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QUE SAI S-J E ?

Histoire de l'U. R. S. S.
JEAN BRUHAT
Ancien professeur à l'Institut d'Etudes politiques de Paris

Douzième édition mise à jour

106e mille
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DU MÊME AUTEUR

PROBLÈMES D'HISTOIRE COLONIALE


B a n n i n g , in Les techniciens de la colonisation ( X I X e t X X siècles),
Paris, Presses Universitaires de F r a n c e , 1945, in-8°, 323 p . ,
coll. « P a y s d ' O u t r e - M e r », 1 série, vol. 1, pp. 33-54.
Léopold II, in Les politiques d'expansion impérialiste, Paris, Presses
Universitaires de F r a n c e , 1949, in-8°, 256 p., coll. « P a y s d ' O u t r e -
Mer », 1 série, vol. 5, pp. 73-122.
Histoire de l'Indonésie, coll. « Que sais-je ? », n ° 801, Paris, Presses
Universitaires de F r a n c e ; 3 éd. mise à j o u r , 1976 ( t r a d u i t en
espagnol).
Maximilien Robespierre u n d die Kolonialprobleme, in M a x i m i l i e n
Robespierre, Berlin, 1958, p p . 115-157.
J e a n J a u r è s d e v a n t le p r o b l è m e colonial, in Cahiers Internationaux,
n° 94, m a r s 1958, pp. 43-62.
Les résistances à l'expansion européenne en Asie e t en Afrique, in
L ' E u r o p e du X I X e et du X X e siècle, t. I I , pp. 1081-1122, Casa
Editrice D o t t . Carlo Marzorati, Milano, 1960.
E s s a i sur l'histoire de l'anticolonialisme (en p r é p a r a t i o n ) , E d i t i o n s
d u Seuil.

RÉVOLUTIONS, SOCIALISME ET MOUVEMENT OUVRIER


Les journées de Février 1848, Paris, Presses Universitaires de F r a n c e ,
1948, in-16, 78 p., coll. d u Centenaire de la R é v o l u t i o n de 1848.
Lénine, Paris, 1960, 380 p., Club français d u Livre, coll. « P o r t r a i t s
de l'histoire », 2 éd., 1970.
L a Commune de 1871, en collaboration avec J . DAUTRY e t E . TERSEN,
Paris, 1960, 432 p., E d i t i o n s Sociales. 2 éd. revue e t mise à j o u r ,
Paris, 1970, 464 p. ( t r a d u i t en r o u m a i n , russe, a l l e m a n d e t italien).
L a R é v o l u t i o n française e t la f o r m a t i o n de la pensée de Marx, d a n s
L a pensée socialiste devant la Révolution française, P a r i s , 1966,
pp. 125-179.
Anticléricalisme e t m o u v e m e n t o u v r i e r en F r a n c e , in Cahiers du
Mouvement social, Paris, 1975, pp. 79-117.
Esquisse d'une histoire de la C.G.T. (en collaboration avec Marc
PIOLOT), 1967, 396 p.
Le m o u v e m e n t ouvrier français e t les survivances d ' A n c i e n Régime
au d é b u t d u X I X siècle, in Colloque Ordre et classes, Paris, 1974.
K a r l Marx-Friedrich Engels, essai biographique, Paris, 1970, 300 p.,
Club français du Livre. 2 éd. revue, Paris, 1971, 315 p., U n i o n
générale d'édition, coll. 10/18.
L e F r o n t populaire (en collaboration), P a r i s , E d i t i o n s Sociales,
1972, 175 p.
Le socialisme français de 1815 à 1848 e t Le Capital, d a n s Histoire
générale du socialisme, Paris, P . U . F . , 1972 (direction J a c q u e s
DROZ), t. I, pp. 331-406, 501-534, 575-603 ; 2 éd., 1979.
Eugène Varlin, militant ouvrier, révolutionnaire et communard, Paris,
E . F . R . et Club D i d e r o t , 1975 ( t r a d u i t en hongrois).
L'affirmation d u m o n d e d u t r a v a i l urbain, d a n s Histoire économique
et sociale de la France, Paris, P . U . F . , 1976, t . 3, second v o l u m e ,
pp. 769-829 (direction F e r n a n d BRAUDEL e t E r n e s t LABROUSSE).
Gracchus B a b e u f et les E g a u x ou « le premier parti communiste agis-
sant », Paris, L i b r a i r i e A c a d é m i q u e P e r r i n , 1978.
Histoire de la France contemporaine ( e n collaboration), Paris, E d i t i o n s
Sociales, 1979, t. 2 e t 3.

ISBN 2 13 036452 7

1 2 édition miso à jour : 2 trimestre 1980


© Presses Universitaires de France, 1945
108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris
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CHAPITRE PREMIER

LA CHUTE DU TSARISME

I. — La Russie des tsars


1. La puissance russe. — La puissance de l'Em-
pire russe semblait considérable en 1914. Il s'éten-
dait sur plus de 22 millions de kilomètres carrés.
Il était lié à la France par une convention militaire,
et à l'Angleterre par l'accord de 1907. Si la densité
de population restait faible, le total atteignait près
de 170 millions d'habitants. En fait cette force
n'était qu'apparente.
2. Faiblesses et crises. — Les peuples groupés dans
les frontières de l'Empire étaient très divers. Si les
Slaves dominaient, ils étaient eux-mêmes divisés
en Russes, Ukrainiens, Biélorussiens et Polonais.
Dans les steppes que les populations mongoles
avaient traversées, et dans lesquelles elles avaient
parfois séjourné, comme aussi dans les régions
polaires, subsistaient des peuples de race jaune.
Le gouvernement tsariste avait pratiqué à l'égard
des peuples dits allogènes une politique brutale de
russification. La langue russe était la seule langue
autorisée dans les administrations et devant les
tribunaux. L'usage de la langue maternelle était
interdit dans les écoles, dans la presse et dans la
littérature.
Si le servage des paysans avait été supprimé
en 1861 après la défaite de Crimée et à la suite des
jacqueries, la question agraire n'avait pas été réso-
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lue. Les paysans étaient libres, mais ne possédaient


en toute propriété que des domaines insuffisants.
Le mir ou commune rurale dirigeait l'exploitation
collective des terres de la commune : les champs
étaient répartis entre les familles, et les lots chan-
geaient fréquemment d'exploitants. Institution an-
cienne qui dissimulait mal, sous des apparences
démocratiques, l'autorité d'un maire dévoué à la
police et une routine qui faisait obstacle à tout pro-
grès agricole. Les réformes du XX siècle (1906-1910),
qui autorisaient les paysans à se retirer de la collecti-
vité avec leur parcelle et à se procurer des biens
avec l'aide de la Banque paysanne, ne favorisaient
que les paysans aisés. Elles aboutissaient à la forma-
tion d'une véritable bourgeoisie rurale : les koulaks.
L'industrie s'était développée plus tardivement
que dans l'Europe occidentale. Elle dépendait pour
une grande part de l'étranger qui avait fourni les
capitaux. Mais si l'industrie était récente, elle
n'en était que mieux équipée et plus concentrée.
Le prolétariat naquit et grandit rapidement,
d'autant plus accessible à la propagande révolu-
tionnaire qu'il était concentré et que sa situation
était misérable. Jusqu'en 1906 la journée de travail
était au moins de 12 heures. Les salaires très bas
étaient encore réduits par l'abus des amendes.
Dès lors les ouvriers s'organisaient (« Union des
Ouvriers russes du Nord » et « Union des Ouvriers
de la Russie méridionale ») ; l'action des premiers
socialistes russes qui se réclamaient du marxisme
commençait (le groupe de « la Libération du
Travail » de Plekhanov en 1883) et les grèves se
multipliaient. Le parti ouvrier social-démocrate
russe se constitua en 1898 (P.O.S.D.R.) au cours
d'un congrès qui ne réunit que neuf délégués. Il se
divisa en deux groupes au I I Congrès (1903) : le
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groupe des bolcheviks (bolchinstvo - majorité) qui,


avec Lénine, préconisait la formation d'un parti
centralisé et discipliné, et le groupe des mencheviks
(menchinstvo - minorité), qui s'opposait à cette
conception. La répression obligera les chefs bol-
cheviks à émigrer à Zurich, à Berne ou à Paris. Mais,
de l'étranger, ils ne cesseront pas de rester en rela-
tion avec la classe ouvrière russe.
Au début du siècle, l'Empire russe demeurait une
monarchie absolue. Le tsar dominait par l'intermé-
diaire d'une bureaucratie qui gouvernait à coup
d'oukases dont la police (Okrana) assurait l'appli-
cation. Rien ne limitait l'autorité du souverain, ni
un Parlement, ni même une cour. L'arbitraire était
la règle : la volonté du tsar avait force de loi, et les
ministres n'étaient que des commis. Ce régime avait
eu ses heures de gloire avec Pierre le Grand et
Catherine II. Cette bureaucratie même avait fait
alors de la Russie un E t a t moderne. Mais le système
ankylosé se heurtait à la puissance d'un mouve-
ment libéral qui avait trouvé dans l'industrialisation
récente les raisons d'un nouvel essor.
L'Empire des Tsars n'était plus qu'un colosse
aux pieds d'argile. La rançon de l'immensité, c'était
la protestation des peuples russifiés. Les réformes
agraires incomplètes provoquaient un méconten-
tement d'autant plus profond que leur annonce
avait soulevé de plus grandes espérances. Le rythme
de l'industrialisation trop rapide n'avait pas laissé
se créer entre le prolétariat et les capitalistes les
groupes intermédiaires que constituait la petite
bourgeoisie dans l'Europe occidentale : le choc
était brutal comme était grand le contraste entre
les conditions de vie. Contre l'autocratie le pays
semblait faire bloc, à l'exception d'une noblesse
conservatrice dont le rôle social s'amenuisait :
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nobles libéraux, industriels, commerçants et finan-


ciers paralysés par des survivances féodales, paysans
avides de terre, ouvriers qui, dans leurs grèves et
leurs manifestations, se heurtaient à la police du
tsar. Les Etats étrangers eux-mêmes, inquiets pour
leur argent, redoutaient une révolution et encoura-
geaient les libéraux. Dans aucun pays ne se posaient
en même temps et avec une telle acuité autant de
problèmes que le gouvernement semblait impuis-
sant à résoudre : problème national, problème agraire,
problème ouvrier, problème politique. C'est ce qui
apparut lors de la Révolution de 1905.
3. La Révolution de 1905 : répétition. — En janvier 1905,
les armées russes de Mandchourie étaient battues par les Japo-
nais. Nicolas II s'avérait incapable de défendre les positions
russes en Extrême-Orient, et la confiance du peuple dans le
tsar diminuait. Les manifestations populaires se multiplient.
Dès décembre 1904 une grève a éclaté à Bakou parmi les ou-
vriers du pétrole. Elle se termine par un succès : paiement
des jours de grève, signature de la première convention collec-
tive instituant la journée de 9 heures. Des milliers d'ouvriers
défilent le 22/9 janvier 1905 (1) dans les rues de Saint-Péters-
bourg. Leur cortège conduit par un agent provocateur, le
pope Gapone, et qui tenait de la procession plus que de la
manifestation, est accueilli par des fusillades et chargé par les
cosaques (dimanche rouge). Dès lors les grèves se développent
à Pétersbourg, Varsovie, Bakou, Lodz, Ivanovo-Voznessensk,
Odessa, Riga, etc. Elles aboutissent parfois à de véritables
émeutes. Les paysans se soulèvent surtout dans le bassin
de la Volga et en Géorgie, incendiant les châteaux et parta-
geant les terres. Des mutineries éclatent dans l'armée (révolte
du cuirassé Potemkine en juillet). Des organisations nouvelles
apparaissent, et tout particulièrement le Soviet (ou conseil)
à Pétersbourg, Ivanovo-Voznessensk et Moscou. Dans le même
temps qu'il semble capituler (manifeste du 30/17 octobre qui
promet des réformes et annonce qu'une Douma d'Empire va
être élue), Nicolas II brise l'insurrection : pogromes, mas-
sacres, arrestation du Soviet de Pétersbourg, écrasement de
(1) T o u t e s les d a t e s sont r a p p o r t é e s a u calendrier grégorien
(introduit en Russie le 16 février 1918). P o u r certaines d a t e s devenues
traditionnelles nous avons mis entre parenthèses la d a t e « russe ».
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la révolte de Moscou. Les p o p u l a t i o n s allogènes s'étaient aussi


soulevées (en Géorgie, en U k r a i n e , en Lettonie, en Finlande).
L e s r é v o l t e s s o n t p a r t o u t r é p r i m é e s . Nicolas I I p e u t dès lors
r e v e n i r s u r les e n g a g e m e n t s q u ' i l a v a i t p r i s e n o c t o b r e . U n e
D o u m a se r é u n i t , q u i e s t p r e s q u e s a n s d é l a i d i s s o u t e ( 1 9 0 6 ) .
L a d e u x i è m e s u b i t le m ê m e s o r t l ' a n n é e s u i v a n t e . Q u a n t à l a
t r o i s i è m e (le s y s t è m e é l e c t o r a l a é t é m o d i f i é d e f a ç o n à é c a r t e r
les é l é m e n t s p o p u l a i r e s ) , e n f i n d o c i l e , elle s o u s c r i t j u s q u ' e n 1912
à t o u t e s les m e s u r e s d e r u s s i f i c a t i o n e t d e r é a c t i o n . E n 1912,
u n e q u a t r i è m e D o u m a la remplace. E n fait, a u c u n e modifica-
t i o n e s s e n t i e l l e n ' a é t é a p p o r t é e d a n s le r é g i m e , d ' o ù se d é g a g e
u n p a r f u m d e s c a n d a l e : R a s p o u t i n e d o m i n e le c o u p l e i m p é r i a l .
L ' o p p o s i t i o n n e d é s a r m e p a s e t le m o u v e m e n t r é v o l u t i o n -
n a i r e se d é v e l o p p e à n o u v e a u à p a r t i r d e 1912. L e p r i n c i p a l
m i n i s t r e S t o l y p i n e e s t assassiné à K i e v ( s e p t e m b r e 1911).
E n a v r i l 1912, d e s o u v r i e r s d e s m i n e s d ' o r d e l a L é n a ( S i b é r i e )
s o n t m a s s a c r é s p a r l a g e n d a r m e r i e . C ' e s t le s i g n a l d ' u n e n o u -
v e l l e v a g u e d e g r è v e s ( p r è s d e 1 500 000 g r é v i s t e s a u c o u r s
d u p r e m i e r t r i m e s t r e 1914). L ' i n f l u e n c e d e s b o l c h e v i k s se
d é v e l o p p a i t a u sein d e l a classe o u v r i è r e . L e u r j o u r n a l , l a
P r a v d a ( p r e m i e r n u m é r o 5 m a i 1912) c o n n a i s s a i t u n s u c c è s
grandissant.

4. Lénine. — Il p r e n d désormais u n e autorité pré-


pondérante dans le mouvement révolutionnaire.
V l a d i m i r I l i t c h O u l i a n o v e s t n é l e 22 a v r i l 1870 à S i m b i r s k
( a u j o u r d ' h u i Oulianovsk), d a n s la région de la Volga m o y e n n e ,
d ' u n e famille petite bourgeoise. Son père é t a i t inspecteur des
Ecoles p r i m a i r e s et, p a r son frère A l e x a n d r e , q u i a v a i t été
p e n d u e n 1887 à l ' o c c a s i o n d ' u n c o m p l o t c o n t r e A l e x a n d r e I I I ,
L é n i n e se r a t t a c h e a u p r e m i e r m o u v e m e n t r é v o l u t i o n n a i r e
r u s s e , d o n t d ' a i l l e u r s , il d é m o n t r e r a les f a i b l e s s e s t o u t e n e n
e x a l t a n t l'héroïsme. Il fait ses é t u d e s à Simbirsk, puis à
l ' U n i v e r s i t é d e K a z a n , d ' o ù il e s t e x c l u p o u r s o n a c t i v i t é
p o l i t i q u e . R e ç u à l ' U n i v e r s i t é d e P é t e r s b o u r g , il se f i x e r a d a n s
l a c a p i t a l e à p a r t i r d e 1893. R a l l i é a u x d o c t r i n e s m a r x i s t e s , il
s ' e n f a i t l e p r o p a g a n d i s t e d a n s les cercles o u v r i e r s . A r r ê t é
u n e p r e m i è r e fois e n 1895, c o n d a m n é à t r o i s a n s d ' e x i l , il a
p o u r r é s i d e n c e C h o u c h e n s k o i é ( H a u t - I e n i s s é i ) . E n 1900 il q u i t t e
l a R u s s i e , l a n c e d e Z u r i c h l ' I s k r a ( E t i n c e l l e ) , e t d e v i e n t le c h e f
d e l a t e n d a n c e b o l c h e v i q u e a u sein d u P . O . S . D . R . R e v e n u e n
R u s s i e p e n d a n t l a R é v o l u t i o n d e 1905, il e s t obligé a p r è s l a
d é f a i t e d e se c a c h e r d ' a b o r d e n F i n l a n d e , e t f i n a l e m e n t e n 1907
d e r e p a r t i r à l ' é t r a n g e r . I l n e p o u r r a p a s r e v e n i r a v a n t 1917.
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Dans le même temps qu'il travaillait à l'organisation de son


parti (sans lequel il n ' y a pas pour lui de victoire révolution-
naire possible) il publiait, en dehors de ses articles, des ouvrages
ou brochures : le Développement du capitalisme en Russie (1898),
Les tâches des social-démocrates russes (1898). Que f a i r e ? (1902).
De 1905 à 1914, il lutte pour le maintien de la discipline d u
parti et contre les courants d'idées qu'il considère comme des
déviations (Matérialisme et empiriocriticisme).
D e l a R é v o l u t i o n d e 1 9 0 5 , il a r e t e n u d e u x e n s e i -
g n e m e n t s . D ' a b o r d le p r o l é t a r i a t n e p e u t a g i r s e u l ,
il d o i t l u t t e r e n l i a i s o n a v e c l e s p a y s a n s , l e s m i n o r i -
tés nationales et l'armée. P a r ailleurs, la défaite n ' e s t
p a s d é f i n i t i v e , e t a p r è s u n e p é r i o d e de r e f l u x le
m o u v e m e n t révolutionnaire connaîtra sous p e u u n
n o u v e l essor. L e s m a n i f e s t a t i o n s de 1912 c o n f i r m e n t
ces prévisions.
Donc l'Empire des Tsars était menacé d'une nou-
velle crise q u a n d la g u e r r e de 1914 éclate, q u i d e v a i t
précipiter sa chute.

I I . — L a Russie d a n s la g u e r r e
L a Russie n'était pas en é t a t de faire u n e guerre
longue et moderne. Le matériel était insuffisant.
F a u t e d ' a r m e s et aussi faute de cadres, la Russie
n e p o u v a i t u t i l i s e r c o m p l è t e m e n t ses p u i s s a n t e s
réserves humaines. L'influence allemande domine
à la c o u r : l'impératrice est allemande, Nicolas I I
e t G u i l l a u m e I I s o n t liés d ' u n e vieille a m i t i é .
Des ministres seront soupçonnés de trahison, et
l'Allemagne a des complices dans la bureaucratie
e t d a n s l ' é t a t - m a j o r . L e s s c a n d a l e s se m u l t i p l i e n t .
L a d é s o r g a n i s a t i o n e s t telle, q u ' e n d é p i t d e ses
ressources naturelles, la Russie c o n n a î t r a dès l'au-
t o m n e d e 1915 u n e crise g r a v e d e r a v i t a i l l e m e n t .
Le soldat russe est n a t u r e l l e m e n t courageux, et
les p e r t e s a u f r o n t s e r o n t c o n s i d é r a b l e s : f i n 1916,
2 500 000 m o r t s e t 4 500 000 blessés. A c h a q u e
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d é f a i t e le m o r a l d i m i n u e . D ' a u t a n t p l u s v i t e q u ' a u -
cune des promesses faites ne semble devoir être
t e n u e , n i celle q u i c o n c e r n a i t les m i n o r i t é s n a t i o -
n a l e s , n i celle q u i g a r a n t i s s a i t a u x p a y s a n s l a t e r r e
pour après la victoire.
Dès lors les revers se succèdent presque sans interruption.
L'armée de Samsonov est écrasée par Hindenburg à Tannen-
berg (27-30 août 1914), puis celle de Rennenkampf aux lacs
de Mazurie (8-10 septembre). La I V et la V armées russes sont
battues à Krasnik et à Komarov, dans la Pologne méridionale.
Si les Austro-Hongrois doivent reculer après la bataille de
Lemberg, le bilan de la campagne de 1915 est désastreux :
Przemysl, Lemberg, Varsovie, Kovno, Vilna t o m b e n t entre
les mains de l'ennemi. E n septembre 1915 le front russe a été
reporté vers l'est, sur u n tracé sensiblement rectiligne qui v a
de la Baltique (ouest de Riga) au Dniestr. Les abandons de
territoire sont considérables : la Galicie, la Pologne, la Lithua-
nie. E n 1916 les Russes prennent l'offensive, la célèbre « offen-
sive Broussilov », qui bouscule les armées austro-hongroises et
les repousse jusqu'à la chaîne des Karpates. Au milieu d'août,
les Russes sont arrêtés. Si leurs victoires ont permis des gains
de terrain, elles n'ont pas obtenu l'essentiel, à savoir la jonc-
tion avec la Roumanie qui entre en guerre aux côtés des Alliés,
e t dont le territoire est presque t o u t entier conquis par les
Austro-Allemands (septembre-décembre 1916). Quoi qu'il en
soit, la conférence interalliée de Chantilly (18 novembre 1916)
décide que dès le 15 février 1917 « les armées de la coalition
seront prêtes à entreprendre des offensives d'ensemble ».
L a crise i n t é r i e u r e a u r a , à c e t t e d a t e , a t t e i n t u n e
telle gravité q u e la Russie sera hors d ' é t a t d ' e n g a g e r
u n e offensive.

I I I . — L a première Révolution : m a r s (février) 1917


Les défaites v o n t e n effet précipiter l'effondre-
m e n t de la puissance d u tsar. A u lendemain de la
d é c l a r a t i o n d e g u e r r e , l ' u n i o n s a c r é e s e m b l e se
r é a l i s e r . E n f a i t , le g r o u p e d e s b o l c h e v i k s s ' e s t
p r o n o n c é contre la participation à cette guerre.
R é f u g i é e n Suisse, L é n i n e r é d i g e le Social-Démocrate
et écrit e n 1916 L'impérialisme, stade suprême d u
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capitalisme. Pour lui la guerre étant une guerre


impérialiste, les ouvriers devaient s'y opposer
résolument. En novembre 1914, le gouvernement
arrête et poursuit pour haute trahison les députés
bolcheviks à la Douma.
De son côté, la bourgeoisie n ' a aucune confiance
dans le gouvernement du tsar pour conduire à bien
la guerre. Dès lors, de 1914 au début de 1917, nous
assistons à un conflit de plus en plus profond
entre le tsar et l'opinion publique. A chaque
défaite, ce conflit prend un caractère plus vio-
lent, les bolcheviks qui mènent une action illégale
dans les usines et parmi les soldats proclament
ouvertement leur volonté d'abattre le tsarisme.
Mais leur influence est encore faible. En dehors
d'eux, les plans sont confus, les intentions obscures.
A une administration qu'elle soupçonne d'incapa-
cité (et aussi de malhonnêteté) la bourgeoisie russe
va substituer des initiatives particulières. On voit
se créer une « Union des Zemstvos » (1), une « Union
des villes » (qui formeront à Moscou un comité
commun) et à Pétrograd un « Comité commercial et
industriel ». La Douma ne se réunit tout d'abord
que pour de courtes séances. Nicolas I I entend
gouverner seul. Il use largement de l'article 87 des
lois fondamentales, qui lui donne le droit de légiférer
par décrets lorsque la Douma n'est pas en session.
Après les défaites du printemps 1915, il renvoie
le généralissime, le grand-duc Nicolas, et prend lui-
même le commandement des armées avec le général
AJéxeiev comme chef d'état-major. Dès lors il ne
réside que rarement à Pétrograd, et vit surtout au
quartier général. L'influence de l'impératrice l'em-
porte : la Russie lui est inconnue, et Raspoutine la
(1) Assemblées locales, représentatives, dans lesquelles le s y s t è m e
électoral favorisait les grands propriétaires fonciers e t la bourgeoisie.
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domine, Raspoutine « à qui, écrit-elle, Dieu dit tout ».


L'opposition s'accentue. A la Douma, dès sep-
tembre 1915, un bloc se constitue, dit progressiste,
et qui comprend, en dehors des progressistes, les
K.D. et les octobristes (1). Les hommes que Nico-
las II appelle au gouvernement sont de plus en plus
suspects : Stürmer, « germanophile de cœur » et
« réactionnaire déterminé » selon l'ambassadeur
anglais, et surtout Protopopov qui avait eu à
Stockholm, pendant l'été 1916, des entretiens avec
un agent allemand. Le mécontentement grandit
dans la population et dans l'armée. Les partis modé-
rés sentent qu'ils seront débordés s'ils n'agissent pas.
L'entourage même du tsar est ébranlé : le Conseil
d'Empire, puis l'Assemblée de la noblesse, deman-
dent la formation d'un ministère investi de la
confiance du pays, et quelques jours plus tard
(décembre 1916) Raspoutine est assassiné par
des familiers de la Cour. L'ambassadeur anglais
(Sir Georges Buchanan) fait une démarche auprès
du tsar (janvier 1917). Nicolas II a opté pour la
répression : la Douma est ajournée, les réunions de
l' « Union des Zemstvos » sont interdites, et la police
est dotée de mitrailleuses. C'est en vain. Les mani-
festations populaires se multiplient, d'autant plus
que les difficultés de ravitaillement sont considé-
rables. 27 février : des milliers de grévistes mani-
festent dans Pétrograd. 3 mars : grève de l'usine
Poutilov. 7 mars : l'usine est fermée, les grèves
s'élargissent. 8 mars : à l'occasion de la journée
internationale des femmes, manifestation des tra-
vailleuses du textile, près de 80 000 grévistes.

(1) Les K . D . (constitutionnels-démocrates) préconisaient l'établis-


s e m e n t d ' u n e monarchie constitutionnelle. Progressistes et octo-
bristes é t a i e n t des p a r t i s libéraux d o n t les derniers s ' é t a i e n t ralliés
a u manifeste impérial d u 30 octobre 1905.
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de Brejnev. Nicolas Podgorny a été « libéré » de ses


fonctions au Bureau politique le 24 mai 1977.
Le 16 juin il a été remplacé par L. Brejnev qui
cumule les fonctions de chef du parti, de chef de
l'Etat et de maréchal (depuis 1976).
1. Quelques changements ont été apportés dans
l'organisation du Parti. Le X X I I I Congrès a rétabli
en 1966 le Bureau politique qui, en 1952, avait été
remplacé par un Présidium sur la proposition de
Khrouchtchev. D'autre part, alors que Khroucht-
chev avait prévu une organisation du Parti en
deux secteurs : un secteur industriel et un secteur
agricole, on est revenu au principe territorial
d'organisation.
2. Les relations avec la République populaire
chinoise ne se sont pas améliorées. On note cepen-
dant une certaine détente dans la mesure où des
négociations se poursuivent à propos des questions
frontalières, mais les polémiques entre les deux
Partis communistes n'ont pas cessé et il y a des
divergences fondamentales entre Moscou et Pékin
dans les options de politique extérieure (1). De son
côté la Roumanie manifeste une volonté d'indé-
pendance dans les domaines diplomatiques et écono-
miques. L'intervention militaire des Cinq (U.R.S.S.,
Pologne, Hongrie, Bulgarie, R.D.A.) en Tchécoslo-
vaquie, en août 1968, a mis en lumière la difficulté
de concilier une unité monolithique du monde
socialiste avec l'aspiration à un développement ori-
ginal de chacun des membres de la Communauté
socialiste. Cependant un programme à long terme

(1) Le 3 avril 1979 la Chine a annoncé qu'elle n ' a v a i t pas l ' i n t e n t i o n


de proroger le t r a i t é d ' a m i t i é , d'alliance e t d ' e n t r a i d e conclu en 1950
avec l'Union soviétique.
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d'intégration économique socialiste a été adopté


en 1971 par les pays du Comecon.
3. En revanche la politique d'organisation de la
coexistence pacifique est systématiquement pour-
suivie. Les contacts directs et les voyages se mul-
tiplient qu'il s'agisse de la France, de l'Inde, du
Canada, de l'Algérie et des Etats-Unis. Les rela-
tions entre la R.F.A. et l'U.R.S.S. ont évolué et,
en août 1970, a été négocié un traité soviéto-
allemand. Même sur Berlin-Ouest un accord a été
signé entre les quatre puissances responsables du
statut de la ville. « Les conditions sont maintenant
réunies pour que Berlin-Ouest, de source de dis-
corde qu'il était, devienne un élément de paix et
de détente » (Brejnev, 1976). En 1966 A. Kossy-
guine a présidé à Tachkent une conférence visant
à mettre fin à l'état de guerre entre l'Inde et le
Pakistan. Les rencontres américano-soviétiques ont
abouti à la signature de plusieurs accords concer-
nant les armes nucléaires et les négociations se
poursuivent. Un des objectifs de la diplomatie
soviétique a été atteint avec la réunion, à Hel-
sinki de 33 Etats européens (ainsi que les Etats-
Unis et le Canada). L'acte final de la Conférence
( 1 août 1975) affirme l'inviolabilité des frontières
établies et contient un code de principe des rapports
entre Etats.

4. L'U.R.S.S. par son soutien a contribué à la


victoire du Vietnam et elle a apporté son aide à la
République populaire d'Angola. Si les relations avec
l'Egypte se sont récemment tendues Moscou entre-
tient de bonnes relations avec la Syrie, l'Irak,
l'Algérie, le Yémen du Sud, la Libye et l'Organi-
sation de Libération palestinienne.
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5. A l'intérieur on a renoncé aux sovnarkhozes,


mais la réforme économique industrielle continue
qui tend à accorder une plus grande autonomie aux
entreprises. Elle donne encore lieu à de nombreuses
discussions.
6. L'agriculture pose toujours des problèmes. En
dépit des progrès si l'on s'en tient aux moyennes (1)
il y a trop de fluctuations dues pour une part à
l'incidence des facteurs climatiques car l'U.R.S.S.
doit produire plus du tiers de ses céréales dans des
régions sujettes à la sécheresse. La récolte de 1975
a été particulièrement mauvaise.
La production ne correspond pas à la progression
des besoins dans un pays où non seulement la
population augmente mais où la structure de l'ali-
mentation se modifie. La part du pain diminue
mais celle de la viande, du lait, des œufs, des
légumes et des fruits tend à augmenter. Des mesures
(1) Récolte b r u t e (en millions de tonnes).
Moyenne annuelle

Cheptel ( e n millions de têtes)

P a r r a p p o r t à la p r o d u c t i o n t o t a l e le p o u r c e n t a g e de la p r o d u c t i o n
agricole du lopin individuel d u kolkhozien t e n d à d i m i n u e r : 25,5 %
en 1976 c o n t r e 32,9 % e n 1965.
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prises en juillet 1966 visent à introduire le principe


du salaire garanti pour les kolkhoziens, à favoriser
l'essor des activités industrielles dans les exploita-
tions agricoles, à octroyer l'autonomie de gestion
aux sovkhoz. Le 2 octobre 1968, un décret concerne
la « régularisation de la construction au village ».
Il s'agit de la réorganisation des agglomérations
rurales qui ont été regroupées (on en compte
470 000 en 1970 contre 700 000 en 1959), de la
transformation de la maison paysanne, de l'aména-
gement des routes dont l'absence ou le mauvais
état coûte beaucoup à la campagne soviétique.
Le I I I Congrès des kolkhoziens s'est tenu à Moscou
en novembre 1969 (les précédents datent de 1928 et
de 1935). Un nouveau statut type a été adopté, à
partir duquel chaque kolkhoz établira son propre
statut. Un revenu minimal est garanti aux kol-
khoziens qui bénéficieront pour les pensions, les
assurances sociales des mêmes droits que les tra-
vailleurs des sovkhoz ou des exploitations d'Etat.
7. Les Congrès du P.C.U.S. se sont tenus régulière-
ment. Le X X I V Congrès (mars-avril 1971) a
lancé « le programme de paix », établi le bilan du
V I I I quinquennat (1966-1970) et ratifié les direc-
tives du I X Le X X V Congrès (février 1976) a
pris acte de l'achèvement de ce quinquennat. La
croissance industrielle a atteint le rythme prévu
(43 % en cinq ans). Mais la progression dans le
domaine agricole n'a été que de 13 % au lieu des 20
ou 22 % escomptés. En conséquence le revenu
national n'a gagné que 28 % au lieu des 37 à 40 %
souhaités. Ce même Congrès a approuvé « les grandes
options de l'économie nationale pour 1976-1980 ».
Pour l'industrie ce X quinquennat met l'accent
sur l'augmentation de la productivité et l'amélio-
ration de la qualité. Les secteurs prioritaires seront
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ceux des constructions mécaniques, de l'industrie


chimique et pétrochimique et la production d'éner-
gie électrique. Peu de chantiers prévus pour les
régions occidentales. On se contentera de moderniser
les entreprises déjà implantées. Par contre un grand
effort sera fait dans les régions orientales et notam-
ment en Sibérie dont on estime qu'elle recèle les
quatre cinquièmes des ressources naturelles connues
sur le territoire soviétique. Pour l'agriculture les
objectifs sont ambitieux tant pour les céréales
que pour la viande et les produits laitiers. Plus
d'un quart du total des investissements seront affec-
tés au développement de cette agriculture. On doit
accélérer la fabrication des tracteurs et des ma-
chines agricoles en général (1). La base fourragère de
l'élevage sera renforcée. La qualité des terres sera
améliorée grâce à l'utilisation plus massive des
engrais. « Le Parti, a déclaré Brejnev, considère le
développement continu de l'agriculture comme une
tâche importante impartie à l'ensemble de l'Etat
et du peuple. Toutes les branches de l'économie
doivent apporter à sa solution une digne contri-
bution. » A nouveau, mais semble-t-il avec une insis-
tance toute particulière, un appel a été lancé en
faveur de la production d'articles de grande consom-
(1)
P a r c des machines destinées à l'agriculture
(en milliers d'unités)

Il semble que le n o m b r e des camions est insuffisant, car les récoltes


sont souvent compromises f a u t e d ' u n e n l è v e m e n t rapide.
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mation et de qualité et aussi pour une meilleure


organisation du commerce et des services.

IV. — Bilan ou perspectives


1917-1979. Le Soviétique qui est venu au monde
l'année de la Révolution a aujourd'hui 62 ans. Le
régime ne peut plus être considéré comme un régime
« neuf » si on ne tient compte que de sa durée. Glo-
balement l'U.R.S.S. est devenue la seconde puis-
sance économique mondiale, encore que l'essor soit
inégal selon les secteurs et qu'il y ait en particulier
un certain retard dans le domaine des biens de
consommation (tant au point de vue quantitatif
qu'au point de vue qualitatif).
Toutefois il convient d'observer que ce dévelop-
pement n'a pas été linéaire. Il s'est fait en deux
étapes. La première part de 1927 (fin de la N.E.P.)
à 1941 (début de la guerre). La seconde qui va
jusqu'en 1979 débute avec la fin de la reconstruction
d'après-guerre. Les phases intermédiaires sont ca-
ractérisées par des guerres ou des périodes de re-
construction. De là résulte une obsession qui n'a pas
disparu et qui est celle de « la forteresse assiégée ».
Elle explique (sans toujours la justifier) une certaine
mentalité qui n'est pas seulement celle des dirigeants
mais aussi celle de l'homme de la rue. Quoi qu'il en
soit cette longévité du régime soviétique suffirait
à expliquer la complexité et les tournants d'une
histoire au cours de laquelle des problèmes ont été
posés en des termes nouveaux et dont il fallut, en
tâtonnant et, parfois, en errant, trouver la solution.
Au départ les difficultés tenaient au fait que la
révolution socialiste l'avait emporté dans un pays
non sous-développé, mais arriéré au plan de l'écono-
mie et de la culture. Elles avaient été aggravées
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par la guerre d'intervention. Il a fallu dans le mini-


mum de temps et presque sans recours à l'extérieur
accumuler des capitaux et industrialiser le pays.
A ces obstacles d'origine se sont ajoutées les consé-
quences de la seconde guerre mondiale. Les dif-
ficultés actuelles semblent d'une autre nature. Ne
sont-elles pas liées au phénomène de croissance et
de développement dans un cadre original qui est
celui des rapports de production socialistes ? La
planification centralisée qui a été une des conditions
de l'essor économique peut devenir un obstacle si
on ne l'assouplit pas. Mais il convient d'agir avec
prudence car toute « improvisation » peut avoir
dans un aussi vaste pays des conséquences drama-
tiques. La société ne cesse pas de se transformer :
baisse du taux de natalité (17,8 ‰ en 1972
contre 31,2 ‰ en 1940), d'où diminution du taux
d'accroissement annuel de la population (9 ‰
en 1973 contre 18,1 ‰ en 1958 et 23,7 ‰ en 1926) ;
tendance au vieillissement (les Soviétiques de 60 ans
et plus représentent en 1970 11,8 % de la population
totale contre 6,7 en 1939) ; augmentation de la popu-
lation urbaine (32 % en 1939, 48 % en 1959, 56 %
en 1970, 59 % en 1973 et 63 % en 1978), accroisse-
ment plus rapide des populations des républiques
asiatiques et caucasiennes (1), rôle de plus en plus
(1)
Comparaison des taux de natalité
(en ‰ )

1940 1972

U.R.S.S. 31 17
R.S.F.S.R. 33 15,3
Ouzbekistan 33 32

E n conséquence on e s t i m e q u e la p o p u l a t i o n de l'Asie centrale qui


r e p r é s e n t a i t 9,4 % d u t o t a l de l a p o p u l a t i o n soviétique a t t e i n d r a
en 1980 15,9 %.
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grand des techniciens et ingénieurs, élévation du


niveau général d'instruction (1).
Le 1 octobre 1977 le Soviet suprême de l'U.R.S.S.
a adopté le texte d'une nouvelle Constitution. Par
rapport à la précédente la référence à la dictature
du prolétariat disparaît. L'Union soviétique devient
« l ' E t a t socialiste du peuple entier » (art. I Les
Soviets des députés des travailleurs deviennent les
Soviets des députés du peuple. Il est prévu que « les
questions les plus importantes » « sont soumises à la
discussion populaire et au référendum » (art. 5).
Par contre le rôle dirigeant du Parti communiste
est affirmé (art. 6) et on introduit le principe du
centralisme démocratique comme principe de « l'or-
ganisation de l ' E t a t ». Les Républiques fédérées
ont perdu le droit qu'elles n'avaient d'ailleurs
jamais exercé d'avoir leurs propres formations mili-
taires. L'article 73 qui fixe ce qui est de la compé-
tence de la Fédération ne laisse aux Républiques
que des pouvoirs résiduels.
En contradiction avec la lettre des articles de la
Constitution l'organisation de certains procès, le
maintien de mesures répressives, la transformation
d'hôpitaux psychiatriques en instruments politiques
suscitent une émotion d'autant plus légitime que
les raisons de telles initiatives sont difficiles à
discerner. De toute façon le phénomène de la dissi-
dence (aux objectifs très divers et souvent contra-
dictoires) dissipe le mythe d'un monolithisme idéo-
logique en U.R.S.S.
D'autre part les divergences sino-soviétiques,
l'existence de tendances centrifuges au sein du

(1) E n 1977 on c o m p t e 53 788 000 élèves p o u r l'ensemble des


écoles primaires e t secondaires (y compris l'enseignement par corres-
pondance). On d é n o m b r e 5 037 000 é t u d i a n t s d a n s l'enseignement
supérieur. Il existe environ 5 bibliothèques p o u r 10 000 h a b i t a n t s .
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Comecon, la crise tchécoslovaque de 1968, les réti-


cences des partis communistes occidentaux, le
fléchissement même du taux de croissance du
revenu national en U.R.S.S., tout cela démontre
que l'U.R.S.S. comme l'ensemble du monde socia-
liste est à un tournant. En U.R.S.S. même on hésite
encore à aborder, sans complexe, l'histoire du pays.
On tend encore à écrire cette histoire (surtout pour
les périodes récentes) en fonction de l'histoire qui
se fait. Lors du X X Congrès du P.C.U.S., en 1956,
Mikoïan avait reconnu que « le travail scientifique
dans le domaine de l'histoire de notre parti et de la
société soviétique était peut-être le secteur de notre
travail idéologique où nous retardons le plus ».
On ne saurait affirmer que le retard est comblé.
Trop longtemps occultée l'histoire de l'Union
soviétique est, en quelque sorte, en situation de
continuelle révision. Toutefois les documents publiés
ici ou là, la richesse croissante de la bibliographie
(étrangère à l'U.R.S.S. au moins autant que sovié-
tique) nous assurent une connaissance qui ne cesse
de s'améliorer.
Celui qui veut bien considérer l'histoire de
l'U.R.S.S. comme celle d'un « temps long » ne peut
pas ne pas mettre en lumière ces grandes étapes que
nous avons distinguées : la naissance, les épreuves
du « communisme de guerre » et de la guerre d'in-
tervention, cette sorte de convalescence que fut
la N.E.P., la longue période que domine Staline,
mais qui, cependant, ne se confond pas avec lui et
qui comporte avec la réussite économique et la
victoire de 1945 la contrepartie tragique d'un
régime personnalisé et répressif.
On a désormais le sentiment que depuis près d'une
trentaine d'années il y a en U.R.S.S. comme un
affrontement qui met aux prises, sous les formes les
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plus diverses, des forces conservatrices (conserva-


trices par crainte d'une mise en cause du régime
lui-même) et des forces nouvelles qui, sans toucher
aux fondements du socialisme, entendent l'adapter
aux exigences d'une société en mutation, à l'inté-
rieur d'un monde lui-même en pleine transformation.
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