Moliere 2

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Explication linéaire 2 liée au parcours « comédie et spectacle » - Le Malade imaginaire, acte 3

scène 10

Introduction

À la fois dramaturge, directeur de troupe, metteur en scène et acteur, Molière est l'un des plus
grands hommes de théâtre français du XVIlème siècle.
Il excelle dans la farce puis dans la comédie de mœurs, plus subtile, qui dénonce les vices et
passions excessives, contraires à l'idéal de l'honnête homme du XVIlème siècle.
Dans Le Malade Imaginaire, Argan, un hypocondriaque, veut imposer à sa fille Angélique un
mariage d'intérêt avec un jeune médecin pédant et ridicule dans le but de réduire ses frais médicaux.
La servante Toinette voyant le désespoir d'Angélique, décide de jouer un tour à Argan pour faire
émerger la vérité des sentiments.Elle annonce à Argan l'arrivée d'un médecin qui est joué par elle-
même. Elle va ainsi, dans l'acte III scène 10, véritable scène de théâtre dans le théâtre, procéder à
une auscultation d'Argan.

Problématique

Comment le travestissement de Toinette permet-il une satire efficace de la médecine ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, de « je suis médecin passager» à « c'est du poumon que vous êtes malade »,
Toinette déguisée donne une image satirique du médecin.

Dans un deuxième temps, de « du poumon ?» à « de boire mon vin fort trempé«, Toinette fait un
diagnostic parodique.

Enfin, dans un troisième temps, de « ignorantus, ignoranta, ignorantum » à « tandis que je serai en
ville«, c'est le traitement proposé par le médecin qui va à l'encontre du bon sens.

I - L'image satirique du médecin


(De « Je suis médecin passager » à « c'est du poumon que vous êtes malade »)

A - Le médecin, un personnage imbu de lui-même


Toinette est déguisée comme pour une auscultation et se présente comme un médecin de passage.
D'emblée, la gradation ternaire « de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume
» révèle un égo boursouflé et une volonté d'impressionner son interlocuteur.
La tirade de Toinette est particulièrement comique car elle repose sur une inversion du rapport
traditionnel médecin/ patient. Alors que le médecin est censé venir au secours du malade, pour le
rétablir, le médecin incarné par Toinette refuse de s'occuper du patient souffrant de « maladies
ordinaires» .Par une inversion comique, c'est donc le malade qui doit se montrer « digne » d'être
soigné. Le malade n'est en effet qu'un faire-valoir qui permet au médecin « d'exercer les grands et
beau secrets » de la médecine.
La médecine est donc vidée de son sens: il ne s'agit plus pour le médecin de soigner mais de se
mettre en valeur et satisfaire son égo.
Le champ lexical du mépris souligne la condescendance du médecin à l'égard de ses patients: « je
dédaigne m'amuser», « menu fatras», « maladies ordinaires», « bagatelle» .
Le suffixe « otte » à « fiévrotte » accentue son dédain pour les maux mineurs. Paradoxalement, le
médecin souhaite donc les plus grands maux à ses patients: « je veux des maladies d'importance » .
L'énumération de maladies mortelles fait entendre des malédictions, comme si le médecin se
transformait en imprécateur : « de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de
bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes,, de bonnes hydropisies... » .
L'adjectif « bonne » porte ici la charge comique car il révèle la perversité du médecin qui se réjouit
de la maladie de ses patients. En effet, ces maladies ne saurait être « bonnes » pour les patients,
mais elles sont « bonnes » pour le médecin qui s'enrichit grâce à elles.
La tournure emphatique et le vocabulaire hyperbolique souligne la mégalomanie du médecin: « c'est
là que je me plais, c'est là que je triomphe » .
Le faux médecin achève sa tirade par une formule de politesse (« vous rendre service«) rendue
absurde par les imprécation précédentes.
Mais le discours de Toinette déguisée en faux médecin semble fonctionner comme en atteste la
réplique d'Argan qui assimile les imprécations du médecin à des « bontés ». La crédulité d'Argan
participe bien évidemment au comique de la scène.
Toinette pose alors son autorité de médecin et d'homme de science par l'impératif « Donnez-moi
votre pouls ». Mais la suite de son discours a une tonalité militaire. En effet, Molière utilise un
comique de mots en jouant sur la polysémie du verbe « batte » (« que l'on batte comme il faut ») qui
a un sens physiologique (le pouls qui bat) mais aussi militaire (battre son adversaire).
Cette expression est redoublée par l'exclamation suivante, qui fait entendre un militaire s'adressant à
ses soldats: « Ah ! je vous ferai bien aller comme vous devez.» Molière reprend la thématique du
médecin héros qui brave toutes les maladies, mais cette approche est absurde puisque le médecin
s'insurge contre le pouls personnifié qui fait « l'impertinent». Il se bat donc contre du vent.

B - Le médecin, un personnage hostile

Le médecin incarné par Toinette se sent en réalité davantage défié par Monsieur Purgon, le médecin
d'Argan, que par la maladie. Toinette pose ainsi une question rhétorique dont elle connaît
parfaitement la réponse (« Qui est votre médecin?) Le déictique présentatif (« cet homme-là») a une
visée satirique : il vise à décrédibiliser Monsieur Purgon en le mettant en distance. Toinette
interroge alors Argan sur le diagnostic de M. Purgon. Or la réponse d'Argan souligne les errances de
la médecine avec le parallélisme « Il dit que c'est du foie; et d'autres disent que c'est de la rate ». La
répétition du verbe « dire » montre que la médecine est fondée sur l'opinion, la doxa plutôt que sur
la science. Toinette balaie ces errances par l'hyperbole « Ce sont tous des ignorants ».
La tournure emphatique « C'est du poumon que » met en valeur le diagnostic et mime la certitude
d'un médecin compétent.
Or il s'agit d'un comique de situation car le spectateur, lui, sait que Toinette n'est pas médecin. Le
comique est renforcé par le fait qu'anatomiquement, le poumon n'a rien à voir avec le foie ni la rate.

II - Toinette fait un diagnostic parodique


De « du poumon ? » à « de boire mon vin fort trempé » .

Molière déploie sa satire de la médecine à travers le diagnostic proposé par Toinette.


Argan décrit ses symptômes par le champ lexical de la maladie et du corps: « douleurs de tête », «
voile devant les yeux», « maux de cœur», « tous les membres», « douleurs dans le ventre ».
Mais ces symptômes ne correspondent en rien au diagnostic posé par le médecin : « Le poumon ».
Ce décalage crée un effet comique. Par ailleurs, l'anaphore « Le poumon » contribue au registre
satirique dans la mesure où le médecin formule de manière mécanique son diagnostic. Ce qui
devrait être le fruit d'une déduction n'est qu'un répétition mécanique et comique qui relève du genre
de la farce. Toinette va passer à une séance de questions qui font référence aux habitudes et au
quotidien d'Argan: « boire un peu de vin », « un petit sommeil»: « un peu de » et « petit » donnent
l'impression d'un travail d'investigation précis et reposant sur une expertise.
Mais cette investigation n'interroge Argan que sur des gestes banals (manger, boire un peu de vin,
dormir) ce qui crée un comique de situation car la conclusion n'est en réalité pas la conclusion d'un
protocole médical rigoureux.
La répétition « Le poumon, le poumon vous dis-je » crée un comique de répétition mettant en avant
la mécanique du médecin.
Pour compenser ses méconnaissances en pharmacologie, Toinette demande à Argan quelle est la
nourriture préconisée par son médecin. L'effet comique est ici assuré par le décalage : alors que l'on
s'attendrait à une énumération de médicaments, les répliques d'Argan sont saturées par le champ
lexical de la restauration :«potage», « volaille », « veau», « des bouillons », « des œufs frais», « des
petits pruneaux», « vin fort trempé».
Cette dimension satirique est accentuée par l'ordre rigoureux des plats énoncés par Argan qui dresse
la liste des mets servis dans un banquet. L'effet comique est amplifié par le comiques de répétition
du terme « Ignorant ! », à la forme exclamative qui s'inscrit dans le genre de la farce.

III - Toinette propose un traitement qui va à l'encontre du bon sens


de « Ignorantus, ignoranta, ignorantum » à « tandis que je serai en ville »

Toinette fait le pastiche du médecin traditionnel en utilisant de manière comique le latin de cuisine «
Ignorantus, ignoranta, ignorantum » qui parodie la déclinaison masculin, féminin, et neutre des
adjectifs en latin (inscius, a um) mais avec un mot qui n'existe pas en latin classique.
Pour passer du diagnostic au traitement, Toinette adopte le style prescriptif « Il faut » qui donne une
crédibilité à son discours.
Cette recherche de crédibilité est renforcée par la complexité de la phrase qui donne l'impression
d'un esprit analytique et précis : proposition subordonnée relative (« qui est trop subtil »),
expansions du nom (« bon gros porc», « de bon fromage de Hollande ») et proposition subordonnée
de but (« pour coller et conglutiner »).
Mais ce traitement est du théâtre. Les adjectifs « bon » et « gros » ne correspondent pas à un
vocabulaire médical et n'ont rien de diététique. Ils vont même à l'encontre du bon sens.
Toinette quitte le discours scientifique et se laisse guider plus par le son des mots que par leur sens
« du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner». Ces effets de rimes
relèvent du comique de mots: l'ordonnance du médecin devient une chansonnette.
L'intention de Molière est bien sûr satirique. L'animalisation du médecin (« Votre médecin est une
bête ») et le caractère farcesque du jeu de Toinette donne un panorama satirique du monde médical.
La musicalité des allitérations en « v »« Je veux vous en envoyer un de ma main; et je viendrai vous
voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville » rappellent l'appartenance de la pièce au
genre de la comédie-ballet.

Conclusion

Le travestissement de Toinette permet une satire efficace de la médecine. Cette scène farcesque
véhicule une image satirique du médecin, de son diagnostic et de son traitement, incapable de
soigner.Elle complète la satire des médecins déjà très présente dans l'acte Il scène 5 (la présentation
de Thomas Diafoirus) et l'acte Ill scène 5 (l'indignation de Monsieur Purgon).
Mais Molière n'oublie pas l'univers de la comédie-ballet à travers le personnage de Toinette qui
porte à la fois la théâtralité, l'intention satirique de Molière et le divertissement propre à la comédie-
ballet.

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