Codes Et Valeurs de La Chevalerie Errante
Codes Et Valeurs de La Chevalerie Errante
Codes Et Valeurs de La Chevalerie Errante
de la chevalerie errante
L’univers chevaleresque mis en scène dans la légende arthurienne relève, Guiron Le Courtois
Milan, vers 1370-1380
comme le suggère Jean de Meung dans le Roman de la Rose (vers 1275), d’une BnF, Ms., NAF 5243, f. 30v
« chevalerie de littérature » : la Bretagne y est une terre de fiction, de merveilles
et d’enchantement, et l’occupation principale du roi Arthur est d’écouter les
récits que lui rapportent ses chevaliers. À travers ces récits, ces éclats, ces
prouesses, c’est aussi un nouveau genre littéraire qui est en train de naître :
le roman, associant avec une liberté nouvelle la chevalerie à l’artifice,
une chevalerie très codifiée avec ses valeurs et ses lieux emblématiques.
Rédaction :
Caroline Doridot
Structure générale du roman arthurien Les lieux et les défis de
l’aventure chevaleresque
Pour Chrétien de Troyes, fondateur du genre, le comme l’a demandé Merlin qui a instauré cette
« roman » doit être l’histoire fictive d’un chevalier règle afin que personne n’oublie, pendant les
errant, d’un héros d’armes et d’amours qui part siècles à venir, combien les chevaliers d’Arthur
à l’aventure en quête de sa propre identité. C’est étaient des hommes extraordinaires.
un héros qui se met perpétuellement en danger. Ce qui advient là comme une véritable
Chrétien, au début de ses œuvres, est toujours révolution, c’est que le roman « arthurien »
« nostalgique » d’un temps où « ceux qui aimaient se présente comme une fiction, comme
avaient une réputation de courtoisie, de une nouveauté invérifiable, indépendante de
vaillance, de largesse et d’honneur ». l’Histoire. Point donc de références aux réalités
Au moment de partir, le héros est toujours historiques du temps médiéval car tout se joue
« armé de pied en cap comme doit l’être un dans un autre temps… Par un étrange paradoxe,
chevalier ». Il reviendra à la cour du roi Arthur, Arthur et ses chevaliers deviendront des
un an et un jour après son départ, afin de personnages historiques et Charlemagne un
raconter ses aventures. Elles seront écrites, personnage de légende !
La forêt Le tournoi
Lieu des errances héroïques, la forêt est un Lieu de la reconnaissance collective, le tournoi
espace de l’étrangeté, où le chevalier côtoie des se déroule devant le roi Arthur et (ou) la reine
fontaines fabuleuses, des châteaux d’étapes, Guenièvre.
des passages redoutables à franchir (les ponts C’est là que le chevalier montre à l’ensemble de
sont très nombreux), des forteresses frappées la cour son courage et sa prouesse. Il rassemble
de coutumes barbares. Elle est très peu décrite les chevaliers de la Table ronde et d’autres
car elle est avant tout symbole du désordre combattants. Il advient à l’intérieur du roman
du monde, de l’irrationalité naturelle, du comme une pause ludique, comme une
surprenant. Le merveilleux y règne : fontaine suspension provisoire des aventures qui
dont l’eau bout tout en demeurant froide, reprendront ensuite. Le tournoi est le symbole
hommes décapités qui replacent leur tête sur de la réunion et non de l’éparpillement.
leurs épaules, tombes qui parlent… Tout un Il permet aussi de rétablir une hiérarchie
monde féerique qui rattache le roman arthurien entre les chevaliers. Dans le Tristan en prose,
à l’univers celtique. Palamède atteint la quatrième place, car
La forêt est aussi un lieu d’expériences vécues il a réussi à vaincre Lamorat ; il a fait aussi
car les branches fouettent le visage lorsque le quelques parties « nulles » face à Tristan,
sentier est trop étroit. Il peut y faire très chaud dont la réputation n’est plus à faire.
ou très froid ; le chevalier peut y dormir, il peut Les tournois peuvent être parfois violents,
trébucher sur les pierres des chemins (Galehaut comme ceux qui opposent les chevaliers
dans la forêt Glorinde). d’Uterpendragon (le père d’Arthur) à ceux
Tout ce qui est clair est beau et bon au contraire qui ont été « recrutés » par Arthur lui-même,
des espaces d’obscurité, où le chevalier peut une fois devenu roi.
Lancelot du Lac, La Quête du Saint Graal, se perdre au milieu des périls qui le guettent. Le tournoi peut être aussi l’occasion de régler
La Mort le Roi Artu C’est pourquoi, comme l’écrit Jacques Le Goff : un conflit entre deux ou trois vassaux d’Arthur,
Paris, 1494 « La forêt et la nuit emmêlées sont le lieu de où le jugement de Dieu est réclamé. Si un camp
BnF, Réserve des livres rares, Vélins 614, f. A2 l’angoisse médiévale […] Un grand manteau est défendu par Gauvain ou Lancelot, peut-on
de forêts et de landes trouées de clairières alors respecter cette ordalie ? Car ces deux
cultivées plus ou moins fertiles, tel est le visage chevaliers sont assurés de la victoire, ils sont
Robert de Boron (vers 1200) fera de la Table de la chrétienté, semblable à un négatif de les meilleurs compagnons du roi ! La justice ne
l’œuvre de Merlin. Après la Table de la Cène et l’Orient musulman, monde d’oasis au milieu peut être alors respectée.
celle du Graal, présidée par Joseph d’Arimathie de déserts. » (L’Imaginaire médiéval, Paris, 1985, Le tournoi peut enfin avoir une fonction sociale :
(puis par son beau-frère Bron, le premier Roi p. 59-75) Lorsque le christianisme advient il est l’occasion pour les belles demoiselles de
Pêcheur), elle achève son histoire à la cour du en Europe, il le fait au détriment des arbres, choisir comme époux le chevalier qui, à leurs
roi Arthur ; Arthur en « héritera » alors qu’il est refuges des fées, des magiciens et d’autres yeux, sera le plus fort et le plus vaillant. C’est
auprès du roi de Carmélide, Léodegan : ce sera créatures de l’imaginaire populaire. C’est aussi le cas du tournoi de Noauz, où Lancelot viendra
la précieuse dot de Guenièvre, qu’il prendra le domaine des bêtes et des gens de mauvais combattra tout de noir vêtu… : les armoiries
alors pour épouse. La Table deviendra le aloi, des loups et des brigands. Pourtant, plus d’une seule couleur sont réservées
symbole du Christ, et une amitié quasi qu’à ces périls réels mais limités, c’est à des généralement aux nouveaux chevaliers, qui
monastique liera les chevaliers entre eux. Un terreurs imaginaires que le paysan médiéval doivent les porter pendant une année après
siège restera néanmoins vide jusqu’à l’arrivée associe l’univers forestier. Seuls les ermites et leur adoubement.
de Galaad, le chevalier pur : le Siège périlleux. les chevaliers errants, c’est-à-dire des gens qui Quant au tournoi de Wincester, décrit dans
Son existence rompt l’égalité des chevaliers fuient le monde par vocation ou par obligation, la Mort d’Arthur, le roi est posté en haut
entre eux, car ils savent qu’il existe un homme sont assez « fous » pour s’y confronter. d’une tour et observe les combats. Deux camps
meilleur qu’eux… s’affrontent, ceux « du dehors » et ceux « du
dedans », ces derniers représentant la force
la plus importante car c’est là que se trouvent
les compagnons de la Table Ronde. Ceux « du
dehors » sont les chevaliers étrangers, les rois
d’Écosse, d’Irlande, de Galles… Lancelot choisit
ce camp pour leur venir en aide. Ce tournoi
ressemble à une vraie bataille, « où la foule
des combattants [est] … épaisse », avec joutes
à la lance et combats à l’épée, où des chevaliers
sont blessés, mais où personne n’est tué.
« Ne commettre aucune infraction à l’étiquette »
(Le Chevalier de la charrette, vers 2999)
L’aventure suppose un certain nombre de la jeune fille « impudique », « très belle et très
règles que le chevalier doit respecter tout autant charmante », est éclairant : elle lui propose de
que les hommes et les femmes qui l’entourent. l’héberger à condition qu’il couche avec elle.
Lancelot refuse d’abord, mais finit par accepter.
La prouesse : Lancelot et Tristan possèdent une Au moment « du coucher, il éprouvera une
prodigieuse force physique, certes, mais ils sont accablante détresse ». Elle lui fait servir des vins
également des hommes amoureux, des amants les plus délicats, des mets délicieux, le fait vêtir
exclusifs qui aiment sans partage. Ils vont d’un manteau écarlate. Lancelot a fait la
dépasser les limites de la prouesse jusqu’à promesse de dormir avec elle, et un chevalier
oublier leur honneur de chevalier. Lancelot monte a pour règle de ne jamais revenir sur sa parole.
dans la charrette d’infamie, et Tristan se réfugie Il la découvre dans une chambre, criant après
avec Iseut dans la forêt, où ils vivent comme des un homme qui veut la violenter. « Si lâcheté me
animaux traqués ; il se déguise aussi en lépreux, prête son cœur et si je me laisse dominer par
personnage honni par la société elle, je n’atteindrai jamais mon but. Je suis honni
médiévale...Thème largement développé, la si je m’arrête. » Il éprouve « honte et souffrance »,
prouesse est l’apanage de tous les chevaliers au point qu’il veut mourir. Il doit se battre contre
errants, mais elle atteint valeur d’excellence chez les six adversaires qui l’empêchent de délivrer
Lancelot et Tristan. la jeune fille. Alors qu’ils sont en fuite, il « se
Pour l’ensemble des autres chevaliers, des codes couche lentement, mais il ne retire pas sa
précis réglementent leur prouesse : lorsqu’un chemise, pas plus qu’elle n’avait fait. Il prend bien
Le Roman de Jaufré, fin du xiiie siècle ou début du xive
chevalier est accompagné de quelques soin de ne pas la toucher, mais il s’écarte d’elle BnF, Ms. français 2164
compagnons, le code de l’errance exige qu’ils et, couché sur le dos, il garde le silence à l’instar
se séparent au premier carrefour venu. Seuls, ils d’un frère convers à qui la parole est défendue ».
peuvent alors prouver leur prouesse, par de La jeune fille comprend alors que Lancelot …mais aussi un corpus de règles
simples joutes, des combats complets à la lance ne peut lui donner ce qu’elle désire et s’en va pratiques communes
et à l’épée. Rien n’est laissé au hasard : la durée dormir dans une autre chambre.
Le respect de la parole donnée : la promesse
de l’affrontement, les pauses, la multiplication
du chevalier vaut pour règle. Aucun chevalier
des adversaires… Parfois, des textes raillent Longue est la liste des valeurs sur
ne peut revenir sur ce qu’il a dit au risque d’être
l’absurdité de certains affrontements, comme lesquelles s’appuie l’idéal chevaleresque…
ensuite considéré comme lâche et inapte
le Tristan en prose. Le jeune Dinadan, frère du
La largesse : le chevalier méprise tout profit. à servir la chevalerie.
valeureux « jeune homme à la Cotte Tailladée »,
Par respect de son état, il ne produit rien et
dénonce les prétextes parfois ridicules des Le respect des règles du combat : respecter
se doit de renoncer aux richesses acquises.
combats, l’impulsivité de certains chevaliers. son adversaire et ne jamais lui donner la mort,
Lancelot, dans le Tristan en prose, devient
L’auteur est plus soucieux de tempérer l’élan sauf si le chevalier ne peut faire autrement.
seigneur d’un château qu’il a libéré de
héroïque que de le condamner. C’est-à-dire s’il en va de sa survie, de sa légitime
sa fâcheuse coutume mais le cède ensuite
La prouesse possède un lien étroit avec l’amour. défense. Le chevalier est un être loyal.
à un de ses amis de confiance.
Lancelot en est l’exemple le plus prestigieux.
Le devoir de merci : accorder sa grâce
Il aime Guenièvre d’un amour absolu et la reine La courtoisie : sans aucun doute, le chevalier
à un chevalier qu’on a vaincu.
met souvent son amour à l’épreuve. Au cours a des devoirs envers le roi Arthur. Mais il en a
de ses aventures, il rencontre à maintes reprises également envers la dame qu’il aime. Il entend la Demander le nom de celui contre qui on
des jeunes demoiselles qui veulent le séduire. séduire par sa vaillance, l’éblouir pas sa largesse combat : de manière générale, le chevalier errant
Il doit alors faire preuve d’une grande habilité et sa loyauté. Mais il doit aussi assistance porte son heaume et son armure. On ne peut
pour échapper à leurs avances. L’exemple de à toutes les femmes et les demoiselles. le reconnaître. Il ne porte pas son écu avec ses
armoiries, qu’il réserve pour les tournois. Il est
donc très rare de savoir qui il est. Le chevalier
Tristan chevalier inconnu par excellence est Lancelot.
de la Table ronde
Paris, 1496 Rompre une coutume néfaste qui nuit à la
BnF, Réserve des livres tranquillité d’une seigneurie instaurée par
rares, Vélins 623, f. 5 des chevaliers « félons, traîtres et déloyaux ».
Il s’agit là de rétablir la justice, ou d’éliminer
les enchantements qui nuisent à la tranquillité
ordonnée de la vie.
Combattre le jour : chaque aventure se termine
la nuit venue car les chevaliers ne combattent
jamais dans l’obscurité, c’est une règle que tous
doivent respecter.
Mourir avec honneur : c’est l’obsession de tous
les chevaliers, le code guerrier par excellence.
Ne pas être accusé de lâcheté, de faiblesse ou
de peur… Mourir les armes à la main, si possible,
après un combat âpre et exemplaire.
L’hospitalité, une coutume partagée par tous :
chaque chevalier est reçu avec dignité et honneur
à chaque fois qu’il arrive dans le château d’un
seigneur. C’est une règle d’accorder gîte et repas
au chevalier errant. Tous les récits racontent en
détail le soin avec lequel le chevalier est désarmé,
habillé d’un manteau court ou orné, fourré de petit-
gris, en laine. Ils évoquent la fille du seigneur, qui
lui tient compagnie dans un beau jardin ou dans
la salle principale, les conversations agréables,
le souper, le lit qui lui est offert… La cour d’Arthur
est le modèle de l’hospitalité parfaite.
De la recherche de gloire ou d’amour humain… …à la quête symbolique du Graal :
christianisation de la légende