Arbourlacroix
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The writers examine the legal status of the human body, which appears to be
hybrid in nature and which thus requires a sui generis approach, due to its emergent
nature as both a subject and an object of law. Clarifying its status calls for bioethical
considerations pertaining to two aspects. The first relates to a determination of the
ultimate limits to human existence, which underscores a conceptual disparity between
legal and biological existence. It seems illusory, on the one hand, to grant legal
personality before birth, yet prolong personality after death, on the other. If the
acquisition of legal personality is to be considered in relation to assisted procreation,
scientific evolution and parental choices, the extinction of personality must inevitably
depend upon modern scientific technology capable of delaying death. The second aspect
relates to a determination of the parameters of protection surrounding the living human
body, not only during its existence, but also as a form of respect of the human cadaver
and of a person’s wishes post mortem. The inviolability of the human person, as a
subject of law, is transformed into respect of the human cadaver, an object of law,
based on the reverence surrounding human remains.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
et à traduire le rôle qu’il joue dans la société. Sous cet angle, elle
prend la forme d’une notion métajuridique12. Au Québec comme
ailleurs, la personne13 ne coïncide pas toujours avec la notion plus
philosophique de sujet de droit, laquelle englobe d’autres entités,
dont les associations, les États ou les sociétés par actions.
Gravitant autour de la notion d’être humain14, elle recoupe la
personnalité juridique15, c’est-à-dire une aptitude générale à
28. L.C. 2004, c. 2 [LPA]. La LPA est entrée en vigueur le 22 avril 2004, à
l’exception des articles 8, 12, 14 à 19, 21 à 59, 72 et 74 à 77. Les articles
21 à 24 (sauf les alinéas 24(1) a), e) et g)), 25 à 39, 72, 74, 75 et 77 sont
entrés en vigueur le 12 janvier 2006. À ce jour, les articles 12, 14 à 19,
24(1) a), e) et g), 40 à 59 et 76 ne sont toujours pas en vigueur et aucun
règlement n' a été adopté sous son égide.
29. La Cour d’appel a toutefois conclu à son caractère partiellement
anticonstitutionnel, bien que les dispositions les plus pertinentes à la
présente étude ne soient pas visées. À ce sujet, voir Renvoi fait par le
gouvernement du Québec en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour
d' appel, L.R.Q., ch. R-23, relativement à la constitutionnalité des articles 8
à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 de la Loi sur la procréation assistée, L.C. 2004,
ch. 2, [2008] R.J.Q. 1551 (C.A.). Sur l’aspect du partage des
compétences, voir notamment Guy Tremblay, « La compétence fédérale et
le projet de loi sur la procréation assistée » (2003) 44 C. de D. 519 qui
exprime des doutes quant à la constitutionnalité de certains articles;
contra Jocelyn Grant Downie, Jennifer Llewellyn et Françoise. Baylis, « A
Constitutional Defence of the Federal Ban on Human Cloning for
Research Purposes » (2005) 31 Queen’s L.J. 353.
30. Soulignons que Kelsen ne considérait pas la notion de sujet de droit
comme étant indispensable au droit, mais plutôt comme étant une
notion auxiliaire qui en facilite la description, voir Hans Kelsen, Théorie
pure du droit, trad. par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962 à la p.
225 [Kelsen]. Kelsen préconisait par ailleurs la dissolution du concept de
personne, afin d’exprimer une « attitude pleinement universaliste et
objectiviste », voir ibid. à la p. 253.
31. Alfred Dufour, Droits de l’homme, droit naturel et histoire : droit, individu
et pouvoir de l’École du droit naturel à l’École du droit historique, Paris,
PUF, 1991 aux pp. 236 et ss.
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38. Pour naître vivant, l’enfant sorti du sein de sa mère doit avoir respiré
complètement, et ce, même s’il meurt peu de temps après la naissance.
Une présomption juris tantum prévaut : il sera présumé viable. Repose
alors sur la personne qui conteste cet état de fait le fardeau d’établir la
preuve de la non-viabilité. Voir par ex. Allard c. Monette, (1928) 66 C.S.
291.
39. La viabilité se définit comme étant « l’aptitude à survivre par soi-même,
ce qui n’exclut toutefois pas la présence de soutien extérieur ». Elle se
rattache au potentiel de survie, sujet aux progrès de la périnatalité, et
déterminé par expertise médicale. Voir Robert P. Kouri et Suzanne
Philips-Nootens, L' intégrité de la personne et le consentement aux soins,
2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2005 au nº 98.
40. Une fois la personnalité juridique acquise, elle rétroagit par l’effet d’une
fiction du droit civil à la date de sa conception; fiction à laquelle on a
recours pour protéger les intérêts patrimoniaux futurs du fœtus. Elle
matérialise en droit positif la maxime latine « infans conceptus pro nato
habetur quoties de commodis ejus agitur », c’est-à-dire : « L’enfant conçu
est considéré comme né chaque fois qu’il s’agit de l’intérêt de celui-ci »,
voir Albert Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées
en droit, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2007 à la p. 225. Voir également
ibid. aux nos 103 et ss.; supra note 15 aux nos10-16. D’application
générale cette fiction juridique octroie à l’enfant né vivant et viable, outre
la pleine jouissance de ses droits civils dès la naissance, le bénéfice de
ses droits d’action acquis pendant sa vie intra-utérine. Par exemple, voir
Montreal Tramways Co. c. Léveillé, [1933] R.C.S. 456.
41. Art. 617, al. 1 C.c.Q.
42. Art. 1239, al. 1; 1242, al. 1 C.c.Q.
43. Art. 1279, al. 1 C.c.Q.
44. Art. 439; 1814, al. 1; 1840, al. 1 C.c.Q.
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54. Daigle c. Tremblay, [1989] R.J.Q. 1735 à la p. 1756 (C.A.) (j. Tourigny,
dissidente).
55. Ibid.
56. Ibid. à la p. 1739 (j. Bernier).
57. Tremblay c. Daigle, [1989] R.J.Q. 1980 (C.S.).
58. Supra note 54.
59. Art. 617, al. 1 C.c.Q. Sur une réitération de la double condition de vie et
de viabilité, voir art. 1840, al. 1 C.c.Q. (donation par contrat de mariage
ou d’union civile); art. 2373 et 2374 C.c.Q. (rente viagère); art. 2447, al. 1
C.c.Q. (assurances).
60. Une opinion différente est exprimée par Patrice Garant, « Droits
fondamentaux et justice fondamentale », dans Gérald Armand Beaudoin
et Edward Ratushny, dir., Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd.,
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94. Art. 122 et 123 C.c.Q. sur la constatation de la mort par un médecin ou,
à défaut, par deux agents de la paix. Sur le bien-fondé d’une définition
législative, voir supra note 36 aux pp. 227-230; supra note 33 aux pp.
309-314; Kouri, supra note 32; Germain Brière, « La jouissance et
l’exercice des droits civils : nouvelle version » (1989) 20 R.G.D. 265 aux
pp. 273 et 274; Canada, Commission de réforme du droit du Canada, Les
critères de détermination de la mort, Rapport no 23, Ottawa, 1979;
Canada, Commission de réforme du droit du Canada, Les critères de
détermination de la mort, Rapport no 15, Ottawa, 1981. Voir également
supra note 16 à la p. 40 : « Il n’a pas été jugé opportun de donner une
définition de la mort; celle-ci est un fait dont l’appréciation relève de
critères autres que juridiques. D' ailleurs, une telle définition n’aurait pu
qu’être provisoire, compte tenu de l’évolution de la science. » [italiques
ajoutés] En revanche, au Manitoba, la Loi sur les statistiques de l’état
civil, C.P.L.M., c. V-60, art. 2, définit la mort d’une personne comme
suit : « Pour tout ce qui relève de la compétence législative de la
Législature du Manitoba, le décès d’une personne a lieu au moment où
se produit une cessation irréversible de toutes les fonctions cérébrales de
cette personne. »
95. Supra note 36 aux pp. 217 et 228.
96. Sur la détermination de la mort au regard de la médecine, des tribunaux
et des lois, voir supra note 39, nos 141 et ss.
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97. En outre, la mort est dotée d’effets qui sont tantôt extinctifs dissolution
du régime matrimonial (art. 465(1°) C.c.Q.) tantôt dévolutifs
ouverture de la succession et saisine des héritiers (art. 613, al. 1 et
625 C.c.Q.).
98. Voir la Section II, Sous-section B du présent texte.
99. Supra note 36 à la p. 230.
100. Art. 111-117 C.c.Q. : « Des actes de naissance »; art. 122-128 C.c.Q. :
« Des actes de décès ». Sur la rédaction des constats de naissance et de
décès, voir en particulier Louise Rolland, « Les tiers, vecteurs du réseau
social. Les personnes et les biens dans le Code civil du Québec » (2006)
40 R.J.T. 75 aux pp. 82-86.
101. Supra note 36 à la p. 225 [italiques ajoutés, en caractères gras dans la
version originale]. Sur une réitération de ce principe, voir supra note 33 à
la p. 271; Le droit des personnes physiques, supra note 15, no 24.
102. François Héleine, Le dogme de l' intangibilité du corps humain et ses
atteintes normalisées dans le droit des obligations du Québec
contemporain, Montréal, Université de Montréal, 1975 à la p. 79.
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104. Édith Deleury, « Une perspective nouvelle : le sujet reconnu comme objet
de droit » (1972) 13 C. de D. 529 [Perspective nouvelle]; Édith Deleury,
« La personne en son corps : l' éclatement du sujet » (1991) 70 R. du B.
can. 448 [La personne en son corps].
105. L’expression est empruntée à Jean-Pierre Béland, dir., L' homme biotech :
humain ou posthumain?, Sainte-Foy, PUL, 2006.
106. Jean-Louis Baudouin, « Introduction », dans Droits de la personne : « Les
bio-droits ». Aspects nord-américains et européens, Cowansville, Yvon
Blais, 1996 à la p. 1.
107. Supra note 39, no 8.
108. Loi modifiant de nouveau le Code civil et modifiant la Loi abolissant la mort
civile, L.Q. 1971, c. 84, art. 2 (sanctionnée le 1er décembre 1971).
109. Art. 19 C.c.B-C. À titre indicatif, voir Marcel Guy, « Le Code civil du
Québec : un peu d’histoire, beaucoup d’espoir » (1993) 23 R.D.U.S. 453
aux pp. 470 et 471. Sur une description de l’histoire législative des
modifications menant à l’article 19 C.c.B.-C., voir W.F. Bowker,
« Experimentation on Humans and Gifts of Tissue : Articles 20-23 of the
Civil Code » (1973) 19 R.D. McGill 161; Monique Ouellette, Droit des
personnes et de la famille, 3e éd., Montréal, Thémis, 1980 aux pp. 35-37.
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133. Voir notamment Chouinard c. Landry, [1987] R.J.Q. 1954 (C.A.); Pelletier
c. Roberge, [1991] R.R.A. 726 (C.A.); Parenteau c. Drolet, [1994] R.J.Q.
689 (C.A.).
134. Art. 13 C.c.Q.
135. À titre général, voir Pierre-Gabriel Jobin, « Contrats et droits de la
personne : un arrimage laborieux », dans Benoît Moore, dir., Mélanges
Jean Pineau, Montréal, Thémis, 2003 à la p. 357; Pierre-Olivier Laporte,
« La Charte des droits et libertés de la personne et son application dans la
sphère contractuelle » (2006) 40 R.J.T. 287; Pierre-Gabriel Jobin,
« L’application de la Charte québécoise des droits et libertés de la
personne aux contrats : toute une aventure » (2007) RTD civ. 33.
136. Jean-Christophe Galloux, « La distinction entre la personne et la chose »,
dans Ejan Mackaay, dir., Nouvelles technologies et propriétés. Actes du
colloque tenu à la Faculté de droit de l' Université de Montréal, les 9 et 10
novembre 1989, Montréal, Thémis, 1989 à la p. 213; Jean-Pierre Baud,
L’affaire de la main volée. Une histoire juridique du corps, Paris, Seuil,
1993.
137. Supra note 39, no 10; supra note 15, no 100. Voir également Jean-Louis
Baudouin et Catherine Labrusse-Riou, Produire l’homme : de quel droit?
Étude juridique et éthique des procréations artificielles, Paris, PUF, 1987.
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138. Voir supra note 28, art. 7, qui interdit l’achat et la vente de gamète. Voir
également ibid, art. 6; art. 541 C.c.Q. (qui prohibent les contrats de mère
porteuse).
139. Utilisation médicale et commercialisation du corps humain, supra note 23
à la p. 1.
140. Ce phénomène est d’ailleurs présent sur la scène littéraire
contemporaine, voir Éric-Emmanuel Schmitt, Lorsque j’étais une œuvre
d’art, Paris, Albin Michel, 2002.
141. Sur le statut de certains éléments et produits du corps humain, voir
supra note 39 aux nos 14 et ss. Sur les parties artificielles du corps
humain, voir notamment supra note 110, n° 4.
142. Voir toutefois le Règlement sur les déchets biomédicaux, R.R.Q., c. Q-2, r.
3.001.
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et le sujet de droit
153. Art. 43-45 C.c.Q.; Loi facilitant les dons d’organes, L.Q. 2006, c. 11. Sur
l’autopsie, voir art. 46 et 47 C.c.Q.
154. Supra note 35 à la p. 188. Voir également Jean-Marie Mantz,
« Transplantations et greffes d' organes et de tissus : le point de la
question », dans Droits de la personne : « Les bio-droits ». Aspects nord-
américains et européens, Cowansville, Yvon Blais, 1996 à la p. 91.
155. Art 45 C.c.Q. Voir également Code de déontologie des médecins, R.R.Q. c.
M-9, r. 4, art. 82 : « Le médecin qui doit procéder à une greffe ou à une
transplantation d' organe ne doit pas participer à la constatation ni à la
confirmation du décès de la personne chez laquelle l' organe doit être
prélevé. »
156. Art. 43, al. 1 C.c.Q.
157. Art. 43, al. 2. C.c.Q.
158. Art. 44 C.c.Q. Voir également art. 15 C.c.Q.
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et le sujet de droit
159. [1989] R.R.A. 124 (C.S.). Dans cette affaire, un montant forfaitaire de
1000 $ a été accordé à chacun des demandeurs. Une telle décision a été
mentionnée dans Raicu-Moroca c. Complexe funéraire Fortin (12 mai
2005), Joliette 705-17000667-038, J.E. 2005-1156 (C.S.). Sur une
autopsie non autorisée, voir Philipps c. The Montreal General Hospital,
(1908) 33 C.S. 483; Ducharme c. Hôpital Notre-Dame, (1933) 71 C.S. 377.
Sur une diffamation de la mémoire du défunt, voir Decelles c.
International Shows, Limited, (1921) 59 C.S. 374. Sur une atteinte à la
mémoire du défunt, voir Bernier c. Yager, [1946] C.S. 360. De façon
générale, sur une transmission des droits extrapatrimoniaux aux
héritiers, voir Torrito c. Fondation Lise T. pour le respect du droit à la vie et
à la dignité des personnes lourdement handicapées, [1995] R.D.F. 429
(C.S.). (règlement hors cour). En l’espèce, la Cour supérieure décide que
les héritiers d’une enfant décédée jouissent des droits que l’enfant
possédait à l’égard de sa vie privée, de l’usage de son nom, de son image
et le reste; contra sur ce point : Coulombe c. Montréal (Ville de), [1996]
R.R.A. 1224 (C.S.) (requête pour exécution de jugement accueillie;
désistement d' appel).
160. Art. 625, al. 3 et 1610, al. 2 C.c.Q.
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et le sujet de droit
CONCLUSION
167. François Terré exprime une idée similaire dans François Terré,
« Génétique et sujet de droit » (1989) 34 Arch. phil. dr. 161 (La personne
humaine doit être traitée comme une fin et non comme un moyen).
168. Christian Brunelle, « La dignité dans la Charte des droits et libertés de la
personne : de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale » (2006)
R. du B. numéro thématique hors série 143.
169. Bioéthique et la culture démocratique, supra note 3 à la p. 14 [italiques du
texte original].
170. L’expression est empruntée à Bjarne Melkevik, « Les concepts de
personne et de dignité : la question de droit », dans Jacques-Henri Robert
et Stamatios Tzitzis, dir., La personne juridique dans la philosophie du
droit pénal, Paris, LGDJ, 2003 aux pp. 78 et ss.