Droit Parlementaire

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DROIT PARLEMENTAIRE ET LEGISTIQUE

Cours magistral du Dr GUIPIE Gérard Eddie, Docteur Maître-Assistant


en Sciences Politiques

Syllabus : Ce cours destiné aux étudiants de 3 ème année de Licence a pour


objectif d’approfondir les notions de droit constitutionnel et de science
politique acquises par les étudiants lors des deux précédentes années de
Licence. Centré sur le Parlement, il vise à mettre en relief le processus de
conception et de rédaction des normes, de la loi en particulier par le biais de
de la représentation nationale. Le propos sera équilibré entre d’une part, les
questions d’ordre théorique et général et d’autre part, leur application dans le
cas ivoirien.

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Introduction

Théorisée par Aristote et par John Locke, La théorie de la séparation des


pouvoirs dégagée il y a de cela plus de 3 siècles par Montesquieu au travers
de son célèbre opus « De l’esprit des lois », apparaît comme un remarquable
ouvrage de Droit constitutionnel et de Science politique. Il s’agit bien comme
l’indique Mauro Barberis d’une doctrine, non d’un fait ou d’une théorie
scientifique. Montesquieu dans son ouvrage effectue une distinction entre
trois thèses, chacune appelée ensuite séparation des pouvoirs bien que la
dénomination ne convienne qu’à la troisième.

Aux origines la théorie de la séparation des pouvoirs


La première, ici appelée distinction des pouvoirs, est une définition-
classification des fonctions constitutionnelles : légiférer, exécuter, juger. Les
deuxième et troisième thèses, ici appelées balance des pouvoirs et séparation
des pouvoirs au sens strict, sont des règles techniques concernant la
meilleure distribution des fonctions parmi les organes, bien entendu si l’on a
pour but de garantir la liberté politique. En fait, Montesquieu distribue les
fonctions politiques (législation et exécution) d’après la règle de la balance, et
la seule juridiction d’après la règle de la séparation au sens strict.

Plusieurs pouvoirs apparaissent et sont sensés se neutraliser selon la boutade


selon laquelle « seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir ». On distingue donc en
fonction des appellations : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif (ou
délibératif) et in fine le pouvoir judiciaire. La place du pouvoir exécutif chargé
de l’application, des exécutions des lois est prépondérante. Laissant des
portions congrues aux pouvoirs législatif et judicaire. Une analyse
sémiologique de la Constitution française du 4 octobre 1958 nous permet de
constater que 17 articles sont consacrés au pouvoir exécutif quand seulement
10 le sont pour le pouvoir législatif et seulement 4 pour « l’autorité judicaire ».
Cette répartition des articles achève de nous démontrer de la prépondérance
du pouvoir exécutif sur les autres, là où une égalité entre ces pouvoirs était
prônée.

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L’évolution des parlements, de l’antiquité à l’époque moderne
Cette hyper-présence de l’exécutif n’empêche pas une étude approfondie des
autres pouvoirs et du pouvoir législatif en particulier. Ce dernier qu’Aristote
appelle « pouvoir délibérant » a pour origine l’antique Ecclesia des Grecs.
L’Ecclesia dans le monde hellène apparaît comme l’Assemblée du peuple
citoyen dans de nombreuses cités antiques et notamment dans la cité
d’Athènes. L’Ecclésia est, à Athènes, l’Assemblée des citoyens. Elle vote des
lois, le budget, la paix ou la guerre, l’ostracisme, elle tire au sort
les bouleutes (présidents du conseil), les héliastes (membres des tribunaux),
les 10 archontes (magistrats qui dirigent la république) et élit les dix stratèges.

Héritière politique et juridique d’Athènes, Rome imitera l’exemple athénien en


l’adaptant néanmoins. Ainsi, en lieu et place d’une unique assemblée, les
Romains en auront plusieurs divisées par régions (comices curiates), par
régiments militaires (comices centuriates) et enfin par tribus (comices
tributes). Nonobstant ces diverses assemblées, une seule représente la
puissance du pouvoir délibératif : c’est le Sénat. Il s'agit de l'assemblée
composée des représentants des grandes familles (les gentes) de rang
sénatorial qui joue un rôle religieux, législatif, financier et de politique
extérieure important.

Au Moyen-âge avec le renforcement du pouvoir des monarques, les assemblées


se raréfient et sont amputées de leur fonction délibérative et législative, quand
elles existent, elles jouent un double rôle. D’une part elles assurent un rôle de
conseil du souverain et d’autre part, elles assistent celui-ci dans sa fonction
judiciaire, on parle alors de « curia regis in parlamento » autrement dit de cour
du roi réunit en parlement. En Grande-Bretagne dès le 13ème siècle, le
Parlement, institution réunissant l’ensemble de la noblesse apparaît pour
rationaliser les pouvoirs du roi. Son rôle est in primo financier, en effet, las de
financer les guerres à répétition des monarques, les barons s’opposent à ces
derniers et mettent en œuvre ce qui allait devenir le « principe du
consentement de l’impôt ». Les souverains ne peuvent effectuer aucune
dépense sans leur aval. Le parlement devient un contre-pouvoir à l’action
royale. En France, dès 14ème siècle, toutes les classes de la société (Noblesse,

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Clergé et Tiers-état) sont représentées. Les parlements conservent leur rôle
financier qui s’étend rendant le roi tributaire d’eux.

Au 18ème siècle, A la suite de leur victoire sur les Britanniques, les Américains
nouvellement indépendants et influencés par Montesquieu mettent en place
un parlement bicaméral. A la différence de la Grande-Bretagne, les Américains
tiennent compte de la structure fédérale de leur nation et mettent en place
une chambre haute appelée Sénat qui représente les Etats à raison de 2
sénateurs par Etat et une chambre basse : la chambre des représentants qui
l’émanation des populations.

Assemblées législatives sous la période coloniale


En application des dispositions de la constitution française de 1946, le décret
46-2375 du 25 octobre 1946 pris par le ministre de la France d’Outre-mer,
crée des Assemblées représentatives territoriales portant la dénomination de
Conseils Généraux en Afrique Occidentale.
Le 29 décembre 1946, eurent lieu les élections en vue de la désignation des
conseillers généraux en Côte d’Ivoire. 50 (Cinquante) candidats étaient
proposés selon le système du double collège, à raison de vingt sièges pour les
citoyens de statut français (civil), et de trente sièges pour les citoyens de statut
local. Ainsi furent élus 20 (vingt) européens, 18 (dix-huit) ivoiriens et 12
(douze) voltaïques.
Le 6 février 1952, la loi française no52-130 crée formellement l’Assemblée
Représentative Territoriale de Côte d’Ivoire en remplacement du Conseil
Général. Le 30 mars 1952, les électeurs ivoiriens sont alors appelés aux urnes
pour élire cinquante conseillers territoriaux qui désignent à leur tour leur
président.
La « Loi-cadre » en réorganisant entièrement l’Afrique Occidentale et l’Afrique
Équatoriale par l’institution et la définition des attributions des Conseils de
Gouvernement dans chaque territoire, des Chefs de territoire, consolide
également les Assemblées Territoriales. Le 28 septembre 1958, la Côte d’Ivoire
répond positivement au référendum d’autodétermination organisé dans toute
la communauté franco-africaine et malgache et, le 4 décembre 1958, elle
proclame sa première République. L’Assemblée Territoriale de la Côte d’Ivoire
se proclame Assemblée Constituante et les Conseillers Territoriaux prennent

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le titre de Députés. Le 26 mars 1959, l’Assemblée Constituante vote à
l’unanimité la première Constitution et cède la place à une nouvelle Assemblée
Législative qui compte cent députés d’origine ivoirienne et française.

Délimitation de la notion
On peut le constater le rôle des assemblées ou parlements a beaucoup évolué
depuis l’Antiquité. Si les parlements sont renforcés par la séparation des
pouvoirs, il n’en demeure pas moins qu’ils sont l’objet d’un droit spécial appelé
Droit parlementaire, la production des normes législatives qui est de leur
compétence quasi exclusive donne forme à un art, une science branche de la
science politique appelée Légistique.

La problématique de ce cours magistral peut se décliner ainsi :

Qu’est-ce que le droit parlementaire et la Légistique ? En quoi ces concepts


contribuent à mieux appréhender les fonctions du parlement et le processus
de conception des normes et de la loi en particulier ?

Il sera donc question dans ce propos d’évoquer la question du droit


parlementaire (I) avant de s’attarder sur la Légistique à proprement parler (II).

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Chapitre Ier. Le droit parlementaire.

Le droit parlementaire est le droit du Parlement et de la pratique


parlementaire. Selon le constitutionnaliste Marcel Prélot, c'est « [la] partie du
droit constitutionnel qui traite des règles suivies dans l'organisation, la
composition, les pouvoirs et le fonctionnement des assemblées politiques ». Il
sera donc question d’étudier les sources du droit parlementaire (Section I), le
mandat parlementaire (Section II) et in fine l’organisation et le
fonctionnement du Parlement (Section III).

Section I. Les sources du droit parlementaire.


Elles sont de 3 ordres, on distingue : les sources écrites (§1), les sources non
écrites (§2) et la jurisprudence du Conseil constitutionnel (§3).

§ 1. Les sources écrites.


A. La Constitution.
La Constitution du 8 novembre 2016 instituant la IIIème République introduit
aux côtés de l’Assemblée nationale une seconde chambre qui est le Sénat
(art.85). Elle pose les principes concernant les pouvoirs du Parlement (art.93),
le mode d’organisation et le fonctionnement du parlement (art.94) le statut de
ses membres, ainsi que ses rapports avec le Gouvernement, tout en renvoyant
les modalités de mise en œuvre aux règlements des Assemblées.

Elle s’attache à définir les incompatibilités (art.84), évoque la question des


indemnités des parlementaires laissant le soin à la loi organique d’y apporter
plus de précision (Art.90). Elle traite de l’immunité parlementaire sauf cas de
flagrant délit (art.91). Elle prévoit dans le détail certaines règles de
fonctionnement, comme la fixation de l’ordre du jour, la procédure à suivre
dans la discussion législative, l’exercice du droit d’amendement et le
fonctionnement du bicamérisme.

B. Les lois organiques et ordinaires.


Les modalités d’application de certaines prescriptions constitutionnelles sont
édictées par les lois organiques et qui forment une catégorie de lois dotées

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d’un statut spécifique. Les lois organiques sont celles qui ont pour objet de
préciser ou de compléter les dispositions relatives à l’organisation ou au
fonctionnement des Institutions, structures et systèmes prévus ou qualifiés
comme tels par la Constitution (art.102).

Les lois organiques concernant le Parlement fixent, pour chacune des


chambres, le nombre des parlementaires, leur indemnité, et des
incompatibilités. La loi organique fixe le nombre des membres de chaque
chambre, les conditions d’éligibilité et de nomination, le régime des
inéligibilités et incompatibilités, les modalités de scrutin ainsi que les
conditions dans lesquelles il y a lieu d’organiser de nouvelles élections ou de
procéder à de nouvelles nominations, en cas de vacance de siège de député ou
de sénateur (art. 90).

La loi organique prévoit les modalités de scrutin ainsi que les conditions dans
lesquelles il y a lieu d’organiser de nouvelles élections ou de procéder à de
nouvelles nominations, en cas de vacance de siège de député ou de sénateur.

Les lois ordinaires au travers du Code électoral jouent un rôle appréciable


dans

C. Les règlements des Assemblées et du Congrès.


Le règlement, c’est la loi intérieure de chaque chambre. Au terme de l’article
99 de la Constitution indique ainsi que chaque chambre établit son règlement.
Les règlements sont des normes spéciales ainsi, avant leur entrée en vigueur,
le règlement de chaque chambre ainsi que ses modifications ultérieures sont
soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la
Constitution (art.99).

Le règlement de l’Assemblée nationale a été modifié en date du 1 er juin 2002


par une résolution de l’Assemblée nationale. Le Sénat institution nouvelle
établie par la Constitution actuelle a adopté son règlement en date du 6 juillet
2018 après validation du Conseil constitutionnel.

Le Congrès qui est la réunion extraordinaire des 2 chambres du Parlement qui


siègent en même temps dans le même hémicycle est lui aussi soumis à un
règlement qui a été adopté en date du 9 mars 2020.

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Le règlement administratif des assemblées quoiqu’éludé par la Constitution
organise le fonctionnement des services des chambres du Parlement.

§ 2. Les sources non écrites.


En accroissant le domaine des normes constitutionnelles, organiques et
législatives concernant le droit parlementaire, la réduit l’importance des
sources non écrites ; toutefois ces dernières forment toujours, avec la pratique
des assemblées, un corpus de référence non négligeable.

A. La pratique parlementaire.
C’est une « règle de vie sociale » au sein des assemblées qui exprime «
l’acquiescement par le comportement ». Certains comportements, issus de la
traditionnelle « courtoisie parlementaire », ne sont pas considérés comme du
droit parlementaire proprement dit car leur méconnaissance entraîne une
réprobation dénuée de toute sanction : ainsi, l’usage veut que l’orateur se lève
avant de prendre la parole ; de même, le Gouvernement ne doit pas interpeller
les députés.

D’autres ont un fondement politique qui leur confère un caractère obligatoire


plus marqué : ainsi, le Président d’une assemblée ne participe pas aux
scrutins en raison de son obligation de neutralité ; cet usage n’a connu que
quelques exceptions, liées au caractère important ou symbolique des votes ;
de même, à l’Assemblée nationale, le Président suit toujours l’avis du
Président de la commission des Finances sur la recevabilité des amendements.

B. Les coutumes et règles de bienséance.


En ce qui concerne les pratiques, elles découlent de la politesse et de la
traditionnelle « courtoisie parlementaire ». En effet, malgré le mutisme des
règlements à ce sujet, on peut relever un usage courant lors du déroulement
de la séance en ce qui concerne la manière d’intervenir. Elles contribuent ainsi
à rendre plus souple la règle écrite, en interprétant, complétant ou précisant
les modalités de sa mise en œuvre.

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§3. Les sources jurisprudentielles.

A. Modalités du contrôle.
Depuis l’année 2000, à la faveur de la révision constitutionnelle initiée après
le putsch de décembre 1999, l’ancienne Cour suprême de la Côte d’Ivoire a été
éclatée pour aboutir à la création de quatre hautes juridictions dont
notamment le Conseil constitutionnel.

La Constitution prévoit que les lois organiques et le règlement de l’Assemblée


nationale et du Sénat soient soumis au contrôle de constitutionnalité par le
Conseil constitutionnel. Ainsi donc, le Conseil rend régulièrement des avis
juridiques s’il est saisi à cet effet. Concernant le règlement de l’Assemblée il
est obligatoirement soumis au contrôle de constitutionnalité du conseil
constitutionnel après son adoption et avant sa mise en vigueur.

B. Portée de la jurisprudence constitutionnelle.


Elle concourt indubitablement à la formation du droit parlementaire, dans la
mesure où le Règlement de chaque assemblée ou les éventuelles modifications,
sont soumis à un examen préalable de constitutionnalité avant ou après
adoption d’une part.

D’autre part, une disposition du règlement déclarée contraire à la Constitution


ne peut être mise en application (Décision 23 août 2018). Dans ce cas de
figure, les décisions du Conseil constitutionnel sont assorties de précision
liées aux modalités de mise en œuvre des dispositions visées ou attaquées.

Par ailleurs, tout projet de loi requiert l’avis de conformité à la Constitution


émis par le Conseil constitutionnel avant d’être transmis au Parlement.

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Section II. Le mandat parlementaire.
§1. Généralités.
A. Nature juridique.
L’article 51 de la Constitution ivoirienne dispose ainsi que « Le peuple exerce
sa souveraineté par la voie du référendum et par ses représentants élus. »
L’article 96 indique «que tout mandat impératif est nul ». Le mandat
parlementaire est ainsi une fonction publique dont les titulaires sont investis
par l’élection. Puisqu’il n’implique, selon la tradition républicaine issue de la
Révolution française, aucune dépendance juridique entre l’élu et ses électeurs,
sa nature juridique revêt un caractère représentatif.

B. Caractéristiques.
Le mandat parlementaire présente en conséquence 3 caractéristiques :

- il est libre : la nullité de tout mandat impératif disposée par la Constitution


garantit l’indépendance de l’élu dans ses opinions et ses votes ; les
engagements contractés lors de la campagne électorale ou après l’élection
n’ont pas d’effet juridique.

- il est général : le parlementaire ne représente pas la circonscription ou le


département dont il est l’élu mais la nation toute entière.

- il est irrévocable : sauf évènements particuliers, le mandat parlementaire


prend fin à échéance normale ; il n’existe pas de procédure de révocation de
l’élu.

§2. Les modes de scrutin et les inéligibilités.


A. Un préalable : la qualité d’électeur.
Le code électoral indique ainsi que « Tout électeur peut faire acte de
candidature aux élections organisées par la présente loi, sous réserve des
conditions particulières fixées pour chacune d'elles. » (art.17). En amont, le
code précise que « sont électeurs les nationaux ivoiriens de deux sexes et les
personnes ayant acquis la nationalité ivoirienne soit par naturalisation soit par
mariage, âgés de dix-huit ans accomplis, inscrits sur une liste électorale,
jouissant de leurs droits civils et civiques et n'étant dans aucun des cas
d'incapacité prévus par la loi. ».

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B. Les modes de scrutin et de désignation.

Le cas de l’Assemblée nationale


L’élection des députés a lieu au suffrage universel direct. Le scrutin est
majoritaire, uninominal et à un tour. Chaque candidat se présente avec son
suppléant. Ce dernier doit remplir les mêmes conditions que son titulaire.
Le cas du Sénat.
Les sénateurs sont élus, pour deux tiers, au suffrage universel indirect. Un
tiers des sénateurs est désigné par le Président de la République parmi les
anciens présidents d’Institution, les anciens Premiers ministres et les
personnalités et compétences nationales, y compris des Ivoiriens de l’extérieur
et des membres de l’opposition politique (art.87).

C. Les inéligibilités.
Ne peuvent être élues certaines catégories de personnes :

• personnes placées sous un statut de majeur protégé, de tutelle ou de


curatelle ;

• personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pénale assortie de la


privation des droits civiques ;

e peuvent pas non plus être élues les personnes auxquelles l’exercice de
certaines fonctions pourrait conférer un avantage indu, de nature à introduire
une inégalité objective entre les candidats.

La loi procède en désignant précisément les fonctions visées, leur ressort


géographique et la durée de ces inéligibilités. C’est ainsi :

• que le Médiateur de la République est inéligible dans toutes les


circonscriptions (art.167) ;

• que les préfets sont inéligibles dans les circonscriptions comprises dans le
ressort de leurs fonctions ou des fonctions qu’ils ont exercées depuis moins
de trois ans ;

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• que ne peuvent être élus dans toute circonscription comprise dans le ressort
dans lequel ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois
: les magistrats ; les officiers exerçant un commandement territorial ; un
certain nombre de fonctionnaires exerçant des responsabilités de direction et
de contrôle dans les services extérieurs, régionaux et départementaux de
l’Etat.

Le financement de la campagne
Si la Constitution en son article 25 prévoit que « les partis et groupements
politiques légalement constitués bénéficient du financement public, dans les
conditions définies par la loi », la loi électorale est muette à ce sujet.

Section III. L’organisation et le fonctionnement du Parlement.

§1. L’organisation du Parlement.


A. Les organes directeurs.
La Côte d’Ivoire est un Etat unitaire disposant d’un parlement bicaméral
(art.85) depuis la Constitution de novembre 2016.

La présidence.
Les Présidents des deux assemblées occupent une place importante dans la
vie politique ivoirienne parce qu’ils disposent de nombreuses prérogatives dont
certaines sont inscrites dans la Constitution et qu’ils jouent un rôle essentiel
en matière d’organisation du travail parlementaire et de direction des débats
en séance publique. Le Président représente la chambre et le Bureau. Il est
assisté par les autres membres du Bureau. Il assure la direction et le contrôle
de tous les services. Le Président de l'Assemblée nationale préside le Congrès.
Il est assisté du Président du Sénat, qui en est le vice-Président (art 98).

Les bureaux
Composé du Président, des vice-présidents, des questeurs et de secrétaires, le
Bureau est l’organe directeur des assemblées dans lequel toutes les
sensibilités des groupes politiques sont obligatoirement représentées en
fonction de leur importance numérique.

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Si la Constitution n’évoque les Bureaux des assemblées que de manière
incidente, les Règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais
également la loi, reconnaissent au Bureau de larges compétences collégiales
dans le fonctionnement interne des chambres.

De tradition constante, le Bureau détient dans chaque assemblée, soit


directement, soit par délégation de pouvoirs accordés à certains de ses
membres, une compétence générale sur l’organisation et le fonctionnement
interne. C’est au Bureau qu’il revient de représenter collégialement
l’assemblée dans les manifestations extérieures, d’interpréter et d’appliquer le
Règlement, de régler les incidents de séance majeurs, d’assurer l’équité de
traitement au regard de la communication audiovisuelle.

Les Commissions
Organisation

Les chambres comprennent un Bureau pour présider à ses délibérations, des


Commissions permanentes pour connaître des affaires qui lui sont soumises,
et des Groupes parlementaires.

Les Commissions permanentes sont au nombre de six :Commission des


Affaires Générales et Institutionnelles, Commission des Affaires Economiques
et Financières, Commission des Affaires Sociales et Culturelles, Commission
des Relations Extérieures, Commission de la Sécurité et de la Défense,
Commission de la Recherche, de la Science, de la Technologie et de
l’Environnement.

Les groupes parlementaires


Les parlementaires peuvent s’organiser par groupe d’affinité politique ou
groupes parlementaires. Le groupe parlementaire ne peut être reconnu comme
administrativement constitué que s’il réunit au moins huit membres. La
possibilité de s’apparenter à un groupe sans y adhérer est offerte au
parlementaire. Toutefois, aucun parlementaire ne peut appartenir à plus d’un
groupe parlementaire.

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§2. Le fonctionnement.
A. Les sessions ordinaires (art.94).
Chaque année, le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire.
La session de l’Assemblée nationale commence le premier jour ouvrable du
mois d’avril et prend fin le dernier jour ouvrable du mois de décembre. La
session du Sénat commence sept (7) jours ouvrables après celle de l’Assemblée
nationale et prend fin sept (7) jours ouvrables avant la clôture de la session
de l’Assemblée nationale.

Chaque chambre fixe le nombre de jours des séances qu’elle peut tenir au
cours de la session ordinaire.

B. Les sessions extraordinaires (art.95).


Le Parlement est convoqué en session extraordinaire par le Président de
chaque chambre sur un ordre du jour déterminé, à la demande du Président
de la République ou à celle de la majorité absolue de ses membres. Les
sessions extraordinaires sont closes sitôt l'ordre du jour épuisé.

C. Les sessions de plein droit (art. 105).


L'état de siège est décrété en Conseil des ministres. Le Parlement se réunit
deplein droit s'il n'est en session. La prorogation de l'état de siège au-delà de
quinze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ; chacune des deux
chambres se prononçant à la majorité simple des membres en fonction. En
cas de désaccord entre les deux chambres, le vote de l'Assemblée nationale
est prépondérant.

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Chapitre II. La Légistique.

À en croire un aphorisme attribué au médecin et psychologue Gustave Le Bon,


« on ne fait pas le droit ; il se fait ». Et Léon Duguit pouvait écrire : « Que ce
soit un empereur, un roi, un consul, un président de la république qui fasse
une déclaration de volonté, ce n’est jamais qu’un homme et cette déclaration
de volonté n’a pas en soi plus de force créatrice dans le domaine du droit que
celle du dernier des sujets ».

Section I. Origines historiques, Définition et délimitation de la


notion.
§ 1. Origines historiques
Dans son ouvrage majeur De l’esprit des lois, Montesquieu exprime des
réflexions qui se rapportent à la question de la rédaction des lois. Parmi ces
aphorismes, plusieurs préfigurent des questions qui se poseront à nouveau
lors de la codification napoléonienne :

« Il est bon quelquefois que les lois ne paraissent pas aller si directement au
but qu’elles se proposent. »

« Il ne faut pas faire par les lois ce qu’on peut faire par les mœurs. »

« Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. »

Dès le 19ème siècle en France, emboîtant le pas à Montesquieu, Portalis


rédacteur du futur Code Napoléon réagira par le même biais en déclarant :

« Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point


perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes
pour les lois »

« Tout simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout
prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre. »

« Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires »

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« Quand la loi est claire, il faut la suivre ; quand elle est obscure, il faut en
approfondir les dispositions. Si l’on manque de loi, il faut consulter l’usage ou
l’équité. »

« La loi statue sur tous : elle considère les hommes en masse, jamais comme
particuliers. »

De tels aphorismes augurent de ce qui allaient plus tard devenir un art, à tout
le moins une science et préfigurer des débuts de la légistique.

C’est en 1950, quand est publié l’ouvrage de Masquelin et Frey sur la


Légistique formelle, qu’apparaît pour la première fois la notion de légistique.
Aussitôt critiqués comme belgicismes de mauvais aloi et impropriétés, le mot
légistique et le terme légistique formelle sont malgré tout reçus en France, en
Suisse et au Canada. Même en Belgique, aucun cas n’est fait de ces
observations des puristes et l’ouvrage de 1950 est suivi d’autres réalisations :
Code – formulaire de légistique en 1960 et Traité de légistique formelle en
1982.

Les dictionnaires généraux et plusieurs vocabulaires juridiques n’enregistrent


pas encore le mot légistique. Ce néologisme étant correctement construit sur
le latin lex, legis (loi) et étant fort répandu dans les écrits juridiques et chez
tous les auteurs, il reste à parier que le mot fera bientôt son entrée de plain-
pied dans le vocabulaire français attesté par les lexicographes et qu’il perdra
ainsi son caractère injustifié de particularité lexicale du français en Belgique.

§ 2. Définition et délimitation du concept.


Entendue comme l’étude des aspects formels de la loi, la légistique est une
méthode, une discipline, une science, auxiliaire de la jurilinguistique et, plus
généralement, de la science juridique et de la science politique. Elle s’intéresse
au premier chef à toutes les questions se rapportant à la technique législative,
notion qui recouvre l’ensemble des règles, procédés et usages concernant la
forme et la rédaction des textes législatifs et réglementaires : présentation
matérielle du texte, processus de son élaboration par les rédacteurs et les
rédactrices législatifs (qu’il y a lieu de distinguer des légistes), forme

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linguistique, autrement dit la « plastique de la loi » pour suivre Ihering,
composition de la loi (au sens de sa confection, comme l’entendait
déjà Montesquieu), soit le plan de la loi, ses découpages, sa disposition, la
formulation de la loi, plus précisément son style (aspects graphiques – lettres
majuscules, signes de ponctuation, espaces, aspects lexicaux et syntaxiques
–, aspects stylistiques et même juristylistiques du discours du législateur,
organisation des lois, leur coordination et leur classement, les règles régissant
leur modification, leur abrogation, leur codification ou leur consolidation, leur
refonte, leur interprétation, leur application dans le temps et leur réception
juridique).

Il est pourtant difficile, pour un scientifique du droit, de ne pas considérer que


les règles de droit ne sont pas données mais construites, qu’elles sont le fruit du
travail de certains individus dotés, au sein de l’organisation politique, de pouvoirs
et de compétences leur permettant de créer le droit. Dès lors, la légistique est
permise. Les « naissances du droit » reposeraient sur trois acteurs : « un pouvoir
qui édicte, un peuple qui accepte, une science qui formule » 3. Parmi ces trois
acteurs, la légistique intéresse la « science qui formule » — mais encore faut-il
poser la question de savoir s’il est pertinent de parler en l’occurrence de « science
».

Cette ample matière de la légistique oblige à la diviser en trois catégories grâce


auxquelles se répartiront les travaux réalisés dans cette discipline : légistique
formelle, légistique matérielle ou substantielle et légistique comparée.

Section II. La légistique formelle.

§1. Définition.
a légistique formelle s’attache principalement aux règles de la rédaction
législative, à la structure, à l’organisation interne et à la forme des textes de
lois. Elle étudie les règles formelles qui régissent la formulation et l’apparence
du texte, la composition des lois et le style législatif. « Le style et la langue
législatifs sont au cœur des préoccupations des chercheurs en légistique. »

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Plus précisément, la légistique formelle se penche sur les principes et les
mécanismes essentiels de la technique rédactionnelle. Elle énonce, parfois
sous forme de préceptes (Byvoet), parfois sous forme de guides de rédaction,
des règles de légistique qui sont des principes propres à éclairer les rédacteurs
et les rédactrices de textes de lois et de règlements. Ces principes définissent
les conditions qui assurent la qualité et la sécurité juridiques de la législation
et de la réglementation, les érigeant en normes rédactionnelles pour les
sections de législation des autorités publiques. Les travaux de légistique
canadienne et belge en particulier ont fourni et fournissent encore de
nombreux outils de travail qui visent à améliorer la qualité linguistique de nos
lois et à leur assurer une uniformité et une cohérence nécessaires. Légistique
française, suisse. Usages de la légistique anglaise et américaine.

La légistique formelle étant une méthode relativement nouvelle, les auteurs en


donnent des définitions diverses. « Recherche de procédés, de règles et de
formules, destinés à une rédaction correcte et à une meilleure appréhension
des textes normatifs, et s’efforçant de parvenir à cette fin par l’harmonie, la
clarté et le rejet des différences non fondées. » « Science (science appliquée) de
la législation, qui cherche à déterminer les meilleures modalités d’élaboration,
de rédaction, d’édiction et d’application des normes. »

L’esthétique de la norme sert deux exigences fondamentales : le principe de


sécurité juridique et le principe démocratique. En servant le principe de
sécurité juridique, les qualités formelles de la loi sont destinées à garantir
l’effectivité des droits et libertés. En servant le principe démocratique, elles
tendent à assurer l’efficacité de la loi.

§2. Principes de sécurité juridique et effectivité des droits et libertés.


Le raisonnement s’articulera à la manière d’un syllogisme. Pour en arriver à
la conclusion que la légistique formelle sert l’effectivité des droits et des
libertés, nous démontrerons que la légistique formelle assure la sécurité
juridique (majeure) et que la sécurité juridique garantit l’effectivité des droits
et libertés (mineure).

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A. Principes de sécurité juridique de la légistique formelle.
L’exigence de sécurité juridique repose sur une qualité : la prévisibilité de la
norme, c’est-à-dire une prédictibilité de ses effets à venir. Or comment assurer
cette prévisibilité ? En rédigeant des lois de manière simple, claire et précise,
comme le préconise la légistique. Il faut ici convenir que l’exigence de
prévisibilité repose largement sur un « fantasme de maîtrise de l’avenir ». La
clarté et la précision d’un texte ne peuvent suffire à garantir l’interprétation
souhaitée par son auteur. À tout le moins, ces qualités formelles permettent
de resserrer l’espace de codétermination du sens de la loi en renforçant les
contraintes pesant sur les autorités d’application de la loi. Mieux elle est
rédigée, plus les justiciables sont en mesure de prévoir ses effets. La
prévisibilité n’est pas assurée, elle est simplement renforcée.

B. La sécurité juridique garantit l’effectivité des droits et des libertés.


La mineure du syllogisme s’appuie sur les jurisprudences de la Cour
européenne des droits de l’homme et du Conseil constitutionnel. Dans
plusieurs décisions, la Cour de Strasbourg a consacré l’exigence de sécurité
juridique en imposant le principe de prévisibilité de la loi. Selon cette
juridiction, cette exigence serait une conséquence de la prééminence du droit.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel affiche clairement cette conception
dans sa décision 98-421 DC. Pour justifier la création de l’objectif
d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, le juge explique : « l’égalité devant la
loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
et “la garantie des droits” requise par son article 16 pourraient ne pas être
effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des
normes qui leur sont applicables ; qu’une telle connaissance est en outre
nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la
Déclaration, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées
par la loi, que par son article 5, aux termes duquel “tout ce qui n’est pas
défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire
ce qu’elle n’ordonne pas” ».L’exigence de sécurité juridique apparaît ainsi
comme un principe transversal permettant d’assurer l’effectivité de l’ensemble
des droits et libertés constitutionnels.

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C. Principe démocratique et effectivité de la loi.
Notre raisonnement s’articulera également autour d’un syllogisme : puisque
la légistique formelle sert l’effectivité du principe démocratique (majeure) et
que l’effectivité du principe démocratique sert l’efficacité de la loi (mineure),
on peut en déduire que la légistique formelle sert l’efficacité de la loi.

La légistique formelle préconise non seulement que la loi soit prévisible, mais
au-delà encore, lisible, c’est-à-dire accessible à ses destinataires. La lisibilité
est une exigence plus large que la prévisibilité. Elle l’englobe tout en la
dépassant. Bien au-delà de la simple qualité rédactionnelle, la légistique
formelle renvoie au principe de la communication législative. Il s’agit d’assurer
la publicité de la loi afin de permettre sa connaissance par ses destinataires.
Les auteurs de cette discipline mobilisent autour de cet objectif les savoirs de
nombreuses sciences telles que la linguistique, la stylistique, les sciences de
la communication, la pédagogie, etc. Globalement, la légistique préconise le
croisement des savoirs utiles à l’ambition de la connaissance de la loi par les
citoyens. C’est une conception de la loi comme lien démocratique qui se trouve
à l’origine de ces recommandations. Notre système tout entier repose sur cette
fiction du gouvernement du peuple par le peuple. Assurer la lisibilité de la loi
c’est permettre à l’ensemble des citoyens de saisir son contenu et d’être en
mesure de porter un jugement critique. Ainsi entendue, l’exigence de lisibilité
défendue par la légistique est destinée à assurer l’effectivité du principe
démocratique.

Une question demeure en suspens. En quoi l’effectivité du principe


démocratique sert-elle l’efficacité de la loi ? Pour démontrer la mineure du
syllogisme, il convient d’en revenir à la notion de loi. Reflet des valeurs
communes des membres d’une société, la loi est l’expression d’un « vouloir
vivre ensemble ». Cette conception suppose ainsi une adhésion des citoyens à
la loi. Cette adhésion n’est possible que par la connaissance de la loi et la
compréhension du système qu’elle instaure. La connaissance de la loi,
condition de la démocratie, est dans le même temps la condition de son
efficacité. Connue des citoyens, elle est susceptible d’être mieux reçue et
acceptée par eux. Elle peut alors emporter l’adhésion des citoyens. Cette
notion d’efficacité rejoint alors celle d’effectivité, entendue par P. Lascoumes

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comme « le degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles
énoncées par le droit ».

Section III. La légistique matérielle.

§1. Définition.
La légistique matérielle ou substantielle s’attache à la procédure législative, à
la méthodologie législative, à la théorie de la législation, à la sociologie
législative, bref, à la science législative. Elle a pour objet les questions diverses
qui portent sur les normes et sur les valeurs établies par l’énoncé de la règle
de droit, sur la philosophie du droit dans la perspective du droit législatif, sur
le respect des compétences, sur l’harmonie des textes avec le droit positif
existant, sur l’inflation législative, sur la motivation des actes administratifs,
sur la codification, la consolidation et la refonte des lois, sur leur
interprétation et sur leur réception. Pour elle, la technique législative est
soumise à une véritable éthique, dirait-on, qui régit aussi bien l’interprétation
que l’application du droit législatif. La légistique matérielle ou substantielle a
été définie comme « la méthode visant à rationaliser le processus de formation
et de mise en œuvre de la loi. »

§2. Cohérence externe et effectivité des droits et libertés.


Du point de vue de sa cohérence externe, la loi devra être élaborée en
considération de son environnement normatif. Il s’agit ici d’imposer une
logique d’articulation entre la Constitution et la loi. Cette exigence se rattache
à une conception d’un droit rationnel conçu comme « une totalité cohérente,
un « ordre » unitaire, c’est-à-dire un système de normes solidaires et
hiérarchisées, reliées entre elles par des relations logiques et nécessaires ».
Hiérarchiquement inférieure à la Constitution, elle devra non seulement ne
pas violer les normes constitutionnelles, mais au-delà encore assurer leur
mise en œuvre. Si la légistique se défend d’opérer des choix de valeur, elle est
en mesure de contourner cet obstacle en fondant ses préconisations sur cette
logique d’articulation des normes législative et constitutionnelle. Le

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constituant ayant affirmé les valeurs fondamentales, il appartient au
législateur de les concrétiser.

§3. Cohérence interne et efficacité de la loi.


Du point de vue de sa cohérence interne, la loi devra être élaborée de manière
à assurer la réalisation des objectifs qu’elle poursuit. À cet égard, la légistique
préconise l’adéquation entre les objectifs qu’elle se propose d’atteindre et les
moyens qu’elle déploie pour ce faire. Il s’agit alors d’assurer l’efficacité de la
loi, c’est-à-dire de lui faire produire dans la réalité les effets attendus. La
notion d’efficacité renvoie à l’analyse des effets concrets de la loi, c’est-à-dire
à sa capacité à agir sur le réel. Il s’agit de savoir si la loi parvient à ses fins, si
elle atteint ses objectifs en tant qu’« instrument du changement social » ou
comme « technique de gestion ». La légistique propose à cet égard une véritable
méthodologie d’élaboration de la loi. Cette méthodologie distingue deux
phases : en amont de l’adoption de la loi, la conception (quels sont nos
objectifs ? comment les atteindre ?), et en aval, l’évaluation (qu’est-ce qui a ou
n’a pas fonctionné et pourquoi ?).

A. En amont, la conception de la loi


L’exigence d’efficacité « implique que les instruments soient adéquats aux
objectifs visés. C’est pourquoi la légistique, conçue comme une démarche
méthodique, propose un parcours qui permet de concevoir une intervention
législative en tenant compte des caractéristiques du problème à résoudre et
des buts à atteindre ». Cette démarche se décompose en plusieurs étapes.

Première étape. Le préalable à toute volonté de légiférer consiste à s’interroger


sur la nécessité de légiférer. Identifier un problème ne suffit pas à justifier
une intervention législative. La légistique propose ainsi d’identifier le problème
et surtout de l’examiner afin de déterminer ses causes réelles. À l’issue de
cette étape, on peut ou non décider de légiférer. Cette démarche préalable est
en outre destinée à contenir le phénomène d’inflation législative.

Deuxième étape. Le problème étant identifié, il convient ensuite de déterminer


les buts et objectifs de la loi : « pour être en mesure de prendre les mesures
susceptibles de modifier la situation de fait, le législateur doit être clair sur la
situation désirable à promouvoir ». Le rappel de ce conseil est d’autant plus

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nécessaire, que, « de manière générale, le législateur a plus tendance à réagir
à une situation de fait jugée inacceptable qu’il ne met en œuvre des moyens
au service d’un projet clairement identifiable ».

Troisième étape. Ce n’est qu’ensuite que le législateur pourra faire


« l’inventaire des moyens susceptibles de provoquer ces effets et donc de
mettre en œuvre les objectifs visés ». La légistique propose alors une
méthodologie destinée à « choisir entre les différentes mesures inventoriées
[…]. Le premier critère à prendre en compte, c’est, bien sûr, l’adéquation des
mesures aux objectifs visés : leur efficacité ». On constate en effet trop souvent
aujourd’hui une dérive qui consiste pour la loi à afficher la prise en
considération d’un problème sans contenir de véritables dispositifs normatifs
propres à les solutionner. Le titre de la loi suffit alors à épuiser l’intention du
législateur. La légistique propose ainsi de procéder à une évaluation
prospective afin de s'interroger sur les effets potentiels de chacun des moyens
envisageables. Il s’agit de mener a priori des études d’impact. En outre, elle
préconise de prendre en considération « toute une série de contraintes telles
que le coût des mesures, leur insertion dans l’ordre juridique, leur
acceptabilité politique, la faisabilité de leur mise en œuvre, le temps à
disposition pour atteindre les objectifs. »

D’une manière générale, cette méthodologie proposée par la légistique suppose


de prendre le temps d’élaborer la loi. Elle s’oppose ainsi au réflexe législatif.

B. En aval, l’évaluation des effets de la loi


L’évaluation peut prendre diverses formes. Nous nous intéresserons ici à
l’évaluation ex post et plus particulièrement aux lois dites « expérimentales ».
L’expérimentation législative permet de tester une loi dans le cadre d’un délai
limité sur tout ou partie du territoire. À l’issue de l’expérience, on évalue les
résultats et on décide ou non de pérenniser et de généraliser la règle. L’intérêt
de ces démarches d’évaluation et d’expérimentation est précisément d’assurer
l’efficacité de la loi. L’évaluation de la loi permet en effet de déterminer si la loi
a atteint ses objectifs, d’en saisir les raisons et in fine de remédier aux carences
constatées. De ce point de vue, cette méthode concourt à assurer l’efficacité
de la loi. Pourtant, il faut également voir dans l’évaluation du droit, les dangers
qu’elle présente au regard des droits et des libertés publiques. À cet égard,

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l’évaluation pose la question des critères retenus : les effets du droit ne
peuvent être appréhendés uniquement sous l’angle d’une évaluation
économique. Le droit joue un rôle symbolique que les sciences économiques
sont incapables d’évaluer. La recherche d’efficacité sera ainsi encadrée par le
Conseil constitutionnel qui veillera au respect des principes constitutionnels.

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