16 Iade Dalmas
16 Iade Dalmas
16 Iade Dalmas
Pharmacologie indispensable
Morphiniques
Serge Dalmas, Pôle
d’Anesthésie-
Réanimation, Hôpital
Jeanne de Flandre
Cet aspect reste assez théorique mais permet d’avoir une approche de leur mécanisme
d’action. Ces produits agissent par stimulation de récepteurs spécifiques qui vont reconnaître
une certaine conformation de la molécule dans l’espace. Les récepteurs les plus connus sont
les récepteurs mu, delta et kappa. La stimulation de ces récepteurs va modifier l’activité de
protéines intracellulaires dites « G » qui vont à leur tour agir sur des canaux ioniques et
entraîner une modification de la perméabilité de la membrane des neurones à certains ions. En
augmentant la perméabilité de la membrane au potassium par action sur les récepteurs mu et
delta, les morphiniques favorisent la sortie du neurone de cet ion intracellulaire et provoquent
une hyperpolarisation. En diminuant la perméabilité au calcium par action sur les récepteurs
kappa ce sont les libérations de neurotransmetteurs dépendantes du calcium qui sont
diminuées entraînant une réduction de la transmission de l’influx nerveux. L’action des
morphiniques est donc une action inhibitrice sur les neurones porteurs des récepteurs
spécifiques.
On distingue les agonistes qui se fixent sur les récepteurs et les activent. Chaque produit est
caractérisé par une affinité et une activité intrinsèque. L’affinité pour les récepteurs définit
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pour une part importante la puissance du produit et se mesure par la constante d’association.
Lorsque l’affinité est importante un effet analgésique est obtenu pour une moindre occupation
des récepteurs. Cette stimulation est suivie d’un effet total ou partiel sur le récepteur, en
fonction de l’activité intrinsèque du produit. Un produit dont l’activité intrinsèque est égale à
1 est un agoniste, celui dont l’activité intrinsèque est inférieure à 1 est un agoniste partiel,
c’est le cas de la buprénorphine. Un produit dont l’activité intrinsèque est égale à 0 se fixe sur
le récepteur mais n’entraîne aucune activation, c’est un composé antagoniste, comme la
naloxone. Certains produits peuvent avoir une action agoniste sur certains récepteurs et
antagoniste sur d’autres, ce sont les morphiniques agonistes-antagonistes, comme la
nalbuphine. La liaison des morphiniques avec leurs récepteurs est plus ou moins intense en
fonction de leur affinité, un produit peut en déplacer un autre en fonction de cette
caractéristique et donc modifier l’action clinique, voire l’annuler s’il s’agit d’un dérivé
antagoniste. Ainsi la morphine peut déplacer la nalbuphine, mais pas la buprénorphine qui a
une affinité importante pour les récepteurs mu. De même il est facile d’antagoniser la
morphine par la naloxone, mais il sera très difficile d’antagoniser la buprénorphine.
En pratique c’est plus complexe pendant l’anesthésie générale car la puissance d’un agoniste
morphinique sera liée à des interactions avec les autres produits utilisés, en particulier les
hypnotiques injectables ou agissant par inhalation, c’est ce que l’on appelle la « balance
hypnotiques-morphiniques ».
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Effet antalgique
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0
Buprénorphine Morphine Dose
Le délai d’action correspond au temps de transfert du produit jusqu’aux sites d’action, appelés
aussi sites effet ou biophase ; ce délai dépend d’abord de la diffusion du produit au sites
d’action matérialisée par la demi-vie d’équilibration au niveau de ces sites (1/2 vie Keo), elle-
même dépendante de la constante d’équilibration Keo. Ces sites d’action sont situés au niveau
du système nerveux central et de la moelle épinière. Pour atteindre ces sites une diffusion au
travers de la barrière hémato-encéphalique (BHE) est nécessaire. Cette barrière a une structure
en grande partie lipidique dont la traversée se fait passivement et est conditionnée par
certaines caractéristiques du produit : il ne doit pas être ionisé ni retenu par une liaison aux
protéines et doit être liposoluble. Enfin le gradient de concentration de part et d’autre de cette
barrière influence la vitesse de passage et la quantité de produit qui parviendra au site
d’action. On définit l’index de diffusion tissulaire en combinant les différents éléments décrits
précédemment : il est proportionnel à la fraction diffusible et à la liposolubilité (coefficient
octanol/eau) et inversement proportionnel au volume du compartiment initial. Le
compartiment initial est le volume dans lequel se dilue le morphinique dans les premières
minutes suivant l’injection. Plus il est faible, plus la concentration du produit sera élevée, pour
une même quantité injectée, et plus le produit aura tendance à diffuser vers les sites d’action.
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Tableau 1 : Eléments expliquant le délai d’action des morphiniques. La morphine a une fraction
diffusible élevée mais étant très peu liposoluble, cette fraction est transférée lentement au site
d’action, et son index de diffusion est faible. Traduisant les effets cliniques, la demi-vie
d’équilibration au site d’action (T ½ Keo) est très variable selon le produit, elle dépend de la
constante d’équilibration Keo.
L’impossibilité de diffuser au travers de la BHE peut cependant avoir un intérêt, non pas pour
les agonistes mais pour certains antagonistes de nouvelle génération qui ne passent pas cette
BHE et peuvent réduire les effets périphériques des morphiniques sans modifier leur activité
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analgésique centrale. Il s’agit notamment de la méthylnaltrexone et de l’alvimopan, dont
l’intérêt sur la réduction des effets secondaires digestifs a été démontré.
La durée d’action dépend du temps de contact au niveau des récepteurs situés dans le
compartiment effet. Ce temps dépend de l’affinité et du temps de dissociation des récepteurs,
puis de la cinétique du produit, qui peut se redistribuer alors du compartiment central vers des
compartiments périphériques. Ce comportement correspond pour les morphiniques à un
modèle pharmacocinétique de type tricompartimental. La redistribution des morphiniques
explique la courte durée d’action de la plupart des produits alors même qu’ils ne sont pas
encore éliminés ni même métabolisés. La décroissance de la concentration plasmatique
dépend donc plus de la redistribution du compartiment central vers les compartiments
périphériques que du métabolisme ou de l’élimination du produit de l’organisme. La vitesse
de décroissance des 3 morphiniques classiques (alfentanil, fentanyl et sufentanil) est ainsi
pratiquement identique lors d’un acte durant moins d’une heure. Chaque produit est
caractérisé par une demi-vie de distribution relativement courte et une demi-vie d’élimination
plus longue et variable. Au fur et à mesure des réinjections l’accumulation du produit dans
l’organisme va limiter progressivement les possibilités de redistribution et la durée de l’effet
clinique va augmenter avec le temps, cette durée est évaluée par la demi-vie contextuelle.
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dans le temps, évalué par la T1/2 Keo) il se redistribue du compartiment
central vers les compartiments périphériques (V2 à distribution rapide :
muscles, peau) et profond (V3 à distribution lente : graisse, os). A partir du
compartiment central il est métabolisé puis éliminé ; c’est un processus
beaucoup plus lent, sauf pour le remifentanil.
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périphérie.
Le métabolisme produit soit des dérivés actifs (morphine) soit des dérivés inactifs (dérivés du
fentanyl). Il est exprimé par la clairance, définie par le volume de plasma totalement épuré par
unité de temps, rapporté au poids. Ce métabolisme se réalise au niveau hépatique (morphine
par la glucuronyl transférase et dérivés du fentanyl sauf le remifentanil par les cytochromes P
450).
Le remifentanil est quant à lui métabolisé par des estérases plasmatiques et tissulaires et
nécessite une administration continue car sa demi-vie est très courte. La décroissance
plasmatique de sa concentration ne dépend pas d’une redistribution. Le transfert au site
d’action est aussi rapide que celui de l’alfentanil, lui conférant une grande maniabilité mais
lors de l’arrêt de la perfusion la douleur réapparaît rapidement.
La morphine est un cas particulier car ses dérivés sont actifs et peuvent entraîner des risques
de dépression respiratoire en cas d’accumulation. Elle est ainsi difficilement maniable en cas
d’insuffisance rénale.
Le délai et la durée d’action des morphiniques peuvent être influencés par l’âge, en raison de
modifications de la distribution, du métabolisme et/ou de l’élimination des produits. On
constate notamment chez le sujet âgé un ralentissement du transfert des morphiniques vers le
site d’action et une augmentation de la demi-vie d’élimination. Certaines interactions
médicamenteuses ou pathologies s’associant à une insuffisance hépatique ou même des
variabilités génétiques peuvent également réduire l’activité des cytochromes hépatiques et
modifier la demi-vie d’élimination des morphiniques. C’est surtout le cas de l’alfentanil dont
la courte demi-vie est liée à un volume de distribution très faible mais qui a en réalité une
demi-vie d’élimination longue. Sa distribution est rapidement terminée et de ce fait les retards
d’élimination hépatique allongeront sa durée d’action de manière significative en cas de
réinjection.
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Fentanyl Alfentanil Sufentanil Rémifentanil
-1 -1
Clairance (mL.min .kg ) 10-20 10-15 4-9 40-60
Métabolisme Cytochromes Cytochromes Cytochromes Estérases
P450 P450 P450 non spécifiques
Recirculation +++ - + -
Demi-vie d’élimination (h) 2-4 1-2 2-3 0,1
Demi-vie contextuelle 30 20 10 4
après 30 min de perfusion (min)
Demi-vie contextuelle 270 60 40 5
après 4 h de perfusion (min)
Demi-vie contextuelle > 600 60-120 60-120 5 (20 ans)
après 10 h de perfusion (min) 10 (80 ans)
Références
1. Shafer SL, Varvel JR. Pharmacokinetics, pharmacodynamics, and rational opioid selection.
Anesthesiology 1991 ;74 : 53-63.
3. Egan TD, Lemmens HJ, Fiset P, Hermann DJ, Muir KT, Stanski DR, Shafer SL. The
pharmacokinetics of the new short-acting opioid remifentanil (GI87084B) in healthy adult
male volunteers. Anesthesiology 1993 ;79 : 881-92.