Article Chiniakov

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 8

Troupes russes en France et activités des associations franco-russes

(1916—1919)
Tchiniakov Maxim Konstantinovitch,
Docteur en histoire, maître de conférences à l’Université pédagogique d'état de
Moscou,
Maître de conferences à l’Institut Moscovite de la radio, de l'électronique et de
l'automatisation,
Secrétaire scientifique de la Fondation commémorative des militaires du Corps
Expéditionnaire Russe (1916-1918).

Au cours de la Première guerre mondiale, à la fin de 1915, en raison de la


situation difficile sur le théâtre européen des opérations, la France demande à
l’Empire russe l’envoi de troupes pour combattre les puissances de l’Alliance.
La Russie envoie 50 à 60 000 hommes (quatre brigades d'infanterie, une
brigade d'artillerie et un bataillon du génie militaire) sur le théâtre des opérations
d'Europe occidentale (et des Balkans), brigades connues après la première guerre
mondiale sous le nom de «Corps expéditionnaire russe».
Ce sujet — l'activité des associations et organisations de la société civile
franco-russes pour les troupes russes en France — n'a pas été étudié ni dans la
littérature russe ni dans la littérature étrangère. Les sources sont très rares, pour la
plupart fragmentaires. Les traces de mentions de cette problématique dans les
récits de souvenirs manquent, à l'exception d'indices sur l'existence de la plus
grande des organisations de ce type— le « Comité des amis des soldats russes » et
l'allusion aux activités à Paris et à Nice de quelques sociétés de bienfaisance pour
la Légion Russe1 . En réalité, il existait quelques autres organisations, dont les
activités n'ont jamais fait l'objet de recherches. (On ne sait rien de l'action de ce
genre d'organisations au sein des troupes russes dans les Balkans.)
1
Danilov YU.N. Russkie otryady na francuzskom i makedonskom frontah
(Détachements russes sur les fronts français et macédonien). 1916–1918. Paris, 1933. P.
58, 238.
2

Les dates sont indiquées selon le nouveau style. (calendrier grégorien. N.d.T.)
« Comité des amis des soldats russes »
À l'arrivée de la première brigade d'infanterie spéciale en France, fut fondé,
en avril 1916, à l'initiative du sénateur français J.-A.-P. Doumer, le « Comité des
amis des soldats russes » , qui devait s'engager dans un vaste travail visant à
maintenir le moral et l’esprit combatif des soldats. Le Comité exécutif de la
Société comprenait Doumer, le comte A.A.Ignatiev, colonel, attaché (agent
militaire) de la Russie en France, etc... En fait, l'organisation était dirigée par
Doumer. Les membres d'honneur du Comité étaient l'Ambassadeur de Russie en
France A. P. Izvolsky et le Représentant de sa majesté impériale, le commandant
en chef Suprême du Grand Quartier général, le général de cavalerie Y.G.
Zhilinsky. Le conseil de la Société comprenait 60 personnes, y compris Doumer
lui-même, le sénateur E. Herriot (en 1924, il dirigera le gouvernement et obtiendra
la reconnaissance par la France de l'URSS), G.Noulens (futur Ambassadeur de
France en Russie et représentant du commandement allié auprès du commandant
en chef Suprême de A.V. Коltchak) ,etc...
Le but de la Société était ainsi libellé: «Entourer les soldats de la nation alliée,
venus combattre dans les rangs de l'armée française, de sympathie, d'amour et d'
amitié, dans l'espoir de remplacer au moins partiellement leur patrie et leur
famille»2. Dans ce but, il avait été prévu de publier des bulletins périodiques en
russe, tenant au courant«nos camarades de combat», c'est-à-dire les soldats russes,
de la vie en Russie et du cours des hostilités en Europe, en Afrique et en Asie, où
se battaient leurs frères d'armes, et aussi de faciliter globalement les relations des
soldats russes avec leurs proches, de leur fournir non seulement des cartes postales
gratuites en français et en en russe, mais aussi de leur permettre l'envoi à leur
adresse de cadeaux divers ( denrées, chaussettes tricotées chaudes, tabac,
souvenirs).
Le «Comité des amis des soldats russes» publiait diverses brochures
patriotiques, ainsi qu'un journal hebdomadaire en russe pour les troupes russes en
2
Arhiv vneshnej politiki Rossijskoj imperii (Archive de la politique étrangère de
l'Empire russe), le fond 187, l’inventaire 524, l’affaire 3325, la page 234.
3

France et, malgré son nom, -«Journal militaire pour les troupes russes en France»-,
pour les troupes russes stationnées dans les Balkans. Ignatiev, à la demande de
Doumer, a promis de fournir au journal, avec l'aide du correspondant militaire,
capitaine de la Garde V. I. Semionov, des panoramas de la situation militaire.
Cependant, les rédacteurs français n'ont pas réussi à faire le travail correctement,
car ils ne comprenaient pas les demandes et la mentalité du soldat russe. Compte
tenu des circonstances, Ignatiev a proposé, le 5 septembre 1916, de se charger lui-
même de la rédaction du journal , ou, plus précisément, d'en charger le même
Semionov. le Comité a rapidement accepté.
Au total, 30 numéros ont été publiés sous la direction du Comité entre le 22
avril et le 5 octobre, de 8 pages chacun pour un tirage total de 12 000 exemplaires.
Sur les deniers de l’Etat-Major russe a été publié le même nombre de numéros,
entre le 25 novembre 1916 et le 16 juin 1917, mais de 16 pages chacun et tirés à 16
mille exemplaires. Pour la «vente occasionnelle au détail», les numéros coûtaient
25 centimes (mais le journal populaire «le Petit Parisien» coûtait 5 centimes);
environ 800 numéros ont été vendus3. La question de la popularité du journal reste
ouverte. Du moins, en mars 1917, le colonel Dyakonov, chef du 2e regiment
d’infanterie spéciale russe a-t-il affirmé la grande popularité de ce Journal au sein
de son régiment.
Pour résoudre le problème de la barrière de la langue, le « Comité des amis
des soldats russes » a publié un guide de conversation russe-français, «Comment
parler aux français sans connaître la langue française», dont la première page
indiquait explicitement: «Nous voulions seulement lui [au soldat russe.-M.Tch.]
donner l'occasion de s'adresser à nos vaillants alliés grâce à quelques mots en
français.» Avec l'aide de cette brochure, il était possible de tenir une conversation à
la gare, à table sur divers sujets — la météo, la vie quotidienne, etc... (une petite
section séparée était appelée «entre soldats»)4.
3
Rossijskij gosudarstvennyj arhiv literatury i iskusstva (Archive d'État russes de la
littérature et de l'art), (ensuite — RGALI), le fond 1403, l’inventaire 1, l’affaire 160, la
page 364.
4
Rossiiski Gosoudartsvenny voenno-istorichesky arhiv (Archive d’Etat de l’histoire
militaire) (ensuite — RGVIA), le fonds 15304, l’inventaire 1, l’affaire 191, la page 170-
4

« Comité d'aide aux blessés russes en France »


À partir d'octobre 1916 a commencé à travailler à Paris le « Comité d'aide
aux blessés de guerre russes en France» sous la direction de la marquise de
Montebello5 (une descendante du Maréchal d’Empire Jean Lannes): «Grâce à des
dons de toute sorte, le Comité a déjà distribué une grande quantité de linge, d'
oreillers, utiles pour le mobilier des malades hospitalisés, d'icônes, de journaux, de
livres et de jeux divers pour se distraire, de friandises, comme du thé, du chocolat,
de la confiture, des fruits, des biscuits, de cigarettes... Pour les fêtes de Noël 1916
et de Pâques 1917, dans de nombreux hôpitaux, des sapins ont été décorés, des
concerts, des spectacles organisés, et des cadeaux distribués à tous les soldats»6.
« Maison du Soldat Russe »
On connaît deux organisations de la société civile actives à Paris et à Nice
sous le même nom — « la Maison du Soldat Russe ».
La Maison parisienne du Soldat Russe (« Maison du Soldat Russe ») fondée
environ au lendemain de la revolution du Février.Conformément aux instructions
(sans date)7, la Maison «a pour but de donner à chaque soldat russe (qu'il s'agisse
d'un soldat ou d'un officier, d'un médecin ou d'un fonctionnaire, ou d'un soldat
réformé pour cause de blessure ou de maladie) un coin russe où tous les russes
peuvent se rencontrer, comme les amis et enfants d'une même Patrie bien aimée —
la Russie, partager ensemble chagrin et joie, et en général travailler sur le
développement en chacun d’eux-même de l’amour pour la Patrie, du devoir
civique et de l'éducation politique.
La Maison de soldat veut poser ici en France la base de bons principes pour
l'éducation des soldats russes, qui serviront, à leur retour dans leur Patrie, de

178. Voir aussi: Lecointe F. Les brigades Russes en Macédonie et la Légion Russe. 1915–
1920. Université Paul Valery. Montpellier III. 1997. P. 170.
5
Russkij soldat-grazhdanin vo Francii (Soldat-citoyen russe en France) (ensuite —
RSGF). 28.07.1918. №15.
6
RSGF. 10.08.1917. №15.
7
Gosudarstvennyj arhiv Rossijskoj Federacii (Archive d'État de la Fédération de
Russie), le fond R-6154, l’inventaire 1, l’affaire 17, la page 1-3.
5

cellules à l'origine du même travail fructueux sur l'ensemble du territoire de la


grande Russie, où qu'ils aillent».
Les activités de la Maison, sous la direction d'un comité spécial de six
personnes (3 du Comité de défense et 3 du Comité de soldats de la ville de Paris),
étaient divisées en trois parties: l'économique, le culturel et l''éducation, et « la
facilitation des conditions de vie des invalides et des soldats réformés».
Le financement de la Maison était assuré par les recettes suivantes :
- dons volontaires;
- fonds du Comité des militaires Russes de la ville de Paris;
–recettes provenant de concerts, de spectacles, de conférences, etc...

Une Maison du soldat russe, ouverte le 24 juin 1917 (probablement suivant


l'ancien calendrier), existait également à Nice (probablement située au 18 Avenue
Durante), qui, par l'action d'une Société locale d'émigrants politiques, avaient deux
objectifs principaux: fournir aux soldats des logements bon marché pour se reposer
sur la côte d'Azur et «aider les soldats russes à passer leur temps de vacances avec
le plus grand bénéfice possible et pour leur plus grand plaisir»8.
C'est probablement cette maison que le lieutenant-colonel K.L.Balbachevsky,
un agent militaire de la Russie, K., a appelé, «un nid d'émigrés russes, ces ennemis
de toute forme d'état ou d'ordre». Balbachevsky a recommandé de lutter contre la
propagande des émigrés politiques en isolant complètement les soldats d'eux9.
« Patronage de la Légion Russe en France »
En raison des événements politiques en Russie, au milieu de 1917, les troupes
russes en France ont perdu leur potentiel de combat ( et dans les Balkans, plus
tard). Le 5 novembre, le Gouvernement Provisoire russe leur refuse leur retour,
permettant à Paris de les utiliser, sinon au front, comme main-d'œuvre. Le 16
novembre, le Président du conseil des ministres et ministre de la Guerre G.
Clemenceau, publie le décret n°27576 I/II sur la division des contingents militaires
russes en trois catégories: la première, composée de volontaires qui voulaient
8
RSGF. 23.08.1917. №25.
9
RGALI, le fond 1403, l’inventaire 1, l’affaire 161, la page 313.
6

combattre aux côtés des alliés (Légion russe); la seconde, des travailleurs-
volontaires; et la troisième, de ceux qui ne voulaient ni se battre, ni travailler et
étaient soumis à l'exil et au travail forcé.
Dans la période initiale, les volontaires de la Légion russe ont connu de
graves privations: la nourriture était de mauvaise qualité et les rations délivrées par
l'intendance française n'étaient même pas réglementaires. Les communautés russes
ont apporté une aide aux volontaires, rassemblant des cadeaux sous la forme de
produits de première nécessité.
En liaison avec le retour sur le front d'une partie des officiers et des soldats,
un certain «Cercle des femmes Russes» dirigée par A.N. Lokhvitskaya, l'épouse du
chef de la 1ère Brigade d'infanterie spéciale russe, s'est donné pour objectif de
«rendre plus facile aux soldats de la légion Russe leur dur exploit sur le front
français»10. Lors de l'assemblée générale du 1er mars 1918 (nouveau style?) sa
présidente a adressé à l'Ambassadeur de Russie en France, V.A. Maklakov, une
demande du Cercle pour qu'il devienne son président d'honneur, à laquelle il a
répondu positivement. Sur décision du Cercle, le frère d'un agent militaire en
France, le colonel P.A. Ignatiev, le colonel A.F. Pats-Pomarnatsky et le prêtre
Nikolay (Sakharov) ont participé à l'élaboration de la Charte de la future société.
Lors de la réunion du Cercle du 20 mars (nouveau style?) le Cercle fut
rebaptisé « Patronage de la Légion Russe en France ». Le même jour, la charte a
été approuvée et, conformément aux lois, a été soumise aux autorités françaises
compétentes pour approbation. Le 12 septembre, le Ministère des affaires
étrangères de la France a enregistré la Société. Suite aux élections, Mme
Lokhvitskaya est restée à la tête de l'organisation, Mme A.D.Poliakoff est devenue
vice-présidente, secrétaire général - Mme M.A. Smirnov, - trésorier Mme E.V.
Sakharov et P.A. Ignatieff, le colonel Pats-Pomarnatsky, etc...-membres de la
Société. Le général Lokhvitsky est devenu membre honoraire de la Société. La
tâche principale de la Société a été définie comme suit: «Reconnaissant dans la

10
Dom Russkogo zarubezh'ya imeni Aleksandra Solzhenicyna (Maison de la diaspora
russe nommée Alexandre Soljenitsyne) (ensuite — DRZ), le fond 130, l’inventaire 2,
l’affaire 4, la page 16.
7

formation de la Légion russe une initiative digne des plus hautes louanges, les
personnes à qui l'honneur de l'Armée russe est cher ont décidé de former une
Société pour fournir un soutien moral et matériel aux officiers et aux soldats de la
dite Légion ...» 11.
Ainsi, les collaborateurs de la Société ont aidé les volontaires de la Légion à
correspondre avec leurs compagnons d'armes et avec leurs parents vivant en
Russie; ont correspondu avec les volontaires; ont fourni aux volontaires des
journaux et des magazines; leur ont fourni des vêtements chauds, de la nourriture,
de l'argent; se sont occupés des invalides ( leur fournissant des prothèses,
s'occupant d'organiser pour eux une formation et les aidant à s'adapter à leur
nouvelle vie). Les dames de la Société rendaient visite aux blessés dans les
hôpitaux, leur distribuaient des cadeaux, organisaient des festivités pour eux et
prenaient soin de ceux qui se trouvaient en première ligne. En particulier «dans les
premiers jours de mars, 350 paquets de cadeaux (savon, papier, crayons, peignes,
couteaux, chocolat, etc...) ont été envoyés au front». La Société a commandé, pour
les volontaires morts au combat ou décédés à l'arrière, des offices commémoratifs
(messes des morts)12.
En date du 28 février 1919 (nouveau style?), le « Patronage de la Légion
Russe en France » a été rebaptisé « Patronage du Soldat Russe en France», car à
partir de novembre 1918, la Société a élargi ses activités en «prenant sous son aile
non seulement les soldats de la Légion russe, mais aussi les soldats russes de la
Légion Étrangère et d'autres unités des troupes russes, et également les invalides
qui quittaient le service et les soldats invalides rentrés de captivité»13.
Le niveau d'efficacité de la Société peut être jugé par les adresses de
remerciements des chefs des bataillons de la Légion russe à Mme Lokhvitskaya .
Selon le rapport de la Société, au 19 novembre 1918 (nouveau style?) les recettes

11
DRZ, le fond 130, l’inventaire 2, l’affaire 4, la page 17.
12
DRZ, le fond 130, l’inventaire 2, l’affaire 4, la page 21. Voir aussi: ibidem, le fond 130,
l’inventaire 2, l’affaire 5, la page 3; ibidem, le fond 130, l’inventaire 2, l’affaire 18, la page
22; RGALI, le fond 1403, l’inventaire 1, l’affaire 776, la page 1-3; Lecointe F. Op. cit. Р.
300.
13
DRZ, le fond 130, l’inventaire 2, l’affaire 5, la page 5.
8

de la Société s'élevaient à 43 602 francs 25 centimes, les dépenses à 32 083 francs


90 centimes. Les recettes se composaient de quatre éléments importants: les
cotisations des membres, les dons (y compris même 100 francs du Président de la
France R. Poincaré), les collectes, et la vente de publications imprimées aux frais
de la Société.
Lors de l'Assemblée des membres de la Société, le 6 février 1920 (nouveau
style?), il a été décidé la dissoudre.
Conclusion
Le société française a été assez attentive aux officiers et soldats russes dans
les années 1916-1917, mais, probablement suite à la sortie de la Russie de la
guerre, son désir de soutenir les soldats de la Légion russe a disparu, en
conséquence la fonction de soutien moral et matériel a dû être assumée par des
organisations d'émigrants russes, dont le degré d'influence politique sur les
officiers et les soldats est inconnu.
Dans le cadre des conclusions sur l'efficacité des activités des organisations
sociales pour les troupes russes en France, il convient de noter plusieurs problèmes
importants non résolus: premièrement, dans quelle mesure les sociétés ont eu la
possibilité de réussir; deuxièmement, si leur aide a été réellement efficace;
troisièmement, si les officiers et les soldats ont compris la difficulté qu'il y avait à
leur fournir une aide de ce type; quatrièmement, si les sociétés avaient la capacité
d'étendre et élargir leur aide.

Vous aimerez peut-être aussi