L'atteinte À La Vie Familiale Est La Violation D'un Droit de La Personnalité Au Québec: Second Mouvement
L'atteinte À La Vie Familiale Est La Violation D'un Droit de La Personnalité Au Québec: Second Mouvement
L'atteinte À La Vie Familiale Est La Violation D'un Droit de La Personnalité Au Québec: Second Mouvement
2023 09:36
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Mariève L acroix*
RÉSUMÉ
L’auteure est d’avis que le droit au respect de la vie familiale est un droit de la person-
nalité, un droit fondamental, même s’il n’est pas l’objet d’un texte législatif précis en
droit privé québécois. Une démonstration visant la reconnaissance d’un tel droit
s’opère en deux temps. Suivant une démarche axiologique, l’auteure confronte le droit
au respect de la vie familiale avec la panoplie des valeurs qui cimentent la société,
telles que nous pouvons les percevoir dans l’ordre international, constitutionnel et
quasi constitutionnel, afin de vérifier que cet ordre juridique n’est non seulement pas
incompatible avec un « droit fondamental de la personnalité au respect de la vie
familiale », mais qu’il serait incomplet sans la reconnaissance d’un tel droit. Suivant
une démarche axiomatique, l’auteure confronte le droit au respect de la vie familiale
avec les caractéristiques des autres droits de la personnalité protégés dans la tradition
juridique québécoise, notamment le droit à la vie privée, pour en déduire qu’il s’agit
bien d’un droit de la personnalité et d’un droit fondamental.
MOT S - CLÉS :
Atteinte à la vie familiale, droit privé, droit de la personnalité, droit fondamental, respon-
sabilité, vie privée.
* Professeure à la Faculté de droit, Section de droit civil, Université d’Ottawa. Avocate (LLB
(Université de Montréal), LLM (Université de Montréal), Master 2 (Paris 1 – Panthéon-Sorbonne),
LLD (Université Laval)). L’auteure tient à remercier chaleureusement le professeur émérite de
l’Université de Montréal, Adrian Popovici, qui a eu la grande générosité de lui partager un texte
inachevé et inédit datant de 1993, qu’il a rédigé sur le sujet. Elle remercie également les étudiants
de la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Marcelo Ciecha et
Marie-Pier Emery-Rochette, pour leur dévouement et leur assiduité remarquables. Cette étude
a été possible grâce au soutien financier offert par le Programme de financement pour le déve-
loppement de la recherche (PFDR) de l’Université d’Ottawa.
ABSTR AC T
The author believes that the right to the safeguard of family life is a human right, a
fundamental right, even if it is not the subject of a specific legislation in Québec
private law. The author demonstrates its existence in two stages. Following an
axiological approach, the author confronts the right to the safeguard of family life
with the range of values that bind society as such as what can be perceived in the
international, constitutional and quasi-constitutional order to verify that this order
would be incomplete without the recognition of such a right. In an axiomatic
approach, the author confronts the right to the safeguard of family life with the
characteristics of other human rights, as protected in Québec’s legal traditions, inclu-
ding the right to respect for private life, to infer that it is indeed a human right and
a fundamental right.
KE Y-WORDS:
Interference with family life, private law, human right, fundamental right, liability,
private life.
SOMMAIRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
I. La démarche axiologique : confrontation du droit à la vie familiale
avec les valeurs de l’ordre international, constitutionnel et quasi
constitutionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
II. La démarche axiomatique : confrontation du droit à la vie familiale
avec les caractéristiques des autres droits de la personnalité . . . . . . . . . 14
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1. François Rigaux, La protection de la vie privée et des autres biens de la personnalité, Bruxelles
et Paris : Bruylant et LGDJ, 1990 à la préface.
INTRODUCTION
À l’origine rebelles à toute classification juridique, les sentiments
ont intégré progressivement le droit, lequel se fait sensible, en cer-
taines hypothèses2, et accepte de réparer les atteintes qui leur sont
portées. À supposer même que, fort de cette irrésistible ascension, le
droit serve de structure d’accueil et intègre les sentiments parmi les
concepts communément retenus par les juristes, le concept juridique
d’affection revendique une existence propre au point de mériter le
respect et la consécration du droit positif québécois3.
Si l’affection, en tant que sentiment ambigu, est une « notion vague
et floue, pluridimensionnelle, elle est composite et ses multiples mani-
festations n’ont entre elles aucun dénominateur commun »4. La plas-
ticité considérable du concept permet de recenser des relations
affectives plurales. Ce sont les relations tissées entre les membres d’une
cellule familiale qui nous intéressent plus particulièrement.
Nous ne pouvons considérer la famille exclusivement comme un
lien de solidarité créé ou imposé par le sang, le mariage ou l’union
civile. C’est aussi et surtout un lien d’interdépendance affective et
matérielle. À une solidarité en quelque sorte physique de la famille
— qui se matérialise par une cohabitation ou une vie commune —,
peuvent s’arrimer une solidarité morale et une solidarité économique.
Il ne s’agit pas d’une pétition de principe. Nous avons réalisé une
analyse du droit québécois sur les atteintes à la vie familiale : le Code
civil digère parfaitement notre tradition jurisprudentielle en la matière5.
Nos tribunaux sanctionnent des atteintes directes (aliénation d’af-
fection) et indirectes (perte de consortium et de servitium, et solatium
doloris) à la vie familiale. Ils condamnent également des atteintes à la
dignité, à l’honneur et à la réputation de la famille au regard du nom,
mais aussi s’il y a offense d’un membre de la famille ou de sa dépouille
mortelle. Par conséquent, un droit au respect de la vie familiale existe
au Québec.
I. LA DÉMARCHE AXIOLOGIQUE :
CONFRONTATION DU DROIT À LA VIE FAMILIALE
AVEC LES VALEURS DE L’ORDRE INTERNATIONAL,
CONSTITUTIONNEL ET QUASI CONSTITUTIONNEL
Tout en partant du fait social qu’est la famille, on ne peut qu’être
impressionné par le nombre de textes internationaux qui prévoient la
protection de la famille8. Un panorama liminaire des sources gouvernant
6. RLRQ c C-1991.
7. RLRQ c C-12 [Charte québécoise].
8. Jean Rhéaume, Droits et libertés de la personne et de la famille, Montréal, Wilson & Lafleur,
1990 aux pp 199 et s.
le droit à une vie familiale est certes complexe et opaque9. À une règle
internationale se greffent la règle européenne et la règle communautaire,
9. À l’appui, nous avons recensé des textes internationaux. Cette sélection n’est toutefois
pas exhaustive.
Convention américaine relative aux droits de l’homme, 22 novembre 1969, 1144 RTNU 183 art 17(1)
(entrée en vigueur : 18 juillet 1978) :
Protection de la famille. 1. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société;
elle doit être protégée par la société et par l’État.
OÉA, Assemblée générale, 18e sess, Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux
droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, « Protocole de San Salvador »,
Doc off OEA/Ser.L/V/I.4 rev. 13 (1988) art 15(1) :
Droit à la création d’une famille et à sa protection. La famille est l’élément naturel et
fondamental de la société et elle doit être protégée par l’État qui doit veiller à l’améliora-
tion de sa situation matérielle et morale.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 RTNU 171 art 17(1)–
(2) (entrée en vigueur : 23 mars 1976) :
Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son
domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles
atteintes.
Art 23(1) :
La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de
la société et de l’État.
Déclaration universelle des droits de l’Homme, Rés AG 217A (III), Doc off AGNU, 3e sess, supp no 13,
Doc NU A/810 (1948) art 12 :
Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou
sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit
à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
Art 16(3) :
La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de
la société et de l’État.
Convention internationale des droits de l’enfant, 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3 au préambule
(entrée en vigueur : 2 septembre 1990) :
Convaincus que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la
croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir
la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle
dans la communauté; […].
Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 au préambule (entrée en
vigueur : 22 avril 1954) :
Considérant que l’unité de famille, cet élément naturel et fondamental de la société, est
un droit essentiel du réfugié, et que cette unité est constamment menacée, […].
CE, Charte sociale européenne (révisée), 3 mai 1996, STE no 163, Partie II, art 16 (entrée en vigueur :
5 juillet 1999) :
Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique. En vue de réaliser les
conditions de vie indispensables au plein épanouissement de la famille, cellule fondamen-
tale de la société, les Parties s’engagent à promouvoir la protection économique, juridique
et sociale de la vie de famille, notamment par le moyen de prestations sociales et familiales,
de dispositions fiscales, d’encouragement à la construction de logements adaptés aux
besoins des familles, d’aide aux jeunes foyers, ou de toutes autres mesures appropriées.
CE, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, [2000] JO C 364/01 art 7 :
Respect de la vie privée et familiale. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de ses communications.
Art 33(1) :
Vie familiale et vie professionnelle. La protection de la famille est assurée sur le plan
juridique, économique et social.
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 27 juin 1981, 1520 RTNU 218 art 18(1), 21 ILM
58 (1982) (entrée en vigueur : 21 octobre 1986) :
La famille est l’élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par l’État
qui doit veiller à sa santé physique et morale.
CE, Charte sociale européenne, 18 octobre 1961, STE no 35, Partie II, art 16 (entrée en vigueur :
26 février 1966) :
Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique. En vue de réaliser
les conditions de vie indispensables au plein épanouissement de la famille, cellule fon-
damentale de la société, les Parties contractantes s’engagent à promouvoir la protection
économique, juridique et sociale de la vie de famille, notamment par le moyen de pres-
tations sociales et familiales, de dispositions fiscales, d’encouragement à la construction
de logements adaptés aux besoins des familles, d’aide aux jeunes foyers, ou de toutes
autres mesures appropriées.
10. En doctrine, voir notamment Philip Grant, La protection de la vie familiale et de la vie privée
en droit des étrangers, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2000; Institut de droit européen des droits
de l’homme, Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits
de l’homme, Actes du colloque des 22 et 23 mars 2002, Bruxelles, Bruylant, 2002; Frédéric Sudre,
dir, Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme,
vol 38, Bruxelles, Bruylant, 2002; Jean-Jacques Lemouland et Monique Luby, dir, Le droit à une
vie familiale, Paris, Dalloz, 2007; Dominique Chagnollaud et Guillaume Drago, dir, Dictionnaire
des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2010 aux pp 711 et s; Michel Hottelier, Hanspeter Mock et
Michel Puéchavy, La Suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme, 2e éd, Zurich,
Schulthess, 2011 à la partie X, « Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de
la correspondance (art 8 de la Convention) ».
11. Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre
1950, 213 RTNU 221 telle qu’amendée par les Protocoles nos 11 (STE no 155, adopté le 11 mai 1994)
et 14 (STCE no 194, adopté en 2004) (entrée en vigueur : 1er juin 2010). En doctrine, voir Ursula
Kilkelly, Le droit au respect de la vie privée et familiale : un guide sur la mise en œuvre de l’article 8 de
la Convention européenne des droits de l’Homme, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2003 aux
pp 15–19 et 51 et s.
12. Marie-Thérèse Meulders-Klein, « Vie privée, vie familiale et droits de l’homme » (1992) 44:4
RIDC 767.
13. Rigaux, supra note 1 aux nos 458–84. L’auteur concentre son analyse sur la troisième caté-
gorie et retient quatre thèmes, à savoir : le droit de mettre fin à une relation familiale, la protec-
tion de la famille nucléaire et notamment des époux contre certaines ingérences de l’État ou
des tiers, le devoir mutuel des époux de respecter l’intimité du partenaire, la protection des
valeurs d’intimité en dehors du mariage et des liens de famille du droit civil.
14. Henri Labayle, « La diversité des sources du droit à une vie familiale » dans Lemouland et
Luby, supra note 10, 1 à la p 1.
15. Ibid aux pp 1–2.
16. Jean Carbonnier, « À chacun sa famille, à chacun son droit » dans Jean Carbonnier, Essais
sur les lois, 2e éd, Paris, Defrénois, 1995, 91 à la p 93.
pénétrer dans la sphère des droits individuels, mais nier que ce droit
baigne dans une ambiance constitutionnelle certaine serait irréaliste17.
On le sait, aucun texte dans la Constitution du Canada ne protège
directement ni la famille ni la vie familiale, même si on peut citer le
premier paragraphe du préambule de la Déclaration canadienne des
droits18 : « Le Parlement du Canada proclame que la nation canadienne
repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu, la
dignité et la valeur de la personne humaine ainsi que le rôle de la
famille dans une société d’hommes libres et d’institutions libres ». Dans
Moge c Moge19, la Cour suprême, sous la plume de la juge L’Heureux-
Dubé, écrit ce qui suit :
Nombreux sont ceux qui croient que le mariage et la famille
assurent le bien-être émotif, économique et social des membres
de la cellule familiale. Celle-ci peut être un havre de sécurité et
de confort, ainsi qu’une oasis où ses membres ont leur contact
humain le plus intime. Le mariage et la famille représentent un
système de soutien émotif et économique aussi bien qu’un lieu
d’intimité. À cet égard, la cellule familiale sert des intérêts per-
sonnels vitaux et elle peut être liée au développement d’un
« sens global de la personnalité ». Le mariage et la famille consti-
tuent un magnifique environnement pour élever et éduquer
les jeunes de notre société en leur fournissant le premier milieu
de développement des capacités d’interaction sociale. Ces ins-
titutions constituent, en outre, le moyen de transmettre les
valeurs que nous jugeons essentielles à notre sens de la collec-
tivité [nos soulignés]20.
Suivant une interprétation libérale, souple et large du texte de la
Charte canadienne des droits et libertés21, la Cour suprême semble
reconnaître, en obiter, un droit au respect de la vie familiale, sous le
17. José Woehrling, « L’impact de la Charte canadienne des droits et libertés sur le droit de la
famille au Québec » (1988) 19:4 RGD 735. Voir également Shelagh Day, « The Charter and Family
Law » dans Elizabeth Sloss, dir, Family Law in Canada: New Directions, Ottawa, Canadian Advisory
Council on the Status of Women, 1985, 27 à la p 35 : « There is debate among legal experts in Canada
as to how far the Charter can reach into the “private sector”. However, in the area of family law the
significant point is that the Charter applies to all laws, including the common law, that is, to the
traditions of law built up through court decisions, as well as to the statutes ».
18. SC 1960, c 44.
19. [1992] 3 RCS 813, 1992 CanLII 25 (CSC).
20. Ibid à la p 848.
21. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, consti-
tuant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
couvert d’autres vocables. Ainsi, le juge Lamer, dissident, dans Mills c R22
précise ceci :
la notion de sécurité de la personne ne se limite pas à l’inté-
grité physique; elle englobe aussi celle de protection contre
[…] l’atteinte à la vie privée, la tension et l’angoisse résultant
d’une multitude de facteurs, y compris éventuellement les
perturbations de la vie familiale, sociale et professionnelle, les
frais de justice et l’incertitude face à l’issue et face à la peine23.
Le juge McIntyre, dans Public Service Employee Relations Act (Alb)
(Renvoi relatif à la)24, précise qu’en dépit du fait que certaines insti
tutions collectives comme le mariage et la famille ne tombent pas faci-
lement ou entièrement sous la rubrique « liberté d’association », « [c]ela
ne veut pas dire que des institutions fondamentales, comme le mariage,
ne bénéficieront jamais de la protection de la Charte. L ’institution du
mariage, par exemple, pourrait fort bien être protégée par la combi-
naison de la liberté d’association et d’autres droits et libertés »25.
Les juges de la Cour suprême invoquent donc le droit à la sécurité
et le droit à la liberté, nommément inscrits dans la Charte canadienne,
pour reconnaître, par la porte de service, un droit au respect de la vie
familiale.
Considérant l’interprétation très large de la Charte canadienne par
les tribunaux, dont évidemment la Cour suprême, il est acquis que
l’interprétation de la Charte québécoise doit répondre aux mêmes
règles d’herméneutique26 . D’ailleurs, comme le précise la Cour
suprême, la Charte canadienne est loin d’être sans portée pour les par-
ties privées dont les litiges relèvent du droit civil. Si la Charte cana-
dienne ne s’applique pas aux litiges privés, « les tribunaux ne sauraient,
toutefois, ignorer les valeurs qui sous-tendent la Charte dans toutes
décisions qu’ils sont appelés à rendre »27.
Pinard, « Les dix ans de la Charte canadienne des droits et libertés et le droit civil québécois :
quelques réflexions » (1992) 24 Ottawa L Rev 193.
28. Bien avant l’avènement de la Charte, Louis Baudouin avait clairement décelé, entre autres,
que le droit civil québécois était en marche pour devenir un droit centré sur la personne
humaine; voir Louis Baudouin, « La personne humaine au centre du droit québécois » (1966) 26:2
R du B 66; Louis Baudouin, Les aspects généraux du droit privé dans la province de Québec : droit
civil, droit commercial, procédure civile, Paris, Dalloz, 1967 à la p 201.
29. FR Scott, « The Bill of Rights and Quebec Law » (1959) 37 R du B can 135; Jacques-Yvan
Morin, « Une Charte des droits de l’homme pour le Québec » (1963) 9 McGill LJ 273; André Morel,
« La Charte québécoise : un document unique dans l’histoire législative canadienne. (De la
Charte québécoise des droits et libertés : origine, nature et défis) » (1987) 21:1 RJT 1; Alain-Robert
Nadeau, « La Charte des droits et libertés de la personne : origines, enjeux et perspectives. Pro-
légomènes » (2006) R du B numéro thématique hors série : La Charte québécoise : origines, enjeux
et perspectives 1.
30. Charte québécoise, supra note 7, arts 21–22.
31. Ibid, arts 23–38.
32. Ibid, arts 39–48.
33. Ibid, art 49, al 2; de Montigny c Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 RCS 64.
34. Art 32 CcQ; Charte québécoise, supra note 7, art 39. De façon analogue, la personne âgée
ou handicapée a droit à une protection contre toute forme d’exploitation; elle bénéficie au
surplus du droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les per-
sonnes qui en tiennent lieu (voir ibid, art 48).
35. Rigaux, supra note 1.
36. Henri Mazeaud et al, Leçons de droit civil, t 1, vol 2, 7e éd, François Chabas, dir, Paris, Mont-
chrestien, 1986 au no 802. Voir également Pousson-Petit et Pousson, supra note 3 aux pp 358–60.
37. Art 1457 CcQ; Charte québécoise, supra note 7, art 49.
47. Le titre II du livre I s’intitule « De certains droits de la personnalité » [nos italiques]. Il y est
traité « De l’intégrité de la personne » (chapitre I), « Du respect des droits de l’enfant » (chapitre II),
« Du respect de la réputation et de la vie privée » (chapitre III) et « Du respect du corps après le
décès » (chapitre IV).
48. Colombie-Britannique c Canadian Forest Products Ltd, 2004 CSC 38, [2004] 2 RCS 74. Sur la
coupe d’arbres qui occasionne un préjudice esthétique, voir notamment Ribardière c Québec
(Ministre des Transports), JE 88-1022 (CP); Ostiguy c Wilson, [1991] RRA 798 (CS); Larochelle c Moulin
de préparation de bois en transit de St-Romuald ltée, JE 98-90 (CA); Larouche c Hydro-Québec,
JE 2002-778 (CS); Lefebvre c Barbeau, [2005] RL 184 (CQ); Dionne c Caisse populaire Desjardins de
St-Pascal de Kamouraska, 2006 QCCQ 2205.
49. Axa Assurances inc c Automobiles Bertrand Boisjoly inc, [2002] RRA 250 (CQ); Daviault c
Boisvert, [2003] RDI 907 (CQ); Danilov c Wieslaw, 2010 QCCQ 95.
50. En comparant le Code civil et la Charte québécoise, on remarque que les droits à la vie, à
l’intégrité et au respect de la réputation et de la vie privée se retrouvent dans les deux textes.
Certes, il s’agit là de droits fondamentaux de la personnalité.
51. L’article 3 de la Charte québécoise précise des libertés fondamentales, telles que la liberté
de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de
réunion pacifique et la liberté d’association.
52. Charte québécoise, supra note 7, art 1.
53. Ibid.
54. Ibid, art 4.
55. Ibid.
56. Ibid, art 6.
57. Ibid, art 9.
58. Ibid, art 10.
59. Québec (Curateur public) c Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996]
3 RCS 211 aux para 99–108, 1996 CanLII 172 (CSC), juge L’Heureux-Dubé [Hôpital St-Ferdinand].
Voir également Christian Brunelle, « La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne :
de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale » (2006) R du B numéro thématique hors
série : La Charte québécoise : origines, enjeux et perspectives 143.
60. Hôpital St-Ferdinand, supra note 59 aux para 95–98, juge L’Heureux-Dubé.
61. Le législateur reconnaît le droit à la vie privée dans de nombreux textes de lois. Au Québec,
ce droit jouit d’une triple protection, assurée à la fois par des textes constitutionnels, quasi
constitutionnels et législatifs. Même si le droit à la vie privée n’est pas expressément consacré
par la Charte canadienne, la Cour suprême a vu dans les articles 7 et 8 le fondement d’un droit
constitutionnel à la vie privée. Voir notamment R c Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 RCS 579. Dans
la Charte québécoise, le droit à la vie privée est reconnu aux articles 5 à 9, lesquels consacrent
tour à tour le droit d’un individu au respect de sa vie privée, son droit à la « jouissance paisible
et à la libre disposition de ses biens », l’inviolabilité de sa demeure, ainsi que le secret profes-
sionnel. Par ailleurs, outre quelques lois sur la protection des renseignements personnels (Loi
sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5; Loi sur
l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels,
RLRQ, c A-2.1; Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ,
c P-39.1), la vie privée est reconnue expressément aux articles 3 et 35 à 41 CcQ. Ces dernières
dispositions sont regroupées dans le chapitre intitulé Du respect de la réputation et de la vie privée
et elles énoncent la portée de ce droit en énumérant « de façon non limitative les faits considérés
comme des atteintes à la vie privée ».
62. Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 5e éd, Cowansville
(Qc), Yvon Blais, 2008 aux pp 1137–38; Deleury et Goubau, supra note 44 au para 175; Jean-Louis
Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd, vol 1, « Principes
généraux », Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014 au para 1-269; Danielle Parent, « La reconnaissance
et les limites du droit à la vie privée en droit québécois » dans Service de la formation perma-
nente, Barreau du Québec, Développements récents en droit administratif (1994), Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 1994, 215; Marie Annik Grégoire, « Atteinte à la vie privée et à la réputation » dans
JurisClasseur Québec, coll « Droit civil », Personnes et famille, fasc 4, Montréal, LexisNexis Canada,
feuilles mobiles, au para 13.
63. Parent, supra note 62.
64. Bernard Beigner, Le droit de la personnalité, coll « Que sais-je? », Paris, Presses Universitaires
de France, 1992 à la p 8.
65. Deleury et Goubau, supra note 44 au para 174. Les auteurs se fondent sur l’article de Lisa
M Austin, « Privacy and Private Law: The Dilemma of Justification » (2010) 55:2 McGill LJ 165 à la
p 169.
66. Gazette (The) (Division Southam inc) c Valiquette, [1997] RJQ 30 à la p 36 (CA) [Valiquette].
La Cour réfère aux arrêts suivants de la Cour suprême : R c Dyment, [1988] 2 RCS 417, 1988 CanLII
10 (CSC); R c Duarte, [1990] 1 RCS 30, 1990 CanLII 150 (CSC).
67. Valiquette, supra note 66 à la p 36.
68. Deleury et Goubau, supra note 44 au para 177. En jurisprudence, voir notamment l’affaire
9179-3588 Québec Inc (Institut Drouin) c Drouin, 2013 QCCA 2146 au para 51, dans laquelle le juge
Dalphond s’exprime ainsi : « Le droit à la vie privée peut se définir comme le droit d’un individu
de déterminer lui-même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements
personnels le concernant ».
69. Benoît Pelletier, « Droit constitutionnel : la protection de la vie privée au Canada » (2001)
35 RJT 485 aux pp 487–88.
70. Nous n’avons recensé aucune décision qui se fonde exclusivement sur une atteinte à
la vie familiale visant l’obtention de dommages-intérêts sur la base de l’article 5 de la Charte
québécoise.
71. Isabelle Tricot-Chamard, Contribution à l’étude des droits de la personnalité : l’influence de
la télévision sur la conception de la personnalité, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-
Marseille, 2004 au no 25.
72. Prenant appui sur l’arrêt Aubry, supra note 46, des auteurs précisent que « le contrôle sur
sa propre identité suppose un choix personnel des décisions fondamentalement privées pro-
tégées par l’article 5 » [nos soulignés]; ils mentionnent en outre l’importance particulière que
revêt la vie privée du fait de son statut « [d’]instrument au service des capacités de développe-
ment personnel autonome, des capacités de l’individu à forger son identité » [nos soulignés];
voir Deleury et Goubau, supra note 44 aux para 174 et 180.
76. Gérard Cornu, Droit civil : la famille, 8e éd, Paris, Montchrestien, 2003 à la p 10.
77. Cette idée a été soulevée par la suite dans Agnès Lucas-Schloetter, Droit moral et droits de
la personnalité : étude de droit comparé français et allemand, t 1, Aix-Marseille, Presses Universi-
taires d’Aix-Marseille, 2002 au no 282 : « De ce qu’elle représente une communauté de vie, d’inté-
rêts, de sentiments, on peut en effet se demander si la famille n’est pas le siège de prérogatives
d’ordre extrapatrimonial destinées à les protéger ». L’auteure apporte une réponse négative,
mais nuancée :
Reste que l’existence de liens familiaux, et la communauté d’intérêts qu’ils présupposent,
ne sont pas sans influence sur la détermination de l’étendue de la protection accordée à
la vie privée de l’individu : le récit d’évènements concernant ses proches, parents ou
enfants, peut en effet lui causer un préjudice caractérisant une atteinte à l’intimité de sa
propre vie privée […]. Mais il s’agit dans de telles hypothèses d’une extension de la notion
de vie privée aux informations concernant les liens familiaux de l’individu, non d’un droit
de la personnalité de la famille en tant que telle : la famille n’a pas de droit au respect de
la vie privée… (au no 283).
CONCLUSION
Le droit au respect de la vie familiale, en tant que droit de la person-
nalité, n’est pas une catégorie doctrinale vaine. En effet, un tel droit
explique certains phénomènes juridiques qui seraient autrement
84. Bernard Beignier, L’honneur et le droit, Paris, LGDJ, 1995 à la p 219. L’auteur écrit ce qui suit :
« Que la famille soit, entre autres, spécialement unie par une solidarité d’honneur est indiscutable
[…]; par voie de conséquence la famille dispose bel et bien d’un honneur en tant que tel. Mais
le droit français l’ignore, purement et simplement ».
85. Charte québécoise, supra note 7 au préambule.
86. Pousson-Petit et Pousson, supra note 3 à la p 374.
87. Pour une analyse des interactions de la Charte québécoise avec le Code civil, voir la remar-
quable étude de Mélanie Samson, Les interactions de la Charte des droits et libertés de la personne
avec le Code civil du Québec : une harmonie à concrétiser, coll « Minerve », Cowansville (Qc), Yvon
Blais, 2013.