Crise de La Democratie Representative
Crise de La Democratie Representative
Crise de La Democratie Representative
Jérôme Montès
Études internationales, vol. 32, n° 4, 2001, p. 773-782.
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Mouvements anti-mondialisation :
la crise de la démocratie représentative
J é r ô m e MONTÉS*
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5. Robert O. KEOHANE, Joseph S. NYE, Transnational Relations and World Politics, Cambridge,
Harvard University Press, 1972. Susan STRANGE, The Retreat ojthe State. The Diffusion ojPower
in the World Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 4e éd. 1999, 218 p. James N.
ROSENAU, International Politics and Foreign Policy : A Reader in Research and Theory, New York,
Free Press, 1969. Bertrand BADIE, Alain. PELLET (dir.), Les relations internationales à l'épreuve
de la science politique. Mélanges Marcel Merle, Paris, Economica, 1993.
6. James N. ROSENAU, Turbulence in World Politics : A Theory oj Change and Continuity, Princeton,
Princeton University Press, 1990, p. 378. James N. ROSENAU, «Les processus de la mon-
dialisation: retombées significatives, échanges impalpables et symbolique subtile», Études
internationales, vol. xxiv, n° 3, septembre 1993, pp. 497-512.
7. Martin SHAW, Global Society and International Relations, Cambridge, Polity Press, 1994, p. 3.
8. Josepha LAROCHE, Politique internationale, Paris, LGDJ, 2e éd. 2000, 557 p.
9. Lors de la réunion de la Banque mondiale à Prague le 23 septembre 2000, par exemple, le
président Havel a organisé une entrevue entre les représentants des mouvements anti-
mondialisation et des institutions financières internationales.
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10. Joseph S. NYE, "Take Globalization Protests Seriously", International Herald Tribune,
25 novembre 2001.
11. Voir A. CHEMIN, «Antimondialisation : la méfiance de Lionel Jospin », Le Monde, 24 juillet 2001.
12. Jeremy RIFKIN, L'Âge de l'accès. La révolution de la nouvelle économie, Paris, La Découverte,
2000.
13. Susan GEORGE, "El discurso del Banco Mundial para reducir la pobreza es puro marketing",
El Pais, 25 juin 2001.
14. Voir <http://uk.indymedia.org> et <http ://www.nodo50.org>.
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les logiques libre-échangistes pilotaient désormais le destin des États. L'EZLN s'est
en effet insurgé le 1er janvier 1994, jour de l'entrée en vigueur de l'Accord de
libre-échange nord américain (ALENA). Marcos dénonce « un monde transformé
en grande entreprise et administré par un conseil d'administration constitué par
le FMI, la Banque mondiale, I'OCDE, POMC et le président des États-Unis. (...). La
« quatrième guerre mondiale » oppose les partisans de la globalisation à tous
ceux qui, d'une manière ou d'une autre, lui font obstacle (...) Les critères du
marché éliminent donc toute une partie de l'humanité qui se révélerait non
rentable. Et cela concerne tous les indigènes d'Amérique latine »23. Ralph Nader
est une autre figure de proue du mouvement anti-mondialisation. Son discours
sur le pouvoir des multinationales, l'écologie et les droits des travailleurs, lui a
permis d'obtenir le soutien inespéré d'une large partie de l'opinion publique
américaine dans la course à la Maison-Blanche en décembre 2000. D'autres
personnes, originaires de différents pays, prennent également une part active
dans l'affirmation du mouvement anti-mondialisation24.
Cependant, derrière le paravent de la démocratie participative, les
mouvements anti-mondialisation dissimulent un visage plus inquiétant. Le
discours sur l'utilisation d'Internet comme un instrument de démocratisation
masque une réalité beaucoup moins idéale. D'après le dernier rapport du
programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), en effet, 88 %
des internautes vivent dans des pays industrialisés qui, ensemble, représentent
à peine 17% de la population mondiale25. Si dans le monde 2,4% de
personnes ont accès à Internet, elles ne sont que 0,8 % en Amérique latine et
aux Caraïbes, 0,1 % en Afrique subsaharienne et 0,04 % en Asie du Sud. Et le
rapport de conclure : « les personnes qui sont « branchées » au sens premier
du terme disposent d'un avantage écrasant sur les pauvres qui n'ont pas accès
à ces moyens et qui, par conséquent, ne peuvent pas faire entendre leurs voix
dans le concert mondial (...). Les réseaux mondiaux relient ceux qui en ont les
moyens, et, silencieusement, presque imperceptiblement, excluent tous les
autres». Par ailleurs, comme tout progrès technique, Internet présente un
certain nombre d'effets pervers. Par ce moyen de communication, les
mouvements anti-mondialisation bénéficient d'un espace d'expression illimité
23. MARCOS, Desde las montahas del Sureste mexicano, Mexico, Plaza y Janés, 1999.
24. Hazle Henderson (experte du développement durable), Diane Matte (membre de la Marche
mondiale des femmes et experte de l'impact de la mondialisation sur la population), Oder
Grajev (coordinateur de l'association brésilienne des entreprises citoyennes CIVIS et président
de l'Institut des entreprises à responsabilité sociale ETHOS), Trevor Wanek (Sud-africain
membre du centre de développement et d'information pour l'annulation de la dette), Rafaël
Alegria (représentant au Honduras du mouvement international des paysans sans terres),
Sandra Cabrai (directrice de la CUT, première centrale syndicale au Brésil et 5e au monde, elle
représente 20 millions de travailleurs), Hebe de Bonafini (présidente de l'association argentine
Madrés de la Plaza de Mayo), Njoki Njehu (président de I'ONG américaine 50 years is enough
partisane de la réforme de la Banque mondiale et du FMI).
25. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Paris/Bruxelles, De Boeck Université,
2000.
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et difficilement contrôlable. Il peut donc devenir une arme redoutable dès lors
qu'il tombe entre les mains de quelques radicaux. Sous la pression de ceux-ci,
les mouvements anti-mondialisation semblent glisser d'une forme de démocratie
participative à une forme réactive.
établir les responsabilités des violents incidents qui ont émaillé la perquisition
des locaux mis à disposition des anti-mondialistes. Après l'intervention du
président Ciampi, une mission d'information parlementaire a également été
mise en place pour enquêter sur ces violences.
Même si elle reste minoritaire, la frange dure de la contestation semble
prendre de l'ampleur dans tous les pays. Aux États-Unis, le réseau informel
Direct Action Network (DAN) regroupe, depuis le sommet de Seattle, les groupes
les plus radicaux. Avant chaque sommet, leurs membres se réunissent dans des
camps d'entraînement situés en Californie (Ruckus Society) et à Philadelphie
(Trainingfor Change). En Europe, les écologistes radicaux anglais de Reclaim the
Streets constitue un des groupes les plus actifs. Fondé en 1995 par des dissidents
de Greenpeace, ce groupe d'extrême-gauche s'est notamment illustré en juin
1999 en paralysant, pendant plusieurs heures le quartier de la City. Présent à
Prague, en septembre 2000 et à Nice, en décembre 2000, ce groupe dispose de
comités très actifs à New York et Sidney. Fondé en 1994, le mouvement des
« invisibles » - appelé aussi Tute Bianchi - constitue la frange dure des anti-
mondialistes italiens. 11 réunit près de 10 000 militants très organisés, qui vivent
dans des centres sociaux autogérés. En Allemagne, les groupes radicaux sont
constitués par les autonomes des squats de Berlin, les antifascistes d'AFA et les
mouvements pro-immigrés de The Voice et de No one is illégal.
En Espagne, le Mouvement de résistance globale, créé à Barcelone après la
conférence de Genève, fédère des comités de soutien aux zapatistes de Ya Basta,
des militants anti-dette et des sans domiciles fixes. Ils sont à l'origine, notamment,
de l'annulation de la conférence de la Banque mondiale qui devait avoir lieu
dans la capitale catalane en juin 2001. Difficile de parler de l'Espagne sans
évoquer les jeunes radicaux basques cVHaika qui se sont retrouvés en première
ligne lors du sommet européen de Nice en décembre 2000. Né de la fusion, en
avril 2000, du mouvement espagnol Jarraï et de son homologue français Gazteriak,
Haïka compte environ 3 000 militants. L'organisation orchestre des campagnes
de harcèlements qui se manifestent par des déprédations, des incendies criminels,
des destructions de véhicules, voire des agressions physiques. Haïka serait
responsable en France de 34 actions violentes pour la seule année 2000, soit
36 % de plus qu'en 199927. De violents affrontements ont notamment opposé
ces jeunes indépendantistes aux forces de l'ordre lors du sommet européen de
Biarritz, en 2000. Le plus inquiétant c'est que ce mouvement de jeunesse
constitue un vivier pour les terroristes basques de FÊTA. Ainsi, le directeur
général de la police espagnole déclarait en 2001: «Haika est l'organisation
juvénile de FÊTA. D'abord ils lancent des pierres, ensuite des cocktails Molotov,
puis ils prennent un pistolet ou ils font sauter une voiture piégée (...). Des
terroristes très importants sont sortis de cette organisation. C'est un vivier, un
réseau de gens qui finalement se consacrent à tuer »28. Un rapport de la police
28. L'ancien porte-parole de Jarral, David Pla, est également soupçonné d'avoir préparé un
attentat contre le maire de Saragosse en 1999.
29. Voir A. BOUILHET, « La nébuleuse des casseurs anti-mondialistes », Le Figaro, 17 juillet 2001,
p. 2.
30. Isabelle SOMMIER, La violence politique et son deuil. L'après-68 en France et en Italie, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 1998, 252 p.
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Conclusion
L'irruption des mouvements anti-mondialisation sur les devants de la
scène internationale nous invite à repenser les relations internationales. De
par leur simple existence, ils contribuent à éroder le rôle central de l'acteur
étatique sur la scène internationale31. Les « nouvelles relations internationales »,
sans échapper totalement au contrôle des États, sont désormais, aussi, le fait
de groupes de pression transnationaux 32 . Pour la première fois depuis près de
deux siècles, le monde est dépourvu d'un véritable système de régulation
internationale33. Il est impensable, aujourd'hui, que quelques États, aussi
puissants soient-ils, se réunissent en conciliabule pour esquisser les linéaments
d'un « nouvel ordre mondial » selon les assises diplomatiques du passé. Il ne
s'agit pas de faire table rase du passé, mais de s'émanciper des cadres d'analyse
anciens et d'imaginer de nouveaux modèles explicatifs. La notion de
gouvernance s'est d'ailleurs imposée dans la théorie des relations internationales
en véhiculant l'idée que les États n'ont pas le monopole de la régulation
internationale et évoluent dans «un monde d'acteurs interdépendants» 34 .
Toute la difficulté vient du fait que l'on est subitement passé d'un système de
rapports de pouvoir centralisé et hiérarchisé à une nébuleuse de réseaux35.
Comme l'écrivait un politiste américain au lendemain de l'implosion du
système bipolaire : « les préoccupations centrales de la nouvelle science politique
devraient porter sur le développement de concepts, de théories, de politiques
et d'institutions qui transcendent le gouvernement et l'État national afin de
pouvoir traiter et étudier les crises et problèmes mondiaux »36.