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LES NOTES

ÉCONOMIQUES
Collection « Réglementation »
Juin 2011

L’INFLUENCE DE LA PUBLICITÉ
SUR LA CONSOMMATION
Dans de nombreux pays, les Dans le même ordre d’idées, un regrou- fournit de l’information qui l’aide à choisir
gouvernements ont de plus pement américain de spécialistes de la santé entre les produits et services de diverses
en plus tendance à vient d’exiger le retrait de la mascotte Ronald entreprises en fonction de ses besoins, que ce
McDonald en raison de ses liens avec ce qu’ils soit une automobile, un cellulaire, etc. Bien
réglementer l’industrie
considèrent comme de la « malbouffe ». Le sûr, la publicité n’est pas la seule source utile
publicitaire. Que ce soit au même groupe avait fait campagne contre la pour effectuer des choix : on a aussi recours
nom de la protection des mascotte Joe Camel dans les années 1990. à des magazines, à l’avis de ses proches, etc.
consommateurs ou de Reste que la publicité a une valeur, car elle
préoccupations de santé, L’insistance à protéger le consommateur permet au consommateur de connaître les
la publicité de produits contre lui-même repose sur la croyance options disponibles.
voulant que la publicité sert à créer une
pourtant légaux doit se
demande pour un produit. Par conséquent, Si les consommateurs n’accordaient aucune
conformer à des règles de réglementer ou interdire importance à la publicité,
plus en plus contraignantes. la publicité est considéré elle serait éliminée par
On peut penser à l’alcool, au comme une façon l’effet de la concurrence,
tabac ou à la restauration efficace de réduire la puisque les entreprises ne
rapide, par exemple. consommation de ce faisant pas de publicité
Cette tendance mondiale produit. Comme nous le pourraient offrir des prix
verrons, les recherches plus faibles pour leurs
était récemment soulignée
scientifiques n’appuient produits et services sans
par le directeur d’une agence généralement pas cette nuire à leurs ventes. Tou-
publicitaire réputée dans perception. tefois, la publicité est loin
l’hebdomadaire britannique d’être une garantie de
The Observer1. Il y prédisait Cette Note économique est la première d’une popularité : plusieurs cas ont démontré
que les gouvernements, faute série de deux qui traiteront de la tendance qu’une grande compagnie ayant un budget
croissante à réglementer l’industrie publici- publicitaire astronomique a échoué à vendre
de bannir l’achat de certains
taire. Elle examine la question générale de un produit rejeté par les consommateurs. On
produits, en interdiraient de l’influence de la publicité sur la consomma- n’a qu’à penser aux boissons New Coke ou
plus en plus la publicité. tion. Crystal Pepsi, à l’automobile de marque
Edsel ou au site Pets.com, par exemple.
La valeur de la publicité
pour le consommateur L’influence de la publicité

Les dépenses de publicité s’élèvent à près de De plus, il y a de bonnes raisons de douter


six milliards de dollars chaque année au que la publicité soit nécessaire pour créer ou
Canada2. Il s’agit d’une industrie importante maintenir la demande envers un produit. Si
qui représente environ un demi-pour cent cette perception était vraie, la consomma-
Cette Note économique a été
du produit intérieur brut. La publicité est tion de drogues illicites, par exemple, ne
préparée par Michel Kelly-Gagnon,
président-directeur général de l’IEDM, utile pour le consommateur, car elle lui serait pas si répandue3. De même, la
en collaboration avec Youri Chassin,
économiste à l’IEDM. 1. « 20 predictions for the next 25 years », The Observer, 2 janvier 2011.
2. Statistique Canada, Tableau CANSIM 360-0003.
LES NOTES ÉCONOMIQUES
consommation d’alcool n’a pas diminué substantiellement bière en 1974 au Manitoba n’a pas diminué la consommation
pendant la Prohibition américaine (1920-1933)4. Deux dans cette province par rapport à la consommation en Alberta,
catégories de produits ont été particulièrement analysées par les où la publicité est restée légale8.
chercheurs : l’alcool et le tabac. Ces cas montrent que l’impact
de la publicité sur la consommation est négligeable, ou du Le tabac
moins très mineur, comparativement à d’autres facteurs sociaux
et culturels. Des études ont souligné l’importance de l’opinion Le cas du tabac a aussi été étudié abondamment. Pendant les 60
de la famille et des pairs d’une personne dans ses choix de dernières années, quelque 50 articles ont été publiés au sujet de
consommation5. l’impact de l’interdiction totale ou partielle de la publicité liée à
la cigarette dans divers pays. Des chercheurs ont publié une
L’alcool analyse sans précédent regroupant les conclusions de 27 études
et couvrant des données provenant d’une quarantaine de pays9.
En effet, dans le marché de l’alcool par exemple, des recherches Leurs résultats indiquent que l’interdiction de la publicité liée à
scientifiques6 ont conclu que la publicité n’influence pas la la cigarette, qu’elle soit totale ou partielle, n’a pas d’impact
consommation totale en analysant des substantiel sur la consommation de ce
expériences survenues aux États-Unis, au La publicité est utile pour le produit10.
Canada, en France, au Royaume-Uni, aux consommateur, car elle lui
Pays-Bas et en Suède. Par exemple, la fournit de l’information qui La proportion de fumeurs est en baisse quasi
légalisation de la publicité liée à l’alcool en l’aide à choisir entre les produits constante depuis le milieu des années 196011.
Saskatchewan en 1983 n’a pas mené à une et services de diverses entreprises Cette tendance s’explique par plusieurs
consommation supérieure. en fonction de ses besoins. facteurs, dont les préoccupations liées à la
santé et une panoplie de politiques publiques
Dans les cas où la consommation semble y compris les taxes sur le tabac, l’interdiction
augmenter parallèlement à la publicité, la véritable cause de fumer dans plusieurs lieux, la « dénormalisation »12 des
pourrait être en fait le contraire de ce que l’on croit. Comme le fumeurs, etc. Les limites imposées à la publicité ont joué un rôle
souligne un article publié par l’Organisation mondiale de la négligeable, sinon inexistant. Bien qu’il existe certaines études de
santé7, quand une étude du marché laisse croire à une tendance santé publique qui font un lien entre la publicité et la
à la hausse de la popularité d’un produit, plusieurs entreprises consommation de tabac chez les jeunes, un article d’un prix
« sautent dans le train en marche ». Elles font davantage de Nobel d’économie a conclu qu’elles ne respectaient pas les
publicité lorsqu’elles constatent que la consommation d’un critères nécessaires à l’établissement d’une relation de cause à
produit est en croissance afin d’obtenir la plus grande part de effet13.
marché possible provenant de cette nouvelle manne. Autrement
dit, le volume de publicité pourrait très bien s’accroître en La réglementation de la publicité du tabac s’est poursuivie
réaction à l’augmentation de la demande et non l’inverse. récemment avec l’interdiction de l’affichage des produits du
tabac dans quatre pays : le Canada, l’Islande, l’Irlande et la
Par ailleurs, si la publicité augmentait la consommation, le fait Thaïlande. Là encore, les faits démontrent que l’interdiction
de l’interdire devrait rendre le produit moins populaire. d’affichage n’a pas modifié les habitudes de consommation et
Pourtant, ce n’est pas ce que nous observons en pratique dans le constitue une politique « hautement inefficace »14.
cas de l’alcool. À titre d’exemple, l’interdiction des publicités de

3. Filip Palda, « Publicité et commandites » dans Pierre Lemieux et Jean-Luc Migué, Évaluation économique de l’Étude d’impact sur le projet de loi proposé par le Ministre de la Santé et des
Services sociaux du Québec, mai 1998, p. 78.
4. Angela K. Dills et Jeffrey A. Miron, « Alcohol Prohibition and Cirrhosis », American Law and Economics Review, vol. 6 (2004), no 2, p. 315.
5. Voir : Marc G. Weinberger, Harlan E. Spotts et Ereni Markos, « Joe Camel: Post-mortem of a Brand Spokesperson », International Journal of Advertising, vol. 29 (2010), no 3, p. 406.
6. Tim Ambler, « Can Alcohol Misuse Be Reduced by Banning Advertising? », International Journal of Advertising, vol. 15 (1996), no 2, p. 167-174.
7. Voir : Juha Partanen et Marjatta Montonen, « Alcohol and the Mass Media », EURO Reports and Studies, vol. 108 (1988), p. 7.
8. Tim Ambler, op. cit., note 6, p. 170.
Institut économique de Montréal

9. Michael L. Capella, Charles R. Taylor et Cynthia Webster, « The Effect of Cigarette Advertising Bans on Consumption », Journal of Advertising, vol. 37 (2008), no 2, p. 7-18 (intervalle
de confiance : 95 %).
10. Id., p. 14.
11. Jessica L. Reid et David Hammond, Tobacco Use in Canada: Patterns and Trends: 2009 Edition, Propel Centre for Population Health Impact (University of Waterloo), p. 14.
12. Le terme « dénormalisation » est employé pour décrire les efforts visant à rendre la consommation de tabac moins acceptable sur le plan social. Voir Santé Canada, http://www.hc-
sc.gc.ca/hc-ps/pubs/tobac-tabac/ns-sn/appendixc-annexec-fra.php.
13. James J. Heckman, Fredrick Flyer, Colleen Loughlin, « An Assessment of Causal Inference in Smoking Initiation Research and a Framework for Future Research », Economic Inquiry,
vol. 46 (2008), no 1, p. 42 et 43.
14. Patrick Basham et John Luik, « Tobacco Display Bans: A Global Failure », Economic Affairs, vol. 31 (2011), no 1, p. 102.

2 L’INFLUENCE DE LA PUBLICITÉ SUR LA CONSOMMATION


La publicité et le cycle de vie du produit directement) les marques rivales. Il existe de rares exceptions à
ce principe : d’abord, pour un produit qui est dans la première
Pourquoi les entreprises dépensent-elles autant en publicité si phase de son cycle de vie, comme nous l’avons vu ci-dessus, et
elle n’augmente pas la consommation? Tout simplement pour ensuite, pour la publicité générique parfois réalisée par des
accaparer la plus grande part de marché possible par rapport à associations de producteurs (par exemple pour les produits
leurs concurrentes. laitiers).

Cette conception s’intègre bien à ce que les spécialistes du Il convient toutefois de préciser quelle est la définition d’un
marketing appellent la « théorie du cycle de vie du produit ». « marché ». En effet, des chercheurs16 ont énuméré les
Cette théorie stipule que tout produit traverse quatre phases : « niveaux » suivants dans un marché :
1) l’introduction, 2) la croissance, 3) la
maturité et 4) le déclin. Lors de la première L’impact de la publicité sur la • la marque (par exemple le fromage à la crème
phase, la publicité crée un nouveau marché et consommation est négligeable, Philadelphia) désignant le produit d’une
le développe. On peut penser par exemple au ou du moins très mineur, entreprise en particulier;
télécopieur ou plus récemment aux tablettes comparativement à d’autres
électroniques. Toutefois, lors des phases facteurs sociaux et culturels. • le sous-secteur (le fromage à la crème) qui
subséquentes, la publicité se concentre sur les comprend plusieurs marques en concurrence
marques, chaque entreprise tentant d’obtenir directe;
la part la plus grande possible dans un marché d’abord en
croissance, qui se stabilise et qui finit par décliner. • le secteur (le fromage), qui regroupe plusieurs sous-secteurs
dont les produits demeurent des substituts assez proches les
Un produit comme la cigarette, qui existe depuis des siècles, est uns des autres;
arrivé à la phase du déclin lors de laquelle la publicité a seulement
un impact sur la part de marché des différentes marques. • la catégorie (les produits laitiers), qui inclut des secteurs assez
proches les uns des autres pour que les consommateurs soient
Les marques – des noms bien connus et immédiatement recon- prêts à effectuer des substitutions, mais dans une moindre
naissables rattachés à certains produits – sont une composante mesure que dans le cas des secteurs; et
fondamentale de la publicité. Elles empruntent souvent le nom
de l’entreprise, comme « Ford » ou « Dell ». Parfois, elles en • la supercatégorie (la nourriture), formée de catégories liées,
viennent à désigner de façon presque générique le produit qui risque peu d’être substituée à une autre supercatégorie de
auquel elle s’applique, comme « Tylenol » (de Johnson & produits.
Johnson) ou « Kleenex » (de Kimberly-Clark). Dans un certain
sens, ces marques deviennent une partie intégrante de la culture La publicité ne porte pas sur le transport (une supercatégorie),
populaire. D’un point de vue commercial, les marques sont sur les véhicules routiers (une catégorie), sur les automobiles (un
aussi une façon pour les entreprises de publiciser la qualité de secteur) ou même sur les automobiles à quatre roues motrices
leur produit. Les marques permettent de distinguer leur produit (un sous-secteur) en général. Les fabricants d’automobiles et les
des autres15 lorsque s’engage la deuxième phase du cycle de vie concessionnaires publicisent leurs marques particulières. Cette
ainsi que les subséquentes, ce qui aide les entreprises à créer une publicité peut avoir pour effet d’accroître la taille du sous-secteur,
loyauté chez les consommateurs. mais il est rare que l’effet se rende jusqu’au niveau du secteur ou
de la catégorie17. Cette hiérarchie n’est pas uniforme d’une étude
La publicité et la taille du marché à l’autre, mais l’important est de comprendre que la publicité
concerne presque toujours les marques et qu’aussitôt qu’on
Comme nous venons de le voir, l’objectif de la publicité est examine un « niveau » plus élevé dans le marché, la publicité perd
généralement d’augmenter la part de marché d’une marque très rapidement son impact sur la consommation.
plutôt que de développer le marché pour toutes les marques.
Institut économique de Montréal

Cette intention s’observe facilement lorsqu’on voit la quantité Selon une étude ayant examiné 156 cas de campagnes
de messages publicitaires qui visent à attaquer (plus ou moins publicitaires ayant obtenu un grand succès au Royaume-Uni18,

15. Voir : Richard Posner, « Advertising and Product Differentiation » dans John S. Wright et John E. Mertes (dir.), Advertising’s Role in Society, West Publishing Co., 1974, p. 44-46.
16. Tim Ambler, Simon Broadbent et Paul Feldwick, « Does Advertising Affect Market Size? », International Journal of Advertising, vol. 17 (1998), no 3, p. 271.
17. Michael L. Capella, Charles R. Taylor et Cynthia Webster, op. cit., note 9, p. 8.
18. Tim Ambler, Simon Broadbent et Paul Feldwick, op. cit., note 16, p. 284-293.

L’INFLUENCE DE LA PUBLICITÉ SUR LA CONSOMMATION 3


LES NOTES ÉCONOMIQUES
cette conclusion s’applique à la plupart des Conclusion
produits. Par exemple, une campagne
publicitaire pour une barre tendre (Quaker La publicité informe les gens sur les choix qui
Harvest Chewy Bar) a augmenté la s’offrent à eux, ou sur les caractéristiques de
consommation des barres tendres, mais n’a pas certains produits. Mais le choix demeure en
augmenté la consommation dans le secteur du définitive celui du consommateur. Ce que l’entre-
chocolat. De même, une campagne pour des prise espère en publicisant un produit, c’est de
boulettes de viande en conserve (Campbell’s) a promouvoir ce qu’elle offre de mieux que ses con-
augmenté la taille du marché des boulettes de currentes et d’établir la meilleure image de
viande en conserve, mais pas des aliments en marque possible. À ce jeu, ce que l’un gagne,
conserve ou de la viande l’autre le perd et la
transformée. consommation totale n’est pas 1010, rue Sherbrooke O., bureau 930
Montréal (Québec) H3A 2R7, Canada
Une analyse poussée de la modifiée dans la vaste majorité Téléphone (514) 273-0969
L’alcool ou le tabac étant des littérature scientifique des cas. Télécopieur (514) 273-2581
Site Web www.iedm.org
catégories de produits (un pertinente montre que la
niveau plus élevé dans la consommation totale de La publicité est aussi une in- L'Institut économique de Montréal est un
« hiérarchie » du marché), il produits « indésirables » ne dustrie de service qui repose sur organisme de recherche et d'éducation
indépendant, non partisan et sans but
est normal que nous consta- des professionnels créatifs et qui
peut pas être réduite en lucratif. Par ses publications, ses
tions que la publicité des ajoute une valeur à l’activité éco- interventions et ses conférences, l'IEDM
limitant ou en interdisant leur alimente les débats sur les politiques
marques liées à ceux-ci n’au- nomique. Les politiques publi- publiques au Québec et partout au Canada
gmente pas la taille du publicité puisque les en proposant des réformes créatrices de
ques visant à limiter ou à richesse et fondées sur des mécanismes de
marché. La publicité d’une consommateurs ne se laissent interdire la publicité de certains marché. Il n'accepte aucun financement

marque annule en quelque pas simplement dicter leurs produits nuisent à cette industrie,
gouvernemental.

sorte celle d’une autre19. En fin choix par celle-ci. et ce, en vain. En effet, les Les opinions émises dans cette publication
de compte, une analyse pous- recherches scientifiques mon- ne représentent pas nécessairement celles de
l’Institut économique de Montréal ou des
sée de la littérature scientifique trent que la réglementer en membres de son conseil d’administration.
pertinente montre que la consommation totale de espérant faire diminuer certaines habitudes de
La présente publication n’implique aucu-
tels produits « indésirables » ne peut pas être consommation est inefficace. Comme c’est bien nement que l’Institut économique de
réduite en limitant ou en interdisant leur publicité Montréal ou des membres de son conseil
souvent le cas, entre les intentions de ces d’administration souhaitent l’adoption ou le
puisque les consommateurs ne se laissent pas politiques publiques et leurs résultats concrets, il y rejet d’un projet de loi, quel qu’il soit.

simplement dicter leurs choix par celle-ci. a un énorme fossé dans lequel les concepts de
Reproduction autorisée à des fins éducatives
liberté de choix et de responsabilité individuelle et non commerciales à condition de
sont évacués du débat. mentionner la source.

Institut économique de Montréal


© 2011

Imprimé au Canada

Illustration :
Benoit Lafond

Infographie :
Valna inc.
Institut économique de Montréal

19. Id., p. 284 et 290.

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