La Reunion Une Ile Unique Et Exceptionnelle

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La Réunion, une île unique

et exceptionnelle
Pitons, cirques et remparts

Photo de couverture : Lever de soleil sur le Piton des Neiges - J.-F. Bègue.
Cet ouvrage est diffusé gratuitement grâce aux soutiens financiers et techniques du CCEE de La Réunion
et du Parc national de La Réunion ainsi qu’au renoncement des auteurs (textes, photographies, cartes,
graphiques, illustrations) à toute rémunération et droits d’auteurs. Il ne peut être vendu.

Toute utilisation d’éléments de cet ouvrage à des fins commerciales est soumise à une autorisation écrite des
auteurs. Les utilisations non commerciales sont autorisées sous réserve de la mention obligatoire de citation:
J.-F. Bénard, G. Collin (coord.), La Réunion, une île unique et exceptionnelle, 2018, CCEE, Parc national de
La Réunion, 255 pages.
Prologue
Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), a été l’un des pionniers de la science biologique et l’auteur d’une des
premières théories pour expliquer le fonctionnement de la vie, une théorie de l’évolution que Charles Darwin
modifiera et développera dans « De l’Origine des espèces » (1859).
Dans les derniers temps de sa vie, Lamarck se pencha sur la question fondamentale de la place et du rôle de
l’homme dans le contexte naturel global de notre planète.
Il fit le constat que la merveilleuse intelligence de notre espèce lui permettait des actions sans équivalent dans
le monde vivant mais en regrettant que cette même intelligence soit parfois aveuglée par le profit immédiat,
accompagné d’une insouciance coupable.
Un des objets du Parc national de La Réunion et du patrimoine mondial dont il a la responsabilité est,
avec la coopération de toutes les institutions et de tous les citoyens, de rechercher des solutions pour que
développement économique et social et conservation de la nature soient compatibles et durables.

Deux cents ans après, les questions et les craintes exprimées par Lamarck sont toujours d’actualité tant elles
sont redoutables. On remarquera d’ailleurs que ce questionnement est aussi celui de nombre de Réunionnais
dans un temps contemporain, parmi lesquels un certain Thérésien Cadet…

Cet ouvrage, en donnant quelques clés accessibles, devrait contribuer à mieux apprécier les valeurs
patrimoniales exceptionnelles de La Réunion et à suggérer les pistes à emprunter pour que la conclusion
pessimiste de Lamarck ne se réalise pas.

« L’HOMME, véritable produit de la nature, terme absolu de tout ce qu’elle a pu faire exister de plus éminent sur notre globe, est un corps vivant qui fait
partie du règne animal…
…cet être, en quelque sorte incompréhensible, présente en lui, soit le maximum des meilleures qualités, soit celui des plus mauvaises.
Relativement à ses penchants, tantôt dirigé par la raison et par une intelligence supérieure, il montre les inclinations les plus nobles, un amour constant pour
la vérité, pour les connaissances positives de tout genre, pour le bien sous tous les rapports, pour la justice, l’honneur, etc. ; et tantôt, se livrant à l’égoïsme.

L’homme par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son
insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce.
En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol
qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très
fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes…

On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable. »

Système analytique des connaissances positives de l’Homme,


Chap.II, 2e partie, 1820, Jean-Baptiste de Lamarck.

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Avant-propos
Le mot du président du Conseil de la culture,
de l’éducation et de l’environnement (CCEE)
« Ce fut pour offrir aux hommes des asiles contre
les maux des continents que la nature forma les îles »
Bernardin de Saint-Pierre

« Depuis 1960, date à laquelle les ouvrages de Monsieur Defos du Rau ont fait connaître
La Réunion, de nombreux travaux de géographie physique ont été réalisés sur l’île. Il s’agit surtout d’analyses
ponctuelles… » disait déjà le professeur René Robert en introduction de sa thèse intitulée « Climat et
hydrologie à La Réunion. Étude typologique et régionale des pluies et de l’écoulement » publiée en 1986.

De plus, lors de déplacements à Bruxelles, de rencontres ministérielles à Paris ou encore de sessions de travail
avec les autres Conseils de la culture, de l’éducation et de l’environnement (CCEE), au Sénat, à l’Assemblée
nationale, au Conseil économique et social et environnemental (CESE), le Conseil de la culture, de l’éducation
et de l’environnement de La Réunion avait aussi enregistré des demandes venant de ces structures visant à
disposer d’un ouvrage global et actualisé présentant La Réunion.

C’est donc tout naturellement qu’il a lors de sa séance de Bureau du 19 septembre 2015, validé un accord de
partenariat avec le Parc national de La Réunion pour réaliser ensemble l’édition d’un nouvel ouvrage portant
sur les Pitons, cirques et remparts de La Réunion à partir du dossier de candidature au patrimoine mondial.

Plusieurs raisons ont guidé ce choix :

– d’abord, le CCEE, dont une des missions est de faire acte de culture, avec un partenaire tel que le
Parc national de La Réunion, ne pouvait demeurer à l’écart de l’arrivée de connaissances actualisées sur La
Réunion et sa nature sans les diffuser largement. Nos institutions en tant que dépositaires de ce savoir ont cette
responsabilité particulière, celle de prendre en compte un héritage de données fondamentales, de les compléter
sans cesse par de nouveaux apports de la recherche en matière de géologie, de climatologie, de géomorphologie,
d’hydrologie, de biologie végétale et animale, bref en matière de géographie, et de les transmettre, de les
propager, de les répandre. Ainsi, elles se doivent d’être ces alizés qui sèment à tous vents ces connaissances
actualisées et se placer, de cette manière, comme des acteurs effectifs de l’éducation à l’environnement et au
développement durable à La Réunion.

– ensuite, la publication d’un tel ouvrage, par ces institutions, permet de :


• proposer un livre de référence sur notre île destiné au grand public, scolaires, chercheurs, décideurs
publics et privés locaux, nationaux et internationaux ;
• porter une somme de connaissances insulaires à un niveau universel en mettant en évidence l’importance
mondiale des Pitons, cirques et remparts ;
• rappeler aux Réunionnais citoyens, aux élus, aux touristes, aux chercheurs de tous ordres, bref « urbi et
orbi » (à la ville et au monde), leurs responsabilités pour répondre à des engagements de protection, de
sauvegarde, de valorisation d’un « Bien avec vue » c’est-à-dire ayant une valeur universelle exceptionnelle.

– enfin, il est évident que cet ouvrage imposant, tente d’offrir une vision globale et systémique de La
Réunion. Il constitue, d’abord pour l’ensemble des Réunionnais mais aussi pour tous les individus, toutes les
organisations privées associatives, toutes les institutions publiques locales, nationales et internationales, une
somme importante de connaissances, d’informations sur « nout péi » dont nul ne pourrait nier l’intérêt et que
tout un chacun doit acquérir, diffuser et partager pour le « Bien et la vue » de l’île.

4 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Il a pour ambition d’être une contribution au savoir, en permanence réactualisée et portée à la connaissance
de tous en permettant à chaque Réunionnais de s’approprier pleinement son île, sa nature et ses trésors. Il
contient d’une part une recherche spécifiquement abiotique et biotique qui tend à mettre à jour les connaissances
sur la nature et d’autre part, il se veut être informatif, formatif voire pédagogique à destination des citoyens, des
élus… bref de tous. Toutes ces connaissances synthétisées ici, témoignent du fait qu’il est impossible d’ignorer
les savoirs qui se présentent à nous, à commencer par ceux concernant la nature réunionnaise.

En effet, ces richesses naturelles peuvent être menacées par méconnaissances inconscientes et doivent faire
l’objet d’actions d’éducation pédagogiques ambitieuses, à la hauteur des enjeux présents sur ce territoire. Elles
sont d’autant plus précieuses qu’elles offrent des possibilités importantes de développement économique et
social pour autant que leur conservation soit pleinement intégrée et assurée.

Le CCEE et le Parc national de La Réunion ont donc souhaité cet ouvrage ; le voici, c’est « nout fierté ».
Ils sont conscients de l’effort de synthèse qui a dû être fait et par là même de la frustration des rédacteurs de
voir des chapitres, des paragraphes amputés d’informations certes importantes mais par ailleurs secondaires
quant à la philosophie générale de l’ouvrage. Mais, ils tiennent à les rassurer : leurs travaux et propos ne sont
pas perdus. Il est sûr qu’ils réapparaîtront dans de futurs volumes que ces institutions devront publier pour
compléter ce premier document. C’est un premier pas ensemble et ils seront inévitablement suivis par d’autres,
car il s’agit tant pour le CCEE que le Parc national de La Réunion de toujours co-construire, de consolider les
sentiers, les chemins, les routes de la connaissance de La Réunion, de sa nature en interaction avec ses hommes.

Aussi remercient-ils toutes les personnes ayant de près ou de loin contribué à sa mise en œuvre et plus
particulièrement Philippe Mairine, Vincent Boullet, Stéphane Baret pour leur forte implication rédactionnelle,
René Robert pour son expertise, Jean-Cyrille Notter pour ses textes et ses réalisations cartographiques,
Gérard Collin et Jean-François Bénard qui ont assuré avec un dévouement sans failles et avec succès le rôle
de coordonnateurs et de corédacteurs. Qu’ils soient ici fortement remerciés et que leurs qualités puissent être
reconnues et toujours davantage utilisées pour la promotion de La Réunion et de son exceptionnelle nature.

Enfin, toute notre gratitude aux personnes qui nous ont transmis leurs réflexions, remarques, interrogations
et documents, nous ont guidé dans notre recherche et notre rédaction. Leur intérêt, passion même pourrait-on
dire, pour cette île créole, nous a porté et ce document est le fruit de leur participation et reflète leur implication.

Au-delà des mots, de la réciprocité des attentions donnant lieu à des remerciements, ce sont l’échange
continu d’informations et les efforts de mise en participation autour des Pitons, cirques et remparts, autour de
La Réunion qu’il nous paraît crucial de faire vivre avec la publication de cet ouvrage.

Roger Ramchetty
Président du CCEE de La Réunion.

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Le mot du président
du Parc national de La Réunion
De la chaleur tropicale des Bas à la fraîcheur des Hauts, du camaïeu
de vert des « forêts de bois de couleurs » de l’Est au jaune des savanes de
l’Ouest, de la luxuriance des forêts humides à l’aridité des coulées de lave,
de la douceur des pentes externes de l’île au chaos de ses trois cirques
intérieurs, la variété des paysages et des ambiances lumineuses fait le
quotidien des Réunionnais. Pour ceux qui sont habitués à passer d’un
décor naturel à l’autre en quelques kilomètres, cette variété peut devenir
routinière et ne plus être remarquée.
Pourtant, à l’échelle de la planète, une telle variété sur un si petit territoire
n’a rien d’ordinaire. Elle est au contraire absolument remarquable,
extraordinaire, exceptionnelle.
Grâce aux travaux des scientifiques, à l’implication des hommes politiques passionnés de ce territoire et à
l’engouement de sa population, c’est cet exceptionnel qui a valu au cœur montagneux de l’île d’être classé en
cœur de parc national en 2007 puis d’être inscrit comme Bien naturel sur la Liste du patrimoine mondial en
2010.
En conférant cette distinction suprême aux « Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion »,
l’UNESCO a adopté une déclaration qui en décrit la « valeur universelle exceptionnelle ». Cette déclaration
synthétise en quelques lignes ce qui fait l’âme de ce territoire, en résonance avec la Charte du parc national,
qui en définit le « caractère ».
Ces textes dévoilent la force des éléments, un volcanisme actif et une érosion puissante, qui donnent à l’île
ses paysages spectaculaires et en constante évolution. Ces textes révèlent également la biodiversité d’une île
métissée, au carrefour d’influences multiples, où l’évolution a donné naissance à une somptueuse mosaïque
d’écosystèmes.
Mais ces textes, au-delà de la description scientifique, traduisent aussi une profonde conscience esthétique.
En cela, ils s’inscrivent dans le prolongement des premières descriptions de l’île et en sont une forme
d’aboutissement. Gérard Collin soulignait ainsi que « les descriptions savantes de l’île Bourbon sont rarement
exemptes d’émotion quand il s’agit de paysages grandioses : combien de fois les auteurs scientifiques se laissent
aller à une contemplation qui les fait passer du profane au sacré ! ».
Ce regard contemplatif, témoin du lien intime et polymorphe entre l’Homme et la Nature à La Réunion, est
alors au centre de la double reconnaissance nationale et internationale des Hauts de l’île. Il irrigue le projet de
territoire qui en découle. Il s’agit naturellement de préserver la biodiversité et les paysages de l’île au bénéfice
des générations présentes et futures. Mais il s’agit aussi de transmettre à ces générations ces liens tissés avec la
nature, un certain art de vivre, des savoirs et des techniques, sources d’authenticité et de richesse. Le projet de
territoire devient ainsi projet de société, où la mise en valeur des patrimoines naturel, culturel et paysager va
de pair avec leur préservation, selon une logique de développement durable et exemplaire.
L’objectif premier du présent ouvrage est de permettre une meilleure compréhension du territoire, dans sa
nature et sa culture : il apporte des clés de lecture pour décrypter l’histoire naturelle et humaine complexe de
l’île.
Son deuxième objectif est de dévoiler l’aventure de la candidature au patrimoine mondial, qui fait désormais
également partie de la « success story » de La Réunion, de son affirmation comme terre d’exceptions.
Par cet ouvrage, le lecteur pourra ainsi accéder à toute la force de l’identité des « Pitons, cirques et remparts »
et partager la fierté légitime d’un territoire reconnu.
A l’heure où le Parc national, gestionnaire du Bien, a fêté son 10e anniversaire, cet ouvrage se veut aussi
tourné vers l’avenir : il est une introduction au futur immédiat où chacun pourra poursuivre, amplifier et
démultiplier les actions déjà engagées, pour ensemble participer à la noble ambition du maintien des valeurs
patrimoniales.

Daniel Gonthier
Président du parc national de La Réunion.

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Le message de la directrice
du Centre du patrimoine mondial (Unesco)

Florebo quocumque ferar « Je fleurirai partout où je serai porté ».


Telle est la devise qui figure sur les armoiries de La Réunion. Elle dit bien en quelques mots ce qui fait la
richesse naturelle de cette île de l’océan Indien, inscrite depuis 2010 sur la Liste du patrimoine mondial de
l’UNESCO.
Un des sommets les plus élevés et isolés de cet espace maritime capte les éléments naturels, végétaux ou
animaux, poussés par la force des vents d’un vaste espace allant de l’Afrique à l’Inde ou à Madagascar.
La multiplicité des milieux d’accueil depuis le « battant des lames au sommet des montagnes », créée par
les différences entre versants au vent et sous le vent, les gradients rapides d’altitude, offre un choix remarquable
d’habitats.
Paradoxalement, la Nature, violente ici (éruptions volcaniques, cyclones), favorise l’exubérance de la vie
comme elle forge des paysages naturels exceptionnels.

Florebo quocumque ferar « Je fleurirai partout où je serai planté ».


Si l’on accepte cette seconde traduction de la devise réunionnaise, il s’agit cette fois d’une allusion suggérant
la capacité d’accueil d’espèces apportées par l’être humain. On touche alors à ce qui constitue certainement la
menace la plus forte sur la valeur universelle exceptionnelle des Pitons, cirques et remparts.
Depuis l’implantation de la première colonie jusqu’à nos jours, l’île a accueilli de manière officielle ou
officieuse de nombreuses espèces de provenances diverses.
La générosité globale des conditions naturelles a permis que beaucoup s’y installent définitivement, éliminant
peu à peu, et souvent de façon discrète, les espèces indigènes.

L’Education, la Science et la Culture.


Etre inscrit sur la Liste du patrimoine mondial, c’est bien sûr avoir la fierté d’une reconnaissance
internationale. Mais c’est aussi une responsabilité qui dépasse la date de l’inscription, qui surpasse le territoire
reconnu.
La conservation, capable de mesurer les menaces, d’y trouver des réponses, capable aussi de se poser les
questions propres à un développement acceptable est de la responsabilité de la France et des institutions
réunionnaises, et notamment du Parc national de La Réunion, gestionnaire délégué du Bien.
La conservation est aussi l’affaire de tous. Il s’agit ici plus d’éducation que de science, pour que chacun
comprenne ou découvre.
La conservation c’est aussi le respect d’une culture locale qui a ses relations propres à « sa » Nature.

L’ouvrage que le Conseil de la Culture, de l’Education et de l’Environnement de La Réunion et le Parc


national ont décidé de publier est une initiative que le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO considère
comme très heureuse.
Elle permet en effet de tracer ce chemin délicat qui va du patrimoine à son explication puis à sa conservation
et sa gestion.
Ouvrage de diffusion vers tous les publics, vers les Réunionnais et vers d’autres horizons, il répond
pleinement aux objectifs de la Convention du patrimoine mondial en favorisant la conservation du patrimoine
par la diffusion de sa connaissance.

Mechtild Rössler
Directrice du Centre du patrimoine mondial, UNESCO.

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Hommage à Thérésien Cadet

Turraea cadetii, Bois de quivi, dédié à T. Cadet. Photo L. Boujot.

Né le 21 juin 1937 au Tévelave, un quartier des hauts de la commune des Avirons dans l’ouest de l’île de
La Réunion, Thérésien Cadet fait ses études secondaires au Lycée Leconte de Lisle, à Saint Denis, jusqu’au
baccalauréat de Sciences Expérimentales en 1956. Il rejoint Paris pour ses études supérieures et devient agrégé
de Sciences Naturelles en 1961. Il obtient son premier poste d’enseignant à l’École Normale de Saint Denis en
1961 ; puis il fait carrière, à compter de 1966 et jusqu’en 1987 à l’Université de La Réunion.

Ses actions parmi les plus importantes


L’enseignement et la pratique du terrain
Il est avant tout un enseignant. Cette pratique officielle, à l’École Normale puis à l’Université, est très
largement enrichie par des sorties de terrain, au bénéfice de ses étudiants et de ses collègues du monde éducatif,
par exemple dans le cadre de l’Association des professeurs de Biologie – Géologie (APBG). Il réalise un certain
nombre de fiches pédagogiques encourageant la pratique du terrain : certaines se trouvent dans la Revue du
Centre Départemental de Documentation Pédagogique (CDDP). Cette démarche bénéficie également à la
Société Réunionnaise pour la Protection de l’Environnement (SREPEN fondée en 1971) où se retrouvent des
personnes de plus en plus soucieuses de la qualité environnementale de l’île. En fonction de son emploi du
temps, il accepte volontiers de faire découvrir la richesse de la nature à d’autres curieux, habitants de l’île ou
passagers occasionnels. Il intervient à la radio, à la télévision, dans les journaux de l’île sur de multiples sujets
ayant trait à la botanique et à la protection de l’environnement.
Il suscite ainsi beaucoup de vocations par ses qualités pédagogiques et scientifiques, ainsi que par son
charisme. Beaucoup de botanistes par la suite le prennent comme référence, de même que les défenseurs de
l’environnement.

La connaissance de la flore réunionnaise et la contribution à la Flore des Mascareignes


Afin de mieux comprendre la répartition des espèces, la première étape est de connaître la flore de l’île. Il a
pour cela parcouru l’île à la recherche des échantillons de plantes. Il en rassemble environ 7000 pour constituer
un herbier qui fait référence. Ce travail est réalisé seul, ou avec l’aide de sa femme, dans des conditions qui
n’ont jamais été simples. Cette démarche s’enrichit progressivement de divers apports, des legs d’organismes
nationaux ou internationaux.

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L’analyse systématique de la richesse botanique de l’île se double d’une recherche des
différents noms vernaculaires, car même dans une île de faible dimension spatiale, les
mêmes plantes ont plusieurs noms. Le long des sentiers ou lors de parcours impromptus
dans la végétation, il est en contact avec de multiples personnes qui ont une culture
personnelle des plantes, notamment les tisaneurs, les agents de l’Office national des
Forêts.
L’ensemble de ses démarches s’accompagne d’un vaste chantier pour la rédaction
de «La Flore des Mascareignes» (La Réunion, Maurice, Rodrigues). Thérésien Cadet
le mène avec le concours de plusieurs institutions : le Muséum d’Histoire Naturelle de
Paris, l’Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outremer, le Royal Botanical
Garden de Kew en Angleterre, l’Institut de Recherches Sucrières de Maurice. D’autres
Planche d’herbier,
Angraecum cadetii, institutions internationales contribuent à cette entreprise au fur et à mesure. À ce jour,
Orchidée endémique « La flore des Mascareignes » est riche de 21 volumes publiés, regroupant 172 familles de
dédiée à T. Cadet.
plantes à fleurs. C’est incontestablement l’un des piliers de la connaissance de la nature
Herbier de l’Université
de La Réunion. dans l’archipel, et particulièrement à La Réunion.

Les relevés phytosociologiques et la répartition des espèces sur l’île


L’amélioration de la connaissance a permis à Thérésien Cadet, au gré de ses sorties de terrain, de réaliser,
toujours avec sa femme, de nombreux relevés phytosociologiques (relevés de la végétation par unité de surface).
Ces relevés de la végétation lui ont permis d’identifier la distribution des espèces sur l’île, en tenant compte de
la pluviométrie, de la température (en lien avec l’altitude) et de la luminosité.

L’origine de la flore et les grands types de milieux naturels


Thérésien Cadet s’est interrogé très tôt sur l’origine de la flore réunionnaise. En se fondant sur les
connaissances nouvelles acquises par les géologues et les géophysiciens, il explique que tous les êtres vivants
(végétaux et animaux) qui occupent l’île ont été apportés par les vents, les courants marins. Il propose une
détermination des origines géographiques de ces vies. Il réfute ainsi l’hypothèse que les Mascareignes soient les
vestiges d’un continent unique, le Gondwana, aujourd’hui disloqué par la tectonique des plaques. Il recoupe
les informations géologiques, morphologiques, climatiques, pédologiques, phytosociologiques, pour établir les
grands types de milieux naturels de l’île : la végétation des régions chaudes et sèches, la végétation des régions
chaudes et humides, les forêts des régions montagneuses, les landes altimontaines.

Les étapes de colonisation de la flore


Il développe la notion de successions primaires, démontrant les étapes de colonisation progressive des
surfaces de coulées refroidies et nues. Grâce à la datation connue de ces coulées, il établit les épisodes et pas
de temps nécessaires pour passer de l’apparition des lichens et mousses, à celle des fougères, puis à celle des
différents arbustes, et enfin à celle des nombreux arbres. Dans les conditions optimales du sud-est de l’île, la
forêt mature, dite climacique et complexe, se constitue en 400 ans environ.

L’ensemble de ces données est aujourd’hui présent dans sa thèse de doctorat intitulée « La végétation de
La Réunion : étude phytoécologique et phytosociologique ». Soutenue en 1977, elle se traduit par une édition
locale en 1980. Elle devient alors un succès commercial, rare pour un ouvrage scientifique.

L’une des conséquences pratiques de la constitution d’un Herbier et de la Flore des Mascareignes est la
réalisation d’un inventaire précis des aires végétales correspondant à des unités écologiques (faune et flore) ;
c’est l’Inventaire des Zones Naturelles d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique (IZNIEFF), auquel il a
contribué jusqu’à sa disparition.

En parallèle de sa vie d’enseignant-chercheur, il milite pour la préservation de la biodiversité, nettement


affectée par l’inconscience des hommes. Cette biodiversité qui reste malgré tout encore riche est menacée, car
fragile. La multiplication des espèces végétales envahissantes est pour lui l’une des menaces les plus importantes
qui soient pour l’avenir. Une politique adaptée est nécessaire et il y contribue. Ainsi apparaissent, en relation
avec les efforts de l’Office national des Forêts, des réserves naturelles et des réserves biologiques.

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Une œuvre phytosociologique et phytoécologique pionnière dans l’océan Indien
Alors que les débats sur la possibilité de développer l’approche phytosociologique de la végétation dans
les régions tropicales sont toujours au cœur des communautés scientifiques, Thérésien Cadet, dans sa thèse
« La végétation de l’île de La Réunion : Étude phytoécologique et phytosociologique », cherche à concilier la
méthode d’analyse phytosociologique et l’approche phytoécologique du tapis végétal. Il souligne dès les premières
lignes de son introduction que la Réunion est un territoire intéressant « permettant sinon de réconcilier,
tout au moins de comprendre les points de vue opposés de ceux qui estiment que les formations forestières
ne peuvent s’analyser phytosociologiquement et ceux qui pensent que le système zuricho-montpelliérain lui
est parfaitement applicable. ». En effet la question se posait alors de savoir si les grandes tendances de la
phytosociologie développées en Europe pouvaient s’appliquer à l’île de La Réunion.
S’appuyant sur la réalisation de 850 relevés phytosociologiques (dont plus de 500 consacrés aux forêts),
réalisés à travers l’île et très souvent avec sa femme, son étude sur la végétation de la Réunion est en premier lieu
un modèle de conciliation entre phytoécologie et phytosociologie et donc d’emboîtement réussi de définition de
groupes écologiques dans un cadre phytosociologique. La transversalité de sa démarche offre de nombreuses
perspectives au sein des sciences de la végétation et ouvrira à La Réunion la voie à l’analyse écologique,
dynamique et fonctionnelle de la végétation d’une part et à sa description typologique et phytosociologique
d’autre part.
Sur les seuls aspects phytosociologiques, il est un pionnier dans l’océan Indien et fait le lien entre les travaux
menés en régions tropicales, en Afrique équatoriale et en Asie tropicale. S’inscrivant à la suite des travaux de
P. Rivals, membre de son jury de thèse, la thèse de Thérésien Cadet sur la végétation de La Réunion pose
ainsi les jalons d’une première typologie des végétations de l’île qu’il complétera en 1986 avec l’aide de J.-L.
Dupouey, après l’avoir étendue à l’île de Rodrigues (Cadet, 1972 et 1975).

La valorisation politique de la recherche scientifique


Thérésien Cadet n’est pas seulement un homme de laboratoire et un homme de découverte des réalités du
terrain. Il éclaire volontiers la conscience de ses contemporains sur un certain nombre de thèmes dont le moins
qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas alors dans l’air du temps. Dans les années 1970, l’écologie n’est guère
présente dans les propos politiques. Le premier service de l’Environnement est créé en mai 1985 au sein de
la toute nouvelle collectivité territoriale, le Conseil Régional de La Réunion : Thérésien Cadet y est associé
tout de suite. Déjà en 1973, il écrit un message (in « Histoire d’une forêt de Bois de Couleurs dans l’île de La
Réunion ») qui n’a pas pris une ride 45 ans après :
« Nous pensons avoir démontré qu’il est urgent d’intervenir pour sauver certaines parties de notre patrimoine
biologique. Par notre faute, nous l’avons tellement dégradé qu’une action passive ne suffira plus. Délimiter
des aires de végétation, les ériger en réserves biologiques intégrales, ce sera bien mais insuffisant. Il faudra les
protéger, en interdire l’accès, à l’homme lui-même, aux animaux. Il sera aussi indispensable d’intervenir pour
réparer les erreurs du passé et guérir les plaies, c’est-à-dire débarrasser cette végétation des plantes étrangères
envahissantes et l’enrichir en espèces devenues rares par suite de leur destruction par l’homme. Tâche difficile,
tâche coûteuse peut-être, mais l’harmonie du milieu dans lequel nous vivons n’a pas de prix ».

Pour toutes ces actions accomplies, ces dons de précurseur et de pédagogue, au bénéfice de la préservation
et de la valorisation du patrimoine naturel, Thérésien Cadet est la personne qui a montré la voie menant à la
reconnaissance internationale des valeurs patrimoniales de La Réunion.

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Introduction

Poster du 5e anniversaire de l’inscription des Pitons, cirques et remparts sur la liste des Biens de l’Unesco. Parc national de La Réunion, 2015.

Une fierté partagée : les Hauts de La


– un maloya improvisé à Brasilia ;
Réunion inscrits sur la liste des Biens – un accueil chaleureux de la délégation
du Patrimoine mondial en 2010 réunionnaise à son retour du Brésil ;
– des kabars et soirées musicales dédiées ;
– des courriers de félicitations ;
Le 1er août 2010 restera une date historique – des articles dans la presse locale, nationale et
pour La Réunion : ce petit bout de France, « perdu » internationale ;
dans l’océan Indien, a vu ses Pitons, Cirques – une remise officielle du « diplôme » Patrimoine
et Remparts inscrits au Patrimoine mondial de mondial par l’Unesco.
l’UNESCO. Le Bien est ainsi devenu en 2010 :
– le 35e site français inscrit au Patrimoine mondial; Une grande fierté et une grande attente étaient
– le 4e site naturel français inscrit après le golfe de nées. Il s’agit de ne pas créer de déceptions ou de
Porto (Corse), le Mont-Perdu (Pyrénées) et les lagons désaffection.
de Nouvelle-Calédonie;
– le 2e site inscrit de l’Outre-mer français (après la Le Bien inscrit (106 000 hectares, soit à peu près
Nouvelle-Calédonie); 42 % de la surface de l’île) correspond au cœur du parc
– le 1er Parc national français qui a son cœur national, auquel s’ajoutent le Piton d’Anchain dans
intégralement inscrit sur la liste des Biens du le cirque de Salazie, le Piton de Sucre et la Chapelle
Patrimoine mondial. dans le cirque de Cilaos, la Grande Chaloupe au nord
Cette inscription va donc permettre à La Réunion et Mare Longue dans le sud.
d’exister plus fortement à l’international, de devenir L’Unesco reconnaît que l’ensemble des Pitons,
un lieu privilégié par rapport à la France continentale, cirques et remparts créent un paysage spectaculaire et
mais aussi vis-à-vis des autres départements et régions contribuent significativement à la conservation de la
d’outre-mer, de souligner son originalité notamment biodiversité terrestre des Mascareignes.
auprès de ses résidents. Les fonds des cirques de Salazie et de Cilaos, ainsi que
la Plaine des Palmistes, constituent des zones tampons.
Les instances réunionnaises ont participé
fortement à cette aventure. Les Réunionnais ont été Une nécessité : informer
abondamment informés et ont fait part de leur soutien. et remobiliser les Réunionnais
Ils ont assisté en direct à cette inscription notamment
grâce au travail des médias.
Cette inscription a été suivie de nombreuses Dans cette logique de partage, la date anniversaire
manifestations de joie et signes de fierté qui peuvent de l’inscription est devenue un prétexte pour célébrer
être cités : cet événement, montrer ce qui a été fait et continuer
à informer.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 13


Au premier anniversaire, les partenaires étaient au référence destiné à un public d’adultes (notamment
fait de l’inscription, du pourquoi et du comment de les décideurs locaux et nationaux) et suffisamment
celle-ci, des potentiels offerts. abordable pour être valorisé par les bibliothèques, le
Au cinquième anniversaire, le côté participatif a monde scolaire (secondaire).
été mis en avant, un appel à projets a été lancé et a
permis des réalisations et des constats : Dans la perspective, de la rédaction en 2016, de
– une quarantaine de manifestations ont été cet ouvrage, les présidents du Parc national de La
menées sur trois mois ; Réunion et du Conseil de la culture, de l’éducation
– malgré ce succès, il a fallu faire le constat que la et de l’environnement de La Réunion, ont décidé de
mémoire sur cet événement s’étiolait ; confier cette mission à ceux qui ont piloté et écrit le
– les débats menés ont fait ressortir un constat dossier de candidature de La Réunion. Une cellule
complémentaire, celui que les avantages de de rédaction a donc été mise en place, composée
l’inscription n’ont peut-être pas été utilisés au mieux de rédacteurs principaux : Jean-François Bénard,
vis-à-vis du public ; Vincent Boullet, Gérard Collin, Philippe Mairine et
– un autre constat a été également mené, celui que René Robert, accompagnés de Jean-Cyrille Notter.
les connaissances scientifiques, depuis l’inscription, Les rédacteurs ont aussi fait appel aux contributeurs
ont évolué, et qu’une actualisation s’imposait. qui leur ont paru nécessaires.
Jean-François Bénard, en plus de son implication
Ce bilan a alimenté un échange entre le CCEE active dans la rédaction du projet, s’est attaché plus
et le Parc national de La Réunion. Le principe de la particulièrement à coordonner les échanges entre les
réalisation d’un ouvrage actualisé, accessible à tous et différents acteurs de ce projet.
répondant à ces constats a été retenu. La direction du CCEE a tout mis en œuvre pour
faciliter ce travail de rédaction et de coordination de
projet, et permettre ainsi la publication de cet ouvrage
Une publication actualisée : dans les meilleures conditions.
une volonté conjointe du Conseil de la
Elle a non seulement assuré le suivi du portage
culture, de l’éducation
administratif et technique de la commande publique
et de l’environnement permettant la publication de cet ouvrage , mais
et du Parc national de La Réunion aussi joué un rôle clé en matière de relecture et de
médiation avec l’ensemble des partenaires qui ont
Le Conseil de la culture de l’éducation et de contribué à la bonne réalisation de cet ouvrage.
l’environnement (CCEE) et le Parc national de
La Réunion (PNRun) se sont donc entendus pour Bien plus qu’un classique bilan toujours peu
réaliser en partenariat une publication nouvelle à agréable à lire, cet ouvrage collectif se veut un élément
partir du dossier de candidature de La Réunion sur utile à la connaissance et à la compréhension.
la liste des Biens du Patrimoine mondial pour ses Il a l’ambition de servir de référence pour
« Pitons, cirques et remparts ». un patrimoine universel exceptionnel, celui
Ils ont souhaité la réalisation d’un document de de l’île de La Réunion.

14 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Une île, sa nature, ses paysages,
en route pour le patrimoine mondial

Première de couverture du document de candidature des Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion
sur la liste des Biens de l’Unesco. Parc national de La Réunion, 2008.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 15
Une identité et une
histoire singulières
Nature, paysages et culture :
une synthèse exceptionnelle,
authentique et vivante

Une brève description


Evolution de la population 1665 à 2013, source : INSEE.
L’identité réunionnaise, exprimée par une langue
commune, le créole, est profondément marquée Des patrimoines paysagers,
par l’hétérogénéité d’une société qui se situe à la naturels exceptionnels
confluence d’une multitude de cultures.
Située dans l’océan Indien au niveau du 20e parallèle Une île volcanique récente, riche de contrastes
dans l’hémisphère sud, La Réunion fait partie de
l’archipel des Mascareignes avec les îles Maurice et
Rodrigues ; elle est située à 690 km de Madagascar,
à près de 2 000 km des côtes de l’Afrique de l’Est et
à plus de 9 200 km de Paris. C’est un département
et une région d’outre-mer français, qui bénéficie du
statut de Région ultra-périphérique (RUP) de l’Union
européenne (UE).
La Réunion connaît une croissance démographique
rapide et importante : la population est ainsi passée
de 497 800 habitants en 1980 à 845 000 habitants
en 2013.

Relief de La Réunion, source Parc national de La Réunion. 2017.

Le Piton des Neiges, les cirques et les remparts

Situation de l’Ile de La Réunion, Image Météo France, 2 février 2017.


Les sommets centraux du massif du Piton des Neiges dominent
nettement les trois cirques de Salazie, Cilaos et Mafate. Ils offrent
Ce dynamisme démographique concerne l’ensemble les points culminants de l’île et des terres du sud- ouest de l’océan
du territoire mais exerce une pression plus marquée Indien : le Piton des Neiges est à 3070 mètres et le Gros Morne
au sud et à l’est. à 3019 mètres…
Les cirques sont bordés de parois abruptes, les remparts, et
Les espaces et ressources naturels des Hauts subissent les présentent des paysages complexes où de nombreuses ravines
conséquences de cette pression démographique et sociale : ils isolent des « îlets », replats où se concentrent habitations,
sont le lieu d’exercice d’un grand nombre d’activités gratuites et cultures et élevages.
faciles d’accès, à vocation de loisir, mais aussi parfois à vocation Bien que les trois cirques (Salazie, Cilaos et Mafate) présentent
de complément de revenu (braconnage des espèces animales et des traits communs dus à leur origine géologique et à leur
végétales). situation particulière dans les Hauts, ils sont très différents les
(in Charte du Parc national de La Réunion, 2014). uns des autres.

16 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Eruption dans l’Enclos. Photo J.-F. Bègue.
Un quatrième cirque, Bébour, a été comblé par les dernières
éruptions du Piton des Neiges ; il n’est plus réellement visible.
Outre une occupation humaine permanente, les cirques reçoivent
un nombre croissant de visiteurs, attirés par les paysages,
les ambiances singulières et la quiétude des îlets.
Dans le fond des cirques, les milieux naturels ont été largement
modifiés par l’action de l’homme, mais les ravines et surtout les
Piton de la Fournaise avec le cratère Dolomieu, l’Enclos Fouqué, le Pas des
remparts recèlent encore des sites où la biodiversité indigène Sables, au dernier plan le Massif du Piton des Neiges. Photo H. Douris, 2006.
s’est maintenue. s’apparentent à des paysages lunaires où la végétation clairsemée
Les paysages des cirques et les écosystèmes qui les composent est confrontée à des conditions de températures et de sécheresse
sont fragiles. extrêmes.
(in Charte du Parc national de La Réunion, 2014). • Les grandes coulées plus anciennes à l’est et au nord du massif.
(in Charte du Parc national de La Réunion, 2014).
Les planèzes, pentes extérieures du Piton des Neiges
Des paysages ciselés par l’eau depuis
Les planèzes nées des coulées de l’ancien volcan, sont des triangles les sommets jusqu’à l’océan :
en pente, plus ou moins larges et limités par les grandes ravines. ravines, bassins, cascades et zones humides
Liens entre la mer et les plus hauts sommets, elles accueillent une
végétation différenciée en grandes unités réparties en fonction
de l’altitude et de l’hygrométrie. Aux grands ensembles visibles
dans le paysage (bois de couleur des Bas, bois de couleur des
Hauts puis fourrés à bruyère), s’ajoutaient autrefois, dans la zone
sous le vent, la savane littorale et la forêt semi-sèche, quasiment
disparues aujourd’hui.
Aujourd’hui, selon les régions de l’île, les grands domaines
canniers ou les petites exploitations familiales, dont le pivot est la
canne à sucre, en occupent le bas et les mi-pentes. Paysage ciselé par l’eau. Photo J.-F. Bègue.
(in Charte du Parc national de La Réunion, 2014). Les Hauts sont le château d’eau de l’île. Creusées par les pluies
torrentielles dans les fractures initiales du volcan, les ravines
Le Piton de la Fournaise, volcan actif, et ses pentes forment de profondes entailles qui relient directement les Hauts
C’est un ensemble cohérent, animé par une activité volcanique au littoral. Éléments forts du paysage réunionnais, les remparts
permanente de type hawaïen et composé de trois sous-ensembles qui les délimitent sont très lisibles dans le paysage.
paysagers : Les ravines constituent aussi de remarquables corridors
• L’Enclos : lieu unique qui offre au visiteur le spectacle fascinant écologiques entre les différentes zones bioclimatiques, d’autant
d’un paysage qui se réinvente sans cesse au fil des éruptions ; lieu que leurs versants sont généralement restés boisés en application
du combat obstiné du monde végétal pour conquérir ces espaces du code forestier qui interdit leur défrichement.
en perpétuel renouvellement. Le territoire est par ailleurs parsemé d’une multitude de zones
• Les grandes étendues minérales (Plaine des Sables, Plaine humides, généralement de petites dimensions.
des Remparts, etc.), cernées par des remparts escarpés, elles (in Charte du Parc national de La Réunion, 2014).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 17


Case créole à Hell-Bourg. Photo J.-F. Bénard.

Une île indo-océanique à la biodiversité Le patrimoine culturel des Hauts, marque


exceptionnelle d’une authenticité vivante
La Réunion est considérée comme un haut lieu Dans les Hauts, on n’observe pas de patrimoine
de l’endémisme et est reconnue comme un site monumental spectaculaire, mais un « petit patrimoine »
planétaire sur le plan patrimonial et scientifique. Elle en abondance : des cases créoles particulièrement bien
fait partie des 34 hotspots de la biodiversité mondiale. intégrées à leur environnement, des vestiges d’ouvrages
La combinaison de l’histoire de la formation de l’île, hydrauliques (fontaines, citernes, petits ponts, canaux…),
apparue en plein océan à une distance importante des des édifices religieux témoignant de la variété des cultes,
continents, et de ses conditions abiotiques uniques d’anciens chemins pavés ou encore des réseaux de
soulignées dans la déclaration de valeur universelle « sentiers péï » sillonnant la forêt.
exceptionnelle adoptée par l’UNESCO, est à l’origine
d’une remarquable biodiversité à trois niveaux : Dans les Hauts, le patrimoine immatériel est
les écosystèmes (ou les habitats au sens de l’assemblage probablement plus omniprésent que le patrimoine
des espèces végétales entre elles), le nombre d’espèces, matériel. La langue créole est intimement liée à la
leurs caractéristiques génétiques intrinsèques. population réunionnaise. Elle s’est enrichie au fil
L’isolement, la diversité des habitats naturels et les des siècles de mots d’origine malgache, indienne,
micro-climats réunionnais ont amené nombre de ces chinoise… Cette langue regorge de dictons et
espèces indigènes à se différencier des populations expressions imagées. En témoignent les noms
d’origine jusqu’à former de nouvelles sous-espèces vernaculaires d’espèces indigènes : z’oiseau vert, tec-
ou espèces insulaires et ainsi devenir des espèces tec, bois de papaye, bois de joli cœur, bois d’arnette…
endémiques. Sur 874 espèces végétales indigènes de
la flore vasculaire aujourd’hui recensées, 248 sont La mémoire collective conserve encore de
strictement endémiques de La Réunion soit 28 % nombreux événements reflétant l’histoire ou la vie
(ce taux atteint 45 % si l’endémisme est rapporté à quotidienne d’autrefois, mais aussi des superstitions,
l’échelle des Mascareignes). des savoir-faire architecturaux (tailleurs de pierres,
Dans cette entité biogéographique particulière, bardeautiers…), artisanaux (ferblantiers, tresseurs
d’importants massifs de végétation indigène subsistent de paille…), culinaires ou médicinaux (tisaneurs)…
(forêts, landes et pelouses d’altitude), occupant encore L’histoire d’un lieu peut également être révélée par
30 % de la surface insulaire, contre à peine 5 % à la toponymie. Certains noms rendent hommage à
Maurice. l’histoire du marronnage (Mafate, Cimendef, Anchain,
La faune indigène de La Réunion est relativement Bronchard…), d’autres trouvent leur origine dans la
pauvre en vertébrés (moins de cinquante espèces), langue malgache (Maïdo, Cilaos, Takamaka…).
mais l’absence de grands vertébrés ne doit pas occulter Une relation particulière s’est instaurée entre l’homme
l’originalité des espèces de l’île. Certains groupes et la nature à travers des pratiques spécifiques, comme
parmi les invertébrés (dont les insectes : papillons, les prélèvements en forêt (tangues, zandettes, guêpes,
coléoptères…), les oiseaux, les reptiles, présentent un plantes ou bois…) destinés à des usages domestiques. Ces
grand intérêt et un fort taux d’endémisme. pratiques restent nombreuses alors que les territoires et
les ressources ont plutôt tendance à diminuer.

18 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Hommes et nature : une histoire 1638 (25 juin) : Première prise de possession des îles Mascareignes par
la France.
et des savoirs partagés 1642 (29 juin) : Deuxième prise de possession des îles Mascareignes.
Premier débarquement en rade de Saint-Paul.
Des éléments d’histoire 1649 (décembre) :
Sur le bateau le Saint-Laurent, Flacourt prend possession pour la
troisième fois de La Réunion. Il la baptise : Île Bourbon. Il y débarque
Avant le XVI siècle, seuls les Arabes et les
e

Austronésiens (habitant l’Indonésie et la Malaisie


d’aujourd’hui) connaissent l’océan Indien. Le premier
nom donné à La Réunion le fut par les Arabes bien
avant 1450 : Dina Morgabim.
En effet, la première description serait celle du
géographe arabe Al Idrissi (XIe siècle).
En 1498, Vasco de Gama arrive dans cet océan, remonte
le canal du Mozambique, explore Madagascar, l’île de
Mozambique et va jusqu’à Calicut, en Inde.
La colonisation européenne de l’océan Indien
commence avec cette première grande expédition.

De la découverte au peuplement (1507/1664)


Isle Bourbon, 1653. Carte attribuée au Sieur de Flacours.
Après les Portugais et les Anglais, les Hollandais puis Bibliothèque nationale de France.
les Français s’engagent dans l’aventure coloniale. Ils
« découvrent » les îles et s’y installent, utilisant la quatre génisses, un taureau et il revient avec des cochons salés. L’île
main-d’œuvre esclave, achetée principalement en Bourbon est toujours vierge.
Afrique et à Madagascar… 1663 (10 novembre) : le Saint-Charles mouille devant la Grotte des
Premiers Français à Saint-Paul. L’île devient colonie à part
1507 : le navigateur portugais Diego Dias découvre l’île le 9 février. entière et aussi la première base française de l’océan Indien.
1513 : Pedro de Mascarenhas baptise La Réunion du nom de la Sainte
du jour : Santa Apollonia. La période de la Compagnie des Indes
1625 : le premier récit de relâche historique est celui de Samuel Purchas (1664/1764)
qui dans « Purchas his Pilgrimes » décrit une île paradisiaque vierge Pendant un siècle, la Compagnie des Indes administre
avec des cours d’eau, des animaux : tortues, tourterelles, perroquets, ibis directement l’île Bourbon qui lui est concédée par le
de La Réunion (ou solitaire), anguilles, canards, oies, tous extrêmement Roi de France.
faciles à tuer.

Dina Morgabim (La Réunion). Portulan dit « carta del Cantino » représentant les îles nouvellement découvertes vers l’Inde (circa 1502). Antico Fondo Estense.
Bibliothèque nationale de France.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 19
e
1665 : l’île accueille son premier gouverneur, Étienne Regnault, Début 18 siècle : importation des premiers plants de café de Moka.
agent de la Compagnie des Indes. L’administration crée les premiers 1711 : première description du café Bourbon pointu par d’Hardancourt.
quartiers, exploite les richesses (tortues, gibier…) et accorde les premières 1715 : Henry de Justamond, gouverneur de Bourbon fait approuver
concessions. par le conseil provincial que tout homme de la Colonie, Blanc ou Noir,
1667 : la colonisation définitive de l’île commence avec l’arrivée des de plus de 15 ans, planterait 100 pieds de café que chacun irait chercher
premiers colons français accompagnés d’une main-d’œuvre malgache dans la forêt.
pas encore officiellement asservie.
1674 : l’île compte alors 150 personnes. Pendant six ans, elle va tomber De 1665 à 1715 : L’autosubsistance,
dans l’oubli… une nécessité pour des hommes
en phase d’adaptation
C’est aussi le début de la mise en place de l’esclavage, Faute d’outils et de main-d’œuvre, les premiers colons ont du mal à mettre en
main d’œuvre estimée alors comme nécessaire au valeur leur concession. Pour assurer leur subsistance, ils pratiquent une petite
développement des cultures de plantation qui vont polyculture et s’adonnent à la chasse, la cueillette, la pêche.
dominer l’économie des basses terres de l’île pour Le commerce avec la métropole est très réduit. En 1708, l’agriculture de
longtemps. Bourbon exporte 16 tonnes de blé, 56 de riz, 61 de maïs, 2,1 de tabac et
8821 régimes de bananes.
L’apparition de l’esclavage (in Prosper Eve -Histoire d’une renommée. L’aventure
L’application de l’ordonnance de Jacob Blanquet de La Haye de décembre du caféier à La Réunion, 2006).
1674, interdisant le mariage mixte, entraîne une dégradation des relations
entre Blancs et Noirs. La culture du café Bourbon pointu est proscrite en
Pour consacrer leur infériorité, les Noirs domestiques sont peu à peu réduits à 1718 par la Compagnie des Indes qui, détenant
l’état d’esclave. L’intolérance est de mise désormais à Bourbon et va s’accroître le monopole du café d’Arabie, y voyait un produit
à mesure que la population blanche deviendra minoritaire, entourée d’une échappant à ses revenus. Sa culture reprendra vers
population servile toujours plus nombreuse, qu’il faut contrôler. 1770 avant d’être quasiment décimée en 1880 par
En 1690, les Blancs et les esclaves sont respectivement 226 et 113, en une maladie.
1714, 633 et 538. En 1735, 1 716 Blancs (soit 21 % du total) vivent La culture de cette variété du caféier d’Arabie est
entourés de 6 573 esclaves (79 %). (d’après Prosper Eve). aujourd’hui relancée à La Réunion.
Jusqu’en 1735, l’exportation annuelle de café atteint
1680 : le Père Bernardin essaye d’intéresser Louis XIV à l’île Bourbon, les 100 000 livres. L’île Bourbon « accueille »
car elle « n’est alors pour la Compagnie et le roi qu’un objectif secondaire, qu’une terre 1 500 esclaves supplémentaires par an. Ils proviennent
satellite, d’appoint, par rapport à la grande île madécasse » (Danielle Nomdedeu- d’Afrique, de l’Inde et de Madagascar.
Maestri, Chronologie de La Réunion, de la départementalisation à la
loi d’orientation, 2001). Café et marronnage
1689 : Henri Habert de Vauboulon devient le premier administrateur La culture du caféier a, indirectement, entraîné la colonisation de l’intérieur
et législateur de l’île. Il a été le premier à tenter de réglementer la de l’île. Ilets, pitons et ravines sont en effet devenus des lieux de vie à partir
chasse face à la diminution du gibier. La plupart des espèces chassées du moment où les premiers esclaves ont choisi de fuir les dures conditions de
disparaîtront rapidement. ces plantations.
Pour mettre de la distance entre eux et les maîtres, dans les trois premiers
quartiers habités dès le XVIIème siècle — Saint-Paul, Sainte-Suzanne et
Saint-Denis —, les exilés forcés qui n’ont qu’une idée – vivre libre – fuient le
plus loin possible. A défaut de pouvoir prendre la mer, ils prennent la direction
des zones qui leur paraissent le plus inaccessible.
Ils pénètrent dans les cirques par des sentiers difficiles, passant soit par le
Petit Bénare, le Bras de Saint-Paul et Ilet à Cordes, soit par Roche Plate, les
Salazes et Bras Rouge, soit encore par les Aloès et l’îlet à Malheur. (d’après
Prosper Eve).

En Europe, les philosophes s’interrogent, et débattent


de la liberté et de l’égalité. A La Réunion, comme
dans tous les territoires des colonies, les esclaves en
fuite, les marrons, essaient de mettre en pratique, dans
des conditions très difficiles (isolement, traques, climat
Plan de Lille de Bourbon, 1710. Sieurs Boucher et Feuilly. Bibliothèque natio- rude), ces principes fondamentaux.
nale de France.
20 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Marrons au siècle des Lumières Les territoires des marrons
Les rapports de détachement qui sont parvenus jusqu’à nous, prouvent que les Les camps des marrons se trouvent donc dans les endroits difficiles d’accès et
esclaves en fuite à La Réunion ont voulu constituer des sociétés marronnes à la offrant le plus de sécurité possible…
tête desquelles se trouve un roi, qui dispose des pouvoirs politique et religieux et Au sommet des montagnes, les fonds des gorges des rivières, des ravines,
gouverne (Laverdure, Mauzac ou Manzac, Jouan sont des rois). les « hauts de la Rivière des Marsouins », de la « Rivière des Roches », de
Le roi est assisté de lieutenants ou de capitaines, qui administrent chacun un la « Rivière St-François », de la « Rivière du Mât », de la « Rivière des
espace plus ou moins restreint. Galets », du « dernier bras de la Rivière des Marsouins », le « Fond de la
Ils tiennent leur pouvoir du roi et ils lui doivent obéissance. (Sarcemate est Plaine », la « Rivière St-Etienne », le « Bras de la Plaine », la « Rivière des
lieutenant, Dimitile, capitaine). Remparts », la « Rivière St-Etienne, au- dessus de Cilaos » ont abrité des
Cependant, ces sociétés ne résistent pas aux assauts incessants des chasseurs camps de marrons.
entre les années 1720 et 1780, partout dans toute l’île. Rapport de Patrice Droman après sa découverte du 12 juin 1752 :
Au moment où en France, les philosophes dissertent sur la question de « Camp de marrons au Bras de la Plaine composé de « 18 cases » et six autres
la liberté : liberté d’expression des idées, contre la censure (Voltaire, à quelque distance abritant « quantité de noirs et négresses qui pouvaient
Lettre à un premier commis, 1733), liberté de conscience (Montesquieu, être au nombre de 60 marrons ». Ces cases sont « en bois écarri » ou « bois
rond ». Il y avait aussi des « boucans enfumés » et des cases de feuilles »
appelés « ajoupas ».(in Sudel Fuma, L’esclavage et le marronnage à
La Réunion, 2002).

1735 : Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais devient le premier


gouverneur général des îles de Bourbon (La Réunion) et de France
(Maurice). L’île de France devient plus importante que Bourbon.
1754 : l’île compte 13 000 esclaves et 3 376 habitants libres.
1764 : le roi rachète les Mascareignes à la Compagnie des Indes après
la faillite de cette dernière.
1768 : l’île compte 45 000 esclaves et 26 284 habitants libres.

Un avenir prometteur pour le café de Bourbon


« On ne peut rien voir de plus beau que les plantations de café qui se multiplie
à l’infini. Cette île sera dans peu de temps capable d’en fournir au-delà de la
consommation du royaume. »
Lettre du gouverneur de Bourbon, Pierre Benoît Dumas,
au ministre de la Marine, 27 avril 1728.

De 1715 à 1806 : L’économie de plantation,


la spéculation du café
La Compagnie des Indes décide d’imposer à Bourbon une culture spéculative
dont le produit correspond au goût des consommateurs français : le caféier
e
Les camps de marronnage au 18 siècle. C. Rabesahala,
Moka. Cette production fait passer l’île au stade de l’économie de plantation ;
J.-C. Notter, 2016. en effet, cette culture est pratiquée sur de grandes surfaces de production,
utilise une importante main d’œuvre (celle des esclaves). Le caféier est cultivé
Lettres Persanes-1721 et Esprit des lois-1748 ; Voltaire, Traité sur la partout jusqu’à 1100 m d’altitude ; en 1745, la production s’élève à 1250
tolérance-1763), les esclaves marrons, à Cilaos comme dans le reste des tonnes.
parties hautes de l’île, donnent concrètement une magistrale leçon sur ce thème. Dans le courant de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les difficultés
Malheureusement, personne, sur place, ne cherche à décoder s’accumulent et la question d’autres cultures de spéculation se pose (exemple :
le sens profond de leur geste ni à en rapporter le récit à Paris. les épices introduites par l’intendant Pierre Poivre).
(d’après Prosper Eve). (in Prosper Eve, Histoire d’une renommée : l’aventure
du caféier à La Réunion, 2006).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 21


1798 : La Réunion devient hors-la-loi vis-à-vis de la métropole et
s’enferme dans une autonomie.
1803 : l’Assemblée coloniale est supprimée et l’esclavage est rétabli au
niveau national (il avait été aboli en 1794).
1806 : l’île prend le nom d’Île Bonaparte.
1807 : des catastrophes naturelles exceptionnelles ravagent toutes les
cultures de café et de giroflier.

Ces événements précipitent l’abandon du café, dont


l’intérêt économique décline. Les exploitants se
tournent vers la canne à sucre, plus résistante au vent
et à la pluie.

1809-1815 : occupation britannique.


1810 : l’île reprend le nom de Bourbon.
1814 : les Britanniques rétrocèdent l’île à la France (Traité de Paris),

Origine ethnique des esclaves en 1735. jugée sans valeur car sans port.
La famille esclave à Bourbon, G. Gérard, 2011.
L’économie de plantation : une nouvelle mutation,
La période royale (1764 / 1788) celle de la canne à sucre.
Sur le plan économique, c’est la période des épices. En 1806-1807, une succession de catastrophes climatiques malmène
Pierre Poivre introduit notamment des épices qui ne les caféières et conduit les colons les plus entreprenants à s’orienter vers la
remplaceront pas cependant le café. C’est aussi le fabrication industrielle du sucre et à étendre les superficies plantées en cannes.
temps de la plantation des premiers girofliers (1772). La progression de la production est rapide, et passe par un maximum au cours
L’introduction des premières plantes envahissantes des premières années du Second Empire. A partir de 1860, la crise débute
date aussi de cette époque. en raison d’un certain nombre de difficultés : érosion et altération des sols,
répétition des mêmes cultures dans les mêmes champs, attaque du borer…
La crise sucrière va durer jusqu’à la fin de la période coloniale.
(in Prosper Eve, Tableau du syndicalisme à La Réunion,
1991).

Poivre noir Piper nigrum . Les premiers habitants


Curtis’botanical magazine. 1832.
du Bien inscrit
La fuite vers les montagnes des esclaves qui refusaient
leur condition servile dans les plantations constitue la
Pierre Poivre, Intendant première vague d’implantation des hommes dans les
des Iles de France
et de Bourbon en 1767.
Hauts de l’île : les Marrons.
Né à Lyon en 1715,
mort en 1786.
La liberté ou la mort
Dureau, J. Peintre (attribué
à) ; Roussin, Louis Antoine « Sur ce Piton des Neiges, solitaire, dépouillé, battu des tempêtes, triste
(1819-1894). Lithographie. 1861
dominateur d’un horizon sans bornes, on aperçoit souvent des traces de pieds
(Estampe Musée Léon Dierx).
humains, attestant le courage d’esclaves qui viennent chercher la liberté jusque
La période révolutionnaire et impériale dans les dernières limites de l’atmosphère. Là aussi gisent parfois les os
(1789 / 1815) blanchis de quelques malheureux qui, préférant l’indépendance dans le désert
Ces deux périodes sont des périodes troubles pour à l’esclavage dans une société marâtre, viennent terminer leurs infortunes sur
l’île, qui subit les contrecoups des guerres de la le basalte solitaire ».
Révolution et de l’Empire. L’île Bourbon devient l’île Souvenirs d’un aveugle, voyage autour du monde,
de La Réunion en 1793. Jacques Etienne Arago, 1839.
Les tensions naissent surtout quand l’Assemblée
Coloniale (1790-1803) créée par la Révolution, refuse
en 1794, d’abolir l’esclavage mais adopte seulement
un système plus souple.

22 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Des cirques ou des pitons perdus à l’intérieur de l’île qui peuvent paraître anodins. En revanche, leur
perpétuent la légende des plus illustres d’entre eux : lecture attentive permet bien souvent de comprendre
Dimitile, Anchain, Cimendef, Mafate et les autres une partie de l’histoire de ces lieux. Beaucoup de
héros du marronnage survivent dans l’imaginaire toponymes sont dérivés de la langue malgache, langue
du peuple créole. Chacun de ces chefs régnait sur maternelle de nombreux esclaves. Ces toponymes
des troupes plus ou moins nombreuses mais toutes évoquent à la fois la relation à la Grande Ile et la
organisées pour la lutte contre les Blancs propriétaires désignation d’espaces et de lieux par ceux qui en
des plantations des Bas. firent, de force, leur territoire. La symbolique se mêle
souvent à la réalité pour marquer le paysage d’une
empreinte que la société dominante reprendra à son
compte, sans souvent en déchiffrer toute la force,
véritable message légué par les esclaves marrons.
Dans le cirque de Mafate (« lieu qui pue » en français),
on trouve de nombreuses références :

• un « Ilet à Malheur » qui doit son nom au grand malheur


qu’il y a eu en 1829 lors de l’affrontement sanglant entre un
détachement de chasseurs d’esclaves et quarante Marrons qui y
vivaient,
• le « Cimendef », piton entre Mafate et Salazie, qui porte le
surnom imagé (signifiant « qui ne veut pas être esclave ») d’un
célèbre Marron ; autre explication Tsimandefitra : « qui ne se
plie pas, ne cède pas »,
• une crête et un plateau de la « Marianne », épouse de
Cimendef,
La « vallée secrète » à La Réunion, un refuge extrême pour les esclaves
« marrons » caractérisé pour la 1ère fois par l’archéologie, A. L. Dijoux, 2013. • le « Bronchard », piton portant le nom d’un célèbre chasseur
Dans le bilan scientifique du Service Régional de l’Archéologie – Direction des d’esclaves en fuite,
Affaires Culturelles de l’Océan Indien.
• un îlet « Aurére » dont le nom viendrait d’Oréra
(Mozambique), « bonnes terres » en français.
La « vallée secrète » à La Réunion : un refuge extrême
pour les esclaves « marrons » Dans le cirque de Cilaos (« silaosa » en malgache,
Nichée à plus de 2200 m d’altitude au-dessus de deux anciennes caldeiras « qu’on ne quitte pas » en français, nom donné par
formées par le Piton des Neiges de l’île de La Réunion, la « vallée les esclaves marrons installés dans cet espace pour
secrète » saisit l’étranger par son inaccessibilité et ses murailles rocheuses traduire la fidélité au sol et au chef) ; on trouve aussi
vertigineuses… L’emplacement du site permet une totale dissimulation : il d’autres références comme :
est impossible d’être vu à partir des deux points d’observation amont et aval,
qui offrent en revanche des postes de guet à vues plongeantes et lointaines… • un lieu-dit « le Bloc », endroit où étaient provisoirement
Les résultats archéologiques obtenus suggèrent que le site de la « vallée attachés les fugitifs rattrapés ; l’instrument qui permettait de
secrète » a été considéré et utilisé comme un point de passage offrant une leur « bloquer » les mains et la tête (ou les pieds) ensemble se
position stratégique au sein d’un vaste territoire, probablement très emprunté nommait un « bloc ».
par plusieurs groupes humains « marrons » (massif du Grand Bénare…
notamment). À proximité du camp, la présence annuelle…de novembre à L’interprétation du toponyme Salazie comme « bon
avril, d’une espèce d’oiseau, le Pétrel de Barau, seule source alimentaire campement » est erronée. Ce nom est apparu vers
1832, il s’agit du Cirque des Salazes, francisation du
disponible et facile à capturer, permet d’appuyer l’hypothèse d’une succession
mot malgache « salazana » (fourche ou poteau pour
d’occupations saisonnières…Située dans un milieu extrême, hostile et supposé
fumer viandes et poissons), il aurait été donné vers
inhabitable, la « vallée secrète » constitue le premier site fréquenté par des 1832, « que ç’ait été par Vinson ou par Melle de La
esclaves « marrons » caractérisé grâce à l’archéologie. Serve (…) Le nom parut d’ailleurs si charmant au
La « vallée secrète » à La Réunion, un refuge extrême procureur général Barbaroux qu’il en fit celui que
pour les esclaves « marrons » caractérisé pour la 1èrefois devait porter sa fille » (Yves Pérotin, Chroniques de Bourbon
par l’archéologie, A. L. Dijoux, 2013. p. 73, 1957).

Marronnage et toponymie
Les pitons, cirques et remparts de La Réunion, et
les lieux-dits qu’ils contiennent, portent des noms

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 23


Toponymes et vie des marrons. C. Rabesahala, J.-C. Notter, 2016.

24 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


• un piton « d’Anchain », nom d’un esclave qui se serait jeté 1840 : découverte de la fécondation artificielle de la vanille par
dans le vide à l’approche des chasseurs de Marrons, Edmond Albius.
• le piton Benoune (« gros sein »), au relief évocateur.
L’essor de la vanille
Sur l’ensemble du Bien inscrit et de la zone tampon,
on trouve des références liées :

• aux Marrons : « Dimitile » (« capitaine » d’un groupe de


Marrons), le roi Phaonce…
• aux chasseurs de Marrons : Mussard, Dugain…
• à la présence de Marrons sur les lieux : Plaine des Cafres,
Ilet Marron…
• aux dénominations malgaches laissées aux lieux :
Petit et Grand Bénare (« Grand froid »), Tapcal
(« partie de forêt »), Maïdo (« terre brûlée »), Tévelave
(« grande forêt »)… lieu d’un grand défrichement par brûlis. Edmond Albius. Inventeur de la fécondation artificielle du vanillier.
• à la protection des campements marrons : Bélouve viendrait Roussin, Louis Antoine (1819-1894). Dessinateur et lithographe,
1863. Estampe, Musée Léon Dierx.
de be lovo, « aux nombreux pièges », peut-être les piquets
pointus fichés autour des camps pour leur protection. L’orchidée Vanilla planifolia avait été introduite dans
l’île en 1819. La première pollinisation artificielle du
Colonisation du cirque de Salazie vanillier est réalisée en 1836 au jardin botanique de
L’implantation de la culture de la canne à sucre dans les Bas a pour Liège.
conséquence inattendue la création de concessions dans le cirque de Salazie. En L’esclave Edmond reçut en 1848 son nom de
effet, la fabrication industrielle du sucre imposant de lourds investissements, « libre » : Albius (qui signifie blanc). Né à Sainte
les moyens propriétaires qui se lancent dans cette voie ont recours au crédit. Suzanne (La Réunion) en 1829, il trouva, en 1840,
L’endettement cause la ruine de ceux de l’Est. avant les botanistes du Muséum d’histoire naturelle de
Après la faillite, ils en sont réduits à réclamer une concession pour ne pas Paris et les scientifiques locaux, une méthode simple
subir la misère. Ils l’obtiennent dans le cirque de Salazie. Faute de voies de pour féconder manuellement les fleurs de l’orchidée
communication, ils ne peuvent pas implanter dans cette localité intérieure la vanillier.
culture de la canne. Ils se limitent aux cultures vivrières et à celle du caféier.
(d’après Prosper Eve). Edmond Albius
Mr Féréol Bellier Beaumont recueillit cet enfant, et s’y attacha comme s’il
De la Restauration à l’abolition de eût été son propre fils : il ne lui fit donner aucune instruction, mais sans
l’esclavage (1815 / 1848) cesse, dans la société de cet homme, instruit, Edmond se trouva éclairé comme
Plus de 45 000 esclaves sont introduits à Bourbon par une sorte de reflet des connaissances de son maître, et ne tarda pas à
entre 1817 et 1831. s’associer à ses travaux d’horticulture, et apprit de son maître, versé dans
1825 : le premier déplacement d’Europe à La Réunion par bateau à la science des plantes, à reconnaître toutes les fleurs en leur appliquant leurs
vapeur prend 113 jours. noms techniques, ce qui n’était pas sans originalité d’entendre sortir des lèvres
1832 : le premier Conseil Général est élu. d’un enfant noir des termes scientifiques, usités seulement chez les adeptes de
la science de la botanique. A l’instar de son maître, Edmond s’était essayé
souvent à opérer la caprification artificielle sur des fleurs qui, par une raison
ou par une autre, ne peuvent se féconder naturellement. »
(in Mézières de Lepervanche, Edmond Albius, 1853).

L’île Bourbon va devenir l’un des grands centres


mondiaux de production de vanille.

Le Shéga, danse des Noirs, Hastrel de Rivedoux, Etienne Adolphe d’ (1805-


1874). Dessinateur et lithographe, 1847. Estampe, Musée Léon Dierx.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 25


Répartition de la culture de la canne à sucre à La Réunion en 2014. Parc national de La Réunion.

1848, (9 juin) : proclamation de la République : l’île Bourbon la colonie par les propriétaires d’anciens esclaves pour
redevient l’île de La Réunion. les remplacer sur les grandes plantations sucrières.
1848, (20 décembre) : Joseph Napoléon Sébastien Sarda Garriga, 1849 : premières élections au suffrage universel.
commissaire de la République, proclame l’abolition de l’esclavage à La 1882 : livraison des deux premières lignes de chemin de fer :
Réunion. L’île comptait alors plus de 60 000 esclaves. Saint-Benoît — Saint-Denis, et Saint-Louis — Saint-Pierre.
1885 : fin de l’immigration indienne.
1890 : la traversée en bateau depuis l’Europe ne demande plus que
21 jours.

Conquête des Hauts dès le XIXe siècle


Une autre phase du peuplement des Hauts de l’île est
constituée des Blancs prolétarisés, exclus par le jeu
des héritages de l’opulence des « Gros-Blancs ». Ces
prolétaires, en suivant les traces des premiers Marrons,
s’installent dans les Hauts dès le XIXe siècle.
Accrochés aux flancs des montagnes, dans les cirques
M. Sarda Garriga. Commissaire Général de la République à l’Ile de
La Réunion de 1848 à 1850. Roussin, Louis Antoine (1819-1894). Lithographe,
et dans les hautes plaines, ces « Petits-Blancs »
1849. Estampe, Musée Léon Dierx. s’octroient par une accession à la petite propriété
De l’abolition de l’esclavage à la terrienne, une nouvelle indépendance vis-à-vis des
départementalisation (1849 / 1946) grands propriétaires.
L’esclavage est aboli mais l’île reste une colonie française Ainsi se construit la différence essentielle entre les Bas
jusqu’en 1946. Un nouveau système d’asservissement et les Hauts, d’un côté les traces fortes de la société de
des hommes – « l’engagisme » ou concept plus plantation liée à l’industrie cannière, de l’autre une
adapté le « servilisme » – est à la base de la nouvelle société paysanne qui cultive des valeurs de liberté, de
organisation économique et sociale de l’île. fierté et d’indépendance.
Au 1er janvier 1848, la population esclave s’élève à
62 151 individus soit 60 % de la population totale. 1925 : une liaison Le Port-Marseille en paquebot est inaugurée.
Libérés le 20 décembre 1848, les affranchis restent 1929 : atterrissage du premier avion sur l’île dans un champ de 300
auprès de leurs anciens maîtres, « enchaînés » par le mètres à Sainte Marie.
travail, ou vagabondent dans l’île. 1936 : première liaison aéropostale Le Bourget-Gillot.
Plus de 100 000 engagés Malgaches, Indiens 1942 : La Réunion se rallie à la France Libre.
(Malabars) et Africains (Cafres) seront introduits dans 1946 : la colonie est intégrée dans l’État français et devient Département
français d’outre-mer.
26 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
De la départementalisation à aujourd’hui : Les espaces humanisés,
l’époque des grandes mutations espaces sauvages
Les premières années de l’ère départementale restent
difficiles pour l’île. De violents cyclones accablent Deux démarches majeures se combinent pour
l’île et détruisent les rares infrastructures existantes, expliquer les modalités de l’évolution des milieux
notamment celui du 26 janvier 1948. Au milieu des naturels depuis la colonisation définitive de l’île en
années 1950, le jeune département reste dans un 1665 :
état de sous-développement et les infrastructures, • La conquête des espaces de vie (habitat, agriculture,
notamment le rail, se distinguent par leur état de voierie…) ;
vétusté. La départementalisation va permettre un • L’utilisation des ressources de la faune et de la flore.
développement du niveau de vie des Réunionnais :
cela va se traduire par une consommation d’espaces Absence de plan originel d’occupation de l’espace
nouveaux pour l’habitat, les communications, la En 1664, le roi attribue à la Compagnie des Indes le soin de transformer
diversification des cultures et élevages. Bourbon en colonie de peuplement et d’exploitation. À l’époque de la colonisation
définitive, l’occupation de l’espace n’obéit pas à un plan scrupuleusement
L’intervention de l’Etat est telle à partir des années défini par le colonisateur. Les habitants, qui arrivent à partir de 1665,
1960 que l’économie et la société de plantation s’en s’installent là où le navire les dépose : à Saint Paul, dans la plaine irriguée
trouvent bouleversées. de Savannah ; puis là où le représentant du seigneur de l’île leur accorde une
Dans les années 1960-1970, grâce au fonds concession. C’est le cas dans l’est, à Sainte Suzanne ; dans le nord, à Saint
d’investissements des départements d’outre-mer Denis ; dans le sud, à l’Étang Salé, à l’Étang du Gol, à la Rivière Saint-
(FIDOM), l’île est dotée d’équipements de base. Étienne et à la Rivière d’Abord…
Le secteur primaire emploie de moins en moins (citation de J. Barassin, extraite de document de Prosper Eve).
d’actifs ; il passe de 53,6 % en 1946 à 5 % en
1996. La restructuration foncière entreprise par la La conquête des espaces a été une démarche radicale
société d’aménagement foncier et d’établissement par la hache et les brûlis. Le milieu naturel, et
rural (SAFER) dans les années 1960 a pour objectif particulièrement la végétation, apparaît comme la
de diviser les grandes propriétés sucrières, pour les difficulté à combattre pour dégager un espace nu
transformer en lots de 3 à 10 hectares susceptibles de utilisable à différentes fins. De Saint-Paul, où se sont
faire vivre une famille. installés les premiers colons, vers les autres régions
Le secteur secondaire est aussi en régression, même littorales, et du littoral vers les pentes moyennes, la
si elle est moins spectaculaire : 18,2 % en 1946 et progression des défrichés va se faire rapidement.
14,6 % en 1996. En revanche le secteur tertiaire C’est en premier la culture spéculative du café qui
va demander de grandes superficies. En 1717, sous
devient pléthorique : il emploie 8 % de la population
l’impulsion du banquier écossais Law, installé à Paris,
active en 1946 et 80,4 % en 1996.
la Compagnie des Indes en charge de l’île met sur
Depuis 1990, la croissance des emplois est due en
pied un plan de mise en valeur. Deux caféiers, le
partie aux emplois aidés. Avec 29 % de chômeurs en « bourbon pointu », une variété locale, et le
2015, La Réunion reste toutefois la région française la « bourbon rond », une variété arabe, sont plantés sur
plus frappée par le chômage. les pentes jusqu’à 400 m environ.
Les Eaux et Forêts, puis l’Office National des Forêts
(ONF), ont la responsabilité de la gestion d’un vaste
domaine public qui représente environ 40 % du
territoire réunionnais.
Des conflits apparaissent au fur et à mesure des besoins
fonciers, des besoins en eau : la région des Hauts est
regardée comme une possibilité d’avenir.
La mise en place consensuelle d’un parc national de
La Réunion permet, (2007) dans la suite logique du
Schéma d’Aménagement Régional (1995), de définir
une stratégie, touchant à une synergie de conservation
et de développement.

Carte des sols favorables à la caféiculture. Rôle des constituants chimiques du


café vert, du terroir et des traitements post-récolte sur la qualité
aromatique du « Bourbon Pointu », S. Piccino , 2011.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 27
La démarche administrative imposée au début Contrées désertes et sauvages
de la colonisation …contrées désertes et sauvages, couvertes de forêts… les forêts vierges
La colonisation de l’île s’effectue en respectant une règle fondamentale : le recouvraient presque tout… nous passions sous les couverts les plus ombreux,
don. Pour que les sujets acceptent de s’exiler à Bourbon, le roi de France les arbres les plus magnifiques, sur un tapis de mousse… c’était un bois
décide de leur accorder une concession, à charge pour eux de la mettre en épais, fréquenté par des nuées de huppes blanches et noires de la grosseur
valeur… d’un pigeon.
Par ce don d’une concession, l’État s’attache leur fidélité. (in Rasine domoun Salazi, textes choisis par Jean-Louis
Tant que la colonie dispose de terres, et chaque fois que la paupérisation Haurie, 2004).
fait craindre le pire pour l’ordre social, un nouveau quartier est créé et des
concessions sont accordées aux gens à problèmes pour qu’ils ne troublent pas La Mare à Poule d’eau était décrite comme un Éden.
l’ordre colonial…
(citation de J. Barassin, extraite de document de Prosper Mare à Poule d’eau, une forêt vierge
Eve). Autour de la Mare, c’était encore la forêt vierge… la forêt partout et toujours,
pleine de perroquets noirs… fonds de vallon de l’Ilet de la Mare à Poule
Conséquences imprévues de la culture du caféier d’eau couvert de bois de hautes futaies de la plus grande beauté. A la source
Le développement des caféières s’étend et en même temps le nombre des thermale, il y avait encore dans les creux d’arbres morts de gigantesques
esclaves… Les contraintes de l’esclavage poussent beaucoup à fuir, à s’éloigner chauve-souris désignées sous le nom de Collet rouge qui se comptaient par
le plus possible de l’habitation des maîtres, à s’installer dans les zones jugées trente dans une seule retraite… ces mammifères formaient le mets le plus
inaccessibles. Ainsi, îlets, pitons et ravines de l’intérieur, deviennent des lieux délicieux. (in Rasine domoun Salazi, textes choisis par
de vie. Jean-Louis Haurie, 2004).
(citation de J. Barassin, extraite de document de Prosper Eve).
Le début du XXe siècle marque le développement
Les esclaves marrons et l’espace naturel d’une autre spéculation, celle du géranium, pour la
Les esclaves marrons vivent en symbiose avec la nature, car elle leur offre un distillation d’une huile essentielle de grande qualité.
gîte pour dormir, de quoi agrémenter leur nourriture, des remèdes pour leurs Les défrichés sont réalisés surtout entre 1900 et 1930,
soins. Ils ne détruisent pas l’environnement, car le couvert forestier leur permet et affectent les hauts de l’ouest et du sud. Mais cette
de passer inaperçus. Ils prennent les troncs nécessaires à la construction distillation demande beaucoup de bois de chauffe.
sommaire des ajoupas et de leurs hangars… Ils ramassent les bois morts pour Plus récemment, l’élevage laitier va occuper une partie
cuire rapidement leurs repas… de l’espace abandonné par la culture du géranium
(citation de J. Barassin, extraite de document de Prosper Eve). et se développer sur de nouvelles terres à un étage
supérieur. Les prairies artificielles vont s’installer à la
Après la chute des cours de café, la deuxième Plaine des Palmistes et à la Plaine des Cafres.
spéculation à consommer de grands espaces est celle La seconde Guerre Mondiale a plongé La Réunion
de la canne à sucre, au début du XIXe siècle. Elle dans une obligation de vie en autarcie. Les défrichés
s’installe jusqu’à 900 m de haut dans l’ouest, mais servent à développer les cultures de première
nettement moins dans l’est en raison des difficultés nécessité. La végétation est utilisée comme réserve de
liées à la trop forte humidité de la région « au vent ». combustible.
Les caféières sont reconverties et on défriche aussi de En 1946, les reliques de végétation originelle se
nouvelles terres. trouvent sur les remparts et les sommets des deux
La SAU (Surface Agricole Utile) passe de 42 600 massifs inaccessibles de l’intérieur de l’île, dans les
hectares en 1823 à 91 000 en 1860 à l’époque du aires reculées des Hauts aux conditions inhospitalières,
boom sucrier, soit plus du tiers de la superficie de l’île. dans la région du volcan actif de la Fournaise.
Ailleurs et à la même époque, c’est la nécessité de Depuis la décision politique de faire de l’ancienne
développer les cultures vivrières qui fait disparaître colonie un Département d’Outre-mer (DOM), la
les milieux naturels des fonds de cirque, à compter de conquête des espaces a été davantage réfléchie. Dans
1830 pour Salazie et de 1840 pour Cilaos. La Plaine le domaine public (qui concerne 40 % du territoire),
des Palmistes connaît le même sort après 1852. quelques spéculations ont été lancées par l’Office
National des Forêts telles que :
Les explorateurs et les pionniers du premier quart du • la régénération du Tamarin des hauts (Acacia
19e siècle décrivent à leur manière le milieu sauvage heterophylla), un endémique très apprécié pour
d’alors. l’ébénisterie locale. Il croît entre 1400 m et 1800 m
d’altitude.

28 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


• la sylviculture de certaines essences sur les basses Elles concernent également les animaux, par exemple :
pentes de l’île, comme le Petit Natte (Labourdonnaisia • les oiseaux forestiers, l’oiseau blanc et l’oiseau vert,
callophylloides), le Benjoin (Terminalia bentzoe), le le merle de Bourbon, soit pour la consommation, soit
Camphrier (Cinnamomum camphora)… Ce sont des arbres pour la mise en cage (les merles) ;
à croissance lente et à grande valeur économique. • dans les torrents, les anguilles et différents crustacés,
• une sylviculture originale, associant protection « chevaquines », camarons…
et production, à l’Étang Salé (partenariat entre Une lente évolution des comportements, pour un plus
Région Réunion, Cirad-Forêts et ONF). On y trouve grand respect de la Nature se note. Elle vient d’une
une marqueterie de plantes indigènes et exotiques conjonction de démarches :
(l’Acajou du Sénégal, le Grévillaire, des acacias…). • celle des agents de l’ONF, en place depuis des
• la sylviculture du Cryptomeria japonica, résineux à décennies ;
croissance rapide. • celle de l’équipe des gardes nature, gérée par la
DIREN et le Département (ENS) ;
La grande innovation dans la gestion du territoire • celle du monde éducatif, et principalement de
a été la conception du Schéma d’Aménagement certains enseignants engagés dans une pédagogie
Régional (SAR), entreprise à la fin des années 1980, novatrice ;
et appliquée en janvier 1995. Il définit notamment • celle des associations de défense de la Nature
des aires naturelles à sauvegarder (point de départ (SREPEN, SEOR…) ;
de la réflexion sur la création du Parc national de La • celle des associations de protection des milieux
Réunion). aquatiques (APPMARE) ;
C’est une définition de la destination des différents • celle de la brigade de la nature de l’océan Indien
espaces de l’île. Il pose la question de la difficulté du (BNOI) ;
manque de foncier, face à l’augmentation prévue de • celle des agents du parc national.
la population. À tout cela, s’ajoutent les effets d’une médiatisation
de plus en plus consciente de son rôle d’information
L’utilisation des ressources de la flore et de la faune du public, et ceux, sans doute aussi, du changement
est une démarche aussi ancienne que la présence des de vie (une majorité vit maintenant en ville ; et les
hommes. ressources familiales se sont améliorées…).
Les cueillettes en milieux naturels sont nombreuses et
variées depuis longtemps. Elles concernent différentes Le Parc national de La Réunion concentre une
sortes de végétaux : large partie de ses moyens à la préservation et à la
• pour la construction des maisons ; valorisation des ressources naturelles de l’île.
• pour la construction des abris et parcs pour le petit
élevage (volailles, porcs, cabris…) ;
• pour la cuisine et éventuellement le chauffage de la
maison ;
• pour la distillation du géranium, la fumaison des
viandes (« boucané »)…;
• pour la confection de plaques et pots très prisés en
horticulture, les fanjans (espèces diverses de fougères
arborescentes) ;
• pour la cuisine locale, les « palmistes » dont les
« choux » sont très estimés et sont vendus à un prix
élevé ;
• pour les remèdes collectés par les « tisaneurs »,
toujours usités ;
• pour les fruits, comme le Goyavier, (plante
envahissante) ;
• pour d’autres fruits, comme celui du « Petit natte »,
qui, après cuisson fournit une « colle », très utilisée
pour la chasse aux oiseaux forestiers ;
• pour les fleurs, l’arum, (plante envahissante), mais
aussi certaines espèces d’orchidées endémiques…

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 29


Plantes médicinales indigènes Tout ce que je sais,
Environ 90 plantes indigènes et endémiques sont utilisées dans la pharmacopée c’est que je ne sais rien
réunionnaise, par exemple :
• le Bois de quivi (Turraea casimiriana), le Bois jaune (Ochrosia borbonica), le Bois Existe-t-il une hiérarchie des savoirs ? Existe-t-il des
cassant (Psathura borbonica), savoirs populaires et des savoirs savants ?
• le Bois d’osto (Anthirea borbonica), le Bois de maman (Maillardia borbonica), le Socrate disait : « Tout ce que je sais, c’est que je ne
Fleur jaune (Hypericum lanceolatum), l’Ambaville (Hubertia ambavilla)… sais rien ».
Leur utilisation vient d’un empirisme original et performant. Certaines analogies entre Il incitait ainsi à la sagesse et à la prudence. Qui peut
les plantes réunionnaises et celles de la grande île ont facilité leur utilisation par les prétendre savoir ? Existe-t-il un savoir ou des savoirs ?
premiers Malgaches implantés à La Réunion. Cette utilisation continue, dans une
moindre mesure, de nos jours, et témoigne de l’importance du lien Homme / Nature Savoir
dans cette île. Examinant donc cet homme, dont je n’ai que faire de vous dire le nom, il suffit
de dire que c’était un de nos plus grands politiques, et m’entretenant avec lui,
je trouvai qu’il passait pour sage aux yeux de tout le monde, surtout aux siens,
et qu’il ne l’était point. Après cette découverte, je m’efforçai de lui faire voir
qu’il n’était nullement ce qu’il croyait être ; et voilà déjà ce qui me rendit
odieux à cet homme et à tous ses amis, qui assistaient à notre conversation.
Quand je l’eus quitté, je raisonnai ainsi en moi-même : je suis plus sage
que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort
merveilleux ; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu’il ne
sache rien ; et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me
semble donc qu’en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas
savoir ce que je ne sais point.
Apologie de Socrate, Platon, 399 av. J.-C.

Pour le dictionnaire (CNRTL), le savoir c’est « avoir


présent à l’esprit un ensemble de connaissances
rationnelles…acquises par l’étude et par la réflexion,
et constituant une synthèse ordonnée sur un objet de
connaissance. ».
Cette définition peut s’appliquer aux différents savoirs,
tant savants que populaires.
Peut-on alors différencier ces savoirs, jusqu’à parfois
les opposer ?

Savoirs savants
Par « savoirs savants », on entend « un corpus qui s’enrichit sans cesse
de connaissances nouvelles, reconnues comme pertinentes et valides par la
communauté scientifique spécialisée. […] le savoir savant est essentiellement
le produit de chercheurs reconnus par leurs pairs, par l’université. Ce sont eux
qui l’évaluent. »
Enseigner l’histoire : un métier qui s’apprend,
Le Pellec, Jacqueline ; Marcos-Alvarez, Violette, 1991.

Ambaville, Hubertia ambavilla. Dessin Bory de Saint Vincent.


Bibliothèque Nationale de France. 1804. Savoirs populaires
…le savoir populaire, la tradition populaire, la tradition paysanne ou
folklorique et, dans une certaine mesure, l’art sous toutes ses formes est la
manifestation constante, à travers les âges, d’une pensée sauvage…
Pour transformer une herbe folle en plante cultivée, une bête sauvage en
animal domestique…pour faire d’une argile instable, prompte à s’effriter, à se
pulvériser ou à se fendre, une poterie solide et étanche…il a fallu, n’en doutons
pas, une attitude d’esprit véritablement scientifique, une curiosité assidue

30 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


et toujours en éveil, un appétit de connaître pour le plaisir de connaître… Les Noms créoles
L’homme du néolithique ou de la protohistoire est donc l’héritier d’une longue
tradition scientifique ». Plusieurs noms créoles de La Réunion, consignés
La pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss, 1962. sur les étiquettes d’herbier ou dans les notes qui les
accompagnent, vont servir à créer les noms botaniques
de ces plantes. Comme dans de nombreuses autres
Claude Lévi-Strauss nous interdit immédiatement régions tropicales où s’installent de nouveaux arrivants,
toute vision péjorant le savoir populaire en le bois joue un rôle essentiel dans la vie de chaque jour
démontrant son intimité profonde avec le savoir et le développement des communautés. Les essences
savant. La définition du savoir savant introduit comme ligneuses sont donc rapidement nommées en fonction
différence majeure la théorisation et l’espace social de de leur particularité ou de leur usage sous le terme de
reconnaissance. « bois » plus un qualificatif. Cette pratique est d’ailleurs
La vraie question pourrait bien résider dans un commune avec celle des forestiers coloniaux, chargés
ajustement, progressif, réciproque entre ces deux de l’exploitation des forêts tropicales.
visions d’un même monde, d’une communication
osmotique. Trois usages botaniques de ces noms créoles sont
possibles :
Les connaissances concernant La Réunion • traduction directe du nom créole, soit directement
n’échappent pas à ces approches différentes, ce en latin, soit, le plus souvent, en passant par le grec
sont leurs complémentarités qui ont permis de avec latinisation finale.
comprendre, ce sont leurs complémentarités qui
doivent faire l’objet de l’information de tous. Juste Bois de sable : ammoxylum dans Bremontiera ammoxylum DC. (Fabaceae)
retour aux sources, juste ouverture à la science. [= Indigofera ammoxylum (DC.) Polhill].
Étymologie :
Des savoirs populaires Ammóxylum, -i traduction botanique de « Bois de sable », nom
vernaculaire à La Réunion d’Indigofera ammoxylum, du grec ámmos =
Deux grandes familles de noms sable, arène ; du grec xýlon, = bois ; suff. -um = suffixe de latinisation
Le nom d’espèce est la traduction de son nom vernaculaire « Bois
Noms vernaculaires et indigénat de sable ». L’étiquette de l’un des isotypes, récolté en 1772 et censé
Les noms vernaculaires partagent une grande partie de la flore réunionnaise provenir de Maurice, précise « Bois de sable… Il y a apparence que les
en deux grandes familles : petites tubérosités dont les feuilles sont couvertes lui ont valu son nom
• les Bois de … (Bois de banane, Bois de papaye, Bois de pomme, Bois de [texte illisible] cette Isle ».
raisin, Bois de piment…),
• les Pieds de … (Pied de banane, Pied de papaye, Pied de pomme, Pied de
raisin, Pied de piment, Pied de prune, Pied de bibace, Pied de mangue, Pied
de letchi, Pied de canne…). Bois de sable, Bremontiera ammoxylum. Description originale, Annales de sciences
La première famille des « Bois de » s’emploie pour les espèces indigènes. Les naturelles, 1825, A. P. de Candolle.
premiers habitants ont donné aux plantes qu’ils ne connaissaient pas un nom
en référence à leur qualité (dureté, propriétés…) ou à une ressemblance plus Bois amer : Xylopicron dans Carissa xylopicron Thouars (Apocynaceae) [=
ou moins prononcée avec un végétal connu. Carissa spinarum L.].
La seconde famille des « Pieds de » s’emploie pour les espèces exotiques Étymologie :
introduites. Xylopícron, -i traduction botanique de « Bois amer », nom vernaculaire à La

Il n’y a donc rien de commun entre le « Bois de banane » (Xylopia richardii), Réunion de Carissa spinarum L., du grec xýlon, = bois ; grec pikrón = âcre,
aigre, amer, âpre.
et un « Pied de banane » (Musa sp., le Bananier). La même remarque
s’applique au « Bois de papaye » (Polyscias sp.) et au « Pied de papaye »
Bois de gaulette : Doratoxylon, proposé initialement par Louis Marie
(Carica papaya, le Papayer).
Aubert du Petit Thouars.
Ainsi, à La Réunion, le langage populaire distingue-t-il naturellement la flore
Étymologie :
indigène de la flore exotique.
Doratóxylon, -i traduction botanique de « Bois de gaulette », nom vernaculaire
d’après Raymond Lucas, Association des Amis des Plantes et de
à La Réunion de Doratoxylon apetalum (Poir.) Radlk., du grec dóratos n. = pique,
la Nature. Cent plantes endémiques et indigènes de La Réunion,
épieu ; grec xýlon, = bois.
2007.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 31


Bois cassant : Claoxylon, proposé par Jussieu, d’après le nom local de Des savoirs savants
ces plantes, selon Commerson.
Étymologie : En nommant les plantes, les botanistes font
Claóxylon, -i traduction botanique de « Bois cassant », ancien nom vernaculaire fréquemment référence aux territoires, aux hommes qui
à La Réunion de plusieurs espèces du genre Claoxylon du grec kláö = briser ; du
les peuplent, à leur culture et leurs savoirs concernant
grec xýlon, = bois.
ces plantes. Pour établir leur nom scientifique en latin,
ils empruntent ainsi aux noms locaux, aux noms de
• traduction botanique du nom créole, le sens général
lieux où vivent ou d’où proviennent ces plantes, aux
du nom local étant conservé mais précisé sur le plan
patronymes plus ou moins liés à ces espèces ou à leur
botanique.
territoire, parfois également aux usages de ces plantes.
Bois d’éponge : Cutispongius, -a, -um dans Gastonia cutispongia Lam. où
La latinisation prend des formes diverses selon les cas.
le terme “bois” est transformé en « écorce » par Lamarck.
Les noms scientifiques des plantes de La Réunion
Étymologie : sont une bonne illustration de cette appropriation
cutispóngius, -a, -um lat. cutis, -i f. = peau, écorce ; lat. spongius, -a, -um scientifique du bien culturel de l’île. Elle porte à la fois
= spongieux . sur les noms de lieux (toponymes), les noms créoles
des plantes et les noms des hommes (patronymes).
• utilisation du nom créole et d’une particularité
ou d’un caractère qu’il évoque pour créer un nom L’île Bourbon
botanique, généralement un genre.
L’île Bourbon, en latin Insula Borbonia, est à l’origine de l’adjectif
Bois puant : Foetidia, par Lamarck, sur la base du nom local de la borbonicus, -a, -um (= de Bourbon,) par adjonction du suffixe -icus, -a,
plante, selon Commerson. -um au radical Borbon-.
Étymologie : Étymologie :
Foetidia du lat. foetidus, -a, -um = fétide néolatin Borbonicus, -a, -um = de La Réunion, de Bourbon.

Cet adjectif du latin botanique est à l’origine de 90


noms d’espèces faisant référence à La Réunion. Il
concerne principalement des plantes endémiques de
La Réunion ou des Mascareignes, mais aussi d’autres
espèces reflétant, à divers titres, le rôle et la place
de l’île dans le développement des connaissances
naturalistes, fin XVIIIe et début XIXe siècles.
Pierre André Pourret est, semble-t-il, le premier à
introduire en 1788 cette épithète dans la nomenclature
Bois puant, Foetidia mauritiana. Description originale, Encyclopédie botanique en décrivant une Iridacée nouvelle,
méthodique botanique, 1788. J.-B. de Lamarck.
collectée par P. Commerson et censée provenir de
Bois jaune : Ochrosia, nom de genre proposé par Jussieu, sur la base du l’île Bourbon. Il la nomme Lomenia borbonica Pourr.
nom de l’espèce Ochrosia borbonica à La Réunion. En fait, cette espèce, aujourd’hui placée dans le genre
Etymologie : Watsonia [Watsonia borbonica (Pourr.) Goldblatt], est
Ochrosia du grec ochros, -ou m. = pâleur ; Le bois de l’arbre est d’une teinte une plante d’Afrique australe (région du Cap) qui ne
jaunâtre, d’où son nom populaire de Bois jaune. paraît jamais avoir été présente à La Réunion.
La même année Cavanilles publie le nom de Melochia
Bois de perroquet : psittacorum, dans Fissilia psittacorum Lam., borbonica Cav. pour des plantes de La Réunion, de
évocation directe du nom local de l’espèce à La Réunion, rapporté de Maurice et de Saint-Domingue qui correspondent
son voyage exploratoire par Commerson. en fait à Melochia corchorifolia L., plante cosmopolite
pantropicale, probablement introduite à La Réunion.
Bois dur : durissimus, -a, -um, dans Securinega durissima J.-F. Gmel. Plusieurs autres espèces à large répartition, introduites
(Phyllanthaceae), qui signifie « très dur », évocation directe du caractère dans l’île, seront de même décrites comme des espèces
dur du bois, porté par le nom local de l’espèce à La Réunion. de La Réunion : Inga borbonica Hassk. (1842), en fait
le Bois noir [Albizia lebbeck (L.) Benth.], Malva borbonica
Bois de corail : corallioides, dans Psychotria corallioides Cordem.
Willd. qui n’est autre que Malvastrum coromandelianum
(Rubiaceae) [= Chassalia corallioides (Cordem.) Verdc.], qui signifie
(L.) Garcke…
« qui ressemble au corail, faux corail », allusion directe au nom local
particulièrement évocateur de l’espèce à La Réunion.
32 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
La troisième plante, décrite en 1789 sous le nom de Autres toponymes
« borbonica », est Grangeria borbonica Lam., le Bois Les lieux-dits de la Réunion ont, contrairement à
de punaise. Elle inaugure une série de dénominations « Bourbon », été peu utilisés par les botanistes. On
d’endémiques de La Réunion ou des Mascareignes, en dénombre seulement sept : le Gol, Le Tampon,
faites d’abord par Lamarck dans l’Encyclopédie Salazie, les Salazes, Cilaos, Aurère, Bernica.
Méthodique ou le Tableau Encyclopédique et
Méthodique. L’étang du Gol
La dernière plante dénommée “borbonica” est
Eulophia borbonica Bosser, une orchidée endémique de • golianus, -a, -um dans Euphorbia goliana Lam., aujourd’hui placé
La Réunion décrite en 2002. dans le genre Chamaesyce [ Chamaesyce goliana (Lam.) com. ined ]
Étymologie
Rarement, d’autres voies ont été utilisées pour former latin bot. Golianus, -a, -um = du Gol; suffixe -anus, -a, -um [-an-] = suffixe
avec « Insula Borbonia » des épithètes spécifiques adjectival pour noms latins signifiant « appartenant à, de »].
ayant la même signification d’origine.
Philibert Commerson récolte pour la première fois
• suff. -ensis, -e = suffixe adjectival pour noms latins indiquant l’origine, cette espèce près de l’embouchure du Gol en mai et
le lieu de vie, l’habitat, dans Cubeba borbonensis Miq., endémique des juin 1771 et propose lui-même l’épithète spécifique de
Mascareignes, Peperomia borbonensis Miq., endémique de La Réunion ; « goliana ».
borboniensis dans Ricinus borboniensis Hort. constitue une forme voisine. L’espèce sera officiellement décrite par Lamarck dans
• suff. -anus, -a, -um = suffixe adjectival pour noms latins signifiant son « Encyclopédie Méthodique ».
« appartenant à, de », dans Rosa borboniana Desp.
• complément de nom au génitif, borboniae, dans Rochelia borboniae Le Tampon
Roem. & Schult., Chassalia borboniae Comm., Myonima borboniae Raeusch.
• tamponensis, -e dans Cynorkis tamponensis Schltr. (Orchidaceae), espèce
Plus moderne, le nom de « Réunion » n’a été utilisé douteuse décrite initialement par Charles Frappier de Montbenoît dans
qu’une seule fois avec Erica reunionensis E.G.H. Oliv. la Flore de Cordemoy (1895) sous le nom d’Hemiperis purpurea Frapp. ex
par ajout du suffixe –ensis directement à la fin du Cordem., d’après une récolte faite dans les hauts du Tampon. Lors du
nom français. transfert de cette espèce dans le genre Cynorkis, comme il existait déjà
un Cynorkis purpurea Kraenzl., Schlechter (1915) a créé un nouveau nom
pour l’espèce et a choisi le nom de la localité princeps « Le Tampon ».

Salazie (la ville ou le cirque)

• salazianus, -a, -um dans :


• Mystacidium salazianum Cordem. (Orchidaceae), aujourd’hui placé dans
le genre Angraecum,
• Ipomoea salaziana Cordem. (Convolvulaceae), synonyme aujourd’hui
d’Ipomoea mauritiana Jacq., liane herbacée à large répartition pantropicale
et d’indigénat incertain à La Réunion.
• Selaginella salaziana Cordem.

Publiée par Cordemoy dans le Bulletin de la Société des


Sciences et des Arts de La Réunion, cette nouvelle espèce
est indiquée sommairement provenir de Salazie,
indication curieuse pour cette sélaginelle endémique
du littoral de Maurice et de La Réunion.

Grangiera borbonica, Bois de punaise. Description d’une plante nouvelle.


Encyclopédie méthodique, J.-B. de Lamarck, 1789.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 33
Plaine des Salazes La description du patrimoine
• salazianus, -a, -um dans Psiadia salaziana Cordem.. Dans
naturel : une longue histoire
la description originelle de cette endémique altimontaine de La Dubois [dates de naissance
Réunion, Cordemoy mentionne « Plaine des Salazes. Rare. Fleurit en et de décès inconnues]
décembre. ». Connu comme sieur Dubois, également appelé
• salazicus, -a, -um dans Parathelypteris salazica Holttum, maintenant Dubois, c’est un voyageur au long cours ayant
placé dans le genre Amauropelta et dont le type, récolté par T. Cadet, atteint les îles de Madagascar et de Bourbon aux
provient de la Plaine des Salazes, vers 2200 m. premières heures de la colonisation de ces dernières
• salaziensis, -e dans : Agrostis salaziensis C. Cordem. ex Cordem. par la France. Il a laissé de ses voyages des mentions
Cordemoy indique pour cette nouvelle espèce : « Rare. Salazes. de nombreuses espèces d’oiseaux alors endémiques de
Saison des pluies. Ann. ». Mezierea salaziensis Gaudich., endémique des La Réunion et aujourd’hui disparues, par exemple de
Mascareignes, aujourd’hui placée dans le genre Begonia. l’ibis de La Réunion : Les voyages faits par le sieur D.B.
aux isles Dauphine ou Madagascar et Bourbon ou Mascarenne,
Aurère ès années 1669, 70, 71 et 72…, 1674, Paris.

• orerensis, -e dans Bartsia orerensis Cordem. (Orobanchaceae), Description du Pays brûlé


aujourd’hui placée dans le genre Nesogenes. Plante endémique rarissime Ladite Ile brûle incessamment ainsi que la Sicile, il y a un pays nommé le
des environs d’Aurère dans le cirque de Mafate, décrite à partir de deux Pays brûlé qui contient quatre lieues ou environ où le feu a passé, tout
récoltes faites vers Aurère (Cordemoy), considérée comme disparue car y est fondu, et la matière ressemble à de la fonte ou machefer…Ce feu gagne
non revue depuis près de 150 ans ; retrouvée récemment près d’Aurère toujours un peu. Ce pays brûlé est au Sud-Sud-Est de l’Ile.
(Plans d’urgence pour la conservation de la flore de La Réunion). Les voyages faits par le sieur D.B. aux isles Dauphine ou
Madagascar et Bourbon ou Mascarenne, 1674.
Cilaos
Oiseaux de terre et leurs noms
• cilaosianus, -a, -um dans Mystacidium cilaosianum Cordem., taxon Solitaires. Ces oiseaux sont nommés ainsi, parce qu’ils vont toujours
douteux, aujourd’hui placé dans le genre Angraecum. Dans la description seuls, ils sont gros comme une grosse oie et ont un plumage blanc, noir à
originale de l’espèce, Cordemoy indique « Hab. Cilaos au Côteau l’extrémité des ailes et de la queue. A la queue il y a des plumes approchantes
d’Ambrevattes, près de la Roche d’Adèle (G. Hermann, octobre 1896) ». celles des autruches, ils ont le col long et le bec fait comme celui des bécasses,
mais plus gros, les jambes et pieds comme poulets d’Inde. Cet oiseau se prend
Bernica à la course ne volant que fort peu.
Oiseaux bleus. Gros comme les Solitaires, ont le plumage tout bleu, le
• Berenice, nom d’un genre endémique de La Réunion créé par bec et les pieds rouges faits comme pieds de poules, ils ne volent point, mais
Louis René Tulasne en 1857 d’après « la ravine Bernica », où Louis ils courent extrêmement vite…
Hyacinthe Boivin récolta jadis les premiers échantillons de Berenice arguta Pigeons sauvages dont tout est rempli, les uns ayant le plumage couleur
Tul. (seule espèce du genre), notamment dans le « Bois de Mme Des d’ardoise et les autres d’un rouge roussâtre, ils sont un peu plus gros que les
Bassyns sur les bords du Bernica ». Tulasne note pour le choix du nom pigeons d’Europe et ont le bec plus gros, rouge à l’extrémité près de la tête…
Berenice, «Nom choisi d’après la localité natale des plantes». Raliers et tourterelles comme on en voit en Europe…
Petites perdrix grises, grosses comme des cailles…
Bécasses faites comme en Europe.
Râles de bois.
Huppes ou callendres, ayant un bouquet blanc sur la tête, le reste du
plumage blanc et gris, le bec long et les pieds comme un oiseau de rapine…
Merles et grives
Perroquets gris et plusieurs autres formes de perroquets
Il y a de trois sortes d’oiseaux de rapine :
Les premiers sont nommés Papangues, ils sont gros comme des chapons,
faits au surplus comme des aigles…
Les seconds sont nommés Pieds Launes, de la taille et forme de faucons…
Les troisièmes sont des Emerillons…
Il y a encore dans l’île une quantité d’autres oiseaux que j’aurais été trop long à décrire…
Les voyages faits par le sieur D.B. aux isles Dauphine ou
Madagascar et Bourbon ou Mascarenne, 1674.

34 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Oiseaux de rivière et leurs noms
Flamants. Ce sont de grands oiseaux de la hauteur d’un homme…le
plumage est blanc et noir…
Oies sauvages. Un peu plus petites que les oies d’Europe, ils ont le
plumage de même et le bec et pieds rouges…
Canards de rivière. Plus petits que ceux d’Europe, ayant le plumage
comme les sarcelles…
Butors ou grands gauziers. Gros comme gros chapons…ils ont le
plumage gris, tacheté de blanc à chaque plume, le col et bec comme un héron,
et les pieds verts faits comme les pieds de poulets d’Inde…
Poules d’eau. Grosses comme des poules, elles sont toutes noires, et ont
une grosse crête blanche sur la tête…
Il y a aussi des aigrettes blanches et grises, et des cormorans.
Les voyages faits par le sieur D.B. aux isles Dauphine ou
Madagascar et Bourbon ou Mascarenne, 1674.

Quelques autres espèces de l’île Bourbon


Tortues terrestres. Toute l’île est remplie de tortues…elles ont le cou
long et la tête faits comme les tortues d’Europe, une grosse queue et quatre
pieds ; elles ont deux à trois pieds de long et un pied et demi de large ou
environ, et plus d’un pied d’épaisseur.
La franche Tortue de mer tarit en l’île en plusieurs
endroits et particulièrement dans l’anse de Saint Paul…
Il en tarit toute l’année.
Quelques espèces disparues. Biodiversité dans tous ses états.
Il y a des Chauves-souris dans cette île d’une grosseur extraordinaire…elles Musée d’Histoire Naturelle de La Réunion, 2003.
1. Petit-Duc de Gruchet Mascarenotus grucheti 2. Perroquet Mascarin Mascarinus
ont les corps peu différents de la grosseur d’un chat, la tête est faite comme
mascarinus 3. Perruche verte à collier noir Psittaculo echo/eques 4. Crécerelle de
celle d’un renard, réservé qu’ils ont le nez fendu…Le poil de ces chauves- Dubois Falco duboisi borbonicus 5. Pigeon rose de La Réunion Nesoenas duboisi
6. Solitaire de La Réunion Threskiornis solitarius 7. Oiseau bleu Porphyrio
souris est noir roux et jaune.
caerulescens 8. Grand Scinque Leiolopisma sp.
Les voyages faits par le sieur D.B. aux isles Dauphine ou
Madagascar et Bourbon ou Mascarenne, 1674.
La faune de l’île Bourbon
Les tortues de terre y sont si communes, que ceux qui marchent avec le plus
d’empressement sont souvent obligés de s’arrêter par leur rencontre nombreuse
et fréquente…Celles de mer sont beaucoup plus rares, elles ne viennent à
terre que la nuit, à l’Ouest de l’île, du côté de Saint-Paul…Il y a dans
l’île Bourbon des pigeons, des tourterelles, des perdrix, et une infinité d’autres
oiseaux, mais surtout quantités de perroquets…Quoique les moineaux ne
soient pas plus gros à Mascareigne que dans les autres pays, la quantité
les rend incommodes…On voit aussi à Bourbon des chauves-souris grosses
Reproduction de la tortue terrestre de Bourbon (Cylindraspis indica). Tortue ac-
tuellement disparue. Charles Dellon indique leur grand nombre dans ses écrits comme des poules…il n’y a ni serpents, ni scorpions, ni aucune autre sorte de
de 1685. Muséum d’histoire naturelle de Saint-Denis. Photo J.-F. Bénard. reptile ou d’insecte dangereux…
Charles Dellon (1649-1710) Relation d’un voyage des Indes orientales, Charles
Médecin et écrivain, Dellon voyagea beaucoup Dellon, 1685.
durant sa vie. Il arriva ainsi à Daman, dans les Indes
portugaises, en 1673, où il fut médecin du gouverneur
Manuel Furtado de Mendonça et où il rencontra des
problèmes avec l’Inquisition portugaise.
L’œuvre pour laquelle il est connu, Relation de
l’Inquisition de Goa (1687), fut un véritable succès. Il fut
en conséquence, excommunié, se vit confisquer tous
ses biens et fut condamné à cinq années de galères.
On lui doit la Relation d’un voyage des Indes orientales (1685) et
la Nouvelle Relation d’un voyage fait aux Indes orientales (1699).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 35


Philibert Commerson (1727-1773) Je ne connais rien, dont je sois plus content que de ce travail. La Nature n’a
Il accompagna Bougainville donné à l’Europe que de faibles échantillons de ce qu’elle pouvait faire en ce
comme naturaliste dans son genre. C’est à Bourbon, comme aux Moluques, aux Philippines, qu’elle a
voyage autour du monde établi ses fourneaux et ses laboratoires pyrotechniques. J’ai recueilli des choses
(1767-1768). Il collecta ineffables, à ce sujet.
à travers le monde des Lettre de Philibert Commerson à Joseph Lalande, de
milliers d’espèces de plantes l’Académie royale des Sciences, vers 1771.
nouvelles, d’insectes, de
poissons et d’oiseaux qui En tête du catalogue des herbiers de Commerson,
furent offerts au Jardin du Jussieu cite pour l’île Bourbon, 607 espèces.
roi. Une mort précoce, Notons enfin qu’un cratère du massif du Piton de la
à l’âge de 45 ans, ne Fournaise porte son nom.
lui laissa pas le temps
Portrait de Philibert Commerson.
Pagnier, Pierre [1849-1908]. Dessina- de publier ses travaux. Jean-Baptiste Lislet Geoffroy (1755-1836)
teur ; Boucherat. Graveur (entre 1800 Actuellement, 42 genres
et 1825), Estampe, Musée Léon Dierx.
décrits par Commerson
sont valides et plus de 100 espèces végétales portent
son nom ainsi que des espèces animales (dauphin,
tortue, poisson, oiseau).
Dans l’île Bourbon, au retour de l’expédition
Bougainville, Commerson découvre un arbre qu’il Album de la Réunion : Lislet Geoffroy
Né à l’Ile Bourbon [Saint-Pierre] le 13
dédie à sa fidèle compagne (Jeanne Baret) en lui avril 1755 et décédé à l’Ile Mau-
donnant le nom de Baretia quivia. rice [Port-Louis] le 9 février 1836.
Capitaine adjoint au Génie militaire
Hommage de Commerson à Jeanne Baret et civile, Membre correspondant de
Cette plante est dédiée à la jeune femme courageuse qui, prenant l’habit et le l’Académie des Sciences et de l’Institut
Royale de France. Roussin, Louis
tempérament d’un homme, était curieux et audacieux de parcourir le monde, Antoine (1819-1894). Lithographe.
par terre et par mer…il serait impossible pour moi, comme celle de tout 1881. Estampe Musée Léon Dierx.

naturaliste, de ne pas lui rendre l’hommage le plus profond en lui dédiant


cette fleur. Jean-Baptiste Lislet Geoffroy est le fils d’une esclave,
Notes de voyage, Philibert Commerson, 1767-1768. Niama, et de Jean-Baptiste Geoffroy, homme des
Lumières éduqué et libéral. Sa mère est affranchie le
Le bois de quivi porte aujourd’hui le nom de Turraea jour de son baptême, ce qui permet à Lislet de naître
thouarsiana (hommage à Aubert Du Petit-Thouars, libre.
un autre botaniste qui travailla sur la flore des Lislet reçoit de son père une solide éducation, en
Mascareignes). particulier en latin, algèbre et géométrie.
Début novembre 1771, il sert de guide à Commerson
dans la région du Piton de la Fournaise, où ils observent,
en compagnie de l’ordonnateur Crémont, intendant de
Bourbon, de Jossigny, dessinateur de Commerson, de
Bank, arpenteur, du Chevalier de Saint-Lubin et de cinq
habitants du quartier, la faune, la flore et le volcan.

…ils s’en approchèrent tous, et de dessus une petite éminence, ils virent le
Euphorbia goliana, récoltée à l’embouchure de l’Etang du Gol. Etiquette manus- fond, à une trentaine de toises, apercevant des crevasses, par où sortait la
crite de Philibert Commerson, 1771. Herbier du MNHN, Paris. fumée, produite par des laves en fusion, du même endroit ils aperçurent dans
Photo V. Boullet.
l’autre cratère la lave bouillonnante s’élever jusqu’aux bords de la cheminée
d’où sortaient les flammes.
Propos de Georges Cuvier sur Philibert Commerson Note de Lislet Geoffroy, Excursion au volcan, 1771.
C’était un homme d’une activité infatigable et de la science la plus profonde.
S’il eut publié lui-même le recueil de ses observations, il tiendrait une des Astronome, botaniste, géologue, il s’applique à
premières places parmi les naturalistes. Malheureusement, il est mort avant cartographier les îles de l’océan Indien, des Seychelles
d’avoir pu mettre la dernière main à la rédaction de ses écrits… à Madagascar (1819).
Histoire des sciences naturelles, Georges Cuvier, 1845.

36 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Carte réduite des îles de France et de Bourbon (1798-1802). Levée par le Citoyen Lislet Geoffroy et dressé par La Caille, Nicolas-Louis de (1713-1762) ; Tromelin
(1735-1815) ; Bouclet, J.-B. Cartes, plans Archives départementales de La Réunion.

André Marie Constant Duméril (1774-1860) observé dans les hauts de Cilaos (l’îlet à Cordes ?).
Médecin, il s’installe à Paris en 1800, et collabore à Il a aussi nommé et décrit une espèce de grenouille
la rédaction des Leçons d’anatomie comparée de Georges présente à La Réunion, Ptychadena mascareniensis.
Cuvier. Cette grenouille est assez fréquente aussi bien sur le
Il publie en 1804 un Traité élémentaire d’Histoire naturelle, littoral, rivières et étangs côtiers qu’en altitude dans la
puis en 1806 sa Zoologie analytique qui couvre l’ensemble forêt primaire de La Réunion.
du règne animal et montre les relations entre les genres
mais ne mentionne pas les espèces.
En 1851, Duméril, et son fils Auguste, signent le
Catalogue méthodique de la collection des reptiles et en 1853,
le père seul, Prodrome de la classification des reptiles ophidiens.
Ce dernier livre propose une classification de tous les
serpents en sept volumes.
C’est Duméril qui, découvrant une caisse de poissons
dans le grenier de la maison de Buffon, décrit enfin
ces espèces qui avaient été recueillies par Philibert
Commerson près de 70 ans plus tôt.
Grenouille des Mascareignes Ptychadena mascareniensis.
Il fait paraître une œuvre très importante, l’Erpétologie Décrite par A. M. C. Duméril. Photo J.-F. Bègue.
générale ou Histoire naturelle complète des reptiles (1834-
1854). 1393 espèces sont décrites dans le détail et leur Le nom de l’espèce mascareniensis pourrait faire croire à
anatomie, physiologie et bibliographie, sont précisées. une origine endémique, mais c’est parce que l’animal
Il a notamment décrit et nommée (1835) d’après a été décrit pour la première fois par Duméril et
sa carapace, une tortue endémique de La Réunion Bibron en 1841, à partir d’individus provenant de
Cylindraspis graii. L’espèce est présumée éteinte depuis La Réunion. Il s’agit en fait d’une espèce originaire
1800, date depuis laquelle le dernier spécimen a été d’Afrique et introduite avant le milieu du 19e siècle.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 37


Jean-Baptiste Geneviève Le Piton de Neiges et le Bénard nous paraissaient d’une hauteur prodigieuse ;
Marcellin Bory Cimandef, tout auprès, présentait ses flancs anguleux ; la plaine des Chicots,
de Saint-Vincent (1778-1846) dans le point où nous la découvrions, ressemblait aussi à une pyramide ;
la plaine des Fougères, le morne du Bras Panon, les hauts de la rivière du
Mât et des Roches, et l’entre-deux de la rivière Saint Etienne s’abaissaient
J.-B. Bory de Saint Vincent... : [portrait] Tardieu, humblement devant ces points plus élevés. Entre nous et ces lieux, l’Enclos,
Ambroise (1788-1841). Dessinateur et graveur.
Estampe (ill. de livre). Bibliothèque départementale
la plaine des Sables et la plaine de Cilaos se surmontant les unes les autres,
de La Réunion. formaient un effet singulier qui ressemblait aux marches d’un escalier
Officier, naturaliste et géographe, il s’est notamment gigantesque.
intéressé à la vulcanologie, à la botanique et à la Voyage dans les quatre principales îles des mers
systématique. d’Afrique (1801 et 1802), Bory de Saint Vincent, 1804.
En 1804, il publie Essais sur les îles fortunées et Voyage dans
les quatre principales îles des mers d’Afrique. La montagne ignivome
Après une escale à Maurice, il rejoint le 23 mai 1801 J’avais une grande envie de bien voir la montagne ignivome, et mon désir
La Réunion, où il effectue en octobre et novembre redoubla dès qu’on m’assura que personne n’avait réussi dans ce que je
1801 l’ascension et la première description scientifique projetais. Je regardais comme exagérées les craintes qu’on cherchait à me
du Piton de la Fournaise. Il donne le nom du savant donner. Jouvancourt partageait mes sentiments, mais les Noirs, découragés
Dolomieu à l’un des cratères qu’il décrit comme un par tout ce que les esclaves du canton leur racontaient, témoignaient la plus
mamelon. Son accompagnateur, de Jouvancourt, grande terreur. Ils nous firent des remontrances et pour nous décider à ne pas
donne au cratère sommital le nom de Bory. les conduire à la Fournaise par une route inusitée, l’un d’eux nous raconta
Travailleur infatigable, il a écrit sur plusieurs branches
plusieurs traditions du pays. Il avait, disait-il, appris par d’anciens habitants
de l’histoire naturelle. Il a été le principal rédacteur,
que le volcan était le patrimoine du diable, que c’était la bouche de l’enfer,
du Dictionnaire classique d’histoire naturelle (1822-1831),
qu’il était d’autant plus dangereux pour nous d’y monter que les Blancs
de la Bibliothèque physico-économique (1827-1831).
n’en revenaient plus, les réduisant en esclavage, les employant à creuser la
Panorama des Hauts de Bourbon montagne, à diriger les courants de laves et à attiser le feu sous les ordres de
Au moment de partir, nous jouîmes d’une vue superbe qui s’étendait sur tous commandeurs noirs.
les sommets de l’île, et que les brumes nous avaient dérobée dans notre voyage Voyage dans les quatre principales îles des mers
précédent. d’Afrique (1801 et 1802), Bory de Saint Vincent, 1804.

Carte de l’île de La Réunion, début 19 e siècle. Dessin Bory de Saint-Vincent. Librairie du Congrès Américain.
38 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Évolution du volcan de Bourbon Questionnement sur l’installation de la vie dans l’île
Maintenant que nous venons de porter nos regards sur un nouveau point du
monde, élevé loin des autres terres par une chaleur qui en tenait toutes les
parties en fusion, les mêmes questions se présentent.
Comment la verdure vint-elle ombrager un volcan isolé ? Comment des
animaux attachés au sol vinrent-ils vivre sur un écueil nécessairement
inhabitable lors de sa naissance ?
Ces questions ne sont pas aisées à résoudre. Je ne doute cependant pas que
plusieurs personnes ne s’empressent de répondre hardiment que les vents, les
flots, les oiseaux et les hommes ont suffi pour peupler et pour fertiliser l’île de
La Réunion.
Voyage dans les quatre principales îles des mers
d’Afrique : (1801 et 1802), Bory de Saint-Vincent, 1804.

Ages du volcan de Bourbon : fig. 1, en 1760, fig. 2, en 1775, fig. 3, en 1789, fig.
4, en 1791. Bory de Saint-Vincent, Jean-Baptiste Geneviève Marcellin (1778-
1846) Dessinateur ; Tardieu, B. & Adam. Graveurs. 1804. Estampe. Muséum
d’Histoire naturelle de La Réunion.
Quelques vues du cône igné de La Réunion, prises à diverses époques, m’ont mis
à portée de donner une planche comparative des divers états où il a été observé.
J’ai réduit les dessins à la même échelle ; la ligne ponctuée que l’on
distingue dans chaque figure, est l’état actuel rendu fidèlement dans la planche
précédente. La Figure 1e représente l’état du volcan en 1760, et tel qu’il était
quand le sieur Donnelet le visita…Un seul et vaste cratère couronnait alors
la Fournaise ; un soupirail latéral jetait des flammes.
La Figure 2e a été faite d’après un dessin manuscrit de Commerson…La
date de l’année n’y est pas, mais il doit avoir été pris en 1775. La cime de
la montagne paraissait s’être affaissée ; le cratère Bory était cependant plus
élevé qu’il n’est à présent, et l’ancien cratère central avait disparu…
Dans la Figure 3e, on est tenté de croire qu’il n’est plus question de la même
montagne ; elle a été dessinée en 1789 par M. Patu de Rosemond…Ici, Angraecum eburneum. Dessin Bory de Saint Vincent. Bibliothèque nationale de
France. 1804
un affaissement oblique a fait de tout le sommet de la montagne un plateau
incliné vers la mer, et le cône est tronqué dans les deux tiers de sa hauteur… Louis Maillard (1814-1865)
La Figure 4e nous présente un grand changement. La montagne a
Ingénieur à l’île de La Réunion, ses notes embrassent
prodigieusement perdu de la hauteur qu’elle avait en 1760 ; le cratère Bory
tout ce qui constitue l’existence de la colonie. Les
est le point le plus élevé ; le mamelon central commence à croître, mais il
travaux de Maillard sont donc extrêmement précieux
n’a pas encore atteint la hauteur que je lui trouvai. Pour le cratère Dolomieu
et intéressants, non seulement pour l’île de La Réunion,
encore vient-il de naître…Dans l’état actuel, le mamelon central plus élevé
mais aussi pour le progrès des sciences naturelles. Il
qu’il ne l’était en 1791, semblerait indiquer que le faîte des volcans s’abaisse
et s’élève tour à tour…il y a tout lieu de croire que la cime de la montagne
a rapporté, en fait de zoologie et de botanique, les
de Bourbon tend à la même révolution. Si elle s’opère dans les siècles à venir,
types d’une famille nouvelle (parmi les crustacés), de
les cratères que j’ai visités, seront encroûtés par des laves qui élèveront la
plusieurs genres, et de plus de cent cinquante espèces
montagne jusqu’à l’affaissement futur… jusqu’ici non décrites.
Il a aussi réalisé les cartes mères de La Réunion
Voyage dans les quatre principales îles des mers (1/150 000) entre 1845 et 1852.
d’Afrique (1801 et 1802), Bory de Saint-Vincent, 1804. Son ouvrage phare est : « Notes sur l’île de La Réunion »
(1862).
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 39
Notons que le Papangue porte le nom de Circus
maillardi ou Busard de Maillard.
Par ailleurs, pour l’anecdote, soulignons qu’il fut
un proche de George Sand, auprès de laquelle il
introduisit son cousin Alexandre Manceau, dernier
compagnon de la dame de Nohant. Louis Maillard
correspondait en effet régulièrement sur des sujets de
géologie avec Maurice Sand, fils de George.

Plan croquis de la coulée de 1858 à son passage sur la route du tour de l’Ile :
janvier 1859. Roussin, Louis Antoine (1819-1894) ; Maillard, Louis Gaspard
Dominique. (1814-1865). 1860. Estampe.
Bibliothèque départementale de La Réunion.

L’origine de l’île
Nous n’essayerons pas ici de traiter cette question si souvent posée et encore à
résoudre : l’Ile de La Réunion a-t-elle fait partie d’une chaîne générale qui,
de Madagascar, se serait autrefois étendue jusqu’à Maurice et Rodrigue ?
Nous ne connaissons pas assez ces îles ; et tout ce que nous avons pu voir
dans un passage de quelques jours à Maurice, c’est que cette dernière est
volcanique, et que son sol est complètement identique à celui de Bourbon.
Notes sur l’île de La Réunion, Louis Maillard, 1862.

Cascade de la Ravine à malheur. Bord de la mer. Caractères de la flore


Maillard, Louis Gaspard Dominique (1814-1865). 1863. Estampe. Dans la Flore de Bourbon, ce n’est pas, comme presque partout ailleurs, le
Bibliothèque départementale de La Réunion.
contingent des composées, des légumineuses ou des graminées qui domine.
Construction et destruction de l’île Fougères et orchidées, voilà ce qui constitue la physionomie de notre île, dans
Bory de Saint Vincent, qui passa 40 jours à en parcourir les montagnes, a le règne végétal.
dit « que l’île Bourbon semblait avoir été créée par des volcans et détruite On s’étonne aussi du grand nombre de Cryptogames, surtout de la concentration
par d’autres volcans ». Ce fut aussi notre première impression, lorsque nous sur ce point du globe des espèces de cette classe, propres aux climats plus différents.
visitâmes l’intérieur de l’île ; et quoique ce fait soit contesté, nous persistons On explique cette particularité, en considérant que l’île s’élève par des
dans cet avis, peut être contraire à certaines théories, mais dans lequel nous gradations ménagées du niveau de la mer, où règne six mois durant le climat
avons été confirmés par 25 ans de séjour de courses et d’études. de la zone torride, jusqu’à la hauteur de 3000 mètres, où l’on retrouve la
Notes sur l’île de La Réunion, Louis Maillard, 1862. température favorable aux plantes alpines.
Notes sur l’île de La Réunion, Louis Maillard, 1862.

Copie réduite de Coupe rigoureuse du volcan (échelle 1/150 000). Maillard, Louis Gaspard Dominique (1814-1865), 1863. Estampe.
Bibliothèque départementale de La Réunion.
40 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Les Lépidoptères La Flore de La Réunion synthétise trente années de
Les insectes de cet Ordre sont peu nombreux à La Réunion, et subissent la loi prospections et d’études de la flore réunionnaise et
qui veut que les îles soient plus pauvres en Lépidoptères que les continents… établit les fondements synthétiques des connaissances
Une autre cause qui rend l’Entomologie de La Réunion plus intéressante de botaniques générales de la flore de l’île. L’herbier de
jour en jour, c’est l’immigration, bien avérée maintenant, des espèces des îles Cordemoy, longtemps exilé à Marseille puis à Paris, a
voisines, et en particulier de Madagascar. retrouvé La Réunion en janvier 2010.
C’est ainsi que la Salamis rhadama s’y est acclimatée depuis une Cordemoy a aussi été rapporteur de l’étude sur la
dizaine d’années, au point d’y devenir plus commune que dans sa patrie catastrophe du Grand Sable (Salazie, 1875) : Rapport
originaire. de la commission chargée d’étudier la catastrophe du Grand-
Notes sur l’île de La Réunion, Louis Maillard, 1862. Sable, à Salazie, 1876.

La catastrophe du Grand-Sable
La catastrophe du Grand-Sable est absolument comparable aux grands
éboulements des montagnes dont la Suisse et d’autres contrées ont été le
théâtre, et dont la description est consignée dans les annales de la Science…
Ainsi qu’il est arrivé dans plusieurs de ces catastrophes historiques, un
affaissement au pied du Gros-Morne a précédé la chute des rochers, qui a
été suivie d’éboulements secondaires, de glissements de terrains et d’autres
phénomènes accessoires.
Il est remarquable que les grands éboulements connus présentent, même dans
les détails, la plus grande conformité avec celui de Salazie.
Conclusions de la commission,
Cordemoy, Velain, Vinson, 1876.

Planche de Lépidoptères . Notes sur l’île de La Réunion, Louis Maillard 1862. 1-2,
Callidryas florella var. femelle ; 3-4, Hesperia borbonica (chenille) ; 5-6-7, Homoptera
vinsonii...
Vinson, Auguste (1819-1903) & Migneaux, Jules (1825-1898). Peintres ; Picart.
Graveur. 1863. Estampe. Bibliothèque départementale de La Réunion. Ecroulement de Grand Sable, 1875. Les risques géologiques dans les cirques de
Salazie et de Cilaos. BRGM. 1981.
Eugène Jacob de Cordemoy (1835-1911) La perte de biodiversité végétale
Médecin et botaniste français originaire de l’île de La D’épaisses et superbes forêts couvraient autrefois l’île, du rivage de la mer
Réunion jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Mais depuis un demi-siècle tout le sol
Les premières études globales sur la Flore des alluvial de l’île a été défriché et mis en culture. La végétation indigène a fait
Mascareignes à être publiées furent la Flore de Maurice place à des plantes étrangères.
et des Seychelles par Baker en 1877 et la Flore de La Réunion On ne rencontre plus, dans la région basse, qu’un petit nombre des espèces
par Cordemoy en 1895, lequel reprit les travaux de primitives reléguées dans certains endroits presque inaccessibles ou sur les
Charles Frappier, un autre botaniste réunionnais. bords forcément respectés de quelques ravines…
Ces travaux concernaient plus particulièrement les Plusieurs espèces sont même anéanties ou devenues introuvables.
orchidées de La Réunion, soit un catalogue de 145 Flore de l’île de La Réunion, Eugène Jacob de
espèces dressé en 1880. Cordemoy, 1891.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 41


Minéralogiste, pétrographe et géologue, volcanologue
français, professeur au Muséum national d’histoire
naturelle et membre du Collège de France.
Ses études sont à l’origine de l’explication de la
formation des dômes volcaniques et des nuées
ardentes.
Parmi ses principales publications se trouvent la
Minéralogie de la France et de ses colonies (1893-1913 et
3 rééditions posthumes), La Montagne Pelée et ses éruptions
(1904), la Minéralogie de Madagascar (1921).
Flore de l’île de La Réunion. Flore de l’île de La Réunion. 1891. Planche IV.
1895. E. Jacob de Cordemoy. Dessin Eudoxie Jacob de Cordemoy.
Il découvre 15 espèces minérales qui ont subsisté dans
Gallica. la classification moderne.
L’étagement de la végétation En 1911, il étudie le Piton de la Fournaise à La
A une altitude qui varie de 200 à 800 mètres commence aujourd’hui la Réunion.
région forestière. C’est là qu’habitent la plupart des arbres de haute Il visite jusqu’en 1929, date de son dernier voyage,
futaie…Parmi ceux-ci, il faut noter : le Grand Natte (Mimusops la plupart des grandes régions volcaniques du Monde
imbricaria), le Petit Natte (Mimusops callophylloïdes)…, (Antilles, La Réunion, Somalie, Japon, Chine,
le Bois de fer (Sideroxylon imbricarioïdes), le Bois puant Indonésie). Il publie en 1936 « Le volcan actif de l’île de
(Foetidia mauritiana)…Parmi ces beaux végétaux… s’élancent les La Réunion et ses produits ». Il est aussi l’auteur, en 1916,
splendides fougères arborescentes (Cyathea)…A la même altitude abonde, d’une « Notice historique sur Bory de Saint-Vincent ».
dans les lieux découverts, les clairières, les défrichés, un arbuste en buisson, Notons enfin que le nom du maître et beau-père
l’Ambaville (Senecio ambavilla), l’un des plus caractéristique de La d’Alfred Lacroix, Ferdinand Fouqué, a été donné à
Réunion, car il lui est propre… l’Enclos qui s’étend au pied du Piton de la Fournaise.
De 1600 à 2000 mètres, d’autres espèces font place aux précédentes ; c’est
d’abord une élégante graminée, le Calumet (Nastus borbonicus), Ascension au Piton de la Fournaise
qui cantonné de 1400 à 1600 mètres, forme autour de l’île une véritable Lorsque je suis arrivé, au lieu d’y trouver le cratère Dolomieu décrit avec de
ceinture…C’est ici qu’apparaît un grand et bel arbre …le Tamarin des hauts nombreuses variantes par ceux qui m’avaient précédé, je n’ai pas trouvé de
(Acacia heterophylla)… cratère du tout. Le sommet du Piton était formé par une sorte de petit plateau
A une altitude supérieure, on ne rencontre plus que quelques petits arbres bombé occupant la place du cratère
(notamment un Sophora à feuilles soyeuses, jusqu’à 2500 mètres). Le sol Ascension du 28 octobre 1911. Alfred Lacroix.
est couvert d’arbustes en buisson, des composées : les Ambavilles blanches
(Senecio hubertia et S. taxifolia), le Branle blanc (Stœbe Albert Lougnon (1905-1969)
passerinoïdes) ; des Ericacées (Agauria et surtout Philippia) Historien né à La Réunion, spécialiste de son île natale
dont l’espèce la plus commune est vulgairement appelée Branle vert… et de son histoire. Le Journal de l’île de La Réunion le
Plus haut encore on ne rencontre plus que des arbrisseaux rabougris : décrit d’ailleurs comme « le premier grand historien de La
Faujasia pinifolia…des Psiadia… ; un Séneçon sous-ligneux Réunion » et assure que « ses ouvrages sur les Mascareignes
(Senecio hubertia, var. conyzoïdes)…croît jusque sur le sommet font autorité dans le monde ».
du Piton des Neiges…Toutes les autres espèces, à cette altitude font place aux Titulaire d’un doctorat ès Lettres obtenu grâce à une
Mousses et aux Lichens. thèse présentée à la Sorbonne en 1956 « L’île Bourbon
Flore de l’île de La Réunion, pendant la Régence. Desforges-Boucher. Les débuts du café ».
Eugène Jacob de Cordemoy, 1891. Albert Lougnon avait antérieurement publié un
certain nombre d’ouvrages concernant l’histoire
Alfred Lacroix (1863-1948) ancienne de ce territoire français de l’océan Indien,
en particulier de sa découverte au milieu du XVIIe
siècle.
Certaines de ces publications ont eu lieu dans le cadre
du Recueil trimestriel de documents et travaux inédits pour
servir l’histoire des Mascareignes françaises (1932-1949).
Il est également le responsable de la première édition
de la correspondance du Conseil supérieur de Bourbon
et de la Compagnie française des Indes orientales.

A. Lacroix. Coll. Muséum National d’Histoire Naturelle.


42 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
On lui doit aussi un ensemble de documents Pierre Rivals (1911-1979)
concernant La Réunion et les Mascareignes : « Mahé Agronome, naturaliste et géologue, formé à l’Institut
De La Bourdonnais. Mémoire des îles de France et de Bourbon », agricole et à la Faculté des Sciences de Toulouse, il séjourna
1937 ; « ‎Sous le Signe de la Tortue. Voyages Anciens à l’Ile à La Réunion et travailla aussi à Maurice et à Madagascar.
Bourbon. 1611-1725 »‎, 1939 ; « Voyage à l’île de La Entre 1937 et 1946, plus de 3400 échantillons
Réunion de Bory de Saint-Vincent (1801) », 1962. d’herbier furent récoltés sur l’île par Pierre Rivals, et
son compagnon de route Max Fournier. L’ensemble
Une île terrienne de l’herbier de Rivals, ainsi qu’une partie des planches
C’est un sujet d’étonnement sans cesse renaissant que le peu de place tenu par de Fournier sera empruntée en 1972 par le Muséum
l’activité maritime dans la vie de La Réunion, au point que le poisson frais National d’Histoire Naturelle pour la réalisation de la
y constitue un aliment réservé aux plus fortunés. Cette île à peu près ronde ne Flore des Mascareignes.
pousse à la mer aucune avancée à l’abri de laquelle on soit couvert. La Pointe Il soutint deux thèses sur La Réunion « Histoire
des Galets et le cap La Houssaye, tels les branches d’une étoile, s’écartent et géologique de l’Ile de la Réunion, 1950 » et « Etudes sur la
s’effacent au lieu de protéger la rade de Saint Paul, la moins inhospitalière. végétation naturelle de l’île de la Réunion, 1952 ».
Aucune échancrure ne poinçonne le rivage trop accore…Sur cette côte sans Il publia de nombreux articles dont : « Notes sur
abri naturel s’abattent alternativement les cyclones de l’hivernage et les houles les diverses espèces à fruits comestibles existant à l’île de La
profondes accourues du sud l’hiver… Réunion, (vers 1930) » et « Les espèces fruitières introduites
N’en déplaise au poète, cette petite île n’est pas fille d’Aphrodite. C’est une à l’île de La Réunion (notes historiques et biologiques), 1958 ».
terre de paysans. Notons qu’un cratère porte son nom dans le massif de
Sous le signe de la tortue, Albert Lougnon, 1939. la Fournaise.
Conditions du milieu physique
La Plaine des Cafres Il est intéressant de dire ici quelques mots sur le climat régnant sur les hautes
Entre ces plaines qui sont sur les montagnes, la plus remarquable, et dont plaines de La Réunion situées à plus de 2000 mètres. Elles se placent à
personne n’a rien écrit, est celle qu’on a nommé la Plaine des Cafres, à cause la limite supérieure des épaisses couches de strato-cumulus qui baignent
qu’une troupe de Cafres esclaves des habitants de l’île s’y était allé cacher journellement les pentes de l’île à partir de 600 mètres…Les dalles basaltiques
après avoir quitté leurs maîtres… Elle peut avoir quatre ou cinq lieues de affleurent presque partout, elles ne portent qu’une maigre végétation éricoïde.
circonférence ; le froid y est insupportable et un brouillard continuel, qui Les variations de l’état hygrométrique sont donc très brutales, passant du
mouille autant que la pluie, empêche qu’on y voie à dix pas. voisinage de zéro au point de saturation. La pluviosité est de l’ordre de 1500
Description par Jean de La Roque vers 1703, cité dans à 2000 mm par an suivant les lieux…
Sous le signe de la tortue, Albert Lougnon, 1939 Un certain nombre d’espèces pionnières diversement adaptées acceptait ces
conditions ; parmi elles, dominent les Ericacées du genre Philippia…
Sur deux stations de pommes de terre établies dans les
hautes montagnes de La Réunion, Pierre Rivals, 1979.

Étagement de la végétation. P. Rivals, 1952. Dans «La végétation de La Réunion».


La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 43
La forêt hygrophile Le climat
La forêt très hygrophile de haute altitude baigne en général dans d’épais Il était intéressant d’y analyser les effets locaux du balancement annuel
brouillards au voisinage de leur point de condensation […]. Les feuilles des des hautes pressions subtropicales, lesquelles couvrent les latitudes des
arbres sont alors presque toujours humides et suintantes ; Mascareignes en hiver mais reculent vers le sud en été, orchestrant le jeu de
La pluviosité n’a jamais fait l’objet de mesures ; nous l’évaluons à 2 500
l’alizé et laissant place de novembre à avril aux effets du front intertropical
à 3 000 millimètres seulement, mais en soulignant l’extrême abondance des
et parfois aux cyclones.
précipitations occultes.
Mais, même en saison sèche, des « jets » d’air polaire, qui viennent par
Etudes sur la végétation naturelle de l’île de La Réunion,
pulsations périodiques renforcer l’alizé, amènent deux à trois fois par mois
Pierre Rivals, 1952.
quelques jours de pluies modérées.
Jean Defos du Rau (1914-1994) L’île de La Réunion, étude de géographie humaine, Jean
Géographe, il est surtout connu pour sa thèse de Defos du Rau, in L’information géographique, 1958.
doctorat d’État « L’île de La Réunion. Etude de
géographie humaine » qu’il soutint en 1958 et qui Les grands traits de l’économie
porte sur la géographie de l’île de La Réunion, Peuplée par la Compagnie des Indes pour servir d’escale sur la route de
où il séjourna de 1947 à 1956. Son travail, est Pondichéry, l’île s’est vite donnée une économie de plantation basée sur
considéré comme un document de référence l’esclavage et donc sur la traite.
pour la géographie réunionnaise et est encore Spécialiste du café — Bourbon — à l’époque de La Bourdonnais — puis
amplement cité de nos jours. des épices à la fin du XVIIIe siècle — elle s’est consacrée à la canne après
Il est l’auteur de nombreux documents parmi lesquels 1815… L’abolition de l’esclavage en 1848 a provoqué un recrutement
on peut citer « Un cirque des Hauts de La Réunion : massif d’émigrants de couleur…cependant que, dans les « Hauts », pentes
Cilaos, 1956 », « Le relief de l’Ile de La Réunion :
et cirques servaient de refuge à d’anciens esclaves et surtout aux Petits Blancs,
étude de morphologie volcanique, 1959 ».
cadets de familles écartés de « l’habitation » littorale…
L’île de La Réunion, étude de géographie humaine, Jean
Le relief
La Réunion est entièrement formée de roches volcaniques, d’une fraîcheur Defos du Rau, in L’information géographique, 1958.
et d’une ampleur telles qu’elle constitue un extraordinaire laboratoire pour
l’étude du relief volcanique… La répartition de la population
L’île se compose de deux massifs volcaniques hawaïens ; l’un, celui du piton …ces cartes ne prétendent atteindre qu’un ordre de grandeur approché. Mais
des Neiges…est ancien, démantelé, crevé en son centre par trois énormes elles font saisir l’entassement de la population le long de la bande côtière
cirques (Cilaos, Salazie, Mafate) ; l’autre, celui du Piton de la Fournaise, nord-ouest et du ruban des pentes moyennes sud et occidentales…laissant de
encore localement actif… larges régions peuplées en nébuleuses très lâches, et la moitié environ de l’île
L’île de La Réunion, étude de géographie humaine, Jean complètement déserte : celle qui correspond à la forêt, à la lande d’altitude,
Defos du Rau, in L’information géographique, 1958. et au massif de la Fournaise.
L’île de La Réunion, étude de géographie humaine, Jean
L’érosion Defos du Rau, in L’information géographique, 1958.
Une érosion puissante accentue chaque jour les contrastes du relief et la
démolition de l’île ; les énormes « avalasses », ou pluies tropicales, ont
Les ensembles régionaux
finalement raison des détritus qui emplissent le fond des cirques ; sur les
1. La zone sucrière disposée en anneau autour de l’île est de beaucoup la plus
planèzes, dont la forte pente générale ne comporte pas de palier, elle démolit
peuplée et la plus riche.
les berges des ravines…
L’île de La Réunion, étude de géographie humaine, Jean 2. La zone des basses pentes de la Fournaise…est la région de la vanille.
Defos du Rau, in L’information géographique, 1958.

Coupe à travers l’île de La Réunion. Jean Defos du Rau, 1960.


44 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
3. La savane côtière Sous-le-Vent, de la Possession à l’Etang- Salé, est une
autre bande littorale, de 2 à 3 km de large, inculte et déserte du fait de
l’aridité. Les seules activités efficientes sont ici le reboisement littoral et une
certaine vie balnéaire et touristique autour de Saint- Gilles et de l’Etang Salé.
4. La zone des Hauts est la plus vaste et la plus typique, quoique la moins
tropicale. Reboisement et tourisme semblent, là encore, les ressources de
l’avenir, dans la mesure où l’émigration ne videra pas les cirques surpeuplés.
L’île de La Réunion, étude de géographie humaine, Jean
Defos du Rau, in L’information géographique, 1958.

Thérésien Cadet (1937-1987)

Restes de végétation naturelle. T. Cadet. 1978.

T. Cadet. Photographie issue


du document de Serge Chesne
et Claire Micheneau :
« Le scientifique aux pieds nus ».

Botaniste réunionnais. Il a enseigné à l’École


normale et créé le Laboratoire de sciences naturelles,
participant au démarrage de l’enseignement
scientifique universitaire à La Réunion.
La dédicace en tête de cet ouvrage décrit son travail.
e
On se contentera donc ici de citer deux textes qui Manteau forestier probable au 18 siècle. d’après T. Cadet, 1986.
précisent ses réflexions et ses recherches Les espèces hétérophylles
Dans les deux grandes Mascareignes (Maurice et La Réunion), les espèces
Du minéral au végétal hétérophylles sont concentrées dans les régions occidentales plus sèches dites
A l’échelle d’une vie humaine, le tapis végétal ne semble pas subir de « Sous le Vent ».
transformation importante, sauf intervention brutale et périodique de Plus rares sont celles qui se rencontrent aussi dans la zone « Au Vent », plus
l’Homme (cultures, défrichements, incendies). humide car soumise au choc direct des alizés d’Est Sud-Est. Ces espèces sont :
Des forêts comme celles de Bébour, de la Grande Montagne ou du Cirque Grangeria borbonica, Maillardia borbonica, Aphloia
de Cilaos paraissent au cours de décades successives, conserver la même theæformis, Molinæa alteunifolia, Ficus morifolia,
physionomie, avec les mêmes espèces et la même structure apparemment Acacia heterophylla, Doratoxylon apetalum, Hibiscus
complexe. Elles nous apparaissent comme figées dans le temps. liliiflorus.
On doit cependant admettre que ces forêts ne sont pas « apparues » A La Réunion, elles sont toutes (sauf les précédentes) inféodées au « secteur
subitement. A leur emplacement, il n’y avait à l’origine que basaltes, scories mégathermique sec » au sens de RIVALS (1952). Cet auteur a souligné
et cendres volcaniques puisque La Réunion tout entière est le produit du l’abondance dans cette région des espèces présentant un dimorphisme foliaire :
fonctionnement d’appareils volcaniques. sur la soixantaine de plantes ligneuses que compte la végétation de ce « secteur »,
Sur les coulées de lave- comme celles que l’on peut voir dans l’Enclos Fouqué 22 espèces sont nettement hétérophylles, soit plus du tiers, dont 15 strictement
au Pas de Bellecombe ou sur des nappes de lapilli et de cendres comparables à limitées à cette basse région occidentale ; 7 habitent aussi la région orientale
celles de la Plaine des Sables- se sont accrochés les premiers végétaux (lichens, humide mais y sont rares et dans des conditions édaphiques particulières.
mousses, fougères). De nos jours, on ne les rencontre plus que dans des vestiges de végétation
Ces pionniers ont préparé le terrain pour permettre aux premiers arbustes de naturelle plus ou moins dégradée, accrochés aux falaises abruptes qui
s’enraciner. Ceux-ci ont modifié le sol et fait de l’ombre, rendant possible la encaissent les torrents de l’Ouest : versant droit de la Rivière de St- Denis,
germination des semences des premiers grands arbres de la forêt. Ravine de la Grande Chaloupe, vallées de la Rivière des Galets, du Bras de
Histoire d’une forêt de « Bois de couleur » dans l’île Cilaos, et du Bras de la Plaine.
de La Réunion, Thérésien Cadet, 1973. Observations sur l’hétérophyllie dans les îles Mascareignes,
Thérésien Cadet, Francis Friedmann, 1976.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 45


Le parcours pour
une reconnaissance internationale
Comme bien souvent il ne reste d’une aventure que ses
résultats et le temps effacera peu à peu les traces qui
l’ont guidée, l’ont parfois mise en question et qui lui
ont permis d’aller au bout du chemin.
L’aventure, car on ne peut douter que cela en fut une,
de la candidature de l’île de La Réunion à une inscrip-
tion sur la Liste du patrimoine mondial, n’échappe pas
à ce risque érosif.
L’occasion est belle de saisir la parution de cet ouvrage
pour faire un retour dans le passé, un passé récent déjà
fugace. Une manière de rendre hommage à celles et
ceux qui ont su tirer la quintessence d’un patrimoine Henri Hubert Delisle :
exceptionnel pour le faire reconnaître aux plus hautes Gouverneur de l’Île de la
Réunion.
instances internationales. Roussin, Louis Antoine
Une manière aussi de faire partager ce que l’on pour- (1819-1894). Lithographe.
1860, Estampe.
rait qualifier de secrets de famille, celle des bâtisseurs Bibliothèque départemen-
de la candidature. tale de La Réunion.

Les prémices
Il n’est donc nullement un spécialiste des sciences de la
La toute première interrogation porte sur l’auteur et Nature mais le gestionnaire qu’il est, doublé de sa fibre
les raisons de cette idée, il faut le dire un peu folle voire réunionnaise, lui font constater rapidement le mauvais
prétentieuse, de se porter candidat à une inscription état général qui touche tous les domaines. Il réagira en
sur la Liste prestigieuse de l’Unesco. Pouvait-on dé- créant ce que nous appellerions de nos jours un zonage
cemment se mesurer à des géants patrimoniaux natu- avec une partie basse dédiée à la canne à sucre, sépa-
rels comme les Galapagos ou le Cañon du Colorado, rée d’une zone d’agriculture vivrière par une route (la
des monuments exceptionnels comme le Taj Mahal ou « route Hubert Delisle ») et enfin, au-dessus les ter-
Machu Picchu ? rains domaniaux forestiers.
La réponse se trouve dans la prise de conscience, à La
Réunion et au-delà, que des valeurs patrimoniales, des Vous connaissez comme moi, mieux que moi, les déplorables effets de
plus manifestes aux plus discrètes, s’érodent jusqu’à la dévastation de nos forêts… les magnifiques arbres de haute futaie qui
disparaître sans retour possible. s’étendaient jusqu’au sommet des montagnes ont fait place à une végétation de
C’est donc l’avancée des connaissances qui ouvrent la haziers et de taillis ; nos cours d’eau ont disparu dans certaines localités… ;
voie aux constats, lesquels vont générer à leur tour des la santé publique elle-même a ressenti le contrecoup de ces destructions
propositions de réponse. inconsidérées qui ont modifié les conditions hygiéniques du climat… j’ai dû
Il n’y a donc pas un inventeur mais une succession méditer consciencieusement un projet de législation forestière…
d’instigateurs qui, avec les moyens du moment où ils Proclamation du gouverneur Hubert Delisle, 8 avril 1853.
se trouvent, osent des projets.
L’absence de voies générales dans des régions plus élevées, empêchait
Les précurseurs l’agriculture de s’y porter, et l’activité coloniale se concentrait dans un cercle
étroit où tout devenait difficile et coûteux. J’ai pensé qu’en ouvrant une belle
Faire l’histoire de la connaissance scientifique de l’île voie à travers des terres encore peu exploitées, j’allais tout à la fois imprimer
de La Réunion demanderait un ouvrage complet. une plus vive impulsion à l’industrie sucrière pour ce qui concerne les terrains
On se limitera à trois exemples qui démontreront que en dehors de cette route, à faire abonder dans la colonie, les grains, les racines,
les racines du Bien aujourd’hui inscrit au patrimoine le bétail qui doivent provenir des contrées placées au-dessus de la voie.
mondial sont profondément gravées dans l’Histoire Lettre de Hubert Delisle à l’amiral Hamelin, ministre
réunionnaise. Louis Henri Hubert Delisle, gouverneur de la marine et des colonies, 8 mai 1857.
de l’île de 1852 à 1858, est un homme politique et un
administrateur originaire de La Réunion.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 47


La connaissance scientifique ne peut progresser sans Nous pensons avoir démontré qu’il est urgent d’intervenir pour sauver certaines
des observations continues sur la base d’un protocole parties de notre patrimoine biologique. Par notre faute, nous l’avons tellement
établi. Le géologue Alfred Lacroix qui sait combien La dégradé qu’une action passive ne suffira plus.
Fournaise est prodigue en éruptions regrette qu’il n’y Délimiter des aires de végétation, les ériger en réserves biologiques intégrales,
ait pas de moyen d’observation permanent installé sur ce sera bien mais insuffisant. Il faudra les protéger, en interdire l’accès, à
le volcan actif. L’idée de l’Observatoire volcanologique l’Homme lui-même, aux animaux.
est lancée. Il sera aussi indispensable d’intervenir pour réparer les erreurs du passé
et guérir les plaies, c’est-à-dire débarrasser cette végétation des plantes
Aucune observation instrumentale n’a été faite et il serait à souhaiter qu’un étrangères envahissantes et l’enrichir en espèces devenues rares par suite de
sismographe fût installé à proximité du volcan pour enregistrer les mouvements leur destruction par l’Homme.
micro-sismiques qui accompagnent certainement la montée de la lave, lors des Tâche difficile, tâche coûteuse peut-être, mais l’harmonie du milieu dans
paroxysmes. lequel nous vivons n’a pas de prix.
Le volcan actif de l’île de La Réunion et ses produits, Histoire d’une forêt de « Bois de couleurs » dans l’île de
Alfred Lacroix, 1936. La Réunion, Thérésien Cadet, Bull. SRPN, 1973.

Plus près de nous, celui que Serge Chesne et Claire La prise en compte de l’environnement
Micheneau ont avec bonheur appelé « le scienti-
fique aux pieds nus », Thérésien Cadet, a contribué Ces précurseurs qui portent des idées à titre indivi-
bien avant la date à la candidature, et cela de deux duel ne sont pas isolés. Peu à peu des associations re-
manières. groupent des passionnés de Nature qui vont ensemble
agir pour mieux connaître et mieux gérer : Société
réunionnaise pour l’étude et la protection de la nature
(SREPEN), Société d’études ornithologiques de La
Réunion (SEOR)…
Le muséum d’histoire naturelle de Saint-Denis, créé
en 1855, recèle des collections de première grandeur,
lieu évident de référence et de conservation pour la
flore et la faune.
La création du Conservatoire Botanique National de
Thérésien Cadet, 1973. Mascarin (1986) dote l’île d’un outil de travail pour
Collecte d’échantillon la connaissance de la flore et sa conservation. Il lui
avec F. Badré.
adjoint une collection vivante de spécimens.

La connaissance de la flore et des habitats constitue un domaine complexe


Il a, par ses travaux de terrain et ses publications, fait faisant appel à des champs d’expertise scientifique et technique très variés… et
un remarquable inventaire de la biodiversité réunion- actualiser ces connaissances permet de définir et mettre en œuvre des politiques
naise et y a ajouté une formidable vision de sa mise en cohérentes et responsables en matière de gestion durable de la flore, des habitats
place et de son évolution. et de l’aménagement du territoire.
Amoureux de son île et de la Nature, il a aussi alerté sur Pour conserver un patrimoine durablement, il faut apprendre à le connaître
les richesses qu’il voyait se dilapider ou disparaître au et à le reconnaître.
profit d’espèces envahissantes. Il ne s’est pas contenté La sauvegarde du patrimoine végétal endémique et indigène constitue un
d’écrire mais a participé activement à la conservation enjeu majeur pour un territoire. Cette mission revêt un caractère d’autant plus
et à la gestion des milieux (SREPEN, INRA, ONF…). crucial lorsque ce patrimoine est officiellement reconnu comme étant en danger
d’extinction.
Les missions du Conservatoire Botanique National de
Mascarin,CBNM, 2016.

48 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les espaces naturels de protection forte
Ce sont des milieux naturels de très grand intérêt sur le plan écologique
ou paysager, dont l’intégrité devra être préservée, tout en encourageant le
développement organisé d’un « tourisme de nature » pour lequel ces espaces
constituent une attraction privilégiée.
Toute urbanisation nouvelle y sera interdite à l’exception des aménagements
liés à leur mise en valeur touristique définis plus loin.
Ces espaces devront faire l’objet d’une « gestion conservatoire dynamique »,
visant notamment à lutter contre les espèces végétales exotiques envahissantes
et, dans la mesure du possible, conserver la biodiversité et essayer de
reconstituer la végétation originelle.

Enfin, l’essentiel de ces espaces pourra bénéficier d’une protection renforcée :


… parc naturel national ou régional, réserve naturelle, réserve
biologique domaniale, sites classés, ZPPAUP ou de labels internationaux,
réserves de biosphère, sites inscrits au patrimoine
mondial de l’UNESCO…
Schéma d’aménagement régional (SAR),
Maison des Colimaçons, siège de Mascarin : Jardin Botanique de La Réunion ; Région Réunion, 1995.
Conservatoire Botanique National de Mascarin. Photo B. Bamba.

L’Observatoire volcanologique du Piton de la Four- Le SAR ouvre largement la voie en jouant sur deux
naise assure un suivi scientifique du volcan, mais il est tableaux : une voie nationale et réglementaire et une
aussi l’organisme clé en matière de sécurité face aux labellisation internationale. Une volonté et une am-
risques éruptifs. bition fortes qui n’auraient pu être que les visions de
L’Office national des Forêts mène aussi une politique quelques-uns inscrites dans un texte de politique géné-
de conservation par la création de Réserves biolo- rale. La suite prouva que non.
giques ou de Réserves naturelles.
La mission d’étude pour la création
d’un parc national
L’Université de La Réunion est évidemment un cor-
respondant scientifique incontournable, principale- Il a fallu un peu de temps pour faire le choix du type
ment avec le Laboratoire Géosciences Réunion et le de parc naturel le mieux adapté au territoire réunion-
Département d’Ecologie terrestre. nais. Le choix d’un parc national est annoncé par le
Des services décentralisés consacrés à l’environnement ministère de l’Aménagement et du territoire et de l’En-
sont mis en place dans les Régions. L’Etat a mis en vironnement fin 2000 et entériné par les deux collecti-
place une direction de l’environnement (aujourd’hui vités territoriales réunionnaises début 2001.
DEAL). La Région Réunion et le Département se sont Il s’agit de mettre en place un « Parc national des
eux aussi se dotés de services spécialisés et ont créés Hauts de La Réunion ».
des espaces protégés. On voit apparaître dans la lettre de mission une affir-
mation qui inscrit quasiment de facto (pas encore de
L’idée d’un parc naturel jure) la forêt primaire réunionnaise comme patrimoine
mondial. Entre la volonté locale et « l’incitation » mi-
Les idées des précurseurs, les travaux scientifiques qui nistérielle, la mission d’étude ne pouvait qu’ouvrir of-
démontrent chaque fois un peu plus la valeur natu- ficiellement une piste menant à une candidature au
relle exceptionnelle de l’île, les actions des services patrimoine mondial.
des collectivités nationale et territoriales, les espaces
protégés… constituent la base d’un ensemble appré-
ciable pour conserver la biodiversité. Il reste toutefois
un point délicat : la multiplicité des acteurs, des ou-
tils qui correspond à l’histoire de la protection de la
Nature dans l’île et aux compétences définies, ont du
mal à répondre à des visions, à des actions telles que
l’écologie les nécessite.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 49


L’étude de faisabilité
Le hasard des carrières réserve parfois des concor-
dances imprévues. Le chef de la mission d’étude pour
la création du parc, Jacques Merlin, venait du Parc
national des Cévennes où il avait travaillé pendant plu-
sieurs années avec Gérard Collin.

Ce dernier, membre de l’équipe des Cévennes depuis


l’origine du parc, effectuait aussi des missions pour
l’UICN et l’Unesco pour le patrimoine mondial et
connaissait déjà La Réunion.
Schéma d’Aménagement régional (SAR), 1995.
Mener de front la création d’un parc national et établir
Carte de synthèse. Région Réunion. une candidature au patrimoine était une tâche enthou-
siasmante mais bien lourde pour une petite équipe.
L’île de la Réunion recèle un patrimoine écologique, géologique, Il fallait vérifier si les conditions générales (administra-
paysager et culturel exceptionnel. La forêt réunionnaise tives, politiques, scientifiques…) et particulières (valeur
fait partie intégrante du patrimoine mondial de forêt universelle exceptionnelle) étaient remplies.
primaire. Le volcanisme actif de l’île et sa situation en zone tropicale
soumise à une pluviométrie élevée et à une érosion intense ont contribué, au Les consultations nécessaires
fil du temps, à forger des paysages aussi grandioses que diversifiés et des
spectacles naturels toujours changeants. La mise en œuvre d’une candidature au patrimoine
Lettre de mission pour la création du parc national, mondial s’appuie sur deux éléments capitaux.
Dominique Voynet, ministre de l’environnement, D’abord, une volonté commune et coordonnée des
6 novembre 2000. institutions nationales et territoriales. C’est l’Etat qui
seul peut déposer le dossier, mais ce sont les collecti-
vités territoriales qui construisent le dossier et devront

Projet de Parc national des


Hauts de La Réunion.
Proposition de zonage, 2003.
Mission de Création
du Parc national.

50 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Biodiversité et territoires ultramarins. IUCN. 2013.

assurer au quotidien la gestion et la conservation du sité a été très favorable avec toutefois une interrogation
Bien. La Direction de l’Urbanisme et des Paysages du sur la capacité universitaire à insérer un programme
Ministère de l’Ecologie s’est immédiatement enthou- lourd dans des activités déjà chargées.
siasmée pour le projet.
La consultation des instances locales a été non moins Les préconisations de l’étude de
enthousiaste : on ne pouvait pas en attendre moins de f aisabilité
la part des initiateurs du projet. C’est la fierté qui gui-
dait les réponses, parfois mêlées d’une pointe d’inquié- Pour la Convention du patrimoine (1972), il existe trois
tude sur les responsabilités ou les contraintes. catégories de Biens qui doivent démontrer leur valeur
Ensuite, la capacité des scientifiques à mobiliser des universelle exceptionnelle (VUE) : les Biens culturels, les
savoirs croisés et à les mettre en correspondance avec Biens naturels et les Biens mixtes (ceux qui démontrent
des objets patrimoniaux. Science et patrimoine, deux à la fois des valeurs culturelles et naturelles).
mondes qui se fréquentent par obligation mais qui ont Le cas de La Réunion était complexe avec ses pay-
souvent bien du mal à concevoir un projet en commun. sages magnifiques, sa biodiversité exceptionnelle
L’accueil des Laboratoires de géologie (Patrick Bachè-
lery) et d’écologie (Dominique Strasberg) de l’Univer-

Case dans le cirque de Mafate.


Forêt de Bébour : L’ONF avait travaillé sur le site de Bébour
Un projet d’inscription de La Réunion en tant que Bien culturel avait été initié
comme Bien naturel. Photo J.-F. Bègue.
par la Direction des Affaires Culturelles. Photo G. Collin.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 51


Piton de la Fournaise. La liste indicative de la France pour le patrimoine mondial de 2005 comportait un site réunionnais sous l’intitulé « Massif de la Fournaise ».
Photo J.-F. Bègue.
Pour les Biens naturels, l’Unesco prescrit l’utilisation
et son ethnodiversité remarquable. Un projet de can- de quatre critères permettant de justifier la valeur uni-
didature au patrimoine mondial comme Bien culturel verselle exceptionnelle (VUE).
avait été initié par la Direction des Affaires Culturels
de La Réunion (DAC OI). L’Office national des Forêts
avait aussi travaillé à une proposition concernant la
Forêt de Bébour-Bélouve, comme Bien naturel.
Au moment du démarrage de l’étude de faisabilité, la
Liste indicative de la France pour le patrimoine mon-
dial (2005) comportait un site réunionnais sous l’inti-
tulé : « Massif du piton de la Fournaise ».
Cette dénomination, si elle avait l’avantage de faire
figurer l’île sur cette liste (condition sine qua non pour
déposer un dossier), ne rendait pas compte de sa valeur
patrimoniale globale.
L’ensemble des pistes ouvertes par les catégories de
Biens a donc été analysée. Parc national de Los Glaciares (Argentine). Patrimoine mondial (critères vii et
viii). Photo G. Collin.

La catégorie patrimoine culturel n’a pas été retenue par Le critère (vii) concerne la beauté exceptionnelle d’un
l’ensemble des interlocuteurs comme possible pour une nomination concernant paysage ou d’un phénomène naturel.
La Réunion. Ceci ne doit pas toutefois être considéré comme un jugement sur Le critère (viii) s’applique à l’Histoire de la Terre et à
la valeur intrinsèque des valeurs culturelles réunionnaises… la géomorphologie.
La notion de paysage culturel a été quelque peu débattue, au sein de la
catégorie patrimoine culturel. L’ensemble des interlocuteurs a toutefois reconnu
que la valeur exceptionnelle des paysages de La Réunion est liée à des œuvres
de la nature…
Il n’a pas… été retenu l’idée d’une candidature comme
paysage culturel.
La catégorie des sites mixtes nécessitant la présentation de valeurs
universelles exceptionnelles dans les catégories culture et nature, le débat,
compte tenu des positions précédentes, n’a pas été abordé.
La catégorie du patrimoine naturel est la seule, en
conséquence, dans laquelle La Réunion puisse présenter
une candidature.
Rapport de faisabilité, Gérard Collin, janvier 2006. Erg du Namib (Namibie). Patrimoine mondial (critères vii, viii, ix et x).
Photo G. Collin.

52 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Le critère (ix) est consacré aux processus écologiques. actuels…) serait janvier 2008, en vue d’un examen par le Comité du
Patrimoine mondial en juillet 2009.
Rapport de faisabilité, Gérard Collin, janvier 2006.

Le calendrier affiché, c’est-à-dire 2 ans de travail, avait


été accepté par les instances réunionnaises et natio-
nales. Un pari un peu fou regardé avec le recul du
temps, mais un pari tenu puisque le dossier a été dé-
posé par la France auprès de l’Unesco en janvier 2008.
Quand le ministère de l’époque parlait du dossier réu-
nionnais, il ne manquait jamais d’ajouter : « le dossier
TGV » !
Trinational de la Sangha (Cameroun, Congo, République Centrafricaine).
Patrimoine mondial (critères ix et x). Photo G. Collin.
La structuration
Enfin, le critère (x) prend en considération la conser-
vation de la biodiversité.

Réserve forestière de Sinharaja (Sri Lanka). Cirque de Cilaos, La Réunion. Photo G. Collin.
Patrimoine mondial (critères ix et x). Photo G. Collin.
Pour conduire le TGV réunionnais, il ne fallait pas
Le projet réunionnais a décidé de les présenter tous, seulement des lignes directrices à suivre, de l’enthou-
non pour multiplier ses chances, mais parce que les siasme mais aussi une réelle capacité de coordination,
experts considéraient que tous étaient justifiables. de réflexion et de rédaction, un lieu de concertation
A cela s’ajoutait un argument capital : les relations politique et scientifique, un espace de communication
intimes entre ces quatre domaines si représentatifs de avec le territoire et… un budget.
La Réunion.
Une première analyse des valeurs patrimoniales réunionnaises inscrites dans Un accord quadripartite
la philosophie et le périmètre esquissés précédemment mènerait à proposer le
bien sous les critères (vii), (viii), (ix) et (x). Très vite, en conséquence, la nécessité d’une conven-
Rapport de faisabilité, Gérard Collin, janvier 2006. tion répondant à toutes ces questions fut posée et la
réponse en fut la signature d’une convention quadri-
Question moins scientifique mais, ô combien straté- partite entre l’Etat, la Région, le Département et l’As-
gique, celle du calendrier. sociation des maires.
Calendrier lié aux normes de l’Unesco : deux candida- Des conventions complémentaires furent signées avec
tures par État et par an. Calendrier des scientifiques, l’Université de La Réunion puis avec le Conservatoire
lié au temps nécessaire à la réflexion puis à la rédac- botanique national de Mascarin pour assurer un conti-
tion d’une synthèse complexe. nuum scientifique soutenu par les moyens financiers
L’ensemble de ces contraintes temporelles ont aussi nécessaires.
été évaluées.

Les réunions tenues avec la Direction des Paysages (MEDD) qui est le
service instructeur des dossiers de candidature au patrimoine mondial pour les
sites naturels, ont indiqué que la période la plus favorable pour un dépôt
de candidature (compte tenu des autres projets connus à cette date, des quotas

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 53


La procédure de nomination puis d’inscription est une opération longue et ciation de préfiguration pour la candidature (comme
difficile qui nécessite au-delà des valeurs propres du Bien, un engagement pour la candidature des Causses et des Cévennes).
sans faille de nombreux acteurs scientifiques, administratifs et politiques. La Réunion refusa, avec force, cette solution qui lui
La réussite dépendra aussi de l’implication des associations de défense et de semblait créer un rouage inutile au moment où la mis-
découverte du patrimoine. sion d’étude commençait son travail de terrain avec
Protocole pour la réalisation du dossier de candidature le territoire. Le ministère accepta, avec réticence, la
de La Réunion au patrimoine mondial, État, Région, version réunionnaise et la mission d’étude fut désignée
Département, Association des Maires, 2007. comme maître d’ouvrage.

La maîtrise d’ouvrage du dossier est donc confiée à la mission


de création du parc national puis transférée à
l’établissement Parc National de La Réunion qui prendra
le relais.
Protocole pour la réalisation du dossier de candidature
de La Réunion au patrimoine mondial, État, Région,
Département, Association des Maires, 2007.

Fougères arborescentes près du Trou de Fer. Photo G. Collin.

Forêt tropicale humide de montagne. Aquarelle. Ann Marie Valencia.

La Plaine des Sables. Photo J.-F. Bègue.


Sous-bois de la forêt de Mare Longue. Aquarelle. Ann Marie Valencia.

La maîtrise d’ouvrage Les objectifs


La définition du maître d’ouvrage revenait naturelle- Le premier objectif était de s’assurer que le dossier
ment à la mission d’étude pour la création du parc à construire recueillait bien l’assentiment officiel des
national et à l’établissement public qui lui succéde- parties prenantes obligatoire : une condition systéma-
rait. Aucun organisme ne pouvait mieux que lui syn- tiquement auscultée par l’Unesco.
thétiser les connaissances sur un espace patrimoine La prudence scientifique pousse souvent les chercheurs
mondial qui allait ressembler logiquement, à peu à attendre la publication d’un travail pour le rendre
de chose près à celui du parc. Cette vision locale se public : prudence justifiée par la science mais qui peut
heurta cependant à celle du Ministère de l’Écologie mener ainsi à des espaces lacunaires « coupables »
qui redoutait les effets pervers d’un projet mené par pour démontrer la VUE.
l’administration ne pouvant avoir la souplesse né- Enfin, et cela est logique, l’engagement est réciproque
cessaire et le soutien populaire. Ses préférences très et correspond à un calendrier qui a ses racines dans
nettement affichées allaient à la création d’une asso- un agenda local comme dans le processus de l’Unesco.

54 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


L’objet de ce protocole est de préciser l’engagement des signataires à tout mettre en La mise en œuvre concrète du dossier de candidature est confiée… à une
œuvre pour l’aboutissement de ce projet. Cet aboutissement passe, notamment, par cellule « Patrimoine mondial » composée de trois personnes. Pour
le dépôt dans les normes et temps d’un dossier de nomination de la candidature mémoire, un chef de projet, faisant partie de l’équipe actuelle de la
réunionnaise, avec le maximum de chance de réussite. L’examen par le Comité du Mission de création du Parc national, assurera la coordination de l’ensemble
Patrimoine mondial passe obligatoirement par la réalisation d’un dossier selon le du dossier…
format imposé par la Convention du Patrimoine mondial… Dans le cadre de ce protocole d’accord, est proposé le financement de deux
Pour faciliter le bon déroulement de cette opération, les signataires de ce protocole personnes :
s’engagent à fournir tous documents et études, qu’ils ont financés, pouvant alimenter — un chargé de mission qui assurera un rôle de coordination des
la réalisation du dossier de candidature. éléments constitutifs du dossier… de contact entre la mission et les services
Protocole pour la réalisation du dossier de candidature concernés du MEDD, de l’UICN et de l’Unesco, de préparation et de
de La Réunion au patrimoine mondial, État, Région, rédaction des parties du dossier concernées par l’administration et la gestion,
Département, Association des Maires, 2007. — un chargé d’étude qui assurera un rôle de préparation du contenu
scientifique du dossier, de synthèse des éléments scientifiques apportés par les
Une équipe de coordination chercheurs, de rédaction de la partie scientifique du dossier.
et de rédaction Protocole pour la réalisation du dossier de candidature
La constitution et la signature d’un document cadre de La Réunion au patrimoine mondial, État, Région,
n’aurait pas eu de sens sans une structure de travail qui Département, Association des Maires, 2007.
devrait bâtir, dans un temps court et dans le respect
des exigences locales, nationales et internationales, le Un comité directeur
dossier de candidature.
Jean-François Bénard, membre de la mission pour la Un nom peut-être un peu pompeux mais qui indique
création du parc et ancien du Commissariat à l’aména- bien son objet.
gement des Hauts prend la tête de la cellule de travail. Il faut être à l’écoute de toute modification législative
René Robert, professeur de géographie honoraire de ou réglementaire, de tout travail scientifique. Il faut
l’Université de La Réunion, fin connaisseur et passion-
questionner et informer pour éviter que le dossier ne
né de son île, assure les relations avec les scientifiques.
s’isole des réalités. Il faut parfois trancher entre des
Gérard Collin, géographe, expert auprès de l’UICN et
de l’Unesco est le « garant de l’orthodoxie » du dos- sites « incontournables » scientifiquement et des « im-
sier en construction vis-à-vis des instances nationales possibilités » administratives (inaccessibilité, manque
et internationales. de protection…).
Deux Réunionnais et un Languedocien représentent Bref, il faut pouvoir débattre en permanence pour ne
ainsi une vision équilibrée des valeurs. pas devoir, telle Pénélope, retisser chaque jour l’ou-
Un trio qui s’entendra à merveille, avec parfois… vrage de la veille.
quelques éclats quand certains choix ont dû être faits. Des débats passionnés, parfois ; passionnants, toujours.

Les autorités responsables du projet se réunissent au sein d’un Comité


directeur « Patrimoine mondial », présidé par le Préfet. Ce comité
valide les contenus, les étapes et la mise en forme du dossier de candidature. Il se
réunit autant que de besoin pour le bon avancement du dossier.
Protocole pour la réalisation du dossier de candidature
de La Réunion au patrimoine mondial, État, Région,
Département, Association des Maires, 2007.

Chakouat ou Oiseau la Vierge Terpsiphone bourbonnensis. Endémique de La


Réunion. Photo G. Fontaine.

Formica Leo : petit cône volcanique dans l’Enclos au pied du Piton de la


Papillon la pâture. Papilio phorbanta. Endémique de La Réunion. Photo S. Baret. Fournaise. Photo J.-F. Bénard.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 55


Banderole de soutien à la candidature, Plaine des Sables, Sainte-Rose, 2009. Photo J.-F. Bénard.

Composition du comité directeur Une commission consultative de


Bachèlery Patrick
Université de la Réunion c o n c e rt a t i o n
Bénard Jean-François
Mission de création du Parc national et Cellule de coordination Patrimoine Le débat entre spécialistes administratifs, politiques et
mondial scientifiques est nécessaire, mais il serait insuffisant s’il
Berne Philippe ne se confrontait à certains moments à un cercle exté-
Région Réunion rieur plus large, celui des associations ou des citoyens
Collin Gérard intéressés par la vie de leur île.
Cellule de coordination Patrimoine mondial
Fouassin Stéphane « A certains moments » peut s’interpréter comme une
Association des maires de La Réunion intention réductrice. En fait, c’est un choix difficile qui
Galtier Bertrand guide ces moments de communication externe.
Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement Réunion Il faut être déjà bien clair dans ses options pour les
(après le départ de Roger Kerjouan) expliquer. A l’inverse il ne faut pas un temps trop long
Gilson Sandrine
Services du Département de La Réunion avant une consultation pour recueillir le fruit des cri-
Gonthier Daniel tiques ou des oppositions.
Département de La Réunion Il y a aussi les difficultés de vocabulaires qui rendent
Hoarau Marylène les discours fragiles. Nous avions choisi de proposer à
Mission de création du Parc national puis Parc national l’Unesco des « pitons » sélectionnés pour des raisons
Jurquet Isabeau
Services du Département de La Réunion scientifiques mais le public s’est vite interrogé sur la
Kerjouan Roger raison de l’exclusion de celui qui avoisine sa case.
Direction Régionale de l’Environnement – DIREN Réunion
Merlin Jacques Une commission consultative de concertation est créée
Mission de création du parc national auprès du comité directeur, elle est intitulée commission « Patrimoine
Radjassegarane Soudjata mondial ». Celle-ci assure la cohérence du dossier avec les différents acteurs
Services de la Région Réunion concernés par la préparation et la mise en œuvre du dossier. Elle est réunie,
Robert René pour information et avis, au moment de la validation des étapes d’avancement
Cellule de coordination Patrimoine mondial du dossier. Elle est composée de représentants d’organismes (communes,
Robinet Olivier communautés d’agglomération, chambres consulaires, Office national des
Parc national de La Réunion Forêts, Conservatoire botanique, Observatoire du Piton de la Fournaise,
(après la fin de la mission de création du parc) Muséum d’Histoire naturelle, Comité régional du Tourisme, Maison du
Strasberg Dominique Volcan, Ecomusée de Salazie…) concernés par le développement et la mise
Université de La Réunion en œuvre du projet.
Weinling Dominique Protocole pour la réalisation du dossier de candidature
Direction Régionale de l’Environnement – DIREN Réunion de La Réunion au patrimoine mondial, État, Région,
Département, Association des Maires, 2007.
56 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Banderole de soutien à l’inscription à l’entrée du cirque de Salazie. Salazie 2008. Photo J.-F. Bénard.

Un club de soutien des entreprises La candidature


La « lisibilité » de la candidature à un projet aussi am- Le choix des critères
bitieux devait devenir encore plus nette tant pour les
Réunionnais que pour les visiteurs de l’île. Sur les dix critères proposés par l’Unesco pour justifier
Des conventions cadres ont été signées entre le Parc une inscription sur la Liste du patrimoine mondial,
national, porteur du projet, et plusieurs partenaires quatre concernent les Biens naturels. L’ensemble des
institutionnels, et notamment avec : experts rassemblés autour du projet n’a pas hésité un
- La Poste ;
instant sur la possibilité d’utiliser la totalité des critères
- la Chambre de Commerce et d’Industrie de La
naturels.
Réunion ;
- la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de La La Réunion savait qu’une candidature « géologique »
Réunion ; (critère (viii)) risquait de se heurter au rapport de
- Groupama océan Indien ; l’UICN sur les Volcans suggérant un « tri impi-
- le Rectorat de La Réunion ; toyable » des sites volcaniques.
- la Banque de La Réunion ; Les processus écologiques (critère (ix)) étaient certes
- Air France… présents sur l’île avec de très bons exemples mais
Des panneaux annonçant la candidature étaient vi- étaient-ils suffisants à l’échelle planétaire ?
sibles dans l’aérogare de Gillot à l’initiative de la La biodiversité (critère (x)), qui avait incité la création
Chambre de Commerce et d’Industrie, des affiches d’un parc national, ne pouvait être contestée, mais elle
étaient apposées sur tous les transports publics dépen- pâtisssait de deux péchés : avoir été un des espaces ma-
dant du Département. jeurs d’extinction d’espèces dans le passé et souffrir
Des documents ont aussi été édités : un numéro de d’un impact important d’espèces envahissantes.
« Fanjan » (lettre d’information du projet de parc), un Enfin, le critère sur la beauté naturelle exception-
fascicule (15 pages en 3 langues) sur l’essentiel des va-
nelle (critère (vii)) était évident mais ne recélait-il
leurs du Bien proposé.
pas le risque d’une vision issue seulement de la fierté
Le CCEE de La Réunion avait affiché son intérêt en
apposant un message de soutien au bas de ses couriers. réunionnaise ?
Face à ces forces individuelles éventuellement fragiles,
Le club de soutien des entreprises au projet de classement de La Réunion au le choix fut de démontrer chaque critère mais en ar-
patrimoine mondial a réuni son bureau afin de pouvoir mener les actions gumentant leurs relations. Et tout particulièrement de
nécessaires permettant de faire connaître ce dossier de candidature. Des présenter la géologie comme le moteur des trois autres,
actions d’animation et de communication grand public seront menées dans
cette perspective dès la rentrée… lui donnant sa place tout en la relativisant.
Compte rendu de réunion du Club de soutien des
entreprises, 2009.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 57
Le premier terme géographique du sujet « Pitons, Cirques et Remparts de La
Réunion » est un support de la remarquable diversité biogéographique sur les
deux volcans, de l’originalité des topographies au sein des deux massifs du
Piton des Neiges et du Piton de la Fournaise. Les Cirques sont l’expression
d’un paysage exceptionnel, pour ses valeurs esthétiques et pédagogiques. Les
Remparts servent de fil rouge à la délimitation d’espaces remarquables.
Les quatre critères d’éligibilité du dossier auprès de l’Unesco sont présents :
— les cirques sont des paysages d’une grande valeur esthétique… de même que
les emboîtements de caldeiras de la Fournaise ; du haut de leurs remparts les
panoramas sont remarquables (critère vii) ;
— ces cirques sont également des livres ouverts dans un massif volcanique
récent, où l’histoire se décline de la chambre magmatique aux derniers produits
de la construction du Piton des Neiges (critère viii) ; Histoire de la Terre : Piton Anchain, cirque de Salazie. Photo S. Michel.

— sur les deux pitons, et en raison de critères propres… toute une gamme fut récompensé par l’inscription.
de niches écologiques a été à l’origine d’une remarquable biodiversité… Le démarrage de la machinerie scientifique fut large-
(critère ix) ; ment facilité par les travaux réalisés pour la mission
— les hautes pentes de ces deux pitons sont dans le cœur du Parc d’étude pour la création du parc (« État des lieux du
National de la Réunion, et à ce titre sont protégées par la politique de gestion, patrimoine », Dossier d’enquête publique, Mission pour un parc
préservation, valorisation de ce Parc (critère x). national, versions 2003 et 2006).
L’île de La Réunion, candidate au On observera avec intérêt que la première page du
patrimoine mondial de l’Unesco, G. Collin, R. Robert, cahier 5 (ci-contre) délimite sommairement sur une
Géosciences, 2008. carte ce qui est dénommé « Espace secret du cœur du Parc
national ».
Le champ des savoirs et la candidature Il ne s’agit nullement d’un territoire qui n’est ou ne
sera connu que des initiés. On y trouve tout simple-
Construire la démonstration de la VUE du Bien pro- ment les espaces les plus intacts ou les moins perturbés
posé avec les quatre critères impliquait de disposer par les activités humaines depuis le début de la coloni-
d’un champ étendu de connaissances, mobilisant de sation de l’île, au milieu du 17e siècle.
nombreux spécialistes. C’est là l’esquisse du futur cœur du parc mais bien
La mobilisation ne fut pas toujours aisée car chacun entendu aussi du futur Bien Unesco.
avait ses programmes et ses objectifs auxquels s’adjoi- La mise en place du Conseil scientifique du Parc
gnait le dossier de candidature. Cela fonctionna plutôt national dès 2007, sous la présidence de René
bien puisque le dossier fut rapidement réalisé et qu’il Squarzoni, permettait aussi d’avoir un groupe de suivi
réactif, impliqué à la fois dans des actions concernant le
tout nouveau parc national et le projet de candidature.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des
mondes jusqu’à ce qu’une question fondamentale
vienne troubler cette harmonie.
Elle touchait au fait que le dossier devait transformer
des objets scientifiques en objets patrimoniaux. Il ne
s’agissait plus seulement de décrire des phénomènes,

Etat des lieux et du patrimoine, Cahier 5, Dossier d’enquête publique. Processus écologiques : Tarier de La Réunion, Tec-tec, Saxicola tectes.
Mission de création du Parc national de La Réunion, 2006. Photo J.-F. Bègue.

58 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Beauté de la Nature : Piton Cabri, cirque de Mafate. Photo J. Louise.

Parc national de La Réunion


de les expliquer ; il s’agissait de trouver des objets
Tron Lucien, géologue, directeur scientifique de la mission de création du Parc ;
patrimoniaux en 3 dimensions inscriptibles au patri- Experts individuels
moine mondial. Ainsi le cap La Houssaye était-il un Gerente Alain, cinéaste géologue ;
site magnifique et très explicatif du fonctionnement Haurie Jean-Louis, géologue ;
du Piton des Neiges, mais impossible à relier au futur MILIEUX NATURELS

territoire du parc et du Bien, car trop isolé. Laboratoire de Biologie végétale (Université de La Réunion)

Après quelques séances parfois houleuses sur ce type Pailler Thierry, responsable de l’Herbier ;
Strasberg Dominique, professeur, directeur du Laboratoire ;
de sujet, la science et le patrimoine purent faire route
Muséum d’Histoire naturelle de La Réunion
commune pour réussir le dossier. Ribes-Beaudemoulin Sonia, conservateur, directeur du muséum ;
Centre de Paléontologie Stratigraphique (Université Claude Bernard, Lyon)
L’équipe scientifique, Dossier de candidature au patrimoine mondial, PNR, Mourer-Chauviré Cécile, paléontologue, directeur de recherches ;
janvier 2008 Conservatoire botanique national de Mascarin (CBNM)
GEOLOGIE, MORPHOLOGIE Boullet Vincent, écologue, directeur scientifique du CBNM ;
Laboratoire des Sciences de la Terre (Université de La Réunion) Lucas Daniel, directeur ;
Bachèlery Patrick, professeur, directeur du laboratoire ; UICN France (Bureau de La Réunion)
Levieux Guillaume, doctorant en géologie ; Soubeyran Yohann, écologue, responsable du bureau ;
Mairine Philippe, professeur de SVT, chercheur associé ; Office national des Forêts (Direction régionale de La Réunion)
Observatoire volcanologique Brondeau Alain, ingénieur forestier ;
Staudacher Thomas, volcanologue, directeur de l’Observatoire ; Lefebvre Bertrand, directeur régional ;

Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM Réunion) Parc national de La Réunion

Nedellec Jean-Louis, ingénieur géotechnicien ; Baret Stéphane, écologue ;

Roubichou Philippe, directeur régional ; Lequette Benoît, écologue, chef du service scientifique ;
Insectarium de La Réunion
Rochat Jacques, directeur ;
Société d’Etudes ornithologiques de La Réunion (SEOR)
Notter Jean-Cyrille, administrateur ;
Salamolard Marc, directeur ;
Société réunionnaise de Protection de l’Environnement (SRPN)
Ardon, Bernadette, administrateur ;
SCIENCES HUMAINES
Département d’Histoire (Université de La Réunion)
Eve Prosper, professeur d’Histoire moderne ;
Fuma Sudel, professeur d’Histoire contemporaine, Chaire Unesco ;
Département d’Ethnologie-Anthropologie (Université de La Réunion)
Barat Christian, professeur d’Anthropologie ;
Biodiversité : orchidée de La Réunion, Calanthe sylvatica. Photo J.-F. Bègue. Squarzoni René, professeur d’Economie.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 59


Les territoires
Le Bien
Le territoire du Bien et de sa zone tampon font par-
tie des sujets délicats où se confrontent, parfois s’af-
frontent, un « territoire scientifique » et un territoire
« de gestion /conservation ». Le premier correspond
à l’espace de densité maximale de valeurs exception-
nelles : il a la primauté puisqu’il faut d’abord avoir
une VUE. Il ne peut toutefois être pris comme entité,
car la seconde condition est qu’il doit être gérable et
conservable.
Le travail a consisté à définir ce territoire scientifique
en superposant les cartes des ZNIEFF (Zones Natu-
relles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique)
et des ZNIG (Zones Naturelles d’Intérêt Géologique).
Les espaces qui se recouvraient avec la meilleure no-
tation constituaient par définition le territoire du Bien
puisqu’ils représentaient « l’élite patrimoniale » de l’île.
Le Bien proposé alors avait une surface de 71 805
hectares.
Une question subsistait toutefois.
Pour les uns, un territoire patrimoine mondial plus
petit que celui du futur parc national était acceptable
puisque l’on changeait d’échelle, d’une évaluation des
valeurs nationale à une évaluation internationale, du ZNIEFF 1 et 2 .
local à l’universel, du très intéressant à l’exceptionnel. Etat des lieux et du patrimoine. Dossier de candidature au Patrimoine mondial.
Mission de création du Parc national de La Réunion, janvier 2008.
Pour les autres, on pouvait craindre une sorte de « déva-
luation » des valeurs du parc national là où son cœur ne
serait inclus que dans une zone tampon internationale.
Les premiers surent convaincre en utilisant la démons-
tration que les fonds de cirque nécessaires à la VUE ne
seraient pas dans le cœur du parc mais devaient être
dans le Bien.
Débat complexe on le voit et qui allait se rouvrir avec
les évaluations de la candidature.

La recherche des limites a été faite par une superposition des deux cartes de
géologie et de biodiversité. Ces cartes montrent les zones d’intérêt qui sont à
l’origine de la définition du Bien. L’aire la plus intéressante se trouve dans une
superposition d’une zone d’intérêt géologique (ZNIG) classée 1 et d’une zone
d’intérêt écologique (ZNIEFF) classée 1.
Viennent ensuite des superpositions de zone 1 et de zone 2 (ZNIG 1 +
ZNIEFF 2 ou ZNIEFF 1 + ZNIG 2) parmi lesquelles un choix a été fait
en fonction des contenus fournis par les experts scientifiques…
Pour disposer d’un ensemble géographique complet et digne d’intérêt, couvrant
toutes les surfaces de l’île du Nord au Sud, quelques ajouts ont été décidés,
telles une petite partie septentrionale de l’île, ainsi qu’une région littorale au
sud du massif de la Fournaise. Ces deux ajouts permettent de disposer de
remarquables gradients de végétation.
Certaines aires géographiques de grande qualité, géologique ou biogéographique,
n’ont pas été retenues ; les raisons principales sont les suivantes :
• ZNIG 1 totalement anthropisée (agriculture et habitat) : c’est le cas de la
Plaine des Cafres, au centre de l’île ;
• ZNIEFF 1 des sommets des planèzes du Piton des Neiges, intérêt biologique
non couplé avec un fort intérêt géologique.
Dossier de candidature au patrimoine mondial, Parc ZNIG 1 et 2 .
national de La Réunion, janvier 2008. Etat des lieux et du patrimoine. Dossier de candidature au Patrimoine mondial.
Mission de création du Parc national de La Réunion, janvier 2008.

60 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


La Zone tampon

La constitution de la zone tampon si l’on en croit cer-


tains manuels est tout simplement un espace défini par
un trait tracé de façon régulière à 5 ou 10 kilomètres
de celui qui délimite la zone cœur. Méthode expéditive
qui n’a pas été retenue notamment parce que le relief
de La Réunion est trop complexe, et qu’une telle défi-
nition est intenable en termes de gestion.
La base de la zone tampon était bien sûr déjà les es-
paces du cœur de parc non inclus dans le Bien. Mais
cela ne pouvait suffire. Il fallut rechercher des espaces
gérés par d’autres institutions pour compléter la zone
tampon. On devine ici combien un dossier patrimoine
mondial est celui d’une complicité large des hommes
et de leurs institutions !
Difficulté complémentaire, celle des fonds des cirques,
nécessaires, on l’a vu plus haut, mais posant des ques-
tions liées à l’occupation humaine et aux activités.
Le travail consista alors à descendre au niveau du
parcellaire.
Cet exercice une fois effectué fit surgir une nouvelle
question (une de plus !). Les espaces proposés en zone
tampon des cirques de Cilaos et de Salazie étaient en
Synthèse des valeurs géologiques/écologiques. fait « enfermés » dans le Bien et séparés du reste de la
Dossier de candidature au Patrimoine mondial. Parc national de La Réunion,
janvier 2008. zone tampon qui, elle, suivait la limite externe du Bien.
Il fallait donc « inventer » un concept de zone tampon
externe et interne. Là encore un gros travail qui n’au-
rait pu aboutir sans la coopération totale du maire de
Cilaos (Paul Techer) et de celui de Salazie (Stéphane
Fouassin).
La zone tampon avec ses deux composantes représen-
tait 55 531 hectares.

Première proposition de zonage du Bien et de sa zone tampon.


Dossier de candidature, version 0, Parc national de La Réunion, 10 avril 2007.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 61


Les menaces

L’Unesco attend d’abord des candidatures démontrant


une valeur universelle exceptionnelle. Condition né-
cessaire mais insuffisante.
Le langage courant utilise par facilité « Convention du
patrimoine mondial » mais c’est un raccourci un peu cou-
pable, car il semble renvoyer seulement à une sorte
de liste moderne des « Sept Merveilles du Monde »,
identifiée par les érudits de l’Antiquité. Le titre exact
est « Convention concernant la protection du patrimoine mondial
culturel et naturel ».
L’ambition de la Convention est donc double :
- avoir une liste de la fine fleur du patrimoine culturel
et naturel ;
- avoir des objets patrimoniaux protégés et conservés.
Le dossier de candidature aborde par conséquent les
menaces qui affectent ou pourraient affecter le Bien
proposé, que ces menaces soient anthropiques ou
naturelles.
Il n’existe évidemment aucun Bien inscrit ou qui pour-
Le Bien et sa Zone tampon. Dossier de candidature au Patrimoine mondial. rait l’être qui soit exempt de menaces. Il n’y a donc au-
Parc national de La Réunion, janvier 2008.
cune « honte à avouer ses péchés ». Les questions qui se
Une aire centrale du Bien qui correspond pour partie à la zone posent sont plus du domaine de l’impact et de l’intensité
cœur du Parc national de La Réunion (certains territoires ne
puis des réponses qui sont ou vont y être apportées.
répondant pas aux critères d’exceptionnalité et d’universalité
sont exclus de cette aire centrale) et qui inclut aussi les fonds des Pour la candidature réunionnaise, deux sujets présen-
cirques de Salazie et de Cilaos, hors les zones agricoles et les zones taient un aspect critique.
construites ou constructibles. Le projet d’exploration géothermique dans la Plaine
La zone tampon est constituée de deux niveaux : une zone de des Sables (en vue d’une éventuelle exploitation)
niveau 1 correspondant aux territoires de la zone cœur du Parc
national non retenues dans l’aire centrale du Bien ; une zone de
niveau 2 correspondant aux territoires qui ont vocation à adhérer
à la charte du Parc.
La recherche des limites géographiques de la zone tampon a été faite en
combinant les systèmes de protection fournis par le Parc national de La
Réunion, par ceux des PLU (Plans Locaux d’Urbanisme), et par ceux du
domaine public forestier…
La zone tampon du Bien se situe :
• soit en bordure extérieure du Bien, sous forme d’une couronne quasi-
continue. Cette partie est désignée par « zone tampon externe ». Il s’agit de
la partie couvrant la surface la plus importante de ce zonage, 53 112 ha
soit 95,6 %,
• soit à l’intérieur du Bien, sous forme de quelques enclaves dans les cirques
de Cilaos et de Salazie.
Cette partie est nommée « zone tampon interne », sa surface est limitée, 2419
ha soit 4,4 %…
Dossier de candidature au patrimoine mondial, Parc
national de La Réunion, janvier 2008.

La cellule de coordination et ceux qui avaient mis au


point ces limites et ce zonage étaient fiers du résultat
et de son sérieux : la gestion et la conservation pour-
raient être faites, le moment venu, avec une précision
à l’échelle de la parcelle.
La suite démontra que nous étions peut-être allés trop Sylviculture. Parc national de La Réunion, novembre 2008.
loin…
62 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Espèces invasives et écosystèmes. Etat des lieux et du patrimoine. Dossier d’enquête publique. Mission de création du Parc national de La Réunion, 2006.

touchait de plein fouet la valeur universelle exception- terrain souvent inaccessible, des moyens humains et
nelle tant sur les plans paysager, géologique qu’écolo- financiers non proportionnés à la tâche… une sorte
gique. Une menace qui ne pouvait aboutir qu’à deux de nouveau tonneau des Danaïdes.
réponses :
- l’exclusion de cet espace, En résumé deux grandes menaces « seulement », mais
- le renoncement au projet par son promoteur (la Ré- suffisantes pour faire vaciller les experts qui devraient
gion Réunion). par ailleurs reconnaître les valeurs patrimoniales de
Le choix fut celui de l’exclusion de la Plaine des Sables La Réunion.
du territoire du Bien proposé.
Les recherches effectuées par les Universités de La Ré- Pressions dues au développement
union et de Clermont Ferrand, notamment en 2003 Depuis l’installation de l’homme au cours du XVIIe siècle, la destruction
démontraient certes une source chaude dans la Plaine directe d’habitats naturels pour les besoins de l’agriculture et de l’urbanisation,
des Sables mais soulignaient aussi l’intérêt plus grand les méfaits des incendies et des techniques de brûlis… ont provoqué la
de Salazie ou du Grand Brûlé. disparition d’un nombre considérable d’espèces de la flore, mais aussi de la
Le choix de la Plaine des Sables n’était donc peut-être pas faune… Le Bien a été largement épargné par cette pression, car il est situé
le meilleur pour la géothermie ; il était totalement contra- dans des aires géographiques où la permanence de l’installation des hommes
dictoire avec la candidature au patrimoine mondial. a été et reste difficile, voire impossible…
Le second grand sujet menaçant l’intégrité du patri- Peu d’activités agropastorales et de sylviculture sont
moine biologique et sa conservation était celui des es- menées dans le Bien. Outre les îlets du « cœur habité » du Parc national
pèces envahissantes. (îlets de Mafate et des Salazes), quelques territoires (enclavés au sein du
Beaucoup d’efforts avaient déjà été mis en œuvre par cœur du Parc national) existent, généralement en propriété publique… Leur
différents organismes et notamment par l’Office natio- intégration dans le Bien présente cependant un intérêt en termes de continuité,
nal des Forêts pour lutter contre ces espèces qui subrep- de fonctionnement écologique (limitation des sources de pénétration, de
ticement prenaient la place des espèces réunionnaises. fragmentation et de pollution des écosystèmes indigènes…)…
Une lutte complexe scientifiquement, difficile sur un

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 63


Catastrophes naturelles
La typologie des catastrophes naturelles dans l’aire du Bien est la suivante :
1. catastrophe géologique de type émissions de produits volcaniques ;
2. catastrophe morphologique de type éboulements en masse de remparts ;
3. glissements de terrain dans les structures bréchiques des cirques ;
4. catastrophe hydro-climatique, de type « crues torrentielles » et de type « lacs
de barrage ».
Dossier de candidature au Patrimoine mondial, Parc
national de La Réunion, janvier 2008.

Planification préalable et plans d’intervention


L’ensemble des données sur les risques naturels majeurs est regroupé dans
les DCS (Dossiers communaux de Synthèse des Risques majeurs) et dans le
DDRM (Dossier départemental des Risques majeurs).
Les principaux documents de planification sont :
• le PLU (Plan Local d’Urbanisme) ;
• le PPR (Plan de Prévention des Risques) ;
• le STPC (Schéma Technique de Protection contre les Crues) ;
Les principaux plans d’intervention sont :
• le Plan de Secours Spécialisé (PSS) « Cyclone » ;
• le Plan de Secours Spécialisé (PSS) « Volcan » ;
• le Plan de Secours Spécialisé (PSS) « Feux de forêt ».
Dossier de candidature au Patrimoine mondial, Parc
national de La Réunion, janvier 2008.
Les différents types d’aléas : Parc national de La Réunion; novembre 2008.

Le principal facteur d’évolution des Hauts de l’île a été l’ouverture de Contraintes dues aux visiteurs / au tourisme
nombreuses pistes et routes forestières. Plus de 800 km La fréquentation des espaces naturels du cœur de l’île est un phénomène
de sentiers pédestres de découverte des sites et paysages ont été ouverts. Tous majeur, appelé à croître fortement.
les grands panoramas des deux massifs sont maintenant accessibles par des On estime à environ 4 millions le nombre annuel de visites dans les Hauts,
sentiers de Grande Randonnée (GR) d’une longueur de plus de 200 km… générant un demi-million de nuitées. Estimée aux trois quarts des visites
Le projet Géothermie a été lancé en 2000 par la Région Réunion dans et à la moitié des nuitées, la part de la population réunionnaise dans cette
le cadre de la politique régionale de développement des énergies renouvelables fréquentation est déjà déterminante et le sera de plus en plus, les Hauts
à l’Ile de la Réunion… constituent un espace vital de ressourcement et de loisirs pour une population
La phase d’exploration par forage décidée à l’issue des dernières études est de plus en plus nombreuse, citadine, solvable. Organiser l’accueil de cette
prévue en 2008. fréquentation massive et croissante, en préservant ce qui fait son attrait, est
Dossier de candidature au patrimoine mondial, Parc donc essentiel pour répondre à un besoin social et conforter le développement
national de La Réunion, janvier 2008 . de l’emploi dans le secteur du tourisme.
Dossier de candidature au Patrimoine mondial, Parc
Contraintes liées à l’environnement national de La Réunion, janvier 2008.
Il n’existe pas de menaces particulières [liées au changement
climatique global] concernant le Bien, mais le Conseil Régional vient
de décider de mettre en œuvre, dans le cadre d’une politique nationale, des
moyens pour réduire l’émission des gaz à effet de serre…
L’introduction d’un nombre important d’espèces exotiques
pour les besoins de l’homme (agriculture, ornement) ou accidentelles et la
prolifération de certaines d’entre elles mettent en péril les écosystèmes jusque-là
peu perturbés et très vulnérables. Ainsi, l’invasion des milieux par les espèces
exotiques animales et végétales est jugée comme l’une des premières sources
de perte de la biodiversité des écosystèmes terrestres (après la destruction des
habitats).
Au-delà de la nécessité d’enrayer les invasions biologiques sur le territoire
réunionnais, il faut surtout prévenir l’introduction d’espèces potentiellement
envahissantes… Une étude conduite en 2006 permet de proposer une
approche plus stratégique et globale.
Dossier de candidature au Patrimoine mondial, Parc
national de La Réunion, janvier 2008.
64 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Randonnée pédestre et gîtes. Etat des lieux et du patrimoine. Dossier d’enquête publique. Mission de création du Parc national de La Réunion. 2006.

Les protections Le Parc national de La Réunion


La loi du 14 avril 2006 conforte les fondements de la loi de 1960. Un Parc
L’UICN a défini six catégories d’espaces protégés, les national reste un outil destiné à classer des territoires exceptionnels, dont le
parcs nationaux étant en catégorie II soit le deuxième milieu naturel et éventuellement le patrimoine culturel doivent être préservés
niveau de plus haute protection après les réserves in- « des dégradations et des atteintes susceptibles d’en altérer la diversité, la
tégrales. En général, les évaluateurs estiment (sauf composition, l’aspect et l’évolution ».
conditions locales particulières) qu’un Bien inscrit au La loi de 2006 vise à renforcer la gestion locale des Parcs Nationaux. Elle institue,
patrimoine mondial doit relever d’une des 3 premières pour chaque Parc, une charte définissant un projet de territoire, élaboré en
catégories. concertation afin d’articuler objectifs de préservation et politiques locales…
Le Bien réunionnais correspondait donc au profil at-
tendu mais sous deux réserves : Les autres protections
- un résultat positif à l’enquête publique de création • les Sites inscrits (2) ou classés (8) au titre de la loi de 1930
du parc • les Réserves naturelles (2)
- convaincre l’UICN que dans un parc national il pou- • les Réserves biologiques (11)
vait y avoir des espaces différenciés (cœur habité, cœur • les Espaces départementaux naturels sensibles (ENS) (3)
cultivé). • les Arrêtés préfectoraux de protection de biotope (APPB) (3)
• les Arrêtés fixant la liste des espèces protégées de La Réunion (61 végétaux,
Le régime forestier 47 animaux).
Il constitue un statut de protection forte des milieux naturels. Dossier de candidature au Patrimoine mondial, Parc
Tous les biens appartenant aux collectivités réunionnaises et autres personnes national de La Réunion, janvier 2008.
morales soumises aux dispositions de la loi du 5 septembre 1941, à la date
du 16 juin 1978, relèvent de plein droit du régime forestier (art. L 173.6
du code forestier).
Le domaine forestier départemento-domanial relève, à ce titre du régime
forestier. Il est inaliénable et imprescriptible (art. L 173-2 du code forestier).
Il est administré et géré par l’Office National des Forêts (ONF).
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 65
La gestion Pour la seconde exigence, un plan de gestion, il était
évident que l’équipe de la candidature n’allait pas se
Un Bien du patrimoine mondial doit disposer d’un lancer dans un plan particulier au Bien alors que le
gestionnaire ou d’un système de gestion et d’un plan parc devrait (loi sur les parcs nationaux de 2006) pré-
de gestion. parer et mettre en œuvre une charte, c’est-à-dire un
Le gestionnaire, on l’a vu précédemment était le Parc plan de gestion pour son territoire, mais il fallait que
national, le système de gestion correspondant à l’as- cela soit accepté par l’Unesco.
sociation des institutions ayant droit de propriété ou Le document de référence de l’Unesco comportait
compétence sur l’espace inclus dans le Bien proposé. alors un paragraphe qui permit d’annoncer la charte
du parc (document obligatoire au sens de la loi) comme
La coordination générale de la gestion du Bien est confiée au Parc national de répondant à un article de ce document.
La Réunion. Le Conseil d’administration du parc a en effet pris cette décision, La Réunion avait eu raison de s’engager dans un dos-
à l’unanimité lors de sa séance du 6 avril 2007. sier TGV…
En conséquence, la gestion et la conservation du Bien sont liées directement
aux textes réglementaires qui régissent les parcs nationaux français, le Parc 115• Dans certaines circonstances, il peut ne pas y avoir
national de La Réunion (décret du 5 mars 2007) pour ce qui concernent de plan de gestion ou autre système de gestion en place lorsqu’un bien
les parties du Bien incluses dans le cœur du parc national. Pour les parties est proposé au Comité du patrimoine mondial pour inscription. L’Etat partie
du Bien hors du cœur du parc national, la cohérence de gestion est liée à la concerné devrait alors indiquer quand sera mis en place un tel plan ou système
présence des gestionnaires de ces parties dans le conseil d’administration du de gestion et comment il propose de mobiliser les ressources nécessaires à
parc et à des conventions particulières qui seront passées autant que nécessaire. l’élaboration et à la mise en œuvre de ce nouveau plan ou système de gestion.
Suite à la définition du territoire, de ses limites et de son zonage, le Bien, sous L’Etat partie devrait également fournir d’autres documents (par exemple des
la coordination du Parc national de La Réunion, est placé dans un système plans d’action) qui pourraient orienter la gestion du site jusqu’à ce que le plan
de gestion composé de plusieurs organismes associés.
de gestion soit finalisé.
Ces organismes sont :
Orientations devant guider la mise en œuvre de la
• Commune de Cilaos ;
Convention du patrimoine mondial culturel et naturel,
• Commune de Salazie ;
Unesco, WHC.05/2, 2005.
• Conservatoire des Espaces littoraux et des Rivages lacustres ;
• Office National des Forêts/Département de La Réunion ;
• État (Direction départementale de l’Equipement : Domaine Public Fluvial).
Le dossier
Dossier de candidature au patrimoine mondial, Parc
Le résultat de ce travail en coopération continuelle
national de La Réunion, janvier 2008.
était impressionnant : 559 pages pour le rapport lui-
même et 737 pages d’annexes.
Les universitaires savent bien que l’on ne juge pas une
thèse au nombre de pages. Le copieux ouvrage était
tout simplement la première synthèse des valeurs pa-
trimoniales de l’île.
La question délicate du titre (le nom du Bien proposé)
n’a été réglée que tardivement. Il était en effet difficile
de dire en quelques mots les valeurs essentielles du
territoire.
Comme souvent, lors d’une réunion, un titre est apparu :
« Pitons cirques et remparts de l’île de La Réunion ».
Il fut adopté unanimement. Les autres titres furent dès
lors oubliés.

Propositions de titres
Sites et paysages volcaniques de La Réunion
Sites et paysages naturels de La Réunion
Sites et paysages naturels de l’île de La Réunion
Titres pour le Bien, note interne, Parc national
de La Réunion, juin 2007.

Les principales institutions concernées par la gestion du Bien.


Parc national de La Réunion, janvier 2008.

66 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Mais la mode alors (et le ministère de l’Ecologie y ailleurs, il existe aussi des cirques créés par l’érosion comme les Cirques Vert,
poussait) était aussi au sous-titre qui permettait de Blanc et Rouge (de Lékoni au Gabon).
dire plus sans allonger le titre lui-même. Vieille ficelle Le mot « rempart » n’est utilisé sous forme de générique qu’à La Réunion.
qui ne garantissait pas toujours le résultat escompté, le Il se trouve en spécifique (cas isolés) à l’île Maurice (dans Rivière des
sous-titre tombant souvent très vite dans l’oubli. Remparts, Rivière du Rempart et Montagne du Rempart) et à Mahé aux
Seychelles (dans Rivière du Rempart). Mais dans ces deux îles ces toponymes
Propositions de sous-titres pourraient avoir comme origine le nom éponyme de La Réunion apparu dès
Ecosystèmes naturels liés à un volcan en activité dans une île de l’océan 1681 sur le « Pland de l’ïle de Masquarin ou Bourbon » du Chevalier
Indien. Ricoux en : « Riviere des Ranpars ».
Une concentration de milieux naturels diversifiés, uniques, remarquables. Conclusion
Un alliage instable des forces vives de la Terre et de la Vie. L’utilisation dans le monde francophone des trois génériques « piton, cirque
Une île récente et des paysages uniques, transformés en permanence et de et rempart » n’est présente qu’à La Réunion. Ce « cocktail » de mots uniques
façon spectaculaire par le volcanisme, l’érosion et les lois du vivant. caractérise un paysage au relief tourmenté en constante destruction et
Une grande diversité de milieux naturels remarquables à évolution rapide. reconstruction.
Note interne, Parc national de La Réunion, 28 mai 2007. J.-C. Notter, communication personnelle, 2016.

L’abandon de la quête du sous-titre n’était pas loin, Le dossier aurait pu être transmis seulement en fran-
quand, lors d’une réunion, subrepticement, l’un des çais comme l’Unesco l’y autorise mais la décision a été
membres de l’équipe (Vincent Boullet) lança à mi-voix : rapidement prise d’en faire une version anglaise.
« Et pourquoi pas tout simplement « une île océanique Il s’est agi en fait d’un travail colossal car outre le
tropicale altimontaine afro-indienne ». nombre de pages déjà indiqué, il fallait vérifier en
Un sous-titre immédiatement adopté par l’équipe, car continu que la traduction n’avait pas trahi le sens
il résumait tout en six mots… Tellement évident que scientifique de certaines explications. Parfois, c’était
l’on se demandait pourquoi ne l’avoir pas trouvé plus aussi de longs débats pour trouver le mot exact
tôt ! Ces quelques mots allaient devenir le sésame qui scientifiquement.
permettait de démontrer l’exceptionnalité. Paradoxe aussi de la traduction, il est arrivé que le
texte en français doive être repris : les traducteurs n’ar-
Mais le sous-titre finalement retenu pour la présen- rivaient pas à traduire des phrases qui au final n’étaient
tation devant les instances internationales fut : « Une peut-être pas aussi limpides que ce que les rédacteurs
grande diversité de formes et de milieux naturels à croyaient, dans leur langue maternelle.
évolution rapide ». Moins condensé mais plus explicite
sur la diversité, sur la dynamique géomorphologique Le titre du Bien dont tous étaient fiers, posait un sé-
et biologique. Preuve s’il en fallait une qu’il est bien rieux problème de traduction. Si « piton » pouvait être
difficile de vouloir résumer en quelques mots plusieurs repris tel quel, les « cirques » devenaient des « circus »
centaines de pages. et les remparts ne trouvaient leur équivalence que dans
« ramparts ». On ne pouvait laisser le lecteur et, plus
Pitons, cirques et remparts : un triptyque endémique tard, le visiteur, penser que le sujet était l’art du cirque
de La Réunion ou des remparts médiévaux !
Ces trois mots sont utilisés en générique dans la toponymie réunionnaise Il fut décidé sagement de ne pas traduire le titre en
[Le terme générique est l’élément du toponyme qui identifie de façon générale anglais.
la nature de l’entité géographique dénommée ; il peut être français, mais la François Durban et Jean-Luc Clairambault (Univer-
plupart des termes génériques appartiennent aux langues régionales]. sité de La Réunion), les deux traducteurs principaux,
Usage à travers le monde francophone. se souviendront longtemps des échanges de messages
Le terme « piton » s’utilise aux Antilles (ainsi, à Saint Lucie, le Gros et nocturnes avec Gérard Collin ! D’autres traducteurs,
le Petit Pitons sont classés sur la liste des Biens du patrimoine mondial de comme Célion Northam aux côtés de Jean-Luc Clai-
l’Unesco), dans l’océan Pacifique (à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie) et dans rambault, ne s’attendaient pas à participer à un travail
l’océan Indien (aux Seychelles, à La Réunion et à l’île Maurice). D’ailleurs où le temps semblait aboli !
le dictionnaire « le Littré » en donnait la définition suivante : « Nom donné,
d’abord dans les Antilles, puis ailleurs, aux pointes les plus élevées d’une
montagne. »
Le terme « cirque » est présent en France métropolitaine et qualifie
généralement des vallées glaciaires comme le cirque de Gavarnie ou des reliefs
formés par des méandres encaissés comme le Cirque de Navacelles. Par

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 67


Enfin, comme pour tout dossier, il existe une part de L’évaluation
séduction qui ne vient pas seulement du verbe et de
son argumentaire. Les images, graphiques, photogra- L’évaluation de l’UICN France
phiques et cartographiques doivent être là pour sou-
tenir les textes, mais ils sont bien plus que des faire-va- L’évaluation internationale de 2008 avait été précé-
loir : ils participent discrètement à la décision des dée d’une mission d’évaluation nationale par l’UICN
évaluateurs. France.
Les photos, pour une large part d’Hervé Douris et La mission de l’UICN France de 2007 apporta deux
de Nicole et Stephan Szymandera, les dessins points essentiels pour la suite de la candidature.
d’Ann Marie Valencia, les très nombreuses cartes La suggestion d’une candidature comme Géopark
originales réalisées par le géomaticien du parc, Jean plutôt qu’une candidature comme Site du Patrimoine
Cyrille Notter, ont rehaussé l’intérêt pour cette mondial suscita un rejet net par le porteur de projet,
candidature. atteint dans sa fierté.

Le dépôt du dossier La Réunion pourrait être présentée comme géomorphosite exemplaire défini
comme « formes du relief ayant acquis une valeur scientifique, culturelle et
L’Unesco prévoit que l’année qui précède le dépôt du historique, en raison de leur perception par l’Homme » selon le Président de
dossier de candidature, le porteur du projet puisse en l’Association internationale des Géomorphologues, Mario Panizza.
septembre lui faire parvenir un pré-dossier. Enfin, un classement en Geopark semble avoir été éludé alors qu’il s’agit d’une
Malgré l’avis négatif du ministère de l’Ecologie solution alternative proposée à l’examen par l’UICN lors des candidatures.
(pour une raison qui reste difficile à comprendre), Les conditions de classement en Geopark ne pourraient que conforter une
ce pré-dossier a été envoyé. L’Unesco a fait remar- candidature au patrimoine mondial.
quer la non-conformité d’un sous-chapitre ajouté. Le Rapport d’expertise sur la candidature, UICN France,
sous-chapitre coupable a été intégré dans le plan obli- 2007.
gé et la candidature a ainsi évité une élimination pour
un point tout à fait formel. Le second point était autrement délicat puisqu’il tou-
L’Etat français, après avis final du Comité des Biens chait à la question de la Plaine des Sables et au projet
français du patrimoine mondial, déposa la candidature de géothermie. L’intégrité du Bien était en cause dans
le 31 janvier 2008 (la date limite étant le 1er février de un des espaces les plus originaux voire exceptionnels
chaque année). de la candidature.
Le Comité Unesco du patrimoine mondial (32e ses-
sion, Québec) confirma que cette candidature devait Recommandations
être expertisée avant fin 2008, en vue d’une décision Le Comité français [de l’UICN] propose au Comité national [pour les Biens
lors de la 33e session (été 2009). français du patrimoine mondial] d’émettre un avis favorable à ce projet de
candidature tout en recommandant :
Le comité UNESCO du Patrimoine mondial qui s’est réuni à Québec, — de considérer le périmètre du Bien et de sa zone tampon au regard du
du 2 au 10 juillet 2008, a donné un avis favorable pour la poursuite de projet d’exploration géothermique et d’apporter les éléments d’informations
l’instruction de cette candidature. La candidature de La Réunion a donc été nécessaires sur ses impacts et ceux d’une éventuelle exploitation sur le Bien ;
inscrite sur la liste des sites à expertiser en 2008. — de mieux valoriser les éléments du dossier en faisant une utilisation
Eléments complémentaires au dossier de candidature pratique des annexes et des références internationales ;
au Patrimoine mondial, Parc national de La Réunion, — de préciser la méthodologie ayant permis d’identifier les sites remarquables
novembre 2009. traités dans le dossier et la corrélation existante entre les géosites déterminés
par le BRGM et les géosites définis au niveau international par l’Union
Deux observateurs, membres de la cellule de coordina- internationale de Géologie ;
tion/rédaction (R. Robert, G. Collin) étaient présents — d’approfondir les éléments de satisfaction des critères de classement ;
pour se familiariser avec le déroulement d’un Comité — de ré-envisager le projet de déclaration de valeur universelle exceptionnelle
Unesco en vue de celui qui devait, un an plus tard, au regard des principes et critères précisés par l’UICN dans son rapport de
rendre son verdict. 2005 et dans son évaluation technique sur l’île de Jeju ;
Le calendrier annoncé et validé était tenu. — de mettre en place un échange d’expérience en matière de gestion et de
promotion conjointe entre le Bien candidat et d’autres Biens du patrimoine
mondial et plus précisément Hawaii.
Rapport d’expertise sur la candidature,
UICN France. 2007.

68 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Ilet à Cordes, Cilaos. Visite d’expertise, UICN France. 2007. Photo G. Collin.

Les hypothèses concernant la Plaine des Sables se ré- pait désormais la fonction de responsable des dossiers
duisaient à trois : Patrimoine mondial à l’UICN international.
- maintien de la Plaine des Sables ; Wendy Strahm avait présidé la Commission de Sauve-
- exclusion de toute la Plaine des Sables ; garde des Espèces (SSC) à l’UICN international et avait
- exclusion de la zone d’exploration géothermique. fait de nombreux travaux sur les espèces envahissantes
C’est la solution de l’exclusion partielle qui fut retenue des Mascareignes, et plusieurs missions à La Réunion.
par le porteur de projet. Décision qui tentait de ména- Pour certains, c’était l’expression de doutes sur les valeurs
ger un point fort de la candidature et d’éviter l’impact réunionnaises. Pour d’autres, c’était la nécessité de trou-
de travaux à venir. Décision stratégique en fait, car elle ver un niveau d’excellence face à la complexité du dossier.
allait déclencher inévitablement des réactions fortes :
les Réunionnais firent connaître leur désapprobation Une expertise internationale a été réalisée par l’IUCN du 17 au 24 octobre
du projet de géothermie dans ce site et le questionne- 2008. Les deux experts désignés ont été Tim BADMAN (Géologue) et
ment de l’UICN France ne tarderait pas à se transfor- Wendy STRAHM (Biologiste, spécialiste de la flore des Mascareignes et des
mer en refus de l’UICN international. espèces envahissantes).
Un choix allait devoir être fait. Eléments complémentaires au dossier de candidature
au Patrimoine mondial, Parc national de La Réunion,
L’évaluation de l’UICN international novembre 2009.

Les experts ont été désignés durant l’été 2008. Les dieux du patrimoine accompagnèrent certaine-
Le porteur du projet avait négocié avec l’UICN une ment cette mission, car il n’y eut pratiquement pas
durée de mission de 8/10 jours, pour découvrir tous un nuage sur l’île pendant l’expertise… Seule petite
les aspects des Pitons, des cirques et des remparts. faiblesse peut-être : l’absence d’une éruption : Grand-
mère Kalle et son époux, Grand Diable, n’avaient pas
Une inquiétude secoua l’équipe à l’annonce des noms mis en œuvre leur chaudron infernal durant la mis-
des experts. sion ! On ne peut avoir dieux et démons à ses côtés.
Tim Badman avait coordonné une candidature géo- Pourtant les dieux, toujours taquins, réservèrent une
logique pour le Royaume-Uni, était co-auteur du rap- surprise de dernière heure qui fit craindre le pire.
port sur les volcans et le patrimoine mondial et occu-

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 69


Rivière des Galets, cirque de Mafate : Visite d’expertise, UICN. 2008. Photo G. Collin.

Après une visite pédestre du cirque de Mafate, il était L’UICN estime que la Plaine des Sables est une zone de valeur naturelle
prévu de transférer les experts par hélicoptère du importante dans le Parc national de La Réunion. En conséquence, sa non-
cirque à l’aéroport de Gillot. inclusion signifie que le Bien proposé ne remplit pas les conditions nécessaires
L’attente de l’hélicoptère se prolongea jusqu’à ap- d’intégrité fixées par les orientations devant guider la mise en œuvre de la
prendre que… les pilotes étaient en grève. L’un d’entre Convention du patrimoine mondial. Il recommande que l’État partie réintègre
eux accepta toutefois de voler mais avec un dépôt au dans le Bien proposé ces zones actuellement enlevées.
bas de la Rivière des Galets. Souhaits et recommandations des experts de l’UICN,
Le soulagement des organisateurs fut de courte durée, UICN, 10 novembre 2008.
car le survol au plus près des remparts de la Rivière
des Galets permit à Wendy Strahm de voir fort bien les L’UICN relève que le projet de forages exploratoires de géothermie fait
espèces envahissantes et de les citer une par une tout actuellement l’objet d’une enquête publique. Il demande que les résultats de
au long du parcours ! cette enquête lui soient communiqués le plus rapidement possible tout comme,
Une mission très riche, dans un excellent esprit cri- le cas échéant, une éventuelle décision d’aller de l’avant.
tique, celui qui permet de débattre et de dialoguer. Les L’UICN pense que des prospections dans cette zone ne peuvent être acceptées
points de discussion ont été nombreux mais quelques- que s’il s’agit d’une mesure temporaire d’utilisation du sol, et à condition
uns se sont vite avérés constituer les sujets sur lesquels que cela ne provoque pas d’impacts inacceptables ni ne cause de dommages
la candidature aurait à répondre devant l’Unesco. permanents à la Plaine des Sables. Au cas où une décision serait prise de
poursuivre les forages exploratoires, l’UICN souhaite qu’une étude d’impact
La Plaine des Sables environnemental complète et indépendante des forages lui soit communiquée…
Les experts étaient très critiques sur l’exclusion par- L’UICN relève qu’un problème fondamental, au-delà de toute question de
tielle de la Plaine des Sables à la seule lecture du dos- forage, est la construction potentielle d’une usine géothermique à La Réunion.
sier. Ils le furent encore plus après une rencontre sur L’UICN souhaite obtenir l’assurance qu’aucune installation géothermique
place avec les membres d’une association contestant le ne sera construite à l’intérieur du Parc national de La Réunion ni n’aura
projet géothermique. d’impact sur celui-ci ou sur toute autre zone comprise dans la version finale
Mais, bien évidemment, la découverte du site lui- de la proposition d’inscription…
même apporta la confirmation définitive que le Bien Souhaits et recommandations des experts de l’UICN,
réunionnais ne pouvait se faire sans la Plaine des UICN, 10 novembre 2008.
Sables dans son entité.
Le paysage avait plaidé mieux que tous les rapports
d’expertise. Il fallait réinscrire ce site dans le Bien. Cela
relevait d’une décision de politique locale et nationale.

70 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les cirques
L’UICN était convaincu que le Bien ne pouvait se pas-
ser des fonds de cirques. La solution proposée dans
le dossier n’était toutefois pas acceptable : le Bien ne
pouvait se satisfaire d’une mosaïque de petits terrains
aux statuts trop différenciés et sujets à des pressions
fortes.
Sur le moment aucune idée ou solution ne secourut
l’équipe du dossier.

Les experts de l’UICN ont constaté que les valeurs naturelles en biodiversité
des fonds de cirques ont été sérieusement compromises par l’activité humaine.
Pour cette raison, leur inclusion dans le Bien du patrimoine mondial sur la
base des critères naturels pose problème…
L’UICN suggère que l’État partie étudie un statut alternatif, qui permettrait
d’intégrer les fonds de cirques dans la proposition d’inscription…
Il doit soutenir leur protection et leur gestion, sans toutefois faire partie
intégrante du site du patrimoine mondial. Les secteurs de cirques habités
(comprenant éventuellement certaines parties de la commune de Plaine des
Palmistes) pourraient être considérés comme zones tampon formelles du Bien
du patrimoine mondial.
Souhaits et recommandations des experts de l’UICN,
UICN, 10 novembre 2008.

La pandanaie Cascade de Grand Galet, Rivière Langevin. photo J.-F. Bénard.


La Pandanaie de moyenne altitude de la Plaine des plusieurs années sur la lutte contre les espèces enva-
Palmistes ne faisait pas l’objet d’une omission « cou- hissantes végétales et animales. Le parc national avait
pable ». L’équipe en connaissait l’intérêt mais avait re- bien entendu situé cette lutte parmi ses priorités ur-
noncé à l’inclure dans le Bien : elle n’était pas inscrite gentes et préparait un programme d’action.
dans la zone cœur du parc et ne bénéficiait d’aucune De quoi démontrer des actions, des volontés mais
protection. peut-être pas convaincre les experts qui demandaient
L’UICN en voyant cette pandanaie ne pouvait man- des assurances plus fortes.
quer de remarquer son absence.
On notera que le vocabulaire des rapports est très proche L’UICN constate que la mission d’expertise a signalé d’importantes menaces
du langage diplomatique : le souhait exprimé est plus pour le Bien provenant d’espèces envahissantes, concernant la gestion et la
conservation du Bien.
qu’une recommandation, c’est presque une obligation.
Souhaits et recommandations de l’UICN, UICN,
Les solutions qui n’avaient pu être trouvées aupara- 10 novembre 2008.
vant devenaient des exigences urgentes.
L’UICN souhaite un point sur les projets de développer une stratégie plus
L’UICN relève que la mission d’expertise a visité au moins une zone (la complète et un plan d’action pour s’attaquer aux problèmes d’espèces
Pandanaie de moyenne altitude à la Plaine des Palmistes) située à la fois en envahissantes à La Réunion, et les principales priorités (espaces, lieux,
dehors des limites du Parc national de La Réunion et de celles du Bien tel que interventions) anticipées dans ce contexte.
proposé actuellement. La Pandanaie abrite des richesses de grande importance Souhaits et recommandations de l’UICN, UICN,
du point de vue de la biodiversité, mais elle est sérieusement menacée. 10 novembre 2008.
L’UICN souhaite qu’on lui fournisse des informations complémentaires sur
la Pandanaie de moyenne altitude… Le plan de gestion
Souhaits et recommandations de l’UICN, UICN, 10 L’absence de plan de gestion, au moment du dépôt de
novembre 2008. la candidature, était autorisée (voir plus haut) mais il
était attendu une date de mise en œuvre. Cela se jus-
Les espèces envahissantes tifie pleinement car le Comité Unesco du patrimoine
Ce point du rapport était évidemment attendu. Les veut éviter les Biens « orphelins » de tout outil leur
différentes institutions (ONF, CBNM, Université…) permettant de conserver et gérer leur valeur univer-
concernées par la biodiversité travaillaient depuis selle exceptionnelle.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 71


… il serait apprécié que l’État partie veuille bien confirmer que le plan avait été « renvoyée » lors de son examen en 2006.
d’aménagement du Bien proposé (la Charte du Parc national) a été adopté Cela lui donnait le droit de représenter sa candidature
en bonne et due forme. dans les 3 ans.
L’UICN recommande à l’État partie France de prendre en considération, Les Causses et Cévennes n’ayant pas redéposé de dos-
dans l’élaboration du plan, les mesures de conservation et de gestion requises sier en 2007 et 2008, il ne restait plus que… 2009 pour
pour maintenir les valeurs du Bien proposé et, en particulier, la nécessité de le faire.
contrôler et d’éradiquer de toute urgence les espèces envahissantes… Il y avait aussi la candidature de « L’œuvre architec-
Souhaits et recommandations de l’UICN, 16 décembre 2008. turale de Le Corbusier », ceci d’autant plus que la
France portait ce dossier au nom de sept États parties
La seconde question sur la gestion concernait la dont elle-même.
charte du parc et la zone d’adhésion. Deux difficultés Il fallut attendre la veille de la date limite pour les dé-
en une. pôts pour que l’Etat « ose avouer » que La Réunion
Pour nos collègues anglo-saxons, le concept d’un parc n’était pas dans les deux candidatures de la France
national agissant hors de son territoire (le cœur) était pour 2009.
difficile à comprendre. Le second niveau était la place On imagine la déception dans l’île, on entendit aussi
qui serait donnée à la conservation dans un document la colère de certains.
négocié avec des collectivités territoriales sans rapport La décision réunionnaise fut de demander à l’Etat de
« hiérarchique » avec le parc. s’engager à présenter la candidature réunionnaise en
2010, et de « profiter de l’année blanche » pour amé-
L’UICN souhaite être informé sur la charte, qui doit être développée dans la liorer le dossier.
zone d’adhésion, notamment sur : L’UICN, devant cette situation, accepta, généreuse-
• l’agenda prévu pour mettre en place la charte, ment, de prendre en considération les compléments
• le contenu probable de la charte et le niveau auquel elle inclurait des résultats qui pourraient lui être fournis sur la base de ses rap-
spécifiques et mesurables pour la conservation et le développement durable. ports et recommandations, avant la fin de 2009.
Souhaits et recommandations de l’UICN, 10 novembre 2008.
La Direction Générale de l’UICN, invite le Parc national de La Réunion à
tirer profit de cet ajournement pour affiner toutes les actions et les évaluations
Le report d’examen qui pourraient mener à l’inscription de La Réunion sur la liste du Patrimoine
mondial.
Une surprise fort désagréable Lettre à la direction du Parc national de La Réunion,
UICN, 28 février 2009.
La route vers une décision de l’Unesco semblait
maintenant bien courte. Les réponses à l’UICN international
L’UICN allait confirmer par un rapport officiel ses
recommandations et les réponses du porteur de projet Une première note complémentaire fut préparée en
seraient prêtes pour la mi 2009, pour prise en compte février 2009. Elle répondait aux questions et recom-
par le Comité du Patrimoine mondial. mandations émises par l’UICN, fin 2008, suite à sa
L’équipe réunionnaise attendait toutefois avec un peu mission de terrain.
d’inquiétude que l’Etat indique à l’Unesco les dossiers Une seconde note complémentaire fut préparée en
français à examiner à Séville. novembre 2009. Cette note améliorait celle de fé-
En effet la candidature des « Causses et Cévennes » vrier, suite à l’encouragement de l’UICN à profiter de
l’ajournement de janvier 2009.
Les points essentiels abordés étaient la Plaine des
Sables, les fonds de cirque, la pandanaie et les espèces
envahissantes.
Ces réponses aboutissaient à une révision des limites
du Bien et donc de sa superficie.

La Plaine des Sables


La position très nette de l’UICN sur la Plaine des
Sables avait finalement poussé la Région à geler les
Causses et Cévennes, paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen.
travaux de prospection géothermique dans l’attente
Photo G. Collin. de la décision de l’Unesco.

72 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Plaine des Sables. Photo G. Collin.

Monsieur le Président du Conseil régional,


Par courrier visé en référence du 12 janvier 2009, vous m’avez annoncé votre Le Préfet de La Réunion dans un courrier, daté du 3 novembre 2009, envoyé
décision de geler le dossier présenté par la Région à l’appui de sa demande au Président du Parc national de La Réunion, rappelle que « la décision
d’autorisation d’ouverture de travaux de recherches de gîtes géothermiques sur d’autoriser les forages, tout comme celle relative à l’exploitation de la ressource
le territoire de la commune de Sainte Rose… géothermique sont de la compétence de l’Etat ». Il assure que « quelle que
Je prends acte de votre décision de geler ce dossier géothermie, dans l’attente de soit l’intention du maître d’ouvrage vis-à-vis de la poursuite de ce projet,
la décision finale de l’Unesco sur le classement de La Réunion au Patrimoine l’Etat veillera à ce que, en cas de classement au Patrimoine mondial, les
mondial, compte tenu des réserves formulées par l’UICN et le Parc national. conditions posées par les experts de l’UICN soient scrupuleusement respectées.
Gel du projet de géothermie, lettre du Préfet de La La prise en compte de l’intégrité du Bien proposé au classement sera un critère
Réunion au Président de la Région, 26 janvier 2009. déterminant pour l’octroi ou le refus de toute autorisation éventuelle. »
Eléments complémentaires au dossier de candidature
Une position qui rendait possible la réinsertion de la au Patrimoine mondial, Parc national de La Réunion,
Plaine des Sables dans le Bien mais qui pouvait aussi novembre 2009.
être remise en question car gel ne signifie pas abandon.
Le Préfet de La Réunion, dans un courrier adressé au La conséquence de ces prises de position permis d’in-
Président du Parc national de La Réunion, assura le diquer dans le rapport complémentaire de novembre
parc du soutien de l’Etat. 2009 que la totalité de la Plaine des Sables faisait par-
tie du Bien et que la géothermie n’y serait pas autori-
L’enquête publique sur les forages exploratoires de géothermie à la Plaine sée en cas d’inscription au Patrimoine mondial.
des Sables est close depuis le 23 octobre 2008. Le commissaire enquêteur a Peu avant la tenue de la session 2010 du Comité Unes-
donné son avis à Monsieur le Préfet le 26 novembre 2008. Il s’agit d’un avis co du Patrimoine mondial, une nouvelle parvint de
favorable sous réserve. la Région Réunion, renforçant considérablement les
Le vendredi 21 novembre 2008, le Conseil scientifique du Parc national a chances d’inscription.
formulé un avis très défavorable à la demande d’autorisation d’ouverture de Le président et la nouvelle assemblée régionale élus
travaux de gîtes géothermiques… en mars 2010 avaient décidé d’abandonner le projet
Réuni le 5 décembre 2008, le Bureau du Conseil d’Administration du Parc de géothermie dans ce site et de soutenir fortement la
national de La Réunion a formulé son opposition à la réalisation d’une candidature.
centrale géothermique sur le site de la Plaine des Sables.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 73


Je vous confirme que la nouvelle mandature, issue des élections du 14 et 21 Après bien des débats infructueux, l’équipe inventa le
mars 2010, apporte son soutien actif à la candidature de La Réunion au concept de « spot patrimonial ».
Patrimoine mondial de l’Unesco. Cela permettait de mettre en exergue des objets précis si-
Par ailleurs, les projets de sondages exploratoires de géothermie, prévus par tués dans les fonds de cirques, sites de grande valeur patri-
la précédente mandature, au cœur du Parc national et sur le site de la Plaine moniale et dont la conservation et la gestion était simple.
des Sables, ne seront plus engagés pour éviter de porter atteinte au caractère Le Piton d’Anchain et la chambre magmatique de
exceptionnel de ce site. l’Ilet à Vidot dans le cirque de Salazie, le Pain de Sucre
Lettre d’abandon du projet de géothermie, le Président et la Chapelle dans celui de Cilaos devinrent ainsi les
de la Région au Président du Parc national de La spots patrimoniaux inclus dans le Bien.
Réunion, 14 avril 2010. Le reste des fonds des cirques de Salazie et de Cilaos
était, quant à eux, inscrits en totalité en zone tampon.

… l’État partie établit que :


… des « spots patrimoniaux » (Piton d’Anchain, Pain de Sucre de Cilaos,
chambre magmatique d’îlet à Vidot) qui permettent d’une part de donner
consistance aux fonds de cirque sans devoir intégrer leur totalité par les Plans
Locaux d’Urbanisme (PLU) et les Plans de Prévention des Risques (PPR)
interposés, d’autre part de maintenir la valeur de livre ouvert sur la géologie et
l’histoire de l’île (autre élément d’exceptionnalité de la candidature).
… En ce qui concerne la zone tampon, seuls devraient figurer les fonds des
cirques de Salazie et de Cilaos (hormis les spots patrimoniaux) et la Plaine des
Palmistes. Cela permet de maintenir les cirques comme territoires d’exception.
Eléments complémentaires au dossier de candidature
au Patrimoine mondial, Parc national de la Réunion,
novembre 2009.

La pandanaie de moyenne altitude


C’est une véritable coopération entre le Département,
la commune de Plaine des Palmistes et le Parc national
qui a finalement permis de répondre à la demande ex-
primée par l’UICN. L’inscription d’une zone naturelle
incluant la pandanaie dans le PLU de la commune fut
inscrit par le maire (Jean-Luc Saint Lambert) et son
conseil municipal en avril 2009.

Une partie de la pandanaie se trouve hors du cœur du Parc national (à


peu près 170 ha), cette partie est classée en zone agricole voire en zone
constructible du PLU.
Le Département a identifié les pandanaies de l’Est dans ses priorités de
préservation. Ainsi, leur protection se fait en trois temps : la création d’une
zone de préemption avec l’accord de la Commune de la Plaine des Palmistes
en janvier 2004… début des acquisitions de terrain en septembre 2004…
étude de l’extension de la zone de préemption.
Modification des limites dans le cirque de Cilaos. La commune de Plaine des Palmistes lance la révision de son Plan Local
Eléments complémentaires au dossier de candidature au Patrimoine mondial.
Parc national de La Réunion, novembre 2008.
d’Urbanisme (PLU) en avril 2009. Cette révision permettra un classement
en zone naturelle de l’ensemble de la pandanaie.
Les cirques Eléments complémentaires au dossier de candidature
Les critiques de l’UICN sur la proposition concer- au patrimoine mondial, Parc national de La Réunion,
nant les fonds des cirques étaient fondées. Les Pitons, novembre 2009.
cirques et remparts de l’île de La Réunion ne pou-
vaient envisager de qualifier les cirques par leurs seuls
remparts : c’était faire s’effondrer la trilogie fondatrice
du Bien.

74 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Modification des limites dans le cirque de Salazie. Modification des limites dans la Plaine des Palmistes.
Eléments complémentaires au dossier de candidature au Patrimoine mondial. Eléments complémentaires au dossier de candidature au Patrimoine mondial.
Parc national de La Réunion, novembre 2008. Parc national de La Réunion, novembre 2008.

Les espèces envahissantes


La question des espèces envahissantes, menaces ma- A la suite du Grenelle de l’environnement, l’État a décidé de renforcer, au
jeures à l’échelle mondiale, ne pouvait que pousser niveau national, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes portant
l’Etat français à prendre ce sujet en considération, sur- préjudice à la biodiversité…
tout au moment où le « Grenelle de l’environnement » Pour La Réunion, le Préfet a reçu ainsi instruction de mettre en place
débattait de tous les aspects environnementaux. un programme d’actions renforcé, portant sur l’ensemble des leviers :
L’implication de l’Etat fut donc décidée dès 2009 avec des réglementation, suivi technique et scientifique, contrôles et polices, opérations
actions et des moyens financiers. Le Parc national de La de lutte de terrain, coordination, animation et sensibilisation…
Réunion ne pouvait qu’en être un des acteurs majeurs. Des moyens financiers additionnels sont prévus à cette fin dès 2009. Ces
La lutte engagée avec la participation d’autres acteurs mesures viendront renforcer les dispositifs règlementaires en vigueur et les
locaux (ONF, associations…) allait être rapidement actions déjà nombreuses conduites sur le terrain par l’ensemble des partenaires
confortée par des crédits européens (l’Union euro- (ONF en particulier).
péenne ayant un ensemble de territoires ultramarins Eléments complémentaires au dossier de candidature
souffrant de cette même menace). au patrimoine mondial, Parc national de La Réunion,
Esquisse de réponse certes mais fondée sur des bases novembre 2009.
scientifiques et financières sérieuses.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 75


Le 29 mai 2008, le conseil d’administration du Parc national de La Réunion
a lancé officiellement l’élaboration de la charte…
L’élaboration de la charte du Parc national constitue le chantier prioritaire du
Parc pour 2009 et 2010. Un projet de Charte sera élaboré pour juin 2010.
Le décret est espéré en 2011, dans un délai maximal de un an.
Une fois promulgué le décret, le Parc national et le Bien du Patrimoine mondial
relèveront de cette charte en matière de gestion pour les 10 ans à suivre.
Eléments complémentaires au dossier de candidature
au patrimoine mondial, Parc national de La Réunion,
novembre 2009.

Le territoire définitif

L’ensemble des réponses aux recommandations de


l’UICN générait en quelque sorte « par ricochet »
une révision des limites du Bien et de sa zone tampon
comme de leurs superficies respectives.
Il fallait en effet pour le Bien :
Exemples de plantes envahissantes à La Réunion.
- réintroduire la totalité de la Plaine des Sables ;
Photos 1, 2, 3 S. Szymandera. Photos 4, 5, 7, 8, 9 J.-F. Bénard. - déduire les parcelles des fonds de cirques ;
Photo 6 N. Szymandera.
- ajouter les « spots patrimoniaux » ;
Au niveau régional, la stratégie réunionnaise pour la biodiversité en particulier, - ajouter la Pandanaie de moyenne altitude.
identifie la lutte contre les espèces exotiques envahissantes comme une priorité. Pour la zone tampon, compte tenu des nouvelles dis-
Les Orientations régionales de gestion et de conservation de la faune sauvage positions concernant le Bien, une solution radicale fut
et de ses habitats (ORGFH) prennent également en considération cette proposée : une seule zone tampon.
thématique. Récemment, la DIREN a fait réaliser par le Conservatoire Les fonds des cirques de Cilaos et de Salazie (hors les
Botanique National de Mascarin (CBNM), entouré de plusieurs autres spots patrimoniaux) étaient inclus dans la zone tam-
organismes, un rapport de préfiguration d’une cellule de veille sur les invasions pon ainsi que l’espace de la Plaine des Palmistes qui,
biologiques… par l’inclusion de la pandanaie, se retrouvait doréna-
Eléments complémentaires au dossier de candidature vant enserrée dans le Bien.
au patrimoine mondial, Parc national de La Réunion, Réponse qui laissait toutefois subsister la question de
novembre 2009. la zone tampon qui habituellement entoure les Biens
du patrimoine mondial.
Le plan de gestion Une réponse très simple fut trouvée. Il n’y avait pas de
besoin absolu de cette zone tampon externe car l’aire
Le processus de la charte a été lancé conformément potentielle d’adhésion du parc, bénéficierait de droit
à la loi sur les parcs nationaux (2006) et au décret de des objectifs et des moyens de la charte adoptée en
création du Parc national de La Réunion (2007). La accord avec les communes.
préparation d’une charte nécessite la réalisation de
nombreux documents débattus avec les institutions et Le territoire du Bien répondait mieux aux attentes in-
les habitants. Le projet de charte est soumis ensuite à ternationales et était maintenant calé à très peu d’hec-
enquête publique puis à une validation par différents tares près sur le territoire du cœur du parc national.
niveaux administratifs avant d’être confirmé par un La superficie du Bien ainsi révisée était de 105 838 hec-
décret. tares, la zone tampon étant réduite à 11 729 hectares.
C’est une action qui demande dialogue et patience et
qui doit souvent être réécrite plusieurs fois. Le Parc La communication
dans sa réponse à l’UICN estime que la charte sera
officialisée en 2011/2012 : trop tard pour être prise en Le temps qui séparait désormais la candidature de son
compte pour le passage devant le Comité Unesco de examen par l’Unesco a aussi été mis à profit pour com-
2010 mais suffisamment engagée pour que l’Unesco muniquer sur un projet qui intéressait les Réunionnais
puisse la considérer comme une avancée crédible. mais qui restait un peu difficile d’accès, au-delà des
opuscules déjà cités.

76 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Carte définitive du Bien et de sa zone tampon.
Eléments complémentaires au dossier de candidature au Patrimoine mondial. Parc national de La Réunion, novembre 2008.

Un des membres de l’équipe, René Robert se lança La décision


alors dans une synthèse échappant au plan difficile
obligé des dossiers Unesco et aux longues descriptions Suite à l’engagement formel de l’Etat de présenter la
parfois très techniques. candidature des « Pitons, cirques et remparts de l’île
de La Réunion » devant le Comité Unesco en 2010,
Cela donna lieu à une publication soutenue par le Parc lors de sa 34e session à Brasilia, l’équipe attendait avec
national de La Réunion : « Ile de La Réunion : un patri- impatience le pré-rapport de l’UICN avant le Comité
moine naturel d’exceptions. » Unesco.
On peut aujourd’hui regretter que ce document soit La très bonne nouvelle arriva au début du mois de
resté finalement très confidentiel pour n’avoir pas su mai : tous les signaux étaient au vert (ou presque) dans
rejoindre les circuits habituels de diffusion. l’ensemble de l’évaluation et se terminaient par une
suggestion d’inscription.
Le pari un peu fou (ou prétentieux selon certains) était
en passe d’être tenu.
Mais par prudence (car il ne s’agissait que de la propo-
sition d’un pré-rapport), les bagages de la délégation
réunionnaise s’alourdirent de nombreux documents
complémentaires et informatifs, pour convaincre
sur place, encore un peu plus, si besoin était,
Ile de La Réunion, un Patrimoine avant le vote décisif.
naturel d’exceptions.
Ouvrage faisant une présentation
simplifiée des travaux réalisés
pour la candidature de La Réunion
au Patrimoine mondial de l’Unesco.
2009.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 77


La délégation de La Réunion à Brasilia. 2010.

La session du Comité du patrimoine Protection


L’UICN considère que l’état de protection du Bien remplit les
mondial à Brasilia conditions énoncées dans les Orientations
Il ne restait plus qu’à attendre le débat pour connaître Limites
L’UICN considère que les limites révisées du Bien proposé remplissent
le résultat définitif. les conditions énoncées dans les Orientations.
La délégation mesura bien le sens du mot « attendre » Gestion
puisque les inscriptions étaient chaque jour retardées L’UICN considère que la gestion du Bien proposé remplit les
et qu’il fallait encore et encore patienter. conditions énoncées dans les Orientations et ajoute que le plan de gestion
(la charte) devrait être terminé et adopté vers le milieu de 2011.
« L’avantage » de cette longue attente a été un para- Menaces
doxe : plus cela durait plus le sujet revenait dans les L’UICN considère que le Bien proposé remplit les conditions
informations quotidiennes reçues à l’autre bout de d’intégrité énoncées dans les Orientations.
Critère (vii) Phénomènes naturels exceptionnels ou beauté naturelle et
la Terre par le public réunionnais. Plus personne ne importance esthétique
pouvait ignorer que l’île était en passe de recevoir une L’UICN considère que le Bien proposé remplit ce critère.
reconnaissance internationale, participant, de ce fait, Critère (viii) : Histoire de la Terre et caractéristiques géologiques
L’UICN considère que le Bien proposé ne remplit pas ce critère.
à la naissance d’une grande fierté. Critère (ix) Processus écologiques
Après plusieurs reports, les dossiers des Biens naturels L’UICN considère que le Bien proposé ne remplit pas ce critère.
furent enfin abordés, précédés chacun par un rapport Critère (x) Biodiversité et espèces menacées
L’UICN considère que le Bien proposé remplit ce critère.
de l’UICN et suivis par un débat des membres du Co- Recommandation
mité Unesco. L’UICN recommande que le Comité du patrimoine mondial adopte la
décision suivante :
Le rapport de l’UICN Inscrit les Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion, France, sur la
Liste du patrimoine mondial au titre des critères naturels (vii) et (x).
Rapport d’évaluation pour le Comité du patrimoine
Le rapporteur pour l’UICN, Tim Badman, celui-là mondial, UICN, 22 avril 2010.
même qui avait mené l’évaluation, anglophone de
naissance, annonça qu’il allait rapporter en français, La décision du Comité
ce à quoi il n’était absolument pas tenu. Marque pu- Il n’y eut aucune question du Comité après le rapport
blique de son respect et de son amitié critique. de l’UICN, mais il manquait d’entendre une petite
phrase suivi d’un coup de petit marteau, conclusion
finale de la présidente du Comité.
Enfin la délivrance advint le 1er août, près de mi-
nuit, et l’on put entendre la phrase magique :
Le Comité inscrit sur la Liste du Patrimoine
mondial « Les Pitons, cirques et remparts de l’île de

78 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Brasilia, Congrès national. Photo J.-F. Bénard.

Le Comité du patrimoine mondial,


1. Ayant examiné les documents WHC-10/34. COM/8B et WHC-
10/34. COM/INF.8B2,
2. Inscrit les Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion, France, sur
la Liste du patrimoine mondial au titre des critères (vii) et (x) ;
3. Adopte la Déclaration de valeur universelle exceptionnelle ;
4. Félicite l’Etat partie d’avoir pris la décision d’abandonner le projet
de production d’énergie géothermique en tenant compte de la nécessité de
maintenir la valeur universelle exceptionnelle du Bien ;
5. Félicite aussi l’État partie pour le processus consultatif mis en place
Diplôme de l’inscription
des Pitons, cirques et remparts en vue de préparer le plan de gestion et prend note que, même si le Bien n’a pas
de l’Ile de La Réunion. encore de plan de gestion complet en vigueur, l’Etat partie adoptera légalement
Unesco. ce plan de gestion en 2011 ;
6. Demande à l’Etat partie de veiller à ce que le futur plan de gestion traite
La Réunion ». Embrassades, accolades suivirent, y intégralement toutes les conditions d’intégrité, de protection et de gestion pour
garantir la conservation à long terme et le renforcement de la valeur universelle
compris avec ceux qui à l’UICN et à l’Unesco avaient
exceptionnelle du Bien et demande également que, lorsque le plan de
été nos évaluateurs, preuve s’il en fallait une qu’une ex- gestion sera terminé et entrera en vigueur, une copie soit communiquée au
pertise à ce niveau n’est pas un affrontement dépourvu Centre du patrimoine mondial et à l’UICN ;
de sensibilité mais une confrontation noble. 7. Demande en outre à l’Etat partie de garantir la mise en œuvre
réelle du Plan d’action pour le contrôle et l’éradication des espèces exotiques
Les discours de remerciements, limités par un chrono- envahissantes, en veillant à ce qu’il soit pleinement intégré au plan de
mètre qui ne pardonnait pas les digressions, furent mar- gestion du Bien, considérant la nature critique de cette menace pour la
qués par les tous premiers mots du président Gonthier : valeur universelle exceptionnelle et demande en plus à l’État partie de
« La Rényon lé en l’er » / « La Réunion l’est en l’air ». soumettre, au Centre du patrimoine mondial, d’ici le 1er février2013, un
rapport sur l’Etat de conservation du bien qui sera examiné par le Comité à
La délégation offrit dans la foulée une petite aubade sa 37e session ;
de musique et chants réunionnais (kayamb et roulèr 8. Demande aussi à l’Etat partie de faire en sorte que des ressources
avaient aussi fait partie des bagages !). humaines et financières suffisantes continuent d’être assurées pour la mise en
On devine que, sur le parvis du palais des Congrès, œuvre efficace du plan de gestion du Bien ainsi que pour la mise en œuvre de
les Brésiliens eurent tôt fait de participer devant des mesures de contrôle et d’éradication des espèces exotiques envahissantes ;
9. Recommande à l’Etat partie de partager les enseignements tirés des
représentants officiels des États partie, pris entre un lé- activités d’éradication et de gestion des espèces exotiques avec d’autres États
ger recul « diplomatique » et une envie de faire la fête. parties intéressés, et des Biens du patrimoine mondial et zones insulaires
La fête brésilienne fut complétée quelques jours plus protégées qui sont confrontés aux mêmes menaces.
tard par l’accueil triomphal qui attendait la délégation Décision d’inscription sur la Liste du patrimoine mon-
dial, Unesco, 1er août 2010.
de retour du Brésil à l’aéroport de Gillot.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 79


Deux critères sur quatre qui est extrêmement actif. Parmi les autres caractéristiques principales du
paysage, il y a les “remparts” – des murailles rocheuses escarpées d’âge et
Un bonheur immense, une grande fierté pour tous, de nature géologiques variables et les “cirques” que l’on peut décrire comme
initiés ou non-initiés. des amphithéâtres naturels massifs dont la hauteur et la verticalité sont
Une petite déception toutefois pour les initiés : seuls vertigineuses. On trouve, dans le Bien, des gorges profondes, partiellement
deux critères sur les quatre proposés avaient été retenus. boisées et des escarpements, avec des forêts ombrophiles subtropicales, des
Grande déception même pour un membre de l’équipe forêts de brouillard et des landes, le tout formant une mosaïque d’écosystèmes
(René Robert) qui avait tant donné pour défendre la et de caractéristiques paysagères remarquables et très esthétiques.
géomorphologie dans le dossier qu’il avait bien du mal Critère (x) : Le Bien est un centre mondial de diversité des plantes avec un degré
à comprendre l’échec du critère (viii) sur la géologie d’endémisme élevé. Il contient les derniers habitats naturels les plus importants
et la géomorphologie. Il se consola vite en lisant peu pour la conservation de la biodiversité terrestre des Mascareignes, y compris une
après que le critère (vii) (la beauté des paysages) avait gamme de types forestiers rares.
été retenue grâce à l’apport exceptionnel des formes et Compte tenu des impacts importants et partiellement irréversibles de l’homme
des reliefs alliés à la végétation. Finalement, la recon- sur l’environnement dans l’archipel des Mascareignes, le Bien est le dernier
naissance mondiale de l’intérêt et de l’exceptionnalité refuge pour la survie d’un grand nombre d’espèces endémiques, menacées et
des paysages réunionnais n’était-elle pas une chance en danger.
formidable pour attirer un public local ou externe Déclaration de valeur universelle exceptionnelle des
dans l’île ? Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion
(extrait), Unesco, 2010.
Bien que la nature volcanique de l’île et sa géomorphologie variée soient des
éléments intrinsèques qui sous – tendent ses qualités paysagères et ses valeurs Deux recommandations essentielles
en biodiversité, elles ne sont pas suffisamment distinctives, ou significatives
pour justifier la valeur universelle exceptionnelle. (critère viii) L’inscription s’accompagnait comme toute inscrip-
Rapport d’évaluation pour le Comité du patrimoine tion, de recommandations. Elles peuvent se résumer
mondial, UICN, 22 avril 2010. en deux aspects.
Le premier était lié à l’absence de plan de gestion et
Il existe, sur la Liste du patrimoine mondial, des écosystèmes insulaires qui à la nécessité d’en mettre un en œuvre dans un temps
sont plus intacts et, plus vastes et qui démontrent plus clairement les processus court. Le Parc national avec ses partenaires et la popu-
de l’endémisme insulaire. Ces caractéristiques sont certainement d’importance lation avait déjà commencé le travail mais le chemin
internationale mais pas à un niveau qui permette de leur reconnaître la valeur allait être plus long que prévu.
universelle exceptionnelle. (critère ix) Le second, on l’a vu, était une préoccupation forte
Rapport d’évaluation pour le Comité du patrimoine concernant les espèces envahissantes et les moyens
mondial, UICN, 22 avril 2010. nécessaires attendus pour lancer une première action
d’envergure.
La région des Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion coïncide avec Les éléments de réponses à ces deux grandes ques-
la zone centrale du Parc national de La Réunion. Le Bien couvre plus de tions ont pu être données dans le rapport sur l’état
100 000 ha, soit 40 % de La Réunion, une île composée de deux massifs de conservation du Bien, demandé par l’Unesco pour
volcaniques adjacents et située dans le sud-ouest de l’océan Indien. début 2013.
Dominé par deux pics volcaniques imposants, des murailles massives et trois
cirques bordés de falaises, le Bien présente une grande diversité de terrains Le Comité du patrimoine mondial,
accidentés et d’escarpements impressionnants, de gorges et de bassins boisés 1. Ayant examiné le document WHC-13/37. COM/7B,
qui, ensemble, créent un paysage spectaculaire. Il comprend les habitats 2. Rappelant la décision 34 COM 8B.4, adoptée à sa 34e session
naturels avec leurs assemblages d’espèces les plus précieux de l’archipel des (Brasilia, 2010),
Mascareignes. Il protège des secteurs-clés d’un centre mondial reconnu de 3. Accueille favorablement les progrès réalisés par l’Etat partie dans la
diversité des plantes et présente un taux d’endémisme remarquablement élevé définition d’un plan de gestion et la mise en œuvre d’une stratégie pour lutter
pour de nombreux taxons. contre les espèces exotiques invasives, et demande à l’Etat partie d’assurer
En conséquence, les Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion tous les moyens techniques et financiers pour la mise en œuvre effective à long
apportent la contribution la plus significative et la plus importante à la terme de ces dispositifs…
conservation de la biodiversité terrestre de l’archipel des Mascareignes. Evaluation du rapport sur l’état de conservation du
Critère (vii) : L’association du volcanisme, des glissements de terrain d’origine Bien, Unesco, juin 2013.
tectonique et de l’érosion par les fortes pluies et les cours d’eau a donné un
paysage accidenté et spectaculaire d’une beauté saisissante, dominé par deux
volcans, le Piton des Neiges qui est endormi et le Piton de la Fournaise

80 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Maïdo : végétation après le feu de novembre 2011. Photo J.-F. Bénard.

Le Parc national de La Réunion et le Bien inscrit L’Unesco souligna l’importance de la coopération des
avaient subi en 2010 et en 2011 deux graves incendies institutions, de l’apport d’experts internationaux, de la
dans la zone du Maïdo. Certains dans l’île redoutaient présence de moyens aériens dans l’île et recommanda
déjà une inscription sur la Liste du patrimoine mon- de ne pas ouvrir de nouvelles pistes.
dial en péril, voire pire.
Le principe général pour l’UICN et l’Unesco est de faire 4. Demande également à l’Etat partie de :
tout ce qui est possible pour éviter de perdre ce qui a été … élaborer une stratégie de prévention, de surveillance et d’intervention
reconnu comme exceptionnel à l’échelle universelle. Il rapide contre les incendies en veillant à éviter les impacts des moyens mis en
s’agissait donc de prendre les mesures adéquates pour œuvre sur les valeurs du bien, particulièrement de ne pas ouvrir de nouvelles
éviter le retour d’autres incendies dévastateurs. La re- pistes et de privilégier la mise à disposition de moyens aériens de lutte contre
commandation était donc une réflexion conjointe des les incendies pendant la période sèche,
institutions et un choix de mesures aptes à répondre … assurer une coordination étroite entre les différents acteurs sur les actions à
à la menace mais sans se précipiter dans des solutions mettre en œuvre pour la gestion du feu, en veillant à impliquer la population
pouvant ouvrir d’autres menaces. dans la surveillance des incendies ;
5. Recommande à l’Etat partie de solliciter l’expertise de l’UICN en matière
Le programme du patrimoine mondial de l’UICN souhaite faire part à la de gestion post-incendie et de contrôle des espèces exotiques invasives.
population et aux autorités réunionnaises ainsi qu’aux autorités françaises de Evaluation du rapport sur l’état de conservation du
toute la sympathie et de tout son soutien dans la difficile épreuve qui touche le Bien, Unesco, juin 2013.
territoire de La Réunion à la suite de l’incendie de ces derniers jours. L’UICN
se tient à la disposition du Parc national de la Réunion, et des autorités
locales et nationales pour toute assistance technique qui serait souhaitée…
Compte tenu de la complexité des actions et de leurs conséquences potentielles
sur les valeurs du site, il semble que les mesures post-incendie, à court ou
moyen terme, devraient faire l’objet d’une réflexion avec les divers acteurs
impliqués, et s’ouvrant sur un ensemble d’actions concertées. Nous nous tenons
à votre disposition pour toute participation à la réflexion…
Lettre au Parc national, au ministère de l’Ecologie et à
l’Unesco, UICN, 4 novembre 2011.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 81


Haut de la Rivière des Remparts. Photo G. Collin.

Les conséquences de l’inscription Conformément au dossier de candidature, le gestionnaire est l’établissement


public Parc national de La Réunion.
Le Parc national de La Réunion, Pour mémoire, le décret n°2007-296 du 5 mars 2007 confie à cet
gestionnaire du Bien établissement public la gestion du Parc national de La Réunion, dont la zone
classée « cœur » représente l’essentiel du territoire reconnu comme Bien.
Bien que le Conseil d’administration du parc ait dé- La gouvernance du Bien s’articule autour de deux niveaux complémentaires :
libéré en faveur de la prise de la gestion du Bien par — la gestion courante du Bien est assumée directement par le gestionnaire.
l’établissement public chargé du Parc national de Elle est suivie grâce à une instance spécialisée issue de son Conseil
La Réunion, que le dossier transmis à l’Unesco l’ait d’administration ;
confirmé, une confusion sur l’identité du gestionnaire — le pilotage et le contrôle de la gestion du Bien sont assurés par une
s’installa. L’Unesco interrogea l’Etat partie (la France) instance régionale que je mettrai en place et présiderai.
sur le nom et le statut du gestionnaire du Bien. C’est cette instance qui validera en particulier les futurs rapports sur l’état de
Le Parc national de La Réunion fut confirmé comme conservation du Bien.
gestionnaire du Bien « Pitons, cirques et remparts de Modalités de gestion du Bien inscrit sur la Liste du
l’île de La Réunion ». patrimoine mondial « Pitons, cirques et remparts de
l’île de La Réunion », note du préfet de La Réunion à la
Ministre de l’Ecologie, 29 novembre 2011.

82 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les premiers et principaux objectifs Quasi coïncidence des dates mais surtout création, dé-
veloppement et gestion intimement mêlés.
Le parc national, gestionnaire délégué au nom de
l’Etat, doit répondre aux demandes énoncées par Les philosophies qui les dirigent n’ont pas la même
l’Unesco, mettre en place, avec les institutions et orga- origine, l’une appartenant à la vision française de la
nisations réunionnaises, une politique favorisant l’ap- conservation de la Nature, l’autre à un point de vue
propriation et la mise en valeur du Bien inscrit. plus naturaliste en même temps que plus universel.
Les réponses vis-à-vis de l’Unesco concernent Les territoires sont à peu de chose près identiques
essentiellement : mais quelques détails font de petites différences qui
- l’établissement d’un plan de gestion ; renforcent l’un et l’autre.
- la lutte contre les espèces invasives ; Le gestionnaire délégué (le parc) est un gestionnaire
- la coopération internationale. unique mais il assume cette fonction pour l’espace pro-
Les actions vers le territoire réunionnais concernent tégé comme pour le Bien Unesco dans un système de
essentiellement : gouvernance où sont présentes les principales institu-
- le développement de la charte (en cohérence avec le tions de l’île.
plan de gestion du Bien) ; Qui veut écrire l’histoire de la candidature Unesco, ne
- la mise en place d’un système de découverte et peut que parler de l’histoire du Parc.
d’interprétation. Qui voudra écrire celle du Parc ne pourra le faire sans
évoquer le Patrimoine mondial.
Ceux qui diront qu’il ne pourrait s’agir que de répéti-
Des éléments de synthèse tions inutiles se tromperaient gravement.
L’histoire de la candidature au Patrimoine mondial a
surtout montré comment une approche différente s’est
L’année 2015 a connu la célébration du 5e anniver- appuyée sur le parc national naissant.
saire de l’inscription des Pitons, cirques et remparts de L’histoire du parc national devrait analyser ce que ce
l’île de La Réunion sur la Liste du Patrimoine mondial. compagnon de route lui a apporté.
L’année 2017 a fêté le 10e anniversaire de la création Enfin, ces histoires conjuguées devraient être consi-
du Parc national de La Réunion. dérées comme le point de départ d’un élan favori-
sant la découverte d’un patrimoine unique par les
Réunionnais et les touristes.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 83


Le caractère exceptionnel
et la valeur universelle du Bien inscrit

Vue aérienne de la caldeira de l’Enclos et des sommets de la Fournaise.


Photo H. Douris.

La fabrique de paysages et le Piton de la Fournaise (2632 m), au sud-est,


construction récente au volcanisme particulièrement
actif.
Deux pitons principaux, En faisant le tour de l’île par le littoral, l’impression
des cirques, des remparts dominante est celle de pentes régulières.
Ici et là, ces pentes sont zébrées par de vastes entailles
qui correspondent aux principales vallées des rivières.
En remontant ces pentes le parcours s’arrête presque
Les traits généraux toujours sur de remarquables falaises verticales,
les remparts, qui délimitent de vastes et profonds
La Réunion est une terre de 2512 km2, située dans amphithéâtres en forme de poire, les cirques (Cilaos,
le sud-ouest de l’océan Indien. C’est l’île la plus Salazie, Mafate), autour du Piton des Neiges.
occidentale de l’archipel des Mascareignes qui compte Dans le massif de la Fournaise, c’est un emboîtement
aussi Maurice et Rodrigues. de remparts d’accidents géologiques : versants de la
Elle est située à environ 230 km au nord du tropique rivière des Remparts, remparts des Sables, remparts
du Capricorne (55°5 E/21°8 S). de l’Enclos Fouqué.
C’est un département français depuis 1946 et une Tel est le contexte exceptionnel, auquel s’ajoutent
région depuis 1983. des valeurs écologiques non moins exceptionnelles,
Vue de loin, en mer, elle a l’aspect d’un cône surbaissé : qui ont conduit à une inscription au Patrimoine
le géographe Defos du Rau parlait d’une allure de mondial par l’Unesco en 2010. Inscrit sous le nom de
« chapeau annamite ». Vue de près, elle est formée « Pitons, cirques et remparts », il ne concerne qu’une
de deux massifs volcaniques : au nord-ouest, le Piton partie de l’île (1059 km2 soit 42 % de la superficie
des Neiges (3070 m), construction la plus ancienne, totale).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 85


Une île ronde en forme de cône surbaissé. Photo H. Douris.

La Réunion géographique et La Réunion géologique Deux pitons principaux

Le Massif du Piton des Neiges


Bathymétrie acquise lors des Le nom du massif vient du nom du point culminant
campagnes océanographiques
FOREVER et ERODER de l’île (3070 m) : par rapport à la base de l’édifice
(recadrée). In La Réunion, sur le plancher océanique, cela représente une hauteur
une île posée au fond de
l’Océan Indien – Campagnes
de plus 7000 m, soit le deuxième volcan insulaire du
océanographiques FOREVER monde par ses dimensions verticales, après Big Island
et ERODER.
(Hawaï). Son centre, érodé, se trouvait au niveau du
Les campagnes de bathymétrie FOREVER Rond du Bras Rouge. Du sommet au gîte, la pente
et ERODER ont permis de lever avec précision le relief des fonds marins est couverte par des produits stromboliens (bombes,
autour de La Réunion. lapilli, cendres) qui reposent sur un empilement de
La Réunion géographique correspond à ce qui dépasse de l’eau, sa surface est coulées scoriacées et de projections datées d’environ
un ovale de 55 × 75 km. 30 000 ans.
La Réunion géologique est un grand cercle de 220 km de diamètre, centré sur Le point culminant se poursuit vers le nord par la
le Piton des Neiges, qui commande donc et structure la forme de l’île. Elle chaîne des Salazes et par le Gros Morne, deuxième
repose sur le fond de l’océan à 4 km de profondeur ; au NE, sa base fait du sommet de l’île avec 3019 m.
pied à l’île Maurice géologique (coin supérieur droit de la carte). Les sommets centraux correspondent au déclin
La Réunion géographique ne représente guère que 4 % du volume total de du volcan. Ce sont des topographies ruiniformes,
l’édifice, c’est dire que son histoire géologique connue ne correspond qu’au menacées d’éboulements importants, comme dans le
dernier épisode. Rond du Bras Rouge en 1984.

Le Piton des Neiges, depuis la Plaine des Cafres.


Photo J.-F. Bègue.

86 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Tout cet ensemble domine nettement les cirques
et leurs bourgs et ilets : en contrebas Cilaos est à
1200 m, Hell Bourg (Salazie) à 980 m, la Nouvelle
(Mafate) à 1400 m !

Le Massif du Piton de la Fournaise


Il est constitué d’un large cône situé au milieu d’une
grande zone d’affaissement, l’Enclos.
L’Enclos forme un grand « U », d’environ 13 km sur
9 km, ouvert à l’est sur l’océan Indien. Il est
entièrement ceinturé de falaises, les remparts, qui le
surplombent de 100 à 400 mètres.
La partie haute, « l’enclos Fouqué » (au sens strict), Le 31 août 2006 : éruption dans le Dolomieu. Photo H. Douris.

est une zone assez plate comprise entre 2200 et 2000 Une éruption au Piton de la Fournaise
mètres d’altitude. La partie médiane, qui présente une Le 30 août 2006 commence une éruption dans le cratère Dolomieu, elle va
très forte déclivité jusque vers 450 mètres au-dessus durer quatre mois. Plusieurs petits volcans (Woundzani, Piton la Neige …)
du niveau de la mer, porte le nom de Grandes Pentes. ont construit des cônes et ont inondé, par leurs coulées de lave, le fond du
Quant à la partie basse, dénommée Le Grand Brûlé, grand cratère central de la Fournaise. Le 27 novembre, ces laves ont débordé
elle s’étale doucement jusqu’au rivage. et se sont déversées sur les pentes, vers l’est.
Le cône du piton de la Fournaise, d’un diamètre Sur la photographie ci-dessus, tous les éléments superficiels d’une éruption
d’environ 3 km, surmonte l’enclos Fouqué jusqu’à sont visibles :
l’altitude de 2632 mètres. Le bord oriental du cône – le nuage éruptif blanc, formé avant tout par la condensation de la vapeur
se situe à la limite des Grandes Pentes. La partie d’eau en gouttellettes ; il contient aussi du dioxyde de carbone, des oxydes de
sommitale présente deux cratères : soufre, de l’hydrogène sulfuré à odeur d’œuf pourri…Il résulte du dégazage
– le cratère Bory, à l’ouest, est le plus petit : 350 m de du magma arrivé en surface ;
long, 200 m de large, – les projections qui sont éjectées du cratère en feux d’artifice. Au début de
– le cratère Dolomieu, à l’est, est le plus grand cratère l’éruption, le magma est très riche en gaz et produit un jet continu (= fontaine de
avec 1100 m de long et 700 m de large. Suite à la lave), plus tard, de grosses bulles explosent (façon sosso-maï presque cuit) ; les
vidange de la chambre magmatique (avril 2007), la parois de ces bulles sont pulvérisées et les morceaux envoyés autour du cratère ;
quasi-totalité du fond du cratère s’est effondré sur une
profondeur de 300 m.
Deux singularités notables se distinguent dans la partie
nord de l’Enclos :
– une zone creuse d’environ 2,5 km de diamètre, la
Plaine des Osmondes ;
– un pointement rocheux isolé s’élevant à 1368 m,
le piton de Crac, vestige d’un relief antérieur à la
formation de l’Enclos.
La partie active du Piton de la Fournaise s’étend
au-delà de l’Enclos. En effet la zone préférentielle
d’écartement ou rift-zone, (voir plus loin « Les éruptions ne
se produisent pas n’importe où. ») où s’ouvrent les fractures Une bulle explose au piton Bord de mer. Le 30 août 2004. Photo Ph. Mairine.
éruptives, forme un croissant plus évasé que le « U » de
l’Enclos. Cette bande de fragilité passe par le sommet, – le cône de projections (= cône éruptif = volcan = piton = spatter-cone) est
rejoint l’océan vers Saint-Philippe au sud et Sainte- construit par l’accumulation des projections qui retombent autour de la bouche
Rose au nord, où peuvent se produire des éruptions éruptive (ou cratère) ;
dites « hors-Enclos ». – les coulées de lave représentent l’essentiel (98 à 99 %) du magma dégazé.
Elles sortent du cratère égueulé ou, un peu plus loin, par des tunnels de lave.
Pendant les quatre mois de l’éruption, 15 à 20 millions de m3 de lave ont
recouvert le fond du Dolomieu et se sont écoulés vers les Grandes Pentes. Les
éruptions dans l’Enclos sont très peu explosives, car le magma qui monte
dans sa cheminée est fluide et laisse s’échapper facilement les gaz. On parle
d’éruptions effusives.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 87


Des cirques autour du Piton des Neiges
Réflexion sur le terme de « cirque »
Jusqu’au début du XXe siècle, le terme de cirque
n’apparaît pas sur les cartes de La Réunion. Il ne
figure pas sur la carte de Bory de Saint Vincent (1801).
Il en est de même sur la carte du lieutenant Textor
« Plan figuratif des deux Plaines des Palmistes et des
Cafres » (1851). Il n’est pas sur la carte de Robert
(1907), mais seulement sur une retouche de la carte
de Lépervanche (1935). Il a été incontestablement
popularisé dans le monde de la géographie française
avec la thèse de Defos Du Rau, (1960). Par contre, il
est employé par l’administration coloniale, lors d’un
dénombrement des habitants de Mafate (1873), réalisé
par le brigadier-chef Valentin.
Ce terme définit de vastes excavations circulaires
ou ellipsoïdales, à parois abruptes ou très inclinées,
creusées dans les flancs d’une montagne. Il est lié le
plus souvent à l’érosion glaciaire. Le plus connu sans
doute est celui de Gavarnie. Mais il concerne aussi Les trois cirques en forme de poires. Source BD Ortho. IGN 2008.
des topographies issues de l’érosion torrentielle : vastes
bassins de réception avec convergence des écoulements
vers un drain central, et un grand nombre de ravins L’allure générale du cirque : un amphithéâtre
à forte pente. à allure piriforme
En milieu volcanique, cette notion de cirque n’existe La topographie de cirque ne se trouve que dans
pas dans la littérature scientifique. L’étude la plus
l’ancien massif (Piton des Neiges).
récente sur ces formes d’amphithéâtres particuliers a
C’est un amphithéâtre fermé par des remparts, la seule
été faite sur l’archipel des Canaries. Une typologie a
été proposée : porte de sortie est celle des gorges de raccordement.
• la caldeira est une dépression qui s’apparente à une Cette dominante de relief est commune aux trois
topographie circulaire ou elliptique, produite par cirques. L’allure générale est en forme de poire, plus
l’effondrement de l’aire centrale d’un volcan. marquée à Cilaos que dans les deux autres cirques.
• la notion de caldeira d’érosion concerne des
dépressions d’origine volcanique dont le drainage a Un ensemble de trois cirques qui ajoute
été capturé par l’érosion régressive d’une des vallées à l’exceptionnel
voisines ; La morphologie caractéristique du cirque se retrouve
• les vallées amphithéâtres volcano-structuraux font sur trois des quatre points cardinaux, par rapport aux
référence aux vallées des îles Hawaï s’achevant en sommets centraux du Piton des Neiges : cet équilibre
amont par des amphithéâtres d’érosion (amphitheatre architectural attire le regard par sa symétrie, et
valley heads) ; l’impression de perfection qui s’en dégage.
• les grands amphithéâtres d’érosion, essentiellement
torrentielle, atteignent des dimensions remarquables,
La ressemblance entre toutes ces topographies est
supérieures à 5 km de diamètre, et 1500 m de
de nature à susciter la curiosité, même si, dans les
profondeur.
détails, des différences s’observent facilement. La
Mais les cirques de La Réunion : correspondance entre l’allure piriforme de l’excavation
– ne sont pas d’origine glaciaire, et l’allure générale d’un bassin de réception d’un
– ne sont pas, non plus, exclusivement des formes torrent évolué est frappante. L’unique sortie des eaux
d’érosion torrentielle, par les gorges de raccordement est aussi source de
– résultent d’un héritage complexe en milieu questionnement, alors que des vallées suspendues, ici
volcanique insulaire tropical. où là, à l’horizon des lignes de crête, démontrent que
C’est l’un des éléments qui explique leur caractère la circulation des eaux n’a pas toujours été la même.
remarquable: ces topographies sont uniques et leur
qualification géographique exprime un embarras
conceptuel du fait qu’elles ne répondent à aucun
standard connu dans le monde et largement utilisé
en sciences.
88 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Ilet à Cordes, cirque de Cilaos. Photo H. Douris, in Dossier de candidature
« Pitons, cirques et remparts ». 2008.

exemple à Cilaos les topographies d’amont de fond de


Les trois cirques du Piton des Neiges. Modèle numérique de terrain.
cirque ne ressemblent pas à celles de l’aval. Les espaces
Parc national de La Réunion. Estompage du MNT BD Alti de l’IGN, in
Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
plats, faiblement inclinés (nommés îlets) y sont rares.
Une fondation à l’origine d’un trinôme de Dans les deux autres cirques ces espaces caractéristiques
paysages morphologiques sont plus rares et placés plutôt en amont (Hell Bourg
Il ne faut pas se concentrer sur les seuls cirques. En dans Salazie, La Nouvelle dans Mafate).
joaillerie, on dirait qu’ils sont « sertis clos ». Dans le
même temps que ces amphithéâtres se sont agrandis, Les cloisons résiduelles
deux autres topographies majeures ont évolué. Les Dans certains cas, les fonds de cirque présentent une
planèzes, qui partagent les mêmes limites avec les autre topographie que celle de fonds chaotiques :
flancs des cirques, ont rétréci et les sommets centraux entre deux vallées proches s’élève une mince crête, un
sont nettement limités par les remparts d’amont des interfluve particulier (crête de la Marianne, Mafate).
cirques, qui évoluent progressivement pour développer Ces cloisons s’expliquent quand on sait que les cirques,
les aspects ruiniformes de ces sommets. au cours de leur formation, ont souvent été victimes
La forme en amphithéâtre concentre les masses d’eau de remplissages volcaniques par des coulées de lave
de pluie et favorise une érosion torrentielle exacerbée, du Piton des Neiges, celles-ci ont rempli d’abord les
alors que les pentes des planèzes sont des aires vallées (voir plus loin, stade 6 de « Histoire d’un cirque »). Ces
d’hydrologie rayonnante. Le substratum de fond de structures sont plus solides à l’érosion que les brèches
cirque (brèches diverses, coulées hydrothermalisées…) qui les entourent.
résiste peu à l’érosion linéaire, si bien que l’incision Il y a un exemple très connu dans Cilaos, celui de
torrentielle y est fortement présente. Gueule Rouge que la RN 5 traverse par deux tunnels
routiers. On n’en trouve pas dans Salazie sauf si on
Les principales composantes des paysages considère la cloison résiduelle située entre le Bras
des cirques de Caverne et la Rivière du Mât, hors du cirque de
En dehors de la situation relative de chaque cirque, Salazie lui-même.
c’est l’ensemble des différences de relief qui font
l’originalité et l’intérêt de chaque amphithéâtre.

Les fonds chaotiques


L’aspect chaotique vient de sa constitution par des
multiples dépôts de brèches diverses. C’est donc une
conséquence de l’action de l’érosion (creusement) puis
de la gravité (effondrements, glissements de terrain) dans
la formation de la topographie. La tectonique va guider
la forme générale des cirques et l’érosion va les creuser.
L’aspect diversifié vient du fait que malgré un air
de famille commun, les cirques offrent des détails
morphologiques différents. À l’intérieur de chaque
cirque, les fonds varient également à l’extrême ; par Crête de la Marianne, cirque de Mafate. Cloison résiduelle. Photo J.-F. Bénard.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 89


Cirque de Cilaos et le Dimitile, vus d’avion. Photo H. Douris, in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

Les vallées et badlands


Le fond des cirques propose une densité considérable Originalités morphologiques de chaque cirque
de vallons à écoulement très sporadique. Ces vallons Les conditions particulières, liées à la situation
strient les versants des principales vallées. Ils donnent géographique de chaque amphithéâtre, à la mise en
le paysage caractéristique de « bad lands », paysage place des structures originelles, à l’évolution de la
nu et accidenté constitué de terrains fragiles (brèches tectonique, des remplissages et de l’érosion, sont à
meubles) ravinés par le ruissellement. l’origine des originalités de chaque espace.
Taillés dans du matériel brèchique hétérogène, les
bad-lands ont assez souvent une évolution rapide Le cirque de Cilaos
(exemple en amont du Pont de la Savane, rive
gauche de la Rivière du Mât, Salazie). À leur base se Les verrous d’entrée du cirque de Cilaos
trouvent fréquemment des accumulations d’éboulis à Les verrous d’entrée ont barré les gorges d’écoulement :
allure de petits cônes de déjection. Elles sont reprises il s’agit de structures mêlées de coulées volcaniques,
partiellement, ou totalement, par la crue suivante : les de brèches de glissement et d’alluvions torrentielles, le
brèches, transportées par les flots, vont se transformer tout éventré par la rivière actuelle.
En montant vers Cilaos, le premier verrou est celui
progressivement en alluvions.
de Petit Serré (toponyme évocateur), puis vient celui
qui domine le site du Pavillon. Il semble bien que
les brèches d’un grand glissement soient en partie
responsables de ces verrous ; les alluvions sont venues
se déposer à leur contact, au fond d’un lac de barrage
temporaire. Ces verrous d’entrée sont une forte
originalité de Cilaos par rapport aux deux autres
cirques : les remparts des gorges dominent ceux d’un
défilé étroit créé par le torrent aux dépens du matériel
déposé (brèches et alluvions). Il y a là un emboîtement
de formes de rempart.

Les remparts qui font la limite du cirque


Celui d’amont est marqué par de gros blocs
qui ont glissé, tel le Grand Matarum : c’est un
Bad-lands du cirque de Cilaos. Photo J.-C. Notter, témoignage de l’évolution du môle ruiniforme central.
in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

90 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Il est aussi marqué par le développement de deux petits Entre l’aire de Palmiste Rouge, et celle de Cilaos, se
cirques torrentiels, formés par l’érosion régressive du dresse une cloison résiduelle, mince et élancée, celle
Bras Rouge et de son affluent aux dépens de la crête de Gueule Rouge, traversée par deux tunnels routiers.
des Salazes. Le plateau de Cilaos est à 1200 m, soit Les deux remparts de cette topographie s’inscrivent
1800 m en dessous du sommet du Piton des Neiges. nettement dans le panorama, et séparent l’aire de
Le rempart nord présente une autre différence, Palmiste Rouge du reste du fond du cirque. À la
d’ordre structural cette fois, qui vient du grand différence de Mafate, c’est la seule cloison résiduelle
nombre d’injections laviques qui le strient (dykes et de Cilaos.
surtout sills). Cette densité est tout à fait remarquable
par rapport aux autres remparts de l’île (voir plus loin, Les chevrons en base du rempart Est de Cilaos
« L’activité souterraine des massifs volcaniques : cheminées, dykes À la base du rempart qui va du Côteau Kerveguen
et sills »). au sommet de la planèze du Dimitile, des chevrons
Les remparts d’aval, grâce à la présence de vallées semblent soutenir le rempart tels des contreforts.
suspendues, témoignent de l’évolution de la région : Certains sont des restes de grands éboulements,
vallée suspendue du Bras Patate (rempart nord), d’autres, plus solides, sont constitués de coulées
vallée à double emboîtement (à la sortie des gorges de probablement séparées du rempart par une faille.
raccordement, en rive droite).

Les remparts secondaires de fond de cirque


En amont du cirque, les remparts des vallées
principales du réseau hydrographique délimitent
nettement les hautes terres, plans légèrement inclinés,
découpés en trois sous-ensembles par l’érosion linéaire
de deux torrents, le Bras Rouge et le Bras de Benjoin.
De l’ouest à l’est : celui de l’Ilet à Cordes en rive droite
du Bras Rouge, celui de Cilaos entre les deux Bras,
celui de Bras Sec en rive gauche de Bras Fleurs Jaunes,
rappellent la notion de plate-forme d’érosion.

Chevrons de Cilaos. Photo J.-C. Notter.


La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 91
Cirque de Mafate, depuis l’Ilet des Orangers. Photo H. Douris, in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
Le cirque de Mafate L’originalité de Mafate
L’amont du cirque propose des sous-ensembles de
Le col de Taïbit petits plans inclinés (La Nouvelle, Marla, Kelval…),
Entre les deux cirques de Cilaos et Mafate s’est découpés par la vallée de la Rivière des Galets et ses
progressivement creusé le col de Taïbit par érosion affluents.
régressive combinée du Bras Rouge (Cilaos), de la En aval, le paysage devient très original, avec un
Rivière des Galets (Mafate) et de leurs affluents. De ensemble de minces cloisons résiduelles parallèles,
plus, le glissement de Marla a fait descendre le flanc orientées amont/aval séparant les composantes
nord. Ce col constitue une vaste ouverture entre le principales du réseau hydrographique de la Rivière
Grand Bénare (2 898 m) et le Gros Morne (3 019 m). des Galets :
Une présence pittoresque est celle des Trois Salazes, • Crête de la Marianne, entre Bras Sainte-Suzanne et
restes d’une coulée épaisse ruinée par l’érosion. Bras des Merles ;
• Crête d’Aurère, entre Bras Bémale et Bras d’Oussy ;
Deux autres cols • Crête des Calumets entre Bras d’Oussy et Rivière
Entre les cirques de Mafate et Salazie se situe un autre des Galets ;
ensemble de cols (col de Fourche, col des Bœufs qui • Crête des Orangers entre Rivière des Galets et
va de la base du Gros Morne au Cimendef). C’est Ravine des Orangers.
le produit de l’érosion régressive des deux réseaux
hydrographiques opposés, Rivière des Galets dans
Mafate et Rivière du Mât dans Salazie. Entre les deux
constructions se place le Morne de Fourche, un relief
résiduel, à tendance ruiniforme.
La verticalité de la paroi du Gros Morne en amont
du cirque, de celle du Grand Bénare (avec petits
chevrons à la base) est importante, et donne, plus
qu’ailleurs l’impression d’encaissement. Entre le site de
La Nouvelle et le sommet du Gros Morne, la
dénivellation est de l’ordre de 1600 m.

92 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Cirque de Salazie, depuis le Piton des Neiges. Photo H. Douris, in Dossier de Piton d’Anchain, cirque de Salazie. Photo R.Robert,
candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008. in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

Le cirque de Salazie multiples cicatrices d’effondrements (les dernières datent


de mars 2006, pluies de la tempête tropicale Diwa).
Les remparts en limite de cirque La mise en place de ce qui est la seule structure
L’ensemble des remparts qui font la limite du cirque volcanique (à peu près) intacte dans un environnement
cerne des paysages différents : chaotique de brèches reste encore une énigme.
- du côté est, des gorges de raccordement jusqu’au L’hypothèse la plus séduisante serait qu’un énorme
Cap Anglais (au-dessus de Terre Plate au village bloc se serait détaché des sommets centraux (région
de Salazie), ils sont originaux par la présence de du Gros Morne) et aurait glissé jusqu’à occuper sa
nombreuses cascades alimentées par des résurgences position actuelle (voir plus loin « la formation des cirques »).
d’eaux provenant de Bélouve. Par ailleurs, on n’observe pas de cloisons résiduelles
- du côté sud, ce sont les remparts qui font la limite du comme à Mafate, pas de vastes plans faiblement inclinés
môle ruiniforme central et qui proposent un ensemble comme à Cilaos, mais un ensemble de formes chaotiques.
assez chaotique, avec deux types d’évolution. Les Quelques replats existent toutefois. Il s’agit
remplissages tardifs (voir plus loin, stade 7 de « l’Histoire d’interfluves, servant de sites aux villages d’Hell Bourg,
d’un cirque ») et les glissements de terrain créent ces de Mare à Poule d’Eau, de Mare à Vieille Place, de
topographies en marches d’escaliers géants : c’est ce Grand Ilet. Mais ils sont à des altitudes différentes et
qui donne cet aspect ruiniforme à l’ensemble central. ne présentent aucune homogénéité comparable aux
L’érosion torrentielle, rend de plus en plus mince la plans de Cilaos.
crête résiduelle sommitale qui permet de passer du
Côteau Kerveguen aux sommets du Piton des Neiges. Le trait dominant est donc une accumulation
- du côté nord-ouest à nord, c’est une combinaison de informe de brèches variées. Les remparts des vallées
remparts abrupts, séparés par des vallées suspendues. encaissées du Bras Fleurs Jaunes et de la Rivière du
Le Cimendef est une construction résiduelle, avec Mât, délimitent trois sous-ensembles : au nord, celui
une forme triangulaire remarquable. Il est séparé du de Grand Ilet / Mare à Martin ; au centre, celui de
rempart de la planèze de la Roche Écrite par une Mare à Vieille Place / Mare à Citrons / Salazie-village
vallée suspendue (la plus parfaite sans doute), celle du / Bois de Pommes ; au sud, celui d’Hell Bourg / Mare
Bras Sainte Suzanne. Le rempart de la Roche Écrite à Poule d’Eau. Entre le Piton d’Anchain et Hell Bourg,
est séparé de celui de la planèze des Fougères par la on observe des méandres morts, de la Rivière du Mât.
vallée suspendue de la Rivière des Pluies, un torrent La fragilité de ces structures se voit à la multiplicité des
qui coule vers le nord de l’île (région de Gillot). bad lands, le long des vallées actuelles, ou le long des
anciens méandres.
Le fond de cirque La présence de coulées d’ennoyage tardif ayant
Il est dominé par la présence du Piton d’Anchain. emprunté la canalisation naturelle de la vallée
L’originalité de ce Piton vient à la fois de sa position engendre un resserrement ponctuel des remparts.
centrale, de son apparente cohésion structurale, (seule C’est le cas en aval du Pont de la Savane vers le pont
topographie de fond de cirque qui ne soit pas faite de du village de Salazie, puis vers le Plateau Wickers et le
brèches), de la raideur de ses pentes. Pont de l’Escalier.
De forme grossièrement trapézoïdale, lorsqu’on le
voit d’Hell Bourg, ses remparts sont abrupts, avec de

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 93


« sous le vent ». Simple question d’évolution régionale.
En faisant le tour du massif du Piton des Neiges, on
trouve :
- la planèze du Grand Bénare, limitée en amont par les
cirques de Cilaos et Mafate, et vers l’aval par les gorges
du Bras de Cilaos et de la Rivière des Galets ;
- la planèze de la Roche Écrite, est limitée en amont
par les cirques de Mafate et Salazie, vers l’aval par
les vallées de la Rivière Saint Denis et la Rivière des
Pluies ;
- la planèze des Fougères, s’arrête en amont au-dessus
de Salazie ; elle est définie par les gorges de la Rivière
des Pluies et de la Rivière du Mât ;
- la planèze du Mazerin, à l’est, domine les plateaux de
Bélouve et des Marsouins (Bébour), limitée par le Bras
Caverne, et par la Rivière des Marsouins.

La relation entre planèzes et cirques a évolué au fur


et à mesure de l’épanouissement et du creusement
des cirques. La preuve en est que la ligne de crête des
planèzes est parfois marquée par la présence de vallées
suspendues :
Mare à Poule d’eau, cirque de Salazie. Photo J.-C. Notter, in Dossier de candi- – le Bras Patate (réseau hydrographique de la Plaine
dature « Pitons, cirques et remparts ». 2008. des Makes) recoupé par Cilaos,
La multiplicité des mares au fond de Salazie – les affluents en rive gauche de la Rivière Saint
Sur un fond chaotique, dans le plus arrosé des trois Denis, qui s’interrompent brutalement au contact du
cirques, de petites dépressions naturelles sont occupées rempart nord de Mafate,
par des mares. La plus célèbre est la Mare à Poule – entre les sommets des planèzes de la Roche Écrite et
d’Eau. Mais il y a la Mare à Martin, la Mare à des Fougères au nord du massif, la crête est remplacée
Goyaves… par un col qui correspond à la limite amont (actuelle)
Exception faite de la Mare à Poule d’Eau, les autres de la Rivière des Pluies.
ont une extension variable selon les saisons. Certaines
de ces mares sont maintenant asséchées : leur nom Ces témoignages montrent que l’émergence des cirques
reste dans la toponymie du cirque, comme pour la a été la cause d’une très importante redistribution des
Mare à Citrons. ressources en eau d’écoulement à la surface du massif
L’originalité de ces « mares » est d’être « perchées » du Piton des Neiges.
sur les îlets. Elles sont souvent à l’origine d’érosion en Si sur les pentes externes l’écoulement a une allure
« chasse d’eau ». rayonnante, à l’intérieur des amphithéâtres, cet
écoulement est totalement concentré.
Les cirques et leur environnement :
les planèzes

En deçà des grands amphithéâtres, c’est le domaine


des pentes régulières externes du massif. L’érosion
torrentielle, souvent aidée par l’évolution tectonique,
a créé des vallées nettement encaissées et découpé
l’ensemble des pentes externes du Piton des Neiges
en sous-ensembles triangulaires nommés planèzes. Ces
planèzes ont leur pointe en amont et leur base en aval.
Les limites de ces planèzes sont pour une bonne part
les remparts des cirques.
Elles sont plus nombreuses, et donc de moindre taille
sur la façade orientale « au vent » que de l’autre côté, Principales planèzes du massif du Piton des Neiges. In Dossier de candidature
« Pitons, cirques et remparts ». 2008.

94 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Des remparts Le rempart à grande densité d’injections
à l’ouest de Cilaos
Les remparts sont les lignes identitaires des cirques
et de leur environnement géomorphologique : cette
définition préalable permet la mise en évidence de trois
cirques coalescents (Salazie, Mafate, Cilaos) tout autour
des sommets centraux. Ils sont communs comme
limites des cirques et des planèzes environnantes.
Ce qui frappe l’attention et contribue à leur qualité
esthétique indéniable, c’est :
• leur hauteur, de plusieurs hectomètres à plus de mille
mètres, facteur d’isolement géographique, facteur de
contraste avec le milieu ouvert des pentes externes
régulières ;
• leur linéarité, particulièrement sur les remparts de Rempart à grande densité d’injections à l’ouest de Cilaos. Photo J.-C. Notter,
flanc, et leur pente, de l’ordre de 70 %, voire plus ; in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
• leur double convergence vers les sommets centraux
en amont et vers les gorges en aval qui contribue à
l’allure piriforme des cirques. Du pont du Bras Rouge, le chemin départemental qui
Ces remparts imposants et réguliers donnent aux dessert le village de l’Ilet à Cordes, longe le rempart
cirques une allure de « bout-du-monde », une allure ouest du cirque de Cilaos. Ce site est remarquable
de paysage fini, qu’apprécient tous leurs observateurs. par l’abondance des injections laviques, qui parfois
se superposent ou bien se recoupent. Les sills sont
Le rempart à cascades au sud-est beaucoup plus nombreux que les dykes. C’est une forte
du cirque de Salazie originalité paysagère.

L’activité souterraine des massifs volcaniques :


cheminées, dykes et sills
Quand la pression monte dans une des chambres magmatiques, cette dernière
gonfle et fait enfler le Piton de la Fournaise. Si cela se poursuit, le magma
fracture les roches (séismes), s’injecte dans la fissure et écarte les bords. Il
monte par à-coups et, s’il arrive en surface, il produira une éruption.
L’éruption finie, le magma ne redescend pas, se solidifie dans la cheminée et
en fixe l’écartement.
Ces injections refroidies ne peuvent s’observer que si l’érosion a enlevé les
roches qui les entouraient (pentes du Piton des Neiges …) ou si un accident
tectonique les a recoupées, (Pas de Bellecombe…).
Rempart à cascades, cirque de Salazie. Photo J.-C. Notter, in Dossier de
candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

Son originalité vient de la présence de nombreuses


cascades pérennes qui s’étalent des gorges de
raccordement en aval du cirque jusqu’au village
d’Hell Bourg.
Une ligne de résurgences apparaît nettement au tiers
supérieur du rempart : les cascades ne chutent pas du
sommet du rempart. La pluie qui tombe sur le plateau
de Bélouve, qui domine au sud le cirque, s’infiltre dans
le substrat récent et perméable du plateau.
Cette infiltration s’arrête vraisemblablement au
contact d’un horizon imperméable
La plus célèbre de toutes les cascades est le Voile de la
Mariée, située en amont du village de Salazie.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 95


Le sill de Trois Roches, à Mafate, mérite d’être connu ; la dalle rocheuse sur
laquelle coule la Rivière des Galets est un sill injecté il y a fort longtemps au
cœur du Piton des Neiges et mis en lumière par l’érosion.
Un massif volcanique grandit grâce aux laves amenées en surface lors
Deux
cheminées d’éruptions, mais il grandit aussi de l’intérieur par les injections répétées de
du vieux dykes (dont les cheminées) et de sills.
Piton des
Neiges.
Photo
H. Douris.

Une cheminée
du Piton de
la Fournaise
recoupée
par le Pas de
Bellecombe.
Photo Ph.
Mairine. La dalle de Trois Roches est un sill qui résiste bien à l’érosion de la Rivière des
Galets. Photo Ph. Mairine.
Les cheminées se présentent comme des lames de lave plus ou moins verticales,
en général larges de moins d’un mètre, longues de quelques centaines de mètres Entre construction et destruction,
et hautes de plusieurs km. Elles sont souvent orientées vers le sommet principal une histoire géologique complexe
de l’époque où elles se sont mises en place.
Les origines de l’île
Lors d’un parcours au fond des cirques ou sur la Route du Littoral, on
aperçoit de nombreuses injections plus ou moins verticales, mais on ignore si La Réunion, expression d’un panache
elles sont arrivées en surface ; ces structures sont appelées « dykes ». Un dyke mantellique
sur deux est arrivé en surface comme cheminée (données d’Hawaii). L’alignement des îles ainsi que la continuité des
structures volcaniques de l’ensemble Ride des
Mascareignes –Maurice – Réunion sont classiquement
interprétés comme des preuves que leur volcanisme est
le produit du fonctionnement d’un point chaud et du
déplacement de la plaque indienne vers le nord, puis
de la plaque africaine vers l’est-nord-est.

Les volcans de Maurice (8 Ma) et de La Réunion


(plus de 5 Ma) apparaissent alors que la migration
lithosphérique semble nettement se ralentir.
Un des nombreux dykes visibles de la Par ailleurs, les données géochimiques corroborent
Route de Cilaos, à la sortie du dernier l’hypothèse d’un volcanisme associé au fonctionnement
tunnel avant Cilaos. Photo Ph. Mairine.
d’un point chaud.
Parfois le magma est bloqué dans son ascension et alors s’injecte Toutefois, une hypothèse alternative a été proposée.
horizontalement, soulevant les roches. Ces injections sont des « sills ». Après Elle considère la situation relativement stationnaire de
dégagement par l’érosion, ils se distinguent bien des roches encaissantes : ce la plaque africaine au cours des 30 derniers millions
ne sont pas des coulées et ils sont souvent plus solides que les autres couches. d’années, et invoque l’impossibilité que la Ride
des Mascareignes - Maurice - La Réunion soit issu
d’un même point chaud, les écarts d’âge étant trop
importants entre leur formation.
Cela sera sans doute clarifié par la campagne
d’acquisition des données sismographiques autour de La
Réunion (Rhum-Rum). Les résultats, attendus en 2017,
permettront de définir la forme du panache de roches
Un sill (horizontal) a recoupé surchauffées qui monte sous l’île et alimente (et alimentait)
un dyke (presque vertical).
Bras de Cilaos au niveau de en magma les Mascareignes (= le point chaud).
Pavillon. Photo Ph. Mairine.
96 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Les volcans intra-plaques, comme celui de La Réunion, Le massif du Piton des Neiges :
comptent parmi les édifices volcaniques les plus volumineux son histoire
de la planète ; parmi ceux-ci figurent les grands volcans
hawaïens. Toutefois, les volcans réunionnais ne sont pas la L’histoire du massif du Piton des Neiges est longue et
copie conforme de ceux d’Hawaï. peut s’écrire en trois parties :
L’une des différences est l’absence d’enfoncement - l’activité sous-marine jusqu’à l’émersion ;
de la croûte sous La Réunion : l’île malgré le poids - l’ « âge adulte » avec la construction d’un volcan
des constructions volcaniques ne s’enfonce pas. Une bouclier ;
explication possible est que le poids des grands volcans - le stade du strato-volcan.
(force qui appuie sur la croûte) est compensé par la
pression du panache ascendant sous cette croûte. L’émersion
L’édification des îles océaniques est souvent le fruit de L’île Maurice, après avoir été alimentée en magma
la juxtaposition de plusieurs volcans boucliers. A La profond par le point chaud dit « de La Réunion »,
Réunion, le Massif du Piton des Neiges (coulées datées s’est retrouvée, voici quelques dizaines de milliers
de 2 800 000 à 12 000 ans), profondément érodé et d’années, trop loin de celui-ci (la plaque africaine sur
aujourd’hui inactif, et le Massif du Piton de la Fournaise laquelle elle est posée l’a déplacée vers l’est-nord-est) :
(coulées datées de plus de 500 000 ans), volcan actif, le volcanisme s’est progressivement arrêté et depuis
sont morphologiquement bien identifiables. Maurice s’érode et s’enfonce dans l’océan.
Mais les données géophysiques et les échantillons C’est ce que les professeurs de Sciences de la Vie et de
prélevés grâce au forage profond du Grand-Brûlé ont la Terre ont enseigné pendant des dizaines d’années
permis de révéler l’existence d’une autre chambre à La Réunion mais, depuis, la campagne Rhum-Rum
magmatique dont les laves ont construit le « Volcan et de nouvelles datations remettent cela en cause. Il
des Alizés », aujourd’hui détruit ou masqué. semble que les 3 îles aient débuté leur carrière ensemble
Le volcan des Alizés, à l’Est du Piton de la Fournaise vers -10 Ma, alimentées par un panache en forme de
actuel, fut donc un lieu privilégié du transfert du chaussette (le pied en haut). Ensuite Rodrigues n’a
magma vers la surface. Les complexes intrusifs plus été alimentée (chaussette rétrécie), puis Maurice
(péridotites et gabbros) qui révèlent l’existence de il y a quelques dizaines de milliers d’années. La
cet édifice volcanique apparaissent (par le forage et tectonique des plaques n’explique pas les âges mais la
la géophysique) presque aussi développés que ceux « chaussette » permet de comprendre Rodrigues, non
du Piton des Neiges. L’activité du volcan des Alizés explicable par le déplacement de la plaque africaine.
a pu débuter il y a près de 10 millions d’années et A 200 km à l’ouest-sud-ouest de Maurice, au-dessus
probablement se terminer avant les débuts du Piton du point chaud, le « panache mantellique », fait de
de la Fournaise ancien. Les structures aériennes de cet roches ascendantes très chaudes, soulève et perce le
édifice, qui a pu atteindre près de 2000 m d’altitude, fond de l’océan Indien. Des laves sous-marines (type
ont été largement détruites par l’érosion et par les « pillow-lavas, en forme d’« oreillers ») s’accumulent
grands glissements de flancs qui vont caractériser sur plus de 4 km de haut.
l’activité de La Fournaise au cours des derniers Quand elles arrivent à la surface, le magma produit
500 000 ans. Les laves des Alizés n’affleurent plus et, les premières éruptions aériennes qui vont bâtir une
par conséquent, la connaissance de ce massif, qui fut nouvelle île : le Piton des Neiges et le Volcan des Alizés
l’un des édifices majeurs de La Réunion durant des émergent.
millénaires, est extrêmement réduite. C’était il y a environ 4 millions d’années. La date de
La découverte des formations détritiques sur les flancs naissance est peu précise car aucune lave de l’époque
de l’île, comme au cœur du massif volcanique du n’a été retrouvée.
Piton des Neiges, montre l’importance des processus
de démantèlement dans l’évolution des volcans La formation du volcan bouclier
océaniques. Elles sont aussi mises en évidence par la Le Piton des Neiges montre une activité semblable à
découverte des structures sous-marines tout autour de celle de la Fournaise depuis 450 000 ans, avec des
l’île : de grands épandages d’âges différents, rayonnent épisodes de construction et d’autres de destruction par
dans toutes les directions jusqu’à 100 kilomètres de la des accidents géologiques brefs mais violents, et par
ligne de côte, et jusqu’à – 4000 m. La masse détritique l’érosion dans des endroits isolés du centre volcanique.
maintenant sous l’eau représente près de 60 % du La construction se fait grâce à des laves basaltiques
volume construit depuis la naissance de l’île au-dessus fluides qui vont bâtir un massif volcanique aux pentes
du niveau de l’océan Indien. faibles, en forme de chapeau chinois ou de bouclier ;

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 97


son sommet devait atteindre environ 3 400 m. Les Les éruptions ne se produisent pas n’importe où
restes de ce volcan sont visibles dans le massif de Quand nous admirons le Piton de la Fournaise depuis le chemin du Nez
la Montagne, au Dimitile, au Cratère (au-dessus de Coupé du Tremblet, nous constatons que beaucoup d’éruptions ont lieu sur le
Saint-Benoît) ; les roches (surtout des basaltes à olivine) flanc sud du Volcan, alors que vers le Pas de Bellecombe (vers l’ouest ou la
y sont très altérées, car elles affleurent depuis plus de gauche de l’image) elles sont rares.
400 000 ans.
Ce volcanisme assez calme est toutefois troublé par des
phénomènes destructeurs.
Tout d’abord par la formation de caldeiras à la
suite de vidanges à basse altitude (voire en mer) de
chambres magmatiques (l’effondrement du Dolomieu
en avril 2007, suite à l’éruption du Tremblet en est
un petit exemple actuel). En effet, quand un réservoir
de magma est vidangé lors d’une éruption côtière ou
sous-marine, le plafond n’est plus soutenu et le centre
volcanique s’enfonce : cela donne une dépression
fermée de plusieurs kilomètres de diamètre.
Ces événements ont dû être nombreux ; de plus, La rift-zone sud-est, vue du Piton Rouge de l’Enclos. Photo F. Schmitt.
beaucoup de caldeiras ont été comblées par des laves
et ne se voient plus.
Les géologues (Patrick Bachélery, Luc Chevallier …) ont situé sur une carte
les points de sortie du magma. Ils sont concentrés sur des surfaces limitées
sous laquelle le magma peut s’injecter et monter en écartant les roches : on les
appelle « rift-zones » (RZ).

Cratère Dolomieu, après son effondrement en mai 2007. Photo H. Douris,


in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

Les seconds accidents géologiques destructeurs, sont Carte des rift-zones du Massif de la Fournaise et de celles du Massif du Piton
des Neiges. Document Ph. Mairine (Fond topographique : Litto3D®-SHOM
les glissements de flancs ; les plus grands ont fait 2012 et HYDRORUN-IFREMER, réalisation
glisser vers la mer un quart du massif volcanique. Les Parc national de La Réunion, 2016.

« déblais » résultant de ces catastrophes géologiques


s’étalent à terre (falaise du Cap de la Marianne à Toutes ces zones se croisent dans l’Enclos, là où se déroulent la plupart des
Boucan Canot, fond ou embouchure des cirques) et éruptions et où des produits volcaniques abondants bâtissent le Piton de la
surtout en mer. Fournaise même. Hors Enclos, dans la commune de Saint-Philippe, des éruptions
La cause principale de ces désastres est l’injection ont eu lieu sur la RZ SE en 1774, 1776, 1800 et 1986. De l’autre côté de
répétée de cheminées volcaniques dans des zones l’Enclos, la RZ NE inquiète les Saints-Rosiens (éruptions de 1977 et 1998).
préférentielles (les « rifts-zones ») qui repoussent puis
déstabilisent un flanc du massif encadré par deux de
ces structures volcaniques.
Les limites des effondrements guideront ensuite la
formation des futurs cirques. Les Puys Ramond. Photo G. Fontaine.

98 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les Puys Ramond résultent de l’activité de la RZ N10°, appelée aussi RZ Le magma monte dans les rift-zones, zones de faiblesse des massifs
des Puys Ramond. Le puy le plus jeune a fêté ses 600 ans. volcaniques ; là il peut écarter les roches et s’injecter vers la surface. Ces
Entre Bébour et la Plaine des Sables, de nombreux grands volcans parsèment endroits sont marqués dans le relief par des bombements, car les laves s’y
les Hautes Plaines et les pentes occidentales de la Fournaise ; ils appartiennent accumulent plus qu’ailleurs.
à la rift-zone NW-SE. Cette dernière n’a pas donné signe de vie depuis La fin du Piton des Neiges
l’arrivée des premiers Réunionnais mais une nouvelle éruption dans ce secteur Un grand accident, daté de 450 000 ans environ, a
causera de gros dégâts. A l’extrême NW, une coulée fournaisienne a envahi la modifié les structures profondes sous La Réunion : les
Rivière des Roches il y a environ 35 000 ans (bassins la Paix et la Mer). chambres du Piton des Neiges ne reçoivent plus de
magma profond, c’est la nouvelle Fournaise qui le collecte.
Les rift-zones du Piton des Neiges ont changé au cours du temps ; certaines Les restes de magma (il y en a beaucoup) vont évoluer
sont devenues difficiles à cerner pour cause d’érosion, de glissements ou de (« se différencier ») dans deux chambres et donner
recouvrement par des coulées. Celle de La Montagne a fonctionné une première des laves différentes du basalte : des roches pintades
fois il y a plus de deux millions d’années. Elle est recoupée par la falaise du (hawaïtes), des mugéarites, des benmoréïtes et des
Littoral, la Rivière Saint-Denis et Mafate. Dans les remparts, des structures trachytes.
verticales grises (des dykes) traversent coulées et projections ; par exemple, on Le magma dans la chambre la plus profonde change
en voit en aval de la prise d’eau dans la vallée (photo) ainsi qu’au début et à lentement et alimente les volcans des périodes à
la fin de la Route du Littoral … roches pintades : 340 000 – 250 000 ans, 140 000 –
100 000 ans et vers 30 000 ans.
Il remplit aussi la chambre supérieure.
Dans cette dernière, la roche en fusion va évoluer
plus rapidement vers des magmas trachytiques très
explosifs.
Entre 240 000 et 140 000 ans, plusieurs éruptions
avec nuées ardentes et nuages de cendres ont ravagé
les pentes du massif ; certaines ont laissé d’importants
dépôts :
– la « dalle soudée » du Maïdo,
Quelques dykes de rift-zone de La Montagne, recoupés par la Rivière Saint- – les « tufs » de Saint-Gilles, visibles le long de la route
Denis, en aval de la prise d’eau. Photo Ph. Mairine.
du théâtre,
– les « coulées de ponces et cendres de Saint-Pierre
Cette rift-zone a cessé de fonctionner il y a des centaines de milliers d’années (falaise orientale de la route de l’Entre-Deux et carrière
et l’érosion a réduit le massif de La Montagne. Plus tard, la partie amont de pouzzolane),
de la RZ s’est réveillée et des coulées ont recouvert le secteur remplissant les – les « ignimbrites » de Salazie, découpées en orgues.
vallées, comme celle de la première Grande Chaloupe, à l’ouest de l’actuelle. Dans un réservoir supérieur de cette époque, du
Les hauts fonds au nord de l’île (bleu pâle sur la carte) appartiennent au magma trachytique a cristallisé lentement et donné une
massif de La Montagne, bien réduit depuis les dernières éruptions ! syénite (roche grenue). L’érosion l’a ensuite dégagée et
Plus au sud, au large des Avirons, une crête sous-marine correspond à le Bras Rouge y a creusé une gorge profonde : c’est le
l’extrémité de la RZ de l’Etang-Salé (carte). Un échantillon dragué a été daté Pain de Sucre et la Chapelle de Cilaos.
à 2,5 millions d’années. Cette zone éruptive était reliée au centre volcanique Des chambres magmatiques basaltiques ont été
et a construit le flanc SW du massif. dégagées par l’érosion ; on les trouve au fond des
Les nombreux cônes volcaniques qui jalonnent la ligne Grand-Bénare – Les cirques, par exemple sous la passerelle de l’Ilet à Vidot
Avirons (voir la carte des rift-zones, ci-avant) montrent que cette rift-zone à Salazie. Le magma s’y est solidifié lentement et a
a été active aussi pendant la vieillesse du Piton des Neiges. Les derniers produit une roche grenue : du gabbro.
volcans qui ont éructé dans l’ouest de La Réunion sont les pitons La Boue et
Mare à Boue (en rose sur la carte des rift-zones). Leurs laves ont rempli les
vallées de l’époque, ont contourné le piton des Roches Tendres (sous Stella)
et ont construit la Pointe au Sel. Ils ne sont pas anciens car l’érosion a peu
entaillé leurs coulées. Cela se remarque quand nous circulons sur la Route des
Tamarins, entre la ravine du Cap et celle du Trou, nous ne franchissons pas
de ravines profondes.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 99


Des réservoirs magmatiques se cachent au cœur des Si le magma est basaltique (ß), les minéraux qui apparaissent sont le
massifs volcaniques ou l’activité souterraine d’un feldspath plagioclase (plutôt calcique), l’olivine, le pyroxène, la magnétite …
massif volcanique Dans certaines conditions (chimie, pression et température), l’olivine est
Lors de l’éruption d’avril 2007, la chambre magmatique supérieure du Piton dominante ; comme sa densité est supérieure à celle du magma, les cristaux
de la Fournaise s’est vidée à basse altitude, au niveau du Piton Tremblet. ont tendance à s’accumuler au fond du réservoir où ils formeront une roche
Son toit, n’étant plus soutenu par le magma sous pression, s’est effondré. grenue (sans pâte grise) appelée « dunite ».
L’effondrement s’est propagé vers le haut et le cratère Dolomieu s’est enfoncé
de 300 m.
Depuis cette époque, la chambre supérieure s’est reconstituée. Quelques
cheminées nouvelles ont suivi les limites de l’effondrement et des éruptions
se sont produites sur les flancs du Dolomieu, elles ont commencé à le remplir.

Une dunite incluse dans la lave du Piton Chisny. Photo Ph. Mairine.

On observe des morceaux de dunites dans les laves et les projections produites
par un magma profond qui a traversé de vieilles chambres magmatiques en
les cassant et en remontant des fragments (les volcans de la Plaine des Sables
Coupe hypothétique du Piton de la Fournaise, d’après J.-F. Lénat, par exemple).
P. Bachèlery (1990) et A. Peltier (2007).
Interprétation Ph. Mairine. Remarque : en surface, les laves refroidissent trop vite pour que des cristaux
deviennent visibles (ils restent microscopiques). Tous les cristaux d’une lave
Dans ses réservoirs, le magma refroidit lentement, un peu plus vite observables à l’œil nu ont grandi dans un réservoir magmatique.
au fond, car le liquide le plus chaud, un peu moins dense, monte. La rivière du Mât a enlevé les roches qui recouvraient une vieille chambre
Quand la température baisse et arrive au niveau de la température de magmatique du Piton des Neiges. Elle affleure sous la passerelle de l’Ilet à Vidot.
solidification des minéraux, ceux-ci commencent à cristalliser. Il leur faudra
des années pour devenir visibles à l’œil nu.

Quand le magma refroidit dans un réservoir magmatique, des cristaux


grandissent dans les endroits les moins chauds. Schéma Ph. Mairine.

Sous la passerelle de l’Ilet à Vidot affleure un gabbro formé dans une chambre
magmatique supérieure du Piton des Neiges. Photo Ph. Mairine.

Une salariée du Parc national de La Réunion est assise sur une roche grise
massive traversée par un petit dyke. Cette roche entièrement cristallisée, contient
des cristaux blancs (feldspath plagioclase) et d’autres sombres (pyroxène …).
Cette roche est un gabbro qui a la même composition chimique qu’un basalte.
De près, on observe des lits centimétriques plus ou moins clairs, c’est-à-
dire plus ou moins riches en cristaux de plagioclase : c’est un gabbro lité.

100 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Cette variation dans la minéralogie montre que la chimie de la chambre a Deux sites exceptionnels de La Réunion sont des réservoirs magmatiques
un peu varié dans le temps. Quand du magma « frais » envahit le réservoir, supérieurs qui se sont mis en place sous 2 km de lave, au cœur du Piton des
sa température remonte et sa composition devient plus « primitive », les Neiges. Ils sont refroidis depuis longtemps et nous pouvons les admirer car
conditions changent et les cristaux aussi. l’érosion a enlevé les roches qui les recouvraient.
Cette chambre magmatique a eu une vie longue et a provoqué de nombreuses L’un, celui de l’Ilet à Vidot, a fonctionné longtemps, c’est une vraie chambre
éruptions effusives il y a très longtemps (plus de 2 millions d’années). magmatique, l’autre (la Chapelle de Cilaos) n’est qu’une injection unique
A Cilaos, une énorme barre rocheuse claire, longue de plus d’un kilomètre, d’un magma évolué, trachytique.
haute de 500 m et large de 200 m est entaillée par le Bras Rouge en une gorge Les roches qui les constituent ne sont pas des laves, mais des roches grenues,
étroite, la Chapelle de Cilaos. entièrement cristallisées : gabbro et syénite.

Entre les épisodes de construction, l’érosion modèle le


relief de l’île.
De 220 000 à 140 000 ans, le volcanisme devient rare
(mais explosif) et les quatre cirques commencent leur
creusement, interrompu parfois par un remplissage
rapide par des dépôts de nuées ardentes (Bébour,
Salazie…).
Pour les paléontologues, le fait est acquis ! Il y a
environ 250 000 à 200 000 ans, la vie aurait disparu
La barre de syénite, traversée par le Bras Rouge. A droite la Chapelle et à
gauche, le « Pain de Sucre ». Photo Y. Zitte. (ou quasi totalement) à la surface de l’île. Il faut
concevoir a minima les conditions de ce cataclysme.
La roche constituant la Chapelle est entièrement cristallisée, mais ce n’est pas La disparition de la vie sur l’île s’imagine à cette
un gabbro. Elle contient essentiellement des feldspaths potassiques blanc-rosé, échelle non comme une extinction planétaire du type
c’est une syénite. Le magma qui s’est solidifié là est trachytique (voir « La de celle des dinosaures voici 65 Ma, mais par le biais
vieillesse agitée du Piton des Neiges »). d’un épandage de nuées ardentes à haute température,
Quand on étudie l’ensemble de la barre, on ne voit pas de lits ; la roche violemment expulsées.
présente le même aspect partout : son existence a été courte et correspond à un
seul événement. La vieillesse agitée du Piton des Neiges
La cartographie géologique du lieu montre qu’il s’agit d’un dyke très épais, • Pendant sa jeunesse et sa maturité (plusieurs millions d’années), le Piton
monté dans une fracture en arc de cercle, centrée sur le Piton des Neiges : c’est un des Neiges a vécu comme le Piton de la Fournaise actuel en émettant des laves,
« ring-dyke » injecté dans une limite caldérique entre 220 000 et 180 000 c’est son époque « volcan bouclier ». Il est alors alimenté en permanence
ans. Ce réservoir magmatique a dû provoquer une éruption unique, violente. par un magma primitif profond, basaltique et chaud.
On ne peut qualifier la Chapelle de chambre magmatique, car elle s’est mise Dans les chambres magmatiques, les premiers cristaux qui apparaissent et
en place lors d’une injection unique. Ce lieu est apprécié des grimpeurs, car la croissent lors du refroidissement lent du liquide sont surtout ceux d’olivines
roche est saine, ils peuvent pitonner sans problème. verts, de pyroxènes noirs et de feldspaths plagioclases plutôt calciques blancs.
Ces minéraux sont plus pauvres en SiO2 (silice) que le magma, celui-ci
« s’enrichit » (relativement) en silice ; il en est de même pour le sodium
(Na) et le potassium (K). Par contre ils prélèvent beaucoup de magnésium
(Mg) et de calcium (Ca), en baissant ainsi la concentration. Une éruption
laissera s’échapper du basalte plus ou moins riche en olivines, plagioclases
et pyroxènes ; les cristaux accumulés dans le fond des chambres formeront
des roches grenues. La chimie du magma varie peu quand les chambres sont
alimentées régulièrement par le bas.

Canyoning sur la syénite


de Cilaos.
Photo Ph. Mairine.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 101


• 450 000 ans avant la création du Parc, l’alimentation profonde du Piton On retrouve les dépôts de ces nuées ardentes avant tout dans les cirques (Salazie)
des Neiges se tarit au profit du Piton de la Fournaise (la cause est inconnue où à leur embouchure (route de l’Entre-Deux…), là où ces « coulées de
en 2016). Après l’émission des derniers basaltes, le magma restant dans pyroclastites » ont été concentrées par les vallées.
les chambres, plus froid, enrichi en SiO2, Na, K et appauvri en Mg et Ca
ne permet plus la cristallisation de l’olivine … De nouveaux minéraux
apparaissent : plagioclases plus sodiques, feldspaths potassiques et même,
à la fin, du quartz ; les cristaux changent donc au fur et à mesure que la
fraction du liquide résiduel diminue et évolue (= se différencie). Pour les laves,
la différenciation se traduit par le passage des basaltes aux hawaiites
puis aux mugéarites, aux benmoréites et enfin aux trachytes.

Falaise taillée dans des dépôts de nuées ardentes par le Bras de la Plaine ; route
de l’Entre-Deux. Photo B. et Ch. Artola.

Depuis 70 000 ans, l’activité du Piton des Neiges décroît et il semble endormi
L’évolution chimique des laves du Piton des Neiges vieillissant.
Schéma P. Nativel.
depuis 12 000 ans.
Les volcans « intraplaques » comme le Piton des Neiges ont une vie limitée
Dans la chambre profonde, le refroidissement est lent. Les laves sont des dans le temps. Quand ils sont isolés du magma profond basaltique, ils
hawaiites (laves grises souvent riches en grands cristaux blancs de feldspath vieillissent, se différencient et deviennent parfois violents en produisant
= « roche pintade ») produisant des laves assez fluides. quelques éruptions explosives.
Plus proche de la surface, la chambre supérieure évolue plus vite et arrive au La Fournaise ne montre pas de signe de sénilité. Il offrira une activité effusive
stade trachyte. encore longtemps.

Dépôt d’une nuée ardente confinée dans Salazie ; vue de La Fenêtre.


Une éruption ignimbritique au Piton des Neiges. J.-M. Kluska, 1997. Photo Ph. Mairine.
Il semble que l’arrivée brutale d’un magma hawaiitique dans une chambre
contenant du trachyte très riche en gaz déclenche une éruption explosive
qui éjecte des nuées ardentes sur les pentes du massif et dans les cirques, Entre 140 000 et 70 000 ans, un dernier regain
comme le Mayon (Indonésie) l’a fait en 1984. Ces événements rares sont d’activité recouvre de laves les flancs SW et NE du
séparés par des milliers d’années de calme éruptif où l’érosion agit seule et massif et remplit partiellement Cilaos ; on peut
creuse des vallées et des cirques. observer les coulées de cette époque sur le côté
montagne de la Route des Tamarins et à Tapage.
Depuis, l’activité du Piton des Neiges décline, les
pitons La Boue et Mare à Boue (Saint-Leu) ont aplani
Stella, la dernière éruption explosive connue date de
22 000 ans et un dôme de lave visqueuse se serait mis
en place à Bébour vers 12 000 ans (le Cap Anglais).
Le sommet du Piton des Neiges vieillissant se situait
au niveau du Rond de Bras Rouge et culminait sans
doute vers 3400 m.
L’éruption du Mayon en 1984. Wikipedia Commons - C.G.Newhal.

102 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Une coulée du Massif de la Fournaise Ces dates (22 000 et 12 000 ans) sont trop récentes
dans la Ravine des Roches pour avancer avec certitude que ce volcan soit
définitivement éteint. Il est de nombreux exemples sur
la planète de reprise d’activité après plusieurs dizaines
de milliers d’années de « sommeil » d’un volcan.
Du magma stagne encore sous le massif d’après
B. Marty et envoie de l’hélium 3 (3He) vers les sources
du Bras Canot (l’hélium 3 est présent dans les émissions
volcaniques; il est présent dans le manteau terrestre
depuis sa formation : il est donc considéré comme un
marqueur de provenance de roches profondes).
La présence d’une source de chaleur sous les sommets
Bassin La Paix. Photo Ph. Mairine.
et cirques du massif du Piton des Neiges est aussi
Bassin La Paix et Bassin La Mer (Rivière des Roches) sont bien connus pour confirmée par la présence de sources hydrothermales
leurs magnifiques orgues volcaniques. dans les trois cirques ; seul celui de Cilaos utilise
aujourd’hui ces eaux chaudes et minéralisées.
Ces prismes hexagonaux se forment au cœur d’une coulée de lave qui a L’Observatoire Volcanologique surveille le secteur,
suivi le fond d’une vallée et n’a pas pu s’étaler ; elle est donc épaisse. Le même si une éruption du massif du Piton des Neiges
refroidissement sera moins rapide que celui d’une coulée fine et peut durer des semble improbable à court terme.
années. Les fentes de retrait, cassent la roche et s’organisent alors à 120°
les unes des autres (ces cassures sont dues à la diminution du volume lors L’originalité de Bébour-Bélouve
du passage liquide-solide puis lors du refroidissement). Comme elles sont La limite de l’aire de Bébour est nette au sud : le
perpendiculaires aux deux surfaces froides, l’air et le fond de la vallée en U, Côteau Maigre, rempart abrupt de fort dénivelé,
les orgues se présentent en éventail. domine le canton Duvernay et se poursuit en aval par
la crête de l’Ilet Patience.
Le rempart de la planèze du Mazerin s’arrête en
amont sur une basse crête, le Côteau Monique, sorte
de cloison résiduelle : cela forme aussi une limite avec
Bélouve.

Les orgues sont verticales au fond de l’ancienne vallée mais s’inclinent pour
rester perpendiculaires au flanc de celle-ci. Photo Ph. Mairine.

Quand on observe de près un morceau d’orgue pour définir sa nature, on


constate qu’il s’agit d’un basalte à olivine. Etonnant quand on sait que les
laves du Piton des Neiges vieillissant ne sont pas des basaltes, mais des laves
« différenciées » (voir « La vieillesse agitée du Piton des Neiges »).
Ce n’est donc pas une coulée du vieux volcan mais une coulée du Massif de
la Fournaise, émise par un volcan excentrique, qui a recouvert le fond de la Bébour et le Mazerin. Photo G. Collin.

vallée creusée dans le Piton des Neiges. Depuis cette époque, l’érosion entaille C’est la présence de ces hauts remparts, et celle de la
la coulée, ce qui permet d’admirer son cœur en orgues. planèze du Mazerin, qui donnent à penser que Bébour
a commencé une évolution en topographie de cirque.
L’évolution a été enrayée ensuite par un ennoyage
volcanique récent.

L’ensemble actuel se compose de pentes très régulières,


un peu plus raides en amont qu’en aval. En amont, elles
remontent jusqu’aux sommets du Piton des Neiges,
s’arrêtant sur le cassé de Cilaos (Côteau Kerveguen)
et sur le cassé de Salazie (Cap Anglais).
En aval, la construction s’arrête brusquement sur le
Bassin La Mer. Photo Ph. Mairine

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 103


site de Takamaka, encaissement caractéristique de la ampleur latérale, arrondi spectaculaire de la tête
haute vallée de la rivière des Marsouins. de vallée formant un petit cirque avec un ensemble
Par érosion régressive, la vallée principale et son de cascades pérennes. C’est aussi une remarquable
affluent de rive droite, le Bras Cabot, mordent dans cloison résiduelle entre les vallées de Bras Caverne et
la structure de remplissage récent, avec des têtes de la gorge de raccordement de la Rivière du Mât.
vallée en amphithéâtre très nettement marquées et une
cloison résiduelle entre les deux torrents. Les seules Le massif du Piton de la Fournaise
topographies distinctes dans un océan de végétation et ses remparts
sont soit des volcans adventifs (le Piton Bébour) soit des Les accidents tectoniques emboîtés
évents bien conservés soit encore des canaux de lave. En se fondant sur des considérations structurales,
La morphologie torrentielle est réduite sur l’ensemble et en particulier sur l’existence d’une discontinuité
du glacis à faible pente, simplement présente par des majeure au sein des formations anciennes du Piton
encaissements de vallée aux dimensions diminuant de la Fournaise, plusieurs stades d’édification ont été
rapidement vers l’amont. Lits majeur et mineur se proposés par les géologues.
confondent souvent, bloqués entre les remparts abrupts. Le premier (plus de 500 000 à 65 000 ans) correspond
Les alluvions sont peu nombreuses, suite à un parcours à l’édification du Bouclier ancien dont le centre devait
réduit des blocs arrachés par l’érosion dans la vallée. se situer à l’emplacement de l’actuelle Plaine des Sables.
Le second bouclier (moins de 65 000 ans) correspond,
Il n’y a pas de césure visible entre les pentes de Bébour largement, au Volcan actuel.
et celles de Bélouve. La forme tabulaire rappelle celle de Ces épisodes sont séparés et perturbés par la formation
la Plaine des Marsouins : elle est coincée entre le haut de plusieurs caldeiras et glissements du flanc oriental
rempart de la planèze du Mazerin et le cassé de Salazie. du Volcan. Ces structures sont souvent invisibles car
Aire de remplissage par des coulées récentes du Piton elles ont été recouvertes par des laves ; par exemple
des Neiges, elle n’offre pas de topographies particulières. les limites de glissements qui se sont produits entre
Ces coulées, au contact du Côteau Monique, ont dévalé 290 000 et 65 000 ans ne sont plus observables dans
vers le sud pour créer la Plaine des Marsouins, et vers le relief ; leur existence est déduite d’événements
le Nord, pour engendrer Bélouve. C’est une petite aire secondaires comme l’érosion dans les zones isolées du
par rapport à la construction de Bébour. centre volcanique principal (par des falaises issues de
Quelques faibles incisions torrentielles dirigent les glissements et caldeiras).
eaux vers la vallée du Bras Caverne, affluent de rive La formation de l’accident tectonique de la Rivière
droite de la Rivière du Mât. des Remparts a vraisemblablement eu lieu en plusieurs
La très forte originalité topographique vient de la épisodes, vers 290 000 ans. Une des conséquences de
présence de la tête de vallée en amphithéâtre du Bras cet événement tectonique fut la fin du fonctionnement
Caverne, nommée le « Trou de Fer » (transcription de la zone active sud-ouest du Volcan, qui provoqua
erronée de « Trou d’Enfer » ?). La vigueur de l’érosion l’arrêt des éruptions dans cette partie du massif (Notre-
linéaire a créé un encaissement profond à très faible Dame de la Paix, Grand Tampon les Hauts …).

Rivière des Remparts, vue de Nez de Bœuf. Schéma Ph. Mairine.

104 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


La mise en place des produits du bouclier récent évidence des dépôts de coulées boueuses intercalées
s’est faite à l’intérieur des structures d’effondrement entre des formations anciennes (plus de 530 000 ans) et
successives plus ou moins emboîtées : caldeiras du Morne des coulées de lave beaucoup plus récentes (120 000 ans
Langevin (vers 150 000 ans), de la Plaine des Sables à 65 000 ans). Ces coulées boueuses n’ont pu se mettre
(vers 65 000 ans) et de l’Enclos Fouqué (vers 5 000 en place que dans une ancienne vallée (la Paléo-rivière
ans). Le rempart le plus ancien visible est celui de la des Remparts) creusée après l’accident tectonique
Rivière des Remparts. de 290 000 ans. Pour cela, comme actuellement, il
La cartographie des falaises de cette rivière a mis en faut que la rivière soit isolée du centre volcanique

Accidents tectoniques de la Rivière des Remparts Rivière des Remparts : écoulements boueux anciens. Schéma Ph. Mairine.
et du Morne Langevin. Schéma Ph. Mairine,
P. Bachèlery.

Evolution de la Rivière des Remparts depuis 290 000 ans. Schéma Ph. Mairine, P. Bachèlery.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 105


L’Enclos et le Piton de la Fournaise vus d’ULM. On y voit bien les coulées récentes (2007, 2004 …)
non encore recouvertes par la végétation chlorophyllienne. Photo H. Douris.

par une barrière située maintenant sous le Morne Deux arguments de terrain amènent à penser que ce
Langevin. Cet obstacle disparaît entre 120 000 et dernier point est plausible :
65 000 ans, ce qui permet aux laves de revenir et • l’Enclos a une forme subcirculaire, presque tabulaire,
combler partiellement la vallée. La formation de la retrouvée sur d’autres volcans boucliers et interprétée
Plaine des Sables (65 000 ans) isole de nouveau l’ouest comme des remplissages de zones caldériques par des
de Saint-Joseph, et la Rivière des Remparts actuelle coulées,
creuse sa vallée. • un forage, au niveau de la Vierge au Parasol, traverse,
Le second rempart visible a été mis en place vers entre – 60 et – 220 m, des alluvions provenant de la
65 000 ans, vraisemblablement aussi en plusieurs Plaine des Osmondes. Elles n’ont pu se mettre en place
épisodes. Vers le nord, il domine une topographie que si une falaise isolait une rivière disparue du centre
encaissée : le Fond de la Rivière de l’Est et au sud la volcanique principal.
Rivière Langevin, ces deux vallées séparées par la
Plaine des Sables. Actuellement des coulées envahissent régulièrement
Le troisième rempart visible définit la structure l’ancienne vallée, car la caldeira est remplie du côté de
caractéristique de l’Enclos Fouqué. l’océan et les laves débordent ; il n’y a plus d’érosion
Ces structures, systématiquement ouvertes vers et de transport dans ce secteur ; l’accumulation des
l’est, résultent d’un processus où semblent associés produits volcaniques modifie seule le relief de l’Enclos.
subsidence pure (tectonique à composante L’aire de construction récente de la Fournaise se définit
essentiellement verticale) dans la partie amont à l’intérieur de grands remparts:
et glissements (déplacements à composante • les remparts curvilignes de l’Enclos Fouqué (exemple :
essentiellement horizontale) dans la zone aval. rempart de Bellecombe),
L’originalité de l’Enclos • le rempart sud du Grand Brûlé, ou rempart du
La topographie de l’Enclos Fouqué est celle de plusieurs Tremblet,
caldeiras emboitées, contenant le cône central avec ses • le rempart nord, ou rempart de Bois Blanc (qui semble
cratères sommitaux : le Bory et le Dolomieu. pour partie défini par l’érosion torrentielle d’une vallée
On peut résumer les hypothèses comme suit : aujourd’hui disparue, celle des Osmondes).
– quand la déformation a presque atteint le seuil de
rupture, une nouvelle arrivée de magma provoque un
déplacement brutal du flanc oriental (non calé par le
Piton des Neiges). Ces grands glissements de terrain
produisent des séismes de forte magnitude,
– le départ de ce flanc décompresse le système
hydrothermal, celui-ci flue vers l’est,
– non soutenu par les roches hydrothermalisées, le centre
du massif s’enfonce, créant une caldeira fermée à parois
escarpées où se construit un nouveau cône volcanique.
106 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
L’Enclos, une structure complexe dont l’origine est verticaux fermés) ; les deux n’étant pas liés. Il a daté la coulée de lave du Pas
controversée de Bellecombe, recoupée par l’Enclos, à 4745 ans (à ±130 ans), donc celui-ci
L’Enclos est une vaste dépression en forme de fer à cheval qui entoure le Piton de la est un peu plus jeune.
Fournaise sur trois côtés. C’est là que se produit la grande majorité des éruptions. D’autres scientifiques pensent qu’un seul glissement est responsable de la caldéra en
Quand on passe par le Grand-Brûlé, on admire le paysage sans se poser fer à cheval, mais cela n’explique pas la formation de la Plaine des Osmondes, qui
de questions. Cependant, lorsqu’on regarde la côte, un fait est surprenant : était une vallée fluviale, isolée longtemps du centre volcanique principal.
les coulées qui arrivent en mer devraient construire un cap, comme sur l’île En 2003, Olivier Merle et Jean-François Lénat utilisent des maquettes dans
Makanrushi (Kouriles, Fédération de Russie), or, aucune grande avancée en lesquelles ils injectent des liquides colorés imitant des dykes. Pour ces auteurs,
mer n’est visible, ce n’est pas normal ! des glissements dans les Grandes Pentes provoquent le fluage du système
hydrothermal et l’effondrement de la partie centrale du Volcan.
La dernière hypothèse est basée sur des continuités géologiques et une datation
à 10 000 ans sur des foraminifères dragués au large de l’Enclos. Cet âge
montrerait que rien de violent ne s’est produit depuis cette date ; Laurent
Michon et Francky Saint-Ange ne voient, depuis 10 000 ans, que des
Le volcan de l’île de
mouvements lents, horizontaux dus aux injections de lave, et verticaux causés
Makanrushi construit d’une part par l’enfoncement de la chambre magmatique lourde du Volcan des
un grand cap
dans l’océan Pacifique. Photo
Alizés et d’autre part par un fluage du système hydrothermal.
Google Earth. Récemment, Andrea Di Muro et ses collaborateurs ont torpillé les
La formation de l’Enclos est due à des causes internes présentées dans le « certitudes » du XXe siècle, c’est à dire le lien unissant l’Enclos aux cendres
paragraphe « Mouvements de terrain » : la mise en place de dykes et de sills de Bellecombe : l’estimation de leur volume ne correspond pas (et de loin) au
au cœur du Volcan. On peut ajouter l’enfoncement des roches lourdes et encore volume de la dépression. Ces scientifiques estiment que l’Enclos s’est formé en
plastiques situées dans les fonds de chambres magmatiques. plusieurs épisodes, entre -3515 et -400 av J.-C.
Nul n’a vu ce phénomène se produire. En 1980, la déstabilisation d’un Une certitude : l’Enclos, surtout son flanc oriental, glisse lentement vers
flanc du Mont Saint Helens (USA), due à une énorme injection dans cette l’océan, 1 à 3 cm/an avec un ou deux mouvements rapides, d’un mètre ou
montagne, a créé une caldéra en fer à cheval, mais il s’agit d’un volcan bien plus, par siècle (comme en 2007).
différent de la Fournaise. L’Enclos est en mouvement lent vers l’Est (poussé par les injections de magma) et,
de temps en temps, il bouge violemment, déstabilisé par ces mêmes injections. La
Plusieurs scénarios ont été proposés pour expliquer fréquence de ces catastrophes n’est pas connue (2 000, 10 000 ans, voire plus).
l’histoire de l’Enclos. Elles ont bien eu lieu, car des avalanches de débris ont accumulé 500 km3 de
Patrick Bachèlery a tenté une première explication en 1981 : dans les Grandes roches en pagaille au large de la côte orientale de La Réunion. Nous pouvons aller
Pentes, des glissements de flanc et au sommet plusieurs caldéras (effondrements ramasser des goyaviers dans le Grand-Brûlé sans trop de craintes.

Hypothèse (1981) de Patrick Bachèlery pour expliquer l’Enclos. Hypothèse (2003) d’O. Merle et J.-F. Lénat.
Carte et schéma L. Michon et al. Carte et schéma L. Michon et al.

Hypothèse (1996) de W.A. Duffield et al., P.-Y. Gillot et al. ; Ph. Labazuy, J.-F. Hypothèse (2008) de L. Michon et F. Saint-Ange.
Œhler et al. Carte et schéma L. Michon et al. Carte et schéma L. Michon et al.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 107


Les cirques : une formation difficile Stade 4 Les laves débordent
de la caldeira
à concevoir
Histoire simplifiée d’un cirque
Les 7 croquis ci-après montrent l’histoire d’un cirque
de façon simplifiée, sans trop de détails.
Stade 1 Le Piton des Neiges
construit un « volcan-bouclier »

Stade 5 L’érosion creuse


des vallées étroites

Stade 6 Un cirque d’érosion


sur un flanc du Piton des Neiges

Stade 2 Un glissement de flanc détruit


tout un côté du massif volcanique

Stade 7 Reprise de l’activité


du Piton des Neiges

Stade 3 L’activité volcanique se concentre


dans la cicatrice en fer à cheval

L’histoire mouvementée d’un cirque


De nombreuses théories ont été proposées pour expliquer la formation des
cirques de La Réunion ; en proposer une nouvelle est un travail difficile car
leur histoire est complexe et sujette à controverses. En 2016, les scientifiques
pensent que l’érosion seule est responsable du creusement des cirques et que
leur forme est prédessinée par des structures anciennes, limites de grands
Stade 8 L’érosion sculpte les cirques actuels (ici, Salazie).
effondrements appelés « glissements de flancs ». Schémas Ph. Mairine ; Photo H. Douris.
Les cirques n’existent pas depuis toujours, car le relief de La Réunion est en
perpétuel changement : il s’élève et s’étale quand les volcans amènent de nouvelles • Stade 1 : La construction d’un massif volcanique.
roches en surface, il se creuse quand l’érosion agit seule dans un secteur privé de Pendant des dizaines de milliers d’années, le Piton des Neiges grandit grâce
laves fraîches. Pour compliquer le tout, chaque cirque a été comblé partiellement au magma venu du manteau terrestre. Ses laves vont construire un grand
ou totalement lors des reprises d’activité du Piton des Neiges. Le dernier rempli, volcan bouclier. Sur le massif, les éruptions ne se produisent pas n’importe
le cirque de Bébour, n’est qu’à peine entamé par la Ravine Takamaka. où, elles se concentrent sur certaines bandes de terrain appelées « rift-zones »
Nous avons essayer de présenter 8 stades de la vie d’un cirque, le second est (voir plus haut « Les éruptions ne se produisent pas n’importe où »).
court et brutal, les 7 autres appartiennent au temps long, nous ne représentons Au cœur du Piton des Neiges, autour des chambres magmatiques, circulent des
alors qu’un moment de ces épisodes. fluides hydrothermaux chauds qui transforment les roches anciennes ; ils les
Cette histoire est simplifiée, car la période présentée ne décrit que le dernier argilisent et déposent de nouveaux minéraux dans les bulles et les fissures. Ces
million d’années du Piton des Neiges et que chaque cirque est lié à un flanc du roches hydrothermalisées deviennent plus fragiles et plus facilement déformables.
massif qui a une histoire différente de celui d’à côté.

108 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


• Stade 2 : Un accident tectonique défigure le massif volcanique. • Stade 5 : Une période de calme éruptif permet à l’érosion
Après des dizaines de milliers d’années de construction, un glissement de flanc de creuser des vallées.
ruine un versant du volcan bouclier. Les causes sont décrites plus loin (voir 450 000 ans avant notre ère, il semble que le Piton des Neiges ait été coupé
«les mouvements rapides dus à la gravité » et « les mouvements de son alimentation en magma profond, l’érosion peut alors sculpter seule le
lents »). Une partie du massif volcanique descend vers l’océan en se relief. L’eau du ruissellement va suivre la direction des dernières coulées du
démantibulant ; les roches broyées en mouvement forment une avalanche de stade 4 et les ravines vont reprendre le creusement des vallées partiellement
débris qui se répand dans la cicatrice en forme de fer à cheval (= caldeira en comblées. L’une d’entre elle va s’allonger et pénétrer dans l’ancienne caldeira,
fer à cheval) et en mer. elle s’approfondit aussi et les remparts qui la bordent deviennent de plus en
• Stade 3 : L’activité volcanique se poursuit. plus hauts.
Le glissement de flanc ne coupe pas le Piton des Neiges de sa source de
magma profond, l’activité ne s’arrête pas mais va se situer avant tout dans la
caldeira ; il semble que les rift-zones du stade1 ne sont plus actives.
Hors caldeira, les éruptions sont rares et l’érosion tropicale va creuser des
vallées, d’autant plus importantes que leur bassin-versant qui collecte l’eau de
pluie sera vaste (anciens Bras des Lianes, Dos d’Ane, les Makes, la Rivière
de l’Est …).

Les rivières du stade 5 devaient ressembler à la Ravine Takamaka actuelle.


Photo H. Douris.

• Stade 6 : L’érosion creuse les premiers cirques.


La période de calme éruptif continue. Le creusement de la vallée se poursuit,
la partie amont recule et la rivière approfondit son lit. Elle finit par attaquer
les roches profondes, celles fragilisées par l’hydrothermalisme au cœur du
grand volcan.
Les grandes falaises, dont la base érodée est hydrothermalisées, sont instables
et s’écroulent de temps en temps ; des coulées de débris s’étalent dans le cirque.
La Rivière de l’Est actuelle se creuse hors-Enclos depuis que celui-ci l’a isolée Ces dernières bouchent des vallées, formant des barrages qui retiennent l’eau ;
du Piton de la Fournaise même. Le Massif de la Fournaise se trouve actuelle-
ment au stade 3, comme le Piton des Neiges il y a 700 000 ans.
dans ces lacs provisoires, des alluvions se déposent en couches épaisses.
Photo L. Ferlicot. Maison du Volcan. L’érosion va être guidée par la structure ancienne du stade 2 ; les limites
de la caldeira en fer à cheval sont constituées de roches broyées, fragiles qui
• Stade 4 : Les laves débordent de la caldeira. favorisent encore plus les effondrements de remparts. Par exemple, la bordure
Les produits volcaniques finissent par remplir la caldeira, les coulées débordent
en plusieurs endroits et commencent à combler les vallées jusqu’alors isolées sud du cirque de Cilaos est une ancienne limite de glissement (voir plus loin
du centre volcanique. dans «les mouvements rapides» la carte de Marie Chaput).
• Stade 7 : L’activité cyclothymique du vieux Piton des
Neiges.
Les restes de magma évoluent (= se différencient) dans les chambres
magmatiques du Piton des Neiges (voir plus haut « La vieillesse agitée
du Piton des Neiges »). Après des dizaines de milliers d’années de calme
éruptif, le grand volcan s’active et émet des laves qui ne sont plus des basaltes.
Dans un premier temps, entre 350 000 et 250 000 ans, ce sont des
hawaiites (= roches pintades) qui rajeunissent le relief en comblant vallées
et cirques.
Une longue période de calme trompeur, entre 250 000 et 140 000 ans,
suit celle des roches pintades. Trompeur, car de temps en temps (tous les
5 000 ans environ), une énorme éruption explosive ravage les pentes du massif.
Pendant les éruptions démentes, des nuées ardentes peuvent remplir en
L’ancienne Ravine des Grègues s’est creusée entre 290 000 et 100 000 ans, quelques semaines les creux des reliefs :
quand l’activité du Piton de la Fournaise était confinée dans des caldeiras – A Salazie, les grandes orgues, visibles sur les parois du cirque (Mare
ouvertes vers l’est. Ces dernières ont été comblées entre 120 000 et 65 000
ans, les laves ont débordé vers l’ouest, ont rempli la vallée et bâti la Plaine des à Poules d’Eau, plateau Wickers…) sont des restes de nuées ardentes que
Grègues. Depuis, la Rivière des Remparts a recreusé son lit et a isolé ce petit l’érosion n’a pas encore emportés,
pays. Photo Ph. Mairine.
– A Cilaos, les affleurements sont rares mais les alluvions en contiennent

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 109


La région plane et pentée de Tapage, recouverte de champs de canne est le témoin du dernier remplissage du cirque de Cilaos. Photo Ph. Mairine.

beaucoup et surtout, les nuées se sont étalées à l’embouchure de la Rivière tropicale qui creuse l’intérieur de structures anciennes de glissements de flanc.
Saint-Etienne qui les a creusées (dépôts sur la route de l’Entre-Deux, au Ils s’approfondissent et s’élargissent quand ils sont isolés des zones d’activité
niveau de l’ancien pont), du Piton des Neiges, ils se remplissent quand l’activité volcanique reprend
– A Mafate, ces dépôts sont des brèches contenant des roches pintade (sentier dans le secteur où ils sont situés. Mafate, Salazie et Cilaos grandissent depuis
scout). Le sommet du Piton carré en est un. très longtemps, alors que Bébour a été comblé récemment et l’érosion actuelle
ne fait que débuter.
Le Massif de la Fournaise en est au stade 3, mais la Rivière des Remparts
creuse son flanc sud, car elle est isolée du centre volcanique depuis l’effondrement
de la Plaine des Sables il y a 65 000 ans. Cela montre que ce récit en 8
épisodes est une simplification et que chaque cirque a une histoire compliquée
qui reste difficile à détailler.

Pour terminer, posons-nous une question : d’où vient l’eau de la Ravine


Saint-Gilles ? Une des hypothèses serait qu’elle serait collectée par une grande
structure se refermant sur la ravine, structure comblée par des laves perméables
La crête du Piton Carré de Mafate est un reste de nuée ardente. du vieux Piton des Neiges ; cela ressemble assez à un cirque caché !
Photo Ph. Mairine.

Entre deux colères du Piton des Neiges, l’érosion creuse les nouvelles roches puis L’érosion torrentielle
les anciennes, les cirques s’élargissent (comme au stade 6). L’activité reprend de La dépression mise en place par le glissement de
façon plus continue entre 140 000 et 70 000 ans puis elle décroît et semble terrain originel, va permettre une concentration des
se terminer il y a 20 000 ans. Les laves de cette dernière période se retrouvent écoulements. Au fur et à mesure de l’évolution de la
dans le cirque comblé de Bébour, à Dos d’Ane, l’Ilet Nourry et sur les pentes forme du cirque, cette concentration va augmenter,
de Sans Souci à la sortie de Mafate, aux Makes et à Tapage dans le sud … par exemple par des captures d’écoulement externe
• Stade 8 : L’érosion sculpte les cirques actuels. (recoupement de l’amont et capture de l’aire
d’alimentation correspondante). Cela se voit aux
nombreuses vallées suspendues au-dessus des cirques.
La forme de dépression favorise les convergences des
masses d’air et leurs ascendances rapides le long des
remparts, lors des passages de perturbations tropicales
de saison chaude. Les intensités ponctuelles de pluies,
favorisent à chaque fois des crues remarquables.
Dans Mafate, la part des pluies de cyclones tropicaux
Vue aérienne du cirque de Salazie. dans l’alimentation en eau du cirque est supérieure à
Photo H. Douris. 60 %. En janvier 1980, sous l’influence de la dépression
Depuis la fin de l’activité du Piton des Neiges (variable selon les secteurs), tropicale Hyacinthe, le débit de pointe de la Rivière du
l’érosion creuse les cirques actuels, les rivières s’enfoncent jusqu’à leur profil Mât à la sortie de Salazie (Pont de l’Escalier) a été estimé
d’équilibre et transportent hors des cirques des millions de m3 d’alluvions. à 2 500 m3/s, soit un débit supérieur à celui de la crue
Elles sapent les pieds des remparts qui s’écroulent de temps en temps … centennale de la Seine en 1910 dont le bassin versant est
L’histoire des cirques de La Réunion est complexe, ils résultent de l’érosion bien plus vaste que celle du torrent réunionnais.

110 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


L’autre facteur favorable n’est pas hydrologique, mais de raccordement (terrasses d’ordre décamétrique).
vient de l’accumulation de brèches diverses, issues
des différents stades et mécanismes d’effondrement. D’autres topographies sont nées de cette évolution et
Faciles à mobiliser, dès que l’intensité horaire des sont des originalités de chaque cirque :
pluies dépasse les 10 mm, elles forment la charge du • les crêtes des cirques sont constituées de roches
torrent, se transforment progressivement en alluvions, plus dures que les brèches de fond de cirque ; entre
et se retrouvent dans des constructions d’épandages autres des coulées (Marianne et Gueule Rouge), des
successifs créant les nombreuses et importantes ignimbrites (Roche Carrée), mais certaines pourraient
terrasses alluviales. éventuellement être aussi des limites de glissements
Ces effets sont renforcés par les actions d’altération (Jean-François Œhler) ;
et de désagrégation des roches grâce aux conditions • les plans faiblement inclinés de l’amont de Cilaos
climatiques (« weathering »). Dans des conditions de (plateau de l’îlet à Cordes, plateau de Cilaos, plateau
chaleur humide, les laves s’altèrent rapidement en argiles de Bras Sec) ; ils se présentent comme une plateforme
qui imperméabilisent les sols et facilitent le ruissellement. d’érosion ;
Dans les hauts, les alternances de gel et dégel fragmentent • les aires déprimées du fond du cirque de Salazie ;
les roches. Il s’ensuit que l’érosion torrentielle peut elles facilitent la mise en place de multiples mares
évacuer 3 000 tonnes de matière par km2 annuellement résiduelles, avec les deux situations d’endoréisme et
et ronge ainsi l’île à des vitesses de 0,5 à 3,5 mm/an. d’exoréisme ;
Celles-ci se trouvent des dizaines de fois plus fortes qu’en • des plateaux en escalier résultat de glissements lents
France continentale (0,02 mm/an). de brèches creusées par des vallées profondes (Grand-
Ilet, Hell-Bourg…).
A une autre échelle et pour donner l’ampleur des
phénomènes érosifs, l’exemple de la vallée de la Rivière Il est à noter que l’allure générale piriforme des
de l’Est est peut-être encore plus parlant : l’érosion cirques rappelle étrangement celle du bassin versant
linéaire a creusé une vallée de 600 m de profondeur d’un torrent. Dans l’hypothèse d’une formation de ces
en 10 000 ans (Mairine, com. pers.). amphithéâtres guidés par des caldeiras en fer à cheval,
Depuis environ 50 000 ans, l’érosion torrentielle est l’aspect curviligne des remparts peut se comprendre
partout la force principale en action : les têtes de vallée par une origine structurale mais la primauté de
reculent dans les trois cirques. Au cours de la dernière l’érosion s’impose pour le creusement. Cela se vérifie
période (de 3 500 ans à l’Actuel), les cirques ont pris par la présence de cols entre les cirques de Cilaos et
la forme qu’on leur connaît : les principales têtes de Mafate, et les cirques de Mafate et Salazie (par érosion
vallée sont au contact des sommets centraux. régressive des torrents opposés).
Les résultats topographiques sont importants et Enfin, l’étude récente des fonds sous-marins autour de
souvent communs d’un cirque à l’autre : l’île a démontré cette puissance de démolition, à la fois
• grande ramification du réseau hydrographique, tectonique et torrentielle. Les transferts de matériaux venus
beaucoup plus évoluée que celle des bassins versants de Salazie s’étendent sous l’eau jusqu’à l’île Maurice…
se situant au revers des planèzes ; présence d’un
écoulement pérenne dans le cours principal et les Les effondrements et glissements de terrain
principaux affluents ; Dans la vie de tous les jours, chacun s’aperçoit que
• incision de toutes les vallées du réseau dans un l’érosion enlève régulièrement beaucoup de matériel
matériel bréchique à érosion facile ; que l’eau transporte vers l’océan (voir plus haut « Histoire
• développement puissant d’un ravinement en bad mouvementée d’un cirque ») et tous les Réunionnais ont vu
lands sur les remparts de toutes les vallées taillées dans des éboulis et entendu parler des grands écroulements
les brèches ; de falaise, comme celui de Mahavel en 1965, qui barrent
• mise en évidence du soubassement du cirque avec des vallées.
la coupole de basaltes zéolitisés, conséquence d’un D’autres mouvements de terrain, plus insidieux, font
hydrothermalisme à basse température (180 à 200°) ; glisser lentement des îlets et les Grandes-Pentes. Ces
• mise en évidence de la présence originale d’un déplacements sont suivis par le BRGM et l’OVPF mais
conglomérat de « fond de cirque » (sorte de poudingue, personne n’est capable de prévoir les mouvements
avec des blocs de basaltes à zéolites, de basaltes à rapides et de grande ampleur qui vont démolir un
olivine) ; îlet ou l’Enclos. Quand cela se produira, on en saura
• importantes constructions d’accumulations alluviales davantage et les prévisions pourront alors être plus
au sein des cirques, et sur les berges à la base des gorges précises.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 111


Les mouvements de terrain (effondrements, glissements)
provoqués par la gravité et/ou par des causes internes
aux massifs volcaniques sont les principales causes
de destruction des reliefs. L’eau intervient comme
facteur creusant des vallées profondes et des cirques :
« dernière goutte » d’un mouvement gravitaire.
Décrire ces « déstabilisations » est complexe, car,
en dehors des deux facteurs responsables, nous
devrons aborder les vitesses de déplacement des
roches (quelques centimètres par an à des dizaines de
kilomètres par heure) et le volume du substrat déplacé
(du bloc au milliard de m3).
Coupe d’un dépôt d’écroulement en masse d’une falaise. Rivière des Remparts.
Photo Ph. Mairine.
Les mouvements rapides dus à la gravité.
Ces accidents sont quotidiens à La Réunion, chaque jour, des rochers tombent Les glissements de grande ampleur (des centaines de millions de m3) sont
d’une falaise (Route du Littoral, remparts des grandes rivières). Cela va du rares. Certains sont descendu à plusieurs km/h, et ont déposé leurs matériaux,
gravier à l’éboulement de plusieurs milliers de m3, comme ceux qui ont bouché la Rivière Langevin il y a quelques milliers
Eboulement sur la Route du Littoral, d’années.
novembre 2016. Photo H. Douris.

Les falaises de notre île ne sont pas stables, comme toutes les falaises d’ailleurs.
Ici elles sont très fragiles, car elles sont constituées de coulées de lave avec, par-ci
par-là, des cônes de projections, des dykes ou des sills. Ces coulées se présentent
en mille-feuille avec des couches morcelées (les gratons) et des cœurs de coulées
massives mais fissurées. Ces roches ont pu être entaillées sur des centaines de
mètres de profondeur par les rivières en crues ou l’océan.
Des écroulements plus rares mais plus volumineux se produisent dans les
grandes vallées ou les cirques, comme à Mahavel (Rivière des Remparts –
env. 30 millions de m3) en 1965 ou à Grand-Sable en 1875 (63 morts).

La tête de vallée du Bras Mahavel recule à chaque effondrement.


Carte IGN. Réalisation J.-C. Notter.

Dans les fonds de cirques ou dans les creux des grandes vallées, nous pouvons
observer les dépôts de ces écroulements. Ils sont constitués de roches cassées, de
bloc de plusieurs m3 au sable et à l’argile. Les éléments ne sont pas « classés »
par grosseur mais sont déposés en vrac. Ces formations géologiques, constituées Un grand dépôt de glissement de terrain a rempli la vallée de la Rivière
d’éléments grossiers anguleux liés par des « fines » (= la matrice), sont des Langevin il y a quelques milliers d’années. Les roches en vrac ont débordé de la
vallée et ont recouvert les alentours. La colline , correspond au cercle rouge de
brèches. la carte, elle est constituée de roches de toutes tailles, déposées en vrac.
Carte et photo Ph. Mairine.

112 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


D’autres s’écoulent plus calmement et présentent des figures d’écoulement Autour de l’île, le fond océanique est constitué avant tout par les dépôts des
« laminaires », c’est-à-dire avec peu de brassage. Des blocs vont se briser grands glissements (carte : bleu le plus foncé).
pendant le trajet mais les morceaux restent proches, on parle de blocs avec des
fractures en puzzle (jigsaw-cracks). Quand on en trouve dans une coupe, on
peut parler « d’avalanche de débris ». Le sentier de Marla à Trois-Roches
passe le long d’une coupe dans une avalanche de débris taillée par la Rivière
des Galets, on y observe ce genre de blocs.

Sill en puzzle entre Marla et Trois-Roches. Photo Ph. Mairine.

Ces gigantesques mouvements de terrain concernent toutes les îles volcaniques


mais n’ont pas été signalés depuis que l’Homme écrit l’Histoire ; ils sont donc
très rares mais catastrophiques. Ce qui y ressemble le plus est l’effondrement
latéral du Mont Saint Helens en 1980 qui a laissé une grande cicatrice en Interprétation de la géologie sous-marine autour de La Réunion.
(en rouge, les édifices volcaniques en place). Doc. L. Gailler.
fer à cheval.
La cause principale du mouvement est l’injection répétée de dykes dans les Des géologues ont essayé de retrouver les cicatrices en fer à cheval de ces
rift-zones (voir plus haut «Les éruptions ne se produisent pas
accidents géologiques, la carte ci-dessous montre celles du Piton des Neiges.
n’importe où»). Chacun se met en place en écartant les roches. A force
d’être poussé, le flanc coincé entre deux rift-zones s’écroule en masse vers
l’océan. Une autre cause est la mise en place de sills en pente vers la mer, qui
servent de surface de glissement (voir infra).
La coupe du Piton des Neiges à l’Ilet à Vidot réalisée par Vincent Famin,
montre le faisceau de sills (représenté par une bande verte, au-dessus du gabbro)
qui a servi de toboggan à la « brèche basique I » il y a plus de deux millions
d’années. Sur le même document, on remarque que le Piton des Neiges ancien,
construit lors de la « phase II » et qui devait dominer l’île de ses 3 000 m,
culmine maintenant à 1 500 m ; la partie supérieure (1 500 – 3 000 m) a
disparu, sans doute emportée par un ou deux glissements de flancs.

Cicatrices de glissements et mouvements présumés des avalanches de débris du


Coupe géologique du Piton des Neiges au Piton d’Anchain. Piton des Neiges. M. Chaput (2013 pour le flanc ouest), J.-F.. Œhler
Document V. Famin et al. 2016. (2007 pour la partie nord).
Il est possible d’observer des dépôts d’avalanches de débris le long de la
RN1, du Cap de la Marianne à Boucan Canot. Ces couches épaisses sont
Autour des sommets centraux, de multiples pans de
séparées par des coulées de lave. La formation du Cap la Houssaye (photo) montagne ont glissé. Ils sont superposés comme le Petit
présente des masses sombres (les blocs à jigsaw-crack) séparés par des passées Matarum et le Grand Matarum, du côté de Cilaos,
beiges correspondant au matériel broyé (la matrice). Son âge est compris entre ou sont assez chaotiques comme sur le flanc sud de
435 000 et 350 000 ans. Salazie. La combinaison des fortes pluies s’abattant
sur du matériel friable a engendré maints exemples
de glissements de terrain considérables. Ils concernent
souvent la route qui mène à Cilaos et celle qui mène à
Salazie. En 1967, dans les gorges de raccordement de
la Rivière du Mât, un important éboulement a affecté
le rempart de rive droite, juste après la confluence avec
le Bras Caverne.
Dépôt d’avalanche de débris du Cap la Houssaye. Photo Ph. Mairine.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 113
À l’arrière du barrage ainsi constitué s’est formé un lac, Les mouvements lents : les cas de Mare à Poule d’eau
qu’il a fallu drainer pour éviter une catastrophe en aval. et de Grand Ilet
Les grands éboulements de remparts viennent compléter Les deux causes (gravité et injections de lave) responsables de mouvements
le tableau. Dans le cadre historique, il n’est jamais fait rapides peuvent provoquer des déplacements lents de masses énormes de roches.
Dans les cirques, à Salazie surtout, des routes sont déformées et des îlets
mention d’éboulements considérables des remparts de glissent doucement vers les grandes ravines. La D48, du pont sur la Rivière
flancs : les structures d’empilement sont (ou semblent) du Mât à Mare à Poule d’Eau doit être rechargée de bitume régulièrement,
solides. Il n’en est pas de même pour les remparts car la rive droite de la rivière descend sous l’effet de forces gravitaires (son
d’amont qui font la limite avec les sommets centraux. propre poids au-dessus de surfaces glissantes).

Deux épisodes sont remarquables :


• en 1875, c’est celui de l’éboulement du Grand Sable,
à la base du Gros Morne, qui a fait disparaître un
village entier dans le cirque de Salazie : c’est la plus
grande catastrophe historique dans ce domaine (63
morts et un site abandonné depuis) ;
• en 1984, c’est celui du Rond du Bras Rouge, en amont
de Cilaos, qui ne fait pas de victimes : les matériaux
Déformation de la chaussée et de son parapet, révélant le glissement de Mare à
suivent une vallée profonde aux berges inhabitables. Poule d’Eau. Photo R. Robert.

Le BRGM surveille le relief des îlets de Salazie et établit des cartes de leurs
C’est une donnée incontournable dans le cirque de mouvements.
Salazie, où les aires de Grand Ilet et de Mare à Poule
d’Eau portent les cicatrices actuelles d’une perpétuelle
évolution. L’aire de Grand Ilet glisse à des vitesses
différentes vers la vallée du Bras Fleurs Jaunes, en
fonction du degré de pente.
L’aire de Mare à Poule d’Eau est concernée à sa
base par un déplacement horizontal (de l’ordre
de 3 m entre1995 et 2000), selon les mesures faites
par le BRGM. C’est vraisemblablement le cas le
plus spectaculaire, car il se traduit par des effets de Le plateau de Grand-Ilet descend vers la Ravine des Fleurs Jaunes à des vitesses
distorsion rapide de la surface de la route. La réfection variables durant la période 2003-2007. Doc C. Garnier, BRGM, 2008.

de cette surface doit être réalisée de multiples fois dans Les mouvements de terrain s’observent aussi au sein
la même année. À certains endroits, l’accumulation de du massif volcanique de la Fournaise, en relation avec
bitume atteint six mètres d’épaisseur ! Le même type ses activités.
de glissement de terrain se voit à Marla dans Mafate.
Les mouvements lents : observations concernant le
Piton de la Fournaise
Dans l’Enclos, l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise
mesure un déplacement du flanc oriental du Piton de la Fournaise de quelques
centimètres par an, dû à la mise en place de cheminées volcaniques. En
2007, avant l’éruption du Piton Tremblet, en quelques jours, un mouvement
d’ampleur métrique a déformé les Grandes Pentes.
Le magma d’avril 2007 a suivi une surface fragile jusqu’à déboucher au
Piton Tremblet. Il a formé un sill comme on peut en voir à l’aval de la
passerelle de l’Ilet à Vidot. Combien en faudra-t-il pour qu’un glissement
brutal se produise ? Nul ne le sait !
Glissement de Marla,
cirque de Mafate. Source
BRGM.

Mise en place du sill d’avril 2007 et mouvement du flanc oriental de la


Fournaise. Doc J.-L. Froger, V. Cayom et V. Famin.

114 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Principaux stades d’évolution Le terme de brèche est employé concurremment
géomorphologique exposés à l’affleurement par les géologues et les géographes, avec une légère
Les morphologies d’évolution, de démantèlement différence de sens. Pour les premiers, il s’agit d’une
et d’érosion spécifiques à un volcan coexistent à La roche consolidée, formée par l’accumulation
Réunion à différentes échelles, de décamétrique à d’éléments anguleux soudés entre eux, pour les
déca-kilométrique : seconds, les éléments accumulés sont meubles ou non.
• caldeiras et cratères d’effondrements comme celui Les brèches les plus anciennes correspondent à des
de 2007 ; grands glissements de flanc (« tectoniques »). Selon
• falaises à forte pente (de 60° à 90°), parfois à profil en les endroits, elles sont hétérogènes ou contiennent des
cuillère (failles listriques), correspondant à des plans de « blocs » (cassés mais dont les morceaux sont restés
glissement-effondrement de larges panneaux ; proches, en puzzle). Dans les cirques, ces brèches sont
• plusieurs générations de glissement en masse de massives et consolidées, car elles ont été recouvertes
flancs des massifs volcaniques, provoquant avalanches par des coulées (le Bronchard à Mafate, le Gros-Piton
et coulées de débris ; à Cilaos …), on les trouve aussi dans les falaises des
• vallées curvilignes profondément incisées, se mêmes cirques (La Brèche, Ilet Calebasse …) dans ces
creusant à partir d’un effondrement (affaissement par deux cas, elles sont traversées par des dykes et des sills.
glissement d’ampleur kilométrique d’une partie de On peut les voir aussi en surface, près de la côte (Cap
massif volcanique) : rivières de l’Est, des Remparts, la Houssaye, Ste-Marie …) mais elles s’accumulent
Langevin, St-Denis, des Marsouins…) ; surtout autour de l’île.
• crêtes en lames dans le cirque de Mafate (crête Les « brèches géographiques » actuelles sont formées
d’Aurère, crête de la Marianne, crête des Calumets, par le démantèlement du relief par des glissements
crête des Orangers) ; gravitaires, non tectoniques (après creusement de
• grands amphithéâtres en forme de poire (Grand vallées ou de cirques). On peut y retrouver des blocs,
Pays, Les Makes ; cirques de Cilaos, Mafate, Salazie) ; Mahavel en 1965 (métriques à décamétriques), parfois
• structures en forme de « U » ou de « fer à cheval » hectométrique comme au confluent du Bras de
(Enclos de la Fournaise…). C’est le cas aussi dans Mahavel et de la Rivière des Remparts.
Salazie (1980), avec la formation d’une coulée boueuse
descendant du village de Grand Ilet vers le Bras Fleurs
Jaunes, et quand une autre coulée boueuse issue
d’Hell-Bourg a provoqué un effet de « chasse d’eau »
sur la Mare à Poule d’Eau.

Empilement de lave des flancs du Volcan


Empilement de coulées généralement basaltiques,
d’épaisseur métrique, les cœurs de coulées alternant
avec des niveaux scoriacés avec intercalations de
niveaux de cendres, de lapillis, d’alluvions et de
conglomérats. Les grandes phases stratigraphiques
sont séparées par des niveaux de sols généralement
rubéfiés ou de conglomérats (éluvions, colluvions, …),
qui sont parfois soulignés par des niveaux d’émergence
des eaux souterraines.

Panneaux effondrés
On y retrouve des grands blocs hectométriques
Encaissement de la Rivière des Remparts. Photo R. Robert, in Dossier de
(= hummocks) montrant la structure initiale candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
d’empilement de laves mais avec des pendages
anormaux (vers l’amont…), jusqu’à des panneaux
fracturés et broyés où il ne reste que la trame de la
structure originelle d’empilement : l’aspect est alors
celui d’une brèche à blocs anguleux ; mais une
observation plus fine laisse deviner des sols, niveaux
de cendres, de scories…

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 115


Les climats d’hier, d’aujourd’hui Pluies par recul du rempart nord de Salazie, du Bras
Patate, en amont de la Plaine des Makes par recul du
et de demain
rempart ouest de Cilaos, des petits affluents, en amont
L’impact des anciens climats de la rivière Saint-Denis, par recul du rempart de
Roche Ecrite (paroi nord de Mafate) …
Dans une étude parue à Bayreuth (Allemagne) en Le paléo-climat a certainement eu des répercussions
1986, A. Reinl propose une démarche explicative majeures sur l’évolution du relief de l’île. Peut-
originale de la formation des cirques du massif du il expliquer à lui seul les énormes accumulations
Piton des Neiges. d’alluvions sous-marines, mises en évidence par les
Ils seraient avant tout le résultat de plusieurs phases recherches géologiques et océanographiques ?
d’érosion torrentielle extrêmement rapides et
puissantes. Le climat réunionnais ancien
L’originalité est ici le rôle des anciens climats (on parle (d’après « Mécanismes et vitesses d’érosion à l’échelle géologique sur une île
de « paléo-climats » de La Réunion). volcanique jeune à relief élevé – La Réunion(Océan Indien) » Yannick Fèvre,
A plusieurs époques, la disposition des cellules de 2005)
hautes pressions (ou anticyclones) a changé, en fonction Alors que le climat est à l’origine du principal agent d’érosion à La Réunion
des épisodes de glaciation de l’ère quaternaire : le (les précipitations), l’étude du climat passé met en avant, un autre paramètre
décalage des cellules se serait fait vers le nord lors de important pour l’érosion à une échelle de temps plus grande : les variations du
l’épisode de glaciation. niveau marin. Le climat réunionnais ancien est difficile à appréhender car peu
Compte tenu de l’orientation de la circulation des d’étude à l’échelle de l’île existent.
vents à la périphérie de l’anticyclone, la conséquence
principale est que le vent dominant soufflait alors de Les grands événements glaciaires dans le monde
l’ouest, ou du nord-ouest, (au lieu des alizés d’est-sud- Les principaux événements glaciaires sur les trois derniers millions d’années
est qui caractérisent le climat actuel). au niveau du globe, démarrent au Pliocène et se poursuivent au Quaternaire.
Une autre conséquence est l’absence des cyclones Celui-ci est caractérisé par une période climatique très froide où plusieurs
tropicaux qui se forment et évoluent alors trop loin glaciations se sont succédées (le Pléistocène), suivi par une période post-
de l’île. glaciaire (l’Holocène)…Pour les Alpes, six glaciations ont été répertoriées de
L’érosion se renforce nettement sur la façade la plus ancienne à la plus récente, elles se nomment : Biber, Donau, Gunz,
occidentale de l’île (qui est alors la façade au vent) et Mindel, Riss, Würm.
facilite la formation des cirques de Cilaos et Mafate. Ces trois dernières ont été décrites en Europe du Nord et en Amérique du
Les épisodes pluvieux avaient sans doute une puissance Nord. Des équivalences sont définies en Afrique avec des périodes pluviales,
remarquable, compte tenu de l’importance des et en Australie, où il n’y a pas eu de glaciation à proprement parler, mais des
amphithéâtres formés autour des sommets du Piton variations de climat, chaudes ou froides, parallèlement à ce qui se passait
des Neiges. dans le reste du monde…
A la fin du dernier épisode glaciaire, la situation Pour la période qui concerne La Réunion, les variations climatiques anciennes
climatique actuelle est bien installée : la façade au vent sont liées principalement au cycle de Milankovitch (cycles astronomiques).
devient la façade orientale. Ces cycles engendrent des variations notables avec une période de 21 000 ans
La dynamique de l’érosion torrentielle a ici un pour la précession des équinoxes, de 41 000 ans pour l’obliquité de l’axe de
caractère exceptionnel, au long de phases distinctes, rotation de la Terre, et de 90 000 ans pour la variation de l’excentricité de
coupées par des phases d’ennoyage volcanique. l’orbite terrestre.
Les effondrements, dont l’existence ne peut être Malgré les progrès dans la connaissance des variations climatiques au
mise en doute (existence des brèches), seraient la Quaternaire, les climats passés à la surface du globe en un point, comme La
conséquence de la vigueur de cette érosion, et non les Réunion, restent malgré tout difficiles à appréhender du fait de l’absence de
actes fondateurs des cirques. données directes à cet endroit…
La disposition des trois cirques en « as de trèfle »
se comprendrait par la prédominance de trois Variations du niveau marin dans le monde
réseaux hydrographiques majeurs, qui, en reculant Hormis les variations brèves du niveau marin liées aux marées, il existe des
progressivement leurs remparts (leurs limites variations sur des cycles beaucoup plus longs appelées variations eustatiques.
naturelles), auraient capturé les autres écoulements Durant le Quaternaire, ces variations du niveau marin ont surtout été associées
de proximité, d’où la présence de vallées suspendues aux rétentions d’eau dans les inlandsis (glacioeustasie) et aux mouvements
en limite des cirques : verticaux (subsidence, volcanisme, isostasie)…
- vallée suspendue du Bras de Sainte-Suzanne (recul
des limites nord-ouest de Salazie), de la rivière des

116 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Pour La Réunion, on retiendra : Impact des variations climatiques anciennes sur
Les principales périodes de haut niveau marin : actuel, à 1,2 Ma, à 2,1 Ma l’érosion
et à 2,7 Ma. Les variations climatiques (principalement l’eustatisme) dans l’histoire de La
Les principales périodes de bas niveau marin : à 10 000 ans, à 150 000 Réunion sont fondamentales au regard des processus d’érosion à une échelle
ans, à 1,5 Ma, à 2,4 Ma et à 3 Ma. temporelle plus importante. En effet, les variations du niveau marin sur une
Variation du niveau marin de La Réunion île bouleversent directement les conditions aux limites des systèmes fluviatiles
Les études des variations climatiques dans la partie sud-ouest de et contrôlent leur dynamique.
l’Océan indien ont permis d’acquérir des données importantes sur les Cela se traduit par deux effets principaux :
niveaux marins anciens de La Réunion jusqu’à 60 000
– soit il y a une accélération des processus d’érosion qui favorisent l’incision
ans de façon détaillée et quelques informations ponctuelles
– soit il y a un ralentissement des processus d’érosion qui favorisent
sur des périodes plus anciennes, jusqu’à 150 000 ans.
l’engraissement des rivières.
Au niveau du réseau de drainage de l’île, les principales conséquences de ces
variations du niveau marin (qui pour La Réunion est le niveau de base),
s’expriment par des changements de dynamique sédimentaire des rivières de
l’île car celles-ci tentent alors d’atteindre le nouveau profil d’équilibre fixé par
Reconstitution des
le nouveau niveau de base.
niveaux marins à
La Réunion depuis
60 000 ans à partir
Conclusion
des coraux de La Le tableau qui suit montre que les périodes où l’érosion s’exprime le mieux,
Réunion.
Colonna, 1994.
durant la période basaltique du Piton des Neiges, correspondent en général
à des phases de baisse importante du niveau marin. Celles-ci favoriseraient
alors l’intensification de l’érosion et créeraient un déséquilibre dans la
La dernière glaciation a été ressentie à La Réunion dès 28 000 ans, avec un compétition entre la production et l’érosion. Ceci pourrait expliquer l’existence
maximum vers 18 400 ans, avec un niveau marin plus bas atteignant -150 de surfaces d’érosions généralisées sur cet édifice durant la période basaltique
mètres. Cette période a duré 5 000 ans. Ensuite l’île a subi un réchauffement et justifierait les grandes lacunes de datations existantes durant cette période
qui s’est traduit à partir de 10 000 ans par une remontée rapide du niveau d’activité supposée continue.
marin…avec un ralentissement à partir de 6 000 ans…lié à un épisode Enfin, le tableau ci-après met en évidence l’occurrence de niveaux marins hauts
plus frais entre 6 000 et 5 000 ans. lors de la mise en place de trois des quatre caldeiras de la Fournaise…
Le niveau marin s’est stabilisé au niveau actuel entre 3 000 et 2 000 ans.
De plus, il y a 147 000 ans, durant l’interglaciaire, La Réunion a connu un
optimum climatique avec un niveau marin supérieur à l’actuel de + 4 mètres,
puis un autre à +8 mètres daté à 129 000 ans mesuré sur les coraux des
Seychelles…

Evolution du trait de côte en fonction du niveau marin à partir du MNT actuel.

On constate que lors du plus bas niveau marin, il y a environ 19 000 ans,
les limites de La Réunion se situaient en bordure des plateaux sous-marins
bordant l’île.
Pour ce qui est du plus haut niveau marin connu, il y a environ 130 000
ans, l’influence de la remontée du niveau marin sur la forme de l’île est moins
marquée : elle s’exprime principalement par l’immersion partielle des plaines
littorales (l’Etang de Saint-Paul, l’Etang du Gol)…

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 117


Le climat d’une île du sud-ouest de Les hautes pressions de l’océan Indien
l’océan Indien Il s’agit de cellules de hautes pressions (HP) qui
naviguent d’ouest en est dans la ceinture subtropicale de
Conditions générales l’hémisphère sud, vers 30-35° sud. Ces HP ne forment
pas toujours un ensemble homogène : elles se présentent
Par 21° sud, La Réunion est située dans le domaine souvent en petites cellules mobiles. Le centre de la cellule
tropical sud, à environ 200 km au nord du tropique est toujours au sud des Mascareignes.
du Capricorne. Elle est concernée par trois influences Elles se composent de deux couches superposées :
majeures : • une couche inférieure, humide et tiède où la décroissance
• celle de l’anticyclone de l’océan Indien est la plus thermique et hygrométrique se fait régulièrement avec
importante dans l’année ; l’altitude, d’où une nette tendance à l’instabilité. En
• celle des perturbations tropicales n’intervient que moyenne cette couche est épaisse de 1 000 à 2 500 m,
pendant la saison chaude ; avec 80 % et plus d’humidité relative à la base.
• celle des perturbations polaires ont une influence très
irrégulière dans l’année.

118La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Mer de nuages. Photo H. Douris.

• une couche supérieure, beaucoup plus sèche, parfois Elles rassemblent une masse d’air chaud et humide,
plus chaude, très stable. proche de la saturation. Cet air est très instable et
La limite entre les deux couches définit la limite de soumis à de vigoureuses ascendances. Les pluies qui en
l’inversion des alizés, et la présence souvent de la résultent sont diluviennes quand s’ajoute un important
« mer de nuages ». De l’importance de l’épaisseur effet orographique comme c’est le cas à La Réunion.
de la couche inférieure, de son hygrométrie et de sa Les perturbations arrivent généralement du nord et
température, dépend la genèse des pluies d’alizés, sont relativement fréquentes de janvier à mars. Mais
quand le relief de l’île impose une convection forcée leur présence est irrégulière d’une année à l’autre.
à l’air maritime. Les trajectoires varient selon la saison. En début
Ces HP sont donc à l’origine du flux des alizés. En de saison (de novembre à décembre), elles restent
fonction du déplacement de la cellule, ces alizés parallèles à la latitude de La Réunion, mais loin au
arrivent d’abord par le sud, puis s’installent au sud- nord. En pleine saison, de janvier à mars, la trajectoire
est puis à l’est. La façade « au vent » varie donc est parabolique et peut intéresser l’île. En fin de saison,
quotidiennement en fonction de la position de la cellule elle est toujours parabolique mais décalée vers le
par rapport à l’île. La fréquence la plus grande est celle lointain est de La Réunion.
de l’est-sud-est qui correspond à une arrivée directe Les cyclones tropicaux ont des vents de plus de 63
sur les pentes de l’Enclos (massif de la Fournaise). Les nœuds, les dépressions, des vents inférieurs. Chaque
alizés véhiculent un air tropical maritime. perturbation reçoit un prénom de baptême dans
l’ordre alphabétique.
Les perturbations tropicales de saison chaude
Elles sont issues de la Zone de Convergence
Intertropicale (ZCIT) qui suit en latitude le
déplacement saisonnier de l’équateur thermique.
L’oscillation se fait entre 20° nord lors de l’été boréal
et 15° sud lors de l’été austral. Elles apparaissent à
partir du début de l’été austral entre l’équateur et 10°
sud. Sous les tropiques, ce sont les seuls phénomènes
qui s’accompagnent d’une forte baisse de pression Perturbation tropicale de saison chaude (24/02/2007).
Source Météo France, in Dossier de candidature
atmosphérique. « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 119


Les zones cycloniques séparées par la zone de convergence intertropicale (ZCIT).
Source Albert, Bué et Pierrot, in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.

Les perturbations d’origine polaire de plusieurs degrés. Le front ne présente pas les
D’une manière irrégulière tout au long de l’année, dangers d’une perturbation tropicale. Il est arrivé en
l’île est sous l’influence de masses d’air venues du août 2003 et en octobre 2006 que l’arrivée de l’air
lointain sud. Il peut s’agir de passages de front froid, polaire ait été accompagnée de chutes de neige sur les
de dépressions frontales associées au front. Les hauts sommets de l’île.
perturbations polaires se développent au sud des Quelle que soit l’année, l’influence anticyclonique
cellules anticycloniques du sud de l’océan Indien et (hautes pressions) l’emporte largement.
sont en rotation tout autour de l’Antarctique. Elles Pour la période 1961-1980, elle intéresse 78 % des jours
ne concernent pas directement La Réunion, mais se dans l’année (et jusqu’à 86 % en 1971). L’importance
prolongent par des fronts froids qui balayent le vaste des perturbations ne se situe pas dans leur fréquence
ensemble océanique situé entre les Kerguelen et de situation sur l’île, mais bien sur les conséquences
l’archipel des Mascareignes. pluviométriques qui peuvent être remarquables.
Ces différentes circulations atmosphériques
rencontrent le relief de l’île : elles vont évoluer de
différentes façons :
• l’ascendance forcée le long des pentes des massifs ;
• la subsidence le long des pentes opposées à leur aire
d’arrivée ;
• la convergence ou la divergence, selon la disposition
des reliefs.
À cela s’ajoute un mécanisme quotidien, imposé par la
présence de l’île et de son important relief. Les brises
diurnes sont ascendantes par convection thermique ;
les brises nocturnes sont subsidentes par disparition de
cette convection après le coucher du soleil.
Passage de front froid sur les Mascareignes (17/08/2007). Source Météo
France, in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
L’ensemble de ces composantes définit des nuances
et régions climatiques qui apparaissent avec la
L’approche d’un front froid a pour effet de faire cartographie de la distribution de deux variables
disparaître progressivement la circulation des alizés. majeures, la température et la pluie.
Sur l’île, cela se traduit par des pluies qui peuvent être
fortes (c’est assez rare) et par la chute de la température

120 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


La distribution des régions thermiques Elles sont la conséquence de la structure verticale des
Il est difficile de distinguer des limites entre régions couches atmosphériques régionales et de la présence
climatiques. Les résultats statistiques font apparaître du relief de l’île qui fait office de barrière climatique.
trois régions thermiques à La Réunion. La région la plus arrosée est la façade au vent (façade
La région la plus chaude, tropicale, correspond à orientale), bien exposée aux alizés et aux flux les
l’ensemble des régions littorales et aux basses pentes. plus fréquents de dépressions et cyclones tropicaux.
De décembre à mars, les maximums quotidiens Elle enregistre plus de 2000 mm et jusqu’à plus de
peuvent dépasser 30° C. 10000 mm sur les pentes moyennes orientales du
Les régions de moyennes altitudes, comprises entre 200 massif de la Fournaise.
– 300 m et 1700 – 1800 m ont un climat subtropical, La région la moins arrosée est la façade occidentale, sous
et correspondent à la région habitée des Hauts de l’île. le vent, avec des moyennes annuelles inférieures à 2000
La diminution de la température est régulière avec mm. Les régions les plus sèches sont les littoraux de l’ouest
l’augmentation de l’altitude. Les pentes et aires et les cirques occidentaux, particulièrement Mafate.
sommitales de l’île, au-dessus de 1700 – 1800 m, ont On peut noter une aire de sécheresse relative au-dessus
un climat tempéré et correspondent à des régions de 2000 m environ sur les sommets du massif du Piton
inhabitées. De juin à octobre, en cours de saison froide, des Neiges. Elle se situe au-dessus de la « mer de nuages »
les températures minimales se rapprochent de 0° C, et qui se forme grâce à la couche d’inversion des alizés.
parfois sont négatives. Les rares chutes de neige y sont
enregistrées.

Régions thermiques. Réalisation Mission Parc, Régions pluviométriques. Source R. Robert. Réalisation Parc national de La
in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008. Réunion, in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
La combinaison de l’influence de la
situation tropicale et de celle du relief Les topo-climats : conséquences du
est le facteur essentiel de la distribution relief de l’île
des températures à La Réunion.
L’opposition de formes de relief entre les pentes
L’influence océanique est aussi sensible presque régulières et les topographies en creux (vallées
partout. Elle a pour intérêt de tempérer les effets encaissées, cirques) est de nature à entraîner des
thermiques extrêmes, de diminuer les différences de changements de valeurs des variables climatiques.
températures entre jour et nuit. Elle diminue aussi La présence des grands amphithéâtres du Piton
l’amplitude annuelle entre saison fraîche (mai à des Neiges a une conséquence importante : les
octobre) et saison chaude (novembre à avril). topographies en creux induisent des changements
dans la circulation atmosphérique et par conséquence
La distribution des régions pluviométriques l’émergence de nuances climatiques, les topo-climats.
Les résultats des statistiques de pluie montrent la Dans certains cas, les plus fréquents, la circulation des
présence de deux régions climatiques. alizés est soit déviée horizontalement (phénomène

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 121


de divergence), soit verticalement (phénomène de La façade orientale est totalement concernée ; la
subsidence), Dans la réalité, les alizés concernent moins façade occidentale, sous le vent, l’est dans une moindre
les cirques que les pentes régulières avoisinantes : ils mesure. Cette primauté ne s’observe pas dans les
sont même absents dans ceux-ci alors qu’ils soufflent cirques où l’observation des brises l’emporte sur celle
sur le littoral proche. L’arrivée des alizés à la surface des alizés.
des remparts a pour conséquence une subsidence qui Cela se vérifie dans les observations de vents
contrecarre la pluvio-genèse (rempart sud de Salazie, (fréquences, vitesses) de Météo France.
rempart est de Cilaos). Les brises (vents faibles) représentent 94 % des
Mais la même topographie a pour conséquence de observations annuelles dans Salazie (Mare à Vieille
provoquer la convergence des masses d’air poussées Place) ; les vents de moyennes vitesses entre 2 et 9 m/s
par les rafales de perturbations tropicales, provoquant (les alizés), environ 6 %.
de rapides ascendances forcées et des intensités de À Bellevue (station de pente externe), les valeurs sont
pluies remarquables. inverses : 7 % et 84 %.
Dans le massif de la Fournaise, la topographie de Cette inversion des facteurs de ventilation est le
l’Enclos provoque l’addition de mécanismes favorisant premier aspect du topo-climat des cirques.
les pluies : Une autre conséquence de la topographie des cirques est
• position la meilleure en fonction de la fréquence en la faiblesse relative des observations de vents dans l’année.
directions des flux d’alizés sur l’île ; Dans les bulletins de Météo France, on totalise une
• canalisation des ascendances forcées par les remparts observation de calmes pour 76,5 % des relevés
de Bois Blanc et de Tremblet ; quotidiens pour l’année 1990, et 83,8 % pour l’année
• accélération des ascendances forcées le long des 1996 à la station de Mare à Vieille Place (Salazie). Ces
Grandes Pentes. valeurs atteignent 45,1 % et 48,2 % pour les mêmes
Au total, les conditions existent pour faire de l’Enclos années à Cilaos (station de Cilaos). Elles sont plus
un remarquable « château d’eau », l’une des régions faibles à Mafate (La Nouvelle), respectivement 21,8 %
les plus arrosées du monde. et 21,9 %.
L’ensemble de ces topo-climats conditionne l’évolution A titre de comparaison, la station de Bellevue Bras
de l’érosion torrentielle, avant tout dans les cirques Panon, à mi- pente de la planèze du Mazerin,
et grandes vallées encaissées. Par contre la structure n’enregistre, toujours pour la même année 1996, que
perméable de l’Enclos ne favorise pas l’écoulement de 3,9 % de calmes.
surface, donc celle de l’érosion au sein de vallées.
Ces topo-climats facilitent la biodiversité : le meilleur
exemple en est fourni par le gradient des milieux
naturels du massif de la Fournaise, du littoral de Bois
Blanc au sommet du rempart de Bellecombe.

Topo-climats de cirques
La combinaison de la topographie et de la circulation
adaptée donne un topo-climat d’abri. Trois variables
climatiques sont concernées prioritairement :
• importance de la circulation de brises qui prend le
pas sur la circulation d’alizés, et relative faiblesse des
observations de vents (exemple de Salazie) ;
• la perte d’efficacité pluviométrique des alizés à
l’intérieur du cirque ;
• l’intensité des pluies de dépressions et cyclones
tropicaux.

Relative faiblesse de la circulation générale et


importance des brises
Dans le cas d’une situation non perturbée par une
dépression tropicale, la caractéristique majeure de la
circulation atmosphérique sur l’île est la totale primauté
de la présence des alizés. Ils abordent l’île par le sud-est
Roses des vents, Salazie et Bras Panon, Le Baril et Piton Sainte-Rose.
et se distribuent ensuite en fonction du relief. Source Météo France. Réalisation Parc national de La Réunion.

122 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Cette faiblesse relative du nombre d’observations de sensible pour Salazie, cirque le mieux situé par rapport
vents dans l’année est un autre aspect du topo-climat à la circulation générale anticyclonique.
des cirques.
La conséquence de la présence d’un amphithéâtre, Intensité des pluies de perturbations tropicales
en matière de circulation atmosphérique, est la Sur les pentes externes des deux volcans, la distribution
dénaturation de l’orientation originelle des vents. des pluies de perturbations tropicales est toujours la
Le cirque impose des directions nouvelles aux alizés. même : une progression des littoraux jusqu’aux plus
Aucun cirque n’est directement ouvert aux influences hauts sommets. Si on prend ce même exemple pris
de la circulation anticyclonique directe. L’ascendance dans le sud, on observe :
forcée le long des planèzes (mécanisme hautement • Saint Pierre : 360 mm
favorable à la pluvio-genèse) est remplacée par une • Le Tampon Pk 13 : 720 mm
subsidence vers la base des remparts du cirque, ou • Plaine des Cafres : 1370 mm
par un transfert horizontal des masses d’air au-dessus On retrouve cette progression avec l’altitude entre les
du cirque, par une divergence au fond du cirque pentes externes proches de Salazie et le cirque lui-
(mécanismes a contrario qui n’engendrent pas la même :
pluvio-genèse). Cette définition se retrouve avant • Menciol : 820 mm – 22 jours
tout pour Salazie, et à un degré moindre pour Cilaos. • Riv. du Mât-Usine : 890 mm – 22 jours
Salazie n’est pas une région « au vent », au sens où • Hell Bourg : moyenne 1540 mm – 24 jours
chacun l’entend. Le schéma de distribution est inversé par rapport à celui
des alizés. La même progression s’observe avec l’altitude,
Distribution originale des pluies d’alizés dans et hors du cirque. Dans un tableau comparatif
Sur les pentes externes des deux volcans, la de la distribution relative des deux principaux types
distribution des pluies d’alizés est toujours la même : d’alimentation dans l’île, l’importance des pluies de
une progression depuis les littoraux jusqu’à la couche perturbations est considérable. Pour toutes les stations
d’inversion des alizés, vers 1700-1800 m. Cette couche des trois cirques l’apport moyen annuel des pluies de
est visible par la mise en place fréquente de la « mer perturbations tropicales représente plus de la moitié du
de nuages ». total et jusqu’aux deux tiers dans Mafate. Compte tenu
de l’extrême irrégularité interannuelle de l’impact de
Deux exemples dans l’est et dans le sud : ces perturbations (il peut y avoir deux ou trois années
• dans l’est : de suite sans cyclones tropicaux sur l’île), cela donne un
Saint Benoît (altitude 5 m), moyenne annuelle de autre aspect du topo-climat des cirques.
pluies d’alizés : 1140 mm
Plaine des Palmistes (964 m) : 1220 mm
• dans le sud :
Saint Pierre (45 m) : 260 mm
Le Tampon Pk 13 (737 m) : 270 mm
Plaine des Cafres (1550 m) : 310 mm
Dans le cirque de Salazie, la station d’Hell Bourg, à
980 m, enregistre une moyenne de 730 mm pour une Comparaison de l’alimentation des cirques par les pluies d’alizés et les pluies de
moyenne de 91 jours d’alizés actifs. perturbations tropicales. Sources Météo France. Conception R. Robert,
in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
Pour la même période, deux stations des pentes externes
proches du cirque enregistrent des valeurs nettement L’autre exemple de l’importance de ces pluies s’observe
supérieures pour des altitudes bien inférieures : dans les intensités enregistrées sur de courtes durées
• Rivière du Mât-Usine (station située à la sortie (quelques heures à quelques jours).
des gorges d’écoulement du cirque) : 1350 mm de Cette intensité est maximale soit sur les hautes terres des
moyenne pour 95 jours d’alizés actifs ; deux massifs, soit au fond des cirques. La compression
• Menciol : 250 m d’altitude, rive gauche de la Rivière au sein du cirque et l’ascendance forcée des masses
du Mât, sur la planèze des Fougères ; moyennes : 1240 d’air humide le long des remparts, poussées par les
mm de pluie pour 100 jours de pluies d’alizés actifs. rafales, sont à l’origine de ces « avalasses ». Un premier
Pour un nombre de jours de pluies d’alizés sensiblement exemple : les plus fortes sommes de pluie en 24 heures,
équivalent, l’efficacité pluviométrique des alizés par passage d’un cyclone tropical, ont été enregistrées
diminue nettement dans le cirque, en comparaison des sur les sommets de la Fournaise, (1825 mm à Foc-Foc)
pentes externes proches. Cette conclusion est surtout et au fond de Salazie, à Grand Ilet (1740 mm, janvier

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 123


1980). Toutes les stations climatiques de Salazie ont reçu sud-est, plus fréquente.
1000 mm et plus en 24 heures ; enfin Salazie-village est Par flux de sud, les pentes méridionales sont « au
la station la plus basse en altitude ayant enregistré plus vent », et les régions du Tampon à Saint Philippe
de 1000 mm en 24 heures. reçoivent des alizés directs : ascendance forcée sur
ces pentes avec développement des nuages au-dessus
de 800-1000 m et possibilité de pluies à mi- pente ;
déviation des alizés vers les pentes sud-ouest du Piton
des Neiges, nuages et possibilités de pluie sur les Makes
et Tévelave. La déviation vers l’est de la Fournaise
Valeurs maximales connues des pluies en 24 heures pour les stations du cirque
repousse en revanche une partie importante de l’air
de Salazie. Sources Météo France. Conception R. Robert, vers le large. Les pentes nord du massif, quant à elles,
in Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
sont « sous le vent » : le cas le plus typique est celui
Ces « avalasses » sont à l’origine d’importantes crues de la Plaine des Palmistes où les alizés, arrivés par le
concentrées dans les cirques, et aussi de mouvements Tampon / Plaine des Cafres, sont subsidents.
de terrain dans les brèches qui constituent le fond de La région enregistre alors deux flux contraires : brise
ces amphithéâtres. de mer, et subsidence des alizés.
Par flux de nord-est, l’inverse se produit : la Plaine des
Le château d’eau du Piton de la Palmistes et les pentes au nord de l’Enclos sont bien
Fo u r n a i s e exposées (léger flux anticyclonique de nord-est et brises
de mer) ; le sud se trouve sous le vent et ne dispose que
Le massif joue un rôle considérable dans la distribution des brises de mer. À la Plaine des Cafres, l’ascendance
des vents et des pluies, et donc de la présence de l’eau. va cesser, les nuages vont se disloquer progressivement.
L’évolution des connaissances a été considérable en Du début à la fin de l’épisode qui concerne le passage
quelques décennies. d’une cellule de hautes pressions, les influences vont se
modifier, jusqu’à s’opposer totalement.
Par flux d’est-sud-est, donc le plus fréquent, on observe
une combinaison entre la direction principale des flux
et la morphologie du massif. L’Enclos est le réceptacle
naturel des alizés : l’air relativement canalisé par la
forme de la dépression, subit une forte ascendance
le long des Grandes Pentes ; la formation des nuages
est rapide ; l’efficacité pluviométrique est maximale.
Certaines mesures, incomplètes, font de cette région
le pôle de la pluie à La Réunion, avec des moyennes
annuelles supérieures à 12000, voire à 14000 mm,
et des maximums annuels supérieurs à 20000 mm.
Pluie dans le Cassé de la Rivière de l’Est. Photo J.-F. Bègue.
Actuellement, le maximum annuel a été enregistré
dans les Hauts de Saint Philippe avec plus de 18000
L’importance première de l’alimentation mm, et le pôle de pluviométrie de l’Enclos est une
par les pluies d’alizés estimation qui reste à prouver.
Lorsque l’île se trouve en situation anticyclonique, soit
environ 285 jours dans l’année, le flux d’alizés n’arrive
pas toujours dans la même direction.
Dans son déplacement au sud des Mascareignes, la
cellule de HP dirige des flux de sud qui s’orientent Valeurs moyennes annuelles de pluies d’alizés pour les stations
progressivement vers le sud-est puis l’est. Si une les plus éloignées de l’Enclos.
In Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
perturbation australe arrive par le sud-sud-ouest, le flux
des alizés peut virer au nord-est. Mais la plus grande À partir de l’Enclos, les alizés originels sont déviés à
fréquence est observée pour la direction est-sud- 90 degrés : comme le prouve l’examen des roses des
est : elle correspond à une situation ponctuellement vents de Sainte Rose et de Saint Philippe. L’efficacité
stationnaire du centre de la cellule sur les îles Saint- pluviométrique va donc diminuer progressivement au
Paul et Nouvelle Amsterdam. Trois situations seront fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Enclos.
analysées : une de sud, une de nord-est, et une d’est-

124 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


L’importance de l’alimentation par les pluies Le pôle de la pluie à La Réunion
de perturbations tropicales L’approche scientifique de la climatologie et de
Les hautes terres de la Fournaise sont connues pour l’hydrologie de la Fournaise est récente.
enregistrer des sommes d’eau importantes au moment Dans les travaux de Defos Du Rau (1960), il s’agissait de
du passage des perturbations tropicales de saison « terra incognita » : peu ou pas de stations climatiques
chaude. La régularité des pentes externes sur presque installées, peu ou pas d’études hydrologiques (sauf
tout le pourtour du massif (exception faite de la région pour la Rivière Langevin et la Rivière des Remparts,
des hautes plaines au nord) facilite l’ascendance en raison de leurs intérêts pour l’hydroélectricité).
forcée des rafales, chargées d’humidité, et le gradient La connaissance s’est vraiment affinée au cours des
pluviométrique devient très élevé. Mais faute d’accès années 1990 avec les travaux concernant le plan
facile et sans la présence des hommes à proximité, les Hydrofournaise du Laboratoire des Sciences de la
stations climatiques n’ont été installées que tardivement Terre de l’Université de La Réunion. Une carte
et beaucoup de séquences importantes n’ont pas des isohyètes relativement fine a pu être établie ; la
été enregistrées. L’ouverture du gîte touristique de connaissance du bilan de l’alimentation en eau de
Bellecombe a permis d’avoir des statistiques pour l’ensemble du massif a pu être approchée. Le constat
un site central à 2250 m d’altitude. Les moyennes de est original : une masse d’eau énorme tombe sur le
pluies de cyclones tropicaux y dépassent les 2200 mm. volcan du Piton de la Fournaise ; l’écoulement y est
Toutes les stations pluviométriques, installées au- absent, rare, ou très limité à trois grands encaissements.
dessus de 1800 m, ont enregistré des « avalasses ». L’analyse de la présence d’un château d’eau est faite
Quelques exemples : à partir de la thèse d’Alain Barcelo : le château d’eau
• Foc-Foc (alt. 1800 m), sommet sud de la Fournaise : du Piton de la Fournaise est plus important que celui
1825 mm en 24 heures le 07 janvier 1966, le record du Piton des Neiges et plus compact (absence de
connu pour l’île ; cirques pour modifier l’aire centrale de collecte des
• Commerson (alt. 2320 m), position centrale ; 4301 eaux infiltrées). Si le volume des réserves semble à
mm en 5 jours consécutifs et 6028 mm en 10 jours peu près connu, sa définition hydrogéologique est à
consécutifs, lors de l’épisode Hyacinthe en janvier peaufiner (situation, composition en divers aquifères,
1980. superposition des réserves, importance de l’infiltration
interne atteignant un niveau sous l’océan…).
Les compléments d’alimentation par les pluies L’analyse de l’écoulement se fait d’abord par celui
« occultes » des bassins versants. La difficulté de proposer
Nouveauté de la recherche et intérêt d’une alimentation des limites de bassin versant de la Rivière de
nouvelle, facteur d’originalité du Piton de la Fournaise l’Est est connue depuis longtemps. Le bassin
par rapport au massif du Piton des Neiges, les pluies apparent est moins grand que le bassin réel.
« occultes » ou pluies « horizontales » avaient été Trois réseaux se distinguent nettement par leurs
estimées importantes par Thérésien Cadet. dimensions.
Elles ont été mesurées sur plusieurs sites de la Fournaise Ceux de la Rivière de l’Est, de la Rivière Langevin,
avec des résultats inattendus. de la Rivière des Remparts, sont fortement marqués
La découverte d’un « arbre-fontaine », le Sophora par l’influence de la tectonique : leur localisation est
denudata (nom vernaculaire : petit tamarin des hauts) liée aux grands glissements de terrain dans l’histoire
a été le résultat des recherches sur place et celui d’une géologique de la Fournaise et à la direction des pentes
mission aux îles Hawaï (Maui principalement) où se anciennes.
trouve une autre espèce de Sophora. Cet arbre est
assez bien représenté entre 2000 et 2300 m. Les
mesures comparatives sont faites sur les plateaux en
amont de Nez de Bœuf, et également à la base du
rempart de la Plaine des Sables. Les résultats sont assez
significatifs pour que des expériences de récupération
de pluies occultes soient menées ailleurs sur des sites
de la Fournaise (Grand Coude).
Si le même mécanisme de pluies occultes s’observe
sur les pentes des Hauts sous le vent (Grand Bénare),
il semble moins productif, sans doute en raison des
conditions atmosphériques.
Bassins versants géologiques et écoulements. Schéma Ph. Mairine, 1989.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 125
de Bois Blanc, présentent des allures qui ressembleraient
à des constructions par l’érosion torrentielle.
Sur les grandes pentes externes, au nord et au sud de
l’Enclos, le ruissellement, s’il n’est pas nul, y est assez
faible. Au nord, entre la vallée de la Rivière de l’Est et
le rempart de Bois Blanc, pour une surface de 86 km2,
l’alimentation est de 725 millions de m3, l’infiltration
concerne 560 millions de m 3, l’écoulement ne
concerne que 73 millions de m3 (soit seulement 10 %).

Bassins versants géologiques et écoulements. Schéma Ph. Mairine, 1989


Les autres bassins versants sont peu développés et à Bilans hydrologiques. Schémas, F. Bocquée. Parc national de La Réunion.
écoulement sporadique. Au sud, entre le rempart du Tremblet et la Rivière
Sur l’ensemble de ces bassins versants, seuls trois sont Langevin, pour une superficie de 144 km2, les pluies
pérennes et marqués par de profonds encaissements apportent 1020 millions de m3 ; l’infiltration concerne
utiles au retour de l’eau infiltrée à la surface 764 millions de m3, et l’écoulement ne draine que
(résurgences). 102 millions de m3 (soit 10 %).
Mais l’aire la plus significative est celle de l’Enclos, à Au total, la relation entre le climat et ses nuances et
coup sûr l’une des plus arrosées du monde, avec sur les l’hydrogéologie du Piton de la Fournaise est à la fois
Grandes Pentes, des sommes annuelles qui dépassent importante et complexe. On ne sait pas vraiment où va
les 10 mètres d’eau en moyenne par an. la somme d’eau qui disparaît par infiltration. Les seules
Avec une superficie de 102 km2, l’Enclos enregistre résurgences, présentant quelque importance, sont
970 millions de m3 de pluies. Le ruissellement de celles de l’Anse des Cascades (toponyme évocateur)
surface y est nul. L’infiltration concerne 868 millions sur la commune de Sainte Rose ou la source côtière
de m3, soit près de 90 %. L’évaporation serait un de la Vierge.
phénomène secondaire (102 millions de m 3).
Les modifications climatiques en cours
et les prévisions
En 2009, Météo France a réalisé une étude, visant à
décrire le climat récent suite à une analyse des données
historiques (sur une période de référence 1969-2008)
et a présenté des projections du climat futur à l’horizon
2100 à partir des modèles climatiques globaux du
groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC). Elle constitue un véritable outil
d’aide à la décision en termes d’adaptation au
changement climatique.
Les tendances sont les suivantes (horizon 2100):
Moyenne annuelle des cumuls pluviométriques (1981-2010). – Simulations climatiques : Températures moyennes
Source Météo France. poursuite de la tendance : +1 à 3,2°C,
C’est le bassin versant le plus arrosé de l’île et on n’y – Précipitations : poursuite de la tendance : - 6 à
trouve aucune trace d’écoulement de surface : pas - 8% ; baisse plus marquée en hiver austral,
de sources importantes, pas d’incisions linéaires. En – Cyclones : des systèmes potentiellement moins
revanche, certaines topographies du rempart nord, celle nombreux mais plus intenses,

126 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


– Niveau de la mer : le niveau mondial devrait Seule la région sud-ouest subit une évolution
continuer d’augmenter entre 2 et 4 mm par an, soit statistiquement significative à la baisse (entre -6% et
une élévation de 20 à 60 centimètres en un siècle. -8% par décennie). Sur les autres régions, on observe
des tendances qui restent faibles et non significatives.
Le changement climatique à La Réunion : le L’élaboration de tendances climatiques sur les
constat en 2015 phénomènes extrêmes (fortes pluies, sécheresses) est
(d’après : La Réunion : météo et climat. Changement climatique. Météo France) complexe du fait des échantillons trop limités marqués
par une forte variabilité interannuelle et inter-
Les températures décennale. Pas de tendance visible sur l’occurrence
Le diagnostic sur l’évolution de la température est des épisodes de pluies intenses à La Réunion.
réalisé à partir des données issues de 6 postes possédant
des mesures depuis au moins 40 ans, à diverses Les cyclones
altitudes et sur différents secteurs de l’île. L’analyse L’activité cyclonique sur le bassin sud-ouest de l’océan
des tendances révèle une hausse significative des Indien présente une forte variabilité interannuelle et
températures moyennes sur l’ensemble de ces postes interdécennale. Aucune tendance n’est, dans l’état
de l’ordre de 0,15°C à 0,2°C par décennie (soit un actuel des connaissances, décelable sur le nombre
peu moins de 1°C en un demi-siècle). de systèmes tropicaux affectant notre région durant
les 40 dernières années. Comme le rappellent les
scientifiques du GIEC, l’évolution des cyclones, à la
fois en fréquence et en intensité, est incertaine. Les
experts s’accordent toutefois sur une augmentation
des précipitations associées à un système tropical et
la possibilité que les cyclones les plus intenses puissent
évoluer à des latitudes plus australes.

Pic d’intensité des cyclones


Les travaux en cours à Météo-France Réunion (ré-
analyse de données cyclones) mettent en évidence une
migration significative des pics d’intensité des cyclones
Anomalies de températures annuelles à La Réunion. Changement climatique. très intenses vers le sud sur les 30 dernières années sur
Météo France. le bassin du Sud-Ouest de l’océan Indien.
Le graphique ci-dessous (axe des abscisses = les
Les précipitations années ; axe des ordonnées = la distance par rapport
L’analyse des tendances sur 40 postes de mesure à l’équateur en km) permet de visualiser l’évolution
pluviométrique possédant des données depuis au de la distance à l’équateur du maximum d’intensité
moins 40 ans montre une plus grande hétérogénéité des cyclones très intenses ayant intéressé notre bassin
spatiale que pour la température en raison du relief cyclonique entre 1980 et 2015.
marqué de l’île. La carte ci-après montre la tendance
(en pourcentage par décennie) sur le cumul annuel des
précipitations depuis 1970.

Évolution en latitude des pics d’intensité des cyclones Changement climatique. Météo
France.

Évolution des précipitations. Changement climatique. Météo France.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 127


La projection pour la fin du XXIe siècle 2 – A l’échelle de l’île, le renforcement des alizés pourrait
accroître le contraste de pluviométrie entre les zones au
Des températures moyennes plus élevées vent et les zones sous le vent.
Un réchauffement plus important sur l’Afrique, Les micro-régions du Sud-Ouest de l’île seront les plus
Madagascar, et La Réunion est prévisible. impactées par ces changements avec une baisse des
La hausse des températures devrait être plus élevée précipitations pendant une saison déjà très peu arrosée.
pendant la saison chaude, augurant de périodes de On retiendra donc de cette simulation un signal fort
fortes chaleurs. d’augmentation à la fois du contraste saisonnier mais
Pour La Réunion, la hausse des températures prévue également du contraste géographique (zone au vent /
pour la fin du XXIe siècle s’établit dans une fourchette zone sous le vent) pendant l’hiver austral.
comprise entre 1,7 et 2,6°C selon les scénarios.
Le niveau marin
Des alizés plus vigoureux en hiver Le niveau moyen mondial des mers continuera à
Les saisons d’hiver de cette fin de siècle seront s’élever au cours du XXIe siècle. L’élévation moyenne
vraisemblablement marquées par la présence d’un du niveau des mers pour 2100 sera probablement
anticyclone plus puissant au Sud-Est de La Réunion. comprise entre 0,3 m et 1 m selon le scénario retenu.
Ce renforcement des hautes pressions subtropicales
devrait induire une accélération des alizés sur les Les défis du changement climatique et le patrimoine
Mascareignes en hiver, Il faut donc s’attendre à des mondial de l’Unesco, Pitons, cirques et remparts
épisodes plus « soutenus » d’alizés à cette saison. Elle peut être exprimée de plusieurs façons.
La hausse prévisible du niveau marin
Impacts sur les précipitations Elle n’est pas de nature à affecter le Bien. Les rares régions littorales
En été réunionnaises concernées par ce Bien sont à l’abri, que ce soit l’Enclos dont
Les moyennes des simulations climatiques montrent le littoral est formé de falaises vives de plusieurs mètres de haut, que ce soit la
un signal de grande échelle plutôt neutre sur les région de Mare Longue ou celle de la Grande Chaloupe. Tout au plus verrait-
précipitations de la saison chaude sur les Mascareignes on un ennoyage marin relatif de l’aval de certaines vallées sans conséquences
pour la fin du siècle. L’incertitude est accentuée par dramatiques.
la grande variété des scénarios proposés par chaque La hausse des moyennes et des records de température
modèle. atmosphérique
Une modélisation à échelle plus fine réalisée par Les conséquences sont ici nettement plus marquées et devraient se traduire de
Météo-France suggère un allongement de la période diverses façons :
concernée par les événements pluvieux extrêmes vers * l’étagement de la végétation devrait varier vers le haut par adaptation
les mois d’avril et mai. progressive ;
En hiver * la couche d’inversion des alizés, marque de la transition entre la végétation
L’impact du changement climatique sur les néphéléphile et la végétation altimontaine, devrait évoluer de la même façon ;
précipitations se manifeste de deux façons : * les différences entre régions au vent et sous le vent devraient être plus fortes
1 – Un signal de grande échelle de baisse globale des qu’actuellement ;
précipitations couvrant une vaste zone géographique * Cette dernière pourrait avoir une sécheresse encore plus accusée que celle de
s’étendant sur les latitudes subtropicales (Mascareignes nos jours.
comprises) en hiver. La hausse des températures marines
La première des conséquences est que les conditions de cyclogenèse vont
s’amplifier et aussi se rapprocher des Mascareignes : les dépressions
tropicales et les cyclones tropicaux seront plus nombreux et plus violents. Les
impacts sur le Bien vont être considérables. Il est possible également que la
circulation des courants océaniques en soit affectée dans le SW de l’océan
Indien. Ces conditions nouvelles concerneront le Bien, par exemple dans la
distribution nouvelle des espèces exotiques à La Réunion. (On imagine aussi
les conséquences dramatiques pour les récifs coralliens).
Une nouvelle distribution des cellules de HP et de BP
Il faut s’attendre à une influence accrue de la ZCIT (Zone de Convergence
Intertropicale), et notamment à son rapprochement des Mascareignes, et à un
décalage vers le sud des influences méridionales (p. ex. des fronts froids sur
l’île). Cela devrait avoir une conséquence sur la direction des flux d’air qui
concernent l’île. Les régions au vent et sous le vent resteraient-elles les mêmes ?
Anomalies prévisionnelles et précipitations. Changement climatique. Météo France.

128 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


La hausse de l’hygrométrie moyenne L’ensemble combine en amont les paysages sublimes
L’augmentation de la chaleur correspond à une plus grande capacité de des constructions volcaniques, en relation avec un
l’atmosphère à stocker de la vapeur d’eau. Par différents modes de condensation dynamisme et une fréquence remarquables, et en
(forcée grâce aux vents, ou libre par différences de pression entre air chaud et aval les paysages des successions de coulées proto-
air froid), la capacité pluviométrique va augmenter nettement, que ce soit dans historiques et historiques, dont les variations de
les records (sur une heure, une journée, un mois…) ou dans les moyennes couleurs superficielles sont liées à la biodynamique
mensuelles, annuelles. La conséquence la plus prévisible est l’augmentation des successions végétales primaires. Le tout se présente
des capacités d’érosion torrentielle sur l’ensemble du Bien. Il faut savoir comme une vaste topographie en « fer à cheval »,
qu’à partir d’une certaine intensité de pluie (p. ex. sur une heure), la forte nettement délimitée par la présence des remparts.
perméabilité des Hauts ne joue plus et l’écoulement s’impose, suivant la ligne L’évolution des cratères centraux, la formation de
de pente la plus forte. Par exemple la Plaine des Sables, couverte de lapilli, cratères adventifs, l’ensemble des coulées «aa» et
aura deux écoulements sporadiques et opposés, l’un vers la Rivière Langevin « pahoehoe », sont les manifestations d’un volcanisme
et l’autre vers la Rivière de l’Est. de type hawaïen. La concavité de la côte de l’Enclos
L’autre conséquence de cette érosion torrentielle est le déplacement de millions traduit la puissance effective et insidieuse des
de tonnes de charges diverses qui en aval sera à l’origine de nouveaux cônes glissements de terrain, sur une côte qui devrait se
de déjection au sein du Bien. Les régions les plus sensibles sont connues : il présenter en promontoire (arrivée assez fréquente des
s’agit des trois cirques dont les fonds bréchiques ne sont pas très résistants à coulées à la mer).
l’impact des torrents. Des combinaisons de glissements de terrain et de fortes Les trois Cirques du Piton des Neiges, Mafate, Salazie
pluies peuvent re-créer des mares résiduelles comme à Salazie avant l’arrivée et Cilaos, sont également des exemples d’un patrimoine
des hommes. intact. Leur forme générale, leur disposition en « as de
Dans ce domaine de l’érosion il faut faire la différence entre deux parties du trèfle », tout autour des sommets centraux du Piton
Bien : le massif de la Fournaise et celui du Piton des Neiges. Le premier, des Neiges, proposent un ensemble de caractères
à forte infiltration, sera encore plus un château d’eau. Le second, aura des originaux, dont la combinaison s’inscrit comme une
réponses brutales aux fortes intensités de pluie et les crues seront dévastatrices. valeur universelle exceptionnelle. L’évolution des
Le débit record de la Rivière du Mât (Hyacinthe, 1980, 2500 m3/s) sera gorges de raccordement en aval, l’épanouissement des
vite dépassé. remparts de flanc dans la partie moyenne, l’attache
Conclusion aux sommets centraux en amont, restent identiques
Comme d’habitude la transition climatique se fera lentement avec parfois de depuis des dizaines de milliers d’années. À l’instar
brusques accélérations. Cela explique par exemple qu’aujourd’hui la majorité des coulées volcaniques actuelles dans l’Enclos, les
des personnes ne perçoivent pas que le changement climatique est en cours. éboulements historiques de remparts ne dénaturent
L’éveil des consciences est la principale difficulté de notre temps… pas le paysage du cirque et la disposition en as de trèfle
René Robert, comm. pers. 2016 des trois amphithéâtres majeurs. La beauté des sites
n’est pas entamée par ces épiphénomènes.
Les Remparts sont la troisième particularité
L’île aux trésors paysagers et paysagère, un « fil rouge » pour la candidature.
naturels Leur caractère esthétique tient à la fois à leur
dénivellation et à leur verticalité. Ils limitent l’Enclos
Le comparable et l’incomparable (Piton de la Fournaise) et les cirques (Piton des Neiges).
Ils sont aussi remarquables ailleurs dans le Bien. Ce
Des paysages forgés par une nature sont les exemples des encaissements de vallée : Rivière
exceptionnelle des Remparts (en amont de Roche Plate) dans le
La valeur universelle exceptionnelle se trouve massif de la Fournaise ; Bras des Roches Noires en
dans les trois types de sites inclus dans ce titre du amont de Grand Bassin et Bras de Caverne, dans
dossier. le massif du Piton des Neiges. Ils se trouvent hors
Le Piton de la Fournaise, dans sa quatrième et actuelle d’atteinte (prévisible) du volcanisme actif, et ne sont
phase de construction, propose un ensemble complet et concernés que par des éboulements sporadiques et
intact, composé des sommets (le Bory et le Dolomieu), l’érosion régressive (fort lente) de leur tête de vallée
au centre d’une caldeira d’effondrement récente en amphithéâtre. À la différence de l’Enclos et des
(Enclos Fouqué), dont la partie orientale s’ouvre sur cirques, ce sont des paysages fermés, d’approche
l’océan Indien par une vaste zone de glissements de difficile voire dangereuse. Dans bien des cas, ces
terrain (le Grand Brûlé), limitée par de hauts remparts encaissements remarquables ne sont perceptibles
au nord et au sud (Rempart de Bois Blanc et Rempart qu’en survol (exemple : bras de Caverne ou Bras des
du Tremblet). roches Noires).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 129


Piton de la Fournaise et landes altimontaines.
Photo J.-F. Bénard.

des topoclimats où la permanence des brises et l’action


Une biodiversité remarquable qui contribue à exceptionnelle des perturbations tropicales de saison
la valeur paysagère chaude induisent une considérable importance de
distribution biogéographique : c’est le principal secteur
Installé sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares, de pérennité de la végétation semi-sèche (Mafate et
partagé entre les pentes des deux pitons constructeurs Cilaos) ;
du relief actuel de l’île, l’ensemble des milieux naturels • les Remparts jouent un rôle essentiel dans la
bénéficie d’un certain nombre d’atouts permettant permanence des habitats (absence ou rareté des
leur pérennité : actions anthropiques néfastes) et dans la redistribution
• la différence d’altitude engendre un gradient des semences de vie (stratégie « W », voir plus loin le
exceptionnel des habitats : ceux-ci se développent du peuplement végétal avant l’arrivée de l’homme), qu’elle soit
littoral jusqu’à 3000 m d’altitude (La Réunion partage faite par le vent ou par les oiseaux ; dans le cas des
ce privilège avec Big Island à Hawaï) ; compte tenu cirques, c’est également un refuge pour la faune : par
de la croissance de la population au cours de ces trois exemple les oiseaux forestiers et les oiseaux marins.
derniers siècles, l’intégrité actuelle de ces habitats est Le Bien inscrit représente l’espace le plus important
croissante de l’aval vers l’amont ; pour la conservation de la diversité biologique dans l’île
• ces habitats ne sont pas les mêmes sur le gradient de La Réunion. C’est donc naturellement qu’il s’inscrit
nord (présence d’une végétation semi-sèche de la fortement au sein du Parc national de La Réunion.
façade sous le vent) et sur le gradient sud (importance Ailleurs, les espaces originels ont été considérablement
de la végétation hygrophile) ; modifiés par la présence humaine :
• les différences de topographies, engendrées par les • la presque totalité de la végétation altimontaine
différents degrés d’évolution des deux massifs, et les se trouve dans le Bien : les différents habitats qui la
différences de nuances climatiques multiplient les niches constituent ne sont pas menacés dans leur intégrité ;
écologiques et permettent de multiples évolutions in et la proportion d’endémiques y est grande ; sauf pour
situ, comme c’est le cas avec la radiation adaptative ; quelques cas suivis par le Parc, cet espace n’est pas
• l’Enclos Fouqué est une aire particulièrement concerné par les activités humaines.
attractive, au sens où elle constitue une aire de suivi • un fort pourcentage de la « forêt de bois de couleurs » des
pédagogique des successions végétales primaires ; « Bas » ou des « Hauts » se trouve également dans le Bien :
• les Cirques ont l’intérêt exceptionnel de proposer

130 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Rivière des Remparts, depuis Nez de Bœuf. Photo G. Collin.
ces différents éléments constitutifs sont susceptibles et spectaculaire d’une beauté saisissante, dominé par deux volcans, le Piton
de garder leur intégrité en raison de la protection des Neiges qui est endormi et le Piton de la Fournaise qui est extrêmement
apportée par le Parc national ; la densité des structures actif. Parmi les autres caractéristiques principales du paysage, il y a les
forestières, la permanence de l’humidité, les sommes « remparts » – des murailles rocheuses escarpées d’âge et de nature géologiques
de pluies sur la façade au vent, rendent ces espaces peu variables et les « cirques » que l’on peut décrire comme des amphithéâtres
attractifs pour l’homme. naturels massifs dont la hauteur et la verticalité sont vertigineuses. On trouve,
Les remparts jouent un rôle considérable, car ils se dans le bien, des gorges profondes, partiellement boisées et des escarpements,
présentent comme des avancées linéaires au cœur avec des forêts ombrophiles subtropicales, des forêts de brouillard et des landes,
des basses pentes, généralement vouées à l’habitat le tout formant une mosaïque d’écosystèmes et de caractéristiques paysagères
et à l’économie spéculative : Ravine de la Grande remarquables et très esthétiques.
Chaloupe, gorges de raccordement des cirques, Rivière Déclaration de valeur universelle exceptionnelle
des Remparts et Rivière Langevin. (extrait), Pitons, cirques et remparts de l’île de La
Réunion, 2011.
Des éléments de synthèse
La valeur « incomparable » des paysages devait
La synthèse de l’importance de la géologie et de la toutefois être comparée à celle d’autres sites. Le
géomorphologie pour les paysages exceptionnels rapport d’évaluation de l’UICN international ne laisse
des Pitons, cirques et remparts s’exprime dans la aucun doute sur l’exceptionnalité paysagère :
déclaration de valeur universelle retenue par l’Unesco
lors de l’inscription du Bien réunionnais : Le bien est proposé au titre des quatre critères naturels. Il se compare
favorablement avec d’autres Biens volcaniques inscrits sur la Liste du
La région des Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion coïncide avec patrimoine mondial au titre du critère (vii), comme les Îles atlantiques
la zone centrale du Parc national de La Réunion. Le bien couvre plus de brésiliennes (Brésil), le Parc national de l’Île Cocos (Costa Rica), les Îles
100 000 ha, soit 40 % de La Réunion, une île composée de deux massifs Galápagos (Équateur), et le Parc national de Komodo (Indonésie).
volcaniques adjacents et située dans le sud‑ ouest de l’océan Indien. Dominé L’UICN note que pour les évaluateurs indépendants, les paysages
par deux pics volcaniques imposants, des murailles massives et trois cirques extraordinaires de La Réunion sont un atout majeur de cette proposition. Les
bordés de falaises, le bien présente une grande diversité de terrains accidentés et formes de reliefs d’érosion sont impressionnantes avec l’échelle des remparts
d’escarpements impressionnants, de gorges et de bassins boisés qui, ensemble, et la rapidité des processus clairement illustrés. Les deux pics, avec la grande
créent un paysage spectaculaire. Il comprend les habitats naturels avec leurs diversité de leurs terrains accidentés, à la hauteur et à l’aspect différent, et avec
assemblages d’espèces les plus précieux de l’archipel des Mascareignes… l’impact visuel causé par les escarpements, les gorges et les bassins couverts de
Critère (vii) forêts, ont une très grande valeur esthétique.
L’association du volcanisme, des glissements de terrain d’origine tectonique, et Rapport IUCN au Comité du patrimoine mondial, 2011.
de l’érosion par les fortes pluies et les cours d’eau a donné un paysage accidenté

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 131


LA DIVERSITÉ ET L’ORIGINALITÉ DE LA FLORE, DE LA FAUNE
ET DE LEURS HABITATS
bouleversée par l’érosion et l’effondrement de l’édi-
La diversité des habitats1 et de la végétation d’une île
fice volcanique du Piton des Neiges qui ont abouti à
océanique tient à la rencontre entre un « patron d’ha-
la formation des trois cirques de l’île (Cilaos, Mafate,
bitats » étroitement associé au relief et au climat insu-
Salazie), paysages spectaculaires et uniques au monde.
laires et une immigration végétale en provenance de
sources continentales plus ou moins proches. Le modelé actuel est loin d’être une infrastructure fi-
Le patron d’habitats est hérité de processus géolo- gée. L’érosion permanente des cirques, l’activité volca-
giques, morphodynamiques et climatiques qui se nique intense (coulées de lave, effondrements, édifica-
sont échelonnés sur de longs pas de temps. À l’échelle tion de nouveaux cônes…) installent ou mettent à jour
temporelle humaine, le patron apparaît relativement de nouveaux substrats. Ces terres neuves constituent
stable à l’exception des zones de perturbations perma- un laboratoire biologique et écologique sans pareil
nentes associées aux fleuves, à la mer ou encore aux pour observer les successions primaires de végétation.
très hautes altitudes. Le climat général est de type tropical océanique, mais
Mais à La Réunion, l’évolution du patron écologique compte tenu du relief élevé de La Réunion, il présente
insulaire est en permanence avivée par la persistance une forte variation altitudinale aboutissant aux condi-
d’un volcanisme actif et d’une puissante érosion sou- tions climatiques froides, fortement gélives et parfois
vent renforcée par le régime cyclonique. Ces deux fac- enneigées des sommets de l’île (Piton des Neiges,
teurs entretiennent à eux seuls une chronologie dense Grand Bénare, Piton de la Fournaise). Élevé et cen-
d’événements catastrophiques. Une partie de l’île est tral, le relief fait obstacle aux vents d’alizés dominants
ainsi inscrite dans des processus récurrents et conco- de direction sud-est et détermine une forte dissymétrie
mitants de construction et de destruction propices à la climatique de l’île : une côte au vent humide et forte-
fois à la régénération de séries écologiques primaires et ment pluvieuse, une côte sous le vent subissant un effet
à la vulnérabilité intrinsèque de la biodiversité. de foehn et beaucoup plus sèche.

Le patron d’habitats, son originalité


L’ossature primitive du patron

La partie émergée (aujourd’hui 2 512 km²) du cône


volcanique de La Réunion a surgi des profondeurs
océanes, il y a plus de 2 millions d’années. Elle est
actuellement formée de deux massifs volcaniques : un
massif ancien profondément entaillé par l’érosion, ac-
tuellement inactif (mais pas éteint), le Piton des Neiges
(haut de 3 070 mètres) qui occupe les deux tiers nord-
ouest de l’île, et le Piton de la Fournaise, en activité
régulière, culminant à 2 631 mètres.
Le relief de ces massifs présente une alternance de
planèzes et de ravines plus ou moins profondes, où
circulent des cours d’eau irréguliers à régime torren-
tiel. Cette séquence répétitive a été profondément

1 Le terme « habitat », pris ici dans un sens de « cadre spatial et écologique global,
sans application à une échelle quelconque du vivant » correspond à la notion d’habitat
naturel, retenue par l’Union Européenne dans le cadre de la Directive Habitats, qui
en donne la définition suivante « zones terrestres ou aquatiques se distinguant par
leurs caractéristiques géographiques, abiotiques et biotiques, qu’elles soient entièrement
naturelles ou semi-naturelles ».
L’étagement des milieux naturels selon Rivals (A) et Cadet (B).
Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts », 2008.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 133


La scène de bioclimats – complexe altimontain de fourrés riches en érica-
Dissymétrie climatique, relief élevé et tourmenté cées (espèces de la famille des bruyères) ; ce complexe
induisent une grande diversité de climats et de po- est associé, au-dessus de 1900 m, au secteur froid et
tentialités biologiques (on parle alors de bioclimats). humide des hautes altitudes de La Réunion ou « étage
Une première échelle de ces variations climatiques oligotherme hygrophile ». Dans ce secteur aux forts
(pluviométrie, nébulosité, température) ordonne un contrastes climatiques (variations thermiques journa-
étagement naturel des habitats et de la végétation lières et saisonnières importantes, périodes hivernales
en fonction de l’altitude. Cette zonation altitudinale froides, fort ensoleillement), existe en fait une succes-
diffère dans chacun des domaines au vent et sous le sion fine de climax étroitement liée au gradient alti-
vent. À chaque étage, défini par ses caractères clima-
tiques généraux (secteur climatique), correspondent
des potentialités différentes d’habitats et de végétation
centrées sur une végétation mature (dite climacique) à
caractère zonal (c’est-à-dire associée au secteur clima-
tique). Ces climax zonaux sont forestiers, à l’exception
des plus hautes altitudes où les contraintes climatiques
empêchent la présence de forêts.

Le versant au vent
Sur la côte au vent, humide et pluvieuse, l’étage-
ment présente la succession suivante de végétations
climaciques :
– forêt tropicale humide de basse altitude (ou
forêt de bois de couleurs des bas) associée au secteur
chaud (mégatherme) et humide (hygrophile) des basses Complexe altimontain. Photo J.-F. Bègue.
terres jusqu’à 800 m d’altitude, encore appelé « étage tudinal, et marquée par un abaissement progressif et
mégatherme hygrophile » ; conjoint de la végétation et des températures depuis
les fourrés altimontains hauts de quelques mètres aux
landes basses et prostrées des sommets de l’île.

Le versant sous le vent


Dans l’ouest et le nord de l’île, sur la côte sous le vent,
la végétation présente un étagement similaire modulé
par l’effet de foehn qui relève les limites altitudinales
des étages. Les parties basses de la côte sous le vent
voient en conséquence apparaître un type de secteur
climatique particulier, chaud (mégatherme), ensoleillé,
plutôt sec (semi-xérophile), à caractère général subhu-
mide et qui représente l’étage mégatherme semi-xéro-
phile. Cet étage, en fait complexe, est le domaine de la
forêt mégatherme semi-xérophile, souvent qualifiée de
Forêt humide de basse altitude. Photo J.-F. Bègue.
« forêt semi-sèche »2.
– forêt tropicale humide de montagne (ou forêt Au-dessus, on retrouve la forêt tropicale humide de
de bois de couleurs des hauts, ou encore « forêt néphé- montagne et le complexe altimontain du versant sous
léphile », « forêt de nuages ») correspondant au sec- le vent, assez semblables à ceux du versant au vent,
teur frais et très humide de la zone des nuages. Cette avec cependant quelques caractères propres.
zone constamment saturée d’humidité atmosphérique,
s’étendant jusqu’à 1900 m d’altitude est encore ap-
pelé « étage mésotherme hygrophile », ou « étage
mésotherme néphéléphile ». La forêt de montagne à 2. Les termes « semi-sec » et « semi-xérophile » sont généralement utilisés de manière
indifférenciée à La Réunion. On fera néanmoins remarquer que le qualificatif « semi-
Tamarin des hauts s’inscrit dans cette potentialité cli- sec » s’il s’applique bien à un milieu ou un habitat, reste abusif lorsqu’il s’agit de
végétations pour lesquelles le terme de « semi-xérophile » (étymologiquement : qui aime
macique mais représente un stade de substitution plus les conditions semi-sèches) devrait être employé.
ou moins rémanent après incendie. Attention : pour simplifier la lecture, le terme de « forêt semi-sèche » sera simplifié par
la suite par l’utilisation du terme de « forêt sèche »

134 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


La frange littorale
Sur toute la façade maritime de l’île, existe une frange
littorale aux interfaces marins et terrestres. La partie
supérieure de cette frange baignée et influencée par les
embruns marins représente l’étage supralittoral. Les
végétations et habitats y sont aussi influencés par les
nuances climatiques générales de l’île, notamment par
la dichotomie « au vent / sous le vent ».
Un effet « maritime » peut se faire sentir au-delà de
l’étage supralittoral dans toute la zone côtière, mais il
ne semble nettement marqué par une végétation par-
ticulière (dite « adlittorale ») que dans les régions sous
le vent. Ce faciès maritime se traduit alors par une Forêt semi-sèche à Grande Chaloupe. Photo J.-F. Bénard.
accentuation de l’ensoleillement et de la sécheresse ; facteur eau qui génère de tels milieux particuliers :
il détermine une zone particulière de l’ouest de l’île, étangs, cours d’eau permanents et temporaires, forêts
à caractère subaride limitant le développement de la marécageuses, ensemble de milieux que l’on peut ras-
forêt semi-sèche climacique. En raison de la destruc- sembler sous le terme générique de « zones humides ».
tion quasi totale des habitats naturels de ce secteur, il Les parois rocheuses permanentes, les sols d’avoune
est difficile d’être certain de la végétation initialement sont également des facteurs susceptibles de porter des
présente, même si l’hypothèse d’une savane arborée à habitats et des végétations originales.
lataniers et ébéniers a souvent été évoquée.
Une grande diversité d’habitats
Le patron secondaire Il ressort de cette extrême diversité de situations éco-
À une seconde échelle d’analyse, un nuancement de logiques, l’existence à La Réunion d’un très grand
l’étagement et des végétations climaciques répond aux nombre d’habitats naturels. Actuellement plus de 200
variations climatiques générées par le relief tourmenté types d’habitats naturels ont été inventoriés dans l’île
de l’île dans chaque zone bioclimatique (on parle alors dans le cadre de l’élaboration de la Typologie des
de mésoclimats particuliers, pour chacune de ces va- milieux naturels et des habitats de La Réunion. Ils
riations). Les ravines, les remparts des cirques et des peuvent toutefois être répartis en 19 grands types de
caldeiras jouent un rôle central dans la modulation milieux.
secondaire du patron d’habitats.
Enfin, aux côtés des végétations inscrites dans les po- L’originalité du patron d’habitats
tentialités climaciques zonales précédentes, existent
des végétations et des habitats qui ne s’inscrivent plus L’insularité induit une accentuation des gradients cli-
dans la potentialité climacique de la zone. Ce type de matiques (chaleur, précipitations, vapeur d’eau) en al-
situation apparaît lorsque l’influence d’un facteur éco- titude et donc à un abaissement des limites des étages
logique particulier (eau, sol, géomorphologie) devient de végétation par rapport aux situations continentales.
fortement prépondérante. Si l’on compare l’étagement3 de la végétation de La
En dehors de la frange salée littorale soumise aux Réunion à celui des hautes montagnes intertropicales
embruns marins, il s’agit surtout à La Réunion du de l’est de l’Afrique (secteur de référence et point de
comparaison étayé d’ailleurs par de nombreux liens
floristiques et structuraux avec la végétation de La Ré-
union), on peut reconnaître à La Réunion, six étages
principaux :
– un étage supralittoral ;
– un étage adlittoral (à climat sous influence
maritime) ;
– un étage tropical inférieur (de basse altitude), soit
humide (côte au vent), soit semi-sec (côte sous le vent)
[= étage mégatherme de Cadet] ;
3 Une difficulté majeure dans la comparaison de la zonation altitudinale entre régions tropicales,
mais plus globalement à l’échelle mondiale, réside en la pluralité des approches, des nomenclatures
Avoune. Photo J.-F. Bègue. et des opinions conceptuelles sur les notions d’étages (voir notamment Trochain 1980).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 135


– un étage tropicomontagnard (ou tropical de mon- Le peuplement végétal, sa
tagne, ou afromontagnard) [étage mésotherme de
biodiversité,
Cadet] ;
– un étage tropicosubaltimontain (ou afrosubalpin) sa place et son originalité
[étage oligotherme de Cadet] ;
– un étage tropicoaltimontain (ou afroalpin), à peine Comme d’autres îles océaniques intertropicales, la
esquissé à La Réunion et représenté uniquement par flore de La Réunion résulte d’une immigration, lente
sa base. et sélective, et de processus de spéciation qui, bien que
Certains de ces étages peuvent encore être subdivi- récents à l’échelle des temps géologiques, sont à l’ori-
sés, traduisant une réponse plus fine de la végétation gine d’un endémisme important.
au gradient climatique altitudinal, mais la complexité On aimerait pouvoir dérouler l’histoire végétale de
du patron d’habitats de La Réunion tient surtout à la La Réunion tel un film chronologique présentant
forte dissymétrie climatique de l’île qui permet d’ob- les étapes successives de la végétalisation d’une île
server deux séquences différentes de l’étagement de océanique nouvellement émergée. Mais les bases de
végétation selon l’exposition au vent ou sous le vent, connaissances diachroniques (comparaison sur de lon-
différence surtout marquée dans les horizons inférieurs gues périodes correspondant notamment aux chan-
de la zonation. gements évolutifs des espèces) manquent et il faudra
Aucune île tropicale océanique de l’océan Indien ne se contenter de reconstituer les étapes et les faits de la
propose un tel étagement. La plus proche de ce point colonisation sur la base des peuplements actuels, des
de vue est la Grande Comore (2 355 m au sommet comparaisons inter-îles, des mécanismes biologiques
conique du Karthala), mais l’étage subaltimontain y de dissémination des végétaux, des données phylogé-
est réduit, n’atteignant pas l’étage altimontain. niques, des documents historiques sur l’état originel
Les situations continentales est-africaines, notam- de l’île avant l’arrivée de l’homme, des introductions
ment d’origine volcanique [volcans des Virunga volontaires ou involontaires connues…
(4 507 m), mont Elgon (4 315 m), mont Meru
(4 566 m), Kilimandjaro (5 890 m)], ou subconti- Le peuplement végétal avant l’arrivée
nentales (Madagascar), ne sont pas totalement compa- de l’homme
rables en termes de patron écologique, notamment en
raison de l’éloignement des façades maritimes. Mais Comme toute nouvelle île océanique et à l’instar des
c’est justement une des grandes originalités la situation autres îles des Mascareignes (Maurice, Rodrigues), le
insulaire de La Réunion que de proposer un étage- peuplement végétal de La Réunion s’est appuyé sur
ment complet du supralittoral à la base de l’afroalpin les zones continentales les plus proches (Madagascar,
s’établissant sur un rayon très court, d’une vingtaine Afrique de l’Est, Asie du sud-est, Indonésie, Australie)
de kilomètres. Un tel étagement s’étale sur environ qui constituent aujourd’hui encore des réservoirs per-
200 km à Madagascar, plusieurs centaines de km en manents et fonctionnels de diaspores.
Afrique de l’Est. La dissémination naturelle des végétaux, faute de
La Réunion apparaît ainsi, en quelque sorte, comme moyens propres de locomotion, est obligatoirement
un condensé et un résumé des patrons d’habitats tropi- passive. L’implantation de végétaux sur une île doit
caux des zones montagneuses de l’Afrique tropicale et donc s’en remettre aux courants marins (voie mari-
de Madagascar. Un tel patron écologique explique à lui time), aux vents et cyclones (voie éolienne), aux oi-
seul la grande diversité4 d’habitats présents dans l’île et seaux (voie animale).
la concentration de cette diversité sur une petite surface. Mais, isolée en plein océan Indien, La Réunion,
Du seul point de vue de son patron écologique insu- comme Maurice et Rodrigues, reste une destination
laire, La Réunion apparaît donc unique dans l’océan difficile à atteindre.
Indien. Les équivalences manquent dans la zone atlan-
tique et n’existent que dans le Pacifique, notamment La voie de mer
dans les plus hautes îles du groupe d’Hawaï (Hawaii, Les premières implantations de végétaux vasculaires à La Réunion ont
Maui). certainement été littorales.
Régulièrement les marées amènent un lot de semences adaptées au transport
par les courants marins qui, dans le sud-ouest de l’océan Indien, circulent
4 Il est malheureusement délicat et peu convaincant d’établir des comparaisons
quantitatives de cette diversité d’habitats par rapport aux territoires voisins, compte d’est en ouest depuis les rivages de l’Indonésie et de l’Australie. Ces semences,
tenu du déficit et de la variabilité des connaissances sur les habitats dans l’océan capables de voyager sur de très longues distances, ont en commun les
Indien et de la pluralité des approches descriptives et typologiques.
mêmes facultés de flottaison, de tolérance au sel et de longévité germinative.

136 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Elles appartiennent le plus souvent à des plantes côtières à large répartition Les alizés, en provenance du SE, balayent une zone océane vide de terre
indopacifique voire pantropicale : Ipomoea pes-caprae subsp. brasiliensis émergée. Ils n’ont que peu de chance d’amener avec eux des semences légères
(Patate à Durand), Canavalia rosea (Patate cochon), Dendrolobium et leur rôle dans l’alimentation en diaspores de la Réunion est certainement
umbellatum (Bois malgache), Premna serratifolia (Lingue blanc), anecdotique. À l’inverse, les cyclones progressant fréquemment du NE au SO
Fimbristylis cymosa, Zoysia matrella (Gazon bord de mer), Scaevola taccada transportent probablement de nombreuses diaspores dans le sens Rodrigues /
(Manioc bord de mer), Tournefortia argentea (Veloutier), Pemphis acidula Maurice / La Réunion / Madagascar, assurant une alimentation régulière
(Bois matelot), etc. inter-îles. Mais c’est dans le retour en sens inverse de certains cyclones de
Au total, la voie de mer représente approximativement 5-10 % des origines Madagascar vers les Mascareignes (par exemple les cyclones Charlotte
de la flore indigène. Elle n’intéresse pratiquement que la flore littorale et Hortense en 1973, Inès en 1975, Hyacinthe en 1980…) qu’il faut
actuellement soumise aux embruns, même si l’on soupçonne une origine rechercher une cause majeure d’apport de végétaux par les airs à La Réunion.
littorale des espèces endémiques intérieures des genres Calophyllum, Ochrosia, La puissance de ces météores aura certainement permis également l’apport de
Hernandia, Sophora et Terminalia. semences beaucoup plus lourdes, adaptées à la dissémination à courte distance
par le vent (comme les fruits ailés des Dodonaea, Terminalia et Homalium),
ou bien simplement emportées avec tiges ou branchages arrachés par la violence
des vents. Il est probable que cette arrivée par les airs ait assuré les premières
végétalisations intérieures de l’île. Bon nombre de genres d’Astéracées endémiques
de La Réunion ou des Mascareignes (Eriotrix, Faujasia, Parafaujasia,
Monarrhenus), répondent à cette stratégie de dissémination par le vent à longue
distance et correspondent peut-être à des implantations très anciennes dans l’île.
Au total, la voie des airs représenterait entre 20 et 55 % des origines de la
flore indigène.

Les oiseaux
De nombreux oiseaux marins sillonnent les rivages de l’océan Indien. Divers
oiseaux migrateurs visitent régulièrement les terres de La Réunion. Ils peuvent
amener avec eux diverses semences.
Patate à Durand. Ipomoea pes-caprae subsp. brasiliensis. Plante côtière avec des
semences pouvant voyager sur la mer. Photo J.-F. Bénard. Le transport est tantôt externe (épizoochorie), collé ou accroché au plumage,
ou encore coincé avec un peu de vase ou de boue sur les pattes, tantôt interne
La voie des airs dans les voies digestives des oiseaux (endozoochorie).
Certaines espèces semblent bien adaptées à la dissémination par les oiseaux
comme celles produisant des semences gluantes (Plumbago zeylanica
[Pervenche à fleur blanche], Rhipsalis baccifera [Cactus gui], Boerhania ssp.
[Macatia vert], Pisonia grandis [Pisonie géante]...), mais, d’une manière
générale, beaucoup de plantes croissant dans les lieux fréquentés par l’avifaune
peuvent être concernées. C’est notamment le cas de plantes pionnières des vases
exondées des mares et des étangs fréquentées par les échassiers migrateurs
comme Lindernia rotundifolia [Lindernie à feuilles rondes], Bacopa monnieri
[Brahmi], ou encore Bryodes micrantha, cette dernière espèce uniquement
connue de quelques mares de Madagascar, d’Aldabra, de Maurice et de La
Réunion.
Les oiseaux frugivores sont certainement à l’origine de l’introduction à La
Réunion de plusieurs familles à fruits charnus (Asparagacées, Bégoniacées,
Bois de Reinette ou Bois d’Arnette, Dodonaea viscosa. Plante dont les fruits ailés Clusiacées, Myrsinacées, Myrtacées, Oléacées, Rubiacées, Sapotacées…).
peuvent être emportés par le vent. Photo J.-F. Bénard. Des oiseaux errants, détournés de leur trajectoire ou même des oiseaux
terrestres emportés par les cyclones sont probablement fortement impliqués
De nombreuses plantes se sont adaptées à la dispersion par les vents, les
dans ce processus très aléatoire qui suppose aussi un transit par les voies
tempêtes tropicales, les cyclones. Elles ont développé un arsenal de diaspores digestives des semences sans perte de leur capacité germinative.
légères aptes à voler ou être emportées par le moindre souffle de vent : semences Les terres continentales proches (notamment Madagascar) et les îles de l’ouest
à parachute (Astéracées, Asclepiadacées), spores ultra-légères (Ptéridophytes), de l’océan Indien sont effectivement les plus impliquées dans le transport par
graines sans albumen (Orchidées)… les oiseaux qui concernent probablement plus de 50 % des origines de la flore
Cette stratégie de dissémination à longue distance caractérise de nombreuses indigène de La Réunion. Mais des contrées plus lointaines ne peuvent être
plantes pionnières et souligne l’adaptation à la colonisation aléatoire de exclues, comme le rappelle R. Lavergne (2001) en citant le cas d’un Pétrel
milieux neufs par l’émission en masse et fréquente d’un nombre élevé de géant, bagué aux Falkland (Atlantique sud) et capturé sept mois plus tard à
diaspores (type de stratégie de régénération « W », Grime 2001). La Réunion.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 137


On estime le taux naturel d’arrivée de la flore à La – capacités de reproduction adaptées avec avantage aux plantes autofertiles
Réunion à un genre tous les 30 000 ans. En tenant ou à forte multiplication végétative, alors qu’inversement les plantes dioïques
compte des modes de dispersion et des affinités de la (individus mâles et femelles séparés) sont désavantagées.
flore indigène, Cadet (1977) a dressé un premier bilan Mais de nombreux handicaps président aussi à la destinée de ces installations :
des origines géographiques du peuplement végétal in- absence d’habitat favorable, compétition avec les espèces déjà présentes, taille
digène de l’île. critique des populations…
L’ancienneté des terres émergées semble également jouer un rôle positif dans
le processus d’indigénation, sans qu’il soit clairement explicite (Blanchard
2000). En tout cas, la réalité de la colonisation végétale de La Réunion
démontre à elle seule, le caractère fonctionnel du processus.
Pour les populations installées, leur isolement géographique est favorable à
l’évolution des espèces, ce qui fait des Îles océaniques un laboratoire naturel de
l’évolution à la base des théories élaborées par Darwin à partir de l’exemple
des îles Galapagos. À La Réunion, l’isolement des nouveaux arrivants a
permis l’individualisation de pools génétiques distincts par isolement
reproductif forcé. Cette évolution insulaire, lorsqu’elle a été suffisamment
rapide, a conduit à la formation d’espèces insulaires endémiques. De telles
spéciations ont été fréquentes chez les plantes à diaspores lourdes dont l’arrivée
est exceptionnelle. À l’inverse, ces phénomènes de spéciation sont ralentis
par l’arrivée régulière de nouveaux immigrants (cas des plantes à diaspores
légères comme les « Ptéridophytes » ou des plantes littorales transportées par
Origine de la flore vasculaire de La Réunion (source Cadet 1977).
les courants marins).
Dossier de candidature « Pitons, cirques et remparts ». 2008.
La quasi-totalité des ptéridophytes et 72 % des genres L’anthropisation du
de plantes à fleurs indigènes existants à La Réunion, peuplement végétal
sont présents à Madagascar, distante de 700 km, ce
qui souligne au passage le rôle majeur des phénomènes L’installation durable de l’homme à partir du milieu
cycloniques. Logiquement, compte tenu de l’éloigne- du XVIIe siècle introduit un volet exotique dans la flore
ment de ces territoires, la part des influences asiatiques de l’île qui prendra progressivement une part de plus
(8 %) et indopacifiques (12 %) dans l’origine probable en plus importante avec le développement de la socié-
de la flore réunionnaise indigène reste minoritaire. té réunionnaise. La large palette des usages (agricoles,
Dans cette explication globale d’immigration de la forestiers, économiques, médicinaux, ornementaux…),
flore des Mascareignes depuis les sources continen- l’accroissement des échanges de biens et de personnes
tales, il faut également mentionner le rôle relais de ont permis l’introduction volontaire ou involontaire de
Maurice, apparu 5 millions d’années plus tôt que La plusieurs milliers d’espèces originaires des régions tro-
Réunion. Le peuplement végétal déjà bien avancé de picales à tempérées du monde entier. Le climat très va-
cette île relativement proche (200 km) a dû constituer rié de La Réunion a facilité l’acclimatation et la natura-
une source très active de diaspores pour La Réunion lisation d’un grand nombre de ces plantes introduites.
comme en témoigne le nombre élevé d’espèces com- Avec l’arrivée de l’homme au milieu du XVIIe siècle,
munes à Maurice et La Réunion. Cette immigration le taux d’immigration des végétaux à La Réunion va
d’île à île au sein de l’archipel des Mascareignes a sû- connaître une modification rapide et croissante.
rement été favorisée par le sens des courants marins, Au premier rang de ce bouleversement est associée
des vents et des cyclones. l’introduction volontaire de nombreux végétaux. Aux
plantes utilitaires de première nécessité, suivra rapi-
Installation et évolution insulaires dement un lot de plus en plus diversifié de plantes ali-
Arriver est une chose, germer et survivre une autre, se reproduire et s’installer mentaires, fourragères, économiques, médicinales et
(c’est-à-dire établir une population viable) encore une autre… La probabilité ornementales dont le rythme d’arrivée épousera le dé-
d’implantation durable d’une espèce immigrante (on parle également veloppement démographique, agricole, économique et
d’indigénation) est a priori extrêmement faible et les échecs sont de règle. social de l’île. Transports, déplacements des hommes
Plusieurs paramètres concourent à augmenter les chances de réussite : et de biens amèneront aussi, de manière involontaire,
– présence de nombreuses niches écologiques vides ou peu saturées, ce qui de nombreux végétaux habituellement associés aux
limite les phénomènes de compétition interspécifiques ; établissements humains.
– absence ou rareté des parasites et des prédateurs ;

138 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Canne à sucre Saccharum officinarum. Plante importée pour la culture.
Photo J.-F. Bénard.

Même si plusieurs travaux apportent des témoignages climats de La Réunion autorise une large gamme d’introduction de plantes
historiques importants (Bréon 1825, Richard 1856, tropicales, subtropicales et tempérées qui, par exemple, permet aux pêches, à
Trouette 1898, Rivals 1960) sur les introductions de la rhubarbe, aux mangues, aux litchis, aux ananas, etc. de se côtoyer au fil
végétaux à La Réunion, il est actuellement impossible des saisons sur les marchés de l’île.
de chiffrer le nombre d’espèces de plantes vasculaires Aux premières fonctions agronomiques, industrielles et médicinales, les
introduites à La Réunion. Il se situe probablement introductions des végétaux s’inscriront dans une préoccupation ornementale
au-delà des 5 000 espèces. et d’agrément, de plus en plus forte, qui va d’abord concourir à la diversité
L’inventaire des jardins et collections végétales de La de la flore des jardins créoles, puis, plus tard, au foisonnement des collections
Réunion reste donc à faire… spécialisées de palmiers, de plantes succulentes, d’orchidées… De ce point de
Enfin, si l’on rapporte le nombre non négligeable de vue, La Réunion offre un étonnant métissage végétal…
plantes adventices récoltées une seule fois au nombre Tout comme pour la végétalisation naturelle de l’île, difficultés, échecs et
de botanistes ayant herborisé dans l’île, il est clair que réussites auront été le lot de l’histoire des introductions de végétaux à La
beaucoup d’introductions sont passées inaperçues et Réunion. Beaucoup d’entre eux ne se sont pas maintenus ou subsistent
que la flore adventice introduite fortuitement ne sera péniblement sur leurs lieux d’implantation. D’autres sont aujourd’hui
jamais connue totalement ! communément cultivés, certains se sont répandus dans les cultures, les friches,
les milieux naturels parfois au point de devenir gênants par leur caractère
L’introduction volontaire de végétaux invasif.
Dès la fin du XVIIIe siècle, la société réunionnaise encourage les introductions
et les essais d’acclimatation de végétaux. Mais c’est au cours du XIXe siècle,
avec la création du Jardin d’acclimatation de Saint-Denis, futur Jardin de
l’État, que cette période d’introduction expérimentale s’organise et prend son
essor en relation avec l’industrialisation et l’aménagement.
Certaines de ces premières introductions utilitaires et de ces premiers essais
marquent encore profondément les paysages de La Réunion : Canne à
sucre (Saccharum officinarum), Ananas (Ananas comosus), Cryptoméria
(Cryptomeria japonica), Goyavier (Psidium cattleyanum), Choca vert
(Furcraea foetida). D’autres aujourd’hui sur le déclin ont connu des heures
de gloire comme le Géranium rosat (Pelargonium x-asperum, le Vétiver
(Chrysopogon zizanioides)… D’autres, enfin, ont presque entièrement disparu,
ou ne subsistent qu’en pieds ou cultures isolés comme le Coton (Gossypium
sp.), le Café (Coffea arabica) ou le Thé (Camellia sinensis).
Cryptoméria du Japon Cryptomeria japonica. Arbre importé pour la production de
Du « battant des lames au sommet des montagnes », la grande diversité des bois. Photo J.-F. Bénard.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 139


La flore adventice La flore spontanée globale
Parallèlement aux introductions culturales, les activités humaines se sont aussi
accompagnées d’introductions involontaires avec les marchandises, avec les
animaux, avec les voyageurs… Elles concernent surtout des plantes rudérales
associées aux milieux anthropiques tels que cultures, friches, savanes, lieux
piétinés, décombres… Il y a là de très nombreux végétaux à large répartition
dans les régions tropicales et subtropicales du monde, parfois même de véritables
cosmopolites comme, par exemple, le Pâturin annuel (Poa annua), probablement
la plante la plus répandue dans le monde.
On peut facilement observer aujourd’hui la permanence de ce flux d’arrivée
involontaire de plantes nouvelles pour La Réunion autour des fermes
(plantes introduites avec les semences et les fourrages : Rumex obtusifolius,
Amaranthus giganteus, Senecio vulgaris…), le long des routes (introduction
avec les marchandises : Boerhavia erecta) et des sentiers (introduction par les Lycopode. Photo J.-F. Bègue.
randonneurs : Veronica officinalis)… La flore vasculaire spontanée de La Réunion s’élève
à 1 8135 espèces de plantes vasculaires, dont 1 552
Le bilan de biodiversité du peuplement Spermatophytes (85,6 %) et 260 « Ptéridophytes »
végétal (14,3 %).

Le bilan qui suit, s’attache à présenter la diversité de Les Spermatophytes spontanés sont presque unique-
la flore vasculaire spontanée de La Réunion sur des ment composés (99,8 %) des « plantes à fleurs » (phy-
bases floristiques générales incluant taxonomie, choro- lum des Magnoliophyta). On ne connaît que 0,2 %
logie et statuts d’indigénat. Il est issu de l’exploitation (3 espèces) de « Conifères » (phylum des Pinophyta).
de la version de l’Index de la flore vasculaire de La Les Cycadophytes ne sont pas représentés dans la flore
Réunion, version 2016.1, (Conservatoire Botanique spontanée de l’île.
National de Mascarin (Boullet V. coord.)). Les « Ptéridophytes » dans le sens usuel de ce terme
comprennent à La Réunion six phylums avec la répar-
Ce bilan a été établi au rang d’espèce. Il ne tient donc tition suivante en espèces :
pas compte de la diversité infrataxonomique (sous-es- – Lycopodiophyta (les « lycopodes et sélaginelles ») :
pèces, variétés, formes), peu étudiée jusque-là et dont une vingtaine d’espèces ;
les arguments taxonomiques ont parfois été contestés. – Equisetophyta (les « prêles ») : 1 espèce ;
Il s’adresse uniquement à la flore spontanée, c’est-à- – Psilotophyta (les « psilotes ») : 1 espèce ;
dire aux plantes apparues spontanément sans avoir été – Ophioglossophyta (les « ophioglosses et botry-
directement et volontairement plantées ou semées. En ches ») : 6 espèces ;
outre, leur identité taxonomique et leur présence ef- – Marattiophyta (les « marattia, angioptéris, etc. ») :
fective à La Réunion doivent avoir été prouvées. Sont 2 espèces ;
ainsi exclus : – Ptéridophyta (= Filicophyta) (les « vraies fou-
– les espèces connues uniquement à l’état cultivé ; gères ») : plus de 220 espèces.
– les espèces au statut indéterminé en raison d’une
documentation insuffisante (9 cas non résolus) ; Flores indigène et exotique
– les taxons cités sans ambiguïté dans le territoire mais Si l’on tient compte du statut d’indigénat ou d’intro-
dont l’existence ou la présence effective y reste dou- duction des espèces, la flore vasculaire spontanée peut
teuse (taxons douteux, soit 116 espèces). Les taxons être analysée en termes de flore indigène et de flore
douteux appartiennent généralement à des agrégats exotique. Afin d’éviter une présentation par trop com-
complexes, dont le contenu taxonomique a considé- plexe des résultats, plusieurs regroupements ont été
rablement varié au cours de l’histoire botanique, ou faits : les indigènes incluent les « probablement indi-
dont la délimitation et la détermination posent d’im- gènes », les exotiques incluent les cryptogènes et les
portants problèmes. Entrent aussi dans cette catégorie, probablement exotiques.
les citations taxonomiques apparemment douteuses ou
incertaines en attente d’une confirmation.
– les taxons dont la présence reste hypothétique dans 5 Les données présentées dans ce document différent de ceux du document de
candidature. En effet le travail de terrain a permis de les actualiser : plus d’une
le territoire (taxons hypothétiques, soit 23 espèces). centaine d’espèces de la flore spontanée a été recensée depuis la dernière édition. Il est
également à noter que certaines espèces ont vu leurs noms scientifiques révisés.

140 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Statut d’indigénat global Nombre Taux et fonction des échelles de territoires restreints aux-
des espèces de la flore d’espèces spécifiques quels on s’intéresse. Pour une plante uniquement
vasculaire de La Réunion (%) présente dans l’île de La Réunion, on parlera d’en-
Indigènes 874 48 démisme strict (ou local). L’endémisme régional est à
Cryptogènes 61 3 l’échelle des Mascareignes et l’endémisme macro-ré-
Exotiques 878 48 gional à l’échelle de la région floristique malgache (in-
Flore spontanée totale 1813 100
cluant Comores, Seychelles et Mascareignes). Cette
In Index de la flore vasculaire de La Réunion, version 2016. Conservatoire dernière échelle, habituellement peu utilisée, n’a pas
Botanique National de Mascarin. V. Boullet, coord.
été retenue ici.
Ainsi, la flore vasculaire spontanée de La Réu- La flore vasculaire indigène de La Réunion com-
nion se répartit en : prend 248 endémiques strictes (28,3 %), 149 en-
– 874 espèces indigènes. Au total, la flore indi- démiques régionales (17 %), soit au total 397 es-
gène représente environ la moitié (48 %) de la flore pèces endémiques (45,4 %).
spontanée. L’endémisme peut également être détaillé par groupes
– 61 espèces cryptogènes, de statut indigène pos- systématiques.
sible mais encore obscur, soit 3 % ;
Les « Spermatophytes » indigènes possèdent 229 en-
– 878 espèces exotiques, soit approximativement
démiques strictes (37 %), 125 endémiques régionales
l’autre moitié (48 %) de la flore spontanée.
(20 %), soit au total 354 espèces endémiques (57 %).
Il est donc intéressant de constater que la diversité glo-
Les « Ptéridophytes » indigènes possèdent 19 en-
bale de la flore vasculaire s’équilibre entre flore indi-
démiques strictes (8 %), 24 endémiques régionales
gène et flore exotique.
(10 %), soit au total 43 espèces endémiques (17 %).
Si l’on s’intéresse à la composition en groupes systéma-

Spermatophytes
Spermatophytes
Ptéridophytes
tiques des flores « indigène » et « exotique » de l’île, on

Ptéridophytes
Endémicité
obtient la ventilation suivante :

spécifique
des espèces et

spécifique
– pour la flore « indigène », 623 « spermatophytes » systématique
(soit 71,2 %) et 251 « ptéridophytes » (soit 28,8 %).

Taux

Taux
(%)
Toutes les spermatophytes indigènes sont des « plantes

(%)
à fleurs » (Magniolophyta). Plus de 95 % des ptérido- Endémiques strictes 19 229 8 37
phytes (96,4 % exactement) sont indigènes. Endémiques 24 125 10 20
– pour la flore « cryptogène », 60 « spermatophytes » régionales
Autres indigènes 208 269 83 43
(soit 100 %) et aucun « ptéridophyte ». Toutes les sper-
Endémiques totales 43 354 17 57
matophytes cryptogènes sont des « plantes à fleurs » Indigènes totales 251 623 100 100
(Magniolophyta).
In Index de la flore vasculaire de La Réunion, version 2016.
– pour la flore « exotique », 869 « spermatophytes » Conservatoire Botanique National de Mascarin. V. Boullet, coord.
(soit 99 %) et 9 « ptéridophytes » (soit 1 %).

La place et l’originalité du peuplement


Spermatophytes

Spermatophytes
Ptéridophytes

Ptéridophytes

Statut
d’indigénat végétal
spécifique

spécifique

des espèces et
systématique Les traits généraux de diversité spécifique et d’endé-
Taux

Taux

micité de la flore indigène sont typiques des îles océa-


(%)

(%)

Indigènes 251 623 96 40 niques isolées.


Cryptogènes 1 60 0 4 La diversité spécifique de La Réunion (874 espèces
Exotiques 9 869 3 56 pour 2 512 km², soit une densité spécifique de 0,3
Flore spontanée 261 1552 100 100
espèce au km²) est faible par rapport à celle des
totale
îles-continents comme Madagascar (± 10 000 es-
In Index de la flore vasculaire de La Réunion, version 2016. Conservatoire
Botanique National de Mascarin, V. Boullet, coord. pèces) ou la Nouvelle-Calédonie (3 261 espèces). Elle
est néanmoins relativement élevée si on la compare à
Flore endémique d’autres territoires océaniques intertropicaux isolés :
Parmi la flore indigène, certaines espèces ont une aire la Polynésie française qui regroupe près de 120 îles,
naturelle restreinte à l’échelle mondiale. On les dé- compte 893 espèces vasculaires pour 3 521 km² (soit
signe couramment alors sous le terme d’endémique. 0,25 espèce au km²), les Seychelles avec 350 espèces
La notion d’endémisme est bien évidemment relative pour 410 km² (soit 0,85 espèce au km²).

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 141


Les îles océaniques proches des continents ont une ri-
chesse spécifique nettement plus élevée, ce qui tend
à prouver que l’immigration de la flore dans les îles
océaniques diminue avec l’éloignement des continents.
Mayotte (377 km²) totalise 616 espèces vasculaires, soit
une densité spécifique remarquablement élevée (1,63
espèces au km²) ; la Guadeloupe et la Martinique, en-
semble, compte 1863 espèces (plus du double de La
Réunion) pour une surface presque équivalente (2 813
km², soit 0,66 espèces au km²).
Dans les Mascareignes, Maurice, plus petite que La
Réunion, est aussi un peu plus riche (884 espèces Lavangère. Delosperma napiforme. Photo J.-F. Bénard.
pour 1 865 km², soit 0,47 espèces au km²), ce qui économique de La Réunion. Ces dernières décennies,
est somme toute logique au vu de son ancienneté (7,8 la demande touristique croissante attisée par les plages
MA). Rodrigues, île basse (393 m d’altitude), petite de sable, les loisirs de la mer et le climat tropical côtier
(151 km², soit 16 fois moins grande que La Réunion), ensoleillé a accentué la pression d’aménagement sur
jeune (1,8 MA) et très isolée compte néanmoins 109 les rivages de l’île.
espèces de plantes vasculaires (environ 8 fois moins L’action de l’homme, conjuguée à la réputation peu
que La Réunion, mais 0,75 espèce au km²). originale et peu diversifiée des littoraux tropicaux, lui
a longtemps donné une place mineure dans l’éventail
L’endémisme de la flore vasculaire est élevé à La Réu- de biodiversité naturelle de l’île : dégradation extrême
nion avec des taux de 28,3 % pour l’endémisme strict du milieu littoral par l’activité humaine, forte emprise
et de 45,4 % pour l’endémisme total. Même si les des espèces exotiques introduites, transformation des
données disponibles ne sont pas comparables ces taux paysages (plages à filaos), banalité des milieux littoraux
semblent plus élevés que dans les deux autres îles des tropicaux.
Mascareignes .
Les îles continentales et les territoires insulaires très
isolés ont un endémisme végétal beaucoup plus élevé :
Madagascar (> 80 %), Nouvelle-Zélande (> 80 %),
Nouvelle- Calédonie (74 %), Hawaï (90 %), Polynésie
française (62 %). A contrario, les îles océaniques proches
des continents et les territoires continentaux révèlent
des taux bien plus faibles : Mayotte (5 %), Guadeloupe
et Martinique (4 %), Guyane (3 %).

Diversité réduite mais forte endémicité du peuplement


Saliette. Psiadia retusa. Photo J.-F. Bénard.
végétal naturel constituent donc les traits dominants
de la flore indigène de l’île dont l’importance patrimo-
On peut observer chez cette flore maritime, un lot
niale à l’échelle mondiale a été soulignée à l’occasion
varié d’adaptations biologiques et morphologiques au
d’inventaires des zones prioritaires pour la préserva-sel et aux vents marins : port des arbres et arbustes en
tion de la biodiversité planétaire. Ainsi, La Réunion drapeau ou en biseau, stratégies diverses d’évitement
appartient à l’un des 34 points chauds (hotspots) de du sel (succulence, taille des feuilles réduites, cuticule
la diversité biologique mondiale (Mittermaier & al. épaissie, pilosité accrue…).
1999 ; Myers & al. 2000) et à l’un des 234 Centres de Replacée dans le contexte des côtes occidentales de
Diversité pour les Plantes (WWF & IUCN 1994). l’océan Indien, la végétation littorale de La Réunion
montre, contrairement à une opinion courante, une
Les principaux habitats grande diversité de systèmes littoraux et, pour certains
de La Réunion, leurs originalités d’entre eux, une forte originalité. Celle-ci se traduit,
outre le développement de communautés végétales
propres à l’île, par la présence de plantes littorales
Le littoral strictement endémiques de La Réunion : Lavangère
La végétation littorale de La Réunion a subi de plein [Delosperma napiforme], Chamésyce du Gol [Chamaesyce
fouet et très tôt, le développement démographique et goliana], Chamésyce verdâtre [C. viridula], La saliette

142 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


[Psiadia retusa]. On peut y ajouter quelques littorales assez peu nombreuses (10-15 % de la flore vasculaire)
préférantes, endémiques des Mascareignes comme le et les fougères arborescentes manquent.
Bois de paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius], Lobé-
lie rampante [Lobelia serpens var. serpens], une fougère, Les forêts chaudes et humides de basse altitude
[Ctenitis maritima], une sélaginelle [Selaginella salaziana]. de l’est et du sud de l’île ne connaissent pas vérita-
blement de périodes de sécheresse et l’humidité at-
Forêts, fourrés et landes, du littoral au sommet mosphérique du sous-bois est élevée et relativement
des volcans constante (80 à 100 %). La forêt est dense et la ca-
La limite supérieure de la forêt est approximativement nopée continue, haute de 10-20 m. La diversité des
de 1900 m sur la côte au vent, un peu plus, 2000 m, essences ligneuses est maximale pour La Réunion avec
sur la côte sous le vent. Plus haut, une succession de une cinquantaine d’espèces. L’hétérophyllie juvénile
végétations de plus en plus basses (fourrés, matorrals est limitée aux stades pionniers de la forêt. Dans le
puis landes) marque l’influence croissante de l’altitude sous-bois, les lianes sont peu représentées, par contre
parallèlement à des conditions écologiques de plus en les épiphytes abondent sur les fûts rectilignes et élevés
plus sévères. Les sols squelettiques et constamment des arbres et autres supports disponibles. Les fougères
érodés ne constituent jamais de réserve d’eau impor- sont nombreuses (25 % de la flore vasculaire) et re-
tante et limitent le développement d’une biomasse vé- couvrantes ; les fougères arborescentes sont fréquentes
gétale importante. sous la canopée.
Ailleurs, le domaine forestier s’estompe ponctuellement :
– sur la façade littorale la plus salée, là où les embruns Les forêts fraîches et humides de la zone des
marins brûlent le feuillage des quelques arbres qui nuages baignent dans une humidité atmosphérique
s’aventurent à proximité de la mer et s’opposent à la constante et très élevée (90 à 100 %). La forêt présente
présence d’une végétation arbustive et arborée sur une un aspect luxuriant, voire exubérant. La canopée est
distance généralement courte [de l’ordre de quelques moyennement élevée (8-10 mètres), quelque peu dis-
dizaines de mètres du haut de l’estran, parfois moins continue et typiquement dépassée par la couronne de
quand le trait littoral s’élève (trottoirs élevés, falaises frondes des fougères arborescentes. La diversité des
maritimes] ; essences ligneuses est plus faible que pour les forêts
– au niveau des cours d’eau et ravines actives, où les précédentes et ne dépasse guère la trentaine d’espèces.
crues violentes des épisodes pluvieux (cycloniques ou L’hétérophyllie juvénile est limitée à une essence pion-
non) éradiquent régulièrement l’installation témé- nière, le Tamarin des hauts. Le sous-bois où les lianes
raire de quelques essences pionnières sur les terrasses sont toujours rares, est le royaume de l’épiphytisme
alluviales ; qui profite au maximum du port ramifié et forte-
– sur les parois plus ou moins verticales des falaises et ment sinueux de la majorité des arbres et arbustes.
des remparts des cirques et des grandes ravines. Les fougères épiphytes et humicoles sont diversifiées
Les trois grands types de forêts tropicales de La Ré- (30-40 % de la flore vasculaire) et occupent toutes les
union (semi-sèches, humides de basse altitude, hu- niches écologiques favorables.
mides de montagne) possèdent des traits structuraux,
biologiques, écologiques et floristiques suffisamment Les zones basses et sèches de la côte sous le
différents pour constituer des domaines forestiers bien vent et les reliques de forêts semi-sèches
individualisés et caractéristiques. Les zones basses et chaudes de la côte sous le vent, des
cirques de Mafate et de Cilaos étaient certainement
Les forêts chaudes et semi-sèches de l’ouest et couvertes à l’origine de forêts semi-sèches. Cette enve-
du nord de l’île subissent une période de sécheresse loppe forestière qui devait s’étendre de manière plus
marquée et longue de plusieurs mois ; de fortes varia- ou moins continue depuis le massif de la Montagne
tions de l’humidité atmosphérique du sous-bois (30 à jusqu’aux terres occupées aujourd’hui par l’agglomé-
80 %) rythment les saisons, les alternances de périodes ration du Tampon, a été détruite rapidement dès les
pluvieuses et sèches. La canopée discontinue, haute premiers temps de la colonisation. La proximité des
de 10-15 m, entretient une ambiance forestière globa- premiers établissements humains sur la côte, récla-
lement claire. Le nombre d’essences ligneuses est de mant bois de construction et de chauffe, les planta-
l’ordre d’une quarantaine et l’hétérophyllie juvénile tions agricoles qui suivirent, de caféiers puis de canne
est fréquente. Dans le sous-bois, les lianes sont bien re- à sucre, l’ont réduit progressivement à une peau de
présentées, tandis que les épiphytes sont plutôt rares et chagrin.
surtout installées à la base des troncs. Les fougères sont

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 143


humides du Sud de l’île, mais dans ce cas sur des es-
carpements rocheux ou des coulées de laves récentes,
la sécheresse édaphique venant compenser une plus
grande humidité atmosphérique.

La colonisation des coulées de lave

Bois d’olive. Olea europaea subsp. africana. Photo J.-F. Bénard.

Les rares vestiges de ces boisements primaires sub-


sistant encore de nos jours sont principalement réfu-
giés sur les flancs des grandes ravines et des remparts
inaccessibles. Il s’agit surtout de lambeaux fortement
déstructurés et envahis de plantes exotiques et de four-
rés pionniers installés sur pentes fortes au substrat ins- Fleur de roche. Stereocaulon vulcani. Photo F. Duban.
table et, finalement, peu représentatifs de l’état originel L’émergence de nouveaux substrats constitue un la-
des forêts semi-sèches. Si ces vestiges ne donnent donc boratoire biologique et écologique sans pareil pour
qu’une idée sommaire de la végétation forestière po- observer les successions primaires de végétation. À
tentielle de la zone, on a, grâce à eux, un témoignage l’instar des études faites à Hawaii, l’observation de la
inestimable de la flore forestière inféodée au secteur végétalisation des coulées de laves du Piton de la Four-
chaud et sec de La Réunion. Cette flore est surtout naise permet de reconstituer les étapes qui conduisent
composée de petits arbres et d’arbustes héliophiles, gé- en quelques centaines d’années des laves nues aux fo-
néralement endémiques de l’île ou des Mascareignes et rêts climaciques de la Côte au Vent. Jusque-là, c’est
qui représentent, aujourd’hui, la part la plus menacée surtout l’implantation de la forêt tropicale humide de
de la flore de La Réunion. basse altitude (« forêt à Sapotacées ») qui a été étudiée.
Parmi les essences significatives de cette zone se- La colonisation végétale des coulées de laves est avant
mi-sèche, on citera le Bois dur [Securinega durissima], tout liée aux capacités de dissémination des espèces. Le
le Bois puant [Foetidia mauritiana], le Bois d’huile vent amène aisément les spores des lichens, des bryo-
[Erythroxylum hypericifolium], le Bois de Judas [Cossinia phytes, des ptéridophytes et de quelques phanéroga-
pinnata], le Tanguin pays [Stillingia lineata], le Bois de mes à semences légères (Orchidées) ou adaptées au vol
lait [Tabernaemontana persicariifolia], le Bois d’olive noir (nombreuses Astéracées). Les oiseaux de petite taille
[Olea europaea subsp.africana], la Liane d’olive [Secamone apportent de nombreuses graines et fruits charnus.
volubilis]… Seuls les fruits lourds ne possèdent plus aujourd’hui les
D’autres essences comme le Bois blanc [Poupartia disséminateurs naturels frugivores qu’étaient autrefois
borbonica], le Bois d’éponge [Gastonia cutispongia], etc. les perroquets et les roussettes, maintenant disparus.
croissent également dans les régions « Au vent » plus Tous ces mécanismes dynamiques aboutissant à l’éta-

Bois blanc Poupardia borbonica. Photo J.-F. Bénard. Néphrolepide abrupte. Nephrolepis abrupta. Photo N. Crestey.

144 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


– fourré dense à Bois de fer bâtard, servant de per-
choirs pour les oiseaux permettant de nouvelles
espèces.
– stade de la jeune forêt à Petit natte ; les premières
essences sciaphiles se sont implantées et commencent
à émerger. Une strate arborée se met en place avec
comme espèce dominante, le Petit natte [Labourdonnai-
sia callophylloides].
– stade de la forêt mature à Petit natte ; la forêt tropi-
cale humide s’est progressivement mise en place avec
le développement de l’épiphytisme, l’apparition des
espèces humicoles dans la strate herbacée, le vieillisse-
Petit natte. Labourdonnaisia callophylloides. Photo J.-F. Bénard.
ment et la disparition des essences pionnières comme
blissement d’une forêt primaire sur ces coulées de lave le Bois de rempart.
ne sont donc plus aujourd’hui totalement fonctionnels. Les forêts tropicales humides de basse altitude
Entre certaines coulées de laves, subsistent quelques La forêt tropicale humide de basse altitude, appelée
îlots forestiers miraculeusement épargnés de la fo- localement « forêt de bois de couleurs des bas » ou
rêt tropicale humide, appelés « kipukas » (terme « forêt à sapotacées » en raison de la prédominance
hawaien)…Ces enclaves ont une fonction essentielle des essences de cette famille, représente la végétation
de réservoir dans les processus d’alimentation et de climacique de l’étage mégatherme hygrophile. Le cli-
dissémination des végétaux. La dynamique naturelle mat est globalement chaud et humide, les pluies abon-
est malheureusement de plus en plus perturbée par dantes (2000 à 5000 mm) bien réparties sur toute l’an-
diverses plantes exotiques envahissantes qui utilisent née, il n’y a pas de saison sèche.
les mêmes voies de dissémination que la flore indigène
pour coloniser les coulées de laves. Les plus actives sont
le Filao [Casuarina equisetifolia], le Goyavier [Psidium cat-
tleyanum] et le Bois de chapelet [Boehmeria penduliflora].

Dans la série primaire de colonisation végétale


des coulées de laves du Piton de la Fournaise, il est
possible de distinguer schématiquement six étapes
successives :
– stade pionnier à Lichens ; après le refroidissement
des laves, des lichens commencent rapidement à s’ins-
taller. La Fleur de roche [Stereocaulon vulcani] recouvre Grand natte. Mimusops balata. Photo J.-F. Bénard.

assez vite les surfaces ensoleillées des laves, tandis que La forêt de bois de couleurs des bas occupait jadis
dans les anfractuosités abritées et plus humides, s’ins- toutes les basses terres de la Côte au Vent, depuis le
tallent les premières mousses. littoral jusqu’aux limites de l’étage mésotherme (800
– stade pionnier à Fougères héliophiles ; des matières à 1000 m). On la retrouvait également sur le versant
organiques se sont accumulées dans les concavités des opposé de l’île sous la forme d’une étroite bande altitu-
laves et les premières plantes vasculaires peuvent s’im- dinale de 300-400 m, située entre la forêt semi-sèche et
planter. Les plus constantes sont Nephrolepis abrupta, une la forêt de nuages. Elles ont été détruites massivement,
fougère à forte capacité d’expansion végétative, et le notamment au 19e siècle pour la culture de la Canne
Bois de rempart [Agarista salicifolia]. à sucre.
– stade arbustif clairsemé à Bois de rempart et Bois de Dans l’Est, il n’en subsiste aujourd’hui que quelques
fer bâtard ; la strate herbacée s’est densifiée et les fou- centaines d’hectares, plus ou moins bien conservés,
gères héliophiles à souche traçante occupent fortement installés sur des coulées volcaniques relativement
le terrain : Nephrolepis abrupta, Nephrolepis biserrata, Phy- récentes de la région de Saint-Philippe. Les vestiges
matosorus scolopendria. Une strate arbustive clairsemée les mieux préservés constituent la Réserve Naturelle
commence à s’établir. Le Bois de rempart, de plus en de Mare Longue. Dans l’Ouest, la forêt de bois de
plus présent, est maintenant accompagné du Bois de couleurs des bas a quasiment disparu.
fer bâtard [Sideroxylon borbonicum var. capuronii]. Le peuplement forestier présente une grande diversité
d’arbres et d’arbustes dont près d’un tiers sont parti-

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 145


montagne qui marque l’étage mésotherme de La Réu-
nion. C’est la zone fraîche et pluvieuse des brouillards
et des nuages qui s’accrochent au relief, un monde où
règne une humidité constante propice à l’exubérance
des mousses, des fougères et des épiphytes. C’est le do-
maine de la forêt de nuages ou « forêt néphéléphile »
(du grec néphélê : le nuage), encore appelée « forêt de
brouillards » ; à La Réunion, on lui donne le nom de
« forêt de bois de couleurs des Hauts », parfois de « fo-
rêt à Sterculiacées » ou de « forêt à mahots », en rai-
son de la présence de nombreuses espèces de Mahots
[Dombeya pl. sp.] – [ N.B. – Le genre Dombeya apparte-
nait auparavant à la famille des Sterculiacées]. Comme
si aucun de ces noms ne pouvait à lui seul représenter
l’importance, l’originalité et la diversité écologiques et
biologiques de ces forêts. Quoi qu’il en soit, la termi-
nologie scientifique leur préfère aujourd’hui l’appel-
lation internationale de « forêt tropicale humide (ou
hygrophile) de montagne ».
Au-delà de 1600-1900 m (parfois 2000 m), selon
les secteurs de l’île, la forêt de nuages cède la place
aux formations altimontaines de fourrés, éricoïdes et
landes qui caractérisent les hautes altitudes de La Ré-
Palmiste rouge. Acanthophoenix rubra. Photo J.-F. Bénard. union. Le passage est généralement progressif et se
culiers à cette forêt. Les plus représentatifs sont le Pe- fait souvent par l’intermédiaire de forêts de transition
tit natte [Labourdonnaisia callophylloides], le Grand natte à Tamarin des Hauts [Acacia heterophylla], la limite al-
[Mimusops balata], le Bois de perroquet [Cordemoya inte- titudinale supérieure de la forêt de nuages devenant
grifolia], le Bois de pomme rouge [Syzygium cymosum], le alors difficile à établir précisément.
Bois de cabri [Casearia coriacea], Bois de gouyave mar- Dans la forêt de nuages, la diversité des essences
ron [Psiloxylon mauritianum] … Les palmistes, Palmiste ligneuses, bien que moins importante que celle des
rouge [Acanthophoenix rubra] et Palmiste blanc [Dictyos- forêts humides de basse altitude, reste élevée : une
perma album], étaient autrefois abondants dans ces fo- trentaine d’espèces se partagent couramment les
rêts, mais il n’existe généralement plus qu’à l’état de strates arborées et arbustives. Les plus représentatives
jeunes individus à la suite de leur exploitation abusive. de l’étage mésotherme et des forêts de nuages sont
d’abord les Fanjans [fougères arborescentes du genre
Les forêts tropicales humides de montagne Alsophila, Cyatheaceae, avec trois espèces dont une Al-
sophila glauca, particulière aux forêts de nuages] et les
Mahots, avec huit espèces dont six caractéristiques de
ces forêts : Dombeya reclinata, le plus facile à reconnaître
avec la pubescence roussâtre dense de son feuillage,
D. punctata, D. pilosa, D. ferruginea subsp. borbonica, D.
ficulnea, D. blattiolens. Viennent ensuite les Mapous [Mo-
nimia rotundifolia, M. amplexicaulis], les Bois de tambour
[Tambourissa crassa, T. elliptica subsp. elliptica], le Bois
de lousteau [Chassalia gaertneroides], divers Bois de cata-
faille telles que Melicope coodeana, M. irifica, M. obscura,
M. obtusifolia, M. simplex, etc.
D’autres essences ligneuses fréquentes dans ces forêts
ont une plage altitudinale beaucoup plus large et se
Mahot. Dombeya sp. Photo J.-F. Bègue. retrouvent à plus basse altitude dans la forêt de bois de
À partir de 800-900 m sur le versant au vent, de 1000- couleurs des bas, comme, par exemple, le Losto café
1100 m sur le versant sous le vent, commence la cein- [Gaernera vaginata], le Bois d’osto [Antirhea borbonica], le
ture presque continue de forêts tropicales humides de Bois de corail [Chassalia corallioides]…

146 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Fanjan. Alsophila sp. (ex Cyathea). Photo J.-F. Bègue.

Relief élevé et tourmenté, conditions climatiques assez


sévères (pluies, brouillards, forte nébulosité, tempéra-
tures assez basses) ont certainement contribué à la pré-
servation de ces forêts d’altitude qui forment encore
aujourd’hui un vaste ensemble de plus de 30 000 ha,
soit près de la moitié de l’étage mésotherme. Des dé- Épiphytisme dans la forêt tropicale humide de montagne. Photo J.-F. Bègue.
frichements importants ont certes été réalisés, dans les Dans cet univers complexe de l’épiphytisme, les bryophytes (mousses et
Hauts de l’Ouest au début du 20e siècle pour la culture hépatiques) sont omniprésentes, occupant toutes les niches disponibles. Les
du géranium, plus récemment dans les plaines (Plaine espèces et les communautés végétales qu’ils composent réagissent finement aux
des Cafres, Plaine des Palmistes) pour l’établissement caractéristiques écologiques du support (type, texture et pH, position verticale,
de pâturages, ou encore, plus ponctuellement, pour éclairement, accumulation plus ou moins importante de matière humique,
établir une sylviculture de production (plantations hygrométrie, suintements d’eau…). Les bryophytes sont d’ailleurs fortement
monospécifiques de Cryptoméria). Par ailleurs, l’en- impliquées dans l’évolution des conditions écologiques du support, participant
semble des perturbations humaines qui au cours de ces activement à la production et l’accumulation d’humus. Les différentes
trois derniers siècles ont affecté les forêts de nuages, y a plantes vasculaires épiphytes que l’on rencontre dans les forêts de nuages ont
largement favorisé l’extension de plantes envahissantes généralement, selon les conditions évoquées précédemment, un comportement
telles que le Longose [Hedychium gardnerianum], le Raisin écologique préférentiel, parfois strict, parfois plus large.
marron [Rubus alceifolius], le Fuchsia de Bolivie [Fuchsia Les manchons de mousses et d’humus qui se développent autour des
boliviana], etc. Malgré tout, la forêt tropicale humide troncs verticaux ou horizontaux constituent, par exemple, un substrat
de montagne de La Réunion constitue par sa superfi- particulièrement favorable à de nombreuses espèces qui trouvent dans
cie, sa continuité, son état global de conservation, un ces situations humo-corticoles, des conditions idéales d’implantation et
ensemble exceptionnel et unique dans le monde des de développement. Les orchidées sont ici nombreuses : divers Cynorkis,
îles océaniques. Angraecum, Jumellea, Liparis, Polystachya, de nombreux Bulbophyllum.
Les fougères sont également bien représentées : genres Hymenophyllum et
Epiphytisme Trichomanes, nombreux Elaphoglossum …
L’épiphytisme atteint dans la forêt tropicale humide de montagne un Les placages épais d’humus qui s’accumulent dans les creux des ramifications,
développement optimal : il s’agit là certainement de son trait écologique et sur les troncs et grosses branches horizontales sont favorables à des végétaux
biologique le plus saillant. de biomasse souvent importante qui se retrouvent aussi en position terrestre.
En fait, le terme d’épiphytes rassemble des situations bien différentes au plan Les plus spectaculaires sont sans aucun doute l’Ananas marron [Astelia
écologique : hemichrysa,] au nom commun évocateur et la Canne marron [Cordyline
– épiphylles, lorsque les végétaux (généralement des hépatiques et des lichens) mauritiana] au feuillage en éventail, un peu à la manière de l’Arbre du
colonisent des feuilles (épiphytisme foliaire), voyageur [Ravenala madagascariensis]. Par leur taille et leur silhouette
– corticoles, lorsque les végétaux s’installent directement sur les écorces des familière, ces deux épiphytes marquent fortement l’ambiance des sous-bois des
troncs et des branches, forêts de nuages de La Réunion.
– humo-corticoles, quand ils profitent à la fois d’une faible accumulation
d’humus et de la présence directe du substrat végétal, Fougères arborescentes
– humicoles, lorsque l’épaisseur d’humus est suffisante pour devenir le Lorsqu’ils émergent de la canopée comme autant de petits parasols perchés au-
substrat lui-même, exploité par les racines des végétaux épiphytes. Dans ce dessus de la forêt hygrophile de montagne, les fanjans traduisent la fréquence
dernier cas, la plante support porte plus le milieu que les végétaux épiphytes des brouillards et les fortes condensations matinales.
eux-mêmes. Symbole majestueux des forêts tropicales humides, clin d’œil à l’exubérance

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 147


Ensemble de fanjans. Photo J.-F. Bègue.

des formes aériennes qu’autorise l’humidité constante de l’atmosphère, les


fanjans sont des fougères arborescentes atteignant, lorsque les conditions sont
favorables, 10 à 15 mètres de haut. Les stipes (ou « troncs », mais le terme
n’est pas approprié pour des fougères), parfois ramifiés, portent au sommet une
couronne de grandes frondes (l’équivalent des feuilles pour les fougères), plus
ou moins découpées.
Trois espèces indigènes de fanjans existent à La Réunion. Parmi elles, le
Fanjan roux [Alsophila glauca, Cyatheaceae], endémique de La Réunion, est
inféodé aux forêts de nuage. On le reconnaîtra à ses frondes divisées trois fois
et à la pubescence rousse des axes des frondes, ce dernier caractère bien visible
sur les jeunes frondes, notamment lorsqu’elles sont encore enroulées en crosse
au-dessus de la couronne de frondes déployées. Malheureusement, comme
chez le Fanjan femelle [Alsophila excelsa, Cyatheaceae], le stipe du Fanjan
roux est garni dans sa partie inférieure d’un manchon de racines adventives,
utilisé pour confectionner des pots et des supports horticoles pour la culture des
épiphytes ; il reste pour cette raison une cible recherchée des braconniers et fait
l’objet d’un commerce parallèle encore répandu.

Les fourrés sur avoune


Sur les crêtes du relief, dans certains secteurs forte- Arnottia mauritiana. Photo G. Fontaine.

ment arrosés et soumis à un lessivage important des il finit néanmoins par constituer des massifs arbustifs
sols, les potentialités forestières de l’étage mésotherme hauts de quelques mètres (généralement 4-5 m) aux
semblent bloquées à un stade arbustif riche en Branle troncs énormes (jusqu’à 1 m de diamètre !). Ces for-
vert [Erica reunionensis]. Cette formation d’éricacées mations sont apparemment très stables et leur physio-
constitue habituellement une étape dynamique pré- nomie est totalement dépendante du Branle vert, les
paratoire de la forêt tropicale humide de montagne. autres essences ligneuses rencontrées étant discrètes
Le sol, constamment engorgé, s’acidifie fortement et souvent chétives. Le sol des fourrés sur avoune est
(ph moyen de 4,5 à 5), s’appauvrit en éléments nu- un entrelacs de troncs et de branches dont les inters-
tritifs assimilables, tandis que l’humus brut provenant tices sont comblés par l’avoune, un sol qui peut d’ail-
des feuilles d’Éricacées, des frondes de fougères, des leurs devenir dangereux lorsque l’avoune s’épaissit.
Sphaignes et des mousses entrave probablement l’ac- Dans ces conditions, il n’existe pas au sol de véritable
tivité biologique de décomposition des micro-orga- strate herbacée, mais plutôt un ensemble de plantes
nismes. Dans ces conditions, des débris végétaux s’ac- épiphytes au comportement humo-corticole qui pro-
cumulent lentement et finissent par former une couche fite de l’omniprésence des manchons de mousses sur
de matériaux végétaux peu décomposés, épaisse d’un les troncs et les branches surmontant l’avoune. On y
à deux mètres, appelée « avoune » (il faudrait entre voit surtout de petites orchidées du genre Cynorkis, no-
5 000 et 15 000 ans pour obtenir 1 m d’avoune). Par tamment Cynorkis coccinelloides, ou encore Arnottia mau-
extension, et de manière impropre, on a aussi donné ritiana… La véritable strate épiphytique est par contre
le nom d’avoune aux fourrés portés par de tels sols. peu présente, l’ambiance relativement lumineuse et
Le Branle vert, dans ces biotopes très particuliers, pos- l’écorce du Branle vert se desquamant régulièrement
sède une croissance extrêmement lente. Avec le temps, étant des facteurs peu favorables à son développement.

148 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Tamarin des hauts. Acacia heterophylla. Photo J.-F. Bégue. Calumet. Nastus borbonicus. Photo J.-F. Bénard.
Les tamarinaies La genèse de la tamarinaie et les processus dyna-
Les forêts de Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fa- miques de reconstitution de la forêt de nuages poten-
baceae], ou tamarinaies, sont présentes dans la partie tielle peuvent expliquer l’hétérogénéité structurale et
supérieure de l’étage mésotherme entre 1300 et 1800 floristique des tamarinaies et les principales variantes
m sur la côte au vent, 1500 et 1900 m sur la côte sous rencontrées :
le vent. Les tamarinaies ont en commun la dominance – tamarinaie monodominante à Fougère bleue
d’une même essence, le Tamarin des hauts qui, par [Histiopteris incisa], généralement sur des sols présentant
son port incliné et tortueux, par son feuillage clair, im- un horizon superficiel à mascareignites [cet horizon est
prime au sous-bois un aspect et une ambiance lumi- constitué de 80 % de silice (d’origine végétale) et n’est
neuse caractéristiques. pas issu d’un processus pédogénétique ; il pourrait
Bien qu’elles s’inscrivent zonalement dans les poten- avoir pour origine l’incendie d’un fourré à éricacées
tialités de la forêt tropicale humide de montagne, les sur avoune épaisse] ;
tamarinaies ont suivi un trait évolutif différent, mis – tamarinaie à Calumet [Nastus borbonicus], répandue
en place après incendie. Espèce pionnière héliophile, sur la Planèze des Bénares. Le Calumet est le seul bam-
le Tamarin des hauts a besoin d’une pleine lumière bou indigène de La Réunion ; il a pour particularité
pour germer, ce qui explique qu’on ne trouve aucune de résister aux feux et d’être favorisé par les incendies.
régénération du Tamarin des hauts dans la tamarinaie La tamarinaie à Calumet est d’ailleurs bien représen-
lorsqu’il existe un sous-étage développé. Incapable de tée dans les Hauts de l’Ouest et sur la Roche Écrite,
germer en sous-bois, le Tamarin des hauts ne se ré- justement les secteurs les plus fréquemment incendiés.
génère sur place qu’après incendie ou dégagement du – tamarinaie à bois de couleurs des hauts, représen-
sous-bois ou après coupe à blanc. tant une forme d’évolution vers la forêt tropicale hu-
La mise en place d’une forêt entièrement dominée par mide de montagne.
le Tamarin des hauts n’a donc pu se réaliser qu’à l’oc-
casion d’une ouverture brutale et vaste du tapis végé- La végétation altimontaine
tal, telle qu’un incendie ou un cyclone peut le faire. Si Émergeant de la « mer de nuages » qui ceinture l’île
l’on tient compte que les tamarinaies les plus pures se au-dessus de 2000 m, la végétation des sommets de La
situent dans les secteurs nord et ouest de l’île où la fré- Réunion est le domaine des formations éricoïdes [éri-
quence et le caractère dévastateur des incendies sont coïde : qui ressemble aux bruyères] d’altitude, marqué
les plus élevés, il est probable que les incendies aient par l’absence d’arbres et le développement d’arbris-
été le moyen le plus efficace pour installer et maintenir seaux à petites feuilles. Cette végétation caractérise à
ces tamarinaies. En l’absence de nouvelles perturba- partir de 1800-1900 m, l’étage oligotherme (ou micro-
tions, les tamarinaies s’enrichissent progressivement en therme) aux conditions climatiques sévères et froides :
espèces ligneuses caractéristiques des forêts de l’étage température moyenne annuelle inférieure à 12°C,
mésotherme, laissant penser que le terme évolutif final gel hivernal fréquent avec des minima atteignant
est bien la forêt tropicale humide de montagne… - 5°C sous abri, ensoleillement important (>2000 h

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 149


Mer de nuage. Photo J.-F. Bègue.

annuellement), écart journalier de températures très de la Fournaise 2631 m), il est possible de suivre le
important. passage progressif des végétations éricoïdes prostrées à
De nombreux traits communs climatiques et végétaux Branle blanc [Stoebe passerinoides, endémique Réunion]
existent entre cet étage oligotherme de La Réunion aux forêts mésothermes à Tamarin des hauts [Acacia
et les hautes montagnes de l’Est de l’Afrique (étage heterophylla, endémique Réunion]. Cette séquence alti-
éricoïde des Monts Kenya, Ruwenzori, Kilimanja- tudinale est particulièrement bien visible sur la planèze
ro, Elgon…) et de Madagascar (étage altimontain des Bénares (Massif du Piton des Neiges) en raison de
malgache). Des affinités existent aussi avec les îles son inclinaison régulière. Dans le Massif de la Four-
de la Macaronésie (étages orocanarien et supraca- naise, la zonation altitudinale est plus délicate à vi-
narien des Canaries, sommets de Madère, étage éri- sualiser, mais la succession théorique de la végétation
coïde des Açores…). En ce qui concerne la flore, les éricoïde depuis les sommets de l’île est la même :
traits floristiques communs de la zone afrosubalpine – landes prostrées à Branle blanc, Hubertia tomentosa
(Afrique de l’Est, Madagascar, La Réunion) ont une var. conyzoides [endémique Réunion], Psiadia argen-
faible diversité mais une très grande originalité, avec tea [endémique Réunion], Psiadia sericea [endémique
un taux élevé d’endémisme, des familles dominantes Réunion], Faujasia pinifolia [endémique Réunion],
communes (Ericaceae, Asteraceae, Poaceae, Cypera-
ceae), de nombreux genres communs (Erica, Helichry-
sum, Stoebe, Carpha, Festuca, Poa, Panicum, Helictotrichon)...
À La Réunion, la flore des hautes montagnes com-
prend environ 60 espèces avec un taux d’endémicité
dépassant les 90 %. Trois genres sont endémiques :
Eriotrix [Asteraceae], Faujasia [Asteraceae], Heterochae-
nia [Campanulaceae].
D’aspect assez homogène au premier abord, les végé-
tations altimontaines présentent pourtant une organi-
sation altitudinale, dynamique et géomorphologique
bien tranchée. Ainsi, depuis les sommets de l’île (Piton
des Neiges 3070 m, Grand Bénare 2890 m, Piton Branle blanc. Stoebe passerinoides. Photo J.-F. Bénard.

150 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Petit tamarin des hauts. Sophora denudata. Photo J.-F. Bègue.

Disa borbonica [endémique Réunion] ; bassins versants, mais aussi de la nature géologique
– mattorals bas à Phylica nitida [endémique Réunion], du sous-sol qui diffère dans chacun des deux massifs
Branle blanc, Branle vert [Erica reunionensis, endémique volcaniques de l’île. Trois régions hydrologiques prin-
Réunion] ; cipales peuvent être distinguées en tenant compte de
– mattorals hauts (brousse éricoïde) à Branle vert, ces différences :
Fleur jaune des hauts [Hypericum lanceolatum subsp. an- – dans le massif de la Fournaise, régulièrement et
gustifolium, endémique Réunion], Ambaville blanche fortement arrosé, les substrats relativement récents
[Hubertia tomentosa var. tomentosa, endémique Réunion], favorisent l’infiltration plutôt que les écoulements de
Tamarin des hauts… surface. Le réseau hydrographique est peu dense et
– taillis altimontains à Petit tamarin des hauts [Sophora possède un caractère temporaire prédominant. Les
denudata, endémique Réunion] et Tamarin des hauts. cours d’eau permanents se limitent pour l’essentiel aux
entailles profondes de la Rivière de l’Est, de la Rivière
Les zones humides des Remparts et de la Rivière Langevin.
Les zones humides de La Réunion comprennent : – le massif du Piton des Neiges consiste, quant à lui,
– le réseau hydrographique avec près de 800 ravines en matériaux peu perméables à l’origine d’un réseau
dont 155 principales représentant un linéaire d’envi- hydrographique très dense et fractionné en une multi-
ron 1500 km. L’ensemble du réseau est caractérisé tude de petits bassins versants. Le versant au vent, co-
par un régime discontinu et torrentiel. Seule une dou- pieusement arrosé, présente de nombreux cours d’eau
zaine de cours d’eau ont un caractère véritablement permanents.
permanent. – inversement, les ravines du versant sous le vent du
– les étangs et petites collections d’eau, aux eaux Piton des Neiges, abrité des pluies, ne possèdent qu’un
calmes à faiblement courantes. Ils sont peu nombreux caractère toujours temporaire. Ces ravines de l’Ouest
et offrent des caractéristiques différentes en fonction ne sont fonctionnelles qu’à l’occasion d’épisodes plu-
de l’altitude. vieux importants. Les trois rivières qui traversent les
– les prairies humides, les marais et les forêts maréca- régions de l’ouest (Rivière des Galets, Bras de Cilaos,
geuses, associés à des sols hydromorphes, gorgés d’eau, Bras de la Plaine) sont en fait des cas particuliers
au moins pendant une bonne partie de l’année. d’exutoires de bassins versants situés en partie dans
La nature et le régime des cours d’eau sont étroite- les régions pluvieuses du centre de l’île.
ment dépendants des conditions pluviométriques des

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 151


Les prairies humides

Lycopodielle de Caroline. Lycopodiella caroliniana. Photo J.-P. Le Guelte. Vacoa des hauts. Pandanus montanus. Photo J.-F. Bègue.

Bien qu’elles n’occupent que des superficies réduites, Les fourrés humides à Pandanus
les prairies humides de La Réunion présentent une Sur les sols gorgés d’eau de l’étage mésotherme, la
grande diversité d’habitats, en fonction de l’altitude, forêt tropicale humide de montagne laisse la place à
de l’hydromorphie des sols, des caractères physico- des fourrés marécageux d’allure étrange… Ces forma-
chimiques des milieux, des pressions anthropiques tions arbustives, appelées pandanaies, sont étroitement
diverses (fauche, pâturage, piétinement…). Elles sont associées au Pimpin, encore appelé Vacoa des hauts
malheureusement encore très mal connues. [Pandanus montanus]. Le Pimpin développe une canopée
A l’étage mésotherme, les prairies humides sont moins basse aux reflets bleutés, haute de 3-5 m, formée par
fréquentes. Au sein du complexe de pandanaies de la l’enchevêtrement de ses branches tortueuses. Ici et là
Plaine des Palmistes, il subsiste quelques taches de ma- émergent quelques fougères arborescentes [surtout le
rais mouilleux mésotrophes à petites cypéracées (Rhyn- Fanjan roux, Alsophila glauca] et, plus rarement, lorsque
chospora rugosa, Eleocharis caduca), avec parfois de petits le sabre lui a laissé la vie sauve, le Palmiste des hauts
tapis de sphaignes ou, encore plus rarement, quelques [Acanthophoenix rubra]. Autrefois, ce palmier abondait
rosettes d’une petite orchidée terrestre, Cynorkis rosel- dans ces pandanaies, au point de constituer une strate
lata. Ces prairies marécageuses évoluent rapidement arborée suffisamment voyante pour laisser son nom à
si l’hydromorphie diminue en mégaphorbiaies à Os- la Plaine des Palmistes.
monde royale [Osmunda regalis] et Cyclosurus interruptus, Les fourrés à Pimpin sont encore bien représentés
deux fougères typiques des zones humides africaines dans les secteurs très arrosés de l’île, comme les pentes
et malgaches. Dans les marais piétinés, sur les sen- orientales du massif de la Fournaise. Les vastes pan-
tiers suintants, on observe également de petites prai- danaies qui occupaient jadis la Plaine des Palmistes
ries mouilleuses à Cypéracées, égayées à la saison des ont été presque entièrement défrichées. Mais les sols
pluies de la floraison violacée de la Lindernie à feuilles gorgés d’eau se sont souvent révélés impropres à l’agri-
rondes [Lindernia rotundifolia]. culture et une partie de ces espaces défrichés, après
Aux hautes altitudes, les prairies humides sont mar- abandon, se sont transformés en vastes marécages pi-
quées par le caractère oligotrophe des sols et une nette quetés de Pimpin et de fragments de pandanaies. Dans
tendance à l’acidification des horizons supérieurs. Un ces conditions particulières de lumière et d’humidité,
bel exemple de ces conditions édaphiques d’altitude les Pimpins portent une flore épiphyte exceptionnel-
est la « prairie » tourbeuse à Sphaignes [Sphagnum pl. lement riche et diversifiée d’orchidées et de fougères,
sp.] et Rhynchospore [Rhynchospora pl. sp.] qui s’ins- alors que dans les formations denses à Pimpin, la strate
talle dans les cuvettes et les replats mal drainés. Les épiphyte est habituellement peu développée.
sols asphyxiques présentent alors un caractère tour- La silhouette du Pimpin est la signature même du
beux marqué (accumulation de matière organique peu genre Pandanus : présence de racines aériennes adven-
dégradée, teinte noirâtre). Dans les phases pionnières tives se développant surtout à la base des troncs et fai-
d’installation de ces gazons tourbeux, le substrat exon- sant office de racines échasses, ramifications tortueuses
dé est souvent colonisé par la Lycopodielle de Caro- portant aux extrémités des feuilles groupées en bou-
line [Lycopodiella caroliniana], une lycopodiacée terrestre quet. Les feuilles sont insérées en hélice sur trois rangs,
aux tiges prostrées sur le sol et de large répartition leur limbe est linéaire avec des marges et une carène
tropicale. dorsale épineuses. Les racines échasses permettent un

152 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Même si le processus s’est considérablement ralenti
sous l’action conjuguée d’une politique volontariste
de préservation des habitats indigènes et de gestion
conservatoire de la biodiversité indigène, la végétation
indigène constitue toujours une peau de chagrin qui
continue ici et là à se rétrécir.
On estime généralement à 30 %, la part de végéta-
tions indigènes subsistantes, mais ce chiffre ne tient
cependant pas compte de l’état de perturbation et de
dégradation d’un grand nombre de ces milieux.
Le maintien et l’extension de pratiques telles que le
feu, le pâturage sauvage et l’ensemencement fourra-
ger dans les espaces altimontains, la multiplication
des perturbations anthropiques diverses (plantations
en sous-bois, campements sauvages, ouverture de sen-
tiers, surfréquentation…) sont les principaux facteurs
qui aujourd’hui encore amenuisent l’état de conser-
vation des végétations indigènes subsistantes. Citons
deux exemples illustrant l’impact actuel de ce type de
pratiques :
– les incendies ont transformé les espaces altimon-
tains en un véritable écosystème du feu caractérisé par
l’appauvrissement de la flore, la sélection d’espèces py-
rophiles (Erica reunionensis, Stoebe passerinoides, Hubertia
tomentosa…), l’invasion de pyrophytes exotiques (Ulex
europaeus et Acacia mearnsii notamment) ; seuls les grands
remparts et les grandes ravines qui ont plus ou moins
Vacoa « bord de mer ». Pandanus utilis. Photo J.-F. Bénard.
échappé au passage du feu ont conservé une flore alti-
ancrage solide de l’arbuste et lui confèrent résistance montaine diversifiée,
au vent et aux inondations. Il faut cependant noter – le pâturage sauvage des bovins, fréquemment ac-
que chez le Pimpin, ces racines échasses sont peu nom- compagné par un ensemencement des pelouses natu-
breuses et restent grêles. relles altimontaines, est en train de compromettre la
Près de 700 espèces de Pandanus existent dans les ré- pérennité de ces pelouses endémiques en raison d’un
gions tropicales et subtropicales du Vieux Monde ; 23 envahissement compétitif d’espèces prairiales intro-
sont particulières aux Mascareignes, dont trois endé- duites comme Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante),
miques de La Réunion. L’une des plus connues, le Va- Holcus lanatus (Houlque laineuse), Prunella vulgaris (Bru-
coa [Pandanus utilis], largement cultivé dans les régions nelle vulgaire), Taraxacum sect. Ruderalia (Pissenlit), Hy-
tropicales pour ses fruits comestibles et ses feuilles ju- pochaeris radicata (Porcelle radicante)…
véniles utilisées en vannerie, est en fait originaire des Tous ces noyaux de pelouses envahies servent de foyers
Mascareignes et, selon toute vraisemblance, des forêts d’invasion diffusant des diaspores dans les milieux
adlittorales du sud de La Réunion.

Vulnérabilité et conservation des habitats


L’altération et la destruction des habitats ont été les
processus les plus destructeurs de la biodiversité de
l’île. Leurs effets ont heureusement été modulés par
le relief, le climat et, plus récemment, les politiques
publiques de maîtrise foncière et de gestion des es-
paces naturels. Les zones basses où se sont concentrées
l’urbanisation et les activités agricoles n’ont conservé
qu’environ 1 % de leur couverture forestière initiale,
tandis que les forêts humides d’altitude et les végé-
tations altimontaines ont été relativement épargnées. Myosotis de Bourbon. Cynoglossum borbonicum. Photo J.-F. Bègue.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 153


voisins encore intacts. L’invasion actuelle des pelouses
pionnières à Cynoglossum borbonicum sur lapillis mobiles,
milieu d’une très grande originalité et endémique de
la Plaine des Sables, par Anthoxanthum odoratum, Prunella
vulgaris, Taraxacum sect. Ruderalia, Carex ovalis, Hypochaeris
radicata… est devenue particulièrement préoccupante.
Les deux exemples précédents mettent en exergue la
problématique des invasions biologiques par des es-
pèces introduites qui sont considérées au niveau mon-
dial par l’UICN, comme le troisième facteur de perte
de biodiversité après la destruction des habitats et la Liane papillon. Hiptage benghalensis. Plante invasive lianescente étouffant la
surexploitation des espèces. Les systèmes insulaires végétation sur laquelle elle s’installe. Photo J.-F. Bénard.
tropicaux apparaissent particulièrement vulnérables troduites plus récemment comme Ligustrum robustum
aux invasions biologiques comme l’ont montré de très subsp. Walkeri (Troène), Clidemia hirta (Tabac bœuf).
nombreux travaux dans les îles tropicales. L’impact des
processus invasifs sur les milieux et la flore indigène Ainsi, l’installation durable de l’homme à partir du
ne se limite pas aux faits végétaux, mais concernent milieu du XVIIe a considérablement modifié le tapis
les espèces animales introduites. Les rats, largement végétal et les habitats originellement présents. Les ac-
répandus dans toute l’île jusqu’au sommet du Piton tivités humaines prendront une part de plus en plus
des Neiges, consomment une quantité importante de importante avec le développement de la société réu-
fruits et de semences qui peuvent limiter de manière nionnaise. La large palette des usages (agricoles, fo-
significative la régénération de plantes aux populations restiers, économiques, médicinaux, ornementaux…),
réduites. Il est en de même avec les Achatines, mol- l’accroissement des échanges de biens et de personnes
lusques ravageurs de plantules et de jeunes pousses… ont provoqué la destruction, la dégradation de nom-
La flore exotique introduite constitue le réservoir breux milieux et permis l’introduction volontaire ou
potentiel des phénomènes d’invasions végétales. Ces involontaire de plusieurs milliers d’espèces originaires
problématiques sont connues de longue date ; Eu- des régions tropicales à tempérées du monde entier,
gène Jacob de Cordemoy, auteur de la Flore de La dont certaines devenues des pestes végétales ont en-
Réunion, publiée en 1895, écrit à propos du Raisin vahi les milieux naturels de l’île. Le climat très varié
marron (Rubus alceifolius) : « Espèce originaire de l’Asie de La Réunion a d’ailleurs facilité l’acclimatation et
méridionale, importée il y a environ un demi-siècle. la naturalisation d’un grand nombre de ces plantes
Aujourd’hui elle envahit presque toute l’île, étouffe la introduites.
végétation indigène, détruit les forêts et devient un vé- Par ses activités, l’homme a ainsi façonné de nou-
ritable fléau ». veaux paysages agricoles, forestiers et urbains qui se
Durant de longues décennies, l’ampleur des impacts sont substitués progressivement aux végétations pri-
des invasions biologiques sur les milieux naturels ne maires et naturelles de l’île. Si quelques-uns d’entre
suscitera que peu de réactions, ce n’est que depuis eux ont conservé un certain degré de parenté avec
une vingtaine d’années que les invasions biologiques la végétation originelle des lieux (comme les savanes
vont devenir une véritable problématique régionale de semi-sèches de l’ouest) et présentent des traits écolo-
conservation de la biodiversité et susciter différentes giques et végétaux que l’on peut globalement qualifier
initiatives de lutte et de prévention. Il aura toutefois de semi-naturels, d’autres en sont désormais fortement
fallu attendre 2010 pour voir apparaître la première éloignés (cultures de canne à sucre, vergers…).
stratégie de lutte contre les espèces invasives.
Les principaux végétaux dont le comportement invasif Place et originalité des habitats de La Réunion
interfère avec le fonctionnement des végétations indi- D’une manière générale, la grande originalité de La
gènes pouvant aller jusqu’à une secondarisation com- Réunion en matière d’habitats est le corollaire de son
plète des habitats, sont bien connus. Il s’agit surtout patron d’habitats, c’est-à-dire l’existence d’une grande
de plantes anciennement introduites dans l’île comme diversité d’habitats (et de grands types d’habitats)
Psidium cattleyanum (Goyavier), Rubus alceifolius (Raisin concentré sur une petite surface (2512 km²). Avec un
marron), Hedychium gardnerianum (Longose de Gard- tel « concentré de diversité », on peut à La Réunion,
ner), Hiptage benghalensis (Liane papillon), Lantana camara en peu de temps et de déplacement, passer de l’univers
(Galabert), Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante)… exubérant de la forêt tropicale humide de montagne
Mais il existe aussi des invasions rapides d’espèces in- au décor minéral des pelouses et landes des sommets

154 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


de l’île, ou encore aux trottoirs littoraux balayés par les fouilles de l’Hermitage (Saint-Gilles).
embruns marins. La Réunion est une balade structu-
rale, typologique, floristique et biologique permettant La faune terrestre
d’aborder la plupart des grands types de végétation
tropicales (à l’exception des zones les plus sèches). Mammifères
Parmi les 5 espèces de chauves-souris présentes à l’ar-
Deux axes, un pour chaque massif, permettent encore rivée de l’homme, il ne reste que deux espèces dont les
une observation quasi continue du gradient altitudi- populations ne semblent pas en danger (à noter égale-
nal d’habitats naturels : La Chaloupe-Roche Écrite et ment la présence d’une petite population de roussettes
Mare Longue-Piton de la Fournaise. arrivée il y a quelques années de Maurice suite à un
Il n’existe pas de grands types structuraux de végé- cyclone, et des indices sonores de deux espèces non
tation, propres à La Réunion, même si certaines encore identifiées).
adaptations de la végétation à caractères insulaires Les autres mammifères ont été introduits. Plusieurs
et cycloniques traduisent une certaine originalité. Un espèces sont aujourd’hui naturalisées notamment le
bon exemple est celui des forêts tropicales humides Tangue, les Rats, la Musaraigne musquée, les Cerfs,
de montagne, à la canopée basse et enchevêtrée, bien le chat et le chien.
adaptée aux conditions cycloniques de l’île.
Sur le plan typologique, les habitats naturels et la Les chauves-souris
végétation qu’ils portent apparaissent généralement
comme des types endémiques, vicariants d’habitats
ou de végétations équivalentes dans les archipels voi-
sins, à Madagascar ou encore dans certaines régions
tropicales continentales. D’autres habitats et végéta-
tions, bien que ne présentant pas d’originalité mar-
quée et possédant une aire de répartition plus vaste
(région malgache, océan Indien, Afrique tropicale…),
participent également à la diversité générale : cas des
habitats littoraux de plages (sables et galets), des zones
humides…

En définitive, et au-delà de la spécificité insulaire et Taphien de Maurice. Taphosous mauritianus. Photo G. Collin.
endémique, la plus grande originalité de La Réunion
A l’échelle des Mascareignes, La Réunion et l’île
réside en la concentration d’une grande diversité sur
Maurice partagent des populations de deux genres de
un tout petit territoire.
chauves-souris insectivores. Taphozous mauritianus est in-
digène sur ces deux îles. Le genre Mormopterus se dis-
La faune tingue depuis peu en deux espèces : M. francoismoutoui
à La Réunion et M. acetabulosus à Maurice (Goodman
La faune indigène de l’île présente une forte origi-
et al. 2008). Il n’existe aucune espèce de microchirop-
nalité. Elle est relativement pauvre en vertébrés avec tères à Rodrigues. Scotophilus borbonicus est considérée
moins de 50 espèces indigènes dont le taux d’extinc- comme une espèce endémique éteinte depuis plus de
tion a atteint 70 % en 4 siècles d’occupation humaine. deux cents ans (Cheke et Dahl, 1981 ; Moutou, 1982).
Le cas le plus typique est celui de la tortue terrestre Les mégachiroptères de l’archipel des Mascareignes
géante dont la population a été estimée à deux millions appartiennent uniquement au genre Pteropus. Actuel-
au début du XVIIe siècle : elle a complètement disparu lement, il existe une espèce commune à La Réunion et
depuis longtemps, car elle était « facile à capturer et à l’île Maurice : P. niger.
bonne à manger ». A Rodrigues, on rencontre une espèce endémique,
La présence de la faune locale est liée à la capacité de P. rodricensis. La distribution de ces deux espèces était
certains animaux à franchir les 700 – 800 km qui sé- autrefois plus étendue : P. niger éteinte à Rodrigues ;
parent La Réunion de Madagascar. Ainsi, les gros ani- P. rodricensis éteinte à Maurice. Une autre roussette, P.
maux comme les mammifères ruminants et les grands subniger, a disparu des deux plus grandes îles de l’ar-
prédateurs sont absents. La liste des espèces disparues chipel. La mission « Barataud & Giosa 2009. Identi-
a été reconstituée grâce aux descriptions laissées par fication et écologie acoustique des chiroptères de La
les premiers naturalistes, et grâce aux résultats des Réunion » a permis de cerner le répertoire acoustique

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 155


Petit molosse de La Réunion. Mormopterus francoismoutoui. Photo J.-F. Bénard.

Catégorie Catégorie
Statut
Nom scientifique Nom français Sous-espèce Liste rouge Liste rouge
d’endémisme
France mondiale
Renard volant de
Pteropus niger Maurice, M CR EN
Roussette noire
Taphien de Maurice
Taphozous
Chauve-souris NT LC
mauritianus
à ventre blanc
Espèces menacées à La Réunion : les mammifères terrestres
Endémisme : M=Mascareignes ; Catégories : CR=danger critique d’extinction ; EN=en danger ; NT=quasi menacée ; LC=préoccupation mineure ;
Liste rouge UICN France, 2010

de deux espèces de microchiroptères de La Réunion,


Oiseaux
de découvrir deux autres répertoires différents appar-
D’une avifaune initialement riche d’une quarantaine
tenant à des espèces non connues, et de dresser la liste
d’espèces indigènes, seules 18 espèces d’oiseaux indi-
des critères permettant une diagnose de ces quatre
gènes nichent encore à La Réunion :
types acoustiques.

Pétrel de Barau Pterodroma baraui. Photo O. Tressens.

156 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Catégorie Catégorie
Statut
Nom scientifique Nom français Sous-espèce Liste rouge Liste rouge
d’endémisme
France mondiale
Echenilleur de la
Coracina newtoni Réunion, R CR CR
Tuit-tuit
Pétrel noir de
Pseudobulweria
Bourbon, R CR CR
aterrima
Fouquet noir
Busard de Maillard,
Circus maillardi R EN EN
Papangue
Pterodroma baraui Pétrel de Barau R EN EN
Aerodramus Salangane des
VU NT
francicus Mascareignes
Hirondelle des
Phedina borbonica VU LC
Mascareignes
Anous stolidus Noddi brun NT LC
Ssp.
Butorides striata Héron strié NT LC
rutenbergi
Falco concolor Faucon concolore NT NT
Poule d'eau,
Ssp.
Gallinula chloropus Gallinule poule NT LC
pyrrhorrhoa
d'eau
Puffin fouquet,
Puffinus pacificus NT LC
Puffin du Pacifique
Espèces menacées à La Réunion ; les oiseaux
Endémisme : R=Réunion ; Catégories : CR=danger critique d’extinction ; EN=en danger ; VU=vulnérable ; NT=quasi menacée ; LC=préoccupation mineure ;
Liste rouge UICN France, 2010
– 6 espèces d’oiseaux marins,
– Pétrel de Barau (Pterodroma baraui)
– Puffin de Baillon (Puffinus bailloni)
– Pétrel noir (Pseudobulweria aterrima)
– Puffin du Pacifique (Puffinus pacificus)
– Noddi brun (Anous stolidus)
– Paille-en-queue à bec jaune (Phaethon lepturus)
– 2 espèces aquatiques,
– Héron strié ou Butor (Butorides striata)
– Poule d’eau (Galinula chloropus)
– 10 espèces terrestres
– Hirondelle de Bourbon (Phedina borbonica)
– Salangane des Mascareignes (Aerodamus francicus) Pétrel noir. Pterodroma macroptera. Photo J.-C. Notter.
– Terpsiphone de Bourbon ou Chakouat ou « Oiseau
la Vierge » (Terpsiphone bourbonnensis)
– Busard de Maillard ou Papangue (Circus maillardi)
– Échenilleur de La Réunion ou Tuit-tuit (Coracina
newtoni)
– Bulbul de ou Merle de La Réunion (Hypsipetes
borbonicus)
– Tarier de La Réunion ou Tec-tec (Saxicola tectes)
– Oiseau blanc (Zosterops borbonicus)
– Oiseau vert (Zosterops olivaceus)
– Tourterelle peinte ou Pigeon Ramier (Nesoenas
picturata) Bulbul de La Réunion. Hypsipetes borbonicus. Photo G. Fontaine.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 157


Leur origine est surprenante : la position géogra-
phique de La Réunion permet à l’île de
recevoir des insectes migrants à la fois de la région
éthiopienne (afro-malgache), majoritairement, mais
également de la région indopacifique, c’est-à-dire de
deux zones géographiques nettement différentes. Cette
situation ne se retrouve pas dans les autres îles océa-
niques tropicales : celles-ci sont soit trop isolées (ex. :
Hawaï, Açores…), soit trop proches d’un continent
(ex : Canaries, Galapágos…). Bien que les activités
humaines aient fortement augmenté les flux d’espèces
exotiques, parfois hélas envahissantes et dommageables
Gecko vert de Bourbon. Phelsuma borbonica. Photo J.-F. Bègue. à la biodiversité indigène, de nouvelles espèces conti-
nuent d’arriver naturellement. Citons par exemple
Reptiles l’arrivée et l’installation dans les Mascareignes en 1985
Les seuls reptiles indigènes (des espèces de lézards, du papillon « Monarque » nord américain, via les îles
voir tableau ci-dessous) ayant survécu à l’arrivée de Hawaï et l’Australie (Insectarium de La Réunion).
l’homme sont 2 Geckos diurnes (les phelsumas de Ma- Il est à noter que les divers groupes d’insectes sont
napany et des Hauts). Dix espèces au moins ont été inégalement représentés : certains sont rares alors
introduites, dont un caméléon (Caméléon panthère, que d’autres se sont multipliés sur place. Parmi eux
Furcifer pardalis) qui est bien implanté (le « lendormi »). a eu lieu une spéciation phénoménale ; le taux d’en-
démisme est important. Des relations étroites existent
entre les espèces et les habitats : beaucoup d’espèces
d’insectes ont co-évolués avec des espèces végétales in-
digènes et endémiques trouvées sur l’île.
Au total, l’île est particulièrement riche en insectes ;
on estime actuellement plus de 5 000 espèces dont
2 200 sont relativement bien décrites, parmi
lesquelles :
– plus de 1 100 espèces7 de Coléoptères (hannetons,
coccinelles, scarabées…), dont 428 endémiques de La
Réunion ;
– plus de 560 espèces de Papillons, dont 190 endé-
Phasme. Monandroptera acanthomera. Photo G. Collin. miques de La Réunion ou des Mascareignes ;
Insectes 6
– 21 espèces d’Odonates (libellules et demoiselles) ;
La faune des insectes de La Réunion est assez large- – 5 espèces de Phasmes, dont 4 endémiques de La
ment sous-estimée. Réunion ou des Mascareignes ;

Catégorie Catégorie
Statut
Nom scientifique Nom français Sous-espèce Liste rouge Liste rouge
d’endémisme
France mondiale
Phelsuma Gecko vert de
R CR NE
inexpectata Manapany
Cryptoblepharus
Scinque de Bouton Ssp. boutonii (M) CR NE
boutonii
Gecko vert de
Bourbon,
Phelsuma borbonica EN NE
Lézard vert des
Hauts
Espèces menacées à La Réunion : les reptiles terrestres
Endémisme : R=Réunion ; M=Mascareignes ; Catégories : CR=danger critique d’extinction ; EN=en danger ; NE=non évalué
Liste rouge UICN France, 2010

6 Sources, J. Rochat, Insectarium 7 Entre 2000 et 2015 , 317 espèces nouvelles de Coléoptère ont été répertoriées
sur l’île.
158 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Les connaissances de cette faune sont encore inégale-
ment réparties selon les différents groupes d’insectes.
Certains sont relativement bien étudiés comme les
Coléoptères (charançons, « zandettes », coccinelles…).
D’autres sont moins connus comme certains Diptères.
Enfin, d’autres invertébrés comme les vers, scorpions,
araignées, mille-pattes… sont encore à inventorier : en
effet, on estime qu’il y a environ 500 espèces d’arai-
gnées à La Réunion dont 25 % d’endémiques. Des es-
pèces sont menacées, il s’agit notamment des papillons
(Papilio phorbanta, Antanartia borbonica, Salamis augustina)
qui sont des espèces protégées. Salamis augustina est me-
Salamide d’Augustine. Salamida augustina. Photo Life+ Forêt sèche. nacé d’extinction du fait qu’il ne consomme les feuilles
que d’un seul végétal, lui-même menacé (le Bois d’or-
– plus de 47 espèces d’Orthoptères (criquets, grillons, tie, Obetia ficifolia). Notons toutefois que de nombreuses
sauterelles…), dont la moitié endémique de La Réu- plantations de Bois d’ortie ont été réalisées ces dix der-
nion ou des Mascareignes ; nières années, afin d’espérer de nouvelles observations
– plus de 120 espèces de Diptères (mouches, du papillon associé. Toutefois et non revu depuis 2005,
moustiques…) ; il est susceptible aujourd’hui d’avoir disparu.
– plus de 300 espèces d’Hémiptères (punaise,
longicor nes…).
Catégorie Catégorie
Statut
Nom scientifique Nom français Sous-espèce Liste rouge Liste rouge
d’endémisme
France mondiale
Salamis augustina Salamide d’Augustine Ssp. augustina R CR NE
Ssp.
Antanartia borbonica Vanesse de Bourbon R EN NE
borbonica
Neptis dumetorum R EN NE
Papilio phorbanta Papillon la pâture R EN VU
Euploea goudotii R NT VU
Gynacantha bispina M EN VU
Africallagma glaucum EN LC
Coenagriocnemis
R EN NE
reuniense
Sympetrum
EN LC
fonscolombii
Pseudagrion punctum NT NE
Hemicordulia
R NT NE
atrovirens
Tholymis tillarga NT LC
Apterogreffea Phasme du Palmiste
R CR NE
reunionensis rouge
Heterophasma
R CR NE
multispinosum
Monandroptera
acanthomera M NT NE
Espèces menacées à La Réunion : les papillons de jour, les libellules et demoiselles, les phasmes
Endémisme : R=Réunion ; M=Mascareignes ; Catégories : CR=danger critique d’extinction ; EN=en danger ; VU=vulnérable ; NT=quasi menacée ;
LC=préoccupation mineure ; NE=non évalué ; Liste rouge UICN France, 2010

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 159


Les arachnides (araignées, scorpions) une dizaine sont endémiques strictes).
L’arachnofaune de La Réunion comporte entre 141 et Toutefois, les plus communes à La Réunion restent
166 espèces (la quasi-totalité sont des indigènes, dont les « bibes » ou « baboucs », Nephila inaurata, grande
araignée aux longues pattes revêtues d’une alternance
d’orange et de noir ou une araignée plus discrète de
couleur brune, Heteropoda venatoria.

Nephilingys borbonica. Photo G. Collin.

Escargot arboricole. Omplalotropis sp. Endémique de La Réunion et de Maurice.


Photo J.-F. Bègue

Les mollusques terrestres


L’île abrite au moins 54 espèces d’escargots et limaces
indigènes dont 20 espèces endémiques de La Réunion
et 24 endémiques des Mascareignes.

La faune aquatique

Poissons d’eau douce


On compte 21 espèces indigènes. Les poissons indi-
gènes de l’île ont presque tous une étape de leur cycle
de vie qui se déroule en mer. Cela impose une vigi-
lance accrue sur les habitats et les liaisons entre les
Nephila inaurata. Photo J.-F. Bègue.

Heteropoda venatoria.
Photo J.-F. Bègue

Cabot bouche-ronde. Cotylopus acutipinnis. Photo Y. Zitte.

160 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Catégorie Catégorie
Statut
Nom scientifique Nom français Sous-espèce Liste rouge Liste rouge
d’endémisme
France mondiale
Anguilla bicolor Anguille bicolore Ssp. bicolor CR NE
Anguille du
Anguilla mossambica CR NE
Mozambique
Eleotris mauritianus Cabot noir CR NE
Awaous commersoni Loche CR NE
Syngnathe à queue Ssp.
Microphis brachyurus EN NE
courte millepunctatus
Agonostomus telfairii Mulet enchanteur EN LC
Eleotris fusca Eléotris brun EN NE
Kuhlia rupestris Doule de roche VU NE
Anguilla marmorata Anguille marbrée NT NE
Cotylopus acutipinnis Cabot bouche-ronde M NT NE
Sicyopterus
Cabot à tête de lièvre NT NE
lagocephalus
Espèces menacées à La Réunion : les poissons d’eau douce
Endémisme : M=Mascareignes ; Catégories : CR=danger critique d’extinction ; EN=en danger ; VU=vulnérable ; NT=quasi menacée ; LC=préoccupation
mineure ; NE=non évalué ; Liste rouge UICN France, 2010

hauts des ravines et l’océan. Par exemple, c’est le cas Crustacés d’eau douce
du Cabot bouche-ronde (Cotylopus acutipinnis) qui a une Dix espèces indigènes ont été recensées :
forte valeur patrimoniale et économique : les adultes Bouquet singe (Macrobrachium lar)
vivent et se reproduisent en eau douce. Les œufs sont Caridine à long rostre (Caridina longirostris)
entraînés par les courants à l’océan où ils éclosent. Les Caridine serratulée (Caridina serratirostris)
alevins (« bichiques »), attirés par les eaux douces se Caridine type (Caridina typus)
regroupent massivement aux embouchures des rivières Chevrette australe (Macrobrachium australe)
qu’ils remontent pour y terminer leur vie. Ces remon- Chevrette des Mascarins (Macrobrachium hirtimanus)
tées donnent lieu à des pêches souvent irraisonnées. Crabe lisible (Varuna litterata)
En revanche, les 4 espèces introduites ont leur cycle Crevette bouledogue (Atyoida serrata)
complet de reproduction en eau douce, elles sont es- Crevette charmante (Palaemon concinnus)
sentiellement présentes dans les étangs, les mares et les Ecrevisse (Macrobrachium lepidactylus)
cours inférieurs et moyens des rivières (Truite Arc-en-
ciel, Tilapia, Guppy et Porte-épée).

Catégorie Catégorie
Statut
Nom scientifique Nom français Sous-espèce Liste rouge Liste rouge
d’endémisme
France mondiale
Macrobrachium Chevrette des
M CR NE
hirtimanus Mascarins
Caridina serratirostris Caridine serratulée VU NE
Caridina typus Caridine type VU NE
Macrobrachium australe Chevrette australe VU NE
Atyoida serrata Crevette bouledogue NT NE
Macrobrachium lar Bouquet singe NT NE
Macrobrachium
Ecrevisse NT NE
lepidactylus
Espèces menacées à La Réunion : les crustacés d’eau douce
Endémisme : M=Mascareignes ; Catégories : CR=danger critique d’extinction ; VU=vulnérable ; NT=quasi menacée ; NE ; non évalué
Liste rouge UICN France, 2010

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 161


Mont Kinabalu (4095 m). Bornéo, Malaisie. Inscrit au patrimoine mondial en 2000 (critères (ix), (x). Photo G. Collin.

De l’originalité à l’unicité Hors de l’océan Indien, le nombre d’îles intertropi-


cales offrant un gradient altitudinal semblable est
L’originalité majeure de la flore, de la végétation réduit et se limite à deux îles de l’archipel d’Hawaï
et des habitats de l’île de La Réunion réside dans son (Hawai’i et Maui), trois îles des Grandes Antilles (His-
patron écologique altitudinal qui structure six étages paniola, Jamaïque et, à un moindre degré, Cuba) et
principaux de végétation : littoral, adlittoral, tropical les grandes îles de la Sonde (Bornéo, Java, Sulawesi,
inférieur, montagnard, subalpin, alpin. La forte dissy- Sumatra, Nouvelle Guinée).
métrie climatique de l’île, conséquence de son relief
élevé (3 070 m au Piton des Neiges), permet d’ob- L’empilement successif d’autre paramètres écolo-
server deux séquences différentes de l’étagement de giques tels que, océanité et volcanisme (éliminant
végétation selon l’exposition au vent ou sous le vent les îles d’origine continentale des Grandes Antilles et
et ajoute à la complexité du patron d’habitats. Gra- de la Sonde), contexte biogéographique (afrotropi-
dients d’altitude et de pluviosité sont ainsi les cal) et géographique (océan Indien), isolant les îles
deux moteurs de la diversité d’habitats et de vé- d’Hawaï, renforcent l’originalité de l’île et précise son
gétation zonales de La Réunion. unicité insulaire. Cette unicité de La Réunion en
termes de végétation et d’habitats naturels peut ainsi
Le moteur altitudinal associé au contexte insulaire être traduite par la formule :
tropical est, à lui seul, suffisant pour affirmer île tropicale océanique altimontaine afro-in-
l’originalité de l’île de La Réunion, par la seule pré- dienne (ou encore île océanique altimontaine afrotropicale).
sence de végétations et d’habitats tropicaux altimon-
tains (étage subalpin complet et base de l’étage alpin). Aucun autre territoire au monde ne correspond plei-
Ce seul thème permet d’abord d’isoler La Réunion au nement à cette définition.
sein des îles de l’océan Indien, Madagascar, « île-conti- Avec l’argument « afro-indien » en moins, seules trois
nent », ne pouvant entrer dans cette catégorie. îles répondent pleinement à la définition d’île tropi-
Aucune autre île tropicale de l’océan Indien ne pro- cale océanique altimontaine : Réunion, Hawai’i
pose en effet un tel étagement. et Maui, ces deux dernières îles appartenant à l’archi-
pel d’Hawaï.

162 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Un troisième volet d’arguments portant sur l’état de Plusieurs exemples de radiation explosive sont connus
conservation du patron d’habitats vient renfor- dans l’île, pour les genres : Cynorkis (Orchidaceae),
cer l’importance de l’île de La Réunion. Toutes les îles Dombeya (Malvaceae), Psiadia (Asteraceae).
non coralliennes de l’océan Indien sont habitées (ou Sur le plan biologique, La Réunion mérite autant que
l’ont été) et une grande partie des milieux naturels ont d’autres îles célébrées pour cela (comme les Galápa-
été détruits ou fortement anthropisés. Comparé aux gos), le titre de laboratoire insulaire de l’évolution.
autres îles de l’océan Indien, le profil de conservation L’importante conservation de ses espaces naturels, le
spatiale du gradient altitudinal à La Réunion est de maintien des processus volcaniques actifs de construc-
loin le mieux préservé, malgré les sévères réductions tion et de destruction de diversité, en font certaine-
et destructions dans les zones basses de l’île des étages ment un modèle dynamique exemplaire.
adlittoral à submontagnard. La Réunion apparaît ainsi, encore aujourd’hui,
comme un condensé et un résumé des patrons
d’habitats tropicaux des zones montagneuses de
l’Afrique tropicale et de Madagascar, développés dans
un contexte insulaire océanique récent. Un tel patron
écologique explique à lui seul la grande diversité
d’habitats présents dans l’île et la concentration
de cette diversité sur une petite surface.

Unicité, solidarité, exemplarité, démonstra-


Tableau V. Boullet.
tion et avenir
Les attributs et particularismes biologiques insulaires, Sur la base de la simple évocation du patron altitudi-
tels que spéciation, endémisme, radiation évolutive nal d’habitats, ce qui en renforce son évidence, cinq
y sont remarquablement développés pour la flore cercles de considérations permettent d’affirmer,
vasculaire. les caractères unique, solidaire, exemplaire,
L’héritage floristique majeur des sources continen- démonstratif et durable de l’île de La Réunion.
tales afro-malgaches s’est progressivement adapté et 1.) L’unicité « brute » tient au gradient élevé d’al-
son évolution, après seulement 2 MA, apporte une titude dans un contexte insulaire océanique
forte originalité à la flore de La Réunion : 22 genres afrotropical.
endémiques, dont 8 strictement endémiques de La 2.) La solidarité tient au couple Réunion /
Réunion, 397 espèces endémiques dont 248 en- Hawaï, ensemble unique et complémentaire d’îles
démiques strictes, représentant respectivement des tropicales océaniques à gradient altitudinal dévelop-
taux d’endémisme de 45,4 et 28,3 %. Sur le seul pé, qui somment les mondes océaniques afro-indiens
plan des Spermatophytes (Plantes à fleurs), l’endémi- et pacifiques.
cité atteint des niveaux très élevés, 57 au total et 37 % 3.) L’exemplarité est d’abord écosystémique et
pour l’endémicité stricte. a trait au maintien d’importantes surfaces de végéta-
tions naturelles, non à faiblement perturbées (activités
anthropiques et conséquences directes ou indirectes),
représentant au total environ 30 % de l’île, chiffre ex-
ceptionnel dans une île aussi peuplée.
L’exemplarité est également végétale, par la grande
diversité de végétation et d’habitats, par la richesse
floristique indigène de la flore.
L’exemplarité est aussi biologique, par le niveau d’en-
démisme de la flore, par l’illustration variée des phé-
nomènes d’immigration, de spéciation et, plus globa-
lement, des modèles insulaires d’évolution.
4.) La démonstration tient, dans un contexte de
forte population, à proposer un étagement conden-
sé et complet d’habitats et de végétation du supra-
littoral à la base de l’alpin, s’établissant sur un rayon
Deux endémiques des Galápagos. Opuntia echios et Sesuvium edmonstonei.
très court, d’une vingtaine de kilomètres. À titre de
Ile Plaza Sur, Galápagos, Equateur. Photo Fl. Collin. comparaison, un tel étagement s’étale, en situations

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 163


continentales, sur environ 200 km à Madagascar, plu- Dans les îles de l’océan Indien, l’absence (îles coral-
sieurs centaines de km en Afrique de l’Est. liennes) ou la faiblesse du relief ne permet pas la pré-
La densité de population et ses perspectives d’évolu- sence d’habitats et de végétation altimontaines. Les
tion future font aussi de La Réunion un territoire de étages altimontains manquent ainsi à Maurice, Rodri-
forts enjeux de développement durable et d’aména- gues, aux Seychelles granitiques, à Anjouan, Mohéli,
gement du territoire et d’évaluation des politiques de Mayotte, aux Andaman.
conservation des habitats. Seule la Grande Comore (Ngazidja) qui atteint
5.) La permanence est plurielle : catastrophique, 2 361 m au sommet du Kartala présente un étage
lorsqu’elle est liée au volcanisme actif du massif de la de végétation altimontain. Cet étage est bien en place
Fournaise et aux processus érosifs du massif du Piton au-dessus de 1 900 m avec le développement de
des Neiges, climacique sur les pentes stables du Piton « fourrés éricoïdes » denses à Erica comorensis qui re-
des Neiges et de la Fournaise et soumise sur de longs couvrent toutes les crêtes et dont la hauteur s’abaisse
pas de temps aux évolutions bioclimatiques. avec l’altitude de 6-8 à 3-4 m (Legris 1969). Il est dé-
Elle mêle des dynamiques linéaires et cycliques de vé- veloppé comme à La Réunion sur des substrats vol-
gétation et d’habitats. Les épanchements de laves et les caniques. Il est toutefois limité au massif du Kartala
éboulements des Cirques sont des évènements édifica- et apparaît, de manière similaire à La Réunion, entre
teurs et destructeurs de biodiversité, générant de nou- 1 700 et 1 900 m.
veaux substrats et départs de nouvelles séries primaires Les cendres du cratère, au sommet du Kartala, sont
de végétation. Sur les pentes anciennes et stables, les colonisées par une végétation graminéenne, petite et
végétations arbustives et arborées s’inscrivent dans des fine, broutée par les cervidés sauvages (Legris 1969).
processus climaciques (stade mature d’un type de végé-
tation) oscillant avec des cycles de sylvogénèse, souvent Continental et subcontinental
perturbés par des catastrophes naturelles (cyclones) ou La végétation altimontaine de Madagascar est bien
anthropiques (feu, invasions végétales). représentée sur les hauts sommets de l’île, à partir de
1 850 – 2 300 m, selon les massifs (Tsaratanana, Anka-
Pour compléter et illustrer les caractères « unique, so- ratra, Andringitra, Marojejy). L’endémicité y est ex-
lidaire et exemplaire » des habitats et de la végétation trêmement élevée, une des plus fortes de Madagascar.
de La Réunion, deux développements comparatifs Plusieurs comparaisons entre les végétations de mon-
sont proposés à la suite pour le domaine d’habitats al- tagne de Madagascar et d’Afrique intertropicale ont
timontains et pour la flore insulaire de l’océan Indien. été proposées et sont relativement concordantes, si l’on
excepte les problèmes de terminologie et de concepts.
Le comparatif végétation et habitats Elles permettent d’établir de multiples analogies (flo-
altimontains ristiques, structurales, écologiques) entre le domaine
des hautes montagnes de Madagascar et l’étage subal-
Comparatif macro-régional (océan Indien, pin d’Afrique tropicale et australe.
Afrique tropicale de l’Est) Les hautes montagnes africaines ont attiré l’at-
tention des botanistes et des écologistes, en raison de
Insulaire l’originalité et de la richesse de leur flore et de leur
végétation. Elles ont servi de support à de nombreuses
réflexions concernant l’étagement de la végétation en
Afrique et, plus largement, dans les régions intertropi-
cales. Plusieurs synthèses sur la végétation et les habi-
tats des hautes montagnes africaines ont été publiées.
La végétation altimontaine d’Afrique est essen-
tiellement présente :
– en Afrique tropicale occidentale : massif du Mont
Cameroun, 4 070 m, sommets de Fernando Póo et
de Sao Tomé ;
– en Afrique tropicale orientale : massifs volcaniques
des Virunga (Karisimbi, 4 507 m ; Mikeno, 4 437
m ; Muhavura, 4 127 m, Nyiragongo, 3 470 m),
Ruwenzori (5 119 m), Mont Elgon (4 315 m),
Branle vert. Erica reunionensis. Photo J.-F. Bègue. Mont Kenya (5 195 m), Kilimandjaro (6 010 m),

164 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Mont Mikeno. Parc national des Virunga, République démocratique du Congo.
Inscrit au patrimoine mondial en 1979 (critères (vii), (viii), (x)). Photo G. Collin.

Mont Meru (4 566 m), Mont Imatong (Soudan).


– en Afrique australe (Drakensberg, région du Cap,
Manica).

Comparatif intertropical

L’absence généralisée de hauts reliefs dans les îles du


Pacifique, limite la comparaison avec d’autres situa-
tions insulaires du Pacifique au seul cas de l’archipel
d’Hawaï, avec les deux plus hautes îles de cet archipel :
Hawai’i (4 205 m) et Maui (3 055 m).
Entre 1 600 et 2 500 m, les hautes montagnes
d’Hawai’i et Maui sont couvertes de végétations
arbustives à sous-arbustives à caractère sclérophylle et
microphylle, non sans analogie structurale avec celles
Jeune Acacia koa. Hawaï.
des régions tropicales africaines et malgaches. Elles re- Détail avec feuilles adultes et juvéniles Cousin de l’A. heterophylla (Réunion).
présentent un étage subalpin, au-dessus de la limite des Ils partagent la même hétérophyllie. Photo J. Payet.
forêts. La partie inférieure de cet étage est occupée par Les liens floristiques avec La Réunion sont cependant
un fourré arbustif pré-forestier à Sophora chrysophylla beaucoup trop faibles et éloignés pour en faire une
et Myoporum sandwicensis, parsemé d’îlots d’Acacia koa présentation ici, même si on peut souligner, une nou-
(« Sophora-Myoporum Parkland »), fortement analogue velle fois, le rôle majeur des Ericacées (Arctostaphylos,
aux fourrés arbustifs altimontains à Sophora denudata de Cavendishia, Gaultheria, Rhododendron, Vaccinium) dans
La Réunion, plus ou moins pénétrés d’Acacia heterophyl- les formations subalpines, la présence de quelques
la, endémique réunionnaise proche d’A. koa d’Hawaï. genres communs aux régions tempérées et aux mon-
Dans les Caraïbes, trois des Grandes Antilles pos- tagnes tropicales (y compris La Réunion) comme Hy-
sèdent un relief suffisamment élevé pour développer pericum, Carex ou encore à large distribution tropicale
un domaine altimontain : Hispaniola (3 175 m), Ja- (Eriocaulon).
maïque (2 256 m) et Cuba (1 974 m). La végétation
de ce domaine est, grâce aux travaux phytosociolo- Eléments de synthèse
giques, fort bien documentée à Cuba. Les liens floris-
tiques avec l’étage subalpin de La Réunion sont nuls. La Réunion est, avec la Grande Comore (secteur
On retrouve sur les hautes montagnes insulaires du Karthala), l’une des deux îles de l’océan Indien à
de la Sonde et continentales intertropicales présenter un domaine altimontain. Au Karthala, ce
d’Amérique centrale (notamment du Costa-Rica), domaine est cependant réduit en surface et ne repré-
d’Amérique du Sud, d’Indonésie, des végétations su- sente que la partie inférieure de l’étage subalpin ; il
balpines et alpines présentant divers caractères éco- paraît également peu diversifié en termes d’habitats.
logiques, structuraux et architecturaux communs à À La Réunion, les habitats altimontains représentent
l’ensemble du domaine altimontain intertropical. plus de 16 000 ha (Strasberg et al. 2005) et offrent un

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 165


développement complet de l’étage subalpin jusqu’à la antillaise, l’origine himalayenne et sud-asiatique de la
limite de l’étage alpin. flore de la Sonde limitent fortement sur le plan de la
Dans le monde insulaire tropical, on ne trouve guère flore leur rapprochement de la végétation altimontaine
d’équivalent altimontain que sur les deux plus hautes de La Réunion. C’est plus en termes de complémenta-
îles d’Hawaï (Hawai’i et Maui) ; les plus hautes îles des rités qu’il convient d’établir un parallèle entre les trois
Caraïbes (Cuba, Jamaïque, Hispaniola) et les grandes domaines altimontains tropicaux insulaires. Il y a là
îles de la Sonde. La végétation altimontaine est ab- quatre exemples uniques au monde et fondamentale-
sente des autres îles du Pacifique et de l’Atlantique. ment complémentaires les uns des autres : un premier
L’étagement, les caractères structuraux et écologiques (Hawaï) associé aux régions pacifiques, un second (His-
de la végétation altimontaine d’Hawaï, des Grandes paniola) aux régions américaines, un troisième (Sonde)
Antilles et des îles de la Sonde présentent des analo- aux régions himalayennes et sud-asiatiques, un der-
gies avec La Réunion, analogies communes d’ailleurs nier (Réunion) aux régions paléotropicales africaines
à l’ensemble du domaine altimontain intertropical. et malgaches, avec cependant pour celui-ci un faible
Néanmoins l’origine australienne et sud-pacifique de héritage pacifique.
la flore hawaienne, l’origine américaine de la flore

166 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


LA RÉUNION, UNE ESTHÉTIQUE NATURELLE

Coucher de soleil sur les hauts de La Réunion. Photo G. Collin.

Qu’est-ce que la beauté ? Les plus émus ou les plus émotifs se sentiront comme
emportés un instant dans le paysage lui-même et ou-
Vouloir démontrer la beauté des paysages réunionnais blieront le lieu d’où ils observent le paysage : élévation.
est bien difficile et bien prétentieux. D’autres ne franchiront pas l’espace qui les sépare
Bien difficile car définir ce qui est beau ou ce qui est du paysage mais l’admireront en toute quiétude :
laid est un débat ouvert depuis longtemps avec des ré- contemplation.
ponses multiples, selon les temps et selon les personnes Les hommes, à la fois divins et sauvages, savent qu’ils
(c’est le domaine de l’émotion et du relatif). ont cette double identité et que le paysage est le résul-
Bien prétentieux car dans un tel domaine vouloir affir- tat de l’alliance des forces de la Nature et des actes des
mer une suprématie (une beauté universelle exception- sociétés humaines
nelle), se heurte toujours à des approches subjectives.
On procédera donc de manière prudente, en trois Orphisme
phases successives : Religion libre, née de curiosités intellectuelles et d’inquiétudes morales, non
- une réflexion sur la notion de Beau ; point localisée dans un sanctuaire, mais partout répandue, accessible à tous
- une analyse du Beau selon l’organe consultatif par l’initiation, soumise à des influences diverses et forcément ouverte aux
(l’UICN) qui évalue les dossiers des Sites naturels du nouveautés, l’Orphisme, autant qu’une religion, a été une philosophie …
patrimoine mondial ; La philosophie orphique a entrepris de répondre aux deux grandes questions
- une description et une argumentation concernant les qui tourmentèrent l’esprit grec depuis le VIe siècle : explication du monde et
paysages réunionnais. destinée de l’homme…
Les Orphiques croyaient à la nature divine de l’âme, et à une déchéance, à
un péché originel. L’âme, créée par les dieux, avait d’abord vécu au ciel ; elle
La Beauté, une approche initiatique ? avait été exilée à la suite d’un péché…
D’après l’explication vulgaire, l’homme était né du sang des Titans,
« La beauté consiste dans la grandeur et la disposition ordonnée » meurtriers de Zagreus [Dyonisos] ; par sa naissance, il était l’ennemi des
Aristote, Poétique, 335 av J.-C. dieux ; mais, en même temps, il avait en lui quelque chose de divin, qu’il
En reprenant les trois étapes de l’initiation à la Beauté : tenait des Titans…
la purification, l’ascension et la contemplation, Platon En Italie, en Afrique, en Gaule, dans tout l’Occident, on a trouvé
donne une forme dialectique aux mystères orphiques d’innombrables mosaïques qui représentent Orphée charmant les animaux.
de l’ascension de l’âme vers le divin. Article « Orphici », Dictionnaire des Antiquités
Les deux dernières étapes initiatiques, au moins, grecques et romaines, C. V. Daremberg, E. Saglio, 1877.
concernent chacun de nous devant un paysage d’une
grande beauté.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 167
La Beauté, une approche sensible ?
Mais chacun de nous ne ressentira pas la beauté du
paysage de la même manière, car elle dépend de notre
sensibilité propre et de l’éducation qui a pu contribuer
à former notre goût.

Si c’est la raison qui fait l’homme, c’est le sentiment qui le conduit. »


La Nouvelle Héloïse, Lettre VII, Jean-Jacques Rousseau, 1761.

« Le goût est naturel à tous les hommes, mais ils ne l’ont pas tous en même
mesure, il ne se développe pas dans tous au même degré, et, dans tous, il
est sujet à s’altérer par diverses causes. La mesure du goût qu’on peut avoir Paysage culturel du Lake District National Park. Royaume Uni. Inscrit au
patrimoine mondial, critères (ii), (v), (vi). Photo A. Phillips.
dépend de la sensibilité qu’on a reçue ; sa culture et sa forme dépendent des
sociétés où l’on a vécu. Notons que ce mouvement est largement inspiré par
Émile ou de l’éducation, livre IV, Jean-Jacques Rousseau, 1762. les paysages du Lake District, inscrits en 2017 sur la
liste du Patrimoine mondial comme Paysage culturel.
La Beauté, le plaisir et la liberté ? Edmund Burke, dans Recherche philosophique sur
l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757),
La relation forte à la nature guidera le plaisir, la jouis- distingue le beau du sublime. Pour lui, le beau est har-
sance, instant mêlé de liberté. monieux et attirant, le sublime disproportionné et ter-
rible. Cette distinction sera reprise par Kant dans sa
La beauté ne s’épanouira que là où dans une cabane qui lui appartient en Critique de la faculté de juger (1790).
propre, l’homme vit en une paisible intimité avec lui-même, et où, dès qu’il
franchit le seuil de sa demeure, il s’entretient avec toute l’espèce. Il faut des Est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit.
lieux où un éther léger ouvre ses sens à toutes les impressions délicates et où Critique de la faculté de juger, Section I, livre II,
une chaleur stimulante anime la matière prodigue […], des lieux où dans une Emmanuel Kant, 1790.
situation heureuse et une zone privilégiée l’activité seule mène à la jouissance
et la jouissance seule à l’activité, où l’ordre ne développe que la vie – où La nature est ainsi sublime dans ceux de ces phénomènes, dont l’intuition
l’imagination fuit perpétuellement la réalité sans pourtant jamais s’égarer suscite l’Idée de son infinité.
loin de la simplicité de la nature – c’est en ces lieux seulement que les sens Critique de la faculté de juger, Section I, livre II,
et l’esprit, la faculté réceptive et celle qui met en forme se développeront en Emmanuel Kant, 1790.
un heureux équilibre qui est l’âme de la beauté et la condition de l’humanité.
Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, 26e lettre, Pour Kant, contrairement au Beau, le sublime n’est
Friedrich Schiller, 1795. pas lié à un objet ou à sa forme. Aussi bien le Beau
que le sublime plaisent par eux-mêmes. Le sublime ne
La beauté est en effet l’œuvre de la libre contemplation. produit pas de sentiment de plaisir mais d’admiration
Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, 25 lettre, et de respect.
e

Friedrich Schiller, 1795. Le beau est dans la mesure, le sublime dans la


démesure.

Le Beau ou le Sublime ?
Le Beau, une certaine bizarrerie ?
Pourrait-on parler de sublime quand on parle de beau-
té exceptionnelle ? Là encore les philosophes nous in- Finalement, n’y aurait-il pas quelque chose d’indéfinis-
diquent quelques voies. sable, de différence inexplicable qui serait la définition
Le concept d’esthétique du sublime apparaît en par- inavouable du Beau ?
ticulier en Angleterre, avec le développement du … le beau est toujours bizarre… il y a dans le beau toujours un peu de
« Grand Tour » à la fin du 18 e siècle (voyage d’An- bizarrerie inconsciente et naïve… et c’est cette bizarrerie qui fait que le beau
gleterre en Italie), où les splendeurs immenses de la est beau.
Nature que contemplent les voyageurs les amènent Ecrits sur l’art, Charles Baudelaire, 1855.
à décrire leur sensation en faisant appel au sens du
sublime.

168 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Le Beau serait donc quelque chose de bizarre, voire
même d’étrange. Dans ce cas, c’est Louis Jouvet, dans
Drôle de drame (1937) qui aurait trouvé la plus par-
faite des conclusions à ce débat infini sur le Beau : « Bi-
zarre, bizarre…comme c’est étrange » …
Et si tout simplement, la beauté n’était que l’équilibre
parfait de la matière et de la forme ?

Un ensemble de paysages et
de milieux naturels remarquables Piton des Neiges vu de la Plaine des Cafres. Photo J.-F. Bénard.

La Réunion est une île du sud-ouest de l’océan Indien,


formée de deux massifs volcaniques accolés, celui du
Piton des Neiges au nord-ouest et celui du Piton de la
Fournaise au sud-est.
Le premier est ancien et assoupi, considérablement
remanié par la tectonique d’effondrement et par l’éro-
sion torrentielle.
Le second est récent, d’une grande activité, avec des
formes originelles bien conservées.
Rempart de Cilaos. Photo G. Collin.
Ces deux Pitons servent de support solide à toute une diversité. Ces paysages et cette biodiversité sont les
évolution morphologique et biogéographique. Leurs deux composantes principales de la définition du Bien
fortes altitudes sommitales et leurs multiples héritages inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial.
d’une histoire de plus de deux millions d’années, en-
gendrent des paysages remarquables et une riche bio- Les paysages naturels

La lecture des paysages de l’île offre un contraste


frappant entre la régularité des pentes externes des
deux massifs volcaniques et les singularités naturelles
lovées en leur centre. Le fil directeur en est la pré-
sence tutélaire et forte des REMPARTS : ils délimitent
nettement des aires, orientent ou arrêtent le regard,
inscrivent des originalités de la géographie de terrain.

Les remparts
Les remparts sont de deux allures : linéaire, ou
curviligne.
Les remparts linéaires s’inscrivent sur un axe amont/
aval, de part et d’autre des encaissements de vallées
remarquables qui contribuent à la fragmentation ir-
régulière, plus ou moins achevée, des pentes des deux
massifs. Ils ont une allure rayonnante tout autour de
l’île. Au sein du Piton des Neiges, la dissection avancée
des vallées encaissées se voit dans l’émergence des to-
pographies de planèzes. Dans le massif du Piton de la
Fournaise, ces topographies sont moins visibles, car il
faut du temps pour que ces lignes directrices de relief
se développent. Ces encaissements de vallées sont les
Plan de l’Isle de Bourbon. Denis Selhausen, 1793.
conséquences de la tectonique volcanique et de l’éro-
Bibliothèque nationale de France. sion torrentielle.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 169


Piton de la Fournaise. Photo. J.-F. Bègue.

Les remparts curvilignes sont de quatre types : constructions de l’île, est celle qui est totalement cernée
• l’amont des vallées encaissées a tendance à s’épa- par de hauts remparts curvilignes. Ce sont les cirques,
nouir pour former des « têtes de vallée en amphithéâ- distribués autour du Piton des Neiges. Salazie, Mafate
tre » : c’est le début d’une évolution morphologique ; et Cilaos sont trois entités géographiques qui ont à la
• lorsque cette évolution morphologique est avancée, fois un air de famille indéniable et un certain nombre
elle propose des topographies de cirques torrentiels ; d’originalités topographiques secondaires.
• dans le massif du Piton des Neiges, l’évolution, en-
core plus complexe, a laissé comme patrimoine pay-
sager celui de trois grands amphithéâtres, localement
nommés « cirques » (Salazie, Mafate, et Cilaos) ;
• dans le massif du Piton de la Fournaise, se trouve une
succession très originale de trois cicatrices de caldeiras
emboîtées, toutes ouvertes vers le sud-est.
Les deux derniers types sont à l’origine de paysages
exceptionnels.

Cirque de Mafate, Aurère. Photo G. Collin.

Mafate est le cirque des cloisons résiduelles ; Cilaos,


le cirque à plateformes d’amont ; Salazie est le cirque
le plus chaotique des trois avec en son milieu le Piton
d’Anchain.
Il a fallu du temps et de nombreuses séquences mor-
Rivière des Remparts. Photo G. Collin pho-dynamiques pour engendrer les cirques du Piton
Les cirques du Piton des Neiges des Neiges. Le Piton de la Fournaise, d’âge trop récent,
La principale singularité, la plus remarquable des n’offre pas de telles topographies.

170 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les caldeiras emboîtées du Piton
de la Fournaise

Cirque de Cilaos. Photo G. Collin.

L’analyse démontre le caractère unique de la forme de


cirque par la comparaison avec les îles Canaries et les Massif de La Fournaise : la Plaine et le Rempart des Sables. Photo J.-F. Bénard.
îles Hawaï particulièrement. L’autre caractère excep- Les remparts de l’aire du volcan actif ont aussi une
tionnel est la présence de trois cirques, avec le même allure curviligne et s’enroulent nettement autour d’un
air de famille, disposés symétriquement par rapport point focal qui correspond au sommet actuel du Piton
aux sommets centraux du massif du Piton des Neiges, de la Fournaise. Mais ces limites topographiques ne se
pour former un « as de trèfle ». referment pas vers l’aval, comme le font les remparts
des cirques : elles s’ouvrent largement vers le sud-est.
Il s’agit ici des trois grandes cicatrices de vastes mou-
vements de terrain qui font l’originalité du Piton le
plus jeune. La plus ancienne a donné naissance à la
vallée de la Rivière des Remparts, puis vient celle du
Pas des Sables où s’organisent deux écoulements, celui
de la Rivière de l’Est et celui de la Rivière Langevin.
La plus récente limite et domine l’Enclos Fouqué et les
pentes du Grand Brûlé, siège de la plupart des coulées
de l’actuel Piton de La Fournaise.
Au sommet des différents remparts, les panoramas
sont remarquables sur des constructions de plus en
Cirque de Salazie, Anchain. Photo G. Collin. plus récentes. Le rempart de Bellecombe, dominant
Ce patrimoine paysager offre des valeurs esthétiques l’Enclos Fouqué, permet de découvrir le volcan actif
indéniables : grâce aux découvertes panoramiques et l’ensemble de ses produits et constructions.
du haut des remparts qui le cerne et grâce à celles, à Les grands remparts du Piton de la Fournaise ont un
grande échelle, des composantes multiples des fonds autre rôle important en matière de création de pay-
des cirques. Ces amphithéâtres offrent de surcroît un sages : celui de canaliser les écoulements de laves.
livre d’histoire d’un volcan bouclier sur plusieurs cen-
taines de milliers d’années.

Parc national des volcans d’Hawaii, Kilauea. Photo Janik Payet


Massif de La Fournaise : le Grand Brûlé. Photo G. Collin.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 171


Massif de la Fournaise : rempart de Bellecombe.
Vue prise du fond de la caldeira de l’Enclos Fouqué.
Photo J.-F. Bénard.

C’est le cas bien entendu de l’ensemble des coulées La conscience esthétique


actuelles dans l’Enclos, orientées par les remparts de
Bellecombe, en amont, et ceux de Bois Blanc et du Au fil du temps les hommes de science ont décrit l’île
Tremblet, en aval. avec le vocabulaire de leur discipline, avec les mots et
les expressions de leur époque. Nous leur devons le
savoir qui nourrit aujourd’hui leurs successeurs. Nous
leur devons aussi un éveil à la richesse du patrimoine
naturel de l’île, éveil qui, peu à peu, poussera à une
conservation et à une protection.
Magie d’une langue française encore façonnée par le
classicisme du XVIIe siècle, enthousiasme encyclopé-
dique du XVIIIe siècle qui pousse à tout décrire, in-
fluence de la philosophie rousseauiste puis du roman-
tisme du XIXe siècle, ces descriptions savantes sont
rarement exemptes d’émotion à la vue des paysages
grandioses de La Réunion.
L’émotion qui saisit l’observateur transparaît dans les
lignes de textes qui ne sont pas inscrits dans des œuvres
littéraires, poétiques ou philosophiques.
Combien de fois, les auteurs se laissent aller à une
Massif de la Fournaise :Piton de la Fournaise et Enclos Fouqué. Photo J.-F. Bègue. contemplation qui les fait passer du profane au sacré !
La mythologie vient parfois au secours d’une descrip-
tion qui s’essouffle, qui ne sait plus trouver la façon
de dire avec assez de force la beauté exceptionnelle
qui émane de la Nature réunionnaise. Les dieux de
l’Olympe sont alors convoqués pour que les mortels
qui découvrent ces textes comprennent quelle est la
valeur de ces sites.

172 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Même le Dieu des Chrétiens est invoqué pour le re- Cette île [La Réunion] a été connue sous différents noms…d’autres …l’ont
mercier d’une création aussi magnifique. appelée l’île d’Eden, et c’est ce dernier que l’on a retenu comme lui convenant
Comme en écho à ces textes qui n’avaient pas pour mieux, parce que sa bonté et sa beauté la peuvent faire passer pour un Paradis
objet d’être lyriques, les littérateurs, les poètes laissent terrestre, et c’est ainsi en effet qu’elle est qualifiée par plusieurs auteurs qui
aller leurs plumes pour nous initier par la pensée à en ont parlé.
la découverte de ces paysages toujours recommencés. Recueil de quelques mémoires servant d’instruction
Le verbe même le plus puissant ne peut toutefois pour l’établissement de l’île d’Eden, Henri Du Quesne,
rendre compte pleinement de la beauté car il s’exprime 1689.
en une seule dimension. Les images des dessinateurs,
des aquarellistes, des peintres et, plus récemment, des Il n’est pas de joies, de succès, de peines, et de traverses où le souvenir de
photographes apportent le complément indispensable Mascareigne ne soit mêlé. C’est le plus beau pays du monde.
à ceux qui veulent s’imprégner des valeurs esthétiques Lettre à Joseph Hubert (extrait), Jean-Baptiste Bory de
de La Réunion. Saint Vincent, vers 1820.

Quelques morceaux choisis Il me fallait dire adieu au chef-lieu, pour aller visiter le reste de l’île, ou du
moins en faire le tour par la grande route, sans pouvoir explorer l’intérieur qui
Afin de faciliter le cheminement entre valeurs scienti- recèle les plus grandes beautés, comparables aux sites renommés de la Suisse.
fiques et esthétiques, il est proposé un choix de textes Album de La Réunion, Antoine Louis Roussin, 1860.
et documents constituant une sorte de contrepoint à
la description du Bien. Celui-là même qui a admiré en Europe les Pyrénées, les Alpes et les Carpathes,
en Afrique les fauves montagnes enserrant le Nil ou les dramatiques
Une beauté incomparable bossellements du Transwaal, reste surpris d’une admiration supérieure devant
la beauté de l’île de La Réunion. Comme certains d’entre les hommes, il est
Elle [La Réunion] est la plus saine et la plus belle du monde…La terre y est des pays qui ont du génie.
très fertile et grasse. Les eaux y sont pures et excellentes, ce qui serait une juste L’Ile de La Réunion, Raphael Barquissau, Hippolyte
raison que l’on pourrait appeler cette île un paradis terrestre. Foucque, Hubert Jacob de Cordemoy, 1925.
Histoire de la grande île de Madagascar…et autres îles
adjacentes, Etienne de Flacourt, 1658. Les navigateurs du XVIIe siècle l’appelaient Eden. Sa splendeur n’est
pas écrasante mais très simplement auguste, doucement éblouissante,
paradisiaque… On a vraiment l’impression que là – et nulle part ailleurs
– la nature a dû se recueillir pour signifier sur un étroit espace sa majesté et
sa variété.
L’Ile de La Réunion, Raphael Barquissau, Hippolyte
Foucque, Hubert Jacob de Cordemoy, 1925.

Le Paradis terrestre, représenté comme une île. Très Riches Heures du duc de
Berry, F° 25, vers 1480. Musée Condé. Photo IRHT-CNRS/Gilles Kagan
Wikipédia.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 173


L’esthétique entre science et littérature La Fournaise ou l’antre de Vulcain ?

La prose poétique d’un scientifique Ladite Ile brûle incessamment ainsi que la Sicile, il y a un pays nommé le
Pays brûlé qui contient quatre lieues ou environ où le feu a passé, tout y est
A nos pieds du fond d’un abîme elliptique, immense, qui s’enfonce comme fondu, et la matière ressemble à de la fonte ou mâchefer. On y trouve de toutes
dans un entonnoir et dont les parois formées de laves brûlées qu’entrecoupent sortes de figures composées de la matière qui a coulé. Ce feu gagne toujours un
des brisures fumantes menacent d’une ruine prochaine, jaillissent deux gerbes peu. Ce pays brûlé est situé au sud-sud-est de l’île.
contiguës de matières ignées dont les vagues tumultueuses lancées à plus de Les voyages faits par le sieur D.B. aux îles Dauphine
vingt toises d’élévation, s’entrechoquent et brillent d’une lumière sanglante, ou Madagascar et Bourbon ou Mascareigne, les années
malgré l’éclat du soleil que ne tempérait aucun nuage… 1669, 1670, 1671 et 1672, Sieur Dubois, 1674.
Voyage dans les quatre principales îles des mers
d’Afrique, Jean-Baptiste Bory de Saint Vincent, 1804. Comme séparé du reste du monde par la mer toujours agitée, par la Fournaise
fumante et par les monts à pic qui bornent la vue à droite et à gauche, le
voyageur pensif, qui se traîne dans les scories, est saisi d’admiration et de
terreur quand, levant les yeux de dessus le sol contre lequel il lutte, il promène
ses regards sur le tableau sinistre qui se présente. Tout porte un caractère
surnaturel de grandeur ; mais à l’idée confuse de ruines et de désolation qui
s’y mêle, on est involontairement tenté de se croire transporté au séjour que
des flammes éternelles calcinent sans cesse. Les descriptions du Tartare et
des enfers se présentent d’elles-mêmes à l’imagination ; on se demande si les
inventeurs des religions et les poètes sont venus puiser l’idée de ces lieux de
supplices dans les débris figés que l’on parcourt.
Voyage dans les quatre principales îles des mers
d’Afrique, Jean-Baptiste Bory de Saint Vincent, 1804.

Vue à vol d’oiseau du Volcan. pl. 56. Jean-Baptiste Borie de Saint Vincent.
1801. Bibliothèque nationale de France.

L’Olympe de l’Océan indien

L’île de la Réunion apparaît comme tout un Olympe de Dieux et sa mythologie


plutonienne, l’histoire de sa naissance, de son adolescence herculéenne, de tous
ses âges, se déroule sous nos yeux, pour qui étudie le paysage, comme pour
qui lit les livres passionnants de Bory de Saint-Vincent, de Vélain, d’Alfred
Lacroix, de Jacob de Cordemoy, avec le plus émouvant prestige de primitivité.
En ses nobles lignes, dans sa mise en scène équilibrée et classique, elle a
l’attrait d’un poème des temps d’Homère et d’Hésiode.
Les Iles Sœurs ou le paradis retrouvé. La Réunion-
Maurice. Éden de la Mer des Indes, Marius-Ary Leblond,
1946.

On compte, dit-on, les déesses Aphrodite et Lucine parmi les fées bienfaisantes
de ces eaux [thermales de Cilaos] : elles sont donc tout à la fois analeptiques
et reconstituantes.
Cilaos pittoresque et thermal. Guide médical des eaux
thermales, Jean-Marie Mac-Auliffe, 1902.

D’autres vallées d’effondrement qui semblent les filles passionnées des cyclones
se sont dramatiquement creusées […]. Sur leurs remparts, les ravines
pullulent […]. La dénomination féminine qualifie bien l’orographie et toute
la personnalité de l’île, cette tendresse qui épouse la violence primitive. Vulcain forgeant la foudre
Les Iles Sœurs ou le paradis retrouvé. La Réunion- de Jupiter.
Peinture. Pierre Paul
Maurice. Éden de la Mer des Indes, Marius-Ary Leblond, Rubens. 1636.
1946. Musée du Prado.

174 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Enfer ou Eden ?

Au pied de cette énorme muraille s’étend la Plaine des Sables, dont la surface
rougeâtre, est unie comme un lac; au bout de la Plaine, une rangée de pitons,
cratères éteints, aux versants alternativement colorés de teintes sombres, rouges,
violettes: au Sud le cratère Hubert d’un rouge éclatant, puis le piton Chysni,
qui semble fait de bronze poli, le cratère du Cirque, le piton Haüy, et dans le
lointain, dominant majestueusement de sa noire tête, empanachée de fumée,
tous ces sommets éteints, le dôme du Volcan.
Itinéraire d’un voyage au volcan en 1862, Camille Jacob
de Cordemoy, 1867.

Souvenir de l’Ile de la Réunion, N° 137.


Coup de vent du 1er Mars 1850. Quartier Saint-Benoît.
Roussin, Louis Antoine (1819-1894), Dessinateur et lithographe. 1850.
Estampe. Archives départementales de La Réunion.
Eruption du volcan de l’île Bourbon. Ile Bourbon, vue du Grand Brûlé.
8 septembre 1812, 5 heures du soir, Aquarelle attribuée à Jacques Etienne les Français, qui en ont fait le tour en dix-huit jours, nous ont assurez de cette
du haut du Piton Rouge. Arago, 1818. Coll. privée.
Aquarelle de Jean-Joseph Patu vérité ; c’est, à mon avis, ce qui rend cette île aussi saine qu’elle est.
de Rosemont, 1812. Archives Voyage de Madagascar, connu aussi sous le nom de l’île
Départementales de La Réunion.
de St Laurent en 1666, Carpeau du Saussay, 1722.
L’ouragan y passe ordinairement tous les ans, quelquefois deux fois ; il vient
depuis la fin Décembre jusqu’à la fin de Mars, sans que l’on soit assuré quel [Cette île] est très montagneuse et les montagnes sont fort hautes. Il y a
de ces mois l’ouragan arrive…Cet ouragan dure ordinairement 24 heures, et néanmoins de beaux pays plats au rivage de la mer, et même des montagnes qui
est composé de vents furieux, qui déracine des arbres, et abat les maisons ou sont propres à être habitées. La terre y est très bonne, et produit abondamment
cases, et d’un grand déluge d’eaux…Ces ouragans ne sont pas toujours de de tout ce qu’on y plante. Toute cette île est remplie de bois très agréables dans
même force, il y en a de plus violents les uns que les autres. lesquels il y a beau passage ; on n’y rencontre que bien peu d’Epines, Halliers
Les voyages faits par le sieur D.B. aux îles Dauphine et Buissons, et l’odeur y est bonne, y ayant des arbres en fleur toute l’année…
ou Madagascar et Bourbon ou Mascareigne, les années Il y a quantité de Sources, Rivières et Etangs dont l’eau est très bonne, très
1669, 1670, 1671 et 1672, Sieur Dubois, 1674. saine, et même purgative…L’air de cette île est des meilleurs qu’il y ait sous
le Ciel à la connaissance des hommes.
Il est vrai que quelques-uns ont regardé comme une grande incommodité Les voyages faits par le sieur D.B. aux îles Dauphine
une tempête qui y arrive presque tous les ans ; et qui, parce qu’elle y vient ou Madagascar et Bourbon ou Mascareigne, les années
ordinairement dans un certain temps comme font les ouragans de l’Amérique, 1669, 1670, 1671 et 1672, Sieur Dubois, 1674.
a été par quelques-uns appelée du même nom, mais il s’en faut bien qu’il ne
soit de la violence de ceux qu’on ressent en ce pays-là, puisqu’il n’empêche
pas les arbres de porter des fruits et des fleurs toute l’année, comme on l’a déjà
remarqué, ce qui est fort différent des effets que font les ouragans de l’Amérique
qui abattent non seulement les fruits, mais déracinent quelquefois les arbres.
Recueil de quelques mémoires servant d’instruction
pour l’établissement de l’île d’Eden, Henri Du Quesne,
1689.

Ce qu’on voyait de ce beau pays, fit naître à Monsieur de Champmargou


l’envie de le voir entièrement… il s’embarqua donc sans moi dans la chaloupe
dans ce dessein, le chemin par terre étant trop difficile, à cause des montagnes
inaccessibles qu’il fallait monter, et où il n’y avait point de sentiers frayés...il
tenta plusieurs fois de débarquer, sans en pouvoir venir à bout. Il fut obligé de
s’en revenir nous joindre, sans avoir pu satisfaire sa curiosité. Les habitants
qui y ont été, nous en firent un fidèle rapport, et selon leur dire c’est un lieu
enchanté, de même que celui que nous avions vu : ils nous dirent encore qu’il
y avait un canton qui brûlait continuellement. C’est une montagne de soufre : L’oiseau vert, litchi. Grandeur naturelle. Roussin, Louis Antoine (1819-1894).
Dessinateur et lithographe. 1860. Estampe. Musée Léon Dierx.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 175
Cette île est plus semblable à ce que les saintes lettres nous apprennent du transition majeure entre la régularité des pentes ex-
paradis, qu’à nul autre pays que nous connaissons. ternes et les singularités physiques de l’intérieur des
Voyage aux Indes orientales, mêlé de quelques histoires deux massifs et aussi dans cette transition entre les en-
curieuses, Abbé Barthélémy Carré de Chambon, 1699. caissements des gorges d’entrée des cirques et leurs
évasements en amont.

L’esthétique littéraire

Pitons, cirques et remparts

Tel de ces pics que tu domines,


Superbe mont salazien,
Tel de ces montagnes voisines
Jaillit ton front aérien.
Immense, éternel, immobile,
Du plateau central de notre île
Ton sommet auguste et tranquille
Se dresse, embrassant l’horizon ;
Un hiver immuable y siège,
Et tes flancs, que la nue assiège,
Se couvrent de glace et de neige,
A jamais chauves de gazon.
Le Piton des Neiges, Les Salaziennes,
Auguste Lacaussade, 1839.

Souvenir de l’Ile de la Réunion, N° 88. Mangoustan. Grosseur naturelle.


Roussin, Louis Antoine (1819-1894). Lithographe. 1848. Estampe.
Archives départementales de La Réunion.

La conscience esthétique prend souvent naissance dans


l’admiration des paysages aux couleurs changeantes
du lever ou du coucher du soleil. Démarche classique,
s’il en est ! Une autre notion, très présente elle aussi,
est celle que suscitent les abîmes et autres précipices, et
en corollaire la verticalité et la hauteur des remparts.
Dans presque tous les cas l’enchantement vient de
la surprise : on retrouve cette surprise dans cette

Le Piton des Neiges. Vue du Plateau Wickers, route de Salazie. Roussin, Louis
Antoine (1819-1894). Lithographe. 1860. Estampe. Bibliothèque départemen-
tale de La Réunion.

Les Enfers. Peinture, François de Nomé, 1622. Musée des Beaux-Arts,


Besançon. Wikimedia.

176 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Mais quel est ce piton dont le front sourcilleux Puis l’Océan qui brille et monte vers le ciel.
Se dresse, monte et va se perdre dans les cieux ? Nulle rumeur humaine à ces hauteurs sauvages
Ce mont pyramidal, c’est le piton d’Anchaine. N’arrive. Et ce soupir, ce murmure immortel,
De l’esclave indompté brisant la lourde chaîne, Pareil au bruit lointain de la mer sur les côtes,
C’est à ce mont inculte, inaccessible, affreux, Epand seul le respect et l’horreur à la fois
Que dans son désespoir un nègre malheureux Dans l’air religieux des solitudes hautes.
Est venu demander sa liberté ravie. C’est ton âme qui souffre, ô forêt ! C’est ta voix
Il féconda ces rocs et leur donna la vie ; Qui gémit sans repos dans ces mornes savanes.
Car, pliant son courage à d’utiles labeurs, Les filaos, Les lèvres closes, Léon Dierx, 1867.
Il arrosait le sol de ses libres sueurs.
Il vivait de poissons, de chasse et de racines :
Parfois, dans la forêt ou le creux des ravines,
Aux abeilles des bois il ravissait leur miel,
Ou prenait dans ses lacs le libre oiseau du ciel.
Le Piton des Neiges, Les Salaziennes,
Auguste Lacaussade, 1839.

Filaos et croissant de lune. Photo G. Collin.

Le jaillissement des cascades

Au pied des rocs abrupts, dans sa chute sans fin,


L’eau tombe et s’élargit en un vaste bassin,
Où s’alimente et dort la rêveuse rivière
Sainte-Suzanne, aux grands berceaux de cocotiers.
Le soleil au zénith y darde sa lumière ;
Album de La Réunion. Habitation de M. Villiers Adam sur les bords de la Mais, dans l’après-midi, les monts aux pics altiers
Mare à Poules d’eau (Salazie).
Roussin, Louis Antoine (1819-1894). Dessinateur et lithographe.1858. Estampe.
Y versent les fraîcheurs d’une ombre hospitalière.
Archives départementales de La Réunion. Des hauts bambous du bord quittant l’épais rideau,
Sur la nappe d’azur nagent les poules d’eau ;
Une île volcanique océanique Et, les frôlant du vol, la véloce hirondelle
Autour des bleus nageurs s’ébat aux jeux de l’aile.
Plus bas, tout est muet et noir au sein du gouffre, La cascade Sainte Suzanne, Poèmes et paysages,
Depuis que la montagne, en émergeant des flots, Auguste Lacaussade, 1852.
Rugissante, et par jets de granit et de soufre,
Se figea dans le ciel et connut le repos.
À peine une échappée, étincelante et bleue,
Laisse-t-elle entrevoir, en un pan du ciel pur,
Vers Rodrigue ou Ceylan le vol des paille-en-queue,
Comme un flocon de neige égaré dans l’azur.
Hors ce point lumineux qui sur l’onde palpite,
La ravine s’endort dans l’immobile nuit ;
Et quand un roc miné d’en haut s’y précipite,
Il n’éveille pas même un écho de son bruit.
La ravine Saint Gilles, Poèmes barbares,
Leconte de Lisle, 1872.

Voile de la mariée, Salazie. Photo G. Collin.


La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 177
Tec tec. Photo J.-F. Bénard.

Perdu sur la montagne, entre deux parois hautes, La valeur exceptionnelle des paysages
Il est un lieu sauvage, au rêve hospitalier,
Qui, dès le premier jour, n’a connu que peu d’hôtes ; Dans le trinôme qui constitue le sujet Pitons, Cirques
Le bruit n’y monte pas de la mer sur les côtes, et Remparts, les différents termes ne sont pas égale-
Ni la rumeur de l’homme : on y peut oublier. ment riches de valeurs esthétiques. Les pitons sont
La liane y suspend dans l’air ses belles cloches avant tout les deux structures fondamentales sur les-
Où les frelons, gorgés de miel, dorment blottis ; quelles reposent tous les concepts qui identifient le
Un rideau d’aloès en défend les approches ; Bien : ils forment une base incontournable. Au centre
Et l’eau vive qui germe aux fissures des roches de ces deux pitons volcaniques, le Piton des Neiges
Y fait tinter l’écho de son clair cliquetis. et le Piton de la Fournaise, apparaissent comme des
Le Bernica, Poèmes barbares, Leconte de Lisle, 1872. singularités physiques qui tranchent nettement avec
la régularité des pentes externes de la construction.
Une flore et une faune tropicales Ces singularités sont la conséquence de remarquables
remparts dont l’origine est avant tout celle de la tecto-
Je me rappellerai les lieux où mon enfance nique d’effondrement et celle de l’érosion torrentielle.
Croissait libre et déjà songeuse, et sans défense ; Ils constituent des limites visuelles des espaces de l’île,
Où j’écoutais – soupir monotone et lointain - et en même temps offrent des perspectives particuliè-
La complainte du nègre et du bobre africain ; rement attractives.
Où le souffle clément des brises alizées Les topographies les plus surprenantes, dans le do-
Rafraîchit de nos fleurs les urnes épuisées ; maine particulier des valeurs esthétiques des paysages
Où l’oiseau du Bengale et les jeunes ramiers réunionnais, sont incontestablement les trois amphi-
Viennent fermer leur aile à l’ombre des palmiers ; théâtres majeurs du centre du Piton des Neiges : les
Où les ruisseaux suivant leur cours par les savanes « cirques » de Cilaos, Mafate et Salazie.
Portent leur frais murmure au seuil de nos cabanes.
Un clair de lune sous les tropiques, Poèmes et paysages,
Auguste Lacaussade, 1852.

178 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


L’amphithéâtre du cirque de Mafate. Vue prise du Maïdo. Photo S. .Michel.

Les remparts et l’esthétique tères, petits avions d’aéroclubs, ULM) qui permettent
une découverte très recherchée des grands panoramas
La présence de remparts propose avant tout des lec- de l’intérieur de l’île.
tures attractives de paysages panoramiques. De multi- Un autre aspect de l’esthétique des remparts est celui
ples encorbellements permettent la vision des paysages de l’importance des encaissements qu’ils proposent. La
à petite échelle, en les dominant largement compte dénivellation est pour le moins de plusieurs centaines
tenu de la dénivellation importante des remparts. Tous de mètres dans les vallées encaissées des deux massifs.
les grands panoramas de l’île s’offrent à la vue des vi-Elle atteint 2000 m et plus tout autour des sommets
siteurs, soit par la route soit au bout des sentiers de centraux du Piton des Neiges. Il s’agit de véritables
découverte. Ces principaux panoramas sont ceux des murailles presque verticales qui imposent leur présence
cirques : au visiteur. Lorsque ces remparts sont très proches, ils
• route forestière des Makes et perspective sur le cirque
forment des gorges de vallées difficiles à emprunter :
de Cilaos, c’est le cas des trois grandes vallées du massif du Piton
• route forestière de Maïdo et découverte du cirque des Neiges, et d’un certain nombre d’autres vallées,
de Mafate, surtout nombreuses dans l’est du massif du Piton des
• route forestière de Bébour et Bélouve et panorama Neiges.
sur Salazie,
• sentier de la Roche Ecrite et vision des deux cirques
de Salazie et Mafate,
• sentier du Grand Bénare et découverte des deux
cirques de Mafate et Cilaos, etc.
La découverte du Piton de la Fournaise offre trois pers-
pectives majeures, celle de la vallée de la Rivière des
Remparts (toponyme évocateur), celle des vallées de la
Rivière Langevin et de la Rivière de l’Est, celle du Pas
de Bellecombe. Ces panoramas sont la conséquence
de l’évolution tectonique du massif qui, au cours de
son histoire, a connu trois épisodes majeurs de destruc-
tion dont les remparts sont les cicatrices aujourd’hui Rempart de la rivière des Remparts. Photo G. Collin.
encore visibles. Parfois les remparts de ces vallées s’éloignent pour
donner une gamme de têtes de vallée en amphithéâtre
Il n’est pas étonnant que l’analyse statistique des flux à forte valeur attractive (exemple du Trou de Fer en
de visiteurs (locaux ou touristes de passage) confirme amont du Bras Caverne).
l’attrait de ces grands panoramas. Cela se traduit éga- Ou encore, ils prennent une allure curviligne, héri-
lement par l’importance des survols de l’île (hélicop- tage de leur formation par caldeira d’effondrement,

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 179


Panorama sur le Cirque de Salazie. Vue prise de la Roche Ecrite. Photo S. Michel.

comme c’est le cas avec l’Enclos Fouqué au Piton de La deuxième est celle d’une symétrie dans la disposi-
la Fournaise. tion des remparts : parallélisme des remparts de flanc,
Les remparts contribuent largement à la définition des convergence des remparts vers l’amont, et convergence
valeurs esthétiques du Bien, soit en offrant de vastes des remparts vers l’aval et les gorges de raccordement.
paysages remarquables, soit en étant eux-mêmes re- La symétrie vient également de la régularité des pentes
marquables par leurs dimensions imposantes et leur de crêtes de remparts de l’amont vers l’aval. Cette ar-
verticalité. chitecture, fruit d’une évolution complexe, ajoute aux
caractères esthétiques de ces lieux.
La valeur exceptionnelle des cirques
du Piton des Neiges La troisième vient de cette association entre le cirque
et la vallée encaissée qui permet l’exutoire des eaux.
Là où les remparts sont à l’origine de paysages excep- Vu du littoral, le cirque reste caché aux yeux du vi-
tionnels, c’est au centre du « vieux » massif du Piton siteur. Et même au cœur de cette vallée resserrée, la
des Neiges. Cela vient de la présence de trois am- découverte de l’amphithéâtre d’amont n’est guère pos-
phithéâtres que d’aucuns qualifient de topographies sible, en raison des nombreux méandres.
uniques au monde. Ils sont nommés cirques (Salazie, Dans le cas de Salazie, les remparts de vallée servent
Mafate, Cilaos). Cette appellation ne se retrouve pas de front orographique : les nuages y sont fréquents,
ailleurs, ne correspond pas à l’origine complexe de la masquant le cirque et déroutant parfois les touristes
morphologie (ce n’est pas un cirque « glaciaire »), pré- de leur itinéraire. Il faut passer la porte d’entrée pour
sente de très fortes originalités. contempler cette topographie remarquable.
La première est celle d’une allure pirifome délimitée
par des remparts abrupts et élevés. Les trois cirques ont La quatrième est créée par l’ensemble de trois cirques,
indéniablement un air de famille. La qualité esthétique tous accolés aux sommets centraux et points culmi-
vient en premier lieu de cette verticalité imposante (de nants du Piton des Neiges. Certes, cette originalité ne
l’ordre de 70°) qui arrête brusquement le regard et se découvre que sur la carte de géographie, ou encore
enferme totalement le visiteur dans une perspective par le survol de l’île. Mais cette distribution, en « as de
de « bout-du-monde ». Quelle que soit la position du trèfle », est séduisante : Cilaos est au sud-ouest, Mafate
visiteur au sein du cirque, il est dominé par cette pré- au nord-ouest et Salazie au nord-est.
sence d’une géométrie finie. La porte d’entrée est un Les trois cirques sont limités entre eux par des cloisons
défilé étroit qui ne permet pas de distinguer l’ampleur résiduelles servant de cols : col de Taïbit entre Mafate
de l’amphithéâtre. Si la découverte du cirque se fait et Cilaos, Col de Fourche et Col des Boeufs entre Ma-
d’un seul coup d’œil au sommet des remparts qui le fate et Salazie, crête entre la Rivière du Mât et Cilaos.
limitent, elle est très progressive, le plus souvent par-
tielle, quand le visiteur se risque à l’intérieur de cette
topographie.

180 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Caméléon, (Endormi). Photo J.-F. Bègue.

La valeur esthétique des Un certain nombre de milieux naturels offre également


milieux naturels des qualités esthétiques, liées soit à une ambiance, soit
à une architecture remarquable, soit à des espèces, soit
tout simplement à des formes.

Orchidée. Photo J.-F. Bègue. Lézard vert des Hauts. Photo J.-F. Bègue.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 181


Parmi les architectures les plus appréciées se situent les
forêts à fanjans dominants (col de Bellevue, en amont
de la Plaine des Palmistes). Les livrées différentes, et
discrètes, des mahots en pleine floraison, sont égale-
ment remarquées.

Forêt à fanjans. Col de Bellevue. Photo G. Collin.


La végétation altimontaine, disséminée sur les lapillis
de la Fournaise, est à la fois surprenante et attractive :
elle contribue à cet aspect « lunaire » que lui attribuent
les visiteurs.

Oiseau la Vierge devant son nid. Photo J.-F. Bègue.


La végétation altimontaine et les forêts de bois de cou-
leurs des hauts sont souvent enveloppées par le brouil-
lard ou les nuages caractéristiques des hautes terres.
Cette région de « Nebelwald » est attractive pour
les Réunionnais avides de « changement d’air ». Les
constructions végétales sont estompées ; les regards ne
portent guère loin, d’où une sensation recherchée d’in-
timité avec un « coin » de la nature.

Piton des Neiges, vu depuis le massif de la Fournaise. Photo G. Collin.

Brouillard descendant le long d’un rempart. Photo J.-F. Bègue. Cône d’éruption dans le massif de la Fournaise. Photo S. Michel.

182 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Photo S. Michel.

Une valeur esthétique magique parfois Pourtant, non loin, il est aussi des trésors naturels plus
imprévisible discrets mais qui sont aussi des valeurs patrimoniales
exceptionnelles : les pitons, les cirques et les remparts.
C’est la valeur la plus remarquée par les Réunionnais
et par les touristes. L’esthétique selon les évaluations
C’est celle attire parce que c’est un spectacle comme inter nationales
seule la Nature peut en offrir.
C’est aussi le moment où chacun admire et en même Le critère (vii) qui a été retenu pour inscrire les Pitons,
temps craint au fond de lui-même cette démonstration cirques et remparts de l’île de La Réunion au patri-
de force. moine mondial stipule que le Site doit « représenter
C’est là où la notion de Beauté exceptionnelle prend des phénomènes naturels remarquables ou des aires
force car c’est une beauté évidente. d’une beauté naturelle et d’une importance esthétique
Il s’agit bien sûr des éruptions du Piton de la Fournaise. exceptionnelles »
Ces éruptions fréquentes peuvent être modestes et ne
faire jaillir que quelques jets, rouge écarlate, ou bien Cette définition contient en fait deux concepts :
déverser des flots de lave qui, courant jusqu’à la mer,
vont s’y jeter dans un bruit de machine à vapeur : le Le premier, celui de « phénomènes naturels remarquables », se prête souvent
succès est garanti. à une appréciation et des mesures objectives (par exemple le canyon le plus
profond, le plus haut sommet, le plus vaste ensemble de grottes, la chute d’eau
la plus haute, etc.).
Le deuxième, celui de « beauté naturelle et importance esthétique
exceptionnelles », est plus difficile à apprécier. Le critère s’applique à des biens
naturels considérés comme possédant ces qualités à un degré exceptionnel.
S’agissant de sites naturels, les concepts de beauté et d’importance esthétique
donnent lieu à de nombreuses interprétations de caractère intellectuel.
Aucune n’est recommandée, et il est essentiel de se référer à une ou plusieurs
interprétations reconnues. On ne peut se contenter d’affirmer ces qualités sans
présenter de solides arguments à l’appui.
Établir une proposition d’inscription au patrimoine
mondial, Unesco, 2011.
Cône éruptif dans le massif de La Fournaise. Photo S. Michel.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 183
Brouillard descendant le long d’un rempart. Photo J.-F. Bègue.

Le premier concept, « phénomènes naturels remarquables », peut souvent être L’Unesco insiste sur la nécessité d’une évaluation com-
objectivement mesurée et évaluée. parative à l’échelle mondiale des valeurs paysagères :
Le second concept, celui de ‹ beauté naturelle et importance esthétique
exceptionnelles › est plus difficile à apprécier, et l’évaluation est généralement …ce critère veut, par sa nature, que le bien proposé pour inscription appartienne
plus subjective. » à un type commun à d’autres sites comparables, dont la distribution se déploie
Note pour une réunion d’experts, UICN, 2005. à l’échelle mondiale, plutôt que régionale, de sorte qu’il implique le recours à
des normes de même ampleur en matière de justification. L’élément esthétique
Le débat est bien lancé sur objectivité et subjectivité. a donc une application distincte des facteurs pris en considération dans le cas
de paysages culturels. L’évaluation de cet aspect se fonde sur une comparaison
La même année l’UICN poursuit sa réflexion sur la avec des biens dont le Comité a déjà approuvé l’inscription en vertu de ce
part individuelle de l’appréciation du Beau : critère et, dans la mesure du possible, s’appuie aussi sur une comparaison
d’indicateurs mesurables de l’intérêt paysager.
…[les participants] constatent que « l’esthétique » est une réponse personnelle Établir une proposition d’inscription au patrimoine
et émotionnelle (pas seulement visuelle, mais qui inclut toute une gamme de mondial, Unesco, 2011.
perceptions et les réactions qui y sont associées), et que le concept est par
conséquent ancré dans une communauté/culture. Il s’agit bien d’un critère très difficile, relevant parfois
Note pour l’Académie internationale pour la d’un orgueil bien naturel mais non scientifiquement
conservation de la nature, UICN, 2005. démontrable.

184 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Coucher de soleil sur le massif du Piton des Neiges. Photo G. Collin.

Eléments de synthèse Les sites et paysages de La Réunion s’inscrivent au


centre d’un triangle dont les sommets sont :
Trois des critères qui ont été utilisés pour la candida- - volcanisme et tectonique
ture réunionnaise se nourrissent de disciplines qui re- - évolution morphologique
lèvent clairement de champs scientifiques appartenant - développement de la vie et biodiversité.
aux Sciences de la Terre et de la Vie (viii, ix et x). De la prépondérance de l’une ou plusieurs de ces forces
Le critère (vii) est a priori difficilement démontrable et dépend l’esthétique du site ou paysage considéré.
évaluable selon une approche scientifique disciplinaire. La beauté grandiose et exceptionnelle des Pitons,
C’est certainement mettre le paraître avant l’être mais cirques et remparts constituent le trait d’union entre
c’est là où le patrimoine mondial est le plus accessible les valeurs naturelles et une découverte touristique.
au public. Le temps est venu de proposer une « destination es-
La réponse aux facettes objectives et subjectives du thétique » qui sache donner à tous l’envie de parcourir
critère vii est passée, pour la candidature réunionnaise, l’île pour le plaisir.
par deux approches complémentaires : Un plaisir fait d’émotion, empli des frémissements et
– une analyse des valeurs esthétiques engendrées par des senteurs de l’île, un plaisir subodorant ce que la
les valeurs naturelles de la géomorphologie et de la science peut aussi patiemment aider à comprendre.
biologie
– une analyse des valeurs esthétiques des descriptions
de l’île dans les registres littéraires, poétiques, gra-
phiques voire parfois…scientifiques

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 185


LE PRIX DE L’EXCELLENCE

La reconnaissance internationale Au début de la mission de création du Parc national,


facilite et pousse à la mise en œuvre lors de premiers contacts (2001) précisant la volonté
de travailler sur un dossier de candidature de La Ré-
d’actions nouvelles
union sur la liste des Biens de l’UNESCO, le Centre
du Patrimoine mondial avait souhaité que l’île se dote
Le chapitre sur le « Parcours pour une reconnaissance inter- d’un outil de gestion reconnu à l’échelle internationale
nationale » a indiqué les deux recommandations essen- (de type Parc national) avant d’étudier l’opportunité de
tielles du Comité Patrimoine mondial, qui sont : son inscription sur la liste des Biens.
– la nécessité de mettre en place un plan de gestion La Réunion a donc attendu la mise en place du Parc
dans un temps court, traitant de toutes les conditions national avant de déposer une demande de candida-
d’intégrité, de protection et de gestion pour garantir ture à l’inscription à l’UNESCO. De fait, le classement
à long terme (voire renforcer) la valeur universelle ex- de La Réunion en Parc national (mars 2007) et son
ceptionnelle du Bien, inscription sur la liste des Biens du Patrimoine mon-
– l’obtention de moyens nécessaires pour lancer des dial (août 2010) sont intimement liés. De plus les aires
actions d’envergure, notamment de lutte contre les es- géographiques « cœur de Parc » et « Bien Patrimoine
pèces exotiques envahissantes. mondial » sont quasiment identiques.
Il est donc logique que la charte du Parc national et
le plan de gestion du Bien aient les mêmes contenus.
La mise en œuvre d’un plan de gestion Le sujet avait fait l’objet de nombreuses explications,
notes et recommandations entre le parc, l’UICN et
La charte du parc national, plan de gestion du l’UNESCO. Le temps arriva de la rédaction de la
Bien patrimoine mondial charte du parc (zone cœur et aire d’adhésion).
Une mission fut confiée à un ancien membre de

Charte du parc national de La Réunion et Plan de gestion du Bien Unesco. Parc national de La Réunion, 2014.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 187


l’équipe de candidature au Patrimoine mondial et an- La charte, document collégial, a été approuvée en jan-
cien du Parc national des Cévennes (Gérard Collin). vier 2014. Elle est un véritable projet de territoire qui
L’idée était de respecter les dispositions propres au vise d’une part, à organiser l’action de tous les acteurs
parc et issues pour partie de débats publics (zone en matière de gestion et de conservation des patri-
d’adhésion) et de mettre en regard les objectifs affichés moines naturel, culturel et paysager et d’autre part,
dans le dossier de candidature UNESCO ainsi que les à trouver un nouvel équilibre entre l’expertise scienti-
recommandations de l’UICN et de l’UNESCO. fique et juridique et le pouvoir politique, au sein d’une
Un chapitre de la charte, fut consacré à l’organisation et gouvernance locale, dans l’intérêt du territoire et de sa
à la place du Bien inscrit dans le système de gouvernance population.
du parc. Dans chacun des enjeux, des objectifs et des me- Ainsi, en recherchant le meilleur équilibre entre la
sures de la charte, ont été repérés ceux qui répondaient nécessaire préservation des espaces remarquables et
à la conservation et à la gestion du Bien. En annexe de le développement des activités humaines au sein du
la charte figure un tableau de correspondance entre les périmètre du parc national, tout en respectant la com-
actions validées pour la charte et par conséquent pour patibilité avec les orientations déterminées par le Sché-
la gestion du Bien. Conformément à la demande, la ma d’aménagement régional (SAR) approuvé en fin
Charte a été communiquée à l’UNESCO, qui n’a pas d’année 2011, la charte identifie quatre enjeux clés
fait d’observation. pour l’avenir des Hauts de La Réunion pour les dix
prochaines années:
Le suivi et la gestion du Bien inscrit au patrimoine • préserver la diversité des paysages et accompagner
mondial leurs évolutions,
Le Comité du Patrimoine mondial a recommandé : • que le futur plan de • inverser la tendance à la perte de biodiversité,
gestion traite intégralement toutes les conditions d’intégrité, de protection et • valoriser le patrimoine culturel des Hauts et assurer
de gestion pour garantir la conservation à long terme et le renforcement de la transmission de ses valeurs,
la valeur universelle exceptionnelle du Bien, • que la mise en œuvre réelle • impulser une dynamique de développement écono-
du Plan d’action pour le contrôle et l’éradication des espèces exotiques mique pour les Hauts.
envahissantes soit garantie, en veillant à ce qu’il soit pleinement intégré Appréhender simultanément ces quatre enjeux au
au plan de gestion du Bien, considérant la nature critique de cette menace sein d’une stratégie globale de protection et de déve-
pour la valeur universelle exceptionnelle, • que des ressources humaines et loppement, tel est le défi lancé aux multiples acteurs
financières suffisantes continuent d’être assurées pour la mise en œuvre efficace intervenant sur ce vaste espace. Comment faire pour
du plan de gestion du Bien ainsi que pour la mise en œuvre de mesures que chaque acteur devienne ambassadeur de la préser-
de contrôle et d’éradication des espèces exotiques envahissantes, • que vation de la biodiversité et des paysages d’exception,
les enseignements tirés des activités d’éradication et de gestion des espèces supports du développement durable ? Mais comment,
exotiques soient partagés avec d’autres États parties intéressés, et des Biens dans le même temps, accompagner positivement tous
du Patrimoine mondial et zones insulaires protégées qui sont confrontés aux les projets de développement portés par des popu-
mêmes menaces, • que, lorsque le plan de gestion sera terminé et entrera en lations ancrées depuis des générations sur ces terres
vigueur, une copie soit communiquée au Centre du Patrimoine mondial et à chargées d’histoire et de traditions ?
l’UICN, • que des rapports sur l’état de conservation du Bien soient soumis La protection et la préservation de la biodiversité et
régulièrement au Centre du Patrimoine mondial. Il résulte de cette décision des paysages nécessitent une réglementation spéci-
et de ses recommandations que la charte est le document qui vaudra, dès sa fique, plus particulièrement en cœur de parc (corres-
validation, plan de gestion pour le Bien dont le parc national est gestionnaire. pondant au Bien Patrimoine mondial). Celle-ci doit
Les enjeux, les objectifs, les mesures et les mesures réglementaires définis pour cependant tenir compte de la diversité des situations et
le cœur du parc concernent donc le Bien lui-même tandis que les enjeux, les des vocations plurielles de ces espaces habités, cultivés
orientations et les mesures définis pour l’aire d’adhésion concernent la zone ou naturels. Les possibilités de dérogations au régime
tampon du Bien ainsi que les 4 spots du Bien situés hors du cœur. Afin d’interdiction, développées dans les modalités d’ap-
d’assurer la bonne lisibilité de la concordance de la charte (enjeux, objectifs, plication de la réglementation en cœur de parc, at-
orientations, mesures et modalités réglementaire) avec le plan de gestion du testent de la volonté collective d’adapter, au plus près
Bien, une annexe spécifique est jointe à la charte. des réalités, les principes de la réglementation et d’en
Charte du Parc national de La Réunion, Parc national de concilier les objectifs généraux avec les aspirations du
La Réunion, 2014. territoire. La charte doit ainsi permettre, dans le res-
pect des patrimoines naturels, culturels et paysagers, le
développement de projets à caractère agricole, fores-
tier, touristique ou artisanal, et ce, dans un esprit de
partenariat et de responsabilité.

188 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Dans l’aire d’adhésion qui abrite les mêmes enjeux que La mise en œuvre de la charte n’est pas de la res-
le cœur de parc, la charte n’introduit pas de contrainte ponsabilité du seul établissement public et de son
nouvelle par rapport aux réglementations en vigueur. conseil d’administration ; elle est l’affaire de tous les
Ainsi, les plans locaux d’urbanisme (PLU) n’ont pas Réunionnais et de toutes les institutions ayant une
d’obligation de compatibilité avec la charte pour l’aire responsabilité sur l’aménagement du territoire et son
d’adhésion. Les travaux réalisés en aire d’adhésion ne développement : État, collectivités locales, organismes
sont pas soumis à avis, sauf s’ils sont susceptibles d’af-
socioprofessionnels, associations, établissements de
fecter le cœur de façon notable. recherche.
Dans l’aire d’adhésion, où vivent près de 200 000 ha- Tous doivent alors mettre en œuvre et faire vivre cette
bitants, l’action porte sur la pédagogie et la sensibilisa-
charte, véritable projet de société.
tion à l’environnement, notamment des jeunes, sur la La phase de libre adhésion des communes à la Charte
connaissance des patrimoines, ainsi que sur le conseil du parc national a été lancée par le Préfet le 20 mai
et l’accompagnement des maîtres d’ouvrage, au pre- 2014 ; au 31 décembre 2014, toutes les communes de
mier rang desquels les collectivités. l’île, à l’exception de Saint-Leu, avaient délibéré sur ce
dossier. Parmi elles, dix-sept communes (sur un total
Une gouvernance partagée, clé de la réussite de 24) ont manifesté leur choix volontaire d’adhérer
du plan de gestion à la Charte et ainsi d’établir un partenariat privilégié
avec l’établissement public en charge du parc national
L’État a confié à l’établissement public du parc na- de La Réunion.
tional de La Réunion la gestion du Bien « Pitons, Il faut signaler que les trois communes (Salazie, Cilaos
cirques et remparts ». La charte est considérée par les et Plaine des Palmistes) composantes de la zone tam-
instances nationales et internationales comme le plan pon du Bien font partie des communes ayant adhéré.
de gestion du Bien. Ce plan de gestion doit « traiter Afin de « faciliter la mise en œuvre des orientations
intégralement toutes les conditions d’intégrité, de pro- et des mesures de protection, de mise en valeur et de
tection et de gestion pour garantir la conservation à développement durable » que fixe la Charte, le Code
long terme et le renforcement de la valeur universelle de l’environnement prévoit que « des conventions
exceptionnelle du Bien ». d’application de la charte peuvent être signées entre

Périmètre définitif du parc national au sens de la charte. Parc national de La Réunion, 2015.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 189


l’établissement public du parc national et chaque La lutte contre les espèces
collectivité territoriale adhérente ». Ces conventions envahissantes et la conservation
d’application se veulent un outil de déclinaison terri- de la biodiversité
toriale et opérationnelle de la Charte, visant :
• à identifier les actions prioritaires concourant à la La mise en place de la Stratégie réunionnaise
mise en œuvre de la Charte sur le territoire de la de la Biodiversité (SRB) et de son programme
commune et à définir, pour chacune de ces actions, opérationnel de lutte contre les invasives
le niveau d’implication respectif de chacune des deux (POLI)
parties ;
• à définir les termes du partenariat entre la Commune La Charte (et par conséquent le plan de gestion du
et le Parc national, particulièrement autour de ces ac- Bien) aborde largement la menace constituée par les
tions et y compris en matière de communication ; espèces exotiques envahissantes végétales et animales
• à favoriser un dialogue régulier et suivi entre la Com- (ou espèces invasives). Le parc et le Bien Unesco sont
mune et le Parc national. au cœur de ces programmes.
Pour autant, les conventions d’application n’ont pas
vocation à régler finement les modalités techniques Inverser la tendance à la perte de la biodiversité
et financières du partenariat autour de chaque action L’insularité et l’évolution ont doté La Réunion d’une flore et d’une faune
identifiée. Autant que de besoin, ces actions pourront originales, constituant une grande variété d’écosystèmes et caractérisées par un
faire l’objet de conventions particulières entre la Com- très fort taux d’endémisme.
mune et le Parc national. Au cours des siècles, les activités humaines ont érodé ce capital dont il subsiste
Afin de disposer d’un cadre homogène à l’échelle du toutefois encore 30 % des surfaces originelles. Aujourd’hui, outre l’érosion
territoire, un modèle de convention a été proposé. Ce continue de la biodiversité terrestre comme aquatique due aux activités
modèle précise notamment : humaines, l’invasion des espèces exotiques menace la survie même de la flore et
• le territoire concerné par la convention : cœur de de la faune indigène et la pérennité des habitats. La Réunion a la responsabilité
parc et aire d’adhésion, mais certaines actions pour- vis-à-vis des générations futures et de la communauté internationale, de
ront être conduites sur l’ensemble du territoire com- préserver ce patrimoine dont elle est seule dépositaire. Pour chaque niveau de
munal (notamment les actions de sensibilisation et biodiversité (écosystème, espèce et variabilité génétique intra-spécifique), elle
d’éducation à l’environnement) ; devra donc compléter les connaissances par le biais d’inventaires, engager des
• la durée de la convention : 3 ans à compter de sa suivis, mais aussi conduire des actions de conservation voire de restauration
signature ; visant à rétablir les fonctionnalités écologiques dégradées et à enrayer la perte
• les engagements généraux de la Commune et du de biodiversité. Ces actions devront parfois être entreprises dans un cadre de
Parc national. coopération, notamment à l’échelle des Mascareignes.
Le modèle de convention prévoit en outre des annexes Charte du Parc national de La Réunion, Parc national de
destinées à présenter les actions prioritaires sur les- La Réunion, 2014.
quelles s’engagent la Commune et le Parc national.

Des moyens financiers


Le Parc national s’appuie sur le Secrétariat général des Hauts (SGH),
auquel il contribue par la mise à disposition de 2 agents. Cette structure
installée le 1er mars 2015 succède au Commissariat à l’aménagement des
Hauts. Le SGH est un outil commun à l’État, au Parc national, à la Région
et au Département pour la mise en œuvre d’une politique d’aménagement et
de développement des Hauts de La Réunion qui s’inscrira dans un cadre
stratégique partagé. Le financement des projets s’appuiera en particulier sur
les fonds européens des programmes FEDER, FEADER et LEADER
2014-2020. Ce cadre intègre pleinement les mesures de la Charte du parc
national et le plan de gestion du Bien Unesco. Plus de 110 M€ sont ainsi
prévus pour les Hauts de La Réunion sur cette période, ce qui fait de cette
Charte la mieux dotée des 10 parcs nationaux français.

190 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Espaces naturels à enjeux spécifiques. Charte du Parc national de La Réunion, 2014.
Lutter contre les espèces envahissantes animales et • la prévention de l’introduction de nouvelles espèces invasives,
végétales • la lutte active contre les espèces qui s’établissent (détection précoce et
Le diagnostic a mis en évidence la problématique des espèces envahissantes éradication rapide) et/ou qui se répandent (éradication, confinement et
animales et végétales, qui touchent tous les secteurs de l’île, que ce soit dans contrôle),
le cœur, dans l’aire d’adhésion ou dans les Bas. La déclaration de valeur • la sensibilisation, la communication, l’éducation et la formation,
universelle exceptionnelle souligne la menace qu’elles constituent pour • la gouvernance et l’animation.
l’intégrité du Bien, et demande explicitement à l’État partie de garantir la Il revient à chaque acteur, selon son niveau de compétence, de prendre les
mise en œuvre d’un plan d’actions pour leur contrôle et leur éradication. mesures nécessaires pour réduire la prolifération de ces espèces envahissantes,
Face à cette menace majeure, les partenaires institutionnels (État, Région, en cohérence avec ce cadre global et dans un principe de solidarité écologique.
Département, ONF et établissement public du parc national) ont établi une La mise en œuvre de cette stratégie est une priorité sur le territoire du parc
Stratégie de lutte contre les espèces invasives, qui propose un Programme national. Elle visera notamment les espaces de restauration identifiés.
opérationnel de lutte contre les invasives (POLI) reposant sur quatre axes :
Charte du Parc national de La Réunion, Parc national de
La Réunion, 2014.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 191


Pour illustrer les efforts réalisés, sont présentés succinc- concerné la période 2010-2013, un deuxième vient de
tement ci-dessous quelques exemples de programmes se terminer (2014-2017).
ou d’actions mis en œuvre d’une façon collégiale.
La Stratégie Réunionnaise pour la Biodiversité (SRB) 2013-2020, stratégie
Stratégie réunionnaise locale en faveur de la biodiversité, comprend 6 axes, déclinés en 12 objectifs
pour la biodiversité, 2013-2020. et 31 fiches action. Il s’agit d’un cadre commun d’intervention au sein duquel
Deal Réunion, Région Réunion,
Département de La Réunion. chaque fiche action possède une ou plusieurs structures qui la pilotent. L’enjeu
2014. majeur de la SRB 2013-2020 est la création d’une instance de gouvernance
politique forte afin d’assurer le portage politique à tous les niveaux des
actions programmées en faveur de la biodiversité. La SRB est composée de 3
documents :
– un document « chapeau » qui couvre l’ensemble des thématiques,
– la Stratégie de Conservation de la flore et des Habitats de La Réunion
(SCFHR) : pour les volets flore et habitats naturels terrestres,
– la Stratégie de lutte contre les espèces invasives, avec son Plan Opérationnel
de Lutte contre les Invasives (POLI) 2014- 2017, spécifiquement dédiés
aux espèces exotiques envahissantes (EEE).

Stratégie de conservation de Parmi les projets de restauration et les projets de lutte


la flore et des habitats, 2013-2020.
Deal Réunion, Région Réunion,
contre les Espèces Exotiques Envahissantes (EEE)
Département de La Réunion. ayant bénéficié d’un financement depuis 2010 peuvent
2014.
être cités :

Stratégie de lutte contre les espèces


invasives à La Réunion, 2014-2017.
Deal Réunion, Région Réunion,
Département de La Réunion, ONF.
2014.
Lutte biologique : chenilles de la « mouche bleue » (Cibdela janthina) mangeant
une feuille de Raisin marron (Rubus alceifolius). Photo J.-F. Bègue.
- dans le cadre des Plans Nationaux d’Actions (PNA)
/ Plans Directeurs de Conservation (PDC-Flore) :
Projet « Restauration d’Habitats Uniques au monde
(RHUM) dans le cœur du Parc national » (2012-2015),
le contenu de cette action a été repris maintenant sur
des fonds européens ;
- Projets LIFE+ COREXERUN (2010-2014) et
LIFE+ Foret-sèche (2015-2018) à la Grande Chaloupe
(voir ci-dessous) ;
Des programmes d’actions ont été engagés avec d’im- - Plan Régional d’Actions contre l’Herbe de la pampa
portants moyens, confortés par des crédits européens. (2013-2015) ;
Une Stratégie de Lutte contre les Espèces invasives - Plan Régional d’Actions contre les Phelsuma exo-
à La Réunion a ouvert une action concertée, le Pro- tiques (2013-2015) ;
gramme Opérationnel de Lutte contre les espèces - Projet LIFE+ Pétrel (2014-2018): lutte contre les
Invasives (POLI), sous la coordination de la DEAL chats et les rats et actions de lutte préalables au projet
Réunion et de la Région. Un premier programme a LIFE+ de 2010 à 2014 (voir ci-après) ;

192 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


- Programme de lutte biologique contre le Raisin mar- LIFE +
ron et suivi (2010-2015) ; - C’est un fonds de l’Union européenne pour le financement de sa politique
- Projet LIFE+ CAPDOM : lutte contre les rats à environnementale.
la Roche-Ecrite (2009-2013), complétée par la lutte - Les projets LIFE+ doivent contribuer à mettre en œuvre la politique et le
contre les rats à La Roche-Ecrite dans le cadre du droit de l’UE sur la nature et la biodiversité pour enrayer la diminution de la
PNA Tuit-Tuit (2014-2015), puis des crédits européens biodiversité à l’horizon 2020 et au-delà.
(voir ci-dessous). - Tous les projets doivent avoir un caractère de démonstration et/ou être
innovant.
Le GEIR (Groupe Espèces Invasives de La Réunion) Plusieurs programmes ont été mis en œuvre sur le territoire du Bien, ils visent
Un groupe de travail constitué d’un ensemble d’institutions, d’agences, notamment à :
d’associations, de professionnels et de personnes ressources travaillant sur – Conserver et restaurer la forêt « semi-sèche » (LIFE+ Corexerun
les espèces invasives qui menacent le patrimoine naturel de l’île, mais aussi et LIFE+ forêt sèche),
l’économie locale et la santé humaine a été mis en place. – Enrayer le déclin des pétrels endémiques de la Réunion, (LIFE+ pétrels),
Ce groupe, le GEIR, favorise la coordination des acteurs locaux, la – Sauver le Tuit-tuit de l’extinction (LIFE+ Cap Dom).
planification et la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre les espèces
invasives à La Réunion dans le cadre du POLI (Programme Opérationnel
des Lutte contre les Invasives).
Le travail qu’il mène est présenté sur le site internet : http://www.
especesinvasives.re/geir/

Des moyens nouveaux ont donc été trouvés et ont per-


mis la mise en place d’actions innovantes.
Seuls quelques exemples sont présentés ci-dessous.

La mise en œuvre de nouveaux moyens : les


programmes Life+

La mise en place du programme européen LIFE+ est


récente à La Réunion. LIFE est l’acronyme de L’Ins-
Première de couverture du document de synthèse du programme Life+
trument Financier pour l’Environnement. Corexerun. Parc national de La Réunion, équipe Life+ Corexerun. 2014.

Life+ Corexerun

Le projet Life+ Corexerun, a visé à la restauration


d’une partie de la forêt « sèche » dans le secteur de
la Grande-Chaloupe. Cet habitat a presque totale-
ment disparu de l’île, dont il couvrait de vastes zones
littorales, sur la côte sous-le-vent, avant l’arrivée de
l’homme. Les lambeaux de forêt semi-sèche sont
constitués d’îlots fragmentés, rarement supérieurs à un
hectare, où se concentrent 76 % des espèces protégées
Logo du Programme Life. Commission Européenne. de La Réunion. Leur état de conservation est consi-
déré comme critique, en raison de diverses menaces,
dont la pression d’espèces exotiques envahissantes.
Le site de la Grande-Chaloupe avait été choisi pour
mener un projet original, actuellement sans équivalent
dans le monde : restaurer 30 hectares de milieu naturel
en éradiquant les plantes exotiques qui l’ont envahi,
et reconstituer 9 hectares de forêt « sèche » là où elle
avait totalement disparu.
Life + Corexerun a bénéficié du soutien financier
de l’Union européenne, dans le cadre d’un projet

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 193


communautaire, visant à enrayer la diminution de la L’objectif de ce nouveau programme est de conserver
biodiversité. Le Conservatoire du Littoral, la DEAL, le la forêt « sèche » à La Réunion et rétablir les connec-
Conseil départemental et le Conseil régional y ont ap- tivités entre parcelles restaurées et les reliques, avec
porté également leur contribution, aux côtés du Parc pour but d’abaisser les coûts d’intervention en vue
national. de pérenniser la conservation de cet habitat tout en
Une équipe a été constituée, au sein de l’établisse- associant massivement la population réunionnaise à
ment, pour le piloter. La première étape a consisté, chaque étape du projet LIFE+ Forêt sèche.
à partir de 2009, à sélectionner 48 espèces végétales
endémiques caractéristiques de la forêt semi-sèche, à Life+ Forêt sèche
collecter leurs graines et à confier leur multiplication à
des pépiniéristes. Les travaux d’éradication des espèces
exotiques envahissantes, en premier lieu la Liane pa-
pillon, le Choca vert et le Faux poivrier, ont commencé
en décembre 2011.
Une première vague de plantation d’espèces indigènes,
portant sur 37 000 plants, a eu lieu pendant la saison
des pluies 2012, puis une deuxième vague pendant la
saison des pluies 2013 (60 000 plants supplémentaires).
De la collecte des graines jusqu’à la réintroduction
dans le milieu naturel, une traçabilité rigoureuse est Logo du programme Life+ Forêt sèche sur un support «bâche».
maintenue. Photo J.-F. Bénard.
Le projet Life + Corexerun a fait l’objet d’une vaste
mobilisation, au-delà des partenaires financiers. Des L’opération Life+ forêt sèche est dotée d’un budget de
associations, des entreprises privées, des municipalités, 2 852 000 euros (dont 50 % de l’Europe), il a une durée
des particuliers y ont apporté leur contribution. Le Ré- de six ans (octobre 2014 à septembre 2020), les parte-
giment du Service Militaire Adapté de La Réunion en naires engagés sont le Parc national de La Réunion en
a fait un terrain d’apprentissage pour ses recrues et les étroite collaboration avec le Conservatoire du littoral,
habitants de la Grande-Chaloupe se sont impliqués, la Direction de l’Environnement de l’Aménagement et
tout comme l’Université et plusieurs écoles. du Logement (DEAL, service déconcentré de l’Etat),
La poursuite de cette mobilisation est indispensable la Région Réunion et le Conseil départemental. Le
pour assurer le suivi des zones restaurées et reconsti- secteur d’intervention va de la Grande-Chaloupe au
tuées, alors que le projet Life + Corexerun a pris fin cirque de Mafate.
en 2014, une opération complémentaire, Life+ forêt
sèche a été négociée et mise en place à partir de 2015 Les principales actions consistent à récolter, stocker
et pour une durée de 5 ans (cf. ci-dessous). des semences et accompagner la mise en place d’ar-
Quinze à vingt années seront nécessaires pour que les boretums ; à travailler sur les espèces indigènes pré-
plantes mises en terre atteignent leur stade adulte et sentant un défaut de fructification ou de germination ;
que la forêt ait des chances de se régénérer seule. à développer un réseau de production pérenne en es-
pèces indigènes ; à recréer un continuum écologique
sur 45-50 hectares de forêt ; à intégrer la Tortue d’Al-
dabra/Malgache à la dynamique de la forêt sèche ; à
restaurer une population de Gecko vert de Bourbon ;
à former à la nécessité de préserver la forêt sèche.

Les résultats attendus sont 45-50 ha de forêts conser-


vés, 80 000 espèces indigènes plantées, l’amélioration
du statut de conservation d’une dizaine d’espèces vé-
gétales très menacées, la restauration du rôle fonction-
nel faune-flore.

Plantation d’espèces végétales indigènes et endémiques dans le cadre de LIFE+


Corexerun. Photo J.-F. Bénard.

194 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Le projet “un enfant, un arbre endémique réintroduit” afin d’unir leur force pour conserver le Pétrel noir et
se poursuit. le Pétrel de Barau : le projet LIFE+ Pétrels.
Les élèves des écoles élémentaires des Lilas et Gabriel L’objectif global de ce projet est d’empêcher l’extinc-
Macé (Saint-Denis), de Saint-Bernard (La Montagne), tion des deux pétrels endémiques en développant des
de Joliot Curie (La Possession) et du Lycée Jean Hin- outils démonstratifs et innovants afin de conserver ce
glot (Le Port) participent depuis le mois d’octobre 2016 patrimoine naturel et culturel.
au projet “1 enfant, 1 arbre endémique réintroduit”.
L’objectif de ce projet est de sensibiliser les élèves des
communes du projet aux enjeux d’un tel programme
de reboisement. Les différents ateliers mis en œuvre
en classe et sur le terrain leur permettront de com-
prendre pourquoi les milieux naturels de La Réunion
sont si fragiles et quels moyens sont mis en œuvre pour
les préserver. Le cas de la forêt sèche est un point de
départ pour l’apprentissage des notions globales de dé-
veloppement durable et de préservation du patrimoine
naturel.
Tout au long de l’année scolaire 2016-2017, les 200
« marmay » (enfants) de CE2, CM1 et de seconde ont Pétrel de Barau (Pterodroma baraui) en vol. Photo M. Riethmuller.
découvert la faune et la flore de la forêt sèche de La Le Pétrel de Barau est une espèce endémique menacée d’extinction. Cette
Réunion. Ils ont eu l’occasion de connaître les joies espèce est protégée à la Réunion depuis 1989, et sa population est estimée
du semis et du rempotage de «pié dbwa péi» ont été entre 6000 et 8000 couples. Les colonies de reproduction sont situées dans
fiers d’avoir participé au sauvetage de la forêt sèche des zones très difficiles d’accès, localisées dans les plus hauts remparts de l’île.
en plantant leur arbre péi là où elle existait autrefois. Cet oiseau marin est le seul au monde avec le Pétrel d’Hawaï à nicher à une
altitude aussi élevée (au-dessus de 2000 mètres).
Life+ Pétrels
Logo du programme
Life+ Pétrels.

La Réunion est l’une des rares îles tropicales au monde


à héberger deux espèces de pétrels endémiques. Mal-
heureusement, si rien n’est mis en place rapidement
pour conserver ce patrimoine naturel, ces deux es-
pèces risquent d’alourdir la triste liste des 23 espèces
éteintes d’oiseaux sur l’île. Cette perte de biodiversité
serait une catastrophe écologique locale, mais aussi
mondiale, car une fois disparue, il sera trop tard pour Pétrel noir de Bourbon (Pseudobulweria aterrima) en vol. Photo M. Riethmuller.
agir…
Depuis de nombreuses années, des actions pour la Le Pétrel noir de Bourbon est une espèce endémique de l’île de La Réunion,
protection de ces espèces ont été mises en place par sa population est estimée entre 10 et 50 couples. L’espèce figure depuis 1994
le Parc national de La Réunion, la Société d’Etudes sur la liste rouge UICN des espèces « en danger critique d’extinction » au
Ornithologiques de La Réunion, l’Office National de niveau mondial. Il n’existe que 4 espèces de ce genre Pseudobulweria sur la
la Chasse et de la Faune Sauvage, la Brigade de la planète, notre île accueille les derniers survivants de l’une de ces espèces. Il y
Nature de l’Océan Indien, ou encore l’Université de a un grand manque de connaissance de l’espèce, et elle a récemment été classée
La Réunion : lâcher de pétrels, Nuits Sans lumières, parmi les 15 espèces mondiales qui ont le plus de risques de disparaître dans
recherche des sites de nidification du Pétrel noir dans les prochaines années. Un site de reproduction a été trouvé tout récemment
les plus hauts remparts de l’île… (novembre 2016). L’espèce intègre les légendes et les contes traditionnels
Dans cette continuité, un nouveau projet européen (Timise, Gran Mer Kal…).
d’envergure d’un montant de 3,1 millions d’euros dé-
dié aux pétrels a démarré en 2015 pour une durée de
5 ans avec les principaux partenaires qui travaillent
depuis plus de 10 ans ensemble et qui se sont fédérés

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 195


Les dangers pour ces deux espèces sont notamment : Première mondiale sur l’île de La Réunion ! Après 130
– la prédation par les chats errants et les rats dans les ans de mystère, une colonie de reproduction de Pétrels
milieux naturels reculés, noirs de Bourbon a enfin été découverte
– les déchets qui favorisent la présence des prédateurs,
– la pollution lumineuse qui entraîne des erreurs d’in-
terprétation de la part des pétrels. Les pétrels (surtout
les jeunes lors de leur premier envol), pensent que les
lumières de nos villes sont le reflet des astres sur la mer.
Cette confusion entraîne de nombreux échouages et
une fois tombés au sol les pétrels ne peuvent pas re-
décoller seuls. Ils sont alors menacés par les chats, les
rats et les voitures. Pétrels noirs au nid. Photo Life+ Pétrels.
Les objectifs de ce programme sont : Le 15 novembre 2016, à 11h36, après plus de 15 années de recherches
• Lever les différentes contraintes limitant l’étude et menées par plusieurs ornithologues du monde entier, l’équipe réunionnaise
la conservation des pétrels : acquérir notamment des du projet LIFE+ Pétrels a découvert les premiers terriers de reproduction des
connaissances sur le Pétrel noir. Dans ce cadre une Pétrels noirs de Bourbon (Pseudobulweria aterrima), l’une des 15 espèces
« jumelle thermique » à infra-rouge est utilisée. Elle les plus rares et menacées au monde. Ce pétrel endémique de La Réunion
a permis de repérer pour la première fois un vol de étant classé sur la liste rouge de l’UICN en danger critique d’extinction, il
Pétrel noir. s’agit d’une découverte majeure pour l’île, mais également pour le patrimoine
• Mettre en place des actions de conservation dé- naturel mondial. Cette découverte va enfin permettre d’acquérir de nouvelles
monstratives : contrôle des prédateurs introduits (dé- connaissances sur le Pétrel noir et d’initier des mesures de protection adaptées
ratisation et « déchatisation »). En ce qui concerne le pour enrayer son extinction et éviter qu’il ne rejoigne la liste des espèces
contrôle des chats sauvages (un chat peut tuer jusqu’à disparues de l’océan Indien, à l’image du Dodo.
90 pétrels par an), depuis 2010 (un peu avant le début Avant cette découverte, seuls ses cris étonnants entendus dans les remparts
du programme LIFE+) et à la date de la rédaction de vertigineux de l’île et quelques rares jeunes oiseaux trouvés échoués sous les
ce texte : lampadaires des villes renseignaient les scientifiques sur la présence du Pétrel
– plus de 17 000 nuits-pièges ont été réalisées, noir de Bourbon sur l’île. Toutefois, sans colonie clairement identifiée, il était
– environ 300 cages « pièges » ont été déployées, jusqu’alors impossible de mettre en place des actions de conservation ciblées.
– environ 20 pièges photographiques sont déployés en Avec le projet LIFE+ Pétrels et le travail colossal de terrain accompli (plus
permanence sur les sites d’interventions, de 15 000 heures d’enregistrements acoustiques, des milliers d’heures passées
– plus de trois cents chats errants ont été capturés dans sur le terrain dans les zones les plus reculées de l’île de La Réunion), des
les milieux naturels reculés par les équipes de l’ONF, Pétrels noirs de Bourbon ont enfin été clairement identifiés dans des remparts
du LIFE+ Pétrels, du Parc national et de l’AVE2M situés sur la commune de Saint-Joseph.
(Association pour la Valorisation de l’Entre 2 Mondes), Comme l’espèce est strictement nocturne, des jumelles thermiques
– de nombreuses photos/vidéos de chats montrent (®SAFRAN), outil innovant, obtenu grâce au soutien du Parc national du
comment ils évitent les dispositifs de capture. Mercantour, ont été utilisées pour la première fois au monde pour des oiseaux
• Sensibiliser et échanger sur ces problématiques : par- marins et ont permis de localiser les premiers posés sur un site de reproduction.
tenariats et actions de sensibilisation. Dans ce cadre se Une prospection terrain encordée dans une zone reculée, effectuée dans la
mettent en place des missions d’échanges scientifiques, journée du 15 novembre 2016, a permis de documenter pour la première fois
de nouveaux partenariats, des événements grand pu- au monde une colonie de reproduction dont la dernière trace concrète datait de
blic et conférences de presse, des outils de communica- quelques spécimens prélevés en 1890.
tion (logo, site Internet, plaquette, film de lancement, La découverte de ces terriers actifs donne à l’île de La Réunion un réel espoir
page Facebook…), des articles et émissions (Radio, de pouvoir enfin sauver cette espèce emblématique au bord de l’extinction, dont
TV), des interventions auprès des scolaires et lors de les cris nocturnes alimentent les contes et légendes créoles de l’île depuis de
manifestations à destination du grand public. nombreuses années et font aussi partie intégrante de son patrimoine culturel.

Life+ Cap Dom


Les actions pour éviter que le Tuit-tuit (Echenilleur de
La Réunion), espèce endémique de l’île de La Réunion
ne disparaisse sont conduites depuis le début des an-
nées 2000. Si les actions de conservation, notamment
le contrôle des rats, sont effectuées sur la Roche Ecrite
depuis les années 2000, elles ont beaucoup augmenté
ces dernières années.
196 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Logo du programme
Life+ Cap Dom.

L’année 2015 a marqué la dernière des 5 années de


financement du Life+ CAPDOM qui a permis d’op-
timiser les actions de contrôle des rats grâce au travail
collaboratif des équipes de la SEOR, des agents de
l’ONF et du Parc national. La participation de l’ONF
avec le soutien financier du Conseil départemental a
été essentielle. Un programme FEDER a pris la suite
de cette opération. Celui-ci sera consolidé, dès 2017,
par un nouveau programme LIFE+ ouvert à tout
l’Outre-Mer français, il s’agit du LIFE+ Biodiv / OM.

Poster sur la protection du Papangue (Busard de Maillard, Circus maillardi).


Outil créé dans le cadre Life + Cap Dom. SEOR.

sard de Maillard), seul rapace nicheur de l’île, oiseau


endémique de La Réunion,
– à la mise en place d’un protocole de suivi des oi-
Tuit-tuit ou Echenilleur de La Réunion (Coracina newtoni). Photo J. Louise.
seaux communs (STOC, Suivi Temporel des Oiseaux
Communs).
Parmi les nombreuses actions de sensibilisation et de pédagogie portant sur
l’impact des rats et la préservation de cette espèce, citons le très beau projet Programme RHUM
pédagogique dans le cadre du Life+ CAPDOM, en collaboration avec la
SEOR et un photographe, Yabalex : « Clic et déclic », qui a abouti à une La destruction et la fragmentation des habitats natu-
fresque murale dans le Collège de Mille Roches, à Saint-André. rels, couplées à l’envahissement par les espèces exo-
Les résultats très positifs pour l’avenir de cette espèce ont été présentés, en tiques envahissantes, ont abouti à l’extinction de cer-
juillet 2015, lors du séminaire final à Paris. Ce bilan est également valorisé taines plantes et au classement de nombreuses autres
sur le site internet http://www.lifecapdom.org/ ainsi que dans les différents parmi les espèces menacées.
documents de bilan de fin de ce programme piloté par la Ligue pour la Ainsi et afin de limiter la perte de diversité, le Parc na-
Protection des Oiseaux (LPO). tional, le CBNM et l’ONF ont mis en place des actions
Ainsi, plus de 700 ha de forêt font l’objet d’une dératisation annuelle de renforcement de population d’espèces menacées sur
maintenant les populations de rats à de très faibles abondances. Cet important sites.
programme Life+ CAPDOM a ainsi permis de faire passer le nombre de
couples de cette espèce de 27 à 40 couples en 5 ans. Et, ce sont plus de 90 Il a été réalisé un projet intitulé : « Restauration d’Habitats Uniques au
poussins de Tuit-tuit qui se sont envolés, sur la durée du projet, grâce aux Monde dans le cœur du Parc national (RHUM) ». Ce projet (2012-2015)
actions engagées par les trois partenaires. La zone de nidification du Tuit-tuit a pu être financé dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie Nationale
a été agrandie, des couples sont allés nicher sur un territoire voisin. pour la Biodiversité « Restauration de milieux remarquables ou sensibles,
restauration d’habitats d’espèces protégées en outre-mer ». Il a permis de
Il est à noter que le programme LIFE+ Cap Dom a renforcer les populations de 13 espèces menacées protégées dans leur habitat
également travaillé : naturel, au niveau de 13 sites différents. Afin, d’une part, de limiter le risque
– à la mise en place d’actions préventives pour limiter, de pollution génétique, les plantations ont été réalisées en tenant compte des
voire enrayer, les causes de mortalité du Papangue (Bu- lieux de récoltes les plus proches possibles des sites de plantation. D’autre

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 197


une inscription sur la Liste du patrimoine mondial en
part, afin de s’assurer du maintien dans le temps des renforcements réalisés,
péril, voire pire. Le principe général pour l’UICN et
les sites de plantation ont été identifiés en tenant compte des sites de gestion
permanent. l’Unesco est de faire tout ce qui est possible pour éviter
de perdre ce qui a été reconnu comme exceptionnel à
Afin de poursuivre de manière concrète le renforcement de plantation d’espèces
l’échelle universelle. Il s’agissait donc de comprendre
les plus menacées, un projet complémentaire va bientôt démarrer. Ce projet
et de prendre les mesures adéquates pour éviter le re-
intitulé « Étude et Sauvegarde des Plantes En danger Critique d’Extinction »
tour d’autres incendies dévastateurs. La recommanda-
(ESPECE) a pour objectif d’intervenir à l’échelle de l’île, en fonction de
tion était donc une réflexion conjointe des institutions
l’urgence des plantes et non pas des limites territoriales.
et un choix de mesures aptes à répondre à la menace
Les réponses aux incendies mais sans se précipiter dans des solutions pouvant ou-
de 2010 et 2011 vrir d’autres menaces (un réseau de pare-feux et de
chemin d’accès peut aussi faciliter l’avancée des es-
Les grands incendies d’octobre 2010 et 2011 surve- pèces exotiques envahissantes ou la pénétration des
nus sur le massif des Hauts-sous-le-Vent ont dévasté braconniers).
des surfaces considérables du patrimoine naturel ré-
unionnais, classé en grande partie dans le cœur du Le programme du patrimoine mondial de l’UICN souhaite faire part à la
Parc national de La Réunion et inscrit sur la liste du population et aux autorités réunionnaises ainsi qu’aux autorités françaises de
patrimoine mondial de l’UNESCO (2 800 ha brû- toute la sympathie et de tout son soutien dans la difficile épreuve qui touche le
lés en 2011 et 780 ha en 2010). En 2011 comme en territoire de La Réunion à la suite de l’incendie de ces derniers jours. L’UICN
2010, l’habitat le plus touché est la végétation éricoïde se tient à la disposition du Parc national de la Réunion, et des autorités
d’altitude dans l’étage altimontain (entre 1 800 m et locales et nationales pour toute assistance technique qui serait souhaitée.
3 000 m d’altitude), un habitat constitué à 90 % d’es- Nous souhaiterions pouvoir être tenus informés des suites qui seront données à
pèces strictement endémiques de l’île de La Réunion. cette catastrophe naturelle compte tenu de l’engagement de notre organisation
À plus basse altitude, les forêts mélangées à Tamarins au regard du classement du site au patrimoine mondial de l’UNESCO.
des Hauts sont également touchées. Compte tenu de la complexité des actions et de leurs conséquences potentielles
Le Parc national de La Réunion et le Bien inscrit ayant sur les valeurs du site, il semble que les mesures post-incendie, à court ou
subi ces dommages, certains dans l’île redoutaient déjà moyen terme, devraient faire l’objet d’une réflexion avec les divers acteurs
impliqués, et s’ouvrant sur un ensemble d’actions concertées. Nous nous tenons

Largage d’eau sur un incendie. Photo J.-F. Bénard.

198 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


à votre disposition pour toute participation à la réflexion sur la stratégie Face à ce constat, il y a eu également un renfort de la
d’intervention permettant d’assurer le maintien et/ou le retour des valeurs prévention par des actions de surveillance, de sensibi-
paysagères et biologiques du paysage des « Pitons, cirques et remparts de l’île lisation et de dissuasion.
de La Réunion ».
Lettre au Parc national, au ministère de l’Ecologie et à A ce titre, le bilan positif tiré des « patrouilles écogardes » mises en place en
l’Unesco, UICN, 4 novembre 2011. 2012 a confirmé l’intérêt de pérenniser un dispositif de présence renforcée sur
le terrain en période de risque élevé, dans un cadre partenarial.
L’Unesco souligna l’importance de la coopération des Il est par ailleurs essentiel de construire une stratégie territoriale en matière de
institutions, de l’apport d’experts internationaux, de la défense contre les incendies tenant compte :
présence de moyens aériens dans l’île et recommanda • du relief particulièrement accidenté du cœur de parc et de la difficulté, voire
de ne pas ouvrir de nouvelles pistes. de l’impossibilité d’accès à certaines zones par voie terrestre,
Un avion bombardier d’eau a été positionné à La Ré- • des enjeux spécifiques identifiés sur le territoire, de la résilience et de la rareté
union pendant la période des feux, des experts sont plus ou moins grandes des milieux naturels,
venus sur site, un séminaire a eu lieu en 2014 sur le • du fort impact potentiel des aménagements terrestres de défense des forêts
retour d’expérience et les préconisations. contre les incendies (DFCI), notamment les pistes, sur le paysage mais aussi
sur les habitats naturels à haute valeur patrimoniale (érosion, fragmentation,
4. Demande également à l’État partie de : pénétration des espèces exotiques),
…élaborer une stratégie de prévention, de surveillance et d’intervention rapide • des moyens de lutte alternatifs ayant un impact moindre sont encouragés :
contre les incendies en veillant à éviter les impacts des moyens mis en œuvre lutte aérienne (avions ou hélicoptères bombardiers d’eau) mais aussi
sur les valeurs du bien, particulièrement de ne pas ouvrir de nouvelles pistes intervention au sol par des moyens et personnels héliportés couplés à des
et de privilégier la mise à disposition de moyens aériens de lutte contre les retenues d’eau judicieusement positionnées sur le territoire.
incendies pendant la période sèche,
…assurer une coordination étroite entre les différents acteurs sur les actions à
mettre en œuvre pour la gestion du feu, en veillant à impliquer la population Le partage et l’amélioration de la
dans la surveillance des incendies ; connaissance
5. Recommande à l’État partie de solliciter l’expertise de l’UICN en matière
de gestion post-incendie et de contrôle des espèces exotiques invasives. L’enrichissement de la connaissance
Evaluation du rapport sur l’état de conservation du
Bien, Unesco, juin 2013. Les Universités, notamment celle de La Réunion, et la
Recherche ont contribué à compléter la connaissance
Face à l’urgence d’enrayer la progression des inva- des Hauts de l’île. Le Parc national, gestionnaire du
sives favorisée par l’ouverture des milieux incendiés, Bien, n’a pas de mission propre de recherche scienti-
des actions concrètes de lutte ont été initiées sur le fique, mais il commande et/ou contribue à des études
terrain par les équipes de l’ONF depuis 2011 et sont sur des sujets permettant d’enrichir la connaissance
encore en cours, notamment autour de la lutte contre sur son territoire.
les deux pestes les plus virulentes sur le site : l’Ajonc De nombreuses études ont ainsi pu être menées, per-
d’Europe (Ulex europaeus) et le Mimosa (Acacia mearn- mettant d’accroître la connaissance sur le patrimoine
sii). Des priorités d’intervention contre ces pestes ont naturel et culturel de l’île, sur le fonctionnement so-
été hiérarchisées et décidées, notamment autour des cial et l’attente sociétale. En retour, de nombreux
stations d’espèces rares et habitats prioritaires. Hélas, chercheurs ont transmis au Parc les résultats de leurs
ces espèces ne cessent de gagner du terrain en zone études. Diverses équipes scientifiques ont bénéficié
incendiée de manière préoccupante. d’accompagnement sur le terrain par des agents pour
mener leurs recherches, sur des sujets variés : inven-
La recrudescence des épisodes d’incendies suivis de l’invasion par des espèces taires de bryophytes, lichens, orthoptères et némato-
exotiques pyrophiles oblige à la fois à une approche locale avec des études des, suivi des colonies de Pétrel de Barau (laboratoire
permettant de préciser l’impact du feu sur les habitats et espèces mais aussi à d’écologie marine de l’Université, SEOR, Brigade de
une approche plus globale de manière à comprendre les processus de résilience la Nature de l’Océan Indien), inventaire d’araignées
des espèces et des habitats et dégager une stratégie pour les actions de suivi et (Université de Toulouse), recherche de terriers de pé-
de restauration à entreprendre. Dans cet optique, un certain nombre d’études trels noirs (Ecomar), recherche d’essaims d’abeilles
ont pu être menées depuis début 2012, notamment dans le cadre du plan sauvages (CIRAD), connaissance et préservation
d’actions post-incendies de forêt (PAPIF), élaboré dès novembre 2011 des milieux aquatiques d’eau douce (ARDA), travail
et grâce à des financements exceptionnels émanant de l’Europe, de l’État sociologique, recueil de mémoires…
français et de l’Agence Française pour la Biodiversité (AFB). Seuls quelques exemples sont présentés ci-après :

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 199


Le cas de la paléoforêt de la Rivière des Galets : une L’opération de décembre 2013, menée avec le concours de la Direction des
ancienne forêt primaire des Bas en milieu semi-sec. Affaires Culturelles de l’Océan Indien, du Muséum de La Réunion et du
Présentation générale Parc national de La Réunion, consistait à prélever des échantillons de bois
La paléoforêt de la Rivière des Galets est située dans le lit de ce cours d’eau, sur une partie des spécimens, en fonction de leur état de conservation, de leur
un kilomètre en amont des Deux Bras. Il s’agit d’un ensemble remarquable de accessibilité et de la volonté de laisser certains d’entre eux en place pour les
troncs d’arbres morts, conservés à l’état de bois organique, dans une terrasse missions de médiation sur le site. 17 arbres ont ainsi été échantillonnés.
formée par une coulée de boue. Le site a été remis au jour par une crue L’étude géologique indique que cette forêt poussa autrefois sur les berges de la
exceptionnelle. En 2012, une opération de prélèvement est décidée afin de Rivière des Galets, sur une première coulée boueuse, puis fut ensuite recouverte
conserver, d’étudier et de valoriser ce patrimoine remarquable, impossible à par une seconde coulée de boue, qui a pris naissance en amont du site. Les
sauvegarder in situ et risquant de disparaître lors de nouvelles crues. arbres morts se sont conservés à l’état organique, à l’intérieur de cette gangue
Description détritique. Cette dernière a été érodée par la crue cyclonique. Le sédiment a été
Les arbres de la paléoforêt se retrouvent sur plusieurs centaines de mètres le emporté laissant en place les troncs et souches d’arbres enracinés, et le niveau
long du cours d’eau, principalement sur sa rive gauche. 50 individus ont été de la Rivière des Galets est redescendu au niveau où se trouvait la paléoforêt.
repérés en juillet 2013, numérotés, cartographiés et mesurés, en hauteur et en Certains de ces arbres ont été datés au Centre de datation par le radiocarbone
circonférence. La plupart sont encore enracinés sur le sol exondé, d’autres sont (CDRC) de Lyon, apportant un intérêt majeur pour la science sur l’île de La
semi-immergés, certains sont hors sol. Le site présente deux arbres conservés Réunion. Les dates obtenues remontent en effet à près de 1500 ans avant le
sur une hauteur de plusieurs mètres. L’arbre n°1 se détache nettement dans le présent. Les datations absolues font donc remonter ce cortège végétal, entre le
paysage et a ainsi permis la détection du site. L’arbre n°43 a apporté la clé 2e et le 6e siècle après J.-C., soit au moins 1000 ans avant l’arrivée de l’être
de compréhension du site. Il apparaît en effet pris dans la coupe de la coulée humain à La Réunion, à partir du 16e siècle, en tout cas en l’état actuel des
de boue qui a recouvert la paléoforêt. Sa circonférence est pour moitié dégagée connaissances.
par l’érosion, mais pour l’autre moitié encastrée dans ce qui forme aujourd’hui L’étude xylologique a débutée. Pour l’instant une hypothèse peut être avancée
une terrasse. Son observation a immédiatement permis aux spécialistes de pour l’arbre n°1, qui pourrait être un Foetidia mauritania, arbre endémique
déduire que ces troncs ne représentaient pas un ensemble d’arbres morts des Mascareignes, assez rare aujourd’hui, mais qui devait être assez commun
récemment pour une raison indéterminée, dans le fond de la rivière, mais bien dans la forêt primaire ayant précédé l’arrivée de l’Homme. Par son diamètre,
un site ancien, longtemps enfoui, et dégagé par un événement contemporain. cet arbre structurant devait, avec d’autres espèces, en constituer la canopée.
La paléoforêt de la Rivière des Galets constitue donc un vestige unique de la
grande forêt primaire des Bas de l’île, dont il ne reste dans l’environnement
actuel que des reliques, notamment dans les régions du nord et de l’ouest où a
commencé l’occupation humaine et le défrichement des forêts. Comme l’avait
esquissé la découverte dans le marais de l’Ermitage de graines et d’ossements
d’espèces animales éteintes, tortues, oiseaux, l’étude de la paléoforêt de la
Rivière des Galets laisse aujourd’hui espérer reconstituer une parcelle d’un
paysage végétal disparu, qui nous est ainsi rendu.

Petit Tamarin des Hauts, « arbre fontaine », “Rôle


et fonctionnement des sophoraies du Piton de la
Fournaise”, Thèse de Laurent JAUZE, soutenue en 2011.
La Réunion est une île océanique et tropicale identifiée comme un point
chaud de la biodiversité. L’étage subalpin est dominé par des éricacées et par
des groupements à Sophora denudata (Petit Tamarin des Hauts) nommés
Sophoraies. Ces formations végétales originales, encore bien représentées sur
le massif volcanique du Piton de La Fournaise, ont subi de nombreuses
dégradations par le passé et sont aujourd’hui fortement menacées. Cette étude
montre que les Sophoraies ont pourtant un rôle hydrologique et écologique
particulièrement important. En effet, l’espèce endémique Sophora denudata
est considérée comme un « buisson fontaine » et participe au bilan hydrique
de la forêt de nuages subalpine en captant les gouttelettes de brouillard. Cette
faculté assure une ressource en eau additionnelle pour l’écosystème notamment
durant la saison sèche. Les Sophoraies fédèrent en outre la présence de
nombreux insectes, tels que le papillon endémique Cydia undosa, ou encore
celle de deux passereaux endémiques Zosterops borbonicus (Oiseau blanc) et
Z. olivaceus (Oiseau vert) considérés comme les principaux pollinisateurs des
Paléoforêt de la Rivière des Galets : tronc encastré dans une coulée de boue.
fleurs de S. denudata. Cette étude révèle également que les Sophoraies sont en
Photo J.-F. Bénard.

200 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


compréhension sur la diversification au sein des espèces.
Le lézard vert des hauts subdivisé en plusieurs lignées distinctes
Une étude génétique de populations de « lézard vert des Hauts » (Phelsuma
borbonica) a été réalisée récemment par l’Université de Toulouse. Compte-
tenu des résultats obtenus, il est clair que Phelsuma borbonica peut être
considéré a minima comme une super-espèce (superspecies) qui comprend
deux semi-espèces (semispecies), voire des sous-espèces (subspecies), définie
ici par des lignées mitochondriales uniques et originales.

Fleurs et fruits du Petit Tamarin des Hauts (Sophora denudata),


présence de poils sur les feuilles. Oiseau blanc (Zosterops borbonicus) sur les fleurs.
Photo J.-F. Bénard.
cours de colonisation d’une partie de l’étage subalpin de La Fournaise. La
succession dynamique des plantes est garantie en premier lieu par l’arbuste
Stoebe passerinoides (Branle blanc), qui procure une zone favorable à la
germination et au développement de S. denudata, et en second lieu par la
capacité de S. denudata à intercepter le brouillard. Les rôles hydrologique et
écologique des Sophoraies mis en avant ici sont désormais à intégrer dans tous
plans de développement durable des hautes terres du Volcan.

Lézard vert des Hauts (Phelsuma borbonica) sur Bois de piment.


Des études génétiques nouvelles, notamment Photo.J.-F. Bègue.
sur l’oiseau blanc et le lézard vert
L’oiseau blanc Les araignées, un nombre d’espèces importantes
L’oiseau blanc (Zosterops borbonicus), selon sa situation géographique à La par rapport à la taille de l’île
Réunion, a la particularité d’être de couleurs légèrement différentes (existence
de plusieurs morphes). Une récente étude génétique a permis de comprendre
les mécanismes responsables de ce polymorphisme de couleur (« contrôlé par
un seul locus sur le chromosome 1 »). Cette étude amène des éléments de

Araignée Lycosa vulcani, endémique de La Réunion, secteur du Volcan.


Oiseau blanc (Zosterops borbonicus) sur Dombeya elegans. Photo J.-F. Bègue. Photo J.-F. Bègue.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 201


Il est à noter que les araignées ont une grande capacité de dispersion due – l’identification de cinq statuts publics a été attribuée à l’ajonc depuis son
notamment au fait qu’elles se laissent emporter, sur de grandes distances, introduction. Le premier est celui de « plante utile ». Le second est celui de
par le vent (aidées pour cela par un fil de soie qu’elles ont tissé et qui sert « plante patriotique » : dans les discours regroupés sous ce statut, l’ajonc est
de « parapente »). Elles se sont donc installées partout et même dans les îles apprécié parce qu’il tend à rappeler la terre natale des colons et des expatriés
océaniques isolées. Une thèse intitulée « Hasard, déterminisme et édification de France. Le troisième est nommé « plante paysagère » : dans les discours
des communautés écologiques insulaires : le cas des araignées d’Hawaï et regroupés sous ce statut, l’ajonc est décrit comme intégré dans la végétation et
des îles de l’océan Indien » a été présentée et soutenue en 2012 par Julianne les paysages de l’île et est de plus tout particulièrement aimé pour la couleur
Casquet de l’Université de Toulouse. et l’odeur de ses fleurs. Le quatrième est celui de « plante nuisible » : dans le
Ce document permet à la fois d’appréhender l’arrivée des araignées dans cadre de ce statut public, l’ajonc est accusé de limiter la production agricole
des archipels isolés et de faire un point sur l’arachnofaune de La Réunion et de coûter très cher en termes de lutte chimique et mécanique. Enfin, le
(bilan des connaissances et perspectives). Une convention partenariale a été cinquième est celui de « plante invasive » : l’ajonc est alors accusé d’augmenter
passée entre le Parc national de La Réunion et l’Université Paul Sabatier de le risque incendie et de remplacer la végétation indigène par son expansion et
Toulouse via son laboratoire « Évolution et Diversité Biologique ». sa densification ; le coût de la lutte est également très élevé,
Selon l’état des connaissances, lors de la rédaction de cette thèse, l’arachnofaune – l’ajonc pourrait peut-être devenir la ressource fourragère ou énergétique qu’il
de la Réunion comporte entre 141 et 166 espèces (la quasi-totalité indigènes était censé représenter à son arrivée sur l’île et peut être plus encore.
et dont une dizaine d’endémiques strictes). Ces espèces sont réparties en 32
familles. Cette richesse en familles et en espèces semble relativement faible MOVECLIM : Les bryophytes et les fougères pour
lorsqu’on la compare avec celle observée à l’échelle de la planète : il y a plus de mesurer le changement climatique
42 000 espèces d’araignées dans le monde, réparties à travers 110 familles.
Par contre, la richesse spécifique de la Réunion par unité de surface est 5
fois supérieure à celle de l’archipel d’Hawai’i et près de 200 fois supérieure
à celle de la planète dans son ensemble. L’arachnofaune de La Réunion est
donc, comparativement à la surface de l’île, particulièrement riche en espèces.

Le « genêt » ou Ajonc d’Europe, une espèce qui s’est


trop bien acclimatée

Bryophytes. Photo J. Louise.


Le MOVECLIM (MOntane VEgetation as listening posts for CLIMate
change — La végétation de montagne comme sentinelle du changement
climatique) s’est intéressé à utiliser les bryophytes (hépatiques, mousses…)
et fougères comme indicateurs du changement climatique. Ces groupes de
plantes, anciens et diversifiés, représentent une composante importante dans
les écosystèmes tropicaux, notamment dans les forêts de nuage, et pourtant
restent parmi les plantes les moins connues et étudiées (cas des bryophytes).
Ajonc d’Europe (Ulex europaeus). Photo J.-F. Bénard. Ces recherches ont eu pour but :
Dans la thèse de Nathalie Udo « Quels sont les facteurs naturels et humains – d’explorer la diversité bryologique le long de gradients altitudinaux, de la
conduisant au statut public d’espèce invasive ? », le cas de l’ajonc d’Europe basse altitude au sommet des montagnes, du gène à la communauté,
(Ulex europaeus) sur l’île de La Réunion a été étudié. Celui-ci a été comparé – de lier ces patrons de diversité et de distribution aux traits de vie et de
à son comportement dans son pays d’origine et dans diverses parties du monde fonction des espèces,
où il a été introduit. Quelques conclusions : – de comparer ces patrons entre îles, îles/continents,
– Cette étude révèle qu’il y a à La Réunion près de 14 fois plus de graines – modéliser la réponse des espèces aux changements climatiques.
dans le sol qu’en France. On atteint ainsi en moyenne 17 000 graines par m² Une attention particulière a été portée sur les forêts de montagne, où la
contrairement à 1250 dans la zone d’origine, diversité en bryophytes est maximale. Le rôle des bryophytes pour les services
-les capacités d’expansion géographique de l’ajonc à La Réunion sont le fruit écosystémiques a été particulièrement examiné, notamment dans le cycle de
d’une combinaison de préadaptations (germination importante des graines, l’eau et des éléments.
large gamme de tolérance de température, résistance des graines, etc.) et Cette recherche s’est basée sur un réseau d’acteur dans la zone océan Indien
d’adaptations post-introduction (germination plus rapide, réduction de la (Afrique du Sud, Comores, Kenya, Madagascar, Maurice, Réunion,
dormance tégumentaire, banque de graines dans le sol plus importante), Seychelles).

202 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les résultats de ce travail, coordonné par l’Université de La Réunion, a été avéré que les discours des scientifiques sur les invasives ne rejoignent que
présenté au Parlement européen en avril 2016. partiellement les perceptions des enquêtés sur les mêmes espèces invasives.

Le suivi dans le temps des espèces végétales exotiques Les volcans actifs du sud-ouest
invasives. de l’océan Indien
Un spécialiste sud-africain, Ian Macdonald, invité par le Conseil Régional Première de couverture du nouveau livre
sur les volcans actifs du sud-ouest
et l’ONF à se joindre à un groupe de jeunes écologistes des îles Mascareignes,
de l’océan Indien. 2016.
a débuté sa recherche sur les espèces végétales exotiques invasives de La
Réunion en février 1989. En une semaine, ces écologistes avaient mené
dans les forêts de La Réunion une série d’études par transect sur les espèces
végétales exotiques invasives. Ce travail de terrain intensif avait permis la
mise en place du premier plan de gestion, ainsi que la première évaluation
quantitative du problème.
En novembre 2010, 21 ans après, les mêmes transects ont été réexaminés.
Ce qui a permis de mesurer l’évolution de l’installation de ces invasives et
l’arrivée éventuelle de nouvelles espèces. Un autre suivi a eu lieu en 2013. Un livre de référence sur les volcans est paru en 2016. Il est édité dans la
Parmi les conclusions on peut souligner : collection « Active Volcanoes of the World » et intitulé « Active Volcanoes of
– Les conséquences de l’invasion continue des forêts de La Réunion par le the southwest Indian Ocean, Piton de la Fournaise et Karthala ».
« goyavier » (Psidium cattleianum) sont graves. Cette espèce est l’envahisseur Ce document, rédigé en anglais, a été réalisé notamment par Patrick Bachèlery,
principal aussi bien des pandanaies que de la communauté de forêt de Jean-François Lénat, Andrea Di Muro et Laurent Michon.
moyenne altitude.
– La perte (suite à des coulées de lave) de la succession naturelle du Des contacts permanents avec les milieux naturalistes
« laboratoire en plein air » d’importance nationale qu’offraient les coulées de et universitaires de l’île donnent également lieu à des
lave du Grand Brûlé est désastreuse. actions communes.
– Il est essentiel de trouver des méthodes de contrôle efficaces pour l’espèce Au-delà de ce travail de collaboration scientifique, le
Hedychium (« longose »). Parc national forme ses équipes à la réalisation d’in-
– Il faut empêcher toute nouvelle introduction malencontreuse d’oiseaux ventaires. Les agents poursuivent efficacement leurs
et de mammifères pouvant agir comme agents de dispersion/perturbateurs missions de relevés de terrain sous protocoles. Ils ont
d’écosystème, qui favoriseraient des invasions par les plantes exotiques. référencé de nombreuses données ponctuelles, li-
S’ils ne prennent aucune mesure pour empêcher l’introduction de nouvelles néaires ou surfaciques.
espèces de plantes exotiques, la bataille que les Réunionnais livreront contre
les invasions de ces plantes est perdue d’avance. En 2013, lors d’un tour
de l’île en voiture, plusieurs « nouvelles » espèces végétales exotiques qui Le partage de la connaissance :
commençaient à s’implanter ont été observées. séminaires, colloques, ateliers et
– Dans la majeure partie de l’île, on voit des signes évidents que la guerre autres moments d’échanges
contre les espèces végétales exotiques a commencé. Cependant, le succès obtenu
à ce jour est lacunaire. En particulier, les opérations de défrichage des bords
des routes semblent être une perte complète de temps et d’argent puisque les Tous les séminaires, colloques, symposiums concer-
mêmes espèces végétales exotiques envahissantes qui sont éradiquées le long nant le partage d’informations et la protection des va-
des routes sont ignorées 5 mètres plus loin. leurs des Hauts de La Réunion et du Bien inscrit au
Patrimoine mondial ne sont pas décrits ci-après, loin
– Une approche stratégique saine et plus coordonnée sera nécessaire à l’avenir
pour traiter le problème. s’en faut …
– Un besoin de prioriser davantage le contrôle de l’Acacia mearnsii. L’auteurSeuls quelques exemples sont cités. Ils ont en com-
conseille instamment au Parc National de donner la priorité à la lutte mun de s’être déroulés à La Réunion, après la date
de l’inscription et d’avoir réunis des instances variées,
biologique contre la production de graines de cette espèce très invasive. Cette
espèce est susceptible d’envahir de grandes zones sur les flancs des cirques quelquefois situées hors de l’île.
volcaniques, où elle serait pratiquement impossible à éradiquer. Dans ces rencontres, il est à souligner la présence d’ins-
titutions et/ou de personnalités de territoires voisins
Une étude sur la perception des espèces exotiques envahissantes à La ou lointains, partageant des problématiques similaires
Réunion, a été menée par l’Université (M. Thiann-Bo et P. Duret). Cette à celles de La Réunion.
étude a eu pour objectif de mesurer les écarts de représentations entre les La mise en réseau des connaissances et des pratiques
différentes catégories d’acteurs (activités, lieux de résidence…). Des tests a été vraisemblablement augmentée.
de reconnaissance d’espèces figurant sur des « planches » ont eu lieu. Il est

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 203


Parmi ceux qui concernent le thème de la biodiversité – Les rencontres de l’Éducation à l’Environnement et
peuvent être rappelés : au Développement Durable « Pou mazine nout do-
– le Colloque sur la conservation de la flore menacée min », organisées en juin 2016 par le CCEE en par-
des collectivités de l’outre-mer français et des îles de tenariat, avec la mairie de Salazie, le Parc national de
l’ouest de l’océan Indien, organisé en décembre 2010 La Réunion et GRANDDIR.
par le Conservatoire Botanique National de Mascarin Affiche des Rencontres de
l’Éducation à l’Environne-
(CBNM), ment et au Développement
– le Congrès international sur la Conservation des Or- durable.
Salazie, juin 2016.
chidées sauvages (First International Orchid Conser-
vation Congress — IOCC5), organisé en 2013 par
l’Université de La Réunion, le CIRAD, IUCN, Parc
national de La Réunion, … D’autres rencontres se sont axées sur la gestion des
– l’Atelier de travail « Continuum écologique », orga- milieux, par exemple :
nisé en 2016 par le Parc national de La Réunion en – La régulation des rats à large échelle : retours d’ex-
étroite collaboration avec le Conservatoire du littoral, périences, résultats et évaluation, organisé en sep-
la DEAL, le Département et la Région Réunion. tembre 2013, par le Parc national de La Réunion et
Première de couverture de la SEOR, dans le cadre du programme européen Life
« flore menacée des
collectivités françaises
+ CAP DOM,
d’Outre-mer », – le Séminaire sur le projet Life+ Corexerun, projet
livre sorti à l’occasion du
colloque «Flore menacée »,
européen pour sauver la forêt semi-sèche de l’extinc-
2010. tion, organisé en juin 2014 par le Parc national de
La Réunion en partenariat avec le Conservatoire du
littoral, l’État (DEAL), le Conseil régional et le Conseil
départemental de La Réunion,
– les rencontres des gestionnaires de la conservation de
la biodiversité GECOBIO, organisées en 2015 et 2016
par le Parc national,
– l’École thématique sur les livraisons biologiques, or-
ganisé chaque année depuis 2013 par L’Université de
La Réunion, l’Université de Stellenbosch (Afrique du
Sud), le Parc National de La Réunion, la DEAL, le
CIRAD et l’UICN international.
D’autres rencontres se sont faites sur les thèmes de GéCoBio,
l’éducation, de l’interprétation. Peuvent être cités : page de garde du document
distribué pendant le sémi-
– Les rencontres « Interprétation des patrimoines », naire de 2016.
réalisé en 2015 par le Parc national,

Première de couverture du
livre sur Orchidées sauvages,
sorti à l’occasion du congrès
international tenu à La
Réunion, 2013.

D’autres rencontres ont eu lieu, parmi lesquelles :


– les Ateliers UNESCO concernant le sud-ouest de
l’océan Indien, organisé en février 2012 par l’UNES-
CO avec le concours de la Région Réunion,
– Les Conférences de la Cité du Volcan, organisées
régulièrement par la Région Réunion et SEM Museo.
204 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Il est à noter la diversité d’origine des personnes pré- Peuvent être cités, d’une façon non exhaustive :
sentes à ces rencontres. Elles sont venues de l’océan – Pour les émissions à diffusion local et outre-mer :
Indien : Mascareignes (Île Maurice et Rodrigues), la Série « Loca’terre », réalisée à partir de 2011 par
Madagascar, Seychelles, Mayotte, Comores, Terres Réunion Première ; la série « Rando Péï » réalisée à
Australes et Antarctiques Françaises, Îles Éparses ; de partir de 2012 par Réunion Première ; deux émissions
l’Afrique :Kenya, Mozambique, Afrique du Sud, Tan- de « Par lé O par lé Ba », réalisées par Outre-Mer
zanie ; d’Europe :France, Royaume-Uni, Belgique, Première…
Italie, Estonie ; du Pacifique : Nouvelle-Zélande, Nou- – Pour les émissions à diffusions nationale et euro-
velle-Calédonie, Polynésie, Hawaï ; de l’Australie ; des péenne : « Mémoires de volcans », réalisé en 2012 par
Caraïbes : Guyane, Martinique ; des Amériques : Ca- ARTE ; « La plus grande forêt du monde, île de La
nada, USA, Costa Rica… Réunion » ; « C’est pas sorcier, La Réunion, une île
sortie de l’océan », réalisé en 2013 par France 3 ; des
« Paysages d’ici et d’ailleurs, La Réunion, les cirques,
La publication de documents les pitons », réalisé par ARTE en 2014 ;« Du côté de
de vulgarisation chez vous : au cœur de Mafate », réalisé en 2015 par
Ushaïa TV ; « Des Racines et des Ailes, spécial île de
Une série de documents de vulgarisation sur les pay- La Réunion », réalisé France 3 en 2015 ; « Échap-
sages, la faune, la flore des Hauts de La Réunion a été pées belles, île de La Réunion », réalisé en 2016 par
éditée depuis l’inscription. France 5 ; « Bougez vert, l’île de La Réunion », réalisé
Celle-ci a sans aucun doute joué un rôle de catalyseur en 2016 par Ushaïa TV…
dans l’intérêt de mettre en valeur et de partager les – Pour les émissions réalisées pour des pays « inatten-
valeurs mises en avant par le dossier d’inscription. dus », peut-être cité : « The world heritage program :
Pitons, cirques and remparts of Reunion Island », ré-
– des magazines, alisé en 2011 pour la Télévision japonaise…
La valorisation des richesses patrimoniales se fait éga-
lement par le biais de communications au sein de la – Publications sous forme de livres :
presse magazine spécialisée locale, nationale et inter- Quelques photographies, non exhaustives, de récentes
nationale, et permet de porter les messages et valeurs publications : (premières de couverture) :
du Bien inscrit.
Ainsi, plusieurs magazines ont contribué à la diffusion
de l’information et à la sensibilisation des publics sur
les richesses des « Pitons, cirques et remparts de l’île
de La Réunion », sur l’ouverture du centre de décou-
verte et d’interprétation de la Maison du Parc. Des
exemples, non exhaustifs, peuvent être cités : Babook
mag (presse jeunesse locale), Memento (presse écono-
mique locale), Komen y lé (magazine club des hôtels),
Bat’Carré, Visu hors série (magazine local), Escales
(magazine d’Air Austral), Océan Indien magazine,
Destination, Géo Magazine, Géo Voyage, Terre sau-
vage (magazine national de reportage sur la nature),
Patrimoine mondial (revue internationale de l’Unesco,
traduite en plusieurs langues) …

– des films et reportages télévisuels,


Quelques exemples :
De nombreux reportages télévisés ont eu lieu sur les
Hauts de La Réunion, notamment depuis que les Pi-
tons, cirques et remparts ont été inscrits sur la liste des
Biens du Patrimoine mondial. Certaines de ces émis-
sions ont été réalisées par le niveau local, d’autres par
le niveau national et quelques émissions par des pays
« lointains ».

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 205


étudient le pétrel de Barau, appelé aussi « taille-vent », un oiseau menacé
qui niche à plus de 2000 mètres d’altitude. Ce film suit la mobilisation de
l’ensemble d’une communauté sensibilisée à l’écologie du « taille-vent » et qui
lutte pour sa préservation.

Dédicace à la Nature : un CD de musique traditionnelle.

-
Pochette du CD de musique « Dédicace à la nature ».
Le Parc national et le PRMA valorisent la musique réunionnaise. Suite à
l’inscription de son territoire sur la Liste des Biens du Patrimoine mondial,
le Parc national s’est associé au Pôle Régional des Musiques Actuelles de La
Réunion (PRMA) afin de valoriser le patrimoine culturel du territoire.
Ce partenariat à permis de réaliser et de produire un CD en 2015, au
format livre-disque qui présente une sélection de musiques de La Réunion ;
ce CD a été distribué à l’occasion du cinquième anniversaire de l’inscription
des « Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion » sur la Liste du
patrimoine mondial (2015).

Quelques exemples de publications récentes sur la faune et la flore de La La sensibilisation, l’éducation


Réunion. Liste non exhaustive.
à l’environnement et l’adhésion
– des documents audio et audiovisuels,
quelques exemples : citoyenne
CD-ROM « Taille-Vent, le pétrel des montagnes »,
55 minutes expliquant la vie du pétrel de Barau. L’éducation est un des piliers de l’UNESCO (United
Nations Educational, Scientific and Cultural Organi-
zation). Elle est de fait une des priorités des gestion-
naires des Biens inscrits sur la liste du Patrimoine
mondial.
De plus, mission historique des Parcs nationaux, l’édu-
cation à l’environnement et au développement durable
est présente dans toutes les Chartes. Cette mission
prioritaire s’appuie sur le caractère de territoires aux
patrimoines naturels, culturels et paysagers exception-
nels et préservés, sur des équipes pluri-disciplinaires et
fortement expérimentées, et sur des valeurs de partage
Photographie de l’affiche du film et d’engagement.
« Taille-vent ». 2013.
Le film « Taille-vent, le pétrel des montagnes », des chercheurs Matthieu L’éducation et la communication, pivots des actions
Le Corre et Patrick Pinet et des réalisateurs Emmanuel Pons et Serge L’appropriation par le plus grand nombre de la richesse des patrimoines du
Montagnan, a obtenu le 2e prix du palmarès de la 15e édition du Festival territoire du parc est fondamentale. Les habitants doivent avoir conscience de
du film de chercheurs. vivre sur un territoire d’exception. Ce caractère exceptionnel doit être montré
Co-produit par l’Université de La Réunion et le Parc National, le film a aux visiteurs. Dans toutes démarches de territoire, la dynamique mise en
obtenu le prix « Coup de pouce ». Pour sa réalisation, les réalisateurs ont gravi œuvre pour faire vivre le projet est essentielle. Le projet de territoire que propose
les plus hauts sommets de l’île de La Réunion. Chercheurs du Laboratoire la charte n’aura de sens que s’il est partagé. Les quatre enjeux retenus et
d’écologie marine ECOMAR (CNRS/Université de La Réunion), ils y leurs déclinaisons en orientations pour l’aire d’adhésion et en objectifs pour le

206 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Classe du collège de Trois-Bassins, sortie pédagogique au Volcan. Photo O. Lucas-Leclin.

Réunion, où les paysages majestueux sont un décor


cœur, doivent être connus et compris. Le cinquième enjeu transversal est donc
quotidien et où les noms des lieux et des plantes re-
bien celui du partage du contenu de la charte et de l’implication de tous les
partenaires dans sa mise en œuvre. flètent le lien profond qui unit l’homme à la nature. Le
in la Charte du parc national de La Réunion -2014. Parc national et le Bien inscrit au patrimoine mondial,
territoire d’exception, devient alors territoire de « sa-
Le savoir heureux voir heureux » où chacun est invité à prendre plaisir
à découvrir, à s’étonner, à se questionner et à changer
Les espaces naturels du cœur du parc national de La son rapport à la nature et à son milieu de vie.
Réunion et du Bien Patrimoine mondial sont de véri-
tables laboratoires du vivant et d’excellents outils pé- Le travail avec les établissements scolaires
dagogiques. Pour partager et rendre accessible à tous
les richesses et les valeurs patrimoniales du territoire, Le territoire du Parc national de La Réunion et du
une stratégie éducative, validée par les instances du Bien Patrimoine mondial sont de véritables labora-
Parc national, a permis de mettre en place un dispositif toires du vivant et d’excellents outils pédagogiques.
pédagogique d’éducation à l’environnement, fondée Chaque année scolaire, le Parc national propose et
sur une médiation scientifique et culturelle et sur la accompagne des projets pédagogiques d’établisse-
démarche d’interprétation. L’utilisation alternée de ments scolaires menés autour de thématiques liées au
différentes approches sensibles (atelier d’écoute des territoire et à ses richesses patrimoniales. Des parcours
sons de la forêt, balade contée, lecture de paysage…) éducatifs, artistiques et culturels (PEAC) spécifiques au
permet de révéler un site selon une approche ludique, Parc national et au Bien Patrimoine mondial sont en
porteuse de sens et d’efficacité, capable de faire ressen- cours de conception. Ainsi, chaque élève pourra du-
tir « l’esprit des lieux ». rant sa scolarité étudier et aller à la rencontre du Parc
Elle permet en outre de lier les dimensions environne- national et du Bien Patrimoine Mondial.
mentales et paysagères aux dimensions culturelles et
sociales. Ces aspects sont particulièrement forts à La

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 207


discuter de leurs projets et de leur mise en œuvre et
de transmettre aux autres établissements de nouvelles
perceptions, interprétations et idées…

« La jeunesse, ambassadrice de son patrimoine »


En accompagnant ces projets de classe, le Parc national
apporte son expertise en matière de connaissances et
de protection des patrimoines naturel, culturel et pay-
sager et soutient financièrement les établissements sco-
laires. Les dotations servent principalement à financer
les productions des élèves. Les travaux réalisés : exposi-
tions, CD-Rom, spectacles chorégraphiques, fresques,
nouvelles … permettent de valoriser les connaissances
acquises, les partager au sein de l’établissement et bien
au-delà (médiathèques, maisons de quartier, etc.). Elles
permettent aux enfants de devenir de vrais ambassa-
deurs de La Réunion, du Parc national et des Pitons,
Pochette du CD-Rom pédagogique du professeur relais. cirques et remparts de La Réunion.
Parc national de La Réunion. Académie de La Réunion. 2012.

Une convention cadre de partenariat relative au déve-


loppement artistique, culturel et scientifique en milieu
scolaire a été passée entre l’Académie de La Réunion,
la Direction des Affaires Culturelles (DAC-OI) et le
Parc national. Elle vise notamment la promotion d’une
éducation au développement durable (EDD) et la va-
lorisation d’une éducation artistique et culturelle. Elle
a pour objectif l’accès aux territoires du Parc national
et du Bien Patrimoine Mondial au plus grand nombre
d’élèves et d’enseignants de l’Académie. Et elle se tra-
duit notamment par la mutualisation de moyens, la
création d’outils et d’animations et la mise en place de
formation d’enseignants.
Dans ce cadre un CD-Rom sur la connaissance du Action avec une école. Photo Parc national de La Réunion, secteur Sud.
Parc et du Bien inscrit a été édité et distribué dans le
milieu scolaire. Les classes patrimoniales du lycée et collège de
Trois-Bassins
Quelques-unes de ces actions sont présentées
ci-dessous :

Exemple de l’opération « Tec – tec, patrimoines et


nous » :
La première édition de la manifestation « Tec – tec,
Patrimoines et nous … » a été organisée en 2015 pour
valoriser les réalisations des classes bénéficiaires d’un
partenariat avec le Parc.
En 2016, le Parc national a reconduit la manifestation.
Sur les 20 projets réalisés cette année-là, sept ont été
présentés, via des films, expositions et spectacles à l’es-
pace culturel Guy Agénor de la Plaine-des-Palmistes.
225 enfants se sont retrouvés pour échanger leurs ex- Première de couverture du livre des collégiens de Trois-Bassins.
périences et partager leurs nouvelles connaissances sur Collège de Trois-Bassins. 2014.
la nature réunionnaise et les richesses paysagères de Le collège de Trois-Bassins est le seul établissement
l’île. Une occasion pour les professeurs également de scolaire de l’île à avoir mis en place une classe à projet

208 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


option Parc national, ce qui constitue un atout ma- chaque année, pourra permettre aux élèves de mieux
jeur pour favoriser la relation des jeunes réunionnais appréhender leur relation avec leur environnement
avec les patrimoines naturel, culturel et paysager du (ex. : la pollution lumineuse, les invasions biologiques,
territoire du Parc national et au-delà, du Bien naturel la perte de biodiversité…). Cette collaboration prend
« Pitons, cirques et remparts » inscrit au Patrimoine différentes formes :
mondial. – participation des élèves à des projets pédagogiques
Ce dispositif classe option Parc national, a été mis en proposés par le Parc national ;
place dès la rentrée scolaire 2008/2009. Il se traduit – actions des élèves dans le cadre de manifestations
par deux heures hebdomadaires dont bénéficie une nationales ou régionales (Semaine Européenne du Dé-
classe de 4è puis de 3è pour une année scolaire et fait veloppement Durable, Fête de la Nature, Journée du
intervenir plusieurs disciplines (Histoire/Géographie, patrimoine) ;
Technologie, SVT, Anglais, EPS…). – maintien et développement de la classe option Parc
Ce dispositif tendra à évoluer vers des enseignements national…
pratiques interdisciplinaires intégrés à la réforme du Une programmation de ces actions de partenariat sera
Collège dès la rentrée 2016. élaborée au début de chaque année scolaire.
La localisation du collège et du lycée, à proximité de
l’antenne ouest du Parc national, constitue un atout Des ambassadeurs de Mafate dans les Cévennes : un
pour favoriser la collaboration entre les deux parties exemple d’échange entre classes
et permet aux jeunes de la commune de mieux appré-
hender leur territoire. Il s’agit, notamment, de faire
partager par la population scolarisée au sein du collège
et du lycée les valeurs portées par le Parc national :
– connaissance, protection et valorisation des patri-
moines naturel, culturel et paysager de La Réunion.
– faire découvrir aux élèves du collège et du lycée le
caractère exceptionnel des milieux naturels et pay-
sagers de leur île qui a permis l’inscription au Patri-
moine mondial des « Pitons, cirques et remparts » par
l’Unesco.
– permettre aux élèves de s’ouvrir sur le monde en
mettant en place des partenariats avec d’autres sites
classés en Parc national ou inscrits au Patrimoine mon-
dial (ex. : une collaboration avec le Parc national des Restitution du voyage des Mafatais dans les Cévennes. École Ilet à Malheur.
Photo J.-F. Bénard.
Volcans d’Hawaï).
– donner aux élèves du collège et du lycée la possibi- L’école d’Îlet à Malheur (cirque de Mafate) a passé
lité de construire leur parcours scolaire à travers une en 2013 une quinzaine de jours dans la région des
démarche innovante. Cévennes : une belle aventure humaine a été vécue.
Le partenariat entre le Parc national, le collège et le Avec l’objectif de tisser des liens entre deux écoles,
lycée permet : deux Parcs Nationaux et deux zones classées par
– l’enrichissement des ressources dont disposent les en- l’UNESCO au Patrimoine Mondial, les élèves ac-
seignants au service des apprentissages scolaires ; compagnés de leur instituteur et de quelques parents
– la découverte des métiers et des parcours de for- sont allés explorer un nouvel espace riche de paysages,
mation professionnelle dans les domaines scienti- d’histoire et de culture. Les nombreuses sorties et vi-
fiques (biodiversité, développement durable, carto- sites leur ont permis d’atteindre les objectifs pédago-
graphie…), culturel (architecture, patrimoine culturel giques et éducatifs du projet.
matériel/immatériel) et d’éducation à l’environnement Ces jeunes ambassadeurs de notre patrimoine, des
et de médiation artistique et culturelle (pédagogie, « Pitons, Cirques et Remparts » ont aussi offert à leurs
interprétation) ; hôtes cévenols un aperçu de notre patrimoine culturel
– la prise de conscience de l’existence d’une solida- à travers la langue créole, notre gastronomie et mu-
rité territoriale – tant écologique, qu’économique et sique avec un grand cari festif et musical.
sociale – entre le cœur et l’aire d’adhésion telle que Accueillis dans des familles la première semaine,
définie dans la Charte du Parc national. l’échange avec leurs correspondants a été bien au-de-
Ainsi, un travail sur une thématique de la Charte là de leurs espérances, du fait de la disponibilité,

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 209


la solidarité et la générosité des Cévenols. Le mot ré-
sumant le mieux leur aventure, ont-ils dit, c’est PAR-
TAGE. Avant le départ, le médiateur du Patrimoine
à Mafate a réalisé plusieurs interventions auprès des
élèves pour préparer leur rôle d’ambassadeurs du Parc
national. Un petit film de présentation de La Réunion,
de l’îlet à Malheur et de leur vie quotidienne a été
tourné.
Une restitution de ce voyage a eu lieu dans leur école,
cette restitution a été couplée avec la projection de
photos d’Îlet à Malheur prises dans les années 1970. Croquis de la Maison du Parc national par Alain Freynet. 2011.
La Présidence de l’IRT a assisté à ce moment. visiteurs la découverte des particularités géologiques,
D’autres classes de Mafate (Grand-Place) ont suivi cet paysagères, biologiques et humaines de l’île.
exemple et ont organisé par la suite des échanges avec
les Cévennes. L’espace d’exposition s’attache à mettre en évidence
Également à noter la réalisation d’un site internet le les délicats équilibres entre hommes et nature, dans
« Web doc : L’aurore d’Aurère » sur le Bas Mafate par le cadre grandiose des « Pitons, cirques et remparts »,
l’école d’Aurère. inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Il est à noter le concours d’autres établissements à Le style de la visite est résolument moderne et inte-
ces actions. Par exemple, le lycée Pierre Lagourgue ractif, impliquant le visiteur dans son exploration et
du Tampon qui est le seul établissement scolaire de dans son questionnement sur les moyens de conser-
l’île faisant partie du réseau des écoles associées de ver en l’état ou de restaurer les équilibres écologiques
l’UNESCO. réunionnais.

Le centre d’interprétation de la Maison du Parc À l’intérieur, les visiteurs sont accueillis par des agents
Plusieurs lieux ouverts au public et dédiés au partage du Parc national et de l’Office de tourisme de l’Est ;
des patrimoines existent à La Réunion. Peuvent-être l’offre de découverte et de services est présentée
cités le Jardin Botanique Mascarin (Colimaçons, Saint- (orientation du public professionnel, espace scénogra-
Leu) ou la cité du Volcan, remplaçant depuis peu la phique, jardins, œuvre d’art contemporain, parcours
Maison du Volcan (Plaine des Cafres). Le dernier ou- enfant / aides à la visite tout public…, conseils et ser-
vert est situé à la Plaine des Palmistes. Il s’agit de la vices touristiques proposés par l’Office du Tourisme
Maison du Parc national de La Réunion qui accueille Intercommunal…).
dans ses murs un centre d’interprétation offrant aux

Centre d’interprétation de la maison du Parc national à la Plaine des Palmistes. Photo S. Deschamps.

210 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Plusieurs séquences et supports sont proposés : Les « Rendez-vous du parc » constituent désormais un contact régulier avec
– la Séquence émotion, le grand public. Ces rencontres sur les sites emblématiques avec les agents
– la Séquence cognitive avec le Feu (de Mare Longue du Parc national, proposées chaque week-end et pendant les vacances
à la Plaine des Palmistes), l’Eau (de la Plaine des Pal- scolaires permettent une plus grande proximité avec le public. Cela favorise la
mistes à Salazie), l’Air (de Salazie à Cilaos), la Terre médiation au bénéfice de la population et de visiteurs, axée sur la valorisation
(de Cilaos au Maïdo), la Lumière (du Maïdo à la ra- des patrimoines (sensibilisation basée sur le ressenti et l’éveil des sens, lectures
vine Marquet), les Hommes (de la ravine Marquet à de paysage…) et connaissance du rôle et des missions du Parc national.
la Grande Chaloupe), La Presse quotidienne régionale et les agendas en ligne relaient désormais
– la table interactive et assises : séquence découverte, régulièrement l’information, en complément d’une diffusion par voie d’affiches,
– la maquette en relief : séquence synthétique, flyers, sur le site internet du Parc et sa page Facebook.
– le jardin des endémiques : séquence extérieure. L’École du Jardin planétaire de La Réunion, Université populaire de
La Maison du parc gère également un centre de la biodiversité et des paysages, propose depuis début 2014 une multitude
ressources. d’activités (ateliers, conférences, sorties terrain, projections, formations)
au grand public toute l’année un peu partout dans l’île. Soutenue par
Sur le terrain, au contact du public des partenaires locaux, publics et privés, elle a enregistré près de 8000
Plusieurs partenaires proposent des animations et des inscriptions en 3 années d’existence. L’École est pilotée par deux salariés
sorties permettant aux Réunionnais de mieux décou- à temps partiel, animée par un corps de 84 intervenants impliqués
vrir leur île (« Week-end Nature des Espaces Naturels ponctuellement ou régulièrement. Elle enregistre 325 membres adhérents en
Sensibles (ENS) », la programmation du « Jardin Pla- 2016.
nétaire », les sorties des différentes associations comme
celles de la Société Réunionnaise pour l’Étude et la Pro- L’implication de la population
tection de l’Environnement (SREPEN), des Amis des dans les actions de conservation
Plantes et de la Nature (APN), de la Société dÉtudes
Ornithologiques de La Réunion (SEOR)… Le Parc na- Dans le chapitre précédent, notamment dans les pro-
tional organise également des moments de partage, ce grammes LIFE+ Corexerun et forêt sèche, l’intérêt de
sont notamment « Les Rendez-vous du parc ». la participation citoyenne a été montré.
Une réelle demande d’être acteurs de la conservation
se développe chez un nombre croissant de bénévoles,

Lecture de paysages au Maïdo. Photo J.-F. Bénard.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 211


organisés ou non, sous forme associative. calées avec la période critique du premier envol des
Toutes les actions ne peuvent être citées dans ce docu- jeunes Pétrels de Barau où un nombre d’échouage im-
ment. Seule l’une d’entre elles est ici exposée. portant dû à la pollution lumineuse est observé. L’opé-
ration de sauvetage des jeunes pétrels échoués prend
L’allongement progressif de la durée des donc une ampleur particulière durant cette période.
« Nuits sans Lumière » Le partage des connaissances, la sensibilisation du pu-
L’opération des « Nuits sans Lumière » a été lancée blic, l’adhésion de plus en plus importante des par-
dès 2008 sous l’impulsion du Conseil de la Culture, tenaires ont permis d’allonger la durée des périodes
de l’Éducation et de l’Environnement (CCEE) qui en d’extinction pour qu’elles collent davantage avec le
a confié l’animation au Parc national et à la Socié- cycle de décollage des pétrels juvéniles. « La Nuit sans
té d’Études Ornithologiques de La Réunion (SEOR) Lumière » en passant à deux nuits est devenue le pro-
en 2011. Les « Nuits sans Lumière » ont pour objec- gramme « Les Nuits sans Lumière ». Le nombre de
tif de sensibiliser le public à la pollution lumineuse, nuits n’a cessé d’augmenter : 10 nuits en 2015, 20 nuits
ses impacts et les moyens de la réduire. Un nombre en 2016 et 25 nuits en 2017. La pollution lumineuse
croissant de partenaires, publics et privés, s’engagent nuit à l’envol des jeunes pétrels mais pas seulement !
chaque année par le biais de campagnes d’extinction Hommes, insectes, tortues… La pollution lumineuse
de l’éclairage et d’actions de sensibilisation. a de vrais impacts négatifs sur notre environnement et
A La Réunion, les « Nuits sans Lumière » ont été sur nous-mêmes. Les « Nuits sans Lumière » lèvent le
voile sur la pollution lumineuse, conséquence d’éclai-
rages inutiles ou dirigés vers le ciel qui provoquent
de multiples nuisances pour notre environnement.
Diverses actions et animations sont proposées pour
mieux comprendre en quoi une lumière artificielle ina-
daptée peut nuire aux hommes, aux écosystèmes et à
la planète. L’opération permet de créer des liens avec
les acteurs de terrain, la population et de mobiliser les
Visuel et logo de l’opération « Nuits sans lumière ».
Édition 2017.
Réunionnais sur une problématique d’intérêt général.
Réalisation Parc national de La Réunion. L’édition 2015, sur une durée de 10 nuits, a permis de

Jeunes Pétrels de Barau récupérés puis relâchés. Photo J.-F. Bénard.

212 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Le Bien, objet de découverte pédago-
gique et touristique

Parmi les souhaits du Comité du Patrimoine mondial


figure « la mise en œuvre d’une stratégie pour le tou-
risme donnant une priorité à la protection du Bien,
sans négliger les objectifs économiques ». Cette dé-
marche est moins simple qu’on pourrait le croire. En
effet les acteurs du tourisme (décideurs, aménageurs,
professionnels…) sont nombreux d’où la nécessité de
partager les mêmes objectifs et de conduire les opéra-
tions sous « mode projet », ce qui induit des modifi-
cations (pas toujours simples) dans les relations entre
partenaires.
Des principes et des actions ont vu le jour. Quelques-
uns d’entre eux sont ici présentés : la démarche d’inter-
prétation déclinée par exemple sur la route des laves,
dans les schémas d’interprétation et de valorisation
écotouristiques (SIVE), dans les portes et chemins de
découverte du Parc (et du Bien), dans l’écotourisme…
L’inscription des Pitons, cirques et remparts sur la liste
des Biens du Patrimoine mondial n’a pas créé un afflux
important de touristes extérieurs sur l’île (420 300 tou-
Affiche de la SEOR. 2015. ristes extérieurs en 2010, 458 000 en 2016). Après une
mettre en valeur les actions à long terme entreprises période de stagnation il y a, depuis 2015, une « légère
par certaines communes, comme la modification et amélioration » de la fréquentation de La Réunion.
le remplacement des systèmes d’éclairages, pour des Les raisons de cette « faible » progression sont connues
outils plus économiques et moins polluants. (chikungunya, crise « requins », essoufflement de l’éco-
Le bilan a révélé un franc succès : 975 oiseaux ont été nomie nationale et européenne…).
recueillis et 831 ont pu être sauvés et relâchés. L’inscription sur la liste du Patrimoine mondial a sans
Plus de 67 structures ont participé (20 en 2010, 35 doute permis le maintien de l’activité touristique, a
en 2011, 37 en 2012, 48 en 2013, 53 en 2014) : 29 atténué la baisse globale ressentie au niveau mondial
collectivités, 11 associations, 5 entreprises, plus de 9 bi- et a permis aux touristes locaux de mieux connaître
bliothèques et médiathèques, plus de 9 établissements leur île.
scolaires, et 29 collectivités (dont 19 communes), qui L’inscription est un élément de notoriété de La Ré-
totalisent plusieurs centaines de rues, avenues, stades, union, elle affirme l’originalité de l’île. Elle ne peut
façades et bâtiments publics, éteints ou avec réduction à elle seule « porter » le développement du tourisme.
des volumes lumineux.

Exemple de visuel conçu dans le cadre de la route des laves. Parc national de La Réunion, M. Sicre.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 213


Éléments de l’enquête IPSOS-OI 2016 Des panneaux d’entrée dans le cœur
Le Parc national de La Réunion a commandé, en 2016, une étude de perception de parc indiquent son appartenance au Bien
à l’IPSOS-OI. Le public enquêté se composait de 538 Réunionnais (joints Patrimoine mondial
par téléphone) et de 211 touristes (enquête auprès des passagers au départ de
l’aéroport de Saint Denis de La Réunion).
78 % des Réunionnais enquêtés savent qu’une partie de La Réunion est
inscrite sur la liste des Biens du Patrimoine mondial, 91 % des touristes
interrogés le savent (24 % d’entre eux déclarent qu’ils ont choisi cette
destination pour cette raison).

Une signalétique valorisant le Bien

Des panneaux-images mettent en valeur


les sites du patrimoine mondial
Du côté des compagnies aériennes, on pourra noter
Signalétique Parc national et Patrimoine mondial. Col de Bellevue.
une des premières initiatives mise en place par Air Photo J.-F. Bénard.
Austral, montrant ainsi que les acteurs du tourisme se
mobilisent. En effet, la compagnie aérienne a décidé Le Parc national a installé sur les routes et les sentiers
de « porter » sur le fuselage de ses avions les inscrip- des panneaux indiquant aux visiteurs qu’ils entrent
tions suivantes : « La Réunion, Patrimoine mondial de dans le cœur du Parc et dans le Bien Patrimoine
l’UNESCO », « Reunion Island, UNESCO’s world mondial.
heritage site ».
La Région Réunion a installé, en 2015, un premier en-
semble d’une dizaine de panneaux-images indiquant L’ouverture au monde
« Pitons, cirques et remparts, sites du patrimoine mon-
dial de l’Unesco » à la fois au niveau de la sortie de La présence sur l’île de partenaires issus d’autres îles
l’aéroport de Gillot et le long des grands axes routiers. et pays paraît tout au long des exemples précédents,
L’idée est de valoriser les grands sites naturels de La notamment dans la partie « séminaires, colloques et
Réunion. autres échanges ». L’ouverture au monde s’y affiche.
Ceci est normal, l’ambition de la Convention du Pa-
trimoine mondial réside non seulement dans la pro-
tection des Sites les plus exceptionnels de la planète
mais aussi dans la constitution d’un réseau mondial de
références pouvant être utiles aux Sites inscrits.
C’est aussi un des objectifs fixés par la Charte du parc,
en collaboration avec les institutions concernées de
l’île.

Devenir un lieu référent au niveau régional


Le monde scientifique (Université, Observatoire volcanologique du Piton de
la Fournaise, CIRAD, BRGM, Muséum, membres du monde associatif
et/ou public…) présent et actif sur l’île contribue à l’augmentation des
connaissances. Celles-ci sont partagées à la fois au niveau local et international
Signalétique Patrimoine mondial. Panneau-image installé à l’île de La Réunion (colloques internationaux, rédaction d’articles et de thèses…). Ces chercheurs,
à proximité de l’aéroport Roland Garros. Photo J.-F. Bénard. représentés notamment au Conseil scientifique du parc, permettent à celui-ci
Ces panneaux font la promotion de l’île et participent d’intégrer ces connaissances dans les orientations, actions, recommandations
à donner des informations aux touristes qui viennent et communications. L’établissement public se positionne ainsi comme
à La Réunion. Il a paru essentiel de mettre en avant un des maillons incontournables en ce qui concerne la conservation des
les sites inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, milieux insulaires (écosystèmes et paysages), le changement climatique, le
car ils ne sont pas assez mis en valeur du côté des tou- volcanisme et le développement durable. Il collabore avec les réseaux d’espaces
ristes mais aussi des Réunionnais qui ont tendance à naturels remarquables et protégés départementaux, régionaux, nationaux et
l’oublier. internationaux et participe aux réseaux nationaux concernant le classement

214 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


parc national. L’édition périodique d’une publication valorisant les travaux Proposition d’accords formels avec des parcs nationaux
scientifiques réalisés sur le territoire permettra de faciliter la diffusion et le de renom
partage des connaissances. De même, la mise en place de réseaux thématiques Trois démarches ont été engagées depuis la création du Parc national avec
(paysages, culture, développement durable...) et la publication de brochures ou Hawaii, la Tanzanie [Ngorongoro] et l’Afrique du Sud [Table Mountain]
de documents spécialisés permettront à l’établissement de s’affirmer comme dans une perspective de jumelages plus formels avec des Parcs nationaux
un lieu de référence, en complémentarité des compétences, structures et réseaux également gestionnaires de Biens naturels inscrits sur la liste du patrimoine
existants. mondial.
Charte du Parc national de La Réunion, Parc national de La poursuite des actions engagées dans la durée vise des échanges concrets
La Réunion, 2014. en matière de savoir-faire, de protocoles et de modes de gouvernance adaptés,
d’accueil réciproque des stagiaires…
Les échanges et partenariats Rapport au Conseil d’administration, Parc national de
avec d’autres Biens inscrits La Réunion, 27 novembre 2014.

Le partenariat naissant avec Hawaï


Plus précisément, des perspectives de coopération avec
trois parcs nationaux ont été engagées : Des échanges ont eu lieu depuis plusieurs années et un
- le Parc national d’Hawaï (USA) ; partenariat se met en place entre les parcs nationaux
- l’Aire de conservation du Ngorongoro (Tanzanie) ; de la Réunion et de Big Island (Hawai’i), deux îles
- le Parc national de Table Mountain (Afrique du Sud). sœurs. Les deux sites sont inscrits sur la liste des Biens
Ces trois aires protégées ont des points communs dans du Patrimoine mondial (le Parc d’Hawaï a été inscrit
les domaines de la géologie et/ou de la biodiversité tout au début de la convention en 1987 sur le critère
avec La Réunion. Elles sont toutes trois inscrites sur (viii), histoire de la Terre).
la Liste du Patrimoine mondial (sous des noms légère- Les progrès ont été rapides puisque, après un jumelage
ment différents) : signé en 2011, une convention de partenariat a été si-
- Parc national des volcans d’Hawaï (1987) (critère (viii)) ; gnée le 20 mai 2015 entre la superintendante du Parc
- Zone de conservation de Ngorongoro (1979) (critères des volcans d’Hawaii (Cindy Orlando) et le président
(iv), (vii), (viii) (ix) et (x)) ; du Parc national de La Réunion (Daniel Gonthier).
- Aires protégées de la Région Florale du Cap (2004)
(critères (ix) et (x)). Le Parc national des volcans d’Hawaï et le Parc national de La Réunion
construisent un projet de jumelage de ces deux territoires situés aux antipodes
l’un de l’autre mais présentant des ressemblances étonnantes et tous deux
inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Leurs volcans

Sites du patrimoine mondial. En jaune : sites culturels ; en vert : sites naturels ; en rouge : sites en périls. Unesco. 2016.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 215


sont nés de points chauds profonds en relation avec le cœur de la Terre et partenariat.
sont des volcans rouges de type effusif parmi les plus actifs du monde. Les Le collège et le lycée de Trois Bassins ont un projet de
deux parcs nationaux sont également des hotspots de biodiversité, avec de correspondance scolaire avec des classes de Hawai’i.
nombreuses espèces endémiques parfois très proches et soumises aux mêmes Ces deux établissements travaillent de longue date
menaces. avec le Parc national de La Réunion dans le cadre
Un jumelage entre Hawaii et La Réunion, Parc national d’une convention, et ont produit des travaux de qua-
de La Réunion, 2015. lité apportant leur regard sur l’île, sa biodiversité et
ses paysages. La correspondance devrait démarrer à la
C’est donc à l’invitation du Parc national des Volcans rentrée scolaire 2016-2017. La mission effectuée par
d’Hawaï qu’une délégation de deux personnes du Parc la délégation du Parc national de La Réunion à Big
national de La Réunion s’est rendue du 12 au 22 mai Island en 2016 a aussi permis de renforcer les contacts
2015, à Big Island, la plus grande des îles de l’archipel adéquats (Responsable de « l’Educational Center » à
hawaïen, également nommée Hawai’i, afin de partici- HAVO, association des « Friends of the Hawai’i Vol-
per au festival BIOBLITZ 2015, et de signer un pro- canoes National Park ») pour un tel projet.
tocole d’accord entre les deux parcs nationaux. Les élèves pourront croiser les légendes qui les lient
En effet, situées aux antipodes de la planète, les deux aux volcans, celle de la déesse Pelée pour Hawaï et
îles partagent des enjeux similaires et parfois plus celle de la sorcière Gran Mer Kal pour La Réunion. Ils
proches qu’il n’y paraît ; deux volcans boucliers simi- pourront également échanger sur la préservation des
laires parmi les plus actifs de la planète, abritant une pétrels (oiseaux marins endémiques, menacés d’extinc-
faune et une flore rares et uniques au monde, soumises tion), exemple remarquable des enjeux communs aux
aux mêmes menaces face aux espèces exotiques en- deux îles. Chaque classe sera ainsi connectée à l’autre
vahissantes, au sein de territoires en partie inscrits au côté du globe.
patrimoine mondial de l’Unesco pour leurs valeurs, en Dans cette même logique, les deux établissements sco-
font des îles ayant le plus grand intérêt à travailler sur laires portent un projet de déplacement d’une classe de
des projets communs. chaque établissement à Big Island pour 2018.
La tenue du Congrès mondial de l’UICN à Hawaï
(septembre 2016) a donné l’occasion aux « jumeaux » Le partenariat en devenir avec l’Afrique du Sud
d’échanger en direct et de construire des actions.
Cette seconde mission (2016) a permis de prendre Un partenariat a été engagé avec le Parc national de
les contacts nécessaires avec la communauté des ré- Table Mountain en Afrique du Sud.
férents du Parc national des volcans d’Hawai’i et de Celui-ci est également inscrit sur la liste du Patrimoine
chercheurs et scientifiques travaillant sur des questions mondial avec un intitulé un peu différent « Aires pro-
d’actualité pour La Réunion, relatives à des attaques tégées de la Région Florale du Cap ».
de psylles sur l’Acacia heterophylla, et de recueillir des re-
tours d’expériences de Hawai’i au sujet de problèmes Le bien, inscrit en 2004 sur la Liste du patrimoine mondial, se trouve à
similaires survenus sur l’Acacia koa dans les années l’extrémité sud-ouest de l’Afrique du Sud. Il s’agit de l’un des plus grands
1970. La mission a également pu prendre connais- centres de la biodiversité terrestre mondiale. Le bien étendu comprend des
sance des méthodes développées à Big Island en ma- parcs nationaux, des réserves naturelles, des zones de nature sauvage, des
tière de gestion du risque éruptif et d’interprétation forêts d’État et des aires de bassins versants de montagne. Ces éléments
des patrimoines. ajoutent un nombre important d’espèces de plantes endémique associées à la
végétation du Fynbos, une brousse sclérophylle au feuillage fin adaptée à la
Au-delà de la signature d’accords qui permettront aux fois à un climat méditerranéen et à des incendies périodiques, qui est unique
deux parcs d’échanger leurs expériences mutuelles ac- à la Région florale du Cap.
quises de leurs actions de protection, de valorisation et Centre du patrimoine mondial, Unesco.
de conservation de la biodiversité, des échanges avec
plusieurs intervenants et représentants Hawaiiens, ain- Les deux territoires réunionnais et sud-africain par-
si qu’avec des structures telles que le télescope CFHT tagent en effet de nombreux enjeux : niveau élevé
(Canada France Hawaï Telescope) situé à 4000 m sur d’endémisme, gestion des incendies, lutte contre les
le Mauna Loa, ou l’Observatoire du Volcan et le mu- espèces exotiques, pression urbaine…
sée attenant, ont pu avoir lieu. Une mission d’une semaine d’une délégation du Parc
En retour, des représentants du Parc national des national de La Réunion a eu lieu en 2015 en Afrique
volcans d’Hawai’i, devraient se rendre à La Réu- du Sud. Il y a été convenu de préparer un protocole
nion en cours d’année 2017 pour renforcer ce jeune d’accord sous la forme d’un « Memorandum of Un-
derstanding » (MoU).
216 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Entrée du siège du Parc national des Volcans d’Hawaï. Photo J. Payet.
Ce protocole devrait couvrir des thématiques variées Les échanges et partenariats avec
telle que la conservation de la biodiversité, le suivi à les îles du sud-ouest de l’océan Indien
long terme et l’adaptation au changement climatique,
l’utilisation durable des ressources naturelles, la gestion La Commission de l’océan Indien
exemplaire des infrastructures touristiques, ou encore
l’éducation à l’environnement. Les échanges entre les pays de la zone s’organisent
Il a de plus été convenu que ce protocole d’accord notamment dans le cadre de la Commission de l’océan
serait ensuite décliné en un Plan d’actions mettant Indien. La mise en relation des différents Biens inscrits
l’accent sur les relations entre le Parc national de La est un sujet qui pourrait être mis en avant.
Réunion et Table Mountain National Park.
La Commission de l’océan Indien (COI) est une organisation
Des contacts et des premiers échanges intergouvernementale créée en 1982 à Port-Louis (Maurice) et
avec la Tanzanie institutionnalisée en 1984 par l’Accord de Victoria (Seychelles). Elle réunit
cinq pays de la région océan Indien : Union des Comores, France/Réunion,
Des contacts et des échanges ont eu lieu avec l’Aire de Madagascar, Maurice, Seychelles.
conservation de Ngorongoro en Tanzanie. La COI a deux missions spécifiques :
Cette Zone de conservation de Ngorongoro a été ins- 1. elle est le vecteur privilégié de construction et de développement solidaire
crite sur la liste des Biens du Patrimoine mondial en de l’espace indianocéanique au sein duquel les déplacements et connexions
1979. physiques et immatérielles doivent pouvoir se réaliser de manière efficace ;
Un voyage de prise de contact avec l’aire protégée 2. elle sert ensuite de cadre à ses États membres pour mener des actions
et quelques actions concrètes ont été menées, par collectives extérieures d’intégration et de coopération avec la région Afrique
exemple : orientale et australe, le continent africain (UA), le Sud (collaboration Sud-
– l’accueil de volontaires Réunionnais en Tanzanie Sud) et le reste du monde, ainsi qu’avec les institutions multilatérales et les
dans le cadre de la coopération régionale, différents bailleurs.
– l’accueil d’étudiants tanzaniens au lycée agricole de
Saint-Joseph, Les îles Vanille
– une coopération sur le miel,
– un échange culturel (favorisé par une aide de la com- Sous l’égide de l’Université de la Communication de
mune de Bras-Panon) avec l’arrivée d’une délégation l’océan Indien (UCOI), le concept marketing « Les Îles
de Tanzanie à La Réunion… Vanille » a été défini début août 2010, lors d’une ren-
contre à la Chambre de Commerce de La Réunion entre
les représentants des Offices de Tourisme (OT) de la zone.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 217


Les professionnels du Tourisme ont conscience que sement sur la liste des Biens patrimoine mondial de
l’essor touristique de La Réunion, Maurice, Madagas- l’Unesco sur des critères culturels (site sur la liste indi-
car, Les Seychelles, Les Comores, et Mayotte, passe cative depuis 2013).
par la mise en commun de moyens et de savoir-faires – le partenariat en construction entre les Seychelles
spécifiques. et la SEOR, notamment sur le suivi des oiseaux
C’est pourquoi le concept de la « vanille » élément na- « communs »…
turel, gastronomique et touristique commun aux îles
de l’océan Indien permet de lancer une marque qui Le partenariat avec Maurice et Rodriques
renforce la notoriété de ces destinations et de mieux
les vendre au national et à l’international. De nombreuses espèces indigènes et exotiques enva-
hissantes sont communes aux 3 îles de l’archipel des
Dans le cadre de cette « marque » dédiée au Sud-Ouest de l’océan Indien, Mascareignes. Il est donc important de travailler en
chaque pays doit mettre en avant ses atouts et avantages pour augmenter collaboration afin d’une part de partager les méthodes
l’attractivité de la zone. de maîtrise culturale, mais aussi d’autres part de lutte
La Réunion qui a la chance d’avoir une grande partie de son territoire préservé contre les plantes exotiques envahissantes ; de ma-
et inscrit au Patrimoine mondial doit valoriser cette opportunité. nière générale des méthodes de reconstitution et de
restauration.
Le partenariat avec les Seychelles C’est pourquoi, de premières discussions ont été ré-
alisées entre le Parc national de La Réunion et celui
Plusieurs contacts ont été pris avec le gouvernement de Maurice (National Parks and Conservation Service,
seychellois, notamment par la Région Réunion, le Dé- NPCS). Des échanges et collaboration ont été réali-
partement, le Président actuel du Parc (qui est égale- sées, en partenariat avec le Parc national mauricien
ment élu départemental en charge de la coopération (NPCS), l’université de Maurice, les services forestiers
régionale). de Maurice et de Rodrigues.
Des échanges sont organisés et des partenariats noués. Ainsi, en 2014, le Parc national de La Réunion, en par-
Parmi eux, peut être cité : tenariat avec le CIRAD et l’Université de La Réunion,
– la collaboration de La Réunion au schéma d’in- a travaillé en étroite collaboration avec l’Université de
terprétation du site historique (lié à l’esclavage) de Maurice, la Mauritian Wildlife Foundation (MWF), le
Sans-Souci (île de Mahé), site que le gouvernement Parc national mauricien (NPCS) et les services fores-
seychellois souhaite proposer à l’inscription au clas- tiers afin de mettre en place des relevés homogènes à

Praslin, Seychelles. Photo G. Collin.

218 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


l’échelle des Mascareignes, de suivis permanents de La Réunion bénéficie de l’expérience mauricienne
la végétation. Ces relevés concernent d’une part la La Mauritian Wildlife Foundation (MWF) a commencé à mettre en place
végétation exotique envahissante (relevés réalisés sous des chantiers de restauration écologique sur les îles de Maurice et Rodrigues
forme de transects sur Rodrigues et Maurice), mais à partir de 1988. L’expérience accumulée par cette structure est donc
aussi des milieux naturels (relevés réalisés sous forme considérable et d’autant plus profitable au projet LIFE+ COREXERUN
de quadrats d’un hectare sur Maurice). que les végétations des trois îles sont proches, avec de nombreux genres, voire
espèces, en commun.
Dans le cadre de ce projet, un travail sur l’avifaune a Les membres de la cellule LIFE+ COREXERUN se sont donc rendus sur
été également mené, notamment sur le suivi des oi- place afin de visiter des chantiers de restauration en cours, ce qui a permis
seaux (avec la contribution de la SEOR). de visualiser l’organisation de ces derniers ainsi que les moyens et protocoles
mis en œuvre, et sur des chantiers plus anciens afin d’évaluer les objectifs
finaux que le projet LIFE+ COREXERUN peut atteindre. Comme à La
Réunion, à Maurice et à Rodrigues une grande partie des connaissances
sont transmises oralement. L’objectif de cette mission était donc également
d’échanger directement avec les membres de la MWF travaillant sur ces
projets de restauration écologique, en particulier sur les sujets de l’après-
chantier et de l’évaluation de l’efficacité des protocoles.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 219


LA PÉRENNITÉ DU BIEN
L’aventure de la candidature, la réussite de l’inscrip- propices à la découverte touristique peuvent, s’ils
tion, la fierté légitime de cette reconnaissance univer- n’intègrent pas totalement la signification du paysage,
selle sont des acquis. L’erreur majeure serait de consi- perturber ou faire disparaître ce qui fait justement le
dérer l’inscription comme un bel objet difficilement discret objet du désir du visiteur.
acquis mais que l’on relègue dans une vitrine et re- Le critère (x) « la biodiversité » est quant à lui plus
garde avec l’émotion du retour vers un passé glorieux. difficile à préserver. En effet les Espèces Exotiques En-
Il ne s’agit pas d’une reconnaissance éternelle, car elle vahissantes (EEE) poursuivent leurs expansions et me-
peut être remise en cause à tous moments par des actes nacent les espèces indigènes dont certaines sont déjà
contraires à la conservation ou à l’évolution raisonnée très rares. La situation reste, de ce fait, préoccupante.
et raisonnable des valeurs patrimoniales, par des me- C’est pourquoi, il faut amplifier les actions de « lutte
naces naturelles ou humaines. Il faut donc une atten- contre l’érosion de la biodiversité » et de « valorisation
tion au quotidien des institutions comme des citoyens. des espèces végétales indigènes ».
Il faut imaginer des solutions efficaces et acceptables. Celles-ci passent notamment par :
Il ne s’agit pas d’un nouveau logo sur les papiers à – la promotion de l’utilisation des espèces végétales
lettre ou sur les panneaux d’information mais d’un patrimoniales, dans nos jardins, nos aménagements,
merveilleux outil pour favoriser la compréhension et nos champs…
la découverte. – la conservation des habitats et des espèces indigènes,
Les paysages exceptionnels sont la résultante des mo- – la lutte contre les espèces exotiques envahissantes
teurs naturels (climat, géologie, biologie) et humains en limitant leur introduction, leur installation, leur
(aménagements, usages, traditions). Ils représentent progression et en régulant l’existant par exemple en
certainement la porte d’entrée dans un monde de favorisant leur utilisation raisonnée. Une évaluation
beauté ouvrant sur toutes ses composantes. périodique de l’évolution de la présence de ces espèces
invasives est nécessaire. Pour y parvenir, il est impor-
Il ne s’agit pas non plus d’un objet jalousement gardé tant de tenir compte des avancées de la connaissance
par quelques-uns pour quelques autres. Ce patrimoine afin :
exceptionnel doit être partagé entre ceux qui savent - de préciser les méthodes et/ou les priorités de conser-
et ceux qui veulent apprendre. Il doit être aussi par- vation ;
tagé avec des territoires et des sociétés extérieures qui - d’impliquer la populations et les différents acteurs
rêvent de la même aventure ou qui cherchent des so- dans ces actions de conservation ;
lutions aux problèmes rencontrés par des patrimoines - de prendre en compte les dernières évolutions légis-
tout aussi exceptionnels. Sans compter ce que La Ré- latives et réglementaires.
union peut recevoir en échange… De plus il convient de mesurer avec précaution les im-
pacts réels ou potentiels de chaque aménagement.
L’inscription au patrimoine mondial doit donc s’ins- Enfin, le gestionnaire du Bien devra analyser scru-
crire aussi dans le temps, dans l’espace et dans la puleusement les résultats des évaluations de l’état de
société. conservation émis par l’Unesco et l’UICN. Ces docu-
ments ne sont jamais des réquisitoires mais des alertes
Les engagements à tenir en vue de mieux conduire les actions, en coopération
avec les institutions internationales.
sur la durée : garder l’intégrité
du Bien
L’inscription de la partie haute de La Réunion sur la
liste des Biens du Patrimoine mondial s’accompagne,
d’engagements pour préserver l’intégrité du Bien
inscrit.
Les grands paysages ayant notamment permis l’obten-
tion du critère (vii), « la beauté », semblent dans leurs
grandes lignes pouvoir résister aux pressions.
C’est peut-être là pourtant que les aménagements

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 221


L’apport de la connaissance première étape dans le processus de conservation.
et son utilisation pour la conservation Toutefois, compte tenu de l’urgence de conservation,
certains auteurs, proposent également des premières
Pour conserver aux mieux nos milieux naturels et les orientations de conservation (Hivert et al. 2013, Au-
espèces associées, il est important de tenir compte de gros et al. 2015, Robert et al. 2015, Thomas et al.
l’amélioration des connaissances. 2016), y compris au niveau des milieux les plus pertur-
bés (Augros & Martos 2016).
Les actions décrites au chapitre précédent (Plans d’Ur-
gence (PU), Plans Régionaux de Lutte (PRL), Plans L’amélioration des connaissances de multiplication des
Nationaux d’Actions (PNA), Plans de Conservation espèces passe généralement par une meilleure connais-
(PDC), POLI, PEI-RUN, LIFE+, ESPECE, Nuits sans sance de la biologie et de l’écologie des espèces. Ces
Lumière, actions de participation citoyenne…) doivent connaissances permettent de mieux comprendre les
continuer et être amplifiées. problèmes rencontrés au moment de la pollinisation
D’autres outils, programmes ou actions doivent être des fleurs d’une plante (cf. Micheneau et al. 2010, Le
inventés et mis en œuvre. Péchon et al. 2013b, Bègue et al. 2014, Martos et al.
L’analyse des actions antérieures doivent nourrir les 2015) à leur installation dans le milieu naturel et per-
actions nouvelles. mettent parfois de préciser les méthodes de renforce-
ment de population rares ou de manière plus générale,
À La Réunion, le référentiel taxonomique concernant de restauration des milieux naturels, notamment te-
la flore vasculaire est mis à jour par le Conservatoire nant compte des réponses sur la génétique ou la phy-
Botanique National de Mascarin, en fonction des mo- logénie de l’espèce (Dafreville et al. 2011, 2012, Bone
difications à l’échelle mondiale, du fait principalement et al. 2012, Strijk et al. 2012, Mallet et al. 2014, Strijk
de l’amélioration des connaissances sur certains taxons et al. 2014, Martos et al. 2016) ou encore en lien avec
(CBNM 2017). Cette liste, en lien avec le référentiel la dégradation de la roche par des lichens notamment
national TAXREF (cf. Gargominy et al. 2016), a égale- (Meunier et al. 2014). L’intérêt des chercheurs pour
ment permis récemment de mettre à jour la liste rouge des complexes évolutifs simplifiés au niveau des mi-
de l’UICN (UICN France et al. 2013). Concernant les lieux insulaires (Warren et al. 2015), permet à La Ré-
groupes spécifiques, notamment pour les bryophytes, union d’acquérir de manière régulière de nombreuses
la liste rouge IUCN a également été réalisée au moins connaissances dans ces domaines.
en partie (cf. Ah-Peng et al. 2012). Ainsi, de manière plus générale et du fait de nom-
Pour les habitats, le CBNM a récemment mis jour la breux essais expérimentaux par des organismes offi-
typologie descriptive des habitats naturels et semi-na- ciels ou encore des passionnés locaux, l’amélioration
turels de La Réunion (Lacoste et al. 2014). La cartogra- de la connaissance de multiplication des espèces les
phie à une échelle plus large est mise à jour en fonction plus rares a également progressé au cours de ces der-
des remontées de terrain mais aussi de cartographies nières années. Elle a parfois pu être synthétisée au tra-
réalisées au niveau de certaines zones de l’île, dans le vers de fiches ou de rapports spécifiques (Rochier et
cadre d’études spécifiques (cf. Notter et al. 2010). Ces al. 2013, Thueux 2014). Ces apports sont importants
cartographies sont importantes et permettent souvent puisqu’ils permettent au nouvel arrivant dans le do-
de préciser les priorités de conservation et de préciser maine de la multiplication des espèces d’être rapide-
les utilisations des espaces, notamment auprès des élus ment compétent.
et décideurs locaux (cf. Lagabrielle et al. 2009, 2011).
L’impact des invasions biologiques sur les milieux
Au cours des dernières années de nouvelles espèces naturels n’est malheureusement plus a démontré (cf.
ont été observées sur l’île, de nombreuses nouvelles Potgieter et al. 2014). L’amélioration des techniques
stations de plantes rares ont également été décou- de lutte contre les plantes exotiques envahissantes a
vertes, concernant parfois des espèces très fortement été résumé récemment dans des fiches pour certaines
menacées (Robert & Tamon 2010, Szelengowicz et al. espèces problématiques (ONF 2016). Il est toutefois
2011, Masson 2012, Robert & Thomas 2013, Le Pé- difficile de préciser les priorités d’intervention des
chon et al. 2013a, Fontaine et al. 2015, 2016, Masson actions de lutte face à l’ampleur de l’impact des es-
et al. 2015). La découverte de nouvelles espèces et/ pèces exotiques envahissantes. Anziz et al. (2017)
ou nouvelles stations de plantes rares est importante, tentent d’identifier les priorités d’intervention en te-
mais malheureusement souvent insuffisante pour iden- nant compte du niveau d’envahissement de Hiptage
tifier des priorités de conservation. Il s’agit donc d’une benghalensis mais aussi de la présence des plantes me-

222 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


nacées d’extinction, après avoir cartographié cette La mise en place de filières économiques d’utilisa-
dernière à l’échelle de l’île. L’importance de détecter tion de plantes exotiques envahissantes ou encore de
rapidement une nouvelle invasion est primordiale, plantes indigènes, semble être en plein essor. Celle-ci
dans l’espoir de l’éradiquer d’une zone géographique pourrait avoir un intérêt d’une part dans des actions
précise ou de l’île. Des actions de détection précoce et de lutte contre les plantes exotiques envahissantes, ou
d’éradication d’urgence sont mises en place par les or- d’autre part dans la conservation d’une espèce. Tou-
ganismes spécialisés. Elle est également accompagnée tefois, les premiers résultats scientifiques montrent en-
par le réseau des naturalistes locaux (cf. Tamon et al. core des améliorations à apporter, notamment dans la
2012). La mise en place d’outil de suivi sur le long poursuite au cours du temps de l’action de lutte pour
terme est quelque chose d’important à consolider afin conserver le milieu naturel envahi (cf. Minatchy et al.
d’évaluer l’ampleur de l’envahissement au cours du 2017), ou encore de l’utilisation de plusieurs chémo-
temps mais aussi de prévenir de l’arrivée de nouvelles types (entité chimique distincte au sein d’une même
espèces exotiques en milieu naturel (cf. Macdonald espèce) afin de favoriser une diversité génétique de
2010, 2013). Ces outils peuvent également être mis en l’espèce multipliée et non le chémotype le plus perfor-
place en tenant compte des différents types d’habitats mant (cf. thèse Blambert 2016). Une partie de la flore
(Juillet 2016). Il est également important d’identifier réunionnaise est aujourd’hui inscrite dans la pharma-
au cours du temps l’effet des actions de lutte entre- copée française. De nombreux travaux ont montré
prise, en réalisant un suivi, notamment à l’échelle des des intérêts pour la médecine (cf. Jonville et al. 2010).
stations des plantes rares plantées (cf projet RHUM, Il demeure toutefois important d’accompagner les fi-
Rochier et al. 2014), ou dans le cadre d’actions de lutte lières afin de limiter l’impact sur le milieu naturel (pré-
spécifique, comme la lutte biologique, autour d’une lèvements) et au contraire de favoriser l’intérêt pour la
espèce spécifique (Mathieu et al. 2014, Dafreville et conservation.
al. 2015). De manière complémentaire, l’appui d’outil
de cartographie (LiDAR) semble progresser et permet Enfin la valorisation des données demeure une priori-
d’identifier le niveau d’ouverture des forêts (Shang et té. Elle est malheureusement trop souvent limitée du
al. 2016). Si cela se confirme, le lien avec l’envahisse- fait du temps non attribué pour cela aux personnes
ment par des plantes pourrait permettre d’adapter les non considérées comme des chercheurs. Qui plus est,
méthodes de restauration. Les plantes envahissantes la langue utilisée pour les grandes revues scientifiques
ne sont pas les seules menaces sur les milieux natu- étant l’anglais, cela implique une double contrainte
rels et les espèces associées. L’île, ayant évolué sans vis-à-vis des gestionnaires et des naturalistes notam-
la présence de grands herbivores, leurs impacts sont ment : une rédaction difficile pour ceux qui souhaitent
négatifs sur les milieux naturels indigènes. Toutefois, valoriser leurs données ou encore une lecture difficile
il est important de l’évaluer afin de proposer des prio- pour ceux qui veulent s’informer. La revue les Cahiers
rités de lutte contre les plantes exotiques envahissantes scientifiques de l’océan Indien occidental (cf. para-
associées et/ou des propositions de cantonnement (cf. graphe sur les nouvelles découvertes), crée en 2010
Pausé et al. 2015, Baret et al. 2015). ou encore les actes du séminaire GECOBIO (cf. Ba-
ret et al. 2015, pour la première édition), répondent
Les réglementations en cours, liées au statut de protec- en partie à cette demande et permettent de valoriser
tion des espèces (arrêté ministériel) ou en lien avec le des données qui souvent ne l’étaient pas. Cela permet
niveau de protection des aires protégées (Baret et al. alors de mettre à jour de manière plus régulière les
2013) sont souvent perçues comme une contrainte. Le priorités de conservation ou encore les méthodes de
temps imparti pour le montage de dossier est de ce fait lutte contre les espèces exotiques envahissantes.
souvent négligé. Le Parc national, a, de ce fait, porté le
montage de plusieurs dossiers de dérogation. Toutefois
et de manière à faciliter le montage de dossier, une
trame consensuelle a été rédigée (Baret et al. 2012). La
méthodologie proposée, si elle est reprise, a pour but
de simplifier les dossiers de dérogation, mais aussi de
faciliter leurs obtentions.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 223


Le renforcement de l’implication en place de projets de Plantation d’Espèces Indigènes
de la population dans la plantation réunionnaises, pour une utilisation durable par la po-
d’espèces indigènes et la lutte pulation, intitulés PEIRun durable.
Riche des expériences autour de ces premiers projets
contre les espèces invasives (Baret et al, 2016) et compte-tenu du retour des parte-
Du fait du passage des Hommes sur l’île depuis le naires, via les secteurs du Parc national, ces projets ce
XIIe siècle et de son installation courant XVIIe, de sont élargis, tout en gardant l’objectif initial de plan-
nombreuses forêts ont été dévastées et des espèces tation d’espèces indigènes. Aujourd’hui, il est possible
ont disparues. L’introduction de nombreuses espèces de mettre en œuvre des projets :
exotiques dont certaines sont devenues envahissantes, – de PEIRun semenciers (avec pour objectif la mise
menacent les milieux naturels et les espèces associées. en place d’arboretum de secteurs),
Les gestionnaires œuvrent depuis une trentaine d’an- – de PEIrun aménagement (pour la plantation le long
née, d’arrache-pied afin de lutter au mieux contre ce des bords de route, au niveau ou dans les zones d’amé-
fléau mondial, considéré comme la menace numéro nagements des communes),
un d’érosion de la biodiversité au niveau des îles. Mais, – de PEIRun jardin (avec pour objectif de proposer,
face à l’ampleur du problème, les moyens humains et aux propriétaires privés les plus proches des milieux
financiers sont largement insuffisants. Sur le plan fi- naturels, d’arracher une plante exotique envahissante
nancier, les moyens n’évolueront plus guère, qu’à la présente chez eux, en échange d’une plante indigène,
marge ! – de PEIRun participatif (avec pour objectif de faire
Comment faire pour compléter le travail des gestion- participer la population à des actions de conservation,
naires, afin de sauvegarder le plus d’espèces indigènes ? si possible de manière bénévole),
Les Réunionnais utilisent depuis longtemps le milieu – de PEIRun pépinières (projet de mise en place de
naturel, et plus particulièrement la flore locale, pour pépinières produisant des espèces indigènes),
apaiser certaines maladies, comme bois de chauffe ou – de PEIRun scolaires au niveau des établissements
de « cuite » (alimentation des alambics), pour le miel scolaires.
produit par les abeilles, pour la sylviculture. Toutefois, La même méthodologie pourrait être envisagée pour
si l’on souhaite que ces pratiques culturelles puissent la faune avec notamment le projet de mettre en place
se faire durablement, il est important de le faire dans un PEIRun rivière (production d’espèces indigènes au
le respect de la conservation des espèces et des milieux. niveau des rivières, avec organisation d’une protection
Comment faire pour ne plus connaître de disparition et d’autorisation de pêche). Lorsque les stocks seront
d’espèces comme les tortues terrestres géantes ? renouvelés, une journée de pêche traditionnelle (cas
Il semble donc important et primordial que la popula- par exemple de la pêche à la tâte…) pourrait être mise
tion participe auprès des gestionnaires à la sauvegarde en place.
de son patrimoine naturel. L’intérêt est double d’une part pour la population,
L’implication de la population dans les projets de d’autre part pour la conservation :
conservation apparaît comme une évidence, à la survie
du patrimoine naturel et culturel réunionnais. Intérêt pour la population
Mais comment y parvenir afin de contenter la popula- – Utiliser des espèces indigènes pour maintenir les pratiques existantes sans
tion locale, les gestionnaires des milieux, les décideurs autorisation (et de manière durable) ;
et les scientifiques ? Le Parc national convaincu de – Être impliqué dans des actions de conservation de ses patrimoines naturel
l’importance de l’implication de la population, œuvre et culturel ;
– Possibilité d’avoir un revenu en lien avec la conservation.
maintenant depuis 10 ans dans ce sens. Il a obtenu
Intérêt pour la conservation
l’appui de nombreuses associations et de l’Université
– Limiter les plantations d’espèces exotiques envahissantes ;
de La Réunion, au moyen de collectes de mémoires – Limiter l’utilisation des espèces indigènes dans le milieu naturel intact ;
auprès de la population. Des rapports, des posters de – Limiter les échanges de transport de semences d’exotiques envahissantes vers
sensibilisation, des flyers ont été réalisés, ainsi que de le milieu naturel et inversement favoriser les échanges de plantes indigènes et
nombreuses plantations d’espèces indigènes avec des de la faune associée ;
associations, des écoles de quartier… - Créer une trame verte sous forme de pas japonais (poches de végétation
indigène pouvant servir de tremplin pour une meilleure circulation de celles-
La mise en place des projets locaux ci) ;
de Plantation d’Espèces Indigènes (PEIRun) – Limiter la pollution génétique en tenant compte des recommandations des
scientifiques, concernant une origine des espèces restreintes de la récolte à la
Ainsi, depuis 2012, le Parc national a initié la mise plantation ;
– Sauvegarder le patrimoine immatériel du cœur de parc.
224 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
PEIRun au Tévelave. Photo S. Baret.

Première de couverture de l’ouvrage « Des plantes pour demain »,


réalisé dans le cadre d’un Atelier Chantier d’Insertion (2015 - 2016).

Le rôle des agriculteurs dans la limitation


de l’invasion des forêts indigènes par des
espèces exotiques envahissantes

La gestion des interfaces agricole / naturel est une clé


PEIRun à Trois-Bassins. Photo R. Brennus. de réussite pour stopper / limiter le front de progres-
Afin que les plantations aient un réel intérêt pour la sion des pestes. Or ces parcelles d’interface sont sou-
conservation des espèces et des habitats réunionnais, vent en friches car pentues, pierreuses et difficilement
aujourd’hui, le travail se fait autour du slogan « SAU- valorisables sur des modèles classiques (prairie d’éle-
VONS LES PIÉ-D-BWA DE NOTRE QUARTIER ». vage). Le développement de systèmes de production
La population est fière et heureuse de participer à des agroforestier, en périphérie des espaces naturels est un
actions de conservation, en sauvant les plantes de son axe intéressant de reconquête agricole et de gestion
quartier (généralement limitées à celles présentes sur agro-écologique favorable à la biodiversité.
un même bassin versant). Les scientifiques sont satis-
faits puisque cette méthodologie permet de limiter les Le GIEE : Un nouvel outil facilitant le concours des
risques de pollution génétique, de favoriser tous les agriculteurs.
écotypes, de limiter le transport d’espèces exotiques Les Groupements d’intérêt économique et environ-
d’une zone de l’île à une autre. nemental (GIEE) permettent une reconnaissance of-
ficielle par l’État de l’engagement collectif d’agricul-
La valorisation des chantiers d’insertion
teurs dans la modification ou la consolidation de leurs
Plusieurs ACI (Atelier Chantier d’Insertion) sont mis pratiques en visant une performance économique, en-
en œuvre dans l’île. Il s’agit de structures d’insertion vironnementale et sociale. Ils constituent l’un des outils
par l’activité économique. Elles sont conventionnées structurants du projet agro-écologique pour la France.
et ont pour but de lever les freins à l’emploi des per- À La Réunion, un appel à projet a été lancé par le
sonnes en difficulté d’insertion. Préfet de Région, les « arrêtés de reconnaissance » des
Parmi ces ACI, quelques-uns se sont spécialisés dans premiers candidats retenus pour cette labellisation sont
l’environnement, notamment dans la lutte contre les en cours. Les volets « lutte contre les espèces exotiques
espèces exotiques et la valorisation des espèces indi- envahissantes et valorisation des espèces indigènes »
gènes et endémiques. sont notamment mis en avant.
Parmi ces actions, peut-être mis en illustration l’action
menée en 2015 – 2016, par l’ACI de Sainte-Marie Aménagement des zones de transition :
Beaumont. Les habitants de ce quartier ont eu la vo- Le projet ÉCOTONE
lonté de construire un projet de développement afin de Le projet ÉCOTONE est une démarche volontaire d’un partenaire (ici la
mettre en valeur la richesse de leur secteur. Ils se sont Société d’Étude de Développement et d’Amélioration de l’Élevage Local,
appuyés sur la richesse de la forêt primaire. Sur un SEDAEL) qui désire confirmer qu’il est possible, souhaitable et avantageux
terrain communal, ils ont créé une pépinière et com- de concilier agriculture et écologie. La SEDAEL a la volonté de démontrer,
mencé une réhabilitation écologique. Leur travail a été à travers ce projet pilote, que la voie de l’agroécologie, plus précisément du
mis en valeur par un document illustré intitulé « des sylvopastoralisme, est une chance pour l’élevage et la biodiversité. Le cas,
plantes pour demain ». choisi, des Hauts de Montvert, vitrine du projet ÉCOTONE, est un premier

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 225


jalon vers cet axiome. veaux de l’organisation territoriale (la Région devient
Il est question ici d’un espace « en friche » qui est limitrophe d’une forêt chef de file dans le domaine de la biodiversité),
de Bois de couleurs des Hauts située en amont et d’une prairie permanente – la récente loi du 8 août 2016 sur la reconquête de la
en aval. Cette friche est composée d’espèces exotiques envahissantes qui biodiversité, de la nature et des paysages.
constituent une menace forte et évidente pour la forêt. Le projet ÉCOTONE Ce texte apporte des solutions concrètes aux princi-
consiste à transformer cette zone en une aire dite « tampon » où la biodiversité paux facteurs de perte de la biodiversité : artificiali-
influe favorablement sur l’élevage. Pour garantir une telle proposition, il sera sation des terres, risque de disparition d’habitats in-
nécessaire de passer par une phase d’études préalable au défrichement puis dispensables à la préservation de certaines espèces,
d’implanter sur ce « nouvel » espace des espèces à forte valeur patrimoniale et/
surexploitation des ressources, pollutions, développe-
ou utiles à l’élevage. Autrement dit, il s’agit ici de convertir la friche concernée
ment des espèces exotiques envahissantes, changement
en un pâturage qui évolue progressivement vers l’amont en un milieu forestier.
climatique. Il crée également une Agence Française
Ce programme a pour ambition d’être un pilote pour d’autres plans
de la Biodiversité et prévoit sa déclinaison régionale.
d’aménagements agro-écologiques qui pourraient être mis en place dans
Les nombreux décrets d’application sont en cours de
les Hauts de La Réunion, là où peuvent persister des conflits d’usage entre
parution.
agriculture et écologie.

La meilleure prise en compte des enjeux Les règles nationales et européennes concernant la
de conservation dans les aménagements publics protection de la biodiversité ne prennent pas toujours
en compte la fragilité des îles océaniques d’Outre-mer,
La stratégie de lutte contre les espèces invasives à La notamment envers les invasions biologiques. Un travail
Réunion met en exergue l’absolue nécessité de déve- d’adaptation et de validation par le système législatif
lopper des actions préventives plutôt que curatives et/ou réglementaire est à conduire.
en matière de gestion des processus invasifs. Ainsi,
la Démarche Aménagement Urbain et Plantes Indi- Le règlement de l’UE 1143 / 2014 précise que « les espèces exotiques
gènes (DAUPI) vise à favoriser l’utilisation d’espèces envahissantes constituent l’une des principales menaces qui pèsent sur la
indigènes et d’espèces exotiques non envahissantes biodiversité et les services écosystémiques associés, en particulier dans les
dans les projets d’aménagements des espaces urbains écosystèmes géographiquement isolés et ayant évolué en vase clos, tels que les
et périurbains. petites îles. Les risques que présentent ces espèces pourraient être accrus par
l’intensification des échanges mondiaux, des transports, du tourisme et du
La mise en place de la DAUPI changement climatique. ». Ce règlement stipule que « au plus tard le 2 janvier
La première phase du projet DAUPI a eu pour objectifs de construire des 2017, chaque État membre comptant des régions ultrapériphériques adopte
outils pour aider les professionnels à identifier, produire et choisir des espèces une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour chacune de
végétales indigènes et des espèces exotiques non envahissantes dans le cadre de ces régions, en concertation avec lesdites régions ».
projets de végétalisation des espaces urbains et péri-urbains. Actuellement à La Réunion, deux listes sont à l’étude :
La seconde phase, démarrée en 2014, comprend les actions suivantes : • liste 1 limitative des espèces exotiques autorisées d’introduction dans le
Développement d’une plate-forme WEB dont l’objectif est de présenter le milieu naturel,
projet et ses grands objectifs et de mettre à disposition les outils élaborés, • liste 2 d’espèces exotiques interdites sur ce territoire.
Organisation d’une « banque de semences » ou d’un dispositif facilitant les
accès à ces dernières, Il est, également à noter que l’arrêté préfectoral por-
Utilisation de la DAUPI pour sensibiliser la société civile, le grand public tant régulation des chats sauvages, souhaité par les ges-
et les décideurs aux grands enjeux de conservation durable de la biodiversité tionnaires de la nature, a été mis en enquête publique,
de La Réunion. en novembre 2016. Il a été signé par le préfet le 6
février 2017.
Une évolution de la législation à prendre
en compte

Le système législatif et réglementaire est en cours de


modification, à la fois au niveau européen, au niveau
national et au niveau local.
Parmi les évolutions au niveau national peuvent être
cités :
– la loi NOTRe (Nouvelle Organisation du Territoire
de La République) qui prévoit notamment l’ajuste-
ment des compétences au niveau des différents ni-

226 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Le Bien est l’affaire de tous : mise en gestion du territoire du parc et du Bien. Le conseil
d’administration a défini la liste des membres de cette
place d’une gouvernance renouvelée
commission, qui comprend des représentants des dif-
férentes institutions et organismes impliqués dans la
Un rappel de la gouvernance mise gestion et le suivi de ce territoire (conseil scientifique,
en place lors de l’élaboration État, Région, Département, communes, ONF, Univer-
du dossier de candidature sité, Conservatoire botanique national, Associations de
Dans les chapitres précédents, il a été montré que protection du patrimoine naturel, etc.).
l’élaboration du dossier de candidature au Patrimoine La commission de gestion et de suivi est chargée de
mondial a été collective, il a demandé un portage com- donner des avis sur la gestion du Bien au regard du
mun. Les autorités responsables du projet s’étaient ré- plan de gestion et de la charte, en cohérence avec les
unies au sein d’un « comité directeur patrimoine mon- principes de la Convention du Patrimoine mondial.
dial », ayant pour mission de valider les contenus, les Elle donne aussi son avis sur les rapports de suivi et sur
étapes et la mise en forme du dossier. les états de conservation du Bien avant leur transmis-
Ce comité directeur, présidé par le Préfet de La Ré- sion au Centre du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
union, était composé de l’État, de la Région, du Dé-
partement, de l’Association des maires de La Réu- La commission consultative de concertation
nion et de représentants du monde scientifique. Un du Bien
protocole avait été passé entre l’État et les principales
collectivités. Cette commission est composée de représentants d’ins-
Ce comité directeur était complété par une commis- titutions, d’organismes et de personnes qui n’appar-
sion consultative de concertation intitulée « commis- tiennent pas au conseil d’administration de l’établisse-
sion patrimoine mondial » qui devait s’assurer de la ment public du parc national mais qui sont concernés
coordination des différents acteurs (services et établis- soit dans leurs activités par la gestion du Bien, soit sont
sements publics de l’État, collectivités, associations, so- des relais ou « ambassadeurs » de la politique menée
cioprofessionnels, chambres consulaires…) concernés pour le Bien. Le conseil d’administration du Parc dé-
par la préparation et la mise en œuvre du dossier. Elle finit la liste des membres de cette commission.
a été réunie, pour information et avis, au moment de La commission consultative de concertation est infor-
la validation des étapes d’avancement du dossier. mée des actions entreprises pour la gestion et le suivi
du Bien. Elle peut proposer à la commission de gestion
et de suivi du Bien des actions concernant le Bien.
Une gouvernance à relancer
La mise en place d’une convention locale
Ces deux instances accompagnant l’élaboration du
de gestion ?
dossier de candidature sont devenues caduques au
moment où l’objectif visé a été atteint, l’inscription
Au-delà des deux commissions prévues par la charte
en 2010.
et citées plus haut, la mise en place d’une convention
Une organisation du même type a été jugée nécessaire
locale de gestion paraît souhaitable à certains .
afin d’assurer la gestion et le suivi du Bien, nouvelle-
La charte de gestion des Biens français signée en 2010
ment inscrit. La charte du parc national a donc propo-
entre l’État et l’association des Biens français du pa-
sé sur ce sujet que le conseil d’administration du parc
trimoine mondial (ABFPM) incite à la signature de
s’appuie sur deux nouvelles commissions :
conventions locales de gestion pour clarifier la gou-
• la commission de gestion et de suivi du Bien.
vernance et le rôle de chacun, conventions impliquant
• et la commission consultative de concertation du
l’État et le gestionnaire, mais également les acteurs
Bien.
en responsabilité de gestion que sont les collectivités
Cette organisation s’articulera avec les instances qui
locales.
seront mises en place par le Préfet, dans son rôle de
L’importance de l’inscription sur la liste des Biens pour
garant de l’intégrité du Bien par l’État français.
le rayonnement international de l’île et son écono-
mie, et la responsabilité collective qui est celle de son
La commission de gestion et de suivi du Bien
maintien en bon état de conservation, plaident pour
l’élaboration d’une telle convention qui formaliserait
Cette commission est composée de membres du
les instances prévues dans la charte et préciserait les
conseil d’administration de l’établissement public du
responsabilités de chacun.
parc national représentant les différents partenaires de
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 227
Le « faire envie » et le « faire potentiel qu’offre cette inscription.
L’effort de partage doit être amplifié, des supports sont
ensemble » : communication et
à créer pour des publics particuliers :
échanges, outils d’une adhésion – le public familial local,
– le public jeune,
La réussite de la préservation, du partage et de la va- – les personnes en difficulté d’insertion,
lorisation de ce territoire passe par la compréhension – les professionnels du tourisme : hébergement, res-
et l’adhésion du plus grand nombre. Quelques outils tauration, offices du tourisme, guides, transporteurs…
sont proposés ci-après. – les élus et les acteurs de l’aménagement,
– les gestionnaires de l’environnement (notamment sur
la problématique des espèces exotiques envahissantes),
Un meilleur partage de la valeur – le monde éducatif,
universelle exceptionnelle au cœur – les médias locaux, nationaux et étrangers.
de l’inscription Un effort doit également être réalisé pour donner da-
vantage de sens aux sites visités (informations sur le
Le chapitre précédent a montré qu’une série d’actions secteur géographique, aménagements mettant en va-
a été menée dans ce sens (amélioration et partage de leur les trésors du site…)
la connaissance, participation citoyenne, édition de Pour que ce partage puisse se faire, il est nécessaire
documents de vulgarisation, tenue de séminaires et de d’allouer plus de moyens financiers et humains à cette
colloques, meilleure image de La Réunion à l’interna- information et à ces échanges. Le bilan des actions
tional …). positives n’est pas toujours connu. Le risque existe
que certains publics associent une inscription à une
En 1972, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science contrainte et non à une opportunité demeure.
et la Culture (UNESCO) décide de mettre en place une Convention du
Patrimoine Mondial visant à l’identification, la protection, la conservation, Éléments complémentaires
la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine de l’enquête IPSOS-OI 2016
culturel et naturel de valeur universelle exceptionnelle. Le Parc national de La Réunion a commandé, en 2016, une étude de perception
La « valeur universelle exceptionnelle » se définit comme l’importance à l’IPSOS-OI. Le public enquêté se composait de 538 Réunionnais (joints
naturelle et /ou culturelle telle qu’elle transcende les frontières nationales et par téléphone) et de 211 touristes (enquête/passager au départ de l’aéroport).
qu’elle présente le même caractère inestimable pour les générations actuelles La notoriété du Parc national de La Réunion et de l’inscription des Pitons,
et futures de l’ensemble de l’humanité. A ce titre, la protection permanente cirques et remparts sur la liste des Biens du Patrimoine mondial est bonne.
de ce patrimoine est de la plus haute importance pour la communauté Une grande partie des personnes interrogées se déclare prête à s’investir pour la
internationale. préservation de la faune et de la flore (80 % pour les Réunionnais et 92 %
pour les touristes).
Cela signifie également que 20 % des Réunionnais interrogés déclarent être
« pas du tout impliqués » ou « plutôt pas impliqués » dans la préservation
Logo du Site Unesco de la faune et de la flore. Le niveau d’implication est le plus faible chez les
« Pitons, cirques et remparts » publics allant rarement à la montagne, ceux de la tranche « 15 – 29 ans » et
de l’île de La Réunion.
chez les personnes en recherche d’insertion (chômeurs / inactifs ).
L’image du « verre à demi plein et à demi vide » vient
à l’esprit. S’il est indéniable que des actions ont été Un Réseau d’Hommes
conduites et que le public est globalement davantage et des réseaux numériques à faire vivre.
sensibilisé, il est également indéniable qu’une partie
du public a encore une information parcellaire voire Le projet global est à conforter, les partenariats à
insuffisante. consolider, les liens entre les différentes actions à tis-
Si la grande majorité des Réunionnais est informée ser. Le chapitre sur « la reconnaissance internationale,
et fière de l’inscription des Pitons, cirques et remparts moteur d’actions innovantes » montre que les choses
sur la liste des Biens du Patrimoine mondial, elle ne avancent. Les initiatives touchent des domaines diffé-
maîtrise souvent pas le pourquoi, le comment de cette rents (préservation, connaissance, vulgarisation, entre-
inscription et ce qu’elle induit ou pourrait produire. tien, équipement, valorisation…). Elles sont menées
Quand les citoyens et les acteurs économiques sont par des partenaires et services différents. Ces actions se
sous-informés, ils ne peuvent pas participer consciem- complètent et font partie d’une même ambition. Ceci
ment au maintien de l’intégrité du Bien, ni valoriser le dit, rares sont les acteurs à avoir une lecture globale de

228 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


ce qui se fait (ou ne se fait pas). Une logique, un lien de l’amélioration des connaissances, quelles que soient
entre les actions sont à mettre en évidence pour tendre les thématiques, la mise à disposition des données et
vers une culture commune et pour promouvoir le sens le partage de l’information font l’objet de demandes
de l’action collective. récurrentes de la part des partenaires et du public. Les
ressources documentaires et les supports de commu-
Au-delà de ce partenariat à faire vivre, il est souhaitable que les différents nication sont aujourd’hui multiples. Internet et les ou-
acteurs partagent une culture commune. Pour cela une information tils interactifs sont des vecteurs efficaces pour toucher
« minimale » doit faire partie du socle commun. Des moments d’information des publics très variés, depuis les spécialistes jusqu’au
et de formation sont à mettre en place. grand public.
Il est à noter que la charte du parc national prévoit des lieux d’échange et de
synthèse. Des conventions et des partenariats sont mis en place. Dans ce cadre, des projets innovants sont lancés (cartes web, géotrek,
borbonica.re…).
En effet, la démarche de sensibilisation et de médiation Des « applications » numériques sont à inventer notamment pour le public
est encore à renforcer. L’offre de découverte des pa- jeune, la « génération connectée ».
trimoines au sein du territoire est riche. Les différents L’utilisation du support « jeux vidéo » vient d’être initiée. Dans le cadre de
acteurs s’efforcent de le faire découvrir. Toutefois, les la protection des pétrels, un jeu intitulé « Jack Barau » vient d’être créé, il
enjeux de leur préservation ne sont pas toujours révé- met en scène un Pétrel de Barau « à l’allure de pirate » qui défend sa colonie
lés au public. Les actions proposées doivent permettre de l’arrivée de prédateurs, les rats introduits. Il s’agit d’un outil destiné au
aux acteurs territoriaux et aux différents publics de public jeune.
s’approprier (ou de se réapproprier) le patrimoine pour De même la valorisation de la production artistique est à conforter (exposition
qu’ils en comprennent les valeurs et les mécanismes et d’illustrations et de tableaux anciens montrant l’évolution des paysages, mise
qu’ils en fassent un atout de développement, tout en en avant de la production contemporaine…)
prenant en compte les enjeux de conservation.

Les publics à toucher sont multiples et de nombreux acteurs interviennent (les


offices du tourisme, les guides et professionnels du tourisme, les collectivités,
les associations, les bénévoles …) déjà dans divers domaines. Il existe à La
Réunion un réseau dynamique d’acteurs de l’éducation à l’environnement.
Il importe donc, pour faciliter la lisibilité des interventions proposées sur le
territoire, de promouvoir le partenariat et la mise en réseau.

Jack Barau, Pétrel. Héros d’un


jeu vidéo. 2017.

La fédération des différents acteurs et la mutualisation


de leurs ressources relatives aux patrimoines naturels,
culturels et paysagers, permettront une diffusion plus
efficace de l’ensemble de ces informations.

Une meilleure prise en compte


du « décalage » des perceptions
des différents publics

Les missions et le lexique utilisé par le Parc national et


Brochure invitant à ses « alliés » ne sont pas toujours compris. Différentes
découvrir études sociologiques ont montré que les mots n’avaient
la pandanaie
de la Plaine pas toujours le même sens entre les différentes com-
des Palmistes. posantes du territoire (résidents, aménageurs, pro-
Parc national
de La Réunion. 2011. tecteurs, utilisateurs, spécialistes, amateurs…). Des
Les supports de communication variés sont à mutuali- confusions, voire des contresens, peuvent s’établir. Il y
ser et à adapter aux différents publics. Une démarche a donc nécessité de prendre en compte ce « décalage »
continue de communication et de mise en réseau des d’informations, de perceptions, voire de conceptions
informations est un impératif pour animer et faire dans le travail d’animation, de pédagogie, de sensibi-
vivre le projet de territoire. En effet, dans le domaine lisation et de communication.
L’appel aux sciences humaines devra être intensifié.
La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 229
Favoriser et soutenir les études en Sciences Humaines
et Sociales
Les thèmes qui pourraient être valorisés sont, notamment, la relation Homme
/ Nature et la compréhension de la perception par la population du territoire,
de la valeur des patrimoines indigènes, des espèces exotiques envahissantes, du
sens des actions menées…
Il est à noter la mise en place du réseau « Humanités Environnementales à
La Réunion » (HER). Son objectif est de permettre des débats sur ces thèmes.
Savane des Bas de l’Ouest. Photo J.-F. Bègue.

L’un des problèmes qui se pose aujourd’hui est en ef-


fet celui de la capacité des acteurs de la gestion et de
la préservation de l’environnement insulaire — mais
aussi des experts qu’ils convoquent — à disposer des
moyens d’appréhender aux échelles de durée appro-
priées les processus du changement environnemental
et ainsi à en saisir et en traiter avec efficacité les dé-
terminants. Le problème est, en d’autres termes, celui
de la difficulté à appréhender la temporalité des mu-
tations et, par conséquent, à penser l’action publique
elle-même en l’inscrivant dans une durée.
La nécessité de replacer l’environnement insulaire sur
Première de couver- l’axe du temps se pose notamment relativement à la
ture de l’étude sur
la « Sociologie des problématique, aujourd’hui centrale à La Réunion, de
mondes forestiers à La la lutte contre le développement des espèces dites « en-
Réunion ». 2013.
vahissantes » et plus globalement de la préservation de
La démarche d’interprétation originale nouvellement la biodiversité.
installée est à étendre. Le principe des Schémas d’In-
terprétation de Valorisation Ecotouristique (SIVE) uti- Redonner à l’environnement insulaire son épaisseur
lisé dans la conception de certaines actions doivent se historique pour en penser la gestion en des termes
réaliser, d’autres être lancées. potentiellement nouveaux.
Les éléments constitutifs du paysage permettent de Certains travaux (N. Udo, 2016) tracent l’une des voies à suivre, en mettant
comprendre les dynamiques globales du territoire. à jour — à partir de sources écrites et orales — des trajectoires historiques
Dans une optique opérationnelle, ils peuvent être uti- d’espèces exotiques et en éclairant ainsi certains facteurs explicatifs de leur
lement complétés par une approche territoriale, plus prolifération ou de leur régression, contribuant par cet apport historique au
proche des pratiques et des perceptions du public. choix d’outils de gestion adaptés. Mais c’est sans aucun doute de la démarche
paléoécologique (palynologie, dendrochronologie, pédo-anthracologie…) et
Un besoin de replacer de son croisement avec les sources traditionnelles de l’histoire que l’on peut
l’environnement réunionnais attendre le renouvellement le plus fécond de notre vision de l’environnement
sur l’axe du temps insulaire et de sa préservation/gestion.
Le recours à ces démarches apportera des informations inédites sur
Depuis une dizaine d’années se pose avec une acuité l’environnement pré-anthropique de l’île, sur ses propres transformations
particulière à La Réunion la question d’une gouver- et sur les facteurs — climatiques et géodynamiques, notamment — qui en
nance écologique du territoire, s’ordonnant autour sont à l’origine. On peut ainsi en attendre des éclairages nouveaux sur la
d’un objectif de contrôle et de gestion des transfor- manière dont ces facteurs naturels jouent aujourd’hui et depuis les débuts du
mations de l’environnement dans le sens du dévelop- peuplement humain de l’île dans les dynamiques de l’environnement et des
pement durable et de la préservation de la biodiversité. paysages. Cette démarche s’inscrira de ce point de vue dans la lignée de celle
Certaines dimensions de la connaissance des phéno- qui est conduite par le projet « savanes » du Conservatoire du Littoral (S.
mènes environnementaux sur lesquels devrait pouvoir Briffaud (dir.), 2015).
reposer une action publique ainsi orientée n’ont toute- En ce qui concerne l’époque historique, l’objectif serait d’analyser à la croisée
fois pas encore été à ce jour suffisamment développé, des sources (paléo-écologiques et historiques) les processus d’interaction entre
avec pour conséquence à la fois de réduire l’efficience phénomènes biophysiques et phénomènes sociaux, qui fondent la dynamique
de cette action et d’en compromettre l’acceptabilité de l’environnement et des paysages. Il s’agirait ainsi de réinscrire l’un et
par les populations. l’autre dans la trame d’une histoire de longue durée et de les appréhender du

230 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


point de vue du tressage, qui s’opèrent entre eux, des temporalités discordantes Une prise en compte des
propres aux phénomènes biophysiques, sociaux et culturels. La mise en œuvre fondamentaux de La Réunion
des méthodes paléo-écologiques permettrait de préciser la chrono-cartographie
dans l’enseignement
des modes successifs de mise en valeur des sols, dont les archives écrites et
iconographiques ne donnent qu’une idée relativement imprécise, notamment
pour l’époque antérieure à la spécialisation sucrière et singulièrement pour les
premières décennies de l’occupation humaine. Elles permettraient de mieux
percevoir les formes de la conquête agricole et pastorale des milieux, ainsi que
leurs conséquences écologiques — on pense notamment au rôle du feu, dont les
archives sédimentaires enregistrent le passage et dont les usages et l’impact sur
les milieux posent aujourd’hui des questions auxquelles seules l’histoire peut
permettre d’apporter des réponses — mais aussi, le cas échéant, de percevoir
les pulsations de cette emprise anthropique, les moments de la déprise et ceux
où s’accentue la pression sur les ressources et les milieux. Enfin, ce croisement
des méthodes devrait permettre d’établir la chronologie des catastrophes
majeures — cyclones, transgressions marines, grands incendies… —
d’évaluer leur impact sur l’environnement et, le cas échéant, leur capacité de
résilience des écosystèmes. La périodisation à laquelle on peut espérer aboutir,
en explorant ces différents axes de recherche, permettra d’éclairer la question- Sortie de terrain avec
lecture de carte.
clé des seuils socio-écologiques — c’est-à-dire des moments où le complexe Photo O. Lucas-Leclin.
environnemental bascule de manière irréversible, sous l’impact de facteurs
naturels et/ou socio-techniques. Dans l’actuelle réforme de l’éducation nationale, il a
L’un des enjeux majeurs de cette démarche est de fonder une scénarisation été souligné le besoin de partir d’exemples locaux pour
de l’environnement et des paysages insulaires au sens d’une écriture de leur illustrer les contenus des enseignements, notamment
histoire, des processus actuellement à l’œuvre et de ses futurs possibles. Il s’agit ceux qui touchent aux champs de l’histoire, de la géo-
ainsi de consolider les fondements de l’action et des projets qu’elle peut porter, graphie, des sciences de la Terre et de la Vie.
mais aussi de poser les bases d’une (re) construction du récit environnemental Le contenu du dossier de candidature au Patrimoine
de l’île et, par ce biais, d’une évolution des représentations culturelles de la mondial aurait avantage d’être mis en avant en ce qui
nature et de l’environnement (représentations scientifiques comprises). En ce concerne l’originalité et la fragilité de la biodiversité, le
sens l’histoire, qui est méthode de connaissance, peut être également considérée particularisme de la géomorphologie et des paysages.
comme l’outil privilégié d’une médiation — d’un lien substantiel noué entre L’Outre-Mer est présent dans les programmes sco-
les acteurs de l’environnement réunionnais, voire entre eux et les populations laires mais par un prisme trop souvent hexagonal. Les
concernées, autour de représentations mises en partage. CCEE des régions d’outre-mer souhaitent que les pro-
Un autre enjeu, non moins fondamental, est de contribuer à fonder, autour de grammes scolaires ne soient pas vu uniquement sous
l’axe temporel, une articulation des démarches et apports des sciences humaines un prisme hexagonal, mais qu’ils tiennent compte, du
et sociales et des sciences biophysiques. Appréhender les transformations fait que l’outre-mer est aussi porteuse de traces natio-
environnementales du territoire réunionnais, en saisir les causes et en nales laissant des empreintes dans toute la société fran-
comprendre les mécanismes, en infléchir les processus et en contrôler les çaise. Il est donc primordial qu’elles permettent, au
conséquences passe en effet non seulement par un surcroît de connaissances même titre que les traces des territoires continentaux,
mais aussi par davantage de croisement des démarches et des disciplines, ainsi à l’ensemble de la France de les reconnaître et par
que par le développement de nouvelles formes d’investigations scientifiques sur là-même de s’unir autour de connaissances partagées
l’environnement insulaire. pour une construction commune.
Serge Briffaud, communication personnelle, 2016.
L’esthétique des paysages, vecteur
pédagogique et touristique

Il y a actuellement consensus sur le besoin de mieux


valoriser ce patrimoine à la fois dans le champ de la
pédagogie et du tourisme, notamment en utilisant l’en-
trée esthétique des paysages.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 231


Cirque de Mafate, vu du Cap Noir (Dos d’Âne). Photo S. Michel.
Tourisme et patrimoine mondial Patrimoine et tourisme :
La vision de l’Unesco : entre bénéfices et menaces
« Organisé de manière responsable, le tourisme peut être un élément moteur de « Tout en protégeant les biens et les sites « exceptionnels », le Patrimoine
la préservation et de la conservation du patrimoine culturel et naturel et un mondial vise à faire connaître les sites, notamment auprès touristes. Des
vecteur du développement durable. Non planifié ou mal géré, il peut toutefois stratégies de promotion du patrimoine culturel et naturel sont alors développées
perturber la vie sociale, culturelle et économique et avoir des effets dévastateurs afin d’attirer des touristes vers les territoires où se trouvent ces sites. Pour
sur les environnements fragiles et les communautés locales. certaines communautés, dont les Biens ou les sites exceptionnels sont reconnus
L’objectif fondamental de la Convention du patrimoine mondial est la par l’UNESCO, l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial est donc
protection des Biens culturels et naturels présentant une valeur universelle l’occasion d’attirer un plus grand nombre de touristes sur leur territoire.
exceptionnelle. Ce patrimoine culturel et naturel représente lui-même une Étant donné que le Patrimoine mondial devrait avant tout protéger ces Biens
ressource pour des activités économiques telles que le tourisme, dont peuvent ou ces sites exceptionnels, on peut se demander jusqu’où il est possible de
bénéficier les communautés locales vivant à proximité de sites du patrimoine promouvoir ces sites, sans les mettre en danger. En effet, alors que les objectifs
mondial ou associées à ces sites… de protection des Biens et des sites du Patrimoine mondial apparaissent
Or, même si l›UNESCO et la Convention du patrimoine mondial bénéficient conformes au développement durable, la promotion touristique développée à
d’une large reconnaissance à un niveau élevé, le concept de Biens du patrimoine partir du caractère exceptionnel des biens et des sites protégés pourrait affecter
mondial présentant une valeur universelle exceptionnelle et l’importance de ce la protection de ce patrimoine mondial. Attirer un grand nombre de touristes
concept sont beaucoup moins bien compris. » peut générer des revenus touristiques, mais déstabiliser la population locale et
Programme sur le patrimoine mondial et le tourisme, fragiliser l’intégrité de ces sites. On peut alors se demander si la promotion
Unesco, 2012. touristique est compatible avec le développement durable ? »
La promotion des sites du Patrimoine mondial de
Le langage courant parle de « Convention du patrimoine mondial » alors que l’Unesco : compatible avec le développement durable ?
le titre exact est « Convention concernant la protection du patrimoine naturel P. Marcotte, L. Bourdeau, in Management et Avenir,
et culturel mondial ». Il est alors clair que c’est de conservation qu’il s’agit. 2010/4, n°34.
Mais cette priorité absolue ne doit pas se faire sans relation avec le monde
extérieur « le monde « banal ») et, surtout, le patrimoine doit être mis en Le développement excessif (non raisonnable, non raisonné) du tourisme peut
valeur. La Convention gérée par une organisation, l’Unesco, dont l’activité être une menace forte pour le patrimoine jusqu’à le conduire à sa destruction,
se situe dans les champs de l’éducation, de la science et de la culture, ne peut menant par là-même le tourisme qui lui est lié à sa propre fin.
vouloir conserver pour conserver : Ce constat est une banalité qui pourrait être appliquée à tout objet touristique.
« Chacun des Etats parties à la présente Convention reconnaît que l’obligation Il est pourtant « une banalité cruciale » pour des sites dont la valeur a été
d’assurer l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et reconnue universelle et exceptionnelle.
la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel visé Pour certains sites du patrimoine mondial, on a connu une augmentation forte
aux articles 1 et 2 et situé sur son territoire, lui incombe en premier chef… » voire dépassant la capacité de charge (l’Unesco a mis certains de ceux-ci sur
Convention concernant la protection du patrimoine la mixte en péril face aux problèmes générés par la surfréquentation).
naturel et culturel mondial, Art.4, Unesco, 1972.

232 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Impact touristique d’une inscription non négligeable, car il dit tout en 5 mots : n’est-ce pas la vertu d’un slogan ?
Des chiffres d’augmentation de fréquentation touristique publiés régulièrement Dans cette phrase clé il y a aussi tous les ingrédients qui vont pouvoir être
font rêver les sites inscrits et candidats. repris sur le terrain pour, à partir d’exemples simples démontrer (démonter ?)
Les sites du patrimoine mondial sont des icônes qui logiquement attirent. les mécanismes qui font de cette île une exception.
Pourtant, la personnalité patrimoniale propre à chacun (difficulté de La porte d’entrée la plus simple est celle de la beauté incomparable des
compréhension) et les conditions externes (accessibilité, coût, concurrence…) paysages. Il n’est point besoin d’être un spécialiste pour ressentir la grandeur
ne les rendent pas égaux devant un intérêt des touristes. L’image générée par des phénomènes : cascades, mers de nuages, plaine des Sables, fanjans
un site du patrimoine mondial dépend aussi pour partie de celle que les acteurs émergeants et pour les plus chanceux, une éruption de la Fournaise…
du tourisme donnent ou veulent donner du contexte local, régional ou national. C’est la première entrée, c’est la première échelle. C’est celle qui est la plus
Une inscription sur la liste du patrimoine mondial n’est donc pas l’arme proche d’une destination touristique tropicale (les cocotiers et les lagons y
absolue d’un développement touristique. existent aussi).
L’échelle suivante est celle des objets plus subtils : les « acteurs » de la Nature.
Le cas des « Pitons, cirques et remparts de l’île de La Les orchidées attirent à leur seule évocation : elles sont nombreuses mais
Réunion » discrètes à La Réunion. Cette discrétion qui fera aussi que l’oiseau la Vierge
Il ne semble pas que l’inscription en 2010 ait généré un courant particulier accompagnera chacun sans façon. Le retour crépusculaire des Pétrels peut
d’intérêt pour le Bien lui-même, voire pour l’île. s’observer avant de profiter des premières fraîcheurs.
Cette déception est perceptible chez ceux qui gèrent le tourisme ou chez ceux La biodiversité réunionnaise est exceptionnelle, mais elle est peu spectaculaire.
qui en vivent. Il faut donc la dire mais surtout la faire goûter : c’est le rôle des « accoucheurs »
Plusieurs explications ont été données, mais elles concernent quasiment que sont les guides qui doivent proposer des lectures de différents niveaux à
toutes des paramètres extérieurs (chikungunya, coût des transports, crise partir des objets iconiques.
mondiale…). Et, puisque La Réunion est une île océanique, il ne faut pas hésiter à faire
Si on ne peut nier leurs effets, il faudrait plutôt s’interroger sur ce qu’est le allusion à sa sortie des eaux, à ses sommets piégeant ce qui vole depuis
Bien réunionnais inscrit. Madagascar, l’Afrique de l’Est, ou, plus près, de Maurice : voilà le secret
Son nom, fort bien venu sur le plan scientifique, n’est finalement pas très qu’il faut dévoiler pour accéder à l’exceptionnalité.
explicite pour le public. Il ne peut plus être changé. Les lagons ne sont pas des milieux sans rapport avec l’histoire volcanique.
Le Site inscrit par l’Unesco l’est avec deux critères, la beauté exceptionnelle Les baleines à bosse ne fréquentent pas La Réunion pour…les beaux yeux
et la biodiversité. Deux concepts à la fois évidents et difficiles à aborder des touristes !
simplement. Enfin, comment ne pas relier la diversité biologique et la diversité ethnique
et culturelle ; s’interroger sur le Maloya, reconnu par l’Unesco, pour mieux
Esquisse de pistes pour un développement touristique comprendre la relation des hommes d’hier et d’aujourd’hui avec leur île.
durable Avoir la chance de visiter un résumé quasi parfait de l’Océan indien sur un
Curieusement une des phrases « magiques » utilisées pour définir le Bien en territoire aussi petit devrait faire envie.
quelques mots est aussi excellente pour parler de l’originalité de La Réunion : Qui, enfant ou adulte, n’a jamais rêvé de l’île aux trésors ?
« île volcanique tropicale océanique altimontaine afro-indienne » Gérard Collin, communication personnelle, 2016.
Certes, le vocabulaire sent trop son scientifique mais c’est un point de départ

Interprétation et destinations patrimoniales. Carte Parc national de La Réunion. M. Sicre.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 233


La démarche d’interprétation Faire l’expérience des sens, puis de la connaissance,
du patrimoine pour prendre conscience des enjeux.
Être ému/ressentir, comprendre, pour préserver.
La plupart des aires protégées, et notamment les sites Cette démarche a été entreprise à l’échelle du terri-
naturels du patrimoine mondial, sont des sites très fré- toire. Le Schéma d’Interprétation et de Valorisation
quentés par le public pour la grande qualité de leur Ecotouristique (SIVE) du massif du Volcan est abouti.
paysage, la richesse de la biodiversité qu’ils abritent. Des réalisations sont en cours sur la route du Volcan
Mais ces sites sont aussi fragiles, soumis à des enjeux (de la Plaine des Cafres à l’enclos Fouqué) et sur la
multiples. route des laves (du Tremblet Saint-Philippe au Piton
Dès lors, l’accueil du public sur les sites patrimoniaux Sainte-Rose).
doit favoriser la compréhension des phénomènes D’autres SIVE sont en cours.
(comment ces paysages se sont-ils créés ?, comment
évoluent-ils ?) afin que le visiteur puisse devenir acteur L’exemple de la route des laves
de la conservation.
La démarche d’interprétation répond à cette ambi-
tion par une approche non pas seulement didactique
mais ludique, porteuse de sens et d’efficacité, et respec-
tueuse de « l’esprit des lieux ».
Cette démarche vise à favoriser la mise en découverte
de sites tout en montrant comment elle permet :
– de mettre en valeur un site selon une approche
construite (scénarisée), à la fois esthétique, pédago-
gique et agréable,
– d’impliquer le visiteur dans la protection des patri-
moines en créant un lien affectif entre lui et le site,
grâce à une expérience riche et inoubliable faisant ap-
Visuel pour la route des laves. M. Sicre. Parc national de La Réunion.
pel aux sens et à l’émotion,
– d’intégrer la population locale dans la mise en valeur La région littorale comprise entre Saint Philippe /
et la protection des sites, notamment par des actions Le Tremblet et Piton Sainte Rose se caractérise par un
de médiation vivante, volcanisme très actif du Piton de la Fournaise.
– d’obtenir des effets bénéfiques sur la conservation Les éruptions façonnent régulièrement les paysages et
des patrimoines et sur le développement économique influencent profondément la vie des populations lo-
local. cales. Cette originalité donne à cette région une forte
La Réunion est un grand théâtre de la nature où le jeu identité naturelle et culturelle, lui valant pour partie
métissé du feu, de l’eau, du vent, de la lumière et de son classement dans le Parc national, rehaussé d’une
la terre offre, comme aux matins du monde, le spec- inscription au patrimoine mondial.
tacle étonnant de la vie. La montagne volcanique et
ses paysages surprenants, la végétation primaire et sa Malgré cette potentialité patrimoniale exceptionnelle,
biodiversité peu courante en sont des décors uniques. cette région souffre d’un contexte socio-économique
Découverts par les hommes il y a moins de quatre difficile, illustré par un des taux de chômage les plus
siècles, ces décors originels ont déjà perdu de leur am- forts de l’île.
pleur, à l’image de ces champs et de ces villes qui les Parmi les axes de développement pressentis, un tou-
repoussent plus haut sur les pentes de l’île volcan. risme valorisant le caractère patrimonial de cette ré-
Pour que cette terre d’exception se transmette aux gion semble pouvoir apporter aux résidents des pers-
générations de demain, les hommes sont aujourd’hui pectives d’activités directes et indirectes.
invités à mieux la découvrir et à mieux la comprendre. Dans ce contexte, le Parc national a pris le parti de
Ils sont surtout invités à devenir les acteurs privilégiés s’impliquer en prenant la maîtrise d’ouvrage d’une
d’une préservation et d’une valorisation exemplaires étude, intitulée « plan d’interprétation de la route des
pour l’humanité. laves ». Il complète celui concernant la Route du vol-
Le défi pour que La Réunion reste une terre d’harmo- can, en cours de mise en œuvre sous maîtrise d’ou-
nie est relevé. Dans cette perspective, le parti est pris vrage du Département de La Réunion.
de révéler les patrimoines réunionnais en appliquant
les principes de l’interprétation.

234 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


L’ambition du projet est de contribuer au rééqui- Cette action prévue dans la charte du Parc (plan de
librage territorial de l’offre de découverte entre les gestion du Bien) a été reprise dans les documents de
hauts et les bas du volcan. Les aménagements seront planification et les outils financiers (notamment par le
minimalistes, très qualitatifs, intégrés et participeront soutien des crédits européens, FEADER).
par leur « design » à révéler le caractère des lieux. La L’objectif est d’initier tous les publics au caractère et à
médiation vivante sera privilégiée pour favoriser l’ex- la valeur patrimoniale des territoires, leur originalité,
périence de visite. leur histoire particulière et la place de l’Homme dans
Le caractère patrimonial et culturel des lieux et des cette histoire, mais aussi leur fragilité et les enjeux de
gens alimente fondamentalement le projet : défini et leur préservation. La démarche vise notamment à ré-
partagé, il est valorisé dans un esprit de préservation. véler les valeurs universelles ayant conduit l’UNESCO
Ce point est essentiel pour différencier durablement la à inscrire les « Pitons, cirques et remparts » au patri-
région et lui donner une attractivité identitaire forte. moine mondial.
La volonté est de faire découvrir le parc national, de
Un projet pédagogique relatif au projet d’interprétation a été mis en place sur définir et de développer l’attractivité des territoires
ce secteur. Il s’intitule « une invitation au spectacle de la Nature ». L’objectif et des sites mais également de soutenir toutes actions
global de ce projet d’éducation à l’environnement pour un développement s’inscrivant dans cette logique en s’appuyant étroite-
durable (EEDD) était de faire que les enfants habitants des deux communes ment sur les Schémas d’Interprétation et de Valorisa-
situées à chaque entrée de la route des laves s’approprient ce territoire, tion Ecotouristiques (SIVE). L’ambition est de décli-
qu’ils en comprennent les enjeux et le valorisent (qu’était-il avant, qu’est- ner une offre adaptée et cohérente, retranscrivant en
il aujourd’hui et que veulent-ils qu’il devienne demain ?). Une résidence particulier les valeurs universelles du Bien inscrit au
artistique accompagne le projet pédagogique afin d’allier science et art. patrimoine mondial. Quelques exemples d’aménage-
ments possibles des portes de parc, bourgs et itinéraires
d’accès sont proposés ci-dessous :
Le lancement du programme, portes – Aménagements et équipements nécessaires à une
et chemins de découverte du parc et du Bien découverte scénographiée des itinéraires d’accès aux
portes de Parc et des patrimoines,
– Réalisation d’investissement pour favoriser la gestion
et la fonctionnalité des sites (modes de transport alter-
natifs, équipements adaptés …),
– Élaboration et mise en œuvre d’une stratégie territo-
riale des « Portes & itinéraires de découverte du
parc national » afin d’organiser les retombées écono-
miques liées à l’attractivité de l’ensemble du territoire,
– Réalisation d’études, investissements et prestations
destinés à proposer des biens et services de qualité aux
habitants et aux visiteurs,
– Développement de produits, de prestations et médias
(brochures, supports numériques, audio…).

Il s’agit d’un projet qui prend en compte l’itinéraire,


les bourgs traversés et la destination (site naturel d’ex-
ception). Les premières études, la mise en relation des
acteurs, la réflexion sur « le caractère » de chaque site
sont en cours. Les aménagements des portes et che-
mins de découvertes sont à réaliser.

Visuel « portes et chemins de découverte ». Parc national de La Réunion.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 235


Le relais de l’IRT et des offices de tourisme
intercommunaux
La promotion du tourisme à La Réunion est de la
compétence de l’Île de La Réunion Tourisme (IRT).
Cet organisme valorise l’inscription de La Réunion au
Patrimoine mondial. Ce travail peut être amplifié et
permettra à l’île de se démarquer.
Le travail de mise en marché de l’offre locale est relayé
par les offices de tourisme intercommunaux. Ceux-ci
sont les relais naturels de la valorisation des valeurs
mises en avant dans le cadre de l’inscription au Patri-
moine mondial.
Affiche utilisée au salon Top-Résa (Paris). Photo J.-F. Bénard.

L’actualisation en cours du schéma


de développement et d’aménagement La valorisation des paysages,
touristique de La Réunion (SDATR) du patrimoine géologique et
l’amélioration de la signalétique
La Région actualise son Schéma de Développe-
ment et d’Aménagement Touristique de La Réunion Les valeurs mises en exergue dans la promotion tou-
(SDATR), l’ancien schéma datant de 2004. ristique sont actuellement l’expérience, le bien-être,
Le contexte du marché du tourisme est en mutation. l’authenticité. Les paysages de La Réunion permettent
La clientèle est notamment à la recherche de nature, aux visiteurs de ressentir des émotions uniques. Les
d’authenticité, de culture, d’histoire et de spiritualité. panoramas sont reconnus comme exceptionnels, la
L’écotourisme est une nouvelle demande. randonnée perdrait de son charme si elle se pratiquait
Pour exister sur ce marché, La Réunion doit avoir dans un cadre banal.
une image affirmée où l’originalité de l’île doit être Ce paysage « fonds de commerce » de l’activité tou-
affichée. Les Hauts de La Réunion ont la chance de ristique de La Réunion est relativement peu mis en
représenter une destination singulière, répondant aux avant, et encore plus rarement « mis en émotion et en
demandes citées. L’inscription des Pitons, cirques et compréhension ».
remparts sur la liste des Biens de l’Unesco confirme De plus l’île regorge de sites géologiques remarquables.
le côté unique des paysages (critère (vii)) et de la bio- Ces « géosites » expliquent le fonctionnement d’un
diversité (critère (x)) et représente une « dynamique ensemble volcanique avec ses phases de construction
entraînante » pour l’ensemble de l’île. et ses phases de destruction. Ces points de lecture du
paysage ne sont actuellement ni indiqués, ni aménagés
Esthétique des paysages (parking, signalétique).
L’esthétique des paysages de La Réunion et la singu-
larité de ces habitats constituent une particularité qui
La signalétique directionnelle
différencie l’île des destinations concurrentes. Un début de signalétique a été mis en place (pan-
Il y a une nécessité de préserver et de mettre en avantneaux d’entrée dans le cœur du Parc et le Bien, pan-
ces atouts propres. neaux-images mis sur les grands axes de circulation…).
Ce travail est à compléter. Il est souhaitable d’avoir
Desserte aérienne une signalétique harmonisée et hiérarchisée permet-
Une des difficultés du développement touristique de tant aux visiteurs de partir des zones résidentielles vers
La Réunion est sa desserte aérienne vécue comme les lieux patrimoniaux avec des informations direction-
« chère » et pas suffisamment tournée vers les pays de nelles cohérentes, continues et complémentaires.
la zone. Si ce souhait semble d’une grande évidence, il faut
Une réflexion est actuellement en cours pour l’ouver- souligner sa difficulté de mise en œuvre. En effet les
ture de La Réunion à de nouveaux pays. routes d’accès aux sites ont des statuts administratifs
Une valorisation de l’inscription de La Réunion au différents (routes nationales, routes départementales,
Patrimoine mondial est à mettre en avant dans cette routes communales, routes forestières…) et ont, de
dynamique, ainsi que dans celle lancée dans le concept fait, des gestionnaires et des financements distincts. La
des « Îles Vanille ». signalétique sur ces axes est donc de la compétence
d’acteurs variés.

236 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Il y a un vrai besoin d’accentuer la concertation entre Ci-dessous, une version de travail du logo en noir et
acteurs et d’accroître une vision globale et partagée. blanc, élaborée conjointement par l’IRT et le Parc na-
Le « mode projet » pour la conduite des opérations tional de La Réunion.
et la mise en place d’une nouvelle gouvernance pour
le suivi et la gestion du Bien pourraient y contribuer.

La signalétique de positionnement

Les visiteurs ne savent pas toujours quand ils sont dans


le Bien (Cœur de Parc). Le travail entrepris pour si-
gnaler les entrées dans cet espace est à continuer.

L’information sur site

Peu d’éléments existent actuellement sur les sites. La


démarche SIVE (Schéma d’Interprétation et de Va-
lorisation Ecotouristique) plaide pour des mobiliers
discrets plus « sensitifs » que « cognitifs »
Les panneaux d’informations doivent accompagner la
perception du site et non le cacher.
Un travail d’insertion paysagère est donc nécessaire.

L’idée d’une déclinaison Projet d’une griffe locale. Document de travail IRT et Parc national de La
Réunion.
de l’inscription dans une griffe locale
L’articulation des deux patrimoines
Les Pitons, cirques et remparts, inscrits sur la Liste réunionnais inscrits à l’UNESCO
du patrimoine mondial par l’Unesco, coïncident avec
le territoire du parc national de La Réunion. Au-
jourd’hui, pour valoriser le territoire inscrit, deux logos La Réunion a la chance d’avoir, à ce jour, deux
sont utilisés : celui du Parc national de La Réunion et Biens inscrits sur les deux Conventions traitant du pa-
celui délivré par l’Unesco pour représenter et identifier trimoine mondial (Convention du patrimoine mondial
le Bien. de 1972, Convention sur le patrimoine immatériel de
L’utilisation du logo Unesco reste soumise à une régle- 2003). Il s’agit de :
mentation stricte et chaque utilisation doit être validée – les « Pitons, cirques et remparts » : au patrimoine
par l’Unesco. De plus, le logo Unesco n’a de vocation matériel (2010) ;
ni commerciale ni touristique. – le maloya : au patrimoine immatériel (2009).
Afin de pouvoir valoriser davantage la distinction
attribuée, le Parc national et L’île de La Réunion
Tourisme (IRT) ont décidé de concevoir un nou-
veau logo, une griffe représentative du Bien et de
son caractère exceptionnel.
Ce logo, encore à mettre en œuvre, doit pouvoir
être utilisé par les prestataires touristiques, les par-
Logo « Patrimoine mondial ». Logo « Patrimoine mondial immatériel ».
tenaires et acteurs du territoire, lors de manifesta- Convention de 1972. Unesco. Convention de 2003. Unesco.
tions dédiées (type anniversaire de l’inscription au
patrimoine mondial), selon les modalités définies par Ces deux inscriptions, obtenues à une année d’inter-
le Parc national de La Réunion et l’IRT. valle, font la fierté de la grande majorité des Réunion-
nais. Elles représentent deux facettes complémentaires
Promesse de l’identité et de l’originalité de l’île.
Les Pitons, cirques et remparts de La Réunion, un Bien naturel reconnu
pour la biodiversité unique et les paysages exceptionnels qu’ils abritent. Cette
distinction est une chance, une plus-value, un atout pour La Réunion. La
Réunion est un territoire exceptionnel qui mérite d’être visité.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 237


Maloya. Photo J.-F. Bénard.

Le maloya mondialement connus, et à un enseignement musical


Inscrit en 2009 sur la Liste représentative du patri- spécialisé du Conservatoire de la Réunion. Facteur
moine culturel immatériel de l’humanité le Maloya est d’identité, illustration des processus de métissages
à la fois une forme de musique, un chant et une danse culturels, porteur de valeurs et modèle d’intégration,
propres à l’île de la Réunion. Métissé dès l’origine, le le Maloya est fragilisé par les mutations sociologiques
Maloya a été créé par les esclaves d’origine malgache ainsi que par la disparition de ses grandes figures et du
et africaine dans les plantations sucrières, avant de culte aux ancêtres.
s’étendre à toute la population de l’île. Jadis dialogue
entre un soliste et un chœur accompagné de percus-
sions, le Maloya prend aujourd’hui des formes de plus Une solidarité à consolider entre les
en plus variées, au niveau des textes comme des ins- deux inscriptions : « in min i lav lot ».
truments (introduction de « djembés », synthétiseurs,
batterie…). Chanté et dansé sur scène par des artistes Une inscription n’est pas une fin en soi, mais un
professionnels ou semi-professionnels, il se métisse avec outil permettant de mieux préserver et valoriser
le rock, le reggae ou le jazz, et inspire la poésie et le les atouts identitaires. La question se pose
slam. Autrefois dédié au culte des ancêtres dans un donc de quelle préservation, quelle protection,
cadre rituel, le Maloya est devenu peu à peu un chant quelle éducation du Réunionnais par et pour le
de complaintes et de revendication pour les esclaves Réunionnais pour ces deux éléments essentiels
et, depuis une trentaine d’années, une musique repré- de son identité (sa nature, sa géographie et son
sentative de l’identité réunionnaise. Toutes les mani- histoire). La question se pose aussi pour les non-
festations culturelles, politiques et sociales sur l’île sont Réunionnais de mieux percevoir la culture et la
accompagnées par le Maloya, transformé de ce fait en nature de l’île comme un ensemble exceptionnel.
vecteur de revendications. Aujourd’hui, il doit sa vitali- L’articulation de ces deux valeurs tombe sous le sens,
té à prés de 300 groupes recensés dont certains artistes mais sa mise en œuvre est à construire.

238 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Les premières actions amenant du lien ont été lancées. L’ouverture au monde à intensifier :
Elles méritent d’être consolidées et amplifiées, notam-
ment dans l’amélioration et le partage des connais-
La Réunion, point focal de l’océan
sances sur les patrimoines (dont le patrimoine culturel), Indien
pour cela il nous faut :
– révéler l’histoire du peuplement de l’île, de sa par- L’ouverture au monde doit devenir un axe fort de l’ac-
tie centrale et de son occupation. Parmi les actions à tion du Parc national. A l’heure de la mondialisation,
consolider figure la conduite des travaux de recherche, La Réunion demeure en effet mal connue, ignorée
d’inventaire, de fouilles archéologiques, de recueil de quasiment dans le monde anglo-saxon où elle ne fi-
savoirs et savoir-faire. Des actions ont été menées, gure souvent même pas sur les cartes et, quand on
par exemple, dans la mise en place d’un protocole connaît son existence, son image demeure floue. La
« histoire du peuplement » ou encore sur le thème du Réunion doit être une île « belle et reconnue ». La
mar(r)on(n)age à la fois au niveau de la recherche que beauté, la grandeur et le caractère unique de ses pay-
de la restitution (exposition) ; sages ont justifié son classement en Bien mondial de
– mettre en valeur le patrimoine bâti, la toponymie, l’Unesco. La reconnaissance viendra de son action au
l’histoire des lieux. Les actions à renforcer consistent plan international.
notamment à la restauration de sites, à la valorisation Cette orientation forte fait déjà l’objet d’une action du
de lieux de vie disparus et chargés d’histoire, à la sau- Contrat d’objectif du Parc national avec l’Etat pour la
vegarde de lieux de mémoire tombant dans l’oubli (tels période 2015-2020 :
l’îlet à Guillaume ou Roche-Plate). Un travail sur la to-
ponymie a été engagé, il doit être poursuivi et partagé ; « Renforcer la coopération et le rayonnement international :
– favoriser la transmission des métiers et des savoirs. La Réunion dispose de nombreux atouts pour jouer un rôle actif dans des
Pour cela il faut encourager la mise en place de forma- réseaux régionaux, nationaux et internationaux grâce à l’expertise développée
tions aux métiers traditionnels et aux pratiques artis- dans différents domaines, et aux formations offertes en matière de gestion de la
tiques et artisanales. Le soutien à la fabrique des ins- biodiversité et des paysages insulaires.
truments de musique traditionnels peut-être une piste S’appuyant sur la gestion et la valorisation de ses pitons, cirques et remparts,
complémentaire (celui est prévu, par exemple dans le une réelle opportunité existe pour positionner La Réunion comme point focal
volet artisanat de la marque « Esprit Parc ») ; UNESCO pour la zone Sud de l’Océan Indien ».
– valoriser le patrimoine culturel dans l’offre pédago- Contrat d’objectif Etat -Parc national de La Réunion,
gique et de sensibilisation, montrer son imbrication 2015-2020.
avec le patrimoine naturel. Il nous faut amplifier la va-
lorisation du patrimoine culturel dans les grands ren- Les orientations stratégiques comportent donc une
dez-vous nationaux et locaux, développer l’éducation mise en réseau des Biens inscrits dans le sud-ouest de
au patrimoine auprès du public scolaire, par le déve- l’océan Indien et la création à La Réunion d’un point
loppement des classes du patrimoine et des séjours de focal de l’UNESCO. Il conviendrait de les complé-
découverte. Il est à noter la participation des équipes ter par un partenariat poussé avec la Commission de
du Parc national dans les manifestations organisées par l’océan Indien (COI).
la Région dans le cadre de la valorisation du Maloya
(une convention de partenariat a été signée) ; La mise en réseau des Biens inscrits
– faire du patrimoine culturel un enjeu de recherche et dans le sud-ouest de l’Océan Indien
de coopération. Parmi les actions à valoriser figurent le
développement de programmes de coopération cultu- L’ouverture au monde du Parc national doit natu-
relle, l’ouverture vers les îles de l’océan Indien (par- rellement s’intensifier notamment sous forme d’une
tageant une histoire commune), l’apport des sciences collaboration inter Biens inscrits, inter Régions Ultra
humaines, la diffusion des connaissances. Périphériques (RUP), inter îles tropicales. Elle doit plus
particulièrement se structurer dans le Sud-Ouest de
l’océan Indien.
En effet, 11 Biens du sud-ouest de l’océan Indien sont
actuellement inscrits à la liste du Patrimoine mondial
de l’UNESCO :
– 3 sont situés à Madagascar : la Réserve naturelle
intégrale du Tsingy de Bemaraha, la Colline royale
d’Ambohimanga, les Forêts humides de l’Atsinanana.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 239


– 2 se trouvent à Maurice : l’Aapravasi Ghat, le Pay- global sur l’ensemble des valeurs du Patrimoine mondial, qu’elles soient
sage culturel du Morne Brabant. culturelles ou paysagères.
– 2 sont aux Seychelles : l’Atoll d’Aldabra, la Réserve L’établissement public du parc national a vocation à être un acteur central,
naturelle de la vallée de Mai, mais aussi un facilitateur, quand bien même les sujets abordés ne seraient pas
– 1 au Mozambique : l’île de Mozambique, dans son cœur d’expertise ».
– 1 en République unie de Tanzanie : la ville de pierre Charte du Parc national de La Réunion, 2014.
de Zanzibar,
– 1 est en Afrique du Sud : le Parc de la zone humide Les centres de ressources de l’Unesco pour le patri-
d’iSimangaliso. moine mondial
– 1 à La Réunion : les Pitons, Cirques et Remparts L’Unesco souhaite une meilleure mise en œuvre de la
Il s’agit de Biens culturels, mixtes ou naturels1. Convention du patrimoine mondial et une améliora-
tion des compétences professionnelles pour la gestion
Les onze Biens du sud-ouest de l’Océan Indien sont et la conservation des sites inscrits sur la Liste du pa-
complémentaires, « solidaires » et ont un sens fort sur trimoine mondial, en incitant au développement de
l’ensemble des pays de la zone (histoire naturelle et stratégies régionales.
humaine en grande partie commune : biodiversité, Ce renforcement des capacités repose sur la création
marronnage, engagisme…). de « centres de ressources » ciblant les praticiens, les
Leur mise en réseau est une nécessité, pour une ac- institutions, les communautés et les réseaux2.
tion de veille et d’alerte, pour des échanges d’informa- L’Unesco distingue deux niveaux de centres de res-
tions, de connaissances et de bonnes pratiques ; pour sources : les centres de ressources de catégorie 1 et les
des études ; pour des séminaires. Il faudra donner à centres de ressources de catégorie 2.
ce réseau une personnalité juridique et la possibilité Les centres de ressources de catégorie 1 sont des
d’accéder à des financements du FED, du FEDER, des institutions qui font partie intégrante du système de
organisations du système des Nations Unies… l’Unesco et sont donc régis directement par l’Unesco.
Il en existe 11.
La création à La Réunion d’un point focal Les centres de ressources de catégorie 2 sont des enti-
de l’Unesco tés associées à l’Unesco selon un protocole adopté par
la Conférence générale : ils ne font donc pas partie
Cette action est retenue par la Charte du Parc Natio- juridiquement de l’Unesco.
nal ainsi que le stipule son point 7.5.2. : Ces centres de catégorie 2 doivent avoir pour champ
d’activité un, plusieurs ou tous les domaines d’activi-
Positionner l’île comme point focal du sud-ouest de té décrits dans la note infrapaginale 2. Leur espace
l’océan Indien d’action peut être mondial ou régional et ils peuvent y
« L’établissement public du parc national participe de fait aux réseaux associer d’autres États membres.
nationaux et internationaux des espaces protégés, lieux d’échanges privilégiés Le classement en centre de ressource de catégorie
entre acteurs de la gestion des aires protégées et des territoires attenants. 2 est révisé tous les 6 ans au terme desquels les par-
L’inscription des Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion sur la ties peuvent convenir de poursuivre ou d’arrêter les
liste du Patrimoine mondial renforce cette ouverture et lui confère à la fois une activités.
notoriété et une responsabilité de partage.
Cette double appartenance permet au parc de devenir un des maillons du pôle
de compétences et de rayonnement réunionnais dans l’océan Indien.
Dans ce cadre, l’établissement soutient la création d’un réseau sous-régional
des acteurs de la biodiversité, en intégrant, à l’échelle locale, un partenariat
avec les Réserves Naturelles (Marine, Saint-Paul).
De même, des échanges sont en cours avec les autres Biens naturels inscrits,
notamment ceux du sud-ouest de l’océan Indien, de l’Afrique de l’Est et
australe et d’Hawaï, île avec laquelle une convention de jumelage est signée.
De plus, au-delà des seuls Biens naturels, La Réunion peut jouer un rôle

1 - « La Réserve naturelle nationale des Terres Australes Françaises », présente sur la liste indicative, rédige actuellement un dossier de candidature pour une inscription
(souhaitée en 2018).
Il est aussi à noter que plusieurs projets de la zone sud-ouest de l’océan Indien sont actuellement sur la liste indicative : Les Seychelles en ont proposé deux, les Comores quatre,
Maurice un, Madagascar huit.
2 - Les principaux domaines d’activité de ces centres de ressources sont : a) Processus de montage de dossiers de candidature au patrimoine mondial, b) Conservation, gestion,
planification, c) Travaux scientifiques et techniques, d) Utilisation/gestion des ressources, e) Domaines législatifs et réglementaires, f) Financement et ressources humaines,
g) Relations avec les communautés, h) Durabilité, i) Communication/interprétation.
240 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts
Il existe actuellement 8 centres de catégorie 2 concer- à la fois une « originalité » du vivant et une « parenté »
nant le patrimoine mondial : aucun ne concerne entre la faune et la flore indigènes de ces pays.
l’océan Indien méridional. La création d’un centre de Le réseau des Biens inscrits du sud-ouest de l’océan
ressources de catégorie 2 pour le Sud de l’océan Indien Indien qui serait animé depuis La Réunion devrait
serait donc opportune. Il existe localement une volonté passer un accord de partenariat avec la Commission
politique forte pour qu’il soit localisé à La Réunion. de l’océan Indien afin de profiter de son Centre de
Ce projet a en effet déjà été inscrit dans les objectifs Ressources, de son expertise et de financements pour
de plusieurs documents de programmation comme le des projets communs.
Contrat d’Objectif 2015-2020 signé entre l’Etat et le
Parc national de La Réunion d’une part et la Charte Cette coopération du réseau des Biens inscrits avec la
du Parc national de La Réunion, d’autre part. Commission de l’océan Indien et l’ensemble des insti-
Le Conseil d’administration du parc a voté, en 2016, tutions réunionnaises, régionales et mondiales permet-
le principe d’une étude de faisabilité pour établir une trait d’établir un réseau de relations et d’échanges sur
proposition recevable par l’Etat et l’Unesco. des thèmes précis ou sur des sujets touchant l’ensemble
C’est un projet qui concerne toutes les institutions po- de la zone comme le réchauffement climatique.
litiques et administratives de l’île ainsi que les orga- Le développement de la coopération internationale
nismes de recherche et d’enseignement. Il renforcerait en matière de patrimoine, depuis La Réunion, sera
la place de La Réunion, et donc de la France, dans non seulement un renforcement des capacités d’action
un contexte de coopération technique et scientifique dans les domaines de la culture et de la nature, pro-
régional tout en apportant à l’île des expertises sur de fitant à l’ensemble des acteurs réunionnais, mais elle
nombreux domaines. permettra de rendre beaucoup plus lisible « ce petit
point sur la carte du monde ».
La France pourrait donc proposer la création et la re-
connaissance par l’Unesco d’un centre de catégorie
2 associé au patrimoine mondial à La Réunion sous
l’appellation Centre régional Océan indien pour le pa-
trimoine mondial (IOC-WH).

Un partenariat stratégique avec


la Commission de l’océan Indien (COI)
La Commission de l’océan Indien regroupe, les Co-
mores, la France, au titre de La Réunion, Madagascar,
Maurice et les Seychelles. Elle a mis en œuvre de très
nombreux projets dans le domaine de la sauvegarde
de l’environnement et des problématiques insulaires,
avec des financements importants et variés.
Pour ce qui concerne les financements de l’Union
européenne (FED), la Commission de l’océan Indien
initie ces projets dans le cadre d’une programmation
commune avec d’autres organisations d’intégration ré-
gionale de la zone, notamment le COMESA, IGAD et
EAC3. Alors que le COMESA est le chef de file pour
la mise en œuvre des projets communs dans le do-
maine économique, c’est la COI qui porte les projets
ayant trait aux ressources naturelles et à la sauvegarde
de l’environnement.
Les îles de la COI appartiennent pour une majori-
té d’entre elles au même « hot-spot » de biodiversité
des pays du sud-ouest de l’océan Indien, ce qui induit

3 - COMESA : Marché commun de l’Afrique Orientale et Australe ; IGAD :


Autorité Intergouvernementale pour le Développement ; EAC : Communauté de
l’Afrique de l’Est.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 241


CONCLUSION

L’exceptionnel patrimoine naturel et paysager a été reconnu au niveau national puis mondial.
Un élément de son patrimoine culturel (le maloya) l’a aussi été aux mêmes niveaux.
Voilà donc une “île aux trésors” comblée d’honneurs et fière de l’être. L’histoire ne s’arrête
toutefois pas avec ces reconnaissances.
Les efforts engagés par les institutions et les associations réunionnaises ont permis l’inscription
sur la Liste des Sites du patrimoine mondial. Les actions qui se poursuivent maintenant depuis
plusieurs années sont pour une part redevables à un certain effet catalyseur de l’inscription.
Beaucoup de domaines ont bénéficié de projets et de programmes : connaissance de processus
biologiques ou pédagogie de découverte sont deux des enfants de cette histoire récente.

Le combat pour conserver tout en laissant sa juste place au développement ne fait que com-
mencer. Il nécessitera savoirs, compétences mais surtout tenacité et envie. Chacun y jouera un
rôle et c’est cette synergie qui constituera le meilleur outil pour réussir.

Le chemin a été tracé, il a été débroussaillé, mais il peut être remis en question par des menaces
naturelles ou humaines. La trace du chemin semble progresser trop lentement pour certains,
en rapport avec les efforts consentis par tous mais l’important c’est qu’elle existe pour que l’on
puisse continuer d’avancer.

Certains diront que c’est un “travail de Sisyphe”. Sisyphe, pour avoir défié les dieux, devait
rouler un rocher jusqu’à un sommet d’où celui-ci dévalait immanquablement : le travail était
à recommencer jusqu’à espérer réussir. Mais nous faisons partie de ceux qui, comme Albert
Camus (Le mythe de Sisyphe, 1942), interprètent le mythe autrement :
« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer
Sisyphe heureux…Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son
rocher est sa chose ».

Nous sommes les filles du feu secret, Mais nous levons le plus haut que nous pouvons nos bras vers le ciel.
Du feu qui circule dans les entrailles de la terre ; C’est que le ciel est notre patrie,
Nous sommes les filles de l’aurore et de la rosée ; Notre véritable patrie, puisque de lui vient notre âme,
Nous sommes les filles de l’air Puisqu’à lui retourne notre âme :
Nous sommes les filles de l’eau Notre âme, c’est-à-dire notre parfum.
Nous sommes avant tout les filles du ciel.
Chanson des fleurs,
Les hommes nous souillent et nous tuent en nous aimant A travers l’Amérique du Sud, Paul Marcoy, 1869.
Nous tenons à la terre par un fil Extrait figurant dans des notes manuscrites
Ce fil, c’est notre racine, c’est-à-dire notre vie de Thérésien Cadet.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 243


ANNEXES

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

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Les rédacteurs de cet ouvrage tiennent à préciser aux lecteurs qu’ils ont délibérément et consciemment choisis de présenter les éléments de biblio-
graphie sous une forme allégée ( noms, prénoms des auteurs, années de publications, titres). En effet, avec ces informations, les lecteurs sont en
mesure de retrouver les documents sources utilisés pour la rédaction de cet ouvrage.

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 245


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246 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


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La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 247


SOMMAIRE
PROLOGUE.......................................................................................................... p 3

AVANT-PROPOS.................................................................................................... p 4

Le mot du Président du Conseil de la Culture, de l’Education et de l’Environnement (CCEE).......... P 4

Le mot du Président du Parc national de La Réunion (PNRun) ........................................................... p 7

Le message de la directrice du Centre du patrimoine mondial (Unesco) .............................................. p 8

Hommage à Thérésien Cadet ............................................................................................................... p 9

INTRODUCTION................................................................................................ p 13

Une fierté partagée :


les Hauts de La Réunion inscrits sur la liste des Biens du Patrimoine mondial en 2010 .............................. p 13

Une nécessité : informer et remobiliser les Réunionnais ..........................................................................p 13

Une publication actualisée : une volonté conjointe du Conseil de la Culture, de l’Education


et de l’Environnement et du Parc national de La Réunion ......................................................................p 14

UNE ILE, SA NATURE, SES PAYSAGES,


EN ROUTE POUR LE PATRIMOINE MONDIAL ..................................................... p 15

UNE IDENTITÉ ET UNE HISTOIRE SINGULIÈRES................................................ p 16

Nature, paysages et culture : une synthèse exceptionnelle, authentique et vivante ............................. p 16


Une brève description ..................................................................................................................... p 16
Des patrimoines paysagers, naturels exceptionnels ........................................................................ p 16
– une île volcanique récente, riche de contrastes ....................................................................... p 16
– une île indo-océanique à la biodiversité exceptionnelle .......................................................... p 18
Le patrimoine culturel des Hauts, marque d’une authenticité vivante .......................................... p 19
Hommes et nature : une histoire et des savoirs partagés ................................................................ p 19
Des éléments d’histoire ................................................................................................................... p 19
Les espaces humanisés, espaces sauvages ........................................................................................p 27
Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien .....................................................................................p 30
Des savoirs populaires ......................................................................................................................p 31
Des savoirs savants ...........................................................................................................................p 32

La description du patrimoine naturel : une longue histoire ................................................................ p 34

LE PARCOURS POUR UNE RECONNAISSANCE INTERNATIONALE........................ p 47


Les prémices ........................................................................................................................................ p 47
Les précurseurs ................................................................................................................................p 47
La prise en compte de l’environnement ..........................................................................................p 48
L’idée d’un parc naturel ...................................................................................................................p 49
La mission d’étude pour la création d’un parc national ..................................................................p 49
L’étude de faisabilité ........................................................................................................................p 50
Les consultations nécessaires ...........................................................................................................p 50
Les préconisations de l’étude de faisabilité ......................................................................................p 51

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 249


La structuration.................................................................................................................................... p 53
Un accord quadripartite ..................................................................................................................p 53
La maîtrise d’ouvrage ..................................................................................................................... p 54
Les objectifs .....................................................................................................................................p 54
Une équipe de coordination et de rédaction ...................................................................................p 55
Un comité directeur ........................................................................................................................ p 55
Une commission consultative de concertation ................................................................................p 56
Un club de soutien des entreprises ..................................................................................................p 57

La candidature..................................................................................................................................... p 57
Le choix des critères ....................................................................................................................... p 57
Le champ des savoirs et la candidature ...........................................................................................p 58
Les territoires ...................................................................................................................................p 60
Les menaces .....................................................................................................................................p 62
Les protections ................................................................................................................................ p 65
La gestion .........................................................................................................................................p 66
Le dossier .........................................................................................................................................p 66
Le dépôt du dossier ..........................................................................................................................p 68

L’évaluation.......................................................................................................................................... p 68
L’évaluation de l’UICN France .......................................................................................................p 68
L’évaluation de l’UICN international .............................................................................................p 69

Le report d’examen.............................................................................................................................. p 72
Une surprise fort désagréable ......................................................................................................... p 72
Les réponses à l’UICN international ...............................................................................................p 72
Le territoire définitif ........................................................................................................................p 76
La communication ...........................................................................................................................p 76

La décision........................................................................................................................................... p 77
La session du Comité du patrimoine mondial à Brasilia ................................................................ p 78
Le rapport de l’UICN ..................................................................................................................... p 78
La décision du Comité .................................................................................................................... p 78
Deux critères sur quatre ................................................................................................................. p 80
Deux recommandations essentielles ............................................................................................... p 80

Les conséquences de l’inscription......................................................................................................... p 82


Le Parc national de La Réunion, gestionnaire du Bien ...................................................................p 82
Les premiers et principaux objectifs ............................................................................................... p 83
Des éléments de synthèse ................................................................................................................ p 83

LE CARACTERE EXCEPTIONNEL
ET LA VALEUR UNIVERSELLE DU BIEN INSCRIT................................................. p 85

LA FABRIQUE DE PAYSAGES......................................................................................................... p 85

Deux pitons principaux, des cirques, des remparts.............................................................................. p 85


Les traits généraux .......................................................................................................................... p 85
Deux pitons principaux .................................................................................................................. p 86
Des cirques autour du Piton des Neiges ......................................................................................... p 88
Des remparts ................................................................................................................................... p 95

250 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Entre construction et destruction, une histoire géologique complexe.................................................. p 96
Les origines de l’île ......................................................................................................................... p 96
Le massif du Piton des Neiges : son histoire ................................................................................... p 97
Le massif du Piton de la Fournaise et ses remparts .......................................................................p 104
Les cirques : une formation difficile à concevoir .......................................................................... p 108

Les climats d’hier, d’aujourd’hui et de demain.................................................................................. p 116


L’impact des anciens climats ......................................................................................................... p 116
Le climat d’une île du sud-ouest de l’océan Indien ...................................................................... p 118
Les topo-climats : conséquences du relief de l’île ......................................................................... p 121
Le château d’eau du Piton de la Fournaise ................................................................................... p 124
Les modifications climatiques en cours et les prévisions ............................................................... p 128

L’île aux trésors naturels et paysagers................................................................................................ p 129


Le comparable et l’incomparable ................................................................................................. p 129
Des éléments de synthèse .............................................................................................................. p 131

LA DIVERSITÉ ET L’ORIGINALITÉ DE LA FLORE,


DE LA FAUNE ET DE LEURS HABITATS.............................................................. p 133

Le patron d’habitats, son originalité................................................................................................... p 133


L’ossature primitive du patron ...................................................................................................... p 133
L’originalité du patron d’habitats ................................................................................................. p 135

Le peuplement végétal, sa biodiversité, sa place et son originalité..................................................... p 136


Le peuplement végétal avant l’arrivée de l’homme ...................................................................... p 136
L’anthropisation du peuplement végétal ...................................................................................... p 138
Le bilan de biodiversité du peuplement végétal ........................................................................... p 140
La place et l’originalité du peuplement végétal ............................................................................ p 141

Les principaux habitats de La Réunion, leurs originalités................................................................. p 142

La faune.............................................................................................................................................. p 155
La faune terrestre .......................................................................................................................... p 155
La faune aquatique ....................................................................................................................... p 160

De l’originalité à l’unicité................................................................................................................... p 162


Le comparatif : végétation et habitats altimontains ..................................................................... p 164

LA RÉUNION, UNE ESTHÉTIQUE NATURELLE....................................................p 167

Qu’est-ce que la beauté ?................................................................................................................... p 167


La Beauté, une approche initiatique ? .......................................................................................... p 167
La Beauté, une approche sensible ? .............................................................................................. p 168
La Beauté, le plaisir et la liberté ? ................................................................................................. p 168
Le Beau ou le Sublime ? ............................................................................................................... p 168
Le Beau, une certaine bizarrerie ? ................................................................................................ p 168

Un ensemble de paysages et de milieux naturels remarquables......................................................... p 169

La conscience esthétique.................................................................................................................... p 172

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 251


La valeur exceptionnelle des paysages............................................................................................... p 178
Les remparts et l’esthétique .......................................................................................................... p 179
La valeur exceptionnelle des cirques du Piton des Neiges ............................................................ p 180
La valeur esthétique des milieux naturels ..................................................................................... p 181
Une valeur esthétique magique parfois imprévisible .................................................................... p 183

L’esthétique selon les évaluations internationales.............................................................................. p 183

LE PRIX DE L’EXCELLENCE..............................................................................p 187

LA RECONNAISSANCE INTERNATIONALE FACILITE


ET POUSSE A LA MISE EN ŒUVRE D’ACTIONS NOUVELLES.......................................... p 187

La mise en œuvre d’un plan de gestion.............................................................................................. p 187


La charte du parc national, plan de gestion du Bien patrimoine mondial ................................... p 187
Une gouvernance partagée, clé de la réussite du plan de gestion ................................................ p 189

La lutte contre les espèces envahissantes et la conservation de la biodiversité................................... p 190


La mise en place de la Stratégie réunionnaise de la Biodiversité (SRB) ....................................... p 190
et de son programme opérationnel de lutte contre les invasives (POLI) ................................... p 193
La mise en œuvre de nouveaux moyens : les programmes Life+ ................................................. p 198
Les réponses aux incendies de 2010 et 2011

Le partage et l’amélioration de la connaissance................................................................................. p 199


L’enrichissement de la connaissance ............................................................................................ p 199
Le partage de la connaissance: séminaires, colloques, ateliers et autres moments d’échanges..... p 203
La publication de documents de vulgarisation ............................................................................. p 205

La sensibilisation, l’éducation à l’environnement et l’adhésion citoyenne......................................... p 206


Le savoir heureux ......................................................................................................................... p 207
L’implication de la population dans les actions de conservation .................................................. p 211

Le Bien, objet de découverte pédagogique et touristique.................................................................. p 213


Une signalétique valorisant le Bien .............................................................................................. p 214

L’ouverture au monde........................................................................................................................ p 214


Les échanges et partenariats avec d’autres Biens inscrits ...............................................................p 215
Les échanges et partenariats avec les îles du sud-ouest de l’océan Indien .................................... p 217

LA PERENNITE DU BIEN................................................................................... p 221

Les engagements à tenir sur la durée : garder l’intégrité du Bien...................................................... p 221


L’apport de la connaissance et son utilisation pour la conservation.............................................. p 222
Le renforcement de l’implication de la population dans la plantation d’espèces indigènes
et la lutte contre les espèces invasives ....................................................................................... p 224
La meilleure prise en compte des enjeux de conservation dans les aménagements publics ......... p 226
Une évolution de la législation à prendre en compte ................................................................... p 226

Le Bien est l’affaire de tous : mise en place d’une gouvernance renouvelée...................................... p 227
Un rappel de la gouvernance mise en place lors de l’élaboration du dossier de candidature ...... p 227
Une gouvernance à relancer ......................................................................................................... p 227

252 La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts


Le « faire envie » et le faire ensemble » : communication et échanges, outils d’une adhésion.......... p 228
Un meilleur partage de la valeur universelle exceptionnelle au cœur de l’inscription ................. p 228
Un besoin de replacer l’environnement réunionnais sur l’axe du temps ...................................... p 230
Une prise en compte des fondamentaux de La Réunion dans l’enseignement ............................ p 231

L’esthétique des paysages, vecteur pédagogique et touristique.......................................................... p 231


La démarche d’interprétation du patrimoine ............................................................................... p 234
L’actualisation en cours du schéma de développement ................................................................ p 236
et d’aménagement touristique de La Réunion (SDATR) ........................................................ p 236
La valorisation des paysages, du patrimoine géologique et l’amélioration de la signalétique ...... p 237
L’idée d’une déclinaison de l’inscription dans une griffe locale

L’articulation des deux patrimoines réunionnais inscrits à l’UNESCO............................................ p 237


Le maloya ..................................................................................................................................... p 238
Une solidarité à consolider entre les deux inscriptions ................................................................. p 238

L’ouverture au monde à intensifier : La Réunion, point focal de l’océan Indien.............................. p 239


La mise en réseau des Biens inscrits dans le sud-ouest de l’océan Indien .................................... p 239
Un partenariat stratégique avec la Commission de l’océan Indien (COI) ................................... p 241

CONCLUSION.................................................................................................. p 243

ANNEXES
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE ...................................................................... p 245

SOMMAIRE...................................................................................................... p 249

CONTRIBUTEURS............................................................................................ P 255

La Réunion, une île unique et exceptionnelle Pitons, cirques et remparts 253


CONTRIBUTEURS

Coordination : Florence Collin


Jean-François Bénard Gérard Collin
Gérard Collin Nicole Crestey
Hervé Douris
Rédaction : François Duban
Stéphane Baret Lucette Ferlicot
Jean-François Bénard Gislein Fontaine
Wilfrid Bertile Alain Freynet
Vincent Boullet Iconothèque Historique de l’océan Indien
Emmanuel Braun Jonathan Louise
Serge Briffaud Météo France
Gérard Collin Olivier Lucas-Leclin
Valérie Germain Philippe Mairine
Mickaël Maillot Stéphane Michel
Philippe Mairine Jean-Cyrille Notter
Jean-Cyrille Notter Janik Payet
Guillaume Payet Martin Riethmuller
Janik Payet René Robert
René Robert Olivier Tressens
Yannick Zitte
Photographies, cartographie
et illustrations : Relectures et révisions :
Bruno Bamba Jean-François Bénard
Stéphane Baret Gérard Collin
Jean-François Bégue Mickaël Maillot
Jean-François Bénard Jean-Cyrille Notter
Lorien Boujot
Vincent Boullet Médiation :
Ruddy Brennus Mickaël Maillot

©CCEE 2018
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34, rue Sainte-Marie - 97400 Saint-Denis - Île de La Réunion
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