Prisons Prisonniers 1959 1

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1er Trimestre 1959

Rédaction et Administration :

PRISONS 120, Rue du Cherche-Midi, PARIS (6e)

P A R A IT T O U S LE S T R O IS M O IS
ET PRISONNIERS
AVEZ-VOUS RE NO UV E L É VOTRE ABONNEMENT ?

Sommaire du N° 41
Abbé Pierre DU BEN : Rajeunissement.
Le Pape chez les prisonniers.
Pierre V ILLEM IN : De la serre au plein vent (suite et fin).
R . P. MOULU N : La situation juridique et sociale des Tziganes.
Daniel BECOURT : La Justice et les Hommes.
Dr Raymond TROTOT : La douleur dans les prisons.
Eux et Nous :
E. DU PEYRAT : Un parmi les autres.
L. M. : Mon vieux copain.
S. LE BEGUE : Les Prisons de la Force.
R . P. A V R IL : J’étais en prison.
Message du Pape aux détenus de la Maison Centrale de Melun.
Nouvelles Internationales.
Nous avons vu, nous avons lu pour vous :
Cérémonie à la Prison de la Petite Roquette.
Lettre d’une visiteuse.
Cas n° 12.

r - 1 6 e t 1 7 a v r il 1 9 5 9

Congrès des Prisons


Programme détaillé en dernière page —
RAJEUNISSEMENT
L’année est toute neuve (au moment où comment pourront-ils se savoir quelqu’un
j’écris — elle aura un peu vieilli lorsque et connaître leur prix infini, s’ils sont pos­
vous parviendra ce texte). sédés par un total dégoût d’eux-mèmes ?
Et nous nous sentons un peu tout neufs, Et comment n’auront-ils pas ce dégoût
nous aussi, pas autant que dans notre en­ tant qu’ils ne feront rien pour la prise en
fance où le nouvel an avait une place main de leur vie par leur volonté ?
presque magique, mais réellement — à Or, ils voudraient bien, mais il ne sa­
moins que votre désabusement ne s’accen­ vent pas, ils ne peuvent pas. Ceci est très
tue ces jours-ci. important : ce qui semble cynisme, ou re­
J’ai prié pour vous tous, pour nous tous. fus de l’effort, en eux, n’est souvent qu’un
J’ai demandé au Seigneur qu’il nous don­ écran pour cacher leur tristesse et leur
ne cette jeunesse sans cesse renouvelée, désespérance.. Leur incapacité affolée de­
cette certitude de nouveauté perpétuelle, vant la vie se camoufle sous les formes du
dans l’effort toujours nouveau vers mauvais vouloir.
l’Amour. Je lui ai demandé aussi qu’il Mais si quelqu’un intervient, qui éclaire,
nous donne d’aider nos frères. Et ils se explique, aide à faire un choix, puis à
trouveront rajeunis, avec, en eux-mêmes, lutter pour réaliser quelques progrès, nous
des élans et des espérances inattendus. voyons fondre ce qui semblait opposition
systématique.

Il éclate de jeunesse et d’ardeur, celui


qui découvre un moyen précis de mener J’ai revu ces jours-ci un libéré. Il était
sa bagarre intérieure. Il exulte, celui qui triste et déçu : quelqu’un qu’il aimait bien
peut enfin, après tant de velléités, concré­ et en qui il avait confiance, n’avait pas
tiser sa bonne volonté en des actes précis insisté pour qu’il fasse un effort que lui-
et adaptés à sa taille. Le fouillis de tout même estimait nécessaire, mais sans pou­
ce qui se proposait à lui le laissait sans voir se décider tout seul.
force ni décision. La possibilité de choisir, Il disait : « Qu’est-ce que je puis faire ?
et d’espérer quelque changement dans le il ne me demande même pas cela. Pour­
marasme de son vie, multiplie ses forces. tant il sait que c’est important. Tout seul,
Mais il ne peut arriver tout seul, ni au je ne puis pas >.
choix des efforts, ni au courage persévé­ Une maturation s’était produite. Il avait
rant de les maintenir. senti le besoin d’une victoire sur un point
précis. Il avait fait une allusion, espérant
être aidé par une exigence venue du
I dehors, lui qui n’osait pas se lancer sur
C’est vrai pour tous les humains, y la seule exigence intérieure.
compris nos détenus ou nos libérés. Tous, Nos détenus, nos libérés, nous attendent
y compris ceux-ci, ont la faim d’être ainsi souvent. Ils ont si peur de l’effort,
quelqu’un, et de valoir quelque chose. Mais mais surtout si peur de l’échec, qu’ils
— 219 —
n’osent rien décider d’eux-mêmes, et puis une vie sociale valable peut sortir de ce
ils ne voient pas clair. Alors, ils nous par­ petit début.
lent en sous-entendus. A nous de saisir les
allusions, de donner leur vraie valeur, en C’est spirituellement essentiel.
particulier à des affirmations de refus Bien sûr, nous pouvons toujours dire, et
qu’il faut exactement renverser pour les c’est vrai, que Dieu est infiniment bon et
comprendre. patient et compréhensif.
Que de fois, par exemple, tout un travail Nous pouvons affirmer, et c’est vrai,
intérieur a commencé parce que quelqu’un qu’il aime ses enfants dans leur dénue­
m’a dit ex abrupto, quelque chose comme ment même et leur pauvreté morale.
ceci, en plus nuancé, d’habitude : « Ah !
non, telle ou telle chose, je ne puis pas Mais il leur faudrait une espérance et
la faire. Et puis, je ne veux pas ». Et je une foi héroïque, à nos malheureux, pour
saisissais la balle au bond, et je proposais être joyeux et paisibles devant leur
un petit début d’effort, dans le sens indi­ Seigneur, lorsqu’ils se sentent si affreux.
qué ainsi : et c’était accepté d’emblée. Ils se dégoûtent trop pour pouvoir pen­
ser que le Seigneur veuille bien les aimer.
Or, voici qu’ils entreprennent un effort,
voici qu’ils maintiennent leur effort et
Depuis huit ans, je connais un gars qui arrivent à quelques progrès précis. Tout
« y » est retourné trois fois. Je le revois est changé en eux. De nouveau, ils se
sentent des fils de Dieu, parce qu’ils ont
toujours, avec des éclipses plus ou moins fait quelque chose pour l’Amour de Lui.
longues, même lorsqu’il est dehors — ces
éclipses que vous connaissez bien, et qui
vous inquiètent tant !
Une tierce personne était entrée dans
le circuit, magnifiquement, après les dé­ Mais c’est difficile, car ce sera efficace
couragements du début. Ces décourage­ dans la mesure où nous connaîtrons assez
ments, j’avais pu les supprimer par des personnellement celui que nous voulons
affirmations réitérées. Mais alors que aider pour l’axer exactement dans la ligne
j’affirmais — et je croyais ce que je disais ! qui est la sienne. Pas d’a priori. Une dis­
— j’étais moi-même peu convaincu, par ponibilité, une réceptivité, aussi grandes
manque de courage et manque de confian­ que possible, pour percevoir ces sons de
ce. Parfois, je me surprenais à trouver l’âme qui sont si différents selon les êtres
excessifs les efforts magnifiques de l’autre et selon les moments. Une confiance, aussi,
personne. Intellectuellement, j’y croyais, assez grande en chaque humain, pour
pas vitalement, et je ne jouais pas ma vie croire qu’il peut, un jour ou l’autre, carré­
sur mon gars. ment être orienté vers la splendeur. Tout
petitement et modestement, mais réelle­
Et c’était le tunnel. Aucun effort appa­ ment.
rent, rien qui nous donnât l’ombre d’une
joie, pendant des années. Et voici que ces
jours-ci, quelque chose a changé, quelque
chose mûrit, de très humble encore, mais
qui donne de grands espoirs. Puissions-nous tous, cette année, parti­
ciper à beaucoup de tels réveils et de tels
Parce que quelqu’un a eu confiance rajeunissements.
malgré tout, et parce que l’on a prié —
et parce qu’après huit ans de tâtonne­ Puissions-nous, nous-mêmes, nous réveil­
ments, un effort demandé à trouvé une ler et rajeunir dans un élan plus précis et
correspondance dans le cœur du gars. efficace vers le Seigneur Dieu.
C’est humainement primordial, car toute Abbé Pierre DUBEN.

— 220 —
LE PAPE
chez les prisonniers
Au matin du 26 décembre, avant de L ’hommage
commencer sa journée de travail, le Saint- du Ministre de la Justice
Père voulut faire une des œuvres de misé­
ricorde les plus insignes et les plus méri­ Le ministre Gonella adressa alors au
toires : visiter les prisonniers. Saint-Père, entouré de toutes les autorités,
les hommages reconnaissants du Gouver­
Dès l’instant où, le lundi précédent, Il nement et des éminents magistrats repré­
avait tenu à annoncer lui-même cette nou­ sentant la Cour suprême ainsi que l’Ordre
velle, on se sentait heureux à Rome, parti­ judiciaire tout entier. Après avoir rappelé
culièrement les détenus. que, dans son premier message aux Véni­
Les autorités et les aumôniers se sont tiens, le Saint-Père avait recommandé de
faits les interprètes des désirs même des visiter lès prisonniers, le ministre pour­
détenus, cherchant à préparer l’accueil le suivit ainsi :
plus chaleureux au Père de toutes les âmes, « Cet appel était déjà allé droit au cœur
tout en sachant qu’il souhaitait le maxi­ de tous, et la visite de Votre Sainteté
mum de simplicité (ce qui, d’ailleurs, se aujourd’hui, à une maison pénitentiaire
réalisa) puisque son seul but était d’appor­ placée sous le vocable de la Reine du
ter le réconfort et de promouvoir le bien. Ciel, est un nouvel acte de charité évan­
gélique que le monde admire.
L’Auguste Pontife est arrivé à « Régina
Cœli » à 8 h 05. Le cortège pontifical était «Cet événement historique, sans précé­
réduit au maximum. Seul, le maître de dent, implique une profonde signification
chambre, S.E. Mgr Nasalli Rocca di Corne- sur le plan exclusivement humain, attendu
liano et le secrétaire privé de Sa Sainteté, que la Justice ne se borne pas à l’appli­
Mgr Loris Capovilla, accompagnaient le cation de la loi, noble mission des juees,
Saint-Père, la voiture du Pape était précé­ mais s’associe à la charité pour le rachat
dée d’une estafette, dans laquelle avait du prisonnier. Le plus noble sentiment de
pris place le professeur Rocchi et le lieu­ fraternité chrétienne habite aujourd’hui
tenant-colonel Bernardo. cette maison que nous tenons à considérer
non comme un lieu de vindicte, mais
A l’entrée de la prison, où les honneurs comme un lieu de rénovation.
étaient rendus par un détachement de gar­ « C’est dans cet esprit que nous sommes
diens, se trouvaient le ministre de la Justi­ disposés à rénover tout notre système péni­
ce, Gonella, directeur général des Services tentiaire afin de le rendre plus humain, et
pénitentiaires, Reale, l’aumônier de la pri­ plus générateur de rédemption.
son, le Père Luigi Cefaloni, des Mineurs
conventuels, et d’autres personnalités. « Le geste si humain et pastoral qu’est la
visite de Votre Sainteté est le meilleur
Le Saint-Père se rendit d’abord, avec le présage que, dans la sérénité des fêtes de
ministre et les autres personnalités qui Noël, l’étoile de l’espérance brille aussi
l’avaient accueilli à son arrivée, dans une pour les prisonniers, et qu’ils puissent re­
salle de réunion. devenir des hommes de bonne volonté au
221
milieu de leur famille, dans le sein d’une confions notre humble prière, afin qu’Elle
société compréhensive. » la rende efficace auprès de Toi. »
Dans la grande rotonde Aussitôt après cette lecture, l’aumônier
transformée en chapelle en chef, le Père Cefaloni, adressa ses res­
Une fois cette adresse de respectueuse pectueux hommages au Souverain Pontife,
bienvenue terminée, le ministre présenta au nom des présents, il souligna l’émotion
au Saint-Père les personnalités présentes, de tous à la vue de l’Auguste Personne du
puis le Pape se rendit dans la grande ro­ Pape en ces lieux, fait unique dans l’his­
tonde que les détenus, les gardiens, et le toire des prisons d’Italie, il rappela éga­
personnel avaient transformée en chapelle. lement l’œuvre inlassable du maître de
Au milieu avait été dressé un autel, face chambre de Sa Sainteté, Mgr Mario Nasalli
la statue de la Vierge Immaculée de l’en­ Rocca, qui, durant de nombreuses années
trée. A gauche de l’entrée avait été ins­ et spécialement pendant la guerre, exerça
tallée une crèche suggestive. De nombreux le ministère sacerdotal dans la prison de
détenus étaient alignés derrière l’autel ; « Regina Cœli », et s’acquit le titre de
d’autres se pressaient dans les loges et aux « Prêtre des prisonniers » en assistant plus
giilles des trois étages desservant les pa­ de 50 condamnés à la peine capitale. Il re­
villons dont se compose l’édifice. mercia ensuite avec effusion Sa Sainteté
pour le cadeau inestimable qu’Elle avait
A l’entrée du Saint-Père, les acclama­ fait à tous en venant visiter cette maison.
tions des détenus furent bruyantes et en­ Il promit que la lumière émanant de la
thousiastes. charité du Christ et témoignée par son
Immédiatement après eut lieu une céré­ Vicaire ne s’étendra pas de sitôt et rendra
monie liturgique. Du haut de la première plus serein ce lieu de misère.
loge, la chorale des détenus interpréta
YAdeste fideles. Le vieux chant de Noël Enfin, il pria Sa Sainteté de daigner
était comme un présage d’espoir, de paix accepter en témoignage de gratitude de la
et de joie indéfinissable. Aussitôt après part de tous ses chers fils, un Missel ro­
l’encensement fait par Sa Sainteté et le main artistiquement et amoureusement
chant du Tantum ergo, Mgr Pieri donna relié par eux, ainsi que la promesse de
la triple bénédiction avec le Saint-Sacre­ prier et d’offrir au Seigneur leurs souf­
ment, suivi du Dieu soit Béni. frances aux intentions de Sa Sainteté.
Puis un détenu, d’une voix qui trahis­ « Et maintenant, Très Saint-Père, nous
sait sa profonde émotion et sa foi sin­ tous ici présents, nous nous inclinons aux
cère, lut la Prière du détenu, appel émou­ pieds de Votre Sainteté pour implorer vo­
vant et confiant à la Miséricorde de Jésus tre Apostolique et Paternelle Bénédiction,
Rédempteur. En voici quelques passages : non seulement pour nous, mais aussi pour
« Fais que la justice des hommes soit tous les détenus d’Italie et pour leurs fa­
dictée par ta divine justice et que la peine milles, pour les dirigeants et les gardiens. »
que nous subissons soit une expiation de Un autre détenu s’avança alors, et offrit
ces fautes que Toi seul connais et répa­ à Jean XXIII, au nom de tous les détenus,
res. » un Missel relié en cuir blanc et enrichi
« Que la chaude tendresse de ton Cœur de vignettes artistiques et d’une dédicace.
éteigne toute colère, toute rancœur, toute Le Saint-Père reçut avec joie le présent,
haine, tout dessein de vengeance et nous et bénit l’assistance.
rende capables de souffrir avec humilité
et profit spirituel. » Le Pape s’adresse aux détenus
« Rends-nous l’honneur, renoues les Ensuite, le silence fut total dans la vastes
liens de l’amour, console ceux qui nous rotonde, lorsque le Souverain Pontife se
sont chers, hâte le jour de notre libération, leva pour dire quelques mots.
prépare pour tous l’éternelle joie du ciel. » Les premiers mots du discours, c Mes
« A la Vierge, Ta Mère, que sur la Croix chers fils, et chers frères, nous voici dans
tu proclamas également notre Mère, nous la maison du Père qui, en ces jours et en
— 222 —
cette circonstance, exprime ce qu’il y a, l’encens sur les braises. Qui se soucie de
dans la maison du Père, de plus triste l’encens ? Il faudrait, au contraire, y pen­
et de plus pénible », le fait d’avoir consi­ ser souvent. L’encens, qu’est-ce à le voir ?
déré comme maison du Père, en raison Une matière brute, vilaine : mais lors­
de son aimable présence, précisément un qu’on le met dans le feu, voilà qu’il se met
lieu de punition, a éveillé chez tous les à pétiller, et à répandre un parfum extra­
auditeurs un mouvement de profonde ordinaire. Il sert de symbole et d’expres­
affection. sion au sacrifice. Notre vie, à bien y réflé­
Sa Sainteté a commencé par rappeler la chir, a vraiment l’apparence de l’encens ;
douloureuse impression reçue lorsque, c’est une matière extérieurement grossière,
encore enfant, il lui fut donné de se ren­ insensible, vu qu’elle a perdu tout le goût
dre compte de ce qui arrive à quiconque de la vraie vie. Eh ! bien — poursuivait
transgresse la loi, fut-ce en matière légè­ le Saint-Père — laissez-la pénétrer par le
re et involontaire. Mais les lois sont néces­ regard de Jésus, laissez-la envahir par ce
saires en pays civilisé et doivent compor­ qu’il y a de plus sain dans votre éducation,
ter des sanctions. laissez-là illuminer par le souvenir des
Par la suite, pendant sa préparation au âmes chères, innocentes, qui sont, à votre
sacerdoce et au cours de son ministère, il foyer, l’objet de votre amour ; et la voilà
lui est arrivé plus d’une fois de visiter les ennoblie. Laissez-là se purifier par le sacri­
prisons parce que, comme il l’avait dit, il fice pour se transformer en agréable
est inutile de chercher dans de vaines odeur.
idéologies des formules particulières pour On dit très justement que la loi de la
refaire l’humanité et pourvoir au progrès vie réside dans l’exercice de la justice, et
humain, si l’on oublie la leçon de l’Evan­ naturellement dans la confiance dans les
gile nous disant que dans les quatorze règlements de la justice; il y a lieu de bien
œuvres de Miséricorde se trouve le secret réfléchir. Il advient parfois que, ou bien
de la douceur, de la paix, de la tran­ l’esprit est perdu, ou le sens de la rectitude
quillité, et même de l’art. Que l’on pense nous échappe, voire même la vision de
combien de choses ont été accomplies en la réalité, des règlements, et c’est la ca­
Italie au nom de la Miséricorde, en chaque tastrophe : Il faudra passer en jugement,
ville pour ainsi dire, et qui constituent, être contraint à de pénibles situations, qui
comme le testament de nos Pères. Et ces apporteront dans votre vie, amertume, dé­
œuvres de Miséricorde s’étendaient à tout couragement, et désarroi.
et en premier lieu, se consacraient au Mais n’oubliez jamais que tout cela peut
soin des prisonniers. être ennobli et transformé s’il est pénétré
Le Pape dit encore son humiliation, son de la grâce du Seigneur.
amertume, son émotion, chaque fois qu’il Jésus avait toujours présente la vision
a visité une prison comme secrétaire de du sacrifice, de la souffrance et de la
son Evêque, ou en d’autres circonstances. mort : mais il rappelait aux siens qu’après,
Et maintenant, qu’allait dire Sa Sainteté vient la résurrection. Ce sont là des paro­
à ses chers fils ? les graves ; mais le Pape peut-il parler un
Après les nobles paroles du ministre, autre langage que celui de l’Evangile ? Du
qui résument ce qui est la saine philoso­ reste ce sont les paroles de Notre Seigneur
phie des efforts faits par ceux qui ont la toutes imprégnées de tendresse.
responsabilité de l’ordre social, le Pape Tandis que l’Evêque d’Orvieto élevait le
avait médité sur la cérémonie liturgique. Corps de Jésus dans l’Ostensoir pour la
Le Saint-Sacrement est le Seigneur venu triple bénédiction, le Saint-Père se repré­
au milieu de nous, prisonnier, Lui aussi, sentait les intentions des présents. La pre­
dans le Sacrement de son amour, pour de­ mière Bénédiction, nous dit l’Evangile,
meurer près de nous, et être des nôtres, Jésus l’a donnée aux petits enfants, et le
Lui, Jésus notre Rédempteur ! Pape pensait à tous leurs enfants, créatures
Pour mieux manifester leur adoration, le innocentes, qui sont cause de tristesse
Souverain Pontife entouré du Clergé, met mais aussi de consolation pour le Père
— 223 —
absent. Jésus bénit et multiplia le pain Ayant ainsi parlé, Sa Sainteté annonça
et le Saint-Père pensait, lui aussi, aux exi­ Sa Bénédiction, signe et symbole que le
gences parfois terriblement dures de Seigneur nous a donné. Il désirait que Sa
l’existence, lorsque le pain manque et Bénédiction fut un encouragement pour
qu’on est tenté de se le procurer de façon les présents et pour ceux qui apportent leur
illégale ; enfin, Sa Sainteté se représen­ concours à l’œuvre d’assistance et de fra­
tait la Bénédiction finale, alors les élus se­ ternité chrétienne.
ront d’un côté, et les réprouvés de l’autre. La bénédiction était également pour
Ces choses sont simples : le Saint-Père ceux qui déploient leur activité sur le ter­
aime les reprendre en y mettant tout son rain pénitentiaire : magistrats, personnel
cœur, car elles sont en totale conformité administratif et technique, aumôniers,
avec la vérité de l’Evangile. Elles sont infirmiers, gardiens. Le Saint-Père s’inté-
aussi l’unique chemin par où les âmes doi­ réssait à tous ceux qui contribuent à don­
vent passer pour arriver à la vie par­ ner à ce lieu d’expiation une note plus
faite, fortunée, prospère et de toute sécu­ réelle, de douceur et de tolérance.
rité, à la vie que personne ne pourra nous Le discours du Pape fut écouté avec émo­
enlever. tion et bien des personnes pleuraient. Mais
« Nous voici donc ensemble — a conti­ l’émotion fut plus grande encore lorsque,
nué le Souverain Pontife avec Sa conqué­ avec la bénédiction, le Saint-Père reprit la
rante affabilité — Je suis venu, vous parole pour prendre congé :
m’avez vu ; nous nous sommes regardés, « Dans la première lettre que vous écri­
mon cœur est tout près du vôtre ; cette rez à ceux qui vous sont chers, vous direz
rencontre, soyez-en sûrs, restera gravée que le Pape est venu vous rendre visite,
profondément dans mon cœur, et au s’est entretenu avec vous. Et que le Pape
commencement de l’année nouvelle, de la à la Sainte Messe, et en récitant son cha­
première année de ce qu’on nomme mon pelet chaque jour, aura une pensée parti­
Pontificat, je me réjouis d’y trouver un culière et extrêmement affectueuse pour
geste de charité, une œuvre de Miséri­ chacun de vous, pour ceux qui vous sont
corde, parce que la première appelle tou­ chers, pour tous... »
tes les autres, donne le ton à tous les au­
tres, assouplit, adoucit et rend doux et La phrase fut couverte par des applau­
agréables jusqu’à ces rapports les plus dissements impossibles à faire taire. Ces
insipides. Que le Seigneur vous bénisse. pauvres prisonniers prouvaient ainsi qu’ils
Retenez cette belle prière qui vient d’être avaient compris la bonté du Seigneur, dont
lue, à l’adresse de notre Mère du Ciel. la bienveillance et l’incomparable charité
de son Vicaire sur la terre donnaient une
« En cette année qui finit, le cœur du idée.
Prêtre, de l’Evêque et du Vicaire de Notre
Seigneur Jésus-Christ est à coup sûr, parti­ Puis le Saint-Père fit la visite de l’inté­
culièrement attiré vers la Vierge, qui, vous rieur des différentes sections de la prison.
le savez, est apparue dans une grotte Les détenus, agenouillés, l’acclamaient, lui
à Lourdes. La Vierge est au-dessus de l’hu­ criaient son doux nom de Père, baisant sa
manité souffrante et elle a réalisé l’ultime main droite, certains retenaient le plus
testament de notre Seigneur « Mon Fils longtemps possible les pans de son man­
voici Ta Mère ». teau. Et tous, tous étaient rayonnants de
joie, comme au passage du Seigneur lui-
« Ce sont là de grandes choses : le Chris­ même.
tianisme est ici, le catholicisme est ici.
Pourquoi tant de gens qui portent sur le La dernière visite fut pour l’infirmerie,
front le signe du Christ ont-ils mis la au troisième étage de l’édifice. Là aussi se
Vierge à la porte ? Pourquoi ne veulent-ils renouvelèrent les gestes de bonté simple
pas en entendre parler ? C’est comme met­ de la part du Saint-Père, et de fervente
tre à la porte sa propre maman. Cette fa­ gratitude de la part des malades.
çon de faire ne peut qu’amener le L’Osservatore Romano.
désastre. » N° 473, 9 janvier 1959.
224
DE LA SERRE Un inédit de
Pierre Villem in
(suite et fin)
AU PLEIN VENT
iv choses ne parvient plus à être panoramique,
et leur faculté de prévoyance semble être
PLAN DE L’INTELLIGENCE voilée, affaiblie, dans la proportion de
l’acuité de l’intérêt qu’ils portent à ce dé­
tail. On dirait qu’il n’y a plus connexion
De ce qui précède, nous pouvons retenir des éléments de l’ensemble. Aussi leur ju­
déjà que l’intelligence d’un détenu mani­ gement est-il faussé dans la mesure ou le
feste un enrichissement ou une obnubila­ détail les a touchés plus personnellement
tion suivant les cas. et plus directement en faisant appel à leur
Que beaucoup, sous l’influence d’élé­ intérêt sur le plan émotionnel ; on voit
ments affectifs émotionnels ou volitifs, font donc combien l’intelligence est mêlée ici
preuve soit d’un dérèglement du jugement, d’éléments affectifs et comporte même plus
soit d’un sens éminemment pratique. de sentiment que de logique.
Un certain nombre ont acquis une ouver­ On ne s’étonnera donc pas de constater
ture plus grande sur une gamme de problè­ très souvent, notamment chez de tels su­
mes plus ou moins étendue, une curiosité jets, une atrophie correspondante des facul­
de certaines valeurs morales, spirituelles ou tés de déduction et d’induction (causalité,
esthétiques. abstraction).
On note également une mémoire très De même, parallèlement à l’hypertrophie
développée des faits qui les touchent direc­ de l’imagination, à la propension à l’affa­
tement, même si leur version de ces faits bulation, certains sujets présentent un
semble prouver qu’ils les ont déformés : il développement ou même un éveil de dons
est rare qu’au fond de leur conscience ils artistiques, restés en puissance jusque-là.
n’en aient pas gardé une version exacte. Nous en avons traité précédemment (Plan
Mais un don d’affabulation poussé est des acquisitions physiques), mais nous de­
tellement apparent chez certains, qu’il peut vons ajouter les goûts littéraires, et nous
faire croire à une duplicité qui, si elle ne pouvions mieux les décrire qu’en citant
existe parfois, reste le fait de quelques-uns quelques exemples.
seulement, comme une hypertrophie de — X..., 19 ans, illettré, marié jeune, n’a r­
l’imagination au service d’une réaction rive pas à subvenir aux besoins de sa
d’autodéfense de la conduite adoptée par famille par suite des emplois trop subalter­
le sujet avant ou pendant son incarcération. nes que son analphabétisme lui permet
Cependant, il semble qu’on doive enre­ seuls de tenir. Révolte, vol, incarcération
gistrer parfois, comme conséquence proba­ comme jeune. Préparation du C-E.P.
ble d’un repliement sur soi et sur les faits d’adulte en vue du C.A.P. Au bout de trois
qui ont motivé et accompagné la condamna­ mois et demi, c’est-'à-dire alors qu’il ne
tion, une sorte d’atrophie du mode de pen­ possédait pas encore la maîtrise de la lan­
sée, en ce sens que pour de nombreuses gue écrite, malgré une soif d’apprendre et
situations, il est devenu fragmentaire, in­ un acharnement au travail rarement ren­
capable de dépasser un des faits qui les contrés, X... fit preuve d’un réel talent lit­
constituent et de le relier à l’ensemble. Les téraire d’observateur et de conteur dans
sujets s’attachent à un détail, rarement le les épreuves de rédaction. Il va sans dire
plus important, et jugent de la situation en que, s’il restait égal pour tous les thèmes,
fonction de ce détail. Leur vision des il excellait particulièrement dans les sujets
— 225 —
libres où sa mémoire visuelle et auditive parente et moyen de défense d’un sujet
pouvait enfin s’exprimer à sa mesure. Le qui se sent infériorisé ;
Corps Académique lui décerna ses félicita­ — L’éveil d’intérêts métaphysiques et reli­
tions et ses encouragements. gieux, et parfois, un besoin de dépasse­
— Y..., 28 ans, scolarité normale, bien que ment, une soif d’absolu.
fils de mariniers. Participation à une ac­
tion délictueuse en bande. Incarcération. A. — Plan moral et social.
Découvre la littérature. Se met à écrire
dans sa cellule, le soir, ses souvenirs de Mais ce qu’il y a lieu surtout de signaler,
marinier et de marin : observation juste, c’est la déformation, chez beaucoup, de la
style alerte, simple, d’une lecture facile et notion de culpabilité. Certes, un certain
sans longueur mais attrayante, intérêt sou­ nombre de détenus gardent une conscience
tenu tout le long du récit, fidélité des ima­ très nette du bien et du mal, mais une
ges, sens des images et des instantanés. Un grosse majorité s’est fait, par généralisa­
exemple : la traversée de la France en tion de cas individuels, une classification
péniche, une vingtaine de pages une fois manichéenne de la Société ; il y a les bons
dactylographié. Le manuscrit découvert et il y a les mauvais. Les bons sont ceux
au hasard d’une fouille, est transmis à un qui pensent comme eux, admettent leurs
directeur d’école et à un professeur de rhé­ critères de conduite. Les mauvais sont
torique. Devant leur étonnement, on pro­ tous les autres.
cède à une enquête qui amène au jour les Ou bien ils n’engagent pas leur respon­
7 brouillons de 'la rédaction découverte, et sabilité personnelle dans leurs fautes. Us
prouve indéniablement qu’Y... n’a jamais les enregistrent mais en rejettent la res­
eu connaissance, ni avant, ni pendant sa ponsabilité sur la société, leur milieu, leur
détention (fichier de la bibliothèque de la éducation, leurs employeurs, etc. Ils ne
prison), d’ouvrages ou récits de ce genre. sont jamais que les victimes d’un détermi­
Nous ne savons pas si Y... a été reclassé, à nisme social.
sa sortie, dans le journalisme de reportage
comme le groupe d’orientation l’avait Par ailleurs, la forme de duplicité la plus
conseillé alors. fréquente que l’on rencontre est celle du
système D, chez ceux qui ont conservé un
Et combien d’autres : l’un qui apprit une esprit d’initiative, ou l’ont développé sous
langue est devenu traducteur d’ouvrages le stimulant des contraintes, ou à l’école
pour jeunes ; un autre s’est même vu décer­ des plus pervertis de leurs compagnons de
ner un prix littéraire, pour un roman. détention. Mais outre qu’il y a déjà là une
immoralité foncière, bien que parfois peu
V grave, elle se trouve aggravée chez eux par
une conception très particulière de la
PLAN MORAL, SOCIAL répartition de la puissance monétaire, de
ET INTERETS METAPHYSIQUES la notion de réussite sociale et des moyens
de se procurer l’argent qui satisfera les
besoins auxquels une paresse accrue ne
Résumons ce qui a déjà été dit jus­ leur permet pas de répondre par un gain
qu’ici comme conséquences de modifica­ mensuel honnête et fixe.
tions psychologiques d’un autre ordre :
— On constate un certain égoïsme qui et Donc, c’est la conception du bien d’autrui
de la propriété personnelle qui semble
n’était pas originel ; atteinte des plus graves désordres. Et il
— Une sorte d’asocialité, par écœurement reste, bien entendu que, nous ne parlons pas
de la société dont le sujet se sent la ici des gens chez qui cette attitude sociale
victime, et par refus des rapports so­ était antérieure à la détention, mais uni­
ciaux ou des contraintes sociales, ou par quement des sujets chez qui elle constitue
orgueil et mégalomanie ; une acquisition nouvelle, due aux réper­
— Une forme d’antisocialité indirecte ou cussions profondes de cette incarcération
intentionnelle par vengeance et com­ et de ses corollaires moraux et matériels.
pensation ; Cette déformation se rencontre d’ailleurs
— Une conduite immorale par faiblesse de sous bien des formes, tantôt moins graves,
caractère ; tantôt nettement plus antisociales.
— Une duplicité qui n’est souvent qu’ap­ C’est, par exemple, l’esprit de récupéra­
226 —
tion ou cette sorte de cleptomanie de trémisme de tous les convertis. Attention
l'employé de bureau qui s’appropriera vo­ nous serons peut-être la première person­
lontiers enveloppes, papier, buvard et ne que cet homme, ou cette femme, ren­
même objets mis à sa disposition, pour en contrera sur le sentier de la liberté
faire un usage personnel chez lui. recouvrée. Notre comportement de chré­
C’est encore le cas du libéré qui fera tien sera déterminant pour le redépart
appel à la solidarité ou à la pitié d’an­ définitif de cet être, soit que nous serons
ciens amis ou camarades de détention et un frère dont la joie d’avoir retrouvé la
vivra ainsi plusieurs années de prêts qui brebis perdue du Seigneur sera vraie, soit
lui auront été consentis en confiance, mais que notre attitude envers lui sera celle d’un
qu’il n’avait pas du tout l’intention de Juge, réticente, méfiante. Car de tels êtres
rendre jamais, ou que, s’il en avait l’in­ abordent alors une vie nouvelle, qu’ils
tention originellement, il ne s’efforcera n’ont jamais connue. Leur éducation prati­
pas de rendre si cela lui demande un effort que est à faire, si Dieu leur en a fait trou­
mensuel. ver le principe de base. Ils ont besoin de
soutien, comme un prématuré pendant ses
Chez d’autres, ce sera plus que de l’in­ premiers mois de vie, et pendant long­
conscience, un manque de conscience pro­ temps. Nous devenons alors vraiment édu­
fessionnelle. Mais il est à noter que le cateurs, collaborateurs de la Grâce. Et
détenu qui se reclasse ne manifeste pas c’est cela qui doit dicter notre conduite,
ce défaut du jour au lendemain sans cause. même et surtout de rechute en rechute,
Si rien ne vient entraver son redépart sur car cette route sera dure pour le nouveau
le plan matériel et psychique, si les dif­ voyageur : elle est déjà si dure pour ceux
ficultés ne l’assaillent pas avant qu’il ait qui ont eu le bonheur inestimable de jouir
eu le temps de reprendre confiance et de d’une naissance en famille et milieu chré­
sentir le présent, tout au moins, assez ferme tiens, d’une éducation religieuse et morale
sous ses pas pour ne pas se décourager chrétienne !
devant les obstacles, il semble que ce tra­
vers ne soit le fait que d’un petit nombre Quant au sens de l’autorité, chez les uns
à moins qu’il ne soit antérieur à l’incar­ il est aigu au point de se traduire par un
cération. Mais par contre, il ne sera pas assujettissement à quiconque fait preuve de
rare, même chez des sujets qui laissaient dynamisme, de volonté forte et par la peur
bien augurer de leur resocialisation, si les de toute personne qui a un titre reconnu :
conditions que nous venons d’énoncer ne chef de service, contremaître, délégué syn­
sont pas réalisées. dical, prêtre, assistante sociale, agent de
A l’opposé, on trouve les sujets, peu police, inspecteur, etc. ; chez d’autres, il est
nombreux jusqu’ici, qui déroutent toujours déformé par les contacts qu’ils ont eus avec
quiconque veut s’occuper d’eux. Ce sont les représentants de l’autorité, et cela se
ceux qui ont trouvé leur chemin de Damas, traduit par un rejet de toute autorité en
sous une forme ou sous une autre, dans général, de tout devoir civique chez les
leur détention : une lecture, un camarade, détenus politiques (chat échaudé...).
un aumônier, une assistante sociale, par­ Par contre, d’autres ont déduit de leur
fois même un surveillant, un directeur ou expérience personnelle qu’il suffit d’avoir
un éducateur le cas échéant. de l’autorité pour avoir tous les droits. Et
En général, de tels sujets ont peu exté­ ils feront tout pour avoir droit à une part
riorisé leur transformation, leur conver­ d’autorité ; même par les moyens les plus
sion. Simplement, peu à peu, ils n’ont plus déplorables et dans les milieux les plus
fait parler d’eux, se sont fondus dans une sujets à caution.
sorte d’anonymat. Quiconque alors s’in­
téresse à eux sans savoir le cheminement Le sens social qui n’existait déjà pas
lent qu'ils ont suivi risquent de se trouver beaucoup chez certains, sinon sous la for­
en face d’une âme qui a besoin de se me de l’esprit de solidarité dans le mal,
confesser à quelqu’un. Et comme nous existera moins encore sauf chez certains
sommes toujours méfiants, ne faisons pas politiques et chez les convertis, mais ceux-
suffisamment confiance à Dieu et à Sa ci auront déjà tellement à faire pour s’ac­
Grâce, nous pensons : « Toi, je te vois ve­ climater à leur vie nouvelle, qu’il ne
nir, tu veux m’avoir... » Leur excès de faudra les aiguiller vers l’action sociale
droiture, leurs exigences pour eux-mêmes qu’autant qu’elle constituera pour eux un
ne sont pas feintes. Ils souffrent de l’ex­ étai par elle-même ou par les contacts et
— 227 —
les amitiés qu’elle leur procurera. Ce qui B. — Intérêts métaphysiques.
est souvent le cas d’ailleurs.
Un gros problème est celui de la sexua­ Ce que nous avons dit de la conversion
lité. Une grande partie des libérés ont une introduit fort à propos les remarques qui
conception anormale des rapports sexuels. suivent :
Mais beaucoup de jeunes, dont le déve­ 1° Bon nombre de libérés permettent de
loppement physique n’était pas terminé, constater qu’ils ont perdu toute concep­
n’ont pas, à leur incarcération, les bases tion spiritualiste de l’existence. Saint
morales et les notions intellectuelles indis­ Thomas d’Aquin a dit qu’il faut un mini­
pensables pour sublimer leur instinct ou mum de bien-être pour pratiquer -les ver­
seulement lui accorder sa juste place dans tus chrétiennes. Gn voudra bien reconnaî­
le plan du Créateur. Or, la prison ne les tre que ce minimum est rarement réalisé
leur donne pas. On a, certes, introduit des dans une prison. D’autre part, les lectures,
dérivatifs, tels que le sport depuis quelques l’impression que la grande malhonnêteté
années. Mais à l’âge du rêve, il est dif­ n’est jamais inquiétée, qu’avec de l’argent
ficile d’empêcher qu’un jeune, qu’il soit en on peut tout se permettre, font rejeter
cellule séparée ou en dortoir commun, ait toute conception morale et, par suite, toute
assez d’un minimum de sport pour lutter croyance.
contre un instinct accru par le rêve et sou­ 2° Mais il est des gens qui, au contraire,
vent par les magazines. oublient le spirituel dans l’abondance ou la
Chez les uns, ce sera l’onanisme poussé simple aisance routinière et retrouvent
jusqu’à l’abrutissement. leur foi, leur religion, quand un revers
les atteint et les débarrasse du confort
Chez d’autres, l’inversion, la pédérastie. sous lequel elle gisait endormie.
Cette perversion de l’instinct se trouve Ceci reste vrai de gens qui n’avaient
aussi chez des adultes, de n’importe quel jamais eu d’éducation religieuse, quelle
milieu : manuel ou intellectuel. qu’elle soit. Nous n’en voulons pour preuve
que l’étude du Bouddhisme, du Vishnouis­
Chez beaucoup enfin, on trouvera la li­ me, de la Bible et de la Mystique Chré­
cence la plus totale envers le sexe opposé tienne, pour laquelle nous avons vu litté­
sinon le proxénétisme ou la prostitution. ralement emballés, des détenus de toutes
Car il est bien entendu que dans tout ce origines et de toutes catégories.
problème, nous parlons aussi bien des Il semble que ce ne soit pas là un simple
femmes que des hommes, et ce ne sont pas dérivatif, mais une révélation profonde
elles qui nous apporteront un démenti. qui produise peu à peu une libération in­
térieure — la liberté des enfants de Dieu,
Que faut-il voir là ? La paresse, le besoin a d’ailleurs dit un de nos Eminents prélats,
de confort, le rejet du conformisme social, parlant à nos détenus — un affinement de
les difficultés matérielles pour un psychis­ la conscience, une transformation de tout
me affaibli ? . l’être et .de son orientation d’avenir. Mais il
Et nous le rappelons encore, nous ne faut que de tels sujets soient dûment signa­
parlons pas des gens qui présentaient cette lés aux organismes post-pénaux, et bien
perversion avant leur arrestation, mais uni­ pris en main avec confiance et affection
quement de ceux chez qui elle est apparue fraternelle, car l’homme qui sort alors de
peu à peu. prison est un nouveau-né, sans aucun
point commun avec celui qui, sous le même
Il semble, mais notre expérience est nom et la même fiche anthropologique, y
trop peu étendue pour l’assurer, que ce a été mis. Il faut que l’on utilise leur dy­
soit chez les femmes qu’elle apparaisse le namisme à plein tout en les aidant maté­
plus tôt, notamment chez celles d’entre riellement au maximum, pour qu’il ne se
elles qui avaient la vie la plus aisée. On se produise pas avec eux ce qu’un Evêque
laisse d’abord aller au manque de pudeur Africain a dit récemment de ses catéchu­
sous prétexte que la prison ne tient pas mènes : « Nous faisons des Chrétiens. La
compte de certaines exigences physiologi­ vie nous les prend ». En effet, les soucis
ques féminines ; puis, aux conversations matériels et économiques, l’insécurité du
et confidences plus ou moins érotiques, lendemain, à plus forte raison si le sujet
etc... les actes seule ou avec partenaire sui­ a charge d’une famille qui a souffert de sa
vent bientôt. détention, et doit reprendre la ccmversa-
— 228 —
tion (cum-versatio : marche vers un même vie même. Nous nous permettons à ce
but), avec une femme qui a suivi une évo­ sujet un conseil : c’est d’avoir toujours pré­
lution propre selon un angle de divergeance sente à l’esprit la méthode du « Retour à
parfois considérable par rapport à la Dieu », ces élévations multiples de la pen­
sienne, peuvent étouffer tout désir de sée vers Lui, si prônée par nos auteurs
mieux et ternir à jamais ce qui aurait pu spirituels, notamment Dom Chautard.
devenir un foyer de rayonnement, d’abord D’autre part, qu’on ne s’y trompe pas,
dans le père de famille lui-même, ensuite certaines de ces âmes, que ne retient au­
sur sa famille, sur ses proches. C’est ici cune obligation antérieure, ne sont plus
qu’il faut se rappeler la parole de Saint faites pour la médiocrité du monde, et ne
Bernard : « Je ne veux pas savoir ce qu’un doivent pas y être renvoyées sous prétexte
homme a été, ni ce qu’il est, mais ce qu’il d’un quelconque dynamisme apostolique
veut être ». dont elles font preuve. Leur place est au
D’une façon générale, le détenu qui a cloître. Et nous en connaissons qui, aujour­
pris, ou repris conscience des réalités spi­ d’hui, regrettent qu’on ne les ait pas
rituelles a des besoins religieux accrus. Il comprises et mal conseillées.
faut qu’un prêtre s’intéresse à lui, le guide
et discute ses problèmes en véritable di­
recteur de conscience. Combien n’avons-
nous pas connu de tels sujets qui n’ont pas
poursuivi leur marche ascendante et en Tout ceci semble bien disparate et l’est
pleurent aujourd’hui au point de regretter en effet. Mais si on veut bien essayer de
parfois la prison et leur cellule, pour procéder à une vérification dans le concret,
n’avoir jamais, malgré leurs demandes on s’apercevra qu’il était impossible de
répétées, obtenu qu’un prêtre entretienne situer un ou deux types de détenus, car les
avec eux ce contact de personne à per­ conditions se réunissent toujours différem­
sonne, d’âme à âme. La messe et son prône, ment et souvent paradoxalement : une
souvent si insipide, si peu nourrissant, ne amélioration ou une qualité nouvelle voisi­
suffisent pas à ces gens qui sont venus ou neront chez un même individu avec des
revenus à la foi par la réflexion, donc par faiblesses notoires, les unes sur un plan,
le plan intellectuel, mais qui n’ont pas les autres sur un autre ; des contrastes très
encore acquis toutes les notions de cette forts apparaîtront parfois sur un même
foi pour en vivre. Les sacrements ne leur plan ; tel sujet sera totalement différent
ont pas encore livré leurs richesses totales, soit en bien, soit, hélas ! en mal.
et leur pratique les laisse sur une faim. Mais d’une façon générale, c’est avec le
Dans le cas où certains cherchent eux- cœur et sans arrière-pensée qu’il faut les
mêmes leur nourriture, sans les guides aborder tous, les laisser s’épancher et
nécessaires, ils se nourrissent mal et le prendre confiance avant d’entreprendre
résultat est le même : malnutrition, avita­ quoi que ce soit d’autre que ce qui s’avère
minose et indigestion spirituelles les mè­ urgent pour leur donner le climat de sécu­
nent à des erreurs, des lassitudes, au rité morale et matérielle sans lequel il est
dégoût. vain de vouloir penser poursuivre une
action : salaire, logement, amitiés, enca­
A noter encore cette tendance à une drement.
forme d’esprit du type « tout ou rien », à Reprenant la parole du Christ-Jésus et la
l’exagération chez de tels sujets. Qu’on ne parodiant, un jour peut-être un homme se
s’étonne pas de les voir vouloir tout de lèvera pour attester de nous devant Lui :
suite le mieux, et tomber ensuite dans la « J ’étais dans les chaînes, et il a fait plus
nuit spirituelle la plus noire. Dieu les a que me consoler, il m’a empêché d’y retour­
attirés, mais il leur enlève, d’ailleurs assez ner ».
rapidement, Ses consolations. Au prêtre, En la fête de N.-D. de la Merci.
alors de ne pas croire à un coup de tête, Paris, le 24 septembre 1958.
à une tromperie ou à une versatilité, mais
à obliger ces âmes à se fortifier dans la Pierre VILLEMIN

229
UN DRAME PEU CONNU

LA SITUATION JURIDIQUE ET SUGIALE DES TZIGANES


ET DES POPULATIONS NOMADES EN FRANCE
A la suite de V article « Les Détenus et le Peuple du
voyage » paru, voici deux ans, dans « Prisons et Prisonniers »
sous la signature du R.P . CHATARD O.P., nos lecteurs ont
exprimé le désir d’une étude plus approfondie de la question.
Nous sommes heureux de la leur offrir aujourd’hui.
M.D.L.R.

Si l’on connait peu, en France, le peuple 1. le carnet anthropométrique ;


tzigane, son origine, ses traditions, ses grou­ 2. l’interdiction de stationner;
pes si divers par certains points et cepen­ 3. le régime des amendes et de la prison.
dant tous marqués par leur origine indien­
ne, il semble qu’on ignore davantage encore Par manière de conclusion, nous dirons
la situation tragique qui lui est faite ainsi quelles réformes ou améliorations parais­
qu’aux autres groupes nomades, en maints sent les plus urgentes et les plus souhai­
pays et très particulièrement chez nous. tables.
En Hollande, pour ne citer que cette na­ En plus de nos expériences personnelles,
tion, une solution vraiment humaine et digne nous ferons appel aux témoignages de per­
a été trouvée. En France, on ne saurait en sonnalités compétentes qui, depuis plusieurs
dire autant. Les tziganes de notre territoire années, se penchent sur ces problèmes et
ne semblent pas être des « citoyens à part se sont exprimées dans diverses publications.
entière ». Les lois qui les concernent ont Notons qu’il ne s’agit pas ici normale­
une tournure de répression défensive à ment des « industriels forains » ; ces derniers
leur endroit. L’interférence des diverses me­ ne sont pas tziganes, sauf à une très fai­
sures législatives ou réglementaires à leur ble minorité, et pour eux ces mêmes pro­
sujet aboutit à leur créer une situation im­ blèmes ne se posent pas. Le stationnement
possible et avilissante qui les empêche de leurs voitures est officiellement régle­
d’évoluer, de se « réaliser » vraiment selon menté et assuré.
leur mode de vie, de fréquenter utilement
l’école et même de se créer une vie fami­
liale stabilisée par le mariage.
En toute objectivité, laissant de côté les LE CARNET ANTHROPOMETRIQUE
autres problèmes : instruction, mariage,
travail, logement, nous allons chercher à Voici le texte de la loi du 16 juillet 1912 :
attirer l’attention sur cette situation telle « Sont réputés nomades, quelle que soit
qu’elle a été créée pour eux par la loi de leur nationalité, tous individus circulant en
1912, en bornant notre examen aux points France, sans domicile ni résidence fixes et
qui paraissent les plus choquants pour une ne rentrant dans aucune des catégories
conscience moderne : ci-dessus spécifiées — (il s’agissait des com­
— 230 —
merçants forains et industriels ambulants gendarme, en faisant le visa, inscrit
ou forains) =— même s’ils ont des ressour­ l’arrivée, le lieu de destination, la descrip­
ces ou prétendent exercer une profession ; tion de la voiture, de la cheminée, couleur,
ces individus devront être munis d’un car­ flèche, nombre de chevaux, etc.
net anthropométrique. » Pour les nomades, quelle contrainte ! On
Mais «... La délivrance du carnet anthro­ peut d’ailleurs se demander si les exigen­
pométrique ne sera jamais obligatoire pour ces posées sont nécessaires pour le bien
l’administration... » commun.
Et la loi poursuit : La délivrance du car­ En vérité, ne croirait-on pas qu’il s’agit
net «ne fera pas obstacle à l’exercice des de gens sans aveu, de malfaiteurs ?... alors
droits reconnus aux maires sur le territoire qu’une simple visite amicale dans les rou­
de leurs commîmes — (i.e. : droit d’interdic­ lottes montrerait l’erreur que l’on commet
tion de stationner et droit d’expulsion) — envers l’immense majorité des « voya­
par des lois et règlements relatifs au sta­ geurs » !
tionnement des nomades. En tout cas, remarque Mlle F. Joublin, « la
Tous nomades séjournant dans une com­ possession de ce carnet qui semble les assi­
mune devront, à leur arrivée et à leur dé­ miler à des interdits de séjour, et les obli­
part, présenter leurs carnets, à fin de visa, gations qui en résultent, ne correspondent
au commissaire de police, s’il s’en trouve un plus à l’heure actuelle aux nécessités réelles
dans la commune, sinon au commandant de de la police. La situation... se présente diffé­
gendarmerie et, à défaut de brigade de gen­ remment de ce qu’elle était en 1912. » (In­
darmerie, au maire... » formations sociales, sept. 1954).
Cette loi est vieille de cinquante ans, mais Pourtant, il y a en ce moment une ten­
demeure inchangée. Il faut le visa à l’arrivée dance très forte à retirer à nos tziganes le
et au départ dans la localité. L’absence de « carnet forain », quand ils le possèdent,
tampon entre les séjours de ville en ville ou pour le remplacer par le « carnet anthropo­
village fait encourir une amende de métrique ».
18.000 fr. et des peines d’emprisonnement. En général, on supprime un carnet forain
Chaque membre de la famille doit avoir lorsque son détenteur ne semble pas faire
un carnet anthropométrique à partir de l’âge le « métier de forain ». Ainsi on a suppri­
de 13 ans. En outre, le chef de famille doit mé le carnet forain :
avoir aussi un carnet collectif comprenant : — à des musiciens qui jouaient dans les
— Le nom et la photo de quatre centi­ cafés et y faisaient ensuite une quête ;
mètres entre la racine des cheveux jusqu’à — à des marchands forains qui n’avaient
la pointe du menton, de chaque membre pas leurs factures de marchandises ;
de la collectivité, même de ceux qui ne font — à ceux qui n’ont pas de « surface », etc.
pas partie de la famille mais qui y sont inté­ Citons, pour clore ce paragraphe, les x pro­
grés pour les voyages communs. pos d’une assistante sociale de province » :
— Ces gens doivent fournir dix photos de « Voyez donc la mère de famille à l’ou­
face et du profil droit, doivent être men- vrage. La voiture est rarement au milieu du
surés : taille, largeur du buste, longueur et village, mais assez loin. Il faut conduire les
largeur de l’oreille, pied, médius, auricu­ enfants à l’école le matin, les rechercher
laire, coudée ; et en outre : couleur des che­ à midi, les reconduire l’après-midi, et le soir
veux, pigmentation, etc. faire signer par la maîtresse le passage d’un
— En outre des carnets, leurs voitures doi­ jour à l’école. Il faut faire signer au maire
vent porter une plaque spéciale numérotée. un certificat relatif à l’exercice de la pro­
fession pendant un ou deux jours dans la
De plus, par la circulaire du 8 novem­ commune, et ensuite, à la gendarmerie, tous
bre 1920, il est tenu un registre des nomades les carnets de la famille. C’est une vie infer­
dans chaque brigade ; on signale tous leurs nale, et, souvent, de jeunes soldats, pour la
passages et leur destination de départ. Le plupart pères de famille, lorsqu’ils quittent
— 231 —
le régiment, me disent : « Ah oui, on nous a Ce simple palmarès doit suffire. Singulier
bien gardés pendant dix-huit mois, mais hors-la-loi que la loi sait bien retrouver
maintenant, allez, ouste ! on sait bien nous quand il s’agit de défendre ce sol sur lequel
chasser ». Comment voulez-vous donner à ces se dresse perpétuellement l’inscription :
jeunes l’idée qu’ils ont une patrie et qu’ils « Interdit aux nomades » ! Voilà pour les
y sont chez eux? » (Etudes tziganes, 5 jan­ familles en cause. Le décalogue que vous
vier 1956, p.' 11). vous plaisez à invoquer est avant tout un
Et pourtant, combien de nos « voyageurs » code de justice. Rendons à chacun son dû. »
sont actuellement mobilisés en Algérie ! Au fond, il semble que ce soit la question
Combien sont morts pour la France et sont même du nomadisme qu’on mette en ques­
des héros ! tion. Le R.P. Fleury, aumônier national, ré­
Il y a douze ans, mourait dans la cour pond ainsi à un journaliste qui l’interro­
d’Aubervilliers, J.B. D... dont les pauvres geait : « Nous sommes habitués à tout consi­
jambes, gelées durant la guerre, ont été am­ dérer d’après notre position de sédentaires.
putées treize fois avant que le caillot fatal Que reprochons-nous aux Gitans ? De ne pas
l’emporte subitement. vivre comme nous ? C’est une absurdité si
nous réfléchissons quelque peu. Le peuvent-
Et qui ne connaît, au pèlerinage de Lour­ ils vraiment ? Là-bds, dans les Indes, les
des, ce voyageur, amputé lui aussi, et qui Gonds et les Doms qui leur sont apparentés
parmi d’autres décorations, se contente de continuent leur existence errante. Cette exis­
nommer sa croix de guerre, sa médaille mili- tence est inscrite dans leur histoire, dans
tarie et sa Légion d’honneur ! • leur sang.
Usant naguère du droit de réponse, « Les pigeons voyageurs ne sont pas des
M. l’abbé Barthélemy, aumônier national pigeons sédentaires... Ne croyez-vous pas
adjoint des tziganes, obligeait le journal Le anormal que, d’une part, la législation fran­
Pays Briard de Coulommiers à insérer ces çaise protège le pigeon voyageur, mais d’au­
lignes dans sa feuille du 21 mai 1957 : « Vous tre part ne protège pas l’homme du voya­
vous permettez d’écrire que « par définition, ge ? Cette législation semble n’avoir été
le nomade est le hors-la-loi, l’outlaw orgueil­ conçue que pour l’homme sédentaire.
leux... qui s’oppose, le veuille-t-on ou non,
au citoyen conscient de ses droits, certes, « Aujourd’hui se posent au sujet des noma­
mais aussi de ses devoirs envers la So­ des de graves problèmes économiques, so­
ciété... ». Pourquoi n’avez-vous pas infor­ ciaux, juridiques, spirituels qu’il faut étu­
mé vos lecteurs de ce simple chiffre : dier, qu’il faut résoudre. Ces populations
500.000 nomades ont été massacrés par les nomades, d’ici vingt ans, vont plus que dou­
nazis dans les camps de la mort ? Cela bler. Personne, en France, ne semble voir
pourrait être un élément d’appréciation sur les dangers que comporte pour eux comme
la condition des nomades quand la haine pour nous, une telle situation d’avenir. Il
des sédentaires à leur égard ne connaît pas faut, dès maintenant, que des hommes res­
de limites. ponsables s’attaquent à leurs problèmes.
Sans cela nous connaîtrons des difficultés
« Mais revenons à la famille pour laquelle inextricables. Cela n’exclut pas la nécessité
je suis intervenu, actuellement locataire du d’aider de toutes nos forces ceux qui dési­
terrain des Fosses-Rouges où elle voudrait rent se fixer. »
se fixer : Martin M... a fait la guerre et
deux ans de captivité au stalag xvm A. Son
fils est en Algérie ; son neveu Albert va y II
partir incessamment pour défendre là-bas les
intérêts du pays. Son frère Joseph a fait la L’INTERDICTION DE STATIONNER
guerre comme volontaire au 8e G.R.D. Son
autre frère, Adam M..., s’est battu dans le L’assistante sociale citée plus haut écri­
maquis de Fontainebleau. L’oncle maternel, vait encore : « La loi du 16 juillet 1912, qui
Léonard, est mort au champ d’honneur à la n’a rien prévu pour le stationnement des
guerre de 14-18. nomades et des forains, devrait être vrai­
232
ment une loi périmée ; c’est une loi dont les En certaines régions, on croit assister à
auteurs, sans le savoir, ont fait du racisme. une véritable chasse à l’homme — et dans
« Les tziganes s’assimilent progressive­ certaines familles, surtout là où ne restent
ment. Ils vivent en France, sont en grande que des femmes et des enfants, parfois parce
majorité Français et remplissent les devoirs que le père a été tué à la guerre, on est
des autres Français. Ils font leur service en face d’un véritable désespoir : « Mais ils
militaire, ils paient les impôts, ils sont ins­ feraient mieux de nous tuer, on est traqué,
crits au registre du commerce, ils sont sou­ pire que des bêtes ! ».
mis à l’obligation scolaire, mais il n’y a pas L’interdiction de stationner est trop sou­
en France, pour eux, des coins où ils puis­ vent arbitraire de la part des municipalités.
sent remplir ces obligations dans le calme Combien de territoires communaux où le sta­
et l’apaisement, sauf en quelques rares ré­ tionnement est limité à 24 heures, même in­
gions où tous ne peuvent se rendre. terdit ! Alors, c’est la vie perpétuellement
« Un essai loyal de lieu de stationnement, errante ; on tourne en rond, de terrains en
aux abords de toutes les grandes villes, terrains, comme dans la région parisienne.
devrait être tenté. Il permettrait de veiller Et pourtant, il faut bien rester près de la
à la santé des enfants, d’instruire les pa­ grande ville pour vivre durant l’hiver, puis­
rents sur les obligations de la route (assu­ que le « voyage » n’est possible qu’à la belle
rances, impôts, etc.) et aurait même, pour les saison.
contrôles de police parfois nécessaires, un Parfois, les maires accordent un terrain,
immense avantage... Le manque de lieu de mais dans des endroits tellement éloignés ou
stationnement apparaît comme l’obstacle insalubres qu’il est impossible de les uti­
majeur à la coexistence de l’action sociale liser.
et des traditions parfois si nobles des tzi­
ganes. AS..., près de Grenoble, des Gitans avaient
d’abord séjourné sur un terrain communal
« Il faut que des gens qui ont un commerce prêté à un villageois, mais que ce dernier
ou un métier artisanal régulier ne se heur­ louait aux voyageurs ! Le maire fit cesser
tent pas à des lois qui les empêchent de les le trafic. Une assistante sociale vint faire vi­
exercer normalement. Or le lieu de station- ' site au maire avec un des Gitans. Et le
nement dépend du maire de la ville ou de maire indiqua simplement : « Il y a un ter­
la commune. L’Association des Maires de rain
France ne pourrait-elle pas étudier cette allez-ycommunal pour les stationnements,
! ». — « Heureux, écrit l’assistante so­
question lors de son Assemblée à Paris ? Il ciale, nous mîmes la voiture en route vers
faudrait connaître ou faire connaître les ré­ l’endroit indiqué, mais nous nous aperçûmes
gions les plus fréquentées par les « sans
domicile fixe », et organiser une vie nor­ 3bientôt que c’était en pleine montagne, à
km. du village, qu’il n’y avait ni eau,
male pour eux. ni lumière, ni possibilité d’appeler un mé-
« A défaut de lieu de stationnement, nos . decin, bref, que l’endroit était une déri­
gens se contenteraient du droit de station­ sion et une injure faite à l’humanité. »
ner huit jours dans chaque commune. Qu’on
leur retienne leurs papiers en mairie pour Que dire alors des terrains dangereux, tel
éviter toute fuite après vol, ce qui est par­ celui que désigna l’an dernier, au bord de
fois possible ! Mais, au moins, que pendant l’eau, le maire d’une commune de l’Oise.
huit jours, le père puisse trouver des travaux Un bébé y tomba ; une enfant de 16 ans
à entreprendre et les exécuter, ou vendre sa se jeta à son secours et se noya avec lui.
marchandise ! Que les enfants puissent Le maire indiqua ensuite un terrain conve­
aller en classe et les mamans faire leur les­ nable ; mais pourquoi ne l’a-t-il fait que
sive ! » (Etudes tziganes du 15 janvier 1956, lorsque c’était... trop tard !
p. 13). Et que dire des expulsions qui ne veu­
C’est vrai ! L’interdiction de stationner, lent tenir compte d’aucune considération
la perspective d’être toujours à la merci d’humanité, même la plus élémentaire,
d’une expulsion, voilà bien le problème le lorsqu’il s’agit de malades et de mourants !
plus angoissant pour les tziganes. Citons d’abord deux exemples relevés par
233 —
l’auteur d’un article déjà cité: «Une voi­ Sait-on que Mimi Rosseto, la «Reine des
ture stationne sur le bord d’une route ; Gitans » dont a parlé le monde entier, n’était
le médecin du voisinage a fait appel à un pas plus reine que toute autre femme tzi­
spécialiste pour un jeune enfant en vue d’une gane ? Mais comme elle était mourante et
opération chirurgicale ; lorsque le spécia­ que le maire avait décrété l’expulsion, la
liste arrivera, la voiture aura été chassée famille a fait cette trouvaille géniale de dire
malgré les supplications ; personne ne pourra que Mimi Rosseto était « leur reine ». Le
indiquer vers quel lieu ; deux jours plus maire Ta cru, un journaliste l’a cru, tous
tard, l’intervention pourra être pratiquée, les journalistes l’ont cru ! Pauvre reine des
mais hélas ! trop tard ». canulars ! photographiée à coups de billets
« Un père de famille est atteint soudaine­ de banque jusque dans ses derniers râles
ment d’une hémorragie cérébrale ! il y a par des reporters sans scrupules !
quatre enfants, la maman attend le cin­
quième et ne sait pas conduire ; la voiture III
doit quand même partir. Il faudra chercher
un chauffeur, et il n’est pas question de LE REGIME DES AMENDES
s’occuper du malade » (cité par Informations ET DE LA PRISON
sociales, septembre 1954).
Voilà des cas où les mesures inflexibles Après une énumération des contraventions
prises par des maires ont causé mort et délits qui visent particulièrement ce qu’on
d’homme. appelle le « nomadisme », nous montrerons
Terminons par deux faits typiques relatés combien le règlement même de ces amen­
par Marcel Picard (Lectures pour tous, n° 35, des est difficile et nous illustrerons le tout
par quelques faits récents.
novembre 1956) :
« Savez-vous comment le père de ma bru
est mort ? m’a dit Jean S... Il campait à cinq 1° Contraventions.
cents mètres d’une ville ; il est tombé ma­ a) Concernant le carnet anthropométrique :
lade... Quelque chose dans le ventre. Un
médecin est venu, il a dit qu’il fallait l’opé­ — carnet non à jour ;
rer le lendemain. Comme la journée de sta­ — carnet périmé.
tionnement accordée par le maire était finie, b) Concernant la plaque spéciale de la voi­
son fils est allé à la mairie pour demander ture :
une prolongation. Le maire a refusé. Le gar­
çon est allé trouver les gendarmes. Le bri­ — plaque non fixée à la voiture ;
gadier a téléphoné au docteur pour être sûr — perte ou détérioration non déclarée.
qu’on ne le trompait pas ; ensuite il est allé c) Concernant les véhicules :
lui-même voir le maire. Et celui-ci a donné
l’ordre de les expulser s’ils n’étaient pas — destruction ou vente non déclarée ;
partis à la vingt-quatrième heure. Ils ont — stationnement en lieu interdit.
I
dû s’en aller. L’homme est mort sur la Les contraventions passent en simple po­
route. » lice lorsqu’elles n’ont pu être réglées de
«Je sais un maire (quel dommage de ne suite.
pouvoir le nommer !) qui a fait mettre en
prison pour deux jours, l’homme qui était 2° Délits.
venu le supplier de l’autoriser à stationner
quelques jours de plus pour faire soigner sa a) Concernant le carnet anthopométrique :
mère. Il l’a fait emprisonner parce que le — altération ou falsification d’un carnet ;
délai était déjà passé de six heures. Quand — défaut de carnet ;
le romanichel est sorti de prison, sa mère — déclaration mensongère en vue d’obte­
était morte, sa roulotte à la fourrière, sa nir un carnet;
femme et ses enfants dans les champs, en — fabrication d’un faux carnet ou récé­
dehors des limites de la commune. » pissé ;
234
— faux nom donné pour obtenir un du même ministère. Il y a donc à souhaiter
carnet ; que très vite on obtienne pour les villes le
— refus de présentation de carnet collec­ même régime que pour les campagnes.
tif ou du carnet d’un membre de Quand, donc, en ville, les nomades reçoi­
la famille ; vent des procès, — et ils pleuvent sur eux !
— usage d’un faux carnet ; — ils ne peuvent pas les payer de suite. Ils
— utilisation d’un carnet à un autre peuvent essayer de donner une adresse, mais
nom ; comment dire où ils seront puisqu’ils sont
— visa non demandé en cours de sé­ perpétuellement chassés, ou prier une per­
jour (!). sonne sédentaire d’aller voir à la mairie si
Ces délits étant punissables de la peine une amende a été déposée à leur nom... ou
correctionnelle d’emprisonnement autorisent d’aller voir au poste de police ; lequel en­
la saisie de la personne du délinquant en fin verra à deux ou trois bureaux différents,
de conduite devant le procureur. jusqu’au greffe de Justice de Paix ; le greffe
peut en effet renseigner sur les instances
b) Concernant les plaques des voitures : qui vont passer au tribunal. Alors la per­
— altération ou falsification des plaques ; sonne sédentaire, souvent une assistante so­
— fabrication d’une fausse plaque ; ciale, essaiera d’avertir les intéressés s’ils
— usage de fausse plaque. ont pu lui dire où ils sont et s’ils y sont
encore, ou bien elle paiera ou elle se présen­
Ces délits entraînent eux aussi la prison. tera à leur place au tribunal de simple po­
Pour toute infraction, les animaux et la voi­ lice afin d’éviter le jugement par défaut qui
ture sont mis en fourrière à moins d’un fait monter l’amende à 5.000 fr.
versement de caution. A noter que la trac­
tion animale de la roulotte de 1912 a été Rarement, si on donne une adresse, la
presque partout remplacée par la traction feuille rose est envoyée là ; la police ne se
automobile. La plaque spéciale numérotée soucie pas des intermédiaires nommés par
n’a plus sa raison d’être puisque toutes les le délinquant, et c’est un abus. Par contre,
autos et remorques doivent porter un nu­ l’intermédiaire recevra l’avis du jour du
méro minéralogique. Or elle coûte 1.200 fr. jugement en Justice de Paix, ce qui pour­
et certains gendarmes l’exigent non seule­ rait être évité s’il recevait l’avis premier.
ment pour la roulotte mais pour l’auto qui Quand l’amende devient exécutive, le
remplace les chevaux. C’est ainsi que Geor­ contrevenant peut écrire au percepteur dési­
ges R... fut pénalisé de trois amendes de gné sur la feuille, et, en indiquant le numé­
3.500 fr. chacune alors que la Préfecture de ro du sommier, proposer un paiement de
N... lui refusait cette plaque non exigible par 1.000 ou 1.500 fr. de l’amende par men­
la loi. sualités au cours de l’année ou avant sa fin.
Tel est l’ensemble des « occasions » de Le percepteur refuse rarement celà. Les
P.V. ou de contrainte par corps. pauvres nomades souvent insolvables puis-
Le • ministère de la Défense nationale qu’en les chassant on les empêche de gagner
(direction générale de la Gendarmerie), en leur vie, évitent ainsi une contrainte par
liaison avec le ministère de la Justice, a corps car c’est le percepteur qui, devant la
prescrit aux brigades de gendarmerie d’avoir défaillance de l’imposé, a recours au procu­
des carnets à souche permettant aux noma­ reur de la République pour commencer des
des de payer de suite les amendes pour leur poursuites.
stationnement interdit. Sur demande faite au procureur, on peut
Ces amendes de 900 fr., si elles sont payées encore faire surseoir à l’emprisonnement,
de suite, ne risquent plus d’aller en Justice mais ce n’est pas toujours accepté si on n’a
de Paix et de ressortir à 4 et 5.000 fr. et pas versé d’acompte aux gendarmes portant
parfois à 7 ou 8.000 fr. la contrainte.
Mais ce même régime n’a pu être obtenu Les amendes pour défaut de carnet ou
pour les villes, la police ne ressortissant pas pour défaut de visa de carnets anthropomé-
235 —
triques sont beaucoup plus élevées ; 12.000 de ce que deviendrait ce soir-là et les jours
à 18.000 fr. Là encore, le procureur peut suivants sa famille. Or la mère n’a pas de
tempérer ; nous disons le procureur, puisque santé et est infirme; elle a cinq enfants à
ces amendes passent non plus en simple po­ charge, dont une fillette de douze ans sourde
lice (Justice de Paix) mais en correction­ et presque muette, et elle n’a pas les allo­
nelle. cations familiales. Ceci se passait en mars.
Les appels faits à l’Aide sociale de
Il est difficile, parfois, aux nomades d’être la Présidence de la République sont restés
prévenus ou même simplement de se rappe­ sans écho. Le drame dure depuis huit mois
ler quelle adresse ils ont donnée (la plupart lorsque nous écrivons ces lignes, mais si le
ne savent ni lire ni écrire) pour y recevoir père est enfin sorti de prison, quelques jours
leur assignation au jugement, avec le jour plus tard la mère entrait à l'hôpital Beaujon
et l’heure de la séance. Ils sont alors pour les « poumons ». Elle y est au moins
condamnés par défaut, et leurs amendes pour six mois. Quel spectacle déchirant de
passent à 35.000 fr. retrouver à chaque visite ces enfants doux,
Le procureur peut diminuer la peine si le tristes, seuls, dans cette minuscule roulotte
prévenu se présente ou s’il fait opposition toute crevée, tandis que le père essaie de
lorsqu’il n’a pas été averti de la première trouver à repasser quelques couteaux en
audience. attendant l’expulsion annoncée dernière­
ment par la police, et pour aller où ?
Et voici quelques faits, parmi tant d’au­
tres, pour illustrer le drame que vivent sans Durant la détention du père, seule la cha­
cesse nos gens qui, pourtant, dans l’immense rité privée, magnifique, a permis de déposer
majorité, sont honnêtes, doux et voudraient chaque semaine un colis de vivres dans la
être traités en Français : roulotte verte et rouge.
— Un tzigane, R..., a été trouvé à quatre C’est notre devoir de signaler en outre,
cents mètres à peine de sa voiture sans son dans ces pages, les jugements hâtifs et les
carnet anthropométrique sur lui. Le carnet accusations non contrôlées, sans parler des
était dans la voiture proche. R... a été puni procédés employés pour chasser les tziganes :
d’une amende de 32.000 fr. cordes coupées sur lesquelles sèche le linge,
— La famille B..., avec ses dix jeunes en­ pneus crevés, coups de crosse dans les cara­
fants, était de passage en Isère. Le maire vanes et les vitres, et parfois, caravanes ren­
d’une localité a fait fermer toutes les boulan­ versées sans se soucier de savoir si le feu
geries pour les obliger à ne pas stationner ; est allumé, s’il y a de l’eau sur le feu, si un
dernièrement, Pierre, le père, avait 60.000 fr. bébé dort à côté, cela souvent en pleine
d’amendes à payer. nuit, à deux heures, quatre heures du matin.
— A B..., Mme M..., à qui la Préfecture — L’hiver dernier, sur une des portes de
de l’Isère a retiré le carnet forain et lui a Paris, un clochard chargé de surveiller un
refusé le carnet anthropométrique, n’a plus étalage sur le « marché aux puces », signala
de « carnet de route » ! Pendant les vendan­ qu’un enfant avait tenté de voler une cana­
ges à B..., elle a donc présenté comme pa­ dienne et s’était enfui. On appela la police ;
piers son livret de mariage. Les gendarmes le « brave » clochard monta dans la « Re­
l’ont emmenée pour faire cinq jours de pri­ nault », se fit conduire vers les roulottes pro­
son. Le procureur de V... l’a relâchée, mais a ches et désigna l’une d’elles au hasard.
maintenu un procès de 24.000 fr. Lorsque la femme, Nina, ouvrit la porte et
vit, braquées sur elle, six mitraillettes, elle
— Sur un terrain de décharge des envi­ eut un geste d’épouvante qu’on devine aisé­
rons de Paris, un père de famille, Eugène B..., ment.
a été arrêté dans sa très pauvre roulotte et
mis en prison pour quatre mois sans sursis. — Mais voici, pour finir, un cas plus
Ses papiers n’étaient pas en règle et nous grave : Un père de famille, vraiment estimé,
n’avons pas à discuter ici la sentence. Mais a fait deux fois de la prison sans l’avoir
voici le drame : personne ne s’est inquiété mérité. Une fois en prison préventive...
236
Quand on Ta confronté avec le plaignant, I
celui-ci dit en le voyant : « Ah ! non, ce n’est
pas cet homme-là ! ». On l’a donc relâché.
Une autre fois, déjà père de famille, il a été CE QUI A ETE FA IT
accusé d’un assassinat commis dans un pays Le 1er mars 1949, une Commission intermi­
où il séjournait. Il a protesté de son inno­ nistérielle pour l’étude des questions inté­
cence, mais a été condamné. Comme on ressant les populations d’origine tzigane,
n’avait pu prouver sa culpabilité, on ne lui présidée par un membre du Conseil d’Etat,
a donné que cinq ans de prison. Au bout a été chargée d’étudier et de proposer aux
d’un an, un soir, on est venu le trouver dans pouvoirs publics les mesures propres à assu­
sa prison —- avec un papier — en lui disant : rer le relèvement du niveau de vie des tzi­
« Signez ça... sans histoires, vous êtes libre ; ganes. Elle était créée par les ministres de
on a trouvé l’assassin ». On lui a ouvert la l’Intérieur et de la Santé publique. L’initia­
porte de la prison et on lui a donné 65.000 fr. tive des circulaires aux directeurs départe­
d’indemnité !... mentaux de la Population et à la Gendar­
— Une enquête poussée révélerait bien des merie revient à cette Commission, ainsi que
cas tragiques dont nous avons sans cesse les l’ordonnance relative au domicile légal.
échos ; elle montrerait en tout cas à quel A la politique de répression et d’interdic­
point ces gens sont pressurés par des amen­ tion suivie jusqu’ici devait succéder une poli­
des de toute sorte. C’est une politique à tique plus compréhensive.
rebours que d’oppresser à ce point une popu­
lation à laquelle on demande : service mili­ De fait, en date du 20 février 1950, une
taire, scolarité, impôts. circulaire était adressée à la gendarmerie
par le ministre de la Défense nationale.
— Mais nous ajoutons avec satisfaction La circulaire constatait notamment :
que, depuis ces derniers mois, un mouve­
ment en faveur des tziganes se dessine et « Au cours des xixe et xxe siècles, les tzi­
dans l’opinion et auprès des pouvoirs pu­ ganes ont été l’objet de mesures policières
blics, soit pour la législation et des règle­ prises en méconnaissance des instincts pro­
ments plus compréhensifs des besoins des fonds auxquels ils obéissent, et, en réalité,
tziganes face aux craintes des sédentaires, contraires aux principes fondamentaux du
soit pour la recherche et la désignation de droit français. La distinction nécessaire et
terrains officiels de stationnement grâce à légitime n’a pas toujours été faite à bon
quoi le cauchemar des expulsions et des escient, entre les tziganes et les oisifs de
P.V. disparaîtrait bien vite. Ainsi, au Journal souche française dont l’errance est due à
officiel du 9 octobre 1958, a paru une ordon­ toute autre cause que l’instinct racial... »
nance relative au domicile des bateliers, des Puis, faisant état de la Commission inter­
forains et des nomades. Il y a donc lieu ministérielle créée le 1er mars 1949, elle
d’espérer que paraîtra bientôt le décret rappelait les objectifs :
d’application qui leur accordera officielle­ 1° assurer aux nomades par les moyens
ment un domicile légal de leur choix. les plus variés, des lieux de stationnement
sains, pour l’été et pour l’hiver, les station­
nements d’hiver devant, autant que possible,
CONCLUSION être équipés au point de vue sanitaire ;
2° leur fournir l’aide d’assistantes sociales
Espoirs et Souhaits. spécialisées ;
3° leur procurer un travail régulier leur
Quelles sont donc, à notre sens, les réfor­ permettant de vivre normalement ;
mes et améliorations qui paraissent les plus
urgentes et les plus souhaitables ? 4° leur donner une instruction générale
minima et une certaine formation profes­
Qu’est-ce qui a été fait ? sionnelle ;
Qu’est-ce qui resterait à faire ? 5° acquérir leur sympathie et leur compré-
237 —
hension, en s’efforçant de résoudre humaine­ ans. La question est de nouveau à l’ordre
ment les problèmes humains qui sont les du jour.
leurs. A l’issue d’importants débats sur la ques­
La circulaire demandait une réalisation tion, à la séance du mercredi 26 mars 1958,
effective de ces souhaits : le Conseil général de la Seine émit le vœu :
« Le personnel de la gendarmerie, appelé, 1° Que le Gouvernement élabore et que
de par ses fonctions, à avoir des contacts le Parlement délibère les dispositions législa­
fréquents avec la population nomade doit tives nouvelles substituant à une politique
s’inspirer à l’avenir des principes généraux d’interdiction une politique de compréhen­
ci-dessus énoncés... sion...
« L’action des commandants de brigade, en 2° M. le Préfet de Police, en attendant
collaboration avec celle des maires des cette modification de la législation, est invité
communes de leur circonscription, devra ten­ à appliquer avec le maximum de compré­
dre à traduire, sur le plan pratique, la hension les dispositions en vigueur.
réalité des principes définis dans la présente 3° M. le Préfet de la Seine est invité :
circulaire.
a) à rechercher, provoquer, coordonner
« En particulier, lors du choix par les toutes mesures tendant à assurer aux popu­
autorités municipales des lieux de stationne­ lations d’origine tzigane : l’aide d’assistantes
ment et de campement autorisés... faire sociales spécialisées, un travail régulier per­
entrer en ligne de compte : mettant une vie normale, une instruction
— la salubrité des terrains constituant la générale au moins minimum, une certaine
base primordiale de l’évolution recher­ formation professionnelle ;
chée ;
— leur proximité des chefs-lieux de commu­ b) à constituer une Commission départe­
nes, favorisant le travail des nomades et mentale pour l’étude des mesures propres à
l’instruction des enfants. assurer le relèvement du niveau de vie des
tziganes.
« Sur le plan strictement pénal, s’il n’ap­
partient pas au personnel de la gendarmerie 4° M. le Préfet de la Seine est invité à
d’apprécier lui-même l’opportunité des sanc­ rechercher... des lieux de stationnement sains
tions,... il n’en demeure pas moins qu’il peut pour l’été et l’hiver et devant être équipés
se montrer compréhensif pour certains man­ au point de vue sanitaire.
quements bénins, ne présentant le carac­ Enfin, tout récemment, le 17 décembre
tère ni de crime ni de délit, et n’entraînant 1958, le Conseil général a adopté les projets
aucune répercussion pour le reste de la popu­ de délibération suivants :
lation : un avertissement a parfois plus de
poids qu’une sanction... « Le Conseil général,
«La ligne de conduite, résumée dans la « Rappelant que l’ordre public et la paix
présente circulaire a, en définitive, pour sociale ne peuvent que gagner à une régle­
objet d’obtenir que les populations d’origine mentation compréhensive du stationnement
tzigane soient, à l’avenir, traitées d’une ma­ des nomades...
nière équitable, humaine, répondant à leur c Délibère :
personnalité et à leur mentalité, profondé­ « 1° M. le Préfet de la Seine est invité
ment différentes de celles du reste de la à introduire devant le Conseil général un
population... » mémoire comportant des propositions concer­
Le 2 mars 1950, le procès-verbal d’une nant l’aménagement et l’équipement dans
réunion du Comité départemental d’aide et le département de la Seine, de lieux de sta­
liaison en faveur des populations d’origine tionnement pour la population d’origine gi­
nomade à Toulouse avait des échos aussi tane...
prometteurs. « 2° M. le Préfet de Police est invité à
Mais depuis plusieurs années, tout sem­ appliquer avec le maximum de compréhen­
blait oublié, surtout depuis deux ou trois sion les dispositions réglementaires concer­

— 238 —
nant les populations d’origine gitane, compte Puisque donc la vie des tziganes s’établit
tenu des projets en cours concernant leur à un double rythme :
installation sur des lieux de stationnement — le voyage durant l’été, de village en
aménagés et équipés. » village ;
— le stationnement durant l’hiver auprès
d’une grande cité,
deux réformes s’imposent d’urgence :
C E QUI PARAIT SOUHAITABLE 1° La possibilité de stationner au moins
Dans son allocution à la Grotte, pour quelques jours, disons huit jours (?), dans
accueillir les tziganes qui faisaient à Lour­ convenable,communes
toutes les de France en un lieu
à proximité d’un point d’eau
des leur premier pèlerinage, Mgr Theas
prononça des paroles d’une grave portée : et d’une école.
«A l’heure où l’on proclame l’égalité des 2° La possibilité de stationner environ six
nations et des races, la législation civile ne mois (d’octobre à avril) aux abords des gran­
doit plus avoir à l’égard des gitans des lois des villes, sur des terrains officiellement
d’exception. » désignés et aménagés (adduction d’eau, écou­
La réforme la plus urgente est bien la lementdes
des eaux usées, W.-C., enlèvement
ordures, éclairage suffisant).
révision de la loi du 16 juillet 1912. Le
procès-verbal du 2 mars 1950, à Toulouse, Ces stationnements pour devenir rentables
le déclare : « La législation actuelle est une aussi bien dans les communes de province
législation de police de répression, de dé­ que sur les terrains proches des grandes
fense. Elle aboutit à faire vivre presque villes, pourraient comporter un prix modi­
complètement en marge de la vie sociale que de location. A-t-on calculé qu’à raison
française une population de 40.000 nomades de 50 fr. par jour et par voiture, cela ferait
environ pour l’ensemble du territoire fran­ un million environ en six mois pour un
çais... » (nous pouvons dire 60.000 en 1958 terrain accueillant une centaine de voitu­
et ils seront le double dans vingt ans). res ? Nous souhaitons donc la nomination
La réforme portera surtout sur les points d’un fonctionnaire, ami des tziganes, à qui
seraient confiées toutes ces tâches.
suivants :
1° Suppression du carnet anthropométri­ Si ces vœux de réalisaient, quels chan­
que. Les 30.000 tziganes d’Angleterre possè­ gements ! Alors on pourrait enfin dire aux
dent les mêmes pièces d’identité que les tziganes qu’ils peuvent et doivent aimer la
citoyens anglais. France !
2° Assouplissement du régime des amen­ Alors les hommes pourraient enfin gagner
des. En particulier, si le régime des procès- normalement leur vie !
verbaux doit encore durer pour le station­ Alors les enfants pourraient enfin appren­
nement interdit ou l’absence de visa d’un dre à lire... et davantage !
carnet, du moins qu’on obtienne pour les Alors les foyers pourraient enfin se
villes le système des carnets à souche en marier !
usage dans les campagnes, pour paiement Alors surtout, on ne lirait plus sur les
immédiat, afin d’éviter que ces amendes pas­ visages la même tristesse parfois révoltée,
sent automatiquement de 900 à 5.000 et mais le plus souvent résignée parce qu’ils
8.000 fr. ou de 18.000 à 35.000 fr. croient leur cause désespérée !
3° Désignation de terrains officiels de sta­ Alors, en un mot, les tziganes seraient
tionnement. Forcer tous les tziganes, sans enfin traités comme des « hommes à part
transition, à une vie sédentaire, — beaucoup entière », selon la belle expression de
d’entre eux déjà y ont accédé, — ce serait Mgr Theas.
inhumain et inefficace ; et très certainement
ce serait les jeter dans un sous-prolétariat, H. MOULIN
en faire bientôt une pègre, alors qu’ils sont aumônier des tziganes
un peuple sain et très capable d’évoluer. pour la région parisienne.
239 —
LA JUSTICE
ET LES HOMMES
Au fil des jours, au long des siècles, au en soi, pour dépendre d’une preuve, autre­
hasard des civilisations, un même besoin ment dit d’une force au second degré.
s’affirme, profond, nécessaire, aussi élé­ La justice naît de l’adoption d’une morale.
mentaire que manger ou dormir, aussi Mince progrès sans doute quand l’adminis­
impérieux qu’aimer : le besoin de justice. tration de la preuve se limite au respect
Justice — mot-clé — traduit dans toutes de formes étroitement réglementées sans
les langues, compris chez tous les peuples, souci d’une justification plus profonde.
qui rend compte de l’homme dans sa plé­ Mais, de même que la loi Jdu talion
nitude, témoin tour à tour exigeant ou éliminait les vengeances privées, les orda­
résigné. lies ou le jugement de Dieu, par leurs
abus mêmes, allaient imposer une justice
Mais il est des clés qui ouvrent plusieurs moins soumise aux forces physiques de
portes, passe-partout de la confusion, lais­ l’individu.
sant entrer pêle-mêle hôtes respectueux,
voyageurs égarés, et spécialistes de l’ef­ Car une telle forme de justice ne se
fraction de pensée. Et chacun s’imagine peut concevoir que religieuse, par la
posséder le maître-mot, s’étonne, impuis­ croyance dans une aide divine réservée
sant, de n’être pas compris ou, sûr de par essence à l’innocent et refusée au
son pouvoir, aspire à régner seul. coupable.
Aux termes d’une définition tradition­ L’échec de l’expérience impose une
nelle, la Justice s’entend de la vertu de autre solution à fondement, cette fois, non
rendre à chacun ce qui lui appartient. plus moral, mais social. Le soin de tran­
Une telle vertu semble la mieux partagée cher les différends, au lieu de se trouver
du monde, dans la mesure du moins, où confié à un arbitre qui se contente de
l’on attend d’autrui, quand nos propres faire respecter les formes, « de compter
intérêts risquent d’être mis en péril. Ce les coups », se voit dévolu à un juge char­
qui est juste à nos yeux, c’est ce qui nous gé d’examiner les prétentions en présence
convient le mieux. Le recours à la justice, et de se prononcer objectivement au nom
loin d’apparaître spontanément, intervient du groupe. La justice est devenue une
pour faire respecter les intérêts particu­ institution.
liers, c’est-à-dire, au fond, à partir du sen­ Oui, mais qui jugera et en vertu de
timent de l’injustice. A l’origine de toute quoi ? A vrai dire cette double question
société, le seul fondement de la Justice appelle des réponses parallèles. Dès l’ins­
réside dans la protection d’une situation tant, en effet, où les membres du groupe
acquise : la force crée le droit. délèguent à quelques-uns d’entre eux le
Mais un droit perd toute valeur à demeu­ pouvoir de disposer d’eux-mêmes, de leur
rer à la seule merci d’une autre force plus personne et de leurs biens, leur choix se
puissante. Il lui faut, pour s’affirmer, porte naturellement vers ceux dont l’expé­
s’appuyer sur une notion respectée de rience garantit à la fois la compétence et
tous, donc unique : la vérité. Dès lors, le l’impartialité. Des Sept Sages de l’ancienne
droit cesse de se confondre avec la force Grèce aux Rachimbourgs carolingiens.
240 —
comme au Conseil des Anciens des tribus l’institution même de la Justice ? Il serait
arabes ou africaines, il s’agit toujours aussi vain de lui dénier toute valeur,
d’une même conception de la Justice à motif pris de ses imperfections. Ceux
partir de lois non écrites. d’ailleurs qui s’en vont répétant : « Il n’y
Mais dès què le groupe croît en impor­ a pas de justice », il suffit de les interroger
tance, que la collectivité évolue sans cesse pour s’apercevoir que leur déception tient
vers une unification et une centralisation pour le plus grand nombre de raisons
toujours plus poussées, uii tel système personnelles ou d’un procès perdu. La
s’avère de moins en moins praticable à justice idéale ne saurait être que divine, et
mesure que s’estompe la relation humaine il nous faut nous contenter d’hommes.
entre Ses membres du groupe et de leurs Mieux vaut après tout, plutôt qu’une insti­
pairs chargés de les juger. Dans le même tution mécanisée d’une glaciale perfec­
temps la diversité des coutumes cède à tion, une justice imparfaite parce que à
une législation unique qui s’impose à tous. la mesure humaine.
Juger devient une fonction, sinon un Encore faut-il ne pas abdiquer toute
métier. L’expérience humaine née de la ambition d’y porter remède. Une froide
vie ne suffit plus là où l’application de mécanique broie tout aussi bien sans
textes requiert une connaissance pure­ l’excuse de la perfection. Or il faut con­
ment technique. L’application de la loi venir que c’est l’impression majeure qui
se substitue progressivement à l’équité, se dégage de la fréquentation de notre
dont la simple vêture passe volontiers ina_ système judiciaire qu’il s’agisse des spé­
perçue au milieu des riches artifices de cialistes ou des particuliers. Côté « pro­
la procédure. La Justice, c’est maintenant duction », lois et décrets s’amassent en
l’appareil judiciaire dans son ensemble toutes matières, parfois contradictoires ou
— les lois et les juges. même illégaux, presque toujours mal rédi­
Alors le cercle se ferme. Car les magis­ gés, rarement animés d’un esprit de syn­
trats n’ont plus pour tâche que d’appliquer thèse visant au général, mais se perdant
la loi, non de la concevoir pour chaque au contraire dans des détails superflus.
cas particulier. Leur décision est sans Enserré dans ces textes comme une momie
appel et tient lieu de vérité par l’auto­ dans ses bandelettes, le juge se trouve
rité de la chose jugée. Leur jugement réduit à un rôle d’enregistreur, impuissant
prend de ce fait force exécutoire : il s’im­ à appliquer des principes généraux en les
pose à tous et en premier lieu aux par­ harmonisant aux cas qui lui sont soumis.
ties. Avoir le droit pour soi, c’est avant Côté « distribution », une procédure
tout avoir fait triompher son point de longue, compliquée, coûteuse, des pro­
vue dans les règles. Et si la loi est mal blèmes techniques toujours nouveaux et
faite, tant pis. Le pouvoir judiciaire est toujours plus complexes, entraînent une
indépendant du pouvoir législatif. Mais la dissociation des pouvoirs des juges délé­
Justice dans tout cela ? La vertu de rendre gués à l’expert Côté « consommation »,
à chacun ce qui lui est dû — ne parlons enfin, un langage barbare compliqué à
même pas de la vérité — que devient-elle? plaisir déroute le justiciable, ce jeu d’où
Questions sans réponses, sinon sans inté­ lui seul semble exclu le déconcerte, quel­
rêt ; « res judicata pro veritate habetur », ques erreurs judiciaires achèvent de le
chose jugée est tenue pour vraie. décourager. « C’est ça, la justice ! »,
Le véritable problème n’est pas là. Car conclut-il.
ce syllogisme s’impose inéluctablement à Eh oui ! c’est cela. Une justice où il n’a
propos de toutes les institutions qui pro­ point part, un temple pour initiés, « où
cèdent directement ou indirectement d’une de vivants piliers laissent parfois sortir
délégation. Les ayant établies — et com­ de confuses paroles », une justice qui le
ment se passerait-on de juges ! — il faut dépasse et qu’il a cessé de vénérer préci­
les accepter avec toutes leurs consé­ sément parce qu’il croit en la Justice. Et
quences — et comment remettre en ques­ peu importe alors si ses critiques sont
tion un jugement sans mettre en cause exagérées, partiales, voire méchantes. Peu
241
importe qu’il lui soit rendu exactement Nous vivons actuellement une époque
ce qui lui est dû, s’il estime, lui, ne pas de transition, où nos anciennes institu­
avoir son compte et n’accepte plus d’être tions chancellent, sans que d’autres puis­
jugé. Entre la justice telle qu’il la sent et sent encore les remplacer. Famille, ma­
la justice telle qu’il la voit, c’est le divorce; riage, propriété, justice, font l’objet d’une
il ne s’agit plus des mêmes mots, ou plu­ révision impitoyable d’où peut sortir le
tôt les mêmes mots ne veulent plus dire meilleur comme le pire. C’est dire le rôle
la même chose. C’est tantôt « Ubu » et capital du juge, seul intermédiaire entre
tantôt « Kafka ». Encore faudrait-il faire ceux qui font les lois et ceux pour qui
une place à part à la justice dite poli­ elles sont faites, à qui revient la lourde
tique, expression commode .permettant de responsabilité d’une synthèse difficile. Sa
couvrir du premier terme tout ce qui se compétence et sa bonne volonté ne sont
cache sous le second, comme si une telle pas en cause. Qu’il veuille bien seulement
juxtaposition pouvait avoir un sens. Nous se souvenir toujours que le Droit n’est
en parlons plus loin. jamais autre chose qu’une étiquette collée
Faut-il insister sur la gravité du dan­ sur chacune des manifestations de la vie,
ger ? Quand les institutions d’un pays seule vérité impossible à travestir. Car s’il
cessent d’être vécues pour devenir subies, est vrai que les hommes ne sauraient se
quand les objecteurs de conscience sociale passer de justice, la Justice aussi a besoin
ne se voient plus répondre que par des d’hommes.
arguments de forme, leur voix condamnée
à être couverte faute d’emprunter un mas­ Daniel BECOURT,
que de modèle réglementaire, c’est que la Avocat à la Cour d’Appel de Paris,
justice n’est plus la justice, mais l’expres­
sion déguisée du droit du plus fort ou Membre du bureau exécutif
du plus habile ou du plus fortuné. C’est des « Amis du Droit ».
aussi qu’elle court un risque de devenir
un jour à la merci de l’intrigue, de l’ar­ Extrait de la « Vie Judiciaire » avec
gent, du pouvoir : un instrument. l’autorisation de l’auteur.
LA DOULEUR DANS LES PRISONS
par le Docteur Raymond TR O T O T
Neuro-chirurgien de l'Hôpital Central des Prisons de Fresnes (1)

Assurément, pour parler des prisons Qu'est-ce donc que la douleur


avec pertinence, il faudrait avoir été
soi-même prisonnier. Je n’ai jamais eu physique ?
cet honneur. Et ce que j’offre ici, comme Pour répondre à cette question, les
expérience, n’est autre que celle d’un chercheurs ont employé des méthodes très
spécialiste des maladies nerveuses et d’un différentes, celles-ci inspirées, d’ailleurs,
chirurgien du cerveau dont une part de par un état d’esprit chaque fois parti­
l’activité se passe, depuis sept ans, dans culier.
le cadre des prisons de Fresnes.
Les anatomistes et les physiologistes,
Ainsi, depuis longtemps, ai-je pu réflé­ esprits rationalistes, se sont efforcés de
chir, dans ma vie professionnelle, à bien ramener le phénomène « douleur » à un
des types de douleurs, physiques et mo­ substratum matériel, celui des points de
rales, sincères et simulées, légitimes ou départ de la sensation douloureuse, des
illégitimes. Et, comme la douleur, vous le fibres nerveuses qui la conduisent, des di­
savez, peut être aussi bien un puissant vers centres étagés qui la reçoivent et ta
levier de relèvement qu’un facteur d’écra­ transmettent jusqu’au cerveau qui en prend
sement pour l’homme qui la subit, il m’a conscience. Pour arriver à définir cette
paru que j’avais quelque chance, en vous géographie des voies de la sensibilité dou­
en parlant, d’apporter à votre tâche diffi­ loureuse, ils ont aussi bien étudié l’hom­
cile d’aumôniers de prisons, une contri­ me que l’animal, au prix de multiples
bution, certes bien modeste, mais qui au­ expériences.
rait le mérite de reposer sur des faits Et nous devons reconnaître qu’ils nous
authentiques et d’être imprégnée de ont fait acquérir cette notion qui n’est plus
l’esprit de miséricorde que, prêtres ou discutée ; il est, dans l’architecture ner­
médecins, nous devons apporter dans veuse du corps humain, un ensemble de
l’exercice de notre ministère. voies et de centres qui servent, en propre,
à la sensibilité douloureuse.
Le problème de la douleur est un pro­
blème antique ! maintes fois étudié, point Cela n’a pas seulement un intérêt théo­
encore résolu, il s’en faut. Et pour ne rique, celui de la connaissance de nous-
parler tout d’abord que de la douleur phy­ mêmes. C’est aussi — le neuro-chirurgien
sique, elle apparaît liée à notre condition le sait mieux que personne ! — une no­
terrestre, à notre condition d’homme, à tion d’intérêt pratique de premier ordre,
notre corps d’homme et à sa contexture. puisqu’elle nous permet, par des inter­
ventions bien conduites, de supprimer cer­
taines douleurs intolérables, par la sec­
(1) Conférence faite aux Aumôniers de Prisons, tion des voies nerveuses ou la destruction
— 243 —
des centres mêmes de sensibilité qui les lumières éteintes, devant que les chan­
concernent. delles soient allumées. Quand la douleur
Evoquerai-je ici l’opération de la lobo­ arrive, on est presque toujours au second
tomie, qui consiste, précisément, chez les acte. Il est trop tard. Le dénouement est
sujets atteints d’un cancer incurable et déjà en puissance. Il est imminent. La
cause d’atroces douleurs, à interrompre douleur n’a fait que rendre plus pénible
chirurgicalement les voies nerveuses qui et plus triste une situation depuis long­
transmettent, dans le cerveau, la sensa­ temps perdue ».
tion douloureuse au cortex, région céré­ Que nous apprend donc sur la douleur
brale supérieure où s’élabore la cons­ physique le contact des malades ? Bien
cience même de cette douleur ? Le résultat autre chose, assurément, que l’étude pu­
en est bien singulier : les physico-patho­ rement expérimentale de la douleur, et
logistes disent que la lobotomie a sup­ que la dissection du seul support matériel
primé « la composante psychique de la de la douleur.
douleur ». Effectivement, l'opéré ne se a) Il nous apprend, d’abord, qu’il n’y
plaint plus de souffrir. Mais, si on lui a pas une douleur en soi, mais des types
demande : « souffrez-vous ? », il répond : de douleurs très différents
« oui », sans avoir, le moins du monde
l’air malheureux. — suivant le mode de sensibilité : il
est des douleurs névralgiques, qui inté­
On voit donc qu’il existe bien une ressent rigoureusement le trajet des nerfs
douleur qui trouve son support dans un (exemple : névralgie faciale), des dou­
ensemble architectural nerveux, et que leurs viscérales, beaucoup plus élémentai­
la preuve en est donnée tant par Pex- res, et intéressant nos viscères, des dou­
périmentation que par la chirurgie. leurs très spéciales, comme celles des
Mais cette douleur étudiée « à froid », amputés, etc...
en soi, comme un phénomène physique, — suivant aussi l’état du fonctionne­
est une « douleur de laboratoire », comme ment sanguin, humoral, glandulaire, de
le disait Leriche. Et il lui opposait pres­ celui qui souffre. On sait, actuellement,
que la « douleur-maladie », la douleur que l’administration de certaines subs­
que connaissent et analysent médecins tances dites ganglioplégiques qui agissent
et chirurgiens, douleur qui ne peut être sur les centres nerveux, permet aux anes­
séparée de celui qui la supporte, du thésiques d’agir beaucoup mieux et avec
malade lui-même et de l’affection qui la des doses beaucoup moins toxiques qu’en
cause. l’absence de ce traitement.
Hélas ! de cette douleur-là nous con­ b) Le contact des malades nous apprend
naissons bien peu de choses ! « Nous aussi qu’il est des douleurs apparemment
n’y voyons qu’un symptôme banal et légitimes et apparemment illégitimes.
ennuyeux dont nous ne cherchons guère
à comprendre le terrible génie et à étu­ Les douleurs dont se plaignent les
dier les mécanismes internes ». (1) psychopathes sont parfaitement légitimes,
comme par exemple les douleurs des
On dit volontiers de la douleur : « réac­ hystériques (1), des paranoïaques (2), des
tion de défense de l’organisme, heureux cénestopathes (3), en ce sens que, si elles
avertissement ». En fait, « la plupart des ne paraissent correspondre à aucune lé-
maladies, et les plus graves, s’installent
en nous sans crier gare. Presque toujours, (1) Les hystériques sont remarquables par le carac­
la maladie est un drame en deux actes, tère exagéré des douleurs accusées, la discordance
dont le premier, sournois, se joue dans entre l’importance de la douleur .et la cause invoquée,
enfin leur propre suggestibilité.
le morne silence de nos tissus, toutes (2) Les paranoïaques présentent dés douleurs basées
sur l’interprétation délirante de sensations en elles-
(1) Cette citation et les suivantes sont empruntées mêmes banales.
à l’ouvrage de R. LERICHE : « La Chirurgie de (3) Les cénestopathes se plaignent de douleurs sur­
la Douleur », qui s’inspire directement des leçons tout viscérales qui ne répondent à aucune lésion
faites par l’éminent chirurgien an Collège de France. décelable à l’examen, si approfondi qu’il soit.

244
sion organique, ou, si elles sont dispro­ de la douleur physique exige une connais­
portionnées, n’en sont pas moins de vraies sance de l’homme lui-même, aussi pro­
douleurs. Ce qu’on peut en dire, c’est que fonde que possible.
« leur composante psychique » est exces­
sive et même déformée par rapport aux
douleurs physiques habituelles. Mais la douleur physique
Par contre, il est des douleurs parfai­ revêt-elle, en prison,
tement illégitimes : ce sont celles des
simulateurs, et l’on comprend que nous des aspects particuliers ?
ayons à y revenir à propos des prison­
niers ! Elle revêt d’abord des aspects inatten­
dus pour ceux qui n’ont sur la psycholo­
c) Un troisième enseignement fourni gie des prisonniers que des idées toutes
par l’observation des malades, et non plus faites. En effet, loin d’être habituellement
des animaux de laboratoire, c’est que « un dur », le prisonnier est très souvent
chacun de nous a ses prédispositions plus sensible à la douleur physique qu’on
particulières à souffrir. ne croit, et, fait remarquable, il y est
Revenons-en à Leriche. « L’individuel plus sensible que lorsqu’il est en liberté.
a certainement une part considérable Pourquoi ?
dans la génèse et l’entretien de la douleur
physique. Nous ne sommes pas tous égaux D’abord, parce qu’un homme dépourvu
devant la douleur. Le sens populaire ne de toutes les « distractions » de la vie
s’y trompe pas. Il dit que celui-ci est dur courante se trouve obligé de s’occuper de
au mal, et que celui-là gémit pour rien. » lui-même, puisqu’il se trouve sans cesse
en face de soi. Ainsi prend-il des habitu­
Ainsi, pour bien connaître ce phéno­ des d’auto-observation qui, chez les uns
mène complexe de la douleur physique, se limitent à quelques constatations, chez
ne peut-on en faire seulement un acte les autres peuvent aller jusqu’à une minu­
réflexe qui utilise un appareil nerveux tieuse auto-critique, quand il ne s’agit
qui est le même pour tous. Il faut tenir pas d’un état quasi obsessionnel.
un grand compte de ce que cet appareil
a de personnel à chacun de nous, non Cet état est souvent accru par une an­
seulement dans sa contexture, mais aussi goisse particulière : celle de l’état de
dans sa manière de vivre, de fonctionner, claustration, qu’on peut comparer assez
de s’accorder ou non avec le reste de à cette incertitude douloureuse qu’éprou­
l’organisme. Il faut, pour apprécier ces vent certains dans une obscurité pro­
éléments d’une « douleur vivante » qui fonde.
lui donnent « une certaine âme »,. en Enfin, nombre de prisonniers ont un
noter les caractéristiques, savoir interro­ complexe d’infériorité et pensent, d’une
ger celui qui souffre, mieux encore : part, qu’on ne leur fournit qu’une sorte
savoir le laisser parler, expliquer sa souf­ de « médecine de rabais », et que méde­
france, faire, comme le dit encore Leri­ cins et infirmières, d’autre part, abusent
che, « sa déposition douloureuse », de leur pouvoir, quand ils ne font pas
En un mot, il est certes indispensable, des essais de médicaments !
pour être un vrai spécialiste de la dou­ Il résulte de tout cela que la douleur
leur, de connaître les bases anatomiques physique du prisonnier prend un carac­
des voies et centres qui en sont le sup­ tère et, si l’on peut dire, un « coloris »
port chez tous, d’en connaître les divers très différents de la douleur de l’homme
aspects cliniques, les diverses expressions libre. On ne saurait croire l’invraisem­
suivant les cas. Mais il est impossible blable importance d’une rage de dents,
de séparer l’Homme malade de sa mala­ par exemple, et qui tient assurément à
die, l’Homme qui souffre de sa douleur, des facteurs extérieurs à la qualité de la
la Personne de l’Homme d’une quelconque douleur elle-même, avant tout à la vieille
de ses parties. Et déjà, la connaissance crainte de l’Homme devant la Mort, que
— 245 —
la souffrance, si minime soit-elle, lui rap­ n’est malheureusement pas toujours vraie,
pelle et lui annonce trop souvent. surtout au début d’une période de claus­
Assurément, la vie en prison développe tration. Que de révoltes intérieures, que
aussi l’esprit de fraude. de souffrances ramenant le prisonnier à
un état élémentaire, que de difficulté à
Mais avant d’acquérir la déformation de reprendre l’ascension vers lfe ciel 1 C’est
l’adjudant, sans cesse à la recherche des là qu’un mot, un regard — que dis-je !
« fricoteurs », le médecin doit se sou­ un silence éloquent et respectueux —
venir des psychopathes, auxquels je fai­ peuvent faire tant, lorsqu’ils viennent du
sais allusion plus haut, et qui souffrent prêtre ou du médecin !
réellement et légitimement. On devient
aisément psychopathe en prison ! Car, Pascal en convient aussi : trop
Et la simulation vraie de la douleur souvent « les hommes ont un instinct
n’est pas si facile ! Il ne suffit pas d’affir­ secret qui les porte à chercher le diver­
tissement et l’occupation au dehors, qui
mer son existence, il' faut encore qu’elle vient du ressentiment de leur misère
ait des caractères vraisemblables, selon continuelle... De là vient que les hommes
son siège, son intensité, ce qui la provo­ aiment tant le bruit et le tumulte du
que, ce qui l’atténue. Le mal de tête, à monde ; que la prison est un supplice si
cause de ses très nombreuses variétés, horrible ; et qu’il y a si peu de person­
est assurément la douleur la moins faci­ nes qui soient capables de souffrir la soli­
lement contrôlable. En fait, dans ce do­ tude ».
maine comme dans bien d’autres, tout
dépend de l’intelligence du sujet. Les gens De là vient, ajouterons-nous, qu’un des
sans finesse veulent en « mettre trop » éléments fondamentaux de la souffrance
et leur symptomatologie trop riche est causée par la claustration en soi est un
rapidement suspecte. Le meilleur moyen sentiment de frustration, qui porte non
« d’avoir » le médecin est de choisir une seulement sur la simple liberté, mais sur
douleur invérifiable, en principe une dou­ l’exercice normal de la vie, dans tous les
leur profonde, et de s’y cramponner sans domaines : physique, sexuel, affectif,
broder sur le thème ! intellectuel. Tout le monde ne peut, comme
Cervantès, utiliser la prison pour écrire
Mais il n’est pas que la douleur physi­ Don Quichotte ! Aussi, tant de limitations
que qui doive nous retenir : la douleur finissent par retentir sur l’organisme, et
morale s’impose à nous plus souvent le caractère complexe de la souffrance
encore. due à la claustration ne fait que s’en
Avant d’en définir les aspects chez les enrichir.
prisonniers, il importe, à mon sens, de
reprendre le problème de la claustration Et encore, ai-je laissé de côté volontai­
et des effets qu’elle peut produire. rement tout ce que peut réaliser, dans
une cellule destinée à un homme seul, la
En premier lieu, il faut distinguer l’état terrible promiscuité de sujets d’âges et
du prisonnier mis en cellule et celui du de moralités bien différents !
sujet mis en collectivité.
Signalerai-je la très intéressante expé­
L’isolement en cellule peut être excel­ rience qu’il m’avait été donné de faire
lent, tout spécialement pour celui qui a il y a quelques années. L’administration
un caractère trempé, à plus forte raison m’avait autorisé à créer à la Maison Dépar­
lorsqu’il a cet idéal religieux dont Pascal tementale de Nanterre une salle collective
dit « qu’il rend la vue de soi-même de 16 malades neurologiques, dont j’avais
supportable et fait que la solitude et le la libre organisation. Les résultats sur la
repos soient plus agréables à plusieurs santé physique et morale de ces hommes
que l’agitation et le commerce des hom­ ont été remarquables, et un certain nombre
mes ». d’entre eux, depuis eur libération, ont
Mais, pour vérifiable que soit souvent gardé contact avec moi et repris une exis­
cette affirmation du grand penseur, elle tence absolument normale.
— 246 —
La douleur morale du prisonnier tient dividualisme, et, pour être plus sûr d’agir
donc d’abord à la claustration elle-même avec correction et impartialité, je crois
dont nous venons d’analyser rapidement toujours préférable d’ignorer les causes
les conséquences. de l’incarcération. Ainsi n’a-t-on pas à
Elle tient à d’autres facteurs, variables, connaître du terrain pénal qui ne nous
évidemment, suivant les sujets et les cau­ concerne pas ; ainsi n’est-on pas tenté de
ses de l’incarcération. juger celui qui ne doit voir en vous que
Le remords de la faute ne doit pas faire la face miséricordieuse, ni amené à lui
sourire les sceptiques, et, sur ce point, donner, avec les meilleures intentions du
vous êtes infiniment mieux documentés monde, de faux espoirs, sources d’amères
que moi î II s’y ajoute d’ailleurs très sou­ déceptions.
vent la perspective douloureuse du reten­ Inversement, je crois que le médecin ne
tissement que peut avoir l’incarcération peut, sous prétexte de collaboration effi­
sur l’entourage du prisonnier, sur sa cace, se transformer en délateur ni même
femme, ses enfants, ses parents. porter atteinte à la personne du prison­
De l’association progressive de toutes nier. J ’en donnerai deux exemples vécus.
ces souffrances (physique, par claustra­ Il y a quelques années, j’ai dû donner
tion pure et parfois en plus par maladie mon avis sur l’état grave d’un détenu qui
morale, par suite de l’isolement ou au affirmait, avec force détails circonstan­
contraire de la promiscuité de la pri­ ciés, que l’atrophie musculaire qu’il pré­
son, et par suite des réflexions que tout sentait et les douleurs qui l’accompa­
ceci entraîne dans l’âme du prisonnier) il gnaient n’étaient que la conséquence des
résulte assurément un état complexe, qui mauvais traitements de ses gardiens. Le
ne peut être observé dans d’autres condi­ cas était troublant, car il existait au dos­
tions humaines, et qui méritait bien, je sier un certificat médical, établi par l’hô­
pense, de faire l’objet d’une évocation pital de la ville où se trouvait la prison,
entre nous. qui témoignait, de façon formelle, quel­
A mon sens, le médecin, comme le prê­ ques heures après le début des signes, de
tre, doivent se pencher avec une attentive lésions manifestement traumatiques. J’ai
miséricorde sur ce problème, et diriger estimé que je remplissais très exactement
leur comportement en fonction de ce qu’ils mon rôle de médecin de prison en don­
sont amenés à constater et à ressentir. nant mes soins au malade, et en avertis­
Il m’est arrivé, bien des fois, de me sant l’administration qu’une enquête de
préoccuper du sort des familles des pri­ sa part « pouvait être utile » — ce qui n’a
sonniers, quand je n’étais pas appelé à pas manqué d’être fait, bien entendu. —
éclairer les juges d’instruction sur la véra­ Ainsi, j’ai respecté la personne du pri­
cité de leurs plaintes et sur la légitimité sonnier en lui laissant sa chance d’obtenir
d’une mise en liberté provisoire pour rai­ justice s’il disait vrai ; mais je me suis
son de santé. La thérapeutique de la dou­ bien gardé de prendre fait et cause pour
leur physique et morale ne tient pas lui en établissant un certificat médical
seulement dans un geste chirurgical, une tendancieux qui aurait entravé l’action
prescription médicamenteuse : elle tient personnelle de l’administrations péniten­
au moins autant à l’attitude qui est nôtre tiaire.
et au souci que nous pouvons avoir de Autre exemple : lors d’une certaine réu­
l’angoisse qui l’accompagne. nion de médecins de prisons, un haut fonc­
Assurément, pour être pitoyables, nous tionnaire du Ministère de la Justice nous
ne devons pas donner dans une sentimen­ a demandé quelle attitude nous estimions
talité — qui serait d’ailleurs vite exploi­ devoir prendre devant un prisonnier
tée ! — ni gêner l’Administration Péniten­ faisant la grève de la faim ? Utiliserions-
tiaire dans son libre exercice. Trop nous la force pour le nourrir malgré lui?
souvent le médecin peut se frapper la Au seul médecin qui répondait « que
poitrine pour avoir péché par excès d’in­ nous étions aux ordres de l’Administration
— 247 —
et que nous devions mettre à sa disposi­ Mais, quel que soit notre désir profond,
tion tous procédés techniques pour empê­ à nous, médecins, d’apporter toute notre
cher le prisonnier de mettre fin à ses contribution au bien de ce pauvre monde,
jour », j’ai le plaisir de dire que tous les nous ne devons jamais oublier, dans notre
autres ont exprimé leur indignation, et conduite, cette règle d’or qui est celle de
ont au contraire bien précisé que, dans la modestie.
l’exercice de la médecine, fut-ce sur un Ne trouvons-nous pas notre voie tracée
prisonnier, le respect de la personne avait de façon parfaite par ce qu’en disait
la première place. Pie XII, de vénérée mémoire ?
De tout ce que je viens de dire, je Le médecin rencontre inévitablement la
crois qu’il est facile de conclure, à pré­ douleur et la mort au cours de ses recher­
sent, sur l’importance de la collaboration ches scientifiques, comme un problème
du médecin et de l’aumônier dans la pri­ dont son esprit ne possède pas la clef,
son. et dans Vexercice de sa profession, com­
Que de fois aurai-je eu d’excellentes me une loi inéluctable et mystérieuse, en
conversations avec l’aumônier de Fresnes face de laquelle souvent son art demeure
à propos de « nos » prisonniers, et impuissant et sa compassion stérile. Il
aurons-nous pu ainsi nous éclairer mu­ peut bien établir son diagnostic d'après
tuellement, nous aider à « jauger » ces tous les éléments du laboratoire et de la
hommes pour la meilleure conduite de clinique, formuler son pronostic suivant
notre action réciproque! A l’occasion de toutes les exigences de la science : mais,
la douleur, que de découvertes, que de au fond de sa conscience, dans son cœur
surprises, sur le caractère de l’un, sur les d’homme et de savant, il sent que l’expli­
capacités de résistance de l’autre, sur ses cation de cette énigme s’obstine à le fuir.
possibilités profondes d’élévation et de Il en souffre ; l’angoisse le tenaille ine­
transformation ! Comme des rencontres xorablement, aussi longtemps qu’il ne de­
entre médecins de prison et aumôniers mande pas à la foi une réponse qui, bien
seraient souhaitables ; ne fut-ce qu’une qu’incomplète, telle qu’elle est dans le
correspondance permettant des échanges mystère des desseins de Dieu et se mani­
qui feraient cesser un isolement souvent festera dans l’éternité, vaut cependant
bien pénible ! pour tranquilliser son âme.

— 248 —
“ EUX ET NOUS”
I

UN PARMI LES AUTRES


Je l’avais connu il y a trente ans. Lorsqu’il eût terminé sa dernière peine
.C’était alors un enfant de dix ans, aîné de dix-huit mois, j’avais pris contact avec
d’une famille nombreuse dans une cité un employeur, un brave cultivateur à qui
ouvrière. je n’avais rien caché du passé du garçon,
et qui acceptait de s’en occuper autant
Instable, fugueur, mais d’une intelli­ moralement qu’au point de vue emploi
gence assez vive qui lui permettait malgré matériel.
son irrégularité scolaire, d’être au niveau Cela dura exactement un mois, un mois
normal de ceux de son âge.
au cours duquel l’employeur m’écrivit être
Les parents, malgré de multiples con­ très satisfait de son nouvel employé, et
seils, ne jugèrent pas utile de faire exa­ avoir confiance de pouvoir le garder et
miner l’enfant au point de vue médical, le stabiliser.
et quelques bonnes taloches au retour de Un mois...
ses fugues, constituaient le seul remède,
peu efficace à vrai dire. Le lendemain, le garçon devait toucher
son premier salaire. Il était très bien
Quand vint l’âge de travailler, le petit encadré dans un ménage compréhensif qui
fut placé en usine. Les premiers temps, ne demandait qu’à l’aider en lui donnant
sous l’influence peut-être de ce change­ une ambiance familiale.
ment, et de l’intérêt d’un nouveau travail,
il parut se stabiliser. Intelligent, adroit, Le lendemain...
il devint rapidement un bon petit ouvrier. La chambre était vide, l’oiséau envolé
Puis, le goût du changement reprit le pendant la nuit, et si subitement repris
dessus, et les fugues recommencèrent. sans doute de son désir d’évasion, qu’il
Je perdis à ce moment là contact avec n’avait même pas attendu sa première paie
lui et sa famille, et ce fut un quart de honnêtement gagnée. Il était parti sans
siècle plus tard que je retrouvais l’enfant rien emporter, parti vers l’aventure, vers
de jadis, devenu hélas ! un client attitré l’espace, perdu dans la nature, en atten­
des prisons, jamais pour des choses gra­ dant de se faire arrêter de nouveau.
ves, mais pour des petits vols indéfiniment Toute une vie d’homme gâchée, parce
répétés. qu’enfant il n’a pas été soigné, rééquilibré,
Ne pouvant se fixer longtemps à aucun stabilisé, parce que ses fugues ont été
travail, il fallait vivre entre deux, alors le prises pour de simples caprices, des
garçon volait pour manger. caprices dont les taloches maternelles ne
l’ont pas guéri, et dont il ne guérira
Quand je le retrouvais, il était au bord jamais plus.
de la relégation, et cela semblait lui faire
peur. Elisabeth DUPEYRAT.
249 —
n
“ MES VIEUX COPAINS”
Toi dont la vie éclate de lumière donne-leur deux sous d’espoir
comme la fleur au regard du matin mon ami - mon ami
si tu Ven vas dansant sur ton chemin il fait tellement noir
dans le grand vent la tête haute et fière. ce soir - mon ami

Quand tu rencontreras mes vieux copains Si ta poitrine éclate de tendresse


qui n’ont plus rien plus rien comme un bourgeon aux premiers jours
donne-leur deux sous de soleil [de mai
mon ami - mon ami et si la brise chantant sur la forêt
tes yeux à l’arc-en-ciel te fait comprendre la joie d’une promesse.
pareils
mon ami. Quand tu rencontreras mes vieux copains
qui n’ont plus rien plus rien
Si ta maison éclate de lumière donne-leur deux sous d’amour
comme à midi le plus beau des jardins mon ami - mon ami
si tes beaux soirs éclairent des lendemains pour leurs vieux cœurs si lourds
aussi vibrants qu’une aube en la clairière. toujours
mon ami
Quand tu rencontreras mes vieux copains
qui n’ont plus rien plus rien L. M.

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— 250 —
PRISO N S D’ H IE R E T D’A U JO U R D ’ H U I

LES PRISONS DE LA FORCE


Nous avons vu‘comment Maillard, en­ séparées, ne communiquant que par le
voyant les ci-devant à la mort, leur chemin de ronde.
annonçait un transfert à la Force ce qui La Grande Force comprenait un simple
leur donnait un bref espoir, vite éteint. rez-de-chaussée surmonté d’un étage
Inversement ceux qui quittaient la Force mansardé. L’entrée, rue du Roi-de-Sicile
pour la même triste fin étaient avertis (qui s’appela sous la Révolution rue des
qu’ils allaient à l’Abbaye. Droits-de-l’Homme), se faisait par une
L’Hôtel de la Force a connu bien des porte extrêmement basse ouvrant sur un
avatars. Edifié pour Charles d’Anjou, roi premier guichet entre le corps de garde à
de Naples et de Sicile, frère de Saint- gauche et les bâtiments du Greffe à droite;
Louis, il fut reconstruit par Charles de on accédait à deux cours : celle du Greffe
Birague en 1559. Entré dans la prêtrise et la cour privée du concierge.
après son veuvage, celui-ci en fit don à Un deuxième guichet, traversant le bâti­
la Reine Margot en 1598, lorsqu’il fut ment qui fermait la première cour, dé­
devenu cardinal. C’était un des plus beaux bouchait dans une autre cour, vaste,
spécimens de la Renaissance. Acheté, re­ plantée de deux rangées d’arbres. Elle
vendu, les héritiers de l’un des proprié­ était, sur trois côtés, bordée de bâtiments,
taires le divisèrent en 1652 en deux celui du fond séparait la Grande de la
lots : le premier, en bordure de l’actuelle Petite Force. Le plus neuf était réservé
rue de Sévigné devint l’Hôtel Poulletier, aux détenus à la pistole, il pouvait conte­
le second, en bordure de la rue Pavée, nir 200 pistoliers ; les pailleux s’entas­
échut au duc de la Force, d’où son nom, saient dans les autres, à raison de 60 par
vraiment prédestiné. L’entrée en était rue salle.
du Roi-de-Sicile, il y fut donné sous le
règne de Louis XIV des fêtes éclatantes. Deux catégories de prisonniers étaient
En 1780, la destination de cet hôtel au envoyés à la Grande Force : les dettiers
brillant passé allait changer du tout-au­ (une division spéciale était réservée à
tout ! Louis XIV décidait de faire démolir ceux qui ne payaient pas les mois de
le For-l’Evêque et de transformer l’Hôtel nourrice) et les détenus par mesure de po­
de la Force en maison de détention. L’amé­ lice.
nagement dura deux ans, les prisonniers Chaque division avait son réfectoire,
y furent installés en 1782. son chauffoir et sa chapelle.
Trois ans plus tard, la prison Saint- Parmi les dettiers notoires on compta
Martin, maison de correction où l’on enfer­ Lord Masereene, transféré du For-l’Evê-
mait les jeunes gens à la demande des que, qui trouva le moyen de s’évader, de
parents et surtout les filles publiques, était se réfugier à l’Ambassade d’Angleterre et
supprimée à son tour. Elle fut remplacée de regagner ensuite son pays sans avoir
par la Petite Force installée dans la por­ payé ses dettes qui s’élevaient à près d’un
tion de terrain et les bâtiments dépendant million de livres. Le jeune Vestris y fut
de l’Hôtel de Lamoignon, voisin de celui enfermé une quinzaine de jours pour avoir
de la Force. Les deux prisons réunies sous refusé de danser devant Gustave III de
le même vocable étaient pratiquement Suède.
— 251
L’entrée de la Petite Force était située L’arrivant était d’abord, d’après ce der­
22, rue Pavée. C’était un bâtiment à un nier, placé à la Souricière jusqu’à sa
étage dont le rez-de-chaussée était percé comparution devant le concierge ; c’était
en son milieu d’un large portail voûté. un cachot des plus sommaires. Conduit à
L’étage était éclairé par cinq hautes fe­ la « chambre neuve » il la dépeint comme
nêtres aux barreaux entrecroisés. Passé une pièce aux murailles noires, éclairée
le portail, on trouvait à gauche un long par une fenêtre avec barreaux, meublée
bâtiment adossé à l’Hôtel de Lamoignon ; d’un baquet en son milieu, de huit gra­
devant, une grande cour achevait d’isoler bats et d’une chaise. Beugnot, lui, ne s’y
les deux maisons. trouva pas trop mal, le régime était très
A la Petite Force étaient détenues sur­ doux, la chère excellente, fournie par un
tout des filles de mauvaise vie, elles cuisinier renommé établi en face de la pri­
étaient vêtues de bure et affectées à de son : « Le gouvernement ne voyait appa­
grossiers travaux. remment, écrit-il, dans les habitants de la
Force qu’une nichée de pauvres diables
La Petite Force avait son propre insignifiants dont il s’occuperait le jour où
concierge qui fut parfois une femme. Mme il n’aurait rien de plus pressé ». Beugnot
Hanère (ou de Hanère) qui tint ce poste s’y lia avec Francœur, ancien directeur de
pendant la Révolution, fit preuve de bien­ l’Opéra.
veillance.
La Révolution bouleversa la vie des Les prisonniers pouvaient écrire libre­
deux prisons. Dès 1792, les divisions ne ment et voir leurs parents.
furent plus observées. Les prisonniers des Les choses changèrent de nouveau en
deux sexes furent enfermés pêle-mêle. Les mai 1794 ; après le complot des prisons,
détenus de la Grande et de la Petite Force les « Fournées de Messidor » remplirent
échangeaient des nouvelles à travers une la Force ; parmi les prisonniers de mar­
bouche d’égout. que, notons : le duc de Villeroy, petit-
Après le 10 août on vit arriver à la neveu du Maréchal ; le marquis de Cus-
Force les personnes ayant été en rapport tine, fils du Général ; Lévis de Mirepoix,
avec la famille royale. La plus célèbre fut de l’Assemblée Législative ; l’abbé d’Es-
la malheureuse princesse de Lamballe, pagnac, « immoral abbé et remarquable
amenée dans la nuit du 19 au 20 août, calculateur » dit un de ses co-détenus ;
dont on connaît l’affreux supplice. Bochard de Saron, astronome ; Volney ;
Pour pouvoir loger tous les suspects, on le frère de Rivarol ; le baron de Trenck,
fit sortir les dettiers et une vingtaine de célèbre par ses amours avec la sœur de
femmes. Frédéric II qui avait davantage vécu en
Les massacres de Septembre firent des prison qu’à l’air libre ; treize députés gi­
victimes là comme à l’Abbaye, les rensei­ rondins ; Bailly, maire de Paris, dont
gnements sont certains pour soixante- l’exécution s’accompagna d’odieuses in­
cinq, douteux pour cent six autres. sultes et cruautés ; etc.
Le calme revint après 1793 ; le comte En 1840, la démolition de la Force dont
Beugnot, venant de l’infirmerie de la les bâtiments étaient trop vétustes fut
Conciergerie qu’il dépeint comme l’hôpital décidée. Il n’en subsiste que deux pans de
le plus horrible qu’on puisse imaginer, tel murs au fond de la cour de l’immeuble,
qu’il lui fit regretter son cachot, dit-il, fut 11, rue de Sévigné ; ce fut Mazas qui la
transféré à la Force fin 1793 et mis dans remplaça.
la « chambre du Conseil, la meilleure, la
plus habitable et la mieux habitée ». En 1900, Mazas tombait à son tour sous
Un autre détenu nous a laissé, pourtant, la pioche des démolisseurs.
un tableau assez noir de son séjour à la
Force. Suzanne LE BEGUE

252
“ J’ÉTAIS EN PRISON
e t v o u s M’AVEZ VISITÉ ”
par le R. P. A.-M. AVRIL O.P.

LA MESSE RADIODIFFUSEE DE LA CENTRALE DE MELUN


Depuis quelques années, VAdministration Pénitentiaire permet la retrans­
mission de la Grand-Messe de Melun.
La pensée qui préside à cette émission est d ’unir par les ondes la prière de
ceux qui sont enfermés à celle de tous les Chrétiens. Montrer que malgré bar­
reaux et murs, la même union spirituelle existe réellement.
Un événement extraordinaire devait souligner l’importance de cette radio­
diffusion : le Message et la Bénédiction du Saint-Père à tous les prisonniers de
France à travers ceux de Melun.
Ce fut une surprise qui toucha beaucoup les assistants.
Le Saint-Père en fut remercié par l’envoi d ’un missel richement relié et
fabriqué par les détenus.
N.D.L.R.

Vous trouverez peut-être que c’est une Prisonniers de leur chambre


curieuse idée, et plutôt même un peu fâ­
cheuse, d’être venu dans une prison, en ce Les malades savent combien nous pen­
début d’année où il est d’usage de s’offrir sons à eux et combien nous prions pour
des vœux — et des vœux par définition eux et avec eux, chaque dimanche, au cours
sont optimistes — d’être venu dans une pri­ de cette messe radiodiffusée qui sans doute
son qui, par définition aussi, n’est pas un ne leur est pas exclusivement destinée,
lieu bien gai et qui pourrait même, si vous mais dont ils sont assurément les audi­
êtes superstitieux, vous paraître de mau­ teurs, et, plus que cela, les participants les
vais augure. plus fidèles. Beaucoup, je le sais et je
Mais je vous fais injure : vous n’êtes pas m’en réjouis, sont aidés par elle à se relier
superstitieux, vous êtes chrétiens et des sensiblement à la grande communauté de
chrétiens ne doivent pas, sous prétexte de l’Eglise dont leurs infirmités corporelles
préserver leur propre joie, se détourner tendraient à les isoler.
de ceux qui sont dans la peine. Au Prisonniers, ils le sont, eux aussi, de
contraire, c’est à ceux-là qu’il faut aller, si leur chambre et de leur lit où ils souf­
du moins on a la conviction que cette joie frent, paralysés parfois de tous leurs mem­
chrétienne est assez profonde, assez indé­ bres et souvent bien seuls. Chaque semaine,
pendante des vicissitudes de la vie terres­ le jour du Seigneur, c’est la voix du Christ
tre, pour être communiquée, pour être qui leur parvient par la voix de leurs frères
partagée avec ceux mêmes qui sont privés qui chantent et qui prient, et qui ne font
de quelques-uns des biens qui paraissent qu’un avec eux dans la foi, dans l’espé­
les plus précieux en ce monde, comme sont rance et dans l’amour. L’offrande qu’ils
la santé et la liberté. apportent sur la table du sacrifice a plus
C’est pour cela que le lendemain de Noël, de poids et de prix que beaucoup d’autres
le pape Jean XXIII, nous donnant à tous et, s’ils veulent bien en prendre conscience
l’exemple, est allé rendre visite aux ma­ ils peuvent dire, comme Saint Paul le fai­
lades et aux prisonniers de la ville de sait dans la générosité de son cœur d’Apô­
Rome. tre : « Je trouve ma joie dans les souf­
— 253 —
frances que j ’endure pour vous et je plit sa tâche nécessaire. « Mais toi », nous
complète en ma chair ce qui manque aux dit Saint Paul : « Pourquoi juger ton frère ?
épreuves du Christ pour son Corps, qui et toi, pourquoi mépriser ton frère? Tous,
est l’Eglise ». (Col. I, 24). en effet, nous comparaîtrons au Tribunal
de Dieu ; chacun de nous rendra compte à
Dieu pour soi-même. Finissons-en donc
Des oubliés avec ces jugements les uns sur les autres.
Jugez plutôt qu’il ne faut rien mettre de­
Aujourd’hui, c’est une autre catégorie de vant votre frère qui le fasse buter ou
« séparés » qui se font entendre dans la tomber ». (Rom. XIV 10-13).
vaste église que la Radio permet de ras­
sembler, et c’est autour d’eux que je vous La conviction que nous sommes tous
invite à concentrer votre attention et votre coupables au regard de Dieu doit nous aider
prière. à considérer sincèrement comme des frères
ceux qui ont été jugés coupables par la
Les prisonniers seraient plus facilement justice des hommes.
oubliés que les malades, parce que ces der­
niers sont partout sous nos yeux et que
nous avons tous avec plusieurs d’entre Libération
eux des relations personnelles. Par contre
nous ne voyons guère les hôtes des Mai­ Il y a une idée qui est au centre de la
sons de détention, et, sauf si nous avons Révélation chrétienne et qui revient cons­
avec l’un ou l’autre des liens d’amitié ou tamment dans la prière de l’Eglise : c’est
de parenté, notre pensée ne se porte pas que le Christ e^t venu pour nous libérer.
spontanément vers eux. Nous disons aussi : pour nous racheter,
pour nous sauver. Et la fête d’aujourd’hui
Pourtant le Christ les énumère parmi nous rappelle tout particulièrement cette
ceux avec qui il s’identifie, manifestant par mission, puisqu’elle glorifie le nom de
là non seulement qu’ils ont droit à un titre Jésus qui signifie : « Dieu sauve ».
spécial à notre amour fraternel mais qu’il
considère comme fait à lui-même ce que Mais ce salut, dont la notion risquerait
nous aurons fait pour eux, et que son Père de rester pour notre esprit un peu vague,
nous en tiendra compte au Jugement der­ se trouve précisé et illustré par l’image
nier. Vous connaissez ce célèbre passage vigoureuse d’une libération. Jésus dans la
où le Roi dit à ceux qu’il range à sa synagogue de Nazareth, s’appliqua un jour
droite : « J ’ai eu faim et vous m’avez à lui-même ces paroles prophétiques
donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez d’Isaïe : « L’esprit du Seigneur est sur moi,
donné à boire, j ’étais un étranger et vous parce qu’il m’a consacré par l’onction. Il
m’avez accueilli, nu et vous m ’avez vêtu, m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux
malade et vous m’avez visité, prisonnier pauvres, annoncer aux captifs la délivran­
et vous êtes venu me voir ». (Matt. XXV. ce et aux aveugles le retour à la vue, ren­
35-36). dre la liberté aux opprimés, proclamer une
année de grâce au Seigneur ». (Luc IV, 19).
Ainsi nous pouvons nous considérer tous
Ne jugez pas comme des prisonniers, libérés non par une
décision de justice, mais par la grâce de
Il importe de souligner à ce propos que Dieu dans le Christ Jésus. Prisonniers som­
dans toute la tradition chrétienne, quand mes-nous de Satan, qui est le Prince de
il est question de prisonniers, on ne se ce monde avant que le Christ l’en ait
pose jamais la question de savoir pourquoi dépossédé ; prisonniers sommes-nous de nos
ils ont été condamnés. Non que cette ques­ péchés, « enchaînés à la foi du péché qui
tion n’ait pas d’importance au regard de est dans nos membres ». (Rom. VU, 23) ;
la société temporelle, mais elle n’entre pas prisonniers en particulier de nos menson­
en ligne de compte au plan de la charité ges, dont la « vérité seule nous délivrera »
sur lequel, en tant que chrétiens, nous (Jean, VIII, 32).
avons à nous tenir.
Si bien que nous pouvons très bien nous
En ce domaine, me semble-t-il, s’appli­ unir tous dans une même prière à Jésus
que au premier chef le précepte du Sei­ le Sauveur, à Jésus le libérateur, pour
gneur : « Ne jugez pas pour n’être pas qu’il nous arrache à cette captivité. Il n’est
jugés » (Matt. VII. 1). certes pas défendu à ceux qui sont détenus
L’appareil de la justice humaine accom­ dans cette prison ou dans d’autres d’in­
254 —
dure dans cette prière le souhait de leur coup plus grand que moi. Je veux dire que
levée d’écrou et nous le souhaitons de tout vous allez entendre un message de Notre
notre cœur avec eux ; mais nous pouvons Saint Père le Pape Jean XXIII et recevoir
regarder plus haut et plus loin et deman­ sa bénédiction. Le Souverain Pontife a bien
der tous, les uns pour les autres, d’être voulu, en effet, à l’occasion de cette messe
libérés du péché, d’être grâciés de la radiodiffusée, s’adresser personnellement
condamnation à mort sous le coup de la­ aux prisonniers de Melun et, à travers eux,
quelle, à cause de lui, nous sommes tous, à tous les détenus des prisons de France
et d’être introduits par la Résurrection et à leurs familles. Je lui en exprime, au
dans la liberté définitive, la glorieuse li­ nom de tous, notre reconnaissance très
berté des enfants de Dieu. respectueuse et très émue.
J ’ai abrégé le plus possible ces consi­ A. M. AVRIL
dérations parce que j’ai maintenant la
grande joie de me retirer devant un beau­ CRadio-Cinéma)

MESSAGE DU PAPE A U X DETENUS DE LA MAISON CEN TRALE DE MELUN


ET A TOUS CEU X DES PRISONS DE FRANCE

D’un cœur très paternel Nous venons à secret d’une vie transformée par l’accep­
vous, chers fils qui êtes en prison. Ne pou­ tation généreuse de la souffrance expia-
vant vous visiter Nous-mêmes, comme Nous trice, et soyez sûrs que vos douleurs ca­
le faisions récemment pour les détenus de chées, offertes pour le plus grand bien de
Rome, Nous désirons au moins que ces votre patrie, retomberont aussi en béné­
quelques mots vous portent le témoignage dictions sur vos familles éprouvées, que le
de Notre sollicitude et vous soient, à tra­ Seigneur saura réconforter et consoler.
vers notre humble personne, un gage de
la miséricorde divine à votre égard. En ce début d’année, comme un Père
Dans les épreuves que nous attirent sou­ soucieux du bien de vos âmes, Nous vous
vent nos propres fautes, l’appel du Christ souhaitons la paix que donne une conscien­
retentit toujours comme une invitation à ce purifiée par la grâce divine. Nous
l’espérance : « Venez à moi vous tous qui prions pour vous, pour tous les vôtres, et
peinez et qui êtes accablés, et je vous sou­ vous accordons, en gage de réconfort spi­
lagerai ». Tournez-vous donc avec confiance rituel, notre paternelle bénédiction apos­
vers le seul Sauveur. Apprenez de lui le tolique.

— 255 —
Æeuaeitet JntematiatiaCeô
Du 12 au 19 octobre 1958 s’est déroulé à nouvelle incorporation à la vie civile dans
Santiago du Chili le Premier Congrès lati­ le sein de la Société, va inaugurer dans
no-américain d’Etudes et d’Action péniten­ quelques jours « La Maison du Libéré »
tiaires chrétiennes. avec l’annexe « Institut de promotion pé­
Présidées par Son Eminence le Cardinal nale et pénitentiaire ». C’est cette circons­
Rodriguez, archevêque de Santiago, qui tance qui a poussé les Aumôniers de prisons
était entouré de Son Excellence le Nonce a convoquer le premier Congrès sud-améri­
Apostolique et de nombreux Evêques ou cain, auquel participeront des délégués de
représentants de l’Episcopat sud-améri­ la nation Argentine et d’autres pays du
cain, ces journées d’études inaugurent dans continent.
le domaine pénal et post-pénal une colla­ Sa Sainteté, que vous avez tenu à infor­
boration qui sera certainement fructueuse mer de l’organisation de ces manifesta­
et qui s’insère dans le travail pastoral com­ tions, a vu avec plaisir les sentiments de
mun auquel s’applique depuis plusieurs filial attachement que vous lui avez témoi­
années le C.E.L.A.M. (1). gnés à cette occasion, et m’a chargé de vous
De nombreux et éminents juristes ont exprimer sa gratitude et de vous trans­
participé à ces travaux. mettre ses vœux.
Rappelons à cette occasion qu’en Europe La paternelle sollicitude du Vicaire du
le dernier Congrès Pénitentiaire Catho­ du Christ a fait l’objet particulier de ses
lique International s’est déroulé à Fri­ soins : « Ce triste monde de souffrance
bourg en 1954 (le premier eut lieu à Rome imposée, que la sévérité de la Justice a
en 1950). créé en définitive, non pour humilier mais
La liaison entre les Aumôniers Généraux pour racheter et où, dans l’ombHœ des cel­
est réalisée par une réunion annuelle et le lules muettes, se déroulent de douloureux
prochain Congrès national à Paris permet­ drames intérieurs » (S.S. Pie XII, aux Ju ­
tra aux Aumôniers Généraux qui se réu­ ristes Catholiques Italiens, 26 mai 1957).
nissent à cette occasion d’accueillir le R-f*. Pour cette raison, le lumineux magistère
de Azpiazu, Aumônier Général d’Argen­ de l’Auguste Pontife a mis en relief, entre
tine. autres thèmes, non seulement les proposi­
tions d’ordre idéologique dans lesquelles
Sa présence parmi nous assurera de très doit prendre racine tout système pénal,
utiles contacts et une liaison avec le conti­ mais aussi, l’idéal de Charité qui doit ani­
nent sud-américain. mer les activités de ceux qui assistent les
A l’occasion de ce Congrès, le R.P. Inaki détenus et les meilleurs moyens de le réa­
de Azpiazu, Aumônier Général d’Argentine, liser ; donnant la consigne aux organismes
avait reçu de Monseigneur Dell’Acqua, religieux et ecclésiastiques qui dirigent ces
substitut de la Secrétairerie d’Etat la lettre œuvres, non seulement de « laisser se dé­
suivante dont nous vous donnons la tra­ velopper les énergies qui émanent de la
duction intégrale : Foi chrétienne, mais aussi que soient uti­
lisés, en faveur des détenus, tous les résul­
Révérend Père, tats précédents, sûrs, de l’investigation et
Le Secrétariat d’Aide Chrétienne aux des expériences psychologiques, psychia­
Prisons, né, il y a peu d’années en cette triques, pédagogiques ». (S.S. Pie XII, Dis­
ville de Buenos-Aires, afin d’assister les cours aux juristes catholiques italiens,
reclus et de les réhabiliter en vue de leur 5 décembre 1954).
(1 ) C o n s e il E p is c o p a l la tin o -a m é r ic a in . A la transgression de la loi humaine ou
— 256 —
divine doit succéder la sanction, c’est-à- cher sa rédemption morale en même temps
dire, une peine dont le sens et la finalité sont que civique. Pour la part de tous : dans le
la réparation de la faute et la restauration secours matériel et moral possible, sinon
de l’ordre violé. Mais le délinquant qui directement au prisonnier parce que ce
expie sa faute, moyennant la peine imposée n’est pas faisable, du moins à ses familiers
ne doit pas être pour cela un désabusé de presque toujours plus malheureux que lui-
la vie sociale, ni la communauté son irré­ même et quelquefois plus nécessiteux
conciliable ennemie. La fonction péniten­ d’une main amie et bienfaitrice. La société,
tiaire est fonction de justice, mais d’une en réservant au détenu libéré après l’ac­
justice qui ne finit pas avec l’énoncé d’une complissement d’une peine, un accueil
sentence, avec l’attribution d’une peine, compréhensif — pour prudent qu’il soit —
mais qui veut suivre le condamné dans le qui lui permette, quand cela est possible,
difficile chemin de sa complète régénéra­ de s’insérer à nouveau dans l’engrenage
tion, avec un esprit vigilant de guide des occupations quotidiennes, complétera
conscient, d’humanité et de compréhension. l’œuvre de miséricorde déjà commencée.
Si on parvient à faire luire aux yeux du Celui qui s’apprête à accomplir l’œuvre
détenu la véritable finalité de l’expiation de relèvement des détenus doit tirer de sa
de sa faute, celui-ci « deviendra l’artisan propre conviction et de ses richesses inté­
conscient de sa propre résurrection morale rieures, ce qu’il veut communiquer au cou­
et s’adjugera l’honneur de ministre de la pable ; la richesse de la pensée chrétienne
Souveraine Justice, pour lequel il y a gloire ne tend pas seulement à appliquer au cri­
égale dans l’ordre inviolé ou rétabli par minel le précepte de l’amour, distinctif des
l’expiation » (S.S. Pie XII, radio-message à disciples du Christ, mais, à la lumière des
tous les prisonniers, 30 décembre 1951). paroles avec lesquelles II prononcera la
sentence finale des temps : « J’étais pri­
Cette aide, donc, que l’on doit au sonnier et vous m’avez visité » (Mat. 25,
condamné, tant du point de vue chrétien 36), l’individu et la communauté « doivent
que strictement civico-social, il faut la don­ s’approcher tellement du coupable qu’en
ner, laissant, sans s’en mêler, l’exercice des lui on voit, on honore et on aime le Sei­
organismes répressifs et exécuteurs de la gneur » (S.S. Pie XII, Discours aux juristes
loi, mais sans oublier que le détenu catholiques italiens, 5-11-1955).
« appartient à une famille, à une commu­
nauté sociale, professionnelle, civile ; à un Que le ciel donne une vie féconde aux
Etat, à un peuple, à une nation, et finale­ nouvelles institutions qui commencent leur
ment, à l’Eglise ». (S.S. Pie XII, discours existence ; qu’il accorde des fruits toujours
aux juristes italiens, 26 mai 1957). plus nombreux à celles qui existent déjà, et
à tous ceux qui leur apportent une colla­
Un sincère pardon, croire en ce qu’il boration désintéressée, qu’il donne le cent
peut y avoir de bon, toujours, en tout hom­ pour un. En gage de lumières et de grâces
me et une authentique charité, à l’exemple pour les travaux de ce Congrès, l’Auguste
du Christ, sont les forces que le Saint-Père Pontife se plait à répandre sur tous les
propose comme inspiratrices d’une aide participants une spéciale et paternelle
efficace aux reclus. Bénédiction Apostolique.
Pour la part de ceux qui sont directe­ Recevez l’assurance de ma considération
ment chargés de son sort et de son soin, elle distinguée, avec laquelle je suis, de votre
consistera dans l’abord charitable, dans le Seigneurie le fidèle serviteur.
zèle pour l’application des lois indultives
sans retard ni négligence, l’entrée dans Signée : A. DELL’ACQUA
l’intimité de chaque individu, pouir cher­ Substitut
Mauô amttô tu...
M quô auouô au pour vous...
CEREMONIE A LA PRISON EXTRAIT DE LA LETTRE DE M A D A M E X...#
DE LA PETITE ROQUETTE VISITEUSE DE PRISONS

Le dimanche 4 janvier, la chapelle de la « ...Depuis longtemps je désirais vous écrire


prison de la Petite Roquette, entièrement res­ pour vous citer le joli geste d'un détenu, qui
taurée par les soins de l'Administration Péni­ pourrait peut-être être signalé dans « Prisons et
tentiaire, a été bénie par l'Aumônier Général des Prisonniers »...
Prisons : Monseigneur Rodhain, assisté du Ré­ Le 1er mai, j'ai été opérée d'un décollement
vérend Père Rousset, son adjoint. de rétine avec de graves complications, qui ont
failli me faire perdre la vue. Grâce au dévoue­
Le Révérend Père Glaziou, Aumônier de la ment de plusieurs spécialistes amis, on a sauvé
Petite Roquette commentait pour l'assistance la l'œil. Bien que la vue soit réduite au minimum,
liturgie de la bénédiction. M. le Chanoine c'est un résultat inespéré. Le bruit ayant couru
Simon, Promoteur du diocèse, était présent, ac­ en ville et à la Centrale — où l'on sait tout —
compagné du Révérend Père Cocoal, Supérieur qu'on allait m'enlever l'œil, un de mes déte­
de Notre-Dame du Perpétuel Secours. nus espagnols, s'est précipité à l'Infirmerie pour
offrir un des siens, ne sachant pas qu'on n'ac­
Plusieurs personnalités civiles parmi lesquelles ceptait jamais cela d'un vivant. J'ai été gâtée
on remarquait M. le Contrôleur Général Per­ de toutes manières par mes « garçons », fleurs,
driau et Madame, M. le Directeur Régional friandises, dessins, lettres en termes émouvants.
Hourcq, M. le Directeur de la Petite Roquette Autant de choses dont je n'ai pu profiter sur le
et Madame, honoraient cette cérémonie de leur moment, ayant dû rester cinq semaines en cli­
présence. nique et deux mois dans l'obscurité complète.
La Révérende Mère Marie Bernard, Assistante Le 15 août, on m'a permis de monter en
Générale des Sœurs de Saint Joseph était entou­ auto à la Centrale pour la Messe... Tous mes
garçons étaient là, essayant de voir mes yeux à
rée des Supérieures de la Petite Roquette, de travers mes grosses lunettes noires, plusieurs ne
Fresnes et de Saint-Lazare. retenant pas leurs larmes, car ils me trouvaient
Après l'Evangile, Monse’gneur Rodhain bénit bien changée... Lorsque je suis partie, ils m'ont
et imposa la croix d'Aumônier au Révérend mis dans les bras une gerbe de fleurs.
Père Glaziou avant de commenter le texte de Depuis octobre, j'ai repris une vie quasi nor­
l'Evangile de la Dédicace. Il put ainsi faire male, et surtout mes permanences ; comme je
part aux détenus de la bénédiction toute spé­ dois encore me servir d'une canne c'est à qui
ciale que Sa Sainteté Jean X X III avait bien voulu m'aidera à monter ou descendre. Chaque di­
leur accorder lors de l'audience qu'il avait manche, ils ont demandé, soit au Pasteur, soit
à l'Aumônier, de prier pour ma guérison. Je
récemment obtenue du Saint Père. pense que ce sont ces vrais élans du cœur qui
La prison de la Petite Roquette, construite en ont touché le Seigneur, et qu'il a permis que
1928, abrite actuellement 300 détenues. je puisse continuer à les voir... »

258 —
CENTRES D’ACCUEIL Le "CAS” âe Frisons et Prisonniers
Rectifications en ce qui concerne les Centres
de l'Armée du Salut. CAS N° 12
1. La Cité du Refuge : 336 lits pour hommes, Complice quasi involontaire d'une escro­
241 lits pour femmes. querie commise par son patron, elle est
2. Le Refuge temporaire, rue Beaubourg, 39 condamnée à rembourser solidairement une
lits pour femmes. grosse somme qui dépasse de beaucoup ses
possibilités, sinon ce sera la contrainte par
3. La Maison du Jeune Homme : Ce centre qui corps. On s'est ému de divers côtés. Nous
est un foyer de jeunes gens ne reçoit pas voudrions dans notre modeste mesure
de libérés de prison. participer au sauvetage. L'intéressée, à
4. La Bonne Hôtellerie du Havre et La Bonne qui l'on ne peut guère reprocher autre
Hôtellerie de Rouen sont des institutions de chose qu'une confiance mal placée, le
l'Armée du Salut. mérite.

DISTINCTION
Avis important
Nous apprenons, avec plaisir, que l'ouvrage
de notre collaborateur A. Vexliard, Le Clochard, Nous rappelons que, quelle que soit la date
(Etude de Psychologie sociale, Ed. Desclée, de d'abonnement ou de réabonnement à « Prisons
Brouwer), a été couronné par l'Académie Fran­ et Prisonniers », tous nos abonnements partent
çaise, qui lui a décerné, au cours de sa séance du numéro du mois de janvier de l'année en
solennelle du 18 décembre dernier, le Prix cours, et donnent droit aux quatre numéros
Lange. annuels.
Le prix de l'abonnement est de 300 francs
pour la France et 400 francs pour l'Etranger.
Abonnement de soutien, 500 francs.

PRISONS et PRISONNIERS
REDACTION, A D M IN IS T R A T IO N :
En raison des modifications apportées par de
120, rue du Cherche-Midi, PARIS (6e) récents textes aux questions de Relégation, nous
Tél. : LITtré 41-71 avons cru devoir suspendre la publication des
C.C.P. : PRISONS et PRISONNIERS, PARIS 6076-52
pages consacrées par M. Robert Lehz, directeur
de l'Administration Pénitentiaire, au « Problème
Directeur-gérant : M gr Jean RODHAIN de la Relégation ». Cet exposé était, en effet,
Rédactrice en Chef : Céline LHOTTE antérieur aux nouvelles dispositions.

— 259 —
CONGRÈS
DE L’AUMONERIE DES PRISONS
ET DU SERVICE PRISONS DU SECOURS CATHOLIQUE
15 - 16 - 17 A v r il 1959
à la M a i s o n d e la C h im ie

« P E IN E ET R É É D U C A T IO N ”

M ardi 15 avril : Journée des Aum ôniers de Prisons

Prendront la parole au cours des journées des 16 et 17 avril :

M. Marc ANCEL, Conseiller à la Cour de Cassation ;


R. P. DEVOYOD, Aumônier à la Santé ;
M. FAURE, Chef du Bureau des Questions Pénales et de l'Interdiction de
Séjour au Ministère de l'Intérieur;
Dom LAHACHE O.S.B., Aumônier à la Prison de Poitiers ;
M. le Président MATHIEU, Président du Comité Post-Pénal de Rouen ;
M. Jacques PATIN, M agistrat attaché à l'Administration Pénitentiaire ;
M. le Chanoine ROBERT, Professeur aux Facultés de Strasbourg ;
M. le Docteur ROYER, chargé de cours à l'Institut de Criminologie de la
Faculté de Nancy ;
etc..., etc...

Cl B, 4, rue du Bouloi, Paris-ler

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