Anesthésiques Halogénés
Anesthésiques Halogénés
Anesthésiques Halogénés
Anesthésiques halogénés
S. Ponsonnard, J. Cros, N. Nathan
La classe thérapeutique des agents halogénés utilisés en anesthésie comporte l’halothane et l’enflurane,
abandonnés au profit d’agents plus récents : l’isoflurane, le sévoflurane et le desflurane, moins solubles
dans les tissus et mieux tolérés par le système cardiovasculaire. Les différences pharmacodynamiques
entre ces trois agents sont modestes et leur toxicité peut être considérée comme quasi nulle, y compris
pour le sévoflurane malgré sa dégradation en composé A néphrotoxique par les bases fortes contenues
dans la chaux sodée. Des données récentes impliquent les halogénés dans des troubles des acquisitions
cognitives chez l’enfant. Le sévoflurane et le desflurane, agents les plus récents, sont caractérisés par
une cinétique plus rapide. Les avantages cliniques qui en découlent : rapidité de l’induction et du réveil et
maniabilité plus grande, doivent être pondérés par un coût quatre fois plus élevé que celui de l’isoflurane.
Ces deux agents doivent donc être prioritairement utilisés en circuit fermé avec un débit de gaz frais
aussi réduit que possible. La réduction de débit de gaz frais ne diminue en rien la maniabilité des agents
les moins solubles comme le desflurane. De nouveaux respirateurs apparus sur le marché permettent
l’administration des halogénés en objectif de concentration, ils permettent une économie en agents
halogénés et une diminution de la charge de travail. Le sévoflurane, de moindre âcreté, peut être utilisé
pour l’induction au masque chez l’adulte comme chez l’enfant. Les effets hémodynamiques, ainsi que la
survenue d’une activité épileptiforme parfois, lors de l’utilisation de cette technique méritent d’être mieux
évalués dans certains groupes de patients.
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EMC - Anesthésie-Réanimation 1
Volume 11 > n◦ 3 > juillet 2014
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36-285-A-10 Anesthésiques halogénés
c’est le cas pour les agents intraveineux. Leur élimination rapide Tableau 2.
par voie respiratoire et la faible solubilité des agents les plus Coefficient de partition et pourcentage de métabolisme des agents anes-
récents permettent une adaptation rapide du niveau d’anesthésie thésiques halogénés.
lors de l’entretien, ainsi qu’un réveil rapide et prévisible quelles Isoflurane Desflurane Sévoflurane N2 O
que soient la durée d’anesthésie et les caractéristiques du
patient. Coefficient de partition
Historiquement, la première utilisation des vapeurs anesthé- Sang–gaz 1,46 0,42 0,68 0,47
siques est rapportée avec l’éther en 1846 par Morton et en 1847 Sang–cerveau 1,57 1,29 1,70 1,1
en France. Celle du chloroforme est publiée la même année. Il Sang–muscle 2,92 2,02 3,13 1,2
faudra attendre pratiquement un siècle pour que soit commercia-
Sang–graisse 52 30 55 2,3
lisé le méthoxyflurane (1962), abandonné depuis longtemps du
fait de sa toxicité rénale et surtout de sa faible maniabilité liée Métabolisme 0,2 % 0,02 % 2 à 5% 0%
à une liposolubilité élevée. L’halothane, dont les premières utili-
sations remontent aux années 1950, et l’enflurane, commercialisé
en 1973, ne sont plus utilisés en France du fait de leur toxicité et de ne peut être administré que par l’intermédiaire de son vaporisa-
leurs effets cardiovasculaires délétères. L’isoflurane, commercialisé teur spécifique au risque d’exposer le patient à un sur- ou à un
en France depuis 1984, et surtout le desflurane depuis 1990 et le sous-dosage.
sévoflurane, depuis 1996, constituent actuellement les trois agents Par exemple, 1 ml de sévoflurane liquide se transforme en
halogénés les plus fréquemment administrés, même si l’isoflurane 183 ml de gaz, 1 ml de desflurane liquide en 204 ml de gaz et 1 ml
tend à disparaître des blocs opératoires français. d’isoflurane en 194 ml de gaz. Le coût de l’anesthésie peut être
calculé en fonction du débit de gaz frais, et de la concentration
en halogéné utilisée ; ce calcul est fait de manière automatisé sur
Propriétés physicochimiques certaines machines d’anesthésie modernes tels le Zeus® (Dräger),
le Félix® (Air Liquide Santé), ou l’Aisys® (General Electric).
La structure chimique des halogénés (Fig. 1) ainsi que leurs pro- Le desflurane est un cas particulier : sa pression de vapeur d’eau
priétés physicochimiques (Tableau 1) conditionnent leur mode saturante est proche de la pression atmosphérique et sa tempéra-
d’administration, leurs règles d’administration et leur cinétique ture d’ébullition est proche de la température ambiante ; stocké
d’action. sous sa forme liquidienne, son administration nécessite donc un
vaporisateur thermostaté et pressurisé.
Certains appareils d’anesthésie permettent une administration
Mode d’administration à objectif de concentration des halogénés indépendante du débit
de gaz frais, on parle ici d’anesthésie inhalatoire à objectif de
Les agents anesthésiques halogénés sont stockés sous leur forme concentration (AINOC) (cf. infra).
liquidienne, leur administration sous forme gazeuse nécessite
donc la présence d’un vaporisateur. Pour éviter les erreurs de rem-
plissage de cuve, les agents halogénés sont vendus dans des flacons Règles d’administration
munis d’un « détrompeur ». Chaque millilitre de liquide permet La structure physicochimique des halogénés (Fig. 1) condi-
d’obtenir une quantité variable de gaz en fonction du poids molé- tionne leurs règles d’administration. Les méthyl-éthyl-éthers
culaire et de la température d’ébullition de l’halogéné utilisé. (l’isoflurane et desflurane) sont âcres. Leur utilisation lors d’une
La température d’ébullition et la pression de vapeur d’eau satu- induction au masque fait courir le risque d’une irritation des voies
rante sont les propriétés physiques conditionnant la calibration respiratoires avec les conséquences que cela peut entraîner : toux,
des vaporisateurs conventionnels. Ainsi, chaque agent halogéné apnée, laryngospasme et bronchospasme. Au contraire, le sévoflu-
rane (isopropyl-éther) est utilisable pour l’induction au masque.
2 EMC - Anesthésie-Réanimation
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Anesthésiques halogénés 36-285-A-10
système (soit CT = V/ [DGF-Capt.]). La constante de temps per- quantité d’agent transférée et stockée dépend des facteurs pré-
met d’expliquer qu’une modification de concentration délivrée cédents et du volume du compartiment. À partir de la citerne
sur l’évaporateur n’aura une répercussion sur la concentration alvéolaire, les halogénés sont transférés principalement vers trois
alvéolaire du patient qu’après un certain délai (Fig. 2). Le coef- types de compartiments. Le premier concerne les organes de
ficient de partition décrit la solubilité relative d’un agent entre faibles volumes, richement vascularisés et perfusés avec un débit
deux structures adjacentes. Les coefficients de partition sang–gaz élevé ; il comporte le cœur, le rein, le cerveau et le foie, soit le
et sang–tissu expliquent presque à eux seuls la pharmacocinétique groupe d’organes cibles pour l’effet pharmacologique recherché
des halogénés. ou non. Le deuxième compartiment, celui du groupe muscles
En 1964, Mapleson [1] a comparé la pharmacocinétique des et peau, est assimilable à une citerne plus grande mais avec un
agents halogénés à un système de citernes se remplissant et se débit de perfusion plus faible. Ce compartiment, moins rapide-
vidant selon le principe des vases communicants (Fig. 3). Cette ment saturé constitue une zone de stockage rapide de l’halogéné.
modélisation pharmacocinétique est superposable à la modéli- Le dernier compartiment constitué du tissu graisseux est un très
sation compartimentale des agents intraveineux. Une fois que grand volume faiblement perfusé. Un quatrième compartiment de
l’agent halogéné a pénétré dans l’organisme par voie inhalatoire, distribution est classiquement décrit. Il s’agit du groupe très faible-
il diffuse dans tous les compartiments. La vitesse de diffusion de ment vascularisé qui inclut les tendons, ligaments, os et cartilage.
l’agent dans chaque compartiment (donc sa constante de trans- Bien que représentant 20 % de la masse corporelle, la minime per-
fert) dépend de sa solubilité dans le compartiment étudié (effet de fusion de ces structures explique leur absence de contribution à la
coefficient de partition), de la différence de pression partielle entre pharmacocinétique des agents halogénés.
le compartiment d’origine et le compartiment d’arrivée (intérêt de Le passage de l’agent halogéné de l’alvéole vers le compartiment
la concentration en gaz inhalé) et du débit sanguin d’organe. La sanguin est proportionnel à la différence de pression partielle de
l’agent étudié entre l’alvéole et le sang. Il dépend également de
la capacité de diffusion passive de l’agent à travers les barrières
cellulaires, c’est-à-dire de sa solubilité, et de la quantité de gaz
anesthésiant délivré au patient, c’est-à-dire de la concentration
Qgaz = 1 l min−1 et du débit de gaz frais utilisés (Tableau 3). Il dépend enfin du
V=4l Cl
CV débit sanguin artériel pulmonaire. L’agent anesthésique se dis-
tribue ensuite du sang aux trois compartiments d’organes. Ce
passage est cette fois-ci dépendant de la différence de pression
A
5
1 2 3 4
6
A
1 2 3 4 5
6
B
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FGF l min-1
Ainsi l’agent halogéné se distribue d’abord aux organes richement
vascularisés (le cerveau) puis au compartiment muscle–peau et
enfin au tissu graisseux, faiblement vascularisé.
Cette modélisation permet de comprendre qu’il y a, selon le
contexte ou l’agent utilisé, des variations de délais d’induction ou 0
de durée d’anesthésie. Par exemple, l’induction inhalatoire chez
l’enfant est plus rapide que chez l’adulte. En effet, la capacité rési- 8
duelle fonctionnelle pulmonaire de l’enfant est plus faible que
DEL % atm
celle de l’adulte, ainsi le rapport ventilation alvéolaire sur capa-
cité résiduelle fonctionnelle est plus élevé : le gaz contenu dans
le poumon est plus rapidement renouvelé et l’augmentation des
pressions partielles en gaz anesthésiant intra-alvéolaire est plus
rapide. Le passage sanguin est donc plus rapide. La diffusion céré-
0
brale est également plus rapide parce qu’une plus grande partie
du débit cardiaque est dirigée vers le cerveau chez l’enfant. Cette 8
CKT MUS
différence entre l’adulte et l’enfant existe pour tous les halogénés,
du plus au moins liposoluble. Ce qu’il faut retenir au travers de ALV FAT
% atm
cet exemple est que toute augmentation de ventilation alvéolaire VRG
accélère l’équilibre : l’hyperventilation permet d’augmenter plus
rapidement la concentration alvéolaire en halogéné et de raccour-
cir le temps d’induction. Inversement, l’hypoventilation diminue
la vitesse d’induction. 0
Le débit cardiaque a également un rôle dans la vitesse 0:00 0:15
d’induction : s’il est élevé, et c’est généralement le cas en cas Figure 4. Modélisation Gasman® de l’évolution des concentrations en
d’anxiété ou de douleur, la captation tissulaire en halogéné est halogénés au niveau du circuit (CKT), de l’alvéole (ALV), des organes
augmentée et la concentration alvéolaire augmente plus lente- richement vascularisés (VRG), des muscles (MUS) et des graisses (FAT).
ment, ainsi la vitesse d’induction est diminuée. Inversement, en Modélisation effectuée pour une ventilation alvéolaire de 4 l min−1 , un
cas de bas débit cardiaque, la captation tissulaire est faible et on débit cardiaque de 5 l min−1 , un débit de gaz frais (FGF) de 8 l min−1 et
assiste à une accélération brutale de l’augmentation de la concen- une concentration délivrée par le vaporisateur (DEL) de 8 % de sévoflu-
tration alvéolaire en halogéné. A contrario, lors du réveil, un débit rane.
cardiaque élevé permet d’accélérer l’élimination de l’halogéné uti-
lisé et ainsi d’accélérer la vitesse de réveil.
Le transfert d’halogéné du sang au cerveau se produit avec un
délai quantifié par une constante de transfert. Il se traduit clini- 1 N2O
FA/FI
quement par un phénomène d’hystérésis (retard de l’effet sur la Desflurane
cause) : il y a un délai d’action de l’anesthésiant d’environ une
minute et demie lors de l’induction inhalatoire ou lors des adap- 0,8 Sévoflurane
tations de posologies.
Malgré un volume important, le tissu graisseux ne capte Isoflurane
qu’une faible quantité d’halogéné car son débit sanguin local 0,6
ne représente qu’une faible proportion du débit cardiaque.
Ainsi, contrairement aux agents administrés par voie intravei-
0,4
neuse, les halogénés s’accumulent faiblement dans les graisses.
Cela est vrai y compris pour les agents les plus liposolubles
comme l’isoflurane. Pour illustration, les délais de réveil et la 0,2
consommation en agent halogéné ne sont pas augmentés chez
l’obèse du moins pour des durées d’administration habituelles en
clinique [2] . 0
Les conséquences pour l’évaluation de la profondeur 0 5 10 15 20 25 30
d’anesthésie sont les suivantes. La concentration alvéolaire Minutes
s’équilibre progressivement avec les concentrations sanguines
Figure 5. Cinétique des agents par inhalation administrés en circuit
et tissulaires. Les concentrations d’halogéné dans les divers
ouvert à 0,5 CAM : évolution de leur concentration alvéolaire (FA ) par
compartiments sont donc liées par une relation de proportion-
rapport à leur concentration inspirée (FI ). CAM : concentration alvéolaire
nalité. Ainsi la concentration intracérébrale, donc la profondeur
minimale.
d’anesthésie, peut être évaluée approximativement par la mesure
de la concentration alvéolaire de fin d’expiration de l’agent
utilisé. Ce concept n’est valable qu’en situation d’équilibre,
c’est-à-dire lors de l’entretien, en dehors des phases d’induction, Solubilité et cinétique comparées des agents
de réveil ou de variation importante de posologie. En effet, halogénés
pendant l’induction ou lors des ajustements thérapeutiques,
l’élévation des concentrations alvéolaires en gaz anesthésiant Plus un agent est soluble dans un tissu et plus il tend à se solubi-
est plus rapide que dans le cerveau et ne reflète nullement la liser dans les différents compartiments de l’organisme et donc plus
profondeur d’anesthésie (Fig. 4). L’existence d’un écart important la pression partielle de gaz au sein du tissu est basse. Selon la modé-
entre les concentrations de gaz inspirées et expirées témoigne lisation de Mapleson, cela se traduit par des citernes (volumes
de l’absence d’état d’équilibre liée à une captation persistante de de distribution) plus importantes pour les agents les plus liposo-
l’halogéné dans les différents compartiments de l’organisme. lubles. Ainsi, pour les agents les moins liposolubles, le sévoflurane
L’écart entre les pressions alvéolaire et artérielle augmente avec et le desflurane, l’augmentation de leur pression partielle alvéo-
l’âge, l’existence d’une pathologie respiratoire et l’obésité [3] . Cette laire est plus rapide et plus élevée que pour l’isoflurane, car ils
différence doit être prise en compte dans l’analyse clinique de la entrent moins rapidement en solution (Fig. 5).
concentration alvéolaire de fin d’expiration du gaz utilisé, affichée La vitesse d’induction est dépendante du coefficient de parti-
par le respirateur d’anesthésie. tion sang–gaz, mais aussi des coefficients de partition sang–muscle
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FA/FAO
0,001 FA/FAO
1
0,0001
0,1 Isoflurane
10–5 Sévoflurane
Isoflurane
Sévoflurane
Desflurane
Desflurane
0,01 10–6
0 10 20 30 40 50 60 0 2000 4000 6000 8000
A B
Minutes Minutes
Figure 6. Cinétique des agents par inhalation lors du réveil en fonction du temps : évolution de la fraction alvéolaire instantanée (FA ) d’un halogéné par
rapport à la fraction alvéolaire présente au moment de l’arrêt de son administration (FA0 ) (A, B).
et sang–cerveau. Le délai de transfert sang–cerveau est plus rapide un pseudoplateau plus rapidement et plus élevé que le desflu-
avec le desflurane dont le coefficient de partition sang–cerveau rane. En effet dans le travail princeps, le N2 O était utilisé à une
est le plus faible (Tableau 2). Ainsi, les effets cérébraux du des- concentration inspirée de 70 % et le desflurane, à 2 %.
flurane, évalués par électroencéphalogramme, sont plus précoces Inversement, lors du réveil, la décroissance des concentrations
que ceux de l’isoflurane et du sévoflurane qui ont un coefficient d’halogénés au niveau alvéolaire est quantifiée par la diminu-
de partition sang–cerveau plus élevé [4, 5] . tion du rapport entre FA et la fraction alvéolaire obtenue lors de
Le rôle des coefficients de partition sang–gaz dans la vitesse l’arrêt de l’administration de l’halogéné (FA0 ). Ce rapport décroît
d’induction de l’anesthésie a probablement été surévalué. Ainsi, plus vite avec les agents moins liposolubles (Fig. 6) [8] , et donc
malgré un coefficient de partition sang–gaz du sévoflurane 2,1 fois le retour à la conscience est plus rapide. Le concept de demi-vie
inférieur à celui de l’isoflurane, la vitesse d’induction, à concen- contextuelle d’élimination développé pour les agents intravei-
tration alvéolaire minimale (CAM) identique (3,6 CAM), n’est pas neux a été appliqué aux halogénés. Cependant, il est cliniquement
deux fois plus rapide avec le sévoflurane qu’avec l’isoflurane, mais plus pertinent de parler de temps de décroissance de 90 % des
seulement une fois et demie. L’impact de la liposolubilité est concentrations alvéolaires initiales (Fig. 7) [9] . Ainsi évalué, pour
encore plus modeste pour de faibles concentrations d’halogénés. des anesthésies de plus de deux heures, le temps de décroissance
La concentration inhalée est certainement un des facteurs clés de augmente avec la durée d’administration du sévoflurane, mais pas
la rapidité d’induction et de la rapidité d’obtention d’un équi- avec celle du desflurane [10] . Ces résultats obtenus sur des modèles
libre anesthésique lors de manœuvres d’adaptation de dose. Ainsi de simulation peuvent s’expliquer par un coefficient de solubilité
à 1,7 CAM, le délai de perte de conscience est en moyenne de sang–muscle du sévoflurane qui est proche de celui de l’isoflurane.
121 secondes pour le sévoflurane ; il n’est que de 145 secondes Ainsi, pour des anesthésies de plus de deux heures, le réveil est
pour l’isoflurane [6] . Ces données cliniques suggèrent un rôle plus lent avec du sévoflurane qu’avec du desflurane. Dans tous les
important de l’effet concentration dans la cinétique des gaz. Ainsi cas, les demi-vies contextuelles de tous les hypnotiques halogénés
plus la concentration est élevée plus la vitesse d’induction est sont largement inférieures à celles des hypnotiques intraveineux
rapide. actuellement connus.
Si on rapporte la fraction alvéolaire (FA ) d’un gaz anesthésiant à La rapidité de retour à la conscience dépend de l’obtention
sa fraction inspirée (FI ) au même moment, on observe une courbe d’une CAM d’éveil qui nécessite l’élimination de 90 % ou 70 %
différente pour chaque gaz (Fig. 5) [7] . La pente de cette courbe de l’agent halogéné selon qu’un morphinique y ait été asso-
est plus prononcée avec les gaz moins liposolubles et la valeur cié ou non. Le délai d’obtention de cette CAM d’éveil dépend
du pseudoplateau, témoin de la captation des gaz dans les diffé- aussi de la concentration alvéolaire existant en fin d’anesthésie.
rents compartiments, est proche de l’unité. À l’inverse, un écart Pour des anesthésies de une à deux heures, ce délai est peu
élevé entre les concentrations alvéolaires et inspirées est observé différent entre les agents halogénés quelle que soit leur lipo-
de façon prolongée pour les agents les plus liposolubles ; ce qui solubilité, sous réserve que les concentrations alvéolaires de
se traduit par un rapport FA /FI plus éloigné de 1 lors de la phase fin d’anesthésie soient modérées (0,8 CAM), car l’agent halo-
de pseudoplateau. Un rapport FA /FI bas est le témoin d’une capta- géné n’a pas été stocké dans le compartiment muscle–peau
tion continue de l’agent étudié dans les différents compartiments (Fig. 8) [10] . En revanche, pour des concentrations élevées pen-
de l’organisme, notamment le compartiment muscle–peau. Le dant l’entretien de l’anesthésie, l’avantage des agents moins
compartiment muscle–peau constitue en effet le lieu de stockage solubles dans le compartiment musculaire devient manifeste car
principal des halogénés parce que leur solubilité y est meilleure l’accumulation est alors plus faible. Ainsi, avec le desflurane, le
que dans le sang (Tableau 2) et que le débit sanguin d’organe y délai de réveil ne dépend ni des concentrations utilisées ni de sa
est relativement élevé. Autrement dit, plus le coefficient de parti- durée d’administration. À l’inverse, après administration de sévo-
tion sang–muscle est élevé, plus la captation et le stockage y sont flurane au-delà de 120 minutes, les délais deviennent dépendants
importants et plus l’augmentation de concentration alvéolaire de la durée d’anesthésie et se rapprochent de ceux obtenus après
est lente (Tableau 2). Cliniquement, l’importance de la captation administration d’isoflurane [11] .
tissulaire, et donc du stockage des agents halogénés, est quanti-
fiée par l’écart entre les concentrations inspirées et celles de fin
d’expiration. Cette accumulation d’agent anesthésique se traduit Conséquences des différences cinétiques
aussi cliniquement par une augmentation de la consommation entre agents halogénés lors de l’utilisation
en gaz anesthésiques et par une reprise de conscience compara-
tivement retardée. Ces courbes FA /FI sont aussi influencées par
d’un circuit à bas débit de gaz frais
les concentrations utilisées (effet concentration). Ainsi, malgré La cinétique des gaz décrite (cf. supra) n’est applicable qu’en
un coefficient de partition sang–gaz plus élevé, le N2 O atteint circuit ouvert où la concentration des gaz inspirés est égale à celle
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90 Sévoflurane
A. Temps de demi-décroissance (minutes).
80 Isoflurane
B. Temps de décroissance de 80 % (minutes).
70 C. Temps de décroissance de 90 % (minutes).
60
50
40
30
20
10
0
0 50 100 150 200 250 300 350 400
Durée de l’anesthésie (min)
C
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Cl– Cl–
2
5
4 3 7 8
1
K+
additif des différents hypnotiques entre eux [26] ; cet effet est inhibitrice sur la corne antérieure de la moelle épinière [34] . L’effet
expliqué par une occupation concomitante du site de fixation hypotonique global des halogénés résulte donc de l’effet conjoint
allostérique aux hypnotiques ce qui contribue à stabiliser la struc- sur les structures médullaires et supramédullaires. L’amnésie anté-
ture dans un état où la probabilité d’ouverture du canal central est rograde est due à l’action des agents anesthésiques halogénés
encore plus importante. Ainsi, les agents halogénés augmentent sur l’amygdale, l’hippocampe et d’autres structures qui leur sont
la sensibilité des récepteurs du GABA à leurs agonistes et pro- proches [35, 36] .
longent la désensibilisation de ces récepteurs [27] . Ce qui se traduit D’autres récepteurs sont aussi impliqués. Ainsi, les agents halo-
cliniquement par une potentialisation des halogénés par les ben- génés anesthésiques désensibilisent le récepteur nicotinique à
zodiazépines. l’acétylcholine (également un récepteur ionotropique pentamé-
Le GABA est l’un des principaux neurotransmetteurs du système rique) à l’inverse des halogénés dépourvus d’effet anesthésiant [37] .
nerveux central. Il a une action principalement inhibitrice sur le Une désensibilisation similaire est observée sur les récepteurs mus-
neurone postsynaptique. En effet, le passage du récepteur GABAA cariniques. Les neurones gliaux pourraient aussi participer à l’effet
à la conformation « ouverte » a pour conséquence l’ouverture hypnotique des halogénés comme le suggère l’augmentation de
du pore ionique central, ce qui provoque l’entrée d’ions chlore captation du glutamate par les astrocytes en présence d’agents
chargés négativement. Cet afflux de charges négatives provoque halogénés [38] . Ces modifications de fonctionnement des neurones
une hyperpolarisation de la membrane du neurone postsynap- corticaux et gliaux sont liées à une action sur les canaux potas-
tique la rendant plus réfractaire à conduire un potentiel d’action. siques 2P (canal TREK-1). La modification conformationnelle de
Il en résulte que les agents halogénés inhibent la transmission ces canaux dans une forme « ouverte » induit une hyperpolari-
de l’influx au niveau synaptique [28, 29] . La présence de synapses sation membranaire, ce qui se traduit par une diminution des
GABAergiques axonales et le recrutement de récepteurs GABAA réponses excitatrices et par une altération de synchronisation des
extrasynaptiques pourraient expliquer qu’à plus forte dose une réseaux neuronaux [24, 39–41] .
inhibition de la conduction axonale soit observée. L’inhibition de
la transmission synaptique se traduit par une diminution de libé-
ration de catécholamines ou de glutamate [30] , neurotransmetteurs Pharmacodynamie clinique
excitateurs du système nerveux. Une augmentation de libération
de glutamate dans certaines populations neuronales peut être Effets hypnotiques et électroencéphalographiques
observée, ce qui pourrait expliquer l’effet excitant ou convulsivant L’effet hypnotique des halogénés est dose-dépendant et est
de certains halogénés comme l’enflurane. quantifié par la concentration alvéolaire minimale : CAM. La
Le polymorphisme du récepteur GABAA ne permet pas, à lui CAM se définit comme la concentration alvéolaire pour laquelle
seul, d’expliquer les multiples effets des agents halogénés. Les 50 % des patients ne bougent pas lors de l’incision chirurgicale
techniques d’imagerie médicale modernes ont permis de mettre (Tableau 4). Plus adaptée aux objectifs cliniques, la CAM95 repré-
en évidence que les agents halogénés modifiaient l’activité méta- sente la concentration alvéolaire pour laquelle 95 % des patients
bolique de zones cérébrales spécifiques comme le thalamus, la ne bougent pas à l’incision chirurgicale. La CAM95 atteint 1,2
formation réticulée [31] . Une étude réalisée chez des parkinsoniens à 1,3 CAM. D’autres concentrations alvéolaires ont été décrites,
bénéficiant d’un implant de stimulation cérébrale profonde a spécifiques de chaque objectif clinique, comme la CAM de réveil
identifié la boucle corticothalamique comme la cible cérébrale (égale à 0,3 CAM) ou celle bloquant la réponse hémodynamique
des agents halogénés, ainsi que celle du propofol. Cette boucle à l’intubation (CAM-BAR, égale à 1,5 CAM). La CAM est réduite
est impliquée dans le sommeil physiologique [32] . Ainsi, la perte avec l’âge et varie selon l’âge (Tableau 4). Elle est diminuée en
de conscience serait due à un effet cortical et l’absence de réponse cas d’hypothermie et chez la femme enceinte [42] . La CAM est
à la stimulation nociceptive, à un effet thalamique. Outre cette réduite par l’adjonction de morphiniques et de N2 O. L’effet du
activité corticale, les halogénés modifient également l’activité N2 O sur la CAM est additif, ce qui impose de recalculer la CAM en
neuronale de la moelle épinière en bloquant la transmission présence de N2 O pour éviter les surdosages. Au-delà d’une concen-
synaptique des voies somesthésiques et motrices. En effet, la CAM tration alvéolaire de 50 %, un effet antagoniste a cependant été
des halogénés est augmentée chez l’animal lorsque sa circula- prouvé, ce qui justifie de ne pas administrer de telles concentra-
tion médullaire a été isolée et qu’elle n’est plus soumise aux tions de N2 O [43] . L’adjonction de morphinique a, au contraire, un
agents anesthésiants [33] . Plus récemment, il a été montré que effet synergique dose-dépendant avec effet plafond. Cette syner-
l’immobilité obtenue entre 0,8 et 1,2 CAM est due à une action gie permet de réduire la concentration en halogéné, son coût et
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36-285-A-10 Anesthésiques halogénés
Tableau 4.
Concentration alvéolaire minimale des halogénés.
Adulte + 60 % N2 O Nouveau-né 3 mois – 1 an Enfant Sujet âgé
Isoflurane 1,15 % 0,5 % 1,6 % 1,87 % 1,6 % 1,05 %
Sévoflurane 2,05 % 1% 3% 3% 2,6 % 1,45 %
Desflurane 6 % (7,25 % a ) 2,83 % (4 % a ) 9,16 % 10 % 8% 5,17 %
a
De 18 à 30 ans.
son accumulation lors d’une anesthésie balancée. Cependant, les concentration. Aux concentrations utilisées lors de l’entretien
morphiniques n’étant pas des hypnotiques, il ne faut pas dimi- d’une anesthésie, aucune activité cérébrale de ce type n’a été
nuer la concentration de fin d’expiration en dessous d’un certain observée chez des patients de neurochirurgie céphalique [55] . Lors
seuil du fait des risques de mémorisation. Ce seuil n’a été évalué de leur utilisation pour l’entretien d’une anesthésie, l’isoflurane,
que pour l’isoflurane, il est approximativement de 0,6 CAM [44] . le desflurane et le sévoflurane ne sont pas considérés comme pro-
Les effets sur l’activité électrique cérébrale dépendent de la convulsivants.
concentration de l’agent halogéné. Ainsi, pour des doses crois- Les agents halogénés et le N2 O allongent la latence des poten-
santes d’anesthésique volatil, le rythme ␣ est progressivement tiels auditifs de moyenne latence de façon proportionnelle à leur
remplacé par des ondes rapides , puis des ondes lentes ␦ suivies de concentration. Ils allongent la latence et diminuent l’amplitude
phases de silence électrique apparaissant pour une concentration des potentiels évoqués moteurs et somesthésiques de moyenne
de 3 % d’isoflurane. L’aspect du tracé à l’état d’éveil peut être ana- latence, ce qui limite leur utilisation lorsqu’un monitorage médul-
lysé comme une somme d’ondes électriques non coordonnées qui laire est nécessaire lors d’une chirurgie rachidienne ou médullaire.
deviennent de plus en plus coordonnées (ou moins « chaotiques ») Cet effet médullaire témoigne de l’effet combiné, cortical et spi-
au fur et à mesure que l’anesthésie s’approfondit. En termes nal, des halogénés (cf. supra). Il permet aussi d’expliquer pourquoi
mathématiques, les ondes cérébrales deviennent des multiples les une meilleure immobilité est observée lors d’un entretien avec des
unes des autres (cohérence du signal) jusqu’à l’obtention d’un halogénés plutôt qu’avec des agents intraveineux.
tracé plat. Ces données électrophysiologiques peuvent être mises à
profit pour mesurer la profondeur d’anesthésie, notamment avec Effets analgésiques
l’index bispectral (BIS) ou avec l’entropie [45] . Mais cette mesure
Les halogénés ne sont pas considérés comme ayant un effet
peut être faussée : l’enflurane est épileptogène à partir de 2,5 % et
analgésique. Cependant, il existe une potentialisation entre halo-
il a été décrit des activités pointes-ondes non dissociables de celles
génés et morphiniques pour obtenir l’immobilité chirurgicale
observées lors d’une crise comitiale au-delà de 2 CAM de sévoflu-
(notion de CAM). Les agents halogénés pourraient contrôler
rane lors d’une induction avec des conditions d’hypocapnie ou
l’intégration du phénomène douloureux : le sévoflurane réduit en
d’hyperventilation [46, 47] . Cette activité peut se traduire par des
effet le débit sanguin cérébral dans le thalamus. Paradoxalement,
augmentations artificielles des valeurs de BIS. De plus, le N2 O ne
les halogénés ont, au contraire, des effets anti-analgésiques à une
modifie pas le BIS, ce qui rend l’évaluation de l’approfondissement
concentration de 0,1 CAM [56] .
de l’anesthésie avec le BIS discutable lorsque les effets du N2 O
s’ajoutent à ceux des halogénés [48] . Enfin, une augmentation des
concentrations d’isoflurane peut se traduire par une augmenta- Débit sanguin cérébral, pression intracrânienne
tion paradoxale des valeurs du BIS [49] . La probabilité de prédiction et consommation d’oxygène cérébrale
du niveau de sédation ou de la réaction à l’incision chirurgi- Les agents halogénés augmentent globalement le débit san-
cale grâce au BIS est moins pertinente lors de l’administration guin cérébral du fait de leur effet vasodilatateur. Chez l’adulte,
de sévoflurane par comparaison au propofol [50, 51] . Ces éléments la régulation du débit sanguin cérébral en réponse aux variations
expliquent que le monitorage par le BIS d’une anesthésie avec de pression artérielle en gaz carbonique (PaCO2 ) est maintenue
des halogénés soit d’indication limitée dès lors que les concentra- avec l’isoflurane, le sévoflurane et le desflurane jusqu’à 2 CAM [57] .
tions de fin d’expiration sont mesurées. L’utilisation du BIS lors Ainsi, en présence d’une hyperventilation modérée et d’une
de l’induction au sévoflurane a été proposée car, pendant cette pression artérielle moyenne stable, le débit sanguin cérébral est
phase, les concentrations expirées ne reflètent pas la concentra- maintenu lors de l’utilisation de ces halogénés à 1 CAM [58] . Le
tion cérébrale. Malheureusement, la mesure du BIS ne permet maintien de l’autorégulation en réponse à une hypercapnie est au
pas de prédire la survenue de mouvements lors de l’incision ou contraire limité, notamment chez l’enfant, dès 1,5 CAM [59] . Ainsi,
de l’intubation. Malgré tout, l’utilisation du BIS permettrait de le seuil d’hypercapnie pour lequel l’autorégulation cérébrale est
réduire la consommation en agents halogénés et, par voie de abolie est situé autour de 56 mmHg [60] . L’induction au masque
conséquence, l’incidence de nausées et vomissements postopéra- avec du sévoflurane induit une altération de l’autorégulation
toires et le délai de réveil [52] ; de plus certaines équipes travaillent cérébrale en lien avec les fortes concentrations utilisées et une
sur la possibilité de réaliser une anesthésie aux halogénés (isoflu- hypercapnie secondaire à l’hypoventilation alvéolaire, elle est de
rane) en boucle fermée asservie au signal de BIS [53] . L’intérêt de ce fait contre-indiquée chez le patient souffrant d’une hyperten-
ce type de technique est de s’affranchir de la variabilité pharma- sion intracrânienne (HTIC).
codynamique et pharmacocinétique individuelle en permettant L’adjonction de N2 O aux halogénés, lors d’une anesthésie, aug-
une adaptation bayésienne de l’administration des médicaments mente le débit sanguin cérébral chez les sujets sains comme chez
(le théorème de Bayes permet le calcul de probabilités condition- les sujets opérés d’une tumeur intracrânienne. Les conséquences
nelles ; appliqué à la pharmacologie, il permet la prise en compte de cette augmentation de débit sanguin cérébral sont variables
des paramètres de population et d’information individuelle). En et dépendantes de la réserve de compliance du tissu cérébral
l’absence d’adjuvant, la CAM nécessaire pour obtenir un BIS à 50 à l’intérieur de la boîte crânienne. En l’absence d’HTIC et de
est de 0,97 % chez l’adulte ; elle est bien plus élevée chez l’enfant : pathologie intracérébrale, les possibilités d’expansion cérébrale
2,83 % [54] . La profondeur d’anesthésie peut être également éva- rendent l’utilisation concomitante de N2 O et d’halogénés sans
luée par l’analyse des potentiels évoqués auditifs de moyenne conséquence sur la pression intracrânienne (PIC). Ce n’est pas
latence qui sont inhibés de manière dose-dépendante par les halo- le cas lorsqu’il y a une élévation préalable de la PIC : une aug-
génés. L’analyse globale du tracé permet d’obtenir un index dont mentation de la PIC au-delà de 24 mmHg a été rapportée chez des
les performances sont elles aussi inférieures à celles de la concen- patients opérés d’une tumeur cérébrale et recevant une association
tration de fin d’expiration pour évaluer le niveau de sédation ou isoflurane – N2 O [61] . Ainsi, en l’absence de monitorage de la PIC,
la réaction motrice à l’incision chirurgicale [51] . notamment en urgence, la présence d’une HTIC contre-indique
L’apparition d’une activité de type pointe-onde lors de formellement l’utilisation des halogénés avec du N2 O. Inver-
l’administration de sévoflurane ou d’enflurane est observée à forte sement, en l’absence d’effet de masse à la tomodensitométrie,
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Anesthésiques halogénés 36-285-A-10
l’administration de desflurane ou d’isoflurane ne s’accompagne respiratoire. Ces altérations peuvent être particulièrement mal
pas d’élévation de la PIC chez des patients opérés de tumeurs tolérées chez les patients ayant un travail respiratoire de base
cérébrales supratentorielles [62] . élevé, comme les bronchopathes chroniques, les porteurs d’une
La répartition du débit sanguin cérébral dans les différentes sténose trachéale et les nourrissons.
zones cérébrales est modifiée par les halogénés. Des études réa- Les agents anesthésiques halogénés sont bronchodilatateurs.
lisées en tomographie à émission de positrons objectivent une Cet effet est modulé par d’autres facteurs comme les effets rhéolo-
redistribution sous-corticale du flux sanguin et une réduction du giques directs du mélange gazeux sur les résistances bronchiques,
débit dans le thalamus, les amygdales cérébelleuses et le lobe parié- le terrain (altération de la structure pulmonaire) ainsi que le
tal à 1 CAM de sévoflurane, puis frontal à 2 CAM. mécanisme déclenchant le bronchospasme du fait d’une action
Tous les agents halogénés diminuent la consommation céré- différente de ces agents sur les canaux membranaires.
brale d’oxygène et de glucose ; parallèlement, l’activité électrique Plusieurs facteurs contribuent à la limitation des effets broncho-
est diminuée. À ce titre, les halogénés sont considérés comme dilatateurs des halogénés : l’augmentation de densité des gaz pour
neuroprotecteurs cérébraux [63, 64] , même si en pratique clinique, une forte concentration d’agent halogéné (surtout de desflurane) ;
cet effet n’a pas été rapporté. En revanche, la neuroprotection la diminution de capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) induite
cérébrale a été démontrée expérimentalement par une récupéra- par l’anesthésie (qui provoque une augmentation de résistance
tion plus rapide des stocks d’adénosine triphosphate (ATP) et des voies respiratoires) ; et, enfin, l’hypocapnie et l’hypothermie
une réduction de taille des lésions induites par l’ischémie. La (facteurs favorisant du bronchospasme).
consommation métabolique étant diminuée et le débit sanguin Les effets bronchodilatateurs des agents halogénés sont diffé-
cérébral étant augmenté, on observe une perfusion cérébrale rents entre les bronchioles de quatrième et cinquième ordres et
dite de luxe puisque devenant largement supérieure aux besoins les voies respiratoires de plus gros calibre (trachée et bronches).
métaboliques [64] . De plus, en situation d’ischémie, les halogé- Ainsi l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane ont un effet pré-
nés préviennent les conséquences du déficit énergétique [65] et dominant sur les bronches de petit calibre. L’effet des agents
favorisent la survie cellulaire [66–68] . Les halogénés augmentent halogénés dépend de la présence de l’endothélium bronchique.
en effet l’expression de protéines anti-apoptotiques et de fac- En cas d’altération de cet épithélium, la bronchodilatation est
teurs de transcription en stimulant les voies de signalisation moins marquée. L’action différentielle des halogénés dépend
calcium-dépendantes et en modulant l’activité des MAP-kinases aussi de leurs effets sur les canaux calciques voltage-dépendants
(mitogen-activated protein kinase) ERK1 et ERK2. de type L et T (prédominance des canaux de type T au niveau
distal), sur les canaux au chlore calcium-dépendants et sur les
canaux potassiques dépendant de l’ATP. Les effets des halogénés
Effets respiratoires
sur les résistances bronchiques dépendent alors du mécanisme
Les agents halogénés dépriment la réponse ventilatoire à d’augmentation de ces résistances : modification de réactivité des
l’hypoxie et à l’hypercapnie de façon dose-dépendante. La grosses bronches (cas des fumeurs) ou des bronchioles (asthme
réponse à l’hypoxie est altérée dès 0,1 CAM d’halogéné et immunoallergique), voire mécanisme d’origine réflexe (réaction
disparaît au-delà de 1,1 CAM. Cet effet justifie le maintien à l’intubation).
d’une oxygénothérapie dans les 30 minutes suivant une anes- Le desflurane a, selon certains auteurs, un effet bronchodila-
thésie aux halogénés. L’altération de la réponse ventilatoire à tateur moins marqué que les autres agents halogénés, du fait de
l’hypercapnie est plus marquée pour le desflurane, intermédiaire son caractère irritant sur les voies respiratoires et de sa concentra-
pour l’isoflurane et moindre pour le sévoflurane. La PaCO2 en tion utilisée en clinique modifiant la densité du mélange gazeux.
ventilation spontanée est témoin de ces effets ; elle atteint, en Ce caractère irritant du desflurane, plus marqué chez les patients
l’absence de morphiniques et de stimulation chirurgicale, en fumeurs, est dose-dépendant et ne se traduit pas par une moindre
moyenne 50 à 55 mmHg pour 1 CAM d’isoflurane et de des- tolérance, par exemple, d’un masque laryngé [71] . Il n’existe pas
flurane et 45 mmHg pour 1 CAM de sévoflurane [69] . Ces effets cependant d’argument clinique formel pour privilégier un agent
diminuent avec la durée d’exposition et la stimulation chirurgi- halogéné spécifique chez l’asthmatique.
cale. Cette altération de réponse à l’hypercapnie est plus marquée Sur des préparations in vitro de poumon isolé, les agents
chez les patients souffrant d’insuffisance respiratoire chez lesquels anesthésiques halogénés dépriment de façon dose-dépendante
l’anesthésie en ventilation spontanée ne peut pas être réalisée la vasoconstriction pulmonaire hypoxique. Cet effet n’a cepen-
dans la majorité des cas, d’autant que le seuil d’apnée est lui aussi dant pas été retrouvé par tous sur des modèles animaux ou chez
augmenté. l’homme lors de chirurgies avec exclusion pulmonaire. Par consé-
Les halogénés modifient la mise en jeu des différents muscles quent, l’utilisation d’agent halogéné pour l’entretien lors d’une
respiratoires en agissant sur les centres respiratoires. La diminu- chirurgie pulmonaire est possible.
tion de force contractile du diaphragme est moins importante que
celle des muscles intercostaux et abdominaux, ce qui se traduit
par une respiration paradoxale. Par ailleurs, les agents halogénés
Effets cardiocirculatoires
diminuent le tonus des muscles pharyngolaryngés, ce qui induit Effets généraux
un collapsus pharyngé pour de faibles concentrations. L’obstacle Les agents halogénés diminuent la pression artérielle de
ainsi créé à la ventilation spontanée entraîne une augmentation manière dose-dépendante. Cet effet résulte d’une vasodilatation
de travail respiratoire que le diaphragme ne peut vaincre car périphérique plus marquée pour l’isoflurane et le sévoflurane
sa force contractile est diminuée. Le volume courant est donc que pour le desflurane. Cet effet vasodilatateur peut avoir
d’autant diminué, la PaCO2 s’élève et en réponse la fréquence deux conséquences, notamment en présence de concentrations
respiratoire augmente. La mise en place d’une aide inspiratoire élevées d’halogénés : d’une part, la réduction de la postcharge du
à 5–7 cm H2 O à l’induction permet alors de rétablir des volumes ventricule gauche permet de maintenir le débit cardiaque malgré
courants adaptés et une normalisation de la PaCO2 . La respira- l’effet inotrope négatif des halogénés et, d’autre part, une tachy-
tion paradoxale est dose-dépendante et moins marquée avec le cardie survient au-delà de 1,5 CAM de sévoflurane et d’isoflurane
sévoflurane par rapport aux autres agents halogénés. Le refoule- par mise en jeu du baroréflexe lorsque celui-ci est conservé, ce qui
ment du diaphragme par la masse des viscères en décubitus dorsal est généralement le cas chez le sujet jeune.
et la diminution de la course diaphragmatique se traduisent par Inversement, chez le sujet plus âgé, cette tachycardie est moins
une diminution de la capacité résiduelle fonctionnelle respon- marquée du fait de la moindre activité du baroréflexe liée à
sable d’atélectasies et d’une hypoxémie [70] . À faible concentration, l’âge. Lors de l’induction au sévoflurane, sans adjuvant ni pré-
la diminution de volume courant induite par l’altération de force médication, cette tachycardie pourrait être associée à l’activité
contractile du diaphragme est contrebalancée par l’augmentation pointe-onde cérébrale précédemment décrite. La tachycardie
de fréquence respiratoire. Au-delà de 1 CAM, le volume-minute constitue une limite d’utilisation de l’induction au masque chez
diminue. La diminution de volume pulmonaire résultant de le sujet coronarien, mais son incidence réelle n’est pas connue.
celle de la capacité résiduelle fonctionnelle induit une éléva- La tachycardie réactionnelle observée au-delà de 1 CAM de desflu-
tion des résistances respiratoires et une augmentation du travail rane a été attribuée à une stimulation sympathique déclenchée par
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l’effet irritant bronchique [72] . Cette réaction, elle aussi plus volon- Tableau 5.
tiers observée chez le sujet jeune, est bloquée par l’administration Possibilité d’utilisation des halogénés en fonction de l’existence de trouble
de morphiniques, de clonidine, de bêtabloquants et de N2 O. du rythme ou de conduction ; indépendamment de leur effets sur la
Elle ne témoigne pas d’un allègement de l’anesthésie et doit, au contractilité.
contraire, conduire à une diminution des concentrations délivrées Isoflurane Sévoflurane Desflurane
par le vaporisateur.
Les halogénés peuvent mettre en jeu le baroréflexe, mais ils en Flutter atrial Oui Oui Oui
dépriment aussi la réponse. La diminution de la pente de réponse Fibrillation auriculaire Oui Oui Oui
baroréflexe et le déplacement du seuil inférieur de mise en jeu Tachycardie sinusale Oui Oui Oui
vers des pressions plus basses participent à la mauvaise tolérance Wolff-Parkinson-White Non Oui Oui
hémodynamique des halogénés chez des patients en état de choc.
QT long congénital Non Non Oui
Avec l’isoflurane, comme avec le sévoflurane, la sensibilité de
réponse au baroréflexe est réduite de 50 à 60 % et ne récupère Bloc atrioventriculaire Non Non Non
qu’au bout de 120 minutes en présence d’une hypertension ou au deuxième degré Mobitz 2
bout de 60 minutes en cas d’hypotension [73] .
En dehors de ces tachycardies réactionnelles, les agents halogé-
nés diminuent la fréquence cardiaque par plusieurs mécanismes : d’une anesthésie avec 1 et 1,5 CAM de sévoflurane, l’index car-
effet bathmotrope négatif direct des halogénés sur le nœud sino- diaque et la contractilité du myocarde évalués par échographie
auriculaire (à l’origine de rythmes jonctionnels d’échappement, sont conservés [78] .
particulièrement pour le desflurane et le sévoflurane), effet Chez l’insuffisant cardiaque, l’utilisation des halogénés est
parasympathomimétique, effet sympatholytique. Des bradycar- maintenue à concentration clinique ; en effet, leur effet inotrope
dies sévères (voire une asystolie) ont été rapportées lors d’une négatif est en pratique contrebalancé par la réduction de la
induction associant un morphinique d’action rapide (comme le postcharge liée à la vasodilatation. Ainsi, les agents halogénés
rémifentanil et l’alfentanil) avec du sévoflurane à forte concen- actuellement utilisés ont une bonne tolérance clinique chez
tration. L’explication qui peut être avancée n’est pas un effet plus l’insuffisant cardiaque.
marqué sur le nœud sino-auriculaire, mais plutôt un réel surdo- Automaticité, conduction, trouble du rythme
sage lié au mode d’administration (forte concentration d’agent
Le desflurane et l’isoflurane diminuent le potentiel d’action des
halogéné), à la synergie entre opiacé et halogéné sur la fréquence
cellules automatiques du nœud auriculaire de façon similaire [79] .
cardiaque, ainsi qu’à la cinétique rapide de l’agent halogéné et du
La période réfractaire effective des cellules nodales est diminuée
morphinique [74] .
avec le desflurane alors qu’elle est allongée avec l’isoflurane. Ce
Lors de l’entretien de l’anesthésie, pour des concentrations
qui suggère la possibilité plus fréquente d’arythmie par réentrée
moindres d’agents halogénés, la fréquence cardiaque est plus
sous desflurane. Le desflurane et l’isoflurane ont un effet similaire
basse sous sévoflurane que sous isoflurane lorsque la pression
sur le nœud auriculoventriculaire.
artérielle est maintenue constante en faisant varier la concentra-
L’incidence des troubles du rythme ventriculaire chez les
tion alvéolaire autour de 1 CAM [75] . Certains auteurs retrouvent
patients coronariens soumis à une anesthésie « balancée » est
une chute tensionnelle plus marquée avec l’isoflurane qu’avec le
similaire que l’agent halogéné utilisé soit de l’isoflurane, du
sévoflurane malgré un effet vasodilatateur similaire. L’effet vasodi-
sévoflurane ou du desflurane [80] . Chez l’enfant, l’incidence des
latateur du desflurane est moins marqué que celui du sévoflurane.
troubles du rythme est plus faible sous sévoflurane que sous
Malgré ces différences relevées dans des conditions spécifiques
halothane ce qui a justifié l’éviction de ce dernier de la pharma-
d’utilisation, les études cliniques multicentriques associant halo-
copée en anesthésie pédiatrique. La conduction intracardiaque
génés, morphiniques et N2 O ne retrouvent aucune différence de
n’est ralentie avec les agents actuellement utilisés que pour
pression artérielle et de fréquence cardiaque chez les patients coro-
des concentrations supérieures à 2 CAM. Une CAM de sévo-
nariens et/ou hypertendus chez lesquels l’entretien de l’anesthésie
flurane n’a pas d’effet sur la période réfractaire des voies de
est réalisé avec de l’isoflurane, du sévoflurane ou du desflurane.
conduction auriculoventriculaire ou des voies accessoires en
Chez l’enfant de moins de 1 an, lors de l’administration de sévo-
cas de syndrome de Wolff-Parkinson-White. À l’inverse, avec
flurane, la pression artérielle moyenne diminue car la fréquence
l’isoflurane, l’allongement de l’intervalle de couplage peut favo-
cardiaque, de base physiologiquement plus élevée, ne peut aug-
riser la survenue d’arythmie et une tachycardie de réentrée.
menter [76] .
Un allongement de l’espace QT est rapporté avec du sévoflu-
Fonctions systolique et diastolique rane lors d’anesthésies de nourrissons de moins de 6 mois [81] .
Cet allongement, potentiellement responsable de troubles du
Les agents halogénés ont un effet inotrope négatif direct sur
rythme ventriculaires paroxystiques, justifierait une surveillance
les fibres myocardiques. L’altération de contractilité résulte d’une
cardiovasculaire prolongée jusqu’à sa normalisation. En pratique,
diminution de la durée du potentiel d’action de la fibre myo-
cette recommandation n’a de conséquence clinique qu’en cas
cardique secondaire à une réduction de 25 % des flux calciques
d’allongement congénital de l’espace QT ou que chez les nour-
entrants et du flux potassique sortant [77] . La diminution de
rissons porteurs d’une cardiopathie congénitale (Tableau 5).
contractilité s’accompagne d’une diminution de consommation
d’oxygène du myocarde. En dehors de toute variation de fré- Circulations coronaires et locales
quence cardiaque, le débit cardiaque est maintenu sous isoflurane, Sur cœur isolé, les agents halogénés provoquent une vaso-
desflurane et sévoflurane jusqu’à 2 CAM, malgré la diminution dilatation de la circulation coronaire et le débit coronaire est
de contractilité, grâce à la diminution de postcharge liée à leur augmenté par recrutement de la réserve coronaire. Toujours dans
effet vasodilatateur. L’élévation de la fréquence cardiaque pour les des conditions expérimentales, l’effet vasodilatateur prédomine
plus fortes concentrations d’halogénés participe au maintien du sur la macrocirculation avec l’isoflurane, alors qu’avec le sévo-
débit cardiaque. Lors de l’administration du desflurane, le main- flurane il intéresse aussi la microcirculation. Parallèlement, la
tien du débit cardiaque et de la fonction systolique dépend aussi consommation en oxygène du myocarde est diminuée, ce qui
du maintien ou de l’activation du système sympathique. Ainsi, confère aux agents halogénés un effet cardioprotecteur comme
lorsqu’un bêtabloquant est administré, la fonction systolique est en témoigne la diminution de production de lactates mesurés
plus altérée sous desflurane que sous sévoflurane ou isoflurane. La dans le sinus coronaire. En pratique, les risques d’ischémie coro-
fonction diastolique est aussi diminuée sous halogénés et ce de naire dépendent aussi des effets hémodynamiques généraux. Avec
façon indépendante de l’activité du système nerveux autonome, l’isoflurane, l’effet vasodilatateur prédominant sur la macrocir-
probablement parce que lors de la relaxation, les halogénés ralen- culation a été tenu responsable de syndrome de vol coronaire,
tissent la recapture du calcium par le réticulum sarcoplasmique. chez des patients présentant une atteinte tritronculaire [82] . Ce
Le moindre effet vasodilatateur du desflurane explique une dimi- risque est considéré désormais comme écarté chez les patients
nution de fonction diastolique légèrement plus marquée qu’avec coronariens dès lors que la pression de perfusion coronaire est
l’isoflurane ou le sévoflurane. Chez l’enfant et le nouveau-né, lors maintenue et la tachycardie évitée. Les effets de l’isoflurane, du
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Anesthésiques halogénés 36-285-A-10
desflurane et du sévoflurane sur la pression artérielle et le pour- halogénés. Les fortes concentrations obtenues après une induc-
centage d’ischémie myocardique périopératoire chez les patients tion par inhalation peuvent induire un défaut de rétraction
coronariens sont similaires [83] . utérine favorisant la survenue d’un saignement [14] . L’effet myore-
L’action protectrice des halogénés, médiée par l’augmentation laxant du sévoflurane a été utilisé en chirurgie fœtale ex-utéro [96] .
de calcium intracellulaire et par l’action des MAP-kinases, contre Les halogénés ont un effet tocolytique médié par l’activation des
l’ischémie cellulaire, a déjà été citée (cf. supra). Ainsi, les halogé- canaux potassiques calcium-dépendant [97, 98] .
nés peuvent être utilisés pour effectuer un préconditionnement Le relâchement de la musculature lisse de l’œil participe, avec
du myocarde lors de chirurgies cardiaques afin d’améliorer la la réduction de production d’humeur aqueuse, à la diminution de
performance myocardique à l’arrêt de la circulation extracor- pression intraoculaire observée avec tous les halogénés. Lorsque
porelle [84] . Sur des modèles expérimentaux, cet effet de classe 8 % de sévoflurane sont utilisés pour l’induction, l’élévation de
pharmacologique a largement été démontré [85] . Il existe égale- pression intraoculaire liée à l’intubation peut être supprimée par
ment un effet dit de postconditionnement : ainsi l’administration l’association de morphinique.
d’halogénés après reperfusion coronaire est elle aussi cardiopro-
tectrice [86, 87] . Ces deux effets de pré- et postconditionnement Effets émétisants
seraient concentration-dépendants avec un optimum autour
Tous les agents halogénés sont émétisants. Après administra-
d’une CAM, mais la posologie ainsi que la durée d’exposition
tion de sévoflurane et de desflurane, l’incidence des nausées et
clinique restent à préciser [88] . Malgré les résultats expérimentaux
vomissements postopératoires est plus élevée qu’après celle du
encourageants, l’application clinique est décevante : si plusieurs
propofol, qui a des propriétés antiémétiques. Ainsi, l’incidence
méta-analyses concluent à une cardioprotection induite par les
des vomissements postopératoires augmente de 20 à 40 %, et
halogénés lors de la chirurgie de revascularisation coronaire avec
celle des nausées de 9 à 20 %, lorsque du sévoflurane est utilisé
ou sans circulation extracorporelle [89] du fait d’une diminution
pour l’induction de l’anesthésie par comparaison au propofol [99] .
du taux de troponines postopératoire ou de la réduction de mor-
En ce qui concerne la chirurgie ambulatoire, l’incidence des
bimortalité, il faut souligner que la plupart des études incluses
nausées et des vomissements postopératoires est plus fréquente
étaient de petite taille. Un effet bénéfique des agents halogé-
30 minutes après une anesthésie induite et entretenue par du
nés devient difficile à démontrer en chirurgie cardiaque du fait
sévoflurane par comparaison au propofol, mais, au bout de
des progrès des techniques de circulations extracorporelles, des
90 minutes, la différence disparaît [100] , car les effets antiémétiques
techniques chirurgicales et de la réanimation périopératoire : la
du propofol sont concentration-dépendants. Lorsque l’agent
mortalité a diminué ce qui implique l’inclusion d’un plus grand
halogéné est utilisé uniquement pour l’entretien, l’incidence
collectif de patients pour démontrer un effet. De plus, d’autres
des nausées et des vomissements est extrêmement variable,
médicaments utilisés en anesthésie peuvent induire un effet pré-
de 10 à 67 % des patients [101, 102] ; elle est dépendante de la
conditionnant ou l’antagoniser ce qui rend l’interprétation de ces
durée d’administration des halogénés ; il n’y a pas de différence
études plus difficile. En chirurgie non cardiaque, aucun effet pro-
d’incidence entre le sévoflurane et l’isoflurane. Les antiémé-
tecteur clinique n’a été démontré [90] , probablement pour la même
tiques comme le dropéridol, les corticoïdes à faible dose ou les
raison.
inhibiteurs de la 5-hydroxytryptamine permettent seuls, ou en
Les effets des agents halogénés sur les autres circulations péri-
association, une réduction de 50 à 98 % de l’incidence de cet effet
phériques ont été peu étudiés. Les agents halogénés altèrent la
secondaire.
vasoréactivité de l’artère mésentérique à la noradrénaline et à
l’acétylcholine. Ils n’altèrent peu ou pas le débit sanguin hépa-
tique. Coagulation
Contrairement à l’isoflurane, le sévoflurane inhibe in vitro
Effets sur les fibres musculaires l’agrégation plaquettaire et la synthèse de thromboxane A2 pla-
quettaire. Les conséquences en termes de risque hémorragique
Les agents halogénés potentialisent les curares par un effet périopératoire n’ont pas été démontrées.
direct au niveau musculaire. La potentialisation de la curarisation
est variable avec le type d’halogéné et de curare utilisé. Ainsi, le
desflurane et le sévoflurane potentialisent de façon plus impor-
tante que l’isoflurane l’action myorelaxante du cisatracurium et
Toxicité
du rocuronium. Une variabilité interindividuelle peut modifier cet Toxicité hépatique
effet : certains auteurs objectivent une potentialisation de 60 % du
rocuronium par l’isoflurane, et d’autres aucune [91–93] . La cinétique La toxicité hépatique des agents halogénés résulte de
des gaz très lente dans le compartiment musculaire pourrait expli- deux mécanismes. La toxicité hépatique d’origine immunoal-
quer la discordance de résultats entre halogénés et entre les études lergique (dite de type II) est liée à la production d’acide
pour un même halogéné. Cliniquement, cette potentialisation trifluoroacétique, produit du métabolisme de l’isoflurane et du
implique de diminuer ou d’espacer les doses de curare adminis- desflurane. Ces dérivés terminaux du métabolisme se comportent
trées en bolus ou en perfusion continue pour maintenir un niveau comme des haptènes qui forment, avec les protéines cytosoliques
donné de relâchement musculaire. En fin d’intervention, la néo- hépatiques, un néo-antigène contre lequel l’organisme produit
stigmine utilisée pour antagoniser l’action du curare, agit avec des immunoglobulines G spécifiquement dirigées contre les hépa-
un délai d’action deux fois supérieur en présence d’un halogéné tocytes [103] . Plus le métabolisme de l’halogéné est important et
comme l’isoflurane ou le sévoflurane [94] . Les agents halogénés plus la production de néo-antigènes est importante et plus le
participent également à l’immobilité chirurgicale en déprimant risque d’hépatite cytolytique est élevé [104] . Avec les halogénés
l’activité des neurones spinaux [33] . actuels, l’incidence de cette hépatite cytolytique immunoaller-
Tous les agents halogénés peuvent déclencher une crise gique est faible, et n’est à l’origine que de publications sous
d’hyperthermie maligne chez les patients porteurs d’un gène spé- forme de cas isolés d’autant plus rares que le métabolisme de
cifique de l’hyperthermie maligne comme chez ceux souffrant l’agent est faible. Bien qu’exceptionnel avec les agents utilisés
d’une myopathie comme le central core disease ou la maladie en 2013 (aucun cas de toxicité hépatique n’a été décrit chez
de Duchenne de Boulogne. La crise peut survenir de façon l’homme depuis plus de dix ans), le diagnostic doit être évoqué
retardée. Ainsi, un délai de 180 minutes a été retrouvé lors devant la survenue d’une fièvre élevée trois à cinq jours après
d’une anesthésie au desflurane [95] . Chez ces patients, tous les l’anesthésie, de nausées, de vomissements, d’un rash cutané et
agents anesthésiques halogénés sont contre-indiqués. La gravité d’un ictère, et ce particulièrement chez la femme obèse ou en
des crises d’hyperthermie maligne est identique quel que soit cas d’anesthésies répétées. L’évolution est généralement fatale en
l’halogéné responsable. l’absence de transplantation hépatique. Le diagnostic de certitude
Tous les agents halogénés relâchent la musculature lisse utérine repose sur la biopsie hépatique qui révèle une nécrose centro-
de façon proportionnelle à leur concentration. À une concentra- lobulaire, sur la recherche, dans le sang, d’immunoglobulines
tion inférieure à 2 CAM, cet effet est similaire entre les différents G antiprotéines cytosoliques. Il existe également un test ELISA
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36-285-A-10 Anesthésiques halogénés
(enzyme-linked immunosorbent assay), mais sa sensibilité n’est que après une anesthésie au sévoflurane, au propofol ou au desflurane
de 79 % [105] . Le caractère croisé de l’immunisation interdit toute administrés pendant deux à huit heures [111, 112] . Après une chirur-
utilisation ultérieure d’agent halogéné, à l’exception théorique gie connue pour être fréquemment associée à une dysfonction
du sévoflurane dont le métabolite est un hexafluoro-isopropanol rénale postopératoire, comme la chirurgie cardiaque, les varia-
théoriquement non immunisant. tions de créatininémie sont similaires que l’agent d’anesthésie soit
du propofol, de l’isoflurane ou du sévoflurane [113] . Enfin, le sévo-
flurane a été administré pour l’anesthésie d’insuffisants rénaux
Toxicité rénale modérés sans induire d’aggravation de fonction rénale : elle res-
tait similaire à celle observée chez des patients anesthésiés avec
Historiquement, deux agents anesthésiques par inhalation ont de l’isoflurane [114–116] .
montré une toxicité rénale : le méthoxyflurane et l’enflurane.
Ces deux agents ne sont plus utilisés dans la pharmacopée
anesthésique. La localisation rénale de leur métabolisme et la pro- Toxicité neurologique
duction en parallèle de fluorures ont été identifiées comme les Chez l’enfant, certaines études suggèrent l’existence d’une
mécanismes de leur toxicité. Arguant de cette toxicité, certains toxicité neurologique des agents halogénés. L’anesthésie aux
médicaments comme l’isoflurane et le sévoflurane ont été initia- halogénés dans la période néonatale ou avant l’âge de 4 ans,
lement accusés d’une potentielle toxicité rénale. L’administration notamment chez le prématuré, a été reliée à une altération
prolongée d’isoflurane induit certes une augmentation des des acquisitions cognitives et de mémorisation à distance de
concentrations sanguines de fluorures, mais la localisation exclu- l’anesthésie [117–120] . Ces anomalies sont associées à des modifica-
sivement hépatique de son métabolisme explique l’absence de tions anatomiques cérébrales : les noyaux gris centraux sont de
toxicité démontrée en situation clinique quelles que soient taille plus faible [121] . L’équipe de Xie a montré que le sévoflurane
la fonction rénale antérieure et la durée d’administration du provoque une neuro-inflammation dans les structures cérébrales
produit. murines en développement, que ce soit chez le nouveau-né
Le sévoflurane est essentiellement éliminé par voie respiratoire ou chez le fœtus [122, 123] . Ce processus inflammatoire, médié
et seule une faible part est métabolisée par le cytochrome P450 par l’interleukine 6 et le TNF-␣ (tumor necrosis factor ␣), serait
2E, présent essentiellement dans le foie chez l’homme, et non responsable des altérations cognitives observées. Cette neuro-
dans le rein, comme chez le rat [106] . Ainsi, bien que son méta- inflammation, de même que l’altération cognitive, n’a pas été
bolisme induise des concentrations sanguines de fluorures jadis observée chez des individus adultes. De plus, il semblerait que
réputées toxiques (50 mol l−1 ), aucune tubulopathie n’a à ce jour l’isoflurane ait une dualité d’effet sur la prolifération neuronale : il
été rapportée avec du sévoflurane utilisé en circuit ouvert. Lors la stimule en dessous de 0,6 % de concentration, l’inhibe au-dessus
de l’utilisation d’un circuit fermé, la réinhalation et la produc- de 2,4 % de concentration et n’a pas d’effet aux concentrations cli-
tion de composé A ont été tenues responsables de tubulopathies niques d’utilisation [124] . Le mécanisme de cette dualité n’est pas
sévères chez le rat [107] . Chez l’homme, des altérations biologiques clairement établi, il ferait intervenir l’augmentation de concen-
minimes, comme l’élévation urinaire de 2-microglobuline, de N- tration calcique cytosolique ainsi que la réaction inflammatoire
acétylglucosaminidase, de ␣ et glutathion transférases, une liée à la chirurgie.
glycosurie et une protéinurie, témoignent d’une tubulopathie
À l’autre extrême, chez les patients les plus âgés, une entité
infraclinique. Ces modifications biologiques sont de faible inten-
est décrite, sans que sa définition fasse l’objet d’un consen-
sité et sont spontanément réversibles dans les cinq jours suivant
sus : la dysfonction cognitive postopératoire. Les hypothèses
l’anesthésie. N’ayant pas été associées à une élévation de l’urée
permettant de l’expliquer font intervenir la possibilité d’un bas
ou de la créatinine sériques, leur pertinence pratique n’a pas été
débit peropératoire, l’inflammation générée par la chirurgie et
retenue, mais elles laissent planer le doute sur la toxicité poten-
l’utilisation des médicaments utilisés en anesthésie. Le mécanisme
tielle du composé A dans certaines conditions cliniques, comme
semble différent de celui des anomalies cognitives du nouveau-né.
l’anesthésie de l’insuffisant rénal chronique modéré en présence
Expérimentalement, on observe avec l’isoflurane et le sévoflu-
d’autres néphrotoxiques. Le mécanisme exact de survenue de ces
rane mais pas avec le desflurane, une élévation des précurseurs
altérations biologiques reste non résolu. On sait cependant que
bêta-amyloïdes associée à une augmentation d’apoptose neuro-
le métabolisme du composé A aboutit à la formation de déri-
nale [125–128] . Cette augmentation n’a pas été observée au niveau
vés alkanes et alkènes dont la toxicité est connue. Le rapport
cérébral avec le propofol, la morphine, le dropéridol ou les benzo-
de concentration de ces dérivés toxiques et non toxiques est
diazépines [129, 130] . Ces anomalies ont été observées de façon plus
moindre chez l’homme que chez le rat. Ces dérivés alkanes et
marquées chez les animaux souffrant de neurodégénérescence de
alkènes sont en effet métabolisés par une bêtalyase prédominante
type maladie d’Alzheimer [131] . En clinique humaine, après une
dans le rein chez le rat, contrairement à ce qui est observé chez
anesthésie avec des agents halogénés, les précurseurs protéiques
l’homme [108] . Ces éléments permettent d’expliquer la différence
bêta-amyloïdes, présents en cas de maladie d’Alzheimer, sont aug-
de toxicité entre les deux espèces.
mentés dans le liquide cérébrospinal (LCS) [132, 133] .
La production plus importante de composé A par la chaux sodée
Pour l’instant, l’utilisation des halogénés aux âges extrêmes de
sèche justifie de ne pas assécher le circuit avec un débit de gaz frais
la vie n’est pas contre-indiquée.
important de manière prolongée [109] . Actuellement, la suppres-
sion des bases fortes contenues dans la chaux, comme l’hydroxyde
de potassium et surtout la soude, a permis de diminuer, voire Autres toxicités
de supprimer complètement la dégradation des halogénés en
composés potentiellement toxiques : A pour le sévoflurane et Si les agents halogénés peuvent induire, dans des conditions
monoxyde de carbone pour le desflurane et l’isoflurane [110] . expérimentales de culture cellulaire ou sur modèles animaux, des
L’utilisation de ce type de chaux permet de mettre fin à toute polé- anomalies chromosomiques ou des anomalies embryonnaires, ces
mique concernant les effets toxiques des produits de dégradation modèles n’ont aucune pertinence clinique. En effet, les conditions
des halogénés par la chaux sodée. expérimentales de ces modèles supposent une administration
Enfin, si la toxicité rénale du composé A devait rester sujet à répétée et prolongée plusieurs jours, d’agents anesthésiques
controverse, il faut rappeler que, y compris dans les publications en concentration clinique. Aucun effet mutagène ou térato-
qui concluent à la toxicité du composé A, il n’a jamais été mis en gène des agents halogénés n’a été démontré chez des femmes
évidence d’élévation d’urée ou de créatinine sanguine. De toute enceintes anesthésiées avec des agents halogénés ou travaillant
façon, la relation de cause à effet entre le composé A et la pré- dans un bloc opératoire. De même des concentrations impor-
sence des marqueurs d’altération tubulaire précédemment décrits tantes en agent halogéné ont été rapportées dans l’atmosphère
n’a jamais été démontrée. Cette altération pourrait également des salles de surveillance postinterventionnelle sans qu’une rela-
résulter de la nature de l’intervention, de l’association à une hypo- tion de cause à effet n’ait pu être démontrée entre l’exposition
tension ou à une hypovolémie. En effet, force est de constater aux agents halogénés et des effets délétères sur la santé du
que la protéinurie, la glycosurie et l’albuminurie sont similaires personnel.
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Tableau 6.
Durée de vie des agents halogénés dans la stratosphère et impact climatique des agents par inhalation (d’après [135, 136] ).
Durée de vie Potentiel de réchauffement climatique (multiple du Potentiel d’augmentation de température (multiple
potentiel de réchauffement climatique du dioxyde du potentiel d’augmentation de température du
de carbone) dioxyde de carbone)
À 20 ans À 100 ans À 20 ans À 100 ans
N2 O 102 ans 290 300 300 320
Isoflurane 6 ans 1800 510 790 100
Desflurane 21 ans 5090 1620 3650 550
Sévoflurane 4 ans 720 210 260 40
Effet de serre et toxicité environnementale halogénés. En effet, le circuit ainsi saturé d’halogéné est utilisé
pour l’entretien de l’anesthésie dès l’induction. Cette pratique
Les agents halogénés et le N2 O participent à l’effet de serre et évite d’avoir à saturer l’espace mort du circuit secondairement
à la constitution du trou dans la couche d’ozone (Tableau 6). Le comme c’est le cas après une induction intraveineuse. Bien que
rôle des agents halogénés dans l’effet de serre dépend de la pré- simple en apparence, la technique d’induction au masque néces-
sence des atomes de brome, chlore et à un moindre degré de fluor site un minimum d’apprentissage : le délai au bout duquel il
constituant leur formule chimique. Si les halogénés ne participent est possible d’intuber est variable entre les sujets (4 à 5 min)
en théorie que pour environ 0,1 % de l’effet de serre au niveau et il n’existe pas de moyen objectif autre que le sens clinique
planétaire loin derrière le CO2 issu de la combustion des énergies de l’opérateur pour juger du moment optimal de l’intubation
fossiles et de l’industrie, leur potentiel de réchauffement clima- ou de l’insertion d’un masque laryngé. La valeur téléexpiratoire
tique est de 300 à 5000 fois plus puissant que celui du CO2 [134] . Le des concentrations en halogénés ne permet pas de déterminer
N2 O d’origine médicale serait impliqué dix fois plus dans l’atteinte ce délai car elle reflète mal les concentrations cérébrales pen-
de la couche d’ozone [135] . Cet impact sur l’environnement est dant l’induction (cf. supra). Les publications déterminant les CAM
d’autant plus marqué que la durée de vie de l’agent avant dégra- d’intubation ou de pose de masque laryngé ont toutes été effec-
dation dans la stratosphère est élevée. Ainsi le desflurane avec une tuées en situation stationnaire et donc n’ont pas de pertinence
durée de vie de 21 ans et le N2 O de 100 ans environ sont les deux clinique lors de l’intubation. Le BIS ne permet pas lui non plus de
agents anesthésiques par inhalation ayant le plus fort impact sur prédire quels sujets vont ou non bouger lors de l’intubation. Seuls
l’environnement [135] . Le risque environnemental du desflurane des critères cliniques, parfois subjectifs, tels que le délai écoulé
serait ainsi au moins trois fois supérieur à celui du sévoflurane. depuis le début de l’induction, les stades oculaires de Guedel (posi-
La production de CO2 en équivalent carbone d’un hôpital de tion centrée des pupilles, myosis) et le relâchement du maxillaire
taille moyenne équivaut ainsi à celle du fonctionnement annuel inférieur permettent de juger du moment adéquat pour intuber le
de 250 voitures [136] . Les conférences sur l’environnement (proto- patient.
cole de Kyoto) ont pour le moment considéré que le bénéfice Des adjuvants ont été proposés lors de l’induction au
lié à l’utilisation de ces médicaments surpassait leur risque envi- masque avec le sévoflurane pour raccourcir les délais de
ronnemental mais cet impact environnemental justifie d’utiliser perte de conscience, d’intubation, ou de pose de masque
les débits de gaz frais les plus faibles possibles, voire de sub- laryngé. L’adjonction de N2 O au mélange permet de réduire
stituer chaque fois que possible une anesthésie locorégionale à le délai d’intubation et la concentration alvéolaire théo-
l’anesthésie générale avec des agents par inhalation. rique d’intubation [138] . Une moindre incidence de phénomènes
Le xénon, gaz rare constitutif de notre atmosphère n’a pas d’excitation lors de l’induction liée à l’association de N2 O au
théoriquement d’impact sur l’environnement mais ses processus sévoflurane est observée chez l’enfant, mais pas toujours chez
d’extraction sont coûteux en énergie et donc participent à la pol- l’adulte [139] . L’utilisation conjointe d’un morphinique au sévo-
lution. flurane est proposée pour améliorer les conditions d’intubation.
Les concentrations idéales de morphiniques et leur moment
d’administration dépendent des objectifs cliniques : réduire la
Utilisation pratique CAM de l’halogéné utilisé, accélérer la vitesse d’induction, gar-
der une stabilité hémodynamique et une ventilation efficace.
Induction Cependant, les morphiniques ne permettent pas d’accélérer le
délai de perte de conscience ; ils permettent de réduire la CAM
Parmi les agents anesthésiques, seul le sévoflurane est utilisé d’intubation du sévoflurane à 2 % au prix de nombreuses apnées
lors d’une induction au masque chez l’adulte ou chez l’enfant. y compris pour de faibles concentrations de morphiniques [74] .
L’effet irritant du desflurane contre-indique formellement son uti- L’avantage principal de l’utilisation des morphiniques dans ce
lisation comme agent d’induction. L’effet irritant de l’isoflurane type d’induction est le maintien de la stabilité hémodyna-
est moindre que celui du desflurane, mais son plus long délai mique et d’éviter la tachycardie induite par la technique ou
d’action rend cette technique moins maniable pour la pratique l’intubation [140] . Lorsque les concentrations de morphiniques
clinique. L’induction au masque chez l’enfant est largement uti- sont plus importantes, une chute de pression artérielle et de fré-
lisée depuis longtemps. Chez l’adulte, elle est peu utilisée, elle quence cardiaque est observée chez 30 % des patients, de façon
constitue cependant un avantage certain en cas d’intubation dif- similaire à l’association propofol-alfentanil [141] . Enfin, l’incidence
ficile ou d’abord veineux difficile [137] : elle permet une stabilité d’apnée, voire la fermeture de la glotte induite par de fortes
hémodynamique et des conditions d’intubation excellentes tout concentrations de morphiniques rendent alors cette technique
en conservant la ventilation spontanée. Les complications res- peu différente de l’induction par voie intraveineuse et un curare
piratoires secondaires observées lors d’une induction inhalatoire peut s’avérer nécessaire.
ont la même incidence que lors d’une induction intraveineuse. Lors de l’induction anesthésique avec 8 % de sévoflurane, des
La majorité des auteurs retrouve une même acceptation de la modifications de l’électroencéphalogramme (EEG) sous forme
technique lorsqu’il est demandé au patient d’inspirer une capa- d’activité pointes-ondes ont été décrites chez l’adulte et chez
cité vitale forcée d’un mélange contenant 50 % de N2 O et 8 % l’enfant. Ces modifications électriques surviennent préféren-
de sévoflurane. Cette technique dite de « la capacité vitale » per- tiellement lorsque la concentration de fin d’expiration s’élève
met une perte de connaissance dans un délai variant entre 20 et au-dessus de 2 CAM, en présence d’une hypocapnie et elles
60 secondes. seraient paradoxalement moins fréquentes en présence de N2 O.
La majorité des auteurs emploie leur circuit fermé dès Elles peuvent être associées à des mouvements cloniques.
l’induction, ce qui permet de réduire la consommation d’agents Quelques cas de crises tonicocloniques ont été observés chez
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des patients prédisposés, voire ont permis de diagnostiquer une d’entre eux. La réduction du risque de mémorisation, et celle du
tumeur cérébrale latente. Chez les sujets prédisposés, cette acti- délai de réveil, les effets antihyperalgésiques de l’association de
vité n’est pas limitée à la zone épileptogène, ce qui suggère un N2 O avec ces agents notamment les plus solubles constituent des
risque de manifestation électrique paroxystique y compris chez avantages cliniques indéniables. Certains centres ont cependant
le sujet sain [142] . Cette activité électrique cérébrale paroxystique abandonné l’utilisation de N2 O sur des arguments essentiellement
survient au même moment que l’augmentation de fréquence car- écologiques.
diaque et que l’élévation de pression artérielle, une relation de Aucun agent halogéné ne possède d’autorisation de mise sur
cause à effet reste cependant à établir. Ces effets seraient dus à la le marché spécifique pour un type de chirurgie donné. En pra-
concentration de 8 % trop élevée et à une transition trop rapide tique clinique, l’isoflurane reste indiqué dans l’extrême majorité
de l’état d’éveil à l’état de sommeil. Afin de réduire les effets des cas pour l’entretien d’une anesthésie générale balancée.
hémodynamiques des fortes concentrations de sévoflurane, il est Cependant, lorsque des concentrations élevées d’halogénés sont
recommandé de réduire la concentration inspirée du sévoflurane nécessaires, l’isoflurane s’accumule et un délai de réveil supé-
de 8 % à 6 % lors de l’induction par inhalation chez l’enfant. Par rieur est prévisible. L’utilisation d’agents peu solubles comme le
ailleurs, chez les patients épileptiques connus, il semble licite de desflurane ou le sévoflurane peut donc se justifier, par exemple,
ne réserver l’induction au masque que dans les cas où l’induction lorsque la réalisation d’une hypotension contrôlée est nécessaire.
intraveineuse n’est pas possible. On peut alors élever le seuil épi- Plus encore, la grande maniabilité des agents peu solubles per-
leptogène du patient grâce à l’administration préopératoire d’une met d’adapter le niveau d’anesthésie plus rapidement. Ainsi, un
benzodiazépine. contrôle moins rapide des variations de pressions artérielles est
En pédiatrie, certaines équipes commencent l’induction de prévisible avec l’isoflurane, lors de la chirurgie de phéochromo-
l’anesthésie du sévoflurane de manière à pouvoir perfuser l’enfant cytome par exemple, ou pour diminuer la poussée hypertensive
dans de bonnes conditions, puis, complètent l’anesthésie avec du liée à un stimulus nociceptif chez un hypertendu. De même, en
propofol avant l’intubation, ce qui permet de ne pas avoir de pratique clinique, l’allègement de l’anesthésie, nécessaire en cas
concentrations expirées en sévoflurane trop élevées. Une poso- de chute de pression artérielle, est obtenu moins rapidement avec
logie de 2 mg kg−1 de propofol semble être la plus appropriée [143] . l’isoflurane. Bien que toujours utilisable, l’isoflurane n’a plus de
Avec une induction au masque, le coût d’une anesthésie, même place privilégiée en pratique, notamment dans les indications sui-
de courte durée, est inférieur à celui d’une anesthésie avec du pro- vantes : chirurgie de phéochromocytome, hypotension contrôlée,
pofol, sous réserve d’un contrôle strict du débit de gaz frais et de patient hypertendu, clampage vasculaire aortique ou carotidien.
la durée de préparation du circuit [144] . Ainsi, après une induction En revanche, le desflurane, utilisé pour contrôler les à-coups de
au circuit fermé, en réduisant le débit de gaz frais à 1 l min−1 et en pression artérielle lors de la chirurgie aortique, permet le maintien
fermant le vaporisateur, la décroissance lente des concentrations des performances hémodynamiques (pression artérielle moyenne
expirées jusqu’à la CAM est obtenue en 20 minutes en moyenne. [PAM] > 65 mmHg) et un contrôle rapide des chiffres tension-
Cette technique dite d’overcoasting, qui limite la délivrance des nels [146] . Si l’utilisation d’agents faiblement liposolubles a peu de
halogénés à la stricte période de l’induction permet la réduction conséquences sur la durée de séjour en salle de surveillance post-
des coûts pour une anesthésie de courte durée. interventionnelle (SSPI), un retentissement psychomoteur lié à la
persistance de faibles concentrations d’halogénés est en faveur
de l’utilisation d’agents moins liposolubles lors de la chirurgie
Entretien ambulatoire.
Actuellement, le desflurane, le sévoflurane et l’isoflurane sont
majoritairement utilisés après une induction intraveineuse pour
l’entretien de l’anesthésie. Leurs faibles différences pharmacody-
Réveil
namiques expliquent que leur choix dépende de leurs différences Le délai et la qualité du réveil dépendent en partie du choix
pharmacocinétiques contrebalancées par leur coût direct et indi- de l’agent anesthésique. Lors d’anesthésies de longue durée, le
rect. L’argument cinétique, très largement utilisé pour justifier desflurane ne s’accumule pas, alors que le sévoflurane et sur-
l’abandon de l’isoflurane, résulte d’une schématisation héritée de tout l’isoflurane tendent à être stockés de façon proportionnelle
la seule analyse des coefficients de partition sang–gaz des diffé- à la durée d’anesthésie et à la concentration utilisée en peropé-
rents agents. La réalité est plus complexe et le délai d’obtention de ratoire [10, 11] . Par conséquent, le délai d’élimination du desflurane
concentrations alvéolaires adaptées à l’anesthésie dépend de nom- et donc le délai de réveil avec ce produit ne dépendent pas de
breux paramètres (cf. supra). Notamment pour des anesthésies très la durée d’anesthésie. Pour des durées d’anesthésie de l’ordre de
courtes, il n’est pas logique d’écarter l’isoflurane qui n’aura pas trois heures chez des patients obèses, les moindres effets résiduels
eu le temps d’être stocké, alors que pour des anesthésies supé- du desflurane se traduisent par une meilleure oxygénation en
rieures à deux heures le desflurane doit être privilégié et l’intérêt postopératoire qu’après administration d’isoflurane [2] . Chez les
du sévoflurane, réduit par son stockage dans les muscles. sujets âgés, la différence de délai de réveil après isoflurane et des-
Le coût direct d’une anesthésie peut être facilement multi- flurane n’est que de trois à dix minutes et sans bénéfice réel sur la
plié par quatre par une gestion inappropriée des gaz frais. En fonction respiratoire, la durée de séjour en SSPI ou les fonctions
effet, le prix de l’entretien et d’une adaptation thérapeutique peut supérieures évaluées par Mini Mental State Test [147, 148] . Lors des
atteindre une somme élevée dès lors que la gestion des gaz frais anesthésies de courte durée, la différence entre les trois agents est
n’est pas rigoureuse ou qu’un circuit sans réinhalation est uti- faible et sans conséquence clinique pratique puisque dans la majo-
lisé. Les moindres effets de la réinhalation justifient une gestion rité des études la durée de séjour en SSPI n’est pas augmentée. Pour
différente des adaptations thérapeutiques selon l’agent halogéné les anesthésies de longue durée seulement, il semble donc logique
utilisé. Avec l’isoflurane, l’augmentation rapide des concentra- de privilégier le desflurane et de ne plus utiliser l’isoflurane. Ces
tions de fin d’expiration ne peut être obtenue qu’en augmentant données doivent être pondérées par la prémédication et le mor-
de façon simultanée la concentration délivrée par le vaporisateur phinique utilisé, notamment chez l’enfant [149] .
et le débit de gaz frais. Du fait de la plus faible captation périphé- En conclusion, la moindre somnolence et la récupération plus
rique du sévoflurane, et surtout du desflurane [145] , augmenter au rapide des fonctions supérieures avec les agents de moindre
maximum la concentration délivrée par le vaporisateur permet liposolubilité, comme le desflurane, constituent un avantage en
une adaptation thérapeutique rapide sans avoir à augmenter le permettant, par exemple, de récupérer plus vite une meilleure
débit de gaz frais. De plus, ce dernier peut être réglé à des valeurs autonomie en cas d’anesthésie ambulatoire [150] , ou d’utiliser cor-
très basses, inférieures à 1 l min−1 , suffisantes pour compenser la rectement une pompe d’autoadministration de morphine.
consommation du patient et les fuites. Chez l’enfant, la CAM d’éveil n’est pas identique selon l’âge :
L’utilisation du N2 O en association avec les halogénés est jus- celle des enfants de moins de 5 ans est plus élevée [151] . En pédia-
tifiée économiquement du fait de son effet additif sur la CAM de trie, des phénomènes d’agitation sévère ont été décrits après
ces derniers. L’adjonction de 50 % de N2 O permet de réduire pra- anesthésie avec du desflurane, de l’isoflurane et surtout du sévo-
tiquement de moitié la consommation en agents anesthésiques flurane. Après anesthésie avec du sévoflurane, ce phénomène
halogénés, et donc d’autant le coût d’utilisation des plus chers concerne 30 à 80 % des enfants [152–155] . Ces mêmes enfants,
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Anesthésiques halogénés 36-285-A-10
anesthésiés avec du propofol, ne présentent aucune agitation au Coût et choix de l’agent halogéné
réveil. L’incidence de l’agitation au réveil serait similaire en cas
d’anesthésie au sévoflurane ou au desflurane. Ces phénomènes Les différences de coût entre agents halogénés constituent le cri-
sont d’autant plus fréquents que l’enfant est jeune et d’âge présco- tère de choix principal pour la majorité des anesthésies. À l’échelle
laire ; ils sont atténués par une prémédication avec du midazolam individuelle, l’augmentation des dépenses par anesthésie n’est pas
ou 2 g kg−1 de clonidine. majeure. En revanche, à l’échelle d’un département d’anesthésie,
celles-ci deviennent importantes. De plus, les dépenses phar-
maceutiques liées aux halogénés sont les dépenses les plus
importantes d’un service d’anesthésie [156] . Lorsque le produit est
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Ponsonnard S, Cros J, Nathan N. Anesthésiques halogénés. EMC - Anesthésie-Réanimation 2014;11(3):1-21
[Article 36-285-A-10].
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