Agroecologie Solution

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Dossier

Numéro 103
Bimestriel
octobre, novembre 2011
L’agroécologie, une solution ?
ne paraît pas en janvier

défis sud
Rue aux Laines, 4
1000 Bruxelles

Bureau de dépôt
Bruxelles X
N° d’agrément : P307409

Corne de l’Afrique
Que fait l’Europe ?
Somma i r e
Crise alimentaire p 4-7
La réponse de l’Union européenne à la crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique est-
elle à la hauteur des enjeux ? Les systèmes d’alerte fonctionnent-ils ? Sont-ils cap-
tés à temps ? Ces questions sont entre autres posées à Jean Feyder, le représentant
permanent du Grand-Duché du Luxembourg auprès des Organisations internationales
à Genève.

Dossier p 8-23
L’agroécologie, une solution ?
L’agroécologie est multidimensionnelle, car elle correspond à la fois à une discipline
scientifique, à un ensemble de pratiques et à un mouvement social de contestation.
Mais il serait erroné d’affirmer que tous les avis sont unanimes à propos de l’agro­
écologie. Ce dossier croise les analyses de plusieurs experts, d’acteurs du Sud et du
Nord, concernés pas cette agriculture à la fois ancienne et nouvelle, qui a l’ambition
d’apporter de vraies solutions pour l’avenir de la planète.

Qu’est-ce que l’agroécologie ? 8-11


Un trompe-l’œil ? 11-14
L’arme idéale contre la faim au Sahel ? 15-17

© Jean-Jacques Grodent
« Seule, elle ne pourra pas tout régler » 17-18
La vie changée des paysans de Thiès 19-20
Une révolution agroécologique est-elle en marche ? 21
Les ONG à l’avant-garde de l’agroécologie 22-23

Directeur de la publication : Jean-Jacques Grodent. Rédac-


teur en chef : Pierre Coopman. Conseil éditorial : Laurent Biot,
Analyse p24-26 Christophe Brisme, François Cajot, Nele Claeys (invitée), Pierre
Coopman, Thierry Defense, Freddy Destrait, Jean-Jacques
Les conflits d’intérêts avec les puissances émergentes, comme la Chine, l’Inde et le Grodent, Marine Lefebvre, Marc Mees, Clémentine Rasquin,
François Vandercam, Patrick Veillard. Collaborateurs : Charline
Brésil, sont une des raisons fondamentales qui empêchent, depuis huit ans, les pays Cauchie, Patrice Debry, Mohamed Gueye, Inoussa Maïga, Fran-
çois Misser, Patrick Veillard. Couverture : maraîchage au Séné-
ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et l’Union européenne de finaliser un accord de gal – Gaël Turine. Rédaction-Belgique : Rue aux Laines, 4, 1000
partenariat économique. Les négociations qui auraient dû s’achever le 31 décembre Bruxelles. tél. 32 (0)2 511 22 38 Rédaction-Luxembourg : Rue
Victor Hugo, 88, 4141 Esch/Alzette. Tél. 352 49 09 96 21 Réa-
2007 sont loin de se terminer. La tâche n’est pas facile, car l’UE et les pays ACP lisation : Studio Marmelade. Impression : Arte Print. Défis-Sud
est une publication de SOS Faim. Défis-Sud est un forum où des
doivent abandonner leur solidarité sur l’autel du nouvel ordre du commerce mondial. auteurs d’horizons divers s’expriment sur les thèmes du déve-
loppement. Tous droits de reproduction réservés. Les articles
n’engagent que leurs auteurs. Les titres et les sous-titres sont
agir p 27 parfois de la Rédaction. Les manuscrits envoyés spontané-
ment ne sont pas rendus.
Conflit foncier au Sénégal, crise au sein du Comité de la sécurité alimentaire mon- E-mail : [email protected]
Site web : www.sosfaim.org
diale, Carrefour paysan en RDC.
Imprimé sur papier recyclé. Editeur responsable : Freddy Destrait
rue aux Laines, 4 - 1000 Bruxelles.
Défis Sud bénéficie du soutien de la Direction générale de la
coopération au développement (DGCD) et d’un apport du Ministère
des Affaires étrangères luxembourgeois (MAE).
éditorial

Le statu quo …
le début de la fin ?
L’éditorial de Freddy Destrait Secrétaire général de SOS Faim Belgique
et de Thierry Defense Directeur de SOS Faim Luxembourg

« Que se passe-t-il quand tout avance autour de soi et qu’on s’efforce de


rester immobile ? On finit par être arraché, désarticulé, emporté par le courant,
éparpillé en lambeaux flottants. » 1
Ce monde qui bouge, connaît une multiplication de crises dont certaines sont
appelées systémiques, doux euphémisme pour dire que les racines sont peut
être atteintes : crises économique et financière, mais aussi climatique et en-
© Mihnea Popescu.

vironnementale, démographique, alimentaire et politique.


La récurrence des crises économiques et financières risque d’entraîner une
diminution de l’aide publique au développement (APD) et des changements
Freddy Destrait dans les orientations de son financement. Certains pays comme la Grèce,
l’Italie ou l’Irlande ont d’ailleurs déjà annoncé la diminution de leurs APD.
L’Union européenne, qui a représenté jusqu’à 60 % de l’APD dans le monde,
compte en son sein des membres de plus en plus endettés, alors que des pays
comme le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (les Bric) engrangent des quan-
tités de devises de plus en plus importantes et développent une coopération
© Etienne Delorme/ Paper Jam.

« énergique » avec les pays du Sud, en particulier en Afrique. La situation est


paradoxale, car certains Bric sont eux-mêmes soutenus par l’APD européenne !
L’Europe est en crise, et il ne serait pas surprenant que les restrictions budgé-
taires qui s’annoncent soient imputées au contribuable européen. Son argent
servira alors à préserver les conquêtes sociales. Les financements de la sécu-
rité alimentaire au Sud ne seront pas jugés prioritaires, loin de là.
Thierry Defense
Ce monde qui bouge est marqué par la reconfiguration de l’APD. Les questions
de politiques de développement s’inscrivent de plus en plus dans les questions
économiques et financières globales et sont de plus en plus intégrées dans
d’autres politiques dites de régulation, comme le commerce, l’agriculture,
la sécurité, l’émigration. Assiste-t-on là aux signes avant-coureurs de la fin
de la coopération au développement classique et à la naissance de nouvelles
formes de coopération ?
La coopération au développement se métamorphose. Elle est marquée par
une croissance exponentielle, au niveau mondial, de nouveaux acteurs pri-
vés (fondations et entreprises), dont certains disposent de moyens financiers
supérieurs aux APD de pays européens.
Dans ce contexte, les ONG du Nord ne peuvent pas rester enracinées dans une
« nostalgie des temps anciens et heureux de l’APD ».
Jacques Attali, cité plus haut, soulignait ainsi que « de grandes puissances
sont mortes pour avoir oublié que le statu quo est le début de la fin ».
Nous pensons que le futur des ONG du Nord n’est pas déterminé, ni figé; plu-
sieurs futurs sont possibles. La réalisation de ces futurs dépend certes des
tendances lourdes des contextes où elles évoluent mais aussi de leur volonté
de créer des points de rupture avec le passé.

1 : : Jacques Attali paru dan l’Express du 28 février 2011.

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Crise alimentaire

Corne de l’Afrique

Crise alimentaire :
la réponse européenne
Un article de François Misser interdisaient l’accès aux convois huma-
nitaires et interdisent aux habitants de
Loin d’être terminée, la crise alimentaire dans la Corne de les quitter, alors que l’influence du gou-
l’Afrique a suscité une réponse massive de l’UE. Pas toujours à la vernement fédéral de transition, soutenu
par la Communauté internationale, ne
hauteur des enjeux. Les systèmes d’alerte ont fonctionné, mais dépasse pas les limites de la capitale
n’ont pas été captés à temps par tout le monde. Mogadiscio. On n’est pas sorti de l’au-
berge. « La crise va s’aggraver au cours
des prochaines mois, même en cas de
Près de 14 millions de personnes étaient pluies abondantes », a averti fin août la
affectées par la crise alimentaire dans la commissaire européenne à l’aide huma-
Corne de l’Afrique, estimait fin septembre nitaire, Kristalina Georgieva. Et la crise
Cees Wittebrood, chef d’unité Afrique est en train de gagner un nouveau pays :
Orientale, Australe et Océan Indien à le Sud-Soudan, qui a célébré son indé-
l’Office d’aide humanitaire européen pendance le 9 juillet dernier.
(Echo). Parmi elles, 750 000 couraient Les systèmes d’alertes
le risque de succomber incessamment. ont fonctionné mais…
En Somalie, la moitié de la population,
soit 4 millions de personnes était affec- Face à ces défis, Echo a accru son aide de
tée, dont 2,2 millions dans la région 97 à 158 millions d’euros en 2011, en plus
François Misser Centre-Sud contrôlée par les milices Al des 440 millions des États membres, pour
est correspondant à Bruxelles de Shabaab, réputées proches d’Al-Qaïda. fournir de la nourriture, de l’eau potable
BBC-Afrique. Il suit l’actualité On comptait également un 1,5 million de et des équipements sanitaires. Dans
africaine depuis 1983 et plus déplacés intérieurs et 875 000 réfugiés en l’ensemble, « les systèmes d’alerte pré-
particulièrement les thématiques Éthiopie, au Kenya et au Yémen. à quoi coce ont bien fonctionné », affirme Cees
intéressant l’économie et la s’ajoutaient 3 à 4 millions de personnes Wittebrood, « mais ces signaux n’ont pas
conflictualité dans la région au Kenya et à Djibouti et un minimum de été captés par tout le monde ».
des Grands-Lacs. Il est l’auteur 6 à 7 autres millions en Éthiopie.
de plusieurs ouvrages, dont
« Géopolitique du Congo (RDC) » Ces chiffres n’incluent pas l’Érythrée,
L’agriculture
(Complexe, 2006), écrit avec Marie- « trou noir » statistique, où les travail- en Afrique de l’Est
France Cros et « Les gemmocraties, leurs humanitaires étrangers sont jugés n’a pas été la priorité des
l’économie politique du diamant indésirables. Echo a tenté en février dirigeants.
africain » (Desclée de Brouwer, 1997), 2011 de négocier un accès au pays pour
écrit avec Olivier Vallée. l’aide humanitaire. Mais le gouverne-
ment a refusé catégoriquement, pré- La Corne de l’Afrique dispose d’un sys-
tendant distribuer les vivres lui-même. tème unique d’alerte, créé par la Food
Hors de question pour la Commission, qui and Agriculture Organisation (FAO), qui
le soupçonne de destiner les vivres aux collecte des données sur la production
militaires. Tragique ironie : en Somalie, agricole, la pluviométrie et les cours des
les régions affectées sont les plus fer- denrées. Dès octobre 2010, Echo savait
tiles, les vallées de Shebelle et de Juba, qu’une crise sérieuse était en gestation.
preuve que les conflits interclaniques et « Au début 2011, nous fûmes les premiers
l’absence de structures de gouvernement à mobiliser de l’aide additionnelle pour
ont exacerbé l’impact de la sécheresse. les partenaires et nous avons augmen-
Ces zones sont contrôlées par les milices té le volume de nos opérations (…) Le
Al-Shabaab. Jusqu’en juillet 2011, elles conflit en Somalie a entraîné le déplace-

4 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Crise alimentaire

mine. à cet effet, l’UE a lancé, dès 2008,


une série de programmes d’adaptation
à la sécheresse, de développement rural
et de sécurité alimentaire. Malheureu-
sement, ces efforts n’ont pas empêché
la crise alimentaire. Une des causes de
celle-ci, estime Cees Wittebrood, est
que la sécurité alimentaire n’a pas été
une priorité pour les gouvernements de
Somalie, d’Éthiopie et du Kenya.
Jean-Jacques Grodent, responsable de
l’information chez SOS Faim, rappelle
qu’en 2003, à Maputo, les pays africains
avaient pris l’engagement de consacrer
à partir de 2008, au moins 10 % de leur
budget national au soutien à l’agricul-
ture et au développement rural. « Or, on
ne peut que constater aujourd’hui que
moins de 10 pays atteignent cet objec-
tif. » Jean-Jacques Grodent souligne que
dans les négociations des programmes
indicatifs nationaux de coopération du

© Sanjit Das/ Panos.


10e Fonds européen de développement
(FED), seulement 29 États ACP sur 78
avaient choisi l’agriculture comme sec-
teur de concentration. Et même si ces
Réfugiés somaliens au Kenya, à la collecte d’eau. secteurs sont souvent suggérés par les
négociateurs européens, il n’en demeure
pas moins que plus des deux tiers des
ment de gens qui ont perdu leur bétail et tique n’ont pas été autorisés à dialoguer pays ACP n’ont pas fait de forcing pour
sont devenus dépendants, sans avoir les ou à négocier avec Al-Shabaab. Cela a inscrire l’agriculture dans leurs priorités.
moyens d’acheter de la nourriture. Et le contraint des organisations onusiennes
manque de pluies a créé une raréfaction à s’abstenir de telles démarches si elles Mamadou Cissokho, président d’honneur
des ressources, qui attise la concurrence voulaient continuer à recevoir des finan- du Réseau des organisations paysannes
entre éleveurs nomades autour des der- cements américains. Dans quelques cas, et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest,
niers pâturages », explique Cees Wit- des sheikhs locaux ont forcé des éléments regrette également que l’agriculture en
tebrood. L’information a circulé, mais modérés d’Al-Shabaab à accepter notre Afrique de l’Est n’ait pas été la priorité
trop lentement, entre la Commission et aide, malgré le fait que nous refusions des dirigeants. « La preuve en est que
les États membres. à la fin septembre de payer la dîme exigée par cette orga- les budgets qu’on met à la disposition
2011, le Programme alimentaire mondial nisation islamiste. La situation ne cesse de l’agriculture, les mesures incitatives
(PAM), le Fonds des Nations unies pour de fluctuer, elle peut ralentir les opé- et les protections de la production qui
l’enfance (Unicef) et la Croix-Rouge dis- rations mais en définitive, on finit par font que l’agriculture avance, il n’y en a
posaient des ressources nécessaires pour avoir accès aux personnes en difficulté » pas ! ».
faire face à la situation. explique Cees Wittebrood. « Affirmer que
90 % de l’aide est détournée, comme l’a L’eurodéputé socialiste néerlandais,
Discuter ou non avec Al-Shabaab ? fait Le Nouvel Observateur, est complè- Thijs Berman constate un hiatus entre les
Mais l’accès aux victimes fut rendu dif- tement exagéré », s’insurge le chef de dirigeants et les nomades pastoralistes
ficile par les milices islamistes Al-Sha- l’Unité régionale d’Echo. Cela dit, pour « guère reconnus par leurs propres gou-
baab. Elles ont autorisé les organisa- Rashid Abdi, analyste d’International vernements, dont les membres regardent
tions déjà présentes dans le centre et le Crisis Group, « si l’on veut sauver les ha- ces nomades pastoralistes comme ap-
sud de la Somalie, comme la Croix-Rouge bitants de Somalie centrale et méridio- partenant à leur passé, comme des survi-
et l’Unicef, à continuer leur travail, nale, on ne peut pas faire l’économie du vants de l’âge de pierre » (…) « Ils n’ont
mais pas le PAM, qui avait été expulsé dialogue avec les islamistes ». qu’à se sédentariser », pensent-ils. « Or,
et qui n’est pas autorisé à revenir. « Du ceci ne peut être la réponse dans ces ré-
coup, nous avons accru considérable- S’attaquer aux causes de la famine gions arides, trop sèches, et trop pauvres
ment notre appui à la Croix-Rouge et à Tout en organisant l’aide d’urgence, la pour y séjourner en permanence avec du
l’Unicef. Nous sommes pragmatiques. Commissaire Georgieva insiste sur le be- bétail. C’est ce mode de vie nomade qui
Certains de nos partenaires outre-Atlan- soin de s’attaquer aux causes de la fa- permet d’avoir une grande production

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Crise alimentaire

de bétail, de viande et en même temps


sauvegarder la qualité de la terre », té-
moigne Thijs Berman. Des millions d’euros pour la Corne
Dumping d’excédents De 2008 à 2013, 620 millions d’euros ont été L’UE a également financé
et accaparement des terres alloués à l’agriculture et à la sécurité alimentaire un programme de 200
Willem Olthof - de Europaid (lire ci- dans la Corne (dont 209 pour l’éthiopie, 160 pour millions d’euros pour
le Kenya, 1,5 pour Djibouti, 163 pour la Somalie, l’éradication de la peste
contre) - signale toutefois que, depuis bovine en Afrique. « Mais
deux ans, l’Éthiopie consacre plus de 10 % et 85,5 pour l’érythrée). L’UE a de surcroît annon-
un facteur aggravant de la
de son budget à l’agriculture. Au moins cé en août le déblocage de 175 millions d’euros
crise a été la disparition
un quart des ressources du FED accordées dont 80 pour la sécurité alimentaire en Somalie. pour les éleveurs de chèvres
aux États de la région vont à ce secteur. somaliens d’opportunités
Mais d’autres éléments entrent en ligne Le Commissaire au pement de 26 millions d’exportation, à cause de
de compte. Gebeyaw Negussie, journa- Développement, Andris d’euros, exécuté par la crise politique au Yémen,
liste éthiopien, rappelle que dans son Piebalgs, qui s’est rendu la FAO, pour réduire qui est un de leurs marchés
pays, la politique foncière de l’État, pro- dans le pays en juillet, a l’insécurité alimentaire, d’exportation », constate
annoncé que ces res- faciliter l’accès aux Willem Olthof, coordina-
priétaire du sol, représente un obstacle au sources iraient aux marchés du secteur privé teur Afrique orientale et
développement, car les paysans ne sont régions disposant de local et créer des emplois. australe chez Europaid.
pas assurés de conserver la terre qu’ils conditions de sécurité Un programme d’appui à
travaillent et donc, hésitent à investir. L’insécurité a aussi provo-
et de niveaux de gouver- l’élevage de 2,5 millions qué l’arrêt de projets FAO
« En conservant ce monopole de distri- nance minimums, comme d’euros comportant un d’irrigation de champs de
bution des terres, officiellement guidé au Somaliland et au volet de surveillance vété- maïs et de sorgho dans la
par le souci de partager la ressource en Puntland, ainsi qu’à la rinaire et un programme vallée de Shebelle.
fonction des besoins, le parti au pouvoir, Somalie centrale. Dans de vaccination a permis
l’Ethiopian People Democratic Revolutio- ce pays, l’UE finance un d’aider en outre 1,5 mil-
programme de dévelop- lion de nomades.
nary Front, cherche surtout à contrôler
les populations », explique Gebeyaw Ne-
gussie. « Les paysans ont été également
découragés par le dumping d’excédents
agricoles via les distributions d’aide ali-
mentaire, comme en 2006 », analyse son
compatriote Abbas Gnamo, professeur à pagnie allemande Flora EcoPower qui a été suivies efficacement par des poli-
l’Université de Toronto. annoncé des plans de mise en valeur de tiques de développement à long terme.
13 000 ha en éthiopie.
« Cependant les tentatives d’inciter l’UE
L’accès Encore un effort, l’UE ! à intensifier le dialogue politique sur la
aux victimes question épineuse de l’accaparement
est rendu difficile par les La sécurité alimentaire figure parmi les des terres n’ont pas été couronnées de
milices islamistes. quatre priorités de la nouvelle politique succès », déplore Tsiguerida Walelign,
de développement de l’UE, présentée par conseillère du groupe des Verts pour le
le commissaire Piebalgs le 13 octobre développement au Parlement européen.
L’accaparement des terres a aussi nui dernier. « On peut faire beaucoup plus, Au sein des instances européennes, on a
à la sécurité alimentaire. Durant la explique Willem Olthof. Il ne faut pas aussi peu débattu du lien entre la diffi-
conférence du 4 octobre, consacrée à la sous-estimer les infrastructures, les culté de mener une action de sécurité ali-
sécurité alimentaire par la Commission routes de dessertes rurales, la gestion mentaire en Somalie et le choix politique
du développement du Parlement euro- de l’approvisionnement en eau et sa col- européen de ne traiter qu’avec un gouver-
péen, sa présidente, Eva Joly a déclaré : lecte. On peut optimiser l’utilisation de nement qui ne contrôle que Mogadiscio.
« Il n’est plus supportable que des pays l’eau, encourager la recherche et faire en
comme l’Éthiopie dont certaines régions sorte qu’on l’applique, qu’elle soit dissé- Enfin, si le conflit a exacerbé l’insécurité
sont classées par l’Onu en situation de minée auprès des paysans, œuvrer dans alimentaire, on aurait aussi pu peut-être
crise ou d’urgence humanitaire aban- le domaine du crédit agricole, même si prévenir des affrontements. « On aurait
donnent littéralement leur agriculture ce n’est pas le point fort de la Commis- sans doute aussi pu faire plus pour l’accès
vivrière en échange d’investissements sion ». Ce faisant, la Commission a pris à l’eau, à l’énergie, à l’éducation, à la
internationaux et de plantations géantes en compte la résolution du 15 septembre santé, pour construire des infrastructures,
de palmiers à huile. » 2011 du Parlement européen sur la fa- des routes ou des hangars de stockage.
mine en Afrique de l’Est, qui regrette que Cela aurait évité beaucoup de conflits
Au nombre des prédateurs figurent le des années d’aide d’urgence aux zones entre ces ethnies qui partagent les mêmes
consortium saoudien Jenat et la com- frappées par la sécheresse n’aient pas ressources », estime Thijs Berman.

6 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Crise alimentaire

Jean Feyder :
« L’Europe peut faire mieux »
Jean Feyder est, depuis 2005, le représentant permanent du lué, à Genève, la présentation du rapport
Grand-Duché de Luxembourg auprès des Organisations interna- de la Banque mondiale, mais j’ai précisé
que le volet commercial restait faible. Le
tionales à Genève. Après avoir été directeur de la Coopération consensus de Washington n’est toujours
au développement du Luxembourg (1998-2005), il a présidé, pas fondamentalement remis en cause.
Comment peut-on espérer voir les pays
entre autres, le Comité pour les pays les moins avancés auprès de en développement relancer l’agriculture
l’Organisation mondiale du commerce (2006–2011). Il vient de si leurs petits producteurs doivent conti-
nuer à faire face à la concurrence inter-
publier un ouvrage intitulé « La faim tue », aux éditions L’Har- nationale ?
mattan. Défis Sud lui a demandé ce qu’il pense des réactions de
l’Union européenne aux crises alimentaires. Il faut corriger cette
inégalité, cette politique
Jean Feyder : La « task force » des Na- contradictoire.
tions unies, qui a été créée en 2008 pour
faire face à la crise alimentaire, a estimé
que, chaque année, entre 20 et 40 mil- Les différences de productivité entre
liards d’euros d’investissements étaient l’agriculture du Sud et du Nord sont si
nécessaires, au profit de la petite pay- énormes qu’il est indispensable que l’on
sannerie notamment. Au sommet de mette en place une régulation des mar-
l’Aquila, en 2009, les grandes puissances chés agricoles. Cela implique également
se sont engagées à débloquer 20 mil- une augmentation, parfois considérable,
liards sur 3 ans. Si l’on regarde ce qui a des tarifs douaniers, pour que les pro-
effectivement été fait, nous restons très ducteurs nationaux puissent avoir une
loin du compte. La Facilité alimentaire chance de faire face à la concurrence
de l’Union européenne, c’était 1 milliard internationale.
sur 2 ans. Comme contribution globale de
l’UE et de ses États membres, des efforts Je plaide pour le même modèle de déve-
beaucoup plus sérieux et substantiels loppement que celui que nous avons ap-
devraient être réalisés pour arriver à pliqué dans l’Union européenne avec des
concrétiser les investissements néces- taxations souvent très élevées (de 60 %
saires. La Belgique a pris la décision et plus) appliquées aux céréales, à la
courageuse, je tiens à le dire, de réserver viande, aux produits laitiers. Les pays de
10 % de son aide publique au développe- l’Union économique et monétaire ouest-
ment de l’agriculture et d’arriver à terme africaine (Uemoa) ont un plafond tari-
à 15 %. Je pense que c’est un bon exemple faire de 20 %. Il faut corriger cette iné-
pour les autres états membres de l’Union. galité, cette politique contradictoire, il
Un article sur le livre de Jean Feyder est faut introduire une cohérence dans notre
publié sur : www.sosfaim.org
politique européenne et promouvoir le
Parmi les évolutions positives, il faut même degré de sécurité alimentaire que
noter que la Banque mondiale a eu le celui que nous avons appliqué pour nous-
mérite de publier, en 2008, un rapport mêmes.
substantiel sur l’agriculture. Elle n’avait Propos recueillis par Pierre Coopman
plus publié sur le sujet depuis 1982. Pen-
dant une trentaine d’années, elle avait
laissé de côté le problème agricole. Cette
négligence vis-à-vis de l’agriculture, on
pouvait la reprocher également aux or-
ganisations des Nations unies et aux ins- Entretien complet sur
wwww.sosfaim.org
titutions européennes. En 2008, j’ai sa-

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 7


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Introduction

Qu’est-ce que l’agroécologie ?


Un article de Patrick Veillard

Ce pourrait être l’objet d’une question de jeu télévisé ou de Tri- l’époque, les premiers impacts de cette
agriculture sur la santé et l’environne-
vial Pursuit : qu’est-ce que l’agroécologie ? Question difficile, ment – contamination par les pesticides,
qui risque de vous faire rater le camembert tant convoité. Car disparition de la biodiversité, obésité
croissante…etc. – commencent à sensi-
malgré une popularité croissante, l’agroécologie reste une no- biliser une partie de la population amé-
tion relativement peu connue et difficile à cerner. ricaine, dans la lignée du succès de l’ou-
vrage Silent Spring de Rachel Carlson3. Ces
scientifiques questionnent également le
Comme le précise un collectif de scien- modèle prévalent de conservation de la
tifiques du FNRS1 tout récemment formé, nature, consistant à séparer production
l’agroécologie est en fait multidimen- alimentaire et protection de la biodiver-
sionnelle, car elle correspond à la fois à sité, et proposent en lieu et place d’in-
une discipline scientifique, un ensemble tégrer au métier d’agriculteur des com-
de pratiques et un mouvement social de pétences en gestion de la biodiversité.
contestation. Si l’on tape le terme sur in- En Europe, l’agroécologie s’est dévelop-
ternet, un site nous indique que M. Altieri, pée plus tard mais également comme
l’un des pères fondateurs de l’agroécolo- (inter)discipline alliant écologie et
Patrick Veillard gie, la définit comme « l’emploi de prin- sciences agronomiques, autour des
cipes et de concepts écologiques pour questions de production, de conser-
Ingénieur de formation, avec
étudier, concevoir et gérer des agroéco- vation et de gestion de la biodiversité
une spécialité en sciences des
systèmes durables »2. L’intégration de ainsi que de l’écologie des paysages4.
aliments, Patrick Veillard a étudié
l’écologie et de l’agriculture ? Une rapide D’abord limité à l’échelle de la parcelle,
le journalisme à l’IDJ (Institut de
analyse historique permet d’aller au-de- le concept d’agroécologie va ensuite
journalisme de Bruxelles). Il est
là de cette définition quelque peu vague. être étendu aux agroécosystèmes puis à
actuellement chercheur au Centre
l’ensemble du système alimentaire, ra-
de recherche et d’information des
Une discipline scientifique en devenir joutant au champ du système productif
organisations de consommateurs
Même si le terme agroécologie a été uti- per se les dimensions d’organisation de
(Crioc), traitant principalement de
lisé pour la première fois dans les années filière et de consommation 2.
problématiques liées à l’agriculture
et l’alimentation. 30, la discipline scientifique a réellement Un ensemble de pratiques
commencé à émerger dans le courant
des années 70-80, avec les publications L’agroécologie peut également être
de quelques auteurs américains tels qu’ abordée au travers d’une série de pra-
Altieri, Gliessman, Francis... Ces auteurs tiques, ce qui facilite grandement sa
proposent alors l’agroécologie comme compréhension. En s’appuyant sur des
alternative au modèle dominant d’agri- savoirs traditionnels et indigènes ou
culture industrielle, basé sur l’utilisa- des valeurs sociales, culturelles et poli-
tion intensive d’intrants, l’irrigation, la tiques, ces pratiques ont ainsi grande-
mécanisation et la sélection variétale. à
3 : Wezel A., Bellon S., Doré T., Francis C., Vallod D., David C.
1 : Fonds Belge de la Recherche Scientifique, http ://web. Janvier 2009. Agroecology as a science, a movement and a
me.com/philogene/Agroecologie.be/Home.html. practice. A review. Agron. Sustain. Dev. 29 : 503–515.
2 : Stassart P.M., Baret P., Grégoire J.C., Hance T., Mormont, 4 : Stassart P., Claes C. 2010. Agroécologie : le chainon man-
Reheul D., Stilmant D., Vanloqueren G., Visser M. Août 2011. quant. Rôle de consommateurs et d’ONG dans les processus
Qu’est-ce que l’agroécologie ? Positionnement pour un cadre émergeants d’apprentissages. Innovation et développement
de référence du Groupe de Contact Agroécologie FNRS – durable dans l’agriculture et l’agro-alimentaire. www.
Belgique. isda2010.net.

8 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


ment contribué à la popularisation de
l’agroécologie, notamment au sein des
réseaux de petits agriculteurs5. En 2005,
le philosophe et essayiste français Pierre
Rahbi résumait certaines de ces pra-
tiques : fertilisation à l’aide d’engrais
verts et compost, traitements phytosa-
nitaires naturels, respect de la structure
et des micro-organismes du sol, sélec-
tion de variétés locales et adaptées aux
terres cultivées, économie de l’eau et de
l’irrigation, source d’énergie mécanique
ou animale, aménagements pour lutter
contre l’érosion de surface, reboisement
des terrains non utilisés et des haies
afin de les utiliser comme protections et
comme source de ressources naturelles,

© Christophe Brisme/ SOS Faim.


réhabilitation des savoir-faire tradition-
nels, pédagogie adaptée aux acteurs de
terrain6.

L’agroécologie
est un concept Expérience de compostage agroécologique au Kivu, en RDC.
systémique, intensif en
connaissances. Une solution aux défis de l’alimentation cultures de céréales telles que le riz, le
Le principal avantage des pratiques agro- blé ou le maïs ont contribué à des défi-
Certaines de ces méthodes peuvent
individuellement et/ou spontanément écologiques est qu’elles sont peu coû- ciences nutritionnelles dans de nom-
être utilisées dans l’agriculture conven- teuses et donc facilement applicables à breux pays en développement. L’inté-
tionnelle, mais c’est leur articulation et l’agriculture familiale. Comme le résume gration du bétail aux céréales, arbres
leur intégration qui donnent à l’agro- M. De Schutter dans son rapport de mars fruitiers, légumineuses, tubercules…
écologie toute sa spécificité concrète. 2011 pour l’ONU8, « les intrants sont rem- sont des moyens de fertiliser les sols,
Il faut à ce titre distinguer l’agroéco- placés par le savoir ». Selon lui, l’agro- mais aussi et surtout, des sources consi-
logie de l’agriculture biologique. Cette écologie se révèle comme « un moyen dérables de protéines et de vitamines.
dernière reprend nombre de méthodes peu onéreux de se fournir en engrais, à Les méthodes agroécologiques, en ren-
agroécologiques mais est davantage l’aide des effluents d’élevage, de culture forçant la résilience des écosystèmes
centrée sur l’élimination des intrants de ou au travers de la plantation d’arbres, agraires, pourraient également être un
synthèse, en particulier les engrais et véritables usines de captation d’azote » bon moyen d’atténuer les effets négatifs
les pesticides, ainsi que l’interdiction et « diminue ainsi la dépendance des du réchauffement climatique, caractéri-
des organismes génétiquement modifiés agriculteurs à l’égard des intrants ex-
ternes et des subventions de l’État ». sé par l’augmentation du nombre d’évé-
(OGM). Surtout, l’agriculture biologique nements météorologiques extrêmes tels
implique une certification et des labels, M. De Schutter insiste largement dans
son rapport sur cette notion d’agroé- que sécheresses et inondations.
correspondant à des spécifications tech-
niques précises (normes) et garantis par cologie comme solution : solution à la
pauvreté rurale, mais aussi à la malnu- M. De Schutter cite à ce titre l’exemple du
des organismes de contrôle7. Nicaragua, où l’utilisation de méthodes
trition, au changement climatique ou à
la perte de biodiversité. Le rapporteur agroécologiques simples (entre autres
5 : Brandenburg A. 2008. Mouvement agroécologique au
fait ainsi remarquer combien les mono- diguettes de pierre, rigoles, arbres,
Brésil : trajectoire, contradictions et perspectives. Natures
Sciences Sociétés. 16 : 142-147. labour dans le sens de la pente, haies
6 : Rabhi P. L’agroécologie expliquée en dix points. http :// vives, culture sans labour) ont entre
www.passerelleco.info/article.php ?id_article=484. 8 : De Schutter O. 20 décembre 2010. Rapport du
7 : Cirad. 2010. http ://agroecologie.cirad.fr/layout/set/ Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation. As- autres permis de diminuer l’érosion liée
print/dossiers/l_agriculture_biologique. semblée générale des Nations Unies. aux ouragans.

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 9


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Les grands principes fondant l’agroécologie


Contrairement à l’agriculture intensive conventionnelle Valoriser les interactions ment (humaines, matérielles
qui s’appuie sur l’usage d’intrants externes d’origine biologiques bénéfiques et les et économiques). Elle vise à
chimique, l’agroécologie cherche à intensifier la pro- synergies entre des éléments la réduction des coûts par la
duction tout en respectant les équilibres naturels et en issus de la biodiversité, pour réduction des dépendances
privilégiant le recyclage. mettre en avant les processus externes, qu’ils s’agissent
et les services écologiques clés. d’intrants, d’énergie ou de
Une agriculture respectueuse lièrement par la gestion de la techniques inappropriées.
de l’environnement matière organique, la cou- Une agriculture plus
verture des sols et l’amélio- autonome et plus locale
L’agroécologie repose sur un
certain nombre de principes ration de l’activité biologique L’agroécologie se fonde Enfin, l’agroécologie consti-
pouvant s’appliquer de la des sols ; sur un postulat de base : la tue une démarche qui, à
gestion d’une parcelle à celle manière dont l’agriculture l’échelle d’un territoire,
d’un territoire. Les principes Minimiser les pertes en traditionnelle a travaillé un amène à produire et à
clés de l’agroécologie sont : énergie solaire, en air et en écosystème est la source de consommer une plus grande
eau par la gestion du micro- connaissances la plus per- variété de productions, à une
Améliorer le renouvelle- climat, la récupération des tinente pour comprendre échelle plutôt locale, notam-
ment de la biomasse et opti- eaux et la gestion du sol, à un agrosystème. C’est ainsi ment en favorisant la poly-
miser la disponibilité des travers une augmentation de que l’agroécologie tente de culture et les circuits courts.
nutriments et l’équilibre des la couverture des sols ; concilier avant tout les pra-
flux de nutriments ; tiques traditionnelles et bien
Promouvoir la diversifica- maîtrisées par les paysans,
Source : bulletin de synthèse
Assurer des conditions des tion génétique et des espèces mais aussi les acquis scien- d’Inter-Réseaux et de
sols favorables pour la crois- de l’agro écosystème dans le tifiques, ainsi que les res- SOS Faim sur l’agroécologie :
sance de la plante, particu- temps et dans l’espace ; sources disponibles locale- wwww.sosfaim.org

Un mouvement social technique telles que l’Emater5. Dans En Europe, l’agroécologie comme mou-
On le voit, l’agroécologie est un concept d’autres pays, des raisons historiques vement social s’est relativement peu dé-
systémique, intensif en connaissances comme à Cuba (arrêt du soutien de veloppée, absorbée par la proéminence
et basé sur la durabilité qui remet forte- l’URSS) ou politiques comme en Bolivie, et l’institutionnalisation de l’agriculture
ment en question le modèle agronomique au Venezuela ou en équateur (bascule- biologique. D’après P. Stassart4, agro-
dominant – intensif, industrialisé et ‘gé- ment des gouvernements à gauche) ont écologue de l’Université de Liège, « la
nétifié’. Elle était donc destinée à être facilité l’adoption de l’agroécologie par mobilisation de la société civile se fait
récupérée par les mouvements sociaux, à les mouvements sociaux. aujourd’hui principalement autour de
la recherche de solutions face aux effets systèmes agroalimentaires alternatifs,
de la modernisation agricole et de l’éco- tels que les semences fermières ou les
nomie de marché mondialisée. Cette ap- Les monocultures systèmes de garantie participative ». La
propriation a d’abord eu lieu en Amérique ont contribué question des semences est intimement
Latine, autour de la critique des première liée aux OGM, véritable ‘verrouillage du
à des déficiences vivant’ par quelques sociétés de bio-
et seconde révolutions vertes, de par les
liens étroits existant entre les universi- nutritionnelles. technologie. L’idée ici est de se réappro-
taires nord-américains et les acteurs so- prier biodiversité, particularité gustative
L’agroécologie a ainsi servi à défendre et autonomie, en prenant en compte les
ciaux, notamment les communautés indi- un modèle de développement alternatif
gènes, les ONG et les syndicats paysans 2. consommateurs et leurs critères de choix.
à l’agriculture industrielle d’exporta- Les systèmes de garantie participatifs se
Au Brésil par exemple, les fortes inéga- tion, en la rapprochant des concepts de
lités agraires et l’exclusion sociale de développent quant à eux depuis 2004 sur
souveraineté et d’autonomie alimen- les marchés locaux et régionaux de pro-
millions de petits agriculteurs ont faci- taires et en s’appuyant sur divers rap-
lité l’adoption de pratiques agroécolo- ports scientifiques tels que l’IAASTD9.
giques à l’aide d’associations, d’ONG et Science and Technology for Development.
d’organisations publiques d’assistance 9 : International Assessment of Agricultural Knowledge, http ://www.agassessment.org/

10 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

duits biologiques et consistent à redéfi- Selon eux, « l’émergence d’un champ serait, d’après lui, « la mieux à même
nir les normes (semences, labels), entre de recherche et d’enseignement agro- d’être acceptée et diffusée au sein des
producteurs et consommateurs et avec écologique comme alternative crédible réseaux existants d’agriculteurs ».
l’appui d’ONG. D’après M. Stassart4, tout au champ de recherche majoritaire est Des auteurs tels que M. Stassart4 vont
l’enjeu ici est « la maîtrise et le déve- un enjeu majeur de la transition socio- encore plus loin, en prônant des ap-
loppement d’un modèle agroécologique, écologique des systèmes alimentaires ». proches de conception des filières agro-
afin de résister aux multiples facettes de C’est d’autant plus crucial que l’agro- écologiques en collaboration avec les
la globalisation par le marché ». écologie, comme on l’a vu, est très in- consommateurs. Dans cette vision,
tense en connaissances, et qu’il existe les consommateurs ne sont plus seu-
Un outil de construction de bien commun donc, au-delà même de sa structuration lement choisisseurs, comme le veut la
en tant que discipline scientifique, un vision libérale actuelle, mais également
Malgré ces différentes initiatives, l’agro- énorme besoin en formation et en vulga- des citoyens alimentaires, qui aident à
écologie reste clairement minoritaire, à risation8. concevoir des systèmes agroalimentaires
la fois comme science et comme mou- innovants, au travers notamment de ca-
vement social. D’après le collectif belge hiers des charges, de règlements…etc.
de chercheurs du FNRS, le principal défi Dans les recommandations finales de D’après M. Stassart, de telles formes de
auquel la discipline est confrontée est son rapport 8, M. De Schutter parle ainsi dialogue constituent un véritable « outil
le « verrouillage actuel du régime de en majorité de « politiques publiques de construction de bien commun, inté-
production de connaissances », l’ensei- centrées sur les services de vulgarisa- grant équité, environnement, autonomie
gnement dans les universités ou dans tion » et sur « la recherche agricole », et solidarité ».
les centres de recherche agronomiques en s’appuyant le plus possible sur la
étant toujours largement dominé par coconstruction. Cette forme de « re-
l’agriculture productiviste et intensive. cherche participative décentralisée »

Rencontre avec un agro-écologico-sceptique

Un trompe-l’œil ?
Entretien avec le professeur Bernard Bodson bien faite ? Parce que, soit les gens n’ont
pas les compétences, soit ils font fi d’un
Il serait erroné d’affirmer que tous les avis sont unanimes autour certain nombre de contraintes qu’ils de-
de l’agroécologie, de ses méthodes et principes, de ses bienfaits vraient respecter. Quelle que soit l’agri-
culture, il faut veiller à ce qu’elle soit,
et apports. Bernard Bodson, professeur à Gembloux, remet forte- premièrement, adaptée aux conditions
ment en question les fondements scientifiques de l’agroécologie. du milieu où elle est réalisée ; et, deu-
xièmement, il faut que soit respecté un
certain nombre de règles. Le but est évi-
Défis Sud : Si vous deviez établir une demment de veiller à ce que la culture,
définition de l’agroécologie par rapport au cours de son cycle de développement,
à d’autres types d’agriculture, quelle se- dispose de l’entièreté des éléments nu-
rait-elle ? De quoi parle-t-on quand on tritifs, du soleil et de l’eau nécessaires
parle d’agroécologie ? Quelle est la dis- pour qu’elle atteigne le meilleur poten-
tinction avec l’agriculture biologique ? tiel de rendement (que permet le milieu
Bernard Bodson dans lequel elle pousse).
Bernard Bodson : La première chose im-
professeur à Gembloux Agro- portante à dire, selon moi, est qu’on ne Ces règles peuvent se résumer de la sorte :
Bio Tech. Il dirige l’Unité de peut pas qualifier une agriculture de bio- fournir de l’eau en suffisance et « faire
phytotechnie des régions tempérées. logique, d’écologique, etc. Je me refuse travailler » le sol et les plantes correcte-
à ce type de séparation entre les agri- ment. Pour l’eau, il faut, en priorité, pro-
cultures. Il y a de l’agriculture qui est fiter des précipitations et des réserves
bien faite et de l’agriculture qui n’est contenues dans le sol et, le cas échéant,
pas bien faite. Et pourquoi n’est-elle pas si celles-ci sont trop faibles, apporter un

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 11


Dossier L’agroécologie, une solution ?

© Xavier Delwaerte/ Fugea/ SOS Faim.


Une gestion équilibrée de la matière organique des sols est très importante.

complément par de l’irrigation. Ceci doit gique, refusent l’utilisation d’un certain BB : Oui, mais certains concepts défen-
évidemment se faire de manière parci- nombre d’intrants parce qu’ils sont de dus en agroécologie ne sont pas néces-
monieuse, la plante ayant besoin d’eau confection industrielle, mais parfois la sairement plus écologiques que ceux
en petites quantités et régulièrement. Le limite est extrêmement floue ! De toute de l’agriculture classique et, en plus, il
deuxième élément est d’assurer et pré- façon, la plante ne voit absolument s’agit souvent de techniques et de prin-
server la fertilité des sols : pour que la pas la différence entre une molécule de cipes qui ne sont pas nouveaux ! Des
plante atteigne son meilleur rendement, nitrate qui vient d’un engrais et celle, principes qui sont déjà mis en pratique
il faut qu’elle puisse trouver dans le sol identique, produite directement par la par beaucoup d’agriculteurs dans le
les éléments nutritifs en suffisance. En- minéralisation des matières organiques monde et même dans les agricultures que
fin, la protection des plantes m’apparaît présentes dans le sol. certains appellent intensives.
comme nécessaire car, dans une culture,
il y a des parasites, des ravageurs et
d’autres types d’agents vecteurs de Prenons, par exemple, la lutte contre les
maladies qui peuvent compromettre le « Il faut une agriculture pucerons dans la culture de céréales :
potentiel de rendement. raisonnée basée sur la dans l’agriculture conventionnelle, l’ex-
connaissance. » ploitant protège sa culture des puce-
Voilà ce que j’appelle de la bonne agri- rons à l’aide d’un insecticide tout à fait
culture. Cela dit, les choix et les moyens Bernard Bodson. respectueux des insectes auxiliaires
mis en place pour y parvenir peuvent va- (coccinelles, syrphes, etc.) tandis qu’en
rier : dans l’agriculture conventionnelle, agriculture biologique, on va utiliser un
on utilise à la fois des intrants naturels DS : Donc, s’il y a une différence entre insecticide naturel comme le pyrèthre,
et des produits de synthèse. D’autres certains types d’agriculture, elle se situe un produit qui va tuer indistinctement
méthodes, comme l’agriculture biolo- dans les techniques ? tous les insectes…

12 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Donc, en fait, tout dépend des pratiques sée et développée actuellement. Toute- de produire plus, qu’ils doivent être dé-
de chacun. Pour moi, il y a autant d’agri- fois, beaucoup préfèrent voir en l’agro- veloppés partout. L’agroforesterie, par
cultures que d’agriculteurs ! Il n’y a pas écologie une rupture. Sans doute parce exemple, est pratiquée depuis toujours
une agriculture biologique, ni une agro- qu’ils ne prennent pas suffisamment en dans les régions tropicales et méditerra-
écologie, ni une agriculture intensive… compte l’évolution considérable qu’a néennes. Aujourd’hui, elle est présentée
Il y a des agricultures bien adaptées à connue l’agriculture au cours de la der- par Monsieur De Schutter, entre autres,
leur milieu écologique et à leur contexte nière décennie. comme une solution miracle qui va révo-
socioéconomique et d’autres qui ne le lutionner l’agriculture mondiale. Mal-
sont pas. Pour vous donner un autre Les médias se sont emparés de ce nou- heureusement, elle n’est possible que là
exemple : dans nos régions, en agricul- veau concept d’autant plus facile- où il y a suffisamment d’eau et surtout
ture biologique, on utilise uniquement ment qu’il a été repris par le rapporteur d’intensité de rayonnement lumineux. Il
de la matière organique pour la fertili- des Nations unies Olivier De Schutter est mensonger d’affirmer que l’on peut
sation des sols. Il s’agit principalement qui en fait un éloge trop peu critique faire de l’agroforesterie partout. Cepen-
des déjections des bovins (sachez que à mon sens. Il y a dans les milieux uni- dant, parmi les gens qui développent
80 % des superficies en agriculture bio- versitaires des cours d’agroécologie et diffusent ce genre de théories, il y a
logique sont des prairies destinées aux qui apparaissent mais, bien souvent, il beaucoup de personnes qui n’ont pas de
animaux) qui sont récupérées, compos- s’agit simplement de cours d’agriculture formation agronomique, qui reprennent
tées et répandues sur les 20 % de terres rebaptisés ! Dans d’autres cas, ce sont le récit de certaines expériences réus-
de cultures. Le principe est excellent d’un parfois des rassemblements d’idées qui sies et voudraient les voir généralisées
point de vue écologique mais il faut donc circulent, pas toujours exactes parce que partout. Mais l’agriculture est beaucoup
se rendre compte que la grande majorité les personnes qui les développent n’ont plus complexe et doit prendre en compte
de ce qui est produit sur ces superficies pas une connaissance suffisante des des contraintes très variées, inconnues
agricoles, ce sont des produits laitiers et bases de l’agronomie et des réalités de de la majorité de la population.
de la viande bovine que, paradoxalement l’agriculture… L’idée des fermes-écoles,
au nom de l’écologie, certains, par- par exemple, est symptomatique de cet DS : Que préconisez-vous pour éviter les
fois fervents partisans de l’agriculture état d’esprit. Partout dans le monde, il malentendus ?
biologique, voudraient bannir de notre y a des écoles d’agriculture et, pendant
consommation. Il y a là, à mes yeux, une longtemps, on n’a pas mis suffisam- BB : Il faut une agriculture raisonnée ba-
contradiction flagrante. ment leur rôle primordial en évidence. sée sur la connaissance : analyser dans
Aujourd’hui, on sort le besoin de forma- chacune des situations ce qui est possible
DS : Qu’est-ce que c’est, au final, l’agro- tion en agriculture comme s’il s’agissait de produire, comment on peut utiliser au
écologie ? d’une nouveauté révolutionnaire alors mieux l’eau qui est disponible, les carac-
que ces écoles existent depuis toujours. téristiques du sol, la capacité qu’ont
BB : L’agroécologie, ce sont des principes Il en est de même pour la vulgarisation les plantes à pouvoir grandir convena-
(tout à fait généraux) grâce auxquels auprès des agriculteurs et des éleveurs : blement. à partir de ces données, on va
on vise à maximiser les apports fournis elle doit seulement être revalorisée. mettre en œuvre des techniques néces-
par des mécanismes présents naturel- saires et appropriées : le travail des sols
lement dans les écosystèmes agricoles. s’il y a besoin, les restitutions minimales
Ce ne sont pas des méthodes particu- « Certains concepts de matières organiques et ou d’engrais,
lières, ce sont des pratiques qui, la plu- de l’agroécologie la protection des cultures.
part du temps, ont déjà cours en agri-
culture classique mais qui sont mises en ne sont pas Ainsi, une gestion équilibrée de la matière
exergue par des « spécialistes ». Il s’agit écologiques. » organique des sols est très importante.
d’une notion véhiculée par une très pe- Bernard Bodson. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que
tite quantité de personnes (des milieux tous les sols (qu’ils soient cultivés de fa-
proches des ONG, des inconditionnels de çon intensive ou biologique) abritent une
l’agriculture biologique, etc.) et mise en DS : Que reprochez-vous aux théoriciens vie microbienne qui se nourrit de la ma-
évidence alors que personne n’en a de de l’agroécologie ? tière organique et qui, de la sorte, émet
définition claire. C’est un concept qui est du CO2. Tous les sols sont donc soumis à
présenté comme solution globale, révo- BB : Voyez, le problème réside principale- des pertes de carbone organique aux-
lutionnaire, aisée à mettre en place avec ment dans les amalgames qui sont faits quelles il faut remédier en laissant des
une large garantie de succès. entre agriculture biologique, agrofores- résidus de cultures ou en réimportant un
terie, rejet des productions animales, minimum de matière organique. La resti-
Pour moi, c’est, avant tout, le début etc. On formule des généralisations plus tution est nécessaire et, dans certaines
d’une prise de conscience par notre so- que hâtives et hasardeuses : on voudrait zones en agriculture intensive, il existait
ciété de la nécessité d’une agriculture étendre quelques exemples donnés à différents systèmes où elle n’était pas
en tout point performante mais qui n’est toute la planète. Ce n’est pas parce que, prise en compte, ce qui a causé une dé-
pas fondamentalement différente de dans des situations locales bien précises, gradation de la fertilité. à l’inverse, dans
l’agriculture raisonnée qui est préconi- certains modes d’agriculture permettent des systèmes où l’on apporte toute la

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 13


Dossier L’agroécologie, une solution ?

fertilisation sous forme organique, pour


ne pas être dépendant du processus de
minéralisation, les quantités épandues
sont très élevées. Et, plus il y a matière
à détruire, plus la vie microbienne va
L’agroécologie dans le monde
s’activer et donc rejeter du CO2 dans l’at- le concept peut varier En fonction des zones géographiques

mosphère ! En résumé, il faut respecter


différents types d’équilibre. Et c’est ça, Dans les pays où les consomma- salées (apport de limons et sel
la mauvaise agriculture, c’est lorsqu’on tions d’intrants chimiques sont agissant comme herbicide) et
ne respecte pas ces équilibres… dérisoires, notamment en Afrique douces (lavage des parcelles et
subsaharienne, les paysans irrigation) s’effectue sur plus de
Défis Sud : Pour vous, un autre débat, celui appliquent dans leurs exploita- 100 000 ha.
entre agriculture intensive et extensive, tions des techniques qui se rap-
n’a pas lieu d’être quand on parle de solu- prochent de l’agroécologie. Une Au Brésil
tion au problème de la faim. Pourquoi ? raison simple est que les intrants Certains pays émergents
externes sont souvent trop coû- pratiquent l’agroécologie à
BB : Pour nourrir les 9 milliards d’êtres teux (engrais, produits phytosa-
humains que comptera la planète en grande échelle. Au Brésil, elle
nitaires, irrigation, mécanisation) s’est développée sur la base de
2050, on devra, partout où c’est pos- ou non disponibles. Ainsi, de nom-
sible, exploiter convenablement les pos- pratiques agricoles traditionnelles
breux agriculteurs connaissent et et a été portée par différents
sibilités de la terre. Il faut produire plus mettent en œuvre, par exemple,
en produisant mieux. mouvements sociaux. Aujourd’hui,
des techniques traditionnelles de ce pays connaît une juxtaposition
maintien et de restauration de la de grandes exploitations
Et pour ce faire, et là je rejoins Oli- fertilité des sols.
vier De Schutter, il faut de l’éducation : industrielles (avec notamment
augmenter les connaissances des pro- En Afrique un fort développement des
ducteurs pour arriver à une agriculture agrocarburants), une expansion
raisonnée et qui permet une efficacité S’il n’est pas évident de quantifier importante de l’agroécologie
maximale. Et, n’en déplaise à certains, aujourd’hui les surfaces à l’échelle locale, du fait des
on va avoir besoin d’intrants tels que les cultivées suivant des pratiques mouvements sociaux et de
engrais minéraux. On voudrait nous lais- agroécologiques dans le monde, politiques incitatives, et entre les
ser croire qu’il n’y a pas besoin de nourrir quelques chiffres peuvent deux, de grandes exploitations
les plantes, qu’elles le font toutes seules. toutefois éclairer sur l’importance pratiquant une agroécologie
de son développement. Ainsi, en à « grande échelle », mais
C’est possible lorsqu’on est dans une Afrique de l’Ouest par exemple, dont les caractéristiques
forêt tropicale et vierge, lorsque rien plus de 700 000 ha sont cultivés environnementales (doses
n’est prélevé et que tout ce qui est pro- en « conservation de l’eau et du importantes d’intrants chimiques,
duit retourne directement au sol mais, sol »1 au Burkina Faso, Mali, Niger. principalement des herbicides)
à partir du moment où on récolte, on a Près de 5 millions d’hectares et sociales (réduction drastique
diminution des éléments nutritifs à dis- en « régénération naturelle de l’emploi) remettent en cause
position. Pour pousser, la plante pré- assistée »2 (plateau dogon, l’appellation agroécologie pour de
lève dans le sol un ensemble d’éléments plateau central burkinabé, zone de nombreux praticiens.
minéraux (azote, phosphore, potassium, Maradi Zinder au Niger). Environ
microéléments, etc.) et, dès qu’un de ces un tiers des cotonculteurs des Dans les pays développés où
éléments manque, la production diminue savanes soudaniennes intègrent l’agriculture intensive en intrants
très fortement. à partir du moment où il l’agriculture et l’élevage. chimiques domine, certaines
y a consommation, on a besoin d’intrants pratiques d’agroécologie se
sinon la plante épuise son potentiel de En Guinée-Bissau, Guinée développent également depuis
rendement. Ce sont les lois incontour- Conakry et Sierra Leone, la plusieurs décennies. C’est
nables de la nutrition des plantes. gestion traditionnelle des eaux notamment le cas en France, en
Allemagne, et aux États-Unis.
1 : Actions de conservation de l’eau et du sol (CES) :
zaï, demi lunes, cordons pierreux au Burkina Faso et
Propos recueillis par Charline Cauchie au Niger, les techniques CES permettent de doubler
et Pierre Coopman voire tripler les rendements dans les mêmes contextes
écologiques.
2 : Régénération naturelle assistée (RNA) : technique
d’agroforesterie qui consiste, pour les agriculteurs, Source : bulletin de synthèse d’Inter-Réseaux
à protéger et gérer la régénérescence spontanée des et de SOS Faim sur l’agroécologie :
arbres et arbustes sur leurs champs. wwww.sosfaim.org

14 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

L’arme idéale
contre la faim au Sahel ?
Un article de Inoussa Maïga dogo, directeur fondateur de l’Associa-
tion pour la recherche et formation en
Produire plus et mieux en préservant mieux l’environnement ! agroécologie (Arfa).
C’est la perspective que propose l’agroécologie. Dans les pays
Loin d’être opposés, chercheurs et vulga-
du Sahel, des chercheurs et des vulgarisateurs travaillent à la risateurs se veulent complémentaires. Ils
réalisation d’un environnement sain et productif, sur base des fondent tous leur action sur les pratiques
paysannes observées sur le terrain. « Les
principes de l’agroécologie, indépendamment de toute considé- paysans développent eux-mêmes de
ration idéologique. bonnes pratiques agricoles. Nous par-
tons de ces pratiques que nous essayons
d’améliorer », explique Mathieu Sawa-
Pour les chercheurs, l’agroécologie est dogo. « On observe les pratiques pay-
une discipline scientifique qui utilise les sannes, on essaie de les expliquer et on
principes écologiques pour concevoir voit comment les optimiser, comment les
des systèmes de culture, les tester, les rendre plus efficientes, plus rentables
évaluer. « Nous cherchons à optimiser pour le sol et pour l’agriculteur », ajoute
Inoussa Maïga la production agricole par des méthodes Rabah Lahmar. « Sur ces questions-là, en
est journaliste et chargé de
différentes de ce qui était jusqu’à pré- tant que scientifiques, nous apprenons
programme chez Jade productions
sent promu », explique Alain Ratnadass, beaucoup des pratiques paysannes »,
(Burkina Faso)
chercheur au Centre de coopération in- reconnaît-il.
http ://www.jadeproductions.info/
ternationale en recherche agronomique
(Cirad) à Montpellier. « L’agroécologie, Des opportunités
c’est mettre de l’écologie dans l’agricul- pour l’agriculture au Sahel…
ture. Il s’agit d’explorer les possibilités
des processus écologiques et de les uti- Chercheurs et vulgarisateurs s’accordent
liser dans la gestion des ressources », également pour reconnaître les opportu-
ajoute son collègue Rabah Lahmar, en nités que les pratiques agroécologiques
poste au Burkina. offrent à l’agriculture dans le Sahel.
«Nous avons longtemps été obnubilés
Pour les vulgarisateurs, l’agroécologie par la question de la pauvreté des pay-
est avant tout une boîte à outils, un en- sans. Nous nous demandions pourquoi les
semble de techniques et de pratiques sur engrais sont chers, pourquoi les États ne
le terrain, dans les champs. « Il y a plu- subventionnent pas, pourquoi les États se
sieurs façons d’améliorer la production désengagent de l’agriculture, etc. Ce sont
et les rendements, mais c’est l’impact sur des problèmes réels, mais je pense qu’il y
l’environnement qui fait la différence. a des solutions ailleurs, dans l’agroéco-
L’agroécologie permet d’améliorer la fer- logie », soutient Rabah Lahmar.
tilité des sols, de lutter contre les eaux
de ruissellement et contre l’érosion »,
avance Assane Bokoume de l’Association « Le plus important c’est
pour la gestion de l’environnement et du l’appui des techniciens et
développement (Aged). des vulgarisateurs. »
Assane Bokoum.
« C’est une réflexion commune que nous
menons avec les paysans pour les aider
à chercher les voies et moyens pour pro- Les systèmes de production inspirés des
duire suffisamment sur leurs terres sans principes de l’agroécologie reposent en
les détériorer », renchérit Mathieu Sawa- partie sur l’apport de matières orga-

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 15


Dossier L’agroécologie, une solution ?

dans les pays du Sahel. « Tout le travail


que nous faisons depuis des années le
démontre. Nous sommes convaincus que
c’est une voie sur laquelle il faut persé-
vérer », soutient le directeur fondateur
de l’ONG Arfa. « Les agriculteurs dans
leurs champs associent toujours le mil
avec quelques pieds de niébé. On sait que
ces associations sont très bénéfiques
pour les deux plantes. L’idée, c’est de voir
comment utiliser au mieux tout ce qui est
positif dans les pratiques paysannes »,
explique Assane Bokoum.
Des conditions à satisfaire

© Jean-Louis Brocart/ SOS Faim.


La vulgarisation des pratiques inspirées
de l’agroécologie nécessite la mobili-
sation des paysans. Une tâche ardue.
« C’est difficile, par exemple, d’expliquer
aux paysans, à qui on a appris depuis
des décennies à labourer, que le labour
Au Burkina, il faut travailler à renforcer la confiance dans l’agroécologie. c’est très mal à cause du problème d’éro-
sion », prévient Alain Ratnadass. Un
niques pour l’enrichissement des sols. en travaillant par l’apport de matière défi que tente de relever tant bien que
Disponibles localement et donc peu organique, sur l’association et la rota- mal l’ONG Arfa, depuis plusieurs années,
coûteuses, les matières organiques sont tion des cultures, participe à restaurer dans l’Est du Burkina. « ça n’a pas été un
une alternative aux difficultés d’accès le couvert végétal et crée les conditions cadeau tombé du ciel. Il a fallu vraiment
aux engrais par des paysans en manque qui favorisent le développement des beaucoup d’années de travail et d’insis-
de ressources. Mais cela ne signifie pas plantes », soutient Alain Ratnadass. tance », explique Mathieu Sawadogo.
que l’agroécologie est une agriculture « Nous avons commencé avec un groupe
du pauvre, comme certains ont tendance de 25 paysans. Année après année, ces
à le croire, précise Mathieu Sawadogo. « On observe premiers paysans ont engrangé des réus-
« C’est une approche qui demande beau- sites qui ont attiré plusieurs autres pay-
les pratiques paysannes sans. Avec des réalisations qui ont des
coup de travail. Il faut que le paysan soit
à l’écoute de sa terre, qu’il en prenne soin. et on voit comment les résultats sur le terrain, on est arrivé à
Cela l’amène à avoir d’autres comporte- optimiser. » mettre en place un réseau de 400 agricul-
ments. C’est-à-dire après les récoltes, Mathieu Sawadogo. teurs écologiques. Aujourd’hui ce réseau
le travail continue. Il faut que le paysan compte plus de 1800 membres », savoure
soit présent sur sa parcelle, qu’il travaille le premier responsable de l’ONG Arfa. D’où
à produire la matière organique. » Mais peut-on dire pour autant que la conclusion que dans la vulgarisation
l’agroécologie est le meilleur moyen de des pratiques agroécologiques, ce sont
… mais aussi des défis lutter contre la faim au Sahel ? Sur cette plus les expérimentations sur le terrain
question, chercheurs et vulgarisateurs qui permettent de susciter l’engagement
Le premier défi que devrait relever sont on ne peut plus clairs. « Je ne sais des paysans que le discours politique.
l’agroécologie, selon Mathieu Sawado- pas jusqu’où l’agroécologie permet de
go, est de permettre aux producteurs de pousser les rendements, mais c’est vrai- De belles perspectives ?
produire suffisamment dans un contexte ment un système qui est très bien adapté Chercheurs et vulgarisateurs ne tarissent
de changement climatique. «L’agroéco- aux agricultures du Sahel », déclare Ra- pas de propositions pour une véritable
logie nous permet de nous adapter aux bah Lahmar. Selon le chercheur, le Sahel transition vers l’agroécologie. Mais As-
changements climatiques. Parce qu’au- est en situation limite : les sols sont sane Bokoum prend ses distances vis-
jourd’hui, si nous prenons le répertoire pauvres, le climat n’est pas favorable, à-vis du discours politique. « On n’a pas
de toutes les activités répertoriées en les agriculteurs utilisent très peu d’en- besoin des politiques. Le plus important
matière d’adaptation aux changements grais. « Quand on arrive à comprendre c’est vraiment l’appui des techniciens,
climatiques, ce sont des pratiques que les processus écologiques en jeu, on les des vulgarisateurs, et je pense que c’est
l’agroécologie prévoit depuis des an- met au service de la production agricole, surtout ça qu’il faut mettre en avant. Si
nées. » Le défi majeur de l’agroécologie au service de la gestion des ressources. » le discours politique prend le dessus, on
dans le Sahel est de lutter contre la dé- Même discours chez Mathieu Sawado- risque d’avoir de simples effets de mode.
sertification liée à la carence des sols en go, pour qui l’agroécologie fonctionne On fera trop de tapage pour peu de résul-
matières organiques. « L’agroécologie, comme un outil efficace contre la faim tats », prévient-il.

16 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Pour Alain Ratnadass, il faut des inci- « ce serait bien que les pouvoirs publics écologie dans le monde paysan. « Les
tations financières, car l’adoption des subventionnent ce genre de système », pratiques agroécologiques ne sont pas
systèmes agroécologiques nécessite une préconise-t-il. encore suffisamment encouragées et
prise de risque par les paysans durant les financées.
premières années. « Par exemple, pour la Ces subventions sont nécessaires et
culture du riz pluvial dans des systèmes justes, car les pratiques agroécologiques C’est vrai que l’État intervient déjà dans
avec couverture végétale, la production rendent des services écologiques aux la promotion de l’utilisation des ma-
sera moins forte la première année que communautés entières. Rabah Lahmar, tières organiques et la production des
dans un système avec labour. Au bout lui, s’attarde sur le rôle de la vulgarisa- plants. Mais ces interventions ont besoin
de la deuxième ou de la troisième année, tion de l’agroécologie, qu’il souhaite voir d’être organisées dans un cadre plus glo-
on arrive à l’équilibre et, après plusieurs intégrée dans les programmes de forma- bal, plus cohérent », dit-il. Car « actuel-
années, la production avec couverture tion des écoles d’agriculture au Sahel. lement il y a des gens qui peuvent inté-
végétale dépassera largement celle sur grer une partie de l’agroécologie et juste
labour », explique le chercheur. Les pay- Pour Mathieu Sawadogo, il faut travail- à côté ils mènent des actions tout à fait
sans du Sahel n’ayant pas d’assurance, ler à renforcer la confiance dans l’agro- contraires à ce qu’elle préconise. »

Défense constructive de l’agroécologie

« Seule, elle ne pourra


pas tout régler »
Entretien avec Marjolein Visser En effet, l’agroécologie ne se limite pas à
dresser un cahier des charges de choses
La question de la sécurité alimentaire ne doit pas se résumer à un à ne pas faire, de techniques à ne pas
problème du meilleur rendement par hectare. C’est ce que l’agro- suivre. Ainsi, contrairement à ce que Ber-
nard Bodson pourrait lui répliquer, Marjo-
écologie, comme la conçoit Marjolein Visser, veut démontrer. lein Visser ne pense pas que les agronomes
soient les seuls et les mieux placés à dé-
battre d’agroécologie, car le problème de
La lutte contre la faim de nos jours et à la faim n’est pas qu’un problème agrono-
l’horizon de 2050 n’est pas qu’un débat mique : c’est, selon elle, avant tout, un
agronomique. Il est (peut-être encore problème politique. Et c’est cela qui le
plus) politique. D’une part, en termes de rend si complexe et si passionnant.
croyance en l’un ou l’autre type d’agricul-
Marjolein Visser ture, les agronomes devraient s’avouer L’agronomie ne se pratique pas
qu’ils ne sont pas uniquement guidés par dans un vide politique
est professeur au sein de l’Ecole leurs convictions scientifiques mais éga-
interfacultaire de bio-ingénieurs
Les interrogations qui démangent se
lement par leur façon de voir le monde. formulent toujours à peu près de la
de la Faculté des Sciences de
l’Université Libre de Bruxelles. Elle
même manière : « Le bio ou l’agriculture
mène ses recherches au Service
En anglais, la définition de l’agroécolo- paysanne peuvent-ils nourrir la pla-
d’écologie du paysage et des
gie, très abrégée, paraît peut-être plus nète ? », « Peut-on se passer de l’agri-
systèmes de production végétale
explicite, même si elle reste difficile à culture industrielle ? » Poser la question
(EPSPV). Enfin, elle est membre d’un
traduire : Ecology of food systems. Ainsi, en ces termes est, en fait, peu efficace.
groupe de contact créé au FNRS qui
une discipline un peu moins jeune se des- Les études qui prouvent que l’agricul-
s’est fixé pour objectif la réflexion
sine derrière l’agroécologie : l’écologie. ture paysanne ou à petite échelle (tout
scientifique sur l’agroécologie (web.
C’est en cela que, par exemple, on peut comme l’agriculture biologique et éco-
me.com/philogene/Agroecologie.be/
comprendre la distinction avec l’agricul- logique, d’ailleurs) produit autant que
Home.html).
ture biologique : l’agroécologie va plus l’agriculture conventionnelle, com-
loin et se place délibérément au-dessus mencent à s’amonceler. Toutefois, se
de la mêlée pour mieux pouvoir critiquer développent, de façon proportionnelle,
tous les types d’agriculture, y compris les contestations et désaccords entre
l’agriculture biologique. agronomes défendant des vues oppo-

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 17


Dossier L’agroécologie, une solution ?

sées. Pour Marjolein Visser, il est nor- Pour Marjolein Visser, les agronomes ont volonté de reproduire chez eux ce qui est
mal, voire intuitif, de considérer qu’une du mal à accepter le fait qu’ils sont sub- pratiqué au Nord. Ce que la scientifique a
agriculture à petite échelle, appuyée par jectifs dans leurs recherches. Selon elle, vu en Afrique de soi-disant « agriculture
de la main-d’œuvre familiale est poten- s’ils arrivaient à assumer leur côté poli- moderne » l’a toujours frappée par son
tiellement plus productive à l’hectare tique, ils communiqueraient beaucoup amalgame entre introductions occiden-
qu’une agriculture industrielle à grande mieux entre eux, au-delà du sempiternel tales et pratiques locales, en plus de son
échelle : on est beaucoup plus attentif à reproche lancé à tue-tête : « ce que vous caractère mal raisonné. Ainsi, aux Phi-
« notre » petite superficie, on sait mieux affirmez n’est pas scientifique ». lippines, elle a été confrontée à des pay-
la gérer et anticiper les problèmes et, sans dont les cultures étaient totalement
surtout, on sera plus attentif aux rende- L’agriculture manuelles, qui utilisaient des semences de
ments à l’hectare. En effet, selon Marjo- ne résout pas le problème de la faim maïs OGM et du Roundup sur leurs cultures
lein Visser, un tractoriste qui entretient Lorsqu’on évoque la souveraineté ali- en pente raide : un non-sens économique
mille hectares d’une seule culture et qui mentaire, on insiste trop souvent sur la et écologique.
est payé deux dollars par jour quels que production de nourriture. On ne parle
soient ses résultats, n’apportera pas la jamais de la consommation, de la façon Selon Marjolein Visser, une question
même attention à son champ qu’un petit inégale de la distribuer (800 millions de toujours en suspens est de comprendre
producteur local ... personnes souffrent de malnutrition et les raisons pour lesquelles le Nord a
presque autant d’obésité) ou des pertes une agriculture si « avancée » : pour-
Dès lors, pourquoi beaucoup continuent- (un sixième de la production est perdu quoi utilise-t-on autant de machines et
ils de penser qu’une agriculture profite avant ou pendant la transformation) et d’intrants industriels alors qu’au Sud,
de l’économie d’échelle comme toute des gaspillages (un sixième est jeté par avant la colonisation des terres, le sys-
autre activité économique ? Parce que la grande distribution et un autre sixième tème agraire en était à un stade qui cor-
bien souvent, par unité de main-d’œuvre est gaspillé par les ménages) au cours respondait à une agriculture de l’aube de
et grâce à l’abondance de pétrole pas de la chaîne. Toutes ces questions dé- nos régions ?
cher, on arrive à produire des matières passent bel et bien la sphère de l’agricul-
premières pas chères mais, dès qu’on ture mais elles sont liées et essentielles, Pour elle, l’agriculture consiste, avant
intègre les intrants en termes énergé- affirme Marjolein Visser, et c’est en cela tout, en l’art de gérer des compro-
tiques, comme le fait l’agroécologie, que l’agroécologie s’inscrit aussi comme mis. Concernant la mécanisation, par
on se rend compte que le rendement un mouvement social et politique por- exemple, celle-ci est nécessaire partout
énergétique d’une agriculture à grande tant des revendications nouvelles sur la mais elle doit être à la fois adaptée à
échelle est en dessous de 1 (ce qui signi- scène internationale. l’homme, à ses moyens économiques et
fie qu’elle produit moins d’énergie que ce aux exigences écologiques. Enfin, der-
qu’elle n’a consommé). à ce niveau, Marjolein Visser dénonce les nier exemple, celui de l’agroforesterie :
effets de la colonisation qui ont énormé- l’agriculture conventionnelle condamne
ment dégradé certaines pratiques agri- cette pratique car la plantation d’arbres
« L’agroécologie ne se coles au Sud, mais aussi des politiques au milieu des champs gênerait la méca-
agricoles et alimentaires qui restent très nisation. Toutefois, le problème, tou-
limite pas à dresser un inappropriées, voire inexistantes : l’achat jours abordé à sens unique, devrait être
cahier des charges. » d’engrais inadaptés et de très mauvaise pris dans l’autre sens : si l’on accepte que
Marjolein Visser. qualité (les « restes » du marché occi- la présence d’arbres peut être bénéfique
dental) n’en est qu’un exemple. En effet, pour la culture, pourquoi ne pas conce-
les aberrations qu’elle a pu relever de sa voir des machines qui tiendraient compte
Pour Marjolein Visser, même les agro- propre expérience sont légion. Pour elle, de ces arbres dans le champ ?
nomes qui n’ont jamais eu de cours d’éco- les pays en voie de développement fonc-
logie en ont conscience mais, tant que tionnent au travers d’une agriculture de Il s’agirait d’une toute autre façon de
ces aspects ne seront pas pris en consi- subsistance que l’on a voulu et qu’on concevoir le génie rural et, plus large-
dération par tous, les scientifiques conti- voudrait moderniser à l’aide d’intrants ment, l’agriculture. Mais, pour Marjolein
nueront d’engager un dialogue de sourds chimiques et de machines très sophisti- Visser, le chemin est encore long avant
en ne débattant, en fait, pas des mêmes quées et coûteuses alors que l’agriculture que ce genre d’idées fleurissent dans la
choses. Enfin, on sait que les agricultures et les techniques pratiquées au Nord ne tête des agronomes de tous bords…
primitives avaient un bien meilleur rende- peuvent se transposer au Sud. Marjolein
ment énergétique mais qu’effectivement, Visser y voit un déterminisme géogra-
leur rendement à l’hectare était moindre. phique : le climat et les sols des régions
La question est donc : de quel rendement intertropicales se prêtent beaucoup moins Propos recueillis par Charline Cauchie
parle-t-on au final ? On peut étendre ce bien à l’utilisation d’engrais chimiques, de
questionnement au rendement du travail pesticides et de machines lourdes. Pour-
par rapport au rendement du capital : tant, les étudiants agronomes africains
qu’est-ce qui importe finalement le plus arrivent en Europe avec une conception
dans une perspective de durabilité ? du développement agricole biaisée et la

18 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Agroécologie au Sénégal

La vie changée
des paysans de Thiès
Un article de Mohamed Gueye variétés agricoles à très grand rende-
ment, comme le niébé fourrager. Cette
à la différence de l’agriculture biologique pratiquée pour les be- variété, largement répandue dans la zone
soins d’une clientèle dite aisée, achetant des légumes labellisés d’intervention d’Infoclim, est aujourd’hui
fort demandée dans d’autres parties du
bio, l’agroécologie est appliquée par des paysans sénégalais or- pays. »
dinaires, qui produisent pour nourrir leurs familles, à des coûts
La collaboration entre chercheurs, tech-
relativement supportables pour tous. niciens agricoles et scientifiques, ne
s’est pas limitée au niébé fourrager. Paul
La réussite des expériences d’agroécolo- Thiao explique : «Du fait de nombreux
gie dans le département de Thiès a attiré programmes agricoles spéciaux initiés
l’attention des pouvoirs publics. Dans ces dernières années par le gouverne-
un pays où les objectifs officiels sont de ment, nous avons reçu de mauvaises se-
réaliser l’autosuffisance alimentaire par mences de manioc. Une des conséquences
tous les moyens et dans les délais les plus a été le développement de diverses mala-
brefs, la volonté de certains producteurs dies du manioc dans la région. Mais avant
de montrer que l’agroécologie préserve de se lancer dans des spéculations sur
les ressources de la terre est suivie avec les causes et les origines des problèmes
intérêt. notés, les paysans se sont concertés avec
les chercheurs, pour comprendre le phé-
Le docteur Assize Touré, directeur du nomène. Ensemble, ils ont effectué la
Mohamed Gueye traçabilité des boutures réceptionnées.
Centre de suivi écologique de Dakar
est le chef du « desk » économie (Cse), estime que l’agroécologie est un Et c’est ainsi que nous avons pu éradiquer
au journal sénégalais Le Quotidien. domaine transversal, dont la réussite un mal qui menaçait de détruire toute
Il est le correspondant de Défis dépend de la stratégie mise en place pour la production de manioc dans la zone de
Sud au Sénégal depuis quatre ans. ralentir et freiner la détérioration des Notto et, qui sait, de gagner d’autres par-
L’ensemble des articles rédigés par ressources et des zones de production. Le ties du pays. »
Mohamed Gueye est accessible sur projet « Infoclim » qui a été initié par son
www.sosfaim.org Centre, en partenariat avec la Fédération Et pour faire face à la raréfaction de la
des ONG paysannes du Sénégal (Fongs), pluie, les paysans ont sollicité les cher-
a obtenu des résultats que les paysans cheurs afin qu’ils mettent à leur disposi-
continuent à vanter. tion des semences de mil et d’arachide à
cycle court. Dans la communauté rurale
à Notto, à environ 90 km de Dakar, des de Fandène, à une dizaine de kilomètres
paysans racontent que grâce au projet de Thiès, commencent à se développer
Infoclim, ils ont maintenant une nouvelle des expériences de culture au goutte-à-
manière d’appréhender leur activité éco- goutte.
nomique, qui s’intègre mieux à leur envi-
ronnement. Préserver les arbres
La synergie créée par Infoclim entre les
Adaptation et collaboration différents acteurs de la région de Thiès
Ibrahima Paul Thiao, de la Fongs, a été la a apporté des réponses satisfaisantes
cheville ouvrière du projet : «Par un dia- à la dégradation des certains terroirs
logue fécond entre les producteurs agri- traditionnels. Dans le département de
coles, les techniciens et les chercheurs, Notto, connu pour les dégâts causés par
nous avons pu disséminer de nouvelles l’érosion pluviale, une nouvelle percep-

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 19


Dossier L’agroécologie, une solution ?

que les meilleurs arbres sont ceux qui


ont toujours existé dans la région, et qui
tendent à disparaître du fait des abat-
tages sauvages. Mais ils peuvent com-
prendre que les paysans préfèrent parfois
planter des arbres qui ont un fort poten-
tiel de génération des revenus, comme
des arbres fruitiers.
Sécurité alimentaire et vie digne
Est-il raisonnable de penser que l’agro-
écologie permet d’atteindre la sécurité
alimentaire ? Le directeur de la Cse et le
représentant de la Fongs n’ont pas une
réponse tranchée.

Le Dr Touré explique que si les complé-


mentarités entre les savoirs paysans
et les connaissances des chercheurs

© Xavier Delwaerte/ Fugea/ SOS Faim.


peuvent améliorer les rendements, les
phénomènes liés aux fortes vagues
de chaleur que le pays connaît depuis
quelques années, et qui s’accompagnent
de la diminution de la pluviométrie, ne
peuvent être réglés que par des poli-
tiques à l’échelle des pays et des conti-
nents.
La réussite de l’agroécologie dépend de la stratégie mise en place.
Pour lui, ce sont les actions globales qui
tion de l’environnement et de la respon- maisons, et que des pluies de plus en peuvent avoir un impact certain sur la
sabilité des hommes semble voir le jour. plus violentes dégradaient leur habitat réalisation de la sécurité alimentaire.
Ainsi, Nahass Ngom, du village de Pout en creusant de grosses ravines, un grand Paul Thiao déclare : «La sécurité alimen-
Diack, membre du comité changement nombre de gens ne liaient pas ces phéno- taire fait appel à beaucoup de facteurs
climatique mis en place par les villageois mènes à l’action humaine. Il ajoute qu’il exogènes, et bien sûr, à quelques facteurs
dans le cadre du projet Infoclim, explique a fallu «beaucoup d’échanges avec les locaux, qui dépendent du comportement
comment les habitants de cette commu- scientifiques, et avec d’autres habitants du paysan. S’il y a besoin d’une prise de
nauté rurale en sont venus à comprendre d’autres terroirs, pour que nous compre- conscience des producteurs sur les en-
la nécessité de préserver les arbres. « Il nions notre rôle et notre responsabilité jeux des changements climatiques, il y
y a des années, notre zone comprenait de dans ce qui nous arrivait ». a aussi l’autre dimension, qui demande
nombreuses forêts. Bien sûr, la recherche des changements politiques sur les struc-
du bois de chauffage, la fabrication des Des mesures ont suivi, parfois très dra- tures, sur l’orientation des programmes
meubles et même la construction de nos coniennes. Aujourd’hui, dans la zone, nationaux, parce qu’on a vu que toutes
maisons, tout nous poussait à couper des la coupe de bois est fortement régle- les stratégies paysannes localisées ont
arbres, que l’on ne songeait pas à rem- mentée, «car on a compris que l’arbre un impact faible par rapport l’ampleur du
placer. Nous estimions que tout ce qui fait partie des éléments déterminants de phénomène. »
était là, Dieu nous l’avait donné dans son l’environnement, donc de notre vie. Si le
infinie miséricorde ». besoin se fait sentir de couper un arbre,
Faute d’affirmer pouvoir atteindre
il faut que celui qui le coupe songe à le
l’autosuffisance alimentaire avec leurs
remplacer. Cela nous a conduit à déve-
seules expériences et leur savoir, les
« L’agroécologie est un lopper des pépinières villageoises, avec
acteurs impliqués dans la promotion de
domaine transversal dont différentes variétés d’arbres », explique
l’agroécologie au Sénégal estiment que
la réussite dépend d’une Nahass Ngom. Les techniciens agricoles
le plus important est d’avoir réussi à dé-
mettent à la disposition des paysans les
velopper des stratégies de survie pour les
bonne stratégie. » espèces dont ils ont besoin.
Assize Touré.
populations locales, qui permettent à ces
dernières de continuer à vivre en toute
Même quand, sous la force des chan- Le Dr Assize Touré explique qu’il s’agit dignité sur leur terroir, et d’y recréer un
gements climatiques, des bourrasques d’encourager la régénération des es- mode de vie auquel ils sont habitués, qui
de vent ont commencé à détruire leurs pèces locales, car les techniciens croient n’agresse pas leur environnement.

20 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Une révolution agroécologique


est-elle en marche ?
Entretien avec Gaëtan Vanloqueren ne se positionnement pas clairement et
expriment indistinctement leur soutien à
Travailler dans l’urgence implique bien souvent le choix de so- ce que les pays veulent financer… Mais le
lutions rapides, peu importe qu’elles visent le court ou le long rapport sur l’agroécologie publié par Oli-
vier De Schutter a stimulé un nombre de
terme. Pour réagir aux crises alimentaires, Gaëtan Vanloqueren discussions et un intérêt très important au
remarque que c’est en général la première voie qui est choisie au plus haut niveau. Le Rapporteur spécial a
été invité dans plusieurs capitales euro-
détriment d’investissements durables tels que l’agroécologie. péennes afin de présenter ses conclusions
aux agences nationales de coopération
Défis Sud : Y a-t-il des avantages pour un au développement. Certaines agences ont
paysan à opter pour des pratiques agro- d’ailleurs préparé des séminaires internes
écologiques ? pour cerner de plus près comment dessi-
ner leur implication. à Washington, Oli-
vier De Schutter a été invité au Congrès (il
Gaëtan Vanloqueren : évidemment, celui faut reconnaître que des ONG américaines
qui demanderait aux paysans de chan- ont facilité l’événement, mais cela n’en
ger de modèle par simple idéologie ou reste pas moins un pas en avant). L’inté-
souhait de protéger la nature serait, rêt est très fort, même s’il ne se traduit
malheureusement, plutôt un utopiste. pas encore forcément en décisions bud-
Si l’aspect écologique fait largement gétaires. De nombreux acteurs prennent
consensus (principalement l’améliora- conscience que les modèles agricoles à
tion de la fertilité des sols, la diminution promouvoir en 2011 ne sont pas ceux de
des pesticides, le stockage de carbone, 1943 lorsque la «révolution verte » était
et la maximisation de la biodiversité), lancée : il faut innover dans les manières
Gaëtan Vanloqueren l’intérêt de l’agroéconomie se situe à de produire au mieux tout en respectant
différents niveaux : économique, éco- l’environnement.
est chercheur en agronomie à logique, humain et même politique. Les
l’Université catholique de Louvain agriculteurs sont des acteurs écono-
mais également coordinateur et miques au même titre que les autres. DS : Plus que de révolution, il faut parler
conseiller principal d’Olivier De de transition ?
Schutter, le Rapporteur spécial
DS : L’agroécologie en est encore à ses
des Nations unies pour le droit à
débuts. Comment lui conférer une véri- GV : Oui, et les transitions sont en géné-
l’alimentation. Il s’exprime ici à
table portée politique ? ral lentes. Dans le domaine scientifique
titre personnel. également. Toutefois, l’on constate
que le plus grand institut francophone
GV : Dans la plupart des pays en voie de en recherches agronomiques (l’Inra en
développement, il y a très peu de poli- France) a fait de l’agroécologie sa deu-
tiques agricoles locales et ce sont sou- xième priorité de recherche. Les efforts
vent les « politiques » des donateurs qui d’expertise d’ institutions indépendantes
déterminent tout. Les autorités locales telles que l’International Assessment of
sont parfois non pas face à un choix entre Agricultural Knowledge, Science and
différents modèles mais face à un choix Technology for Development (IAASTD), le
de dire oui ou non à un modèle proposé programme des Nations unies de l’envi-
par les donateurs. Et si les taux de pau- ronnement, qui utilisent le terme d’éco-
vreté et d’insécurité alimentaire sont agriculture, sont les preuves d’un tour-
immenses, refuser un projet parce qu’il nant ! En Belgique, il y a aussi des groupes
est de court terme et aurait des inconvé- de recherche s’intéressant à l’agroécolo-
nients à long terme est impossible. gie. Le vent est en train de tourner à la
suite des efforts de certains réseaux, qui
L’agroécologie a peu de soutien chez les ne sont cependant pas dominants.
acteurs économiques dominants, tan-
dis que les organisations internationales Propos recueillis par Charline Cauchie

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 21


Dossier L’agroécologie, une solution ?

Le point de vue d’Oxfam-Solidarité

Les ONG à l’avant-garde


de l’agroécologie
Entretien avec Brigitte Gloire viennent encourager un passage à des
décisions politiques d’envergure natio-
Pour Brigitte Gloire, la notion d’agroécologie ne sort pas de nulle nale ou internationale.
part : « L’idée de développer une agriculture qui prenne en compte « Toutes les expériences compilées par
son environnement remonte à plusieurs décennies déjà. » Jules Pretty (une étude réalisée sur
les approches agroécologiques dans
Même si les termes n’étaient pas pa- 286 projets menés dans 57 pays en déve-
reils, c’était pourtant bien les questions loppement et couvrant une surface totale
qui étaient déjà débattues en 1980 à de 37 millions d’hectares) démontrent
Bruxelles lors d’un colloque de la Fédé- que l’agriculture familiale agroécolo-
ration internationale des mouvements de gique peut conduire à une augmentation
l’agriculture biologique (IFOAM) auquel moyenne des rendements allant jusqu’à
Brigitte Gloire participait. « Les organi- 79 % ». Aux yeux de Brigitte Gloire,
sations qui se sont spécialisées en sen- l’agroécologie est donc une alternative
sibilisation autant qu’en plaidoyer poli- crédible en termes d’augmentation de
tique autour de l’agroécologie existent la production « car c’est sur ce point que
depuis très longtemps mais, aujourd’hui, beaucoup de gens nous attendent et,
Brigitte Gloire les crises environnementales, clima- justement, les études commencent à se
tiques et alimentaires font de l’agroéco- multiplier qui analysent aussi les avan-
Ingénieure agronome de formation,
logie une priorité : comment garantir de tages économiques des pratiques agroé-
Brigitte Gloire est chargée du
la production de nourriture pour 9 mil- cologiques à côté de la dimension sociale
développement durable au sein
liards d’êtres humains en 2050 ? » et environnementale ; surtout lorsqu’on
d’Oxfam-Solidarité. Elle met sait que l’agriculture industrielle a at-
l’accent sur l’importance donnée teint ses limites de rendement et que la
par les ONG à l’agroécologie. Il à l’instar de Marjolein Visser et de Gaëtan révolution verte à haute consommation
s’agit avant tout d’allier le social et Vanloqueren, Brigitte Gloire pense qu’il d’intrants stagne, la question est dou-
l’environnemental en favorisant une faut comprendre l’agriculture comme blement posée ».
agriculture durable et équitable. une activité systémique qui interagit
avec les questions de santé des popu- Se protéger est un droit
lations, celles touchant à la flore, à la Cependant, depuis le départ, la sécu-
faune et aux micro-organismes des ter- rité alimentaire n’est pas un problème de
rains agricoles et à laquelle il faut appli- quantité mais bien d’accès et de priori-
quer le principe de précaution. sation : « Quand les gens viennent avec
la solution du rendement, la première
Pour nourrir la planète, question qu’il faut se poser est : à quoi
le problème n’est pas dans les quantités sont utilisées les terres agricoles ? Elles ne
Les pratiques mises en évidence par répondent pas à la fonction nourricière.
l’agroécologie (l’école au champ, le fait Cela doit redevenir la priorité ! La moitié
de ne pas incorporer d’intrants de syn- des céréales à l’heure actuelle sont desti-
thèse, par exemple) se réfèrent, certes, à nées au bétail et aux agrocarburants… »
des procédés ancestraux mais le concept Les politiques, en Afrique, par exemple,
se consolide à l’aide d’un cahier des ont mis la priorité sur les cultures d’ex-
charges rigoureux et surtout grâce aux portation comme le coton mais pas sur
rapports scientifiques qui se succèdent le sorgho, le mil ou d’autres céréales
(principalement celui de l’IAASTD en sèches. « Le problème se pose aussi chez
2008 et celui de Jules Pretty de l’Uni- nous : la Belgique à l’heure actuelle n’est
versité d’Essex au Royaume-Uni) et qui pas autosuffisante en blé. On n’a pas pri-

22 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Dossier L’agroécologie, une solution ?

vilégié les céréales panifiables mais bien


le blé à très haut rendement utilisé pour
l’ensilage ou les agrocarburants. » On Hans Herren :
sait qu’il y a des régions du monde qui
ne sont pas autosuffisantes et qui ne
« L’agriculture durable pour nourrir
peuvent l’être… « Mais si une partie du
territoire convient moins à l’agriculture,
la population est la voie à suivre »
on peut négocier comme le fait le Sahel :
échanger son bétail en Afrique côtière Hans Herren, scienti- venant confirmer les étant multifonctionnelle :
fique internationalement conclusions des précé- « L’agriculture de demain
contre des aliments. » reconnu, est président dents : « C’est une perte de doit pouvoir supporter
du Millennium Institute temps alors que des gens les changements clima-
depuis mai 2005 et co-pré- meurent de faim. Le mes- tiques, être créatrice
« L’agriculture sident de l’International sage-clé a été édulcoré d’emplois partout dans le
interagit avec les Assessment of Agricul- depuis trois ans. 58 pays monde. Les agriculteurs
tural Knowledge, Science dans le monde entier l’ont sont les laissés-pour-
questions de santé des and Technology for adopté mais, aujourd’hui, compte de la société alors
populations. » Development (IAASTD) nous devons avancer. » qu’ils sont aussi impor-
Brigitte Gloire.
qui a établi, en 2008, un tants que les médecins,
Aux yeux de Herren, un
rapport très complet sur il faut revaloriser leur
changement de para-
Cependant, ces choix doivent se faire la situation actuelle de
digme est nécessaire. Un
statut et ce n’est pas en
en concertation entre gouvernements l’agriculture. En passant descendant les prix des
passage par les techno-
et producteurs : « Un pays comme le en revue les domaines des aliments qu’on y parvien-
logies est obligé mais
sciences, technologies et dra. Dans les champs, il
Mali s’était fixé un ratio coton-céréales connaissances agricoles,
celui-ci doit s’inscrire
faut prévoir des couloirs
mais avec la libéralisation, c’était tom- les conclusions des ex-
dans une transition vers
multifonctions, des
bé à l’eau… Se protéger est un droit, ce une agriculture durable
perts de l’IAASTD visent à fermes familiales de
n’est pas du protectionnisme. Si le droit et écologique : « Il faut
mieux définir ce que nous différentes tailles et faire
employer les bons termes,
à l’alimentation est contrecarré par les devrions faire dans les
il s’agit d’agroécologie. Si
revenir les animaux au
importations, des mesures doivent être cinquante années à venir
vous voulez régler le pro-
sein des exploitations. »
prises à différents niveaux (et aussi chez pour résoudre les ques-
blème des gaz à effet de
Si les gouvernements
nous pour abolir le dumping). » tions environnementales investissaient seulement
serre (GES), il faut miser
et de sécurités alimen- 1 à 2 % du PIB dans l’éco-
sur cette agriculture-là
Acheter local ne suffit pas taire et nutritionnelle. nomie verte, on pourrait
car elle peut en absorber
parvenir à un modèle
De plus, il faut, selon Brigitte Gloire, Le rapport de l’IAASTD beaucoup ! » Pour lui, il
agricole viable, capable
de 2008, a été mondiale- est scandaleux que l’agri-
dénoncer le fait que de nombreuses mul- ment reconnu et diffusé, culture industrielle, qui
de soutenir la croissance.
tinationales vont faire de l’agriculture notamment par le Rappor- fournit 30 % de l’alimen-
Toutes ces conclusions
bio au Sud et, ainsi, priver les locaux teur spécial des Nations tation mondiale, soit res-
sont longuement détail-
d’une partie de leurs surfaces de produc- lées dans le rapport, elles
unies pour le droit à ponsable de 44 à 57 % des
tion : « Les échanges internationaux ne sont incontestables.
l’alimentation, Olivier émissions. Il faut travail-
doivent pas être faits au détriment d’une De Schutter. Depuis cette ler à la cause du problème à quand la mise en
consommation locale. Il faut repenser date, Hans Herren déplore et assurer la transition marche de politiques ? « à
nos produits de consommation en fonc- que les seules mesures entre une agriculture pro- Rio, en 2012, j’espère que
tion de leurs impacts sociaux et environ- qui aient été concrétisées ductiviste et une agricul- l’agriculture sera au cœur
se limitent à la rédaction ture durable qui produira des débats ! »
nementaux. » de nouveaux rapports tout autant voire plus en
Acheter local ne suffit pas si la produc-
tion a été très impactante pour l’envi-
ronnement, et acheter bio n’est pas une
bonne chose si cela se fait au détriment
de la sécurité alimentaire au Sud : « Ce
que nous demandons maintenant, c’est le bon sens. Il faut aussi dialoguer avec samment prises en compte : « Les prix ne
d’être plus informés sur les effets néga- celui qui vend, les circuits courts sont à reflètent pas les effets sur le climat des
tifs à la fois sociaux et environnementaux privilégier. D’où provient, comment et émissions de CO2 liées au produit ou celui
du produit consommé et ce, du début de qui a produit le bien consommé ? Il faut des pertes d’emploi, beaucoup reste à
la chaîne jusqu’au déchet. Les labels imposer à la grande distribution d’ap- faire à ce niveau-là aussi… »
sont insuffisants et travailler à les ren- porter ces précisions. »
forcer est important. » Dans ces condi-
tions, consommer intelligemment paraît Enfin, au niveau du prix, les externali- Propos recueillis par Charline Cauchie
un défi hautement complexe. Comment tés sociales et environnementales des
s’y prendre ? « Le premier critère, c’est coûts de l’agriculture ne sont pas suffi-

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 23


Analyse

APE UE-ACP et développement

Accord possible ou pari raté ?


Un article de Jacob Kotcho ciale entre les pays ACP et l’UE, dont l’APE
sera le nouveau cadre réglementaire,
Depuis huit ans, les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et a pour objectif l’insertion harmonieuse
l’Union européenne (UE) sont engagés dans la négociation d’un des pays ACP dans l’économie mondiale.
à cet effet, elle vise le renforcement des
accord de partenariat économique (APE), dont l’objectif est de capacités commerciales, de production
remplacer les préférences commerciales non réciproques dont et d’approvisionnement des pays ACP (i),
le renforcement des capacités des pays
ont bénéficié les pays ACP, depuis 1975, pour l’accès au marché ACP à attirer des investissements (ii),
européen, par un régime compatible avec les règles de l’Orga- la création d’une nouvelle dynamique
d’échanges entre les parties (iii), le ren-
nisation mondiale du commerce (OMC). Les négociations qui forcement des politiques commerciales
auraient dû s’achever le 31 décembre 2007 sont loin de se termi- et d’investissement des pays ACP (iv),
et l’amélioration des capacités des pays
ner. Les points de divergence persistent. ACP de régler les questions liées au com-
merce (v). Cette coopération se fonde
sur un partenariat véritable, stratégique
Comment justifier l’enlisement du pro- et renforcé, ainsi que sur les initiatives
cessus de négociation de l’APE ? En d’intégration régionales des pays ACP.
d’autres termes, l’APE est-il la meilleure
alternative au régime de préférences
tarifaires non réciproques ? L’APE conçu L’UE et les pays ACP
comme un accord de libre-échange
peut-il réussir le pari de combiner le dé- sont obligés
mantèlement des barrières tarifaires et d’abandonner leur
la promotion des objectifs de développe- solidarité historique sur
Jacob Kotcho ment des pays ACP ? l’autel de l’OMC.
est le secrétaire exécutif de Centre
pour l’intégration régionale et le
Au mois de juillet 2010, 36 pays ACP
développement en Afrique centrale
avaient signé ou paraphé un APE intéri- Pour atteindre cet objectif, les pays ACP
(Cirdac). Dans cet article, il évalue
maire ou final avec l’UE. Seule la région et l’UE se sont accordés politiquement
les modalités et les structures de
Caraïbes sur les six régions constituées pour que l’APE comporte deux volets. Un
négociation de l’APE en Afrique, et
pour la négociation de l’APE a signé un volet dédié à la réforme du régime com-
analyse les conditions critiques de
accord complet. En Afrique, 16 pays ont mercial, pour le rendre compatible aux
la prise en compte de la dimension
paraphé ou signé un APE avec l’UE. Aussi règles de l’OMC, et un volet consacré au
développement dans l’APE.
bien en Afrique qu’au niveau ACP, les développement. Dans tous les cas, le
négociations se poursuivent pour par- traitement spécial et différencié en fa-
venir à des « accords régionaux complets veur des pays ACP est le principe de base
prenant en compte les intérêts bien qui doit guider la négociation de l’APE.
compris de toutes les parties ». Pour-
tant, les nombreuses divergences qui C’est donc la formulation d’un accord qui
persistent sur le plan technique entre les cadre avec les engagements de principe
équipes de négociation, ne donnent pas rappelés ci-dessus qui pose un obstacle à
à présager objectivement d’une conclu- la conclusion des négociations. Les par-
sion imminente des négociations. ties ne parviennent pas à s’accorder sur
les modalités de libéralisation de leurs
Des objectifs difficiles à concrétiser échanges commerciaux, de compensa-
Selon l’article 34 de l’Accord de Cotonou1, tion pour les ACP2, des pertes potentielles
la coopération économique et commer- qui seront générées par la libéralisation,

1 : Commission européenne, Accord de partenariat ACP-CE, 2 : Voir encadré page 26, pour les simulations de pertes liées
Communautés européennes, 2007, p.39 à l’APE pour le cas du Cameroun.

24 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


Analyse

nistérielle de Cancún (2003) et les pays


ACP avaient convenu, par souci de cohé-
rence, de ne pas les intégrer dans l’agen-
da de négociation de l’APE. Il en est de
même de l’introduction du commerce
des services dans l’agenda de l’APE. Ces
concessions ont été obtenues au prix des
pressions actionnées en faisant jouer le
levier de l’aide européenne (le FED) et
des influences politiques.

Conséquence de l’érosion
des solidarités historiques
L’APE est le premier accord de coopéra-

© Virginie Pissoort/ SOS Faim.


tion véritablement négocié entre les pays
ACP et l’UE. Les accords de coopération
successifs qui ont précédé l’APE étaient
le fruit d’offres unilatérales de l’UE sur
une base discrétionnaire. L’évolution
Manifestation anti-APE au Burkina-Faso. du contexte mondial a déstabilisé cette
architecture de la coopération. Les pré-
férences tarifaires réciproques qu’offrait
de renforcement des capacités produc- Espace de décentralisation des pouvoirs l’UE aux pays ACP, par solidarité, sont
tives et de mise à niveau des économies L’APE sert visiblement, comme tous les devenues désuètes avec l’avènement de
des pays ACP, et de promotion de l’inté- ACR regroupant les pays développés et l’OMC. Les droits de douane imposés à la
gration régionale. les pays sous-développés, d’espace de banane des pays d’Amérique latine pour
renforcement de la vulnérabilité des pays l’accès au marché européen, dont les
Pourquoi un consensus est aussi diffi- pauvres en vue de leur faire accepter ce pays ACP étaient exemptés, ont été jugés
cile à trouver sur des modalités de mise qu’ils parviennent à refuser sur le plan discriminatoires par l’organe de règle-
en œuvre des principes communément
admis ? Un aspect de la réponse à cette
question réside dans les fondements du évolution de la part du commerce de la Chine et de l’Union européenne
régionalisme. dans les échanges des pays d’Afrique sub-saharienne
Depuis la fin de la guerre froide3, l’on Union européenne Chine
en %
assiste à une prolifération d’accords 40
commerciaux régionaux (ACR)4. Analy-
ser l’évolution de l’APE, qui est un ACR,
permet d’observer ces nouvelles dyna- 30
miques régionales. La négociation de
l’APE montre que le régionalisme, dans 20
le contexte de la mondialisation, est un
moyen de décentralisation des pouvoirs
10
pour les pays puissants, une consé-
quence de l’érosion des alliances histo-
riques après la fin de la guerre froide, et 0
une réponse à l’émergence de nouvelles 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
forces économiques. Les conflits d’inté- Source : L’auteur sur la base de données tirées de Wits/Comtrade
rêts qui émergent avec les puissances
émergentes, comme la Chine, l’Inde et
le Brésil sont une des raisons fondamen- multilatéral. L’introduction des thèmes ment des différends de l’OMC. En consé-
tales de la difficulté à conclure l’APE de Singapour (investissement, facilita- quence, l’UE et les pays ACP sont obligés
dans la plupart des régions. Comment tion des échanges, concurrence, etc.) d’abandonner leur solidarité historique
cela se traduit-il dans les faits ? dans l’agenda de négociation de l’APE en sur l’autel du nouvel ordre du commerce
est l’illustration parfaite. international.
3 : Zaki (L.), Un monde privé de sens, Paris, Hachette Littéra- En effet, ces nouvelles thématiques Ainsi, le 15 décembre 2009, un accord
tures, Edition 2001, pp. 207 - 217
4 : Selon l’OMC, 285 accords commerciaux régionaux étaient avaient été rejetées par les pays en dé- sur la banane est trouvé entre l’UE et les
en vigueur dans le monde en 2010. veloppement lors de la Conférence mi- pays d’Amérique latine (77,5 % de banane

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 25


Analyse

communautaires) servant de socle à


APE : sources de pertes de recettes l’élaboration des positions de négocia-
tion. Comme corollaire à cette situation,
pour les pays africains ? on observe des divergences dans les po-
sitions adoptées à l’OMC et dans l’APE.
Une des contraintes à la conclusion des négo- lo-douanières entre 2010 Enfin, et sans être exhaustif, on peut
ciations de l’APE est la difficulté à trouver un et 2023. relever pêle-mêle : l’incapacité des pays
consensus sur les modalités de compensation D’autre part, l’harmonisa- d’Afrique centrale à financer sur leurs
de recettes liées à l’APE. De nombreuses études tion des tarifs douaniers, propres budgets les frais de prise en
d’impacts ont été réalisées. Elles aboutissent pour les aligner sur les charge de leurs équipes de négociation
presque toutes à la même conclusion. Les pays tarifs de la RDC et Sao (ceux-ci sont supportés par l’UE); les
ACP pourraient faire face une érosion importante Tome & Principe, entraî- divergences de position entre les équipes
de leurs recettes douanières à la suite de l’APE. nerait pour le Cameroun,
une perte totale estimée
de négociation techniques et politiques;
à titre d’exemple, analy- Une évaluation faite par à 105 milliards FCFA dont l’engagement des Pays moins avancés
sons le cas du Cameroun, un groupe d’experts du 38 milliards FCFA sur les (PMA) dans des négociations pour les-
qui a signé le 15 janvier ministère des Finances produits d’origine UE, et quelles ils n’ont pas de capacités suffi-
2009 un accord d’étape du Cameroun montre que 67 milliards FCFA sur les santes; etc.
avec l’UE. Cet accord pré- la mise en œuvre de cet produits des pays tiers. La
voit un démantèlement accord pourrait entraîner question qui se pose est Que faire ?
tarifaire de 80 % des im- des pertes se chiffrant à de savoir comment finan- Il convient de dégager les conditions
portations du Cameroun 129 milliards de francs cer ces réformes indispen- critiques pouvant garantir l’atteinte, à
en provenance de l’UE CFA (environ 194 millions sables. travers l’APE, des objectifs de dévelop-
sur une période de 15 ans. d’euros) de recettes fisca- pement prévus dans l’accord de Cotonou.
Sur le plan politique, il est indispen-
exportée en UE contre 6,7 % pour le Came- l’APE, une « Clause de la nation la plus sable que l’APE s’inscrive dans le projet
roun) en vue de baisser les droits de douane favorisée » qui lui garantirait d’office les de construction de l’intégration afri-
de 176$/t à 148$/t puis 114$/t à l’échéance avantages commerciaux offerts aux pays caine. à ce titre, il convient de trouver
de 2017, entraînant une érosion de la pré- émergents. un moyen de réconcilier les regroupe-
férence dont bénéficiait le Cameroun. ments de négociations de l’APE avec les
Espace d’expression des incohérences communautés économiques régionales
Réponse à l’émergence internes aux pays Africains mises en place par l’UA. D’autre part, les
de nouvelles forces économiques Au-delà du conflit d’intérêts que nous APE d’étape signés par les pays indivi-
Le monde d’après la guerre froide n’est avons analysé, l’enlisement de la négo- duels ne doivent pas être mis en œuvre.
pas un monde unipolaire comme on ciation de l’APE est aussi la résultante La conclusion des accords régionaux est
aurait pu l’imaginer. L’émergence de de nombreuses incohérences internes la seule option envisageable, si l’on veut
nouvelles forces économiques repré- aux régions ACP. Nous en énumérerons promouvoir l’intégration régionale.
sente une menace pour les intérêts des quelques-unes.
anciennes puissances coloniales des Sur le plan économique, l’application
pays africains. Les positions commer- L’absence de vision stratégique est la du traitement spécial et différencié est
ciales de l’UE se trouvent ainsi menacées principale incohérence. Dans tous les cas une exigence incompressible. Il s’agit de
en Afrique, et les pays du continent noir de figures, les configurations de négo- prendre en compte la différence de niveau
ont désormais une offre de partenariat ciation de l’APE en Afrique sont en conflit de développement entre l’UE et les pays
direct avec les espaces d’intégration
diversifiée. La Chine, l’Inde, le Brésil et ACP. De même, des mesures de renforce-
la Corée occupent des parts de plus en régionale mis en place dans le plan de ment des capacités des secteurs produc-
plus croissantes sur les marchés afri- construction de l’Union africaine (UA). tifs des pays ACP et de mise à niveau de
cains et sont des contributeurs de plus Cette situation ne peut pas être impu- leurs économies doivent être envisagées,
en plus importants de l’aide publique tée uniquement à l’UE. D’autre part, la et leur mise en œuvre doit être couplée à
au développement sur le continent. De signature en rang dispersé des accords un démantèlement tarifaire.
intérimaires, par certains pays du conti-
2,6 % en 1996, la part de la Chine dans les
échanges des pays d’Afrique subsaha- nent, au mépris des règles régissant les Sur le plan légal et juridique, les dispo-
rienne est passée à 21,8 % en 2010. unions douanières auxquelles ils appar- sitions de l’APE doivent être compatibles
tiennent, témoigne de cette absence de à la fois avec le cadre juridique de l’OMC
Dans un tel contexte, et sans en faire un vision stratégique. et le cadre réglementaire des processus
tabou, l’UE envisage de faire de l’APE un d’intégration régionale en Afrique.
instrument de protection de ses positions Un autre niveau d’incohérence qu’on
dominantes sur le marché africain. D’où peut relever est l’absence de politiques
l’acharnement de l’UE à introduire dans commerciales internes (nationales et

26 défis sud n° 103- Bimestriel - octobre, novembre 2011


agir

La Belgique doit concrétiser ses engagements


à l’occasion de la Journée mondiale de • La séparation nette entre les activités des
l’alimentation, la Coalition contre la acteurs du secteur alimentaire et celles de
faim, qui regroupe une vingtaine d’orga- la finance (banques, assurances, fonds de
nisations soutenant l’agriculture et les pension, fonds spéculatifs).
organisations paysannes dans les pays
du Sud, a organisé le 19 octobre 2011,
• Le rétablissement des outils de régula- La démocratie respectée
une rencontre avec les parlementaires
tion de l’offre de produits agricoles tels
que les stocks à la ferme et les stocks au sein du CSA ?
fédéraux centrée sur la politique menée publics nationaux et régionaux, les quo-
par la Belgique pour lutter contre la faim. Le Comité de la sécurité alimentaire mon-
tas et les contingentements. diale (CSA) est chargé, au sein du système
Si, en ce qui concerne les résolutions sur • Des politiques agricoles qui assurent des Nations unies, de l’examen et du suivi
l’accaparement des terres, la Coalition les revenus des producteurs agricoles au des politiques en matière de sécurité ali-
s’est félicitée des orientations adop- travers de prix stables et rémunérateurs mentaire mondiale. Ce comité a été réfor-
tées, elle a cependant mis en évidence tant au Sud qu’au Nord. mé à partir de 2008 (voir Défis Sud n° 98
des avancées à concrétiser dans la lutte de décembre 2010) afin de devenir la plus
Plus d’info : www.jma2011.be
contre la spéculation sur les produits Personne de contact : Jean-Jacques Grodent importante plateforme internationale et
agricoles : [email protected] intergouvernementale sur la sécurité ali-
mentaire, incluant parmi ses membres des
organisations de la société civile (OSC).
à qui appartient la terre au Sénégal ? Mais lors de sa 37e session à Rome, du
17 au 22 octobre 2011, les OSC membres
La cession de 20 000 hec- Le Conseil national de concertation et de ont exprimé leur mécontentement et ont
tares de terre à des inves- coopération des ruraux (CNCR) du Séné- annoncé qu’elles quitteraient les négo-
tisseurs italiens, sans gal a exprimé sa profonde tristesse suite ciations sur les politiques à adopter en
véritable consultation des populations, aux événements survenus à Fanaye. Le matière de volatilité des prix agricoles,
a provoqué une explosion de colère, le CNCR appelle l’État et les collectivités si leurs points de vue et analyses sur la
locales qui ont la charge de la gestion question continuent d’être systémati-
mercredi 26 octobre 2011, dans la com- du foncier à éviter les décisions non quement marginalisés. Les OSC déclarent
munauté rurale de Fanaye, dans la vallée concertées pouvant entraîner la dis- ressentir la même frustration dans les
du fleuve Sénégal. Des affrontements ont corde au sein des populations rurales. négociations concernant les agrocarbu-
fait une vingtaine de blessés. Le CNCR souligne qu’il travaille actuelle- rants. Elles affirment que les mécanismes
ment à l’actualisation des propositions de décision au sein du CSA servent de plus
Depuis plusieurs mois, les habitants s’op- en plus exclusivement à entériner le plan
des exploitations agricoles familiales sur
posent à ce projet italien d’investisse- la question foncière, en prenant soin d’y d’action du G20, qui apporte de mauvaises
ment dans le biocarburant. Les autorités associer les élus locaux, les parlemen- réponses à la lutte contre la volatilité des
locales ont négocié l’attribution de 20 000 taires et les services techniques de l’état. prix agricoles.
hectares, soit le tiers de toutes les terres Pour plus d’infos, contactez François Cajot : Pour plus d’informations, contactez Thierry Kesteloot,
cultivables de la communauté rurale. [email protected] d’Oxfam-Solidarité : [email protected]

2e CARREFOUR PAYSAN
Kinshasa, Kabinda Center, du 20 au 22 octobre 2011

Carrefour paysan en RDC


Du 20 au 22 octobre 2011, 272 délégués mense potentiel agricole du pays étaient Durant ce Carrefour paysan, les partici-
mandatés par leur organisation pay- au centre des préoccupations de ce Car- pants se sont dotés d’une organisation
sanne, se sont réunis à Kinshasa à l’occa- refour paysan. Il a, entre autres, été de- interlocutrice avec les autorités. Ils ont
sion du 2e Carrefour paysan pour débattre mandé au président de la République et créé la Cnapac – la Confédération natio-
de la question centrale : « Paysans, où au gouvernement de promulguer la « Loi nale des producteurs agricoles du Congo.
sommes-nous, où allons-nous ? ». portant principes fondamentaux rela- La mission de la Cnapac se résume comme
suit : « Représenter et défendre, au ni-
Cette rencontre a fait l’objet d’une dé- tifs au secteur agricole » avant le début veau national et international, les inté-
claration qui opère un état des lieux de de la campagne électorale, ainsi que de rêts des producteurs agricoles congolais
la situation nationale du monde paysan respecter l’engagement de la RDC dans pour permettre à ces derniers de partici-
et de l’agriculture. le cadre de l’Accord de Maputo, en réser- per pleinement à la vie socioéco­nomique,
La sécurité foncière, la professionnalisa- vant progressivement au moins 10 % du culturelle et politique dans la société, et
tion, la planification des marchés, l’im- budget national au secteur agricole. de s’y épanouir. »

n° 103 - Bimestriel - octobre, novembre 2011 défis sud 27

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