cette juridiction ? La cour d’appel
apportait une réponse positive contrairement aux hauts magistrats. D’après elle, la présence du juge
départiteur avait transformé la juridiction prud’homale en juridiction échevinale. Il est rappelé au
sein de cette décision que le terme d’échevinage fait appel à « des éléments étrangers et temporaires ».
L’illustration la plus explicite est celle des cours d’assises en matière pénale où un jury populaire est
amené à prendre part à la décision. La mission reconnue au juge départiteur pourrait correspondre
à cette définition. Il est vrai qu’il a vocation à intervenir de manière temporaire tandis qu’il ne fait
initialement pas partie de la formation de jugement.
45. Les magistrats de la Cour de cassation ont retenu d’autres critères. Au sein d’une juridiction
échevinale c’est aux juges professionnels de faire appel à d’autres intervenants. Par contre, au
conseil de prud’hommes, le schéma est inversé car c’est aux juges non professionnels de demander
l’intervention d’un magistrat professionnel. Selon cette explication la formation litigieuse ne
pouvait revêtir un caractère échevinal. Dès lors, « la formation de départage n’est qu’une formation de la
213
Soc. 20 mars 1996, n° 92-44096, Bull. civ. 1996, V, n° 106, p. 72.
214
Civ. 2ème, 26 novembre 1990, n° 90-11749, Bull. civ. 1990, II, n° 250, p. 127.
54
juridiction prud’homale ». Par l’expression de formation de la juridiction prud’homale, la Haute
juridiction vient reconnaître que les formations et les juridictions sont deux structures différentes.
Le vocable de juridiction est plus large que celui de formation. L’échevinage est défini comme une
« juridiction composée de magistrats de carrière et de magistrats non professionnels »215. Celle-ci se rapporte donc
à une juridiction et non à une formation comme vient le souligner de manière subtile la Cour de
cassation. Par analogie, le juge départiteur vient compléter une formation de conseillers mais il ne
saurait être reconnu à lui seul comme le représentant de la juridiction. Par conséquent, il n’est pas
un juge unique. L’éviction du changement de nature de la juridiction permet de conforter cette
absence de qualification car il est placé sur un même pied d’égalité que les conseillers. L’autre point
consiste à reconnaître que si l’ajout d’un juge départiteur venait modifier le caractère de la
collégialité, cette requalification serait source de complexité. Une procédure devrait être suivie aux
fins d’agir contre un conseiller, tandis qu’une autre devrait être suivie afin d’agir devant la formation
faisant intervenir le juge départiteur. Il y aurait donc deux procédures parallèles au sein d’une même
juridiction.
Les juges rapporteurs ne sauraient également être reconnus comme étant des juges uniques.
46. Nombreux sont ceux qui considèrent que « grande est la tentation de penser que le rapporteur se
comportera, en réalité, comme un Juge unique »216. D’après Monsieur Coulon, il convenait même de
remplacer les juges rapporteurs par des juges uniques dans un objectif de clarification217. Certains
affirment que « la collégialité n’existe presque plus au civil. « On est censé rapporter à la collégialité, qui de fait
est le second collègue. Mais on est en fait souvent seul à l’audience. On dit alors qu’on travaille en juge rapporteur,
et c’est de plus en plus fréquent »218. Du fait de cette répétitivité, dans la pratique, le juge rapporteur
deviendrait un juge unique219. Il prendrait alors deux formes : celle du vrai juge unique et du faux
juge unique, ce dernier correspondant au juge rapporteur220. Cependant, ces affirmations ne se
215
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit., p. 306.
216
F. DE LA VAISSIERE, « Quelques réflexions simples sur “le juge unique” », op. cit., p. 2.
217
J-M. COULON, E. BONNET, et B. COZE, « Réflexions et propositions sur la procédure civile », op. cit., p. 4.
218
S. TARDY-JOUBERT, « Le magistrat heureux », Petites affiches, Gaz. Pal., n° 210, 20 oct. 2017, p. 6.
219
« La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les actes du débat national, op. cit., p. 115.
220
J-F. LACHAUME et al., « Les stratégies de l’urgence et la réponse juridictionnelle », op. cit., p. 18.
55
confirment pas. Le juge rapporteur ne saurait être considéré comme un juge unique (A) à l’instar
des conseillers rapporteurs (B).
47. L’assimilation du juge rapporteur à un juge unique est une qualification traditionnelle
inexacte (1). Plus radicalement, certains considèrent qu’il n’est « pas à proprement parler un juge »221
puisqu’il remplit un rôle similaire à celui du juge de la mise en état222. Sa mission n’a pas pour
objectif de mettre fin au litige relativement au fond, mais de régler ses aspects procéduraux. Cette
conception ne convainc pas. Il revêt la qualification de juge sans pour autant être un juge unique
comme en témoigne sa participation à la collégialité (2), en sachant que sa grande connaissance du
dossier représente un atout indéniable223. Par ailleurs, « il ne peut être valablement soutenu que le juge
rapporteur puisse exercer une influence sur les membres de la formation de jugement qui sont ses collègues et qui sont
attachés à leur indépendance quand bien même il connaît le mieux le dossier »224.
48. Un rapporteur est un « magistrat chargé d’exposer de façon neutre les éléments d’une affaire à une
juridiction dont il est membre »225. Cette définition fait directement référence à l’exigence d’impartialité
nécessaire au bon accomplissement de sa mission. Elle conforte le fait qu’il n’a pas vocation à
prendre une décision à la place de la collégialité. Il intervient au sein de la juridiction commerciale
et dispose de nombreuses prérogatives envers les parties au procès. Il peut constater leur
conciliation226 ou demander à ce qu’elles fournissent davantage d’éléments afin de mieux
comprendre le litige227. Une se démarque parce qu’elle vient là encore aménager la collégialité. Il
est reconnu que « le juge chargé d’instruire l’affaire peut également, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul
l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend compte au tribunal dans son délibéré »228. Il y a
221
R. SAUDEAU, « Variétés : Le juge unique en matière commerciale. Introduction : Le déclin de la collégialité, ses causes et ses
conséquences », RJO, 1994, p. 294.
222
Ibid.
223
V. ORIF et E. TESSEREAU, « Le juge de la mise en état », Gaz. Pal., Lextenso, no 363, 29 décembre 2015, p. 15.
224
P. LABEAUME, intervention sur "La collégialité dans le procès civil".
225
C. ALBIGES, P. BLACHER, S. CABRILLAC, et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2016, 7ème Ed., coll. LexisNexis, 2016, p. 437.
226
Article 863 alinéa 1 CPC.
227
Article 862 alinéa 2 CPC qui renvoie à l’article 446-3 CPC.
228
Article 871 CPC.
56
conséquemment une résonnance avec les juges cités précédemment. Trois éléments importants
sont à relever. Le premier permet de rappeler que si le juge rapporteur souhaite entendre seul les
plaidoiries, cette faculté lui est offerte seulement si les parties l’acceptent, ce qui constitue le
deuxième élément. Le troisième permet d’établir que le juge rapporteur devra partager ce qu’il a
constaté lors du délibéré. Pour rappel, il ressort des dispositions communes à toutes les juridictions
qu’il « appartient aux juges devant lesquels l’affaire a été débattue d’en délibérer »229. Le rôle du rapporteur
apparaît ici aussi comme une exception à cette règle puisque les autres juges n’auront pas assisté
aux débats. Dès lors, « la collégialité est souvent décriée. On lui reproche d’être, en pratique, fictive. L’instauration
d’un juge rapporteur inciterait plus à l’homologation de son « préjugé » qu’à une véritable délibération de trois
magistrats »230. En pratique, le juge rapporteur communique les éléments de fait et son ressenti sur
le dossier aux autres juges mais il n’est pas un juge unique, comme en témoigne sa participation à
la collégialité.
49. Le fait que le juge rapporteur doit rendre compte aux autres juges permet de ne pas écarter
la collégialité231. Cette expression retranscrit que sa mission consiste uniquement à écouter les
plaidoiries, à charge pour lui d’en référer aux autres membres. Il ne lui est pas demandé de se
prononcer sur le fond de l’affaire, il doit rester neutre. Sa première intervention ne peut être perçue
comme étant vectrice de partialité ce qui l’autorise à siéger au sein du collège qui est ensuite amené
à statuer sur le fond du litige. A l’inverse, s’il s’était prononcé sur l’issue à apporter au cas litigieux,
il ne serait plus partial ce qui lui interdirait de faire partie de la formation de jugement. De surcroît,
cela s’avèrerait contraire au principe selon lequel : qui a déjà jugé ne peut rejuger.
50. Grâce au maintien de ce compte rendu, le juge rapporteur ne prend pas une décision de
manière indépendante ce qui permet d’exclure sa qualification de juge unique. Cette affirmation se
confirme d’ailleurs par la disposition contenue au sein de l’article 867 du Code de procédure civile
qui vient établir que les ordonnances du juge rapporteur n’ont pas au principal l’autorité de la chose
jugée. Cette disposition permet de conforter l’idée selon laquelle le juge rapporteur ne possède pas
229
Article 447 CPC.
230
J-C. MAGENDIE et al., Célérité et qualité de la justice, la gestion du temps dans le procès, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la
Justice, 2004, p. 90.
231
Civ. 2ème, 23 sept. 2004, n° 02-20561, Bull. civ. II, n° 415, p. 352 : « le magistrat chargé du rapport qui tient seul l’audience pour entendre
les plaidoiries doit appartenir à la formation qui délibère de l’affaire ».
57
un pouvoir décisionnel à l’instar des juges uniques ordinaires, alors que les conseillers rapporteurs
ne peuvent également être considérés comme des juges uniques.
51. L’absence de prise de décision de manière indépendante sur le fond de l’affaire fait obstacle
à ce que le conseiller rapporteur au prud’hommes soit qualifié de juge unique (1). Il en est de même
pour le conseiller rapporteur à la Cour de cassation (2) où « un arrêt se prépare, se compose et se construit
par un intense travail intellectuel qui commence dans la solitude et s’achève dans la collégialité »232. Si l’autonomie
du conseiller rapporteur à la Cour de cassation paraît a priori plus importante que celle du conseiller
rapporteur au prud’hommes, elle n’est pas suffisante pour l’ériger à la place d’un juge unique.
52. Des conseillers prud’hommes ont la faculté d’intervenir en tant que conseiller rapporteur.
Cette prérogative de mise en état de l’affaire peut aussi bien être attribuée à une personne qu’à
deux233. Dans cette situation, la règle de parité devra être appliquée. Un conseiller employeur et un
conseiller salarié devront agir ensemble afin d’accomplir leur mission. Il s’agira par exemple pour
le conseiller rapporteur « d’auditionner toute personne et faire procéder à toutes mesures d’instruction. Il peut
ordonner toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux »234. Ce dernier a la
possibilité de faire partie de la formation de jugement235. Sa présence reste soumise à condition
comme l’illustre une affaire de la chambre sociale de la Cour de cassation de 2009236. Le conseil de
prud’hommes avait désigné deux conseillers rapporteurs afin de réunir plusieurs éléments
d’informations. Il ressortait qu’ils avaient outrepassé la mission qui leur était initialement reconnue
au regard de la rédaction de leur rapport où il apparaissait qu’ils « avaient très explicitement pris partie
sur l’issue du litige ». L’adverbe très permet d’amplifier cette constatation, l’expression « explicitement
pris partie » étant déjà synonyme d’une attitude négative des auteurs. Cette rédaction peut
s’interpréter comme étant stricte afin de contrecarrer toute situation qui viendrait leur accorder
plus de pouvoirs. Ils ne sauraient à eux deux former une collégialité. D’après l’attendu de principe,
232
M. BARY, « Questionnements sur les arrêts de la Cour de cassation », Petites affiches, Gaz. Pal., no 19, 25 janvier 2007, p. 9.
233
Article L 1454-1-2 alinéa 3 C. trav.
234
Article R 1454-4 alinéa 3 C. trav.
235
Soc. 25 mai 1989, n° 86-44415, Bull. civ. 1989, V, n° 402, p. 242 : « Le conseiller prud’homme désigné en qualité de rapporteur est habilité
à faire partie de la formation de jugement après dépôt de son rapport ».
236
Soc. 3 mars 2009, n° 07-15581, Bull. civ. 2009, V, n° 54.
58
« l’opinion exprimée par les deux rapporteurs, à l’occasion de leur mission précédant le délibéré, sur le caractère mal
fondé de la demande du salarié faisait naître un doute légitime sur leur impartialité et celle de la juridiction à laquelle
ils appartiennent ». Au vu de ces constatations, ils ne pouvaient faire partie de la formation de
jugement. Cette prise à partie avait d’ailleurs été considérée comme étant une violation de l’article
6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il y a alors un garde-fou afin d’éviter que
la collégialité ne perde de son intérêt puisque ces conseillers doivent rapporter leurs points de vue,
sans outrepasser le critère de la prise à partie très explicite. Dès lors, ils ne peuvent pas prendre de
décision concernant l’affaire de façon indépendante, ce qui est un obstacle à leur caractérisation en
tant que juges uniques. La limitation de leur intervention a été rappelée par la Cour de cassation
lorsqu’elle a reconnu « qu’ils n’exercent pas des pouvoirs d’enquête mais d’information ». Le
terme d’information permet là encore d’évincer une quelconque autorité décisionnelle au fond à la
suite de leur intervention. Le conseiller rapporteur à la Cour de cassation ne revêt pas non plus
cette qualité.
53. Un conseiller rapporteur a également vocation à intervenir devant la Haute juridiction dans
la phase de jugement d’un pourvoi. L’article 1012 alinéa 1 du Code de procédure civile dispose que
« le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée désigne un conseiller ou un conseiller référendaire de
cette formation en qualité de rapporteur ». « Le conseiller ne peut jamais se dispenser d’effectuer lui-même des
recherches : c’est par celles-ci, par le travail de réflexion qu’elles suscitent, que mûrit en lui l’opinion qu’il va avoir à
émettre, la solution qu’il proposera à ses collègues »237. Ce conseiller va - proposer - une solution aux autres
magistrats. Sa mission est donc différente du conseiller rapporteur près du conseil de
prud’hommes.
54. Son rapport comprend deux grandes étapes. La première est aussi bien consultable par les
parties que par l’avocat général. Celle-ci va reprendre les faits, la procédure et les moyens invoqués.
Par contre, la seconde partie appelée la note permet d’établir « la position personnelle du rapporteur et
comporte le projet d’arrêt. Elle est couverte par le secret du délibéré et n’est communiquée ni aux parties, ni à l’avocat
général »238. La solution qu’il propose va au-delà de l’oralité puisqu’il est amené à rédiger le projet
d’arrêt. Il fera ensuite connaître cette note aux autres membres lors du délibéré.
237
Y. CHARTIER, La Cour de cassation, 2ème Ed., coll. Connaissance du droit, Dalloz, mai 2001, p. 79-80.
238
J. BORE et L. BORE, La cassation en matière civile, Cinquième Ed., coll. Dalloz action, Dalloz, 2015.
59
Cette exclusivité a été source de contentieux car les avocats à la Cour de cassation
souhaitaient disposer de l’entier rapport du conseiller afin de préparer au mieux la défense de leurs
clients. D’aucuns y voyaient une violation du secret du délibéré alors même que cette phase n’avait
pas encore eu lieu239. La procédure d’examen des pourvois a été modifiée en raison de la
condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme dans la célèbre affaire
Reinhardt et Slimane-Kaïd240. Il était avancé une violation de l’article 6-1 de la Convention
européenne des droits de l’Homme, du fait de la communication exclusive à l’avocat général du
rapport du conseiller rapporteur, ainsi que de son projet d’arrêt. À la suite de cette condamnation,
la Haute juridiction a décidé de transmettre aux parties et à l’avocat général seulement la première
partie du rapport, ce qui préserve le caractère confidentiel de la note, qui désormais n’est
communiquée qu’aux délibérés. Il ne faut pas percevoir dans cette absence de communication une
reconnaissance de violation du secret du délibéré parce que la décision du conseiller rapporteur
s’imposerait inévitablement. Au contraire, il faut considérer qu’il n’est pas opportun de
communiquer la note parce qu’elle n’a pas une portée définitive. Elle est susceptible de changer
grâce à la collégialité.
55. Le fait qu’il rédige un projet d’arrêt, donc qu’il propose une solution aux autres membres,
n’en fait pas un juge unique car la décision finale sera l’œuvre de la collégialité. Il ne prend pas de
décision de manière indépendante, il vient simplement aménager la collégialité. Par conséquent, la
Haute juridiction « est une école d’humilité : celui qui rédigerait sans accepter l’idée de se faire « corriger » serait
nécessairement malheureux, et, de ce fait même, ferait un mauvais conseiller. Il faut au contraire admettre que le
travail solitaire n’est que le prélude d’une œuvre collective, à laquelle il est naturel que chacun apporte sa pierre »241.
Cette correction permet d’établir que la solution proposée par le conseiller rapporteur ne
remportera pas de facto les faveurs des autres conseillers, ce qui traduit une préservation du principe
de collégialité. En outre, le terme de projet accentue le fait qu’il ne va pas forcément s’imposer.
Reste à déterminer quels juges sont qualifiables de juges uniques en procédure civile au vu
du critère d’indépendance de la prise de décision concernant le fond de l’affaire.
239
Ibid. p. 549.
240
CEDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd contre France, n° 22921-93 et 23043-93.
241
Y. CHARTIER, La Cour de cassation, op. cit.
60
Section 2 - La détermination des juges uniques dans le procès civil
56. Contrairement à ce qui pourrait être imaginé, le juge unique représente une formation
polymorphe. En effet, « le moins qu’on puisse dire est que le juge unique est né sous le signe de la diversité : il
n’y a pas un juge unique ; en réalité, il y en a beaucoup »242. Cette multiplicité justifie la nécessité de rendre
son domaine d’intervention plus cohérent243. D’après Monsieur Perrot, il fait preuve d’une
« invraisemblable disparité qui défie la synthèse »244 pour trois raisons. La première tient à la situation dans
laquelle un juge unique est créé tel « une Minerve sortie toute armée du cerveau de Jupiter ». Selon les cas,
le juge unique va modifier ou non les structures déjà établies sans qu’il n’y ait de véritables
justifications. La deuxième raison s’attache à son autonomie. Il pourra être une « émanation de la
juridiction à laquelle il appartient […] tandis qu’en d’autres circonstances, il constitue à lui tout seul une juridiction
parfaitement autonome ». La troisième raison tient à sa compétence, facultative ou imposée245. Sont
par exemple concernés le juge du tribunal de grande instance ou le juge d’instance.
57. D’après Madame Lacamp-Leplaë, les juges uniques de la procédure civile peuvent être
rangés dans trois catégories distinctes. Elles comprennent les juges uniques généralistes, ceux à
fonctions spéciales et les juges uniques spécialisés246. Les juges uniques généralistes sont ceux
auxquels il n’est pas attribué de contentieux propres. Tel est le cas concernant le juge unique du
tribunal de grande instance ou le juge d’instance. Les juges à fonctions spéciales sont ceux dont la
spécialisation est secondaire, la célérité étant davantage recherchée dans leur mise en oeuvre. Les
juges des accidents de la circulation entrent dans cette catégorie. Enfin, les juges spécialisés
connaissent une attribution d’affaires spécifiques. Sont concernés le juge aux affaires familiales247,
242
R. PERROT, Le juge unique en droit français, vol. 29, n° 4, RIDC, 1977, p. 661.
243
C. JOLIBOIS et P. FAUCHON, Quels moyens pour quelle justice, Rapport d’information, n° 49, Sénat, 1996-1997.
244
R. PERROT, Le juge unique en droit français, op. cit., p. 660.
245
Ibid., p. 661.
246
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, Thèse pour le doctorat en droit privé, Université des sciences sociales
de Toulouse, 8 déc. 2000, p. 31.
247
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018 : "Juge du tribunal de grande instance connaissant à juge unique du divorce, de la
séparation de corps, des actions liées à l'autorité parentale, aux obligations d'aliments, à la modification du nom de l'enfant", p. 302.
61
le juge des référés et des requêtes248, le juge de l’exécution249 et celui des tutelles. Dans le même
sens, une classification tripartite des juges uniques est proposée par Madame Mélin-
Soucramanien250 se rapprochant de la conception de Monsieur Perrot. Elle ne s’intéresse plus aux
affaires que connaît le juge unique mais aux juridictions dans lesquelles il intervient. Il y a d’abord
les juges uniques stricto sensu c’est-à-dire ceux qui représentent un tribunal autonome comme le
tribunal d’instance. Il y a ensuite ceux qui sont rattachés à une structure déjà existante, les juges
uniques y occupant alors une mission spécifique telle que celui des affaires familiales, de l’exécution,
des tutelles, des référés. Enfin, il y a les juges uniques qui relèvent du choix d’un autre juge comme
c’est le cas devant le tribunal de grande instance. D’autres classifications peuvent être réalisées en
distinguant les juges uniques au regard de leurs qualités, à savoir, selon qu’ils occupent une fonction
de président de juridiction ou non.
58. Ces juges uniques occupent une place à géométrie variable en procédure civile (§1).
Autrement dit, leur domaine d’intervention est important ou non selon l’interprétation retenue.
Puisque la qualification de juge unique peut faire l’objet d’une extension aux juges des référés et
des requêtes (§2) qui s’avèrent être des juges uniques particuliers, cela permet par exemple, d’élargir
significativement leur nombre.
59. Si plusieurs qualifications de juges uniques étaient erronées, elles se justifiaient notamment
par le fait que les collégialités étaient en fait aménagées par souci de célérité. Ainsi, les juges et
conseillers de la mise en état près du tribunal de grande instance et de la cour d’appel, et les juges
et conseillers rapporteurs aux prud’hommes, ou encore, au commerce et devant la Cour de
cassation, n’ont pas pour prérogative d’apporter une décision au fond de l’affaire. De récentes
réformes datant de 2019 permettent de constater une restriction d’intervention des juges uniques
(A). Cette restriction se caractérise de deux manières. Dans la première, des juridictions dans
lesquelles il était compétent ont été supprimées, alors que dans la seconde, son domaine
d’intervention se verrait restreint. Force est toutefois de constater qu’il y a actuellement une
multiplicité de juges uniques au tribunal de grande instance (B).
248
Pour plus d’informations sur ce thème, voir notamment : X. VUITTON, La juridiction du Président, LexisNexis, Litec, 2010.
249
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit. : « Juge du tribunal de grande instance, spécialement chargé du contentieux
de l’exécution forcée et des mesures conservatoires », p. 303.
250
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 125.
62
A. Le constat d’une restriction d’intervention des juges uniques
60. La loi relative à la modernisation de la justice du XXIème siècle251 est venue reconnaître
dans son article 12, l’unification des contentieux autrefois attribués au tribunal des affaires de
sécurité sociale et à celui du contentieux de l’incapacité. Depuis le 1er janvier 2019, ces contentieux
sont réunis au sein d’un pôle social du tribunal de grande instance. Ces juridictions ne statuent
donc plus en première instance. Cette unification a eu pour conséquence de supprimer
l’intervention du juge unique s’agissant des contentieux de la sécurité sociale (1). Une autre réforme,
cette fois en cours de discussion252, consisterait là encore à modifier les juridictions de première
instance de la procédure civile en fusionnant les tribunaux d’instance avec ceux de grande instance
au profit d’un tribunal judiciaire. Cette mesure est contenue dans la disposition 53 du « projet de
loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ». Dès lors, il n’y aurait plus qu’une
seule juridiction de compétente en première instance en matière civile. Cette fusion pourrait
entraîner la suppression d’un important domaine de compétence du juge unique (2).
61. Avant l’adoption de la réforme consistant à unifier le tribunal de sécurité sociale et celui du
contentieux de l’incapacité, il était proposé de créer un tribunal social qui regrouperait ces
contentieux. Cette proposition se rencontrait dans le numéro 11.1 du rapport sur « les juridictions
du XXIème siècle » présidé par Monsieur Marshall. Si elle n’a pas été retenue, certains éléments
l’ont été. Les objectifs sont identiques puisque cette unification devait répondre à une meilleure
rationalité, lisibilité et efficacité. Les attributions de ces juridictions étaient complémentaires et la
frontière entre elles difficile à appréhender. Dans la pratique, il pouvait arriver qu’un justiciable
saisissent ces deux tribunaux pour une même affaire253. Le groupe de travail souhaitait ensuite
préserver l’échevinage car il permet d’associer des approches pratiques et juridiques ce qui aboutit
à une bonne maîtrise des dossiers254. L’échevinage devait également être conservé si ces juridictions
251
« Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, JORF n° 0269 du 19 nov. 2016,
texte n° 1 ».
252
Le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale en lecture définitive le 18 février 2019. Cependant, le Conseil
constitutionnel a été saisi le 21 février de la même année.
253
S. FOURCADE, V. REYMOND, N. COMBOT et alii, Appui à l’organisation du transfert du contentieux des TASS, TCI et CDAS vers les
nouveaux pôles sociaux des TGI, févr. 2016, p. 48.
254
D. MARSHALL et al., « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et proximité, s’adapte à l’attente des citoyens,
et aux métiers de la justice, op. cit. p. 50.
63
devaient être réorganisées comme il était préconisé au sein d’un rapport du Conseil d’Etat de
2003255, un projet de loi de 2015256, ou dans un rapport de 2016257, ce qui a été effectué.
62. En effet, il résulte du nouvel article L 218-1 du Code de l’organisation judiciaire que « la
formation collégiale du tribunal de grande instance est composée du président du tribunal de grande instance, ou d’un
magistrat du siège désigné par lui pour le remplacer, et de deux assesseurs représentant les travailleurs salariés, pour
le premier, et les employeurs et les travailleurs indépendants, pour le second ». Le nombre de membres mobilisés
sur une affaire est identique et la composition toujours échevinale. Avant cette réforme, la
juridiction des affaires de sécurité sociale était « compétente pour tout litige relatif à l’application du droit de
la sécurité sociale »258 alors que sa composition était décrite à l’article L 142-4 du Code de la sécurité
sociale. Elle était présidée par un magistrat du siège du tribunal de grande instance ou un magistrat
du siège honoraire, avec à ses côtés deux juges non professionnels qualifiés d’assesseurs. Le premier
était chargé de représenter les travailleurs salariés, tandis que le second représentait les employeurs
et travailleurs indépendants, sachant que les assesseurs relevaient de la profession agricole si l’affaire
s’inscrivait dans cette matière. Concernant le tribunal du contentieux de l’incapacité, il
était compétent « pour examiner les contestations relatives à l’état d’incapacité permanente du travail et
notamment au taux de cette incapacité en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles »259. Cette
juridiction faisait appel à un collège de trois membres260. Outre son président qui était un magistrat
honoraire, soit de l’ordre judiciaire, soit de l’ordre administratif, deux juges non professionnels
avaient vocation à intervenir à ses côtés. Il s’agissait d’un assesseur représentant les travailleurs
salariés, tandis que l’autre représentait les employeurs ou travailleurs indépendants. A l’instar du
tribunal des affaires de sécurité sociale, sa composition était donc aussi échevinale.
63. Deux précisions sont à apporter concernant cette nouvelle attribution. La première tient au
fait que la collégialité n’est pas similaire à ce qu’elle était. Celle-ci entraîne davantage de
professionnalisme car les présidents doivent obligatoirement être des magistrats. Or, devant le
tribunal du contentieux de l’incapacité, conformément à l’ancien article L 143-2 alinéa 3 du Code
255
J-M. BELORGEY et P-A. MOLINA, L’avenir des juridictions spécialisées dans le domaine social, assemblée générale du Conseil d’Etat, coll.
La documentation française, 4 déc. 2003, p. 39.
256
Y. DETRAIGNE, Projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n° 121, 28 oct. 2015.
257
S. FOURCADE, V. REYMOND, N. COMBOT et alii, Appui à l’organisation du transfert du contentieux des TASS, TCI et CDAS vers les
nouveaux pôles sociaux des TGI, op. cit., p. 70.
258
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT, D. ASQUINAZI-BAILLEUX et L. D’AVOUT, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1130.
259
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1132.
260
Ancien article L 143-2 alinéa 2 C. de la sécurité sociale.
64
de la sécurité sociale, en l’absence de désignation d’un magistrat honoraire pour occuper la fonction
de président, celle-ci devait être assurée par une personnalité indépendante, impartiale et
qualifiée261. La seconde précision résulte du fait que la collégialité s’impose toujours alors qu’un
juge unique pouvait autrefois intervenir262. S’agissant du tribunal des affaires de sécurité sociale, s’il
répondait en principe à une organisation collégiale, deux exceptions étaient contenues dans l’article
L 142-7 du Code de la sécurité sociale. Dans la première, si la formation collégiale ne pouvait être
réunie, l’audience était reportée « sauf accord des parties pour que le président statue seul après avoir recueilli,
le cas échéant, l’avis de l’assesseur présent ». La seconde situation était inscrite dans son second alinéa
précisant que l’audience devait impérativement avoir lieu après le premier report. Là encore, si la
collégialité ne pouvait être réunie, il était établi que « le président statue seul après avoir recueilli, le cas
échéant, l’avis de l’assesseur présent ». Si dans la première hypothèse l’accord des parties devait être
obtenu, tel n’était pas le cas pour la seconde. Les termes employés par le législateur, à savoir, le cas
échéant, permettaient au président de ne pas obligatoirement recueillir l’avis de l’assesseur. Cela
restait une faculté. Par conséquent, par défaut et par souci de célérité, cette juridiction pouvait
statuer à juge unique puisqu’il prenait une décision indépendante. L’article L 143-2-3 du Code de
la sécurité sociale reconnaissait ces mêmes dérogations concernant le tribunal du contentieux de
l’incapacité, le président pouvant statuer et apporter seul une décision aux justiciables. Il était
d’ailleurs souligné les risques de cette pratique qui aurait pu mener à terme à une « fausse
collégialité »263, les exceptions pouvant primer sur le principe. Ce risque est désormais évincé puisque
ces articles ont été abrogés.
64. Outre cette réunification au niveau de la première instance, des modifications se rapportent
au second degré. Les appels contre les décisions rendues au sein des pôles sociaux du tribunal de
grande instance sont désormais attribués à la cour d’appel, tel qu’en dispose l’article L 311-15 du
Code de l’organisation judiciaire.
A côté de cette réforme ayant eu des répercussions sur le domaine d’intervention du juge
unique, une autre réforme pourrait elle aussi conduire au même constat.
261
A. CAPPELLARI, « La réforme des contentieux sociaux par la loi J21 du 18 novembre 2016 », Gaz. Pal., Lextenso, n° 20, 23 mai
2017, p. 77.
262
E. TAMION, « La loi J21 et le contentieux judiciaire en matière de sécurité sociale et d’admission à l’aide sociale », n° 40, Petites
affiches, Gaz. Pal., 25 fév. 2019, p. 7.
263
E. JEULAND et C. BOILLOT, La qualité dans la performance judiciaire : une notion objective et relationnelle ?, coll. Bibliothèque de l’Institut
de recherche juridique de la Sorbonne-André Tunc, T. 66, Paris, IRJS éditions, 2015, p. 174.
65
2. La suppression potentielle d’un important domaine de compétence du juge unique à la
suite de la fusion du tribunal d’instance avec le tribunal de grande instance
65. Il est spécifié au sein du « projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice » que tous les sites seront maintenus264 ce qui différencie cette réforme de celle modifiant la
carte judiciaire des juridictions de première instance265. Le tribunal d’instance serait une chambre
détachée du tribunal judiciaire, alors que lorsqu’il n’est pas situé dans la même commune que le
tribunal de grande instance, il revêt la qualification de tribunal de proximité266. Le juge d’instance
serait spécialisé dans certains domaines267 en prenant la dénomination de juge des contentieux de
la protection268. Il interviendrait soit au sein du tribunal judiciaire, soit au sein du tribunal de
proximité. Le risque tient au fait que « sauf à ce que le chef de cour en décide autrement, ils peuvent
potentiellement perdre l’actuel contentieux civil de moins de 10 000 euros. Soit ce qui constitue le « sel de la justice
d’instance », selon Céline Parizot […] présidente de l’Union syndicale de la magistrature »269. Cette réforme
pourrait ôter un grand domaine de compétence initialement octroyé à l’ancien juge d’instance, alors
que certains considéraient que l’augmentation de son taux de compétence a eu pour conséquence
« qu’il a cessé d’être le juge des affaires mineures pour devenir le juge des affaires courantes »270.
66. Le juge d’instance est le devancier du juge de paix, qui lui-même a été instauré par la loi du
16 et 24 août 1790 pour remplacer les prévôtés. Il était prévu dans ce texte qu’il « y aura dans chaque
canton un Juge de Paix »271. Celui-ci « a longtemps été un petit notable local, généralement actif et respecté. La
transition s’est faite peu à peu, avec l’affermissement de la Troisième République, vers un régime démocratique se
détachant des notables traditionnels et recrutant dans les nouvelles couches moyennes. Ce magistrat est devenu de plus
en plus un professionnel […] avec une moindre proximité géographique (binage puis « trinage » des cantons) et
264
MINISTERE DE LA JUSTICE, Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, op. cit., p. 26.
265
G. ACCOMANDO, « Les axes de la réforme relative à l’organisation judiciaire », Gaz. Pal. Lextenso, n° 17, 15 mai 2018, p. 52.
Des précisions seront postérieurement apportées concernant la modification de la carte judiciaire des juridictions de première
instance.
266
T. COUSTET, « Fusion des tribunaux d’instance : la Chancellerie dessine le cadre », op. cit.
267
P. BARINCOU et E. PECQUEUR, « Le successeur du juge d’instance », Gaz. Pal. Lextenso, n° 41, 27 nov. 2018, p. 46. Cette
spécialisation est pour certains essentielle. La réforme prévoit plusieurs spécialisations comme : le surendettement, le crédit à la
consommation, le contentieux des majeurs protégés.
268
S. AMRANI-MEKKI, « Le tribunal d’instance est mort, vive le juge d’instance ! », Gaz. Pal. Lextenso, n° 41, 27 nov. 2018, p. 44.
269
T. COUSTET, « Fusion des tribunaux d’instance : la Chancellerie dessine le cadre », op. cit. En effet, les tribunaux de grande
instance connaissent des litiges supérieurs à 10 000 euros tandis que les tribunaux d’instance ont compétence pour ceux inférieurs
à 10 000 euros.
270
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 131.
271
Loi du 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire.
66
sociale, et moins de recours à la conciliation »272. À la suite d’une loi du 3 juin 1958 relative aux pleins
pouvoirs, Monsieur Michel Debré a saisi cette occasion afin de supprimer les juges de paix au profit
des juges d’instance273. Il y a donc eu une substitution de juges uniques puisqu’en vertu de l’article
L 222-1 du Code de l’organisation judiciaire, « le tribunal d’instance statue à juge unique »274. Monsieur
Chabot c’était intéressé à la particularité du tribunal d’instance. Il relevait qu’il était étonnant que
l’unicité soit de mise, alors qu’en procédure civile la collégialité occupe une place importante. Il
avançait que la différence de composition entre la juridiction de droit commun et celle du tribunal
d’instance était difficilement compréhensible, puisqu’ils connaissent des interférences. Il s’agissait
de trouver une explication à cette différence d’organisation. Il justifiait dans un premier temps le
maintien de l’unicité par le fait que la conciliation devant le tribunal d’instance revêt davantage de
place. Or, il relevait dans un second temps que la conciliation y connaissait aujourd’hui un déclin.
Il est venu en conclure que ce juge est « un trait caractéristique » « faisant figure de survivance historique et
marquant sa singularité »275. Cette réforme ne mettrait pas définitivement un terme à cette
caractérisation étant donné qu’il resterait un juge unique.
67. Cette réforme prévoit également que la collégialité sera maintenue en raison de la confiance
qu’elle suscite et de sa nécessité lorsqu’une affaire présente une certaine complexité. En effet, la
nouvelle rédaction de l’article L 212-2 du Code de l’organisation judiciaire reconnaît la possibilité
de renvoyer une affaire à la collégialité. Il prévoit que « lorsqu’une affaire, compte tenu de l’objet du litige
ou de la nature des questions à juger, est portée devant le tribunal judiciaire statuant à juge unique, le renvoi à la
formation collégiale peut être décidé, d’office ou à la demande de l’une des parties, dans les cas prévus par décret en
Conseil d’Etat. Cette décision constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours ».
S’y adjoint le fait que le juge des contentieux de la protection pourrait demander le renvoi à une
collégialité comme il est prévu par le nouvel article L 213-4-8 du Code de procédure civile, tandis
que cette formation comprendrait le juge qui en aurait fait la demande.
Plusieurs juges uniques sont quant à eux rattachés au tribunal de grande instance.
272
J-G. PETIT, F. BANAT-BERGER et V. BERNAUDEAU, Une justice de proximité : la justice de paix (1790-1958), Université d’Angers,
Recherche réalisée avec le soutien du GIP « Mission de recherche Droit et Justice », décembre 2002, p. 9.
273
Ibid. p. 6.
274
Aux termes de l’article 827 du Code de procédure civile, il est établi que les parties se défendent elles-mêmes mais qu’elles ont
la possibilité de se faire assister ou représenter. Afin de faciliter l’accès à cette juridiction sans avocat obligatoire, l’oralité est de mise
(article 846 CPC). Le juge d’instance statue également par ordonnances de référé (articles 848 et s. CPC) ou sur requête (articles 851
et s. CPC). Il est admis que le tribunal d’instance statue en dernier ressort concernant « une action personnelle ou mobilière portant sur une
demande dont le montant est inférieur ou égal à la somme de 4 000 euros » (article R 221-4 alinéa 2 COJ).
275
G. CHABOT, « Tribunal d’instance (Organisation et compétence civile) », Dalloz, sept. 2013 (actu. juin 2016).
67
B. La reconnaissance d’une multiplicité de juges uniques au tribunal de grande
instance
68. L’appréhension du tribunal de grande instance permet d’établir une coexistence de juges
uniques spécialisés (1). Ils s’y avèrent d’ailleurs nombreux. Au-delà de cette constatation, un risque
de prolifération des juges uniques pourrait être avéré suite au choix du Président de cette juridiction
concernant l’attribution d’une affaire (2). Il est acquis que lorsqu’une disposition fait appel à la
volonté de certaines personnes, elle peut entraîner des dérives.
69. Le juge aux affaires familiales, celui des requêtes et des référés, ou encore le juge de
l’exécution, sont des juges uniques spécialisés rattachés au tribunal de grande instance. Comme n’a
pas manqué de le souligner Madame Lacamp-Leplaë, « le juge spécialisé est avant tout un juge unique » en
sachant que « tout juge unique n’est pas un juge spécialisé »276. Cette affirmation se confirme avec le juge
du tribunal d’instance qui ne connaît pas de litiges spécifiques contrairement à celui des affaires
familiales. Concernant les collégialités, elles aussi ne sont pas nécessairement spécialisées. Une
justification est apportée par Monsieur Biltgen, qui affirme que « la spécialisation d’un juge a tendance à
nuire à la collégialité, car c’est celui qui connaît la matière qui risque d’engager les autres. Si vous vous spécialisez
dans une matière, vous devenez infirme dans les autres »277.
70. Une difficulté d’appréhension tient au fait que certains de ces juges uniques se rapprochent
de la qualification de juridiction sans l’être entièrement. Sont par exemple concernés le juge aux
affaires familiales qui ne porte d’ailleurs pas le nom de tribunal aux affaires familiales alors qu’il
apporte pourtant une décision au principal. Le même constat peut être effectué avec le juge des
référés. Le fait que sa décision revête une portée provisoire ne permet pas non plus de l’ériger au
même rang qu’une juridiction.
Si plusieurs juges uniques sont rattachés au tribunal de grande instance, certains ne sont pas
spécialisés puisqu’ils résultent d’une opportunité.
276
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, op. cit., p. 29.
277
O. DUFOUR, « Deux jours à la Cour de justice de l’Union européenne », Gaz. Pal., Lextenso, no 30, 6 septembre 2016, p. 7.
68
2. Un risque de prolifération par le choix du Président dans l’attribution d’une affaire
71. Le Code de l’organisation judiciaire prévoit dans son article R 212-9 qu’en « toute matière, le
président du tribunal de grande instance ou le magistrat délégué par lui a cet effet peut décider qu’une affaire sera
jugée par le tribunal de grande instance statuant à juge unique ». Cette disposition permet d’accroître son
intervention puisqu’elle est prévue en toute matière, en sachant que cette attribution « peut être décidée
jusqu’à la fixation de la date de l’audience »278. Les imprécisions de rédaction de cet article sont une
porte ouverte à une plus grande intervention du juge unique. Elle résulterait de la volonté du
président du tribunal de grande instance ou du magistrat délégué choisi.
72. Cette disposition est là encore motivée par la quête d’efficience du rendu de la justice. Il est
vrai que « ce sont généralement des considérations purement pratiques tenant à un besoin de rationalisation et de
rentabilité qui guident l’orientation des dossiers vers un juge dédié […]. Cette procédure est donc fréquemment utilisée
jusqu’à devenir le principe devant certains TGI, la collégialité faisant alors figure d’exception pour les affaires
complexes ou lorsque les avocats la sollicitent »279. La complexité nécessite de recourir à une collégialité
comme l’illustre l’article R 212-9-1 du Code de l’organisation judiciaire. Il prévoit que le Président
de la juridiction de droit commun peut réunir une collégialité « lorsqu’une affaire est d’une particulière
complexité ou est susceptible de recevoir devant les chambres des solutions divergentes ». La réunion de cette
formation collégiale de sept membres est soumise à des exigences formelles. Il faut que la
juridiction comprenne au moins deux chambres. Lorsque l’affaire est en cours de distribution, l’avis
du président de la chambre à laquelle le litige devrait être soumis doit être recueilli par le président
du tribunal. Lorsqu’une affaire a déjà été attribuée, le président de la chambre ne devra plus émettre
un avis mais un accord. La décision de recourir à une formation de chambres réunies est
constitutive d’une mesure d’administration judiciaire280. L’article R 312-11-1 du Code de
l’organisation judiciaire poursuit ces mêmes objectifs devant la cour d’appel.
73. Certains contentieux sont directement attribués aux juges uniques du tribunal de grande
instance au visa de l’article R 212-8 du Code de l’organisation judicaire. Il énonce que « le tribunal
de grande instance connaît à juge unique : 1° Des litiges auxquels peuvent donner lieu les accidents de la circulation
terrestre ; 2° Des demandes en reconnaissance et en exequatur des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi
que des sentences arbitrales françaises ou étrangères ; 3° Des ventes de biens de mineurs et de celles qui leur sont
278
Article 801 CPC.
279
A. BERGEAUD WETTERWALD, E. BONIS et Y. CAPDEPON, Procédure civile, 2017-2018, Editions Cujas, p. 447.
280
Par conséquent, « aucun recours n’est ouvert contre un tel acte qui ne peut être déféré à la Cour de cassation, fût-ce pour excès de pouvoir » : S.
GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, 26e éd., Dalloz, 2018-2019, p. 725.
69
assimilées. Le juge peut toujours renvoyer une affaire en l’état à la formation collégiale. Cette décision est une mesure
d’administration judiciaire ». En somme, dans la pratique, les affaires jugées par un seul juge « forment
un ensemble bien plus significatif du point de vue statistique que les trois cas particuliers de l’article R 212-8 du
Code de l’organisation judiciaire, notamment les affaires familiales qui représentent généralement plus du tiers des
affaires du tribunal et les référés environ un dixième »281.
74. A fortiori, pour Monsieur Perrot « l’objectif est clair. On cherche à introduire dans les mœurs judiciaires
la pratique du juge unique. Mais on ne veut pas l’imposer de façon impérative. Il reste que les parties peuvent y être
encouragées par la perspective d’un jugement plus rapide […]. Tout dépend de l’autorité morale du président et du
degré de confiance des plaideurs »282. Il est important de relever l’idée de confiance que les justiciables
doivent accorder au juge unique. En son absence, le fonctionnement de la justice en pâtirait pour
deux raisons. La première tient au fait que les justiciables effectueraient davantage de demandes de
renvois de leur affaire devant une formation collégiale. La seconde consiste à dire qu’ils exerceraient
plus souvent des voies de recours. Messieurs Roland et Boyer font partis des auteurs rejoignant la
conception de Monsieur Perrot. Selon eux, par cette reconnaissance « on cherche à acclimater la pratique
du juge unique dans l’esprit des plaideurs, mais on pense plus habile de ne pas introduire le nouveau régime de façon
impérative »283. La référence à l’acclimatation s’est ensuite rencontrée plus récemment, toujours à
propos de cette disposition284. Afin de contrecarrer ce risque de prolifération du juge unique au
détriment de la collégialité, il faut savoir que cette disposition doit être combinée avec l’article 804
du Code de procédure civile. Il vient établir que les justiciables ont quinze jours pour demander à
ce que leur affaire soit renvoyée à une formation collégiale, tandis que le président du tribunal de
grande instance peut le décider à tout moment.
A côté de ces juges uniques ordinaires, cette qualification peut être étendue aux juges des
référés et des requêtes tout en prenant une forme qui leur est propre compte tenu de leur mission
singulière.
281
P. GRAMAIZE, « Digressions théoriques sur le traitement des contentieux insolites du tribunal de grande instance », Gaz. Pal.,
Lextenso, 19 déc. 2017, n° 44, p. 20.
282
R. PERROT, Le juge unique en droit français, op. cit., p. 669.
283
H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, op. cit., p. 369.
284
R. PERROT, B. BEIGNIER et L. MINIATO, Institutions judiciaires, 16e éd., coll. Précis Domat, droit privé, LGDJ, Lextenso, 2017.
70
§2. L’extension de la qualification de juge unique aux juges des référés et
des requêtes
75. Si pour être qualifiable de juge unique il est nécessaire que le juge prenne une décision
indépendante sur le fond d’une affaire, une difficulté se rencontre en présence des juges du
provisoire, à savoir, celui des référés et celui des requêtes. « L’ordonnance de référé est une décision
provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui
n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires »285. L’ordonnance sur
requête est quant à elle définie comme « une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où
le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse »286. Ce caractère provisoire fait-il obstacle à leur
qualification en tant que juge unique ? La réponse est négative. C’est en cela qu’il convient de
démontrer que le juge des référés fait l’objet d’une reconnaissance particulière en tant que juge
unique (A) au même titre que le juge des requêtes (B).
76. Le juge des référés se distingue des juges uniques classiques de la procédure civile. Il est
cependant lui aussi un juge unique en sachant que cette considération est confortée par ses
attributions (1). Celles-ci s’avèrent multiples mais cette pluralité ne saurait suffire à lui octroyer
cette qualité. Ce qualificatif implique de reconnaître une autorité à ses décisions (2) afin de
matérialiser le fait qu’il apporte une mesure de façon indépendante.
77. Afin d’obtenir une ordonnance de référé, une partie va saisir un juge pour qu’il apporte une
mesure rapide donc provisoire sur un point précis, tout en respectant le principe du contradictoire.
Sa rapidité d’action ne doit pas faire obstacle à ce qu’un temps suffisant soit accordé à la partie
adverse pour qu’elle puisse préparer ses arguments de défense287. Cette mesure doit donc concilier
célérité et respect du principe du contradictoire. Sa rapidité d’intervention justifie qu’il soit
disponible aussi bien les jours fériés que chômés288.
285
Article 484 CPC.
286
Article 493 CPC.
287
Article 486 CPC.
288
Article 485 alinéa 2 CPC.
71
78. Traditionnellement, « le juge des référés, juge unique, a pour mission de prendre des mesures provisoires
dans des situations présentant généralement une certaine urgence ou dans lesquelles la solution n’est guère
contestable »289. Dans sa thèse intitulée « le juge unique et la réforme judiciaire », il y a plus de quatre-vingt-
dix ans de cela, Monsieur Dupeyron expliquait que son maintien tenait à la confiance que les parties
ont envers lui. D’après l’auteur, celle-ci trouve ses justifications dans plusieurs raisons qui se
confirment encore aujourd’hui. La première tient au fait que sa décision a vocation à être provisoire
et qu’elle se rapporte à des décisions généralement peu graves. La deuxième est que cette confiance
n’est pas imposée puisque ce juge n’est pas saisi du principal. Enfin, les ordonnances de référé sont
rendues par des personnes expérimentées ce qui rassure les parties dans la qualité de la décision
apportée290. Le caractère temporaire de la décision s’explique par le fait que le juge n’est pas saisi
du principal. C’est en cela qu’il se distingue d’une collégialité ou d’un juge unique classique car ces
derniers auront pour prérogatives de statuer sur l’ensemble du litige. Ce juge occupe alors une place
à part entière. Cette portée provisoire et son aspect économique justifient son intervention. Pour
ses opposants à l’inverse, le fait que le juge des référés soit cantonné au provisoire témoigne un
manque de confiance à son égard. La portée provisoire de leur mesure pourrait s’interpréter comme
venant atténuer leur autorité en sachant qu’en plus de cela, les juges du fond restent indépendants
quant à leur prise de décision au principal.
79. Une ordonnance de référé peut par exemple aussi bien être prononcée par le président du
tribunal de grande instance que par le premier président de la cour d’appel. Le fait qu’elle relève
d’un président de juridiction s’explique parce qu’elle doit être prononcée dans un délai circonscrit
tout en faisant preuve de qualité. Ces deux conditions justifient qu’elle soit attribuée à un juge
bénéficiant d’une certaine expérience. Ainsi, « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande
instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie
l’existence d’un différend »291. La condition d’urgence précitée se retrouve. Elle va être présumée dans
le cas du référé conservatoire ou de remise en état. La mesure prononcée permettra de prévenir un
dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite292. L’urgence n’est cette
fois pas requise concernant le référé provision et injonction de faire293. Par conséquent, elle n’est
pas une condition de son intervention contrairement à ce qu’il est souvent pensé. D’après Monsieur
289
L. CADIET, Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, p. 687.
290
H. DUPEYRON, Le juge unique et la réforme judiciaire, Thèse pour le doctorat, Toulouse, Faculté de Toulouse, 1927, p. 74 à 76.
291
Article 808 CPC.
292
Article 809 alinéa 1 CPC.
293
Article 809 alinéa 2 CPC.
72
Saudeau, ce détachement de la notion d’urgence permettrait d’en faire un juge du fond294. Ensuite,
selon Monsieur Strickler, le pouvoir d’ordonner l’exécution d’une obligation de faire atteste que « le
recul de la collégialité s’opère aussi parfois de manière plus insidieuse »295. En outre, une place particulière doit
être accordée à l’article 145 du Code de procédure civile contenu dans le livre premier relatif aux
dispositions communes à toutes les juridictions. Il établit que « s’il existe un motif légitime de conserver
ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction
légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Concernant
le premier président de la cour d’appel, la différence tient au fait qu’il n’est pas un juge du droit
commun en la matière, cette compétence étant attribuée au président du tribunal de grande
instance296.
Outre leurs multiples attributions, il convient de reconnaître une autorité aux mesures qu’ils
apportent, afin de conforter leur qualification en tant que juges uniques particuliers.
80. L’ordonnance de référé peut revêtir un effet définitif si les parties acceptent la décision
provisoire apportée297. Il est vrai qu’elle « met fin, la plupart du temps, à des situations litigieuses dont on
aurait pu craindre qu’elles n’engendrent une « maturation judiciaire » prolongée »298. Ainsi, « c’est par son efficacité,
plus encore que par l’autorité qui s’attache aux décisions qui en sont la manifestation, que le pouvoir d’injonction du
juge des référés révèle sa puissance »299. En allant plus loin, Monsieur Menabe reconnaît une possible
« émergence d’une justice parallèle à la justice ordinaire où l’imperium l’emporte sur la jurisdictio »300. L’expression
de justice parallèle se comprend aisément puisque la mesure est ici provisoire et qu’elle concerne
des points de droit précis et non l’ensemble de l’affaire. Il faut cependant nuancer cette affirmation
puisqu’un jugement de première instance n’a pas de facto une portée définitive, des voies de recours
294
R. SAUDEAU, « Variétés : Le juge unique en matière commerciale. Introduction : Le déclin de la collégialité, ses causes et ses
conséquences », op. cit., p. 294.
295
Y. STRICKLER, Procédure civile, 6ème éd., coll. Paradigme, Larcier, 2015-2016, p. 64.
296
Article L 213-2 COJ : « en toutes matières, le président du tribunal de grande instance statue en référé ou sur requête » et article 810 CPC : « les
pouvoirs du président du tribunal de grande instance prévus aux deux articles précédents, s’étendent à toutes les matières où il n’existe pas de procédure
particulière de référé ».
297
Y. STRICKLER, Procédure civile, op. cit., p. 259. Pour bénéficier de plus amples informations concernant les ordonnances de référé
se reporter notamment à : Y. STRICKLER, Le juge des référés, juge du provisoire, Thèse, Université Robert Schuman, Strasbourg III, 1993.
298
B. MALLET, « Le Juge unique en matière commerciale - III, Le juge des référés », RJO, 1994, p. 478.
299
N. FRICERO et al., op. cit., p. 82.
300
Ibid. p. 84.
73
pouvant être exercées. L’imperium correspond au « pouvoir de donner des ordres »301 tandis que la
jurisdictio consiste « à trancher le litige par application du droit »302. La frontière entre ces notions est
parfois perméable car après avoir rendu une décision, le juge qui en est l’auteur va le plus souvent
condamner la partie perdante aux dépens. Ici, le juge va donc apporter une solution tout en exigeant
une mesure concomitante. Au vu de ces définitions, l’ordonnance de référé s’inscrit dans
l’imperium. A l’appui des chiffres-clés de la Justice 2018, il ressort qu’en 2017 la justice civile
connaissait 2 609 394 décisions en matière civile et commerciale dont 223 492 référés. Ces derniers
représentant moins de la moitié des décisions prononcées, il faut en conclure que l’imperium ne
l’emporte pas sur la jurisdictio.
81. Si l’ordonnance de référé correspond à une décision provisoire, le premier alinéa de l’article
488 du Code de procédure civile prévoit que les ordonnances de référé n’ont pas au principal
l’autorité de la chose jugée. La syntaxe utilisée permet d’insister sur cette portée qui ne concerne
que le principal. Cette absence s’explique par le caractère temporaire de la décision et par le fait que
les juges du fond ne sont pas liés par la mesure prononcée. Les magistrats du quai de l’Horloge ont
ainsi rappelé « que l’ordonnance de référé étant dépourvue d’autorité de la chose jugée au principal, il est toujours
loisible à l’une des parties à la procédure de référé de saisir le juge du fond pour obtenir un jugement définitif »303.
Le second alinéa de l’article précité dispose que l’ordonnance de référé « ne peut être modifiée ou
rapportée en référé qu’en cas de circonstances nouvelles ». Cette condition permet donc – finalement – de
reconnaître à cette dernière une autorité304. Il « est alors inexact de considérer que l’ordonnance de référé est
dénuée de toute autorité puisque le même juge ne pourra la modifier que si la situation a changé »305. Afin
d’appuyer cette thèse, il convient de reconnaître que cette autorité est également perceptible à
travers les moyens de recours reconnus aux justiciables à son encontre. En effet, l’ordonnance de
référé peut être frappée d’appel ou d’opposition dans un délai de quinze jours306. Par contre,
concernant celle prononcée par le premier président de la cour d’appel, il convient de réaliser un
pourvoi en cassation. En outre, dans un arrêt ancien, les magistrats de cassation établissaient qu’il
ne devait être « méconnu l’autorité qui s’attachait à une précédente ordonnance de référé »307, seuls les faits
301
G. CORNU et al., Vocabulaire juridique, op. cit., p. 524.
302
Ibid. p. 591.
303
Civ. 2ème, 13 nov. 2014, n° 13-26708.
304
C. BOUTY, « Chose jugée », Rép. Proc. Civ. Dalloz, juin 2012 (actu. avr. 2016).
305
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, op. cit., p. 75.
306
Article 490 alinéa 3 CPC.
307
Civ. 2ème, 25 juin 1986, n° 85-10637, Bull. civ. 1986, II, n° 100, p. 68.
74
nouveaux pouvant être une cause de sa modification. L’exigence de circonstances
nouvelles s’explique par la volonté de préserver l’efficacité de cette procédure en restreignant ses
cas d’ouvertures. S’ajoute à cela un point commun avec les autres modes d’organisation des
tribunaux de la matière civile. Leurs décisions ont également autorité de la chose jugée, cette fois à
proprement dite, à moins qu’une circonstance nouvelle intervienne308. La condition est donc ici
identique. L’ordonnance de référé correspond alors à un acte juridictionnel particulier puisqu’il y a
une - autorité de la chose jugée au provisoire -. Si certains considèrent que son autorité est
réduite309, elle n’en reste pas pour le moins dénuée de portée. De plus, la disposition prévue par
l’article 514 du Code de procédure civile établit que l’ordonnance de référé est exécutoire de plein
droit à titre provisoire ce qui renforce son autorité puisque son exécution est anticipée.
82. Le juge des requêtes se distingue des juges uniques ordinaires de la procédure civile. Il est
cependant lui aussi un juge unique en sachant que cette considération est confortée par ses
attributions (1). Celles-ci s’avèrent multiples mais cette pluralité ne saurait suffire à le qualifier de
juge unique. Ce qualificatif implique là encore, de reconnaître une autorité à ses décisions (2) afin
de matérialiser le fait qu’il apporte une mesure de façon indépendante.
83. L’ordonnance sur requête rejoint l’ordonnance de référé concernant son caractère
temporaire. Cet aspect provisoire se retrouve à la lecture de l’article 497 du Code de procédure
civile puisqu’il établit que le juge peut modifier ou rétracter son ordonnance alors même que le juge
du fond est également saisi de l’affaire. En conséquence, il n’est pas saisi du principal. Cette marge
de manœuvre va permettre de s’adapter aux situations litigieuses en sachant qu’elles peuvent
prendre une autre dimension avec le temps. Les magistrats du quai de l’Horloge ont apporté une
précision importante puisqu’il « ne résulte pas de l’article 497 du nouveau code de procédure civile que le juge
308
Sur les circonstances nouvelles : Civ. 2ème, 25 juin 2015, n° 14-17504, Publié au bulletin : « le caractère nouveau de l’événement
permettant d’écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque avait négligé d’accomplir une
diligence en temps utile ». Cette décision a notamment été commentée au sein du Dalloz actualité, 20 juill. 2015, « autorité de la chose
jugée, moyen nouveau et négligence », M. KEBIR.
309
G. COUCHEZ et X. LAGARDE, Procédure civile, 16ème éd., Sirey, Dalloz, 2011, p. 38.
75
de la rétractation ne puisse être que la personne physique qui a autorisé la mesure critiquée »310. Cette solution
permet d’assurer l’efficacité du service de la justice en reconnaissant une coopération des juges
uniques. Si les justiciables devaient obligatoirement saisir le juge auteur de l’ordonnance, des
difficultés se rencontreraient « en raison de l’évolution de carrière des magistrats et de certains évènements de la
vie de ces derniers (décès, mutation, avancement…) »311.
84. Le principe du contradictoire ne va pas être appliqué dans cette hypothèse car la procédure
va nécessiter de ne pas informer la partie adverse. A titre d’illustration, une personne coupable d’un
fait et se sentant mise en danger pourrait détruire les preuves qui l’accablerait312. L’enjeu consiste
à agir rapidement et avec discrétion. Un revirement de jurisprudence a été opéré en 2014313
puisqu’aujourd’hui, le requérant doit expliquer les raisons pour lesquelles dans sa situation, le
principe du contradictoire doit être évincé ce qui correspond à « une exigence de bon sens »314. Les
magistrats de la Cour de cassation avaient reconnu dans l’affaire qui leur était soumise « que la requête
était muette sur les circonstances susceptibles de justifier qu’il soit procédé non contradictoirement » et qu’il aurait
fallu démontrer les « éléments propres au cas d’espèce »315. Cette solution permet de retranscrire que le
fait d’écarter le principe du contradictoire est une mesure qui doit rester exceptionnelle et qui doit
de facto être justifiée. Son éviction sera appréciée in concreto.
85. L’urgence peut être telle que « la requête peut être présentée au domicile du juge »316. Comme le
principe du contradictoire est écarté, il est nécessaire que la requête soit motivée et appuyée par des
pièces justificatives317. Ces informations vont être bénéfiques pour le président afin qu’il prenne
une décision en connaissance de cause, mais également pour le défendeur pour qu’il puisse
répondre des accusations dont il fait l’objet. Les présidents de la juridiction commerciale318, du
310
Civ. 2ème, 11 mai 2006, n° 05-16678, Bull. civ. 2006, II, n° 127, p. 119.
311
S. PIERRE-MAURICE, « Ordonnance sur requête », Dalloz, mars 2011 (actu. fév. 2017).
312
Article 145 CPC : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution
d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
313
Civ. 2ème, 26 juin 2014, n° 13-18895, Bull. civ. 2014, II, n° 157.
314
L. RASCHEL, « Attention à la motivation des ordonnances sur requête ! », Gaz. Pal., Lextenso, n° 252, 9 sept. 2014, p. 32.
315
Civ. 2ème, 19 mars 2015, n° 14-14389, Bull. civ. 2015, II, n° 68.
316
Article 494 al. 3 CPC.
317
Ibid., al. 1.
318
Articles 874 à 876 CPC.
76
tribunal de grande instance319, paritaire des baux ruraux320, le premier président de la cour
d’appel321 et le juge d’instance322 ont vocation à statuer sur les ordonnances sur requêtes. La
juridiction présidentielle occupe donc une place considérable en procédure civile.
86. Au même titre que le juge des référés, le caractère provisoire de la décision et le coût qu’il
implique permet de justifier son intervention. Lorsqu’elle est portée devant la juridiction civile de
droit commun, la requête doit être présentée le plus souvent par un avocat, sachant que s’il y a déjà
une instance existante il sera nécessaire d’indiquer quelle juridiction a été saisie323. Cette indication
est importante car la requête sera présentée au président de la chambre devant laquelle l’affaire a
été confiée, ou au juge déjà saisi324. Là encore, le prononcé d’une décision indépendante, malgré sa
portée provisoire, permet de qualifier ce juge de juge unique, alors que l’autorité de ses mesures
renforce cette affirmation.
87. La qualification juridique de l’ordonnance sur requête s’inscrit « dans le long cheminement d’une
controverse qui n’est pas épuisée, si tant est qu’elle le soit un jour »325. Comme l’ont justement souligné
Monsieur Motulsky et Madame Lacamp-Leplaë326, il est reconnu une autorité de la chose jugée au
provisoire concernant cette mesure. Notre argument tient au fait que l’ordonnance sur requête est
exécutoire au seul vu de la minute327. Sa force exécutoire permet de rappeler que bien qu’elle ait
un caractère provisoire, elle correspond à une décision. Il n’y a pas de notification de cette dernière
afin de préserver son efficacité. Le président a ainsi le choix. Soit il décide de rejeter la requête qui
lui a été soumise, dans ce cas le requérant peut interjeter appel dans les quinze jours de son
prononcé328. L’appel est alors traité comme en matière gracieuse ce qui veut dire qu’il « est formé,
par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, par un
319
Articles 812 à 813 CPC.
320
Article 897 CPC.
321
Article 958 CPC.
322
Article 851 CPC.
323
Article 813 CPC.
324
Article 812 alinéa 3 CPC.
325
R. PERROT, « Ordonnance sur requête. Nature juridique (absence de chose jugée) », RTD civ. 1999, p. 464.
326
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, op. cit., p. 75.
327
Article 495 alinéa 2 CPC.
328
Article 496 alinéa 1 CPC.
77
avocat ou un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur »329.
Par contre, l’appel n’est pas possible lorsque l’ordonnance émane du premier président de la cour
d’appel, ce qui témoigne de la confiance qui lui est accordée tout en renforçant son autorité. Soit
le président décide de faire droit à la requête, ce qui permet au visa de l’article 496 alinéa 2 du Code
de procédure civile à tout intéressé d’en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. Dit autrement,
le président entendra lors de cette phase le requérant mais aussi le défendeur. Le contradictoire va
ainsi être rétabli comme il l’est d’ailleurs rappelé par l’article 17 du Code de procédure civile qui
vient établir que « lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu’une mesure soit ordonnée à l’insu d’une
partie, celle-ci dispose d’un recours approprié contre la décision qui lui fait grief ». Ce recours prendra la
dénomination d’un référé-rétractation. Il est intéressant de relever l’emploi du terme de référé alors
que la voie de recours consiste à agir contre une ordonnance sur requête. Ce changement de
terminologie peut s’expliquer par l’apparition du principe du contradictoire. Si dans un premier
temps il était écarté, dans un second temps il revient à s’appliquer. Une différence ressort avec les
juridictions collégiales ou à juge unique classiques car du fait de sa consécration en tant que principe
directeur du procès civil, la contradiction ne pourra être évincée, comme le rappelle la
maxime latine « audiatur et altera pars »330. Monsieur Strickler reconnaît également une autorité au
provisoire à cette ordonnance puisque grâce à son traitement « on passe à un autre niveau de la
procédure ». Lorsqu’il fait droit à la requête, le contradictoire sera rétabli tandis que s’il n’y fait pas
droit, l’appel est ouvert. Dès lors, « l’ordonnance rendue n’est ni effacée, ni inexistante »331. Toutefois, cette
expression d’autorité de la chose jugée au provisoire ne fait pas l’unanimité. Elle n’est par exemple
pas partagée par Monsieur Alexey Varnek qui considère que « l’ordonnance sur requête est un véritable
acte juridictionnel revêtu de la pleine autorité de chose jugée »332 puisque « l’autorité de chose jugée existe ou n’existe
pas, mais elle n’existe pas à moitié »333. Les juges de cassation ont quant à eux rappelé que l’ordonnance
sur requête est dépourvue de l’autorité de la chose jugée334. Il ne s’agit pas d’aller à l’encontre des
hauts magistrats. En effet, la rédaction généraliste dudit attendu de principe laisse supposer qu’il
ne concerne que son aspect principal et non provisoire.
329
Article 950 CPC.
330
Article 14 CPC : « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ».
331
Y. STRICKLER, « Autorité de l’ordonnance sur requête et loyauté de la procédure », D., 2003, p. 160.
332
A. VARNEK, Le juge des requêtes, juge du provisoire, pour obtenir le grade de : Docteur de l’Université de Strasbourg, Université de
Strasbourg, 22 juin 2013, p. 637.
333
Ibid. p. 636.
334
Civ. 2ème, 10 déc. 1998, n° 95-22146.
78
Chapitre 2 – La collégialité comme principe
88. Dans une définition contenue au sein du Lexique des termes juridiques ayant plus de vingt-
ans, la collégialité était présentée comme un « principe en vertu duquel la justice est rendue par plusieurs
magistrats […] qui délibèrent leurs décisions à la majorité des voix »335. La collégialité était considérée
comme un principe. Dans le langage courant, il est d’usage de parler de principe de collégialité alors
qu’il n’est pas usuel de parler de principe de juge unique. Qu’en est-il en théorie ? Pour résoudre
cette question, il convient d’établir la portée de la collégialité dans le droit positif français
contemporain.
89. L’article L 121-2 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « sauf disposition particulière,
les juges statuent en nombre impair ». La place qu’il occupe au sein du Code est révélatrice puisqu’il est
contenu dans les « dispositions communes aux juridictions judiciaires » et qu’il s’inscrit dans les
« règles générales d’organisation et de fonctionnement ». S’il correspond aux règles générales il faut
en déduire qu’il est par principe applicable, ce qui amène à reconnaître la collégialité comme étant
un principe d’organisation des juridictions civiles. L’unicité apparaît comme son exception. Cette
affirmation se confirme à la lecture du sommaire du Code de procédure civile. Si le terme de
collégialité y est absent, il en va différemment concernant le juge unique. Ceci peut s’expliquer par
le fait que l’intervention de ce dernier est davantage ciblée et se limite à des situations particulières.
90. Concernant l’organisation juridictionnelle de la matière civile, bien qu’il soit couramment
avancé que la collégialité perd du terrain au profit du juge unique, ce déclin ne se fait pas ressentir
lorsqu’on porte un regard général sur la composition de ses tribunaux. La règle reste
majoritairement la collégialité aussi bien en première instance, qu’en seconde, et ce jusqu’à la Cour
de cassation. De la même manière, son omniprésence conforte sa portée.
335
S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER et J. AZEMA, Lexique des termes juridiques, 12e éd., coll. Dalloz, 1999, p. 103.
79
Section 1 - La volonté continue de renforcer la collégialité
92. Bien que les juridictions commerciales et prud’homales représentent des formations à part
entière en matière civile parce que leur composition ne fait en principe pas appel à l’intervention
de magistrats professionnels336, elles ont su traverser l’histoire. Leur préservation est d’autant plus
surprenante au regard de certaines périodes337 marquées par une volonté de repenser
l’administration de la justice dans son ensemble. Tel était le cas de la Révolution française. La
création de ces tribunaux particuliers résultait d’une nécessité comme en attestait la multiplication
des litiges entre gens de négoce. Leur survivance se justifiait par le fait que le système y était électif.
Ces juges n’étaient pas nommés par le roi338 car toute nomination de sa part représentait une crainte
d’absolutisme. La délégation du pouvoir de juger à des non professionnels, fruit de l’histoire de
France, n’est pour certains plus adapté. En effet, des discussions pérennes concernent l’échevinage
afin de remanier ces collégialités (§1). L’idée n’est pas de supprimer leur composition
pluripersonnelle mais de les repenser. Outre ces discussions, il apparaît opportun de consolider
certaines collégialités (§2).
336
L’exception se rencontre lorsque le juge départiteur est amené à intervenir.
337
Pour plus d’informations concernant l’histoire du droit, voir J-P. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, 1re éd., Dalloz,
2002.
338
J. FOYER, Histoire de la justice, Que sais-je ?, op. cit.
339
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, coll. Dalloz, 2017-2018, p. 448.
81
aboutissant à une décision équilibrée »340. L’hétérogénéité de cette composition serait un facteur
d’enrichissement de la collégialité. Au surplus, ses apôtres arguent le fait que les affaires
commerciales ou prud’homales deviennent trop techniques pour des personnes qui ne
bénéficieraient pas de connaissances juridiques341. Il est toutefois nécessaire de maintenir la
collégialité au commerce et aux prud’hommes (C) afin de ne pas dénaturer leur particularité.
A. Le modèle de l’échevinage
94. L’organisation judiciaire française est complexe à appréhender car pour un même
contentieux, selon le lieu d’implantation de la juridiction sur le territoire, cette juridiction et sa
composition pourra être différente de celles majoritairement compétentes. Tel est par exemple le
cas s’agissant des litiges commerciaux. Cette constatation est à l’origine de contestations car certains
considèrent qu’il est « anormal que les tribunaux d’Alsace, de Moselle et régions d’outre-mer recourent à
l’échevinage et que les autres ressorts ne le fassent pas »342. Concernant les départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin et de la Moselle, des dispositions spécifiques sont contenues au sein du titre III du Code
de commerce intitulé « des juridictions commerciales particulières »343. Il ressort de ces articles qu’il
n’existe pas de juridiction commerciale à proprement dite. C’est donc une première particularité.
Dans ces départements, les affaires sont traitées par des chambres commerciales du tribunal de
grande instance344. Leur composition est collégiale et échevinée. L’échevinage est une seconde
particularité comparée à la juridiction consulaire ordinaire. Outre son président qui est un magistrat
du tribunal de grande instance, la chambre commerciale comprend deux assesseurs qui ne sont pas
des juges professionnels345. Ces derniers revêtent la qualité de commerçants.
95. A côté de cette particularité tenant au lieu d’implantation de la juridiction, certains tribunaux
vont toujours répondre à ce type d’organisation sur l’ensemble du territoire. C’est le cas des pôles
sociaux des tribunaux de grande instance. Avant leur réunification, le tribunal des affaires de
sécurité sociale et celui du contentieux de l’incapacité répondaient eux aussi à une composition
échevinale faisant intervenir trois membres, ce qui en fait un modèle.
340
Assemblée nationale, « L’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, une juridiction à rénover ».
341
A. BRAUD, Droit commercial, 5ème Ed. 2013-2014, coll. mémentos LMD, lextenso éditions, p. 30.
342
A. MAIROT, « Réflexions pour une réforme des tribunaux de commerce », Petites affiches, Gaz. Pal., n° 35, 18 février 2013, p.
9.
343
Articles L 731-1 à L 731-4 C. com et articles D 731-1 à R 731-5 C. com.
344
Article L 731-1 C. com.
345
Article L 731-3 C. com.
82
Le Code de commerce réserve quant à lui une place particulière aux dispositions applicables
aux départements et régions d’outre-mer en reconnaissant l’existence de tribunaux mixtes de
commerce346. La composition du tribunal mixte de commerce fait intervenir un président qui est
un magistrat du tribunal de commerce et trois juges élus. Cette collégialité paire et échevinale peut
mener à une situation de blocage puisqu’il se peut qu’aucune majorité ne soit dégagée. Dans cette
situation, l’article L 732-5 du Code de commerce accorde une voix prépondérante au président ce
qui en fait un juge unique. Cet article admet ensuite une autre dérogation au principe de collégialité
en reconnaissant qu’un juge unique peut être directement amené à trancher un litige dans certaines
situations.
Puisque certaines collégialités de la procédure civile ne font en principe pas intervenir des
magistrats professionnels, des interrogations de transpositions se posent les concernant.
96. Plusieurs raisons justifient que des interrogations de transpositions se posent concernant les
juridictions commerciales et prud’homales. L’échevinage permettrait de ne pas entièrement
dénaturer la particularité de ces juridictions puisqu’il préserverait l’intervention des juges non
professionnels. Un autre argument tient au fait que l’échevinage concerne certains tribunaux
français et qu’il a été récemment choisi afin d’unifier les contentieux du tribunal des affaires de
sécurité sociale, avec ceux du tribunal du contentieux de l’incapacité. Il témoigne que cette
composition est en adéquation avec le droit contemporain. S’il convient d’écarter cette solution au
commerce (1), en revanche, elle suscite davantage de réflexion aux prud’hommes (2).
97. La juridiction commerciale est compétente pour les litiges qui se rapportent aux
commerçants et au domaine des affaires. Les juges consulaires ont la particularité d’être élus par
leurs pairs. Ce ne sont pas des magistrats professionnels, ce sont des juges occasionnels. Aucune
« formation juridique n’est nécessaire pour accéder à cette fonction »347. « Les juges sont très impliqués car experts
dans leur domaine. Ils assument leur rôle parallèlement à l’exercice d’une activité professionnelle et connaissent
346
Articles L 732-1 à L 732-8 C. com et articles D 732-1 à R 732-8 C. com.
347
A. BRAUD, Droit commercial, op cit, p. 29.
83
parfaitement les obstacles qu’un dirigeant ou une entreprise peut rencontrer »348. Ces « hommes de terrain »
appartenant à cette juridiction d’exception exercent leur mission bénévolement. Le mode
d’organisation de ce tribunal répond en principe à la collégialité349 alors qu’elle est qualifiable
d’atypique parce qu’elle fait intervenir des juges non professionnels. C’est d’ailleurs cette raison qui
est à l’origine de continuelles contestations car pour certains, une juridiction ne pourrait bien
fonctionner sans qu’un juge professionnel n’intervienne. Dès lors, avec la juridiction prud’homale,
elle est une exception aux autres formations collégiales de la matière civile en sachant que « leur
autonomie juridictionnelle est importante, mais elle n’est toutefois pas absolue : elle se limite au premier degré de
juridiction »350 puisque ces juges n’interviennent pas au second degré.
348
N. STOLOWY, Comment les tribunaux de commerce français ont traversé les siècles en conservant toute leur pertinence,14 juin 2017.
349
Article L 722-1 C. com. Plusieurs juges uniques composent la juridiction commerciale comme celui des référés, des requêtes,
ou le juge-commissaire.
350
V. KLES et Y. DETRAIGNE, Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance, Rapport d’information, n° 54, 9 octobre
2013, p. 15.
351
J-B. DE FOUCAULD, D. BOCCON-GIBOD, N. TISSOT et alii, Rapport d’enquête sur l’organisation et le fonctionnement des tribunaux de
commerce, juillet 1998, p. 58.
352
Cette conception avait par exemple était reprise : A. MAIROT, Réflexions pour une réforme des tribunaux de commerce, op. cit., p. 9.
353
op. cit., p. 16.
354
Ibid. p. 44.
355
Assemblée nationale, « L’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, une juridiction à rénover ».
356
F. DEFFERRARD, La suspicion légitime, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 332, LGDJ, 2000, p. 122.
84
compétence que favorise leur immersion dans le tissu économique »357. Cette composition ne répondrait plus
à l’exigence d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial qui est le propre du droit à un
procès équitable358. Ainsi, l’échevinage permettrait de palier des inconvénients relatifs à « la
méconnaissance par les juges professionnels des règles et des usages commerciaux et de l’approche financière de la
gestion des entreprises, la méconnaissance des principes judiciaires du traitement contentieux par les juges consulaires
issue des entreprises commerciales et le risque de soupçon de partialité ou de corruption à leur égard »359. Ces
arguments ayant trait à l’impartialité ne sont pourtant pas convaincants puisque les magistrats de
carrière sont également soumis aux mêmes règles que les justiciables. Or, on ne peut douter de leur
impartialité uniquement sur ce fondement.
100. En reprenant le rapport Marshall, il ressortait au sein de sa proposition numéro 10.2 que la
formation échevinale comprendrait un magistrat de carrière avec à ses côtés deux assesseurs qui
seraient des juges non professionnels. Le modèle de l’échevinage précédemment évoqué faisant
intervenir trois membres se retrouve alors. Bien que la collégialité se verrait préservée, un poste de
juge occasionnel aurait donc été supprimé au sein de chaque collège. Il n’y aurait plus trois juges
non professionnels, mais deux. Cela amène à constater que la mise en place de l’échevinage peut
revêtir des formes différentes. Une solution radicale consisterait à généraliser ce mode
d’organisation ce qui engendrerait la présence permanente d’un magistrat professionnel aux côtés
des juges consulaires. Au contraire, certaines juridictions commerciales pourraient être échevinales
ou non selon la nature des contentieux. Si ces modalités d’établissement peuvent varier, ses
conséquences sont certaines. Comme n’a pas manqué de le souligner Monsieur Girod, son
introduction « induirait des besoins humains qui de toute évidence ne pourraient être satisfaits compte tenu du
manque de moyens chronique affectant le fonctionnement de la justice »360. L’ajout de magistrats professionnels
aux côtés des juges consulaires impliquerait la création de nouveaux postes qu’il faudrait rémunérer.
En conséquence, « une telle modification nécessiterait de gros moyens financiers »361. Si les points forts de
l’échevinage ne sont pas forcément perceptibles, ce qu’il détruirait l’est362.
357
SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, Pour une Révolution judiciaire, Elections 2012, le projet du syndicat de la Magistrature, janv. 2012,
p. 19.
358
Ibid., p. 18.
359
Echevinage et justice économique, Revue Le Lamy droit des affaires, n° 52, 1 sept. 2010, coll. Lamyline, p. 1.
360
P. GIROD, Rapport portant réforme des tribunaux de commerce, op. cit., p. 4.
361
A. BRAUD, Droit commercial, op. cit., p. 30.
362
J-B. DRUMMEN, « Nous voulons donner de l’institution consulaire l’image qu’elle mérite ! », Bull. Joly, entreprises en difficulté,
1 juil. 2013.
85
101. S’agissant de son instauration au second degré, ce ne sont plus des juges professionnels qui
vont être introduits au sein d’un collège de juges non professionnels, mais l’inverse. Madame De
Luca soulevait qu’il peut « paraître surprenant que des litiges, soumis à ces juges spécialisés en première instance,
soient portés, au second degré, devant des juges qui sans doute présentent toutes les qualités et garanties juridiques
requises, mais qui n’ont pas nécessairement de connaissances particulières »363. Ce propos doit être nuancé
puisque la cour d’appel comprend une chambre spécialisée en matière commerciale dans laquelle
les conseillers, qui sont tous des magistrats professionnels, sont expérimentés. Enfin pour ses
partisans, l’échevinage permettrait d’assurer une meilleure justice grâce à une cohésion des
décisions364. L’instauration de juges non professionnels en appel était justifiée pour les mêmes
raisons que celles retenues concernant la première instance. Cette mise en œuvre était d’ailleurs
considérée comme ne représentant « que des avantages » puisqu’il était proposé dans un souci
d’efficacité que ces juges non professionnels ne rédigent pas les décisions de justice contrairement
à ce qui était proposé au sein du rapport Marshall. Il était avancé que la vision pratique apportée
par les juges consulaires permettrait d’aboutir à une solution de qualité365 en la mêlant à une
réflexion juridique. Il était alors suggéré au sein du rapport sur « les juridictions du XXIème siècle »
d’introduire l’échevinage en appel afin d’asseoir la portée de ce nouveau mode d’organisation366.
102. Si les discussions sont pérennes concernant la réorganisation de cette juridiction, elles n’ont
pour l’heure jamais abouties367. Il est vrai que lorsqu’il est mis en œuvre l’échevinage « fonctionne
plutôt bien ; chacun retirant des enseignements sur l’univers de l’autre, ce qui améliore la pertinence des décisions
rendues »368. Son opportunité doit s’apprécier au regard de la gestion contemporaine des litiges
363
M. DE LUCA, Le juge non professionnel, réflexion sur la fonction de juger, mémoire, magistère juriste d'affaires, DJCE, master II droit
des affaires, 2011-2012, p. 50.
364
E. FILIBERTI, « La réforme de la justice doit être abordée sans tabou », Petites affiches, Gaz. Pal., 14 juin 2006, n° 118, p. 4.
365
J-B. DE FOUCAULD, D. BOCCON-GIBOD, N. TISSOT et alii, Rapport d’enquête sur l’organisation et le fonctionnement des tribunaux de
commerce, op. cit., p. 56.
366
D. MARSHALL, R. BOMETON, A. CARON-DEGLISE et alii, « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et
proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux métiers de la justice, op. cit., p. 16.
367
C. UNTERMAIER et M. BONNOT, Rapport d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale, n° 1006, 24 avril 2013. A titre
d’illustration, la proposition numéro 24 dudit rapport consistait en matière de contentieux général à faire intervenir une formation
mixte sur demande des parties au regard du montant de l’affaire ou de sa complexité. La proposition numéro 28 bis consistait quant
à elle à créer des formations mixtes au premier et au second degré afin de traiter les contentieux se rapportant à la procédure
collective. Pour autant, aucune mixité n’a été retenue. Pour une justice commerciale rénovée et réhabilitée, Le club des juristes, nov. 2013, p.
22 : une proposition de réforme consistait à vouloir intégrer des auditeurs de justice diplômés de l’école nationale de la magistrature
dans certaines fonctions au sein du tribunal de commerce afin qu’ils acquièrent des connaissances commerciales. Cette proposition
aurait pu être une façon progressive et dissimulée d’intégrer l’échevinage dans cette juridiction.
368
Y. CHARPENEL, Le glaive et la rustine : 15 questions pour sortir la Justice française de l’impasse, Economica, 2012, p. 67.
86
commerciaux. Le taux d’appel reste faible : 14,5 %369. Ce chiffre comprend les manœuvres
dilatoires370 du fait de l’absence de précision sur ce point. Ce constat signifie que les justiciables
sont plutôt satisfaits de la décision rendue en premier ressort. Par ailleurs, les juges consulaires se
sont jusqu’alors toujours opposés à son instauration au second degré car ils savent que son
acceptation impliquerait corrélativement sa mise en place en première instance371. En d’autres
termes, « les juges consulaires redoutent que cette disposition soit une sorte de « pied-dans-la-porte » »372. Il
importe de souligner que son instauration dans cette collégialité atypique lui ôterait son identité.
En effet, ce mode d’organisation, issu d’un édit royal de 1563 est une particularité française en
comparaison avec les autres pays de l’Union Européenne373. Cette attribution prouve que la justice
peut faire confiance à ses citoyens en les mettant à la place de juges, en leur reconnaissant de
véritables pouvoirs. « Se considérant comme des professionnels dévoués, bénévoles et qui appliquent une procédure
orale rapide, les juges consulaires estiment que l’échevinage n’est pas susceptible d’améliorer l’efficacité de la justice
commerciale (ni en première instance, ni en appel) et que ce système comporte, en outre, de nombreux risques. Une
telle réforme exprimerait une défiance à l’égard des juges consulaires et conduirait à déresponsabiliser et à les démotiver.
Les risques, voire les menaces de démission et de grève sont clairement évoqués »374. A fortiori, comme le souligne
Monsieur Théron, la légitimité des juges consulaires a été consolidée par le projet de loi relatif à la
modernisation de la Justice du XXIème siècle en rapprochant notamment leurs statuts de celui des
juges professionnels375.
103. Plusieurs arguments tendent à considérer que l’instauration de l’échevinage aussi bien en
première instance qu’en appel n’est pas opportune. D’abord, la gestion des dossiers n’est pas
alarmante alors que ces juges interviennent gratuitement, tout en représentant une juridiction
historique. Ensuite, l’importance du second degré implique de recourir à des magistrats
professionnels alors que l’adjonction de juges non professionnels pourrait être une source de
369
M. CHABANNE, J. PIGNIER, C. KISSOUN-FAUJAS et alii, Les chiffres-clés de la Justice 2018, Ministère de la Justice, p. 12.
370
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit. : « Qui vise à gagner du temps en retardant le déroulement du procès », p. 315.
371
J-L. VALLENS, Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, t. II, 26 mars 1998.
372
O. DUFOUR, Les tribunaux de commerce menacent la Chancellerie de faire grève, Petites affiches, n° 41, Gaz. Pal., 26 févr. 2014, p. 4.
373
F. COLCOMBET, Rapport portant réforme des tribunaux de commerce, n° 2912, 1 févr. 2001 et J-B. DRUMMEN, Nous voulons donner de
l’institution consulaire l’image qu’elle mérite !, op. cit.
374
D. MARSHALL et alii, « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et proximité, s’adapte à l’attente des citoyens,
et aux métiers de la justice, op. cit., p. 103.
375
J. THERON, Les tribunaux de commerce renforcés par le projet de loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle, coll. Gaz. Pal., Lextenso,
n° 29, 30 août 2016, p. 52.
87
complication matérielle. Ces affirmations ne sont toutefois pas aussi tranchées concernant le
conseil de prud’hommes.
104. A l’instar des juridictions consulaires, le rapport sur « les juridictions du XXIème siècle »
suggérait que le conseil de prud’hommes et la chambre sociale de la cour d’appel deviennent
échevinales376. L’organisation de la juridiction de première instance était entièrement repensée par
le groupe de travail dirigé par Monsieur Marshall puisqu’il s’agissait au sein de sa proposition 11.1
précédemment évoqué de créer un tribunal social. Il correspondrait à « une juridiction sociale unique
regroupant l’ensemble des contentieux relatifs aux conflits du travail et aux conflits relatifs au droit de la sécurité
sociale et des prestations sociales ». Le fonctionnement de cette juridiction est explicité au sein de sa
proposition 11.3. La procédure devant le tribunal social comprenait aussi bien une phase de
conciliation, qu’une phase de jugement. La formation de jugement aurait été collégiale en
comprenant un juge social qui aurait été un magistrat professionnel avec à ses côtés deux conseillers
prud’hommes. Ici encore, le modèle de l’échevinage faisant intervenir trois juges se retrouve. La
chambre sociale de la cour d’appel devait quant à elle comprendre deux conseillers prud’hommes
aux côtés de trois magistrats professionnels, ou deux conseillers et un juge professionnel377. De la
même manière, ces conceptions n’ont pas été retenues.
105. Il est cependant opportun d’instaurer l’échevinage en première instance devant le bureau de
jugement du conseil de prud’hommes car une approche pratique dans notre seconde partie de thèse
a révélé certaines lacunes. Madame Arens, premier président de la cour d’appel de Paris, reconnaît
également que le maintien de ces juges non professionnels ne permet pas à cette juridiction
d’assurer son bon fonctionnement ce qui implique de la réformer bien qu’elle ait été récemment
remaniée378. La solution consisterait à reprendre le modèle type de l’échevinage. Cette collégialité
ferait intervenir un juge professionnel, avec à ses côtés un conseiller employeur et un conseiller
salarié. Cela reviendrait à supprimer l’intervention de deux conseillers, ce qui entraînerait deux
répercussions positives. La première permettrait de réaffecter les moyens financiers qui leur étaient
376
D. MARSHALL, Présentation du rapport « Les juridictions du XXIème siècle », coll. Gaz. Pal., Lextenso, n° 147, 27 mai 2014. Cette
volonté ne fait cependant pas l’unanimité. Voir notamment C. VIGNEAU, Le rapport Marshall : des propositions discutables pour une réforme
indispensable des juridictions sociales, coll. Gaz. Pal., Lextenso, n° 147, 27 mai 2014.
377
D. MARSHALL, R. BOMETON, A. CARON-DEGLISE et alii, « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et
proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux métiers de la justice, op. cit., p. 71.
378
C. ARENS, « Propos conclusifs », Gaz. Pal., Lextenso, no 3, 31 octobre 2016, p. 62. S’il est souligné la nécessité de réformer cette
juridiction, il n’est toutefois pas précisé comment elle devrait l’être.
88
attribués au service du juge professionnel. La seconde tient au fait qu’elle permettrait d’assurer
l’efficience de cette juridiction puisqu’il n’y aurait plus de risque qu’une égalité des voix se produise
entre les membres du collège. En revanche, il n’est pas préconisé d’instaurer l’échevinage au sein
de la chambre sociale de la cour d’appel en y intégrant des juges non professionnels.
106. S’ils revêtent la qualité de juges, le terme de collégialité peut-il être valablement usité alors
qu’ils ne sont pas des professionnels du droit ? La première analyse consiste à vérifier son
application au sein de la juridiction consulaire. Une formation collégiale correspond à « un mode de
prise de décision par un groupe dont chaque membres a le même statut »379. Le tribunal commercial est bien
composé de membres ayant tous la même qualité : celle de commerçants. Ils ont également pour
mission de mettre un terme aux litiges qui leur sont soumis. Ils possèdent donc de facto, la fonction
de juger. D’ailleurs, le code de commerce lui-même utilise l’expression de « formation collégiale »380.
Ce terme est ainsi transposable à cette juridiction. La seconde analyse concerne la juridiction
prud’homale. Elle comprend un « nombre égal de salariés et d’employeurs »381. Une formation collégiale
implique également une prise de décision à plusieurs. Ensuite, afin d’assurer au mieux leur mission,
ces conseillers sont soumis aux mêmes exigences que celles des magistrats. Dès lors, les conseillers
« exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité et se comportent de façon à exclure
tout doute légitime à cet égard. Ils s’abstiennent, notamment, de tout acte ou comportement public incompatible avec
leurs fonctions. Ils sont tenus au secret des délibérations »382. Le secret des délibérations implique que leurs
potentielles opinions séparées ne soient pas communiquées afin que cette juridiction paritaire
apporte un jugement unitaire. Cette conception étant le propre d’une collégialité, ici encore, ce
vocable lui est applicable.
379
Colloque, intervention de Madame P. LABEAUME, op. cit.
380
Article L 722-1 C . com : « Sauf dispositions qui prévoient un juge unique, les jugements des tribunaux de commerce sont rendus par des juges
statuant en formation collégiale ».
381
Article L 1421-1 al. 2 C. trav.
382
Article L 1421-2 al. 1 et 2 C. trav.
89
107. La formation collégiale de la juridiction prud’homale s’avère particulièrement atypique en
comparaison avec la juridiction consulaire pour trois raisons. Elle fait appel à un juge professionnel
tout en ne généralisant pas son intervention. Elle implique la réunion de conseillers ayant des
qualités opposées. Enfin, elle nécessite de recourir à un nombre pair de juges, mais c’est une
nouvelle fois son paritarisme qui est à l’origine de difficulté supplémentaire, ou plutôt, qui est un
argument de préservation de la collégialité s’agissant de son organisation. En effet, attribuer le
pouvoir de juger à un juge unique aussi bien au tribunal de commerce qu’aux prud’hommes tout
en gardant la particularité consistant à faire intervenir un juge non professionnel ne paraît pas
envisageable. Il est vrai que devant le tribunal de commerce, sa mise en place ne serait pas
compliquée étant donné que tous ses membres possèdent la même qualité. Ce serait donc
forcément un commerçant. La difficulté tiendrait au fait qu’il n’aurait pas les compétences
juridiques nécessaires. En son absence, c’est la collégialité qui permet d’aboutir à une décision
cohérente grâce aux échanges qu’elle suscite. C’est elle qui conforte la confiance des justiciables.
Le même constat peut être effectué avec la juridiction prud’homale alors qu’il s’y rajoute une
problématique supplémentaire. S’il fallait choisir un juge unique, aurait-t-il la qualité d’employeur
ou de salarié ? Compte tenu de ces constatations, le maintien de la collégialité dans ces juridictions
est nécessaire d’autant plus qu’aujourd’hui, tous les juges uniques de la procédure civile sont des
professionnels du droit. A l’inverse, son intervention ferait l’objet de contestations. Outre le
maintien de ces collégialités, d’autres pourraient aussi être consolidées.
108. Les contraintes matérielles relatives à la collégialité des juridictions en procédure civile ne
sont actuellement pas assez importantes au point qu’elles dissuadent de recourir à ce mode
d’organisation. Au contraire, un mouvement de consolidation des collégialités est perceptible
puisque des réformes ou des projets de réformes récents la concerne encore. Si cette consolidation
a parfois été concrétisée (A), elle est cependant dans certains cas encore souhaitée (B) afin qu’elle
s’inscrive dans la durée.
109. Au premier degré, la création d’une collégialité avec le bureau de conciliation et d’orientation
aux prud’hommes (1) résulte de la trente-quatrième proposition du rapport sur « l’avenir des
90
juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle »383. Elle a été retranscrite
au sein de l’article L 1454-1-3 du Code du travail, transposé par une loi de 2015384, plus
familièrement connue sous l’appellation de loi Macron. Au second degré, la réforme de la
procédure d’appel en matière civile (2) a aussi permis de consolider l’efficacité385 et l’autorité des
cours d’appels.
110. Avant cette réforme, si une partie ne comparaissait pas devant ce bureau de conciliation, ce
dernier ne pouvait juger l’affaire, ce qui faisait perdre un temps considérable et était parfois utilisé
à des fins dilatoires. Désormais, dans pareille hypothèse, « le bureau de conciliation et d’orientation peut
juger l’affaire, en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués. Dans ce
cas, le bureau de conciliation et d’orientation statue en tant que bureau de jugement dans sa composition
restreinte »386. Cette composition restreinte fait intervenir un conseiller prud’hommes salarié et un
conseiller prud’hommes employeur387 afin de préserver son identité. Bien que sa mission de
conciliation soit préservée388, la séparation entre les différentes phases de procédure qui existait
jusqu’alors au sein de la juridiction prud’homale n’est plus aussi marquée. Il y a eu par cet apport
la création d’une collégialité puisque ses membres prennent une décision de manière indépendante
sur l’affaire elle-même sans qu’elle ne soit limitée par exemple, à ses aspects procéduraux.
Si le plus souvent la collégialité implique de recourir à un nombre impair de juges, la parité a
une nouvelle fois été retenue, apportant là encore, une particularité au sein de la procédure civile.
Cette spécificité ne s’arrête pas là puisque le conseil de prud’hommes fait intervenir deux
formations collégiales, toutes deux paritaires, mais différentes quant à leurs compositions. Une est
composée de deux membres, tandis que l’autre en comprend quatre.
383
A. LACABARATS, P. FLORES et D. PONS, L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle, Rapport à
Madame la garde des Sceaux, ministre de la Justice, juill. 2014, p. 72.
384
Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, JORF n° 0181 du 7 août 2015 p. 13537,
texte n° 1, chapitre II : droit du travail, section 1 : justice prud'homale, article 258.
385
Selon Monsieur Urvoas, la « vision traditionnelle française de l’appel « voie d’achèvement » a sans aucun doute participé à la hausse déraisonnable
du contentieux » : J-J. Urvoas, « Lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice. Partageons une ambition pour la justice »,
Dalloz, 18 avril 2017, p. 12.
386
Article L 1454-1-3 C. trav.
387
L’article L 1423-13 C. trav.
388
Article L 1454-1 C. trav.
91
Comme il l’a justement été souligné au sein du rapport présidé par Monsieur Lacabarats, la
reconnaissance de ce pouvoir permet de renforcer l’autorité de la juridiction prud’homale389. Il est
vrai que ces conseillers redeviennent les maîtres de la procédure en n’étant plus soumis au bon
vouloir des parties. Au regard de la note contenue sous l’article L 1454-1-3 du Code du travail, les
conseillers du bureau de conciliation et d’orientation ne pourront statuer sur le fond de l’affaire
que pour les instances qui ont été introduites à compter de la publication de la loi du 6 août 2015.
Cet apport permet de mettre en exergue la volonté de pérenniser cette collégialité atypique en
améliorant son efficacité.
Une autre collégialité a été améliorée, cette fois au second degré, comme l’illustre la réforme de
la procédure d’appel.
111. La conception de l’appel en procédure civile n’a pas toujours été la même. Historiquement,
du Moyen-Age jusqu’au nouveau code de procédure civile, l’effet dévolutif390 était relatif puisqu’il
reposait sur le principe de l’immutabilité du litige391. Cet effet a ensuite pris une autre tournure
pour revêtir non plus un caractère relatif mais absolu. Il était alors repris par les magistrats du
second degré les mêmes éléments qu’en première instance. Cette modification était justifiée par la
reconnaissance de pouvoir invoquer des faits nouveaux en cause d’appel392 afin de s’adapter à une
potentielle évolution du litige. Autrement dit, « on ne se contente pas de « tout rejuger », mais on rejuge aussi
« pour le tout », en tenant compte de l’évolution du litige »393. Dans cette conception, « les deux éléments qui
permettent d’améliorer en appel la qualité de la décision sont, d’une part, la qualité du décideur, d’autre part, la
qualité des débats. Sur la qualité du décideur, le justiciable sait qu’en appel, il peut compter, en principe, sur une
collégialité renforcée, sur des juges professionnels et sur des juges d’expérience, cette dernière, source de discernement.
Sur la qualité des débats en appel, il faut partir de la formule de Motulsky qui écrivait dès 1953 que « le juge
d’appel n’est pas un censeur, il doit juger les affaires et non les jugements » […]. Ce qui fait la qualité du débat en
appel, ce n’est pas qu’une cour se fasse juge d’une décision de première instance, c’est bien plutôt que l’existence de
389
A. LACABARATS, P. FLORES et D. PONS, L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle, op. cit. p. 72.
390
L’effet dévolutif consiste à ce que les conseillers de la Cour d’appel réexaminent toute l’affaire qui leur est soumise, c’est-à-dire
en fait et en droit : S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, 25e éd., Dalloz, 2017-2018, p. 455.
391
Le principe d’immutabilité du litige trouve son fondement dans l’article 4 du Code de procédure civile. Il dispose que « l’objet du
litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense.
Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».
392
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 137.
393
Ibid. p. 138.
92
cette décision étend le champ de contradiction et permet, de ce fait, d’en accroître l’efficacité […]. Nous savons que
sur une question litigieuse, la pluralité des points de vue et des échanges constitue l’unique méthode pour approcher
l’exactitude, sinon la vérité. Précisément, en appel, le juge et les parties disposent d’un point de vue supplémentaire,
et pas n’importe lequel, celui du juge de première instance »394. La portée de l’effet dévolutif a été sujet à
débats. Comme il est rappelé au sein du rapport dirigé par Monsieur Garapon, l’appel doit demeurer
un « point d’équilibre entre la protection des droits individuels et la satisfaction de l’intérêt général »395. Ce point
d’équilibre est la pierre angulaire du bon fonctionnement de l’appel. Cette expression et cette
nécessité se retrouvent d’ailleurs au sein du rapport présidé par Monsieur Delmas-Goyon396. Or,
force est de constater que la dévolution absolue de l’appel est source de déséquilibre car elle favorise
davantage les droits individuels. La problématique est que l’effet dévolutif absolu « conduit
nécessairement à rejuger l’affaire et non à juger le jugement »397. Par ricochet, cette reconnaissance vient
amoindrir l’autorité de la chose jugée de première instance398 bien que les juges du premier et
second degré ne connaîtront pas véritablement le même litige, des éléments nouveaux pouvant s’y
ajouter. D’autres inconvénients399 cette fois dans une approche plus générale viennent s’ajouter
aux précédents. Le premier est que les justiciables peuvent systématiquement faire appel, ce qui a
pour répercussion de fragiliser l’autorité des juges de première instance. Le second est étroitement
lié au premier puisqu’il vient déconsidérer l’autorité des cours d’appels, compte tenu du fait qu’elles
se trouvent être automatiquement accessibles aux parties.
112. Un des apports de la récente réforme de la procédure d’appel en matière civile400 consiste à
reconnaître que l’appel ne porte plus nécessairement sur l’ensemble de l’affaire401. Dès lors, l’effet
dévolutif est aujourd’hui principalement relatif puisque ce dernier peut porter sur quelques points
précis du jugement. Par cette reconnaissance, la collégialité est consolidée car elle ne sera plus
systématiquement accessible ce qui renforce son autorité. De même, les échanges lors du délibéré
seront plus constructifs car ils porteront sur des éléments déterminés. Ce remaniement de la
394
X. LAGARDE, « L’achèvement du procès, principale utilité de l’appel », op. cit., p. 13.
395
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 136.
396
P. DELMAS-GOYON, F. BOBILLE, J-F. BOHNERT et alii, « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p. 89.
397
« La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les actes du débat national, op. cit., p. 111.
398
Ibid. p. 112.
399
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 134.
400
Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile.
401
Afin de bénéficier de plus amples informations concernant la réforme de la procédure d’appel se reporter notamment à : T.
ANDRIEU, « La réforme de la procédure d’appel », Gaz. Pal., Lextenso, n° 37, 31 oct. 2017, p. 45.
93
conception de l’appel avait notamment été proposé au sein du rapport sur « La prudence et l’autorité,
l’office du juge au XXIème siècle ». Il ressortait que l’effet dévolutif doit « retrouver son caractère relatif et ne
dénoncer et réformer que le mal jugé, condition d’une restitution aux premiers juges de leur plein office »402. Cette
volonté de remanier la procédure d’appel se retrouvait seulement sept mois après dans le rapport :
« Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice ». A la lecture de sa proposition 31, il
convenait de « redonner à l’appel civil sa fonction première portant sur la critique de la décision de première
instance mais assortir ce principe de dispositions permettant d’assouplir sa mise en œuvre ». Il était en outre
proposé d’instaurer une formation des recours qui serait collégiale. Elle serait comprise dans chaque
cour d’appel et serait compétente pour répondre aux situations dans lesquelles il y aurait une
évolution du litige pendant l’instance d’appel. Cette formation aurait pour mission d’autoriser
l’invocation de nouveaux fondements par les parties. Elle aurait aussi compétence après la mise en
place d’un débat contradictoire de déclarer un appel irrecevable403. Il y aurait donc un dialogue avec
les magistrats404 afin de juger l’opportunité des demandes. Les conséquences importantes
rattachées à ces décisions justifiaient qu’elles relèvent d’une collégialité.
113. Procéduralement, conformément à l’article 562 du Code de procédure civile, « l’appel défère à
la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution
ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ».
L’expression de chefs de jugement qu’il critique expressément n’est pas définie par la doctrine. Elle
« vise le dispositif de la décision entreprise »405. Elle permet d’établir que l’appelant doit fonder ses
arguments sur des chefs de jugement précis dans sa déclaration d’appel. Si tel n’est pas le cas, la
sanction est sévère puisqu’elle correspond à la nullité406. De manière schématisée cela revient à
demander « quel est le point de la sentence du premier juge que vous contestez ? Argumentez. » Telle devrait être
la question posée par le juge d’appel à l’appelant »407. Cette référence à la critique se rencontre à nouveau
au sein de l’article 542 du Code de procédure civile selon lequel « l’appel tend, par la critique du jugement
rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel ». Cette
délimitation est aussi perceptible aux termes du second alinéa de l’article 561 du Code sus cité qui
établit qu’il « est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées (…) ».
402
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 141.
403
P. DELMAS-GOYON et al., « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., proposition n° 37, p. 90.
404
Ibid.
405
« Les nouvelles exigences rédactionnelles de la déclaration d’appel, fiche n° 2 », n° 37, Gaz. Pal. Lextenso, 31 oct. 2017, p. 79.
406
Article 901, 4° CPC.
407
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 142.
94
114. Ce remaniement n’emporte néanmoins pas toutes les faveurs. Certains considèrent qu’il ne
permettrait pas une meilleure gestion des flux, et qu’il pourrait y avoir des répercussions négatives
aussi bien sur la qualité de la justice que sur la confiance qu’on devrait lui accorder408. A notre sens,
au contraire, revoir uniquement le mal jugé est source de célérité tout en insistant sur la qualité de
la décision puisqu’il sera revu des points précis. Enfin, la confiance des justiciables est préservée
puisqu’ils sont écoutés quand bien même leur litige n’est pas revu dans sa totalité.
115. Afin de consolider la collégialité, par souci d’efficacité, de clarté mais aussi afin d’éviter les
débats relatifs à l’impartialité du juge de la mise en état, d’aucuns considèrent que l’attribution de
sa mission pourrait être confiée à un autre intervenant judiciaire. Des propositions de réforme
appellent en effet à une révision du rôle des greffiers (1). Cette idéologie consistant en une
délégation de compétence, si elle est ici totale, s’avère dans certaines hypothèses seulement partielle.
Ainsi, pour ne pas que la justice devienne « isolationniste », les rédacteurs du rapport sur « La
prudence et l’autorité, l’office du juge au XXIème siècle » ont proposé « de stimuler la collégialité dans
les juridictions, d’entourer le juge d’une équipe »409. Cette idée a été reprise au sein des actes du débat
national sur la justice du 21ème siècle où il ressortait « la nécessité de renforcer le collectif dans les juridictions »
ce qui « invite à sortir de l’artisanat, de l’individualisme, dans l’acte de juger »410. Cette volonté de favoriser
le travail d’équipe s’analyse comme une résonnance du principe de collégialité en sachant que le
coût de ces formations pluripersonnelles serait moins élevé que des collégialités classiques411.
L’adjonction d’autres intervenants permettrait là encore, de consolider la collégialité en la rendant
d’autant plus performante. Dès lors, il convient pour ses partisans de réviser le rôle des assistants
du juge (2).
408
CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, Assemblée générale des 7 et 8 octobre 2016, Rapport d’information, Réforme de la procédure d’appel et
réforme de la Cour de cassation, p. 6.
409
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 78.
410
« La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les actes du débat national, op. cit., p. 473.
411
L. BELFANTI, « La création des juristes assistants : entre utilité et questionnements », Gaz. Pal., Lextenso, no 20, 5 juin 2018, p.
10.
95
1. La révision du rôle des greffiers
116. Une proposition récurrente consiste à repenser le rôle des greffiers. L’objectif n’est pas « de
déjudiciariser, mais de déjuridictionnaliser »412. Autrement dit, l’idée ne consiste pas à éviter que le
traitement d’une affaire soit porté devant un tribunal, mais il s’agit qu’elle relève de la compétence,
non plus des juges, mais d’un autre intervenant judiciaire. Cette réorganisation permettrait
d’améliorer l’efficacité des tribunaux puisqu’ils pourront se concentrer sur l’essentiel, à savoir, la
prise de décision413. Pour ce faire, il était préconisé de créer une fonction de maître de procédure414.
Le greffier serait « responsable de procédure, c’est-à-dire chargé de piloter ces procédures, d’en administrer le flux,
d’en vérifier la régularité et de référer au juge les cas posant difficulté au terme d’un accord préalable passé avec
lui »415. Cette idéologie s’inspire du modèle allemand qui connaît déjà cette organisation par le biais
du Rechtspfleger416. La révision de son rôle était aussi partagée par le groupe de travail présidé par
Monsieur Marshall qui reconnaît que « les greffiers et les greffiers en chef, ont pour un grand nombre d’entre
eux un bagage universitaire leur permettant d’assurer des tâches plus complexes et de prendre des responsabilités plus
importantes. C’est une chance que l’institution judiciaire doit saisir »417.
117. Cette conception était partagée et – approfondie – dans le rapport présidé par Monsieur
Delmas-Goyon. L’attention se porte sur les suggestions qui y étaient émises en matière civile. Elles
sont contenues au sein de sa quarante-sixième proposition418. Ce greffier remplirait des fonctions
qui iraient au-delà d’une appréhension uniquement procédurale, ce qui permettait au groupe de
travail de rejeter la qualification de maître de procédure au profit de celle de greffier juridictionnel.
Il serait chargé de la mise en état des affaires civiles à l’exception des incidents relatifs à la matière
contentieuse. Cette fonction permettrait de rendre plus claire la scission entre la phase d’instruction
et de jugement en matière civile. Par ailleurs, son opportunité se justifie par sa finalité car elle
permettrait de soulager les juges puisqu’ils ne connaîtraient plus les problématiques procédurales
de l’affaire. Il est également reconnu que ce greffier pourrait relever d’office les irrecevabilités
412
L. RASCHEL, « Les métamorphoses de l’office du juge », op. cit.
413
J-Y. LE BOUILLONNEC, Sur le projet de loi de finances pour 2015, t. VIII Justice, justice administrative et judiciaire, n° 2267, Assemblée
nationale, 9 oct. 2014, p. 25.
414
GARAPON et al., « La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle ». op. cit., p. 82.
415
Ibid.
416
MISSION DE RECHERCHE DROIT ET JUSTICE, L’évolution des métiers de la justice en France et en Europe, p. 8.
417
D. MARSHALL, R. BOMETON, A. CARON-DEGLISE et alii, « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et
proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux métiers de la justice, op. cit. p. 30.
418
P. DELMAS-GOYON et al., « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p. 22.
96
manifestes, ce qui permettrait de gagner du temps. Ensuite, il pourrait soulever d’office les
incompétences territoriales, à l’exception des affaires impliquant des commerçants. A ce titre, il
aurait notamment pour mission d’indiquer aux justiciables quelle est finalement la juridiction qu’ils
devraient saisir, ce qui éviterait aussi bien des lenteurs de procédure que l’exercice de manœuvres
dilatoires. Si d’aucuns ne contestaient pas qu’il connaisse la mise en état des affaires civiles, son
intervention quant à l’incompétence territoriale était davantage discutée. Certains y voyaient une
confusion des rôles ou assimilaient cette prérogative à une décision venant trancher un litige, alors
que cette mission appartient aux juges419. Or, l’incompétence et la réorientation des parties vers
une autre juridiction n’a pas pour objectif d’apporter une solution au fond. Elle s’inscrit dans une
continuité procédurale. D’autres propositions consistaient à ce que le greffier juridictionnel puisse
avoir recours à un entretien initial. Tel serait le cas concernant les litiges familiaux. Cette
compétence serait ensuite élargie à d’autres affaires relevant du domaine civil. L’objectif consisterait
à favoriser les accords entre les parties, à améliorer l’écoute, donc à faciliter la mise en état du litige
s’il y a lieu. Cette instauration permettrait d’améliorer « la qualité de la justice de première instance »420.
Le greffier juridictionnel pourrait aussi homologuer les décisions en matière gracieuse. Une autre
de ses prérogatives consistait à ce qu’il puisse assister au délibéré afin d’aider les magistrats à
formaliser leur décision. Nous ne sommes cependant pas favorables à cette proposition au regard
du secret du délibéré421. En effet, « les magistrats y sont, pour le plus grand nombre, aussi viscéralement
attachés que les médecins au secret médical, les avocats au secret professionnel, et les journalistes au secret des sources.
C’est bien parce que le délibéré est sanctuarisé que la parole est libre et les échanges parfois vigoureux »422.
L’admission de ces pouvoirs nécessiterait « de modifier son statut pour accroître son indépendance
fonctionnelle »423. Néanmoins, l’instauration du greffier juridictionnel n’a pas vu le jour en dépit de
l’attente des greffiers qui y voyaient une reconnaissance de leur fonction424 du fait de leur
enrichissement425. Si cette introduction pourrait être opportune, elle n’est pas impérative. Par
419
Cette réticence est aussi partagée au sein de l’article de J-M. HAYAT, « Le point de vue d’un chef de juridiction », Gaz. Pal.,
Lextenso, 11 mars 2014. L’auteur ajoute que le fait de simplement pouvoir assister au délibéré sans pouvoir y participer serait
frustrant pour les greffiers.
420
P. DELMAS-GOYON et al., « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p. 33.
421
M-J. ODY, « Le juge du 21ème siècle : un souffle qui n’évitera pas l’asphyxie », Gaz. Pal. Lextenso, 11 mars 2014.
422
HAYAT, « Le point de vue d’un chef de juridiction », op. cit.
423
DELMAS-GOYON et al., « “Le juge du 21ème siècle”, un citoyen acteur, une équipe de justice »., op. cit., p. 110.
424
C. FLEURIOT, « Madame Taubira veut-elle aller vers un greffier juridictionnel ? », Dalloz actualité, 3 mars 2014.
425
F. MARC et E. HERVE, Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales (seconde partie de la loi de finances), annexe n° 17, Justice, n°
156, Sénat, 21 nov. 2013, p. 29.
97
contre, une révision du rôle des assistants de justice pourrait d’ores et déjà s’effectuer, leur mise en
place étant plus aisée.
118. Dans un même temps, des propositions ont été émises afin de revoir le rôle des assistants
de justice. Monsieur Cadiet reconnaissait qu’ils sont « un vecteur très intéressant de dialogue, d’apport
mutuel entre l’université et l’institution judiciaire »426. Les auteurs du rapport sur « La prudence et
l’autorité, l’office du juge au XXIème siècle » suggèrent de distinguer trois fonctions qui leur
seraient accordées. Leur première mission consisterait pour les affaires complexes à préparer les
dossiers en notant les difficultés qui pourraient s’y rapporter. Dans les affaires simples, ils
rédigeraient la décision afin de gagner du temps. Cette fonction serait dévolue aux avocats venant
d’obtenir leur certificat d’aptitude à la profession d’avocat ou à des étudiants en master 2. Dans la
pratique, il arrive que les assistants de justice remplissent déjà ce rôle. La deuxième mission
consisterait à analyser la jurisprudence afin d’en dégager une tendance dans un type de contentieux
précis. Il est proposé par ledit groupe de faire appel à des étudiants chercheurs. La troisième mission
consisterait en la présence d’auditeurs de justice permanents afin d’apporter leur soutien dans les
affaires les plus complexes. Ces trois solutions permettraient aux magistrats, aux avocats et aux
universitaires de travailler ensemble427. La coopération des juges avec d’autres membres est
également reprise au sein du rapport sur « Les juridictions du XXIème siècle ». Il est en effet avancé
que « cette organisation plus collective contribuerait certainement à une justice de meilleure qualité et économiquement
mieux équilibrée »428. Un parallélisme est à établir avec une proposition contenue au sein du rapport
dirigé par Monsieur Delmas-Goyon. Elle consistait à promouvoir le travail d’équipe en renforçant
la réflexion collective par l’enrichissement de la collégialité. Pour ce faire, aux termes de la
proposition numéro 44 il était proposé de « recruter des juges en service extraordinaire au sein des facultés de
droit et leur permettre, tout en poursuivant leurs activités universitaires, de compléter les formations collégiales de
jugement, sans y être majoritaires, pour enrichir la collégialité dans les affaires complexes »429. Il apparaît une
idée récurrente, à savoir, que la complexité d’une affaire nécessite de recourir à plusieurs opinions.
L’apport de ces assistants de justice seraient aussi bénéfique pour les juges uniques. Cette aide
permettrait finalement de créer une sorte de collégialité. Ce ne serait pas une collégialité à
426
« La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les actes du débat national, op. cit., p. 167.
427
GARAPON et al., « La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle »., op. cit., p. 84.
428
op. cit., p. 31.
429
P. DELMAS-GOYON et al., « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p. 101.
98
proprement dite parce que le juge unique prendrait la décision en son nom. Par contre, il ne serait
plus seul à appréhender le litige.
119. Récemment, la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle a intégré une nouvelle
disposition au sein de l’article L 123-4 du Code de l’organisation judiciaire concernant les juristes
assistants. Ils peuvent intervenir auprès de plusieurs juridictions que ce soit dans certaines du
premier degré, que celles du second ou de la Cour de cassation. Ces fonctions sont ouvertes aux
doctorants ou aux personnes justifiant d’une formation juridique d’au moins cinq ans après
l’obtention du baccalauréat et bénéficiant de deux ans d’expérience professionnelle dans le domaine
juridique. Les juristes assistants sont nommés à temps partiel ou complet pour effectuer un service
de trois ans, renouvelable une fois. Ils « contribuent par leur expertise, en matière civile […] à l’analyse
juridique des dossiers techniques ou comportant des éléments de complexité qui leur sont soumis par les magistrats
sous la direction desquels ils sont placés. Ils ne participent ni à la procédure ni aux audiences. Ils ne peuvent assister
aux délibérés »430. Là encore, la technicité et la complexité d’une affaire nécessite l’adjonction d’une
personne supplémentaire ce qui permet de faire écho à la collégialité. Cette formation est d’ailleurs
implicitement assimilée à une bonne administration de la justice.
430
Article R 123-30 COJ.
99
Section 2 - L’assimilation implicite de la collégialité à une bonne
administration de la justice
121. La collégialité en procédure civile fait l’objet d’une timide admission textuelle reconnaissant
sa supériorité. Elle apparaît comme une formation nécessaire à la bonne administration de la justice
(A) en sachant qu’elle est reconnue comme une formation de qualité (B). En d’autres termes, « les
échanges qu’elle permet sont la source d’un enrichissement de la décision dont ils garantissent la qualité. En assurant
la transmission à des magistrats moins expérimentés des connaissances acquises par leurs collègues plus spécialisés,
la collégialité est également de nature à réduire la déperdition de connaissances liée à la forte mobilité géographique
des magistrats, et à accroître corrélativement leurs compétences juridiques »435.
431
Pour plus d’informations : A. MEYNAUD, La bonne administration de la justice et le juge administratif, mémoire, Université Panthéon-
Assas, Master de Droit public approfondi.
432
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème Ed., coll. PUF, Quadrige, 2014, p. 134.
433
S. RENAUD, « Amélioration de la qualité de la justice : difficultés théoriques et pratiques », cahiers de méthodologie juridique,
"Justice et qualité", RRJ, PUAM, 2002, n° 17, p. 2213.
434
M-A. Frison-Roche, « Réforme de la justice : “il faut libérer le juge du politique” », Petites affiches, Gaz. Pal., no 42, 8 avril 1998,
p. 4.
435
F. AGOSTINI et al., « Chantiers de la Justice, Amélioration et simplification de la procédure civile », op. cit., p. 34.
101
A. La formation collégiale nécessaire à une bonne administration de la justice
122. « Parmi les règles et principes de fonctionnement de la justice destinés à garantir une « bonne administration »
de celle-ci, ne faut-il pas également compter la collégialité ? »436. Plusieurs fondements permettent de
répondre affirmativement à cette interrogation. D’abord, la formation collégiale est reconnue
comme un palliatif de la sanction disciplinaire des juges uniques (1). Ensuite, une affaire peut être
renvoyée à la collégialité (2) ce qui permet d’assurer une bonne administration de la justice puisque
face à une difficulté, l’affaire sera tout de même traitée, en sachant que l’opinion de plusieurs juges
favorise une meilleure compréhension du dossier. Enfin, la collégialité s’assimile à une bonne
administration de la justice du fait de la possibilité reconnue à la Cour de cassation de statuer au
fond par l’article L 411-3 alinéa 2 du Code de l’organisation judiciaire (3).
124. L’article 45 de l’ordonnance susvisée énumère les sanctions disciplinaires pouvant être
prononcées à l’encontre d’un juge. Elles sont au nombre de sept. Par exemple, le juge peut
connaître un blâme avec inscription au dossier. Le blâme correspond à une sanction « de gravité
moyenne, se situant après l’avertissement et avant la suspension et la radiation (destitution ou révocation) »438.
Une autre sanction plus sévère se rapporte directement au mode d’organisation des
juridictions puisqu’il peut être prononcé à l’encontre d’un juge « l’interdiction d’être nommé ou désigné
dans des fonctions de juge unique pendant une durée maximum de cinq ans »439. Si les fonctions de juge unique
436
C. PARISI, « L’extension du système de juge unique en Europe », op. cit., p. 660.
437
Ordonnance n° 58-1270, 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
438
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 121.
439
Ordonnance n° 58-1270, 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, op. cit., article 45 alinéa 3 bis.
102
sont ici prohibées, aucune disposition n’a vocation à interdire à un juge d’appartenir à une
formation collégiale. La durée maximale d’interdiction d’occuper les fonctions de juge unique est
de cinq ans ce qui signifie qu’elle peut être moindre. Plusieurs situations sont concernées. Elle va
d’une part permettre « d’empêcher les nominations aux fonctions judiciaires exercées à juge unique, tout comme,
d’autre part, prohiber les désignations par les présidents de tribunaux de grande instance dans des fonctions judiciaires
de juge unique pour l’exercice de fonctions à compétence spécialisée [juge de l’exécution], ainsi que l’exercice de fonctions
dans une formation de jugement à juge unique [le président du tribunal de grande instance décide de ne pas soumettre
une affaire simple à la formation collégiale]»440. Le prononcé de cette mesure témoigne une certaine perte
de confiance à l’égard du juge concerné puisqu’il ne pourra plus statuer seul. Cette perte de
confiance n’est cependant pas absolue puisqu’il pourra continuer d’exercer ses fonctions au sein
d’une collégialité. Cette sanction permet donc - d’imposer - « la collégialité à des magistrats qui se sont
montrés inaptes aux fonctions de juge unique »441. Dans la continuité de cette affirmation, « écarter un
magistrat de l’exercice de fonctions à juge unique, pour l’avenir et pour une durée déterminée, est nécessaire lorsque
les fautes disciplinaires commises établissent la nécessité qu’il exerce ses fonctions au sein d’une formation
collégiale »442.
125. Une décision443 apportée par le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil
de discipline des magistrats du siège permet d’établir que cette sanction n’est pas hypothétique. Il
a ainsi été prononcé une interdiction d’exercer les fonctions de juge unique pendant une durée de
cinq ans assortie d’une sanction de déplacement d’office à l’encontre d’un juge du tribunal de
grande instance. Il était notamment reproché à ce dernier, M.X, des retards importants concernant
la gestion des affaires qui lui étaient soumises. Selon le Conseil supérieur de la magistrature,
« l’attitude de M.X dans le traitement de ses dossiers dénote une absence totale d’organisation dans son travail et
une inaptitude à établir des priorités dans les tâches qui lui incombent ». Son comportement témoignait « une
insuffisance professionnelle caractérisée, de nature à perturber le fonctionnement de la juridiction et à altérer l’image
de la justice ». L’interdiction d’exercer les fonctions de juge unique permet de concrétiser les
avantages reconnus à la collégialité comme l’argument consistant à reconnaître qu’elle permet un
autocontrôle de ses membres. En effet, sa composition pluripersonnelle va permettre de
contrecarrer le comportement antérieurement fautif d’un juge. Elle revêt aussi un aspect
pédagogique car elle permet d’accompagner les juges pour accomplir leur mission juridictionnelle.
440
J. JOLY-HURARD, La déontologie du magistrat, 3e éd., Connaissance du droit, Dalloz, 2014, p. 159.
441
Ibid.
442
J-D. BREDIN, « La responsabilité des juges », Académie des sciences morales et politiques, 6 novembre 2006.
443
CSM, 23 décembre 2009, S 173.
103
En reprenant la décision précitée, si M.X connaissait certaines lacunes d’organisation, la collégialité
devrait remédier à cette carence. Une collégialité permet donc de s’inscrire dans une bonne
administration de la justice. Monsieur Magendie avait même imposé la mise en place d’au « moins
une audience collégiale par semaine » dans la juridiction parisienne où il exerçait ses fonctions compte
tenu de son rôle fondamental444.
126. Certains se sont interrogés sur cette sanction. Voudrait-elle dire que la fonction de juge
unique est supérieure à celle d’une collégialité puisque cette dernière peut être imposée à titre de
sanction disciplinaire ?445. La réponse à cette question est infirmative, au contraire, l’imposer
retranscrit sa supériorité. D’autres « se sont interrogés sur l’opportunité de cette mesure qui risquait d’accentuer
le mouvement de dévalorisation de la collégialité en affaiblissant son crédit »446. Là encore, de façon imagée, la
collégialité s’assimile ici à un remède puisqu’elle permet de venir soigner les comportements fautifs.
Son pouvoir est tel qu’elle peut comprendre un juge qui a manqué à ses devoirs. Par conséquent,
« la collégialité constitue la garantie d’une bonne administration de la justice »447.
127. Afin de matérialiser un peu plus le volet disciplinaire, un graphique448 vient mettre en
exergue plusieurs éléments concernant le prononcé de ces sanctions à l’encontre des magistrats du
siège. Sur une période de cinquante ans, à savoir de 1960 à 2010, le déplacement d’office était la
plus prononcée. Elle représentait quarante-cinq sanctions. La seconde correspondait au retrait de
certaines fonctions. Pour celle-ci, vingt-trois sanctions avaient été émises (soit deux fois moins que
pour la première). La troisième mesure la plus prononcée était la mise à la retraite d’office. Elle
avait été le fondement de seize sanctions. Pour reprendre le cas de l’interdiction de siéger en tant
que juge unique, seulement deux sanctions avaient été prononcées (soit quarante-trois de moins
que la sanction la plus usitée). Ce qui est révélateur dans cette répartition, c’est que les sanctions
extrêmes sont davantage prononcées que celles qui se voudraient être intermédiaires449.
444
J-C. MAGENDIE, « L’efficacité au service de la justice civile », Gaz. Pal., Lextenso, n° 331, 27 nov. 2007, p. 23.
445
J-D. BREDIN, « La responsabilité des juges », op. cit.
446
J-J. HYEST, Projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, chapitre II "dispositions relatives
à la discipline", rapport n° 176, 24 janvier 2007.
447
C. PARISI, « L’extension du système de juge unique en Europe », op. cit., p. 660.
448
M. LE POGAM, Le Conseil supérieur de la magistrature, coll. Droit et professionnels, institutions, LexisNexis, 2014, p. 58.
449
Ibid. p. 56.
104
Outre cette faculté de réorienter un juge unique ayant manqué à ses devoirs, la collégialité
permet une bonne administration de la justice puisqu’un juge unique pourra par exemple, renvoyer
une affaire à cette composition en cas de difficultés.
128. La faculté de renvoyer une affaire est reconnue à plusieurs juges uniques appartenant au
tribunal de grande instance comme le juge aux affaires familiales. A cette fin, l’article L 213-4 du
Code de l’organisation judiciaire énonce que « le juge aux affaires familiales peut renvoyer à la formation
collégiale du tribunal de grande instance qui statue comme juge aux affaires familiales. Ce renvoi est de droit à la
demande des parties pour le divorce et la séparation de corps. La formation collégiale comprend le juge qui a ordonné
le renvoi ». L’expression « ce renvoi est de droit » permet de l’imposer lorsque les parties en font la
demande. En conséquence, il peut aussi bien être demandé par le juge unique que par les
justiciables. Ainsi, « c’est toute la formation collégiale du tribunal qui devient juge aux affaires familiales ; pire
ou mieux qu’un caméléon, le juge aux affaires familiales change ainsi de nombre sans changer de nom, pour d’unique
devenir plusieurs et un seul à la fois »450. S’adjoint à cela que « les décisions relatives au renvoi à la formation
collégiale sont des mesures d’administration judiciaire »451. Cette disposition s’inscrit dans la logique
puisqu’elle permet soit de gagner du temps face à une difficulté, soit de satisfaire la volonté des
plaideurs. Toujours au sein du tribunal de grande instance, le juge de l’exécution, autre juge
spécialisé, dispose lui aussi de la faculté de renvoyer une affaire à une formation collégiale et d’y
siéger452. Cette décision est également assimilée à une mesure d’administration judiciaire453 en
sachant que le terme de juge permet ici encore de regrouper plusieurs personnes en une. Ces
dispositions illustrent le fait que des juges spécialisés peuvent connaître des difficultés de traitement
d’une affaire alors qu’ils possèdent des connaissances approfondies sur une thématique. Par voie
de conséquence, il convient de maintenir la collégialité des juridictions qui s’avère être une nouvelle
fois un palliatif aux juges uniques. Le fait que ces nouvelles formations comprennent le juge auteur
du renvoi permet de revêtir une fonction pédagogique car la collégialité lui permettra de
comprendre le litige. Ensuite, cette reconnaissance permet de ne pas lui faire trop offense. Il
pourrait être difficile pour un juge spécialisé d’admettre qu’il connaît des difficultés au point qu’il
soit définitivement évincé d’un dossier.
450
V. LARRIBAU-TERNEYRE, « Le juge aux affaires familiales », D., 1994, p. 141.
451
Article R 213-9 COJ.
452
Article L 213-7 COJ.
453
Article R 213-12 COJ.
105
129. Le juge des référés, juge unique particulier, a aussi « la faculté de renvoyer l’affaire en état de référé
devant la formation collégiale de la juridiction à une audience dont il fixe la date »454. « S’il renvoie devant la
collégialité, c’est toutefois en état de référé. On ne passe pas du provisoire au fond du seul fait de la réintroduction de
la pluralité de juges ! »455. - Il ressort qu’une formation collégiale peut être exceptionnellement amenée
à prononcer une décision provisoire malgré son coût de fonctionnement -.
Une modification attenante à la plus haute collégialité de la procédure civile, permet une
nouvelle fois de s’inscrire dans une bonne administration de la justice.
130. La loi du 18 novembre 2016 « de modernisation de la justice du XXIème siècle »456 est venue
apporter des modifications relatives à la Haute juridiction au sein de ses articles 38 à 43. Si la Cour
de cassation était traditionnellement considérée comme étant la gardienne de la bonne
interprétation du droit, ses prérogatives se sont vues élargies. A la lecture de ses articles 38 et 39
dont le premier a été retranscrit au sein de l’article L 411-3 alinéa 2 du Code de l’organisation
judiciaire, il ressort qu’en matière civile, les magistrats du quai de l’Horloge peuvent « statuer au fond
lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ». Cette reconnaissance permet cette fois
d’admettre - explicitement - qu’une juridiction collégiale s’inscrit dans une bonne administration de
la justice. Quant à son application procédurale, il convient notamment de se reporter à l’article 1015
du Code de procédure civile dans lequel il ressort par exemple, que les parties au litige peuvent être
amenées à communiquer tout élément qui pourrait être utile à la prise de décision. Pour reprendre
les termes de Monsieur Harang, cette nouveauté est de nature « à la rapprocher d’une réelle cour suprême,
qui pourrait choisir les affaires qu’elle jugerait, en droit et en fait, et ce, de manière définitive »457. Cette spécificité
se justifie par l’exigence de célérité attendue de la justice, alors que cette formation assure une
certaine qualité.
454
Article 487 CPC.
455
Y. STRICKLER, Procédure civile, op. cit., p. 258.
456
Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, JORF n° 0269 du 19 nov. 2016, texte
n° 1.
457 HARANG, J. La Cour de cassation et la loi « J21 », Le petit juriste, 21 février 2017.
106
B. La collégialité reconnue comme une formation de qualité
131. Comme l’a justement souligné Monsieur Acquaviva, conseiller à la Cour de cassation, « la
collégialité participe à la qualité de la justice rendue en ce qu’elle permet la confrontation des idées, des opinions,
préserve le juge de l’isolement et constitue un rempart contre le risque de partialité »458. De même, certains
considèrent que « si le juge doit toujours décider, il est bon qu’il ne soit pas seul. C’est la garantie d’une justice de
bonne qualité »459. La reconnaissance de la collégialité comme formation de qualité est perceptible à
la lecture du Recueil des obligations déontologiques des magistrats (1). Afin d’asseoir cette dernière,
des indicateurs de qualité dans la procédure civile pourraient être retranscrits460 (2).
132. L’article a.12 du Recueil des obligations déontologiques des magistrats dispose : « dès qu’il
pressent que des influences ou pressions, quelles que soient leurs origines, peuvent être exercées sur lui, le magistrat
recourt à la collégialité, chaque fois qu’elle est procéduralement possible ». Par cette disposition, la collégialité
apparaît comme une formation de qualité puisqu’elle va permettre d’éviter les influences ou
pressions. Elle s’assimile ici à une entité protectrice de ses membres, le juge unique étant davantage
exposé.
Les inconvénients octroyés au juge unique trouvent des fondements anciens. Pour
reprendre la citation de Montesquieu, un « tel magistrat ne peut avoir lieu que dans le gouvernement
despotique »461. Deux définitions du despotisme sont contenues dans le dictionnaire Larousse. La
première le présente comme un « régime politique dans lequel un seul homme gouverne de façon arbitraire et
autoritaire ». La seconde s’assimile à une « volonté, autorité exercée d’une façon tyrannique ». S’il en ressort
un comportement péjoratif, l’idée dominante se rattache à l’arbitraire. En reprenant les dires de
Montesquieu cela signifierait qu’un juge unique pourrait apporter des décisions arbitrairement. Cela
ne se confirme pas aujourd’hui puisqu’un juge a pour prérogative d’appliquer le droit en vigueur
en sachant que des voies de recours permettent de contrôler sa mission. Pour autant, l’adage : « deux
avis valent mieux qu’un » vient rétablir les incertitudes quant à son intervention.
458
J-N. ACQUAVIVA, « Repenser l’articulation des recours en repensant chaque instance juridictionnelle », Gaz. Pal., Lextenso, no
hors-série 3, 31 octobre 2016, p. 35.
459
B. MALLET, « Le Juge unique en matière commerciale - III, Le juge des référés », op. cit., p. 498.
460
Voir E. JEULAND, « La prise en compte de la notion de qualité dans la mesure de la performance judiciaire », Université Paris I
Panthéon Sorbonne, Mission de recherche droit & justice, juin 2015.
461
MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, "Du magistrat unique", Livre VI, chapitre VII.
107
En outre, une étude a été réalisée par l’IFOP en 2008 dans laquelle il avait été demandé à
cent personnes si elles préféraient être jugées par une collégialité ou par un juge unique. Ce choix
était accompagné de vertus attenantes à l’une ou l’autre de ces compositions avec d’un côté « un
juge pour accélérer les procédures et faire baisser leurs coûts » et de l’autre, « plusieurs juges pour mieux prendre en
compte les intérêts des parties ». Il ressortait que soixante-treize personnes préféraient la collégialité au
juge unique462. Des indicateurs de qualité pourraient être retranscrits afin de concrétiser ces dires.
133. Une proposition du rapport dirigé par Monsieur Marshall soulignait qu’il « convient d’introduire
dans l’appréciation de travail du magistrat et du fonctionnaire de justice la qualité du service rendu au justiciable et
notamment l’accueil et l’écoute dont il fait l’objet, la motivation des décisions, la collégialité des audiences »463. Plus
concrètement, une autre proposition consiste à transposer une norme qualité telle qu’ISO 9001 au
sein du domaine juridique. ISO 9001 appartient aux normes de l’Organisation internationale de
normalisation et tend à « démontrer l’aptitude de l’organisme à fournir régulièrement un produit conforme aux
exigences du client et aux exigences légales et réglementaires ; à satisfaire ce même client par la mise en œuvre efficace
du système de management de la qualité en intégrant la prévention des non-conformités et l’amélioration
continue »464. Cette norme de qualité permettrait de parvenir à une certification des décisions
rendues par l’institution judiciaire. D’aucuns rappellent que la norme ISO 9001 se rapporte « au
monde industriel et commercial qui, depuis plusieurs années, fait de la démarche qualité un nouvel outil de
compétitivité. Il semble alors que l’on soit ici bien loin des préoccupations qui animent le monde judiciaire ; nul
problème de concurrence, nulle préoccupation mercantile mais le souci de satisfaire un justiciable »465. Pour autant,
les termes généraux définissant cette norme pourraient permettre sa transposition devant les
formations collégiales. Il est vrai qu’il peut paraître compliqué d’allier qualité et décision de justice
puisque la partie perdante sera nécessairement déçue du résultat. La qualité doit donc faire
abstraction des déceptions. D’après Monsieur Fortier, la qualité d’une décision s’obtient à la suite
d’un travail collectif entre les différents membres d’une juridiction et ce, dès la demande
introductive d’instance466. Les justiciables sont donc de véritables acteurs compte tenu du principe
462
CSM, Les Français et leur justice, restaurer la confiance, coll. La documentation française, 2008, p. 96.
463
D. MARSHALL et al., Les juridictions du XXIème siècle, op. cit., p. 66.
464
V. FORTIER, "L’applicabilité des normes ISO aux décisions judiciaires", cahiers de méthodologie juridique, Justice et qualité,
2002, n° 17, p. 2151.
465
M-L. CAVROIS, H. DALLE et J-P. JEAN, La qualité de la justice, coll. Perspectives sur la justice, Paris, La Documentation Française,
2002, p. 198.
466
V. FORTIER, "L’applicabilité des normes ISO aux décisions judiciaires", op. cit., p. 2153.
108
dispositif qui gouverne la procédure civile, mais doivent-ils être considérés comme des clients ? Par
ailleurs, la transposition de la norme ISO 9001 amène à s’interroger sur la nature même de
l’institution judiciaire. Est-ce un pouvoir ou un service public ?467 La transposition de cette norme
n’est pas si irréalisable qu’elle n’y paraît comme en témoigne la certification ISO 9001 de plusieurs
cabinets d’avocat appartenant au groupement Alta-juris international. Son objectif majeur consiste
à favoriser l’échange et la communication entre les avocats, alors que d’autres professions juridiques
se sont vues décerner une certification ISO 9001, telles que des études d’huissiers.
134. Si la norme ISO 9001 n’a pas été transposée à l’institution judiciaire, la quête de qualité de
cette dernière est perceptible au travers du projet de juridiction. Il permet de définir « en prenant en
compte les spécificités du ressort, des objectifs à moyen terme visant à améliorer le service rendu au justiciable et les
conditions de travail, dans le respect de l’indépendance juridictionnelle »468. L’établissement d’objectif à moyen
terme permet de rapprocher l’institution judiciaire du monde des affaires. Le projet de juridiction
doit respecter l’indépendance juridictionnelle en sachant qu’il s’applique devant les cours d’appel
et les tribunaux de grande instance. Par conséquent, les magistrats en charge d’une affaire ne
doivent pas la faire connaître ou subir des pressions par la mise en œuvre dudit projet. Afin de
préserver son indépendance, il est également précisé que l’objectif ne consiste pas à contrôler
l’activité juridictionnelle469 ni à la sanctionner. Si elle ne tend pas à la contrôler, elle permet de
l’améliorer. Les thématiques comme la célérité et la qualité des décisions470 pourront être abordées,
ce qui amène à s’intéresser à la composition des tribunaux et à y apporter des améliorations. Il est
donc proposé une généralisation de ce projet devant l’ensemble des juridictions composant la
matière civile.
135. L’appréhension de la qualité de la justice peut aussi être réalisée par le biais de la méthode
dite SERVQUAL. Si cette dernière a initialement vocation à s’appliquer aux entreprises, il est
également possible de la transposer au domaine judiciaire tel qu’il est réalisé dans le rapport de la
Commission européenne sur l’efficacité et la qualité de la justice. Elle consiste à retenir deux
facteurs et à analyser l’écart entre eux. Le premier facteur consiste à prendre en considération les
attentes des justiciables. Elles correspondent à ce qu’ils souhaitent recevoir du service public de la
467
Deux conceptions sont exposées par l’auteur : E. DUPIC, La justice en France, acteurs et enjeux, Bréal, 2017, p. 71-72.
468
Article R 212-63 COJ.
469
Note du 26 juillet 2016 relative à la mise en oeuvre des dispositions du décret n° 2016-514 du 26 avril 2016 relatif à l’accès au droit, à l’organisation
judiciaire, aux modes alternatifs de résolution des litiges et à la déontologie des juges consulaires, Bulletin officiel du ministère de la justice, 31 août
2016, p. 14.
470
C. ARENS, Le projet de juridiction, p. 25.
109
justice. Le second facteur s’attache à leur perception, donc à leur appréhension du service une fois
qu’ils y ont été confrontés. L’écart entre leurs attentes et leur perception doit être le moins élevé
possible car plus il s’agrandit, plus cela est synonyme d’insatisfactions. Afin que certaines
problématiques évoluent au vu des résultats de cette enquête, il est proposé au sein dudit rapport
de mettre en place des groupes d’amélioration ayant pour mission de trouver des solutions afin que
la satisfaction des usagers soit meilleure qu’auparavant471. Cette méthode pourrait permettre de
recueillir l’opinion qu’ont les justiciables envers les collégialités de la procédure civile et ce, une fois
que leur affaire aurait été traitée.
137. Il s’agissait de savoir si cette retranscription devait être contenue dans le Code de procédure
civile ou dans celui de l’organisation judiciaire. C’est ce dernier qui a été retenu puisqu’il fait appel
aux compositions des juridictions. Il convenait de s’inspirer de l’article L 3 du Code de justice
administrative selon lequel « les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s’il en est autrement disposé
par la loi ». Il y est contenu dans le titre préliminaire, ce qui signifie qu’il s’assimile aux principes
directeurs du procès administratif. La disposition proposée viendrait modifier l’article L 121-2 du
Code de l’organisation judiciaire contenu dans le Livre premier qui est donc de facto, applicable à
l’ensemble des juridictions judiciaires. Sa rédaction serait identique à celle de l’article L 3 du Code
de justice administrative et permettrait de reconnaître la collégialité comme étant un principe alors
que l’unicité serait l’exception.
471
Commission européenne pour l’efficacité de la justice. Mesurer la qualité de la justice, Strasbourg, CEPEJ, 7 décembre 2016, n° 88 et s.
110
Nouvel article L 121-2 du Code de l’organisation judiciaire :
« Les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s’il en est autrement disposé par la loi ».
S’adjoint à cette nouvelle admission, celle consistant à lui reconnaître une valeur
constitutionnelle.
472
Décision n° 75-56 DC, 23 juillet 1975, JO 24 juill. 1975, p. 7533, rec. p. 22.
473
Article R 212-9 COJ.
474
Article 804 CPC.
111
litiges semblables soient traités par des tribunaux répondant à des compositions différentes. Le
Conseil vient ici rappeler que le principe d’égalité a une importance telle qu’il est consacré par la
Déclaration des Droits de l’homme de 1789 mais aussi par le préambule de la Constitution.
140. S’ajoute au principe d’égalité le fait que la collégialité n’a pas de valeur constitutionnelle.
Alors même que ce point ne figure pas directement dans la rédaction de la présente décision,
comment est-il possible de l’affirmer ? Tout d’abord, le Conseil vient établir sur le fondement de
l’article 34 de la Constitution que le législateur ne peut attribuer ses fonctions à une autre personne.
Il ressort qu’il relève du domaine du législateur, donc d’une façon plus large, de la loi, de venir
établir si une affaire doit être portée devant une formation collégiale. Le choix d’attribution ne
pouvait donc être l’œuvre du président du tribunal de grande instance. Le Conseil constitutionnel
vient d’ailleurs insister sur le fait que la matière pénale est « fondamentale ». Il vient établir que son
importance est de nature à ne pas réattribuer des missions expressément dévolues à une personne.
Il insiste également sur l’ampleur de la prérogative en utilisant les termes « conférant un tel pouvoir ».
Ensuite, lorsque le Conseil établit que le choix de la composition qui sera amenée à statuer relève
du législateur, cela permet d’en déduire que ce point n’apparaît pas dans la Constitution. Si tel était
le cas, le principe de collégialité aurait une valeur constitutionnelle. Bien que ce ne soit pas le cas,
ce principe fait tout de même l’objet d’une protection implicite.
141. Bien que cette portée ne lui soit pas reconnue, le principe de collégialité « bénéficie d’une
protection constitutionnelle relative »475 qui se déduit de deux éléments, le premier étant directement en
lien avec le second. C’est parce que le choix d’attribuer une affaire à une collégialité ou à un juge
unique peut créer des inégalités entre les justiciables que cette répartition appartient au législateur.
Cette prérogative s’inscrit dans la conception selon laquelle la loi se doit d’être la même pour tous.
Au vu de cette règle, l’arbitraire serait évincé. Dès lors, le principe de collégialité « bénéficie d’une
certaine forme de « sanctuarisation ». D’abord parce que le Conseil constitutionnel a placé ce principe sous l’aile
protectrice du principe d’égalité, ensuite parce qu’il a confié au seul législateur le soin d’y apporter éventuellement des
limites »476.
475
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 54.
476
Ibid. p. 59.
112
142. Plusieurs décisions de justice vont dans le même sens en reconnaissant que la composition
d’un tribunal doit être prévue par la loi au nom du principe d’égalité477. Si elles ne se rapportent
pas à la matière civile, leur transposition est possible. Sur la compétence exclusive du législateur, le
Conseil constitutionnel était venu rappeler en présence de sanctions pénales, « que le prononcé et
l’exécution de telles mesures, même avec l’accord de la personne susceptible d’être pénalement poursuivie, ne peuvent,
s’agissant de la répression des délits de droit commun, intervenir à la seule diligence d’une autorité chargée de l’action
publique mais requièrent la décision d’une autorité de jugement conformément aux exigences constitutionnelles »478.
La Constitution de 1958 attribue au législateur un domaine de compétence défini de manière non
exhaustive du fait de son ampleur, dans son article 34. L’autorité compétente dépend du législateur.
Lui seul peut choisir de recourir à une collégialité ou non. Une autre décision reprend les éléments
d’égalité et de compétence en apportant davantage de précisions. Il apparaît que « si le législateur peut
prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent,
c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables
des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier
l’existence d’une procédure juste et équitable »479. Plusieurs éléments sont à relever. Tout d’abord, il
appartient au législateur la faculté de prévoir des règles de procédures différentes selon trois
critères : les faits, les situations et les individus. Le Conseil constitutionnel vient rappeler que ce
pouvoir connaît des limites. Elles sont de deux ordres. La première consiste à ne pas établir une
distinction injustifiée. La seconde vient rappeler que cette situation ne doit pas méconnaître les
grands principes de procédure applicables aux justiciables. Une autre décision480 relative à
l’immigration et à l’intégration, permet également de réaffirmer celle du 23 juillet 1975 en rappelant
qu’il appartient au législateur de choisir si une affaire doit être traitée devant une juridiction
collégiale ou à juge unique.
Comme l’a justement affirmé Madame Cohendet, « en veillant à ce que le législateur ne remette
pas en cause ce principe il a pu implicitement reconnaître la valeur constitutionnelle de ce principe. Mais cela reste
discutable et une reconnaissance plus claire serait préférable »481. L’occasion de consécration - explicite - est
alors à saisir.
477
CEDH, 30 novembre 2006, Grecu C./ Roumanie, req. n° 75101-01.
478
Décision n° 95-360 DC, 2 fév. 1995, JO 7 fév. 1995, p. 2097, rec. p. 195, « loi relative à l’organisation des juridictions et à la
procédure civile, pénale et administrative ».
479
Décision n° 2004-510 DC, 20 janvier 2005, JO 27 janvier 2005, p. 1412, texte n° 3, rec. p. 41.
480
Décision n° 2006-539 DC, 20 juill. 2006, JO 25 juill. 2006, p. 11066, texte n° 2, rec. p. 79, « loi relative à l’immigration et à
l’intégration ».
481
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
113
Titre 2 – Les éléments de rationalisation de la collégialité
143. Afin d’assurer la pérennité de la collégialité en procédure civile, une première solution
consiste à renforcer sa portée en la reconnaissant comme un principe. Cette solution est cependant
à elle seule insuffisante à assurer sa préservation. S’adjoint donc à sa consolidation, la nécessité de
la rationaliser. Cet objectif est impératif puisque le droit évolue concomitamment à la société. Cette
affirmation se confirme au regard de la place grandissante qu’occupent les outils numériques au
sein du domaine juridique482. Les nouvelles technologies permettent de bénéficier d’informations
de manière rapide quel que soit l’endroit où la personne se trouve. Leur transposition dans le
domaine juridique s’inscrit dans cette conception, ce qui revêt plusieurs avantages. Comme les
décisions de justice deviennent accessibles à tous, elles permettent d’être un support pour les juges
puisqu’ils ont accès aux décisions de leurs confrères. En conséquence, elle les accompagne dans la
difficile mission qui leur est confiée. Cela permet ensuite un rayonnement du droit français. Cette
ouverture sur les autres pays amène à établir des comparaisons avec des conceptions comme la
Common law, pour parfois s’en inspirer. Enfin, le numérique permet de gagner du temps grâce à
la dématérialisation de certains actes.
144. Si le droit évolue, les attentes des justiciables demeurent immuables puisqu’ils souhaitent
bénéficier d’une décision rapide de qualité. La quête d’efficience s’assimile donc à une quête de
performance. C’est en cela qu’il convient d’outrepasser les inconvénients de la collégialité qui sont
eux aussi inchangés. L’idée même de performance nécessite que des améliorations soient apportées
à la collégialité pour ne pas qu’elle devienne dépassée et obsolète. Si la collégialité coûte cher et
nécessite du temps, ces arguments a fortiori péremptoires peuvent être amoindris. Il paraît utopique
d’admettre qu’un jour ils n’auront plus lieu d’être. L’aspect budgétaire qu’implique une collégialité
est une problématique essentielle car les remaniements de l’institution judiciaire impliquent
continuellement d’améliorer la conciliation entre l’engagement de moindres frais, tout en assurant
une justice de qualité aux justiciables. Aujourd’hui, en principe, il convient d’attribuer autant de
traitements qu’il y a de juges qui délibèrent. Par exemple, trois traitements doivent être versés au
lieu d’un lorsque la juridiction statue à juge unique. Dans cette hypothèse, une collégialité représente
un coût trois fois plus élevé. Par exception, les juges consulaires exercent leur mission à titre gratuit.
482
Voir sur ce thème G. CANIVET, « Justice : faites entrer le numérique », Institut Montaigne, novembre 2017.
115
Le fait que ces contraintes puissent être réduites représente une alternative importante puisqu’elle
justifie sa préservation. C’est alors l’inévitable confrontation avec le juge unique qui est à l’origine
de sa remise en cause, puisqu’à l’inverse il s’assimile à un juge rapide et économique. Or, si la
solution était aussi simple qu’elle n’y paraît, la collégialité aurait actuellement disparu. Il s’agit
d’adopter une vision optimiste quant à son avenir au regard du nombre d’années qu’elle a déjà su
traverser.
145. Cette étude permet de démontrer que les inconvénients de la collégialité sont surmontables
(Chapitre 1) alors que la communication des opinions dissidentes entre juridictions pourrait être
une solution à la rationalisation de la collégialité (Chapitre 2).
116
Chapitre 1 - Les inconvénients surmontables de la collégialité
146. L’évolution du droit français pourrait s’apparenter à une restriction d’accès à la collégialité
tel qu’en témoigne la réforme de la procédure d’appel en matière civile ou le projet de réforme
consistant à vouloir instaurer un filtrage des pourvois devant la Cour de cassation. Elle concernerait
essentiellement les juridictions supérieures. Cette élévation de la collégialité en formation luxueuse
car difficilement accessible, pourrait néanmoins corrélativement et de manière progressive,
favoriser son éviction du fait des inconvénients qu’elle représente.
147. La collégialité, qui requiert la réunion de plusieurs juges afin qu’ils prennent une décision
ensemble pendant les délibérés, présente un premier inconvénient. Il se rapporte au temps que
cette formation implique en sachant que cette contrainte se dédouble. La première est relative à
son établissement qui s’avère être en pratique contraignant. Réunir plusieurs juges augmente par
exemple les probabilités qu’un d’eux soit malade et qu’il faille le remplacer. La seconde a trait à son
fonctionnement. La collégialité nécessite que ses membres interagissent, qu’ils échangent leurs
opinions sur l’affaire qui leur est soumise pendant la phase du délibéré. C’est cette communication
qui va permettre d’aboutir à une prise de décision. Elle est le préalable de la phase de vote. En
conséquence, il ne suffit pas que chaque juge vote et que la majorité des voix l’emporte. Il faut qu’il
y ait un dialogue.
Des raisons justifient que la collégialité en procédure civile prenne un certain temps. En
première instance, devant le conseil de prud’hommes ou le tribunal de commerce, les juges n’étant
pas des professionnels du droit, les échanges doivent être riches. Il leur faut trouver des références,
confronter des expériences. En seconde instance, sa justification tient à l’importance qu’a pris
l’affaire. Elle se matérialise par le fait qu’elle a procéduralement augmenté au sein de la matière
civile en passant du premier au second degré. Enfin, la mission dévolue aux magistrats de cassation
justifie qu’ils prennent du temps puisqu’ils doivent « favoriser l’unité d’interprétation des règles
juridiques »483. Ce travail d’unification n’est pas une mission facile. Il nécessite une véritable
implication de la part des magistrats compte tenu de l’influence qui se rattache aux arrêts qu’ils
rendent.
Le fait que la collégialité fasse intervenir plusieurs juges conduit au second inconvénient
qui est une conséquence directe du premier. En principe, plus il y a de juges, plus il y a de
483
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques, 26e éd., Dalloz, 2018-2019, p. 328.
117
traitements à distribuer. Autrement dit, la collégialité coûte cher, en sachant que cet argument est
péremptoire. Traditionnellement, la thématique des moyens financiers qu’implique une collégialité
soulève une interrogation. « La collégialité serait-elle victime de l’opposition qualité de la justice versus coût de
la justice ? »484. Ainsi, pour certains, « la collégialité, garantie d’une justice impartiale et intelligente, est en passe
de disparaître […] pour des raisons de moyens »485. Néanmoins, « le débat ne peut se réduire à ces aspects
financiers ; ce qui compte, comme chaque fois que l’on s’intéresse aux choses de la justice et que, malheureusement on
perd trop souvent de vue, c’est l’intérêt du justiciable et de lui seul, dans la qualité de la justice rendue »486. Dans
cette continuité, d’après Monsieur Cohen, « les relations humaines ne peuvent se ramener à l’idée d’un
moindre coût pour le fonctionnement de la Justice. La dimension culturelle, humaniste de la Justice doit l’emporter
sur toute vision purement utilitariste de l’analyse économique de la procédure civile »487. Par analogie, la
collégialité ne saurait être évincée de la matière civile uniquement parce qu’elle représente de plus
amples dépenses qu’un juge unique. L’important ce sont les garanties qu’elle offre aux justiciables.
Le fait qu’elle permette d’assurer une bonne administration de la justice ne fait que corroborer son
maintien. Ainsi, comme l’a justement affirmé Madame Cohendet, « la remise en cause du principe de
collégialité au motif que la multiplication des contentieux et la nécessité de les régler dans un délai raisonnable
génèrerait des contraintes budgétaires importantes serait, dans une société démocratique, une atteinte disproportionnée
au droit de chacun d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial »488.
148. Pourtant, ces deux inconvénients, à savoir le temps et le coût qu’implique une collégialité
font l’objet d’un consensus unanime. Comme le souligne Monsieur Ollard, « dans un contexte
d’explosion des contentieux et de restriction des budgets de la justice, la tendance est en effet au juge unique, aussi
bien en France qu’en Europe, « la résignation tenant lieu ici d’argument »489. Cette résignation est aussi
implicitement perceptible dans l’affirmation suivant laquelle « notre droit judiciaire est, par tradition,
favorable à la collégialité. Cependant, pour faire face à l’augmentation du contentieux et s’efforcer, tant bien que mal,
de satisfaire le souci de rapidité du plaideur, le législateur comme les praticiens ont de plus en plus fréquemment
484
F. HOURQUEBIE, Principe de collégialité et cultures judiciaires, op. cit., p. 14.
485
O. DUFOUR, « Ne pas satisfaire le désir de justice, c’est mettre en danger la paix sociale », Gaz. Pal., Lextenso, no 8, 21 février
2017, p. 10.
486
S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et C. DELICOSTOPOULOS, Droit processuel. Droits fondamentaux du procès, 2019e éd., coll. Précis Dalloz,
2019, paragraphe n° 463.
487
D. COHEN, Droit et économie du procès civil, coll. Droit et économie, LGDJ, Lextenso éditions, 2010, p. 37.
488
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
489
R. OLLARD, « Irrecevabilité des requêtes individuelles par la CEDH : quand l’hôpital se moque de la charité », op. cit., p. 46.
118
recours au juge unique »490. Toutefois, la résignation ne peut être une solution à l’administration de la
justice compte tenu de l’importance des enjeux qu’elle est amenée à traiter.
490
S. GUINCHARD, M. BANDRAC, C. BLERY et alii, Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, 9e éd., Dalloz action,
2017-2018, p. 1057.
119
Section 1 - Une augmentation des juges uniques en raison de la récurrente
problématique budgétaire du système judiciaire
150. Une réponse évidente à la problématique budgétaire a consisté en une augmentation des
juges uniques (§1) c’est-à-dire à multiplier leurs interventions. « Si cette évolution processuelle est
certainement génératrice d’économie budgétaire et d’efficacité judiciaire, elle peut toutefois apparaître paradoxale
« dans un monde pluraliste où ce n’est plus la seule lecture de la loi mais la recherche délibérative de sa signification
qui permet d’en dégager le sens » »491. Au-delà de son aspect financier, certains avancent que « face à
l’afflux des dossiers, et corrélativement à la pénurie de magistrats et greffiers, le seul moyen de tenir le rythme est de
travailler seul, sauf à provoquer la discussion entre les collègues sur un dossier vraiment complexe »492. En outre,
économiquement, il est vrai qu’il est plus rentable de recourir à un juge qu’à plusieurs. D’après
Messieurs Solus et Perrot, les traitements accordés aux juges uniques pourraient dans ces
circonstances être plus importants, ce qui leur apporterait plus de prestige, tout en leur accordant
davantage d’indépendance493. Enfin, le juge unique est un juge qui reste financièrement accessible
puisque l’augmentation des contentieux « fait du juge une denrée très rare tandis qu’il reste très peu cher »494.
Toutefois dans les faits, tel que l’a souligné Monsieur Hourquebie, « encore faudrait-il que le nombre de
juges uniques augmente proportionnellement aux contentieux sous peine d’inefficacité »495. Cette solution ne
pouvait se résumer essentiellement à son aspect financier avantageux. Il ne pouvait être avancé aux
justiciables que leur affaire serait jugée par un seul juge uniquement parce qu’il s’avère plus
économique. Il convenait de leur apporter un autre argument. C’est en cela qu’il était avancé la
thèse selon laquelle une augmentation des juges uniques est aussi une réponse qualitative à la
problématique budgétaire (§2).
491
X. LAMEYRE, « Actualité et acte de juger : éthique d’une poétique du procès », Petites affiches, Gaz. Pal., no 138, 13 juillet 2005,
p. 17.
492
V. ORIF et E. TESSEREAU, « Le juge de la mise en état », op. cit., p. 15.
493
H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. I. Introduction notions fondamentales (action en justice ; formes et délais ; acte juridictionnel)
organisation judiciaire, Sirey, 1961.
494
J-F. BURGELIN, J-M. COULON et M-A. FRISON-ROCHE, « Le juge des référés au regard des principes pocéduraux », Dalloz,
1995.
495
F. HOURQUEBIE, Le pouvoir juridictionnel en France, Lextenso éditions, LGDJ., 2010, p. 155.
121
§1. L’augmentation des juges uniques comme réponse évidente à la
problématique budgétaire
151. Les controverses inhérentes au budget de la justice sont accrues par le coût que représente
une collégialité (A). Une réorganisation de la procédure civile apparaît comme une réponse à la
problématique économique (B). Pour ce faire, les modes d’organisation des tribunaux ont été
repensés. « Comme le dit Marie-Anne Frison-Roche, la question des moyens est un paramètre fondamental dans
une réforme, mais cela n’est jamais une bonne cause. Or c’est ce qu’on fait depuis des décennies, et en concevant des
réformes uniquement pour faire des économies, on a modifié l’ADN de la justice. Prenons l’exemple de la collégialité.
Comment peut-on soutenir aujourd’hui qu’elle ne sert à rien quand on la trouvait si utile il y a 20 ans ? Parce qu’on
a découvert par expérience qu’elle était inutile ? Pas du tout. On essaie juste de se convaincre que l’on a pas besoin
de ce qu’on n’a plus les moyens de s’offrir »496.
152. Une problématique constante tient à l’absence d’autonomie budgétaire de l’ordre judiciaire
(1). S’il est acquis que le budget accordé à la justice ne cesse d’augmenter au fil des années, une
nuance est à apporter concernant la réalité de son utilisation. En effet, malgré cette progression, la
problématique budgétaire reste d’actualité. S’ajoute à cela le fait que la collégialité implique un coût
supplémentaire relativement à son fonctionnement (2).
153. Bien que les juges soient confrontés depuis plusieurs années à une augmentation des
contentieux, il est attendu un traitement de qualité des affaires alors que le budget qui leur est alloué
ne cesse de diminuer497. A priori pourtant, les chiffres semblent encourageants quant au budget
consacré à la justice. En 2004 ce montant s’élevait à 5,283 milliards d’euros ce qui représentait une
progression de 4,9 % par rapport à l’année antérieure498. En 2010, il était de 6,859 milliards
496
O. DUFOUR, « Justice, une faillite française ? », Petites affiches, Gaz. Pal., no 124, 21 juin 2018, p. 3. Cette conception se retrouve
dans « Qui sauvera la justice du naufrage ? », Gaz. Pal., Lextenso, no 17, 15 mai 2018, p. 44.
497
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 27.
498
MINISTERE DE LA JUSTICE, Le budget de la Justice. Une priorité confirmée, septembre 2003, p. 2.
122
d’euros499. En 2016, il s’élevait à 8,04 milliards d’euros500. Manifestement, il ne cesse de progresser.
Cette hausse est perceptible puisqu’elle a permis à cent quatorze magistrats de venir « en renfort dans
le cadre de la mise en œuvre du plan de lutte contre le terrorisme »501. La mobilisation de davantage de juges
s’est donc produite au vu du contexte qu’a connu la France. Malgré ce renfort, leur nombre reste
insuffisant. A titre d’exemple, trois postes de magistrats étaient vacants en 2016 au Tribunal de
Grande Instance d’Albi alors même qu’il s’agit d’une petite juridiction502. Dans une approche plus
générale, en 2017, environ 460 postes étaient vacants ce qui reste là encore, trop élevé503. En effet,
la collégialité implique de réunir plusieurs juges et ce nombre de postes vacants affecte de facto cette
formation504. Il convient de mener une politique de résorption des vacances d’emploi505 pour ne
pas que la solution consiste à remplacer les collégialités par des juges uniques506 au seul motif d’un
manque de moyens. Au surplus, l’actualité mais aussi la redondance de cette problématique
économique a entraîné une réaction de la part des pouvoirs publics. Monsieur Jean-Jacques Urvoas,
ancien ministre de la Justice sous la présidence de Monsieur François Hollande, avait rappelé à
l’occasion de la présentation du projet de Budget Justice pour l’année 2017 que les moyens
financiers constituaient « LE combat […] qui conditionne tout »507. Le projet de loi de finance de 2017
prévoit dans cette continuité un montant de 8,584 milliards d’euros, ce qui représente une
augmentation de 9 % en comparaison à celui de l’année précédente. Une progression est à noter
depuis 2012 de 14,7 %. L’accent a en partie été porté sur la création d’emplois au sein des
juridictions. Sur 600 de ces derniers, 238 concernent les juges. Les crédits destinés au
fonctionnement des juridictions ont aussi augmenté de 12 %508. Pour autant, ces chiffres doivent
être appréhendés avec précaution. Comme l’a justement précisé Monsieur Bertrand Louvel, il y a
bel et bien une augmentation du budget global accordé à la justice mais ce dernier est en baisse
concernant les juridictions judiciaires. Contrairement aux juridictions administratives, l’ordre
499
MINISTERE DE LA JUSTICE, Le budget de la Justice en 2010, septembre 2009, p. 3.
500
MINISTERE DE LA JUSTICE, Budget 2016, septembre 2015, p. 4.
501
Ibid. p. 3.
502
Tribunal de Grande Instance d’Albi. Activités 2015, Audience solennelle de rentrée, 22 janvier 2016.
503
Y. DETRAIGNE, « Justice judiciaire et accès au droit ». Avis fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi
de finances pour 2018, n° 114, 23 nov. 2017, p. 46.
504
A. LACABARATS, « Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ? Perspectives européennes », RFFP, no 142, 1 mai
2018, p. 65.
505
O. DUFOUR, « Le TGI de Paris à J-84 du Big Bang », Petites affiches, Gaz. Pal., no 28, 7 février 2018, p. 4.
506
G. DANET, « La justice civile », Petites affiches, Gaz. Pal., no 76, 26 juin 1998, p. 31.
507
Discours de Monsieur Jean-Jacques Urvoas à l’occasion de la présentation du projet de Budget Justice pour l’année 2017, 29 septembre 2016, p.
1.
508
J-J. URVOAS, Donnons à la Justice des moyens d’agir, Projet de budget de la justice pour l’année 2017, 29 septembre 2016, p. 1.
123
judiciaire ne bénéficie pas d’autonomie budgétaire et reste dès lors lié « à la direction des services
judiciaires du ministère de la justice et au budget global de ce ministère »509. De ce fait, seule une - partie - du
budget concerne directement les tribunaux. L’enveloppe financière de 2017 est plus importante
concernant les prisons. Celles-ci représentent 2 821 millions d’euros contre 2 636 millions d’euros
pour les tribunaux.
154. Les thématiques du budget et de la justice sont également appréciées dans le rapport sur les
« Systèmes judiciaires européens. Efficacité et qualité de la justice » produit par la Commission européenne
pour l’efficacité de la justice. Cette dernière s’appuie sur des données de 2014 et fait suite à une
étude menée à grande échelle concernant le système judiciaire des quarante-cinq états membres du
Conseil de l’Europe. Davantage de précisions sont apportées quant à la répartition du budget
français alloué aux tribunaux. Le budget public annuel des juridictions s’élevait à environ 3,1
milliards d’euros. Sur cette somme, plus de la moitié, soit 63,4 % étaient affectés aux paiements des
salaires bruts510. Si cette approche permet d’obtenir une vision générale quant à l’évolution du
budget en France, une appréhension plus restrictive doit être envisagée. Celle-ci nécessite d’établir
une comparaison entre les différents états membres du Conseil de l’Europe concernant le montant
alloué aux tribunaux par habitant. En Europe, cette somme s’élevait en moyenne à 36 euros pour
l’année 2014. En France, ce montant était de 47 euros ce qui lui permettait d’appartenir aux pays
européens qui consacraient le plus de budget pour les tribunaux par habitant. Dans des pays voisins
comme l’Espagne, ce chiffre atteignait 77 euros tandis que celui de l’Italie s’élevait à 48 euros511.
155. Plusieurs solutions peuvent être proposées afin de repenser l’organisation de la matière civile
dans l’objectif d’engager de moindre frais. La première proposition consiste à généraliser la
compétence du juge unique en première instance et à maintenir la collégialité au second degré.
Cette mise en place permettrait de réaliser des économies puisque tous les justiciables n’exerceront
pas systématiquement une voie de recours. Elle permettrait en outre à tous les requérants de
recevoir un traitement identique ce qui rendrait la procédure plus cohérente et facile à maîtriser.
S’adjoint à ces arguments, celui avancé par Madame Frison-Roche selon lequel cette répartition des
contentieux permettrait de conforter la légitimité des cours d’appels512. Porter son affaire devant
509
B. LOUVEL, Autonomie budgétaire de l’autorité judiciaire : ouverture du groupe de travail, op. cit., p. 3.
510
Systèmes judiciaires européens. Efficacité et qualité de la justice, Etude de la CEPEJ, n° 23, Commission européenne pour l’efficacité de
la justice, Ed. 2016 (données 2014), p. 37.
511
Ibid. p. 35.
512
M-A. FRISON-ROCHE, « Réforme de la justice : “il faut libérer le juge du politique” », op. cit., p. 4.
124
une pluralité de juges serait un luxe de précaution. Luxe parce que la mise en œuvre de la collégialité
est plus coûteuse que l’unicité. De précaution parce que la collégialité permet de rassurer les
justiciables. La décision leur semblera officielle une fois que leur affaire aura aussi bien été portée
devant un seul juge, qu’un plus grand nombre en cas de contestation. Ainsi, Monsieur Coulon
avançait que « la responsabilisation et la spécialisation du juge, la nécessaire gradation de l’examen de l’affaire
avec la collégialité en appel, qui marque la hiérarchie des juridictions des premier et second degrés et, enfin, plus
prosaïquement, le souci d’une bonne gestion militent pour l’institution du juge unique en première instance »513. Dit
autrement, reconnaître la compétence d’une collégialité lorsqu’une voie de recours est exercée
permet de matérialiser le fait que l’affaire est en train d’évoluer au sein de la procédure civile en
passant du premier au second degré.
Une deuxième proposition consiste à imaginer l’inverse. Il s’agit de généraliser la mise en
œuvre de la collégialité dès la première instance et de recourir au juge unique lorsqu’une voie de
recours est exercée. A première vue le coût de ce remaniement pourrait paraître plus élevé étant
donné qu’il y aurait un plus grand nombre de juges mobilisés au premier degré. Cependant, les
justiciables pourraient être moins tentés de remettre en question la décision rendue en sachant
qu’ils ont été entendus une seule fois certes, mais par plusieurs juges. Il pourrait donc y avoir moins
d’appels que prévus.
Une troisième suggestion consiste à généraliser la collégialité afin de l’ériger en formation
de droit commun aussi bien au premier et au second degré, que devant la Cour de cassation. Cette
conception idéale en théorie ne pourrait être transposée en pratique en raison des moyens financiers
et humains conséquents qu’elle impliquerait. Pour ses partisans, généraliser la collégialité en
première instance ne veut pas dire qu’il faut l’exclure ipso facto devant les cours d’appel, au
contraire514. Dans cette continuité, l’instauration de la collégialité en première instance avec des
juges de qualité pourrait permettre aux cours d’appel d’être moins sollicitées515. Cette idéologie est
également partagée par Monsieur De la Vaissière puisqu’il affirme qu’il « n’est pas insane de supposer
qu’une collégialité maintenue en toutes circonstances améliorerait assez le contenu, la motivation des décisions, la force
du raisonnement pour contrebalancer l’inflation des recours, dont on sait qu’ils émanent moins de quelqu’un qui perd
que de quelqu’un qui ne sait pas pourquoi il perd, et si cela est juste »516.
513
J-M. COULON, Réflexions et propositions sur la procédure civile, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, coll. La
documentation française, 1997, p. 28.
514
B. CAHEN, « Vite, au rapport ! (à propos du rapport Magendie) », Gaz. Pal., Lextenso, no 323, 18 novembre 2004, p. 2.
515
Ibid.
516
F. DE LA VAISSIERE, « Quelques réflexions simples sur “le juge unique” », op. cit., p. 2.
125
Une autre proposition pourrait consister à instaurer un juge unique au premier et au second
degré. Les traitements qui leur seraient alloués pourraient être plus élevés, tout en représentant un
coût inférieur à celui d’une collégialité517. Satisfaisante d’un point de vue économique, les parties
au litige pourraient avoir des difficultés à accepter qu’une seule personne écoute leurs dires. Plus le
nombre de juges mobilisés est élevé, plus la probabilité qu’un membre partage l’argumentation du
requérant est importante. Quant au juge unique, il est présumé qu’il serait davantage exposé à la
nouvelle tendance qui consiste à établir un profilage de sa façon de juger518.
Si dans chaque hypothèse la place du juge unique ou d’une collégialité a été repensée, à
aucun moment il n’a été envisagé d’instaurer l’unicité devant la Haute juridiction compte tenu de
sa spécificité. Traditionnellement, la question relative à l’instauration de la collégialité ou du juge
unique concerne uniquement la première instance, personne n’ayant jamais discuté le bien-fondé de
la collégialité en appel et en cassation519. Instaurer un juge unique devant la Haute juridiction
signifierait qu’il aurait pour mission d’unifier la jurisprudence et de contrôler la bonne application
du droit. Or, il pourrait avoir une certaine conception du droit ce qui impliquerait que l’ensemble
du droit français soit interprété à sa manière, en sachant qu’en cas de décès, son remplaçant pourrait
interpréter le droit différemment. C’est en cela qu’il convient de maintenir la collégialité devant la
Cour de cassation en ce qu’elle représente une sécurité. Une autre solution pourrait quant à elle
consister à choisir un mode de composition aux cas par cas selon les contentieux, sans qu’ils soient
généralisés au regard du degré de juridiction.
156. Avec l’organisation actuelle, les chiffres sont encourageants en ce qui concerne l’opinion des
personnes dont l’affaire est terminée. Dans le domaine civil, 63 % sont d’ailleurs très satisfaits de
la décision rendue hors divorces520. L’enquête révèle aussi pour ce même échantillon de personnes
que le juge ayant traité l’affaire remplissait de nombreuses qualités comme celles de la compétence
(77 %), de l’impartialité (72 %) et de l’écoute (71 %)521.
517
J. LARGUIER, P. CONTE et C. BLANCHARD, Droit judiciaire privé procédure civile, 20ème éd., Dalloz, 2010, p. 14.
518
Ce point fera l’objet d’un plus ample développement.
519
J-M. Hayat, « Le point de vue du juge du siège », Petites affiches, Gaz. Pal., no 139, 12 juillet 2007, p. 28.
520
L. CRETIN, « L’opinion des Français sur la justice », p. 4.
521
Ibid. p. 5.
126
2. L’implication d’un coût supplémentaire relatif au fonctionnement d’une collégialité
157. Il est acquis que la collégialité implique généralement davantage de dépenses qu’un juge
unique au niveau des traitements à distribuer. S’ajoute à cela qu’en cas de faute lourde ou de déni
de justice, la collégialité sera plus coûteuse pour l’Etat qui devra répondre des actes de plusieurs
juges à la fois522. Il est également avancé que « la réduction de la durée de la procédure a pour double effet de
diminuer ces coûts et de satisfaire les plaideurs qui, en général, attendent une décision judiciaire rapide »523. Or, là
encore, une collégialité nécessite davantage de temps qu’un juge unique. S’agissant des collégialités
indirectes, l’objectif consiste à d’un côté gagner du temps en mobilisant qu’un juge au lieu de
plusieurs, tandis que d’un autre côté, elles impliquent la réunion de tous les membres afin qu’ils
puissent délibérer, ce qui vient freiner le traitement de l’affaire. Ainsi, un procès prend en
considération plusieurs coûts qui vont augmenter en fonction de la durée du procès. Ces coûts sont
les suivants524. Les coûts administratifs se rapportent au traitement matériel de l’affaire comme sa
mise en état. Les coûts pour le service de la justice concernent par exemple, la préparation de la
conférence de mise en état ou la mise en forme des décisions. Il convient de rajouter les coûts de
l’avocat relatifs au traitement du dossier, et les coûts pour les plaideurs qui comprennent les frais
d’avocat, ou qui sont liées au nombre d’audiences de mise en état.
158. Trois facteurs principaux, à savoir : la collégialité, la durée du procès et son coût sont à
prendre en considération. Plus généralement, il s’agit de s’intéresser à l’efficacité de la collégialité.
Plusieurs formules existent à cette fin. D’après la Commission européenne pour l’efficacité de la
justice, la première consiste à procéder à une division entre le coût d’une formation ou d’un service
par le nombre d’affaires finies. La seconde « consiste à calculer le coût effectif généré par chaque affaire. Il
faut pour cela affecter à chaque affaire et chaque procès le total des coûts des ressources qui lui ont été consacrées, du
nombre d’heures qu’y ont passées le juge chargé de l’affaire et les agents administratifs, des dépenses exposées, etc »525.
Cette formule est plus généraliste que la première puisqu’elle va au-delà de la prise en considération
du coût d’une formation collégiale.
159. Il faut spécifier que toute collégialité n’est pas nécessairement chère. Les collégialités
atypiques de la procédure civile en sont une parfaite illustration. Le maintien de ces modes de
522
Cette thématique fera l’objet d’un plus ample développement a posteriori.
523
J-C. MAGENDIE et alii, Célérité et qualité de la justice, la gestion du temps dans le procès, p. 16.
524
Ibid.
525
Commission européenne pour l’efficacité de la justice. Mesurer la qualité de la justice, op. cit., n° 69, p. 29.
127
compositions particuliers trouve d’ailleurs probablement son fondement dans l’aspect financier
qu’elles impliquent puisqu’il s’avère être moins important que celui consacré aux autres collégialités.
Concernant la juridiction consulaire, les économies sont – totales – pour l’Etat. Si ces juges
souhaitent percevoir un salaire, ils doivent exercer une autre activité à l’extérieur. Les juridictions
commerciales connaissaient 150 274 affaires nouvelles en 2017526 ce qui est considérable.
Remplacer ces juges issus du milieu commercial par des magistrats professionnels impliquerait
nécessairement un traitement à leur distribuer et représenterait de ce fait un coût élevé.
S’agissant de la juridiction prud’homale la difficulté tient au fait que la composition de
jugement est paritaire. Afin de bénéficier du statut de salarié, une relation de travail doit être établie
à l’extérieur. Dans cette situation, les employeurs doivent laisser « aux salariés de leur entreprise, membres
d’un conseil de prud’hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud’homales déterminées
par décret en Conseil d’Etat »527. Dès lors, « aucune diminution de leurs rémunérations et des avantages
correspondants »528 à leur contrat de travail ne pourront être faits s’ils justifient qu’ils ne pouvaient se
présenter à l’entreprise parce qu’ils devaient siéger au conseil de prud’hommes. L’Etat aura pour
mission de rembourser l’employeur pour le paiement de ces rémunérations qui ne correspondent
pas au travail effectué au sein de son entreprise529. Le conseiller employeur quant à lui lorsqu’il
« exerce son mandat avant huit heures ou après dix-huit heures est indemnisé de la même manière ; par contre,
l’indemnisation est doublée si les activités sont accomplies par celui-ci entre huit heures et dix-huit heures »530. Par
exemple, une indemnisation de l’Etat sera versée au conseiller pour le temps qu’il aura consacré à
la rédaction d’une décision. Le barème est de cinq heures pour un jugement531 en sachant que le
calcul du montant est réalisé une fois que la rédaction est finalisée afin que l’indemnisation
corresponde au temps réel d’implication. Si la rédaction du jugement correspond à une durée en-
deçà ou supérieure à cinq heures, le conseiller devra obligatoirement le signaler en sachant que le
dépassement de ce barème devra faire l’objet d’une requête motivée de sa part auprès du président
du conseil de prud’hommes532.
526
M. CHABANNE, J. PIGNIER, C. KISSOUN-FAUJAS et alii, Les chiffres-clés de la Justice 2018, op. cit., p. 10.
527
Article L 1442-5 C. trav.
528
Article L 1442-6 al. 2 C. trav.
529
Article L 1423-15 C. trav. : « Les dépenses de personnel et de fonctionnement du conseil de prud’hommes sont à la charge de l’Etat ».
530
F. HEAS, Droit du travail, 5ème éd., coll. Paradigme, Larcier, 2016-2017, p. 60.
531
Article D 1423-66 C. trav.
532
Pour bénéficier d’informations supplémentaires sur les modalités de financement des conseillers prud’hommes se reporter à la
« circulaire du 31 juillet 2014 relative à l’indemnisation des conseillers prud’hommes », Bull. officiel complémentaire du 14 août
2014, p. 6.
128
Face à cette problématique économique, une solution consiste en une réorganisation de la
procédure civile.
160. Pour faire face aux difficultés financières attenantes au budget alloué à la justice, une solution
a consisté en une modification de la carte judiciaire des juridictions de première instance (1). Celle-
ci s’est réalisée en 2007 pour être achevée en 2011. Si l’objectif n’était pas de supprimer les
collégialités, celui d’accroître le recours aux juges uniques est pourtant toujours présent (2). Cette
solution ne fait toutefois pas l’objet d’un consensus unanime. Le risque à long terme tient au fait
que l’avenir de la collégialité est souvent menacé par les contraintes économiques qu’elle implique,
au détriment de la qualité qu’elle représente533.
161. La Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2015534, a rappelé les objectifs
attenants à la modification de la carte judiciaire des juridictions de première instance. Ils ont
également été argumentés au sein d’un rapport d’information du sénat datant de 2012. A cette
occasion, une concentration de l’activité judiciaire et une « mutualisation des emplois et des moyens devait
permettre, selon le modèle envisagé par la chancellerie, non seulement de garantir, par une plus juste répartition des
effectifs, la collégialité, la spécialisation et un meilleur encadrement des magistrats, mais aussi de favoriser un
fonctionnement plus fluide de la juridiction dans la gestion quotidienne des ressources humaines et des moyens matériels
et immobiliers »535. Ses directives majeures peuvent être retranscrites à travers deux points.
Le premier consiste à repenser la répartition géographique des tribunaux en supprimant les
juridictions de trop petites tailles pour les intégrer au sein de juridictions ayant une activité judiciaire
plus importante. Il s’agissait de les fusionner au regard du département ou de la région. Le
remaniement s’est réalisé par la prise en considération de l’activité de la juridiction. C’est ainsi
que pour les tribunaux de grande instance, le seuil d’activité a été fixé à 1550 affaires civiles
533
« Qui sauvera la justice du naufrage ? », Gaz. Pal., Lextenso, no 17, 15 mai 2018, p. 44.
534
COUR DES COMPTES, La réforme de la carte judiciaire : une réorganisation à poursuivre, op. cit.
535
N. BORVO COHEN-SEAT et Y. DETRAIGNE, La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée, op. cit., p. 69.
129
nouvelles par an, à l’exclusion des référés. S’agissant des tribunaux d’instance, il a été retenu que ce
seuil serait fixé à 615 dossiers pour une période identique536.
Le second point consiste à réorganiser ces tribunaux en procédant à une meilleure
utilisation des ressources humaines. La réforme de la carte judiciaire vient ici prendre le contrepied
de l’idée selon laquelle les économies passent par la suppression des formations collégiales. Il s’agit
donc de réorganiser le paysage judiciaire au bénéfice de la collégialité tout en respectant les
impératifs budgétaires. Madame Rachida Dati, ancienne ministre de la Justice sous la présidence de
Monsieur Nicolas Sarkozy, déclarait qu’un « tribunal de grande instance de taille suffisante, c’est : une
collégialité retrouvée, de jeunes magistrats encadrés, des équipes renforcées, des magistrats affectés suivant leurs
compétences »537. Monsieur Bas, président de la commission des lois au Sénat, suggérait au sein de la
proposition numéro quatre-vingt de son rapport538, de réévaluer périodiquement la carte judiciaire
afin de bénéficier d’un suivi concret du système judiciaire et de ses performances. Cette
communication continue permettrait selon lui d’éviter les modifications trop brusques.
162. A l’issue de la réforme, 341 juridictions ont été supprimées dont 23 tribunaux de grande et
première instance, 178 tribunaux d’instance, 62 conseils de prud’hommes et 78 juridictions
commerciales. Les tribunaux de grande instance de Saint-Gaudens, Saumur et Tulle ont toutefois
été recrées depuis leur suppression539. Des données chiffrées ont été établies afin de pouvoir
constater les effets qu’ont eu la suppression et le rattachement des effectifs appartenant à un
tribunal de grande instance. A titre d’illustration, cette juridiction comprenait 7 magistrats à
Marmande contre 18 à Agen en 2008. La première a été supprimée et les juges ont été rattachés à
la seconde qui en comptait alors 23 en 2012. En définitive, 16 des 21 tribunaux de grande instance
qui ont été supprimés comprenaient au maximum 7 juges540. Il s’agit dès lors de s’intéresser aux
effets de cette réforme d’un point de vue économique. Comme il l’est souligné dans le rapport qui
a été remis par la « mission sur l’évaluation de la carte judiciaire » présidée par Monsieur Daël, « l’économie
budgétaire escomptée, nette des dépenses induites, n’est susceptible de produire son plein effet qu’à long terme, la
536
COUR DES COMPTES, La réforme de la carte judiciaire : une réorganisation à poursuivre, op. cit., p. 38-39. Il est également communiqué
au sein de ce rapport que les seuils d'activités pour les conseils de prud'hommes et les juridictions consulaires seraient respectivement
de : 300 affaires nouvelles par an et 400 procédures contentieuses. S’ajoute à cela que la fusion des petites juridictions avec celles
plus importantes revêt plusieurs avantages comme celui de prévenir les conflits d’intérêts au sein des juridictions commerciales
compte tenu de la qualité des juges qui les composent.
537
R. DATI, Réunion du Comité consultatif de la carte judiciaire, Discours du garde des Sceaux, ministre de la Justice, Chancellerie, Ministère de la
Justice, 27 juin 2007.
538
M. BAS, Rapport d’information sur le redressement de la justice, op. cit., p. 22.
539
COUR DES COMPTES, La réforme de la carte judiciaire : une réorganisation à poursuivre, op. cit., p. 35 et 38, tableau n° 1.
540
N. BORVO COHEN-SEAT et Y. DETRAIGNE, La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée, op. cit.
130
réforme ayant nécessité un accompagnement bienvenu mais très important sur les plans immobiliers et indemnitaires
dont l’amortissement ne peut s’achever que dans la durée »541. Certaines économies ont pu être réalisées
alors qu’elles se rapportaient aux frais d’entretien et aux loyers de biens immobiliers ainsi qu’à la
diminution des effectifs. Pour autant, un effet contraire a été constaté suite aux abandons de
juridictions ainsi qu’aux prix élevés des loyers souscrits à brefs délais. Les locations pouvant, dans
cette dernière hypothèse, atteindre des sommes plus importantes.
163. La mission sur l’évaluation de la carte judiciaire a également permis de mettre en avant l’idée
d’une création de chambre détachée aujourd’hui régie par les articles R 212-18 à R 212-21 du Code
de l’organisation judiciaire. Cette proposition s’est faite à la suite de la suppression de plusieurs
juridictions ce qui a eu pour conséquence de créer un manque d’accessibilité des citoyens envers la
justice. Il est vrai que géographiquement, l’absorption de petits tribunaux par d’autres plus grands
a participé à créer un éloignement. Afin de combler cette lacune, il a été établi qu’un « tribunal de
grande instance peut comprendre des chambres détachées pour juger dans leur ressort les affaires civiles et pénales »542.
Cette faculté devrait permettre de rétablir une justice de proximité tout en réalisant des économies.
Comme il est souligné au sein du rapport présidé par Monsieur Daël, la mise en place des chambres
détachées permet d’affecter les ressources humaines nécessaires. La compétence sera attribuée à
un juge unique selon un noyau dur. Cette expression permet de désigner les affaires attribuées par
principe à ladite chambre, comme celles qui se rapportent au contentieux familial et qui ne
présentent pas de difficulté particulière. Le reliquat sera attribué à une collégialité. Ici encore, elle
n’est donc pas évincée dans un souci économique et elle se justifie par la complexité que peut
revêtir une affaire. Cependant, « la compétence matérielle des chambres détachées peut être limitée par décret,
dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, appréciée notamment au regard du nombre d’affaires civiles
et pénales relevant du ressort de la chambre détachée, de la distance orthodromique entre la chambre détachée et le
tribunal de grande instance de rattachement et du nombre de magistrats du tribunal de grande instance »543. A titre
d’exemple, il a été créé à compter du 1er janvier 2015 une chambre détachée du tribunal de grande
instance de Rodez à Millau544.
541
S. DAËL, M. JANAS et M-R. BAKRY, Mission sur l’évaluation de la carte judiciaire, 10 fév. 2013, p. 60.
542
Article R 212-18 alinéa 1 COJ.
543
Ibid. alinéa 2.
544
Décret n° 2014-607 du 10 juin 2014 portant création d’une chambre détachée du tribunal de grande instance de Rodez à Millau,
JORF n° 0133 du 11 juin 2014, p. 9702, texte n° 17.
131
Une autre solution à la problématique économique consiste à augmenter le recours aux
juges uniques.
164. La dévolution d’un contentieux de la collégialité au juge unique n’est pas utopique tel qu’en
témoigne des ajustements de la matière familiale. En 1993, le législateur a décidé « de confier ce
contentieux à un juge unique, le juge aux affaires familiales, pour faire face à ce flux d’affaires ; c’est le début de la
généralisation du juge unique au civil en première instance, et de celle de l’audience de cabinet. Avant cette réforme,
70 % des affaires familiales était encore traitées en collégialité, au moins en principe »545. Ce transfert de
compétence pourrait s’expliquer par la nature des enjeux familiaux qui relèvent davantage de
l’humain que d’une complexité juridique546. L’accroissement du champ d’intervention des juges
uniques pour faire face aux défis économiques ne fait pas l’objet d’un consensus unanime au sein
de la communauté des juristes. Monsieur Guinchard fait preuve de pragmatisme en reconnaissant
que la multiplication des juges uniques tient à la contrainte budgétaire mais qu’elle ne se justifie pas
par idéologie547. Dès la fin des années 1990, cette vision avait déjà été évoquée puisque certains
considéraient que cette répartition été due à une résignation des pouvoirs publics face à
l’importante contrainte budgétaire548. L’utilisation du terme de résignation retranscrit la faible
marge de manœuvre dont disposait les gouvernements successifs. Le recours au juge unique
n’apparaissait pas comme un choix, mais comme une nécessité. Cependant, il convenait de justifier
son intervention croissante par le fait qu’il représente une certaine qualité.
165. Outre l’aspect économique qu’ils revêtent, l’augmentation des juges uniques est justifiée par
le fait qu’ils permettent une intervention rapide à moindre coût (A). S’adjoint à ces avantages
d’autres points positifs inhérents à sa personne qui sont à l’origine de la thèse selon laquelle le juge
unique témoignerait une supériorité sur la formation collégiale (B). Le risque est que « ce recours
545
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 86.
546
Ibid. p. 85.
547
S. GUINCHARD, « Pour une exécution provisoire à visage humain et le droit de libre critique des choses de la justice », n° 215,
Petites affiches, Gaz. Pal., 28 oct. 2002, p. 7.
548
J-M. COULON, « Réflexions et propositions sur la procédure civile », op. cit.
132
grandissant au juge unique ne peut que renforcer la focalisation des attentes des justiciables sur la personne du juge,
à qui il revient de se comporter techniquement et humainement de façon irréprochable »549.
166. Lorsque les qualités telles que la rapidité d’intervention et le moindre coût sont évoquées, il
est inévitable d’établir une corrélation avec un juge unique particulier, celui des référés. Selon
Madame Frison-Roche, « le juge des référés est le juge de demain » car « il apporte une solution rapide à la
situation qu’on lui soumet, il respecte le contradictoire (tous les juges respectent ce principe mais pas nécessairement
dans un temps aussi bref), et il est apte à prendre ses responsabilités puisqu’il est unique »550. Plus largement, la
confirmation des qualités du juge unique résulte aussi bien d’une approche généraliste (1) que d’une
approche restrictive (2), l’objectif étant de vérifier si ces qualités étaient elles aussi remplies par les
autres juges uniques composant la procédure civile.
167. Dans la majorité des hypothèses, les juges uniques intervenants en procédure civile sont
spécialisés dans une matière comme l’illustrent le juge aux affaires familiales ou le juge de
l’exécution. Cette spécialisation s’ajoute à leur expérience ce qui permet d’acquérir une qualité de
décision. Ainsi, selon Madame Fricero, « leur spécialisation est un gage de compétence accrue »551. S’y adjoint
le fait que « l’institution du juge unique permettrait en outre une double spécialisation du magistrat, propice à une
justice plus éclairée »552. Double spécialisation car le fait de statuer seul permet au juge de bien
maîtriser l’affaire qui lui est soumise. Il est donc spécialisé dans cette dernière. Cela lui permet
également de se spécialiser dans une matière. L’importance de la mise en place de formations de
jugement expérimentées est d’ailleurs contenue au sein du récent rapport portant sur l’amélioration
et la simplification de la procédure civile. Il y est avancé que « la fidélisation des magistrats dans leurs
postes serait également de nature à assurer leur plus grande spécialisation »553. Dès lors, ils n’auront pas à
redouter la technicité d’une affaire puisqu’ils seront aguerris dans leur domaine d’intervention.
549
X. LAMEYRE, « Actualité et acte de juger : éthique d’une poétique du procès », op. cit., p. 17.
550
M-A. FRISON-ROCHE, « Réforme de la justice : “il faut libérer le juge du politique” », op. cit., p. 4.
551
N. FRICERO, L’essentiel des institutions judiciaires, 9e éd., Les carrés, Gualino, Lextenso, 2017.
552
J-M. COULON, « Réflexions et propositions sur la procédure civile », op. cit.
553
F. AGOSTINI, N. MOLFESSIS, S. LEMOINE et alii, Chantiers de la Justice, Amélioration et simplification de la procédure civile, op. cit. p. 35.
133
168. Cette expérience est également synonyme de célérité. La célérité est importante puisqu’avec
le temps, une situation litigieuse peut évoluer ce qui a pour conséquence de rendre inefficace les
décisions trop tardives. Un juge unique serait plus à même de s’inscrire dans ce facteur temps
d’autant plus que ses décisions peuvent être immédiatement exécutoires. Dans ces circonstances,
d’après Monsieur Colson : « justifiée entre autres par la proximité accrue qu’elle autorise entre le justiciable et
la justice, l’institution de juges uniques à côté ou, parfois, à la place d’organes collégiaux est au cœur du processus de
rationalisation de l’organisation judiciaire »554. Le terme de rationalisation permet d’établir que la mise
en place du juge unique tend à renforcer l’efficacité de la procédure civile. Monsieur Jeuland est
aussi venu souligner les points forts du juge unique en reconnaissant que leur mise en place permet
de traiter plus rapidement les contentieux de masse sans oublier l’existence de procédures urgentes
telle que celle du référé555. Dans cette dernière hypothèse, recourir à un seul juge est moins
contraignant que s’il fallait en réunir plusieurs. Monsieur Mestre ajoutait ensuite que l’instauration
d’un seul juge aurait pour conséquence d’augmenter le nombre des tribunaux ce qui par ricochet,
permettrait de faire front à leur encombrement. Il y aurait alors la possibilité de consacrer davantage
de temps à une affaire ce qui serait, pour reprendre ses termes, « une garantie supplémentaire à la bonne
marche de la justice »556. Cette idéologie se rencontre à plusieurs reprises. « L’abandon de la collégialité
libère un temps précieux qui peut être consacré à d’autres activités par les juges ainsi rendus disponibles. Diviser la
juridiction en trois, ce peut être une manière de multiplier les juridictions par trois […]. En ce sens, le juge unique
peut être considéré comme un facteur d’accélération de la justice »557. Elle est aussi partagée dans un rapport
adopté par la Commission Européenne pour l’efficacité de la Justice où il était suggéré de recourir
au juge unique « afin d’accroître la capacité des tribunaux »558. De la même manière, Messieurs Cornu et
Foyer avançaient que « trois magistrats statuant séparément jugent plus d’affaires qu’ils n’en pourraient juger en
collège »559.
L’efficacité des juges uniques tient aussi au fait que la procédure devant eux est aménagée et
simplifiée. Il s’agissait de « concilier l’effectivité des procédures en termes de garanties processuelles avec la nature
des contentieux confiée au juge unique qui nécessite un allégement procédural. Le paradoxe a été réduit en laissant à
554
R. COLSON, La fonction de juger, étude historique et positive, 8 juillet 2009, HAL, p. 219.
555
E. JEULAND, Droit processuel général, 3ème éd., coll. Domat, droit privé, LGDJ, Lextenso éditions, 2014, p. 266.
556
J-F. MESTRE, « Le juge unique en matière pénale, contribution à la réforme judiciaire », thèse, Université de Paris, faculté de
droit, 9 mars 1935, p. 107.
557
L. CADIET, C. BOLZE, P. PEDROT et alii, Les juges uniques : dispersion ou réorganisation du contentieux ?, coll. Thèmes et commentaires,
Dalloz, 1996, p. 12.
558
COMMISSION EUROPEENNE POUR L’EFFICACITE DE LA JUSTICE, Compendium de bonnes pratiques pour la gestion du temps dans les
procédures judiciaires, op. cit., p. 23.
559
G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, PUF, coll. Thémis, droit privé, 1996, p. 207.
134
ce juge une latitude d’action quant à l’application des règles processuelles »560. Autrement dit, les règles
procédurales habituelles ont été modifiées afin que l’intervention de ce juge soit plus rapide tout
en respectant les garanties du droit à un procès équitable. Il pourrait paraître paradoxal de pouvoir
concilier ce respect avec un allégement procédural, or, le résultat est réel. Une approche restrictive
permet de confirmer les qualités reconnues au juge unique.
169. Selon Madame Douchy-Oudot, un juge unique permet de concilier l’efficacité, la célérité et
le moindre coût561. Si cette affirmation se confirme, cela signifie qu’un juge unique s’inscrit aussi
dans une bonne administration de la justice. Dans cette perspective, il convient de s’intéresser
essentiellement à deux éléments. Le premier concerne l’efficacité. Elle revient à prendre en
considération le nombre d’affaires traitées par un juge unique. Son maintien en procédure civile
contemporaine est-il utile ? Cela implique également de prendre en compte le taux d’appel dirigé à
l’encontre de ses jugements. En effet, la première condition est à elle seule insuffisante car il est
couramment admis par les juristes qu’une décision est bonne si elle perdure. Le second élément
consiste à appréhender la durée de traitement des affaires qui lui sont soumises. Etant seul,
théoriquement, il devrait juger plus vite car il n’aura pas à délibérer avec d’autres juges. Le moindre
coût est une condition qui n’est pas à vérifier.
170. L’analyse concerne une juridiction qui statue – toujours – à juge unique et dont les jugements
revêtent l’autorité de la chose jugée, à savoir, le tribunal d’instance. Celle-ci s’est faite au regard des
chiffres-clés de la Justice 2017562. Le juge d’instance connaissait 648 976 affaires nouvelles en
matière civile dont 80 490 référés pour l’année 2016. Il fait donc partie de ceux qui sont le plus
sollicités après ceux du tribunal de grande instance. En 2016, les tribunaux d’instance terminaient
646 203 affaires, ce qui est considérable. La durée moyenne des affaires terminées en 2016
correspondait à 5,4 mois pour les tribunaux d’instance et juridictions de proximité, ce qui
représentait la durée la moins élevée, au même titre que les juridictions consulaires. La condition
de célérité est donc remplie.
En l’occurrence, il convient de s’intéresser au taux d’appel de ses décisions. Au sein des
chiffres-clés de la Justice publiés en 2008 jusqu’à 2018, le taux d’appel sur les jugements au fond
560
M. RIGAUD, Le juge unique en droit administratif français au regard des garanties de bonne justice, op. cit., p. 330.
561
M. DOUCHY-OUDOT, Procédure civile, 5ème éd., Gualino, Lextenso éditions, 2012, p. 146.
562
Les chiffres fournis comprennent les juridictions de proximité.
135
du juge d’instance est toujours en-deçà de celui des tribunaux de grande instance, de commerce et
des conseils de prud’hommes. En 2015 ce taux représentait seulement 5,6 % au tribunal d’instance.
Cette constatation - implique d’écarter une fausse idée pourtant couramment avancée par les
détracteurs du juge unique consistant à dire qu’ils entraînent davantage de défiance et un manque
de confiance des justiciables -. Ces données chiffrées témoignent du contraire. La condition
d’efficacité est alors également reconnue ce qui permet de confirmer les propos de Madame
Douchy-Oudot le concernant.
171. S’agissant des juges uniques particuliers, donc du juge des référés et de celui des requêtes, ici
encore, des données chiffrées permettent d’établir que l’exigence de célérité est respectée. A titre
d’illustration en 2015563, au sein du tribunal de grande instance d’Albi qui est une petite juridiction,
267 affaires étaient soumises au président de ladite juridiction afin qu’il prononce une ordonnance
de référé. Il ressortait que 245 ont été terminées en 2015 ce qui signifie que seulement 22 affaires
restaient encore à traiter en fin de période.
Toujours dans la pratique, en 2015564, au sein du tribunal de grande instance d’Albi, la
juridiction du président en matière d’ordonnances sur requêtes avait fait l’objet de 336 saisines, soit
69 de plus que pour les ordonnances de référé. A la fin de l’année 2015, seulement 2 affaires
restaient en cours concernant les ordonnances sur requêtes, contre 22 pour les ordonnances de
référé. Les ordonnances sur requêtes sont plus rapidement traitées alors qu’elles sont plus
nombreuses. A notre sens, l’explication tient à l’absence immédiate du principe du contradictoire
puisque si le demandeur fournit toutes les pièces utiles au président, le défendeur ne sera pas
entendu en même temps. Un gain de temps est procuré en raison de l’absence d’audience.
L’ensemble de ses qualités amène pour certains à reconnaître une supériorité du juge unique
sur la collégialité. Il est vrai que le juge unique représente plusieurs avantages. Toutefois, la
collégialité permet d’autant plus de conforter les conditions du droit à un procès équitable.
172. Lorsque deux choix se présentent concernant l’administration des juridictions judiciaires, il
convient de comparer quel mode de composition sera le plus à même de répondre aux attentes
563
A. CAYRE, Tableau de bord de l’activité civile, tribunal de grande instance d’Albi, rédigé par le directeur de greffe, collecte statistique, 4
janvier 2016.
564
Ibid.
136
souhaitées. Cette confrontation de la collégialité avec le juge unique amène pour certains à admettre
une supériorité de ce dernier sur la formation collégiale. Cette affirmation repose sur deux
fondements. Elle tient au fait que le juge unique permet de consacrer une indépendance
intellectuelle (1) alors qu’il permet concomitamment d’assurer une responsabilisation plus
importante (2).
173. Etant seul, la solution du juge unique s’imposera toujours. Il fait donc preuve d’une
indépendance intellectuelle car il n’aura pas l’obligation d’adhérer à une sentence qu’il ne cautionne
pas comme cela pourrait être le cas lorsqu’une décision est adoptée à la majorité des voix et non à
l’unanimité. La non communication des potentielles opinions dissidentes des juges, permet de
conforter ce propos. Monsieur Bentham avançait alors : « ayez un juge unique, il n’y a point de temps
perdu en discours inutiles qui ne satisfont que la vanité de celui qui parle, il n’éprouve pas de contradiction d’humeur
ou de caractère ; il ne rencontre pas les obstacles de l’amour-propre, ni ceux de l’entêtement, de la mauvaise foi ou de
l’ignorance ; il n’a que son opinion à former »565. S’y adjoint qu’un juge unique serait plus responsable
qu’une collégialité.
174. Il est traditionnellement avancé que le juge unique a un plus grand sens des responsabilités566
que les membres appartenant à une collégialité. Cette affirmation se justifie par le fait que le juge
unique devra faire appel à ses propres connaissances. Cette condition fait directement référence à
leurs formations. Par exemple, l’attribution des affaires à la juridiction présidentielle, donc à un juge
unique, tient au fait qu’il bénéficie des connaissances nécessaires afin d’occuper cette fonction
compte tenu de son expérience. Son savoir est essentiel car la décision apportée devra être
irréprochable puisque le juge unique sera exposé au public du fait de l’absence d’anonymat de ses
décisions. En effet, « il ne pourra point s’abriter derrière l’anonymat de la sentence qui, atténuant le sens de la
responsabilité et de l’effort personnel, risque d’être plus nuisible que profitable à la bonne administration de la
justice »567. Cette exposition peut être source de meilleure implication dans le dossier qui lui est
soumis. Elle revêt de ce fait un aspect positif et vient renforcer son impartialité, puisqu’exposé, il
565
J. BENTHAM, De l’organisation judiciaire et de la codification, t. troisième, Bruxelles, 1840, p. 17.
566
Dans le même sens : J-M. COULON, E. BONNET et B. COZE, « Réflexions et propositions sur la procédure civile », op. cit., p. 4.
567
H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. I. Introduction notions fondamentales (action en justice ; formes et délais ; acte juridictionnel)
organisation judiciaire, op. cit., p. 506.
137
prendra davantage garde à ses préjugés. Cette idéologie tenant à une plus grande responsabilisation
du juge unique se retrouve au sein des écrits de Monsieur Bentham dans lesquels on peut lire que
« seul en présence du public, il n’a d’autre appui que l’intégrité de ses jugements, d’autre défense que l’estime générale.
S’il venait à commettre une injustice […] tout le blâme retomberait sur lui seul »568. Face à sa décision « il n’a
point d’échappatoire. C’est une couronne ou un carcan »569. Monsieur Mestre a d’ailleurs rappelé « que les
juges les plus emblématiques sont des juges uniques » en citant Salomon ou encore Saint Louis570. Ce dernier
déclarait en outre « que le juge unique qui dort se remarque davantage que celui qui somnole en collégialité »571.
Les célèbres dessins de Monsieur Daumier572 sont d’ailleurs une illustration de collégialités
passives. Monsieur Strickler reconnaît quant à lui qu’un « juge unique, parce que livré à lui-même, va
développer un plus grand sens de sa responsabilité et, peut-être aussi, une attention renforcée quant au dialogue avec
les plaideurs »573.
175. Cet accroissement de responsabilité est aussi perceptible d’un point de vue numérique. De
nombreux juges uniques sont amenés à intervenir dans la procédure civile comme le juge
d’instance, celui du tribunal de grande instance, le juge des référés, des requêtes, celui des affaires
familiales, de l’exécution, des accidents de la circulation, ou des tutelles. Monsieur Hourquebie a
ainsi qualifié cette prolifération de juges uniques spécialisés comme un « mouvement de
« décollégialisation » des juridictions »574. Cette affirmation tient notamment au fait que la juridiction de
droit commun connaissait déjà des contentieux à juges uniques. Cependant, le principe restait la
collégialité concernant le traitement des affaires générales. Désormais, la responsabilité du juge
unique devant cette juridiction a été élargie puisque son domaine d’intervention n’est plus
nécessairement limité aux affaires dans lesquelles il est spécialisé.
568
J. BENTHAM, De l’organisation judiciaire et de la codification, op. cit., p. 19.
569
Ibid. p. 20.
570
L. CADIET, C. BOLZE, P. PEDROT et alii, Les juges uniques : dispersion ou réorganisation du contentieux ?, op. cit., p. 137.
571
Ibid.
572
H. DAUMIER et J. CAIN, Les Gens de justice, Editions Vilo, Paris, 1974.
573
Y. STRICKLER, Procédure civile, op. cit., p. 63.
574
F. HOURQUEBIE, Le pouvoir juridictionnel en France, op. cit., p. 158.
138
Section 2 - Des solutions aux difficultés posées par la problématique
économique
176. Si une solution évidente consistait à augmenter le recours au juge unique car il représente
outre son moindre coût, d’autres avantages, il faut savoir que les inconvénients attribués à la
collégialité ne lui sont pas nécessairement inhérents. Par voie de conséquence, le juge unique n’est
pas une formation exempte de contraintes. Certes des inconvénients sont endogènes à la collégialité
mais d’autres lui sont exogènes (§1). C’est en repensant ces derniers, qui sont donc communs à la
collégialité et au juge unique, que des solutions à la problématique économique peuvent être dans
un premier temps proposées. Dans un second temps, plus largement, il s’avère nécessaire
d’améliorer la gestion budgétaire de l’autorité judiciaire (§2).
177. Il convient d’abord d’appréhender les défauts endogènes à la collégialité (A) pour ensuite
s’intéresser à ses défauts exogènes (B).
179. Etablir une proximité avec le justiciable est bénéfique en ce qu’elle favorise le dialogue, ce
qui permet une meilleure appréhension de l’affaire. Or, le formalisme rattaché au monde judiciaire,
ajouté à celui de la collégialité pourrait remporter l’effet inverse. Les lieux prestigieux tels que les
colonnes attenantes aux tribunaux sont impressionnants pour des personnes profanes qui sont en
575
Y. STRICKLER, « Le juge unique en procédure pénale », op. cit., p. 9.
139
plus confrontés à un milieu qu’ils ne connaissent pas. De la même manière, concernant les juges,
le port d’une longue robe noire ornée d’hermine intensifie la solennité de leurs fonctions et leur
difficile accessibilité.
Cette affirmation pourrait ne pas être uniquement théorique comme l’illustre une disposition
contenue dans le titre IX bis du Code de procédure civile relative à l’audition de l’enfant en justice.
Pour favoriser le dialogue avec un enfant, il convient d’atténuer un formalisme qui pourrait
l’impressionner. Par conséquent, l’article 338-8 du Code de procédure civile prévoit que « lorsque
l’audition est ordonnée par une formation collégiale, celle-ci peut entendre elle-même le mineur ou désigner l’un de ses
membres pour procéder à l’audition et lui en rendre compte ». La collégialité sera dans cette hypothèse
aménagée. Cependant, elle pourrait être justifiée autrement que par une volonté de favoriser
l’écoute. L’expression consistant à rendre compte à la collégialité des débats qui ont eu lieu, rappelle
la mission dévolue aux juges et conseillers rapporteurs, ou aux juges et conseillers de la mise en
état. Or, leur mise en place s’explique davantage par un objectif de célérité que par celui de faciliter
les échanges. Cette disposition ne permet donc pas de retranscrire qu’une formation collégiale ne
revêt pas une proximité suffisante avec les justiciables.
Afin d’appuyer cette thèse, il convient de rappeler qu’en matière de divorce et de séparation
de corps, le renvoi à une formation collégiale est de droit à la demande des parties576. Le juge aux
affaires familiales ne statuera dès lors pas à juge unique, alors que la nature du contentieux nécessite
d’établir une certaine proximité avec les justiciables.
Un autre inconvénient consisterait à protéger les juges appartenant à une collégialité, comme
en témoigne le cas de la nullité d’un jugement.
180. L’article 454 du Code de procédure civile spécifie les indications devant apparaître au sein
d’un jugement afin qu’il soit considéré comme régulier. Il prévoit notamment qu’il doit être indiqué
le nom des juges ayant délibéré sachant que les risques d’omission sont plus importants en présence
d’une collégialité. « La mention du nom des juges ayant délibéré permet de vérifier que la décision a été rendue
par les juges qui ont assisté aux débats, le plaideur pouvant ainsi s’assurer qu’il a été jugé par ceux qui l’ont entendu
et que la juridiction était régulièrement composée »577. Au surplus, elle se perçoit comme un outil
d’information pour l’avenir car en principe un même juge ne pourra pas rejuger la même affaire.
576
Article L 213-4 COJ.
577
L. DARGENT, « Sanction de la rédaction des jugements », Dalloz, 18 décembre 2009.
140
D’après l’article 458 du Code de procédure civile, les mentions contenues dans l’article susvisé
doivent l’être à peine de nullité. Autrement dit, si le nom de l’ensemble des juges ayant délibéré
n’apparaît pas sur le jugement, celui-ci sera nul. Cette sanction avait par exemple été prononcée par
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation578. Elle rappelait que les arrêts de la cour d’appel
devaient être rendus par trois magistrats au moins579, le président compris, tandis que ce
formalisme n’avait pas été respecté. Certains se sont demandés « si, en pareil cas, les frais subséquents
qui résulteront de la remise en chantier d’une affaire que l’on croyait réglée ne devraient pas être pris en charge par le
Trésor public au titre du fonctionnement défectueux de la justice »580. S’ajoute à cela le fait que la partie qui
n’avait pas obtenu gain de cause sera « ravie d’une telle aubaine »581 car une simple mention aurait suffi
à consacrer la régularité de la décision.
181. Un arrêt rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation en 2009582 a mis fin à la
confrontation des courants jurisprudentiels suscités par cette thématique583. M. X avançait
notamment que le délibéré de son affaire n’avait pas été porté devant une collégialité et que les
noms des assesseurs n’apparaissaient pas sur le jugement, le rendant par conséquent irrégulier.
Cependant, conformément à l’article 459 du Code de procédure civile, la nullité du jugement n’avait
pas été prononcée puisque ces informations étaient contenues dans le registre d’audience. En effet,
en vertu de cette disposition, « l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du
jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience
ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées ». La reconnaissance de pouvoir
invoquer tout autre moyen pourrait être perçue par les justiciables comme protectrice des juges
bien qu’ils aient omis une information essentielle. Or, au contraire, elle leur est favorable puisqu’elle
permet d’éviter autant que possible que la nullité du jugement soit prononcée. En outre, certains
ont suggéré de différencier les modes de composition des tribunaux en considérant que la
disposition de l’article 459 du Code de procédure civile serait applicable à la collégialité, tandis
qu’elle ne le serait pas pour le juge unique car les preuves extrinsèques le concernant ne s’avèrent
pas nécessaires à rapporter584.
578
Civ. 2ème, 12 juin 2003, n° 01-13507, Bull. civ. 2003, II, n° 185, p. 157.
579
Civ. 3ème, 30 nov. 2017, n° 16-24148. Cette décision rappelle que l’imparité est de mise devant la cour d’appel.
580
R. PERROT, « Enonciation - Omission du nom des juges », LexisNexis, Procédures, n° 8-9, comm. 192, 23 août 2003.
581
Ibid.
582
Ch. Mixte, 11 déc. 2009, n° 08-13643, Bull. 2009, Ch. mixte, n° 3.
583
L. DARGENT, « Sanction de la rédaction des jugements », op. cit.
584
Ibid.
141
Cette différenciation entre juge unique et collégialité permet également d’établir que des défauts
sont exogènes à la collégialité.
182. Certains défauts ne sont pas inhérents à la collégialité comme l’illustre la thématique de la
responsabilité civile des juges (1). Cette appréhension permet de constater qu’il existe une immunité
civile des juges vectrice de défiance de la part des justiciables (2). Sa réinterprétation permettrait
au-delà du renforcement de la confiance des citoyens envers les juges, d’apporter des solutions
concernant l’utilisation du budget de la justice.
183. La responsabilité civile des juges correspond aux cas où le juge a commis une faute
personnelle, une faute lourde ou un déni de justice. Tous trois correspondent à un fonctionnement
défectueux du service de la justice. Lors de la commission d’une faute personnelle, en théorie, la
responsabilité du juge pourra être engagée en sachant que les justiciables devront d’abord agir
contre l’Etat. Par contre, en cas de faute lourde ou de déni de justice ce ne sera pas la responsabilité
du juge qui sera directement visée, mais celle de l’Etat. Toute la différence tient à la présence ou
non de l’action récursoire en sachant que la faute personnelle est celle qui se rencontre le moins en
pratique.
184. Dans le cadre de l’article L 141-2 du Code de l’organisation judiciaire, une distinction est
opérée selon que la faute personnelle concerne un magistrat du corps judiciaire ou un autre juge.
Dans la première hypothèse, le statut de la magistrature aura vocation à s’appliquer tandis que dans
la seconde, il s’agira de lois spéciales ou de la procédure de prise à partie. L’expression « autres
juges » doit s’entendre comme se rapportant aux juges occasionnels présents dans le domaine civil
à l’instar des juges consulaires.
A la lecture de l’article 11-1 alinéas 2 et 3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi
organique relative au statut de la magistrature, « la responsabilité des magistrats qui ont commis une faute
personnelle se rattachant au service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de l’Etat. Cette
action récursoire est exercée devant une chambre civile de la Cour de cassation ». En conséquence, l’expression
de faute personnelle n’est pas appropriée car elle voudrait dire que le juge à l’origine d’une faute en
sera – personnellement – tenu pour responsable. Certes, l’Etat a le pouvoir de se retourner contre
142
le magistrat fautif, c’est en cela que le qualificatif de faute personnelle trouverait son sens, mais
dans la pratique, il n’en est rien car elle n’est jamais exercée585.
Quant à la responsabilité civile des juges occasionnels, l’action de prise à partie est prévue
à l’article L 141-3 du Code de l’organisation judiciaire alors que sa procédure est contenue dans le
Code de procédure civile586. L’Etat devra à nouveau indemniser la victime, à charge pour lui
d’exercer une action récursoire afin d’être remboursé des dommages et intérêts versés.
185. La notion de faute lourde correspond quant à elle à un « comportement qui dénote chez son auteur,
soit l’extrême sottise, soit l’incurie, soit une grande insouciance à l’égard des dangers que l’on crée »587. La Cour de
cassation la définit comme « celle qui a été commise sous l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un
magistrat normalement soucieux de ses devoirs n’y eut pas été entraîné »588. Elle est grossière ce qui veut dire
que le magistrat qui en est l’auteur aurait dû savoir qu’il n’agissait pas comme il le devait. Dans un
autre arrêt, il ressortait « que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de
faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi »589. Il apparaît
d’une part, « un critère « objectif » pris du fonctionnement défectueux du service indépendamment de toute
appréciation psychologique du comportement du ou des agents concernés. D’autre part, elle admet que la faute lourde
peut résulter d’une « série de faits » qui, pris isolément, n’auraient pas ce caractère »590.
186. S’agissant du déni de justice, il résulte de l’article 4 du Code civil que « le juge qui refusera de
juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de
déni de justice ». Ici encore, ce sera l’Etat qui devra répondre de ce dommage. L’article L 141-3 du
Code de l’organisation judiciaire précise que le déni de justice correspond à la situation dans laquelle
« les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d’être jugées ». Largo
sensu, il retranscrit un « manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui
585
S. GUINCHARD, A. VARINARD, et T. DEBARD, Institutions juridictionnelles, 13e Ed., Précis Dalloz, Droit privé/Droit public, Ed.
Dalloz, 2015.
586
Pour les dispositions générales (articles 366-1 à 366-8 CPC) et pour celles relatives à la prise à partie sur le fondement d’un déni
de justice (article 366-9 CPC).
587
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 450.
588
Civ. 1ère, 13 octobre 1953, Bull. civ. I, n° 224.
589
Ass. Plén. 23 février 2001, n° 99-16165, Bull. 2001, A. P. n° 5, p. 10.
590
O. RENARD-PAYEN et Y. ROBINEAU, La responsabilité de l’Etat pour faute du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice
judiciaire et administrative, Cour de cassation, rapport annuel, Rapport 2002, deuxième partie : études et documents, études sur le thème
de la responsabilité.
143
comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable […] Seules les
lenteurs imputables au service de la justice étant susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat »591.
Ces trois hypothèses permettent de constater que les juges bénéficient d’une immunité civile
puisque dans le seul cas où le juge peut être personnellement tenu pour responsable, l’Etat
n’exercera pas d’action récursoire. Dès lors, cette pratique est à l’origine d’une défiance des citoyens
à leur égard.
187. Pour certains, le fait que la puissance publique vienne se substituer au juge auteur d’une faute
revêt plusieurs avantages592. Si aux termes de l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire,
« l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice », il est
« civilement responsable des condamnations en dommages et intérêts qui sont prononcées à raison de ces faits contre
les juges, sauf son recours contre ces derniers »593. Par conséquent, les juges n’auront pas à rembourser les
dommages et intérêts versés par l’Etat lorsqu’une faute lourde ou un déni de justice est commis car
l’action récursoire n’est admise qu’en présence d’une faute personnelle, bien qu’elle ne soit jamais
exercée. Le deuxième point positif consiste à reconnaître que les justiciables pourront demander
une réparation du préjudice subi sans avoir à identifier clairement l’auteur de la faute. Cette
reconnaissance permet d’obtenir plus aisément une indemnisation devant une formation collégiale.
Un troisième point fort s’ajoute aux précédents. Il tient au fait que poursuivre l’Etat représente un
atout indéniable au regard de sa solvabilité.
188. Le fait que les juges ne répondent pas directement de leurs fautes créé néanmoins une
incompréhension justifiée des justiciables. De façon imagée, « l’Etat se positionne en écran protecteur de
la personne du magistrat »594. Pour reprendre l’expression de Monsieur Miniato, « les juges bénéficient
d’une immunité civile de fait ! »595. Pourquoi les citoyens seraient réprimandables alors que les juges
eux-mêmes sont exemptés dans la mise en cause de cette responsabilité ? Cette absence de
reconnaissance « contribue à alimenter le sentiment d’impunité que les citoyens ont déjà à l’encontre des
591
S. PETIT, « Service public de la justice (Responsabilité du) », Répertoire de la responsabilité de la puissance publique, coll. Dalloz,
juin 2012 (actualisation : avril 2016), n° 234.
592
S. GUINCHARD, A. VARINARD et T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 316.
593
Article L 141-3 alinéa 5 COJ.
594
S. GABORIAU et H. PAULIAT, La responsabilité des magistrats, coll. Pulim, 2008, p. 15.
595
L. MINIATO, « Le “déraisonnable” et “l’excès” : sanctions des défaillances du juge », Lamy Droit civil, 2006, p. 8.
144
magistrats »596. Par exemple, des citoyens peuvent être réprimandés parce qu’ils n’ont pas vus un feu
rouge ce qui fait qu’ils ne l’ont pas respecté. Bien que ce comportement soit involontaire, il sera
sanctionné. Les juges ne connaissent pas de traitement similaire malgré parfois, la grossièreté de
l’erreur commise, puisqu’elle ne leur sera pas imputable.
189. De plus, si un justiciable peut valablement penser qu’en cas de faute de la part du juge unique
chargé de son affaire, il sera plus aisé de le poursuivre que s’il faisait partie d’un collège, en pratique,
l’immunité civile vient une nouvelle fois contrer cette idée. L’incompréhension de ces derniers est
dans cette hypothèse d’autant plus grande car il y a : une faute, un juge clairement identifié, sans
pour autant que son comportement ne lui soit directement imputable. Il importe de souligner que
dans les cas où l’Etat ne peut pas exercer d’action récursoire, les juges ne bénéficient pas d’une
entière immunité puisqu’ils pourront voir leur responsabilité disciplinaire engagée597. Cette
immunité se limite donc à la responsabilité civile598. Le fait d’être en collégialité permet d’atténuer
les situations dans lesquelles un juge pourrait commettre une de ces fautes grâce au contrôle que
les membres exercent entre eux. D’autres au contraire, considèrent que le fait qu’un « juge ayant
participé à une décision rendue collégialement ne peut être tenu pour responsable de cette décision n’est pas des plus
flatteurs pour le « corps » des magistrats ! La justice n’a rien à gagner de l’élimination du sens de la
responsabilité »599. Le principe d’anonymisation des décisions de justice pourrait être perçu comme
venant amoindrir la responsabilité des juges appartenant à un collège. Par exemple, ils pourraient
être tentés de ne pas porter toute l’attention qu’ils devraient sur une affaire ou suivre l’opinion de
leurs collègues. Si ces situations peuvent se rencontrer, elles restent minoritaires, les juges étant
conscients de l’importance de la mission qui leur est dévolue.
Comme l’a souligné Monsieur Miniato, « lorsque le magistrat qui est à l’origine du retard injustifié
n’est pas clairement identifié, il est évident que seul le service de la justice – et donc l’Etat – peut être mis en
cause »600. Cette conception s’inscrit dans une certaine logique. En l’absence de certitude sur
l’identité de la personne auteur du délai déraisonnable, une sanction ne sera pas attribuée
arbitrairement. Cette dernière concernera une entité plus grande, au-dessus des juges, à savoir
596
J. JOLY-HURARD, La déontologie du magistrat, op. cit., p. 64.
597
Ordonnance n° 58-1270 du 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, voir notamment l’article 50-
2.
598
Comme il était souligné par ses auteur, « la responsabilité de l’Etat pouvant résulter de la défaillance de ses magistrats, il est assez remarquable
qu’une condamnation de l’Etat puisse désormais ne pas rester sans effet sur les magistrats eux-mêmes » : L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire
privé, 10e éd., coll. LexisNexis, 2017, p. 83.
599
G. COUCHEZ et X. LAGARDE, Procédure civile, op. cit.
600
L. MINIATO, « Le “déraisonnable” et “l’excès” : sanctions des défaillances du juge », op. cit., p. 7.
145
l’Etat. Il y a donc une protection des membres composant une formation collégiale. Une autre
solution aurait pu être choisie : celle de considérer que l’ensemble de la collégialité soit tenu pour
responsable dudit retard. Bien que l’adage selon lequel « le doute profite à l’accusé » se rapporte à la
matière pénale, il peut valablement être transposé ici.
190. Certains considèrent qu’en reconnaissant que les magistrats pourraient être poursuivis sur le
fondement de la responsabilité civile, cela renforcerait « le risque que des plaideurs, insatisfaits à raison
du contenu même des décisions de justice, multiplient les mises en cause des juges qui les ont rendues. De telles actions
perturberaient la sérénité des juges et, au-delà, porteraient atteinte à leur indépendance »601. Pourtant, il convient
de ne plus admettre cette absence totale d’imputabilité de la faute en reconnaissant à l’Etat le
pouvoir d’exercer systématiquement une action récursoire. Cette admission permettrait de gagner
la confiance des justiciables tout en réalisant des économies puisqu’il s’agirait pour les juges de
rembourser l’Etat lorsqu’ils commettent ces trois fautes. Cette sanction permettrait de la même
manière, de les responsabiliser tout en faisant preuve de bon sens. C’est en cela qu’il s’avère
opportun de reconnaître la communication des opinions dissidentes entre juridictions602 puisque
ce mécanisme permettrait d’identifier les juges à l’origine de ces fautes. Par conséquent, qu’ils
statuent en collégialité ou à juge unique ne serait plus un frein à cette imputabilité, tandis que
d’autres solutions sont envisageables afin d’améliorer la problématique économique liée à l’ordre
judiciaire.
191. Puisque la collégialité implique un coût de fonctionnement important et que c’est une des
raisons qui pourrait être à l’origine de sa disparition à long terme, il convient d’améliorer la gestion
budgétaire de l’autorité judiciaire. Pour ce faire, une rationalisation financière peut être entreprise
par la réadaptation des outils économiques (A) mais aussi, par une révision de la carte judiciaire
des cours d’appels (B).
601
J. JOLY-HURARD, La déontologie du magistrat, op. cit., p. 61.
602
Cette proposition sera approfondie a posteriori.
146
A. Une rationalisation financière par la réadaptation des outils économiques
193. L’actualité de l’approche budgétaire de la justice est retranscrite au sein du rapport « quelle
indépendance financière pour l’autorité judiciaire ? »606. Il s’agit dans un premier temps d’appréhender
quelques notions techniques pour dans un second temps, s’intéresser à certaines des propositions
émises. Bien qu’elle ait été promulguée le 1er août 2001, la loi organique relative aux lois de finances
désignée plus couramment sous l’acronyme LOLF est véritablement entrée en vigueur en 2006.
Elle permet notamment à l’Etat de financer des missions tout en gardant un droit de regard sur
l’utilisation de ces moyens. Un budget opérationnel de programme, plus communément appelé
BOP est ainsi mis en place au sein de certaines cours d’appel. Le responsable du budget
opérationnel de programme a une responsabilité budgétaire. Il « répartit les moyens (crédits et ETP) mis
à disposition du BOP par le responsable de programme entre les différentes unités opérationnelles en fonction de la
part du plan d’action mise en œuvre par chaque unité opérationnelle »607. Par conséquent, « le BOP se décompose
en unités opérationnelles de gestion (UO) afin de permettre la mise en œuvre d’opérations et l’utilisation des crédits
au plus près du terrain ainsi qu’une responsabilisation de l’ensemble des acteurs »608. Autrement dit, des acteurs
vont définir des objectifs et les moyens financiers qu’ils estiment nécessaire pour les atteindre. Par
exemple, le budget opérationnel de programme sud-ouest regroupe quatre-vingt-dix-sept
603
M. BAS, Rapport d’information sur le redressement de la justice, op. cit., p. 208.
604
M. BOUVIER, N. MAZIAU, A. DUMONT, et alii, Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ?, op. cit.
605
Ibid. p. 88.
606
Ibid.
607
Ministère de l’économie des finances et de l’industrie, « Guide pratique de la déclinaison des programmes. Les budgets
opérationnels de programme », janvier 2005., p. 38.
608
Ibid. p. 2.
147
juridictions et comprend treize départements dont celui des Landes. Ces unités opérationnelles se
situent dans les villes de Pau, Bordeaux, Limoges et Poitiers609.
194. À la suite de la réforme de la carte judiciaire des juridictions de première instance, des unités
opérationnelles se sont vues rattachées aux BOP ce qui a eu pour effet d’ôter la proximité dont
elles faisaient preuve. Au sein de la deuxième proposition du rapport dirigé par Monsieur Bouvier,
il est suggéré de reconnaître l’existence d’un budget opérationnel de programme par cour d’appel
dans un souci de cohérence, de lisibilité et de meilleur appréhension budgétaire610. Cette volonté
d’uniformisation se retrouve au sein de la soixante-dix-neuvième proposition du rapport
d’information sur le redressement de la justice écrit par Monsieur Bas611. Cette création serait
importante et nécessaire. Au surplus, le fait de repenser la carte judiciaire des cours d’appel612
permettrait de les rendre plus efficientes tout en facilitant la mise en place de ces budgets
opérationnels de programme.
Outre cette proposition, la gestion du budget alloué à l’ordre judiciaire pourrait être repensée
en sécurisant les crédits octroyés aux juges.
195. Une autre proposition a pour ambition de sécuriser les crédits de l’autorité judiciaire en
l’exemptant des mesures de régulation budgétaire613. Là encore, cette conception se retrouve dans
le rapport rédigé par Monsieur Bas. Elle constitue d’ailleurs le fondement de sa première
proposition sûrement au vu de son importance. Il ressort que « les crédits ouverts au titre d’un exercice
n’emportent qu’une faculté d’utilisation en l’absence d’obligation juridique rendant l’Etat débiteur »614. Les crédits
correspondent à une enveloppe financière octroyée pour une année aux ministres dépensiers selon
les lois de finance. Aujourd’hui, les crédits initialement dévolus pour une mission peuvent être
remis en cause en cours d’année ce qui vient fragiliser les projets et les pilotages financiers. Des
mesures de régulation budgétaire peuvent donc être mises en œuvre comme celle du gel qui consiste
609
M. WEILL, B. MENAY, R. DAUVERGNE et alii, Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions, op. cit., p. 77.
610
M. BOUVIER, N. MAZIAU, A. DUMONT, et alii, Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ?, op. cit., p. 75.
611
M. BAS, Rapport d’information sur le redressement de la justice, op. cit., p. 208.
612
Cette proposition sera postérieurement approfondie.
613
M. BOUVIER, N. MAZIAU, A. DUMONT, et alii, Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ?, op. cit. p. 98.
614
Ibid. p. 96.
148
à bloquer des fonds pendant une certaine période. Les propositions issues des rapports de
Messieurs Bouvier et Bas consistent à sanctuariser le budget de l’autorité judiciaire pour reprendre
le terme de ce dernier. L’utilisation de ce vocable n’est pas anodine. La sanctuarisation ramène au
sacré et plus largement à ce qui est intouchable. L’idée serait de supprimer les mesures de régulation
tel que le gel pour que les juges puissent appréhender de la meilleure façon les fonds dont ils
disposent sur une année. Par cette reconnaissance, cela signifierait qu’une fois les crédits alloués,
ils seraient préservés et sécurisés ce qui permettrait une meilleure gestion financière puisqu’il n’y
aurait plus d’aléa.
196. Cette proposition est envisageable puisqu’à titre comparatif, le juge administratif ne connaît
pas de mesures de régulation budgétaire telle que le gel615. Il reçoit une somme qu’il pourra utiliser
au cours de l’année sans qu’elle puisse être modifiée. S’ajoute à cela qu’en cas de manquement de
financement pour une juridiction administrative, une aide supplémentaire pourra être demandée
par le chef de juridiction au Conseil d’Etat. Dans cette situation, son projet sera analysé afin de lui
accorder ou non ce complément financier616. La différence avec le budget octroyé à l’autorité
judiciaire tient au fait qu’il n’est pas automatiquement pleinement acquis. L’exemption permettrait
de mettre fin à ce qui est appelé le stop and go qui correspond aux phases de gels et dégels, de
blocage et déblocage des sommes, entraînant des à-coups dans la gestion financière. Il est vrai que
« les modifications fréquentes en cours d’année des moyens alloués entraînent une véritable imprévisibilité de la gestion,
préjudiciable aux juridictions. Ceci est la conséquence des gels budgétaires importants affectant les crédits mis à
disposition du ministère de la Justice en début d’année par le ministère de l’économie et des finances »617. Au vu de
son applicabilité dans le domaine administratif, il convient de reconnaître sa transposition dans
l’ordre judiciaire et corrélativement de l’admettre expressément en modifiant le texte de la LOLF
tel qu’il est préconisé aux seins des rapports précités.
Une rationalisation financière pourrait ensuite être réalisée à la suite de la révision de la carte
judiciaire des cours d’appels. Au-delà des économies réalisées, cette réorganisation permettrait de
renforcer l’efficacité des collégialités.
615
Ibid.
616
Ibid. p. 41.
617
Ibid. p. 42.
149
B. Une rationalisation financière par la révision de la carte judiciaire des cours
d’appels
197. Nombreux sont ceux qui auraient souhaité que la réforme de la carte judiciaire soit étendue
aux juridictions du second degré. Au regard des répercussions positives qu’elle pourrait revêtir aussi
bien sur les collégialités que sur les coûts de fonctionnement de la justice, il conviendrait de la
mettre en oeuvre. Ici encore, une réduction des frais ne nécessite pas forcément la suppression de
collèges, mais leur réadaptation.
Concernant les collégialités, si elles caractérisent déjà la composition des cours d’appel en
représentant une certaine qualité puisque ses magistrats sont nécessairement des professionnels du
droit, elle pourrait être renforcée grâce à cette réforme. Selon Monsieur Bas, pour atteindre une
qualité de décision il faut que les juges soient spécialisés. Il relève qu’une cour d’appel comprend
plusieurs chambres, donc plusieurs domaines, ce qui implique un nombre important de magistrats.
Or, moins une juridiction regroupe de magistrats, plus il sera complexe qu’ils soient spécialisés dans
des matières différentes. Certaines juridictions comprennent une dizaine voire une vingtaine de
magistrats du siège ce qui est insuffisant. En 2016, la cour d’appel de Pau comprenait vingt-quatre
juges du siège, contre trente-deux à Nîmes618. Cette même idée se retrouve dès les prémices du
rapport mené sous la présidence de Monsieur Bouvier619 où il reconnaît que la charge de travail
des tribunaux est en constante augmentation alors qu’il est demandé aux juges qu’ils soient de plus
en plus spécialisés bien que le droit se complexifie620. Un remaniement de la carte judiciaire des
juridictions du second degré permettrait de favoriser l’efficience de la collégialité tout en contrant
ces problématiques.
Tel qu’il a été souligné par Monsieur Jean-Claude Marin lors d’une audience solennelle de
2017, « sans réforme ambitieuse de structures, telle notamment une grande réforme de la carte judiciaire des Cours
d’appel, tout effort matériel ne pourra qu’apparaître comme un saupoudrage et générer des insatisfactions »621. Pour
ce faire, la Cour des comptes s’appuie sur la réforme de la carte judiciaire des juridictions de
première instance qui témoigne « que la réforme d’un grand service public est possible, qu’elle peut avoir un
coût initial maîtrisé […]et que, nonobstant les critiques qu’elle a pu susciter dans un premier temps, et ses inévitables
imperfections, elle est porteuse d’effets positifs »622. Ainsi, au sein de la soixante-dix-septième proposition
618
M. BAS, « Rapport d’information sur le redressement de la justice »., op. cit., p. 201.
619
M. BOUVIER, N. MAZIAU, A. DUMONT, et alii, Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ?, op. cit.
620
Ibid. p. 73.
621
« Allocution de Monsieur Jean-Claude Marin, Procureur général près la Cour de cassation, audience solennelle de début
d’année », Cour de cassation, 13 janvier 2017.
622
COUR DES COMPTES, La réforme de la carte judiciaire : une réorganisation à poursuivre, op. cit., p. 36.
150
de son rapport, Monsieur Bas suggère à juste titre qu’il faudrait « sans calquer la carte des cours d’appel
sur la carte des régions administratives, réduire le nombre des cours d’appel pour permettre un fonctionnement plus
optimal de chacune d’elles ». La suppression de certaines cours d’appel permettrait de réduire les coûts
immobiliers, donc de réaffecter ces moyens. L’idée de réduire leur nombre se retrouve dans le
rapport sur « les dépenses de fonctionnement courant des juridictions »623 tandis que l’expression de « cours
d’appel de taille pertinente » apparaît au sein du rapport du groupe de travail présidé par Monsieur
Marshall624. La Chancellerie travaillerait sur cette éventuelle réforme625.
623
M. WEILL, B. MENAY, R. DAUVERGNE et alii, Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions, op. cit., p. 36.
624
D. MARSHALL et al., Les juridictions du XXIème siècle, op. cit., p. 69.
625
O. DUFOUR, « La Chancellerie travaille dans l’ombre à une réforme des cours d’appel », Gaz. Pal., Lextenso, n° 9, 28 fév. 2017,
p. 10.
151
Chapitre 2 - La communication des opinions dissidentes entre
juridictions comme solution de rationalisation de la collégialité
198. Les opinions dissidentes s’insèrent plus largement dans les opinions individuelles, les
subdivisions de ces dernières étant multiples. Les opinions individuelles, dites aussi séparées, sont
définies par Madame Wanda Mastor comme « des opinions alternatives à celle de la majorité, rédigées par
un ou plusieurs juges, soit parce qu’elles proposent une solution différente, soit parce qu’elles proposent un fondement
différent pour une solution identique. Les premières sont des opinions dissidentes, les secondes, des opinions
concordantes »626. Puisqu’un juge unique délibère avec lui-même627, est-il aussi concerné par les
opinions séparées ? Il convient d’apporter une réponse négative à cette interrogation car s’il connaît
de grandes hésitations et qu’il est face à une difficulté, il a le pouvoir de renvoyer l’affaire à une
collégialité628. Par conséquent, il ne saurait connaître de telles contradictions. Il faut en déduire que
cette thématique concerne exclusivement la collégialité. L’expression d’opinions séparées réunie
aussi bien les avis des juges d’accords avec la solution retenue, que ceux qui ne le sont pas.
Communiquer les opinions allant en faveur de la décision rendue pourrait sembler surprenant mais
il peut être perçu une volonté de conforter une solution, quand bien même elle aurait obtenu les
faveurs des autres membres. En effet, l’opinion concordante trouve son fondement à l’appui
d’autres textes que ceux utilisés pour la rédaction de la motivation par exemple. Si la solution est la
même, le raisonnement suivi est différent.
199. Les opinions dissidentes se subdivisent à leur tour. Elles peuvent être totales, ce qui
correspond au cas où un juge va être en tout point en désaccord avec la majorité concernant le
dispositif. Ou elles peuvent être partielles, auquel cas il va être en désaccord sur certains éléments
du dispositif. Dans cette hypothèse, son opinion est dite partiellement dissidente629. Au vu de ces
éléments, deux remarques doivent être établies. La première consiste à dire que les subdivisions
des opinions séparées, à savoir : concordante, dissidente, totalement dissidente, partiellement
dissidente, ne doivent pas être perçues comme étant un frein à leur appréhension et leur lisibilité.
Au contraire, ces distinctions permettent de comprendre au mieux les situations qui peuvent se
626
W. MASTOR, « Point de vue scientifique sur les opinions séparées des juges constitutionnels », D., 2010, p. 714.
627
A. BOLZE, « Le délibéré ou les mystères de la fabrication du droit », op. cit., p. 4.
628
Article 804 CPC, exemple se rapportant à la procédure devant le tribunal de grande instance.
629
F. RIVIERE, Les opinions séparées des juges à la Cour européenne des droits de l’homme : essai d’analyse théorique, op. cit., p. 124.
153
rencontrer en présence d’un collège de juges. La seconde remarque tient au fait que notre
proposition concerne uniquement la communication des opinions dissidentes. Elles comprennent
donc celles qui sont totales et ne concernent que les désaccords lorsqu’elles sont partielles.
200. L’idéologie consistant à reconnaître les opinions séparées des juges en droit français, bien
que discrète, n’est pas nouvelle. Il était déjà évoqué en quelques lignes dans le rapport intitulé « La
prudence et l’autorité, l’office du juge au XXIème siècle » qu’il pourrait être introduit dans les
hautes cours les éventuelles opinions dissidentes de ses membres630. Plus récemment, Monsieur
Gramaize affirmait qu’un « moyen d’améliorer la collégialité à la française serait d’autoriser les opinions
divergentes »631. Cette idée s’est ici encore retrouvée dans une allocution de Monsieur Macron. Lors
de son discours devant la Cour de cassation, il avait déclaré, qu’il « souhaite que la force de la procédure
et de la délibération puisse être affermie, mieux comprise et que nous réfléchissions collectivement à quelque chose qui
n’appartient pas à notre tradition, je dois le dire, mais qui existe davantage dans d’autres univers juridiques, à
l’introduction au moins dans les cours faîtières d’opinions dissidentes »632. Toutes ces suggestions insistent sur
la communication des opinions dissidentes ce qui revient à exclure celles qui seraient concordantes.
En outre, elles ne concerneraient que les juridictions supérieures. Si notre objectif est identique
puisqu’il consiste à améliorer la qualité de l’administration de la justice en réadaptant la collégialité
afin qu’elle puisse perdurer, ses modalités divergent. S’ajoute à cela, comme l’a justement souligné
Monsieur Guinchard, que la reconnaissance des opinions dissidentes permettrait de faciliter la mise
en œuvre de la responsabilité des juges appartenant à une collégialité633.
201. Il convient de spécifier que contrairement à ce qu’il pourrait être imaginé, le droit français
admet dans certaines hypothèses la communication des opinions dissidentes des juges634, ce qui
conforte l’applicabilité de cette suggestion. Cette affirmation se confirme au regard d’une décision
rendue par la cour d’appel de Paris concernant un arbitrage international. Selon les juges,
« l’inobservation du secret du délibéré n’est pas, par lui-même, une cause d’annulation de la sentence sauf si elle a
pour effet de violer l’ordre public international ; que la conception française de cet ordre public n’est pas froissée par
630
A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et alii, La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIème siècle, op. cit., p. 79.
631
P. GRAMAIZE, « Digressions théoriques sur le traitement des contentieux insolites du tribunal de grande instance », op. cit., p.
20.
632
« Discours du Président de la République devant la Cour de cassation », Présidence de la République, service de presse, 15
janvier 2018.
633
S. GUINCHARD, « La responsabilité des magistrats », Gaz. Pal., Lextenso, no 98, 8 avril 2006, p. 2.
634
A. DE FONTMICHEL, M. DONATO, et A. MEYNIEL, « Vue d’ensemble du régime juridique du délibéré arbitral en droit français
de l’arbitrage », Cahiers de l’arbitrage, no 2, 1 juin 2014, p. 207.
154
l’expression d’opinions dissidentes ou séparées à moins qu’il n’en résulte une méconnaissance du principe de collégialité
et de la réalité du délibéré »635.
202. Pour une instauration réussie, plusieurs paramètres sont à prendre en considération. Il s’agit
d’abord de ne pas contredire les grands principes du procès civil afin de s’inscrire dans la continuité
de notre culture juridique. Cette mise en place doit ensuite être simple et claire sans quoi elle serait
inefficace et ne pourrait s’inscrire sur la durée. Enfin, il s’agit de rationaliser le système judiciaire en
utilisant des outils numériques puisqu’ils ne cessent d’y prendre de l’ampleur. Cette solution
permettrait ainsi de l’adapter à son temps.
203. Il convient de démontrer qu’une réinterprétation des modèles étrangers est nécessaire afin
d’assurer une adéquation à la culture française (Section 1) ce qui nécessite d’établir une distinction
entre les intervenants au procès face à l’instauration des opinions dissidentes (Section 2).
635
Ibid.
155
Section 1 - La nécessaire réinterprétation des modèles étrangers au service
d’une adéquation à la culture française
204. Dans le droit positif français contemporain, la collégialité en procédure civile est perçue
comme une formation harmonieuse puisqu’il n’est pas communiqué aux justiciables la position des
juges à l’origine de leur décision. L’objectif consiste à améliorer la qualité de la prise de décision
des magistrats supérieurs tout en préservant cette conception. Dès lors, il convient de s’inspirer des
modèles étrangers afin de les réadapter à la procédure civile française (§1) car les différences de
cultures font obstacle à une transposition d’un modèle préétabli. Si pour ces détracteurs la
communication des opinions dissidentes représente « un changement culturel pour lequel on n’est pas prêt
du tout »636, un aménagement sur mesure permet de faire face à cette critique. Comme l’affirmait
Monsieur Ancel, ancien président de la première chambre civile de la Cour de cassation, « l’opinion
dissidente est un quasi-tabou de notre procédure […]. En traiter relève donc de la provocation, sinon de la subversion,
tant il est vrai que cette pratique est profondément étrangère à notre culture juridique et, surtout, judiciaire »637. Il
convient d’aller au-delà de ces allégations et d’exposer les raisons pour lesquelles il serait nécessaire
de reconnaître la communication des opinions dissidentes entre juridictions françaises (§2) en
sachant qu’elles faciliteraient l’appréhension des litiges devant être jugés collégialement. En effet,
lorsqu’une voie de recours est exercée, cette formation est inévitablement compétente.
205. La collégialité n’est pas une exclusivité française puisque certaines juridictions européennes
ou d’autres systèmes juridiques font appel à cette formation. Pour autant, la communication de ses
décisions diffère en révélant parfois la position des juges concernant l’affaire qu’ils ont eu à traiter.
Si certains reconnaissent les opinions individuelles (A), par opposition, le droit français se
caractérise par l’absence de communication de celles-ci (B). Face à ces disparités, certains se sont
interrogés sur l’opportunité d’une instauration d’un modèle unique du rendu de la justice pour
636
O. DUFOUR, « La Cour de cassation répond aux critiques concernant le filtrage des pourvois », n° 172-173, Petites affiches,
Gaz. Pal., 29 août 2018, p. 4.
637
J-P. ANCEL, « Les opinions dissidentes », Cour de cassation, 18 octobre 2005, p. 2.
157
l’ensemble des pays européens638. Monsieur Badinter y était défavorable compte tenu de sa
complexité de mise en œuvre qui impliquerait de recourir « à une collégialité universelle dans l’Union
européenne » alors que certains sont attachés aux juges uniques639. Ici encore, l’important est de
moduler les mécanismes existants tout en ne dénaturant pas totalement la tradition.
206. La communication des opinions individuelles des membres d’une collégialité au sein d’une
décision de justice est un procédé qui a déjà vocation à s’appliquer en dehors de notre territoire. Il
s’agit de l’appréhender à travers une juridiction, à savoir, la Cour européenne des droits de l’homme
(1) mais aussi un système judiciaire, celui de Common law (2) compte tenu de leur rayonnement.
207. La Cour européenne des droits de l’homme, plus communément désignée sous l’acronyme
CEDH possède son siège à Strasbourg640 et est entrée en fonction le 21 janvier 1959. Pour que les
justiciables puissent la saisir, ces derniers doivent avoir épuisé toutes les voies de recours internes
en sachant que les Etats ont également cette faculté. Sa mission consiste à s’assurer que la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée
à Rome le 4 novembre 1950641 est respectée par ses états signataires. En France, huit-cent-soixante-
quatorze requêtes avaient été déclarées irrecevables ou avaient été rayées du rôle en 2016642. C’est
la violation de son article 6 qui est le plus souvent commise par les Etats. En 2016, elle représentait
22,96 %. Pour autant, elle n’est pas souvent constatée en France, les atteintes au droit à la liberté
et à la sûreté y étant plus nombreuses643. Sa collégialité regroupe quarante-sept juges. Ce nombre
correspond à celui des Etats membres du Conseil de l’Europe sans pour autant qu’ils représentent
leur pays ceux-ci étant indépendants. En France le juge compétent est Monsieur André Potocki.
Les juges sont élus pour une durée de neuf ans. La collégialité y prend différentes formes. Elle
comprend un comité de trois juges, une chambre de sept juges en formation ordinaire et une grande
638
« Pour une justice économique efficiente en Europe - Réflexions conclusives, par Robert Badinter », Gaz. Pal., Lextenso, no
239, 26 août 2008, p. 58.
639
Ibid.
640
Afin de bénéficier d’informations supplémentaires sur la Cour européenne des droits de l’homme se référer à son site officiel :
www.echr.coe.int
641
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
642
La CEDH en faits et chiffres, 2016, p. 8.
643
Ibid. p. 7 et 10.
158
chambre de dix-sept juges en formation extraordinaire. Là encore, la complexité d’une affaire
justifie de recourir à une plus grande collégialité.
208. Cette Cour permet d’assurer une continuité de la procédure civile compte tenu de la portée
de ses arrêts qui bénéficient d’une force obligatoire, ce qui signifie que les Etats ont l’obligation
d’appliquer ses décisions. Pour ce faire, le Comité des Ministres s’assure de leur bonne exécution.
Dans ces circonstances, le droit communautaire prévaut sur le droit interne tel que l’illustre l’article
55 de la Constitution de 1958 ou le célèbre arrêt Jacques Vabre644. Cette primauté du droit
communautaire fait qu’aujourd’hui « chaque juge national est devenu un juge européen »645 puisque les
mêmes grands principes devront être respectés par ce dernier tel que celui du procès équitable.
209. Devant cette juridiction, les juges peuvent exprimer leurs potentielles opinions séparées
contrairement aux juridictions de la procédure civile646. L’article 45 (2) de la Convention
européenne des droits de l’homme prévoit que « si l’arrêt n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion
unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son opinion séparée ». Elles seront donc
concordantes ou dissidentes en sachant qu’il sera aussi communiqué dans la décision, le nombre
de juges majoritaires et minoritaires. Pour ses partisans, elles permettent de montrer aux parties au
litige qu’elles ont bien été entendues647. Pour d’autres, « l’opinion séparée consiste […] essentiellement à
« répondre » à la majorité de la Cour. Etre une « réplique » à l’arrêt, telle est donc essentiellement l’intrinsèque
nature de l’opinion séparée »648. S’y adjoint que la motivation des décisions est par leur reconnaissance
plus riche que celle pratiquée par les juges français. Ceci s’explique par le rayonnement de la
jurisprudence de cette Cour qui pour rappel, prévaut notamment sur le droit français.
Depuis le fonctionnement de la CEDH « seuls 25 % de ses arrêts sont rendus à l’unanimité, 15 %
contiennent une ou plusieurs opinions dissidentes et 60 % sont accompagnés d’une ou plusieurs opinions
concordantes »649. Autrement dit, plus de la moitié des opinions séparées s’inscrivent dans la lignée
de la décision. Une illustration d’opinions dissidentes est présente dans la célèbre affaire Lambert
portée devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, dans laquelle cinq
644 Ch. Mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre, n° 73-13556, Bull. civ., n° 4, p. 6.
645
« Pour une justice économique efficiente en Europe - L’harmonisation par les juges », Gaz. Pal., Lextenso, no 234, 21 août 2008,
p. 19.
646
J. VAILHE, « L’apport des opinions individuelles des juges dans l’analyse de la jurisprudence de la Cour européenne », Dalloz,
RSC, 1998, p. 83.
647
Y. LAURIN, « Le secret du délibéré », Dalloz, 2007, p. 856.
648
F. RIVIERE, Les opinions séparées des juges à la Cour européenne des droits de l’homme : essai d’analyse théorique, op. cit., p. 133.
649
J. MALENOVSKY, Les opinions séparées et leurs répercussions sur l’indépendance du juge international, 20 fév. 2010, p. 48.
159
juges avaient exprimé leur désaccord avec la solution retenue650. Par opposition, la Cour de justice
de l’union européenne ne fait pas connaître les opinions séparées de ses juges. Une de ses
justifications tient au fait que « ce secret du délibéré permet d’éviter que les Etats membres s’intéressent à ce que
décide le juge possédant leur nationalité »651.
Si la Cour européenne des droits de l’homme communique les opinions individuelles de ses
juges, le système de Common law connaît aussi cette pratique.
210. Les opinions séparées sont originaires du droit américain et ont permis à sa Cour suprême
d’être reconnue sur la scène internationale tout en assurant un rayonnement de ce droit. Les pays
concernés par la Common law sont nombreux. Ce système juridique s’applique notamment à
l’Angleterre, les Etats-Unis, le Canada et les pays du Commonwealth. Quant au rendu de la justice,
contrairement au modèle français, les juges sont nécessairement des anciens avocats bénéficiant
d’une certaine renommée. Cette désignation s’inscrit dans des objectifs de bonne administration de
la justice et dans une volonté de traiter les affaires avec qualité car grâce à son expérience pratique
du barreau, le juge aura acquis la confiance et la maîtrise nécessaire pour accéder à cette fonction652.
211. Une autre distinction tient au fait que « la caractéristique principale est d’avoir instauré la
jurisprudence comme source principale du droit, la loi n’étant que secondaire »653. Le droit français s’appuie sur
une logique inversée qui s’inscrit dans une tradition civiliste. Dans cette dernière, le raisonnement
juridique correspond à la méthode déductive c’est-à-dire que les juges vont s’appuyer sur des textes
codifiés afin d’apporter une solution aux justiciables. Dans cette perspective, la Cour de cassation
est venue préciser « que le jugement doit, à peine de nullité, exposer succinctement les prétentions respectives des
parties ainsi que leurs moyens et être motivé ; qu’il ne peut y être suppléé par référence à une autre décision, fût-elle
annexée, qui n’a pas été rendue dans la même instance »654. Ou encore, « pour motiver sa décision, le juge ne peut
se borner à se référer à une décision antérieure, intervenue dans une autre cause »655. Les références à une même
650
CEDH, Affaire Lambert et autres contre France, Requête n° 46043/14, 5 juin 2015.
651
O. DUFOUR, « Deux jours à la Cour de justice de l’Union européenne », op. cit., p. 7.
652
A. J. BULLIER, La Common law, 4ème éd., coll. Connaissance du droit, Dalloz, 2016, p. 73.
653
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, p. 111.
654
Com. 8 juin 1993, n° 90-16634, Bull. civ. 1993, IV, n° 224, p. 160.
655
Civ. 2ème, 2 avril 1997, n° 95-17937, Bull. civ. 1997, II, n° 102, p. 58.
160
instance ou une autre cause témoignent que chaque affaire est traitée comme si la problématique
était unique. Pour autant, d’aucuns considèrent que « même si les juges font un effort constant, et c’est
l’essence de l’acte de juger, pour se soumettre à l’inexorable rigueur du raisonnement juridique déductif, et éliminer
leur propre subjectivité de l’appréciation d’un dossier, même si la collégialité favorise cette inclinaison, il n’en reste pas
moins que la personnalité du juge ne peut totalement être mise entre parenthèses »656. La collégialité apparaît
cependant comme un facteur permettant de la contrecarrer.
A contrario, en Common law, le raisonnement suivi est inductif. Autrement dit, les juges
vont utiliser des décisions antérieures où les faits étaient semblables pour trancher un litige657. Cette
conception correspond à la règle du précédent puisque les juges vont fonder leurs jugements sur
des décisions passées658. Sa justification tient au fait qu’elle permet de garantir une certaine sécurité
juridique659 mais elle ne doit pas être perçue de façon stricte. Comme le droit est amené à évoluer,
les juges gardent une marge de manœuvre quant à son application ou non660. Deux conditions
doivent être remplies pour que la règle du précédent soit applicable. La première est que la décision
invoquée à titre de précédent doit avoir été apportée par une juridiction supérieure ou de même
rang que celle saisie. La seconde condition nécessite que les faits qui avaient été jugés soient
identiques661. Pour certains, il convient d’introduire cette méthode de « référence à des précédents
arrêts »662 en France car elle permettrait notamment de rassurer les justiciables. Par opposition, pour
ses contradicteurs, la mise en œuvre des précédents pourrait « fortement atténuer la possibilité pour le
juge de faire des choix »663. Cette instauration n’est pas en adéquation avec la culture française. Il est
également supposé qu’elle aurait une répercussion négative sur les collégialités. Suite à cette
application, leur nombre pourrait être réduit, une décision n’impliquant plus de grandes
discussions.
212. A l’instar des juges Strasbourgeois, les opinions individuelles des juges sont ici reconnues ce
qui pour Madame Smedley, permet aux justiciables de ne pas être confrontés à une institution
656
P. MBONGO, La qualité des décisions de Justice, éd. Conseil de l’Europe, p. 89.
657
M-F. ALBERT, Le style de la Common law, vol. n° 26, coll. Common law en poche, 2005, p. 25.
658
Ibid. p. 30.
659
R. LEGEAIS, Grands systèmes de droit contemporains, approche comparative, 3e éd., LexisNexis, 2016, p. 91.
660
R. DAVID, C. JAUFFRET-SPINOSI et M. GORE, Les grands systèmes de droit contemporains, 12ème éd., Précis Dalloz, 2016, p. 319.
661
R. LEGEAIS, Grands systèmes de droit contemporains, approche comparative, op. cit.
662
« Accéder au juge suprême », colloque Université Toulouse 1 Capitole, 21 janv. 2016.
663
Le dialogue des juges, Mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois, Dalloz, 2009.
161
anonyme664. Ce propos est à nuancer car le nom des juges est retranscrit sur les décisions françaises,
qu’ils aient statué collégialement ou non. D’aucuns considèrent que « caché derrière la collégialité et
l’anonymat de la phrase judiciaire unique, le juge civiliste, simple interprète du code, semble se séparer en tout point
de son homonyme de Common law, investi d’un véritable pouvoir judiciaire, qui n’hésite pas à asseoir son prestige et
son individualité sur les opinions créatrices, longuement motivée, et le cas échéant dissidentes »665. Les réticences
d’instaurer ce mécanisme en droit français tel qu’il s’applique en Common law se justifie par leur
différence de conception de la justice.
213. A titre d’exemple, l’affaire Dred Scott contre Sandford rendue par la Cour Suprême des
Etats-Unis le 6 mars 1857, permet d’apporter d’autres précisions666. Un esclave, Monsieur Dred
Scott, demandait à devenir un homme libre. Sa requête avait fini par être portée devant la Cour
suprême des Etats-Unis qui statuait de manière collégiale. La majorité des juges la composant
refusait de reconnaître la citoyenneté aux esclaves. Il n’était donc pas fait droit à la demande de
Monsieur Scott. Un des juges, Monsieur Curtis s’était opposé à ce courant majoritaire en émettant
une opinion dissidente. Ce dernier était appuyé par un autre juge. La prise de position des magistrats
dans ce litige a d’ailleurs soulevé de nombreux débats quant aux arguments avancés au soutien de
cette décision. Il était notamment reproché au président de cette Cour, Monsieur Taney qui était
un esclavagiste, d’avoir utilisé la Constitution comme fondement. Celui-ci soutenait que la
Constitution avait toujours reconnu les personnes de couleur comme étant inférieures. Si la
position de la Cour suprême était surprenante puisqu’elle reconnaissait le maintien de l’esclavage,
l’opinion dissidente de Monsieur Curtis reste connue concernant cette affaire. La communication
des opinions individuelles des membres d’une collégialité permet d’asseoir la réputation et le
prestige des juges qui la composent. Il arrive qu’en pratique des juges soient directement associés
à la juridiction dans laquelle ils siègent au regard de leur influence. Par ailleurs, les opinions
minoritaires sont importantes à prendre en considération dans ce système puisqu’elles vont
permettre aux juges qui opéreraient un revirement de jurisprudence de s’appuyer sur ledit
raisonnement compte tenu de l’importance du précédent. A fortiori, il faut savoir que dans les
systèmes de Common law, « la justice procède d’une décision rendue par un homme (judge made law). Dans ce
cas, le juge porte la responsabilité directe de ce qu’il a décidé. Un juge américain, par exemple, signera sa décision,
664
A. SMEDLEY, « Common(s) law et souveraineté. Cahiers d’économie politique / papers in political economy », n° 40-41,
L'Harmattan, fév. 2001.
665
D. FAIRGRIEVE et H. MUIR WATT, Common law et tradition civiliste, PUF, coll. Droit et justice, 2006, p. 10.
666
Pour plus d’informations sur cette affaire se reporter notamment à : C. JULIEN, « De “Negro London” à Dred Scott, ou notes
sur un imbroglio blanc », RFEA, vol. 54, n° 1, 1992.
162
rédigée à la première personne, alors que jamais un juge français ne rendrait des décisions en son nom propre. La
personnification des jugements est telle aux Etats-Unis que, dans les décisions collégiales, les opinions individuelles
de tous les juges ont voix au chapitre »667. En effet, la France se caractérise par l’absence de
communication des opinions individuelles des juges.
214. Aujourd’hui, deux grands principes du procès civil justifient l’absence de communication
des opinions individuelles en droit français. Elle tient d’abord à l’exigence de respecter le secret du
délibéré (1). Leur reconnaissance serait selon l’expression de Monsieur Costa, « une entorse »668 à ce
principe général du droit669. Elle représenterait pour ses contempteurs, « une atteinte intolérable au
secret du délibéré »670. Elle tient ensuite à l’anonymisation des décisions de justice (2).
215. « Les délibérations des juges sont secrètes »671. Ce principe implique des exceptions comme en
témoigne les cas où des intervenants judiciaires vont participer à cette phase procédurale. Soit ils
pourront être consultés, soit ils pourront seulement être présents. Dans tous les cas, au mieux, leurs
avis seront simplement consultatifs sans que les juges aient à s’y tenir. Dès lors, les auditeurs de
justice peuvent « siéger en surnombre et participer avec voix consultative aux délibérés des juridictions civiles »672.
Le terme de surnombre permet d’exprimer que l’ajout de personnes aux côtés des juges ne
correspond pas au principe initial. La formulation est plutôt synonyme d’étouffement, d’asphyxie,
ce qui permet de retranscrire que la situation n’est pas naturelle et qu’elle doit être utilisée avec
parcimonie. Par contre, « les élèves des centres régionaux de formation professionnelle d’avocats effectuant un
667
J. ALLARD et A. VAN WAEYENBERGE, « De la bouche à l’oreille ? Quelques réflexions autour du dialogue des juges et de la
montée en puissance de la fonction de juger », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 61, 2008.
668
J-P. COSTA, « En quoi consistent les opinions séparées, dissidentes ou concordantes ? Quels en sont leurs mérites ? », justice en
ligne, 13 janvier 2012.
669
CE, 17 nov. 1922, Légillon, Rec. p. 849. Il ressort de cette décision que le secret du délibéré « a pour objet d’assurer l’indépendance des
juges et l’autorité morale de leurs décisions ».
670
J-P. ANCEL, « Les opinions dissidentes », op. cit., p. 2.
671
Article 448 CPC.
672
Article 19, chapitre II, section I : de l’accès au corps judiciaire par l’Ecole nationale de la magistrature, ordonnance n° 58-1270
du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
163
stage dans une juridiction peuvent assister aux délibérés, ils ne peuvent y participer »673. Le fait que les élèves
avocats ne puissent pas être consultés674 s’explique probablement par la finalité de leurs études. En
exerçant la profession d’avocat, ils auront pour mission de défendre les intérêts de leurs clients
mais non de les juger. Donner un pouvoir, quand bien même seulement consultatif aux auditeurs
de justice permet de les confronter et de les immerger dans leurs futurs métiers car ils seront amenés
à trancher des litiges par la suite. C’est peut-être une des explications de la différence de traitement
entre auditeurs et futurs avocats. Leur présence ne modifie pas la collégialité car ici, seuls peuvent
être émis des avis. La composition lors du délibéré est strictement encadrée ce qui explique qu’un
arrêt puisse être censuré du fait de la participation d’un greffier à ce dernier675.
216. Tout ce formalisme, c’est-à-dire la mise en place d’un secret, de discussions souvent à voix
basse, d’une décision débattue en terrain fermé exceptionnellement accessible sans jamais qu’une
opinion extérieure ne s’impose aux juges, permet de conforter l’unicité d’une formation collégiale.
Le secret du délibéré permet de protéger ce qui « est le plus sacré : pouvoir débattre au sein d’une collégialité
sans craindre que ses propos, ses hésitations, ses éventuels revirements, son vote ne soient divulgués à l’extérieur »676.
D’aucuns considèrent d’ailleurs que les garanties accordées à la collégialité sont telles qu’il faudrait
généraliser sa mise en oeuvre677.
217. La phase du délibéré amène à établir une analogie avec la collégialité et la démocratie. Celles-
ci apparaissent intimement liées. En effet, « la collégialité qui implique délibération de plusieurs personnes et
vote à la majorité est un élément fondamental du système démocratique »678. Il est vrai que durant les délibérés,
les membres de la collégialité pourront partager leurs opinions sur le cas litigieux. Pour certains,
afin d’assurer un prolongement du système démocratique, il serait souhaitable que les juges fassent
connaître leurs potentielles opinions dissidentes. Cette reconnaissance permettrait d’admettre tous
673
Article 12-2, Titre 1er, Chapitre II : de l’organisation et de l’administration de la profession, loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971
portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Civ .3ème, 19 mars 2008, n° 07-11383, Bull. civ. 2008, III, n° 50 et
Civ. 2ème, 9 septembre 2010, n° 09-67149, Bull. civ. 2010, II, n° 145.
674
Crim. 7 mai 2008, n° 08-81318, Bull. crim. 2008, n° 107 : une élève assermentée au CRFPA de Toulouse avait eu une voix
consultative pendant des délibérés.
675
Civ. 2ème, 6 déc. 1989, n° 88-18764.
676
O. DUFOUR, « Jean-Michel Hayat prend les rênes du TGI de Paris », Petites affiches, Gaz. Pal., no 186, 17 septembre 2014, p.
4.
677
SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, Pour une Révolution judiciaire : refonder la justice au service de la démocratie, op. cit., p. 13 et J-C.
MAGENDIE et alii
678
Colloque, op. cit.
164
les points de vue ce qui serait davantage en accord avec notre société679. Pour d’autres, le fait que
les justiciables aient accès à au moins deux degrés de juridiction devrait suffire dans une société qui
se veut démocratique680.
Le secret du délibéré n’est pas l’unique principe à l’origine de la non-admission des opinions
individuelles des juges. S’y adjoint celui de l’anonymat des décisions de justice.
218. Comment une décision peut être rendue de façon anonyme, alors que les noms des juges
auteurs de cette dernière sont connus ? Certes, la composition de la juridiction est indiquée sur la
décision mais cette information ne permet pas d’établir la prise de position de chacun. Ainsi, la
collégialité permet d’assurer une protection grâce à l’anonymat des décisions de justice681.
L’anonymat est vecteur à long terme d’aisance dans l’exercice de la fonction juridictionnelle. Il
s’additionne à la vertu pédagogique que revêt une formation collégiale car elle permet
d’accompagner des nouveaux juges à accomplir la difficile mission qui leur est confiée. Elle ne
remporte pas seulement des avantages à leur égard, mais aussi envers ceux qui ne seraient pas
spécialisés dans la matière dont relève le contentieux. De ce fait, la collégialité permet « aux juges
une plus grande indépendance en préservant leur anonymat renforcé par le secret des délibérés face au justiciable et
aux médias ainsi qu’à la société »682.
Des votes seront effectués afin que les juges siégeant sur le dossier s’accordent sur la
sentence. S’accordent car bien qu’étant plusieurs, il est impératif qu’ils trouvent un terrain d’entente
et qu’ils proposent une solution unique aux justiciables. Les juges minoritaires doivent donc
impérativement se rallier à la solution qui rapporte le plus de suffrages683. Cette situation serait
pour certains synonyme de compromis684. Eviter les compromis reviendrait à ce que les décisions
de justice soient adoptées à l’unanimité des voix mais cette proposition n’est pas souhaitable au
regard du ralentissement qu’elle provoquerait. En pratique, les membres d’une collégialité vont
679
Le juge de cassation à l’aube du 21ème siècle, Actes du premier Congrès de l’Association des Hautes Juridictions de cassation des pays
ayant en partage l’usage du français, Marrakech, 17 au 19 mars 2004, p. 92.
680
Colloque Accéder au juge suprême, op. cit.
681
G. COUCHEZ et X. LAGARDE, Procédure civile, 17 ème, op. cit.
682
RRJ, PUAM, 2002, n° 96, p. 2198.
683
Article 449 CPC : « La décision est rendue à la majorité des voix ».
684
C. DOST, Collégialité et juge unique dans le droit judiciaire français, op. cit.
165
chacun apporter des fondements lors de la rédaction de la décision pour qu’ils puissent retrouver
leur apport. Une fois encore, l’anonymat garantit la préservation de leur contribution.
219. L’anonymat implique ipso facto d’aborder les modalités attenantes à la communication de la
décision. Lorsqu’une décision a été prise à la majorité des voix, cette mention peut clairement
apparaître dans sa rédaction sans qu’il y ait violation du secret du délibéré à partir du moment où
il ne peut être déterminé la prise de position de chacun des membres685. Cette solution n’implique
pas de remarque particulière. En revanche, tel n’est pas le cas quand une décision est prise à
l’unanimité des voix. Cette indication ne devra pas apparaître sous peine de nullité car l’inscrire
reviendrait à violer le principe du secret du délibéré686. Cette règle pourrait a priori sembler
discutable étant donné qu’en présence d’un juge unique, son nom sera retranscrit. Il y a
effectivement une différence de traitement alors que les situations sont pourtant similaires.
Toutefois, il convient de maintenir cette règle afin d’éviter que les juges appartenant à une
collégialité soient aussi concernés par le profilage de leur façon de juger687.
685
Soc. 3 mai 1973, n° 72-40225, Bull. n° 276, p. 247. : « Le jugement n’indiquant pas quels membres du conseil ont constitué respectivement la
majorité et la minorité, il n’en résulte aucune violation des délibérations ».
686
Soc. 7 juin 1979, n° 77-40677, Bull. n° 493. : Dans cette affaire, les membres du conseil de prud’hommes avaient écrit dans le
jugement qu’il avait été pris à l’unanimité. Cette révélation étant contraire aux secrets du délibéré, la décision a été frappée de nullité.
687
Ce sujet sera ultérieurement approfondi.
166
A. La proposition matérielle de mise en œuvre de ce nouveau procédé
221. S’il est impératif que la collégialité soit toujours perçue comme une formation unitaire, cette
volonté appelle à ce que la communication des opinions dissidentes soit réalisée dans une note
attenante à la première décision (1). Elle concernerait toutes les collégialités, à savoir, les juridictions
de première et seconde instance et la Cour de cassation. L’objectif consiste à faire connaître les avis
divergents quant à l’issue d’une affaire afin de bénéficier d’une meilleure appréhension du débat
qu’elle a pu susciter. Autrement dit, l’important est de comprendre les raisons pour lesquelles il y a
pu y avoir une divergence quant à la solution prononcée. En outre, c’est parce qu’elle concernerait
exclusivement les relations établies entre les juges qu’elle témoignerait une absence de contradiction
avec les grands principes du procès civil (2).
223. Il est proposé qu’en présence d’une opinion dissidente son auteur rédige une note attenante
à la décision prononcée. Attenante car elle serait associée au numéro de pourvoi sans qu’elle
apparaisse sur la première décision. Comme son nom l’indique, les opinions séparées seraient alors
concrètement - séparées - de la décision rendue publique. Il conviendrait d’en limiter la longueur à
un certain nombre de caractères pour ne pas faire obstacle aux objectifs d’efficience et de clarté.
688
A. LANGENIEUX-TRIBALAT, Les opinions séparées des juges de l’ordre judiciaire français, Thèse, Limoges, 30 novembre 2007, p. 288.
167
Leur dématérialisation et leur centralisation dans un logiciel commun permettrait d’en faciliter
l’accès. Dans cette conception, un juge en désaccord avec une solution prendrait quelques minutes
pour en faire connaître les raisons. Ce juge indiquerait son nom sur la note car lorsqu’il y a une
dissidence, l’important est d’affirmer son opinion et de se démarquer de ses collègues. Son point
de vue ne serait donc pas recouvert par l’anonymat. Toujours par souci de lisibilité et d’efficacité,
il conviendrait que cette pratique devienne obligatoire et non pas facultative. L’ensemble de ces
modalités permettent de retranscrire une absence de contradiction avec les grands principes du
procès civil.
224. Afin d’affirmer qu’il n’y a pas de contradiction avec les grands principes du procès civil, il
convient dans un premier temps de s’intéresser à la portée du secret du délibéré. Est-il uniquement
applicable envers les parties, ou s’applique-t-il aussi entre juges ? Un élément de réponse aurait pu
être apporté par l’article 448 du Code de procédure civile disposant que « les délibérations des juges sont
secrètes ». Cette formulation généraliste fait obstacle à l’établissement d’une solution évidente, c’est
pourquoi il revient d’utiliser des mécanismes déjà existants afin d’extraire une réponse. On sait qu’il
est admis que certaines personnes comme les auditeurs de justice ou les élèves avocats, assistent
aux délibérés. Ce secret n’est donc pas impénétrable s’agissant des acteurs judiciaires. De manière
extensive, cette communication à d’autres juges serait une autre exception à ce principe. Dans un
second temps, l’anonymat du juge auteur de la dissidence serait de la même manière préservée dans
ses rapports avec les justiciables. Par voie de conséquence, un secret des minoritaires viendrait
s’ajouter à celui plus large du secret du délibéré, alors que ces répercussions seraient qualitativement
perceptibles.
226. Comme l’explique Madame Langenieux-Tribalat, « le temps de rédaction des opinions séparées,
surtout s’il est correctement encadré, pourrait être compensé par celui qui serait gagné ultérieurement dans l’étude du
168
recours »689. Autrement dit, le temps supplémentaire qui devrait être accordé à la rédaction de
l’opinion dissidente permettrait parallèlement d’en gagner, puisque les juges supérieurs
bénéficieraient d’une plus large vision de l’affaire. Certes, tous les justiciables n’exercent pas une
voie de recours, mais la situation est fréquente. L’exemple le plus éloquent concerne la juridiction
prud’homale, puisque plus de la moitié des jugements font l’objet d’un appel690. Ce tribunal étant
collégial, il est directement concerné par cette suggestion. Il paraît d’autant plus enrichissant que
les opinions divergentes de ses conseillers soient transmises, puisqu’ils bénéficient d’une approche
purement pratique et non juridique du domaine dans lequel ils interviennent. Il est alors intéressant
pour les magistrats de niveau procédural plus élevé de connaître cette perception différente de la
leur.
Si cette reconnaissance est aussi bien positive en amont de l’exercice d’une voie de recours, il
en est de même en aval de celle-ci.
227. Reconnaître les opinions dissidentes entre juridictions serait bénéfique pour plusieurs
raisons. La première est qu’elle permettrait de renforcer la motivation du jugement des premiers
juges car l’opinion majoritaire devra « se montrer à la hauteur de la dissidence »691. Elle sera aussi positive
pour les seconds magistrats puisqu’ils bénéficieront d’une meilleure approche du litige ce qui
facilitera sa compréhension. La troisième raison revient à contrôler le raisonnement juridique de la
majorité, tandis que la quatrième raison s’inscrit dans une volonté de célérité. Traditionnellement,
la ré-appréhension d’une affaire paraît chronophage pour les parties, ces dernières souhaitant qu’il
soit mis fin au plus tôt à leur différend de manière définitive. « Les explications des juges du premier degré
relatives aux raisons qu’ils ont eu de statuer dans un certain sens vont permettre un examen plus rapide du dossier
par les juges du deuxième degré. La décision devrait pouvoir être rendue plus rapidement grâce à l’accès aux opinions
séparées. Si la Cour de cassation pouvait elle-même disposer des opinions séparées des juges du fond lorsqu’un pourvoi
est exercé, surtout si la décision a fait l’objet de deux examens, elle aurait entre les mains des éléments de raisonnement
déjà approfondis »692. Le maximum des vertus de ce concept serait effectivement déployé lorsque
l’affaire est déjà passée par les premier et second degrés procéduraux, les probabilités étant plus
689
Ibid.
690
M. CHABANNE, J. PIGNIER, C. KISSOUN-FAUJAS et alii, Les chiffres-clés de la Justice 2018, op. cit. (66,7 %), p. 12.
691
A. GARAPON et I. PAPADOPOULOS, Juger en Amérique et en France, Odile Jacob, 19 nov. 2003.
692
A. LANGENIEUX-TRIBALAT, Les opinions séparées des juges de l’ordre judiciaire français, op. cit., p. 286.
169
fortes qu’il y ait une opinion divergente. S’il est avancé que la communication des opinions séparées
permettrait d’assurer un gain de temps, l’exclusion des opinions concordantes permet aussi de
s’inscrire dans cette finalité.
Bien que l’admission des opinions dissidentes revête plusieurs avantages, il s’avère
opportun d’établir une distinction entre les différents intervenants au procès.
170
Section 2 - La distinction des intervenants au procès face à l’instauration des
opinions dissidentes
228. Afin d’assurer l’efficacité de ce nouveau concept, une distinction entre les principaux acteurs
du procès civil, à savoir les parties et les juges, doit être opérée. Une généralisation de cette
communication n’est pas opportune car le système français est « axé sur la loi et non sur le juge »693.
De ce fait, il convient d’exclure la communication des opinions dissidentes des juges envers les
justiciables (§1) alors qu’elle doit être admise entre juges (§2).
229. Deux arguments justifient l’éviction de la communication des opinions dissidentes des juges
envers les justiciables. Le premier tient au fait que les avantages sont contestables pour le justiciable
(A) alors que le second argument permet de supposer qu’il y aurait une primauté des inconvénients
sur ses avantages (B).
230. Il pourrait être avancé la thèse selon laquelle la communication des opinions dissidentes
permettrait de retranscrire que la décision a été réfléchie tout en assurant un gain de proximité (1)
des juges envers les parties. De la même manière, elle pourrait permettre une meilleure
compréhension de la solution (2). Toutefois, ces arguments ne sont pas convaincants.
231. La collégialité est « une garantie de justice éclairée »694. Ou pour reprendre les termes de Monsieur
Rosanvallon, la collégialité permet « à une forme d’intelligence collective de se déployer »695. Ainsi, une
693
O. DUFOUR, « La Cour de cassation répond aux critiques concernant le filtrage des pourvois », op. cit., p. 4.
694
S. GUINCHARD et alii, Lexique des termes juridiques 2016-2017, op. cit., p. 206.
695
P. ROSANVALLON, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, éd. Seuil, sept. 2008.
171
« décision discutée en collégialité serait plus réfléchie, plus mûrie, nourrie des réflexions des uns et des autres »696. La
notion de justice éclairée peut être interprétée de différentes manières. A titre d’illustration, grâce
à l’interactivité du délibéré, un des membres du collège pourra porter sa réflexion sur un élément
qu’il n’aurait pas envisagé en étant seul. Ensuite, la décision apportée serait plus réfléchie parce que
la collégialité revêt « une fonction organique d’auto-contrôle de la production des décisions »697. En d’autres
termes, outre l’échange d’arguments qu’elle suscite, l’auto-contrôle de ses membres permet d’éviter
les erreurs. Dès lors, « la collégialité favorise le contrôle mutuel des juges les uns sur les autres et assure la
responsabilité individuelle en les mettant à l’abri de la vindicte des parties »698. Bien que Messieurs Cadiet et
Richer aient rappelé qu’un juge unique n’est pas exempt de contrôle puisque sa décision sera
communiquée publiquement699, ce contrôle ne remplit pas la même fonctionnalité puisqu’il
intervient a posteriori, c’est-à-dire une fois que la décision a été rendue. La collégialité s’avère donc
plus efficace sur ce point.
232. Dans le prolongement de cette conception, afin de matérialiser le fait que la collégialité
permet d’aboutir à une décision réfléchie, il pourrait être avancé la thèse selon laquelle il
conviendrait de communiquer les opinions dissidentes des juges aux justiciables. Pour ses tenants,
elles permettraient de retranscrire qu’il y a eu un véritable débat tout en renforçant la légitimité du
juge700. De plus, elles favoriseraient la transparence de cette formation qui du fait du secret du
délibéré est pour l’heure impénétrable. Elles permettraient par ricochet de renforcer la proximité
des justiciables vis-à-vis des collèges de juges. Ces avantages sont contestables car lorsqu’une
décision de justice est prise, elle est nécessairement réfléchie. La légitimité des juges impose de leur
faire confiance. Leur demander plus de transparence pourrait être perçu comme de la défiance. Par
ailleurs, le manque de proximité de la collégialité ne s’est pas vérifié. Il convient d’exclure la
communication des opinions dissidentes des juges envers les justiciables, alors qu’il est également
avancé qu’elle permettrait de faciliter la compréhension d’une solution.
696
S. GUINCHARD et alii, Droit processuel : droits fondamentaux du procès, 8ème éd., coll. Précis Dalloz. Droit privé, 2015, p. 809.
697
P. MBONGO, La qualité des décisions de Justice, op. cit., p. 149.
698
Colloque : Procès administratif et procès civil : convergences et divergences, Université Nice Sophia Antipolis, 20 et 21 juin 2013,
intervention de Madame M. DEGUERGUE, Professeur agrégé de droit public à l'Université de Paris I, sur : "la collégialité dans les
juridictions administratives".
699
L. CADIET et L. RICHER, Réforme de la justice, réforme de l’Etat, op. cit.
700
F. RIVIERE, Les opinions séparées des juges à la Cour européenne des droits de l’homme : essai d’analyse théorique, op. cit., p. 439.
172
2. La thèse d’une meilleure compréhension de la solution
233. Pour ses défenseurs, la communication des opinions individuelles des juges permettrait aux
parties de bénéficier d’une approche plus pédagogique ce qui faciliterait l’acceptation de la
décision701. Dans cette conception, il « est question ici d’une « qualité par la quantité », l’arrêt devenant plus
clair, plus riche du fait qu’il transmet plusieurs voix au lieu d’une seule »702. Une meilleure lisibilité tiendrait
au fait que leur rédaction serait moins formaliste que le reste de la décision. C’est donc en ce sens
qu’elles permettraient de la rendre plus accessible et facile à comprendre703.
Or, ne serait-il pas préférable de renforcer la compréhension du courant majoritaire plutôt que
de mettre en avant les dissidences ? Dans cette continuité, d’aucuns considèrent que « pour être à
égalité de conviction, il faudrait que la rédaction de l’arrêt puisse recourir aux mêmes ressorts argumentatifs que ceux
de l’opinion séparée »704. Autrement dit, la rédaction utilisée devrait être similaire aussi bien pour la
décision elle-même que pour les opinions dissidentes qu’elle aurait pu susciter. A notre sens, leur
communication aux parties ne permettrait pas de faciliter la compréhension de la solution705. Au
contraire, elle pourrait venir l’amoindrir. En effet, une décision pourrait sembler plus
compréhensible lorsqu’elle ne fait apparaître qu’un courant de pensée, ce qui amène à supposer
une primauté de ses inconvénients sur ses avantages.
234. Il convient d’exclure la communication des opinions dissidentes des juges envers les
justiciables car les inconvénients de cette instauration primeraient sur ses avantages. Cette
communication pourrait être à l’origine d’une augmentation des recours (1) car elle pourrait inciter
la partie n’ayant pas obtenu gain de cause, alors qu’un juge lui était favorable, à vouloir faire revoir
son différend. Cette communication serait ensuite en désaccord avec l’image des collégialités
701
D. FAIRGRIEVE et H. MUIR WATT, Common law et tradition civiliste., op. cit., p. 15.
702
S. JUNOD, Les opinions séparées des juges. Comparaison et perspectives relatives au Tribunal fédéral, Mémoire, Université de Lausanne, droit
constitutionnel comparé, 2017, p. 18.
703
Ibid. p. 19 et S. VANDERSTRAETEN, De l’opportunité des opinions séparées. Plaidoyer en faveur de l’introduction des opinions séparées à la Cour
constitutionnelle et à la Cour de cassation, coll. mémoire, Université catholique de Louvain, faculté de droit et de criminologie, 2014-2015,
p. 22.
704
P. DEUMIER, « Conférence, Motivation des arrêts de la Cour de cassation : conférence du professeur Deumier », Cour de
cassation, 14 septembre 2015.
705
E. PIWNICA, « Le changement de culture opéré par l’arrivée de la question prioritaire de constitutionnalité », Les nouveaux CCC,
no 58, 1 janvier 2018, p. 19. L’auteure partage la même opinion en sachant qu’elle concernait l’opportunité de reconnaître les opinions
séparées devant le Conseil constitutionnel.
173
comme entité unifiée (2) puisque « la décision de justice en France est une alchimie, et non le triomphe d’une
opinion sur une autre »706.
235. Il serait difficile pour un justiciable d’accepter une sentence alors même que tous les juges
n’étaient pas d’accord quant à son prononcé. Il est vrai que la communication des opinions séparées
devant la Cour européenne des droits de l’homme ou dans un système de Common law n’a pas
pour conséquence que les recours y soient plus fréquents qu’en France. En revanche, si cette
reconnaissance fonctionne à l’étranger, notre culture ne permet pas de retranscrire publiquement
les potentielles dissidences des juges. Faut-il rappeler les grandes divergences de conception du
droit français et de celui de la Common law ? Faut-il également évoquer les références de la Cour
européenne des droits de l’homme à ses précédents dans ses arrêts ? Cette assimilation est d’ailleurs
si forte qu’elle a été qualifiée par Madame Schahmaneche de « filiation jurisprudentielle »707.
236. Cette communication pourrait être à l’origine d’une augmentation des recours dans deux
situations. La première correspond à celle dans laquelle il y aurait une minorité puissante avérée.
Cette expression de minorité puissante empruntée à Monsieur Lécuyer correspond au cas dans
lequel le Président de la formation collégiale aurait fait connaître son opinion dissidente708. Au
regard de ses fonctions qui demandent d’atteindre une certaine expérience, son désaccord avec les
autres membres pourrait apporter à la décision adoptée un caractère contestable. La seconde
situation s’inscrit dans l’idéologie selon laquelle un « arrêt pourrait s’imposer avec moins d’autorité, si l’on
apprenait qu’il n’a été adopté qu’à une courte majorité »709. De ce fait, un juge devra jurer qu’il gardera
pour lui les échanges effectués710 afin d’apporter une autorité à la décision rendue, mais aussi, pour
dissuader les parties d’exercer une voie de recours. A l’inverse, la communication des opinions
dissidentes irait à l’encontre de la perception contemporaine des collégialités comme entités
unifiées.
706
O. DUFOUR, « La Cour de cassation répond aux critiques concernant le filtrage des pourvois », op. cit., p. 4.
707
A. SCHAHMANECHE, La motivation des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 154.
708
Y. LECUYER, Le secret du délibéré, les opinions séparées et la transparence, p. 215.
709
P. BLANC, « Le silence du juge », n° 4, Revue du droit public, Lextenso, 1 juill. 2012, p. 1133 et L. GOURMELEN, Les vertus des
opinions divergentes. Opportunité de permettre l’expression « d’opinions divergentes » à la Cour constitutionnelle belge dans le cadre de son contrôle des
« droits constitutionnels », Université catholique de Louvain, mémoire, 2015-2016, p. 20.
710
« Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature », chapitre I :
dispositions générales, article 6.
174
2. Une communication en désaccord avec l’image des collégialités comme entité unifiée
237. Le droit positif français en ne reconnaissant pas la communication des opinions individuelles
permet de préserver la perception unitaire associée à la collégialité. Comme l’a démontré Monsieur
Lécuyer concernant les opinions séparées, plus la formation collégiale sera restreinte, plus il sera
aisé de déterminer qui était pour ou contre la décision apportée711. Dans la collégialité la plus
courante consistant à réunir trois juges comme devant la juridiction de droit commun lorsqu’elle
statue en formation ordinaire, la communication d’une opinion dissidente suffit à établir que les
deux autres membres sont à l’origine de la décision adoptée. Cette déduction s’explique par le fait
qu’une décision est prise à la majorité des voix. Par contre, dans une plus grande collégialité comme
celle mise en œuvre devant les chambres civiles, deux opinions dissidentes doivent être connues
pour établir la position des autres membres. L’anonymat est donc renforcé en présence d’une
grande collégialité compte tenu du nombre important d’inconnues mathématiques qu’elle
représente. En procédure civile, la prise de position des membres d’une collégialité est donc plus
difficile à appréhender devant la Cour de cassation puisque c’est cette juridiction qui réunit le plus
de magistrats.
238. L’idée selon laquelle cette communication serait en désaccord avec l’image harmonieuse des
collégialités est controversée. Selon Monsieur Lécuyer, les opinions individuelles ne revêtent
« aucune force juridique propre donc aucune autorité. Leur impact étant assez proche de celui de la doctrine, penser
qu’elles puissent entamer d’une quelconque manière l’autorité de la chose jugée reviendrait à reconnaître cette même
capacité aux commentaires d’arrêts et aux notes sous décisions publiées dans les revues de droit »712. Pour d’autres,
cette reconnaissance serait à l’origine d’une véritable « zizanie »713 et aurait pour conséquences « de
miner l’autorité du jugement et de fissurer la belle unité de la justice »714. Effectivement, ces opinions n’ont
aucune force juridique mais elles ont une force morale puisqu’elles pourraient influencer la partie
n’ayant pas obtenu gain de cause à porter son affaire devant une juridiction supérieure. L’ampleur
de ce risque implique une nouvelle fois d’exclure la communication des opinions dissidentes des
juges aux justiciables, alors qu’elles doivent être admises entre juges.
711
Y. LECUYER, Le secret du délibéré, les opinions séparées et la transparence, op. cit., p. 212.
712
Ibid. p. 209.
713
S. VANDERSTRAETEN, De l’opportunité des opinions séparées. Plaidoyer en faveur de l’introduction des opinions séparées à la Cour constitutionnelle
et à la Cour de cassation, op. cit., p. 19.
714
A. GARAPON et I. PAPADOPOULOS, Juger en Amérique et en France, op. cit.
175
§2. L’admission de la communication des opinions dissidentes entre juges
239. Outre le fait qu’elle permettrait d’assurer l’efficience du rendu de la justice tout en
consolidant la qualité de traitement d’une affaire, reconnaître la communication des opinions
dissidentes entre juges s’avère opportune afin de renforcer l’individualité au sein de la collégialité
(A). Plus largement, cette instauration serait au service d’une nouvelle collégialité élargie (B) qui
s’inscrirait dès lors dans la tendance actuelle consistant à favoriser la discussion devant une prise
de décision715.
240. La perception unitaire de la collégialité n’est pas seulement perceptible par les justiciables
puisqu’à aucun moment un juge ne pourra faire connaître son opinion dissidente. Il paraît opportun
de prendre en considération les juges minoritaires (1) afin qu’ils puissent se détacher de la décision
des juges majoritaires (2). Les bienfaits se dédoublent car il s’agirait d’une part de conforter la
mission du juge en le considérant individuellement, et d’autre part, de faciliter l’appréhension de
l’affaire en faisant connaître les désaccords qu’elle a pu entraîner.
241. L’objectif consiste à ce que les juges minoritaires soient pris en considération vis-à-vis de
leurs collègues statuant au sein des juridictions supérieures. Les partisans de l’admission des
opinions dissidentes soulignent aussi cette nécessité de prendre en considération les minoritaires.
Pour paraphraser Madame Wanda Mastor, « la justice idéale, loin de ne parler que d’une seule et même voix,
est celle qui, ayant tout tenté pour parvenir au consensus le plus large possible, laisse exprimer ses voix
minoritaires »716. Selon Monsieur Ancel, pour reconnaître ces opinions, deux conditions doivent être
respectées717. La première consiste à ce qu’elles soient rédigées de façon anonyme afin que le secret
du délibéré soit préservé. La seconde se rapporte aux décisions soulevant une problématique
importante dans lesquelles la communication des opinions dissidentes permettrait une meilleure
compréhension de la solution finale. Monsieur Ancel avance notamment deux arguments en faveur
de la communication des opinions dissidentes. D’après lui, s’il peut être indiqué sur une décision
715
Ceci était par exemple le cas lorsqu’il était proposé que des intervenants judiciaires comme les assistants de justice possèdent
de plus amples prérogatives.
716
W. MASTOR, Pour les opinions séparées au Conseil constitutionnel français, Cour de cassation, 18 octobre 2005, p. 1.
717
J-P. ANCEL, Les opinions dissidentes, op. cit., p. 3.
176
qu’elle a été prise à la majorité des voix, cela permet de sous-entendre qu’elle n’a pas remporté
l’unanimité et donc de facto, de reconnaître qu’il y avait des opinions minoritaires. Dans ce cas, il
conviendrait de prolonger l’idée en indiquant qu’elles étaient ces dernières. Le second argument
consiste à établir une relation avec la dialectique. En effet, les juges doivent confronter leurs
opinions sur une même affaire. C’est cet échange de points de vue qui va permettre d’aboutir à la
solution. Les opinions dissidentes apparaissent donc comme un élément fondamental de la prise
de décision ce qui nécessite de les reconnaître718. D’après Monsieur Martens, la mise en place de
cette communication doit également respecter l’anonymat des juges appartenant à la collégialité.
S’il souligne le fait que cette reconnaissance pourrait être un risque puisqu’elle pourrait faire perdre
« l’autorité d’apparat qui feint de croire encore aux vérités uniques », il reconnait parallèlement que cette
parution apporterait davantage d’autorité à la décision719. Ces deux conceptions se rejoignent sur
le fait que ces opinions devraient être anonymes. Cette exigence pourrait retranscrire une volonté
d’introduire ce nouveau mécanisme de manière progressive afin qu’il soit plus facilement accepté.
L’objectif consisterait donc à acclimater les plaideurs.
242. Pour autant, la communication des opinions dissidentes ne fait pas l’unanimité. « Certains
peuvent préférer maintenir un voile pudique sur le processus de fabrication des décisions au motif que dévoiler tous les
mystères désenchanteraient le public ; d’autres, préférer rendre au public la confrontation des opinions au motif que
la connaissance des débats est une condition de l’acceptation de la rationalité de la décision. Bref, faire croire ou faire
comprendre »720. Outre son adéquation avec les principes du procès civil comme le secret du délibéré
et l’anonymat des décisions, le fait de taire leurs opinions vis-à-vis des justiciables est un facteur de
protection. En effet, à la suite de leur communication, « chaque juge peut être critiqué soit pour avoir
implicitement approuvé la solution de la majorité, soit pour avoir explicitement divergé par rapport à celle-ci »721.
Finalement, quelle que soit l’opinion du juge sa position se verrait critiquée. Il convient donc de les
admettre uniquement entre juridictions afin que les juges minoritaires puissent se détacher de la
décision adoptée par la majorité.
718
Ibid. p. 4 et 5.
719
P. MARTENS, Le délibéré collégial, garant d’une bonne Justice, justice en ligne, 4 mars 2010.
720
D. ROUSSEAU, La transposition des opinions dissidentes en France est-elle souhaitable ? - « Pour » : une opinion dissidente en faveur des opinions
dissidentes, CCC n° 8 (dossier : débat sur les opinions dissidentes), juillet 2000.
721
J-P. COSTA, « La justice discutée en son sein : les opinions séparées, dissidentes ou concordantes. En quoi consistent les opinions
séparées, dissidentes ou concordantes ? Quels en sont leurs mérites ? », justice en ligne, 13 janvier 2012.
177
2. Les juges minoritaires détachés de la décision des juges majoritaires
243. Grâce à la communication des opinions séparées, chaque individu garde son indépendance
puisque chacun peut exprimer son point de vue722. Partant de ce postulat, Monsieur Bullier associe
les juges de la tradition de Common law à un « statut d’oracle du droit »723. Cette association au divin
peut être retranscrite par l’idée selon laquelle aucun juge ne serait mis à l’écart, cette conception se
rapprochant d’un schéma utopiste et pourtant réaliste. La communication des opinions dissidentes
entre juges est souhaitable car son absence implique qu’un juge qui n’adhère pas à la solution
retenue y soit inévitablement rattaché, ce qui est une « source de frustration »724. Ensuite, cette
communication permettrait de reconnaître une nouvelle collégialité élargie.
244. L’admission de la communication des opinions dissidentes entre juges permettrait d’aboutir
à une interaction à grande échelle à l’origine d’une collégialité transversale. Le droit est en pleine
mutation puisqu’il connaît un mouvement d’open data et qu’il s’ouvre aux nouvelles
technologies725. Dans cette lignée, certains auteurs préconisent de recourir à des collégialités
virtuelles ce qui permettrait « d’encourager le dialogue entre magistrats au sujet de la jurisprudence. Cela peut
passer par l’existence de plateforme en ligne »726. L’instauration de cette communication permettrait de
s’inscrire d’une certaine manière dans cette idéologie consistant à étendre la portée de la collégialité.
La notion de collégialité transversale se justifie comme suit. Collégialité d’abord, parce que l’opinion
minoritaire a permis d’aboutir à la prise de décision adoptée par la majorité. Dès lors, elle représente
plus qu’un avis puisqu’elle est la résultante d’une décision. Transversale ensuite, parce que
contrairement à une collégialité classique, il n’y aura pas de phase procédurale dans laquelle les
premiers juges seront réunis avec les seconds. A aucun moment ils ne prendront une décision en
étant physiquement au même endroit pour prononcer une décision ensemble. Par la
communication des opinions dissidentes, les juges supérieurs assisteraient de manière fictive aux
délibérés en en percevant la pierre-angulaire : les contradictions de points de vue. Il y aurait de ce
722
A. J. BULLIER, La Common law, op. cit., p. 136.
723
Ibid.
724
« Le juge de cassation à l’aube du 21ème siècle », Actes du premier Congrès de l'Association des Hautes juridictions de cassation
des pays ayant en partage l'usage du français, Marrakech, 17 au 19 mai.
725
G. CANIVET, « Justice : faites entrer le numérique », op. cit., p. 34. Il est par exemple proposé dans ce rapport de recourir à des
collégialités par visioconférence afin de faciliter la réunion des juges, qu’ils soient choisis en fonction de leurs disponibilités et qu’ils
interviennent selon leur spécialité.
726
E. JEULAND et C. BOILLOT, La qualité dans la performance judiciaire : une notion objective et relationnelle ?, op. cit., p. 170.
178
fait une sorte de rétrospective où les magistrats seraient téléportés dans le moment décisif du procès
civil. Elle viendrait s’inscrire dans ce que Monsieur Lagarde dénomme la collégialité à distance
puisque les juges du second degré bénéficieront de l’analyse des premiers juges727.
727
X. LAGARDE, « L’achèvement du procès, principale utilité de l’appel », op. cit., p. 13.
179
Conclusion de la première partie
Cette étude a permis de clarifier la notion de collégialité alors qu’elle s’avère polymorphe.
C’est d’ailleurs ce caractère qui justifie son maintien dans le droit positif français contemporain.
Cette analyse permet de constater que toutes les collégialités, malgré leurs dissemblances, ont un
objectif commun : rendre une bonne justice. La qualité mais aussi la confiance des justiciables
envers le système judiciaire sont aussi des notions essentielles qu’il convient de satisfaire, sans quoi
la collégialité serait délaissée puisqu’elle ne représenterait plus que des contraintes matérielles en
comparaison au juge unique. La collégialité permet de satisfaire ces exigences.
C’est aussi parce qu’elle revêt un aspect polymorphe qu’une confusion s’instaure
fréquemment entre la notion de collégialité et celle de juge unique. Une collégialité aménagée ne
confère pas la qualité de juge unique au premier juge intervenant dans la procédure civile.
L’important est qu’il intègre ensuite la collégialité et que la décision soit prise à l’issue d’un vote de
tous ses membres. A l’inverse, est un juge unique, le juge prenant une décision indépendante sur le
fond du litige. Ces critères sont cumulatifs tandis qu’une particularité concerne les juges du
provisoire qui revêtent également cette qualité, alors qu’ils ne prennent pas en considération le fond
de l’affaire en tant que juge du principal. C’est par cette confrontation à son antonyme que la
collégialité affirme sa prépondérance puisqu’elle reste le principe. Par conséquent, il convient de la
reconnaître comme un principe.
Son aspect hétéroclite permet ensuite de constater que toutes les collégialités trouvent une
justification. Au premier degré, elle emprunte une forme particulière comme c’est le cas devant le
conseil de prud’hommes ou au commerce, parce qu’elle s’impose afin de préserver l’identité de ces
juridictions historiques. Au second degré, la collégialité fait nécessairement intervenir des juges
professionnels afin de tenir compte de l’évolution procédural du litige. Puis, devant la Cour de
cassation, sa mission d’uniformisation du droit implique que le nombre de ses conseillers soit
conséquent, au même titre que l’importance qu’a pris l’affaire.
181
182
2nde PARTIE : L’INTERET DE LA
COLLEGIALITE
245. Il convient de maintenir la collégialité des juridictions car elle permet de consolider certaines
conditions du droit à un procès équitable. Celui-ci résulte notamment728 de l’article 6-1 de la
Convention européenne des droits de l’homme selon lequel « toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi
par la loi ». Ces garanties, comprises dans la notion plus générale de celle d’équité, doivent être
respectées par tous les détenteurs des prérogatives juridictionnelles alors que cette exigence s’inscrit
dans les principes fondamentaux du procès civil729. S’intéresser à la collégialité dans le procès civil
implique ipso facto d’établir une interaction avec cet article clé. Néanmoins, certaines composantes
du procès équitable ne seront pas appréhendées puisqu’elles s’interprètent de la même manière,
c’est-à-dire sans prendre en considération la composition de la juridiction telle que l’exigence de
publicité.
246. Certains auteurs partagent le fait que la collégialité permet de répondre aux exigences posées
par l’article 6-1 sus-cité. Ainsi, au sein du Lexique des termes juridiques, la collégialité est définie
comme un « principe en vertu duquel la justice est rendue par plusieurs magistrats qui prennent leurs décisions à
la majorité absolue des voix, la collégialité étant regardée comme une garantie de justice éclairée, impartiale et
indépendante »730. Deux conditions relatives au droit à un procès équitable se retrouvent alors, à
savoir, l’indépendance et l’impartialité. Cela sous-entend qu’elle remportera des qualités indéniables
pour les juges tout en confortant la confiance des justiciables. Cette dernière est d’ailleurs l’objectif
728
ONU, « Déclaration universelle des droits de l’homme », 10 décembre 1948 : cette garantie y est aussi contenue au sein de son
article 10 disposant que "toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal
indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle". Elle se
retrouve également dans l’article 14-1 du « Pacte international relatif aux droits civils et politiques » du 16 décembre 1966 aux termes
duquel « tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement
par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans
l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en
cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité
nuirait aux intérêts de la justice ; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit
autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants ».
729
Civ. 1ère, 30 juin 2004, n° 01-03248, 01-15452, Bull. 2004, I, n° 191, p. 157. Les magistrats de cassation ont déclaré « que le droit
à un procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relève de l’ordre public international au sens de l’article 27
de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ».
730
S. GUINCHARD, T. DEBARD et alii, Lexique des termes juridiques, 22ème Ed., Dalloz, 2014.
183
de ce qui est attendu de la justice du XXIème siècle. Ce qui est surprenant, c’est que ces garanties
n’apparaissaient pas dans les éditions antérieures. De surcroît, généralement, les dictionnaires et
lexiques se bornent à définir une notion sans pour autant en exposer les avantages et les
inconvénients. Cette rédaction pourrait être perçue comme une manière de défendre ce mode de
composition des juridictions régulièrement malmené à tort. Par ailleurs, si l’impartialité et
l’indépendance sont des qualités connues, l’expression de justice éclairée n’apparaît pas au sein des
corpus juridiques. Une justice est éclairée lorsqu’une décision est réfléchie, ce qui par analogie fait
référence à la phase du délibéré. En conséquence, cette qualité se rapproche de celle d’impartialité.
D’après le Dictionnaire Larousse, là encore, la collégialité correspond à une « règle du droit français
selon laquelle chaque juridiction comporte plusieurs juges afin de garantir l’impartialité des jugements » alors que
Voltaire affirmait que « le premier devoir d’un magistrat est d’être juste avant d’être formaliste »731.
247. Puisque ces écrits font majoritairement référence à l’exigence d’impartialité, cette condition
sera prioritairement appréhendée bien qu’elle ne soit pas la qualité première attendue des juges732,
même si certains considèrent que « dans l’idéal collectif le bon juge, le bon magistrat est avant tout
impartial »733. Cette recherche doit permettre de démontrer l’intérêt de la collégialité au regard des
garanties du droit à un procès équitable qu’elle permet d’assurer. C’est pour cette raison que la
collégialité est vouée à pérenniser. Pour ce faire, il convient d’établir que la collégialité est un facteur
d’impartialité de la fonction juridictionnelle (Titre I) pour ensuite l’appréhender dans ses rapports
avec l’indépendance et le délai raisonnable (Titre II).
731
VOLTAIRE, Oeuvres complètes de Voltaire : dictionnaire philosophique, t. II, Paris, 1818, p. 187.
732
Il sera démontré ultérieurement que la condition première qu’un juge doit respecter est celle d’indépendance.
733
A. OUDOUL, L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH, op. cit., p. 11.
184
Titre 1 - La collégialité comme facteur d’impartialité de la
fonction juridictionnelle
249. Dans le droit positif français contemporain, plusieurs mécanismes permettent d’agir contre
l’éventuelle partialité des juges comme la récusation, le renvoi pour cause de suspicion légitime ou
encore, l’abstention. La collégialité s’inscrit dans le prolongement de cet objectif. Madame Eudier
s’interrogeait sur le fait de savoir si la collégialité est une garantie d’impartialité ?737 A notre sens,
ça n’est pas une garantie car cela signifierait qu’une collégialité est nécessairement impartiale. Par
contre, elle permet de la renforcer au même titre que le principe de contradiction738. En
conséquence, elle s’analyse comme un facteur d’impartialité car sa composition pluripersonnelle
734
S. GUINCHARD et alii, Lexique des termes juridiques, 22ème Ed., Dalloz, 2014-2015, p. 522.
735
SENEQUE, De la constance du sage.
736
G. ROMMEL, La sagesse du juge, au-delà de Montesquieu, Bruges, la Charte, 2013, p. 74.
737
F. EUDIER, Le juge civil impartial, p. 7.
738
G. DANET, « Sur l’impartialité des magistrats », Fondation Jean-Jaurès, Thémis observatoire Justice et sécurité, 20 novembre
2014, p. 3.
185
permet de contrecarrer autant que possible les potentielles dérives de ses membres, alors qu’il est
admis que le « libre arbitre joue un rôle essentiel dans la conception du jugement »739. L’utilisation du terme
facteur renvoie à un « agent, élément qui concourt à un résultat »740. Par analogie, la collégialité concourt
à davantage d’impartialité. « La collégialité est un mode de fonctionnement qui protège les juges de leurs a priori,
de leurs préjugés, de leurs faiblesses ou de leurs convictions trop hâtives »741. C’est en cela qu’il est « légitime de
percevoir la collégialité comme un facteur d’impartialité »742. Cette opinion est aussi partagée par Madame
Cohendet puisqu’elle affirme que l’impartialité est « évidemment beaucoup mieux garantie par une formation
collégiale que par un juge unique […]. N’importe quel justiciable est parfaitement conscient du fait que la
personnalité du juge, ses convictions, ses orientations personnelles peuvent influencer son jugement. Le principe d’égalité
est donc en principe mieux respecté lorsque les justiciables bénéficient d’un véritable tribunal, c’est-à-dire en principe
d’une instance collégiale, et non pas d’un juge unique »743. En effet, en présence d’un collège « il est difficile
de supposer que tous les juges se mettent d’accord pour favoriser injustement un plaideur au détriment de l’autre »744.
739
M. KEBIR, « Le libre arbitre du juge », thèse, Université François-Rabelais de Tours, 18 mars 2017, p. 31.
740
Dictionnaire Larousse.
741
J-M. HAYAT, « Le point de vue du juge du siège », op. cit., p. 28.
742
J-M. COULON et alii, Justices et droit du procès : du légalisme procédural à l'humanisme processuel, Dalloz, 2010, p. 234.
743
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
744
H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. I. Introduction notions fondamentales (action en justice ; formes et délais ; acte juridictionnel)
organisation judiciaire, op. cit.
186
Chapitre 1 - L’aspect théorique de l’impartialité d’une collégialité
252. Dès lors, il convient de démontrer l’importance de l’impartialité dans la fonction de juger
(Section 1) pour constater les bienfaits de la collégialité sur l’impartialité (Section 2).
745
D. ROETS, Impartialité et justice pénale, Cujas, travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers , Paris, 1997-1998, p. 156.
187
Section 1 - L’importance de l’impartialité dans la fonction de juger
253. L’importance de l’impartialité dans la fonction de juger est acquise depuis longtemps comme
l’illustre les dires de Socrate selon lesquels il ne lui « paraît pas conforme à la justice de prier le juge et
d’obtenir son acquittement par des prières ; ce qui est conforme à la justice, c’est de s’expliquer et de persuader. En
effet, le juge ne siège pas pour cela – pour accorder des faveurs en guise de justice – mais pour décider de ce qui est
juste. Il a prêté serment non pas de se montrer complaisant envers qui bon lui semble, mais de juger selon les lois »746.
Il écrivait de la même manière : « considérez seulement, et en y mettant toute votre attention, si ce que je dis est
juste ou non : car c’est là la qualité première d’un juge, comme celle de l’orateur est de dire la vérité »747.
Encore aujourd’hui, l’impartialité est assimilée à un devoir puisqu’elle est la condition sine
qua non de la fonction juridictionnelle748. Elle est ainsi présentée au sein du Vocabulaire juridique
dirigé par Monsieur Cornu comme une « exigence consubstantielle à la fonction juridictionnelle »749. Selon
Madame Commaret, quant à elle, le fait que l’impartialité soit une qualité incontournable permet
de l’assimiler à une injonction de faire750. En conséquence, « l’impartialité doit être le guide de tous les
instants pour l’exercice des fonctions juridictionnelles et doit reposer sur des règles destinées à en garantir l’observation
aux yeux du justiciable »751. Dès lors, « l’impartialité doit être protégée par une déontologie, mais aussi par des
garanties objectives, comme la collégialité »752.
254. L’importance de l’impartialité dans la fonction de juger est doublement perceptible. Elle est
d’abord retranscrite par la multiplicité des sources renforçant l’exigence d’impartialité (§1) alors
qu’elle est aussi perceptible par la protection dont elle bénéficie (§2).
746
PLATON, Apologie de Socrate, "premier discours : plaidoirie de Socrate", "péroraison sur le ton et la forme de cette défense",
Hatier, 2012, p. 36. La perception qui était faite de la justice est la même qu’aujourd’hui.
747
PLATON, « précautions oratoires », « plan suivi au cours de la plaidoirie », p. 8.
748
D. SALAS et al., L’éthique du juge : une approche européenne et internationale, Dalloz, 2003, p. 126.
749
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 521.
750
D-N. COMMARET, « Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat », Dalloz, 1998, p. 262.
751
D. PERBEN, Commission de réflexion sur l’éthique de la magistrature, novembre 2003, p. 17.
752
E. BOCCARA, « Prétendre que les juges doivent être neutres, c’est leur dénier le droit de penser », Gaz. Pal., Lextenso, n° 243,
31 août 2013.
189
§1. La multiplicité des sources renforçant l’exigence d’impartialité
256. La pérennité de l’exigence d’impartialité est justifiée par sa fonctionnalité. En effet, apporter
une décision de justice de manière impartiale assure le rendu d’une justice de qualité en évitant le
prononcé de jugements arbitraires, ce qui permet corrélativement de gagner la confiance des
justiciables755. Les sources s’y rapportant sont aussi bien internes, c’est-à-dire propres au droit
français, qu’externes comme en témoigne l’abondance de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme concernant cette thématique. L’impartialité bénéficie dès lors de fondements
textuels et jurisprudentiels (1). Ces consécrations sont à l’origine d’une nécessaire distinction entre
impartialités objective et subjective (2), cette notion revêtant alors un aspect polymorphe.
257. Au niveau des sources internes, il convient de spécifier que le terme d’impartialité est absent
de la Constitution en dépit de son importance. Il trouve cependant sa résonnance au sein de l’article
16 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789 comme il a été reconnu dans
plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité756. Aux termes de cet article, « toute Société dans
laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
S’y adjoint l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, le
753
Par exemple, « les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire » est un projet élaboré en 2001 ayant pour objectif
l’élaboration d’un code de déontologie judiciaire. Il a été révisé les 25 et 26 novembre 2002 à La Haye. Ce dernier fait de l’impartialité
la deuxième valeur attendue des juges après l’indépendance. Pour bénéficier de précisions complémentaires se référer à : L. HUPPE,
« Les fondements de la déontologie judiciaire », les cahiers du droit, vol. 45, n° 1, 2004, p. 110.
754
Il est même reconnu en matière pénale au sein de l’article 434-16 du Code pénal le délit de provocation à la partialité. Pour plus
d’informations se reporter à : D. ROETS, Impartialité et justice pénale, op. cit., p. 251.
755
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, op. cit., p. 7 : « l’impartialité est, au même titre que l’indépendance, un élément essentiel
de la confiance du public en la justice ».
756
Telle la décision n° 2012-280 QPC du 12 oct. 2012 : « doivent également être respectés les principes d’indépendance et d’impartialité découlant
de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».
190
premier paragraphe de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou
encore, l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut
de la magistrature. Il dispose que « toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute
manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats,
de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.
Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions »757.
Plus récemment, puisqu’elle résulte d’une modification de 2016, cette notion apparaît cette fois
explicitement au sein du second alinéa de l’article 7-1 de cette même ordonnance se rapportant au
conflit d’intérêts. Il établit que « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt
public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant,
impartial et objectif d’une fonction ».
Il convient ensuite de se reporter à l’article L 111-5 du Code de l’organisation judicaire qui
lui aussi fait directement référence à l’impartialité. Il exprime que « l’impartialité des juridictions
judiciaires est garantie par les dispositions du présent code et celles prévues par les dispositions particulières à certaines
juridictions ainsi que par les règles d’incompatibilité fixées par le statut de la magistrature ». La rédaction et le
contenu de cet article est original puisqu’il renvoie à d’autres textes sans apporter d’informations
complémentaires sur la notion d’impartialité. Il est vrai que généralement, les articles contenus dans
les Codes apportent des précisions quant à l’application d’une règle, ou renvoient à d’autres codes
tout en précisant les articles auxquels il convient de se référer. Ici il n’en est rien, ce qui retranscrit
le fait que cette qualité fondamentale fait l’objet d’une reconnaissance singulière.
S’adjoint à ces textes, le Recueil des obligations déontologiques des magistrats où aux
termes de l’article B.1, l’impartialité est décrite comme un « devoir absolu »758 en sachant que son
importance est aussi retranscrite par le nombre d’articles qui lui est consacré, soit vingt-cinq au
total. L’article B.12 en apporte une définition tout en établissant une conduite à tenir puisqu’il
énonce que « l’impartialité, dans l’exercice de fonctions juridictionnelles, ne s’entend pas seulement d’une absence
apparente de préjugés, mais aussi, plus fondamentalement, de l’absence réelle de parti pris. Elle exige que le magistrat,
quelles que soient ses opinions, soit libre d’accueillir et de prendre en compte tous les points de vue débattus devant
lui ». La nécessité de prendre en compte tous les points de vue permet de faire aussi bien référence
aux arguments avancés par les parties, que par les autres membres du collège. Par voie de
conséquence, sa retranscription permet d’asseoir l’écoute demandée entre les juges lors du délibéré
collégial.
757
« Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ».
758
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, article B.1, p. 7.
191
258. Au niveau européen, elle est aussi consacrée dans les prémices de l’article 47 de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne ayant pour titre : « droit à un recours effectif et à
accéder à un tribunal impartial ». Il prévoit que « toute personne dont les droits et libertés garantis par le
droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues
au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ». Par ailleurs, dans
l’affaire Remli contre France rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, il a été précisé
que l’impartialité est exigée concernant tous les juges, qu’ils soient des professionnels du droit ou
non759.
L’impartialité résulte également de l’application de la Convention européenne des droits de
l’homme, plus particulièrement de son article 6-1 aux termes duquel, « toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et
impartial, établi par la loi »760. L’expression de tribunal établi par la loi permet de faire aussi bien
référence aux formations collégiales qu’aux juges uniques. Il faut en déduire que la neutralité des
juges s’impose quel que soit leur qualité mais aussi quel que soit la composition de la juridiction
saisie. Cette rédaction généraliste peut se justifier comme suit. Si par exemple il était retranscrit
qu’une formation collégiale est préférable afin d’assurer l’impartialité des juges, le risque serait trop
important puisque cela voudrait dire qu’un juge unique est plus à craindre. Or, la place qu’il occupe
en droit français ne pourrait faire l’objet d’une telle suspicion notamment au regard de l’évolution
du rendu de la justice. Bien qu’un justiciable aura accès à la collégialité en cas de recours, force est
de constater que la tendance est à une limitation d’accès à la cour d’appel, voire peut-être, à la Cour
de cassation761. Dès lors, cette rédaction pourrait encourager un justiciable n’ayant pas obtenu gain
de cause d’agir, en mettant en exergue que les conditions du procès équitable n’étaient pas réunies
puisque la décision a été prise par un juge unique. Si une collégialité est préférable, il convient de
ne pas le retranscrire afin d’assurer un bon fonctionnement de la justice vu que les moyens
financiers et humains ne permettent pas de la généraliser. En outre, puisque cette disposition
s’inscrit dans les conditions pour qu’un procès soit équitable, cela signifie que l’impartialité en est
une des composantes, le droit à un procès équitable apparaissant comme une notion plus générale,
alors que c’est un principe fondamental762.
759
CEDH, 23 avril 1996, Remli contre France, req. n° 16839-90.
760
Article 6-1, Droit à un procès équitable, Convention européenne des droits de l’homme, p. 9.
761
Cette restriction d’accès est perceptible devant la cour d’appel par la réforme de la procédure d’appel en matière civile, alors
qu’elle est aussi envisageable près la Haute juridiction compte tenu des discussions attenantes à un éventuel filtrage des pourvois.
762
CEDH, 21 fév. 1975, Golder contre Royaume-Uni, req. n° 4451-70.
192
Une autre décision, rendue par la grande chambre de la Cour de justice de l’Union
européenne763, décrit cette qualité comme la pierre angulaire du droit à un procès équitable, ce qui
implique inévitablement de vérifier cette exigence lorsqu’une juridiction est saisie. L’impartialité
apparaît là comme venant s’inscrire dans une société démocratique. Cette affirmation est
retranscrite au sein de l’arrêt Delcourt contre Belgique où il est établi que « dans une société démocratique
au sens de la Convention, le droit à une bonne administration de la justice occupe une place si éminente qu’une
interprétation restrictive de l’article 6-1 ne correspondrait pas au but et à l’objet de cette disposition »764. En effet,
un système démocratique nécessite que les décisions apportées ne soient pas arbitraires.
259. Sous le terme d’impartialité il faut savoir que deux notions cohabitent tel qu’il a notamment
été établi dans la célèbre affaire Piersack contre Belgique rendue par la Cour européenne des droits
de l’homme765. Il convient de distinguer « une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge
pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des
garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ». Autrement dit, « la CEDH considère que tout
tribunal doit se comporter de façon telle que la justice soit rendue non seulement de façon impartiale mais aussi avec
une apparence d’impartialité »766.
260. La première forme d’impartialité dite subjective est plus complexe à appréhender que
l’objective car elle correspond à un état d’esprit, une vertu. Par voie de conséquence, elle s’inscrit
dans une conception davantage philosophique puisqu’elle n’est pas tangible. Elle ne se rapporte
pas à une juridiction mais à la personne même du juge767 tandis qu’elle peut parfois se vérifier grâce
à des éléments existants. Il peut être prouvé qu’un juge possède des opinions tranchées sur un sujet.
Par contre, et c’est une exigence de bon sens, la partialité subjective d’un juge doit être établie aux
763
CJCE, 1 juill. 2008, Chronopost et La Poste contre UFEX et autres.
764
CEDH, 17 nov. 1970, Delcourt contre Belgique, n° 2689-65.
765
CEDH, 1er octobre 1982, Piersack C./ Belgique, req. n° 8692-79, Série A, n°53, § 30.
766
G. DANET, « Sur l’impartialité des magistrats », op. cit., p. 2.
767
« Impartialité (Procédure civile) » fiches d'orientation Dalloz, 25 sept. 2017.
193
moyens d’éléments objectifs768 partant du principe que cette impartialité est présumée « jusqu’à
preuve du contraire »769 dans un souci de bonne administration de la justice. Dans cette hypothèse,
elle devra être rapportée par le requérant qui s’estime lésé. Cette présomption se justifie par le fait
qu’elle se rapporte au for intérieur.
261. La seconde impartialité dite objective ou fonctionnelle ne pose pas de difficulté particulière
puisqu’elle résulte d’éléments concrets. Celle-ci est perceptible au travers de la décision apportée
ce qui fait qu’elle pourra être contrôlée. Elle est définie par Monsieur Guinchard comme « celle qui
s’apprécie sans tenir compte ni du comportement du juge, ni de ses convictions ; le seul exercice de ses fonctions, suffit
à le rendre partial, comme elle aurait rendu partial tout juge placé dans la même situation »770. Sa reconnaissance
« issue du principe de droit judiciaire dégagé dans l’affaire R v Sussex Justices, ex p McCarthy de 1923, a été
consacrée à l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme dans les arrêts Delcourt, c/ Belgique, Borgers c/
Belgique puis Piersack c/ Belgique »771. D’une manière générale, elle concerne la composition d’une
juridiction et non plus un juge déterminé. Ainsi, « elle est appréciée au cas par cas, mais de manière presque
constante à travers le prisme de l’apparence de justice »772. En d’autres termes, les justiciables doivent
ressentir que la décision a été prise de façon impartiale. L’importance de ce concept réside dans la
relation établie entre les juges et les justiciables773. Ces apparences ne doivent pas être appréhendées
de manière trop stricte car cela aurait une double répercussion négative sur le système judiciaire774.
La première serait perceptible sur les justiciables qui useraient et abuseraient de la justice. La
seconde aurait pour effet d’apeurer les juges qui deviendraient timorés, car ils craindraient d’être
partiaux dès qu’ils auraient à se prononcer sur un sujet. Pour ce faire, il revient au Conseil supérieur
de la magistrature de contrôler ces apparences « rejoignant ainsi la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’Homme et l’adage de Common law selon lequel la Justice doit non seulement être rendue mais également
être perçue comme telle : « Justice must not only be done, it must also be seen to be done »775. D’après Madame
768
J. VAN COMPERNOLLE, G. TARZIA, T. CLAY et alii, L’impartialité du juge et de l’arbitre : étude de droit comparé, Bruylant Bruxelles,
2006, p. 25.
769
CEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et de Meyere contre Belgique, req. n° 6878-75, n° 7238-75.
770
J. VAN COMPERNOLLE, G. TARZIA, T. CLAY et alii, L’impartialité du juge et de l’arbitre : étude de droit comparé, op. cit., p. 28.
771
D. MELISON, « Impartialité et citoyenneté - Le magistrat est-il un citoyen comme un autre ? », no 422, mars 2018, p. 9.
772
J. MEUNIER, « La notion de procès équitable devant la Cour européenne des droits de l’homme ».
773
CEDH, 26 oct. 1984, Cubber contre Belgique, req. n° 9186-80.
774
L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, Thémis, 2ème éd., PUF, 2013, p. 611.
775
J. JOLY-HURARD, La déontologie du magistrat, op. cit., p. 119.
194
Magnier, il pourrait y avoir un risque d’américanisation du droit français du fait de l’application de
ce concept d’apparence776 alors que la Cour de cassation dans sa formation la plus solennelle, faisait
par exemple déjà référence à ce concept en 1999 dans l’arrêt Oury où il ressortait que la procédure
« a pu donner l’impression que la sanction prononcée à l’encontre de M.Y… n’avait pas été décidée dans les conditions
d’impartialité »777.
262. Autrement dit, « l’impartialité subjective tient à la personne même et à ses relations, son comportement
personnel avec l’une des parties au procès. Tout lien particulier de quelque nature qu’il soit, patrimonial ou
extrapatrimonial, qui risque d’altérer la fonction juridictionnelle peut entraîner une mise en cause de l’impartialité
du juge. Ce qui est alors en cause, c’est sa capacité, du fait de ce lien, à « fonder sa décision exclusivement sur une
appréciation neutre des faits et l’application objective des faits ». L’impartialité fonctionnelle, pour sa part, impose
une séparation entre certaines fonctions pour éviter que le juge n’apprécie deux fois les mêmes faits et ne prenne
plusieurs décisions juridictionnelles dans la même affaire à des degrés distincts ou à des phases distinctes du procès. Il
s’agit là d’éviter l’effet d’un préjugé »778. Pour autant, des interférences entre ces deux formes
d’impartialités existent puisqu’un juge peut ne pas être neutre alors qu’il siège dans une juridiction
collégiale. Dans ces circonstances, l’impartialité objective revêt une forme subjective. Cette
éventualité était retranscrite dans la décision de justice Micallef contre Malte où il ressortait que la
frontière entre ces deux notions « n’est pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du
point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche
objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) »779.
263. Récemment, la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle780 et celle relative aux
garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au
776
V. MAGNIER, « La notion de justice impartiale - à la suite de l’arrêt Oury Cass. Ass. Plén., 5 févr. 1999 », JCP G, Doctr. 252, n°
36, 6 sept. 2000.
777
Ass. Plén. 5 fév. 1999, n° 97-16440, Bull. 1999, A. P., n° 1, p. 1.
778
G. DANET, « Sur l’impartialité des magistrats », op. cit., p. 2.
779
CEDH, 15 oct. 2009, Micallef contre Malte, n° 17056-06.
780
« Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, JORF n° 0269 du 19 nov. 2016,
texte n° 1 ».
195
Conseil supérieur de la magistrature781, toutes deux datant de 2016, sont venues conforter
l’exigence d’impartialité. Cette consolidation a d’une part résulté de la modification d’une
disposition préexistante. A ce titre, bien que le serment des juges se soit vu modifié, cette
modification n’a pas eu d’incidence sur l’impartialité (1). S’y adjoint d’autre part la création d’une
nouvelle cause de partialité. C’est en cela que l’impartialité a été consolidée par le conflit d’intérêts
(2).
264. Si « l’impartialité personnelle des juges est présumée »782, cette présomption se matérialise par le fait
qui leur est demandé de prêter serment afin de pouvoir exercer leur mission783. Ils doivent
prononcer : « je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me
conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». Si le terme d’impartialité n’y apparaît pas
explicitement, il n’en est pas pour le moins absent. Celui-ci trouve sa résonnance lorsque le juge
doit jurer de bien accomplir ses fonctions. Le serment recouvre aussi bien le respect de la
procédure, notamment la non communication des opinions individuelles, qu’il demande à ce que
les prétentions des parties soient prises en considération de façon proportionnelle. Ces deux
éléments, à savoir, la présomption d’une part, et le serment d’autre part, sont des facteurs
permettant de garantir une bonne justice, l’impartialité étant une qualité primordiale784. Si la loi de
modernisation de la justice du XXIème siècle est venue supprimer l’expression selon laquelle le
secret des délibérations devait être gardé religieusement, faut-il y voir un amoindrissement de ce
principe ?785 La réponse est négative puisque ce secret s’impose toujours en droit positif français
contemporain.
781
« Loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement
des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature », Pub. L. No. JORF n° 0186 du 11 août 2016, texte n° 1.
782
S. GUINCHARD et alii, Droit processuel : droits fondamentaux du procès, coll. Précis Dalloz. Droit privé, 2013, p. 975.
783
Article 6, ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
784
Article L 111-5 COJ.
785
Union syndicale des magistrats, « Déontologie et conflits d’intérêts », p. 208.
196
2. La consolidation de l’impartialité par le conflit d’intérêts
265. La loi de 2016 « relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des
magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature »786 est venue renforcer l’impartialité des juges
par l’intermédiaire du conflit d’intérêts787. Il y est défini par l’article 26. Ainsi, « constitue un conflit
d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à
influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Il revient à un
collège de déontologie d’apprécier ces situations. Le conflit d’intérêts est une nouvelle cause de
récusation venant s’ajouter aux précédentes contenues au sein de l’article L 111-6 du Code de
l’organisation judiciaire. Il prévoit que « sous réserve de dispositions particulières à certaines juridictions, la
récusation d’un juge peut être demandée : 1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;
2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l’une des parties ; 3° Si
lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l’une des parties ou de son conjoint jusqu’au quatrième degré
inclusivement ; 4° S’il y a eu ou s’il y a un procès entre lui ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint ; 5°
S’il a précédemment connu de l’affaire comme juge ou comme arbitre ou s’il a conseillé l’une des parties ; 6° Si le juge
ou son conjoint est chargé d’administrer les biens de l’une des parties ; 7° S’il existe un lien de subordination entre
le juge ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint ; 8° S’il y a amitié ou inimité notoire entre le juge et l’une
des parties ; 9° S’il existe un conflit d’intérêts, au sens de l’article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre
1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Les magistrats du ministère public, partie jointe,
peuvent être récusés dans les mêmes cas ».
266. Son intégration au sein du code a fait l’objet de controverses comme en témoigne les
réticences de l’Union syndicale de la magistrature. D’abord, elle considérait les causes de récusation
des juges déjà assez nombreuses. Ensuite, l’expression même de conflit d’intérêts était jugée trop
large, ce qui pourrait venir brimer les juges dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles788.
Aujourd’hui, afin de prévenir le conflit d’intérêts une déclaration d’intérêts doit être remplie par
tous les juges appartenant à l’ordre judiciaire. « La déclaration d’intérêts s’intègre désormais dans
l’organisation des juridictions, dans les pratiques professionnelles des magistrats, mais également dans leurs vies et
leurs réflexions quotidiennes sur le rapport de leur personne à leurs fonctions. Car c’est au croisement de la vie privée
et de l’exercice professionnel que se situent les intérêts à déclarer »789. Les modalités de cette déclaration sont
786
Loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement
des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.
787
C. FLEURIOT, « Justice du 21ème siècle : ce qui va changer dans les juridictions », Dalloz actu., 8 juil. 2015.
788
UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS, Déontologie et conflits d’intérêts, p. 216.
789
B. LOUVEL, « Discours “la déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire” », Cour de cassation, 30 juin 2017.
197
contenues à l’article 7-2 de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la
magistrature790. Il dispose notamment que cette déclaration doit être remise dans les deux mois
suivant l’installation du juge dans ses fonctions. Là encore, l’Union syndicale des magistrats n’y
était pas favorable au regard des répercussions qu’elle pourrait engendrer sur les procédures. Il était
avancé que la charge de la preuve d’impartialité du juge pourrait être inversée puisqu’il pourrait être
amené à communiquer sa déclaration afin de prouver son absence de conflit d’intérêts. Un autre
argument tenait au principe du contradictoire, qui pourrait contraindre les juges à faire connaître
leur déclaration aux justiciables, ce qui ôterait son aspect confidentiel791 et entraînerait par
extension, une atteinte à leurs vies privées. C’est ce trop-plein d’informations qui était à l’origine
du refus de son application par l’Union syndicale des magistrats. Néanmoins, en pratique, la
confidentialité de cette déclaration est assurée par l’article 226-1 du Code pénal relatif à l’atteinte à
la vie privée.
L’importance de l’impartialité est ensuite perceptible par la protection dont elle fait l’objet.
267. L’importance que revêt l’exigence d’impartialité dans la fonction de juger est aussi bien
perceptible par la pluralité de sources qui s’y rapportent, que par les moyens d’actions reconnus
pour lutter contre la partialité (A). Cette large protection amène nécessairement à appréhender la
portée de l’impartialité (B).
268. Plusieurs mécanismes permettent de lutter contre la partialité d’un juge. Cette multiplicité
permet là encore de conforter l’importance de ce principe tout en contrant autant que possible les
éventuelles dérives. A cette fin, la récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime sont des
moyens d’action reconnus aux justiciables (1). Afin de faciliter leur appréhension, un décret de
2017792 les traite désormais ensemble au sein du Code de procédure civile alors qu’ils faisaient
l’objet d’une procédure distincte. A côté, l’abstention est un moyen d’action reconnu au juge lui-
même (2). Dans cette dernière situation, il est dit qu’il se déporte.
790
Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
791
UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS, Déontologie et conflits d’intérêts, p. 218.
792
Décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la procédure civile.
198
1. La récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime comme moyens d’action
reconnus aux justiciables
269. « L’impartialité du magistrat est une condition nécessaire de la réalisation de la justice. La récusation en
serait une manifestation pratique dans le déroulement du procès. Une manifestation, non la seule »793. Nombreux
sont les textes anciens à faire référence à cette faculté de récusation d’un juge partial. Tel est le cas
de l’article 6 de l’Ordonnance du 28 octobre 1446794, ou encore, de l’article 118 de l’Ordonnance
du mois d’Avril 1453 dans lequel il est défendu « à tous Juges & Officiers, tant des Cours de Parlement,
que des autres Cours & Justices du Royaume, de prendre, ni recevoir par eux ou par autres, directement ou
indirectement aucuns dons capables de les corrompre ; à peine de privation de leurs Offices, & en outre d’être punis
de punition exemplaire »795. Recevoir un présent aurait pour effet de fausser un jugement au point de
bafouer l’exigence tant attendue d’impartialité des juges en charge d’une affaire. La sanction est
claire puisqu’elle consiste à la privation de statuer sur le cas litigieux. Certains textes, comme
l’Ordonnance d’Abbeville de 1593, vont d’ailleurs plus loin en rajoutant la mise en œuvre « d’amende
arbitraire contre ceux qui auront fait ces présents »796. Cette sanction arbitraire avait pour objectif de
dissuader autant que possible les individus de recourir à ce procédé.
270. Aujourd’hui, « la récusation peut être définie comme l’incident soulevé par une partie qui, sans s’opposer à
la saisine de la juridiction, prétend faire écarter un juge qu’elle suspecte de partialité envers l’un des plaideurs »797.
En d’autres termes, elle correspond à la « procédure par laquelle le plaideur demande que tel magistrat
s’abstienne de siéger, parce qu’il a des raisons de suspecter sa partialité à son égard, pour des causes déterminées par
la loi : parenté ou alliance, lien de subordination, amitié ou inimitié notoire…»798. Dès lors, il appartient aux
parties au litige de demander la récusation d’un juge nommément désigné, ce qui signifie qu’un
793
B. BERNABE, La récusation des juges : étude médiévale, moderne et contemporaine, Bibliothèque de droit privé, t. 514, LGDJ, 2009.
794
C-B-M. TOULLIER, Le droit civil français, suivant l’ordre du code, 5e éd., vol. 9 : "certaines ordonnances faisant mention que ceux qui tiendront
notre Parlement, ne mangeussent ni boyvent avec les parties qui ont affaire devant eulx, ajoutons et ordonnons que d'oresnavant et dès maintenant, défendons
aux présidens et conseillers, sur leurs sermens, que, le moins qu'ils pourront, ils fréquentent et communiquent avec les parties plaidant en notre dite Cour,
et que ils ne mangeussent ne boyvent avec elles, à leur convy, ne avecques leurs procureurs et avocats, quand ils sauront que lesdits procureurs et avocats les
convoyeront, à la requête et aux dépens desdites parties ; et aussi que lesdits présidens et conseillers se gardent le plus qu'ils pourront de prendre et de recevoir
par eux, leurs gens et familiers, aucuns dons ou présens desdites parties, autrement, que il n'est permis de droit, sous quelque prétexte que ce soit, et soit de
viande, vins ou autre chose".
795
D. JOUSSE, Traité de l’administration de la justice, t. 1, Debure père, 1771, p. 506.
796
Ibid. p. 507.
797
L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, 8ème édition, LexisNexis, 2013, p. 526.
798
S. GUINCHARD, T. DEBARD et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 833.
199
avocat ne peut par exemple pas agir sur ce fondement puisqu’il n’est pas une partie au procès799.
Aux termes de l’article 343 du Code de procédure civile, à l’exception des actions portées devant
la Cour de cassation, la demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, peut
aussi bien être réalisée par une partie, son mandataire muni d’un pouvoir spécial, que par un avocat.
Cette dernière possibilité est une nouveauté par rapport à l’ancienne procédure. Dans cette
hypothèse, il est reconnu que l’avocat est seul compétent pour former la requête et représenter les
parties devant certaines juridictions. Lorsqu’une récusation concerne plusieurs juges d’une
formation collégiale, la demande doit être effectuée dans un acte unique, sauf si d’autres cas de
récusation apparaissent par la suite800. La récusation est un moyen d’action dirigé contre un ou
plusieurs juges déterminés et non contre une juridiction entière. L’action dirigée contre une
juridiction dans son ensemble nécessite d’agir sur le fondement du renvoi pour cause de suspicion
légitime. L’expression de renvoi pour cause de suspicion légitime apparaissait déjà dans la
Constitution de 1791801, soit il y a plus de deux cent ans. Deux situations sont à différencier. La
première correspond à celle dans laquelle plusieurs juges vont décider de s’abstenir dans un même
litige802. La seconde correspond à celle où se sont les parties qui vont souhaiter évincer l’ensemble
des juges en charge de leur dossier. Pour ce faire, elles devront prouver qu’il existe des causes de
récusation imputables à tous les juges de la formation collégiale litigieuse803.
271. L’objectif de la récusation consiste à remplacer le juge visé par une demande qui aura reçu
une réponse favorable. Afin de pouvoir récuser valablement un juge, encore faut-il s’appuyer sur
des éléments concrets, énumérés dans des textes reconnus804. Bien que faisant partie du domaine
civil, la récusation d’un membre appartenant au tribunal paritaire des baux ruraux, ou au conseil de
prud’hommes, doit être faite à l’appui d’articles spécifiques à la matière. Un conseiller prud’hommes
pourra faire l’objet d’une récusation, si par exemple, il est établi une relation de travail avec le
799
Civ. 2ème, 8 septembre 2005, n° 03-18862, Bull. civ. 2005, II, n° 215, p. 191. : « le droit de récusation appartient aux clients présents ou à
venir du cabinet X… et non à l’avocat qui n’est pas partie et ne peut mettre en œuvre ce droit à titre préventif ».
800
Article 349 alinéa 1 CPC.
801
Article 19, chapitre V : du pouvoir judiciaire, Constitution du 3 et 4 septembre 1791 : "il y aura pour tout le royaume un seul tribunal de cassation,
établi auprès du Corps législatif. Il aura pour fonctions de prononcer - Sur les demandes en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les
tribunaux ; - Sur les demandes en renvoi d'un tribunal à un autre, pour cause de suspicion légitime ; - Sur les règlements de juges et les prises à partie
contre un tribunal entier".
802
Article 340 CPC.
803
CA Poitiers, 13 mai 1980, Gaz. Pal. 1980, 2, p. 465.
804
Article 341 CPC qui renvoie à l’article L 111-6 COJ qui lui-même est élargi grâce à une demande de récusation fondée sur
l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
200
justiciable805. Il y a une réelle adaptation des causes de récusation afin de répondre au mieux à
l’attente des justiciables. L’ajout de ces hypothèses permet d’assurer le respect de cette garantie en
toutes circonstances. En outre, l’exigence d’une cause valable est logique dans le sens où ce pouvoir,
sans limitation, pourrait engendrer de nombreux abus et retarder considérablement le rendu de la
justice. Il ne faut pas seulement y voir le côté qui consiste à réaliser des manœuvres dilatoires, il
faut aussi y voir le fait que l’action en récusation remet en cause l’autorité même du juge. Cette
action permet d’agir contre le juge assimilé à l’autorité judiciaire, donc à une entité forte. Les termes
concernant cette action sont d’ailleurs révélateurs comme en témoigne l’utilisation de la notion
d’action visant806 un juge. Elle retranscrit qu’il est dans la ligne de mire du justiciable. Cependant,
le juge ciblé n’est pas désarmé puisqu’une sanction est prévue lorsque cette demande s’avère
infondée au même titre que pour le renvoi pour cause de suspicion légitime. La partie qui en est à
l’origine peut être amenée à payer une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros sans
préjudice des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés807.
272. « La demande doit, à peine d’irrecevabilité, indiquer les motifs de récusation ou de renvoi pour cause de
suspicion légitime et être accompagnée des pièces justificatives »808. Pour ce faire, concernant la récusation,
une liste est contenue dans l’article L 111-6 du Code de l’organisation judiciaire. Bien qu’énumérant
les cas dans lesquels un juge peut être récusé, il se divise en trois grandes catégories809. La première
consiste à prendre en considération les liens intéressés établis entre le juge et le justiciable. Elle fait
par exemple appel à un enjeu économique où il y aurait une relation de créancier/débiteur. La
deuxième catégorie se rapporte aux sentiments établis entre le juge et le justiciable, comme les
relations d’amitiés sachant que si ces derniers sont allés dans la même école, ou qu’ils répondent au
même secteur d’activité, cela n’est pas de nature à remettre en cause son impartialité810. La troisième
situation repose sur le parti pris du juge en charge de l’affaire. Dans cette conception, un juge ne
805
Article L 1457-1 alinéa 5 C. trav.
806
Article 350 CPC.
807
Article 348 CPC. La sanction est plus sévère que ce qu’elle était puisque son montant s’élevait à 1 500 euros, conformément à
l’ancien article 353 du Code de procédure civile.
808
Article 344 alinéa 3 CPC et Civ. 2ème, 5 juin 2014, n° 13-22770 : « La partie qui veut récuser un juge doit à peine d’irrecevabilité, le faire
dès qu’elle a connaissance de la cause de récusation et indiquer avec précision les motifs de la récusation et accompagner sa requête des pièces propres à la
justifier ».
809
J. HÉRON et T. LE BARS, Droit judiciaire privé, 6ème Ed., LGDJ, 2015, p. 900.
810
Civ. 2ème, 13 juillet 2005, n° 04-19962, Bull. civ. 2005, II, n° 206, p. 182. : « La seule circonstance que le plaideur et son juge aient été élèves
de la même école, fût-ce Polytechnique, n’était pas de nature à créer, même en apparence, un doute légitime sur son impartialité, et qu’en l’absence de toute
imputation précise, la seule circonstance que les magistrats concernés seraient issus du même secteur d’activité que les parties n’était pas non plus de nature
à créer, même en apparence, un doute sur leur impartialité ».
201
peut être amené à rejuger la même affaire. Néanmoins, il peut être amené à rejuger les mêmes
parties à un autre litige. La question de l’impartialité du juge se repose alors, comme l’illustre un
arrêt811 où M. X a fait valoir que les magistrats d’une chambre de la cour d’appel de Paris avaient
déjà rendu à son encontre plusieurs décisions lui étant défavorables, ce qui de son point de vue, les
rendaient partiaux. Or, selon les magistrats de cassation « le défaut d’impartialité d’un juge ne peut résulter
du seul fait qu’il ait rendu une ou plusieurs décisions défavorables à la partie demanderesse à la récusation ou
favorables à son adversaire ». Il est vrai que « dans un monde idéal, il serait sans doute opportun qu’un juge qui
a déjà statué dans une affaire opposant deux parties ne puisse jamais être à nouveau amener à juger une autre affaire
entre les mêmes parties »812.
273. Dans une autre affaire, M. X avait été licencié par une société et avait saisi le conseil de
prud’hommes sur le fondement d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qu’a retenu le
tribunal de Saint-Pierre813. L’employeur a alors interjeté appel en se fondant sur l’absence
d’impartialité étant donné « que la mère du salarié était conseillère prud’homale et faisait partie de la même
section du même conseil que celle saisie ». La cour d’appel a rejeté la demande de nullité du jugement faite
par l’employeur en retenant que ce dernier « n’avait pas fait usage de la procédure de récusation et qu’en tout
état de cause, en l’absence de toute imputation précise, le seul fait que les conseillers prud’hommes qui avaient rendu
le jugement frappé d’appel aient siégé dans la même section que la mère d’une des parties ne permettait pas de créer,
même en apparence, un doute légitime sur l’indépendance et l’impartialité des magistrats concernés ». La Cour de
cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel en indiquant « que l’exigence d’impartialité s’impose
aux juridictions à l’encontre desquelles le grief peut être invoqué indépendamment de la mise en œuvre des procédures
de récusation ou de renvoi dès lors qu’il ne relève pas d’un des cas visés à l’article L 1457-1 du code du travail ».
L’adverbe indépendamment retranscrit l’articulation existante entre les différents moyens d’actions
tels que la récusation ou le renvoi pour cause de suspicion légitime et l’article 6-1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par voie de
conséquence, les moyens d’actions permettant de lutter contre la partialité sont élargis, et l’article
6-1 de ladite convention apparaît comme une suppléance à l’absence de mise en œuvre des incidents
811
Civ. 2ème, 21 janvier 2016, n° 15-01541, M. X contre Mesdames Y, Z et A, publié au bulletin.
812
L. MAYER, « Nouvelle précision sur les contours de l’exigence d’impartialité », Gaz. Pal., Lextenso, n° 18, 17 mai 2016, p. 70.
813
Soc. 13 janvier 2016, n° 14-21803, M. X contre Société Sport Auto.
202
classiques814. Cette extension des règles posées par le droit interne815 est encore guidée par une
volonté de contrer autant que possible l’impartialité.
274. Il convient de spécifier que les causes de récusation énumérées par l’article L 111-6 du Code
de l’organisation judiciaire « ont un caractère péremptoire »816 c’est-à-dire que leurs seules invocations
suffisent pour qu’elles soient traitées. Par contre, une demande de récusation fondée sur la
Convention européenne des droits de l’homme ne sera pas appréhendée de la même manière. Un
certain filtre sera effectué par le juge qui devra apprécier si la cause de récusation qui lui est soumise
est recevable. Dans cette hypothèse, il y a une étape d’appréciation de la cause qui doit être réalisée
par le juge. Cette différence de traitement tient au fait que plusieurs situations sont énumérées par
le Code de l’organisation judiciaire, alors que ce n’est pas le cas de l’article 6-1 de la Convention
européenne des droits de l’homme. Cette absence de précision pourrait être synonyme d’abus ce
qui justifie l’intervention du juge.
275. Les juges de la Haute juridiction817 ont précisé « qu’un magistrat ne peut faire l’objet d’une requête
en récusation que dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle ». A l’inverse, il y aurait une paralysie dans le
fonctionnement et le rendu de la justice. Par conséquent, l’impartialité d’un juge ne peut par
exemple pas être remise en cause parce qu’une magistrate avait statué sur des recours formés contre
une décision de rejet d’un bureau d’aide juridictionnelle. Sa mission se limitait à « contrôler, au sens
quasiment administratif, la pertinence de la décision rendue par le bureau de jugement, lequel ne rend pas à
proprement parlé des actes juridictionnels mais des décisions d’admission ou de refus »818. Il est à noter que M.
X avait formé une question prioritaire de constitutionalité819 pour faire entendre sa cause en
814
Civ. 1ère, 31 mars 1998, n° 95-17430, Bull. civ. 1998, I, n° 133, p. 88. : Des demandes de récusation et de renvoi pour cause de
suspicion légitime avaient été formulées contre « des membres du conseil de l’Ordre d’un barreau, réunis en formation disciplinaire ». La Haute
juridiction a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel étant donné qu’elle s’était limitée aux hypothèses visées par l’article 341
du Code de procédure civile sans élargir ces dernières au champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme. Et Civ. 1ère, 28 avril 1998, n° 96-11637, Bull. civ. 1998, I, n° 155, p. 102. Et Civ. 2ème, 27 mai 2004, n° 02-15726, Bull.
civ. 2004, II, n° 245, p. 208. : L’article 341 du Code de procédure civile, qui renvoie aux cas de récusation posés par l’article L 111-
6 du Code de l’organisation judiciaire, « n’épuise pas nécessairement l’exigence d’impartialité requise de toute juridiction ». Dans la même
jurisprudence, Civ. 2ème, 10 avril 2014, n° 13-15678.
815
L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, op. cit. p. 527.
816
J. HÉRON et T. LE BARS, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 903.
817
Civ. 2ème, 17 sept. 2015, n° 15-01497, publié au bulletin.
818
M. KEBIR, « Aide juridictionnelle : irrecevabilité d’une demande de récusation du juge saisi d’un recours », Dalloz actualité, 2
oct. 2015.
819
Civ. 2ème, 17 sept. 2015, n° 15-01497, op. cit. et S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit. : une question prioritaire de
constitutionnalité correspond à la « procédure permettant à tout justiciable, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction administrative
ou judiciaire, de contester la constitutionnalité d’une disposition législative lorsqu’il estime que cette disposition porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit ». p. 510.
203
avançant ce défaut d’impartialité, mais cette question n’a pas donné lieu à un renvoi au Conseil
constitutionnel.
276. En pratique, il est très rare qu’un justiciable connaisse plusieurs juges statuant sur son affaire.
Par contre, si tel est le cas et qu’il souhaite récuser un juge ou demander un renvoi pour cause de
suspicion légitime, il faudra qu’il agisse avant la clôture des débats820. Une exception est toutefois
admise lorsque la partie n’avait pas connaissance de l’identité du juge. Cette exigence de rapidité
est un moyen de renforcer l’autorité de la collégialité car ses membres sauront qu’ils peuvent
pleinement se consacrer à un dossier sans avoir à se soucier du fait qu’ils pourraient être suspectés
et évincés d’une affaire à tout moment. Elle permet également de conforter les rapports entretenus
au sein même du collège puisque les juges ne porteront pas de soupçon de partialité les uns vis-à-
vis des autres.
277. Procéduralement, la demande de récusation n’est plus soumise au juge concerné par la
requête. Il pourra lui être demandé de faire des observations sans que cela soit une obligation821.
Avant l’entrée en vigueur du décret de 2017822, il lui était reconnu une phase de réflexion et de
prononciation face à l’accusation dont il était l’objet. Ledit juge avait huit jours pour se prononcer
sur la cause de la récusation. Soit il admettait que la récusation était valable et il était immédiatement
remplacé823. Soit au contraire, il ne répondait pas, ou il faisait connaître son désaccord sur la
demande de récusation. Dans tous les cas, s’il fournissait une réponse elle devait être écrite. S’il
n’acquiesçait pas à la récusation, il lui revenait de motiver sa décision824.
Conformément au premier alinéa de l’article 344 du Code de procédure civile, la demande
de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime doit être portée devant le premier
président de la cour d’appel. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois825. Une exception concerne
les demandes de récusation dirigées à l’encontre d’un premier président de la cour d’appel, ou les
demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime qui concernent une cour d’appel. Dans une
820
Article 342 alinéa 2 CPC et Civ. 2ème, 15 février 2001, n° 98-17643, Bull. civ. 2001, II, n° 28, p. 20. : En s’abstenant de récuser
un magistrat d’une formation collégiale « avant la clôture des débats, ils ont ainsi renoncé sans équivoque à s’en prévaloir ».
821
Article 345 alinéa 1 CPC.
822
Décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la procédure civile.
823
Ancien article 348 CPC.
824
Ancien article 347 CPC.
825
Article 346 alinéa 1 CPC.
204
affaire826, la cour d’appel considérait « que si la requête en récusation dirigée contre l’un des conseillers de la
cour d’appel ressortit à la compétence de la cour d’appel, tel n’est pas le cas de la requête en récusation du premier
président de la cour d’appel qui, ainsi que le précise l’article 37 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au
statut de la magistrature, est un magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation qui exerce la fonction de premier
président ». Or, dans son attendu de principe, il ressort « que le premier président de la cour d’appel étant
nommé pour exercer exclusivement ces fonctions, seule la cour d’appel peut connaître d’une demande de récusation
formée à son encontre au titre de l’exercice de ses fonctions, peu important qu’il soit nommé à la Cour de cassation
pour des raisons statutaires ». Par conséquent, la juridiction compétente pour statuer sur cette requête
en récusation n’était pas la Haute juridiction, mais bien la cour d’appel. Toutefois, le nouvel article
350 du Code de procédure civile ne retient pas le même principe. Comme l’a justement souligné
Madame Bléry, « désormais, si c’est le premier président de la cour d’appel qui fait l’objet d’une demande de
récusation, ce ne sont plus ses « oilles » qui ont à en connaître et c’est heureux. La solution est étendue à l’hypothèse
où la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime vise la cour d’appel « dans son ensemble », donc y compris
le premier président (mais n’est-ce pas plutôt la formation de la cour appelée à statuer qui est visée « dans son
ensemble » ? Or le premier président ne la préside pas forcément…) »827. Avant cela, la demande de récusation
était en principe portée devant une collégialité, à savoir, la cour d’appel, à l’exception du tribunal
paritaire des baux ruraux par exemple, ce qui n’est plus le cas. Dans cette situation, c’était au
président de ladite juridiction de statuer828. S’agissant du renvoi pour cause de suspicion légitime,
si le président n’acquiesçait pas à la demande de dessaisissement, il devait communiquer les raisons
à l’origine de son désaccord au président de la juridiction immédiatement supérieure. Cette
dernière, en possession des arguments de la partie à l’origine de la demande de dessaisissement et
de ceux du président du tribunal suspecté, devait mettre un terme au cas litigieux en statuant en
chambre du conseil dans le mois, le ministère public entendu, sans que les parties aient besoin
d’être appelées829.
La nouvelle procédure prévoit dans son article 345 alinéa 3 que la requête en récusation ou
de renvoi pour cause de suspicion légitime ne dessaisit pas le juge ou la juridiction visée mais qu’il
peut être ordonné qu’il soit sursis à toute décision juridictionnelle. Cette règle est moins stricte que
celle initialement prévue, puisque l’ancien article 346 du Code de procédure civile imposait au juge
826
Civ. 2ème, 26 mai 2016, n° 16-01602 16-01603 16-01604, publié au bulletin.
827
C. BLERY, « Justice du XXIème siècle : refonte du régime de la récusation et du renvoi pour cause de suspicion légitime », Dalloz
actu., 13 mai 2017.
828
Ancien article 349 CPC.
829
Ancien article 359 CPC.
205
de s’abstenir. Il revient au greffier d’informer les différents protagonistes de la décision prise830
alors que « l’ordonnance rejetant la demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime peut faire
l’objet d’un pourvoi dans les quinze jours de sa notification par le greffe »831. « Si la demande de récusation est
admise, il est procédé au remplacement du juge. Si la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est admise,
l’affaire est renvoyée devant une autre formation de la juridiction initialement saisie ou devant une autre juridiction
de même nature. Cette décision s’impose aux parties et au juge de renvoi »832.
278. Il convient de spécifier « que la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime n’est pas applicable
devant la Cour de cassation »833. Cette immunité de la plus haute collégialité française peut se justifier
parce que ces conseillers sont prioritairement des juges du droit ce qui fait qu’ils sont assez éloignés
du fond du litige pour que leur impartialité soit préservée.
A côté de ces hypothèses, l’abstention est également un moyen d’action reconnu au juge
afin qu’il se déporte d’une affaire dans laquelle son impartialité ne serait pas assurée.
830
Article 346 alinéa 2 CPC.
831
Article 346 alinéa 3 CPC.
832
Article 347 alinéas 1 et 2 CPC.
833
Civ. 2ème, 21 février 2002, n° 00-01219, n° 02-01241, Bull. civ. 2002, II, n° 26, p. 22. et Civ. 2ème, 20 mai 1992, n° 92-01001, Bull.
civ. 1992, II, n° 149, p. 73.
834
L’abstention est aussi prévue par l’article L 111-7 du COJ.
206
d’amitié, de proximité ou d’inimitié ». Au surplus, l’article c. 20 précise que « les textes en vigueur laissent à
la libre conscience du magistrat, sans l’obliger à s’en expliquer, le choix de s’abstenir dans le traitement d’une
affaire ».
280. L’importance de l’impartialité résulte également de la portée qui lui est consacrée puisqu’elle
correspond à un principe général du droit (1). En outre, celle-ci est confortée au regard de sa
relation avec ce qui est appelé la vérité judiciaire (2).
281. Selon Madame Eudier, l’impartialité des juges est une qualité telle qu’elle est aujourd’hui un
principe directeur du procès civil835. Les principes directeurs du procès sont définis comme les
« principes fondamentaux gouvernant la procédure civile (CPC, art. 1er à 24) : principe d’impulsion par les parties
(CPC, art. 1er, 2 et 3), principe dispositif (CPC, art. 4 et 5), principe du contradictoire (CPC, art. 14, 15 et 16)
et principe de la publicité des débats (CPC, art. 22) »836. Ils se traduisent dès les prémices du Code de
procédure civile puisque la thématique qui leur est consacrée est contenue au sein du livre premier,
titre I dans les dispositions communes à toutes les juridictions. Elles correspondent aux
dispositions liminaires ce qui signifie qu’elles s’imposent avant les dispositions particulières tel un
droit commun des règles procédurales. Les principes directeurs du procès civil ont deux fonctions.
La première permet de déterminer le rôle des juges et celui des parties. La seconde permet d’assurer
l’autorité de certaines règles au vu de leur application à l’ensemble du domaine juridique837. Si
l’exigence d’impartialité s’inscrit dans ces deux critères, ce terme n’apparaît pourtant pas
explicitement au sein de ce chapitre. Toutefois, cette absence n’est pas totale. Une résonnance de
l’exigence d’impartialité est perceptible dans le premier alinéa de l’article 7 du Code de procédure
civile selon lequel « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ». S’y adjoint
le premier alinéa de l’article 12 du même Code qui énonce que « le juge tranche le litige conformément
aux règles de droit qui lui sont applicables ». Ces dispositions permettent d’établir un cadre, une structure
835
F. EUDIER, Le juge civil impartial, p. 3.
836
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 496.
837
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 348.
207
à la fonction juridictionnelle, afin que les juges apportent une décision de justice impartiale aux
justiciables. L’article L 111-5 du Code de l’organisation judicaire fait quant à lui directement
apparaître le terme d’impartialité. Cette disposition est contenue dans le livre premier
correspondant aux dispositions communes aux juridictions judiciaires et s’insère dans le titre
premier relatif aux principes généraux. C’est en cela que le principe d’impartialité est un principe
général du droit ce qui vient là encore, conforter son importance. Cette condition est ensuite
renforcée par ce qui est appelé la vérité judiciaire.
282. Tous les jugements sur le fond sont réputés exprimer la vérité838, autrement dit, ils expriment
une vérité judiciaire. A titre comparatif, la vérité scientifique davantage connue permet de
concrètement démontrer une idéologie à la suite de la réalisation d’expériences. A l’inverse, dans le
domaine juridique, cette vérité revêt un aspect relatif alors qu’elle « naît dans le contexte difficile d’un
conflit »839. Cette « présomption de vérité »840 est justifiée par la « nécessité sociale »841 en sachant qu’elle
est confortée par le principe de l’autorité de la chose jugée. C’est en effet ce dernier qui permet
d’assurer « l’immutabilité de la décision rendue par le juge en application d’une procédure démonstrative et
justificative. Elle se définie donc comme l’instrument permettant au juge de dépasser le doute et l’incertitude qui affecte
nécessairement le savoir pour porter sa décision au niveau d’une vérité, non pas absolue mais judiciaire »842. Dès
lors, « l’autorité de la chose jugée assure la sécurité d’une situation acquise : à tort ou à raison, le litige connaît telle
solution que l’on ne peut remettre en cause »843. Le principe de l’autorité de la chose jugée additionné à la
vérité judiciaire permet de conforter le fait que la décision apportée l’a été avec impartialité.
283. La vérité judiciaire « en conditionne une autre : la vérité du fait détermine la vérité du droit. En effet, la
détermination de la bonne règle applicable ou de sa signification réelle n’a de sens et ne permet de rendre justice que
lorsque les faits sont prouvés. L’application d’une règle de droit suppose que les conditions légales de son application
soient établies. Sans preuve, le droit est désarmé »844. La manifestation de la vérité est définie comme la
838
J-J. TAISNE, Institutions juridictionnelles, 13e éd., coll. Mémentos dalloz, Dalloz, 2012, p. 169.
839
J-F. CESARO, « La preuve, avant-propos », Rapport annuel, Cour de cassation, 2012.
840
C. SANDA MATUNDU, De la publicité de la justice, thèse, Université de Rennes, déc. 1994, p. 191.
841
G. DALBIGNAT-DEHARO, Vérité scientifique et vérité judiciaire en droit privé, Bibliothèque de l’Institut André Tunc, t. 2, LGDJ, 2004.,
p. 371.
842
Ibid.
843
D. HASCHER, L’autorité de la chose jugée des sentences arbitrales, vol. 15, Travaux du comité français de droit international privé, 2004,
p. 17.
844
J-F. CESARO, « La preuve, avant-propos », op. cit.
208
« mise en évidence de la vérité, enjeu du combat judiciaire pour la preuve, objectif de la recherche contradictoire des
preuves et de la vérification juridictionnelle des allégations de faits »845. Afin d’aboutir à une vérité la plus
réelle possible, il appartient aux justiciables de prouver leurs prétentions tel que le prévoit l’article
10 du Code civil selon lequel, « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation
de la vérité ». A défaut, des sanctions peuvent être prononcées comme l’astreinte ou l’amende
civile846. Les preuves sont essentielles en ce qu’elles vont permettre aux juges de statuer en
connaissance de cause sur l’affaire qui leur est soumise. La difficulté tient au fait qu’en raison du
caractère souvent bilatéral du procès, une des parties aura nécessairement tort quand bien même
elle aurait été de bonne foi847. « Chacun s’appuie sur des faits, des principes et des textes certains, chacun
apporte des preuves valables, invoque des précédents, bref chacun présente une thèse parfaitement admissible. La vérité
est – sous des angles différents – des deux côtés »848.
284. Madame Fricero considère que « la vérité judiciaire trouve certainement plus sa source dans les
compétences personnelles du juge que dans la discussion avec une collégialité »849. Ce propos est à nuancer.
Certes, chaque juge doit posséder les compétences nécessaires afin d’établir cette vérité, mais par
l’interaction qu’elle suscite, la collégialité permet de faciliter cette recherche pourtant difficile. S’y
adjoint que cette formation revêt plusieurs bienfaits sur l’impartialité.
845
G. CORNU, P. MALINVAUD, M. CORNU et alii, ASSOCIATION HENRI CAPITANT, Vocabulaire juridique, 11ème éd., coll. PUF,
Quadrige, 2016, p. 1070.
846
Article 10 alinéa 2 C. civ.
847
P. HUGONET, La vérité judiciaire, Litec, 1986.
848
Ibid. p. 11.
849
N. FRICERO, Les Institutions judiciaires. Les principes fondamentaux de la Justice. Les organes de la Justice. Les acteurs de la Justice, 4e éd., coll.
Mémentos LMD, Gualino, Lextenso éditions, 2012, p. 22.
209
Section 2 – Les bienfaits de la collégialité sur l’impartialité
285. Déterminer quels sont les bienfaits de la collégialité sur l’impartialité revient à approfondir
les réponses déjà apportées à la question consistant à savoir si une collégialité permet de garantir
l’impartialité de ses membres850. La meilleure réponse serait celle apportée par des travaux menés
sur la psychologie des juges alors qu’ils restent minoritaires851. Dès lors, il convient de démontrer
que cette composition est vectrice de confiance et de qualité (§1) alors qu’elle permet de surcroît
de réduire les risques de partialité (§2).
286. La collégialité permet aussi bien d’assurer un renforcement de la confiance des justiciables
envers les juges (A) ce qui justifie que ce mode d’organisation soit préféré devant les juridictions
supérieures internes, voire internationales852, qu’elle permet un renforcement de la qualité attenante
à la mission juridictionnelle (B).
287. Un renforcement de la confiance des justiciables envers les juges tient à l’atout que
représente le délibéré collégial (1). Bien qu’il détermine la prise de décision des juridictions
atypiques, celles-ci pourraient susciter davantage de défiance compte tenu du fait qu’elles ne font
pas intervenir des professionnels du droit. Dans ces circonstances, par une jurisprudence constante
et abondante853, les hauts magistrats ont affirmé que l’adéquation entre l’impartialité, indispensable
à la fonction de juger, avec la collégialité atypique, est bien caractérisée (2).
850
D. ROETS, Impartialité et justice pénale, op. cit., p. 152.
851
Ibid.
852
H. RUIZ FABRI et J-M. SOREL, Indépendance et impartialité des juges internationaux, Pedone, coll. contentieux international, Université
Paris I Panthéon-Sorbonne, UMR de droit comparé de Paris et Cerdin, Paris, 2010, p. 280.
853
Par exemple : Soc. 19 déc. 2003, n° 02-41429, Bull. 2003, V, n° 321, p. 323 et soc. 19 déc. 2003, n° 01-16956.
211
1. L’atout du délibéré collégial
288. Comme l’affirmait le célèbre physicien Albert Einstein « il est plus facile de briser un atome que
de briser un préjugé ». Cette citation retranscrit la difficulté d’aller au-delà de ses idées préconçues, un
atome possédant une taille subatomique. Qu’un élément si infiniment petit soit plus compliqué à
briser qu’un préjugé illustre la difficulté d’y faire face. Dès lors, la discussion qu’implique la
collégialité lors du délibéré permet de garantir « une justice plus éclairée, plus impartiale »854 en ce qu’elle
atténue l’impartialité subjective855. C’est pourquoi il est recommandé au sein de l’article b.18 du
Recueil des obligations déontologiques des magistrats, concernant le prononcé d’une décision
collégiale pénale sur le siège, d’éviter qu’elle ait lieu « immédiatement après la plaidoirie, accréditant l’idée
de l’inutilité des débats et du délibéré […]. Seule une discussion libre entre les membres de la formation est une
garantie de la réalité de la délibération et de l’examen des arguments avancés par chacune des parties ». Cette
recommandation est à transposer en procédure civile. En conséquence, il convient de « restaurer la
collégialité, car elle est une garantie particulièrement forte pour le citoyen. C’est par la richesse de la confrontation des
sensibilités, la discussion des argumentations et la mise en commun des pratiques que le justiciable sera protégé du
risque d’arbitraire »856. La phase du délibéré revêt donc deux aspects positifs. Le premier est qu’il
permet aux juges de contrer autant que possible leur partialité. Le second permet de conforter la
confiance des parties qui auront le sentiment que la décision a été prise avec impartialité, les juges
pouvant exercer un contrôle les uns sur les autres. La collégialité permet aux juges « de résoudre les
objections, de mieux approfondir les difficultés, d’éclairer les esprits ; les idées s’entrechoquent et s’échangent ; chaque
juge fait participer ses collègues à sa science et à son expérience personnelles »857. La collégialité s’assimile ainsi
à « un instrument de correction du vote partial d’une minorité de magistrats »858. C’est un instrument de
correction car elle va permettre d’éviter autant que possible qu’une décision soit prise de façon
partiale en convaincant un juge d’adopter un autre point de vue. Plus le nombre de juges au sein
d’un collège est important, plus la partialité est susceptible d’être neutralisée. La composition
collégiale de la Cour de cassation se justifie par le fait qu’il lui est accordé un pouvoir de contrôle
854
A. BOLZE, « Le délibéré ou les mystères de la fabrication du droit », op. cit.
855
L’office du juge, Palais du Luxembourg, Les colloques du Sénat, 29-30 septembre 2006. Il convient de spécifier à titre d’information
que d’après Monsieur Troper, les juges sont confrontés à des contraintes juridiques de deux ordres. Les premières correspondent
au courant du réalisme juridique originaire des Etats-Unis. En résumé, dans cette conception, il est avancé que la décision du juge
dépend de son petit déjeuner, c’est-à-dire que son humeur aurait des répercussions sur sa décision. Les secondes résultent cette fois
directement du système juridique. Cette idéologie n’est toutefois pas reconnue en droit français.
856
F. MARTRES, « Une occasion manquée », n° 070, Gaz. Pal., Lextenso, 11 mars 2014.
857
H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. I. Introduction notions fondamentales (action en justice ; formes et délais ; acte juridictionnel)
organisation judiciaire, op. cit., p. 506.
858
S. JOSSERAND, L’impartialité du magistrat en procédure pénale, LGDJ, bibliothèque des sciences criminelles, t. 33, 1998, p. 15.
212
et d’unification du droit. Par ailleurs, le fait d’être à plusieurs nécessite d’ouvrir son raisonnement
et d’être à l’écoute aussi bien des parties que de ses confrères, afin de se rallier à une idée ou de la
conforter. C’est pour cette raison qu’elle s’assimile à un lieu d’acculturation où les prises de
positions peuvent être outrepassées par les délibérations de ses membres859.
289. Il importe de souligner que le juge unique est également amené à délibérer860, bien que les
dispositions contenues au sein du Code de procédure civile ne reconnaissent pas clairement cette
situation. L’article 447 du Code de procédure civile prévoit qu’il « appartient aux juges devant lesquels
l’affaire a été débattue d’en délibérer. Ils doivent être en nombre au moins égal à celui que prescrivent les règles relatives
à l’organisation judiciaire ». L’expression « il appartient aux juges » permet de faire davantage référence
à une formation collégiale du fait de l’utilisation du pluriel. Une nuance est à apporter car la
référence à un nombre au moins égal à celui que prescrivent les règles relatives à l’organisation
judiciaire permet de renvoyer aussi bien à une composition collégiale qu’unitaire. Cette disposition
permet également de conforter la confiance des justiciables car en présence d’un juge unique, ce
juge devra avoir lui-même assisté aux débats sans quoi il ne pourra pas délibérer. L’article 448 du
même code énonce quant à lui que « les délibérations sont secrètes ». Comme le juge unique est amené
à faire connaître publiquement sa décision, il pourrait être pensé qu’il n’est là encore pas concerné
par cette disposition. Il convient alors de se référer à la dernière disposition se rapportant au
délibéré et aux dispositions générales applicables devant l’ensemble des juridictions, à savoir,
l’article 449 du Code de procédure civile selon lequel, « la décision est rendue à la majorité des voix ». De
la même manière, le terme de majorité pourrait renvoyer à la pluralité. Or, un juge unique va
prendre en considération chaque élément du litige qui lui est soumis afin d’apporter une seule et
unique solution aux parties. Il connaîtra donc un dialogue intérieur. Comme l’a justement affirmé
Monsieur Coulon, si le juge unique ne pouvait délibérer avec lui-même, cela reviendrait à
méconnaître la dialectique861 du jugement862 et à douter de son impartialité. Par analogie, sa prise
de décision correspond à celle qui a remporté le plus de suffrage, autrement dit, « sa » majorité,
c’est en cela que par extension, ces textes lui sont finalement applicables. En outre, lorsqu’il lui est
demandé de respecter le secret du délibéré cela consiste à ne pas faire connaître les éventuels doutes
qu’il aurait pu avoir, l’objectif étant de retranscrire une décision unitaire et autoritaire.
859
H. RUIZ FABRI et J-M. SOREL, Indépendance et impartialité des juges internationaux, op. cit., p. 301.
860
Crim. 8 juill. 1971, n° 70-92447, Bull. crim., n° 226, p. 549.
861
Bien que cette notion paraisse primordiale dans le domaine juridique, elle est pourtant absente des vocabulaires qui s’y rapporte.
Il convient alors de retenir la définition apportée par le dictionnaire Larousse. La dialectique correspond à une « méthode de raisonnement
qui consiste à analyser la réalité en mettant en évidence les contradictions de celle-ci et à chercher à les dépasser ».
862
J-M. COULON et al., Justices et droit du procès : du légalisme procédural à l'humanisme processuel, Dalloz, 2010, p. 207.
213
290. Toutefois, si une composition collégiale permet d’amoindrir les éventuels préjugés de ses
membres, il faut en déduire qu’en son absence, il revient au juge unique de renier lui-même ses
potentielles idées préconçues. La technicité tient au fait qu’il doit d’une part être conscient de son
préjugé, tandis qu’il doit d’autre part réussir à l’évincer. De plus, comme l’ont affirmé Messieurs
Roland et Boyer, il est aisé pour un juge unique de favoriser une partie en lui octroyant à tort gain
de cause. Cet accroissement du risque de partialité est aussi lié au fait qu’il n’aura pas à convaincre
d’autres juges d’adhérer à sa décision ce qui aurait pu contrer sa partialité863. Compte tenu de ces
potentiels risques, certains considèrent que « le juge unique perd en garanties intellectuelles ce que l’Etat
gagne en performance budgétaire »864 car « la personnalisation ouvre la voie aux pressions et aux passions, elle
fragilise la justice. C’est la raison pour laquelle la collégialité, dès lors qu’elle est utilisée à bon escient, sans
systématique, demeure un outil si important, y compris en première instance »865. En effet, l’atout du délibéré
collégial est indéniable. Cette conception se confirme en présence d’une collégialité atypique où le
délibéré permet de favoriser l’impartialité de ses membres qui ne sont pas des professionnels du
droit, alors qu’ils revêtent la même qualité que les justiciables.
291. Concernant la juridiction prud’homale, les magistrats du quai de l’Horloge ont établi que le
respect de l’exigence d’impartialité est assuré « par la composition même des conseils de prud’hommes, qui
comprennent un nombre égal de salariés et d’employeurs élus, par la prohibition d’ordre public de tout mandat
impératif, par la faculté de recourir à un juge départiteur extérieur aux membres élus et par la possibilité, selon les
cas, d’interjeter appel ou de former un pourvoi en cassation »866. De ce fait, aussi bien la formation paritaire,
que celle aménagée du fait de l’adjonction du juge départiteur, permet de préserver l’impartialité.
Les juges de cassation ont également précisé que le fait « que cette composition soit fondée sur l’origine
sociale de ses membres n’est pas de nature à affecter l’équilibre d’intérêts inhérent au fonctionnement de la juridiction
prud’homale ou à mettre en cause l’impartialité de ses membres »867. Par voie de conséquence, « ce mode de
fonctionnement, commun à un certain nombre de juridictions, ne saurait être contesté sous l’angle de l’article 6§1 de
863
A. OUDOUL, « L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH », op.
cit., p. 307.
864
J. AUDRY, « La professionnalisation du juge », thèse, Université de Toulon, 6 déc. 2016, p. 242.
865
« Installation de M. Jean-Claude Magendie », Gaz. Pal., Lextenso, n° 127, 6 mai 2000, p. 3.
866
Par exemple : Soc. 19 déc. 2003, n° 02-41429, Bull. 2003, V, n° 321, p. 323, op. cit.
867
Civ. 2ème, 20 oct. 2005, n° 03-19979, Bull. civ. 2005, II, n° 271, p. 240.
214
la Convention européenne des droits de l’homme »868. Cette reconnaissance par les plus hauts magistrats de
l’ordre judiciaire a pour objectif de conforter la confiance des justiciables.
292. Pourtant, le paritarisme qui caractérise le conseil de prud’hommes divise. Pour ses
détracteurs, cette organisation est une source de conflits puisque les juges employeurs et employés
possèdent dès l’origine des conceptions différentes. Dès lors, il s’assimile davantage à un équilibre
des forces qui inciterait au parti pris et ne serait qu’un pis-aller869. A contrario, le paritarisme
constitue un atout permettant de garantir l’impartialité de la collégialité, il ne doit pas être perçu
comme un facteur d’affrontement870. Cette affirmation est aussi partagée par Monsieur Swierczek
au sein de sa thèse dont le titre est évocateur : « L’institution prud’homale, cette excentrique que
l’on voudrait rationaliser »871. La référence à l’excentricité s’explique par son caractère atypique.
Enfin, l’organisation paritaire du tribunal prud’homal permet de contrecarrer les opinions
divergentes872 grâce à un contrôle des uns sur les autres.
293. En pratique, en 2017, le pourcentage d’affaires portées devant un juge départiteur s’élevait
à 19,5 %873 en sachant qu’en 2010 ce taux représentait 15 à 20 %874. Pour certains, le fait qu’il ne
soit pas élevé apparaît comme suspect et voudrait dire que les juges prud’homaux adoptent souvent
une décision par compromis pour ne pas avoir à recourir à un magistrat professionnel875. Une
étude876 a ensuite démontré que le recours au juge départiteur avait le plus souvent lieu lorsque la
décision à prendre allait entraîner des répercussions sociales importantes comme l’appréciation
d’une disposition contenue dans une convention collective. Par conséquent, le recours à une tierce
868
P. POUGET, S. LORVELLEC, V. GAUTRON et alii, La participation des citoyens à la fonction de juger, Rapport final, fév. 2005, Université
de Nantes, p. 31.
869
H. GUETTARD, « Le paritarisme prud’homal : attachement syndical et pis-aller judiciaire », Gaz. Pal., Lextenso, n° 094, 4 avr.
2015, p. 11.
870
I. CISSE et D. PONS, « L’impartialité de la juridiction prud’homale », service de documentation, des études et du rapport de la Cour
de cassation, bureau du contentieux de la chambre sociale, janvier 2015, n°61, p. 3.
871
N. SWIERCZEK, L’institution prud’homale, cette excentrique que l’on voudrait rationaliser, thèse de sociologie, Lille, Université des sciences
et technologies de Lille, 29 mars 2010, p. 193.
872
P. MORVAN, « “Partisane” mais paritaire donc impartiale : la juridiction prud’homale », JCP G, n° 7, 11 fév. 2004.
873
MINISTERE DE LA JUSTICE, activité des conseils de prud’hommes.
874
N. SWIERCZEK, L’institution prud’homale, cette excentrique que l’on voudrait rationaliser, op. cit., p. 205.
875
Ibid.
876
P. LEJARD, « Pourquoi les juges prud’homaux doivent rester des juges de “parti-pris” », petites affiches, Gaz. Pal., n° 15, 21
janvier 2015, p. 6.
215
personne n’est - pas nécessairement synonyme de désaccord entre les membres de cette collégialité
atypique -.
294. Comme l’a justement affirmé Monsieur Mercadal, « l’acte de juger est le plus difficile et le plus
extraordinaire qui soit »877. Cette difficulté tient notamment au fait que le juge doit prendre une
certaine distance par rapport aux justiciables et au litige, alors qu’il est lui aussi un citoyen soumis
aux mêmes règles. C’est en cela que le détachement des juges est facilité par la collégialité (1). Pour
cette raison, Monsieur Melison s’est interrogé sur le fait de savoir si un magistrat est finalement un
citoyen comme un autre878. En outre, il s’avère que la collégialité remporte des conséquences
positives sur la motivation des décisions de justice (2), ce qui renforce une nouvelle fois la qualité
de la mission juridictionnelle.
295. Si les juges sont soumis aux mêmes règles que les justiciables, il est primordial que leurs
décisions se fondent sur des éléments concrets. La technicité tient au fait que l’impartialité du juge
implique qu’il prenne de la distance intérieurement, de façon apparente, et qu’il reste malgré tout
proche des justiciables879. L’impartialité nécessite une dialectique permanente car elle implique de
préserver les intérêts des justiciables, mais aussi, de protéger les intérêts des juges contre des actions
qui viendraient abusivement remettre en cause leur neutralité880. Comment un juge peut faire
preuve de distance « dans la mesure où, concrètement, les juridictions sont composées de personnes humaines,
pétries d’histoires et d’opinions ? On peut soutenir qu’il le fait par héroïsme, en s’arrachant à lui-même en revêtant
son costume, il cesserait d’être homme pour devenir un juge désincarné »881. Autrement dit, « il est indispensable
que le juge n’affiche ni ses convictions ni ses préférences et fasse abstraction d’elles quand il statue. Mais, il est peu de
problèmes moraux, économiques et sociaux qui ne lui soient soumis et peu de péripéties de la vie publique auxquelles
877
B. MERCADAL, « La légitimité du juge », RIDC, vol. 54, n° 2, 2002, p. 291.
878
D. MELISON, « Impartialité et citoyenneté - Le magistrat est-il un citoyen comme un autre ? », op. cit., p. 9 et s.
879
D-N. COMMARET, « Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat », op. cit.
880
R. DE GOUTTES, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », Dalloz, RSC, 2003, p. 63.
881
M-A. FRISON-ROCHE, « L’impartialité du juge », D., 1999, p. 53.
216
il ne soit mêlé. Comment empêcher, dès lors, que le parti qu’il est contraint de prendre, soit interprété ? »882. La
collégialité en est une réponse, alors que la fonction juridictionnelle implique que les juges
établissent une distinction entre ce qui relève d’une part de leur vie professionnelle et d’autre part
de leur vie privée.
296. La remise en cause de l’impartialité des juges n’est pas seulement théorique puisque des
sanctions ont été prises sur ce fondement. Dans une décision du Conseil supérieur de la
magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, il avait été refusé
l’honorariat d’un ancien juge du tribunal de grande instance parce qu’il avait notamment manqué à
son devoir d’impartialité883. Une autre décision884 du Conseil supérieur de la magistrature statuant
comme conseil de discipline des magistrats du siège, est quant à elle venue préciser qu’un chef de
juridiction est d’autant plus tenu de respecter l’exigence d’impartialité, puisqu’il doit faire preuve
d’exemplarité. Il était sur ce grief reproché au président de la juridiction de ne pas s’être déporté
dans des affaires dans lesquelles il connaissait les parties, « au détriment de l’apparence d’impartialité des
juridictions ». Ce juge ne bénéficiait plus du recul nécessaire afin d’apporter une solution neutre au
litige. Par contre, ce devoir d’exemplarité ne signifie pas qu’il a un ascendant sur les autres juges
quant à la prise de décision. Cette nécessité se rattache uniquement à sa fonction qui lui reconnaît
de plus amples prérogatives que les autres membres du collège.
297. Les juges doivent faire appel à plusieurs qualités afin d’apporter une solution à un litige
tandis que la collégialité implique une contrainte supplémentaire885. Les exigences communes à
l’unicité et à la pluralité sont de trois ordres. La première correspond à la logique juridique et se
rapporte à l’incontournable syllogisme886. La deuxième permet de faire entrer en jeu la morale.
Celle-ci a pour finalité d’allier la fonction de juger avec le rendu d’une justice équitable. La troisième
bien qu’étant rare, consiste à prendre en considération la métaphysique. Enfin, d’une manière aussi
bien conjointe que propre à la collégialité, une autre condition tient à la psychologie. Celle-ci
comprend deux aspects. Un « à l’égard de soi-même, pour se déjouer des émotions excessives, pour surmonter le
doute et atteindre la sérénité indispensable à la fonction de juger ; mais aussi vis-à-vis de ses collègues : il s’agit de les
882
D-N. COMMARET, « Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat », op. cit.
883
CSM, 21 janvier 2015, S 223.
884
CSM, 15 janv. 2015, S 220.
885
J-M. SAUVE et alii, Le dialogue des juges, mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois, Dalloz, 2009, p. 204.
886
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 560 : " le syllogisme est un raisonnement qui contient trois propositions dont la troisième
dite conclusion est la conséquence des deux autres, appelées prémisses (la prémisse majeure et la prémisse mineure) : Tous les hommes sont mortels (la
majeure). Or Socrate est un homme (la mineure). Donc Socrate est mortel (la conclusion) ".
217
convaincre sans les froisser »887. La collégialité implique donc d’être pondéré. Cette contrainte n’est pas
nécessairement négative puisqu’elle permet de revêtir une forme pédagogique. Dès lors, une
composition collégiale « incite à la modération, elle contraint chaque juge à davantage de neutralité, d’objectivité.
Elle renforce non seulement l’indépendance et l’impartialité du tribunal, mais encore l’apparence de cette
objectivité »888. Ce sentiment est d’ailleurs perceptible sur les motivations des décisions de justice.
298. La motivation correspond aux « raisons de fait et de droit que doit exposer le jugement après l’exposé
succinct des prétentions respectives des parties et de leurs moyens et avant l’énoncé de la solution dans le dispositif »889.
Autrement dit, après avoir pris connaissance des arguments des parties au litige, les juges saisis de
l’affaire devront faire apparaître leurs raisonnements par écrit. Cette étape correspond à la
motivation. Elle est essentielle car elle permet d’aboutir à la solution du litige. Son importance est
d’ailleurs retranscrite par le fait qu’elle bénéficie d’une valeur constitutionnelle890, ou que la
disposition qui la consacre s’insère dans le livre premier du Code de procédure civile se rapportant
aux dispositions communes à toutes les juridictions891. Ainsi, en droit positif français
contemporain, aucune juridiction ne s’y soustrait. Cette exigence n’est pas nouvelle comme en
témoigne une loi du 4 germinal an II qui « obligea, pour la première fois, le tribunal de cassation à motiver
les jugements de rejet »892. Ou encore, l’article 208 de la Constitution du 5 fructidor an III disposant
que « les séances des tribunaux sont publiques ; les juges délibèrent en secret ; les jugements sont prononcés à haute
voix ; ils sont motivés, et on y énonce les termes de la loi appliquée ». Il convient de spécifier qu’il fut un temps
où motiver une décision de justice était assimilé comme allant à l’encontre du secret du délibéré893.
Or, la non communication des opinions individuelles en présence d’une collégialité permet d’aller
à l’encontre de cette affirmation.
887
Le dialogue des juges, Mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois, Dalloz, 2009.
888
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
889
S. GUINCHARD, T. DEBARD et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 657.
890
Conseil constitutionnel, 3 novembre 1977, n° 77-1012.
891
Article 455 CPC : « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme
d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif ».
892
Archives parlementaires : de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres Françaises, t. XIV, Centre National
de la Recherche Scientifique, 1869, p. 235.
893
L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., p. 684.
218
299. D’après un rapport annuel de la Cour de cassation894, la motivation des décisions de justice
revêt trois objectifs. Le premier permet d’obliger les juges à confronter le droit aux faits qui leur
sont soumis. Dès lors, la motivation remporte un aspect pédagogique aussi bien pour les nouveaux
juges que pour ceux anciennement installés. Elle leur apporte un outil juridique, car au sein des
juridictions, les juges ont facilement accès à des bases de données sur lesquelles les affaires traitées
sont répertoriées. Cette mise à disposition leur permet de connaître et de comprendre les solutions
aux litiges antérieurement rendus. Elles viennent par exemple s’ajouter au site
internet Légifrance qui a la particularité d’être accessible à tout un chacun895. Le deuxième objectif
consiste à montrer aux justiciables que leurs prétentions ont bien été prises en considération ce qui
constitue « un rempart contre l’arbitraire ». Elle revêt donc aussi un aspect pédagogique à l’égard du
justiciable. Elle permet de conforter ses attentes en lui montrant que la décision n’a pas été prise
de façon hâtive et qu’en plus de cela, elle est en adéquation avec le droit en vigueur. C’est pourquoi
motiver une décision de justice nécessite de respecter un certain formalisme. A ce titre, les motifs,
qui correspondent aux « raisons de droit et de fait données par le juge à l’appui de sa décision »896, « ne doivent
pas être d’ordre général, dubitatifs, hypothétiques, erronés, insuffisants ou contradictoires. Les vices de motivation
justifient un pourvoi en cassation »897. De plus, « le citoyen, plus qu’hier, accepte mal de se voir imposer des solutions
juridiques qu’il ne comprend pas. Il importe donc que la justice explique ses décisions »898. C’est en cela que
métaphoriquement une « solution s’impose : motiver le magistrat à bien rédiger »899 puisqu’une « décision
bien motivée convaincra plus facilement le perdant que justice a été rendue ; elle le dissuadera souvent d’interjeter
appel du jugement »900. La motivation permet en outre de faire comprendre le raisonnement suivi par
le juge, jusqu’à la solution, ce qui va faciliter son acceptation. Le troisième objectif permet à la
Haute juridiction de contrôler les décisions rendues par les tribunaux inférieurs tout en vérifiant
que les exigences du droit à un procès équitable ont été respectées. Dès lors, « la motivation des
décisions judiciaires est une exigence fondamentale du droit au procès équitable, qui ne peut se satisfaire d’un système
où l’action du juge relèverait d’un pouvoir discrétionnaire et de l’arbitraire »901.
894
Le droit de savoir, Rapport annuel 2010, p. 223.
895
Les noms des parties au litige sont remplacés afin de garantir leur anonymat.
896
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 446.
897
S. GUINCHARD et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 657.
898
O. DUFOUR, « La Cour de cassation, entre évolution et révolution ! », 9 et 10 oct. 2015, n° 282 à 283, p. 3.
899
C-J. GUILLERMET, La motivation des décisions de justice : La vertu pédagogique de la justice, coll. Bibliothèques de droit, L’Harmattan,
2006, p. 106.
900
J-C. MAGENDIE et alii, Célérité et qualité de la justice, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, 2004, p. 92.
901
A. LACABARATS, « La motivation des décisions de justice en France ».
219
300. Si « la motivation constitue un élément primordial de qualité des décisions »902, une collégialité permet-
elle de la conforter ? Pour résoudre cette question il convient de revenir à la caractéristique de la
collégialité, à savoir, l’interaction qu’elle implique entre ses membres. Au regard de celle-ci, une
réponse positive est à apporter car elle est un facteur permettant d’étoffer la motivation de la
décision, ce qui vient par ricochet conforter sa qualité. S’adjoint à cela le renforcement naturel de
la portée d’une décision collégiale du seul fait de sa composition pluripersonnelle. « La formation
collégiale force le respect par son caractère solennel et plus impressionnant, elle répond ainsi à un besoin de protection
et de dissuasion. Le jugement rendu est emprunt d’une autorité renforcée et gagne en légitimité »903. Puisqu’une
formation collégiale paraît mieux garantir l’impartialité de ses membres, Monsieur Dross904 s’est
interrogé sur le fait de savoir si cette reconnaissance n’était pas acquise au point de dispenser cette
composition de l’obligation de motiver ses décisions ? Bien que conscient du bouleversement que
cela pourrait engendrer, d’après ce dernier, il conviendrait à cette fin de respecter scrupuleusement
le principe du contradictoire. Monsieur Dross est aussi venu souligner la relation étroite entretenue
entre l’obligation de motivation et la collégialité. D’un côté, renforcer cette obligation permettrait
de conforter les exigences du droit à un procès équitable. La confiance des justiciables serait acquise
puisqu’ils pourraient voir qu’ils n’ont pas été jugés de façon arbitraire. D’un autre côté, un
accroissement de ce principe pourrait entraîner un recul corrélatif de la collégialité. Les décisions
apportées par un juge unique pourraient être plus facilement acceptées compte tenu de leur
enrichissement. Il est toutefois considéré qu’une absence de motivation des décisions ne serait pas
opportune en ce qu’elle ne correspond pas à la culture française, bien que la collégialité permette
de réduire les risques de partialité.
301. La collégialité est une composition préférable au regard de l’éventuelle partialité des juges
(A) alors que s’adjoint des problématiques inhérentes au juge unique (B).
902
H. COLOMBET et A. GOUTTEFANGEAS, « La qualité des décisions de justice. Quels critères ? », Droit et société, 2013/1, n° 83,
p. 163.
903
C. KUBIAK, P. CHEVAL et J-L. FORNO, "La collégialité ?", cahiers de méthodologie juridique, "Justice et qualité", RRJ, PUAM,
2002, n° 17, p. 2198.
904
« Réflexions croisées la motivation », Le Lamy Droit civil, Lamyline, n° 89, 1 janv. 2012.
220
A. Une composition préférable au regard de l’éventuelle partialité des juges
302. Encore aujourd’hui, des motivations de décision sont synonymes de partialité (1). La
collégialité est préférable pour faciliter cet exercice. Elle est aussi souhaitable au regard de la relation
complexe entretenue entre l’impartialité, le juge et l’expert (2). Un expert905 est un « technicien à qui
le juge demande de donner son avis sur des faits nécessitant des connaissances techniques et des investigations
complexes »906. En vertu de l’article 232 du Code de procédure civile, « le juge peut commettre toute
personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question
de fait qui requiert les lumières d’un technicien ». Son intervention peut revêtir deux formes. La première
correspond à celle dite de l’expertise-constatation tandis que la seconde est celle de l’expertise-
investigation907. Dans la première, la mission du technicien consiste à constater des faits, alors que
dans la seconde, son intervention est plus technique. D’aucuns considèrent que le juge irait jusqu’à
déléguer une partie de sa mission lorsqu’il est amené à intervenir dans une affaire908. Bien que cette
affirmation soit à nuancer, ce soupçon est plus important en présence d’un juge unique qu’une
collégialité.
303. Le fait de devoir motiver une décision de justice permet de contrôler l’impartialité des juges
car certaines rédactions ne laissent guère de doute quant à leur ressenti. L’affaire notoire de la
« caravane »909 en est une parfaite illustration. Le juge unique, en l’occurrence le juge de proximité,
avait fait apparaître dans sa décision la rédaction suivante : « la piètre dimension de la défenderesse […]
dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane ». La Haute juridiction,
dans le cadre de son contrôle de la neutralité des juges a qualifié ces termes comme « injurieux et
manifestement incompatibles avec l’exigence d’impartialité ». Cette même conclusion avait été retenue à
l’encontre d’un jugement récent d’une cour d’appel où il ressortait : « que l’une comme l’autre parties,
dans leurs écritures respectives, ont libéré des flots torrentiels de sigles abscons indéchiffrables par de simples mortels
905
Pour bénéficier de davantage d’informations sur l’expertise se reporter notamment à : F. RUELLAN et N. MARIE, Droit et pratique
de l’expertise judiciaire civile, 2ème éd., LexisNexis : Ecole nationale de la magistrature, 2015 et J. BOULEZ, Expertises judiciaires : désignation
et missions de l’expert, procédure selon la juridiction, 14ème éd., Delmas, 2006.
906
S. GUINCHARD et al., Lexique des termes juridiques op. cit., p. 418.
907
N. CAZEAU, « La place de l’expertise dans la solution du litige », RJO, vol. 1, n° 1, 1988, p. 54.
908
S. GUINCHARD, « Procès équitable », Rép. Proc. Civ. Dalloz.
909
Civ. 2ème, 14 septembre 2006, n° 04-20524, Bull. civ. 2006, II, n° 222, p. 210.
221
et porteurs de mystères comme les antiques hiéroglyphes »910. Dans une autre affaire911, M. X était titulaire
de plusieurs mandats syndicaux et reprochait au syndicat de l’Union régionale interprofessionnelle
(URI) une dégradation de ses conditions de travail. M. X a alors saisi la juridiction prud’homale de
Strasbourg afin de qualifier la résiliation en prise d’acte, cette dernière devant produire les effets
d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’argumentation utilisée par les juges renvoyait à de
multiples métaphores venant vanter les mérites de M. X. Il est établi que « l’estocade finale de l’URI a
eu lieu en 2009, lorsque cette dernière a supprimé la cellule de formation syndicale, avec comme dans une arène, la
mise à mort irrémédiablement de M. X, qui n’était plus que l’ombre de lui-même ». Ou la référence à plusieurs
maximes comme « il faut diviser pour régner ». Ou encore, lorsqu’ils assimilent le présent litige au « pot
de fer contre le pot de terre » et au combat de David contre Goliath. D’après la chambre sociale de la
Cour de cassation, les termes utilisés sont là encore « incompatibles avec l’exigence d’impartialité ».
Comme le souligne Madame Binel, la collégialité des juridictions est un des outils
permettant d’assurer une meilleure impartialité des juges. Toutefois, « pour une garantie effective de
l’impartialité, il convient de lutter contre une collégialité purement formelle. En effet, pour être efficace, la collégialité
doit s’exercer non seulement sur la solution du litige et le principe de décision mais également, et surtout, sur les motifs
de la décision »912.
304. Plusieurs arguments tendent à reconnaître que « le sachant serait même devenu, dit-on parfois, « l’œil
du juge », son « substitut », quand, suivant les mots d’un jurisconsulte du XVIIIème siècle, il ne pourrait se poser
en authentique « juge de la question de fait » devant lequel le magistrat abdiquerait en quelque sorte sa mission »913.
Cette affirmation se confirme-t-elle ? Pour résoudre cette question l’analyse doit être réalisée en
deux temps. Le premier s’intéresse à la place que doit occuper le technicien au regard des
dispositions qui lui sont applicables, pour dans un second temps appréhender son éventuelle
influence sur une formation collégiale ou unitaire.
910
Soc. 22 fév. 2017, n° 15-17509.
911
Soc. 12 juin 2014, n° 13-16236, Bull. 2014, V, n° 141.
912
A. BINEL, Le tribunal impartial en droit français, Thèse pour le doctorat en droit, Toulouse, Université des sciences sociales de
Toulouse, 4 juill. 2002, p. 112.
913
B. LOUVEL, « Discours prononcé lors du colloque “La vérité... sans doute. Vérité scientifique, vérité judiciaire”», 2 octobre 2015,
p. 3.
222
Au regard des dispositions le concernant, ce technicien ne saurait être considéré comme un
juge, tel qu’en témoigne le fait qu’il ne puisse pas participer au vote lors du délibéré. Au contraire,
un lien de subordination est établi avec les juges comme l’illustrent plusieurs dispositions. D’après
l’article 155 alinéa 2 du Code de procédure civile, « lorsque la mesure est ordonnée par une formation
collégiale, le contrôle est exercé par le juge qui était chargé de l’instruction. A défaut, il l’est par le président de la
formation collégiale s’il n’a pas été confié à un membre de celle-ci ». S’ajoute à ce contrôle, le fait que les juges
peuvent lui impartir des délais914, alors que « l’expert doit informer le juge de l’avancement de ses opérations
« et des diligences par lui accomplies »»915.
Qu’en est-il concernant l’influence qu’il pourrait avoir sur la formation de jugement ? Là
encore, au regard du Code de procédure civile sa mission est strictement encadrée puisque
conformément à son article 238, « le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a
été commis. Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter
d’appréciations d’ordre juridique ». L’utilisation du terme d’avis signifie que les juges n’ont pas
l’obligation de s’y tenir. Bien qu’il ne soit pas un membre à part entière de la formation de jugement,
il ne faut pas omettre qu’il en est un rouage important. « La justice n’est pas seulement l’affaire des juges.
Une juridiction c’est un ensemble de compétences et l’institution judiciaire doit, dans son intérêt bien compris, mieux
utiliser celles de ses proches collaborateurs et de ses partenaires »916. Il est vrai que lorsque les juges
demandent à ce qu’un expert intervienne dans une affaire, c’est parce qu’ils ne possèdent pas les
connaissances nécessaires afin d’apporter eux-mêmes une appréciation sur une situation donnée.
C’est en cela que les doutes quant à la place qu’il occupe s’intensifie. Concernant son rapport avec
la collégialité, en adoptant cette thèse cela voudrait dire que cette formation ne représenterait plus
que des contraintes matérielles. Si les juges devaient inévitablement s’en remettre à l’avis de l’expert,
ou si une seule personne aurait pu suffire à traiter l’affaire, elle ne représenterait plus qu’un coût
conséquent au même titre qu’une absence de célérité sans qu’ils ne soient justifiés. Dès lors, c’est
parce qu’il y a un maintien du délibéré qu’il convient d’aller à l’encontre de cette affirmation. Par
opposition, bien qu’un juge unique délibère également, le fait qu’il ne bénéficie pas d’échanges
formels avec d’autres membres pourrait le rendre davantage dépendant de cet avis, ou pourrait plus
facilement alimenter cette suspicion. Des données chiffrées permettent d’établir que ces juges ont
demandé en référé la désignation d’un technicien dans 72,7 % des cas pour l’année 2017, contre
914
Article 241 CPC.
915
Article 273 CPC.
916
D. MARSHALL, R. BOMETON, A. CARON-DEGLISE et alii, « Les juridictions du 21ème siècle », une institution qui, en améliorant qualité et
proximité, s’adapte à l’attente des citoyens, et aux métiers de la justice, op. cit., p. 15.
223
27,3 % s’agissant des litiges au fond, pour la même année917. Cette situation peut se justifier par le
fait qu’il est attendu de ces juges uniques d’agir avec célérité, ce qui augmente la complexité de
l’affaire. Là encore, il est important de remarquer que cette dernière requière l’adjonction d’une
autre personne quand bien même ces juges revêtent une certaine expérience du fait de leur fonction
de président de juridiction. Cette constatation confirme une nouvelle fois la nécessité de préserver
la collégialité. C’est en cela qu’en « dépit de ces critiques, l’expertise s’impose très souvent comme une nécessité ;
juge et expert forment un couple indissociable, d’où le problème crucial posé par l’expertise judiciaire : le service public
de la justice ne peut vivre sans experts, mais il éprouve aussi parfois des difficultés à vivre avec eux »918.
305. Plusieurs propositions ont d’ailleurs été émises par Monsieur Guigue afin de faciliter la
maîtrise d’une affaire technique919. La première suggestion consiste « à ouvrir un large débat à l’audience
en présence de ou des experts dans les dossiers délicats. En somme, examiner le dossier sous le feu de critiques des
parties et de leurs avocats, une méthode que ne peut remplacer une lecture même très attentive du dossier ». La
deuxième consiste à installer des juges ayant des connaissances pratiques dans certains domaines,
au sein de pôles spécialisés. La troisième proposition consiste à ce que les parties désignent elles-
mêmes un expert afin de rompre le lien de confiance établi entre l’expert et les juges. Ces
instaurations ne sont pas souhaitables pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il faudrait repenser
l’organisation judiciaire du fait de la création des pôles spécialisés. Les juges y étant affectés y
statueraient-ils en collégialité ou à juge unique ? Ces postes seraient-ils attribués au regard de leur
expérience ? Ensuite, il conviendrait de revoir les prémices du procès civil en prévoyant que les
parties puissent désigner un expert. Cette désignation pourrait être à l’origine d’une défiance des
juges. Enfin, il faudrait repenser la phase des débats puisqu’il y aurait davantage de place accordée
à l’oralité et à la communication. Bien que cette interaction soit constructive, elle pourrait s’avérer
chronophage en sachant qu’il est difficile de savoir à l’avance quel dossier est délicat ou non.
Si cette analyse a permis d’établir que les doutes quant à la partialité d’un juge unique sont
accrus lorsqu’un technicien intervient, force est de constater que d’autres problématiques se
rencontrent le concernant.
917
« Les expertises judiciaires civiles devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel (2010-2017) », Ministère de la
Justice, 21 mars 2018, p. 3.
918
N. CAZEAU, « La place de l’expertise dans la solution du litige », op. cit., p. 52.
919
J. GUIGUE, « Rendre au juge sa place en matière d’expertise », Gaz. Pal., édition professionnelle, 30 juill. 2015, n° 211, p. 5.
224
B. L’adjonction de problématiques inhérentes au juge unique
306. S’adjoint aux problématiques générales, celles inhérentes au juge unique. En effet, le risque
d’erreurs (1) ou de commission d’un excès de pouvoir positif (2) sont plus importants en sa
présence. C’est pourquoi d’après Messieurs Mougenot et Marchandise, « un juge seul est une mauvaise
compagnie »920.
307. La spécialisation du juge unique n’est pas de nature à évincer toute erreur de sa part, en
sachant qu’elle pourrait même en être le facteur en le rendant moins attentif lorsque des litiges
s’avèrent répétitifs921. Au surplus, l’urgence dont il doit faire preuve dans certaines situations,
ajoutée au nombre conséquent d’affaires qui peuvent lui être soumises ne fait qu’amplifier ce
risque922. A l’inverse, l’absence de spécialisation peut aussi être considérée comme venant
amoindrir la qualité de son intervention. En somme, le fait qu’il soit spécialisé ou non est sujet à
discussion. C’est en cela que l’interaction entre les juges pendant la phase du délibéré est essentielle
puisque « compte tenu de la complexité grandissante du droit, il est plus difficile à trois de méconnaître une règle,
une jurisprudence »923. Un juge unique « peut commettre une erreur de fait ou de droit, peut oublier une règle, ou
ne pas remarquer un détail ou son importance. Ainsi sa compétence ne pourrait être que relative et, devant le fait à
juger, elle ne serait plus aussi absolue qu’une bonne justice le désirerait »924. Les fonctions de juge unique sont
telles qu’afin de préserver la qualité de la justice, un juge unique débutant ne devrait pas pouvoir
représenter une juridiction925. Il devrait initialement intégrer une collégialité afin de pouvoir ensuite
accéder à cette fonction926. Pour rappel, les juges anglais sont d’anciens avocats ayant témoigné
une expérience dans le domaine juridique, contrairement aux juges français qui acquièrent cette
qualité au sortir de l’Ecole nationale de la magistrature.
Outre ce risque d’erreurs, le juge unique est également plus à même de commettre un excès
de pouvoir positif.
920
D. MOUGENOT et M. MARCHANDISE, La généralisation du juge unique, Larcier, p. 30.
921
C. DOST, Collégialité et juge unique dans le droit judiciaire français, op. cit., p. 364.
922
Ibid.
923
P. GRAMAIZE, « Digressions théoriques sur le traitement des contentieux insolites du tribunal de grande instance », op. cit.
924
J-F. MESTRE, « Le juge unique en matière pénale, contribution à la réforme judiciaire », op. cit., p. 99.
925
X. LAGARDE, « Justice : éviter la tour d’ivoire », Gaz. Pal., Lextenso, n° 131, 11 mai 2006, p. 2.
926
Ibid.
225
2. Une augmentation du risque de la commission d’un excès de pouvoir positif
308. En procédure civile, « une juridiction de l’ordre judiciaire commet un excès de pouvoir lorsqu’elle empiète
sur les attributions du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif ou lorsqu’elle s’arroge des compétences qu’elle n’a
pas »927. En outre, selon les magistrats du quai de l’Horloge, l’excès de pouvoir consiste « pour le juge
à méconnaître l’étendue de son pouvoir de juger »928. Cet excès peut aussi bien être positif que négatif929.
Le premier correspond à la situation dans laquelle un juge va aller au-delà des pouvoirs qui lui sont
accordés, tandis que la seconde hypothèse correspond à celle où un juge refuserait d’exercer ses
pouvoirs930. L’argumentation se rapporte à l’excès de pouvoir positif car un juge unique est
davantage sujet à le commettre puisque la collégialité permet d’assurer un autocontrôle de ses
membres.
927
R. GUILLIEN et J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, 16ème Ed., Dalloz, 2007, p. 292.
928
Civ. 1ère, 20 fév. 2007, n° 06-13134, Bull. civ. 2007, I, n° 61, p. 56.
929
La recevabilité de l’appel, Journaux officiels, 1 mai 2007.
930
Pour plus d’informations sur l’excès de pouvoirs : M. WALINE, La notion judiciaire de l’excès de pouvoirs, Thèse pour le doctorat,
Université de Paris, 22 juil. 1926. Il convient de souligner qu’il peut paraître surprenant d’utiliser le terme « d’excès » alors que le
juge n’exercera pas ses prérogatives lorsqu’il commettra un excès de pouvoir négatif.
931
J. BORE et L. BORE, « Pourvoi en cassation », Rép. Proc. Civ. Dalloz.
932
Civ. 2ème, 17 nov. 2005, n° 03-20815, Bull. civ. 2005, II, n° 293, p. 260. Pour bénéficier de davantage d’informations sur cette
décision se reporter notamment à : C. LEGUEVAQUES, N. PATUREAU, C. PEROT-REBOUL et alii, Actualité de droit des entreprises en
difficulté, Lextenso, clé réseau d’avocats, février 2006, p. 1.
933
J. BORE et L. BORE, « Pourvoi en cassation », op. cit.
226
juridiction pourrait par exemple, permettre à un juge unique de statuer à la place d’une juridiction
collégiale.
227
Chapitre 2 - L’aspect pratique de l’impartialité d’une collégialité
310. La collégialité permet de favoriser l’impartialité subjective des juges qui la composent. Grâce
à sa composition pluripersonnelle, les échanges d’opinions suscités entre ses juges permettront de
contrecarrer autant que possible leurs éventuels préjugés ou le prononcé de décisions arbitraires.
Appréhender cette notion sous son aspect pratique implique d’approfondir sa relation avec
l’impartialité objective, dite aussi fonctionnelle, étant donné qu’elle se rapporte à l’organisation et
à la composition des tribunaux. Les soupçons de partialité des justiciables tiennent au fait qu’un
juge pourra réintervenir dans une affaire alors qu’il doit pourtant offrir « des garanties suffisantes pour
exclure tout doute légitime »934 concernant sa neutralité. L’interrogation qui se pose consiste à savoir si
pour être impartial, il ne faudrait pas ipso facto proscrire à un même juge de réintervenir dans un
litige ? Les règles procédurales ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme permettent de répondre de manière infirmative à cette question. De ce fait, la
réintervention du juge n’est pas automatiquement à l’origine d’une partialité.
311. L’appréciation de l’impartialité fonctionnelle n’a pas été identique selon les périodes935. Si
dans un premier temps les juges strasbourgeois ont adopté un critère fondé sur l’apparence dans
l’affaire Piersack contre Belgique de 1982936, un revirement de jurisprudence a été effectué en 1989
avec l’affaire Hauschildt contre Danemark937. Dans cette dernière, l’impartialité objective est
définie comme celle qui « consiste à se demander si indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains
faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir
de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux
justiciables ». Son appréciation ne tient plus seulement à l’apparence puisque les juges se fondent sur
du concret tenant à l’expression de faits vérifiables, c’est pourquoi Madame Oudoul la qualifie
d’impartialité réalité938. Cette interprétation allant au-delà des apparences donne lieu à une
appréciation de l’impartialité in concreto. En conséquence, « la Cour EDH tranche au cas par cas eu égard
aux éléments de la cause. Elle rend donc ses décisions en se fondant sur des critères d’appréciation changeants,
934
B. QUENTIN, « Impartialité du juge : un enjeu pour l’institution judiciaire », JCP G, no 18, 4 mai 2015, p. 913.
935
A. OUDOUL, « L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH », op.
cit.
936
CEDH, 1 octobre 1982, Piersack C./ Belgique, req. n° 8692-79, op. cit.
937
CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt contre Danemark, req. n° 10486-83.
938
A. OUDOUL, « L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH », op.
cit., p. 89.
229
fluctuants, ce qui contribue malheureusement à accentuer le caractère imprévisible de la partialité réalité »939. S’y
adjoint le fait que l’admission de la réintervention du juge reste un sujet d’actualité comme l’illustre
certains rapports940.
312. Si l’impartialité est renforcée par l’application du principe de séparation des fonctions
juridictionnelles (Section 1), elle est aussi préservée lorsqu’il y a un assouplissement de ce principe
(Section 2).
939
Ibid. p. 104.
940
P. DELMAS-GOYON, F. BOBILLE, J-F. BOHNERT et alii, « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p.
103 et « La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les actes du débat national, op. cit. Par exemple, la proposition
consistant à créer une fonction de greffier juridictionnel s’inscrirait dans cet objectif.
230
Section 1 – L’impartialité renforcée par l’application du principe de
séparation des fonctions juridictionnelles
313. Le fait d’autoriser un juge à réintervenir dans une affaire soulève inévitablement des
questions quant à son impartialité. A l’inverse, les doutes s’amenuisent lorsqu’un juge n’est jamais
intervenu dans un litige. C’est en cela que l’impartialité est renforcée par l’application du principe
de séparation des fonctions juridictionnelles et qu’elle s’avère justifiée (§1). Si cette prohibition
correspond à plusieurs situations, il convient d’évoquer la plus courante. Elle consiste à interdire à
un juge de statuer dans une même affaire, à différentes étapes de la procédure, en y effectuant les
mêmes fonctions, c’est-à-dire celle de juge. Tel est le cas lorsqu’un juge doit siéger dans une
formation de jugement pour un litige qu’il a précédemment jugé941. D’aucuns considèrent que
« pour que le principe du double degré de juridiction garantisse un véritable réexamen impartial de l’affaire, ce dernier
doit être effectué par de nouveaux magistrats »942. Outre les raisons justifiant son bien-fondé, il convient
d’appréhender l’application pratique de ce principe de séparation des fonctions juridictionnelles
(§2) afin de faciliter sa compréhension.
314. Dans une justice idéale, il conviendrait de recourir une seule fois à un même juge afin
d’atténuer les doutes attenants à sa neutralité. Cette conception impliquerait des moyens humains
conséquents ce qui entraînerait corrélativement un coût financier important. Au surplus, de
nouveaux tribunaux devraient être ouverts ce qui engendrerait aussi des coûts supplémentaires. Si
ce modèle utopiste ne saurait être généralisé en droit positif français contemporain, certaines
situations permettent d’en assurer l’effectivité. A ce titre, il convient de s’intéresser à l’applicabilité
du principe de séparation des fonctions juridictionnelles (A) ainsi qu’à son bien-fondé (B).
941
Civ. 2ème, 10 fév. 2005, n° 02-04102, Bull. civ. 2005, II, n° 27, p. 25. Dans cette affaire, les hauts magistrats n’avaient pas retenu
la partialité d’un juge, d’autant plus qu’il n’avait pas eu pour fonction de statuer « sur un recours afférent à une décision qu’il avait
précédemment rendue ».
942
E. SALOMON, Le juge pénal et l’émotion, Thèse pour le doctorat en droit, en sociologie du droit, droit pénal et procédure pénale,
Panthéon-Assas, 24 mars 2015, p. 91.
231
A. L’applicabilité du principe de séparation des fonctions juridictionnelles
316. Conformément à l’article 341 du Code de procédure civile qui renvoie à l’article L 111-6
alinéa 5 du Code de l’organisation judiciaire, le juge doit être récusé « s’il a précédemment connu de
l’affaire comme juge ». S’ajoute à cela le premier alinéa de l’article 481 du Code de procédure civile
selon lequel en principe, « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». Dans
le même sens, le premier alinéa de l’article L 431-4 du Code de l’organisation judiciaire, prévoit
qu’en « cas de cassation, l’affaire est renvoyée, […] devant une autre juridiction de même nature que celle dont
émane l’arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d’autres magistrats ». Le principe
d’interdiction pour le juge de rejuger une affaire est également reconnu par la disposition prévue à
l’article L 111-9 du Code de l’organisation judiciaire. Il énonce que « ne peut faire partie d’une formation
de jugement du second degré le juge qui a précédemment connu de l’affaire en premier ressort. Ne peut faire partie
d’une formation de jugement de la Cour de cassation le juge qui a précédemment connu de l’affaire en premier ou en
dernier ressort ». La place qu’occupe cet article au sein du Code de l’organisation judiciaire vient
conforter sa portée puisqu’il est contenu dans le livre premier applicable à toutes les juridictions
judiciaires. En outre, il est de jurisprudence constante « que l’appel tendant à faire réformer ou annuler par
la cour d’appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré, un même magistrat ne peut siéger en appel
après avoir siégé en première instance »943. Cette rédaction est surprenante puisque les magistrats de
cassation remémorent les fonctions de l’appel alors qu’elles devraient être acquises. L’objectif est
d’asseoir autant que possible ce principe en assurant sa lisibilité.
317. Les contentieux relatifs à l’impartialité des juges se sont développés au cours des dernières
années en raison de l’influence croissante de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur
le fondement de son article 6-1, les magistrats du quai de l’Horloge sur l’île de la Cité ont établi
943
Civ. 2ème, 7 nov. 1988, n° 87-17490, Bull. civ. 1988, II, n° 210, p. 114, Civ. 2ème, 21 juin 1989, n° 88-13759, Bull. civ. 1989, II, n°
131, p. 66, Civ. 2ème, 9 oct. 1996, n° 94-20002, Bull. civ. 1996, II, n° 222, p. 137, Civ. 2ème, 10 oct. 1996, n° 95-12222, Bull. civ. 1996,
II, n° 233, p. 143 et Civ. 2ème, 20 nov. 2003, n° 01-13974, Bull. civ. 2003, II, n° 346, p. 282.
232
qu’un juge ne peut faire partie de la formation de jugement s’il a déjà connu la même affaire en
première instance et qu’il avait prononcé une décision à caractère juridictionnel944. Une précision
est apportée à l’appui d’un autre arrêt945 dans lequel il avait été rendu une décision à caractère
juridictionnel en première instance, et où le juge qui en était l’auteur avait pourtant ensuite pu
réintervenir au sein de la cour d’appel, sans que sa partialité ne soit retenue. Cette solution
s’expliquait par le fait que les parties étaient identiques mais que les objets sur lesquels ledit juge
avait statué étaient différents puisqu’en première instance il était intervenu concernant le divorce
des époux, pour en seconde instance, statuer sur la liquidation de leur communauté. Là n’est pas la
seule exception comme en témoigne le référé-rétractation.
318. Si le principe consiste à interdire à un juge de rejuger une affaire, il ne lui est pas
systématiquement interdit de revenir sur sa décision. Cette exception se rencontre par exemple en
procédure civile en présence d’un référé-rétractation où un même juge pourra modifier ou rétracter
son ordonnance. En effet, « cette procédure consiste à saisir le juge qui a autorisé la mesure, en vue d’empêcher
que celle-ci ne se réalise ou pour en annuler les effets »946. S’il peut se prononcer à nouveau sur l’affaire, son
impartialité n’est pas à remettre en cause puisque dans cette situation, le principe du contradictoire
qui avait été initialement écarté sera rétabli. Il statuera donc en possédant de nouveaux arguments,
ceux du défendeur, ce qui fait qu’il bénéficiera d’une autre conception du litige. Il y a donc par cette
exception une adaptation parfaite du droit selon la maîtrise qu’a fait le juge de l’affaire. Il est justifié
qu’il puisse dans cette hypothèse revenir sur sa décision afin de pouvoir y apporter d’éventuelles
modifications sachant qu’elles n’auront pas de répercussions concernant les juges saisis du
principal. Cependant, en pratique, afin d’ôter les soupçons relatifs à l’impartialité de ce juge compte
tenu des apparences, cette procédure de rétractation est par exemple confiée à une collégialité au
tribunal commercial de Paris et non plus à un juge unique947.
Bien que cette exception se justifie, le principe d’interdiction pour le juge de rejuger une
affaire revêt plusieurs avantages.
944
Civ. 3ème, 27 mars 1991, n° 89-13239, Bull. civ. 1991, III, n° 105, p. 60 et Civ. 1ère, 11 mars 1997, n° 92-16866, Bull. civ. 1997, I,
n° 87, p. 57.
945
Civ. 2ème, 12 janv. 1994, n° 92-16357, Bull. civ. 1994, II, n° 20, p. 11.
946
S. MORDELLET, « La production forcée in futurum ». Mémoire, Université Paris-Sud, 2012-2013, p. 27.
947
Ibid. p. 28.
233
B. Le bien-fondé du principe de l’interdiction pour le juge de rejuger une affaire
319. L’éviction d’un même juge dans une même affaire est légitime (1) d’autant plus que la
matérialisation des risques de partialité a été révélée par une mise en situation réalisée à l’Ecole
nationale de la magistrature (2). Bien que cette expérience soit désormais ancienne, ces risques
s’avèrent aujourd’hui identiques d’où la nécessité de maintenir dans certaines situations ce principe.
320. « Le fait que le magistrat ait statué à juge unique en première instance puis en collégialité en seconde instance
ne suffit pas à lever l’obstacle »948 concernant son éventuelle partialité. Certaines collégialités de
première instance ne connaîtront pas cette problématique attenante à la potentielle réintervention
de ses juges. Ceci est par exemple le cas des juges appartenant au tribunal de commerce ou au
conseil de prud’hommes puisqu’ils ne pourront pas intervenir au sein du second degré ou devant
la Haute juridiction. Cette constatation permet de déduire que ce sont majoritairement des juges
uniques qui ne pourront pas intégrer une formation collégiale, leur nombre étant conséquent près
du tribunal de grande instance, alors que la collégialité correspond à la composition de la cour
d’appel ou à celle de la Cour de cassation. Sa justification tient au fait qu’un juge unique pourrait
ne pas prendre suffisamment de recul sur l’affaire qu’il a eu à traiter pour pouvoir intégrer une
collégialité. Lorsqu’un juge apporte une décision à caractère juridictionnel, cela implique en principe
qu’il prenne en considération le fond du litige, ce qui créé une véritable prise de position de son
auteur. Cette implication dans le dossier est d’ailleurs plus forte lorsque le juge statue seul puisqu’il
ne pourra compter que sur ses connaissances pour apporter une décision aux parties. En d’autres
termes, l’interdiction de réintervention du juge pourrait s’expliquer par le fait que la première prise
de décision a entraîné une maîtrise des éléments du dossier qui seront inévitablement à l’origine
d’un pré-jugement pouvant nuire à son impartialité949. Le terme de pré-jugement fait aussi bien
penser au fait qu’une décision de justice ait été apportée aux justiciables, qu’il renvoie à la partialité
et au préjugé. Comme il sera vu infra, la phase du délibéré ne permet pas d’évincer les prises de
position trop tranchées ce qui justifie l’éviction des juges étant préalablement intervenus dans une
affaire.
321. A contrario, s’il était reconnu au juge le pouvoir de rejuger une affaire, cette situation pourrait
être remise en cause par le biais de deux fondements. Le premier consisterait à reconnaître la
948
M-A. FRISON-ROCHE, « Le droit à un tribunal impartial ».
949
S. JOSSERAND, L’impartialité du magistrat en procédure pénale, op. cit., p. 39.
234
présence d’une impartialité subjective. Dans cette situation, les parties pourraient douter de la
neutralité des juges auxquels ils sont confrontés. Le second fondement s’inscrit dans une approche
plus générale et revient à admettre que le concept d’apparence cher à la Cour européenne des droits
de l’homme ne serait pas respecté950. Au vu de ces éléments, la séparation des fonctions
juridictionnelles vient renforcer l’exigence d’impartialité et ce, qu’elle soit objective ou subjective.
Le risque lié à la réintervention d’un juge dans une même affaire a d’ailleurs été matérialisé
par une mise en situation effectuée au sein de l’Ecole nationale de la magistrature.
2. La matérialisation des risques de partialité révélée par une mise en situation à l’Ecole
nationale de la magistrature
322. La relation établie entre l’impartialité et les juges est un sujet récurrent comme en témoigne
une mise en situation réalisée avec cent-soixante-cinq élèves de l’Ecole nationale de la
magistrature951. Monsieur Maurice Garçon affirmait que la collégialité est une des meilleures
garanties de la sûreté des jugements952. Partant de cette affirmation, les futurs juges devaient réaliser
un exercice pratique où ils étaient amenés à occuper plusieurs fonctions judiciaires pour le
traitement d’une même affaire. L’objectif consistait à attribuer ou non ses lettres de noblesse au
principe de collégialité, et à matérialiser les risques que pouvait entraîner une réintervention du juge
non pas nécessairement lors de l’exercice d’une voie de recours, mais dans la même instance. S’il
n’est pas indispensable de reprendre le litige qui leur était soumis, il convient de rappeler le contexte
de cette expérience pour en comprendre les conclusions.
323. Par tirage au sort, les élèves remplissaient aussi bien les fonctions de substitut du procureur
de la République, de juge des enfants statuant aussi bien seul qu’en entendant les conclusions du
ministère public, tandis que d’autres statuaient au sein d’un collège de trois juges en entendant ou
non les conclusions du procureur. Ceux qui avaient occupé les fonctions de procureur devaient
quant à eux statuer en tant que juge des enfants soit à juge unique, soit en collégialité, sans qu’ils
aient été initialement avertis de ce changement de rôle. Il est précisé que certaines adaptations ont
dû être opérées et que les résultats retenus ne sont pas à généraliser à toutes les collégialités du
système judicaire.
950
FRISON-ROCHE, « Le droit à un tribunal impartial », op. cit.
951
J-M. BAUDOUIN, « La collégialité est-elle une garantie de la sûreté des jugements ? », Dalloz, RTD civ. 1992, p. 532.
952
M. GARÇON, « Lettre ouverte à la justice », Albin Michel, 1966.
235
324. La première constatation concernait les élèves ayant rempli des fonctions dans lesquelles ils
étaient à chaque fois seuls. Il ressortait qu’ils connaissaient davantage de contradictions ce qui leur
permettait de bien appréhender l’affaire pourtant complexe. Ce débat interne se matérialisait par
de nombreuses ratures sur les documents qu’ils avaient remis à la fin de cette mise en situation. Le
second point important consistait à constater les répercussions d’une première maîtrise du dossier
par une personne seule lorsqu’elle était ensuite amenée à intégrer une collégialité. La qualité de la
décision se voyait directement impactée puisqu’elle témoignait d’une sorte de compilation
d’opinions sans qu’il n’y ait de véritable harmonie dans la décision finale. Dès lors, « il est certain que
la collégialité enrichit l’examen d’un problème, mais à condition que les participants à la discussion n’aient pas
d’idées arrêtées à l’avance, ou qu’au moins, ils ne les exposent pas d’entrée de jeu ». Schématiquement, « il y a
un temps pour comprendre et un temps pour décider »953. L’impartialité est une qualité devant se retrouver
dès les prémices de la prise de décision. C’est pourquoi, selon Monsieur Guy Canivet, les étudiants
qui voudraient devenir des futurs juges devraient cultiver l’impartialité et l’apprendre comme un
réflexe954. La collégialité permet de favoriser cet apprentissage grâce à la coopération qu’elle suscite.
De surcroît, cette expérience retranscrit que la réintervention d’un juge unique dans une affaire doit
être évitée car sa prise de décision a nécessité une implication telle qu’il n’aurait plus la distance
nécessaire pour intégrer une collégialité de façon impartiale.
953
J-M. BAUDOUIN, « La collégialité est-elle une garantie de la sûreté des jugements ? », op. cit.
954
« La justice des années 2000 devra s’adapter aux attentes de la société. Entretien avec M. Guy Canivet, Premier Président de la
Cour de cassation », la semaine juridique, LexisNexis, JurisClasseur, n° 1, I 192, 5 janv. 2000.
236
conclusions »955. Son intégration est tolérée car il n’est pas interdit « de façon catégorique, au conseiller de
la mise en état de siéger dans la formation collégiale ayant à connaître de son déféré »956. Pour certains auteurs
au contraire, au regard de la jurisprudence, cette réintervention apparaît comme étant proscrite957.
Pourtant, plusieurs arguments permettent d’en douter958.
326. Une application stricte du principe de séparation des fonctions juridictionnelles implique
d’exclure de la future collégialité le juge des référés à la suite de l’attribution d’une provision (1), au
même titre que le juge-commissaire (2). Le juge-commissaire est un « juge du tribunal de commerce
chargé de veiller au bon déroulement d’une procédure collective »959. Autrement dit, il est « désigné pour suivre
une procédure déterminée, ainsi une enquête, un redressement judiciaire ou une liquidation judiciaire »960.
L’attribution de ces prérogatives à un juge unique est justifiée par le fait qu’une collégialité ne
pourrait matériellement pas surveiller quotidiennement une procédure collective961. La technicité
tient au fait que tous les juges des référés ne seront pas automatiquement évincés de la future
collégialité, tandis que l’exclusion du juge-commissaire a fait l’objet de nombreuses
reconsidérations pour être affirmées encore récemment par la loi de modernisation de la justice du
XXIème siècle962.
327. Dans un arrêt célèbre rendu par la formation la plus solennelle de la Cour de cassation en
date du 6 novembre 1998 plus connu sous le nom Bord Na Mona963, il ressortait qu’un pépiniériste,
M. X, avait acheté à une société dénommée Norsk hydro azote de la tourbe qui était en fait affectée
955
A. DANET, « Retour sur la nature du déféré », Dalloz actualité, 22 janvier 2018.
956
N. DUPONT, « Le juge de la mise en état et le principe d’impartialité », Petites affiches, Gaz. Pal., no 23, 2 février 2010, p. 9.
957
F. EUDIER, « Jugement », Rép. Proc. Civ. Dalloz, juin 2014.
958
R. PERROT, « Déféré : composition de la formation collégiale », Dalloz RTD Civ., 2010. Monsieur Perrot partage également ce
ressenti.
959
C. ALBIGES et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, p. 302. En outre, aux termes du premier alinéa de l’article L 621-
9 du Code de commerce, ce juge « est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence ».
960
S. GUINCHARD, T. DEBARD, J-L. ALBERT et alii, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 643.
961
« Juge-commissaire », Dalloz, juill. 2018.
962
« Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, JORF n° 0269 du 19 nov. 2016,
texte n° 1 ».
963
Ass. Plén., 6 nov. 1998, n° 94-17709, Bull. 1998, A. P. n° 5, p. 7.
237
d’un vice caché causant des dommages sur ses plantations. M. X avait obtenu en référé l’attribution
d’une provision. La problématique résultait du fait qu’un juge des référés, Madame Y, avait statué
sur l’appel de l’ordonnance de référé alors que M. X avait ensuite engagé une action au fond
comprenant au sein de la cour d’appel ce même juge. La difficulté consistait pour les juges de
cassation à établir si cette double intervention de Madame Y pouvait avoir des répercussions sur
son impartialité. Il convenait également de se demander si le principe consistant à interdire à un
juge de réintervenir dans une affaire parce qu’il avait déjà apporté une décision à caractère
juridictionnel devait s’appliquer ? Ce principe concerne-t-il aussi les décisions provisoires
initialement prises par le juge ?964 La Cour de cassation a répondu à ces interrogations par
l’affirmative.
328. La société Norsk hydro azote soutenait que « lorsqu’un magistrat siège, successivement, dans deux
juridictions différentes ayant eu à connaître de la même affaire et qu’il a déjà porté, au sein de la première juridiction,
une appréciation sur les circonstances de la cause, le droit au procès équitable prévu par l’article 6.1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas assuré ». L’attendu de
principe prévoit quant à lui « que lorsqu’un juge a statué en référé sur une demande tendant à l’attribution d’une
provision en raison du caractère non sérieusement contestable d’une obligation, il ne peut ensuite statuer sur le fond
du litige afférent à cette obligation »965. Autrement dit, l’impartialité du juge des référés n’est plus assurée
lorsqu’il a statué sur l’attribution d’une provision lors de sa première intervention, puisque cela a
nécessité qu’il prenne connaissance du fond de l’affaire afin de juger si la créance demandée est
justifiée. C’est en cela qu’il lui appartient d’établir qu’elle n’est pas sérieusement contestable966
puisque la partie peut demander dans cette procédure le paiement de sa créance, sans qu’il y ait
nécessairement un procès au fond967. Cette implication tenant à son appréciation faisait que
Madame Y ne pouvait intégrer ensuite la collégialité.
329. Une difficulté tient à la rédaction de cette solution. L’expression d’attribution d’une
provision en raison du caractère non sérieusement contestable ne signifie pas de facto que le juge ait
accueilli la demande. Au contraire, elle pourrait correspondre à la situation dans laquelle le juge des
référés l’aurait rejetée968. Dans cette hypothèse, faut-il aussi remettre en cause son impartialité et
964
F. EUDIER, « Jugement », op. cit.
965
Ass. Plén., 6 nov. 1998, n° 94-17709, op. cit.
966
« Jurisprudence - Procédure civile », Gaz. Pal., Lextenso, no 13, 13 janvier 2001, p. 9.
967
X. DELPECH, « Référé-provision : notion d’obligation sérieusement contestable », Dalloz actualité, 15 octobre 2014.
968
J. NORMAND, « De quelques limites du référé provision », RTD civ., 1999, p. 177.
238
écarter ce juge de la collégialité ?969 Il est préférable de ne pas prendre en considération la finalité
de la demande puisque dans les deux cas, ce juge est amené à s’investir dans l’affaire pour juger de
son opportunité, ce qui impacte nécessairement son impartialité. L’argumentation est la suivante.
Concernant la notion de caractère non sérieusement contestable, aucune définition ne fait référence
à cette expression. Pour autant, un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation970,
apporte des précisions complémentaires. Les hauts magistrats ont établi « que l’invocation d’une cause
d’exonération de responsabilité constitue une contestation dont le sérieux doit être examiné par le juge des référés sans
que puisse être exigée l’évidence de la réunion des conditions de l’exonération ». La qualification du caractère
non sérieusement contestable implique que la situation soit non équivoque, ce qui nécessite une
prise en considération du fond de l’affaire de la part du juge. L’expression utilisée, à savoir, dont le
sérieux doit être examiné par le juge des référés apporte une autre information. L’examen suppose
un certain travail d’investigation ce qui créera un parti pris. Il revient dans un second temps de
rappeler que ses décisions sont exécutoires de plein droit à titre provisoire. Au vu de cet élément
et des conséquences financières que cela implique, il faut admettre que ce juge s’investit dans le
litige même s’il décide finalement de ne pas accorder la provision demandée. Une spécificité
apparaît néanmoins, puisque ce juge n’est pas saisi au principal. Or, dans la solution retenue par
l’arrêt Bord Na Mona, il était considéré que Madame Y aurait dû être exclue de la collégialité parce
qu’elle avait pris en considération le fond de l’affaire. Il faut en déduire que la frontière qui sépare
le juge des référés lorsqu’il statue sur une provision et les juges qui ont pour mission de statuer au
principal est ténue. En outre, cette constatation permet de conforter le fait que le juge des référés
doit être considéré comme un juge unique particulier.
330. De surcroît, ce n’est pas la portée de la mesure du juge des référés qui est prise en
considération mais son investissement quant à l’appréhension du litige. Cette exigence s’apprécie
donc objectivement tel qu’il est rappelé au sein de ladite décision. La cour d’appel s’appuyait quant
à elle dans son argumentation sur la différence de nature des deux instances. Dès lors, elle
considérait que Madame Y n’avait pas à se dessaisir. En effet, elle rappelait que l’appel d’une
ordonnance de référé n’a pas au principal l’autorité de la chose jugée, ce qui ne pouvait amener à
considérer que la Cour s’était déjà prononcée sur cette affaire.
Il ressort de cette décision qu’un juge ne peut pas prendre en considération le fond d’une
affaire sans se forger une opinion. A l’inverse, si tel était le cas, cela voudrait dire qu’il devrait en
quelque sorte l’effacer de sa mémoire pour qu’on ne puisse pas le considérer comme partial ce qui
969
Ibid.
970
Civ. 2ème, 4 juin 2015, n° 14-13405, Bull. civ., 2015, n° 6, II, n° 146.
239
retranscrit l’invraisemblance de la situation. Par conséquent, la solution retenue permet de rassurer
les justiciables puisqu’elle s’inscrit dans une logique de bon sens.
331. Si l’impartialité de la collégialité est préservée par l’éviction du juge, force est de constater
que cette solution revêt tout de même plusieurs contraintes. La première consiste à reconnaître que
lorsque le juge attribue une provision, il faudra faire appel à un autre juge pour qu’il puisse intégrer
la collégialité. Il y a donc une contrainte d’un point de vue des moyens humains mis en jeu. Des
problématiques pourraient se rencontrer dans les juridictions qui ne comprennent pas beaucoup
de juges, ou qui devraient déjà faire face à de nombreuses affaires971. En allant plus loin, s’il est
courant de percevoir le juge unique comme étant plus en proie à la partialité, cette solution permet
au contraire d’accroître leur nombre puisqu’ils ne pourront pas réintervenir dans le même litige972.
Une autre contrainte est quant à elle liée à la durée de la procédure. En « cas de juge unique, l’affaire
passera de juge en juge sans aucun suivi possible et avec tous les retards qui s’ensuivront »973, quand de la même
manière, Madame Frison-Roche évoque la nécessité de respecter un « rythme suffisant ». S’il est acquis
que les juges uniques ont été mis en place afin d’assurer une meilleure efficacité dans le rendu de
la justice, leur multiplication pourrait produire l’effet inverse. Partant de là, recourir aux juges
uniques ne serait-il pas parfois contre-productif ? Cette question se repose alors qu’un juge-
commissaire est aussi exclu de la collégialité.
2. L’exclusion du juge-commissaire
971
R. D’HAËM, Le juge unique administratif, thèse, Panthéon-Assas, Paris II, 19 déc. 2001, p. 732.
972
M-A. FRISON-ROCHE, L'impartialité du juge, D., 1999, p. 56.
973
P. SARGOS, « Droit à un tribunal impartial », n° 49, JCP G, 2 déc. 1998, p. 2121.
974
Article L 662-7 C. com.
975
Com. 3 nov. 1992, n° 90-16751, Bull. 1992, IV, n° 345, p. 246.
976
CEDH, 6 juin 2000, Morel contre France, req. n° 34130-96.
240
pris plusieurs mesures concernant des sociétés durant la phase d’observation et qu’il avait ensuite
été amené à présider la juridiction chargée de statuer sur le devenir de ces sociétés. Il ressortait de
l’argumentation desdits juges que « la connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé
empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond ». Au sein du paragraphe
quarante-sept de leur décision, les juges strasbourgeois ont par ailleurs estimé que le juge-
commissaire aurait fait preuve de partialité si les questions traitées « durant la phase d’observation avaient
été analogues à celles sur lesquelles il statua au sein du tribunal ». Comme ce n’était pas le cas, les magistrats
n’ont pas retenu sa partialité. Dans une continuité logique, les juges de la Cour européenne des
droits de l’homme ne se sont donc pas interrogés sur l’influence que celui-ci aurait pu avoir sur la
formation collégiale. Puisque l’appréhension de l’affaire n’avait pas eu pour conséquence de créer
un parti pris, le juge-commissaire ne pouvait influencer la collégialité bien qu’il y occupait la
fonction de président. « On voit l’évolution du critère depuis l’arrêt Piersack. Dans cette décision, il suffisait
d’invoquer un motif objectif d’impartialité. Dans l’arrêt Morel, il faut démontrer la pertinence de ce motif.
L’apparence ne suffit plus »977. En effet, cette décision a été rendue après l’arrêt Hauschildt contre
Danemark de 1989978. Dès lors, le critère d’appréciation de neutralité des juges n’est plus celui de
l’apparence mais celui de l’impartialité réalité979. Pour autant, certains considéraient déjà qu’il
conviendrait d’écarter ce juge de la future collégialité afin de conforter la confiance des justiciables
envers la justice980.
333. D’après l’affaire Kyprianou contre Chypre, « lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, elle conduit
à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables
autorisent à mettre en cause l’impartialité de la juridiction elle-même. En la matière, même les apparences peuvent
revêtir de l’importance »981. L’expression de faits vérifiables permet une nouvelle fois de retranscrire
que les apparences ne suffisent plus et qu’il convient de les outrepasser par du concret. Cette
formulation est d’ailleurs identique à celle utilisée dans l’arrêt Hauschildt contre Danemark. A
fortiori, ce caractère désormais secondaire des apparences est perceptible dans cette rédaction
puisqu’elle précise que même les apparences peuvent revêtir de l’importance. L’impartialité
objective du juge-commissaire avait été retenue dans l’affaire Le Stum contre France dans laquelle
977
B. BEIGNIER et C. BLERY, « L’impartialité du juge, entre apparence et réalité », D., 2001, p. 2427.
978
CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt contre Danemark, req. n° 10486-83.
979
A. OUDOUL, « L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH », op.
cit.
980
M-L. NIBOYET, « Les fonctions du juge-commissaire au regard de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des
droits de l’homme », D., 2001, p. 1610.
981
CEDH, 15 déc. 2005, Kyprianou contre Chypre, req. n° 73797-01.
241
il était avancé que ce juge s’était créé une opinion concernant des fautes de gestion commises par
un dirigeant, ce qui l’empêchait de statuer ensuite au sein du tribunal de commerce compte tenu
de sa partialité982. C’est donc une première contradiction avec les solutions antérieurement
évoquées.
334. Pour autant, une solution similaire à celle de l’affaire Morel contre France a été retenue dans
un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation983 dans lequel le requérant souhaitait
là encore, remettre en cause l’impartialité du juge-commissaire. Ce dernier s’appuyait sur le fait qu’il
était déjà intervenu dans son litige et que sa qualité de président de la composition collégiale avait
eu pour effet d’influencer la décision prise. Afin de justifier sa seconde intervention, les hauts
magistrats sont venus rappeler qu’elle n’avait pas pour finalité qu’il statue sur un recours contre
son ordonnance ce qui aurait été prohibé. Quant au fait qu’il ait présidé la composition collégiale,
les magistrats de cassation ont rappelé que « l’impartialité du juge se présume jusqu’à preuve contraire » et
qu’il n’était pas démontré que sa présence au sein de la formation de jugement avait pu avoir des
répercussions lors de la prise de décision. Cette solution peut s’expliquer par le fait que cette
fonction ne confère pas d’ascendant sur les autres juges, chacun possédant une voix revêtant la
même valeur lors du délibéré. Par conséquent, il ne pouvait être retenu une quelconque partialité.
335. Une seconde contradiction avec les solutions admettant la réintervention du juge-
commissaire est illustrée par la décision « Fazli Aslaner contre Turquie » rendue par la Cour
européenne des droits de l’homme984. A la lecture de son trente-et-unième paragraphe, pour assurer
l’impartialité d’un juge, ce qui importe c’est « l’étendue des mesures adoptées par ce juge avant le procès ». Il
était avancé par le requérant qu’il n’avait pas été entendu par un tribunal impartial puisque trois
juges sur trente et un avaient déjà pris part à son affaire. La Cour a estimé « que le nombre ou la
proportion des juges concernés par la problématique de l’impartialité objective n’est pas déterminante et que les
considérations de nature quantitative n’ont pas d’incidence sur l’examen de la question, étant donné qu’aucun motif
sérieux ne rendait absolument nécessaire la participation des trois intéressés à la formation de jugement avec voix
délibérative ». Au surplus, il ressortait que parmi ces trois juges déjà intervenus, Madame T.Ç avait
dirigé les débats pendant la phase du délibéré puisqu’elle occupait les fonctions de présidente de
l’assemblée du contentieux. Au vu de son rôle actif au sein de la formation collégiale et de
l’intervention ultérieure des autres juges, la Cour a retenu le défaut d’impartialité objective de ladite
982
CEDH, 4 oct. 2007, Le Stum contre France, req. n° 17997-02.
983
Com. 19 fév. 2013, n° 11-28256.
984
CEDH, 4 mars 2014, Fazli Aslaner contre Turquie, req. n° 36073-04.
242
formation et en a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme.
336. S’ajoutent à cette jurisprudence des informations contenues au sein du Recueil des
obligations déontologiques du juge du tribunal de commerce. Il apparaît au sein de la thématique
relative à l’impartialité, des précisions concernant le nouvel article L 662-7 du Code de commerce
issu de la loi du 18 novembre 2016985. Il dispose qu’à « peine de nullité du jugement, ne peut siéger dans les
formations de jugement ni participer au délibéré de la procédure (3°) le juge-commissaire ou, s’il en a été désigné un,
son suppléant, pour les procédures dans lesquelles il a été désigné ». Il est ensuite précisé au regard de
l’interdiction de ce cumul de fonctions, qu’il faut « que le juge adopte une attitude transparente vis-à-vis des
parties au regard des démarches qu’il estime devoir diligenter »986. Le juge-commissaire se retrouve alors
aujourd’hui finalement cantonné à sa première intervention. Dans cette conception, « il n’est pas la
juridiction à qui appartient le sort de l’entreprise »987. Si cette solution permet de conforter l’impartialité
de la collégialité, là encore, il faut reconnaître qu’elle implique davantage de moyens humains
puisque ce juge ne pourra pas réintervenir988.
La situation n’est pas aussi strictement établie concernant la présence du conseiller de la mise
en état lors du déféré de son ordonnance.
337. Connaître la nature juridique du déféré est essentielle puisque ce critère permettait de
déterminer si le conseiller de la mise en état pouvait connaître son déféré en intégrant une
collégialité. Une distinction entre le déféré et l’appel était effectuée au sein d’une décision de 1992
où les hauts magistrats avaient retenu « que le déféré d’une ordonnance du conseiller de la mise en état n’ayant
pas le caractère d’un appel, la cour d’appel, lorsqu’elle statue sur un tel recours, peut valablement comprendre dans
sa composition ce magistrat »989. Autrement dit, la règle sécuritaire consistant à interdire à un juge de
985
CONSEIL NATIONAL DES TRIBUNAUX DE COMMERCE, Recueil des obligations déontologiques du juge du tribunal de commerce, Ministère de
la Justice, 19 mars 2018, p. 13.
986
Ibid. p. 14.
987
T. BOUVET, C. DUR, J-M. LATREILLE et alii, « L’intervention du juge-commissaire », Bull. Joly, entreprises en difficulté, n ° 5, 1
sept. 2017, p. 385.
988
J-L. VALLENS, « La présence du juge-commissaire au sein du tribunal n’est pas forcément contraire au principe du procès
équitable », RTD com., 2000, p. 1021.
989
Civ. 1ère, 3 mars 1992, n° 90-11088, Bull. civ. 1992, I, n° 73, p. 49.
243
rejuger une affaire ne s’appliquait pas car le déféré n’était pas perçu comme un appel à proprement
dit. Il était assimilé à un renvoi à la formation collégiale990 ce qui faisait l’objet de critique d’un
point de vue de l’impartialité objective exigée991, comme l’illustre les propos de Monsieur Perrot.
D’après lui, « en prenant appui sur la nature particulière du déféré, on veut espérer que le silence du plaideur
permettra d’esquiver le remplacement systématique du conseiller de la mise en état qui, dans les cours d’appel dont
les effectifs sont réduits, risquerait de poser de sérieux problèmes dans la composition des rôles. Il n’en reste pas moins
vrai que la solution n’est guère satisfaisante. Comment peut-on sérieusement penser, quelle que soit la rigoureuse
conscience du conseiller de la mise en état dont l’ordonnance est contestée, qu’il aura encore une liberté d’esprit
suffisante pour participer au délibéré de la formation collégiale appelée à décider du sort de sa propre décision ? Et
comment ne pas alimenter la suspicion dans l’esprit des plaideurs qui auront tôt fait de penser que les dés sont pipés ?
Aucun artifice technique ne peut effacer cette réalité qu’un juge sur trois a déjà exprimé son opinion »992. De même,
selon Monsieur Perrot, il conviendrait d’exclure ce conseiller de la collégialité lorsqu’il est question
de statuer sur son déféré quelle que soit sa nature car « si la jurisprudence a décidé d’exclure de la formation
collégiale de la cour le magistrat qui a connu de l’affaire en première instance, c’est parce qu’il est à craindre qu’il
n’ait plus la même liberté d’esprit et que ses collègues de la cour se sentent mal à l’aise pour désavouer une décision
déjà prononcée à laquelle il a participé. Or, cette préoccupation est exactement la même lorsqu’il s’agit d’un « déféré » ;
elle est même plus sérieuse encore du fait que la décision critiquée a été prise par un juge unique personnellement
impliqué »993.
338. Si la réintervention de ce juge était justifiée par cette différence de nature juridique entre
l’appel et le déféré, en lui permettant de connaître du recours formé contre son ordonnance, un
revirement de jurisprudence a été opéré en 1999 dans l’arrêt Le Grand Galion994 où les parties
peuvent exclure ledit conseiller de la collégialité en le récusant. Les juges ont considéré que son
intégration n’est pas remise en cause si les parties au litige connaissaient la composition de la
formation qui allait statuer et qu’elles se sont abstenues de le récuser995. Cette faculté revient selon
Monsieur Perrot, à reléguer au rang des accessoires superflus l’article 6 de la Convention
990
N. DUPONT, « Le juge de la mise en état et le principe d’impartialité », op. cit., p. 9.
991
C. ALBIGES, « Les droits fondamentaux et la mise en état », Gaz. Pal. Lextenso, n° 278, 4 oct. 2008, p. 21.
992
R. PERROT, « Appel : Déféré : le conseiller de la mise en état qui a rendu l’ordonnance peut-il siéger au sein de la formation
collégiale ? », Dalloz, RTD Civ., 1999.
993
R. PERROT, « Conseiller de la mise en état : le “déféré” », RTD civ, 1993, p. 199.
994
Civ. 2ème, 6 mai 1999, Le Grand Galion, n° 96-10407, Bull. civ. 1999, II, n° 78, p. 57.
995
Ibid.
244
européenne des droits de l’homme, puisque le simple fait de pouvoir récuser un juge en droit
interne suffit à ôter le risque qu’il soit partial, ce qui ne convainc pas996.
339. Certains décèlent d’un arrêt rendu par les magistrats de cassation en 2009997, qu’il est
désormais interdit au conseiller de la mise en état ayant rendu l’ordonnance déférée de siéger avec
la collégialité. Or, plusieurs arguments s’inscrivent dans le sens contraire.
D’abord, la rédaction de son attendu de principe se présente comme suit : « qu’en statuant
ainsi, dans une composition où siégeait le magistrat qui avait rendu l’ordonnance déférée, et alors que M. X avait
soulevé dès l’ouverture des débats cette irrégularité, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». L’éviction du
conseiller de la mise en état paraît ici admise parce qu’elle a été soulevée dès l’ouverture des débats.
Elle s’inscrit dans la suite logique de l’article 342 du Code de procédure civile qui établit qu’une
demande de récusation ne peut être formée après la clôture des débats. Cette solution est aussi une
continuité de la décision Le Grand Galion en ce qu’elle permet de répondre à sa situation contraire.
Si la partie n’avait pas soulevé ce que les hauts magistrats considèrent comme une irrégularité dès
l’ouverture des débats, la présence de ce conseiller aurait été tolérée. De plus, force est de
reconnaître que cette solution revêt trois avantages998. Le premier consiste à admettre que les
justiciables peuvent agir au moyen de la récusation s’ils doutent de la neutralité du juge. Ils ne sont
donc pas désarmés face à une suspicion de partialité. Les autres avantages permettent d’assurer un
bon fonctionnement de la justice. D’abord, les juridictions manquent de moyens et d’effectifs ce
qui permet de justifier la réintervention de ce conseiller. Ensuite, en établissant que les parties au
litige doivent soulever une irrégularité de la composition collégiale dès l’ouverture des débats, cela
permet d’éviter l’exercice de manœuvres dilatoires. En outre, détenir une cause de récusation
pourrait s’assimiler à une bombe à retardement étant donné qu’une partie pourrait être consciente
du poids qu’elle représente, ce qui ferait qu’elle la mettrait de côté afin de l’invoquer si elle n’obtient
pas gain de cause999. C’est en cela que son invocation dès l’ouverture des débats se comprend
aisément.
Ensuite, dans un arrêt rendu en 20181000, les juges de cassation ont une nouvelle fois précisé
quelle est la nature juridique du déféré. La solution retenue est identique à celle de 1992. Selon son
996
R. PERROT, « Appel : Déféré : le conseiller de la mise en état qui a rendu l’ordonnance peut-il siéger au sein de la formation
collégiale ? », op. cit.
997
Civ. 2ème, 10 septembre 2009, n° 08-14004, Bull. 2009, II, n° 209.
998
N. DUPONT, « Le juge de la mise en état et le principe d’impartialité », op. cit., p. 9.
999
J. NORMAND, « Le droit à un juge impartial (article 6-1 Conv. EDH). La recevabilité du moyen pris du défaut d’impartialité »,
Dalloz RTD Civ., 1999.
1000
Civ. 2ème, 11 janv. 2018, n° 16-23992.
245
attendu de principe, « la requête en déféré est un acte de procédure qui s’inscrit dans le déroulement de la procédure
d’appel et n’ouvre pas une instance autonome »1001. Cette différenciation est retranscrite au sein du Code
de procédure civile puisque le déféré ne figure pas parmi les voies de recours énumérées dans son
article 527 relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions1002. Il dispose que « les voies
ordinaires de recours sont l’appel et l’opposition, les voies extraordinaires la tierce opposition, le recours en révision et
le pourvoi en cassation ». La nouvelle rédaction réalisée le 1er septembre 2017 de l’article 916 du Code
de procédure civile contenant des informations sur les ordonnances du conseiller de la mise en état
pourrait amener à confondre l’appel et le déféré1003. Il précise dans son quatrième alinéa qu’il doit
être indiqué dans la requête en déféré l’exposé des moyens en fait et en droit de son auteur, ce qui
fait écho au formalisme requis pour les voies de recours1004. La modification récente de cet article
aurait pu être l’occasion de mettre fin à cette distinction, ce qu’elle n’a pas fait malgré le
rapprochement de ces notions. Le maintien de cette différence justifie que ce conseiller puisse
réintervenir, car la règle selon laquelle un juge ne peut siéger en appel après avoir siégé en première
instance ne s’applique pas, - puisque ce n’est pas un appel en tant que tel -. Cette distinction tient
au fait « que le conseiller de la mise en état apparaît plus comme un délégué de la formation de jugement que comme
un premier juge »1005. De la même manière, l’absence d’autonomie du déféré tenant au fait qu’il
n’ouvre pas une instance autonome, permet d’asseoir que ce juge n’est pas unique. Cette affirmation
se confirme par la définition que Monsieur Pellerin octroi au déféré en considérant que « ce recours
est devenu une voie permettant de contrôler les décisions juridictionnelles du conseiller de la mise en état à propos de
questions procédurales fondamentales »1006. Là encore, le fait qu’il intervienne sur des questions
procédurales ne permet pas de lui conférer la qualité de juge unique. Comme il a uniquement
apprécié des aspects procéduraux, il ne peut être considéré que sa réintervention est emprunte de
partialité. Sa réintervention dans l’affaire est tolérée tandis que d’autres assouplissements à ce
principe sont explicitement admis.
1001
Ibid.
1002
A. DANET, « Retour sur la nature du déféré », op. cit.
1003
Ibid.
1004
Ibid.
1005
R. PERROT, « Appel. Conseiller de la mise en état », RTD civ., 1993, p. 199.
1006
J. PELLERIN, « Les métamorphoses de l’appel », Gaz. Pal. Lextenso, n° 212, 31 juill. 2014.
246
Section 2 - L’impartialité préservée par l’assouplissement du principe de
séparation des fonctions juridictionnelles
341. Bien qu’il soit interdit à un juge des référés ayant attribué une provision d’intégrer la future
collégialité, l’inclusion de ce juge est a contrario admise suite au prononcé d’une mesure conservatoire
(A). Une distinction doit donc être opérée selon les mesures prises par ce juge unique particulier.
S’adjoint l’inclusion controversée du juge de la mise en état au sein de la future collégialité (B).
Controversée parce que sa mission d’instruction nécessite pour certains une implication dans
l’affaire qui l’empêcherait de siéger au fond1008. En effet, d’aucuns considèrent que la collégialité
n’aurait ici plus d’intérêt, la connaissance approfondie de l’affaire par ce juge étant telle que son
opinion viendrait primer sur celle de ses confrères1009.
342. L’inclusion du juge des référés suite au prononcé d’une mesure conservatoire tient au fait
que dans cette hypothèse, il ne va pas prendre en considération le fond du litige (1). Cette solution
est toutefois discutée malgré sa simplicité de mise en œuvre (2).
1007
CEDH, 28 sept. 1995, Association Procola contre Luxembourg, n° 14570-89.
1008
J-F. KRIEGK, « L’impartialité, contrepartie exigeante de l’indépendance », n° 137, Petites affiches, Gaz. Pal., 12 juill. 1999, p.
5.
1009
E. SALOMON, Le juge pénal et l’émotion, op. cit., p. 69.
247
1. L’absence de prise en considération du fond du litige
343. Une exception au principe de séparation des fonctions juridictionnelles a été posé dans un
arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 6 novembre 1998 plus
connu sous le nom Guillotel1010. Monsieur Z avait réalisé des travaux. La société Castel et Fromaget
avait engagé une procédure de saisie conservatoire à son encontre, au motif qu’il ne lui avait pas
restitué l’ensemble des sommes dues afin de réaliser ces derniers. Un juge avait prononcé deux
ordonnances de référé et lorsque l’affaire avait fait l’objet d’une action au fond, il avait également
été amené à siéger au sein de la cour d’appel concernant le jugement au fond. La difficulté consistait
pour les magistrats de la Haute juridiction à établir si les diverses interventions de ce juge des référés
pouvaient avoir des répercussions sur son impartialité. A l’instar de l’arrêt Bord Na Mona, il
convenait de se demander si le principe consistant à interdire à un juge de réintervenir dans une
affaire parce qu’il avait déjà apporté une décision à caractère juridictionnel devait s’appliquer ? Ce
principe concerne-t-il aussi les décisions provisoires initialement prises par le juge ? Ces questions
se reposaient à l’identique puisque ces arrêts ont été rendus le même jour. Toutefois, la Cour de
cassation y a ici répondu de manière négative.
344. Monsieur Z invoquait dans un moyen que ce juge « ne pouvait connaître du litige en appel du
jugement sur le fond, que ce faisant la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 6.1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe d’impartialité, ce
magistrat ne pouvant connaître en appel du même litige qui lui avait été soumis en tant que juge des référés ». Les
magistrats de cassation ont cependant retenu « que la circonstance qu’un magistrat statue sur le fond d’une
affaire dans laquelle il a pris préalablement une mesure conservatoire n’implique pas une atteinte à l’exigence
d’impartialité appréciée objectivement ». L’emploi du terme objectivement retient l’attention. Cette
précision pourrait être davantage sujet à confusion puisque cet adverbe est défini au sein du
dictionnaire Larousse comme ce qui renvoie à une « façon objective, impartiale ». Or, cette exigence
apparaît déjà dans l’attendu de principe. De plus, comme cette rédaction fait exclusivement
référence à l’impartialité objective, elle pourrait venir créer un doute concernant l’impartialité
subjective du juge.
345. Au-delà de ces précisions, il ressort de cet arrêt que le fait d’apporter une mesure
conservatoire n’empêche pas le juge des référés qui en est l’auteur de statuer ultérieurement au sein
de cette même affaire, car son impartialité est préservée. Il faut en déduire que la première
1010
Ass. Plén., 6 nov. 1998, n° 95-11006, Bull. 1998, A. P. n° 4, p. 6.
248
intervention dudit juge ne lui permettait pas de se construire une opinion suffisamment tranchée
sur l’ensemble de l’affaire. Il n’a pas pris en considération le fond du litige, mais des éléments précis
lui permettant de juger de l’opportunité de la requête qui lui était soumise. « Le juge des référés n’a en
tout état de cause pris position sur le bien-fondé de la créance que d’une manière extrêmement sommaire »1011. Cette
solution est donc une dérogation aux causes de récusations contenues dans l’article L 111-6 du
Code de l’organisation judiciaire, plus précisément de son cinquième alinéa qui prévoit qu’un juge
doit être récusé lorsqu’il a précédemment connu une affaire. Sa réintervention se justifie ici parce
que les parties sont certes identiques, mais l’objet du litige est différent. Bien que cette solution
paraisse simple à mettre en œuvre, elle est pourtant discutée.
346. Des comparaisons avec l’arrêt Bord Na Mona sont inévitables puisque ce juge intervient
aussi en matière de référé, qu’il est aussi question d’appréhender sa neutralité du fait de ses
interventions successives dans une même affaire, quand bien même ses pouvoirs se révèlent être
différents. Il est vrai qu’un « arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation ne passe jamais inaperçu.
Mais quand deux arrêts sont rendus le même jour, sur le même thème, avec pour piment la Convention européenne
des droits de l’homme, cela devient un événement. Et quand enfin, à partir des mêmes principes, la Cour en déduit
des conséquences différentes […] l’événement tourne à l’épopée »1012. Comme l’a justement souligné Madame
Frison-Roche, l’interprétation rigoureuse de la notion d’impartialité dans ces deux arrêts témoigne
l’importance qui lui est accordée1013. En effet, « la jurisprudence française donne au principe d’impartialité
un éclat nouveau, dépassant les exigences mêmes de la Convention européenne des droits de l’homme, telle
qu’interprétées par la Cour européenne »1014.
347. Il faut retenir de ces arrêts que toutes les mesures de référé ne nécessitent pas la même prise
en considération du litige de la part du juge. Dans l’arrêt Guillotel, l’investissement du juge des
référés a bien été pris en compte. Les juges ont aussi retenu la nature des deux instances, critère
qui avait pourtant été rejeté lorsqu’il avait été avancé par la cour d’appel dans l’arrêt Bord Na Mona.
Ces solutions sont néanmoins discutées puisque l’impartialité du juge des référés s’apprécie
différemment selon les mesures qu’il prononce, ce qui entraîne des difficultés quant à son
1011
P. CASSIA, « Le juge administratif des référés et le principe d’impartialité », D., 2005.
1012
R. PERROT, « Impartialité du juge et cumul des fonctions », RTD civ. 1999, p. 193.
1013
M-A. FRISON-ROCHE, L'impartialité du juge, op. cit., p. 53.
1014
Ibid.
249
appréhension. Cette distinction se justifie de la manière suivante : « le juge des référés allouant une
provision « effleure » le fond, en ce qu’il doit, aux termes de la loi, apprécier le caractère non sérieusement contestable
de l’obligation »1015, ou encore, il faut considérer qu’il a dans cette situation, anticipé sur le fond du
litige1016, tandis qu’en présence d’une mesure conservatoire, il faudra apprécier son opportunité au
regard d’une « apparence raisonnable »1017. Le terme d’apparence permet de mettre en exergue le fait
que ce juge n’appréciera pas le fond de l’affaire. Au surplus, certains considèrent que « la nuance est
subtile entre un juge qui apprécie le caractère « non sérieusement contestable » de l’obligation, pour l’octroi d’une
provision, et celui qui décide que la créance est « fondée en son principe », pour prescrire une mesure
conservatoire »1018.
348. Dans ces deux arrêts, le critère déterminant est celui de - la prise de position sur le fond de
l’affaire - par le juge. Comme le soulignait Monsieur Sargos, « il faut encore que sa première intervention
lui ai fait prendre une position ou émettre une appréciation qui apparaît objectivement comme pouvant avoir une
influence sur sa seconde intervention »1019. Il est vrai que dans un objectif de lisibilité, les magistrats de la
Haute juridiction auraient pu généraliser les solutions apportées en admettant que la réintervention
du juge des référés impacte ou non systématiquement son impartialité. Pour reprendre
l’interrogation de Monsieur Burgelin, « faudrait-il adopter, en la matière, des positions catégoriques et radicales
qui consisteraient, en l’espèce, à affirmer le principe que la simple circonstance qu’un juge du fond ait auparavant
exercé des fonctions dans l’affaire dont il se trouve saisi justifie objectivement des appréhensions légitimes quant à son
impartialité ? »1020. Au même titre que son auteur, il convient de répondre négativement à cette
question. Celui-ci soulignait cependant l’insécurité juridique que l’appréciation in concreto engendre
dans ces arrêts, au détriment d’une reconnaissance d’un « principe absolu de séparation des fonctions »1021.
Madame Lacamp-Leplaë rejoint cette position qui « présente la qualité considérable de s’adapter
parfaitement à chaque situation considérée […] Toutefois, lorsque l’on insère cette analyse dans l’examen global de
l’impartialité du juge, on peut également déplorer le manque d’homogénéité de cette jurisprudence »1022. A notre
1015
G. CHABOT, « Exigence d’impartialité du juge et faculté de récusation : la subsidiarité de l’article 6-1 de la CEDH », Petites
affiches, Gaz. Pal., no 94, 11 mai 2001, p. 16.
1016
« Jurisprudence - Procédure civile », Gaz. Pal., Lextenso, no 13, 13 janvier 2001.
1017
SARGOS, « Droit à un tribunal impartial », op. cit.
1018
G. CHABOT, « Exigence d’impartialité du juge et faculté de récusation : la subsidiarité de l’article 6-1 de la CEDH », op. cit., p.
16.
1019
J-F. KRIEGK, « L’impartialité, contrepartie exigeante de l’indépendance », op. cit., p. 5.
1020
J-F. BURGELIN, « Quand le juge des référés prend parti », D., 1999.
1021
Ibid.
1022
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, op. cit., p. 505.
250
sens, cette adaptation du droit à chaque situation témoigne une volonté d’assurer au mieux le
respect de l’exigence d’impartialité sans entraîner de répercussion sur sa crédibilité.
Outre les discussions suscitées par cette thématique, certains s’interrogent concernant
l’inclusion du juge de la mise en état dans la future collégialité.
349. Les propositions tendant à vouloir déléguer la mise en état des affaires civiles à un greffier
juridictionnel1023, permettent aussi bien de retranscrire une volonté de renforcer l’office des juges,
qu’il aspire à écarter les éventuels soupçons relatifs à la partialité du juge de la mise en état. Bien
que son inclusion au sein de la formation de jugement soit controversée du fait de la maîtrise de
l’affaire dont il bénéficie, son intégration est aussi bien justifiée au regard de sa mission (1) que par
l’absence d’autorité de la chose jugée de ses mesures (2).
350. S’il est recommandé qu’un juge n’intervienne pas plusieurs fois dans une même affaire alors
qu’il y occupe des fonctions différentes, une exception se rencontre en présence d’une collégialité
aménagée. Tel est par exemple le cas en présence du juge de la mise en état. L’interrogation qui se
pose consiste à savoir s’il est possible de mettre en état une affaire sans se forger une opinion sur
celle-ci, en sachant que sa mission n’est pas purement formelle mais qu’elle est aussi
intellectuelle1024. Cette mise en état intellectuelle tient à l’instauration d’un dialogue entre le juge de
la mise en état et l’avocat des parties1025, ou encore, à sa gestion du calendrier de la mise en état1026.
Les doutes s’intensifient concernant son impartialité au regard du second alinéa de l’article 785 du
Code de procédure civile précisant que le rapport établi par ce juge ne doit pas faire connaître son
avis sur l’affaire. Cette rédaction témoigne que ce juge a pu se forger une opinion sur celle-ci, alors
qu’il est rappelé au sein du Lexique des termes juridiques que la mise en état « n’intervient que pour les
1023
P. DELMAS-GOYON, F. BOBILLE, J-F. BOHNERT et alii, « Le juge du 21ème siècle », un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p.
103 et « La justice du 21ème siècle », le citoyen au coeur du service public de la Justice, les actes du débat national, op. cit.
1024
A. BOUZON-ROULLE, « Impacts de la mise en état dite “intellectuelle” des causes sur l’office du JME », Petites affiches, Gaz.
Pal., n° 64, 31 mars 2011, p. 4.
1025
Article 763 alinéa 3 CPC : « il peut entendre les avocats et leur faire toutes communications utiles. Il peut également, si besoin est, leur adresser
des injonctions ».
1026
Article 764 CPC.
251
affaires complexes exigeant une préparation poussée »1027. La complexité nécessiterait-elle une implication
dans l’affaire qui serait vectrice d’une prise de position du juge ? Pour résoudre cette question, il
convient de rappeler que les missions du juge de la mise en état n’ont pas pour objectif qu’il apporte
une décision au fond mais qu’il purge le dossier des incidents de procédure qu’il pourrait
rencontrer. C’est en cela que conformément à l’article 763 du Code de procédure civile, il veille
dans un premier temps sur la procédure, tandis qu’il pourra dans un second temps appartenir à la
formation de jugement. En outre, au regard de sa définition dans le vocabulaire juridique il y est
décrit comme un juge qui contrôle « l’instruction des affaires civiles contentieuses portées devant le tribunal de
grande instance, qui, désigné en principe parmi les magistrats de la chambre à laquelle l’affaire est distribuée, a
mission de veiller à ce que soient mises en état d’être jugées toutes les affaires qui ne peuvent l’être aussitôt ou sur
premier renvoi et dispose à cette fin de pouvoirs importants »1028. Le fait qu’il appartienne en principe à la
chambre à laquelle l’affaire est ensuite distribuée pourrait accroître le soupçon de partialité à son
égard. A notre sens, cette reconnaissance permet de faciliter la lisibilité de son intervention tout en
assurant un meilleur suivi du dossier. Tel qu’il a été démontré avec la mise en situation des élèves
de l’Ecole nationale de la magistrature, quand bien même ce juge possèderait un avis sur l’affaire
comme il est insinué par le Code de procédure civile lui-même, sa réintervention implique qu’il ne
partage pas dès le début son ressenti, qu’il soit apte à écouter ses confrères, sans quoi la collégialité
serait effectivement annihilée.
351. Compte tenu de l’extension des pouvoirs du juge de la mise en état, certains se sont
demandés s’il ne connaîtrait pas un « processus de juridictionnalisation »1029, c’est-à-dire qu’il deviendrait
un juge unique à part entière. Il était avancé par l’auteure de cette supposition trois conditions dans
lesquelles ce juge serait unique1030. La première consisterait à lui attribuer une compétence jusqu’à
un certain plafond. Il était proposé qu’il se limite à 20 000 euros ce qui laisserait les affaires à plus
fort enjeux à la collégialité. La deuxième condition s’attacherait à la complexité du litige sachant
que les affaires simples lui seraient dévolues, laissant le reliquat à la collégialité. La troisième
condition reviendrait à prévoir la faculté de renvoyer l’affaire à une collégialité et ce, qu’elle résulte
de la volonté du juge de la mise en état ou des parties. Néanmoins, il n’est pas opportun que ce
juge devienne unique compte tenu des garanties attenantes à la collégialité. Son intégration actuelle
dans cette formation se confirme d’ailleurs au regard de la portée de ses mesures.
1027
J-L. ALBERT et al., Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 708.
1028
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 581.
1029
BOUZON-ROULLE, « Impacts de la mise en état dite “intellectuelle” des causes sur l’office du JME », op. cit., p. 4.
1030
Ibid.
252
2. Une intégration confirmée par l’absence d’autorité de la chose jugée de ses mesures
352. Aux termes de l’article 775 du Code de procédure civile, « les ordonnances du juge de la mise en
état n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée à l’exception de celles statuant sur les exceptions de procédure
et sur les incidents mettant fin à l’instance ». L’autorité de la chose jugée dans ces deux dernières
hypothèses1031 tient au fait qu’il est seul compétent pour statuer sur ces éléments1032 alors que la
reconnaissance de l’autorité de la chose jugée ne permet pas de facto à son auteur d’être qualifié de
juge unique. Par contre, elle peut être un outil venant conforter son statut. Cette affirmation se
confirme par la définition même du terme de juge puisqu’il y est décrit comme une « personne investie
d’un pouvoir juridictionnel »1033. En conséquence, l’octroi de cette qualité n’implique pas que ses
décisions revêtent l’autorité de la chose jugée.
353. Une ancienne décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation1034 est allée
plus loin quant à l’absence d’autorité de la chose jugée, en précisant qu’une collégialité statuant sur
le fond n’est pas tenue par les mesures d’instruction décidées par le juge de la mise en état. Il faut
en conclure que comme il n’a pas déjà apporté une solution à l’affaire revêtant la portée d’une vérité
judiciaire, son impartialité n’est pas à remettre en cause ce qui lui permet de siéger au sein d’une
collégialité. S’adjoint à cet argument le fait que sa première intervention se rapporte à des questions
procédurales ce qui fait que l’objet de l’affaire ne sera pas identique lorsqu’il interviendra auprès de
la collégialité. Là encore, il ne peut être perçu une inévitable partialité dudit juge alors que d’autres
cas particuliers permettent à un même juge de réintervenir en procédure civile.
1031
A titre d’illustration, les magistrats de la Haute juridiction ont rappelé « que les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une
exception de procédure ont autorité de la chose jugée en application de l’article 775 du code de procédure civile » : Civ. 2ème, 23 juin 2016, n° 15-13483.
1032
Article 771, 1 CPC.
1033
R. CABRILLAC et alii, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2017, LexisNexis.
1034
Civ. 2ème, 27 mai 1983, RTD civ. 1983. 790, obs. Perrot.
253
de l’impartialité. Deux situations sont à distinguer. Dans la première, un justiciable pourra
rencontrer à nouveaux un même juge alors qu’il n’était pas dès l’origine expressément désigné pour
connaître son litige. Tel est le cas lorsqu’il y a une saisine pour avis (A). Dans la seconde, une partie
aura déjà eu affaire à un juge, mais le changement de certaines données du litige justifiera sa
réintervention. Cette situation correspond au cas du contentieux sériel (B).
355. La saisine pour avis s’applique devant l’ensemble des juridictions de la matière civile1035. En
effet, il résulte de l’article L 441-1 du Code de l’organisation judiciaire que « les juridictions de l’ordre
judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ». Cette
saisine issue d’une loi du 15 mai 19911036 va « permettre une unification plus rapide de l’interprétation de la
règle de droit ou plutôt des règles de droit nouvelles ; assurer la prévention du contentieux, des voies de recours, parce
que, tout de suite, la portée de la loi est dite par la juridiction qui a le dernier mot »1037. Autrement dit,
lorsqu’une juridiction connaît des difficultés d’interprétation d’une règle de droit, elle a la faculté
de solliciter l’avis de la plus haute juridiction de l’ordre judicaire afin de ne pas être, par exemple, à
l’origine d’un déni de justice. Evoquer cette situation pourrait a priori surprendre puisque le fait que
cette formation apporte un avis ne permet pas de la qualifier de collégialité. Néanmoins, il est
possible qu’un, voire, des conseillers, soient amenés par la suite à réintervenir dans une affaire (1).
L’impartialité dudit conseiller est déduite de l’absence de disposition contraire à sa réintervention
(2).
356. Plusieurs conditions1038 doivent être remplies afin qu’un avis soit valablement demandé aux
conseillers de la Haute juridiction. La première condition consiste à être en présence d’une question
de droit nouvelle. La deuxième condition implique que cette question présente une difficulté
sérieuse. Une difficulté sérieuse devrait nécessiter une implication importante des juges dans le
dossier. Dans cette situation, ont-ils encore suffisamment de recul s’ils sont amenés à réintervenir
1035
Il convient de spécifier que récemment la Cour de cassation a adressé une première demande pour avis à la Cour européenne
des droits de l’homme concernant la gestation pour autrui : Ass. Plén. 5 oct. 2018, n° 10-19053. Voir aussi : A. GOUTTENOIRE et F.
SUDRE, « L’audace d’une première demande d’avis consultatif à la Cour EDH », JCP G, LexisNexis, no 46, 12 novembre 2018, p.
2038.
1036
J-L. ALBERT et al., Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 314.
1037
J. BUFFET, Présentation générale, la saisine pour avis de la Cour de cassation, 29 mars 2000, site de la Cour de cassation.
1038
Article L 441-1 COJ.
254
dans l’affaire ? La troisième exigence se rapporte à une question se rencontrant au sein de plusieurs
cas litigieux. A titre d’illustration, un conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles
avait saisi pour avis la Haute juridiction afin de bénéficier de davantage d’informations concernant
la réforme de la procédure d’appel et ses répercussions sur la déclaration d’appel1039.
357. Une interrogation se pose concernant l’impartialité des conseillers lorsqu’ils ont apporté
leurs avis et que le litige revient par la suite devant la Cour de cassation. Doivent-ils s’abstenir de
statuer dans cette hypothèse ?1040 Deux situations sont à différencier1041. La première correspond
à celle où l’affaire a proprement dite n’a pas initialement fait l’objet d’une saisine pour avis. Dans
ce cas, les parties et les faits ne vont pas être les mêmes. « Il n’y a aucune raison de voir dans la réponse
donnée une cause de partialité, ou alors il faudrait appliquer la même sanction – et ce serait absurde – chaque fois
que la Cour de cassation a statué, au fond, dans une affaire semblable, identique quant au problème juridique
posé »1042. Il ne serait plus pris en considération les éléments du litige comme les faits, mais
simplement le problème de droit. La seconde situation envisagée est plus complexe et correspond
à l’hypothèse dans laquelle une saisine pour avis aurait été sollicitée alors que l’affaire va ensuite se
retrouver devant la Haute juridiction. Une difficulté apparaît étant donné que les parties et les faits
vont être identiques contrairement au premier cas envisagé. Monsieur Guinchard propose afin
d’éviter toute confusion, que les conseillers ayant rendus un avis dans une même affaire, ne se
prononcent pas une fois le litige porté devant eux, pour qu’il n’y ait pas de soupçons de partialité.
Cette solution ne convainc pas. Elle s’inscrit certes dans la facilité mais demande à être plus
tranchée. Reconnaître que ces situations devraient être évitées revient à apporter - une ombre de
partialité là où il n’y en a pas -. Comme son nom l’indique, la démarche réalisée par les juges du
fond va consister à obtenir un avis. Or, un avis ne va pas forcément s’imposer tel qu’en témoigne
l’article L 441-3 du Code de l’organisation judiciaire selon lequel « l’avis rendu ne lie pas la juridiction
qui a formulé la demande ». Cet avis des conseillers de la Cour de cassation ne peut être considéré
comme un premier jugement, ce qui n’est donc pas contraire au principe selon lequel un juge ne
peut siéger en appel après avoir siégé en première instance. Un avis ne s’impose pas. Dans le cas
contraire, cela reviendrait à ôter la signification de ce terme. Au même titre que la réintervention
du conseiller de la mise en état lors du déféré de son ordonnance, qui est tolérée parce qu’elle n’est
1039
Civ. 2ème, demande n° A 17-70034, avis n° 17019 du 20 déc. 2017. Etant donné que cette saisine est ouverte aux juridictions
de l’ordre judiciaire, faut-il considérer que le conseiller de la mise en état est une juridiction, donc un juge unique ? Il convient de
répondre négativement à cette question en considérant que sa saisine a été admise parce qu’il intervenait pour la cour d’appel.
1040
S. GUINCHARD, « Procès équitable », Rép. Proc. Civ. Dalloz, mars 2013, actualisation janvier 2015, n° 248.
1041
Ibid.
1042
Ibid.
255
pas considérée comme un appel, la distinction tient ici à la différence entre les termes de jugement
et d’avis. Au sein d’une juridiction collégiale, les juges sont amenés à échanger leurs opinions, leurs
points de vue et avis sur le litige qui leur est soumis lors du délibéré. Admettre qu’un avis a force
obligatoire reviendrait dans ce cas à apporter plusieurs décisions aux justiciables pour une seule et
même affaire ce qui n’est pas envisageable. Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation il a été
établi « que la circonstance qu’un membre du conseil de prud’hommes, ne figurant pas dans la composition du bureau
de jugement appelé à statuer sur le litige, se soit publiquement prononcé contre une partie n’est pas de nature à faire
naître un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction dans son ensemble »1043. Cette solution est
généralisable à l’ensemble des juges de la procédure civile et est à transposer à ce raisonnement.
L’importance résidait ici dans le fait que le conseiller n’appartenait pas à la formation de jugement.
Cette reconnaissance permet de conforter la phase du délibéré puisque la communication d’une
opinion extérieure ne suffit pas à rendre partiale une formation collégiale. La faculté de suivre ou
non l’avis permet aux juges du fond de garder leur autonomie et leurs pouvoirs. Bien qu’ils puissent
être amenés à intervenir deux fois sur un même litige, il ne peut être reconnu la partialité de ces
futurs juges.
Si cette réintervention n’apparaît pas comme étant proscrite, il convient d’apporter davantage
d’information à ce sujet.
1043
Soc. 7 févr. 2006, n° 03-46290.
256
demande relève de l’attribution de plusieurs chambres elle soit soumise à une formation mixte,
permet d’élargir les hypothèses dans lesquelles un conseiller pourrait réintervenir. Toutefois,
aucune disposition ne prévoit cette éventualité pourtant importante. Dès lors, il convient de
percevoir dans cette absence de précision que la réintervention d’un conseiller n’a pas de
répercussion sur son impartialité, au même titre que dans un contentieux sériel.
359. L’expression de contentieux sériel peut se définir comme une multiplication de litiges
identiques en droit et en fait pour lesquels seules les parties diffèrent. S’il nécessite la réunion
d’éléments a priori problématiques (1) puisqu’il pourrait être imaginé que dans cette hypothèse, la
décision est quelque peu prévisible lorsqu’elle émane d’un même juge, le fait de ne pas reconnaître
sa partialité se perçoit comme une solution mathématiquement favorable aux collégialités (2).
360. Pour comprendre ce qu’est un contentieux sériel, il convient d’évoquer une affaire1044
concernant une société et sa filiale qui devaient contrôler la conformité de prothèses mammaires
fabriquées par une autre société. Le tribunal de commerce de Toulon avait condamné ces deux
sociétés ayant manqué à leur obligation de contrôle à « réparer les préjudices matériels et immatériels causés
aux distributeurs des produits de la société PIP ainsi que les préjudices corporels et psychologiques causés aux
porteuses d’implants mammaires de cette marque et a ordonné des mesures d’expertise judiciaire ». Par la suite, ces
sociétés ont été assignées en responsabilité par d’autres sociétés ainsi que d’autres personnes
porteuses d’implants mammaires pour les mêmes faits. Les défenderesses ont alors formé à
chacune des instances des demandes de récusation à l’encontre du président de la formation de
jugement, car ce dernier était déjà à l’origine de leur première condamnation, ce qui selon elles, le
rendait partial.
1044
Civ. 2ème, 7 avril 2016, n° 15-16091 15-16092 15-16093, publié au bulletin.
1045
F. MELIN, « Contentieux sériel et exigence d’impartialité », Dalloz actu., 6 mai 2016.
257
formulées, l’affaire a été portée devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Lesdites
sociétés invoquaient deux arguments au soutien de leurs prétentions. D’abord, selon elles, « le
contexte factuel, les moyens juridiques, la nature des parties et les questions en litige étaient rigoureusement identiques
à ceux qui étaient en cause dans l’instance ayant donné lieu » au premier jugement ce qui ne permettait pas
d’assurer l’impartialité de ce juge. Ensuite, elles avançaient « que l’article L 111-6, 5° du Code de
l’organisation judiciaire, n’épuise pas les cas de récusation » la Convention européenne des droits de
l’homme pouvant être invoquée ce qui impliquait de considérer leurs demandes. Pour autant, la
Haute juridiction a répondu à l’interrogation posée par la négative puisqu’elle a établi « que le fait
qu’un juge se soit déjà prononcé dans un litige procédant d’un contentieux sériel n’est pas en soi de nature à porter
atteinte à son impartialité pour connaître les autres litiges de ce même contentieux ». Autrement dit, dans ces
circonstances, il n’existe pas de présomption de partialité contrairement à ce qui pourrait être
imaginé par les justiciables. Il faut en déduire que la similitude des faits et de la problématique
juridique ne doit pas être de nature à rendre partial un juge, ce qui est bénéfique aux collégialités.
362. Cette reconnaissance s’inscrit dans un objectif de bonne administration de la justice puisque
dans le cas contraire, il serait difficile de remplacer un juge pour chaque affaire similaire, au risque
d’aboutir à un engorgement des tribunaux. Il ressort là encore que les apparences ne suffisent pas,
le critère étant celui de l’impartialité réalité depuis l’arrêt Hauschildt contre Danemark1046. Cette
solution est mathématiquement favorable aux formations collégiales étant donné que la probabilité
qu’un de ses membres soit déjà intervenu dans une affaire similaire est importante. Cette décision
est à rapprocher de celle apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation concernant
l’impartialité d’un juge des libertés et de la détention1047. Il résultait de l’attendu de principe que « le
fait que la position du juge sur une question de droit qui lui est soumise soit prévisible, n’est pas de nature à remettre
en cause son impartialité »1048. Cette décision s’inscrit dans la continuité d’un autre arrêt1049 où il
résultait « que le défaut d’impartialité d’une juridiction appelée à connaître de la contestation de la mesure
1046
CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt contre Danemark, req. n° 10486-83.
1047
Civ. 1ère, 18 mai 2011, n° 10-10282, Bull. civ. 2011, I, n° 89.
1048
Afin de bénéficier d’informations complémentaires sur cette affaire, se reporter notamment à : C. TAHRI, « L’impartialité du
juge des libertés et de la détention », Dalloz actualité, 15 juin 2011.
1049
Civ. 2ème, 3 avril 2014, n° 14-01414, Bull. 2014, II, n° 95.
258
d’exécution forcée d’une décision de justice ne peut résulter du seul fait qu’elle ait précédemment connu de l’appel
formé contre cette décision »1050.
1050
Pour une analyse de cette solution voir notamment : F. MELIN, « Défaut d’impartialité : nécessité d’établir l’existence d’un
soupçon légitime », Dalloz actualité, 12 mai 2014.
259
Titre 2 - La collégialité dans ses rapports avec
l’indépendance et le délai raisonnable
363. Afin de pouvoir affirmer que la collégialité permet une consolidation du procès équitable,
outre l’exigence d’impartialité, il convient de s’intéresser plus amplement à deux autres garanties
essentielles au rendu d’une bonne justice, à savoir, celle d’indépendance et celle consistant à
apporter une décision de justice dans un délai raisonnable. Ces garanties peuvent connaître des
intensités différentes selon la composition de la juridiction concernée. Il est de surcroît surprenant
qu’en dépit de son importance, la notion d’indépendance se trouve majoritairement absente des
dictionnaires juridiques1051 contrairement à celle de délai raisonnable.
1051
Elle n’apparaît pas par exemple dans : S. Bissardon, Guide du langage juridique, op. cit. Ou encore, J-L. Albert et al., Lexique des
termes juridiques, op. cit. Mais aussi, R. Cabrillac et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit.
1052
G. CORNU et al., Vocabulaire juridique, 11ème, PUF, 2016, p. 538.
1053
Ibid.
1054
J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE et C. BROYELLE, L’indépendance de la justice : actes de la journée d’études de l’Institut d’Etudes
de Droit Public (IEDP), 19 novembre 2010, coll. Presses universitaires de Sceaux, L’Harmattan, 2011, p. 52.
261
se subdivise à nouveau en deux types de contraintes horizontales et verticales sachant que seules
les premières seront évoquées puisque ce sont celles que le juge rencontrera à son niveau. Elles
vont regrouper les justiciables, la procédure et la collégialité. Ces trois éléments vont avoir une
influence sur sa prise de décision. C’est en cela qu’ils apparaissent comme des contraintes à son
indépendance. Le juge devra tenir compte de la situation des justiciables en appliquant une
procédure stricte et appropriée au litige dont il est amené à apporter une solution, tout en
confrontant son opinion avec les autres membres du collège. Cette contrainte n’est toutefois pas
négative puisque la collégialité peut permettre de réorienter certains juges dépendants grâce à
l’échange d’opinions suscité pendant la phase du délibéré1055.
365. Concernant le délai raisonnable, en procédure civile, il « désigne la durée légitime accordée au juge
pour statuer sur un litige. Garantie fondamentale d’une bonne justice, sa violation entraîne la mise en œuvre de la
responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable de la
durée d’une procédure s’apprécie in concreto et en prenant en compte l’ensemble de la procédure, au vu de la nature et
de l’objet du litige, de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et de celui des autorités étatiques »1056.
Dans une décision récente1057, les juges Strasbourgeois ont ainsi rappelé que son point de départ
correspond à la date d’assignation des requérants devant le tribunal de grande instance et qu’il se
termine par l’arrêt apporté par les juges de cassation. En outre, cette exigence apparaît comme étant
consubstantielle à celle de qualité de la justice puisque l’objectif consiste à répondre aux demandes
des justiciables dans un temps toujours plus circonscrit. Cependant, le risque est que la rapidité
l’emporte au détriment de la qualité de la décision rendue. C’est en cela que cette quête de célérité
doit impérativement être modérée. Cette indissociabilité entre la maîtrise du temps judiciaire d’un
côté et la qualité d’une décision de l’autre est ancienne puisque le célèbre dramaturge de la Grèce
antique Sophocle, affirmait : « qui juge lentement juge sûrement ». La pertinence de cette affirmation
s’est vue réaffirmée par l’écrivain et poète Victor Hugo qui avançait que « trancher est signe de halte
quand on a le temps on dénoue »1058.
366. Bien que les exigences posées par l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de
l’homme s’avèrent toutes aussi essentielles, elles revêtent une hiérarchie concernant l’exercice de la
mission juridictionnelle. Cette gradation est retranscrite en droit interne au sein du Recueil des
1055
Ibid. p. 59.
1056
J-L. ALBERT et al., Lexique des termes juridiques, 24e éd., Dalloz éditions, 2016, p. 354.
1057
CEDH, 14 sept. 2017, Bozza contre Italie, req. n° 17739-09.
1058
VICTOR HUGO, L’homme qui rit, Les Classiques de Poche, Le Livre de Poche, 2002.
262
obligations déontologiques des magistrats puisqu’il énonce que l’exigence d’indépendance est « la
condition première d’un procès équitable »1059. C’est pour cette raison que cette condition est appréhendée
avant celle consistant à respecter un délai raisonnable.
367. La collégialité est une garantie d’indépendance de la fonction juridictionnelle (Chapitre 1).
Cette affirmation est concrètement perceptible au regard de certains principes procéduraux de la
matière civile. S’y adjoint qu’une amélioration entre la conciliation de la collégialité et du délai
raisonnable est possible (Chapitre 2) alors que la collégialité est majoritairement critiquée au regard
du respect de cette garantie.
1059
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, p. 1.
263
Chapitre 1 - La collégialité comme garantie d’indépendance de la
fonction juridictionnelle
368. L’indépendance est « « la qualité d’une personne ou d’une institution qui ne reçoit d’ordres, ou même de
suggestions, d’aucune sorte, qui est donc seule à prendre les décisions qu’elle prend (premier élément) et qui en outre
n’a pas à rendre compte puisque rendre compte évoque la critique (second élément). […]. En somme l’indépendance
suppose l’absence de lien de subordination, donc de lien avec un tiers […] ». Ainsi définie, l’indépendance apparaît
comme la condition de l’impartialité : elle est le statut et l’impartialité la vertu. A ce titre, la rédaction de l’article 6,
§-1 de la Convention EDH, qui prévoit le droit à « un tribunal indépendant et impartial », n’est pas anodine. Elle
fait écho à la nécessité du premier principe pour espérer satisfaire le second »1060. La technicité de son
appréhension est retranscrite par le fait que pour apprécier le respect de cette condition par les
juges, quatre critères sont pris en considération par la Cour de Strasbourg1061. Ils tiennent à leur
désignation, à la durée de leur mandat, à leur protection vis-à-vis des pressions extérieures et à
l’apparence d’indépendance. S’y adjoint le fait que le terme d’indépendance est polymorphe. Il se
rapporte aussi bien aux relations entretenues entre le juge et les différents pouvoirs, à savoir,
exécutif et législatif, qu’à celle établie vis-à-vis des justiciables, alors qu’il concerne également ses
rapports avec les autres juges, voire, avec lui-même.
369. Dès lors, il convient d’établir l’importance de l’indépendance dans la fonction de juger
(Section 1) pour ensuite démontrer qu’un renforcement de l’indépendance est assuré par la
collégialité (Section 2). C’est en cela que le principe de collégialité est perçu comme étant « le
corollaire indispensable de l’indépendance »1062.
1060
A. OUDOUL, « L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la convention EDH », op.
cit., p. 12.
1061
CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell contre Royaume-Uni, req. n° 7819-77, 7878-77 et CEDH, 22 juin 1989, Langborger
contre Suède, req. n° 11179-84.
1062
C. MORLOT-DEHAN, Le président de juridiction dans l’ordre administratif, Publibook, 2005, p. 253.
265
Section 1 - L’importance de l’indépendance dans la fonction de juger
370. L’importance de l’indépendance dans la fonction de juger est d’abord retranscrite par les
multiples sources qui la consacrent en sachant que leur énumération ne saurait de ce fait être
exhaustive. Ainsi, l’indépendance est consacrée au sein de l’article 6-1 de la Convention européenne
des droits de l’homme, de l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10
décembre 1948, du premier paragraphe de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques du 16 décembre 1966, ou encore, au sein de l’article 47 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne. Cette importance est ensuite perceptible compte tenu du
fait qu’elle s’impose quelle que soit la qualité du détenteur du pouvoir juridictionnel en sachant que
la caractérisation de l’indépendance du juge (§1), diffère de celle de l’arbitre (§2).
371. Comprendre la notion d’indépendance représente deux difficultés. La première tient au fait
qu’elle se rapporte à plusieurs situations, tandis que la seconde tient à l’étroite relation qu’elle
entretient avec la notion d’impartialité. En conséquence, l’appréhension de l’indépendance
implique d’établir une confrontation avec la notion d’impartialité (A) afin de pouvoir appréhender
l’indépendance du juge (B) en tant que tel.
372. S’il existe des interactions entre les notions d’impartialité et d’indépendance (1), il est
toutefois nécessaire d’établir une distinction entre ces conditions (2). Comme l’a justement affirmé
Monsieur Guinchard, « l’indépendance est un préalable à l’impartialité ; on ne peut être impartial si déjà on
n’est pas indépendant ; mais, à l’inverse, un juge indépendant de tout pouvoir peut devenir partial dans un dossier
particulier »1063. C’est en cela que l’indépendance est la condition première que le juge doit garantir.
A contrario s’il était dépendant, il serait nécessairement partial puisqu’il ne pourrait pas suivre sa
propre opinion. Dans ces circonstances, il devrait prononcer ce qui lui est demandé du fait de sa
subordination.
1063
S. GUINCHARD, « Procès équitable », Rép. Proc. Civ. Dalloz, mars 2013, actualisation janvier 2015.
267
1. La constatation d’interactions entre ces notions
373. Selon plusieurs décisions rendues par les juges de la Cour de Strasbourg, « les notions
d’indépendance et d’impartialité objective étant étroitement liées, la Cour les examinera ensemble »1064. La Charte
européenne sur le statut des juges prévoit quant à elle que « le statut des juges tend à assurer la compétence,
l’indépendance et l’impartialité que toute personne attend légitimement des juridictions et de chacun et chacune des
juges auxquels est confiée la protection de ses droits. Il exclut tout dispositif et toute procédure de nature à altérer la
confiance »1065 en ces éléments. Au même titre que l’exigence d’impartialité, le concept d’apparence
a vocation à s’appliquer à celui d’indépendance comme en témoigne l’affaire Sramek contre
Autriche1066 où les juges de Strasbourg ont reconnu que « pour décider si un tribunal peut passer pour
indépendant comme l’exige l’article 6, les apparences peuvent revêtir elles aussi de l’importance ». Le conflit
d’intérêts a aussi pour objectif de préserver la qualité d’indépendance des juges alors qu’il permet
également de lutter contre leur éventuelle partialité.
374. A titre d’illustration, un manquement au devoir d’indépendance avait été retenu dans une
décision prononcée par le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline
des magistrats du siège1067. Il était notamment reproché à un vice-président du tribunal de grande
instance de s’être entretenu avec un justiciable « alors qu’il savait devoir siéger peu après dans une affaire
où celui-ci était prévenu ». Dès lors, « il avait créé, par ses contacts […] une situation dans laquelle pouvaient être
suspectées sa probité, son intégrité, sa dignité et son indépendance, portant ainsi gravement atteinte à l’image de la
justice ». Il aurait dû se déporter en sachant que la frontière avec son défaut d’impartialité paraît
infime. Au-delà de cette problématique, il s’est avéré qu’il n’avait pas non plus respecté le secret du
délibéré car il avait fait connaître à la partie au litige le sens de la décision qui avait été prise avant
qu’elle ne soit apportée publiquement par le tribunal. Le Conseil supérieur de la magistrature
rappelait que ledit magistrat ne pouvait ignorer que son comportement était répréhensible, d’autant
plus qu’il avait exercé les fonctions d’avocat et d’avoué, ce qui fait qu’il a été révoqué.
1064
CEDH, 6 mai 2003, Kleyn et autres contre Pays-Bas, req. n° 39343-98, 39651-98, 43147-98, 46664-99 et CEDH, 9 nov. 2006,
Sacilor Lormines contre France, req. n° 65411-01.
1065
CONSEIL DE L’EUROPE, Charte européenne sur le statut des juges, Strasbourg, 8-10 juill. 1998.
1066
CEDH, 22 oct. 1984, Sramek contre Autriche, req. n° 8790-79.
1067
CSM, 13 mai 2003, S 125.
268
375. D’autres informations concernant l’exigence d’indépendance sont apportées dans un
rapport annuel produit par la Cour européenne des droits de l’homme1068 où il est précisé que
l’indépendance des juges nécessite qu’ils possèdent des connaissances suffisantes mais aussi qu’ils
aient une pensée critique développée. Cette indépendance intellectuelle est d’autant plus importante
dans une formation collégiale car en cas de carence, les juges du siège seraient inévitablement
influencés par l’avis de leurs confrères. Une condition supplémentaire relative au for intérieur du
juge est aussi perceptible dans le fait qu’il doit respecter l’application de la règle de droit ce qui
permet d’éviter qu’il ne se fonde sur un éventuel parti pris. C’est également en cela que
l’indépendance et l’impartialité connaissent des interférences. La définition même de
l’indépendance apportée par le dictionnaire Larousse fait d’ailleurs directement référence à
l’impartialité puisqu’elle correspond à « l’état de quelqu’un, d’un groupe qui juge, décide, etc., en toute
impartialité, sans se laisser influencer par ses appartenances politiques, religieuses, par des pressions extérieures ou
par ses intérêts propres »1069. Cette qualité renvoie aussi bien à des éléments externes comme les
médias, qu’internes, car il est demandé aux juges de se détacher de leurs opinions quotidiennes.
376. Si les notions d’impartialité et d’indépendance connaissent des interférences, elles sont
pourtant distinctes. D’après Madame Brus, « l’indépendance du juge ne s’apprécie pas directement par rapport
au litige mais bien par rapport aux parties. Là réside la différence entre l’impartialité et l’indépendance »1070. Selon
Madame Milano, l’indépendance du juge revient à prendre en considération sa position vis-à-vis
des justiciables, des autres juges, et des pouvoirs exécutif et législatif, tandis que l’impartialité se
rapporte au processus qui a permis sa prise de décision. Elle fait donc référence à l’indépendance
d’esprit du juge1071. En outre, d’après Monsieur Rosanvallon « être indépendant, c’est être libre d’effectuer
1068
COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME, Rapport annuel 2016, intervention de Monsieur Andrzej RZEPLINSKI,
Président du Tribunal constitutionnel de la Pologne, cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire, 29 janv. 2016, p. 29.
1069
Éditions Larousse, « Définitions : arbitre - Dictionnaire de français Larousse ».
1070
F. BRUS, Le principe dispositif et le procès civil, op. cit., p. 272.
1071
L. MILANO, Le droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, Thèse pour le doctorat en droit, Montpellier
I, 9 déc. 2004, p. 391.
269
un choix ou de prendre une décision ». L’indépendance correspond à un statut, tandis que l’impartialité
se rapporte à une qualité perceptible à travers le comportement du juge1072.
378. Afin d’être indépendants à la fois à l’égard des parties et d’eux-mêmes, les juges doivent
d’abord l’être plus largement vis-à-vis de l’Etat. La doctrine différencie l’indépendance dite
organique, c’est-à-dire qui tient à leur désignation et à la durée de leur mandat, de celle dite
fonctionnelle en sachant qu’elle fait référence à la répartition des pouvoirs et à l’absence de
subordination. L’indépendance de l’autorité judiciaire étant primordiale, le chef de l’Etat aura pour
mission de la garantir avec le soutien du Conseil supérieur de la magistrature1073.
379. C’est en cela qu’en France une répartition tripartite du pouvoir a été mise en place. Des
prérogatives ont été attribuées à la fonction législative, exécutive mais aussi juridictionnelle. Le
bien-fondé de cette séparation est ancien puisque Montesquieu affirmait que « pour qu’on ne puisse
pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »1074. Le pouvoir
législatif a pour mission d’élaborer une règle, l’exécutif de la faire respecter, tandis que le pouvoir
judiciaire interviendra pour sanctionner un manquement à ces règles. Cette répartition permet
d’assurer « la sécurité juridique et l’égalité devant la règle. En effet, ces finalités seraient en péril si les mêmes
individus cumulaient l’exercice des fonctions législative et juridictionnelle puisqu’il leur serait alors loisible de changer
les règles à l’occasion de leur application, pour les adapter aux solutions qu’ils entendent donner aux litiges »1075.
L’autonomie de ces fonctions n’est toutefois pas absolue comme en témoigne la situation où le
1072
P. ROSANVALLON, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, op. cit.
1073
Article 64, titre VIII : « De l’autorité judiciaire », Constitution du 4 octobre 1958. Il convient de préciser selon P. TURK, Les
institutions de la Vème République, 8ème éd., Gualino, Lextenso éditions, 2015-2016, p.191, que ce Conseil est présidé par un haut
magistrat, alors même que ce pouvoir appartenait au chef de l’Etat. La situation pouvait sembler surprenante étant donné que ledit
Conseil a pour fonctions de garantir l’indépendance des magistrats. Or, dans cette situation, comme le souligne Madame Turk, il
était également soumis à une autorité : celle du Président de la République. Comment pouvait-il valablement prôner l’indépendance
des magistrats, alors que lui-même n’était pas indépendant ? L’attribution de la présidence à un haut magistrat a permis de contrer,
selon son terme, cette « invraisemblance ».
1074
MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois, 1748., Livre XI, chapitre IV.
1075
J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE et C. BROYELLE, L’indépendance de la justice : actes de la journée d’études de l’Institut d’Etudes
de Droit Public (IEDP), 19 novembre 2010, op. cit., p. 10.
270
chef de l’Etat accorde une grâce présidentielle1076 alors que le prononcé d’une sanction appartient
en principe au pouvoir judiciaire. Cependant, ces immixtions sont rares. Ainsi, la disposition selon
laquelle « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée,
n’a point de Constitution »1077 conforte qu’elle permet de garantir les droits reconnus à tous citoyens.
S’y adjoint la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 venant établir que « l’autorité judiciaire doit demeurer
indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule
de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il se réfère ». A côté de ces
éléments, le fait que la justice soit une fonction régalienne de l’Etat renforce également son
indépendance.
S’ajoute à l’indépendance du juge vis-à-vis de l’Etat celle qu’il doit entretenir vis-à-vis des
justiciables.
380. L’indépendance des juges vis-à-vis des justiciables est couramment remise en cause en
procédure civile concernant les juges commerciaux. Cette crainte est pourtant injustifiée comme
l’illustre une question prioritaire de constitutionnalité1078. Les requérants estimaient que le mandat
des juges consulaires ne respectait pas le principe d’indépendance et d’impartialité alors que la
faculté qui leur est reconnue de pouvoir cumuler un « mandat de juge du tribunal de commerce avec,
notamment, les fonctions de membre d’une chambre de commerce et de l’industrie » portait selon eux atteinte à
la séparation des pouvoirs donc là encore, à leur indépendance. Les demandeurs soulevaient
également une inégalité d’accès aux emplois publics dûe à la composition de la juridiction
commerciale étant donné qu’aucun examen ne doit être passé pour exercer ces fonctions.
381. Or, les juges consulaires doivent au même titre que les magistrats prêter serment avant
d’entrer en fonction1079. Le juge doit déclarer : « je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder
le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un juge digne et loyal »1080. Le fait qu’ils aient un
1076
Article 17, titre II : « Le Président de la République », Constitution du 4 octobre 1958. Dans cette situation, soit la sanction qui
avait été initialement prévue ne recevra pas exécution, soit elle sera adoucie.
1077
Article 16 DDHC, 26 août 1789.
1078
Décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012, JORF n° 0106 du 5 mai 2012, texte n° 151, p. 8016.
1079
Article L 722-7 al. 1 C. com.
1080
Article L 722-7 al. 2 C. com. La loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle est venue supprimer le terme
« religieusement ».
271
serment qui leur est propre permet de conforter leur indépendance par rapport au corps des
magistrats. Il permet de rappeler qu’ils ont pour mission de trancher un litige conformément aux
garanties d’indépendance et d’impartialité tandis que ces exigences peuvent paraître d’autant plus
fortes puisque ces juges appartiennent au même secteur d’activité que les justiciables. En outre, ils
peuvent décider de se retirer d’une affaire alors qu’une demande de renvoi pour cause de suspicion
légitime ou de récusation peut être demandée. Dans ces circonstances, le Conseil constitutionnel a
rappelé que « les dispositions relatives au mandat des juges des tribunaux de commerce instituent les garanties
prohibant qu’un juge d’un tribunal de commerce participe à l’examen d’une affaire dans laquelle il a un intérêt,
même indirect » et que les dispositions le concernant « ne portent atteinte ni aux principes d’impartialité et
d’indépendance des juridictions ni à la séparation des pouvoirs ». Il est vrai que les magistrats bénéficient
d’une indépendance du point de vue de leur recrutement se caractérisant par la passation d’un
examen. Concernant les juges commerciaux, c’est la gratuité de leur intervention qui permet
d’assurer leur indépendance par rapport aux autres pouvoirs. Les Sages de la rue Montpensier
rappellent également que les juges consulaires sont des juges expérimentés. Ils ont la particularité
d’être spécialisés dans le domaine commercial, leurs capacités ne sont donc pas à remettre en
question quand bien même ils sont élus parmi leurs pairs. En outre, le Conseil argue le fait que les
postes les plus importants à pourvoir sont destinés aux juges ayant le plus d’expérience
professionnelle. Ces membres étant aptes à trancher des litiges, ils bénéficient d’une fonction
juridictionnelle et de l’indépendance d’esprit nécessaire. Dès lors, l’argument avancé par les
requérants consistant à dire que la présente situation est contraire à l’article 16 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 17891081 était irrecevable. Cela revient à admettre que la
collégialité de la juridiction commerciale est en adéquation avec les exigences d’indépendance et
d’impartialité.
382. D’une manière générale, il faut savoir que « le principe de l’indépendance du juge, construit
initialement pour le protéger de l’ingérence des autres pouvoirs, l’interpelle en retour sur ses pratiques professionnelles
et sur la qualité des réponses qu’il apporte aux attentes, de plus en plus pressantes et exigeantes des justiciables. Il
doit non seulement veiller à son indépendance, à la perception de celle-ci par les parties, mais plus encore s’attacher à
rendre aussi transparentes que possible son intervention et les motivations qui fondent ses décisions »1082. Si
l’exigence des justiciables envers les juges est croissante, cette attente est retranscrite par le fait que
les parties ont la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Or, « en grande majorité, les
1081
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
1082
A. GIRARDET, La réalité de l’indépendance judiciaire, 10 mai 2007, p. 9.
272
justiciables confondent cette saisine avec un degré supplémentaire de juridiction »1083. C’est pourquoi Monsieur
Bertrand Louvel aimerait instaurer un ministère d’avocat obligatoire dans cette hypothèse. D’après
lui, les avocats devraient suivre une formation afin qu’ils puissent dès l’origine déterminer le bien-
fondé d’une demande en différenciant celle qui se rapporte à la fonction juridictionnelle et celle
susceptible de relever d’une faute disciplinaire du juge1084. Au vu de ces éléments, une formation
collégiale paraît une nouvelle fois plus protectrice.
383. « L’arbitrage ressemble à une forme de justice privée puisqu’il correspond au cas où les parties décident de
faire trancher leur litige par une personne privée (ou plusieurs personnes) »1085. Autrement dit, l’arbitre est une
« personne qui a pour mission de trancher un litige à la place d’un juge public ; membre d’un tribunal arbitral »1086.
Son aspect conventionnel1087 tient au fait que ce mode de règlement du litige doit être prévu dans
une convention d’arbitrage1088. Etant donné qu’il détient un pouvoir juridictionnel retranscrit par
la portée de ses décisions puisqu’elles revêtent l’autorité de la chose jugée1089, l’arbitre doit être
indépendant. Cette condition fait l’objet d’une interprétation qui lui est inhérente (A). D’autres
spécificités se rencontrent lorsqu’une décision est prise collégialement car ses modalités varient
selon la nature de la juridiction arbitrale (B).
384. Contrairement aux autres juges intervenants en matière civile, une consubstantialité entre les
notions d’indépendance et d’impartialité est caractérisée concernant l’arbitre. A titre comparatif, «
pour les anglais, l’indépendance qui se manifeste par l’absence de liens de dépendance n’est qu’un indice d’impartialité
1083
O. DUFOUR, « Dans les coulisses du Conseil supérieur de la magistrature », Gaz. Pal., Lextenso, 16 mai 2015, n° 136, p. 7.
1084
O. DUFOUR, op. cit., p. 12.
1085
A. BRAUD, Droit commercial, op. cit., p. 30.
1086
Dictionnaire, définition de l’arbitre, Éditions LAROUSSE.
1087
D. HASCHER, L’autorité de la chose jugée des sentences arbitrales, op. cit., p. 17.
1088
Article 1442 CPC.
1089
D. HASCHER, L’autorité de la chose jugée des sentences arbitrales, op. cit., p. 17.
273
parmi d’autres »1090. Ces exigences1091 revêtent d’ailleurs une dimension plus importante lorsqu’elles
concernent un arbitrage international puisque l’arbitre devra « oublier sa nationalité, sa religion, sa culture,
son environnement »1092. Une formation collégiale permet une nouvelle fois de faciliter ce
détachement. Au surplus, la juridiction arbitrale occupe une place à part entière car la nomination
des arbitres relève d’un choix des parties au litige. Par opposition, si les justiciables ont parfois la
faculté de renvoyer leur affaire devant une formation collégiale, ces derniers n’ont pas de pouvoirs
de nomination sur ses juges. Cette certaine proximité entre l’arbitre et les parties est à l’origine de
conflits. La jurisprudence est venue établir que la dépendance de l’arbitre est caractérisée lorsqu’un
courant d’affaires avec l’une des parties est établit (1) en sachant que l’indépendance de l’arbitre est
renforcée par l’obligation de révélation qui lui est demandée (2).
385. Si le terme d’indépendance renvoie au « caractère de quelqu’un qui ne se sent pas lié »1093, comment
un arbitre pourrait ne pas se sentir lié dès lors que les parties sont à l’origine de sa désignation ?
Pour résoudre cette question il convient de se reporter à l’affaire Serf1094, mettant en cause deux
sociétés, où un arbitre avait été désigné tout en acceptant sa mission. Cette acceptation supposait
qu’il s’estimait indépendant et impartial dans la présente affaire. Or, il s’est avéré qu’il avait été
désigné par une des sociétés en cause à cinquante et une reprises. Cette information n’avait pas été
fournie, l’arbitre ayant simplement indiqué qu’il avait été « régulièrement désigné comme arbitre » par
ladite société sans mentionner son nombre exact d’interventions. Les magistrats du quai de
l’Horloge ont retenu que la désignation systématique d’un même arbitre « par les sociétés d’un même
groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue période, dans des contrats comparables, ont créé les conditions
d’un courant d’affaires entre cette personne et les sociétés du groupe parties à la procédure de sorte que l’arbitre était
tenu de révéler l’intégralité de cette situation à l’autre partie à l’effet de la mettre en mesure d’exercer son droit de
récusation ». Autrement dit, l’arbitre était devenu dépendant au vu de ses interventions qui ont fait
1090
M. SCHURMANS, L’indépendance et l’impartialité de l’Arbitre : entre apparence et réalité, Mémoire, Université catholique de Louvain,
2016-2017, p. 10.
1091
Civ. 1ère, 16 mars 1999, n° 96-12748, Bull. civ., 1999, I, n° 88, p. 59.
1092
Colloque international : l’arbitrage commercial international un mode efficace de règlement des litiges, Université Toulouse 1 Capitole, 20 et
21 février 2014, intervention de Monsieur M. EL MERNISSI, Professeur à la Faculté de droit de Casablanca et Président de la Cour
d'arbitrage CCI Maroc, sur : « les défis de l’arbitrage commercial international ».
1093
Dictionnaire Larousse.
1094
Civ. 1ère, 20 octobre 2010, n° 09-68997, Bull. civ. 2010, I, n° 204 et Civ. 1ère, 16 mars 1999, n° 96-12748, op. cit. : « Il appartient
au juge de la régularité de la sentence arbitrale d’apprécier l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, en relevant toute circonstance de nature à affecter le
jugement de celui-ci et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont de l’essence même de la fonction arbitrale ».
274
l’objet d’une rémunération de la part de la société avec laquelle il avait généralement agi. Cette
information aurait dû être communiquée afin que l’autre partie soit en mesure de le récuser.
386. Cette même solution a été retenue dans la décision plus connue sous le nom Prodim1095 où
des époux X avaient conclu un contrat de franchise afin d’exploiter un magasin. Parallèlement,
lesdits époux avaient signé un contrat d’approvisionnement avec la société Prodim, aux droits de
laquelle se trouve la société Logidis. Monsieur et Madame X ont ensuite résilié les deux contrats
qu’ils avaient précédemment conclus en sachant que la procédure d’arbitrage avait été choisie pour
régler leur différend. Les sociétés ont désigné en tant qu’arbitre M. Y. Les époux n’ayant pas
obtenus gain de cause ont agi sur le fondement d’un recours en annulation de la sentence au motif
que la composition du tribunal arbitral été irrégulière du fait du manque d’impartialité de l’arbitre.
Il était avancé par la cour d’appel que M. Y avait porté à la connaissance des époux qu’il avait été
choisi à plusieurs reprises en tant qu’arbitre par les sociétés du groupe Prodim. Monsieur et
Madame X n’y avaient alors pas vu d’inconvénients concernant son indépendance ou son
impartialité, alors qu’il leur appartenait de se renseigner sur son nombre d’interventions qui s’élevait
à trente-quatre fois. Par ailleurs, il était avancé que l’arbitre n’était pas dépendant de cette fonction
car il exerçait plusieurs autres activités à côté. Cependant, les juges de cassation n’ont pas rejoint
cette conception puisqu’ils ont là aussi retenu que le fait que l’arbitre soit intervenu trente-quatre
fois était de nature à le rendre dépendant, car un courant d’affaires s’était instauré. M. Y aurait dû
informer les époux X de ce nombre d’interventions ce qui leur aurait permis d’agir aux fins de
récusation.
387. En effet, il résulte de l’article 1466 du Code de procédure civile que « la partie qui, en
connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal
arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». En d’autres termes, une fois que la partie aura dépassé
le délai qui lui est reconnu pour soulever une irrégularité, elle sera présumée avoir renoncé à la faire
valoir par la suite. Cette reconnaissance permet de ne pas remettre en cause les qualités des arbitres
tout au long de la procédure d’arbitrage tel une épée de Damoclès en sachant que la formation
choisie pour trancher le litige est essentielle car « un seul arbitre partial peut tout infecter »1096. Cette
référence à l’infection permet d’assimiler une formation collégiale à un corps humain, qui du fait
de la partialité de l’un de ses membres serait contaminé, malade. L’infection peut se propager, d’où
275
la nécessité d’évincer au plus vite le juge à l’origine de ces maux. Il ne pouvait être reproché aux
parties de ne pas avoir agi en temps utile étant donné qu’elles n’avaient pas bénéficié de
l’information concernant la fréquence d’intervention de l’arbitre.
388. D’autres interrogations se posent. A partir de combien d’élections un arbitre doit être
considéré comme étant dépendant des parties ? S’il est dépendant à partir de sa trente quatrième
intervention, la même solution aurait-elle été retenue en présence d’un nombre moindre ? Trois
interventions suffisent-elles ? Quel est le seuil permettant d’établir que cette qualité n’est plus
respectée ? Ces questions restent sans réponse ce qui fait que son indépendance sera appréciée in
concreto, bien que reconnaître leur caractère excessif dans ces deux affaires se comprend aisément.
Il faut tout de même noter que l’arbitre a une obligation de révélation envers les parties,
afin de témoigner son absence de partialité dans une affaire.
389. L’obligation de révélation s’avère être un principe essentiel « en train de devenir le cœur du régime
et de l’exigence de l’indépendance et d’impartialité de l’arbitre »1097. Il résulte de l’article 1456 alinéa 2 du
Code de procédure civile énonçant qu’il « appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute
circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler
sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission ». Cette
révélation permettra aux parties de potentiellement demander sa récusation, alors que cette
disposition retranscrit qu’elle s’impose aussi bien avant qu’après que l’arbitre ait accepté sa mission.
390. Ce principe est atténué par la notoriété d’une situation1098 comme l’illustre une affaire1099
dans laquelle il était établi que « l’arbitre a l’obligation d’informer les parties de tout fait ou de toute relation ne
présentant pas un caractère notoire susceptible de troubler son indépendance d’esprit ou pouvant raisonnablement aux
yeux des parties avoir une incidence sur son jugement, son impartialité ou son indépendance envers l’une ou l’autre
de celles-ci ». Une décision récente1100 permet d’apporter des informations supplémentaires
concernant l’articulation à opérer entre l’obligation de révélation et le caractère notoire. Il ressort
1097
J. VAN COMPERNOLLE, G. TARZIA, T. CLAY et alii, L’impartialité du juge et de l’arbitre : étude de droit comparé, op. cit., p. 236.
1098
Civ. 2ème, 25 mars 1999, n° 94-18976, Bull. civ. 1999, II, n° 56, p. 41.
1099
Civ. 1ère, 31 mars 2016, n° 14-20396.
1100
CA Paris, 27 mars 2018, Saad Buzwair Automotive (SBA) contre Audi Volkswagen Middle East Fze (Audi), n° 16-09386.
276
de cet arrêt : « si des informations publiques et très aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de
consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’un conflit d’intérêts, en revanche, il
ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématiques des sources
susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu’elles poursuivent leurs recherches
après le début de l’instance arbitrale ». Il faut distinguer le moment où l’arbitre n’a pas encore accepté sa
mission et celui où il l’a acceptée. Avant qu’il accepte sa mission, l’arbitre n’a pas l’obligation de
révéler un fait notoire tandis qu’après l’avoir accepté, il est tenu de le communiquer aux parties.
Autrement dit, « tout fait notoire n’a pas à être spécifiquement révélé par l’arbitre : il est censé être connu des
parties et la notoriété rend logiquement inutile la révélation ; inversement, tout fait non notoire appelle la
révélation »1101. Dès lors, les parties ont une sorte de devoir d’investigation1102 à effectuer avant que
l’arbitre exerce sa mission.
391. La notoriété tient à plusieurs éléments1103. Il faut que les informations soient publiques et
très aisément accessibles1104. L’adverbe très permet d’insister sur cette mise à disposition. Dans
l’affaire « société J & P Avax contre société Tecnimont »1105, il était considéré que les informations
litigieuses étaient publiques et aisément accessibles puisqu’elles se trouvaient sur un site internet et
qu’elles auraient pu être connues dès la réception d’un courriel de l’arbitre. En outre, il était
considéré que le fait que la partie se renseigne sur l’arbitre ne constituait pas un inversement de la
charge de l’obligation de révélation, alors qu’il ressortait au surplus que « la requête en récusation était
tardive pour avoir été introduite plus d’un mois après que la société […] eut reçu les renseignements qui auraient
altéré sa confiance dans le président du tribunal arbitral, et sans qu’aucune information complémentaire, qui ne fût
notoire, ait été entre-temps découverte de sorte que cette société n’était plus recevable à invoquer à l’appui du recours
en annulation de la sentence les faits sur lesquels cette requête se fondait ». Il faut en déduire qu’un site internet
contient des informations notoires1106. Dans ces circonstances, « ce qui figure sur internet est accessible,
ce qui est accessible est public, ce qui est public est notoire et ce qui est notoire est connu des parties »1107. Pour
1101
D. COHEN, « Indépendance de l’arbitre, déclaration incomplète et non mise à jour », Les cahiers de l’arbitrage, no 3, 1 décembre
2016, p. 653.
1102
T. CLAY, « Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction », Les cahiers de
l’arbitrage, no 2, 1 juillet 2016, p. 447.
1103
CA Paris, 27 mars 2018, Saad Buzwair Automotive (SBA) contre Audi Volkswagen Middle East Fze (Audi), op. cit.
1104
CA Paris, 14 octobre 2014, AGI contre Columbus, n° 13-13459 : ces critères étaient identiques dans cette décision.
1105
Civ. 1ère, 19 décembre 2018, société J & P Avax contre société Tecnimont, n° 16-18349.
1106
Civ. 1ère, 25 mai 2016, Société Novolipetski Mettalurguicheski Kombinat, n° 14-20532.
1107
V. CHANTEBOUT « “Nul n’est censé ignorer l’information accessible sur internet” : obligation de révélation et exception de
notoriété », Les cahiers de l’arbitrage, no 3, 1 décembre 2016, p. 633.
277
certains, cette solution « apparaît faire peser une obligation de s’informer sur les parties et semble surtout
permettre à un arbitre de ne dévoiler qu’une partie des faits susceptibles de faire naître un doute dans l’esprit des
parties sur son indépendance ou son impartialité »1108. Ou encore, il y a dans ces circonstances un
inversement de la charge de la révélation1109, alors que la différence entre ce qui doit être révélé et
ce qui a besoin d’être révélé apparaît comme un critère faussement objectif1110. Il est d’ailleurs
surprenant que la cour ait considéré qu’il n’y avait pas d’inversement de la charge de la preuve
lorsqu’il est demandé aux parties de s’informer sur l’arbitre1111. D’un côté, cet argument permet
d’anticiper d’éventuelles critiques, tandis que d’un autre côté, cette justification pourrait amener à
douter du bien-fondé de cette décision.
392. Il convient de spécifier que l’obligation de révélation ne doit pas être trop contraignante,
c’est pourquoi dans une décision1112, les magistrats de la Cour de cassation ont retenu qu’un arbitre
qui avait assisté à un colloque sans y intervenir en qualité d’orateur, n’était pas un fait de nature à
être révélé par ce dernier avant qu’il accepte sa mission, cette situation n’ayant pas d’incidence sur
son impartialité ou son indépendance. En revanche, le devoir de révélation est conforté par un
arrêt1113 où il était reproché au président du tribunal arbitral de ne pas avoir porté à la connaissance
des parties qu’il était intervenu dans plusieurs instances judiciaires, afin de défendre les intérêts
d’une société tiers en relation contractuelle avec une société impliquée dans l’affaire. Selon la Haute
juridiction, « il appartenait à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’être
regardée comme affectant son impartialité afin de permettre à la partie d’exercer, à bref délai, s’il y a lieu, son droit
de récusation ». S’y adjoint le fait qu’il a été récemment retenu par la cour d’appel de Paris1114 que « la
dissimulation délibérée par l’arbitre de sa désignation par la partie adverse dans un autre procès quelques mois
seulement avant le début du présent arbitrage est une circonstance de nature à faire naître dans l’esprit de la partie
[…] un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral ». De la même manière,
dans la célèbre affaire Tapie, les juges ont retenu que « l’occultation par un arbitre des circonstances
susceptibles de provoquer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable quant à son impartialité et à son
1108
« Aggravation significative (ou non) des doutes d’une partie sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre », Gaz. Pal.
Lextenso, n° 26, 12 juillet 2016, p. 27.
1109
V. CHANTEBOUT, « “Nul n’est censé ignorer l’information accessible sur internet” : obligation de révélation et exception de
notoriété », op. cit.
1110
T. CLAY, « Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction », op. cit.
1111
Civ. 1ère, 19 décembre 2018, société J & P Avax contre société Tecnimont, n° 16-18349.
1112
Civ. 1ère, 4 juillet 2012, n° 11-19624, Bull. civ. 2012, I, n° 149.
1113
Civ. 1ère, 1 février 2012, n° 11-11084, Bull. civ. 2012, I, n° 14.
1114
CA Paris, 29 mai 2018, Elcir contre Bouygues Bâtiment Ile-de-France, n° 15-20168.
278
indépendance, dans le but de favoriser l’une des parties, constitue une fraude rendant possible la rétractation de la
sentence arbitrale dès lors que cette décision a été surprise par le concert frauduleux entre l’arbitre et cette partie ou
les conseils de celle-ci »1115.
393. Les spécificités de la décision prise par une collégialité tiennent au fait que ses modalités
varient selon qu’elle concerne une collégialité dans l’arbitrage interne (1) ou qu’elle se rapporte à
un arbitrage international (2). Ainsi, lorsqu’elle statue collégialement, la juridiction arbitrale doit en
principe respecter la règle de l’imparité1116. Celle-ci a cependant connu des dérogations tel qu’il a
été établi par Madame Crépin puisqu’en arbitrage interne, cinquante-et-un tribunaux arbitraux
étaient constitués d’un nombre pair de membres, soit deux arbitres, alors que sept tribunaux
arbitraux internes en comprenaient quatre, tandis que des exceptions se rencontraient aussi en
arbitrage international1117.
394. Les délibérations sont secrètes à l’instar des autres juridictions statuant collégialement en
procédure civile1118. La collégialité suppose « que chaque arbitre ait la faculté de débattre de toute décision
avec ses collègues »1119. Elle entraîne une présomption de délibéré, ce qui implique pour celui qui
prétend à une absence de délibération de le prouver1120. Par exemple, un requérant1121 soutenait
qu’il devait apparaître dans la sentence arbitrale prononcée le fait que la décision a été rendue à la
1115
Civ. 1ère, 30 juin 2016, Affaire Tapie, n° 15-13755 15-13904 15-14145.
1116
Civ. 2ème, 21 nov. 2002, n° 00-22864, Bull. civ. 2002, II, n° 265, p. 208 : “les dispositions des articles 1453 et 1459 du nouveau Code de
procédure civile imposent, sans que les parties puissent y déroger, que le tribunal arbitral soit constitué d’un seul arbitre ou de plusieurs en nombre impair ».
Ainsi, d’après l’article 1480 du Code de procédure civile, la mobilisation d’un nombre impair d’arbitres implique que la décision soit
prise à la majorité des voix.
1117
S. CREPIN, Les sentences arbitrales devant le juge français. Pratique de l’exécution et du contrôle judiciaire depuis les réformes de 1980 - 1981, t.
249, Bibliothèque de droit privé, LGDJ., p. 63.
1118
Article 1479 CPC.
1119
Civ. 1ère, 8 juil. 2009, Société la marocaine de loisirs contre France Quick SAS, n° 08-17661.
1120
Civ. 1ère, 29 juin 2011, n° 09-17346.
1121
CA Paris, 29 oct. 2013, n° 12-05855.
279
majorité des voix, auquel cas, un recours en annulation pouvait être ouvert. Selon lui, la signature
de tous les arbitres sur la sentence ne suffisait pas à établir le respect de cette modalité. Les juges
ont considéré ce moyen comme étant infondé, la signature des arbitres entraînant une présomption
de délibération. Par ailleurs, comme il est souligné au sein du Code de l’arbitrage commenté, les
délibérations sont plus restrictives que le délibéré car elles se rapportent au moment où les arbitres
vont échanger leurs points de vue pour adopter une décision. Seule cette phase sera concernée par
le secret. Le délibéré revêt quant à lui une dimension plus générale puisqu’il concerne « toute la
période qui sépare la clôture des échanges jusqu'à la sentence arbitrale ». Le principe de confidentialité
s’applique à l’ensemble de ces termes1122. C’est pendant la phase du délibéré que « la collégialité permet
de combiner les expériences »1123 alors que « dans les arbitrages qui mettent en jeu des intérêts élevés ou qui posent
des questions délicates et complexes, la collégialité, par le débat contradictoire de personnalités diverses qu’elle
implique, constitue une garantie de sûreté de la décision »1124. Elle est ensuite préférable compte tenu du
fait qu’il peut être prévu dans la convention d’arbitrage une renonciation aux recours contre la
sentence arbitrale1125.
395. Concernant sa communication, l’article 1480 alinéa 3 du Code de procédure civile reconnaît
qu’une minorité d’arbitres peut ne pas signer la décision arbitrale auquel cas « la sentence en fait mention
et celle-ci produit le même effet que si elle avait été signée par tous les arbitres ». Il faut en déduire qu’il y a une
admission particulière des opinions dissidentes puisqu’il est possible de faire part de son désaccord,
sans pour autant qu’il en soit communiqué les raisons. L’indépendance de l’arbitre apparaît sur ce
point plus importante que celle du juge ordinaire alors que les règles diffèrent en présence d’un
arbitrage international.
396. En cas d’arbitrage international, d’après le troisième alinéa de l’article 1513 du Code de
procédure civile, si aucune majorité n’est dégagée concernant la prise de décision, le président du
tribunal aura une voix prépondérante. Il importe de souligner qu’il est davantage indépendant que
s’il appartenait à une collégialité classique, puisque sa position sera déterminante. Face à cette
1122
T. CLAY, Code de l’arbitrage commenté, LexisNexis, 2015, p. 113.
1123
S. PARTIDA, L’arbitre international : étude de droit comparé, mémoire, Université Panthéon-Assas, 2011, p. 15.
1124
S. CREPIN, Les sentences arbitrales devant le juge français. Pratique de l’exécution et du contrôle judiciaire depuis les réformes de 1980 - 1981,
p. 64.
1125
M. ARMAND-PREVOST, « L’arbitre unique, mythe ou réalité ? », Gaz. Pal., Lextenso, n° 318, 13 nov. 2004, p. 26.
280
situation, ledit président est confronté à deux choix1126. Soit il va se rallier à un des membres du
collège pour faire émerger une majorité, soit il va admettre la prééminence de sa voix. Selon
Monsieur Barbier, le fait de reconnaître une hiérarchie au sein même du collège n’est pas de nature
à remettre en cause ce principe, l’objectif étant d’assurer un « fonctionnement optimal du tribunal
arbitral »1127. Dans cette situation il dispose d’une « prééminence subsidiaire »1128. Ainsi, « sans émergence
spontanée d’une majorité et malgré les efforts en ce sens du président, ce dernier n’a alors plus à penser sa mission de
manière collégiale et donc à recréer artificiellement la majorité qui n’est au fond que l’ultime expression du principe
de collégialité, dès lors que la loi, en hiérarchisant les voix au sein du tribunal, l’invite à s’abstraire de cette logique
collective »1129. Cette disposition n’a pas d’équivalent en matière d’arbitrage interne. Cette absence
pourrait s’expliquer par l’idée de ne pas vouloir « faire trop injure au principe de collégialité »1130. D’après
Monsieur Clay, la reconnaissance de ce pouvoir attribué au président aurait dû être transposée au
niveau de l’arbitrage interne, ce pourquoi il qualifie l’article 1480 du Code de procédure civile
comme un loupé, un brouillon de l’article 1513 du même Code1131. Pour d’autres au contraire, « une
telle disposition contreviendrait au principe de collégialité sans qu’aucune raison ne le justifie en matière interne »1132.
En effet, si l’on adopte cette conception, cela voudrait dire qu’il faudrait généraliser le fait que le
président possède une voix supérieure à celle des autres membres faisant partis du collège, aux
formations de la procédure civile. Or, cela serait contraire à la nature même de la collégialité qui se
veut égalitaire.
397. Une autre distinction entre collégialité arbitrale interne et internationale tient au fait que les
parties au litige peuvent décider que la décision sera adoptée à l’unanimité et non plus
nécessairement à la majorité des voix. Là encore, ce choix ne peut s’effectuer qu’en matière
internationale. Cette possibilité représente aussi bien des avantages que des inconvénients1133. Il
est vrai que grâce à cela les parties peuvent véritablement choisir le mode de règlement de leur
1126
H. BARBIER, « Faut-il un statut spécial pour le président du tribunal arbitral ? », Les cahiers de l'arbitrage, n° 3, 1 Nov. 2015,
p. 459.
1127
Ibid.
1128
C. PEIGNE, S. SALFATI, et E. VERNE, « Le président du Tribunal arbitral, Aix-en-Provence », Cahiers de l’arbitrage, no 2, 1
juillet 2015, p. 412.
1129
H. BARBIER, « Faut-il un statut spécial pour le président du tribunal arbitral ? », op. cit.
1130
Ibid.
1131
T. CLAY, Code de l’arbitrage commenté, p. 114.
1132
E. GAILLARD et P. DE LAPASSE, « Commentaire analytique du décret du 13 janvier 2011 portant réforme du droit français de
l’arbitrage », n° 2, Les cahiers de l'arbitrage, 1 avr. 2011, p. 263.
1133
T. CLAY, Code de l’arbitrage commenté, p. 198.
281
litige, des arbitres compétents jusqu’aux modalités de la prise de décision. En revanche, recueillir
l’unanimité des voix est plus complexe et paralysante qu’obtenir une majorité.
Bien que les règles varient en fonction des détenteurs du pouvoir juridictionnel, force est
de constater que la collégialité permet de renforcer la condition d’indépendance.
282
Section 2 - Un renforcement de l’indépendance par la collégialité
398. Comme l’a justement affirmé Monsieur Ricci, le principe de collégialité permet d’assurer une
plus grande indépendance aussi bien a priori parce qu’il est difficile d’influencer plusieurs juges, qu’a
posteriori, car il est compliqué de savoir quel membre était en faveur de la décision adoptée1134. Le
renforcement de cette condition par la collégialité est retranscrit par le Recueil des obligations
déontologiques des magistrats puisqu’aux termes de son article A.2 il s’avère nécessaire que « les
magistrats défendent l’indépendance de l’autorité judiciaire car ils sont conscients qu’elle est la garantie qu’ils statuent
et agissent en application de la loi […] libres de toutes influence ou pression extérieure » en sachant que « dès
qu’il pressent que des influences ou pressions, quelles que soient leurs origines, peuvent être exercées sur lui, le magistrat
recourt à la collégialité, chaque fois qu’elle est procéduralement possible »1135. Il faut en déduire qu’un collège
de juges est davantage protecteur puisqu’il permet de favoriser l’indépendance de ses membres. En
conséquence, la collégialité apparaît comme un moyen de garantir l’indépendance (§1) alors qu’il
s’ajoute des problématiques inhérentes au juge unique (§2).
399. L’acquisition de l’indépendance du collège est confortée par des principes communs (A).
En effet, bien qu’ils soient également applicables aux juges uniques, force est de reconnaître qu’ils
revêtent davantage de qualités concernant la collégialité. S’adjoint à cela, le fait que l’affirmation
selon laquelle la collégialité permet de garantir une plus grande indépendance des juges, n’est pas
hypothétique, puisqu’une matérialisation de l’indépendance du collège est perceptible par ses
modalités (B).
400. L’indépendance du collège est d’abord renforcée par le principe d’inamovibilité (1).
« Réaffirmée par la Constitution de 1958, l’inamovibilité protège les magistrats du siège contre toute mesure arbitraire
1134
J-C. RICCI, Droit administratif, 3ème éd., Hachette supérieur, HU droit, p. 20.
1135
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, op. cit., p. 4.
283
de suspension, rétrogradation, déplacement même en avancement, révocation »1136. En d’autres termes,
l’inamovibilité est une garantie permettant de protéger les juges contre l’arbitraire1137. Dès lors,
lorsqu’il est par exemple envisagé d’affecter un juge du siège à un nouveau poste, son choix devra
être entendu, cette décision ne pouvant lui être imposée. Additionné à la collégialité, ce principe
permet de conforter l’indépendance de ses membres. Cette indépendance est ensuite retranscrite à
la suite de l’obtention d’une spécialisation par l’ordonnance de roulement (2). Celle-ci est prévue à
l’article L 121-3 du Code de l’organisation judiciaire, selon lequel « chaque année, le premier président de
la Cour de cassation, le premier président de la cour d’appel, le président du tribunal de grande instance, et le
magistrat chargé de la direction et de l’administration du tribunal d’instance répartissent les juges dans les différents
services de la juridiction. Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent article. Il précise
notamment les conditions dans lesquelles la répartition des juges peut être modifiée en cours d’année ». Bien que
l’expression en soit absente, il vient imposer aux présidents de diverses juridictions de mettre en
œuvre une ordonnance de roulement de manière annuelle, afin d’éviter le rendu d’une justice
linéaire. Là encore, ce principe permet de consolider l’indépendance des juges collégiaux.
1136
R. GUILLIEN et J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 348.
1137
Ordonnance n° 58-1270, 22 déc. 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature. Article 4 : « les magistrats du siège
sont inamovibles. En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement ». L’article
16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 reconnaît aussi l’inamovibilité sans pour autant que cette notion
y apparaisse distinctement.
1138
L’inamovibilité ne concerne pas les magistrats du parquet. Des réformes sont d’ailleurs en cours concernant ce sujet.
1139
CONSEIL CONSULTATIF DES JUGES EUROPEENS, Magna carta des juges, Strasbourg, 17 nov. 2010 et F. VAISSIERE, « Vous avez dit
... Impartial ! », Gaz. Pal., Lextenso, n° 154, 3 juin 2003, p. 2.
1140
« Audiences solennelles de rentrées des cours et Tribunaux », Gaz. Pal., Lextenso, n° 092, 1 avr. 2000, p. 33.
1141
CEDH, 23 juin 2016, Baka contre Hongrie, req. n° 20261-12.
284
amenée à remplacer la Cour suprême hongroise. Il était avancé que cette loi était rétroactive ce qui
avait pour conséquence d’ôter certaines prestations qui auraient dû lui être accordées en sachant
que compte tenu de la cessation prématurée de ses fonctions, il n’avait pas exercé suffisamment
longtemps sa mission pour pouvoir prétendre accéder à la présidence de la Kuria. La Cour a estimé
qu’il existait « un lien de causalité entre l’exercice par le requérant de sa liberté d’expression et la cessation de son
mandat ». Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont considéré que la cessation de
ses fonctions avant le terme prévu était contraire au principe de l’inamovibilité, tout en précisant
que ce principe est « un élément crucial pour la préservation de l’indépendance de la justice », alors que « la
désinvestiture du requérant de son mandat de président de la Cour suprême a desservi, et non servi, l’objectif de
protection de l’indépendance de la justice ».
402. Comme l’affirme Monsieur Pluen, « la collégialité et l’inamovibilité ont cela de commun, qu’elles
conditionnent toutes deux l’indépendance juridictionnelle. Cependant, elles entretiennent moins un rapport
d’interchangeabilité, qu’une relation de complémentarité. L’absence de la première, semble de nature à fragiliser la
garantie offerte par la seconde »1142. Si l’inamovibilité est « destinée à éviter les pressions hiérarchiques ou
politiques sur les décisions des juges du siège »1143, la collégialité permet d’être perçue comme une entité.
Le cumul de ces éléments a pour effet de d’autant plus garantir l’indépendance des juges. Cette
affirmation se confirme par le fait que « l’inamovibilité est un principe essentiel. Elle donne la certitude à celui
qui juge que, quelle que soit la décision qu’il rend en conscience, même si elle déplaît au Pouvoir, il demeure
inaccessible : un juge qui craint pour sa place risque de ne plus rendre la Justice »1144. L’appartenance à un
collège permet de renforcer ce sentiment. Dès lors, la collégialité revêt plusieurs vertus. Elle « protège
le magistrat, contre lui-même, parce qu’elle le contraint à travailler de manière approfondie et impartiale sous le
contrôle constant et avec l’aide des autres juges membres de la formation collégiale ; contre les pressions de ses collègues,
qui pourraient être tentés d’orienter sa notation et l’évolution de sa carrière en fonction de critères qui manqueraient
d’objectivité ; et contre les pressions plus ou moins occultes du législatif ou de l’exécutif »1145. Outre l’inamovibilité,
l’indépendance des juges est aussi confortée par les ordonnances de roulements.
1142
O. PLUEN, L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?, thèse de doctorat en droit public, Panthéon-Assas, 22 nov. 2011, p. 435.
1143
« Magistrature de l’ordre judiciaire », Dalloz, août 2016.
1144
Historia, éd. Jules Tallandier, n° 188 à 193, 1962, p. 774.
1145
M-A. COHENDET, « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit.
285
2. L’obtention d’une spécialisation par l’ordonnance de roulement
403. La réorganisation effectuée par l’ordonnance de roulement revêt divers avantages1146 qui
peuvent être rapportés à la collégialité. Le premier consiste à établir une relation entre la formation
des juges et leur changement d’affectation. Cette dernière est bénéfique car elle va leur permettre
de se spécialiser pendant un an sur un thème précis attribué à une chambre, pour ensuite changer
de domaines donc, enrichir leur enseignement. Cette pratique est le gage de l’hétérogénéité
indispensable à la bonne efficacité de la juridiction collégiale. Pour que le délibéré soit constructif,
il est nécessaire que les juges ne possèdent pas tous les mêmes opinions sur les mêmes sujets. C’est
en cela que l’hétérogénéité est la raison d’être de la collégialité1147. L’adjectif d’hétérogénéité est
défini dans le dictionnaire Larousse comme ce « qui manque d’unité, qui est composé d’éléments de nature
différente ». Si chacun possède initialement sa propre opinion, la collégialité va permettre d’aboutir à
une homogénéité puisqu’il ne sera prononcé qu’une seule décision aux parties. A l’inverse, si tous
les juges la composant partageaient tous le même avis sur une même question, la collégialité n’aurait
plus d’intérêt. Si cette affirmation paraît de prime abord surprenante puisque les juges bénéficient
de la même formation et des mêmes allégations du fait du principe du contradictoire1148, celle-ci
s’inscrit pourtant dans la logique, sinon cela reviendrait à admettre que toutes les décisions sont
adoptées à l’unanimité des voix. Or, le débat suscité par la publication des opinions dissidentes
retranscrit qu’il peut y avoir des désaccords. Grâce à l’ordonnance de roulement, ses membres
bénéficient de connaissances approfondies dans certains domaines, donc de différentes approches
qui permettront d’assurer une richesse des échanges pendant la phase du délibéré. Au-delà de cette
qualité, cette spécialisation permettra au juge de conforter son indépendance dans sa prise de
décision puisqu’il possèdera des connaissances assez variées pour prendre position et parfois se
démarquer de ses confrères. Cette hétérogénéité est d’ailleurs parfois visible au sein même des
collégialités de la procédure civile. Tel est le cas concernant la composition de certaines juridictions
1146
N. FRICERO, « Tribunaux de grande instance (Organisation et compétence) », Rép. Proc. Civ. Dalloz, Dalloz, sept. 2009
(actualisation janv. 2015), n° 46.
1147
Op. cit., p. 59.
1148
L’importance de ce principe implique d’apporter des informations le concernant. Son application peut paraître surprenante
puisque lorsqu’une partie intente un procès, il est acquis que l’objectif premier est de le gagner. La communication des arguments
utilisés pourrait mettre en péril cette finalité. Cependant, une pluralité de vertus lui est reconnue. La première permet à la partie
contre laquelle l’action est intentée d’en être avertie, ce qui fait qu’elle pourra se défendre. La deuxième consiste à recueillir les
arguments de la partie défenderesse en les recevant de façon proportionnelle. La troisième vertu permet d’éviter les effets de surprise
entre chacune des parties car tous les arguments de défense auront préalablement été étudiés. La quatrième vertu concerne les juges
en charge de l’affaire. Grâce aux arguments avancés par chacune des parties, ils pourront trancher le litige en connaissance de cause
en sachant qu’ils ne pourront pas prendre en considération les prétentions non portées à la connaissance de la partie adverse (article
16 alinéa 2 CPC). Ce principe se justifie par une volonté de respecter les droits de la défense. Enfin, la cinquième vertu consiste à
porter à la connaissance de chacun la décision finale.
286
comme le conseil de prud’hommes ou le tribunal paritaire des baux ruraux. Si la première revêt une
forme paritaire, la seconde répond à une forme échevinale. Dès lors, l’hétérogénéité est apparente
sans pour autant adopter un mode d’organisation similaire. Un prolongement de cette conception
au niveau européen est aussi retranscrit par l’idée d’instaurer un espace juridique européen
répondant au principe de diversité1149. Il s’agirait qu’il y ait « dans chaque collège de juges, un juge différent
des deux autres, par son origine, par sa formation afin d’enrichir le collège »1150. Bien que cette mixité s’avère
enrichissante, elle est toutefois compliquée à mettre en œuvre1151.
Le deuxième avantage1152 se rapporte à l’état d’esprit du juge. En présence d’une forte
personnalité, il paraît préférable d’effectuer un roulement afin que l’emprise sur les autres membres
composant une collégialité ne soit pas trop forte. Si ce risque est contrecarré par le fait que chacun
possède une voix qui lui est propre sans que l’une ait plus d’incidence que d’autres, cette règle
permet de contrer d’éventuelles dérives. C’est en cela que cette ordonnance permet de conforter
l’indépendance des juges les uns vis-à-vis des autres. Le troisième avantage, consiste à reconnaître
qu’il « paraît important d’organiser le tribunal pour faire en sorte d’éviter qu’une même affaire puisse être jugée
plusieurs fois par le même juge, et que le même juge connaisse de litiges mettant en cause les mêmes parties de façon
systématique »1153.
404. Largo sensu, on sait que les juridictions du premier degré « peuvent définir des politiques judiciaires,
souvent appelées politiques de juridiction, qui n’ont pas pour objet d’influer sur les décisions juridictionnelles mais
d’exprimer des choix quant à l’organisation ou au traitement de contentieux. L’ordonnance de roulement peut
constituer un des marqueurs de cette politique judiciaire de même que l’organisation en pôles ou en services au sein de
la juridiction »1154. Le roulement effectué, couplé à la collégialité, permet d’échanger les opinions de
chacun, de créer une communication à grande échelle afin d’aboutir à une justice active qui se veut
autant que possible de qualité.
1149
« Pour une justice économique efficiente en Europe - L’harmonisation par les juges », Gaz. Pal., Lextenso, no 234, 21 août
2008, p. 19.
1150
Ibid.
1151
Ibid.
1152
N. FRICERO, « Tribunaux de grande instance (Organisation et compétence) », op. cit.
1153
Ibid.
1154
CSM, 26 novembre 2014, Avis de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, p. 12.
287
B. La matérialisation de l’indépendance du collège par ses modalités
405. L’indépendance des juges appartenant à une collégialité est perceptible par la répartition
égalitaire des votes lors du délibéré (1). Si cette distribution des voix paraît s’inscrire dans une
certaine logique, le fait qu’une décision soit adoptée collégialement n’implique pas nécessairement
ce formalisme. A titre comparatif, en droit des sociétés, en présence d’actions de préférence, ce
droit peut connaître certains aménagements, voir être supprimé1155. S’y adjoint l’anonymat des
décisions qui octroie une indéniable indépendance des juges qui en sont à l’origine (2).
406. Pour certains, l’indépendance octroyée par la répartition du droit de vote n’est pas
nécessairement perceptible puisqu’en présence d’une collégialité un véritable jeu collégial
s’opèrerait1156. Il consiste à considérer que l’exigence d’une prise de décision à la majorité des voix
est une contrainte venant limiter la liberté des membres d’une collégialité1157. L’enjeu tourne autour
de l’obtention de cette majorité, ce qui nécessite la mise en œuvre d’une véritable tactique pour que
la solution donnée par un juge s’impose. A titre d’exemple, un Président de formation pourrait user
de son statut pour convaincre plus aisément ses pairs de suivre son opinion. Dans ce cas, il devrait
faire preuve de persuasion. Dans l’autre hypothèse, il s’agirait qu’un membre du collège réalise un
compromis afin qu’il ait ultérieurement plus de chances d’imposer sa solution. En résumé, la
décision collégiale nécessiterait de persuader ou de faire des concessions1158. Cette conception ne
convainc pas puisque le président n’a pas d’ascendant sur ses confrères, sa voix n’étant pas plus
importante. Ensuite, si l’on adopte cette thèse, cela signifierait qu’un juge appartenant à une
collégialité souhaite s’en démarquer. Au contraire, la collégialité a pour objectif de retranscrire une
harmonie en ne communiquant pas les dissidences, en prononçant une seule solution. Dès lors,
c’est « le contradictoire de l’audience publique et l’échange égalitaire du délibéré secret qui permettent de rechercher
la solution juste dans le respect des droits de chacun »1159. S’adjoint à cette harmonie, le principe d’anonymat
des décisions de justice.
1155
Article L 228-11 alinéa 2 C. com.
1156
M. EUDES, La pratique judiciaire interne de la Cour européenne des droits de l’homme, Thèse de droit public, Paris X Nanterre, 26 juin
2004, p. 543.
1157
Ibid.
1158
Ibid. p. 548.
1159
F. STEVENART MEEUS, « La délibération collégiale au sein d’une juridiction judiciaire : comment ça marche ? », justice en ligne,
20 août 2010.
288
2. L’octroi d’une indéniable indépendance par l’anonymat des décisions
407. L’indépendance d’une juridiction collégiale est indéniablement acquise du fait de la non
communication des opinions séparées des juges, donc plus largement, du fait de l’application du
principe de l’anonymat des décisions de justice. Cette reconnaissance a pour effet de créer une
indépendance des juges vis-à-vis de la décision apportée aux justiciables, ce qui permet d’offrir une
garantie de bonne justice1160. S’y adjoint le fait que les membres du collège n’ont pas de crainte ou
de pression à avoir, ce qui facilite leur prise de position1161. De plus, aux termes de l’article e.11 du
Recueil des obligations déontologiques des magistrats, en « audience collégiale, le président anime le
délibéré ; chaque magistrat dispose d’une voix et se plie à la décision de la majorité. L’anonymat que confère le secret
du délibéré et qui interdit toute recherche de responsabilité individuelle, n’autorise pas d’abus d’autorité de la part
d’un magistrat ». En conséquence, « c’est au moment du rendu du délibéré que le délibéré acquiert une dimension
collective. Les personnalités des juges s’effacent pour se fondre dans le cadre général du tribunal. L’anonymat des
juges est nécessaire à la reconnaissance du tribunal »1162 alors que des inconvénients sont inhérents au juge
unique.
408. Un juge unique entretient une relation plus complexe que la collégialité concernant sa
nécessaire indépendance. C’est en cela qu’il convient d’affirmer qu’en sa présence il s’ajoute des
problématiques qui lui sont inhérentes. Si son exposition est pérenne (A), la tendance consiste à
un prolongement de l’exposition de ce juge (B), due à la place grandissante qu’occupe désormais
les nouvelles technologies dans le domaine juridique. Or, plus un juge est exposé, plus il peut
connaître des pressions. Ou encore, plus il est exposé, plus il est soumis aux exigences croissantes
des justiciables.
409. L’indépendance du juge unique dans sa prise de décision nécessite qu’il possède des
connaissances hétéroclites. Cette possession est difficile (1) puisque contrairement à l’Angleterre
par exemple, un juge peut occuper cette fonction dès l’obtention de son diplôme. Il est ensuite
1160
N. FRICERO, L’essentiel des institutions judiciaires, op. cit.
1161
M. DE LUCA, Le juge non professionnel, réflexion sur la fonction de juger, op. cit., p. 47.
1162
E. DURAFFOUR, « Le point de vue du président de l’audience », Petites affiches, Gaz. Pal., n° 226-227, 14 nov. 2016, p. 79.
289
acquis que l’exposition du juge unique tient indéniablement à l’absence d’anonymat de sa décision
(2).
410. Monsieur Mestre utilisait fréquemment le terme d’élite pour désigner les juges uniques
puisque selon lui, la réduction du nombre de juges permettrait de mieux les sélectionner ce qui
reviendrait à ne garder que les meilleurs1163. A ce titre, selon Messieurs Roland et Boyer, il « n’y a
rien à redouter du système du juge unique, lorsque les magistrats, dès leur entrée en fonction, possèdent la science,
l’expérience et la maturité qui les rendent aptes à débrouiller les procès les plus ardus et les contentieux les plus
ténébreux. C’est ce que l’on observe en Angleterre où le juge est choisi parmi les avocats réputés ayant derrière eux
une longue pratique de la chose judiciaire »1164. Dans cette conception, « le système du juge unique ne peut
fonctionner correctement que si, au moment de son entrée en fonction, le juge a déjà une formation professionnelle
consommée et une expérience suffisante pour être en mesure de statuer seul sur des problèmes complexes »1165. La
technicité tient au fait que ce juge doit nécessairement posséder des connaissances hétéroclites.
Cette exigence est atténuée en présence d’une collégialité, puisque les carences d’un juge peuvent
être contrées par les connaissances de ses collègues. S’y adjoint l’absence d’anonymat de sa décision.
411. Un juge unique sera inévitablement exposé compte tenu de l’absence d’anonymat de sa
décision, contrairement à un juge appartenant à une collégialité, puisque la non-communication
des opinions individuelles ne permet pas d’établir la position de chacun sur l’affaire. Dès lors,
concernant les relations qu’un juge unique entretient avec les justiciables, « comment pourra-t-il éviter
d’être faible devant les supplications des amis qui lui sont chers et qu’il aimerait à conserver et à aider dans le
malheur ? Que viendra-t-il leur répondre, lorsque sa fermeté de magistrat lui aura dicté une décision contraire à leurs
désirs ? Il n’y en a qu’un de responsable et ce ne peut être que lui. Aucune façon d’éviter cette responsabilité ! »1166.
Ainsi, d’après Monsieur Mestre, il ressort « une sorte de choquante disproportion entre la faiblesse humaine
et la toute puissance accordée au juge unique »1167. Cette dépendance n’est pas uniquement retranscrite
dans ses relations avec les justiciables, elle l’est aussi envers les autres juges, ou envers le pouvoir
1163
J-F. MESTRE, Le juge unique en matière pénale, contribution à la réforme judiciaire, op. cit., p. 106.
1164
H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, op. cit., p. 367.
1165
R. PERROT, B. BEIGNIER et L. MINIATO, Institutions judiciaires, op. cit., p. 377.
1166
J-F. MESTRE, « Le juge unique en matière pénale, contribution à la réforme judiciaire », op. cit.
1167
Ibid., p. 98.
290
disciplinaire, alors qu’elles tiennent là encore à l’absence d’anonymat de sa décision. A ce titre, un
juge unique pourrait apporter une décision en essayant de se conformer à ce qu’aurait pu prononcer
une juridiction supérieure. Il y aurait une anticipation de sa part. L’objectif consiste à se conformer
à l’application générale de la règle de droit afin d’éviter que les justiciables exercent une voie de
recours. Cette anticipation pourrait aussi être perçue comme une volonté d’asseoir son autorité et
sa légitimité, étant donné que le risque d’erreur ou le prononcé d’une décision de justice contraire
par les juges du second degré paraîtrait moins important que s’il avait suivi sa propre interprétation.
Le juge serait ici dépendant d’une collégialité étant donné qu’elle caractérise les formations
compétentes en cas de recours. Les sanctions disciplinaires pouvant être prononcées à son encontre
pourrait également le rendre dépendant1168, dans le sens où il ne prendrait pas de décisions
tranchées afin de ne pas faire l’objet de poursuites.
Au-delà de cette exposition pérenne du juge unique, la mutation qu’est en train de connaître
le droit français tend également à davantage l’exposer, avec les risques que cela comporte.
412. L’exposition du juge unique est d’autant plus importante face à l’émergence du profilage des
juges (1). L’expression de profilage des juges1169 consiste pour les justiciables à essayer d’établir un
portrait-robot de la personnalité du juge auquel ils vont être confrontés, afin de porter leur affaire
devant celui qui devrait leur apporter la décision de justice qu’ils espèrent. Pour y parvenir, les
parties aguerries utilisent les moyens de communication mis à leur disposition pour connaître les
tendances des juridictions. Cette pratique se rapproche de celle existante en matière de droit
international privé, qualifiée de forum shopping1170. S’y adjoint l’accroissement possible de
l’exposition du juge unique du fait de l’application de la loi Lemaire1171 (2). Possible car certaines
1168
Op. cit., p. 56.
1169
Cette expression est notamment empruntée à Monsieur Dondero et à Madame Fricero. B. DONDERO, « La justice prédictive »,
op. cit. et N. FRICERO, « Collecte, diffusion et exploitation des décisions de justice : quelles limites, quels contrôles ? », JCP G,
LexisNexis, no 7, 12 février 2018, p. 283.
1170
R. CABRILLAC et al., Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, op. cit., p. 255 : "tactique consistant, dans un conflit privé international, à
choisir la juridiction que l'on va saisir en fonction de la loi qu'elle va appliquer (ce qui revient à influer sur la loi applicable). Cette tactique est rendue
possible par la diversité des règles de compétence juridictionnelle".
1171
Loi n° 2016-1321, 7 oct. 2016 pour une République numérique, JORF n° 0235 du 8 oct. 2016, texte n° 1. Loi autrement
appelée : « loi pour une République numérique ».
291
de ces modalités sont en discussion. Elle permettra aux citoyens d’accéder gratuitement à
l’ensemble de la jurisprudence en la rendant accessible sur internet1172.
413. Le profilage des juges est généralement réalisé lorsque les requérants souhaitent adopter un
enfant, l’objectif étant d’obtenir une adoption plénière contrairement à une adoption simple1173. Il
convient de trouver une explication à cette dérive croissante en se fondant sur ce cas. Le premier
alinéa de l’article 1166 du Code de procédure civile prévoit que la demande aux fins d’adoption
doit être portée devant un tribunal de grande instance en sachant que trois critères permettent de
déterminer la juridiction compétente1174. Les deux premiers ne posent pas de difficulté particulière
car ils viennent imposer un tribunal aux parties. Par contre, le troisième critère énonce que la
juridiction compétente est « le tribunal choisi en France par le requérant lorsque celui-ci et la personne dont
l’adoption est demandée demeurent à l’étranger »1175. Lorsque la juridiction ne s’impose pas aux justiciables,
il y a une véritable opportunité qui s’offre à eux puisqu’ils pourront choisir la tendance qui
correspondra à leurs attentes. C’est donc ce choix qui représente un risque. Cette pratique est
dangereuse notamment au regard de ses enjeux puisque l’adoption simple ou plénière n’entraînent
pas des conséquences identiques et peuvent aller jusqu’à substituer la nouvelle filiation à celle
d’origine1176.
414. Une formation collégiale permet de contrer cette pratique puisqu’il est - impossible - d’établir
le portrait-robot d’un de ses membres étant donné que la décision est anonyme et qu’a fortiori,
lorsqu’une décision est prise à l’unanimité des voix, cette information ne peut pas être retranscrite.
Par opposition, comme les décisions du juge unique ne sont pas couvertes par l’anonymat, il est
inévitablement exposé à cette nouvelle tendance, alors qu’une autre réforme, celle dite de la loi
Lemaire, pourrait également davantage l’exposer.
1172
Cette accessibilité des décisions de justice implique qu’elles soient intelligibles. Compte tenu du fait que la Cour de cassation
est au sommet de l’ordre judiciaire, l’exigence d’effectuer « une démarche explicative et pédagogique » afin de motiver ses arrêts paraît
d’autant plus justifiée. (B. PIREYRE, « Libre propos sur le projet de dispositif de filtrage des pourvois en cassation », Gaz. Pal.,
Lextenso, no 17, 15 mai 2018, p. 83). Il convient de spécifier que cette innovation se réalisera progressivement compte tenu de
l’ampleur du nombre des décisions qu’il y a à retranscrire.
1173
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 168 : "L'adoption plénière supprime tout lien entre l'enfant adopté et sa famille de sang.
L'adoption simple maintient les liens avec la famille d'origine".
1174
Article 1166 alinéas 2 et s. CPC.
1175
Article 1166 CPC.
1176
Article 356 alinéa 1 C. civ.
292
2. L’accroissement possible de l’exposition du juge avec la loi Lemaire
415. La disposition résultant de la loi Lemaire est l’article L 111-13 du Code de l’organisation
judiciaire. Il énonce que « sans préjudice des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice
et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit
dans le respect de la vie privée des personnes concernées. Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse
du risque de ré-identification des personnes ». Une problématique se rapporte à sa rédaction car elle
n’apporte pas de précision concernant la retranscription du nom des juges à l’origine de ces
décisions. L’expression de ré-identification des personnes étant généraliste pourrait laisser
supposer que l’anonymat concernerait aussi bien les parties que les juges. Cette absence
d’information est à l’origine de controverses.
Certains considèrent que cette mention permettrait de les responsabiliser puisqu’en «
demandant l’anonymisation, on a l’impression que les juges défendent leur pré-carré. Il faut qu’ils assument leurs
décisions »1177. En outre, plusieurs avantages ont été retranscrits par Monsieur Cadiet. Par exemple,
le mouvement d’open data demande à ce que les données soient ouvertes ce qui implique de
retranscrire le nom des juges pour ne pas qu’il y ait de non-sens. Ou encore, le fait que la justice
soit rendue au nom du peuple français implique que les juges soient identifiables puisqu’il leur est
dévolu cette mission, en sachant que le premier président de la Cour de cassation et la Conférence
nationale des premiers présidents de cours d’appels partagent cette nécessité1178.
A l’inverse, Monsieur Cadiet a aussi mis en exergue les inconvénients liés à cette pratique.
Elle serait en désaccord avec le fonctionnement de notre système juridique comme l’illustre la
responsabilité des juges. En effet, en droit positif français contemporain ils ne peuvent être
directement poursuivis par les justiciables, l’Etat bénéficiant d’une action récursoire. Ils
représentent avant tout une juridiction et non une personne considérée individuellement, ce qui se
confirme avec le fait qu’ils ne pourront pas voir leur responsabilité engagée à la suite de la décision
qu’ils ont prononcée, les parties ne disposant que des voies de recours à cette fin1179. En
conséquence, mentionner leurs noms n’auraient pas d’intérêt. De la même manière, cette absence
de communication se justifie d’autant plus concernant les juges consulaires ou les conseillers
prud’homaux. Elle pourrait engendrer des tensions dans leurs milieux professionnels à la suite de
1177
C. FLEURIOT, Avec l’accès gratuit à toute la jurisprudence, des magistrats réclament l’anonymat, coll. Dalloz actualité, 6 fév. 2017. L’auteure
a mis à disposition un calendrier qui se rapporte aux prévisions de Monsieur J-J. URVOAS. Les décisions civiles des juridictions du
second degré devraient être mises en ligne dans un délai de 12 à 24 mois, tandis que l’ensemble des décisions de première instance
devraient l’être dans un délai de 3 à 8 ans.
1178
L. CADIET, « L’open data des décisions de justice », Rapport à Madame la garde des Sceaux, ministre de la Justice, novembre
2017, p. 46.
1179
Ibid. p. 47.
293
leur participation à une décision1180. Plus largement, « cela risquerait de porter atteinte à l’indépendance des
magistrats et d’attirer à leur encontre des critiques personnelles malveillantes et injustifiées et pourrait même conduire
à ce que le justiciable choisisse son tribunal grâce au profilage des juges […] La connaissance du nom des juges n’est
d’aucune utilité technique, le contenu informatif qui s’attache à l’identité des magistrats n’ayant pas d’intérêt au
regard de l’objectif de la connaissance du droit »1181.
1180
Ibid. p. 50.
1181
N. FRICERO, « Collecte, diffusion et exploitation des décisions de justice : quelles limites, quels contrôles ? », JCP G, LexisNexis,
no 7, 12 février 2018, p. 283.
294
Chapitre 2 - L’amélioration possible de la conciliation entre
collégialité et délai raisonnable
417. Le délai raisonnable va permettre aux parties de réunir tous leurs arguments afin que les
juges puissent apporter une solution adaptée au litige qui leur est soumis. Cette exigence s’avère
particulière puisqu’elle nécessite qu’il y ait une interaction entre les juges et les justiciables. Par
opposition, les exigences d’indépendance et d’impartialité sont des qualités inhérentes aux juges, ce
qui fait que les échanges avec les justiciables sont à proscrire afin de ne pas constituer un conflit
d’intérêts. Plus précisément, une affaire est traitée dans un délai raisonnable lorsqu’elle répond aux
principes du dies a quo et du dies ad quem1182 en sachant que la célérité ne doit pas être considérée
comme un principe directeur du procès puisque son intégration pourrait insinuer « que le but du
procès est le jugement rapide au détriment éventuel de la bonne justice »1183. La technicité tient au fait que ce
délai ne doit pas être trop rapide, au risque que la décision soit hâtive et inefficace, alors qu’il ne
doit pas non plus être excessif, sans quoi la décision pourrait ne plus être adaptée à la situation des
parties. En somme, ce délai implique un juste équilibre et se comprend comme la « durée légitime
accordée au juge pour statuer sur un litige »1184. Ainsi, un « juge, en tant qu’il est homme : ne sachant pas par
avance et d’une façon totale le fait, ne trouvant pas dans l’instant le droit, n’entrevoyant pas sans réflexion le juste,
il lui faut le temps de rechercher cela »1185. Il est à noter que les parties peuvent aussi être à l’origine de
délais excessifs comme en témoigne l’exercice de manœuvres dilatoires.
1182
Articles 640 à 642 CPC.
1183
D. CHOLET, La célérité de la procédure en droit processuel, Thèse, Bibliothèque de droit privé t. 466, LGDJ, 2006, p. 500.
1184
J-L. ALBERT et al., Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 354.
1185
J-M. COULON, M-A. FRISON-ROCHE, J-M. BELORGEY et alii, Le temps dans la procédure, Dalloz, 1996, p. 11.
1186
L. CRETIN, « L’opinion des Français sur la justice », op. cit., p. 1.
295
Concernant les justiciables, s’ils souhaitent que leur affaire soit traitée rapidement, ils
veulent aussi et c’est légitime, que la décision prononcée revête une certaine qualité. S’adjoint à cela
qu’une trop grande attente dans le traitement de leur affaire viendrait atténuer la relation de
confiance qu’ils entretiennent avec le système judiciaire. S’ils ont effectué la démarche de faire appel
à l’intervention d’une tierce personne pour mettre un terme à leur différend, ils attendent en retour
une réponse, un suivi. En sus, de leur point de vue, leur affaire est nécessairement importante et
ne peut être mise en attente plusieurs mois, voire plusieurs années.
Cette volonté croissante d’efficience pourrait corrélativement venir freiner le recours aux
formations collégiales car elles nécessitent davantage de temps, que ce soit pour les constituer ou
pour apporter des décisions puisque les délibérations devraient y être plus longues. Pour ses
détracteurs, « la mise en œuvre de la collégialité aurait pour conséquence immédiate et certaine, un « écroulement »
de la vitesse de prise de décision ! »1187. Une pluralité de juges « favoriserait l’encombrement des juridictions et
serait source de lenteur en mobilisant trois magistrats là où un seul pourrait suffire »1188. Il ne faut pourtant pas
omettre que la collégialité permet de conforter la qualité de la décision, tandis que Voltaire affirmait
qu’un « jugement trop prompt est souvent sans justice »1189. La collégialité ne s’aurait être supprimée dans
l’unique dessein de gagner du temps d’autant plus qu’il est possible d’améliorer sa conciliation avec
la nécessité de respecter un délai raisonnable.
419. Cette quête de célérité doit être mesurée (Section 1) afin de préserver la qualité de la décision
apportée. L’objectif est important puisqu’un perfectionnement de ce rapport au temps permettrait
de garantir la pérennité des collégialités. Une solution à cette fin consisterait à instaurer un filtrage
des pourvois en cassation (Section 2).
1187
F. GALLON, Collégialité et subsidiarité : un principe-dual pour l’action. Des organisations durables dans un environnement complexe, thèse de
sociologie, Ecole centrale des arts et manufactures, « école centrale Paris », 18 déc. 2013, p. 13.
1188
Intervention de Madame P. LABEAUME, magistrat au Tribunal de Grande Instance de Nice, sur : « la collégialité dans le
procès civil ».
1189
VOLTAIRE, Oeuvres complètes, éd. 1785.
296
Section 1 – La quête d’une célérité mesurée
420. L’aspect pratique du délai raisonnable en procédure civile (§1) permet d’établir l’impérieuse
nécessité d’effectuer une quête de célérité de manière mesurée. En effet, une recherche excessive
de célérité pourrait conduire à vouloir instaurer une justice prédictive au sein de notre système
juridique avec les risques que cela comporte (§2). Les réflexions quant à sa mise en œuvre sont
nombreuses, cette thématique étant « à la mode »1190 comme en témoigne les rapports qui lui ont
été consacrés1191 ou les legaltechs existantes1192. L’ère numérique que connaît le droit français
contribue à « une « smartjustice », à savoir une justice animée par des impératifs de meilleure rentabilité avec le
minimum de moyens, grâce aux technologies »1193. Cette tendance s’inscrit dans la mutation que pourrait
connaître la procédure civile, à savoir, la création d’une « nouvelle procédure civile numérique »1194 comme
en témoigne la volonté de saisir par voie électronique les juridictions civiles, ou encore, le fait de
supprimer des audiences concernant certains litiges pour les dématérialiser1195. Avec la justice
prédictive, la fiction deviendrait réalité au regard du film « Minority report » dans lequel des logiciels
peuvent prédire qu’un individu sera un meurtrier. Grâce à cette prédiction, il sera arrêté avant de
commettre son méfait. La réalité de la justice prédictive française est cependant à nuancer car il ne
s’agit pas de prédire les comportements répréhensibles, mais de prévoir quelles pourraient être les
chances de gagner un procès. Pour reprendre la définition apportée par Monsieur Marin, procureur
général près la Cour de cassation, la justice prédictive correspond à « la solution donnée à un litige à
partir de moyens informatiques »1196. Autrement dit, « l’algorithme assortit des conséquences à des critères
déterminants pour formuler une réponse sur le modèle du « si…alors ». Il est établi que, plus le volume de données
1190
F. SICARD et P-Y. GAUTIER, « L’avenir : pour une dématérialisation réfléchie de l’exercice de la justice », Gaz. Pal., Lextenso,
no 32, 26 septembre 2017, p. 11.
1191
INSTITUT MONTAIGNE, Justice : faites entrer le numérique, nov. 2017, L. CADIET, L’open data des décisions de justice, op. cit. et J-F.
BEYNEL et D. CASAS, « Transformation numérique », Rapport, Ministère de la Justice.
1192
O. AKYUREK et C. HABIBI, « Les chantiers de la justice, une impulsion nouvelle aux modes alternatifs de règlement des
différends », Petites affiches, Gaz. Pal., no 137, 11 juillet 2018, p. 10. Les legaltechs correspondent à des startups qui utilisent les
technologies concernant le domaine juridique au service des particuliers et des professionnels.
1193
CNIL, « Comment permettre à l’homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle »,
décembre 2017, p. 66.
1194
O. AKYUREK et R. DAVID, « Le procès civil à l’épreuve du numérique », Petites affiches, Gaz. Pal., no 138, 11 juillet 2018, p.
14.
1195
Ibid.
1196
J-C. MARIN, Colloque « La justice prédictive », op. cit., p. 2.
297
est important, plus les corrélations sont nombreuses et plus le résultat obtenu peut être précis »1197. Si ce concept
revêt des avantages, ses risques seraient trop importants, la célérité ne devant primer sur la qualité
des décisions.
421. L’aspect pratique du délai raisonnable en procédure civile permet d’admettre qu’il y a une
conciliation préexistante entre les deux grands principes de collégialité et de délai raisonnable (A).
Par ailleurs, cette approche permet d’établir que des reconsidérations attenantes au délai
raisonnable sont nécessaires (B). Par exemple, certains considèrent qu’il convient de repenser la
gestion des contentieux en ne les traitant plus en fonction de leur ordre d’arrivée mais selon leur
degré d’urgence, ce qui reviendrait à prendre en considération leur niveau de complexité. Les
affaires les plus simples seraient jugées prioritairement. Cette répartition pourrait au contraire
retarder le traitement des affaires considérées comme étant moins urgentes ou plus simples, les
affaires difficiles ayant toujours la priorité sur celles-ci. De plus, un litige peut a priori paraître facile
à gérer, alors qu’il peut en fait être compliqué.
422. S’il a été démontré que la collégialité est un principe, le respect d’un délai raisonnable est
une exigence essentielle qui s’assimile à un facteur de bonne administration de la justice (1) ce qui
lui confère également cette portée. En outre, une approche pratique permet de reconnaître que des
collégialités contemporaines sont en adéquation avec le délai raisonnable (2) en sachant qu’une «
justice de qualité peut précisément être une justice qui prend son temps, qui est rendue en collégialité »1198.
423. Au niveau du droit interne, aux termes de l’article L 111-3 du Code de l’organisation
judiciaire, « les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable ». Cette formulation permet
d’asseoir l’autorité de cette exigence. Ce texte est d’ailleurs consacré dans le livre premier, titre
premier, au sein des principes généraux. En revanche, les références à cette exigence au sein du
Code de procédure civile sont plus éparses. Une difficulté tient au fait que la procédure civile
1197
S-M. FERRIE, « Les algorithmes à l’épreuve du droit au procès équitable », JCP G, LexisNexis, no 11, 12 mars 2018, p. 498.
1198
M. THUAU, « La LOLF : grandeur et servitude », RFFP, no 142, 1 mai 2018, p. 37.
298
répond à l’application du principe dispositif. Il convient toutefois de spécifier que si les parties au
procès ont une certaine maîtrise de l’instance, leur action est encadrée par des délais1199. En d’autres
termes, comme ont pu l’affirmer les magistrats de la Cour de cassation, « si les parties ont la libre
disposition de l’instance, l’office du juge est de veiller au bon déroulement de celle-ci dans un délai raisonnable »1200.
Cette exigence est également rappelée dans l’affaire Poelmans contre Belgique1201, donc aussi au
niveau de la jurisprudence européenne. De ce fait, les juges ne sont pas de simples spectateurs. Ils
doivent rester maître du procès en imposant des délais et en veillant à l’échange et la
communication de pièces1202. Dans ce cadre, pour reprendre l’expression de Monsieur Guinchard,
leur mission peut être assimilée « à une obligation de résultat »1203. A l’inverse, ils peuvent être
sanctionnés pour délai déraisonnable en sachant que les parties ne peuvent sanctionner ce non-
respect en exerçant une voie de recours qui viendrait remettre en cause la décision finale des juges.
Cette absence de reconnaissance se justifie par le fait qu’elle permet d’éviter une prorogation de la
procédure ce qui s’inscrit dans une finalité logique1204. A côté de ces situations, certaines étapes
procédurales vont permettre de gagner du temps. Cette situation est perceptible du fait de la faculté
reconnue au juge de déposer sa décision finale par écrit au greffe de la juridiction1205 puisque cela
permet d’éviter de recourir à une nouvelle convocation des parties, des juges, ou autres intervenants
au procès.
424. Au niveau du droit européen, la nécessité de respecter un délai raisonnable est aussi bien
consacrée par l’incontournable article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, que
l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette dernière dispose
également dans son article 41-1 relatif au droit à une bonne administration que « toute personne a le
droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et
organes de l’Union ». Il faut en déduire que le délai raisonnable est un facteur permettant d’assurer
une bonne administration de la justice. Dans le même sens, les juges de la Cour de Strasbourg ont
établi au sein de l’affaire Boddaert contre Belgique que l’article 6 précité « prescrit la célérité des
1199
Article 2 CPC : « Les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans
les formes et délais requis ».
1200
Ass. Plén., 24 nov. 1989, n° 88-18188, Bull. 1989, A. P. n° 3, p. 5.
1201
CEDH, 3 fév. 2009, Poelmans contre Belgique, req. n° 44807-06.
1202
Article 3 CPC.
1203
S. GUINCHARD et al., Droit processuel : droits fondamentaux du procès, 8ème, Précis Dalloz. Droit privé, 2015.
1204
L. MINIATO, « Le “déraisonnable” et “l’excès” : sanctions des défaillances du juge », op. cit.
1205
Article 450 alinéa 2 CPC.
299
procédures judiciaires, mais il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice »1206.
Ces juges ont ensuite rappelé dans la célèbre affaire Monnet contre France que « le caractère
raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères
consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l’affaire, le comportement des parties et celui
des autorités compétentes »1207. Par conséquent, le délai raisonnable s’apprécie in concreto puisqu’il s’agit
de faire appel à un faisceau d’indices. Le critère nécessitant de prendre en considération la
complexité de l’affaire retient davantage l’attention car dans cette hypothèse une collégialité est
préférable. Dès lors, il faut considérer que cette condition fait implicitement référence à la
collégialité tout en justifiant qu’elle puisse nécessiter un temps supplémentaire. Elle vient donc lui
accorder une protection contre les justiciables qui pourraient être tentés d’agir sur le fondement du
non-respect d’un délai raisonnable en anticipant leur action.
425. Si une collégialité implique davantage de temps et que l’objectif est de répondre toujours
plus rapidement aux justiciables, comment se fait-il que cette formation soit encore maintenue ? Il
s’avère que plusieurs mécanismes en droit positif français contemporain permettent de concilier la
collégialité avec la célérité. Ils peuvent être classés dans deux grandes catégories. La première se
rapporte aux modalités attenantes à la prise de décision de ses membres, tandis que la seconde
s’intéresse au déroulement de la procédure devant certaines formations collégiales.
426. Les modalités de la prise de décision des membres d’une collégialité renvoient aux votes
effectués pendant la phase du délibéré. L’exigence de majorité paraît a priori logique. Imposer
l’unanimité serait paralysant et utopique. Une comparaison est à établir avec le droit des sociétés
où d’importantes décisions doivent également être prises à plusieurs par l’intermédiaire d’un vote,
afin de mieux comprendre cette répartition des voix concernant la collégialité judiciaire. Par
exemple, si les associés d’une société à responsabilité limitée souhaitent transformer cette dernière
en société par actions simplifiée, cette opération devra remporter l’unanimité des voix1208 alors
1206
CEDH, oct. 1992, Boddaert contre Belgique, req. n° 12919-87.
1207
CEDH, 27 oct. 1993, Monnet C./ France, série A, n° 273-A : D. 1995, somm. comm., p 102, obs. J-F. RENUCCI.
1208
Article L 227-3 C.com : « La décision de transformation en société par actions simplifiée est prise à l’unanimité des associés ».
300
qu’elle peut comprendre jusqu’à cent associés. C’est parce que cette décision est importante pour
le devenir des associés qu’il est exigé de recourir à l’unanimité. Or, une collégialité n’impose pas ce
formalisme malgré l’importance des décisions de justice. Dans le domaine juridique, ce n’est donc
pas l’importance de la décision qui conditionne sa modalité d’adoption. Si l’unanimité est exigée
lors de la transformation d’une société, cette décision est exceptionnelle contrairement à celles
apportées par les juges. Il ressort qu’un plus grand nombre de contraintes peuvent être instaurées
lorsque la prise de décision a vocation à être occasionnelle. Il faut en déduire qu’en matière
juridique, ce sont les contraintes temporelles qui justifient les modalités de la prise de décision des
juges. C’est en cela que l’exigence de majorité permet de s’inscrire dans un objectif de célérité.
D’autres mécanismes relatifs aux modalités de la prise de décision permettent de concilier
la collégialité et le respect d’un délai raisonnable. En pratique, il est fréquent qu’un juge rédige la
décision qu’il souhaite voir adopter afin de convaincre plus facilement les autres membres de suivre
son opinion. Ce procédé permet de gagner du temps en sachant que le fait de délibérer sur-le-
champ s’inscrit dans ce même objectif.
1209
Article 860-1 CPC.
1210
Article 946 alinéa 1 CPC.
1211
D. C. WAGOUE TCHOKOTCHEU, L’oralité dans le procès civil : plaidoyer pour la reconsidération de l’oralité à la lumière du procès équitable,
Thèse en cotutelle, Université de Ngaoundéré et Université de Nantes, 2016, p. 234.
1212
Article 446-1 alinéa 1 CPC.
1213
Article 446-1 alinéa 2 CPC.
301
du rapport est amené à faire connaître l’affaire dont il a eu connaissance aux autres membres de la
formation commerciale. Cet échange leur permet de soulever d’éventuelles interrogations en
sachant qu’elles seront pour certaines reprises à l’audience et posées aux parties. La parole est
ensuite donnée aux plaideurs qui pourront s’ils le souhaitent ajouter des observations. Les
plaidoiries interactives revêtent donc plusieurs avantages. Ils concernent l’ensemble des
intervenants au procès puisque par exemple, il est assuré au justiciable que son avocat a une parfaite
connaissance de son dossier car il sera amené à répondre aux questions soulevées par la collégialité.
En conséquence, « serions-nous enfin parvenus à cette fameuse audience interactive, celle à laquelle tout bon juge
se plaît à rêver, celle qui nous fait entrer de plain-pied dans le XXIème siècle, celle qui ne se présente plus comme un
débat figé mais où, à l’issue du rapport, s’engage une libre discussion sous forme de questions-réponses entre juges et
avocats, le rapporteur prenant soin de ne pas faire connaître son avis, tout ceci dans un esprit constructif »1214. En
pratique, l’audience est repensée en instaurant un délai théorique de vingt minutes par affaire tel
qu’il est pratiqué dans de grandes juridictions comme Toulouse ou Lyon. Ainsi, pour ses partisans,
« la plaidoirie est utile lorsqu’elle rebondit sur ce qui a été dit, qu’elle est interactive »1215. Ou encore, comme
l’affirme Monsieur Magendie, « l’audience favorise, dans la limite des termes du débat fixés par les parties, un
examen des problèmes subsistants. Et la collégialité déploie, dans ce contexte, le maximum de ses vertus »1216. La
collégialité déploie ici le maximum de ses vertus parce qu’elle permet d’enrichir deux étapes
essentielles de la procédure. D’abord celle des débats, puisque plusieurs juges vont écouter les
plaideurs en sachant qu’ils auront posé plusieurs questions, ce qui favorise leur implication dans
l’affaire. Ensuite au niveau du délibéré1217, car les échanges se concentreront autour des
problématiques les plus importantes alors que les débats auront permis d’éclaircir le litige.
428. Cette adéquation de la collégialité avec un délai raisonnable est également retranscrite en
matière pénale avec les comparutions immédiates puisque les affaires y sont traitées avec rapidité,
alors qu’elles font intervenir un collège de magistrats. Ces décisions n’ont pas une portée minime
car la peine maximale pouvant être prononcée est de dix ans d’emprisonnement. En procédure
civile, les réformes permettant au bureau de conciliation et d’orientation de la juridiction
prud’homale de statuer au fond, et à la Cour de cassation de faire de même, s’inscrivent dans une
idéologie consistant à accélérer les procédures tout en maintenant les collégialités. Ensuite,
1214
P. CHAUVIN, « Plaidoyer en faveur d’une audience interactive devant la cour d’appel », Gaz. Pal., Lextenso, n° 145, 25 mai
2013.
1215
F. SIREDEY-GARNIER, « La plaidoirie est utile lorsqu’elle est interactive », Petites affiches, Gaz. Pal., n° 115, 9 juin 2017, p. 4.
1216
J-C. MAGENDIE et al., Célérité et qualité de la justice, la gestion du temps dans le procès, p. 55.
1217
P. CHAUVIN, « Plaidoyer en faveur d’une audience interactive devant la cour d’appel », op. cit.
302
l’existence même des collégialités aménagées telles que celles qui font intervenir un juge rapporteur
ou un juge de la mise en état, ont aussi pour objet de répondre à ce besoin d’efficacité.
429. La collégialité s’avère d’ailleurs essentielle en présence d’une difficulté comme en témoigne
la place qu’elle occupe au sein des juridictions de la matière civile, où la cour d’appel et la Cour de
cassation ont compétence pour les affaires dont l’enjeux est important. Par conséquent, si une
collégialité est souhaitable pour traiter les litiges dits difficiles, pourquoi ne le serait-elle pas dans
une affaire perçue comme facile ? Ne serait-ce pas simplement un cas d’école pour cette dernière ?
Dans ces circonstances, un collège traiterait plus rapidement une affaire, tout en assurant aux
justiciables la qualité attendue grâce à la confrontation des points de vue qu’elle implique.
Cependant, force est de constater qu’aussi bien les moyens humains que financiers actuels ne
permettent pas de transposer cette proposition, alors qu’il est opportun de reconsidérer certains
éléments ayant traits au délai raisonnable.
430. Des reconsidérations attenantes au délai raisonnable sont nécessaires compte tenu du fait
que certaines idéologies le concernant sont à écarter ou au contraire à faire connaître. Il convient
dans un premier temps d’établir que la célérité des juges uniques est à l’origine de controverses (1).
Bien qu’elle justifie majoritairement leur intervention, celle-ci fait l’objet de suspicions concernant
le respect des garanties du droit à un procès équitable. S’y adjoint dans un second temps
l’appréhension du délai raisonnable par l’intermédiaire de données chiffrées afin de retranscrire
concrètement la pratique. Deux éléments doivent être pris en considération. Le premier se rapporte
à la durée des affaires du point de vue de leur gestion par les juges. Autrement dit, elles concernent
les lenteurs imputables au traitement d’une affaire, tandis que le second élément se rapporte à la
qualité de la décision apportée. Elle dépend donc ici des parties. Cela revient à s’intéresser aux voies
de recours mais aussi plus étroitement, au nombre d’infirmations et de confirmations des décisions
prononcées par les juridictions supérieures. Cette approche permet d’exposer le fait que les
décisions rendues par les juges du fond sont de qualité (2) ce qui conduit à affirmer que ces lenteurs
pourraient être évitables.
303
1. La célérité des juges uniques à l’origine de controverses
431. D’aucuns considèrent que la réduction des délais de traitement des litiges pourrait être
réalisée en supprimant des formations collégiales au profit des juges uniques1218. Tel que l’exprime
Monsieur Guinchard, l’accélération des jugements pourrait se concrétiser de deux manières : « soit
directement en créant des juridictions à juge unique (c’est le cas du tribunal d’instance successeur du juge de paix, de
la juridiction de proximité), soit indirectement en confiant certaines questions se rattachant à un procès à un juge
unique spécialisé, comme c’est le cas par exemple pour le juge aux affaires familiales »1219. Certains considèrent
que la spécialisation des juges est primordiale puisqu’elle s’assimile à « un facteur de
rationalisation »1220. Or, la spécialisation n’est pas incompatible avec la collégialité. D’autres au
contraire soulignent les risques de cette quête de célérité croissante au détriment de la collégialité.
D’après Monsieur Ciaudo, la multiplication des juges uniques permet de désencombrer le prétoire
mais la conséquence est une « dépréciation de la qualité de la justice »1221. Par exemple, si la mise en
place du juge des référés et de celui des requêtes était guidée par une volonté d’accélérer le
traitement de certaines affaires, les justiciables ne sont parfois pas convaincus des qualités qu’ils
représentent. Cette constatation retranscrit la difficulté de satisfaire leurs exigences.
432. Une première critique se rapporte au principe du contradictoire qui malgré son caractère
essentiel sera écarté pendant une certaine durée de la procédure devant le juge des requêtes. Dans
cette situation, les droits de la défense sont-ils toujours garantis ? L’objectif de célérité aurait-il
primé à leur détriment ? La réponse est infirmative. En présence d’une ordonnance sur requête, les
garanties de bonne justice sont assurées pour deux raisons1222. La première tient au fait que la
suppression du principe du contradictoire « n’est pas une conséquence de l’unicité » mais qu’elle est une
cause de meilleure efficacité de la mesure prise. Autrement dit, le principe du contradictoire n’est
pas évincé du simple fait que la compétence relève d’un juge unique. Ce n’est pas son intervention
qui est à l’origine de sa mise à l’écart, mais c’est l’efficacité de la mesure qui justifie l’éviction de ce
principe. Elle nécessite de la discrétion sans quoi elle perdrait de son intérêt. La seconde raison
1218
Le(s) temps judiciaire(s), gip-recherche-justice.fr, p.7.
1219
S. GUINCHARD, « Belles pages 2 : la justice telle qu’en elle-même », Le blog de Serge Guinchard, 30 mai 2017.
1220
Le(s) temps judiciaire(s), gip-recherche-justice.fr, p. 7.
1221
A. CIAUDO, La maîtrise du temps en droit processuel, Jurisdoctoria, n° 3, 2009, p. 40.
1222
M. NAUDET-SENECHAL, Le juge unique, essai d’une théorie générale, op. cit., p. 581.
304
consiste à rappeler que si ce principe est écarté, il sera ensuite rétabli1223, ce qui signifie que le débat
est simplement différé1224 sans pour autant être inexistant1225.
Les interrogations relatives au principe du contradictoire ne concernent pas uniquement le
juge des requêtes mais aussi celui des référés1226. Monsieur Mestre relevait sans faire référence aux
procédures d’urgence que le risque en présence d’un juge unique est qu’il ne soit pas assez attentif
au respect de ce principe1227. Par analogie, ce risque serait d’autant plus élevé en présence des juges
uniques de l’urgence alors qu’ils s’avèrent pour certains « le juge du temps compté par excellence », « un
personnage de luxe, un créateur, un artiste de la décision »1228, le référé étant le « lieu de triomphe du juge »1229.
Si les interrogations sont identiques à celles du juge des requêtes, l’approche est différente puisque
le principe du contradictoire n’est pas ici écarté. Il va simplement être réaménagé pour s’inscrire
dans une durée plus concise. L’exemple le plus critiquable est celui de la procédure à heure indiquée
ou plus communément appelée d’heure à heure prévue au sein du second alinéa de l’article 485 du
Code de procédure civile. Comme son nom l’indique, lorsque le cas requiert célérité, une décision
provisoire plus rapide que celle d’un référé normal pourra être demandée. Pour ses détracteurs, « la
menace, plus pressante encore, de l’écoulement du temps réduit souvent à une peau de chagrin le principe de la
contradiction […]. Il reste en effet difficile d’admettre que le contradictoire est respecté lorsqu’une personne a été
avertie par une assignation délivrée à 19 heures 20 qu’une audience aurait lieu à 19 heures 55 »1230. Dans cette
hypothèse, aux termes de l’article 486 du Code de procédure civile, le juge doit s’assurer qu’un
temps suffisant s’est écoulé « entre l’assignation et l’audience pour que la partie assignée ait pu préparer sa
défense ». Par conséquent, « l’exigence de célérité de la procédure doit être conciliée avec la possibilité laissée au
défendeur de présenter ses moyens de défense »1231, c’est en cela que le respect de ce délai permet de
s’inscrire dans une bonne administration de la justice.
433. La seconde critique se rapporte à l’exécution provisoire des mesures prononcées par ces
juges uniques particuliers. L’exécution provisoire permet d’exécuter une mesure sans qu’elle ait
1223
Ibid.
1224
Ibid. p. 587.
1225
P. ESTOUP, La pratique des procédures rapides, référés, ordonnances sur requête, procédures d’injonction, Litec, 1990.
1226
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, op. cit., p. 516.
1227
L. CADIET et al., op. cit., p. 138.
1228
J-M. COULON, M-A. FRISON-ROCHE, J-M. BELORGEY et alii, Le temps dans la procédure, op. cit.
1229
Ibid. p. 60.
1230
O. LACAMP-LEPLAË, Le juge spécialisé en droit judiciaire privé, op. cit., p. 517.
1231
L. MINIATO, Le principe du contradictoire en droit processuel, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 483, LGDJ, 2008, p. 205.
305
besoin d’acquérir l’autorité de la chose jugée. De la même manière, pour certains, cette
reconnaissance ne permet pas d’assurer la qualité attendue du service de la justice. Or, s’il n’y a pas
d’effet suspensif de l’appel, cela ne signifie pas qu’une partie ne puisse pas faire appel. Il y a une
distinction à opérer entre l’effet suspensif de l’appel et l’appel lui-même. Autrement dit, la mesure
prononcée va rester exécutoire mais l’appel est possible1232 ce qui fait que ce droit de la défense est
ici aussi aménagé. Cette dérogation à l’effet suspensif de l’appel se justifie par le fait que lorsqu’ils
recourent à cette procédure, les justiciables souhaitent obtenir des mesures en attendant qu’une
décision au fond intervienne. Elle se justifie donc par une volonté d’efficacité.
434. Ces juges uniques particuliers permettent de concilier deux objectifs qui pourraient a priori
paraître antinomiques, à savoir, la rapidité et la sécurité. La rapidité s’obtient par la portée provisoire
des mesures prises, tandis que la sécurité tient au fait que des juges prendront ensuite en
considération le fond du droit. Par conséquent, « l’urgence va tenir une place à la fois modeste et
capitale »1233. Capitale parce que le prononcé de ces mesures occupe une place importante. Modeste,
parce qu’elles connaissent une limite procédurale, celle du fond et du provisoire1234. Au regard de
leurs prérogatives, ces juges uniques particuliers peuvent être perçus comme ne concurrençant pas
véritablement les juges ordinaires comme en témoigne les arguments avancés par Monsieur Estoup.
Selon lui, le juge des requêtes statuerait à « l’aveuglette » puisqu’il se fonde dans un premier temps
uniquement sur les dires du demandeur. S’ajoute à cela qu’en matière de référé, il ne peut trancher
le litige au fond. Enfin, les mesures pouvant être prononcées « ne doivent pas en principe conduire à des
situations irréversibles » puisqu’elles ont une portée provisoire1235. Une recherche excessive de célérité
pourrait être à l’origine d’une volonté de généraliser ces aménagements procéduraux. Cependant,
cette transposition ne s’avère pas opportune puisque les décisions des juges du fond permettent
aujourd’hui de retranscrire une certaine qualité.
1232
M. NAUDET-SENECHAL, Le juge unique, essai d’une théorie générale, op. cit., p. 682.
1233
P. JESTAZ, L’urgence et les principes classiques du droit civil, Thèse pour le doctorat en droit, Université de Paris, 26 mars 1966, p. 2.
1234
Ibid.
1235
P. ESTOUP, La pratique des procédures rapides, référés, ordonnances sur requête, procédures d’injonction, op. cit., p. 348.
306
condamnations prononcées en 2016 et un coût de 821 727 euros pour l’Etat »1236. Cette affirmation se
confirme au regard des chiffres-clés communiqués par le Ministère de la Justice1237 où il ressort
que la juridiction prud’homale traite plus lentement les contentieux civils que la cour d’appel, le
tribunal de grande instance, ou le tribunal d’instance. Devant le conseil en 2016, 75 % des affaires
étaient terminées au bout de 20,6 mois ce qui est considérable en comparaison avec le juge
d’instance qui terminaient 75 % des affaires en 6,2 mois ou le tribunal de grande instance en 8,4
mois.
436. Les valeurs fournies illustrent également que les délais de règlement des affaires civiles
devant la juridiction prud’homale se rapprochent de ceux de la cour d’appel. Ainsi, 25 % des affaires
civiles sont terminées en 4,1 mois pour la cour d’appel contre 4,9 mois pour le conseil de
prud’hommes. 50 % des affaires civiles sont terminées en 11 mois devant la cour d’appel contre
12,3 mois au prud’homme. Enfin, 75 % des affaires se terminent au bout de 18,8 mois à la cour
d’appel contre 20,6 au prud’homme. Cette durée plus élevée de traitement du litige devant la cour
d’appel qu’au tribunal de grande instance ou d’instance, peut s’expliquer par le fait que c’est une
voie de recours, ce qui signifie que le litige a augmenté procéduralement au niveau de sa gravité et
qu’il nécessite une analyse particulière. Par contre, la durée de traitement d’une affaire près du
conseil de prud’hommes ne trouve pas de justification. Il pourrait être évoqué qu’elle tient à sa
collégialité où la fonction de juger est confiée à des non-professionnels du droit, mais ces juges ont
justement été mis en place parce que la connaissance du terrain paraît en ce domaine primer sur
l’aspect juridique.
437. Par contre, au regard des données communiquées par la Cour des comptes, une certaine
adéquation avec l’exigence de respecter un délai raisonnable est perceptible devant la juridiction
commerciale où la durée moyenne des procédures est inférieure à six mois1238. Les membres de ce
tribunal ne sont toutefois pas exempts de sanction sur ce fondement comme l’illustre une décision
du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du
siège1239. Il était notamment reproché à un président du tribunal de grande instance qui avait
également pour prérogative d’assurer la présidence de la formation collégiale du tribunal
1236
Y. DETRAIGNE, Projet de loi de finances pour 2018 : Justice judiciaire et accès au droit, Rapports législatifs, avis n° 114, 23 nov. 2017.
1237
M. CHABANNE, E. DION, C. KISSOUN-FAUJAS et alii, Les chiffres-clés de la Justice 2017, op. cit., p. 12.
1238
COUR DES COMPTES, Organisation et fonctionnement de la justice commerciale, Référé n° 66605, Paris, 13 mai 2013, p. 4.
1239
CSM, 3 mars 2006, S 147.
307
commercial de ne pas avoir respecter un délai raisonnable. À la suite d’une inspection, il apparaissait
que trente-six jugements avaient été rendus après un an de délibération concernant la juridiction
consulaire ce qui est conséquent. Les membres du Conseil supérieur de la magistrature ont retenu
que « les retards excessivement longs dans le prononcé des jugements » avaient eu entre autres pour
répercussion « la trahison des attentes légitimes des justiciables ». Par conséquent, les sanctions prononcées
ont été le retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance, assortie de son
déplacement d’office.
438. Si ces constatations permettent d’établir que des lenteurs sont imputables aux juges du fait
du traitement de l’affaire, des lenteurs sont aussi imputables aux justiciables. La communauté des
juristes s’accordent sur le fait qu’une décision de justice est considérée comme étant bonne
lorsqu’elle est amenée à perdurer. Pour autant, le prononcé d’une décision ne signifie pas ipso facto
que l’affaire est terminée. A ce titre, il importe de souligner que les données communiquées par le
Ministère de la justice au sein des chiffres-clés apportent seulement une vision généraliste du délai
raisonnable. Par exemple, concernant le tribunal de grande instance et la durée de règlement des
affaires civiles terminées en 2016, il n’est pas différencié si la juridiction a statué à juge unique ou
en collégialité. S’ajoute à cela le fait que ces données pourraient prendre en considération les
manœuvres dilatoires alors que ces lenteurs ne résultent pas des juges. L’absence de certaines
précisions conduisent à étudier plus étroitement le devenir de leurs décisions.
439. Concernant d’abord les jugements rendus en premier ressort, combien de cours d’appel les
ont confirmés ? En 2016, en matière civile, les cours d’appel avaient rendu 107 517 arrêts
confirmatifs contre 30 754 arrêts infirmatifs1240. Il faut en déduire que la procédure avait été
allongée du fait des parties et non de la qualité de la première décision. L’analyse s’est ensuite
concentrée sur la juridiction prud’homale étant donné que les recours y sont conséquents. En 2015,
plus de la moitié des justiciables faisaient appel puisque ce taux s’élevait à 67,8 % lorsque les
conseillers statuaient en premier ressort. A titre comparatif, devant le tribunal d’instance il
représentait seulement 5,6 %. Il ressort que les cours d’appels « confirment en totalité la décision dans 30
% des cas, partiellement dans 50 % des cas et l’infirment dans 20 % des cas »1241. Les décisions totalement
confirmées ne sont pas assez nombreuses ce qui conforte la nécessité de repenser son organisation
en y instaurant l’échevinage. Outre son approche juridique de l’affaire, l’ajout d’un magistrat
1240
Ministère de la Justice, les statistiques : activités des juridictions, justice.gouv.fr.
1241
Justice civile et commerciale. Le contentieux du travail, Références statistiques justice, 2016, p. 42.
308
professionnel au sein de cette juridiction permettrait d’apporter davantage de solennité aux
décisions rendues, ce qui permettrait de dissuader les justiciables d’exercer une voie de recours.
440. Concernant ensuite la Haute juridiction, combien d’arrêts de rejet ont été prononcés ? Une
réponse trouve son fondement à l’appui du bilan d’activité de la Cour de cassation pour l’année
2016. Les chambres civiles de la Cour de cassation ont rendu 4 740 arrêts de cassation contre 5 487
arrêts de rejet motivé et 4 070 arrêts de rejet non motivé en raison de l’absence de moyen sérieux
ou du caractère irrecevable du pourvoi. Dès lors, les hauts magistrats confirment davantage les
décisions de justice apportées par les juges du fond plutôt qu’ils ne les infirment. Il faut une
nouvelle fois en conclure que l’allongement de la durée de la procédure résulte majoritairement des
parties et non de la qualité de la première décision.
441. Au vu de ces constatations, il convient de repenser les voies de recours. Il ne s’agit pas de
les prohiber mais d’en limiter l’accès tel que cela a été récemment réalisé devant la cour d’appel
avec la réforme de la procédure d’appel en matière civile. Il s’agit de poursuivre cette restriction
d’accès devant une juridiction d’ordre procédural plus élevé, à savoir la Cour de cassation, en
prévoyant un filtrage des pourvois1242. Une autre solution aurait pu consister à instaurer une justice
prédictive, cependant les risques la concernant s’avèrent trop importants pour qu’elle puisse être
admise.
442. « La justice prédictive part de ce principe de fonctionnement statistique pour proposer des probabilités de
succès ou d’échec de certaines actions de justice dans des circonstances très précises »1243. Plusieurs arguments ont
été avancés en faveur de l’instauration de la justice prédictive comme l’accélération du traitement
du litige et la prévisibilité des décisions. Cette dernière permettrait d’assurer une certaine sécurité
juridique1244 tout en assurant leur harmonisation1245. Le site internet Predictice annonce quant à
1242
Cette suggestion sera postérieurement approfondie compte tenu de son importance.
1243
J. GASNAULT et J-B. PREVOST, « Un point sur le traitement numérique des données de jurisprudence », Gaz. Pal., Lextenso, no
3, 22 janvier 2019, p. 71.
1244
J-M. SAUVE, Discours, La justice prédictive, Cour de cassation, 12 fév. 2018, p. 1.
1245
CNIL, « Comment permettre à l’homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle »,
op. cit., p. 66.
309
lui à ses utilisateurs qu’il est possible d’analyser « des millions de décisions de justice en 1 seconde »1246 ce
qui paraît prometteur. Elle permettrait également pour ses partisans de favoriser l’appréhension
d’une affaire, tout en facilitant la connaissance de la jurisprudence1247. Mais les risques qu’elle
représente s’avèrent dissuasifs. Des reconsidérations sont inquiétantes (A) alors qu’il convient de
s’interroger sur le fait de savoir si la justice prédictive ne correspond pas à une justice expéditive ?
(B).
443. La justice prédictive n’est pas totalement une fiction1248 pour deux raisons. La première tient
à l’adoption par la Commission Européenne pour l’efficacité de la justice, fin 2018, d’une « Charte
éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires et leur environnement ». Il en
résulte le nécessaire respect de cinq principes. Il s’agit de celui du respect des droits fondamentaux,
de non-discrimination, de qualité et de sécurité, le principe de transparence, ainsi que celui de
maîtrise par l’utilisateur1249. La seconde raison consistant à affirmer que la justice prédictive n’est
pas une fiction tient au fait qu’à « titre expérimental et en lien avec la Chancellerie, les cours d’appel de Rennes
et de Douai ont testé […] en matière civile, le logiciel de la société « Predictice », qui se dit être en mesure de prévoir
une décision judiciaire, par le traitement algorithmique préalable de l’ensemble de la jurisprudence »1250. D’après
Monsieur Ronsin, premier président de la cour d’appel de Rennes, l’expérience n’est pas
convaincante car « le logiciel n’apporte aucune plus-value par rapport à d’autres moteurs de recherche qui
permettent déjà une analyse très satisfaisante de la jurisprudence des cours d’appel et de la Cour de cassation. On se
situe plus dans un projet d’approche statistique et quantitative que qualitative »1251. En effet, la justice
prédictive pourrait entraîner le risque d’une dénaturation du droit (1) mais aussi celui de la remise
en cause des qualités d’impartialité et d’indépendance du juge (2) la machine pouvant prendre
l’ascendant sur le comportement humain.
1246
Site internet : predictice.com.
1247
T. CASSUTO, « Droit et intelligence artificielle », Dalloz actualité, 14 mars 2018.
1248
Y. MENECEUR, « Quel avenir pour la “justice prédictive” ? Enjeux et limites des algorithmes d’anticipation des décisions de
justice », JCP G, LexisNexis, no 7, 12 février 2018, p. 319 et 322 : au sein de travaux réalisés par l'University College of London il
était avancé qu'une intelligence artificielle était parvenue à reproduire 79 % des décisions rendues par la Cour européenne des droits
de l'homme. Par ailleurs, certains pays comme le Royaume-Uni font déjà usage de la justice prédictive.
1249
Commission Européenne pour l’efficacité de la Justice, « Charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle
dans les systèmes judicaires et leur environnement », 3-4 décembre 2018, p. 2.
1250
J-C. MARIN, « Discours “La justice prédictive” » op. cit.
1251
X. RONSIN, « L’utilisation de l’outil Predictice déçoit la cour d’appel de Rennes », Dalloz actualité, 16 octobre 2017.
310
1. Le risque d’une dénaturation du droit
444. L’introduction d’une justice prédictive désengorgerait les tribunaux puisqu’une personne
avertie que sa prétention a peu de chance de recevoir une suite favorable ne saisira probablement
pas une juridiction1252. Certains considèrent que « ce type de justice pourrait devenir de facto une première
instance de régulation des conflits au profit d’une société régulée, apaisée, qui aurait pour vocation de reconstruire le
lien social par la vertu de la négociation et de l’échange que le procès ne peut plus offrir, faute de temps »1253. La
justice prédictive apparaît comme « un moyen de faciliter les résolutions amiables des conflits en facilitant le
partage d’informations objectives »1254. Mais elle pourrait aussi s’interpréter comme une restriction
d’accès aux juges alors que ce droit est contenu au sein de l’article 6-1 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Dès lors, elle risquerait d’être en désaccord avec notre système
démocratique1255.
445. Par ailleurs, comme le souligne Madame Amrani-Mekki, le droit se verrait « désubstantialiser »
puisque la solution proposée ne serait plus nécessairement juridique1256. En d’autres termes, « l’effet
performatif de la justice prédictive conduirait à une standardisation du droit »1257. Il pourrait être imaginé
l’hypothèse dans laquelle « les plaideurs opposeraient dans leurs arguments les différents résultats fournis par les
différents logiciels disponibles sur le marché. Ce qui dénaturerait totalement la nature du procès, puisque cela
reviendrait à une bataille entre algorithmes et non à une bataille entre prétentions »1258. Outre la dénaturation
du droit, l’introduction d’une justice prédictive pourrait remettre en cause les qualités
indispensables au juge pour l’accomplissement de sa mission juridictionnelle.
446. Si à première vue la justice prédictive n’a pas pour ambition de supprimer la compétence
des juges ou de bouleverser les garanties du droit à un procès équitable, qu’adviendra-t-il dans la
1252
A. MARTINAY et M. MAZENS, Regards sur les « promesses » de la justice prédictive, Articles de recherche étudiants, IAE de Poitiers,
p. 5 et N. FRICERO, « Collecte, diffusion et exploitation des décisions de justice : quelles limites, quels contrôles ? », JCP G,
LexisNexis, no 7, 12 février 2018, p. 282.
1253
S. AMRANI-MEKKI, « Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique : des liaisons dangereuses ? », op. cit., p. 50.
1254
B. DEFFAINS et J-B. THIERRY, « Transformation numérique. Pourquoi la fin doit justifier les moyens », JCP G, LexisNexis, no
6, 5 février 2018, p. 230.
1255
F. HASTINGS, « Tribunaux La justice prédictive monte en puissance dans le débat », Lamyline, Droit et Patrimoine, no 270, 1
juin 2017.
1256
S. AMRANI-MEKKI, « Justice judiciaire, justice amiable, justice numérique : des liaisons dangereuses ? », op. cit.
1257
L. MAILHAC, « Justice prédictive et propriété intellectuelle », Mémoire, Université Paris II Panthéon-Assas, 2018, p. 37.
1258
Ibid. p. 23.
311
situation où un juge voudrait proposer une solution différente de celle préconisée par l’algorithme ?
Qu’adviendra-t-il s’il décide de s’en éloigner à plusieurs reprises ? Si ses collègues les suivent, ne
serait-il pas influencé de faire de même ?1259 Autrement dit, elle pourrait être vectrice de pression
pour les juges1260. Il y aurait un « effet moutonnier de la justice prédictive »1261 ou plus radicalement, les
algorithmes pourraient revêtir une influence telle qu’ils pourraient « générer des prophéties
autoréalisatrices »1262. Par ailleurs, si ces juges « déviants » étaient pénalisés parce qu’ils s’étaient
détachés de l’algorithme, le risque est que ceux ayant valablement jugés qu’une solution nouvelle
devait s’imposer ne pourrait se faire entendre1263. La difficulté s’accroît en présence d’un juge
unique. Seul, il sera tiraillé entre prononcer sa décision ou se conformer à ce que pourrait faire
d’autres juges pour ne froisser personne. Cette supposition amène à aborder l’indépendance de la
prise de décision. Qu’en est-il lorsqu’une machine influence à prendre telle ou telle solution ? Dans
cette hypothèse, les juges restent-ils indépendants ? « La révélation des statistiques risque de pousser le juge
à retenir la solution qui aura été adoptée par la majorité avant lui, tandis que la solution adoptée par le juge viendra
à son tour, insidieusement, renforcer cette majorité, conduisant encore un peu plus le prochain juge à statuer dans le
même sens, et ainsi de suite […] Plus la majorité est grande, plus la psychologie de l’exemple trouve à s’appliquer.
Dès lors, il y a tout lieu de croire que la majorité relative initiale va progressivement se renforcer jusqu’à devenir une
majorité absolue, voire écrasante. Cela permet même de supposer qu’un jour le juge constatera que 100 % des juges
avant lui ont statué dans le même sens. A terme, l’effet performatif risque donc de conduire à une uniformisation de
la jurisprudence »1264.
447. A fortiori, qu’en serait-il des revirements de jurisprudence alors qu’ils sont essentiels compte
tenu de l’évolution des besoins de la société ? La justice deviendrait linéaire et figée1265 puisque les
mêmes solutions seraient proposées aux justiciables. Si un juge à la faculté de ne pas suivre un
précédent, une machine n’a pas ce pouvoir de détachement1266. Il est vrai que le modèle de la justice
prédictive paraît a priori se rapprocher de la règle du précédent du système de Common law. Or, le
1259
F. GUERANGER, « Réflexions sur la justice prédictive », op. cit., p. 15.
1260
S. DE SILGUY, « Doit-on se méfier davantage des algorithmes ? », RLDC, no 146, 1 mars 2017.
1261
A. GARAPON et J. LASSEGUE, Justice digitale. Révolution graphique et rupture anthropologique, coll. PUF, 2018, p. 239.
1262
B. BARRAUD, « L’algorithmisation de l’Administration », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, no 150, 1 juillet 2018.
1263
J-B. PREVOST, « Justice prédictive et dommage corporel : perspectives critiques », Gaz. Pal., Lextenso, no 4, 31 janvier 2018, p.
43.
1264
S-M. FERRIE, « Les algorithmes à l’épreuve du droit au procès équitable », op. cit., p. 502.
1265
J-B. PREVOST, « La fabrique des données : à propos du codage numérique du droit et de ses limites », Gaz. Pal., Lextenso, no
3, 22 janvier 2019, p. 81.
1266
P. MORVAN, « Open data et justice prédictive », 21 mai 2018.
312
premier est plus strict puisque la machine suivra toujours le précédent, à l’inverse du juge de
Common law qui garde un pouvoir d’appréciation. Dans cette hypothèse, la machine est
inévitablement dépendante du précédent. Dès lors, les algorithmes risquent « de cristalliser la
jurisprudence, alors que celle-ci doit au contraire être non pas rétrospective, mais apporter une solution concrète à un
litige présent et, plus largement, accompagner les évolutions législatives, économiques et sociales. Ils risquent en outre
de conférer une force excessive à des solutions majoritaires, mais pas forcément pertinentes »1267. Le risque tient
aussi au fait qu’un juge qui serait réfractaire à se voir conseiller d’apporter telle ou telle solution
pourrait créer une rupture avec les précédents sans qu’elle soit en fait justifiée1268. De plus, « par
exemple en appel, le dispositif peut très bien confirmer une partie de la décision des premiers juges et le logiciel ne
saura pas dire quels éléments sont confirmés et de quelle manière. Il ne faut pas perdre de vue qu’une décision de
justice est une œuvre intellectuelle complète et souvent complexe »1269. Par ailleurs, cette nouvelle
administration de la justice s’inscrirait dans la continuité de la tendance déjà évoquée consistant à
établir un profilage du juge avec les risques que cela comporte, même s’il « paraît difficile d’attribuer
un tropisme décisionnel à une formation juridictionnelle collégiale sur la base de la seule occurrence du nom de son
président »1270. Là encore, à l’inverse, un juge unique serait inévitablement exposé à cette pratique.
448. L’impartialité est aussi concernée puisque c’est un fait, « un homme ne maîtrise pas son inconscient,
et une machine n’a pas d’inconscient »1271. Si les humains possèdent des émotions qui pourraient les
guider dans tel ou tel sens dans le prononcé d’une décision, a contrario, une machine n’a pas
d’émotion. Elle serait inévitablement impartiale, ou plutôt, elle permettrait « de « fiabiliser » l’acte de
juger »1272. La problématique est une nouvelle fois davantage perceptible en présence d’un juge
unique. Seul, ne bénéficiant pas d’échanges formels, est-ce que la machine ne lui serait pas
nécessairement supérieure concernant sa neutralité ? En outre, « le juge qui a consulté les statistiques est
placé dans une situation telle qu’il a pu se forger une opinion sur l’affaire avant de la juger. Nul besoin que le juge
ait eu personnellement à se forger une opinion, la consultation des statistiques lui présente l’opinion majoritaire,
1267
J-M. SAUVE, « Discours, La justice prédictive », op. cit.
1268
Y. GAUDEMET, « La justice à l’heure des algorithmes », RDP, Lextenso, no 3, 1 mai 2018, p. 651.
1269
X. RONSIN, « L’utilisation de l’outil Predictice déçoit la cour d’appel de Rennes », op. cit.
1270
Y. MENECEUR, « Quel avenir pour la “justice prédictive” ? Enjeux et limites des algorithmes d’anticipation des décisions de
justice », op. cit., p. 321.
1271
A. GARAPON et J. LASSEGUE, Justice digitale. Révolution graphique et rupture anthropologique, op. cit., p. 344.
1272
Y. MENECEUR, « Quel avenir pour la “justice prédictive” ? Enjeux et limites des algorithmes d’anticipation des décisions de
justice », op. cit., p. 322.
313
faisant ainsi naître un préjugé dans son esprit. Il y a dès lors tout lieu de penser que le justiciable, connaissant cet
état de fait, considèrera le juge comme non enclin à écouter ses arguments »1273.
Tous ces éléments amènent à s’interroger sur la justice prédictive et son rapport au temps.
449. Il est impératif que la quête de célérité du système judiciaire soit mesurée afin de ne pas
impacter la qualité des décisions de justice apportées. Dans cette conception, il ne faudrait pas que
dans la pratique la justice prédictive rime avec la justice expéditive. En effet, elle risque d’être à
l’origine d’une suppression de la motivation des décisions de justice (1) alors qu’elle permet de
conforter la confiance des justiciables mais aussi de comprendre la solution rendue ce qui, par
extension, a pour objectif de les dissuader de remettre en cause la décision apportée. L’autre risque
se rapporterait à une suppression des juges (2).
450. L’instauration d’une justice prédictive serait également contraire aux mouvements actuels
consistant à ouvrir des pistes de réflexion afin de trouver des solutions pour que les motivations
des décisions de justice soient plus enrichies1274. Pour exemple, en matière pénale, une récente
question prioritaire de constitutionnalité s’est posée au sujet de la motivation des décisions rendues
par les cours d’assises1275. Désormais, elles devront motiver la peine qu’elles prononcent1276. Cette
reconnaissance aura des répercussions positives sur la collégialité qui caractérise cette juridiction
puisqu’une plus ample motivation suppose des discussions plus fournies. Or, en présence d’une
justice prédictive, la motivation des décisions serait-elle préservée1277, ou la répétitivité des
sanctions permettrait-elle au contraire de l’évincer ? Quelle serait la place du juge s’il ne pouvait
justifier sa décision ? Au-delà de ces problématiques s’ajoute le risque de sa disparition.
1273
S-M. FERRIE, « Les algorithmes à l’épreuve du droit au procès équitable », op. cit., p. 503.
1274
J-P. JEAN, R. GUERLOT, M-P. LANOUE et alii, Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, Cour de
cassation, avril 2017, p. 129 et s.
1275
Cons. Constit. 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC.
1276
« QPC : les cours d’assises devront motiver les peines qu’elles prononcent », Dalloz actualité, 30 juil. 2018.
1277
Voir par exemple sur ce thème, L-M. AUGAGNEUR, « D’où jugez-vous ? Un paradoxe entre justice prédictive et réforme de la
motivation des décisions », JCP G, LexisNexis, no 13, 26 mars 2018, p. 582.
314
2. Le risque d’une suppression des juges
451. L’instauration d’une justice prédictive pourrait d’abord être à l’origine de la suppression de
l’intervention du juge unique. Les collégialités seraient initialement maintenues pour le traitement
des affaires complexes puisqu’elles laisseraient moins de place aux algorithmes. Une résonnance de
cette affirmation se retrouve au sein de l’intervention de Monsieur Sauvé, ancien vice-président du
Conseil d’Etat, où lors d’un colloque consacré à la justice prédictive, il avait déclaré que son
instauration permettrait de décharger les juges des tâches récurrentes au profit des questions
nouvelles ou complexes1278. Par ailleurs, si toutes les solutions répertoriées étaient identiques pour
un cas donné, il s’avèrerait que l’appel et le pourvoi en cassation n’auraient plus de significations1279.
Cela reviendrait ensuite à supprimer plusieurs collégialités1280 étant donné qu’elles correspondent
au mode d’organisation de ces juridictions. Cette suppression par touches successives n’aboutirait-
elle pas à long terme à une éradication des juges ?1281 Ainsi, l’expression de justice prédictive « prise
au pied de la lettre, pourrait signifier le remplacement pur et simple d’une juridiction composée d’hommes et de femmes
par un algorithme »1282. Au regard de cette profusion de menaces, Monsieur Garapon s’est interrogé
sur la nécessité de consacrer « un nouveau principe fondamental du procès, un principe de candeur du juge qui
devrait avoir à cœur de réserver aux plaideurs un regard neuf, vierge de tout préjugé et libre de toute pression
prédictive »1283.
Si cette réforme n’est pas opportune, celle consistant à instaurer un filtrage des pourvois
n’amène pas à la même conclusion.
1278
J-M. SAUVE, Colloque : La justice prédictive, Cour de cassation, 12 février 2018, p. 2.
1279
F. GUERANGER, « Réflexions sur la justice prédictive », op. cit., p. 15.
1280
F. MARTINEAU, « Juste un mot ? », Gaz. Pal., Lextenso, no 24, 3 juillet 2018, p. 3 : l'auteur souligne qu'il convient de sauvegarder
la collégialité.
1281
SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, « Les chantiers de la justice Numérique, Procédure civile et Réseau des juridictions : réaction
du Syndicat de la magistrature », op. cit., p. 76.
1282
A. GARAPON et J. LASSÈGUE, Justice digitale. Révolution graphique et rupture anthropologique, op. cit., p. 219.
1283
Ibid.
315
Section 2 – L’instauration d’un filtrage des pourvois en cassation
452. D’après l’article 604 du Code de procédure civile, « le pourvoi en cassation tend à faire censurer par
la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit »1284. Il s’inscrit parmi les
voies de recours extraordinaires1285. Ce pourvoi « n’est ouvert qu’à l’encontre de jugements rendus en dernier
ressort »1286 alors que la procédure implique le plus souvent une représentation obligatoire. Dans
cette hypothèse, le pourvoi est formé par une déclaration au greffe de la Cour de cassation1287 qui
doit en principe être effectuée dans un délai de deux mois1288 à compter de la notification de la
décision attaquée. Le demandeur en cassation aura quatre mois pour remettre un mémoire ampliatif
au greffe de la Haute juridiction1289 alors que le défendeur au pourvoi dispose d’un délai de deux
mois pour y répondre1290 dans ce qui est cette fois dénommé, un mémoire en défense. Soit le
pourvoi sera attribué à une chambre, soit il fera l’objet d’un traitement allégé selon ce qu’il a été
décidé par le conseiller rapporteur près la Cour de cassation1291. Force est de constater que cette
organisation doit être repensée. L’instauration d’un filtrage des pourvois est d’abord justifiée par la
volonté de consolider l’autorité de cette plus haute collégialité (§1) alors qu’elle permettrait ensuite
une réappropriation du temps judiciaire qui lui serait bénéfique (§2).
453. En droit positif français contemporain, il est acquis que les justiciables ont accès à la Cour
de cassation sans restriction. Autrefois pourtant, un filtrage de son accès s’opérait devant la
1284
Cette limitation à la vérification de la règle de droit tient à la mission même de la Cour de cassation qui ne prend pas en
considération les faits lorsqu’une affaire est portée à sa connaissance.
1285
Article 527 CPC : « les voies ordinaires de recours sont l’appel et l’opposition, les voies extraordinaires la tierce opposition, le recours en révision et
le pourvoi en cassation ».
1286
Article 605 CPC. Les décisions contre lesquelles une partie peut se pourvoir sont énumérées par les articles 606 à 608 du même
Code.
1287
Article 974 CPC.
1288
Article 612 CPC.
1289
Article 978 CPC.
1290
Article 982 CPC.
1291
Cour de cassation, « Commission de mise en oeuvre de la réforme de la Cour de cassation - Volet “filtrage des pourvois”,
Projet d’étude d’impact », 18 avril 2018, p. 6.
317
Chambre des requêtes supprimée par une loi du 23 juillet 19471292, alors qu’elle avait pour mission
d’effectuer un tri entre les pourvois selon qu’ils étaient considérés comme étant sérieux ou non. En
outre, en 1979, de nouvelles chambres civiles faisant appel à une collégialité de trois juges avaient
aussi pour prérogative d’écarter les pourvois infondés1293. Cette limitation d’accès à la Haute
juridiction s’avère encore nécessaire puisque les lenteurs de procédures résultent majoritairement
des parties, et non de la qualité des décisions rendues par les juges du fond. Il faut en conclure que
ces lenteurs sont évitables. En conséquence, il convient de restreindre l’accès à cette juridiction ce
qui consoliderait son autorité1294. Pour ce faire, une reconsidération de la sélection des pourvois
est nécessaire (A) ce qui implique d’exposer les modalités de cette nouvelle sélection des pourvois
(B).
454. S’il est depuis toujours compris par la communauté des juristes que la Cour de cassation
n’est pas un troisième degré de juridiction parce qu’elle n’a pas pour mission « de rejuger les
affaires »1295, cette information n’est pas acquise par les justiciables percevant le fait de pouvoir
porter leur litige devant cette Cour comme une troisième opportunité d’obtenir gain de cause. Cette
affirmation est perceptible en pratique puisqu’il est constaté qu’un nombre conséquent de pourvois
sont infondés (1), ce qui témoigne les insuffisances de la procédure de non-admission des pourvois
(2).
455. Il faut savoir que « la Cour de cassation ne peut qu’annuler (il y a cassation) ou refuser d’annuler (il y a
rejet du pourvoi) la décision déférée. Elle n’a pas le pouvoir de la réformer. Aussi, lorsqu’il y cassation, la cour renvoie
l’affaire à la connaissance d’une juridiction de renvoi, une autre juridiction de même nature que celle dont la décision
est cassée ou cette même juridiction mais composée d’autres magistrats »1296. Comme l’a souligné Monsieur
1292
Pour plus d’informations sur la chambre des requêtes voir notamment : SDER, « Commission de réflexion. Réforme de la
Cour de cassation. La chambre des requêtes (création, évolution, suppression) ».
1293
SDER, Commission de réflexion sur la réforme de la Cour. Sous-groupe « filtrage », Service de documentation, des études et du rapport
de la Cour de cassation, octobre 2014, p. 1 et 2.
1294
Contre cet argument voir notamment : B. HAFTEL, « Pour la Cour de cassation, contre la réforme du “filtrage des pourvois” »,
Gaz. Pal. Lextenso, n° 17, 15 mai 2018, p. 92. En faveur de cet argument : Assemblée nationale, « Amendement n° CL166 », 30
avril 2016. Cette division d’opinions est également retranscrite dans l’article suivant : T. COUSTET, « Filtrage des pourvois : la
Chancellerie installe “une commission de réflexion” », Dalloz actualité, 7 janvier 2019.
1295
Cour de cassation, « Quels sont le rôle et l’organisation de la Cour de cassation ? ».
1296
S. BISSARDON, Guide du langage juridique, op. cit., p. 481.
318
Bertrand Louvel, « parmi les très nombreux pourvois dont la Cour est saisie en matière civile chaque année, les
trois quarts sont voués à l’échec, parce qu’ils ne présentent pas de moyen sérieux de cassation, le justiciable tentant
trop souvent d’obtenir devant un troisième juge ce qu’il n’a pu convaincre le premier juge et le juge d’appel de lui
accorder »1297. Ainsi, « sur les 20 667 pourvois civils ayant été jugés ou radiés du rôle en 2017, seuls 4 998 ont
donné lieu à une cassation »1298. Dès lors, « seulement 31 % des pourvois sont cassés en matière civile en 2018
contre 26 % en 2017 »1299. Plus précisément, sur « 20 000 pourvois, 5 000 sont abandonnés avant tout
jugement, 5 000 font l’objet d’un rejet non motivé, 5 000 d’un rejet motivé et 5 000 d’une cassation. La Cour rend
donc, en matière civile, 10 000 décisions motivées par an qui statuent sur des pourvois fondés ou qui soulèvent des
difficultés sérieuses »1300. Bien qu’en matière civile au vu du délai de leur traitement, la Cour assure une
bonne rentabilité1301, l’objectif consiste à restreindre son accès afin de favoriser la qualité de ses
décisions. Le temps gagné par les hauts magistrats leur permettrait de le réinvestir dans l’examen
du dossier. C’est pourquoi, si elle pourrait dans une certaine mesure s’assimiler à « un centre de
production de décisions »1302, force est de reconnaître que « le mécanisme de filtrage vise à instaurer, en matière
civile, une gestion quantitative des flux au service d’une meilleure gestion qualitative des pourvois »1303, la
procédure de non-admission n’étant pas assez efficace.
456. Si le nombre de pourvois infondés s’avère conséquent, cela signifie que la procédure de non-
admission des pourvois n’est pas assez efficace, ce qui justifie l’opportunité d’instaurer un filtrage
devant cette Cour. La non-admission correspond au « sort des pourvois en cassation qui sont écartés
liminairement (déclarés non admis) en tant qu’ils sont irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux, par une
décision juridictionnelle émanant de trois magistrats du siège, au cours d’une audience dite d’admissibilité, avec l’avis
du ministère public, la non-admission fermant à ces pourvois l’accès ordinaire à la Cour de cassation »1304. Les
deux critères de non-admission également rappelés par le premier alinéa de l’article 1014 du Code
1297
B. LOUVEL, « La réforme du traitement des pourvois » op. cit.
1298
Cour de cassation, « Commission de mise en oeuvre de la réforme de la Cour de cassation - Volet “filtrage des pourvois”
éléments statistiques (extraits) 2017 ».
1299
T. COUSTET, « François Molins : “Une réforme des conditions d’exercice de la justice passe par un tri des pourvois” », Dalloz
actualité, 15 janvier 2019.
1300
L. BORE, « Questions sur le projet de filtrage des pourvois », Gaz. Pal. Lextenso, n° 17, 15 mai 2018, p. 87.
1301
N. MOLFESSIS, « Filtrage des pourvois : ne pas renoncer à réformer », Gaz. Pal. Lextenso, n° 17, 15 mai 2018, p. 90.
1302
Ibid.
1303
B. PIREYRE, « Débats autour du projet de réforme de la Cour de cassation », n° 17, Gaz. Pal. Lextenso, 15 mai 2018, p. 84.
1304
G. CORNU et al., Vocabulaire juridique, 11ème, op. cit., p. 686. Les autres pourvois sont traités par au minimum cinq magistrats.
319
de procédure civile, tiennent au fait qu’il est irrecevable, ou qu’il n’est pas fondé sur un moyen
sérieux. Est considéré comme irrecevable le pourvoi qui est par exemple formé hors délais, il résulte
donc d’une irrecevabilité manifeste1305, tandis que le pourvoi non fondé sur un moyen sérieux
correspond par exemple à celui qui viendrait contester une jurisprudence constante sans qu’il n’y
ait de véritable fondement à cette fin1306.
457. « Contrairement à une idée parfois répandue, la procédure de non-admission n’est pas un mécanisme de
filtrage des pourvois qui priverait les parties du droit d’accéder à une formation juridictionnelle. Elle n’est pas, non
plus, un mécanisme d’examen sommaire et rapide des dossiers. En réalité, l’instruction d’une affaire, qui se solde
par une décision de non-admission, ne diffère pas de celle d’une affaire achevée par un arrêt motivé »1307. Cette
non-admission ne s’assimile pas à un filtrage ou à un dispositif préalable d’admission des pourvois
parce que le conseiller rapporteur en ayant la charge l’aura instruit, en respectant le contradictoire,
afin de proposer son orientation vers une formation de non-admission1308. La décision de cette
formation n’aura pas à être motivée1309. En effet, c’est parce qu’il fait l’objet d’une instruction
complète qu’il ne peut être considéré comme un filtrage à proprement dit1310. Par conséquent, il
est opportun d’établir un filtrage des affaires en retenant certains critères, en considérant que s’ils
n’étaient pas remplis, l’affaire ne ferait pas l’objet d’une instruction complète afin d’assurer une
certaine célérité. Il convient dès lors d’en exposer les modalités.
458. « L’idée d’un filtrage des pourvois n’est pas neuve. En mai 2016, lors des débats sur la loi Justice du 21ème
siècle, le gouvernement avait proposé un amendement sur ce sujet, dans un dispositif semblable à celui souhaité
aujourd’hui par la Cour »1311. Plus récemment, Monsieur Bertrand Louvel souhaitait que cette
1305
Cour de cassation, « Admission des pourvois en cassation ».
1306
Ibid.
1307
V. VIGNEAU, « Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation », D., 2010, p. 102.
1308
J-M. SOMMER et B. MUNOZ PEREZ, « Dix ans de non-admission devant les chambres civiles de la Cour de cassation 2002-
2012 », Cour de cassation, février 2014, p. 5.
1309
Une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l’homme permet d’admettre l’adéquation de la procédure
de non-admission des pourvois avec le droit à un procès équitable concernant le principe de motivation des décisions. Dans ce
sens : CEDH, 28 janv. 2003, Burg et autres contre France, n° 34763-02, CEDH, 15 juin 2004, Stepinska contre France, n° 1814-02, CEDH,
21 mars 2006, Salé contre France, n° 39765-04.
1310
M-N. JOBARD-BACHELLIER, X. BACHELLIER, et J. BUK LAMENT, La technique de cassation. Pourvois et arrêts en matière civile, 9e éd.,
Dalloz, méthodes du droit, p. 18.
1311
P. JANUEL, « Loi de programmation de la justice : la Cour de cassation veut sa réforme », Dalloz actualité, 30 mars 2018.
320
réforme soit introduite dans la loi de programmation de la justice, ce qui n'a pas été fait1312. L’idée
n’a toutefois pas été abandonnée puisque l’opportunité de cette réforme est en ce moment analysée
par un groupe de réflexion mis en place sous la présidence de l’ancien garde des Sceaux, Monsieur
Henri Nallet. Leurs travaux devraient être communiqués en automne1313. Concernant ses
modalités, cette sélection doit être effectuée sur des critères prédéfinis (1) en sachant qu’il s’avère
nécessaire que ces critères de sélection soient en adéquation avec le droit interne et européen (2).
459. Il était proposé d’introduire « le filtrage des pourvois par la voie d’une demande d’autorisation qui sera
appréciée à la lumière des critères alternatifs fondés sur l’intérêt que présente une affaire pour le développement du
droit, l’unification de la jurisprudence, ou bien encore la préservation d’un droit fondamental auquel il serait
gravement porté atteinte »1314. Trois critères alternatifs prédéfinis permettraient donc d’assurer ce
filtrage. Ainsi, « une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit s’entend d’une
difficulté d’application ou d’interprétation d’un texte national ou international, non encore résolue, ou relative à une
situation dans laquelle des transformations économiques, sociales, scientifiques ou sociétales appellent une évolution
du droit ; une affaire soulevant une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence vise une
hypothèse de divergence avérée d’interprétation ou d’application de la loi, soit entre une ou plusieurs cours d’appel et
la Cour de cassation, soit entre des cours d’appel, soit enfin entre chambres de la Cour de cassation ; une atteinte
grave à un droit fondamental renvoie à la violation d’une intensité particulière d’un droit fondamental »1315.
460. L’établissement de critères définis à l’avance présente plusieurs avantages. Ils permettraient
de favoriser la lisibilité d’accès à la Cour de cassation tout en évitant les rejets arbitraires, alors qu’un
gain de temps serait perceptible. Au surplus, ils ne dénatureraient pas la mission de contrôle de la
bonne application du droit depuis toujours dévolue à la Cour de cassation, ce rôle étant préservé
par le critère d’unification de la jurisprudence. L’objectif consiste à rationaliser cette juridiction sans
pour autant lui ôter son identité. S’adjoint à ces avantages le fait que l’instauration de ce filtrage
serait bénéfique à l’intelligibilité de l’ensemble de la matière civile. En effet, cela reviendrait à
« consacrer la juridiction de première instance comme le juge naturel de l’achèvement normal du procès, la juridiction
1312
Ibid.
1313
S. AMRANI-MEKKI, « Le temps des réformes : qui de l’oeuf ou de la poule ? », Gaz. Pal., Lextenso, no 4, 29 janvier 2019, p.
51.
1314
B. LOUVEL, « La réforme du traitement des pourvois » op. cit.
1315
Cour de cassation, « Commission de mise en oeuvre de la réforme de la Cour de cassation - Volet “filtrage des pourvois”,
Projet d’étude d’impact », 18 avril 2018, p. 16.
321
du second degré comme le juge chargé de contrôler et, le cas échéant, de redresser la régularité, la légalité et la qualité
du jugement du premier degré, la Cour de cassation, enfin, comme le juge du droit, investi d’un office principalement
recentré sur sa mission normative »1316.
Pour être transposable, ce filtrage doit aussi bien être en adéquation avec le droit interne
qu’européen.
461. Concernant le droit interne, cette restriction d’accès doit être en accord avec le principe
constitutionnel d’égalité devant la loi. Il serait respecté car « le schéma proposé aspire à traiter de la même
manière, dès lors qu’ils sont placés dans la même situation, des citoyens qui prétendent recourir à la Cour de cassation.
Les différences de traitement appliquées aux auteurs de pourvois sont justifiées par une différence de situation,
appréciée de la façon la plus objective possible, et par des motifs tirés de l’intérêt général »1317.
462. Quant au droit européen, plusieurs décisions permettent d’admettre qu’un filtrage puisse
être établit. Ainsi, dans l’affaire Viard contre France1318, les juges de la Cour européenne des droits
de l’homme avaient déclarés que le fait qu’un justiciable ait droit à un tribunal ne signifie pas que
son droit d’accès est absolu, des restrictions pouvant être apportées en vue de limiter son droit de
recours. Plus récemment, dans l’affaire Zubac contre Croatie1319, cette solution avait aussi été
retenue tout en précisant que cette limitation s’inscrit dans deux principaux objectifs, à savoir, celui
du respect de la prééminence du droit et celui de la bonne administration de la justice. Si ce droit
d’accès a aussi été affirmé dans le célèbre arrêt Golder contre Royaume-Uni1320, il était établi que
cette restriction ne saurait revêtir la qualification d’un déni de justice. Enfin, il était considéré dans
l’affaire Valchev et autres contre Bulgarie1321 que la limitation d’accès à la Cour n’allait pas à
l’encontre du droit d’accès à un tribunal car la demande des requérants avait été examinée par deux
niveaux de tribunaux jouissant d’une plénitude de juridiction.
1316
B. PIREYRE, « Libre propos sur le projet de dispositif de filtrage des pourvois en cassation », op. cit., p. 83.
1317
COUR DE CASSATION, Commission de mise en oeuvre de la réforme de la Cour de cassation - Volet « filtrage des pourvois », Projet d’étude
d’impact, 18 avril 2018, p. 8.
1318
CEDH, 9 janv. 2014, Viard contre France, n° 71658-10.
1319
CEDH, 5 avr. 2018, Zubac contre Croatie, n° 40160-12.
1320
CEDH, 21 fév. 1975, Golder contre Royaume-Uni, n° 4451-70.
1321
CEDH, 21 janv. 2014, Valchev et autres contre Bulgarie, n° 47450-11, n° 26659-12, n° 53966-12.
322
Dès lors, sa transposition en droit français est possible alors qu’il permettrait de favoriser
le respect d’un délai raisonnable.
463. Mettre en œuvre un filtrage des pourvois devant la Haute juridiction permettrait une
réappropriation du temps judiciaire qui lui serait bénéfique étant donné qu’elle ne connaîtrait que
des affaires présentant un certain sérieux. Il est à noter que ce filtrage serait en adéquation avec la
proposition consistant à reconnaître la communication des opinions dissidentes entre juridictions.
En effet, elle contribuerait à rationaliser au maximum cette sélection des pourvois puisque les avis
minoritaires se verraient retranscrits, ce qui faciliterait l’appréhension d’une affaire. S’y adjoint le
fait que ce filtrage est admissible puisqu’il est déjà réalisé à l’étranger (A) où les voies de recours ne
sont pas automatiquement accessibles aux justiciables. La collégialité serait ensuite au cœur de la
réforme française (B) ce qui retranscrit encore aujourd’hui l’intérêt qu’elle suscite.
464. Puisque certains pays limitent aujourd’hui l’accès à leurs voies de recours1322, cela permet
d’admettre qu’une restriction d’accès à la Cour de cassation est envisageable et réalisable. Il est à
noter que les critères de filtrage sont différents selon les pays (1). D’abord, certains se fondent sur
des critères parfois objectifs tandis que ce n’est pas le cas pour d’autres. Ensuite, il ressort que
l’appréciation de l’opportunité d’accéder à la plus haute juridiction ne relève pas d’une autorité
identique. Cette absence de modèle unique représente des sources d’inspiration pour le droit
français (2).
465. En Allemagne, en principe, un pourvoi n’est possible que si la juridiction d’appel l’autorise
dans son jugement. Pour ce faire, trois critères objectifs sont retenus, à savoir, l’importance de
principe de la question juridique, l’évolution du droit et la sauvegarde d’une jurisprudence1323. Il
est à noter une ressemblance avec le modèle de filtrage envisagé en France compte tenu du fait
qu’il comprend trois critères prédéfinis. En cas de refus de la cour d’appel allemande, « la Cour
1322
Sur cette thématique voir notamment : « La sélection des recours par les Cours suprêmes européennes », 28 novembre 2014.
1323
Ibid. p. 2.
323
suprême judiciaire – le Bundesgerichtshof – peut également déclarer un recours recevable, dans le cadre d’un recours
contre la décision de non-admission et lorsque le grief subi est supérieur à 20 000 euros »1324. Pour autant, les
mécanismes de filtrage n’impliquent pas nécessairement la mise en place de critères objectifs. En
effet, dans les systèmes de Common law, la tendance du cherry picking caractérise le fait que les
affaires sont presque discrétionnairement examinées par la plus haute juridiction. De manière
imagée, le cherry picking signifie que seul certaines affaires, les plus appétissantes seraient
sélectionnées. Pendant ces deux dernières années il y avait « 100 à 150 décisions rendues en moyenne
annuelle par la US Supreme Court ; 70 à 80 par la UK Supreme Court »1325. Un autre modèle de filtrage
est également mis en place en Belgique. La particularité tient au fait que ce sont les avocats à la
Cour de cassation qui devront établir si une affaire a ou non des chances de succès. Dans plus de
la moitié des cas, soit soixante pourcents d’entre eux, les avocats rédigent un avis négatif1326.
Dès lors, plusieurs solutions peuvent être envisagées concernant l’autorité compétente
chargée d’autoriser ou non l’accès à la Cour de cassation, ce qui en fait des sources d’inspiration
pour le droit français.
466. Etant donné que le filtrage d’accès à la plus haute juridiction ne fait pas l’objet d’un modèle
unique, il aurait par exemple pu être proposé de transposer le système mis en place en droit
allemand compte tenu de ses rapprochements avec celui envisagé en droit français. Il s’agirait de
confier ce filtrage à la cour d’appel. Il reviendrait donc aux magistrats de la cour d’appel auteurs
d’une décision, de préciser si elle sera susceptible ou non de faire l’objet d’un pourvoi. Il est vrai
qu’il « apparaît pour le moins paradoxal de charger le juge qui vient de rendre une décision de dire si sa décision
peut être critiquée »1327. Il convient donc d’écarter cette solution à l’instar de celle retenue dans le
système de Common law qui s’avère être trop radicale puisqu’elle fait appel au discrétionnaire.
Enfin, l’attribution de ce filtrage à des avocats à la Cour de cassation tel qu’il est pratiqué en
Belgique ne paraît pas non plus opportune. L’importance de cette décision mais aussi la facilitation
de son acceptation implique qu’elle soit prise par des juges et a fortiori, par une collégialité. Celle-ci
1324
Ibid.
1325
COUR DE CASSATION, Rapport annuel, 2017, p. 4.
1326
« La sélection des recours par les Cours suprêmes européennes », op. cit., p. 6.
1327
M-N. JOBARD-BACHELLIER, X. BACHELLIER et J. BUK LAMENT, La technique de cassation. Pourvois et arrêts en matière civile, op. cit.,
p. 19.
324
est donc au cœur de la réforme parce que cette décision d’admission relèverait d’une collégialité,
alors qu’elle permettrait aussi de renforcer l’efficacité de la collégialité de la Cour de cassation.
467. Les multiples solutions offertes par les pays étrangers ne peuvent être transposées sans un
aménagement particulier étant donné que pour qu’une réforme fonctionne, encore faut-il qu’elle
s’inscrive dans le prolongement de notre culture. L’importance de la décision d’accès ou non à la
Cour de cassation doit être prise en considération afin de savoir qui en aura la responsabilité. C’est
en ce sens qu’il paraît nécessaire d’attribuer la décision d’admission du pourvoi à une collégialité
(1). En outre, la restriction d’accès à cette Cour en renforcerait la solennité au point qu’elle puisse
être assimilée à une juridiction suprême (2).
468. Au sein du projet de textes relatif au filtrage des pourvois de la Cour de cassation, il est
proposé que la demande d’autorisation de pourvoi soit « examinée par une formation de trois magistrats
appartenant à la chambre dont relève l’affaire en raison de la matière »1328. Cette pratique rappelle celle de la
saisine pour avis dans laquelle les problématiques sont aussi attribuées aux chambres selon leur
spécialité, afin d’assurer l’efficacité et la qualité de leur traitement. Cette proposition revêt par
ailleurs une facile lisibilité. Cette prise de décision incomberait donc à une collégialité, ce qui est
justifié. En effet, il aurait pu paraître discutable qu’un juge unique soit compétent alors que cette
décision ne sera pas motivée et qu’elle ne sera pas non plus susceptible de recours1329. De plus, la
décision du juge unique aurait pu être moins facilement acceptable pour les parties alors même que
cette réforme ne fait pas l’objet d’un consensus unanime1330 car l’importance du nombre assoie
l’autorité de la prise de décision. S’y adjoint sa finalité qui aurait parfois pour conséquence de
proscrire l’accès à une juridiction aux justiciables. En outre, le fait que cette collégialité soit
composée de trois membres permet d’assurer la célérité de cette procédure, puisqu’il ne pourra pas
y avoir d’égalité des voix lors de la prise de décision.
1328
Cour de cassation, « Commission de mise en oeuvre de la réforme de la Cour de cassation - Volet “filtrage des pourvois”,
Projet d’étude d’impact », 18 avril 2018, p. 2.
1329
P. JANUEL, « Loi de programmation de la justice : la Cour de cassation veut sa réforme », op. cit.
1330
T. LE BARS, « Menaces sur la cassation à la française : des propositions de réforme consternantes », Gaz. Pal. Lextenso, n° 14,
10 av. 2018, p. 12, L. GARNERIE, « Avocats et magistrats s’opposent au filtrage des pourvois », Gaz. Pal. Lextenso, n° 16, 30 av.
2018, p. 8 et O. DUFOUR, « La Cour de cassation répond aux critiques concernant le filtrage des pourvois », op. cit., p. 4.
325
S’y ajoute le rayonnement octroyé à la Cour de cassation du fait de cette nouvelle
reconnaissance.
469. S’il est traditionnellement avancé que la rédaction des arrêts de la Haute juridiction est
difficilement compréhensible1331, un effort de lisibilité1332 paraît amorcé comme en témoigne une
récente décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendue en septembre 20181333.
La rédaction y apparaît plus longue que d’habitude tout en ne faisant plus apparaître la formulation
qui la caractérise, à savoir : attendu que. Changement remarquable également, elle fait référence de
manière explicite a une jurisprudence constante. Elle tend de cette manière à se rapprocher des
décisions émises par la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui permettrait au même titre,
de favoriser son rayonnement.
470. Dans cette continuité, le filtrage des pourvois permettrait à la Cour de cassation de se
concentrer sur les décisions les plus importantes. Le temps gagné pourrait être réinvesti dans la
motivation de ses arrêts, ce qui par ricochet conforterait leur qualité. Cet enrichissement nécessite
que les échanges lors du délibéré soient constructifs. Cette élévation de la Cour de cassation lui
permettrait d’établir une « jurisprudence d’envergure »1334 compte tenu du rayonnement dont elle ferait
l’objet. « Plus que jamais, la jurisprudence de la Cour de cassation doit être connue, et comprise, tant du justiciable
que des avocats, de la doctrine, des juridictions du fond, des autres juridictions nationales, des juridictions
internationales, de la communauté des juristes au sens large. Le foisonnement de la jurisprudence de la Cour de
cassation, qui n’est pas toujours hiérarchisée de manière très claire, augmente le risque de sa mauvaise diffusion »1335.
Ainsi, un filtrage des pourvois permettrait à la Cour de cassation d’être « une juridiction suprême
judiciaire »1336. De surcroît, ce filtrage pourrait renforcer le dialogue des juges1337. Le partage
1331
O. DUFOUR, « La Cour de cassation, entre évolution et révolution ! », op. cit., p. 3 et conférence : Accéder au juge suprême,
Université Toulouse 1 Capitole, 21 janvier 2016, intervention de Madame E. PROUST, Conseiller référendaire chargée de mission
auprès du Premier Président de la Cour de cassation, sur : « devenir une cour suprême. Réflexions en cours ».
1332
Il est nécessaire car la confiance des justiciables envers les juges passent par la compréhension de leurs décisions.
1333
Com., 26 septembre 2018, n° 16-28281.
1334
Cour de cassation, « Admission des pourvois en cassation ».
1335
J-P. JEAN, R. GUERLOT, M-P. LANOUE et alii, Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, op. cit., p.
227.
1336
M. BABONNEAU, « Des pistes de réflexion pour une réforme de la Cour de cassation », Dalloz actualité, 1 mars 2017.
1337
Pour plus d’informations sur cette notion voir notamment D. QUINTY, « Le dialogue des juges : le procès équitable devant les
juridictions nationales et européennes ».
326
d’opinions qu’il suscite entre les juridictions communautaires et nationales ne permet-il pas de
retranscrire l’importance des échanges, ce qui pourrait là encore, de manière implicite, rappeler les
bienfaits de la collégialité ?
327
Conclusion de la seconde partie
Si des conditions attenantes au droit à un procès équitable peuvent connaître des intensités
différentes selon la juridiction à laquelle elles se rapportent, la collégialité permet majoritairement
de les consolider d’où l’intérêt de la préserver. Cette affirmation est concrètement perceptible
concernant l’exigence d’indépendance. Une collégialité permet de la favoriser grâce à la répartition
égalitaire du droit de vote, le principe d’anonymat des décisions de justice, ou encore, par la mise
en œuvre de l’ordonnance de roulement. En somme, elle permet de réaliser un parfait équilibre
entre d’un côté l’indépendance de ses membres, et de l’autre, l’image d’entité harmonieuse qu’elle
exhale. De surcroît, le fait qu’elle renforce l’indépendance de ses membres est un argument majeur
au service de sa pérennité, puisque cette garantie est la qualité première attendue des juges.
Au même titre que l’indépendance, bien qu’elle ne soit plus ici concrètement perceptible,
l’impartialité subjective des juges est confortée par les délibérés collégiaux. A côté de cette forme
d’impartialité, celle dite fonctionnelle a été renforcée en passant d’un critère fondé sur l’apparence
à celui de la réalité. Là encore, les règles de procédure civile encouragent la collégialité puisque les
probabilités qu’un juge ait déjà connu une affaire similaire sont importantes. Cette étude a ensuite
permis de démontrer que ces exceptions liées à la réintervention du juge trouve toujours des
justifications, ce qui témoigne là encore, une adaptation du droit à des situations données.
Force est de constater qu’en présence d’une collégialité, la condition la plus difficile à
assurer est celle consistant à respecter un délai raisonnable. Certes, le fait qu’une décision soit
adoptée à la majorité des voix s’inscrit dans cet objectif, mais elle ne saurait à elle seule suffire.
Cette recherche est encourageante concernant le rapport à cette condition puisqu’elle a permis de
mettre en exergue que les durées de procédures sont allongées du fait des parties et non de la qualité
des décisions apportées par les juges du fond. Elles sont donc évitables en révisant les critères
d’accès à certaines juridictions. Pour ce faire, les organisations juridictionnelles des autres pays
apparaissent comme des sources d’inspiration alors que la collégialité y est aussi présente, bien
qu’elle revête une nouvelle fois des modalités différentes.
329
CONCLUSION GENERALE
S’intéresser à la collégialité dans le procès civil est une large thématique pour plusieurs
raisons. Les prémices de l’étude ont permis d’établir à partir de quel moment, au cours d’une
procédure civile, le terme de collégialité opère une mutation pour revêtir une signification
différente. Avant la phase du délibéré, il désigne une formation composée de plusieurs juges, tandis
que durant cette étape procédurale, il se perçoit par sa finalité. Il correspond à une formation
composée de plusieurs juges qui prennent une décision commune à l’issu d’un vote. La prise de
décision est le fil d’Ariane de cette recherche sachant que les formations collégiales qui en sont à
l’origine, ou ses modalités, varient au sein même du droit français. Ensuite, le procès civil regroupe
un nombre conséquent de juridictions. C’est ici que la collégialité a permis de témoigner qu’elle
correspond à une formation sur mesure en offrant une parfaite cohérence sur le territoire
hexagonal. Au premier et second degrés, ou encore près la Cour de cassation, la collégialité trouve
toujours une justification, alors que les qualités qu’elle représente grâce à l’interaction suscitée lors
du délibéré impliquent de lui accorder davantage de reconnaissance. Pour ce faire, il convient de la
reconnaître comme un principe en modifiant l’article L 121-2 du Code de l’organisation judiciaire
en prévoyant que « les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s’il en est autrement disposé par la
loi », alors qu’il doit aussi être reconnu dans la Constitution.
Des exigences sont aussi apparues comme étant essentielles au bon fonctionnement de la
justice compte tenu de leur redondance. C’est en cela que plusieurs mots se sont rencontrés à
diverses reprises au point qu’ils deviennent des impératifs. Tel est le cas des vocables de confiance
et de qualité. Dès lors, le juge unique est présenté comme un juge rapide agissant à moindre coût.
Ces avantages n’ont pas suffi à le généraliser dans le droit positif français contemporain ou à le
reconnaître comme la formation de principe. Contrairement à ce qui est souvent pensé, ce n’est
pas la confiance qu’il suscite qui fait défaut, comme l’illustre le taux d’appel à l’encontre des
décisions du juge d’instance, ce chiffre n’est pas conséquent. Par contre, la qualité liée à son
intervention est parfois remise en cause, notamment lorsqu’il intervient au provisoire et qu’il est
attendu qu’il agisse avec célérité. Des interrogations se sont posées concernant le respect des
garanties du droit à un procès équitable. Des suspicions tiennent par exemple à l’aménagement du
principe du contradictoire ou au fait que la mesure soit immédiatement exécutoire.
331
Cette étude permet également de démontrer que la collégialité s’interprète comme une
nécessité lorsqu’il y a une difficulté. Le terme de difficulté correspond à deux situations. Dans la
première, un juge unique peut connaître des difficultés parce qu’il est exposé compte tenu de
l’absence d’anonymat de ses décisions. Il peut donc connaître des pressions. Dans cette hypothèse,
il pourra recourir à la collégialité lorsqu’elle est procéduralement possible, ce qui fait qu’elle
s’assimile à une formation protectrice. Dans la seconde situation, la difficulté résulte de la technicité
du litige. Là encore, un juge unique peut demander de renvoyer une affaire qui lui a été attribuée à
cette formation, en sachant qu’il l’intègrera, ce qui en fait un outil pédagogique. Le pouvoir de la
collégialité est d’ailleurs tel qu’elle est assez forte pour comprendre en son sein un juge unique ayant
manqué à ses obligations. Ces deux difficultés amènent à affirmer que la collégialité est vouée à
perdurer puisqu’un juge unique pourra toujours connaître des pressions, au même titre que la
complexité nécessite de recourir à plusieurs juges. En effet, la spécialisation d’un juge ne suffit pas
à outrepasser toutes les difficultés, comme l’illustre l’intervention du juge aux affaires familiales qui
peut renvoyer son affaire à une collégialité. Dans cette hypothèse, la collégialité n’a pas pour
ambition de primer sur celle du juge unique, ce qui fait qu’elle prendra la dénomination de juge aux
affaires familiales au singulier. C’est encore une de ces particularités. Elle n’a jamais pour finalité
de considérer davantage un membre ou de marquer une prééminence, alors qu’en arbitrage
international le président de la juridiction possède une voix prépondérante. En l’occurrence, il
s’avère opportun de recourir à l’échevinage devant la formation de jugement du conseil de
prud’hommes puisque le recours à un magistrat professionnel, le juge départiteur, n’a pas
nécessairement lieu lorsque les conseillers n’arrivent pas à faire émerger une majorité. Là encore,
contrairement à ce qui pourrait être imaginé, son intervention ne retranscrit pas nécessairement un
désaccord entre ses membres. En pratique, elle est demandée lorsqu’une question soulève une
problématique qui pourrait entraîner des conséquences importantes. La raison de cette proposition
tient au taux d’appel conséquent. L’objectif consiste à ne pas entièrement dénaturer cette
composition historique en maintenant l’intervention des juges non professionnels aux côtés du
magistrat, alors que cette solution revêt aussi des répercussions positives d’un point de vue
économique.
Outre les diverses formes qu’elle peut prendre, le formalisme attaché aux décisions que
prononce la collégialité ne fait pas l’objet d’un modèle unique. En procédure civile, les principes
du secret du délibéré et d’anonymat de la décision de justice justifient que les opinions séparées des
juges ne soient pas communiquées. C’est en cela que la collégialité est assimilée à une organisation
harmonieuse, l’objectif étant que ses membres prononcent une seule et unique décision, mais aussi
332
qu’elle donne l’impression qu’elle forme un tout, une unité. Par opposition, en arbitrage interne,
des dissidences sont perceptibles puisque les juges minoritaires peuvent ne pas signer la sentence
sans pour autant faire connaître l’origine de leur désaccord. L’admission des dissidences est donc
timide. Cette constatation est identique concernant les autres juridictions civiles car s’il peut être
indiqué sur la décision qu’elle a été prise à la majorité des voix et non à l’unanimité, les juges
minoritaires ne peuvent faire connaître les raisons de leurs divergences. C’est parce qu’elle s’assimile
à une formation impénétrable qu’elle permet d’apporter une autorité à ses décisions, alors que sa
composition pluripersonnelle vient conforter cette portée.
333
Cette analyse démontre également que les lenteurs de procédures résultent majoritairement
des justiciables et non de la qualité des décisions rendues par les juges du fond. Au vu de cette
constatation, une autre solution consiste à restreindre l’accès à la Cour de cassation en y instaurant
un véritable filtrage des pourvois, la procédure de non-admission des pourvois ne s’entendant pas
comme un filtrage à proprement dit.
Dès lors, plusieurs solutions sont envisageables afin que la collégialité perdure en procédure
civile alors qu’elle s’inscrit dans la continuité de notre système démocratique. Ainsi, au terme de
cette recherche, il convient de rejoindre les propos de Monsieur Magendie lorsqu’il affirme que « la
collégialité est une qualité supplémentaire de la justice »1338.
*
* *
1338
J-C. MAGENDIE, « L’efficacité au service de la justice civile », op. cit., p. 23.
334
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359
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Note du 26 juillet 2016 relative à la mise en oeuvre des dispositions du décret n° 2016-514 du 26 avril 2016
relatif à l’accès au droit, à l’organisation judiciaire, aux modes alternatifs de résolution des litiges et à la
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Ministère de la Justice, 21 mars 2018.
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360
Index des décisions
1/ CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Cons. Constit. 2 mars 2018, n° 2017-694. M. Ousmane K. et autres, AJDA 2018, p. 1561.
- Voir la note de bas de page n° 1275
2/ CONSEIL D’ETAT
3/ COUR DE CASSATION
Civ. 1ère, 3 mars 1992, n° 90-11088, Bull. 1992, I, n° 73, p. 49. JCP 1993. II, p. 21997, obs.
Du Rusquec ; JCP N 1993. II, p. 45, note Fossier ; RTD civ. 1993, p. 101, obs. Hauser.
- Voir la note de bas de page n° 989
Civ. 1ère, 11 mars 1997, n° 92-16866, Bull. 1997, I, n° 87, p. 57. RG proc. 1999, p. 620, obs.
Wiederkehr.
- Voir la note de bas de page n° 944
Civ. 1ère, 31 mars 1998, n° 95-17430, Bull. 1998, I, n° 133, p. 88. V. J-Cl. pr. civ., Renvoi, par B.
Bernabé, fasc. 800-10, n° 7.
- Voir la note de bas de page n° 814
Civ. 1ère, 28 avril 1998, n° 96-11637, Bull. civ. 1998, I, n° 155, p. 102. RTD civ. 1998, p. 744, obs.
R. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 814
Civ. 1ère, 16 mars 1999, n° 96-12748, Bull. 1999, I, n° 88, p. 59. RTD com. 1999, p. 850, obs. Loquin.
- Voir la note de bas de page n° 1091
Civ. 1ère, 3 février 2004, n° 01-11898, Bull. civ. 2004, I, n° 28, p. 25. D. 2004, p. 1206, obs. Julien.
- Voir la note de bas de page n° 197
Civ. 1ère, 30 juin 2004, n° 01-03248 01-15452, Bull. 2004, I, n° 191, p. 157. RJ com. 2004, p. 380,
obs. Poillot-Peruzzetto.
- Voir la note de bas de page n° 729
361
Civ. 1ère, 20 février 2007, n° 06-13134, Bull. 2007, I, n° 61, p. 56. RTD civ. 2007, p. 386, obs.
R. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 928
Civ. 1ère, 8 juillet 2009, n° 08-17661, Société la marocaine de loisirs contre France Quick SAS. RJ com.
2010, p. 43, obs. Moreau.
- Voir la note de bas de page n° 1119
Civ. 1ère, 20 octobre 2010, n° 09-68131, Bull. 2010, I, n° 204. JCP 2010. II, p. 1306, note B. Le Bars
et J. Juvenal.
- Voir la note de bas de page n° 1095
Civ. 1ère, 20 octobre 2010, n° 09-68997, Bull. 2010, I, n° 204. RTD com. 2012, p. 518, obs.
E. Loquin.
- Voir la note de bas de page n° 1094
Civ. 1ère, 18 mai 2011, n° 10-10282, Bull. 2011, I, n° 89. Dalloz actualité, 15 juin 2011, obs. Tahri.
- Voir la note de bas de page n° 1047
Civ. 1ère, 29 juin 2011, n° 09-17346. Rev. arb. 2011. 959, note Chantebout ; D. 2011. Pan. 3023,
obs. Clay.
- Voir la note de bas de page n° 1120
Civ. 1ère, 1 février 2012, n° 11-11084, Bull. 2012, I, n° 14. Rev. arb. 2012, p. 91, note E. Loquin.
- Voir la note de bas de page n° 1113
Civ. 1ère, 4 juillet 2012, n° 11-19624, Bull. 2012, I, n° 149. D. 2012, p. 2425, obs. X. Delpech.
- Voir la note de bas de page n° 1112
Civ. 1ère, 31 mars 2016, n° 14-20396. JCP 2016, p. 900 § 4, obs. J. Orstscheidt.
- Voir la note de bas de page n° 1099
Civ. 1ère, 25 mai 2016, n° 14-20532, Société Novolipetski Mettalurguicheski Kombinat. D. 2016, p. 2589,
obs. T. Clay.
- Voir la note de bas de page n° 1106
Civ. 1ère, 30 juin 2016, n° 15-13755, 15-13904, 15-14145, Affaire Tapie. D. 2016. Pan. 2589, obs.
Clay.
- Voir la note de bas de page n° 1115
Civ. 1ère, 19 décembre 2018, n° 16-18349, société J & P Avax contre société Tecnimont. Dalloz actualité,
obs. C. Debourg ; D. 2019, p. 24.
- Voir la note de bas de page n° 1105
Civ. 2ème, 13 avril 1972, n° 70-12774, Bull. civ. n° 91, p. 71. Gaz. Pal. 1972. II. 17189, note P. Level
Pris.
- Voir la note de bas de page n° 88
Civ. 2ème, 14 décembre 1978, n° 77-12166, Bull. civ. 2, n° 273, p. 209. JCP 1979. IV. 65.
362
- Voir la note de bas de page n° 187
Civ. 2ème, 27 mai 1983, RTD civ. 1983, p. 790, obs. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 1034
Civ. 2ème, 25 juin 1986, n° 85-10637, Bull. civ. 1986, II, n° 100, p. 68.
- Voir la note de bas de page n° 307
Civ. 2ème, 7 novembre 1988, n° 87-17490, Bull. 1988, II, n° 210, p. 114. JCP 1989. IV. 12 ; Gaz.
Pal. 1988. 2. Pan. 283.
- Voir la note de bas de page n° 943
Civ. 2ème, 21 juin 1989, n° 88-13759, Bull. 1989, II, n° 131, p. 66.
- Voir la note de bas de page n° 943
Civ. 2ème, 18 octobre 1989, n° 88-16632 88-17051, Bull. civ. II, n° 186, p. 95. RTD civ. 1990, p. 147,
obs. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 189
Civ. 2ème, 26 novembre 1990, n° 90-11749, Bull. 1990, II, n° 250, p. 127. L. Cadiet, obs., JCP 1990.
II. 21469.
- Voir la note de bas de page n° 214
Civ. 2ème, 10 juillet 1991, n° 89-12792, Bull. 1991, II, n° 218, p. 115. RTD civ. 1993, p. 641, obs.
Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 186
Civ. 2ème, 20 mai 1992, n° 92-01001, Bull. 1992, II, n° 149, p. 73.
- Voir la note de bas de page n° 833
Civ. 2ème, 12 janvier 1994, n° 92-16357, Bull. 1994, II, n° 20, p. 11. JCP 1994. IV. 663
- Voir la note de bas de page n° 945
Civ. 2ème, 9 octobre 1996, n° 94-20002, Bull. 1996, II, n° 222, p. 137.
- Voir la note de bas de page n° 943
Civ. 2ème, 10 octobre 1996, n° 95-12222, Bull. 1996, II, n° 233, p. 143. Gaz. Pal. 1997. Somm. 15,
note Perdriau.
- Voir la note de bas de page n° 943
Civ. 2ème, 2 avril 1997, n° 95-17937, Bull. civ. 1997, II, n° 102, p. 58. JCP 1997. II. 22901, note du
Rusquec.
- Voir la note de bas de page n° 655
Civ. 2ème, 10 décembre 1998, n° 95-22146. RTD civ. 1999, p. 464, obs. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 334
363
Civ. 2ème, 25 mars 1999, n° 94-18976, Bulletin 1999, II, n° 56, p. 41. Rev. arb. 1999, p. 319, note
Jarrosson.
- Voir la note de bas de page n° 1098
Civ. 2ème, 6 mai 1999, n° 96-10407, Le Grand Galion, Bull. civ. 1999, II, n° 78, p. 57. RTD civ. 1999,
p. 704, obs. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 994
Civ. 2ème, 15 février 2001, n° 98-17643, Bull. 2001, II, n° 28, p. 20. P: D. 2001. IR 981.
- Voir la note de bas de page n° 820
Civ. 2ème, 21 février 2002, n° 00-01219 02-01241, Bull. 2002, II, n° 26, p. 22.
- Voir la note de bas de page n° 833
Civ. 2ème, 21 novembre 2002, n° 00-22864, Bull. civ. 2002, II, n° 265, p. 208. RTD com. 2003, p.
62, obs. Loquin.
- Voir la note de bas de page n° 1116
Civ. 2ème, 12 juin 2003, n° 01-13507, Bull. 2003, II, n° 185, p. 157. Procédures 2003. Comm. 192,
note Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 578
Civ. 2ème, 20 novembre 2003, n° 01-13974, Bull. 2003, II, n° 346, p. 282. D. 2004. AJ 108.
- Voir la note de bas de page n° 943
Civ. 2ème, 27 mai 2004, n° 02-15726, Bull. 2004, II, n° 245, p. 208. D. 2004, p. 1863.
- Voir la note de bas de page n° 814
Civ. 2ème, 23 septembre 2004, n° 02-20561, Bull. civ. II, n° 415, p. 352. Gaz. Pal. 2005. Somm. 1405.
- Voir la note de bas de page n° 231
Civ. 2ème, 10 février 2005, n° 02-04102, Bull. 2005, II, n° 27, p. 25. CCC 2005, no 121, note Raymond.
- Voir la note de bas de page n° 941
Civ. 2ème, 13 juillet 2005, n° 04-19962, Bull. 2005, II, n° 206, p. 182. D. 2005, p. 2656, concl.
Kessous.
- Voir la note de bas de page n° 810
Civ. 2ème, 8 septembre 2005, n° 03-18862, Bull. 2005, II, n° 215, p. 191. RTD civ. 2005, p. 822, obs.
Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 799
Civ. 2ème, 20 octobre 2005, n° 03-19979, Bull. 2005, II, n° 271, p. 240. D. 2005. IR 2770.
- Voir la note de bas de page n° 867
Civ. 2ème, 17 novembre 2005, n° 03-20815, Bull. 2005, II, n° 293, p. 260. D. 2005. AJ 3085, obs.
Lienhard.
- Voir la note de bas de page n° 932
Civ. 2ème, 11 mai 2006, n° 05-16678, Bull. civ. 2006, II, n° 127, p. 119. Rev. huiss. 2006, p. 271, obs.
Fricero.
364
- Voir la note de bas de page n° 310
Civ. 2ème, 14 septembre 2006, n° 04-20524, Bull. 2006, II, n° 222, p. 210. AJDI 2006, p. 932, obs.
F. Bérenger.
- Voir la note de bas de page n° 909
Civ. 2ème, 10 septembre 2009, n° 08-14004, Bull. 2009, II, n° 209. JCP 21 sept. 2009, p. 257, obs.
Salati ; Procédures 2009. Comm. 347, note Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 997
Civ. 2ème, 9 septembre 2010, n° 09-67149, Bull. 2010, II, n° 145. D. 2010, p. 2072.
- Voir la note de bas de page n° 673
Civ. 2ème, 10 février 2011, n° 09-70577, Bulletin 2011, II, n° 37. JCP 2011, p. 666, no 19, obs. Amrani-
Mekki.
- Voir la note de bas de page n° 181
Civ. 2ème, 3 avril 2014, n° 14-01414, Bull. 2014, II, n° 95. P: D. 2014. Actu. 876.
- Voir la note de bas de page n° 1049
Civ. 2ème, 26 juin 2014, n° 13-18895, Bull. 2014, II, n° 157. Gaz. Pal. 9 sept. 2014, p. 32, obs. Raschel.
- Voir la note de bas de page n° 313
Civ. 2ème, 19 mars 2015, n° 14-14389, Bull. 2015, II, n° 68. Dr. et proc. 2015, p. 72, note M-P.
Mourre-Schreiber.
- Voir la note de bas de page n° 315
Civ. 2ème, 4 juin 2015, n° 14-13405, Bull. civ., 2015, n° 6, II, n° 146. D. 2015, p. 1273.
- Voir la note de bas de page n° 970
Civ. 2ème, 25 juin 2015, n° 14-17504, Bull. 2015, n° 6, II, n° 169. Dalloz actualité, 20 juill. 2015, obs.
M. Kebir.
- Voir la note de bas de page n° 308
Civ. 2ème, 17 septembre 2015, n° 15-01497, publié au bulletin. Procédures nov. 2015, no 320, obs.
Y. Strickler.
- Voir la note de bas de page n° 817
Civ. 2ème, 21 janvier 2016, n° 15-01541, Publié au bulletin. P: Dalloz actualité, 2 févr. 2016, obs. Mélin.
- Voir la note de bas de page n° 811
Civ. 2ème, 7 avril 2016, n° 15-16091, 15-16092, 15-16093, Publié au bulletin. Dr. et proc. 2016, p. 74,
obs. Karamani-Pelacuer.
- Voir la note de bas de page n° 1044
365
Civ. 2ème, 26 mai 2016, n° 16-01602, 16-01603, 16-01604, publié au bulletin. Dalloz actualité, 13 juin
2016, obs. M. Kebir.
- Voir la note de bas de page n° 826
Civ. 3ème, 27 mars 1991, n° 89-13239, Bull. 1991, III, n° 105, p. 60. P: D. 1992, p. 129, obs. Julien.
- Voir la note de bas de page n° 944
Civ. 3ème, 28 avril 1998, n° 96-11637, Bull. 1998, I, n° 155, p. 102. RTD civ. 1998, p. 744, obs.
R. Perrot.
- Voir la note de bas de page n° 814
Civ. 3ème, 19 mars 2008, n° 07-11383, Bull. 2008, III, n° 50. LPA 12 janv. 2009, p. 12, note Morelli.
- Voir la note de bas de page n° 673
- Chambre commerciale
Com., 3 novembre 1992, n° 90-16751, Bull. 1992, IV, n° 345, p. 246. P: D. 1993, p. 538, note
Vallens.
- Voir la note de bas de page n° 975
Com., 8 juin 1993, n° 90-16634, Bull. civ. 1993, IV, n° 224, p. 160. JCP 1993. IV. 2017, Gaz.
Pal. 1993. 2. Pan. 254.
- Voir la note de bas de page n° 654
Com., 20 janvier 1998, n° 95-16345. Procédures 1998. Comm. 90, note Laporte.
- Voir la note de bas de page n° 200
Com., 19 février 2013, n° 11-28256. Gaz. Pal. 1-4 mai 2013, p. 17, obs. Fricero.
- Voir la note de bas de page n° 983
366
- Chambre sociale
Soc., 3 mai 1973, n° 72-40225, Bull. des arrêts Cour de cassation chambre sociale, n° 276, p. 247.
- Voir la note de bas de page n° 685
Soc., 7 juin 1979, n° 77-40677, Bull. des arrêts Cour de cassation chambre sociale, n° 493.
- Voir la note de bas de page n° 685
Soc., 20 mars 1996, n° 92-44096, Bull. 1996, V, n° 106, p. 72. JCP 1996. IV. 1141.
- Voir la note de bas de page n° 213
Soc., 19 décembre 2003, n° 02-41429, Bull. 2003, V, n° 321, p. 323. P: BICC 1er mars 2004, p. 24,
avis Collomp.
- Voir la note de bas de page n° 853
Soc., 3 mars 2009, n° 07-15581, Bull. 2009, V, n° 54. P: JCP S 2009, p. 1429, note Bugada.
- Voir la note de bas de page n° 236
Soc., 12 juin 2014, n° 13-16236, Bull. 2014, V, n° 141. Dr. soc. 2014, p. 778, obs. J. Mouly.
- Voir la note de bas de page n° 911
Soc., 13 janvier 2016, n° 14-21803, M. X contre Société Sport Auto. Gaz. Pal. 17 mai 2016, no 18, p. 69,
note V. Orif.
- Voir la note de bas de page n° 813
- Chambre criminelle
- Chambre mixte
Ch. Mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre, n° 73-13556, Bull. civ. chambre mixte, n° 4, p. 6. D. 1975, p
497, concl. Touffait, JCP 1975. II. 18180.
- Voir la note de bas de page n° 644
367
Ch. mixte, 11 décembre 2009, n° 08-13643, Bull. 2009, chambre mixte, n° 3. D. 2010, p. 520, obs.
V. Vigneau.
- Voir la note de bas de page n° 582
- Assemblée plénière
Ass. Plén., 24 novembre 1989, n° 88-18188, Bull. 1989, A. P. n° 3, p. 5. P: D. 1990, p. 25, concl.
Cabannes.
- Voir la note de bas de page n° 1200
Ass. Plén., 6 novembre 1998, n° 94-17709, Bull. 1998, A. P. n° 5, p. 7. D. 1999. 1, concl. Burgelin.
- Voir la note de bas de page n° 963
Ass. Plén., 5 février 1999, n° 97-16440, Bull. 1999, A. P., n° 1, p. 1. LPA 10 févr. 1999, no 29, p. 14,
note Ducouloux-Favard ; BICC no 491, 15 avr. 1999, p. 25 ; JCP 1999. II. 10060, note
Matsopoulou.
- Voir la note de bas de page n° 777
Ass. Plén., 23 février 2001, n° 99-16165, Bull. 2001, A. P. n° 5, p. 10. D. 2001, p. 1752, note
C. Debbasch.
- Voir la note de bas de page n° 589
Ass. Plén. 5 oct. 2018, n° 10-19053. Rapport Agnès Martinel, avis Ingall-Montagnier, AJ fam. 2018,
p. 613.
- Voir la note de bas de page n° 1035
- Avis
4/ COURS D’APPELS
CA Paris, 14 octobre 2014, n° 13-13459, AGI contre Columbus. D. 2014, p. 2541, obs. T. Clay.
- Voir la note de bas de page n° 1104
368
CA Paris, 27 mars 2018, n° 16-09386, Saad Buzwair Automotive (SBA) contre Audi Volkswagen Middle
East Fze (Audi). Rev. arb. 2018, p. 472.
- Voir la note de bas de page n° 1100
CA Paris, 29 mai 2018, n° 15-20168, Elcir contre Bouygues Bâtiment Ile-de-France. Rev. arb. 2018, p.
477.
- Voir la note de bas de page n° 1114
CJUE, 1 juillet 2008, Chronopost et La Poste contre UFEX et autres. P, Europe 2008, no 273, obs. Idot.
- Voir la note de bas de page n° 763
CEDH, 21 février 1975, n° 4451-70, Golder contre Royaume-Uni. F. SUDRE et alii, Les Grands Arrêts
de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, no 27, 8e éd., mise à jour, 2017, PUF, coll. Thémis,
p. 309.
- Voir la note de bas de page n° 762
CEDH, 23 juin 1981, n° 6878-75 et 7238-75, Le Compte, Van Leuven et de Meyere contre
Belgique. Berger, 13e éd., 2014, no 73, p. 232.
- Voir la note de bas de page n° 769
CEDH, 1 octobre 1982, n° 8692-79, Série A, Piersack c./ Belgique. Berger, 13e éd., 2014, no 77,
p. 244.
- Voir la note de bas de page n° 765
369
CEDH, 28 juin 1984, n° 7819-77, 7878-77, Campbell et Fell contre Royaume-Uni. Berger, 13e éd., 2014,
no 81, p. 254.
- Voir la note de bas de page n° 1061
CEDH, 22 octobre 1984, n° 8790-79, Sramek contre Autriche. Berger, 13e éd., 2014, no 75, p. 239.
- Voir la note de bas de page n° 1066
CEDH, 24 mai 1989, n° 10486-83, Hauschildt contre Danemark. Berger, 13e éd., 2014, no 78, p. 246,
en matière pénale.
- Voir la note de bas de page n° 937
CEDH, 27 octobre 1993, n° 13675-88, Monnet contre France. Série A, no 273-A, D. 1995. Somm. 102.
- Voir la note de bas de page n° 1207
CEDH, 28 septembre 1995, n° 14570-89, Association Procola contre Luxembourg. AJDA 1996, p. 376,
chr. J-F. Flauss.
- Voir la note de bas de page n° 128
CEDH, 23 avril 1996, n° 16839-90, Remli contre France. RSC 1996, p. 930, obs. L. E. Pettiti.
- Voir la note de bas de page n° 759
CEDH, 31 mars 1998, n° 22921-93 et 23043-93, Reinhardt et Slimane-Kaïd contre France. JCP1999.
II. 10074.
- Voir la note de bas de page n° 240
CEDH, 6 juin 2000, n° 34130-96, Morel contre France. RTD com. 2000. 1021, obs. J-L. Vallens.
- Voir la note de bas de page n° 976
CEDH, 6 mai 2003, n° 39343-98, 39651-98, 43147-98, 46664-99 Kleyn et autres contre Pays-Bas.
AJDA 2003, p. 1490, note Rolin.
- Voir la note de bas de page n° 1064
CEDH, 21 mars 2006, n° 39765-04, Salé contre France. AJ pénal 2014. 241, obs. S. Lavric.
370
- Voir la note de bas de page n° 1309
CEDH, 9 novembre 2006, n° 65411-01, Sacilor Lormines contre France. AJDA 2005, p. 1886, chron.
J-F. Flauss.
- Voir la note de bas de page n° 1064
CEDH, 4 octobre 2007, n° 17997-02, Le Stum contre France. V. Fricéro, Droit et pratique de la
procédure civile, 2009-2010 [S. GUINCHARD, dir.].
- Voir la note de bas de page n° 982
CEDH, 3 février 2009, n° 44807-06, Poelmans contre Belgique. Note Fricero, Procédures 2009, comm.
81.
- Voir la note de bas de page n° 1201
CEDH, 9 janvier 2014, n° 71658-10, Viard contre France. Dalloz actualité, 15 janv. 2014, obs. A.
Portmann.
- Voir la note de bas de page n° 1318
CEDH, 21 janvier 2014, n° 47450-11, 26659-12, 53966-12, Valchev et autres contre Bulgarie.
- Voir la note de bas de page n° 1321
CEDH, 4 mars 2014, n° 36073-04, Fazli Aslaner contre Turquie. JCP 2014. Doctr. 832, no 6, obs.
Sudre.
- Voir la note de bas de page n° 984
CEDH, 5 juin 2015, n° 46043-14, Affaire Lambert et autres contre France. AJDA 2015, p. 1732, chron.
L. Burgorgue-Larsen.
- Voir la note de bas de page n° 650
CEDH, 23 juin 2016, n° 20261-12, Baka contre Hongrie. AJDA 2016, p. 1738, chron. L. Burgorgue-
Larsen.
- Voir la note de bas de page n° 1141
CEDH, 5 avril 2018, n° 40160-12, Zubac contre Croatie. Dalloz actualité, 17 avr. 2018, obs. Jourdan-
Marques.
- Voir la note de bas de page n° 1319
371
INDEX
Les nombres renvoient aux numéros de paragraphes
Collégialité Délibéré : 41
- Directe et indirecte : 7
- Atypique : 99, 104, 109 Déni de justice : 186
- Paire : 5, 45, 97
- Impaire : 5 Devoir de détachement du juge : 294 et s.
- Echevinale : 96 et s.
- Gratuite : 146 Dialectique du jugement : 289
- Transversale : 244
Droit à un tribunal : 14, 258, 462
Common law : 210
373
-E- - Des requêtes : 86
- D’instance : 68
Echevinage : 47, 95 - Du tribunal de grande instance : 71 et
s.
Excès de pouvoir - Aux affaires familiales : 59
- Positif et négatif : 308 et s. - De paix : 2, 69
- Des contentieux de la protection : 67
Exécution provisoire : 433
Juge unique : 31, 58 et s.
-F- - Pouvoir de délibérer avec lui-même : 8
-I- -M-
374
-O- - De séparation des fonctions
juridictionnelles : 313
Obligation de révélation de l’arbitre : 389 - Du contradictoire : 4
et s. - Dispositif : 4, 423
- D’inamovibilité : 400 et s.
Office du juge : 3 - De bonne administration de la justice :
122
Open data : 415
Procédure d’heure à heure : 432
Opinion séparée ou individuelle : 198
- Opinion concordande, dissidente, Procès et procès civil : 4
partiellement dissidente, totalement
dissidente : 199 Procédure et procédure civile : 4
- Absence d’opinions séparées
concernant un juge unique : 198 Procès équitable : 4
- Absence de communication des
opinions individuelles en droit français : Profilage du juge : 412 et s.
204
- Admission de la communication des Projet de juridiction : 136
opinions séparées à la Cour européenne
des droits de l’homme : 209 -Q-
- Admission de la communication des
opinions séparées en Common law : 212 Question prioritaire de
constitutionnalité : 275
Ordonnance de référé et sur requête : 77
-R-
Ordonnance de roulement : 400
Récusation : 265, 269 et s.
-P-
Référé-rétractation : 89, 318
Pôle social du tribunal de grande
instance : 62 Règle du précédent : 211
375
Sanctions disciplinaires des juges -T-
- Blâme : 126
- Interdiction d’être nommé ou désigné Technicien (ou expert) : 302
dans des fonctions de juge unique : 126
Tribunal :
Secret du délibéré : 16, 215 et s. - D’instance : 68
- Principe général du droit : 214 - De grande instance : 5
- De commerce : 2
Séparation des pouvoirs : 379 - Judiciaire : 62
Serment -V-
- Magistrats : 16
- Juges consulaires : 381 Vérité judiciaire : 282 et s.
376
Table des matières
INTRODUCTION ........................................................................................ 13
377
Chapitre 2 – La collégialité comme principe ..........................................................79
Section 1 - La volonté continue de renforcer la collégialité.................................................... 81
§1. Des discussions pérennes concernant l’échevinage vers des collégialités remaniées
..................................................................................................................................................... 81
A. Le modèle de l’échevinage ............................................................................................. 82
B. Des interrogations de transpositions............................................................................ 83
1. Au commerce une solution à écarter ........................................................................ 83
2. Aux prud’hommes une solution à retenir ? ............................................................. 88
C. Le nécessaire maintien de la collégialité au commerce et aux prud’hommes ........ 89
§2. De l’opportunité d’une consolidation des collégialités ................................................. 90
A. Une consolidation concrétisée ...................................................................................... 90
1. La création d’une collégialité avec le bureau de conciliation et d’orientation aux
prud’hommes ................................................................................................................... 91
2. La réforme de la procédure d’appel .......................................................................... 92
B. Une consolidation souhaitée.......................................................................................... 95
1. La révision du rôle des greffiers ................................................................................ 96
2. La révision du rôle des assistants du juge ................................................................ 98
Section 2 - L’assimilation implicite de la collégialité à une bonne administration de la
justice .............................................................................................................................................101
§1. La timide admission textuelle d’une supériorité de la collégialité .............................101
A. La formation collégiale nécessaire à une bonne administration de la justice.......102
1. La formation collégiale en tant que palliatif de la sanction disciplinaire des juges
uniques ............................................................................................................................102
2. Le renvoi d’une affaire à une collégialité ...............................................................105
3. La possibilité reconnue à la Cour de cassation de statuer au fond par l’article L
411-3 alinéa 2 du Code de l’organisation judiciaire ..................................................106
B. La collégialité reconnue comme une formation de qualité .....................................107
1. Une retranscription perceptible à la lecture du Recueil des obligations
déontologiques des magistrats .....................................................................................107
2. L’hypothèse de la retranscription d’indicateurs de qualité dans la procédure
civile .................................................................................................................................108
§2. Pour une clarification textuelle de la portée de la collégialité ....................................110
A. La retranscription du principe de collégialité au sein du Code de l’organisation
judiciaire ...............................................................................................................................110
B. Pour une reconnaissance constitutionnelle du principe de collégialité .................111
1. Une occasion manquée dans la célèbre décision du 23 juillet 1975 ..................111
2. Une occasion à saisir au regard de sa protection implicite..................................112
378
B. Une réorganisation de la procédure civile en réponse à la problématique
économique .........................................................................................................................129
1. Une modification de la carte judiciaire des juridictions de première instance .129
2. Une volonté d’accroître le recours aux juges uniques..........................................132
§2. La thèse d’une augmentation des juges uniques comme réponse qualitative à la
problématique budgétaire ......................................................................................................132
A. L’intervention rapide du juge unique à moindre coût .............................................133
1. La confirmation des qualités du juge unique par une approche généraliste .....133
2. La confirmation des qualités du juge unique par une approche restrictive ......135
B. La thèse d’une supériorité du juge unique sur la formation collégiale ..................136
1. La consécration d’une indépendance intellectuelle ..............................................137
2. Une responsabilisation plus importante ................................................................137
Section 2 - Des solutions aux difficultés posées par la problématique économique ........139
§1. La coexistence d’inconvénients endogènes et exogènes à la collégialité ..................139
A. Les défauts endogènes à la collégialité .......................................................................139
1. L’absence de proximité avec le justiciable .............................................................139
2. La perception d’une collégialité protégée face à la nullité d’un jugement ........140
B. Les défauts exogènes à la collégialité..........................................................................142
1. La thématique de la responsabilité civile des juges ..............................................142
2. La constatation d’une immunité civile des juges vectrice de défiance ..............144
§2. L’amélioration nécessaire de la gestion budgétaire de l’autorité judiciaire ..............146
A. Une rationalisation financière par la réadaptation des outils économiques .........147
1. La nécessaire réinterprétation du budget opérationnel de programme ............147
2. La nécessaire sécurisation des crédits .....................................................................148
B. Une rationalisation financière par la révision de la carte judiciaire des cours
d’appels ................................................................................................................................150
379
§1. L’exclusion de la communication des opinions dissidentes des juges aux justiciables
...................................................................................................................................................171
A. Des avantages contestables pour le justiciable .........................................................171
1. La thèse d’une décision réfléchie et du gain de proximité ..................................171
2. La thèse d’une meilleure compréhension de la solution .....................................173
B. La supposition d’une primauté des inconvénients sur ses avantages ....................173
1. Une communication à l’origine d’une augmentation des recours ......................174
2. Une communication en désaccord avec l’image des collégialités comme entité
unifiée ..............................................................................................................................175
§2. L’admission de la communication des opinions dissidentes entre juges .................176
A. Le renforcement de l’individualité au sein de la collégialité ...................................176
1. La prise en considération des juges minoritaires ..................................................176
2. Les juges minoritaires détachés de la décision des juges majoritaires ...............178
B. Une instauration au service d’une nouvelle collégialité élargie...............................178
380
B. L’adjonction de problématiques inhérentes au juge unique ...................................225
1. Une augmentation du risque d’erreurs ...................................................................225
2. Une augmentation du risque de la commission d’un excès de pouvoir positif226
381
B. L’appréhension de l’indépendance du juge ...............................................................270
1. L’indépendance du juge vis-à-vis de l’Etat ............................................................270
2. L’indépendance du juge vis-à-vis des justiciables .................................................271
§2. La caractérisation de l’indépendance de l’arbitre .........................................................273
A. Une interprétation inhérente à l’arbitre .....................................................................273
1. La dépendance de l’arbitre tenant à l’établissement d’un courant d’affaires ....274
2. Le renforcement de son indépendance par l’obligation de révélation ..............276
B. Les spécificités de la décision collégiale selon la nature de la juridiction arbitrale
...............................................................................................................................................279
1. La collégialité dans l’arbitrage interne ....................................................................279
2. La collégialité dans l’arbitrage international ..........................................................280
Section 2 - Un renforcement de l’indépendance par la collégialité......................................283
§1. La collégialité comme moyen de garantir l’indépendance ..........................................283
A. L’acquisition de l’indépendance du collège par des principes communs .............283
1. Un renforcement de l’indépendance par l’inamovibilité .....................................284
2. L’obtention d’une spécialisation par l’ordonnance de roulement ......................286
B. La matérialisation de l’indépendance du collège par ses modalités .......................288
1. Une répartition égalitaire des votes lors du délibéré ............................................288
2. L’octroi d’une indéniable indépendance par l’anonymat des décisions ............289
§2. L’adjonction de problématiques inhérentes au juge unique .......................................289
A. L’exposition pérenne du juge unique .........................................................................289
1. La difficile possession de connaissances hétéroclites ..........................................290
2. L’inévitable exposition du juge par l’absence d’anonymat de sa décision ........290
B. Vers un prolongement de l’exposition du juge unique............................................291
1. L’exposition du juge face à l’émergence du profilage des juges .........................292
2. L’accroissement possible de l’exposition du juge avec la loi Lemaire ...............293
382
B. Les modalités d’une nouvelle sélection des pourvois ..............................................320
1. L’établissement d’une sélection sur des critères prédéfinis .................................321
2. La nécessaire adéquation des critères de sélection au droit interne et européen
..........................................................................................................................................322
§2. Une réappropriation du temps judiciaire bénéfique à la collégialité .........................323
A. Un filtrage admissible au regard de son application à l’étranger ...........................323
1. Des critères de filtrage différents selon les pays ...................................................323
2. Des sources d’inspiration pour le droit français ...................................................324
B. La collégialité au cœur de la réforme française .........................................................325
1. La nécessaire attribution de la décision d’admission du pourvoi à une
collégialité........................................................................................................................325
2. L’assimilation de la Cour de cassation à une juridiction suprême .....................326
383